POGGIANA,
o ù
La vie, le CARACTERE, LES
SENTENCES, ET LES BONS MOTS
D E
POGGE FLORENTIN*
AVEC SON HISTOIRE
DELA /
REPUBLIQUE DE FLORENCE,
Un SupLEMENl-de divcrfes
Pièces importantes.
TOME SECOND,
A AMSTERDAM,
Chez Pierre Humbert.
MDCCXX.
y^
■L?.
•5s V*> V^ -/S y^ v^ y'o v«S ■r<S-^vS'/S'-.^-/Sv^vS
Vii* W**!^ WW WV.» W W W W^^
AVIS
SUR CET ABREGE' DE L'HIS-
TOIRE DE FLORENCE.
S9?S ^ ^^^^^ réfolu d'abord
fi^.É de ne marquer que les
2^i^^ principaux traits de
l'Hiftoire Florentine de Pog~
gejHiais après l'avoir lue tou-
te entière on a crû faire plai-
fir au Public de l'abréger en
faveur de ceux qui n'aiment
pas le Latin , ou qui ne font
pas d'humeur de lire l'original
d'un bout à l'autre. On y a
joint les éclairciflemens qu'on
* 1 a
n Avis sur l'Abrège'
a pu trouver dans Léonard
Aretin , dans Nicolas Machia-
vel-, Citoyen & Secrétaire de
Florence , & dans les Notes
de M. Recanati qui a conful-
té plufleurs Hiftoriens de Flo-
rence peu connus hors de l'Ita-
lie. On a pris plaifir à con-
fronter les divers cara6teres
de ces trois Hiftoriens de Flo-
rence, Léonard Arecin a plus
de détails, Ion flile eft plus
fimple , & plus naturel , il
tient plus du Journal que de
l'Hiftoire. Pogge s'étend da^
vantage , fon ftile eft plus fou-
tenu 5 il fait parler fes perfon-
nages, à la manière de Tite
Live Se de Salufte. Machia-
Vçl éçriç ea Politique, dé-.
■*>f-
DE l'Hist. de Florence, m
velope les evcnemens avec
beaucoup de pénétration , mais
fbuvent il loupçonne5& il de-
vine à l'imitation de Tacite y
dont il n'a pourtant pas luivi
le ftile concis^ Se ferré, A
l'égard de Monfieur Recanaùy
en bon Vénitien , il prend ,
dans les notes , le parti de fa
Patrie , quand il arrive àPog-
ge de décharger la bile con-
tre elle, comme il fait fbu-
vent.
Les guerres que fè font les
Villes, & les petits Etats font
en petit j ce que (ont en grand
les guerres des Nations en tic-»
res. On y voit mêmes intri-
gues , mêmes ftratagêmes,
inêmes pallions , mêmes ca-
- 3 rac-
IV Avis sur l Abrège'
raderes, mêmes révolutions
en un mot des évcnemens
tout Icmblables. La railbn en
eft bien claire , c eft qu'on
y voit THomme par tout,
blanc , ou noir , félon le cli-
mat, habillé, & armé dif-
féremment, félon les divers
ufages des Nations , plus féro-
ce, ou plus doux, plus brutal,
ou plus civilifé luivant le ca-
ractère des iiécles , mais tou-
jours l'Homme, quant à 1 in-
térieur. On y trouve encore
les mêmes exemples , ou de
valeur, & de Hdclité , ou de
lâcheté , d"inconll:ance , &
de perfidie. Les guerres y
iont conduites, pour la plu-
part, comme les nôtres, lui-
vant
delHist. de Florence, v
vant l'incercc , l'ambition , &
quelquefois les intrigues ga-
lantes des Généraux, qui ont
l'art de poufler, ou de pro-
. longer une guerre , de recu-
ler, ou d'avancer une paix,
au gré de ces palTions. On y
eft furpris, & confus de le
voir la dupe des apparences,
en découvrant quelouventce3
grands événemens qui occu-
pent tout l'Univers 5 lont ame-
nez, par les plus petites eau-
fes , & par les reflotts les
moins importans en eux-mê-
mes. Mais lur tout on eft
frappé d'admiration à la vue
de ce qu'on appelle vulgaire-
ment le fort des armes , de
rinconftance de la fortune ^
* 4 mais
VI Avis SUR l'Abrege'&c.
mais qu'on doit appel 1er la
conduite fecrete , & profon-
de, les refforts impénétrables
de l'Arbitre fouverain de l'U-
nivers. On a cru que le Lec-
teur ne (eroit pas fâche de voir
la preuve de cette reflexion
dans cet Abrège , où l'on a
réduit en deux les huit Livres
de Pogge.
H I S-
^ ^ ^ ydi V*> -Î:S Y^:> -.^ -/S -^ '^ -/S ■ -^ -/S -/^i vS
^» V.»^ V.» • V W V.» V»* V.* W V»* ÎV' iv V.» V»» w V»*
AVERTISSEMENT.
TA UT EUR de ce Recueil
ayant eu occalion de li-
re les Oeuvres de Togge
Florentin , en travaillant
à un Ouvrage plus férieux, a crû
que les Savans pourroient fe dé-
lalFer en le lifant , comme il s'efl
délaile lui-même en le compo-
fant. Pogge Florentin elt aiîcz:
célèbre dans la République des
Lettres ^ pour infpirer au Pu-
blic quelque curiofité de le con-
noître plus particulièrement. On
verra par l'Hilloire de fa vie^ &
par les traits qu'on a raflemblez
ici que ce qui part de fa plume ,
ne doit pas être indiffèrent aux
* 3 per-
II AVERTISSEMENT.
perfonnes de bon goût. On y
trouvera du ferieux , & de l'en-
joué ^ des fentences, & de bons
mots , de l'a morale , & de la
politique , Y Art militaire y
tient mênae fa place de tems en
tems.
Quoi qu'il femble que la mo-
de des Livres en y^ua commen-
ce un peu à pafler , on a crû
pourtant pouvoir donner à ce
Recueil le titre de Toggiana.
D'autant plus que dès lors on
avoit donné le nom de Toggia-
na , & de Montepolitiana aux
découvertes que firent en Alle-
magne Pogge , & Barthelemi
de Montepolitiano , comme cela
paroît par une Lettre de Fran-
cifco Barbara à Pogge fon bon
ami. Cette Lettre dont Mon-
fieur Recanati n'a donné que
quelques fragmens s'ell trou-
vée toute entière dans la belle
Bibliothèque de S. Paul à Leip-
AVERTISSEMENT, m
iig. Comme le favant Monfieur
Bœrner ProfeOeur en Théolo-
gie, & Bibliothequnire de l'U-
niverfité de cette Ville me l'a
généreufement communiquée ^
j'en rapporterai * ici un endroit
allez curieux , & qui jultifiera
le titre qu'on donne à cet Ou-
vrage. Tout de même quon ap^
felLoit les pommes d' App'ms ,
Appiana , les Cerïfes de Lu-
ciillus ^ Luculliana , ^ les poi-
res de ^JManlïus , Manliana.
On appellera atijjl tin jour Pog-
giana, & Montepolitiana /f'j/?-
mences de Littérature que vous
avez, apportées â* Allemagne , en
Italie. Peut-être ne croioit-
on pas que l'origine des /Ina
fût aufTi ancienne. On a cru
d'ailleurs ne pouvoir fuivre un
meilleur modèle que celui de
* 4 Mon-
* On la trouvera toute entière en Latin à
a fin du Tome U. de ce Recueil, pag.313.
ïv AVERTISSEMENT.
IVIonfieur l'Abbé du Pin, qui
a intitulé Gerfoniatia , l'excel-
lent Ouvrage qu'il a donné fur
la vie , la dot^rine , les fenti-
mens ^ & les Ouvrages du cé-
lèbre Jean Gerfon Chancelier de
rUniverlité de Paris , & fon Dé-
puté au Concile de Confiance.
Ce petit Ouvrage aura qua-
tre Parties. La première con-
tiendra la Vie de Pogge , & de
plufieurs de fes contemporains ^
tirée de divers Auteurs , &
principalement de la Vie de Pog-
ge que Jean Baptiile Recanati ,
Noble de Veniie , & Académi-
cien de Florence , a mife à la
tête de VHifioire Florentine de
^ogge , imprimée à Venife en
1715.
La féconde Partie fera un re-
cueil de fentences , de maxi-
mes, & de traits d'Hiiloire ti-
rez des Ouvrages de cet illullre
Florentin. On a pris foin d'ame-
ner
AVERTISSEMENT, v
ner ces fentences , de les lier,
& de les éclaircir par quelques
reflexions.
La troifième Partie eft un A-
bregé de l'Hiftoire de Florence
de Pogge , où Ton a joint des
Eclairciiremens tirez de Leo^
nard Aretin , de Machiavel &
des Notes de Monfîeur Recana-
ti fur l'Hiiloire de Florence.
La quatrième Partie confifle
dans le choix qu'on a fait des
meilleurs mots de Pogge , &
des hommes illuflres de fontems
imprimez à Strasbourg en 15-10.
fous le nom de Facetta. Enfin
on trouvera ici en forme defup-
plement quatre Pièces Latines,
favoir trois Lettres , la première
de Pogge , la féconde de Francif-
co Barbaro fur la découverte
des Oeuvres de Quintilien, &
la troifième de Cincio. La
quatrième Pièce ell l'Oraifon
funèbre d'Emanuel Chryfolore
* 5 par
Ti AVERTISSEMENT.
par André Julien Noble Véni-
tien.
On trouvera de tems en tems
dans cet Ouvrage des endroits
qui pourront fervir de préli-
minaire au Concile de Baile
auquel l'Auteur de l'Hilloire
du Concile de Confiance tra-
vaille.
Fautes à corriger dans le Tome I.
ù
Pag. 31. lig. 7. Ckeron, v quil. lifez Ciceron. Il
prétend même qu'il. P. 49. I. i. qu'il, lif. ce
qu'il, p. 115. 1. zo. reformer y ajoutez le
feftpk, P. 117. 1. 18. vigiiants. lil. eveilU:^.
AVIS
<i/- «^ Qp* cj^ f cA -.y- Cf»*- Cf qt^ cp.*- qt^ cô*- vv- cp- Q t^T*-
V* vV VV V* *••#■ v*- *».-* v*- • fc'* %•♦ vV ^r* ^* wr*- ^^ iJV
V,* w w w w w w w • V»* w w "iv v;» Vk'w V,*
A V I s *
SUR LA SECONDE PARTIS:
Avec quelques Additions.
1^^^ iV a cru que le Public ne per-
: Çy ^ droit rien à la méthode qu'on
i^p^wj^ a fuivie dans cet te féconde Par-
''^" ' " tie. ^oique Pogge eût beau-
coup d'efprit ^ de [avoir ^ iln^y a pour-
tant pas toujours ni ajfez de tour , ni
ajjcz de choix dans fes "traitez pour les
donner tels qu'ils font en original, ^iel-
quefois il s'' étend beaucoup fur des chofes
qui interefj'ent fort peu ^ fur tout à pre-
fent 5 d'autrefois il pajfe avec rapidité
fur des endroits , qui meriteroient plus
d'étendue . Il y a f auvent dans fes Oeuvres
un air de Rhétorique ^ i^ un tour de
Déclamation , qui n'efl ni de notre fe-
cle , ni de notre Langue. On a donc
crû devoir prradre le parti de les rédui-
re pour la plupart en maximes^ fenten-
ces
* Cet Avis eft venu trop tard entre les mains
de l'Imprimeur pour être inféré au devant de la
i'econde Partie.
Viii Avis sur la II. Partie
ces^ réflexions^ fentimens^ traits d'Hif-
îoire y de Critique {^c.
En difpofant ainfi des Ouvrages de ce
hel Efprit^ on s^eft mis en état d'en ren-
dre la leBure plus utile ^ plus agréable.
On s^eft acquis par là le droit d'abréger
t^ de s'étendre félon les fujets^ aujji bien
que de choifir les morceaux , qu'on a ju~
gez le plus de mife ^ 13 de leur donner
une tournure plus conforme au goût d'un
fthle , plus délicat 6? plus poli que ne
V et oit le quinzième. On a tâché d'étoffer
ce qu'on trowvojt trop mince ^ ^ de don-
ner de la chair 13 de la couleur ^ à ce
qui paroiffoit trop fquelette. D'ailleurs
on a gagné par cette méthode la liberté
d'affocicr à Pogge plufieurs de fes Con-
temporains 13 quelques hommes illufires
des autres fie des , doyït la compagnie ne
fauroit le déshonorer.
On en a même omis plufieurs , tant
pour ne pas groffir le "volume , que parce
qu'on n'a pas eu fur leur fujet des mémoi-
res particuliers. J' aurais bien voulu ^par
exemple., donner quelques nouvelles d'un
Cîncio. Secrétaire du Pape , Collègue (3 ^mi
de Pogge .^ nommé Cincio Romain. Son
feul nom , fi illuflre dans la République
Romaine^ m'infpiroit de la curiofité pour
Je
DUPOGGIANA. IX
le connaître plus à fond. La famille de
Cincius fut illufire à Rome. Il y en
eut un entre autres qui fe fignala , par
plufieurs beaux endroits dans le fixieme
ftède de la fondation de Rome., au tems
des guerres de Marius ^ de Sylla. Il
fut homme de guerre^ homme d'Etat ^
homme de Lettres. Il eut beaucoup de
part à r amitié de Ciceron^ qui le défend Cicer
fort bien d'a'uoir trempé dans la conjura- F» ^"J »•
tion de Sylla contre la République. VHif-
toire parle de deux Loix qui ontpnté jon
nom^ Vune fomptuaire , pour régler les
dépenfes^ Vautre muneraire ,, pour em-
pêcher de corrompre les Juges ^ les Ma-
giftrats par argent. Il y défend aux
Clients de porter deux Robes , de peur
qu'on n'y cachât despréfens^ pour gagner
des fuffrages. Il donna cette Loi à la
follicitation de Q^ Fabius Maximus le Cicer.
Cunaateur ou le Temporifeur. Ilfal- ^^ ^^^^"•
ïoit que cette Loi fût bien fevere., puis
que Ciceron ne "ooulut point accepter des
Libres qu'on lui offroit ^ que Cincius
fon ami ne Veut afj'uré ^ que la Loi Cin-
cia ne s'y oppofoit pas.^ comme il le dit
à fon ami Atticus. {a) Cum mihi P^^ ^^^5^^^^^^*
legem Cinciam , licere capcre , Cin- ^^ ^ j^^;
dus amicus tuus dicerct, libenter dixi^o.
me
X Avis sur la II. Partie
me acceptLirum. Cincius étoit homme à
bons mots (^ Jh'voit railler fort grave-
ment. Le jour qu'il porta au Sénat fa
Loi Aluner aire ^ quelcun ^ qui fans doute
fC étoit péis content de cette ' Loi lui de-
manda d'un^ air fort méprifant^ ce qu'il
apportoit. Je vous apporte, dit-il^ de
quoi acheter fi vous en avez befoin.
C étoit dire bien piquamment ^ qu'il f al-
loit acheter non les charges , mais les
(a) Cic. Loix qui défendent de les acheter (a). Sse-
de Orat. p^ QXÀ-xfvx fententiosè ridicula dicuntur^
^j\ * * ut M. Cincius quo die Legem de donis
&: muneribns tulit , cum C. Cento pro-
diiflct, & fatis contumeliosè Quid fcr^,
Cinciole, qurefiiTct, Ut emas, inquit,
Cai, fî uti velis. L'Antiquité nous par-
le de Cincius comme d'un homme fort fa-
vant. Il avait écrit une Hijîoire Romai-
ne depuis l'origine de cette République ^
dont il efl parlé a'vec éloge dans Denys
AntK °L à' Halicarnafje {b). Aulugelle {c) nous a
\ p. i\,' confervé un fragment d'un Livre que cet
36. 57. habile Romain a-voit fait fur VArt mili-
^^) ^^}f^' taire. Ciceron. (<^) parle de Cincius * , com-
c. 4. ""''
(d) Ciccro * Il faut remarquer qu'au devant du nomCin-
pro Syila. dus , il y a quelquefois une L. & d'autrefois une
10. M. Ce qui pourroit faire croire que ce font deux
perfonnes diflferentes. La plupart du tcms Cice-
ron
DU POGGIANA. XF
me cViin homme de fort bonnes mœurs ^
bon citoyen ^fur tout fort généreux i§ fort
definterejjé. jlpres s'' être endeté au fer-
i:icede la République .^ il vendit fon patri-
moine pour payer fes dettes.
Je ne faurois bien rendre la raifon du
penchant, que^f-aurois à fouhaiter que le
Cincio du quinzième Jîèclù fût defcendu
de ces illujîres Romains. Cefi apparem-
ment la conformité de caractères à cer-
tains égards^ comme la probité ^ le fa-
voir ^la politeffc ^ une honnête gayeté ^ ^
les bons mots dans Voccafion. Il efl irai
que notre Cincio n'eft connu par aucuns
Ouvrages publics , à moins qu'ils n'ayenî
eu le même fort que ceux de r Ancien Cin-
cius , dont on n'a qu'un miferable petit
fragment. Mais on p}eut faire là-de£us
la reflexion que faifoit Pogge , fur ce
qu^on objeéîoit au [avant Nicolas Nicoli Pogg. Ep.
^fon ami inti'me^ q^ii'il n''avoit jamais rienV' 345*
écrit. Bien loin , dit-il ^ que ne point
écrire , foit un caraétere d'ignorance
au
ron l'appfelle Cincius tout court. Après avoir
confropté les Auteurs, il me lemble que c'eft un
fcul & liiiêïne perlonnage , qui pouvoir avoir nom
Lucius Marcus. Son Père s'appelloitPublius Cin-
cius , dont Ciceron parle comme d'un fort hom-
me de bien.
xîi Avis sur la II. Partie
au contraire la plupart de ceux qui écri-
vent femblent avoir pris à tâche de dé-
couvrir la leur. Au fonds il n'y aura
jamais que des fots , qui concluront de
ce que Pythagore , Socrate Se tant d'au-
tres grands Philofophes n'ont point é-
crit , qu'ils étoicnt des ignorans. Il
s'eft pourtant trouvé parmi les MSS. de
la riche Bibliothèque de JVolffenhutel^
une Lettre de Cincio à Pogge^ ou Von
décowvre en lui les caractères q^iCon vient
de marquer^ i^ par où Von peut juger de
ce qu'il eût été capable de faire , fi [on
loifir^ fon humeur^ ou fa -modefiie le lui
eufjent permis.
Lettre Cette Lettre eft une félicitation fur
de Cincio V augmentation de la famille de Pogge.
A Pogge. ji y yggfjg j(fj grand caractère de tendref-
Ce^ i^ fur tout une alliance afjcz rare ,
c'efi celle de lafincerité i3 de la polit efje.
L'éloge qu'il y fait de la République de
Florence eft de ce caractère. Il eft véri-
table^ y // devoit faire beaucoup de plai-
fir au Florentin fon ami. Votre fils,
dit-il^ fera élevé à Florence , fi fécon-
de en efprits merveilleux , & en per-
fpnnages d'une doétrine profonde j d'ail-
leurs Il floriflantc par fon commerce,
qu'elle furpalTc toutes les autres Villes,
ou
Du POGGIAI^A, XHI
OU au moins qu'elle n'eft furpaHee par
aucune. // prétend qu'un heureux -natu-
rel foutenu par une bonne i§ foigneufe
éducation^ ne peut jamais être corrompu
par la fortune , ni altéré par les influen-
ces des Aftre s. Il ell vrai, rt'/V-//, qu'Ho-
mère nous fait un conte d'une certaine
chaine d'or, qui s'étend depuis le Ciel
jufqu'à la Terre", &: qui entraîne les
hommes , pendant qu'ils croyent la ti-
irer à eux , voulant faire entendre par
là que les aélions humaines fontfujettes
au DciHn , 6c que nul ne peut refiiler à
fa néceflîté. Mais peut-être qu'il en
parloit feloii l'opinion du vulgaire, ou
qu'avec quantité de Philofophes opi-
niâtres qu'on n'a jamais pu ramener par
aucune raifon , de cette doctrine de k
fatalité , il étoit lui-même de ce fenti-
nient. Comme il y a dans cette Lettre
une fort belle morale accompagnée d''une
agréable érudition , fur tout par rapport
à r éducation des enfans^ on fera d'au-
tant moins de difficulté de la donner a-vec
quelques autres à la fin de cet Otrjrage *
que c\fi peut-être F unique monument que
nous ayons de Cincio.
Il efi certain que la famille des Cen-
'Tom. IL * * ces *\
* On la trouvera au Tom. II. p-3i2,.
..^
XIV Avis sur la II. Partie
ces "^ , avoit depuis long tems tenu les
premiers rangs dans VEgiife. Dans V on-
zième ficcle il y eut un Cincius Gouver-
neur de Rome , homme de grande autori-
té en Italie^ qui adhéra à l'Anti-Pape
Clément Jll. i§ s''oppofa ligoureufentent-'
aux entreprifes de Grégoire VIL fur
VEgiife ^ fur l'Empire. Ce Pape P ex-
communia^ mais fans fe mettre en peine
de cette foudre^ il P enleva de vive for-
ce^ pendant qu'il celebroit la Meffe^ ^
V emmena prifonnier. Ce Cincius mourut
à Pavie où, il et oit allé joindre VEmpe-
Baron. reur Henri IF. Il y avoit fous le Ponti-
Ann. fcat de Fi^or. III. un Cincius Confiil
^'^'^' Romain^ qui affifta à Vé lésion de ce Pa-
pe. Il femble que lors de rélcLtio/i de Ge-
Baron. /^y^ jj^ j^-^^ Jg douzième fie de il y eut
j ""g j^ deux Cincius .^ dont Vnn et oit Cardinal^
ÎV. XIl'l. ^ affifta à cette élection. L'autre qui
s'appcîloit Frangipane, tenoit le parti de
V Empereur Henri IF. contre ce Pape^
qui en fut cruellement maltraité. Ce fut
apparemment le même , qui adhéra à
V Anti-Pape Anaclet , contre Innocent II.
Sur la fin du même fièck fous Celé ft in IIL
Cin-
* Cefl: ainfî que les appelle Auberi dans fi Vie
des Cardinaux.
DU POGGIANA. XV
Cincius Camerier de ce Pape^ compofa
lin 'Traité des Biens *, Cens, ou Rentes
de rEgUfe Romaine dont le Mannfcrit
eft au Vatican. Il parott par les citations
de Baronius ^ de Pagi^ que cet Ouïra'
ge ne roule pas feulement fur ce que porté
le titre , mais qu'il ejl en même tems Hif
îorique. Enfin un Cardinal de ce nom
fut élu Pape en i IP3. fous lenomd'Ho-'
fioré m.
Il faut mettre Jean Aurifpa Prêtre Jean Au»
Sicilien ^ Auteur célèbre en ce tems-là "'P^- , ;
tant en profe qu''en l'ers^ entre les illuf ]vion<Tito-
îres contemporains de Pogge. Laurent ri Biblioth^
Valle avoit reproché à ce dernier de s"* être Sicul.
brouillé avec Aurifpa , mais il s'en dé- ^' '
fend y en parle avec éloge. Il fut corn-
me lui Secrétaire des Papes Eugène IV,
13 Nicolas V. qui lui donna de beaux
Bénéfices en Sicile. Il étoit également
aimé des Grands 13 des Savohis , comme
des Papes qu'on vient.de nommer., du
Roi Alphonfe , des Ducs de Ferrare ,
d'ALneas
* En voici le titre. Incipit liber Cenfiium Ro,
manœ Ecclefiae à Cencio Camerario comnofitus
fecundum antiquorum Patrum regelb , &: me-
morialia diverfa, anno Incarnationis Dominicse:
millefîmo centefimo nonagelimo fecundo, Pon-
tificatus Celeftini Papas tertii anno fecundo.
XVI Avis sur la II. Partie
d'yErteas Syhius , d'Antoine de Pakrme*
de François Philelphe , de Laurent VaU
/é", qui le reconmit pour fon Maître dam
la Langue Grecque ^ On ne fait point Van-
née ni le lieu de fa mort. Il 'vécut fort
'vieux i^ laijfa diz'ers Owvrages ydes Epi-
grammes 5 un 'volume de Lettres , dont
il y en a quelques-unes de Manufcrites
chez les Hermites de Padoiie i^c. Il fit
auffi quelques Traductions d'Auteurs Grecs
en Latin ^ comme celles des Oeuvres d'Ar-
chimede ^ de la Vie d'Homère^ i3 du Li-
'vre d'Hierocles fur les 'vers dorez de Py^
thagore^ qu'il dédia à Nicolas V. Le
favant ^ illufre AI. Dacicr en parle
amplement ^ a'vec beaucoup d'éloge dans
la Préface de la belle Tradu6iion Fran-
çoife qu'il a donnée de ce Commentaire
d'Hierocles.
Alexan- La Loi Cincra m'' a fait fowvenîr dun
dred Al- iUufre Auteur du quinzième ftecle ^par ce
(a) Di'es ^^^'^^ ^^ p^r/^ clans un Owvrage {a) qui
gen.T.II. nous eft refié de lui^ fous le titre de Dies
P'S47« géniales, c'eft-à-dire^ journées agréa-
bles. Ceft Alexandre d'Alexandre, cé-
lèbre Jurifcon fuite de Naples. On fe
plaint dans la Préface de cet Ouvrage que
^ (b) Ceft- /^j- Biographes (b) n'ont point parlé de
lÊ^rhàinsl <^^^ ^^^^^^ Antiquaire ^ Critique y quoi-
qu'on
DU POGGIANA. XVII
^u'on ait écrit la Vie de plufieurs de fe s des vies
contemporains. Mai s le fan: ant Auteur de^^^ '.^°"?'
cette Préface fe trompe fort. uMoreri[^ç^^
allègue cinq oufix Auteurs qui ont parlé
du Jurifconfulte Alexandre , entre lef>
quels eft Jean Gérard Voflïus qui le pré^
fere de beaucoup à François Philelphej
dont il fera fouvent parlé dans cet Ou-
'urage. Il n'efi pas furprenant qu''onn^en
trouve aucune mention dans Pogge^ qui
pouvoit ne Favêir pas connu , puis que
Pogge mourut en i^f9. & qu"" Alexan-
dre vécut juf qu'à 14P4. Comme Moreri
nous inflruit afez de fa famille , je ne
parlerai que de fes liaifons , £5? du ca-
~r altère de fes mœurs i^ de fon cfprit. Il
fut Difciple de François Philelphe , dont Alex, ab
il parle avec éloge ^ fans difconvenir pour- j f^* _*■
tantj que dans fa jeune fe fes mœurs a-
voient été déréglées. On peut mieux
compter fur ce jugement que fur les décla-
mations emportées de Pogge contre Phi-
lelphe. Entice tes divers talents de notre
jurifconfuMe Napolitain^ il avoit celui
de bien donner le caraélere des gensj i^
de les produire par les endroits les plus
avantageux. Il commence fonOuvrage par p. iJ
le caractère ^^ Jovianus Poijtanus, £î:f-
îjorien^ Orajteury (^ Poète célèbre y qui
* # 2 fuf
XVIII Avis SUR LA II. Partie
fut Précepteur du Roi Alphonfe , 13 Sé-
nateur de Venife. G'étoit, dit-il^ un
homme d'un eiprit extrêmement doux,
fa politcfle , 6c Ion élégance étoit ac-
compagnée d'une ingénuité qui rendoit
fa converfation charmante. // rece-voit
fes amis woec autant de plaifir que de
bonté. Leurs entretiens roulaient fur les
belles Lettres , i3 finijjoient ordinaire-
ment par un repas frugal (3 gai- C'eji
ce qui arrii^a chez A^ius Syncerus , qui
traitait fowuent fes amis^ du nombre def-
quels étoit Alexandre. Il y a ici à re-
marquer quelques particularitez affez
agréables, i . La fimplicité de leurs re-
pas. Celui dont V Auteur parle ici étoit de
citrouille ai-ec de la laitue hachée menu
(3 affaifonnée a'uec des grains de raiftns
fecbez au Soleil , des pommes de bonne
odeur qu'ion avait confèrvées Vhyver^ des
figues feches de Sinuefj'e*avec de Veau de
Rafe 5 d'autrefois des chous fleurs i3 des
afperges de Jardin. Cefi là ce quil ap-
pelle un repas délicat ^ non n^ulgaire ■\.
z. C était
* Ville de la Terre de Labour dans la Cam-
pagne de Rome.
I Cœnàque non vulgaii ncc protritâ; fed aut
vcteris cucurbitse ferculo cain laducae tyrib mi-
^ulim caefo, & acino uvae paflae inlpwfo; aut
iv,i - -' . - olea»
_l
DU POGGIANA. XIX
t. Cet oit la coutume de chanter fur la
lyre les élégies cV Ovide ^ de Catulle^ de
Properce ^ des autres. 3 . Ce fut San-
nazar qui chanta dans cette fête dont
Alexandre fait le récit. Nous apprenons
ici que Sannazar n'était pas un homme
de grande naiflance, comme l'a dit Mo-
reri. Cétoit un efcWoe Ethiopien qu'Ac-.
tius Syncerus avoit affranchi^ i^ à qui
il avait donné fan nom avec la liberté.
Il chanta'juftfu'à mille vers de Properce.
La mélodie finit par quelque queftion fur
un vers de ce Poète.
Les Savans connoifhit le mérite^ le Hermo-
favoir 13 Us vertus (r/'Hermolaus Bar- j;^*-'^ ^^"^^
barus, Sénateur de Venife^ ^ fait Pa- 'r^ j
îriarche cV Aquilée par Lnnocent VIIL p. 54:5.
auquel il fut envoyé par la République de
Venife. Il était lié cV une amitié fort étroi-
te avec Alexandre d'Alexandre. Pen-
dant fon fejour à Rome il était vif té de
tous les Savans^ ^ on était ravi de fon
irudition profonde- ^ agréable tout en-
femble , aufi bien que de la bonté de fes
mœurs Î3 ^(?ytf;/ Urbanité. Un jour qu'il
avait invité fes amis à fouper^ on agita
Ci'*' .
olentibus pomis anni frigore fervatis & ficu ficca
Sinuefîiiia cum Rofaceo. p. 236,
A,
XX Avis sur la II. Partie
cette queflion^ fi Von pouvoit dire, que
le Navire des Argonautes confiruit par
'thefée (^ qui fubftjîoit encore à Athènes
du tems de Dcmetrius Phalereus, étoit
le même navire, • Hermolaus après avoir
foutenu que ce n^ étoit point le même , par'
ce que les matériaux du premier ne Jub-
fiftoient plus i^ qiCils avoieM été rempla-
cez par d'autres , demanda à Alexandre
d' Alexandre [on fenîiraent là-dejjus. Il
prouva par V autorité des yurifconfultes^
i^ par Vufage communique c" étoit le mê-
me navire , comme un Confeil i^ un Peu-
ple ne laijfent pas d'être le même Confeil
(^ le même Peuple , quoique ce ne foient
plus les mêmes gens. - // cite entre autres
les Jurifconfultes Ulpien 6? Pomponius,
qui ont jugé qu'un troupeau qui auroit été
donné par Tejlament à quelcun lui appar-
tiendrait , quand même il ne refier oit pas
une feule des brebis, qui vivaient quand
le l'efiament a été fait. Autrement , ^;V-
/7, comme nous changeons tous les joursf
par les pertes & les réparations, qui (ê
font dans notre corps , nous ne ferions
pas les mêmes qu'il y a un an. Hermo-
laus accommoda le différent par -une fort
hony-e diflin^lion entre le fens phyfique £5?
grammatical du mot ^ Icniêoie, (:$foA
fens^
pu POGGIANA. XXI
Jins ordinaire ^ ufité ^ ^impropre. Les
Phyfîciens qui font phis fubtils ^ o^ui pren-
nent tout à la rigueur de la lettre (l> fé-
lon VexaSle vérité^ ne diront pas qti'urt
troupeau , dont toutes les 'vieilles brebis
font mortes , (^ qui a été renow^jellé par
lapropagation^foit le même troupeau s mais
les Jurifconfuites s" en tiennent à ce qui eji_
probable , à l'équité C? au langage commun.
Qeft dans ce fcns figuré ^ que S. Amant
dans fon Poème fur la Solitude^ juge que
les arbres de fon tems étaient les mêmes
que ceux du commencement du Monde,
Mon Dieu ! que mes yeux font contens
De voir ces bois qui fc trouvèrent
A la nativité des tems,
Et que tous If s fiècles révèrent;
Etre encore auffi beaux & verds
Qu'aux premiers jours de l'Univers.
Alexandre d'Alexandre après avoir -p j»
long tems fréquenté le Barreau à Naples^. 501.
Ô? à Rome^ s'en retira à caufe de V igno-
rance cra£è des Juges ^ de leurs injujîices
énormes^ i3 de leur infupportable corrup-
tion^ comme il le dit a Raphaël de Vol-
terra, à qui il en raconte di'^jer s exem-
ples. Sa probité ^fa mode fie ^^ la crain-
xxïi AvissuRLA II. Partie
te de s'ajfocier avec des fcclerats ^ des
gens de fac ^ de corde , tels qu'étaient ceux
qui fe poujfûient alors (lux premières Di"
gnitez tant Eccleftaftiques que d'unes V em-
pêchèrent de s'a'vancer. Cejl la raifort
ïbid.p. q^'il en rend à un de [es amis^qui le que-
614. relloit de [on indolence.
Barthele- On a vu dans la Vie de Pogge , qut
î"' de Barthelcmi de iVIontcpulciano * , fut en-
Monte- „ ,' 7 • .111 ^ 1
pulciano ^ ^'^ Allemagne pour recher-
cher (V anciens Manufcrits. Il et oit natu-
rel d'avoir quelque curioftté de connoitre le
compagnon de f lllufire Pogge dans cette
forte de chafj'3^{t) fétois mortifié iV avoir
tant feuilleté inutilement pour le déterrer.
Mais je fus bien fur pris ^ en parcourant les
Lettres de Léonard Aretin y de trouver
Aret. Ep. '^'■^^■^ ^^ compagnon de voyage de Pogge .^ un
L. VI. homme auffi méprifahle 13 o.ufi ridicule
^P* S* que Léonard le repre fente. Comme la Let-
tre ou il en parle à Pogge lui-même efl
affêz curieufe , fen donnerai ici à peu
près le contenu.
Un jour qu'il et oit en chemin pour A-
rezzoy il appcrçut de loin dans la forêt,
des chartiers^ d^ autres gens fort occupez
à
? Ce Bartlielemi avoit quelque Prélature à la
Cour de Rome,
PUPOGGIANA. XXIII
à tirer d'un mauvais pas quelques chareU
tes chargées de colonyies ^de fiatues de mar-
bre , de bafes ^ d autres morceaux de
Sculpture (§ d Archite^ure , comme pour
bâtir un Maufolée. Trouvant a£ez eX'
traordinaire de voir de pareils prépara-
tifs fur cette route , il eut la curiofité
dt aller demander ce que c' et oit. Que le
Diable emporte tous les Poètes qui
furent & qui feront jamais, lui répondit
un des entrepreneurs {a) , en s''efjuiant le (^ Re-
vifage qiCil avoit tout en fueur. Quedemptor,
vous ont fait les Poètes , dit Aretin ,
que vous leur fouhaitiez tant de mal ?
N'eft ce pas, dit-il^ ce fou de Poète,
dont vous voyez ici la ftatue , qui a
commandé qu'on portât ces marbres a
Montepulciano*pour lui faire un tom-
beau ? Là-de^lis Aretin demanda s'' il étoit
mort quelque Poète dans cette ville. On
lui dit que c étoit à Rome qu' il et oit mort ^
mais qîî'il avoit ordonné par fon'tefta-
ment , qu^on le tranfportât dans fa pa-
trie ^ qu'on y érigeât une ftatue pour
lui
* Montepulciano efl: une petite ville fur une
haute montagne, dans le Sienois avec un Eve-
ché. Ce fut la patrie de Bellarmin & d'AngePo-
iitien, ' ■
XXIV Avis sur la If. Partie
lui i^ une pour fon Père. Comme Aretin
nvoit ouï dire , qu'il était mort depuis
peu à Rome , un certain Barthekmi de
Montepulciano qui avoit laijfé quelque
urgent à certain ufage , ne doutant point
que ce ne fût celui dont il s'agijj'oit , vous
avez grand tort, dit-il^ d'avoir mau-
dit les Poètes à l'occalion de cet ânS
là. Il n'eil; nullement Poète, c'efl; un
franc ignorant, qui ne s'eft jamais di{^
tingué que par fa folie ôc fa vanité. Je
ne l'ai jamais connu, r//> V Entrepreneur^
& même je n'en ai jamais ouï parler,
mais fcs compatriotes le difent Poète,
& je crois qu'ils en fcroient un Dieu
s'il avoit donné un peu plus d'argent.
Mais puis qu'il n'étoit pas Poète , je
fais réparation aux Poètes, & je ne di-
rai plus de mal d'eux.
Aretin fait à cette occafion de fort
belles reflexions fur la i-anité des tom-
beaux. Il y a eu, dit-il^ trois grands
Héros qui n'ont point eudemonument.
Cyrus , Alexandre &: Céfar. On n'ap-
prend point que ces deux derniers fc
foicnt mis en peine de leur fepulturc.
A l'égard de Cyrus il défendit exprcfîe-
mcnt de lui en bâtir, & commanda
^ue l'on mît fon corps dans la terre, la
DU POGGIANA^ XXV
regardant comme la plus magnifique
de toutes les fepulturcs , à caufe des
belles fleurs , des fruits délicieux &; des
autres richeffes qu'elle produit.
^ la fuite de ces traits d'Hifioire vient
une fanglante apojiropbe au pawvre Bar-
îhelemi. Il le reprefeute non feulement
comme un ignorant de la plus crajje igno'
rance^ comme un homme d'une conduite
extravagante , mais encore comme un
homme de rien. Son père étoit un Mer-
cier *5 q^ui cour oit les foires ^ fa grand*
mère une fage-femme ^ fa mère une fana-
tique , à courir les rués toute échevelée.
Itout fon mérite confiftoit donc en ce qu'iï
avait laifjé de V argent. Mais Léonard
Aretin dit qu'il Tav oit volé y ^ qu'il le
cachùit parce que le Pape avoif voulue
lui faire rendre gorge. Enfin après avoir
cherché fort curieufement ^ d'un tour
fort fatirique , ce qu'on pourvoit mettra
fur fon tombeau , il conclut qu'il aurait
mieux fait de fe faire cacher fous la terre
après fa mort , comme il cachait fon ar^
gent pendant fa vie.
Après avoir lu cette Lettre il m'efi
venu dam Te/prit y ou que Léonard Are-
ti»
* Mcrcator circumfotancuso-
Xxvr AvissurlaIT. Partie
tin parle d'un Barthelemi de Montepulcià'^
no différent de celui de Pogge^ ou qu'il y
a beaucoup de paffion ^ de medifance
dam le portrait qu''en fait Léonard^ ou
que c'eft peut-être Pun (^ Vautre. Efl-il
'uraifemblable en effet qu'on eut donné à
Pogge une fi groffe bête pour affocié ^dans
des recherches qui demandent non feuk"
ment beaucoup d'érudition , mais de la
pénétration l^ de la fagacité. D'ailleurs
eut-il pu parler d'un tel homme , ai:ec
éloge ^ ^ le mettre fur les rangs comme
il fait dans fes Difcours Convivaux,
fans s'expofer à la rifée de tout le monde.
On n'auroit pas manqué de dire-,
• O le projet plaifant d'un Poëte ignorant
Qui de tant de Héros va choifîr Childebrand.
J'ai été ravi de me rencontrer à cet
égard ^ avec Mr. Apoftolo TLtno Javant
Italien , qui en juge ainft dans le dixie^ '
me Tome de [on Jourtial des Savans d'Ita-
lie. Quel Bartolommeo^ di cui qui fî
dice eflere llato il compagno di Pog-
gio nel riccrcamento de' codici antichi,
non
* Defpreaux, Art Poétique, Chant. IW.f.i^i»
242..
i)U POGGIANA. JCXVII
non è altri clie Bartolommeo da Monte'
puiciano , Prelato delk Corte di Rd-
ma, la CLii magnifica fcpoltura * orna-
ta di marmi, e llatae, e balîî rilicvi di
inano del famofo Scultore Donatcllo,
vedevafi nel duomo ora demolito di
Montcpulciano fua patria, infîeme con
l'effigie di lui fcolpito in abito folito
ufarfi da' famigliari de' Papi nelle Cap-
pelle Pontificie, & con in"ia infcrizionc
in bronzo, nella quale affermavafî efTe-
re lui ftato Configlicre, e favorito di
Martino V. fenza ipecificarlî in efïïi il
tempo délia fua vita , ne quello delh
fua morte. Aggiugne Monfignor Ben-
ci, che niuno Scrittorc rende teftimo-
nianza di quefto fuggetto } ma s'ingan-
na, poiche Lionardo Arctino ne parla
à lungo,benche poco vantnggiofîim en-
te in una délie fue Epiilole (a) a Pog- (4) i:p^i
gio,dove non folamente fi fa beffe délia i-'^- yi>
vanità di lui, il quale efiendo morto in
Roma lafcio per telhmento , che in
Montepulciano gli fofTc eretta quella
fuperba fepoltura, di cui fi è fwellato
di fopra: ma vie più mette in burla la
ignoranza di efTo , qui nullam , fon fue
pa-
* Sfindlo Benei ifior.diMonte^de. l. 4. fag.j^;.
xxvm AvissuRLA II. Partie
parole , neque fcientiam , neque do£lri-
nam cognovit. StuUitia vero ac vanitate
omnes omnino homines fuperaiit , &c.
Non convien pero crcderlo coli igno-
rante, e da nuUa, quale l'Arctino cel
rapprcfenta , primieramentc , perche
il detto Poggio lo introduce a ragiona-
re con altri vomini dotti nel fuo Dia-
îogo fopra rAvarizia ; in fccondo luo-
go, perche taie fù giudicato, che an-
dar poteflc col Segretario Poggio inGer-
mania alla ricerca de' codici antichi , il
che i\i a fpcfe de' Cardinali e de' Prelati
Romani, corne dall' cpiftola del Bar-
baro fi ricav^a.
y ai pourtant plus de penchant pour la
première de mes conjectures. Comme dans
la Lettre de Léonard il eji parlé des jla-
tues du père i3 du fils , ou je fuis bien
trompé^ ou c'eft le fds qui efi r objet des
traits de pinceau de Léonard. Le Père
aura- été un habilt homme ^ (^ en cette
qualité aura accompagné Pogge dans fes
'voyages. Le fils aura dégénéré^ i^ n'au-
ra pas laijje d'être pouffe ^ce qui s''accom-
de très-bien aux plaintes générales qu'on
faifoit alors , que les Papes ri* avançaient
que des fujets indignes. Il nefi pas vrai"
femblalik que LçQnard eût parlé à Pogge
DU PoGGîANA. XXIX
lui-même en ces termes de [on compagnon
de 'voyage , 13 qti'il eût défigné fous le
nom d'un quidam , un homme aujft con-
nu, td regard des reproches que Léonard
fait à Barthelerni fur fa naijfance , il
faut les prendre au rabais^ félon le ftile
dts Inventives dé ce tems-là . On n'eft pas
obligé de croire toutes les indignitez ^ les
injures de crocheteur que Pogge , Philel-
phe (3 Falle fe font dites fur le fujet de
leur naifjdnce. Au fond que la grand^
were de Barthelerni fût Sage-femme , que
fa mère fût fanatique , ^ que fon père
eût été Marchand avant que d'être Se"
cr et aire du Pape , tout cela ne fauroii
empêcher de croire , que le père ait été
compagnon de Pogge , ts que le fils ne
fût le ridicule perfonnage contre lequel
Léonard a déchargé fa bile.
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landais. 4. fi g. 17 19.
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dini 171^.
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JBynkershoek ( J. C* & Scnatorii) Opusculu varia.
4. 1719.
la r^ Onûuire des Cours de la Grande Bretagne
& d'Efpagnc. Traduite de l'Anglois^ 8.
I7I5>.
la Cohivazione dcll' Alamanni e le Api di Ru-
cellai, 4. Paduua 1718.
Cowper CAanduUrum Duéluumque Defcripth. ^.fig ,
Loi.dini 1701.
Cletnentii (Sti.) EpifloU Gr. Lat. S. Cantabrigis.
17 18.
Cbejneau Obfervationes Media. 4. 171p.
Jcs Colloques d'Er^ÇoiC y Nouvelle TraduHion par
Mr. Gueudeville avec des Nores & des figures ,
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çois-Anglois par Boyer. NoiïvcUc Edition
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Medicam cum Supplewtni-o. ii. z vol. L^pdini.
1710. zsr 1718.
TC Tat Prcfent de rEfpa^ne-fiar l'Abbé deVay-
rac 12. 3 vol. 1719.
de rhglife Gallicane par Mr- Bafnagc
it. 1719-
de la Suéde, avec un Abrégé de l'Hift.
de ce Royaume. Kcuvelle Edinon augmentée
de plufieurs Remarques, du Règne de Char-
les XII. & de l'avcncment de la Reine au
Trône, jufqucs à prcfent. 8. 1710.
Eflais fur la Providence Se fur la poiribilitcphy-
lîque de la Rcfiirrcâion. Traduit de l'Ancien.
It. 1719-
TJ Ables Nouvelles par Mr, De "la Motte, de
l'Académie Françolfe avec un Dilcours fur
la Fable iî. 1710.
les Femmes -des u. Cezars contenant leur Vic
& leurs Intrigues fccretes iz. Paris 17 18.
Jracajïcni Poëmat.j omnia: Àccefjaunt RtUtjuîi
Carmïnum Pûétarum Veronerijiuw. 4. PatuVù
1718.
Taerni FahuU Centum ex Amiquis Auélorihus de'
le^i cirminil^usque explicau. ^. Paiavii 1718.
r^ Rammaire Flamande &Françoife par la Grue
*^ 8. 1715-
le Guide ou Nouvelle Defcriptiond'Amfterdam
contenant fa Splendeur, fon Commerce, le
Change des Prii.cipales Villes, le Règlement
de la Banque & du Lombart , le Tarit des
Droits d'çnrrée & de fortic, le Départ des
portes, des Chaçiots, $; des Barques 8. fig.
TJZQ.
. ■ - Hffto!-
CATALOGUE.
ïJlstoîrc & Mcmoircs de l'Acad. Royale des
* Sciences les années 1714. 171Î. & IT\6.
li. j vol. fig. 17IJ?.
— — de Henri de la Tour d'Auverj^ne Duc de
bouillon où l'on trouve ce qui s'cft paflé
lous les Ketines de Fr.:açois 11 Henri III.
Henri IV. &^L^v;d^XllI. par l'Abbé Mario-
■ lier 12. 3 vol. Paris 1719
• des Révolutions arrivées dans la Républ.
Romaine par l'Abbé de Vertot. 11.3 vol 1710.
publique 6t fecrete de la Cour de Madrid
II. fig. 1719.
du V. & du N. Teftamcnt par demandes
& par réponi'es avec des reticxions Mo.alcs
par feu Mr. de Langes 8.3 vol. Genève 17 i 8.
Hûffinanni Differtatioms Phyjica-Alediu Sele^A i.
1719-
Heideg^eri MedulUTheolo^U ChriJîiariA. n.fîg. 16^0.
Hunni Refolt^tiones Juiis. 4. Col. 1697.
yOnfioni Theatrum Univeriale omnium Anima'
lium , Pijcinm , Avium, ^adrnpcdum y
Exan§'Muin , Aquaiicorutn , InjeÉtorum yO"
Anguinm. fol. % vol. fig. 1718,
Idée de la Pliyîîque Méchanique de M. Peyfon'
nd Médecin de Marfcillc. ii. 1719.
la Julieire de la Langue Françoifc i i. Paris 1 718.
Inftrudiqn Pallorale aus Refurméi de France
fur la perfcvcrance dans la Foi, & la hdeli-
■ lépourleSouverain. Par Mr. Bnlnage. 8. 1715;.
JujVwi (Sti.) DialogHS Gr. Lat. 8. Londini 1711;.
journal Hiliorique, Politique , Critique ,& Cil-
lant. Janv. Fcvr. Mars. Avril 1715;. 8. i vol.
Iftorica Relatione délia Pace dl Pafaroviz , 4.
Padova 17T9.
J/Etll, l/Hroduclto adveram Afironomiam, feu Lee-
' tiofies /^ftroûOf?!!C£. %.fii. Oxona. 1718.
■ Intrcducîio ad veram Phy/icam , Editio Ter-
îia 8. Qxonia. 17 JJ.
* * " ? KM
CATALOGUH.
Keill Tentamina Phyfico-Medica. 8. Oxonu IJI9.
T Ettres de Mr. Dartis & de Mr. Lenfânt fur
les Matières du Socinianifoic. 4. iicrlin
1715».
— — Mémoires , Ncgociations de Mr. lejPomtc
d'Eltradcs depuis 1637. juftjucs en i66i. 12.
6 vol. 1719. . _.».i^
Lomtniui de curandis febribtn continuis. 8. 1720.
Lettcre familiari dcl Conte Magalotti divifc in
due Carti 4. in Vcnciia 1719.
AAAtiaire Annales iy/^ografhiei ,ah Artii Inven-
ta Origine ad annum M. D. tn 4. 1719.
Malelpini Iltoria Fiurcntina e la Chronica di
MortUi, 4. in ^iren^c 1718.
Marmi Eruditi ovvtro Lctterc fopra Antîchc
Infcrittioni delConteOrfaio. 4. l'adoua 171^.
Maximes avec des exemples tirez de THift. Sa-
crée & Profane, Ancienne & Modirne , pour
rinllruAlon du Roi, où Ton donne des Pré-
ceptes pour torœer les mœurs &: l'cfpric des
jeunes Gens. 12. I7iy.
- Idem Edition de Paris \z. 171 8.
Marmorea Bafis Cdcjfi libcrio djuri <i Gronovi0.
8. fig. 1720.
le "^ Ouveau Tcftamcnt avec des remarques.
Une Introduction , & des Préfaces ircs-
inftrudives à la tète de chaiiuc Livre. Par
Mrs. de Baufobrc & Lenfant 4. i \o\. 3715.
■ — le même fur de beau & grand papic;
Royal. 4. 2 vol.
Nouvelle Ucfcription de la France par Mr. Pi-
ganiul de la Force , 12. 6 >ol. fig. 171^,
Edition d'Hollande.
Hiftoirc de France depuis le Commence-
ment de la Monarchie jufques à la mort de
Louis XIII. par Mr. le Gendre fol. 2 vol,
Paris 1718.
î^ouvcâux fermons avec des Fricics pour les
di^c.
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tîiffcrens Etats de la Vie. Par M. Bafnagc t*
17iO.
/^Edipc Tragédie par M. Aroucr, 8. 17 r<?.
Oeuvres de Mr. Pavillon {delAcad. Trunçoife)
Nouvelle Edition augnu:ntce de plufîeurs Pic-
ces '•). i7io.
■p Oggiana . ou la Vie , le Caraftere , les Semen-
CCS, & les Ébfis'Y^'ts de Pogge Chancelier
de la Republique de Florence avec un Abré-
gé de l'Hiftoirc de cette Republique. Par Mr.
Lcnfant. 8. 2 vol. 1710.
les Principes du Deirein , ou méthode coUitc&
facile pour aprendrc cet Art en peu de tems
par de Laircirc, foi. fig. 1719.
Panégyriques des Saints & Oraifons funèbres pro-
noncées par l'Abbé Anfclmc 8. 3 vol. Paris.
Plaidoyers & autres Oeuvres de Gilet 4. 2 vol.
Paris 171 8.
Piâleti Differiationes Jheologici de Religionis Chrif.
tiam pr&jlafitia ac Divinit.ite. 8. GenevA \'j\<^.
Pocfie Italiane di Rimatrici Viventi. In Venc-
tia 4. 171.^.
PontederA Compendium Tabularum Botanicarum
in quo Plant £ z-jz. ab eo in Itaiianuper deteêl*
recenfentur. 4. Patavii 1718.
Peieri Objervatioms quidam Anatotnia ,Z. 1719^.
■n Elation de divers Voyages faits dans l'i^fri-
"^^ que, TAmerique, & aux Indes Occiden-
tales, par Drallé ! 2. Paris 1718.
Rime e Profe del Marchefe Mafci. Agglunto
un Saggio di Poëfii Latina delP Illcilo. 4. in
Venezia 1719.
CErmon fur le Jubilé de la Réformatîon des •
bulifcs par Mr. Turretin 4. Genève 1719.
(Nouveaux) avec des Prières pour chaque
état de la Vie par Mr. Bafnage 8. 1710.
— Sur les principales fêtes des Chrétiens par
Mr. Rivaffon. 8. 1719'
"** A. Scr^
CATALOGUE.
Sermon fur divers Texces, par Mr. Plftc^ S.
1719. Gcncve.
Santorini OpufcuU Medica de ftruflura cr mct}4
Fibrs. , Nutritione Animali , Himorrhoidibus ,
CT* Catamtn'uio. %. X^io.
Sannaz.arii Poemata. tx Anùc^iin Ed'tùomht^ accu-
rattjfime defcripta. Acceïïit ^uld^ Vit». 4. Pa-
tazii 1719.
'T' Raité d'Optique, fur les Réflexions, Rc-
fra<flîons, Inflexions, & Couleurs de la
Lumière, par Mr. le Chev. Newton. Traduit
de V Anglais, par Mr. Cofte fur la Seconde
Edition augmentée, par TAutcur. j2. i vol.
fig. 17ZO.
de la Relii;ion révélée par Mr. Martin.
8. z vol. 171^-
— des Aimâtes, 12. Paris 1718.
T/'Aillant Sum'imata in Colonils imperii RomA-
ni, fol. fig.
Iwperiitor. Rpmanor. 4. 2 vol. fig.
Velferi Opéra HijloTica <y Phdt>lcgica, fol. i68z,
le Vite de' Pittori , Scultori , c Architctti dî
Giorgio Vafari a. 5 vol. Bononix. \66^.
VirgHii Opéra Omnia fol. fig. Paris 1515.
TJV'Alis Opéra Omma Medica, 4. 2 ziol. Am(l.
*^*^ \69i.
de Wilde Seleda Numi/mata Antiqia , 4. fi^. Am/I.
Waldjchmid Opéra Medico-Pradica. 4. i6p^.
'7Welferi PharmacopacA Augufla Reformata, /ç,
1693.
Zoefius ad Pandeâîas y fol. \6t%.
Xacuti Opéra omnia Medica. fol. 2 "vol. i66y.
L'on trouve chez ledit Pierre Humbert tous les
Livres qui «.'impriment tn Hollande : Un h^ot*
riment général des meilleurs Livres àzParïs:
Diverfes Nouveautcz <i'i;/j/»V,& à"" Angleterre ^
à très iufic prix.
PÔG-
Pag. T
i!^^-^ «v^ ^ i'i i^*^ ^ ^i*'^ v^ t^ «^^ i^ ^-^ ^
y*l ^ 4^ ^ -/S v^ -T^ -f^ ■ V^ V^ V^ V^ -^ -^ VS ■^>
PCr^^IANA.
T R O I s I E M E P A. R T I E j
Hiftoire abrégée de r Origine , ^^^
Gouvernement ér des Guerres
de la République de F l o r e n-
CE, tirée de r Hifioire de Léo»
NARD ArETIN, de F OG'
G E , cr d'autres Auteurs.
LIVRE PREMIER.
i^i^^^^Es Hiftoriens rie manquent Origine
^r L P gueres de donner une origi- de Flo-
SW^S ne fort ancienne aux Peuples ^^'^''^'
6c aux Etats dont ils font
V Hiftoire. Ceux qui ont écrit celle de
Florence ont pu faire remonter fort
l'ont , IL A haut
4 VoGGiA-N A. Part. IIT.
par Kl , ils ne faifoient que changer
d'efclavage.
Les conquêtes qu'ils firent fur leurs
voifins ayant rendu leur Ville 3: plus
puiflantc 6c plus peunlée. ils.l-^ parta-
gèrent en quatre 1 nous , ce puis en lix^
dont chacune avoit Ton Conful. Cepen-
dant comme la Juliice et oit mal admi-
niilrce par ces Magiftrats , & que tout
fe faiioit par la faveur & par la brigue,
ils appellerent des Magiftrats de dehors,
qu'ils nommoient Podefiats *, dont le
premier fut un Milanois. Peu de tems
après le Peuple fe trouvant opprimé par
la Noblefle, on créa un Capitaine (a)
avec douze des plus notables, qu'ils ap-
{b) Senio- pelloient Seigneurs (b), 6c vingt Gon-
faloniers (c) , dont chacun avoit fon
drapeau fous lequel il aflembloit le Peu-
ple. Ce Gouvernement ne réullit pas
mieux que les autres. La Ville fut rem-
plie de Factions & de Guerres intefti-
nes , de meurtres , de pillage , 6c de
{a) Capi
tantum.
rcs
(0 Vexil
lijeros.
prolcnptîons de Citoyens. Il
donc Avoir recours à une autre
fallut
forme
de
pour Succefleur fon fils Philippe I. Tout le ir on-
de fait quand a régné Henri IV.
* Potrfias. Cela le pratiquoit en plufieurs Vil-
les d'Italie. Po^. Hiji. Flot; p. 4- S-
Histoire de Florence. Lw. I. f
de Gouvernement. On créa fur la fin
du treizième ficçle fix Magillrats Tous
1g nom de Prieurs des Arts^ ou, des
Méti^iB, ou, Prieurs de la Liberté (tî). (a) Pria-
Cet o^'Ai-^ A^j'pi'' çnrnrp du tcms de ''" ^'■"
Pogge,qui mourut dans cette Charge, nbertath.
comme on l'a vu ailleurs (b) , mais on y (b) Part,
fit de tems en tems divers changemens, I- P- sr-
qu'il n'efl pas néceflaire de rapporter
ici. Il y a parmi les Anecdotes des PP.
Dom Martenc ôc Dom Durant (c) une {à T. r.
Lettre de l'Empereur Robert aux P' ^^^'^''
Prieurs des Arts de Florence , avec cet-
te Infcription : HonorabiUhus (J circum'
fpeclis liris Prioribp^s Artium i3 Vexil-
lifero Jujîitia Popuîi i^ communis Flo-
rentin , nec non decem Officialibus Bali^
dicli communis nojiris ^ facri -Imperii
fidelibus prndile^is. La Lettre elt da-
tée de Heidelbevg du 1 4. Juillet 1 407.
L'Empereur leur promet du fecours
contre le Duc de Milan, comme en
effet il leur en donna la même année.
Il eft mal aifé qu'un petit Etat popu-
laire Te puifîè foûtenir long-tems contre
des ennemis puiflans. La liberté dont
les peuples font fi jaloux leur eit fou-
vent funefte, parce qu'il n'eft pas faci-
le de prendre de bons confeils lors que
A 3 tou^
6 POGGIANA. P/ïr/. ///.
tout le monde veut dominer, ou lors
que pluficurs Maîtres ne font pas d'ac-
cord. Les Florentins fatiguez de guer-
res oî^i fouvcnt ilsn'avoicntpaslç.f'eiïusj
refolurent dans le tr^v::iii^inc-sr: -C d'ap-
peller Charles Duc de Calabre fils de
Robert Roi de Sicile pour les com-
miindcr en chef pendant dix ans. Après
les avoir gouvernez quelques années,
il fit place, on ne dit pas comment, à
Gaultier Duc d'Athènes, qu'ils chafle-
En 1343. rent au bout d'un an, à caufc de fa ty-
rannie, pour reprendre leur liberté.
Guerre de Lcs chofes étoient en cet état, lors
Florence que les Florentins atFoiblis par des Guer-
avec 1 Ar- j-^g ^ j^j Faârions, furent attaquez par
de^Milan J^^" Vifcomti * Archevêque de Milan.
En 1350. Ce Prélat puifTant & ambitieux s'ctoit
emparé de plufieurs Places , & entre
autres de Bologne qu'il acheta à beaux
deniers comptans , pour être plus à por-
tée
* 1-es Hiftoricns ne font pas bien d'accord fi
Vifcomti elt un nom de famille ou de dignité.
C'clt ainfi que s'appellerent pendant long tems
les Princes ou Ducs de Milan. Vifcomti figni-
iie Vicomte, ou qui tient la place du Comte. Les
Empereurs & les Archevêques de Milan avoient
le droit de les élire, quoique quelquefois le Peu-
ple les élût, Kfcan, Bift. Fhr.p. i. nor.
Histoire de Florence. Lh. I. y
î'ée de fe rendre maître de la Tofcane,
divifée par les faârions des Guclphcs 6c
àts Gibelins. On prétend que ces deux
Fa(5t^ns , dont la première étoit pour
tes Pi"jǣit<^4^Ji!^ pour les Empereurs
fe forméfënTâïï commencement du dou-
zième fiècle fous l'Empereur Conrad
III. Quoiqu'il en foit, comme l'Arche-
vêque tenoit pour les Gibelins , qui
étoient en grand nombre dans la Tofca-
ne 5 il crut pouvoir réufîir par leur moyen
à attaquer Florence oii dominoit le par-
ti des Guelphes, qui en avoit chaffé les
Gibelins. 11 prit pour prétexte que les
Florentins avoient follicité Bologne à P- 9*
fe révolter contre lui. Il affem.bla donc
fes troupes Gibelines à Bologne & mit
à leur tête Jean Aulege * Vifcomti,
ennemi juré des Florentins. Un fi
grand appareil jetta l'allarme & la conf-
ternation dans toute la ville. D'un cô-
té l'ennemi avoit déjà mis tout à feu &
à (àng jufques à leurs portes, de l'autre
les Citoyens effrayez du danger, me-
naçoient d'un foûlevement. Cependant
on vint à bout de les appailer , 6c tout
le monde d'un commun accord fe mit
en
* Il paflbitpourle fils de cet Archevêque, p. 1 2..
A4
^ VoGGiAy: A. Part, III.
Êii état de fe bien défendre. On leva
des troupes, on amafla de l'argent 6c
on pratiqua du fecours de toutes parts.
Ce qui fe fît d'abord avec un fi prf';mpt
& fî merveilleux fuccès que les ^Floren-
tins jetterent la terrdîirpuT'AT^'îca enne-
mis, & rcduifncnt le Duc de Milan à
chercher «^du fecours. Il envoya deux
fois inutilement des x'\mbafladeurs à Pi(c
pour engager cette République à fe dé-
clarer contre les Florentins. Les Gam-
hacurta qui dominoient à Pife, fe trou-
vant de la faélion des Guelphes, détour-
nèrent les Piians de fe joindre au Duc
de Milan par deux raifons ; l'une qu'il
ne cherchoit leur amitié que pour de-
venir leur Tyran, l'autre que leur com-
merce ne pcrmcttoit pas, qu'ils rom-
piffent avec la République de Florence.
Cependant les Milanois réduits aux der-
nières extremitez furent honteufcment
repoufîez, d'une petite place appelléc
Scarparia^ après lui avoir donné trois
nfiauts confecutifs pendant deux mois.
En 135-1. Cette place fut défendue par la valeur
pag. 20. j^. j^^^.^ ^ ^e Syhejlre de Medicis^ qui
en recompenfe furent faits Chevaliers.
L'Archevêque de Milan au defefpoir
d'un fi mauvais fucccs, mais ne pou-
vant
Histoire de Florence. Lh. L p
vant fe réfoudre à abandonner un def-
fein qui lui tcnoit au cœur , fatigua Tes
Sujets de tant d'impôts extraordinaires
pour lever une nouvelle armée, que la
plîijVtdcs Nobles & des Ncgotiants
delcricvOm!~^T^rchevêque fit à cet-
te occafion une action qui n'ell pas plus
digne d'un Prince que d'un Prélat. Un En 1351.^
Gentilhomme de les amis, lui confeil-P- fi-
lant de renoncer à la guerre de Floren-
ce plutôt que de charger Tes Sujets, il
s'en mit tellement en colère, qu'il fit
couper la tcte a celui qui lui avoit don-
né un confeil Ç\ ililutaire.
Les Florentins & leurs Alliez * de
leur côté ne s'endormoient pas. Ils en-
voyèrent une Ambafllide à Charles IV.
Roi de Bohême & dcfigné Empereur
pour lui demander du lecours. Cette En 1353-
nouvelle obligea le Duc à faire la paix P- ^^' ^3-
avec les Florentins par l'entremife de
Gambacurta. Mais peu de tems après
fe trouvant appuie des Génois il fe pre-
paroit à recommencer la Guerre, lors
que fes projets ambitieux furent arrêtez
par
* Cétoit ceux de Sienne;-, d'Arezio & de Pe-
Toufe. Les Pifans étoicnt neutres & même ils
fe joignirent au Duc de Milan dans la fuite,
A/
tO PoGGIANA. P^r/. ///.
par fà mort *, qui arriva fort à pro-
pos pour Florence. Il laifla le Gou-
vernement de fes Etats à trois de fes ne-
veux, Alaffée ^ Bernaho ^ ÔC Gak^Jfe,
Guerre de Depuis la mort de J^Arc^^'^vé^fe la
Florence République de Flor^Àc^-'^iptes avoir
n^b^ Viï- g^^^^^ pendant quelques années les dou-
conti de ceurs de la paix (a) , fut attaquée par
Milan & Bernaho , qui marchant fur les traces
/ N^p "^* de fon oncle , portoit une envie fecre-
1360. t^ ^ ^'^ prolperité des Florentins , qu'il
p. 15. regardoit comme un obftacle à celles
des Gibelins. Les Pifans de leur cô-
té, animez par ce Prince, ne cefloient de
chercher querelle aux Florentins leurs
anciens amis. Ils leur firent tant de chi-
canes fur le fujet du commerce qu'ils les
obligèrent à en établir ailleurs le fié-
(b1 En ge (b). Apres s'être inquiété mutuelle-
13^2,. ment par plufieurs voycs indircétes on
^' ^ ' en vint à une guerre ouverte. Les Flo^
rentins fe rendirent maîtres d'abord d'un
grand nombre de villes des Pifans,
fous la conduite du Général Boniface
Loup de Parme, à qui ils ôterent de-
puis le commandement par une efpece
àaOflracifme pour le donner à Rodolphe
de
• Il mourut de la pefte en 1354. p. 24.
Histoire de Florence. Liv. L i i
de Varane * , qui fe rendit maître du
poçt de Piiè. On prétend que ce Gé-
néral auroit pu prendre la Ville même
fa^le commerce des femmes avec qui
^^ pju'^teJ^'.Jh'il.'^^^^ 5 ^ ^^^ occafions
d'agir. L,e lom de la guerre fut donc
donné à Pierre Farnefe^ qui remporta
une viétoire confîderable fur les Pi-
fàns "[". Ce Général étant mort de la
pelle, on mit par reconnoiflance en fa
place i^f^/^/Vr fon frère 5 qui ne fit pas
la guerre avec le même fuccés. ..,
Ceux de Pife reprirent le defllis fous
ce Général. Ils avoient pris à leur fol-
de trois mille Anglois, qui joints avec
d'autres troupes fàifoient un afîez bon
Corps d'armée;' avec ce renfort ils pil-
lèrent tout le territoire de Pifioye \ , s'ap-
prochèrent d'un mille de Florence , met-
tant le feu partout fur leur paflàgej
Quand ils eurent pafle V^7'no (a) , ils u\ Rivie-
prirent la ville $Empolî fîtuéc fur cette re qui bai-
jrivierc entre -J*tfe & Florence, & s'en §^^ ^^
--" ■- - ■^'; ' -' • ' re-
* Il eft fouvent parlé de ce Général dans les
bons mots de Pogge.
t II mourut de h pelle en 136Z. On lui érigea
une rtatue équeftre. p. 27.
:j: Ville d ' Florentin à quelques milles de Flo-
rence.
iz 'PoGGiA'N A. Part. III.
retournèrent à Pife avec quantité de
prifonniers 6c un grand butin. Lcs-^Pi-
lâns voulant profiter de leur avanta-
ge, .renvoyèrent une armée contre>^^es
Florentins, qui furent .ciétair^da'- /un
combat oii leurGénénfi1:LfL'}mb'p5"ilon-
nier. On mit en fa phcc Rodolphe Ma-
latefia dont la fidélité fut fufpecle dans
la fuite. Cet échec obligea les Floren-
tins a rappeller un grand nombre de
leurs Citoyens qui avoient été bannis
dans des feditions ; Leur retour fut fort
Ln 1364. avantageux à la République. ^o;;<^^/;?/p«^
Chef des bannis remporta une viâroire
fur les Pifans ôc fur les Anglois } mais,
ils furent vangez Tannée fuivante par
p. 30. Jean Augut Général Anglois.
Vidoire Cependant Bernabo envoya trois mil-
les Flo- le hommes de renfort aux Pifans qui
es Pifans. pourtant faifoient fcmblant de vouloir
iiî 1364. faire la paix pour endormir Florence.
En effet Urbain V. envoya un Légat
à Florence pour en traiter 3 Mais les.
propofitions des Pifms parurent fi dé-
raiibnnables , qu'il ne fut rien con-
clu, de forte qu'il falut reprendre les.
armes. On le battit une partie de cette
année avec un avantage à peu prés égal
^e part &: d'autre. Enfin il y eut un
com-.
Histoire de Florence. Lîv. I. i (
combat décifif où les Florentins rem-
pogferent une viéloire fîgnalée, les Pi-
fàns y furent entièrement défaits après «. 3,1
uncwaâiion de trois heures, fous le com-
ï"aAj^!çûie-a^^.de^/^;?7^//i' Donat Floren-
tin. '*crrM"rU'iT'<^ue fi les Florentins cuf-
fcnt voulu profiter de leur victoire ils
auroicnt pu fe rendre maîtres de Pife,
mais l'incertitude des armes jointe à la
crainte qu'on avoit que Bernabo ne
fournît de nouveaux fecours aux Pi-
fans 5 engagea les plus pruderts à écou-
ter des propofitions de paix : Elle fut
conclue vers le mois de Septembre de
cette année , fous des conditions aflez / > ^ ,
avantageules aux Jblorentms (a). p. 3^.
Bientôt après il leur furvint un nou- Le Pa-
vel orage de la part de la Ville de Luc- ^ ^.^^^^he
ques^oii étoit alors l'Empereur Charles ,>,^3"'!f^
IV. Ce Prince allant a Rome pour felesFloren-
faire couronner avoit laifie le comman- tins de
dément de Lucques à Nicolas Patriar- ^'^"^f^'^ ^-
che d'Aquilée , fon frère. Cornmcpereur.lc
l'Empereur avoit grand befoin d'ar-Pape, &:
gent, le Patriarche s'avifa d'un expe- ^^^"^^^'
dient aflez étrange pour lui en faire
troii-
* Capitale delà petite République de Lucques
fur le Serchio à quelques milles de Pile.
t4 VoGGîAN A. Part. Iir.
trouver. Il alla à main armée attaquer
à rimprovifte les Florentins & Icu •. dé-
clara la guerre de la part de l'Enipe-
reur 5 On ne dit pas fous quel préte;Kte,
mais la véritable railôn étoit de lesA^r-
cer à racheter la pai^'^^"kfi}^^ohne
fomme d'argent ; ce qui lui réiifîit.
Mais les Florentins ne furent pas quit-
tes pour cela des perfécutions du Pa-
triarche : ne pouvant plus après la paix
les attaquer au nom de l'Empereur, il
le fit au nom du Papej II avoit d'au-
tant plus de facilité à inquiéter les Flo-
rentins, qu'il étoit maître de San Mi-
En 1368. i^i^fo petite ville du Florentin entre Pi-
p. 36. fè 6c Florence , qui s'étoit rendue à
l'Empereur, 6c y avoit reçu les trou-
Lcs Flo- pcs en garnifon. C'efl ce qui obhgea
rentins \q^ Florentins à aflieger cette place qui
San MU ^^^^ appartenoit , afin d'éloigner de leurs
niato & frontières des Ennemis fi redoutables,
prenenr Lc Pape de fon coté donnoit du fe-
cette pla- ç-^^^^ ^^^^ afficgez par le moyen de fon
Légat qui demeuroit à Lucques ôc qui
difoit avoir ordre de l'Empereur de
fecourir San Miniato. Bernabo fe joi-
gnit à cette Ligue fous ce même pré-
texte, quoi qu'on fût convenu de part
6c d'autre dans le Traité de paix , que
les
Histoire de Florence. Lrj. /. i f
lesVifcomti n'exerceroient aucune hoG-
tilitél:ontre la Torcai:^;, ni les Floren-
tins'jcontre le Milanois.
P^ur fe tirer d'un 11 grand embarras. Traité
les rX^rentins prirent le parti d'envoyer des Flo-,
des Â:.&tï^^^5i^u■^J^u Pape, avec qui ils^^f^^"^
firent un Traité contre le Milanois : p^p^ g^
Ceux de Bologne , de Lucques , de avec plu-
Pife, dePadoue, de Mantoue, & defieurs^n-
Ferrarc, s'y joignirent. Cependant les ^^^j^^j.ç^ç'^
afîiegeans ayant livré combat aux An- Milanois.
glois qui étoient hors de la place , fu-
rent battus 5 Les vainqueurs allèrent
auffi-tôt du côte de Florence, faifant
mine de vouloir l'aflîeger, pour obli-
ger les Florentins à lever le liège de
San Miniato ; Cette place fut enfin pri^
fe par ftratageme. Les Florentins ,
n'ayant plus rien à craindre pour eux ,
envoyèrent de leurs troupes au fecours
du Pape , contre Bernabo , qui voyant
fon pais en proye à leurs holHlitez, fut En 1370.
obligé de faire la paix. p. 40-
Urbain V. mourut la même année : Trêve
Grégoire XI. fon Succefleur renouvel- entre le
la la confédération avec les Florentins gg^^^^o
& leurs xAUiez. Bernabo craignant de
fuccomber fous une fi pLiifTantc Ligue
envoya des Ambafiadeurs à Avignon
pour
t6 PoGGïMJ A. Part. ili.
pour demander la paix , à quelqq^ pri.^
que ce fût. On lui accorda une 'crevé
dont il fut d'autant plus content j"" qu'il
ne doutoit point que le Pape ^ <x>our
occuper (es troupes ne ]es e|îc'Qv;>(^on-
tre les Florentins qiS? fc"''érè'^iént en
fureté de ce côté-là. 11 ne fe trompa
pas dans fcs vues. Les troupes du Pape
allèrent ravager le Pais des Florentins
d'ailleurs prelTcz par la famine , pen-
1375- P- dant que fon Légat * leur coupoit les
4^- 43- vivres de tous cotez, quoi qu'il promît
en public de leur en envoyer. Alais la
prudence des Florentins trompa l'atten-
te du Légat, en gagnant par argent le
Général Augut , qui commandoit les
troupes que le Cardinal avoit envoyées
fous main dans le Florentin.
Cruautez (Je Général ayant été commandé Cc-
dieHiu' crctemcnt pour "furprendre -Pr^/o peti-
Lcgatde te ville entre Piiloye & Florence dé-
Gregoire couvrit toute l'intrigue aux Florentins,
1 s Fl"^^'^ 6c les traîtres furent feverement punis,
leïitins. Pendimt ce tems-là les troupes du Pape
defolant tout le pais précilément dans
le tems de la moifîbn , réduifoient Flo-
ren-
* C'étoit Guillaume de Nouillet , François t
Cardinal de S. Ange.
Histoire de Florence. Lh.L IJ
rence \ la dernière difette. C'eft ce qui
enga: Jfa les Florentins à s'addrefler au
Légdft lui-même par des AmbalTadeurs ,
pour%ii en faire des plaintes. Ils en
eurer^;,y:-'--.i3^gt;;;<;-eponfe, que c'étoit ^37î»
des troupes congédiées , qu'il n'avoit plus
aucune autorité fur elles, que le Géné-
ral Augut n'agiflbit pas par les ordres,
êc qu'il ne s'oppofoit pas à ce qu'ils prif-
fent les mefures qu'ils jugeroicnt à pro-
pos, pour leur confei'vation. Ils portè-
rent cette reponfe au Général , qui fe re-
gardant comme libre, fc joignit enco-
re plus forten^ent d'intérêt avec les Flo-
rentins i Mais le Légat qui ne fâvoit
point qu'Augut avoit été gagné , fut
bien furpris tl'apprendre , que prenant
à la lettre le congé limulé qu'il lui a-
voit donné, il avoit cefle fes hoftilitez
dans le Florentin. Il lui récrivit donc
pour l'engager à reprendre l'expédition
dont il avoit été chargé contre Floren-
ce ; mais ce fut inutilement -, Augut
mécontent des Légats 6c des autres A-
gents du Pape , 6c trouvant mieux ion
compte à fervir les Florentins , avoit
déjà pris fon parti. Ceux-ci inilruits Les Flo-
par Augut ne pouvoient plus douter que J^^^^"^
le Pape n'eût juré leur perte j Gregoi- j^^guerre
Tom. IL B re au'Pape.
l8 POGGIANA. P^r/. ///.
re XI. comptoit même fi fortlàt-deflus,
que par fon ordre le Légat avvjt en-
voyé fecretement un Ingénieur â" Flo-
rence , pour y conftruire une itforte-
refîè. On affembla 'i'ig^.JiieQ^j/^^Con-
feil fortifié des plus'îîiotaSres delà Ville
pour délibérer fur le parti qu'il y avoir
• à prendre dans une fituation auiîî épi-
neufe. Après plufieurs délibérations
p. 48. 49. un * homme d'autorité & d'ailleurs fort
éloquent , conclut à déclarer la guen-e
à Grégoire XI. non comme au Pape,
mais comme à un Tyran, qui vouloir
p. ji. 51. les engloutir 3 & à fairc^ alliimce avec
Bernabo , non comme avec un Prince
à qui l'on put fe fier, mais comme avec
un ennemi du Pape èc de lès Minilb-es,
5c qui d'ailleurs étoit las de la domination
des François f en Italie. Cet avis ayant
été fuivi presqu'unanimement on créa
un Oétovirat ^ pour avoir la conduite
de la guerre avec un pouvoir illimité.
On fit en même tems une alliance avec
Ber-
* Aloyfe Aldobrandin Gonfalonier.
^ Le Pape étant à Avignon , n'envoyoit prcf-
que que des François , pour Légats & pour Gou-
verneurs des places.
■j- C'elt ce qu'ils appellent OfficiaUs d; Balia ,
ou Otto Santi. Recan. not, p. 51.
Histoire DE Florence. Z/V. /. 19
Bemii'|o 5 qui promit quatre mille hom-
mes, jlour joindre ces troupes à celles
des Morentins & de leurs autres Alliez..
A\ bruit de cette Ligue contre le
Papè.>l',i^'::irs Hf-s Villes oii il y avoit
garniioîi'ffcp'rif'èhTîeur première liberté^
le créant elles-mêmes des Commandans,
comme, Caflellii^ Vitcrhe ^ Alontefiaf-
cone , Foligno j Peroufe , toutes Villes
de l'Etat Ecclefiallique. Leur exem-
ple fut fuivi de celui de plufieurs autres.
Les Villes de Gubio^ de Spolete ^ de To- n r?,
di^àc Forli ^âi AfcoU fecouerent le joug
du Pape, & maflàcrercnt leurs garni-
rons. Comme Bologne, place fort im-
portante au Pape par rapport aux Flo-
rentins, ne s'étoit pas encore rendue,
Grégoire prit à fa folde dix mille
Bretons * qu'il envoya en Italie pour
retenir les Bolonois dans fon obeïf-
fance. Ces troupes avoicnt à leur tête
le Cardinal Robert de Genève, qui de-
■puis fut Pape fous le nom de Clément
V. On les repréfente d'une fierté, qui
ii'auroit pas été foufFerte dans celles
d'Alexan-
* La paix étant faite alors entre la France 8-r
l'Angleterre il y avoit beaucoup de troupes li-
centiées.
B z
Rodo-
montade
des trou-
pes Bre-
tonnes.
p. 54.
Le Pape
excom-
munie les
Floren-
tms.
20 P o G G I A N A. Pari. III.
d'Alexandre , Ôc de Cefar. Coii^jne on
demandoit aux Généraux s'ils efpu^pient
entrer dans Florence , ils réponci-rent
ruperbement , qu'ils entreroient pjçtouc
où entre le Soleil : Ce£endj];titJ'^illoi-
rc marque, qu'aprèr"^ vtaî ■ |7f hc les Al-
pes ils ne mirent pas même le pied dans
le Florentin. Bologne s'étoit déjà fou-
levcc contre le Pape 6c avoit repris fa
liberté par le fecours des Florentins *.
C'cll ce qui obligea le Pape, prefque
dépouillé de tout ce qu'il pofîèdoit en
Italie, à rechercher la paix avec les Flo-
rentins , & à leur envoyer des Ambaf-
fîideurs pour en traiter. JMaj^ après a-
voir été amufez par de longs délais ils
furent obligez de s'en retourner à Avi-
gnon fins rien faire. Le Pape fut telle-
ment irrité de ce mépris qu'il refolut
de mettre Florence à l'interdit -f-, &
cita les Florentins à comparoître devant
fon Tribunal pour rendre raifon de leur
con*
* Une Relation porte même que les Bolo-
nois mirent en prilbn le Cardinal Légat & qu'en-
fuite ils le chalferent ignominieufement , après
lui avoir confifqué tout fon bien. Vit. Greg. xi.
Bàluz. T. I. p. 435.
f Voyez dans l'Hilloire de Pogge p, 56. les
foimalitez que le Pape obfervoii alors avant que
de mettre un Etat à l'interdit.
Histoire de Florence. Liv.L ii
condu'v^. Ils envoyèrent donc à Avi-
gnon'^ois Ambafladeurs pour défendre
la came de la République , ce qu'ils fi-
rent ;\pc beaucoup de vigueur.
Le^-^'^- -?¥r^^=^ d'abréger ne per- Harangue
met pas de mettre ici en ion entier le Q^s De-
Difcours que fit le Chef de l'Amballa- ^^^
de (a) au Pape en préfènce (kiS Cardi- au Pape.
naux & de tout le Peuple. Il eft d'une (a) il s'a-
erande beauté. On en donnera le pre- Pf'^oi^
• ^ Ti 1- M 1 j VI j 'r Donato
cis *. 11 dit û abord i . qu il ne deten- Barbado-
droit pas la caufe de fi Patrie par fon ro.
difcours avec moins d'avantage, qu'el-
le avoit défendu elle-même fa liberté
par fa -prudence & par fa valeur, s'il ne
parloit pas devant un Juge déjà préve-
nu , 6c fi ceux qui l'écoutoient fai-
foient moins d'attention à leurs intérêts
& à leurs préjugez qu'à fes raifons.
2. Qu'on ne devoit pas être furprisque
les Florentins fuflent jaloux d'une liber-
té dont ils jouïflbicnt depuis quatre cens
ans, puis qu'il n'y a point de guerres
plus
* On ne doit pas croire que ce foit le Difcours
même de l'Orateur , puis que Léonard Aretin
lui en met un tout autre dans la bouche, quoi
qu'ils tendent tous deux au même but. Celui de
Léonard Aretin elt fort , mais plus modéré que
celui de Pogge.
B X
21 PoGGiANA. Part. ///.
plus juftcs que celles qu'on enti^orend
pour défendre ou pour recouvrer*^ i li-
berté de lîi Patrie , & qu'au relie bien
loin d'avoir été les aggrelTeurs ils^^i'ont
pris les armes qu'à Id^r^^^^^^^^^'^^mi-
té Se pouflés par des hollilitcz inouïes
&: par tous les excès de la plus infup-
portabîe Tyrannie. Il raconte à cette
occafion la cruelle perfidie du Cardinal
de Sain;: Ange Légat de Bologne, qui
pendant qu'il promettoit d'envoyer du
bled aux Florentins extrêmement pref-
fez de la famine, non content de dé-
fendre fecretement de leur en fournir,
détacha fcs troupes pour fouiTager tous
leurs grains, dans l'efperance de les ré-
duire par la faim. 3!. Que comme les
foûlcvemens dont le Pape fe plaignoit
& tous les malheurs de l'Italie ne ve-
noient que de la faute de (çs Légats &
de fes autres Officiers, à qui il repro-
che avec beaucoup de force & de viva-
cité leurs cruautez plus que barbares ,
leur ambition effrénée, & leur inlàtia-
ble avarice , c'étoit ces Minières qui
en dévoient porter la peine & non les
Florentins 6c les autres Peuples qui a-
voicnt été mis dans une necefîité in-
difpenfable de fecouer un joug qu'ils
ne
Histoire DE Florence. Zi-y./. 25
ne po^voient plus Tupporter. 4. Que
c'étrhf au Pape & à Tes Légats une in-
gra'>jrude de une infidélité nvanifelle
d'of^rimer une République qui avoit
été iOJJouvs 11 fidèle au fieo^e de Rome
ce atrX'Vï^vii'^'VA: ijui les avoient 11 cou-
rapeufement & fi conftamment foute-
nus contre plufieurs Empereurs *. C^ejl
donc à vous^ ô S. Pere^ conclut -il en
s'adrefîant au Pape, ^r'f/? à vous à répri-
mer les fureurs de cupidité ^ d'ambition
de votre Légat , à éteindre U feu qu''il a
allumé y à prendre en main la caufe de
vos enfans 13 à vous fouvenir de nos bien-
fait s envers 'VOS Prédecejfeur s. Pour nous
qui combattons pour notre Patrie ^ pour
nos^ enfans y pour notre vie^ i^ pour no-
tre liberté y on ne fauroit nous reprocher
jufiement aucun crime, ^le fi malgré
notre innocence vous lancez vos anathe-
mes contre nous nous tâcherons de les fup-
porter en patience , 6? f^ous aurons ?iotre
recours à celui qui n^ abandonne jamais
ceux
* On peut lire avec pîaifir & avec fruit PHiP
toire abrégée que fait Léonard Aretin des grands
fervices que la République de Florence avoit ren-
du à divers Papes contre Frédéric I. Henri fon.
lils, Frédéric II. Mainfroi Roi de Sicile, Louïs,
de Bavière &c. Liv. VIIî. p. 183.
B 4.
Z4 POGGIANA. P^r/. ///.
ceux qui efperent en lui i§ qui ejih P ro-
te ^eur des innocens opprimez.. s^
Ce Difcours fit des impreflîon&'iien
différentes dans les efprits. QueUues-
uns, fur tout les Italiens, fqndmspi.'i: en
Jarmes au récit des nfS^Tâfi^^î^nce
ôc de toute Tltalie. Les autres, princi-
palement les François , irritez de la liber-
té de l'Orateur animoient le Pape con-
tre les Fiorentins. Enfin le Pape * après
avoir répondu foiblement aux griefs des
Florentins, 6c à leur Apologie, déclara
qu'il étoit réfolu de les poufier par les
voyes de la jullice, fur quoi Donat fe
r^g- <^3' tournant vers un Crucifix qui étoit là,
yen appelle à l'ous ^ dit-il, Seigneur^
qui êtes le Jufie Juge , je vous prens à
témoin de notre innocence , î^ je fuis per-
fuadé que vous la rangerez au dernier
jour. Quelques jours après la fentcnce
d'excommunication fut publiée. On
interdit le feu & l'eau "j" aux Florentins.
On livra leur Etat & leurs biens au pre-
mier occupant, leurs perfonnes furent
condamnées à l'efçlavage. Ceux qui
étoient
* On peut voir fa reponfe dans Léonard Arc^
tin Liv. VIII. 184. 185.
t Ce lont les paroles de l'Autçur,
Histoire de Florence. Lh.L if
étoient à Avignon en furent chaflez,
^uffi.jfen que tous ceux qui negocioient
aill*\*s.
(^pendant les Florentins ne demeu- Le Pape
roieo pas_ dans l'inaftion. Comme ils ^^if ^flîe-
favo^.oJ^^^u^'ïï^^îiflcin du Légat étoit ^^^ ^^^JJ;
d'affieger Bologne , ils y envoyèrent un icment.
promt fecours fous le commandement
de Rodolphe Varane de Cammert qu'ils
avoient repris à leur fervice. Ce Géné-
ral qui connoifibit la légèreté des Bo-
lonois 5 &: leur penchant â la fedition ,
content de faire faire quelques forties de-
meura conflamment dans la place, mal'
gré les défis que lui faifoit le Légat d'en
lortir *. D'autre côté les Florentins fi-
rent fi bien fortifier & garder leurs fron-
tières que le Légat defefperant d'y pé-
nétrer fut obligé de fe retirer en quar-
tier d'hyver à Cefene ville de l'Etat de Perfidie
l'Eglife dans la Romagne , oi^i par la ciu Lcgat
permifilon les troupes Bretonnes exer- ^p^.^fsles
cerent de fi grandes cruautés 6c com-
mirent de fi horribles inlolences que les
habitans ne pouvant plus fupporterleur
Ty-
* Voyei là-delTus un mot de ce Général dans
Jes bons mots de Pogge. Part. IV. de cette pièce.
2,5 PoGGTANA. Part. HT.
Tyrannie en taillèrent en pièces t^. pluç
grand nombre & chafTerent les \t;tres.
Le Lcgat pour fe venger d'une vls^^tn-
cc dont il ne devoit fe prendre /& 'qu'à
lui, ufa de la plus cruellc^îj|h^'V^'^
monde. Afin d'obli^r ^yisd\si^É\s de
Cefene à mettre bas les armes, il leur
jura qu'il pardonnoit tout le pafl'é , en
rejettant même la fliute fur Tes Soldats.
Pop;g. p. Ils ne furent pas plutôt desarmez qu'il
A^rp^m y ^^ rentrer des troupes Angloifes qui
firent de cette malheureufe ville un
fleuve de fang. On n'épargna ni les
hommes, ni les femmes, ni les enfans
au berceau & à la mammellc , ni les
vieillards , ni même les Religieufes.
Les Temples & les Autels furent des
Afyles inutiles, & il n'échapa que ceux
que la fuite put dérober à la fureur du
Soldat. Comme il étoit impoflible que
les Florentins foutinflent feuls , un Ci
furieux orage, ils envoyèrent des Am-
bafladcurs à Charles V. Roi de Fran-
ce , à Louis Roi de Hongiic , & à Jean-
ne Reine de Sicile pour implorer leurs
fècours. Ils continuèrent l'Oftovirat
dans fon autorité, & le Général Ro-
dolphe Varane dans le commandement
de
Histoire de Florence. Lh. I. 2.7
de le; ) armée *. Pendant ces entrefai- En 1376.
egoirc XI. étant venu rétablir le
Pontifical à Rome, les l'iorcntins
ivoyerent de nouveau des Ambaf-
fadçji^^.ojj^lyj.^demandcr la paix. Il
ne v'oiuUt'pas'y eîitendre d'abord, mais
dans la fuite , il leur envoya deux Moi-
nes, moins dans la vue de négocier une
bonne paix , que d'exciter quelque le-
dition dans la Ville par leurs offres fpe-
cieufes , & leurs difcours artificieux.
Les Florentins n'en furent pas la dupe.
Comme les Moines ne leur faifoient au-
cune propofition , ils les renvoyèrent en
les aflurant qu'ils étoient tous dilpofez
à une paix équitable.
Le Pape irrité du mauvais fuccès de Hoftilitez
cette tentavive redoubla (es hoftilitez du Pape
contre les Florentins. Apres avoir re- "'"^''^ ^^^
pris ^c brûlé Bolfene i" , qui avoit fecoué tins.
le joug l'année précédente, il envoya
contre eux , Raïmond fon neveu avec
une partie de fon armée , qui prit fi rou-
te par la campagne maritime de Sien-
ne. Cet Officier tint pendant long-tems
affie-
* Ce Général fe rangea l'année fuivante dans
le parti du Pape. On en a parlé ailleurs.
' t Ville de l'Etat de rEglile fur le Lac Bolfeno.
28 POGGTANA. PaV.t. III.
affiegée la Ville de Groflete placcfrjortc
du bienoisj mais ayant appris que li.^'^'é-
néral Augut vcnoit au Iccouis de cxç.
place, il tilt obligé de lever le fies^
Les Florentins cepe^jjdanpp^^f^^t
pour la troificme fois des A'rnB^Tadeurs
pour traiter de la paix avec Grégoire
XL Mais comme ils l'en virent entiè-
rement éloigné , ils prirent de nouvel-
les mefures contre lui. Ils avoient juf-
qu'alors religieufement obfervé l'in-
terdit, 6c prefque pendant un an il n'y
avoit point eu d'exercices facrez dans
1377- le Florentin. Mais enfin rclblus de n'a-
• 73- 74- Yoir plus d'égard à cette in jufte excom-
munication , ils ordonnèrent de célé-
brer par tout le fervice Divin. Cette
vigueur leur réufîît. Le Pape defefpe-
rant de les réduire tourna enfin les pen-
{cos du côté de la paix. Il leur envoya
pour en traiter l'Evêquc d'Urbin, &
leur propofa même Bernabo leur allié
pour Médiateur. Quoique cette Média-
tion fut juftement fulpeéte aux Floren-
tins parce que Bernabo avoit été leur
ennemi , ils ne laifierent pas de l'accepter
dans l'extrême befoin qu'ils avoient d'une
promtepaix. Le rendez-vous Rit à Sar-
l'ane ville de la Ligurie qui appartenoit
Histoire de Florence. L'rj.I. 2p
à Bei labo. Le Cardinal d'x^mboife s'y
trou^y comme Légat du Pape , aufli bien
quc''^s AmbafTadeurs du Roi de Fran-
ce , '^le la Reine de Sicile , 6c des Veni-
tie^s/^- fans^compter ceux de Florence.
Bernauu 'pjopoïa'U'abord des conditions
fi dures pour les Florentins, qu'ils a-
voient une répugnance infinie à les ac-
cepter, lorfque la nouvelle de la mort
de Grégoire X I . (a) les tira d'embarras 6c (a) En
leur donna la paix fans traité. Urbain ^378.
VF Ton fucccflcur leva leurexcommu- ^ijr^ain
nication,6c les reconcilia avec l'Eglife, VI. levé
moyennant une bonne fomme d'argent, l'cxcom-
Mais leurs difcordes civiles ne leur per- J^""|5^"
, . .. j f, . , i tion des
mn"ent pas de jouu' des truits ae cette Floren-
paix *. Et même dès l'année fuivante tins, après
ils eurent à Ibûtenir une efpece de euer- '? "l^'^''
, ,3 ,. T , , . o de Gre-
re contre des Bandits qui s ctoient at- gojre xi.
troupez au nombre de fix mille dans p. 79.
rOmbrie & dans la Marche d'Ancone,
entre lefquels étoit Charles fils de Ber-
na-
* Cette guerre inteftine arriva par la jaloufic
des Grands contre l'Oétovirat qui n'étoit prefque
compofé que de perlbnnes du Peuple, & par la
fureur du l^euple à loutenir fes Magillrais. On
peut voir la defcription de ces guerres inteftincs
dans Léonard Aretin, Hift. Flor. L. IX. p. 190.
^o VoGGiA'NA. Parf. II/.
nabo & j4ntoine de la Scaîa qui t-^oient
été bannis l'un de Milan , l'autre V/.Ve-
rone. Cette armée de brigandsVvoit
infcfté les tenes de Pcroufe, de/p"ien-
Î3R5. ne, de Cortone, Sc^^Jo^Ùaft^Cl
p. 79. 80. fut; pour fe délivrer cfeces T5îîgânâages
que ceux de Bologne 5 de Luqucs, de
Peroufe, de Sienne, & les Florentins
firent alliance avec Jean Galeajfe Vif-
comti de JVlilan qui fit bientôt après à
ces derniers une cruelle guerre dont on
va raconter l'occafion.
jcan r;a- Cc fut l'ambition de Jeaii GalcafTe *
Icafle Vil- q^j troubla le repos dont jouïnbit alors
Milan fait ^'^^^^'^ & en particulier la République de
emprilbn- Florence. Cc Prince aulfi fourbe qu'am-
ner Bei- bitieux , cacha pendant quelque tems {t%
nabo. projetsTyranniques fous le voile de la dé-
votion 6c de la retraite. Regardant Bcr-
nabo fon oncle, avec qui il gouvernoit
1 386. le Milanois , comme un obftaclc à la for-
P- ^4- tune qu'il mcditoit , il réfolut de fe dé-
faire d'un '^\ tachcux rival. Mais afin
de mieux couvrir fon jeu il époufa la fil-
le de Bernabo, & fe retira avec elle à
Pavie i". Lorfqu'il crut avoir amené fon
def.
* On l'appelloit auffi Comte de Verrue,
t A vingt milles de Milan.
Histoire de Florence. Liv. /. 3 r
defle, i à maturité , il invita fon Oncle
à Xc-fjinix voir dans quelque endroit voi-
fîn^yÉ Milan où il feignoit de s'être ren-
du ybux accomplir un vœu qu'il avoit
failli ^-'^ y 'fu:ge. Bernabo ne fe doutant
de riéilT'y' alHi avec deux de (ts fils ÔC
une nombreuie cicorte. Il ne fup pas
plutôt arrivé qu'il fe vit entouré d'un
gros de Cavalerie qui l'emmena prifon-
nier avec un de les fils. On prétend que
Galeafle fit empoifonner Bernabo dans
la fuite. Si cela cil , un Tyran périt
par les mains d'un autre Tyran. Galeaf^
fe pour appaifcr le peuple lui fit prefent
de tous les biens de Bernabo 6v de fcs
fils qui s'étoient exilez-eux mêmes.
Se voyant Maître du Milanois il ne
penfi plus qu'à pouflèr plus loin fes
conquêtes. Il pratiqua fon; bien la dé-
teftable maxime que pour régner , il
fliut femer la divinon. Les Seigneurs
de Padotie (a) &: de Vérone * étoient ('a)'Fran-
en parfaite intelligence : mais il les çois Car-
brouilla tellement qu'ils en vinrent à raria.
une guerre ouverte dont il profita pour
les opprimer. Antoine "de la Scala ie
re-
* Antoine de la Scala. On parlera des Princes
de la Scala dans l,a quartième partie de cet O uvrage.
^z PoGGiANA. Part. IIl.
réfugia à Venife avec fa femme & t'^cs en-
fans. François Carraria fut mis eny /fon
à y^fty qui relevoit alors du IV^ilary^s.
Guerres De tous les Etats d'Italie il t^i en
entre les ^yoit point qui amorrît. dè'iâS^^^* la
Florentins . ,T, , 7^ , zr «'^*"^*'*^i!F'A^
& les Sie- cupidité de (jalealie , que la i olca-
nois. ne 6ç la République de Florence. En
attendant l'occafion de s'en rendre maî-
tre , il endormoit les Florentins par
mille marques d'amitié. Il leur donna
Jean Alaria fon fils aîné à tenir fur les
fonts du baptême. La guerre, qui s'al-
luma entre les Florentins & les Sien-
nois a l'occafion de quelques places
qu'ils avoient prifes les uns fur les au-
tres , fembloit être une ouverture favo-
rable pour les delîeins de GalcaHe , les
Sicnnois qui fe trouvoient trop foibles
pour rcfiltcr aux Florentins ayant im-
ploré fon fecours , Se l'ayant fait arbitre
de la paix & de la guerre. Mais les
Sicnnois 6c les Florentins firent bien-
tôt la paix par l'entremifc des Bolonois
& des Pilans ; de forte qu'il fillut que
GalcaOé cherchât un autre prétexte
pour attaquer fcs Florentins. 11 ne lui
fut pas difficile d'en trouver un. Les
derniers avoient favorifé l'évafion de
François Carraria ôc lui avoient donné
re-
Histoire de Florence. IAv.I. 55
retraiji dans leur Ville. Galeafle re-
gaiv.-\j)ït cette démarche comme une
rupi!^i:e chafFa tous les Florentins de Tes
EtaCicomme des efpions 6c des traî-
tres^ ._\^:;.ic:^l^-^:t fes ennemis. Les
Florentins au contraire publièrent un
Edit par lequel ils offroient retraite &
des privilèges à tous les Milanois , qui
voudroient s'établir chez eux. Ces
brouilleries n'aboutirent pourtant à au-
cun éclat, parce qu'elles furent aflbu-
pies par la prudence de Pierre Gamba-
curta qui commandoit à Pi(e,
Mais il étoit impoflible que Galeaf- Guerres
fe demeurât en repos. Malgré la paix °^^ ^'°'
r o I rcntins
qui venoit d'être conclue , il s'empara ^vcc Jean
de Peroufe , détacha les Siennois du Galeairc.
parti des Florentins , & fit irruption
dans la campagne de Monte Pulciano * .
Ces entrepriics & beaucoup d'autres
donnant de l'ombrage aux Florentins ,
il fut réfolu d'une commune voix de
refilter à ce torrent , avant qu'il groflit
davantag'e -\ . On créa auili-tot dix
Magiftrats à qui l'on donna la fouve-
raine adminiflration de la guerre. Ils
le-
* Par fon Général Jean Adius Ubaldin.
\ Par le confcilde Jean Riccius Jurifconfulte.
"Tom. IL C
cms.
^4 VoGGiAnA. Part. IIL
levèrent une armée avec une dÇ*9;ence
prodigieufe. En même tems lif -T^lo-
rentins envoyèrent des Ambanaa ^irs .|^
Charles VI. Roi de France p^.r lui
demander du Iccours^- Ge*^i^Ty4Î^'x-
leafTe continuoit fes hoftilitcs, & n'é-
pargnoit ni tromperies , ni llratagcmes ,
ni argent pour corrompre les amis des
Florentins. Il publioit dans le monde
qu'ils étoient les auteurs de la gueire,
qu'ils l'avoient voulu faire empoifon-
ner*, qu'ils avoient loulcvé les fils con-
(a) Rie- tre lui i", que leur Orateur (a) l'avoit
traduit dans un difcours public comme
un fourbe & un perfide. Il écrivit
aufîi aux Florentins que c'étoit malgré
lui qu'il leur déclaroit la guerre X , &
qu'il n'avoit rien plus defiré que de vi-
vre en bonne intelligence avec eux. Il
fit en même tems tout ce qu'il put,
mais inutilement, pour débaucher les
Pi-
* Ce n'éroit pasles Florentins, mais Antoinede
h Scala qui avoit fait préparer un poifonpour jet-
ter dans le puits de Galeaflc, comme l'avoua l'em-
poifonneur à qui l'on donna la quellion.
f II avoit deux fils au fervice des Florentins.
f. 95. not.
X On peut voir cette déclaration de guerre daiîs
Léonard Arctin, Se la icpoûfe des Florentin».
L. X. fin.
Histoire de Florence. Lh,!. 3f
Piiàni?' Les Florentins non contens de le
tenvl^ur la défenfive envoyèrent le Gé-
nér^Ji Augut avec fix mille hommes
dansas Gaule citerieure *,pour y met- '39<5.
tre'î^tr} :/-jïu & ù fang. D'autre côté,?' ^^'
ib détachèrent des troupes contre le
Général Ubaldin , qui étoit dans le païs
des Siennois fous prétexte de les foû te-
nir 5 mais dans le fond pour trouver
moyen de s'approcher de Florence.
Quoique les Florentins n'eufTcnt dans
leur parti que les Boulonois Se ceux de
Cortone , ils ne laifîérent pas de faire
peur à GalealTe , ce qui l'obligea de
donner ordre à Ubaldin de les prcfier iî
vigoureufement dans leur propre pais
que forcés de fe rendre , ils abandon-
naflent le deflein de porter la guerre
dans la Gaule citerieure, pendant que
les Siennois de leur côté feroicnt des
courfes aux environs. Cependant les
Florentins reçurent un renfort confide-
rable par la reddition de Monte Pul-
ciano Ville dans le Siennois , & par
confequent à portée de les incommo-
der beaucoup. Ubaldin pour exécuter
fes ordres ravageoit le Florentin , &
mê-'
* Gakafle l'avoit prefque toute ufurpée,
C %
^6 VoGGiAiJ A. Part. III.
mcme s'empara par furprife dep*
places importantes par rapport
vues. Ce Général , qui a paHe pc
des plus grands Capitaines de fonf/ems,
mourut occupé au fiége der««*^M^de
ces places. Pendant que les Genera^ix
Milanois inquiétoient ainii les Floren-
tins, Augut leur Général de Ton côté
faifoit ailleurs des progrès confiderables.
D'autre part François de Carraria recou-
vra par le fecours des Florentins Padoue,
dont Galeaflc avoit dépouillé ion Père.
Vérone avoit auHi lécoué le joug, mais
les filetions qui s'élevèrent dans la Ville
donnèrent à Galeaflc occafion de la re-
prendre.
Etienne L'arri\ée à' Etienne Duc de Bavière
re arrive ^^^^ rlorentins avoient appelle ^
en Italie leur fccours releva beaucoup leui-s elpe-
aii fecours rances. Ce fut pour eux un fî grand
desFlo- coup de partie que Galeallé fut con-
rentins . * . ^
V'ovez traint de quitter la Toicane pour venir
I.eona'rd défendre fon propre pais > mais ces heu-
Aretin. L. xtux commencemens furent mal Ibûte-
;^*^",' nus. Le Bavarois aciiToit fort molle-
En 1390. ment , & on Taccuia même d'intelli-
p. loi, gence avec l'ennemi. Quoi qu'il en foi t,
il s'en retourna en Allemagne, laiflant
en Itiilic Henri Comte de Montfbrt à
qui
Histoire de Florence. Liv. T. 37
qui l'c 1 confia la garde dcPadoue. Les
FloKyinsavoient alors trois années fur
pie. ^ii'ançoisdeCarraria occupoit tout
le tei|itoire de Vérone. Augut ctoit
dansai., i.r'I^.Vr du Milanois, oii il iati-
guoit extrêmement l'ennemi , non feu-
lement par des courlcs, mais en lui en-
levant quantité de places , & le provo-
quant fans cefîe au combat , pendant
que LoHÏs de Capoue réduifoit les Sien-
nois aux dernières extrcmitez. On ap-
prit en ce tems-là que les AmbafTadeurs
qui étoicnt allez en France n'avoient pas
rciifli auprès de Charles VI. Ce Prince
leur ayant propofc de reconnoître Clé-
ment VII. (■à) & de les rendre tribu- W Con-
taires , ils aimèrent mieux loutenir Iculs d'Urbain
le poids d'une guerre trés-onereufe que VI.
de manquer de foi à Urbain VI. 6c de
vendre leur liberté. Leur négociation
n'eût pourtant pas été tout-à-fait inutile
fans la mauvaife conduite de Jaques
Comte ^Armagnac . Ce Seigneur qui Le Com-
avoit une bonne armée dans la provin- ^^ ^''^'■"
ce de Narbonne , ne demandoit pas^^^^^^^J^
mieux que de l'occuper. Il s'engagea par les
à pafTer les Alpes à la tête de fcs trou- Miianois.
pes pour les joindre à celles d' Augut
contre Galealîe. Quand on eut la nou-
C 3 vel-
^8 VoGGwn A. Part. IIL
vcllc de ce Traité à Florence on*
Augut dans la Gaule citcricur^
fon armée pour être plus à portée
joindre à c^lle d'Armagnac,
ayant pafTc Vuddige campa daij
centin oii il prit plufieurs places fans
grande oppofition. Delà, il alla cam-
per dans le pais de Bergamc où il ne
perdoit aucune occafion d'agir contre
l'ennemi. D'ailleurs les troupes Flo^
rentines agiflbicnt avec vigueur. Cel-
les qui étoient à Voltena faiioient des
courlcs continuelles fur la côte mariti-
me de Sienne, pendant que d'un autre
côté on reprit dans le Cafentin une
(a)Regio- place (a) qui s'étoit révoltée Tannée
Mme. précédente. '
Lcoiiard Augut connoifTant le naturel bouil-
Aretin L. lant des François, avoir inihmment prié
■^•P'^^"' le Comte d'Armagnac de ne hazarder
aucune action avant leur jonétion. Mais
ce jeune Seigneur ne fut pas plutôt en-
tré dans le pais ennemi qu'il crut devoir
fe fignalcr par quelque aélion d'éclat
Sur la fin Hms attendre Augut. Apres avoir pris
de Juillet: d'abord plufieurs Forts autour d' Alexan-
p^ ^^1^' dric de la. Paille qui étoitau Milanois, il
entreprit le Sicge de cette place , (ans
favoir quel monde il y avoit dedans &
iaus
Histoire de Florence. Lh.I. 39
fans cK"e roûtenu par aucune Cavalerie.
Il av^X même eu rimprudencc de laif-
fer r]"f écart les chevaux fatieuezdu chc-
min^Jc des courfes qu'il leur avoit fait
faire *m arrivant. Le Général Vermio
qui^n^ctoit inflruit avoit fait entrer
fecretement dans la place quelques regi-
mens de Cavalerie pour fondre fur les p j^g.
aflîcgeants. C'eft ce qui ne manqua pas
d'arriver. Le Siège ne fut pas plutôt
formé que la Cavalerie fortant de la vil-
le avec impetuofité s'empara d'abord
des chevaux qui furent trouvez ians Ca-
valiers. Après cette capture on attaqua
l'Infanterie de front & par derrière.
Quoi que le combat fût incgal, il ne
lailfa pas de durer long tems avec beau-
coup de vigueur de part 6c d'autre.
Mais les François accablez de lallîtude
& de chaleur, 6c tout couverts de blef-
fures furent obligez de céder la victoi-
re. Le malheureux Armagnac y fut lé-
gèrement blelfé, mais ayant été con-
duit dans la place il y mourut, quel-
ques-uns dilênt de poilbn , plus vraiiem-
blablement de chaud , de lalîitude , &
de defefpoir du mauvais fuccès de fa
témérité.
Galeaflc enflé de cette vidoire im- Victoire
C 4 pre-d'Augut
40 POGGIANA. P^r/. ///.
prévue alla en diligence attaque
gut qui s'étoic retiré vers Crem^
bruit de la défaite des François.
Milanois campèrent à un mille de^
rentins. Il y avoit entre lesdcuxar
un grand pré au milieu duquci touibit
un ruiiïcau tout bordé de hayes d'oii
les ennemis ne cefToient de défier les
Florentins. Mais Augut , voyant
bien que la rufe étoit alors plus de
faifon que la force, défendit à fes gens
de fortir de leurs tranchées , & laif-
fa pendant long-tems aller 6c venir en
confufion & comme à la débandade
les ennemis qui par des reproches fan-
glants tâchoient inutilement de l'atti-
rer au combat. Ce manège dura quatre
jours, enfin le cinquième jugeant bien
qu'ils reviendroient encore l'infulter a-
vec aulîi peu de précaution que les
jours précédens, il mit (es gens en or-
dre de bataille j Les ennemis ne man-
quèrent pas de venir avec leurs rodo-
montades ordinaires ', mais il fondit fur
eux fi à propos, qu'il les mit en déroute,
èc les pourfuivit jufques dans leur camp.
Il y en eut grand nombre de tuez , feizc
cens Cavaliers furent pris prifonniers,
avec plufieurs de leurs Officiers.
Ce»
Histoire de Florence. Lrj.I. 41
Ce-Fendant Augut étoit réduit à de Belle re-
granh^s extrcmitez. D'un côté la re- traite
trairf étoit difficile, parce que l'enne- ^'^"S^''*
mi tyoit coupé les chemins de toutes
part^! De l'autre il folloit repaflcr l'O-
glio, cv. qu'il ne pouvoit faire (lins ex-
pofer fon armée à un très-grand danger.
De forte qu'il ne pouvoit ni fe retirer
fans péril , ni demeurer là plus long-
tems parce qu'il manquoit de vivres.
Il prit donc le parti de défier les enne-
mis au combat. Pour les y animer da-
vantage, il fit mettre fur de grands ar-
bres les étendarts qu'il avoit remporté
ilir eux. En même tems il faifoit en-
tendre nuit & jour les tambours & les
trompetes, comme fi l'armée eût été
en préfence. Et afin d'amufer l'ennemi
au pillage il laifia dans le camp beau-
coup de bagage , comme des hardes ,
des facs pleins de paille, & autres amor-
ces au butin. Apres ces précautions il
leva le camp la nuit , & alla gagner
rOglio fans courir aucun rifque. Com-
me il craignoit d'être pourfuivi, il for-
tifia fon arrieregarde de ce qu'il avoit
de meilleure Cavalerie. Une partie de
l'armée avoit déjà pafie le fleuve, lorf-
que les ennemis arrivèrent. Le Géné-
C f xx\
4* PoGGï AN A. Part. II/.
rai avoir pofté fur le bord de la LyicTC
quatre cens Arbalêticrs à chevaV^7our
les bien recevoir. Enfin l'arricregL^ le ,
après avoir foûtenu un afîèz long tom-
bât, paiïli le fleuve 6c rejoignit leVefte
de l'année. Augut ayant heureuf^n^nt
pafle le Afenzo^ alla camper fur les
bords de l'Adige oii il courut rifque
d'être fubmergé la nuit, parce que l'en-
nemi avoir rompu les digues de cette
rivière. 11 perdit une grande partie de
fon armée par cette inondation.
Quand il fut hors du pais ennemi il
penfa à rétablir fon armée afin de la
mettre en état de chafler l'ennemi des
places qu'il occupoit en deçà duPôj
& en même tems de faire des courfes
dans le Plaiiantin,pour affoiblir de plus
en plus Galeafle 6c le réduire à faire la
paix. Pour y réiiflir il fit conftruire fur
ce fleuve un grand pont à Bofgo-forte^
afin d'être en état de fecourir le Duc de
Mantouë qui avoit quitté le parti de
Galcaffe pour prendre celui des Flo-
rentins -*. Cependant Galeafle réfolut
de
* Galeafle voulant le défaire de fa fœur, qui
avoit époufe François de Gonzaguc Duc de Man-
touë, avertit ce Prince de fe defficr de f\ femme,
lui faifant croire qu'elle ctoit follicitcc àletuerpar
Char-
Histoire de Florence. Liv. I. 45
de foe côté de preflcr fi vivement les
Florn'itins qu'ils fuflent contraints eux-
mq;;ies à en venir à un accommode-'
mei/jCelt dans cette vue qu'il afTem-
bla Ion armée à Lucques pour faire une
irruption dans le Florentin , Se porter
l'allarmejufqu'aux portes de Florence.
Après avoir fait ces préparatifs il fit
parler de paix aux Florentins par le
Doge de Gènes, qui ctoit dans ics in-
térêts. Les Florentins, les Boulonois ,
& les autres Confederez refolurent donc
d'envoyer des Ambafladcurs à Gènes
pour traiter de la paix. Mais comme
chacun de fon côté efperoit de l'avoir
meilleure les armes à la main , on agif-
foit de part ôc d'autre avec plus de vi-
gueur que jamais. Les Florentins voyant
l'appareil que GaleafTe faifoit contre eux
à Lucques , firent venir Augut avec
fon armée. Ce Général campa d'abord
à San Miniato ^vtiiiQ. ville de l'Etat de
Flo-
Charles Vifcomti fon frère. Pour l'en mieux per-
fuaderilfuppofades Lettres de Charles à fa fœur, 8c
les fit mettre dans le lit de Gonzague qui ne doutant
point de la fincerité de l'avis de GaleafTe, fit mou-
rir fa femme. Gonzague ayant fu depuis l'infi-
gne fourberie de Galeaffe l'abandonna pour s'en
venger,
'44 VoGGiA^ A. Part. IIL
Florence fur l'Arno pour obfer\
mouvemens des ennemis, qui et
dans le Pifan , attendant quelque
Autre fort des Siennois. Le Général Mik
d'Âueut voyant que cette attente étoit inutiU,
fur le Mi- s'avança lui-même fur les terres des
mois. Siennois 56c après s'être fortifié de leurs
troupes, il s'approcha de San Miniato.
Des qu'Augut eut appris la marche des
Milanois il alla du côté de Poggibon-
zi fortcrefTe de la Tofcane prés de la
rivière d'£//C<î, à quelques milles de Sien-
ne, afin de leur couper le chemin de
Florence. Ce Général fe voyant ren-
forcé par des troupes qu'on lui envoyoit
de Florence , garnit bien toutes les pla-
ces par oii les ennemis pou voient palier.
Cependant le Milanois ayant appris
qu'Augut avoit reçu un renfort de dix-
mille hommes s'en retourna à Lucqucs
avec fon armée parce qu'elle perifîbit
de faim. Augut la pourfuivit, en tail-
la une bonne partie en pièces, 6c prit
quantité de priibnniers entre lefquels il
y avoit plufieurs Officiers de marque.
Apres avoir remporté fur eux plufieurs
avantages , les jours fuivans , il s'en
retourna à San -Miniato & en forti-
fia {i bien toutes les avenues qu'il etoit
diffi.
Histoire DE Florence. L/i^./. 4j*
diffic Ve aux ennemis d'y pouvoir péné-
trer v
'^ileafle confus & defcfperé de tant
de niiuvais fucccs , ordonna à Ton Gé-
n^l d'aller avec fon armée , invertir
les chemins de Pife à Florence , afin
d'obliger les Florentins à faire la paix
par le bcfoin qu'ils avoicnt du port de
Pile pour leur commerce. Il s'en alla
donc aux environs de Spolctc, s'attcn-
dant qu'Augut viendroit l'y attaquer;
Mais le Florentin aima mieux garder
un pofte qui lui étoit avantageux que
de bazarder un combat dans une con-
jon(5hire aufli décifivei de forte que le
Alilanois las d'obfedcr des chemins fans
rien faire , offrit aux Pifans de fe reti-
rer de leurs frontières , pourvu qu'ils
n'envoyafient rien par mer à Florence :
ce que Gambacurta promit pour quin-
ze jours. Quand les Florentins lui en p. 117.
firent des reproches il repondit, qu'il
l'avoit autant fait pour leur avantage
que pour celui de Pife, puifque par là
il avoit éloigné l'ennemi du voihnage
des uns & des autres.
Pendant qu'on traitoit de la paix à On traite
Gènes , les Génois amis de Galeafle firent ^^J,^ P^^*
bien paroitre leur partialité , en mettant
des
45 PoGGiAîJ A. Part. IIL
des vaifîeaux enmerpourenlevervputcc
qui pouvoir appartenir aux Florct' tins.
Ceux-ci de leur côté firent équipf '-des
Galères , pour fe mettre à couvert de ces
infultes maritimes qu'ils repouflef^nt
fort vigourcufement. En même tems
ils envoyèrent fix cens Chevaux auprès
de Pife pour la fureté de ce qui leur
venoit par terre fur des mulets : mais le
Milanois en ayant eu avis leur dreflà
une embufcade de deux mille chevaux,
battit la Cavalerie Florentine , prit près
de cinq cens mulets chargez de mar-
chandifes & de provi fions ) 6c rempor-
ta un très grand butin. Louïs de Ca-
pou'é Général Florentin apprenant que
les Siennois fe divcrtiffoient de cette a-
vanture, alla pour s'en venger, jufques
aux portes de Sienne , mettre tout au pil-
lage dans leur païs. D'autre côté le
Prince de Cortone * allié des Floren-
tins défoloit tout le Peroufin , avec une
petite armée qu'il avoit levée lui-même
La paix dans cette vue. C'eft par ces hoftilitez
^f- 5*?"' réciproques qu'on fe préparoit à faire la
Gènes. P^i^ 4^1 tut ennn Conclue en 1 3p2. par
1392.. l'cn-
Aret L * ^^^'^^ ^iH^ '^^ Florentin entre le Peroufin
X. fin. * &Arczzo.
PoggnS.
Histoire de Florence. Liv. T. 47
l'entr, mife du Grand Maître deRhode,
Leg-jL du Pape, par le Doge de Veni-
fe cîjjTime particulier 5 Le peuple de
Gênés y entra auffi par honneur. Les
conditions furent entr' autres: i. Que
Padouè (croit rendue à François de Car-
raria, fils de François de Carraria que
Galeaflè tenoit en prifon , à condition
pourtant que le fils payeroit aux Mila-
nois une certaine fomme d'argent par an
pendant l'efpace de cinquante ans. A
l'égard de la liberté du Père on la fit
cfperer, mais on la laifîa à la difcretion
de Galcafle. 2. Que tous les profcrits
pendant la guerre rentreroient dans leur
patrie , avec le conientemcnt néanmoins
de leurs Citoyens. 3 . Qu'on rendroit
de part & d'autre les places qui avoient
été prilês pendant la guerre. 4. Que
Galeafie n'envoyeroit point de troupes
dans la Tofcane, à moins qu'elles n'y
fiafîènt appellées par les Siennois ou par
les Pérou fins en cas qu'ils fuiTent oppri-
mez par les Florentins , ou par leurs
Alliez, f. On convint de part 6c d'au-
tre qu'on ne congedieroit pas toutes les
troupes à la fois , mais peu d peu ^ de
peur qu'il ne s'en formât des focietez
de brigands ôc que chacun en retien-
droit
48 P o G G I A N A. Part. m.
droit ce qu'il jugeroit neccflaire |n*)ur jfâ
fureté 5 ôc de même des GenerauxV des
Officiers. Lors qu'on parla de choit r des
garants de ce Traité un des Plenipotçu-
(t) Tho- tiaires (a) de Florence tirant Ton Efice,
"parole^* ^"^^^^ àiix.-'^ , le garant ; nous avons éprou-
Genereu- "i^é les uns (^ les autres ce qu"* il fait faire.
ft d'un des Florence jouïflôit à peine de la paix
Plenipo- ^^ dehors qu'elle fe vit agitée par des
de Flo- troubles inteftins qui ne purent être
rencc. appaifèz que par des exécutions fan-
glantes , des profcriptions , & d'autres
peines. Mais elle n'avoit pas moins
Intrigues de fujets d'inquiétude au dehors > la
& hoihii- conduite artificieufe ôc les lourdes me-
leaflccon- ï'i^^s de Cjaleaiic donnoient toujours
trelesFlo-de grands Ibupçons aux Florentins*,
rentins. q^ étoit convenu , comme on l'a dit , de
^^^^* ne congédier que peu à peu les Officiers
& les troupes pour éviter les briganda-
ges. Cependant quelques Officiers de
Galeaflc s'ctant attroupez avec quelque
Cavalerie allèrent demander pafTage à
Boulogne & à Ferrarc avec menace de
fc
* Cette année i 1393.) mourut le Général Augut
regretté de tout le monde , on lui fit des obfeques
magnifiques. Les premiers de la ville portèrent
fou cercueil qui ctoit enrichi d'or & de pierre-
ries. Le Peuple lui érigea une Stttuë. Pog§. p. 113.
Histoire de Florence. Liv. I. 49
fe le (kire par force lî on le leur refu- .
Toit ^-.ij). Cette démarche paroilîlint fort («) Ànù
fuff^^ie les Bolonois (b) ne voulurent ^' ^^'
poinJ leur accorder le pafTage , craignant ^z b^) on
de^ecevoir des efpions dans leur Ville, ne dit
Les Florentins de leur côté envoyèrent P°'"'^ ^'^
du fecours aux Bolonois pour les met-^^^^^j-ç
tre à couvert d'infulte. Cependant ces
Cavaliers gagnèrent la Tofcane par le
Parmefan. Ils allèrent de là dans le Sie-
îiois & puis dans la Marche d'Ancone,
où s'étant fortifiez ils revinrent en Tof-
cane, menaçant les Villes de les piller,
fi elles ne leur payoient une rançon.
Ce qui augmcntoit encore les foupçons
contre Galeafle 5 c'eft que nonobitant
la paix on remarquoit toujours dans les
Sienois un efprit d'hoftilité. D'ailleurs
les AmbalTadeurs des Florentins, qui a-
voient été arrêtez ^^ Alexandrie de la.
Paille ^étoitnt traitez depuis la paix a-
vec plus de dureté qu'auparavant. On
ne mettoit point non plus en liberté
François Carrare comme Galeafle l'a-
voit fait efperer. . Tant de violents in-
dices obligèrent les Florentins à renou-
veller alliance avec les Bolonois , les
Princes de Ferrare , de MantoUe, de
Padoue, de Ra venue,, de Fayence,
Toni. IL 0 d'Imo=
IZZ.
j-o VoGGiAiJ A. Part. III.
d'Imok, auxquels rejoignirent Is Sei«»
gneurs de Forli, êc de Malateftl.
AfTafTinat Les ombrages contre GaleafTel^ ug-
de Gam- j^^enterent beaucoup par l'indiglle ^f-
Gouv'er- faflinat de Pierre Gambacurta Q*.u-
neur de verneur ou plutôt Seigneur de Pife (a).
Pi^^"- 11 avoit pour Secrétaire & pour confi-
J^lT/ dent de fes plus fecretes affaires un cer-
223. 224.* tain Ja^^nes Jppien dévoué à Galeafle
?og§- 6c mortel ennemi des Florentins. Cet
homme qui afpiroit à la domination de
Pife s'y étoit fait un grand parti , furtout
parmi les Gibelms. Mais comme Gam-
bacurta étoit fort aimé à caufe de fa
douceur &: de fon efprit pacifique, Ap-
picn ne trouvoit point d'autre moyen
de f^itisfaire fon ambition qu'en le fai-
Çmt mourir, non content de l'avoir af-
fafîiné en traître, & mafTacré deux de
fes fîls avec plufieurs de fes amis. Après
ce deteitable coup il chafTa les Guel-
phes de la Ville,- pour être plus en état
d'en ufurper la domination. Dans le
tumulte que caufa cette horrible aftion,
les marchandifes 6c tous les effets des
Florentins furent pilbz par le peuple
de Pife, malgré l'alliance qu'il y avoit
entre eux. On ne douta point à Flo-
rence que cet afTafîinat ne partit de la
té-
tîisTOiRE DE Florence. Lîv.I. fï
tête de GaleafTe pour avoir à Pife un
homme tout à fa dévotion. Et en effet
4pR^ n'agiflbit que par les vues de
Gcile'.'^, même depuis Ton élévation.
^e Prince toujours plein d'ambition Galea^é
& de vaftes projets ne rouloit dans fa S^ ^^^^
tête que les moyens de les exécuter. l'Empe!
Comme il avoit ufurpé plufieurs Pais rcur
& plufieurs Villes fur l'Eglife 6c fur Wencef-
l'Empire, il chercha pour fe maintenir '^^* ^
dans leur poffeffion la proteélion de p. 114*
l'Empereur Wenceflas. Connoilfant
l'avarice dé ce Prince il lui envoya une
Ambaifade avec de riches préfens lui de-
mander le titre de Duc & plufieurs Vil-
les qui fuflent attachées au Duché. Ce
qu'il obtint moyennant la fomme dé
cent mille écus d'or, malgré les Elec-
teurs qui mirent l'aliénation du Mila-
îiois entre les caufes de la dépofition de
cet Empereur (a). (a) II fut
L'aggrandifiement de Galeafle aug- depofé à
menta encore fon avidité, (b) Comme il ^''^^cfort
fouhaitoit pafiionément de s'emparer de (b)p?iz4,
Mantoue qui étoit dans le cœur de fes
Etats, il voyoit avec beaucoup de ja-
loufie l'alliance que le Prince de Man-
toue avoit faite avec la République de
Florence 6c les autres Confederez. Aufiî
D 2, n'ou-
ft PoGGiANA. Parf. in,
n'oublia-t-il rien pour l'en dégager. De
plus il fe donna mille mouvemens pour
rompre une confédération qui iw-'^ttoit
un fi grand obftaclc à fcs defTeif ,. ,-il
avoit renforcé les troupes de Pero^ife,
de Sienne, de Pife pour mettre ces Vil-
les en état d'agir en fa faveur à la pre-
mière occafion. Les Florentins pour le
tenir prêts à tout événement créèrent
un Decemvirat , & levèrent à.ç& trou-
pes dont ils donnèrent le commande-
ment à un Capitaine François que Gré-
goire XI. avoit amené avec lui d'Avi-
(a) Ber- gnon (a). Ils firent en même tems une
nard de alliance avec la France , à condition
huitaine' 9"^ ^^ ^"^ ^^ prendroit dans la Tofca-
p. 125. ne appartiendroit aux Confederez , &
que le Roi feroit mis en pofleiîion de
ce qui feroit conquis dans le refte de
l'Italie. Cependant Galealîe envoya
cinq mille hommes à Pife pour foute-
Momh nir Jaques Appien contre quelques Sei-
Scudartï gneurs qui avoient levé de la Cavalerie
Comités, pQ^j. iç,\\iy: les Pifans en bride. Ces
étincelles d'incendie furent éteintes par
la prudence des Florentins. Mais com-
me les troupes que le Duc de Milan
avoit autour de Pife avoient pafle dans
le Luquois , les Florentins craignant
qu'el-
Histoire de Florence. Lh. T. f^
qu'elles ne s'emparaflent de Pifioye dans
Içur voifinage , envoyèrent Bernard
let:t.r C-Jnéral aux environs de cette pla-
ce j'jpur la défendre en cas d'attaque,
lui iaifant quitter le pofte qu''il occu-
poit à San Miniato qui manqua d'être
pris par trahifon.
Le Duc de Milan n'ayant pu gagner Galea/Te
le Mantouan ni par prières ni par pro- aflîege
me0ès (e rcfolut enfin à afiie^^er Man- ^^ntouë,
touë par terre êc par mer. Afin d'em- défait a-
pécher les Florentins de la fecourir, il vec fon
aflembla dans le Sienois quatorze mille ^'^"^^^*
chevaux, qui fans aucune déclaration ^|^^*
de guerre pilloient 6c brûloient impi-
toyablement les Florentins jufques aux
portes de Florence. Sibérie qui com-
mandoit cette Cavalerie tint pendant
deux jours le fiege devant la petite vil-
le de Segni de l'Etat de l'Eglife à quel-
ques milles de Florence, & en fiit re-
poufle avec perte. Les femmes firent
merveille dans cette occafion , foûtenant
avec un courage intrépide leurs maris
accablez de fatigue , & couverts de
bleflures. Au bout de quatre jours ces
incendiaires fe retirèrent à Sienne faute
de vivres. Les Florentins pour £c ven-
ger de cette irruption inopinée fe jette-
D \ rent
^4 P 0 G G I A N A. Part. UL
rent avec fureur fur les terres des Sic-
nois 6c leur prirent plufieurs places itip**
portantes comme FoUerre & (f- oj[Jft(^.
GaleafTe voyant que Tes troupes n^fai-
Ibient que s'affoiblir dans la Tofcane
les rappella pour le fiege de Mantouë.
On a parlé ailleurs d'un Pont, que les
Florentins avoient fait faire à grands
frais fur le Pô pour pouvoir fecouiii'
cette ville, le Duc entreprit de le brû-
ler par le moyen de quantité de ba-
teaux pleins de farments & d'autres ma-
tières combuftibles , mais la diligence
yoyeîôc l'intrépidité de Charles Malatejîa
le récit de que les Florentins y envoyèrent avec
SnV.^f quatre mille chevaux , fauva le Pont ,
Blft. Flor. non fans que ce Général y courut ril-
P- 119- que de la vie. Le Duc de Milan ne fe
|3o» rebuta pas de ce mauvais fuccès. Il fit
aflîegcr le Pont dans toutes les formes,
en élevant des travaux dans la rivière
fur des navires chargez d'hommes, d'ar-
mes & de machines de guerre comme
devant une ville -, Ces navires à tours
furent fort bien reçus des Mantouans
qui fe battirent comme des Lions. Le
combat fut furieux parce que de part
^ d'autre il falloit vaincre ou mourir ^
^y ^yant point de lieu à la retraite.
Histoire DE Florence. Z/^'./. y y
Enfin après une aélion de plufieurs
heures la viftoirc demeura aux Man;-
•tou^s à qui les Vénitiens a voient fourni
lÙM iccours de trentes galères.
tealealîe plus confus que rebuté de
cet affront rafiembla comme il pût fes
troupes pour preffer le ficge de la Ville.
Charles de Malatefta de fon côté étant
allé attaquer le Général PWmius qui
commandoit l'armée de terre en deçà
' du Pô 5 le bâtit à plate couture, fit plus
de fix milles prifonniers, & enleva tou-
tes les munitions de guerre. Albericqui
commandoit l'armée navale fut un peu
plus heureux, mais ne fe trouvant pas
foûtenu il fut obligé de lever le fiege.
Il fembloit que Galeafle dût penfer à
la paix après une déroute fi générale.
Les Florentins eux-mêmes y paroilToient
difpofez ; les Vénitiens les y follicitoient
même fortement , craignant que fi dans
la fuite ils venoient à avoir du deffous
l'orage ne tombât fur eux. On envoya
donc de part 6c d'autre des Ambafla-
deurs à Venifc pour en traiter par la
médiation de cette République. Mais
comme le Duc de Milan ne faifoit que
tergiverfer , les Vénitiens s'unirent a-
vec les Florentins & leurs x\lliez à con-
D 4 4i^
f6 POGGI ANA. P^r^ ///.
S 398. dition que les premiers feroient lesarbi-
P- 'H- , très de la paix & de la guerre. Le Duc
Ga^Sre^ intimidé par une fi puilîante conk(f. ;ra-/
avec les tion fît une trêve de dix ans, à condr'.f:
Floren- tion de rendre les places qu'il avoit véi-
^^"' ^ '^' fes dans le Mantouan.
Vénitiens»
CcDiicelt Pendant la trêve le Duc fit une ac-
fait maître qui fition qui relevoit confidenlblement
de Plie. |-g3 forces. Jaques Appien étant mort ,
Gérard Ton fils qui lui fiicceda dans le
gouvernement de Pife , craignant de ne
s'y pouvoir foûtenir mit cette Ville 6c
Ï399- toutes les dépendances entre les mains
P-^»3<5. du Duc, moyennant une Comme d'ar-
' ' gent & quelques places qu'il laifibit â
la dilpofition de Gérard. Comme les
Florentins avoient fait tous leurs efforts
pour détourner un coup qui ne pouvoit
que leur être fatal , le Duc envoya
aullî-tôt , comme par manière d'inful-
te , leur notifier qu'il étoit maître de
Pile, leur promettant néanmoins de vi-
vre en paix avec eux. Mais les cabales
& les hofiilitez qu'il exerçoit dans leur
Aret. L. voifinage témoignoient tout le contrai-
Ai.p.z36. yç^ Qj-j çu^- j^yis ^ Florence qu'il médî-
t*^ toit de le rendre maître abfolu de Sienne,"
D'ailleurs les Peroufins à qui les Flo-
rentins avoient refufé du fecours contre
Bo-
Histoire de Florence. Llv.I. ^j
Boniface IX. qui redemandoit Perou-
, le comme appartenant à l'Eglife, fu-
*ren^:i.obli2;ez d'avoir recours au Duc
jNmr conferver leur liberté. L'amitié
des Bolonois paroiiToit fort refroidie par
les ei'perances dont GalealTe les amufoir.
On ne pouvoit non plus guère compter
fur les Lucquois que le voifinage de
Pife faifoit pencher pour le Duc.
Comme il n'y avoit plus lieu de dou-
ter des mauvais defleins de Galeafle , la
République affembla un grand Confeil
pour délibérer s'il falloit fe préparer à
ta guerre ou difîîmuler pendant quelque
tems & chercher d'autres voyes de con-
jurer l'orage. Après plufîeurs confulta-
tions on fuivit l'avis du Général Re-
naud aufli bon Orateur que grand Ca-
pitaine. Après avoir repreiènté avec
beaucoup de prudence 6c de liberté les
défauts du Gouvernement des Floren-
tins qui négligeoient les plus grands per-
fonnages de l'Etat pour fuivre le fenti-
ment de la populace , & remarqué la
fiute qu'on avoit faite en rejettant l'al-
liance des Piians & àç.% Peroufins, il
conclut à envoyer des Ambaffadeurs
aux Vénitiens pour» leur repréfcnter
tout ce que faifoit le Duc contre la tre-
D y vej
fS P o G G I A N A. Part, m,
ve, & pour les engager à le joindre à
eux par le danger qu'ils couroient eux-
Sededes mêmes. C'cfl dans ce tems-là qu# paV
Blancs. ^^^ ^.^ Italie la Sc£le des Blancs qui ver-
tus d'habits Blancs couroient les vines
en proccfîîon, hommes, femmes, en-
fans, avec une apparence de dévotion
toute extraordinaire. Ces Fanatiques
Aret. L. allèrent à Florence & s'emparèrent tel-
XII. p. lefnent de l'efprit des Florentins qu'à
Po-^t^^L?* peine penfoicnt - ils à la guerre pendant
IIirp.136.que Galeafle s'enmoquoit. Ilnefe pafla
rien de mémorable le relie de l'année.
L'année fuivantc Jean Betitivoglio
ayant eu le Gouvernement de Bologne
par le m.oyen de Galeafle, les Florentins
l'en envoyèrent aufïl-tôt féliciter 6c lui
propoferent en même tems de faire al-
liance avec eux. Il ne rejetta pas ces
propofitions, mais il différa d'y répon-
dre de peur d'offcnfer Galeafle par le
fecours duquel il avoir eu le comman-
dement de Bologne. Ce Duc fe forti-
fioit tous les jours confiderablement. Il
étoit maître de Sienne , de Peroufe ,
de Pife, & il avoir attiré le Mantouan
dans Ton parti. De forte qu'il n'v eut
prefque que Padoue qui demeurât fidè-
le aux Florentins. C'ell ce qui les çn-
Histoire de Florence. Li'V.L yp
gagea à créer un Deccmvirat , 6c à le-
ver de nouvelles troupes pour refifter
• 91 ^c forces du Duc. L'Empereur Wen-
''■ cellas fut dépofé cette année & Ro- i^qq.'
%crt de Ra'viere fut mis en fa place. Les
Florentins jugèrent à propos de lui de-
mander du fecours contre GalealTe, &
de l'inviter à reprendre des Villes que
ce Duc avoir ufurpées fur l'Empire,
ôc que fon Prédecelîéur n'avoir pas été
en droit d'aliéner, lui offrant d'ailleurs
autant d'argent qu'il voudroit. Robert L'Empe-
n'avoit garde de refufcr une alliance [^"'^ ^°" ^
•j -1 ° • • ^ r- 1 bert vient
dont \\ pouvoir tirer de li grands avan-r ^^ fecours
tages. Il vint donc l'année fuivante des Flo-
avec quinze mille hommes en Italie *. rentins
A fon arrivée il campa dans le Brefllin G^ieafTe "
pli François Carrare le vint joindre avec & eft ba-
trois mille chevaux Florentins j. tu*
Le Duc voyant de fî terribles prépa^
ratifs , leva prompteiTient une armée
de quinze mille hommes tant de Gava-
)erie que d'Infanterie, & l'envoya con-
tre
* Il en avoit promis vingt mille.
j On compta d'abord a Robert deux cens mil-
le ccus d or qui furent amalTez en une nuit à
Florence toute épuifée qu'elle paroilToit par des
guerres continuelles , & on lui en promit deujs
cens iïi|Ue ?.utrçs qi^atre mois après,
60 VoGGiAN A. Part. in.
trc Robert. Quoiqu'elle fût inférieure
à celle des Allemands joints aux Ita-
liens 5 elle fut pourtant viélorieufè très
le premier choc. Les Allemands marv^
chants fans ordre 6c fans difcipline fu-
rent enveloppez par un Corps de trou-
pes Milanoilcs, & repoufTez dans leur
Camp avec grande perte. Un coup fî
imprévu jetta tellement l'épouvante
dans l'armée Allemande que fi le Duc
avoit eu là toutes fes troupes il neferoit
pas reftc un Soldat à Robert. Depuis
cette défaite on penfa moins au combat
qu'à la retraite : l'Eleéteur de Cologne
éc le Duc d'Autriche abandonnèrent
l'Empereur pour s'en aller chez eux
avec leur monde j l'Empereur de fbn cô-
té, fe voyant afïbibli par la defertion
de ces Princes jfe retira dans leTrcntin
d'oii François Carrare le fit revenir
avec cinq mille hommes feulement. Son
retour remit un peu les Florentins déjà
fort confternez de fà défaite. Ils l'en-
voyèrent prier de demeurer en Italie
pour tenir en bride le Duc que fa vic-
toire avoit rendu plus fier èc plus entre-
prenant que jamais. Mais les deman-
des excefîives que faifoit Robert mi-
rent les Florentins dans de nouveaux
cm-
Histoire de Florence. Liv.I. 6t
embarras. Il exigcoit d'eux des fommes
exorbitantes, & il ne vouloit point de-
meurer en Italie fî on ne faiibit une al-
.liahce avec le Pape 6c avec les Veni-
l'^ens. Les Florentins promirent l'un 6c
l'autre. Cependant l'Empereur content '4©^^
d'avoir pafle l'hy ver à Padoue avec Tes P* *'^*
troupes, s'en retourna au Printems de
l'année fuivante.
GaleaiTe Te trouvant plus en état d'à- Galeaffo
gir par la retraite de l'Empereur tenta '^^"^ ,
de détacher les Vénitiens du parti des Bologne.
Florentins , & envoya des Ambalîa- p- 145,
deurs à Venife dans cette vue. Ils n'ou- ^^'^'■
blierent rien pour leur rendre cette Ré-
publique lufpcélc i Mais il trouva dans
les Vénitiens plus de fidélité &c de fer-
meté qu'il ne s'attcndoit. Il alla enfui-
te attaquer Bologne qui par précau-
tion avoit recherché l'aUiance des Flo-
rentins. Comme il étoit fuperieur en
force il s'en rendit maître après un com-
bat opiniâtre 6c y fit bâtir une forteref-
fe. Cette 'victoire fut trés-funefle aux ^4oï'
Florentins, plufieurs de leurs voifins^'^^^*
s'en étant prévalus pour les abandonner
& même pour les attaquer en divers en-
droits. Dans cette extrémité ils s'adref-
ferent à Bonifacc IX. fur qui GaleaiTe
avoit
6Z PoGGIANA. P^r/. ///
avoit ufurpé plufieurs villes comme Pc^
roufe 6c Boulogne. Ce Duc nemédi-
toit rien moins que l'Empire de l'Ita-
lie. Il avoit déjà Eiit faire une couron-
ne & tous les autres ornemens Royaux
qu'il tenoit tout prêts à Marignan où il
MoTt de avoit fait bâtir uîie maifon de plaifan-
Jean Ga- ^e j Mais une mort inopinée délivra les
Made fon Florentins de leurs allarmes 6c convain-
ïils aine quit Galeafle de la vanité des efperances
humaines *. Il partagea ^t^ Etats entre
fes trois fils. Il donna le Milanois,
Boulogne, Sienne, Peroufe ôc Afîife
à Jean Marie l'aîné avec le titre de
Ducj Pavie, Vérone, Vicence avec
quelques petites Villes à Philippe Ma-
rie i 6c Pife à Gabriel fon fils natu-
rel qu'il avoit légitimé -\. L'Hiftorien
reprefente Galealfe comme un Prince
magnanime, libéral, d'une magnificen-
ce Royale, amateur des Savans 6c des
grands hommes, mais d'une ambition
dé-
* Il mourut de la pefte au mois de Septem-
bre de 140Z. âgé de 55. ans. p. 153.
I Voyez là-delfus une Lettre que Lucio Col-
lucio Salutato Chancelier de Florence en écrivit
au Roi de France. Balux.. Mifcel. T. IV. p. 516.
Ce Collucio étoit un des grands hommes de fon
tems, foit par fon favoir, loit par ia prudence &
fa valeur.
Histoire de Florence. Liv. I. 6^
démefurée 8c dont la fidélité n'avoit
point d'autre règle que fes intérêts.
'' Dès que la mort de GaleafTe fut annon-
cée à Florence, on en fît pendant plu-
liéiirs jours de grandes rejouïfTances ,
on donna des jeux & des fpeélacles pu-
blics. Cependant les Ambafîadeurs de Les FIo^
Florence ignorant cette mort avoient rentins
fait alliance avec le Pape qui devoit i°nce
fournir cinq mille hommes & les Flo- avec I«
rentins flx , p©ur lui aider à recouvrer ^ape,
fes places. Il avoit déjà envoyé Thomas
cel fon frère dans le Peroulin oii par le
fecours des Florentins & des bannis de
Peroufe il avoit déjà repris plufieurs
places. Et même s'il eût eu plus de vi-
gueur & de courage il auroit pti pren-
dre la Capitale. Mais le Duc Jean Ma-
rie y ayant envoyé trois mille hommes
il eut une telle frayeur qu'il fe retira
honteufement à Todi.
Cependant les Florentins n'étoient
pas fans inquiétude 6c fans occupation.
La Cavalerie Milanoife, qui étoit ref-
tée à Sienne 8c à Pife,faifoit des cour-
fes perpétuelles dans leur païs , comme
de leur côté ils en fàifoient avec beau-
coup de fuccës. Dans la crainte que
cette petite guerre n'en allumât une
# plus
Les Flo-
rentins
portent la
guerre
dans la
Ro ma-
gne.
1403.
p. 156.
Jean Ma-
rie fait la
paix avec
le Pape à
l'infu
des Flo-
rentins.
64. PoGGiANA. Parf. III.
plus grande , on créa des Décemvirs^
ôc on refolut de tranfporter la guerre
de Tofcane dans la Romagne dont Ga-
leafîe avoir ufurpé la plus grande partie.
Pour cet effet Boniface envoya Baltha-
far Cofla Cardinal de S.Euftache*dans
le Bolonois "j" avec une bonne armée
pour affiegcr Boulogne. Charles Ma-
latella l'un des plus grands Capitaines
de Ton tems commandoit cette armée.
Etant arrivé près de Boulogne, après
avoir fait des courlês dans le Parmefan ,
le Légat ne jugea pas à propos qu'on
fe hâtât de mettre le ficge devant cet-
te ville 5 parce qu'il efperoit l'avoir par
trahifon. En attendant il fît marcher
l'armée du côté de Milan oii il trouva
au dedans & au dehors des brouilleries
favorables à Tes defTeins. Il y avoit dans
Milan deux violentes faétions qui don-
nèrent occafion à plufîeurs Villes de fe
Ibûlever contre le Duc , comme Crémo-
ne, Plaifance, Brefîe, Bergame. Dans
cette fâcheufe fituation Jean Marie ne
fe croyant pas en état de loûtenir une
guer-
* C'eft celui qui depuis fut Pape fous le nom
deJcanXXllI.
] La Boulogne fiaifoit autrefois partie de h
Romagne.
Histoire de Florence. Liv.I. 6f
guerre contre le Pape , fit la paix avec
lui en rendant les places de l'Etat Ec-
clefiallique. On n'eut aucun égard aux
Florentins dans ce Traité êc même il
le fit à leur infu. En même tems
Bologne ôc Peroufe fê rendirent au
Légat.
Les Florentins le plaignirent au Pa-
pe de ce que, contre les conventions,
on avoit tr^aité avec le Duc de Milan,
non feulement fans leur en faire aucune
part , mais fans aucun ménagement pour
leurs intérêts. Le Pape qui avoit recou-
vré fes places ne fe mit pas beaucoup
en peine de leurs plaintes, ni de fa paro-
le, & rappella fon Légat. Cette infidé-
lité de Boniface ne fit pas perdre cou-
rage aux Florentins. Profitant de la Courfes
foiblefie du Duc dont les Etats étoient ^^^ .f 'o-
mis en pièces par la révolte de plufieurs ^l^^^\ç
Villes * 6c par les fureurs des Guelphes MUanois.
& des Gibelins "f" ils envoyèrent douze
cens chevaux ravager le Milanois, 8c
four-
• Comme Alexandrie de la Paille, Côme,
Verceil, Novarre, Pavie, Plaifance & Vérone
qui rentra fous la domination des Scaligcrs. p. 159,
160.
t Les bouchers vendoient publiquement au
marché la chair des Gibelins.
J'm. IL E
66 PoGGIANA. Piîr/. ///.
fournirent du fecours à Petro Rojfo cjui
s'étoit emparé de Panne. . '^
Mort de Cependant le Duc Jean Marie 'nit
J5*p^*" afîiiflîné, par fes propres domeftiques à
pc Marie ^^^ ^^ Tyrannie étoit devenue infuppor-
prend fa table. On nous rcpréfcnte ce jeune Duc
place & comme un homme cruel jufqu'à la fti-
avec^les^^^^"^' Il avoit fait empoifonna* fa me-
Floren- re, & rempli Milan de maflacres. Il
tins. expofoit lui-même les objets de fa hai-
^^^?' ne à être déchirez par les chiens. Phi-
lippe Marie fucceda à (on frère & re-
couvra la pliâpart des places que ce
dernier avoit perdues. Ayant enfuitc
fait la paix avec les Florentins , il leur
donna le tems de raccommoder leurs
affaires. Ils reprirent plufîeurs places
occupées par des Tyrans , & firent la
paix avec les Sienois. Gabriel Marie , fik
de G aléas , à qui fon Père avoit donné
Pife pour fon partage , ne pouvant s'y
foûtenir la leur vendit deux cens mille
écus d'or par le confèil de Jean Boucî-
caiit qui commande it à Gènes pour le
iioi de France *. Mais cette acqui fi cion
^ flit
* Le Roi de France avoit refolu de prendre
Gabriel en fa proteélion , mais il en fut fans dou-
te détourné par la Lettre de Collutatio dont ou
rient de parler. Baluz.. uh.fupr.
Histoire DE Florence. Z/i;./. Sj
fut la fource d'une guerre qui dura plus 1404,
d'un an entre la République de Flo- Mos-
rence & celle de Pife. Les Pifans ce-P* '°3'
pendant ayant repris la Citadelle de Pi-
lé par la lâcheté de la garnifon Floren-
tine envoyèrent à Florence pour traiter
de la paix. Mais leurs proportions pa-
rurent fi déraifonnables aux Florentins Guerre
qu'ils ne penferent plus qu'à la guerre ^^'^ F'o-
afin de fe mettrç une bonne fois en pai fi- ^^^^ jç,
ble pofTefiion d'une Ville qui les avoit pifans,
fi fouvent traverfez * depuis plufieurs
fiècles, & qui d'ailleurs étoit fi fort à
leur bienfeance pour leur commerce.
Ils envoyèrent donc dans le Pifàn
une armée de douze mille hommes fous
le commandement de Bertold des Ur-
fins Comte de Soanne. Ce Général prit
d'abord quelques places avec afièz de
fuccès. Mais il demeura fix mois au
iiège d'une ForterefTe (a) dont la prife (a) Vico^
étoit néceflairc pour avoir Pifê. Cette
Forterefle fut enfin emportée avec plu-
fieurs places de fes dépendances , après
Un fiège d'environ un an f. La ville de
Pi»
* Voyez l'Hiftoire de ces hoftilités Hîjl. Pog^, „
p. 176 not.
f Elle fut prifc en i4®6. p. 173.
È i
<58 PoGGIANA. P^r/. ///.
Pife étoit alors dcchirce par des factions.
Quoiqu'aprcs la mort tragique de Gam-
bacurta , la plupart des Guelphes en
euiïent été chafTez , il en refloit encore
fuffifamment pour mettre la ville en
combulHon par l'oppofition des Gibe-
lins. Ils prirent néanmoins les uns 6c
les autres la refolution de s'unir pour
leur défenle commune 5 les bannis ren-
trèrent dans leur patrie; Mais ils fe
trouvèrent mal d'avoir rappelle Jean
Gamhacurta^ qui nonobftant la réunion
des deux partis fit mourir les princi-
paux de la faélion Gibeline, & s'empa-
ra du Gouvernement.
Les Pifans ayant fait- inutilement des
propofitions de paix , il fallut fc prépa-
rer à foûtenir le fîège. Ils commencè-
rent cette guerre fous de malheureux
aufpices. On leur enleva d'abord une
Galère qui venoit de Sicile chargée de
grain. Deux de leurs Généraux furent
batus en deux combats confccutifs. On
leur coupa les vivres par mer & par ter-
re afin de les réduire par la famine. A-
près ces précautions on entreprit le
1406. lîcge dans les formes. Les Pifins afîîe-
p. \6'). , gez par mer & par terre & fans efpe-
rance de pouvoir faire entrer ni fecours
ni
Histoire de Florence. Liv.I. 6p
ni munitions de bouche furent obligez
d'implorer des fecours étrangers. Ils
envoyèrent des Ambafladeurs à Ladiflas
Roi deNaples pour lui offrir leur Ville,
s'il vouloit venir à leur fecours. Ce
Prince ayant répondu qu'il n'ctoit pas
dilpofé à rompre avec les Florentins en
faveur de Pife , ils eurent recours au
Roi de France , & firent au Duc de
Bourgogne Coufin germain de ce Mo-
narque les mêmes offres qu'ils avoient
faites à Ladiflas. Le Roi de France les
accepta 6c fît aufîi-tôt favoir aux Flo-
rentins que Pife étant à lui , ils euOent
à mettre bas les armes, & à s'abf tenir
de toute hoftilité. Les Florentins ré-
pondirent que Pife étoit à eux , qu'ils
î'avoient bien payée , que les Pifîms n'a-
voient point été en droit de la vendre,
& qu'ils croyoient le Roi trop équita-
ble pour vouloir s'emparer du bien d'au-
trui. On pouffoit cependant le fiège
avec vigueur , malgré les menaces que
fàifoit l'Envoyé du Duc de Bourgogne
au Général Florentin s'il ne fe retiroit
de devant la place ^,
Ce-
* Cet Envoyé preffant avec trop de hawfcur
le Général de lever le fiège fut jette dans la rivie'.
re d'Arno.
E3
yo VoGGiAUA.Payt.III.
Les Flo- Cependant la Ville étoit fî preflec de
rcntins fe la faim qu'on étoit réduit à manger les
mafres chevaux & les rats. C'eft ce qui obli-
de Pife. g^s. les Pifans à en faire fortir les fem-
mes 5 les vieillards & tout ce qui étoit
incapable de porter les armes, mais les
Florentins les y firent rentrer. Enfin
la famine & la mortalité contraignirent
Gambacurta à promettre de fe rendre
fous des conditions qMi lui furent fort
avantageufes , les Florentins aimant
mieux être maîtres de la Ville encore en
aflez bon état que de la polîèder ruinée
comme elle l'auroit été en peu detems.
Les Flo- Cette conquête ayant rendu les Flo-
ifcntius rentins redoutables à leurs Voifins , ils
s unifient JQ^jj-^j^^ pendant deux ans d'une pro-
slenois" fonde paix. Elle fut troublée par Gre-
contreLa-goire XII. à cette occafion. Ce Pape
diflas Roi jj^ voulant pas tenir la parole qu'il avoit
1408.^ donnée de céder le Pontificat, s'il étoit
p. 178. neccffaire pour la paix de l'Eglifê, fut
^a) A la^ibandonné de fès Cardinaux (a) qui al-
reicrve lerent à Pife, où ils furent joints par la
de deux, plupart des Cardinaux de Benoît XIII.
fon concurrent 5 pour y tenir un Conci-
le. Grégoire XIT. étoit alors à Luc-
ques dont les paflages étoient fi bien
gardez qu'il ne pouvoit en fortir. Pour
s'en
Histoire de Florence. IJv.T. jt
s'en tirer il rechercha l'amitié de La-
diflas Roi de Naples qui comme lui a voit
intérêt à empêcher qu'il ne fe tînt un
Concile Général parce qu'il craignoic
d*y être dépouillé de Ton Royaume en
faveur de Louis d'Anjou. Ladillas * fît
donc demander paflagc aux Florentins
pour aller tirer Grégoire XII. de Lac-
ques qui y foufFroit une efpece de capti-
vité, les amufant de l'efpoir d'une al-
liance qui leur (èroit avantageufe. Les
Florentins répondirent qu'ils lui cnver-
roient desAmbafladeurs pour mieux fa-
voir fes intentions. Quand ils furent ar-
rivez à Rome le Roi voulut d'abord exi-
ger des Florentins qu'ils fiflcnt fortirles
Cardinaux de Pife 6c qu'ils ne fouffrif-
fent pas qu'on y tînt un Concile, 6c
leur propofa de faire alliance avec lui j
Les Florentins refuferent l'un & l'autre
parce qu'ils voyoient bien qu'une des
conditions feroit que le Pape gardât les
places de l'Etat Ecclefîailique qu'il pof-
fedoit, & que d'ailleurs ils efperoicnt
de trouver leur compte à la tenue du
Concile. Ladiflas irrité de ce refus les
me-
• Il étoit alors maître de Rome & de plufieura
places de i'Ëglife.
E 4
nz PoGGïANA. Part. III.
menaça d'envoyer huit mille hommes
mettre tout à feu ôc à fang dans le Fio»-
rentin. Il leur tint parole. Il alla lui-
même avec une armée dans le Sienois
pour être plus à portée de fondre fur eux.
Les Florentins de leur côté envoyè-
rent à Sienne pour affermir les Sienois
dans leur amitié 6c leur offi-irdufecours-
contre Ladiflas,qui étoit déjà fort près
de leur Capitale. Ayant trouvé les Sie-
nois dans les difpofîtions oii ils les fou-
haitoient , les Ambaifadeurs de l'une
& de l'autre République allèrent trou-
ver Ladillas pour lui demander la paix.
Ils le rencontrèrent à Acquapendente
fur la Paglia dans le Sienois , mais ils n'en
tirèrent d'autre réponfe , flnon qu'il
étoit venu non comme ennemi, mais
comme ami, pour régler certaines cho-
{ts qui regardoient la paix de l'Italie,
ôc qu'il leur envciroit fes Ambaflâdeurs
pour leur expliquer plus amplement
jfes intentions. Les Ambaflâdeurs de
Florence & de Sienne s'en retournèrent
bien pcrfuadez qu'il ne vouloir que les
amufer par une réponfe fi vague , Se
qu'il ne propofoit de leur envoyer fepa-
rement des Ambaflâdeurs qu'afin de les
p. Ï83. divifer pour fe rendre maître des uns &
des autres. En
Histoire de Florence. Liv.L 75'
En effet rAmbafladeur qui alla à
Sienne fit tout ce qu'il put pour déta-
cher les Siennois des Florentins en rap-
pellant toutes les inimitiez paiîees, ôc
en leur donnant mille ombrages pour
l'avenir. Les Sienois répondirent avec
beaucoup de fermeté qu'il feroit égale-
ment indigne 6c du Roi d'attaquer des
gens qui n'avoient jamais recherché que j .
fon amitié , & d'eux de manquer de p. 184'.
foi à leurs Voifins Ôc Alliez. Celui qui
alla à Florence tint un autre langage >
Il fe plaignit entre autres i . Que par
le fecours des Florentins, les exilez de
Peroufe incommodoient tellement la
Marche d'Ancone qu'il lui étoit im-
pofhble de lever les impôts que le Pa-
pe lui avoit cédez *. 2. Que les Flo-
rentins s'étoient unis avec le Légat de
Bologne fon ennemi "j". 3. Qu'ils a-
voient accordé la Ville de Pife aux Car-
dinaux pour y tenir un Concile contre
Grégoire XIL qui étoit le Pape légi-
ti-
* Le Pape avoit donné à Ladiflas fix mille
écus d'or à prendre fur laMarched'Ancone pour
l'engager dans fon parti contre e Concile de
pife.
•j- Balthafar Cofla Cardinal de S. Eultache.
74 VOGGIAV A. Payt, III.
time *. Enfin il leur propofa de faire
alliance avec le Roi. Après avoir réfu-
té ces plaintes ou plutôt ces chicanes,
les Florentins répondirent qu'il ne leur
étoit pas permis de traiter avec perfon-
ne que du confentement de leurs Alliez,
beaucoup moins encore de le faire avec
un Prince qui exerçoit des hoftilitez,
dans le pais de leurs amis. Qu'il n'avoit
donc qu'à iè retirer avec fon armée 6c
qu'alors ils feroient tout difpofés à trai-
ter avec lui fous des conditions raifon-
nablcs.
Ladiflas LadiOas en fureur de cette répon(ê
s'en re- s'approcha de Sienne pour tâcher d'ex-
Naplcla- citer quelque fedition dans la ville. Mais
près avoir n'y voyant aucune difpofition il s'alla
Dillé le jctter dans le Florentin. Il mit le fiegc
j°^Q^^^'"' devant Arezzojôc en fut repouffc hon-
p. i88. teufemcnt. Il s'avança de là dans le ter-
(a) Acinqritoire de Cortone (a) > mais desefpe-
^^} rant de prendre cette place , il fe con-
tenta de piller la campagne avec tant de
fureur "j" , que les habitans d'ailleurs las
de la domination de leur Commandant
ou
* Pierre de Lune ctoit fon concurrent fous k
nom de Benoît XIII.
t On l'appelloit à caufe de cela le Roi GÀtê'
fhamft Guafiagran».
Histoire De Florence. Liv. I. jf
pu plutôt de leur Tyran fe rendirent
à difcretion. Il s'empara enfuite de Pe-
roufe où il fut reçu avec beaucoup de
joye 5 & ayant laifTé une partie de
ion armée pour garder les places qu'il
avoit conquifes il s'en retourna à Na-
ples.
HïS-^
7«
•^■/h-/>>y^-^y'hy^'/>i •«'O VO V^i ■/?>■,«>> -^ yOj vO>
HISTOIRE
D E
FLORENCE.
LITRE SECOND.
Concile
de Pife ,
où Ladif-pll
las efl; dé
pofc.
^^^
p Eridant que ces chofes fe paC»
I foient Grégoire XII. & Be-
i noît XIII. furent dépofez au
^ Concile de Pife , & Alexan-
dre V. * fut élu Pape êc reconnu de
toute la Chrétienté horsmis des Rois
d'Arragon & de Caftille , qui tenoient
pour Benoît XIII. Ladiilas avoit bien
prevû que ce Concile lui feroit fatal. Il
y fut dépouillé de fon Royaume , en
faveur de Louïs d'Anjou fon competi^
teur,
* Pierre Philargi de Candia Bourg du Mila^
nois, Cardinal des douze Apjties.
Histoire DE Florence. Z/V./Z jj
teur. Ce dernier pour fe maintenir con-
tre Ladiflas fit alliance avec les Sienois,
avec le Légat de Bologne , ^ avec les
Florentins par le fecoui^s defquels La- Ladiflas
diflas fut chafle de Rome & de tout f- chafle
l'Etat Ecclefiaftique. Pendant ce tems- '^^^|^^'
là mourut Alexandre V. à Bologne, p. 19 1.*
non fans foupçon d'avoir étéempoilbn-
né par le Légat qui lui fucceda au Pon-
tificat * fous le nom de Jean XXIIL
On ne pouvoit faire une élection plus
defagreable à Ladiflas. Jean XXIIL
étoit fon mortel ennemi , & foûtenoit
Louis d'Anjou de tout fon pouvoir.
Comme d'ailleurs il redoutoit les forces
des Florentins , il rechercha leur alliance, Les Flo-
leur offrant de les dédommager des per- rentins
tes f qu'ils avoient faites fur la mer de ^^"'^ '^
Gènes, & de leur rendre Cortone. La Ladiflas.
Ville fut fort partagée fur ces propofi-
tions qui paroifToient fufpeétes aux plus
éclairez. Cependant comme on étoit
las de tant de guerres confecutives la
paix fut acceptée, à condition qu'elle
ne porteroit aucun préjudice ni au Pa-
pe,
• Balthafar Cofla Cardinal de S. Euftache.
t Ils y avoient perdu foixame mille ccqs
d*or.
78 PoGGîAiJ A. Part, III.
pc, ni à Louis d'Anjou *,non plus qu'à
leurs autres Alliez , 6c que Ladillas n'en-
treprendroit rien contre Rome, ni con-
tre l'Etat Ecclefiaftique.
Les deux Rois cependant cherchè-
rent l'occafion de décider leurs préten-
tions par les armes. Louis campa à Ce'
perano "f fur les confins de l'Etat Ec-
clefiaflique 5 & Ladiflas à Ponte Cor-
vo :!: 5 les deux armées n'étant feparées
1411. que par la rivière de Gariglian. Les
p. 193. troupes du Pape qui tenoit pour Louis
^' ^^^'*l"' avant pafle la rivière, attaquèrent La-
troupes de ^^fl^ qui fut vaincu ôc mis en fuite a-
Louis près un long 6c furieux combat, L'af-
d'Anjou Jaire étoit entièrement décidée pour
jgg^^Jp^J Louis, fi les Généraux du Pape (a) a-
pe. voient voulu profiter de leur viéloire.
(a) Sforce Mais comme ils ne demandoicnt qu'à
dsU pi'olonger la guerre ils aimèrent mieux
fins. s'amufer à piller que de pourfuivre l'en-
nemi 1. Le Pape voyant bien que fes
Gé-
* Il étoit à Praro dans le Florentin.
I Autrement Fregelles aux extrémités de la
Campanic.
i Bourg de la Terre de Labour fur le Gariglian.
I Ladiilas difoit lui-même que le premier jour
il auroit pu perdre & la vie & le Royaume; le
fécond fon Royaume, mais non la vie ; mais
que le troifièmc il ne perdroit ni l'un ni l'autre.
Histoire DE Florence. ZZ-y.//. 79
Généraux ne vouloient pas pouffer à
boutLadillas5prit la réfolution de faire
la paix avec lui en lui laifîant le Royau-
me de'Naples & de Sicile. Mais cette
paix ne dura pas long tems. Ladiflas
dès Tannée fui vante entra triomphant
dans Rome , & en chafla le Pape qui
le retira au Fauxbourg de Florence,
n'olânt pas entrer dans la Ville où La-
diflas avoit des partifans *.
La première chofe que fît Ladiflas Ladiilas
dès qu'il fut Maître de Rome, fut d'y '■^"^P^ l*
dépouiller les Marchands Florentins qui avoit tito
y negocioient malgré la parole qu'il avec le
avoit donnée à ces Marchands de les^^P^»*^
prendre fous la proteélion. Nonobstant j^J^"^ ^
cette perfidie, les Florentins ne lailTe- Rome,
rent pas d'accepter le renouvellement Sa mort.
d'alliance qu'il leur propofa , pc ir les en- ^"^^f
dormir. Mais la mort qui le furprit à
Naples ne lui laifla pas le tems à-: jouir
de cette fupercherie. Ce fut une djran-
de délivrance pour toute l'Italie & en
particulier pour Florence qui depuis ce
tems-
* L'Hiftoire dit que Jean XX!II. ne fut pas
fâché d'apprendre que Ladiflas étoit au voifma-
ge de Rome, afin d'avoir un prétexte de ne pas
tenir la parole qu'il avoit donnée d'aller au Coa-
cile de Conftance p. 194.
8o POGGIANA. P^r/. ///.
tems-là vécut en paix pendant plufieurs
années. ^ 4
Philippe Cependant Philippe Marie Duc de
Marie fait Milan appuyé par le Pape Martin V. *
alliance > ^ , ■', A r^ -i j r^ r
aver les ^^^ avoit ete élu au Concile de Coni-
Floren- tance, après l'abdication de Grégoire
tins & Xll. & la depoUtion de Benoît XIII.
bientôt! ^ ^^ ^^^^ XXIII. t- recouvra plu-
iîeurs places qu'on avoir enlevées à fon
père êc à ion frère. Mais il ne voulut
pas borner là fcs conquêtes. Il entre-
prit celle de Gènes à la faveur des fac-
tions qui divifoient cette Ville. Mais
comme il craignoit qu'elle ne fût fe-
14T9. courue par les Florentins il refolut de
p. zoi. renouveller alliance avec eux. Ce que
les Florentins acceptèrent à condition
qu'il n'avanc-eroit point dans la Tofca-
ne ni dans le païs de Modene au delà
de Pontremole î , ni vers Boulogne au
delà du fleuve Cruftuîo \. 6c qu'il ne fe-
roit
* C'étoit le Cardinal Otton de Colonne élu
en 1417.
t M. Recanati fetrompeforr quand il ditp. 197.
que Jean XXIII. abdiqua volontairement.
% Place aux confins des Etats de Gènes & de
Parme. Elle étoit autrefois du Duché de Milan,
depuis elle a été a la Tofcane.
\ Il prend fa fource d'une Fontaine du Mont
Apennin & tombe dans le Pô du côté de Bologne.
Histoire de Florence. Lm. II. î\
joit point d'alliance à leur préjudice.
Après ce Traité il s'avança vers Genesj
qui fatiguée de guerres inteflines aima
mieux fe rendre à un étranger que de
périr par les mains de fes propres Ci- r^^j,
toyens. ibid.
Martin V. au retour du Concile de Mépris
Confiance étoit allé paHer plufieurs des Flo-
mois * à Florence. Cette Ville enorgueil- ^^"^'"^
,. j, r V j > ^ pour Mar-
ne d une prolperite de quelques années [ïq y.
témoigna un profond mépris pour le
Pape 5c fouffroit même que les enfans
l'infultaffent dans les rues \. Ce qui
l'offenfi le plus c'eft que les Florentins
tenoient le parti àwGénérABraccio qui
par leur fecours lui avoit enlevé plu-
fieurs Villes :]:. Pour fevanger il engagea Le Due
le Duc de Milan à rompre le Traite qu'il ^^ ^j'"^
avoit rait avec les r lorentms , ce a ie avec les
joindre au Légat de Bologne contre Florcn-
leurs conventions. Il fit encore diver- '^"^*
fes infractions qu'il feroit trop long de p.^204.
rapporter en détail. Àret. ibid.
Les i^o-
* Léonard Aretin dit deux ans. Rer. Italie.
Hlji. p. 1S9-
t llschantoient,/eP4/)^ Martin ne vaut pas un
quadrain. Léonard Aretin ubi fupr.
ij: Il fit en uitc la paix avec ce Général par
l'cntremife des Florentins & s'en alla à Rome.
^^om. IL F
îi PoGGiAî^A. Part. III.
Embarras Les Florentins fe trouvèrent encore
des Flo- dans un nouvel embarras par un petit
rentins au i^eident qui devint dans la fuite une
ViHc de * affaire importante. Forli (a) Ville de
Forli. l'Etat Ecclefiaftique avoit été occupée
(a) Dans p^j- Qeorge Ordelafe qui la gouvernoit
gnc *'^" Souverain. George étant venu à
p. 'zo4, mourir laiffa cette Ville entre les mains
d*un fils en bas âge & de fâ veuve , nom-
mée Lucrèce^ fille du Prince d'Imola *.
Celle-ci ne fe fiant pas aux habitans de
Forli à caufe de Catherine fa belle-fœur,
qui lui en difputoit le Gouvernement ,
s'étoit mife fous la protection des Flo-
rentins. Catherine de fon côté fe mit
fous celle du Duc , qui ne demandant
pas mieux qu'une fi belle occafion de
fe rendre maître de Forli , envoya des
troupes dans le Boulonnois pour être
plus à portée de s'en emparer. Les Flo-
rentins furpris d'une démarche fi fuf-
peéte écrivirent au Légat de Bologne
pour le prier 'de faire retirer ces troupes
que le Duc ne pouvoir avoir fait avan-
p. zc6. ^^^ i ufques lu fans violer le Ti-aité de paix
& fans quelque mauvais defiein. Ce-
pen-
* Auffi Ville de l'Etat de l'Eglife dans la Ro-
maine.
Histoire DE Florence. Zi-z;.//. 85
pendant ceux qui étoient dans le parti
de Catherine fe révoltèrent contre Lu-
crèce, la mirent en prifon *j & firent
entrer les troupes du Duc dans Forli.
Les Florentins refolus de fe vanger de
cette infra6tion envoyèrent fîx cens che-
vaux à Forlimpopoli f" oii Lucrèce
s'ctoit réfugiée, & écrivirent au Duc
de rappeller fes troupes & de rendre
la Ville à Lucrèce. 11 le promit à con-
dition qu'on pourvoiroit ù la fureté de
ceux qui lui a voient livré la place. Les
Florentins cependant envoyèrent à Mar-
tin V. lui faire des plaintes du Duc 8c
de fon Légat, & lui offrir du fecours
pour reprendre Forli comme étant de
TEtat de TEglifè. Le Pape qui avoic
le cœur ulcéré contre les Florentins ^
& qui fâvorifoit le Duc j s'excufa d'en-
trer dans cette affaire fur ce qu'il étoit
occupé contre Braccio , qui^ comme
on l'a dit , lui retenoit plufieurs Villes.
Il rappella néanmoins fon Légat de Bo-
logne :j: & envoya en fa place Gabriel
Con-
* Elle en échappa &fe retira à quelques lieues de là,
I C'étoit autrefois une Ville Epifcopale, Au-
jourd'hui ce n'eft qu'un petit Bourg de l'Eiat dt
i'Eglife dans la Romagne.
^ Alphonfe Cardinal de S. Euflache,
F Z
84 P o G G I A N A. Part. IIl.
Condolmerio Cardinal de Sienne *. Le
p. iop. Prince de Ferrare , au nom de qui le Duo
^^* de Milan avoit fait tout ce manège "fy
prétendant que Forli lui devoit apparte-
nir, propofa aux Florentins que s'ils vou-
loient l'affifter de leurs troupes pour
s'en mettre en pofleiîion il engageroit
le Duc de retirer. fa Cavalerie de leur
voifinage. Les Florentins rejetterent
(a) Fils de "^^^ propofîtion qui lesengageoit à une
Lucrèce, infidélité envers leur pupille (a).
Les Flo- Pendant que le Duc rorapoit iburde-
eard "^'^^ ment la paix avec les Florentins il leur
plus de faifoit propofer en public les moyens de
niefures l'affermir. Les Florentins de leur côté
av'ecle écoutoient ces propofitions, moins par
Milan. opinion de fa bonne foi que pour n'avoir
pas à fe reprocher une rupture ouverte.
Ils lui envoyèrent donc des Ambafla-
deurs à là requifition pour traiter avec
lui une alliance dont le Pape & les Vé-
nitiens feroient les arbitres , comme il
fai-
* Il fucceda à Martin dans le Pontificat fous
le nom d'Eugène IV. & fut favorable aux Flo-'
rentins p. xi}.
f Le Duc pour s'cxcufer d'infraélion difoit tan-
tôt que c'ctoit au nom du Ferrarois, tantôt que
c etoit au nom du Pape qu'il avoit envoyé k%
troupes.
HisToïRE DE Florence. ZZ-y. //. Sf
laifoit mine de l'avoir projette. Quand
ils furent arrivez à Lodi (a) , le Duc (z) A
leur défendit d'approcher plus près de vingt mi!-
Milan & d'attendre là fesAmbafladeurs,jJ^ de Mi-^
fous prétexte qu'il y avoit quelque in-
dice de pefte à Florence. Mais les Am-
balTadeurs répondirent avec vigueur
qu'ils n'avoient pas ordre de s'addrellèr
à d'autres qu'au Duc lui-même , qu'ils
n'apportoient pas la pefte mais la paix,
6c que fi on ne vouloit pas y entendre ,
il falloit décider leurs démêlez par les
armes. S'en étant retournez (ans répon-
fe k Florence on y prit la relblution de
ne plus garder de mefures avec le Duc.
Ce qu'ils faiibient avec d'autant plus
de confiance que Braccio leur avoit
promis trois mille chevaux de renfort.
Martin V. craignant que le Duc ne Le Pape
pût foutenir tout le poids de cette guer- refufe de
re , envoya Antonio Lufco * à Milan pour ^J^^^^ ^ux
engager Philippe à renouveller la paix tins"^^^"
avec les Florentins. Le Prince de Fer-
rare de fon côté les fit afilirer que le
Duc defiroit fincerement la paix , &
que s'ils vouloient envoyer des Minif-
très
* Secretake du Pape , &: Collègue de Pogge ,
qui en paik fouvent dans fes Oeuvres.
F 5
S6 PoGGiANA. Part. 111.
très pour en traiter , elle pourroit fe
conclure à la fatisfa6tion des uns & des
autres. Mais le Duc perfiftant à de-
mander la fureté de ceux qui l'avoient
mis en pofTefîion de Forli , & les Flo-
rentins prétendant qu'il falloit remettre
l'affaire à la difcretion de Lucrèce 6c
de fon fîls j on fe retira fans convenir
de rien. Cependant les troupes du Duc
faifoient des courfes dans la Romagne
êc y avoient même pris la ville d'Imo-
la par trahifon. C'efl ce qui engagea
les Florentins à députer de nouveau au
Pape pour le porter à réprimer les en-
treprifes du Duc & à reprendre les pla?
ces qu'il lui venoit d'enlever j Mais ils
n'en purent tirer d'autre réponfe que
celle qu'il leur avoir faite la première
fois. Il rappella même fon Légat *, à
la follicitation du Duc parce que ce
p. il 3- Légat craignant pour Bologne après la
'^^^' prife de Forli & d'Imola avoit traité
fêcretement avec les Florentins.
Charles Les Florentins voyant l'inutilité de
Malatefta leurs tentatives pour la paix mirent
Char?
* 11 envoya pour Légat à Bologne Louis Ala-
pian Savoyard, Archevêque d'Arles, qui fut de-
puis Cardinal.
Histoire DE Florence. X/v.//. 87
Charles Malatella à la tête de leur ar- Général [I
mée avec ordre d'aller camper près de Florentin
Forli pour obferver fî par le moyen de î?*;?^
quelque fedition excitée dans la Ville ilrl cft to
ne pourroit pas s'en rendre maître. & pris
Comme ils avoient aufïï deflein d'enle- Pfi^on-
ver Gènes au Duc de Milan avec le le-"p^^ .
cours des exilez de cette République, z 16.
ils firent entrer dans le port de Gènes
vingt- quatre Galères commandées par
Henri Alphonfe frère du Roi d'Arragon
dans refperance qu'il arriveroit quel-
que tumulte dans la Ville en faveur des
Citoyens bannis. Mais la haine invété-
rée des Génois pour les Catalans * em-
pêcha le {wcch de cette cntreprife qui
n'aboutit qu'à faire des courfes fur mer
tout le relie de l'été.
Charles Malatefta afîîegeoit cepen- ^4^4'
(dant la Ville de Forli où le Duc avoit^" ^^^'
envoyé un renfort de quatre mille hom-
mes fous le commandement àHAnge de
Pergola f. Ce Général afîiegca en paf-
lânt la Ville de Zagonora dont Lucre-
ce avoit donné le commandement au
Com-
• Voyez les raifons de cette inimitié , Btfl,
Tlor. Pogg. p. II 6. note,
t Petite place entre Sienne &TloreîK€.
F4
SS POGGIANA. P^r/. ///.
Comte d'i\lberic fon allié. Alberîc
ne fe Tentant pas en état de foûtenir le
iîège demanda du fecours 'à Malatefta ,
qui y vint avec fon armée pour le fai-
re lever. Malatefta battit d'abord les
ennemis , mais au lieu de les pourfuivre
il lc3 laifTa rallier , fut défait dans un
fécond combat , 6c pris prifonnier avec
plufieurs des Chefs &; une grande par-
tie de fon armée *. Pour fe relever de cet-
te perte il fallut en lever une nouvelle
dont le commandement fut donné à
Nicolao Piccinino "j" qui avoit fèrvi en
qualité de Colonel fous Braccio. Ce
nouveau Général commença (a Cam-
pagne fous de mauvais prefages, mais
qui pourtant tournèrent à l'avantage
des Florentins. Il fut envelopé dans la
Tofcane par un gros de Païians & de
Mon-
* On a dit de Charles Malatefta que ce fut un
des plus grands & un des plus malheureux Capi-
taines de fon tems. 11 fut mené prifonnier à Phi-
lippe Marie qui lui fit un accueil très- favorable,
lui donna fa liberté , le çornbla de prefens 6c eniT
prêcha qu'Ange de Pergola ne prît Rimini dont
Charles étoit Seigneur p. ii8.
t 11 commandait tous le jeune Othon fils du
grand Braccio dont on a déjà parlé qui avoir été
tué dans un combat quelque tems auparavant.
p. 119. Voyez auffiP/?/7//'/.£fr|<ï?». Fol. 373.
Histoire de Florence. Lh. IL 8>
Montagnards qui tuèrent le jeune Oddo
Braccio fous qui il commandoit & l'em-
menèrent lui-même prifonnier à Fayen-
ce. Le Gouverneur de cette Ville , qui
étoit Milanois * , prit depuis le parti des
Florentins par le Confcil de Piccinino \
êc de Malatella. Piccinino , ayant re-
couvré fa liberté , fut fait Général en
Chef de l'armée des Florentins. Après
la mort de Braccio ils envoyèrent des
Ambaffadeurs au Pape pour lui renou-
veller les inftances qu'ils luiavoient fai-
tes de reprendre fes places , l'obllacle
qu'il avoit allégué étant levé par la
mort de ce Général. Ils le prioient en
même tems de ne pas favorifer le Duc
à leur préjudice, 6c d'ordonner à fon
Légat de ne fe pas liguer avec lui con-
tre leur République. Cette x\mbafîade
n'ayant pas eu un meilleur fuccès que les
gutres 5 il fallut chercher des amis ailleurs.
Ils envoyèrent aux Vénitiens pour Ne^ocia-
leur lions d'al-
liance en-
* Guidantomus ManfredasMidiolanenJis.p.ixç. tre ks
f Ce Général étoit fils d'un Boucher au rapport Floren-
d'iEneas Sylvius. Comment, in Dift &: Fad, tins & les
Alph.RcgisLib.I.p.9. Puctmnum lanïonïs fi'.ium, Vénitiens,
i^uafi regem noflra &tas venerata efl. Des illi rei
tnilitaris périt iar». At inter homints, <^m velfn-
gire -vel cap , ^uam mon malunt.
F y
PC> POGGIANA. P^r/. ///.
leur repréfenter de quelle confequencô
étoient pour eux-mêmes les entreprifes
d'un Prince ambitieux qui ne refpiroit
que l'Empire d'Italie. Les Vénitiens
ayant envoyé des Ambafladeurs au Mi-
^^^4- lanois à leur follicitation, ils n'en tire^
P- ^2.3. ^^^^ ^^^ ^^ réponfes vagues & ambi-
guës. Les Florentins envoyèrent en
même tems des Ambafladeurs à l'Em-
pereur Sigifmond pour lui expofer les
violences & les infidélitez du Duc à
leur égard , ôc l'inviter à venir fe faire
couronner en Italiç5lui offrant pour ce-
la de l'argent ôc des troupes.
Les FIo- Pendant toutes ces négociations An-
rentins ge de Pergola ravageoit la Tofcane Ôç
fontbatus.j^ Romagne & y prcnoit plufieurs pla-
ces importantes. Cette année (è paflâ
en diverfes efcarmouches , oii l'avan?
tage fut afl!ez balancé pendant long-
tems. Mais enfin les Florentins fuc-
comberent, moins par le nombre que
par une embufcade qui leur fut dreflee
près de Fayence où ils furent défaits en
bataille rangée,
piccinino L'année fuivante ne fut pas plus heu-
quitte le reufe. Au bruit de la défaite des Flo-
fcrvicedes i-g^tins plufieurs Villes embrafferent le
tin7, pour P^^^i ^^ Philippe. Piccinino leur Gê-
né-
Histoire de Florence. Lh. II. pt
îiéral fè rangea lui-même fous les en- entrer
ifeignes du Milanois attiré par fes pro- dans celui
melTes & rebuté par le peu de bonne ïfjP"'^ ^^
foi qu'il trouvoit dans les Decemvirs i^ij".
de Florence. Dans cette extrémité il p. 2x4.
fallut encore avoir une fois recours au
Pape pour le prier de fe rendre arbitre p. xx^:
de la paix. Ils envoyèrent auffi aux Ve- 1^8.
nitiens qui ouvrant enfin les yeux à
leurs propres intérêts écoutèrent leurs
propofitions. Rien ne les y détermina Les Vc-;
davantage que l'arrivée de François de nitiens
Carmagnole * à Venilè, Ce Général "traitent
avoit quitté le feryice du Duc de Milan pioren-
pour pafler dans celui des Vénitiens, tins , à la
Comme il avoit reçu plufieurs mccon- fpHidta-
tentemens de Philippe qui même l'avoit cam^
voulu faire empoifonner à Trevife "f , gnole,
il ne manqua pas l'occafion de s'en ven-
ger, en animant les Vénitiens contre
lui comme contre leur plus mortel en-
nemi. Ils firent donc déclarer au Duc
qu'ils étoient refolys à lui faire la guer-
re,
• Voyez l'Hiftoire de ce Général dans Philip-
pe de Bergame. De Porcher il devint le plus
grand Général de fon tems. Bergam. 372.373.
Pogg. 219.
t Autrement Trevigni, Ville de l'Etat deVe-
nife.
pz VoGGiAV!A. Part. III. ^
re 5 s'il ne desarmoit & s'il ne. Ce coït-
tenoit dans {es frontières qu'il avbit
beaucoup étendues par leur .fecours.
Pendant ce tems la paix fe conclut en-
tre les Vénitiens 6c les Florentins, aux*
quels fe ]oignirent yfmedée * Duc de Sa-
voy ej 6c la République de Sienne. Les
Florentins donnèrent le commandement
de leurs troupes à Nicolas de l'olentin y
êc les Vénitiens celui des leurs à Car-
magnole.
Carma- Ce dernier commença la Campagne
gnole af- p^^j. ^j-jg entreprife cohfiderable. Ce fut
fe?& la i'attaque de la Ville de Brelfe place trés-
prénd. bien fortifiée. Une partie de cette Vil-
i42.<^' le étoit occupée par les Guelphes , 6c
l'autre par les Gibelins. Ce fut à la fa-
veur des premiers que Carmagnole y
entra pendant la nuit avec une partie
de fon armée, êc que s'étant rendu maî-
tre du quartier des Guelphes il s'y for-
tifia fi bien qu'on ne put l'en chafier.
D'autre côté pour donner de l'occupa-
tion au Duc, le Prince de Ferrare ra-
vageoit le Parmefan. Si T'attaque fut
des plus vigoureufes, la défenfe ne le
fut
* 11 fut depuis élu Pape au Concile de Baflc
fous le nom de Félix V.
Histoire DE Florence. X/'y.//. pj
fut pas moins. Enfin la place fuç empor-
tée après un fiège de huit mois. Cette
conquête étoit difficile à garder, parce
que Philippe empêchoit de toutes parts
qu'on ne tit entrer des vivres dans la
Ville. On prétend même qu'elle auroit
pu facilement être reprife, fans la di-
vifion des Généraux , qui donna le
tems à Carmagnole de prendre quanti-
té de places dans le BrelTan , & autour
du Lac de Garde d'oii il faifoit entrer
des munitions de bouche à BrefTe. De
leur côté les Florentins , n'étant plus
inquiétez par les troupes Milanoiies,eur
rent le tems de recouvrer plufieurs de
leurs places, & de reparer une partie
de leurs pertes.
Le Pape avoir prolongé la guerre au- Le Pape
tant qu'il avoit pu dans l'efperance que negotie la
les Florentins fe rendroient à lui , en ^^^f^^'-
haine du Duc de Milan, & fatiguez de lanois & '
la guerre ; Mais quand il vit l'inferiori- les FIo-
té du Duc de Milan, il écrivit aux uns ^^^ti^s,,
6c aux autres pour les exhorter à s'ac-
commoder. Les y trouvant difpofez il
envoya le Cardinal de S. Croix *, Evê-
que
* Nicolas Albergoti : voyezfon Oraifon funèbre
dans les Oeuvres dePogge p. 261. & fa Vie dans
la première partie de cet Ouvrage, p. 68.
^4 P o G G I A N A\ Part. IIL
que de Bologne , aux Vénitiens pour lei
rendre arbitres de cette paix. Ce Pre-»
lat alla auffi à Milan , où ayant trouvé
le Duc difpofé à une reconciliation, i)
alTembla à Ferrare les AmbafTadeurs de
chaque parti j & y conclut une paix
folemnelle. Brefle, Crémone, & Ber-
game que les Florentins pofTedoient a-»
vant la guerre furent cédées aux Véni-
tiens, avec leurs territoires , & le Duc
de Savoye garda ce qu'il avoit conquis.
Le Duc de Milan à la follicitation du
Cardinal avoit acquiefcé aux conditions
de la paix 5 mais il parut par la fuite
qu'il ne l'avoit fait que malgré lui , &
de mauvaifc foi. En effet , lorfque
Carmagnole alla de la part des Véni-
tiens prendre poflefîion des Villes qui
leur étoient tombées en partage , il n'y
en eut aucune qui lui en voulut donner
les Clefs. Le Légat s'en étant retourné
à Rome fort imté de la perfidie du Duc,
Le Mi- ce dernier recommença la guerre tout
lanois re- ^ç. nouveau. 11 prit à fa Solde les trou-
ceheucr'-P^^ que les Vénitiens avoient congè-
re contre diées , 6c les détacha contre le Pais de
les Veni- Mantoue , qu'elles ravagèrent impi-
teH?. toyablemcnt.
rcntins. Les Vénitiens ôc les Florentins obli-
gez
Histoire de Florence. Lîv. IL ^f
gez à reprendre les armes, levèrent en
diligence une nouvelle armée, & en-
voyèrent faccager le Milanois. Le Duc
de fon côté faifoit mettre tout à feu 6c
à fang dans le BrefTan. Il avoit d'ail-
leurs fur le Pô 5 une Flote qui s'empara
de plufieurs places maritimes 6c entr'au-
tres, de Cazal *. Ces conquêtes furent
arrêtées par la valeur de François Bem-
bo qui commandoit la Flote Vénitien-
ne. Cet Amiral obligea les ennemis à
lever le fiège de devant Verfel ^f , ou-
vrit les pafTages du Pô qu'ils avoient fer-
mez , 6c donna la chafle à la Flotte Mi-
lanoife. Carmagnole de fon côté ré(b- Carma-
lut d'afîîeger Crémone afin d'être plus gnole af-
à portée de reprendre les places du Bref- ^^^ê^ ^}^~-
fan. Après avoir emporté la ForterefTe^e^e^J^
de Binafco fur l'Oglio pour faciliter le
tranfport des vivres , des munitions de
guerre 6c de toutes les chofes neceflai-
res à un fiège j il alla camper fur le
bord du Pô à fix milles de Crémone.
Ces progrès obligèrent le Duc à for-
tir enfin pour la première fois de fa re-
trai-
* Cazal maggiore dans le Cremonois.
t Place forte lur le Pô , dans le Duché de
Modene,
,ij6 P o G G I A N A. Part. m.
traite *, où il avoit été renfermé juP-
qu'alors, ne faifant la guerre que par
fes Généraux i". Il réfolut de marcher
vers Crémone, & campa avec une ar-
mée de vingt mille hommes de bonnes
troupes , à trois milles de l'armée Ve-
Bataille nitienne. Le combat fut long 6c la vic-
fangb.nte toirc il bien difputée , qu'elle ne de-
S'î-f^ ^. mcura à pcrfonne ; les armées furent
& les Ve- obligées de le retn^er par pure laflitude.
niticns. Cependant le Duc de Savoye , & le
Marquis de Montferrat profitoient de
l'abfence de Philippe pour piller juf-
qucs aux portes de Milan'. C'eft ce qui
l'obligea à retourner dans fon pais avec
le peu de troupes qui lui reftoit. Car-
magnole d'autre côté desefperant de
prendre Crémone , attaqua Cazal , avec
lelecoursdelaFlotteVeniticmie. Fran-
çois Sforce ayant inutilement pnurfui-
vi l'armée des Vénitiens s'en alla re-
prendre Binafco. Mais s'étant aulTi-tôt
retiré dans le Camp, Carmagnole re-
prit cette place 6c fit jetter la Garnifon
dans
* 11 étoit retiré dans une ville appellée Ahbiat,
p. 145.
I On ne remarque pas non plus que fes Pré-
decefleurs ayent agi par eux-mêmes dans ces
guerres.
fefisToiRE DE Florence. L/i'.//. p/
dans le fleuve ayant appris que Sforce
en àvoit ufé de même. De là Carma- Carma-
gnole alla mettre le fiège devant Cazal ^j^°j^ ^.^^
dont la Garnifon fe rendit fans défenfe 2,ai , il bac
à l'infu de Ton Commandante Après les trou-
plufîeurs hoftilitez on en vint àuncom- P" Miia-
bat décilîf 5 où les Vénitiens remportè-
rent une viétoire 11 complette qu'on ne
doutoit point que lî Carmagnole eût
voulu la pourfuivre, le Duc n'eût été
entièrement dépouillé de Tes Etats. Mais P'^49'
ce Général , dont la fidélité commençoit
à chanceler, fit tant par fes lenteurs af-
fectées qu'il donna le tems à Philippe
de rétablir fbn armée. Au heu de pren-
dre Crémone 6c d'aller droit à Milan ,
comme il le pouvoit alors, il amudi fes
troupes aux places du Breflan, & à des
courfes qui ne fervoient qu'à les fati-
guer, fans incommoder beaucoup l'en-
nemi.
Lo Duc commençoit à fe défier de Le Pape
fes forces j il n'avoit pu lever aflez de "^§o<^i2
monde pour refilter à tant d'ennemis y gj^f^e le
la plupart de fes meilleurs Généraux Milanois^
étoient morts > les fecours qu'il pou- '^^ ^^"^"
voit avoir d'ailleurs ne venoient qLieJgj"^]^]
lentement. Toutes ces raifons lui firent lentins,
rechercher fécretement l'entremife du
Tom. IL G Pa-
5)8 P o G G I A N A. Part. ni.
Pape pour Elire la paix. Les Florentins
d'autre côté las de faire la guerre au
profit des autres Se commençant à (e
défier de Carmagnole , n'étoient pas
non plus éloignez de s'accommoder.
Le Cardinal de Sainte Croix fiât donc
encore envoyé par le Pape à Ferrare où
le rendirent les Ambafiàdeurs de chaque
1418. parti. La Paix fijt conclue à condition
P' 2.51. qyg |g Y)uc f endroit aux Florentins ce
qu'il avoit à eux, & que BrefTe 6c le
BrefTan demeureroient aux Vénitiens
avec ce qu'ils avoient pris dans le Cre-
monois , aufii bien que Ëergame , &
tout (on territoire jufques à la rivière
d'Adde.
Guerres H n'eût tenu qu'aux Florentins de
de Luc- JQ^jji- Jes avantages de cette paix en
Ques avec ' ^ . '
les Flo- demeurant en repos. Mais des brouil-
remins. Ions qui ne cherchoient qu'à pêcher en
eau trouble les enj^afferent dans une
nouvelle guerre a cette occafion. Les
Lucqiîois avoient été d'abord neutres
dans cette guerre. Les Florentins a-
voient même fait quelques démarches
2^7 P^^i-^i" ^cs engager dans leur parti en don-
nant de l'emploi au fils de Paul de Gui-
'/lis qui regentoit alors à Lucques. Ce
Roitelet jugeant que le Duc de Milan
i"e-
Histoire de Florence. Zrj. //. pp
feroit fupericur, rejetta les offres des
Florentins , & envoya du fecours à Phi-
lippe dans l'efperance d'affermir fa do-
mination par un fi puiflant appui. Les
Florentins & les Vénitiens en furent fi
indignez qu'ils ne voulurent pas que les
Lucquois fufîent compris dans la paix
qui fe fit enfuite. Après la paix Nfco-
îao Forte- Braccio * Colonel dans les
troupes de Florence, foit de fon pro-
pre mouvement, foit animé par le peu-
ple Florentin, fe mit à la tête de quel-
ques troupes licentiécs pour aller rava-
ger le païs de Lucques. Paul de Gui-
nis fe voyant ainfi attaqué ii l'impro-
vifte , envoya des Députez pour en fai-
re des plaintes aux Florentins , & leur
demander leur amitié , ou qu'au moins
ils ne donnaffent point de fecours au
Colonel, fuppofanf qu'il n'agiffoit pas
par leurs ordres. Les Florentins répon-
dirent qu'ils n'avoient point d'engage-
ment avec eux, n'ayant pas été com-
pris dans la paix , que le Colonel les
avoit attaquez de fon propre mouve-
ment , mais qu'ils n'étoient pas d'hu-
meur
* Il étoit neveu du grand Braccio dont on a
parle ailleurs.
G 2.
100 V oGGî AN A. Part. IIL
meur à s'attirer pour l'amour d'eux l'ini-
mitié d'un homme armé Se qui d'ail-
leurs étoit de leurs amis. Le Lucquois
comprenant le fens de cette réponfe en-
voya inutilement implorer le fecoursdu
Milanois Se des Vénitiens. Cependant
le Colonel failîmt de grands progrès
dans le Lucquois , écrivit aux Floren-
tins qu'il ne tiendroit qu'à eux de fe
rendre maîtres de Lucques , s'ils vou-
loient lui envoyer quelque fecours. Le
Duc de Milan de Ion côté, foit pour|
gagner davantage leur amitié , foit
pour les engager dans une nouvelle
guerre, leur offrit de la Cavalerie & les
autres fecours dont ils auroient befoin.
Si les Florentins avoient des raifons
plaufiblcs pour entreprendre cette guer-
re, il y en avoit de plus fortes encore
de vivre en paix avec une République
à qui celle de Florence avoit de gran-
des obligations 6c qui ne s'étoit attiré
la guerre par aucune hollilité *. Après
avoir long-tems balancé ces raifons on
fe détermina pour la guerre.
On
* On ne pouvoit pas imputer l'entreprife de
Paul de Guinis à la République qui le regardoit
elle-même comme un Tyran.
HisT. DE Florence. Z/1^. 77. loi
On écrivit aufîî tôt à Nicolas Foite-
Braccio de faire par autorité publique
une guerre qu'il avoit faite jufqu'alors
de fon propre mouvement, & on lui
envoya de la Cavalerie 6c de l'Infante-
rie pour le foutenir. Les Florentins en^ l^^ pj^,
voyerent en même tems des AmbafTa- rentins
deurs au Pape, au Duc de Milan, aux^"^'°y^"t
Vénitiens 6c à leurs Alliez pour leur ren- baiïadeurs
dre raifon de cette entreprife. Le Duc au Pape
de Milan fut le (èul qui la loua 6c qui '^' à leurs
offrit de la favorifer. Le Lucquois dci- f'^'^Po^r
titue de forces ce de Iccours pour le te- fer les rai-
nir contre un fi puifllmt ennemi , ta- fons de
cha d'engager dans fon parti les Sicnois ^'^"^
à qui Florence étoit déjà fort fufpcâie. Le^fsiç,
Avant que de fe déclarer , les Sicnois nois fe
envoyèrent aux Florentins pour les dé- joignent
tourner de cette guerre en leur repré- ^'^^^^ "^
Tentant que peut-être pourroient - ils contre les
être contraints à fecourirLucques. Les Floren-
Florentins répondirent qu'ils avoient""^*
eu de bonnes railbns de faire la guerre
à Paul de Guinis parce qu'il avoit (ê-
couru le Duc de Milan *. D'ailleurs
ils'
* Voyez l'Apologie de cette Guerre dans la
quatrième Lettre du cinquième Livre des Let»
très d'Aretin.
G 5
IÔ2 PoGGiANA. Part. m.
ils témoigncrent vouloir garder inviola-
blement l'alliance qu'ils avoient faite
avec les Sienois -, Ces derniers envoyè-
rent aulTi à Venife pour engager les Vé-
nitiens à fe rendre Médiateurs entre Luc-
ques 6c Florence & pour favoir s'ils vou-
droient fecourir S;enne en cas qu'elle fût
attaquée par les Florentins. La répon-
fe des Vénitiens fut qu'étant alliez des
Florentins ils ne pouvoient pas promet-
tre du fecours contre eux aux Sienois.
Quoique les Florentins enflent promis
aux Sienois de ne point rompre avec
eux , & que les Vénitiens leur enflent
refufé du fecours en cas d'attaque, néan-
moins gagnez par l'argent & par les
promcflës des Lucquois ils prirent la
1430. rcfolution de leur envoyer du fecours
p. i68. dont ils donnèrent le commandement à
Antonio Petruccio ennemi particulier
des Florentins. Ce Général paflà le
refl:e de cette année à lever des troupes
^ à chercher des amis. Il fit lî bien
auprès du Duc de Milan qu'il l'engagea
à envoyer fecretement deux mille che-
vaux à Lucqucs fous le commandement
de François Sforce. Les Lucquois &
les Sienois prirent ces troupes à leur
folde afin qu'il ne parût p;is que le Duc
VQU-
HiST. DE Florence. Li'v. IL 105
voulût rompre avec les Florentins. A-
vant que ce fecours fût arrivé les Géné-
raux Florentins avoient mis le fîège de-
vant Lucques & Tauroit aifément em-
portée fans leur négligence & leur fé-
curité caufée par le mépris qu'ils fai-
foient de l'ennemi. Ceux de Lucques
s'étant apperçus du peu d'ordre qu'il y
avoit parmi les alTiegez firent une fortie
fi à propos qu'ils mirent en fuite un des
Généraux Florentins. La défaite au-
roit été entière fi l'autre Général étant
venu à fon fecours n'eût fait rentrer les
aflîegez dans la ville. Les deux Géné-
raux defcfperant du fuccés du fiége ré-
folurent d'attaquer la ville d'une autre
manière par le confeil d'un des habiles
Ingénieurs de ce tcms-là (a) , en y fai- (-3) ^Mx-
faut déborder les eaux de la rivière delippoBru-
Sercbia dont elle efl: baignée par lei^ellefco.
moyen d'un grand fofie & de plufieurs
ruifreaux qui fe rendoieiit dans la pla-
ce par divers endroits. Mais les ailie-
gez rendirent cette tentative inutile en
élevant vis-à-vis , des terrafles & des
digues qui repoufibient l'eau du côté
des afllégeants. Ils en furent tellement
incommodez qu'il filut abandonner le
fîège. Les Lucquois fortis de la ville,
G 4 rui-
î04 PoGGîAytA. Part. II/.
ruinèrent les travaux de l'armée Flo«
rentine , reprirent plufieurs de leurs pla-
ces ôc allèrent ravager le Florentin.
Le Duc Pendant ce tems-là les Ambafladeurs
de Milan ^q Venife & de Florence étoient à Mi-
donne le- 1 * 1 1 TA j •
cretement ^^'"^ P°^^" empêcher le Duc de rien en-
du recours treprendre en faveur de Lucques. Ce
à Luc- Prince inconftant 6c difîimulc promit
^"^^' aux Florentins & aux Vénitiens de de-
meurer ferme dans l'alliance qu'il avoif
faite avec eux &: pour les en mieux per-
fuader il fît mine de congédier les Offi-
ciers qu'il avoit encore à fès gages. Il
engagea fecretement le General Fran-
çois Sforce à lui demander la permif-
fion d'aller dans le Royaume de Na-
plcs contre le Roi Alphonfe qui fe dif-
pofoit à faire la guerre auMilanois. Ce
Général pour mieux jouer fon rôle après
avoir reçu du Duc une bonne fomme
d'argent pour lever du monde, s'en al-
la à Parme oîi feignant d'attendre fes
gens , il engagea les Officiers que le
Duc avoit fiit fe*nblant de congédier
à le fuivre fous prétexte de la guerre de
Naples. Quand il eut aflemblé une afîèz
• bonne armée , au lieu de prendre le che-
min de Naples il prit celui de Lucques.
i,^) y^nt9- / N jj ^m-j-e Général fort ennemi des
nio Pon- V / T?i
$&4ersc. flQ-
HiST. DE Florence. Liv. IL lof
Florentins, avoit déjà pris les devants
avec huit cens chevaux du Duc &
s'étoit emparé de la plupart des Forts
que Forte-Braccio.avoit pris fur les Luc-
quois. Nicolas Forte-Braccio étant ve-
nu à la rencontre de Sforce pour lui li-
vrer combat, le bâtit & reprit aifémenc
ce que les Florentins avoient de places
dans l'Etat de Lucques. Cependant Paul de
François Sforce rebuté de l'avarice & Guinis,
de l'ingratitude de Paul de Guinis qui ^""7"
lui avoit refufé de l'argent, follicité Lucoues,
d ailleurs par les Florentins à l'abandon- en eft
ner,re joignit par la permiffion du Duc f'^f ^^
avec les Sienois pour fe défaire de lui. nois'
Il y avoit d'ailleurs dans l'armée Flo- '
rentine des gens qui par des Lettres fup-
pofées animoient François Sforce &
Paul de Guinis l'un contre l'autre en
leur faiiant à tous deux de fliufles con-
fidences. Ce qui fit refondre François
Sforce de concert avec les Sienois à
porter ceux de Lucques à fe révolter
contre Paul de Guinis co.nme contre
un Tyran. L'intrigue réuffit à fouhait.
Pecruccio Général Sienois entra avec
des Soldats dans la ForterelTe fous pré-
texte de quelque négociation, prit le
106 ToGGi AiJ A. Part. IJI.
Tyran dans fon lit 6c le fit conduire I
Milan.
LesFlo- Les Lucquois ayant recouvré leur
rentins re- liberté envoyèrent à Florence pour de-
k S ^^^^n'^^^' ^^ P^^^ ^ ^^^^^ RépubUque. Mais
devant les Florentins la leur refuferent avec
Lucques. beaucoup de fierté, fe flattant de pou-
P- 2.74- voir aifément fe rendre Maîtres de Luc-
ques par la retraite de François Sforce.
Ils allèrent donc afTieger cette Ville
qui preflee par la famine n'auroit pas
pu refiftcr long-tems fans les intrigues
du Duc de Milan. Afin de n'être pas
accufé d'infidélité il engagea fourde-
Les G e- ment les Génois à prendre Lucques en
nois fe- leur protection, & à envoyer une Am-
î^"'^"' balîlïde aux Florentins pour les porter
Lucques. , ^^^^^ ^^ ^^.^^ ^^ ^^^^^^^ ^^^ y -j^^ ^^j
leur étoit alliée. Les Ambafladeurs de
Gènes furent reçus avec beaucoup de
hauteur par les Florentins. On les trai-
ta d'efclaves du Duc de Milan, & pour
toute réponfe on leur demanda s'ils a-
voient eu ordre de leur Maître de faire
cette démarche. Ils fe retirèrent fort
irritez,menaçant de taire connoître bien-
tôt s'ils étoient efclaves ou libres. En
effet aufli-tôt après leur retour les Gé-
nois
HisT. DE Florence. Z/i;. 77. 107
nois envoyèrent NicolaoPiccinino Gé-
néral du Duc de Milan au fecours de
Lucques.
Les Vénitiens cependant apprenant
les infraélions du Duc envoyèrent des
Ambaflàdeurs à Milan pour lui en faire
leurs plaintes. Il répondit avec Ton arti-
fice ordinaire qu'il n'avoit point de part
au fecours que les Génois ^avoient en-
voyé à Lucques , & que bien qu'ils
fu^nt fous fa domination ils avoient
pourtant félon leurs conventions la li-
berté d'alliller leurs amis, comme per-
fonne ne pouvoit non plus empêcher
les Vénitiens de fecourir les Florentins.
Quoique cette réponfe ne fatisfît pas
les Vénitiens, ils firent femblant de s'en
contenter jufqu'à la première occafion
d'en témoigner leur reifentiment. Ce-
pendant les Florentins continuoient le
fiège de Lucques avec tant d'incom-
modité , à caufe de la rigueui' de la fai-
fon * , que la plupart défertoient. Picci-
nino d'autre côté qui étoit campé fur
les bords de la Serchia attendoit l'occa-
fion de pouvoir pafTer la rivière pour fe-
courir la place. Les Florentins eux-mê-
mes
? C etoit au cœur de l'hyver.
to8 ToGGiAys A. Part. III.
piccininonicsja lui fournirent. Piccinino avoit
fait lever fur le bord de la rivière des bêtes de
ïe fiègede^Qj^j^ç chargées de bled qu'il deftinoit
& balles ^^^ afliegez extrêmement prefTez de la
Floren- faim. Un des Officiers (a) Florentins
^l^l'r ^"^ connoifToit tous les endroits guea-
^(a) ara- j^|^^ ^^^^ ^^ rivière amorcé par refpe-
rance de ce butin. Piccinino fans per-
dre de tems ayant fait pafler toute fa
Cavalerie par le même endroit attaqua
l'armée Florentine qui étoit en dt^r-
dre,la battit dos & ventre, mit en fui-
te tous les Officiers, & fit lever le fiè-
ge *. On n'attribua pas tant cette derou^
te à la furprife qu'à la difcorde des Gé-
néraux qui facrifierent l'armée à leurs
jaloufies particulières. Les fuiards qui
s'étoicnt retirez à Pife y répandirent
une fi grande conllernation , que fi Pic-
cinino y fût. allé fur le champ, il auroit
pu fe rendre Maître de la Ville fans coup
ferir, & piller de là tout' le Florentin.
C'étoit l'avis des Génois, mais ce Gé-
néral n'en ayant point d'ordre du Duc
de Milan fe contenta de pourvoir à la
fureté de Lucques 6c de la garantir d'un
nouveau fiëge.
Ce
* Le Général de cette armée s'appelloit Gui-,
dantonio Ieretra}}o , Comte d'Uibin, p. 2.76.
HisT. DE Florence. Liv. IL lop
Ce desaflre ne fit pas perdre coura-
ge aux Florentins qui donnèrent tous
les ordres neceflaires pour lever une nou-
velle armée. Cependant comme ils a-
voient lieu de craindre que les Sienois
ne donnalîcnt du fecours à Lucques , ils
leur envoyèrent des Ambafladeurs pour
tâcher de les en détourner. Mais les
Sienois s'étoient déjà liguez avec Phi-
lippe, avec les Génois, & avec Louis
Prince de Piombino * qui par les con-
feils de Martin V. s'étoit détaché des
Florentins fes Tuteurs 6c Tes bienfai-
teurs. La mort de ce Pape qui étoit Mort de
ennemi des Florentins étant arrivée dans Martin V;
cts entrefaites releva beaucoup leurs ef- ^ ^K^"
1, '- ' \ TT tiondEu»
perances, comme cl autre cote les Ve-gg^g iY^ '
nitiens furent fort encouragez par l'élec-
tion d'Eugène IV. leur compatriote.
En effet il ne fut pas plutôt fur le fiège
Pontifical qu'il déclara qu'il regarde-
roit comme fes ennemis ceux qui trou-
bleroient la paix de l'Italie. Il envoya
même le Légat de Bologiie à Sienne
dont il avoit été Evéque, pour détour-
ner les Sienois de prendre les armes.
Ce-
* Piombino eft une Prin :ipauîé entre le Pi-
fan & le Sienoifi fur la côte de Tofcane.
Les Flo-
rentins
recom-
mencent
le fiègede
Lacques
parle fe-
cours du
Pape.
Les Flo-
rentins re-
nouvel-
lent allian-
ce avec
les Véni-
tiens.
Carma-
gnole cft
battu par
le Mila-
nois.
1 1 o P o G G I A N A. Part. liL
Cependant il accorda aux Florentins un
fecours de mille chevaux * qui les mit
en état de recommencer le fiègede Luc-
ques pendant que les Génois infertoient
le port de Pife.
Comme le Duc de Milan ne refpi-
roit toujours que la guerre malgré l'in-
clination que le Pape témoignoit pour
la paix, les Florentins renouvellerent
alliance avec les Vénitiens , & s'aflbcie-
rent le Prince de Montf errât & Roland
Pallavîcin. Ils ordonnèrent en même
tems à Carmagnole de porter la guerre
dans le Milanois avec l'armée qu'il avoit
dans le Breilàn; mais ce Général fur-
pris dans une embulcadc par les troupes
du Tolentin ôc de François Sforce,
fut mis en déroute ôc contraint à fe re-
tirer du côté de Crémone avec le refle
de fon armée. Piccinino d'un autre cô-
té lailTant les places qu'il avoit conqui-
(ès dans l'Etat de Lucqucs s'alla jetter
dans le Pifan pour porter la terreur
chez les Florentins. De là il alla cam-
per aux environs de Voltcrra "f où il
prit
* Us étoient commandez par Michelet Cuti-
niola.
j Ville de la Tofcane dans le Pifan.
• WisT. DE Florence. Lw. IL î i i
prit plufieurs places, pendant que les
Sienois faifoient des courfès dans la Tos-
cane.
Cependant Carmagnole prefToit vi- Ilaffiegè
vement le liège de Crémone , & les Crémone,
troupes du Duc étoient fort affoiblies
par la defertion de Nicolas Tolentin,
qui avoit pris parti chez les Florentins.
Il fallut donc rappeller Piccinino de la
Tofcane pour venir au fecours du Mi-
lanois. Jamais la Fortune ne fe montra
plus riante aux Florentins. Les Véni-
tiens leurs Alliez avoient une grolTe ar-
mée fur pied, & une belle Flotte en
mer. D'autre côté Alheric Comte de
Cuni que les Sienois avoient envoyé con-
tre la Tofcane, fut battu par Mkhelet^
6c enfuite rappelle par Philippe à qui il
étoit extrêmement fufpeét. Cette prof-
perité fut néanmoins troublée par la
delcrtion d'un de leurs Généraux (a) qui (a) FortC'i
s'empara de Città di Cafiello *, ëc parBraccio.
la trahifon de Carmagnole qui laifîà bat-
tre par trois fois la Flotte Vénitienne
faute de la venir fecourir. Jamais com-
bats ne furent plus opiniâtres ni plus
lan-
. * Ville de l'Etat de TEglife au couchant de la
Tofcane.
tîz VoGGiAiJ A. Part. I/L
(ànglans que les deux qui fc donnèrenfe
La Plot- pendant deux jours confecutifs. De
te Vcni- foixante vaifTcaux qu'avoient les Véni-
tienne eft |-jgj-j5 jj j^'gj^ échapa que cinq , tout le
relie tomba entre les mains de l'enne-
mi. On en conduifit trente des plus
. grands à Pavie où Philippe fe repaiflbit
avec plaifir d'un fpeâiacle d'autant plus
agréable que les Vénitiens lui étoient
de beaucoup fuperieurs 6c en nombre
& dans l'art de la Marine.
Les Vénitiens fans perdre courage
équippent en diligence, une nouvelle
Flotte qu'ils envoyent contre les Gé-
nois pour fe venger du fecours qu'ils
La Flot-avoient donne au Duc fur le Pô. Cette
te de Gc- Flotte ne fut pas plutôt à portée qu'elle
ba«uë par^^^^^ combat à celle deGencs que com-
celle des mandoit François Spinola. La vi6toi-
Veniticns.re fut long-tems difputée, mais elle fe
déclara enfin pour les Vénitiens ,'fur tout
par le fecours des vaifleaux Florentins.
Cependant le Général Micbelet agif-
foit avec fucccs dans la Tofcane. Il re-
prit pour les Florentins plufieyrs places
de Volterra & du Pifan fur le chemin
de Florence , pendant qu'un autre de
leurs Généraux fviifoit des courfes fur
leurs Voiiïns aux environs de Lucques.
Il
tlisT. DE Florence. Liv. H. 113
Il n'en étoit pas de même dans le Mi- Perfidie
lanois. Le perfide Carmagnole laiifoit de Car-
échaper toutes les occailons d'y avan- ^ç^^ ^
cer les affaires des Vénitiens. Il eût in- fupplice.
failliblement pris Crémone, s'il eût vou-
lu faire avancer fon armée pourfoûtenir
les Soldats Vénitiens qui en av oient dé-
jà efcaladé une partie. D'autre côté
Piccinino Général Milanois , après avoir
pillé le Montferrat allié des Florentins,
prit aux Vénitiens quelques places fur
le Pô à la barbe de Carmagnole qui ne
daigna pas les fecourir. Les Vénitiens 143 2i
furent long-tems obligez de diiîimulerP«2->^<
ces trahilons de peur qu'il ne leur fit
encore plus de mal. Enfin on tint con-
tre lui un Confeil de deux cens perfon-
nes qui délibérèrent pendant huit mois
avec un fecret admirable fur la peine
qui lui devoir être infligée. Quand la
refolution fut prife on le manda à Ve-
nife fous prétexte de négocier la paix.
Dès qu'il fut proche de la Ville la No-
blefle alla au devant de lui & le con-
duifit en pompe au Palais du Duc.
Toute la journée le pafia en compli-
mens & en honnêtetez réciproques. Mais
le foir quand ceux qui l'accompagnoient
fe furent retirez, on le mit en prifon
tom. IL H où
114 PoGGi AN A. Part. IIL
où on lui donna la queftion , & ayant
été convaincu par fes propres Lettres
& par la depofition des Miniftres de fes
perfidies il eut la tête coupée dans la
place publique. Ainfi périt un des plus
grands Généraux de fon tems.
On avoit commencé à traiter de la
paix , mais le fupplice de Carmagnole
fit prendre aux Vénitiens la refolution
de continuer la guerre. On en donna
la conduite au Duc de Mantoùe 6c à
deux ou trois Sénateurs. La maladie de
Piccinino, qui avoit été bleffé d'une flè-
che empoifonnée , recula beaucoup les
affaires du Duc, les Vénitiens s'en étant
prévalus pour recouvrer les places que
Carmagnole avoit laiiTé prendre. On
n'agiflbit pas avec moins de fuccès dans
le Florentin. Le Général Tolentin , qui
étoit rentré dans le ièi-vice de Florence,
s'étant joint à Michelet ils reprirent
Les Mi- dans le Pifan & dans le Sienois les pla-
lanois ba- ces qu'ils y avoient perdues. Ils allèrent
tus près cnfuite attaquer du côté de Volterra un
terra. S^'^^ corps de Cavalerie que Philippe y
avoit envoyé pour fe jetter dans le Flo-
rentin. Cette armée fut défaite en ba-
taille rangée.
L'Empe- L'Empereur Sigifmond arriva cette
an-
HisT. DE Florence. Li-v. IL iif
année en Italie pour fe faire couronner reur Sigif-
à Rome félon la coutume de ce tems-là. ^o"'^ ^^~.
La préfênce de ce Prince donna pendant j[^|^jg ^
quelque tems de l'inquiétude aux Flo- inquiète
rentins qu'il n'aimoit pas. Sollicité par les Fio-
le Duc de Milan & par les Sienois iV^f'^l'
laiflbit faire des courfes dans le Floren- p, -^c/^.
tin aux Hongrois, aux Bohémiens 6c
aux Allemands qu'il avoit amenez avec
lui, mais ils furent diffipez fms peine
par les Florentins. Après que l'Empe-
reur eut quitté le voifinage de Luc-
ques,les Florentins allèrent mettre tout
à feu & à fing dans le Sienois, pendant
que les Vénitiens failbient dans le Mî-
lanois des conquêtes qui obligèrent le
Duc à rechercher la paix par l'entre- Le Duc
mife du Ferrarois. Elle fut conclue à ^^ ^^i'^n
■r-. 1, . • r fait la paix
rerrare d une manière avantageule pour ^vee les
les Florentins. Cependant le Duc de Floren-
Milan incapable de vivre en repos enle- ^^"^•
va au Pape toute la Marche d'x^ncone, p^Iq^/
feignant d'en avoir ordre du Concile
de Bafle. Dans ce même tems les Ro- Le papc
mains s'étant révoltez contre Eugène chaiTé de
IV. à la follicitation du Duc, il fut R^"^!.
obligé de s'enfuir de Rome deguifé en ^^^^^
Benediétin, & fe retira à Florence. De
là il alla à Bologne & à Fcrrare où il
H 2 vou-
ii6 PoGGiANA. Part. m.
vouloit tenir un Concile contre celui de
Bafle 5 mais la pelte l'obligea de le trans-
Concile ferer à Florence oii il invita les Grecs
"^ ^'^' pour travailler à leur union avec l'Egli-
lè Latine, Pendant ce tems Bologne
s'étant foulevce contre le Duc, le Pa-
pe y envoya Tes troupes avec celles des
Vénitiens & des Florentins pour la re-
Les Flo- couvrer. Ces derniers dans cette occa-
rcntins {]on furent battus par le Général Pic-
vant^Bo-" ^"^"^°- ^^ Général Tolentin fut em-
lome. mené prifonnicr ii Milan après s'être
défendu vaillamment. La République
de Gènes lafTe de la domination Tyran-
nique du Duc avoit auili fecoué le joug.
- H^^P"^ Le Duc, après avoir fait des efforts inu-
de Milan -i ' f -n- • •
viole la ^^^^^ pour la recouvrer , envoya riccnii-
paix avec no contre les Florentins fans avoir au-
les Flo- cun é2;ard à une paix qui ne fiifoit que
rentins. v^ ^ ■■ r^ r^ '^ ^ •
,^^^ G être conclue. Ce General pour mieux
p. 304 couvru" ion jeu hiiloit lemblant d avoir
quitté le parti de Philippe, & d'aller
dans le Royaume de Naples au fecours
d'Alphonfe, fur lequel le Duc de Mi-
lan avoit remporté une viftoire par le
fecours des Génois. Mais François Sfor-
ce que les Florentins avoient f<\it venir
garda il bien tous les pafiages de l'Ar-
no
HisT. DE Florence. Liv. IL nj
no * que Piccinino deferperant d'en ap-
procher le retira du côté de Lucques,
où il pafla l'hyver fort mal à fon aife.
L'année fuivante il alla à Parme afin 1437.
d'y rétablir fon armée qui avoit beau-
coup fouffert , & d'y fliire provifion de
vivres pour fecourir Lucques. Cette
Ville étoit fî vivement preflee par les
Florentins qu'elle alloit fe rendre lors-
que Piccinino arriva dans le Lucquois.
Cependant comme il ne pût approcher Piccinino
de la Ville il alla mettre le fiège devant ^^"" ^'
Barga -\ où il fut entièrement défait 03,
après un combat fort opiniâtre.
Cependant le Duc de Milan avoit
remporté plufieurs avantages conlîdera-
bles fur les Vénitiens. Piccinino leur Siège de
avoit enlevé plufieurs places dans leBergame,
Bergamasque & il tenoit le fiège devant
la capitale de ce Pais \. C'eil ce qui
obligea les Florentins à envoyer Fran-
çois Sforce à leur fecours. Il alla fe
pof-
* Rivière de la Tofcane qui baigne la Ville
de Florence.
t Petite Ville du Florentin fur la rivière de
Serchio.
1 Bergame , Ville de l'Etat de Venife à quel-
ques milles de Milan.
H 5
ïî8 Vqggïana. Parf.III.
poflcr à Rcggio * afin d'être à portée
de piller le Parmefan , ôc d'obliger Pic-
cinino à lever le flège de Bergamc
Le flège comme il fît. Le ficge de cette place
^^ *^"j, étant levé, Sforce revint à Lucques,
fevé. V^^^' ^^ ernpêchcr l'approche à Picci-
nino. Mais comme il manquoit de mon-
de, & fur tout de Cavalerie, les Véni-
tiens lui envoyèrent cinq cens chevaux
pour le mettre en état de mieux refiller
à l'ennemi.
Il y a une chofe remarquable dans ces
guerres d'Italie; C'eft qu'on ne pou-
voit jamais compter fur la fidélité des
Généraux , parce que dès le moindre
mécontentement ils le livroient au plus
offrant , & trahifToient indignement
leurs Maîtres. On l'a vu dans Augut ,
dans Piccinino , dans Rodolphe Varane ,
dans Carmagnole , & dans François Sfor-
ce , qui , comme on l'a dit , avoit quitté le
Duc de Milan pour fervir les Floren-
tins. Il étoit alors aétuellement àlaSol^
de des Vénitiens , mais comme ils refu-
ibient de le payer, parce qu'il n'avoit
pas voulu pafTer le Pô fous prétexte
de
* Regium Lepidum^ Ville de la Lombardie entre
Parme & Modene.
HisT. DE Florence. Liv. H. i ip
-jde quelque convention avec le Duc, ils François
aliénèrent tellement l'erprit de ce Gé- Sforce
néral qu'il penfoit à reprendre les inte- p"r" des
rets de fon premier Maître. On pré- Vénitiens.
tend même que les Vénitiens lui avoient
déjà donné Ton congé. Comme la per-
te d'un tel Général étoit d'une fâcheu-
fe importance, fur tout s'il prenoit le
parti du Milanois , les Florentins envoyè-
rent le Grand Cofme de Médias à Ve-
nife, oii il étoit fort confideré *, pour
tâcher de reconcilier Sforce avec les
Vénitiens. N'ayant pas réuffi dans cet-
te Ambaflade il s'en alla à Ferrare où
Eugène IV. ténoit fon Concile.
Quoique les Florentins 6c les Veni- Les Flo-
tiens fuffent alliez , il ne laiflbit pas'^^"""^
pourtant de furvenir entre eux bien des p^j^ avec
fujets de méfiance. Jaloux de l'aggran- le Mila-
difîement les uns des autres ils fe traver- ^^ois.
foient fms cefle tout autant qu'ils pou-
voient le faire fins blefîer les bienfean-
ces de leur confédération. Les Véni-
tiens
* 11 avoit été relégué pendant trois ans de Flo-
rence à Venifc où il s etoit acquis l'amitié de cet-
te République. Voyez la Lettre de confolation
que lui en écrit Pogge , & celle qu'il lui écrivit
pour le féliciter de Ion rappel. Elles ne foitt point
dattées. Po^g. o^. p. 312,, 339-
H 4
Ï20 VoGGiAiJ A. Part. III.
tiens avoient fait tout ce qu'ils avoiene
pu pour engager S force à iquitter Luc-
ques, fous prétexte de les fecourir, de
peur que les Florentins ne fe rendilTent
maîtres de cette Ville. Ces derniers de
leur côté n'avoient pu fe réfoudre qu'à
la dernière extrémité à envoyer ce Gé-
néral à leur fecours. Les Florentins
d'ailleurs étoient las de faire des guer-
res au profit de leurs voifins fans rien
acquérir pour eux-mêmes. La conquê-
te de Lucques pour laquelle ils avoient
fait tant de préparatifs ,. de dépenfcs ,
& de pertes leur avoir manqué par les
intrigues des Vénitiens. Piccinino étoit
dans la Romagne Florentine où il avoit
pris * Oriolo , ôc d'oti il fe propofoit
de pafler en Tofcane. Dans cette fitua-
tion ils ne crurent pas devoir rejetter
les propofitions de paix qui leur furent
faites par l'cntremife de Sforce après là
réconciliation avec le Duc de Milan
fous des conditions fort avantageufes.
Les Lucquois furent renfermez dans
cette paix -, Le Duc d'ailleurs ayant re-
tiré fes troupes du voifinage de la Tof-
ca-
■^ Petite Ville de l'Etat deTEglife entre Faycn-
tt ôc Modene.
HisT, DE Florence. Lh. IL iix
cane, la tranquillité y paroifToit entiè-
rement rétablie. Mais l'inconllance ôc
l'infidélité ordinaire du Duc de Milan
trompa de fi belles efperances, comme
on le verra bientôt.
Piccinino ayant quitté la Tofcane Hoftili-
alla faire des conquêtes ailleurs. Il prit te?, du
Ravenne^ Forîi^ Imola^ Bologne^ con- ^''J"ojs
tre la parole qu'il avoit donnée au Pape Vénitiens.
de le rendre maître de cette dernière p. 312.
Ville. Pendant qu'il faifoit ces acquifi- 3'4'
tions, 6c qu'il ravageoit tout le Cre-
monois , le Duc de Mantoue quitta le
parti des Vénitiens qu'il accufoit de l'a-
voir voulu empoifonner , & fe rangea
dans celui du Duc de Milan. Gatta
qui Rit mis en la place du Duc de Man-
toue enlevoit à Piccinino toutes Tes con-
quêtes au delà du Pô. Mais ce dernier
étant allé repafier le Pô à grandes
journées reprit d'abord Cazal qui ap-
partenoit alors aux Vénitiens. S'étant
joint au Duc de Mantouë, ils allèrent
dans le Brefil^i oij la crainte de perdre
leur moiffon obligea la plupart des Vil-
les à fe rendre. Cependant Gatta s'étoit
avancé du côté de Brefiè oi^i il étoit à
craindre qu'il n'arrivât quelque révolte
par les faftions des Guelphes ôc de^
^ H j- Gi-
iiz VoGGiAViA. Part. IIL
Gibelins. Mais Francifco * Barhar9
qui y commandoit pour les Vénitiens ,
fit fi bien par fa prudence, par fa fer-
■r439' meté, & par fon Eloquence, qu'il enr
p. 316. gagea les deux partis à s'unir pour leur
commune défenle. Comme de leur cô-
té Piccinino 6c le Duc de Mantouc fei-
foient de grands progrès dans le Vero-
nois 5 Gatta refblut de les aller atta-
Combat quer. Le combat dura tout le jour &
entre les ^iQ fijt interrompu que par la nuit fans
Milanois , r. ^ ^ • j 1 '^^^ -^ '.'
& les Ve- 9*^ ^^^ P^^ lavon- de quel cote avoit ete
hitiens. l'avantage. Cependant les Vénitiens mi-
rent fur le Pô une Flotte de cent foixan-
te vaillcaux pour entrer dans le Man-
touan , & obliger le Duc à venir défen-
dre fon propre pais. Ils en donnèrent
le commandement à Pierre de Lorete
qui avoit battu la Flotte Genoife.
Comme Piccinino fe difpofoit à for-
mer le fiège de Vérone pour faciliter
celui de Brefle, Gatta ayant mis bon-
ne garnifbn dans cette dernière place
alla par des chemins 'Impraticables au
fecours de Vérone ,& fit quitter à Pic-
cinino le deflein de l'attaquer. Le Mi-
la-
* On en a parlé dans la première Partie de
cet Ouvrage, pag. 76.
HisT. DE Florence. Liv. IL 125
lanois profitant de l'abfence de Gatta ,
alla mettre le liège devant Brefle. Les Siège de
afîiegez firent d'abord une fortie qui ^^^flc.^
mit de ce côté-là les aiîiegeants en de-
route 5 après en avoir fait un grand
carnage. Piccinino outré de les voir
rentrer victorieux dans leur Ville, pref-
là le fiège avec une telle vigueur que
les Citoyens delérperant de leur falut
parloient déjà de capituler j Mais Fran-
tïfco Barharo releva tellement leur cou-
rage par Tes difcours , par iîr valeur, &
par ia bonne conduite , que tout le
monde promit de périr plutôt Ibus les
ruines de la Ville que de la rendre. Il
pofta du monde dans tous les lieux ex-
pofez à quelque infulte \ Ceux dont la
fidélité pouvoit être fuipe6l:e, il les mit
adroitement dans les endroits de la Vil-
le oii il n'y avoit point à craindre de
trahifon. Il prenoit d'ailleurs un foin
particulier des malades , & faifoit
enterrer les morts aux dépens du Pu-
blic. Il fe donna pendant plufieurs
jours divers combats fanglants entre
les afîîegeants & les afîiegez qui fe y^iji^^re
battoient de deflus les ruines de leurs jçs fem-
tours 6c de leurs murailles. Les fem- mes de
mes ^i^effe.
1^4 POGGIANA. i'^r/. 7/7.
mes * donnèrent dans cette occafion un
exemple extraordinaire de leur courage
6c de leur amour pour la patrie. Elles
prirent toutes les armes , 6c fe parta-
geant en diverfes compagnies elles ne
ïè battirent pas avec moins de valeur &
d'intrépidité que leurs maris. Après
avoir eflliyé mille travaux pendant le
jour, on paObit la nuit à réparer ce que
les ennemis avoient détruit, 6c à éle-
ver des remparts qui tinflent lieu de mu-
railles. Pour furcroit de mifere , la
pefte étoit dans la Ville , 6c on y man-
quoit d'eau , l'ennemi en ayant détour-
né le cours. Piccinino voyant l'inutili-
té de fcs efforts contre des gens qui ne
pouvoient être rebutez ni par les tra-
vaux, ni par la pefte, ni par la fami-
ne , ni par le carnage de leurs Citoyens,
réfolut d'entrer dans la Vaille avec tou-
te fon armée par la ruine d'une tour.
Apres un combat furieux Piccinino
fut contraint de fe retirer avec perte
pour aller attaquer la Ville par un au-
tre endroit. Il fut reçu par tout avec
tant
* Elles avoient à leur tête une Dame de qua-
lité nommée Brayda de la Maifon des Avo^ara.
/.31Z.
HiST. DE Florence. X/i^. //. iif
tant de vigueur de la part des aflîe-
gez 5 que defetperant d'en venir à
bout 6c craignant d'ailleurs la révolte
de l'armée lalFe d'être la viélimc de fon
opiniâtreté, il fallut qu'il levât enfin le picaninâ
fiége au mois de Décembre, le conten- levé le ^
tant de laifTer quelque Cavalerie dans^iègede
les places qu'il avoit prifes, afin d'em- ^^^^5
pêcher qu'il n'entrât des vivres dans la
Ville. Il prit encore dans cette vue
d'autres précautions qui furent rendues
inutiles par la merveilleulè induftric des
Vénitiens , qui en coupant Se forêts *
6c montagnes , trouvèrent moyen de
faire tranlporter fur le Lac de Garde
des vaifieaux chargez de grain pour ra-
vitailler Brefle.
Quoique cette campagne eût été a»
vantageufe aux Vénitiens ils ne s'en-
dormirent pas pourlafuivante. Le Duc
de Milan leur étoit fuperieur en forces,
& ils ne doutoient point qu'au prin-
tems il ne vînt attaquer Vérone ou Vi-
f^«^(?, comme il le fit en effet. C'ell: ce
qui leur fit prendre la réfolution d'avoir
re-
* Voyez la defcription de ce tranfport. PcggCy
Hift. Florent, p. 317. 3Z8. L'invention en étoit
due à un Ingénieur de Crète nommé ^arhle.
îi6 PoGGiANA. Part. III.
recours aux Florentins, pour faire re°
venir François Sforce à leur fecours 6c.
de renouveller leur alliance enfemble,
ce qui s'exécuta parl'entremifed'Euge-
Piccininonc IV. Cependant Piccinino refolut
âffiége d'entreprendre avec le Duc de Mantouë
ment Ve- ^^ fiégc de Vérone avant que Sforce
tone. pût la lecourir. Mais à peine le fîcge
étoit-il formé, que l'arrivée de ce Gé-
néral l'obligea de ie retirer avec fon ar-
mée, content d'avoir pris des mcfures
pour lui couper tous les paflàges de cette
place.
Sforce après avoir repris làns beau-
coup de peine la pliipart des places du
Veronois & du Vicentin s'alla camper
fur les bords de l'Adige pour être en
état de fournir des vivres à Brefle, ex-
trêmement preflee de la faim , aufîî bien
que de la pefte. Piccinino ne negli-
geoit rien pour empêcher qu'elle ne
fût fecouruê. Il bâtit même une petite
Efcadre que les Vénitiens avoient fur
le Lac de Garde pour envoyer des vi-
vres à cette Ville. Mais cette Efcadre
fut bientôt reparée par la diligence de
Sforce qui occupa toutes les places qui
environnoient le Lac. Pour s'oppoier
à ces conquêtes Piccinino s'alla camper
à
HiST. DE Florence. Lîv. IL 1 27
à l'extrémité du Lac qui regarde le u eft bat^^
Trentin. Après plufieurs Efcarmouches tu par les
on en vint enfin à un combat décifif où "^^î^cn^
Piccinino fut défait , 6c mis en fuite *.
Le Général Milanois voyant qu'il ne
pouvoit tenir contre Sforce , quitta le
Lac & s'en alla à Vérone dont il fc
rendit maître par la trahifbn des habi-
tans. Sforce étoit alors dans le Trentin li prend
occupé à reprendre des places qui s'é- Vcronc,
toient révoltées. Dès qu'il eut appris
que Piccinino s'étoit emparé de Véro-
ne, il alla en diligence avec fon armée
pour la recouvrer , traverlant avec une
fatigue incroyable des montagnes tou-
tes couvertes de neige j fon arrivée re-
pandit la joye dans la fortereiïë qui te-
noit encore. Cependant les ennemis
fortirent de la Ville pour lui livrer com-
bat. Piccinino fut battu encore une
fois, 6c obligé de fe retirer la nuit avec
îeDuc deMantouë. Sforce après avoir çforceW
recouvré Vérone s'en retourna fur le recouvre.
Lac de Garde , 6c y fit équiper une après a-
Flot- "^^'^ ''^"^
Piccinino,
* Quelques Hiftoriens difenr , qii'afin ou'il
ne fût pas pris priionnier un Soidat l'emporta' fur
fes épaules dans un fac comme fi c'eût été des
hardes. p. 334.
Ï440.
p. 338.
339-
Perfidie
du Cardi-
nal Vitte-
lefchi Lé-
gat de
Florence
à l'égard
des Flo-
rentins.
128 P o G G I A N A. Part. ni.
Flotte pour faire entrer dans BrefTe des
munitions de guerre & de bouche. Pic-
cinino chailé de tous cotez réfolut de
repaffer le Pô pour aller en Tofcanc
dans refperance que les Florentins rap-
pelleroient Sforce à leur fecours , fur
tout dans une conjonéture où ils en a-
voicnt grand bcibin, ayant un redou-
table ennemi dans la perfonnede Jean
Vitelkfchi , Cardinal , Légat de Flo-
rence , 6c favori du Pape.
Les Florentins av oient donné à ce
Prélat vingt mille écus d'or, à condi-
tion que pafTànt l'Apennin avec les
troupes il iroit les fecourir eux & les
Vénitiens, contre Philippe Marie. Mais
au lieu de faire cet ufage de leur argent,
il l'employa à aflieger Foligno *. Les
Florentins s'en étant plaints au Pape
s'attirèrent l'indignation du Cardinal j
qui d'ailleurs en vouloit à François
Sforce parce qu'il l'avoit chafle de la
Marche d'Ancone. Il traita donc à l'in-
fu du Pape avec le Duc de Milan à
condition qu'il envoyeroit Piccinino
attaquer Florence , qu'il ne croyoit pas
en
* Ville de l'Etat de l'Eglife dans le Duché de
Spolctc. Elle appartenoit aux Florentins.
ttisf. fiE Florence. Lh. IL 1 10
en état de fe défendre -, On découvrit
par des Lettres interceptées que fon
dcflein étoit de faire mourir Eugène IV.
ôc de fe faire élire Pape après avoir
dompté les Florentins ; mais ces der-
niers prévinrent fes mauvais defîcins. Un Ce Car«
jour qu'il étoit forti de la Ville il fut dinal
arrêté 6c reçut même un coup dont il ^'^-}^^^ .
mourut peu de jours après. Cependant
Piccinino entra dans le Florentin avec
quantité de profcrits de cette Républi-
que qui lui fervoicnt de Confeil contre
leur Patrie. Les Florentins avoient
alors peu de troupes & ils étoient li
prefTez de la faim que (î le Général Mi-
lanois avoit voulu profiter de l'occafion
qu'il avoit de leur couper les vivres au
lieu de s'amufer à piller, il auroit pu
fe rendre maître de la Ville , fans beau-
coup de peine. Mais l'alliance qu'ils fi- Les FIo-^
rent avec lePape,au(îi bien que les Ve-rentias
nitiens, contre le Duc de Milan mit les ^ ^^^'^"^
uns & les autres en état de lui refifler.p^pe con-
La mort de Vitellefchi donna beau- tre le Mi-
coup d'inquiétude à Piccinino parce '^"oi**
qu'il avoit compté fur les troupes de
ce Cardinal. Il ne fe fentoit pas affez
fort avec les iiennes , êc il avoit honte
de reculer. " If prit donc le parti d'aller:
l'o/n. IL I dans
130 PoGGiAN A. Part. IIL
dans le Cafentin * dont une partie étoit
Trahifon occupée par le Comte François de Pop*
du Comte^i ^ que les exilez portèrent à fe revol-
Poppi. ^çj. çQj^i-j-e les Florentins en lui promet-
tant de lui donner tout ce territoire.
Pendant que Piccinino s'amufoit à de
petites captures , il donna le tems aux
Florentins de fc renforcer. Les trou-
pes du Pape commandées par Louis \
Archevêque de Florence , arrivèrent
dans l'Aretin oli elles furent jointes par
celles des Florentins. D'autre côté
François Sforce ayant pafTé le Mincio
reprit toutes les places que Piccinino
avoit conquifes fur les Vénitiens 6c rem-
porta plufieurs avantages fur Tennemi.
Après la jonftion des troupes Flo-
rentines & de celles du Pape on réfolut
de marcher contre Piccinino qui s'étoic
rendu maître de Peroufe ^ qui fe difpo-
foit à afîieger plufieurs autres places.
L'armée Florentine campa du côté de
Borgo di San Sepulcro \ , où Piccinino la
vint joindre à grandes journées. Les
ar-
* Petit pais de la Tofcane à l'Orient de Flo-
rence.
j Louis Mediarota. Il fut depuis Cardinal.
^ Ville de la Tofcane fur le^ Tibre à douze
lieues de Florence.-
HisT. DE Florence^ Liv: IL xi, \
armées étant en préfence , on fe battit
long-tems avec un avantage à peu près
égal i mais la Cavalerie de Piccinino piccinino
ayant plié, toute fon armée fut défaite, battu par
& il prit lui-même la fuite. Ce Gêné- ^^^ ^J.^"'
rai fut fi honteux & fi mortifié de cet- p" ^
te défaite qu'il voulut par deux fois fe des Flo-
paller fon épée au travers du corps, 6c rentins*
il l'auroit fait s'il n'en avoit été empê- Jf^lf*
. , r r\ -1 . . r tourne à
che par ion fils qui ne le quittoit point. Milan»
Il s'en retourna à Milan ou il avoit été
rappelle plufieurs fois par le Duc dont
les affaires alloient en décadence. Pic-
cinino difoit lui-même que c'en étoit
fait de Philippe fi les Florentins avoient
retenu les Officiers & les Soldats vété-
rans qu'ils avoient pris prifonniers , au
lieu de les renvoyer, comme ils firent.
Après cette viétoire, l'armée marcha
dans le Cafentin , 6c en reprit toutes
les places. Le Comte de Poppi fut affie*
gé dans fà propre ville 6c obligé de fe
rendre, trop heureux d'avoir obtenu la
vie 6c la liljprté après une fi infignetra-
hifon *. Piccinino cependant leva
prompt
* Ce fut le dernier d'une famille très-noblè
& très- ancienne qui avoit fleuri en Italie pendatii
4G0. ans. p. 350.351.
I %
t^z VoGGJAt^ A. Part. IIL
promptement une armée pour tâchei'
de relever le Duc des pertes qu'il fai-
foit tous les jours par les conquêtes de
144 1. Sforce. Il entra en campagne dès le
P-353* commencement de l'année, enleva fur
rOglio plufieurs places aux Vénitiens,
pendant que François Sforce demeu-
(a)Dansle î"oit fms rien faire à Pefchiera (a) amu-
ycronois. fé par des efperances de paix. Dès qu'il
eut appris les progrès inopinez de Pic-
cinino il raffembla au plus vite fes trou-
pes difperfées en diverfes villes pour hi-
verner.
Le Duc Pendant ce temps-là le Duc de Mi-
dc Milan j^j-j p^^j. f^jj-g diverfion traita avec Al-
traiteavec,- r t» • j tvt 1 t
Alfonfc ^^^^^ ^°^ ^^ Naples pour 1 engager a
Roi de reprendre dans la Pouille plufieurs pla-
Naples. ces que fon Père y avoit pofi^edées, 6c
qui appartenoient alors à Sforce , efpe-
rant qu'il viendroit les défendre. Alfon-
fe n'eut garde de manquer cette occa-
fîon i mais Philippe n'en profita pas.
Sforce aima mieux perdre {ç:s propres
Villes que de diminuer ies troupes pour
les aller fecourir. Il marcna avec une
armée de vingt cinq mille hommes à
Cignano * bourg du Brefian oii étoit
Pic-
* A douie milles de Brefle,
HiST. DE Florence. Liv. IL i j ^
Piccinino avec treize mille feulement.
Quoiqu'il s'y fût fi bien fortifié qu'on
ne pouvoir l'attaquer fms grand dan-
ger , Sforce ne laifili pas de lui livrer Combat
combat -, mais comme il perdoit beau- ^"^''^ 1^.^
coup de monde , parce que l'ennemi ^ 'le," vc-
avoit rendu les chemins impraticables il nitiens.
aima mieux faire une retraite honora-
ble que de- hazarder fon armée, con-
tent d'avoir forcé les retranchemens de
Piccinino, & de l'avoir réduit à la ne-
celîîté de combattre. Une aétion de n t,
j ,, Belle re*
cette vigueur donna une telle reputa- traite de '
tion à Sforce qu'on fe rendoit à lui de Siorce.
toutes parts. Il étoit occupé au liége
d'une place* importante dans le Berga- * Marti-
mafque, lorfqu 'ayant reçu la nouvelle '^^"i"»
d'une trêve conclue entre le Duc & Trêve
les Vénitiens, il leva le fiëge 6c mit bas, *^*^ ^^
les armes. Ce fut un grand plaiiïr de
voir ces deux Généraux s'embrafîér
cordialement 6c fe féliciter l'un l'autre
de leur bravoure , après s'être battus
avec tant d^nimofité. ; ;^ '
La paix fuivit de près la trêve. Cha-
cun rentra en pofTeflion de ce qu'il avoit
perdu , les Génois furent compris dans
l'alliance, 6c François Sforce eut Cré-
mone , le Cremonois ôc Pontremo*
i^4 VoGGiAvi A. Part. m.
François le ^ ^ pour la dot de Blanche fille du
Sforce Duc de Milan qu'il èpoufa auffi-tôt a-^
fiiie^du * p^^^ ^^ p^^^* ^^ "'y ^^^ ^"^ ^^ ^^P^ ^^^
Duc de ne trouva pas fon compte à ce Traité
Milan ,& quoiqu'il y eût (ts Légats > Il fe plai-
*:rahi g^^j^ hautement de ce qu'on ne lui avoit
par
beau-pere.pas rendu Bologne & les autres Villes
de la Romagne , & il s'en prenoit à
Sforce qui avoit été l'arbitre de cette
paix. On prétend néanmoins que Sfor-
ce fit ce qu'il put pour faire avoir Bo-
î44i. logne à Eugène IV. mais que Philippe
F- 3 59' qui ne demandoit pas mieux que d'avoir
une occafion de brouiller, n'y voulut
jamais confentir. Quoiqu'il en fbit,
Sforce s'en alla avec fa nouvelle époufe
dans la Marche d' Ancone dont il pofle-
doit une grande partie, ne s'attendant
pas, après une paix fi folemnelle , d'y
être pourfuivi par les intrigues de Phi-
lippe fon beau-pere.
Ce Duc , à qui fon gendre étoit fufpeét
parce qu'il favorifoit les Vénitiens, fît
?444' propofer au Pape de l'en chafler , lui
offrant pour cela des troupes 6c de l'ar-
gent. Le Pape irrité contre Sforce de
ce
* Petite Ville dans la Tofcane fur les confins
(de Gçnes & de I^rme,
HiST. DE Florence. Zz^'. //. 135*
ce qu'il n'avoit pas eu Bologne, à ce
qu'il prétendoit p^r la faute de ce Gé-
néral, n'eut pas de peine à fe refoudre à
faire éclater fon refîèntiment. Pour en
venir à bout il s'allia avec le Duc , 6c
avec Alfonfo Roi de Naples qui crai-
gnoit que Sforce ne vînt reprendre les
places qui lui avoient été enlevées l'an-
née précédente. Alfonfe vint dans la Sforce eft
Marche d'Ancone,en chafTa Sforce, ^cf^'^^Jj^^^^
la reftituaauPape. Eugène non content d'Ancone
de cette acquiiîtion méditoit la guerre par le Roi
contre les Florentins qu'il accufoit d'à- ^.^ ^'*"
voir donné du fecours à Sforce contre
lui. Il fembloit pourtant qu'ils duffent
être quittes de leurs allarmes par la mort Mort
d'Eugène IV. arrivée en 1446. 6c par^'Eugene
celle de Philippe Duc de Milan en {7'^'^'»
• -1 j 1 T> .Duc de
1 447. mais ils trouvèrent dans le Roi Milan.
de Naples un ennemi auquel ils ne s'at-
tcndoient pas.
Ge Prince qui étoit à Tivoli * , * avoit Alfonfe
été en fufpens après l'éleétion de Ni-j^"^^}^^
colas V. s'il fe retireroit, ou s'il pouf- j-g^tins
ferpit le projet d'Eugène contre les par le Sic-
Florentins. Dans cette fituation deux"^^^-
c:„_ 1447.
^^^ p. 60.
* Ville de la Campagne de Rome à feizc mil-
les de cette Capitale.
14
1^6 PoGGIANA. P^r/. ///. -
Sienois * mécontens, l'étant allé trou-
ver lui periliaderent d'attaquer Floren-
ce par Sienne , dont ils s'engageoient
à le rendre maître. Il arriva en même
tems que le Général Simonette quitta le
parti des Florentins pour prendre celui
du Roi , ce qui redoubloit (es efperan-
ces. Elles furent pourtant vaines i les
Sienois lui reluferent l'entrée de leur
Ville , laiflant feulement à fon armée
la liberté de prendre des vivres dans le
Pais, pour aller enfuite piller le Flo-
rentin. Les Florentins fe voyant ainfi
attaquez à Timprovifte prirent toutes
les mefures néceflîures pour fe défen-
dre. Ils levèrent en diligence des trou-
pes pour garder leurs frontières du côté
des Sienois & appellerent à leur fecours
i7W<?r/V Comte d'Urbin leur ami 6c leur
allié, qui vint promptement avec mille
chevaux 6c huit cens fantalîins. Alfonle
ne fit autre chofe cette année que de
prendre quelques places de peu d'impor-
tance fur le Florentin , & fe retira en
quartier d'hiver à Piombino place -)" que
Re-
* L'un d'eux ctoit Antonio Pctruccio, ennç-^
STii des Florentins.
f Place maritime entre le Sienois & le Pifan,
fgus la proteâion dçs Floientins,
HisT, DE Florence. Liv. II. 1 37
Renaud des Urfins qui y commandoit i44§.
avoit très-bien munie de toutes chofes
par le fecours des Florentins qui y a-
voient envoyé des troupes par mer 6c
par terre. Après avoir paflè tout l'été
à ce fiège, il fut enfin obligé de le le-
ver, &; de s'en retourner à Naples avec
les foibles refies de Ton armée. L'année ^,,^
fuivante par l'entremife de Nicolas V. p. 366,
on fit une paix qui ne dura pas long-
tems.
Le Duc de Milan étant mort fans
cnfans , oc les Milanois ayant recouvré
leur liberté, ils ne penfoient qu'à vivre
en repos , lorfqu'ils furent attaquez par
les Vénitiens qui jugèrent l'occafion
favorable pour s'emparer de la Gaule
Cifalpine. Ils y avoient déjà pris Plai-
fance ôc Lodi , par le moyen des Guel-
phes qui leur livrèrent ces villes. Dans
cette extrémité les Milanois appelle-
rent à leur fecours François Sforcc qui
étoit dans leur voifinage. Ce Général
mit d'abord le liège devant Plaifance
où les Vénitiens avoient mis une forte
garnifon &: fait bâtir deux Citadelles.
Il la prit en un feul combat dans lequel Sforce
}1 manqua d'être tué parce quefonche- Fend
val étant tombé fous lui il étoit accablé fj 'les Ve^
I S denitiens,
138 l^oGGi AN A. Part. III.
de pierres & de flèches. Enfuite ayant
pafle l'Addc il bâtit & mit en déroute
l'armée des Vénitiens devant Caravag-
gio *. Après cette viétoire il fe difpo-
foit à prendre Brcfîè que les Vénitiens
n'étoient plus en état defecourir. Mais
les Milanois eux-mêmes craignant que
Sforce devenu trop puifTant ne les op-
primât, empêchèrent lécretement qu'il
ne tlt cette conquête, La mésintelli-
gence s'étant mile entre eux 6cleur Gé-
néral , les Vénitiens en profitèrent pour
traiter avec lui. Ils lui promirent, ou-
tre la Ville de Lodi , treize mille écus
d'or par mois pendant trois ans , 6c trois
mille hommes de Cavalerie s'il vouloir
Sforce le déclarer contre les Milanois. Sforcé
reprend touiouis inconltant accepta le parti, 6c
le parti ,/ •* • ^ 1 ' j r " ^ -i 1
des Veni-^ étant mis a la tête de les troupes il al-
tiens. Les la former le fiège de Pavie "f , efperant
Milanois d'en venir aifément à bout parce que
&les Ve- 1 / . ,/. ^ ^ r
ritiens fe ^^^^^ place etoit déjà extrêmement prel-
liguent fée de la faim. Mais les Vénitiens ai-
contre lui, merent mieux fe liguer avec les Mila-
nois contre Sforce, que de lui laiflér
fai-
* Bourg du Milanois célèbre par cette victoire.
I Pavie Capitale du Pavefc à quelques mil-
les de Milan,
HiST. DE Florence. Lîv. II. i^p
faire une conquête de cette importan-
ce.
Une fî puifTante Ligue auroit réduit Sforce
en fumée les projets ambitieux de Sfor- PF^"^ ^^'
ce fans le fecours de Cofme de Médias fecours de
l'un des plus grands Capitaines, & une Cofme de
des meilleures têtes de fon tems. Encou- Medicis ,
X ^ ^1 -M ■ ^ r^ oc devient
rage par un tel appui , il continua le lie- y^^^ ^^
ge de Pavie & prit enfin cette Ville Milan.
par compofition. Cette conquête le 1449.
rendit maître de tout le Milanois. 11 P"^ ^^^'
s'en mit en polTeflion , & prit le nom
de Duc de Milan. Les Vénitiens allar-
mez d'un voifinage fi redoutable réfo-
lurent de faire alliance avec le Roi de
Naples &: avec les Florentins , s'ils vou-
loient y entrer, afin de chafler Sforce,
& de joindre le Milanois à leur Etat.
Cofme de Medicis qui avoit la princi- Les Flo-
pale autorité à Florence, voyant bien rentins rc-
que les Vénitiens ne recherchoient l'ai- ^"^^"^ ^^
liance des Florentins que pour s'aggran- ^,^^(1 j^g '
dir dans l'occafion à leurs dépens fit ré- Vénitiens.
pondre à l'Ambalïïidcur de Venife que
tout étant en paix il n'étoit pas befoin
de faire de nouveaux Traitez. Les Vé-
nitiens irritez de cette réponfe firent
chafier par un Edit public tous les Flo-
rentins de leur Ville , & le Roi d' Arra-
gon
r^o VoGGi AN A. Part. III.
gon en fît de même à leur follicitation.
Les Florentins ne dévoient pas être fur-
pris de cette démarche des Vénitiens
puifqa'ils av^oient donné du fecours à
Siorce, 6c qu'ils ravoi:"nt félicité de la
nouvelle dignité par une Ambaflade.
145 1. Cependant ils envoyèrent des Arnbaiïâ-
deurs pour s'en plaindre comme d'une
rupture & pour faire en même tems
des propofitions de paix. Mais ces x\m-
balllideurs ne furent pas même écou-
tez , fous prétexte que les Vénitiens
étant en alliance avec le Roi de Na-
pies, ils ne pouvoient traiter avec pcr-
fonne à fon infu.
Guerre ^^ fallut donc fe préparer à une nou-
entre les velle guerre. Pour en foûtenir le poids
Florentins jes Florentins par le confeil de Cofme
. .^" ' de Medicis dont l'avis l'emporta, re-
nouvellerent alliance pour dix ans avec
le nouveau Duc de Milan. D'autre
côté les Vénitiens avoient pour Con-
fedcrez le Roi de Naples, & les Prin-
ces de Savoy e , du Montferrat & de
Carpi *. Le Roi d'Arragon devoir at-
taquer les Florentins pendant que les
Princes qu'on vient de nommer agi-
roient
* Principauté dans le Duché de Modene,
HisT. DE Florence. Liv. II. 141
roient contre les Milanois. Ayant donc
aflemblé leur armée ils allèrent d'abord
attaquer le Cremonois dans le tems de
la moifîbn. Mais Sforce après avoir
pris plufieurs places fur les Vénitiens
& avoir pafTé l'Oglio avec Ton armée
marcha contre eux dans le deflein de
leur préfenter le combat. Se Tentant
trop foibles pour l'accepter, ils s'allè-
rent retrancher entre Brelîè & Berga-
me dans des marais où Sforce ne pou-
voit pénétrer. Apres avoir pris plu-
lîeurs Villes dans le BrelTan Sforce s'alla
camper vis-à-vis des ennemis pour tâ-
cher de les attirer au combat , mais il
n'y eut pas moyen de les faire ïbrtir de
leurs retranchemens. Alexandre Sforee
frère du Duc fit même dans cette Cam-
pagne une perte aflez confiderable. E-
tant parti pour aller à Lodi avec mille
chevaux dans le deflein de couvrir ce
païs-là 5 il fut furpris en chemin par
une embufcade. Une partie de fa Cavale-
rie fut taillée en pièces ou faite prifon-
Riere. Le refte s'échapa comme il put.
Mais il fe vangea bien tôt de cet affront.
Ayant fu que les gens qui l'avoient LesVe»
furpris s'étoient retirez dans des lieux "^^'^"^
marécageux 5 il raflcmbla autant de tus paf îc
mon- Milanois.
Les Flo-
rentins
attaquez
par les
Napoli-
tains 8c
par les
Vénitiens
ont re-
cours au
Roi de
France.
142 PoGGtA^TA. Part. m.
monde qu'il put , 6c ordonna aujc
gens de pied de prendre avec eux des
fagots de (arment & d'arbuftes pour
pou voir jetter dans le marécage. L'ayant
pafle pendant la nuit ils trouvèrent les
ennemis endormis & mirent le feu dans
leurs tentes. La pl^.is grande partie fut
mifcrablement confumée dans les flam*
mes,& les autres s'enfuirent nuds& fans
armes. Alexandre ravi d'avoir fi bien
pris fa revanche s'en alla rejoindre le
Duc fon frère.
Cependant le jeune Ferdinand * fils
d'Alfonfe Roi de Naples étoit dans le
Florentin avec une armée d'environ
quinze mille hommes occupant plu-
fîeurs places ôc faifant de grands dégâts
par tout le pais. D'autre côté la Flote
d'Alfonfe faifoit des conquêtes mariti-
mes. Les Florentins avoient de bons
Généraux , mais trop peu de troupes
pour pouvoir réfîfter à l'effort des Vé-
nitiens 6c des Napolitains joints enfem-
ble, d'autant plus qu'ils ne pouvoient
ti-
* Ce Prince commandoit fous Frédéric Com-
te d'Urbin. Il faut ou que ce dernier eût change
de parti, ou que ce fût un autre qui portât les
mêmes noms; C'eft à celui ci que le fils de Pog-
gc dédia rHiftoire Florentine de fon père , comme
on l'a dit dans la première Partie de cet Ouvrage,
HisT. DE Florence. Lh. IL 143
tirer aucun lecours du Milanois occupé
à défendre fon propre païs. Ils envoyè-
rent donc des Ambafladeurs (a) à Char- (a) Ange-
les VII. Roi de France pour lui deman- î^ ^'^^*'
der du fecours, lui offrant de leur côté pra^ncifco
de l'ailifter à mettre René d'Anjou enVenturio.
poflèfîion du Royaume de Naples. Cet-
te Ambaflade ne fut pas inutile. Car le
Roi de France apprenant que le Duc de
Savoye fe difpofoit à aller attaquer le Mi-
lanois envoya en diligence douze mille
chevaux menacer le Duc de lui déclarer
la guerre , s'il ne mettoit bas les armes.
Le Savoyard intimidé par cette dé-
claration , laifla le Milanois en repos
ou 5 au moins , ne le traveifa qu'indi-
reftement, comme il fit, en obligeant Palavic;
René d'Anjou à changer de route pour L.. VI.
aller en Italie. P;3i^.
L'Année fuivante René d'Anjou , & René
cnfuite Louis Dauphin de France étant d'Anjou
entrez en Italie pour fecourir le Mila- ^ "^,^^ ^^
nois 6c les Florentins , les Vénitiens fccounr""^
penferent aux moyens de terminer la les Flo-
guerre. Comme ils fe tenoient tou- rentins.
jours retranchez dans leurs Marais du
Breflan , François Sforce les avoit inu-
tilement provoquez au combat pendant
tout l'été. Mais enfin comme ils man-
quoient
t44 VoGXiiAt^ A. Part. I/I.
quoient de vivres & qu'ils craignoient
d'ailleurs d'y être forcez par deux ar*
mées qui les tenoient prefque inveftis,
ils prirent la réfolution d'aller dans le
Veronois, près du Lac de Garde. Cet-
te retraite donna occafîon au Duc de
Milan de recouvrer quantité de places
dans le Breflan , 6c fans la rigueur de la
faifon il auroit pu reprendre BrefTe mê-
me. Les Florentins ayant de leur côté
levé une bonne armée avoient repris la
plupart des Villes 6c des Forts qui leur
avoient été" enlevez par les Napolitains.
Il quitte Cependant René d'Anjou quitta l'Italie
^^ ^^' pour s'en retourner en France au grand
regret du Duc de Milan. Pour les Flo-
rentins, ils n'en furent pas aufîi fâchez.
Ils avoient recouvré prefque tout leur
païs, &il n'étoit pas de leur intérêt que
le Duc de Milan devînt trop puifTant.
Toutes les troupes de part 6c d'autre
étoient en quartier d'hy ver oîi on ne ref-
piroit que la fin d'une guerre dont la plu*
part étoient las. Nicolas V. profita de
cette difpofition pour tâcher de pacifier
l'Italie dans le defiein d'envoyer du fe-
cours aux Chrétiens contre les Turcs.
Il fe fit donc envoyer des Ambafiadeurs
de chaque part pour en traiter. Mais
le
HiST. DE Florence. Liv. IL I4f
le Roi Alfonfe en parut fi éloigné, &
faifoit des propolitions fi derailonnables
au gré des uns & des autres, que pour lors
on ne put rien conclure. Un Religieux
Vénitien , nommé Léonard Camerte , fut
plus heureux que le Pape dans cette ne-
gotiation. Les Vénitiens jugeant bien
qu' Alfonfe ne cherchoit à prolonger la
guerre que pour s'aggrandir aux dépens
de Tes voifins , envoyèrent à Ion intû
ce Moine au Duc de Milan pour fonder
fès intentions fur la paix ou fur la guerre.
Léonard trouva le Duc difpofé à la paix j
Il en régla (ecretement avec lui les con-
ditions par ordre des Vénitiens. Quand
on fut convenu de tout ils envoyèrent
à Milan Paul Barbe (a) neveu du Pape , 1454.
pour en traiter publiquement, de con-P- 3S^-
cert avec les Florentins qui avoient aufli i^^"^?^^.
un Ambafladeur à Milan. Cette paix fut le Duc de
conclue au mois d'Avril de 1 4^4. à con- Mihn ,
dition que chacun reprendroit ce qu'il ^" ^'^^'"
pofledoit avant la guerre &quc les exi-j^g ^[0-
lez 6c les priibnniers rappeliez & misenVentins
Liberté rentreroient dans leurs biens. On ^'^^''^ '-^
envoya cependant des Ambaffadeurs de|^^|^^^^^^-_
part & d'autre au Roi de Naples pourfc duP>
Tom. LL K luipe.
(a) Frère de Pierre Barbe qui fat depuis Pauï
Ibus k nom de Paul II.
r4'5 P o G G 1 A N A . Part. III.
lui donner avis de ce qui s'étoit paflc. Le
Pape qui de fon côté deiiroit ardemment
d'aller au devant de tout ce quipourroit
troubler une fi heureufe union, envoya
le Cardinal Capranka^^ct Monarque,
pour l'engager à s'y joindre. Alfonfe qui
ne rcfpiroit que la guerre, Se mécontent
d'ailleurs d'avoir été négligé dans la paix,
fut long tems combattu. Mais il feren-
1455. dit enfin aux raifons ^auxinftancesdes
Ambafiadeurs. La paix fut donc confir-
mée à Naples , fous les mêmes conditions
qu'à Milan, à la réferve de quelques pe-
tits changemens qu'on y fit en faveur
d'Alfonfe. Machiavel rapporte qu'il fe
réferva la liberté de faire la guerre aux
Génois-, à Sigif^nond Malatejta , & à
JJlor Prince de Fayence. L'événement
fit voir que cette clauCe n'étoit que pour
laifler des femences de guerres en Italie.
Le Pape entra dans cette alliance en qua-
lité de Médiateur & d'Arbitre &: il fut
refolu qu'il feroit Juge des démêlez qui
pourroient furvenir entre les Alliez 6c
que perfonne ne prendroit les armes
fins fon confentement *.
» ici finit l'Hiftoire Florentine de Pogge qui fur-
vecut quitte ans à cette paix. On peut en voir la luitc
tiausTHiftoireFlorcntiiiedeNicolas Machiavel.
FIN de la III. Part. ^f« P o G G i a n a.
POG-
POGGIANA.
Quatrième Partie,
Contenant les bons Mots de P o g-
G e é^ des Hommes lUuflres
de fin tems.
K 1
AVIS
Sur les bons mots de P o g g e.
^^^î^ Es Recueils de bons mots font
pà T ip crim ufage fort ancien. Il a
^^fjTJi^^ paffé des Orientaux aux Grec s ^
i§ des Grecs aux Romains,
fuies Ce far avoit fait un Livre ^'Apo-
phthegmes , ou il marquoit foigncufe-
ment les bons mots de Ciceron. Ce feroit
une chofe bien curieufe de voir un Cice-
roniaiia de la façon de ce Héros qui ne fe
diftingua pas moins par les belles Lettres
que par fa valeur. Audio Ciciarem, cum
volumina jam confecerit à^cCpôcyf^ftTwv, Epid, ad
Il quod adferatur ad eum pro meo, quod &"V'' ^•
meum non fit, rejicere iblere. Comme ^^^' ^'
Céfar a pa£e pour un homme judicieux
^ de bon goût ^ peracre judicium, ces
mots fer oient apparemment mieux choifis^
que ceux qu^ avoit recueillis V affranchi de
Ciceron^ dont ^lintilien dit ^ ^/^'// y^- Quint. L,
7'Qit à fouhaiter^ qu'il n'en eût pas mis ^•^* '^'
K 3 en
ifo AVI S.
en fi grand nombre , 13 qii'il eût fait pa^
Yoitre plus de jugement dans le choix ,
que de travail dans la compilation. Les
bons mots de Ciceron dévoient être fort
plaifans^ car il et oit grand rieur.
On apprend de Suétone^ qu'Hun certain
Grammairien .y nommé Caïus IS'IelKTus,
Efclave de Mécénas , avoit fait plufieurs
volumes de bons mots , fous le titre de
Libelli Badincrics, ou.^ Plaifanteries, que Mon-
ineptia- ji^j^.. ^/^ /^j Monnoye a appelle , le Soti-
Her de Melifius, norn qu'il donne aufji
aux bons mots r/'Hieroclès. Si ces Re-
cueils fubfifloicnt encore , je les termine-
rois en Ana, 6? laijjcrois au peuple de
Paris [on Sotilîer. Monfieur de la Mon--
mye ne nous apprend pas quiétoitcet Hic-
r oc lès y dont il rapporte un Conte en fort
Vie jolis vers François. M. Daeier , qui en a
d'Hiero- traduit q:ielques mots fort ingénus ^ le
clés p. (^)-Qit différent du Philo fophe , Commen-
tateurde pythagore y appuyé fur la dif-
férence du file.
Suétone nous apfrend un peu plus de
Suet. de nouvelles de Melifins. Voici ce qu^il en
Illuftiib. dit. Cétoit un Gentilhomme de Spolete^
Gram- ■^. ^^^^ ^ eau le de la mesintcllizencc
mat D
72.0." ' ^^^^^'^ fi''^ P^^^ ^ fi ^'*'''^ 5 ^^'^ ^^ ^'^^'^'
peur d'être expofé dans fon enfance. Il
fi
AVIS. ifi
fe trowva néanmoins quclcun , gui prit
foin de fon éducation^ ^ qui lui ayayit
fait faire de bonnes études , en fj pré-
fent à Mécénas comme d'un habile Gram-
mairien. Il porta même le nom de Mécér
nasi^ eut une grande part dans fon ami-
tié. Il entra comme Efclai-e chez ce fa-
'vori d'' Augufte , 6? il préféra fous un
ici Maître fa condition d'Efcla-ve à fa
naiffance ^ quoique fa mère le redeman-
dât. Cependant Mécénas l'affranchit.
Devenu Affranchi il guigna les bonnes
grâces d' Augufte^ qui le fit fon Bibliothc-
caire. A Page de foixante ans il fe mit à
compofer ces Recueils de plaifanteries ^
dont je viens de parler ^ libellos incptiii-
iam,qiii nunc jocorum infcribuntur *.
// mit la dernière main à cent cinq volu-
mes ou feuilles (libellos) de ces plaifante-
riesj (^ y en ajdûta dans la fuite plu-
ficurs m-Ures. Il fit un autre Ouvrage fur
lequel f alléguerai les propres paroks de
Suétone de peur de me tromper. l'Vcit &
novum genus Togataium "j", infcripHt-
* Le Savant Heinfius a cru que ces plaifantc-
ries croient tirées des Fables d'Eibpe. Voyez la
note fur Ovide de Pont, L. IV. Fl. ult. j^. 29.
t TogatA étoient des efpeces de Comédies.
Voyez Suetonc Ncron. H. —
K 4
tfi AVI S.
que Trabcatas. 'je croi que pour ne pas
fnultiplier les êtres fans necejfité ^ comme
fait ici Moreri , on peut compter que c'efi
ce même Mcliffus dont parle Ovide , com-
me d'un Poète Comique.
Mufaque Turrani Tragicis innixa cothurnis ,
Et tua cum focco Mufa, Meliffc, levis *.
On peut juger que les bons mots de Pogge
itoient à peu près du même caractère , que
ceux de Meliffe ^ d'Hieroclês ,. par ce
qu'il en dit lui même dans fa Préface.
Du tems de Martin V. élu Pape au
Concile de Confiance en 1417- quelques
perfonnes d'efprit.^ entre le [quelles et oient
Pogge Florentin, Antonio \^w{c.o .^com-
me lui , Secrétaire de ce Pape , Cincio
Romain ^i^ Razello de Bologne ^avoient
pratiqué dans le Vatican un petit réduit ^
oii ils s'' affemhloient pour parler librement
de toutes chofes l§ de tout le monde. Ils
appelloient cet endroit Buggiale, ce qui
enr Italien fignifie , un lieu de recréation ,
ou Von débite des fables ^ des bagatelles^
* Ovid. de Pont. El. ult. On peut voir la
note de Heinfius fur cet endroit d'Ovide. On y
trouvera quelques édairciffemens fur Meliffus.
AVIS. . if^
^ oùVonfe divertit aux dépens de qui il
appartient. On y difoit des nouvelles^ on
y f ai f oit des contes ^on frondoit contre tout
ce que l'on n'approuvoit pas ^ ^ on ap-
prowvoit fort peu de chofes j fur tout on
n'y épargnoit pas le Pape ^ qui pour V or-
dinaire et oit mis le premier fur les rangs.
Cefi de cet endroit que font fortis la plu-
part des bons mots , ^ des rencontres qui
fuivent. Ils ne font pas tous de Pogge^
mais comme c'efl lui qui les a tous recueil-
lis^ on a cru qu^ il et oit jufle de les met-
tre fur f on compte.
Il a fallu au refîe beaucoup de choix
pour faire ce petit Recueil .^parce que par-
mi les Facéties de Pogge il y a quantité
d' obfcenitez- , d'ordures i^ de pauvretez ;
fort fouvent vrai Sotilier. // a tâché de
faire fon apologie là-defjus , mais il fs
défend mal. Il efi bien permis quelquefois
de dire la vérité en riant ,
----- ridendo dicere verum
Quis vetat ?
mais il n' efi jamais permis de blefferV hon-
nêteté y la pudeur. Je ne fai même f les
habitans de Tai'ente^^(?Corenza*/'û//r
K f qui
* A facetis&humanis.ficutLuciliusàConfen-
tinis & Tarentinis , legi ciipio. loi. I. Voyez Ci-
ceron dt Un, bon, o" mal, L. I. 31. 51.
îf4 AVIS.
qui Poggc fait prof effion d'écrire cesCori'
tes^tout plaifans qu'ils étaient ckleurnsi'
turel , lui auroient pardonné la licence
qu'il s'efi donnée ici. On peut bien delaf-
fer (^ amufer fon efprit après un grand
(a) ^^^ctx.fra'uail^ comme faifnent Scipion {a) l^
de Urat. L^gjj^s^ y^-^i^ ji j^^mf q^^ /^j amufemens
p. '310. [oient innoce ns l§ honnêtes^ comme Vé-
tcient les leurs.
Pcgge efl d'autant plus coupable de s'ê-
tre émancipé comme il a fait ^ que lorf-
qu'il ra'majjà ce Recueil il ctoit dans un
âge , oh il n'y a plus que le retour invo-
lontaire à l'enfance , qui puijfe faire ex-
cufer les fotifes ^ les folies. Cependant il
par oit charmé de ces Contes 13 il s'en ap-
Pogg. plaudit dans fon Inve^tii-e contre Laurent
Op. p. Valle^ qui les ai) oit critiquez.. Il pré -
^^^' tend rnème qu'ils faifoicnt ks délices des
Savans^ t3 qit'on les lifoit avec avidité
dans toute l'Europe. Ce bel Efprit nous
donne ici un grand exemple de l'aveugle-
ment des hom'mes fur leurs propres dé-
faut s {3 fur leur s propre s Productions. An-
toine de Palerme fon ami , homme à
bons ou à mechans mots^ avoit fait rm
Pocmc licentieux , fous le titre ^'Herma-
phrodite. Dans une Lettre que Pogge
hi écrit là-dcfjus^ il fait ?nain bajjé fur
tes
AVIS. iff
les Anciens qui ont écrit des ohfcenitez ,
comme Catulle, Martial ^c. fans épar-
gner même les Platons ^ les Gâtons,
chez qui la gravité Pbilofopbique a quel-
quefois foujfert de grandes éclipfes. Il
n'ell point permis à un honnête hom^
me, dit Pogge^ de badiner comme un
valet, ni à un homme d'cfprit de le faire
comme un bouffon *. Il exhorte en mê"
me tems fon ami à fe corriger de ce défaut,
Ainfi Pogge s''efl fait par avance fon pro'
ces à lui-même ^ fans attendre celui que lui
ont fait là-dejfus le Grand Erafme l^plu-
fteurs autres^ avec beaucoup de raifon.
On trouvera fans doute que parmi ces
bons mots ^ il y a bim des jeux de mots^
mais on doit confiderer que c'^étoit le goût
de ce tems-là , ^ il n'eft pas indigne d'un
homme de Lettres^ de connoître les dif-
férons goûts de chaque fecle. D"" ailleurs
quoique les bons mots , qui confiflent dans
les chofes mêmes ^ foient de beaucoup pré-
férables à ceux qui ne roulent que fur des
paroles^ ou des tours de phrafe ^il ne faut
pourtant pas toujours rejetter ces derniers
avec
* Diverfa funt gênera jocandi , aliud liberum
hominem, aliud fer vum decet, aliud facetum,
aliud fcurram.
if6 AVIS.
a'vec trop de chagrin, ^and un jeu dp
mots n^efl point médité , quil coule de
fouace 5 ciu'il fe dit à propos ^ fur le
champs qu'il na rien de trii)ial i^ de bas^
mais qu^ au contraire il a je ne [ai quel air
nouveau , il plaît toujours ^ isS il plaira
dans tous les fiecles. Si l'on retranche les
jeux de mots des bons mots des plus grands
hommes^ il en rejlera fort peu. ^l'on
lij} non feulement Plutarque , Diogenc
La'érce , Jthenée , Aulugelle Isj les autres
Anciens^ mais même les Modernes qui ont
fait de pareils Recueils .^ on y trouvera
quantité de mots qui pour n'être que des
pointes ne laiffmt pas de faire plaiftr.
Un bon mot qui confifle dans la chofe mê-
me peut avoir de la fine£e , de la for ce ^ du
fel 6? même de la fublimité ^ attirer V ad-
miration^ obliger ou off enfer plus vivement^
mais le jeu de mots a V avantage de di-
vertir. En un mot , ceux qui ne parlent
que par pointes font ridicules i^ méprifa-
hles ; mais la délicatefj'e de ceux , qui n'eu
faur oient fouffrir aucune , quelque bien
placée qu'elle f oit ^ approche beaucoup du
précieux.
On ne peut pas dire que ces bons mots
le foient tous également^ s'il y en a beau-
coup qiçi tirent d^ eux-mêmes leur agré-
ment
AVIS. if7
ment £s? leur fel^on en trouvera aujjl qui
ne mériter oient pas grande attention ^fans
le relief que leur donne le cara^ere de ceux
qui les ont dits. Ce que dit un Pape^ un
Empereur^ un Cardinal^ un Prince^ un
homme illuftre dans la République des
Lettres , fait u??e toute autre impreffion
que ce que diroit un homme du commun.
§uand un bon mot ejî en même tems un
trait d'HiJiaire , on fait aifément grâce
à ce qui peut lui manquer du côté de la
force ^ du fel. On trouvera au refle ici
une afjez grande ;varieté. Papes ^ Empe-
reurs^ Rois^ Princes^ Ecclefiajiiques ^
Gens de Juftice ^ Bourgeois^ P ai fans ^
tout y vient fur les rangs.
On a éclairci ces bons mots autant
qu'on Tapu^ par de petites notes fur les
tems^les lieux ^ les perfonnes ^pour don-
ner du jour à la narration. Il a falu
auffi remplir des lacunes ^ fuppléer des
circonftances , fans lefquelles le récit eut
été obfcur ^ fans nulle grâce. On a cor-
rigé quantité de groffes fautes d' impreffion
i^ changé je ne fii quel tour barbare que
Pogge n'avoit pas encore perdu malgré fiz
peliteffe^ ou^ que., peut-être^ il avoit
pris exprès , pour être mieux entendu des
gens de fon tems. On n'a pas négligé non
plm
ij8 AVIS.
plus de marquer dans Voccafion les bons
mots des autres , quand ils ont du rapport
à ceux de Pogge *, On ejl même entré
quelquefois dans la difcujfion de certains
faits ^ lors qu''ils ont paru de quelque im'
p or tance. Ce Recueil auroit pu groffir
davantage. Mais on ne s'ejl pas trowvé
d'humeur à fe fatiguer en 'voulant fe dc'
lajj'er^ pour ne pas imiter la plupart des
hommes^ dont les amufemens font dc '-je-
ritables travaux^ ^ f-^'^V^ fofit de leurs
plaiftrs une affaire fer ieufe (^pénible.
* On en a tiré , par exemple , de Plutarque .
d'AulugelIe , d'Antoine de Paleime , d'/ïneas
Sylvius, & de quelques autres.
RE-
Ïf9
RECUEIL
DES BONS MOTS
DE P O G G E,
Et des Hommes ilhijires de fon tems.
I.
Miiii^^N prétend que la tête tourna Pogg.Op^
O g à Urbain VJ. après fon élec- P- ^^S-.
W^Mk ï^io" ^u Pontificat *. Un jour
^^iS^ ç^yg quelcun s'opiniâtroit a.
lui demander quelque grâce qu'il ne
vouloit pas accorder , Vous a-vez uns
méchante tête., dit -il au folliciteur.
CV7?, répondit l'autre, ce que tout le
monde dit de vous , Saint Père.
Ce Pape, nommé Bartholomée de Pri"
gnano , étoit Archevêque de Bari avant •
fon éleftion. Il agifToit envers tout le
monde avec tant de hauteur, de violen-
ce & d'impetuofité qu'au rapport de
Théodoric fon Secrétaire on le prcnoic
communément pour un fou. Les Car-
di-
* 11 fut élu par violence à Rome en 1378. en
h place de Grégoire XI.
i6o P o G G I A N A. Part. IV.
dinaux qui l'avoieiit élu furent obligez
d'en mettre un autre en fa place fous le
nom de Clément VIL ce qui fut l'ori-
gine du grand Schifme d'Occident.
Othon Duc de Brunswich Se Prince de
Tarentc, époux de Jeanne Reine de Na-
ples, tenta inutilement de le reconcilier
avec les Cardinaux, pour prévenir le
Schifme. Il traita ce Prince , plus grand
encore par fes rares qualitez que par fa
dignité, avec un fouverain mépris. Un
jour qu'ils mangeoient enfemble l'or-
gueilleux Pontife laiffa fi long tems ce
Prince à genoux lui préfentant à boire,
qu'il fallut qu'un de fcs Cardinaux lui
dit, Saint Pere^il eft tems que Vous bu-
l'iez. Comme le Pape ne vouloit en-
tendre à aucune propofition de paix,
Othon dit un jour , vous verrez que
notre S. Père ne fera pas Urbain,
mais T u R B A I N. Cependant tout
mécontent qu'il étoit d'Urbain il de-
meura toujours dans fon obédience, quoi-
que la Reine fon époufe s'en fût fous-
traite.
II.
p. 419. Comme on fe plaignoit à Confiance
qu'il n'y avoit point de liberté dans le
(a) Tenu Concile (a) , un Evcque d'Anf^letcr-
. re
Recueil DE BONS MOTS. i6i
rc prouva fort plaifamment en bonne
compagnie, qu'il n'y avoit rien de plus
libre que cette Ailèmblée. Une certaine
fille de Conllance , diibit-il, le trouva
grofle pendant le Concile. Son frère
s'en étant apperçu , lui demanda , le poi-
gnard à la gorge , qui l'avoit débauchée.
C'efiy dit-elle, P ouvrage du Concile ^i^
c'efl de lui que je fuis grojje. Cette ré-
ponfê ayant appaiie le frère , par véné-
ration pour la fainte Alîemblée -, §ue
les autres^ dit-il, demandent quel privi"
lege ils voudront , pour moi je ne veux
que celui de jouer aux autres femmes le
tour qu'on a fait à mafœur.
III.
Un autre faifant peu refpeétueufemcnt
à l'Empereur Sigilmond des plaintes
fur le défaut de liberté à Conllance : //
faut bien , répondit cet' Empereur,
qu'on y foit bien libre ^ puis que vous y
parlez ft librement .
IV.
Eugène IV. ayant fait Cardinal jin- En 143 1?
gelotto Fufco Romain ÔC Evéque de Ca-
ve, un Prêtre de Rome, nommé Lau-
rent ^a\ rioit à gorge déployée. On lui
demanda ce qu'il avoit à rire de fi bon
cœur, Puifque Von commence , dit-il , à
T'om. II. L fai"
i6i VoGGiAUA.Part.IK
faire des fous Cardinaux^ fefpere ([ue je
le ferais fuis que je ne fuis pas moins
fou qu'Jngelotto.
A propos d'Angelotto , on ne fera
peut-être pas, fâché , que je rapporte
ici la fin tragique de ce Cardinal. Les
riches avares font quelquefois expofez
à de grands malheurs. i\ngelotto étoit
l'un & l'autre, il étoit riche &: avare.
On dit même qu'il poufToit l'avarice
Auberi, jufqu'à aller la nuit dérober les brides ^
Hilt.des 'i^^ chevêtres dans les établesde fesvoiftns^
T 'n"p i^ qu'' ayant été une fois pris fur le fait
165. ' par un Palfrenier^ il reçut incognito de
rudes bafionnades. ,
Auberi veut que ce foit unemcdifan-
ce de Garimbert , je le veux bien aufîî.
Quoi qu'il en foit, un jour que tous {ç^
domelliques étoient fortis à la referve
de fon valet de chambre, nommé An-
tonel de la Roche ^ qui étoit élevé chez
lui comme l'enfant de la maifon , le
Cardinal s'endormit profondement fur
fon lit. Le fcelerat de valet de chambre
voulant profiter de l'occafion fc refolut
' à tuer fon maître ÔC fon bienfaiteur pour
avoir fon argent. Il prit une dague 6c
une épée dont il le perça coup fur coup,
& pour l'achever il lui caflà la tête avec
un
ReCITEIL r>E BONS MOTS. I(î$
un râteau d'argent, dont le Cardinal fc
Icrvoit lui-même pour nettoicr ion parc.
Antonel de la Roche, ayant pris tout ce
qu'il voulut dans la maifon, alla tout
baigné de larmes chez un neveu du Car-
dinal lui annoncer l'afTaflinat de ion On-
cle 5 Ils coururent cnfemble à l'Hôtel
du Cardinal, ù qui ils prouvèrent enco-
re quelques reftes de vie. Comme le
meurtrier fe tenoit à une fenêtre jettant
de grands cris, le Cardinal qui ne pou-
voit plus parler , montra de la main
cette fenêtre à fon neveu , voulant lui
défîgner par là celui qui avoit fait le
coup. Voyez , dit effrontément l'aiîlif-
fîn, ilfaitfigmque les meiirtrieu font
entrez par la fenêtre. Cependant il fut
arrêté fur cet indice 5c ayant avoué fon
crime , il en reçut la jufte punition.
Cela arriva en 1444.
Ce Cardinal étoit un homme de fort
peu de mérite, 6c qui n'avoit l'efprit
tourné qu'à la médifance. Un jour que
le Pape Eugène IV. étoit à Florence,
un jeune garçon de dix ans lui vint fai-
re la révérence. Cet enfant lui fit un
difcours grave & fpirituel , & répon-
dit à toutes (es quelHons avec une jui*
tclTe au delTus de fon âge. Cejl rordi-
L z nah
A
164 PoGGiANA. Part. IV.
naire , dit là-delTus Angelotto , que ces
efprits précoces deviennent fliipides , dans
un âge plus avancé. „ Il faut donc , dit h
5, jemie garçon au Cardinal , que vous
55 ayez été bien fage dans votre enfance.
C'eft la coutume à la Cour de Ro-
me que quand le Pape a nommé un
Cardinal, il demeure (ans parler dans le
Confîfloire des Cardinaux jufqu'à ce que
Sa Sainteté lui ait ouvert la bouche. On
demandoit un jour au Cardinal de St.
Marcel ce qui s'étoit pafle dans le Con-
fiftoire. „ On a, dit-il ^ouvert la bou-
„ che au Cardinal Angelotto ". // va-
loit bkn mieux , dit Pogge qui connoif-
foit Angelotto pour un medifant , // va-
lait bien mieux , lui mettre une bonne
Jerrure à la bouche , que de la lui ouvrir,
V.
p. 4Z0. La plupart des habitans de Gaycte *,
gagnent leur vie par la marine. Un d'en-
tre eux qui ctoit fort pauvre fe mit en
mer pour amafTer quelque argent , laif^
{ânt à fa femme le foin de gouverner fon
petit ménage. Comme elle étoit jeu-
ne, jolie 5 6c tendre , clic ne fut pas
long-
* Ville Epifcopaje dans le Royaume de Na-
ples où il y a un beau port.
Recueil DE BONS MOTS. ï6f
ïong-tcms (ans fe confolcr de l'abfencc
de Ion mari. De retour au bout de cinq
ans fon premier foin fut d'aller voir fa
femme. ^11 fut agréablement furpris de
trouver fa maifon, toute reparée Ôc fort
agrandie. Comment^ dit-il, ont pu fe
faire ces réparations? „ C'eft, répon-
5, dit-elle , une grâce que Dieu m'a
„ faite *'. Le mari en remercia le Ciel.
Entrant plus avant dans là maifon, il
voit un lit & des meubles d'une pro-
preté au delà des ficultez de l'un & de
l'autre. Ce lit ^ ces meubles d'où font-
ils venus"^ „ De la même grâce ". Pen-
dant que le mari benifToit la bonté du
Ciel envers lui, il vint un joli petit gar-
çon, d'environ trois ans, flater ià mè-
re. A qui eft cet enfant ? demanda le
mari, Amoi^ dit la mère, le Ciel 7?re
Fa auffi donné, A h pour le coup , dit-il , '
le Ciel efl trop foigneux de m'' avoir donné
des enfans en mon abfcnce.
Il y avoit à Milan un Médecin qui p. 421.
entreprenoit de guérir les foux en un
certain efpace de tems. Pour y réuflir
il attachoit le fou jufqu'aux genoux,
ou plus avant , lèlon le degré de folie , à
un pieu dans une mare fort puante, qu'il
L 5 avoit
1^5 VoGGiKVi A.. Part. IF.
avoit dans fa cour, Se le laiflbit, fans
manger, jufqu'a ce qu'il donnât quel-
ques marques de Raifon. Un jour on lui
en amena un qu'il mit dans l'eau Juf-
qu'aux cuifles. Quand il eût été là
quinze jours, il pria le Médecin de l'en
tirer j ce qu'il fit à condition qu'il ne
fortiroit pas de la cour. Il vint là par
hazard, un Cavalier qui avoit des oi-
feaux & des chiens de chafle. Comme
le fou ne fe fouvçnoit plus de ce qu'il
avoit vu pendant fa démence -, Appre-
nez-moi , je 'VOUS prie , dit - il au Cava-
lier, fur quoi l'ous êtes monté .^iy à quel
lifage vous fert cette monture ? „ C'cft
5, un cheval pour aller à la chafTe, re-
pondit le Ca\'alier. Ce que tous te-
nez fur le poings comment l'appelle-t-on^
. (^ qu'e^faites-iwus? „ C'cll: un Eper-
5, vier pour prendre des perdrix ". Et
qu''ejî'ce que vous avez autour de vous ?
5, Ce font des chiens pour faire partir
„ le Gibier ". Alais combien vous re-
vient-il par an de ce gibier ^pour la captu-
re duquel il faut tant de préparatifs?
5, Fort peu de chofe , dit le ChafTeur,
„ peut-être fîx ducats ". Et la depenfe
du cheval^ des oi féaux {^ des chiens^ à
quoi monte-t-elle ? „ A cinquante ". Ha /
4i.Ç
ReCUEILDE BONS MOTS. 167
dit alors le fou , fuyez-vous-en , je vous
prie, au plus vite, avant que le Méde-
cin vienne ; car s'^il vous entendoit , il
vous mettroit dans la mare jufqu' au men-
ton.
L'Hiftoire nous apprend quedutems
de Néron , il y avoit un Médecin ,
nommé TheJ/alus, qui jettoit ies mala-
des dans de Teau froide au plus fort de
riiyver. Il n'ctoit pourtant pas l'inven-
teur de cts bains, u'intonius Mu fa fon
prédeceflèur les avoit ordonnez d Ho-
race, témoin ces vers. ,.^°,"\
hp. L. I.
lipift.XV.
Nam m'îhî Bâtas i'^if'
Mufa fuptrvacuas Antonius , v txmen illis
Mefacit invifum , geitda quum perluor unda
Per médium frigHs.
J'apprends de Mr. Dacier qu'Anto-
nius Mufa avoit tué le jeune Marcellus
par fes bains froids. ^On appelloit ceux
qui fe baignoicnt dans l'eau froide pfy-
chrolytes. Seneque étoit de ce nombre. Senec.
Pline ne goiitoit pas cette ordonnance. EP;5 3-
Il ne faut point douter , dit-il, que tous ^^'
ces Médecins ne trafiquent de notre vie pour
acquérir de la réputation en inventant
quelque chofe de nouveau.
L 4 C'étoit
I6S VoGGiAV! A. Part, ir.
C'étoit un bon mot de Sidonius A--
pollinaris. Un Médecin malhabile 6c
affidu tue fon malade fort officieufe-
ment.
VII.
^.4Z2. Il y avoit àConilanceun jeune Gen-
tilhomme Gafcon, nommé Bonac^ qui
fe le voit tous les jours fort tard. Com-
me fes camarades le railloicnt de fa pa-
efîe. „ J'ai,^//-/7, tous les matins un
, plaidoyer à entendre entre la Pareflc,
, & la Diligence. Celle-ci m'exhorte
, à me lever, pour m'occuper à quel-
, que chofe d'utile: L'autre lui fou-
, tient qu'il fait fort bon dans un bon
, lit bien chaud , & que le repos vaut
, mieux que le travail. Pendant qu'elles
5 difputent ainfi je les écoute jufqu'àce
, qu'elles foient d'accord ^ & c'cll: ce
, qui fait que je fuis fîlong-temsaulit.
VIII
P» 42.5' Il y avoit dans quelque Ville du Mont
Apennin un Prêtre fi ignorant que ne
fâchant pas même les fêtes de l'année il
ne les annonçoit point au peuple. Etant
allé un jour à T'erranova *, la veille des
Ra-
* C'eft une Ville proche de Florence où na-
quit Poggc.
Recueil DE BONS MOTS. i6p
Rameaux , & voyant les Prêtres qui
fàifoicnt provifion de branches d'olivier
6c de palmier, il s'apperçut qu'il n'avoit
ni obfervé lui-même, ni fait obferver
le Carême à Tes Paroiflîens. Huit jours
après étant de retour il fit auffi amafler
des rameaux le Samedi , & le lendemain
il dit à fon peuple. „ C'eft aujourd'hui
„ le jour des Rameaux -, dans huit jours
55 ce fera Pâques 5 cependant il faut fai-
55 re pénitence toute cette (cmaine 5 &:
55 on ne jeûnera pas plus long-tems cet-
55 te année 5 parce que le Carême efl
55 arrivé fort tard 5 à caufc du froid 6c
55 des mauvais chemins.
IX.
Quelques-uns des Paroifîîens du me- Ibid,
me Curé furent envoyez à Arezzo *
acheter un Crucifix de bois pour met-
tre dans leur Eglife. L'ouvrier auquel
ils s'adreflercnt voyant en eux des gens
flupides, qui refTembloient plus à des
bêtes qu'à des hommes 5 voulut fe di-
vertir à leurs dépens. Il leur demanda
s'ils vouloient avoir un Crucifix vivant,
ou 5 un Crucifix mort ? Les bonnes
gens ayant délibéré entre eux 5 répon-
di-
* Ville du Florentin proche de Florence.
170 VoGGiAN A. Part. IF.
dirent qu'ils aimoient mieux un Cruci-
fix vivant, parce que s'il n'agréoit pas
à la Paroifîè, on pourroit toujours le
tuer; au lieu que fi on en portoit un
mort, on ne pourroit pas le faire re-
vivre.
X.
^p.43T. BoniFicelX.* étoit Napolitain de la
Papc"cif " Maifon des Tor,:aceIIL On appelle de ce
,1389. nom en Ittlic,un certain fiirci fait avec
du foye de cochon. Ce Pape entrant
un jour à Pcrouic, accompagné de fcs
frères & de fcs parens qui étoient en
grand nombre > Le peuple dcmandoit
qui étoient les gens qui le fuivoient j
Les Pe- ce font , répondit-on , des TomacdU. Ho
roufins hQ ^ (jjt; uj-, plaifant , il falloit que ce
pour?tre cochon-là eût un foye bien grand pour
naturelle- cn faire tant de Tomacelli.
mentplai- X I.
^^?^.', Le Curé d'un A'illaî^e de Tofcane
Ibid. . , . ,1 -^ • t.
avoit un cnicn qu il aimoit beaucoup.
Le chien étant mort le Cure l'cntena
dans le cimetière. L'Evêque qui n'igno-
roit pas que le Curé étoit riche , en ayant
A eu avis, le fit venir dans le dcHcin de
le condamner ^ une bonne am aride. Le
Curé connoiflbit bien le caraéterc de
l'Evéque. Il va le trouver, avec une
cin-
Recueil DE BONS MOTS. 171
cinquantaine de Ducats. D'abord l'Evê-
que menace le Curé de le faire mettre
en prifon , comme un profane 6c un
impie. „ O fi vous favicz, Monfci-
„ gneur 5 combien ce Chien avoit d'cf-
5, prit , vous conviendriez avec moi
„ qu'il méritoit bien d'être enterre a-
„ vcc des hommes : Il en a marqué
„ pendant toute fa vie , mais fur tout
5, à fa mort ". §u' a-t -il donc fait ? dit
l'Evcque. „ Il a fait, dit-il^ fon Tef-
„ tament , 6c fâchant que vous n'étiez
5, pas fort à votre aifej il vous a légué
„ ces cinquante Ducats que je vous ap-
5, porte ". L'Evcque accepta le pre-
fent 5 approuva la fepulture ; 6c donna
l'abfolution au Prêtre,
XI.
Il y avoit à Cingoli Bourg dans la Mar-
che d'Anconc, un homme fort riche,
& fur tout fort pécunieux. Le Sei-
gneur de ce lieu avide du bien d'autrui,
chercha querelle au Bourgeois, le fit
venir chez lui , &: le menaça de le faire
pendre, lui difant qu'il avoit confpiré
contre lui. Le bon Bourgeois de nier
le fait de toute fi force. O///, dit le
Seigneur, vous cache'z chez l'ous ceux à
qui j'en veux. Le Bourgeois voyant
bien
172 VoGGiAT^iA. Part. IF.
bien qu'on en vouloit à Ces Ducats, dit
au Tyran qu'il n'avoit qu'à envoyer chez
lui Tes gens, & qu'il leur remettroit fcs
ennemis cachez. Il donna Ton argent,
en difant j prenez^ 'voila les prétendus
ennemis de Aionfeigneur ^ qui ont été en-
core plus les miens.
XII.
p.432''' Les Equivoques font quelquefois un
jeu aflcz plaifant. Un homme ayant
perdu tout fon argent au jeu pleuroit à
chaudes larmes. Quelqu'un l'ayant ren-
contre dans cet état, lui demanda ce
qu'il avoit à pleurer. Je 71' ai rien^ dit-
il î 5, Puifque vous n'avez rien, pour-
„ quoi pleurez-vous donc "? Cejljuf-
tement parce que je n'ai rien que je pleu-
re. Si l'autre l'entendit, il fit au moins .
fcmblant de ne l'entendre pas , & le
• lailTa là fans lui rien offrir.
X i 1 1.
îbid. Un jour de S. Etienne un Moine de-
voit faire le Panégyrique de ce Saint.
Comme il étoit déjà tard les Prêtres
qui avoient faim craignant que le Pré-
1^ dicateur ne fût trop long, le prièrent
à l'oreille d'abréger. Le Religieux mon-
te en chaire, 6c après un petit préam-
bule j Mes frères^ dit-il, il y a aujour-
d'hui
Recueil DE BONS MOTS, ty^
d'hui un an que je vous dis tout ce qui jç
peut dire touchant le Saint du jour. Comme
je n'ai pas appris qu'il ait rien fait de.
nouveau depuis^ je n^ai rien non plus à
Ajouter à ce que j'en dis alors. Là-delTus il
fit le figne de la croix ôc s'en alla.
XIV.
Grégoire .XII. avoit juré avant (on p. ^^.^
Eleftion de céder le Pontificat pour
terminer le Schifme. Quand il fut Pa- '
pe 5 il éluda l'exécution de fa promcflc
par mille tergivcrfations. Fous verrez ,
dit là-deiTus le Cardinal de Bourdcaux^
à Poggc, que le Pape nous montrera le
derrière -y comme fit cet impofieur au peU"
pie de Bologne , qui s'étoit afjemhlé pour
le voir voler ^ comme il V avoit promis.
XV.
Dante ^ Aïïigeri célèbre Poète Flo- p. 436,
rcntin du XIII. fiècle étoit pauvre, &
ayant pté exilé de fa patrie, ne vivoit
que fort maigrement à Vérone aux dé-
pens d'un Prince de la Scala (a) nommé (a) Au^
Canis. Ce Prince avoit auprès de lui un ^^^"?*^"ï
autre Florentin qui étoit un homme ^'^^"^^'''
tout à fait méprifable ôc qui ne pou-
voit
* Voyez l'éloge de Dante dans Paul Jovc p. 7»'
& dans Pogge àt Infdic. Priràp.
§74 PoGGiANA. Part. IV.
voit fcrvir que de jouet. Cependant
La S cala le combloit de biens 6c laifToiE
Dante dans la mifere. „ D'oii vient,
j, dit un jour le fou à Dante .^ que vous
„ êtes pauvre, vous qui êtes (i habile
„ homme, & que je fuis riche, moi,
„ qui ne fuis qu'un ignorant & un fou ?
^e deviendrai riche , dit-il , quand fau'
rai rencontré un homme de moncaraUere^
coynme "vous en avez trouvé un du vôtre.
Peut-être ne fera-t-on pas fâché devoir
l'Epitaphe que Dante le fit lui-même,
comme elle cil dans Paul Jove.
^ura Monarchu, Superos , Phlegethontay Lacufquê
Lujlrando cecïnï , voluerunt fata quoufque.
Sed quia fars cejfit melioribus hofpita taftrit,
Auéîoremque fuum pttitt filkior aflr'ts ,
Hic claudor Dantes , patriis exttrris ab oris ,
flucm genuit parwl FUreatia mattr amoris.
J'ai ouï dire que les Italiens ne citent
jamais le Poète Dante, fans mettre la
main au chapeau. Cependant la plupart
des mots que Pogge en rapporte ne ré-
pondent gueres à cette haute réputa-
tion. Il faut pourtant les mettre ici
poui" faire honneur au nom de Dante.
P'437- Un jour qu'il étoit accoude fur l'Autel
d'une
Recueil DE BONS MOTS. 175*
d'une Eglifc de Florence , fans doute
dans quelque rêverie Poétique, un fâ-
cheux le vint inteirompre. „ Quelle
„ eft 5 lui dit Dante , la plus groiTe de
„ toutes les bêtes " ? Cefi P Eléphant^
dit l'importun. Eb bien! Eléphant ^ re"
tirez-vous, & ne troublez pas des mé-
ditations plus importantes que ce que
vous avez à me dire.
Marot a fait à peu prcs le
Conte en Vers.
Bien , laiflcz-moy , ce difoit une
A un Sot qui luy defplaifoit :
Ce lourdaut tousjours m'importune :
Puis j'ouïs qu'elle luy difoit ,
La plus greffe bcfte qui Ibit
Monfieur , comme eft ce qu'on l'appelle ?
Un Eléphant, Madamoifelle ,
Me femble qu'on la nomme ainfî ,
Pour Dieu (Eléphant, ce dit-elle)
Va t'en donc, laiffe moy iey.
même Oeuvïw
de Clé-
ment Ma-;
rot.p.373j'
Edit de
Rouen,
1601,
Dante avoit une femme dont les ga-
lanteries faifoient beaucoup d'éclat. Ses
amis lui reprochant fouvent fon indul-
gence , 6c le peu de foin qu'il avoit de
fa réputation , il querelloit fa femme :
Elle de pleurer, de crier à la calomnie»
Les
tyS VoGGïAUA. Part. IF.
Les amis de Dante étant revenus à la
charge , Dif es-moi , je vous prie , qui
de vous ou de ma femme doit mieux fa^
voir fa vie} „ C'eft elle, rcpondit-on:
Eh bien , elle foutient que vous en avez
tous menti j Ne me rompez donc plus la
tête.
Le même Poète étoit un jour à ta-
ble entre les deux Seigneurs de Vérone,
qui s'appelloient Canis'^ c'ell-à-dirc ,
Chien. Les valets fe divertiflbient à
mettre tout doucement tous les os aux
pieds de Dante. Quand on fe fut levé
de table, tout le monde étant étonné
de ne voir des os qu'en fa place > „ Il
„ n'eft pas furprenant , dit-il , que les
„ chiens aycnt mangé leurs os , pour
„ moi je ne fuis pas un chien.
Puis qu'on a eu pccallon de parler
des Princes de la Scala ou des Scaligers,
Seigneurs de \'^erone, on donnera ici
un Mémoire curieux fur cette maifon ,
Mr. Vin- qui m'a été communiqué par un habile
ecnt, Paf-]yjj[j^i(^j-e; ^q y^q^ .^^^-jis qui l'apporta de
Berlin. Vérone à fon retour d'Italie, où il etoit
allé en qualité de Chapelain de Mada-
me la Générale du Hamel , dont le ma-
ri commandoit les troupes de la Répu-
blique de Vcnife en Moréc. Au relie
le
ReCITEILDE BONS MOTS. \JJ
le grand Jofeph Scaliger prétendoijt être
de cette Mailbn , ëc il y a beiyjcoup
d'apparence qu'il enétoit, quoiqu'on
le lui ait conte fié.
Mémoire touchant la Mai fort
^(fj Se ALI G ERS.
„ Les Ancêtres des Scaligers Prin-
5, ct& de Vérone tenoient des le lo.
y, fiêcle un rang confîdérable parmi là
„ Noblefle de cette Ville , mais ils
j, n'avoient pas encore eu des Emplois
„ diflingucz.
5, Le premier de cette illuftre famil-
„ le, qui eut quelque part au Gouver-
5, nement de Vérone, s'appelloit Mafti'
,5 no délia Scala. Il fut élu Podeftat
„ l'année iz6o. Sa droiture, & fon ixCéi
^, intégrité lui gagnèrent l'eltime , &
„ l'afFcélion de tous les gens de bien.
„ Mais quelques fcélérats qui crai-
„ gnoient la fevérité de ce Magiftrat,
„ l'aflafîînérent dans le tcms qu'il paf-
„ foit à fbn ordinaire devant la Pla-
,) ce qu'on nomme la Place des Set-
„ gneurs.
„ Les Veronois ayant puni les Afîàf-
5, fins du dernier fupplice , élevèrent
Tm, IL M jil'
tjS POGGIANA. P^r/. //^.
5, Albert Scaliger à la charge de Capi^
1278. ^j /(^i;^^ Général. Il l'exerça pendant
„ 11. ans avec beaucoup de prudence,
„ ôc de valeur. Après avoir rendu des
5, fervices importans à la République,
„ Albert mourut d'hydropiiîe le 10.
5, Septembre i 301.
1301. „ Barthelemi Scaliger fon fils aine
„ lui fucccda dans Tes emplois , mais
„ Vérone n'eut pas le bonheur de le
„ poOedcr long tems 5 il mourut au
„ mois de Mai 1 303.
„ Cette mort prématurée remplit
„ les Veronois de confternation , & de
5, douleur. La perte de ce Général leur
5, étoit d'autant plus fenlîblc qu'ils a-
„ voient efpéré que par fon fecours ils
„ leroient à l'abri des guerres Civiles
„ qui defoloient alors l'Italie.
„ On ne trouva point de meilleur
„ moyen de reparer cette perte qu'en
,5 partageant le Gouvernement de Ve-
5, rone entre les deux fils de ce Barthéle-
1304. „ mi, Tavoir Alboin^ & Canefrancefco,
„ Alboin avoir plulieurs bonnes quali-
5, tez , mais nulle inclination pour les
„ armes. Bien différent, à cet égard,
5, de Canefrancefco qui fembloit n'être
,5 né que pour la guerre. Pour profiter
de
55
Recueildebonsmots. 17P
^^ de cet avantage il propofa à Ton frère
5, aine de lui céder (ii part du comman-
„ dément des troupes. Alboin qui ne
,5 foupiroit qu'après le repos accepta
55 cette propofition. Ilyconfentitavec
^, d'autant moins de peine , que Ton
55 frère n'ayant point d'enfans , cet
^5 emploi devoit rentrer naturellement
5, dans £\ famille.
„ Alors Canefrancefco fe trouvant
5^ fêul à la tête des troupes marcha
,^ droit à Vicence, qui n'étant pas en
5, état de lui refifter long-tems fe fou-
„ mit au Vainqueur. Padouc, 6c Tré-
„ vife furent auffi contraintes deferen-
5, dre.
„ Ce Conquérant enflé du fuccès de
55 les armes, prit le furnom de Grand ^
55 changeant fon nom de Canefrancefco,
55 en celui de Canegrande qu'il porta
35 toujours dans la fuite. Il méditoit
55 de nouvelles conquêtes , quand la
55 mort vint terminer fes jours le 22.
55 Juillet 132,8. On fit fes obféques
55 dans Vérone avec tout le deuil , ôc
,5 tous les honneurs qui lui étoient dûs.
55 Son corps fut inhumé dans l'Egli-
55 fe de Ste. Marie antique , & l'oii
55 grava fur fon tombeau en carade-
M 2r „' re?
l8o PoGGJAfJ A. Paft. IF.
5, res Gottiques cette Infcription La,-
5, tine.
„ 5/ Canis hic grandis ingentia facîa peregit ,
,, Marchia teftis adefi quam f*vo Marte fubegit;
„ Scaligeram qui laude Domum fuper aflra tulijfet
„ Majores in luce morasfi Parca dtdijfet.
„ Hune Juli gemiaata dits undtna peremity
„ ^am lapfis Jeptem tjuater annis mille trecentis.
„ Depuis que le Pape Benoit XII.
5, avoit reconnu les Scaligers pour Prin-
„ ces légitimes de Vérone , la Souve-
„ raineté étoit héréditaire dans leur
„ famille. Canegrande étant donc mort
5, iàns cntims , il fallut reconnoître
„ pour lés fuccefleurs y///'«?r/ , èc Alaf-
„ tmo 5 (es neveux.
1319. 5, Le principal foin d'Albert fut de
„ maintenir la paix , & l'ordre dans
„ Vérone. MalHno plus guerrier que
5, fon frère, prit fur lui le commande-
„ ment de l'armée. Il livra plufieurs
5, combats dont il fortit prcfque tou-
„ jours viftorieux. Ce qu'on admira
5, le plus en lui , c'eft qu'il fut allier
„ en la perfonne la valeur, & la pieté.
„ Vérone jouît pendant 22. ans du
55 fruit de fcs travaux > & de fcs ex-
„ ploits
Recueil DE BONS MOTS. i8i
^5 ploits militaires. Couronne (buvant
5, des mains de la Vi6toire, il expira le
„ 3. Juin I3fi. Il laifla trois fils,
„ Canegrande , Canjignorio , & Paul
„ Alboin. Il fut enterré comme Tes
„ Prédecefîeurs dans l'Eglile de Stc.
„ Marie. On lit gravei" cette Epiraphc
55 fur Ton tombeau.
„ ScaligerA, de gentt fut, etïebrique fer char
„ ÏHotnine Majiin'ms. Claras daminabar in urles y
„ Me Dominum Verona fHum , me Brixia v'tAit :
,, Primaque cum LucÂ,cum Itltro^Marchia tôt a.
>» Jitra dabam populis aquo libramine no/iris
>, Omnibus, crjidei Chrifii fine fine fequutor,
ff Occubui primo pofi annos mille tre:entos
„ Et decies quinos : Lux ibaf tertià Juni,
„ Canegrande (on fils aine lui fucce- 13 jr.
da. Il étoit Gendre de l'Empereur
Louis de Bavière.' On peut voir par
là jufqu'à quel degré de grandeur la
Maifon des Scaligers s'étoit élevée,
puis que les plus grands Monarques
s'allioient avec elle.
,5 La Domination de Canegrande fut
de courte durée. Il fut all'ifliné par
Canfignorio fon frère Tan i3fp. ï3S9-
L'Autorité Souveraine dei^Scaligeis
M 3 „ etoit
iSz PoGGiANA. Part. IV,
„ ctoit trop bien établie pour laifler à
5, la JulHce ordinaire la liberté de faire
5, le procès au Parricide. On fut con-
„ traint de le proclamer Prince de Ve-
5, rone , & des Villes que fes Prédc-
„ cefleurs avoient conquifcs.
„ Les rares qualitez de Canfignorio
5, firent prefquc oublier le crime qu'il
„ venoit de commettre. On trouvera
„ fon Eloge dans TEpitaphc qu'il or-
55 donna de graver fur fon tombeau.
„ Scai/ger hÀc nitidâ cubo Canjignorius arcdp
,y Urbibus opîatus Latii; fine fine Monarchuy
j, Me ego jum gemin& qui gtntis fceptra tenebam ,
„ '^ufiuiàque meos tnixta pïetate regebam.
,, Inclyta eut virtus ; cui pax tranqudla , fidetquc
y, Inconcuffa, dabunt famatn per fula diesqu*.
„ Si îa Domination àcs Scaligers ne
55 fut pas éteinte par la mort de Can-
55 lignorio , elle en fut au moins cx-
55 tremement affoiblie.
^375. 5, De deux de fes fils qui lui fuccc-
55 dercnt5 Barthekmi^^ Antoine *, le
5, premier fut maiTacré en 1381. par
55 les ordres de fon frère. Les Fratrici-
„ des
* Philim)e de Bergame dit qu'ils étoienç fiU
raturels de Scuncrio Prince de Vérone.
ReCUEILDE BONS MOTS. 185
55 des étoient prefque aufîi fréquents
„ dans cette Maiibn qu'à la Porte Oc-
55 tomane.
5, La Juftice Divine ne laiflàpasim-
„ puni le crime d'Antoine. Sa vie fut
55 un tifTu perpétuel de rev^ers & d'in-
„ fortunes. Jean GaleaJJe Duc de Mi-
„ lan le vint attaquer avec tant de vi-
5, gueur qu'il l'obligea de prendre la 1387.
„ fuite , & de fe réfugier à Vcnife. ff^^S- ,
„ JLa mort de Galealle arrivée peu ., g.^
„ de tems après fembloit avoir terminé
„ les malheurs d'Antoine. Mais au lieu
„ d'être rappelle, comme il avoit fu-
5, jet de s'y attendre, il eut encore la
„ mortification de voir qu'on lui prc-
5, fera Guillaume Scaliger.
„ Ce dernier fut encore plus mal-
„ heureux que fon Compétiteur. Dix
„ jours après fon élévation l'an 1404, 1^04.
„ il fut empoifonné par François de
,5 Carrare Seigneur de Padoiie.
„ Ainfî finit , avec Guillaume , la
„ Domination des Seigneurs delk Sca-
„ la, après avoir duré l'efpacc d'envi^
„ ron 144. années.
„ François de Carrare, n'avant plus
„ de rival à craind re, s'empara du Gou-
55 vcrnement de Vérone. Il ne jouît
M 4 5) pas
184 POGGIANA. Part. IV.
„ pas long-tems du fruit de Ton parri-
„ cide. Les Vénitiens le vinrent atta-
„ quer dans Vérone qui leur ouvrit les
„ portes, pour fe délivrer de cet Ufur-
55 pateur. Le Duc de Milan jaloux de
55 cette conquête la leur voulut enle-
5, ver. Pour décider par les armes du
55 fort de cette Ville qui étoit comme
55 au pillage , on en vint aux armes.
55 La victoire balança quelque tems;
^455. 5, mais enfin elle fe déclara pour les
5, Seigneurs de Venife.
55 Leur nouveau Gouvernement fut
1509. 5) ^^*^2, paifible jufqu'à l'an ifop. Il
55 fut alors intcnompu par l'Empereur
55 Maximilien qui fe rendit Maître de
55 Vérone , ôc qui la pofieda jufqu'à
5, l'an 1^17. Mais enfin il fut obligé
5, de la céder au Sénat de \"enife qui la
,5 gouverne encore.
A Berlin le 19. d'Avril 17 19.
'Vh Ber- On apprend de Philippe deBergamç
ipw. p. que pievi-e Paul Verger de Capo d'Illna
avoit écrit la Vie des Scaligers.
XVL
P''437- ^" Domcfiique du Duc d'Orléans
qui n'avoit que des inclinations baflei,
l'ayant
• •
ReCUEÎL DE BONS MOTS. iSf
l'ayant prié un jour de le faire noble,
^e pourro^Êfien , dit le Duc , "uous fai'>
re riche , mais pour noble ctîa eji im-
pojfibîe. Cela revient à un mot de l'Em-
pereur Sigifmond. Ce Prince ayant an-
hobli un Do<5teur, celui-ci s'alla met-
tre au rang des Nobles , au lieu de fe met-
tre comme à (on ordinaire parmi les
Dofteurs. Ceji un grand foii^dk VEm- Hift du
pereur, je puis tous les jours faire mille Conc. de
Gentils-hommes , ^ dans mille ans je ne Conft.
faurois faire un homme do£le. p.40'*
XVII.
Il y a un endroit dans le Royaume
de Naplcs fort cxpofé aux aflafîins &
aux voleurs. Un Berger de cette con- p. 439.
trée alla un jour fe confefTer d'avoir
avalé quelques goûtes de lait un jour de
jeûne 5 comme s'il eût commis un grand
crime. Le Confefleur lui ayant deman-
dé s'il ne fe fentoit point coupable d'au-
tre péché. iV(9» , dit le Berger. „ Mais,
„ dit le Confejfeur , ne vous ell-il ja-
„ mais arrivé de vous joindre avec vos
5, camarades pour dépouiller & pour
„ aflaiTiner les pallans "? Oh! dit-il,
cela nous efl ordinaire , i^ nous n^en fai^
fons point de confcience.
M f XVIII,
iS6 VoGGiAT^ A. Part. IF.
XVIII.
En 1376. Pendant la guerre que Qjfegoire XI.
P'43J- eut avec les Florentins i Bologne fut
aiîiegée par les troupes Bretonnes, que
ce Pape avoit envoyées contre eux.
Elles avoient à leur tête Robert Cardi-
nal de Genève qui en i 378. fut fait Pa-
pe fous le nom de Clément VII. Le
Légat afliegeoit la place oii s'étoit ren-
fermé Rodolphe Far an de C amer i no *,
Généial Florentin , pour la garder , 6c
pour empêcher qu'il n'y arrivât quel-
que fedition. Il fe fiiifoit des forties itz
il fe donnoit des efcarmouches. Lin
jour le Cardinal Légat envoya un hé-
raut à Rodolphe lui demander pour-
quoi il ne fortoit pas de la place pour
combattre ? Je n^ en fors pas , lui fît-il di-
re, afin que vous n'y entriez pas.
Ce Général Florentin a pafle pour
un homme de prudence & de valeur,
mais de fon propre aveu il étoit fort
inconllant. Quand onle luireprochoir,
il ne répondoitmitre chofe, fi ce n'cll,
qu'il lui étoit impojfible de dormir long-
tems fur un ?nême coté.
XIX.
* Ville de l'Etat de l'Eglifc dans la Marche
d'Anconc.
Recueil DE BONS MOTS. 1S7
XIX.
Dan^la guerre dont on vient de par- En 1377.
îer, Rodolphe ayant quitté les Floren- ?• 43*^-
tins pour (c ranger dans le parti du Pa-
pe 5 il fut peint à Florence , la tête
renvcrfée, comme on y effigie les traî-
tres. Cependant on ne lailîbit pas de
traiter avec lui de la paix avec le Pape.
Ayant fu qu'il devoit venir chez lui
des Députez de Florence à ce fujet, il
fe mit au lit, fît fermer les fenêtres de
fa chambre, allumer du feu, & fe cou-
vrit de bonnes fourrures. Les Députez
lui ayant demandé ^'il étoit malade: Je
fuis ^ dit-il, tout morfondu d'avoir été
fi îong-tems tout nud la nuit dam vos pU'
ces publiques.
XX.
Le même Général , voyant un jour Ibid.
les habitans de la Ville de Camerino fe
divertir à quelque combat , fut blelfé
légèrement d'une flèche tirée contre
lui fins y penfcr. Comme on condam-
noit celui qui avoit fait le coup à lui
couper la main , il commanda qu'on le
laiflat aller, en difmt quo la fentence au-
rait pu être utile avant qu'il fut hlefjé.
XXL
Lorfque Louis Duc d'Anjou alla en
Ita-
î88 VoGGiA-t^ A.. Part. IF.
Italie pour prendre poflciîîon du Royau-
5!n 1410. me de Naples dont Jeanne 4^ Sicile
p. 440. l'avoit fait héritier , il porta avec lui
quantité de pierreries. Un jour qu'il
les montroit au Général Rodolphe, ce
dernier lui demanda combien on efti-
moit ces Joyaux , ôc à quoi ils fer-
voient. „ On en foit grand cas, dit le
„ Duc d'Anjou : mais cela ne rapporte
55 rien ". yaime donc mieux ^ dit Ro-
dolphe 5 deux grojfjes pierres que j'ai chez
moi^ elles ne vnont coûté que dix Florins^
y elles ra' en rapportent deux cens par an.
C'étoit des meules de moulin.
XXII.
p. 441. Un habitant de Camerino étant prêt
à partir pour faire , difoit-il 5 le tour
du Monde: Vous n'avez feulement , lui
dit Rodolphe, qu'à aller à Macerata *
vous y verrez tout ce qu'on peut voir
au monde i de la Terre 5 de l'Eau, des
Coteaux, des Vallées, des Montagnes,
des Plaines, des Bois, des Forêts. A^ous
ne verrez rien autre chofe en courant
tout le Monde.
C'ell à peu près le même Conte qui
a
♦ Petite Ville de l'Etat de l'Fsiife proche Ca-^
merino qui eft aufii du même Lur.
Recueil DE BONS MOTS. i8p
a été mis depuis peu en vers par un Au- Voyez les
tCUr anonyme. Nouvelles
-' Litterat-
ODE. Février
D'où vous vient cette folle envie
De voir les pais étrangers,
Et d'aller par mille dangers
Rifquer d'accourcir votre vie .-*
Contemplant de votre maifon
La Seine en de vaftcs Campagnes ,
Et fur les fins de l'horifon
Le Ciel joint avec les Montagnes ;
Croyez, fans changer de Zenit,
Que c'eft où le Monde finit.
Dans un petit coin de la France
Vous le voyez en raccourci :
Ailleurs c'eft de même qu'ici ,
Du moins c'eft peu de différence.
Partout où vous vous trouverez ,
Après des travaux difficiles,
Comme où vous êtes, vous verrez
Des Fleuves, des Champs & des Villes,
Qui ne méritent pas le foin
De les aller chercher fi loin.
Vous brûlez de voir l'Italie,
Et depuis long-tcms entêté,
Vous nourriflez cette folie.
Pcn-
rpO PoGGIANA. Part. IV.
Penfcz-vous y voir de vos yeux
Les anciens Vainqueurs de la Terre ?
Non , au lieu de ces Demi-Dieux^
Ce font des racleurs de Guiterre,
pour des Héros, des Arlequins,
Et pour des Brutes , des Tarquins.
Je le répète, 8c vousfouvienne,'
Que je vous l'ai prôné toujours :
Rome, l'objet de vos amours,
N'elt qu'un Iquelette de l'ancienne.
La fameufe & vieille Cité,
Dont à peine on voit quelque trace
De ce qu'elle a jadis été,
N'a plus que le nom & la place.
Le Tibre eft fon feul monument.
Qui relie & coule trilkment.
Ses Arcs pompeux, fes Bains faperbtt,'
Ses Tours, fes Cirques orgueilleux,
Et fes Aqueducs merveilleux ,
Sont couverts de ronces & d'herbes.
Les blocs de marbre répandus
Dans d'épaifles touffes d'épines
Tant d'cxcellens monceaux perdus,
Sous les effroyables ruines ,
Quand leur afpecl vient vous faifir.
Font plus d'horreur que de plaifir.
Les Châteaux de Tibur, de Baycî,
Dans les Hiftoircs fi vantez ,
S^
Recueil DE BONS MOTS, tpf
Ne font aujourd'hui fréquentez ,
Que des Hiboux & des Orfraycs.
Broffant des fentiers malaifez ,
On trouve dans ces Champs funeftes,
Des troncs fecs , des canaux brifez
Qui font les miferablcs reftes
Des Parcs charmans , où les Héros
Goutoicnt le frais & le repos.
Pour voir dans Rome triomphante.
Les Scipions & les Céfars ,
J'aurois pu franchir les hafards
Qu'un pénible voyage enfante;
Pour y voir le fagc Sénat
Qui gouvernoit ce grand Empire ;
Pour y voir la pompe & l'éclat
De l'or, du jafpe & du porphyre;
Enfin fes ornemens divers,
Dépouilles de tout l'Univers.
Mais pour voir des pans de murailles
Et de pitoyables débris ,
Quitter votre Epoufe, Paris,
Et l'incomparable Verfailles,
Paffer des Mers, grimper des Monts,
Que la Nature nous oppofe:
De bonne foi nous vous fommons
De nous en dire une autre caufe ,
Ou de nous laiffer perdre a tous
Les fentimcns qu'on a de vous.
Je
jpa VoGGiA^n A. Part. IF.
Je vais droit à votre penfée;
Vous voulez repaître vos yeux ,
Non des mafures , mais des lieux
Où telle aftion s'eft paflec.
Où Camille fur les Gaulois,
Vengea fa Patrie enflammée:
Où Codés fur un pont de bois
Arrêta feul toute une Armée •
Et d'autres lieux, malgré le tems.
Connus par des faits éclatants.
Sans s'embitalTer la cervelle ,
Ni prendre le foin d"y rêver.
Gens attitrez vous font trouver
L'ancienne Rome en la nouvelle.
Pompée avoit là fa maifon ;
C'eft ici qu'habitoit Salluftc ;
LÀ logeoit Brutus , là Pifon :
Ici fut le Palais d'Auguftej
Et mille autres abfurditez
De ces Rêveurs d'Antiquitez.
A chaque mot , chaque fadaife
De l'Antiquaire prétendu ,
Je vous vois furpris , éperdu ,
Rouler les yeux , treflaillir d'aife.
Vous donnerez entier crédit
A ces fâbuleufes fornettes ,
Et pour retenir ce qu'il dit.
Vous l'écrirez fur vos Tablettes :
Tout
Recueil DE BONS MOTS, ipj
Tout nous paffc pour vérité ,
Quand notre goût en eft flatté.
Si la Peinture vous attache ,
Rome aura pour vous de réel
Les Ouvrages de Raphaël ,
De Michel Ange & du Carachc»
Mais banniflant les préjugez ,
Qui.ks élèvent fur les autres.
Ces vieux Peintres fi louangez.
Comparez à beaucoup des nôtres j
N'auront que l'avantage heureux
D'avoir le droit d'aincz fur eux.
Vous dévorerez de la vue
Jufqu'aux moindres traits de leurs mains j
Le nom des vieux Peintres Romains
Eft un reffort qui vous remue.
Je le fai , mais que la Raifon
Sur votre palîion l'emporte;
Pourquoi quitter votre Maifon ?
De Troye eft prcfquc à votre porte.
Et l'ami Bouys , fans le vanter ,
Devroit aflez vous contenter.
Puifqu'enfin ni moi , ni perfonne
Ne pouvons arrêter vos pas.
Adieu donc, mais n'oubliez pas
Deux bons avis (que je vous donne.
IP4 VoGGiAî^ A. Part, IF.
Quand vous ferez à caqueter ,
Gardez que rien ne vous échappe»
Qu'on puide mal interpréter,
Ni des Cardinaux, ni 4u Pape;
Et pour la Conftitution ,
Montrez pleine ibunniflion,
XXIII.
p. 442. Pendant la paix que les Vénitiens fî-
Vcrs le j-gj^^ pQUj. (ijx ans avec Philippe Duc de
ccmcT' Milan, la guerre s^alluma entre les Flo-
du 15. rentins & ce Duc. Les Vénitiens profi-
fiède. tant de Toccalion lui enlevèrent quel-
ques places. Ce qui le contraignit de
quitter la guerre de Florence pour dé-
fendre fon pais. Un Vénitien ayant dit
là-deflus à un Florentin : f^ous neus de-
vez votre Liberté. „ Vous ne nous avez
5, pas délivrez, dit le Florentin^ mais
„ nous vous avons rendus traîtres.
XXIV.
Un homme d'Ancone , grand par-
leur , déplorant un jour fort tragique-
ment la décadence de l'Empire Romain,
comme fî c'eût été un événement tout
nouveau, Antonio Lufco Secrétaire de
Martin V. ami de Pogge, & homme
d'efprit dit là - defTus en riant : „ Cet
n homme me fait fourccir de ce Mila-
99 Qois
Recueil DE BONS MOTS. Ip^
5, nois qui ayant entendu raconter la
), mort de Roland arrivée depuis envi-
5, ron fêpt cens ans , s'en alla tout éplo-
5, ré dire à fa femme: Ah! quel mal-
55 heur ! on vient de m^ apprendre lot mort
55 de Roland qui défendait fi bien Us
5, Chrétiens.
XXV.
Un de ces Chanteurs d'Italie qui les Ibid.
jours de iiit récitent au peuple les ac-
tions des grands hommes, annonça un
jour que le lendemain il chanteroit la
mort d'He^or. Un homme fîmple qui
étoit dans la foule alla la bourfe à k
main trouver le Chanteur, le priant ins-
tamment de ne pas taire mourir fi tôt
un fi grand Héros. Le Chanteur diffé-
ra autant de jours que la dupe eut de
l'argent pour lui payer fes délais. Enfin
l'argent ayant manqué , il fallut que le
pauvre homme entendît , à fon grand
regret, raconter la mort d'Heétor.
XXVI.
Il y avoit à Florence un Gentilhom- p. 443.
me qui avoit une fort méchante fem-
me, & fur tout fort babillarde. Elle
n'alloie jamais à confefie qu'elle ne ré-
vélât au Curé tous les péchez de fon
mari. Le Curé en reprenoit fouvent le
N z ma-
ip6 PoGGiANA. Part. IF.
mari. Mais ce dernier étant allé aufîi à
Confefle au même Prêtre j Je ne viem
jpas 5 lur dit-il , pour me confejfer , mais
pour vous dire que cela n'efi pas nécejjai-
re^ parce que ma femme vous fait fou-
"jent toute ma Confejfion.
XXVII.
Ibid. Un certain fainéant de Florence , hom-
me fans profcfîion 6c fans bien , ayant ap-
pris qu'un Médecin avoit compofé des
pillulcs, qui lui faifoient gagner beau-
coup d'argent , fe mit aufîi à en faire en
grand nombre. Il les donnoit indiffé-
remment pour toute forte de maladies-,
c'étoit une felle à tous chevaux. Com-
me elles réufîîffoicnt quelquefois par ha-
zard, il paffa bien-tôt pour un grand
Médecin. Un jour un homme de la
Campagne qui avoit perdu fon une lui
demanda s'il n'avoit point quelque re-
mède pour le lui faire retrouver. 0«/,
dit-il , lions n'avez qu'à avaler Jix de
mes pillules. Il les avale & s'en va.
Etant en chemin pour s'en retourner ,
les pillules operoient bien fort, il falut
fc détourner dans un endroit maréca-
geux , oij il y avoit des rofeaux. Là il ap-
, perçut fon âne qui paifîbit. Là-defTus ne
' doutant point dcreffct des pillules, û
s'en
Recueil DE BONS MOTS. 197
s'en alla publier par tout qu'il avoit
trouvé un grand Médecin , qui non feu-
lement gueriflbit les maladies , mais qui
fàifoit retrouver les ânes à ceux qui les
avoient perdus.
XXVIII.
Antonio Lufco dont on parloit tout p. 444-
à l'heure étoit un homme à bons con-
tes. Il dit un jour qu'étant allé à Sienne
avec un Vénitien fort fimple peu ac-
coutumé à monter à cheval ils couchè-
rent dans une auberge où il y avoit
quantité de Cavaliers. Quand il fallut
partir chacun prend fon cheval fans que
le bon Vénitien branlât de fa place. An-
toine lui ayant demandé a quoi il s'amu-
foit pendant que tous les autres étoient
déjà à cheval. „ Je fuis, dit-il^ prêta
55 partir, mais comme je ne faurois re-
5, connoître mon cheval entre tant d'au-»
„ très, j'attens que tout le monde (bit
„ parti, parce que celui qui reliera fera
55 le mien.
XXIX.
Il y avoit à Rome un Cardinal * nom^ p. 445 .
me
• Il faut que ce foit Thimâs Brancatîo Napo-
litain, neveu de Jean XXI II. & à peu près de mê-
me humeur que fon oncle. Ce Cardinal desho-
nora fa famille & fa dignité par Tes mauvaifes
N 3 mœurs.
;v
ip8 VoGGiAi^A. Part. IF.
me le Cardinal de Naples, homme fans
efprit& fans mérite. Ilrioit toujours &,
comme on peut juger, le plus fou vent
fans fujet. Un jour revenant d'auprès
du Pape quelqu'un qui le vit rire dit à
fon voifin : Fous l'efrez ■qWil rit de la
fotiifè du Pape d'avoir fait un homme
comme lui Cardinal,
XXX.
Ibid. Le Concile de Conftance envoya en
IXpagne deux Moines noirs * à Benoit
XIII. pour l'obliger à renoncer au Pon-
tificat 6c pour les citer devant ce Con-
cile. Des que cet Antipape les vit :
Ce mot ^'^^'^î dit-il, deu:x corbeaux qui vien^
eft rap- nent fondre fur moi. il n''sji pas furpre^
porté dans j^^ant . lui repartit un des Pères, oue des
Conc.dt corbeaux je jettent Jur un cotps morî^
Ctnft. lui reprochant par là qu'étant condam-
p. 452" ne par le Concile , il ne devoir plus
être regardé que comme un Cadavre.
Comme ce même Antipape défendoit fes
droits avec chaleur devant ces deux Ab-
bez : Cefl ici^ crioit-il, c'ejî ici qu^eji
V JÎrche de Noé ^ voulant dire, l'Arche
de
mœurs, & par fes extravagances au rapport de
Ciaconius & d'Aubcri.
* C'ell ainû (ju on appelle les Bcnedictiss.
ReCUEILDE BONS Mots. Ipp
de r Alliance, // eft vrai y lui dit un des
Benediâ:insi qu'il y avoit bien des bêtes
dans V Arche de Noé,
XXXI.
Deux hommes allèrent chez un No- p. 448.
taire pour faire drefTer un contrat de
vente j Ce Notaire qui avoit vu des
formulaires de Contrat, mais qui n'en
avoit jamais fait , leur demanda Icuns
noms. L'un dit qu'il s'appelloit Jean^
l'autre Philippe, „ Ce Contrat, dit- il,
„ ne feroit pas valable. Dans tous ceux
„ que j'ai vus le vendeur s'appelle
„ Cûnrard,^V2.ch.çX.znxTttius ". Com-
me il n'en voulut pas démordre, quel-
que raifon qu'on lui dît , il fallut que les
contra^tans allafîent chercher ailleurs
un Notaire, non fans bien rire de I4
fimplicité de celui-ci.
X X X i r.
Les Florentins envoyèrent un jour Vf»^.
à Jeanne Reine de Naples un Doa:eur
en Droit qui n'étoit rien moins que
doâe, mais qui avoit grande opinion
de lui Se fur tout de (a bonne mine. Le
premier jour l'Envoyé expofa fà Com-
miffion. La Reine lui promit audience
pour le lendemain, 6c il ne manqua pas
de s'y îïouver. Comme il y avoit du
N 4 mon-
iôo PoGGïAVA. Part. IF.
monde dans la chambre, après quelques
entretiens , U témoigna à la Reine ,
qu'il avoit des. ordres fecrets qu'il ne
pouvoit lui communiquer qu'en parti-
culier. L'ayant fait entrer dans fon ca-
binet 5 il lui fit une déclaration d'amour.
Cet Article et oit-il aujji dans 'vus ïnjlrucr
iions^y lui dit la Reine fans s'émouvoir,
& le renvoya fort tranquillement.
XXXIII.
!P- 451- ' On fe plaignoit affez généralement
dans le fiècle de Pogge que les Papes n'é-
ievoient aux Charges Ecclefiaftiques que
des ignorans , des fous , & des gens de
mauvais caractère à toute forte d'égards.
Antonio Lufco ayant dit là-deflus que ce
h'étoit pas plus le vice des Papes que
des Seigneurs fecuhers conta cette Hif-
(a) Ils'ap- toire. Un Prince de Vérone (a) aveit,
Pfjl^'^ dit-il 5 auprès de lui un Ecclefiaftiquc,
^ *** nommé k Noble ^ fort ignorant, mais
bouffon, à qui il donna des bénéfices
confiderables. Ce Prince ayant envoyé
iin jour une Ambafiade à l'Archevêque
(b) Ce- Be Milan (b) , le Noble s'y joignit. Le
^!f J^^". dernier ayant plû à l'Archevêque par
YUcojiiti. j-^ ^jifcours fecetieux,le Prélat dit qu'il
feroit bien aife de pouvoii lui accorder
quelque grâce. Le Noble lui demanda
unç
Recueil DE BONS MOTS, tôt
une Charge d'Archiprêtre qui ctoit va-
cante. Bon , dit l'Archevêque en fc
moquant de lui , ce n'eft pas là une
dignité pour un ignorant comme vous.
„ Je fais, dit-il^ à la mode de mon
5, pais. Car à Vérone il n'y a que les
„ ignorans qui parviennent.
XXXIV.
Un Moine çonfefîànt une jeune veu- Ibid,
ve fort jolie en devint tout à coup amou-
reux. Comme il craignoit de fuccom-
ber à la tentation , il abrcgeoit autant
qu'il pouvoit la confeiîîon. Enfin la
veuve le pria de lui impofcr telle peni-
tence qu'il voudroit. Helas! dit -il,
iefi vous qui me Vavez donnée.
XXXV.
La Ville de Peroufe ayant envoyé p. 454;
des Députez à Urbain V. qui étoit à
Avignon 5 ils trouvèrent ce Pontife ma-
lade au lit. L'Orateur de l'AmbafTade
lui fit un long difcours, fans fe mettre
en peine de fon indifpofition 6c fans rien
dire qui allât au fait. Quand il eût fini,
le Pape leur demanda s'ils avoient quel-
que autre chofe à propofer. Comme
ils s'étoient apperçus de (on ennui >
Nos ordres portent de vous déclarer que
fi vous ne- nous accordez fur le champ ce
N y qm
i02 Po G G I A N A. Part. IV, ,
que nous vous demandons y notre Orateur
*vous fera encore le même difcours , aiiant
que nous partions d'ici. Là-delTus il leur
fît donner au plus vîtc leur expédition.
XXXVI.
p.4j6. Deux Juifs de Venifc étant allez à
Bologne , l'un d'eux y mourut. L'au-
tre voulant emporter le corps de Ton
camarade à Venifc le coupa en pièces ,
le fit bien embaumer , & le mit dans
un tonneau. La nuit un Florentin qui
v/ étoit près du tonneau , attiré par U
y{ bonne odeur des aromates ouvrit le ton-
neau & trouva la viande de fi bon goût
qu'il en mangea tout fon fou. Le len-
demain le Juif voulut emporter fon ton-
neau. Mais il fut bien furpris de le fen-
tir fi léger i II s'en plaignit. L'affaire
examinée il fe trouva que le Florentin
étoit devenu le Scpulchrc d'un Juif.
XXXVII.
Ibid. Fridcric II. avoit pour Secrétaire un
fort habile homme Italien , nommé
Pierre des Vignes , dont on a un bon
nombre de Lettres fous le nom de cet
Empereur. Ses ennemis l'ayant calom-
nié auprès de fon Maître , il fiit alTez
crédule & en même tcms afTcz inhu-
main pour lui faire crever les yeux. On
pré-
ReCTTEIL DE BONS MOTS. 20$
prétend qu'il s'en repentit & que mê-
me, il le fit fon Chancelier. Comme
Fridcric avoit befoin d'argent pour
poufl'er la guerre qu'il faifoic au Pape,
Alexandre III. qui l'avoit excommu-
nie, il conlulta là-defTus Pierre des Vi-
fnes qui lui conlcilla de (è lervir des
iens de l'Eglife pour lever une armée
& pour la payer. Le confcil fut goCitc.
Frideiic, qui étoit alors à Pife, pilla
tout l'or ôc tout l'argent des Eglilcs de
cette Ville, ôcen fit une groUc fom-
me. La capture étoit d'autant plus de
haut goût que c'étoit Alexandre IL Voycr
dont Alexandre IIL iliivoit bien kstra-'^-'ie'^"5
ces qui avoit enrichi la Cathédrale de ^ j.^^^T
r ) u Q. . ged Italie
les pms beaux ornemcns , oc entre au- de Dom
très d'une ceinture d'or qui en faifoit le Mabillon.
tour. Après cette exécution Pierre desP- ^^^'
Vignes dit à fon Maître. Je mt fuis
bien n^angé du nml que l'ous m'avez, fmt.
En nC étant la vue vous vous êtes rendu
odieux aux hommes^ ^ envous faifant
commettre et Sacrikge^ je vous ai attira
la coîer-e de Dieu, f^ous allez voir vos af-
faires tourner tous les jours de mal en
pis.
S'il étoit bien fur que Dieu s'inte-
reflat beaucoup à la confcrvation des
orne-
2:04 PoGGi AN A. Part. IP^.
ornemens fupcrflus dctantd'Egli{cs,ou
pourroit dire que Pierre des Vignes fut
Prophète , car Frideric fut enfin obligé à
Icfoumettreignominieufcment au Pape.
Je ferai une petite digrefîion au fujet
de ce célèbre Chancelier de Frideric
II. I . On voit pr le récit de Pogge
que Pierre des Vignes étoit Italien,
ik non AUeman , comme l'ont dit
Iriîheme & après lui quelques Moder-
nes. Cela paroît aufîî par quelques Let-
tres qui Ibnt parmi celles de Pierre des
Vignes & entre autres par une que lui
écrivit le Chapitre de Capoue oii cette
Eglife le regarde comme fon enfant
auflî bien que comme fon protefteur *.
i . On peut juger aufîî par le témoignage
de Pogge , que Pierre àcs Vignes étoit
innocent, & que comme un autre Bel'
lifaire, il fuccomba fous la calomnie de
fcs ennemis , qui dévoient être en grand
nombre, fur tout en Italie, oii il foute-
noit vigoureufcment le parti de l'Em-
pereur contre les Papes. II eft vrai que
Ad ann. Matthieu de Paris qui florilToit environ
fMS- un
* Epifi. Petr. de Vin. L. III. 43. Voyez auffi
la Lettre 4c. du même livre où il eft appelle en,'
fart de Capoue.
RECtTEILDEBONSMOTS. 20):'
un (lècle après la mort de Pierre des
Vignes, dit que celui-ci fut convaincu
d'avoir voulu faire cmpoifonner l'Em-
pereur par fon Médecin, Se qu'il fut
porté à cet attentat par de grolTes fom-
mes d'argent que le Pape lui donna.
Mais il femble plus naturel de s'en rap-
porter à Poggc fur un fait arrivé en
Italie, qu'à un Auteur A nglois tel qu'é-
toit Matthieu de Paris. D'ailleurs il y
a des Auteurs à peu près contemporains
& alléguez par Henri de Sponde qui fou- ^j ^^^-^
tiennent que Pierre des Vignes fut la 1249. n.
vidimc de la jaloufie que les Courti- J!^°J["^*
fans de l'Empereur avoient conçue du p,èn/des
■ crédit de cet habile Miniftre. En effet Vignes à
toutes les préfomptions font pour un 1* tête de
fi grand homme qui pendant fi long- [^^ ^^^'
tems avoit défendu fon Maître avec tant
de courage & de fermeté. Nemo repen-
te fuit turpijfimus. 3- A l'égard de cet-
te particularité que l'Empereur fe re-
pentit de fon injuflice & de fa cruauté,
qu'il reprit Pierre des Vignes à fon fer-
vice , que même il lui donna un poftc
plus éminent , Se qu'il lui témoigna
plus de confiance que jamais, ou Pog-
ge fe trompe , ou tous les autres Hiflo- *
riens qui difcnt unanimement que de-
puis
Z05 POGGIANA. P^r/. /^.
puis 1 24f . qu'il lui fît crever ks yeux
jufqu'à 1 24p. qui fut le dernier de Éi
vie, rErr>pcreur le fit, pour ainfi dire,
mourir à petit feu Ipfaifant traîner igno-
iRinieuiêment , dam toutes les vjlles
d'Italie afin qu'elles fuflent témoin de
fon fupplice , le livrant à la merci de
fes plus mortels ennemis , ou , félon
d'autres, le retenant dans une duie pri-
fon à Capouc ou à San Miniato j où
l'on prétend qu'il fe tua lui même de
defefpoir, quoique d'autres difent qu'il
le fit publiquement. Je voudrois bien
que le récit de Pogge fur le repentir de
l'Empereur fût véritable pour l'hon-
neur de ce Prince & pour la juftifica-*
tion de Pierre des Vignes dans l'efprit
de la poftcritc. Mais un feul Hiftorien
ne (âuroit balancer l'autorité unanime
de tous les autres , fur tout Pogge
n'ayant pas vécu dans le tems , & n'al-
léguant point de preuves de ce qu'il a-
vance.
XXXVIII.
p. 457. Un Chevalier Napolitain, que La-
diflas Roi de Sicile avoit fait Gouver-
neur de Peroiflc , reçut un jour deux
Lettres , l'une d'un Marchand qui lui
demandoit le payement de quelque det-
te.
Recueil DE BONS MOTS. 207
te, l'autre de ft femme qui le prioit de
venir bientôt îa confoler de fon abfen-
cc. Il répondit au Marchand qu'il le
pay croit dans peu. A l'égard de fa fem-
me il lui écrivit une Lettre la plus ten-
dre du monde, & en termes libres ÔC
même libertins. Il addrefla par mégar-
de à fa femme la Lettre pour le Mar«
chand , & au Marchand la Lettre pour
iâ femme. La femme comprit bien
qu'il y avoit de la méprifc, ce prit en
patience le chagrin que lui donnoit 8c
la bévue & la dette de fon mari. Mais
le Marchand fe croyant joué par une
Lettre ridicule, oii on lui promettoit
des careflcs au lieu d'argent, s'en alla
tout en colère montrer cette Lettre au
Roi qui n'en fit que rire. Le Marchand
fc croyoit moque du Chevalier, & il
le fut en effet de toute la Cour.
X X X T X.
Du tems de Francifco Carrario * Prin- p. 459^
ce dePadoue il y avoit dans cette Ville-
là unHcrmite en grande odeur de Sain-
teté , mais dans le fond franc hypocri-
te. Apres avoir débauché pluficurs fem-
mes
• II y en a eu deux de ce nom , le Pcre & le
fils, fur U fia du 14. ficdc. ?OQgc,lii/l. Fhrtnt,
Ao8 VoGGiAtJ A, Parf. IjT.
mes fous prétexte de les confeffer, là
comédie devint enfin publique. Il fut
arrêté 6c mené devant le Prince qui fit
auffi-tôt venir fon Secrétaire pour écri-
re la confefiioii du Moine. On lui de-
manda les noms de toutes les femmes
qu'il avoit feduites , il en nomma un
bon nombre. Comme le Secrétaire fedi-
vcrtifibit à cette énumeration il prefToit
l'Hermite avec menace, de n'en omet-
tre aucune, jijouiez donc ylui dit-ïi^vo*
ire femme à cette lijle. La plume tom-
ba des mains au Secrétaire ^ & le Duc
fe moqua de lui de s'être attire cette
mortification par fon avidité à (avoir
les fautes d'autrui.
X L.
p. 450. Les Faftions des Gibelins^ partifans
^V'a' ^^^ Empereurs, & des Guelphes qui é-
^lor. ' toient pour les Papes, defoloientl'Italicj
p. ijp. 6c fe pilloient fans quartier l'une l'au-
tre. Un Général*s'étant emparéde Pa-
vie par le fccours de la fàétion Gibeline
ne pilla d'abord que les Guelphes, mais
après leur avoir tout pris il fe jetta aufiî
fur les biens des Gibelins. Ceux-ci lui
en
* C'ctoit Frangi Canis Prince de 1» Scali,
yoyciHifi.Flfr.p. i6ot
Recueil DE BONS MOTS, zog
eh ayant fait des plaintes, îl eji 'uraî^
dit-il, mes enfans^ vous êtes Gibelins^
mais les biens font Guelphes.
XLL
Un Prêtre voyoit la femme d'un Ber= p. 461.'
ger & en eut un garçon. Quand il com-
mença à être grand, le Prêtre le deman-
da au Berger pour prendre foin de fon
éducation. Non nom, dit le Berger, //
faut qu'il demeure dans lamaifon. Je fe-
rois bien mal le compte de mon maître fi
fen ufois à V égard des agneaux qui naïf-
fent dans fa bergerie comme vous voulez
que fen ufe à V égard de cet enfant.
X L 1 1
Dans un Confeil tenu à Peroufe un Ibi4'
Paiïân ayant demandé quelque grâce,
trouva beaucoup d'oppolîtion de la parc
d'un des Citoyens. Le lendemain le Paï-
fan bien confcillé mena au Citoyen trois
ânes chargez de bled. Le prefent fut
bien reçu ,- & le Citoyeii. plaida forte-
ment la caufe du Païfan. Voyez ^ dit
quelqu'un là-delTus, comme les ânes font
éloquenSo
X L 1 1 1
Il y avoit à Viccnce un grand ufurier p. 463,'
qui néanmoins déclamoit fans cefle con-
tre les ufuriers Se prioit inftamment un
^om. IL O Pré«
2.10 PoGGiM^A.Part. IF.
Prédicateur de grande autorité dans là
Ville de ne point épargner ces gens-là.
Le Prédicateur qui connoiflbit l'hom-
me ne pouvoit pas comprendre quel in-
térêt il avoit à le preflcr là-deflus avec
tant d'importunitc lui qui faifoit pro-
feflîon d'ufurtf. Il lui en demanda la rai-
fon. Cfft^ àit-'û^ qu'il y a fant cTufu'
riers dans la Fille que je ne gagne rien-,
au lieu que fi par vos prédications 'vous
pommez corriger ce vice tout le monde 'vien-
dra chez moi,
X L 1 V.
f. 467. Un pauvre Batelier qui n'avoit rien
gagné de tout le jour s'en retournoit
tout trifle chez lui , lorfque quelqu'un
l'appella pour le pafler dans fa barque.
Le trajet (c fitgayement. Mais le Bate-
lier ayant demandé fon payement , le
paflager protefta qu'il n'avoit pas un fol
fur lui 5 mais qu'il lui donneroit un con-
feil qui lui vaudroit de l'argent. Bonf
dit le Batelier, ma femme B mes enfans
ne vivent pas de confeil. N'en pouvant
tirer d'autre raifon, il demanda enfin
quel étoit donc ce confeil ? C'f/? , dit-il .
• de ne jamais pajfer perfonne fans vous
faire payer par avance.
XLV
Recueil DE BONS MOTS, lit
XLV.
Un certain Milanois, foit par bêtifc P* 468;
îôit par ollentation , avoit écrit tous Tes
péchez dans un gros Livre qu'il porta à
Ion Père ConfefTeur. Le Père qui étoît
homme d'efprit effrayé de la groflèur
du volume fe contenta de faire quelques
queftiônS aU Pénitent & puis lui décla-
ra qu'il lui donnoit l'abfolution de tout
ce qui étoit dans fon Livre. Celui-ci
lui ayant demandé quelle pénitence il
lui impofoit. Délire^ dit-il, pendant
un mois ce Livre-là fept fois par jour. Il
eut beau crier à l'impofîibilité, il fallut
qu'il en paflat par là.
XLVL
Il feroit à fouhaiter qu'on imitât à P-47ô^'
l'égard de tous les médifans la conduite
d'un Moine Auguftin de Florence. Il II s'appela
enféignoit la jeunefle avec beaucoup de îf'^Tii^?*'^
fuccès. Un de les Ecoliers qui avoit fait gjj^ *^'
de plus grands progrès que les autres s'at-
tira l'envie de Tes camarades. L'un d'en-
tre eux alla trouver le Précepteur, &
lui dit qu'un tel ctoit un ingrat Se qu'il
parloit mal de fon Maître. Depuis quand
le connoijfez'vous ^ lui dit le vénérable
vieillard ? Depuis un an , dit l'autre,
9) Il faut que vous vous croyiez bien
O % j5 ha«
lit VoGGiAiJA. Part. IF.
5, habile & que vous me preniez pouf
„ un grand lot fi vous vous imaginez
' que depuis dix ans je ne connois pas
„ mieux le caraûere & les moeurs de
„ ce jeune homme que vous qui ne le
,. connoilTcz que depuis un an.
" XL VIL
Ibid, On demanda un jour a ce même Re-
ligieux ce que fignifioient les deux poin-
tes qui font aux mitres des Evéques.
Vumi dit-il, figmfie l'Jncien (^ F au-
tre le Nouveau "teftament que les Eve-
t^nes doivent favoir par coeur. Mais que
rignificnt,continua-t-on , les deux elpe-
ces de counoyes qui pendent à la mitre
derrière le dos. Cela veut dire que les
Evêques ne favent m le Vieux ni le Nou-
veau Tefliti/ie7iî.
X L V 1 1 L
" ^. 47 r : Un Grand d'Efpagne avoit un fils fi
médiÉiot qu'il fiit oblige de Im défen-
dre de jamais ouvrir la bouche. Le Pè-
re & le Fils fc trouvèrent un jour en-
femblc au diner du Roi & de la Rei-
ne d'Eïpagnc. Cette PrincdTc qui paf-
foit pour être fort galante croyant le
ieune homme fourd aufii bien que muet
pria fon Père de le lui donner pour la
ibrvir. Le Pcre y confentit, le fils tut
te-
Recueil DE BONS MOTS. 115
témoin des intrigues de la Reine pen-
dant deux ans. Au bout de ce tems-là
le Roi demanda au pcre 11 fon fils étoit
muet de nailTance, ou par quelque ac-
cident. Cen'efi^ dit-il, ni l'un ni TaU'
trcy mais je lui ai défendu de parler 4
caufe de fa mauvaife langue. I_,e Roi or-
donna au père de permettre à Ion fils
de pr©noncer feulement quelques mots.
Le perc s'en défendit long-tcms,difant
qu'il pourroit en arriver du fcandale.
Enfin le fils eut permiiîîon de parler &
fe tourna vers le Roi , Sire , dit-il , ^'ous
avez la plus impudique ^ la plus mé-
chante de toutes les femmes. Le Roi
confiis lui défendit de rien dire davan-
tage.
X L I X.
Un François & un Génois qui avoicnt p, 47^:
tous deux une tête de bœuf dans Icui's
armes prirent querelle là-defl'us. Le
François appella le Génois en duel &
ce dernier accepta le défi. Comme ils
ctoient fur le point de fe battre, le Gé-
nois demanda , quel étoit le fujet de
leur démêlé. C'ell , dit le François,
parce que vous avez ulurpé mes aimes.
f'^ous vous trompez , dit le Génois , vos
€rmes font une tête de boeufs les mien-
O 3 m
2Ï4 V o G Giw^K. Part. IV.
nés font une tête de Vache. Ainfî finit
le combat.
L.
©.'474,' Le Capitaine d'un vaiffeau Anglois
fe voyant en danger de faire naufrage
voua à la Vierge Marie un cierge auffi
grand que le mât du navire , s'il en
echappoit. Quelqu'un lui reprefenta
qu'il n'y avoit pas aflez de cire en An-
gleterre pour accomplir le vœu : Pro'
mettons toujours^ dit-il, fi nous échap^
fcns du danger^ il faudra bien que la
bonne Damefe contente d'un -petit cierge,
LI.
p. 471; ^" citoit un jour à Venifc dans un
Plaidoyer la Novelk & la Clémentine *-.
Le Juge qui ctoit fort ignorant avoit
chez lui deux femmes de ce nom. Il
s'imagina que l'Avocat les appelloit en
témoignage & le cenfura aigrement de
citer deux concubines dans une Aflem-
blée fi grave.
LII.
» 476. ^^ Egyptien qui étoit en Italie eut
■ ■ un jour la curiofité d'aller entendre la
Mete. On lui demanda fon fcntiment
fur
• KovelU Conftitutions de Juftinien , C/rwf »«=
JM Conftitutions de Clcmcnt Y»
Recueil DE BONS MOTS, aif
fur cette cérémonie. Il en approuva
tout à ur).e çhofc près. Ceft , dit-il ,
^«V/ n'y a point de charité^ car f ai vu
là un homme qui mangeoit ^ bu"joit tout
feul fans rien donner aux autres qui de-
^voient avoir faim ^ foif auffi bien ^ue
lui,
LUI,
Un EvêqueEfpagnol envoya (on va- Ibitï-
let un vendredi acheter du poiflbn. Le
valet n'en trouva point au marché, *
mais il apporta deux perdrix. L'Evê-
que lui ordonna de les rnettre en bro-^
che & de les lui fervir. Le valet lui re-
préfenta qu'il n'étoit pas permis de
manger de la viande ce jour-là. Ne Ce mot
fais-tu pas ^ dit le Prélat, que je fuis ^^^^^^
Prêtre ^ que par confequent il ^^ 7^^^ nouvelles
plus aifé de faire d'une perdrix un poifjon^ & a été
qu'il ne me Veft de changer le pain dans tire de
le corps de Chrift. Là-defîlis il fît le^^SS^r
fîgne de la croix , & ayant commandé
que les perdrix devinflent poifTons, il •'
les mangea comme tels.
Liy.
La plupart des gens qui fe divertîf- î^^î»
fent des fous font aufîi fous qu'eux. Un ^^^^^^^,
Archevêque de Cologne avoit un fou rac a imi-
qu'il fâifoit coucher avec lui. Le Pré- té ceci
O 4 lat^ansfon
li6 VoGGiAi^ A. Part. ly,
Matthieu lat ayant un jour une Nonain à côté de
«Sareati, lui , le fou tout étonné de fcntir quatre
jambes demanda à qui elles étoient. El-
les font toutes quatre à moi , dit l'Ar-
chevêque, le bouffon au même inftant
court dans la rue, 6c crie tout haut"^
•venez voir un nouveau monjîre j notre Ay -
chevêque en quadrupède.
LV.
p. 45J. Le Cardinal de Bourdeaux fît autre-
fois ce conte à Pogge. Un Bourdelois
fe retira un jour chez lui, fe plaignant
fort d'un grand mal de jambes. La fem-
me la lui frotta , & la lui enveloppa
bien. Comme il crioit toujours les
hauts cris, on alla chercher le Méde-
cin. Celui-ci ayant touché la jambe
prétendue malade , afTura qu'il n'y avoit
pas le moindre mal -, Ceft donc l'autre ,
lui dit le Vifionnaire.
L V I.
?♦ 459' Quelques Frères mineurs étoient al-
lez chez un Peintre pour faire faire le
portrait de S. François d'Afîife *. Ils
furent tout un jour à débattre en fa
préfence , lî pn le peindroit ftigma-
ti-
* Moine fatiatiqae du trciiicme fièdc , cano-
giilii par Innocent III,
Recueil DE BONS MOTS, iij
tifé * , ou prêchant , ou fous quelque
autre attitude. Lorlqu'ils fe furent retir-
iez pour s'aller coucher , le Peintre qui
crût qu'ils s'étoient moquez de lui, pei-
gnit S. François joiiant de la flûte.
D'autres difent pendu à un gibet, Jls
voulurent faire pendre le Peintre , mais
jl avoit gagné au pied.
L V 1 1.
Il n'y a point de lieu où le jugement p. 433;
6c la bienfeance foicnt plus neceflaires
qu'en Chaire. Un Prédicateur prêchant
à Tivoli contre l'adultère avec beau-
coup de véhémence, s'emporta folle-
ment jufqu'à dire qu'il aimeroit mieux
connoître dix filles qu'une femme ma- rj
riée. Il y a^ dit (|lielqu'un là-defTus,
bien des gens de votre goût.
LVIII.
C'efl une coutume en Hongrie qu'a- p. 46*, \
près la Mefle tous ceux qui ont mal aux
yeux s'approchent de l'autel pour (z
faire verfer de l'eau du calice par le Prê-
tre officiant , qui prononce en même
tems quelques paroles de l'Ecriture en
Hon-
• Les Stigmates font les marques des playes
de notre Seigneur que les Cordcliers prétendent
qu'il avoit imprimée, fur le corps de leur S, Fraaj
cois, .
? Or
iti8 PoGGïAfi A. Part. IF.
Hongrois pour leur fouhaittcr la con*.
valefcence. Un Prêtre Florentin , qui
fc trouvoit en Hongrie, ayant un jour
dit la Mefle en prefcnce de l'Empereur
Sigifmond , plufieurs gens qui avoient
mal aux yeux s'approchèrent du Prêtre,
afin qu'il y répandît de l'eau du calice
félon la coutume. Le Prêtre qui crût
que les yeux ne leur pleuroient que pour
avoir trop bu la veille , leur verfa de
l'eau & leur dit en Italien , Mourez
plutôt de Tépée que de trop hoire. L'Em-
pereur en rit 6c en ayant fait le conte à,
table, tout le monde en rit auffi, hor-
mis ceux qui avoient mal aux yeux.
p ^j La coutume ô^l'éducation mettent
beaucoup de différence entre les hom-r
mes. Un homme fort riche allant en
hyver à Bologne, fourré depuis la tête
^ufqu'aux pieds rencontra , un jour qu'il
fàifoit un froid horrible un pauvre Paï-
fan qui n'avoit fur lui qu'un méchant
juflaucorps. Le Voyageur lui deman-
da s'il n'avoit pas grand froid. Non,
lui dit le Païfan d'un vifage fort gai.
Comment cela fe peut-il ? je gelé fous
mes peliflcs. Ah , dit le Païfan , ft
comme moi vous portiez tout ce que
^OÎtS
Recueil DE BONS MOTS. Zip
vous avez d'habits vous n'auriez point
froid.
LX.
Il y a des exemples de fîmplicité fort p. 45»*
fînguliers ôc fort facétieux. Un Païfan
de Pergola , petite Ville de l'Etat de
l'Eglife dans le Duché d'Urbjn, eût bien
voulu marier fa fille à un de fcs voifîns.
Le yoilîn n'y vouloit point entendre
parce qu'il la trouvoit encore trop jeu-
ne pour être mariée. Oh^ dit le père,
die e fi 'bien nubile ^ car elle a déjà eu,
• trois enfans du Vicaire de notre Curé.
LXI.
En voici un autre exemple. Un Vc- 'p, 4^4^
nitien homme fort fîmple, étoit mon?
té à cheval pour aller à la Campagne \
Il avoit derrière lui fon valet à pied.
Le cheval donna un coup de pied au
valet, qui de colère prit une pierre &
la jetta contre le dos de fon maître
croyant la jetter au cheval. Le maître
• crut, que c'étoit le cheyal qui lui avoit
donné un coup de pied. Cependant
comme le valet ne pouvoit pas marcher
fort vîte 1g maître le querelloit i Je ne
faurois, dit-il, marcher plus vîte, vo-
tre cheval m'a blefle. Oh, dit le Veni-
^eq, ce n'eft rien, c'ell une bête fort
2.10 VoGGiAJ^ A.. Part. IF.
vicicufc, elle m'a aufli donné un coup
de pied dans les reins.
L X 1 1.
jp. 488. Un de ces Moines quêteurs qui vont
par le pais demandant l'aumône pour
S. Antoine de Padoue , avoit tiré une
bonne quantité de bled d'un PaiTan , fur
la promeflc qu'il lui avoit faite qu'il
profpereroit cette année -là, & qu'il
ne perdroit pas une de Tes brebis. Le
Paiiân , fur la parole du Religieux laif*
(à errer fes brebis à l'avanture, il vint
un loup qui en mangea plufieurs. Le
quêteur revint l'année fuivante & rede-
manda du grain. Mais le Païfan lui en
refufa & fe plaignit qu'il l'avoit affron-
té ôc que le loup avoit mangé lés bre-
bis. Oh , dit le Moine , je ne m'en éton-
ne pas , il ne faut point vous fier au loup,
e'elt une méchante bête qui n'a point
de parole. Elle tromperoit non feule-
ment S. Antoine, mais notre Seigneur
Çi elle pouvoit.
Antoine furnommé de Padoue, par-
ce qu'il étoit Profefleur en Théologie
dans cette Ville & qu'il y mourut , étoit
un Moine Francifcain , Originaire de
Lisbonne. Il fut canonifé par Gregoi-
l^elX. dans le XIU"^«. fiécle. Voici fe
HeCUEIL DE BONS MOTS, iil
jugement que Poîydore Vergile Auteur Polyd,
Italien faifoit des Moines de ce nom^^SJï*
fur la fin du XV'"^ fiècle, & par con^ ^'yH'
ièquent avant la Réformation, Ceflyp.^66. y
dit-il, une racaille de gens qui pillent le fl
peuple Chrétien avec autant d'impudence
que d'impunité. Ils portent la lettre Tp
peinte fur leur poitrine , pour être rer
connus Difciples de S. Antoine , ^ pour
demander r aumône fous ce prétexte. En
certaines fatfons de Vannée on leur don-
ne des porcs qu'ils mènent de village en
mllage afin qiCon les murrijfe en Thon-
neur de S. Antoine , à qui cet animal (^
plufieurs autres font confacrez.
L X I ï I,
Un Voyageur ayant fait bonne cheré p^ .g, .
dans un cabaret , l'Hôte lui demanda Ton
payement. Le Voyageur dit qu'il n'a-
voit point d'argent, mais qu'au lieu de
cela il lui chanteroit les plus jolies chan-
{bns du monde. Le Cabaretier répon-
dit qu'il vouloit de l'argent & non des
chanfons. Mais fî je vous en chante une
qui vous plai(è,ne la prendrez- vous pas
Eour argent comptant ? A la bonne
eurCjdit l'Hôte. Il lui en chanta plu-
fieurs qui ne lui plurent point. Enfin
îf Chanteur mettant la main à la bourfc
€om'
îii VoGGiAN A. Pari. IF.
comme s'il eût voulu la délier; Pour
cette fois je m'en vais vous en chanter
une qui fera de votre goût. Il fe mit à
en chanter une qu'on appelle en Ita-
lien la Chanfon du Voyageur. Mettez
la main à la hourfe i^ payez VHote, Gel-'
le-ci vous plait-elle? Oz/i, dit l'Hôte.
Vous êtes donc payé ^diix. le Voyageur 5&
S'en alla.
LXIV.
\f, 468. Un Do6tcur de Milan fort ignorant
S'imaginoit que les oifeauxfuyoientnort
aii fon de la voix, mais uu fens des pa-
roles que l'on prononçoit. Il eut un
jour Ja curiofité d'accompagner un Oi-
felcur qui alloit prendre des oilêaux au
filet. Celui-ci lui recommanda fort de
ne point parler. Mais dès qu'il vit des
oifeaux afTemblez il crut devoir en
avertir l'Oifeleur ; les oifeaux de s'envo-
ler. L'Oifeleur le pria encore une fois
de ne dire mot, & il le promit. Les
oifeaux revinrent 6c le Dofteur cria en
Latin : Foila des oifeaux. Comme l'Oi-
fèleur lui en faifoit des reproches , je ne
croyois pas^ dit-il, que les oifeaux enten»
àiffent le Latin.
LXV.
Un homme de Peroufe fort obéré
s'en
p. 473.
Recueil DE BONS Mots, ii^
s'en alloit dans la rue tout melancholi-
que. Quelque paffant lui demanda quel
étoit le fujet de fa trifteflc. Je dois^
dit-il, & je ne faurois payer. Boni lui
repartit l'autre, Laijez cette inquiet U'
de à 'votre Créancier.
LXVI.
Un certain boufon connu de Poggé, p. 4761
demanda à un Religieux lequel étoit le
plus agréable à Dieu de dire ou de fai-
re. Le Religieux répondit que c'étoit
de faire. Il y a donc plus de mérite, dit
le boufon i à faire des Patenôtres * qu'à
en dire.
L X V 1 1.
Il n'y a rien de fî ordinaire que de p. 48 ij
Voir les Fanfarons de bravoure faigner
du nez dans l'occafîon. Lorfque l'Em-
pereur Frédéric II. mourut en Italie -f",
la guerre y étoit allumée de tous cotez.
Un jour dé bataille un Officier de dif-
tinc-
* Les Patenôtres font des chapelets avec Icf-
quels on recite le Pater.
t 11 mourut en 1159. dans la Fouille au Royau-
me de Naplès proche de Luceria , & non à Sien-
ne proche de Florence , comme le dit Pogge.ne
penfant pas qu'il y a auffi dans la Fouille un en-
droit qui s'appelle Florence, ou Florenzola. Stru-v,
Synt. Hifi. Germ, DifT, XX,
zz4 PoGGiANA. Part. IV.
tinébion fut des premiers à cheval fai-
lânt de grandes rodomontades Ôc re-
prochant aux autres leur lenteur 6c leur
lâcheté, y irai , difoit-il , contre renne-
mi quardje den^rois y être [euh II fit en-
viron un mille aii grand galop. Mais
comme il vit revenir du combat, qui
avoit déjà commencé , des Soldats cou-
verts de bleflures j il fe mit à n'aller que
ie pas. II s'approcha enfin pas à pas ,
mais entendant les cris des deux armées,
éc voyant que le combat étoit furieux,
il s'arrêta tout-à-coup comme s'il eût
été pétrifié. Quelqu'un qui l'avoit en-
tendu fe faire tout blanc de fon épéc,
lui demanda pourquoi il n'avançoit
pas. JefenSi, dit-il, que je ne fuis pas
intrépide comme je me croyois.
LXVIII.
I'. 48 j. Un Tyran qui ne cherchoit qu'à fàî-
gner (qs Sujets en exigeoit d'eux des
chofes impofTibles fous de grofles pei-
I nés. Il commanda à l'un d'eux d'ap-
yJr prendre à lire à un âne. L'autre n'ofant
/\ ' refufcr demanda dix ans de terme pour
pouvoir exécuter cet ordre, il les ob-
tint. Comme on le moquoit de lui d'a-
voir entrepris une choiê auiîi impofîi-
blc, Laijfsz-moi faire ^ dit-il, y> n'ai
rien
ReCÙEILDE BONS MOTS. 22^»
rien à craindî-e , avant ce tems-là ou je
Tîourrai^ ou Pâne^ ou mon jnatTre tnour-
ront.
LXIX
Un Curé annonçant au peuple la fc- P- 4Î<5o
te de V Epiphanie, Je nefai^ dit-il, Jt f' ^P*"
('eji un homme ou une femme ^ mais c'efi eft com-
une grande folemnité. muné-
LXX. ^JJ^t^l^
Il y a beaucoup de gens qui pour Rofg. *
lâuver les apparences font commettre Ibid,
par d'autres à leur profit des crimes
qu'ils ont honte de commettre eux-mê-
mes. Un homme qui avoit befoin d'ar-
gent alla pour en emprunter fur gage
chez un vieux Bourgeois qui avoit fait
métier d'ufure, mais qui feignoit d'y a-
voir renoncé. L'emprunteur portoit
pour gage une croix d'argent, q>\x on
prétendoit qu'il y avoit un morceau du
bois de la vraie croix. Le rufé vieillard
répondit qu'il ne fe mêloit plus de ce
mauvais trafic , mais qu'il avoit un pen-
dart de fils qui pourroit lui faire fon af- ^
faire. Il le fait conduire chez fon fils ■
par fon valet. Apeineavoit-il fait quel-
ques pas que le vieux ufurier cria au va-»
let : Au moins ^ dites à mon fils qu^il rab'
bâte de lafomme ce que pefe le bois.
rom, IL P LXXI
ti6 P o G G I A N A. Part. IF.
LXXI.
îbid. Un Chevalier de l'Ordre de la Toi-
fon d'or étant venu en Ambaflade à Flo-
rence faifoit parade de plufieurs chaînes
qu'il avoit à Ton col. Un homme d'el-
prit dit là-defllis : On fe contente d'une
chaîne pour les autres fous , mais celui-ci
en 'veut avoir plufieurs.
LXXII.
Ibid. Il y a des gens qui goguenardent 6c
profanent jufqu'au dernier foupir. Un
Religieux qui étoit allé voir un hom-
me de ce mauvais caraétere au lit de la
mort lui difoit entre autres chofes, que
Dieu avoit accoutumé de châtier ceux
qu'il aime. Je ne ni" étonne donc pasj
dit le malade , Ji Dieu a fi peu d'amis
puis qu'il traite fi mal ceux qu'il aime *.
LXXIII.
Ibid. Il y a de faux penitens qui femblent
n'aller à confefTe que pour (ê moquer
de la Religion ôc du Confcfleur. Quel-
quefois même le Confefleur & le Péni-
tent ne valent pas mieux l'un que l'au-
. tre. On voit des Confefleurs qui abfol-
vent
* Voyez une femblablé impieté dans la note
fur Dam on de la première Satyre de Dcfpreaiix
au fujet de M. Caii^drc.
ReCUEILDE BONS MOTS. ZlJ
vent leurs Penitens , dépens compenfez ,
à l'exemple des Juges qui mettent quel-
quefois les plaideurs hors de cour 8c de
procès comme II devant Dieu le péché
de Tun pouvoit expier celui de l'autre.
Un Pénitent alla dire un jour à Ton Con-
felTeui' qu'il avoit volé fon voifin, mais
que ce même voifin l'avoit volé auffi.
Ce même homme lui dit encore : „ J'ai
3, battu un homme , mais il s'eft bien
55 revenché ". Hé bien ^ dit le Prêtre,
Vun ejk compenfé par P autre. 5^ J'ai en-
55 core à me confefTer d'un grand pé-
„ ché, dit l'Hypocrite, mais je n'au=
^, rai jamais le courage de vous l'avouerj
5, parce qu'ilvous regarde de fort près".
Après avoir long tems balancé, il fe ren-
dit aux inftances du Prêtre. ^5 J'ai,
^, dit-il, abufé de votre fœur "j (^
fnoi^ dit le Prêtre , plus d'une fois de
votre mère. Ainfi nous 'voila quitte à
quitte.
LXXIV.
On débite quelquefois au peuple des p.'47d;
miracles qui portent avec eux leur ré-
futation , mais dont la fingularité mé-
rite quelque attention. Pogge témoi-
gne qu'étant un jour à Rome au Ser-
îïion qu'un Augufiin faifoit dans TEgli-
P ^ fe
n
2^8 PoGGIANA. Part. Ip''.
fe dé Latran, ce Moine pour engagef
le peuple à la pénitence raconta publi-
quement un miracle qu'il difoit avoir
vu 5 il y avoit fix ans j „ Etant un jour,
difoit - il , avec les autres Religieux
dans la Bafilique de Latran à dire ma-
tines , il fortit d'un tombeau , dans
lequel depuis environ quinze jours on
avoit enterré un Citoyen Romain,
une voix qui appelloit les Religieux.
Elle le fit entendre plulîeurs fois inu-
tilement parce quelesMoinesétoient
trop effi^yez. Mais enfin s'étant
raflurez ils allèrent où la voix les ap-
pelloic. Le mort leur cria de ne rien
craindre, mais d'ôter la pierre 6c d'al-
ler chercher un calice. Ce qu'ayant
fait le mort fe leva , & rejetta dans
le calice l'hoflie confacrée qu'il avoit
prife avant fa mort , & leur décla-
ra qu'il étoiî damné & qu'il fouf-
froit des tourmens horribles pour
avoir connu fa mère & fa fille , 8c
ne s'être pas confefle de (ts crimes
après quoi il fe recoucha ". Poggc
ne dit point fon fentiment fur ce mira-
cle prétendu. Le mien eft que la plus
grande grâce que 'l'on puifle faire au
Moine, c'eft de croire qu'il avoit vu
ce
Recueil DE BONS MOTS, tzp
ce miracle en fonge, & qu'à force de •
le raconter , il s'étoit perfuadé qu'il
ptoit véritable.
LXXV.
Il y a dans la Romagne un Bourg
gppellé Pera qui appartenoit autrefois
aux Génois, & où la plupart des Am-
bafladeurs Chrétiens en Turquie font
aujourd'hui leur refidence. Quelques
Génois étant allez à Conftantinoplc
pour y negotier furent infultez par des
Grecs qui tuèrent les uns 6c blelîerent
les autres. Le Conful des Marchands
Génois en porta des plaintes à l'Em- Ce pou-
pereur des Grecs; Ce Prince pour tou- y?.'^^^/*
I •,..• r:^ r 1 .. Michel
te punition nt rater le menton aux cou- pajcoio.
pables, ce qui efl une grande ignomi-gueou
nie en ce païs-là. Le Conful fe croyant Andronic
infulté par une punition qu'il trouvoit *^^ '^ ^
légère permit aux Génois de fe vangcr
eux-mêmes. Ils allèrent donc à Conftan-
tinoplc & firent main bafle fur plu-
fîeurs Grecs.
L'Empereur s'en plaignit au Con- p. 474.
fui qui étoit à Pera , & ce dernier pro-
mit d'en faire bonne juftice. Il fit en
effet amener un jour les coupables dans
la place publique, comme s'il eût vou-
lu leur faire couper la tête. Tout le
P 5 mor\-
ij^o VoGGiAi^ A. Part. IP^.
' niondey accourut, Grecs 6c Latins. Les
Prêtres s'y trouvèrent avec leurs croix
pour conduire les ibppliciez au cimetière.
Le Conful ayant fait faire filence ordon-
na qu'on raiât le derrière aux coupables,
difant que c'étoit là , & non au menton
que les Génois avoient de la barbe.
LXXVI.
p. 47Z. Du tems d'Eugène IV. il y avoit
quantité de courtifannes à la Cour de
Rome & cette Cour étoit fort effémi-
née. Un Cardinal Grec y étant venu
avec fa longue barbe on lui confeilla
de la faire rafer pour fe conformer à
l'ufage. iVo;? «o^ï, dit le Cardinal Ange-
lot, il faut bien qu'il y ait un bouc par-
mi tant de chèvres.
LXXVIL
'■■ ». 465. Un Notaire de Florence, qui avoit
i peu de pratique, s'avifa de cette friponr
nerie pour gagner de l'argent. Etant
allé trouver un jeune homme dont le
père étoit mort, il lui demanda s'il a-
voit été payé d'une certaine fomme que
fon père avoit prêté à quelqu'un qui
étoit mort auffi. Le jeune homme dit
qu'il n'avoit point trouvé cette dette
parmi les papiers de fon père. „ J'en ai
^5 fait moi-même l'obligation & je l'ai
5?
en-
Recueil DE BONS MOTS. 2^r
„ entre les mains , il ne tient qu'à vous
„ de l'acheter ". Le jeune homme
acheté le faux aâ:e 6c fait afligner le fils
du prétendu débiteur. Celui-ci foûtint
qu'il paroiflbit par les Livres de fon Pè-
re qui étoit Marchand, qu'il n'avoit ja-
mais rien emprunléjÔc alla trouver leNo-
taire pour l'accufcr d'avoir fait un faux
aéle. „ Vous n'étiez pas au monde,
35 dit le Notaire , quand cette fomme
5, fut empruntée. Votre père la rendit
55 au bout de quelque tems & j'en ai
55 chez moi la Quittance ". Le jeune
homme la racheta 5 6c le Notaire par ce
moyen tira de l'argent des deux cotez.
LXXVIII.
Martin V. comptoit un jour que le p. 44S'
Légat de Bologne ayant traité de fou
un Doéleur qui follicitoit quelque grâ-
ce avec importunité5 le Dofteur de-
manda au Légat quand il l'avoit furpris
à foire Taétion d'un fou. iLe Légat lui
marquoit une certaine occafion ou il
prétendoit qu'il avoit fait une folie. Vous
vous trompez 5 dit l'autre 5 je n'en ai fait
que quand je 'vous ai fait Docteur , car
vous rfen étiez pas capable *.
P 4 LXXIX,
^ Il faut que ce foit BalthazarCoffaqui fut de-
puis Jean XXIll.depolé au Concile dcConftancç,
t^l POGGIANA. P^r/. //^.
LXXIX.
9.441? A trompeur trompeur 8c demi ,
dit le Proverbe. * Un Renard voyant des
poules juchées avec leur Coq dans une
cour tâchoit de les attirer par de belles
paroles. J'^^y dit-il, une bonne mu-
'velle à vous apprendre , c''ejl que les anp-
fiiaux ont tenu un grand Confeil^ 6? on}
fait entre eux une paix éternelle. Defcen-
dez 5 dit - il 5 célébrons de bonne amitié
cette paix. Le Coq plus fin que le Re-
nard fe drefle fur les ergots 6ç regarde
de tous cotez, ^e regardez-vQus? dit
le Renard. Je regarde deux chiens qui
s'avancent , & le Renard de fuir à tou-
tes jambes. Eh^ dit le Coq, la paix eji
faite entre les animaux. Oh , dit le Re-
nard , peut-être que ces deux chiens fCen
favent pas encore la nouvelle.
LXXX.
\ f . 43*» Un Paifan étant monté fur un châ-
• taignier pour fecouer des châtaignes
tomba en defcendant 3c fe rompit une
côte. Si vous m^ aviez confulté ^ dit
quelque mauvais plaifant qui fç trouva
là,
* La Fontaine a imite cette Fable , mais il a
omis la repartie du Renard fugitif qui a beau-;
éoup de feli -
Recueil DE BONS MOTS. 2,3$
là, ce malheur ne vous fer oit pas arrivé^
tnais mon Confeil pourra vous fervir,
pour l'avenir. Cefi de ne defcendre ja-
inais plus vête que vous êtes monté,
LXXXI.
Un certain Nicolas homnie favant , p. 4^9.
mais d'un efprit fatyrique & d'une lan-
gue fort mal apprife , fe moquoit un
jour d'Eugène IV. en ces termes. „ Je
5, fuis le plus malheureux de tous les
5, homrnesi C'eft aujourd'hui le regnç
5, de la Folie , le Pape avance tous les
55 jours des fots & des fous. ^ Je fuis le
5, ieul pour qui il ne fait rien. C'eft,
„ difoit-il , fa faute , car j'ai tout le
-5 mérite qu'il faut pour parvenir.
LXXXII.
Un certain Abbé fort gras & d'une Ibid,
grofleur excefîive allant un foir afl'ez
tard à Florence demanda à un Païfan ,
s*il entreroit bien dans la Ville. Oui^
4it le Païfan , qui jouoit fur l'çquivo-
que du mot entrer^ puis qu'un chariot
de foin y entre bien.
LXXXIII.
On trouvem ici le caraftci'C de bien
des gens. Un Seigneur de Rome étant
allé a Florence pour y entrer en poffef-
iion de quelque charge tint tout un jour
P f les
134 PoGGiANA. Part. IV.
les principaux de la Ville à ne parler
que de lui. Il leur difoit qu'il avoit été
Sénateur Romain , & leur racontoit
avec emphafe tout ce qu'il prétendoit
qu'on avoit jamais dit ou fait à fa
gloire. Après cela il rendoit compte de
fon Voyage , comment il ctoit parti de
Rome , & par qui il avoit été accom-
pagné à fon départ, puis il difoit que
la première journée il étoit arrivé à Su-
tri , 6c racontoit ce qu'il y avoit fait
jufques aux moindres choies. Il s'étoit
déjà pafTé plufieurs heures fans que fa
narration l'eût conduit à Sienne. Un
des auditeurs ennuyé , comme tout le
relie de la compagnie, de la longueur
d'un difcours li làlhicux & Il inlipide,
lui dit à l'oreille , qu'il étoit tard &
que s'il ne hâtoit fon Voyage pour ar-
river à Florence, il manqueroit l'affai-
re imponantc qui l'y avoit fait venir.
Il profita de l'avis 6c conclut en difanti
Enfin je fuis arrivé à Florence.
LXXXIV.
On infîjgeoit^ à Terra No'ua une cer-
taine peine à ceux qui jouoientauxdez.
Un homme de la connoiffance de Pog-
ge avant été furpris à y jouer fut mis
en prifon. Comme on lui dcmandoit
u
Recueildebonsmots. 23f
la caufe de fa détention. C'eft^ dit-il,
notre Juge qui m'a fait mettre ici parce
que /ai joué mon argent j Je ne [ai ce
qu'il m'auroit fait Jifav ois joué le ften.
LXXXV.
Qiielqu'un difoit mille plaifanteries
dans le Palais du Pape Eugène IV.
,5 Savez vous, lui dit-on, qu'on vous
„ prendra pour un fou ". yenjerois
ravi^ dit-il, c^efi le f cul moyen de s'a-
vancer auprès de ceux qui gouvernent au-^
jourd'bui.
LXXXVI.
Un Prédicateur prêchant à Pcroufc,
dit à fes auditeurs fur la fin de Ton Ser-
mon. Mes Frères^ toutes vos femmes
m'ont protejîé à confejfe qu'elles avoient
été fidèles à leurs maris , ^ vous de VO"
tre coté vous avez confejfé que vous aviez
tous connu les femmes d' autrui. Dites-
tnoi donc , je vous prie , qui des femmes
ou des maris a dit la vérité.
LXXXVII.
Le Cardinal de Bar Napolitain avoit
un Hôpital à Verceil *, dont il tiroit
fort peu de profit parce qu'iUvoit beau-
coup de malades à entretenir. Il en-
voya
* C etoit Landolphe de Maramaur dont il ell
parlé dans le Concile de Conftance.
2.^6 VoGGiA^ A. Part. IF.
yoya un jour l'Intendant de fa maifon
pour en recevoir les rentes. Cet Offi-
cier voyant un nombre prodigieux de
malades qui confumoient tout le rêver
nu de Ton maître s'avifa de ce tour. Il
fe deguifa en Médecin & fit aflemblcr
tous les malades 5 vifita leurs playes &
leur déclara qu'on ne pouvoir les guérir
qu'avec un onguent de graifle humaine.
Il faut donc , leur dit-il, que des au-
jourd'hui vous tiriez au fort entre vous
à qui fera cuit dans de l'eau bouillante
pour le falut de tous les autres. A ces
mots tous les malades effrayez vuiderçnt
jncelFamment l'Hôpital.
LXXXVIII.
On croit ordinairement que la dif-
traftion eft une marque d'efprit. Cette
marque cil: au moins bien équivoque 6c
ç'cft auffi fouvent une marque de ftu-
pidité. Les Païfans les plus grofliers
ont leurs dillraétions auffi bien que les
plus grands cfprits. Un Paifan de Terra
Nova, nommé Mancini, gagnoit fa vie
à mener du bled dans les Villes du voir
finage. Un jour qu'il rerenoit du mar-
ché il monta fur le plus beau de lès àne3
dont il la voit bien le compte. Approchant
de fa maifon il s'apper^'ut qu'il lui en
(liant
Recueil DE BONS MOTS. 237
manquoit un, ne comptant pas celui qu'il
montoit. Il retourne fur fcs pas & court
fept milles de chemin demandant fon
âne à tout le monde. Point de nouvelles.
Il s'en retournoit fort trifte de fa perte^
lorfqu'étant defcendu de deflus fon âne,
fa femme l'avertit que c'étoit là celui
qu'il cherchoit.
LXXXIX.
Un autre Païfan , après avoir labou-^
ré jufqu'à midi, fe mit avec (à charrue
fur un âne , pour ne pas fatiguer fes
bœufs à la traîner. S'appercevant qu6
l'animal fuccomboit fous le poids il
defcend , met fa charrue fur la tête , 6c
remonte en difant à fon âne : 'Tu mar-
cheras bien à prefent^ ce rCefl pas toi qui
porte la charrue , c^eji moi. La diftrac-
tion eft certainement une abfence d'cA
prit , un défaut , une impoliteffe dont
tout homme qui veut être fociable doit
fe corriger foifflieufement.
XC.
Il y avoit dans une Ville proche de,
Boulogne un Podefiat ou autrement un
Juge fort ignorant. Il vint un jour plai-
der devant lui deux hommes dont l'un
dcvoit à l'autre. Le Créancier ayant
amande fa dette, le Podeftat fe tour-
noit
i^S VoGGi A j^ A. Part. IF'.
noit du côté du Débiteur Se le querel-
loit de ce qu'ii ne payoit pas ce qu'il
devoit. Le Débiteur de nier la dette &
le Juge de fe tourner veis le Créancier
èc le blâmer de demander ce qui ne lui
étoit pas dû. Les ayant ainfi balotez
pendant long-tems au lieu de demander
des preuves & des témoins , les ren-
voya avec ce jugement : P^ous avez ,
dit-il 5 tous deux perdu ^ gagné.
XCL
Un Florentin qui avoit été ablênt
de chez lui pendant un an , trouva fa
femme en couche à ion retour. Le ma-
ri confus & fâché va trouver une ma-
trone ^ & lui demande fl une femme
pouvoit porter fon fruit douze mois.
0«i, dit-elle, ft par bazard votre fem-
me a vu un âne le jour qu'elle a conçu ^
elle n'accouchera qu'au bout d'un an com-
me font les âneffes. Le bon mari prit
cette rcponfe pour argent comptant &
s'en retourna chez lui tout réjoui.
XCIL /
Un Prédicateur prêchant le jour de
la fête de St. Chriftophore * , c'eft-à-
dire ,
, * Ccft St. Chriftophle.L'Eglife Romaine célè-
tjtè deux Saints de ce nom. L'un le i8. Juillet
Recueil DE BONS MOTS. 2,39
dire , porte-ChriJi ^ àtm-nnàd. plufieurs
fois à lès auditeurs qui étoit celui qui
avoit eu cette gloire de porter J. C-
C étoit un âne^ répondit quelqu'un qui
s'ennuyoit de fes queftions.
Un jour une grande Princefîe d'Al-
lemagne demandoit à un homme de fa-
voir & d'e{prit ce que vouloit dire
l'Hiftoire de l'âne deBalaam dont il eft
parlé dans l'Ecriture , parce qu'elle
trouvoit l'Hilloire peu vraifemblable.
G étoit une ânejfe , Madame , dit l'inter-
rogé. La Princefle en rit & la queftion
demeura là.
X C 1 1 1.
Il y a des faits qui paroifTent incroya?-
bles 5 mais qu'on ne fauroit pourtant
guère fe difpenfer de croire fans incivi- \^ '
lité quand on examine le caraélère des ^
témoins qui en dépofent. Ce que Pog- p. 4S5;
ge raconte d'un homme qui fut deux
ans fans boire ni manger quoique ce foit
cft dans ce rang. Il s'agit d'un Prêtre
de Noyon qui exerçoit àRomekchar-
qui cft le jour qu'on prétend que St. Chriftophic
fut martyrifé fous Decius j l'autre le 20. Août
jour où l'on prétend auffi que St. Chriftophic
foufFrit le Martyre dans le neuvième Siècle pen-
dant la pcrfecution des Sarrafins. Baronii Martyr,
^40 PoGGiANA. PàrL IF.
gc de Scripteur de la Chancelcrie Apof^
tolique fous le Pontificat d'Eugène W.
Get homme étant allé faire un Voyage
dans fa patrie y tomba malade d'une
grande Ôc longue maladie qui étoic
accompagnée de (ymptomes finguliers.
Qi^ielques années après il retourna z
Rome fous le Pontificat de Nicolas V.
exercer la même charge. Là il racon-
toit à plufieurs graves perfonnages de
la Cour Romaine qu'étant relevé de fa
maladie il avoit été deux ans fans man-
ger ni boire, quoiqu'il eût cflaié fou-
vent de faire l'un Se l'autre. Cet hom-
me paroifibit de fort bon fens , hom-
me de bien , & n'avoit point du tout
l'air ni d'un impoltcur ni d'un polTedé,
comrhe quelques-uns le croyoient. Tout
le monde couroit à lui de toutes paits
pour l'interroger là-defllis & Pogge
témoigne l'en avoir fouvent entretenu.
Il avouoit lui-même qu'il ne l'auroit
jamais cru s'il ne l'avoit pas expérimen-
té dans fi perfonne. Ceux qui raifon-
noient le mieux là-dcfTus jugeoient que
la même humeur melancholique qui le
rongeoit lui fourniffoit de la nourritu-
re. Pogge ajoute ici qu'il avoit lu dans
les Annales de France au neuvième fiè-
clc
Recueil 6e BONS Mots. 241
cle fous l'Empereur Lothairc & le Pa-
pe Pafchal, que la même chofe étoit ar-
rivée à une fille de Toul en Lorraine,
qui d'abord avoit été ^ix mois fans man-
ger de pain, & enfuite trois ans fkns
boire ni manger, & qui étoit revenue à
fon premier état.
yÊneas Sylvius raconte à peu près la Corii»
même Hiitoire , mais avec quelques ii^^nt. in
circonflances différentes, i . Il dit que P'^- J^
cet homme qui etoit Prêtre fut quatre fonf.p. 3^5
ans fans manger, mais qu'il mangeoit38.
pourtant un peu , quand il étoit invité
chez des Evéques. 2. Que ce même
homme étant à Sienne dit à Léonard
d'Imola , qu'il s'en alloit à la Cour de
Rome, qu'il y fouffriroit , mais qu'il
n'y périroit pas. 3. Qu'étant à Rome,
il y fut en admiration ôc en odeur de
làinteté pendant un afîèz long-tems,
mais qu'enfin il fut mis en prifon 6c
foiietté^ parce ^ dit fort bien ^neas
Sylvius , q^ue tout ee qui tient du prodige
eftfufpe^.
X G I V.
Un Prédicateur prêchoit un joUr fur .
l'Evangile de la multiplication des pains. -jr
Au lieu des cinq mille hommes que J. C.
repût il n'en nomma que cinq cens. Ce-
Tom. IL O \m
t^z VoGGiAt^ A. Part. IF.
lui qui le fouffloit lui dit tout bas j il
faut dire cinq mille. Taisez-vous,
Sot^ repartit l'Orateur, on aura encore
ajjez de peine à en croire cinq cens.
xcv.
Quelcun demandoit un jour à Ro-
dolphe de Camerino, dont on a parlé
ailleurs , un cheval il accompli qu'il
étoit impolîible d'en trouver un tel dans
aucune écurie j Rodolphe fit tirer de
k Tienne une cavalle & un étalon , & dit
à cet homme : Tenez , vous n'avez qu'à
faire faire un cheval à votre fantaifie,
X C V I.
Deux hommes avoient un procès en-
femble i l'un d'entre eux donna au Ju-
ge un baril d'huile^ 6c l'autre un co-
chon. Le Juge prononça pour celui
qui lui avoit fait préfent de l'animal.
L'autre lui en a}^ant fait des plaintes il
répondit qu'il étoit entré dans fa mai-
fon un cochon qui avoit rompu le baril
d'huile, & que cela lui avoit fait ou-
blier fa caufe.
X C V IL
Un Prédicateur, qui au lieu de par-
ler fembloit rugir 6c braire, apperçût
une femme qui pleuroit à fon Sermon.
S'imaginant qu'elle en étoit touchée il
1*
Recueildebonsmots. 24.'^
îa fit venir chez lui pour favoir le fujet
de Tes foupirs & de Tes larmes dansJa
vue de lui donner quelque conleil ou
quelque confolation. Helas! dit-elle,
mon Père , en vous entendant il me fem-
hloit reconnoître la voix d*un âne* que
won mari m'avoit laijjé en mourant pour
gagner ma vie , i^ que j^ ai malheur eufe-'
ment fer du. Ceft ce qui me faifoit pleU'
rer.
% XCVIII.
Il n'y a rien de plus équivoque que
les apparences de la Vertu , & fouvent
rien de plus inutile que le grand Savoir,
au moins par rapport aux mœurs. Jean
André étoit au quatorzième fiècle un
des célèbres Doéteurs en Droit Canon
qu'il y eût en Italie. Sa femme le trou-
va un jour badinant avec la fcrvantC5
^'efi devenue , lui dit-elle , votre Sa--
fience? Je Pat donnée^ dit-il, à cette
fille.
Jean André vivoit fous Frédéric II,
Mainfroi Roi de Sardaigne fils de cet
Empereur avoit remporté une viétoire
fur les ■ Génois qui tenoient le parti du
Pape, & fait quantité de prifonnierSç
entre lefquels étoient trois Légats du
Pape & une grande quantité de Prélats
4ié,
144 Po G Gi A N A. Part. IV.
d'Italie. Le Roi fit demander à l'Em-
pereur ce qu'il vouloit qu'on fît de tous
■ Voyez ces Prélats , il lui envoya ce diflique de
P^^^"" la façon de Jean André,.
Jean An- ^ j 7
Otrtnes Pnlati Papa mandante vocati
Et Legati vtniant hue u/^ue ligati.
X C I X.
La jaloufic eft une fureur capable de
porter les hommes aux dernières extra-
vagances, & aux plus grands crimes.
Un habitant de Gubio dans le Duché
dCUrbin en Italie, foupçonnant la fidéli-
té de fa femme, fit par jaloufie pour
s'en cclaircir ce que l'Hiftoire Eccle-
fîaftique nous apprend qu'Origeneavoit
fait par dévotion.
C.
Un Curé de Florence recevant les
offrandes de fcs Paroiffiensavoit accou-
tumé de dire, Vous en recevrez une fois
autant y ïa Vie Eternelle. Je fereis
bien content , repondit un vieux Gentil-
homme Whtmn^Jî feulement on me ren-
doit le capital.
CL
Le Cardinal d'Avignon étoit un hom-
msd'un grand mérite, mais extrême-
ment
ReCVEIL DE BONS MOTS. 24^
lîîcnt fàftueux. Il ne marchoit jamais
fans un beau cortège, & quantité de
chevaux de main fuperbemcnt harna-
chez. Le Roi de France lui demandant
un jour fi les Apôtres marchoient en fî
grande pompe : Non^ dit-il, mais de
leur tems Us Rois ne viveient pas non
plus comme aujourd'hui , puis qu'ils
et oient Bergers^ ^ qu'ils gardoient des
troupeaux.
La rcponfe eût mieux valu fî le Car*
dinal eût pris les chofes de plus haut.
Il falloir qu'il crût le Roi bien igno^
rant, ou qu'il le fût lui-même beaucoup
pour ne favoir pas que du tems des Apq-
tres les Rois ne vivoient rien moins
qu'en Bergers.
CIL
Quelques Religieux s'cntretenoient
un jour de l'âge &; des actions de notrç
Seigneur, & difoient qu'il avoit corn"
mencé à prêcher à la fin de fa trentiè-
me année. Un ignorant de la troupe
leur demanda quelle avoit été la pre-
mière aétion de Jefus-Chrifl ïiprès ar
voir atteint l'âge de trente ansj Com-
me ils hefitoient là-dcffus , voîfs voila-
bien emharajfez^ leur dit-il,, avec tout
votre favoir. Ce qu'il fit d'abord ce
i.4^ PoGGïAN A. Part. IK
fut d'entrer dans [on année trente 13-
unième.
ciir.
Un Banquier de Florence étoit allé
négocier à Avignon , dans le tems que
les Papes y réfîdoient. Etant venu à
Rome on lui demanda des nouvelles
des Florentins d'Avignon. Ils font gais
{^ gaillards^ dit-il, l§ il n^y en a -pas
un qui en un an n'y devienne fou. Un
autre Florentin qui vouloit venger les
compatriotes, lui demanda combien il
y avoit rcjournc -, fix mois feulement ^
répondit-ii. Vous êtes bien habile .^ lui
dit-on, car 'vous ai'ez fait en fix mois
ce que les autres ne font qu'en un an.
CIV.
Un jeune homme de Florence devint
amoureux d'une Dame de qualité, 5c
d'une grande vertu. 11 la fuivoit dans
toutes les Eglifes pour lui faire un com-
pliment qu'il avoit préparé. Un jour
qu'elle prenoit de l'eau bénite, il crut
Toccafion favorable, mais comme il a-
Voit oublié fon compliment , il ne put
lui rien dire, fî ce n'eft , Madame^ je
fuis "votre feruiteur. J'a i , lui- dit-elle ,
njfez de fer'viteurs chez moi pour balayer
ja chambre^ ^ faire tout P ouvrage de la
ifiaifon. CV.
Recueil DE BONS MOTS. 247
CV.
Un Prédicateur voulant faire enten-
dre à Tes Auditeurs que pour juger de
la converfion de quelqu'un , il falloit
regarder aux œuvres & non aux paro-
les & aux larmes, raconta cette fable..
„ Un homme prcnoit des oifeaux dans
5, une volière & les étrangloit avec Tes
„ doigts. Il (e bleiïa par quelque ac-
5, cident & il pleuroit de douleur. Un
3, des oifeaux qui s'en apperçût dit à
„ fes Camarades, prenons courage ^ il a>
„ ptîé de nous, O ! dit le plus vieux
55 & le plus expérimenté d'entre eux^
., ô mes enfans^mregardezpas à fes yeux^
35 regardez à fes mains.
CVI.
Pendant la guerre de Grégoire XI.
avec les Florentins la Marche d'Anco-
ne, & prefque toutes les Provinces de
l'Etat Ecclefiaftique fe révoltèrent con-
tre ce Pontife. Un Orateur d'Anconc
étant envoyé à Florence pour remer-
cier les Florentins de ce que par leur
iccours ils avoient recouvré leur liberté,
le mit à déclamer avec fureur contre le
Pape , contre fes Miniftres , Se fur tout
contre les Grands Seigneurs, les Ducs,
les Gouverneurs des Provinces ' qu'il
Q.4 ti'^"
148 P o G G I A N A. Part. IV.
traicoit tous de Tyrans. Rodolphe de
Camerino alors Duc de Florence , qui
^oit préfent , ofFenfé de cette hardielîc
demanda à l'Orateur de quelle profef''
fion il étoit. Il répondit qu'il étoit
Docteur en Droit Civil, & qu'il avoir
étudié les Loix pendant dix ans. Vous
auriez bien fait , dit Rodolphe , d'en
employer un à étudier la difcretion.
CVII.
Il y avoit à Rome deux Prédica-
teurs, dont l'un étoit long & l'autre
court. On difoit de celui qui étoit long,
qu'il n'étoit pas capable d'être court,
éc de celui qui étoit court qu'il n'avoit
pas le moyen d'éire long,
• G VIII.
Il n'y a point de tems plus mal em-
ployé, & cependant il n'y en a point
qui fe paiïe plus agréablement que celui
où l'on fait des châteaux en Efpagne.
Si ce pafTc-tems étoit volontaire , il
donneroit un grand ridicule , mais com-
me il ne l'efl; pas , c'eft autant de pris
fur l'ennemi. L'ennemi , c'eft l'En-
nui.
CIX.
Il y avoit à Rome un Moine Domi-
^caiin qui cxpliquoit Virgile à la Jeu-
' ' ' neiîc.
Recueildebons mots. 24P
nèfle. Quand il rencontroit quelque
mot qu'il n'entendoit pas, il fàifoit âCf
croire à fes écoliers que ce mot fîgni-
fioit un certain oifeau de l'Arabie. C'cft
ainfi, dit Pogge, que Laurent Valle
donne le change pour couvrir fon igno-
rance. Quand il eft convaincu de quel-
que faute il la rejette fur le Copifte.
ex.
Le Cardinal Capranica, dont on a par-
lé au commencement de cet Ouvra^
ge, n'aimoit point les vifites inutiles.
Quand il venoit quelques Courtifans
lui rendre vifite fans avoir aucune afFaif
rc à lui propofer, il leur demandoit ce
qu'ils vouloient , Nous venons , difoit^
on, vous vifiter. Eh bien, répon-
doit-il en prcfentant le bras, voyez donc
fi j'ai la fièvre,
CXL
Ce même Cardinal fortant du Con*
clave oii Alfonfe Borgia , qui étoit Ca-
talan , fut élu Pape , fous le nom de
Calixte III, rencontra un mendiant qui
lui demandoit l'aumône difant qu'il ve-
noit de fortir d'encre les mains des Ca-
talans. Cefi vous^ dit le Cardinal, qui
nous devez donner V aumône , vous forr
Sez d'entre les mains des Catalans •, £s?
$,fo VoGGiA-i^ A. Part. IF.
four nous , nous y fommes aUuelUr
ment.
Ce mot n'eft pas rapporté par Pog-
ge le Père, mais par Baptifte fon fils.
M. Auberi , qui le rapporte de Garim-
bertjen doute /J^r^f, dit-il, que Calixtt
IlL étoit de Valence ôc non pas Cata-
lan. Cet habile homme ic trompe. Ca-
lixte étoit Catalan , & avoit fait fcs
études à Lcrida, mais il avoit été Eve-
que de Valence.
ex II.
Le Cardinal Capranica étoit un Pré-
lat fort généreux. Il . ne vouloit point
qu'on le remerciât des bons offices qu'il
reiidoit, 11 ne fc fâchoit pas même
qu'un autre s'en fit honneur quoi qu'il
li'y eut point de part. Il obtint de Ca-
lixte III. que Pogge leroit confirmé
dans fa charge de Secrétaire. Le Préfi-
xent de la Chancelerie s'en fit honneur
& envoya l'expédition à Pogge comme
de fa propre part. Capranica le fut;
^''importe , dit-il , pour'uâ que Pogge
fait accommodé ?
G X 1 1 1.
Pogge étoit ennemi juré de l'avarice
^ des avares qu'il rcgardoit comme les
ennemis du public & d'eux-mêmes. Un
^ ; m-
J
Recueil DE BONS MOTS, ifi
Médecin demandant à un avare qui étoit
tombé malade, ce qu'il mangeoit. Dii
hœuf^ lui dit l'avare 5 £57* ^pourquoi pas
des poulets'^ repartit le Médecin. Ils m
conviennent pas à ma nature , dit le Ma-
lade , parce qu'ils font trop chers. \Jr\
de fès amis lui en envoya, & il en man-
gea avec avidité.
C X I V.
. Un homme de Peroulè avoit envoyé
par un efclave à un de Tes amis une cor-
beille de figuQs,avec une Lettre. L'ef-
clave mangea une partie des figues en
chemin. Comme la Lettre marquoit
la quantité qu'il y en avoit dans la cor-
beille, on lui en fit des reproches, mais
il jura que la Lettre avoit menti 6c
qu'il n'étoit pas un voleur. Son maî-
tre l'envoya une autre fois avec le mê-
me préfent accompagné d'une Let°
tre, le Valet la cacha fous une pierre,
pendant qu'il mangeoit les figues,
«'imaginant , qu'elle les lui avoit vu
manger l'autre fois. On l'accufa encore
4'avoir mangé des figues, mais il foutint
que non , & que quand même il l'auroit
feit , la Lettre n'auroit pas pu le voir
parce qu'il l'avoit cachée. Il fallut le.
défabufer à bons coups de fouets. ' ;■
cxv.
zyz VoGGiA^Vi A. Part, IF.
cxv.
p. 305;. Pogge dans fon Traité du malheur
des Pnnces rapporte un fort bon mot
que Lucien met dans la bouche de Plw
tus Dieu des richefles. On fe plaignoit
à cette Divinité de ce qu'elle ne fe trou-
voit prefque jamais chez les honnêtes
gens. Je fuis aveugle^ dit Plutus, les
bons font rares ^ les mechans font la fou-
^k j faut-il s'étonner que je me rencontre
plus fowvent avec eux ?
C X V I.
François Sforcc, qui de fîmple Sol-
dat étoit devenu un des plus grands Ca-
pitaines de fon tems, avoit accoutumé
de dire que quand on avoit trois enne-
mis fur les bras, il falloir faire la paix
^vcc l'unj trêve avec l'autre, ôc atta-
quer le troifièmc ^.
CXV IL
Mots Tous les gens de Lettres doivent cher
/Auiu- rir la mémoire de Pifillrate Tyran
^"^•"^ d'Athènes qui vivoit dans la foixante-
TARQiiÊ. troiiîème Olympiade , un peu plus de
deux cens ans avant la fondation de Ro-
me 5 & un peu plus de cinq cens ans
avant
♦ Ammirato , Diflert. politic. ia Tacitum. L»
IÇIII.Diff.lV,
Recueil DE BONS Mots, i^'^
avant J. C. C'étoit un homme d'efprit
fort éloquent, bien verfé dans les Scien-
ces 6c dans les Difciplines qui avoient
vogue en ce tems-là. Ciceron (a) nous (a) pe
apprend que ce fut lui qui mit dans Orat. L.
l'état où nous les avons les Oeuvres d'Ho- ^^^' ^- î'î-
mère , que Lycurgue avoit apportées
en Grèce (b). Pifiltrate fut le premier (b)^ijan-
qui introduifit à Athènes l'ufage dcsBi- var. Hift.*
bliotheques publiques (c). Depuis ce XIÏI. 14.
tcms-là les Athéniens furent fort foi- tt'^t^-'^^^
gneux d'entretenir & d'enrichir les Bi-
bliothèques jufqu'au tems de Xerxès
qui après avoir fait brûler la Ville fit
emporter tous les Livres en Perfe; Ils
furent cnfuite renvoyez à Athènes par
Seîeucus Nicator lorfqu'il fucceda à A-
lexandre le Grand. L'exemple de Pi-
fîftrate fut imité par Eumenès An dus ^
Roi de Pergame qui fît une Bibliothè-
que de deux cens mille volumes dont
Marc Antoine fit préfent à la Reine
Cleopatre (d). Les Ptolomées avoient (d) piuf,
beaucoup enchéri fur les Bibliothèques vit. Marc,
de Pergame, puis qu'ils avoient afTem- ■'^"'^•
blé à Alexandrie julqu'à fept cens mil- ^* ^'*''
le volumes. Cette Bibliothèque fut
brûlée pendant la guerre de Cefar & de
Pompée.
CXVIII,
2^4 P (5 G G I A N A. Part. IV.
CXVIII.
(a) Agel. Varron dans Ton Poème (a) des bons
y II. i6. morceaux avoit fait l'énumeration de
ceux que les friands de Rome faifoient
venir de loin. Le Paon venoit de Sa-
(h) Atta- mos, le Francolin (b) de Phrygie, les
^'"* Grues de l'ifle de Melos *, le Chevreau
del'Epire, \tThon de Calcédoine, la
Lamproye d'Efpagne^ la Merlue ou le
^ {*) '^f'^'Cabilhau{c) de quelque endroit de Phiy-
- gie, les Huîtres de Tarentc, le Péton-
cle de Chio \ , un autre poifTon à co-
(d) Plin. quille nommé Elops (d) , de Rhodes j
Liv.IX. j^ Scaricot \ de Cilicie, les Noifettes,
de quelque Ifle de la mer yEgée , la
Palme d'Eg\'pte, une forte de Gland ^
d'Ibere. Les Romains de ce tems-làqui
cherchoient des friandifes fi loin , n'é-
toient pas du goût d'Euripide qui ré-
duit les hommes au pain & à l'eau,
comme alimens faciles à avoir ÔC dont
On ne fe rebute jamais.
CXIX.
' Il faut bien fe garder d'offenfer ccs*gen5
qui
* Horace & Pline témoignent qu'on fertoit
des Giues fur les tables des Romains.
\ Peùîunculus. C'cft un petit polifon à coquil-
le dentelée. Voyez Hor. Sat. Lib.Il.Sat.IV. 34.
t Pline le met entre les principaux poiiTons de
mêr. Liv.IX. C. 17,
Recueil DE BONS MOTS. 2^5*
qui peuvent vous anéantir ou vous im-
mortalifer dans leurs Ouvrages tels que
font les Poètes. Virgile avoit loué le bon
terroir de Noie dans la Campanie. Mais
les habitans de cette Ville n'ayant pas
voulu lui permettre de faire conduire de
leurs eaux dans fa terre 5 il effaça Nola
èc mit un autre mot en fa place *.
cxx.
Les mauvaifes nouvelles ôtent (bu-
vent l'appétit. Pendant la guerre que
le Duc de Milan eut avec les Floren-
tins , il étoit pourvu d'un excellent Cui-
fînier, qu'il avoit même envoyé en
France , pour apprendre fon métier.
Un jour que le Duc reçut quelque fâ-
cheufe nouvelle de l'Armée , s'étânt
mis à table , il ne trouvoit rien de fon
goût. Il fit appeller le Cuifinier & le
traita d'ignorant 6c d'empoifonneur.
Si les Florentins vous ont ôîé l' appétit^
dit le Cuifinier, ce n'efi pas ma faute.
Il y a eu dans ce fîècle-là & dans le
fui-
• Agell. Liv. VII. C. 10. Virg. Gcorg. II. 224,
Ce Poète mit Ora au lieu de Nola :
Talem dives arat Captta , c^ vicina Vefevo
Orzjugo.
t Voyez la defcription de cette guerre dans
FHiftoife Florentine dePoggefvirl'an 1369, p. ^60
37. 38« 59.
tf6 VoGGïA¥!A. Part. IF.
fuivant plulieurs Ducs de Milan, qui
ont fait la guerre aux Florentins avec
des fuccès différents. Autant qu'on en
peut juger par l'Hifton-e, il s'agit ici,
ou de Bernabo dont l'Armée fut batuë
par les Florentins en i 369, & fur qui
ils' prirent San Aliniato petite Ville de
la Tofcane , ou , de Jean Galeas , qui
quelques années après fit une longue
guerre aux Florentins , où il eut fou-
vent du defTous, ou, enûn de Philippe
Galeas^ qui quoique fuperieur fut ba-
tu plus d'une fois par les Florentins au
commencement du quinzième Siècle.
Quoiqu'il en foit , ce Cuifinier qui
étoit homme à bons mots, voyant une
autre fois le même Duc tout penfif à
table, y^ ne Tn" étonne pas .^ dit-il, à quel-
qu'un qui ctoit auprès de lui , qii'il foit
fi rêveur , il a dans la tête une chofe im-
fojfible ' c^eft de contenter T ambition dé'
mefurée de fon favori ^ (^ la fienne pro"
pre.
CXXI.
Antonio Lufco intime ami de Pogge
fut comme lui Secrétaire de Martin V.
Ce Pontife en faifoit tant de cas, qu'il
l'employoit aux Négociations les plus
importantes , comme il fit , lorfqu'iJ
l'en-
Recueil DE BONS MOTS, ify
l'envoya en 142,3. à Philippe Duc de
Milan , pour l'engager à faire la Paix
avec les Florentins. Cet Antoine étoit
d'ailleurs homme d'efprit & heureux
cnfbons mots. Martin V. lui ayant
ordonné de faire une certaine Lettre,
& de la communiquer à un homme en
qui le Pontife avoit beaucoup de con-
fiance , & qui étoit auffi ami d'Antoi-
ne 'y il trouva fon ami à table la tétc
échauffée d'un Vin , qui l'avoit rendu
de mauvaifè humeur. Il blâma aigre-
ment la Lettre d'Antoine, & dit, qu'il
la fàlloit faire tout autrement. „ Je
^, ferai , dit Antoine à quelqu'un , à
5, l'égard de cette Lettre , comme le
„ Tailleur du Duc Jean Galeas à
^, l'égard de fa robe de chambre.
5, Ce Duc après avoir bien foupé troif-
5, vant fa robe de chambre trop étroi-
9, te, fit venir fon Tailleur pour la ré-
), largir. Le Tailleur la pendit queK
5, que part fans y faire un point d'ai-
j, guillc, & l'ayant raportée le lende-
), main , le Duc la trouva fort bien.
)) Il en fera de même. de ma Lettre j
dit Antoine.
CXXL
Un Cardinal , qui étoit à la tête des Ce dois
Tom, IL R trou-^t«^el®
5J
2f8 VoGGïAVSA. Part. IF.
Cardinal troupes de Boniface IX. dans la Mar*
Caprani- che d'Ancone , fe trouvant dans une
^^' occafion où il falloit vaincre ou mou-
rir, promettoit à fcs Soldats, que s'ik
remportoient la vid:oire , ceux qui (c-
roient tuez au combat dineroient ce
jour-là même avec Dieu & avec les
Anges. Ils allèrent au combat avec al-
legrelîè j mais comme le Cardinal ne
s'cxpolbit point : „ D'où vient , lui
dit un Soldat , „ que vous ne vous met-
,5 tez point en devoir de participer à
3, ce repas celcfte , auquel vous nous
5, invitez? CV/, dit-il, qu'il n'efi pas
tems de dirm' pour moi , parce que je
f^^ ai pas faim.
CXXII.
•Le Patriarche de Jérufalem, qui étoit
à la tête de la Chancelcrie Apoftoli-
que, aflembla un jour les Avocats pour
quelque affaire. Il s'éleva une difpnte,
où ce Patriarche dit des paroles fort
rudes à ces Avocats. L'un d'entre eux
ayant répondu avec fermeté , le Preû-
dent lui dit , Vous avez une méchantt
'tête. Cela efi vrMt^ répondit-il^ car
fi nous avions une bonne tête , vt que mous
voyons n arriver oii pas.
CXXIII,
ReCUEILDE BONS MOTS. 2fp
CXXIIL
Un Evêque d'Arezzo de la connoil^
fance de Pogge aflembla un jour Tes
Curez en Synode , & leur ordonna
d'apporter leurs ornemens facerdotaux ,
appeliez en Italien Cappe cette. Un
pauvre Curé qui n'avoit point ces or-
nemens , étoit fort en peine comment
il fe tireroit d'affaire. Sa Servante le
voyant tout chagrin , lui demanda ce
qu'il a^it; „ Notre Evêque, dit-il,
nous a commandé d'apporter nos chap-
pes & nos roquets & je n'en ai point.
Bon ! dit-elle , vaus u'a'vez pas bien-
compris fa penfée , il 'vous a demandé
des chapons cuits. Le Prêtre la crut , Cetto
porta des chapons cuits à l'Evêque , ^'^ Italien
• 1 r L- n /- j- lignine
qui le reçut tort bien. Ferjonne^ dit- ^^-^^
il 5 n'a mieux entendu mon Mandement
que celui-ci.
CXXIV.
L'avarice eft une paflîon fort ingc-
nieufe. Dans une des guerres de Phi-
lippe Bernabo avec les Florentins,
ceux-ci avoient publié un Edit , par le-
quel ils condamnoient à mort quicon-
que parleroit de paix. Un Florentin
qui étoit dans la place publique , fut a-
bordé par un Frerc mendiant en ces
R z ter-
i6o FoGGiA'N A. Part. IK
termes, Paix vous foi f. 'N e favez-vous
pas que c'eji un crime capital que de par-
1er de paix ? Retirez-vous au plus vite
de feur que je ne pajfe pour votre com-
plice^ dit-il 5 & le quitta fans lui rien
donner.
cxxv.
C'ell: un grand art de reprendre les
fautes d'autrui avec modeftie. Le Con-
fefleur de Bernabo Vicomte ^ Milan
furprit un jour ce Seigneur etrflagrant
délit avec une Courtifanne. Bernabo
plein de dépit & de confulîon d'avoir
été pris fur le fait , demanda au Con-
feffeur ce qu'il feroit s'il fe trouvoit au-
près d'une telle femme. Je fai bien ,
dit-il 5 ce que je ne devrais pas faire ^
mais je ne fai pas ce que je fer ois.
CXXVI.
Dans le tems de la guerre de Gré-
goire XII. contre les Florentins la Vil-
le de Pcroufe leur envoya demander du
fêcours contre le Pape. L'un des Orateurs
commença fa harangue par ces paroles,
donnez-nous de votre huile. Un de (es
Collègues lui dit, ce n'eft pas de Thuile , ce
font des Soldats qu'il nous faut. Mais,
dit l'Orateur, ce font desparoles de V Ecri-
ture. Bon! dit l'autre , r^us femmes les
enne-
Recueildebonsmots. z6t
ennemis de VEglife , 13 'vous appeliez
r Ecriture Sainte à notre fecours?
CXXVII.
Les gens fimples & ignorans ont
quelquefois des raffinemens fort ridicu-
les. La République de Florence avoit
envoyé des Ambalfadeurs en France j
Ils allèrent en paflànt faluer Bernabo
Prince de Milan. Ce Seigneur leur de-
manda d'abord qui ils étoient. Nous
fommeS'i ne veus dcplaife ^ Monfeigneur^
Citoyens ^ AmbaJJadeurs de Florence.
Ils furent congédiez avec beaucoup de
civilité. Mais ils ne furent pas plutôt
arrivez à Verccil que repayant dans
leur efprit cts paroles , ne vous deplaife^
ils jugèrent qu'ils n'avoient pas dû s'en
fêrvir, parce que foit que cela plût ou
que cela déplût au Duc , ils n'en étoient
pas moins Citoyens & Ambafladeurs de
Florence. Ils retournèrent donc à Mi-
lan & déclarèrent au Prince qu'ils avoient
eu tort de foûmettre leur caraétere à
fon bon plaifir. Bernabo qui d'ailleurs
n'étoit pas de fort belle humeur, en rit
de tout fon cœur, & leur dit qu'il lui
plaifoit bien qu'ils fuflent Citoyens ÔC
Ambafladeurs de Florence,
R 3 CXXVIIL
162. VoGGJAN A. Part. IF.
CXXVIII.
Un jeune homme de Florence d'un
fort petit génie difoit à un de Tes amis ,
qu'il avoit mis à part mille florins pour
voyager afin de fe faire connoître dans
le monde. F'om feriez bien mieux d'en
mettre à part deux mille pour n^étre point
connu ^ lui repondit fon ami.
CXXIX.
Jean Augut étoit un des plus grands
Généraux de fon tems, homme de tê-
te & de main , auiTi verfé dans les rufes
de la guerre que dans les exploits mili-
taires. 11 fc trouva un jour renfermé
avec l'x^rmée des Florentins qu'il com-
mandoit, entre l'Armée Milanoife de
beaucoup inférieure à la fienne, & la
rivière de POglio dont le partage étoit
très- périlleux , à caufe du voifmage.de
cette armée. Jaques de Ver * Général
Milanois fâchant la fituation du Géné-
ral Florentin , lui fit préfent d'un Renard
enfermé dans une cage , comme pour
l'infulter de ce qu'il s'étoit laifie mettre
en cage, tout fin Renard qu'il étoit.
Augut reçut le prefent de la meilleure
gra*
• Sur Jaques de Ver, voyei Philippe de Bcr»
gamc. Fol 35(5. b.
Recueil de bons mots. i6^
grâce du monde , oc envoya dire au Mi-
lanois , que le Renard trouveroit bieq
un endroit pour fortir de fa cage , com-
me il le fit en effet, par une des belles re-
traites 5 dont l'Hiftoire ait jamais parlé *.
cxxx.
Il y a des gens d'avec qui l'on ne (brt
jamais fans être pleinement convaincu
de l'exiftence du vuide.
CXXXI.
Qu'eft-ce qu'un Syjlême ? demandoit
un jour une Dame. Cefi un fagot d'idées
bien lié ^ bien arrangé^ lui répondit-
on en badinant. J'ai trouvé depuis dans
Aulugelle , que Democrite avoit pris la
réfolution d'enfeigner la Philofophie à
Protagoras^ parce qu'il lui avoit vu ar-
ranger ôc lier avec art un fagot.
CXXXII.
* Un Florentin connu de Pogge avoit pi 404J
bcfoin d'un cheval. Il en trouva un
qu'on lui voulut vendre vingt-cinq Du-
cats. Je vous en donnerai quinze comp-
tants, dit- il au Maquignon, & je ferai
votre débiteur du relie. Le Maquignon
y confentit. Quelques jours après^ il
R 4 alla
♦ Pogg. Hifi. FUr. L. III. p. lïo, Abjegé d§
cette Hiftoire. p. 41,
z64 P o G G I A N A. Part. IV.
alla demander {t% dix Ducats. Il faut^
dit l'acheteur, vous en tenir à nos con-
ventions. Je vous ai dit que je vous
devrois le rclte,^: je ne vous le devrois
plus, fi je vous le payois.
CXXXIII.
p .ij8. Il y avoit à Florence un fi grand men-
teur, que jamais il n'étoit forti une vé-
rité de (a bouche. Un homme qui le
connoiflbit fur ce pied-là, lui dit. Vous
fnentez^ d'aufll loin qu'il le vit. Com-
ment mentirois-je , repartit-il , je n^al
pas ouierî la bouche. Je veux dire,
que dès que vous l'ouvrirez vous men-
tirez.
CXXXIV.
p. 480. Il y a des chofcs qu'un Catholique
Romain ne regarderoit que comme une
médifance, fi c'étoit un Huguenot qui
les dit. Pogge raconte que dans un
tems oii l'Italie étoit menacée de la
pefte , un Charlatan de Moine vendoit
des amuletes (a) par Icfquels il promet-
toit qu'on feroit garanti de la pelle en
les pendant au col ; mais en même
tems il défendoit de les ouvrir pendant
quin-
(«) BiHets ou brefs où il y aK)it âcs paroles q%
f es caractères. ' ' .:< '^ ' ' ' "
Recueil DE BONS MOTS. z6f
quinze jours. Quand il eut fait fà
moiflbn , il fe retira. On ouvrit les
billets 5 6c on y trouva ces mots qui
découvroient tout enfemble l'impoftu-
re, l'impiété & leffi-onterie du Moi-
ne : Femmes y quand vous filez ^Ji votre
fufeati vient à tomber , ferrez bien le
derrière en le ramajfant.
cxxxv.
Pogge nous aflure qu'un certain Ro- p.46oi
main de fa connoilîance étant monté
fur une muraille prêchoit à des ro-
fèaux, comme fi c'eût été des hom-
mes. Là il difcouroit de l'état de la
Ville & des Citoyens. Il fe leva un
petit vent, qui agi toit les rofeaux. Le
fou de Prédicateur s'imaginant que c'é-
toient des hommes qui lui faifoient la
révérence pour le remercier de fon Ser-
mon : Mejjieurs les Romains , dit- il ,
foint tant de révérences , je fuis le moin-
dre d" entre vous. Pogge dit, que cela
pafla en proverbe.
CXXXVL
Il y a des gens qui ont le (êcret de Ibid»
trouver leur profit dans les confeils
qu'ils donnent aux autres. Il y a une
Ville dans la Marche d'Ancone où
c'eft k coutume d'inviter fbn voifin ,
R ^ quand
l66 VoGGiAVi A. Part. IF.
quand on a tué un cochon. Un Bour-
geois de cette ville , qui auroit bien
voulu éviter cette dépenfc, alla pren-
dre conleil d'un de ks compères, qui
lui confeilla de dire qu'on lui avoit volé
Ton cochon. Le donneur d'avis ne man-
qua pas d'aller lui - même la nuit enle-
ver le cochon de fon compère. Le pau-
vre Bourgeois qui avoit été volé, s'en
alla dès le matin faire (es condoléances
chez le compère , 6c jura (es grands
Dieux, que fon cochon lui avoit été
volé. Vous faites bien de parler ainli ,
lui dit le voleur, c'ell ce quejevou»
avois confeillé.
AVIS
î(î7
AVIS
Sur les bons mots
D'iENEAS SYLVIUS.
ANTOINE DE PALERxME,de l'illuf^
tre famille desBcccadelli de Bolo-
gne, fut un des premiers hommes de Let-
tres, 6c un des plus beaux cfprits du qua-
torzième 6c du quinzième liècle. Il étoit
Jurifconfulte de profeiîîon , mais il fut
aufîi Théologien, Orateur, Hiftorien,
Poète 6c très-excellent Humanifle, Ses
talents 6c Tes vertus lui attirèrent l'efti-
me 6c les bonnes grâces de plufîeurs
Grands Seigneurs, qui fc firent hon-
neur de fon amitié. L'Empereur Si-
gifmond lui donna, félon l'ufage de ce
tems-là , la couronne de Laurier , en
qualité de grand Orateur 6c d'excellent
Poëte. Philippe M;iric Duc de Milan
avoit
2<58 VoGG\A-i^\. Part. IF.
av'oit pour lui une elHme,qui alloitjufi
qu'à la tendicffe. Il lui faifoit une pen-
fion de huit cens Ducats d'or pour en-
feigner les belles Lettres à la jeunefle,
& il fe mit lui-même au rang defesDif-
ciples. Il les enfeigna aufîi à Alphonfe
Roi d'Arragottjdc Sicile & de Naples,
qui en fit non feulement fon Précep-
teur, mais fon Confeiller 6c même fon
ami intime. Ce Prince le combla d'hon-
neurs, de dignitez & de bienfaits, 6c
l'employa à plufleurs AmbafTades impor-
tantes. Entre autres marques de dilHnc-
tion, il lui permit d'avoir les mêmes
armes que lui fur fon cachet , comme
cela paroît par une patente de i4fo.
écrite de la propre main du Roi. Il
n'eut pas moins de part à la faveur de
Ferdinand fils ôc SuccefTeur d' Alphon-
fe. Antoine avoit érigé à Naples une
belle Académie d'oi^i il eii forti quanti-
té de grands pcrlbnnages. Il mourut
dans cette Capitale en 1471. âgé de
78. ans. Il s'étoit fait lui même cette
Epitaphc ;
É)«xnVe, Piérides, alium qui pkret âmertSx
^iritt qui Re^um fyrtiafa^a canat.
Recueil DE BONS MOTS. 25p
Me Fater ille ingens hominum facîor atque Rg'^
demptor
Evocatf CT* fedes donat Adiré piat»
Il compofa plufieurs Ouvrages tant
en vers qu'en profe. On a parlé ailleurs
de fon Hermaphrodite^ pièce obfcene,
qui ne fauroit faire honneur, quelque
bien écrite, qu'elle puiflè être. Une
de fes principales produétionsi font les
Dits^ les Faits d Alphonfe Roid^Arra-
gon , Ouvrage qui lui valut mille Du-^
cats d'or *=. tÎLneas Sylvius Evéque
de Sienne & cnfuitePape fous le nom de
Pie II. fit des Commentaires ou plutôt
des Remarques 6c des Réflexions fur ces
bons mots d' Alphonfe , recueillis par
Antoine dePalerme. Il lesmetaudeiTus
de ceux des Anciens.
Ces Reflexions d'iEncas Sylvius mar-
quent en lui deux exccllens cara6beres,
celui d'un bon Citoyen & d'un bon E-
vêque , & celui d'un homme animé
d'un grand zcle pour le Chrillianifme.
Comme il ctoit tout enfemble & Ci-
toyen
* Tout ceci eft tiré de la Bibliothèque Sid-
lienned'AntoniusMongitor, Dodteur en Théo-
logie à Palerme,
270 "PoGGiAysA. Pari. IF.
'^ïn.Sylv. toyen 8c Evêque de Sienne, la plupart
Corn- de (es Reflexions roulent fur le falut &
?}P"'^-à" la délivrance de i^à Patrie &de fon Eeli-
Fadt. Al- ïC ^lors opprimée par la Ligue qu Al-
fonfi.p.8. phonfe avoit faite avec le Duc de Mi-
lan contre Venife 6c Florence. Le Roi
jiîphonfe^ difoit-il, inar chant à U tête
de fon armée contre Us Vénitiens i3 Us
■ Florentins , rencontra Us Ânibéiffadeurs dé
ces deux Républiques , qui venoient an
devant de lui pour lui demander la paix ,
t^ il la leur donna. Ne la donnera-t^
il point aux Sienois , qui fe font décla*
rex vaincus , ^ qui ont imploré fa clé-
mence avant même qu'il eut pris les ar-
mes ? Cet aUe de clémence lui acquerroit
d'autant plus de gloire , que comme Us
Vénitiens ^ Us Florentins font beaucoup
plus puiffans que les Sienois , on pourroit
croire que U Roi n'a donné la paix aux
premiers^ que dans la crainte de ne pou-
voir les vaincre. Au lieu que s'il la don-
ne aux Sienois on ne pourra l'attribuer
qu^à fa généroftté. C'cll: ainfi qu'iï;,neas
Sylvius ne perd aucune occafion de mar-
quer dans ce petit Ouvrage fon amour
pour fon Eglife & pour fa Patrie , 5c
• c*efî: même par là qu'il commence Ces
Remarques fur la pièce de fon ami.
La
Recueil DE BONS MOTS, lyt^
La guerre dont on vient de parler
mcttoit en feu toute l'Italie , 6c empê-
choit le Pape , le Roi de Naples 6c les
autres Puifîlmces voifines d'aller fecou-
rir les Chrétiens contre les Turcs. C'ell
le fécond objet d'JEneasSylviusdansies
Remarques. Entre autres aéfcionsdegé-
nérolîté d'Alphonfe , Antoine de Pa-
lerme racontoit qu'un jour ce Monar-
que s'expofa au danger de périr pour
fauvcr une Qalereoù il n'y av oit pas plus
de deux cens perfonnes. ^e ne fera-t-il
point ^dit-\z defllis ^neas Sylvius , />o^^r
fauver la najjelk de J. C. prête à périr
par la fureur des Turcs? Pour exculer
Alphonfè de ce qu'en faveur de Philip-
pe Duc de Milan il avoit entrepris la
guerre contre les Vénitiens , Antoine
de Palerme difoit , que ce Monarque
avoit de grandes obligations * au Duc.
Il en a bien plus à J. C, dit là-delîus
JEnc'às Sylvius , ^ue n'entreprend-il donc
Ja guerre contre les Turcs ennemis du nom
Chrétien ? En eifet Alphonfè donna la
paix
* Le Duc ayant pris Alphonfè prifonnier dans
une guerre, lui rendit genereulement la liberté,
fans exigeraucune rançon. ,<<»»»> jm^. Differt. PoUf,
in Tacit. L. V. Diic. 7.
zjz VoGGiAVi A. Part. jy.
paix à l'Italie, marcha contre Mahomet
a la tête d'une grofle armée , & en re-
vint triomphant. Cet échantillon nous
infpire l'envie de faire part au Public de
quelques traits & de quelques bons mots,
qui fe trouvent dans cette pièce du Pré-
lat de Sienne.
»wWiin6nr
BONS
^7^
•t^ f^ vS y«S vS -^ -T<S V^S V^ -/S -/^ -f<S ■ -/*> -^ -^ t'^
w-^ w • %\* %r iv-* w w^ w w w w %*i»* W W"
BONS MOTS
D'iENEAS SYLVIUS.
L
SI les Gots 8c les Lombards avoient >J^n.Syl?J
eu des Alphonfes pour Rois, nous au- mem'in
rions Tite Live tout entier, & onn'au- Di(fi.&
roit point à regreter la perte d'aucun Fad. AI»
ancien Auteur, P^°"^^ ,
Reg. p. si
IL
Alphonfe approuvoit fort ce mot^
qu'il avoit lu dans la Préface d'une Ver-
iion Françoife des Livres de S. Augulr
tin de la Cité de Dieu, ^u'un Roi fans
heures eji un âne couronné. Ce mot eft
bon pour encourager les Princes à étu-
dier, mais il eft fort outré. Un Roi
peut avoir des qualitez héroïques Sc
régner dignement fans favoir ni A
iiiB.
tom, IL È lit
Z74 PoGGiANA. Part. IJ^.
III.
îbid D < Il faut que les Harpies foient en grand
' nombre, car je n'ai jamais vu de Cour
cil il n'y eût ûe ces oifeaux-là.
IV.
I».,, Il faut qu'un Roi furmonte coura-
"' geufement tous les obftacles dans une
cntreprife julte , mais quand elle ne
l'eft pas, il y a plus de grandeur à s'en
dédire qu'à y perfîller. Alors il eft
plus glorieux d'être vaincu qus de
vaincre.
y- V
^ m j^neas Sylvius étoit à table à Vien-
' ' ne chez Julien Cardinal de St. Ange
qui préfida au Concile de Bafle. Com-
me on s'entretenoit de ce Concile ilfur-
vint tout à coup un petit tremblement
de terre. L'Anibaffadeur de Cologne
qui étoit des conviez avoit déjà quitté
la table, & entrainoit tous les autres,
lorfque le Cardinal Julien leur dit d'un
grand fang froid : O mes amis , pre-
Tiez courage , nous parlions tout à T heu-
re du Concile de Bafle. H a fait trem-
bler toute la terre , mais il ne Va pas
renverfée.
VI.
^ .^' Il y avoit à Cologne un Peintre fort
^•'^- ^ habi-
Recueildebons mots. Ijf
îiabile, mais parefîeux & yvrogne. Il
avoit engagé au cabaret plulîeurs ima*
ges de notre Seigneur. Comme on lui
demandoit pourquoi il ne les vendoit
|5as. C'eft, dit-il, que j'aime mieux
être Chrétien que Juif.
VII.
François Philelphe envoya des Saty-
res de fa l-açonauRoiAlphon{è,^neas
Sylviusdifoit là-defTus ; „ Apparemment
^5 Philelphe a lu ce que les Anciens ont
), écrit du Poète Grec Oppicn, qui ayant
55 envoyé à Antonin le pieux Ton Poème Voffius
5, lur la nature des pafîions , reçut upe prétend
5, pièce d'or pour chaque vers. Amonln
VIII. Caracalla.
Marian Socin^ célèbre Jurifconfulte C'étoit
du quinzième fîècle, négligea beaucoup g^*"'!"
fès études depuis qu'il fe fut' marie, rnéréfiar-
Comme on lui alleguoit l'exemple de queFauf-
Socrate , qui depuis fon mariage n'avoit t^ Socin*
J)as moins étudié qu'auparavant. Je n'en
fuis pas furpris , dit-il, Xantippe étoit
laide ôc méchante , ma femme eft bon-
ne & d'une â:rande beauté.
^ IX.
s. Bernardin de Sienne dont on a
parlé ailleurs, difoit qu'il n'étoit per-
dis de prêter à intérêt , qu'à ceux
S % qui
%jS 1? oGGi AS A. Part. IF^
qui n'avoient pas le moyen de rendre le
capital.
X.
Quelques Grands de Hongrie étant
entrez un jour dans le Palais de Sigif-
mond leur Roi à defTein de le prendre
prifonnier ou de le malTacrer, ce Prin-
ce s'avança vers eux, & leur dit, „ Y
„ a-t-il quelcun d'entre vous afTez har-
„ di , pour mettre la main fur moi ?
„ Quel mal ai -je fait pour mériter la
„ mort? Mais fi tel eft votre deflein,
j, qu'un d'entre vous s'avance & fc bat-
3, te feul à feul avec moi , s'il en a le
„ courage ". Un langage fi magnani-
me les fit retirer tous.
XL
L'Empereur Frédéric ayant été cou-
ronné à Rome, alla rendre vifite à Al-
phonfc Roi de Naples. Quand il fut
de retour en Allemagne, on lui deman-
da ce qu'il avoit vu de plus mémora-
ble dans fon Voyage. J'ai vu y dit-il y
jilphonfe qui eft U plus grand (^ le plus
prudent des Rois qui régnent à prefent.
Comme on n'approuvoit pas qu'étant
Empereur , il eût été rendre vifite à
un Roi. Il eft mai y dit-il, que r auto-
rité d'un Empereur eft plus grande que
6ei*
Recueil DE BONSMOTs. 2,77
celle d'un Roi , mais Alphonfe efi plus
grand que Frédéric.
XII.
On apporta un jour à l'Empereur
Sigifmond quarante mille Ducats d'or,
qu'il fit mettre dans la chambre où il
devoit coucher. Etant au lit il révoit
avec tant d'inquiétude fur l'emploi qu'il
feroit de cet argent, qu'il ne put jamais
attrapper le fommeil. C'ell: ce qui lui
fit prendre la reiblution de mander ami-
nuit Tes Miniflres d'Etat & Tes Généraux.
Ils vinrent fort allarmez d'un ordre fi ex-
traordinaire. Dés qu'ils furent entrez
dans la chambre, l'Empereur ouvrit fon
coffre & leurdilîribua cet argent. Vous
n'avez, leur dit- il enfuite , qu'à vous
retirer j je m'en vais dormir tranquile-
ment , puifque ce qui m'avoit 6té le
fommeil ell forti avec vous.
XI II.
L'Empereur Frédéric III. n'avoit
jamais goûté de vin non plus qu'Eleo-
nor fon Epoufe. Les Médecins ayant
confeillé à cette Impératrice d'en ufer
pour avoir lignée, Frédéric dit qu'il ai-
moit mieux que fa femme fût llerile,
que fujette au vin. Quand on le rap-
porta à Eleonor j Quoique j'aime mon
S 3 Epoux
âjS PoGGiANA. Part, IF,
Epoux à l'égal de la vie, dit-elle, 6c
que je lui obeïfTe toujours avec plailîr,
j'aiinerois mieux mourir qu'obcir, s'il
me commandoit de boire du vin.
XIV.
Il y a dans la vie de cet Empereur
des traits de clémence & de generofité
fort remarquables. Après la mort d'Al-
bert Roi des Romains , les Ele6teurs
s'afTemblerent à Francfort pour éli-
re un Empereur. Un certain Jean
de Gers Weftphalien , qui avoit été
Protonotaire de Sigifmond, y alla pour
s'oppofer à l'éleélion de Frédéric , con-
tre qui il inventoit mille calomnies.
Frédéric fut néanmoins élu. Mais com-
me il alloit à Rome pour y recevoir la
Couronne Impériale , Gers écrivit à Ni-
colas V. pour empêcher ce Pape de
couronner l'Empereur. Ce Prince fut
tout cela , mais au lieu de s'en vanger ,
il laifTa Gers jouir paifiblement de fcs
biens à Vienne , fans lui témoigner ja-
mais le moindre reffentiment.
XV.
Le même Prince étant allé à Aix la
Chapelle pour fe faire couronner , Al-
bert Ton frère fe ligua contre lui avec
les Comtes de Cillei. Ils lui enlevèrent
Recueil DE BONS MOTS, zjp
h Carniole , les Villes de Lauhach , de
Kreinsbourg , de Triefte , 6c fouleverent
la Carïnthie 6c la Stirie. Comme fes
amis lui confeilloient de différer le def-
fein de fon Couronnement pour aller dé-
fendre fon patrimoine, lui difant que
l'Empire étoit l'affaire du public, que
la défenfc de fon pais étoit la fîenne pro-
pre , il répondit , qu'il vouloit faire les
affaires du public par lui-même 6c les
fîenncs par procureur ; il fe contenta
d'envoyer des troupes 6c des Généraux
contre fes ennemis , 6c continua fa rou-
te. Après fon couronnement il trouva
que fon frère 6c les Comtes avoient été
battus. Il fit venir fon frère, lui par-
donna, 6c le rétablit dans (ts Etats , con-
tent de lui avoir reproché fon infidélité.
XVI.
Les anciens Comtes de Wirtemberg
étoient déjà puifîàns 6c redoutables
dans le quatorzième lîècle, quoiqu'ils
n'euffent pas encore la qualité de Prin-
ces. ^Eneas Sylvius les taxe de rébel-
lion contre l'Eglife 6c contre l'Empire,
Un Gentilhomme qui avoit été fort
avant dans leurs intérêts quitta leur par-
ti ôc s'étant retiré à la Cour de l'Em-
pereur Henri feptième, il ne celToit de
S 4 me-
|,8o PoGGtANA. Part. IV.
médire d'eux comme de brigands & de
rebelles a l'Empire & à l'Egliiè. Taifez-
hjoîis , fourbe , dit l'Empereur, on ne
vous croiroit pas.y fi "vous les louie7. ^par"
ce qu'on les connaît bien , mais on ne
vous croit pas non plus , quand vous les
blâmez^ après avoir été fi fort de leurs
amis.
XVII.
On lui rapporta un jour, que qucl-
cun avoir médit de lui? „ Ne favez-
35 vous pas, répondit-il, qu'il ell: d'un
5, Prince comme d'un blanc toujours
3, en bute à des flèches ? La foudre
5, tombe fur les édifices élevez , ôc pafle
5, les petits. Nous fomraes encoretrop
5, heureux quand on ne nous attaque
J5 que par des paroles.
XVIII.
Alphonie, difoit ^neas Sylvius,cft
non feulement favant lui-mçme, mais
îl aime les Savans. Chofe rare dans no-
tre fîècle, où. la plupart des Rois ref-
femblent aux Norciens * , qui ne veu-
lent point recevoir de gens de Lettre?
dans leur Confcii,
XIX.
■* }i?orck , Efpece de petite République fur Içi
Serres du Pape dans ie,.guch4 de Spolete. ■ '' '
Recueil DE BONS MOTS. i8ï
XIX.
Le Roi Aiphonfe ayant trouvé une p. u;
Médaille de Néron , oii il s'attribuoit '
la gloire qu'on a donnée à Augulle d'a-
voir fermé le Temple de Janus, c'eft-
à-dire, donné la paix à l'Univers , trai- I
toit Néron de fou, de fe repaître d'une 3
gloire qu'il n'avoit point acquife. v^- '■'■>
tieas Sylvius concluoit de là que ce fe- -
roit mal faire fa cour à Aiphonfe, que ^
de lui donner de faufles louanges. La l
confequence n'eft pas toujours jufte. jj
Il n'y a fouvent point de gens qui la-
vourent mieux la flaterie que ceux qui
déclament le plus contre elle. Au moins
cft-ce un aveu que l'Empereur Sigif-
mond faifoit de lui-même. Cependant
l'Hiiloire dit que ce même Empereur l
donna un jour de bons foufflets à quel- ^
cun qui le loiioit excelîivement. Pourr ■•,
^uoi me battez-'VQus? lui dit le flateurj 3
Pourquoi me mordez-vous ? répliqua Si- f,
gifmond. ^
X X.
Tout le monde fait le Proverbe Ita- p. i6j 'K
lien , T'îi ^ri'aduU , ma tu mi piace ^ ;'
5, Vous me flattez , mais vous me faites V?
5, plailîr ". Mais tout le monde ne -^i
(ait pas que c'étoit le proverbe favori ^
282 "PoGGiAN A' Part. IF.
de Jean XXII J. Je n'ignore pas , di*
foit-il 5 que tout le bien qu'on dit de moi
ejî faux 5 mais je F écoute ai-ec plaifir.
XXL
|>j.3ef. iîlneas Sylvius , qui fut depuis Pape
fous le nom de Pie II. fut fait Secré-
taire de l'Empereur Frédéric III. par
la faveur de TEvêque de Chiemzée *.
Cet Empereur donna à l'Evêque quel-
ques Lettres d'^neas Sylvius à exami-
ner. Le Prélat les barbouilla en quel-
ques endroits, fans y rien corriger, que
par ci par là & même quelquefois mal
à propos, ^neas Sylvius en ayant fait
des reproches à l'Evêque 5 Je n'en ai
ufé ainfi , dit ce dernier , qu'afin que
vous 'vij/îez que fai lu 'vos Lettres , ^
de peur que 'vous ti'entrajfiez en défiance de
votre Ouvrage , comme vous auriez pu
faire ^fi je n^y avois rienremarqué . C'ell
ainfi qu'yEneas Sylvius dit à Antoine
de Palerme , qu'il en avoit ufé à l'égard
de fon Ouvrage fur les faits & les dits
d'Alphonfe.
XXIL
Il n'y a point d'homme au monde,
qui ne foit hypocrite en quelque chofe.
Lç
♦ yille Epifcopale du Cçrde de B^viçrf,
ÏIeGUEIL DE BONS MOTS. 285
ÎL,e Comte Gafpard de Schiick , qui a-î
voit été Chancelier de trois Empereurs,
difoit à Frédéric III. qu'il vouloit fe
retirer du monde , parce qu'il étoit rem-
pli d'hypocrites & de fourbes. Il fau-
dra donc 5 lui dit cet Empereur , que
vous vous retiriez aux 'Terres Auflrales
inconnues 'f encore y aura-t-il de rhypo-
çrifie^ quand vous y ferez ^ à moins que
vous ne foyez un Dieu , ^ non pas un
homme *.
XXIII.
Alphonfe Roi de Naples & de Sicile,
eut un jour la curioiité d'aller entendre
le Jeudi faint, un Moine Dominicain
prêcher fur l'Euchariftie "f. Après le
Sermon, le Prédicateur croyant n'en
avoir pas encore aflez dit^propofâ plu-
fîeurs queltions fort vaines & fort iub-
tiles fur ce Sacrement. Le Roi lui en
fit une à fon tour. Mon Père y lui dit-
il 5 ces jours paffez quelcun ouvrit un
vafe d'un or très-pur (^ qui étoit bien
fermé. On avoit mis une hojlie dans ce
vafe y 13 il n'y trouva rien qu'un ver.
Le
* TJltrh Saursmatas Szc Juven. Sat. II. t.
j On ne dit pas où. Le Moine ctoit Siciliea
^ s'appelloit Antoine Antonin.
2,84 VoGGiAT<iA. Part. IF.
Le ver ne pouvoit s'être engendré de VoTy
qui , comme je l'ai dit , étoit très-fin ,
^ le vafe d'ailleurs étoit fermé de tous
cotez. Il ne pouvoit pas non plus naître
des accidens , puis qu'ils étoient là fans
fujet. Il falloit donc que le ver eût été
produit du corps de Jefus-Chrifi. Mais
de la fub fiance de Dieu , il ne peut rien
fe produire que Dieu. Donc un ver efi
Dieu. Répondez à cela. Le Moine n'eut
rien à répliquer. Mais k compagnie en
conclut que le Roi avoit fort bien fait
de vil'iter l'école àcs Dominicains , pour
y reprimer les fubtilitez de la Scholafti-
quc, qui ne fert le plus fouvent qu'à
profaner la Religion, à l'expofer aux
railleries des libertins, & dont les con-
fequences font quelquefois non feule-
ment des extravagances, mais des im-
pietez ôc des blafphemes.
XXIV.
Tout le monde fait quel étoit le
caraétère de l'Empereur Wencellas
Roi de Bohême. Un de (es grands vi-
ces étoit l'yvrognerie. Si jamais^ di-
foit-il , /'/ m' arrive de piller les villes
d' Italie .^ fen donnerai tout le butinâmes
Soldats^ y ne me referverai que le vin^
ptais fi quelctm entre dans ma cave fam
mon
Recueil DE BONS MOTS. tSf
Pion ordre , je lui ferai couper la tête.
On n'ignore pas non plus que cet Em-
pereur tilt dépofé par les Eleétcurs, 6c
c'eft même une grande quellion en Po-
litique, fî ce fut légitimement. Quoi-
qu'il en foit , Robert de Bavière * ayant
été mis en fa place, toute l'Allemagne
le reconnut hormis ceux de Nurem-
berg. Combattus qu'ils étoient entre
la crainte de violer leur ferment , &
celle Je s'attirer à dos le nouvel Empe-
reur , ils envoyèrent à Wencellas le
prier de les dégager de leur ferment de
fidélité, lui offi'ant pour cela vingt mille
Ducats. Je 'vous en dégage ^dït-ïi, pour-
'VU que 'VOUS m'envoyiez quatre charioti
de 'vin de Baccara.
XXV.
C'efl: une grande honte aux Prêtres
d'Italie, difoit iEneas Sylvius, de n'a-
voir jamais lu une feule fois , le Nou-
veau Teftament. Parmi les Thabori-
tes , il n'y a pas une femme qui ne puis-
fe rendre raifon du Vieux ôc du Nou»
veau. Il leur rend encore ce témoigna-
ge
• Jofle Duc de Moravie fucccda àWenceflas,
mais il ne vécut que fix mois, depuis fon élec»
iàoB.
i,26 VoGGiA^A. Part. IV.
ge qu'ails avoient exterminé à Prague
tous les cabarets & les lieux de débauche;
XXVL
p. xzî yean Cor'vin Hunniade Cornte de
Bijîriks^ Gouverneur du Royaume de
Hongrie, Général des Armées de La-
dillas , fut un des grands Capitaines du
quinzième (lècle, la terreur & le fléau
des Turcs, l'appui des Chrétiens. Il
n'étoit pas de naiflance. Un jour Ulr'ic
Comte de Cilîei lui envoya dire, qu'il
auroit bien voulu avoir une conférence
avec lui. Je le 'veux bien ^ dit Hunnia-
de , pouyjâ que 'vous "veniez dans mon
camp. „ Je n'en ferai rien, dit Cilleiy
5, je fuis Prince, né de Prince, & vous
5, n'êtes qu'un homme nouveau, anno-
5, bli de nos jours ". Ce n'eft pas à vos
ancêtres^ répliqua Hunniade, que je me
compare 5 Ceji à vous. Vous n'avez vo-
tre nohlcjje que par le fang^je Pai acqui-
fe en combattant pour la Religion Chré-
tienne .^ 13 je prépare à ma pojierité plus
de gloire , que vos ancêtres ne vous en ont
pu donner. La race des Comtes de Cillei
va finir en vous , fans que vous Vayez il-
lujlrée par aucune belle action ^ £5? celle
des Comtes de Bijiriks commence glorieu"
Cernent en moi.
XXVIL
Recueil DE BONS MOTS. 2S7
XXVII.
Théodoric Archevêque de Cologne,
étoit un des grands Prélats de fon tems.
Un jour l'Empereur Sigifmond lui de-
manda , par quel moyen on pouvoit
être heureux. Il ne faut pas Vefperer
dans ce monde , dit le Prélat. Mais , con*
tinua l'Empereur, quel chemin èut-il
prendre pour arriver au bonheur celeile ?
Il faut marcher droit , répliqua Théodo-
ric. Qu'entendez - vous par marcher
droit ? demanda Sigifmond. Il faut tou-
jours vivre comme vous promettez de fai-
re , quand vous avez la goûte ou la gm-
velle^ ou ([uelque grande maladie.
XXVIII.
Amédée Duc de Savoye élu Pape au
Concile de Bafle fous le nom de Félix
V. offrit en mariage à l'Empereur Fré-
déric fa fille, qui étoit jeune & belle
avec deux cens mille Ducats de dot.
Frédéric eut horreur de cette propofî-
tion. Les autres , dit-il , vendent le Pon-
tificat^ celui-ci le veut acheter.
XXIX.
Un jour que les Courtilâns de Sigif- ^^,
îïiond fe plaignoient de la médifance
des Allemands , qui ofoient mal parler
de leur Prince i Eft-il furprenant ^ dit-
il
i§8 IP o G GïA-iJ A. Part. IF.
À en fouriant , qu'ils parlent maî^ puis
que nous faifons mal ?
Un Religieux prêchant devant l'Em-
pereur Albert , ce Prince s'endormit.
Le Prédicateur demanda là-deiïus au
peuple, s'il croyoit qu'il y auroit des
Princes fauvez. Après avoir rendu la
chofe fort difficile ôc fort douteufe>
p. 3t. Fous vous trompez^ dit l'Empereur, <?»
peut efperer k falut des Princes qui meu-
rent au berceau après avoir été baptifez.
^XXXI. ^
Ibid. Zifca, Général des Huffites,âvoit per-
du un œil dans (on enfance en jouant
avec fes camarades 5 il perdit l'autre au
fîége de quelque place. Tout aveugle
qu'il étoit il battit diverfes fois les Bo-
hémiens & les Allemands. Etant au lit
de la mort on lui demanda , ce qu'il
vouloit qu'on fit de fon corps après fa
mort. „ Jettez-Ie, dit- il ^ aux bêtes
5, fâuvagcs , après en avoir pté la peau
5, dont vous ferez un tambour pour
5, vous en fervir à la guerre. Les en-
^, ncmis n'ont pu foutenir ma vuëpcn-
5, dant que j'ai vécu , ils ne foutien-
„ dront pas non plus le fon de ce tam-
„ bour.
XXXIl
Recueil DE BONS MOTS, i^p I
XXXIL
: Frédéric , Comte de Cillei , étoit un p. si ï
homme perdu de débauches. Il tua ia ■
femme pour s'abandonner tout à fbn \
aife à des concubines. A l'âge de qua- l
tre-vingt-dix ans , un de fes amis lui
ayant dit , qu'il étoir tems de penfer à
la mort, c'eil ce que je fais aétuelle-
ment , répondit il , car j'ai ordonné
qu'on mît cette infcription fur mon
tombeau : C'efi ici pour moi la porte des
Enfers. Ce que/y trouverai^ je n'enfai
rien. J'ai eu de grands biens j dont je m
remporte rien^ non plus que de ce ^uej^ai
hu (^ mangé ^ ^ de ce qu'une 'volupté in-
fatiable a englouti. Voilà, lui dit fon
ami, l'épitaphe d'un Sardanapale, plus
digne , au jugement d'Ariftote , d'être
écrite fur le fepulchre d'un bœuf, que
fur celui d'Un homme.
XXXIIt
Dante étoit un homme fort appliqué p. it\ \
à ce qu'il méditoit, & à ce qu'il lifoit.
Un jour qu'il étoit allé à un fpeétacle
public , il entra dans la boutique d'un
Libraire, d'oîi on pouvoit tout voir.
Il trouva fous fa main, un Livre de fon
goût, qu'il devOTa avec un fi grand ap-
pétit , qu'à fon retour il jura , qu'il
^om, IL T n'avoit
>f
ill
n'avoit rien vu , ni rien entendu de ce
qui s'étoit paffé 8c de ce qui s'étoit dit
fur la place. Je connois un homme ,
qui étant allé à l'Eglife de S. Pierre à
Genève pour voir l'éleétion des Sena-
teurs , s'enfonça 11 profondement dans la
leéture des Méditations du P. Male-
Ir anche , qu'il ne regarda pas l'éleûion ,
& ne put au fortir de là dire , com-
ïnent elle s'étoit faite. Je doute fort
qu'il foit à préfent de ce goût-là.
XXXIV.
Ce qu'on appelle le Martyre eft une
preuve foit équivoque de la vérité d'une
Religion y S. Auguflin avoit raifon de
dire, que ce n'eit pas le fupplice qui
fait le Martyre , mais la caufe. Albert 5
Duc d'Autriche, perfecuca cruellement
les Juifs avant que d'être Empereur. Il
avoit même donné un Edit par lequel
il ordonnoit de les ftire tous mourir
dans fes Etats , s'ils n'embrafToient le
Ghriftianifme. Plufieurs fe fàifoient
baptifer par la crainte du Tupplice. Il y
en eut un de ceux-là^ que Frédéric III.
qui fut depuis Empereur , prit en fî
grande amitié qu'il vivoit avec lui com-
me avec un frère. Quelques années après *
îc Proicly te gagné , à ce qu'on prétend j
Recueil DE BONS MOTs^ 2pî
par argent , déçlaia qu'il vouloit re^-
prendre fa première Religion. Le Prin-
ce n'oublia rieii.pour l'en détourner,
cclaireilîèmens, exhortations, promef-
ics, menaces, prières, larmes, il mit
tout en œuvre, mais inutilement. En-
iin il fut obligé avec beaucoup de re-
gret à l'abandonner à fa mauvaife def-
tinée. Le Juif condamné au feu fut con-
duit au fupplicc fans être enchaîné.
Comme il l'avoit demandé. Dès qu'il
vit le bûcher, il fe mit à chanter un
hymne en Hébreu, le jettâ lui-même
dans les flammes, ôc en fut confume
fans difcontinuer de chanter les loiian-
gcsde Dieu.
XXXV.
Quand Zifca pilloit les villages j iî
ue fc refervoit du butin quç les toiles
d'araignée. Ç'eft ainfi qu'il appelloit
les jambons & les faucifles ^ qui pen=
doicnt au plancher des Pajfans.
X3CXVL
Albert Duc d'Autriche eut de îon=
gucs guerres avec les Bohémiens avant
que d'être Empereur. tJn jour qu'on
lui demandoit à qui il vouloit donner le
commandement de fon Armée : $i 'vous
"HOukz^ dit-il, un autre Chef que moi ^
T % vous
"v
îpi VoGGiA)^A.Part. IF.
vous fi' avez que faire de nCappeîkr Dus
d'Autriche.
XXXVII.
Dans le combat qui décida de l'Au*
triche en laveur de l'Empereur Rodol-
phe & oii fut tué Ottocarus Roi de
Bohême fon concurrent , l'Armée de
l'Empereur fouffroit beaucoup de la
fbif. On enleva à un Païfan un vafc
plein de bière, qu'il pôrtoit aux moif-
fonncurs, 6c on le prefenta à l'Empe-
reur pour fe defalterer. Rendez .^ dit-il,
cette cruche.^ ce rî'eji pas moi qui aifoify
c'efi mon armée.
XXXVIIL
Frédéric Duc d'Autriche, furnom-
mé le Vieux, oncle de l'Empereur Fré-
déric III. prenoit fouvent plaifir à fc
déguifér en Villageois, 6c alloitfe louer
aux Païfans pour labourer, moilTonner
êc travailler comme eux. Là il s'entre-
tenoit avec eux fur tout ce qui le pafToit
à fa Cour, fe mettant lui-même fur les
tangs fans être connu , il entendoit tout
ce qu*Gn difoit de lui. Quand on \ai
demandoit la raifon de cette condui-
te. C^/?, à\l-\\^quefanscelajemfau'
rois apprendre aucune veiiféfur moncha-»
• pitre.
XXXIX.
Recueildebonsmots. zpy
XXXIX.
Le Roi Alphonfe étoic un Prince p. 41.;
fort libéral envers les Qens de Lettres ,
il n'y avoit que les Allrologues à qui il
ne faifoit aucun bien j il ne les foufroic
pas même à fa Cour, \Jr\ jour qu'on lui
en demandoit la raifon, quelqu'un ré-
pondit pour lui : Comme il n'y a que des
fous quife mêlent de régler les Aflres^^
que les fages font au deffpcs de leurs influe nr
ces^ c'efl aux Princes qui ne font pas fa-
ges à honorer les Afîrologues^ 13 non h
un Prince f âge ^ comme Alphonfe. ■•
X L.
Pierre de Montalcino étoit un Aftro-. ibid.
logue célèbre au commencement du
quinzième fiècle. Pendant le Concile
de Conftance il publia une l^ophetie,
cil il prédifoit que Sigirmondferoit cou-
ronné à Rome cette année-là , & que
Jean XXIIL fc rctircroit du Concile
avec gloire. Le premier de ces évene-
mens n'arriva que plufîeurs années après,
& le fécond fut tout oppofé à la prédic-
tion. Comme on le reprochoit à l'Af-
trologue, Cefl^ dit-'û,quefavois à ju-
ger de deux fous^ dont je défier ois Pto-i
2.]P4 POGGI ANA. P^r/. //^.
îomée * lui-mêniç , de rien f redire d«
lufie.
Duché en Un Duc de Troppau àvôit cpoufé quel'
Silefie aux q^g Princefle Lithuaniene. Gomme il
[J^^Q^^.^ alloit au devant d'elle , il apperçut à fâ
vie. fuite un jeune homme bien fait & vi-
P' 44* goureux, couché mollement fur lefdu«
vet dans une calèche fufpendue. Ne fa-
chant fî c'étoit fon frère ou quelcun de
fes parens 5 il voulut s.'en éclaircir.
„ C'eft 5 lui dif-on^ la coutume en
35 Lithuanie, que les femmes de qua-
„ lité tiennent chez elles , un ou plu-
5, fleurs hommes, pour faire les fonc-
„ tions du mari , en cas qu'il- dçviennc
3, malade ou qu'il foitabfent ". Le pre-
mier mouvement du Duc fut de faire
déchirer le jouvenceau par les chiens,
mais il (è contenta de (e renvoyer chez
Jui au plus vite.
XL II.
ïb|d. Quelque Gentilhomme rodomont
méprifoit un jour lesMagiftrats en pré-
lênce de Sigifmond, & témoignoit ne
fgire cas que des gens de guerre : îW-
■•::■/. ■ fez^
' "^ fclàude Ptolomée , Mathématicien & Mio^
ffi©î^c cdebrc dans le fecciKl iiède, ' ^'- •'*,
Recueil de bons mots, zpf
feZ'Vous^ fanfaron ylui dit l'Empereur, ^
Jî ceux qui gouvernent le faifoient jufîe'
ment , nous n'aurions point hefoin de gens
de guerre.
XLIII.
On apporta un jour à Frideric III. ^bidL^
des Lettres que Galpard de Schliek (on
Chancelier écrivoit en Hongrie. Com- *
me on lui confeilloit de les ouvrir, par-
ce qu'on foupçonnoit qu'elles contc-
noient quelque projet de trahifon. Je
croi^ dit l'Empereur, que Gafpard eft
honnête homme , ^ qu'il nCefi affection"
né. Si je me trompe , faime mieux , que
mon erreur fe découvre d'elle-même^ qua . f
par mes foins ^ ma défiance.
■ XL IV.
Vitolde Duc de Lithuanie préten- «.45,45.
doit que le peuple devoit être fujet aux
Loix, mais que les Loix dévoient être
airujetties* au Prince. C'ell pour cela
qu'il afFeftoit de fe mettre au deflus des |!
Loix ÔC des coutumes de fon païs. Il '•)
ordonna par un Edit à tous les Sujets, ^
de fe faire rafer, contre leur ufage, 6c ^
laiiîa croître fa barbe, pour fe diflin- -^
guer par cette prétendue marque de ^■
Majeftc, Le projet ne réiifîit pas. Les |^
Lithuaniens proteflercnt , qu'ils per- j|
T 4 droienï %
■ %
2.p6 PoGGiAN A. Part. IF^.
droient plutôt leur vie que leur barbe.
Le Duc fe fît donc rafer, êc défendit
â tous fes Sujets de le faire fur peine de
la vie. Lequel eft le plus bizarre, du
Prince ou des Sujets? C'eft une efpece
de Tyrannie au Prince de gêner fes Su-
jets fans neceffité & fans fruit. C'eft
une opiniâtreté & une rébellion aux Su-
jets, de ne pas obéir dans une chofe
indifférente. '
XLV. '
fe. 4?. Il mourut en Autriche à l'âge de p 3 .
ans un homme qui ayoit toujours vécu
dans les plaifirs Se dans le vice , fans que fa
fanté ni fa fortune euffent jamais fouffert
la moindre atteinte. Ceji là , difoit là-
defTus l'Empereur Frideric III. une
frewue d'une autre vie. Car s'il y a un
Dieu jufie qui gouverne le Monde , conp-
me la Raifon 6? l<^ Religion nous rap-
prennent , il faut que les âmes au fortir
du corps ^pajfent dans d'autres lieux pour
recevoir leur peine ou leur recompenfe ^
puis qu'en ne la reçoit pas dans ce monde,
XLVL
Un Bourgeois de Prague prêta un
<jp.49.' jour cent mille Ducats à Charles IV.
qui lui en fit fon billet. Le lendemain
îc Citoyen invita l'Empereur à dîner
^ '\ ' ~ ^ ^ . ayec
ReCUEILDE BONS MOTS. lOJ
avec un bon nombre de grands Sei-
gneurs. Quand on fut au deflert le Bo-
hémien fe fit apporter le billet de l'Em-
pereur dans un bafîin d'or, & lui dit,
Sire ^ les autres mets^ que j'ai prefente-z.^
ont été communs à toute la compagnie^
celui- ci fera pour votre Majefté feule. Je
\'ous donne ce que je vous ai prêté ^ ^
je vous rends votre billet.
XLVII.
On raconte de l'Empereur Charles
IV. une aftion d'une clémence 6c d'une
grandeur d'ame peu commune. On
vint un jour lui donner avis , qu'un
certain homme gagné par une fomme
d'argent que lui promettoient quelque^
ennemis de ce Prince, avoir refolu de
l'alTaffiner ou de l'empoifonner. Il fit
venir cet homme chez lui ëc ne fe ven-
gea de Ton mauvais defTein , qu'en le
comblant de bienfaits. Il méfait^ dit-
il , de la peine que vous n'ayez pas le
moyen de marier votre fille qui^ déjà
grande. T^enez , voilà mille DucMs pour
fa dot. On peut juger de la furpriîe &
de la confufion de ce traître, qui s'en
alla fe dédire de foia criminel engage-
ment,
- Xf xLvm,
zpS VoGGiAYf A. Part. IF.
XLVIII.
Le même Empereur aimoit les Let-
tres & les Savans. C'étoit lui, qui en
1 347. avoit fondé l'Univerlité de Pra-
gue. Il alla un jour entendre foûtenir
•quelques Thefes , & il y prit tant de plai-
iîr, qu'il y demeura quatre heures en-
tières. Les Courtifans ennuyez & im-
patients, l'avertilToient qu'il étoit tems
d'aller dîner. Cejl^ leur dit-il, ici mon
repas.
XLIX.
P: ^7. L'Empereur Frideric III. difoit que
les Princes durs & cruels dévoient ex-
trêmement craindre la mort , parce qu'ils
trouveroient dans l'autre vie, un Juge
auflî impitoyable , qu'ils l'avoient été
dans celle-ci.
L.
Ibid. Le même Empereur difoit, qu'il lui
étoit impoffible de fe plaire avec des
fots ou des fous, & qu'il haïlToit com^
me la mort les gens fuperbes & glorieux.
C'ell W moyen de fc bien ennuyer dans
^ le Monde. Il ell partagé entre la fotife
>• ^^ ou*îa folie , & l'orgueil , & fouvent
ces deux caraftcres y font réiinis. Pour
peu qu'on ait d'efprit , de favoir , de
mérite 2c de (juel(juc diUinftion que
^ ' " ' '- '*,, .- ce
Recueil dé bons mots. 29^
ce (bit 5 c'eft un orgueil ou une fatuité
iniupportable. Les lots fourmillent.
Un mérite orgueilleux c'eft un bel
oeillet qui crevé.
LI.
St. Bernard Abbé de Clcrvailx étoit^ p. i^j
un Moine d'une grande abilinence. Un
jour qu'il avoit des hôtes chez lui fon
jiofpitalité lui fit pafler les bornes de fa
tempérance ordinaire. Ses Moines lui
en firent des reproches. Ce n'efi pas
maij dit-il, c'eji la charité qui a bu ^
mtingé.
LII.
Sigifmond Roi de Hongrie & de- p. y^;
puis Empereur , avoit été arrêté pri-
fonnier par les Grands de fon Royau-
me. Il étoit garde par deux Gentils-
hommes de la Maifon de Gara^ dont
il avoit fait mourir le père, & quj é-^
toierit proches parens du Comte de'Cil-
lei. Pour obtenir fa liberté il promit
cL'époufer Barbe fille de ce Comte, ôc
il tint parole. L'Hiftoire nous repré- ,|_
fente cette Princefle , d'une galante- '
rie qui alloit jufqu'à la proftitution.
Lors que l'Empereur fon mari fut mort p. ip»
pn l'exhortoit à imiter l'exemple de -la
ehafte tourterelle. Si vous 'voulez , dit*
elle,
3;ÛO VOGGI AN A. Part. IV.
elle 5 me propofer des bêtes pour mode'
/ip, propofez-moi les pigeons (^ les moi-
neaux..
LUI.
J'ai lu dans un vieux Manufcrit,
qu'au Concile de Confiance , l'Elec-
teur de Saxe ordonna à fon Confeiller
de lui faire une lifte exafte de toutes
les Courtifanncs qui étoient alors dans
la ville. Il le fit, autant qu'il put, car
il yen avoit beaucoup. Comme l'Elec-
teur fe plaignoit qu'elle étoit incom-
plète. Si vous 'voulez^ dit-il, que je les
y mette toutes , il faut donc y mettre la.
première. \\ entendoit par-là l'Impéra-
trice Barbe.
L I V.
iEncas Sylvius difoit que fi quelcua
devoit être content des faveurs de la
fortune, c'étoit Alphonfe , puis qu'il
pofTedoit les Empires de trois Divinitez.
Dans l'Efpagne celui de Pluton^ dans
la Sicile & dans les Ifles voifînes celui,
de Neptune , & dans l'Italie celui de
Jupiter *.
LV.
• ZAÙn étoit un des titres de J^ipiter, I?«/'/«|
Re^SÙEIL bE BONS MOTS. ^0%
LV.
Jaques Archevêque de Trêves étoit
un Prélat d'un grand mérite, mais fort
ambitieux & d'une avidité infatiablc.
Etant un jour auprès de Frideric IIL
il failoit demande fur demande à cet \
Empereur. Si vous ne mettez fin , dit'*
il, ^ vos demandes^ je trouverai bieri'^
tôt le commencement de mes refus,
LVI.
C'eft un grand mot de Metellus. AulugclJ
j, Les Dieux peuvent beaucoup , dit- ^' ^* ^.i^
5, ;7, mais ils ne doivent pas nous ai-
,5 mer plus, que ne nous aiment nos
j, parens. Or nos parens nous deshé-
5, ritent à la fin , quand nous leur des^-
5, obéïflbns continuellement . Qu'avons»
3, nous donc à attendre des Dieux , fi
5, nous perfevcrons dans notre mauvais
5, train? Il n'eft pas jufte que les Dieux
5, foient favorables à des gens qui font
^, ennemis d'eux-mêmes. ♦ Les Dieux
5, aiment la vertu, mais ils ne la don-
;), nent pas par force.
L V 1 1.
Fabrice Général Romain n'étoit pas Aulug;
riche. L.I.C. 143
. ,.,. ■ ' • ?
• D« immortalti virtuttm «ffrobare , non ad^^ \
hihtrt dehtnu *
pz VoaGiANA. Part ^ IF.
riche. Les Samnites qui favoient cela,
hii envoyèrent des préfens confîdera-
bies , pour lui témoigner leur recon-
noiflance de ce qu'il leur avoit donné
la paix. Il ne les accepta pas, mais por-
tant les mains aux oreilles, aux yeux,
au nez, à la bouche, à l'eftomach, il
dit aux Ambafîadeurs des Samnites,
que tant qu'il fauroit commander à tout
cela 5 // n'aurait befoin de quoi que ce Coiî,
^n,:, LVIII.
■?!(!. L.;L . C'eft un bon mot d'Aulugdle. U ne
t.» I S« ^aut pas que la Langue flotte dans la bou-r
ch^. Il faut qu'elle fi)it tellement encbaU
née avec Vefprit^ qu'il ne lui échappe rien
^ue par f on erdre^
- iO /.*"<*J: L I X.
id.L.II... G'étoit une grande fotilc à Socrate
C 1. 1 de demeurer comme il failbit fouvent,
au rapport d'Aulugelle , des journées
tutiéirs debout comme un piquet dans
la même pollure fans branler &:fanscilr
1er Jes yeux , pour s'accoutumer à la
patience. Il cft vrai qu'ayant une aufîi
méchante femme que Xantippe, il cri
avoit grand befoin.
L X. . ^ ^
ïd.L.II. /Un Proconful Romain étoit allé à
^' 2" Athènes avec fon Père qui n'étoit que
par=
Recueil DE BONS MOTS. 90$
paiticulier, pour vidter le Philofophc
Taurus. Dès qu'ils furent entrez, Tau-
rus préfenta au père la feule chaile qui
étoit dans fa chambre. Le père la re-
fulà, & dit qu'il fàlloit la donner à foHi
fils parce qu'il étoit Magillrat. AJfeyez-
*vous toujours fans péjudice^ dit -il au
père, en attendant que nous examinions ^
lequel des deux doit s''aJfeoir le premier ,
ou du père qui n'eft que particulier^ ou
du fils qui eft Magifirat. Le pcrc s'afîit
& Taurus décida, que dans les occa-
iîons publiques un perc particulier de-
voit relâcher de fon droit en faveur de
la Magiftraturc de fon fils , mais que hors
de là , la nature reprenoit fcs droits.
LXL
Autrefois les Romains kiflbientcroî^
îre leur barbe *. Ce ne fut qu'en 4^4.
de la fondation de Rome qu'ils firent
venir des Barbiers de Sicile, au rapport
de Pline \. Depuis ce tems-là ils fe ra-
foient grands & petits ^ ôc ils commen-
çoient de le faire à l'âge de 20. ans^
comme l'Hiflodrc dit que firent Cali-
gu-
• Agcll. L. III. c. 4. Pitifc. Lcx. Ant. Rom.
fab voce Barba.
t Plia. Hift. Nar. L. VII. p. 107,
304 P o G G I A N A. Part. IF,
gula & Néron. Adrien changea ccttî
coutume, il laiiTa croître fa barbe ôcles
autres Empereurs l'imitèrent.
LXÏI.
C'étoit une belle action ^ que celle
Âgell.L.de Cadicius Tribun dans l'armée des
III. c. 4. Romains , lors de la première guerre
de Carthage. L'Armée Romaine étoit
enveloppée par la Carthaginoife, dans
un endroit où elle ne pouvoit éviter
d'être taillée en pièces. Le Tribun
pour la fauver confeilla au Conful de
détacher 400. hommes pour aller oc-
cuper une certaine colline qu'il lui mon-
troit ^ afin que pendant que l'ennemi
s'amuferoit contre ce détachement,
l'armée pût écHapper. Fort bien ^ dit
le QoniuX^mais qui efi-ce qui 'voudra me-
ner ces 400. hommes à la boucherie?
C'est moi, répondit le Tribun. Je
'Veux bien me facrifier pour vous 6? pour
la République. Allons , mes amis , dit-il
fur le champ aux Soldats,/"/*?/? necejfai-
re d'aller là 6? il n'efi pas nccejfairi
d'en revenir. Le Ihatageme réùfîit.
Les ennemis donnèrent dans le piège ,
& les 400. hommes fe défendirent aiîèz
long-tcms pour donner à l'armée Ro-
maine celui de fc retirer. Il n'en échap-
pa
/
Recueil DE BONS MOTS, ^of
pa que le Tribun , qui fut reconnu en-
tre les blcfTez. Caton êc Seneque ont Senec.
comparé cette a6lion à celle de Leoni- ^P* ^^*
das dont il efl parlé dans Hérodote. Herodot|
Mais Caton fe plaint , que l'adion de p * ^1
Leonidas, & des 300. hommes qui pe*
rirent avec lui aux Thermopyles a été
célébrée par des monumens & des fta-
tues 5 & tranfmife à la pofterité par
l'Hiitoire , au lieu qu'on n'a prefquc
point parlé de celle de Cœdicius.
LXIIT.
On difoit à Rome des gens malheu- Agdl. L;
rcux , qu'ils avoient le cheval de SejuSy III. c. gi, '
Hahet equum Sejanum. Voici l'Hilloi-
re ou la Fable de ce cheval. Un cer-
tain Cneius Sejus avoit lîn cheval d'une
beauté extraordinaire , qu'il préten-
doit être de la race des chevaux de
Diomede. Mais il y avoit cette fatali-
té attachée à ce cheval , que tous ceux
qui le pofTedoient faifoient une fin mal-
heureufe. En effet Marc Antoine fie
trancher la tête à Sejus maître du che-
val. Dolabella qui l'avoit acheté trois
mill» Ducatons fe tua lui-même pour
ne pas tomber entre les mains de Caf-
fîus. Ce dernier qui hérita de ce cbe-
Tom. II. V Vât
^o6 PoGGiANA. Part. IV.
val en fit de même aufîî bien que Marc
Antoine qui voulut l'avoir après avoir
vaincu Caflîus.
L X I V.
Agell. On difait aulîî à Rome d'une cho-
îbid. ^-ç qjj- pQftoit malheur , c'efl For de
l'ouloufe , parce qu'un Conful Romain
nommé depio ayant pillé Touloufe,,
tous ceux qui touchèrent l'or qu'on trou-
va dans les Temples de cette ville, pé-
rirent miferablement.
L X V.
On peut dire de la plupart des Pré-
dicateurs , qui décident en chaire de
toutes chofes fi à leur aife , parce que
perfonne ne les contredit , ce que di-
Agell. foit un célèbre Rhéteur * d'un homme
ÎX. 15. qui ayant difputé tout feul dans une
harangue, s'en alloit fort content de
lui-même , lâns attendre le jugement
de fes auditeurs, "f Ce jeune hojnme efi
fort éloquent fans contradiSîlon.
LXVI.
Plutarque comparoit les oreilles d'utî
curieux à des ventoufes , qui attirent
tout ce qu'il y a de mauvais.
LXVII.
* Antoine Julien , Rhéteur & bel efprit di*
tems d'Adrien.
\ Adolefcens bit fmc controverjïa difertus eji.
I
RecueiLdsbonsmots. JÔJ
LXVII.
Ce même Philofophe appelloit fort P'utarcîî^
agréablement l'adultère, la curiofité des ^°^^J'
plmfirs cl autrui. ^2.0
LXVIII.
Cefl une archive fort ennemie des
Mu [es (^ des Grâces , qu^une tête qui
ne fe remplit que des défauts i^ des foti-
[es d"" autrui. C'cfl encore un mot de
Plutarque.
V\^ du Recueil de bons Mots,
V 1 su-
SUPPLEMENT.
OiV a'voit refolu d" abord de donner à
la fin de cet Ouvrage^ les Lettres
dePoggeqtiife trouvent manufcrites dans
la fameufe Bibliothèque de Wolffenbutel
^ qui n'mt pas encore nju le jour , au moins
que Von fâche. Mais on a changé de def-
fein parce qu'il n'y a presque aucune de
ces Lettres , dont on n'ait eu occafton de
parler dans la Vie de Pogge. Pour tenir
parole on fe contentera de mettre ta en
forme de Supplément la Lettre de Pogge
à Jean Guarin * de Vérone^ fur la dé-
couverte de^iintilien^ celle de Francifco
Barbaro à Pogge fur le même fujet^ ^
la Lettre déCincioà Pogge pour le felui-
ter fur V augmentation de fafawAlle. On
y a joint rOraifon funèbre de Chryfo-
lore , que fit André Julien , Noble de
Venife^ à la follicitation de Guarin,
* Jean Guarin étoit un des Savans hommes du
quinxièrae fiècle. Il fut Critique , Orateur, Phi-
lofophe. Il polTedoit parfaitement le Grec & le
Latin, lltraduifiten Latia la Géographie de Stra-
bon & quelques Vies de Plutarque Philippe de
Bergamc dit que Guarin avoit publie plulieurs
Lettres , qui étoient- autant de monumens de
fon Efprit & de fon Savoir. Il mourut à Ferrarc
fort âge.
Epist. Poggii ad Gvar. 30^
I.
EPISTOLA POGGII AD
G U A R I N tJ M, in quafcrihit
Quintilianum fefe apud Monafleriiim
S. Gain , ac Afconium Pedianum
adifi'venijfe ^ oh quod comrnuni Rh^tO'
rum utilitati gratulatur.
•pOGGIUS GUuiRINO VF.RONENSI
Sal. p]. d. Licet intcr quoridianas occupa-
tioncs pro tua in omnes humanitate & bcni-
volentia fingulari commodumfcmpertibimea-
rum litterarum advcntum effe non ignorem ,
tamen ut hifce perlegendis prsecipuam quan-
dam piseftes attentionem. Te majoreminmo-
dum obfecro : non quidem ob eam caufam ,
ut aliquid in me fit , quod vel fumme otiofus
requiratj fed propter rei dignitatera , de qua
fcripturus fum; quam cette fcio, cùm lis lon-
ge peritiflimus,non parvam tibi ccterifque ftu-
diofis hominibus efle allaturam animi jocundi-
tatcm. Nam quid eft (per Deum immorta-
lem!) quod aut tibi, aut ceteris viris pofîit
cffe jocundius , gratius , acceptius , quam cogni-
tio earum rcrum,quarum commercio dodio-
res efficimur.&quod majus quiddam videtur,
elcgantiores?Nam cùm gencri humano rcrum
parcns natura dcderit intcllcdum ac rationem}
tanquam egregios duces ad bene beatcquc vi-
vendum , quibus nihil queat praeltantius exco-
gitari; tamen haud fcio, an fit omnium prœ-
ftantiffimum , quod ea nobis elargita eft ufunfi
jàtquc rationem diccndi, fine quibus nec ratio
V3 ipfa.
210 Epistola Poggii
ipfa, ncque intellecftus quicquam ferme vala-
ient. Solus cft enim fermo, quo nos utentcs
ad expriipendam animi virtutem arcliquisani-
mantibus fcgrcgamur. Permagnaigitur habcnda
eft gratia tum reliquorum liberalium & artium
jnventoribuSjtum vel prsecipue his,qui dicen-
■di prîecepta ac normam quandam perfcde lo-
quendi fuo ftudio 6c diligentia nobis tradide-
rant. Effecerunt enim ut qua in re homines
ceteris animantibus maxime prseftant, nos ipfos
& homines antecelleremus. Hujus autem fcr-
monis ornandi atque excolendicumraultiprse-
clari.ut fds,fuerint Latinse Linguse audores,
tum vel praecipuus aique egregius M. Tabhu
G}uintiiianM : qui ita difcrte , itaque abfolutc
fumma cum diligentia exequitur ea,qu2e per-
tinent ad inftituendum perfeftiffimum orato-
rem, ut nihil ei vel ad fummam dodlrinam ,
vel fingu'arem cloquentiam mec judicio de-
cITe videatur: quo uno folo, etiamfi Cicero
Romans parens eloquentiae deeffet ,perfeftam
confequeremur fcicntiamreftedicendi. Isvero
apud nos antca (Italicosdico) italaeeratuserat,
ita circumcifus, culpa,ut opinor ,temporum,
ut nulla forma jnullus habitus hominisin eo re^
cognukeretur. Tute hominem vidifti haiftcnus
îacerum cruâeliter ora ;
Qra, manufque amhas pcfulataque tewporay
raptis
Aurihus v truncas inhoneflo vulnere nares.
Dolendum quippe erat & aegre ferendum ,nos
tantam in hominis tam eloquentis fœda lace-
ratione jacturam oratorisefacultatisfeciffe. Sed
quo plus tune erat doloris & moleftiae ex ejus
viri mutilatione, co magis nunc eft congratu-
landum.cum fit in priftinumhabitumacdigni-
' ■ ■ tatcm,
AD GuARIMUM. ^II
tatem, in antiquam formam atque integram
Taletudinern noffra diligentia rcftiturus. Nam
iî M. Tullius magnum prae fefertgnidium pro
M. Marcello reftituto ab exfilio; & eo quidem
tempore, quo Romae plures erant Marcelli û-
miles , domi forifque egregii ac prœftantes vi-
h: quid nunc agere dodli homines debent &
pr^efercim ftudiofi eloquentise ,cum fîngularïf-
fimum lumen Romani nominiSjquo exftincto
Diliil prster Ciceronem fupererat, &: aim mo-
do fimili lacerum ac difperfum non tantum ab
exfilio.fed ab ipfo picne interitu * revocaveri-
înus? Nam me hercule ! nifi nos auxilium tii-
îilTemus, neceife erat illum propedicm inreri-
turum. Nam néquc eft dubium virum fplen-
didum , mundum , elegantem , plénum mori-
bus , plénum facetiis fœditatem illius carceris,
fqualorem îoci,cuftodum fsevitiam dintiusper-
peti non potuilTe. Mœdus quidem ipfe er?.t ac
fordidatus, tanquam morti rei foleb.int : fqua-
lentem barbam gerensacconcretospulverecri-
nes: ut ipfo vultu atque habitu fateretur ad
immeritam fententiam fe vocari. Videbatur
manus tendere.implorare Quiritum fidem ,ut
fe ab iniquo judice tuerentur; poftul<ire & in-
digne ferre quod qui quondam fua ope, fua
eloquentia multorum falutem confervaffet,
nunc neque patronum quempiam inveniret,
quem mifereretur fortunarum fua ru m » neque
qui fuae confuleret faluti , aut ad injuftum rapi
lupplicium prohiberet. Sed quia temereperfje-
pe eveniunt, quae non audeas optare, ut in-
quit Terentius nofter , fortuna quidam fuit
cum fua , tum maxime noftra, ut cum elTe-
mus Conftantiae otiofi, cupido incefferet vi-
fsndi ejus locijquo illc reclufus tenebatur. Ëll
aa-
* In avitam patriam , addit Mabillon.
V 4
^12, Epist. Poggii ad Guar.
autcmMonaftcrium S.Galli propeurbcm hanc
millia paffuum XX. Itaque nonnuUi animi
îaxandi , & fimul pcrquircndorum librorum ,
quorum magnus numerus cffe dicebatur , gra-
tia co perrcximus, Ibi inter confertiffimam li-
brorum copiam quos longum effet recenfere ,
^intiilanum * compcrimus, adhuc falvum &
incolumem, plénum tamcn fîtu , & pulvere
t fqualentem. Erant enim non in Bibliotheca
libri illi, ut eorum dignitas poftulabat, fed in
teterrimo quodam & obfcuro carcere , fundo
fcilicct unius turris,quo \ nec capital, quidam
rci damnati retrudereniur. Atqui ego pro cer-
to exiftimo , fi eflent qui haec barba rorum er-
gaftula, qijibus hos detincnt viros, rimarentur
ac cognofcerent more majorum , fimilem for-
tunam experturos in multis,de quibus jamcft
conclamatum. Repcrimus prseterea libros très
primos & dimidiatum quarti C. Valerii Tlacci
Argonauticon , & expofitiones tanquam thema
quoddam fuper ofto Ciceronis Orationibus fj.
Afconïi Pediani, elocjucntiffimi viri,de quibus
ipfc meminit Quintilianus. Haec mea manu
tranfcripfî & quidem volocitcr, ut ea mitte-
rem ad Leonardum Aretinum & Nicolaum
Florentinum. 4- Habes, mi fuaviflimc Guari-
rc , quod ab homine tibi deditiffimo ad prae-
fcns tribui potcft. Vellcm potuiflem eiiam li-
brum tranfmittere ; fed Leonardo noftro fatis-
fa-
* %eperimus Mabill,
î \efertHm Mabill.
X Ne vita (jitidem damniti detrudermtur ,M^\\\. nt ca-
pitales quidem rei , Menag.
\ Audit Mabillon : ^«/ ckt/jM me hujus thefattri adin-
ventianem cognovijfent , multisft me verbis ^luintilian:im
fer fi'.As literds /juimprimum ad eos mitti contenderunt.
^<ec in noftio codice deûdeiantui.
Eptst. Fr. Barbari. ^15
faciendum fuit. Verumfcis, quo fit in loco,
ut fi cum voles habere , puto autem te quam-
primum velle , facile id confequi valeas. Vale
& mc,quoniam id mutuofit ,ama.Conftanti3B
XVII. Kl. Jan. Anno Chrifti M CCCCXVII.
I I.
EPISTOLA FRANCISCI
BARBARI AD POGGIUM,
in qua multas hijîorias adfuum propo^
fîtum adducit , cum eum oh doStrin^fiia
elegantiam laudet i^ ■poîijjimum , q^uod
ex Germania aliifque locis variais uù-r
lia in humanitatis jiudio attulerit^ oh
quodftbi ^ gratias agit , idque indies
magis ac magis cureî^ hortatur.
ETfî prîEclari fadi tui confcientia & erudi-
torum hominum,de quibus bcne meritus
es , tanta etiam voluntate contentus fis ; ta-
men pro ca litterarum neceffitudine, qua non
mediocriter devinéli fumus , noftra intereiïe
putavi tibi gratias agere ,ut humaniffimum hoc
officium tuum minime filentio praeterircm :
cùm illorum indicium librorum ad nos dimi-
fifles, quos opéra & diligentia tua nobis &
poftcris recuperafti , ut privatim & publice
maximo gaudio &gratulationefrueremur. Ni-
hil enim prope gratius ac jocundius indicari
potuiffet, quam id,quod communiter adlau-
dem tuam , quse (ut débet) nobis cariffima ed,
V ^ &
ji4 Epist. Fr. Barbarî
& ad humanitatis & dodrinse amplitudincm
maximum in modum pertineret. Quis tantum
in bonos omnes fiudium.totprocommuniuti-
litate labores , tôt immortalia bénéficia , nifi
ingratus efle & haberi velit, taciuis eogitare
polTet , non inteÏÏigo. Tu Reipublicae caufa
quid faduius elTcs tacile declaralliicumtenon
vis hyemis, non nives, non longitudo itinc-
ris, non afperitas viarum , ut monumenta II-
terarum e tenebris in lucera erueres, reîarda-
runt. Tu TennUianum, tu Marcum . Fahlutn
Glu'mtllianunf , tu ^ Afeonium Pcdianum , tu
Lucretimn y S'ilUim Italiçum , Marcellinum, tu
M^niU!*nt Ajironéiiintn , L Septim. l'alerium Flac-
■CHm , tu Caprum , llutychium , Probum , Gram-
tnaticos, tu complûtes alios Bartholomxo Col-
Icga tuo adjutore vel fato fundos vitadonafti?,
vel longo , ut ajnnt , poftliminio in Latium re-
^uxiftis. Quo faftum eft , ut in medio defide-
î-ii tui eùm a me abefîcs, te potiffimum ifthic
efle gauderem. Quidni, cum nihil tibi prope-
îTiodum honorificentiiisac doxflis viris acceptius
affcqui potuilTes, quam ut antcquàm pofiuia-
res, majora quam vellcs plura quam fperares
vetuilatis monumenta in Iqualore latentia ad
cruôitoium hominum eonfpedhim retuliffes.
Lycurgo fum.mo viro glori^e datum cil, cum
primus Homerum variis in locis per fiuiia dif-
f eifum , quem apud Creophyli pronepotes in-
tègre fervatum invenerat , ex Afia totum ia
Graeciam reportaflTet. Si quid illi doélilîimiho-
mines, ubicunque funt , fapiunt, nonne civi-
cam tibi coronam , quae vitae ac falutis a te
reftitutae tcftimortio lit, debent, cum tua vir-
tute fadum lit , ut deinceps immortalitatem
facile fperarc poffint: praefertim cum non mo-
do clariffimi viri , fed etiam infimus quifque
^çivis confervatorcs fuos hoc honore dignos ju-
di"
AD POGGÏUM. ^îf
dicarit. Aefculapium inter Deos relatum acce-
pimus , peftquam cam alios nonnullos , tum.
Hippolytum fupremum vitse diem fundum ,
aliquot tamen poft annos moriturum , ab infe-
ris revocavit: cui fi popiili , nationes, provin-
cise; facras sedes dicaverunt, quid vobis (nifl
hoc confuetudo jam pridem3bolevilTet)taciun-
dum putarem , qui tôt illullres ac fapientiffi-
mos viros mortuos in perpetuum refufcitaftis ?
quorum ingeniis ac inlîituns non folum nos,
fed etiam pofteri bene dicere ac honefte vive-
re poterunt. Si his, qui caftella , urbes, pro-
vincias, receperant, triumphuna dari majores
nortri cenfuilfent , & ego dignitate ac auftori-
tate & gratia tantum pofTcm , quantum hi, qui
fuerunt ampliffimi in literario lenaiu &insede
Mufarum , te triumpho digniffimum decerne-
rem;quippe cum eorum dodtrina & ratio hu-
mano generi longe plus adjumcnti afFerre pof-
fit,quam aliquorum illuflrium ducumres gélose
attulerunt. Nam ut hae paucos indices aliquan-
do ut unam civitarem & unam interdum pro-
vinciam ab imminentibus pcriculis cum magna
mortalium occafione deliberaverunt & afruga-
litate ad omne libidinis genus plerumque con-
verterunt ; fie humanitateni & dilciplinam ,
quse ad bene beateque vivendum i!cornatedi-
cendum accommodatœ funt, non modo pri-
vatis rationibus, fed uibibus, nationibus,uni-
verfis denique hominibus non médiocres mili-
tâtes afferre polTe dubitandum non eft. Athe-
nienfes enim cùm Apollinem opinione fua fa-
pientiffimum Deum- confulerent , refponfum
retulerunt: Se prœrtantiffimos cives habituros,
lî quod optimum ac pulcherrimum effet, !ibe-
rorum fuorum auribusimponerent. Quod cum
doélrinam, quse libero homine digna, liberos
f^cit, prsetenderetj id Indorum gemmas maie
3 1 6 Epist. Fr. Barbari
& aurum interprétât! funt; cùm id nonadpror
bitatem , non ad continentiam , non ad conf-
tantiam, fed ad avaritiam, cupiditatem , libi-
dinem ac levitatem propenfiores reddat. Cato
ille perfecSus , Ciceronis fcntentia, Stoicus,
cum ex Afia Athenodorum graviffimum Phi-
lorophum deduxiflet, plus fibi gloriae, quam
Cn. Pompeio ac L. Lucullo deberi cenluit,
quod inermis ex Afia honeftiora fpolia retulif-
fet, quam ipfi maximis copiis, magnis rebui
gefliSjelTent confecuti. Ex quibus ille fuperior
Mithridatico belle , cum Pofîîdonii dodiffimi
viri vifendi ac falutandicaufa domum veniffet,
forés percuti de more a lidore vetuit, ac faf-
ces litterarum domicilio fubîpi{it;is cujus im-
perio ortus occafufque parère didicerat. Quid
multa ? Nonne Ca^far Didlator M- Tuliium
hoftem quondam fuum omnium triumphorum
majorem lauream adeptum efle confelTus eft?
Quid quod majores noftri eadem corona Poe-
tas & eos, qui triumpharent ,dignos eiïe cen-
fuerunt?Innumerabilia exempla lunt,quae hic .
loci , ne infinitus lîm , prsetermitto. Nec ab
honore collegse & tuo quifpiam alienior efle
débet, quod M. Marcellus & P. Scipio curru
triumphali invedi non funt, cum Syracufas &
Hifpanias fine magiftratu in poteftatem rcde-
giflentjquod te & Bartholomaeum adhoc mu-
nus obeundum furami & honeftiffimi ecclefiae
Romanse Pontifices delcdios publice dimife-
Tunt. Quod fi Q. Fulvio Capua capta & Opi-
mio Fregellanis ad deditionem compulfis tnum-
phus decretus non pro recuperatis , quae ali-
quando Reipublicae fuiflent , laurea decerni
jus effet; quis ita de rcbus maie fentiet, ut
vos Tel honore ftatuas dignos non putet , cum
Olympionicis qui nunquam ex fe,fcd ex late-
fibus & latcratis fuis nobilitati funt , ftatuas
ÀD PôGGÎUM. ^17
dicatas acccperit , vos autem ingenio & induftria
ea perfeciffe cognofcat , quse nifî per homines
& peritos & diligentes effici non potuiffent.
Praeterca Sex. Pacuvius Taurus, ^dilis plcbcius*
cùm unam Sibyllarum ftatuam.duasautemM.
MeflTala ,quae juxta roftra pofitae fuerant, refti-
tuiflent.ôc pleriquc facras aedes ac privatas domos
refeci(rent,nonmediocremlaudemadepti funt;
Vos vero quid non eftisconfecuti,cum Orato-
res , Poetas , Hiftoricos, Aftronomos , Gramma-
ticos,qui jam fine uUadubitationedeletierant,
reftituiflctis? Profedo non ufitatus honos ac per-
vulgatus vobis tribuendus eft , fcd novi lïngu-
gularefque debentur. Ignominia econtra no-
tandi funt illi Germani, qui clariffimos viros,
quorum vita ad horum memoriam fibi com-
mendata elfe debuit, quantum in fe fuit, vi-
vos diuturno temporefepultostenuerunt;quod
fi prudenter facflum eft, quid negligentius ? fi
ex fententia , quid crudelius? An quifquam
ita invidus effet, ut vos exornari nimium a me
cenfeat?Quos autem orno ? Eos nempe, qui
hujus littcrariae reipublicae plurima adjumenta
atquc ornamenta contulerunt. Liberopatrive-
teres aram dicare, templa collocare, & heca-
tombas faccre voluerunt, qui reperiundi vini
ufus audtor fuiffet, quod pîerumque libidinis,
furoris , infanise inftrumcntum eft. Nos vero
praeftantiffimorum librorum inventoribus vel
mediocrem honoris gradum negabimus ? Pro-
fcdo li majores noftri novitati invidiffent;nec
virtutem, nec induftriam multis ac prseclaris
monumentis honcftaflent, nobis tôt bene di-
ccndi praeccptâ , tôt bene vivendi exempla de-
fuiffcnt. Conftat ftatuam C. Terentise fivc Suf-
fecise virgini Veftali dccretam fuiffe,ut pone-
retur ubi vellet,quia nefcio quid campi Tibe-
rini gratificata effet Populo Romane : quœ fe-
mi-
^iS Epist. Fr. Barbarî
mina fi hoc fortunse munere tanto honore do»
nata eft , quis iniquum putarit , fi tibi & colle-
gae non loricatam , non equeftrem , non inau-
ratam , fed togatam & aeream in sedc Camœ-
narum decernerem. Vcllem, Poggi cariffime ,
ut omnes vel exemplo mco curam & induf-
triam , ac diligentiam tuam in imitationem
dignam , non invidiam putarent. Profcdo nili
hic honeftiffimus prorogandi memoriam homi-
num mos prorfus fublatus & antiquatus effet ,
honorificentiffimis verbis hujus monumcnti
caufas complederer iprefcriptura,f€dquoniam
hanc vcniam nobis 'ôc aetatis noftrœ & rcipu-
blicse ftatus non praebet, vel fenioris illius Ca-
tonis mei confilio contentus eris , qui Tuas res
geftas non marmoreis ac argenteis imaginibus,
quae tempeftate & vetuftate intercunt , fed
diuturna civium fuorum memoria in perpc-
tuum commendavit. Haec fi tecum cogitabis,
sequiori animo & majori confolatione noftro-
rum temporum injuriam feres. Quid cnim
magnificentius ac praeclarius affequi poteras,
quam immortalia haec tua mérita nonlaterein
tenebris , nec effe abdita ; fed cum in lace Eu-
ropae tum in oculis Germanise provinciae, at-
que in auribus omnium gentium & nationum
cffe pofita ? Quantum & illud eft,quod in hoc
comrauni gaudio vobis omnes gratulantur,vo-
bis gratias agunt , quod curas veftras in Reipu-
blicœ dignitatem ac utilitatem defixiftis? Quo
iît, ut fperem , quemadmodum cerafa Lucul-
liana , Zizypha Papiniana , cum alter e Ponto
poft Mithridaticam viétoriam , alter e Syria in
Jtaliam deiuliffet, & quemadmodum mala ab
Appio e Claudia gente Appiana & pira a Mal-
lio Malliana cognominata funt; fie haec litte-
rarum fcientia,quîe veftra ope ac opéra eGer-
mania in Italiam deferetur , aliquando & Pog-
gi?-
AD PoGGÎÛÎvf. 51P
giana & Monte-Politiana voeabuntur. Cur au-
îem id fpercm?Quo4 fi peregrini quidanj fru-
tkes, retentis vocabuUs , tranfmigratianis fux
aucloribus aeternam mcmoxiam propagaverunt,
«juid de vobis cxfpeftari par eft , qui hos ho-
ncftiffimos &C fingularcs Jaumanitatis & difcipli-
nae frucflus ad nos attuljfiis. Accedet ad gra-
tiam, cum uberrimara laborum tuorum mer-
cedem fufcepturus fis , fi quando , quod maxi-
me vellcm.is in univerfam rempublicam fum-
mam poteftatem habebit, cui in dodrina, cui
in virtute, cui in laude percipienda abineunte
setate plurimum ftudii fuit & temporis, Erit
enim fapientis PontificisMax.beneficiisveftrana
memoriam perfequi ôc magna vobis praltare ,
quandoquidem non parva in hoc génère a vo-
bis accepit, quse eo majora judicio meo cen-
fcri debent, quo minus erant exfpedata. Sen-
tentiam de te & coUega non levem ôcrepubli-
ca dignam dixiffe videor:fi quistameneoruma
qui favcnt laudi tuae , honorificentiorem dixe-
rit , in eam me iturum facile recipio ; hac ta-
men mea te contentum fore exiftimo , cum
pro tua fingulari prudentia eum honeftum tibi
triumphum videri putem , cum bene de repu-
blica meritis , verbis teftimonium , ac confenfu
fpeélatiffimorum hominum datur. Hase ha<fte-
nus. Reliquum eft, ut te moneam & horter,
ut incumbas toto animo & ftudio omniineani
rem, & reliquam illara percgrinationem , ad
quam, ut ad optimum ac dodiffimum Guari-
Bum Veronenfem fcripfîfti , probe te compa-
ravcras,ne ullam publicae & amplificandas tuae
dignitatis occafionem déferas ac praetermittas.
Majus enim quoddam a te Romanae litterge,
quam adhuc prseftiteris exfpedant , quod la
eam fpem abduélae funt, (ad hoc enim natus
fiffe vidcris ) ut per te Ckeronïs de Republica 9
j 20 Epist. Fr. Barbari
8c Varronîs divinarum ac humanarum rerum ;
& Crifpi , & Ltvii libros , & Catonîs Origincj
(ut ceteros omittam) recepturae fint. Quare,
Poggi fuaviffime, perge, ut cœpifti: nihil tibi
fit antiquius , quam quod in his ftudiis & li-
beralifljmis artlbus conducere judicabis. Hi la-
bores quietem , & hsec impenfa gloriîe & for-
tunae tuae frudlum quamampliffimumreddent.
Quod eo diligentius tibi faciundum eft, quod
ôc valitudo Bartholomaei noftri hoc tibimunus
magis neceffarium cfficit. Cum enimilliusope-
ram ac vigilantiam non parum his Htteris alla*
turam fperarcm, nefcio quo cafu fuo, & fato
noftro magna ex fpe decidimus. Quamobrenl
omnes in te converfî fumus, qucmadmodum
vedores fseva tempcftate vexati & cunélis na-
Valibus armamentis nudati oculos in facram
anchoram vertere foliti funt. Tu igitur folus
pro tua cetera diligentia tantum proficis, ut
hac tua cura & induftria Bartholomaei valitudi-
ncm ad hoc munus minus graviter feramus,
quse certe literatis hominibus permolefta eft.
Id vero nifi tu conficias , quis alter exfpeélatio-
.ni noftrae refpondeat, nefcio i & tu communi
militari & tuae dignitati defuiffc videberis.
Quam quidem ad rem ut commodius navare
operam queas, quaecunque invencris , modo
digna judicaris , ut fcribi cures , & rogo & oro :
quid invenilTe enim prodeft, nifl inventis uti
hceret. Nam ut illud plerumque fortunae, fie
hoc virtuti attribui juftis ex caufis folet : nec
indecorum erit beneficium tuum tueri , cujus
fundamenta non opinione folum feceris , fed
re quoque ipfa auxeris & confirmaveris. An-
dronici Rhodii vêtus vocabis exemplum : nam
cum Sylla Apelliconis BibUothccam Athenis
Romam mifilîet, eique Tyrannionem Gram-
maticum praefeciffct , Andronicus adhibitis li-
bïa-
adGuarinum. ^2t
brariis êc Ariftotelis & Theophrafli libros , qui
|)3ene ignoti erant, conrcripfit, eofque dodif-
limis hoininibus mifit , unde ferme reliqua
omnia exempla nata funt;&:ipfeâpudpoftirros
diligentJa fua nobilitatuseft: quod tibi quoque
faciundura effe judico. Ita enim videri videor:
omnes qui favent Poëtis , Oratoribus , Hifto-
ricis, Philofophis, Mathematicis< qui Latinis
denique literis dediti funt, tuas in laudes cer-
taturos,quod non parvi genus ornamcnti cen-
feo. M. Vanonis , librorum , qui primo Ro-
mas conftituti funt, curam habentis, ab Afi-
nio Pollione imago pofita eft, quas fibi, judi-
cio meo, non minus honoris attulit, cum a
principe oratore ac cive amplifTimo fibi collo-
cata effet , quam cum eundcm claffis praefcc-
tum Pompejus ille Magnus con/edlis piratis
navali corona donavit. Quodii fortiinarum
tuarum ratio impedimento fit, hujus impenfae
partem in me & alios, qui veteris fcripturse
veftigia colimus , arbitratu tuo conféras: tibi.
enim non modo velut cenfori parendum fta-
tui , fed extra ordinem munus hoc fîtie pro-
vocatioric dccrevi. Quare voluntati meae, &
honeftiffimae peritorum omnium expecftationi
fatisfacies. Quod de tanto fingulari in nos
amore fcribis, gratiffimum eft: hune & tu fo-
Vebis , & ego quibufcunque potcro rébus au-
gebo. Vale. Ex Venetiis pridic Nonas Juliaa
Anno Chrifti M. CCCC. XVU.
(Tem. il, X ni]
322, CiNCII EpISTOLA
III.
CINCII EPISTOLA
AD POGGIUM.
/-^INCIUS POG GIO SANCTISSÎ-
^MIDOMINI NO S TRI PAPE^
SECRETARIO. Sal. pi. d. Jam pridem
cum eflem in palacio apoftolico unà cum gra-
vibus viris ,fermoque de felicitatc humana in-
ter nos cafu haberetur, AntoniusdePifcianun-
ciavit te ex jufta f uxore, uno filiolo auftum
fuiflTe , que denunciacio cundis aftantibus gra-
tiffima profef^o extitit. Omncsque uno ore
gratulantes ©ptavimus , ut is perpétue confo-
lacioni , ornamen''o prefidioque tibi fit. Ego
veto cum mecum ipfe cogito puerum hunce::
tb viro doL^iffimo comprobateque vite , equc
tua conjugc honeftiflîma mulierenatum fuiffe,
minime dubitandum eflc arbitrer , cum ad doc-
trinam ."honeftatem eximiafque virtutes & lau-
des fua natura difpofitum efie. Qui cum tuis
uxorifque tue domefticis inftitutis & moribus
cxcultus fuerit , educabiturque preterea Flo-
rencie, que urbs miris ingeniis,miraquc doc-
trina & precipua ncgociandi induftria ita flo-
ret , ut omni génère laudum aut ceteras urbes
fuperet, aut cette à nulla alla fuperetur , &
fe ipfam veram Romani populi filiam ac he-
rc-
* On a fuivi par tout l'Orthographe de l'Auteur de
cette Lettre; mais on y a ajoute la ponûuation, qui
s'y trouve rarement félon la coutume de ce tems-là,
ou qui y eft mal placée.
t Pogge avoic eu des bâtards, comme on l'a vu dans
fa Vie.
AD POGGTUM. ^Z^
redem efle oftendat.michi perfuadeoeum vir-
tutum difciplinarumque ornamenta fufe cu-
mulateque adepturum eflTe. Inherebit bonita-
ti fue nature , parentuni inftituta ultro coni-
plcdetur, mores patrios ac doftrinnm avide
arripiet. Neque enim lldera ipfa celorumquc
influxusacfortuna,quchumanarum rcriira do-
mina eiTe dicitur, prell-intcs hominum natu-
ras bonarum artium ftudiis 8c optimis morum
inftitutis roboratas pcrvertcre ac depravare
poffunt. Quamquam Homerus auream illam
catcnam iingat,à celo ad terramufquevenien- Homer,
tem; quam quom homines dcorfum trahereHiad. 0-
conantur,ab ipfa pocius tradi funt. Hancqui- ^- ^^- ^^
deni catenam poëta fatum appellat, ut inteiii-
gamus humanas adiones faio inferiorcs efle,
nec ejus vi ac neceffitati ullo modo refiftere
pofle. Allufit fortafle poëta multitudinis judi-
cio, aut profedo ita credidit, cum nonnulli
etiam Philofophi non minuti quidem hanc de
fato opinionem pertinaciter tenentes ab ea ra-
cionibus abduci minime potuerunt. Que cum
itafint, cape à tencris, ut dicitur, unguicu-
lis hujus tue imaginis curam , in eaquc grada-
tim alenda tantum ftudium , tantamque dili-
genciam adhibeas , quantam flagitat paternà
caritas. Quod li forte initituifti, ut tua uxor
hianti filio ubera non tradat, ut ad amplian-*
dam fobolem fecundior exiftat, 5c in valctu-
dine facilius conferretur, incumbito omnino
ut nutricem habcat corpore robuftam , com-
plexionis natureque bonitate prcftantem , que
eciam ingenuos ac libérales mores habeat.
Quantam autcm in educandis pueris nutrices
yim habeant , quantumve aut earum probi-
tate ad virtutcm eos inclinent, aut improbi-.
tatc ad vicia impellant , noller poèta déclarât
cantibns
5 2.4 CiNcii Epistola
Virgil. Hircaneque admorunt ubera tigres.
jEiieid.L. Quom autem adoleverit, eniterc,ut omnis
IV. ;i^. 367.q^5 £{-35 (jg fe jpCa contenta fit, utque fermo-
lïes aftionesque etati confoncnt , ad quantum
puericiam ado'iefcencia , adolefcenciam~juvcn-
ra , juventam grandior etas annisruperat;tan-
tum prudencia ceterisque virtutibus excellât,
ut per omnem vitam animo ac corpori armo-
nia quedam apte refpondeat, & continue ma-
jor virtutum fuarumfplendorappareat. Verum
quia nichil virtuti ac racioni magis répugnât,
nichilve magis adverfatur quam corporis vo-
luptaSjComprimenda profedto eft, & adhiben-
da curacio ne per vifcera ferpens artusacmen-
teni enervet. Tantum autem fibi tribuendum
eft quantum ad confervandam naturam perti-
nct. Sed ejus infidie tanquam callidi hoftis,
cvitande funt. Habet enim titillaciones venc-
natas quidem fuavitatem quandam prc fe fe-
rentes, que nifi moderacione vite, curis, vi-
giliis & exercitacionibus , modico cibo , &
perfico, ut dicitur, nafturcio * reprimantur,
co trahimur, ut racio ipfa que hominis auriga
eflc débet, ^ tamquam regina in arce mentis
dominari, voluptate vifta proftrata jaceat : &
cum ab extenuato eciam nature luminc ali-
quando excitata fe ipfam crigere volucrit, in
• ipfo conatu rurfus cadit , & turba viciorum
apum in morem veniencium duce voluptate
obruitur. Preclare itaque Hercules t volupta-
tern
* Ndflunium Verficum , c'eft du creflbn de Petfe. Xe-
nophon Cyrop.td. L. I. p. 4. 8c Ciceion TuO^kI. L. j.
c. î4. nous apprennent que les Perfes ne donnoiei/t
que de ce creflon à leurs enfans avec le pain. Cecrc
plante ett un prefervatif.
t Voyez ce choix d'Hercule dans!Xenophon , Mt-
tnorah. L. ll.p.583. Un lavant Seigneur Anglois, qui
eft mo:c en Italie, avoit fait le deHeÎA dv ce choix
d'Hei-
AD POGGÏUM. ^If
tcm eft afpernatusjejufquc delicias pro nichilo
putavit, Intcllexit enim vir ille, quem ob fua-
rum virtutum excellenciam fortitudinifquf;
f)reftanciam gentilitas Deorum in numéro col-
ocavit , viam illam quam virtus fuadebat,
.quamquam difficiiem , afperam , laboribus
anxietatibusque plenam , contineie tamen in
fe felicitatcm , ik demum parituram eiTc leti-
ciam atquc jocunditatcm nullo unquam tem-
pore defuturam. Quemadmodum apud Hefio-
durn * eft,
^Itcram vero viam quam voluptas ingre-
diendam effe alliciebat , fimileni elle puta-
vit hiftrionibus , qui cum abjecfli obfcuriquç
homincs fint, fimulato vultu He(ftorem , Aga-
meranonem rcferunt. Ita voluptas vultu blan-
da déliais mulcet, que plerunque in- dolores
converfe perniciofam ejus naturam oftendunt. -
Ex his igitur ambabus viis tamquam ex diver-
fis fontibus , felicitatem miferiamquc nafci
reéle arbitratus eft. Sed neicio quo p,i(5îo à
gratulacione ad vite reftitucioncm (a) ac pre- /'3^pQ^(-^J^
cepta oracio defluxa eft. Ègo vero , mi Poggi, {njh„'.tio~*
non ita tui ignarus fum,ut hocfcribcns te pre-«f««.
ceptis Philoibphie ab adolefcencia admoduni
eruditum excitare velim, & cantate erga fî-
îium ardentem ardenciorem efficcre , qui fum-
mo amorc filium profcqueris, ut bonarum ar- '"
tium Difciplina , maximarumque rerum expe-
d'Hercule, tiré de Xenophon, qui a paru au Public
d'un très bon goût. On ne fait s'il a ete exécuté.
* Hefîod, Op. & Dier. 2S9. On a mis ce vers d'Hc-
flode en la placc de la copie fautive ({ui paioit di»s
wttc Lettic^
X3
^i6
CiNCii Epist ad Pogg.
riencia ac cxemplo vite vel tuum vel alios
adolefcentes ad redam vivendi viam facile in-
duccre potes. Scd quia hic eft amicorum mos,
hoc munus , ut eos qui nobis benevolcncia
conjundi funt, nonnunquam ad preclara opé-
ra hortemur, que tamen ipfos efFcdluros effe
non duhitamus , & fi quid rerum expetenda-
rum aut à natura aut a fortuna fibi iributum
r\ cft, fimul congratulemur, ut majori efferan-
tur leticia intelligentes in fuis laudibus eadem
fentire, que amici fenciunt,& ampliori etiam
gaudio extoUantur, cum percipiunt fuis feli-
cibus cvcntus eos quos diligunt , aut cque aut
cette prope gratulaii Extremum eft ut ad nos
qui defiderio tuo vchementer movemur pro-
pere proficifcaris. Quom autem advenetis na-
talicia tui fitii folempni in conviviocelebtatuti.
(*) Forfan, Ubi tu hujus fympofii ptincipis (a) una cum
fnnce^i. grecorum Jatinorum Phjiofophorum cctuade-
ris, niultaque, ut in conviviis fieri folet, in
médium ponentut ,piefertim difputacio devo-
luptatis natuta, que profedo patronos habebit
acetrimos, cum in defenlionc fue caufe epu-
latum fuavitaïc ,crebfispoculis fenfibus jocun-
ditatem ita intundet ut in blanda qunfi merce-
de allccfti pto ipfius dignitate tuenda acucius
difputabunt. Ego eciam qui banc ipfam vo-
luptatem acerbiffimis verbis infedatus fura ,
ab hominibusque exterminandam efTc cenfui,
• foftaffis eam in graciam rediffe profitebor. Es
îperraria. Id. Odobris.
IV.
Man. Chrys. Orat.Funeb. 327
I V.
ANDREA JULIANI/^r^ MA-
NUELE CHRYSOLORA
FUNEBRIS ORATIQ
incipit.
cl quis veftrum eft,Viri doâ:iffimi , qui fort?
admiretur , quod ego , qui neque ingenio
nequc eloqucntia is fim ,qui in Manuelis fune-
rc laudes nedum Orationernea ornare,fedpc-
ne vcrbis referrepoffim: inter vosprimumfpçc-
tati atque optimi Viri hujus virtutes immenfas
aufus fim enarrare. Hanc totam in Guarinam
noftrum caufam vertat , eft fua potius benevo-
îentia folita, quam aut auftoritate mea, aut
aliqua orandi facultate, quas in me nullas effe
fcntio addudlus, hoc mihi dicendi onus adje-
cit , cui ex ea amicitia , quse mihi cum i!lo jam
diu eft, haud aequum elTe cenfui , merem fuis
in lacrymis negare. Majorem tameninmodum
cupiebam , quod cum de Manuele defundo
laudationem audituri fuiiTetis, non mei, fed
ipfius Guarini Oratio fuiflfet, qui cum magna
dicendi copia , tum exercitationis vi praeditus
fit: fententia mea hanc fibi rem vendicaredc-
buiiTet. Tamen ,quoniam, chariflimi velutpa-
tris atque fuaviffimi Praecepîoris morte lachry-
mae, ut videtis, hoc fieri vetuerunt, ad me
hanc rem detulit, non, quod in dicendo aut
doâ:ior,aut uberior vcrbis lim ,qui mihi fem-
per Praeceptores & Magiftri fuiftis: fed quia hu-
jus ornatiffimi viri laudes mecum forte faepius,
quam vobiscum communicarc folituserat. Ve-
ïum neque mihi untum aiTuftierem , Viri lite,-
X 4 M»
^zS Manuel. ChrysoLor^
îatiffimi , ut Manuelem Chryfoioram laudatiQ-
ne mea diuturniorem famamconfecuturumpu-
tarem, niii integerrimam ejus in oinni paite
setat:s vitam , lummam religionis fcientiam ,
fidem , contineniiam confpicerem , quse etli
non orando ,enumer2ndo certe non minimam
fibi gloriam vendicarc potuerunt. Quod enim
genus orationis, quae copia, quae dicendi aut fcri-
bcndi auéloritas hujus nobiliffimi Viri clanffimi-
que Philolbphi, fatis ornate, i"atis digne com-
memorare poffit ? Quas ipl'o potius vivo, quam
mortuo, utinain rcferrc nobis cuntigllFct. Sed in-
ceriusatqueinopinatuscafus hanc optatiffimam
nobis voiuptatcm intercepit Nam cum fummus
Pontifex Conitantiam ire coniiituiflet , non-
nuUolque furamae auftoritaiis Viros & fapien-
tiïe .nque erga hanc noftr.ini religioneminfigni
quadam pietatc afFcftos fibi delegifTct, Manue-
lem inter plurimos haberc conllituit , qui in
hanc laudatiflîmam rem, ncceflariumque ne-
gotium ira omnem curam, ftudium, diligen-
tiamque contuiit, ut neque vim uUara jnequc
iBlîdias, neque metus pcrfpicere, nec fenedu-
(a) Forfan. tis fu3e incommoda aut hhoxcs extimare (a) vi-
^j^tinieic. deretur. Quo circa hujus tam diu agitatae, di-
vifae laccrataeque religionis noilrae divino pro-
pe afFedu permotus Pontificibus maximis,qui
ipfius gravitatem, prudentiam & vitam, tan-
quamccelefte oraculum venerabantur,Concilii
fententias, quantum in fe fuit ,fufcipiendas fore
fuadere conatus eft. Etutcaeterorumbonorum
judicus adhaereret, omnem itineris longitudi-
nem, frigora , hyeraes, viarum afpcritates ar-
que mortcni , fi opus eflet , perferre infiituit.
Qua^ cum , utcogitaret, perfeda fuiflentjin-
^ veteratos Graecorum erroresad Romanamreli-
gionem fua opéra acdiligentiadeduxiflet. Quo
(juideiii o$ciQ orflnilaudcatque honore dignit
Oratio Funebris. ^ip*
fimo quid majus fieri , aut divinius cxcogitari
poterat ? Quam coronam , quas ftaiu<>s huic
yirOfCui nuHus honos,nifi débitas, nulia gra-
tis , nifi digniffima , reddi poterat , homiiies , fi
in \uta diutius tuifletjftatuilîent? Ipfemedius-
fidius non folum urbes , fed ipfi prope oicam
3gri, colles, & fi non pare.s maximos certc
honores Manueli decrevifieni bed cum prae-
ter fuam opinioncm atque omnium bonorum
judicium, communem omnium libcriatem de-
fcffam videret.ëc ad unius voluntatem redaéla
omnia jtandemque Pontificem fuum ad fugam
redaélum affiduis fcbribus oblefTus e(t, paucos
poft dies,dolore magis urgente, quam morbo,
cxceflit e vita. Imo, fi diligentcr aitendereac
verc judicare voluerimus, adeam accellit vi-
tam, ad quam majores noftri fuos illullres Vi-
ros afcendilfe arbitrabantur, qui cum fuis curis
ac molcftiis folutifuerantjfupcriorum'immor-
talium coetum adiré affirmabant, quibus non
modo ftatuas, verum etiam aras ac templa de-
dicabant. Eorum fententias fiquisnoftrum vc-
lut facinus probarit: nefcio, cur non Manueli
noftro inter ipfos fuperos conftitutum locum
iudiccmus,pr2efertim cum totius ante adlaevi-
tœ fuae mores confpexerimus,oranemqueprae-
tcriti temporis ac pueritiae raiionem recordari
voluerimus, quam demum adolefcens incredi-
bili penè virtute fummam fuiffe declaravit.
Quis enim eft, qui tam fingulari humanitate,
verecundia , modeflia adolcfccntiam fuam or-
naverit, qui eo œtatis tempore omncs libidi-
nes propulfavit ? qui omnem fui corporis par-
tem illsefam fandtiffimamquc fervaverit ? qui
tcneris adhuc annis fe fie ad Philofophiam, li-
beraliumque fcientiarum ftudia contuiit , ut ado-
lefcens inter Philolbphos &doctrina& vita nu-
mcrarctur? Hoc, Viri optimi, paucis conti^
^ 5 ^giffe
2^0 Manuel. Chrysolor^e
gifle legimus. Platonem namque & Ariftotelcra
àliquot poft adolefcentiae fuae annos Philofo-
phiae operam dedifle confiât .quorum codiccs,
quos in ieneftutc e média Philofophia hauftos
Jcripferunt, hic adolefcens magno tludio con- '
fecutus eft,ut csetcras demum setatis fuœ par-
tes clariflîmis virtutibus nedum ornaret, fed ut
numquam etiam hominum mcmoriaeycllipof-
fent ,eftecit. Hifuntgradus, Viriclariflimi ,qui
ad dignit.îtes, qui ad honores, qui ad famam
liberos afcenius parant. Hsec funt ea virtutis
clementa, quœ non fummis ac nobihffimis vi-
îis folum, vcrum etiam infimis, immortalcnçi
gloriam vendicant. Hujus nimirum adolefœn-
tiam omnes vos femperprobafliç,quitamegre-
gic tradu(5la futurae feneélutis fuae fundamenta
his moribus ac vita jeccrat, & quse ufque ad
pofteros ipfius cineres , fibi pudicitiam , caftita-
îcmque fervarat , quam feculorum nofircrum
memoria, hteratorum virorum commendatio-
nes, hominum lingu?e divinis laudibus celebra-
bunt. Pari deinde virtute,animo,cura,omnis
avaritiœ impctus propulfavit, quœ non folum
privatos pcnatcs, verum etiam civitatcs, pro-
vincias, omniumque virtuium ornamentacor-
rumpit. Ab fe enim praeclareadum ,exiftima-
bat, cum minus pecunias,muUum gloriae do-
mura reportafl'et Quanta fide, quanta integri-
îate ration:s pecuniam exEuropa exa(îlam(quam
totam pêne illuflravit) cum ex Byzantii obfidio-
ne Icgatus ad ipfius Principes miffuseflct ,Im-
peratori fuo defignavit , qui Principes , cum bclli
îieceffitate addu(n:i tum maxime dignitate, fa-
pientia ac auftoritate hominis moti magnam
auri partem contu'erunt. QuainlegationeMa-
îiuelis fapientiam atque fidem admirati maxi-
snis faepe prœmiis , cum ipfuir. ad fe duccre co-
siati funt , ut fuis in rébus gercndiSj confiliifque
ça»
DrATIO FuNEBRIS. 3 2[ r
'opiendis tanti Viri prudentia dulciffimaque
hominis familiaritateuterentur. Sedutabomni
libidine corpus : ita ab omni lucri fufpicione
animum femper averfum habuit. Quemadmo-
dum enim ille ipleTranfalpinaevoluptates nul-
lam in ipfum luxurise furpicionem inferre po-
tuerunt , fed continentiœ potius fuse cui (ftis
exemplum atque experimentum cxtitere: Ita
illum ncque auri fitis,neque glorise aut hono-
ris cupiditas, neque anibitio u.la ab inftituto
opère retardavit. No|| retertam clariffimis Vi-
ïis atque optimis artibus Italiam ad quietem
clegit: non imminenti deniqut' bello oblatum
otium antepofuit: ied tanta abllmentia conti-
nentiaque ufus eft , ut tjuse cgetcn magnope-
re optare videntur, ab Te ea ipfa fpernenda ju-
dicaverit, adeo ut non ex Byzantio antiquif-
fima civitate Augullorum urbc, aut ex patri-
tia famiha ortum ied velut e cœlo demiffum
hommes intuerentur. Qua vero caeteris in ré-
bus moderatiT:>ne, huinanitate, clementia ufus
fit, facile omnes intelligunt. Nec fcio , an
Xenocratem , aut Tarentinum Architam ,
aut reliquos homincs inPhilofophiaclariffimos
Manueli non modo anteponere ,fednec3equa-
re poffimi qui cum aliquando ab semulis at-
que invidis detradtum (u^ dignitati apud Im-
J)eratorem intellexiilet , non modo in eos,
cum facile poffet , ultus cft , fcd ultro ie in pe-
riculiseorum defenforem patronumque confti-
tuit. Ampla hseclaus ,'memoriaC.hryfolor2rum
nominis dignitas atque gloria ,&:ut mododixi ,
quae ex mortalibus hominibus fuperorum im-
imortalium cœtus auget. Sed liberalitati ejus
quam aliam comparabimus? Difficillimum eft
judicare utrum majore laude dignus exUlime-
tur, an ca , qua in fuos , aut in alios ufus fit.
Cujus rei teftes quam plurimi , nifi nota haec
532. Manuel. Chrysolor^
vobiseffent .adduci poflent,unum tainenGua-
rinum nollrum dicam , qui cum Graecarum
Jiterarum , in quibus nunc peritiffimus eft,
M'iiuelem fibi praeceptorem delegiffet, ab eo
non modo dodtiina Ik moribus ornatus fuit,
fed multis aliis perpetuis ac maximis beneficiis
faepenumero adjutus. Quod non minus in
omncs , qui vcl' artibus luis vel opibus eguif-
fent, fecilTe conftat. Quot enim , cum aut
fcientias, aut alicui lludiolse re'i operam darc
jnftituiirent, egeftate ir^editi , fi Manuel de-
fuiffet ,incepta nondum*e , defecilTent ? Quan-
ta vero pietate, mifencordia fuerit? non gra-
tiffiraa lolum in parentes ôc neceflarios, bé-
néficia in cives fuos, in patriam divina prope
mérita déclarant; verum etiam in noilram re-
ligionem , immoriaiiique Dei cultum, hono-
relque agendos , aflîduique labores , poftrc-
moque haec legatio demonltravit. Quaeaman-
di ratio ? Illud ego v;fus fum diccrc , quod
faepius a fapieniifiimis atque optimis viris au-
divi, cum in Termonem de Manuelis amicitia
incideremus. Neminem umquam aut bencvo-
leniia in omnes , aut amicitia in bonos viros
ipium antcccffiire, neque qui in comparandis
aut coniervanais amicitiis majorem diligen-
tiam adhibent. Nec id folum libi iplî perfuade-
bat: verum etiam cum nihil ipfi tam virtuti
confentaneum , tam jucundum, tam necefla-
rium & iecundis Se adverlîs rébus exiftimaret,
omnes quantum poterat, notos & necelTarios
hortabatur, ut caeteris rébus humanis amici-
tiam antcponerent. Nihil etiam vel ad augen-
dam g oriam vel ad propriam communemquc
omnium uniitatem confervandam majus ne-
que viro bono dignius a natura dari polTe di-
cebat. Hi lunt, Viri clariffimi , humanitatis
U iapientlK frudus , & expreiTa hisec fign?
yiç-
OratioFunebris. ^^i'
Virtutis, communique hominum confenfu di-
"vina naturjB commendatio. Quae etiamfi mor-
te hac exringui non valeant , tanti viri con-
fuetudine nos tamen orbatos video. Quorum
omnium noftrum dolorem , amicorum & ne-
ceffariorum ludtus , mœrorem patrise, domus
Chryfolitarum calamitatem , quo paélo poffini
fine lachrymis referre non video. Ea cnim
setate nobis ereptus eft , qna bonis artibus,
optimis difdplinis, & Grœcis &c noftris, haud
parum prodelFe poterat. Nam ut primum ab
his fe curis , quod toto animo conceperats*
folvi{ret,omnem ad fcribendi ftudium operam
atque otium contuliflet. O gravcm atque
îicerbum diem hune, qui non folum domefti-
cis ac civibus tuis , verum etiam externis,
hanc tuam mortem nuntiavit ! O lugubres
Epiftolse nuper hic per'eétte , lachrymarum
atque triftitiae plenas ! O fors hominum igna-
la inteftabihfque fortuna , quam repente ea
congratulatio , cupiditas ac voluptas, quas tui
jucundi i'editus expeélatiopauloante tuis omni-
bus afferebat, ad lachrymas conciderunt,quaB
nos undique ad ludus noftrofqus erroris dup-
plicant, & inprimis chariffimi neceiîarii tui^»
Viri ornatiffimi , atque illa tua nobiliflima fa-
milia digniffimi JohannisChryfolorae, lachry--
mae movent, quae certe me plurimum ad di-
cendum impediunt , cui quid infehcius acci-
dere , aut acerbius inferri poterat , nefcio.
Hic eft qui generis tui dignitatem , Itudia,
honores , casteraque paternae familiae tuac
ornamenta , lacerata peneque extincfta , non
modo Clara fobole , fed optimarum artium
difcipliha, quas a te olim didicerat, favente
Deo reficiet. Sed omittamus nunc de Johanne
dicere , cujus humanitas , fcientia , incredibi-
lii virtus ac lapientia alios ûbi locos veodicare
534 Manuel. CHRYsoLOR.ïi
poterunt, & ad id noftra redeat oratio, quod
fuperius dicendum erat , cum Manudis Itu-
dium 6i induftriam coniinemorarem. Cujus
ingenium ego ipfe, qui nihil de eo majus aut
admirabilius , quamquair. antea audiveram ,
affern poffe credcbam , faepius ac vehemen-
ter admiratus fum. Nam cum jam grandis
effet, nullius Praeceptoris auxilio noftras per-
didicit litcras , neque fibi oneri vifum eft,
cum tôt annis Philofophise ftudio vacaffet ,
ad puerilia literarum eleraenta reverti , com-
modum atque orium afpernari , fomnum ac
voluptates omnes rejicere , totumque id
tempus, quod ad res fuas familiares obeun-
das , quod ad ipfam corporis requiem dari
oportebat, omnem in hanc noftram fcientiam
perdifcendam contulit. In qua paulo poil tan-
tum profecit, ut dofliffimis literatifque Viris
noftriseum aequare Latini minime dubitaverint,
quod haud noitrarum folum illuftrandaruni
caufa, quas clarifîîmis Philolbphis , eloquen-
tiflîmis oratoribus , fummifque bonarum ar-
tium dodoribus refertasaudierat ,verumetiarti
ad fuam & propagandam & confervandam
fcientiam , feciffe vidctur. Nam cum Graecus
fuerit, multis veftrum patere video, ut cre-
dere incipiatis , Graecos homines , omnium
quondam fcientiaf um , omnium bonarum ar-
tium , omnis vitae , optimarumque rerum
omnium inventores , praeceptores , magiftros
fuiffe , cum Manuelis nolhi vitam perfpicitis,
qui omnibus in rébus ita irreprenfus vixit, ut
bene beateque vivendi cunélis fe fpeculum ex-
hibuerit. Quod quidem mccum revolvo, ta-
men vobis , fpeétat.Iîimi Viri , mihique per-
fuadeo , aequo animo Manuelis mortem effe
perferendam , qui ita ex hac noftra vita ex-
ceflit , ut immortalem ipùus animum & ad
tht-
OrATIO FUNEBRIS. ^^f
ineliora proficird , & nobiscum femper arbi-
trari poffimus. Sed quo nunc te vertes, Grae-
cia? quas parabis hchrymas? Philofophorum
omnium tuojum gcnus Manuelis morte mihi
pcne fepultum videtur. Cui poft hune vacuas
fcalas trades ? cui veteres tuorum illuftrium
virorum annales , cui quondam dx majonbus
tuis artem Philofophicam affignabis ? quein
lîbi haeredem inftitues ? Te ipfam lugere opor-
tet. Nihil enim mali accidifle Manueli, fed
tibi arbitrer, & li quid accidit, tui folum in-
fortunii mœrore accidit. O Socratis fapientia j
o Platonis divinum ingeniuml Ariftotelis ad-
mirabilis cundlis in rébus ordo , Demofthenisi
eloquentia ,omniumque Philofophorum Athe-
nicnlium gympnafia , cui nunc ex vefiris tôt
vigilias , labores , famam committes ? Quid
infortunii tibi , infelix Grsecia , addi poterat , nilî
ut tôt Regibus exadlis , tôt urbibus everfis,
tôt rébus publicis deletis , tanti quoque Philp-
fophi decorem amitteres? Scd cum nihil hac
re certius homini a natura datum fit, neque
reliquis in rcbus noftris fempiterhum aliquid
aut diuturnum fecerit, compofitis animis fe-
renda funt* omnia. Unum tamen perfuadere
tibi non omittam. Quoniam Illulbiffimorum
Imperatorum atque horum Virorum , quos
nunc dixi, femper fedes ac domicilium fuifti,
ut non folum huic locum ftatuas aut ea cor-
porum fimulachra erigas, quse prseteritis ho-
minibus dedicabas ad fuarum immortalem me-
moriam virtutum eas conftituas effigies , quae
apud futura fecula fempiternam de fe laudeni
praedicant. Et ne hoc tam claro Viro minus
ttiam grata videare, immortalem ipfius me-
moriam cole. Cole continentiam , moderatio-
iicm, humanitatem; cole liberalitatem , quam
m propin<juos, in amicos, in patriam geffit;
cole
33<î MaN. ChRYS. OrAT. FUNEB.
cole ftn-ituni, dodrinam, divinarum huma-
îiarumque rerum fcientiam hominis tui. Vos
auteiTi Viri eloquentiffimi , ejus, cujus opéra,
vos noihseque literae tantum funt illuftratae,
rec-rdàtione ac defiderio amiciffimi, inquam»
Manuelis nollri gloriam , nomenquc totis ani-
iTiis arque ore celebretis. Nam cum omnibus
rébus tcrminos, licct incertos, natura pofue-
rit , horum tamen virorum aetcrnam apud
mortales famam , nifi intercidcrit negligentU
fcriptorum , ingénia artefque refcrvant.
FIN de la IV. & dernière Partit
duFoGGlfiK K.
I
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PA Lenfant, Jacques
81+77 Poggiana
B765Z77
V.2