Skip to main content

Full text of "Poggiana : ou, La vie, le caractere, les sentences, et les bons mots de Pogge Florentin: avec son Histoire de la republique de Florence, et un supplement de diverses pieces importantes"

See other formats


POGGIANA, 

o  ù 

La    vie,  le   CARACTERE,  LES 
SENTENCES,  ET  LES  BONS  MOTS 

D    E 

POGGE   FLORENTIN* 

AVEC  SON  HISTOIRE 

DELA  / 

REPUBLIQUE  DE  FLORENCE, 

Un   SupLEMENl-de  divcrfes 
Pièces  importantes. 

TOME      SECOND, 


A  AMSTERDAM, 
Chez  Pierre    Humbert. 


MDCCXX. 


y^ 


■L?. 


•5s  V*>  V^ -/S  y^  v^  y'o  v«S  ■r<S-^vS'/S'-.^-/Sv^vS 

Vii*  W**!^  WW  WV.»  W  W  W  W^^ 

AVIS 

SUR  CET  ABREGE'  DE  L'HIS- 
TOIRE DE  FLORENCE. 

S9?S  ^  ^^^^^  réfolu  d'abord 
fi^.É  de  ne  marquer  que  les 
2^i^^  principaux  traits  de 
l'Hiftoire  Florentine  de  Pog~ 
gejHiais  après  l'avoir  lue  tou- 
te entière  on  a  crû  faire  plai- 
fir  au  Public  de  l'abréger  en 
faveur  de  ceux  qui  n'aiment 
pas  le  Latin ,  ou  qui  ne  font 
pas  d'humeur  de  lire  l'original 
d'un  bout  à  l'autre.  On  y  a 
joint  les  éclairciflemens  qu'on 
*  1  a 


n  Avis  sur  l'Abrège' 
a  pu  trouver  dans  Léonard 
Aretin ,  dans  Nicolas  Machia- 
vel-, Citoyen  &  Secrétaire  de 
Florence  ,  &  dans  les  Notes 
de  M.  Recanati  qui  a  conful- 
té  plufleurs  Hiftoriens  de  Flo- 
rence peu  connus  hors  de  l'Ita- 
lie. On  a  pris  plaifir  à  con- 
fronter les  divers  cara6teres 
de  ces  trois  Hiftoriens  de  Flo- 
rence, Léonard  Arecin  a  plus 
de  détails,  Ion  flile  eft  plus 
fimple  ,  &  plus  naturel  ,  il 
tient  plus  du  Journal  que  de 
l'Hiftoire.  Pogge  s'étend  da^ 
vantage ,  fon  ftile  eft  plus  fou- 
tenu  5  il  fait  parler  fes  perfon- 
nages,  à  la  manière  de  Tite 
Live  Se  de  Salufte.  Machia- 
Vçl  éçriç  ea  Politique,    dé-. 


■*>f- 


DE  l'Hist.  de  Florence,  m 

velope  les  evcnemens  avec 
beaucoup  de  pénétration ,  mais 
fbuvent  il  loupçonne5&  il  de- 
vine à  l'imitation  de  Tacite  y 
dont  il  n'a  pourtant  pas  luivi 
le  ftile  concis^  Se  ferré,  A 
l'égard  de  Monfieur  Recanaùy 
en  bon  Vénitien  ,  il  prend , 
dans  les  notes ,  le  parti  de  fa 
Patrie  ,  quand  il  arrive  àPog- 
ge  de  décharger  la  bile  con- 
tre elle,  comme  il  fait  fbu- 
vent. 

Les  guerres  que  fè  font  les 
Villes, &  les  petits  Etats  font 
en  petit  j  ce  que  (ont  en  grand 
les  guerres  des  Nations  en  tic-» 
res.  On  y  voit  mêmes  intri- 
gues ,  mêmes  ftratagêmes, 
inêmes  pallions  ,  mêmes  ca- 
-  3  rac- 


IV  Avis  sur  l  Abrège' 
raderes,  mêmes  révolutions 
en  un  mot  des  évcnemens 
tout  Icmblables.  La  railbn  en 
eft  bien  claire  ,  c  eft  qu'on 
y  voit  THomme  par  tout, 
blanc ,  ou  noir ,  félon  le  cli- 
mat, habillé,  &  armé  dif- 
féremment, félon  les  divers 
ufages  des  Nations ,  plus  féro- 
ce, ou  plus  doux,  plus  brutal, 
ou  plus  civilifé  luivant  le  ca- 
ractère des  iiécles ,  mais  tou- 
jours l'Homme,  quant  à  1  in- 
térieur. On  y  trouve  encore 
les  mêmes  exemples  ,  ou  de 
valeur,  &  de  Hdclité ,  ou  de 
lâcheté  ,  d"inconll:ance  ,  & 
de  perfidie.  Les  guerres  y 
iont  conduites,  pour  la  plu- 
part, comme  les  nôtres,  lui- 

vant 


delHist.  de  Florence,  v 
vant  l'incercc ,  l'ambition ,  & 
quelquefois  les  intrigues  ga- 
lantes des  Généraux,  qui  ont 
l'art  de  poufler,  ou  de  pro- 
.  longer  une  guerre ,  de  recu- 
ler, ou  d'avancer  une   paix, 
au  gré  de  ces  palTions.    On  y 
eft  furpris,    &  confus  de  le 
voir  la  dupe  des  apparences, 
en  découvrant  quelouventce3 
grands  événemens  qui   occu- 
pent tout  l'Univers  5  lont  ame- 
nez, par  les  plus  petites  eau- 
fes  ,    &    par  les  reflotts  les 
moins  importans  en  eux-mê- 
mes.    Mais  lur  tout  on  eft 
frappé  d'admiration  à  la  vue 
de  ce  qu'on  appelle  vulgaire- 
ment le  fort  des  armes  ,   de 
rinconftance  de  la  fortune  ^ 
*  4  mais 


VI  Avis  SUR  l'Abrege'&c. 
mais  qu'on  doit  appel  1er  la 
conduite  fecrete ,  &  profon- 
de, les  refforts  impénétrables 
de  l'Arbitre  fouverain  de  l'U- 
nivers. On  a  cru  que  le  Lec- 
teur ne  (eroit  pas  fâche  de  voir 
la  preuve  de  cette  reflexion 
dans  cet  Abrège ,  où  l'on  a 
réduit  en  deux  les  huit  Livres 
de  Pogge. 


H I  S- 


^  ^  ^  ydi  V*> -Î:S  Y^:> -.^ -/S -^ '^ -/S  ■ -^ -/S -/^i  vS 

^»  V.»^  V.»  •  V  W  V.»  V»*  V.*  W  V»*  ÎV'  iv  V.»  V»»  w  V»* 


AVERTISSEMENT. 

TA  UT  EUR  de  ce  Recueil 
ayant  eu  occalion  de  li- 
re les  Oeuvres  de  Togge 
Florentin ,  en  travaillant 
à  un  Ouvrage  plus  férieux,  a  crû 
que  les  Savans  pourroient  fe  dé- 
lalFer  en  le  lifant ,  comme  il  s'efl 
délaile  lui-même  en  le  compo- 
fant.  Pogge  Florentin  elt  aiîcz: 
célèbre  dans  la  République  des 
Lettres  ^  pour  infpirer  au  Pu- 
blic quelque  curiofité  de  le  con- 
noître  plus  particulièrement.  On 
verra  par  l'Hilloire  de  fa  vie^  & 
par  les  traits  qu'on  a  raflemblez 
ici  que  ce  qui  part  de  fa  plume , 
ne  doit  pas  être  indiffèrent  aux 
*  3  per- 


II  AVERTISSEMENT. 

perfonnes  de  bon  goût.  On  y 
trouvera  du  ferieux ,  &  de  l'en- 
joué ^  des  fentences,  &  de  bons 
mots  ,  de  l'a  morale  ,  &  de  la 
politique  ,  Y  Art  militaire  y 
tient  mênae  fa  place  de  tems  en 
tems. 

Quoi  qu'il  femble  que  la  mo- 
de des  Livres  en  y^ua  commen- 
ce un  peu  à  pafler  ,  on  a  crû 
pourtant  pouvoir  donner  à  ce 
Recueil  le  titre  de  Toggiana. 
D'autant  plus  que  dès  lors  on 
avoit  donné  le  nom  de  Toggia- 
na ,  &  de  Montepolitiana  aux 
découvertes  que  firent  en  Alle- 
magne Pogge  ,  &  Barthelemi 
de  Montepolitiano ,  comme  cela 
paroît  par  une  Lettre  de  Fran- 
cifco  Barbara  à  Pogge  fon  bon 
ami.  Cette  Lettre  dont  Mon- 
fieur  Recanati  n'a  donné  que 
quelques  fragmens  s'ell  trou- 
vée toute  entière  dans  la  belle 
Bibliothèque  de  S.  Paul  à  Leip- 


AVERTISSEMENT,  m 

iig.  Comme  le  favant  Monfieur 
Bœrner  ProfeOeur  en  Théolo- 
gie, &  Bibliothequnire  de  l'U- 
niverfité  de  cette  Ville  me  l'a 
généreufement  communiquée  ^ 
j'en  rapporterai  *  ici  un  endroit 
allez  curieux  ,  &  qui  jultifiera 
le  titre  qu'on  donne  à  cet  Ou- 
vrage. Tout  de  même  quon  ap^ 
felLoit  les  pommes  d' App'ms , 
Appiana  ,  les  Cerïfes  de  Lu- 
ciillus  ^  Luculliana  ,  ^  les  poi- 
res de  ^JManlïus  ,  Manliana. 
On  appellera  atijjl  tin  jour  Pog- 
giana,  &  Montepolitiana /f'j/?- 
mences  de  Littérature  que  vous 
avez,  apportées  â* Allemagne ,  en 
Italie.  Peut-être  ne  croioit- 
on  pas  que  l'origine  des  /Ina 
fût  aufTi  ancienne.  On  a  cru 
d'ailleurs  ne  pouvoir  fuivre  un 
meilleur  modèle  que  celui  de 
*  4         Mon- 

*  On  la  trouvera  toute  entière  en  Latin  à 
a  fin  du  Tome  U.  de  ce  Recueil,  pag.313. 


ïv  AVERTISSEMENT. 

IVIonfieur   l'Abbé    du  Pin,  qui 
a  intitulé   Gerfoniatia  ,    l'excel- 
lent Ouvrage  qu'il  a  donné  fur 
la  vie  ,    la  dot^rine  ,    les  fenti- 
mens  ^   &  les  Ouvrages  du  cé- 
lèbre Jean  Gerfon  Chancelier  de 
rUniverlité  de  Paris ,  &  fon  Dé- 
puté au  Concile  de  Confiance. 
Ce  petit  Ouvrage  aura  qua- 
tre Parties.     La  première  con- 
tiendra la  Vie  de  Pogge ,  &  de 
plufieurs  de  fes  contemporains  ^ 
tirée   de  divers    Auteurs  ,     & 
principalement  de  la  Vie  de  Pog- 
ge que  Jean  Baptiile  Recanati , 
Noble  de  Veniie  ,   &  Académi- 
cien de  Florence  ,  a  mife  à  la 
tête  de  VHifioire  Florentine  de 
^ogge  ,  imprimée  à  Venife  en 
1715. 

La  féconde  Partie  fera  un  re- 
cueil de  fentences ,  de  maxi- 
mes, &  de  traits  d'Hiiloire  ti- 
rez des  Ouvrages  de  cet  illullre 
Florentin.  On  a  pris  foin  d'ame- 
ner 


AVERTISSEMENT,  v 

ner  ces  fentences ,  de  les  lier, 
&  de  les  éclaircir  par  quelques 
reflexions. 

La  troifième  Partie  eft  un  A- 
bregé  de  l'Hiftoire  de  Florence 
de  Pogge  ,  où  Ton  a  joint  des 
Eclairciiremens  tirez  de  Leo^ 
nard  Aretin  ,  de  Machiavel  & 
des  Notes  de  Monfîeur  Recana- 
ti  fur  l'Hiiloire  de  Florence. 

La  quatrième  Partie  confifle 
dans  le  choix  qu'on  a  fait  des 
meilleurs  mots  de  Pogge  ,  & 
des  hommes  illuflres  de  fontems 
imprimez  à  Strasbourg  en  15-10. 
fous  le  nom  de  Facetta.  Enfin 
on  trouvera  ici  en  forme  defup- 
plement  quatre  Pièces  Latines, 
favoir  trois  Lettres ,  la  première 
de  Pogge ,  la  féconde  de  Francif- 
co  Barbaro  fur  la  découverte 
des  Oeuvres  de  Quintilien,  & 
la  troifième  de  Cincio.  La 
quatrième  Pièce  ell  l'Oraifon 
funèbre  d'Emanuel  Chryfolore 
*  5  par 


Ti  AVERTISSEMENT. 

par  André  Julien  Noble  Véni- 
tien. 

On  trouvera  de  tems  en  tems 
dans  cet  Ouvrage  des  endroits 
qui  pourront  fervir  de  préli- 
minaire au  Concile  de  Baile 
auquel  l'Auteur  de  l'Hilloire 
du  Concile  de  Confiance  tra- 
vaille. 


Fautes  à  corriger  dans  le  Tome  I. 


ù 


Pag.  31.  lig.  7.  Ckeron,  v  quil.  lifez  Ciceron.  Il 
prétend  même  qu'il.  P.  49.  I.  i.  qu'il,  lif.  ce 
qu'il,  p.  115.  1.  zo.  reformer  y  ajoutez  le 
feftpk,  P.  117. 1.  18.  vigiiants.  lil.  eveilU:^. 


AVIS 


<i/- «^  Qp*  cj^  f  cA -.y- Cf»*- Cf  qt^  cp.*- qt^  cô*- vv- cp- Q  t^T*- 

V*  vV  VV  V*  *••#■  v*-  *».-*  v*-  •  fc'*  %•♦  vV  ^r*  ^*  wr*-  ^^  iJV 

V,*  w  w  w  w  w  w  w  •  V»*  w  w  "iv  v;»  Vk'w  V,* 

A   V   I   s  * 

SUR  LA  SECONDE  PARTIS: 

Avec  quelques  Additions. 

1^^^  iV  a  cru  que  le  Public  ne  per- 
:  Çy  ^  droit  rien  à  la  méthode  qu'on 
i^p^wj^  a  fuivie  dans  cet  te  féconde  Par- 
''^"  '  "  tie.  ^oique  Pogge  eût  beau- 
coup d'efprit  ^  de  [avoir  ^  iln^y  a  pour- 
tant pas  toujours  ni  ajfez  de  tour ,  ni 
ajjcz  de  choix  dans  fes  "traitez  pour  les 
donner  tels  qu'ils  font  en  original,  ^iel- 
quefois  il  s'' étend  beaucoup  fur  des  chofes 
qui  interefj'ent  fort  peu  ^  fur  tout  à  pre- 
fent  5  d'autrefois  il  pajfe  avec  rapidité 
fur  des  endroits  ,  qui  meriteroient  plus 
d'étendue .  Il  y  a  f auvent  dans  fes  Oeuvres 
un  air  de  Rhétorique  ^  i^  un  tour  de 
Déclamation ,  qui  n'efl  ni  de  notre  fe- 
cle ,  ni  de  notre  Langue.  On  a  donc 
crû  devoir  prradre  le  parti  de  les  rédui- 
re pour  la  plupart  en  maximes^  fenten- 

ces 
*  Cet  Avis  eft  venu  trop  tard  entre  les  mains 
de  l'Imprimeur  pour  être  inféré  au  devant  de  la 
i'econde  Partie. 


Viii  Avis  sur  la  II.  Partie 

ces^  réflexions^  fentimens^  traits  d'Hif- 
îoire  y  de  Critique  {^c. 

En  difpofant  ainfi  des  Ouvrages  de  ce 
hel  Efprit^  on  s^eft  mis  en  état  d'en  ren- 
dre la  leBure  plus  utile  ^  plus  agréable. 
On  s^eft  acquis  par  là  le  droit  d'abréger 
t^  de  s'étendre  félon  les  fujets^  aujji  bien 
que  de  choifir  les  morceaux ,  qu'on  a  ju~ 
gez  le  plus  de  mife  ^  13  de  leur  donner 
une  tournure  plus  conforme  au  goût  d'un 
fthle  ,  plus  délicat  6?  plus  poli  que  ne 
V  et  oit  le  quinzième.  On  a  tâché  d'étoffer 
ce  qu'on  trowvojt  trop  mince  ^  ^  de  don- 
ner de  la  chair  13  de  la  couleur  ^  à  ce 
qui  paroiffoit  trop  fquelette.  D'ailleurs 
on  a  gagné  par  cette  méthode  la  liberté 
d'affocicr  à  Pogge  plufieurs  de  fes  Con- 
temporains 13  quelques  hommes  illufires 
des  autres  fie  des ,  doyït  la  compagnie  ne 
fauroit  le  déshonorer. 

On  en  a  même  omis  plufieurs ,  tant 
pour  ne  pas  groffir  le  "volume ,  que  parce 
qu'on  n'a  pas  eu  fur  leur  fujet  des  mémoi- 
res particuliers.  J' aurais  bien  voulu  ^par 
exemple.,  donner  quelques  nouvelles  d'un 
Cîncio.  Secrétaire  du  Pape  ,  Collègue  (3  ^mi 
de  Pogge  .^  nommé  Cincio  Romain.  Son 
feul  nom ,  fi  illuflre  dans  la  République 
Romaine^  m'infpiroit  de  la  curiofité pour 

Je 


DUPOGGIANA.  IX 

le  connaître  plus  à  fond.     La  famille  de 
Cincius  fut  illufire  à  Rome.     Il  y  en 
eut  un  entre  autres  qui  fe  fignala ,  par 
plufieurs  beaux  endroits  dans  le  fixieme 
ftède  de  la  fondation  de  Rome.,  au  tems 
des  guerres  de  Marius  ^  de  Sylla.     Il 
fut  homme  de  guerre^  homme  d'Etat  ^ 
homme  de  Lettres.     Il  eut  beaucoup  de 
part  à  r amitié  de  Ciceron^  qui  le  défend     Cicer 
fort  bien  d'a'uoir  trempé  dans  la  conjura-  F»  ^"J  »• 
tion  de  Sylla  contre  la  République.  VHif- 
toire  parle  de  deux  Loix  qui  ontpnté  jon 
nom^  Vune  fomptuaire ,  pour  régler  les 
dépenfes^  Vautre  muneraire  ,,  pour  em- 
pêcher de  corrompre  les  Juges  ^  les  Ma- 
giftrats  par  argent.     Il  y  défend  aux 
Clients  de  porter  deux  Robes  ,   de  peur 
qu'on  n'y  cachât  despréfens^  pour  gagner 
des  fuffrages.     Il  donna  cette  Loi  à  la 
follicitation  de  Q^  Fabius  Maximus  le     Cicer. 
Cunaateur  ou  le  Temporifeur.     Ilfal-  ^^  ^^^^"• 
ïoit  que  cette  Loi  fût  bien  fevere.,  puis 
que  Ciceron  ne  "ooulut  point  accepter  des 
Libres  qu'on  lui  offroit  ^    que  Cincius 
fon  ami  ne  Veut  afj'uré  ^  que  la  Loi  Cin- 
cia  ne  s'y  oppofoit  pas.^  comme  il  le  dit 
à  fon  ami  Atticus.     {a)  Cum  mihi  P^^  ^^^5^^^^^^* 
legem  Cinciam  ,  licere  capcre  ,   Cin- ^^  ^  j^^; 
dus  amicus  tuus  dicerct,  libenter  dixi^o. 

me 


X     Avis  sur  la  II. Partie 

me  acceptLirum.    Cincius  étoit  homme  à 
bons  mots  (^  Jh'voit  railler  fort  grave- 
ment.    Le  jour  qu'il  porta  au  Sénat  fa 
Loi  Aluner aire  ^  quelcun  ^  qui  fans  doute 
fC étoit  péis  content  de  cette  '  Loi  lui  de- 
manda  d'un^  air  fort  méprifant^  ce  qu'il 
apportoit.    Je  vous  apporte,  dit-il^  de 
quoi  acheter  fi  vous   en  avez  befoin. 
C étoit  dire  bien  piquamment  ^  qu'il  f al- 
loit  acheter  non  les  charges  ,    mais  les 
(a)  Cic.  Loix  qui  défendent  de  les  acheter  (a).  Sse- 
de  Orat.  p^  QXÀ-xfvx  fententiosè  ridicula  dicuntur^ 
^j\  *  *    ut  M.  Cincius  quo  die  Legem  de  donis 
&:  muneribns  tulit ,  cum  C.  Cento  pro- 
diiflct,  &  fatis  contumeliosè  Quid  fcr^, 
Cinciole,  qurefiiTct,  Ut  emas,  inquit, 
Cai,  fî  uti  velis.  L'Antiquité  nous  par- 
le  de  Cincius  comme  d'un  homme  fort  fa- 
vant.  Il  avait  écrit  une  Hijîoire  Romai- 
ne depuis  l'origine  de  cette   République  ^ 
dont  il  efl  parlé  a'vec  éloge  dans  Denys 
AntK  °L  à' Halicarnafje  {b).     Aulugelle  {c)  nous  a 
\  p.  i\,'  confervé  un  fragment  d'un  Livre  que  cet 
36. 57.     habile  Romain  a-voit  fait  fur  VArt  mili- 
^^)  ^^}f^'  taire.  Ciceron. (<^) parle  de  Cincius  * ,  com- 

c.  4.  ""'' 

(d)  Ciccro  *  Il  faut  remarquer  qu'au  devant  du  nomCin- 
pro  Syila.  dus ,  il  y  a  quelquefois  une  L.  &  d'autrefois  une 
10.  M.  Ce  qui  pourroit  faire  croire  que  ce  font  deux 

perfonnes  diflferentes.    La  plupart  du  tcms  Cice- 
ron 


DU   POGGIANA.  XF 

me  cViin  homme  de  fort  bonnes  mœurs  ^ 
bon  citoyen  ^fur  tout  fort  généreux  i§  fort 
definterejjé.  jlpres  s'' être  endeté  au  fer- 
i:icede  la  République  .^  il  vendit  fon  patri- 
moine pour  payer  fes  dettes. 

Je  ne  faurois  bien  rendre  la  raifon  du 
penchant,  que^f-aurois  à  fouhaiter  que  le 
Cincio  du  quinzième  Jîèclù  fût  defcendu 
de  ces  illujîres  Romains.  Cefi  apparem- 
ment la  conformité  de  caractères  à  cer- 
tains égards^  comme  la  probité  ^  le  fa- 
voir ^la  politeffc ^  une  honnête gayeté ^  ^ 
les  bons  mots  dans  Voccafion.  Il  efl  irai 
que  notre  Cincio  n'eft  connu  par  aucuns 
Ouvrages  publics ,  à  moins  qu'ils  n'ayenî 
eu  le  même  fort  que  ceux  de  r  Ancien  Cin- 
cius  ,  dont  on  n'a  qu'un  miferable  petit 
fragment.  Mais  on  p}eut  faire  là-de£us 
la  reflexion  que  faifoit  Pogge  ,  fur  ce 
qu^on  objeéîoit  au  [avant  Nicolas  Nicoli  Pogg.  Ep. 
^fon  ami  inti'me^  q^ii'il  n''avoit  jamais  rienV'  345* 
écrit.  Bien  loin ,  dit-il ^  que  ne  point 
écrire  ,    foit  un  caraétere  d'ignorance 

au 

ron  l'appfelle  Cincius  tout  court.  Après  avoir 
confropté  les  Auteurs,  il  me  lemble  que  c'eft  un 
fcul  &  liiiêïne  perlonnage ,  qui  pouvoir  avoir  nom 
Lucius  Marcus.  Son  Père  s'appelloitPublius  Cin- 
cius ,  dont  Ciceron  parle  comme  d'un  fort  hom- 
me de  bien. 


xîi  Avis  sur  la  II.  Partie 
au  contraire  la  plupart  de  ceux  qui  écri- 
vent femblent  avoir  pris  à  tâche  de  dé- 
couvrir la  leur.  Au  fonds  il  n'y  aura 
jamais  que  des  fots ,  qui  concluront  de 
ce  que  Pythagore ,  Socrate  Se  tant  d'au- 
tres grands  Philofophes  n'ont  point  é- 
crit ,  qu'ils  étoicnt  des  ignorans.  Il 
s'eft  pourtant  trouvé  parmi  les  MSS.  de 
la  riche  Bibliothèque  de  JVolffenhutel^ 
une  Lettre  de  Cincio  à  Pogge^  ou  Von 
décowvre  en  lui  les  caractères  q^iCon  vient 
de  marquer^  i^  par  où  Von  peut  juger  de 
ce  qu'il  eût  été  capable  de  faire ,  fi  [on 
loifir^  fon  humeur^  ou  fa  -modefiie  le  lui 
eufjent  permis. 
Lettre       Cette  Lettre  eft  une  félicitation  fur 

de  Cincio  V augmentation  de  la  famille  de  Pogge. 

A  Pogge.  ji  y  yggfjg  j(fj  grand  caractère  de  tendref- 
Ce^  i^  fur  tout  une  alliance  afjcz  rare , 
c'efi  celle  de  lafincerité  i3  de  la  polit efje. 
L'éloge  qu'il  y  fait  de  la  République  de 
Florence  eft  de  ce  caractère.  Il  eft  véri- 
table^ y  //  devoit  faire  beaucoup  de  plai- 
fir  au  Florentin  fon  ami.  Votre  fils, 
dit-il^  fera  élevé  à  Florence ,  fi  fécon- 
de en  efprits  merveilleux ,  &  en  per- 
fpnnages  d'une  doétrine  profonde  j  d'ail- 
leurs Il  floriflantc  par  fon  commerce, 
qu'elle  furpalTc  toutes  les  autres  Villes, 

ou 


Du  POGGIAI^A,  XHI 

OU  au  moins  qu'elle  n'eft  furpaHee  par 
aucune.  //  prétend  qu'un  heureux  -natu- 
rel foutenu  par  une  bonne  i§  foigneufe 
éducation^  ne  peut  jamais  être  corrompu 
par  la  fortune ,  ni  altéré  par  les  influen- 
ces des  Aftre  s.  Il  ell  vrai,  rt'/V-//, qu'Ho- 
mère nous  fait  un  conte  d'une  certaine 
chaine  d'or,  qui  s'étend  depuis  le  Ciel 
jufqu'à  la  Terre",  &:  qui  entraîne  les 
hommes ,  pendant  qu'ils  croyent  la  ti- 
irer  à  eux  ,  voulant  faire  entendre  par 
là  que  les  aélions  humaines  fontfujettes 
au  DciHn ,  6c  que  nul  ne  peut  refiiler  à 
fa  néceflîté.  Mais  peut-être  qu'il  en 
parloit  feloii  l'opinion  du  vulgaire,  ou 
qu'avec  quantité  de  Philofophes  opi- 
niâtres qu'on  n'a  jamais  pu  ramener  par 
aucune  raifon ,  de  cette  doctrine  de  k 
fatalité ,  il  étoit  lui-même  de  ce  fenti- 
nient.  Comme  il  y  a  dans  cette  Lettre 
une  fort  belle  morale  accompagnée  d''une 
agréable  érudition ,  fur  tout  par  rapport 
à  r éducation  des  enfans^  on  fera  d'au- 
tant  moins  de  difficulté  de  la  donner  a-vec 
quelques  autres  à  la  fin  de  cet  Otrjrage  * 
que  c\fi  peut-être  F  unique  monument  que 
nous  ayons  de  Cincio. 

Il  efi  certain  que  la  famille  des  Cen- 
'Tom.  IL  *  *  ces  *\ 

*  On  la  trouvera  au  Tom.  II.  p-3i2,. 


..^ 


XIV  Avis  sur  la  II.  Partie 

ces  "^  ,    avoit  depuis  long  tems  tenu  les 
premiers  rangs  dans  VEgiife.   Dans  V on- 
zième ficcle  il  y  eut  un  Cincius  Gouver- 
neur de  Rome ,  homme  de  grande  autori- 
té en  Italie^  qui  adhéra  à  l'Anti-Pape 
Clément  Jll.  i§  s''oppofa  ligoureufentent-' 
aux  entreprifes  de  Grégoire  VIL  fur 
VEgiife  ^  fur  l'Empire.     Ce  Pape  P ex- 
communia^ mais  fans  fe  mettre  en  peine 
de  cette  foudre^  il  P enleva  de  vive  for- 
ce^ pendant  qu'il  celebroit  la  Meffe^  ^ 
V emmena  prifonnier.    Ce  Cincius  mourut 
à  Pavie  où,  il  et  oit  allé  joindre  VEmpe- 
Baron.  reur  Henri  IF.  Il  y  avoit  fous  le  Ponti- 
Ann.       fcat  de  Fi^or.  III.    un  Cincius  Confiil 
^'^'^'       Romain^  qui  affifta  à  Vé lésion  de  ce  Pa- 
pe.  Il  femble  que  lors  de  rélcLtio/i  de  Ge- 
Baron.  /^y^  jj^  j^-^^  Jg  douzième  fie  de  il  y  eut 
j  ""g  j^     deux  Cincius  .^  dont  Vnn  et  oit  Cardinal^ 
ÎV.  XIl'l.  ^  affifta  à  cette  élection.     L'autre  qui 
s'appcîloit  Frangipane,  tenoit  le  parti  de 
V Empereur  Henri  IF.  contre  ce  Pape^ 
qui  en  fut  cruellement  maltraité.     Ce  fut 
apparemment  le  même  ,    qui  adhéra  à 
V Anti-Pape  Anaclet ,  contre  Innocent  II. 
Sur  la  fin  du  même  fièck  fous  Celé ft in  IIL 

Cin- 

*  Cefl:  ainfî  que  les  appelle  Auberi  dans  fi  Vie 
des  Cardinaux. 


DU    POGGIANA.  XV 

Cincius  Camerier  de  ce  Pape^  compofa 
lin  'Traité  des  Biens  *,  Cens,  ou  Rentes 
de  rEgUfe  Romaine  dont  le  Mannfcrit 
eft  au  Vatican.  Il parott  par  les  citations 
de  Baronius  ^  de  Pagi^  que  cet  Ouïra' 
ge  ne  roule  pas  feulement  fur  ce  que  porté 
le  titre ,  mais  qu'il  ejl  en  même  tems  Hif 
îorique.  Enfin  un  Cardinal  de  ce  nom 
fut  élu  Pape  en  i  IP3.  fous  lenomd'Ho-' 
fioré  m. 

Il  faut  mettre  Jean  Aurifpa  Prêtre  Jean  Au» 
Sicilien  ^  Auteur  célèbre  en  ce  tems-là  "'P^-    ,  ; 
tant  en  profe  qu''en  l'ers^  entre  les  illuf  ]vion<Tito- 
îres  contemporains  de  Pogge.      Laurent  ri  Biblioth^ 
Valle  avoit  reproché  à  ce  dernier  de  s"* être  Sicul. 
brouillé  avec  Aurifpa ,  mais  il  s'en  dé-  ^'  ' 
fend  y  en  parle  avec  éloge.     Il  fut  corn- 
me  lui  Secrétaire  des  Papes  Eugène  IV, 
13  Nicolas  V.   qui  lui  donna  de  beaux 
Bénéfices   en  Sicile.     Il  étoit  également 
aimé  des  Grands  13  des  Savohis ,  comme 
des  Papes  qu'on  vient.de  nommer.,   du 
Roi  Alphonfe  ,    des  Ducs  de  Ferrare , 

d'ALneas 

*  En  voici  le  titre.  Incipit  liber  Cenfiium  Ro, 
manœ  Ecclefiae  à  Cencio  Camerario  comnofitus 
fecundum  antiquorum  Patrum  regelb  ,  &:  me- 
morialia  diverfa,  anno  Incarnationis  Dominicse: 
millefîmo  centefimo  nonagelimo  fecundo,  Pon- 
tificatus  Celeftini  Papas  tertii  anno  fecundo. 


XVI  Avis  sur  la  II.  Partie 

d'yErteas  Syhius ,  d'Antoine  de  Pakrme* 
de  François  Philelphe ,  de  Laurent  VaU 
/é",  qui  le  reconmit  pour  fon  Maître  dam 
la  Langue  Grecque ^  On  ne  fait  point  Van- 
née ni  le  lieu  de  fa  mort.  Il  'vécut  fort 
'vieux i^ laijfa  diz'ers  Owvrages ydes  Epi- 
grammes  5  un  'volume  de  Lettres  ,  dont 
il  y  en  a  quelques-unes  de  Manufcrites 
chez  les  Hermites  de  Padoiie  i^c.  Il  fit 
auffi  quelques  Traductions  d'Auteurs  Grecs 
en  Latin  ^  comme  celles  des  Oeuvres  d'Ar- 
chimede  ^  de  la  Vie  d'Homère^  i3  du  Li- 
'vre  d'Hierocles  fur  les  'vers  dorez  de  Py^ 
thagore^  qu'il  dédia  à  Nicolas  V.  Le 
favant  ^  illufre  AI.  Dacicr  en  parle 
amplement  ^  a'vec  beaucoup  d'éloge  dans 
la  Préface  de  la  belle  Tradu6iion  Fran- 
çoife  qu'il  a  donnée  de  ce  Commentaire 
d'Hierocles. 
Alexan-      La  Loi  Cincra  m'' a  fait  fowvenîr  dun 

dred  Al-   iUufre  Auteur  du  quinzième  ftecle  ^par ce 
(a)  Di'es  ^^^'^^  ^^  p^r/^  clans  un  Owvrage  {a)  qui 

gen.T.II.  nous  eft  refié  de  lui^  fous  le  titre  de  Dies 

P'S47«  géniales,  c'eft-à-dire^  journées  agréa- 
bles. Ceft  Alexandre  d'Alexandre,  cé- 
lèbre Jurifcon fuite  de  Naples.  On  fe 
plaint  dans  la  Préface  de  cet  Ouvrage  que 

^  (b)  Ceft-  /^j-  Biographes  (b)  n'ont  point  parlé  de 

lÊ^rhàinsl  <^^^  ^^^^^^  Antiquaire  ^  Critique  y  quoi- 
qu'on 


DU   POGGIANA.  XVII 

^u'on  ait  écrit  la  Vie  de  plufieurs  de  fe s  des  vies 
contemporains.  Mai  s  le  fan:  ant  Auteur  de^^^  '.^°"?' 
cette  Préface  fe  trompe  fort.     uMoreri[^ç^^ 
allègue  cinq  oufix  Auteurs  qui  ont  parlé 
du  Jurifconfulte  Alexandre ,   entre  lef> 
quels  eft  Jean  Gérard  Voflïus  qui  le  pré^ 
fere  de  beaucoup  à  François  Philelphej 
dont  il  fera  fouvent  parlé  dans  cet  Ou- 
'urage.  Il  n'efi  pas  furprenant  qu''onn^en 
trouve  aucune  mention  dans  Pogge^  qui 
pouvoit  ne  Favêir  pas  connu  ,  puis  que 
Pogge  mourut  en  i^f9.  &  qu"" Alexan- 
dre vécut  juf  qu'à  14P4.    Comme  Moreri 
nous  inflruit  afez  de  fa  famille ,  je  ne 
parlerai  que  de  fes  liaifons  ,  £5?  du  ca- 
~r altère  de  fes  mœurs  i^  de  fon  cfprit.    Il 
fut  Difciple  de  François  Philelphe ,  dont  Alex,  ab 
il  parle  avec  éloge  ^  fans  difconvenir  pour-  j  f^*  _*■ 
tantj  que  dans  fa  jeune  fe  fes  mœurs  a- 
voient  été  déréglées.      On  peut  mieux 
compter  fur  ce  jugement  que  fur  les  décla- 
mations emportées  de  Pogge  contre  Phi- 
lelphe.    Entice  tes  divers  talents  de  notre 
jurifconfuMe  Napolitain^  il  avoit  celui 
de  bien  donner  le  caraélere  des  gensj  i^ 
de  les  produire  par  les  endroits  les  plus 
avantageux.  Il  commence fonOuvrage  par  p.  iJ 
le  caractère  ^^  Jovianus  Poijtanus,  £î:f- 
îjorien^  Orajteury  (^  Poète  célèbre  y  qui 
*  #  2  fuf 


XVIII  Avis  SUR  LA  II.  Partie 

fut  Précepteur  du  Roi  Alphonfe ,  13  Sé- 
nateur de  Venife.     G'étoit,  dit-il^  un 
homme  d'un  eiprit  extrêmement  doux, 
fa  politcfle ,  6c  Ion  élégance  étoit  ac- 
compagnée d'une  ingénuité  qui  rendoit 
fa  converfation  charmante.     //  rece-voit 
fes  amis  woec  autant  de  plaifir  que  de 
bonté.     Leurs  entretiens  roulaient  fur  les 
belles  Lettres  ,   i3  finijjoient  ordinaire- 
ment par  un  repas  frugal  (3  gai-     C'eji 
ce  qui  arrii^a  chez  A^ius  Syncerus ,  qui 
traitait  fowuent  fes  amis^  du  nombre  def- 
quels  étoit  Alexandre.     Il  y  a  ici  à  re- 
marquer  quelques  particularitez    affez 
agréables,     i .  La  fimplicité  de  leurs  re- 
pas. Celui  dont  V  Auteur  parle  ici  étoit  de 
citrouille  ai-ec  de  la  laitue  hachée  menu 
(3  affaifonnée  a'uec  des  grains  de  raiftns 
fecbez  au  Soleil ,   des  pommes  de  bonne 
odeur  qu'ion  avait  confèrvées  Vhyver^  des 
figues  feches  de  Sinuefj'e*avec  de  Veau  de 
Rafe  5  d'autrefois  des  chous  fleurs  i3  des 
afperges  de  Jardin.     Cefi  là  ce  quil  ap- 
pelle un  repas  délicat  ^  non  n^ulgaire  ■\. 

z.  C  était 

*  Ville  de  la  Terre  de  Labour  dans  la  Cam- 
pagne de  Rome. 

I  Cœnàque  non  vulgaii  ncc  protritâ;  fed  aut 
vcteris  cucurbitse  ferculo  cain  laducae  tyrib  mi- 
^ulim  caefo,  &  acino  uvae  paflae  inlpwfo;  aut 
iv,i -  -' .  -  olea» 


_l 


DU    POGGIANA.  XIX 

t.  Cet  oit  la  coutume  de  chanter  fur  la 
lyre  les  élégies  cV Ovide ^  de  Catulle^  de 
Properce  ^  des  autres.  3 .  Ce  fut  San- 
nazar  qui  chanta  dans  cette  fête  dont 
Alexandre  fait  le  récit.  Nous  apprenons 
ici  que  Sannazar  n'était  pas  un  homme 
de  grande  naiflance,  comme  l'a  dit  Mo- 
reri.  Cétoit  un  efcWoe  Ethiopien  qu'Ac-. 
tius  Syncerus  avoit  affranchi^  i^  à  qui 
il  avait  donné  fan  nom  avec  la  liberté. 
Il  chanta'juftfu'à  mille  vers  de  Properce. 
La  mélodie  finit  par  quelque  queftion  fur 
un  vers  de  ce  Poète. 

Les  Savans  connoifhit  le  mérite^  le    Hermo- 
favoir  13  Us  vertus  (r/'Hermolaus  Bar-  j;^*-'^  ^^"^^ 
barus,  Sénateur  de  Venife^  ^  fait  Pa-   'r^  j 
îriarche  cV Aquilée  par  Lnnocent  VIIL  p.  54:5. 
auquel  il  fut  envoyé  par  la  République  de 
Venife.  Il  était  lié  cV  une  amitié  fort  étroi- 
te avec  Alexandre  d'Alexandre.     Pen- 
dant fon  fejour  à  Rome  il  était  vif  té  de 
tous  les  Savans^  ^  on  était  ravi  de  fon 
irudition  profonde-  ^  agréable  tout  en- 
femble ,  aufi  bien  que  de  la  bonté  de  fes 
mœurs  Î3  ^(?ytf;/ Urbanité.  Un  jour  qu'il 
avait  invité  fes  amis  à  fouper^  on  agita 

Ci'*'    . 

olentibus  pomis  anni  frigore  fervatis  &  ficu  ficca 
Sinuefîiiia  cum  Rofaceo.  p.  236, 

A, 


XX  Avis  sur  la  II. Partie 

cette  queflion^  fi  Von  pouvoit  dire,  que 
le  Navire  des  Argonautes  confiruit  par 
'thefée  (^  qui  fubftjîoit  encore  à  Athènes 
du  tems  de  Dcmetrius  Phalereus,  étoit 
le  même  navire,  •  Hermolaus  après  avoir 
foutenu  que  ce  n^ étoit  point  le  même ,  par' 
ce  que  les  matériaux  du  premier  ne  Jub- 
fiftoient  plus  i^  qiCils  avoieM  été  rempla- 
cez par  d'autres ,  demanda  à  Alexandre 
d' Alexandre  [on  fenîiraent  là-dejjus.  Il 
prouva  par  V autorité  des  yurifconfultes^ 
i^ par  Vufage  communique  c" étoit  le  mê- 
me navire ,  comme  un  Confeil  i^  un  Peu- 
ple ne  laijfent  pas  d'être  le  même  Confeil 
(^  le  même  Peuple ,  quoique  ce  ne  foient 
plus  les  mêmes  gens.  -  //  cite  entre  autres 
les  Jurifconfultes  Ulpien  6?  Pomponius, 
qui  ont  jugé  qu'un  troupeau  qui  auroit  été 
donné  par  Tejlament  à  quelcun  lui  appar- 
tiendrait ,  quand  même  il  ne  refier  oit  pas 
une  feule  des  brebis,  qui  vivaient  quand 
le  l'efiament  a  été  fait.  Autrement ,  ^;V- 
/7,  comme  nous  changeons  tous  les  joursf 
par  les  pertes  &  les  réparations,  qui  (ê 
font  dans  notre  corps ,  nous  ne  ferions 
pas  les  mêmes  qu'il  y  a  un  an.  Hermo- 
laus accommoda  le  différent  par  -une  fort 
hony-e  diflin^lion  entre  le  fens  phyfique  £5? 
grammatical  du  mot  ^  Icniêoie,  (:$foA 

fens^ 


pu  POGGIANA.  XXI 

Jins  ordinaire  ^  ufité  ^  ^impropre.  Les 
Phyfîciens  qui  font  phis  fubtils  ^  o^ui  pren- 
nent tout  à  la  rigueur  de  la  lettre  (l>  fé- 
lon VexaSle  vérité^  ne  diront  pas  qti'urt 
troupeau  ,  dont  toutes  les  'vieilles  brebis 
font  mortes ,  (^  qui  a  été  renow^jellé  par 
lapropagation^foit  le  même  troupeau  s  mais 
les  Jurifconfuites  s" en  tiennent  à  ce  qui  eji_ 
probable ,  à  l'équité  C?  au  langage  commun. 
Qeft  dans  ce  fcns  figuré ^  que  S.  Amant 
dans  fon  Poème  fur  la  Solitude^  juge  que 
les  arbres  de  fon  tems  étaient  les  mêmes 
que  ceux  du  commencement  du  Monde, 

Mon  Dieu  !  que  mes  yeux  font  contens 
De  voir  ces  bois  qui  fc  trouvèrent 
A  la  nativité  des  tems, 
Et  que  tous  If  s  fiècles  révèrent; 
Etre  encore  auffi  beaux  &  verds 
Qu'aux  premiers  jours  de  l'Univers. 

Alexandre  d'Alexandre  après  avoir  -p  j» 
long  tems  fréquenté  le  Barreau  à  Naples^.  501. 
Ô?  à  Rome^  s'en  retira  à  caufe  de  V igno- 
rance cra£è  des  Juges  ^  de  leurs  injujîices 
énormes^  i3  de  leur  infupportable  corrup- 
tion^ comme  il  le  dit  a  Raphaël  de  Vol- 
terra,  à  qui  il  en  raconte  di'^jer s  exem- 
ples. Sa  probité  ^fa  mode  fie  ^^  la  crain- 


xxïi  AvissuRLA  II.  Partie 

te  de  s'ajfocier  avec  des  fcclerats  ^  des 
gens  de  fac  ^  de  corde ,  tels  qu'étaient  ceux 
qui  fe  poujfûient  alors  (lux  premières  Di" 
gnitez  tant  Eccleftaftiques  que  d'unes  V em- 
pêchèrent de  s'a'vancer.     Cejl  la  raifort 

ïbid.p.  q^'il  en  rend  à  un  de  [es  amis^qui  le  que- 
614.         relloit  de  [on  indolence. 

Barthele-      On  a  vu  dans  la  Vie  de  Pogge ,  qut 

î"'  de       Barthelcmi  de  iVIontcpulciano  * ,  fut  en- 
Monte-     „     ,'  7   •  .111  ^  1 

pulciano       ^  ^'^  Allemagne  pour  recher- 

cher (V  anciens  Manufcrits.   Il  et  oit  natu- 
rel d'avoir  quelque  curioftté  de  connoitre  le 
compagnon  de  f  lllufire  Pogge  dans  cette 
forte  de  chafj'3^{t)  fétois  mortifié iV avoir 
tant  feuilleté  inutilement  pour  le  déterrer. 
Mais  je  fus  bien  fur  pris  ^  en  parcourant  les 
Lettres  de  Léonard  Aretin  y  de  trouver 
Aret.  Ep.  '^'■^^■^  ^^  compagnon  de  voyage  de  Pogge  .^  un 
L.  VI.      homme  auffi  méprifahle  13  o.ufi  ridicule 
^P*  S*       que  Léonard  le  repre fente.  Comme  la  Let- 
tre ou  il  en  parle  à  Pogge  lui-même  efl 
affêz  curieufe  ,  fen  donnerai  ici  à  peu 
près  le  contenu. 

Un  jour  qu'il  et  oit  en  chemin  pour  A- 
rezzoy  il  appcrçut  de  loin  dans  la  forêt, 
des  chartiers^  d^  autres  gens  fort  occupez 

à 

?  Ce  Bartlielemi  avoit  quelque  Prélature  à  la 
Cour  de  Rome, 


PUPOGGIANA.  XXIII 

à  tirer  d'un  mauvais  pas  quelques  chareU 
tes  chargées  de  colonyies  ^de  fiatues de  mar- 
bre ,   de  bafes  ^  d autres  morceaux  de 
Sculpture  (§  d  Archite^ure ,  comme  pour 
bâtir  un  Maufolée.     Trouvant  a£ez  eX' 
traordinaire  de  voir  de  pareils  prépara- 
tifs fur  cette  route  ,    il  eut  la  curiofité 
dt  aller  demander  ce  que  c' et  oit.     Que  le 
Diable  emporte   tous  les  Poètes  qui 
furent  &  qui  feront  jamais,  lui  répondit 
un  des  entrepreneurs  {a) ,  en  s''efjuiant  le   (^  Re- 
vifage  qiCil  avoit  tout  en  fueur.     Quedemptor, 
vous  ont  fait  les  Poètes ,   dit  Aretin , 
que  vous  leur  fouhaitiez  tant  de  mal  ? 
N'eft  ce  pas,  dit-il^  ce  fou  de  Poète, 
dont  vous  voyez  ici  la  ftatue  ,   qui  a 
commandé  qu'on  portât  ces  marbres  a 
Montepulciano*pour  lui  faire  un  tom- 
beau ?  Là-de^lis  Aretin  demanda  s'' il  étoit 
mort  quelque  Poète  dans  cette  ville.     On 
lui  dit  que  c  étoit  à  Rome  qu' il  et  oit  mort ^ 
mais  qîî'il  avoit  ordonné  par  fon'tefta- 
ment ,  qu^on  le  tranfportât  dans  fa  pa- 
trie ^  qu'on  y  érigeât  une  ftatue  pour 

lui 

*  Montepulciano  efl:  une  petite  ville  fur  une 
haute  montagne,  dans  le  Sienois  avec  un  Eve- 
ché.  Ce  fut  la  patrie  de  Bellarmin  &  d'AngePo- 
iitien,  '  ■ 


XXIV  Avis  sur  la  If.  Partie 

lui  i^  une  pour  fon  Père.  Comme  Aretin 
nvoit  ouï  dire  ,  qu'il  était  mort  depuis 
peu  à  Rome ,  un  certain  Barthekmi  de 
Montepulciano  qui  avoit  laijfé  quelque 
urgent  à  certain  ufage ,  ne  doutant  point 
que  ce  ne  fût  celui  dont  il  s'agijj'oit ,  vous 
avez  grand  tort,  dit-il^  d'avoir  mau- 
dit les  Poètes  à  l'occalion  de  cet  ânS 
là.  Il  n'eil;  nullement  Poète,  c'efl;  un 
franc  ignorant,  qui  ne  s'eft  jamais  di{^ 
tingué  que  par  fa  folie  ôc  fa  vanité.  Je 
ne  l'ai  jamais  connu, r//>  V Entrepreneur^ 
&  même  je  n'en  ai  jamais  ouï  parler, 
mais  fcs  compatriotes  le  difent  Poète, 
&  je  crois  qu'ils  en  fcroient  un  Dieu 
s'il  avoit  donné  un  peu  plus  d'argent. 
Mais  puis  qu'il  n'étoit  pas  Poète  ,  je 
fais  réparation  aux  Poètes,  &  je  ne  di- 
rai plus  de  mal  d'eux. 

Aretin  fait  à  cette  occafion  de  fort 
belles  reflexions  fur  la  i-anité  des  tom- 
beaux. Il  y  a  eu,  dit-il^  trois  grands 
Héros  qui  n'ont  point  eudemonument. 
Cyrus ,  Alexandre  &:  Céfar.  On  n'ap- 
prend point  que  ces  deux  derniers  fc 
foicnt  mis  en  peine  de  leur  fepulturc. 
A  l'égard  de  Cyrus  il  défendit  exprcfîe- 
mcnt  de  lui  en  bâtir,  &  commanda 
^ue  l'on  mît  fon  corps  dans  la  terre,  la 


DU   POGGIANA^  XXV 

regardant  comme  la  plus  magnifique 
de  toutes  les  fepulturcs ,  à  caufe  des 
belles  fleurs ,  des  fruits  délicieux  &;  des 
autres  richeffes  qu'elle  produit. 

^  la  fuite  de  ces  traits  d'Hifioire  vient 
une  fanglante  apojiropbe  au  pawvre  Bar- 
îhelemi.  Il  le  reprefeute  non  feulement 
comme  un  ignorant  de  la  plus  crajje  igno' 
rance^  comme  un  homme  d'une  conduite 
extravagante ,  mais  encore  comme  un 
homme  de  rien.  Son  père  étoit  un  Mer- 
cier *5  q^ui  cour  oit  les  foires  ^  fa  grand* 
mère  une  fage-femme  ^  fa  mère  une  fana- 
tique ,  à  courir  les  rués  toute  échevelée. 
Itout  fon  mérite  confiftoit  donc  en  ce  qu'iï 
avait  laifjé  de  V argent.  Mais  Léonard 
Aretin  dit  qu'il  Tav oit  volé  y  ^  qu'il  le 
cachùit  parce  que  le  Pape  avoif  voulue 
lui  faire  rendre  gorge.  Enfin  après  avoir 
cherché  fort  curieufement  ^  d'un  tour 
fort  fatirique ,  ce  qu'on  pourvoit  mettra 
fur  fon  tombeau ,  il  conclut  qu'il  aurait 
mieux  fait  de  fe  faire  cacher  fous  la  terre 
après  fa  mort ,  comme  il  cachait  fon  ar^ 
gent  pendant  fa  vie. 

Après  avoir  lu  cette  Lettre  il  m'efi 
venu  dam  Te/prit  y  ou  que  Léonard  Are- 

ti» 

*  Mcrcator  circumfotancuso- 


Xxvr  AvissurlaIT.  Partie 

tin  parle  d'un  Barthelemi  de  Montepulcià'^ 
no  différent  de  celui  de  Pogge^  ou  qu'il  y 
a  beaucoup  de  paffion  ^  de  medifance 
dam  le  portrait  qu''en  fait  Léonard^  ou 
que  c'eft  peut-être  Pun  (^  Vautre.  Efl-il 
'uraifemblable  en  effet  qu'on  eut  donné  à 
Pogge  une  fi  groffe  bête  pour  affocié  ^dans 
des  recherches  qui  demandent  non  feuk" 
ment  beaucoup  d'érudition  ,  mais  de  la 
pénétration  l^  de  la  fagacité.  D'ailleurs 
eut-il  pu  parler  d'un  tel  homme  ,  ai:ec 
éloge  ^  ^  le  mettre  fur  les  rangs  comme 
il  fait  dans  fes  Difcours  Convivaux, 
fans  s'expofer  à  la  rifée  de  tout  le  monde. 
On  n'auroit pas  manqué  de  dire-, 

•  O  le  projet  plaifant  d'un  Poëte  ignorant 
Qui  de  tant  de  Héros  va  choifîr  Childebrand. 

J'ai  été  ravi  de  me  rencontrer  à  cet 
égard ^  avec  Mr.  Apoftolo  TLtno  Javant 
Italien ,  qui  en  juge  ainft  dans  le  dixie^  ' 
me  Tome  de  [on  Jourtial  des  Savans  d'Ita- 
lie. Quel  Bartolommeo^  di  cui  qui  fî 
dice  eflere  llato  il  compagno  di  Pog- 
gio  nel  riccrcamento  de'  codici  antichi, 

non 

*  Defpreaux,  Art  Poétique,  Chant.  IW.f.i^i» 
242.. 


i)U  POGGIANA.  JCXVII 

non  è  altri  clie  Bartolommeo  da  Monte' 
puiciano  ,  Prelato  delk  Corte  di  Rd- 
ma,  la  CLii  magnifica  fcpoltura  *  orna- 
ta  di  marmi,  e  llatae,  e  balîî  rilicvi  di 
inano  del  famofo  Scultore  Donatcllo, 
vedevafi  nel  duomo  ora  demolito  di 
Montcpulciano  fua  patria,  infîeme  con 
l'effigie  di  lui  fcolpito  in  abito  folito 
ufarfi  da'  famigliari  de'  Papi  nelle  Cap- 
pelle  Pontificie,  &  con  in"ia  infcrizionc 
in  bronzo,  nella  quale  affermavafî  efTe- 
re  lui  ftato  Configlicre,  e  favorito  di 
Martino  V.  fenza  ipecificarlî  in  efïïi  il 
tempo  délia  fua  vita  ,  ne  quello  delh 
fua  morte.  Aggiugne  Monfignor  Ben- 
ci,  che  niuno  Scrittorc  rende  teftimo- 
nianza  di  quefto  fuggetto }  ma  s'ingan- 
na,  poiche  Lionardo  Arctino  ne  parla 
à  lungo,benche  poco  vantnggiofîim en- 
te in  una  délie  fue  Epiilole  (a)  a  Pog-  (4)  i:p^i 
gio,dove  non  folamente  fi  fa beffe délia  i-'^-  yi> 
vanità  di  lui,  il  quale  efiendo  morto  in 
Roma  lafcio  per  telhmento  ,  che  in 
Montepulciano  gli  fofTc  eretta  quella 
fuperba  fepoltura,  di  cui  fi  è  fwellato 
di  fopra:  ma  vie  più  mette  in  burla  la 
ignoranza  di  efTo ,  qui  nullam ,  fon  fue 

pa- 
*  Sfindlo  Benei  ifior.diMonte^de.  l.  4.  fag.j^;. 


xxvm  AvissuRLA  II.  Partie 

parole  ,  neque  fcientiam ,  neque  do£lri- 
nam  cognovit.  StuUitia  vero  ac  vanitate 
omnes  omnino  homines  fuperaiit ,  &c. 
Non  convien  pero  crcderlo  coli  igno- 
rante, e  da  nuUa,  quale  l'Arctino  cel 
rapprcfenta  ,  primieramentc  ,  perche 
il  detto  Poggio  lo  introduce  a  ragiona- 
re  con  altri  vomini  dotti  nel  fuo  Dia- 
îogo  fopra  rAvarizia  ;  in  fccondo  luo- 
go,  perche  taie  fù  giudicato,  che  an- 
dar  poteflc  col  Segretario  Poggio  inGer- 
mania  alla  ricerca  de'  codici  antichi ,  il 
che  i\i  a  fpcfe  de'  Cardinali  e  de'  Prelati 
Romani,  corne  dall'  cpiftola  del  Bar- 
baro  fi  ricav^a. 

y  ai  pourtant  plus  de  penchant  pour  la 
première  de  mes  conjectures.  Comme  dans 
la  Lettre  de  Léonard  il  eji  parlé  des  jla- 
tues  du  père  i3  du  fils ,  ou  je  fuis  bien 
trompé^  ou  c'eft  le  fds  qui  efi  r objet  des 
traits  de  pinceau  de  Léonard.  Le  Père 
aura-  été  un  habilt  homme  ^  (^  en  cette 
qualité  aura  accompagné  Pogge  dans  fes 
'voyages.  Le  fils  aura  dégénéré^  i^  n'au- 
ra pas  laijje  d'être  pouffe  ^ce  qui  s''accom- 
de  très-bien  aux  plaintes  générales  qu'on 
faifoit  alors ,  que  les  Papes  ri* avançaient 
que  des  fujets  indignes.  Il  nefi  pas  vrai" 
femblalik  que  LçQnard  eût  parlé  à  Pogge 


DU   PoGGîANA.  XXIX 

lui-même  en  ces  termes  de  [on  compagnon 
de  'voyage ,   13  qti'il  eût  défigné  fous  le 
nom  d'un  quidam ,  un  homme  aujft  con- 
nu,  td  regard  des  reproches  que  Léonard 
fait  à  Barthelerni  fur  fa  naijfance  ,   il 
faut  les  prendre  au  rabais^  félon  le  ftile 
dts  Inventives  dé  ce  tems-là .  On  n'eft  pas 
obligé  de  croire  toutes  les  indignitez  ^  les 
injures  de  crocheteur  que  Pogge ,  Philel- 
phe  (3  Falle  fe  font  dites  fur  le  fujet  de 
leur  naifjdnce.     Au  fond  que  la  grand^ 
were  de  Barthelerni  fût  Sage-femme ,  que 
fa  mère  fût  fanatique ,  ^  que  fon  père 
eût  été  Marchand  avant  que  d'être  Se" 
cr  et  aire  du  Pape  ,   tout  cela  ne  fauroii 
empêcher  de  croire  ,  que  le  père  ait  été 
compagnon  de  Pogge  ,   ts  que  le  fils  ne 
fût  le  ridicule  perfonnage   contre  lequel 
Léonard  a  déchargé  fa  bile. 


*  *  *  C  A^ 


CATALOGUE 

Des  Livres  Nouveaux  qui  fe  trouvent 
à  Amlterdam  ,     chez    P  i  f.  r  r  e 

H  U  M  B  E  R  T.  • 

ATlas  Hiiîoriquc  ou  nouTclîc  Introduc- 
tion à  THilloirc ,  a  la  Chronologie 
&  à  la  Géographie  Ancienne  &  Mo- 
derne rcprétcntée  dans  de  Nouvelles 

Carres  avec  des  Difierrations  fur  l'Hiftoire  de 

chaque  Etat.  Ton)e  5.  &  (5.  contenant  i'Aûc, 

i'Afiicjue  &  rAméritjuc  in  fol.  1719.  Graa- 

deur  d^ Atlas. 
Avérant t  Opéra   omnla  Latif7a.  fol.  3 .  vol.  Iloren» 

tii.  1717. 
its  Agrcracns  du  Langage  réduits  à  leurs  prin- 
cipes. 12.  Paris  171 8. 
Anciennes  Relations  des  Indes  &  de  la  Chine 

de  deux  Voyageurs  Mahométans.  Trad.  d'A' 

robe  8.  Paris  17»  8. 
i'Arc  de  bâtir  les  Vaifleaux  &  d'en  perfeâioncr 

la  Conftiuftion.  tiré  des  meilleurs  Auteurs  HoU 

landais.  4.  fi  g.  17 19. 
Alpini  (Profpcri)  dt  Meduina    Methodica  Libri 

tredecim.  4.  1719. 
Alleu  (Joh.)  Synopjis  Univerfi  Medicim.  8,  Lorh- 

dini  171^. 
TAlcoran  de  Mahomet  tranflaté d'Arabe  en  Frai>« 

çois  par  du  Ryer.  8.  171JJ. 
la  t>  Agatelle  ou  Difcours  Ironiques  où  l'on  prê- 
te  des  Sophifmes  à  l'Erreur ,  8.  5.  vol. 

I7I5'- 
Bibliothèque  des  Dames.    Traduite  de  r  Anglais. 

Tome  fécond.  12.  I7i9« 
■u-i    ■  Tomcprcm'ict y  Seconde  Edif. 

revue  avec  foin.-  11,  1715. 


CATALOGUE. 

SJbliotheque  Générale  des  Auteurs  de  FrJtncc. 
Livre  premier  contenant  la  bibliothèque  Char- 
traine,  4.  1719. 
Bandury  Humifmata  Imfxratorum  Romanorum  x 
Tr^jaao  Decio  ad  PaUMgos  Auiuftos.  Acceffic 
Bibliûtheca  Nummaria.foL  z.vol.fi'^.P^nfis  17  i  8. 
JBynkershoek  (  J.  C*  &  Scnatorii)  Opusculu  varia. 

4.   1719. 
la  r^  Onûuire  des  Cours  de  la  Grande  Bretagne 
&  d'Efpagnc.  Traduite  de  l'Anglois^  8. 
I7I5>. 
la  Cohivazione  dcll'  Alamanni  e  le  Api  di  Ru- 

cellai,  4.  Paduua  1718. 
Cowper  CAanduUrum  Duéluumque  Defcripth.  ^.fig  , 

Loi.dini  1701. 
Cletnentii   (Sti.)  EpifloU  Gr.  Lat.  S.  Cantabrigis. 

17  18. 
Cbejneau  Obfervationes  Media.  4.  171p. 
Jcs  Colloques  d'Er^ÇoiC y  Nouvelle  TraduHion  par 
Mr.  Gueudeville  avec  des  Nores  &  des  figures  , 
li.  6  vol.  17x0. 
Cambray  [VArchev.  de)  Sermons  choisis  avec  un 
Difcours  fur  la  Prière  &c.  iz.  Paris  1718, 

Oeuvres  Philofophitities   ou   Dé- 

monftration  de  l'Exiftcnce  de  Ditu.  N.Edir. 

augmentée  d'une  II. partie  12.2  vol. Paris  17 18. 

Catcchifme  contenant  les  principales  veritezde 

la  R.  C.  par  Mr.  de  Beaumonc  8.  1739. 
T\  Idionaire  Roial  Anglois-François,  &  Fran- 
çois-Anglois  par  Boyer.  NoiïvcUc  Edition 
revue  avec  foin  &  confidcrabltmcnt  aug- 
mentée, 4.  vol.  1719. 
■  de  la  Bible  par  Simon.  N.Edit.  fol.  2  vol, 

Lyon  17 17. 
■■1  complet  François- Hollandois  ,   &    Hol- 

landois-François  comprenant  tous  les  motsS: 
les  phrafes  avouez  par  Uulagc,  par  P.  Marin 
4.  a  vol.  i-izQ. 

*!*2  Dif. 


CATALOGUE. 

Pîfîertations  Hlftoriques  &  Critiques  fur  la 
Chevalerie  Ancienne  &  Moderne  par  le  P« 
Honoré  de  Ste.  Marie  4.  fig.  Paris  171S. 

9ale  Phnrmacologin  (eu  Alanuduâlio  ad  maieriatn 
Medicam  cum  Supplewtni-o.  ii.  z  vol.  L^pdini. 
1710.  zsr  1718. 

TC  Tat  Prcfent  de  rEfpa^ne-fiar  l'Abbé  deVay- 
rac  12.  3  vol.  1719. 

de  rhglife  Gallicane  par  Mr-  Bafnagc 

it.  1719- 

de  la  Suéde,  avec  un  Abrégé  de  l'Hift. 

de  ce  Royaume.  Kcuvelle  Edinon  augmentée 
de  plufieurs  Remarques,  du  Règne  de  Char- 
les XII.  &  de   l'avcncment   de  la  Reine  au 
Trône,  jufqucs  à  prcfent.  8.  1710. 
Eflais  fur  la  Providence  Se  fur  la  poiribilitcphy- 
lîque  de  la  Rcfiirrcâion.  Traduit  de  l'Ancien. 
It.  1719- 
TJ  Ables  Nouvelles  par  Mr,  De  "la  Motte,  de 
l'Académie  Françolfe  avec  un  Dilcours  fur 
la  Fable  iî.  1710. 
les  Femmes -des  u.  Cezars  contenant  leur  Vic 

&  leurs  Intrigues  fccretes  iz.  Paris  17 18. 
Jracajïcni  Poëmat.j   omnia:    Àccefjaunt   RtUtjuîi 
Carmïnum  Pûétarum  Veronerijiuw.  4.  PatuVù 
1718. 
Taerni  FahuU  Centum  ex  Amiquis  Auélorihus  de' 
le^i  cirminil^usque  explicau.  ^.   Paiavii  1718. 

r^  Rammaire  Flamande  &Françoife  par  la  Grue 

*^     8.  1715- 

le  Guide  ou  Nouvelle  Defcriptiond'Amfterdam 
contenant  fa  Splendeur,  fon  Commerce,  le 
Change  des  Prii.cipales  Villes,  le  Règlement 
de  la  Banque  &  du  Lombart ,  le  Tarit  des 
Droits  d'çnrrée  &  de  fortic,  le  Départ  des 
portes,  des  Chaçiots,  $;  des  Barques  8.  fig. 

TJZQ. 

.       ■    -  Hffto!- 


CATALOGUE. 

ïJlstoîrc  &  Mcmoircs  de  l'Acad.  Royale  des 
*        Sciences  les  années  1714.  171Î.  &  IT\6. 

li.  j  vol.  fig.  17IJ?. 
— —  de  Henri  de  la  Tour  d'Auverj^ne  Duc  de 

bouillon    où  l'on  trouve  ce  qui  s'cft  paflé 

lous  les    Ketines   de  Fr.:açois  11     Henri  III. 

Henri  IV.  &^L^v;d^XllI.  par  l'Abbé  Mario- 
■     lier   12.  3  vol.  Paris  1719 
•  des  Révolutions  arrivées  dans  la  Républ. 

Romaine  par  l'Abbé  de  Vertot.  11.3  vol  1710. 
publique  6t  fecrete  de  la  Cour  de  Madrid 


II.  fig.  1719. 

du  V.  &  du  N.  Teftamcnt  par  demandes 


&  par   réponi'es  avec  des  reticxions  Mo.alcs 

par  feu  Mr.  de  Langes  8.3  vol.  Genève  17  i  8. 

Hûffinanni  Differtatioms   Phyjica-Alediu  Sele^A  i. 

1719- 

Heideg^eri  MedulUTheolo^U  ChriJîiariA.  n.fîg.  16^0. 
Hunni  Refolt^tiones  Juiis.  4.  Col.  1697. 

yOnfioni    Theatrum  Univeriale  omnium  Anima' 
lium  ,    Pijcinm  ,    Avium,    ^adrnpcdum  y 
Exan§'Muin  ,   Aquaiicorutn ,  InjeÉtorum  yO" 
Anguinm.  fol.  %  vol.  fig.  1718, 
Idée  de  la  Pliyîîque  Méchanique  de  M.  Peyfon' 

nd  Médecin  de  Marfcillc.    ii.   1719. 
la  Julieire  de  la  Langue  Françoifc  i  i.  Paris  1 718. 
Inftrudiqn    Pallorale   aus  Refurméi  de  France 
fur  la  perfcvcrance  dans  la  Foi,  &  la  hdeli- 

■  lépourleSouverain.  Par  Mr.  Bnlnage.  8.  1715;. 
JujVwi  (Sti.)  DialogHS   Gr.  Lat.  8.  Londini  1711;. 
journal  Hiliorique,  Politique  ,  Critique  ,&  Cil- 
lant. Janv.  Fcvr.  Mars.  Avril  1715;.  8.  i  vol. 

Iftorica  Relatione  délia  Pace  dl  Pafaroviz ,  4. 

Padova  17T9. 
J/Etll,  l/Hroduclto  adveram  Afironomiam,  feu  Lee- 
'  tiofies  /^ftroûOf?!!C£.  %.fii.  Oxona.  1718. 

■  Intrcducîio  ad  veram  Phy/icam ,  Editio  Ter- 
îia  8.  Qxonia.  17 JJ. 

*  * "  ?  KM 


CATALOGUH. 
Keill  Tentamina  Phyfico-Medica.   8.  Oxonu  IJI9. 
T   Ettres  de  Mr.  Dartis  &  de  Mr.   Lenfânt  fur 
les  Matières    du   Socinianifoic.    4.  iicrlin 
1715». 
— —  Mémoires ,  Ncgociations  de  Mr.  lejPomtc 
d'Eltradcs  depuis  1637.  juftjucs  en  i66i.  12. 
6  vol.  1719.  .     _.».i^ 

Lomtniui  de  curandis  febribtn  continuis.    8.  1720. 
Lettcre  familiari   dcl  Conte  Magalotti  divifc  in 

due  Carti  4.  in  Vcnciia  1719. 
AAAtiaire  Annales  iy/^ografhiei  ,ah  Artii  Inven- 
ta Origine  ad  annum  M.  D.  tn  4.  1719. 
Malelpini  Iltoria  Fiurcntina  e  la  Chronica  di 

MortUi,  4.  in  ^iren^c  1718. 
Marmi  Eruditi   ovvtro  Lctterc  fopra  Antîchc 
Infcrittioni  delConteOrfaio.  4.  l'adoua  171^. 
Maximes  avec  des  exemples  tirez  de  THift.  Sa- 
crée &  Profane,  Ancienne  &  Modirne  ,  pour 
rinllruAlon  du  Roi, où  Ton  donne  des  Pré- 
ceptes pour  torœer  les  mœurs  &:  l'cfpric  des 
jeunes  Gens.  12.  I7iy. 
-  Idem  Edition  de  Paris  \z.  171 8. 

Marmorea  Bafis  Cdcjfi  libcrio  djuri  <i  Gronovi0. 

8.  fig.  1720. 

le  "^  Ouveau  Tcftamcnt  avec  des  remarques. 

Une  Introduction  ,  &  des  Préfaces  ircs- 

inftrudives  à   la  tète  de  chaiiuc   Livre.  Par 

Mrs.  de  Baufobrc  &  Lenfant  4.  i  \o\.  3715. 

■  —  le  même  fur  de  beau  &  grand  papic; 

Royal.  4.  2  vol. 
Nouvelle  Ucfcription  de  la  France  par  Mr.  Pi- 
ganiul  de   la  Force  ,    12.  6   >ol.  fig.   171^, 
Edition  d'Hollande. 
Hiftoirc  de  France  depuis  le  Commence- 
ment de  la  Monarchie  jufques  à  la   mort  de 
Louis  XIII.  par  Mr.  le  Gendre  fol.  2  vol, 
Paris  1718. 
î^ouvcâux  fermons  avec  des  Fricics  pour  les 

di^c. 


CATALOGUE. 

tîiffcrens  Etats  de  la  Vie.   Par  M.  Bafnagc  t* 
17iO. 

/^Edipc  Tragédie  par  M.  Aroucr,  8.  17  r<?. 
Oeuvres  de  Mr.  Pavillon  {delAcad.  Trunçoife) 
Nouvelle  Edition  augnu:ntce  de  plufîeurs  Pic- 
ces  '•).   i7io. 

■p  Oggiana .  ou  la  Vie ,  le  Caraftere ,  les  Semen- 
CCS,  &  les  Ébfis'Y^'ts  de  Pogge Chancelier 
de  la  Republique  de  Florence  avec  un  Abré- 
gé de  l'Hiftoirc  de  cette  Republique.  Par  Mr. 
Lcnfant.  8.   2  vol.  1710. 

les  Principes  du  Deirein  ,  ou  méthode  coUitc& 
facile  pour  aprendrc  cet  Art  en  peu  de  tems 
par  de  Laircirc,  foi.  fig.  1719. 

Panégyriques  des  Saints  &  Oraifons  funèbres  pro- 
noncées par  l'Abbé  Anfclmc  8.  3  vol.  Paris. 

Plaidoyers  &  autres  Oeuvres  de  Gilet  4.  2  vol. 
Paris  171  8. 

Piâleti  Differiationes  Jheologici  de  Religionis  Chrif. 
tiam  pr&jlafitia  ac  Divinit.ite.  8.  GenevA  \'j\<^. 

Pocfie  Italiane  di  Rimatrici  Viventi.  In  Venc- 
tia  4.  171.^. 

PontederA  Compendium  Tabularum  Botanicarum 
in  quo  Plant  £  z-jz.  ab  eo  in  Itaiianuper  deteêl* 
recenfentur.   4.  Patavii  1718. 

Peieri  Objervatioms  quidam  Anatotnia  ,Z.  1719^. 

■n  Elation  de  divers  Voyages  faits  dans  l'i^fri- 

"^^     que,  TAmerique,  &  aux  Indes  Occiden- 
tales, par  Drallé  ! 2.  Paris  1718. 

Rime  e  Profe  del  Marchefe  Mafci.  Agglunto 
un  Saggio  di  Poëfii  Latina  delP  Illcilo.  4.  in 
Venezia  1719. 

CErmon   fur  le  Jubilé  de  la  Réformatîon  des  • 
bulifcs  par  Mr.  Turretin  4.  Genève  1719. 

(Nouveaux)  avec  des  Prières  pour  chaque 

état  de  la  Vie  par  Mr.  Bafnage  8.  1710. 

—  Sur  les  principales  fêtes  des  Chrétiens  par 
Mr.  Rivaffon.  8.  1719' 

"**  A.  Scr^ 


CATALOGUE. 
Sermon   fur   divers  Texces,  par   Mr.  Plftc^  S. 

1719.  Gcncve. 
Santorini  OpufcuU   Medica   de  ftruflura   cr  mct}4 
Fibrs. ,    Nutritione  Animali ,    Himorrhoidibus , 
CT*  Catamtn'uio.  %.  X^io. 
Sannaz.arii  Poemata.  tx  Anùc^iin  Ed'tùomht^ accu- 
rattjfime  defcripta.  Acceïïit  ^uld^  Vit».  4.  Pa- 
tazii   1719. 
'T' Raité   d'Optique,  fur  les  Réflexions,  Rc- 
fra<flîons,  Inflexions,  &  Couleurs   de  la 
Lumière,  par  Mr.  le  Chev.  Newton.  Traduit 
de  V Anglais,  par   Mr.  Cofte  fur  la  Seconde 
Edition  augmentée,  par  TAutcur.  j2.  i  vol. 
fig.  17ZO. 

de  la  Relii;ion   révélée  par  Mr.  Martin. 

8.  z  vol.   171^- 

— des  Aimâtes,   12.  Paris  1718. 

T/'Aillant  Sum'imata  in  Colonils    imperii  RomA- 
ni,  fol.  fig. 

Iwperiitor.  Rpmanor.    4.  2  vol.  fig. 

Velferi  Opéra  HijloTica  <y  Phdt>lcgica,  fol.  i68z, 
le  Vite  de'    Pittori ,  Scultori ,  c   Architctti  dî 

Giorgio  Vafari  a.  5  vol.  Bononix.    \66^. 
VirgHii  Opéra  Omnia    fol.  fig.  Paris  1515. 
TJV'Alis  Opéra   Omma   Medica,  4.  2  ziol.   Am(l. 
*^*^      \69i. 
de  Wilde  Seleda  Numi/mata  Antiqia ,  4.  fi^.  Am/I. 

Waldjchmid  Opéra  Medico-Pradica.  4.   i6p^. 
'7Welferi    PharmacopacA  Augufla  Reformata,  /ç, 

1693. 

Zoefius  ad  Pandeâîas  y  fol.  \6t%. 

Xacuti  Opéra  omnia  Medica.  fol.  2  "vol.  i66y. 

L'on  trouve  chez  ledit  Pierre  Humbert  tous  les 
Livres  qui  «.'impriment  tn  Hollande  :  Un  h^ot* 
riment  général  des  meilleurs  Livres  àzParïs: 
Diverfes  Nouveautcz  <i'i;/j/»V,&  à"" Angleterre ^ 
à  très  iufic  prix. 

PÔG- 


Pag.  T 
i!^^-^  «v^  ^  i'i  i^*^  ^  ^i*'^  v^  t^  «^^  i^  ^-^  ^ 

y*l  ^  4^  ^ -/S  v^ -T^ -f^  ■  V^  V^  V^  V^ -^ -^  VS  ■^> 

PCr^^IANA. 


T  R  O  I  s  I  E  M  E  P  A.  R  T  I  E  j 

Hiftoire  abrégée  de  r  Origine  ,  ^^^ 
Gouvernement  ér  des  Guerres 
de  la  République  de  F  l  o  r  e  n- 
CE,  tirée  de  r  Hifioire  de  Léo» 

NARD    ArETIN,   de  F  OG' 

G  E ,  cr  d'autres  Auteurs. 
LIVRE  PREMIER. 

i^i^^^^Es  Hiftoriens  rie  manquent     Origine 
^r  L  P  gueres  de  donner  une  origi-  de  Flo- 
SW^S  ne  fort  ancienne  aux  Peuples  ^^'^''^' 

6c  aux   Etats  dont  ils  font 

V Hiftoire.   Ceux  qui  ont  écrit  celle  de 

Florence  ont  pu  faire  remonter  fort 

l'ont ,  IL  A  haut 


4         VoGGiA-N A.  Part.  IIT. 

par  Kl ,    ils  ne  faifoient  que  changer 
d'efclavage. 

Les  conquêtes  qu'ils  firent  fur  leurs 
voifins  ayant  rendu  leur  Ville  3:  plus 
puiflantc  6c  plus  peunlée.  ils.l-^  parta- 
gèrent  en  quatre  1  nous ,  ce  puis  en  lix^ 
dont  chacune  avoit  Ton  Conful.  Cepen- 
dant comme  la  Juliice  et  oit  mal  admi- 
niilrce  par  ces  Magiftrats ,  &  que  tout 
fe  faiioit  par  la  faveur  &  par  la  brigue, 
ils  appellerent  des  Magiftrats  de  dehors, 
qu'ils  nommoient  Podefiats  *,  dont  le 
premier  fut  un  Milanois.  Peu  de  tems 
après  le  Peuple  fe  trouvant  opprimé  par 
la  Noblefle,  on  créa  un  Capitaine  (a) 
avec  douze  des  plus  notables,  qu'ils  ap- 
{b)  Senio-  pelloient  Seigneurs  (b),  6c  vingt  Gon- 
faloniers  (c) ,  dont  chacun  avoit  fon 
drapeau  fous  lequel  il  aflembloit  le  Peu- 
ple. Ce  Gouvernement  ne  réullit  pas 
mieux  que  les  autres.  La  Ville  fut  rem- 
plie de  Factions  &  de  Guerres  intefti- 
nes  ,  de  meurtres ,  de  pillage ,  6c  de 


{a)  Capi 
tantum. 


rcs 

(0  Vexil 

lijeros. 


prolcnptîons  de   Citoyens.      Il 
donc  Avoir  recours  à  une  autre 


fallut 
forme 
de 
pour  Succefleur  fon  fils  Philippe  I.  Tout  le  ir  on- 
de fait  quand  a  régné  Henri  IV. 

*  Potrfias.  Cela  le  pratiquoit  en  plufieurs  Vil- 
les d'Italie.  Po^.  Hiji.  Flot;  p.  4-  S- 


Histoire  de  Florence.  Lw.  I.  f 

de  Gouvernement.     On  créa  fur  la  fin 
du  treizième  ficçle  fix  Magillrats  Tous 
1g  nom  de  Prieurs  des  Arts^  ou,  des 
Méti^iB,  ou,  Prieurs  de  la  Liberté  (tî).    (a)  Pria- 
Cet  o^'Ai-^  A^j'pi''   çnrnrp  du  tcms  de  ''"  ^'■" 
Pogge,qui  mourut  dans  cette  Charge,  nbertath. 
comme  on  l'a  vu  ailleurs  (b) ,  mais  on  y    (b)  Part, 
fit  de  tems  en  tems  divers  changemens,  I-  P-  sr- 
qu'il  n'efl  pas  néceflaire  de  rapporter 
ici.  Il  y  a  parmi  les  Anecdotes  des  PP. 
Dom  Martenc  ôc  Dom  Durant  (c)  une    {à  T.  r. 
Lettre    de    l'Empereur    Robert    aux  P'  ^^^'^'' 
Prieurs  des  Arts  de  Florence ,  avec  cet- 
te Infcription  :  HonorabiUhus  (J  circum' 
fpeclis  liris  Prioribp^s  Artium  i3  Vexil- 
lifero  Jujîitia  Popuîi  i^  communis  Flo- 
rentin ,  nec  non  decem  Officialibus  Bali^ 
dicli  communis  nojiris  ^  facri  -Imperii 
fidelibus  prndile^is.     La  Lettre  elt  da- 
tée de  Heidelbevg  du  1 4.  Juillet  1 407. 
L'Empereur  leur  promet  du  fecours 
contre  le  Duc  de  Milan,   comme  en 
effet  il  leur  en  donna  la  même  année. 

Il  eft  mal  aifé  qu'un  petit  Etat  popu- 
laire Te  puifîè  foûtenir  long-tems  contre 
des  ennemis  puiflans.  La  liberté  dont 
les  peuples  font  fi  jaloux  leur  eit  fou- 
vent  funefte,  parce  qu'il  n'eft  pas  faci- 
le de  prendre  de  bons  confeils  lors  que 
A  3  tou^ 


6  POGGIANA.  P/ïr/.  ///. 

tout  le  monde  veut  dominer,  ou  lors 
que  pluficurs  Maîtres  ne  font  pas  d'ac- 
cord. Les  Florentins  fatiguez  de  guer- 
res oî^i  fouvcnt  ilsn'avoicntpaslç.f'eiïusj 
refolurent  dans  le  tr^v::iii^inc-sr:  -C  d'ap- 
peller  Charles  Duc  de  Calabre  fils  de 
Robert  Roi  de  Sicile  pour  les  com- 
miindcr  en  chef  pendant  dix  ans.  Après 
les  avoir  gouvernez  quelques  années, 
il  fit  place,  on  ne  dit  pas  comment,  à 
Gaultier  Duc  d'Athènes,  qu'ils  chafle- 
En  1343.  rent  au  bout  d'un  an,  à  caufc  de  fa  ty- 
rannie, pour  reprendre  leur  liberté. 
Guerre  de      Lcs  chofes  étoient  en  cet  état,  lors 
Florence   que  les  Florentins  atFoiblis  par  des  Guer- 
avec  1  Ar-  j-^g  ^  j^j  Faârions,  furent  attaquez  par 
de^Milan  J^^"  Vifcomti  *  Archevêque  de  Milan. 
En  1350.  Ce  Prélat  puifTant  &  ambitieux  s'ctoit 
emparé  de  plufieurs  Places ,   &  entre 
autres  de  Bologne  qu'il  acheta  à  beaux 
deniers  comptans ,  pour  être  plus  à  por- 
tée 

*  1-es  Hiftoricns  ne  font  pas  bien  d'accord  fi 
Vifcomti  elt  un  nom  de  famille  ou  de  dignité. 
C'clt  ainfi  que  s'appellerent  pendant  long  tems 
les  Princes  ou  Ducs  de  Milan.  Vifcomti  figni- 
iie  Vicomte,  ou  qui  tient  la  place  du  Comte.  Les 
Empereurs  &  les  Archevêques  de  Milan  avoient 
le  droit  de  les  élire, quoique  quelquefois  le  Peu- 
ple les  élût,  Kfcan,  Bift.  Fhr.p.  i.  nor. 


Histoire  de  Florence.  Lh.  I.  y 
î'ée  de  fe  rendre  maître  de  la  Tofcane, 
divifée  par  les  faârions  des  Guclphcs  6c 
àts  Gibelins.  On  prétend  que  ces  deux 
Fa(5t^ns ,  dont  la  première  étoit  pour 
tes  Pi"jǣit<^4^Ji!^  pour  les  Empereurs 
fe  forméfënTâïï  commencement  du  dou- 
zième fiècle  fous  l'Empereur  Conrad 
III.  Quoiqu'il  en  foit,  comme  l'Arche- 
vêque tenoit  pour  les  Gibelins ,  qui 
étoient  en  grand  nombre  dans  la  Tofca- 
ne 5  il  crut  pouvoir  réufîir  par  leur  moyen 
à  attaquer  Florence  oii  dominoit  le  par- 
ti des  Guelphes,  qui  en  avoit  chaffé  les 
Gibelins.  11  prit  pour  prétexte  que  les 
Florentins  avoient  follicité  Bologne  à  P- 9* 
fe  révolter  contre  lui.  Il  affem.bla  donc 
fes  troupes  Gibelines  à  Bologne  &  mit 
à  leur  tête  Jean  Aulege  *  Vifcomti, 
ennemi  juré  des  Florentins.  Un  fi 
grand  appareil  jetta  l'allarme  &  la  conf- 
ternation  dans  toute  la  ville.  D'un  cô- 
té l'ennemi  avoit  déjà  mis  tout  à  feu  & 
à  (àng  jufques  à  leurs  portes,  de  l'autre 
les  Citoyens  effrayez  du  danger,  me- 
naçoient  d'un  foûlevement.  Cependant 
on  vint  à  bout  de  les  appailer ,  6c  tout 
le  monde  d'un  commun  accord  fe  mit 

en 
*  Il  paflbitpourle  fils  de  cet  Archevêque,  p.  1 2.. 

A4 


^         VoGGiAy: A.  Part,  III. 

Êii  état  de  fe  bien  défendre.  On  leva 
des  troupes,  on  amafla  de  l'argent  6c 
on  pratiqua  du  fecours  de  toutes  parts. 
Ce  qui  fe  fît  d'abord  avec  un  fi  prf';mpt 
&  fî  merveilleux  fuccès  que  les  ^Floren- 
tins jetterent  la  terrdîirpuT'AT^'îca  enne- 
mis, &  rcduifncnt  le  Duc  de  Milan  à 
chercher  «^du  fecours.  Il  envoya  deux 
fois  inutilement  des  x'\mbafladeurs  à  Pi(c 
pour  engager  cette  République  à  fe  dé- 
clarer contre  les  Florentins.  Les  Gam- 
hacurta  qui  dominoient  à  Pife,  fe  trou- 
vant de  la  faélion  des  Guelphes,  détour- 
nèrent les  Piians  de  fe  joindre  au  Duc 
de  Milan  par  deux  raifons  ;  l'une  qu'il 
ne  cherchoit  leur  amitié  que  pour  de- 
venir leur  Tyran,  l'autre  que  leur  com- 
merce ne  pcrmcttoit  pas,  qu'ils  rom- 
piffent  avec  la  République  de  Florence. 
Cependant  les  Milanois  réduits  aux  der- 
nières extremitez  furent  honteufcment 
repoufîez,  d'une  petite  place  appelléc 
Scarparia^  après  lui  avoir  donné  trois 
nfiauts  confecutifs  pendant  deux  mois. 
En  135-1.  Cette  place  fut  défendue  par  la  valeur 
pag.  20.  j^.  j^^^.^  ^  ^e  Syhejlre  de  Medicis^  qui 
en  recompenfe  furent  faits  Chevaliers. 
L'Archevêque  de  Milan  au  defefpoir 
d'un  fi  mauvais  fucccs,  mais  ne  pou- 
vant 


Histoire  de  Florence.  Lh.  L  p 
vant  fe  réfoudre  à  abandonner  un  def- 
fein  qui  lui  tcnoit  au  cœur ,  fatigua  Tes 
Sujets  de  tant  d'impôts  extraordinaires 
pour  lever  une  nouvelle  armée,  que  la 
plîijVtdcs  Nobles  &  des  Ncgotiants 
delcricvOm!~^T^rchevêque  fit  à  cet- 
te occafion  une  action  qui  n'ell  pas  plus 
digne  d'un  Prince  que  d'un  Prélat.  Un  En  1351.^ 
Gentilhomme  de  les  amis,  lui  confeil-P- fi- 
lant de  renoncer  à  la  guerre  de  Floren- 
ce plutôt  que  de  charger  Tes  Sujets,  il 
s'en  mit  tellement  en  colère,  qu'il  fit 
couper  la  tcte  a  celui  qui  lui  avoit  don- 
né un  confeil  Ç\  ililutaire. 

Les  Florentins  &  leurs  Alliez  *  de 
leur  côté  ne  s'endormoient  pas.  Ils  en- 
voyèrent une  Ambafllide  à  Charles  IV. 
Roi  de  Bohême  &  dcfigné  Empereur 
pour  lui  demander  du  lecours.  Cette  En  1353- 
nouvelle  obligea  le  Duc  à  faire  la  paix  P-  ^^'  ^3- 
avec  les  Florentins  par  l'entremife  de 
Gambacurta.  Mais  peu  de  tems  après 
fe  trouvant  appuie  des  Génois  il  fe  pre- 
paroit  à  recommencer  la  Guerre,  lors 
que  fes  projets  ambitieux  furent  arrêtez 

par 

*  Cétoit  ceux  de  Sienne;-,  d'Arezio  &  de  Pe- 
Toufe.    Les  Pifans  étoicnt  neutres  &  même  ils 
fe  joignirent  au  Duc  de  Milan  dans  la  fuite, 
A/ 


tO         PoGGIANA.  P^r/.  ///. 

par  fà  mort  *,  qui  arriva  fort  à  pro- 
pos pour  Florence.     Il  laifla  le  Gou- 
vernement de  fes  Etats  à  trois  de  fes  ne- 
veux, Alaffée  ^   Bernaho  ^  ÔC  Gak^Jfe, 
Guerre  de      Depuis  la  mort  de  J^Arc^^'^vé^fe  la 
Florence  République   de  Flor^Àc^-'^iptes   avoir 
n^b^  Viï-  g^^^^^  pendant  quelques  années  les  dou- 
conti  de    ceurs  de  la  paix  (a) ,  fut  attaquée  par 
Milan  &   Bernaho  ,   qui  marchant  fur  les  traces 
/  N^p  "^*  de  fon  oncle ,  portoit  une  envie  fecre- 
1360.       t^  ^  ^'^  prolperité  des  Florentins ,  qu'il 
p.  15.       regardoit  comme  un  obftacle  à  celles 
des  Gibelins.     Les  Pifans  de  leur  cô- 
té, animez  par  ce  Prince,  ne  cefloient  de 
chercher  querelle  aux  Florentins  leurs 
anciens  amis.  Ils  leur  firent  tant  de  chi- 
canes fur  le  fujet  du  commerce  qu'ils  les 
obligèrent  à  en  établir  ailleurs  le  fié- 
(b1  En    ge  (b).  Apres  s'être  inquiété  mutuelle- 
13^2,.       ment  par  plufieurs  voycs  indircétes  on 
^'  ^  '       en  vint  à  une  guerre  ouverte.  Les  Flo^ 
rentins  fe  rendirent  maîtres  d'abord  d'un 
grand  nombre  de   villes   des    Pifans, 
fous  la  conduite  du  Général   Boniface 
Loup  de  Parme,  à  qui  ils  ôterent  de- 
puis le  commandement  par  une  efpece 
àaOflracifme  pour  le  donner  à  Rodolphe 

de 
•  Il  mourut  de  la  pefte  en  1354.  p.  24. 


Histoire  de  Florence.  Liv.  L  i  i 

de  Varane  * ,  qui  fe  rendit  maître  du 
poçt  de  Piiè.  On  prétend  que  ce  Gé- 
néral auroit  pu  prendre  la  Ville  même 
fa^le  commerce  des  femmes  avec  qui 

^^  pju'^teJ^'.Jh'il.'^^^^  5  ^  ^^^  occafions 
d'agir.  L,e  lom  de  la  guerre  fut  donc 
donné  à  Pierre  Farnefe^  qui  remporta 
une  viétoire  confîderable  fur  les  Pi- 
fàns  "[".  Ce  Général  étant  mort  de  la 
pelle,  on  mit  par  reconnoiflance  en  fa 
place  i^f^/^/Vr  fon  frère  5  qui  ne  fit  pas 
la  guerre  avec  le  même  fuccés.  .., 

Ceux  de  Pife  reprirent  le  defllis  fous 
ce  Général.    Ils  avoient  pris  à  leur  fol- 
de  trois  mille  Anglois,  qui  joints  avec 
d'autres  troupes  fàifoient  un  afîez  bon 
Corps  d'armée;'  avec  ce  renfort  ils  pil- 
lèrent tout  le  territoire  de  Pifioye  \ ,  s'ap- 
prochèrent d'un  mille  de  Florence ,  met- 
tant le  feu  partout  fur  leur  paflàgej 
Quand  ils  eurent  pafle  V^7'no  (a) ,   ils  u\  Rivie- 
prirent  la  ville  $Empolî  fîtuéc  fur  cette  re  qui  bai- 
jrivierc  entre -J*tfe  &  Florence,  &  s'en  §^^  ^^ 
--"  ■-   -        ■^';  '   -'  •  '  re- 

*  Il  eft  fouvent  parlé  de  ce  Général  dans  les 
bons  mots  de  Pogge. 

t  II  mourut  de  h  pelle  en  136Z.  On  lui  érigea 
une  rtatue  équeftre.  p.  27. 

:j:  Ville  d  '  Florentin  à  quelques  milles  de  Flo- 
rence. 


iz       'PoGGiA'N  A.  Part.  III. 

retournèrent  à  Pife  avec   quantité  de 
prifonniers  6c  un  grand  butin.    Lcs-^Pi- 
lâns  voulant  profiter  de  leur  avanta- 
ge, .renvoyèrent  une  armée  contre>^^es 
Florentins,  qui  furent  .ciétair^da'-  /un 
combat  oii  leurGénénfi1:LfL'}mb'p5"ilon- 
nier.  On  mit  en  fa  phcc  Rodolphe  Ma- 
latefia  dont  la  fidélité  fut  fufpecle  dans 
la  fuite.    Cet  échec  obligea  les  Floren- 
tins a  rappeller  un  grand  nombre  de 
leurs  Citoyens  qui  avoient  été  bannis 
dans  des  feditions  ;  Leur  retour  fut  fort 
Ln  1364.  avantageux  à  la  République.  ^o;;<^^/;?/p«^ 
Chef  des  bannis  remporta  une  viâroire 
fur  les  Pifans  ôc  fur  les  Anglois }  mais, 
ils  furent  vangez  Tannée  fuivante  par 
p.  30.     Jean  Augut  Général  Anglois. 
Vidoire      Cependant  Bernabo  envoya  trois  mil- 
les Flo-    le  hommes  de  renfort  aux  Pifans  qui 
es  Pifans.  pourtant  faifoient  fcmblant  de  vouloir 
iiî  1364.  faire  la  paix  pour  endormir  Florence. 
En  effet  Urbain  V.  envoya  un  Légat 
à  Florence  pour  en  traiter  3  Mais  les. 
propofitions  des  Pifms  parurent  fi  dé- 
raiibnnables  ,    qu'il  ne  fut  rien  con- 
clu, de  forte  qu'il  falut  reprendre  les. 
armes.   On  le  battit  une  partie  de  cette 
année  avec  un  avantage  à  peu  prés  égal 
^e  part  &:  d'autre.     Enfin  il  y  eut  un 


com-. 


Histoire  de  Florence.  Lîv.  I.  i  ( 
combat  décifif  où  les  Florentins  rem- 
pogferent  une  viéloire  fîgnalée,  les  Pi- 
fàns  y  furent  entièrement  défaits  après  «.  3,1 
uncwaâiion  de  trois  heures, fous  le  com- 
ï"aAj^!çûie-a^^.de^/^;?7^//i'  Donat  Floren- 
tin. '*crrM"rU'iT'<^ue  fi  les  Florentins  cuf- 
fcnt  voulu  profiter  de  leur  victoire  ils 
auroicnt  pu  fe  rendre  maîtres  de  Pife, 
mais  l'incertitude  des  armes  jointe  à  la 
crainte  qu'on  avoit  que  Bernabo  ne 
fournît  de  nouveaux  fecours  aux  Pi- 
fans  5  engagea  les  plus  pruderts  à  écou- 
ter des  propofitions  de  paix  :  Elle  fut 
conclue  vers  le  mois  de  Septembre  de 
cette  année  ,  fous  des  conditions  aflez  /  >  ^  , 
avantageules  aux  Jblorentms  (a).  p.  3^. 

Bientôt  après  il  leur  furvint  un  nou-   Le  Pa- 
vel  orage  de  la  part  de  la  Ville  de  Luc- ^ ^.^^^^he 
ques^oii  étoit  alors  l'Empereur  Charles  ,>,^3"'!f^ 
IV.  Ce  Prince  allant  a  Rome  pour  felesFloren- 
faire  couronner  avoit  laifie  le  comman-  tins  de 
dément  de  Lucques  à  Nicolas  Patriar-  ^'^"^f^'^  ^- 
che   d'Aquilée ,    fon   frère.     Cornmcpereur.lc 
l'Empereur  avoit  grand  befoin   d'ar-Pape,  &: 
gent,  le  Patriarche  s'avifa  d'un  expe- ^^^"^^^' 
dient  aflez   étrange  pour  lui  en  faire 

troii- 

*  Capitale  delà  petite  République  de  Lucques 
fur  le  Serchio  à  quelques  milles  de  Pile. 


t4       VoGGîAN A.  Part.  Iir. 
trouver.     Il  alla  à  main  armée  attaquer 
à  rimprovifte  les  Florentins  &  Icu  •.  dé- 
clara la  guerre  de  la  part  de  l'Enipe- 
reur  5  On  ne  dit  pas  fous  quel  préte;Kte, 
mais  la  véritable  railôn  étoit  de  lesA^r- 
cer  à  racheter  la  pai^'^^"kfi}^^ohne 
fomme  d'argent  ;    ce  qui  lui  réiifîit. 
Mais  les  Florentins  ne  furent  pas  quit- 
tes pour  cela  des  perfécutions  du  Pa- 
triarche :  ne  pouvant  plus  après  la  paix 
les  attaquer  au  nom  de  l'Empereur,  il 
le  fit  au  nom  du  Papej  II  avoit  d'au- 
tant plus  de  facilité  à  inquiéter  les  Flo- 
rentins, qu'il  étoit  maître  de  San  Mi- 
En  1368.  i^i^fo  petite  ville  du  Florentin  entre  Pi- 
p.  36.       fè  6c  Florence  ,    qui  s'étoit  rendue  à 
l'Empereur,  6c  y  avoit  reçu  les  trou- 
Lcs  Flo-  pcs  en  garnifon.     C'efl  ce  qui  obhgea 
rentins      \q^  Florentins  à  aflieger  cette  place  qui 
San  MU    ^^^^  appartenoit ,  afin  d'éloigner  de  leurs 
niato  &    frontières  des  Ennemis  fi  redoutables, 
prenenr    Lc  Pape  de  fon  coté  donnoit  du  fe- 
cette  pla-  ç-^^^^  ^^^^  afficgez  par  le  moyen  de  fon 
Légat  qui  demeuroit  à  Lucques  ôc  qui 
difoit    avoir  ordre  de  l'Empereur   de 
fecourir  San  Miniato.     Bernabo  fe  joi- 
gnit à  cette  Ligue  fous  ce  même  pré- 
texte, quoi  qu'on  fût  convenu  de  part 
6c  d'autre  dans  le  Traité  de  paix ,  que 

les 


Histoire  de  Florence.  Lrj.  /.  i  f 
lesVifcomti  n'exerceroient  aucune  hoG- 
tilitél:ontre  la  Torcai:^;,  ni  les  Floren- 
tins'jcontre  le  Milanois. 

P^ur  fe  tirer  d'un  11  grand  embarras.  Traité 
les  rX^rentins  prirent  le  parti  d'envoyer  des  Flo-, 
des  Â:.&tï^^^5i^u■^J^u  Pape,  avec  qui  ils^^f^^"^ 
firent   un  Traité  contre  le  Milanois  :  p^p^  g^ 
Ceux  de  Bologne  ,    de  Lucques  ,   de  avec  plu- 
Pife,  dePadoue,  de  Mantoue,  &  defieurs^n- 
Ferrarc,  s'y  joignirent.   Cependant  les  ^^^j^^j.ç^ç'^ 
afîiegeans  ayant  livré  combat  aux  An-  Milanois. 
glois  qui  étoient  hors  de  la  place ,  fu- 
rent battus  5    Les  vainqueurs  allèrent 
auffi-tôt  du  côte  de  Florence,  faifant 
mine  de  vouloir  l'aflîeger,  pour  obli- 
ger les  Florentins  à  lever  le  liège  de 
San  Miniato  ;  Cette  place  fut  enfin  pri^ 
fe   par   ftratageme.     Les   Florentins , 
n'ayant  plus  rien  à  craindre  pour  eux , 
envoyèrent  de  leurs  troupes  au  fecours 
du  Pape ,  contre  Bernabo ,  qui  voyant 
fon  pais  en  proye  à  leurs  holHlitez,  fut  En  1370. 
obligé  de  faire  la  paix.  p.  40- 

Urbain  V.  mourut  la  même  année  :   Trêve 
Grégoire  XI.  fon  Succefleur  renouvel-  entre  le 
la  la  confédération  avec  les  Florentins  gg^^^^o 
&  leurs  xAUiez.     Bernabo  craignant  de 
fuccomber  fous  une  fi  pLiifTantc  Ligue 
envoya  des  Ambafiadeurs  à  Avignon 

pour 


t6       PoGGïMJ  A.  Part.  ili. 

pour  demander  la  paix ,  à  quelqq^  pri.^ 
que  ce  fût.     On  lui  accorda  une 'crevé 
dont  il  fut  d'autant  plus  content  j"" qu'il 
ne  doutoit  point  que  le  Pape  ^  <x>our 
occuper  (es  troupes  ne  ]es  e|îc'Qv;>(^on- 
tre  les  Florentins  qiS?  fc"''érè'^iént  en 
fureté  de  ce  côté-là.     11  ne  fe  trompa 
pas  dans  fcs  vues.   Les  troupes  du  Pape 
allèrent  ravager  le  Pais  des  Florentins 
d'ailleurs  prelTcz  par  la  famine  ,   pen- 
1375- P-  dant  que  fon  Légat  *  leur  coupoit  les 
4^-  43-     vivres  de  tous  cotez,  quoi  qu'il  promît 
en  public  de  leur  en  envoyer.     Alais  la 
prudence  des  Florentins  trompa  l'atten- 
te du  Légat,  en  gagnant  par  argent  le 
Général  Augut ,   qui  commandoit  les 
troupes  que  le  Cardinal  avoit  envoyées 
fous  main  dans  le  Florentin. 
Cruautez      (Je  Général  ayant  été  commandé  Cc- 
dieHiu'    crctemcnt  pour  "furprendre -Pr^/o  peti- 
Lcgatde  te  ville  entre  Piiloye  &  Florence  dé- 
Gregoire   couvrit  toute  l'intrigue  aux  Florentins, 
1  s  Fl"^^'^  6c  les  traîtres  furent  feverement  punis, 
leïitins.     Pendimt  ce  tems-là  les  troupes  du  Pape 
defolant  tout  le  pais  précilément  dans 
le  tems  de  la  moifîbn ,  réduifoient  Flo- 

ren- 

*  C'étoit  Guillaume  de  Nouillet  ,  François  t 
Cardinal  de  S.  Ange. 


Histoire  de  Florence.  Lh.L  IJ 
rence  \  la  dernière  difette.  C'eft  ce  qui 
enga: Jfa  les  Florentins  à  s'addrefler  au 
Légdft  lui-même  par  des  AmbalTadeurs , 
pour%ii  en  faire  des  plaintes.     Ils  en 
eurer^;,y:-'--.i3^gt;;;<;-eponfe,  que  c'étoit     ^37î» 
des  troupes  congédiées ,  qu'il  n'avoit  plus 
aucune  autorité  fur  elles,  que  le  Géné- 
ral Augut  n'agiflbit  pas  par  les  ordres, 
êc  qu'il  ne  s'oppofoit  pas  à  ce  qu'ils  prif- 
fent  les  mefures  qu'ils  jugeroicnt  à  pro- 
pos, pour  leur  confei'vation.  Ils  portè- 
rent cette  reponfe  au  Général ,  qui  fe  re- 
gardant comme  libre,  fc  joignit  enco- 
re plus  forten^ent  d'intérêt  avec  les  Flo- 
rentins i   Mais  le  Légat  qui  ne  fâvoit 
point  qu'Augut  avoit  été  gagné  ,  fut 
bien  furpris  tl'apprendre ,  que  prenant 
à  la  lettre  le  congé  limulé  qu'il  lui  a- 
voit  donné,  il  avoit  cefle  fes  hoftilitez 
dans  le  Florentin.     Il  lui  récrivit  donc 
pour  l'engager  à  reprendre  l'expédition 
dont  il  avoit  été  chargé  contre  Floren- 
ce ;   mais  ce  fut  inutilement  -,  Augut 
mécontent  des  Légats  6c  des  autres  A- 
gents  du  Pape ,  6c  trouvant  mieux  ion 
compte  à  fervir  les  Florentins ,   avoit 
déjà  pris  fon  parti.     Ceux-ci  inilruits  Les  Flo- 
par  Augut  ne  pouvoient  plus  douter  que  J^^^^"^ 
le  Pape  n'eût  juré  leur  perte  j  Gregoi-  j^^guerre 
Tom.  IL  B  re  au'Pape. 


l8  POGGIANA.  P^r/. ///. 

re  XI.  comptoit  même  fi  fortlàt-deflus, 
que  par  fon  ordre  le  Légat  avvjt  en- 
voyé fecretement  un  Ingénieur  â"  Flo- 
rence ,  pour  y  conftruire  une  itforte- 
refîè.  On  affembla 'i'ig^.JiieQ^j/^^Con- 
feil  fortifié  des  plus'îîiotaSres  delà  Ville 
pour  délibérer  fur  le  parti  qu'il  y  avoir 
•  à  prendre  dans  une  fituation  auiîî  épi- 
neufe.      Après   plufieurs  délibérations 

p.  48.  49.  un  *  homme  d'autorité  &  d'ailleurs  fort 
éloquent ,  conclut  à  déclarer  la  guen-e 
à  Grégoire  XI.  non  comme  au  Pape, 
mais  comme  à  un  Tyran,  qui  vouloir 

p.  ji.  51.  les  engloutir  3  &  à  fairc^  alliimce  avec 
Bernabo ,  non  comme  avec  un  Prince 
à  qui  l'on  put  fe  fier,  mais  comme  avec 
un  ennemi  du  Pape  èc  de  lès  Minilb-es, 
5c  qui  d'ailleurs  étoit  las  de  la  domination 
des  François  f  en  Italie.  Cet  avis  ayant 
été  fuivi  presqu'unanimement  on  créa 
un  Oétovirat  ^  pour  avoir  la  conduite 
de  la  guerre  avec  un  pouvoir  illimité. 
On  fit  en  même  tems  une  alliance  avec 

Ber- 

*  Aloyfe  Aldobrandin  Gonfalonier. 

^  Le  Pape  étant  à  Avignon ,  n'envoyoit  prcf- 
que  que  des  François ,  pour  Légats  &  pour  Gou- 
verneurs des  places. 

■j-  C'elt  ce  qu'ils  appellent  OfficiaUs  d;  Balia  , 
ou  Otto  Santi.  Recan.  not,  p.  51. 


Histoire  DE  Florence.  Z/V. /.  19 

Bemii'|o  5  qui  promit  quatre  mille  hom- 
mes, jlour  joindre  ces  troupes  à  celles 
des  Morentins  &  de  leurs  autres  Alliez.. 
A\  bruit  de  cette  Ligue  contre  le 
Papè.>l',i^'::irs  Hf-s  Villes  oii  il  y  avoit 
garniioîi'ffcp'rif'èhTîeur  première  liberté^ 
le  créant  elles-mêmes  des  Commandans, 
comme,  Caflellii^  Vitcrhe ^  Alontefiaf- 
cone  ,  Foligno  j  Peroufe  ,  toutes  Villes 
de  l'Etat  Ecclefiallique.  Leur  exem- 
ple fut  fuivi  de  celui  de  plufieurs  autres. 
Les  Villes  de  Gubio^  de  Spolete ^  de  To-  n  r?, 
di^àc  Forli ^âi  AfcoU  fecouerent  le  joug 
du  Pape,  &  maflàcrercnt  leurs  garni- 
rons. Comme  Bologne,  place  fort  im- 
portante au  Pape  par  rapport  aux  Flo- 
rentins, ne  s'étoit  pas  encore  rendue, 
Grégoire  prit  à  fa  folde  dix  mille 
Bretons  *  qu'il  envoya  en  Italie  pour 
retenir  les  Bolonois  dans  fon  obeïf- 
fance.  Ces  troupes  avoicnt  à  leur  tête 
le  Cardinal  Robert  de  Genève,  qui  de- 
■puis  fut  Pape  fous  le  nom  de  Clément 
V.  On  les  repréfente  d'une  fierté,  qui 
ii'auroit  pas   été  foufFerte  dans  celles 

d'Alexan- 

*  La  paix  étant  faite  alors  entre  la  France  8-r 
l'Angleterre  il  y  avoit  beaucoup  de  troupes  li- 
centiées. 

B  z 


Rodo- 
montade 
des  trou- 
pes Bre- 
tonnes. 

p.  54. 


Le  Pape 
excom- 
munie les 
Floren- 
tms. 


20  P  o  G  G I A  N  A.  Pari.  III. 
d'Alexandre ,  Ôc  de  Cefar.  Coii^jne  on 
demandoit  aux  Généraux  s'ils  efpu^pient 
entrer  dans  Florence  ,  ils  réponci-rent 
ruperbement ,  qu'ils  entreroient  pjçtouc 
où  entre  le  Soleil  :  Ce£endj];titJ'^illoi- 
rc  marque,  qu'aprèr"^ vtaî ■  |7f hc  les  Al- 
pes ils  ne  mirent  pas  même  le  pied  dans 
le  Florentin.  Bologne  s'étoit  déjà  fou- 
levcc  contre  le  Pape  6c  avoit  repris  fa 
liberté  par  le  fecours  des  Florentins  *. 
C'cll  ce  qui  obligea  le  Pape,  prefque 
dépouillé  de  tout  ce  qu'il  pofîèdoit  en 
Italie,  à  rechercher  la  paix  avec  les  Flo- 
rentins ,  &  à  leur  envoyer  des  Ambaf- 
fîideurs  pour  en  traiter.  JMaj^  après  a- 
voir  été  amufez  par  de  longs  délais  ils 
furent  obligez  de  s'en  retourner  à  Avi- 
gnon fins  rien  faire.  Le  Pape  fut  telle- 
ment irrité  de  ce  mépris  qu'il  refolut 
de  mettre  Florence  à  l'interdit  -f-,  & 
cita  les  Florentins  à  comparoître  devant 
fon  Tribunal  pour  rendre  raifon  de  leur 

con* 

*  Une  Relation  porte  même  que  les  Bolo- 
nois  mirent  en  prilbn  le  Cardinal  Légat  &  qu'en- 
fuite  ils  le  chalferent  ignominieufement  ,  après 
lui  avoir  confifqué  tout  fon  bien.  Vit.  Greg.  xi. 
Bàluz.  T.  I.  p.  435. 

f  Voyez  dans  l'Hilloire  de  Pogge  p,  56.  les 
foimalitez  que  le  Pape  obfervoii  alors  avant  que 
de  mettre  un  Etat  à  l'interdit. 


Histoire  de  Florence.  Liv.L  ii 

condu'v^.  Ils  envoyèrent  donc  à  Avi- 
gnon'^ois  Ambafladeurs  pour  défendre 
la  came  de  la  République ,  ce  qu'ils  fi- 
rent ;\pc  beaucoup  de  vigueur. 

Le^-^'^-  -?¥r^^=^  d'abréger  ne  per-  Harangue 
met  pas  de  mettre  ici  en  ion  entier  le  Q^s  De- 
Difcours  que  fit  le  Chef  de  l'Amballa-  ^^^ 
de  (a)  au  Pape  en  préfènce  (kiS  Cardi-  au  Pape. 
naux  &  de  tout  le  Peuple.   Il  eft  d'une   (a)  il  s'a- 

erande  beauté.    On  en  donnera  le  pre-  Pf'^oi^ 

•    ^    Ti    1-     M  1       j  VI  j 'r        Donato 

cis  *.  11  dit  û  abord   i .  qu  il  ne  deten-  Barbado- 

droit  pas  la  caufe  de  fi  Patrie  par  fon  ro. 
difcours  avec  moins  d'avantage,  qu'el- 
le avoit  défendu  elle-même  fa  liberté 
par  fa -prudence  &  par  fa  valeur,  s'il  ne 
parloit  pas  devant  un  Juge  déjà  préve- 
nu ,  6c  fi  ceux  qui  l'écoutoient  fai- 
foient  moins  d'attention  à  leurs  intérêts 
&  à  leurs  préjugez  qu'à  fes  raifons. 
2.  Qu'on  ne  devoit  pas  être  furprisque 
les  Florentins  fuflent  jaloux  d'une  liber- 
té dont  ils  jouïflbicnt  depuis  quatre  cens 
ans,  puis  qu'il  n'y  a  point  de  guerres 

plus 

*  On  ne  doit  pas  croire  que  ce  foit  le  Difcours 
même  de  l'Orateur  ,  puis  que  Léonard  Aretin 
lui  en  met  un  tout  autre  dans  la  bouche,  quoi 
qu'ils  tendent  tous  deux  au  même  but.  Celui  de 
Léonard  Aretin  elt  fort ,  mais  plus  modéré  que 
celui  de  Pogge. 

B  X 


21       PoGGiANA.  Part.  ///. 
plus  juftcs  que  celles  qu'on  enti^orend 
pour  défendre  ou  pour  recouvrer*^  i  li- 
berté de  lîi  Patrie ,  &  qu'au  relie  bien 
loin  d'avoir  été  les  aggrelTeurs  ils^^i'ont 
pris  les  armes  qu'à  Id^r^^^^^^^^^'^^mi- 
té  Se  pouflés  par  des  hollilitcz  inouïes 
&:  par  tous  les  excès  de  la  plus  infup- 
portabîe  Tyrannie.     Il  raconte  à  cette 
occafion  la  cruelle  perfidie  du  Cardinal 
de  Sain;:  Ange  Légat  de  Bologne,  qui 
pendant  qu'il  promettoit  d'envoyer  du 
bled  aux  Florentins  extrêmement  pref- 
fez  de  la  famine,  non  content  de  dé- 
fendre fecretement  de  leur  en  fournir, 
détacha  fcs  troupes  pour  fouiTager  tous 
leurs  grains,  dans  l'efperance  de  les  ré- 
duire par  la  faim.     3!.  Que  comme  les 
foûlcvemens  dont  le  Pape  fe  plaignoit 
&  tous  les  malheurs  de  l'Italie  ne  ve- 
noient  que  de  la  faute  de  (çs  Légats  & 
de  fes  autres  Officiers,  à  qui  il  repro- 
che avec  beaucoup  de  force  &  de  viva- 
cité leurs  cruautez  plus  que  barbares , 
leur  ambition  effrénée,  &  leur  inlàtia- 
ble  avarice ,  c'étoit  ces  Minières  qui 
en  dévoient  porter  la  peine  &  non  les 
Florentins  6c  les  autres  Peuples  qui  a- 
voicnt  été  mis  dans  une  necefîité  in- 
difpenfable  de  fecouer  un  joug  qu'ils 

ne 


Histoire  DE  Florence.  Zi-y./.  25 
ne  po^voient  plus  Tupporter.  4.  Que 
c'étrhf  au  Pape  &  à  Tes  Légats  une  in- 
gra'>jrude  de  une  infidélité  nvanifelle 
d'of^rimer  une  République  qui  avoit 
été  iOJJouvs  11  fidèle  au  fieo^e  de  Rome 
ce  atrX'Vï^vii'^'VA:  ijui  les  avoient  11  cou- 
rapeufement  &  fi  conftamment  foute- 
nus  contre  plufieurs  Empereurs  *.  C^ejl 
donc  à  vous^  ô  S.  Pere^  conclut -il  en 
s'adrefîant  au  Pape,  ^r'f/?  à  vous  à  répri- 
mer les  fureurs  de  cupidité  ^  d'ambition 
de  votre  Légat ,  à  éteindre  U  feu  qu''il  a 
allumé  y  à  prendre  en  main  la  caufe  de 
vos  enfans  13  à  vous  fouvenir  de  nos  bien- 
fait s  envers 'VOS  Prédecejfeur s.  Pour  nous 
qui  combattons  pour  notre  Patrie  ^  pour 
nos^  enfans  y  pour  notre  vie^  i^  pour  no- 
tre liberté  y  on  ne  fauroit  nous  reprocher 
jufiement  aucun  crime,  ^le  fi  malgré 
notre  innocence  vous  lancez  vos  anathe- 
mes  contre  nous  nous  tâcherons  de  les  fup- 
porter  en  patience ,  6?  f^ous  aurons  ?iotre 
recours  à  celui  qui  n^ abandonne  jamais 

ceux 

*  On  peut  lire  avec  pîaifir  &  avec  fruit  PHiP 
toire  abrégée  que  fait  Léonard  Aretin  des  grands 
fervices  que  la  République  de  Florence  avoit  ren- 
du à  divers  Papes  contre  Frédéric  I.  Henri  fon. 
lils,  Frédéric  II.  Mainfroi  Roi  de  Sicile,  Louïs, 
de  Bavière  &c.  Liv.  VIIî.  p.  183. 
B  4. 


Z4  POGGIANA.  P^r/.  ///. 

ceux  qui  efperent  en  lui  i§  qui  ejih  P ro- 
te ^eur  des  innocens  opprimez..       s^ 

Ce  Difcours  fit  des  impreflîon&'iien 
différentes  dans  les  efprits.  QueUues- 
uns,  fur  tout  les  Italiens,  fqndmspi.'i:  en 
Jarmes  au  récit  des  nfS^Tâfi^^î^nce 
ôc  de  toute  Tltalie.  Les  autres,  princi- 
palement les  François ,  irritez  de  la  liber- 
té de  l'Orateur  animoient  le  Pape  con- 
tre les  Fiorentins.  Enfin  le  Pape  *  après 
avoir  répondu  foiblement  aux  griefs  des 
Florentins, 6c  à  leur  Apologie,  déclara 
qu'il  étoit  réfolu  de  les  poufier  par  les 
voyes  de  la  jullice,  fur  quoi  Donat  fe 
r^g-  <^3'  tournant  vers  un  Crucifix  qui  étoit  là, 
yen  appelle  à  l'ous  ^  dit-il,  Seigneur^ 
qui  êtes  le  Jufie  Juge ,  je  vous  prens  à 
témoin  de  notre  innocence ,  î^  je  fuis  per- 
fuadé  que  vous  la  rangerez  au  dernier 
jour.  Quelques  jours  après  la  fentcnce 
d'excommunication  fut  publiée.  On 
interdit  le  feu  &  l'eau  "j"  aux  Florentins. 
On  livra  leur  Etat  &  leurs  biens  au  pre- 
mier occupant,  leurs  perfonnes  furent 
condamnées  à  l'efçlavage.     Ceux  qui 

étoient 

*  On  peut  voir  fa  reponfe  dans  Léonard  Arc^ 
tin  Liv.  VIII.  184.  185. 
t  Ce  lont  les  paroles  de  l'Autçur, 


Histoire  de  Florence.  Lh.L  if 
étoient  à  Avignon  en  furent  chaflez, 
^uffi.jfen  que  tous  ceux  qui  negocioient 

aill*\*s. 

(^pendant  les  Florentins  ne  demeu-    Le  Pape 
roieo  pas_  dans  l'inaftion.     Comme  ils  ^^if  ^flîe- 
favo^.oJ^^^u^'ïï^^îiflcin  du  Légat  étoit  ^^^  ^^^JJ; 
d'affieger  Bologne ,  ils  y  envoyèrent  un  icment. 
promt  fecours  fous  le  commandement 
de  Rodolphe  Varane  de  Cammert  qu'ils 
avoient  repris  à  leur  fervice.  Ce  Géné- 
ral qui  connoifibit  la  légèreté  des  Bo- 
lonois  5  &:  leur  penchant  â  la  fedition , 
content  de  faire  faire  quelques  forties  de- 
meura conflamment  dans  la  place, mal' 
gré  les  défis  que  lui  faifoit  le  Légat  d'en 
lortir  *.  D'autre  côté  les  Florentins  fi- 
rent fi  bien  fortifier  &  garder  leurs  fron- 
tières que  le  Légat  defefperant  d'y  pé- 
nétrer fut  obligé  de  fe  retirer  en  quar- 
tier d'hyver  à  Cefene  ville  de  l'Etat  de    Perfidie 
l'Eglife  dans  la  Romagne  ,   oi^i  par  la  ciu  Lcgat 
permifilon  les  troupes  Bretonnes  exer-  ^p^.^fsles 
cerent  de  fi  grandes  cruautés  6c  com- 
mirent de  fi  horribles  inlolences  que  les 
habitans  ne  pouvant  plus  fupporterleur 

Ty- 

*  Voyei  là-delTus  un  mot  de  ce  Général  dans 
Jes  bons  mots  de  Pogge.  Part.  IV.  de  cette  pièce. 


2,5        PoGGTANA.  Part.  HT. 

Tyrannie  en  taillèrent  en  pièces  t^.  pluç 
grand  nombre  &  chafTerent  les  \t;tres. 
Le  Lcgat  pour  fe  venger  d'une  vls^^tn- 
cc  dont  il  ne  devoit  fe  prendre /& 'qu'à 

lui,  ufa  de  la  plus  cruellc^îj|h^'V^'^ 
monde.  Afin  d'obli^r  ^yisd\si^É\s  de 
Cefene  à  mettre  bas  les  armes,  il  leur 
jura  qu'il  pardonnoit  tout  le  pafl'é ,  en 
rejettant  même  la  fliute  fur  Tes  Soldats. 
Pop;g.  p.  Ils  ne  furent  pas  plutôt  desarmez  qu'il 
A^rp^m  y  ^^  rentrer  des  troupes  Angloifes  qui 
firent  de  cette  malheureufe  ville  un 
fleuve  de  fang.  On  n'épargna  ni  les 
hommes,  ni  les  femmes,  ni  les  enfans 
au  berceau  &  à  la  mammellc ,  ni  les 
vieillards  ,  ni  même  les  Religieufes. 
Les  Temples  &  les  Autels  furent  des 
Afyles  inutiles,  &  il  n'échapa  que  ceux 
que  la  fuite  put  dérober  à  la  fureur  du 
Soldat.  Comme  il  étoit  impoflible  que 
les  Florentins  foutinflent  feuls ,  un  Ci 
furieux  orage,  ils  envoyèrent  des  Am- 
bafladcurs  à  Charles  V.  Roi  de  Fran- 
ce ,  à  Louis  Roi  de  Hongiic ,  &  à  Jean- 
ne Reine  de  Sicile  pour  implorer  leurs 
fècours.  Ils  continuèrent  l'Oftovirat 
dans  fon  autorité,  &  le  Général  Ro- 
dolphe Varane  dans  le  commandement 

de 


Histoire  de  Florence.  Lh.  I.  2.7 

de  le;  )  armée  *.  Pendant  ces  entrefai-  En  1376. 
egoirc  XI.  étant  venu  rétablir  le 


Pontifical  à  Rome, les  l'iorcntins 
ivoyerent  de  nouveau  des  Ambaf- 
fadçji^^.ojj^lyj.^demandcr  la  paix.  Il 
ne  v'oiuUt'pas'y  eîitendre  d'abord,  mais 
dans  la  fuite ,  il  leur  envoya  deux  Moi- 
nes, moins  dans  la  vue  de  négocier  une 
bonne  paix ,  que  d'exciter  quelque  le- 
dition  dans  la  Ville  par  leurs  offres  fpe- 
cieufes ,  &  leurs  difcours  artificieux. 
Les  Florentins  n'en  furent  pas  la  dupe. 
Comme  les  Moines  ne  leur  faifoient  au- 
cune propofition ,  ils  les  renvoyèrent  en 
les  aflurant  qu'ils  étoient  tous  dilpofez 
à  une  paix  équitable. 

Le  Pape  irrité  du  mauvais  fuccès  de  Hoftilitez 
cette  tentavive  redoubla  (es  hoftilitez  du  Pape 
contre  les  Florentins.     Apres  avoir  re-  "'"^''^  ^^^ 
pris  ^c  brûlé  Bolfene  i" ,  qui  avoit  fecoué  tins. 
le  joug  l'année  précédente,  il  envoya 
contre  eux  ,  Raïmond  fon  neveu  avec 
une  partie  de  fon  armée ,  qui  prit  fi  rou- 
te par  la  campagne  maritime  de  Sien- 
ne. Cet  Officier  tint  pendant  long-tems 

affie- 

*  Ce  Général  fe  rangea  l'année  fuivante  dans 
le  parti  du  Pape.  On  en  a  parlé  ailleurs. 
'   t  Ville  de  l'Etat  de rEglile  fur  le  Lac  Bolfeno. 


28  POGGTANA.  PaV.t.  III. 

affiegée  la  Ville  de  Groflete  placcfrjortc 
du  bienoisj  mais  ayant  appris  que  li.^'^'é- 
néral  Augut  vcnoit  au  Iccouis  de  cxç. 
place,  il  tilt  obligé  de  lever  le  fies^ 

Les  Florentins  cepe^jjdanpp^^f^^t 
pour  la  troificme  fois  des  A'rnB^Tadeurs 
pour  traiter  de  la  paix  avec  Grégoire 
XL  Mais  comme  ils  l'en  virent  entiè- 
rement éloigné ,  ils  prirent  de  nouvel- 
les  mefures  contre  lui.  Ils  avoient  juf- 
qu'alors  religieufement  obfervé  l'in- 
terdit, 6c  prefque  pendant  un  an  il  n'y 
avoit  point  eu  d'exercices  facrez  dans 
1377-  le  Florentin.  Mais  enfin  rclblus  de  n'a- 
•  73-  74-  Yoir  plus  d'égard  à  cette  in jufte  excom- 
munication ,  ils  ordonnèrent  de  célé- 
brer par  tout  le  fervice  Divin.  Cette 
vigueur  leur  réufîît.  Le  Pape  defefpe- 
rant  de  les  réduire  tourna  enfin  les  pen- 
{cos  du  côté  de  la  paix.  Il  leur  envoya 
pour  en  traiter  l'Evêquc  d'Urbin,  & 
leur  propofa  même  Bernabo  leur  allié 
pour  Médiateur.  Quoique  cette  Média- 
tion fut  juftement  fulpeéte  aux  Floren- 
tins parce  que  Bernabo  avoit  été  leur 
ennemi ,  ils  ne  laifierent  pas  de  l'accepter 
dans  l'extrême  befoin  qu'ils  avoient  d'une 
promtepaix.  Le  rendez-vous  Rit  à  Sar- 
l'ane  ville  de  la  Ligurie  qui  appartenoit 


Histoire  de  Florence.  L'rj.I.  2p 

à  Bei  labo.  Le  Cardinal  d'x^mboife  s'y 
trou^y  comme  Légat  du  Pape ,  aufli  bien 
quc''^s  AmbafTadeurs  du  Roi  de  Fran- 
ce ,  '^le  la  Reine  de  Sicile ,  6c  des  Veni- 
tie^s/^-  fans^compter  ceux  de  Florence. 
Bernauu  'pjopoïa'U'abord  des  conditions 
fi  dures  pour  les  Florentins,  qu'ils  a- 
voient  une  répugnance  infinie  à  les  ac- 
cepter, lorfque  la  nouvelle  de  la  mort 
de  Grégoire  X I .  (a)  les  tira  d'embarras  6c    (a)  En 
leur  donna  la  paix  fans  traité.  Urbain  ^378. 
VF  Ton  fucccflcur  leva  leurexcommu-  ^ijr^ain 
nication,6c  les  reconcilia  avec  l'Eglife,  VI.  levé 
moyennant  une  bonne  fomme  d'argent,  l'cxcom- 

Mais  leurs  difcordes  civiles  ne  leur  per-  J^""|5^" 
,     .      ..      j      f,    .       ,      i        tion  des 
mn"ent  pas  de  jouu'  des  truits  ae  cette  Floren- 

paix  *.  Et  même  dès  l'année  fuivante  tins,  après 

ils  eurent  à  Ibûtenir  une  efpece  de  euer-  '?  "l^'^'' 
,       ,3      ,.  T  , ,     .  o  de  Gre- 

re  contre  des  Bandits  qui  s  ctoient  at-  gojre  xi. 

troupez  au  nombre  de  fix  mille  dans   p.  79. 

rOmbrie  &  dans  la  Marche  d'Ancone, 

entre  lefquels  étoit  Charles  fils  de  Ber- 

na- 

*  Cette  guerre  inteftine  arriva  par  la  jaloufic 
des  Grands  contre  l'Oétovirat  qui  n'étoit  prefque 
compofé  que  de  perlbnnes  du  Peuple,  &  par  la 
fureur  du  l^euple  à  loutenir  fes  Magillrais.  On 
peut  voir  la  defcription  de  ces  guerres  inteftincs 
dans  Léonard  Aretin,  Hift.  Flor.  L.  IX.  p.  190. 


^o        VoGGiA'NA.  Parf.  II/. 

nabo  &  j4ntoine  de  la  Scaîa  qui  t-^oient 
été  bannis  l'un  de  Milan ,  l'autre V/.Ve- 
rone.     Cette  armée  de  brigandsVvoit 
infcfté  les  tenes  de  Pcroufe,  de/p"ien- 
Î3R5.    ne,  de  Cortone,  Sc^^Jo^Ùaft^Cl 
p.  79. 80.  fut;  pour  fe  délivrer  cfeces  T5îîgânâages 
que  ceux  de  Bologne  5  de  Luqucs,  de 
Peroufe,  de  Sienne,  &  les  Florentins 
firent  alliance  avec  Jean  Galeajfe  Vif- 
comti  de  JVlilan  qui  fit  bientôt  après  à 
ces  derniers  une  cruelle  guerre  dont  on 
va  raconter  l'occafion. 
jcan  r;a-      Cc  fut  l'ambition  de  Jeaii  GalcafTe  * 
Icafle  Vil-  q^j  troubla  le  repos  dont  jouïnbit  alors 
Milan  fait  ^'^^^^'^  &  en  particulier  la  République  de 
emprilbn- Florence.  Cc  Prince  aulfi  fourbe  qu'am- 
ner  Bei-    bitieux ,  cacha  pendant  quelque  tems  {t% 
nabo.        projetsTyranniques  fous  le  voile  de  la  dé- 
votion 6c  de  la  retraite.  Regardant  Bcr- 
nabo  fon  oncle,  avec  qui  il  gouvernoit 
1 386.      le  Milanois ,  comme  un  obftaclc  à  la  for- 
P-  ^4-       tune  qu'il  mcditoit ,  il  réfolut  de  fe  dé- 
faire d'un  '^\  tachcux  rival.     Mais  afin 
de  mieux  couvrir  fon  jeu  il  époufa  la  fil- 
le de  Bernabo,  &  fe  retira  avec  elle  à 
Pavie  i".  Lorfqu'il  crut  avoir  amené  fon 

def. 

*  On  l'appelloit  auffi  Comte  de  Verrue, 
t  A  vingt  milles  de  Milan. 


Histoire  de  Florence.  Liv.  /.  3  r 
defle,  i  à  maturité ,  il  invita  fon  Oncle 
à  Xc-fjinix  voir  dans  quelque  endroit  voi- 
fîn^yÉ  Milan  où  il  feignoit  de  s'être  ren- 
du ybux  accomplir  un  vœu  qu'il  avoit 
failli  ^-'^  y 'fu:ge.  Bernabo  ne  fe  doutant 
de  riéilT'y'  alHi  avec  deux  de  (ts  fils  ÔC 
une  nombreuie  cicorte.  Il  ne  fup  pas 
plutôt  arrivé  qu'il  fe  vit  entouré  d'un 
gros  de  Cavalerie  qui  l'emmena  prifon- 
nier  avec  un  de  les  fils.  On  prétend  que 
Galeafle  fit  empoifonner  Bernabo  dans 
la  fuite.  Si  cela  cil ,  un  Tyran  périt 
par  les  mains  d'un  autre  Tyran.  Galeaf^ 
fe  pour  appaifcr  le  peuple  lui  fit  prefent 
de  tous  les  biens  de  Bernabo  6v  de  fcs 
fils  qui  s'étoient  exilez-eux  mêmes. 

Se  voyant  Maître  du  Milanois  il  ne 
penfi  plus  qu'à  pouflèr  plus   loin  fes 
conquêtes.    Il  pratiqua  fon;  bien  la  dé- 
teftable  maxime  que  pour  régner  ,    il 
fliut  femer  la  divinon.     Les  Seigneurs 
de  Padotie  (a)  &:  de  Vérone  *  étoient  ('a)'Fran- 
en   parfaite   intelligence  :    mais  il  les  çois  Car- 
brouilla  tellement  qu'ils  en  vinrent  à  raria. 
une  guerre  ouverte  dont  il  profita  pour 
les  opprimer.     Antoine  "de  la  Scala  ie 

re- 

*  Antoine  de  la  Scala.  On  parlera  des  Princes 
de  la  Scala  dans  l,a  quartième  partie  de  cet  O  uvrage. 


^z        PoGGiANA.  Part.  IIl. 

réfugia  à  Venife  avec  fa  femme  &  t'^cs  en- 
fans.  François  Carraria  fut  mis  eny /fon 
à  y^fty  qui  relevoit  alors  du  IV^ilary^s. 
Guerres      De  tous  les  Etats  d'Italie  il  t^i  en 

entre  les    ^yoit  point  qui  amorrît.  dè'iâS^^^*  la 
Florentins         .  ,T,    ,     7^  ,     zr  «'^*"^*'*^i!F'A^ 
&  les  Sie-  cupidité  de  (jalealie  ,    que  la  i  olca- 

nois.  ne  6ç  la  République  de  Florence.  En 
attendant  l'occafion  de  s'en  rendre  maî- 
tre ,  il  endormoit  les  Florentins  par 
mille  marques  d'amitié.  Il  leur  donna 
Jean  Alaria  fon  fils  aîné  à  tenir  fur  les 
fonts  du  baptême.  La  guerre,  qui  s'al- 
luma entre  les  Florentins  &  les  Sien- 
nois  a  l'occafion  de  quelques  places 
qu'ils  avoient  prifes  les  uns  fur  les  au- 
tres ,  fembloit  être  une  ouverture  favo- 
rable pour  les  delîeins  de  GalcaHe ,  les 
Sicnnois  qui  fe  trouvoient  trop  foibles 
pour  rcfiltcr  aux  Florentins  ayant  im- 
ploré fon  fecours ,  Se  l'ayant  fait  arbitre 
de  la  paix  &  de  la  guerre.  Mais  les 
Sicnnois  6c  les  Florentins  firent  bien- 
tôt la  paix  par  l'entremifc  des  Bolonois 
&  des  Pilans  ;  de  forte  qu'il  fillut  que 
GalcaOé  cherchât  un  autre  prétexte 
pour  attaquer  fcs  Florentins.  11  ne  lui 
fut  pas  difficile  d'en  trouver  un.  Les 
derniers  avoient  favorifé  l'évafion  de 
François  Carraria  ôc  lui  avoient  donné 

re- 


Histoire  de  Florence.  IAv.I.  55 

retraiji  dans  leur  Ville.  Galeafle  re- 
gaiv.-\j)ït  cette  démarche  comme  une 
rupi!^i:e  chafFa  tous  les  Florentins  de  Tes 
EtaCicomme  des  efpions  6c  des  traî- 
tres^ ._\^:;.ic:^l^-^:t  fes  ennemis.  Les 
Florentins  au  contraire  publièrent  un 
Edit  par  lequel  ils  offroient  retraite  & 
des  privilèges  à  tous  les  Milanois ,  qui 
voudroient  s'établir  chez  eux.  Ces 
brouilleries  n'aboutirent  pourtant  à  au- 
cun éclat,  parce  qu'elles  furent  aflbu- 
pies  par  la  prudence  de  Pierre  Gamba- 
curta  qui  commandoit  à  Pi(e, 

Mais  il  étoit  impoflible  que  Galeaf-     Guerres 

fe  demeurât  en  repos.     Malgré  la  paix  °^^  ^'°' 

r  o  I         rcntins 

qui  venoit  d'être  conclue ,  il  s'empara  ^vcc  Jean 

de  Peroufe  ,   détacha  les   Siennois  du  Galeairc. 

parti  des  Florentins ,   &  fit  irruption 

dans  la  campagne  de  Monte  Pulciano  * . 

Ces  entrepriics   &   beaucoup  d'autres 

donnant  de  l'ombrage  aux  Florentins , 

il  fut  réfolu  d'une  commune  voix  de 

refilter  à  ce  torrent ,  avant  qu'il  groflit 

davantag'e  -\ .     On   créa  auili-tot  dix 

Magiftrats  à  qui  l'on  donna  la  fouve- 

raine  adminiflration  de  la  guerre.     Ils 

le- 

*  Par  fon  Général  Jean  Adius  Ubaldin. 
\  Par  le  confcilde  Jean  Riccius  Jurifconfulte. 
"Tom.  IL  C 


cms. 


^4       VoGGiAnA.  Part.  IIL 

levèrent  une  armée  avec  une  dÇ*9;ence 
prodigieufe.  En  même  tems  lif -T^lo- 
rentins  envoyèrent  des  Ambanaa  ^irs  .|^ 
Charles  VI.  Roi  de  France  p^.r  lui 
demander  du  Iccours^-  Ge*^i^Ty4Î^'x- 
leafTe  continuoit  fes  hoftilitcs,  &  n'é- 
pargnoit  ni  tromperies ,  ni  llratagcmes , 
ni  argent  pour  corrompre  les  amis  des 
Florentins.  Il  publioit  dans  le  monde 
qu'ils  étoient  les  auteurs  de  la  gueire, 
qu'ils  l'avoient  voulu  faire  empoifon- 
ner*,  qu'ils  avoient  loulcvé  les  fils  con- 
(a)  Rie-  tre  lui  i",  que  leur  Orateur  (a)  l'avoit 
traduit  dans  un  difcours  public  comme 
un  fourbe  &  un  perfide.  Il  écrivit 
aufîi  aux  Florentins  que  c'étoit  malgré 
lui  qu'il  leur  déclaroit  la  guerre  X ,  & 
qu'il  n'avoit  rien  plus  defiré  que  de  vi- 
vre en  bonne  intelligence  avec  eux.  Il 
fit  en  même  tems  tout  ce  qu'il  put, 
mais  inutilement,  pour  débaucher  les 

Pi- 

*  Ce  n'éroit  pasles Florentins, mais Antoinede 
h  Scala  qui  avoit  fait  préparer  un  poifonpour  jet- 
ter  dans  le  puits  de  Galeaflc,  comme  l'avoua  l'em- 
poifonneur  à  qui  l'on  donna  la  quellion. 

f  II  avoit  deux  fils  au  fervice  des  Florentins. 
f.  95.  not. 

X  On  peut  voir  cette  déclaration  de  guerre  daiîs 
Léonard  Arctin,  Se  la  icpoûfe  des  Florentin». 
L.  X.  fin. 


Histoire  de  Florence.  Lh,!.  3f 
Piiàni?'  Les  Florentins  non  contens  de  le 
tenvl^ur  la  défenfive  envoyèrent  le  Gé- 
nér^Ji  Augut  avec  fix  mille  hommes 
dansas  Gaule  citerieure  *,pour  y  met-  '39<5. 
tre'î^tr}  :/-jïu  &  ù  fang.  D'autre  côté,?'  ^^' 
ib  détachèrent  des  troupes  contre  le 
Général  Ubaldin ,  qui  étoit  dans  le  païs 
des  Siennois  fous  prétexte  de  les  foû te- 
nir 5  mais  dans  le  fond  pour  trouver 
moyen  de  s'approcher  de  Florence. 
Quoique  les  Florentins  n'eufTcnt  dans 
leur  parti  que  les  Boulonois  Se  ceux  de 
Cortone  ,  ils  ne  laifîérent  pas  de  faire 
peur  à  GalealTe ,  ce  qui  l'obligea  de 
donner  ordre  à  Ubaldin  de  les  prcfier  iî 
vigoureufement  dans  leur  propre  pais 
que  forcés  de  fe  rendre ,  ils  abandon- 
naflent  le  deflein  de  porter  la  guerre 
dans  la  Gaule  citerieure,  pendant  que 
les  Siennois  de  leur  côté  feroicnt  des 
courfes  aux  environs.  Cependant  les 
Florentins  reçurent  un  renfort  confide- 
rable  par  la  reddition  de  Monte  Pul- 
ciano  Ville  dans  le  Siennois ,  &  par 
confequent  à  portée  de  les  incommo- 
der beaucoup.  Ubaldin  pour  exécuter 
fes  ordres  ravageoit  le  Florentin ,   & 

mê-' 
*  Gakafle  l'avoit  prefque  toute  ufurpée, 
C  % 


^6       VoGGiAiJ A.  Part.  III. 

mcme  s'empara  par  furprife  dep* 
places  importantes  par  rapport 
vues.  Ce  Général ,  qui  a  paHe  pc 
des  plus  grands  Capitaines  de  fonf/ems, 
mourut  occupé  au  fiége  der««*^M^de 
ces  places.  Pendant  que  les  Genera^ix 
Milanois  inquiétoient  ainii  les  Floren- 
tins, Augut  leur  Général  de  Ton  côté 
faifoit  ailleurs  des  progrès  confiderables. 
D'autre  part  François  de  Carraria  recou- 
vra par  le  fecours  des  Florentins  Padoue, 
dont  Galeaflc  avoit  dépouillé  ion  Père. 
Vérone  avoit  auHi  lécoué  le  joug,  mais 
les  filetions  qui  s'élevèrent  dans  la  Ville 
donnèrent  à  Galeaflc  occafion  de  la  re- 
prendre. 
Etienne  L'arri\ée  à' Etienne  Duc  de  Bavière 
re  arrive   ^^^^  rlorentins   avoient   appelle   ^ 

en  Italie    leur  fccours  releva  beaucoup  leui-s  elpe- 
aii  fecours  rances.     Ce  fut  pour  eux  un  fî  grand 

desFlo-    coup  de  partie  que  Galeallé   fut  con- 
rentins  .  *    .        ^ 

V'ovez  traint  de  quitter  la  Toicane  pour  venir 

I.eona'rd  défendre  fon  propre  pais  >  mais  ces  heu- 

Aretin.  L.  xtux  commencemens  furent  mal  Ibûte- 

;^*^",'     nus.     Le  Bavarois  aciiToit  fort  molle- 

En  1390.  ment ,  &  on  Taccuia  même  d'intelli- 

p.  loi,     gence  avec  l'ennemi.  Quoi  qu'il  en  foi t, 

il  s'en  retourna  en  Allemagne,  laiflant 

en  Itiilic  Henri  Comte  de  Montfbrt  à 

qui 


Histoire  de  Florence.  Liv.  T.  37 
qui  l'c  1  confia  la  garde  dcPadoue.  Les 
FloKyinsavoient  alors  trois  années  fur 
pie.  ^ii'ançoisdeCarraria  occupoit  tout 
le  tei|itoire  de  Vérone.     Augut  ctoit 
dansai., i.r'I^.Vr  du  Milanois,  oii  il  iati- 
guoit  extrêmement  l'ennemi ,  non  feu- 
lement par  des  courlcs,  mais  en  lui  en- 
levant quantité  de  places ,  &  le  provo- 
quant fans  cefîe  au  combat ,   pendant 
que  LoHÏs  de  Capoue  réduifoit  les  Sien- 
nois  aux  dernières  extrcmitez.   On  ap- 
prit en  ce  tems-là  que  les  AmbafTadeurs 
qui  étoicnt  allez  en  France  n'avoient  pas 
rciifli  auprès  de  Charles  VI.  Ce  Prince 
leur  ayant  propofc  de  reconnoître  Clé- 
ment VII.  (■à)  &  de  les  rendre  tribu-   W  Con- 
taires ,  ils  aimèrent  mieux  loutenir  Iculs  d'Urbain 
le  poids  d'une  guerre  trés-onereufe  que  VI. 
de  manquer  de  foi  à  Urbain  VI.  6c  de 
vendre  leur  liberté.   Leur  négociation 
n'eût  pourtant  pas  été  tout-à-fait  inutile 
fans  la   mauvaife   conduite  de  Jaques 
Comte  ^Armagnac .     Ce  Seigneur  qui  Le  Com- 
avoit  une  bonne  armée  dans  la  provin-  ^^  ^''^'■" 
ce  de  Narbonne ,    ne  demandoit  pas^^^^^^^J^ 
mieux  que  de  l'occuper.     Il  s'engagea  par  les 
à  pafTer  les  Alpes  à  la  tête  de  fcs  trou-  Miianois. 
pes  pour  les  joindre  à  celles  d' Augut 
contre  Galealîe.  Quand  on  eut  la  nou- 
C  3  vel- 


^8      VoGGwn A.  Part.  IIL 

vcllc  de  ce  Traité  à  Florence  on* 
Augut  dans  la  Gaule   citcricur^ 
fon  armée  pour  être  plus  à  portée 
joindre  à  c^lle  d'Armagnac, 
ayant  pafTc  Vuddige  campa  daij 
centin  oii  il  prit  plufieurs  places  fans 
grande  oppofition.   Delà,  il  alla  cam- 
per dans  le  pais  de  Bergamc  où  il  ne 
perdoit  aucune  occafion  d'agir  contre 
l'ennemi.     D'ailleurs  les  troupes  Flo^ 
rentines  agiflbicnt  avec  vigueur.     Cel- 
les qui  étoient  à  Voltena  faiioient  des 
courlcs  continuelles  fur  la  côte  mariti- 
me de  Sienne,  pendant  que  d'un  autre 
côté  on  reprit  dans  le  Cafentin  une 
(a)Regio-  place  (a)  qui  s'étoit  révoltée  Tannée 
Mme.     précédente.    ' 
Lcoiiard      Augut  connoifTant  le  naturel  bouil- 
Aretin  L.  lant  des  François,  avoir  inihmment  prié 
■^•P'^^"' le  Comte  d'Armagnac  de  ne  hazarder 
aucune  action  avant  leur  jonétion.  Mais 
ce  jeune  Seigneur  ne  fut  pas  plutôt  en- 
tré dans  le  pais  ennemi  qu'il  crut  devoir 
fe  fignalcr  par  quelque  aélion  d'éclat 
Sur  la  fin  Hms  attendre  Augut.    Apres  avoir  pris 
de  Juillet:  d'abord  plufieurs  Forts  autour  d' Alexan- 
p^  ^^1^'   dric  de  la. Paille  qui  étoitau  Milanois,  il 
entreprit  le  Sicge  de  cette  place ,  (ans 
favoir  quel  monde  il  y  avoit  dedans  & 

iaus 


Histoire  de  Florence.  Lh.I.  39 
fans  cK"e  roûtenu  par  aucune  Cavalerie. 
Il  av^X  même  eu  rimprudencc  de  laif- 
fer  r]"f  écart  les  chevaux  fatieuezdu  chc- 
min^Jc  des  courfes  qu'il  leur  avoit  fait 
faire  *m  arrivant.  Le  Général  Vermio 
qui^n^ctoit  inflruit  avoit  fait  entrer 
fecretement  dans  la  place  quelques  regi- 
mens  de  Cavalerie  pour  fondre  fur  les  p  j^g. 
aflîcgeants.  C'eft  ce  qui  ne  manqua  pas 
d'arriver.  Le  Siège  ne  fut  pas  plutôt 
formé  que  la  Cavalerie  fortant  de  la  vil- 
le avec  impetuofité  s'empara  d'abord 
des  chevaux  qui  furent  trouvez  ians  Ca- 
valiers. Après  cette  capture  on  attaqua 
l'Infanterie  de  front  &  par  derrière. 
Quoi  que  le  combat  fût  incgal,  il  ne 
lailfa  pas  de  durer  long  tems  avec  beau- 
coup de  vigueur  de  part  6c  d'autre. 
Mais  les  François  accablez  de  lallîtude 
&  de  chaleur,  6c  tout  couverts  de  blef- 
fures  furent  obligez  de  céder  la  victoi- 
re. Le  malheureux  Armagnac  y  fut  lé- 
gèrement blelfé,  mais  ayant  été  con- 
duit dans  la  place  il  y  mourut,  quel- 
ques-uns dilênt  de  poilbn ,  plus  vraiiem- 
blablement  de  chaud ,  de  lalîitude  ,  & 
de  defefpoir  du  mauvais  fuccès  de  fa 
témérité. 

Galeaflc  enflé  de  cette  vidoire  im-   Victoire 
C  4  pre-d'Augut 


40  POGGIANA.  P^r/. ///. 

prévue  alla  en  diligence  attaque 
gut  qui  s'étoic  retiré  vers  Crem^ 
bruit  de  la  défaite  des  François. 
Milanois  campèrent  à  un  mille  de^ 
rentins.  Il  y  avoit  entre  lesdcuxar 
un  grand  pré  au  milieu  duquci  touibit 
un  ruiiïcau  tout  bordé  de  hayes  d'oii 
les  ennemis  ne  cefToient  de  défier  les 
Florentins.  Mais  Augut ,  voyant 
bien  que  la  rufe  étoit  alors  plus  de 
faifon  que  la  force,  défendit  à  fes  gens 
de  fortir  de  leurs  tranchées ,  &  laif- 
fa  pendant  long-tems  aller  6c  venir  en 
confufion  &  comme  à  la  débandade 
les  ennemis  qui  par  des  reproches  fan- 
glants  tâchoient  inutilement  de  l'atti- 
rer au  combat.  Ce  manège  dura  quatre 
jours,  enfin  le  cinquième  jugeant  bien 
qu'ils  reviendroient  encore  l'infulter  a- 
vec  aulîi  peu  de  précaution  que  les 
jours  précédens,  il  mit  (es  gens  en  or- 
dre de  bataille  j  Les  ennemis  ne  man- 
quèrent pas  de  venir  avec  leurs  rodo- 
montades ordinaires  ',  mais  il  fondit  fur 
eux  fi  à  propos,  qu'il  les  mit  en  déroute, 
èc  les  pourfuivit  jufques  dans  leur  camp. 
Il  y  en  eut  grand  nombre  de  tuez ,  feizc 
cens  Cavaliers  furent  pris  prifonniers, 
avec  plufieurs  de  leurs  Officiers. 

Ce» 


Histoire  de  Florence.  Lrj.I.  41 

Ce-Fendant  Augut  étoit  réduit  à  de    Belle  re- 
granh^s  extrcmitez.     D'un  côté  la  re-  traite 
trairf  étoit  difficile,  parce  que  l'enne- ^'^"S^''* 
mi  tyoit  coupé  les  chemins  de  toutes 
part^!   De  l'autre  il  folloit  repaflcr  l'O- 
glio,  cv.  qu'il  ne  pouvoit  faire  (lins  ex- 
pofer  fon  armée  à  un  très-grand  danger. 
De  forte  qu'il  ne  pouvoit  ni  fe  retirer 
fans  péril ,   ni  demeurer  là  plus  long- 
tems  parce  qu'il  manquoit  de  vivres. 
Il  prit  donc  le  parti  de  défier  les  enne- 
mis au  combat.     Pour  les  y  animer  da- 
vantage, il  fit  mettre  fur  de  grands  ar- 
bres les  étendarts  qu'il  avoit  remporté 
ilir  eux.     En  même  tems  il  faifoit  en- 
tendre nuit  &  jour  les  tambours  &  les 
trompetes,  comme  fi  l'armée  eût  été 
en  préfence.  Et  afin  d'amufer  l'ennemi 
au  pillage  il  laifia  dans  le  camp  beau- 
coup de  bagage ,  comme  des  hardes , 
des  facs  pleins  de  paille,  &  autres  amor- 
ces au  butin.     Apres  ces  précautions  il 
leva  le  camp  la  nuit ,    &  alla  gagner 
rOglio  fans  courir  aucun  rifque.  Com- 
me il  craignoit  d'être  pourfuivi,  il  for- 
tifia fon  arrieregarde  de  ce  qu'il  avoit 
de  meilleure  Cavalerie.    Une  partie  de 
l'armée  avoit  déjà  pafie  le  fleuve,  lorf- 
que  les  ennemis  arrivèrent.    Le  Géné- 
C  f  xx\ 


4*       PoGGï  AN  A.  Part.  II/. 

rai  avoir  pofté  fur  le  bord  de  la  LyicTC 
quatre  cens  Arbalêticrs  à  chevaV^7our 
les  bien  recevoir.  Enfin  l'arricregL^  le , 
après  avoir  foûtenu  un  afîèz  long  tom- 
bât, paiïli  le  fleuve  6c  rejoignit  leVefte 
de  l'année.  Augut  ayant  heureuf^n^nt 
pafle  le  Afenzo^  alla  camper  fur  les 
bords  de  l'Adige  oii  il  courut  rifque 
d'être  fubmergé  la  nuit,  parce  que  l'en- 
nemi avoir  rompu  les  digues  de  cette 
rivière.  11  perdit  une  grande  partie  de 
fon  armée  par  cette  inondation. 

Quand  il  fut  hors  du  pais  ennemi  il 
penfa  à  rétablir  fon  armée  afin  de  la 
mettre  en  état  de  chafler  l'ennemi  des 
places  qu'il  occupoit  en  deçà  duPôj 
&  en  même  tems  de  faire  des  courfes 
dans  le  Plaiiantin,pour  affoiblir  de  plus 
en  plus  Galeafle  6c  le  réduire  à  faire  la 
paix.  Pour  y  réiiflir  il  fit  conftruire  fur 
ce  fleuve  un  grand  pont  à  Bofgo-forte^ 
afin  d'être  en  état  de  fecourir  le  Duc  de 
Mantouë  qui  avoit  quitté  le  parti  de 
Galcaffe  pour  prendre  celui  des  Flo- 
rentins -*.     Cependant  Galeafle  réfolut 

de 

*  Galeafle  voulant  le  défaire  de  fa  fœur,  qui 
avoit  époufe  François  de  Gonzaguc  Duc  de  Man- 
touë, avertit  ce  Prince  de  fe  defficr  de  f\  femme, 
lui  faifant  croire  qu'elle  ctoit  follicitcc  àletuerpar 

Char- 


Histoire  de  Florence.  Liv.  I.  45 

de  foe  côté  de  preflcr  fi  vivement  les 
Florn'itins  qu'ils  fuflent  contraints  eux- 
mq;;ies  à  en  venir  à  un  accommode-' 
mei/jCelt  dans  cette  vue  qu'il  afTem- 
bla  Ion  armée  à  Lucques  pour  faire  une 
irruption  dans  le  Florentin ,  Se  porter 
l'allarmejufqu'aux  portes  de  Florence. 
Après  avoir  fait  ces  préparatifs  il  fit 
parler  de  paix  aux  Florentins  par  le 
Doge  de  Gènes,  qui  ctoit  dans  ics  in- 
térêts.  Les  Florentins,  les  Boulonois , 
&  les  autres  Confederez  refolurent  donc 
d'envoyer  des  Ambafladcurs  à   Gènes 
pour  traiter  de  la  paix.     Mais  comme 
chacun  de  fon  côté  efperoit  de  l'avoir 
meilleure  les  armes  à  la  main ,  on  agif- 
foit  de  part  ôc  d'autre  avec  plus  de  vi- 
gueur que  jamais.  Les  Florentins  voyant 
l'appareil  que  GaleafTe  faifoit  contre  eux 
à  Lucques ,    firent  venir  Augut  avec 
fon  armée.   Ce  Général  campa  d'abord 
à  San  Miniato  ^vtiiiQ.  ville  de  l'Etat  de 

Flo- 

Charles  Vifcomti  fon  frère.  Pour  l'en  mieux  per- 
fuaderilfuppofades  Lettres  de  Charles  à  fa  fœur,  8c 
les  fit  mettre  dans  le  lit  de  Gonzague  qui  ne  doutant 
point  de  la  fincerité  de  l'avis  de  GaleafTe,  fit  mou- 
rir fa  femme.  Gonzague  ayant  fu  depuis  l'infi- 
gne  fourberie  de  Galeaffe  l'abandonna  pour  s'en 
venger, 


'44       VoGGiA^ A.  Part.  IIL 

Florence  fur  l'Arno  pour  obfer\ 
mouvemens  des  ennemis,  qui  et 
dans  le  Pifan  ,  attendant  quelque 
Autre  fort  des  Siennois.  Le  Général  Mik 
d'Âueut  voyant  que  cette  attente  étoit  inutiU, 
fur  le  Mi- s'avança  lui-même  fur  les  terres  des 
mois.  Siennois 56c  après  s'être  fortifié  de  leurs 
troupes,  il  s'approcha  de  San  Miniato. 
Des  qu'Augut  eut  appris  la  marche  des 
Milanois  il  alla  du  côté  de  Poggibon- 
zi  fortcrefTe  de  la  Tofcane  prés  de  la 
rivière  d'£//C<î,  à  quelques  milles  de  Sien- 
ne, afin  de  leur  couper  le  chemin  de 
Florence.  Ce  Général  fe  voyant  ren- 
forcé par  des  troupes  qu'on  lui  envoyoit 
de  Florence ,  garnit  bien  toutes  les  pla- 
ces par  oii  les  ennemis  pou  voient  palier. 
Cependant  le  Milanois  ayant  appris 
qu'Augut  avoit  reçu  un  renfort  de  dix- 
mille  hommes  s'en  retourna  à  Lucqucs 
avec  fon  armée  parce  qu'elle  perifîbit 
de  faim.  Augut  la  pourfuivit,  en  tail- 
la une  bonne  partie  en  pièces,  6c  prit 
quantité  de  priibnniers  entre  lefquels  il 
y  avoit  plufieurs  Officiers  de  marque. 
Apres  avoir  remporté  fur  eux  plufieurs 
avantages ,  les  jours  fuivans ,  il  s'en 
retourna  à  San -Miniato  &  en  forti- 
fia {i  bien  toutes  les  avenues  qu'il  etoit 

diffi. 


Histoire  DE  Florence.  L/i^./.  4j* 

diffic  Ve  aux  ennemis  d'y  pouvoir  péné- 
trer v 

'^ileafle  confus  &  defcfperé  de  tant 
de  niiuvais  fucccs ,  ordonna  à  Ton  Gé- 
n^l  d'aller  avec  fon  armée  ,  invertir 
les  chemins  de  Pife  à  Florence ,  afin 
d'obliger  les  Florentins  à  faire  la  paix 
par  le  bcfoin  qu'ils  avoicnt  du  port  de 
Pile  pour  leur  commerce.  Il  s'en  alla 
donc  aux  environs  de  Spolctc,  s'attcn- 
dant  qu'Augut  viendroit  l'y  attaquer; 
Mais  le  Florentin  aima  mieux  garder 
un  pofte  qui  lui  étoit  avantageux  que 
de  bazarder  un  combat  dans  une  con- 
jon(5hire  aufli  décifivei  de  forte  que  le 
Alilanois  las  d'obfedcr  des  chemins  fans 
rien  faire ,  offrit  aux  Pifans  de  fe  reti- 
rer de  leurs  frontières ,  pourvu  qu'ils 
n'envoyafient  rien  par  mer  à  Florence  : 
ce  que  Gambacurta  promit  pour  quin- 
ze jours.  Quand  les  Florentins  lui  en  p.  117. 
firent  des  reproches  il  repondit,  qu'il 
l'avoit  autant  fait  pour  leur  avantage 
que  pour  celui  de  Pife,  puifque  par  là 
il  avoit  éloigné  l'ennemi  du  voihnage 
des  uns  &  des  autres. 

Pendant  qu'on  traitoit  de  la  paix  à  On  traite 
Gènes ,  les  Génois  amis  de  Galeafle  firent  ^^J,^  P^^* 
bien  paroitre  leur  partialité ,  en  mettant 

des 


45       PoGGiAîJ A.  Part.  IIL 

des  vaifîeaux  enmerpourenlevervputcc 
qui  pouvoir  appartenir  aux  Florct'  tins. 
Ceux-ci  de  leur  côté  firent  équipf '-des 
Galères ,  pour  fe  mettre  à  couvert  de  ces 
infultes  maritimes  qu'ils  repouflef^nt 
fort  vigourcufement.  En  même  tems 
ils  envoyèrent  fix  cens  Chevaux  auprès 
de  Pife  pour  la  fureté  de  ce  qui  leur 
venoit  par  terre  fur  des  mulets  :  mais  le 
Milanois  en  ayant  eu  avis  leur  dreflà 
une  embufcade  de  deux  mille  chevaux, 
battit  la  Cavalerie  Florentine ,  prit  près 
de  cinq  cens  mulets  chargez  de  mar- 
chandifes  &  de  provi  fions  )  6c  rempor- 
ta un  très  grand  butin.  Louïs  de  Ca- 
pou'é  Général  Florentin  apprenant  que 
les  Siennois  fe  divcrtiffoient  de  cette  a- 
vanture,  alla  pour  s'en  venger,  jufques 
aux  portes  de  Sienne ,  mettre  tout  au  pil- 
lage dans  leur  païs.  D'autre  côté  le 
Prince  de  Cortone  *  allié  des  Floren- 
tins défoloit  tout  le  Peroufin ,  avec  une 
petite  armée  qu'il  avoit  levée  lui-même 
La  paix  dans  cette  vue.  C'eft  par  ces  hoftilitez 
^f-  5*?"'  réciproques  qu'on  fe  préparoit  à  faire  la 
Gènes.  P^i^  4^1  tut ennn  Conclue  en  1 3p2.  par 
1392..  l'cn- 

Aret  L        *  ^^^'^^  ^iH^  '^^  Florentin  entre  le  Peroufin 

X.  fin.  *    &Arczzo. 

PoggnS. 


Histoire  de  Florence.  Liv.  T.  47 

l'entr,  mife  du  Grand  Maître  deRhode, 
Leg-jL  du  Pape,  par  le  Doge  de  Veni- 
fe  cîjjTime  particulier  5  Le  peuple  de 
Gênés  y  entra  auffi  par  honneur.  Les 
conditions  furent  entr' autres:  i.  Que 
Padouè  (croit  rendue  à  François  de  Car- 
raria,  fils  de  François  de  Carraria  que 
Galeaflè  tenoit  en  prifon ,  à  condition 
pourtant  que  le  fils  payeroit  aux  Mila- 
nois  une  certaine  fomme  d'argent  par  an 
pendant  l'efpace  de  cinquante  ans.  A 
l'égard  de  la  liberté  du  Père  on  la  fit 
cfperer,  mais  on  la  laifîa  à  la  difcretion 
de  Galcafle.  2.  Que  tous  les  profcrits 
pendant  la  guerre  rentreroient  dans  leur 
patrie ,  avec  le  conientemcnt  néanmoins 
de  leurs  Citoyens.  3 .  Qu'on  rendroit 
de  part  &  d'autre  les  places  qui  avoient 
été  prilês  pendant  la  guerre.  4.  Que 
Galeafie  n'envoyeroit  point  de  troupes 
dans  la  Tofcane,  à  moins  qu'elles  n'y 
fiafîènt  appellées  par  les  Siennois  ou  par 
les  Pérou  fins  en  cas  qu'ils  fuiTent  oppri- 
mez par  les  Florentins ,  ou  par  leurs 
Alliez,  f.  On  convint  de  part  6c  d'au- 
tre qu'on  ne  congedieroit  pas  toutes  les 
troupes  à  la  fois ,  mais  peu  d  peu  ^  de 
peur  qu'il  ne  s'en  formât  des  focietez 
de  brigands  ôc  que  chacun  en  retien- 
droit 


48      P  o  G  G I A  N  A.  Part.  m. 

droit  ce  qu'il  jugeroit  neccflaire  |n*)ur  jfâ 
fureté  5  ôc  de  même  des  GenerauxV  des 
Officiers.  Lors  qu'on  parla  de  choit  r  des 
garants  de  ce  Traité  un  des  Plenipotçu- 
(t)  Tho-  tiaires  (a)  de  Florence  tirant  Ton  Efice, 
"parole^*  ^"^^^^  àiix.-'^ ,  le  garant  ;  nous  avons  éprou- 
Genereu-  "i^é  les  uns  (^  les  autres  ce  qu"* il  fait  faire. 
ft  d'un  des      Florence  jouïflôit  à  peine  de  la  paix 
Plenipo-    ^^  dehors  qu'elle  fe  vit  agitée  par  des 
de  Flo-     troubles  inteftins  qui  ne  purent  être 
rencc.       appaifèz  que  par  des  exécutions    fan- 
glantes ,  des  profcriptions ,  &  d'autres 
peines.     Mais  elle  n'avoit   pas  moins 
Intrigues  de  fujets   d'inquiétude   au  dehors  >    la 
&  hoihii-  conduite  artificieufe  ôc  les  lourdes  me- 
leaflccon- ï'i^^s  de   Cjaleaiic   donnoient   toujours 
trelesFlo-de  grands  Ibupçons  aux  Florentins*, 
rentins.     q^  étoit  convenu ,  comme  on  l'a  dit ,  de 
^^^^*     ne  congédier  que  peu  à  peu  les  Officiers 
&  les  troupes  pour  éviter  les  briganda- 
ges.    Cependant  quelques  Officiers  de 
Galeaflc  s'ctant  attroupez  avec  quelque 
Cavalerie  allèrent  demander  pafTage  à 
Boulogne  &  à  Ferrarc  avec  menace  de 

fc 

*  Cette  année  i  1393.)  mourut  le  Général  Augut 
regretté  de  tout  le  monde ,  on  lui  fit  des  obfeques 
magnifiques.  Les  premiers  de  la  ville  portèrent 
fou  cercueil  qui  ctoit  enrichi  d'or  &  de  pierre- 
ries. Le  Peuple  lui  érigea  une  Stttuë.  Pog§.  p.  113. 


Histoire  de  Florence.  Liv.  I.  49 
fe  le  (kire  par  force  lî  on  le  leur  refu-     . 
Toit  ^-.ij).  Cette  démarche  paroilîlint  fort  («)  Ànù 
fuff^^ie  les  Bolonois  (b)  ne  voulurent  ^'  ^^' 
poinJ  leur  accorder  le  pafTage ,  craignant  ^z b^)  on 
de^ecevoir  des  efpions  dans  leur  Ville,  ne  dit 
Les  Florentins  de  leur  côté  envoyèrent  P°'"'^  ^'^ 
du  fecours  aux  Bolonois  pour  les  met-^^^^^j-ç 
tre  à  couvert  d'infulte.    Cependant  ces 
Cavaliers  gagnèrent  la  Tofcane  par  le 
Parmefan.  Ils  allèrent  de  là  dans  le  Sie- 
îiois  &  puis  dans  la  Marche  d'Ancone, 
où  s'étant  fortifiez  ils  revinrent  en  Tof- 
cane, menaçant  les  Villes  de  les  piller, 
fi  elles  ne  leur  payoient  une  rançon. 
Ce  qui  augmcntoit  encore  les  foupçons 
contre  Galeafle  5  c'eft  que  nonobitant 
la  paix  on  remarquoit  toujours  dans  les 
Sienois  un  efprit  d'hoftilité.    D'ailleurs 
les  AmbalTadeurs  des  Florentins,  qui  a- 
voient  été  arrêtez  ^^  Alexandrie  de  la. 
Paille  ^étoitnt  traitez  depuis  la  paix  a- 
vec  plus  de  dureté  qu'auparavant.    On 
ne  mettoit  point  non  plus  en  liberté 
François  Carrare  comme  Galeafle  l'a- 
voit  fait  efperer. .   Tant  de  violents  in- 
dices obligèrent  les  Florentins  à  renou- 
veller  alliance  avec  les  Bolonois ,   les 
Princes  de  Ferrare ,  de  MantoUe,  de 
Padoue,   de  Ra venue,,  de  Fayence, 

Toni.  IL  0  d'Imo= 


IZZ. 


j-o      VoGGiAiJ A.  Part.  III. 

d'Imok,  auxquels  rejoignirent  Is  Sei«» 
gneurs  de  Forli,  êc  de  Malateftl. 
AfTafTinat       Les  ombrages  contre  GaleafTel^  ug- 
de  Gam-  j^^enterent  beaucoup  par  l'indiglle  ^f- 
Gouv'er-   faflinat  de  Pierre    Gambacurta  Q*.u- 
neur  de     verneur  ou  plutôt  Seigneur  de  Pife  (a). 
Pi^^"-         11  avoit  pour  Secrétaire  &  pour  confi- 
J^lT/  dent  de  fes  plus  fecretes  affaires  un  cer- 
223.  224.*  tain  Ja^^nes  Jppien  dévoué  à  Galeafle 
?og§-       6c  mortel  ennemi  des  Florentins.     Cet 
homme  qui  afpiroit  à  la  domination  de 
Pife  s'y  étoit  fait  un  grand  parti ,  furtout 
parmi  les  Gibelms.  Mais  comme  Gam- 
bacurta  étoit  fort  aimé  à  caufe  de  fa 
douceur  &:  de  fon  efprit  pacifique,  Ap- 
picn  ne  trouvoit  point  d'autre  moyen 
de  f^itisfaire  fon  ambition  qu'en  le  fai- 
Çmt  mourir,  non  content  de  l'avoir  af- 
fafîiné  en  traître,  &  mafTacré  deux  de 
fes  fîls  avec  plufieurs  de  fes  amis.  Après 
ce  deteitable  coup  il  chafTa  les  Guel- 
phes  de  la  Ville,-  pour  être  plus  en  état 
d'en  ufurper  la  domination.     Dans  le 
tumulte  que  caufa  cette  horrible  aftion, 
les  marchandifes  6c  tous  les  effets  des 
Florentins  furent  pilbz  par  le  peuple 
de  Pife,  malgré  l'alliance  qu'il  y  avoit 
entre  eux.     On  ne  douta  point  à  Flo- 
rence que  cet  afTafîinat  ne  partit  de  la 

té- 


tîisTOiRE  DE  Florence.  Lîv.I.  fï 
tête  de  GaleafTe  pour  avoir  à  Pife  un 
homme  tout  à  fa  dévotion.  Et  en  effet 
4pR^  n'agiflbit  que  par  les  vues  de 
Gcile'.'^,  même  depuis  Ton  élévation. 

^e  Prince  toujours  plein  d'ambition    Galea^é 
&  de  vaftes  projets  ne  rouloit  dans  fa  S^  ^^^^ 
tête  que  les  moyens  de  les  exécuter.  l'Empe! 
Comme  il  avoit  ufurpé  plufieurs  Pais  rcur 
&  plufieurs  Villes  fur  l'Eglife  6c  fur  Wencef- 
l'Empire,  il  chercha  pour  fe  maintenir  '^^*  ^ 
dans  leur  poffeffion  la  proteélion  de  p.  114* 
l'Empereur   Wenceflas.     Connoilfant 
l'avarice  dé  ce  Prince  il  lui  envoya  une 
Ambaifade  avec  de  riches  préfens  lui  de- 
mander le  titre  de  Duc  &  plufieurs  Vil- 
les qui  fuflent  attachées  au  Duché.   Ce 
qu'il  obtint  moyennant  la  fomme  dé 
cent  mille  écus  d'or,  malgré  les  Elec- 
teurs qui  mirent  l'aliénation  du  Mila- 
îiois  entre  les  caufes  de  la  dépofition  de 
cet  Empereur  (a).  (a)  II  fut 

L'aggrandifiement  de  Galeafle  aug-  depofé  à 
menta  encore  fon  avidité,  (b)  Comme  il  ^''^^cfort 
fouhaitoit  pafiionément  de  s'emparer  de  (b)p?iz4, 
Mantoue  qui  étoit  dans  le  cœur  de  fes 
Etats,  il  voyoit  avec  beaucoup  de  ja- 
loufie  l'alliance  que  le  Prince  de  Man- 
toue avoit  faite  avec  la  République  de 
Florence  6c  les  autres  Confederez.  Aufiî 
D  2,  n'ou- 


ft       PoGGiANA.  Parf.  in, 

n'oublia-t-il  rien  pour  l'en  dégager.  De 
plus  il  fe  donna  mille  mouvemens  pour 
rompre  une  confédération  qui  iw-'^ttoit 
un  fi  grand  obftaclc  à  fcs  defTeif ,.   ,-il 
avoit  renforcé  les  troupes  de  Pero^ife, 
de  Sienne,  de  Pife  pour  mettre  ces  Vil- 
les en  état  d'agir  en  fa  faveur  à  la  pre- 
mière occafion.  Les  Florentins  pour  le 
tenir  prêts  à  tout  événement  créèrent 
un  Decemvirat ,  &  levèrent  à.ç&  trou- 
pes dont  ils  donnèrent  le  commande- 
ment à  un  Capitaine  François  que  Gré- 
goire XI.  avoit  amené  avec  lui  d'Avi- 
(a)  Ber-  gnon  (a).   Ils  firent  en  même  tems  une 
nard  de    alliance  avec  la  France  ,    à  condition 
huitaine'  9"^  ^^  ^"^  ^^  prendroit  dans  la  Tofca- 
p.  125.      ne  appartiendroit  aux  Confederez  ,    & 
que  le  Roi  feroit  mis  en  pofleiîion  de 
ce  qui  feroit  conquis  dans  le  refte  de 
l'Italie.     Cependant    Galealîe  envoya 
cinq  mille  hommes  à  Pife  pour  foute- 
Momh    nir  Jaques  Appien  contre  quelques  Sei- 
Scudartï    gneurs  qui  avoient  levé  de  la  Cavalerie 
Comités,    pQ^j.  iç,\\iy:  les  Pifans  en  bride.     Ces 
étincelles  d'incendie  furent  éteintes  par 
la  prudence  des  Florentins.  Mais  com- 
me les  troupes  que  le  Duc  de  Milan 
avoit  autour  de  Pife  avoient  pafle  dans 
le  Luquois  ,   les  Florentins  craignant 

qu'el- 


Histoire  de  Florence.  Lh.  T.  f^ 

qu'elles  ne  s'emparaflent  de  Pifioye  dans 
Içur  voifinage ,  envoyèrent  Bernard 
let:t.r  C-Jnéral  aux  environs  de  cette  pla- 
ce j'jpur  la  défendre  en  cas  d'attaque, 
lui  iaifant  quitter  le  pofte  qu''il  occu- 
poit  à  San  Miniato  qui  manqua  d'être 
pris  par  trahifon. 

Le  Duc  de  Milan  n'ayant  pu  gagner   Galea/Te 
le  Mantouan  ni  par  prières  ni  par  pro-  aflîege 
me0ès  (e  rcfolut  enfin  à  afiie^^er  Man-  ^^ntouë, 
touë  par  terre  êc  par  mer.     Afin  d'em-  défait  a- 
pécher  les  Florentins  de  la  fecourir,  il  vec  fon 
aflembla  dans  le  Sienois  quatorze  mille  ^'^"^^^* 
chevaux,   qui  fans  aucune  déclaration ^|^^* 
de  guerre  pilloient  6c  brûloient  impi- 
toyablement les  Florentins  jufques  aux 
portes  de  Florence.     Sibérie  qui  com- 
mandoit  cette  Cavalerie  tint  pendant 
deux  jours  le  fiege  devant  la  petite  vil- 
le de  Segni  de  l'Etat  de  l'Eglife  à  quel- 
ques milles  de  Florence,  &  en  fiit  re- 
poufle  avec  perte.     Les  femmes  firent 
merveille  dans  cette  occafion ,  foûtenant 
avec  un  courage  intrépide  leurs  maris 
accablez  de  fatigue ,    &  couverts  de 
bleflures.    Au  bout  de  quatre  jours  ces 
incendiaires  fe  retirèrent  à  Sienne  faute 
de  vivres.  Les  Florentins  pour  £c  ven- 
ger de  cette  irruption  inopinée  fe  jette- 
D  \  rent 


^4       P  0  G  G I A  N  A.  Part.  UL 

rent  avec  fureur  fur  les  terres  des  Sic- 
nois  6c  leur  prirent  plufieurs  places  itip** 
portantes  comme  FoUerre  &  (f-  oj[Jft(^. 
GaleafTe  voyant  que  Tes  troupes  n^fai- 
Ibient  que  s'affoiblir  dans  la  Tofcane 
les  rappella  pour  le  fiege  de  Mantouë. 
On  a  parlé  ailleurs  d'un  Pont,  que  les 
Florentins  avoient  fait  faire  à  grands 
frais  fur  le  Pô  pour  pouvoir  fecouiii' 
cette  ville,  le  Duc  entreprit  de  le  brû- 
ler par  le  moyen  de  quantité  de  ba- 
teaux pleins  de  farments  &  d'autres  ma- 
tières combuftibles  ,  mais  la  diligence 
yoyeîôc  l'intrépidité  de   Charles  Malatejîa 
le  récit  de  que  les  Florentins  y  envoyèrent  avec 
SnV.^f  quatre  mille  chevaux  ,  fauva  le  Pont , 
Blft.  Flor.  non  fans  que  ce  Général  y  courut  ril- 
P- 119-     que  de  la  vie.     Le  Duc  de  Milan  ne  fe 
|3o»        rebuta  pas  de  ce  mauvais  fuccès.     Il  fit 
aflîegcr  le  Pont  dans  toutes  les  formes, 
en  élevant  des  travaux  dans  la  rivière 
fur  des  navires  chargez  d'hommes,  d'ar- 
mes &  de  machines  de  guerre  comme 
devant  une  ville  -,  Ces  navires  à  tours 
furent  fort  bien  reçus  des  Mantouans 
qui  fe  battirent  comme  des  Lions.     Le 
combat  fut  furieux  parce  que  de  part 
^  d'autre  il  falloit  vaincre  ou  mourir  ^ 
^y  ^yant  point  de  lieu  à  la  retraite. 


Histoire  DE  Florence.  Z/^'./.  y  y 

Enfin  après   une  aélion  de   plufieurs 

heures  la  viftoirc  demeura  aux  Man;- 

•tou^s  à  qui  les  Vénitiens  a  voient  fourni 

lÙM  iccours  de  trentes  galères. 

tealealîe  plus  confus  que  rebuté  de 
cet  affront  rafiembla  comme  il  pût  fes 
troupes  pour  preffer  le  ficge  de  la  Ville. 
Charles  de  Malatefta  de  fon  côté  étant 
allé  attaquer  le  Général  PWmius  qui 
commandoit  l'armée  de  terre  en  deçà 
'  du  Pô 5 le  bâtit  à  plate  couture,  fit  plus 
de  fix  milles  prifonniers,  &  enleva  tou- 
tes les  munitions  de  guerre.  Albericqui 
commandoit  l'armée  navale  fut  un  peu 
plus  heureux,  mais  ne  fe  trouvant  pas 
foûtenu  il  fut  obligé  de  lever  le  fiege. 
Il  fembloit  que  Galeafle  dût  penfer  à 
la  paix  après  une  déroute  fi  générale. 
Les  Florentins  eux-mêmes  y  paroilToient 
difpofez  ;  les  Vénitiens  les  y  follicitoient 
même  fortement ,  craignant  que  fi  dans 
la  fuite  ils  venoient  à  avoir  du  deffous 
l'orage  ne  tombât  fur  eux.  On  envoya 
donc  de  part  6c  d'autre  des  Ambafla- 
deurs  à  Venifc  pour  en  traiter  par  la 
médiation  de  cette  République.  Mais 
comme  le  Duc  de  Milan  ne  faifoit  que 
tergiverfer ,  les  Vénitiens  s'unirent  a- 
vec  les  Florentins  &  leurs  x\lliez  à  con- 
D  4  4i^ 


f6         POGGI  ANA.  P^r^  ///. 

S 398.     dition  que  les  premiers  feroient  lesarbi- 

P-  'H- ,   très  de  la  paix  &  de  la  guerre.  Le  Duc 

Ga^Sre^  intimidé  par  une  fi  puilîante  conk(f.  ;ra-/ 

avec  les    tion  fît  une  trêve  de  dix  ans,  à  condr'.f: 

Floren-     tion  de  rendre  les  places  qu'il  avoit  véi- 

^^"'  ^  '^'  fes  dans  le  Mantouan. 

Vénitiens» 

CcDiicelt     Pendant  la  trêve  le  Duc  fit  une  ac- 

fait  maître  qui fition  qui  relevoit  confidenlblement 

de  Plie.    |-g3  forces.     Jaques  Appien  étant  mort , 

Gérard  Ton  fils  qui  lui  fiicceda  dans  le 

gouvernement  de  Pife ,  craignant  de  ne 

s'y  pouvoir  foûtenir  mit  cette  Ville  6c 

Ï399-     toutes  les  dépendances  entre  les  mains 

P-^»3<5.  du  Duc,  moyennant  une  Comme  d'ar- 
'  '  gent  &  quelques  places  qu'il  laifibit  â 
la  dilpofition  de  Gérard.  Comme  les 
Florentins  avoient  fait  tous  leurs  efforts 
pour  détourner  un  coup  qui  ne  pouvoit 
que  leur  être  fatal ,  le  Duc  envoya 
aullî-tôt ,  comme  par  manière  d'inful- 
te ,  leur  notifier  qu'il  étoit  maître  de 
Pile,  leur  promettant  néanmoins  de  vi- 
vre en  paix  avec  eux.  Mais  les  cabales 
&  les  hofiilitez  qu'il  exerçoit  dans  leur 
Aret.  L.  voifinage  témoignoient  tout  le  contrai- 

Ai.p.z36.  yç^     Qj-j  çu^-  j^yis  ^  Florence  qu'il  médî- 

t*^  toit  de  le  rendre  maître  abfolu  de  Sienne," 

D'ailleurs  les  Peroufins  à  qui  les  Flo- 
rentins avoient  refufé  du  fecours  contre 

Bo- 


Histoire  de  Florence.  Llv.I.  ^j 
Boniface  IX.  qui  redemandoit  Perou- 
,  le  comme  appartenant  à  l'Eglife,  fu- 
*ren^:i.obli2;ez  d'avoir  recours  au  Duc 
jNmr  conferver  leur  liberté.  L'amitié 
des  Bolonois  paroiiToit  fort  refroidie  par 
les  ei'perances  dont  GalealTe  les  amufoir. 
On  ne  pouvoit  non  plus  guère  compter 
fur  les  Lucquois  que  le  voifinage  de 
Pife  faifoit  pencher  pour  le  Duc. 

Comme  il  n'y  avoit  plus  lieu  de  dou- 
ter des  mauvais  defleins  de  Galeafle ,  la 
République  affembla  un  grand  Confeil 
pour  délibérer  s'il  falloit  fe  préparer  à 
ta  guerre  ou  difîîmuler  pendant  quelque 
tems  &  chercher  d'autres  voyes  de  con- 
jurer l'orage.  Après  plufîeurs  confulta- 
tions  on  fuivit  l'avis  du  Général  Re- 
naud  aufli  bon  Orateur  que  grand  Ca- 
pitaine. Après  avoir  repreiènté  avec 
beaucoup  de  prudence  6c  de  liberté  les 
défauts  du  Gouvernement  des  Floren- 
tins qui  négligeoient  les  plus  grands  per- 
fonnages  de  l'Etat  pour  fuivre  le  fenti- 
ment  de  la  populace ,  &  remarqué  la 
fiute  qu'on  avoit  faite  en  rejettant  l'al- 
liance des  Piians  &  àç.%  Peroufins,  il 
conclut  à  envoyer  des  Ambaffadeurs 
aux  Vénitiens  pour»  leur  repréfcnter 
tout  ce  que  faifoit  le  Duc  contre  la  tre- 
D  y  vej 


fS       P o  G  G I A  N  A.  Part,  m, 

ve,  &  pour  les  engager  à  le  joindre  à 
eux  par  le  danger  qu'ils  couroient  eux- 
Sededes mêmes.    C'cfl  dans  ce  tems-là  qu#  paV 
Blancs.      ^^^  ^.^  Italie  la  Sc£le  des  Blancs  qui  ver- 
tus d'habits  Blancs  couroient  les  vines 
en  proccfîîon,  hommes,  femmes,  en- 
fans,  avec  une  apparence  de  dévotion 
toute  extraordinaire.     Ces  Fanatiques 
Aret.  L.  allèrent  à  Florence  &  s'emparèrent  tel- 
XII.  p.     lefnent  de  l'efprit  des  Florentins  qu'à 
Po-^t^^L?*  peine  penfoicnt  -  ils  à  la  guerre  pendant 
IIirp.136.que  Galeafle  s'enmoquoit.  Ilnefe  pafla 
rien  de  mémorable  le  relie  de  l'année. 

L'année  fuivantc  Jean  Betitivoglio 
ayant  eu  le  Gouvernement  de  Bologne 
par  le  m.oyen  de  Galeafle,  les  Florentins 
l'en  envoyèrent  aufïl-tôt  féliciter  6c  lui 
propoferent  en  même  tems  de  faire  al- 
liance avec  eux.  Il  ne  rejetta  pas  ces 
propofitions,  mais  il  différa  d'y  répon- 
dre de  peur  d'offcnfer  Galeafle  par  le 
fecours  duquel  il  avoir  eu  le  comman- 
dement de  Bologne.  Ce  Duc  fe  forti- 
fioit  tous  les  jours  confiderablement.  Il 
étoit  maître  de  Sienne ,  de  Peroufe , 
de  Pife,  &  il  avoir  attiré  le  Mantouan 
dans  Ton  parti.  De  forte  qu'il  n'v  eut 
prefque  que  Padoue  qui  demeurât  fidè- 
le aux  Florentins.    C'ell  ce  qui  les  çn- 


Histoire  de  Florence.  Li'V.L  yp 

gagea  à  créer  un  Deccmvirat ,  6c  à  le- 
ver de  nouvelles  troupes  pour  refifter 
•  91  ^c  forces  du  Duc.  L'Empereur  Wen- 
''■  cellas  fut  dépofé  cette  année  &  Ro-  i^qq.' 
%crt  de  Ra'viere  fut  mis  en  fa  place.  Les 
Florentins  jugèrent  à  propos  de  lui  de- 
mander du  fecours  contre  GalealTe,  & 
de  l'inviter  à  reprendre  des  Villes  que 
ce  Duc  avoir  ufurpées  fur  l'Empire, 
ôc  que  fon  Prédecelîéur  n'avoir  pas  été 
en  droit  d'aliéner,  lui  offrant  d'ailleurs 
autant  d'argent  qu'il  voudroit.   Robert  L'Empe- 

n'avoit  garde  de  refufcr  une  alliance  [^"'^  ^°"  ^ 
•j         -1  °         •      •         ^     r-  1  bert  vient 

dont  \\  pouvoir  tirer  de  li  grands  avan-r  ^^  fecours 

tages.     Il  vint  donc  l'année   fuivante  des  Flo- 
avec  quinze  mille  hommes  en  Italie  *.  rentins 
A  fon  arrivée  il  campa  dans  le  Brefllin  G^ieafTe  " 
pli  François  Carrare  le  vint  joindre  avec  &  eft  ba- 
trois  mille  chevaux  Florentins  j.  tu* 

Le  Duc  voyant  de  fî  terribles  prépa^ 
ratifs ,   leva  prompteiTient  une  armée 
de  quinze  mille  hommes  tant  de  Gava- 
)erie  que  d'Infanterie,  &  l'envoya  con- 
tre 

*  Il  en  avoit  promis  vingt  mille. 

j  On  compta  d'abord  a  Robert  deux  cens  mil- 
le ccus  d  or  qui  furent  amalTez  en  une  nuit  à 
Florence  toute  épuifée  qu'elle  paroilToit  par  des 
guerres  continuelles ,  &  on  lui  en  promit  deujs 
cens  iïi|Ue  ?.utrçs  qi^atre  mois  après, 


60       VoGGiAN A.  Part.  in. 

trc  Robert.    Quoiqu'elle  fût  inférieure 
à  celle  des  Allemands  joints  aux  Ita- 
liens 5  elle  fut  pourtant  viélorieufè  très 
le  premier  choc.    Les  Allemands  marv^ 
chants  fans  ordre  6c  fans  difcipline  fu- 
rent enveloppez  par  un  Corps  de  trou- 
pes Milanoilcs,  &  repoufTez  dans  leur 
Camp  avec  grande  perte.     Un  coup  fî 
imprévu  jetta    tellement  l'épouvante 
dans  l'armée  Allemande  que  fi  le  Duc 
avoit  eu  là  toutes  fes  troupes  il  neferoit 
pas  reftc  un  Soldat  à  Robert.     Depuis 
cette  défaite  on  penfa  moins  au  combat 
qu'à  la  retraite  :  l'Eleéteur  de  Cologne 
éc  le  Duc  d'Autriche   abandonnèrent 
l'Empereur  pour  s'en  aller  chez  eux 
avec  leur  monde  j  l'Empereur  de  fbn  cô- 
té, fe  voyant  afïbibli  par  la  defertion 
de  ces  Princes  jfe  retira  dans  leTrcntin 
d'oii  François  Carrare  le  fit  revenir 
avec  cinq  mille  hommes  feulement.  Son 
retour  remit  un  peu  les  Florentins  déjà 
fort  confternez  de  fà  défaite.     Ils  l'en- 
voyèrent prier  de  demeurer  en  Italie 
pour  tenir  en  bride  le  Duc  que  fa  vic- 
toire avoit  rendu  plus  fier  èc  plus  entre- 
prenant que  jamais.     Mais  les  deman- 
des excefîives  que  faifoit  Robert  mi- 
rent les  Florentins  dans  de  nouveaux 

cm- 


Histoire  de  Florence.  Liv.I.  6t 

embarras.  Il  exigcoit  d'eux  des  fommes 
exorbitantes,  &  il  ne  vouloit  point  de- 
meurer en  Italie  fî  on  ne  faiibit  une  al- 
.liahce  avec  le  Pape  6c  avec  les  Veni- 
l'^ens.  Les  Florentins  promirent  l'un  6c 
l'autre.  Cependant  l'Empereur  content  '4©^^ 
d'avoir  pafle  l'hy  ver  à  Padoue  avec  Tes  P*  *'^* 
troupes,  s'en  retourna  au  Printems  de 
l'année  fuivante. 

GaleaiTe  Te  trouvant  plus  en  état  d'à-    Galeaffo 
gir  par  la  retraite  de  l'Empereur  tenta     '^^"^  , 
de  détacher  les  Vénitiens  du  parti  des  Bologne. 
Florentins ,   &  envoya  des  Ambalîa-   p-  145, 
deurs  à  Venife  dans  cette  vue.  Ils  n'ou-  ^^'^'■ 
blierent  rien  pour  leur  rendre  cette  Ré- 
publique lufpcélc  i  Mais  il  trouva  dans 
les  Vénitiens  plus  de  fidélité  &c  de  fer- 
meté qu'il  ne  s'attcndoit.    Il  alla  enfui- 
te  attaquer  Bologne  qui  par  précau- 
tion avoit  recherché  l'aUiance  des  Flo- 
rentins.    Comme  il  étoit  fuperieur  en 
force  il  s'en  rendit  maître  après  un  com- 
bat opiniâtre  6c  y  fit  bâtir  une  forteref- 
fe.     Cette  'victoire  fut  trés-funefle  aux    ^4oï' 
Florentins,    plufieurs  de  leurs  voifins^'^^^* 
s'en  étant  prévalus  pour  les  abandonner 
&  même  pour  les  attaquer  en  divers  en- 
droits. Dans  cette  extrémité  ils  s'adref- 
ferent  à  Bonifacc  IX.  fur  qui  GaleaiTe 

avoit 


6Z        PoGGIANA.  P^r/. /// 

avoit  ufurpé  plufieurs  villes  comme Pc^ 
roufe  6c  Boulogne.     Ce  Duc  nemédi- 
toit  rien  moins  que  l'Empire  de  l'Ita- 
lie.  Il  avoit  déjà  Eiit  faire  une  couron- 
ne &  tous  les  autres  ornemens  Royaux 
qu'il  tenoit  tout  prêts  à  Marignan  où  il 
MoTt  de  avoit  fait  bâtir  uîie  maifon  de  plaifan- 
Jean  Ga-  ^e  j  Mais  une  mort  inopinée  délivra  les 
Made  fon  Florentins  de  leurs  allarmes  6c  convain- 
ïils  aine     quit  Galeafle  de  la  vanité  des  efperances 
humaines  *.  Il  partagea  ^t^  Etats  entre 
fes  trois  fils.     Il  donna  le  Milanois, 
Boulogne,  Sienne,  Peroufe  ôc  Afîife 
à  Jean  Marie  l'aîné  avec  le  titre  de 
Ducj  Pavie,  Vérone,   Vicence  avec 
quelques  petites  Villes  à  Philippe  Ma- 
rie i    6c  Pife  à  Gabriel  fon  fils  natu- 
rel qu'il  avoit  légitimé  -\.   L'Hiftorien 
reprefente  Galealfe  comme  un  Prince 
magnanime,  libéral,  d'une  magnificen- 
ce Royale,  amateur  des  Savans  6c  des 
grands  hommes,  mais  d'une  ambition 

dé- 
*  Il  mourut  de  la  pefte  au  mois  de  Septem- 
bre de  140Z.  âgé  de  55.  ans.  p.  153. 

I  Voyez  là-delfus  une  Lettre  que  Lucio  Col- 
lucio  Salutato  Chancelier  de  Florence  en  écrivit 
au  Roi  de  France.  Balux..  Mifcel.  T.  IV.  p.  516. 
Ce  Collucio  étoit  un  des  grands  hommes  de  fon 
tems,  foit  par  fon  favoir,  loit  par  ia  prudence  & 
fa  valeur. 


Histoire  de  Florence.  Liv.  I.  6^ 
démefurée  8c  dont  la   fidélité  n'avoit 
point  d'autre    règle  que   fes  intérêts. 
''  Dès  que  la  mort  de  GaleafTe  fut  annon- 
cée à  Florence,  on  en  fît  pendant  plu- 
liéiirs  jours  de  grandes  rejouïfTances , 
on  donna  des  jeux  &  des  fpeélacles  pu- 
blics.    Cependant  les  Ambafîadeurs  de   Les  FIo^ 
Florence  ignorant  cette  mort  avoient  rentins 
fait  alliance  avec  le  Pape  qui  devoit  i°nce 
fournir  cinq  mille  hommes  &  les  Flo-  avec  I« 
rentins  flx ,  p©ur  lui  aider  à  recouvrer  ^ape, 
fes  places.  Il  avoit  déjà  envoyé  Thomas 
cel  fon  frère  dans  le  Peroulin  oii  par  le 
fecours  des  Florentins  &  des  bannis  de 
Peroufe  il  avoit  déjà  repris  plufieurs 
places.   Et  même  s'il  eût  eu  plus  de  vi- 
gueur &  de  courage  il  auroit  pti  pren- 
dre la  Capitale.  Mais  le  Duc  Jean  Ma- 
rie y  ayant  envoyé  trois  mille  hommes 
il  eut  une  telle  frayeur  qu'il  fe  retira 
honteufement  à  Todi. 

Cependant  les  Florentins  n'étoient 
pas  fans  inquiétude  6c  fans  occupation. 
La  Cavalerie  Milanoife,  qui  étoit  ref- 
tée  à  Sienne  8c  à  Pife,faifoit  des  cour- 
fes  perpétuelles  dans  leur  païs ,  comme 
de  leur  côté  ils  en  fàifoient  avec  beau- 
coup de  fuccës.  Dans  la  crainte  que 
cette  petite  guerre  n'en  allumât  une 

#  plus 


Les  Flo- 
rentins 
portent  la 
guerre 
dans  la 
Ro  ma- 
gne. 


1403. 
p.  156. 


Jean  Ma- 
rie fait  la 
paix  avec 
le  Pape  à 
l'infu 
des  Flo- 
rentins. 


64.  PoGGiANA.  Parf.  III. 
plus  grande  ,  on  créa  des  Décemvirs^ 
ôc  on  refolut  de  tranfporter  la  guerre 
de  Tofcane  dans  la  Romagne  dont  Ga- 
leafîe  avoir  ufurpé  la  plus  grande  partie. 
Pour  cet  effet  Boniface  envoya  Baltha- 
far  Cofla  Cardinal  de  S.Euftache*dans 
le  Bolonois  "j"  avec  une  bonne  armée 
pour  affiegcr  Boulogne.  Charles  Ma- 
latella  l'un  des  plus  grands  Capitaines 
de  Ton  tems  commandoit  cette  armée. 
Etant  arrivé  près  de  Boulogne,  après 
avoir  fait  des  courlês  dans  le  Parmefan , 
le  Légat  ne  jugea  pas  à  propos  qu'on 
fe  hâtât  de  mettre  le  ficge  devant  cet- 
te ville  5  parce  qu'il  efperoit  l'avoir  par 
trahifon.  En  attendant  il  fît  marcher 
l'armée  du  côté  de  Milan  oii  il  trouva 
au  dedans  &  au  dehors  des  brouilleries 
favorables  à  Tes  defTeins.  Il  y  avoit  dans 
Milan  deux  violentes  faétions  qui  don- 
nèrent occafion  à  plufîeurs  Villes  de  fe 
Ibûlever  contre  le  Duc ,  comme  Crémo- 
ne, Plaifance,  Brefîe,  Bergame.  Dans 
cette  fâcheufe  fituation  Jean  Marie  ne 
fe  croyant  pas  en  état  de  loûtenir  une 

guer- 

*  C'eft  celui  qui  depuis  fut  Pape  fous  le  nom 
deJcanXXllI. 

]  La  Boulogne  fiaifoit  autrefois  partie  de  h 
Romagne. 


Histoire  de  Florence.  Liv.I.  6f 
guerre  contre  le  Pape ,  fit  la  paix  avec 
lui  en  rendant  les  places  de  l'Etat  Ec- 
clefiallique.  On  n'eut  aucun  égard  aux 
Florentins  dans  ce  Traité  êc  même  il 
le  fit  à  leur  infu.  En  même  tems 
Bologne  ôc  Peroufe  fê  rendirent  au 
Légat. 

Les  Florentins  le  plaignirent  au  Pa- 
pe de  ce  que,  contre  les  conventions, 
on  avoit  tr^aité  avec  le  Duc  de  Milan, 
non  feulement  fans  leur  en  faire  aucune 
part ,  mais  fans  aucun  ménagement  pour 
leurs  intérêts.  Le  Pape  qui  avoit  recou- 
vré fes  places  ne  fe  mit  pas  beaucoup 
en  peine  de  leurs  plaintes,  ni  de  fa  paro- 
le, &  rappella  fon  Légat.  Cette  infidé- 
lité de  Boniface  ne  fit  pas  perdre  cou- 
rage aux  Florentins.     Profitant  de  la     Courfes 
foiblefie  du  Duc  dont  les  Etats  étoient  ^^^  .f 'o- 
mis  en  pièces  par  la  révolte  de  plufieurs  ^l^^^\ç 
Villes  *  6c  par  les  fureurs  des  Guelphes  MUanois. 
&  des  Gibelins  "f"  ils  envoyèrent  douze 
cens  chevaux  ravager  le  Milanois,  8c 

four- 

•  Comme  Alexandrie  de  la  Paille,  Côme, 
Verceil,  Novarre,  Pavie,  Plaifance  &  Vérone 
qui  rentra  fous  la  domination  des  Scaligcrs.  p.  159, 
160. 

t  Les  bouchers  vendoient  publiquement  au 
marché  la  chair  des  Gibelins. 

J'm.  IL  E 


66         PoGGIANA.  Piîr/.  ///. 

fournirent  du  fecours  à  Petro  Rojfo  cjui 
s'étoit  emparé  de  Panne.  .    '^ 

Mort  de     Cependant  le  Duc  Jean  Marie  'nit 
J5*p^*"  afîiiflîné,  par  fes  propres  domeftiques  à 
pc  Marie  ^^^  ^^  Tyrannie  étoit  devenue  infuppor- 
prend  fa    table.  On  nous  rcpréfcnte  ce  jeune  Duc 
place  &    comme  un  homme  cruel  jufqu'à  la  fti- 
avec^les^^^^"^'  Il  avoit  fait  empoifonna*  fa  me- 
Floren-    re,  &  rempli  Milan  de  maflacres.     Il 
tins.         expofoit  lui-même  les  objets  de  fa  hai- 
^^^?'     ne  à  être  déchirez  par  les  chiens.   Phi- 
lippe Marie  fucceda  à  (on  frère  &  re- 
couvra la  pliâpart  des  places  que  ce 
dernier  avoit  perdues.     Ayant  enfuitc 
fait  la  paix  avec  les  Florentins ,  il  leur 
donna  le  tems  de  raccommoder  leurs 
affaires.     Ils  reprirent  plufîeurs  places 
occupées  par  des  Tyrans ,   &  firent  la 
paix  avec  les  Sienois.  Gabriel  Marie ,  fik 
de  G  aléas ,  à  qui  fon  Père  avoit  donné 
Pife  pour  fon  partage ,  ne  pouvant  s'y 
foûtenir  la  leur  vendit  deux  cens  mille 
écus  d'or  par  le  confèil  de  Jean  Boucî- 
caiit  qui  commande  it  à  Gènes  pour  le 
iioi  de  France  *.  Mais  cette  acqui fi cion 
^  flit 

*  Le  Roi  de  France  avoit  refolu  de  prendre 
Gabriel  en  fa  proteélion ,  mais  il  en  fut  fans  dou- 
te détourné  par  la  Lettre  de  Collutatio  dont  ou 
rient  de  parler.  Baluz..  uh.fupr. 


Histoire  DE  Florence.  Z/i;./.  Sj 
fut  la  fource  d'une  guerre  qui  dura  plus   1404, 
d'un  an  entre  la  République  de  Flo-  Mos- 
rence  &  celle  de  Pife.     Les  Pifans  ce-P*  '°3' 
pendant  ayant  repris  la  Citadelle  de  Pi- 
lé par  la  lâcheté  de  la  garnifon  Floren- 
tine envoyèrent  à  Florence  pour  traiter 
de  la  paix.   Mais  leurs  proportions  pa- 
rurent fi  déraifonnables  aux  Florentins   Guerre 
qu'ils  ne  penferent  plus  qu'à  la  guerre  ^^'^  F'o- 
afin  de  fe  mettrç  une  bonne  fois  en  pai fi-  ^^^^  jç, 
ble  pofTefiion  d'une  Ville  qui  les  avoit  pifans, 
fi  fouvent  traverfez  *  depuis  plufieurs 
fiècles,  &  qui  d'ailleurs  étoit  fi  fort  à 
leur  bienfeance  pour  leur  commerce. 

Ils  envoyèrent  donc  dans  le  Pifàn 
une  armée  de  douze  mille  hommes  fous 
le  commandement  de  Bertold  des  Ur- 
fins  Comte  de  Soanne.  Ce  Général  prit 
d'abord  quelques  places  avec  afièz  de 
fuccès.  Mais  il  demeura  fix  mois  au 
iiège  d'une  ForterefTe  (a)  dont  la  prife  (a)  Vico^ 
étoit  néceflairc  pour  avoir  Pifê.  Cette 
Forterefle  fut  enfin  emportée  avec  plu- 
fieurs places  de  fes  dépendances ,  après 

Un  fiège  d'environ  un  an  f.  La  ville  de 

Pi» 

*  Voyez  l'Hiftoire  de  ces  hoftilités  Hîjl.  Pog^,  „ 
p.  176  not. 
f  Elle  fut  prifc  en  i4®6.  p.  173. 
È  i 


<58  PoGGIANA.  P^r/. ///. 
Pife  étoit  alors  dcchirce  par  des  factions. 
Quoiqu'aprcs  la  mort  tragique  de  Gam- 
bacurta ,  la  plupart  des  Guelphes  en 
euiïent  été  chafTez ,  il  en  refloit  encore 
fuffifamment  pour  mettre  la  ville  en 
combulHon  par  l'oppofition  des  Gibe- 
lins. Ils  prirent  néanmoins  les  uns  6c 
les  autres  la  refolution  de  s'unir  pour 
leur  défenle  commune  5  les  bannis  ren- 
trèrent dans  leur  patrie;  Mais  ils  fe 
trouvèrent  mal  d'avoir  rappelle  Jean 
Gamhacurta^  qui  nonobftant  la  réunion 
des  deux  partis  fit  mourir  les  princi- 
paux de  la  faélion  Gibeline,  &  s'empa- 
ra du  Gouvernement. 

Les  Pifans  ayant  fait- inutilement  des 
propofitions  de  paix ,  il  fallut  fc  prépa- 
rer à  foûtenir  le  fîège.  Ils  commencè- 
rent cette  guerre  fous  de  malheureux 
aufpices.  On  leur  enleva  d'abord  une 
Galère  qui  venoit  de  Sicile  chargée  de 
grain.  Deux  de  leurs  Généraux  furent 
batus  en  deux  combats  confccutifs.  On 
leur  coupa  les  vivres  par  mer  &  par  ter- 
re afin  de  les  réduire  par  la  famine.  A- 
près  ces  précautions  on  entreprit  le 
1406.  lîcge  dans  les  formes.  Les  Pifins  afîîe- 
p.  \6').  ,  gez  par  mer  &  par  terre  &  fans  efpe- 
rance  de  pouvoir  faire  entrer  ni  fecours 

ni 


Histoire  de  Florence.  Liv.I.  6p 

ni  munitions  de  bouche  furent  obligez 
d'implorer  des  fecours  étrangers.     Ils 
envoyèrent  des  Ambafladeurs  à  Ladiflas 
Roi  deNaples  pour  lui  offrir  leur  Ville, 
s'il  vouloit  venir  à  leur  fecours.     Ce 
Prince  ayant  répondu  qu'il  n'ctoit  pas 
dilpofé  à  rompre  avec  les  Florentins  en 
faveur  de  Pife ,    ils  eurent  recours  au 
Roi  de  France ,  &  firent  au  Duc  de 
Bourgogne  Coufin  germain  de  ce  Mo- 
narque les  mêmes  offres  qu'ils  avoient 
faites  à  Ladiflas.  Le  Roi  de  France  les 
accepta  6c  fît  aufîi-tôt  favoir  aux  Flo- 
rentins que  Pife  étant  à  lui ,  ils  euOent 
à  mettre  bas  les  armes,  &  à  s'abf tenir 
de  toute  hoftilité.     Les  Florentins  ré- 
pondirent que  Pife  étoit  à  eux ,  qu'ils 
î'avoient  bien  payée ,  que  les  Pifîms  n'a- 
voient  point  été  en  droit  de  la  vendre, 
&  qu'ils  croyoient  le  Roi  trop  équita- 
ble pour  vouloir  s'emparer  du  bien  d'au- 
trui.     On  pouffoit  cependant  le  fiège 
avec  vigueur ,  malgré  les  menaces  que 
fàifoit  l'Envoyé  du  Duc  de  Bourgogne 
au  Général  Florentin  s'il  ne  fe  retiroit 
de  devant  la  place  ^, 

Ce- 
*  Cet  Envoyé  preffant  avec  trop  de  hawfcur 
le  Général  de  lever  le  fiège  fut  jette  dans  la  rivie'. 
re  d'Arno. 

E3 


yo      VoGGiAUA.Payt.III. 

Les  Flo-     Cependant  la  Ville  étoit  fî  preflec  de 
rcntins  fe  la  faim  qu'on  étoit  réduit  à  manger  les 
mafres    chevaux  &  les  rats.     C'eft  ce  qui  obli- 
de  Pife.    g^s.  les  Pifans  à  en  faire  fortir  les  fem- 
mes 5  les  vieillards  &  tout  ce  qui  étoit 
incapable  de  porter  les  armes,  mais  les 
Florentins  les  y  firent  rentrer.     Enfin 
la  famine  &  la  mortalité  contraignirent 
Gambacurta  à  promettre  de  fe  rendre 
fous  des  conditions  qMi  lui  furent  fort 
avantageufes ,     les  Florentins    aimant 
mieux  être  maîtres  de  la  Ville  encore  en 
aflez  bon  état  que  de  la  polîèder  ruinée 
comme  elle  l'auroit  été  en  peu  detems. 
Les  Flo-     Cette  conquête  ayant  rendu  les  Flo- 
ifcntius     rentins  redoutables  à  leurs  Voifins ,  ils 
s  unifient  JQ^jj-^j^^  pendant  deux  ans  d'une  pro- 
slenois"    fonde  paix.    Elle  fut  troublée  par  Gre- 
contreLa-goire  XII.  à  cette  occafion.    Ce  Pape 
diflas  Roi  jj^  voulant  pas  tenir  la  parole  qu'il  avoit 
1408.^   donnée  de  céder  le  Pontificat,  s'il  étoit 
p.  178.     neccffaire  pour  la  paix  de  l'Eglifê,  fut 
^a)  A  la^ibandonné  de  fès  Cardinaux  (a)  qui  al- 
reicrve     lerent  à  Pife,  où  ils  furent  joints  par  la 
de  deux,  plupart  des  Cardinaux  de  Benoît  XIII. 
fon  concurrent  5  pour  y  tenir  un  Conci- 
le.   Grégoire  XIT.  étoit  alors  à  Luc- 
ques  dont  les  paflages  étoient   fi  bien 
gardez  qu'il  ne  pouvoit  en  fortir.  Pour 

s'en 


Histoire  de  Florence.  IJv.T.  jt 
s'en  tirer  il  rechercha  l'amitié  de  La- 
diflas  Roi  de  Naples  qui  comme  lui  a  voit 
intérêt  à  empêcher  qu'il  ne  fe  tînt  un 
Concile  Général  parce  qu'il  craignoic 
d*y  être  dépouillé  de  Ton  Royaume  en 
faveur  de  Louis  d'Anjou.  Ladillas  *  fît 
donc  demander  paflagc  aux  Florentins 
pour  aller  tirer  Grégoire  XII.  de  Lac- 
ques qui  y  foufFroit  une  efpece  de  capti- 
vité, les  amufant  de  l'efpoir  d'une  al- 
liance qui  leur  (èroit  avantageufe.  Les 
Florentins  répondirent  qu'ils  lui  cnver- 
roient  desAmbafladeurs  pour  mieux  fa- 
voir  fes  intentions.  Quand  ils  furent  ar- 
rivez à  Rome  le  Roi  voulut  d'abord  exi- 
ger des  Florentins  qu'ils  fiflcnt  fortirles 
Cardinaux  de  Pife  6c  qu'ils  ne  fouffrif- 
fent  pas  qu'on  y  tînt  un  Concile,  6c 
leur  propofa  de  faire  alliance  avec  lui  j 
Les  Florentins  refuferent  l'un  &  l'autre 
parce  qu'ils  voyoient  bien  qu'une  des 
conditions  feroit  que  le  Pape  gardât  les 
places  de  l'Etat  Ecclefîailique  qu'il  pof- 
fedoit,  &  que  d'ailleurs  ils  efperoicnt 
de  trouver  leur  compte  à  la  tenue  du 
Concile.     Ladiflas  irrité  de  ce  refus  les 

me- 

•  Il  étoit  alors  maître  de  Rome  &  de  plufieura 
places  de  i'Ëglife. 

E  4 


nz      PoGGïANA.  Part.  III. 

menaça  d'envoyer  huit  mille  hommes 
mettre  tout  à  feu  ôc  à  fang  dans  le  Fio»- 
rentin.  Il  leur  tint  parole.  Il  alla  lui- 
même  avec  une  armée  dans  le  Sienois 
pour  être  plus  à  portée  de  fondre  fur  eux. 
Les  Florentins  de  leur  côté  envoyè- 
rent à  Sienne  pour  affermir  les  Sienois 
dans  leur  amitié  6c  leur  offi-irdufecours- 
contre  Ladiflas,qui  étoit  déjà  fort  près 
de  leur  Capitale.  Ayant  trouvé  les  Sie- 
nois dans  les  difpofîtions  oii  ils  les  fou- 
haitoient ,  les  Ambaifadeurs  de  l'une 
&  de  l'autre  République  allèrent  trou- 
ver Ladillas  pour  lui  demander  la  paix. 
Ils  le  rencontrèrent  à  Acquapendente 
fur  la  Paglia  dans  le  Sienois ,  mais  ils  n'en 
tirèrent  d'autre  réponfe ,  flnon  qu'il 
étoit  venu  non  comme  ennemi,  mais 
comme  ami, pour  régler  certaines  cho- 
{ts  qui  regardoient  la  paix  de  l'Italie, 
ôc  qu'il  leur  envciroit  fes  Ambaflâdeurs 
pour  leur  expliquer  plus  amplement 
jfes  intentions.  Les  Ambaflâdeurs  de 
Florence  &  de  Sienne  s'en  retournèrent 
bien  pcrfuadez  qu'il  ne  vouloir  que  les 
amufer  par  une  réponfe  fi  vague ,  Se 
qu'il  ne  propofoit  de  leur  envoyer  fepa- 
rement  des  Ambaflâdeurs  qu'afin  de  les 
p.  Ï83.  divifer  pour  fe  rendre  maître  des  uns  & 
des  autres.  En 


Histoire  de  Florence.  Liv.L  75' 
En  effet  rAmbafladeur  qui  alla  à 
Sienne  fit  tout  ce  qu'il  put  pour  déta- 
cher les  Siennois  des  Florentins  en  rap- 
pellant  toutes  les  inimitiez  paiîees,  ôc 
en  leur  donnant  mille  ombrages  pour 
l'avenir.  Les  Sienois  répondirent  avec 
beaucoup  de  fermeté  qu'il  feroit  égale- 
ment indigne  6c  du  Roi  d'attaquer  des 
gens  qui  n'avoient  jamais  recherché  que  j . 
fon  amitié  ,  &  d'eux  de  manquer  de  p.  184'. 
foi  à  leurs  Voifins  Ôc  Alliez.  Celui  qui 
alla  à  Florence  tint  un  autre  langage  > 
Il  fe  plaignit  entre  autres  i .  Que  par 
le  fecours  des  Florentins,  les  exilez  de 
Peroufe  incommodoient  tellement  la 
Marche  d'Ancone  qu'il  lui  étoit  im- 
pofhble  de  lever  les  impôts  que  le  Pa- 
pe lui  avoit  cédez  *.  2.  Que  les  Flo- 
rentins s'étoient  unis  avec  le  Légat  de 
Bologne  fon  ennemi  "j".  3.  Qu'ils  a- 
voient  accordé  la  Ville  de  Pife  aux  Car- 
dinaux pour  y  tenir  un  Concile  contre 
Grégoire  XIL  qui  étoit  le  Pape  légi- 

ti- 

*  Le  Pape  avoit  donné  à  Ladiflas  fix  mille 
écus  d'or  à  prendre  fur  laMarched'Ancone  pour 
l'engager  dans  fon  parti  contre  e  Concile  de 
pife. 

•j-  Balthafar  Cofla  Cardinal  de  S.  Eultache. 


74       VOGGIAV A.  Payt,  III. 

time  *.     Enfin  il  leur  propofa  de  faire 
alliance  avec  le  Roi.   Après  avoir  réfu- 
té ces  plaintes  ou  plutôt  ces  chicanes, 
les  Florentins  répondirent  qu'il  ne  leur 
étoit  pas  permis  de  traiter  avec  perfon- 
ne  que  du  confentement  de  leurs  Alliez, 
beaucoup  moins  encore  de  le  faire  avec 
un  Prince  qui  exerçoit  des  hoftilitez, 
dans  le  pais  de  leurs  amis.  Qu'il  n'avoit 
donc  qu'à  iè  retirer  avec  fon  armée  6c 
qu'alors  ils  feroient  tout  difpofés  à  trai- 
ter avec  lui  fous  des  conditions  raifon- 
nablcs. 
Ladiflas      LadiOas  en  fureur  de  cette  répon(ê 
s'en  re-     s'approcha  de  Sienne  pour  tâcher  d'ex- 
Naplcla-  citer  quelque  fedition  dans  la  ville.  Mais 
près  avoir  n'y  voyant  aucune  difpofition  il  s'alla 
Dillé  le     jctter  dans  le  Florentin.    Il  mit  le  fiegc 
j°^Q^^^'"' devant  Arezzojôc  en  fut  repouffc  hon- 
p.  i88.     teufemcnt.  Il  s'avança  de  là  dans  le  ter- 
(a)  Acinqritoire  de  Cortone  (a)  >  mais  desefpe- 
^^}  rant  de  prendre  cette  place ,  il  fe  con- 

tenta  de  piller  la  campagne  avec  tant  de 
fureur  "j" ,  que  les  habitans  d'ailleurs  las 
de  la  domination  de  leur  Commandant 

ou 
*  Pierre  de  Lune  ctoit  fon  concurrent  fous  k 
nom  de  Benoît  XIII. 

t  On  l'appelloit  à  caufe  de  cela  le  Roi  GÀtê' 
fhamft  Guafiagran». 


Histoire  De  Florence.  Liv.  I.  jf 

pu  plutôt  de  leur  Tyran  fe  rendirent 
à  difcretion.  Il  s'empara  enfuite  de  Pe- 
roufe  où  il  fut  reçu  avec  beaucoup  de 
joye  5  &  ayant  laifTé  une  partie  de 
ion  armée  pour  garder  les  places  qu'il 
avoit  conquifes  il  s'en  retourna  à  Na- 
ples. 


HïS-^ 


7« 

•^■/h-/>>y^-^y'hy^'/>i    •«'O  VO  V^i  ■/?>■,«>> -^  yOj  vO> 


HISTOIRE 

D    E 

FLORENCE. 


LITRE  SECOND. 


Concile 
de  Pife , 
où  Ladif-pll 
las  efl;  dé 
pofc. 


^^^ 


p  Eridant  que  ces  chofes  fe  paC» 
I  foient  Grégoire  XII.  &  Be- 
i  noît  XIII.  furent  dépofez  au 
^  Concile  de  Pife ,  &  Alexan- 
dre V.  *  fut  élu  Pape  êc  reconnu  de 
toute  la  Chrétienté  horsmis  des  Rois 
d'Arragon  &  de  Caftille ,  qui  tenoient 
pour  Benoît  XIII.  Ladiilas  avoit  bien 
prevû  que  ce  Concile  lui  feroit  fatal.  Il 
y  fut  dépouillé  de  fon  Royaume ,  en 
faveur  de  Louïs  d'Anjou  fon  competi^ 

teur, 
*  Pierre  Philargi  de  Candia  Bourg  du  Mila^ 
nois,  Cardinal  des  douze  Apjties. 


Histoire  DE  Florence.  Z/V./Z  jj 

teur.  Ce  dernier  pour  fe  maintenir  con- 
tre Ladiflas  fit  alliance  avec  les  Sienois, 
avec  le  Légat  de  Bologne ,  ^  avec  les 
Florentins  par  le  fecoui^s  defquels  La-    Ladiflas 
diflas  fut  chafle  de  Rome  &  de  tout  f-  chafle 
l'Etat  Ecclefiaftique.  Pendant  ce  tems-  '^^^|^^' 
là  mourut  Alexandre  V.  à  Bologne, p.  19 1.* 
non  fans  foupçon  d'avoir  étéempoilbn- 
né  par  le  Légat  qui  lui  fucceda  au  Pon- 
tificat *  fous  le  nom  de  Jean  XXIIL 
On  ne  pouvoit  faire  une  élection  plus 
defagreable  à  Ladiflas.    Jean  XXIIL 
étoit  fon  mortel  ennemi ,  &  foûtenoit 
Louis  d'Anjou  de  tout  fon  pouvoir. 
Comme  d'ailleurs  il  redoutoit  les  forces 
des  Florentins ,  il  rechercha  leur  alliance,   Les  Flo- 
leur  offrant  de  les  dédommager  des  per-  rentins 
tes  f  qu'ils  avoient  faites  fur  la  mer  de  ^^"'^  '^ 
Gènes,  &  de  leur  rendre  Cortone.  La  Ladiflas. 
Ville  fut  fort  partagée  fur  ces  propofi- 
tions  qui  paroifToient  fufpeétes  aux  plus 
éclairez.     Cependant  comme  on  étoit 
las  de  tant  de  guerres  confecutives  la 
paix  fut  acceptée,  à  condition  qu'elle 
ne  porteroit  aucun  préjudice  ni  au  Pa- 

pe, 

•  Balthafar  Cofla  Cardinal  de  S.  Euftache. 
t  Ils  y  avoient  perdu  foixame  mille  ccqs 
d*or. 


78       PoGGîAiJ A.  Part,  III. 
pc,  ni  à  Louis  d'Anjou  *,non  plus  qu'à 
leurs  autres  Alliez ,  6c  que  Ladillas  n'en- 
treprendroit  rien  contre  Rome,  ni  con- 
tre l'Etat  Ecclefiaftique. 

Les  deux  Rois  cependant  cherchè- 
rent l'occafion  de  décider  leurs  préten- 
tions par  les  armes.  Louis  campa  à  Ce' 
perano  "f  fur  les  confins  de  l'Etat  Ec- 
clefiaflique  5  &  Ladiflas  à  Ponte  Cor- 
vo  :!:  5  les  deux  armées  n'étant  feparées 
1411.     que  par  la  rivière  de  Gariglian.     Les 
p.  193.     troupes  du  Pape  qui  tenoit  pour  Louis 
^' ^^^'*l"' avant  pafle  la  rivière,  attaquèrent  La- 
troupes  de  ^^fl^  qui  fut  vaincu  ôc  mis  en  fuite  a- 
Louis      près  un  long  6c  furieux  combat,    L'af- 
d'Anjou    Jaire  étoit  entièrement  décidée  pour 
jgg^^Jp^J  Louis,  fi  les  Généraux  du  Pape  (a)  a- 
pe.  voient  voulu  profiter  de  leur  viéloire. 

(a)  Sforce  Mais  comme  ils  ne  demandoicnt  qu'à 
dsU      pi'olonger  la  guerre  ils  aimèrent  mieux 
fins.         s'amufer  à  piller  que  de  pourfuivre  l'en- 
nemi 1.  Le  Pape  voyant  bien  que  fes 

Gé- 

*  Il  étoit  à  Praro  dans  le  Florentin. 

I  Autrement  Fregelles  aux  extrémités  de  la 
Campanic. 

i  Bourg  de  la  Terre  de  Labour  fur  le  Gariglian. 

I  Ladiilas  difoit  lui-même  que  le  premier  jour 
il  auroit  pu  perdre  &  la  vie  &  le  Royaume;  le 
fécond  fon  Royaume,  mais  non  la  vie  ;  mais 
que  le  troifièmc  il  ne  perdroit  ni  l'un  ni  l'autre. 


Histoire  DE  Florence.  ZZ-y.//.  79 
Généraux  ne  vouloient  pas  pouffer  à 
boutLadillas5prit  la  réfolution  de  faire 
la  paix  avec  lui  en  lui  laifîant  le  Royau- 
me de'Naples  &  de  Sicile.  Mais  cette 
paix  ne  dura  pas  long  tems.  Ladiflas 
dès  Tannée  fui  vante  entra  triomphant 
dans  Rome ,  &  en  chafla  le  Pape  qui 
le  retira  au  Fauxbourg  de  Florence, 
n'olânt  pas  entrer  dans  la  Ville  où  La- 
diflas avoit  des  partifans  *. 

La  première  chofe  que  fît  Ladiflas    Ladiilas 
dès  qu'il  fut  Maître  de  Rome,  fut  d'y  '■^"^P^  l* 
dépouiller  les  Marchands  Florentins  qui  avoit  tito 
y  negocioient  malgré  la   parole  qu'il  avec  le 
avoit  donnée  à  ces  Marchands  de  les^^P^»*^ 
prendre  fous  la  proteélion.  Nonobstant  j^J^"^  ^ 
cette  perfidie,  les  Florentins  ne  lailTe-  Rome, 
rent  pas  d'accepter  le  renouvellement  Sa  mort. 
d'alliance  qu'il  leur  propofa ,  pc  ir  les  en-    ^"^^f 
dormir.     Mais  la  mort  qui  le  furprit  à 
Naples  ne  lui  laifla  pas  le  tems  à-:  jouir 
de  cette  fupercherie.   Ce  fut  une  djran- 
de  délivrance  pour  toute  l'Italie  &  en 
particulier  pour  Florence  qui  depuis  ce 

tems- 

*  L'Hiftoire  dit  que  Jean  XX!II.  ne  fut  pas 
fâché  d'apprendre  que  Ladiflas  étoit  au  voifma- 
ge  de  Rome,  afin  d'avoir  un  prétexte  de  ne  pas 
tenir  la  parole  qu'il  avoit  donnée  d'aller  au  Coa- 
cile  de  Conftance  p.  194. 


8o         POGGIANA.  P^r/.  ///. 

tems-là  vécut  en  paix  pendant  plufieurs 

années.  ^  4 

Philippe     Cependant  Philippe  Marie  Duc  de 

Marie  fait  Milan  appuyé  par  le  Pape  Martin  V.  * 
alliance  >  ^ ,  ■',  A  r^        -i      j     r^      r 

aver  les    ^^^  avoit  ete  élu  au  Concile  de  Coni- 

Floren-     tance,  après  l'abdication  de  Grégoire 

tins  &      Xll.  &  la  depoUtion  de  Benoît  XIII. 

bientôt!  ^  ^^  ^^^^  XXIII.  t-  recouvra  plu- 
iîeurs  places  qu'on  avoir  enlevées  à  fon 
père  êc  à  ion  frère.  Mais  il  ne  voulut 
pas  borner  là  fcs  conquêtes.  Il  entre- 
prit celle  de  Gènes  à  la  faveur  des  fac- 
tions qui  divifoient  cette  Ville.  Mais 
comme  il  craignoit  qu'elle  ne  fût  fe- 
14T9.     courue  par  les  Florentins  il  refolut  de 

p.  zoi.  renouveller  alliance  avec  eux.  Ce  que 
les  Florentins  acceptèrent  à  condition 
qu'il  n'avanc-eroit  point  dans  la  Tofca- 
ne  ni  dans  le  païs  de  Modene  au  delà 
de  Pontremole  î ,  ni  vers  Boulogne  au 
delà  du  fleuve  Cruftuîo  \.  6c  qu'il  ne  fe- 

roit 

*  C'étoit  le  Cardinal  Otton  de  Colonne  élu 
en  1417. 

t  M.  Recanati  fetrompeforr  quand  il  ditp.  197. 
que  Jean  XXIII.  abdiqua  volontairement. 

%  Place  aux  confins  des  Etats  de  Gènes  &  de 
Parme.  Elle  étoit  autrefois  du  Duché  de  Milan, 
depuis  elle  a  été  a  la  Tofcane. 

\  Il  prend  fa  fource  d'une  Fontaine  du  Mont 
Apennin  &  tombe  dans  le  Pô  du  côté  de  Bologne. 


Histoire  de  Florence.  Lm.  II.  î\ 
joit  point  d'alliance  à  leur  préjudice. 
Après  ce  Traité  il  s'avança  vers  Genesj 
qui  fatiguée  de  guerres  inteflines  aima 
mieux  fe  rendre  à  un  étranger  que  de 
périr  par  les  mains  de  fes  propres  Ci-  r^^j, 
toyens.  ibid. 

Martin  V.  au  retour  du  Concile  de   Mépris 
Confiance   étoit  allé   paHer  plufieurs  des  Flo- 

mois  *  à  Florence. Cette  Ville  enorgueil-  ^^"^'"^ 
,.    j,  r      V  j  >  ^     pour  Mar- 

ne d  une  prolperite  de  quelques  années  [ïq  y. 

témoigna  un  profond  mépris  pour  le 

Pape  5c  fouffroit  même  que  les  enfans 

l'infultaffent  dans  les  rues  \.     Ce  qui 

l'offenfi  le  plus  c'eft  que  les  Florentins 

tenoient  le  parti  àwGénérABraccio  qui 

par  leur  fecours  lui  avoit  enlevé  plu- 

fieurs  Villes  :]:.  Pour  fevanger  il  engagea    Le  Due 

le  Duc  de  Milan  à  rompre  le  Traite  qu'il  ^^  ^j'"^ 

avoit  rait  avec  les  r  lorentms ,  ce  a  ie  avec  les 

joindre  au  Légat  de  Bologne  contre  Florcn- 

leurs  conventions.     Il  fit  encore  diver-  '^"^* 

fes  infractions  qu'il  feroit  trop  long  de  p.^204. 

rapporter  en  détail.  Àret.  ibid. 

Les  i^o- 

*  Léonard  Aretin  dit  deux  ans.    Rer.  Italie. 
Hlji.  p.  1S9- 

t  llschantoient,/eP4/)^  Martin  ne  vaut  pas  un 
quadrain.  Léonard  Aretin  ubi  fupr. 

ij:  Il  fit  en  uitc  la  paix  avec  ce  Général  par 
l'cntremife  des  Florentins  &  s'en  alla  à  Rome. 
^^om.  IL  F 


îi       PoGGiAî^A.  Part.  III. 

Embarras      Les  Florentins  fe  trouvèrent  encore 
des  Flo-   dans  un  nouvel  embarras  par  un  petit 
rentins  au  i^eident  qui  devint  dans  la  fuite  une 
ViHc  de  *  affaire  importante.     Forli  (a)  Ville  de 
Forli.       l'Etat  Ecclefiaftique  avoit  été  occupée 
(a)  Dans  p^j-  Qeorge  Ordelafe  qui  la  gouvernoit 
gnc      *'^"  Souverain.     George  étant  venu  à 
p.  'zo4,    mourir  laiffa  cette  Ville  entre  les  mains 
d*un  fils  en  bas  âge  &  de  fâ  veuve ,  nom- 
mée Lucrèce^  fille  du  Prince  d'Imola  *. 
Celle-ci  ne  fe  fiant  pas  aux  habitans  de 
Forli  à  caufe  de  Catherine  fa  belle-fœur, 
qui  lui  en  difputoit  le  Gouvernement , 
s'étoit  mife  fous  la  protection  des  Flo- 
rentins.    Catherine  de  fon  côté  fe  mit 
fous  celle  du  Duc ,  qui  ne  demandant 
pas  mieux  qu'une  fi  belle  occafion  de 
fe  rendre  maître  de  Forli ,  envoya  des 
troupes  dans  le  Boulonnois  pour  être 
plus  à  portée  de  s'en  emparer.  Les  Flo- 
rentins furpris  d'une  démarche  fi  fuf- 
peéte  écrivirent  au  Légat  de  Bologne 
pour  le  prier 'de  faire  retirer  ces  troupes 
que  le  Duc  ne  pouvoir  avoir  fait  avan- 
p.  zc6.    ^^^  i  ufques  lu  fans  violer  le  Ti-aité  de  paix 
&  fans  quelque  mauvais  defiein.     Ce- 

pen- 

*  Auffi  Ville  de  l'Etat  de  l'Eglife  dans  la  Ro- 
maine. 


Histoire  DE  Florence.  Zi-z;.//.  85 
pendant  ceux  qui  étoient  dans  le  parti 
de  Catherine  fe  révoltèrent  contre  Lu- 
crèce, la  mirent  en  prifon  *j  &  firent 
entrer  les  troupes  du  Duc  dans  Forli. 
Les  Florentins  refolus  de  fe  vanger  de 
cette  infra6tion  envoyèrent  fîx  cens  che- 
vaux à  Forlimpopoli  f"  oii  Lucrèce 
s'ctoit  réfugiée,  &  écrivirent  au  Duc 
de  rappeller  fes  troupes  &  de  rendre 
la  Ville  à  Lucrèce.  11  le  promit  à  con- 
dition qu'on  pourvoiroit  ù  la  fureté  de 
ceux  qui  lui  a  voient  livré  la  place.  Les 
Florentins  cependant  envoyèrent  à  Mar- 
tin V.  lui  faire  des  plaintes  du  Duc  8c 
de  fon  Légat,  &  lui  offrir  du  fecours 
pour  reprendre  Forli  comme  étant  de 
TEtat  de  TEglifè.  Le  Pape  qui  avoic 
le  cœur  ulcéré  contre  les  Florentins  ^ 
&  qui  fâvorifoit  le  Duc  j  s'excufa  d'en- 
trer dans  cette  affaire  fur  ce  qu'il  étoit 
occupé  contre  Braccio ,  qui^  comme 
on  l'a  dit ,  lui  retenoit  plufieurs  Villes. 
Il  rappella  néanmoins  fon  Légat  de  Bo- 
logne :j:  &  envoya  en  fa  place  Gabriel 

Con- 

*  Elle  en  échappa  &fe  retira  à  quelques  lieues  de  là, 
I  C'étoit  autrefois  une  Ville  Epifcopale,   Au- 
jourd'hui ce  n'eft  qu'un  petit  Bourg  de  l'Eiat  dt 
i'Eglife  dans  la  Romagne. 
^  Alphonfe  Cardinal  de  S.  Euflache, 
F    Z 


84       P  o  G  G I A  N  A.  Part.  IIl. 
Condolmerio  Cardinal  de  Sienne  *.     Le 
p.  iop.   Prince  de  Ferrare ,  au  nom  de  qui  le  Duo 
^^*        de  Milan  avoit  fait  tout  ce  manège  "fy 
prétendant  que  Forli  lui  devoit  apparte- 
nir,  propofa  aux  Florentins  que  s'ils  vou- 
loient  l'affifter  de  leurs  troupes  pour 
s'en  mettre  en  pofleiîion  il  engageroit 
le  Duc  de  retirer. fa  Cavalerie  de  leur 
voifinage.     Les  Florentins  rejetterent 
(a)  Fils  de  "^^^  propofîtion  qui  lesengageoit  à  une 
Lucrèce,  infidélité  envers  leur  pupille  (a). 

Les  Flo-      Pendant  que  le  Duc  rorapoit  iburde- 
eard  "^'^^  ment  la  paix  avec  les  Florentins  il  leur 
plus  de     faifoit  propofer  en  public  les  moyens  de 
niefures    l'affermir.    Les  Florentins  de  leur  côté 
av'ecle     écoutoient  ces  propofitions,  moins  par 
Milan.      opinion  de  fa  bonne  foi  que  pour  n'avoir 
pas  à  fe  reprocher  une  rupture  ouverte. 
Ils  lui  envoyèrent  donc  des  Ambafla- 
deurs  à  là  requifition  pour  traiter  avec 
lui  une  alliance  dont  le  Pape  &  les  Vé- 
nitiens feroient  les  arbitres ,  comme  il 

fai- 

*  Il  fucceda  à  Martin  dans  le  Pontificat  fous 
le  nom  d'Eugène  IV.  &  fut  favorable  aux  Flo-' 
rentins  p.  xi}. 

f  Le  Duc  pour  s'cxcufer  d'infraélion  difoit  tan- 
tôt que  c'ctoit  au  nom  du  Ferrarois,  tantôt  que 
c  etoit  au  nom  du  Pape  qu'il  avoit  envoyé  k% 
troupes. 


HisToïRE  DE  Florence.  ZZ-y.  //.  Sf 
laifoit  mine  de  l'avoir  projette.   Quand 
ils  furent  arrivez  à  Lodi  (a) ,  le  Duc   (z)  A 
leur  défendit  d'approcher  plus  près  de  vingt  mi!- 
Milan  &  d'attendre  là  fesAmbafladeurs,jJ^  de  Mi-^ 

fous  prétexte  qu'il  y  avoit  quelque  in- 
dice de  pefte  à  Florence.  Mais  les  Am- 
balTadeurs  répondirent  avec  vigueur 
qu'ils  n'avoient  pas  ordre  de  s'addrellèr 
à  d'autres  qu'au  Duc  lui-même ,  qu'ils 
n'apportoient  pas  la  pefte  mais  la  paix, 
6c  que  fi  on  ne  vouloit  pas  y  entendre , 
il  falloit  décider  leurs  démêlez  par  les 
armes.  S'en  étant  retournez  (ans  répon- 
fe  k  Florence  on  y  prit  la  relblution  de 
ne  plus  garder  de  mefures  avec  le  Duc. 
Ce  qu'ils  faiibient  avec  d'autant  plus 
de  confiance  que  Braccio  leur  avoit 
promis  trois  mille  chevaux  de  renfort. 

Martin  V.  craignant  que  le  Duc  ne    Le  Pape 
pût  foutenir  tout  le  poids  de  cette  guer-  refufe  de 
re ,  envoya  Antonio  Lufco  *  à  Milan  pour  ^J^^^^  ^ux 
engager  Philippe  à  renouveller  la  paix  tins"^^^" 
avec  les  Florentins.   Le  Prince  de  Fer- 
rare  de  fon  côté  les  fit  afilirer  que  le 
Duc  defiroit  fincerement  la  paix  ,  & 
que  s'ils  vouloient  envoyer  des  Minif- 

très 

*  Secretake  du  Pape ,  &:  Collègue  de  Pogge  , 
qui  en  paik  fouvent  dans  fes  Oeuvres. 

F  5 


S6  PoGGiANA.  Part.  111. 
très  pour  en  traiter ,  elle  pourroit  fe 
conclure  à  la  fatisfa6tion  des  uns  &  des 
autres.  Mais  le  Duc  perfiftant  à  de- 
mander la  fureté  de  ceux  qui  l'avoient 
mis  en  pofTefîion  de  Forli ,  &  les  Flo- 
rentins prétendant  qu'il  falloit  remettre 
l'affaire  à  la  difcretion  de  Lucrèce  6c 
de  fon  fîls  j  on  fe  retira  fans  convenir 
de  rien.  Cependant  les  troupes  du  Duc 
faifoient  des  courfes  dans  la  Romagne 
êc  y  avoient  même  pris  la  ville  d'Imo- 
la  par  trahifon.  C'efl  ce  qui  engagea 
les  Florentins  à  députer  de  nouveau  au 
Pape  pour  le  porter  à  réprimer  les  en- 
treprifes  du  Duc  &  à  reprendre  les  pla? 
ces  qu'il  lui  venoit  d'enlever  j  Mais  ils 
n'en  purent  tirer  d'autre  réponfe  que 
celle  qu'il  leur  avoir  faite  la  première 
fois.  Il  rappella  même  fon  Légat  *,  à 
la  follicitation  du  Duc  parce  que  ce 
p.  il 3-  Légat  craignant  pour  Bologne  après  la 
'^^^'        prife  de  Forli  &  d'Imola  avoit  traité 

fêcretement  avec  les  Florentins. 

Charles       Les  Florentins  voyant  l'inutilité  de 

Malatefta  leurs  tentatives  pour  la  paix  mirent 

Char? 

*  11  envoya  pour  Légat  à  Bologne  Louis  Ala- 
pian  Savoyard,  Archevêque  d'Arles,  qui  fut  de- 
puis Cardinal. 


Histoire  DE  Florence. X/v.//.  87 

Charles  Malatella  à  la  tête  de  leur  ar-  Général  [I 

mée  avec  ordre  d'aller  camper  près  de  Florentin 
Forli  pour  obferver  fî  par  le  moyen  de  î?*;?^ 
quelque  fedition  excitée  dans  la  Ville  ilrl  cft  to 
ne  pourroit  pas  s'en  rendre  maître.  &  pris 
Comme  ils  avoient  aufïï  deflein  d'enle-  Pfi^on- 
ver  Gènes  au  Duc  de  Milan  avec  le  le-"p^^    . 
cours  des  exilez  de  cette  République,  z  16. 
ils  firent  entrer  dans  le  port  de  Gènes 
vingt- quatre  Galères  commandées  par 
Henri  Alphonfe  frère  du  Roi  d'Arragon 
dans  refperance  qu'il  arriveroit   quel- 
que tumulte  dans  la  Ville  en  faveur  des 
Citoyens  bannis.   Mais  la  haine  invété- 
rée des  Génois  pour  les  Catalans  *  em- 
pêcha le  {wcch  de  cette  cntreprife  qui 
n'aboutit  qu'à  faire  des  courfes  fur  mer 
tout  le  relie  de  l'été. 

Charles  Malatefta  afîîegeoit  cepen-  ^4^4' 
(dant  la  Ville  de  Forli  où  le  Duc  avoit^"  ^^^' 
envoyé  un  renfort  de  quatre  mille  hom- 
mes fous  le  commandement  àHAnge  de 
Pergola  f.  Ce  Général  afîiegca  en  paf- 
lânt  la  Ville  de  Zagonora  dont  Lucre- 
ce  avoit  donné  le  commandement  au 

Com- 

•  Voyez  les  raifons  de  cette  inimitié  ,  Btfl, 
Tlor.  Pogg.  p.  II 6.  note, 
t  Petite  place  entre  Sienne  &TloreîK€. 

F4 


SS         POGGIANA.  P^r/. ///. 

Comte  d'i\lberic  fon  allié.  Alberîc 
ne  fe  Tentant  pas  en  état  de  foûtenir  le 
iîège  demanda  du  fecours  'à  Malatefta , 
qui  y  vint  avec  fon  armée  pour  le  fai- 
re lever.  Malatefta  battit  d'abord  les 
ennemis ,  mais  au  lieu  de  les  pourfuivre 
il  lc3  laifTa  rallier ,  fut  défait  dans  un 
fécond  combat ,  6c  pris  prifonnier  avec 
plufieurs  des  Chefs  &;  une  grande  par- 
tie de  fon  armée  *.  Pour  fe  relever  de  cet- 
te perte  il  fallut  en  lever  une  nouvelle 
dont  le  commandement  fut  donné  à 
Nicolao  Piccinino  "j"  qui  avoit  fèrvi  en 
qualité  de  Colonel  fous  Braccio.  Ce 
nouveau  Général  commença  (a  Cam- 
pagne fous  de  mauvais  prefages,  mais 
qui  pourtant  tournèrent  à  l'avantage 
des  Florentins.  Il  fut  envelopé  dans  la 
Tofcane  par  un  gros  de  Païians  &  de 

Mon- 

*  On  a  dit  de  Charles  Malatefta  que  ce  fut  un 
des  plus  grands  &  un  des  plus  malheureux  Capi- 
taines de  fon  tems.  11  fut  mené  prifonnier  à  Phi- 
lippe Marie  qui  lui  fit  un  accueil  très- favorable, 
lui  donna  fa  liberté ,  le  çornbla  de  prefens  6c  eniT 
prêcha  qu'Ange  de  Pergola  ne  prît  Rimini  dont 
Charles  étoit  Seigneur  p.  ii8. 

t  11  commandait  tous  le  jeune  Othon  fils  du 
grand  Braccio  dont  on  a  déjà  parlé  qui  avoir  été 
tué  dans  un  combat  quelque  tems  auparavant. 
p.  119.  Voyez  auffiP/?/7//'/.£fr|<ï?».  Fol.  373. 


Histoire  de  Florence.  Lh.  IL  8> 

Montagnards  qui  tuèrent  le  jeune  Oddo 
Braccio  fous  qui  il  commandoit  &  l'em- 
menèrent lui-même  prifonnier  à  Fayen- 
ce.  Le  Gouverneur  de  cette  Ville ,  qui 
étoit  Milanois  * ,  prit  depuis  le  parti  des 
Florentins  par  le  Confcil  de  Piccinino  \ 
êc  de  Malatella.  Piccinino ,  ayant  re- 
couvré fa  liberté ,  fut  fait  Général  en 
Chef  de  l'armée  des  Florentins.  Après 
la  mort  de  Braccio  ils  envoyèrent  des 
Ambaffadeurs  au  Pape  pour  lui  renou- 
veller  les  inftances  qu'ils  luiavoient  fai- 
tes de  reprendre  fes  places ,  l'obllacle 
qu'il  avoit  allégué  étant  levé  par  la 
mort  de  ce  Général.  Ils  le  prioient  en 
même  tems  de  ne  pas  favorifer  le  Duc 
à  leur  préjudice,  6c  d'ordonner  à  fon 
Légat  de  ne  fe  pas  liguer  avec  lui  con- 
tre leur  République.  Cette  x\mbafîade 
n'ayant  pas  eu  un  meilleur  fuccès  que  les 
gutres  5  il  fallut  chercher  des  amis  ailleurs. 

Ils  envoyèrent  aux  Vénitiens  pour  Ne^ocia- 

leur  lions  d'al- 
liance en- 
*  Guidantomus  ManfredasMidiolanenJis.p.ixç.  tre  ks 
f  Ce  Général  étoit  fils  d'un  Boucher  au  rapport  Floren- 
d'iEneas  Sylvius.  Comment,  in  Dift    &:  Fad,  tins  &  les 
Alph.RcgisLib.I.p.9.  Puctmnum  lanïonïs  fi'.ium,  Vénitiens, 
i^uafi  regem  noflra  &tas  venerata  efl.     Des  illi  rei 
tnilitaris  périt iar».     At  inter  homints,  <^m  velfn- 
gire  -vel  cap ,  ^uam  mon  malunt. 

F  y 


PC>         POGGIANA.  P^r/. ///. 

leur  repréfenter  de  quelle  confequencô 
étoient  pour  eux-mêmes  les  entreprifes 
d'un  Prince  ambitieux  qui  ne  refpiroit 
que  l'Empire  d'Italie.    Les  Vénitiens 
ayant  envoyé  des  Ambafladeurs  au  Mi- 
^^^4-     lanois  à  leur  follicitation,  ils  n'en  tire^ 
P-  ^2.3.     ^^^^  ^^^  ^^  réponfes  vagues  &  ambi- 
guës.   Les  Florentins  envoyèrent  en 
même  tems  des  Ambafladeurs  à  l'Em- 
pereur Sigifmond  pour  lui  expofer  les 
violences  &  les  infidélitez  du  Duc  à 
leur  égard ,  ôc  l'inviter  à  venir  fe  faire 
couronner  en  Italiç5lui  offrant  pour  ce- 
la de  l'argent  ôc  des  troupes. 
Les  FIo-      Pendant  toutes  ces  négociations  An- 
rentins      ge  de  Pergola  ravageoit  la  Tofcane  Ôç 
fontbatus.j^  Romagne  &  y  prcnoit  plufieurs  pla- 
ces importantes.     Cette  année  (è  paflâ 
en  diverfes  efcarmouches ,   oii  l'avan? 
tage  fut  afl!ez  balancé  pendant  long- 
tems.     Mais  enfin  les  Florentins  fuc- 
comberent,  moins  par  le  nombre  que 
par  une  embufcade  qui  leur  fut  dreflee 
près  de  Fayence  où  ils  furent  défaits  en 
bataille  rangée, 
piccinino      L'année  fuivante  ne  fut  pas  plus  heu- 
quitte  le    reufe.     Au  bruit  de  la  défaite  des  Flo- 
fcrvicedes  i-g^tins  plufieurs  Villes  embrafferent  le 
tin7,  pour  P^^^i  ^^  Philippe.    Piccinino  leur  Gê- 
né- 


Histoire  de  Florence.  Lh.  II.  pt 

îiéral  fè  rangea  lui-même  fous  les  en- entrer 
ifeignes  du  Milanois  attiré  par  fes  pro-  dans  celui 
melTes  &  rebuté  par  le  peu  de  bonne  ïfjP"'^  ^^ 
foi  qu'il  trouvoit  dans  les  Decemvirs   i^ij". 
de  Florence.     Dans  cette  extrémité  il  p.  2x4. 
fallut  encore  avoir  une  fois  recours  au 
Pape  pour  le  prier  de  fe  rendre  arbitre  p.  xx^: 
de  la  paix.  Ils  envoyèrent  auffi  aux  Ve-  1^8. 
nitiens  qui  ouvrant  enfin  les  yeux  à 
leurs  propres  intérêts  écoutèrent  leurs 
propofitions.     Rien  ne  les  y  détermina   Les  Vc-; 
davantage  que  l'arrivée  de  François  de  nitiens 
Carmagnole  *  à  Venilè,     Ce  Général  "traitent 
avoit  quitté  le  feryice  du  Duc  de  Milan  pioren- 
pour  pafler  dans  celui  des  Vénitiens,  tins ,  à  la 
Comme  il  avoit  reçu  plufieurs  mccon-  fpHidta- 
tentemens  de  Philippe  qui  même  l'avoit  cam^ 
voulu  faire  empoifonner  à  Trevife  "f ,  gnole, 
il  ne  manqua  pas  l'occafion  de  s'en  ven- 
ger, en  animant  les  Vénitiens  contre 
lui  comme  contre  leur  plus  mortel  en- 
nemi.   Ils  firent  donc  déclarer  au  Duc 
qu'ils  étoient  refolys  à  lui  faire  la  guer- 
re, 

•  Voyez  l'Hiftoire  de  ce  Général  dans  Philip- 
pe de  Bergame.  De  Porcher  il  devint  le  plus 
grand  Général  de  fon  tems.  Bergam.  372.373. 
Pogg.  219. 

t  Autrement  Trevigni,  Ville  de  l'Etat  deVe- 
nife. 


pz       VoGGiAV!A.  Part.  III.        ^ 

re  5  s'il  ne  desarmoit  &  s'il  ne.  Ce  coït- 
tenoit  dans  {es  frontières  qu'il  avbit 
beaucoup  étendues  par  leur  .fecours. 
Pendant  ce  tems  la  paix  fe  conclut  en- 
tre les  Vénitiens  6c  les  Florentins, aux* 
quels  fe  ]oignirent  yfmedée  *  Duc  de  Sa- 
voy ej  6c  la  République  de  Sienne.  Les 
Florentins  donnèrent  le  commandement 
de  leurs  troupes  à  Nicolas  de  l'olentin  y 
êc  les  Vénitiens  celui  des  leurs  à  Car- 
magnole. 
Carma-  Ce  dernier  commença  la  Campagne 
gnole  af-  p^^j.  ^j-jg  entreprife  cohfiderable.  Ce  fut 
fe?&  la  i'attaque  de  la  Ville  de  Brelfe  place  trés- 
prénd.  bien  fortifiée.  Une  partie  de  cette  Vil- 
i42.<^'  le  étoit  occupée  par  les  Guelphes ,  6c 
l'autre  par  les  Gibelins.  Ce  fut  à  la  fa- 
veur des  premiers  que  Carmagnole  y 
entra  pendant  la  nuit  avec  une  partie 
de  fon  armée,  êc  que  s'étant  rendu  maî- 
tre du  quartier  des  Guelphes  il  s'y  for- 
tifia fi  bien  qu'on  ne  put  l'en  chafier. 
D'autre  côté  pour  donner  de  l'occupa- 
tion au  Duc,  le  Prince  de  Ferrare  ra- 
vageoit  le  Parmefan.  Si  T'attaque  fut 
des  plus  vigoureufes,  la  défenfe  ne  le 

fut 

*  11  fut  depuis  élu  Pape  au  Concile  de  Baflc 
fous  le  nom  de  Félix  V. 


Histoire  DE  Florence. X/'y.//.  pj 

fut  pas  moins.  Enfin  la  place  fuç  empor- 
tée après  un  fiège  de  huit  mois.  Cette 
conquête  étoit  difficile  à  garder,  parce 
que  Philippe  empêchoit  de  toutes  parts 
qu'on  ne  tit  entrer  des  vivres  dans  la 
Ville.  On  prétend  même  qu'elle  auroit 
pu  facilement  être  reprife,  fans  la  di- 
vifion  des  Généraux  ,  qui  donna  le 
tems  à  Carmagnole  de  prendre  quanti- 
té de  places  dans  le  BrelTan ,  &  autour 
du  Lac  de  Garde  d'oii  il  faifoit  entrer 
des  munitions  de  bouche  à  BrefTe.  De 
leur  côté  les  Florentins ,  n'étant  plus 
inquiétez  par  les  troupes  Milanoiies,eur 
rent  le  tems  de  recouvrer  plufieurs  de 
leurs  places,  &  de  reparer  une  partie 
de  leurs  pertes. 

Le  Pape  avoir  prolongé  la  guerre  au-   Le  Pape 
tant  qu'il  avoit  pu  dans  l'efperance  que  negotie  la 
les  Florentins  fe  rendroient  à  lui ,  en  ^^^f^^'- 
haine  du  Duc  de  Milan,  &  fatiguez  de  lanois  &  ' 
la  guerre  ;  Mais  quand  il  vit  l'inferiori-  les  FIo- 
té  du  Duc  de  Milan,  il  écrivit  aux  uns  ^^^ti^s,, 
6c  aux  autres  pour  les  exhorter  à  s'ac- 
commoder.   Les  y  trouvant  difpofez  il 
envoya  le  Cardinal  de  S. Croix  *,  Evê- 

que 
*  Nicolas Albergoti  : voyezfon  Oraifon  funèbre 
dans  les  Oeuvres  dePogge  p.  261.  &  fa  Vie  dans 
la  première  partie  de  cet  Ouvrage,  p.  68. 


^4      P  o  G  G I A  N  A\  Part.  IIL 

que  de  Bologne ,  aux  Vénitiens  pour  lei 
rendre  arbitres  de  cette  paix.    Ce  Pre-» 
lat  alla  auffi  à  Milan ,  où  ayant  trouvé 
le  Duc  difpofé  à  une  reconciliation,  i) 
alTembla  à  Ferrare  les  AmbafTadeurs  de 
chaque  parti  j   &  y  conclut  une  paix 
folemnelle.  Brefle,  Crémone,  &  Ber- 
game  que  les  Florentins  pofTedoient  a-» 
vant  la  guerre  furent  cédées  aux  Véni- 
tiens, avec  leurs  territoires ,  &  le  Duc 
de  Savoye  garda  ce  qu'il  avoit  conquis. 
Le  Duc  de  Milan  à  la  follicitation  du 
Cardinal  avoit  acquiefcé  aux  conditions 
de  la  paix  5  mais  il  parut  par  la  fuite 
qu'il  ne  l'avoit  fait  que  malgré  lui ,  & 
de  mauvaifc  foi.     En  effet ,    lorfque 
Carmagnole  alla  de  la  part  des  Véni- 
tiens prendre  poflefîion  des  Villes  qui 
leur  étoient  tombées  en  partage ,  il  n'y 
en  eut  aucune  qui  lui  en  voulut  donner 
les  Clefs.  Le  Légat  s'en  étant  retourné 
à  Rome  fort  imté  de  la  perfidie  du  Duc, 
Le  Mi-  ce  dernier  recommença  la  guerre  tout 
lanois  re-  ^ç.  nouveau.    11  prit  à  fa  Solde  les  trou- 
ceheucr'-P^^  que  les  Vénitiens  avoient  congè- 
re contre  diées ,  6c  les  détacha  contre  le  Pais  de 
les  Veni-  Mantoue ,    qu'elles  ravagèrent   impi- 
teH?.    toyablemcnt. 

rcntins.         Les  Vénitiens  ôc  les  Florentins  obli- 
gez 


Histoire  de  Florence.  Lîv.  IL  ^f 

gez  à  reprendre  les  armes,  levèrent  en 
diligence  une  nouvelle  armée,  &  en- 
voyèrent faccager  le  Milanois.  Le  Duc 
de  fon  côté  faifoit  mettre  tout  à  feu  6c 
à  fang  dans  le  BrefTan.  Il  avoit  d'ail- 
leurs fur  le  Pô  5  une  Flote  qui  s'empara 
de  plufieurs  places  maritimes  6c  entr'au- 
tres,  de  Cazal  *.  Ces  conquêtes  furent 
arrêtées  par  la  valeur  de  François  Bem- 
bo  qui  commandoit  la  Flote  Vénitien- 
ne. Cet  Amiral  obligea  les  ennemis  à 
lever  le  fiège  de  devant  Verfel  ^f ,  ou- 
vrit les  pafTages  du  Pô  qu'ils  avoient  fer- 
mez ,  6c  donna  la  chafle  à  la  Flotte  Mi- 
lanoife.  Carmagnole  de  fon  côté  ré(b-  Carma- 
lut  d'afîîeger  Crémone  afin  d'être  plus  gnole  af- 
à  portée  de  reprendre  les  places  du  Bref-  ^^^ê^  ^}^~- 
fan.  Après  avoir  emporté  la  ForterefTe^e^e^J^ 
de  Binafco  fur  l'Oglio  pour  faciliter  le 
tranfport  des  vivres ,  des  munitions  de 
guerre  6c  de  toutes  les  chofes  neceflai- 
res  à  un  fiège  j  il  alla  camper  fur  le 
bord  du  Pô  à  fix  milles  de  Crémone. 
Ces  progrès  obligèrent  le  Duc  à  for- 
tir  enfin  pour  la  première  fois  de  fa  re- 

trai- 

*  Cazal  maggiore  dans  le  Cremonois. 
t  Place  forte  lur  le  Pô  ,  dans  le  Duché  de 
Modene, 


,ij6        P  o  G  G I A  N  A.  Part.  m. 

traite  *,  où  il  avoit  été  renfermé  juP- 
qu'alors,  ne  faifant  la  guerre  que  par 
fes  Généraux  i".   Il  réfolut  de  marcher 
vers  Crémone,  &  campa  avec  une  ar- 
mée de  vingt  mille  hommes  de  bonnes 
troupes ,  à  trois  milles  de  l'armée  Ve- 
Bataille  nitienne.  Le  combat  fut  long  6c  la  vic- 
fangb.nte  toirc  il  bien  difputée ,   qu'elle  ne  de- 
S'î-f^  ^.    mcura  à  pcrfonne  ;    les  armées  furent 
&  les  Ve-  obligées  de  le  retn^er  par  pure  laflitude. 
niticns.  Cependant  le  Duc  de  Savoye ,  &  le 

Marquis  de  Montferrat  profitoient  de 
l'abfence  de  Philippe  pour  piller  juf- 
qucs  aux  portes  de  Milan'.  C'eft  ce  qui 
l'obligea  à  retourner  dans  fon  pais  avec 
le  peu  de  troupes  qui  lui  reftoit.  Car- 
magnole d'autre  côté  desefperant  de 
prendre  Crémone ,  attaqua  Cazal ,  avec 
lelecoursdelaFlotteVeniticmie.  Fran- 
çois Sforce  ayant  inutilement  pnurfui- 
vi  l'armée  des  Vénitiens  s'en  alla  re- 
prendre Binafco.  Mais  s'étant  aulTi-tôt 
retiré  dans  le  Camp,  Carmagnole  re- 
prit cette  place  6c  fit  jetter  la  Garnifon 

dans 

*  11  étoit  retiré  dans  une  ville  appellée  Ahbiat, 
p.  145. 

I  On  ne  remarque  pas  non  plus  que  fes  Pré- 
decefleurs  ayent  agi  par  eux-mêmes  dans  ces 
guerres. 


fefisToiRE  DE  Florence.  L/i'.//.  p/ 

dans  le  fleuve  ayant  appris  que  Sforce 
en  àvoit  ufé  de  même.     De  là  Carma-   Carma- 
gnole alla  mettre  le  fiège  devant  Cazal  ^j^°j^  ^.^^ 
dont  la  Garnifon  fe  rendit  fans  défenfe  2,ai ,  il  bac 
à  l'infu  de  Ton  Commandante     Après  les  trou- 
plufîeurs  hoftilitez  on  en  vint  àuncom-  P"  Miia- 
bat  décilîf  5  où  les  Vénitiens  remportè- 
rent une  viétoire  11  complette  qu'on  ne 
doutoit  point  que  lî  Carmagnole  eût 
voulu  la  pourfuivre,  le  Duc  n'eût  été 
entièrement  dépouillé  de  Tes  Etats.  Mais  P'^49' 
ce  Général ,  dont  la  fidélité  commençoit 
à  chanceler, fit  tant  par  fes  lenteurs  af- 
fectées qu'il  donna  le  tems  à  Philippe 
de  rétablir  fbn  armée.  Au  heu  de  pren- 
dre Crémone  6c  d'aller  droit  à  Milan , 
comme  il  le  pouvoit  alors,  il  amudi  fes 
troupes  aux  places  du  Breflan,  &  à  des 
courfes  qui  ne  fervoient  qu'à  les  fati- 
guer, fans  incommoder  beaucoup  l'en- 
nemi. 

Lo  Duc  commençoit  à  fe  défier  de  Le  Pape 
fes  forces  j  il  n'avoit  pu  lever  aflez  de  "^§o<^i2 
monde  pour  refilter  à  tant  d'ennemis  y  gj^f^e  le 
la  plupart  de  fes  meilleurs  Généraux  Milanois^ 
étoient  morts  >   les  fecours  qu'il  pou-  '^^  ^^"^" 
voit  avoir  d'ailleurs  ne  venoient  qLieJgj"^]^] 
lentement.  Toutes  ces  raifons  lui  firent  lentins, 
rechercher  fécretement  l'entremife  du 

Tom.  IL  G  Pa- 


5)8      P  o  G  G I A  N  A.  Part.  ni. 

Pape  pour  Elire  la  paix.  Les  Florentins 

d'autre  côté  las  de  faire  la  guerre  au 

profit  des  autres  Se  commençant  à  (e 

défier  de  Carmagnole ,   n'étoient  pas 

non  plus  éloignez  de  s'accommoder. 

Le  Cardinal  de  Sainte  Croix  fiât  donc 

encore  envoyé  par  le  Pape  à  Ferrare  où 

le  rendirent  les  Ambafiàdeurs  de  chaque 

1418.     parti.  La  Paix  fijt  conclue  à  condition 

P'  2.51.     qyg  |g  Y)uc  f endroit  aux  Florentins  ce 

qu'il  avoit  à  eux,  &  que  BrefTe  6c  le 

BrefTan  demeureroient  aux   Vénitiens 

avec  ce  qu'ils  avoient  pris  dans  le  Cre- 

monois ,   aufii  bien  que  Ëergame ,  & 

tout  (on  territoire  jufques  à  la  rivière 

d'Adde. 

Guerres      H  n'eût  tenu  qu'aux  Florentins  de 

de  Luc-    JQ^jji-  Jes  avantages  de  cette  paix  en 

Ques  avec  '  ^  .          ' 

les  Flo-     demeurant  en  repos.     Mais  des  brouil- 

remins.  Ions  qui  ne  cherchoient  qu'à  pêcher  en 
eau  trouble  les  enj^afferent  dans  une 
nouvelle  guerre  a  cette  occafion.  Les 
Lucqiîois  avoient  été  d'abord  neutres 
dans  cette  guerre.  Les  Florentins  a- 
voient  même  fait  quelques  démarches 
2^7  P^^i-^i"  ^cs  engager  dans  leur  parti  en  don- 
nant de  l'emploi  au  fils  de  Paul  de  Gui- 
'/lis  qui  regentoit  alors  à  Lucques.  Ce 
Roitelet  jugeant  que  le  Duc  de  Milan 

i"e- 


Histoire  de  Florence.  Zrj.  //.  pp 

feroit  fupericur,  rejetta  les  offres  des 
Florentins ,  &  envoya  du  fecours  à  Phi- 
lippe dans  l'efperance  d'affermir  fa  do- 
mination par  un  fi  puiflant  appui.  Les 
Florentins  &  les  Vénitiens  en  furent  fi 
indignez  qu'ils  ne  voulurent  pas  que  les 
Lucquois  fufîent  compris  dans  la  paix 
qui  fe  fit  enfuite.  Après  la  paix  Nfco- 
îao  Forte- Braccio  *  Colonel  dans  les 
troupes  de  Florence,  foit  de  fon  pro- 
pre mouvement,  foit  animé  par  le  peu- 
ple Florentin,  fe  mit  à  la  tête  de  quel- 
ques troupes  licentiécs  pour  aller  rava- 
ger le  païs  de  Lucques.  Paul  de  Gui- 
nis  fe  voyant  ainfi  attaqué  ii  l'impro- 
vifte ,  envoya  des  Députez  pour  en  fai- 
re des  plaintes  aux  Florentins ,  &  leur 
demander  leur  amitié ,  ou  qu'au  moins 
ils  ne  donnaffent  point  de  fecours  au 
Colonel,  fuppofanf  qu'il  n'agiffoit  pas 
par  leurs  ordres.  Les  Florentins  répon- 
dirent qu'ils  n'avoient  point  d'engage- 
ment avec  eux,  n'ayant  pas  été  com- 
pris dans  la  paix  ,  que  le  Colonel  les 
avoit  attaquez  de  fon  propre  mouve- 
ment ,  mais  qu'ils  n'étoient  pas  d'hu- 
meur 

*  Il  étoit  neveu  du  grand  Braccio  dont  on  a 
parle  ailleurs. 

G    2. 


100  V  oGGî  AN  A.  Part.  IIL 
meur  à  s'attirer  pour  l'amour  d'eux  l'ini- 
mitié  d'un  homme  armé  Se  qui  d'ail- 
leurs étoit  de  leurs  amis.  Le  Lucquois 
comprenant  le  fens  de  cette  réponfe  en- 
voya inutilement  implorer  le  fecoursdu 
Milanois  Se  des  Vénitiens.  Cependant 
le  Colonel  failîmt  de  grands  progrès 
dans  le  Lucquois ,  écrivit  aux  Floren- 
tins qu'il  ne  tiendroit  qu'à  eux  de  fe 
rendre  maîtres  de  Lucques  ,  s'ils  vou- 
loient  lui  envoyer  quelque  fecours.  Le 
Duc  de  Milan  de  Ion  côté,  foit  pour| 
gagner  davantage  leur  amitié  ,  foit 
pour  les  engager  dans  une  nouvelle 
guerre, leur  offrit  de  la  Cavalerie  &  les 
autres  fecours  dont  ils  auroient  befoin. 
Si  les  Florentins  avoient  des  raifons 
plaufiblcs  pour  entreprendre  cette  guer- 
re, il  y  en  avoit  de  plus  fortes  encore 
de  vivre  en  paix  avec  une  République 
à  qui  celle  de  Florence  avoit  de  gran- 
des obligations  6c  qui  ne  s'étoit  attiré 
la  guerre  par  aucune  hollilité  *.  Après 
avoir  long-tems  balancé  ces  raifons  on 
fe  détermina  pour  la  guerre. 

On 

*  On  ne  pouvoit  pas  imputer  l'entreprife  de 
Paul  de  Guinis  à  la  République  qui  le  regardoit 
elle-même  comme  un  Tyran. 


HisT.  DE  Florence.  Z/1^.  77.  loi 

On  écrivit  aufîî  tôt  à  Nicolas Foite- 
Braccio  de  faire  par  autorité  publique 
une  guerre  qu'il  avoit  faite  jufqu'alors 
de  fon  propre  mouvement,  &  on  lui 
envoya  de  la  Cavalerie  6c  de  l'Infante- 
rie pour  le  foutenir.  Les  Florentins  en^  l^^  pj^, 
voyerent  en  même  tems  des  AmbafTa-  rentins 
deurs  au  Pape,  au  Duc  de  Milan,  aux^"^'°y^"t 
Vénitiens  6c  à  leurs  Alliez  pour  leur  ren-  baiïadeurs 
dre  raifon  de  cette  entreprife.    Le  Duc  au  Pape 
de  Milan  fut  le  (èul  qui  la  loua  6c  qui  '^'  à  leurs 
offrit  de  la  favorifer.   Le  Lucquois  dci-  f'^'^Po^r 
titue  de  forces  ce  de  Iccours  pour  le  te-  fer  les  rai- 
nir  contre  un  fi  puifllmt  ennemi ,  ta-  fons  de 
cha  d'engager  dans  fon  parti  les  Sicnois  ^'^"^ 
à  qui  Florence  étoit  déjà  fort  fufpcâie.    Le^fsiç, 
Avant  que  de  fe  déclarer  ,  les  Sicnois  nois  fe 
envoyèrent  aux  Florentins  pour  les  dé-  joignent 
tourner  de  cette  guerre  en  leur  repré-  ^'^^^^  "^ 
Tentant    que    peut-être  pourroient  -  ils  contre  les 
être  contraints  à  fecourirLucques.  Les  Floren- 
Florentins   répondirent   qu'ils   avoient""^* 
eu  de  bonnes  railbns  de  faire  la  guerre 
à  Paul  de  Guinis  parce  qu'il  avoit  (ê- 
couru  le  Duc  de  Milan  *.     D'ailleurs 

ils' 

*  Voyez  l'Apologie  de  cette  Guerre  dans  la 
quatrième  Lettre  du  cinquième  Livre  des  Let» 
très  d'Aretin. 

G  5 


IÔ2     PoGGiANA.  Part.  m. 

ils  témoigncrent  vouloir  garder  inviola- 
blement  l'alliance  qu'ils  avoient  faite 
avec  les  Sienois  -,  Ces  derniers  envoyè- 
rent aulTi  à  Venife  pour  engager  les  Vé- 
nitiens à  fe  rendre  Médiateurs  entre  Luc- 
ques  6c  Florence  &  pour  favoir  s'ils  vou- 
droient  fecourir  S;enne  en  cas  qu'elle  fût 
attaquée  par  les  Florentins.   La  répon- 
fe  des  Vénitiens  fut  qu'étant  alliez  des 
Florentins  ils  ne  pouvoient  pas  promet- 
tre du  fecours  contre  eux  aux  Sienois. 
Quoique  les  Florentins  enflent  promis 
aux  Sienois  de  ne  point  rompre  avec 
eux ,  &  que  les  Vénitiens  leur  enflent 
refufé  du  fecours  en  cas  d'attaque,  néan- 
moins gagnez  par  l'argent  &  par  les 
promcflës  des  Lucquois  ils  prirent  la 
1430.     rcfolution  de  leur  envoyer  du  fecours 
p.  i68.     dont  ils  donnèrent  le  commandement  à 
Antonio   Petruccio   ennemi   particulier 
des  Florentins.      Ce  Général  paflà  le 
refl:e  de  cette  année  à  lever  des  troupes 
^  à  chercher  des  amis.     Il  fit  lî  bien 
auprès  du  Duc  de  Milan  qu'il  l'engagea 
à  envoyer  fecretement  deux  mille  che- 
vaux à  Lucqucs  fous  le  commandement 
de  François  Sforce.     Les  Lucquois  & 
les  Sienois  prirent  ces  troupes  à  leur 
folde  afin  qu'il  ne  parût  p;is  que  le  Duc 

VQU- 


HiST.  DE  Florence.  Li'v.  IL   105 
voulût  rompre  avec  les  Florentins.    A- 
vant  que  ce  fecours  fût  arrivé  les  Géné- 
raux Florentins  avoient  mis  le  fîège  de- 
vant Lucques  &  Tauroit  aifément  em- 
portée fans  leur  négligence  &  leur  fé- 
curité  caufée  par  le  mépris  qu'ils  fai- 
foient  de  l'ennemi.     Ceux  de  Lucques 
s'étant  apperçus  du  peu  d'ordre  qu'il  y 
avoit  parmi  les  alTiegez  firent  une  fortie 
fi  à  propos  qu'ils  mirent  en  fuite  un  des 
Généraux  Florentins.     La  défaite  au- 
roit  été  entière  fi  l'autre  Général  étant 
venu  à  fon  fecours  n'eût  fait  rentrer  les 
aflîegez  dans  la  ville.     Les  deux  Géné- 
raux defcfperant  du  fuccés  du  fiége  ré- 
folurent  d'attaquer  la  ville  d'une  autre 
manière  par  le  confeil  d'un  des  habiles 
Ingénieurs  de  ce  tcms-là  (a) ,  en  y  fai-    (-3)  ^Mx- 
faut  déborder  les  eaux  de  la  rivière  delippoBru- 
Sercbia  dont   elle  efl:  baignée  par  lei^ellefco. 
moyen  d'un  grand  fofie  &  de  plufieurs 
ruifreaux  qui  fe  rendoieiit  dans  la  pla- 
ce par  divers  endroits.     Mais  les  ailie- 
gez  rendirent  cette  tentative  inutile  en 
élevant  vis-à-vis ,    des  terrafles  &  des 
digues  qui  repoufibient  l'eau  du   côté 
des  afllégeants.    Ils  en  furent  tellement 
incommodez  qu'il  filut  abandonner  le 
fîège.    Les  Lucquois  fortis  de  la  ville, 
G  4  rui- 


î04    PoGGîAytA.  Part.  II/. 

ruinèrent  les  travaux  de  l'armée  Flo« 
rentine ,  reprirent  plufieurs  de  leurs  pla- 
ces ôc  allèrent  ravager  le  Florentin. 
Le  Duc     Pendant  ce  tems-là  les  Ambafladeurs 

de  Milan  ^q  Venife  &  de  Florence  étoient  à  Mi- 
donne  le- 1  *  1       1    TA        j      • 
cretement  ^^'"^  P°^^"  empêcher  le  Duc  de  rien  en- 
du  recours  treprendre  en  faveur  de  Lucques.     Ce 
à  Luc-     Prince  inconftant  6c  difîimulc  promit 
^"^^'        aux  Florentins  &  aux  Vénitiens  de  de- 
meurer ferme  dans  l'alliance  qu'il  avoif 
faite  avec  eux  &:  pour  les  en  mieux  per- 
fuader  il  fît  mine  de  congédier  les  Offi- 
ciers qu'il  avoit  encore  à  fès  gages.     Il 
engagea  fecretement  le  General  Fran- 
çois Sforce  à  lui  demander  la  permif- 
fion  d'aller  dans  le  Royaume  de  Na- 
plcs  contre  le  Roi  Alphonfe  qui  fe  dif- 
pofoit  à  faire  la  guerre  auMilanois.  Ce 
Général  pour  mieux  jouer  fon  rôle  après 
avoir  reçu  du  Duc  une  bonne  fomme 
d'argent  pour  lever  du  monde,  s'en  al- 
la à  Parme  oîi  feignant  d'attendre  fes 
gens ,   il  engagea  les  Officiers  que  le 
Duc  avoit  fiit  fe*nblant  de  congédier 
à  le  fuivre  fous  prétexte  de  la  guerre  de 
Naples.  Quand  il  eut aflemblé  une  afîèz 
•  bonne  armée ,  au  lieu  de  prendre  le  che- 
min de  Naples  il  prit  celui  de  Lucques. 
i,^)  y^nt9-  /  N  jj    ^m-j-e  Général  fort  ennemi  des 

nio  Pon-     V  /  T?i 

$&4ersc.  flQ- 


HiST.  DE  Florence.  Liv.  IL  lof 
Florentins,  avoit  déjà  pris  les  devants 
avec  huit  cens  chevaux  du  Duc  & 
s'étoit  emparé  de  la  plupart  des  Forts 
que  Forte-Braccio.avoit  pris  fur  les  Luc- 
quois.  Nicolas  Forte-Braccio  étant  ve- 
nu à  la  rencontre  de  Sforce  pour  lui  li- 
vrer combat, le  bâtit  &  reprit  aifémenc 
ce  que  les  Florentins  avoient  de  places 
dans  l'Etat  de  Lucques.     Cependant    Paul  de 
François  Sforce  rebuté  de  l'avarice  &  Guinis, 
de  l'ingratitude  de  Paul  de  Guinis  qui  ^""7" 
lui  avoit  refufé  de  l'argent,    follicité Lucoues, 
d  ailleurs  par  les  Florentins  à  l'abandon-  en  eft 
ner,re  joignit  par  la  permiffion  du  Duc  f'^f  ^^ 
avec  les  Sienois  pour  fe  défaire  de  lui.  nois' 
Il  y  avoit  d'ailleurs  dans  l'armée  Flo-       ' 
rentine  des  gens  qui  par  des  Lettres  fup- 
pofées  animoient  François  Sforce  & 
Paul  de  Guinis  l'un  contre  l'autre  en 
leur  faiiant  à  tous  deux  de  fliufles  con- 
fidences.    Ce  qui  fit  refondre  François 
Sforce  de  concert  avec  les  Sienois  à 
porter  ceux  de  Lucques  à  fe  révolter 
contre  Paul  de  Guinis  co.nme  contre 
un  Tyran.  L'intrigue  réuffit  à  fouhait. 
Pecruccio  Général  Sienois  entra  avec 
des  Soldats  dans  la  ForterelTe  fous  pré- 
texte de  quelque  négociation,  prit  le 


106     ToGGi AiJ A.  Part.  IJI. 

Tyran  dans  fon  lit  6c  le  fit  conduire  I 
Milan. 
LesFlo-     Les  Lucquois  ayant  recouvré  leur 
rentins  re-  liberté  envoyèrent  à  Florence  pour  de- 

k  S    ^^^^n'^^^'  ^^  P^^^  ^  ^^^^^  RépubUque.  Mais 
devant     les  Florentins  la  leur  refuferent  avec 
Lucques.  beaucoup  de  fierté,  fe  flattant  de  pou- 
P-  2.74-    voir  aifément  fe  rendre  Maîtres  de  Luc- 
ques par  la  retraite  de  François  Sforce. 
Ils  allèrent  donc  afTieger  cette  Ville 
qui  preflee  par  la  famine  n'auroit  pas 
pu  refiftcr  long-tems  fans  les  intrigues 
du  Duc  de  Milan.     Afin  de  n'être  pas 
accufé  d'infidélité  il  engagea  fourde- 
Les  G e- ment  les  Génois  à  prendre  Lucques  en 
nois  fe-    leur  protection,  &  à  envoyer  une  Am- 

î^"'^"'    balîlïde  aux  Florentins  pour  les  porter 
Lucques.   ,  ^^^^^  ^^  ^^.^^  ^^  ^^^^^^^  ^^^  y -j^^  ^^j 

leur  étoit  alliée.  Les  Ambafladeurs  de 
Gènes  furent  reçus  avec  beaucoup  de 
hauteur  par  les  Florentins.  On  les  trai- 
ta d'efclaves  du  Duc  de  Milan, &  pour 
toute  réponfe  on  leur  demanda  s'ils  a- 
voient  eu  ordre  de  leur  Maître  de  faire 
cette  démarche.  Ils  fe  retirèrent  fort 
irritez,menaçant  de  taire  connoître  bien- 
tôt s'ils  étoient  efclaves  ou  libres.  En 
effet  aufli-tôt  après  leur  retour  les  Gé- 
nois 


HisT.  DE  Florence.  Z/i;.  77.   107 

nois  envoyèrent  NicolaoPiccinino  Gé- 
néral du  Duc  de  Milan  au  fecours  de 
Lucques. 

Les  Vénitiens  cependant  apprenant 
les  infraélions  du  Duc  envoyèrent  des 
Ambaflàdeurs  à  Milan  pour  lui  en  faire 
leurs  plaintes.  Il  répondit  avec  Ton  arti- 
fice ordinaire  qu'il  n'avoit  point  de  part 
au  fecours  que  les  Génois ^avoient  en- 
voyé à  Lucques ,  &  que  bien  qu'ils 
fu^nt  fous  fa  domination  ils  avoient 
pourtant  félon  leurs  conventions  la  li- 
berté d'alliller  leurs  amis,  comme  per- 
fonne  ne  pouvoit  non  plus  empêcher 
les  Vénitiens  de  fecourir  les  Florentins. 
Quoique  cette  réponfe  ne  fatisfît  pas 
les  Vénitiens, ils  firent  femblant  de  s'en 
contenter  jufqu'à  la  première  occafion 
d'en  témoigner  leur  reifentiment.  Ce- 
pendant les  Florentins  continuoient  le 
fiège  de  Lucques  avec  tant  d'incom- 
modité ,  à  caufe  de  la  rigueui'  de  la  fai- 
fon  * ,  que  la  plupart  défertoient.  Picci- 
nino  d'autre  côté  qui  étoit  campé  fur 
les  bords  de  la  Serchia  attendoit  l'occa- 
fion  de  pouvoir  pafTer  la  rivière  pour  fe- 
courir la  place.  Les  Florentins  eux-mê- 
mes 

?  C  etoit  au  cœur  de  l'hyver. 


to8     ToGGiAys A.  Part.  III. 

piccininonicsja  lui  fournirent.  Piccinino  avoit 
fait  lever  fur  le  bord  de  la  rivière  des  bêtes  de 
ïe  fiègede^Qj^j^ç  chargées  de  bled  qu'il  deftinoit 
&  balles  ^^^  afliegez  extrêmement  prefTez  de  la 
Floren-  faim.  Un  des  Officiers  (a)  Florentins 
^l^l'r  ^"^  connoifToit  tous  les  endroits  guea- 
^(a)    ara-  j^|^^  ^^^^  ^^  rivière  amorcé  par  refpe- 

rance  de  ce  butin.  Piccinino  fans  per- 
dre de  tems  ayant  fait  pafler  toute  fa 
Cavalerie  par  le  même  endroit  attaqua 
l'armée  Florentine  qui  étoit  en  dt^r- 
dre,la  battit  dos  &  ventre,  mit  en  fui- 
te tous  les  Officiers,  &  fit  lever  le  fiè- 
ge  *.  On  n'attribua  pas  tant  cette  derou^ 
te  à  la  furprife  qu'à  la  difcorde  des  Gé- 
néraux qui  facrifierent  l'armée  à  leurs 
jaloufies  particulières.  Les  fuiards  qui 
s'étoicnt  retirez  à  Pife  y  répandirent 
une  fi  grande  conllernation ,  que  fi  Pic- 
cinino y  fût. allé  fur  le  champ,  il  auroit 
pu  fe  rendre  Maître  de  la  Ville  fans  coup 
ferir,  &  piller  de  là  tout'  le  Florentin. 
C'étoit  l'avis  des  Génois,  mais  ce  Gé- 
néral n'en  ayant  point  d'ordre  du  Duc 
de  Milan  fe  contenta  de  pourvoir  à  la 
fureté  de  Lucques  6c  de  la  garantir  d'un 


nouveau  fiëge. 


Ce 

*  Le  Général  de  cette  armée  s'appelloit  Gui-, 
dantonio  Ieretra}}o ,  Comte  d'Uibin,  p.  2.76. 


HisT.  DE  Florence.  Liv.  IL  lop 
Ce  desaflre  ne  fit  pas  perdre  coura- 
ge aux  Florentins  qui  donnèrent  tous 
les  ordres  neceflaires  pour  lever  une  nou- 
velle armée.  Cependant  comme  ils  a- 
voient  lieu  de  craindre  que  les  Sienois 
ne  donnalîcnt  du  fecours  à  Lucques ,  ils 
leur  envoyèrent  des  Ambafladeurs  pour 
tâcher  de  les  en  détourner.  Mais  les 
Sienois  s'étoient  déjà  liguez  avec  Phi- 
lippe, avec  les  Génois,  &  avec  Louis 
Prince  de  Piombino  *  qui  par  les  con- 
feils  de  Martin  V.  s'étoit  détaché  des 
Florentins  fes  Tuteurs  6c  Tes  bienfai- 
teurs. La  mort  de  ce  Pape  qui  étoit  Mort  de 
ennemi  des  Florentins  étant  arrivée  dans  Martin  V; 

cts  entrefaites  releva  beaucoup  leurs  ef-  ^  ^K^" 

1,  '-   '  \      TT     tiondEu» 

perances,  comme  cl  autre  cote  les  Ve-gg^g  iY^  ' 

nitiens  furent  fort  encouragez  par  l'élec- 
tion d'Eugène  IV.  leur  compatriote. 
En  effet  il  ne  fut  pas  plutôt  fur  le  fiège 
Pontifical  qu'il  déclara  qu'il  regarde- 
roit  comme  fes  ennemis  ceux  qui  trou- 
bleroient  la  paix  de  l'Italie.  Il  envoya 
même  le  Légat  de  Bologiie  à  Sienne 
dont  il  avoit  été  Evéque,  pour  détour- 
ner les  Sienois  de  prendre  les  armes. 

Ce- 

*  Piombino  eft  une  Prin  :ipauîé  entre  le  Pi- 
fan  &  le  Sienoifi  fur  la  côte  de  Tofcane. 


Les  Flo- 
rentins 
recom- 
mencent 
le  fiègede 
Lacques 
parle  fe- 
cours  du 
Pape. 

Les  Flo- 
rentins re- 
nouvel- 
lent allian- 
ce  avec 
les  Véni- 
tiens. 


Carma- 
gnole cft 
battu  par 
le  Mila- 
nois. 


1 1  o     P  o  G  G I A  N  A.  Part.  liL 

Cependant  il  accorda  aux  Florentins  un 
fecours  de  mille  chevaux  *  qui  les  mit 
en  état  de  recommencer  le  fiègede  Luc- 
ques  pendant  que  les  Génois  infertoient 
le  port  de  Pife. 

Comme  le  Duc  de  Milan  ne  refpi- 
roit  toujours  que  la  guerre  malgré  l'in- 
clination que  le  Pape  témoignoit  pour 
la  paix,  les  Florentins  renouvellerent 
alliance  avec  les  Vénitiens ,  &  s'aflbcie- 
rent  le  Prince  de  Montf errât  &  Roland 
Pallavîcin.  Ils  ordonnèrent  en  même 
tems  à  Carmagnole  de  porter  la  guerre 
dans  le  Milanois  avec  l'armée  qu'il  avoit 
dans  le  Breilàn;  mais  ce  Général  fur- 
pris  dans  une  embulcadc  par  les  troupes 
du  Tolentin  ôc  de  François  Sforce, 
fut  mis  en  déroute  ôc  contraint  à  fe  re- 
tirer du  côté  de  Crémone  avec  le  refle 
de  fon  armée.  Piccinino  d'un  autre  cô- 
té lailTant  les  places  qu'il  avoit  conqui- 
(ès  dans  l'Etat  de  Lucqucs  s'alla  jetter 
dans  le  Pifan  pour  porter  la  terreur 
chez  les  Florentins.  De  là  il  alla  cam- 
per aux  environs  de  Voltcrra  "f  où  il 

prit 

*  Us  étoient  commandez  par  Michelet  Cuti- 
niola. 
j  Ville  de  la  Tofcane  dans  le  Pifan. 


•  WisT.  DE  Florence.  Lw.  IL  î  i  i 
prit  plufieurs  places,  pendant  que  les 
Sienois  faifoient  des  courfès  dans  la  Tos- 
cane. 

Cependant  Carmagnole  prefToit  vi-  Ilaffiegè 
vement  le  liège  de  Crémone ,  &  les  Crémone, 
troupes  du  Duc  étoient  fort  affoiblies 
par  la  defertion  de  Nicolas  Tolentin, 
qui  avoit  pris  parti  chez  les  Florentins. 
Il  fallut  donc  rappeller  Piccinino  de  la 
Tofcane  pour  venir  au  fecours  du  Mi- 
lanois.  Jamais  la  Fortune  ne  fe  montra 
plus  riante  aux  Florentins.  Les  Véni- 
tiens leurs  Alliez  avoient  une  grolTe  ar- 
mée fur  pied,  &  une  belle  Flotte  en 
mer.  D'autre  côté  Alheric  Comte  de 
Cuni  que  les  Sienois  avoient  envoyé  con- 
tre la  Tofcane,  fut  battu  par  Mkhelet^ 
6c  enfuite  rappelle  par  Philippe  à  qui  il 
étoit  extrêmement  fufpeét.  Cette  prof- 
perité  fut  néanmoins  troublée  par  la 
delcrtion  d'un  de  leurs  Généraux  (a)  qui  (a)  FortC'i 
s'empara  de  Città  di  Cafiello  *,  ëc  parBraccio. 
la  trahifon  de  Carmagnole  qui  laifîà  bat- 
tre par  trois  fois  la  Flotte  Vénitienne 
faute  de  la  venir  fecourir.  Jamais  com- 
bats ne  furent  plus  opiniâtres  ni  plus 

lan- 

.  *  Ville  de  l'Etat  de  TEglife  au  couchant  de  la 
Tofcane. 


tîz    VoGGiAiJ A.  Part.  I/L 

(ànglans  que  les  deux  qui  fc  donnèrenfe 
La  Plot- pendant  deux  jours  confecutifs.     De 
te  Vcni-   foixante  vaifTcaux  qu'avoient  les  Véni- 
tienne eft  |-jgj-j5  jj  j^'gj^  échapa  que  cinq ,  tout  le 

relie  tomba  entre  les  mains  de  l'enne- 
mi. On  en  conduifit  trente  des  plus 
.  grands  à  Pavie  où  Philippe  fe  repaiflbit 
avec  plaifir  d'un  fpeâiacle  d'autant  plus 
agréable  que  les  Vénitiens  lui  étoient 
de  beaucoup  fuperieurs  6c  en  nombre 
&  dans  l'art  de  la  Marine. 

Les  Vénitiens  fans  perdre  courage 
équippent  en  diligence,  une  nouvelle 
Flotte  qu'ils  envoyent  contre  les  Gé- 
nois pour  fe  venger  du  fecours  qu'ils 
La  Flot-avoient  donne  au  Duc  fur  le  Pô.  Cette 
te  de  Gc-  Flotte  ne  fut  pas  plutôt  à  portée  qu'elle 
ba«uë  par^^^^^  combat  à  celle  deGencs  que  com- 
celle  des    mandoit  François  Spinola.     La  vi6toi- 
Veniticns.re  fut  long-tems  difputée,  mais  elle  fe 
déclara  enfin  pour  les  Vénitiens  ,'fur  tout 
par  le  fecours  des  vaifleaux  Florentins. 
Cependant  le  Général  Micbelet  agif- 
foit  avec  fucccs  dans  la  Tofcane.   Il  re- 
prit pour  les  Florentins  plufieyrs  places 
de  Volterra  &  du  Pifan  fur  le  chemin 
de  Florence ,  pendant  qu'un  autre  de 
leurs  Généraux  fviifoit  des  courfes  fur 
leurs  Voiiïns  aux  environs  de  Lucques. 

Il 


tlisT.  DE  Florence.  Liv.  H.    113 

Il  n'en  étoit  pas  de  même  dans  le  Mi-    Perfidie 
lanois.    Le  perfide  Carmagnole  laiifoit  de  Car- 
échaper  toutes  les  occailons  d'y  avan-  ^ç^^  ^ 
cer  les  affaires  des  Vénitiens.  Il  eût  in-  fupplice. 
failliblement  pris  Crémone,  s'il  eût  vou- 
lu faire  avancer  fon  armée  pourfoûtenir 
les  Soldats  Vénitiens  qui  en  av oient  dé- 
jà efcaladé  une  partie.     D'autre  côté 
Piccinino  Général  Milanois ,  après  avoir 
pillé  le  Montferrat  allié  des  Florentins, 
prit  aux  Vénitiens  quelques  places  fur 
le  Pô  à  la  barbe  de  Carmagnole  qui  ne 
daigna  pas  les  fecourir.     Les  Vénitiens   143 2i 
furent  long-tems  obligez  de  diiîimulerP«2->^< 
ces  trahilons  de  peur  qu'il  ne  leur  fit 
encore  plus  de  mal.  Enfin  on  tint  con- 
tre lui  un  Confeil  de  deux  cens  perfon- 
nes  qui  délibérèrent  pendant  huit  mois 
avec  un  fecret  admirable  fur  la  peine 
qui  lui  devoir  être  infligée.     Quand  la 
refolution  fut  prife  on  le  manda  à  Ve- 
nife  fous  prétexte  de  négocier  la  paix. 
Dès  qu'il  fut  proche  de  la  Ville  la  No- 
blefle  alla  au  devant  de  lui  &  le  con- 
duifit  en  pompe  au  Palais  du  Duc. 
Toute  la  journée  le  pafia  en  compli- 
mens  &  en  honnêtetez  réciproques.  Mais 
le  foir  quand  ceux  qui  l'accompagnoient 
fe  furent  retirez,  on  le  mit  en  prifon 

tom.  IL  H  où 


114    PoGGi  AN  A.  Part.  IIL 

où  on  lui  donna  la  queftion ,  &  ayant 
été  convaincu  par  fes  propres  Lettres 
&  par  la  depofition  des  Miniftres  de  fes 
perfidies  il  eut  la  tête  coupée  dans  la 
place  publique.  Ainfi  périt  un  des  plus 
grands  Généraux  de  fon  tems. 

On  avoit  commencé  à  traiter  de  la 
paix ,  mais  le  fupplice  de  Carmagnole 
fit  prendre  aux  Vénitiens  la  refolution 
de  continuer  la  guerre.     On  en  donna 
la  conduite  au  Duc  de  Mantoùe  6c  à 
deux  ou  trois  Sénateurs.  La  maladie  de 
Piccinino,  qui  avoit  été  bleffé  d'une  flè- 
che empoifonnée ,  recula  beaucoup  les 
affaires  du  Duc, les  Vénitiens  s'en  étant 
prévalus  pour  recouvrer  les  places  que 
Carmagnole  avoit  laiiTé  prendre.     On 
n'agiflbit  pas  avec  moins  de  fuccès  dans 
le  Florentin.  Le  Général  Tolentin ,  qui 
étoit  rentré  dans  le  ièi-vice  de  Florence, 
s'étant   joint  à   Michelet  ils  reprirent 
Les  Mi-  dans  le  Pifan  &  dans  le  Sienois  les  pla- 
lanois  ba-  ces  qu'ils  y  avoient  perdues.  Ils  allèrent 
tus  près     cnfuite  attaquer  du  côté  de  Volterra  un 
terra.        S^'^^  corps  de  Cavalerie  que  Philippe  y 
avoit  envoyé  pour  fe  jetter  dans  le  Flo- 
rentin.   Cette  armée  fut  défaite  en  ba- 
taille rangée. 
L'Empe-      L'Empereur  Sigifmond  arriva  cette 

an- 


HisT.  DE  Florence.  Li-v.  IL    iif 
année  en  Italie  pour  fe  faire  couronner  reur  Sigif- 
à  Rome  félon  la  coutume  de  ce  tems-là.  ^o"'^  ^^~. 
La  préfênce  de  ce  Prince  donna  pendant  j[^|^jg  ^ 
quelque  tems  de  l'inquiétude  aux  Flo-  inquiète 
rentins  qu'il  n'aimoit  pas.  Sollicité  par  les  Fio- 
le Duc  de  Milan  &  par  les  Sienois  iV^f'^l' 
laiflbit  faire  des  courfes  dans  le  Floren-  p,  -^c/^. 
tin  aux  Hongrois,  aux  Bohémiens  6c 
aux  Allemands  qu'il  avoit  amenez  avec 
lui,  mais  ils  furent  diffipez  fms  peine 
par  les  Florentins.   Après  que  l'Empe- 
reur eut  quitté  le  voifinage  de  Luc- 
ques,les  Florentins  allèrent  mettre  tout 
à  feu  &  à  fing  dans  le  Sienois,  pendant 
que  les  Vénitiens  failbient  dans  le  Mî- 
lanois  des  conquêtes  qui  obligèrent  le 
Duc  à  rechercher  la  paix  par  l'entre-    Le  Duc 

mife  du  Ferrarois.     Elle  fut  conclue  à  ^^  ^^i'^n 
■r-.  1,  .         •  r  fait  la  paix 

rerrare  d  une  manière  avantageule  pour  ^vee  les 
les  Florentins.     Cependant  le  Duc  de  Floren- 
Milan  incapable  de  vivre  en  repos  enle-  ^^"^• 
va  au  Pape  toute  la  Marche  d'x^ncone,  p^Iq^/ 
feignant  d'en  avoir  ordre  du  Concile 
de  Bafle.   Dans  ce  même  tems  les  Ro-    Le  papc 
mains  s'étant  révoltez  contre  Eugène  chaiTé  de 
IV.  à  la  follicitation  du  Duc,  il  fut  R^"^!. 
obligé  de  s'enfuir  de  Rome  deguifé  en  ^^^^^ 
Benediétin,  &  fe  retira  à  Florence.  De 
là  il  alla  à  Bologne  &  à  Fcrrare  où  il 
H  2  vou- 


ii6     PoGGiANA.  Part.  m. 
vouloit  tenir  un  Concile  contre  celui  de 
Bafle  5  mais  la  pelte  l'obligea  de  le  trans- 
Concile  ferer  à  Florence  oii  il  invita  les  Grecs 
"^  ^'^'     pour  travailler  à  leur  union  avec  l'Egli- 
lè  Latine,     Pendant  ce  tems  Bologne 
s'étant  foulevce  contre  le  Duc,  le  Pa- 
pe y  envoya  Tes  troupes  avec  celles  des 
Vénitiens  &  des  Florentins  pour  la  re- 
Les  Flo-  couvrer.   Ces  derniers  dans  cette  occa- 
rcntins      {]on  furent  battus  par  le  Général  Pic- 
vant^Bo-"  ^"^"^°-    ^^  Général  Tolentin  fut  em- 
lome.       mené  prifonnicr  ii  Milan  après  s'être 
défendu  vaillamment.    La  République 
de  Gènes  lafTe  de  la  domination  Tyran- 
nique  du  Duc  avoit  auili  fecoué  le  joug. 

-  H^^P"^  Le  Duc,  après  avoir  fait  des  efforts  inu- 
de  Milan     -i  '  f  -n-     •   • 

viole  la     ^^^^^  pour  la  recouvrer ,  envoya  riccnii- 

paix  avec  no  contre  les  Florentins  fans  avoir  au- 

les  Flo-     cun  é2;ard  à  une  paix  qui  ne  fiifoit  que 
rentins.       v^  ^    ■■    r^   r^  '^    ^  • 

,^^^      G  être  conclue.  Ce  General  pour  mieux 

p.  304  couvru"  ion  jeu  hiiloit  lemblant  d  avoir 
quitté  le  parti  de  Philippe,  &  d'aller 
dans  le  Royaume  de  Naples  au  fecours 
d'Alphonfe,  fur  lequel  le  Duc  de  Mi- 
lan avoit  remporté  une  viftoire  par  le 
fecours  des  Génois.  Mais  François  Sfor- 
ce  que  les  Florentins  avoient  f<\it  venir 
garda  il  bien  tous  les  pafiages  de  l'Ar- 

no 


HisT.  DE  Florence.  Liv.  IL  nj 
no  *  que  Piccinino  deferperant  d'en  ap- 
procher le  retira  du  côté  de  Lucques, 
où  il  pafla  l'hyver  fort  mal  à  fon  aife. 
L'année  fuivante  il  alla  à  Parme  afin   1437. 
d'y  rétablir  fon  armée  qui  avoit  beau- 
coup fouffert ,  &  d'y  fliire  provifion  de 
vivres  pour  fecourir  Lucques.     Cette 
Ville  étoit  fî  vivement  preflee  par  les 
Florentins  qu'elle  alloit  fe  rendre  lors- 
que Piccinino  arriva  dans  le  Lucquois. 
Cependant  comme  il  ne  pût  approcher  Piccinino 
de  la  Ville  il  alla  mettre  le  fiège  devant  ^^""  ^' 
Barga  -\  où  il  fut   entièrement  défait  03, 
après  un  combat  fort  opiniâtre. 

Cependant  le  Duc  de  Milan  avoit 
remporté  plufieurs  avantages  conlîdera- 
bles  fur  les  Vénitiens.  Piccinino  leur  Siège  de 
avoit  enlevé  plufieurs  places  dans  leBergame, 
Bergamasque  &  il  tenoit  le  fiège  devant 
la  capitale  de  ce  Pais  \.  C'eil  ce  qui 
obligea  les  Florentins  à  envoyer  Fran- 
çois Sforce  à  leur  fecours.     Il  alla  fe 

pof- 

*  Rivière  de  la  Tofcane  qui  baigne  la  Ville 
de  Florence. 

t  Petite  Ville  du  Florentin  fur  la  rivière  de 
Serchio. 

1  Bergame ,  Ville  de  l'Etat  de  Venife  à  quel- 
ques milles  de  Milan. 

H  5 


ïî8     Vqggïana.  Parf.III. 

poflcr  à  Rcggio  *  afin  d'être  à  portée 
de  piller  le  Parmefan ,  ôc  d'obliger  Pic- 
cinino  à  lever   le  flège  de  Bergamc 
Le  flège  comme  il  fît.     Le  ficge  de  cette  place 
^^     *^"j,   étant  levé,  Sforce  revint  à  Lucques, 
fevé.        V^^^'  ^^  ernpêchcr  l'approche  à  Picci- 
nino.  Mais  comme  il  manquoit  de  mon- 
de, &  fur  tout  de  Cavalerie,  les  Véni- 
tiens lui  envoyèrent  cinq  cens  chevaux 
pour  le  mettre  en  état  de  mieux  refiller 
à  l'ennemi. 

Il  y  a  une  chofe  remarquable  dans  ces 
guerres  d'Italie;  C'eft  qu'on  ne  pou- 
voit  jamais  compter  fur  la  fidélité  des 
Généraux  ,  parce  que  dès  le  moindre 
mécontentement  ils  le  livroient  au  plus 
offrant ,  &  trahifToient  indignement 
leurs  Maîtres.  On  l'a  vu  dans  Augut , 
dans  Piccinino ,  dans  Rodolphe  Varane , 
dans  Carmagnole ,  &  dans  François  Sfor- 
ce ,  qui ,  comme  on  l'a  dit ,  avoit  quitté  le 
Duc  de  Milan  pour  fervir  les  Floren- 
tins. Il  étoit  alors  aétuellement  àlaSol^ 
de  des  Vénitiens ,  mais  comme  ils  refu- 
ibient  de  le  payer,  parce  qu'il  n'avoit 
pas  voulu  pafTer  le  Pô  fous  prétexte 

de 

*  Regium  Lepidum^  Ville  de  la  Lombardie  entre 
Parme  &  Modene. 


HisT.  DE  Florence.  Liv.  H.  i  ip 
-jde  quelque  convention  avec  le  Duc, ils   François 
aliénèrent  tellement  l'erprit  de  ce  Gé-  Sforce 
néral  qu'il  penfoit  à  reprendre  les  inte-  p"r"  des 
rets  de  fon  premier  Maître.     On  pré-  Vénitiens. 
tend  même  que  les  Vénitiens  lui  avoient 
déjà  donné  Ton  congé.   Comme  la  per- 
te d'un  tel  Général  étoit  d'une  fâcheu- 
fe  importance,  fur  tout  s'il  prenoit  le 
parti  du  Milanois ,  les  Florentins  envoyè- 
rent le  Grand  Cofme  de  Médias  à  Ve- 
nife,  oii  il  étoit  fort  confideré  *,  pour 
tâcher  de  reconcilier  Sforce  avec  les 
Vénitiens.  N'ayant  pas  réuffi  dans  cet- 
te Ambaflade  il  s'en  alla  à  Ferrare  où 
Eugène  IV.  ténoit  fon  Concile. 

Quoique  les  Florentins  6c  les  Veni-   Les  Flo- 
tiens  fuffent  alliez ,   il  ne  laiflbit  pas'^^"""^ 
pourtant  de  furvenir  entre  eux  bien  des  p^j^  avec 
fujets  de  méfiance.  Jaloux  de  l'aggran-  le  Mila- 
difîement  les  uns  des  autres  ils  fe  traver-  ^^ois. 
foient  fms  cefle  tout  autant  qu'ils  pou- 
voient  le  faire  fins  blefîer  les  bienfean- 
ces  de  leur  confédération.     Les  Véni- 
tiens 

*  11  avoit  été  relégué  pendant  trois  ans  de  Flo- 
rence à  Venifc  où  il  s  etoit  acquis  l'amitié  de  cet- 
te République.  Voyez  la  Lettre  de  confolation 
que  lui  en  écrit  Pogge ,  &  celle  qu'il  lui  écrivit 
pour  le  féliciter  de  Ion  rappel.  Elles  ne  foitt  point 
dattées.  Po^g.  o^.  p.  312,,  339- 

H  4 


Ï20     VoGGiAiJ A.  Part.  III. 

tiens  avoient  fait  tout  ce  qu'ils  avoiene 
pu  pour  engager  S  force  à  iquitter  Luc- 
ques,  fous  prétexte  de  les  fecourir,  de 
peur  que  les  Florentins  ne  fe  rendilTent 
maîtres  de  cette  Ville.  Ces  derniers  de 
leur  côté  n'avoient  pu  fe  réfoudre  qu'à 
la  dernière  extrémité  à  envoyer  ce  Gé- 
néral à  leur  fecours.  Les  Florentins 
d'ailleurs  étoient  las  de  faire  des  guer- 
res au  profit  de  leurs  voifins  fans  rien 
acquérir  pour  eux-mêmes.  La  conquê- 
te de  Lucques  pour  laquelle  ils  avoient 
fait  tant  de  préparatifs  ,.  de  dépenfcs , 
&  de  pertes  leur  avoir  manqué  par  les 
intrigues  des  Vénitiens.  Piccinino  étoit 
dans  la  Romagne  Florentine  où  il  avoit 
pris  *  Oriolo ,  ôc  d'oti  il  fe  propofoit 
de  pafler  en  Tofcane.  Dans  cette  fitua- 
tion  ils  ne  crurent  pas  devoir  rejetter 
les  propofitions  de  paix  qui  leur  furent 
faites  par  l'cntremife  de  Sforce  après  là 
réconciliation  avec  le  Duc  de  Milan 
fous  des  conditions  fort  avantageufes. 
Les  Lucquois  furent  renfermez  dans 
cette  paix  -,  Le  Duc  d'ailleurs  ayant  re- 
tiré fes  troupes  du  voifinage  de  la  Tof- 

ca- 

■^  Petite  Ville  de  l'Etat  deTEglife  entre  Faycn- 
tt  ôc  Modene. 


HisT,  DE  Florence.  Lh.  IL  iix 
cane,  la  tranquillité  y  paroifToit  entiè- 
rement rétablie.  Mais  l'inconllance  ôc 
l'infidélité  ordinaire  du  Duc  de  Milan 
trompa  de  fi  belles  efperances,  comme 
on  le  verra  bientôt. 

Piccinino  ayant  quitté  la  Tofcane   Hoftili- 
alla  faire  des  conquêtes  ailleurs.    Il  prit  te?,  du 
Ravenne^  Forîi^  Imola^  Bologne^  con-  ^''J"ojs 
tre  la  parole  qu'il  avoit  donnée  au  Pape  Vénitiens. 
de  le  rendre  maître  de  cette  dernière    p.  312. 
Ville.   Pendant  qu'il  faifoit  ces  acquifi-  3'4' 
tions,  6c  qu'il  ravageoit  tout  le  Cre- 
monois ,  le  Duc  de  Mantoue  quitta  le 
parti  des  Vénitiens  qu'il  accufoit  de  l'a- 
voir voulu  empoifonner ,  &  fe  rangea 
dans  celui  du  Duc  de  Milan.     Gatta 
qui  Rit  mis  en  la  place  du  Duc  de  Man- 
toue enlevoit  à  Piccinino  toutes  Tes  con- 
quêtes au  delà  du  Pô.    Mais  ce  dernier 
étant   allé  repafier    le    Pô   à  grandes 
journées  reprit  d'abord  Cazal  qui  ap- 
partenoit  alors  aux  Vénitiens.     S'étant 
joint  au  Duc  de  Mantouë,  ils  allèrent 
dans  le  Brefil^i  oij  la  crainte  de  perdre 
leur  moiffon  obligea  la  plupart  des  Vil- 
les à  fe  rendre.  Cependant  Gatta  s'étoit 
avancé  du  côté  de  Brefiè  oi^i  il  étoit  à 
craindre  qu'il  n'arrivât  quelque  révolte 
par  les  faftions  des  Guelphes  ôc  de^ 
^  H  j-  Gi- 


iiz     VoGGiAViA.  Part.  IIL 

Gibelins.     Mais  Francifco  *  Barhar9 
qui  y  commandoit  pour  les  Vénitiens , 
fit  fi  bien  par  fa  prudence,  par  fa  fer- 
■r439'     meté,  &  par  fon  Eloquence,  qu'il  enr 
p.  316.     gagea  les  deux  partis  à  s'unir  pour  leur 
commune  défenle.  Comme  de  leur  cô- 
té Piccinino  6c  le  Duc  de  Mantouc  fei- 
foient  de  grands  progrès  dans  le  Vero- 
nois  5    Gatta  refblut  de  les  aller  atta- 
Combat  quer.     Le  combat  dura  tout  le  jour  & 

entre  les    ^iQ  fijt  interrompu  que  par  la  nuit  fans 
Milanois         ,  r.  ^  ^      •    j  1     '^^^         -^    '.' 

&  les  Ve-  9*^  ^^^  P^^  lavon-  de  quel  cote  avoit  ete 
hitiens.  l'avantage.  Cependant  les  Vénitiens  mi- 
rent fur  le  Pô  une  Flotte  de  cent  foixan- 
te  vaillcaux  pour  entrer  dans  le  Man- 
touan ,  &  obliger  le  Duc  à  venir  défen- 
dre fon  propre  pais.  Ils  en  donnèrent 
le  commandement  à  Pierre  de  Lorete 
qui  avoit  battu  la  Flotte  Genoife. 

Comme  Piccinino  fe  difpofoit  à  for- 
mer le  fiège  de  Vérone  pour  faciliter 
celui  de  Brefle,  Gatta  ayant  mis  bon- 
ne garnifbn  dans  cette  dernière  place 
alla  par  des  chemins 'Impraticables  au 
fecours  de  Vérone  ,&  fit  quitter  à  Pic- 
cinino le  deflein  de  l'attaquer.    Le  Mi- 

la- 

*  On  en  a  parlé  dans  la  première  Partie  de 
cet  Ouvrage,  pag.  76. 


HisT.  DE  Florence.  Liv.  IL   125 

lanois  profitant  de  l'abfence  de  Gatta , 
alla  mettre  le  liège  devant  Brefle.    Les   Siège  de 
afîiegez  firent  d'abord  une  fortie  qui  ^^^flc.^ 
mit  de  ce  côté-là  les  aiîiegeants  en  de- 
route  5    après  en  avoir  fait  un  grand 
carnage.     Piccinino  outré  de  les  voir 
rentrer  victorieux  dans  leur  Ville, pref- 
là  le  fiège  avec  une  telle  vigueur  que 
les  Citoyens  delérperant  de  leur  falut 
parloient  déjà  de  capituler  j  Mais  Fran- 
tïfco  Barharo  releva  tellement  leur  cou- 
rage par  Tes  difcours ,  par  iîr  valeur,  & 
par  ia  bonne  conduite ,    que  tout  le 
monde  promit  de  périr  plutôt  Ibus  les 
ruines  de  la  Ville  que  de  la  rendre.     Il 
pofta  du  monde  dans  tous  les  lieux  ex- 
pofez  à  quelque  infulte  \  Ceux  dont  la 
fidélité  pouvoit  être  fuipe6l:e,  il  les  mit 
adroitement  dans  les  endroits  de  la  Vil- 
le oii  il  n'y  avoit  point  à  craindre  de 
trahifon.     Il  prenoit  d'ailleurs  un  foin 
particulier    des    malades ,     &    faifoit 
enterrer  les  morts  aux  dépens  du  Pu- 
blic.    Il  fe  donna  pendant  plufieurs 
jours    divers  combats  fanglants  entre 
les  afîîegeants  &  les    afîiegez   qui  fe  y^iji^^re 
battoient  de  deflus  les  ruines  de  leurs  jçs  fem- 
tours  6c  de  leurs  murailles.     Les  fem-  mes  de 

mes  ^i^effe. 


1^4      POGGIANA.  i'^r/.  7/7. 

mes  *  donnèrent  dans  cette  occafion  un 
exemple  extraordinaire  de  leur  courage 
6c  de  leur  amour  pour  la  patrie.  Elles 
prirent  toutes  les  armes ,  6c  fe  parta- 
geant en  diverfes  compagnies  elles  ne 
ïè  battirent  pas  avec  moins  de  valeur  & 
d'intrépidité  que  leurs  maris.  Après 
avoir  eflliyé  mille  travaux  pendant  le 
jour, on  paObit  la  nuit  à  réparer  ce  que 
les  ennemis  avoient  détruit,  6c  à  éle- 
ver des  remparts  qui  tinflent  lieu  de  mu- 
railles. Pour  furcroit  de  mifere ,  la 
pefte  étoit  dans  la  Ville ,  6c  on  y  man- 
quoit  d'eau ,  l'ennemi  en  ayant  détour- 
né le  cours.  Piccinino  voyant  l'inutili- 
té de  fcs  efforts  contre  des  gens  qui  ne 
pouvoient  être  rebutez  ni  par  les  tra- 
vaux, ni  par  la  pefte,  ni  par  la  fami- 
ne ,  ni  par  le  carnage  de  leurs  Citoyens, 
réfolut  d'entrer  dans  la  Vaille  avec  tou- 
te fon  armée  par  la  ruine  d'une  tour. 
Apres  un  combat  furieux  Piccinino 
fut  contraint  de  fe  retirer  avec  perte 
pour  aller  attaquer  la  Ville  par  un  au- 
tre endroit.     Il  fut  reçu  par  tout  avec 

tant 

*  Elles  avoient  à  leur  tête  une  Dame  de  qua- 
lité nommée  Brayda  de  la  Maifon  des  Avo^ara. 
/.31Z. 


HiST.  DE  Florence.  X/i^. //.    iif 

tant  de  vigueur  de  la  part  des  aflîe- 
gez  5   que    defetperant  d'en    venir    à 
bout  6c  craignant  d'ailleurs  la  révolte 
de  l'armée  lalFe  d'être  la  viélimc  de  fon 
opiniâtreté,  il  fallut  qu'il  levât  enfin  le  picaninâ 
fiége  au  mois  de  Décembre,  le  conten-  levé  le    ^ 
tant  de  laifTer  quelque  Cavalerie  dans^iègede 
les  places  qu'il  avoit  prifes,  afin  d'em-   ^^^^5 
pêcher  qu'il  n'entrât  des  vivres  dans  la 
Ville.     Il  prit  encore  dans  cette  vue 
d'autres  précautions  qui  furent  rendues 
inutiles  par  la  merveilleulè  induftric  des 
Vénitiens ,  qui  en  coupant  Se  forêts  * 
6c  montagnes ,   trouvèrent  moyen  de 
faire  tranlporter  fur  le  Lac  de  Garde 
des  vaifieaux  chargez  de  grain  pour  ra- 
vitailler Brefle. 

Quoique  cette  campagne  eût  été  a» 
vantageufe  aux  Vénitiens  ils  ne  s'en- 
dormirent pas  pourlafuivante.  Le  Duc 
de  Milan  leur  étoit  fuperieur  en  forces, 
&  ils  ne  doutoient  point  qu'au  prin- 
tems  il  ne  vînt  attaquer  Vérone  ou  Vi- 
f^«^(?, comme  il  le  fit  en  effet.  C'ell:  ce 
qui  leur  fit  prendre  la  réfolution  d'avoir 

re- 

*  Voyez  la  defcription  de  ce  tranfport.  PcggCy 
Hift.  Florent,  p.  317.  3Z8.  L'invention  en  étoit 
due  à  un  Ingénieur  de  Crète  nommé  ^arhle. 


îi6     PoGGiANA.  Part.  III. 
recours  aux  Florentins,  pour  faire  re° 
venir  François  Sforce  à  leur  fecours  6c. 
de  renouveller  leur  alliance  enfemble, 
ce  qui  s'exécuta  parl'entremifed'Euge- 
Piccininonc  IV.    Cependant  Piccinino  refolut 
âffiége      d'entreprendre  avec  le  Duc  de  Mantouë 
ment  Ve-  ^^  fiégc  de  Vérone  avant  que  Sforce 
tone.        pût  la  lecourir.     Mais  à  peine  le  fîcge 
étoit-il  formé,  que  l'arrivée  de  ce  Gé- 
néral l'obligea  de  ie  retirer  avec  fon  ar- 
mée, content  d'avoir  pris  des  mcfures 
pour  lui  couper  tous  les  paflàges  de  cette 
place. 

Sforce  après  avoir  repris  làns  beau- 
coup de  peine  la  pliipart  des  places  du 
Veronois  &  du  Vicentin  s'alla  camper 
fur  les  bords  de  l'Adige  pour  être  en 
état  de  fournir  des  vivres  à  Brefle,  ex- 
trêmement preflee  de  la  faim ,  aufîî  bien 
que  de  la  pefte.  Piccinino  ne  negli- 
geoit  rien  pour  empêcher  qu'elle  ne 
fût  fecouruê.  Il  bâtit  même  une  petite 
Efcadre  que  les  Vénitiens  avoient  fur 
le  Lac  de  Garde  pour  envoyer  des  vi- 
vres à  cette  Ville.  Mais  cette  Efcadre 
fut  bientôt  reparée  par  la  diligence  de 
Sforce  qui  occupa  toutes  les  places  qui 
environnoient  le  Lac.  Pour  s'oppoier 
à  ces  conquêtes  Piccinino  s'alla  camper 

à 


HiST.  DE  Florence.  Lîv.  IL    1 27 
à  l'extrémité  du  Lac  qui  regarde  le  u  eft  bat^^ 
Trentin.  Après  plufieurs  Efcarmouches  tu  par  les 
on  en  vint  enfin  à  un  combat  décifif  où  "^^î^cn^ 
Piccinino  fut  défait ,  6c  mis  en  fuite  *. 

Le  Général  Milanois  voyant  qu'il  ne 
pouvoit  tenir  contre  Sforce ,  quitta  le 
Lac  &  s'en  alla  à  Vérone  dont  il  fc 
rendit  maître  par  la  trahifbn  des  habi- 
tans.  Sforce  étoit  alors  dans  le  Trentin    li  prend 
occupé  à  reprendre  des  places  qui  s'é-  Vcronc, 
toient  révoltées.     Dès  qu'il  eut  appris 
que  Piccinino  s'étoit  emparé  de  Véro- 
ne, il  alla  en  diligence  avec  fon  armée 
pour  la  recouvrer ,  traverlant  avec  une 
fatigue  incroyable  des  montagnes  tou- 
tes couvertes  de  neige  j  fon  arrivée  re- 
pandit la  joye  dans  la  fortereiïë  qui  te- 
noit  encore.     Cependant  les  ennemis 
fortirent  de  la  Ville  pour  lui  livrer  com- 
bat.    Piccinino  fut  battu  encore  une 
fois,  6c  obligé  de  fe  retirer  la  nuit  avec 
îeDuc  deMantouë.  Sforce  après  avoir   çforceW 
recouvré  Vérone  s'en  retourna  fur  le  recouvre. 
Lac  de  Garde  ,    6c  y  fit  équiper  une  après  a- 

Flot-  "^^'^  ''^"^ 


Piccinino, 


*  Quelques  Hiftoriens  difenr  ,  qii'afin  ou'il 
ne  fût  pas  pris  priionnier  un  Soidat  l'emporta' fur 
fes  épaules  dans  un  fac  comme  fi  c'eût  été  des 
hardes.  p.  334. 


Ï440. 
p.  338. 
339- 


Perfidie 
du  Cardi- 
nal Vitte- 
lefchi  Lé- 
gat de 
Florence 
à  l'égard 
des  Flo- 
rentins. 


128  P  o  G  G I A  N  A.  Part.  ni. 
Flotte  pour  faire  entrer  dans  BrefTe  des 
munitions  de  guerre  &  de  bouche.  Pic- 
cinino  chailé  de  tous  cotez  réfolut  de 
repaffer  le  Pô  pour  aller  en  Tofcanc 
dans  refperance  que  les  Florentins  rap- 
pelleroient  Sforce  à  leur  fecours ,  fur 
tout  dans  une  conjonéture  où  ils  en  a- 
voicnt  grand  bcibin,  ayant  un  redou- 
table ennemi  dans  la  perfonnede  Jean 
Vitelkfchi ,  Cardinal  ,  Légat  de  Flo- 
rence ,  6c  favori  du  Pape. 

Les  Florentins  av  oient  donné  à  ce 
Prélat  vingt  mille  écus  d'or,  à  condi- 
tion que  pafTànt  l'Apennin  avec  les 
troupes  il  iroit  les  fecourir  eux  &  les 
Vénitiens,  contre  Philippe  Marie.  Mais 
au  lieu  de  faire  cet  ufage  de  leur  argent, 
il  l'employa  à  aflieger  Foligno  *.  Les 
Florentins  s'en  étant  plaints  au  Pape 
s'attirèrent  l'indignation  du  Cardinal  j 
qui  d'ailleurs  en  vouloit  à  François 
Sforce  parce  qu'il  l'avoit  chafle  de  la 
Marche  d'Ancone.  Il  traita  donc  à  l'in- 
fu  du  Pape  avec  le  Duc  de  Milan  à 
condition  qu'il  envoyeroit  Piccinino 
attaquer  Florence ,  qu'il  ne  croyoit  pas 

en 

*  Ville  de  l'Etat  de  l'Eglife  dans  le  Duché  de 
Spolctc.  Elle  appartenoit  aux  Florentins. 


ttisf.  fiE  Florence.  Lh.  IL    1 10 
en  état  de  fe  défendre  -,  On  découvrit 
par  des  Lettres  interceptées  que  fon 
dcflein  étoit  de  faire  mourir  Eugène  IV. 
ôc  de  fe  faire  élire  Pape  après  avoir 
dompté  les  Florentins  ;   mais  ces  der- 
niers prévinrent  fes  mauvais  defîcins.  Un    Ce  Car« 
jour  qu'il  étoit  forti  de  la  Ville  il  fut  dinal 
arrêté  6c  reçut  même  un  coup  dont  il  ^'^-}^^^  . 
mourut  peu  de  jours  après.   Cependant 
Piccinino  entra  dans  le  Florentin  avec 
quantité  de  profcrits  de  cette  Républi- 
que qui  lui  fervoicnt  de  Confeil  contre 
leur  Patrie.     Les    Florentins  avoient 
alors  peu  de  troupes  &  ils  étoient  li 
prefTez  de  la  faim  que  (î  le  Général  Mi- 
lanois  avoit  voulu  profiter  de  l'occafion 
qu'il  avoit  de  leur  couper  les  vivres  au 
lieu  de  s'amufer  à  piller,  il  auroit  pu 
fe  rendre  maître  de  la  Ville ,  fans  beau- 
coup de  peine.  Mais  l'alliance  qu'ils  fi-  Les  FIo-^ 
rent  avec  lePape,au(îi  bien  que  les  Ve-rentias 
nitiens,  contre  le  Duc  de  Milan  mit  les  ^  ^^^'^"^ 
uns  &  les  autres  en  état  de  lui  refifler.p^pe  con- 

La  mort  de  Vitellefchi  donna  beau-  tre  le  Mi- 
coup  d'inquiétude  à  Piccinino  parce '^"oi** 
qu'il  avoit  compté  fur  les  troupes  de 
ce  Cardinal.     Il  ne  fe  fentoit  pas  affez 
fort  avec  les  iiennes ,  êc  il  avoit  honte 
de  reculer.  "  If  prit  donc  le  parti  d'aller: 

l'o/n.  IL  I  dans 


130     PoGGiAN A.  Part.  IIL 

dans  le  Cafentin  *  dont  une  partie  étoit 
Trahifon  occupée  par  le  Comte  François  de  Pop* 
du  Comte^i  ^  que  les  exilez  portèrent  à  fe  revol- 
Poppi.  ^çj.  çQj^i-j-e  les  Florentins  en  lui  promet- 
tant de  lui  donner  tout  ce  territoire. 
Pendant  que  Piccinino  s'amufoit  à  de 
petites  captures ,  il  donna  le  tems  aux 
Florentins  de  fc  renforcer.  Les  trou- 
pes du  Pape  commandées  par  Louis  \ 
Archevêque  de  Florence  ,  arrivèrent 
dans  l'Aretin  oli  elles  furent  jointes  par 
celles  des  Florentins.  D'autre  côté 
François  Sforce  ayant  pafTé  le  Mincio 
reprit  toutes  les  places  que  Piccinino 
avoit  conquifes  fur  les  Vénitiens  6c  rem- 
porta plufieurs  avantages  fur  Tennemi. 

Après  la  jonftion  des  troupes  Flo- 
rentines &  de  celles  du  Pape  on  réfolut 
de  marcher  contre  Piccinino  qui  s'étoic 
rendu  maître  de  Peroufe  ^  qui  fe  difpo- 
foit  à  afîieger  plufieurs  autres  places. 
L'armée  Florentine  campa  du  côté  de 
Borgo  di  San  Sepulcro  \ ,  où  Piccinino  la 
vint  joindre  à  grandes  journées.     Les 

ar- 

*  Petit  pais  de  la  Tofcane  à  l'Orient  de  Flo- 
rence. 

j  Louis  Mediarota.  Il  fut  depuis  Cardinal. 

^  Ville  de  la  Tofcane  fur  le^  Tibre  à  douze 
lieues  de  Florence.- 


HisT.  DE  Florence^  Liv:  IL   xi, \ 

armées  étant  en  préfence ,  on  fe  battit 

long-tems  avec  un  avantage  à  peu  près 

égal  i   mais  la  Cavalerie  de  Piccinino  piccinino 

ayant  plié,  toute  fon  armée  fut  défaite,  battu  par 

&  il  prit  lui-même  la  fuite.    Ce  Gêné-  ^^^  ^J.^"' 

rai  fut  fi  honteux  &  fi  mortifié  de  cet-  p"   ^ 

te  défaite  qu'il  voulut  par  deux  fois  fe  des  Flo- 

paller  fon  épée  au  travers  du  corps,  6c  rentins* 

il  l'auroit  fait  s'il  n'en  avoit  été  empê-  Jf^lf* 
.  ,         r      r\         -1         .       .        r      tourne  à 
che  par  ion  fils  qui  ne  le  quittoit  point.  Milan» 

Il  s'en  retourna  à  Milan  ou  il  avoit  été 
rappelle  plufieurs  fois  par  le  Duc  dont 
les  affaires  alloient  en  décadence.  Pic- 
cinino difoit  lui-même  que  c'en  étoit 
fait  de  Philippe  fi  les  Florentins  avoient 
retenu  les  Officiers  &  les  Soldats  vété- 
rans qu'ils  avoient  pris  prifonniers ,  au 
lieu  de  les  renvoyer,  comme  ils  firent. 
Après  cette  viétoire,  l'armée  marcha 
dans  le  Cafentin  ,  6c  en  reprit  toutes 
les  places.  Le  Comte  de  Poppi  fut  affie* 
gé  dans  fà  propre  ville  6c  obligé  de  fe 
rendre,  trop  heureux  d'avoir  obtenu  la 
vie  6c  la  liljprté  après  une  fi  infignetra- 
hifon  *.      Piccinino    cependant    leva 

prompt 

*  Ce  fut  le  dernier  d'une  famille  très-noblè 
&  très- ancienne  qui  avoit  fleuri  en  Italie  pendatii 
4G0.  ans.  p.  350.351. 

I  % 


t^z     VoGGJAt^ A.  Part.  IIL 

promptement  une  armée  pour  tâchei' 
de  relever  le  Duc  des  pertes  qu'il  fai- 
foit  tous  les  jours  par  les  conquêtes  de 
144 1.     Sforce.     Il  entra  en  campagne  dès  le 
P-353*     commencement  de  l'année,  enleva  fur 
rOglio  plufieurs  places  aux  Vénitiens, 
pendant  que  François  Sforce  demeu- 
(a)Dansle  î"oit  fms  rien  faire  à  Pefchiera  (a)  amu- 
ycronois.  fé  par  des  efperances  de  paix.  Dès  qu'il 
eut  appris  les  progrès  inopinez  de  Pic- 
cinino  il  raffembla  au  plus  vite  fes  trou- 
pes difperfées  en  diverfes  villes  pour  hi- 
verner. 
Le  Duc     Pendant  ce  temps-là  le  Duc  de  Mi- 
dc  Milan  j^j-j  p^^j.  f^jj-g  diverfion  traita  avec  Al- 
traiteavec,-     r    t»    •   j     tvt     1  t 

Alfonfc  ^^^^^  ^°^  ^^  Naples  pour  1  engager  a 
Roi  de  reprendre  dans  la  Pouille  plufieurs  pla- 
Naples.  ces  que  fon  Père  y  avoit  pofi^edées,  6c 
qui  appartenoient  alors  à  Sforce ,  efpe- 
rant  qu'il  viendroit  les  défendre.  Alfon- 
fe  n'eut  garde  de  manquer  cette  occa- 
fîon  i  mais  Philippe  n'en  profita  pas. 
Sforce  aima  mieux  perdre  {ç:s  propres 
Villes  que  de  diminuer  ies  troupes  pour 
les  aller  fecourir.  Il  marcna  avec  une 
armée  de  vingt  cinq  mille  hommes  à 
Cignano  *  bourg  du  Brefian  oii  étoit 

Pic- 
*  A  douie  milles  de  Brefle, 


HiST.  DE  Florence.  Liv.  IL  i  j  ^ 
Piccinino  avec  treize  mille  feulement. 
Quoiqu'il  s'y  fût  fi  bien  fortifié  qu'on 
ne  pouvoir  l'attaquer  fms  grand  dan- 
ger ,  Sforce  ne  laifili  pas  de  lui  livrer    Combat 
combat  -,  mais  comme  il  perdoit  beau-  ^"^''^  1^.^ 
coup  de  monde  ,  parce  que  l'ennemi  ^  'le,"  vc- 
avoit  rendu  les  chemins  impraticables  il  nitiens. 
aima  mieux  faire  une  retraite  honora- 
ble que  de-  hazarder  fon  armée,  con- 
tent d'avoir  forcé  les  retranchemens  de 
Piccinino,  &  de  l'avoir  réduit  à  la  ne- 

celîîté  de  combattre.      Une  aétion  de   n  t, 

j  ,,  Belle  re* 

cette  vigueur  donna  une  telle  reputa-  traite  de  ' 

tion  à  Sforce  qu'on  fe  rendoit  à  lui  de  Siorce. 

toutes  parts.     Il  étoit  occupé  au  liége 

d'une  place* importante  dans  le  Berga-   *  Marti- 

mafque,  lorfqu 'ayant  reçu  la  nouvelle '^^"i"» 

d'une  trêve  conclue  entre  le  Duc  &  Trêve 

les  Vénitiens,  il  leva  le  fiëge  6c  mit  bas,  *^*^  ^^ 

les  armes.     Ce  fut  un  grand  plaiiïr  de 

voir  ces  deux   Généraux    s'embrafîér 

cordialement  6c  fe  féliciter  l'un  l'autre 

de  leur  bravoure ,   après  s'être  battus 

avec  tant  d^nimofité.  ;  ;^  ' 

La  paix  fuivit  de  près  la  trêve.  Cha- 
cun rentra  en  pofTeflion  de  ce  qu'il  avoit 
perdu ,  les  Génois  furent  compris  dans 
l'alliance,  6c  François  Sforce  eut  Cré- 
mone ,    le  Cremonois   ôc  Pontremo* 


i^4     VoGGiAvi A.  Part.  m. 

François  le  ^  ^   pour  la  dot  de  Blanche  fille  du 
Sforce      Duc  de  Milan  qu'il  èpoufa  auffi-tôt  a-^ 

fiiie^du  *  p^^^  ^^  p^^^*  ^^  "'y  ^^^  ^"^  ^^  ^^P^  ^^^ 

Duc  de  ne  trouva  pas  fon  compte  à  ce  Traité 
Milan  ,&  quoiqu'il  y  eût  (ts  Légats  >  Il  fe  plai- 
*:rahi    g^^j^  hautement  de  ce  qu'on  ne  lui  avoit 


par 


beau-pere.pas  rendu  Bologne  &  les  autres  Villes 
de  la  Romagne  ,  &  il  s'en  prenoit  à 
Sforce  qui  avoit  été  l'arbitre  de  cette 
paix.  On  prétend  néanmoins  que  Sfor- 
ce fit  ce  qu'il  put  pour  faire  avoir  Bo- 
î44i.     logne  à  Eugène  IV.  mais  que  Philippe 

F-  3  59'  qui  ne  demandoit  pas  mieux  que  d'avoir 
une  occafion  de  brouiller,  n'y  voulut 
jamais  confentir.  Quoiqu'il  en  fbit, 
Sforce  s'en  alla  avec  fa  nouvelle  époufe 
dans  la  Marche  d' Ancone  dont  il  pofle- 
doit  une  grande  partie,  ne  s'attendant 
pas,  après  une  paix  fi  folemnelle ,  d'y 
être  pourfuivi  par  les  intrigues  de  Phi- 
lippe fon  beau-pere. 

Ce  Duc ,  à  qui  fon  gendre  étoit  fufpeét 
parce  qu'il  favorifoit  les  Vénitiens,  fît 
?444'     propofer  au  Pape  de  l'en  chafler ,  lui 
offrant  pour  cela  des  troupes  6c  de  l'ar- 
gent.    Le  Pape  irrité  contre  Sforce  de 

ce 

*  Petite  Ville  dans  la  Tofcane  fur  les  confins 
(de  Gçnes  &  de  I^rme, 


HiST.  DE  Florence.  Zz^'. //.   135* 
ce  qu'il  n'avoit  pas  eu  Bologne,  à  ce 
qu'il  prétendoit  p^r  la  faute  de  ce  Gé- 
néral, n'eut  pas  de  peine  à  fe  refoudre  à 
faire  éclater  fon  refîèntiment.    Pour  en 
venir  à  bout  il  s'allia  avec  le  Duc ,  6c 
avec  Alfonfo  Roi  de  Naples  qui  crai- 
gnoit  que  Sforce  ne  vînt  reprendre  les 
places  qui  lui  avoient  été  enlevées  l'an- 
née précédente.     Alfonfe  vint  dans  la  Sforce  eft 
Marche  d'Ancone,en  chafTa  Sforce, ^cf^'^^Jj^^^^ 
la  reftituaauPape.  Eugène  non  content  d'Ancone 
de  cette  acquiiîtion  méditoit  la  guerre  par  le  Roi 
contre  les  Florentins  qu'il  accufoit  d'à-  ^.^  ^'*" 
voir  donné  du  fecours  à  Sforce  contre 
lui.    Il  fembloit  pourtant  qu'ils  duffent 
être  quittes  de  leurs  allarmes  par  la  mort  Mort 
d'Eugène  IV.  arrivée  en  1446.  6c  par^'Eugene 

celle  de  Philippe  Duc  de   Milan    en  {7'^'^'» 

•     -1  j        1    T>    .Duc  de 

1 447.  mais  ils  trouvèrent  dans  le  Roi  Milan. 

de  Naples  un  ennemi  auquel  ils  ne  s'at- 
tcndoient  pas. 

Ge  Prince  qui  étoit  à  Tivoli  * ,  *  avoit  Alfonfe 
été  en  fufpens  après  l'éleétion  de  Ni-j^"^^}^^ 
colas  V.  s'il  fe  retireroit,  ou  s'il  pouf- j-g^tins 
ferpit  le   projet  d'Eugène  contre  les  par  le  Sic- 
Florentins.     Dans  cette  fituation  deux"^^^- 

c:„_   1447. 

^^^  p.  60. 

*  Ville  de  la  Campagne  de  Rome  à  feizc  mil- 
les de  cette  Capitale. 

14 


1^6      PoGGIANA.  P^r/. ///. - 

Sienois  *  mécontens,  l'étant  allé  trou- 
ver lui  periliaderent  d'attaquer  Floren- 
ce par  Sienne ,  dont  ils  s'engageoient 
à  le  rendre  maître.  Il  arriva  en  même 
tems  que  le  Général  Simonette  quitta  le 
parti  des  Florentins  pour  prendre  celui 
du  Roi ,  ce  qui  redoubloit  (es  efperan- 
ces.  Elles  furent  pourtant  vaines  i  les 
Sienois  lui  reluferent  l'entrée  de  leur 
Ville  ,  laiflant  feulement  à  fon  armée 
la  liberté  de  prendre  des  vivres  dans  le 
Pais,  pour  aller  enfuite  piller  le  Flo- 
rentin. Les  Florentins  fe  voyant  ainfi 
attaquez  à  Timprovifte  prirent  toutes 
les  mefures  néceflîures  pour  fe  défen- 
dre. Ils  levèrent  en  diligence  des  trou- 
pes pour  garder  leurs  frontières  du  côté 
des  Sienois  &  appellerent  à  leur  fecours 
i7W<?r/V  Comte  d'Urbin  leur  ami  6c  leur 
allié,  qui  vint  promptement  avec  mille 
chevaux  6c  huit  cens  fantalîins.  Alfonle 
ne  fit  autre  chofe  cette  année  que  de 
prendre  quelques  places  de  peu  d'impor- 
tance fur  le  Florentin ,  &  fe  retira  en 
quartier  d'hiver  à  Piombino  place  -)"  que 

Re- 

*  L'un  d'eux  ctoit  Antonio  Pctruccio,  ennç-^ 
STii  des  Florentins. 

f  Place  maritime  entre  le  Sienois  &  le  Pifan, 
fgus  la  proteâion  dçs  Floientins, 


HisT,  DE  Florence.  Liv.  II.   1 37 

Renaud  des  Urfins  qui  y  commandoit   i44§. 
avoit  très-bien  munie  de  toutes  chofes 
par  le  fecours  des  Florentins  qui  y  a- 
voient  envoyé  des  troupes  par  mer  6c 
par  terre.     Après  avoir  paflè  tout  l'été 
à  ce  fiège,  il  fut  enfin  obligé  de  le  le- 
ver, &;  de  s'en  retourner  à  Naples  avec 
les  foibles  refies  de  Ton  armée.  L'année  ^,,^ 
fuivante  par  l'entremife  de  Nicolas  V.  p.  366, 
on  fit  une  paix  qui  ne  dura  pas  long- 
tems. 

Le  Duc  de  Milan  étant  mort  fans 
cnfans ,  oc  les  Milanois  ayant  recouvré 
leur  liberté,  ils  ne  penfoient  qu'à  vivre 
en  repos ,  lorfqu'ils  furent  attaquez  par 
les  Vénitiens  qui  jugèrent  l'occafion 
favorable  pour  s'emparer  de  la  Gaule 
Cifalpine.  Ils  y  avoient  déjà  pris  Plai- 
fance  ôc  Lodi ,  par  le  moyen  des  Guel- 
phes  qui  leur  livrèrent  ces  villes.  Dans 
cette  extrémité  les  Milanois  appelle- 
rent  à  leur  fecours  François  Sforcc  qui 
étoit  dans  leur  voifinage.  Ce  Général 
mit  d'abord  le  liège  devant  Plaifance 
où  les  Vénitiens  avoient  mis  une  forte 
garnifon  &:  fait  bâtir  deux  Citadelles. 
Il  la  prit  en  un  feul  combat  dans  lequel  Sforce 
}1  manqua  d'être  tué  parce  quefonche-  Fend 
val  étant  tombé  fous  lui  il  étoit  accablé  fj 'les  Ve^ 
I  S  denitiens, 


138     l^oGGi  AN  A.  Part.  III. 

de  pierres  &  de  flèches.  Enfuite  ayant 
pafle  l'Addc  il  bâtit  &  mit  en  déroute 
l'armée  des  Vénitiens  devant  Caravag- 
gio  *.  Après  cette  viétoire  il  fe  difpo- 
foit  à  prendre  Brcfîè  que  les  Vénitiens 
n'étoient  plus  en  état  defecourir.  Mais 
les  Milanois  eux-mêmes  craignant  que 
Sforce  devenu  trop  puifTant  ne  les  op- 
primât, empêchèrent  lécretement  qu'il 
ne  tlt  cette  conquête,  La  mésintelli- 
gence s'étant  mile  entre  eux 6cleur Gé- 
néral ,  les  Vénitiens  en  profitèrent  pour 
traiter  avec  lui.  Ils  lui  promirent,  ou- 
tre la  Ville  de  Lodi ,  treize  mille  écus 
d'or  par  mois  pendant  trois  ans ,  6c  trois 
mille  hommes  de  Cavalerie  s'il  vouloir 
Sforce    le  déclarer  contre  les  Milanois.    Sforcé 

reprend     touiouis  inconltant  accepta  le  parti,  6c 
le  parti        ,/  •*  •    ^  1       '       j    r   "  ^  -i    1 

des  Veni-^  étant  mis  a  la  tête  de  les  troupes  il  al- 

tiens.  Les  la  former  le  fiège  de  Pavie  "f ,  efperant 

Milanois  d'en  venir  aifément  à  bout  parce  que 

&les  Ve-  1         /     .     ,/.  ^  ^  r 

ritiens  fe  ^^^^^  place  etoit  déjà  extrêmement  prel- 

liguent      fée  de  la  faim.     Mais  les  Vénitiens  ai- 
contre  lui,  merent  mieux  fe  liguer  avec  les  Mila- 
nois contre  Sforce,   que  de  lui  laiflér 

fai- 

*  Bourg  du  Milanois  célèbre  par  cette  victoire. 
I  Pavie  Capitale  du  Pavefc  à  quelques  mil- 
les de  Milan, 


HiST.  DE  Florence.  Lîv.  II.  i^p 

faire  une  conquête  de  cette  importan- 
ce. 

Une  fî  puifTante  Ligue  auroit  réduit  Sforce 
en  fumée  les  projets  ambitieux  de  Sfor-  PF^"^  ^^' 
ce  fans  le  fecours  de  Cofme  de  Médias  fecours  de 
l'un  des  plus  grands  Capitaines,  &  une  Cofme  de 

des  meilleures  têtes  de  fon  tems.  Encou-  Medicis , 
X     ^         ^1  -M  ■         ^    r^   oc  devient 

rage  par  un  tel  appui ,  il  continua  le  lie-  y^^^  ^^ 

ge  de  Pavie  &  prit  enfin  cette  Ville  Milan. 
par  compofition.     Cette  conquête  le   1449. 
rendit  maître  de  tout  le  Milanois.     11 P"^  ^^^' 
s'en  mit  en  polTeflion ,  &  prit  le  nom 
de  Duc  de  Milan.  Les  Vénitiens  allar- 
mez  d'un  voifinage  fi  redoutable  réfo- 
lurent  de  faire  alliance  avec  le  Roi  de 
Naples  &:  avec  les  Florentins ,  s'ils  vou- 
loient  y  entrer,  afin  de  chafler  Sforce, 
&  de  joindre  le  Milanois  à  leur  Etat. 
Cofme  de  Medicis  qui  avoit  la  princi-   Les  Flo- 
pale  autorité  à  Florence,  voyant  bien  rentins rc- 
que  les  Vénitiens  ne  recherchoient  l'ai-  ^"^^"^  ^^ 
liance  des  Florentins  que  pour  s'aggran- ^,^^(1  j^g  ' 
dir  dans  l'occafion  à  leurs  dépens  fit  ré-  Vénitiens. 
pondre  à  l'Ambalïïidcur  de  Venife  que 
tout  étant  en  paix  il  n'étoit  pas  befoin 
de  faire  de  nouveaux  Traitez.  Les  Vé- 
nitiens irritez  de  cette  réponfe  firent 
chafier  par  un  Edit  public  tous  les  Flo- 
rentins de  leur  Ville ,  &  le  Roi  d' Arra- 

gon 


r^o     VoGGi  AN  A.  Part.  III. 

gon  en  fît  de  même  à  leur  follicitation. 
Les  Florentins  ne  dévoient  pas  être  fur- 
pris  de  cette  démarche  des  Vénitiens 
puifqa'ils  av^oient  donné  du  fecours  à 
Siorce,  6c  qu'ils  ravoi:"nt  félicité  de  la 
nouvelle  dignité  par  une  Ambaflade. 

145 1.  Cependant  ils  envoyèrent  des  Arnbaiïâ- 
deurs  pour  s'en  plaindre  comme  d'une 
rupture  &  pour  faire  en  même  tems 
des  propofitions  de  paix.  Mais  ces  x\m- 
balllideurs  ne  furent  pas  même  écou- 
tez ,  fous  prétexte  que  les  Vénitiens 
étant  en  alliance  avec  le  Roi  de  Na- 
pies,  ils  ne  pouvoient  traiter  avec  pcr- 
fonne  à  fon  infu. 

Guerre  ^^  fallut  donc  fe  préparer  à  une  nou- 
entre  les  velle  guerre.  Pour  en  foûtenir  le  poids 
Florentins  jes  Florentins  par  le  confeil  de  Cofme 

.  .^"  '  de  Medicis  dont  l'avis  l'emporta,  re- 
nouvellerent  alliance  pour  dix  ans  avec 
le  nouveau  Duc  de  Milan.  D'autre 
côté  les  Vénitiens  avoient  pour  Con- 
fedcrez  le  Roi  de  Naples,  &  les  Prin- 
ces de  Savoy e ,  du  Montferrat  &  de 
Carpi  *.  Le  Roi  d'Arragon  devoir  at- 
taquer les  Florentins  pendant  que  les 
Princes  qu'on  vient  de  nommer  agi- 

roient 
*  Principauté  dans  le  Duché  de  Modene, 


HisT.  DE  Florence.  Liv.  II.  141 
roient  contre  les  Milanois.  Ayant  donc 
aflemblé  leur  armée  ils  allèrent  d'abord 
attaquer  le  Cremonois  dans  le  tems  de 
la  moifîbn.  Mais  Sforce  après  avoir 
pris  plufieurs  places  fur  les  Vénitiens 
&  avoir  pafTé  l'Oglio  avec  Ton  armée 
marcha  contre  eux  dans  le  deflein  de 
leur  préfenter  le  combat.  Se  Tentant 
trop  foibles  pour  l'accepter,  ils  s'allè- 
rent retrancher  entre  Brelîè  &  Berga- 
me  dans  des  marais  où  Sforce  ne  pou- 
voit  pénétrer.  Apres  avoir  pris  plu- 
lîeurs  Villes  dans  le  BrelTan  Sforce  s'alla 
camper  vis-à-vis  des  ennemis  pour  tâ- 
cher de  les  attirer  au  combat ,  mais  il 
n'y  eut  pas  moyen  de  les  faire  ïbrtir  de 
leurs  retranchemens.  Alexandre  Sforee 
frère  du  Duc  fit  même  dans  cette  Cam- 
pagne une  perte  aflez  confiderable.  E- 
tant  parti  pour  aller  à  Lodi  avec  mille 
chevaux  dans  le  deflein  de  couvrir  ce 
païs-là  5  il  fut  furpris  en  chemin  par 
une  embufcade.  Une  partie  de  fa  Cavale- 
rie fut  taillée  en  pièces  ou  faite  prifon- 
Riere.  Le  refte  s'échapa  comme  il  put. 
Mais  il  fe  vangea  bien  tôt  de  cet  affront. 
Ayant  fu  que  les  gens  qui  l'avoient  LesVe» 
furpris  s'étoient  retirez  dans  des  lieux  "^^'^"^ 
marécageux  5    il  raflcmbla  autant  de  tus  paf  îc 

mon-  Milanois. 


Les  Flo- 
rentins 
attaquez 
par  les 
Napoli- 
tains 8c 
par  les 
Vénitiens 
ont  re- 
cours au 
Roi  de 
France. 


142     PoGGtA^TA.  Part.  m. 

monde  qu'il  put ,  6c  ordonna  aujc 
gens  de  pied  de  prendre  avec  eux  des 
fagots  de  (arment  &  d'arbuftes  pour 
pou  voir  jetter  dans  le  marécage.  L'ayant 
pafle  pendant  la  nuit  ils  trouvèrent  les 
ennemis  endormis  &  mirent  le  feu  dans 
leurs  tentes.  La  pl^.is  grande  partie  fut 
mifcrablement  confumée  dans  les  flam* 
mes,&  les  autres  s'enfuirent  nuds&  fans 
armes.  Alexandre  ravi  d'avoir  fi  bien 
pris  fa  revanche  s'en  alla  rejoindre  le 
Duc  fon  frère. 

Cependant  le  jeune  Ferdinand  *  fils 
d'Alfonfe  Roi  de  Naples  étoit  dans  le 
Florentin  avec  une  armée  d'environ 
quinze  mille  hommes  occupant  plu- 
fîeurs  places  ôc  faifant  de  grands  dégâts 
par  tout  le  pais.  D'autre  côté  la  Flote 
d'Alfonfe  faifoit  des  conquêtes  mariti- 
mes. Les  Florentins  avoient  de  bons 
Généraux ,  mais  trop  peu  de  troupes 
pour  pouvoir  réfîfter  à  l'effort  des  Vé- 
nitiens 6c  des  Napolitains  joints  enfem- 
ble,  d'autant  plus  qu'ils  ne  pouvoient 

ti- 

*  Ce  Prince  commandoit  fous  Frédéric  Com- 
te d'Urbin.  Il  faut  ou  que  ce  dernier  eût  change 
de  parti,  ou  que  ce  fût  un  autre  qui  portât  les 
mêmes  noms;  C'eft  à  celui  ci  que  le  fils  de  Pog- 
gc  dédia  rHiftoire  Florentine  de  fon  père ,  comme 
on  l'a  dit  dans  la  première  Partie  de  cet  Ouvrage, 


HisT.  DE  Florence.  Lh.  IL    143 
tirer  aucun  lecours  du  Milanois  occupé 
à  défendre  fon  propre  païs.  Ils  envoyè- 
rent donc  des  Ambafladeurs  (a)  à  Char-  (a)  Ange- 
les VII.  Roi  de  France  pour  lui  deman-  î^  ^'^^*' 
der  du  fecours,  lui  offrant  de  leur  côté  pra^ncifco 
de  l'ailifter  à  mettre  René  d'Anjou  enVenturio. 
poflèfîion  du  Royaume  de  Naples.  Cet- 
te Ambaflade  ne  fut  pas  inutile.   Car  le 
Roi  de  France  apprenant  que  le  Duc  de 
Savoye  fe  difpofoit  à  aller  attaquer  le  Mi- 
lanois envoya  en  diligence  douze  mille 
chevaux  menacer  le  Duc  de  lui  déclarer 
la  guerre ,  s'il  ne  mettoit  bas  les  armes. 

Le  Savoyard  intimidé  par  cette  dé- 
claration ,   laifla  le  Milanois  en  repos 
ou  5  au  moins ,  ne  le  traveifa  qu'indi- 
reftement,  comme  il  fit,  en  obligeant  Palavic; 
René  d'Anjou  à  changer  de  route  pour  L..  VI. 
aller  en  Italie.  P;3i^. 

L'Année  fuivante  René  d'Anjou ,  &     René 
cnfuite  Louis  Dauphin  de  France  étant  d'Anjou 
entrez  en  Italie  pour  fecourir  le  Mila-  ^  "^,^^  ^^ 
nois  6c  les  Florentins ,    les  Vénitiens  fccounr""^ 
penferent  aux  moyens  de  terminer  la  les  Flo- 
guerre.      Comme  ils  fe  tenoient  tou-  rentins. 
jours  retranchez  dans  leurs  Marais  du 
Breflan ,  François  Sforce  les  avoit  inu- 
tilement provoquez  au  combat  pendant 
tout  l'été.    Mais  enfin  comme  ils  man- 

quoient 


t44     VoGXiiAt^ A.  Part.  I/I. 

quoient  de  vivres  &  qu'ils  craignoient 
d'ailleurs  d'y  être  forcez  par  deux  ar* 
mées  qui  les  tenoient  prefque  inveftis, 
ils  prirent  la  réfolution  d'aller  dans  le 
Veronois,  près  du  Lac  de  Garde.  Cet- 
te retraite  donna  occafîon  au  Duc  de 
Milan  de  recouvrer  quantité  de  places 
dans  le  Breflan ,  6c  fans  la  rigueur  de  la 
faifon  il  auroit  pu  reprendre  BrefTe  mê- 
me. Les  Florentins  ayant  de  leur  côté 
levé  une  bonne  armée  avoient  repris  la 
plupart  des  Villes  6c  des  Forts  qui  leur 
avoient  été" enlevez  par  les  Napolitains. 
Il  quitte  Cependant  René  d'Anjou  quitta  l'Italie 
^^  ^^'  pour  s'en  retourner  en  France  au  grand 
regret  du  Duc  de  Milan.  Pour  les  Flo- 
rentins, ils  n'en  furent  pas  aufîi  fâchez. 
Ils  avoient  recouvré  prefque  tout  leur 
païs, &il  n'étoit  pas  de  leur  intérêt  que 
le  Duc  de  Milan  devînt  trop  puifTant. 

Toutes  les  troupes  de  part  6c  d'autre 
étoient  en  quartier  d'hy  ver  oîi  on  ne  ref- 
piroit  que  la  fin  d'une  guerre  dont  la  plu* 
part  étoient  las.  Nicolas  V.  profita  de 
cette  difpofition  pour  tâcher  de  pacifier 
l'Italie  dans  le  defiein  d'envoyer  du  fe- 
cours  aux  Chrétiens  contre  les  Turcs. 
Il  fe  fit  donc  envoyer  des  Ambafiadeurs 
de  chaque  part  pour  en  traiter.    Mais 

le 


HiST.  DE  Florence.  Liv.  IL    I4f 

le  Roi  Alfonfe  en  parut  fi  éloigné,  & 
faifoit  des  propolitions  fi  derailonnables 
au  gré  des  uns  &  des  autres,  que  pour  lors 
on  ne  put  rien  conclure.  Un  Religieux 
Vénitien ,  nommé  Léonard  Camerte ,  fut 
plus  heureux  que  le  Pape  dans  cette  ne- 
gotiation.     Les  Vénitiens  jugeant  bien 
qu' Alfonfe  ne  cherchoit  à  prolonger  la 
guerre  que  pour  s'aggrandir  aux  dépens 
de  Tes  voifins  ,  envoyèrent  à  Ion  intû 
ce  Moine  au  Duc  de  Milan  pour  fonder 
fès  intentions  fur  la  paix  ou  fur  la  guerre. 
Léonard  trouva  le  Duc  difpofé  à  la  paix  j 
Il  en  régla  (ecretement  avec  lui  les  con- 
ditions par  ordre  des  Vénitiens.  Quand 
on  fut  convenu  de  tout  ils  envoyèrent 
à  Milan  Paul  Barbe  (a)  neveu  du  Pape ,   1454. 
pour  en  traiter  publiquement,  de  con-P-  3S^- 
cert  avec  les  Florentins  qui  avoient  aufli  i^^"^?^^. 
un  Ambafladeur  à  Milan.  Cette  paix  fut  le  Duc  de 
conclue  au  mois  d'Avril  de  1 4^4.  à  con-  Mihn , 
dition  que  chacun  reprendroit  ce  qu'il ^"  ^'^^'" 
pofledoit  avant  la  guerre  &quc  les  exi-j^g  ^[0- 
lez  6c  les  priibnniers  rappeliez  &  misenVentins 
Liberté  rentreroient  dans  leurs  biens.  On  ^'^^''^  '-^ 
envoya  cependant  des  Ambaffadeurs  de|^^|^^^^^^-_ 
part  &  d'autre  au  Roi  de  Naples  pourfc  duP> 
Tom.  LL  K  luipe. 

(a)  Frère  de  Pierre  Barbe  qui  fat  depuis  Pauï 
Ibus  k  nom  de  Paul  II. 


r4'5     P  o  G  G 1 A  N  A .  Part.  III. 
lui  donner  avis  de  ce  qui  s'étoit  paflc.  Le 
Pape  qui  de  fon  côté  deiiroit  ardemment 
d'aller  au  devant  de  tout  ce  quipourroit 
troubler  une  fi  heureufe  union,  envoya 
le  Cardinal  Capranka^^ct  Monarque, 
pour  l'engager  à  s'y  joindre.  Alfonfe  qui 
ne  rcfpiroit  que  la  guerre,  Se  mécontent 
d'ailleurs  d'avoir  été  négligé  dans  la  paix, 
fut  long  tems  combattu.  Mais  il  feren- 
1455.      dit  enfin  aux  raifons  ^auxinftancesdes 
Ambafiadeurs.  La  paix  fut  donc  confir- 
mée à  Naples ,  fous  les  mêmes  conditions 
qu'à  Milan,  à  la  réferve  de  quelques  pe- 
tits changemens  qu'on  y  fit  en  faveur 
d'Alfonfe.    Machiavel  rapporte  qu'il  fe 
réferva  la  liberté  de  faire  la  guerre  aux 
Génois-,  à  Sigif^nond  Malatejta  ,  &  à 
JJlor  Prince  de  Fayence.  L'événement 
fit  voir  que  cette  clauCe  n'étoit  que  pour 
laifler  des  femences  de  guerres  en  Italie. 
Le  Pape  entra  dans  cette  alliance  en  qua- 
lité de  Médiateur  &  d'Arbitre  &:  il  fut 
refolu  qu'il  feroit  Juge  des  démêlez  qui 
pourroient  furvenir  entre  les  Alliez  6c 
que  perfonne  ne  prendroit  les  armes 
fins  fon  confentement  *. 

»  ici  finit  l'Hiftoire  Florentine  de  Pogge  qui  fur- 
vecut  quitte  ans  à  cette  paix.  On  peut  en  voir  la  luitc 
tiausTHiftoireFlorcntiiiedeNicolas  Machiavel. 

FIN  de  la  III.  Part.  ^f«  P  o  G  G  i  a  n  a. 

POG- 


POGGIANA. 

Quatrième  Partie, 

Contenant  les  bons  Mots  de  P  o  g- 

G  e  é^  des  Hommes  lUuflres 

de  fin  tems. 


K  1 


AVIS 

Sur  les  bons  mots  de  P  o  g  g  e. 

^^^î^  Es  Recueils  de  bons  mots  font 
pà  T    ip  crim  ufage  fort  ancien.     Il  a 
^^fjTJi^^  paffé  des  Orientaux  aux  Grec  s  ^ 
i§  des  Grecs  aux    Romains, 
fuies  Ce  far  avoit  fait  un  Livre  ^'Apo- 
phthegmes  ,   ou  il  marquoit  foigncufe- 
ment  les  bons  mots  de  Ciceron.    Ce  feroit 
une  chofe  bien  curieufe  de  voir  un  Cice- 
roniaiia  de  la  façon  de  ce  Héros  qui  ne  fe 
diftingua  pas  moins  par  les  belles  Lettres 
que  par  fa  valeur.  Audio  Ciciarem,  cum 
volumina  jam  confecerit  à^cCpôcyf^ftTwv,   Epid,  ad 
Il  quod  adferatur  ad  eum  pro  meo,  quod  &"V''  ^• 
meum  non  fit,  rejicere  iblere.  Comme  ^^^'    ^' 
Céfar  a  pa£e  pour  un  homme  judicieux 
^  de  bon  goût  ^  peracre  judicium,  ces 
mots  fer  oient  apparemment  mieux  choifis^ 
que  ceux  qu^ avoit  recueillis  V  affranchi  de 
Ciceron^  dont  ^lintilien  dit  ^  ^/^'// y^- Quint.  L, 
7'Qit  à  fouhaiter^  qu'il  n'en  eût  pas  mis  ^•^*  '^' 
K  3  en 


ifo  AVI     S. 

en  fi  grand  nombre ,  13  qii'il  eût  fait  pa^ 
Yoitre  plus  de  jugement  dans  le  choix , 
que  de  travail  dans  la  compilation.  Les 
bons  mots  de  Ciceron  dévoient  être  fort 
plaifans^  car  il  et  oit  grand  rieur. 

On  apprend  de  Suétone^  qu'Hun  certain 

Grammairien  .y  nommé  Caïus  IS'IelKTus, 

Efclave  de  Mécénas ,  avoit  fait  plufieurs 

volumes  de  bons  mots  ,  fous  le  titre  de 

Libelli     Badincrics,  ou.^  Plaifanteries,  que  Mon- 

ineptia-  ji^j^..  ^/^  /^j  Monnoye  a  appelle ,  le  Soti- 
Her  de  Melifius,  norn  qu'il  donne  aufji 
aux  bons  mots  r/'Hieroclès.  Si  ces  Re- 
cueils fubfifloicnt  encore ,  je  les  termine- 
rois  en  Ana,  6?  laijjcrois  au  peuple  de 
Paris  [on  Sotilîer.  Monfieur  de  la  Mon-- 
mye  ne  nous  apprend  pas  quiétoitcet  Hic- 
r  oc  lès  y  dont  il  rapporte  un  Conte  en  fort 
Vie      jolis  vers  François.  M.  Daeier ,  qui  en  a 

d'Hiero-    traduit    q:ielques    mots  fort  ingénus  ^  le 

clés  p.  (^)-Qit  différent  du  Philo fophe ,  Commen- 
tateurde  pythagore  y  appuyé  fur  la  dif- 
férence du  file. 

Suétone  nous  apfrend  un  peu  plus  de 
Suet.  de  nouvelles  de  Melifins.     Voici  ce  qu^il  en 

Illuftiib.    dit.  Cétoit  un  Gentilhomme  de  Spolete^ 

Gram-  ■^.   ^^^^  ^  eau  le  de  la  mesintcllizencc 

mat  D 

72.0."  '  ^^^^^'^  fi''^  P^^^  ^  fi  ^'*'''^  5  ^^'^  ^^  ^'^^'^' 
peur  d'être  expofé  dans  fon  enfance.     Il 

fi 


AVIS.  ifi 

fe  trowva  néanmoins  quclcun  ,  gui  prit 
foin  de  fon  éducation^  ^  qui  lui  ayayit 
fait  faire  de  bonnes  études ,  en  fj  pré- 
fent  à  Mécénas  comme  d'un  habile  Gram- 
mairien. Il  porta  même  le  nom  de  Mécér 
nasi^  eut  une  grande  part  dans  fon  ami- 
tié.  Il  entra  comme  Efclai-e  chez  ce  fa- 
'vori  d'' Augufte  ,  6?  il  préféra  fous  un 
ici  Maître  fa  condition  d'Efcla-ve  à  fa 
naiffance  ^  quoique  fa  mère  le  redeman- 
dât. Cependant  Mécénas  l'affranchit. 
Devenu  Affranchi  il  guigna  les  bonnes 
grâces  d' Augufte^  qui  le  fit  fon  Bibliothc- 
caire.  A  Page  de  foixante  ans  il  fe  mit  à 
compofer  ces  Recueils  de  plaifanteries  ^ 
dont  je  viens  de  parler  ^  libellos  incptiii- 
iam,qiii  nunc  jocorum  infcribuntur  *. 
//  mit  la  dernière  main  à  cent  cinq  volu- 
mes ou  feuilles  (libellos)  de  ces  plaifante- 
riesj  (^  y  en  ajdûta  dans  la  fuite  plu- 
ficurs  m-Ures.  Il  fit  un  autre  Ouvrage  fur 
lequel  f  alléguerai  les  propres  paroks  de 
Suétone  de  peur  de  me  tromper.  l'Vcit  & 
novum  genus Togataium  "j",  infcripHt- 

*  Le  Savant  Heinfius  a  cru  que  ces  plaifantc- 
ries  croient  tirées  des  Fables  d'Eibpe.  Voyez  la 
note  fur  Ovide  de  Pont,  L.  IV.  Fl.  ult.  j^.  29. 

t  TogatA  étoient  des  efpeces  de  Comédies. 
Voyez  Suetonc  Ncron.  H.  — 

K  4 


tfi  AVI    S. 

que  Trabcatas.  'je  croi  que  pour  ne  pas 
fnultiplier  les  êtres  fans  necejfité  ^  comme 
fait  ici  Moreri ,  on  peut  compter  que  c'efi 
ce  même  Mcliffus  dont  parle  Ovide ,  com- 
me d'un  Poète  Comique. 

Mufaque  Turrani  Tragicis  innixa  cothurnis , 
Et  tua  cum  focco  Mufa,  Meliffc,  levis  *. 

On  peut  juger  que  les  bons  mots  de  Pogge 
itoient  à  peu  près  du  même  caractère ,  que 
ceux  de  Meliffe  ^  d'Hieroclês  ,.  par  ce 
qu'il  en  dit  lui  même  dans  fa  Préface. 
Du  tems  de  Martin  V.  élu  Pape  au 
Concile  de  Confiance  en  1417-  quelques 
perfonnes  d'efprit.^  entre  le  [quelles  et  oient 
Pogge  Florentin,  Antonio  \^w{c.o .^com- 
me lui  ,  Secrétaire  de  ce  Pape ,  Cincio 
Romain ^i^  Razello  de  Bologne ^avoient 
pratiqué  dans  le  Vatican  un  petit  réduit  ^ 
oii  ils  s'' affemhloient  pour  parler  librement 
de  toutes  chofes  l§  de  tout  le  monde.  Ils 
appelloient  cet  endroit  Buggiale,  ce  qui 
enr  Italien  fignifie ,  un  lieu  de  recréation , 
ou  Von  débite  des  fables  ^  des  bagatelles^ 

*  Ovid.  de  Pont.  El.  ult.  On  peut  voir  la 
note  de  Heinfius  fur  cet  endroit  d'Ovide.  On  y 
trouvera  quelques  édairciffemens  fur  Meliffus. 


AVIS.       .       if^ 

^  oùVonfe  divertit  aux  dépens  de  qui  il 
appartient.  On  y  difoit  des  nouvelles^  on 
y  f ai f oit  des  contes  ^on  frondoit  contre  tout 
ce  que  l'on  n'approuvoit  pas  ^  ^  on  ap- 
prowvoit  fort  peu  de  chofes  j  fur  tout  on 
n'y  épargnoit  pas  le  Pape  ^  qui  pour  V or- 
dinaire et  oit  mis  le  premier  fur  les  rangs. 
Cefi  de  cet  endroit  que  font  fortis  la  plu- 
part des  bons  mots ,  ^  des  rencontres  qui 
fuivent.  Ils  ne  font  pas  tous  de  Pogge^ 
mais  comme  c'efl  lui  qui  les  a  tous  recueil- 
lis^ on  a  cru  qu^  il  et  oit  jufle  de  les  met- 
tre fur  f  on  compte. 

Il  a  fallu  au  refîe  beaucoup  de  choix 
pour  faire  ce  petit  Recueil .^parce  que  par- 
mi les  Facéties  de  Pogge  il  y  a  quantité 
d' obfcenitez- ,  d'ordures  i^  de  pauvretez  ; 
fort  fouvent  vrai  Sotilier.  //  a  tâché  de 
faire  fon  apologie  là-defjus  ,  mais  il  fs 
défend  mal.  Il  efi  bien  permis  quelquefois 
de  dire  la  vérité  en  riant , 

-----  ridendo  dicere  verum 
Quis  vetat  ? 
mais  il  n' efi  jamais  permis  de  blefferV hon- 
nêteté y  la  pudeur.  Je  ne  fai  même  f  les 
habitans  de  Tai'ente^^(?Corenza*/'û//r 
K  f  qui 

*  A  facetis&humanis.ficutLuciliusàConfen- 
tinis  &  Tarentinis ,  legi  ciipio.  loi.  I.  Voyez  Ci- 
ceron  dt  Un,  bon,  o"  mal,  L.  I.  31.  51. 


îf4  AVIS. 

qui  Poggc  fait  prof effion  d'écrire  cesCori' 
tes^tout plaifans  qu'ils  étaient  ckleurnsi' 
turel ,  lui  auroient  pardonné  la  licence 
qu'il  s'efi  donnée  ici.  On  peut  bien  delaf- 
fer  (^  amufer  fon  efprit  après  un  grand 
(a)  ^^^ctx.fra'uail^  comme  faifnent  Scipion  {a)  l^ 
de  Urat.    L^gjj^s^  y^-^i^  ji  j^^mf  q^^  /^j  amufemens 

p. '310.     [oient  innoce ns  l§  honnêtes^  comme  Vé- 
tcient  les  leurs. 

Pcgge  efl  d'autant  plus  coupable  de  s'ê- 
tre émancipé  comme  il  a  fait  ^  que  lorf- 
qu'il  ra'majjà  ce  Recueil  il  ctoit  dans  un 
âge ,  oh  il  n'y  a  plus  que  le  retour  invo- 
lontaire à  l'enfance ,  qui  puijfe  faire  ex- 
cufer  les  fotifes  ^  les  folies.  Cependant  il 
par  oit  charmé  de  ces  Contes  13  il  s'en  ap- 
Pogg.     plaudit  dans  fon  Inve^tii-e  contre  Laurent 
Op.  p.       Valle^  qui  les  ai)  oit  critiquez..     Il  pré - 
^^^'  tend  rnème  qu'ils  faifoicnt  ks  délices  des 

Savans^  t3  qit'on  les  lifoit  avec  avidité 
dans  toute  l'Europe.  Ce  bel  Efprit  nous 
donne  ici  un  grand  exemple  de  l'aveugle- 
ment des  hom'mes  fur  leurs  propres  dé- 
faut s  {3  fur  leur  s  propre  s  Productions.  An- 
toine de  Palerme  fon  ami ,  homme  à 
bons  ou  à  mechans  mots^  avoit  fait  rm 
Pocmc  licentieux ,  fous  le  titre  ^'Herma- 
phrodite. Dans  une  Lettre  que  Pogge 
hi  écrit  là-dcfjus^  il  fait  ?nain  bajjé  fur 

tes 


AVIS.  iff 

les  Anciens  qui  ont  écrit  des  ohfcenitez , 
comme  Catulle,  Martial  ^c.  fans  épar- 
gner même  les  Platons  ^  les  Gâtons, 
chez  qui  la  gravité  Pbilofopbique  a  quel- 
quefois foujfert  de  grandes  éclipfes.  Il 
n'ell  point  permis  à  un  honnête  hom^ 
me,  dit  Pogge^  de  badiner  comme  un 
valet,  ni  à  un  homme  d'cfprit  de  le  faire 
comme  un  bouffon  *.  Il  exhorte  en  mê" 
me  tems  fon  ami  à  fe  corriger  de  ce  défaut, 
Ainfi  Pogge  s''efl  fait  par  avance  fon  pro' 
ces  à  lui-même  ^  fans  attendre  celui  que  lui 
ont  fait  là-dejfus  le  Grand Erafme  l^plu- 
fteurs  autres^  avec  beaucoup  de  raifon. 

On  trouvera  fans  doute  que  parmi  ces 
bons  mots  ^  il  y  a  bim  des  jeux  de  mots^ 
mais  on  doit  confiderer  que  c'^étoit  le  goût 
de  ce  tems-là ,  ^  il  n'eft  pas  indigne  d'un 
homme  de  Lettres^  de  connoître  les  dif- 
férons goûts  de  chaque  fecle.  D""  ailleurs 
quoique  les  bons  mots ,  qui  confiflent  dans 
les  chofes  mêmes  ^  foient  de  beaucoup  pré- 
férables à  ceux  qui  ne  roulent  que  fur  des 
paroles^  ou  des  tours  de  phrafe  ^il  ne  faut 
pourtant  pas  toujours  rejetter  ces  derniers 

avec 

*  Diverfa  funt  gênera  jocandi ,  aliud  liberum 
hominem,  aliud  fer vum  decet,  aliud  facetum, 
aliud  fcurram. 


if6  AVIS. 

a'vec  trop  de  chagrin,  ^and  un  jeu  dp 
mots  n^efl  point  médité ,  quil  coule  de 
fouace  5  ciu'il  fe  dit  à  propos  ^  fur  le 
champs  qu'il  na  rien  de  trii)ial  i^  de  bas^ 
mais  qu^ au  contraire  il  a  je  ne  [ai  quel  air 
nouveau ,  il  plaît  toujours  ^  isS  il  plaira 
dans  tous  les  fiecles.  Si  l'on  retranche  les 
jeux  de  mots  des  bons  mots  des  plus  grands 
hommes^  il  en  rejlera  fort  peu.  ^l'on 
lij}  non  feulement  Plutarque  ,  Diogenc 
La'érce ,  Jthenée ,  Aulugelle  Isj  les  autres 
Anciens^  mais  même  les  Modernes  qui  ont 
fait  de  pareils  Recueils  .^  on  y  trouvera 
quantité  de  mots  qui  pour  n'être  que  des 
pointes  ne  laiffmt  pas  de  faire  plaiftr. 
Un  bon  mot  qui  confifle  dans  la  chofe  mê- 
me peut  avoir  de  la  fine£e ,  de  la  for  ce  ^  du 
fel  6?  même  de  la  fublimité  ^  attirer  V ad- 
miration^ obliger  ou  off enfer  plus  vivement^ 
mais  le  jeu  de  mots  a  V avantage  de  di- 
vertir. En  un  mot ,  ceux  qui  ne  parlent 
que  par  pointes  font  ridicules  i^  méprifa- 
hles  ;  mais  la  délicatefj'e  de  ceux ,  qui  n'eu 
faur oient  fouffrir  aucune  ,  quelque  bien 
placée  qu'elle  f oit  ^  approche  beaucoup  du 
précieux. 

On  ne  peut  pas  dire  que  ces  bons  mots 
le  foient  tous  également^  s'il  y  en  a  beau- 
coup qiçi  tirent  d^ eux-mêmes  leur  agré- 
ment 


AVIS.  if7 

ment  £s?  leur  fel^on  en  trouvera  aujjl  qui 
ne  mériter  oient  pas  grande  attention  ^fans 
le  relief  que  leur  donne  le  cara^ere  de  ceux 
qui  les  ont  dits.  Ce  que  dit  un  Pape^  un 
Empereur^  un  Cardinal^  un  Prince^  un 
homme  illuftre  dans  la  République  des 
Lettres ,  fait  u??e  toute  autre  impreffion 
que  ce  que  diroit  un  homme  du  commun. 
§uand  un  bon  mot  ejî  en  même  tems  un 
trait  d'HiJiaire ,  on  fait  aifément  grâce 
à  ce  qui  peut  lui  manquer  du  côté  de  la 
force  ^  du  fel.  On  trouvera  au  refle  ici 
une  afjez  grande  ;varieté.  Papes  ^  Empe- 
reurs^ Rois^  Princes^  Ecclefiajiiques ^ 
Gens  de  Juftice  ^  Bourgeois^  P  ai  fans  ^ 
tout  y  vient  fur  les  rangs. 

On  a  éclairci  ces  bons  mots  autant 
qu'on  Tapu^  par  de  petites  notes  fur  les 
tems^les  lieux  ^  les perfonnes ^pour  don- 
ner du  jour  à  la  narration.  Il  a  falu 
auffi  remplir  des  lacunes  ^  fuppléer  des 
circonftances  ,  fans  lefquelles  le  récit  eut 
été  obfcur  ^  fans  nulle  grâce.  On  a  cor- 
rigé quantité  de  groffes  fautes  d' impreffion 
i^  changé  je  ne  fii  quel  tour  barbare  que 
Pogge  n'avoit  pas  encore  perdu  malgré  fiz 
peliteffe^  ou^  que.,  peut-être^  il  avoit 
pris  exprès ,  pour  être  mieux  entendu  des 
gens  de  fon  tems.  On  n'a  pas  négligé  non 

plm 


ij8  AVIS. 

plus  de  marquer  dans  Voccafion  les  bons 
mots  des  autres ,  quand  ils  ont  du  rapport 
à  ceux  de  Pogge  *,  On  ejl  même  entré 
quelquefois  dans  la  difcujfion  de  certains 
faits  ^  lors  qu''ils  ont  paru  de  quelque  im' 
p  or  tance.  Ce  Recueil  auroit  pu  groffir 
davantage.  Mais  on  ne  s'ejl  pas  trowvé 
d'humeur  à  fe  fatiguer  en  'voulant  fe  dc' 
lajj'er^  pour  ne  pas  imiter  la  plupart  des 
hommes^  dont  les  amufemens  font  dc  '-je- 
ritables  travaux^  ^  f-^'^V^  fofit  de  leurs 
plaiftrs  une  affaire  fer  ieufe  (^pénible. 


*  On  en  a  tiré  ,  par  exemple ,  de  Plutarque . 
d'AulugelIe  ,  d'Antoine  de  Paleime ,  d'/ïneas 
Sylvius,  &  de  quelques  autres. 


RE- 


Ïf9 

RECUEIL 

DES  BONS  MOTS 

DE     P  O  G  G  E, 

Et  des  Hommes  ilhijires  de  fon  tems. 

I. 

Miiii^^N  prétend  que  la  tête  tourna  Pogg.Op^ 
O  g  à  Urbain  VJ.  après  fon  élec-  P-  ^^S-. 
W^Mk  ï^io"  ^u  Pontificat  *.  Un  jour 
^^iS^  ç^yg  quelcun  s'opiniâtroit  a. 
lui  demander  quelque  grâce  qu'il  ne 
vouloit  pas  accorder ,  Vous  a-vez  uns 
méchante  tête.,  dit -il  au  folliciteur. 
CV7?,  répondit  l'autre,  ce  que  tout  le 
monde  dit  de  vous ,  Saint  Père. 

Ce  Pape,  nommé  Bartholomée de  Pri" 
gnano ,  étoit  Archevêque  de  Bari  avant  • 

fon  éleftion.  Il  agifToit  envers  tout  le 
monde  avec  tant  de  hauteur,  de  violen- 
ce &  d'impetuofité  qu'au  rapport  de 
Théodoric  fon  Secrétaire  on  le  prcnoic 
communément  pour  un  fou.    Les  Car- 

di- 
*  11  fut  élu  par  violence  à  Rome  en  1378.  en 
h  place  de  Grégoire  XI. 


i6o     P o  G  G I A  N  A.  Part.  IV. 

dinaux  qui  l'avoieiit  élu  furent  obligez 
d'en  mettre  un  autre  en  fa  place  fous  le 
nom  de  Clément  VIL  ce  qui  fut  l'ori- 
gine du  grand  Schifme  d'Occident. 
Othon  Duc  de  Brunswich  Se  Prince  de 
Tarentc,  époux  de  Jeanne  Reine  de  Na- 
ples,  tenta  inutilement  de  le  reconcilier 
avec  les  Cardinaux,  pour  prévenir  le 
Schifme.  Il  traita  ce  Prince ,  plus  grand 
encore  par  fes  rares  qualitez  que  par  fa 
dignité,  avec  un  fouverain  mépris.  Un 
jour  qu'ils  mangeoient  enfemble  l'or- 
gueilleux Pontife  laiffa  fi  long  tems  ce 
Prince  à  genoux  lui  préfentant  à  boire, 
qu'il  fallut  qu'un  de  fcs  Cardinaux  lui 
dit,  Saint  Pere^il  eft  tems  que  Vous  bu- 
l'iez.  Comme  le  Pape  ne  vouloit  en- 
tendre à  aucune  propofition  de  paix, 
Othon  dit  un  jour ,  vous  verrez  que 
notre  S.  Père  ne  fera  pas  Urbain, 
mais  T  u  R  B  A I  N.  Cependant  tout 
mécontent  qu'il  étoit  d'Urbain  il  de- 
meura toujours  dans  fon  obédience,  quoi- 
que la  Reine  fon  époufe  s'en  fût  fous- 
traite. 

II. 

p.  419.         Comme  on  fe  plaignoit  à  Confiance 
qu'il  n'y  avoit  point  de  liberté  dans  le 

(a)  Tenu  Concile  (a)  ,  un  Evcque   d'Anf^letcr- 
.  re 


Recueil  DE  BONS  MOTS.   i6i 

rc  prouva  fort  plaifamment  en  bonne 
compagnie,  qu'il  n'y  avoit  rien  de  plus 
libre  que  cette  Ailèmblée.  Une  certaine 
fille  de  Conllance ,  diibit-il,  le  trouva 
grofle  pendant  le  Concile.  Son  frère 
s'en  étant  apperçu ,  lui  demanda ,  le  poi- 
gnard à  la  gorge ,  qui  l'avoit  débauchée. 
C'efiy  dit-elle,  P ouvrage  du  Concile ^i^ 
c'efl  de  lui  que  je  fuis  grojje.  Cette  ré- 
ponfê  ayant  appaiie  le  frère ,  par  véné- 
ration pour  la  fainte  Alîemblée  -,  §ue 
les  autres^  dit-il,  demandent  quel privi" 
lege  ils  voudront ,  pour  moi  je  ne  veux 
que  celui  de  jouer  aux  autres  femmes  le 
tour  qu'on  a  fait  à  mafœur. 

III. 
Un  autre  faifant  peu  refpeétueufemcnt 
à  l'Empereur  Sigilmond  des  plaintes 
fur  le  défaut  de  liberté  à  Conllance  :  // 
faut  bien ,  répondit  cet'  Empereur, 
qu'on  y  foit  bien  libre  ^  puis  que  vous  y 
parlez  ft  librement . 

IV. 
Eugène  IV.  ayant  fait  Cardinal  jin-  En  143 1? 
gelotto  Fufco  Romain  ÔC  Evéque  de  Ca- 
ve, un  Prêtre  de  Rome, nommé  Lau- 
rent ^a\  rioit  à  gorge  déployée.  On  lui 
demanda  ce  qu'il  avoit  à  rire  de  fi  bon 
cœur,  Puifque  Von  commence ,  dit-il ,  à 
T'om.  II.  L  fai" 


i6i     VoGGiAUA.Part.IK 

faire  des  fous  Cardinaux^  fefpere  ([ue  je 
le  ferais  fuis  que  je  ne  fuis  pas  moins 
fou  qu'Jngelotto. 

A  propos  d'Angelotto  ,  on  ne  fera 

peut-être  pas,  fâché  ,  que  je  rapporte 

ici  la  fin  tragique  de  ce  Cardinal.     Les 

riches  avares  font  quelquefois  expofez 

à  de  grands  malheurs.    i\ngelotto  étoit 

l'un  &  l'autre,  il  étoit  riche  &:  avare. 

On  dit  même  qu'il  poufToit  l'avarice 

Auberi,  jufqu'à  aller  la  nuit  dérober  les  brides  ^ 

Hilt.des  'i^^  chevêtres  dans  les  établesde  fesvoiftns^ 

T 'n"p    i^  qu'' ayant  été  une  fois  pris  fur  le  fait 

165.  '      par  un  Palfrenier^  il  reçut  incognito  de 

rudes  bafionnades.  , 

Auberi  veut  que  ce  foit  unemcdifan- 
ce  de  Garimbert ,  je  le  veux  bien  aufîî. 
Quoi  qu'il  en  foit,  un  jour  que  tous  {ç^ 
domelliques  étoient  fortis  à  la  referve 
de  fon  valet  de  chambre,  nommé  An- 
tonel  de  la  Roche ^  qui  étoit  élevé  chez 
lui  comme  l'enfant  de  la  maifon ,  le 
Cardinal  s'endormit  profondement  fur 
fon  lit.  Le  fcelerat  de  valet  de  chambre 
voulant  profiter  de  l'occafion  fc  refolut 
'  à  tuer  fon  maître  ÔC  fon  bienfaiteur  pour 
avoir  fon  argent.  Il  prit  une  dague  6c 
une  épée  dont  il  le  perça  coup  fur  coup, 
&  pour  l'achever  il  lui  caflà  la  tête  avec 

un 


ReCITEIL  r>E  BONS  MOTS.     I(î$ 

un  râteau  d'argent,  dont  le  Cardinal  fc 
Icrvoit  lui-même  pour  nettoicr  ion  parc. 
Antonel  de  la  Roche,  ayant  pris  tout  ce 
qu'il  voulut  dans  la  maifon,  alla  tout 
baigné  de  larmes  chez  un  neveu  du  Car- 
dinal lui  annoncer  l'afTaflinat  de  ion  On- 
cle 5  Ils  coururent  cnfemble  à  l'Hôtel 
du  Cardinal,  ù  qui  ils  prouvèrent  enco- 
re quelques  reftes  de  vie.  Comme  le 
meurtrier  fe  tenoit  à  une  fenêtre  jettant 
de  grands  cris,  le  Cardinal  qui  ne  pou- 
voit  plus  parler  ,  montra  de  la  main 
cette  fenêtre  à  fon  neveu ,  voulant  lui 
défîgner  par  là  celui  qui  avoit  fait  le 
coup.  Voyez ,  dit  effrontément  l'aiîlif- 
fîn,  ilfaitfigmque  les  meiirtrieu  font 
entrez  par  la  fenêtre.  Cependant  il  fut 
arrêté  fur  cet  indice  5c  ayant  avoué  fon 
crime ,  il  en  reçut  la  jufte  punition. 
Cela  arriva  en  1444. 

Ce  Cardinal  étoit  un  homme  de  fort 
peu  de  mérite,  6c  qui  n'avoit  l'efprit 
tourné  qu'à  la  médifance.  Un  jour  que 
le  Pape  Eugène  IV.  étoit  à  Florence, 
un  jeune  garçon  de  dix  ans  lui  vint  fai- 
re la  révérence.  Cet  enfant  lui  fit  un 
difcours  grave  &  fpirituel ,  &  répon- 
dit à  toutes  (es  quelHons  avec  une  jui* 
tclTe  au  delTus  de  fon  âge.  Cejl  rordi- 
L  z  nah 


A 


164    PoGGiANA.  Part.  IV. 

naire ,  dit  là-delTus  Angelotto ,  que  ces 
efprits  précoces  deviennent  fliipides ,  dans 
un  âge  plus  avancé.  „  Il  faut  donc ,  dit  h 
5,  jemie  garçon  au  Cardinal ,  que  vous 
55  ayez  été  bien  fage  dans  votre  enfance. 
C'eft  la  coutume  à  la  Cour  de  Ro- 
me que   quand  le  Pape  a  nommé  un 
Cardinal,  il  demeure  (ans  parler  dans  le 
Confîfloire  des  Cardinaux  jufqu'à  ce  que 
Sa  Sainteté  lui  ait  ouvert  la  bouche.  On 
demandoit  un  jour  au  Cardinal  de  St. 
Marcel  ce  qui  s'étoit  pafle  dans  le  Con- 
fiftoire.  „  On  a,  dit-il  ^ouvert  la  bou- 
„  che  au  Cardinal  Angelotto  ".  //  va- 
loit  bkn  mieux ,  dit  Pogge  qui  connoif- 
foit  Angelotto  pour  un  medifant ,  //  va- 
lait bien  mieux ,   lui  mettre  une  bonne 
Jerrure  à  la  bouche ,  que  de  la  lui  ouvrir, 
V. 
p.  4Z0.        La  plupart  des  habitans  de  Gaycte  *, 
gagnent  leur  vie  par  la  marine.  Un  d'en- 
tre eux  qui  ctoit  fort  pauvre  fe  mit  en 
mer  pour  amafTer  quelque  argent ,  laif^ 
{ânt  à  fa  femme  le  foin  de  gouverner  fon 
petit  ménage.     Comme  elle  étoit  jeu- 
ne, jolie  5  6c  tendre ,  clic  ne  fut  pas 

long- 

*  Ville  Epifcopaje  dans  le  Royaume  de  Na- 
ples  où  il  y  a  un  beau  port. 


Recueil  DE  BONS  MOTS.    ï6f 
ïong-tcms  (ans  fe  confolcr  de  l'abfencc 
de  Ion  mari.  De  retour  au  bout  de  cinq 
ans  fon  premier  foin  fut  d'aller  voir  fa 
femme.    ^11  fut  agréablement  furpris  de 
trouver  fa  maifon,  toute  reparée  Ôc  fort 
agrandie.     Comment^  dit-il,  ont  pu  fe 
faire  ces  réparations?  „  C'eft,   répon- 
5,  dit-elle ,    une  grâce  que  Dieu  m'a 
„  faite  *'.  Le  mari  en  remercia  le  Ciel. 
Entrant  plus  avant  dans  là  maifon,  il 
voit  un  lit  &  des  meubles  d'une  pro- 
preté au  delà  des  ficultez  de  l'un  &  de 
l'autre.     Ce  lit  ^  ces  meubles  d'où  font- 
ils  venus"^  „  De  la  même  grâce  ".  Pen- 
dant que  le  mari  benifToit  la  bonté  du 
Ciel  envers  lui,  il  vint  un  joli  petit  gar- 
çon, d'environ  trois  ans,  flater  ià  mè- 
re.    A  qui  eft  cet  enfant  ?  demanda  le 
mari,  Amoi^  dit  la  mère,  le  Ciel  7?re 
Fa  auffi  donné,  A  h  pour  le  coup ,  dit-il ,  ' 
le  Ciel  efl  trop  foigneux  de  m'' avoir  donné 
des  enfans  en  mon  abfcnce. 

Il  y  avoit  à  Milan  un  Médecin  qui  p.  421. 
entreprenoit  de  guérir  les  foux  en  un 
certain  efpace  de  tems.  Pour  y  réuflir 
il  attachoit  le  fou  jufqu'aux  genoux, 
ou  plus  avant ,  lèlon  le  degré  de  folie ,  à 
un  pieu  dans  une  mare  fort  puante,  qu'il 
L  5  avoit 


1^5     VoGGiKVi A..  Part.  IF. 

avoit  dans  fa  cour,  Se  le  laiflbit,  fans 
manger,  jufqu'a  ce  qu'il  donnât  quel- 
ques marques  de  Raifon.  Un  jour  on  lui 
en  amena  un  qu'il  mit  dans  l'eau  Juf- 
qu'aux  cuifles.     Quand  il  eût  été   là 
quinze  jours, il  pria  le  Médecin  de  l'en 
tirer  j  ce  qu'il  fit  à  condition  qu'il  ne 
fortiroit  pas  de  la  cour.     Il  vint  là  par 
hazard,  un  Cavalier  qui  avoit  des  oi- 
feaux  &  des  chiens  de  chafle.    Comme 
le  fou  ne  fe  fouvçnoit  plus  de  ce  qu'il 
avoit  vu  pendant  fa  démence  -,  Appre- 
nez-moi ,  je  'VOUS  prie ,  dit  -  il  au  Cava- 
lier, fur  quoi  l'ous  êtes  monté .^iy  à  quel 
lifage  vous  fert  cette  monture  ?  „  C'cft 
5,  un  cheval  pour  aller  à  la  chafTe,  re- 
pondit le  Ca\'alier.     Ce   que  tous  te- 
nez fur  le  poings  comment  l'appelle-t-on^ 
.  (^  qu'e^faites-iwus?  „  C'cll:  un  Eper- 
5,  vier  pour  prendre  des  perdrix  ".   Et 
qu''ejî'ce  que  vous  avez  autour  de  vous  ? 
5,  Ce  font  des  chiens  pour  faire  partir 
„  le  Gibier  ".     Alais  combien  vous  re- 
vient-il par  an  de  ce  gibier  ^pour  la  captu- 
re duquel  il  faut  tant  de  préparatifs? 
5,  Fort  peu  de  chofe ,  dit  le  ChafTeur, 
„  peut-être  fîx  ducats  ".  Et  la  depenfe 
du  cheval^  des  oi féaux  {^  des  chiens^  à 
quoi  monte-t-elle  ?  „  A  cinquante  ".  Ha  / 

4i.Ç 


ReCUEILDE  BONS  MOTS.     167 

dit  alors  le  fou ,  fuyez-vous-en ,  je  vous 
prie,  au  plus  vite,  avant  que  le  Méde- 
cin vienne  ;  car  s'^il  vous  entendoit ,  il 
vous  mettroit  dans  la  mare  jufqu' au  men- 
ton. 

L'Hiftoire  nous  apprend  quedutems 
de  Néron  ,  il  y  avoit  un  Médecin , 
nommé  TheJ/alus,  qui  jettoit  ies  mala- 
des dans  de  Teau  froide  au  plus  fort  de 
riiyver.  Il  n'ctoit  pourtant  pas  l'inven- 
teur de  cts  bains,  u'intonius  Mu  fa  fon 
prédeceflèur  les  avoit  ordonnez  d  Ho- 
race, témoin  ces  vers.  ,.^°,"\ 

hp.  L.  I. 

lipift.XV. 
Nam  m'îhî  Bâtas  i'^if' 

Mufa  fuptrvacuas  Antonius ,  v  txmen  illis 
Mefacit  invifum  ,  geitda  quum  perluor  unda 
Per  médium  frigHs. 

J'apprends  de  Mr.  Dacier  qu'Anto- 
nius  Mufa  avoit  tué  le  jeune  Marcellus 
par  fes  bains  froids.   ^On  appelloit  ceux 
qui  fe  baignoicnt  dans  l'eau  froide  pfy- 
chrolytes.    Seneque  étoit  de  ce  nombre.   Senec. 
Pline  ne  goiitoit  pas  cette  ordonnance.  EP;5  3- 
Il  ne  faut  point  douter ,  dit-il,  que  tous     ^^' 
ces  Médecins  ne  trafiquent  de  notre  vie  pour 
acquérir  de  la  réputation  en  inventant 
quelque  chofe  de  nouveau. 

L  4  C'étoit 


I6S     VoGGiAV! A.  Part,  ir. 

C'étoit  un  bon  mot  de  Sidonius  A-- 
pollinaris.     Un  Médecin  malhabile  6c 
affidu  tue  fon  malade   fort  officieufe- 
ment. 

VII. 
^.4Z2.        Il  y  avoit  àConilanceun  jeune  Gen- 
tilhomme Gafcon,  nommé  Bonac^  qui 
fe  le  voit  tous  les  jours  fort  tard.   Com- 
me fes  camarades  le  railloicnt  de  fa  pa- 
efîe.  „  J'ai,^//-/7,  tous  les  matins  un 
,  plaidoyer  à  entendre  entre  la  Pareflc, 
,  &  la  Diligence.    Celle-ci  m'exhorte 
,  à  me  lever,  pour  m'occuper  à  quel- 
,  que  chofe  d'utile:  L'autre  lui  fou- 
,  tient  qu'il  fait  fort  bon  dans  un  bon 
,  lit  bien  chaud ,  &  que  le  repos  vaut 
,  mieux  que  le  travail.  Pendant  qu'elles 
5  difputent  ainfi  je  les  écoute  jufqu'àce 
,  qu'elles  foient  d'accord  ^  &  c'cll:  ce 
,  qui  fait  que  je  fuis  fîlong-temsaulit. 
VIII 

P»  42.5'  Il  y  avoit  dans  quelque  Ville  du  Mont 
Apennin  un  Prêtre  fi  ignorant  que  ne 
fâchant  pas  même  les  fêtes  de  l'année  il 
ne  les  annonçoit  point  au  peuple.  Etant 
allé  un  jour  à  T'erranova  *,  la  veille  des 

Ra- 

*  C'eft  une  Ville  proche  de  Florence  où  na- 
quit Poggc. 


Recueil  DE  BONS  MOTS.  i6p 
Rameaux ,  &  voyant  les  Prêtres  qui 
fàifoicnt  provifion  de  branches  d'olivier 
6c  de  palmier, il  s'apperçut qu'il n'avoit 
ni  obfervé  lui-même,  ni  fait  obferver 
le  Carême  à  Tes  Paroiflîens.  Huit  jours 
après  étant  de  retour  il  fit  auffi  amafler 
des  rameaux  le  Samedi ,  &  le  lendemain 
il  dit  à  fon  peuple.  „  C'eft  aujourd'hui 
„  le  jour  des  Rameaux  -,  dans  huit  jours 
55  ce  fera  Pâques  5  cependant  il  faut  fai- 
55  re  pénitence  toute  cette  (cmaine  5  &: 
55  on  ne  jeûnera  pas  plus  long-tems  cet- 
55  te  année  5  parce  que  le  Carême  efl 
55  arrivé  fort  tard  5  à  caufc  du  froid  6c 
55  des  mauvais  chemins. 
IX. 

Quelques-uns  des  Paroifîîens  du  me-  Ibid, 
me  Curé  furent  envoyez  à  Arezzo  * 
acheter  un  Crucifix  de  bois  pour  met- 
tre dans  leur  Eglife.  L'ouvrier  auquel 
ils  s'adreflercnt  voyant  en  eux  des  gens 
flupides,  qui  refTembloient  plus  à  des 
bêtes  qu'à  des  hommes  5  voulut  fe  di- 
vertir à  leurs  dépens.  Il  leur  demanda 
s'ils  vouloient  avoir  un  Crucifix  vivant, 
ou  5  un  Crucifix  mort  ?  Les  bonnes 
gens  ayant  délibéré  entre  eux  5  répon- 

di- 

*  Ville  du  Florentin  proche  de  Florence. 


170  VoGGiAN A.  Part.  IF. 
dirent  qu'ils  aimoient  mieux  un  Cruci- 
fix vivant,  parce  que  s'il  n'agréoit  pas 
à  la  Paroifîè,  on  pourroit  toujours  le 
tuer;  au  lieu  que  fi  on  en  portoit  un 
mort,  on  ne  pourroit  pas  le  faire  re- 
vivre. 

X. 
^p.43T.        BoniFicelX.*  étoit  Napolitain  de  la 
Papc"cif  "  Maifon  des  Tor,:aceIIL  On  appelle  de  ce 
,1389.       nom  en  Ittlic,un  certain  fiirci  fait  avec 
du  foye  de  cochon.     Ce  Pape  entrant 
un  jour  à  Pcrouic,  accompagné  de  fcs 
frères  &  de  fcs  parens  qui  étoient   en 
grand  nombre  >  Le  peuple  dcmandoit 
qui  étoient  les  gens  qui  le  fuivoient  j 
Les  Pe-  ce  font ,  répondit-on ,  des  TomacdU.  Ho 
roufins      hQ  ^  (jjt;  uj-,  plaifant ,  il  falloit  que  ce 
pour?tre  cochon-là  eût  un  foye  bien  grand  pour 
naturelle-  cn  faire  tant  de  Tomacelli. 
mentplai-  X  I. 

^^?^.',  Le  Curé  d'un  A'illaî^e  de  Tofcane 

Ibid.  .  ,  .  ,1     -^     •    t. 

avoit  un  cnicn  qu  il  aimoit  beaucoup. 

Le  chien  étant  mort  le  Cure  l'cntena 

dans  le  cimetière.  L'Evêque  qui  n'igno- 

roit  pas  que  le  Curé  étoit  riche ,  en  ayant 

A  eu  avis,  le  fit  venir  dans  le  dcHcin  de 

le  condamner  ^  une  bonne  am aride.  Le 

Curé  connoiflbit  bien  le  caraéterc  de 

l'Evéque.     Il  va  le  trouver,  avec  une 

cin- 


Recueil  DE  BONS  MOTS.    171 

cinquantaine  de  Ducats.  D'abord  l'Evê- 
que  menace  le  Curé  de  le  faire  mettre 
en  prifon ,   comme  un  profane  6c  un 
impie.     „  O  fi  vous  favicz,  Monfci- 
„  gneur  5  combien  ce  Chien  avoit  d'cf- 
5,  prit ,   vous  conviendriez  avec  moi 
„  qu'il  méritoit  bien  d'être  enterre  a- 
„  vcc  des  hommes  :    Il  en  a  marqué 
„  pendant  toute  fa  vie ,  mais  fur  tout 
5,  à  fa  mort  ".  §u' a-t -il donc  fait  ?  dit 
l'Evcque.  „  Il  a  fait,  dit-il^  fon  Tef- 
„  tament ,  6c  fâchant  que  vous  n'étiez 
5,  pas  fort  à  votre  aifej  il  vous  a  légué 
„  ces  cinquante  Ducats  que  je  vous  ap- 
5,  porte  ".     L'Evcque  accepta  le  pre- 
fent  5  approuva  la  fepulture  ;  6c  donna 
l'abfolution  au  Prêtre, 
XI. 
Il  y  avoit  à  Cingoli  Bourg  dans  la  Mar- 
che d'Anconc,  un  homme  fort  riche, 
&  fur  tout  fort  pécunieux.     Le  Sei- 
gneur de  ce  lieu  avide  du  bien  d'autrui, 
chercha  querelle  au  Bourgeois,  le  fit 
venir  chez  lui ,  &:  le  menaça  de  le  faire 
pendre,  lui  difant  qu'il  avoit  confpiré 
contre  lui.     Le  bon  Bourgeois  de  nier 
le  fait  de  toute  fi  force.     O///,  dit  le 
Seigneur,  vous  cache'z  chez  l'ous  ceux  à 
qui  j'en  veux.     Le  Bourgeois  voyant 

bien 


172  VoGGiAT^iA.  Part.  IF. 
bien  qu'on  en  vouloit  à  Ces  Ducats,  dit 
au  Tyran  qu'il  n'avoit  qu'à  envoyer  chez 
lui  Tes  gens,  &  qu'il  leur  remettroit  fcs 
ennemis  cachez.  Il  donna  Ton  argent, 
en  difant  j  prenez^  'voila  les  prétendus 
ennemis  de  Aionfeigneur ^  qui  ont  été  en- 
core plus  les  miens. 

XII. 

p.432'''  Les  Equivoques  font  quelquefois  un 
jeu  aflcz  plaifant.  Un  homme  ayant 
perdu  tout  fon  argent  au  jeu  pleuroit  à 
chaudes  larmes.  Quelqu'un  l'ayant  ren- 
contre dans  cet  état,  lui  demanda  ce 
qu'il  avoit  à  pleurer.  Je  71' ai  rien^  dit- 
il  î  5,  Puifque  vous  n'avez  rien,  pour- 
„  quoi  pleurez-vous  donc  "?  Cejljuf- 
tement  parce  que  je  n'ai  rien  que  je  pleu- 
re. Si  l'autre  l'entendit,  il  fit  au  moins . 
fcmblant  de  ne  l'entendre  pas ,  &  le 
•  lailTa  là  fans  lui  rien  offrir. 
X  i  1 1. 

îbid.  Un  jour  de  S.  Etienne  un  Moine  de- 

voit  faire  le  Panégyrique  de  ce  Saint. 
Comme  il  étoit  déjà  tard  les  Prêtres 
qui  avoient  faim  craignant  que  le  Pré- 
1^  dicateur  ne  fût  trop  long,  le  prièrent 

à  l'oreille  d'abréger.  Le  Religieux  mon- 
te en  chaire,  6c  après  un  petit  préam- 
bule j  Mes  frères^  dit-il,  il  y  a  aujour- 
d'hui 


Recueil  DE  BONS  MOTS,    ty^ 

d'hui  un  an  que  je  vous  dis  tout  ce  qui  jç 
peut  dire  touchant  le  Saint  du  jour.  Comme 
je  n'ai  pas  appris  qu'il  ait  rien  fait  de. 
nouveau  depuis^  je  n^ai  rien  non  plus  à 
Ajouter  à  ce  que  j'en  dis  alors.  Là-delTus  il 
fit  le  figne  de  la  croix  ôc  s'en  alla. 
XIV. 

Grégoire  .XII.  avoit  juré  avant  (on  p.  ^^.^ 
Eleftion  de  céder  le  Pontificat  pour 
terminer  le  Schifme.    Quand  il  fut  Pa-     ' 
pe  5  il  éluda  l'exécution  de  fa  promcflc 
par  mille  tergivcrfations.   Fous  verrez  , 
dit  là-deiTus  le  Cardinal  de  Bourdcaux^ 
à  Poggc,  que  le  Pape  nous  montrera  le 
derrière -y  comme  fit  cet  impofieur  au  peU" 
pie  de  Bologne ,  qui  s'étoit  afjemhlé  pour 
le  voir  voler  ^  comme  il  V avoit  promis. 
XV. 

Dante  ^  Aïïigeri  célèbre  Poète  Flo-  p.  436, 
rcntin  du  XIII.  fiècle  étoit  pauvre,  & 
ayant  pté  exilé  de  fa  patrie,  ne  vivoit 
que  fort  maigrement  à  Vérone  aux  dé- 
pens d'un  Prince  de  la  Scala  (a)  nommé    (a)  Au^ 
Canis.  Ce  Prince  avoit  auprès  de  lui  un  ^^^"?*^"ï 
autre  Florentin  qui  étoit  un  homme  ^'^^"^^''' 
tout  à  fait  méprifable  ôc  qui  ne  pou- 

voit 

*  Voyez  l'éloge  de  Dante  dans  Paul  Jovc  p.  7»' 
&  dans  Pogge  àt  Infdic.  Priràp. 


§74  PoGGiANA.  Part.  IV. 
voit  fcrvir  que  de  jouet.  Cependant 
La  S  cala  le  combloit  de  biens  6c  laifToiE 
Dante  dans  la  mifere.  „  D'oii  vient, 
j,  dit  un  jour  le  fou  à  Dante  .^  que  vous 
„  êtes  pauvre,  vous  qui  êtes  (i  habile 
„  homme,  &  que  je  fuis  riche,  moi, 
„  qui  ne  fuis  qu'un  ignorant  &  un  fou  ? 
^e  deviendrai  riche ,  dit-il ,  quand  fau' 
rai  rencontré  un  homme  de  moncaraUere^ 
coynme  "vous  en  avez  trouvé  un  du  vôtre. 
Peut-être  ne  fera-t-on  pas  fâché  devoir 
l'Epitaphe  que  Dante  le  fit  lui-même, 
comme  elle  cil  dans  Paul  Jove. 

^ura  Monarchu,  Superos ,  Phlegethontay  Lacufquê 
Lujlrando  cecïnï ,  voluerunt  fata  quoufque. 
Sed  quia  fars  cejfit  melioribus  hofpita  taftrit, 
Auéîoremque  fuum  pttitt  filkior  aflr'ts , 
Hic  claudor  Dantes ,  patriis  exttrris  ab  oris  , 
flucm  genuit  parwl  FUreatia  mattr  amoris. 

J'ai  ouï  dire  que  les  Italiens  ne  citent 
jamais  le  Poète  Dante,  fans  mettre  la 
main  au  chapeau.  Cependant  la  plupart 
des  mots  que  Pogge  en  rapporte  ne  ré- 
pondent gueres  à  cette  haute  réputa- 
tion. Il  faut  pourtant  les  mettre  ici 
poui"  faire  honneur  au  nom  de  Dante. 
P'437-   Un  jour  qu'il  étoit  accoude  fur  l'Autel 

d'une 


Recueil  DE  BONS  MOTS.  175* 
d'une  Eglifc  de  Florence ,  fans  doute 
dans  quelque  rêverie  Poétique,  un  fâ- 
cheux le  vint  inteirompre.  „  Quelle 
„  eft  5  lui  dit  Dante ,  la  plus  groiTe  de 
„  toutes  les  bêtes  "  ?  Cefi  P Eléphant^ 
dit  l'importun.  Eb  bien!  Eléphant ^  re" 
tirez-vous,  &  ne  troublez  pas  des  mé- 
ditations plus  importantes  que  ce  que 
vous  avez  à  me  dire. 

Marot  a  fait  à  peu  prcs  le 
Conte  en  Vers. 


Bien ,  laiflcz-moy ,  ce  difoit  une 
A  un  Sot  qui  luy  defplaifoit  : 
Ce  lourdaut  tousjours  m'importune  : 
Puis  j'ouïs  qu'elle  luy  difoit , 

La  plus  greffe  bcfte  qui  Ibit 
Monfieur ,  comme  eft  ce  qu'on  l'appelle  ? 
Un  Eléphant,  Madamoifelle , 
Me  femble  qu'on  la  nomme  ainfî , 
Pour  Dieu  (Eléphant,  ce  dit-elle) 
Va  t'en  donc,  laiffe  moy  iey. 


même  Oeuvïw 
de  Clé- 
ment Ma-; 
rot.p.373j' 
Edit  de 
Rouen, 
1601, 


Dante  avoit  une  femme  dont  les  ga- 
lanteries faifoient  beaucoup  d'éclat.  Ses 
amis  lui  reprochant  fouvent  fon  indul- 
gence ,  6c  le  peu  de  foin  qu'il  avoit  de 
fa  réputation  ,  il  querelloit  fa  femme  : 
Elle  de  pleurer,  de  crier  à  la  calomnie» 

Les 


tyS     VoGGïAUA.  Part.  IF. 

Les  amis  de  Dante  étant  revenus  à  la 
charge  ,  Dif es-moi ,  je  vous  prie ,  qui 
de  vous  ou  de  ma  femme  doit  mieux  fa^ 
voir  fa  vie}  „  C'eft  elle,  rcpondit-on: 
Eh  bien ,  elle  foutient  que  vous  en  avez 
tous  menti  j  Ne  me  rompez  donc  plus  la 
tête. 

Le  même  Poète  étoit  un  jour  à  ta- 
ble entre  les  deux  Seigneurs  de  Vérone, 
qui  s'appelloient  Canis'^  c'ell-à-dirc , 
Chien.  Les  valets  fe  divertiflbient  à 
mettre  tout  doucement  tous  les  os  aux 
pieds  de  Dante.  Quand  on  fe  fut  levé 
de  table,  tout  le  monde  étant  étonné 
de  ne  voir  des  os  qu'en  fa  place  >  „  Il 
„  n'eft  pas  furprenant ,  dit-il ,  que  les 
„  chiens  aycnt  mangé  leurs  os ,  pour 
„  moi  je  ne  fuis  pas  un  chien. 

Puis  qu'on  a  eu  pccallon  de  parler 

des  Princes  de  la  Scala  ou  des  Scaligers, 

Seigneurs  de  \'^erone,  on  donnera  ici 

un  Mémoire  curieux  fur  cette  maifon , 

Mr.  Vin-  qui  m'a  été  communiqué  par  un  habile 

ecnt,  Paf-]yjj[j^i(^j-e;  ^q  y^q^  .^^^-jis  qui  l'apporta  de 

Berlin.  Vérone  à  fon  retour  d'Italie,  où  il  etoit 
allé  en  qualité  de  Chapelain  de  Mada- 
me la  Générale  du  Hamel ,  dont  le  ma- 
ri commandoit  les  troupes  de  la  Répu- 
blique de  Vcnife  en  Moréc.     Au  relie 

le 


ReCITEILDE  BONS  MOTS.     \JJ 

le  grand  Jofeph  Scaliger  prétendoijt  être 
de  cette  Mailbn  ,  ëc  il  y  a  beiyjcoup 
d'apparence  qu'il  enétoit,  quoiqu'on 
le  lui  ait  conte  fié. 

Mémoire   touchant  la  Mai  fort 

^(fj  Se  ALI  G  ERS. 


„  Les  Ancêtres  des  Scaligers  Prin- 
5,  ct&  de  Vérone  tenoient  des  le  lo. 
y,  fiêcle  un  rang  confîdérable  parmi  là 
„  Noblefle  de  cette  Ville ,  mais  ils 
j,  n'avoient  pas  encore  eu  des  Emplois 
„  diflingucz. 

5,  Le  premier  de  cette  illuftre  famil- 
„  le,  qui  eut  quelque  part  au  Gouver- 
5,  nement  de  Vérone,  s'appelloit  Mafti' 
,5  no  délia  Scala.  Il  fut  élu  Podeftat 
„  l'année  iz6o.  Sa  droiture,  &  fon  ixCéi 
^,  intégrité  lui  gagnèrent  l'eltime ,  & 
„  l'afFcélion  de  tous  les  gens  de  bien. 
„  Mais  quelques  fcélérats  qui  crai- 
„  gnoient  la  fevérité  de  ce  Magiftrat, 
„  l'aflafîînérent  dans  le  tcms  qu'il  paf- 
„  foit  à  fbn  ordinaire  devant  la  Pla- 
,)  ce  qu'on  nomme  la  Place  des  Set- 
„  gneurs. 

„  Les  Veronois  ayant  puni  les  Afîàf- 

5,  fins  du  dernier  fupplice ,   élevèrent 

Tm,  IL  M  jil' 


tjS      POGGIANA.  P^r/.  //^. 

5,  Albert  Scaliger  à  la  charge  de  Capi^ 
1278.  ^j  /(^i;^^  Général.  Il  l'exerça  pendant 
„  11.  ans  avec  beaucoup  de  prudence, 
„  ôc  de  valeur.  Après  avoir  rendu  des 
5,  fervices  importans  à  la  République, 
„  Albert  mourut  d'hydropiiîe  le  10. 
5,  Septembre  i  301. 
1301.  „  Barthelemi  Scaliger  fon   fils  aine 

„  lui  fucccda  dans  Tes  emplois ,  mais 
„  Vérone  n'eut  pas  le  bonheur  de  le 
„  poOedcr  long  tems  5  il  mourut  au 
„  mois  de  Mai  1 303. 

„  Cette  mort  prématurée  remplit 
„  les  Veronois  de  confternation ,  &  de 
5,  douleur.  La  perte  de  ce  Général  leur 
5,  étoit  d'autant  plus  fenlîblc  qu'ils  a- 
„  voient  efpéré  que  par  fon  fecours  ils 
„  leroient  à  l'abri  des  guerres  Civiles 
„  qui  defoloient  alors  l'Italie. 

„  On  ne  trouva  point  de  meilleur 
„  moyen  de  reparer  cette  perte  qu'en 
,5  partageant  le  Gouvernement  de  Ve- 
5,  rone  entre  les  deux  fils  de  ce  Barthéle- 
1304.  „  mi,  Tavoir  Alboin^  &  Canefrancefco, 
„  Alboin  avoir  plulieurs  bonnes  quali- 
5,  tez ,  mais  nulle  inclination  pour  les 
„  armes.  Bien  différent,  à  cet  égard, 
5,  de  Canefrancefco  qui  fembloit  n'être 
,5  né  que  pour  la  guerre.  Pour  profiter 

de 


55 


Recueildebonsmots.    17P 

^^  de  cet  avantage  il  propofa  à  Ton  frère 
5,  aine  de  lui  céder  (ii  part  du  comman- 
„  dément  des  troupes.  Alboin  qui  ne 
,5  foupiroit  qu'après  le  repos  accepta 
55  cette  propofition.  Ilyconfentitavec 
^,  d'autant  moins  de  peine ,  que  Ton 
55  frère  n'ayant  point  d'enfans ,  cet 
^5  emploi  devoit  rentrer  naturellement 
5,  dans  £\  famille. 

„  Alors  Canefrancefco  fe  trouvant 
5^  fêul  à  la  tête  des  troupes  marcha 
,^  droit  à  Vicence,  qui  n'étant  pas  en 
5,  état  de  lui  refifter  long-tems  fe  fou- 
„  mit  au  Vainqueur.  Padouc,  6c  Tré- 
„  vife  furent  auffi  contraintes  deferen- 
5,  dre. 

„  Ce  Conquérant  enflé  du  fuccès  de 

55  les  armes,  prit  le  furnom  de  Grand ^ 

55  changeant  fon  nom  de  Canefrancefco, 

55  en  celui  de  Canegrande  qu'il  porta 

35  toujours  dans  la  fuite.     Il  méditoit 

55  de  nouvelles  conquêtes ,    quand  la 

55  mort  vint  terminer  fes  jours  le  22. 

55  Juillet  132,8.     On  fit  fes  obféques 

55  dans  Vérone  avec  tout  le  deuil ,  ôc 

,5  tous  les  honneurs  qui  lui  étoient  dûs. 

55  Son  corps  fut  inhumé  dans  l'Egli- 

55  fe  de  Ste.  Marie  antique  ,    &  l'oii 

55  grava  fur  fon  tombeau  en  carade- 

M  2r  „'  re? 


l8o       PoGGJAfJ  A.  Paft.  IF. 

5,  res  Gottiques  cette  Infcription  La,- 
5,  tine. 

„  5/  Canis  hic  grandis  ingentia  facîa  peregit , 
,,  Marchia  teftis  adefi  quam  f*vo  Marte  fubegit; 
„  Scaligeram  qui  laude  Domum  fuper  aflra  tulijfet 
„  Majores  in  luce  morasfi  Parca  dtdijfet. 
„  Hune  Juli  gemiaata  dits  undtna  peremity 
„  ^am  lapfis  Jeptem  tjuater  annis  mille  trecentis. 

„  Depuis  que  le  Pape  Benoit  XII. 
5,  avoit  reconnu  les  Scaligers  pour Prin- 
„  ces  légitimes  de  Vérone ,  la  Souve- 
„  raineté  étoit  héréditaire  dans  leur 
„  famille.  Canegrande  étant  donc  mort 
5,  iàns  cntims ,  il  fallut  reconnoître 
„  pour  lés  fuccefleurs  y///'«?r/ ,  èc  Alaf- 
„  tmo  5  (es  neveux. 
1319.  5,  Le  principal  foin  d'Albert  fut  de 
„  maintenir  la  paix  ,  &  l'ordre  dans 
„  Vérone.  MalHno  plus  guerrier  que 
5,  fon  frère,  prit  fur  lui  le  commande- 
„  ment  de  l'armée.  Il  livra  plufieurs 
5,  combats  dont  il  fortit  prcfque  tou- 
„  jours  viftorieux.  Ce  qu'on  admira 
5,  le  plus  en  lui ,  c'eft  qu'il  fut  allier 
„  en  la  perfonne  la  valeur,  &  la  pieté. 
„  Vérone  jouît  pendant  22.  ans  du 
55  fruit  de  fcs  travaux  >  &  de  fcs  ex- 

„  ploits 


Recueil  DE  BONS  MOTS.  i8i 
^5  ploits  militaires.  Couronne  (buvant 
5,  des  mains  de  la  Vi6toire,  il  expira  le 
„  3.  Juin  I3fi.  Il  laifla  trois  fils, 
„  Canegrande ,  Canjignorio  ,  &  Paul 
„  Alboin.  Il  fut  enterré  comme  Tes 
„  Prédecefîeurs  dans  l'Eglile  de  Stc. 
„  Marie.  On  lit  gravei"  cette  Epiraphc 
55  fur  Ton  tombeau. 

„  ScaligerA,  de  gentt  fut,  etïebrique  fer  char 
„  ÏHotnine  Majiin'ms.  Claras  daminabar  in  urles  y 
„  Me  Dominum  Verona  fHum  ,  me  Brixia  v'tAit  : 
,,  Primaque  cum  LucÂ,cum  Itltro^Marchia  tôt  a. 
>»  Jitra  dabam  populis  aquo  libramine  no/iris 
>,  Omnibus,  crjidei  Chrifii  fine  fine  fequutor, 
ff  Occubui primo  pofi  annos  mille  tre:entos 
„  Et  decies  quinos  :  Lux  ibaf  tertià  Juni, 

„  Canegrande  (on  fils  aine  lui  fucce-   13 jr. 
da.     Il  étoit  Gendre  de  l'Empereur 
Louis  de  Bavière.'  On  peut  voir  par 
là  jufqu'à  quel  degré  de  grandeur  la 
Maifon  des  Scaligers  s'étoit  élevée, 
puis  que  les  plus  grands  Monarques 
s'allioient  avec  elle. 
,5  La  Domination  de  Canegrande  fut 
de  courte  durée.     Il  fut  all'ifliné  par 
Canfignorio    fon    frère    Tan    i3fp.   ï3S9- 
L'Autorité  Souveraine  dei^Scaligeis 
M  3  „  etoit 


iSz  PoGGiANA.  Part.  IV, 
„  ctoit  trop  bien  établie  pour  laifler  à 
5,  la  JulHce  ordinaire  la  liberté  de  faire 
5,  le  procès  au  Parricide.  On  fut  con- 
„  traint  de  le  proclamer  Prince  de  Ve- 
5,  rone ,  &  des  Villes  que  fes  Prédc- 
„  cefleurs  avoient  conquifcs. 

„  Les  rares  qualitez  de  Canfignorio 
5,  firent  prefquc  oublier  le  crime  qu'il 
„  venoit  de  commettre.  On  trouvera 
„  fon  Eloge  dans  TEpitaphc  qu'il  or- 
55  donna  de  graver  fur  fon  tombeau. 

„  Scai/ger  hÀc  nitidâ  cubo  Canjignorius  arcdp 
,y  Urbibus  opîatus  Latii;  fine  fine  Monarchuy 
j,  Me  ego  jum  gemin&  qui  gtntis  fceptra  tenebam  , 
„  '^ufiuiàque  meos  tnixta  pïetate  regebam. 
,,  Inclyta  eut  virtus  ;  cui  pax  tranqudla  ,  fidetquc 
y,  Inconcuffa,  dabunt  famatn  per  fula  diesqu*. 

„  Si  îa  Domination  àcs  Scaligers  ne 
55  fut  pas  éteinte  par  la  mort  de  Can- 
55  lignorio  ,  elle  en  fut  au  moins  cx- 
55  tremement  affoiblie. 
^375.  5,  De  deux  de  fes  fils  qui  lui  fuccc- 
55  dercnt5  Barthekmi^^  Antoine  *,  le 
5,  premier  fut  maiTacré  en  1381.  par 
55  les  ordres  de  fon  frère.  Les  Fratrici- 

„  des 
*  Philim)e  de  Bergame  dit  qu'ils  étoienç  fiU 
raturels  de  Scuncrio  Prince  de  Vérone. 


ReCUEILDE  BONS  MOTS.     185 

55  des  étoient  prefque  aufîi  fréquents 
„  dans  cette  Maiibn  qu'à  la  Porte  Oc- 
55  tomane. 

5,  La  Juftice  Divine  ne  laiflàpasim- 
„  puni  le  crime  d'Antoine.  Sa  vie  fut 
55  un  tifTu  perpétuel  de  rev^ers  &  d'in- 
„  fortunes.  Jean  GaleaJJe  Duc  de  Mi- 
„  lan  le  vint  attaquer  avec  tant  de  vi- 
5,  gueur  qu'il  l'obligea  de  prendre  la  1387. 
„  fuite ,  &  de  fe  réfugier  à  Vcnife.       ff^^S- , 

„  JLa  mort  de  Galealle  arrivée  peu .,  g.^ 
„  de  tems  après  fembloit  avoir  terminé 
„  les  malheurs  d'Antoine.  Mais  au  lieu 
„  d'être  rappelle,  comme  il  avoit  fu- 
5,  jet  de  s'y  attendre,  il  eut  encore  la 
„  mortification  de  voir  qu'on  lui  prc- 
5,  fera  Guillaume  Scaliger. 

„  Ce  dernier  fut  encore  plus  mal- 
„  heureux  que  fon  Compétiteur.    Dix 
„  jours  après  fon  élévation  l'an  1404,   1^04. 
„  il  fut  empoifonné  par  François  de 
,5  Carrare  Seigneur  de  Padoiie. 

„  Ainfî  finit ,  avec  Guillaume  ,  la 
„  Domination  des  Seigneurs  delk  Sca- 
„  la,  après  avoir  duré  l'efpacc  d'envi^ 
„  ron  144.  années. 

„  François  de  Carrare,  n'avant  plus 

„  de  rival  à  craind  re,  s'empara  du  Gou- 

55  vcrnement  de  Vérone.     Il  ne  jouît 

M  4  5)  pas 


184  POGGIANA.  Part.  IV. 
„  pas  long-tems  du  fruit  de  Ton  parri- 
„  cide.  Les  Vénitiens  le  vinrent  atta- 
„  quer  dans  Vérone  qui  leur  ouvrit  les 
„  portes, pour  fe  délivrer  de  cet  Ufur- 
55  pateur.  Le  Duc  de  Milan  jaloux  de 
55  cette  conquête  la  leur  voulut  enle- 
5,  ver.  Pour  décider  par  les  armes  du 
55  fort  de  cette  Ville  qui  étoit  comme 
55  au  pillage ,  on  en  vint  aux  armes. 
55  La  victoire  balança  quelque  tems; 

^455.  5,  mais  enfin  elle  fe  déclara  pour  les 
5,  Seigneurs  de  Venife. 

55  Leur  nouveau  Gouvernement  fut 

1509.  5)  ^^*^2,  paifible  jufqu'à  l'an  ifop.  Il 
55  fut  alors  intcnompu  par  l'Empereur 
55  Maximilien  qui  fe  rendit  Maître  de 
55  Vérone  ,  ôc  qui  la  pofieda  jufqu'à 
5,  l'an  1^17.  Mais  enfin  il  fut  obligé 
5,  de  la  céder  au  Sénat  de  \"enife  qui  la 
,5  gouverne  encore. 

A  Berlin  le  19.  d'Avril  17 19. 

'Vh  Ber-      On  apprend  de  Philippe  deBergamç 
ipw.  p.      que  pievi-e  Paul  Verger  de  Capo  d'Illna 
avoit  écrit  la  Vie  des  Scaligers. 
XVL 

P''437-  ^"  Domcfiique  du  Duc  d'Orléans 
qui  n'avoit  que  des  inclinations  baflei, 

l'ayant 


•  • 


ReCUEÎL  DE  BONS  MOTS.     iSf 

l'ayant  prié  un  jour  de  le  faire  noble, 
^e  pourro^Êfien ,  dit  le  Duc ,  "uous  fai'> 
re  riche ,  mais  pour  noble  ctîa  eji  im- 
pojfibîe.  Cela  revient  à  un  mot  de  l'Em- 
pereur Sigifmond.  Ce  Prince  ayant  an- 
hobli  un  Do<5teur,  celui-ci  s'alla  met- 
tre au  rang  des  Nobles ,  au  lieu  de  fe  met- 
tre comme  à  (on  ordinaire  parmi  les 
Dofteurs.  Ceji  un  grand  foii^dk  VEm-    Hift  du 
pereur,  je  puis  tous  les  jours  faire  mille  Conc.  de 
Gentils-hommes ,  ^  dans  mille  ans  je  ne  Conft. 
faurois  faire  un  homme  do£le.  p.40'* 

XVII. 
Il  y  a  un  endroit  dans  le  Royaume 
de  Naplcs  fort  cxpofé  aux  aflafîins  & 
aux  voleurs.  Un  Berger  de  cette  con-  p.  439. 
trée  alla  un  jour  fe  confefTer  d'avoir 
avalé  quelques  goûtes  de  lait  un  jour  de 
jeûne  5  comme  s'il  eût  commis  un  grand 
crime.  Le  Confefleur  lui  ayant  deman- 
dé s'il  ne  fe  fentoit  point  coupable  d'au- 
tre péché.  iV(9» ,  dit  le  Berger.  „  Mais, 
„  dit  le  Confejfeur ,  ne  vous  ell-il  ja- 
„  mais  arrivé  de  vous  joindre  avec  vos 
5,  camarades  pour  dépouiller  &  pour 
„  aflaiTiner  les  pallans  "?  Oh!  dit-il, 
cela  nous  efl  ordinaire ,  i^  nous  n^en  fai^ 
fons  point  de  confcience. 

M  f        XVIII, 


iS6     VoGGiAT^ A.  Part.  IF. 
XVIII. 

En  1376.      Pendant  la  guerre  que  Qjfegoire  XI. 

P'43J-  eut  avec  les  Florentins  i  Bologne  fut 
aiîiegée  par  les  troupes  Bretonnes,  que 
ce  Pape  avoit  envoyées  contre  eux. 
Elles  avoient  à  leur  tête  Robert  Cardi- 
nal de  Genève  qui  en  i  378.  fut  fait  Pa- 
pe fous  le  nom  de  Clément  VII.  Le 
Légat  afliegeoit  la  place  oii  s'étoit  ren- 
fermé Rodolphe  Far  an  de  C  amer  i  no  *, 
Généial  Florentin ,  pour  la  garder ,  6c 
pour  empêcher  qu'il  n'y  arrivât  quel- 
que fedition.  Il  fe  fiiifoit  des  forties  itz 
il  fe  donnoit  des  efcarmouches.  Lin 
jour  le  Cardinal  Légat  envoya  un  hé- 
raut à  Rodolphe  lui  demander  pour- 
quoi il  ne  fortoit  pas  de  la  place  pour 
combattre  ?  Je  n^ en  fors  pas ,  lui  fît-il  di- 
re, afin  que  vous  n'y  entriez  pas. 

Ce  Général  Florentin  a  pafle  pour 
un  homme  de  prudence  &  de  valeur, 
mais  de  fon  propre  aveu  il  étoit  fort 
inconllant.  Quand  onle  luireprochoir, 
il  ne  répondoitmitre  chofe,  fi  ce  n'cll, 
qu'il  lui  étoit  impojfible  de  dormir  long- 
tems  fur  un  ?nême  coté. 

XIX. 

*  Ville  de  l'Etat  de  l'Eglifc  dans  la  Marche 
d'Anconc. 


Recueil  DE  BONS  MOTS.    1S7 

XIX. 

Dan^la  guerre  dont  on  vient  de  par-  En  1377. 
îer,  Rodolphe  ayant  quitté  les  Floren-  ?•  43*^- 
tins  pour  (c  ranger  dans  le  parti  du  Pa- 
pe 5  il  fut  peint  à  Florence ,  la  tête 
renvcrfée,  comme  on  y  effigie  les  traî- 
tres. Cependant  on  ne  lailîbit  pas  de 
traiter  avec  lui  de  la  paix  avec  le  Pape. 
Ayant  fu  qu'il  devoit  venir  chez  lui 
des  Députez  de  Florence  à  ce  fujet,  il 
fe  mit  au  lit,  fît  fermer  les  fenêtres  de 
fa  chambre,  allumer  du  feu,  &  fe  cou- 
vrit de  bonnes  fourrures.  Les  Députez 
lui  ayant  demandé ^'il  étoit  malade:  Je 
fuis ^  dit-il,  tout  morfondu  d'avoir  été 
fi  îong-tems  tout  nud  la  nuit  dam  vos  pU' 
ces  publiques. 

XX. 
Le  même  Général ,  voyant  un  jour  Ibid. 
les  habitans  de  la  Ville  de  Camerino  fe 
divertir  à  quelque  combat ,  fut  blelfé 
légèrement  d'une  flèche  tirée   contre 
lui  fins  y  penfcr.    Comme  on  condam- 
noit  celui  qui  avoit  fait  le  coup  à  lui 
couper  la  main ,  il  commanda  qu'on  le 
laiflat  aller, en  difmt  quo  la  fentence  au- 
rait pu  être  utile  avant  qu'il  fut  hlefjé. 
XXL 
Lorfque  Louis  Duc  d'Anjou  alla  en 

Ita- 


î88     VoGGiA-t^ A..  Part.  IF. 
Italie  pour  prendre  poflciîîon  du  Royau- 
5!n  1410.  me  de  Naples  dont  Jeanne  4^   Sicile 
p.  440.     l'avoit  fait  héritier  ,  il  porta  avec  lui 
quantité  de  pierreries.     Un  jour  qu'il 
les  montroit  au  Général  Rodolphe,  ce 
dernier  lui  demanda  combien  on  efti- 
moit  ces  Joyaux  ,    ôc  à  quoi   ils  fer- 
voient.  „  On  en  foit  grand  cas,  dit  le 
„  Duc  d'Anjou  :  mais  cela  ne  rapporte 
55  rien  ".  yaime  donc  mieux  ^  dit  Ro- 
dolphe 5  deux  grojfjes  pierres  que  j'ai  chez 
moi^  elles  ne  vnont  coûté  que  dix  Florins^ 
y  elles  ra' en  rapportent  deux  cens  par  an. 
C'étoit  des  meules  de  moulin. 
XXII. 
p.  441.  Un  habitant  de  Camerino  étant  prêt 

à  partir  pour  faire  ,  difoit-il  5  le  tour 
du  Monde:  Vous  n'avez  feulement , lui 
dit  Rodolphe,  qu'à  aller  à  Macerata  * 
vous  y  verrez  tout  ce  qu'on  peut  voir 
au  monde i  de  la  Terre 5  de  l'Eau,  des 
Coteaux,  des  Vallées,  des  Montagnes, 
des  Plaines,  des  Bois,  des  Forêts.  A^ous 
ne  verrez  rien  autre  chofe  en  courant 
tout  le  Monde. 

C'ell  à  peu  près  le  même  Conte  qui 

a 

♦  Petite  Ville  de  l'Etat  de  l'Fsiife  proche  Ca-^ 
merino  qui  eft  aufii  du  même  Lur. 


Recueil  DE  BONS  MOTS.   i8p 
a  été  mis  depuis  peu  en  vers  par  un  Au-  Voyez  les 

tCUr  anonyme.  Nouvelles 

-'  Litterat- 

ODE.  Février 

D'où  vous  vient  cette  folle  envie 
De  voir  les  pais  étrangers, 
Et  d'aller  par  mille  dangers 
Rifquer  d'accourcir  votre  vie  .-* 
Contemplant  de  votre  maifon 
La  Seine  en  de  vaftcs  Campagnes , 
Et  fur  les  fins  de  l'horifon 
Le  Ciel  joint  avec  les  Montagnes  ; 
Croyez,  fans  changer  de  Zenit, 
Que  c'eft  où  le  Monde  finit. 

Dans  un  petit  coin  de  la  France 
Vous  le  voyez  en  raccourci  : 
Ailleurs  c'eft  de  même  qu'ici , 
Du  moins  c'eft  peu  de  différence. 
Partout  où  vous  vous  trouverez , 
Après  des  travaux  difficiles, 
Comme  où  vous  êtes,  vous  verrez 
Des  Fleuves,  des  Champs  &  des  Villes, 
Qui  ne  méritent  pas  le  foin 
De  les  aller  chercher  fi  loin. 

Vous  brûlez  de  voir  l'Italie, 
Et  depuis  long-tcms  entêté, 
Vous  nourriflez  cette  folie. 


Pcn- 


rpO      PoGGIANA.  Part.  IV. 
Penfcz-vous  y  voir  de  vos  yeux 
Les  anciens  Vainqueurs  de  la  Terre  ? 
Non  ,  au  lieu  de  ces  Demi-Dieux^ 
Ce  font  des  racleurs  de  Guiterre, 
pour  des  Héros,  des  Arlequins, 
Et  pour  des  Brutes ,  des  Tarquins. 

Je  le  répète,  8c  vousfouvienne,' 
Que  je  vous  l'ai  prôné  toujours  : 
Rome,  l'objet  de  vos  amours, 
N'elt  qu'un  Iquelette  de  l'ancienne. 
La  fameufe  &  vieille  Cité, 
Dont  à  peine  on  voit  quelque  trace 
De  ce  qu'elle  a  jadis  été, 
N'a  plus  que  le  nom  &  la  place. 
Le  Tibre  eft  fon  feul  monument. 
Qui  relie  &  coule  trilkment. 

Ses  Arcs  pompeux,  fes  Bains  faperbtt,' 
Ses  Tours,  fes  Cirques  orgueilleux, 
Et  fes  Aqueducs  merveilleux , 
Sont  couverts  de  ronces  &  d'herbes. 
Les  blocs  de  marbre  répandus 
Dans  d'épaifles  touffes  d'épines 
Tant  d'cxcellens  monceaux  perdus, 
Sous  les  effroyables  ruines , 
Quand  leur  afpecl  vient  vous  faifir. 
Font  plus  d'horreur  que  de  plaifir. 

Les  Châteaux  de  Tibur,  de  Baycî, 
Dans  les  Hiftoircs  fi  vantez , 


S^ 


Recueil  DE  BONS  MOTS,    tpf 

Ne  font  aujourd'hui  fréquentez , 
Que  des  Hiboux  &  des  Orfraycs. 
Broffant  des  fentiers  malaifez , 
On  trouve  dans  ces  Champs  funeftes, 
Des  troncs  fecs ,  des  canaux  brifez 
Qui  font  les  miferablcs  reftes 
Des  Parcs  charmans ,  où  les  Héros 
Goutoicnt  le  frais  &  le  repos. 

Pour  voir  dans  Rome  triomphante. 
Les  Scipions  &  les  Céfars , 
J'aurois  pu  franchir  les  hafards 
Qu'un  pénible  voyage  enfante; 
Pour  y  voir  le  fagc  Sénat 
Qui  gouvernoit  ce  grand  Empire  ; 
Pour  y  voir  la  pompe  &  l'éclat 
De  l'or,  du  jafpe  &  du  porphyre; 
Enfin  fes  ornemens  divers, 
Dépouilles  de  tout  l'Univers. 

Mais  pour  voir  des  pans  de  murailles 
Et  de  pitoyables  débris , 
Quitter  votre  Epoufe,  Paris, 
Et  l'incomparable  Verfailles, 
Paffer  des  Mers,  grimper  des  Monts, 
Que  la  Nature  nous  oppofe: 
De  bonne  foi  nous  vous  fommons 
De  nous  en  dire  une  autre  caufe , 
Ou  de  nous  laiffer  perdre  a  tous 
Les  fentimcns  qu'on  a  de  vous. 

Je 


jpa     VoGGiA^n A.  Part.  IF. 

Je  vais  droit  à  votre  penfée; 
Vous  voulez  repaître  vos  yeux , 
Non  des  mafures ,  mais  des  lieux 
Où  telle  aftion  s'eft  paflec. 
Où  Camille  fur  les  Gaulois, 
Vengea  fa  Patrie  enflammée: 
Où  Codés  fur  un  pont  de  bois 
Arrêta  feul  toute  une  Armée  • 
Et  d'autres  lieux,  malgré  le  tems. 
Connus  par  des  faits  éclatants. 

Sans  s'embitalTer  la  cervelle  , 
Ni  prendre  le  foin  d"y  rêver. 
Gens  attitrez  vous  font  trouver 
L'ancienne  Rome  en  la  nouvelle. 
Pompée  avoit  là  fa  maifon  ; 
C'eft  ici  qu'habitoit  Salluftc  ; 
LÀ  logeoit  Brutus ,  là  Pifon  : 
Ici  fut  le  Palais  d'Auguftej 
Et  mille  autres  abfurditez 
De  ces  Rêveurs  d'Antiquitez. 

A  chaque  mot ,  chaque  fadaife 
De  l'Antiquaire  prétendu , 
Je  vous  vois  furpris ,  éperdu , 
Rouler  les  yeux ,  treflaillir  d'aife. 
Vous  donnerez  entier  crédit 
A  ces  fâbuleufes  fornettes , 
Et  pour  retenir  ce  qu'il  dit. 
Vous  l'écrirez  fur  vos  Tablettes  : 


Tout 


Recueil  DE  BONS  MOTS,   ipj 

Tout  nous  paffc  pour  vérité , 
Quand  notre  goût  en  eft  flatté. 

Si  la  Peinture  vous  attache , 
Rome  aura  pour  vous  de  réel 
Les  Ouvrages  de  Raphaël , 
De  Michel  Ange  &  du  Carachc» 
Mais  banniflant  les  préjugez , 
Qui.ks  élèvent  fur  les  autres. 
Ces  vieux  Peintres  fi  louangez. 
Comparez  à  beaucoup  des  nôtres  j 
N'auront  que  l'avantage  heureux 
D'avoir  le  droit  d'aincz  fur  eux. 

Vous  dévorerez  de  la  vue 
Jufqu'aux  moindres  traits  de  leurs  mains  j 
Le  nom  des  vieux  Peintres  Romains 
Eft  un  reffort  qui  vous  remue. 
Je  le  fai ,  mais  que  la  Raifon 
Sur  votre  palîion  l'emporte; 
Pourquoi  quitter  votre  Maifon  ? 
De  Troye  eft  prcfquc  à  votre  porte. 
Et  l'ami  Bouys ,  fans  le  vanter , 
Devroit  aflez  vous  contenter. 

Puifqu'enfin  ni  moi ,  ni  perfonne 
Ne  pouvons  arrêter  vos  pas. 
Adieu  donc,  mais  n'oubliez  pas 
Deux  bons  avis  (que  je  vous  donne. 


IP4     VoGGiAî^ A.  Part,  IF. 
Quand  vous  ferez  à  caqueter , 
Gardez  que  rien  ne  vous  échappe» 
Qu'on  puide  mal  interpréter, 
Ni  des  Cardinaux,  ni  4u  Pape; 
Et  pour  la  Conftitution , 
Montrez  pleine  ibunniflion, 

XXIII. 

p.  442.       Pendant  la  paix  que  les  Vénitiens  fî- 
Vcrs  le     j-gj^^  pQUj.  (ijx  ans  avec  Philippe  Duc  de 
ccmcT'  Milan, la  guerre  s^alluma  entre  les  Flo- 
du  15.      rentins  &  ce  Duc.  Les  Vénitiens  profi- 
fiède.       tant  de  Toccalion  lui  enlevèrent  quel- 
ques places.     Ce  qui  le  contraignit  de 
quitter  la  guerre  de  Florence  pour  dé- 
fendre fon  pais.  Un  Vénitien  ayant  dit 
là-deflus  à  un  Florentin  :  f^ous  neus  de- 
vez votre  Liberté.  „  Vous  ne  nous  avez 
5,  pas  délivrez,  dit  le  Florentin^  mais 
„  nous  vous  avons  rendus  traîtres. 
XXIV. 
Un  homme  d'Ancone ,  grand  par- 
leur ,  déplorant  un  jour  fort  tragique- 
ment la  décadence  de  l'Empire  Romain, 
comme  fî  c'eût  été  un  événement  tout 
nouveau,  Antonio  Lufco  Secrétaire  de 
Martin  V.  ami  de  Pogge,  &  homme 
d'efprit  dit  là  -  defTus  en  riant  :  „  Cet 
n  homme  me  fait  fourccir  de  ce  Mila- 

99  Qois 


Recueil  DE  BONS  MOTS.   Ip^ 

5,  nois  qui  ayant  entendu  raconter  la 
),  mort  de  Roland  arrivée  depuis  envi- 
5,  ron  fêpt  cens  ans ,  s'en  alla  tout  éplo- 
5,  ré  dire  à  fa  femme:  Ah!  quel  mal- 
55  heur  !  on  vient  de  m^ apprendre  lot  mort 
55  de  Roland  qui  défendait  fi  bien  Us 
5,  Chrétiens. 

XXV. 
Un  de  ces  Chanteurs  d'Italie  qui  les    Ibid. 
jours  de  iiit  récitent  au  peuple  les  ac- 
tions des  grands  hommes,  annonça  un 
jour  que  le  lendemain  il  chanteroit  la 
mort  d'He^or.    Un  homme  fîmple  qui 
étoit  dans  la  foule  alla  la  bourfe  à  k 
main  trouver  le  Chanteur,  le  priant  ins- 
tamment de  ne  pas  taire  mourir  fi  tôt 
un  fi  grand  Héros.  Le  Chanteur  diffé- 
ra autant  de  jours  que  la  dupe  eut  de 
l'argent  pour  lui  payer  fes  délais.  Enfin 
l'argent  ayant  manqué ,  il  fallut  que  le 
pauvre  homme  entendît ,  à  fon  grand 
regret,  raconter  la  mort  d'Heétor. 
XXVI. 
Il  y  avoit  à  Florence  un  Gentilhom-  p.  443. 
me  qui  avoit  une  fort  méchante  fem- 
me, &  fur  tout  fort  babillarde.     Elle 
n'alloie  jamais  à  confefie  qu'elle  ne  ré- 
vélât au  Curé  tous  les  péchez  de  fon 
mari.  Le  Curé  en  reprenoit  fouvent  le 
N  z  ma- 


ip6     PoGGiANA.  Part.  IF. 

mari.  Mais  ce  dernier  étant  allé  aufîi  à 
Confefle  au  même  Prêtre  j  Je  ne  viem 
jpas  5  lur  dit-il ,  pour  me  confejfer ,  mais 
pour  vous  dire  que  cela  n'efi  pas  nécejjai- 
re^  parce  que  ma  femme  vous  fait  fou- 
"jent  toute  ma  Confejfion. 
XXVII. 
Ibid.  Un  certain  fainéant  de  Florence ,  hom- 
me fans  profcfîion  6c  fans  bien ,  ayant  ap- 
pris qu'un  Médecin  avoit  compofé  des 
pillulcs,  qui  lui  faifoient  gagner  beau- 
coup d'argent ,  fe  mit  aufîi  à  en  faire  en 
grand  nombre.  Il  les  donnoit  indiffé- 
remment pour  toute  forte  de  maladies-, 
c'étoit  une  felle  à  tous  chevaux.  Com- 
me elles  réufîîffoicnt  quelquefois  par  ha- 
zard,  il  paffa  bien-tôt  pour  un  grand 
Médecin.  Un  jour  un  homme  de  la 
Campagne  qui  avoit  perdu  fon  une  lui 
demanda  s'il  n'avoit  point  quelque  re- 
mède pour  le  lui  faire  retrouver.  0«/, 
dit-il ,  lions  n'avez  qu'à  avaler  Jix  de 
mes  pillules.  Il  les  avale  &  s'en  va. 
Etant  en  chemin  pour  s'en  retourner , 
les  pillules  operoient  bien  fort,  il  falut 
fc  détourner  dans  un  endroit  maréca- 
geux ,  oij  il  y  avoit  des  rofeaux.  Là  il  ap- 
,  perçut  fon  âne  qui  paifîbit.  Là-defTus  ne 
'  doutant  point  dcreffct  des  pillules,  û 

s'en 


Recueil  DE  BONS  MOTS.   197 

s'en  alla  publier  par  tout  qu'il  avoit 
trouvé  un  grand  Médecin ,  qui  non  feu- 
lement gueriflbit  les  maladies ,  mais  qui 
fàifoit  retrouver  les  ânes  à  ceux  qui  les 
avoient  perdus. 

XXVIII. 
Antonio  Lufco  dont  on  parloit  tout  p.  444- 
à  l'heure  étoit  un  homme  à  bons  con- 
tes. Il  dit  un  jour  qu'étant  allé  à  Sienne 
avec  un  Vénitien  fort  fimple  peu  ac- 
coutumé à  monter  à  cheval  ils  couchè- 
rent dans  une  auberge  où  il  y  avoit 
quantité  de  Cavaliers.  Quand  il  fallut 
partir  chacun  prend  fon  cheval  fans  que 
le  bon  Vénitien  branlât  de  fa  place.  An- 
toine lui  ayant  demandé  a  quoi  il  s'amu- 
foit  pendant  que  tous  les  autres  étoient 
déjà  à  cheval.  „  Je  fuis,  dit-il^  prêta 
55  partir,  mais  comme  je  ne  faurois  re- 
5,  connoître  mon  cheval  entre  tant  d'au-» 
„  très,  j'attens  que  tout  le  monde  (bit 
„  parti,  parce  que  celui  qui  reliera  fera 
55  le  mien. 

XXIX. 

Il  y  avoit  à  Rome  un  Cardinal  *  nom^  p.  445 . 

me 

•  Il  faut  que  ce  foit  Thimâs  Brancatîo  Napo- 
litain, neveu  de  Jean  XXI II.  &  à  peu  près  de  mê- 
me humeur  que  fon  oncle.    Ce  Cardinal  desho- 
nora fa  famille  &  fa  dignité  par Tes  mauvaifes 
N  3  mœurs. 


;v 


ip8  VoGGiAi^A.  Part.  IF. 
me  le  Cardinal  de  Naples,  homme  fans 
efprit&  fans  mérite.  Ilrioit  toujours  &, 
comme  on  peut  juger,  le  plus  fou  vent 
fans  fujet.  Un  jour  revenant  d'auprès 
du  Pape  quelqu'un  qui  le  vit  rire  dit  à 
fon  voifin  :  Fous  l'efrez  ■qWil  rit  de  la 
fotiifè  du  Pape  d'avoir  fait  un  homme 
comme  lui  Cardinal, 

XXX. 
Ibid.  Le  Concile  de  Conftance  envoya  en 

IXpagne  deux  Moines  noirs  *  à  Benoit 
XIII.  pour  l'obliger  à  renoncer  au  Pon- 
tificat 6c  pour  les  citer  devant  ce  Con- 
cile.    Des  que  cet  Antipape  les  vit  : 
Ce  mot  ^'^^'^î  dit-il,  deu:x  corbeaux  qui  vien^ 
eft  rap-     nent  fondre  fur  moi.    il  n''sji  pas  furpre^ 
porté  dans  j^^ant .  lui  repartit  un  des  Pères,  oue  des 
Conc.dt    corbeaux  je  jettent  Jur  un  cotps  morî^ 
Ctnft.      lui  reprochant  par  là  qu'étant  condam- 
p.  452"     ne  par  le  Concile  ,    il  ne  devoir  plus 
être  regardé  que  comme  un  Cadavre. 
Comme  ce  même  Antipape  défendoit  fes 
droits  avec  chaleur  devant  ces  deux  Ab- 
bez  :    Cefl  ici^  crioit-il,  c'ejî  ici  qu^eji 
V JÎrche  de  Noé ^  voulant  dire,  l'Arche 

de 

mœurs,  &  par  fes  extravagances  au  rapport  de 
Ciaconius  &  d'Aubcri. 
*  C'ell  ainû  (ju  on  appelle  les  Bcnedictiss. 


ReCUEILDE  BONS  Mots.    Ipp 

de  r  Alliance,  //  eft  vrai  y  lui  dit  un  des 
Benediâ:insi  qu'il  y  avoit  bien  des  bêtes 
dans  V  Arche  de  Noé, 

XXXI. 
Deux  hommes  allèrent  chez  un  No-  p.  448. 
taire  pour  faire  drefTer  un  contrat  de 
vente  j  Ce  Notaire  qui  avoit  vu  des 
formulaires  de  Contrat,  mais  qui  n'en 
avoit  jamais  fait ,  leur  demanda  Icuns 
noms.  L'un  dit  qu'il  s'appelloit  Jean^ 
l'autre  Philippe,  „  Ce  Contrat,  dit- il, 
„  ne  feroit  pas  valable.  Dans  tous  ceux 
„  que  j'ai  vus  le  vendeur  s'appelle 
„  Cûnrard,^V2.ch.çX.znxTttius  ".  Com- 
me il  n'en  voulut  pas  démordre,  quel- 
que raifon  qu'on  lui  dît ,  il  fallut  que  les 
contra^tans  allafîent  chercher  ailleurs 
un  Notaire,  non  fans  bien  rire  de  I4 
fimplicité  de  celui-ci. 

X  X  X  i  r. 

Les  Florentins  envoyèrent  un  jour  Vf»^. 
à  Jeanne  Reine  de  Naples  un  Doa:eur 
en  Droit  qui  n'étoit  rien  moins  que 
doâe,  mais  qui  avoit  grande  opinion 
de  lui  Se  fur  tout  de  (a  bonne  mine.  Le 
premier  jour  l'Envoyé  expofa  fà  Com- 
miffion.  La  Reine  lui  promit  audience 
pour  le  lendemain,  6c  il  ne  manqua  pas 
de  s'y  îïouver.  Comme  il  y  avoit  du 
N  4  mon- 


iôo     PoGGïAVA.  Part.  IF. 
monde  dans  la  chambre,  après  quelques 
entretiens ,    U  témoigna  à  la  Reine , 
qu'il  avoit  des. ordres  fecrets  qu'il  ne 
pouvoit  lui  communiquer  qu'en  parti- 
culier.  L'ayant  fait  entrer  dans  fon  ca- 
binet 5  il  lui  fit  une  déclaration  d'amour. 
Cet  Article  et  oit-il  aujji  dans  'vus  ïnjlrucr 
iions^y  lui  dit  la  Reine  fans  s'émouvoir, 
&  le  renvoya  fort  tranquillement. 
XXXIII. 
!P-  451-   '    On  fe  plaignoit  affez  généralement 
dans  le  fiècle  de  Pogge  que  les  Papes  n'é- 
ievoient  aux  Charges  Ecclefiaftiques  que 
des  ignorans ,  des  fous ,  &  des  gens  de 
mauvais  caractère  à  toute  forte  d'égards. 
Antonio  Lufco  ayant  dit  là-deflus  que  ce 
h'étoit  pas  plus  le  vice  des  Papes  que 
des  Seigneurs  fecuhers  conta  cette  Hif- 
(a)  Ils'ap-  toire.   Un  Prince  de  Vérone  (a)  aveit, 
Pfjl^'^      dit-il  5  auprès  de  lui  un  Ecclefiaftiquc, 
^    ***       nommé  k  Noble ^  fort  ignorant,  mais 
bouffon,  à  qui  il  donna  des  bénéfices 
confiderables.   Ce  Prince  ayant  envoyé 
iin  jour  une  Ambafiade  à  l'Archevêque 
(b)  Ce-  Be  Milan  (b) ,  le  Noble  s'y  joignit.  Le 
^!f  J^^".  dernier  ayant  plû  à  l'Archevêque  par 
YUcojiiti.  j-^  ^jifcours  fecetieux,le  Prélat  dit  qu'il 
feroit  bien  aife  de  pouvoii  lui  accorder 
quelque  grâce.    Le  Noble  lui  demanda 

unç 


Recueil  DE  BONS  MOTS,   tôt 

une  Charge  d'Archiprêtre  qui  ctoit  va- 
cante. Bon  ,  dit  l'Archevêque  en  fc 
moquant  de  lui ,  ce  n'eft  pas  là  une 
dignité  pour  un  ignorant  comme  vous. 
„  Je  fais,  dit-il^  à  la  mode  de  mon 
5,  pais.  Car  à  Vérone  il  n'y  a  que  les 
„  ignorans  qui  parviennent. 
XXXIV. 

Un  Moine  çonfefîànt  une  jeune  veu-  Ibid, 
ve  fort  jolie  en  devint  tout  à  coup  amou- 
reux. Comme  il  craignoit  de  fuccom- 
ber  à  la  tentation ,  il  abrcgeoit  autant 
qu'il  pouvoit  la  confeiîîon.  Enfin  la 
veuve  le  pria  de  lui  impofcr  telle  peni- 
tence  qu'il  voudroit.  Helas!  dit -il, 
iefi  vous  qui  me  Vavez  donnée. 
XXXV. 

La  Ville  de  Peroufe  ayant  envoyé  p.  454; 
des  Députez  à  Urbain  V.  qui  étoit  à 
Avignon  5  ils  trouvèrent  ce  Pontife  ma- 
lade au  lit.  L'Orateur  de  l'AmbafTade 
lui  fit  un  long  difcours,  fans  fe  mettre 
en  peine  de  fon  indifpofition  6c  fans  rien 
dire  qui  allât  au  fait.  Quand  il  eût  fini, 
le  Pape  leur  demanda  s'ils  avoient  quel- 
que autre  chofe  à  propofer.  Comme 
ils  s'étoient  apperçus  de  (on  ennui  > 
Nos  ordres  portent  de  vous  déclarer  que 
fi  vous  ne-  nous  accordez  fur  le  champ  ce 
N  y  qm 


i02    Po  G  G I A  N  A.  Part.  IV,    , 

que  nous  vous  demandons  y  notre  Orateur 
*vous  fera  encore  le  même  difcours ,  aiiant 
que  nous  partions  d'ici.  Là-delTus  il  leur 
fît  donner  au  plus  vîtc  leur  expédition. 
XXXVI. 

p.4j6.  Deux  Juifs  de  Venifc  étant  allez  à 
Bologne ,  l'un  d'eux  y  mourut.  L'au- 
tre voulant  emporter  le  corps  de  Ton 
camarade  à  Venifc  le  coupa  en  pièces , 
le  fit  bien  embaumer ,  &  le  mit  dans 
un  tonneau.     La  nuit  un  Florentin  qui 

v/  étoit  près  du  tonneau ,  attiré  par  U 
y{  bonne  odeur  des  aromates  ouvrit  le  ton- 
neau &  trouva  la  viande  de  fi  bon  goût 
qu'il  en  mangea  tout  fon  fou.  Le  len- 
demain le  Juif  voulut  emporter  fon  ton- 
neau. Mais  il  fut  bien  furpris  de  le  fen- 
tir  fi  léger  i  II  s'en  plaignit.  L'affaire 
examinée  il  fe  trouva  que  le  Florentin 
étoit  devenu  le  Scpulchrc  d'un  Juif. 
XXXVII. 
Ibid.  Fridcric  II.  avoit  pour  Secrétaire  un 
fort  habile  homme  Italien ,  nommé 
Pierre  des  Vignes ,  dont  on  a  un  bon 
nombre  de  Lettres  fous  le  nom  de  cet 
Empereur.  Ses  ennemis  l'ayant  calom- 
nié auprès  de  fon  Maître ,  il  fiit  alTez 
crédule  &  en  même  tcms  afTcz  inhu- 
main pour  lui  faire  crever  les  yeux.  On 

pré- 


ReCTTEIL  DE  BONS  MOTS.     20$ 

prétend  qu'il  s'en  repentit  &  que  mê- 
me, il  le  fit  fon  Chancelier.  Comme 
Fridcric  avoit  befoin  d'argent  pour 
poufl'er  la  guerre  qu'il  faifoic  au  Pape, 
Alexandre  III.  qui  l'avoit  excommu- 
nie, il  conlulta  là-defTus  Pierre  des  Vi- 
fnes  qui  lui  conlcilla  de  (è  lervir  des 
iens  de  l'Eglife  pour  lever  une  armée 
&  pour  la  payer.  Le  confcil  fut  goCitc. 
Frideiic,  qui  étoit  alors  à  Pife,  pilla 
tout  l'or  ôc  tout  l'argent  des  Eglilcs  de 
cette  Ville,  ôcen  fit  une  groUc  fom- 
me.  La  capture  étoit  d'autant  plus  de 
haut  goût  que  c'étoit  Alexandre  IL  Voycr 
dont  Alexandre  IIL  iliivoit  bien  kstra-'^-'ie'^"5 

ces  qui  avoit  enrichi  la  Cathédrale  de  ^  j.^^^T 
r       )      u  Q.       .  ged  Italie 

les  pms  beaux  ornemcns ,  oc  entre  au-  de  Dom 

très  d'une  ceinture  d'or  qui  en  faifoit  le  Mabillon. 
tour.  Après  cette  exécution  Pierre  desP-  ^^^' 
Vignes  dit  à  fon  Maître.  Je  mt  fuis 
bien  n^angé  du  nml  que  l'ous  m'avez,  fmt. 
En  nC  étant  la  vue  vous  vous  êtes  rendu 
odieux  aux  hommes^  ^  envous  faifant 
commettre  et  Sacrikge^  je  vous  ai  attira 
la  coîer-e  de  Dieu,  f^ous  allez  voir  vos  af- 
faires tourner  tous  les  jours  de  mal  en 
pis. 

S'il  étoit  bien  fur  que  Dieu  s'inte- 
reflat  beaucoup  à  la  confcrvation  des 

orne- 


2:04  PoGGi  AN  A.  Part.  IP^. 
ornemens  fupcrflus  dctantd'Egli{cs,ou 
pourroit  dire  que  Pierre  des  Vignes  fut 
Prophète ,  car  Frideric  fut  enfin  obligé  à 
Icfoumettreignominieufcment  au  Pape. 
Je  ferai  une  petite  digrefîion  au  fujet 
de  ce  célèbre  Chancelier  de  Frideric 
II.  I .  On  voit  pr  le  récit  de  Pogge 
que  Pierre  des  Vignes  étoit  Italien, 
ik  non  AUeman  ,  comme  l'ont  dit 
Iriîheme  &  après  lui  quelques  Moder- 
nes. Cela  paroît  aufîî  par  quelques  Let- 
tres qui  Ibnt  parmi  celles  de  Pierre  des 
Vignes  &  entre  autres  par  une  que  lui 
écrivit  le  Chapitre  de  Capoue  oii  cette 
Eglife  le  regarde  comme  fon  enfant 
auflî  bien  que  comme  fon  protefteur  *. 
i .  On  peut  juger  aufîî  par  le  témoignage 
de  Pogge ,  que  Pierre  àcs  Vignes  étoit 
innocent,  &  que  comme  un  autre  Bel' 
lifaire,  il  fuccomba  fous  la  calomnie  de 
fcs  ennemis ,  qui  dévoient  être  en  grand 
nombre,  fur  tout  en  Italie, oii  il  foute- 
noit  vigoureufcment  le  parti  de  l'Em- 
pereur contre  les  Papes.  II  eft  vrai  que 
Ad  ann.  Matthieu  de  Paris  qui  florilToit  environ 
fMS-  un 

*  Epifi.  Petr.  de  Vin.  L.  III.  43.  Voyez  auffi 
la  Lettre  4c.  du  même  livre  où  il  eft  appelle  en,' 
fart  de  Capoue. 


RECtTEILDEBONSMOTS.     20):' 

un  (lècle  après  la  mort  de  Pierre  des 
Vignes,  dit  que  celui-ci  fut  convaincu 
d'avoir  voulu  faire  cmpoifonner  l'Em- 
pereur par  fon  Médecin,  Se  qu'il  fut 
porté  à  cet  attentat  par  de  grolTes  fom- 
mes  d'argent  que  le  Pape  lui  donna. 
Mais  il  femble  plus  naturel  de  s'en  rap- 
porter à  Poggc  fur  un  fait  arrivé  en 
Italie,  qu'à  un  Auteur  A  nglois  tel  qu'é- 
toit  Matthieu  de  Paris.   D'ailleurs  il  y 
a  des  Auteurs  à  peu  près  contemporains 
&  alléguez  par  Henri  de  Sponde  qui  fou-    ^j  ^^^-^ 
tiennent  que  Pierre  des  Vignes  fut  la  1249.  n. 
vidimc  de  la  jaloufie  que  les  Courti-  J!^°J["^* 
fans  de  l'Empereur  avoient  conçue  du  p,èn/des 
■  crédit  de  cet  habile  Miniftre.   En  effet  Vignes  à 
toutes  les  préfomptions  font  pour  un  1*  tête  de 
fi  grand  homme  qui  pendant  fi  long-  [^^  ^^^' 
tems  avoit  défendu  fon  Maître  avec  tant 
de  courage  &  de  fermeté.  Nemo  repen- 
te fuit  turpijfimus.  3-  A  l'égard  de  cet- 
te particularité  que  l'Empereur  fe  re- 
pentit de  fon  injuflice  &  de  fa  cruauté, 
qu'il  reprit  Pierre  des  Vignes  à  fon  fer- 
vice  ,  que  même  il  lui  donna  un  poftc 
plus  éminent ,   Se  qu'il  lui  témoigna 
plus  de  confiance  que  jamais,  ou  Pog- 
ge  fe  trompe ,  ou  tous  les  autres  Hiflo-        * 
riens  qui  difcnt  unanimement  que  de- 
puis 


Z05       POGGIANA.  P^r/. /^. 

puis  1 24f .  qu'il  lui  fît  crever  ks  yeux 
jufqu'à  1 24p.  qui  fut  le  dernier  de  Éi 
vie,  rErr>pcreur  le  fit, pour  ainfi  dire, 
mourir  à  petit  feu  Ipfaifant  traîner  igno- 
iRinieuiêment ,    dam  toutes  les  vjlles 
d'Italie  afin  qu'elles  fuflent  témoin  de 
fon  fupplice  ,   le  livrant  à  la  merci  de 
fes  plus  mortels  ennemis ,  ou ,  félon 
d'autres,  le  retenant  dans  une  duie  pri- 
fon  à  Capouc  ou  à  San  Miniato  j   où 
l'on  prétend  qu'il  fe  tua  lui  même  de 
defefpoir,  quoique  d'autres  difent  qu'il 
le  fit  publiquement.    Je  voudrois  bien 
que  le  récit  de  Pogge  fur  le  repentir  de 
l'Empereur  fût  véritable  pour  l'hon- 
neur de  ce  Prince  &  pour  la  juftifica-* 
tion  de  Pierre  des  Vignes  dans  l'efprit 
de  la  poftcritc.    Mais  un  feul  Hiftorien 
ne  (âuroit  balancer  l'autorité  unanime 
de  tous  les  autres ,    fur  tout  Pogge 
n'ayant  pas  vécu  dans  le  tems ,   &  n'al- 
léguant point  de  preuves  de  ce  qu'il  a- 
vance. 

XXXVIII. 
p.  457.  Un  Chevalier  Napolitain,  que  La- 
diflas  Roi  de  Sicile  avoit  fait  Gouver- 
neur de  Peroiflc ,  reçut  un  jour  deux 
Lettres ,  l'une  d'un  Marchand  qui  lui 
demandoit  le  payement  de  quelque  det- 
te. 


Recueil  DE  BONS  MOTS.   207 
te,  l'autre  de  ft  femme  qui  le  prioit  de 
venir  bientôt  îa  confoler  de  fon  abfen- 
cc.     Il  répondit  au  Marchand  qu'il  le 
pay croit  dans  peu.  A  l'égard  de  fa  fem- 
me il  lui  écrivit  une  Lettre  la  plus  ten- 
dre du  monde,  &  en  termes  libres  ÔC 
même  libertins.  Il  addrefla  par  mégar- 
de  à  fa  femme  la  Lettre  pour  le  Mar« 
chand ,  &  au  Marchand  la  Lettre  pour 
iâ  femme.     La  femme  comprit  bien 
qu'il  y  avoit  de  la  méprifc,  ce  prit  en 
patience  le  chagrin  que  lui  donnoit  8c 
la  bévue  &  la  dette  de  fon  mari.    Mais 
le  Marchand  fe  croyant  joué  par  une 
Lettre  ridicule,  oii  on  lui  promettoit 
des  careflcs  au  lieu  d'argent,  s'en  alla 
tout  en  colère  montrer  cette  Lettre  au 
Roi  qui  n'en  fit  que  rire.  Le  Marchand 
fc  croyoit  moque  du  Chevalier,  &  il 
le  fut  en  effet  de  toute  la  Cour. 
X  X  X  T  X. 
Du  tems  de  Francifco  Carrario  *  Prin-  p.  459^ 
ce  dePadoue  il  y  avoit  dans  cette  Ville- 
là  unHcrmite  en  grande  odeur  de  Sain- 
teté ,  mais  dans  le  fond  franc  hypocri- 
te. Apres  avoir  débauché  pluficurs  fem- 
mes 

•  II  y  en  a  eu  deux  de  ce  nom ,  le  Pcre  &  le 
fils,  fur  U  fia  du  14.  ficdc.  ?OQgc,lii/l.  Fhrtnt, 


Ao8  VoGGiAtJ A,  Parf.  IjT. 
mes  fous  prétexte  de  les  confeffer,  là 
comédie  devint  enfin  publique.  Il  fut 
arrêté  6c  mené  devant  le  Prince  qui  fit 
auffi-tôt  venir  fon  Secrétaire  pour  écri- 
re la  confefiioii  du  Moine.  On  lui  de- 
manda les  noms  de  toutes  les  femmes 
qu'il  avoit  feduites ,  il  en  nomma  un 
bon  nombre.  Comme  le  Secrétaire  fedi- 
vcrtifibit  à  cette  énumeration  il  prefToit 
l'Hermite  avec  menace,  de  n'en  omet- 
tre aucune,  jijouiez  donc ylui  dit-ïi^vo* 
ire  femme  à  cette  lijle.  La  plume  tom- 
ba des  mains  au  Secrétaire  ^  &  le  Duc 
fe  moqua  de  lui  de  s'être  attire  cette 
mortification  par  fon  avidité  à  (avoir 
les  fautes  d'autrui. 

X  L. 
p.  450.       Les  Faftions  des  Gibelins^  partifans 
^V'a'     ^^^  Empereurs,  &  des  Guelphes  qui  é- 
^lor.  '     toient  pour  les  Papes,  defoloientl'Italicj 
p.  ijp.     6c  fe  pilloient  fans  quartier  l'une  l'au- 
tre. Un  Général*s'étant  emparéde  Pa- 
vie  par  le  fccours  de  la  fàétion  Gibeline 
ne  pilla  d'abord  que  les  Guelphes,  mais 
après  leur  avoir  tout  pris  il  fe  jetta  aufiî 
fur  les  biens  des  Gibelins.     Ceux-ci  lui 

en 

*  C'ctoit  Frangi  Canis  Prince  de  1»  Scali, 
yoyciHifi.Flfr.p.  i6ot 


Recueil  DE  BONS  MOTS,  zog 

eh  ayant  fait  des  plaintes,  îl  eji  'uraî^ 
dit-il,  mes  enfans^  vous  êtes  Gibelins^ 
mais  les  biens  font  Guelphes. 
XLL 

Un  Prêtre  voyoit  la  femme  d'un  Ber=  p.  461.' 
ger  &  en  eut  un  garçon.  Quand  il  com- 
mença à  être  grand,  le  Prêtre  le  deman- 
da au  Berger  pour  prendre  foin  de  fon 
éducation.  Non  nom,  dit  le  Berger,  // 
faut  qu'il  demeure  dans  lamaifon.  Je  fe- 
rois  bien  mal  le  compte  de  mon  maître  fi 
fen  ufois  à  V égard  des  agneaux  qui  naïf- 
fent  dans  fa  bergerie  comme  vous  voulez 
que  fen  ufe  à  V  égard  de  cet  enfant. 
X  L  1 1 

Dans  un  Confeil  tenu  à  Peroufe  un  Ibi4' 
Paiïân  ayant  demandé  quelque  grâce, 
trouva  beaucoup  d'oppolîtion  de  la  parc 
d'un  des  Citoyens.  Le  lendemain  le  Paï- 
fan  bien  confcillé  mena  au  Citoyen  trois 
ânes  chargez  de  bled.  Le  prefent  fut 
bien  reçu ,-  &  le  Citoyeii.  plaida  forte- 
ment la  caufe  du  Païfan.  Voyez  ^  dit 
quelqu'un  là-delTus,  comme  les  ânes  font 
éloquenSo 

X  L  1 1 1 

Il  y  avoit  à  Viccnce  un  grand  ufurier  p.  463,' 
qui  néanmoins  déclamoit  fans  cefle  con- 
tre les  ufuriers  Se  prioit  inftamment  un 

^om.  IL  O  Pré« 


2.10  PoGGiM^A.Part.  IF. 
Prédicateur  de  grande  autorité  dans  là 
Ville  de  ne  point  épargner  ces  gens-là. 
Le  Prédicateur  qui  connoiflbit  l'hom- 
me ne  pouvoit  pas  comprendre  quel  in- 
térêt il  avoit  à  le  preflcr  là-deflus  avec 
tant  d'importunitc  lui  qui  faifoit  pro- 
feflîon  d'ufurtf.  Il  lui  en  demanda  la  rai- 
fon.  Cfft^  àit-'û^  qu'il  y  a  fant  cTufu' 
riers  dans  la  Fille  que  je  ne  gagne  rien-, 
au  lieu  que  fi  par  vos  prédications  'vous 
pommez  corriger  ce  vice  tout  le  monde 'vien- 
dra chez  moi, 

X  L  1  V. 
f.  467.  Un  pauvre  Batelier  qui  n'avoit  rien 
gagné  de  tout  le  jour  s'en  retournoit 
tout  trifle  chez  lui ,  lorfque  quelqu'un 
l'appella  pour  le  pafler  dans  fa  barque. 
Le  trajet  (c  fitgayement.  Mais  le  Bate- 
lier ayant  demandé  fon  payement ,  le 
paflager  protefta  qu'il  n'avoit  pas  un  fol 
fur  lui  5  mais  qu'il  lui  donneroit  un  con- 
feil  qui  lui  vaudroit  de  l'argent.  Bonf 
dit  le  Batelier,  ma  femme  B  mes  enfans 
ne  vivent  pas  de  confeil.  N'en  pouvant 
tirer  d'autre  raifon,  il  demanda  enfin 
quel  étoit  donc  ce  confeil  ?  C'f/? ,  dit-il . 
•  de  ne  jamais  pajfer  perfonne  fans  vous 
faire  payer  par  avance. 

XLV 


Recueil  DE  BONS  MOTS,  lit 
XLV. 

Un  certain  Milanois,  foit  par  bêtifc  P*  468; 
îôit  par  ollentation ,  avoit  écrit  tous  Tes 
péchez  dans  un  gros  Livre  qu'il  porta  à 
Ion  Père  ConfefTeur.  Le  Père  qui  étoît 
homme  d'efprit  effrayé  de  la  groflèur 
du  volume  fe  contenta  de  faire  quelques 
queftiônS  aU  Pénitent  &  puis  lui  décla- 
ra qu'il  lui  donnoit  l'abfolution  de  tout 
ce  qui  étoit  dans  fon  Livre.  Celui-ci 
lui  ayant  demandé  quelle  pénitence  il 
lui  impofoit.  Délire^  dit-il,  pendant 
un  mois  ce  Livre-là  fept  fois  par  jour.  Il 
eut  beau  crier  à  l'impofîibilité,  il  fallut 
qu'il  en  paflat  par  là. 

XLVL 
Il  feroit  à  fouhaiter  qu'on  imitât  à  P-47ô^' 
l'égard  de  tous  les  médifans  la  conduite 
d'un  Moine  Auguftin  de  Florence.     Il  II  s'appela 
enféignoit  la  jeunefle  avec  beaucoup  de  îf'^Tii^?*'^ 
fuccès.  Un  de  les  Ecoliers  qui  avoit  fait  gjj^  *^' 
de  plus  grands  progrès  que  les  autres  s'at- 
tira l'envie  de  Tes  camarades.  L'un  d'en- 
tre eux  alla  trouver  le  Précepteur,  & 
lui  dit  qu'un  tel  ctoit  un  ingrat  Se  qu'il 
parloit  mal  de  fon  Maître.  Depuis  quand 
le  connoijfez'vous  ^  lui  dit  le  vénérable 
vieillard  ?  Depuis  un  an  ,  dit  l'autre, 
9)  Il  faut  que  vous  vous  croyiez  bien 
O  %  j5  ha« 


lit     VoGGiAiJA.  Part.  IF. 

5,  habile  &  que  vous  me  preniez  pouf 
„  un  grand  lot  fi  vous  vous  imaginez 
'  que  depuis  dix  ans  je  ne  connois  pas 
„  mieux  le  caraûere  &  les  moeurs  de 
„  ce  jeune  homme  que  vous  qui  ne  le 
,.  connoilTcz  que  depuis  un  an. 
"  XL  VIL 

Ibid,  On  demanda  un  jour  a  ce  même  Re- 
ligieux ce  que  fignifioient  les  deux  poin- 
tes qui  font  aux  mitres  des  Evéques. 
Vumi  dit-il,  figmfie  l'Jncien  (^  F  au- 
tre le  Nouveau  "teftament  que  les  Eve- 
t^nes  doivent  favoir  par  coeur.  Mais  que 
rignificnt,continua-t-on ,  les  deux  elpe- 
ces  de  counoyes  qui  pendent  à  la  mitre 
derrière  le  dos.  Cela  veut  dire  que  les 
Evêques  ne  favent  m  le  Vieux  ni  le  Nou- 
veau Tefliti/ie7iî. 

X  L  V  1 1  L 
"  ^.  47  r :  Un  Grand  d'Efpagne  avoit  un  fils  fi 
médiÉiot  qu'il  fiit  oblige  de  Im  défen- 
dre de  jamais  ouvrir  la  bouche.  Le  Pè- 
re &  le  Fils  fc  trouvèrent  un  jour  en- 
femblc  au  diner  du  Roi  &  de  la  Rei- 
ne d'Eïpagnc.  Cette  PrincdTc  qui  paf- 
foit  pour  être  fort  galante  croyant  le 
ieune  homme  fourd  aufii  bien  que  muet 
pria  fon  Père  de  le  lui  donner  pour  la 
ibrvir.    Le  Pcre  y  confentit,  le  fils  tut 


te- 


Recueil  DE  BONS  MOTS.   115 

témoin  des  intrigues  de  la  Reine  pen- 
dant deux  ans.  Au  bout  de  ce  tems-là 
le  Roi  demanda  au  pcre  11  fon  fils  étoit 
muet  de  nailTance,  ou  par  quelque  ac- 
cident. Cen'efi^  dit-il,  ni  l'un  ni  TaU' 
trcy  mais  je  lui  ai  défendu  de  parler  4 
caufe  de  fa  mauvaife  langue.  I_,e  Roi  or- 
donna au  père  de  permettre  à  Ion  fils 
de  pr©noncer  feulement  quelques  mots. 
Le  perc  s'en  défendit  long-tcms,difant 
qu'il  pourroit  en  arriver  du  fcandale. 
Enfin  le  fils  eut  permiiîîon  de  parler  & 
fe  tourna  vers  le  Roi ,  Sire ,  dit-il ,  ^'ous 
avez  la  plus  impudique  ^  la  plus  mé- 
chante de  toutes  les  femmes.  Le  Roi 
confiis  lui  défendit  de  rien  dire  davan- 
tage. 

X  L  I  X. 
Un  François  &  un  Génois  qui  avoicnt  p,  47^: 
tous  deux  une  tête  de  bœuf  dans  Icui's 
armes  prirent  querelle  là-defl'us.  Le 
François  appella  le  Génois  en  duel  & 
ce  dernier  accepta  le  défi.  Comme  ils 
ctoient  fur  le  point  de  fe  battre,  le  Gé- 
nois demanda ,  quel  étoit  le  fujet  de 
leur  démêlé.  C'ell ,  dit  le  François, 
parce  que  vous  avez  ulurpé  mes  aimes. 
f'^ous  vous  trompez ,  dit  le  Génois ,  vos 
€rmes  font  une  tête  de  boeufs  les  mien- 
O  3  m 


2Ï4     V o G Giw^K.  Part.  IV. 

nés  font  une  tête  de  Vache.     Ainfî  finit 
le  combat. 

L. 
©.'474,'        Le  Capitaine  d'un  vaiffeau  Anglois 
fe  voyant  en  danger  de  faire  naufrage 
voua  à  la  Vierge  Marie  un  cierge  auffi 
grand  que  le  mât  du  navire  ,    s'il  en 
echappoit.     Quelqu'un  lui  reprefenta 
qu'il  n'y  avoit  pas  aflez  de  cire  en  An- 
gleterre pour  accomplir  le  vœu  :  Pro' 
mettons  toujours^  dit-il,  fi  nous  échap^ 
fcns  du  danger^   il  faudra  bien  que  la 
bonne  Damefe  contente  d'un -petit  cierge, 
LI. 
p.  471;        ^"  citoit  un  jour  à  Venifc  dans  un 
Plaidoyer  la  Novelk  &  la  Clémentine  *-. 
Le  Juge  qui  ctoit  fort  ignorant  avoit 
chez  lui  deux  femmes  de  ce  nom.     Il 
s'imagina  que  l'Avocat  les  appelloit  en 
témoignage  &  le  cenfura  aigrement  de 
citer  deux  concubines  dans  une  Aflem- 
blée  fi  grave. 

LII. 
»  476.       ^^  Egyptien  qui  étoit  en  Italie  eut 
■    ■       un  jour  la  curiofité  d'aller  entendre  la 
Mete.     On  lui  demanda  fon  fcntiment 

fur 

•  KovelU  Conftitutions  de  Juftinien ,  C/rwf »«= 
JM  Conftitutions  de  Clcmcnt  Y» 


Recueil  DE  BONS  MOTS,  aif 
fur  cette  cérémonie.  Il  en  approuva 
tout  à  ur).e  çhofc  près.  Ceft ,  dit-il , 
^«V/  n'y  a  point  de  charité^  car  f  ai  vu 
là  un  homme  qui  mangeoit  ^  bu"joit  tout 
feul  fans  rien  donner  aux  autres  qui  de- 
^voient  avoir  faim  ^  foif  auffi  bien  ^ue 
lui, 

LUI, 

Un  EvêqueEfpagnol  envoya  (on  va-   Ibitï- 
let  un  vendredi  acheter  du  poiflbn.   Le 
valet  n'en   trouva  point  au   marché,  * 

mais  il  apporta  deux  perdrix.     L'Evê- 
que  lui  ordonna  de  les  rnettre  en  bro-^ 
che  &  de  les  lui  fervir.   Le  valet  lui  re- 
préfenta  qu'il    n'étoit   pas  permis  de 
manger  de  la  viande  ce  jour-là.     Ne    Ce  mot 
fais-tu  pas  ^   dit  le  Prélat,  que  je  fuis  ^^^^^^ 
Prêtre  ^  que  par  confequent  il  ^^  7^^^  nouvelles 
plus  aifé  de  faire  d'une  perdrix  un  poifjon^  &  a  été 
qu'il  ne  me  Veft  de  changer  le  pain  dans  tire  de 
le  corps  de  Chrift.     Là-defîlis  il  fît  le^^SS^r 
fîgne  de  la  croix ,  &  ayant  commandé 
que  les  perdrix  devinflent  poifTons,  il  •' 

les  mangea  comme  tels. 

Liy. 

La  plupart  des  gens  qui  fe  divertîf-     î^^î» 
fent  des  fous  font  aufîi  fous  qu'eux.  Un  ^^^^^^^, 
Archevêque  de  Cologne  avoit  un  fou  rac  a  imi- 
qu'il  fâifoit  coucher  avec  lui.    Le  Pré-  té  ceci 
O  4  lat^ansfon 


li6     VoGGiAi^ A.  Part.  ly, 

Matthieu  lat  ayant  un  jour  une  Nonain  à  côté  de 
«Sareati,    lui ,  le  fou  tout  étonné  de  fcntir  quatre 
jambes  demanda  à  qui  elles  étoient.  El- 
les font  toutes  quatre  à  moi ,  dit  l'Ar- 
chevêque, le  bouffon  au  même  inftant 
court  dans  la  rue,  6c  crie  tout  haut"^ 
•venez  voir  un  nouveau  monjîre  j  notre  Ay  - 
chevêque  en  quadrupède. 
LV. 
p.  45J.       Le  Cardinal  de  Bourdeaux  fît  autre- 
fois ce  conte  à  Pogge.    Un  Bourdelois 
fe  retira  un  jour  chez  lui,  fe  plaignant 
fort  d'un  grand  mal  de  jambes.  La  fem- 
me la  lui  frotta  ,    &  la  lui  enveloppa 
bien.     Comme  il  crioit  toujours  les 
hauts  cris,  on  alla  chercher  le  Méde- 
cin.    Celui-ci  ayant  touché  la  jambe 
prétendue  malade ,  afTura  qu'il  n'y  avoit 
pas  le  moindre  mal  -,  Ceft  donc  l'autre  , 
lui  dit  le  Vifionnaire. 
L  V  I. 
?♦  459'        Quelques  Frères  mineurs  étoient  al- 
lez chez  un  Peintre  pour  faire  faire  le 
portrait  de  S.  François  d'Afîife  *.     Ils 
furent  tout  un  jour  à  débattre  en  fa 
préfence ,    lî  pn  le  peindroit  ftigma- 

ti- 

*  Moine  fatiatiqae  du  trciiicme  fièdc ,  cano- 
giilii  par  Innocent  III, 


Recueil  DE  BONS  MOTS,  iij 

tifé  * ,  ou  prêchant ,  ou  fous  quelque 
autre  attitude.  Lorlqu'ils  fe  furent  retir- 
iez pour  s'aller  coucher ,  le  Peintre  qui 
crût  qu'ils  s'étoient  moquez  de  lui,  pei- 
gnit S.  François  joiiant  de  la  flûte. 
D'autres  difent  pendu  à  un  gibet,  Jls 
voulurent  faire  pendre  le  Peintre ,  mais 
jl  avoit  gagné  au  pied. 
L  V  1 1. 

Il  n'y  a  point  de  lieu  où  le  jugement  p.  433; 
6c  la  bienfeance  foicnt  plus  neceflaires 
qu'en  Chaire.  Un  Prédicateur  prêchant 
à  Tivoli  contre  l'adultère  avec  beau- 
coup de  véhémence,  s'emporta  folle- 
ment jufqu'à  dire  qu'il  aimeroit  mieux 
connoître  dix  filles  qu'une  femme  ma-  rj 

riée.    Il  y  a^  dit  (|lielqu'un  là-defTus, 
bien  des  gens  de  votre  goût. 
LVIII. 

C'efl  une  coutume  en  Hongrie  qu'a-  p.  46*,  \ 
près  la  Mefle  tous  ceux  qui  ont  mal  aux 
yeux  s'approchent  de  l'autel  pour  (z 
faire  verfer  de  l'eau  du  calice  par  le  Prê- 
tre officiant ,  qui  prononce  en  même 
tems  quelques  paroles  de  l'Ecriture  en 

Hon- 

•  Les  Stigmates  font  les  marques  des  playes 
de  notre  Seigneur  que  les  Cordcliers  prétendent 
qu'il  avoit  imprimée,  fur  le  corps  de  leur  S,  Fraaj 
cois,        . 

?  Or 


iti8     PoGGïAfi  A.  Part.  IF. 

Hongrois  pour  leur  fouhaittcr  la  con*. 
valefcence.  Un  Prêtre  Florentin ,  qui 
fc  trouvoit  en  Hongrie,  ayant  un  jour 
dit  la  Mefle  en  prefcnce  de  l'Empereur 
Sigifmond ,  plufieurs  gens  qui  avoient 
mal  aux  yeux  s'approchèrent  du  Prêtre, 
afin  qu'il  y  répandît  de  l'eau  du  calice 
félon  la  coutume.  Le  Prêtre  qui  crût 
que  les  yeux  ne  leur  pleuroient  que  pour 
avoir  trop  bu  la  veille ,  leur  verfa  de 
l'eau  &  leur  dit  en  Italien  ,  Mourez 
plutôt  de  Tépée  que  de  trop  hoire.  L'Em- 
pereur en  rit  6c  en  ayant  fait  le  conte  à, 
table,  tout  le  monde  en  rit  auffi,  hor- 
mis ceux  qui  avoient  mal  aux  yeux. 

p  ^j  La  coutume  ô^l'éducation  mettent 
beaucoup  de  différence  entre  les  hom-r 
mes.  Un  homme  fort  riche  allant  en 
hyver  à  Bologne,  fourré  depuis  la  tête 
^ufqu'aux  pieds  rencontra ,  un  jour  qu'il 
fàifoit  un  froid  horrible  un  pauvre  Paï- 
fan  qui  n'avoit  fur  lui  qu'un  méchant 
juflaucorps.  Le  Voyageur  lui  deman- 
da s'il  n'avoit  pas  grand  froid.  Non, 
lui  dit  le  Païfan  d'un  vifage  fort  gai. 
Comment  cela  fe  peut-il  ?  je  gelé  fous 
mes  peliflcs.  Ah  ,  dit  le  Païfan  ,  ft 
comme  moi  vous  portiez  tout  ce  que 

^OÎtS 


Recueil  DE  BONS  MOTS.  Zip 

vous  avez  d'habits  vous  n'auriez  point 
froid. 

LX. 
Il  y  a  des  exemples  de  fîmplicité  fort  p.  45»* 
fînguliers  ôc  fort  facétieux.  Un  Païfan 
de  Pergola ,  petite  Ville  de  l'Etat  de 
l'Eglife  dans  le  Duché  d'Urbjn,  eût  bien 
voulu  marier  fa  fille  à  un  de  fcs  voifîns. 
Le  yoilîn  n'y  vouloit  point  entendre 
parce  qu'il  la  trouvoit  encore  trop  jeu- 
ne pour  être  mariée.  Oh^  dit  le  père, 
die  e fi 'bien  nubile  ^    car  elle  a  déjà  eu, 

•  trois  enfans  du  Vicaire  de  notre  Curé. 

LXI. 
En  voici  un  autre  exemple.  Un  Vc-  'p,  4^4^ 
nitien  homme  fort  fîmple,  étoit  mon? 
té  à  cheval  pour  aller  à  la  Campagne  \ 
Il  avoit  derrière  lui  fon  valet  à  pied. 
Le  cheval  donna  un  coup  de  pied  au 
valet,  qui  de  colère  prit  une  pierre  & 
la  jetta  contre  le  dos  de  fon  maître 
croyant  la  jetter  au  cheval.    Le  maître 

•  crut,  que  c'étoit  le  cheyal  qui  lui  avoit 
donné  un  coup  de  pied.  Cependant 
comme  le  valet  ne  pouvoit  pas  marcher 
fort  vîte  1g  maître  le  querelloit  i  Je  ne 
faurois,  dit-il,  marcher  plus  vîte,  vo- 
tre cheval  m'a  blefle.  Oh, dit  le  Veni- 
^eq,  ce  n'eft  rien,  c'ell  une  bête  fort 


2.10  VoGGiAJ^ A..  Part.  IF. 
vicicufc,  elle  m'a  aufli  donné  un  coup 
de  pied  dans  les  reins. 
L  X  1 1. 
jp.  488.  Un  de  ces  Moines  quêteurs  qui  vont 
par  le  pais  demandant  l'aumône  pour 
S.  Antoine  de  Padoue ,  avoit  tiré  une 
bonne  quantité  de  bled  d'un  PaiTan ,  fur 
la  promeflc  qu'il  lui  avoit  faite  qu'il 
profpereroit  cette  année -là,  &  qu'il 
ne  perdroit  pas  une  de  Tes  brebis.  Le 
Paiiân ,  fur  la  parole  du  Religieux  laif* 
(à  errer  fes  brebis  à  l'avanture,  il  vint 
un  loup  qui  en  mangea  plufieurs.  Le 
quêteur  revint  l'année  fuivante  &  rede- 
manda du  grain.  Mais  le  Païfan  lui  en 
refufa  &  fe  plaignit  qu'il  l'avoit  affron- 
té ôc  que  le  loup  avoit  mangé  lés  bre- 
bis. Oh ,  dit  le  Moine ,  je  ne  m'en  éton- 
ne pas ,  il  ne  faut  point  vous  fier  au  loup, 
e'elt  une  méchante  bête  qui  n'a  point 
de  parole.  Elle  tromperoit  non  feule- 
ment S.  Antoine,  mais  notre  Seigneur 
Çi  elle  pouvoit. 

Antoine  furnommé  de  Padoue,  par- 
ce qu'il  étoit  Profefleur  en  Théologie 
dans  cette  Ville  &  qu'il  y  mourut ,  étoit 
un  Moine  Francifcain  ,  Originaire  de 
Lisbonne.  Il  fut  canonifé  par  Gregoi- 
l^elX.  dans  le  XIU"^«.  fiécle.  Voici  fe 


HeCUEIL  DE  BONS  MOTS,     iil 

jugement  que  Poîydore  Vergile  Auteur  Polyd, 
Italien  faifoit  des  Moines  de  ce  nom^^SJï* 
fur  la  fin  du  XV'"^  fiècle,  &  par  con^  ^'yH' 
ièquent  avant  la  Réformation,     Ceflyp.^66.  y 

dit-il,  une  racaille  de  gens  qui  pillent  le  fl 

peuple  Chrétien  avec  autant  d'impudence 
que  d'impunité.  Ils  portent  la  lettre  Tp 
peinte  fur  leur  poitrine  ,  pour  être  rer 
connus  Difciples  de  S.  Antoine ,  ^  pour 
demander  r aumône  fous  ce  prétexte.  En 
certaines  fatfons  de  Vannée  on  leur  don- 
ne des  porcs  qu'ils  mènent  de  village  en 
mllage  afin  qiCon  les  murrijfe  en  Thon- 
neur  de  S.  Antoine ,  à  qui  cet  animal  (^ 
plufieurs  autres  font  confacrez. 
L  X  I  ï  I, 
Un  Voyageur  ayant  fait  bonne  cheré  p^  .g, . 
dans  un  cabaret ,  l'Hôte  lui  demanda  Ton 
payement.  Le  Voyageur  dit  qu'il  n'a- 
voit  point  d'argent,  mais  qu'au  lieu  de 
cela  il  lui  chanteroit  les  plus  jolies  chan- 
{bns  du  monde.  Le  Cabaretier  répon- 
dit qu'il  vouloit  de  l'argent  &  non  des 
chanfons.  Mais  fî  je  vous  en  chante  une 
qui  vous  plai(è,ne  la  prendrez- vous  pas 

Eour  argent  comptant  ?  A  la  bonne 
eurCjdit  l'Hôte.  Il  lui  en  chanta  plu- 
fieurs qui  ne  lui  plurent  point.  Enfin 
îf  Chanteur  mettant  la  main  à  la  bourfc 


€om' 


îii    VoGGiAN A.  Pari.  IF. 

comme  s'il  eût  voulu  la  délier;  Pour 
cette  fois  je  m'en  vais  vous  en  chanter 
une  qui  fera  de  votre  goût.  Il  fe  mit  à 
en  chanter  une  qu'on  appelle  en  Ita- 
lien la  Chanfon  du  Voyageur.  Mettez 
la  main  à  la  hourfe  i^ payez  VHote,  Gel-' 
le-ci  vous  plait-elle?  Oz/i,  dit  l'Hôte. 
Vous  êtes  donc  payé  ^diix.  le  Voyageur  5& 
S'en  alla. 

LXIV. 
\f,  468.  Un  Do6tcur  de  Milan  fort  ignorant 
S'imaginoit  que  les  oifeauxfuyoientnort 
aii  fon  de  la  voix,  mais  uu  fens  des  pa- 
roles que  l'on  prononçoit.  Il  eut  un 
jour  Ja  curiofité  d'accompagner  un  Oi- 
felcur  qui  alloit  prendre  des  oilêaux  au 
filet.  Celui-ci  lui  recommanda  fort  de 
ne  point  parler.  Mais  dès  qu'il  vit  des 
oifeaux  afTemblez  il  crut  devoir  en 
avertir  l'Oifeleur  ;  les  oifeaux  de  s'envo- 
ler. L'Oifeleur  le  pria  encore  une  fois 
de  ne  dire  mot,  &  il  le  promit.  Les 
oifeaux  revinrent  6c  le  Dofteur  cria  en 
Latin  :  Foila  des  oifeaux.  Comme  l'Oi- 
fèleur  lui  en  faifoit  des  reproches ,  je  ne 
croyois pas^  dit-il,  que  les  oifeaux  enten» 
àiffent  le  Latin. 

LXV. 
Un  homme  de  Peroufe  fort  obéré 

s'en 


p.  473. 


Recueil  DE  BONS  Mots,  ii^ 

s'en  alloit  dans  la  rue  tout  melancholi- 
que.  Quelque  paffant  lui  demanda  quel 
étoit  le  fujet  de  fa  trifteflc.  Je  dois^ 
dit-il,  &  je  ne  faurois  payer.  Boni  lui 
repartit  l'autre,  Laijez  cette  inquiet U' 
de  à  'votre  Créancier. 

LXVI. 

Un  certain  boufon  connu  de  Poggé,  p.  4761 
demanda  à  un  Religieux  lequel  étoit  le 
plus  agréable  à  Dieu  de  dire  ou  de  fai- 
re. Le  Religieux  répondit  que  c'étoit 
de  faire.  Il  y  a  donc  plus  de  mérite, dit 
le  boufon  i  à  faire  des  Patenôtres  *  qu'à 
en  dire. 

L  X  V  1 1. 

Il  n'y  a  rien  de  fî  ordinaire  que  de  p.  48  ij 
Voir  les  Fanfarons  de  bravoure  faigner 
du  nez  dans  l'occafîon.  Lorfque  l'Em- 
pereur Frédéric  II.  mourut  en  Italie  -f", 
la  guerre  y  étoit  allumée  de  tous  cotez. 
Un  jour  dé  bataille  un  Officier  de  dif- 

tinc- 

*  Les  Patenôtres  font  des  chapelets  avec  Icf- 
quels  on  recite  le  Pater. 

t  11  mourut  en  1159.  dans  la  Fouille  au  Royau- 
me de  Naplès  proche  de  Luceria ,  &  non  à  Sien- 
ne proche  de  Florence ,  comme  le  dit  Pogge.ne 
penfant  pas  qu'il  y  a  auffi  dans  la  Fouille  un  en- 
droit qui  s'appelle  Florence,  ou  Florenzola.  Stru-v, 
Synt.  Hifi.  Germ,  DifT,  XX, 


zz4     PoGGiANA.  Part.  IV. 

tinébion  fut  des  premiers  à  cheval  fai- 
lânt  de  grandes  rodomontades  Ôc  re- 
prochant aux  autres  leur  lenteur  6c  leur 
lâcheté,  y  irai ,  difoit-il ,  contre  renne- 
mi  quardje  den^rois  y  être  [euh  II  fit  en- 
viron un  mille  aii  grand  galop.  Mais 
comme  il  vit  revenir  du  combat,  qui 
avoit  déjà  commencé ,  des  Soldats  cou- 
verts de  bleflures  j  il  fe  mit  à  n'aller  que 
ie  pas.  II  s'approcha  enfin  pas  à  pas , 
mais  entendant  les  cris  des  deux  armées, 
éc  voyant  que  le  combat  étoit  furieux, 
il  s'arrêta  tout-à-coup  comme  s'il  eût 
été  pétrifié.  Quelqu'un  qui  l'avoit  en- 
tendu fe  faire  tout  blanc  de  fon  épéc, 
lui  demanda  pourquoi  il  n'avançoit 
pas.  JefenSi,  dit-il,  que  je  ne  fuis  pas 
intrépide  comme  je  me  croyois. 
LXVIII. 
I'.  48  j.  Un  Tyran  qui  ne  cherchoit  qu'à  fàî- 
gner  (qs  Sujets  en  exigeoit  d'eux  des 
chofes  impofTibles  fous  de  grofles  pei- 
I  nés.  Il  commanda  à  l'un  d'eux  d'ap- 
yJr  prendre  à  lire  à  un  âne.  L'autre  n'ofant 
/\  '  refufcr  demanda  dix  ans  de  terme  pour 
pouvoir  exécuter  cet  ordre,  il  les  ob- 
tint. Comme  on  le  moquoit  de  lui  d'a- 
voir entrepris  une  choiê  auiîi  impofîi- 
blc,    Laijfsz-moi  faire ^  dit-il,  y>  n'ai 

rien 


ReCÙEILDE  BONS  MOTS.    22^» 

rien  à  craindî-e ,  avant  ce  tems-là  ou  je 
Tîourrai^  ou  Pâne^  ou  mon  jnatTre  tnour- 
ront. 

LXIX 

Un  Curé  annonçant  au  peuple  la  fc-  P- 4Î<5o 
te  de  V Epiphanie,  Je  nefai^  dit-il,  Jt  f'  ^P*" 
('eji  un  homme  ou  une  femme  ^  mais  c'efi  eft  com- 
une  grande  folemnité.  muné- 

LXX.  ^JJ^t^l^ 

Il  y  a  beaucoup  de  gens  qui  pour  Rofg.    * 
lâuver  les  apparences  font  commettre     Ibid, 
par  d'autres  à  leur  profit  des  crimes 
qu'ils  ont  honte  de  commettre  eux-mê- 
mes. Un  homme  qui  avoit  befoin  d'ar- 
gent alla  pour  en  emprunter  fur  gage 
chez  un  vieux  Bourgeois  qui  avoit  fait 
métier  d'ufure,  mais  qui  feignoit  d'y  a- 
voir  renoncé.     L'emprunteur  portoit 
pour  gage  une  croix  d'argent,  q>\x  on 
prétendoit  qu'il  y  avoit  un  morceau  du 
bois  de  la  vraie  croix.  Le  rufé  vieillard 
répondit  qu'il  ne  fe  mêloit  plus  de  ce 
mauvais  trafic ,  mais  qu'il  avoit  un  pen- 
dart  de  fils  qui  pourroit  lui  faire  fon  af-         ^ 
faire.     Il  le  fait  conduire  chez  fon  fils    ■ 
par  fon  valet.  Apeineavoit-il  fait  quel- 
ques pas  que  le  vieux  ufurier  cria  au  va-» 
let  :  Au  moins  ^  dites  à  mon  fils  qu^il  rab' 
bâte  de  lafomme  ce  que  pefe  le  bois. 

rom,  IL  P  LXXI 


ti6     P  o  G  G I A  N  A.  Part.  IF. 
LXXI. 

îbid.  Un  Chevalier  de  l'Ordre  de  la  Toi- 
fon  d'or  étant  venu  en  Ambaflade  à  Flo- 
rence faifoit  parade  de  plufieurs  chaînes 
qu'il  avoit  à  Ton  col.  Un  homme  d'el- 
prit  dit  là-defllis  :  On  fe  contente  d'une 
chaîne  pour  les  autres  fous ,  mais  celui-ci 
en  'veut  avoir  plufieurs. 

LXXII. 

Ibid.  Il  y  a  des  gens  qui  goguenardent  6c 
profanent  jufqu'au  dernier  foupir.  Un 
Religieux  qui  étoit  allé  voir  un  hom- 
me de  ce  mauvais  caraétere  au  lit  de  la 
mort  lui  difoit  entre  autres  chofes,  que 
Dieu  avoit  accoutumé  de  châtier  ceux 
qu'il  aime.  Je  ne  ni" étonne  donc  pasj 
dit  le  malade  ,  Ji  Dieu  a  fi  peu  d'amis 
puis  qu'il  traite  fi  mal  ceux  qu'il  aime  *. 
LXXIII. 

Ibid.  Il  y  a  de  faux  penitens  qui  femblent 
n'aller  à  confefTe  que  pour  (ê  moquer 
de  la  Religion  ôc  du  Confcfleur.  Quel- 
quefois même  le  Confefleur  &  le  Péni- 
tent ne  valent  pas  mieux  l'un  que  l'au- 
.  tre.  On  voit  des  Confefleurs  qui  abfol- 

vent 

*  Voyez  une  femblablé  impieté  dans  la  note 
fur  Dam  on  de  la  première  Satyre  de  Dcfpreaiix 
au  fujet  de  M.  Caii^drc. 


ReCUEILDE  BONS  MOTS.     ZlJ 

vent  leurs  Penitens ,  dépens  compenfez , 
à  l'exemple  des  Juges  qui  mettent  quel- 
quefois les  plaideurs  hors  de  cour  8c  de 
procès  comme  II  devant  Dieu  le  péché 
de  Tun  pouvoit  expier  celui  de  l'autre. 
Un  Pénitent  alla  dire  un  jour  à  Ton  Con- 
felTeui'  qu'il  avoit  volé  fon  voifin,  mais 
que  ce  même  voifin  l'avoit  volé  auffi. 
Ce  même  homme  lui  dit  encore  :  „  J'ai 
3,  battu  un  homme ,  mais  il  s'eft  bien 
55  revenché  ".  Hé  bien ^  dit  le  Prêtre, 
Vun  ejk  compenfé  par  P autre.  5^  J'ai  en- 
55  core  à  me  confefTer  d'un  grand  pé- 
„  ché,  dit  l'Hypocrite,  mais  je  n'au= 
^,  rai  jamais  le  courage  de  vous  l'avouerj 
5,  parce  qu'ilvous  regarde  de  fort  près". 
Après  avoir  long  tems  balancé,  il  fe  ren- 
dit aux  inftances  du  Prêtre.  ^5  J'ai, 
^,  dit-il,  abufé  de  votre  fœur  "j  (^ 
fnoi^  dit  le  Prêtre  ,  plus  d'une  fois  de 
votre  mère.  Ainfi  nous  'voila  quitte  à 
quitte. 

LXXIV. 
On  débite  quelquefois  au  peuple  des  p.'47d; 
miracles  qui  portent  avec  eux  leur  ré- 
futation ,  mais  dont  la  fingularité  mé- 
rite quelque  attention.  Pogge  témoi- 
gne qu'étant  un  jour  à  Rome  au  Ser- 
îïion  qu'un  Augufiin  faifoit  dans  TEgli- 
P  ^  fe 


n 


2^8      PoGGIANA.  Part.  Ip''. 

fe  dé  Latran,  ce  Moine  pour  engagef 
le  peuple  à  la  pénitence  raconta  publi- 
quement un  miracle  qu'il  difoit  avoir 
vu  5  il  y  avoit  fix  ans  j  „  Etant  un  jour, 
difoit  -  il ,  avec  les  autres  Religieux 
dans  la  Bafilique  de  Latran  à  dire  ma- 
tines ,  il  fortit  d'un  tombeau ,  dans 
lequel  depuis  environ  quinze  jours  on 
avoit  enterré  un  Citoyen  Romain, 
une  voix  qui  appelloit  les  Religieux. 
Elle  le  fit  entendre  plulîeurs  fois  inu- 
tilement parce  quelesMoinesétoient 
trop  effi^yez.     Mais  enfin  s'étant 
raflurez  ils  allèrent  où  la  voix  les  ap- 
pelloic.  Le  mort  leur  cria  de  ne  rien 
craindre, mais  d'ôter  la  pierre 6c d'al- 
ler chercher  un  calice.    Ce  qu'ayant 
fait  le  mort  fe  leva ,  &  rejetta  dans 
le  calice  l'hoflie  confacrée  qu'il  avoit 
prife  avant  fa  mort ,  &  leur  décla- 
ra qu'il  étoiî  damné  &  qu'il  fouf- 
froit  des    tourmens  horribles  pour 
avoir  connu  fa  mère  &  fa  fille ,  8c 
ne  s'être  pas  confefle  de  (ts  crimes 
après  quoi  il  fe  recoucha  ".     Poggc 
ne  dit  point  fon  fentiment  fur  ce  mira- 
cle prétendu.     Le  mien  eft  que  la  plus 
grande  grâce  que 'l'on  puifle  faire  au 
Moine,  c'eft  de  croire  qu'il  avoit  vu 

ce 


Recueil  DE  BONS  MOTS,   tzp 
ce  miracle  en  fonge,  &  qu'à  force  de  • 
le  raconter ,    il  s'étoit  perfuadé  qu'il 
ptoit  véritable. 

LXXV. 

Il  y  a  dans  la  Romagne  un  Bourg 

gppellé  Pera  qui  appartenoit  autrefois 

aux  Génois,  &  où  la  plupart  des  Am- 

bafladeurs  Chrétiens  en  Turquie  font 

aujourd'hui  leur  refidence.     Quelques 

Génois   étant  allez  à   Conftantinoplc 

pour  y  negotier  furent  infultez  par  des 

Grecs  qui  tuèrent  les  uns  6c  blelîerent 

les  autres.     Le  Conful  des  Marchands 

Génois  en  porta  des  plaintes  à  l'Em-    Ce  pou- 

pereur  des  Grecs;  Ce  Prince  pour  tou-  y?.'^^^/* 
I  •,..•       r:^      r     1  ..  Michel 

te  punition  nt  rater  le  menton  aux  cou-  pajcoio. 

pables,  ce  qui  efl  une  grande  ignomi-gueou 
nie  en  ce  païs-là.  Le  Conful  fe  croyant  Andronic 
infulté  par  une  punition  qu'il  trouvoit  *^^     '^  ^ 
légère  permit  aux  Génois  de  fe  vangcr 
eux-mêmes.  Ils  allèrent  donc  à  Conftan- 
tinoplc &  firent  main  bafle  fur  plu- 
fîeurs  Grecs. 

L'Empereur  s'en  plaignit  au  Con-  p.  474. 
fui  qui  étoit  à  Pera ,  &  ce  dernier  pro- 
mit d'en  faire  bonne  juftice.  Il  fit  en 
effet  amener  un  jour  les  coupables  dans 
la  place  publique,  comme  s'il  eût  vou- 
lu leur  faire  couper  la  tête.  Tout  le 
P  5  mor\- 


ij^o     VoGGiAi^ A.  Part.  IP^. 

'  niondey accourut, Grecs 6c Latins.  Les 
Prêtres  s'y  trouvèrent  avec  leurs  croix 
pour  conduire  les  ibppliciez  au  cimetière. 
Le  Conful  ayant  fait  faire  filence  ordon- 
na qu'on  raiât  le  derrière  aux  coupables, 
difant  que  c'étoit  là ,  &  non  au  menton 
que  les  Génois  avoient  de  la  barbe. 
LXXVI. 
p.  47Z.        Du  tems  d'Eugène  IV.  il  y  avoit 
quantité  de  courtifannes  à  la  Cour  de 
Rome  &  cette  Cour  étoit  fort  effémi- 
née.    Un  Cardinal  Grec  y  étant  venu 
avec  fa  longue  barbe  on  lui  confeilla 
de  la  faire  rafer  pour  fe  conformer  à 
l'ufage.  iVo;?  «o^ï,  dit  le  Cardinal  Ange- 
lot, il  faut  bien  qu'il  y  ait  un  bouc  par- 
mi tant  de  chèvres. 

LXXVIL 
'■■  ».  465.       Un  Notaire  de  Florence,  qui  avoit 
i  peu  de  pratique,  s'avifa  de  cette  friponr 

nerie  pour  gagner  de  l'argent.  Etant 
allé  trouver  un  jeune  homme  dont  le 
père  étoit  mort,  il  lui  demanda  s'il  a- 
voit  été  payé  d'une  certaine  fomme  que 
fon  père  avoit  prêté  à  quelqu'un  qui 
étoit  mort  auffi.  Le  jeune  homme  dit 
qu'il  n'avoit  point  trouvé  cette  dette 
parmi  les  papiers  de  fon  père.  „  J'en  ai 
^5  fait  moi-même  l'obligation  &  je  l'ai 


5? 


en- 


Recueil  DE  BONS  MOTS.  2^r 

„  entre  les  mains ,  il  ne  tient  qu'à  vous 
„  de  l'acheter  ".     Le  jeune  homme 
acheté  le  faux  aâ:e  6c  fait  afligner  le  fils 
du  prétendu  débiteur.   Celui-ci  foûtint 
qu'il  paroiflbit  par  les  Livres  de  fon  Pè- 
re qui  étoit  Marchand,  qu'il  n'avoit  ja- 
mais rien  emprunléjÔc  alla  trouver  leNo- 
taire  pour  l'accufcr  d'avoir  fait  un  faux 
aéle.     „  Vous  n'étiez  pas  au  monde, 
35  dit  le  Notaire ,  quand  cette  fomme 
5,  fut  empruntée.  Votre  père  la  rendit 
55  au  bout  de  quelque  tems  &  j'en  ai 
55  chez  moi  la  Quittance  ".     Le  jeune 
homme  la  racheta  5  6c  le  Notaire  par  ce 
moyen  tira  de  l'argent  des  deux  cotez. 
LXXVIII. 
Martin  V.  comptoit  un  jour  que  le   p.  44S' 
Légat  de  Bologne  ayant  traité  de  fou 
un  Doéleur  qui  follicitoit  quelque  grâ- 
ce avec  importunité5   le  Dofteur  de- 
manda au  Légat  quand  il  l'avoit  furpris 
à  foire  Taétion  d'un  fou.  iLe  Légat  lui 
marquoit  une  certaine  occafion  ou  il 
prétendoit  qu'il  avoit  fait  une  folie.  Vous 
vous  trompez  5  dit  l'autre  5  je  n'en  ai  fait 
que  quand  je  'vous  ai  fait  Docteur ,  car 
vous  rfen  étiez  pas  capable  *. 

P  4         LXXIX, 

^  Il  faut  que  ce  foit  BalthazarCoffaqui  fut  de- 
puis Jean  XXIll.depolé  au  Concile  dcConftancç, 


t^l       POGGIANA.  P^r/. //^. 

LXXIX. 

9.441?        A   trompeur  trompeur   8c    demi  , 
dit  le  Proverbe.  *  Un  Renard  voyant  des 
poules  juchées  avec  leur  Coq  dans  une 
cour  tâchoit  de  les  attirer  par  de  belles 
paroles.     J'^^y  dit-il,   une  bonne  mu- 
'velle  à  vous  apprendre ,  c''ejl  que  les  anp- 
fiiaux  ont  tenu  un  grand  Confeil^  6?  on} 
fait  entre  eux  une  paix  éternelle.  Defcen- 
dez  5  dit  -  il  5  célébrons  de  bonne  amitié 
cette  paix.   Le  Coq  plus  fin  que  le  Re- 
nard fe  drefle  fur  les  ergots  6ç  regarde 
de  tous  cotez,   ^e  regardez-vQus?  dit 
le  Renard.     Je  regarde  deux  chiens  qui 
s'avancent ,  &  le  Renard  de  fuir  à  tou- 
tes jambes.  Eh^  dit  le  Coq,  la  paix  eji 
faite  entre  les  animaux.  Oh ,  dit  le  Re- 
nard ,  peut-être  que  ces  deux  chiens  fCen 
favent  pas  encore  la  nouvelle. 
LXXX. 
\  f .  43*»        Un  Paifan  étant  monté  fur  un  châ- 
•  taignier  pour  fecouer  des  châtaignes 

tomba  en  defcendant  3c  fe  rompit  une 
côte.  Si  vous  m^ aviez  confulté  ^  dit 
quelque  mauvais  plaifant  qui  fç  trouva 

là, 

*  La  Fontaine  a  imite  cette  Fable ,  mais  il  a 
omis  la  repartie  du  Renard  fugitif  qui  a  beau-; 
éoup  de  feli  - 


Recueil  DE  BONS  MOTS.   2,3$ 

là,  ce  malheur  ne  vous  fer  oit  pas  arrivé^ 
tnais  mon  Confeil  pourra  vous  fervir, 
pour  l'avenir.     Cefi  de  ne  defcendre  ja- 
inais  plus  vête  que  vous  êtes  monté, 
LXXXI. 

Un  certain  Nicolas  homnie  favant ,  p.  4^9. 
mais  d'un  efprit  fatyrique  &  d'une  lan- 
gue fort  mal  apprife ,  fe  moquoit  un 
jour  d'Eugène  IV.  en  ces  termes.  „  Je 
5,  fuis  le  plus  malheureux  de  tous  les 
5,  homrnesi  C'eft  aujourd'hui  le  regnç 
5,  de  la  Folie ,  le  Pape  avance  tous  les 
55  jours  des  fots  &  des  fous.  ^  Je  fuis  le 
5,  ieul  pour  qui  il  ne  fait  rien.  C'eft, 
„  difoit-il ,  fa  faute ,  car  j'ai  tout  le 
-5  mérite  qu'il  faut  pour  parvenir. 
LXXXII. 

Un  certain  Abbé  fort  gras  &  d'une  Ibid, 
grofleur  excefîive  allant  un  foir  afl'ez 
tard  à  Florence  demanda  à  un  Païfan , 
s*il  entreroit  bien  dans  la  Ville.  Oui^ 
4it  le  Païfan ,  qui  jouoit  fur  l'çquivo- 
que  du  mot  entrer^  puis  qu'un  chariot 
de  foin  y  entre  bien. 

LXXXIII. 

On  trouvem  ici  le  caraftci'C  de  bien 

des  gens.  Un  Seigneur  de  Rome  étant 

allé  a  Florence  pour  y  entrer  en  poffef- 

iion  de  quelque  charge  tint  tout  un  jour 

P  f  les 


134  PoGGiANA.  Part.  IV. 
les  principaux  de  la  Ville  à  ne  parler 
que  de  lui.  Il  leur  difoit  qu'il  avoit  été 
Sénateur  Romain  ,  &  leur  racontoit 
avec  emphafe  tout  ce  qu'il  prétendoit 
qu'on  avoit  jamais  dit  ou  fait  à  fa 
gloire.  Après  cela  il  rendoit  compte  de 
fon  Voyage ,  comment  il  ctoit  parti  de 
Rome ,  &  par  qui  il  avoit  été  accom- 
pagné à  fon  départ,  puis  il  difoit  que 
la  première  journée  il  étoit  arrivé  à  Su- 
tri  ,  6c  racontoit  ce  qu'il  y  avoit  fait 
jufques  aux  moindres  choies.  Il  s'étoit 
déjà  pafTé  plufieurs  heures  fans  que  fa 
narration  l'eût  conduit  à  Sienne.  Un 
des  auditeurs  ennuyé  ,  comme  tout  le 
relie  de  la  compagnie,  de  la  longueur 
d'un  difcours  li  làlhicux  &  Il  inlipide, 
lui  dit  à  l'oreille  ,  qu'il  étoit  tard  & 
que  s'il  ne  hâtoit  fon  Voyage  pour  ar- 
river à  Florence,  il  manqueroit  l'affai- 
re imponantc  qui  l'y  avoit  fait  venir. 
Il  profita  de  l'avis  6c  conclut  en  difanti 
Enfin  je  fuis  arrivé  à  Florence. 
LXXXIV. 
On  infîjgeoit^  à  Terra  No'ua  une  cer- 
taine peine  à  ceux  qui  jouoientauxdez. 
Un  homme  de  la  connoiffance  de  Pog- 
ge  avant  été  furpris  à  y  jouer  fut  mis 
en  prifon.     Comme  on  lui  dcmandoit 

u 


Recueildebonsmots.  23f 
la  caufe  de  fa  détention.  C'eft^  dit-il, 
notre  Juge  qui  m'a  fait  mettre  ici  parce 
que  /ai  joué  mon  argent  j  Je  ne  [ai  ce 
qu'il  m'auroit  fait  Jifav ois  joué  le  ften. 
LXXXV. 

Qiielqu'un  difoit  mille  plaifanteries 
dans  le  Palais  du  Pape  Eugène  IV. 
,5  Savez  vous,  lui  dit-on,  qu'on  vous 
„  prendra  pour  un  fou  ".  yenjerois 
ravi^  dit-il,  c^efi  le  f cul  moyen  de  s'a- 
vancer auprès  de  ceux  qui  gouvernent  au-^ 
jourd'bui. 

LXXXVI. 

Un  Prédicateur  prêchant  à  Pcroufc, 
dit  à  fes  auditeurs  fur  la  fin  de  Ton  Ser- 
mon. Mes  Frères^  toutes  vos  femmes 
m'ont  protejîé  à  confejfe  qu'elles  avoient 
été  fidèles  à  leurs  maris ,  ^  vous  de  VO" 
tre  coté  vous  avez  confejfé  que  vous  aviez 
tous  connu  les  femmes  d' autrui.  Dites- 
tnoi  donc ,  je  vous  prie ,  qui  des  femmes 
ou  des  maris  a  dit  la  vérité. 
LXXXVII. 

Le  Cardinal  de  Bar  Napolitain  avoit 
un  Hôpital  à  Verceil  *,  dont  il  tiroit 
fort  peu  de  profit  parce  qu'iUvoit  beau- 
coup de  malades  à  entretenir.     Il  en- 
voya 

*  C  etoit  Landolphe  de  Maramaur  dont  il  ell 
parlé  dans  le  Concile  de  Conftance. 


2.^6  VoGGiA^ A.  Part.  IF. 
yoya  un  jour  l'Intendant  de  fa  maifon 
pour  en  recevoir  les  rentes.  Cet  Offi- 
cier voyant  un  nombre  prodigieux  de 
malades  qui  confumoient  tout  le  rêver 
nu  de  Ton  maître  s'avifa  de  ce  tour.  Il 
fe  deguifa  en  Médecin  &  fit  aflemblcr 
tous  les  malades  5  vifita  leurs  playes  & 
leur  déclara  qu'on  ne  pouvoir  les  guérir 
qu'avec  un  onguent  de  graifle  humaine. 
Il  faut  donc ,  leur  dit-il,  que  des  au- 
jourd'hui vous  tiriez  au  fort  entre  vous 
à  qui  fera  cuit  dans  de  l'eau  bouillante 
pour  le  falut  de  tous  les  autres.  A  ces 
mots  tous  les  malades  effrayez  vuiderçnt 
jncelFamment  l'Hôpital. 

LXXXVIII. 
On  croit  ordinairement  que  la  dif- 
traftion  eft  une  marque  d'efprit.  Cette 
marque  cil:  au  moins  bien  équivoque  6c 
ç'cft  auffi  fouvent  une  marque  de  ftu- 
pidité.  Les  Païfans  les  plus  grofliers 
ont  leurs  dillraétions  auffi  bien  que  les 
plus  grands  cfprits.  Un  Paifan  de  Terra 
Nova,  nommé  Mancini,  gagnoit  fa  vie 
à  mener  du  bled  dans  les  Villes  du  voir 
finage.  Un  jour  qu'il  rerenoit  du  mar- 
ché il  monta  fur  le  plus  beau  de  lès  àne3 
dont  il  la  voit  bien  le  compte.  Approchant 
de  fa  maifon  il  s'apper^'ut  qu'il  lui  en 

(liant 


Recueil  DE  BONS  MOTS.  237 
manquoit  un,  ne  comptant  pas  celui  qu'il 
montoit.  Il  retourne  fur  fcs  pas  &  court 
fept  milles  de  chemin  demandant  fon 
âne  à  tout  le  monde.  Point  de  nouvelles. 
Il  s'en  retournoit  fort  trifte  de  fa  perte^ 
lorfqu'étant  defcendu  de  deflus  fon  âne, 
fa  femme  l'avertit  que  c'étoit  là  celui 
qu'il  cherchoit. 

LXXXIX. 

Un  autre  Païfan ,  après  avoir  labou-^ 
ré  jufqu'à  midi,  fe  mit  avec  (à  charrue 
fur  un  âne ,  pour  ne  pas  fatiguer  fes 
bœufs  à  la  traîner.  S'appercevant  qu6 
l'animal  fuccomboit  fous  le  poids  il 
defcend ,  met  fa  charrue  fur  la  tête ,  6c 
remonte  en  difant  à  fon  âne  :  'Tu  mar- 
cheras bien  à  prefent^  ce  rCefl  pas  toi  qui 
porte  la  charrue ,  c^eji  moi.  La  diftrac- 
tion  eft  certainement  une  abfence  d'cA 
prit ,  un  défaut ,  une  impoliteffe  dont 
tout  homme  qui  veut  être  fociable  doit 
fe  corriger  foifflieufement. 
XC. 
Il  y  avoit  dans  une  Ville  proche  de, 
Boulogne  un  Podefiat  ou  autrement  un 
Juge  fort  ignorant.  Il  vint  un  jour  plai- 
der devant  lui  deux  hommes  dont  l'un 
dcvoit  à  l'autre.  Le  Créancier  ayant 
amande  fa  dette,  le  Podeftat  fe  tour- 

noit 


i^S  VoGGi  A  j^  A.  Part.  IF'. 
noit  du  côté  du  Débiteur  Se  le  querel- 
loit  de  ce  qu'ii  ne  payoit  pas  ce  qu'il 
devoit.  Le  Débiteur  de  nier  la  dette  & 
le  Juge  de  fe  tourner  veis  le  Créancier 
èc  le  blâmer  de  demander  ce  qui  ne  lui 
étoit  pas  dû.  Les  ayant  ainfi  balotez 
pendant  long-tems  au  lieu  de  demander 
des  preuves  &  des  témoins ,  les  ren- 
voya avec  ce  jugement  :  P^ous  avez , 
dit-il  5  tous  deux  perdu  ^  gagné. 
XCL 

Un  Florentin  qui  avoit  été  ablênt 
de  chez  lui  pendant  un  an ,  trouva  fa 
femme  en  couche  à  ion  retour.  Le  ma- 
ri confus  &  fâché  va  trouver  une  ma- 
trone ^  &  lui  demande  fl  une  femme 
pouvoit  porter  fon  fruit  douze  mois. 
0«i,  dit-elle,  ft  par  bazard  votre  fem- 
me  a  vu  un  âne  le  jour  qu'elle  a  conçu  ^ 
elle  n'accouchera  qu'au  bout  d'un  an  com- 
me  font  les  âneffes.  Le  bon  mari  prit 
cette  rcponfe  pour  argent  comptant  & 
s'en  retourna  chez  lui  tout  réjoui. 
XCIL       / 

Un  Prédicateur  prêchant  le  jour  de 
la  fête  de  St.  Chriftophore  * ,   c'eft-à- 

dire , 

,  *  Ccft  St.  Chriftophle.L'Eglife  Romaine  célè- 
tjtè  deux  Saints  de  ce  nom.  L'un  le  i8.  Juillet 


Recueil  DE  BONS  MOTS.   2,39 

dire  ,  porte-ChriJi  ^  àtm-nnàd.  plufieurs 
fois  à  lès  auditeurs  qui  étoit  celui  qui 
avoit  eu  cette  gloire  de  porter  J.  C- 
C étoit  un  âne^  répondit  quelqu'un  qui 
s'ennuyoit  de  fes  queftions. 

Un  jour  une  grande  Princefîe  d'Al- 
lemagne demandoit  à  un  homme  de  fa- 
voir  &  d'e{prit  ce  que  vouloit  dire 
l'Hiftoire  de  l'âne  deBalaam  dont  il  eft 
parlé  dans  l'Ecriture ,  parce  qu'elle 
trouvoit  l'Hilloire  peu  vraifemblable. 
G  étoit  une  ânejfe ,  Madame ,  dit  l'inter- 
rogé. La  Princefle  en  rit  &  la  queftion 
demeura  là. 

X  C  1 1 1. 

Il  y  a  des  faits  qui  paroifTent  incroya?- 
bles  5  mais  qu'on  ne  fauroit  pourtant 
guère  fe  difpenfer  de  croire  fans  incivi-  \^  ' 

lité  quand  on  examine  le  caraélère  des  ^ 

témoins  qui  en  dépofent.   Ce  que  Pog-  p.  4S5; 
ge  raconte  d'un  homme  qui  fut  deux 
ans  fans  boire  ni  manger  quoique  ce  foit 
cft  dans  ce  rang.     Il  s'agit  d'un  Prêtre 
de  Noyon  qui  exerçoit  àRomekchar- 

qui  cft  le  jour  qu'on  prétend  que  St.  Chriftophic 
fut  martyrifé  fous  Decius  j  l'autre  le  20.  Août 
jour  où  l'on  prétend  auffi  que  St.  Chriftophic 
foufFrit  le  Martyre  dans  le  neuvième  Siècle  pen- 
dant la  pcrfecution  des  Sarrafins.  Baronii  Martyr, 


^40  PoGGiANA.  PàrL  IF. 
gc  de  Scripteur  de  la  Chancelcrie  Apof^ 
tolique  fous  le  Pontificat  d'Eugène  W. 
Get  homme  étant  allé  faire  un  Voyage 
dans  fa  patrie  y  tomba  malade  d'une 
grande  Ôc  longue  maladie  qui  étoic 
accompagnée  de  (ymptomes  finguliers. 
Qi^ielques  années  après  il  retourna  z 
Rome  fous  le  Pontificat  de  Nicolas  V. 
exercer  la  même  charge.  Là  il  racon- 
toit  à  plufieurs  graves  perfonnages  de 
la  Cour  Romaine  qu'étant  relevé  de  fa 
maladie  il  avoit  été  deux  ans  fans  man- 
ger ni  boire,  quoiqu'il  eût  cflaié  fou- 
vent  de  faire  l'un  Se  l'autre.  Cet  hom- 
me paroifibit  de  fort  bon  fens ,  hom- 
me de  bien  ,  &  n'avoit  point  du  tout 
l'air  ni  d'un  impoltcur  ni  d'un  polTedé, 
comrhe  quelques-uns  le  croyoient.  Tout 
le  monde  couroit  à  lui  de  toutes  paits 
pour  l'interroger  là-defllis  &  Pogge 
témoigne  l'en  avoir  fouvent  entretenu. 
Il  avouoit  lui-même  qu'il  ne  l'auroit 
jamais  cru  s'il  ne  l'avoit  pas  expérimen- 
té dans  fi  perfonne.  Ceux  qui  raifon- 
noient  le  mieux  là-dcfTus  jugeoient  que 
la  même  humeur  melancholique  qui  le 
rongeoit  lui  fourniffoit  de  la  nourritu- 
re. Pogge  ajoute  ici  qu'il  avoit  lu  dans 
les  Annales  de  France  au  neuvième  fiè- 

clc 


Recueil  6e  BONS  Mots.  241 

cle  fous  l'Empereur  Lothairc  &  le  Pa- 
pe Pafchal,  que  la  même  chofe  étoit  ar- 
rivée à  une  fille  de  Toul  en  Lorraine, 
qui  d'abord  avoit  été  ^ix  mois  fans  man- 
ger de  pain,  &  enfuite  trois  ans  fkns 
boire  ni  manger, &  qui  étoit  revenue  à 
fon  premier  état. 

yÊneas  Sylvius  raconte  à  peu  près  la     Corii» 
même   Hiitoire  ,    mais  avec  quelques  ii^^nt.  in 
circonflances  différentes,    i .  Il  dit  que  P'^-  J^ 
cet  homme  qui  etoit  Prêtre  fut  quatre  fonf.p. 3^5 
ans  fans  manger,  mais  qu'il  mangeoit38. 
pourtant  un  peu ,  quand  il  étoit  invité 
chez  des  Evéques.     2.  Que  ce  même 
homme  étant  à  Sienne  dit  à  Léonard 
d'Imola ,  qu'il  s'en  alloit  à  la  Cour  de 
Rome,  qu'il  y  fouffriroit ,  mais  qu'il 
n'y  périroit  pas.  3.  Qu'étant  à  Rome, 
il  y  fut  en  admiration  ôc  en  odeur  de 
làinteté  pendant  un  afîèz  long-tems, 
mais  qu'enfin  il  fut  mis  en  prifon  6c 
foiietté^  parce  ^  dit  fort  bien  ^neas 
Sylvius ,  q^ue  tout  ee  qui  tient  du  prodige 
eftfufpe^. 

X  G  I  V. 

Un  Prédicateur  prêchoit  un  joUr  fur  . 

l'Evangile  de  la  multiplication  des  pains.  -jr 

Au  lieu  des  cinq  mille  hommes  que  J.  C. 
repût  il  n'en  nomma  que  cinq  cens.  Ce- 

Tom.  IL  O  \m 


t^z     VoGGiAt^ A.  Part.  IF. 

lui  qui  le  fouffloit  lui  dit  tout  bas  j  il 

faut  dire  cinq  mille.  Taisez-vous, 
Sot^  repartit  l'Orateur,  on  aura  encore 
ajjez  de  peine  à  en  croire  cinq  cens. 

xcv. 

Quelcun  demandoit  un  jour  à  Ro- 
dolphe de  Camerino,  dont  on  a  parlé 
ailleurs ,  un  cheval  il  accompli  qu'il 
étoit  impolîible  d'en  trouver  un  tel  dans 
aucune  écurie  j  Rodolphe  fit  tirer  de 
k  Tienne  une  cavalle  &  un  étalon ,  &  dit 
à  cet  homme  :  Tenez ,  vous  n'avez  qu'à 
faire  faire  un  cheval  à  votre  fantaifie, 
X  C  V  I. 

Deux  hommes  avoient  un  procès  en- 
femble  i  l'un  d'entre  eux  donna  au  Ju- 
ge un  baril  d'huile^  6c  l'autre  un  co- 
chon. Le  Juge  prononça  pour  celui 
qui  lui  avoit  fait  préfent  de  l'animal. 
L'autre  lui  en  a}^ant  fait  des  plaintes  il 
répondit  qu'il  étoit  entré  dans  fa  mai- 
fon  un  cochon  qui  avoit  rompu  le  baril 
d'huile,  &  que  cela  lui  avoit  fait  ou- 
blier fa  caufe. 

X  C  V  IL 

Un  Prédicateur,  qui  au  lieu  de  par- 
ler fembloit  rugir  6c  braire,  apperçût 
une  femme  qui  pleuroit  à  fon  Sermon. 
S'imaginant  qu'elle  en  étoit  touchée  il 

1* 


Recueildebonsmots.  24.'^ 
îa  fit  venir  chez  lui  pour  favoir  le  fujet 
de  Tes  foupirs  &  de  Tes  larmes  dansJa 
vue  de  lui  donner  quelque  conleil  ou 
quelque  confolation.  Helas!  dit-elle, 
mon  Père ,  en  vous  entendant  il  me  fem- 
hloit  reconnoître  la  voix  d*un  âne*  que 
won  mari  m'avoit  laijjé  en  mourant  pour 
gagner  ma  vie ,  i^  que  j^ ai  malheur eufe-' 
ment  fer  du.  Ceft  ce  qui  me  faifoit  pleU' 
rer. 

%  XCVIII. 
Il  n'y  a  rien  de  plus  équivoque  que 
les  apparences  de  la  Vertu ,  &  fouvent 
rien  de  plus  inutile  que  le  grand  Savoir, 
au  moins  par  rapport  aux  mœurs.  Jean 
André  étoit  au  quatorzième  fiècle  un 
des  célèbres  Doéteurs  en  Droit  Canon 
qu'il  y  eût  en  Italie.  Sa  femme  le  trou- 
va un  jour  badinant  avec  la  fcrvantC5 
^'efi  devenue  ,  lui  dit-elle ,  votre  Sa-- 
fience?  Je  Pat  donnée^  dit-il,  à  cette 
fille. 

Jean  André  vivoit  fous  Frédéric  II, 
Mainfroi  Roi  de  Sardaigne  fils  de  cet 
Empereur  avoit  remporté  une  viétoire 
fur  les  ■  Génois  qui  tenoient  le  parti  du 
Pape,  &  fait  quantité  de  prifonnierSç 
entre  lefquels  étoient  trois  Légats  du 
Pape  &  une  grande  quantité  de  Prélats 


4ié, 


144    Po G Gi  A N  A.  Part.  IV. 
d'Italie.    Le  Roi  fit  demander  à  l'Em- 
pereur ce  qu'il  vouloit  qu'on  fît  de  tous 
■  Voyez    ces  Prélats ,  il  lui  envoya  ce  diflique  de 

P^^^""  la  façon  de  Jean  André,. 

Jean  An-  ^  j  7 

Otrtnes  Pnlati  Papa  mandante  vocati 
Et  Legati  vtniant  hue  u/^ue  ligati. 

X  C  I X. 

La  jaloufic  eft  une  fureur  capable  de 
porter  les  hommes  aux  dernières  extra- 
vagances, &  aux  plus  grands  crimes. 
Un  habitant  de  Gubio  dans  le  Duché 
dCUrbin  en  Italie,  foupçonnant  la  fidéli- 
té de  fa  femme,  fit  par  jaloufie  pour 
s'en  cclaircir  ce  que  l'Hiftoire  Eccle- 
fîaftique  nous  apprend  qu'Origeneavoit 
fait  par  dévotion. 

C. 

Un  Curé  de  Florence  recevant  les 
offrandes  de  fcs  Paroiffiensavoit  accou- 
tumé de  dire,  Vous  en  recevrez  une  fois 
autant  y  ïa  Vie  Eternelle.  Je  fereis 
bien  content ,  repondit  un  vieux  Gentil- 
homme Whtmn^Jî  feulement  on  me  ren- 
doit  le  capital. 

CL 

Le  Cardinal  d'Avignon  étoit  un  hom- 
msd'un  grand  mérite,  mais  extrême- 
ment 


ReCVEIL  DE  BONS  MOTS.     24^ 

lîîcnt  fàftueux.  Il  ne  marchoit  jamais 
fans  un  beau  cortège,  &  quantité  de 
chevaux  de  main  fuperbemcnt  harna- 
chez. Le  Roi  de  France  lui  demandant 
un  jour  fi  les  Apôtres  marchoient  en  fî 
grande  pompe  :  Non^  dit-il,  mais  de 
leur  tems  Us  Rois  ne  viveient  pas  non 
plus  comme  aujourd'hui ,  puis  qu'ils 
et  oient  Bergers^  ^  qu'ils  gardoient  des 
troupeaux. 

La  rcponfe  eût  mieux  valu  fî  le  Car* 
dinal  eût  pris  les  chofes  de  plus  haut. 
Il  falloir  qu'il  crût  le  Roi  bien  igno^ 
rant,  ou  qu'il  le  fût  lui-même  beaucoup 
pour  ne  favoir  pas  que  du  tems  des  Apq- 
tres  les  Rois  ne  vivoient  rien  moins 
qu'en  Bergers. 

CIL 

Quelques  Religieux  s'cntretenoient 
un  jour  de  l'âge  &;  des  actions  de  notrç 
Seigneur,  &  difoient  qu'il  avoit  corn" 
mencé  à  prêcher  à  la  fin  de  fa  trentiè- 
me année.  Un  ignorant  de  la  troupe 
leur  demanda  quelle  avoit  été  la  pre- 
mière aétion  de  Jefus-Chrifl  ïiprès  ar 
voir  atteint  l'âge  de  trente  ansj  Com- 
me ils  hefitoient  là-dcffus ,  voîfs  voila- 
bien  emharajfez^  leur  dit-il,,  avec  tout 
votre  favoir.    Ce  qu'il  fit  d'abord  ce 


i.4^     PoGGïAN A.  Part.  IK 

fut  d'entrer  dans  [on   année  trente  13- 
unième. 

ciir. 

Un  Banquier  de  Florence  étoit  allé 
négocier  à  Avignon ,  dans  le  tems  que 
les  Papes  y  réfîdoient.     Etant  venu  à 
Rome  on  lui  demanda  des  nouvelles 
des  Florentins  d'Avignon.    Ils  font  gais 
{^  gaillards^  dit-il,  l§  il  n^y  en  a -pas 
un  qui  en  un  an  n'y  devienne  fou.     Un 
autre  Florentin  qui  vouloit  venger  les 
compatriotes,  lui  demanda  combien  il 
y  avoit  rcjournc  -,  fix  mois  feulement  ^ 
répondit-ii.     Vous  êtes  bien  habile  .^  lui 
dit-on,  car  'vous  ai'ez  fait  en  fix  mois 
ce  que  les  autres  ne  font  qu'en  un  an. 
CIV. 
Un  jeune  homme  de  Florence  devint 
amoureux  d'une  Dame  de  qualité,  5c 
d'une  grande  vertu.     11  la  fuivoit  dans 
toutes  les  Eglifes  pour  lui  faire  un  com- 
pliment qu'il  avoit  préparé.     Un  jour 
qu'elle  prenoit  de  l'eau  bénite,  il  crut 
Toccafion  favorable,  mais  comme  il  a- 
Voit  oublié  fon  compliment ,  il  ne  put 
lui  rien  dire,  fî  ce  n'eft  ,  Madame^  je 
fuis  "votre  feruiteur.    J'a  i  ,  lui-  dit-elle , 
njfez  de  fer'viteurs  chez  moi  pour  balayer 
ja  chambre^  ^  faire  tout  P ouvrage  de  la 
ifiaifon.  CV. 


Recueil  DE  BONS  MOTS.  247 
CV. 

Un  Prédicateur  voulant  faire  enten- 
dre à  Tes  Auditeurs  que  pour  juger  de 
la  converfion  de  quelqu'un ,  il  falloit 
regarder  aux  œuvres  &  non  aux  paro- 
les &  aux  larmes,  raconta  cette  fable.. 
„  Un  homme  prcnoit  des  oifeaux  dans 
5,  une  volière  &  les  étrangloit  avec  Tes 
„  doigts.  Il  (e  bleiïa  par  quelque  ac- 
5,  cident  &  il  pleuroit  de  douleur.  Un 
3,  des  oifeaux  qui  s'en  apperçût  dit  à 
„  fes  Camarades,  prenons  courage ^  il  a> 
„  ptîé  de  nous,  O  !  dit  le  plus  vieux 
55  &  le  plus  expérimenté  d'entre  eux^ 
.,  ô  mes  enfans^mregardezpas  à  fes  yeux^ 
35  regardez  à  fes  mains. 
CVI. 

Pendant  la  guerre  de  Grégoire  XI. 
avec  les  Florentins  la  Marche  d'Anco- 
ne,  &  prefque  toutes  les  Provinces  de 
l'Etat  Ecclefiaftique  fe  révoltèrent  con- 
tre ce  Pontife.  Un  Orateur  d'Anconc 
étant  envoyé  à  Florence  pour  remer- 
cier les  Florentins  de  ce  que  par  leur 
iccours  ils  avoient  recouvré  leur  liberté, 
le  mit  à  déclamer  avec  fureur  contre  le 
Pape ,  contre  fes  Miniftres ,  Se  fur  tout 
contre  les  Grands  Seigneurs,  les  Ducs, 
les  Gouverneurs  des  Provinces  '  qu'il 
Q.4  ti'^" 


148  P  o  G  G I A  N  A.  Part.  IV. 
traicoit  tous  de  Tyrans.  Rodolphe  de 
Camerino  alors  Duc  de  Florence ,  qui 
^oit  préfent ,  ofFenfé  de  cette  hardielîc 
demanda  à  l'Orateur  de  quelle  profef'' 
fion  il  étoit.  Il  répondit  qu'il  étoit 
Docteur  en  Droit  Civil,  &  qu'il  avoir 
étudié  les  Loix  pendant  dix  ans.  Vous 
auriez  bien  fait  ,  dit  Rodolphe  ,  d'en 
employer  un  à  étudier  la  difcretion. 
CVII. 

Il  y  avoit  à  Rome  deux  Prédica- 
teurs, dont  l'un  étoit  long  &  l'autre 
court.  On  difoit  de  celui  qui  étoit  long, 
qu'il  n'étoit  pas  capable  d'être  court, 
éc  de  celui  qui  étoit  court  qu'il  n'avoit 
pas  le  moyen  d'éire  long, 
•  G  VIII. 

Il  n'y  a  point  de  tems  plus  mal  em- 
ployé, &  cependant  il  n'y  en  a  point 
qui  fe  paiïe  plus  agréablement  que  celui 
où  l'on  fait  des  châteaux  en  Efpagne. 
Si  ce  pafTc-tems  étoit  volontaire ,  il 
donneroit  un  grand  ridicule ,  mais  com- 
me il  ne  l'efl;  pas ,  c'eft  autant  de  pris 
fur  l'ennemi.  L'ennemi ,  c'eft  l'En- 
nui. 

CIX. 

Il  y  avoit  à  Rome  un  Moine  Domi- 

^caiin  qui  cxpliquoit  Virgile  à  la  Jeu- 

'      '  '  neiîc. 


Recueildebons  mots.   24P 

nèfle.  Quand  il  rencontroit  quelque 
mot  qu'il  n'entendoit  pas,  il  fàifoit  âCf 
croire  à  fes  écoliers  que  ce  mot  fîgni- 
fioit  un  certain  oifeau  de  l'Arabie.  C'cft 
ainfi,  dit  Pogge,  que  Laurent  Valle 
donne  le  change  pour  couvrir  fon  igno- 
rance. Quand  il  eft  convaincu  de  quel- 
que faute  il  la  rejette  fur  le  Copifte. 

ex. 

Le  Cardinal  Capranica,  dont  on  a  par- 
lé au  commencement  de  cet  Ouvra^ 
ge,  n'aimoit  point  les  vifites  inutiles. 
Quand  il  venoit  quelques  Courtifans 
lui  rendre  vifite  fans  avoir  aucune  afFaif 
rc  à  lui  propofer,  il  leur  demandoit  ce 
qu'ils  vouloient ,  Nous  venons  ,  difoit^ 
on,  vous  vifiter.  Eh  bien,  répon- 
doit-il  en  prcfentant  le  bras,  voyez  donc 
fi  j'ai  la  fièvre, 

CXL 

Ce  même  Cardinal  fortant  du  Con* 
clave  oii  Alfonfe  Borgia ,  qui  étoit  Ca- 
talan ,  fut  élu  Pape ,  fous  le  nom  de 
Calixte  III,  rencontra  un  mendiant  qui 
lui  demandoit  l'aumône  difant  qu'il  ve- 
noit de  fortir  d'encre  les  mains  des  Ca- 
talans. Cefi  vous^  dit  le  Cardinal,  qui 
nous  devez  donner  V aumône  ,  vous  forr 
Sez  d'entre  les  mains  des  Catalans •,  £s? 


$,fo     VoGGiA-i^ A.  Part.  IF. 

four  nous  ,    nous   y  fommes  aUuelUr 
ment. 

Ce  mot  n'eft  pas  rapporté  par  Pog- 
ge  le  Père,  mais  par  Baptifte  fon  fils. 
M.  Auberi ,  qui  le  rapporte  de  Garim- 
bertjen  doute /J^r^f, dit-il,  que  Calixtt 
IlL  étoit  de  Valence  ôc  non  pas  Cata- 
lan. Cet  habile  homme  ic  trompe.  Ca- 
lixte  étoit  Catalan  ,  &  avoit  fait  fcs 
études  à  Lcrida,  mais  il  avoit  été  Eve- 
que  de  Valence. 

ex  II. 

Le  Cardinal  Capranica  étoit  un  Pré- 
lat fort  généreux.  Il .  ne  vouloit  point 
qu'on  le  remerciât  des  bons  offices  qu'il 
reiidoit,  11  ne  fc  fâchoit  pas  même 
qu'un  autre  s'en  fit  honneur  quoi  qu'il 
li'y  eut  point  de  part.  Il  obtint  de  Ca- 
lixte  III.  que  Pogge  leroit  confirmé 
dans  fa  charge  de  Secrétaire.  Le  Préfi- 
xent de  la  Chancelerie  s'en  fit  honneur 
&  envoya  l'expédition  à  Pogge  comme 
de  fa  propre  part.  Capranica  le  fut; 
^''importe ,  dit-il ,  pour'uâ  que  Pogge 
fait  accommodé  ? 

G  X  1 1 1. 

Pogge  étoit  ennemi  juré  de  l'avarice 
^  des  avares  qu'il  rcgardoit  comme  les 
ennemis  du  public  &  d'eux-mêmes.  Un 

^  ;  m- 


J 


Recueil  DE  BONS  MOTS,   ifi 

Médecin  demandant  à  un  avare  qui  étoit 
tombé  malade,  ce  qu'il  mangeoit.  Dii 
hœuf^  lui  dit  l'avare  5  £57*  ^pourquoi  pas 
des  poulets'^  repartit  le  Médecin.  Ils  m 
conviennent  pas  à  ma  nature ,  dit  le  Ma- 
lade ,  parce  qu'ils  font  trop  chers.  \Jr\ 
de  fès  amis  lui  en  envoya,  &  il  en  man- 
gea avec  avidité. 

C  X  I  V. 

.  Un  homme  de  Peroulè  avoit  envoyé 
par  un  efclave  à  un  de  Tes  amis  une  cor- 
beille de  figuQs,avec  une  Lettre.  L'ef- 
clave  mangea  une  partie  des  figues  en 
chemin.  Comme  la  Lettre  marquoit 
la  quantité  qu'il  y  en  avoit  dans  la  cor- 
beille, on  lui  en  fit  des  reproches,  mais 
il  jura  que  la  Lettre  avoit  menti  6c 
qu'il  n'étoit  pas  un  voleur.  Son  maî- 
tre l'envoya  une  autre  fois  avec  le  mê- 
me préfent  accompagné  d'une  Let° 
tre,  le  Valet  la  cacha  fous  une  pierre, 
pendant  qu'il  mangeoit  les  figues, 
«'imaginant  ,  qu'elle  les  lui  avoit  vu 
manger  l'autre  fois.  On  l'accufa  encore 
4'avoir  mangé  des  figues,  mais  il  foutint 
que  non ,  &  que  quand  même  il  l'auroit 
feit ,  la  Lettre  n'auroit  pas  pu  le  voir 

parce  qu'il  l'avoit  cachée.     Il  fallut  le. 

défabufer  à  bons  coups  de  fouets.        '  ;■ 

cxv. 


zyz     VoGGiA^Vi A.  Part,  IF. 

cxv. 

p.  305;.  Pogge  dans  fon  Traité  du  malheur 
des  Pnnces  rapporte  un  fort  bon  mot 
que  Lucien  met  dans  la  bouche  de  Plw 
tus  Dieu  des  richefles.  On  fe  plaignoit 
à  cette  Divinité  de  ce  qu'elle  ne  fe  trou- 
voit  prefque  jamais  chez  les  honnêtes 
gens.  Je  fuis  aveugle^  dit  Plutus,  les 
bons  font  rares  ^  les  mechans  font  la  fou- 

^k  j  faut-il  s'étonner  que  je  me  rencontre 
plus  fowvent  avec  eux  ? 

C  X  V  I. 
François  Sforcc,  qui  de  fîmple  Sol- 
dat étoit  devenu  un  des  plus  grands  Ca- 
pitaines de  fon  tems,  avoit  accoutumé 
de  dire  que  quand  on  avoit  trois  enne- 
mis fur  les  bras,  il  falloir  faire  la  paix 
^vcc  l'unj  trêve  avec  l'autre,  ôc  atta- 
quer le  troifièmc  ^. 

CXV  IL 
Mots       Tous  les  gens  de  Lettres  doivent  cher 
/Auiu-   rir   la   mémoire   de    Pifillrate  Tyran 
^"^•"^  d'Athènes  qui  vivoit  dans  la  foixante- 
TARQiiÊ.  troiiîème  Olympiade  ,  un  peu  plus  de 
deux  cens  ans  avant  la  fondation  de  Ro- 
me 5  &  un  peu  plus  de  cinq  cens  ans 

avant 

♦  Ammirato ,  Diflert.  politic.  ia  Tacitum.  L» 
IÇIII.Diff.lV, 


Recueil  DE  BONS  Mots,    i^'^ 

avant  J.  C.  C'étoit  un  homme  d'efprit 
fort  éloquent,  bien  verfé  dans  les  Scien- 
ces 6c  dans  les  Difciplines  qui  avoient 
vogue  en  ce  tems-là.    Ciceron  (a)  nous    (a)  pe 
apprend  que  ce  fut  lui  qui   mit  dans  Orat.  L. 
l'état  où  nous  les  avons  les  Oeuvres  d'Ho-  ^^^'  ^-  î'î- 
mère  ,   que  Lycurgue  avoit  apportées 
en  Grèce  (b).    Pifiltrate  fut  le  premier  (b)^ijan- 
qui  introduifit  à  Athènes  l'ufage  dcsBi-  var.  Hift.* 
bliotheques  publiques  (c).     Depuis  ce  XIÏI.  14. 
tcms-là  les  Athéniens  furent  fort  foi-  tt'^t^-'^^^ 
gneux  d'entretenir  &  d'enrichir  les  Bi- 
bliothèques jufqu'au   tems  de  Xerxès 
qui  après  avoir  fait  brûler  la  Ville  fit 
emporter  tous  les  Livres  en  Perfe;  Ils 
furent  cnfuite  renvoyez  à  Athènes  par 
Seîeucus  Nicator  lorfqu'il  fucceda  à  A- 
lexandre  le  Grand.    L'exemple  de  Pi- 
fîftrate  fut  imité  par  Eumenès  An  dus  ^ 
Roi  de  Pergame  qui  fît  une  Bibliothè- 
que de  deux  cens  mille  volumes  dont 
Marc  Antoine  fit  préfent  à  la  Reine 
Cleopatre  (d).    Les  Ptolomées  avoient    (d)  piuf, 
beaucoup  enchéri  fur  les  Bibliothèques  vit.  Marc, 
de  Pergame,  puis  qu'ils  avoient  afTem-  ■'^"'^• 
blé  à  Alexandrie  julqu'à  fept  cens  mil-  ^*  ^'*'' 
le  volumes.     Cette  Bibliothèque  fut 
brûlée  pendant  la  guerre  de  Cefar  &  de 
Pompée. 

CXVIII, 


2^4    P  (5  G  G I A  N  A.  Part.  IV. 
CXVIII. 

(a)  Agel.     Varron  dans  Ton  Poème  (a)  des  bons 
y II.  i6.  morceaux  avoit  fait   l'énumeration  de 
ceux  que  les  friands  de  Rome  faifoient 
venir  de  loin.     Le  Paon  venoit  de  Sa- 
(h)  Atta-  mos,  le  Francolin  (b)  de  Phrygie,  les 
^'"*  Grues  de  l'ifle  de  Melos *, le  Chevreau 

del'Epire,  \tThon  de  Calcédoine,  la 
Lamproye  d'Efpagne^  la  Merlue  ou  le 
^  {*)  '^f'^'Cabilhau{c)  de  quelque  endroit  de  Phiy- 
-  gie,  les  Huîtres  de  Tarentc,  le  Péton- 

cle de  Chio  \ ,  un  autre  poifTon  à  co- 
(d)  Plin. quille  nommé  Elops  (d) ,   de  Rhodes  j 
Liv.IX.  j^  Scaricot  \  de  Cilicie,   les  Noifettes, 
de  quelque  Ifle  de  la  mer  yEgée ,   la 
Palme  d'Eg\'pte,  une  forte  de  Gland ^ 
d'Ibere.  Les  Romains  de  ce  tems-làqui 
cherchoient  des  friandifes  fi  loin ,  n'é- 
toient  pas  du  goût  d'Euripide  qui  ré- 
duit les  hommes  au  pain  &  à  l'eau, 
comme  alimens  faciles  à  avoir  ÔC  dont 
On  ne  fe  rebute  jamais. 
CXIX. 
'        Il  faut  bien  fe  garder  d'offenfer  ccs*gen5 

qui 

*  Horace  &  Pline  témoignent  qu'on  fertoit 
des  Giues  fur  les  tables  des  Romains. 

\  Peùîunculus.  C'cft  un  petit  polifon  à  coquil- 
le dentelée.  Voyez  Hor.  Sat.  Lib.Il.Sat.IV.  34. 

t  Pline  le  met  entre  les  principaux  poiiTons  de 
mêr.  Liv.IX.  C.  17, 


Recueil  DE  BONS  MOTS.   2^5* 

qui  peuvent  vous  anéantir  ou  vous  im- 
mortalifer  dans  leurs  Ouvrages  tels  que 
font  les  Poètes.  Virgile  avoit  loué  le  bon 
terroir  de  Noie  dans  la  Campanie.  Mais 
les  habitans  de  cette  Ville  n'ayant  pas 
voulu  lui  permettre  de  faire  conduire  de 
leurs  eaux  dans  fa  terre  5  il  effaça  Nola 
èc  mit  un  autre  mot  en  fa  place  *. 

cxx. 

Les  mauvaifes  nouvelles  ôtent  (bu- 
vent  l'appétit.  Pendant  la  guerre  que 
le  Duc  de  Milan  eut  avec  les  Floren- 
tins ,  il  étoit  pourvu  d'un  excellent  Cui- 
fînier,  qu'il  avoit  même  envoyé  en 
France ,  pour  apprendre  fon  métier. 
Un  jour  que  le  Duc  reçut  quelque  fâ- 
cheufe  nouvelle  de  l'Armée ,  s'étânt 
mis  à  table  ,  il  ne  trouvoit  rien  de  fon 
goût.  Il  fit  appeller  le  Cuifinier  &  le 
traita  d'ignorant  6c  d'empoifonneur. 
Si  les  Florentins  vous  ont  ôîé  l' appétit^ 
dit  le  Cuifinier,  ce  n'efi  pas  ma  faute. 

Il  y  a  eu  dans  ce  fîècle-là  &  dans  le 

fui- 

•  Agell.  Liv.  VII.  C.  10.  Virg.  Gcorg.  II.  224, 
Ce  Poète  mit  Ora  au  lieu  de  Nola  : 

Talem  dives  arat  Captta  ,  c^  vicina  Vefevo 

Orzjugo. 

t  Voyez  la  defcription  de  cette  guerre  dans 
FHiftoife  Florentine  dePoggefvirl'an  1369,  p.  ^60 
37.  38«  59. 


tf6  VoGGïA¥!A.  Part.  IF. 
fuivant  plulieurs  Ducs  de  Milan,  qui 
ont  fait  la  guerre  aux  Florentins  avec 
des  fuccès  différents.  Autant  qu'on  en 
peut  juger  par  l'Hifton-e,  il  s'agit  ici, 
ou  de  Bernabo  dont  l'Armée  fut  batuë 
par  les  Florentins  en  i  369,  &  fur  qui 
ils'  prirent  San  Aliniato  petite  Ville  de 
la  Tofcane ,  ou  ,  de  Jean  Galeas ,  qui 
quelques  années  après  fit  une  longue 
guerre  aux  Florentins  ,  où  il  eut  fou- 
vent  du  defTous,  ou,  enûn  de  Philippe 
Galeas^  qui  quoique  fuperieur  fut  ba- 
tu  plus  d'une  fois  par  les  Florentins  au 
commencement  du  quinzième  Siècle. 

Quoiqu'il  en  foit ,  ce  Cuifinier  qui 
étoit  homme  à  bons  mots,  voyant  une 
autre  fois  le  même  Duc  tout  penfif  à 
table, y^  ne  Tn" étonne  pas  .^  dit-il,  à  quel- 
qu'un qui  ctoit  auprès  de  lui  ,  qii'il  foit 
fi  rêveur ,  il  a  dans  la  tête  une  chofe  im- 
fojfible  '  c^eft  de  contenter  T ambition  dé' 
mefurée  de  fon  favori  ^  (^  la  fienne  pro" 
pre. 

CXXI. 

Antonio  Lufco  intime  ami  de  Pogge 
fut  comme  lui  Secrétaire  de  Martin  V. 
Ce  Pontife  en  faifoit  tant  de  cas,  qu'il 
l'employoit  aux  Négociations  les  plus 
importantes ,   comme  il  fit ,   lorfqu'iJ 

l'en- 


Recueil  DE  BONS  MOTS,  ify 

l'envoya  en  142,3.  à  Philippe  Duc  de 
Milan  ,  pour  l'engager  à  faire  la  Paix 
avec  les  Florentins.   Cet  Antoine  étoit 
d'ailleurs  homme  d'efprit  &  heureux 
cnfbons  mots.     Martin  V.   lui  ayant 
ordonné  de  faire  une  certaine  Lettre, 
&  de  la  communiquer  à  un  homme  en 
qui  le  Pontife  avoit  beaucoup  de  con- 
fiance ,  &  qui  étoit  auffi  ami  d'Antoi- 
ne 'y   il  trouva  fon  ami  à  table  la  tétc 
échauffée  d'un  Vin  ,  qui  l'avoit  rendu 
de  mauvaifè  humeur.     Il  blâma  aigre- 
ment la  Lettre  d'Antoine,  &  dit, qu'il 
la  fàlloit  faire  tout  autrement.     „  Je 
^,  ferai  ,   dit  Antoine  à  quelqu'un ,   à 
5,  l'égard  de  cette  Lettre ,  comme  le 
„  Tailleur  du    Duc  Jean    Galeas    à 
^,  l'égard  de   fa    robe    de   chambre. 
5,  Ce  Duc  après  avoir  bien  foupé  troif- 
5,  vant  fa  robe  de  chambre  trop  étroi- 
9,  te,  fit  venir  fon  Tailleur  pour  la  ré- 
),  largir.     Le  Tailleur  la  pendit  queK 
5,  que  part  fans  y  faire  un  point  d'ai- 
j,  guillc,  &  l'ayant  raportée  le  lende- 
),  main ,   le  Duc  la  trouva  fort  bien. 
))  Il  en  fera  de  même. de  ma  Lettre j 
dit  Antoine. 

CXXL 
Un  Cardinal ,  qui  étoit  à  la  tête  des   Ce  dois 
Tom,  IL  R  trou-^t«^el® 


5J 


2f8     VoGGïAVSA.  Part.  IF. 
Cardinal  troupes  de  Boniface  IX.  dans  la  Mar* 
Caprani-  che  d'Ancone ,    fe  trouvant  dans  une 
^^'  occafion  où  il  falloit  vaincre  ou  mou- 

rir, promettoit  à  fcs  Soldats,  que  s'ik 
remportoient  la  vid:oire  ,  ceux  qui  (c- 
roient  tuez  au  combat  dineroient  ce 
jour-là  même  avec  Dieu  &  avec  les 
Anges.  Ils  allèrent  au  combat  avec  al- 
legrelîè  j  mais  comme  le  Cardinal  ne 
s'cxpolbit  point  :  „  D'où  vient ,  lui 
dit  un  Soldat ,  „  que  vous  ne  vous  met- 
,5  tez  point  en  devoir  de  participer  à 
3,  ce  repas  celcfte  ,  auquel  vous  nous 
5,  invitez?  CV/,  dit-il,  qu'il n'efi pas 
tems  de  dirm'  pour  moi  ,  parce  que  je 
f^^ ai  pas  faim. 

CXXII. 
•Le  Patriarche  de  Jérufalem,  qui  étoit 
à  la  tête  de  la  Chancelcrie  Apoftoli- 
que,  aflembla  un  jour  les  Avocats  pour 
quelque  affaire.  Il  s'éleva  une  difpnte, 
où  ce  Patriarche  dit  des  paroles  fort 
rudes  à  ces  Avocats.  L'un  d'entre  eux 
ayant  répondu  avec  fermeté  ,  le  Preû- 
dent  lui  dit ,  Vous  avez  une  méchantt 
'tête.  Cela  efi  vrMt^  répondit-il^  car 
fi  nous  avions  une  bonne  tête ,  vt  que  mous 
voyons  n  arriver oii  pas. 

CXXIII, 


ReCUEILDE  BONS  MOTS.    2fp 

CXXIIL 

Un  Evêque  d'Arezzo  de  la  connoil^ 
fance  de  Pogge  aflembla  un  jour  Tes 
Curez  en  Synode ,  &  leur  ordonna 
d'apporter  leurs  ornemens  facerdotaux , 
appeliez  en  Italien  Cappe  cette.  Un 
pauvre  Curé  qui  n'avoit  point  ces  or- 
nemens ,  étoit  fort  en  peine  comment 
il  fe  tireroit  d'affaire.  Sa  Servante  le 
voyant  tout  chagrin ,  lui  demanda  ce 
qu'il  a^it;  „  Notre  Evêque,  dit-il, 
nous  a  commandé  d'apporter  nos  chap- 
pes  &  nos  roquets  &  je  n'en  ai  point. 
Bon  !  dit-elle  ,  vaus  u'a'vez  pas  bien- 
compris  fa  penfée  ,  il  'vous  a  demandé 
des  chapons  cuits.     Le  Prêtre  la  crut ,    Cetto 

porta  des  chapons  cuits  à  l'Evêque  ,  ^'^  Italien 

•  1  r       L-  n     /-  j-     lignine 

qui  le  reçut  tort  bien.     Ferjonne^  dit-  ^^-^^ 

il  5  n'a  mieux  entendu  mon  Mandement 
que  celui-ci. 

CXXIV. 
L'avarice  eft  une  paflîon  fort  ingc- 
nieufe.  Dans  une  des  guerres  de  Phi- 
lippe Bernabo  avec  les  Florentins, 
ceux-ci  avoient  publié  un  Edit ,  par  le- 
quel ils  condamnoient  à  mort  quicon- 
que parleroit  de  paix.  Un  Florentin 
qui  étoit  dans  la  place  publique ,  fut  a- 
bordé  par  un  Frerc  mendiant  en  ces 
R  z  ter- 


i6o     FoGGiA'N A.  Part.  IK 

termes,  Paix  vous  foi  f.  'N  e  favez-vous 
pas  que  c'eji  un  crime  capital  que  de  par- 
1er  de  paix  ?  Retirez-vous  au  plus  vite 
de  feur  que  je  ne  pajfe  pour  votre  com- 
plice^ dit-il  5  &  le  quitta  fans  lui  rien 
donner. 

cxxv. 

C'ell:  un  grand  art  de  reprendre  les 
fautes  d'autrui  avec  modeftie.  Le  Con- 
fefleur  de  Bernabo  Vicomte  ^  Milan 
furprit  un  jour  ce  Seigneur  etrflagrant 
délit  avec  une  Courtifanne.  Bernabo 
plein  de  dépit  &  de  confulîon  d'avoir 
été  pris  fur  le  fait ,  demanda  au  Con- 
feffeur  ce  qu'il  feroit  s'il  fe  trouvoit  au- 
près d'une  telle  femme.  Je  fai  bien , 
dit-il  5  ce  que  je  ne  devrais  pas  faire  ^ 
mais  je  ne  fai  pas  ce  que  je  fer  ois. 
CXXVI. 

Dans  le  tems  de  la  guerre  de  Gré- 
goire XII.  contre  les  Florentins  la  Vil- 
le de  Pcroufe  leur  envoya  demander  du 
fêcours  contre  le  Pape. L'un  des  Orateurs 
commença  fa  harangue  par  ces  paroles, 
donnez-nous  de  votre  huile.  Un  de  (es 
Collègues  lui  dit,  ce  n'eft  pas  de  Thuile ,  ce 
font  des  Soldats  qu'il  nous  faut.  Mais, 
dit  l'Orateur,  ce  font  desparoles  de  V  Ecri- 
ture. Bon!  dit  l'autre ,  r^us  femmes  les 

enne- 


Recueildebonsmots.   z6t 

ennemis  de  VEglife ,  13  'vous  appeliez 
r Ecriture  Sainte  à  notre  fecours? 
CXXVII. 
Les  gens  fimples  &  ignorans  ont 
quelquefois  des  raffinemens  fort  ridicu- 
les. La  République  de  Florence  avoit 
envoyé  des  Ambalfadeurs  en  France  j 
Ils  allèrent  en  paflànt  faluer  Bernabo 
Prince  de  Milan.  Ce  Seigneur  leur  de- 
manda d'abord  qui  ils  étoient.  Nous 
fommeS'i  ne  veus  dcplaife  ^  Monfeigneur^ 
Citoyens  ^  AmbaJJadeurs  de  Florence. 
Ils  furent  congédiez  avec  beaucoup  de 
civilité.  Mais  ils  ne  furent  pas  plutôt 
arrivez  à  Verccil  que  repayant  dans 
leur  efprit  cts  paroles ,  ne  vous  deplaife^ 
ils  jugèrent  qu'ils  n'avoient  pas  dû  s'en 
fêrvir,  parce  que  foit  que  cela  plût  ou 
que  cela  déplût  au  Duc ,  ils  n'en  étoient 
pas  moins  Citoyens  &  Ambafladeurs  de 
Florence.  Ils  retournèrent  donc  à  Mi- 
lan &  déclarèrent  au  Prince  qu'ils  avoient 
eu  tort  de  foûmettre  leur  caraétere  à 
fon  bon  plaifir.  Bernabo  qui  d'ailleurs 
n'étoit  pas  de  fort  belle  humeur,  en  rit 
de  tout  fon  cœur,  &  leur  dit  qu'il  lui 
plaifoit  bien  qu'ils  fuflent  Citoyens  ÔC 
Ambafladeurs  de  Florence, 

R  3       CXXVIIL 


162.     VoGGJAN A.  Part.  IF. 
CXXVIII. 

Un  jeune  homme  de  Florence  d'un 
fort  petit  génie  difoit  à  un  de  Tes  amis , 
qu'il  avoit  mis  à  part  mille  florins  pour 
voyager  afin  de  fe  faire  connoître  dans 
le  monde.  F'om  feriez  bien  mieux  d'en 
mettre  à  part  deux  mille  pour  n^étre  point 
connu  ^  lui  repondit  fon  ami. 
CXXIX. 

Jean  Augut  étoit  un  des  plus  grands 
Généraux  de  fon  tems,  homme  de  tê- 
te &  de  main ,  auiTi  verfé  dans  les  rufes 
de  la  guerre  que  dans  les  exploits  mili- 
taires. 11  fc  trouva  un  jour  renfermé 
avec  l'x^rmée  des  Florentins  qu'il  com- 
mandoit,  entre  l'Armée  Milanoife  de 
beaucoup  inférieure  à  la  fienne,  &  la 
rivière  de  POglio  dont  le  partage  étoit 
très- périlleux ,  à  caufe  du  voifmage.de 
cette  armée.  Jaques  de  Ver  *  Général 
Milanois  fâchant  la  fituation  du  Géné- 
ral Florentin ,  lui  fit  préfent  d'un  Renard 
enfermé  dans  une  cage ,  comme  pour 
l'infulter  de  ce  qu'il  s'étoit  laifie  mettre 
en  cage,  tout  fin  Renard  qu'il  étoit. 
Augut  reçut  le  prefent  de  la  meilleure 

gra* 

•  Sur  Jaques  de  Ver,  voyei  Philippe  de  Bcr» 
gamc.  Fol  35(5.  b. 


Recueil  de  bons  mots.  i6^ 
grâce  du  monde ,  oc  envoya  dire  au  Mi- 
lanois ,  que  le  Renard  trouveroit  bieq 
un  endroit  pour  fortir  de  fa  cage ,  com- 
me il  le  fit  en  effet,  par  une  des  belles  re- 
traites 5  dont  l'Hiftoire  ait  jamais  parlé  *. 

cxxx. 

Il  y  a  des  gens  d'avec  qui  l'on  ne  (brt 
jamais  fans  être  pleinement  convaincu 
de  l'exiftence  du  vuide. 
CXXXI. 

Qu'eft-ce  qu'un  Syjlême  ?  demandoit 
un  jour  une  Dame.  Cefi  un  fagot  d'idées 
bien  lié  ^  bien  arrangé^  lui  répondit- 
on  en  badinant.  J'ai  trouvé  depuis  dans 
Aulugelle ,  que  Democrite  avoit  pris  la 
réfolution  d'enfeigner  la  Philofophie  à 
Protagoras^  parce  qu'il  lui  avoit  vu  ar- 
ranger ôc  lier  avec  art  un  fagot. 

CXXXII. 
*  Un  Florentin  connu  de  Pogge  avoit  pi  404J 
bcfoin  d'un  cheval.  Il  en  trouva  un 
qu'on  lui  voulut  vendre  vingt-cinq  Du- 
cats. Je  vous  en  donnerai  quinze  comp- 
tants, dit- il  au  Maquignon,  &  je  ferai 
votre  débiteur  du  relie.  Le  Maquignon 
y  confentit.  Quelques  jours  après^  il 
R  4  alla 

♦  Pogg.  Hifi.  FUr.  L.  III.  p.  lïo,  Abjegé  d§ 
cette  Hiftoire.  p.  41, 


z64    P  o  G  G I A  N  A.  Part.  IV. 
alla  demander  {t%  dix  Ducats.     Il  faut^ 
dit  l'acheteur,  vous  en  tenir  à  nos  con- 
ventions.    Je  vous  ai  dit  que  je  vous 
devrois  le  rclte,^:  je  ne  vous  le  devrois 
plus,  fi  je  vous  le  payois. 
CXXXIII. 
p  .ij8.       Il  y  avoit  à  Florence  un  fi  grand  men- 
teur, que  jamais  il  n'étoit  forti  une  vé- 
rité de  (a  bouche.     Un  homme  qui  le 
connoiflbit  fur  ce  pied-là,  lui  dit.  Vous 
fnentez^  d'aufll  loin  qu'il  le  vit.     Com- 
ment mentirois-je  ,   repartit-il ,  je  n^al 
pas  ouierî  la  bouche.     Je  veux  dire, 
que  dès  que  vous  l'ouvrirez  vous  men- 
tirez. 

CXXXIV. 
p.  480.  Il  y  a  des  chofcs  qu'un  Catholique 
Romain  ne  regarderoit  que  comme  une 
médifance,  fi  c'étoit  un  Huguenot  qui 
les  dit.  Pogge  raconte  que  dans  un 
tems  oii  l'Italie  étoit  menacée  de  la 
pefte ,  un  Charlatan  de  Moine  vendoit 
des  amuletes  (a)  par  Icfquels  il  promet- 
toit  qu'on  feroit  garanti  de  la  pelle  en 
les  pendant  au  col  ;  mais  en  même 
tems  il  défendoit  de  les  ouvrir  pendant 

quin- 

(«)  BiHets  ou  brefs  où  il  y  aK)it  âcs  paroles  q% 

f es  caractères.  '  '  .:<  '^  '    '  '        " 


Recueil  DE  BONS  MOTS.   z6f 

quinze  jours.  Quand  il  eut  fait  fà 
moiflbn  ,  il  fe  retira.  On  ouvrit  les 
billets  5  6c  on  y  trouva  ces  mots  qui 
découvroient  tout  enfemble  l'impoftu- 
re,  l'impiété  &  leffi-onterie  du  Moi- 
ne :  Femmes  y  quand  vous  filez  ^Ji  votre 
fufeati  vient  à  tomber  ,  ferrez  bien  le 
derrière  en  le  ramajfant. 

cxxxv. 

Pogge  nous  aflure  qu'un  certain  Ro-  p.46oi 
main  de  fa  connoilîance  étant  monté 
fur  une  muraille  prêchoit  à  des  ro- 
fèaux,  comme  fi  c'eût  été  des  hom- 
mes. Là  il  difcouroit  de  l'état  de  la 
Ville  &  des  Citoyens.  Il  fe  leva  un 
petit  vent,  qui  agi  toit  les  rofeaux.  Le 
fou  de  Prédicateur  s'imaginant  que  c'é- 
toient  des  hommes  qui  lui  faifoient  la 
révérence  pour  le  remercier  de  fon  Ser- 
mon :  Mejjieurs  les  Romains  ,  dit- il , 
foint  tant  de  révérences ,  je  fuis  le  moin- 
dre d" entre  vous.  Pogge  dit,  que  cela 
pafla  en  proverbe. 

CXXXVL 

Il  y  a  des  gens  qui  ont  le  (êcret  de  Ibid» 
trouver  leur  profit  dans  les  confeils 
qu'ils  donnent  aux  autres.  Il  y  a  une 
Ville  dans  la  Marche  d'Ancone  où 
c'eft  k  coutume  d'inviter  fbn  voifin , 
R  ^  quand 


l66     VoGGiAVi A.  Part.  IF. 

quand  on  a  tué  un  cochon.  Un  Bour- 
geois de  cette  ville ,  qui  auroit  bien 
voulu  éviter  cette  dépenfc,  alla  pren- 
dre conleil  d'un  de  ks  compères,  qui 
lui  confeilla  de  dire  qu'on  lui  avoit  volé 
Ton  cochon.  Le  donneur  d'avis  ne  man- 
qua pas  d'aller  lui  -  même  la  nuit  enle- 
ver le  cochon  de  fon  compère.  Le  pau- 
vre Bourgeois  qui  avoit  été  volé,  s'en 
alla  dès  le  matin  faire  (es  condoléances 
chez  le  compère ,  6c  jura  (es  grands 
Dieux,  que  fon  cochon  lui  avoit  été 
volé.  Vous  faites  bien  de  parler  ainli , 
lui  dit  le  voleur,  c'ell  ce  quejevou» 
avois  confeillé. 


AVIS 


î(î7 

AVIS 

Sur  les  bons  mots 

D'iENEAS   SYLVIUS. 

ANTOINE  DE  PALERxME,de  l'illuf^ 
tre  famille  desBcccadelli  de  Bolo- 
gne, fut  un  des  premiers  hommes  de  Let- 
tres, 6c  un  des  plus  beaux  cfprits  du  qua- 
torzième 6c  du  quinzième  liècle.  Il  étoit 
Jurifconfulte  de  profeiîîon ,  mais  il  fut 
aufîi  Théologien,  Orateur,  Hiftorien, 
Poète  6c  très-excellent  Humanifle,  Ses 
talents  6c  Tes  vertus  lui  attirèrent  l'efti- 
me  6c  les  bonnes  grâces  de  plufîeurs 
Grands  Seigneurs,  qui  fc  firent  hon- 
neur de  fon  amitié.  L'Empereur  Si- 
gifmond  lui  donna,  félon  l'ufage  de  ce 
tems-là ,  la  couronne  de  Laurier ,  en 
qualité  de  grand  Orateur  6c  d'excellent 
Poëte.    Philippe  M;iric  Duc  de  Milan 

avoit 


2<58  VoGG\A-i^\.  Part.  IF. 
av'oit  pour  lui  une  elHme,qui  alloitjufi 
qu'à  la  tendicffe.  Il  lui  faifoit  une  pen- 
fion  de  huit  cens  Ducats  d'or  pour  en- 
feigner  les  belles  Lettres  à  la  jeunefle, 
&  il  fe  mit  lui-même  au  rang  defesDif- 
ciples.  Il  les  enfeigna  aufîi  à  Alphonfe 
Roi  d'Arragottjdc  Sicile  &  de  Naples, 
qui  en  fit  non  feulement  fon  Précep- 
teur, mais  fon  Confeiller  6c  même  fon 
ami  intime.  Ce  Prince  le  combla  d'hon- 
neurs, de  dignitez  &  de  bienfaits,  6c 
l'employa  à  plufleurs  AmbafTades  impor- 
tantes. Entre  autres  marques  de  dilHnc- 
tion,  il  lui  permit  d'avoir  les  mêmes 
armes  que  lui  fur  fon  cachet ,  comme 
cela  paroît  par  une  patente  de  i4fo. 
écrite  de  la  propre  main  du  Roi.  Il 
n'eut  pas  moins  de  part  à  la  faveur  de 
Ferdinand  fils  ôc  SuccefTeur  d' Alphon- 
fe. Antoine  avoit  érigé  à  Naples  une 
belle  Académie  d'oi^i  il  eii  forti  quanti- 
té de  grands  pcrlbnnages.  Il  mourut 
dans  cette  Capitale  en  1471.  âgé  de 
78.  ans.  Il  s'étoit  fait  lui  même  cette 
Epitaphc  ; 

É)«xnVe,  Piérides,  alium  qui pkret  âmertSx 
^iritt  qui  Re^um  fyrtiafa^a  canat. 


Recueil  DE  BONS  MOTS.   25p 

Me  Fater  ille  ingens  hominum  facîor  atque  Rg'^ 
demptor 
Evocatf  CT*  fedes  donat  Adiré  piat» 

Il  compofa  plufieurs  Ouvrages  tant 
en  vers  qu'en  profe.  On  a  parlé  ailleurs 
de  fon  Hermaphrodite^  pièce  obfcene, 
qui  ne  fauroit  faire  honneur,  quelque 
bien  écrite,  qu'elle  puiflè  être.  Une 
de  fes  principales  produétionsi  font  les 
Dits^  les  Faits  d  Alphonfe  Roid^Arra- 
gon ,  Ouvrage  qui  lui  valut  mille  Du-^ 
cats  d'or  *=.  tÎLneas  Sylvius  Evéque 
de  Sienne  &  cnfuitePape  fous  le  nom  de 
Pie  II.  fit  des  Commentaires  ou  plutôt 
des  Remarques  6c  des  Réflexions  fur  ces 
bons  mots  d' Alphonfe  ,  recueillis  par 
Antoine  dePalerme.  Il  lesmetaudeiTus 
de  ceux  des  Anciens. 

Ces  Reflexions  d'iEncas  Sylvius  mar- 
quent en  lui  deux  exccllens  cara6beres, 
celui  d'un  bon  Citoyen  &  d'un  bon  E- 
vêque ,  &  celui  d'un  homme  animé 
d'un  grand  zcle  pour  le  Chrillianifme. 
Comme  il  ctoit  tout  enfemble  &  Ci- 
toyen 

*  Tout  ceci  eft  tiré  de  la  Bibliothèque  Sid- 
lienned'AntoniusMongitor,  Dodteur  en  Théo- 
logie à  Palerme, 


270     "PoGGiAysA.  Pari.  IF. 
'^ïn.Sylv. toyen  8c  Evêque  de  Sienne,  la  plupart 
Corn-      de  (es  Reflexions  roulent  fur  le  falut  & 
?}P"'^-à"   la  délivrance  de  i^à  Patrie  &de  fon  Eeli- 
Fadt.  Al-  ïC  ^lors  opprimée  par  la  Ligue  qu  Al- 
fonfi.p.8.  phonfe  avoit  faite  avec  le  Duc  de  Mi- 
lan contre  Venife  6c  Florence.  Le  Roi 
jiîphonfe^  difoit-il,  inar chant  à  U  tête 
de  fon  armée  contre  Us  Vénitiens  i3  Us 
■  Florentins ,  rencontra  Us  Ânibéiffadeurs  dé 
ces  deux  Républiques  ,    qui  venoient  an 
devant  de  lui  pour  lui  demander  la  paix , 
t^  il  la  leur  donna.     Ne  la  donnera-t^ 
il  point  aux  Sienois  ,   qui  fe  font  décla* 
rex  vaincus ,  ^  qui  ont  imploré  fa  clé- 
mence avant  même  qu'il  eut  pris  les  ar- 
mes ?  Cet  aUe  de  clémence  lui  acquerroit 
d'autant  plus  de  gloire  ,   que  comme  Us 
Vénitiens  ^  Us  Florentins  font  beaucoup 
plus  puiffans  que  les  Sienois ,  on  pourroit 
croire  que  U  Roi  n'a  donné  la  paix  aux 
premiers^  que  dans  la  crainte  de  ne  pou- 
voir  les  vaincre.   Au  lieu  que  s'il  la  don- 
ne  aux  Sienois  on  ne  pourra  l'attribuer 
qu^à  fa  généroftté.  C'cll:  ainfi  qu'iï;,neas 
Sylvius  ne  perd  aucune  occafion  de  mar- 
quer dans  ce  petit  Ouvrage  fon  amour 
pour  fon  Eglife  &  pour  fa  Patrie  ,   5c 
•    c*efî:  même  par  là  qu'il  commence  Ces 
Remarques  fur  la  pièce  de  fon  ami. 

La 


Recueil  DE  BONS  MOTS,   lyt^ 
La  guerre  dont  on  vient  de  parler 
mcttoit  en  feu  toute  l'Italie ,  6c  empê- 
choit  le  Pape ,  le  Roi  de  Naples  6c  les 
autres  Puifîlmces  voifines  d'aller  fecou- 
rir  les  Chrétiens  contre  les  Turcs.  C'ell 
le  fécond  objet  d'JEneasSylviusdansies 
Remarques.  Entre  autres  aéfcionsdegé- 
nérolîté  d'Alphonfe ,   Antoine  de  Pa- 
lerme  racontoit  qu'un  jour  ce  Monar- 
que s'expofa  au  danger  de  périr  pour 
fauvcr  une  Qalereoù  il  n'y  av oit  pas  plus 
de  deux  cens  perfonnes.  ^e  ne  fera-t-il 
point  ^dit-\z  defllis  ^neas  Sylvius , />o^^r 
fauver  la  najjelk  de  J.  C.  prête  à  périr 
par  la  fureur  des  Turcs?  Pour  exculer 
Alphonfè  de  ce  qu'en  faveur  de  Philip- 
pe Duc  de  Milan  il  avoit  entrepris  la 
guerre  contre  les  Vénitiens ,  Antoine 
de  Palerme  difoit ,  que  ce  Monarque 
avoit  de  grandes  obligations  *  au  Duc. 
Il  en  a  bien  plus  à  J.  C,  dit  là-delîus 
JEnc'às  Sylvius ,  ^ue  n'entreprend-il  donc 
Ja  guerre  contre  les  Turcs  ennemis  du  nom 
Chrétien  ?  En  eifet  Alphonfè  donna  la 

paix 

*  Le  Duc  ayant  pris  Alphonfè  prifonnier  dans 
une  guerre,  lui  rendit  genereulement  la  liberté, 
fans  exigeraucune  rançon. ,<<»»»> jm^. Differt. PoUf, 
in  Tacit.  L.  V.  Diic.  7. 


zjz     VoGGiAVi A.  Part.  jy. 

paix  à  l'Italie,  marcha  contre  Mahomet 
a  la  tête  d'une  grofle  armée ,  &  en  re- 
vint triomphant.  Cet  échantillon  nous 
infpire  l'envie  de  faire  part  au  Public  de 
quelques  traits  &  de  quelques  bons  mots, 
qui  fe  trouvent  dans  cette  pièce  du  Pré- 
lat de  Sienne. 


»wWiin6nr 


BONS 


^7^ 

•t^  f^  vS  y«S  vS -^ -T<S  V^S  V^ -/S -/^ -f<S  ■ -/*> -^ -^  t'^ 

w-^  w  •  %\*  %r  iv-*  w  w^  w  w  w  w  %*i»*  W  W" 

BONS  MOTS 

D'iENEAS   SYLVIUS. 

L 

SI  les  Gots  8c  les  Lombards  avoient  >J^n.Syl?J 
eu  des  Alphonfes  pour  Rois,  nous  au-  mem'in 
rions  Tite  Live  tout  entier,  &  onn'au-  Di(fi.& 
roit  point  à  regreter  la  perte  d'aucun  Fad.  AI» 

ancien  Auteur,  P^°"^^    , 

Reg.  p.  si 

IL 

Alphonfe  approuvoit  fort  ce  mot^ 
qu'il  avoit  lu  dans  la  Préface  d'une  Ver- 
iion  Françoife  des  Livres  de  S.  Augulr 
tin  de  la  Cité  de  Dieu,  ^u'un  Roi  fans 
heures  eji  un  âne  couronné.  Ce  mot  eft 
bon  pour  encourager  les  Princes  à  étu- 
dier, mais  il  eft  fort  outré.  Un  Roi 
peut  avoir  des  qualitez  héroïques  Sc 
régner  dignement  fans  favoir  ni  A 
iiiB. 

tom,  IL  È  lit 


Z74    PoGGiANA.  Part.  IJ^. 

III. 

îbid  D  <       Il  faut  que  les  Harpies  foient  en  grand 
'  nombre,  car  je  n'ai  jamais  vu  de  Cour 

cil  il  n'y  eût  ûe  ces  oifeaux-là. 
IV. 
I».,,         Il  faut  qu'un  Roi  furmonte  coura- 
"'     geufement  tous  les  obftacles  dans  une 
cntreprife  julte ,    mais  quand  elle  ne 
l'eft  pas,  il  y  a  plus  de  grandeur  à  s'en 
dédire  qu'à  y   perfîller.     Alors   il  eft 
plus    glorieux    d'être  vaincu  qus  de 
vaincre. 

y-  V 

^  m  j^neas  Sylvius  étoit  à  table  à  Vien- 

'  '  ne  chez  Julien  Cardinal  de  St.  Ange 
qui  préfida  au  Concile  de  Bafle.  Com- 
me on  s'entretenoit  de  ce  Concile  ilfur- 
vint  tout  à  coup  un  petit  tremblement 
de  terre.  L'Anibaffadeur  de  Cologne 
qui  étoit  des  conviez  avoit  déjà  quitté 
la  table,  &  entrainoit  tous  les  autres, 
lorfque  le  Cardinal  Julien  leur  dit  d'un 
grand  fang  froid  :  O  mes  amis ,  pre- 
Tiez  courage ,  nous  parlions  tout  à  T heu- 
re du  Concile  de  Bafle.  H  a  fait  trem- 
bler toute  la  terre  ,  mais  il  ne  Va  pas 
renverfée. 

VI. 
^  .^'         Il  y  avoit  à  Cologne  un  Peintre  fort 
^•'^-  ^  habi- 


Recueildebons  mots.  Ijf 
îiabile,  mais  parefîeux  &  yvrogne.  Il 
avoit  engagé  au  cabaret  plulîeurs  ima* 
ges  de  notre  Seigneur.  Comme  on  lui 
demandoit  pourquoi  il  ne  les  vendoit 
|5as.  C'eft,  dit-il,  que  j'aime  mieux 
être  Chrétien  que  Juif. 
VII. 

François  Philelphe  envoya  des  Saty- 
res de  fa  l-açonauRoiAlphon{è,^neas 
Sylviusdifoit  là-defTus  ;  „  Apparemment 
^5  Philelphe  a  lu  ce  que  les  Anciens  ont 
),  écrit  du  Poète  Grec  Oppicn,  qui  ayant 
55  envoyé  à  Antonin  le  pieux  Ton  Poème  Voffius 
5,  lur  la  nature  des  pafîions ,  reçut  upe  prétend 
5,  pièce  d'or  pour  chaque  vers.  Amonln 

VIII.  Caracalla. 

Marian  Socin^  célèbre  Jurifconfulte   C'étoit 
du  quinzième  fîècle,  négligea  beaucoup     g^*"'!" 
fès   études  depuis   qu'il  fe  fut'  marie,  rnéréfiar- 
Comme  on  lui  alleguoit  l'exemple  de  queFauf- 
Socrate ,  qui  depuis  fon  mariage  n'avoit  t^  Socin* 
J)as  moins  étudié  qu'auparavant.  Je  n'en 
fuis  pas  furpris ,  dit-il,  Xantippe  étoit 
laide  ôc  méchante ,  ma  femme  eft  bon- 
ne &  d'une  â:rande  beauté. 
^      IX. 

s.  Bernardin  de  Sienne  dont  on  a 
parlé  ailleurs,  difoit  qu'il  n'étoit  per- 
dis de  prêter  à  intérêt ,   qu'à  ceux 
S  %  qui 


%jS    1?  oGGi  AS  A.  Part.  IF^ 

qui  n'avoient  pas  le  moyen  de  rendre  le 
capital. 

X. 

Quelques  Grands  de  Hongrie  étant 
entrez  un  jour  dans  le  Palais  de  Sigif- 
mond  leur  Roi  à  defTein  de  le  prendre 
prifonnier  ou  de  le  malTacrer,  ce  Prin- 
ce s'avança  vers  eux,  &  leur  dit,  „  Y 
„  a-t-il  quelcun  d'entre  vous  afTez  har- 
„  di ,  pour  mettre  la  main  fur  moi  ? 
„  Quel  mal  ai -je  fait  pour  mériter  la 
„  mort?  Mais  fi  tel  eft  votre  deflein, 
j,  qu'un  d'entre  vous  s'avance  &  fc  bat- 
3,  te  feul  à  feul  avec  moi ,  s'il  en  a  le 
„  courage  ".  Un  langage  fi  magnani- 
me les  fit  retirer  tous. 
XL 

L'Empereur  Frédéric  ayant  été  cou- 
ronné à  Rome,  alla  rendre  vifite  à  Al- 
phonfc  Roi  de  Naples.  Quand  il  fut 
de  retour  en  Allemagne, on  lui  deman- 
da ce  qu'il  avoit  vu  de  plus  mémora- 
ble dans  fon  Voyage.  J'ai  vu  y  dit-il  y 
jilphonfe  qui  eft  U  plus  grand  (^  le  plus 
prudent  des  Rois  qui  régnent  à  prefent. 
Comme  on  n'approuvoit  pas  qu'étant 
Empereur ,  il  eût  été  rendre  vifite  à 
un  Roi.  Il  eft  mai  y  dit-il,  que  r  auto- 
rité d'un  Empereur  eft  plus  grande  que 

6ei* 


Recueil  DE  BONSMOTs.  2,77 
celle  d'un  Roi ,  mais  Alphonfe  efi  plus 
grand  que  Frédéric. 

XII. 

On  apporta  un  jour  à  l'Empereur 
Sigifmond  quarante  mille  Ducats  d'or, 
qu'il  fit  mettre  dans  la  chambre  où  il 
devoit  coucher.  Etant  au  lit  il  révoit 
avec  tant  d'inquiétude  fur  l'emploi  qu'il 
feroit  de  cet  argent,  qu'il  ne  put  jamais 
attrapper  le  fommeil.  C'ell:  ce  qui  lui 
fit  prendre  la  reiblution  de  mander  ami- 
nuit  Tes  Miniflres  d'Etat  &  Tes  Généraux. 
Ils  vinrent  fort  allarmez  d'un  ordre  fi  ex- 
traordinaire. Dés  qu'ils  furent  entrez 
dans  la  chambre,  l'Empereur  ouvrit  fon 
coffre  &  leurdilîribua  cet  argent.  Vous 
n'avez,  leur  dit- il  enfuite ,  qu'à  vous 
retirer  j  je  m'en  vais  dormir  tranquile- 
ment ,  puifque  ce  qui  m'avoit  6té  le 
fommeil  ell  forti  avec  vous. 
XI  II. 

L'Empereur  Frédéric  III.  n'avoit 
jamais  goûté  de  vin  non  plus  qu'Eleo- 
nor  fon  Epoufe.  Les  Médecins  ayant 
confeillé  à  cette  Impératrice  d'en  ufer 
pour  avoir  lignée, Frédéric  dit  qu'il  ai- 
moit  mieux  que  fa  femme  fût  llerile, 
que  fujette  au  vin.  Quand  on  le  rap- 
porta à  Eleonor  j  Quoique  j'aime  mon 
S  3  Epoux 


âjS     PoGGiANA.  Part,  IF, 
Epoux  à  l'égal  de  la  vie,  dit-elle,  6c 
que  je  lui  obeïfTe  toujours  avec  plailîr, 
j'aiinerois  mieux  mourir  qu'obcir,  s'il 
me  commandoit  de  boire  du  vin. 
XIV. 
Il  y  a  dans  la  vie  de  cet  Empereur 
des  traits  de  clémence  &  de  generofité 
fort  remarquables.  Après  la  mort  d'Al- 
bert Roi  des  Romains ,   les  Ele6teurs 
s'afTemblerent  à  Francfort  pour   éli- 
re un   Empereur.     Un   certain  Jean 
de  Gers  Weftphalien  ,    qui   avoit  été 
Protonotaire  de  Sigifmond,  y  alla  pour 
s'oppofer  à  l'éleélion  de  Frédéric ,  con- 
tre qui  il  inventoit  mille   calomnies. 
Frédéric  fut  néanmoins  élu.  Mais  com- 
me il  alloit  à  Rome  pour  y  recevoir  la 
Couronne  Impériale ,  Gers  écrivit  à  Ni- 
colas V.   pour  empêcher  ce  Pape  de 
couronner  l'Empereur.     Ce  Prince  fut 
tout  cela ,  mais  au  lieu  de  s'en  vanger , 
il  laifTa  Gers  jouir  paifiblement  de  fcs 
biens  à  Vienne ,  fans  lui  témoigner  ja- 
mais le  moindre  reffentiment. 
XV. 
Le  même  Prince  étant  allé  à  Aix  la 
Chapelle  pour  fe  faire  couronner  ,  Al- 
bert Ton  frère  fe  ligua  contre  lui  avec 
les  Comtes  de  Cillei.  Ils  lui  enlevèrent 


Recueil  DE  BONS  MOTS,  zjp 

h  Carniole ,  les  Villes  de  Lauhach ,  de 
Kreinsbourg ,  de  Triefte ,  6c  fouleverent 
la  Carïnthie  6c  la  Stirie.  Comme  fes 
amis  lui  confeilloient  de  différer  le  def- 
fein  de  fon  Couronnement  pour  aller  dé- 
fendre fon  patrimoine,  lui  difant  que 
l'Empire  étoit  l'affaire  du  public,  que 
la  défenfc  de  fon  pais  étoit  la  fîenne  pro- 
pre ,  il  répondit ,  qu'il  vouloit  faire  les 
affaires  du  public  par  lui-même  6c  les 
fîenncs  par  procureur  ;  il  fe  contenta 
d'envoyer  des  troupes  6c  des  Généraux 
contre  fes  ennemis ,  6c  continua  fa  rou- 
te. Après  fon  couronnement  il  trouva 
que  fon  frère  6c  les  Comtes  avoient  été 
battus.  Il  fit  venir  fon  frère,  lui  par- 
donna, 6c  le  rétablit  dans  (ts  Etats ,  con- 
tent de  lui  avoir  reproché  fon  infidélité. 
XVI. 
Les  anciens  Comtes  de  Wirtemberg 
étoient  déjà  puifîàns  6c  redoutables 
dans  le  quatorzième  lîècle,  quoiqu'ils 
n'euffent  pas  encore  la  qualité  de  Prin- 
ces. ^Eneas  Sylvius  les  taxe  de  rébel- 
lion contre  l'Eglife  6c  contre  l'Empire, 
Un  Gentilhomme  qui  avoit  été  fort 
avant  dans  leurs  intérêts  quitta  leur  par- 
ti ôc  s'étant  retiré  à  la  Cour  de  l'Em- 
pereur Henri  feptième,  il  ne  celToit  de 
S  4  me- 


|,8o    PoGGtANA.  Part.  IV. 

médire  d'eux  comme  de  brigands  &  de 
rebelles  a  l'Empire  &  à  l'Egliiè.  Taifez- 
hjoîis ,  fourbe ,  dit  l'Empereur,  on  ne 
vous  croiroit  pas.y  fi  "vous  les  louie7.  ^par" 
ce  qu'on  les  connaît  bien  ,  mais  on  ne 
vous  croit  pas  non  plus ,  quand  vous  les 
blâmez^  après  avoir  été  fi  fort  de  leurs 
amis. 

XVII. 

On  lui  rapporta  un  jour,  que  qucl- 
cun  avoir  médit  de  lui?  „  Ne  favez- 
35  vous  pas,  répondit-il,  qu'il  ell:  d'un 
5,  Prince  comme  d'un  blanc  toujours 
3,  en  bute  à  des  flèches  ?  La  foudre 
5,  tombe  fur  les  édifices  élevez ,  ôc  pafle 
5,  les  petits.  Nous  fomraes  encoretrop 
5,  heureux  quand  on  ne  nous  attaque 
J5  que  par  des  paroles. 
XVIII. 

Alphonie,  difoit  ^neas  Sylvius,cft 
non  feulement  favant  lui-mçme,  mais 
îl  aime  les  Savans.  Chofe  rare  dans  no- 
tre fîècle,  où.  la  plupart  des  Rois  ref- 
femblent  aux  Norciens  * ,  qui  ne  veu- 
lent point  recevoir  de  gens  de  Lettre? 
dans  leur  Confcii, 

XIX. 

■*  }i?orck ,  Efpece  de  petite  République  fur  Içi 
Serres  du  Pape  dans  ie,.guch4  de  Spolete.     ■    ''  ' 


Recueil  DE  BONS  MOTS.   i8ï 
XIX. 

Le  Roi  Aiphonfe  ayant  trouvé  une  p.  u; 
Médaille  de  Néron ,  oii  il  s'attribuoit   ' 
la  gloire  qu'on  a  donnée  à  Augulle  d'a- 
voir fermé  le  Temple  de  Janus,  c'eft- 
à-dire,  donné  la  paix  à  l'Univers ,  trai-  I 

toit  Néron  de  fou,  de  fe  repaître  d'une  3 

gloire  qu'il  n'avoit  point  acquife.     v^-  '■'■> 

tieas  Sylvius  concluoit  de  là  que  ce  fe-  - 

roit  mal  faire  fa  cour  à  Aiphonfe,  que  ^ 

de  lui  donner  de  faufles  louanges.    La  l 

confequence  n'eft  pas  toujours  jufte.  jj 

Il  n'y  a  fouvent  point  de  gens  qui  la- 
vourent  mieux  la  flaterie  que  ceux  qui 
déclament  le  plus  contre  elle.  Au  moins 
cft-ce  un  aveu  que  l'Empereur  Sigif- 
mond  faifoit  de  lui-même.  Cependant 
l'Hiiloire  dit  que  ce  même  Empereur  l 

donna  un  jour  de  bons  foufflets  à  quel-  ^ 

cun  qui  le  loiioit  excelîivement.  Pourr  ■•, 

^uoi  me  battez-'VQus?  lui  dit  le  flateurj  3 

Pourquoi  me  mordez-vous  ?  répliqua  Si-  f, 

gifmond.  ^ 

X  X. 

Tout  le  monde  fait  le  Proverbe  Ita-  p.  i6j  'K 

lien  ,    T'îi  ^ri'aduU ,    ma  tu  mi  piace  ^  ;' 

5,  Vous  me  flattez ,  mais  vous  me  faites  V? 

5,  plailîr  ".     Mais  tout  le  monde  ne  -^i 

(ait  pas  que  c'étoit  le  proverbe  favori  ^ 


282     "PoGGiAN A'  Part.  IF. 
de  Jean  XXII J.     Je  n'ignore  pas ,  di* 
foit-il  5  que  tout  le  bien  qu'on  dit  de  moi 
ejî  faux  5  mais  je  F  écoute  ai-ec  plaifir. 

XXL 
|>j.3ef.  iîlneas  Sylvius ,  qui  fut  depuis  Pape 
fous  le  nom  de  Pie  II.  fut  fait  Secré- 
taire de  l'Empereur  Frédéric  III.  par 
la  faveur  de  TEvêque  de  Chiemzée  *. 
Cet  Empereur  donna  à  l'Evêque  quel- 
ques Lettres  d'^neas  Sylvius  à  exami- 
ner. Le  Prélat  les  barbouilla  en  quel- 
ques endroits, fans  y  rien  corriger,  que 
par  ci  par  là  &  même  quelquefois  mal 
à  propos,  ^neas  Sylvius  en  ayant  fait 
des  reproches  à  l'Evêque  5  Je  n'en  ai 
ufé  ainfi  ,  dit  ce  dernier  ,  qu'afin  que 
vous  'vij/îez  que  fai  lu  'vos  Lettres ,  ^ 
de  peur  que  'vous  ti'entrajfiez  en  défiance  de 
votre  Ouvrage ,  comme  vous  auriez  pu 
faire ^fi  je  n^y  avois  rienremarqué .  C'ell 
ainfi  qu'yEneas  Sylvius  dit  à  Antoine 
de  Palerme ,  qu'il  en  avoit  ufé  à  l'égard 
de  fon  Ouvrage  fur  les  faits  &  les  dits 
d'Alphonfe. 

XXIL 
Il  n'y  a  point  d'homme  au  monde, 
qui  ne  foit  hypocrite  en  quelque  chofe. 

Lç 
♦  yille  Epifcopale  du  Cçrde  de  B^viçrf, 


ÏIeGUEIL  DE  BONS  MOTS.    285 

ÎL,e  Comte  Gafpard  de  Schiick ,  qui  a-î 
voit  été  Chancelier  de  trois  Empereurs, 
difoit  à  Frédéric  III.  qu'il  vouloit  fe 
retirer  du  monde ,  parce  qu'il  étoit  rem- 
pli d'hypocrites  &  de  fourbes.  Il  fau- 
dra donc  5  lui  dit  cet  Empereur  ,  que 
vous  vous  retiriez  aux  'Terres  Auflrales 
inconnues 'f  encore  y  aura-t-il  de  rhypo- 
çrifie^  quand  vous  y  ferez  ^  à  moins  que 
vous  ne  foyez  un  Dieu ,  ^  non  pas  un 
homme  *. 

XXIII. 
Alphonfe  Roi  de  Naples  &  de  Sicile, 
eut  un  jour  la  curioiité  d'aller  entendre 
le  Jeudi  faint,  un  Moine  Dominicain 
prêcher  fur  l'Euchariftie  "f.  Après  le 
Sermon,  le  Prédicateur  croyant  n'en 
avoir  pas  encore  aflez  dit^propofâ  plu- 
fîeurs  queltions  fort  vaines  &  fort  iub- 
tiles  fur  ce  Sacrement.  Le  Roi  lui  en 
fit  une  à  fon  tour.  Mon  Père  y  lui  dit- 
il  5  ces  jours  paffez  quelcun  ouvrit  un 
vafe  d'un  or  très-pur  (^  qui  étoit  bien 
fermé.  On  avoit  mis  une  hojlie  dans  ce 
vafe  y  13  il  n'y  trouva  rien  qu'un  ver. 

Le 

*  TJltrh  Saursmatas  Szc  Juven.  Sat.  II.  t. 
j  On  ne  dit  pas  où.  Le  Moine  ctoit  Siciliea 
^  s'appelloit  Antoine  Antonin. 


2,84     VoGGiAT<iA.  Part.  IF. 

Le  ver  ne  pouvoit  s'être  engendré  de  VoTy 
qui  ,  comme  je  l'ai  dit  ,  étoit  très-fin , 
^  le  vafe  d'ailleurs  étoit  fermé  de  tous 
cotez.  Il  ne  pouvoit  pas  non  plus  naître 
des  accidens ,  puis  qu'ils  étoient  là  fans 
fujet.  Il  falloit  donc  que  le  ver  eût  été 
produit  du  corps  de  Jefus-Chrifi.  Mais 
de  la  fub fiance  de  Dieu ,  il  ne  peut  rien 
fe  produire  que  Dieu.  Donc  un  ver  efi 
Dieu.  Répondez  à  cela.  Le  Moine  n'eut 
rien  à  répliquer.  Mais  k  compagnie  en 
conclut  que  le  Roi  avoit  fort  bien  fait 
de  vil'iter  l'école  àcs  Dominicains ,  pour 
y  reprimer  les  fubtilitez  de  la  Scholafti- 
quc,  qui  ne  fert  le  plus  fouvent  qu'à 
profaner  la  Religion,  à  l'expofer  aux 
railleries  des  libertins,  &  dont  les  con- 
fequences  font  quelquefois  non  feule- 
ment des  extravagances,  mais  des  im- 
pietez  ôc  des  blafphemes. 
XXIV. 
Tout  le  monde  fait  quel  étoit  le 
caraétère  de  l'Empereur  Wencellas 
Roi  de  Bohême.  Un  de  (es  grands  vi- 
ces étoit  l'yvrognerie.  Si  jamais^  di- 
foit-il ,  /'/  m' arrive  de  piller  les  villes 
d' Italie .^  fen  donnerai  tout  le  butinâmes 
Soldats^  y  ne  me  referverai  que  le  vin^ 
ptais  fi  quelctm  entre  dans  ma  cave  fam 

mon 


Recueil  DE  BONS  MOTS.   tSf 

Pion  ordre ,  je  lui  ferai  couper  la  tête. 
On  n'ignore  pas  non  plus  que  cet  Em- 
pereur tilt  dépofé  par  les  Eleétcurs,  6c 
c'eft  même  une  grande  quellion  en  Po- 
litique, fî  ce  fut  légitimement.  Quoi- 
qu'il en  foit ,  Robert  de  Bavière  *  ayant 
été  mis  en  fa  place,  toute  l'Allemagne 
le  reconnut  hormis  ceux  de  Nurem- 
berg. Combattus  qu'ils  étoient  entre 
la  crainte  de  violer  leur  ferment ,  & 
celle  Je  s'attirer  à  dos  le  nouvel  Empe- 
reur ,  ils  envoyèrent  à  Wencellas  le 
prier  de  les  dégager  de  leur  ferment  de 
fidélité,  lui  offi'ant  pour  cela  vingt  mille 
Ducats.  Je  'vous  en  dégage ^dït-ïi,  pour- 
'VU  que  'VOUS  m'envoyiez  quatre  charioti 
de  'vin  de  Baccara. 

XXV. 
C'efl:  une  grande  honte  aux  Prêtres 
d'Italie,  difoit  iEneas  Sylvius,  de  n'a- 
voir jamais  lu  une  feule  fois ,  le  Nou- 
veau Teftament.  Parmi  les  Thabori- 
tes ,  il  n'y  a  pas  une  femme  qui  ne  puis- 
fe  rendre  raifon  du  Vieux  ôc  du  Nou» 
veau.  Il  leur  rend  encore  ce  témoigna- 
ge 

•  Jofle  Duc  de  Moravie  fucccda  àWenceflas, 
mais  il  ne  vécut  que  fix  mois,  depuis  fon  élec» 
iàoB. 


i,26     VoGGiA^A.  Part.  IV. 

ge  qu'ails  avoient  exterminé  à  Prague 
tous  les  cabarets  &  les  lieux  de  débauche; 
XXVL 
p.  xzî  yean  Cor'vin  Hunniade   Cornte  de 

Bijîriks^  Gouverneur  du  Royaume  de 
Hongrie,  Général  des  Armées  de  La- 
dillas ,  fut  un  des  grands  Capitaines  du 
quinzième  (lècle,  la  terreur  &  le  fléau 
des  Turcs,  l'appui  des  Chrétiens.  Il 
n'étoit  pas  de  naiflance.  Un  jour  Ulr'ic 
Comte  de  Cilîei  lui  envoya  dire,  qu'il 
auroit  bien  voulu  avoir  une  conférence 
avec  lui.  Je  le  'veux  bien  ^  dit  Hunnia- 
de ,  pouyjâ  que  'vous  "veniez  dans  mon 
camp.  „  Je  n'en  ferai  rien,  dit  Cilleiy 
5,  je  fuis  Prince,  né  de  Prince,  &  vous 
5,  n'êtes  qu'un  homme  nouveau, anno- 
5,  bli  de  nos  jours  ".  Ce  n'eft  pas  à  vos 
ancêtres^  répliqua  Hunniade,  que  je  me 
compare  5  Ceji  à  vous.  Vous  n'avez  vo- 
tre nohlcjje  que  par  le  fang^je  Pai  acqui- 
fe  en  combattant  pour  la  Religion  Chré- 
tienne .^  13  je  prépare  à  ma  pojierité  plus 
de  gloire ,  que  vos  ancêtres  ne  vous  en  ont 
pu  donner.  La  race  des  Comtes  de  Cillei 
va  finir  en  vous ,  fans  que  vous  Vayez  il- 
lujlrée  par  aucune  belle  action  ^  £5?  celle 
des  Comtes  de  Bijiriks  commence  glorieu" 
Cernent  en  moi. 

XXVIL 


Recueil  DE  BONS  MOTS.   2S7 

XXVII. 

Théodoric  Archevêque  de  Cologne, 
étoit  un  des  grands  Prélats  de  fon  tems. 
Un  jour  l'Empereur  Sigifmond  lui  de- 
manda ,   par  quel  moyen  on  pouvoit 
être  heureux.     Il  ne  faut  pas  Vefperer 
dans  ce  monde ,  dit  le  Prélat.  Mais ,  con* 
tinua  l'Empereur,  quel  chemin  èut-il 
prendre  pour  arriver  au  bonheur  celeile  ? 
Il  faut  marcher  droit ,  répliqua  Théodo- 
ric.    Qu'entendez  -  vous  par  marcher 
droit  ?  demanda  Sigifmond.  Il  faut  tou- 
jours vivre  comme  vous  promettez  de  fai- 
re ,  quand  vous  avez  la  goûte  ou  la  gm- 
velle^  ou  ([uelque  grande  maladie. 
XXVIII. 
Amédée  Duc  de  Savoye  élu  Pape  au 
Concile  de  Bafle  fous  le  nom  de  Félix 
V.  offrit  en  mariage  à  l'Empereur  Fré- 
déric fa  fille,  qui  étoit  jeune  &  belle 
avec  deux  cens  mille  Ducats  de  dot. 
Frédéric  eut  horreur  de  cette  propofî- 
tion.  Les  autres ,  dit-il ,  vendent  le  Pon- 
tificat^ celui-ci  le  veut  acheter. 
XXIX. 
Un  jour  que  les  Courtilâns  de  Sigif-      ^^, 
îïiond  fe  plaignoient  de  la  médifance 
des  Allemands ,  qui  ofoient  mal  parler 
de  leur  Prince  i  Eft-il  furprenant  ^  dit- 
il 


i§8     IP o G GïA-iJ  A.  Part.  IF. 

À  en  fouriant ,  qu'ils  parlent  maî^  puis 
que  nous  faifons  mal  ? 

Un  Religieux  prêchant  devant  l'Em- 
pereur Albert ,  ce  Prince  s'endormit. 
Le  Prédicateur  demanda  là-deiïus  au 
peuple,  s'il  croyoit  qu'il  y  auroit  des 
Princes  fauvez.  Après  avoir  rendu  la 
chofe  fort  difficile  ôc  fort  douteufe> 
p.  3t.  Fous  vous  trompez^  dit  l'Empereur, <?» 
peut  efperer  k  falut  des  Princes  qui  meu- 
rent au  berceau  après  avoir  été  baptifez. 
^XXXI.  ^ 

Ibid.  Zifca,  Général  des  Huffites,âvoit  per- 
du un  œil  dans  (on  enfance  en  jouant 
avec  fes  camarades  5  il  perdit  l'autre  au 
fîége  de  quelque  place.  Tout  aveugle 
qu'il  étoit  il  battit  diverfes  fois  les  Bo- 
hémiens &  les  Allemands.  Etant  au  lit 
de  la  mort  on  lui  demanda ,  ce  qu'il 
vouloit  qu'on  fit  de  fon  corps  après  fa 
mort.  „  Jettez-Ie,  dit- il ^  aux  bêtes 
5,  fâuvagcs ,  après  en  avoir  pté  la  peau 
5,  dont  vous  ferez  un  tambour  pour 
5,  vous  en  fervir  à  la  guerre.  Les  en- 
^,  ncmis  n'ont  pu  foutenir  ma  vuëpcn- 
5,  dant  que  j'ai  vécu  ,  ils  ne  foutien- 
„  dront  pas  non  plus  le  fon  de  ce  tam- 


„  bour. 


XXXIl 


Recueil  DE  BONS  MOTS,  i^p  I 

XXXIL 

:    Frédéric ,  Comte  de  Cillei ,  étoit  un     p.  si  ï 

homme  perdu  de  débauches.     Il  tua  ia  ■ 

femme  pour  s'abandonner  tout  à  fbn  \ 

aife  à  des  concubines.     A  l'âge  de  qua-  l 

tre-vingt-dix  ans ,   un  de  fes  amis  lui 

ayant  dit ,  qu'il  étoir  tems  de  penfer  à 

la  mort,  c'eil  ce  que  je  fais  aétuelle- 

ment ,  répondit  il ,   car  j'ai  ordonné 

qu'on  mît  cette  infcription  fur  mon 

tombeau  :  C'efi  ici  pour  moi  la  porte  des 

Enfers.  Ce  que/y  trouverai^  je  n'enfai 

rien.  J'ai  eu  de  grands  biens  j  dont  je  m 

remporte  rien^  non  plus  que  de  ce  ^uej^ai 

hu  (^  mangé ^  ^  de  ce  qu'une  'volupté  in- 

fatiable  a  englouti.     Voilà,  lui  dit  fon 

ami,  l'épitaphe  d'un  Sardanapale,  plus 

digne ,  au  jugement  d'Ariftote ,  d'être 

écrite  fur  le  fepulchre  d'un  bœuf,  que 

fur  celui  d'Un  homme. 

XXXIIt 

Dante  étoit  un  homme  fort  appliqué  p.  it\  \ 
à  ce  qu'il  méditoit,  &  à  ce  qu'il  lifoit. 
Un  jour  qu'il  étoit  allé  à  un  fpeétacle 
public ,  il  entra  dans  la  boutique  d'un 
Libraire,  d'oîi  on  pouvoit  tout  voir. 
Il  trouva  fous  fa  main,  un  Livre  de  fon 
goût, qu'il  devOTa  avec  un  fi  grand  ap- 
pétit ,   qu'à  fon  retour  il  jura  ,    qu'il 

^om,  IL  T  n'avoit 


>f 


ill 


n'avoit  rien  vu ,  ni  rien  entendu  de  ce 
qui  s'étoit  paffé  8c  de  ce  qui  s'étoit  dit 
fur  la  place.  Je  connois  un  homme , 
qui  étant  allé  à  l'Eglife  de  S.  Pierre  à 
Genève  pour  voir  l'éleétion  des  Sena- 
teurs ,  s'enfonça  11  profondement  dans  la 
leéture  des  Méditations  du  P.  Male- 
Ir anche ,  qu'il  ne  regarda  pas  l'éleûion , 
&  ne  put  au  fortir  de  là  dire ,  com- 
ïnent  elle  s'étoit  faite.  Je  doute  fort 
qu'il  foit  à  préfent  de  ce  goût-là. 
XXXIV. 
Ce  qu'on  appelle  le  Martyre  eft  une 
preuve  foit  équivoque  de  la  vérité  d'une 
Religion  y  S.  Auguflin  avoit  raifon  de 
dire,  que  ce  n'eit  pas  le  fupplice  qui 
fait  le  Martyre ,  mais  la  caufe.  Albert  5 
Duc  d'Autriche, perfecuca  cruellement 
les  Juifs  avant  que  d'être  Empereur.  Il 
avoit  même  donné  un  Edit  par  lequel 
il  ordonnoit  de  les  ftire  tous  mourir 
dans  fes  Etats ,  s'ils  n'embrafToient  le 
Ghriftianifme.  Plufieurs  fe  fàifoient 
baptifer  par  la  crainte  du  Tupplice.  Il  y 
en  eut  un  de  ceux-là^ que  Frédéric  III. 
qui  fut  depuis  Empereur  ,  prit  en  fî 
grande  amitié  qu'il  vivoit  avec  lui  com- 
me avec  un  frère.  Quelques  années  après  * 
îc  Proicly  te  gagné ,  à  ce  qu'on  prétend  j 


Recueil  DE  BONS  MOTs^  2pî 

par  argent ,  déçlaia  qu'il  vouloit  re^- 
prendre  fa  première  Religion.  Le  Prin- 
ce n'oublia  rieii.pour  l'en  détourner, 
cclaireilîèmens,  exhortations,  promef- 
ics,  menaces,  prières,  larmes,  il  mit 
tout  en  œuvre,  mais  inutilement.  En- 
iin  il  fut  obligé  avec  beaucoup  de  re- 
gret à  l'abandonner  à  fa  mauvaife  def- 
tinée.  Le  Juif  condamné  au  feu  fut  con- 
duit au  fupplicc  fans  être  enchaîné. 
Comme  il  l'avoit  demandé.  Dès  qu'il 
vit  le  bûcher,  il  fe  mit  à  chanter  un 
hymne  en  Hébreu,  le  jettâ  lui-même 
dans  les  flammes,  ôc  en  fut  confume 
fans  difcontinuer  de  chanter  les  loiian- 
gcsde  Dieu. 

XXXV. 

Quand  Zifca  pilloit  les  villages  j  iî 
ue  fc  refervoit  du  butin  quç  les  toiles 
d'araignée.  Ç'eft  ainfi  qu'il  appelloit 
les  jambons  &  les  faucifles  ^  qui  pen= 
doicnt  au  plancher  des  Pajfans. 
X3CXVL 

Albert  Duc  d'Autriche  eut  de  îon= 
gucs  guerres  avec  les  Bohémiens  avant 
que  d'être  Empereur.  tJn  jour  qu'on 
lui  demandoit  à  qui  il  vouloit  donner  le 
commandement  de  fon  Armée  :  $i  'vous 
"HOukz^  dit-il,  un  autre  Chef  que  moi ^ 
T  %  vous 


"v 


îpi     VoGGiA)^A.Part.  IF. 

vous  fi' avez  que  faire  de  nCappeîkr  Dus 
d'Autriche. 

XXXVII. 

Dans  le  combat  qui  décida  de  l'Au* 
triche  en  laveur  de  l'Empereur  Rodol- 
phe &  oii  fut  tué  Ottocarus  Roi  de 
Bohême  fon  concurrent ,  l'Armée  de 
l'Empereur  fouffroit  beaucoup  de  la 
fbif.  On  enleva  à  un  Païfan  un  vafc 
plein  de  bière,  qu'il  pôrtoit  aux  moif- 
fonncurs,  6c  on  le  prefenta  à  l'Empe- 
reur pour  fe  defalterer.  Rendez .^  dit-il, 
cette  cruche.^  ce  rî'eji pas  moi  qui  aifoify 
c'efi  mon  armée. 

XXXVIIL 

Frédéric  Duc  d'Autriche,  furnom- 
mé  le  Vieux,  oncle  de  l'Empereur  Fré- 
déric III.  prenoit  fouvent  plaifir  à  fc 
déguifér  en  Villageois,  6c  alloitfe louer 
aux  Païfans  pour  labourer,  moilTonner 
êc  travailler  comme  eux.  Là  il  s'entre- 
tenoit  avec  eux  fur  tout  ce  qui  le  pafToit 
à  fa  Cour,  fe  mettant  lui-même  fur  les 
tangs  fans  être  connu ,  il  entendoit  tout 
ce  qu*Gn  difoit  de  lui.  Quand  on  \ai 
demandoit  la  raifon  de  cette  condui- 
te. C^/?,  à\l-\\^quefanscelajemfau' 
rois  apprendre  aucune  veiiféfur  moncha-» 
•  pitre. 

XXXIX. 


Recueildebonsmots.   zpy 

XXXIX. 

Le  Roi  Alphonfe  étoic  un  Prince  p.  41.; 
fort  libéral  envers  les  Qens  de  Lettres , 
il  n'y  avoit  que  les  Allrologues  à  qui  il 
ne  faifoit  aucun  bien  j  il  ne  les  foufroic 
pas  même  à  fa  Cour,  \Jr\  jour  qu'on  lui 
en  demandoit  la  raifon,  quelqu'un  ré- 
pondit pour  lui  :  Comme  il  n'y  a  que  des 
fous  quife  mêlent  de  régler  les  Aflres^^ 
que  les  fages  font  au  deffpcs  de  leurs  influe nr 
ces^  c'efl  aux  Princes  qui  ne  font  pas  fa- 
ges à  honorer  les  Afîrologues^  13  non  h 
un  Prince  f âge  ^  comme  Alphonfe.  ■• 

X  L. 

Pierre  de  Montalcino  étoit  un  Aftro-.  ibid. 
logue  célèbre  au  commencement  du 
quinzième  fiècle.  Pendant  le  Concile 
de  Conftance  il  publia  une  l^ophetie, 
cil  il  prédifoit  que  Sigirmondferoit  cou- 
ronné à  Rome  cette  année-là ,  &  que 
Jean  XXIIL  fc  rctircroit  du  Concile 
avec  gloire.  Le  premier  de  ces  évene- 
mens  n'arriva  que  plufîeurs  années  après, 
&  le  fécond  fut  tout  oppofé  à  la  prédic- 
tion. Comme  on  le  reprochoit  à  l'Af- 
trologue,  Cefl^  dit-'û,quefavois  à  ju- 
ger de  deux  fous^  dont  je  défier  ois  Pto-i 


2.]P4       POGGI  ANA.  P^r/.  //^. 

îomée  *  lui-mêniç ,    de  rien  f  redire  d« 
lufie. 

Duché  en  Un  Duc  de  Troppau  àvôit  cpoufé  quel' 
Silefie  aux  q^g  Princefle  Lithuaniene.  Gomme  il 
[J^^Q^^.^  alloit  au  devant  d'elle ,  il  apperçut  à  fâ 
vie.  fuite  un  jeune  homme  bien  fait  &  vi- 

P' 44*  goureux,  couché  mollement  fur  lefdu« 
vet  dans  une  calèche  fufpendue.  Ne  fa- 
chant  fî  c'étoit  fon  frère  ou  quelcun  de 
fes  parens  5  il  voulut  s.'en  éclaircir. 
„  C'eft  5  lui  dif-on^  la  coutume  en 
35  Lithuanie,  que  les  femmes  de  qua- 
„  lité  tiennent  chez  elles ,  un  ou  plu- 
5,  fleurs  hommes,  pour  faire  les  fonc- 
„  tions  du  mari ,  en  cas  qu'il-  dçviennc 
3,  malade  ou  qu'il  foitabfent  ".  Le  pre- 
mier mouvement  du  Duc  fut  de  faire 
déchirer  le  jouvenceau  par  les  chiens, 
mais  il  (è  contenta  de  (e  renvoyer  chez 
Jui  au  plus  vite. 

XL  II. 
ïb|d.  Quelque  Gentilhomme  rodomont 
méprifoit  un  jour  lesMagiftrats  en  pré- 
lênce  de  Sigifmond,  &  témoignoit  ne 
fgire  cas  que  des  gens  de  guerre  :  îW- 
■•::■/.  ■  fez^ 

'  "^  fclàude  Ptolomée ,  Mathématicien  &  Mio^ 
ffi©î^c  cdebrc  dans  le  fecciKl  iiède,       '  ^'-  •'*, 


Recueil  de  bons  mots,   zpf 

feZ'Vous^  fanfaron ylui  dit  l'Empereur,  ^ 

Jî  ceux  qui  gouvernent  le  faifoient  jufîe' 
ment ,  nous  n'aurions  point  hefoin  de  gens 
de  guerre. 

XLIII. 

On  apporta  un  jour  à  Frideric  III.     ^bidL^ 
des  Lettres  que  Galpard  de  Schliek  (on 
Chancelier  écrivoit  en  Hongrie.  Com-  * 

me  on  lui  confeilloit  de  les  ouvrir, par- 
ce qu'on  foupçonnoit  qu'elles  contc- 
noient  quelque  projet  de  trahifon.  Je 
croi^  dit  l'Empereur,  que  Gafpard  eft 
honnête  homme ,  ^  qu'il  nCefi  affection" 
né.  Si  je  me  trompe ,  faime  mieux ,  que 
mon  erreur  fe  découvre  d'elle-même^  qua  .  f 

par  mes  foins  ^  ma  défiance. 
■  XL  IV. 

Vitolde  Duc  de  Lithuanie  préten-  «.45,45. 
doit  que  le  peuple  devoit  être  fujet  aux 
Loix,  mais  que  les  Loix  dévoient  être 
airujetties*  au  Prince.     C'ell  pour  cela 
qu'il  afFeftoit  de  fe  mettre  au  deflus  des  |! 

Loix  ÔC  des  coutumes  de  fon  païs.     Il  '•) 

ordonna  par  un  Edit  à  tous  les  Sujets,  ^ 

de  fe  faire  rafer,  contre  leur  ufage,  6c  ^ 

laiiîa  croître  fa  barbe,  pour  fe  diflin-  -^ 

guer  par  cette  prétendue  marque  de  ^■ 

Majeftc,  Le  projet  ne  réiifîit  pas.   Les  |^ 

Lithuaniens  proteflercnt ,   qu'ils  per-  j| 

T  4  droienï  % 

■      % 


2.p6     PoGGiAN  A.  Part.  IF^. 

droient  plutôt  leur  vie  que  leur  barbe. 
Le  Duc  fe  fît  donc  rafer,  êc  défendit 
â  tous  fes  Sujets  de  le  faire  fur  peine  de 
la  vie.  Lequel  eft  le  plus  bizarre,  du 
Prince  ou  des  Sujets?  C'eft  une  efpece 
de  Tyrannie  au  Prince  de  gêner  fes  Su- 
jets fans  neceffité  &  fans  fruit.  C'eft 
une  opiniâtreté  &  une  rébellion  aux  Su- 
jets, de  ne  pas  obéir  dans  une  chofe 
indifférente.  ' 

XLV.    ' 

fe.  4?.  Il  mourut  en  Autriche  à  l'âge  de  p  3 . 

ans  un  homme  qui  ayoit  toujours  vécu 
dans  les  plaifirs  Se  dans  le  vice ,  fans  que  fa 
fanté  ni  fa  fortune  euffent  jamais  fouffert 
la  moindre  atteinte.  Ceji  là ,  difoit  là- 
defTus  l'Empereur  Frideric  III.  une 
frewue  d'une  autre  vie.  Car  s'il  y  a  un 
Dieu  jufie  qui  gouverne  le  Monde ,  conp- 
me  la  Raifon  6?  l<^  Religion  nous  rap- 
prennent ,  il  faut  que  les  âmes  au  fortir 
du  corps  ^pajfent  dans  d'autres  lieux  pour 
recevoir  leur  peine  ou  leur  recompenfe  ^ 
puis  qu'en  ne  la  reçoit  pas  dans  ce  monde, 
XLVL 
Un  Bourgeois  de  Prague  prêta  un 

<jp.49.'  jour  cent  mille  Ducats  à  Charles  IV. 
qui  lui  en  fit  fon  billet.  Le  lendemain 
îc  Citoyen  invita  l'Empereur  à  dîner 
^      '\    '     ~        ^  ^    .  ayec 


ReCUEILDE  BONS  MOTS.     lOJ 

avec  un  bon  nombre  de  grands  Sei- 
gneurs. Quand  on  fut  au  deflert  le  Bo- 
hémien fe  fit  apporter  le  billet  de  l'Em- 
pereur dans  un  bafîin  d'or,  &  lui  dit, 
Sire  ^  les  autres  mets^  que  j'ai  prefente-z.^ 
ont  été  communs  à  toute  la  compagnie^ 
celui- ci  fera  pour  votre  Majefté  feule.  Je 
\'ous  donne  ce  que  je  vous  ai  prêté  ^  ^ 
je  vous  rends  votre  billet. 

XLVII. 

On  raconte  de  l'Empereur  Charles 
IV.  une  aftion  d'une  clémence  6c  d'une 
grandeur  d'ame  peu  commune.  On 
vint  un  jour  lui  donner  avis ,  qu'un 
certain  homme  gagné  par  une  fomme 
d'argent  que  lui  promettoient  quelque^ 
ennemis  de  ce  Prince,  avoir  refolu  de 
l'alTaffiner  ou  de  l'empoifonner.  Il  fit 
venir  cet  homme  chez  lui  ëc  ne  fe  ven- 
gea de  Ton  mauvais  defTein ,  qu'en  le 
comblant  de  bienfaits.  Il  méfait^  dit- 
il  ,  de  la  peine  que  vous  n'ayez  pas  le 
moyen  de  marier  votre  fille  qui^  déjà 
grande.  T^enez ,  voilà  mille  DucMs  pour 
fa  dot.  On  peut  juger  de  la  furpriîe  & 
de  la  confufion  de  ce  traître,  qui  s'en 
alla  fe  dédire  de  foia  criminel  engage- 
ment, 

-  Xf       xLvm, 


zpS     VoGGiAYf  A.  Part.  IF. 
XLVIII. 

Le  même  Empereur  aimoit  les  Let- 
tres &  les  Savans.  C'étoit  lui,  qui  en 
1 347.  avoit  fondé  l'Univerlité  de  Pra- 
gue. Il  alla  un  jour  entendre  foûtenir 
•quelques  Thefes ,  &  il  y  prit  tant  de  plai- 
iîr,  qu'il  y  demeura  quatre  heures  en- 
tières. Les  Courtifans  ennuyez  &  im- 
patients, l'avertilToient  qu'il  étoit  tems 
d'aller  dîner.  Cejl^  leur  dit-il,  ici  mon 
repas. 

XLIX. 
P:  ^7.  L'Empereur  Frideric  III.  difoit  que 
les  Princes  durs  &  cruels  dévoient  ex- 
trêmement craindre  la  mort ,  parce  qu'ils 
trouveroient  dans  l'autre  vie,  un  Juge 
auflî  impitoyable ,  qu'ils  l'avoient  été 
dans  celle-ci. 

L. 

Ibid.         Le  même  Empereur  difoit,  qu'il  lui 

étoit  impoffible  de  fe  plaire  avec  des 

fots  ou  des  fous,  &  qu'il  haïlToit  com^ 

me  la  mort  les  gens  fuperbes  &  glorieux. 

C'ell  W  moyen  de  fc  bien  ennuyer  dans 

^  le  Monde.  Il  ell  partagé  entre  la  fotife 

>•  ^^  ou*îa  folie ,  &  l'orgueil ,   &  fouvent 

ces  deux  caraftcres  y  font  réiinis.  Pour 

peu  qu'on  ait  d'efprit ,  de  favoir ,  de 

mérite  2c  de  (juel(juc  diUinftion  que 

^   '  "  '  '-         '*,,   .-  ce 


Recueil  dé  bons  mots.  29^ 
ce  (bit  5  c'eft  un  orgueil  ou  une  fatuité 
iniupportable.  Les  lots  fourmillent. 

Un  mérite  orgueilleux  c'eft  un  bel 
oeillet  qui  crevé. 

LI. 

St.  Bernard  Abbé  de  Clcrvailx  étoit^  p.  i^j 
un  Moine  d'une  grande  abilinence.  Un 
jour  qu'il  avoit  des  hôtes  chez  lui  fon 
jiofpitalité  lui  fit  pafler  les  bornes  de  fa 
tempérance  ordinaire.  Ses  Moines  lui 
en  firent  des  reproches.  Ce  n'efi  pas 
maij  dit-il,  c'eji  la  charité  qui  a  bu  ^ 
mtingé. 

LII. 

Sigifmond  Roi  de  Hongrie  &  de-  p.  y^; 
puis  Empereur  ,  avoit  été  arrêté  pri- 
fonnier  par  les  Grands  de  fon  Royau- 
me. Il  étoit  garde  par  deux  Gentils- 
hommes de  la  Maifon  de  Gara^  dont 
il  avoit  fait  mourir  le  père,  &  quj  é-^ 
toierit  proches  parens  du  Comte  de'Cil- 
lei.  Pour  obtenir  fa  liberté  il  promit 
cL'époufer  Barbe  fille  de  ce  Comte,  ôc 
il  tint  parole.     L'Hiftoire  nous  repré-  ,|_ 

fente  cette  Princefle ,  d'une  galante-  ' 

rie  qui  alloit  jufqu'à  la  proftitution. 
Lors  que  l'Empereur  fon  mari  fut  mort   p.  ip» 
pn  l'exhortoit  à  imiter  l'exemple  de -la 
ehafte  tourterelle.  Si  vous  'voulez ,  dit* 

elle, 


3;ÛO       VOGGI  AN  A.  Part.  IV. 

elle  5  me  propofer  des  bêtes  pour  mode' 
/ip,  propofez-moi  les  pigeons  (^  les  moi- 
neaux.. 

LUI. 

J'ai  lu  dans  un  vieux  Manufcrit, 
qu'au  Concile  de  Confiance  ,  l'Elec- 
teur de  Saxe  ordonna  à  fon  Confeiller 
de  lui  faire  une  lifte  exafte  de  toutes 
les  Courtifanncs  qui  étoient  alors  dans 
la  ville.  Il  le  fit,  autant  qu'il  put,  car 
il  yen  avoit  beaucoup.  Comme  l'Elec- 
teur fe  plaignoit  qu'elle  étoit  incom- 
plète. Si  vous  'voulez^  dit-il,  que  je  les 
y  mette  toutes ,  il  faut  donc  y  mettre  la. 
première.  \\  entendoit  par-là  l'Impéra- 
trice Barbe. 

L  I  V. 

iEncas  Sylvius  difoit  que  fi  quelcua 
devoit  être  content  des  faveurs  de  la 
fortune,  c'étoit  Alphonfe ,  puis  qu'il 
pofTedoit  les  Empires  de  trois  Divinitez. 
Dans  l'Efpagne  celui  de  Pluton^  dans 
la  Sicile  &  dans  les  Ifles  voifînes  celui, 
de  Neptune ,  &  dans  l'Italie  celui  de 
Jupiter  *. 

LV. 

•  ZAÙn  étoit  un  des  titres  de  J^ipiter,  I?«/'/«| 


Re^SÙEIL  bE  BONS  MOTS.    ^0% 
LV. 

Jaques  Archevêque  de  Trêves  étoit 
un  Prélat  d'un  grand  mérite,  mais  fort 
ambitieux  &  d'une  avidité  infatiablc. 
Etant  un  jour  auprès  de  Frideric  IIL 
il  failoit  demande  fur  demande  à  cet  \ 

Empereur.    Si  vous  ne  mettez  fin ,  dit'* 
il,  ^  vos  demandes^  je  trouverai  bieri'^ 
tôt  le  commencement  de  mes  refus, 
LVI. 

C'eft  un  grand  mot  de  Metellus.  AulugclJ 
j,  Les  Dieux  peuvent  beaucoup ,  dit-  ^'  ^*  ^.i^ 
5,  ;7,  mais  ils  ne  doivent  pas  nous  ai- 
,5  mer  plus,  que  ne  nous  aiment  nos 
j,  parens.  Or  nos  parens  nous  deshé- 
5,  ritent  à  la  fin ,  quand  nous  leur  des^- 
5,  obéïflbns  continuellement .  Qu'avons» 
3,  nous  donc  à  attendre  des  Dieux ,  fi 
5,  nous  perfevcrons  dans  notre  mauvais 
5,  train?  Il  n'eft  pas  jufte  que  les  Dieux 
5,  foient  favorables  à  des  gens  qui  font 
^,  ennemis  d'eux-mêmes.  ♦  Les  Dieux 
5,  aiment  la  vertu,  mais  ils  ne  la  don- 
;),  nent  pas  par  force. 

L  V  1 1. 

Fabrice  Général  Romain  n'étoit  pas  Aulug; 

riche.  L.I.C.  143 

.  ,.,.    ■        '  •  ? 

•  D«  immortalti  virtuttm  «ffrobare ,  non  ad^^  \ 

hihtrt  dehtnu  * 


pz  VoaGiANA.  Part ^  IF. 
riche.  Les  Samnites  qui  favoient  cela, 
hii  envoyèrent  des  préfens  confîdera- 
bies ,  pour  lui  témoigner  leur  recon- 
noiflance  de  ce  qu'il  leur  avoit  donné 
la  paix.  Il  ne  les  accepta  pas, mais  por- 
tant les  mains  aux  oreilles,  aux  yeux, 
au  nez,  à  la  bouche,  à  l'eftomach,  il 
dit  aux  Ambafîadeurs  des  Samnites, 
que  tant  qu'il  fauroit  commander  à  tout 
cela  5  //  n'aurait  befoin  de  quoi  que  ce  Coiî, 
^n,:,  LVIII. 

■?!(!.  L.;L   .  C'eft  un  bon  mot  d'Aulugdle.   U  ne 
t.»  I  S«      ^aut  pas  que  la  Langue  flotte  dans  la  bou-r 
ch^.    Il  faut  qu'elle  fi)it  tellement  encbaU 
née  avec  Vefprit^  qu'il  ne  lui  échappe  rien 
^ue  par  f on  erdre^ 

-     iO  /.*"<*J:  L  I  X. 

id.L.II...  G'étoit  une  grande  fotilc  à  Socrate 
C  1. 1  de  demeurer  comme  il  failbit  fouvent, 
au  rapport  d'Aulugelle ,  des  journées 
tutiéirs  debout  comme  un  piquet  dans 
la  même  pollure  fans  branler  &:fanscilr 
1er  Jes  yeux  ,  pour  s'accoutumer  à  la 
patience.  Il  cft  vrai  qu'ayant  une  aufîi 
méchante  femme  que  Xantippe,  il  cri 
avoit  grand  befoin. 

L  X.  .       ^    ^ 
ïd.L.II.    /Un  Proconful  Romain  étoit  allé  à 
^'  2"       Athènes  avec  fon  Père  qui  n'étoit  que 

par= 


Recueil  DE  BONS  MOTS.   90$ 
paiticulier,  pour  vidter  le  Philofophc 
Taurus.  Dès  qu'ils  furent  entrez, Tau- 
rus  préfenta  au  père  la  feule  chaile  qui 
étoit  dans  fa  chambre.     Le  père  la  re- 
fulà,  &  dit  qu'il  fàlloit  la  donner  à  foHi 
fils  parce  qu'il  étoit  Magillrat.  AJfeyez- 
*vous  toujours  fans  péjudice^  dit -il  au 
père,  en  attendant  que  nous  examinions ^ 
lequel  des  deux  doit  s''aJfeoir  le  premier , 
ou  du  père  qui  n'eft  que  particulier^  ou 
du  fils  qui  eft  Magifirat.    Le  pcrc  s'afîit 
&  Taurus  décida,  que  dans  les  occa- 
iîons  publiques  un  perc  particulier  de- 
voit  relâcher  de  fon  droit  en  faveur  de 
la  Magiftraturc  de  fon  fils ,  mais  que  hors 
de  là ,  la  nature  reprenoit  fcs  droits. 
LXL 
Autrefois  les  Romains  kiflbientcroî^ 
îre  leur  barbe  *.    Ce  ne  fut  qu'en  4^4. 
de  la  fondation  de  Rome  qu'ils  firent 
venir  des  Barbiers  de  Sicile,  au  rapport 
de  Pline  \.  Depuis  ce  tems-là  ils  fe  ra- 
foient  grands  &  petits  ^  ôc  ils  commen- 
çoient  de  le  faire  à  l'âge  de  20.  ans^ 
comme  l'Hiflodrc  dit  que  firent  Cali- 

gu- 

•  Agcll.  L.  III.  c.  4.  Pitifc.  Lcx.  Ant.  Rom. 
fab  voce  Barba. 
t  Plia.  Hift.  Nar.  L.  VII.  p.  107, 


304    P  o  G  G I A  N  A.  Part.  IF, 
gula  &  Néron.     Adrien  changea  ccttî 
coutume,  il  laiiTa  croître  fa  barbe  ôcles 
autres  Empereurs  l'imitèrent. 
LXÏI. 
C'étoit  une  belle  action  ^  que  celle 
Âgell.L.de  Cadicius  Tribun  dans  l'armée  des 
III.  c.  4.  Romains ,   lors  de  la  première  guerre 
de  Carthage.   L'Armée  Romaine  étoit 
enveloppée  par  la  Carthaginoife,  dans 
un  endroit  où  elle  ne  pouvoit  éviter 
d'être  taillée  en  pièces.     Le  Tribun 
pour  la  fauver  confeilla  au  Conful  de 
détacher  400.  hommes  pour  aller  oc- 
cuper une  certaine  colline  qu'il  lui  mon- 
troit  ^  afin  que  pendant  que  l'ennemi 
s'amuferoit    contre    ce  détachement, 
l'armée  pût  écHapper.     Fort  bien ^  dit 
le  QoniuX^mais  qui  efi-ce  qui 'voudra  me- 
ner ces  400.   hommes   à  la  boucherie? 
C'est  moi,  répondit  le  Tribun.    Je 
'Veux  bien  me  facrifier  pour  vous  6?  pour 
la  République.  Allons ,  mes  amis ,  dit-il 
fur  le  champ  aux  Soldats,/"/*?/?  necejfai- 
re  d'aller  là  6?  il  n'efi  pas  nccejfairi 
d'en  revenir.     Le    Ihatageme  réùfîit. 
Les  ennemis  donnèrent  dans  le  piège , 
&  les  400.  hommes  fe  défendirent  aiîèz 
long-tcms  pour  donner  à  l'armée  Ro- 
maine celui  de  fc  retirer.  Il  n'en  échap- 
pa 


/ 


Recueil  DE  BONS  MOTS,    ^of 
pa  que  le  Tribun ,  qui  fut  reconnu  en- 
tre les  blcfTez.     Caton  êc  Seneque  ont  Senec. 
comparé  cette  a6lion  à  celle  de  Leoni-  ^P*  ^^* 
das  dont  il  efl  parlé  dans  Hérodote.  Herodot| 
Mais  Caton  fe  plaint ,  que  l'adion  de  p  *  ^1 
Leonidas,  &  des  300.  hommes  qui pe* 
rirent  avec  lui  aux  Thermopyles  a  été 
célébrée  par  des  monumens  &  des  fta- 
tues  5    &  tranfmife  à  la  pofterité  par 
l'Hiitoire  ,   au  lieu  qu'on  n'a  prefquc 
point  parlé  de  celle  de  Cœdicius. 
LXIIT. 

On  difoit  à  Rome  des  gens  malheu-  Agdl.  L; 
rcux ,  qu'ils  avoient  le  cheval  de  SejuSy  III.  c.  gi,  ' 
Hahet  equum  Sejanum.  Voici  l'Hilloi- 
re  ou  la  Fable  de  ce  cheval.  Un  cer- 
tain Cneius  Sejus  avoit  lîn  cheval  d'une 
beauté  extraordinaire ,  qu'il  préten- 
doit  être  de  la  race  des  chevaux  de 
Diomede.  Mais  il  y  avoit  cette  fatali- 
té attachée  à  ce  cheval ,  que  tous  ceux 
qui  le  pofTedoient  faifoient  une  fin  mal- 
heureufe.  En  effet  Marc  Antoine  fie 
trancher  la  tête  à  Sejus  maître  du  che- 
val. Dolabella  qui  l'avoit  acheté  trois 
mill»  Ducatons  fe  tua  lui-même  pour 
ne  pas  tomber  entre  les  mains  de  Caf- 
fîus.     Ce  dernier  qui  hérita  de  ce  cbe- 

Tom.  II.  V  Vât 


^o6     PoGGiANA.  Part.  IV. 

val  en  fit  de  même  aufîî  bien  que  Marc 
Antoine  qui  voulut  l'avoir  après  avoir 
vaincu  Caflîus. 

L  X  I  V. 
Agell.  On  difait  aulîî  à  Rome  d'une  cho- 
îbid.  ^-ç  qjj-  pQftoit  malheur ,  c'efl  For  de 
l'ouloufe ,  parce  qu'un  Conful  Romain 
nommé  depio  ayant  pillé  Touloufe,, 
tous  ceux  qui  touchèrent  l'or  qu'on  trou- 
va dans  les  Temples  de  cette  ville,  pé- 
rirent miferablement. 

L  X  V. 
On  peut  dire  de  la  plupart  des  Pré- 
dicateurs ,    qui  décident  en  chaire  de 
toutes  chofes  fi  à  leur  aife ,  parce  que 
perfonne  ne  les  contredit ,   ce  que  di- 
Agell.     foit  un  célèbre  Rhéteur  *  d'un  homme 
ÎX.  15.     qui  ayant  difputé  tout   feul  dans  une 
harangue,   s'en  alloit  fort  content  de 
lui-même ,  lâns  attendre  le   jugement 
de  fes  auditeurs,  "f     Ce  jeune  hojnme  efi 
fort  éloquent  fans  contradiSîlon. 
LXVI. 
Plutarque  comparoit  les  oreilles  d'utî 
curieux  à  des  ventoufes ,   qui  attirent 
tout  ce  qu'il  y  a  de  mauvais. 

LXVII. 

*  Antoine  Julien  ,  Rhéteur  &  bel  efprit  di* 
tems  d'Adrien. 

\  Adolefcens  bit  fmc  controverjïa  difertus  eji. 


I 


RecueiLdsbonsmots.   JÔJ 
LXVII. 

Ce  même  Philofophe  appelloit  fort  P'utarcîî^ 
agréablement  l'adultère,  la  curiofité  des  ^°^^J' 
plmfirs  cl  autrui.  ^2.0 

LXVIII. 

Cefl  une  archive  fort  ennemie  des 
Mu  [es  (^  des  Grâces  ,  qu^une  tête  qui 
ne  fe  remplit  que  des  défauts  i^  des  foti- 
[es  d"" autrui.  C'cfl  encore  un  mot  de 
Plutarque. 


V\^  du  Recueil  de  bons  Mots, 


V 1         su- 


SUPPLEMENT. 

OiV  a'voit  refolu  d" abord  de  donner  à 
la  fin  de  cet  Ouvrage^  les  Lettres 
dePoggeqtiife  trouvent  manufcrites  dans 
la  fameufe  Bibliothèque  de  Wolffenbutel 
^  qui  n'mt  pas  encore  nju  le  jour ,  au  moins 
que  Von  fâche.  Mais  on  a  changé  de  def- 
fein  parce  qu'il  n'y  a  presque  aucune  de 
ces  Lettres ,  dont  on  n'ait  eu  occafton  de 
parler  dans  la  Vie  de  Pogge.  Pour  tenir 
parole  on  fe  contentera  de  mettre  ta  en 
forme  de  Supplément  la  Lettre  de  Pogge 
à  Jean  Guarin  *  de  Vérone^  fur  la  dé- 
couverte de^iintilien^  celle  de  Francifco 
Barbaro  à  Pogge  fur  le  même  fujet^  ^ 
la  Lettre  déCincioà  Pogge  pour  le  felui- 
ter  fur  V augmentation  de  fafawAlle.  On 
y  a  joint  rOraifon  funèbre  de  Chryfo- 
lore  ,   que  fit  André  Julien  ,  Noble  de 
Venife^  à  la  follicitation  de  Guarin, 

*  Jean  Guarin  étoit  un  des  Savans  hommes  du 
quinxièrae  fiècle.  Il  fut  Critique ,  Orateur,  Phi- 
lofophe.  Il  polTedoit  parfaitement  le  Grec  &  le 
Latin,  lltraduifiten  Latia  la  Géographie  de  Stra- 
bon  &  quelques  Vies  de  Plutarque  Philippe  de 
Bergamc  dit  que  Guarin  avoit  publie  plulieurs 
Lettres ,  qui  étoient-  autant  de  monumens  de 
fon  Efprit  &  de  fon  Savoir.  Il  mourut  à  Ferrarc 
fort  âge. 


Epist.  Poggii  ad  Gvar.     30^ 

I. 

EPISTOLA  POGGII  AD 
G  U  A  R  I  N  tJ  M,  in  quafcrihit 
Quintilianum  fefe  apud  Monafleriiim 
S.  Gain ,   ac  Afconium  Pedianum 

adifi'venijfe  ^  oh  quod  comrnuni  Rh^tO' 
rum  utilitati  gratulatur. 

•pOGGIUS    GUuiRINO    VF.RONENSI 
Sal.  p].  d.    Licet  intcr  quoridianas  occupa- 
tioncs  pro  tua  in  omnes  humanitate  &  bcni- 
volentia  fingulari  commodumfcmpertibimea- 
rum  litterarum  advcntum  effe  non  ignorem , 
tamen  ut  hifce  perlegendis  prsecipuam  quan- 
dam  piseftes  attentionem.  Te  majoreminmo- 
dum  obfecro  :  non  quidem  ob  eam  caufam , 
ut  aliquid  in  me  fit ,  quod  vel  fumme  otiofus 
requiratj  fed  propter  rei  dignitatera ,  de  qua 
fcripturus  fum;  quam  cette  fcio,  cùm  lis  lon- 
ge peritiflimus,non  parvam  tibi  ccterifque  ftu- 
diofis  hominibus  efle  allaturam  animi  jocundi- 
tatcm.    Nam  quid  eft  (per  Deum  immorta- 
lem!)  quod  aut  tibi,  aut  ceteris  viris  pofîit 
cffe  jocundius ,  gratius ,  acceptius ,  quam  cogni- 
tio  earum  rcrum,quarum  commercio  dodio- 
res  efficimur.&quod  majus  quiddam  videtur, 
elcgantiores?Nam  cùm  gencri  humano  rcrum 
parcns  natura  dcderit  intcllcdum  ac  rationem} 
tanquam  egregios  duces  ad  bene  beatcquc  vi- 
vendum  ,  quibus  nihil  queat  praeltantius  exco- 
gitari;  tamen  haud  fcio,  an  fit  omnium  prœ- 
ftantiffimum ,  quod  ea  nobis  elargita  eft  ufunfi 
jàtquc  rationem  diccndi,  fine  quibus  nec  ratio 
V3  ipfa. 


210      Epistola  Poggii 

ipfa,  ncque  intellecftus  quicquam  ferme  vala- 
ient.   Solus  cft  enim  fermo,  quo  nos  utentcs 
ad  expriipendam  animi  virtutem  arcliquisani- 
mantibus  fcgrcgamur.  Permagnaigitur  habcnda 
eft  gratia  tum  reliquorum  liberalium  &  artium 
jnventoribuSjtum  vel  prsecipue  his,qui  dicen- 
■di  prîecepta  ac  normam  quandam  perfcde  lo- 
quendi  fuo  ftudio  6c  diligentia  nobis  tradide- 
rant.     Effecerunt  enim  ut  qua  in  re  homines 
ceteris  animantibus maxime prseftant, nos  ipfos 
&  homines  antecelleremus.   Hujus  autem  fcr- 
monis  ornandi  atque  excolendicumraultiprse- 
clari.ut  fds,fuerint  Latinse  Linguse  audores, 
tum  vel  praecipuus  aique  egregius  M.  Tabhu 
G}uintiiianM  :  qui  ita  difcrte ,  itaque  abfolutc 
fumma  cum  diligentia  exequitur  ea,qu2e  per- 
tinent ad  inftituendum  perfeftiffimum  orato- 
rem,  ut  nihil  ei  vel  ad  fummam  dodlrinam , 
vel  fingu'arem  cloquentiam  mec  judicio  de- 
cITe  videatur:  quo  uno  folo,  etiamfi  Cicero 
Romans  parens  eloquentiae  deeffet  ,perfeftam 
confequeremur  fcicntiamreftedicendi.  Isvero 
apud  nos  antca  (Italicosdico)  italaeeratuserat, 
ita  circumcifus,  culpa,ut  opinor ,temporum, 
ut  nulla  forma  jnullus  habitus  hominisin  eo  re^ 
cognukeretur.  Tute  hominem  vidifti  haiftcnus 

îacerum  cruâeliter  ora  ; 
Qra,    manufque   amhas  pcfulataque  tewporay 

raptis 
Aurihus  v  truncas  inhoneflo  vulnere  nares. 

Dolendum  quippe  erat  &  aegre  ferendum  ,nos 
tantam  in  hominis  tam  eloquentis  fœda  lace- 
ratione  jacturam  oratorisefacultatisfeciffe.  Sed 
quo  plus  tune  erat  doloris  &  moleftiae  ex  ejus 
viri  mutilatione,  co  magis  nunc  eft  congratu- 
landum.cum  fit  in  priftinumhabitumacdigni- 
'    ■  ■  tatcm, 


AD    GuARIMUM.  ^II 

tatem,  in  antiquam  formam  atque  integram 
Taletudinern  noffra  diligentia  rcftiturus.  Nam 
iî  M.  Tullius  magnum  prae  fefertgnidium  pro 
M.  Marcello  reftituto  ab  exfilio;  &  eo  quidem 
tempore,  quo  Romae  plures  erant  Marcelli  û- 
miles ,  domi  forifque  egregii  ac  prœftantes  vi- 
h:  quid  nunc  agere  dodli  homines  debent  & 
pr^efercim  ftudiofi  eloquentise  ,cum  fîngularïf- 
fimum  lumen  Romani  nominiSjquo  exftincto 
Diliil  prster  Ciceronem  fupererat,  &:  aim  mo- 
do fimili  lacerum  ac  difperfum  non  tantum  ab 
exfilio.fed  ab  ipfo  picne  interitu  *  revocaveri- 
înus?  Nam  me  hercule  !  nifi  nos  auxilium  tii- 
îilTemus,  neceife  erat  illum  propedicm  inreri- 
turum.  Nam  néquc  eft  dubium  virum  fplen- 
didum  ,  mundum  ,  elegantem  ,  plénum  mori- 
bus  ,  plénum  facetiis  fœditatem  illius  carceris, 
fqualorem  îoci,cuftodum  fsevitiam  dintiusper- 
peti  non  potuilTe.  Mœdus  quidem  ipfe  er?.t  ac 
fordidatus,  tanquam  morti  rei  foleb.int  :  fqua- 
lentem  barbam  gerensacconcretospulverecri- 
nes:  ut  ipfo  vultu  atque  habitu  fateretur  ad 
immeritam  fententiam  fe  vocari.  Videbatur 
manus  tendere.implorare  Quiritum  fidem  ,ut 
fe  ab  iniquo  judice  tuerentur;  poftul<ire  &  in- 
digne ferre  quod  qui  quondam  fua  ope,  fua 
eloquentia  multorum  falutem  confervaffet, 
nunc  neque  patronum  quempiam  inveniret, 
quem  mifereretur  fortunarum  fua  ru  m  »  neque 
qui  fuae  confuleret  faluti ,  aut  ad  injuftum  rapi 
lupplicium  prohiberet.  Sed  quia  temereperfje- 
pe  eveniunt,  quae  non  audeas  optare,  ut  in- 
quit  Terentius  nofter  ,  fortuna  quidam  fuit 
cum  fua ,  tum  maxime  noftra,  ut  cum  elTe- 
mus  Conftantiae  otiofi,  cupido  incefferet  vi- 
fsndi  ejus  locijquo  illc  reclufus  tenebatur.  Ëll 

aa- 
*  In  avitam  patriam ,  addit  Mabillon. 

V  4 


^12,  Epist.  Poggii  ad  Guar. 

autcmMonaftcrium  S.Galli  propeurbcm  hanc 
millia  paffuum  XX.  Itaque  nonnuUi  animi 
îaxandi ,  &  fimul  pcrquircndorum  librorum , 
quorum  magnus  numerus  cffe  dicebatur ,  gra- 
tia  co  perrcximus,  Ibi  inter  confertiffimam  li- 
brorum copiam  quos  longum  effet  recenfere , 
^intiilanum  *  compcrimus,  adhuc  falvum  & 
incolumem,  plénum  tamcn  fîtu ,  &  pulvere 
t  fqualentem.  Erant  enim  non  in  Bibliotheca 
libri  illi,  ut  eorum  dignitas  poftulabat,  fed  in 
teterrimo  quodam  &  obfcuro  carcere ,  fundo 
fcilicct  unius  turris,quo  \  nec  capital,  quidam 
rci  damnati  retrudereniur.  Atqui  ego  pro  cer- 
to  exiftimo ,  fi  eflent  qui  haec  barba  rorum  er- 
gaftula,  qijibus  hos  detincnt  viros,  rimarentur 
ac  cognofcerent  more  majorum ,  fimilem  for- 
tunam  experturos  in  multis,de  quibus  jamcft 
conclamatum.  Repcrimus  prseterea  libros  très 
primos  &  dimidiatum  quarti  C.  Valerii  Tlacci 
Argonauticon ,  &  expofitiones  tanquam  thema 
quoddam  fuper  ofto  Ciceronis  Orationibus  fj. 
Afconïi  Pediani,  elocjucntiffimi  viri,de  quibus 
ipfc  meminit  Quintilianus.  Haec  mea  manu 
tranfcripfî  &  quidem  volocitcr,  ut  ea  mitte- 
rem  ad  Leonardum  Aretinum  &  Nicolaum 
Florentinum.  4-  Habes,  mi  fuaviflimc  Guari- 
rc ,  quod  ab  homine  tibi  deditiffimo  ad  prae- 
fcns  tribui  potcft.  Vellcm  potuiflem  eiiam  li- 
brum  tranfmittere  ;  fed  Leonardo  noftro  fatis- 

fa- 

*  %eperimus  Mabill, 

î  \efertHm  Mabill. 

X  Ne  vita  (jitidem  damniti  detrudermtur  ,M^\\\.  nt  ca- 
pitales quidem  rei ,  Menag. 

\  Audit  Mabillon  :  ^«/  ckt/jM  me  hujus  thefattri  adin- 
ventianem  cognovijfent ,  multisft  me  verbis  ^luintilian:im 
fer  fi'.As    literds    /juimprimum  ad  eos  mitti  contenderunt. 

^<ec  in  noftio  codice  deûdeiantui. 


Eptst.  Fr.  Barbari.       ^15 

faciendum  fuit.  Verumfcis,  quo  fit  in  loco, 
ut  fi  cum  voles  habere ,  puto  autem  te  quam- 
primum  velle  ,  facile  id  confequi  valeas.  Vale 
&  mc,quoniam  id  mutuofit ,ama.Conftanti3B 
XVII.  Kl.  Jan.  Anno  Chrifti  M  CCCCXVII. 


I  I. 

EPISTOLA    FRANCISCI 
BARBARI  AD  POGGIUM, 

in  qua  multas  hijîorias  adfuum  propo^ 
fîtum  adducit ,  cum  eum  oh  doStrin^fiia 
elegantiam  laudet  i^  ■poîijjimum ,  q^uod 
ex  Germania  aliifque locis variais uù-r 
lia  in  humanitatis  jiudio  attulerit^  oh 
quodftbi  ^  gratias  agit ,  idque  indies 
magis  ac  magis  cureî^  hortatur. 

ETfî  prîEclari  fadi  tui  confcientia  &  erudi- 
torum  hominum,de  quibus  bcne  meritus 
es ,  tanta  etiam  voluntate  contentus  fis  ;  ta- 
men  pro  ca  litterarum  neceffitudine,  qua  non 
mediocriter  devinéli  fumus  ,  noftra  intereiïe 
putavi  tibi  gratias  agere  ,ut  humaniffimum  hoc 
officium  tuum  minime  filentio  praeterircm  : 
cùm  illorum  indicium  librorum  ad  nos  dimi- 
fifles,  quos  opéra  &  diligentia  tua  nobis  & 
poftcris  recuperafti ,  ut  privatim  &  publice 
maximo  gaudio  &gratulationefrueremur.  Ni- 
hil  enim  prope  gratius  ac  jocundius  indicari 
potuiffet,  quam  id,quod  communiter  adlau- 
dem  tuam  ,  quse  (ut  débet)  nobis  cariffima  ed, 
V  ^  & 


ji4       Epist.  Fr.  Barbarî 

&  ad  humanitatis  &  dodrinse  amplitudincm 
maximum  in  modum  pertineret.  Quis  tantum 
in  bonos  omnes  fiudium.totprocommuniuti- 
litate  labores ,  tôt  immortalia  bénéficia  ,  nifi 
ingratus  efle  &  haberi  velit,  taciuis  eogitare 
polTet  ,  non  inteÏÏigo.  Tu  Reipublicae  caufa 
quid  faduius  elTcs  tacile  declaralliicumtenon 
vis  hyemis,  non  nives,  non  longitudo  itinc- 
ris,  non  afperitas  viarum  ,  ut  monumenta  II- 
terarum  e  tenebris  in  lucera  erueres,  reîarda- 
runt.  Tu  TennUianum,  tu  Marcum  .  Fahlutn 
Glu'mtllianunf  ,  tu  ^  Afeonium  Pcdianum  ,  tu 
Lucretimn  y  S'ilUim  Italiçum ,  Marcellinum,  tu 
M^niU!*nt  Ajironéiiintn  ,  L  Septim.  l'alerium  Flac- 
■CHm ,  tu  Caprum ,  llutychium  ,  Probum ,  Gram- 
tnaticos, tu  complûtes  alios  Bartholomxo  Col- 
Icga  tuo  adjutore  vel  fato  fundos  vitadonafti?, 
vel  longo  ,  ut  ajnnt ,  poftliminio  in  Latium  re- 
^uxiftis.  Quo  faftum  eft ,  ut  in  medio  defide- 
î-ii  tui  eùm  a  me  abefîcs,  te  potiffimum  ifthic 
efle  gauderem.  Quidni,  cum  nihil  tibi  prope- 
îTiodum  honorificentiiisac  doxflis  viris  acceptius 
affcqui  potuilTes,  quam  ut  antcquàm  pofiuia- 
res,  majora  quam  vellcs  plura  quam  fperares 
vetuilatis  monumenta  in  Iqualore  latentia  ad 
cruôitoium  hominum  eonfpedhim  retuliffes. 
Lycurgo  fum.mo  viro  glori^e  datum  cil,  cum 
primus  Homerum  variis  in  locis  per  fiuiia  dif- 
f eifum  ,  quem  apud  Creophyli  pronepotes  in- 
tègre fervatum  invenerat  ,  ex  Afia  totum  ia 
Graeciam  reportaflTet.  Si  quid  illi  doélilîimiho- 
mines,  ubicunque  funt ,  fapiunt,  nonne  civi- 
cam  tibi  coronam  ,  quae  vitae  ac  falutis  a  te 
reftitutae  tcftimortio  lit,  debent,  cum  tua  vir- 
tute  fadum  lit  ,  ut  deinceps  immortalitatem 
facile  fperarc  poffint:  praefertim  cum  non  mo- 
do clariffimi  viri  ,  fed  etiam  infimus  quifque 
^çivis  confervatorcs  fuos  hoc  honore  dignos  ju- 

di" 


AD    POGGÏUM.  ^îf 

dicarit.  Aefculapium  inter  Deos  relatum  acce- 
pimus  ,  peftquam  cam  alios  nonnullos  ,  tum. 
Hippolytum  fupremum  vitse  diem  fundum , 
aliquot  tamen  poft  annos  moriturum  ,  ab  infe- 
ris  revocavit:  cui  fi  popiili ,  nationes,  provin- 
cise;  facras  sedes  dicaverunt,  quid  vobis  (nifl 
hoc  confuetudo  jam  pridem3bolevilTet)taciun- 
dum  putarem  ,  qui  tôt  illullres  ac  fapientiffi- 
mos  viros  mortuos  in  perpetuum  refufcitaftis  ? 
quorum  ingeniis  ac  inlîituns  non  folum  nos, 
fed  etiam  pofteri  bene  dicere  ac  honefte  vive- 
re  poterunt.   Si  his,  qui  caftella ,  urbes,  pro- 
vincias,  receperant,  triumphuna  dari  majores 
nortri  cenfuilfent ,  &  ego  dignitate  ac  auftori- 
tate  &  gratia  tantum  pofTcm  , quantum hi, qui 
fuerunt  ampliffimi  in  literario  lenaiu  &insede 
Mufarum  ,  te  triumpho  digniffimum  decerne- 
rem;quippe  cum  eorum  dodtrina  &  ratio  hu- 
mano  generi  longe  plus  adjumcnti  afFerre  pof- 
fit,quam  aliquorum  illuflrium  ducumres gélose 
attulerunt.  Nam  ut  hae  paucos  indices  aliquan- 
do  ut  unam  civitarem  &  unam  interdum  pro- 
vinciam  ab  imminentibus  pcriculis  cum  magna 
mortalium  occafione  deliberaverunt  &  afruga- 
litate  ad  omne  libidinis  genus  plerumque  con- 
verterunt  ;    fie   humanitateni  &  dilciplinam , 
quse  ad  bene  beateque  vivendum  i!cornatedi- 
cendum  accommodatœ  funt,  non  modo  pri- 
vatis  rationibus,  fed  uibibus,  nationibus,uni- 
verfis  denique  hominibus  non  médiocres  mili- 
tâtes afferre  polTe  dubitandum  non  eft.    Athe- 
nienfes  enim  cùm  Apollinem  opinione  fua  fa- 
pientiffimum  Deum-  confulerent  ,   refponfum 
retulerunt:  Se  prœrtantiffimos  cives  habituros, 
lî  quod  optimum  ac  pulcherrimum  effet,  !ibe- 
rorum  fuorum  auribusimponerent.  Quod  cum 
doélrinam,  quse  libero  homine  digna,  liberos 
f^cit,  prsetenderetj  id  Indorum  gemmas  maie 


3 1 6       Epist.  Fr.  Barbari 

&  aurum  interprétât!  funt;  cùm  id  nonadpror 
bitatem ,  non  ad  continentiam ,  non  ad  conf- 
tantiam,  fed  ad  avaritiam,  cupiditatem ,  libi- 
dinem  ac  levitatem  propenfiores  reddat.   Cato 
ille  perfecSus  ,   Ciceronis  fcntentia,  Stoicus, 
cum  ex  Afia  Athenodorum  graviffimum  Phi- 
lorophum  deduxiflet,  plus  fibi  gloriae,  quam 
Cn.  Pompeio  ac  L.  Lucullo  deberi   cenluit, 
quod  inermis  ex  Afia  honeftiora  fpolia  retulif- 
fet,  quam  ipfi  maximis  copiis,  magnis  rebui 
gefliSjelTent  confecuti.  Ex  quibus  ille  fuperior 
Mithridatico  belle  ,  cum  Pofîîdonii  dodiffimi 
viri  vifendi  ac  falutandicaufa  domum  veniffet, 
forés  percuti  de  more  a  lidore  vetuit,  ac  faf- 
ces  litterarum  domicilio  fubîpi{it;is  cujus  im- 
perio  ortus  occafufque  parère  didicerat.   Quid 
multa  ?   Nonne  Ca^far  Didlator  M-  Tuliium 
hoftem  quondam  fuum  omnium  triumphorum 
majorem  lauream  adeptum  efle  confelTus  eft? 
Quid  quod  majores  noftri  eadem  corona  Poe- 
tas  &  eos,  qui  triumpharent  ,dignos  eiïe  cen- 
fuerunt?Innumerabilia  exempla  lunt,quae  hic  . 
loci ,  ne  infinitus  lîm  ,  prsetermitto.    Nec  ab 
honore  collegse  &  tuo  quifpiam  alienior  efle 
débet,  quod  M.  Marcellus  &  P.  Scipio  curru 
triumphali  invedi  non  funt, cum  Syracufas  & 
Hifpanias  fine  magiftratu  in  poteftatem  rcde- 
giflentjquod  te  &  Bartholomaeum  adhoc mu- 
nus  obeundum  furami  &  honeftiffimi  ecclefiae 
Romanse    Pontifices  delcdios  publice  dimife- 
Tunt.   Quod  fi  Q.  Fulvio  Capua  capta  &  Opi- 
mio  Fregellanis ad  deditionem  compulfis  tnum- 
phus  decretus  non  pro  recuperatis  ,  quae  ali- 
quando  Reipublicae   fuiflent ,    laurea  decerni 
jus  effet;  quis  ita  de  rcbus  maie  fentiet,  ut 
vos  Tel  honore  ftatuas  dignos  non  putet ,  cum 
Olympionicis  qui  nunquam  ex  fe,fcd  ex  late- 
fibus  &  latcratis  fuis  nobilitati  funt ,  ftatuas 


ÀD   PôGGÎUM.  ^17 

dicatas  acccperit ,  vos  autem  ingenio  &  induftria 
ea  perfeciffe  cognofcat ,  quse  nifî  per  homines 
&  peritos  &  diligentes  effici  non  potuiffent. 
Praeterca  Sex.  Pacuvius  Taurus,  ^dilis  plcbcius* 
cùm  unam  Sibyllarum  ftatuam.duasautemM. 
MeflTala  ,quae  juxta  roftra  pofitae  fuerant,  refti- 
tuiflent.ôc  pleriquc  facras  aedes  ac  privatas  domos 
refeci(rent,nonmediocremlaudemadepti  funt; 
Vos  vero  quid  non  eftisconfecuti,cum  Orato- 
res ,  Poetas ,  Hiftoricos,  Aftronomos ,  Gramma- 
ticos,qui  jam  fine  uUadubitationedeletierant, 
reftituiflctis?  Profedo  non  ufitatus  honos  ac  per- 
vulgatus  vobis  tribuendus  eft ,  fcd  novi  lïngu- 
gularefque  debentur.  Ignominia  econtra  no- 
tandi  funt  illi  Germani,  qui  clariffimos  viros, 
quorum  vita  ad  horum  memoriam  fibi  com- 
mendata  elfe  debuit,  quantum  in  fe  fuit,  vi- 
vos  diuturno  temporefepultostenuerunt;quod 
fi  prudenter  facflum  eft,  quid  negligentius ?  fi 
ex  fententia  ,  quid  crudelius?  An  quifquam 
ita  invidus  effet, ut  vos  exornari  nimium  a  me 
cenfeat?Quos  autem  orno  ?  Eos  nempe,  qui 
hujus  littcrariae  reipublicae  plurima  adjumenta 
atquc  ornamenta  contulerunt.  Liberopatrive- 
teres  aram  dicare,  templa  collocare,  &  heca- 
tombas  faccre  voluerunt,  qui  reperiundi  vini 
ufus  audtor  fuiffet,  quod  pîerumque  libidinis, 
furoris ,  infanise  inftrumcntum  eft.  Nos  vero 
praeftantiffimorum  librorum  inventoribus  vel 
mediocrem  honoris  gradum  negabimus  ?  Pro- 
fcdo  li  majores  noftri  novitati  invidiffent;nec 
virtutem,  nec  induftriam  multis  ac  prseclaris 
monumentis  honcftaflent,  nobis  tôt  bene  di- 
ccndi  praeccptâ ,  tôt  bene  vivendi  exempla  de- 
fuiffcnt.  Conftat  ftatuam  C.  Terentise  fivc  Suf- 
fecise  virgini  Veftali  dccretam  fuiffe,ut  pone- 
retur  ubi  vellet,quia  nefcio  quid  campi  Tibe- 
rini  gratificata  effet  Populo  Romane  :  quœ  fe- 

mi- 


^iS       Epist.  Fr.  Barbarî 

mina  fi  hoc  fortunse  munere  tanto  honore  do» 
nata  eft ,  quis  iniquum  putarit ,  fi  tibi  &  colle- 
gae  non  loricatam  ,  non  equeftrem ,  non  inau- 
ratam  ,  fed  togatam  &  aeream  in  sedc  Camœ- 
narum  decernerem.  Vcllem,  Poggi  cariffime , 
ut  omnes  vel  exemplo  mco  curam  &  induf- 
triam  ,   ac  diligentiam  tuam  in  imitationem 
dignam  ,  non  invidiam  putarent.  Profcdo  nili 
hic  honeftiffimus  prorogandi  memoriam  homi- 
num  mos  prorfus  fublatus  &  antiquatus  effet , 
honorificentiffimis    verbis    hujus   monumcnti 
caufas  complederer  iprefcriptura,f€dquoniam 
hanc  vcniam  nobis  'ôc  aetatis  noftrœ  &  rcipu- 
blicse  ftatus  non  praebet,  vel  fenioris  illius  Ca- 
tonis  mei  confilio  contentus  eris ,  qui  Tuas  res 
geftas  non  marmoreis  ac  argenteis  imaginibus, 
quae  tempeftate  &  vetuftate  intercunt ,    fed 
diuturna  civium  fuorum  memoria    in  perpc- 
tuum  commendavit.  Haec  fi  tecum  cogitabis, 
sequiori  animo  &  majori  confolatione  noftro- 
rum  temporum   injuriam   feres.     Quid  cnim 
magnificentius  ac  praeclarius  affequi  poteras, 
quam  immortalia  haec  tua  mérita  nonlaterein 
tenebris ,  nec  effe  abdita  ;  fed  cum  in  lace  Eu- 
ropae  tum  in  oculis  Germanise  provinciae,  at- 
que  in  auribus  omnium  gentium  &  nationum 
cffe  pofita  ?  Quantum  &  illud  eft,quod  in  hoc 
comrauni  gaudio  vobis  omnes gratulantur,vo- 
bis  gratias  agunt ,  quod  curas  veftras  in  Reipu- 
blicœ  dignitatem  ac  utilitatem  defixiftis?  Quo 
iît,  ut  fperem  ,  quemadmodum  cerafa  Lucul- 
liana  ,  Zizypha  Papiniana ,  cum  alter  e  Ponto 
poft  Mithridaticam  viétoriam ,  alter  e  Syria  in 
Jtaliam  deiuliffet,  &  quemadmodum  mala  ab 
Appio  e  Claudia  gente  Appiana  &  pira  a  Mal- 
lio  Malliana  cognominata  funt;  fie  haec  litte- 
rarum  fcientia,quîe  veftra  ope  ac  opéra eGer- 
mania  in  Italiam  deferetur ,  aliquando  &  Pog- 
gi?- 


AD   PoGGÎÛÎvf.  51P 

giana  &  Monte-Politiana  voeabuntur.  Cur  au- 
îem  id  fpercm?Quo4  fi  peregrini  quidanj  fru- 
tkes,  retentis  vocabuUs ,  tranfmigratianis  fux 
aucloribus  aeternam  mcmoxiam  propagaverunt, 
«juid  de  vobis  cxfpeftari  par  eft ,  qui  hos  ho- 
ncftiffimos  &C  fingularcs  Jaumanitatis  &  difcipli- 
nae  frucflus  ad  nos  attuljfiis.    Accedet  ad  gra- 
tiam,  cum  uberrimara  laborum  tuorum  mer- 
cedem  fufcepturus  fis ,  fi  quando ,  quod  maxi- 
me vellcm.is  in  univerfam  rempublicam  fum- 
mam  poteftatem  habebit,  cui  in  dodrina,  cui 
in  virtute,  cui  in  laude  percipienda  abineunte 
setate  plurimum  ftudii  fuit  &  temporis,    Erit 
enim  fapientis  PontificisMax.beneficiisveftrana 
memoriam  perfequi  ôc  magna  vobis  praltare , 
quandoquidem  non  parva  in  hoc  génère  a  vo- 
bis accepit,  quse  eo  majora  judicio  meo  cen- 
fcri  debent,  quo  minus  erant  exfpedata.  Sen- 
tentiam  de  te  &  coUega  non  levem  ôcrepubli- 
ca  dignam  dixiffe  videor:fi  quistameneoruma 
qui  favcnt  laudi  tuae ,  honorificentiorem  dixe- 
rit ,  in  eam  me  iturum  facile  recipio  ;  hac  ta- 
men  mea  te  contentum  fore  exiftimo ,  cum 
pro  tua  fingulari  prudentia  eum  honeftum  tibi 
triumphum  videri  putem ,  cum  bene  de  repu- 
blica  meritis ,  verbis  teftimonium ,  ac  confenfu 
fpeélatiffimorum  hominum  datur.  Hase  ha<fte- 
nus.   Reliquum  eft,  ut  te  moneam  &  horter, 
ut  incumbas  toto  animo  &  ftudio  omniineani 
rem,  &  reliquam  illara  percgrinationem ,  ad 
quam,  ut  ad  optimum  ac  dodiffimum  Guari- 
Bum  Veronenfem  fcripfîfti ,  probe  te  compa- 
ravcras,ne  ullam  publicae  &  amplificandas  tuae 
dignitatis  occafionem  déferas  ac  praetermittas. 
Majus  enim  quoddam  a  te  Romanae  litterge, 
quam  adhuc  prseftiteris  exfpedant  ,  quod  la 
eam  fpem  abduélae  funt,  (ad  hoc  enim  natus 
fiffe  vidcris  )  ut  per  te  Ckeronïs  de  Republica  9 


j  20      Epist.  Fr.  Barbari 

8c  Varronîs  divinarum  ac  humanarum  rerum  ; 
&  Crifpi ,  &  Ltvii  libros ,  &  Catonîs  Origincj 
(ut  ceteros  omittam)  recepturae  fint.  Quare, 
Poggi  fuaviffime,  perge,  ut  cœpifti:  nihil  tibi 
fit  antiquius ,  quam  quod  in  his  ftudiis  &  li- 
beralifljmis  artlbus  conducere  judicabis.  Hi  la- 
bores  quietem  ,  &  hsec  impenfa  gloriîe  &  for- 
tunae  tuae  frudlum  quamampliffimumreddent. 
Quod  eo  diligentius  tibi  faciundum  eft,  quod 
ôc  valitudo  Bartholomaei  noftri  hoc  tibimunus 
magis  neceffarium  cfficit.  Cum  enimilliusope- 
ram  ac  vigilantiam  non  parum  his  Htteris  alla* 
turam  fperarcm,  nefcio  quo  cafu  fuo,  &  fato 
noftro  magna  ex  fpe  decidimus.    Quamobrenl 
omnes  in  te  converfî  fumus,  qucmadmodum 
vedores  fseva  tempcftate  vexati  &  cunélis  na- 
Valibus   armamentis  nudati  oculos  in  facram 
anchoram  vertere  foliti  funt.    Tu  igitur  folus 
pro  tua  cetera  diligentia  tantum  proficis,  ut 
hac  tua  cura  &  induftria  Bartholomaei  valitudi- 
ncm  ad  hoc  munus  minus  graviter  feramus, 
quse  certe  literatis  hominibus  permolefta  eft. 
Id  vero  nifi  tu  conficias ,  quis  alter  exfpeélatio- 
.ni  noftrae  refpondeat,  nefcio  i  &  tu  communi 
militari    &  tuae  dignitati  defuiffc   videberis. 
Quam  quidem  ad  rem  ut  commodius  navare 
operam  queas,  quaecunque  invencris ,  modo 
digna  judicaris ,  ut  fcribi  cures ,  &  rogo  &  oro  : 
quid  invenilTe  enim  prodeft,  nifl  inventis  uti 
hceret.  Nam  ut  illud  plerumque  fortunae,  fie 
hoc  virtuti  attribui  juftis  ex  caufis  folet  :  nec 
indecorum  erit  beneficium  tuum  tueri ,  cujus 
fundamenta  non  opinione  folum  feceris ,  fed 
re  quoque  ipfa  auxeris  &  confirmaveris.    An- 
dronici  Rhodii  vêtus  vocabis  exemplum  :  nam 
cum  Sylla  Apelliconis  BibUothccam  Athenis 
Romam  mifilîet,  eique  Tyrannionem  Gram- 
maticum  praefeciffct ,  Andronicus  adhibitis  li- 

bïa- 


adGuarinum.         ^2t 

brariis  êc  Ariftotelis  &  Theophrafli  libros ,  qui 
|)3ene  ignoti  erant,  conrcripfit,  eofque  dodif- 
limis  hoininibus  mifit ,  unde  ferme  reliqua 
omnia  exempla  nata  funt;&:ipfeâpudpoftirros 
diligentJa  fua  nobilitatuseft:  quod  tibi  quoque 
faciundura  effe  judico.  Ita  enim  videri  videor: 
omnes  qui  favent  Poëtis ,  Oratoribus ,  Hifto- 
ricis,  Philofophis,  Mathematicis<  qui  Latinis 
denique  literis  dediti  funt,  tuas  in  laudes  cer- 
taturos,quod  non  parvi  genus  ornamcnti  cen- 
feo.  M.  Vanonis ,  librorum  ,  qui  primo  Ro- 
mas  conftituti  funt,  curam  habentis,  ab  Afi- 
nio  Pollione  imago  pofita  eft,  quas  fibi,  judi- 
cio  meo,  non  minus  honoris  attulit,  cum  a 
principe  oratore  ac  cive  amplifTimo  fibi  collo- 
cata  effet ,  quam  cum  eundcm  claffis  praefcc- 
tum  Pompejus  ille  Magnus  con/edlis  piratis 
navali  corona  donavit.  Quodii  fortiinarum 
tuarum  ratio  impedimento  fit,  hujus  impenfae 
partem  in  me  &  alios,  qui  veteris  fcripturse 
veftigia  colimus ,  arbitratu  tuo  conféras:  tibi. 
enim  non  modo  velut  cenfori  parendum  fta- 
tui ,  fed  extra  ordinem  munus  hoc  fîtie  pro- 
vocatioric  dccrevi.  Quare  voluntati  meae,  & 
honeftiffimae  peritorum  omnium  expecftationi 
fatisfacies.  Quod  de  tanto  fingulari  in  nos 
amore  fcribis,  gratiffimum  eft: hune  &  tu  fo- 
Vebis ,  &  ego  quibufcunque  potcro  rébus  au- 
gebo.  Vale.  Ex  Venetiis  pridic  Nonas  Juliaa 
Anno  Chrifti  M.  CCCC.  XVU. 


(Tem.  il,  X  ni] 


322,         CiNCII   EpISTOLA 
III. 

CINCII     EPISTOLA 
AD  POGGIUM. 

/-^INCIUS  POG  GIO  SANCTISSÎ- 
^MIDOMINI  NO  S  TRI  PAPE^ 
SECRETARIO.  Sal.  pi.  d.  Jam  pridem 
cum  eflem  in  palacio  apoftolico  unà  cum  gra- 
vibus  viris  ,fermoque  de  felicitatc  humana  in- 
ter  nos  cafu  haberetur, AntoniusdePifcianun- 
ciavit  te  ex  jufta  f  uxore,  uno  filiolo  auftum 
fuiflTe ,  que  denunciacio  cundis  aftantibus  gra- 
tiffima  profef^o  extitit.  Omncsque  uno  ore 
gratulantes  ©ptavimus ,  ut  is  perpétue  confo- 
lacioni ,  ornamen''o  prefidioque  tibi  fit.  Ego 
veto  cum  mecum  ipfe  cogito  puerum  hunce:: 
tb  viro  doL^iffimo  comprobateque  vite  ,  equc 
tua  conjugc  honeftiflîma  mulierenatum  fuiffe, 
minime  dubitandum  eflc  arbitrer ,  cum  ad  doc- 
trinam  ."honeftatem  eximiafque  virtutes  &  lau- 
des fua  natura  difpofitum  efie.  Qui  cum  tuis 
uxorifque  tue  domefticis  inftitutis  &  moribus 
cxcultus  fuerit  ,  educabiturque  preterea  Flo- 
rencie,  que  urbs  miris  ingeniis,miraquc  doc- 
trina  &  precipua  ncgociandi  induftria  ita  flo- 
ret ,  ut  omni  génère  laudum  aut  ceteras  urbes 
fuperet,  aut  cette  à  nulla  alla  fuperetur ,  & 
fe  ipfam  veram  Romani  populi  filiam  ac  he- 

rc- 

*  On  a  fuivi  par  tout  l'Orthographe  de  l'Auteur  de 
cette  Lettre;  mais  on  y  a  ajoute  la  ponûuation,  qui 
s'y  trouve  rarement  félon  la  coutume  de  ce  tems-là, 
ou  qui  y  eft  mal  placée. 

t  Pogge  avoic  eu  des  bâtards,  comme  on  l'a  vu  dans 
fa  Vie. 


AD   POGGTUM.  ^Z^ 

redem  efle  oftendat.michi  perfuadeoeum vir- 
tutum   difciplinarumque    ornamenta   fufe  cu- 
mulateque  adepturum  eflTe.     Inherebit  bonita- 
ti  fue  nature  ,   parentuni  inftituta  ultro  coni- 
plcdetur,  mores  patrios  ac  doftrinnm  avide 
arripiet.     Neque  enim  lldera  ipfa  celorumquc 
influxusacfortuna,quchumanarum  rcriira  do- 
mina eiTe  dicitur,  prell-intcs  hominum  natu- 
ras  bonarum  artium  ftudiis  8c  optimis  morum 
inftitutis   roboratas    pcrvertcre    ac   depravare 
poffunt.    Quamquam  Homerus  auream  illam 
catcnam  iingat,à  celo  ad  terramufquevenien-   Homer, 
tem;  quam  quom  homines  dcorfum  trahereHiad.  0- 
conantur,ab  ipfa  pocius  tradi  funt.  Hancqui-  ^-  ^^-  ^^ 
deni  catenam  poëta  fatum  appellat,  ut  inteiii- 
gamus  humanas  adiones  faio  inferiorcs  efle, 
nec  ejus  vi  ac  neceffitati  ullo  modo  refiftere 
pofle.    Allufit  fortafle  poëta  multitudinis  judi- 
cio,  aut  profedo  ita  credidit,  cum  nonnulli 
etiam  Philofophi  non  minuti  quidem  hanc  de 
fato  opinionem  pertinaciter  tenentes  ab  ea  ra- 
cionibus  abduci  minime  potuerunt.   Que  cum 
itafint,  cape  à  tencris,  ut  dicitur,  unguicu- 
lis  hujus  tue  imaginis  curam  ,  in  eaquc  grada- 
tim  alenda  tantum  ftudium ,  tantamque  dili- 
genciam  adhibeas  ,    quantam  flagitat  paternà 
caritas.    Quod  li  forte  initituifti,  ut  tua  uxor 
hianti  filio  ubera  non  tradat,  ut  ad  amplian-* 
dam  fobolem  fecundior  exiftat,  5c  in  valctu- 
dine  facilius  conferretur,  incumbito  omnino 
ut  nutricem  habcat  corpore  robuftam  ,  com- 
plexionis  natureque  bonitate  prcftantem  ,  que 
eciam    ingenuos   ac  libérales   mores   habeat. 
Quantam  autcm  in  educandis  pueris  nutrices 
yim  habeant  ,    quantumve  aut  earum  probi- 
tate  ad  virtutcm  eos  inclinent,  aut  improbi-. 
tatc  ad  vicia  impellant ,  noller  poèta  déclarât 
cantibns 


5 2.4      CiNcii  Epistola 

Virgil.  Hircaneque  admorunt  ubera  tigres. 

jEiieid.L.       Quom  autem  adoleverit,  eniterc,ut  omnis 
IV.  ;i^.  367.q^5  £{-35  (jg  fe  jpCa  contenta  fit,  utque  fermo- 
lïes  aftionesque  etati  confoncnt  ,  ad  quantum 
puericiam  ado'iefcencia ,  adolefcenciam~juvcn- 
ra ,  juventam  grandior  etas  annisruperat;tan- 
tum  prudencia  ceterisque  virtutibus  excellât, 
ut  per  omnem  vitam  animo  ac  corpori  armo- 
nia  quedam  apte  refpondeat,  &  continue  ma- 
jor virtutum  fuarumfplendorappareat.  Verum 
quia  nichil  virtuti  ac  racioni  magis  répugnât, 
nichilve  magis  adverfatur  quam  corporis  vo- 
luptaSjComprimenda  profedto  eft,  &  adhiben- 
da  curacio  ne  per  vifcera  ferpens  artusacmen- 
teni  enervet.  Tantum  autem  fibi  tribuendum 
eft  quantum  ad  confervandam  naturam  perti- 
nct.     Sed  ejus  infidie  tanquam  callidi  hoftis, 
cvitande  funt.  Habet  enim  titillaciones  venc- 
natas  quidem  fuavitatem  quandam  prc  fe  fe- 
rentes,  que  nifi  moderacione  vite,  curis,  vi- 
giliis  &  exercitacionibus ,   modico  cibo  ,   & 
perfico,  ut  dicitur,  nafturcio  *  reprimantur, 
co  trahimur,  ut  racio  ipfa  que  hominis  auriga 
eflc  débet,  ^  tamquam  regina  in  arce  mentis 
dominari,  voluptate  vifta  proftrata  jaceat  :  & 
cum  ab  extenuato  eciam  nature  luminc  ali- 
quando  excitata  fe  ipfam  crigere  volucrit,  in 
•  ipfo  conatu  rurfus  cadit ,  &  turba  viciorum 
apum  in  morem  veniencium  duce  voluptate 
obruitur.    Preclare  itaque  Hercules  t  volupta- 

tern 
*  Ndflunium  Verficum ,  c'eft  du  creflbn  de  Petfe.  Xe- 
nophon  Cyrop.td.  L.  I.  p.  4.  8c  Ciceion  TuO^kI.  L.  j. 
c.  î4.  nous  apprennent  que  les  Perfes  ne  donnoiei/t 
que  de  ce  creflon  à  leurs  enfans  avec  le  pain.  Cecrc 
plante  ett  un  prefervatif. 

t  Voyez  ce  choix  d'Hercule  dans!Xenophon  ,  Mt- 
tnorah.  L.  ll.p.583.  Un  lavant  Seigneur  Anglois,  qui 
eft  mo:c  en  Italie,  avoit  fait  le  deHeÎA  dv  ce  choix 

d'Hei- 


AD   POGGÏUM.  ^If 

tcm  eft  afpernatusjejufquc  delicias  pro  nichilo 
putavit,  Intcllexit  enim  vir  ille,  quem  ob  fua- 
rum    virtutum    excellenciam    fortitudinifquf; 

f)reftanciam  gentilitas  Deorum  in  numéro  col- 
ocavit  ,  viam  illam  quam  virtus  fuadebat, 
.quamquam  difficiiem  ,  afperam  ,  laboribus 
anxietatibusque  plenam  ,  contineie  tamen  in 
fe  felicitatcm  ,  ik  demum  parituram  eiTc  leti- 
ciam  atquc  jocunditatcm  nullo  unquam  tem- 
pore  defuturam.  Quemadmodum  apud  Hefio- 
durn  *  eft, 

^Itcram    vero   viam    quam    voluptas   ingre- 
diendam  effe  alliciebat  ,    fimileni    elle  puta- 
vit hiftrionibus  ,    qui  cum  abjecfli  obfcuriquç 
homincs  fint,  fimulato  vultu  He(ftorem  ,  Aga- 
meranonem  rcferunt.  Ita  voluptas  vultu  blan- 
da  déliais  mulcet,  que  plerunque  in-  dolores 
converfe  perniciofam  ejus  naturam  oftendunt.  - 
Ex  his  igitur  ambabus  viis  tamquam  ex  diver- 
fis   fontibus  ,    felicitatem   miferiamquc   nafci 
reéle  arbitratus  eft.     Sed  neicio  quo  p,i(5îo  à 
gratulacione  ad  vite  reftitucioncm  (a)  ac  pre- /'3^pQ^(-^J^ 
cepta  oracio  defluxa  eft.  Ègo  vero ,  mi  Poggi,  {njh„'.tio~* 
non  ita  tui  ignarus  fum,ut  hocfcribcns  te  pre-«f««. 
ceptis  Philoibphie  ab  adolefcencia  admoduni 
eruditum  excitare  velim,  &  cantate  erga  fî- 
îium  ardentem  ardenciorem  efficcre ,  qui  fum- 
mo  amorc  filium  profcqueris,  ut  bonarum  ar-  '" 

tium  Difciplina  ,  maximarumque  rerum  expe- 

d'Hercule,  tiré  de  Xenophon,  qui  a  paru  au  Public 
d'un  très  bon  goût.  On  ne  fait  s'il  a  ete  exécuté. 

*  Hefîod,  Op.  &  Dier.  2S9.  On  a  mis  ce  vers  d'Hc- 
flode  en  la  placc  de  la  copie  fautive  ({ui  paioit  di»s 
wttc  Lettic^ 

X3 


^i6 


CiNCii  Epist  ad  Pogg. 


riencia  ac  cxemplo  vite  vel  tuum  vel  alios 
adolefcentes  ad  redam  vivendi  viam  facile  in- 
duccre  potes.  Scd  quia  hic  eft  amicorum  mos, 
hoc  munus  ,  ut  eos  qui  nobis  benevolcncia 
conjundi  funt,  nonnunquam  ad  preclara  opé- 
ra hortemur,  que  tamen  ipfos  efFcdluros  effe 
non  duhitamus ,  &  fi  quid  rerum  expetenda- 
rum  aut  à  natura  aut  a  fortuna  fibi  iributum 
r\  cft,  fimul  congratulemur,  ut  majori  efferan- 

tur  leticia  intelligentes  in  fuis  laudibus  eadem 
fentire,  que  amici  fenciunt,&  ampliori  etiam 
gaudio  extoUantur,  cum  percipiunt  fuis  feli- 
cibus  cvcntus  eos  quos  diligunt ,  aut  cque  aut 
cette  prope  gratulaii    Extremum  eft  ut  ad  nos 
qui  defiderio  tuo  vchementer  movemur  pro- 
pere  proficifcaris.   Quom  autem  advenetis  na- 
talicia  tui  fitii  folempni  in  conviviocelebtatuti. 
(*)  Forfan,  Ubi  tu  hujus  fympofii  ptincipis  (a)  una  cum 
fnnce^i.       grecorum  Jatinorum  Phjiofophorum  cctuade- 
ris,  niultaque,  ut  in  conviviis  fieri  folet,  in 
médium  ponentut  ,piefertim  difputacio  devo- 
luptatis  natuta,  que  profedo  patronos  habebit 
acetrimos,  cum  in  defenlionc  fue  caufe  epu- 
latum  fuavitaïc  ,crebfispoculis  fenfibus  jocun- 
ditatem  ita  intundet  ut  in  blanda  qunfi  merce- 
de  allccfti  pto  ipfius  dignitate  tuenda  acucius 
difputabunt.     Ego  eciam  qui  banc  ipfam  vo- 
luptatem  acerbiffimis  verbis   infedatus   fura , 
ab  hominibusque  exterminandam  efTc  cenfui, 
•  foftaffis  eam  in  graciam  rediffe  profitebor.  Es 

îperraria.  Id.  Odobris. 


IV. 


Man.  Chrys.  Orat.Funeb.  327 

I  V. 

ANDREA  JULIANI/^r^  MA- 

NUELE CHRYSOLORA 

FUNEBRIS  ORATIQ 

incipit. 

cl  quis  veftrum  eft,Viri  doâ:iffimi ,  qui  fort? 
admiretur ,  quod  ego ,  qui  neque  ingenio 
nequc  eloqucntia  is  fim  ,qui  in  Manuelis  fune- 
rc  laudes  nedum  Orationernea  ornare,fedpc- 
ne  vcrbis  referrepoffim:  inter  vosprimumfpçc- 
tati  atque  optimi  Viri  hujus  virtutes  immenfas 
aufus  fim  enarrare.  Hanc  totam  in  Guarinam 
noftrum  caufam  vertat ,  eft  fua  potius  benevo- 
îentia  folita,  quam  aut  auftoritate  mea,  aut 
aliqua  orandi  facultate,  quas  in  me  nullas  effe 
fcntio  addudlus,  hoc  mihi  dicendi  onus  adje- 
cit ,  cui  ex  ea  amicitia  ,  quse  mihi  cum  i!lo  jam 
diu  eft,  haud  aequum  elTe  cenfui ,  merem  fuis 
in  lacrymis  negare.  Majorem  tameninmodum 
cupiebam  ,  quod  cum  de  Manuele  defundo 
laudationem  audituri  fuiiTetis,  non  mei,  fed 
ipfius  Guarini  Oratio  fuiflfet,  qui  cum  magna 
dicendi  copia ,  tum  exercitationis  vi  praeditus 
fit:  fententia  mea  hanc  fibi  rem  vendicaredc- 
buiiTet.  Tamen  ,quoniam,  chariflimi  velutpa- 
tris  atque  fuaviffimi  Praecepîoris  morte  lachry- 
mae,  ut  videtis,  hoc  fieri  vetuerunt,  ad  me 
hanc  rem  detulit,  non,  quod  in  dicendo  aut 
doâ:ior,aut  uberior  vcrbis  lim  ,qui  mihi  fem- 
per  Praeceptores  &  Magiftri  fuiftis:  fed  quia  hu- 
jus ornatiffimi  viri  laudes  mecum  forte  faepius, 
quam  vobiscum  communicarc  folituserat.  Ve- 
ïum  neque  mihi  untum  aiTuftierem ,  Viri  lite,- 
X  4  M» 


^zS    Manuel.  ChrysoLor^ 

îatiffimi ,  ut  Manuelem  Chryfoioram  laudatiQ- 
ne  mea  diuturniorem  famamconfecuturumpu- 
tarem,  niii  integerrimam  ejus  in  oinni  paite 
setat:s  vitam  ,  lummam  religionis  fcientiam , 
fidem ,  contineniiam  confpicerem  ,  quse  etli 
non  orando  ,enumer2ndo  certe  non  minimam 
fibi  gloriam  vendicarc  potuerunt.  Quod  enim 
genus  orationis,  quae  copia,  quae  dicendi  aut  fcri- 
bcndi  auéloritas  hujus  nobiliffimi  Viri  clanffimi- 
que  Philolbphi,  fatis  ornate,  i"atis  digne  com- 
memorare  poffit  ?  Quas  ipl'o  potius  vivo,  quam 
mortuo,  utinain  rcferrc  nobis  cuntigllFct.  Sed  in- 
ceriusatqueinopinatuscafus  hanc  optatiffimam 
nobis  voiuptatcm  intercepit  Nam  cum  fummus 
Pontifex  Conitantiam  ire  coniiituiflet  ,  non- 
nuUolque  furamae  auftoritaiis  Viros  &  fapien- 
tiïe  .nque  erga  hanc  noftr.ini  religioneminfigni 
quadam  pietatc  afFcftos  fibi  delegifTct, Manue- 
lem inter  plurimos  haberc  conllituit ,  qui  in 
hanc  laudatiflîmam  rem,  ncceflariumque  ne- 
gotium  ira  omnem  curam,  ftudium,  diligen- 
tiamque  contuiit,  ut  neque  vim  uUara  jnequc 
iBlîdias,  neque  metus  pcrfpicere,  nec  fenedu- 
(a)  Forfan.  tis  fu3e  incommoda  aut  hhoxcs  extimare  (a)  vi- 
^j^tinieic.  deretur.  Quo  circa  hujus  tam  diu  agitatae,  di- 
vifae  laccrataeque  religionis  noilrae  divino  pro- 
pe  afFedu  permotus  Pontificibus  maximis,qui 
ipfius  gravitatem,  prudentiam  &  vitam,  tan- 
quamccelefte  oraculum  venerabantur,Concilii 
fententias, quantum  in  fe fuit ,fufcipiendas fore 
fuadere  conatus  eft.  Etutcaeterorumbonorum 
judicus  adhaereret,  omnem  itineris  longitudi- 
nem,  frigora ,  hyeraes,  viarum  afpcritates  ar- 
que mortcni ,  fi  opus  eflet ,  perferre  infiituit. 
Qua^  cum  ,  utcogitaret,  perfeda  fuiflentjin- 
^  veteratos  Graecorum  erroresad  Romanamreli- 
gionem  fua  opéra  acdiligentiadeduxiflet.  Quo 
(juideiii  o$ciQ  orflnilaudcatque  honore  dignit 


Oratio  Funebris.     ^ip* 

fimo  quid  majus  fieri ,  aut  divinius  cxcogitari 
poterat  ?  Quam  coronam  ,  quas  ftaiu<>s  huic 
yirOfCui  nuHus  honos,nifi  débitas,  nulia  gra- 
tis ,  nifi  digniffima  ,  reddi  poterat ,  homiiies ,  fi 
in  \uta  diutius  tuifletjftatuilîent?  Ipfemedius- 
fidius  non  folum  urbes ,  fed  ipfi  prope  oicam 
3gri,  colles,  &  fi  non  pare.s  maximos  certc 
honores  Manueli  decrevifieni  bed  cum  prae- 
ter  fuam  opinioncm  atque  omnium  bonorum 
judicium,  communem  omnium  libcriatem  de- 
fcffam  videret.ëc  ad  unius  voluntatem  redaéla 
omnia  jtandemque  Pontificem  fuum  ad  fugam 
redaélum  affiduis  fcbribus  oblefTus  e(t,  paucos 
poft  dies,dolore  magis  urgente, quam  morbo, 
cxceflit  e  vita.  Imo,  fi  diligentcr  aitendereac 
verc  judicare  voluerimus,  adeam  accellit  vi- 
tam,  ad  quam  majores  noftri  fuos  illullres  Vi- 
ros  afcendilfe  arbitrabantur,  qui  cum  fuis  curis 
ac  molcftiis  folutifuerantjfupcriorum'immor- 
talium  coetum  adiré  affirmabant,  quibus  non 
modo  ftatuas,  verum  etiam  aras  ac  templa  de- 
dicabant.  Eorum  fententias  fiquisnoftrum  vc- 
lut  facinus  probarit:  nefcio,  cur  non  Manueli 
noftro  inter  ipfos  fuperos  conftitutum  locum 
iudiccmus,pr2efertim  cum  totius  ante  adlaevi- 
tœ  fuae  mores  confpexerimus,oranemqueprae- 
tcriti  temporis  ac  pueritiae  raiionem  recordari 
voluerimus,  quam  demum  adolefcens  incredi- 
bili  penè  virtute  fummam  fuiffe  declaravit. 
Quis  enim  eft,  qui  tam  fingulari  humanitate, 
verecundia ,  modeflia  adolcfccntiam  fuam  or- 
naverit,  qui  eo  œtatis  tempore  omncs  libidi- 
nes  propulfavit  ?  qui  omnem  fui  corporis  par- 
tem  illsefam  fandtiffimamquc  fervaverit  ?  qui 
tcneris  adhuc  annis  fe  fie  ad  Philofophiam,  li- 
beraliumque  fcientiarum  ftudia  contuiit ,  ut  ado- 
lefcens inter  Philolbphos  &doctrina&  vita  nu- 
mcrarctur?  Hoc,  Viri  optimi,  paucis  conti^ 
^  5  ^giffe 


2^0     Manuel.  Chrysolor^e 

gifle  legimus.  Platonem  namque  &  Ariftotelcra 
àliquot  poft  adolefcentiae  fuae  annos  Philofo- 
phiae  operam  dedifle  confiât  .quorum  codiccs, 
quos  in  ieneftutc  e  média  Philofophia  hauftos 
Jcripferunt,  hic  adolefcens  magno  tludio  con- ' 
fecutus  eft,ut  csetcras  demum  setatis  fuœ  par- 
tes clariflîmis  virtutibus  nedum  ornaret,  fed  ut 
numquam  etiam  hominum  mcmoriaeycllipof- 
fent  ,eftecit.  Hifuntgradus,  Viriclariflimi  ,qui 
ad  dignit.îtes,  qui  ad  honores,  qui  ad  famam 
liberos  afcenius  parant.     Hsec  funt  ea  virtutis 
clementa,  quœ  non  fummis  ac  nobihffimis  vi- 
îis  folum,  vcrum  etiam  infimis,  immortalcnçi 
gloriam  vendicant.   Hujus  nimirum  adolefœn- 
tiam  omnes  vos  femperprobafliç,quitamegre- 
gic  tradu(5la  futurae  feneélutis  fuae  fundamenta 
his  moribus  ac  vita  jeccrat,  &  quse  ufque  ad 
pofteros  ipfius  cineres ,  fibi  pudicitiam  ,  caftita- 
îcmque  fervarat ,  quam  feculorum  nofircrum 
memoria,  hteratorum  virorum  commendatio- 
nes,  hominum  lingu?e  divinis  laudibus  celebra- 
bunt.  Pari  deinde  virtute,animo,cura,omnis 
avaritiœ  impctus  propulfavit,  quœ  non  folum 
privatos  pcnatcs,  verum  etiam  civitatcs,  pro- 
vincias,  omniumque  virtuium  ornamentacor- 
rumpit.  Ab  fe  enim  praeclareadum  ,exiftima- 
bat,  cum  minus  pecunias,muUum  gloriae  do- 
mura  reportafl'et    Quanta  fide, quanta  integri- 
îate  ration:s  pecuniam  exEuropa  exa(îlam(quam 
totam  pêne  illuflravit)  cum  ex  Byzantii  obfidio- 
ne  Icgatus  ad  ipfius  Principes  miffuseflct  ,Im- 
peratori  fuo  defignavit ,  qui  Principes ,  cum  bclli 
îieceffitate  addu(n:i  tum  maxime  dignitate,  fa- 
pientia  ac  auftoritate  hominis  moti  magnam 
auri  partem  contu'erunt.  QuainlegationeMa- 
îiuelis  fapientiam  atque  fidem  admirati  maxi- 
snis  faepe  prœmiis ,  cum  ipfuir.  ad  fe  duccre  co- 
siati  funt ,  ut  fuis  in  rébus  gercndiSj  confiliifque 

ça» 


DrATIO   FuNEBRIS.       3  2[  r 

'opiendis  tanti  Viri   prudentia   dulciffimaque 
hominis  familiaritateuterentur.  Sedutabomni 
libidine  corpus  :  ita  ab  omni  lucri  fufpicione 
animum  femper  averfum  habuit.   Quemadmo- 
dum  enim  ille  ipleTranfalpinaevoluptates  nul- 
lam  in  ipfum  luxurise  furpicionem  inferre  po- 
tuerunt  ,  fed  continentiœ  potius  fuse  cui  (ftis 
exemplum  atque  experimentum  cxtitere:  Ita 
illum  ncque  auri  fitis,neque  glorise  aut  hono- 
ris cupiditas,  neque  anibitio  u.la  ab  inftituto 
opère  retardavit.   No||  retertam  clariffimis  Vi- 
ïis  atque  optimis  artibus  Italiam  ad  quietem 
clegit:  non  imminenti  deniqut'  bello  oblatum 
otium  antepofuit:  ied  tanta  abllmentia  conti- 
nentiaque  ufus  eft ,    ut  tjuse  cgetcn  magnope- 
re  optare  videntur,  ab  Te  ea  ipfa  fpernenda  ju- 
dicaverit,  adeo  ut  non  ex  Byzantio  antiquif- 
fima  civitate  Augullorum  urbc,  aut  ex  patri- 
tia  famiha  ortum  ied  velut  e  cœlo  demiffum 
hommes  intuerentur.   Qua  vero  caeteris  in  ré- 
bus moderatiT:>ne,  huinanitate,  clementia  ufus 
fit,  facile  omnes  intelligunt.     Nec  fcio  ,    an 
Xenocratem  ,     aut    Tarentinum    Architam , 
aut  reliquos  homincs  inPhilofophiaclariffimos 
Manueli  non  modo  anteponere  ,fednec3equa- 
re  poffimi  qui  cum  aliquando  ab  semulis  at- 
que invidis  detradtum  (u^  dignitati  apud  Im- 
J)eratorem    intellexiilet  ,   non  modo  in  eos, 
cum  facile  poffet ,  ultus  cft ,  fcd  ultro  ie  in  pe- 
riculiseorum  defenforem  patronumque  confti- 
tuit.  Ampla  hseclaus  ,'memoriaC.hryfolor2rum 
nominis  dignitas  atque  gloria  ,&:ut  mododixi , 
quae  ex  mortalibus  hominibus  fuperorum  im- 
imortalium  cœtus  auget.    Sed  liberalitati  ejus 
quam  aliam  comparabimus?   Difficillimum  eft 
judicare  utrum  majore  laude  dignus  exUlime- 
tur,  an  ca ,  qua  in  fuos ,  aut  in  alios  ufus  fit. 
Cujus  rei  teftes  quam  plurimi ,  nifi  nota  haec 


532.     Manuel.  Chrysolor^ 

vobiseffent  .adduci  poflent,unum  tainenGua- 
rinum  nollrum  dicam  ,  qui  cum  Graecarum 
Jiterarum  ,  in  quibus  nunc  peritiffimus  eft, 
M'iiuelem  fibi  praeceptorem  delegiffet,  ab  eo 
non  modo  dodtiina  Ik  moribus  ornatus  fuit, 
fed  multis  aliis  perpetuis  ac  maximis  beneficiis 
faepenumero  adjutus.  Quod  non  minus  in 
omncs ,  qui  vcl'  artibus  luis  vel  opibus  eguif- 
fent,  fecilTe  conftat.  Quot  enim  ,  cum  aut 
fcientias,  aut  alicui  lludiolse  re'i  operam  darc 
jnftituiirent,  egeftate  ir^editi ,  fi  Manuel  de- 
fuiffet  ,incepta  nondum*e  ,  defecilTent  ?  Quan- 
ta vero  pietate,  mifencordia  fuerit?  non  gra- 
tiffiraa  lolum  in  parentes  ôc  neceflarios,  bé- 
néficia in  cives  fuos,  in  patriam  divina  prope 
mérita  déclarant;  verum  etiam  in  noilram  re- 
ligionem  ,  immoriaiiique  Dei  cultum,  hono- 
relque  agendos  ,  aflîduique  labores  ,  poftrc- 
moque  haec  legatio  demonltravit.  Quaeaman- 
di  ratio  ?  Illud  ego  v;fus  fum  diccrc  ,  quod 
faepius  a  fapieniifiimis  atque  optimis  viris  au- 
divi,  cum  in  Termonem  de  Manuelis  amicitia 
incideremus.  Neminem  umquam  aut  bencvo- 
leniia  in  omnes ,  aut  amicitia  in  bonos  viros 
ipium  antcccffiire,  neque  qui  in  comparandis 
aut  coniervanais  amicitiis  majorem  diligen- 
tiam  adhibent.  Nec  id  folum  libi  iplî  perfuade- 
bat:  verum  etiam  cum  nihil  ipfi  tam  virtuti 
confentaneum ,  tam  jucundum,  tam  necefla- 
rium  &  iecundis  Se  adverlîs  rébus  exiftimaret, 
omnes  quantum  poterat,  notos  &  necelTarios 
hortabatur,  ut  caeteris  rébus  humanis  amici- 
tiam  antcponerent.  Nihil  etiam  vel  ad  augen- 
dam  g  oriam  vel  ad  propriam  communemquc 
omnium  uniitatem  confervandam  majus  ne- 
que  viro  bono  dignius  a  natura  dari  polTe  di- 
cebat.  Hi  lunt,  Viri  clariffimi ,  humanitatis 
U  iapientlK  frudus ,    &  expreiTa  hisec  fign? 

yiç- 


OratioFunebris.     ^^i' 

Virtutis,  communique  hominum  confenfu  di- 
"vina  naturjB  commendatio.  Quae  etiamfi  mor- 
te hac  exringui  non  valeant ,  tanti  viri  con- 
fuetudine  nos  tamen  orbatos  video.     Quorum 
omnium  noftrum  dolorem ,  amicorum  &  ne- 
ceffariorum  ludtus  ,  mœrorem  patrise,  domus 
Chryfolitarum  calamitatem ,  quo  paélo  poffini 
fine  lachrymis  referre  non  video.    Ea  cnim 
setate  nobis  ereptus  eft  ,    qna  bonis  artibus, 
optimis  difdplinis,  &  Grœcis  &c  noftris,  haud 
parum  prodelFe  poterat.     Nam  ut  primum  ab 
his  fe  curis  ,    quod  toto  animo  conceperats* 
folvi{ret,omnem  ad  fcribendi  ftudium  operam 
atque   otium    contuliflet.     O   gravcm    atque 
îicerbum  diem  hune,  qui  non  folum  domefti- 
cis  ac  civibus  tuis  ,    verum    etiam  externis, 
hanc  tuam  mortem  nuntiavit  !    O  lugubres 
Epiftolse  nuper  hic  per'eétte  ,    lachrymarum 
atque  triftitiae  plenas  !  O  fors  hominum  igna- 
la  inteftabihfque  fortuna  ,    quam  repente  ea 
congratulatio ,  cupiditas  ac  voluptas,  quas  tui 
jucundi  i'editus  expeélatiopauloante  tuis  omni- 
bus afferebat,  ad  lachrymas  conciderunt,quaB 
nos  undique  ad  ludus  noftrofqus  erroris  dup- 
plicant,  &  inprimis  chariffimi  neceiîarii  tui^» 
Viri  ornatiffimi ,  atque  illa  tua  nobiliflima  fa- 
milia  digniffimi  JohannisChryfolorae,  lachry-- 
mae  movent,  quae  certe  me  plurimum  ad  di- 
cendum  impediunt  ,  cui  quid  infehcius  acci- 
dere  ,   aut   acerbius  inferri   poterat  ,   nefcio. 
Hic  eft  qui  generis  tui  dignitatem  ,    Itudia, 
honores ,     casteraque   paternae   familiae    tuac 
ornamenta  ,  lacerata  peneque  extincfta  ,  non 
modo    Clara   fobole  ,   fed  optimarum  artium 
difcipliha,  quas  a  te  olim  didicerat,  favente 
Deo  reficiet.  Sed  omittamus  nunc  de  Johanne 
dicere ,  cujus  humanitas ,  fcientia  ,  incredibi- 
lii  virtus  ac  lapientia  alios  ûbi  locos  veodicare 


534  Manuel.  CHRYsoLOR.ïi 
poterunt,  &  ad  id  noftra  redeat  oratio,  quod 
fuperius  dicendum  erat  ,  cum  Manudis  Itu- 
dium  6i  induftriam  coniinemorarem.  Cujus 
ingenium  ego  ipfe,  qui  nihil  de  eo  majus  aut 
admirabilius  ,  quamquair.  antea  audiveram  , 
affern  poffe  credcbam  ,  faepius  ac  vehemen- 
ter  admiratus  fum.  Nam  cum  jam  grandis 
effet,  nullius  Praeceptoris  auxilio  noftras  per- 
didicit  litcras  ,  neque  fibi  oneri  vifum  eft, 
cum  tôt  annis  Philofophise  ftudio  vacaffet , 
ad  puerilia  literarum  eleraenta  reverti  ,  com- 
modum  atque  orium  afpernari  ,  fomnum  ac 
voluptates  omnes  rejicere  ,  totumque  id 
tempus,  quod  ad  res  fuas  familiares  obeun- 
das  ,  quod  ad  ipfam  corporis  requiem  dari 
oportebat,  omnem  in  hanc  noftram  fcientiam 
perdifcendam  contulit.  In  qua  paulo  poil  tan- 
tum  profecit,  ut  dofliffimis  literatifque  Viris 
noftriseum  aequare  Latini  minime  dubitaverint, 
quod  haud  noitrarum  folum  illuftrandaruni 
caufa,  quas  clarifîîmis  Philolbphis ,  eloquen- 
tiflîmis  oratoribus  ,  fummifque  bonarum  ar- 
tium  dodoribus  refertasaudierat  ,verumetiarti 
ad  fuam  &  propagandam  &  confervandam 
fcientiam ,  feciffe  vidctur.  Nam  cum  Graecus 
fuerit,  multis  veftrum  patere  video,  ut  cre- 
dere  incipiatis  ,  Graecos  homines  ,  omnium 
quondam  fcientiaf  um ,  omnium  bonarum  ar- 
tium  ,  omnis  vitae  ,  optimarumque  rerum 
omnium  inventores  ,  praeceptores  ,  magiftros 
fuiffe  ,  cum  Manuelis  nolhi  vitam  perfpicitis, 
qui  omnibus  in  rébus  ita  irreprenfus  vixit,  ut 
bene  beateque  vivendi  cunélis  fe  fpeculum  ex- 
hibuerit.  Quod  quidem  mccum  revolvo,  ta- 
men  vobis  ,  fpeétat.Iîimi  Viri  ,  mihique  per- 
fuadeo ,  aequo  animo  Manuelis  mortem  effe 
perferendam  ,  qui  ita  ex  hac  noftra  vita  ex- 
ceflit ,  ut  immortalem  ipùus  animum  &  ad 

tht- 


OrATIO  FUNEBRIS.        ^^f 

ineliora  proficird ,  &  nobiscum  femper  arbi- 

trari  poffimus.   Sed  quo  nunc  te  vertes,  Grae- 

cia?  quas  parabis  hchrymas?  Philofophorum 

omnium  tuojum  gcnus  Manuelis  morte  mihi 

pcne  fepultum  videtur.  Cui  poft  hune  vacuas 

fcalas  trades  ?    cui  veteres  tuorum  illuftrium 

virorum  annales ,  cui  quondam  dx  majonbus 

tuis  artem  Philofophicam    affignabis  ?    quein 

lîbi  haeredem  inftitues  ?  Te  ipfam  lugere  opor- 

tet.     Nihil  enim  mali  accidifle  Manueli,  fed 

tibi  arbitrer,  &  li  quid  accidit,  tui  folum  in- 

fortunii  mœrore  accidit.  O  Socratis  fapientia  j 

o  Platonis  divinum  ingeniuml  Ariftotelis  ad- 

mirabilis  cundlis  in  rébus  ordo ,  Demofthenisi 

eloquentia  ,omniumque  Philofophorum  Athe- 

nicnlium  gympnafia ,  cui  nunc  ex  vefiris  tôt 

vigilias  ,   labores  ,  famam  committes  ?  Quid 

infortunii  tibi ,  infelix  Grsecia ,  addi  poterat ,  nilî 

ut  tôt  Regibus  exadlis ,    tôt  urbibus  everfis, 

tôt  rébus  publicis  deletis ,  tanti  quoque  Philp- 

fophi  decorem  amitteres?  Scd  cum  nihil  hac 

re  certius  homini  a  natura  datum  fit,  neque 

reliquis  in  rcbus  noftris  fempiterhum  aliquid 

aut  diuturnum  fecerit,  compofitis  animis  fe- 

renda  funt*  omnia.    Unum  tamen  perfuadere 

tibi  non  omittam.    Quoniam  Illulbiffimorum 

Imperatorum  atque  horum    Virorum  ,    quos 

nunc  dixi,  femper  fedes  ac  domicilium  fuifti, 

ut  non  folum  huic  locum  ftatuas  aut  ea  cor- 

porum  fimulachra  erigas,  quse  prseteritis  ho- 

minibus  dedicabas  ad  fuarum  immortalem  me- 

moriam  virtutum  eas  conftituas  effigies ,  quae 

apud  futura  fecula  fempiternam  de  fe  laudeni 

praedicant.     Et  ne  hoc  tam  claro  Viro  minus 

ttiam  grata  videare,  immortalem  ipfius  me- 

moriam  cole.  Cole  continentiam ,  moderatio- 

iicm,  humanitatem;  cole  liberalitatem ,  quam 

m  propin<juos,  in  amicos,  in  patriam  geffit; 

cole 


33<î    MaN.  ChRYS.  OrAT.  FUNEB. 

cole  ftn-ituni,  dodrinam,  divinarum  huma- 
îiarumque  rerum  fcientiam  hominis  tui.  Vos 
auteiTi  Viri  eloquentiffimi ,  ejus,  cujus  opéra, 
vos  noihseque  literae  tantum  funt  illuftratae, 
rec-rdàtione  ac  defiderio  amiciffimi,  inquam» 
Manuelis  nollri  gloriam  ,  nomenquc  totis  ani- 
iTiis  arque  ore  celebretis.  Nam  cum  omnibus 
rébus  tcrminos,  licct  incertos,  natura  pofue- 
rit  ,  horum  tamen  virorum  aetcrnam  apud 
mortales  famam  ,  nifi  intercidcrit  negligentU 
fcriptorum ,  ingénia  artefque  refcrvant. 


FIN   de  la  IV.  &  dernière  Partit 

duFoGGlfiK  K. 


I 


PLEASE  DO  NOT  REMOVE 
CARDS  OR  SLIPS  FROM  THIS  POCKET 

UNIVERSITY  OF  TORONTO  LIBRARY 


PA  Lenfant,   Jacques 

81+77  Poggiana 

B765Z77 
V.2