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Full text of "Poésies complètes de Charles d'Orléans, revues sur les manuscrits avec préface, notes et glossaire par Charles d'Héricault"

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POÉSIES  COMPLETES 


CHARLES  D'ORLÉANS 

REVUES    SUR    LES    MANUSCRITS 
AVEC 

PRÉFACE,    NOTES    ET    GLOSSAIRE 

PAR 

CHARLES    D'HÉRICAULT 


TOME  I 


PARIS 
LIBRAIRIE  ERNEST  FLAMMARION 

26,   RUE   RACINE,    26 


POESIES    FRANÇAISES 


CHARLES    DORLÉANS 


Jou<.  droits  réserves. 


li.      l'iCAU'. 


POÉSIES  COMPLÈTES 


DE 


CHARLES   D'ORLÉANS 

REVUES    SUR    LES    MANUSCRITS 
AVEC 

PRÉFACE,      NOTES     ET      GLOSSAIRE 

PAU 

CHARLES    D'HÉRICAULT 


TOME   l 


PARIS 

ERNEST    FLAMMARION,    ÉDITEUR 

26,     RUE     RACINE,     26 
Tous  droits  réservés 


7 


a)< 


X 


MAY24  1S55 


1078024 


VIE  DE  CHARLES   D'ORLEANS. 


L'Esprit  Français  possède  deux  qualités  qu'il  semble 
particulièrement  chargé  de  faire  valoir  dans  le  con- 
cert de  l'Esprit  Humain.  D'autres  peuples  peuvent 
cultiver  l'intelligence  plus  profondément  ou  plus  mi- 
nutieusement; ils  peuvent  rendre  leurs  sentiments 
avec  une  poésie  plus  souple,  plus  mélodieuse,  plus 
gracieuse,  plus  colorée,  leurs  sensations  avec  une 
imagination  plus  variée,  plus  humoristique,  plus  iro- 
nique, plus  réellement  observatrice,  plus  habileou 
plus  saisissante.  Le  génie  de  la  France  a,  par-dessus 
tout,  la  Force  et  la  Finesse.  Je  neveux  pas  prouver  ici 
que  c"est  de  la  première  que  naissent  sa  Simplicité  et 
sa  Précision,  —  les  vrais  éléments  de  la  force  durable, 
—  que  c'est  de  la  seconde  que  vient  sa  Clarté,  —  pre- 
mière conséquence  de  la  véritable  finesse.  —  Mais  je 
puis  dire  que  dès  le  début  de  notre  histoire  littéraire, 
dès  que  notre  langue  eut  cessé  de  bégayer,  Force  et 
Finesse  se  montrent  de  compagnie  :  le  ^  oyage  de  Char- 
lemagne,  cette  raillerie  si  inattendue,  n'est  pas  bien 
loin  de  la  chanson  de  Roland;  chansons  de  gestes  et 
fabliaux  cheminent  côte  à  côte,  parfois  même  en  se  mê- 
lant; et  la  chanson  de  Beaudoin  de  Sebourg  finit  le 
grand  cycle  de  la  croisade.  Nous  reconnaissons  pour 
grand  siècle,  non  pas  celui  où  il  y  a  eu  le  plus  de 
puissance  créatrice,  le  plus  de  poésie,  le  plus  de  phi- 
losophie, non  pas  le  xn\'  ou  le  xvi*  ou  le  xv  n-,  mais 
celui  où  la  Force  a  été  le  plus  constamment  à  côté  de 
la  Finesse,  où  Corneille  est  en  compagnie  de  Racine, 


VI  PRÉFACE. 

Bossuet  près  de  La  Fontaine,  Sévigné  dans  le  voisi- 
n.igc  de  Pascal;  et  notre  grand  homme,  ce  n'est  pas 
celui  qui  a  l'esprit  le  plus  varié,  le  génie  le  plus  vaste, 
l'imagination  la  plus  colorée,  le  style  le  plus  pur, 
(.'est  l'homme  qui  a  su  le  mieux  équilibrer  la  force 
et  la  finesse,  c'est  Molière.  Cet  équilibre,  il  semble 
que  nous  devions  le  chercher  sans  cesse  par  des  réac- 
tions, même  par  des  excès  de  l'une  de  ces  qualités 
3uand  l'autre  s'est  livrée  à  la  débauche  :  après  les 
épenses  de  mièvrerie  et  de  poésies  fugitives  où  la  Fi- 
nesse se  ruinait  au  commencement  du  xvii.°  siècle, 
vinrent  à  la  fin  les  extravagances  mugissantes  de  la 
Force,  les  discours  pompeux,  les  proclamations  em- 
phatiques et  les  déclamations  enthousiastes.  Et  pour- 
tant derrière  toutes  ces  parades  de  la  Force  en  délire 
la  Finesse,  tout  efl'arouchée  qu'elle  fût,  préparait  ses 
traits  qui  allaient  partir  sous  le  Directoire  en  mille 
couplets,  vaudevilles  et  pamphlets. 

Enfin,  cet  équilibre,  la  postérité  dans  ses  jugements 
travaille  toujours  à  l'établir.  Elle  donne  leur  revan- 
che aux  représentants  de  la  Finesse  quand  ceux-ci, 
écrasés  par  une  puissante  rhétorique,  par  un  pédan- 
tisme  tyrannique,  par  un  goût  excessif  de  l'ampleur 
et  de  la  vigueur,  ou  par  un  besoin  momentané  du 
travail  scolastique  et  de  la  recherche  érûdite,  ont  été 
méconnus  par  leurs  siècles. 

C'est  ici  que  j'en  viens  directement  à  Charles  d'Or- 
léans. 

Il  occupe  dans  l'histoire  littéraire,  comme  dans  l'his- 
toire politique,  nous  le  verrons,  la  plus  rare  position, 
et  si  rare  qu'elle  a  presque  les  allures  d'un  mystère. 

Voici,  en  eflet,  un  poète,  un  vrai  poète,  non  pas  un 
artiste  dans  telle  et  telle  école,  au  nom  de  telle  ou  telle 
mode  ou  règle  de  rhétorique,  mais  un  poète  du  cœur 
humain,  inspiré  par  un  sent'ment  large,  naturel  et 
sincère.  Encore  aujourd'hui,  il  nous  paraît  char- 
mant malgré  la  vétusté  et  les  couleurs  ternies  de 
l'habit  qu'il  porte.  Ce  poète  était,  en  même  temps, 
un  grand  seigneur,  un  prince,  un  Mécène.  Il  méri- 
tait donc  d'être  connu,  et  il  avait  toute  chance  d'ê- 
tre vanté.  De  plus,  il  arrive  au  commencement  de  la 
Renaissance,  au  moment  où  la  passion  de  la  poésie  est 
développée  jusqu'au  délire;  il  écrit  aux  débuts  de 
l'imprimerie,  au  temps  où  les  plus  creuses  rimes  sont 
reproduites.    Il    avait  donc   de  plus  en   plus  chance 


VIE    r>E    CHARLES     D    ORLEANS.  VU 

d'être  connu.  Son  lîls,  Louis  XII,  un  protecteur  des 
lettrés,  monte  sur  le  trône.  François  I"'  est  son  ne- 
veu, et  François  I''  développe,  met  en  honneur 
justement  les  qualités  littéraires  où  son  oncle  a  brillé, 
il  protège  les  poètes  qui  sont  de  la  même  famille  in- 
tellectuelle, et  c'est  tout  ce  qui  fait  l'immense  gloire 
de  Marot,  que  d'avoir  des  tendances  poétiques  analo- 
gues à  celles  de  Charles  d'Orléans.  Là  encore,  celui-ci 
avait  donc  toute  chance  d'être  vanté. 

Or  non-seulement  il  n'est  pas  vanté,  il  n'est  même 
pas  connu.  Il  est  oublié  à  un  point  qui  ne  se  peut 
dire.  Ses  contemporains  n'en  parlent  pas,  ses  succes- 
seurs du  xvi«  siècle  n'en  sonnent  mot  et  son  existence 
était  ignorée  du  xvii«  siècle. 

Il  y  a  là,  sans  doute,  un  mystère  qui  a  paru  assez 
étonnant  à  tous  ceux  qui  se  sont  occupés  de  Charles 
d'Orléans.  Je  crois  que  l'explication  est  possible,  on  la 
trouve  en  étudiant  l'histoire  littéraire  du  xv«  siècle. 
La  linesse  pure  que  représente  Charles  d'Orléans  était 
exclue  de  ce  siècle.  Villon  n'a  passé,  si  je  puis  dire, 
qu'à  l'aide  de  sa  vigueur  intellectuelle;  encore  la  place 
que  ses  contemporains  lui  ont  faite  est-elle  bien  pe- 
tite. La  postérité  a  été  obligée  de  prendre  sa  cause  en 
main,  quoique  avec  moins  d'efforts  que  pour  Charles 
d'Orléans  et  pour  ces  trois  autres  inconnus  duxv  siè- 
cle, ces  trois  autres  charmants  et  réhabilités  repré- 
sentants de  la  Finesse,  les  auteurs  du  Petit  Jean  de 
Saintré,  de  Jean  de  Paris  et  de  l'avocat  Pathelin.  Vil- 
lon et  Pathelin  n'avaient  survécu  que  par  ce  qu'ils 
avaient  de  grossièrement  populaire.  Les  trois  autres 
écrivains  qui  n'avaient  rien  que  de  fin  furent  oubliés. 

L'instinct  littéraire  du  xv  siècle,  l'instinct  général 
se  portait  vers  la  science,  vers  l'ampleur,  vers  la  gra- 
vité et  l'emphase,  vers  tous  les  excès  du  travail  et  de  la 
vigueur  intellectuelle;  l'aisance,  la  simplicité,  la  grâce 
étaient  oubliées  ou  méprisées.  Or  cet  instinct  était 
énergique,  et  il  avait  créé  une  école  puissante,  dédai- 

Igneuse  comme  toutes  les  écoles  de  pédants,  habile 
dans  l'art  de  l'admiration  mutuelle,  comme  toutes  les 
écoles  oij  la  médiocrité  domine,  et  violemment  e-vc/w- 
siviste  comme  toutes  celles  où  la  recherche  et  la  con- 
vention sont  le  mot  du  guet.  Pour  elle,  pour  cette 
école  où  les  Molinet,  les  Crestin,  les  Le  Maire  étaient 
les  grands  maîtres,  tout  ce  qui  ne  se  rangeait  point 
parmi   les  disciples,  qui  n'acceptait  pas  les  formules 


VIII  PREFACE. 

consacrées,  et  avait  la  candeur  de  cultiver  les  for- 
mes aisées  soit  du  rhythme,  soit  de  la  langue,  tout 
cela  était  méprisable,  grotesque,  inavouable  et  sou- 
mis à  l'excommunication  majeure  du  dédain  et  de 
l'oubli. 
.  Pour  de  tels  pontifes  littéraires,  Charles  d'Orléans 
I  qui  disait  simplement  les  choses,  dans  une  langue 
sans  prétention;  qui  n'avait  essayé  aucune  des  soixante 
manières  de  torturer  un  rondeau,  et  qui  n'avait  pas  eu 
l'humilité  de  demander  la  permission  de  parler  fran- 
çais en  s'excusant  humblement  de  son  maternel  et 
rural  langage,  Charles  d'Orléans  était  un  profane. 
/  Il  était  un  poète  amateur,  un  poète  d'album,  pour 
me  servir  de  cette  désignation  moderne.  C'est  là  le 
mot,  et  c'est  là  l'explication  du  mystère  de  sa  position. 
Ce  jugement  fut  accepté,  imposé  à  ceux  deses  parents 
qui  occupèrent  le  trône  et  tenu  pour  bon  par  LouisXII 
comme  par  François  I*''. 

Il  fut  donc  dédaigné  parce  qu'en  un  temps  où  l'école 
était  toute-puissante,  il  ne  fut  pas  poète  de  l'école  du 
xv«  siècle,  mais  un  poète  français,  un  poète  humain. 
Par  contre,  c'est  pour  cela  que  la  postérité  l'a  réha- 
bilité. 

Je  me  suis  parfois  demandé  si  le  trouble  apporté 
dans  les  habitudes  littéraires  par  les  premiers  efforts 
de  l'imprimerie  ne  fut  pas  pour  quelque  chose  dans 
l'obscurité  de  notre  poète.  J'ai  supposé  que  Charles  et 
ses  copistes  avaient  été  portés  à  rester  dans  les  vieilles 
traditions  du  Moyen  Age  qui  renfermaient  les  œuvres 
importantes,  les  œuvres  des  princes  dans  les  manus- 
crits, dans  les  parchemins  bien  écrits  et  bien  ornés. 
Peut-être  les  préjugés  du  temps  forçaient-ils  le  duc 
de  sang  royal  à  considérer  la  publicité  de  ses  œuvres 
comme  indigne  de  lui,  et  les  œuvres  imprimées 
comme  choses  de  commerce  banal  et  de  marchan- 
dise bourgeoise.  Il  n'y  a  là  qu'une  hypothèse,  que  je 
livre  à  la  discussion.  J'ajouterai  que  Louis  XII  et 
François  I"'  ont  dû  être  tentés  de  voir  dans  ces  poésies 
des  impressions  toutes  personnelles,  tout  intimes, 
toutes  de  famille,  et  qu'il  ne  convenait  pas  de  confier 
au  public. 

Quoi  qu'il  en  soit,  c'est  aux  accidents  de  sa  vie,  à 
son  long  emprisonnement  que  le  prince  dut  d'être 
resté  ainsi  personnel,  original,  de  s'être  maintenu  dans 
le  grand  courant  de  la  poésie  humaine  et  dans  lesl'gnes 


VIE    DE    CHARLES     D    ORLEANS.  IX 

générales  de  la  littérature.  Sans  eux,  il  eût  eu  quelque 
chance  de  devenir  un  savant  élève  d'Eustache  Des- 
champs, un  émule  d'Alain  Chartier,  de  Georges  Chas- 
teiain  et  de  Meschinot,  il  nous  eût  peut-être  donné, 
avant  Biaise  d'Auriol,des  ballades  doubles  couronnées 
à  double  unissonnance,  ou  dorées  par  équivoques  mâles 
ou  femelles,  simples,  composées  ou  mêlées.  Mais  il 
n'eût  pas  affermi,  fortifié  la  langue  française  et  enrichi 
de  véritables  joyaux  notre  trésor  intellectuel.  Il  n'eût 
pas  surtout,  ce  qui  est  sa  plus  grande  gloire  comme 
son  mérite  éminent,  été  un  des  chaînons  de  cette 
tradition  qui  permit  au  xvii=  siicle  de  tixer  la  langue 
française;  un  de  ces  fermes  et  indépendants  écrivains 
qui,  de  la  fin  du  xiii=  siècle  au  milieu  du  xvi«,  pen- 
dant ce  long  sommeil  où  l'originalité  créatrice  avait 
cédé  la  place  à  l'imitation  consciencieuse,  lourde  et 
pédante,  ont  défendu  naïvement  le  génie  français. 

Les  incidents  de  sa  vie  ne  servirent  pas  seulement 
à  lui  donner  une  place  à  part  dans  notre  littérature, 
ils  le  mirent  aussi  dans  une  des  plus  curieuses  situa- 
tions que  l'histoire  puisse  enregistrer.  Il  fut  la  Belle 
au-Bois-dormant  de  la  féodalité.  Il  s'endormit  quand 
les  grands  vassaux,  dont  il  était  l'un  des  plus  puis- 
sants, étaient  tout,  et  se  réveilla  quand  la  royauté  res- 
tait presque  complètement  maîtresse  de  la  France. 

La  biographie  que  nous  allons  donner  aussi  étert>- 
due  que  le  permettent  les  limites  de  ce  livre,  va  nous 
foui  nir  les  preuves  et  le  développement  de  ces  idées 
picliminaires. 


Notre  poëte  est  fils  de  Louis  de  Valois,  duc  d'Or- 
léans, qui  était  frère  de  Charles  VI  et  second  fils  de 
Charles  V.  Il  eut  pour  mère  Valentine,  fille  de  Galéas 
Visconti,  seigneur  de  Milan.  Louis  et  Valentine  ont 
laissé  dans  l'histoire  une  trace  lumineuse  qui  éclaire 
et  la  vie  que  nous  esquissons  et  les  origines  de  la 
Renaissance. 

Louis  d'Orléans  est  un  des  types  les  plus  accusés  de 
cette  race  des  Valois,  la  branche  la  plus  épanouie  et 
la  plus  parfumée  de  la  fleur  de  lis,  la  poésie  chevale- 
resque de  la  maison  de  France;  race  qui  paraît  avoir 


X  PREFACE. 

eu  pour  caractère  d'aimer  les  belles  ou  les  grandes 
choses,  qui  subit  le  plus  de  revers,  qui  tomba  le  plus 
bas  et  porta  le  pays  au  plus  haut.  Non  moins  saisis- 
sante par  la  variété  de  ses  fortunes  que  par  la  fou- 
gue de  son  mouvement,  elle  semble  avoir  fait  de  l'his- 
toire de  France  un  merveilleux  poème  épique,  moitié 
chanson  de  peste  héroïque,  moitié  roman  d'aventures, 
amoureux  et  chevaleresque.  Louis  de  Valois,  l'un  des 
plus  ambitieux  et  des  plus  voluptueux  de  ce  sang  au- 
dacieux et  galant,  l'un  des  plus  lettrés  de  cette  famille 
magnifique,  et  des  plus  fanatiques  d'art  et  de  luxe, 
résuma  en  lui  toute  cette  diversité  des  destinées  de  sa 
maison,  son  éclat  et  son  infortune.  Il  rêva  dix  cou- 
ronnes et  mourut  comme  l'on  sait.  Exécré  de  la 
masse  de  ses  contemporains  qu'il  insultait  par  l'effron- 
terie de  ses  amours,  hai  parle  peuple  qu'il  pressurait 
pour  les  besoins  de  son  luxe,  méprisé  par  la  bour- 
geoisie, déjà  maîtresse  de  l'opinion  et  de  la  chronique 
et  qui  voyait  en  lui,  non-seulement  un  libertin  effréné, 
non-seulement  un  tyran  cupide,  mais  un  .«avant,  un 
penseur,  un  curieux,  un  novateur  dont  les  recherches 
inquiétaient  les  préjugés;  il  sut  pourtant  séduire  jus- 
qu'à l'histoire.  Cette  puissance  de  séduction,  si  grande 
que  les  gens  du  xv  siècle  y  voyaient  de  la  sorcellerie, 
il  l'exerce  jusque  sur  nous;  et  nous  so;ames  toujours 
tentés  d'oublier  les  hontes  de  sa  corruption,  l'odieux 
de  son  avidité  et  la  folie  de  son  ambition,  pour  nous 
représenter  sa  générosité,  sa  bonté,  sa  franchise,  pour 
nous  rappeler  l'ami  des  poites  et  des  lettrés,  l'amou- 
reux des  beaux  livres,  des  peintures,  des  grands  mo- 
numents comme  des  tins  joyaux,  des  reliures,  des 
tapisseries,  des  pierres  fines. 

.Mais  ses  contemporains  mêmes,  si  disposés  qu'ils 
fussent  à  le  mal  juger,  rendaient  justice  à  ses  hautes 
qualités  intellectuelles.  Un  voyageur  qui  nous  raconte 
ses  impressions  de  l'an  i3q5  nous  dit,  non-seulement 
qu'il  est  taillé  pour  faire"  un  grand  prince,  mais  il 
constate  sa  sagesse  (sa  science).  Quel  cœur  de  fer  ne 
s'attendrirait  pas,  dit  le  Religieux  de  Saint-Denis,  en 
voyant  l'exécrable  meurtre  de  ce  prince  si  intelligent 
et  si  politique,  dont  l'cloquence  élégante  le  mettait  au- 
dessus  des  autres  seigneurs,  et  que  sa  beauté  et  sa 
bonté  infinie  rendaient  si  attrayant. 

C'était  cette  facilité  d'éloquence  plus  encore  peut- 
être  que  l'étendue  de  ses  connaissances  qui  frappait 


VIE    DE    CHARLES     D    ORLEANS.  XI 

les  gens  graves  de  son  temps.  Le  Religieux  de  Saint- 
Denis  y  revient  encore  :  il  avait,  dit-il,  à  titre  de 
prérogative  singulière,  une  éloquence  naturelle  et 
dune  extrême  facilité.  Juvénal  des  Ursins  nous  le 
montre  un  jour  haranguant  ses  ennemis  les  Parisiens. 
«  Il  usa  de  moult  belles  et  gracieuses  paroles,  dit-il,  car  J 
il  en  estoit  bien  aisé.  »  Retenons  ces  qualités  de  facilité, 
d'aisance  et  de  grâce  en  songeant  à  notre  poète. 

Celui-ci  dut   plus  encore  à  Valentine,   Valois  elle 
aussi  par  sa  mère,  mais  par-dessus  tout  italienne,  et  j 
si  je  puis  dire,  l'une   des    mères   de  la  Renaissance,  i 
C'est  elle  qui,  en  donnant  à  ses  enfants  des  droits  sur 
ritalie,  poussa  la  France  à   aller  chercher  là  le  soleil 
qui  devait  faire  éclore  les  germes  littéraires  ensevelis 
par  le  xv^  siècle  sous  la  poussière  germaine,  flamande  et 
bourguignonne  ;  elle  aussi  qui  en  donnant  à  ses  des- 
cendants Louis  XII,  François  I"'  et  Henri  II  cette  grâce 
f»articulière  au  génie   transalpin,   assouplit    la  force  '1 
rançaise  et  étendit,  en  l'amollissant,  lajïnesse  gauloise. 
Cette  grâce   si  expressive  en  elle  que   les  contempo-    f 
rains.là  encore,  criaient  à  la  sorcellerie,  cette  souplesse,    I 
cette  mollesse,  cette  chaleur  intellectuelle,  nous  ne  de-    ! 
vons  pas  les  oublier  non  plus  en  songeant  à  Charles    ' 
d"Orléans. 

C'est  donc  de  ce  Valois,  poète,  amoureux,  lettré,  re-  ; 
marquab'e  par  les  qualités  faciles  de  son  esprit  et  de  ' 
son  cœur,  de  cette  Italienne  sensible,  gracieuse,  ai- 
mante et  intelligente,  de  ce  père  et  de  cette  mère  éner- 
giques tous  deux,  ambitieux  tous  deux,  que  naquit 
notre  poite,  le  26  mai  iSgi.  Cette  date  n'est  mise  en 
doute  par  personne,  et  à  difaut  d'autres  preuves,  les 
Comptes  de  l'Hôtel  suffiraient  pour  laisser  cette  année 
iSgi  hors  de  doute.  Pourtant  les  deux  plus  graves 
his'toriens  de  ce  temps,  l'un,  hi-toriographe  presque 
officiel,  le  Religieux  d^  Saint-Denis,  aont  je  parlais 
plus  haut,  nous  dit  :  Vers  le  milieu  de  novembre  — 
de  l'année  1394,  —  madame  la  duchesse  d'Orléans, 
dans  la  maison  royale  de  Saint-Paul,  mit  au  monde 
un  tils  auquel  '<  le  roi  de  France,  Charles,  en  le  tenant 
sur  les  fonts  sacrés,  donna  son  nom.  »  «  En  ladite  an- 
née, i3q4,  nous  raconte  l'autre  historien  Juvénal,  que 
jicitais'aussi,  la  duchesse  d'Orléans  eut  un  fils  nommé 
(Charles,  et  à  le  baptiser  y  eut  grande  solennité.  »  Belle- 
forêt,  Guyon,  Mézeray  nous  donnent  aussi  gS  ou  94. 
Devons-nous  supposer  que  les   deux  vieux  chroni- 


XII  I'  R  E  F  A  C  E . 

qucurs  aient  cnntondu  la  naissance  avec  le  baptême  qui 
eut  lieu,  deux  ans  pkis  tard,  et  où,  en  eiTet,  entre  au- 
tres solennités,  Louis  d'Orléans  créa  cet  ordre  du  Porc- 
Eric  dont  parlait  tout  au  long  la  Chronique  aujtjur- 
d'nui  perdue,  ou  momentanément  perdue,  d'Hannotin 
de  Clairieux,  héraut  dOrléans. 

Nous  aurions  trouvé  dans  cette  Chronique  le  nom  de 
tous  les  personnages,  familiers  ou  amis  de  la  maison 
d'Orléans  et  parmi  lesquels  Charles  avait  passé  son  en- 
k  fance.  Nous  pouvons  supposer  qu'il  fut  élevé  au  milieu 
'  des  poètes  et  parmi  les  livres.  Les  poètes  avaient  tou- 
jours joué  un  grand  rôle  dans  l'éducation  militaire  et 
chevaleresque  des  grands  barons,  et  les  livres,  au 
XIV»  siècle  et  sous  les  Valois,  commençaient  à  joindre 
leurs  efforts  à  ceux  des  poètes-chanteurs.  Celte  sorte 
de  cour  d'amour  qui  gravitait  autour  de  Louis  d'Or- 
léans et  à  laquelle  nous  devons  le  livre  des  Cent 
Ballades  ne  fut  pas  sans  influence  sur  ce  jeune  esprit. 

(Les  deux  grands  auteurs  d'alors,  F.ustache  Deschamps 
et  Christine  de  Pisan,  étaient  les  favoris  de  Louis,  en- 
touré d'ailleurs  de  translateurs  et  d'cscripvains  tout  au- 
tant que  de  peintres-enlumineurs,  d'imagiers,  d'archi- 
tectes et  d'orfèvres.  La  Bible,  les  Histoires  anciennes,  la 
Vie  de  saint  Louis,  le  Miroir  historial,  les  Chroniques 
de  France,  il  fait  tout  traduire.  Il  achète  des  Ballades, 
des  Chansons,  tous  les  livres  de  poésie,  de  moralité  et 
d'histoire.  La  collection  de  Joursanvault  nous  donne 
le  détail  de  ces  achats,  les  titres  de  ces  ouvrages  qu'on 
retrouvera  plus  tard  dans  la  bibliothèque  de  Charles 
et  signés  de  sa  main. 

C'est  là,  sans  doute,  qu'il  chercha  la  récréation 
de  ses  yeux  d'enfants,  de  son  esprit  d'adolescent.  Je 
ne  veux  pas  oublier  de  citer,  à  côté  de  toutes  ces  élé- 
gances des  palais  paternels  et  de  toutes  ces  sources 
(i'ins'.i'uccion,  ce  jardin  de  Saint-Marcel  où  son  père 
avait  rassemblé  tant  de  plantes  rares  et  dont  la  ver- 
dure et  les  fleurs  purent  fournir  à  son  imagination 
poétique  les  éléments  que  nous  y  trouverons  plus 
tard. 

En  fait,  la  première  fois  que  je  le  vois  agir,  c'est  en 
iSgg  et  1400.  Il  est  alors  escuyer,  et  au  mois  de  mai, 
en  compagnie  de  quelques  grands  seigneurs,  il  reçoit, 
sslon  l'usage,  une  houppelande  des  mains  du  roi.  En 
1402,  les  comptes  des  dépenses  de  la  maison  d'Or- 
léans ùous  le  montrent  escorté  d'un  chapelain  et  d'un 


VIE    DE    CHARLES    0    ORLEANS.  XIII 

maistre  d'école.  En    1403,   Charles  VI    lui   fait  une 
jjension  de  12,000  livres  d'or. 

Je  n'ai  plus  présente  à  l'esprit  la  date  des  pourpar- 
lers qui  eurent  lieu  sur  la  question  de  le  marier  avec 
la  marquise  de  Moravie,  nièce  de  Wenceslas,  roi  des 
Romains.  Louis  d'Orléans,  très-ambitieux  pour  son 
fils  comme  pour  lui,  le  voyait  déjà,  grâce  à  cette  union, 
roi  de  Bohême,  de  Hongrie  et  de  Pologne.  Ce  projet 
fut  très  vague,  j'imagine.  Le  4  juin  1404,  on  le  tiança 
avec  Isabelle,  tille  aîné  de  Charles  VI,  veuve  à  dix  ans 
du  roi  Richard  d'Angleterre  qu'elle  n'avait  pas  connu, 
et  revenue  en  France  depuis  le  mois  d'août  1401.  Le 
mariage  eut  lieu  le  29  juin  1406.  La  jeune  princesse 
avait  alors  dix-sept  ans,  —  elle  était  née  le  1 3  novembre 
1389,  —  Charles,  quinze  ans.  <(  Pleuroit  fort  ladite 
Isabeau,  »  dit  Juvénal  des  Ursins,  qui  indique  en   la 

Îirincesse  un  grand  dépit  d'avoir  pour  mari  un  enfant, 
e  lis,  dans  une  des  notes  de  Gaignères  qu'elle  ap- 
porta à  ce  jeune  époux  5oo,ooo  francs  de  dot.  J'avais 
d'abord  été  tenté  de  trouver  là  quelque  confusion  avec 
les  5oo,ooo  francs  de  la  dot  que  les  Anglais  devaient 
restituer  et  qu'ils  gardèrent,  en  menaçant  de  conserver 
la  princesse,  si  on  ne  leur  permettait  pas  de  la  dé- 
pouiller. Les  archives  nationales,  dans  l'original  du 
traité  de  mariage  (5  juin  1406),  ne  parlent  que  de 
3oo,ooo  livres.  Mais  je  vois  une  lettre  du  23  juin  1406, 
par  laquelle  Charles  VI  promet  de  donner  en  outre 
200,000  livres.  Quant  à  Louis  d'Orléans,  il  assigna 
pour  douaire  à  sa  belle-fille  six  mille  livres  de  rente 
sur  la  cbâtellenie  de  Crécy  en  Brie.  Les  dispenses  né- 
cessaires pour  célébrer  le  mariage  entre  cousins  ger- 
mains avaient  été  accordées  par  Benoît  XIII,  à  Taras- 
con,  le  5  janvier  1405. 

Nous  ne  savons  rien  de  ce  mariage,  sinon  que  la 
pauvre  princesse  mourut  en  couches  le  i3  septembre 
1409,  laissant  une  fille,  celle  même  dont  la  naissance 
lui  coûtait  la  vie.  Quelques  biographes  s'étonnent 
que  Charles  n'ait  pas  chanté  son  bonheur,  lui  qui 
aimait  tant,  disent-ils,  à  entretenir  le  public  de  tout  ce 
qui  le  concernait  et  qui  a  tant  vanté  sa  seconde  femme, 
Bonne  d'Armagnac  Ils  en  concluent  qu'il  a  été  fort 
malheureux.  Mais  l'embarras  même  où  ils  sont  pour 
deviner  qui  est  cette  beauté  que  le  prince  a  chantée, 
démontre  au  contraire  que  s'il  disait  volontiers  ses 
impressions,  il  racontait  peu  ses  aventures,  et  qu'il 


XIV  PREFACt;. 

1  faisait  de  la  poésie,  non  de  la  chronique  scandaleuse.  Je 
montrerai  plus  tard,  du  reste,  que  rien  ne  prouve 
qu'il  n'ait  pas  adressé  ses  vers  à  Isabelle,  et  c'est  pure 
fantaisie  de  supposer  que  son  poème  s'inspire  de 
Bonne  d'Armagnac,  morte  deux  ans  avant  le  temps  où 
il  envoie  un  messager  à  cette  dame  Beauté,  le  soi- 
disant  symbole    de  la  demoiselle  d'Armagnac. 

Quoi  qu'il  en  soit  du  rêve  ou  du  cauchemar  qu'a 
pu  être  pour  lui  cette  première  année  de  ménage,  il 
en  fut  réveillé  par  un  terrible  coup.  Le  23  novembre 
J407,  Louis  d'Orléans  était  assassmé  par  les  gens  du 

Iduc  de  Bourgogne,  «  la  plus  pileuse  et  douloureuse 
aventure,  dit  NÎonstrelet,  qui  de  longtemps  fut  arrivée 
au  chrétien  royaume  de  France.  » 

La  nouvelle  de  ce  crime  fut  apportée  à  Château- 
Thierry  où  il  était  avec  sa  femme  et  sa  mère.  Cette 
mort  lui  donnait,  au  nom  du  testament  fait  par  Louis 
en  1403,  le  duché  d'Orléans,  les  comtés  de  Valois,  de 
.ôlois,  de  Dunois  et  de  Beaumont,  la  baronnie  de 
Coucy,  la  châtellenie  de  Chauny,  Fallouel  et  Cou- 
drcn,  le  duché  du  Luxembourg,  le  comté  d'Ast,  tous 
les  droits  qui  pouvaient  lui  venir  du  chef  de  sa  mère, 
héritière  aes  ducs  de  Milan,  et  un  véritable  trésor 
d'objets  mobiliers.  Mais  il  lui  imposait  aussi  une 
situation  que  nous  allons  étudier. 


II. 


A  la  mort  de  son  père,  Charles,  jusque-là  comte 
d'Angoulême,  devint  duc  d'Orléans  et  l'un  des  quatre 
chefs  de  la  féodalité  française.  Je  compte,  en  etfet, 
avec  lui,  non-seulement  le  duc  de  Bourgogne  et  le  duc 
de  Bretagne,  mais  au_ssi^l^eroi  dlAngleterxe.  Il  faut  bien 
comprendre  la  situatioiTde  cedernier  pour  expliquer 
et  excuser  la  conduite  de  Charles  d'Orléans  en  mainte 
circonstance.  Le  roi  d'Angleterre  était  dans  une  posi- 
tion analogue  à  celle  du  roi  de  Sicile,  prince  français^ 
seigneur  de  l'Anjou.  Il  était,  non  pas  seulement  un  roi 
étranger,  mais  un  grand  baron  français  par  droit  lé- 
gitime de  mariage  et  d'héritage.  A  ne  consulter  que 
les  vieux  usages  féodaux,  largement  interprétés  dans 
ces  temps  de  troubles,  ses  pairs  pouvaient,  sans  for- 


Vlli    DE    CHARLES    D    ORLEANS.  XV 

faire  à  l'honneur  contemporain,  voir  en  lui  un  allié. 
C'était  là  le  vice  de  la  féodalité  déclinante.  Elle  avait 
été  le  progrès,  la  civilisation,  le  salut  de  la  France, 
elle  en  devenait  la  ruine.  Après  avoir  été  une  institu- 
tion féconde,  elle  était  un  parti,  et  comme  l'histoire 
nous  le  montre  de  tous  les  partis,  elle  mettait  ses  pré- 
jugés et  ses  intérêts  au-dessus  des  instincts  supérieurs 
de  la  famille,  du  patriotisme,  de  la  morale  et  de  la 
religion.  J'insiste  sur  cela  qui  doit  éclairer,  ai-je  dit, 
quelques  points  de  cette  biographie.  On  ne  prou- 
verait pas  grande  équité  j'imagine,  en  faisant  peser 
sur  Charles  d'Orléans  tout  le  poids  des  fautes  et  des 
idées  de  son  temps. 

Je  n'ai  pas  compris  les  barons  du  Midi  dans  ma  liste 
des  puissances  féodales.  Ecrasé  depuis  la  guerre  des 
Albigeois,  obligé  de  lutter,  constamment  contre  les 
Anglais  maîtres  de  la  Guyenne,  ce  pays  cherchait  à 
former  des  ligues  de  province  pour  sa  propre  défense. 
Mais  il  n'avait  pas  à  présenter  un  seigneur  dont  la 
puissance  pût  se  comparer  à  celle  des  quatre  grands 
princes  que  nous  venons  de  signaler.  Il  se  mêla  pour- 
tant à  la  lutte  et  y  prit  bientôt,  grâce  au  génie  de  son 
représentant,  le  comte  d'Armagnac,  une  part  prépondé- 
rante. Dans  le  début,  et  avant  d'être  un  des  derniers 
incidents  de  la  grande  querelle  entre  le  Nord  et  le 
Midi,  avant  de  devenir  le  suprême  événement  de  la 
bataille  engagée  entre  la  France  et  l'Angleterre,  l'affaire 
fut  surtout  un  duel  féodal,  une  sorte  de  combat  ju- 
diciaire entre  Orléans  et  Bourgogne.  Duel,  combat, 
où  chacun  en  appelait  au  jugement  de  Dieu  et  où  la 
royauté  devait  intervenir  comme  juge  de  camp,  pou- 
vant, au  moment  venu,  jeter  entre  les  combattants  le 
bâton  de  commandement  qui  devait  les  séparer.  Mais 
débile  encore,  plus  affaiblie  en  ce  début  de  sa  puis- 
sance que  la  féodalité  en  son  déclin,  la  royauté  se 
laissa  traîner  à  la  suite  des  deux  combattants  pour 
mettre  au  service  tantôt  de  l'un  tantôt  de  l'autre  ce 
peu  qu'elle  avait  alors  de  prestige  et  de  force. 

Il  nous  faut  nous  contenter  de  ce  résumé  sommaire 
de  la  situation  historique  au  milieu  de  laquelle  notre 
prince  s'agita  depuis  la  mort  de  son  père  jusqu'à  la 
bataille  d'Àzincourt. 

Etait-il  bien  capable  de  diriger  et  de  dominer  des 
événements  aussi  graves  que  ceux  où  il  se  trouvait  si 
brusquement,  si  douloureusement  jeté,  événements 


XVI  l'KÉFACE. 

dont  la  gravité  allait  se  développer  de  jour  en  jour  et 
le  mettre  lui  en  une  telle  lumière  que  l'histoire  de 
I  France  n'est  plus  à  ce  moment  que  l'histoire  de 
J  Charles  d'Orléans?  C'est  la  première  de  toutes  les 
questions  sur  lesquelles  les  biographes  de  notre  poëte 
sont  peu  d'accord;  et  ici,  comme  en  tout  le  reste  de 
cette  étude,  je  voudrais  me  délier  de  l'enthousiasme 
des  uns  comme  de  la  rudesse  critique  des  autres. 

On  ne  peut  pas  demander  à  cet  adolescent  de  feize 
ans,  quittant  brusquement  la  tutelle  d'un  père  tel  que 
Louis  d'Orléans,  d'avoir  vu  tout  clairement  que  lui, 
son  nom,  son  parti  allaient  devenir  la  France,  la  na- 
tionalité française  et  d'avoir  été  de  prime  abord  à  la 
hauteur  d'une  telle  situation.  Je  reconnais  volontiers 
qu'il  n'y  fut  jamais  —  et  pour  y  être,  il  n'eût  fallu 
rien  moins  que  voler  la  couronne  et  prendre  le  pou- 
voir royal.  —  Ce  fut  son  nom  plutôt  que  sa  personne 
Il  qui  commanda  son  parti,  et  il  fut  un  drapeau  plutôt 
qu'un  chef.  Si  je  puis  dire,  le  vrai  chef  fut  Bernard  d'Ar- 
magnac et  il  portait  notre  duc  comme  un  drapeau.  Je 
sais  bien  encore  que  les  qualités  intellectuelles  fines 
et  charmantes  que  Charles  montra  plus  tard  et  qui 
étaient  essentielles  à  sa  nature,  n'accompagnent  géné- 
ralement pas  les  dons  du  grand  capitaine  et  du  grand 
homme  d'Etat.  Mais  il  n'était  pas  si  dénué  qu'on  le 
dit  de  l'ambition  qui  distingue  son  père,  de  l'ardeur 
et  de  la  diplomatie  que  montra  Valentine.  Nous  le 
voyons  toujours  en  tête  des  siens,  à  la  bataille  et  mêlé 
à  tous  les  conseils.  Il  n'était  sans  doute  pas  en  âge  de 
les  diriger;  toutefois  il  accepta  volontiers  les  plus  éner- 
giques, et  il  les  suivit,  revenant  sans  cesse  à  la  res- 
cousse, reprenant  toujours  la  lutte.  On  lui  reproche 
d'avoir  laissé  à  son  frère  Philippe  la  plus  grande  part 
du  soin  de  la  guerre,  on  oublie  qu'il  était,  non-seule- 
ment chef  de  guerre,  mais  chef  de  famille  et  chef  de 
parti  et  qu'il  avait  des  devoirs  politiques,  des  fonctions 
diplomatiques  à  remplir  qui  pouvaient  fort  bien  le 
forcer  à  remettre  à  son  frère  une  autre  partie  de  son 
fardeau.  On  l'accuse  encore  d'avoir  accepté  à  plu- 
sieurs reprises  de  faire  la  paix  avec  l'assassin  de  son 
père.  Ne  faut-il  pas  tenir  compte  et  des  circonstances 
et  de  l'autorité  royale  qui  reparaissait,  en  ces  moments 
!à,  avec  toute  sa  puissance  et  son  prestige  pour  domi- 
ner l'adolescent,  et  aussi  de  l'impression  profonde  que 
pouvaient  faire  dans  ce  jeune  et  sincère  esprit  les  con- 


VIE     UE    CHARLES     D    ORLEANS.  XVII 

scils  de  gens  pieux  qui  parlaient  du  pardon  des  inju- 
res, \~s  rériexions  des  gens  graves  qui  montraient  le 
besoin  que  la  pauvre  France  avait  de  la  paix.  Les  dé- 
tails que  nous  avons  sur  ses  entrevues  avec  les  Bour- 
guignons nous  le  inontrent  résistant  de  son  mieux; 
et  toujours,  et  aussitôt  qu'il  le  put,  il  reprit  les  soins 
de  sa  vengeance  et  de  sa  politique. 

On  le  voit  trop  tel  qu'il  fut  plus  tard  quand,  alourdi 
physiquement,  et  moralement  affaissé  par  vingt  ans 
de  captivité,  iteut  p^ris  pour  devise  Xonchaloir.  pour 
consolation  l'Insouciance  et  pour  Dieu  la  Résignation. 
On  oublie  que  ce  sont  les  plus  ardents,  les  plus  ac- 
tifs, les  plus  ambitieux  que  l'âge  amollit  le  plus 
quand  ils  ont  lutté  longuement  contre  des  liens  que 
nul  effort  n'a  pu  briser. 

Il  me  serait  facile  de  montrer  combien  Charles  dé- 
pensa d'énergie,  si  je  pouvais  entrer  dans  les  détails 
minutieux  de  ces  sept  années  de  luttes.  Mais,  ainsi 
que  je  le  disais  plus  haut,  sa  biographie,  à  cette  date, 
c'est  toute  l'histoire  de  France.  Elle  est  connue.  Je  n'en 
veux  indiquer  que  les  grandes  lignes  et  quelques 
traits  plus  particuliers,  ou  plus  ignorés,  ou  plus  per- 
sonnels à  notre  poète. 

Louis  d'Orléans  avait  été  assassiné  le  7  novembre. 
La  première  pensée  de  Valentine  est  pour  la  sûreté  de 
ses  enfants.  Elle  les  envoie  au  château  de  Blois  où 
l'on  commence  ces  travaux  de  fortifications,  ces  amas 
d'artillerie  qui  vont  se  continuer  pendant  les  années 
suivantes,  dans  les  principales  forteresses  des  domai- 
nes d'Orléans.  Messire  Guillaume  de  Braquemont, 
messire  Guillaume  de  Trie,  et  Pierre  de  Mornay,  sei- 
gneur de  Gaules,  chevalier  fort  connu  sous  le  nom 
de  Galuet,  nous  sont  indiqués  par  divers  documents 
comme  présidant  alors  la  maison  militaire  des  d'Or- 
léans :  Galuet  surtout,  qui  était  chambellan  de  Charles 
d'Orléans,  et  qui  devint  gouverneur  du  château  de 
Blois.  Nous  avons  ses  quittances  en  cette  qualité,  de 
juillet  1408  à  février  1409.  Nous  le  retrouvons  sou- 
vent dans  le  cours  de  cette  biographie.  Nous  vovons 
notamment  qu'il  accompagnait  Valentine,  partant  le 
24  novembre  1407,  —  Monstrelet  ne  nous  indique 
son  arrivée  que  le  10  décembre,  —  par  le  plus  terri- 
ble hyver  du  siècle,  pour  venir  à  Paris  demander 
vengeance  de  la  mort  de  son  mari.  Elle  y  vint  avec 
son  pl'is  jeune  fils,  Jean,  et  sa  belle  fille,  fille  du  roi 

CHARLES    D'ORLÉANS.    I.  b 


XVIII  PRÉFACE. 

«  en  estât  du  plus  hault  deuil,  dit  le  ("jcste  des  nobles, 
qui  devant  eust  esté  veu.  »  Mais,  comme  le  dit  Juvcnal 
clesUrsins,  «  pour  lors  elle  ne  lit  guèrcs.  »  Elle  avait 
pourtant  en  son  nom  et,  «  comme  ayant  la  t^arde  et 
gouvernement  de  ses  enfants,  »  selon  la  formule 
qu'elle  employa  toujours,  prêté  serment  au  roi  pour 
les  diverses  seigneuries  de  la  maison  d'Orléans.  Char- 
les, après  s'être  préparé  de  son  mieux  à  la  guerre  facile 
à  prévoir,  et  avoir  notamment  gagné  l'alliance  du  duc 
de  Br^'tagne,  vint  à  Paris  pour  faire  lui-même  cet 
hommage  de  ses  terres  au  roi.  Sa  mère  l'avait  précédé 
de  quelques  jours.  Cette  fois  elle  était  arrivée  le  27  août 
1408,  avec  une  suite  qui  était  une  armée.  Le  regis- 
tre du  conseil  du  roi  dit  que  ce  fut  le  lundi  28.  «  Elle 
arriva  en  une  litière  couverte  de  noir,  à  quatre  che- 
vaulx  couverts  dé  drap  noir,  à  heure  de  vespres,  ac- 
compaignez  de  plusieurs  charios  noirs  pleins  de  dames 
et  de  femmes  et  de  plusieurs  ducs  et  comtes  et  gens 
d'armes.  »  "  Environ  huit  jours  après,  écrit  Monstrelet, 
Charles  —  il  avoit  été  nommé  comte  d'Angoulesme 
jusqu'à  la  mort  de  son  père  —  d'Orléans  accompagné 
de  3oo  hommes  d'armes  —  environ  i5oo  hommes  — 

Juvé- 
vestu  de 
noir,  tout  droit  s'en  alla  à  Saint-Paul  vers  le  roy  pour 
lui  demander  vengeance  de  la  mort  de  son  père.  »  Va- 
lentine  resta  à  Paris  avec  sa  belle-fille.  Si  nous  en  ju- 
geons par  certains  détails  domestiques  que  nous  livrent 
les  litres  et  papiers  de  la'maison  d'Orléans,  elle  y  de- 
meura assez  longtemps,  plus  longtemps  même  que  je 
ne  l'eusse  supposé.  En  elVct,  Philippot  Boulart,  épicier, 
chargé  de  fournir  l'hostel  de  Behaigne  ou  de  Bohême, 
d'épiceries  de  chambre  (dragées  et  sucreries)  et  qui  pa- 
rait faire  un  commerce  lucratif  puisqu'il  vend  cha- 
que jour  une  quinzame  de  livres  de  cette  épicerie, 
nous  donne  le  compte  de  ce  qu'il  a  livré  en  1408  à 
Madame  Valentine  de  dragées  (à  10  sous  la  livre),  de 
noix  confites  (à  7  sous  la  livre),  de  pignolet,  de  sucre 
rosat,  etc.,  pour  la  fête  du  roi.  Ce  devait  être  le  4  no- 
vembre. Valentine  mourut  le  4  du  mois  suivant  à 
Blois,  «  de  courroux  et  de  desplaisance  de  ce  qu'elle  ne 
pouvoit  avoir  justice  de  son  feu  bon  seigneur  et 
mari.  >> 

Charles  était  depuis   longtemps    retourné  à  Blois. 
Nous  l'y  voyons   au  mois  de   septembre,   s'occupant 


vint  à  Paris.  »'<  C'étoit  le  9' jour  de  septembre,  dit  Jt 
nal.leduc  d'Orléans  en   bien  humble  estât,  vestu 


VIE    DE    CHARLES    D   ORLEANS.  XIX 

toujours  de  fortifier  ses  bonnes  villes  et  son  parti. 
Nous  avons,  en  ell'et,  plusieurs  montres  et  revues  de 
gensd'armes  qui  prouvent  son  activité  et  sa  prévoyance. 
Entre  autres  dJiails  nous  voyons  que  treize  écuyers 
qui  formaient,  si  je  ne  me  trompe,  une  compagnie  de 
quarante  hommes  lui  coûtaient  87  francs  par  mois. 

Dis  la  mort  de  sa  mère,  Charles  VI  l'émancipé  et  lui 
fait  don  de  tous  les  droits  de  garde  et  de  prise  auxquels 
le  roi  avait  droitcomme  tuteur  des  princes  mineurs.  Le 
principal  obstacle  qui  s'opposait  à  la  pacification  des 
seigneurs  de  la  fieur  de  lis  paraissait  enlevé  avec  la 
mort  de  l'énergique  et  vindicative  duchesse.  Le  2  mars 
1409,  le  roi  mande  à  Chartres  plusieurs  membres  du 
parlement  pour  aviser  à  la  paix  entre  les  princes.  On 
peut  lire  dans  les  mémoires  de  Monstreict  et  dans 
ceux  de  Saint-Remi  le  récit  de  la  scène  de  réconcilia- 
tion, qui  se  passa  alors  en  cette  ville  de  Chartres, 
scène  émouvante  et  grande,  où  Charles  et  ses  frères 
furent  loin  de  montrer  cette  faiblesse  dont  on  les  ac- 
cuse. Mais  que  pouvaient  faire  ces  enfants  doublement 
orphelins  à  qui  le  roi,  l'Eglise,  toute  la  France,  pour 
ainsi  dire,  venaient  au  nom  de  la  religion  et  du  pa- 
triotisme imposer  le  pardon  des  injures  ?  Mais  si, 
comme  l'indique  un  chroniqueur,  ils  consentirent  à 
se  laisser  embrasser  par  Jean  de  Bourgogne,  la  ten- 
dresse ne  fut  pas  longue.  Le  conseil  royal  a  beau  ré- 
gler la  maison  militaire  de  Charles,  décider  —  pour 
le  temps  qu'il  passera  à  Paris,  autant  que  je  puis 
comprendre  —  qu'elle  se  composera,  en  dehors  des 
conseillers,  chambellans  et  gentilshommes,  de  douze 
chevaliers  et  douze  escuyers  servant  quatre  par  qua- 
tre pendant  deux  mois,  ayant  bouche  a  cour,  foin  et 
avoine  pour  quatre  ou  deux  chevaux  et  payés,  les  che- 
valiers :  5  sous,  les  escuyers  :  2  sous  par  jour,  il  passa 
aisément  par-dessus  ces  règles.  Le  cartulaire  de  Sen- 
lis  nous  le  montre  dès  septembre  1409,  cherchant  à 
attirer  les  bonnes  villes  dans  son  -  parti.  Nous  le 
voyons  pendant  cette  année  140g  à  Blois  ou  au  châ- 
teau de  Brie-comte-Roberl.  Au  i"  juin  1409  une  let- 
tre patente  nous  le  montre  à  «  Monstereau'où  Fault 
d'Yonne.  » 

C'est  le  i3  septembre  de  cette  année  qu'il  perdit, 
avons-nous  dit,  sa  première  femme  «  pour  la  mort 
de  Inquelle  le  duc  eut  au  cœur  très-grand'douleur,  et 
depuis   prit  consolation  pour  l'amour  de  sa  fille,  »  de 


XX  PREFACE. 

cette  lille  qui  coûtait  la  vie  à  sa  mère.  Cette  consolation 
semble  être  venue  assez  vite,  quoioue  le  Relii^ieux 
de  Saint  Denis  parle  de  ses  continua  lamenta.  Gàluet, 
qui  avait  été  dépêché  vers  le  comte  d'Armagnac,  re- 
vint avec  un  traité  d'alliance  politique  et  matrimonial. 
Charles  se  tiançaitavec  Bonne,  tille  de  ce  comte  d'Ar- 
magnac et  de  Bonne  de  Berry.  Les  fiançailles  eurent 
lieu  à  Meun-sur-Yèvre.  Dans  l'intervalle  des  prépara- 
tifs, nous  le  voyons,  en  janvier,  février,  mars  141  o,  à 
Blois  où  il  signa,  tin  mars,  les  comptes  de  son  secré- 
taire, maître  Pierre  Sauvage.  Il  avait  refusé  de  se 
joindre  à  cette  «  grande  compagnée  >>  de  princes  et 
seigneurs  que  le  roi  avait  convoquée  à  Paris,  à  la  Noël 
de  l'année  qui  venait  de  linir. 

Il  ne  parait  pas  avoir  donné  grand  temps  aux  fêtes 
de  son  mariage;  peut-être  d'ailleurs  n'y  eut-il  que  des 
fiançailles,  et  le  bon  chanoine  Claude  Dormay,  dans 
son  histoire  de  Soissons,  incline  fort  à  penser  qu'il 
n'y  eut  jamais  autre  chose  et  que  le  mariage  ne  fut 
pas  consommé.  Toute  cette  année  1410  est  pour  lui 
pleine  d'activité  diplomatique.  On  se  prépare  éner- 
giquement  à  la  guerre.  Le  i5  avril,  il  est  à  Gien  où 
se  fonde  définitivement  la  ligue  Orléanaise,  entre  les 
princes  d'Orléans,  les  ducs  de  Berri,  de  Bourbon,  de 
Bretagne,  les  comtes  d'Alençon ,  d'Armagnac,  etc. 
Ce    comte    d'Armagnac    était    le   général  ,    l'homme 

[)olitique  qui  avait  manqué  jusqu'ici;  lui  trouvé, 
e  parti  d'Orléans  était  désormais  fondé,  jusqu'à  ce 
qu'absorbi  par  l'énergie  du  chef  réel,  il  devînt  le 
parti  d'Armagnac,  le  parti  Dauphinois,  le  parti  de 
Jeanne  d'Arc,  national  et  français.  Charles  était  venu 
à  Gien  avec  son  chambellan  et  maréchal,  Galuet,  et 
vingt-neuf  gentilshommes  dont  les  noms  nous  ont  été 
conser\és  et  dont  les  gages  étaient  de  i5  livres  par 
mois.  Il  y  vint  aussi  avec  une  bourse  bien  garnie,  et 
nous  le  voyons  notamment  prêter  au  duc  de  Bourbon 
une  somme  de  200  livres,  à  propos  de  laquelle,  en 
janvier  suivant,  il  se  fâcha  contre  son  trésorier  qui 
voulait  la  réclamer.  Après  cette  assemblée,  il  resta 
dans  le  pays  à  armer  ses  gens.  En  juillet,  il  est  à 
Amboise.  Mais  tout  est  prêt,  les  princes  se  réunis- 
sent encore  à  Chartres,  au  commencement  de  septem- 
bre. «  Et  après,  les  dits  Orléanois  vinrent,  atout  leur 
puissance,  de  Chartres  jusqu'à  Monthléry,  et  es  villes 
aux  environs  de  Paris  se  logèrent.  »  Dans  le  courant 


VIE  DE  CHARLES  D  ORLEANS.      XXI 

de  sepiembre,  Charles  est  à  Etampes.  Il  vient  se  lo- 
ger à  l'hôtel  de  l'évêque  de  Paris,  à  Gentilly,  et  ses 
gens  arrivèrent  jusqu'au  faubourg  Saint-Marcel  et  à 
la  porte  Bordelles.  Après  de  nouvelles  assemblées  à 
Gien,  en  août  et  septembre,  il  passa  le  mois  d'octobre 
à  Bicêtre,  auprès  de  son  oncle  le  duc  de  Berry,  et  il 
distribua,  aux  officiers,  aux  ménestrels  de  son  dit 
oncle  la  somme  de  ii8  livres.  Puisque  nous  sommes 
sur  ces  détails  intimes  de  la  vie  de  notre  poite  — • 
nous  devrions  dire  de  la  vie  de  son  siècle  —  constatons 
que  la  livrée  de  la  bûche,  c'est-à-dire  le  bois  de  chauf- 
fage destiné  aux  principaux  serviteurs,  coûtait  en  cette 
année  1410,  àce  premier  prince  du  sang  royal,  2  li- 
vres H  sous.  Le  quarteron  de  bûcies  en  comptait  1,040, 
il  coûtait  8  francs,  ou  64  sous  —  le  franc  valant  à  es 
moment-là  8  sous,  ^  et  le  chan>elier  d'Orléans,  qui 
était  le  preni  er  des  serviteurs,  avait  6  quarterons  ou 
4S  francs  de  bois  pour  sa  provision  annuelle. 

J'aid;ji  parlé  à  plusieurs  reprises  et  j'aurai  main- 
te'oi^  encore  a  parler  des  objets  et  de  leur  valeur  pé- 
cuni.;i,-e  —  ne  fût-ce  que  de  celle  qu'on  donna  à  no- 
trj  prince  quand  on  le  mit  à  rançon.  — Je  désirerais, 
à  c'i.iquj  lois,  donner  l'équivalent  en  monnaie  contem- 
poraine. Cela  est  fort  difficile,  sinon  impossible,  à 
cause  de  la  valeur  relative  qui  changeait  évidemment 
selon  l'e?p"-ce  des  objets.  On  dit  généralement  qu'il 
faut  muit  plier  par  40  les  chilïVes  monétaires  donnés 
au  w  siècle  pour  avoir  une  idée  de  ce  qu'ils  vau- 
dr  lient  aujourd'hui.  Cela  me  paraît  excessif,  ou  plu- 
fi;  je  voudrais  distinguer.  Ainsi,  pour  juger  la  position 
de  fortune  de  ces  chevaliers  auxquels  on  donnait  5  sous 
par  jour,  et  qui  étaient  de  notables  personnages,  je 
cro  s  que  ce  n'est  pas  exagéré,  tant  s'en  faut,  que  de 
dire  qu'ils  sont  dans  une  situation  analogue  aux  em- 
ployés du  gouvernement  actuel  dont  les  émoluments 
sont  de  10  francs  par  jour  ou  3, 600  francs  par  an.  — 
Ces  chevaliers  étaient  évidemment  beaucoup  plus  éle- 
vés en  grade  que  nos  capitaines  d'infanterie.  Mais 
quand  je  vois  que  la  livre  de  dragées,  par  exemple, 
coûtait  10  sous,  je  ne  puis  croire  qu'elle  valût 
20  francs  de  notre  monnaie.  Je  ne  veux  pas  trop  al- 
longer cette  parenthèse,  si  importante  qu'elle  soit 
même  dans  cette  biographie.  C'est  donc  par  à  peu  près 
et  pour  la  satisfaction  vague  de  son  imagination  que 
le  lecteur  peut  multiplier  par  40  tous  les  ciiilVres  moné- 


XXU  PRÉFACE. 

taircs  que  je  lui  donnerai.  Pour  la  valeur  intrinsèque 
de  l'arfjent  on  a  des  résultats  plus  positifs  et  je  prends 
les  résumes  donnes  par  M.  de  Wailly.  La  livre  tour- 
nois a  valu,  sousCharles  VI,  entre  l'i  francs  28  centi- 
mes et  4  francs  77;  sous  Charles  Vil,  entre  i2,o5et 
6,14;  sous  Lou  s  aI,  entre  8,20  et  6,99.  La  comparai- 
son entre  les  chillVcs  de  ces  trois  règnes  prouve  que 
sous  chaque  règne  la  moyenne  se  rapproche  beau- 
coup plus  souvent  du  plus  haut  chiffre  que  du  moin- 
dre. Les  écus  d'or  et  les  saluts  d'or,  qui  n'en  ililVi- 
raient  pas  sensiblement,  valaient  à  peu  près  un  quart 
en  plus  de  la  livre,  et  il  y  avait  une  dill'érence  d'un 
sixième  entre  la  livre  parisis  et  la  livre  tournois.  11 
faut  que  mes  lecteurs  se  contentent  de  ces  données,  si 
g^nc'rales  qu'elles  soient. 

Nous  retrouvons  notre  duc  à  Etampes  en  novembre. 
Il  est  de  retour  à  Blois  en  décembre  1410;  en  janvier 
1411,  il  y  reçoit,  sans  que  j'en  comprenne  bien  la 
cause,  des  habitants  de  Saint-Aignan,  en  Ikrry,  un 
aide  de  80  livres.  11  y  donne  un  reçu  à  Guillaume  Si- 
zain, auditeur  de  ses  comptes,  du  prix  de  divv.-rs  bi- 
joux qu'il  lui  avait  remis  pour  vendre  le  12  septembre 
précédent.  Puis,  tandis  que  son  maréchal  Galuet  passe 
des  revues  ou  montres  de  gens  d'armes  —  il  nous  en 
reste  des  procès-verbaux  sce;lés  de  son  sceau,  un  au 
moins,  en  juillet  141 1  —le  duc  veille  au  payement 
de  ses  hommes  de  guerre.  Les  gages  des  chevaliers,  es- 
cuyers,  archers,  arbalétriers  tle  son  hôtel,  au  mois  de 
novembre  1410,  montaient;!  1,4(10  livres  10  sous  tour- 
nois, lin  féviier,  les  gages  des  archers,  arbalétriers 
et  portiers  du  château  de  Blois  seulement,  vont  à 
202  livres,  les  archers  et  ies  arbalétriers  étant  payés 
environ  8  francs  par  mois  et  le  portier  80  francs  par 
an.  Charles  continue  de  se  montrer  généreux  envers 
le  duc  de  Bourbon  auquel  il  donna  en  ce  mois  de  fé- 
vrier 100  escus  d'or.  Grosse  somme,  si  l'on  pense  qu'il 
octroyait  à  son  frère  Philippe  10  livres  tournois  par 
mois  pour  ses  menus  plaisirs,  en  cette  même  année 
141 1.  Pour  lui-même  et  pour  son  argent  de  poche,  si 
je  puis  dire,  il  se  donnait,  en  1414,  au  temps  de  sa 
splendeur,  100  livres  par  mois. 

En  mars  141 1,  il  continuait  de  chercher  à  rassem- 
bler de  l'argent.  Il  met  un  dioit  d'octroi  sur  les  grains 
et  vins  amenés  dans  ses  bonnes  villes  et  c'est  toujours 
pour  «  poursuivre  la  réparation  de  la  très-cruelle  et 


VIE     DE     CHAULES     û    ORLEANS.  XXIJI 

très-inhumaine  mort  de  feu  nostre  très  redoubté  sei- 
gneur et  père  »  et  pour  «  reparer  l'onneur  de  monsei- 
gneur le  roy  qui,  en  ce,  a  esté  tant  blecié,  etc.  »  L'ar- 
gent et  les  soldats  étant  prêts,  il  songeait  à  l'opinion 
publique,  et  dès  le  commencement  de  cette  année  il 
écrit  aux  bonnes  villes,  à  1  Université,  au  roi,  car' 
tout  prouvait  que  l'accord  fait  pendant  ce  séjour  à' 
Bicétre,  dont  nous  avons  parlé,  serait  vain.  Ces  let- 
tres sont  énergiques  et  claires.  La  dernière,  qui  fut 
écrite  au  roi,  de  Jargeau,  14  juillet,  est  fort  belle.  On 
l'a  attribuée,  sans  grande  raison,  à  Jean  Gerson. 
Charles  d'OrL-ans  ne  devait  pas  sans  doute  être  étran- 
ger a  ces  combiUs  de  plume.  Le  i8  juillet  partaient  les 
lettres  de  déh  des  hls  d'Orléans  à  Jean  de  Bourgogne. 
La  guerre  est  commencée.  C'est  le  roi,  on  le  sait,  qui 
accepta  le  gant.  Il  proclama  la  forfaiture  des  Orléanais, 
conrisqua  le  comté  de  Soissons,  réunit  au  bailliage 
de  Scnlis  les  comtés  de  Valois,  Beaumont,  etc.  Pen- 
dant ce  temps,  ou  plutôt  avant  ce  temps,  le  duc  d'Or- 
léans était  venu  assiéger  Paris.  De  sa  personne,  il 
logeait  tantôt  à  Saint-Ouen,  tantôt  à  Saint-Denis. 
C'est  à  cette  époque  que  sç  place  ce  fait  raconté  par  la 
Chronique  bourguignonne  de  la  bibliothèque  de  Lille. 
Les  Armagnacs  en  arrivant  à  Saint  Denis,  dit-elle, 
forcèrent  les  coftVes  où  se  trouvaient  les  joyaux  de  la 
reine  et,  parmi  eux,  une  couronne,  «  laquelle  le  comte 
d'Armagnac  l'assist  sur  la  teste  du  duc  d'Orléans  et 
Jui  dit  :  "  Monseigneur,  pour  sauver  mon  serment,  je 
Il  vous  fais  roi  de  JFrance,  quoique  vous  n'en  possédiez 
«  pas  la  terre.  Mais  cette  possession,  je  vous  la  donnerai 
Il  avant  de  retourner  en  ma  seigneurie,  et  je  vous  ferai 
«  couronner  a  Reims.  «  Le  bruit  courait,  en  effet,  et  le 
Religieux  de  Saint-Denis  le  confirme,  que  l'on  vou- 
lait 1j  faire  roi  de  France,  et  un  chevalier  picard,  Vivet 
d  Lspineuse,  l'avait  affirmé  en  ajoutant  que  ses  adhé- 
rents voulaient  se  partager  la  France.  Ce  projet  a 
bien  pu  traverser  l'esprit  ambitieux  .de  Bernard  d'Ar- 
magnac. Mais  la  haine  du  Parisien  contre  les  Arma- 
gnacs était  bien  niaisement  crédule,  la  Chronique 
lilloise  est  bien  lourdement,  partialement  et  grossiè- 
rement Hamande,  et  Vivet  d'Fspineuse  fut  fort  aidé 
par  la  torture  dans  ses  révélations  Le  9  octobre, 
vingt-huit  des  plus  nobles  chevaliers  de  l'armée  orléa- 
naise  d énientaiert  ces  bruits  avec  indignation. 
Dans  ce   canevas   que   nous  donnons  de  la   vie  de 


notre  pojte,  nous  n'admettons  que  les  détails  absolu- 
ment personnels  et  qui  ont  éciiappé  jusqu'  ci  aux  his- 
toriens, nous  n'avons  pas  a  nous  occuper  de  la  retraite 
des  Orléanais,  mais  un  peu  plus  de  leur  alliance  avec 
le  roi  d'Ani^leterre,  alliance  que  se  disputaient  le  duc 
de  Bours^oi^ne  comme  le  duc  de  Breta^ne,  que  l'état 
de  la  Krance  et  de  la  féodalité,  et  la  situation  particu- 
lière des  enfants  de  Louis  d'Orléans  peuvent  expli- 
quer, mais  qui  reste  une  des  grandes  fautes  politiques 
et  morales  de  la  vie  de  Charles. 

Elle  commença  pourtant  par  lui  procurer  un  traité 
de  paix  assez  favorable.  D' s  le  12  mars,  Ls  bases  ea 
sont  arrêtées  et  prcfque  tout  le  reste  de  l'année  se 
passe  en  néi^ociations.  Mais  il  fallait  payer  les  Ani^lais 
qui  avaient  \endu  cher  leurs  ser\ices  et  qui  pillaient  de 
leur  mieux  en  attendant  qu'on  leur  payât  leur  solde. 
Charles  leur  donna  le  plus  d'argent  qu'il  put  trouver 
et  remit,  le  14  novembre  141-2,  son  frère  Jean  d'An- 
i;ouléme  et  quelques  gentilshommes  en  otages  pour 
la  somme  de  20(),ooo  francs  Dés  le  5  avril  de  l'année 
suivante,  Charles  \"1  donnait  à  ses  baillis  l'ordre  de 
l'aider  a  faire  rentrer  les  impôts  mis  sur  les  domaines 
d'Orléans  pour  le  payement  de  cette  rançon.  Mais  il 
se  trouva  dis  lors  et  toujours  arrêté  par  les  plaintes 
des  habitants,  qui  au  moment  où  il  songeait  à  leur  de- 
mander quelque  aide  le  prévenaient  toujours  en  lui 
demandant  une  remise  des  anciens  impôts 

Le  12  août,  à  Auxerre,  la  paix  avait  été  solennelle- 
ment proclamée  entre  les  enfants  du  duc  d  Orléans  et 
le  duc  de  l'ourgogne.  Le  même  jour,  on  leur  restitua 
leur- biens.  Le  ^'.\  Charl  s  renonce  à  l'alliance  d  An- 
gleterre Le  8  septembre,  a  Melun,  il  fait  un  traité 
particulier  d'alliance  avec  Jean  de  Bourgogne.  Le  20, 
il  assiste  avec  lui  au  conseil  du  roi.  Il  termine  plus 
dignement  cette  année  douloureuse  en  faisant  tenir 
les  Grands-Jours  à  lilois.  La  paix  solennelle  eut  le 
sort  de  tous  les  traités  qui  devaient  jamais  intervenir 
entre  Orléans  et  Bourgogne.  La  guerre  recommença 
plus  âpre.  En  mars  141 3,  Charles  est  à  Angers  où  il 
s'allie  avec  le  roi  de  Sicile;  apr's  avoir  toutefois,  ds 
le  20  février,  muni  sa  bonne  cave  de  Bloisde  dix  queues 
de  vin.  Le  23  mai,  on  le  déclare  encore  déchu  de  tous 
ses  honneurs  et  dignités.  Le  2  septembre,  séance 
du  Parlement  pour  établir  de  neuve  u;  la  paix  solen- 
nelle entre  les  princes.  Cette  fois,  1  astre  des  d'Oi  léans 


VIE  DE  CHARLES  D  ORLEANS.      XXV 

l'emporte  dicidiment.  Du  5  au  i5  septembre  on  lui 
rend  tous  ses  biens  II  entre  a  Paris  le  3o  septembre. 
Le  i<i  du  mêm^  mois,  il  avait  reçu  de  l'empereur 
Sigisinond  — -  son  allié,  djpuis  le  12  septembre,  con- 
tre le  duc  de  Bourgo  ne  —  l'investiture  du  comtj 
d'Asti.  L'Université  dj  Paris,  sa  vieille  ennemie,  veut 
bien  simuler  quelque  tendresse  pour  lui.  On  con- 
damne l'apologie  faite  par  Jean  Petit  du  meurtre  de 
Louis  d'Orléans  ;  on  transporte  sur  la  tète  des  Bour- 
gui'^nons  l'excommunication  dont  on  avait  frappé  les 
Armagnacs.  Le  i8  décembre,  il  assiste  aux  tiançailles 
de  Charles  —  plus  tard  Charles  VII  —  avec  Marie 
d'Anjou.  Pendant  toute  l'année  1414  il  est  au  faite  de 
sa  gloire.  Dis  le  mois  de  janvier  il  fait  un  traité  avec 
la  reine  ;  en  février  il  se  trouve  à  Paris.  Le  pauvre  roi, 
qui  l'année  précédente  le  redoutait  comme  un  mons- 
tre, ne  peut  plus  se  passer  de  lui.  Charles  a  hérité  de 
son  pl-re,  de  sa  mère  surtout,  cette  grâce  ais;e,  ou- 
verte, pénétrante,  cette  grâce  de  famille  si  charmante 
que  les  contemporains,  nous  lavons  vu,  l'attribuaient 
à  la  magie.  Charles  l'avait  exercée  sur  le  duc  de 
Guyenne  après  le  traité  d'Auxerre,  maintenant  le  roi 
en  était  séduit  au  point,  nous  dit  Lottin,  d'après  les 
registres  de  la  ville  d'Orléans,  que  Charles  VI  le  fai- 
sait coucher  dans  sa  chambre.  Il  le  voulait  toujours 
avoir  présent  à  ses  conseils.  Nous  le  voyons  au  con- 
seil tenu  au  Louvre.  La  guerre  est  déclarée  par 
Charles  VI  au  duc  de  Bourgogne.  Le  6  juin,  le  roi 
donne  à  Charles  2,000  livres  par  mois  pour  l'entre- 
tien des  cent  hommes  d'armes  qu'il  doit  mener  contre 
le  duc  de  Bourgogne.  Il  accompagna  Charles  VI  pen- 
dant toute  la  campagne.  L'armée  va  battre  Compiegne 
tandis  que  le  roi  et  les  princes  vont  l'y  rejoindre  par 
Senliset  \'erberie.  Compiegne  prise,  le  8  mai,  on  vint 
mettre  le  siège  devant  Soissons.  Notre  duc  loge  à  l'ab- 
baye de  Saint-Quentin.  De  là,  l'on  va  à  Laon  oij  l'on 
est  joyeusement  reçu.  Le  10  juin  l'on  part  pour  s'en 
aller  en  Thiérache,  à  Ribémoni,  à  Saint-Quentin  où  la 
comtesse  de  Hainaut,  sœur  du  duc  de  Bourgogne, 
vient  inutilement  faire  des  ouvertures  pacitiques.  Le 
roi  et  le;  princes  gagnent  Guise  en  Thiérache.  re- 
viennent à  Saint-(!iuentin,  puis  à  Péronne  où  l'on 
passe  en  fêtes  et  en  vaines  tentatives  d'accommode- 
ment la  fin  de  juin  et  le  commencement  de  juillet. 
Le  8  de   ce  mois,  il  est  en  affaire  avec    l'Anglet-îrre, 


e: 


XXVI  PREFACE. 

il  donne  neuf  livres  pour  procurer  un  sauf-conduit  à 
un  Anglais.  Le  9,  le  roi  et  les  princes  vont  en  pèleri- 
nage à  Notre-Dame  de  Cuerlu  et  viennent  mettre  le 
sicgc  devant  Bapaume.  La  ville  prise,  le  19,  l'armée 
jui  comjnait,  selon  Monstrelet,  •2oo,o(jo  personnes,  se 

resente  devant  .Xrras.  Le  8  septembre  l'on  fit  la  paix. 

e  duc  d'Orléans  résista  longtemps  à  la  signer.  Dans 
les  détails  qui  nous  sont  donnés,  rien  n'indique  le 
manque  d'énergie  que  l'on  aime  à  lui  reprocher.  La 
paix  solennellement  proclamée  et  jurée,  le  (;  mars, 
Charles  V'I  et  les  princes  regagnèrent,  par  Bapaume, 
Péronne,  Noyon,  Compiègne,  Senlis,  où  l'on  demeura 
le  mois  de  septembre. 

Dès  le  début  de  l'année  141 5,  la  veille  des  Rois,  nous 
voyons  Charles  au  service  que  le  roi  fait  célJbrer  à 
Notre-Dame  de  Paris,  pour  le  repos  de  l'âme  de  Louis 
d'Orléans.  Il  avait  naguère  quitté  les  habits  de  deuil 
à  la  demande  du  duc  de  Guyenne.  I  e  10  février,  il 
prit  part  à  des  fêtes  plus  brillantes  encore  que  celles 
où,  vêtu  d'une  huque  violette  à  boutons  d'argent,  il  avait 
asfistJ  en  1413.  Cette  fois  il  jouta  contre  le  duc  de 
Bavière.  Il  retourna  ensuite  a  OrlJans  pour  y  faire 
tenir  les  Grands-Jours,  comme  il  le  ht,  du  reste,  encore 
en  1438  et  14G0  Nous  trouvons  à  cette  date(i4i3) 
dans  les  comptes  de  sa  maison  bien  des  renseigne- 
ments, celui-ci  entre  autres,  que  43  livres  parisis  va- 
laient 33  livres  i5  sous  tournois,  et  cet  autre,  moins 
important,  que  sa  maison  dépensait  en  deux  mois 
pour  20  livres  9  sous  4  deniers  de  souliczs.et  hou- 
seaulx.  Arrive,  avec  le  mois  d'octobre  la  bataille  d'A- 
zincourt.  Charles  y  amenait  un  contingent  de  cinq 
cents  hommj.i  d'ar.nes  ou  bassinets,  sous  le  comman- 
dement de  G.iluet,  car  il  était  avec  le  duc  de  Bourbon, 
commandant  en  chef  de  l'arm  je.  Le  20  octobre,  il  en- 
voie trois  hérauts  au  roi  d'Angleterre  pour  l'avertir 
qu'il  livrera  bataille  au  jour  que  celui-ci  voudra 
choisir.  Dans  la  nuit  du  24  octobre  il  détacha  deux 
cents  hommes  d'armes  pour  observer  la  position  de 
l'ennemi,  le  25  octobre,  au  début  de  la  bataille,  il  est 
à  l'avantgarde.  Quelques  auteurs  disent  qu'on  l'a 
trouvé  blessé,  sous  un  monceau  de  morts  :  d'autres, 
qu'il  échappa  avec  peine-à  la  tuerie  des  prisonniers  dé- 
sarmés que  le  roi  anglais  ordonna  à  la  fin  de  la  bataille. 
On  peut  lire  dans  Saint-Remy  et  Juvénal  des  Ursins 
ii  récit  de  la  conversation  qu'il  eut  avec  Henri  d'An- 


VIE     DE     CHARLES    D    ORLEANS.  XXVII 

gleterre.  Les  documents  anglais  et  notamment  Harris 
Niçois,  historien  de  la  bataille  d'Azincourt,  assurent 
que  le  roi  lui  parla  avec  la  plus  grande  commisération 
et  courtoisie.  J'y  vois  surtout  cette  hypocrisie  puri- 
taine dont  Cromwell  n'eut  pas  seul  le  secret  parmi 
les  grands  politiques  d'Angleterre.  Les  mêmes  docu- 
ments nomment  sir  Richard  Wallas,  le  chevalier  qui 
le  fit  prisonnier. 

11  reste  prisonnier  à  Calais  jusqu'au  i6  novembre, 
et  accompagne  le  roi  vainqueur  en  Angleterre. 
J'ignore  si  c'est  à  Eltham,  à  Westminster,  à  la  Tour 
ou  à  Windsor  qu'il  fut  mené  tout  d'abord.  J'inclin 
pour  ce  dernier  endroit.  11  était  sûrement  à  Londres 
à  la  fin  de  novembre.  Après  quoi  on  ne  tarda  pas  à 
l'envoyer  au  château  de  Bolingbroke,  où  il  est  en  mai 
1423,  puis  à  l'extrémité  septentrionale  de  l'Angle- 
terre, au  château  de  Domfret.  En  1430,  il  était  à  la 
Tour  de  Londres.  Vallet  de  \'iriville  nomme  le  châ- 
teau de  Ampthill,  parmi  ceux  où  il  fut  conduit.  Je  le 
vois  à  Vingfield  en  i433,  il  est  sous  la  garde  du  duc 
de  Suffolk,  en  1436  sous  celle  de  sir  Reginald  Cobham, 
puis  à  la  Tour  jusqu'en  juillet  1440.  Nous  trouvons 
aussi  parmi  ses  geôliers  Jean  de  Cornouailles. 

Mais  nos  renseignements  sur  les  incidents  de  sa  vie 
pendant  les  vingt-cinq  ans  de  sa  captivité  ne  se  bor- 
nent pas  absolument  à  ces  vagues  données 


III. 


La  première  infortune  de  Charles  d'Orléans,  en  lui 
enlevant  son  père  dans  des  circonstances  aussi  tragi- 
ques, lui  avait  fourni  la  chance  de  devenir,  par  la 
guerre  et  la  diplomatie,  l'un  des  plus  grands  hommes 
du  siècle,  et  le  maître  de  la  France  et  l'arbitre  de  la 
royauté  comme  de  la  féodalité.  Le  second  et  le  plus 
çrand  de  ses  malheurs  lui  offrit  une  nouvelle  chance 
que,  cette  fois,  il  ne  manqua  pas.  Il  devint  réellement 
•'im  des  écrivains  de  la  France,  l'un  des  grands  poètes 
il  Moyen  Age.  Aussi  l'historien  bénit-il  ces  vingt- 
cinq  années  de  captivité,  là  où  \p  biographe  compatis- 
ïint  pour  son  héros  trouve  'es  preuves  de  tant  d'an- 
giisses.  L'imagination  nous  aide  facilement  à  deviner 


XXVIII  PRÉFACE. 

)es  souflVances  que  le  pauvre  et  doux  prince  indique 
avec  son  vague  et  triste  sourire.  Dans  ces  liens  sans 
cesse  renaissants,  si  l'on  peut  dire,  dans  ces  niiu'squi 
semblaient,  comme  le  laurier  enveloppant  Dapiiné, 
monter  lentement,  serrement,  continûment  autour  du 
prisonnier,  il  chercha,  quand  toute  espérance  de  salut 
lui  tut  enlevée,  sa  consolation  dans  la  poésie.  Adieu 
les  rêves  de  l'ambition,  adieu  les  brillants  voyages, 
les  belles  chasses,  les  aventures  de  guerre;  adieù  les 
fêtes  galantes,  le  luxe,  le  bien-être  même  ;  adieu  l'a- 
mie et  l'ami.  Mais  la  poésie  \a  rendre  tout  cela,  elle 
va  changer  cette  grande  tempête  de  la  douleur  en 
la  douce  et  chaude  petite  pluie  de  la  mélancolie.  .le 
sais  bien  qu'on  ne  peut  ici  parler  de  noir  cachot,  de 
cette  porte  des  antiques  prisons  qui  s'entr'ouvrait 
pour  laisser  entrevoir  le  beau  ciel  pendant  un  ins- 
tant et  rendre  plus  horribles  encore  les  murailles  de 
la  prison.  Moralement  pourtant  c'était  cela,  et  ces 
etïbrts  toujours  \ains,  ces  e-;pjrances  de  liberté  tou- 
jours trompées,  rendaient  bien  l'ertét  de  décourage- 
ment et  d'atVaissement  de  cette  porte  de  cachot  qui 
s'ouvre  un  instant  et  se  referme  encore,  et  encore,  et 
to  ijours.  Bien  des  traits  nous  prouvent  d'ailleurs  qu'il 
s'a'zissait  pour  lui  d'une  véritable  prison.  Il  avait  une 
trop  grande  valeur,  et  politique  et  hnancière,  pour  que 
le  gouvernement  anglais,  qui  avait  déjà  les  qualités 
pratiques  qu'il  a  continué  de  perfectionner,  ne  sacri- 
tiît  pas  tout  au  soin  de  le  garder  savemcnt  comme  le 
dit  un  de  ses  grMiers.  Les  lettres  du  Conseil  d'Angle- 
terre à  ses  gardiens,  recoin  m  .indaient  une  garde  sévère. 
Nous  voyons  qu'on  ne  lui  permettait  de  causer  avec 
nul  étranger  sans  témoins.  Et  quand  je  l'aperçois  dans 
ces  gravures  d'un  man'iscrit  anglaisqui  nous  le  mon- 
trent assis  d.ins  son  roide  banc,  devant  sa  tabL%  écri- 
vant et  rêvant  au  milieu  de  gardes  et  de  soldats,  je 
remercie  la  bonne  muse  de  pouvoir  lui  faire  oublier 
cette  muraille  vivante  de  corps  brutaux  et  de  cœurs 
ennemis  qui  ne  le  quittaient  plus.  Je  le  remercie,  lui, 
d'avoir  demandé  aux  lettres  la  compensation  de  tant 
de  biens  perdus.  Je  comprends  comment  ce  jeune  chef 
de  guerre,  ce  chevalier  actif,  ce  tendre  et  hardi  servant 
du  dieu  d'amours  est  devenu  cet  alourdi  vieillard,  je 
devine  comment  la  religion  du  dieu  Nonchaloir  s'est 
imposée  à  lui,  et  je  prépare  dans  mon  esprit,  dans 
l'espnt  de  mes  lecteurs,  j'espère,  les  excuses  dont  il 


VIE    DE    CHARLES    D    ORLEANS.  XXIX 

aura  bientôt  besoin.  Mais  nous  en  sommes  encore  au 
règne  de  Cupido  et  Vénus  la  déesse. 

La  poésie  domine  donc,  à  nos  yeux,  cette  période 
de  vingt-cinq  années  qui  s'écoula  entre  la  bataille 
d'Azincourt  et  la  délivrance.  «  Ici  finit,  nous  disent 
certains  manuscrits,  le  livre  que  monseigneur  d'Or- 
léans écrivit  dans  sa  prison.  »  C'est  ce  que  j'ai  traduit 
par  Poème  de  la  Prison.  Je  n'ignore  pas  que  cette 
note  des  manuscrits  n'est  pas  un  document  irréfutable  ; 
mais  il  en  faut  tenir  grand  compte.  Bien  des  pièces, 
d'ailleurs,  qui  composent  ce  poème,  portent  avec  elles 
la  preuve  absolue  qu'elles  ont  été  composées  entre 
141 5  et  1440;  pour  d'autres,  il  n'y  a  qu'une  preuve 
morale.  Mais  ont-elles  été  toutes  écrites  à  cette  époque? 
je  suis  porté  à  ne  pas  le  supposer.  Je  pense  que  ce 
poème  allégorique  est  un  cadre  qui  aura  servi  à  en- 
fermer, à  conserver^  à  coordonner  les  pièces  compo- 
sées jadis,  à  côté  d'autres  écrites  pendant  la  prison, 
soit  pour  une  nouvelle  amie,  soit  pour  compléter  l'œu- 
vre d'art.  Le  poème  allégorique  est  généralement  une 
œuvre  de  pure  imagination.  Celui-ci  —  et  c'est  ce  qui 
lui  donne  un  caractère  à  part  —  renferme  nombre  de 
ballades  qui  sont  réellement  un  récit,  un  envoi,  une 
oftVande.  On  comprend  qu'elles  se  rapportent  à  tel 
fait  vraiment  arrivé,  à  telle  impression  ressentie  à  un 
moment  précis,  et  à  la  suite  d'un  incident  réel.  Que 
plusieurs  de  ces  pièces  aientété  faites  avant  l'an  I4i5, 
j'en  suis  très-convaincu.  On  y  trouve  l'élan,  l'ardeur 
primesautière  ,  le  vif  écho  du  sentiment,  le  jet  de 
l'inspiration,  le  cri  naïf  de  la  plainte  ou  du  désir  qui 
veulent  obtenir  les  dons  d'amour  bien  plutôt  que 
plaire  à  la  muse  ou  à  l'amante;  et  c'est  la  marque, 
non -seulement  de  la  réalité  mais  aussi  de  la  jeu- 
nesse. Le  fils  qui  pleurait  son  père  assassiné,  et  sa 
mère  morte  de  douleur,  le  vengeur  qui  poursuivait 
sa  mission  de  haine,  le  capitaine  courant  sans  cesse 
aux  aventures  sanglantes ,  le  chef  féodal,  empêché 
de  diplomatie,  n'avait  sans  doute  pas  grand  loisir  pour 
songer  aux  rimes  et  aux  gracieuses  tendresses.  Tou- 
tefois, dans  ce  cerveau  si  bien  disposé  pour  la  poé- 
sie, dans  ce  cœur  facilement  tenté  par  l'amour,  dame 
Vénus  et  le  seigneur  Apollo  ne  durent  pas  attendre 
l'âge  mûr  pour  parler.  II  nous  dit  lui-même  que 
dame  Jeunesse,  quand  elle  le  prit  des  mains  d'En- 
fance, le  mena  au  palais  de  Cupido,  et  l'éternel  amour, 


XXX  PRÉFACE. 

l'adolescence  insouciante  pouvaient  bien  trouver  un 
coin  de  terre  vert  et  tieuri  dans  cette  France  ravagée 
du  xv"  siècle.  Pourtant  j'ai  dû  me  dérier  de  1  imagina- 
tion du  critique.  Je  n'ai  pas  osé  séparer  nettement 
des  autres  les  morceaux  que  notre  poète  avait  dû 
composer  avant  son  âge  de  vingt-quatre  ans. 

J'ai  cru  pouvoir  chercher  plus  utilement  à  qui  ces 
rimes  amoureuses,  et  toutes  celles  qu'il  y  a  jointes 
dans  son  poème,  avaient  pu  être  adressées.  Quelle  est 
<:ette  Beauté  qui  l'entraîne,  qui  le  retient  ilans  les 
liens  du  dieu  Amour  r  Les  précédents  biographes  y 
voient  tantôt  une  femme  réelle  dont  Beauté  eût  été  le 
surnom,  tantôt  Bonne  d'Armagnac,  sa  seconde  femme, 
tantôt  la  France.  Le  texte  et  le  détail  des  vers,  les  ha- 
bitudes du  poème  allégorique,  le  genre  d'esprit  de  l'au- 
teur ne  se  prêtaient  aisément  à  aucune  de  ces  hypo- 
thèses. Il  ne  faut  pas  oublier  que  c'est  un  poème  que 
Charles  a  voulu  composer,  c'est-à-dire  une  œuvre  pa- 
tiemment élaborée,  c'est  un  poème  allégorique,  c'e^t- 
à-dire  —  cela  paraît  clair  —  une  allégorie.  Il  veut 
raconter  comment  il  fut  amoureux  depuis  sa  jeunesse 
jusqu'à  ce  moment  de  son  âge  mûr  où  il  est  obligé, 
par  l'approche  de  Vieillesse,  de  se  despartir  du  dieu 
Cupido.  Ce  n'est  donc  pas  un  amour  qu'il  a  chanté, 
mais  toute  sa  vie  amoureuse  ;  et  Beauté  ce  n'est  pas 
telle  femme,  c'est  la  femme,  la  femme  belle,  la  fenmie 
qu'on  aime,  c'est  le  symbole,  l'allégorie  —  il  faut  y 
insister  —  de  tous  ces  cœurs  féminins  qui  se  sont  don- 
nés à  lui.  Seulement,  ainsi  que  je  le  disais  plus  haut, 
il  a,  avec  un  sens  parfait  de  la  vraie  poésie,  inséré 
dans  ce  cadre,  incrusté  dans  cette  charpente  les  piè- 
ces qu'il  avait  offertes  à  telle  ou  telle  personne,  en 
choisissant  ces  morceaux  selon  qu'ils  convenaient  aux 
unes  ou  aux  autres  des  parties  logiques  de  son  œuvre. 
Il  a  ainsi  communiqué  à  son  labeur  artistique  une  vie 
plus  intense,  en  précisant  des  états  de  sentiment,  des 
faits  de  passion,  des  événements  de  la  vie  journalière 
ou  historique  mêlés  à  ses  mémoires  galants.  Rien  ne 
prouve  que  telle  ballade,  telle  chanson,  extraite  de  ce 
journal  d'amour,  n'ait  pas  été  adressée  à  sa  première 
femme  Isabelle,  à  sa  seconde  femme  Bonne;  mais  que 
telle  autre  ait  été  écrite  pour  Marie  de  Berry,  par 
exemple,  ou  pour  quelqu'une  desdamoiselles  de  l'hô- 
tel de  la  reine,  je  n'y  voudrais  contredire. 

Ce  ne  fut  pas  dès  141 5,  ni  vraisemblablement  dans 


VIE    DE    CHARLES    D    ORLEANS.  XXXI 

les  premières  années,  que  sa  captivité  put  avoir  une 
ardeur  poitique  suffisante  po  ir  fournir  et  1  idée  et  les 
éléments  de  l'œuvre  et  cette  quantité  de  chansons,  de 
rondeaux.  La  blessure,  les  vives  angoisses,  les  in- 
quiétudes patriotiques  et  ambitieuses,  la  brusquerie 
du  changement,  l'irritation  plus  vive  contre  la  nou- 
veauté de  l'esclavage  et  l'espoir  de  la  liberté  plus  tié-_ 
vreuse,  ne  semblent  pas  permettre  la  réflexion  néces- 
saire à  l'art.  Mais  à  part  ces  premiers  mois,  ou  ces 
premiers  ans,  la  Muse,  la  Muse  amoureuse,  conso- 
lante et  rêveuse  devint  sa  compagne  d'exil  II  ne  faut 
pas  l'oublier.  Si  le  manuscrit  du  Roi  —  que  j'indi- 
quais plus  haut  —  nous  montre  le  prisonnier  ici,  à 
la  fenêtre  de  sa  prison,  regardant  venir  le  messager 
porteur  des  nouvelles  d'espérance,  là,  dans  son  estude 
ou  son  retrait,  éternellement  escorté  de  sa  troupe  de 
gardiens  ennemis,  l'imagination  doit  nous  faire  voir, 
à  côté  de  tous  les  événements  que  sa  biographie  va 
nous  fournir,  une  garde  aussi  fidèle  et  plusaouce,  qui 
est  la  Poésie,  et  un  messager  plus  consolant  encore.  11 
venait  auprès  de  lui  par  les  fenêtres  de  sa  geôle,  et  c'était 
le  regard  que  lui  envoyait  le  ciel  clair  et  l'horizon  ver- 
dissant. Ce  fut  là,  nous  le  répétons,  le  bénétice  de  sa  pri- 
son. S'il  eût  continué  la  vie  commencée,  il  fût  devenu 
peut-être  un  capitaine  comme  Dunois,  un  diplomate 
rusé  comme  La  Trémoille,  mais  au  milieu  des  ri- 
gueurs et  des  distractions  d'une  telle  existence,  au 
milieu  des  amours  faciles,  au  milieu  des  grandes  et 
cruelles  chevauchées,  le  poète  sensible,  souriant  et 
touchant,  qu'eùt-il  pu  devenir?  Il  lui  a  fallu  cette  so- 
litude, les  tristesses  de  l'espérance  toujours  trompée 
et  cette  nécessité  de  rentrer  en  soi-même,  il  lui  a  fallu 
aussi  la  difficulté,  désormais  grande,  de  jouir  de  l'es- 
pace, de  l'air  et  des  champs  pour  enfoncer  dans  son 
âme,  comme  dans  son  cerveau,  l'image,  le  souvenir, 
la  douceur  des  belles  amours  et  des  libres  perspecti- 
ves. Aussi  gagna-t-il  la  triple  qualité  de  son  génie  :1e 
sentiment  intense  de  la  nature,  le  mouvement  pro- 
fond et  sincère  de  la  sensibilité  cordiale,  et  la  légè- 
reté souriante  du  philosophe  résigné. 

Je  suis  forcé  de  prier  les  lecteurs  de  rechercher  dans 
l'ensemble  des  poésies  ci-après  publiées  la  trace  des 
consolations  que  la  Muse  put  lui  fournir  Ils  y  trou- 
veront aussi  l'indication  de  quelques  incidents  inti- 
mes ou  politiques,  des  échanges  d'amitié  ou  de  ten- 


XX  XII  l'REKACli. 

liressc,  qvii  aidcrcnt  le  travail  du  rêve  et  Je  rinleliigence 
à  faire  triompher  la  résignation  dans  lame  du  pri- 
sonnier. Mais  c'est  à  leur  imagination  surtout  que  je 
fais  appel  pour  deviner  les  distractions  que  la  vie  jour- 
nalièrelui  apportait  par  l'intermédiaire  soit  de  sescom- 
pagnons  de  captivité,  soit  tie  la  famille  de  ses  geôliers, 
soit  des  visiteurs  anglais.  Nous  voyons  qu'il  se  mit  de 
grand  cœur  à  apprendre  la  langue  anglaise.  On  a 
peut-être  exagéré  la  connaissance  qu'il  en  eut,  et  les 
critiques  anglais  croient  pouvoir  assurer  que  parmi  les 
nombreuses  pièces,  ou  traduites,  ou  originales  c^u'on 
lui  attribue,  trois  seules,  et  des  plus  lourdes,  sont  de 
lui. 

En  dehors  de  ces  distractions  que  la  poésie,  le  tra- 
vail et  les  hasards  de  la  captivité  lui  apportaient,  les 
espérances  de  liberté,  les  visites  trcs-surveillées  de  ses 
serviteurs  français,  les  lettres  qu'on  lui  permettait  d'é- 
erre,  le  mouvement  de  cette  illustre  colonie  française 
que  la  captivité  avait  formée  en  Angleterre,  les  nou- 
velles châtrées,  révisées  et  arrangées  qu'on  lui  laissait 
parvenir,  et  plus  tard  l'activité  diplomatique  où  le 
gouvernement  anglais  aux  abois  le  poussa,  consti- 
tuaient la  vie  du  prisonnier. 

De  ces  espérances  de  liberté  toujours  vaines,  l'em- 
pereur Sigismond  lui  apporta  la  première  en  1416. 
Eli. -s  durent  recevoir  un  grar.d  coup  quand,  après  la 
mort  de  Henri  \',  en  1422,  il  avait  appris  que  ce  grand 
et  habilj  roi,  a  s-on  lit  de  mort,  avait  par-dessus  lout 
recommandé  qu'i  n  nedélivr.'tt  pas  son  beau  cousin  d'Ûr- 
léan;.  Ce  passage  du  testament  politique  d'un  homme 
d'E  at  de  cette  trempe  mériterait  d'être  approfondi  et 
analyse.  Nous  indiquons  seulement  la  principale  rai- 
son de  cette  recommandation.  Il  s'agis*ait  surtout 
d'enlever  à  une  partie  de  la  féodalité  française  son 
chef,  à  cette  partie  de  l'armée  française  qui  était  jus- 
tement l'armée  du  Dauphin,  son  général.  Quelque 
soin  que  Guillaume  Cousinot;  le  représentant  diplo- 
matique et  administratif  de  Charles,  quelque  zèle  que 
ses  représentants  militaires,  Galuet,  puis  le  comte  de 
Vertus,  puis  Dunois,  aient  pu  mettre  dans  le  gouver- 
nement de  ses  seigneuries,  l'apanage  d'Orléans  n'en 
était  pas  moins  féodalemerit  dans  l'apparence  et  la  si- 
tuation d'un  orphelin.  Monstrelet,  qui  paraît  connaître 
à  fond  l'esprit  pratique  des  Anglais,  ajoute  que  le  duc 
eût  été  délivré  bien  plus  tôt  s'il  n'avait  pas  fait  venir 


VIE    DE    CHARLES    D    ORLEANS.       WXIII 

chaque  année,  en  Angleterre,  beaucoup  d  argent  dont 
le  roi,  les  conseillers,  les  geôliers,  leurs  yens  et  leurs 
fournisseurs  s'enrichissaient. 

Plus  tard,  l'espérance  put  renaître,  non  pas  seule- 
ment quand  il  vit  qu'on  délivrait  (en  1427,  pour 
200,000  saluts  d'or)  le  duc  d'Alençon,  grand  chef 
féodal,  lui  aussi,  qui  avait  été  pris  à  Verneuil,  mais 
Gaucourt  (1428,  pour  12,000  livres),  puis  le  comte 
d'Eu,  qui  avaient  été  désignés,  comme  lui,  parmi  les 
prisonniers  à  garder  jusqu'à  la  majorité  d'Henri  VI. 
Puis  il  pouvait  deviner  que  dans  chaque  bataille  ses 
amis  songeaient  à  lui  et  cherchaient  à  faire  des  pri- 
sonniers qui  pussent  s'échanger  contre  lui,  et  ce  fut, 
après  la  bataille  de  Beaugé,  no'tamment,  une  des  préoc- 
cupations du  fidèle  Cousinot  et  des  ministres  de 
Charles  VII. 

Mais  s'il  perdait  momentanément  l'espérance  pour 
lui-même,  il  la  conservait  toujours  pour  son  frère 
Jean  d'Angouléme.  Rymer  et  nos  Archives  nationales 
renferment  plusieurs  pilces  se  rapportant  à  ces  efforts 
(K  64,  etc.,  etc.).  Nous  avons  aussi  l'état  des  sommes 
qu'il  lui  donna  de  1413  à  1436.  Elles  pourraient  ser- 
vir de  point  de  comparaison  — toute  différence  gardée 
entre  l'aîné  et  le  cadet  —  pour  nous  aider  à  deviner  le 
chiffre  des  propres  dépenses  de  Charles.  Disons  seule- 
ment qu'en  141 5,  par  exemple,  l'année  même  de  la 
captivité  du  donataire,  Jean  reçut  de  son  frère  :  en  fé- 
vrier, 200  livres,  en  avril,  d'abord,  4,820  livres,  puis 
2,125  ;  en  juin,  ci8o  livres  et  en  un  autre  payement, 
3,562;  en  septembre,  2,000.  Il  subvenait  à  ces  dépen- 
ses, aux  siennes,  aux  avances  qu'il  faisait  aux  autres 
prisonniers,  grâce  aux  soins  de  son  conseil  insti- 
tué à  Blois.  Il  avait  songé  dès  le  29  novembre  1415  à 
faire  des  économies,  et  il  avait  cassé  aux  gages  ses 
serviteurs  et  officiers.  Non  pas  tous,  sans  doute, 
car  nous  en  voyons  venir  un  grand  nombre  en  An- 
gleterre. Rymer  a  conservé  beaucoup  d'actes  —  j'en 
compte  vingt  jusqu'en  1433  —  qui,  dès  le  27  novem- 
bre 141 5,  parlent  du  prisonnier,  des  serviteurs  qui 
le  vinrent  visiter,  des  eU'orts  qu'il  fit  pour  se  libérer 
et  de  maint  détail  personnel,  qui  permettent  à  l'his- 
torien de  reconstituer  son  existence  d'alors  et  celle 
de  ses  compagnons  d'exil.  Citons  quelques  brefs  traits. 
C'est  le  I"  juin  1417  qu'on  le  traiispoi-e  de  Wind- 
sor   au    château    de    Pou  ntfrect ,  sous     la   garde   de 

CHARLES    d'o  (!.ÉAN3.    1.  C 


XXXIV  PRÉFACE. 

Robert  Watterton  qui  doit  le  remettre  au  vicomte  de 
Bedtort.  Nous  devinons  que  par  ce  redoublement  de 
rigueur  on  veut  punir  le  prince  qui  vient  de  refuser 
fort  dédaigneusement  de  reconnaître  le  roi  d'Angle- 
terre pour  suzerain,  ce  qui  était,  dès  lors,  la  condition 
de  sa  délivrance.  C'est  à  cette  date  qu'il  faut  rapporter 
le  bruit  qui  indignait  le  Religieux  de  Saint-Denis  et 
qui  montrait  le  prince  d'Orléans  relégué  à  l'extrémité 
de  l'Angleterre  et  humilié  par  une  lâche  et  sournoise 
recherclie  d'insolence  :  il  était  obligé  de  se  contenter 
d'un  seul  serviteur  français,  quand  les  nombreux  An- 
glais qu'il  était  forcé  de  rencontrer  l'écrasaient  de  leur 
luxe,  tn  1419  on  recommande  un  redoublement  de 
surveillance,  la  fuite  du  duc,  dans  les  circonstances 
actuelles,  serait  du  plus  grand  préjudice.  En  1423,  la 
garde  est  confiée  à  Thomas  Combworth,  qui  reçoit, 
pour  l'entretien  du  prisonnier,  20  sous  par  jour.  En 
1432,  c'est  Jean  Cornewaille,  seigneur  de  Fanhope,  qui 
est  son  gardien.  Un  an  après,  ce  seigneur  se  fait  don- 
ner par  le  prince  une  reconnaissance  de  2,000  ccus. 
Puis  vient,  de  1433  à  1440,  la  série  des  actes  concer- 
nant les  longs  préliminaires  de  la  délivrance.  N'ou- 
blions pas  pourtant  que  le  duc  de  Suftblk  avait  ofl'ert 
lin  rabais  sur  le  prix  de  l'entretien  du  prisonnier  et 
qu'on  l'en  avait  chargé  pour  14  sous  4  deniers  par 
jour. 

Nous  ne  relevons  pas  les  noms  de  tous  les  visiteurs 
qui  lui  venaient  de  France.  Que  lui  apprenaient-ils. 
et  qu'avaient-ils  le  droit  de  lui  apprendre  et  quelle 
étrange  histoire  de  France  ils  devaient  s'engager  à  lui 
narrer.'  Les  événements  de  famille,  laca|Uurede  son 
frère,  le  bâtard  d'Orléans(i4i8),  la  mort  de  son  frère, 
le  comte  de  Vertus  (1420),  le  mariage  de  Marguerite 
sa  sœur,  avec  Richard  de  Bretagne  —  mariage  dont  il 
ne  fut  pas  content,  dit  Cousinot  —  les  fiançailles  et  le 
mariage  de  sa  fille  Jeanne  avec  le  duc  d'Alençon 
(1421-1424)  et  autres  incidents  de  cette  sorte  purent 
sans  doute  lui  être  connus  assez  promptement.  On 
peut  supposer  aussi  qu'il  prenait  intérêt  aux  voyages 
que  faisaient  ses  belles  tapisseries  et  courtines  em- 
pruntées pour  les  noces  et  relevailles  des  princes- 
ses royales  de  France.  Quand  nous  le  voyons,  d'un 
zèle  qui  touche  notre  cœur  d'érudit,  lutter  avec  son 
recueillera  les  livres  de  la 
s  V,   pillés  par  Bedfort  et 


I^cie  qui  toucne  notre  cceur 
frère  d'Angoulême  à  qui  i 
bibliothèque  du  roi   Charle 


VIE    DE    CHAULES     D    OIU.  EANi.  XXXV 

vendus  par  lui  aux  marchands  de  Londres,  nous  de- 
vons croire  aussi  qu'il  se  préoccupait  de  cette  bibliothè- 
que, de  ce  riche  mobilier  rassemblésau  château  de  Blois 
par  son  père.  Ce  lut,  sans  doute,  par  ses  ordres  spé- 
ciaux qu'en  1427,  on  dressa  le  catalogue  — que  nous 
avons  encore  —  de  cette  bibliothèque,  et  qu'on  la 
transporta  liors  du  voisinage  des  Anglais,  de  Blois  à 
Saumur.  ' 

Mais  comment  lui  furent  racont'es  cette  vaillante 
épopée  du  siige  d'Orléans,  et  cette  miraculeuse  Iliade 
de  Jeanne  d'Arc  r 

Pourtant  parmi  les  traits  touchants  de  ce  cœur  hé- 
roïque de  Jeanne,  qui  représente,  au  milieu  d'une  lu- 
mière surnaturelle,  la  plus  noble,  la  plus  clairvoyante 
partie  du  cœur  de  la  France,  je  trouve  sa  tendresse 
naïve  pour  le  pauvre  duc  d'Orléans.  Au  fond  c'était 
son  parti  qui  défendait  la  nationalité  française,  et 
Jeanne  avait  pitié  de  sa  ville  comme  de  la  patrie,  et 
elle  s'était  attachée  à  lui  comme  au  gentil  Dauphin. 
C'est  à  lui  qu'elle  songeait  en  faisant  des  prisonniers, 
lui  qu'elle  voulait  aller  bravement  délivrer  après  avoir 
délivré  la  France.  Elle  le  délivra  réellement.  Non-seu- 
lement elle  écrasa  la  puissance  anglaise,  mais  il  ne 
paraît  pas  douteux  que  ses  prédictions  excitèrent  le 
zèle  de  celle  qui  fut  surtout  sa  libératrice,  je  veux  dire 
la  duchesse  de  Bourgogne. 

Le  siège  d'Orléans  lui  porta  de  toute  façon  bonheur. 
En  1427,  il  avait  fait,  avec  le  gouvernement  anglais, 
un  traité  qui  donnait  à  ses  terres  protection  et  exemp- 
tion de  guerre.  Les  Anglais  l'oublièrent  quand  '^tirlii.., 
intérêt  leur  montra  les  inconvénients  de  cette  pro-  \\" 
messe.  Nouspouvons  nous  rendrediihcilement compte 
de  l'horreur  que  souleva  ce  procédé,  non  parce  qu'il 
violait  ertrontément  un  traité  —  chose  vulgaire  — 
mais  parce  qu'il  affrontait  audacieusement  i'opinior. 
publique.  La  chevalerie  avait  tendu  à  protéger  à  titre 
d\rphelin  la  terre  prisée  de  son  seigneur  vaillamment 
tombé  dans  la  bataille.  .-Xussi  ce  fut  un  cri  général 
quand  on  apprit  le  siège  d'Orléans,  cri  dont  l'écho 
nous  est  précieusement  conservé,  dans  toutes  les  Chro- 
niques. On  peut  même  conclure  des  paroles  du  pape 
Pie  II  que  ce  fut  un  des  traits  qui  dévoilèrent  le 
mieux,  aux  yeux  de  la  chrétienté,  le  caractère  inso- 
lemment et  vilainement  brutal  de  la  politique  an- 
glaise. Le  principe  des  nationalités  n'était  pas  encore 


XXXVI  PREFACE. 

entré  dans  la  diplomatie  euroix'enne  ;  la  royauté 
n'avait  pas  encore  t'ait  prévaloir  l'iticc  de  patrie  telle 
qu'elle  existe  aujourd'hui;  la  patrie,  sous  la  léoda- 
lité,  était  à  la  fois  plus  t;énérale  et  plus  restreinte, 
elle  ne  visait  pas  directement  la  France,  mais  la  chré 
tienté  et  la  municipalité.  Toutetois  l'opinion  publi- 
que avait  adopté  certains  instincts  d'une  haute  gé- 
nérositi  chevaleresque,  et,  nous  ic  répétons,  elle  ne 
permettait  pas  d'attaquer  les  forteresses  de  l'homme 
qu'on  tenait  en  capti\ité. 

C'est  en  14S2,  que  la  sympathie  éveillée  par  Jeanne 
d'Arc  et  la  politique  de  la  duchesse  de  Bourt^ogne 
commencèrent  à  faire  entrevoir  à  Charles  de  nou- 
velles chances  de  salut.  Rymer,  dom  Plancher,  danâ 
son  histoire  de  Bourgogne,  Monstrelel,  (Hiartier,  les 
chroniqueurs  de  Charles  Vil,  les  poésies  du  duc  lui- 
même,  nos  archives  nous  renseignent  sur  les  in- 
certitudes de  ces  huit  années,  où  le  pauvre  prince  fut 
le  jouet  de  la  politique  anglaise  et  où  il  laissa  trop 
voir  combien  la  captivité  avait  obscurci  son  jugement 
et  brisé  son  âme.  C'est  dans  cet  intervalle,  en  ellet, 
qu'oublieux  des  hères  résolutions  d'autrefois,  il  fit, 
pour  le  dire  en  deux  mots,  soumission  au  roi  d'An- 
gleterre et  cela  sans  réserve.  Je  n'ai  pas  mission  de 
l'en  excuser,  j'écris  son  histoire,  non  son  apologie; 
je  fais  la  biographie  non  pas  d'un  héros,  mais  d'un 
pojte,  et  j'ai  tout  droit  de  le  blâmer  bien  que  j'aie  en- 
trepris d'esquisser  sa  vie  et  de  publier  ses  rimes.  Mais 
si  cet  abaissement,  ou  cette  erreur,  peuvent  difficile- 
ment s'excuser,  ils  s'expliquent  fort  bien.  Il  faut  lire 
dans  le  tome  IV  de  l'histoire  de  Bourgogne,  de  dom 
Plancher,  le  très-curieux  récit  des  relations  que  les 
ambassadeurs  de  Bourgogne  ont,  en  141^3,  avec  le 
duc  d'Orléans.  On  ne  veut  le  laisser  communiquer 
avec  personne;  il  tient  ses  renseignements  politiques 
uniquement  des  Anglais;  on  surveille  jusqu'à  ses 
moindres  gestes,  il  ne  peut  écrire,  sans  une  permis- 
sion qui  lui  est  ordinairement  refusée.  Le  prince  ajoute 
qu'il  est  désespéré  de  passer  sa  vie  dans  les  fers,  que 
tout  le  monde  l'abandonne.  Il  ignore  que  les  négo- 
ciateurs français  font  de  sa  liberté  une  des  conditions 
du  traité  de  paix;  il  se  rappelle  seulement  cet  acte 
du  4  juin  1402  où  Charles  VI  s'engage  à  payer  la  ran- 
çon des  tils  de  son  frère,  au  cas  où  ils  seraient  prison- 
niers. Enfin,  il  dit  expressément  qu'il  veut  se  procurer 


VIE  DE  CHARLES  D  ORLEANS.  XXXVH 

la  libcrtî  à  toute  force.  C'est  dans  ce  désespoir,  dans 
les  conséquences  intellectuelles  et  morales  d'une  telle 
situation,  d.ms  ces  vingt-cinq  années  d'une  telle  ser- 
vitude qu'on  trouve  l'explication  de  l'acte  humiliant 
et  inutile  de  143IÎ.  Il  ignorait  le  véritable  ctat  des 
allai rci  dj  France.  De  plus  la  loi  Salique,  on  le  sait 
maintenant,  n'avait  pas  alors  cette  grande  autorité 
qu'elle  acquit  par  la  suite.  La  légitimité  de  Cliar- 
iss  \  U  avait  été  fortement  mise  en  question.  Henri  VI 
d'.Angl.tjrre,  petit-lils  de  Charles  VI,  reconnu  comme 
hjrit.er  de  la  couronne  de  France  par  un  consentement 
dont  on  avait  dû  exagérer  la  généralité,  et  par  une  as- 
sem'olée  que  les  Anglais  aimaient  à  faire  passer  pour 
les  Etats  généraux,  avait  des  apparences  de  roi  de 
France  tout  autant  que  d'Angleterre.  Ces  usages, 
ces  lois,  ces  préjugés  de  la  fjoj.ilitj  auxquels  l'ai'fait 
mainte  lois  allusion,  ne  donnaient  pas  à  Charles  sur 
le  patriotisme  les  idées  que  nous  avons  aujourd'hui. 
Ces  raisons  me  portent  à  croire  que  ses  contempo- 
rains, me  Heurs  juges  de  la  situation  historique,  ne  le 
jugèrent  pas  aussi  sévèrement  que  nous  avons  le  droit 
de  le  faire  au  nom  de  la  morale. 

Nous  pourrions  donner  ici  la  liste  des  demandes  que 
Jean  Hardouin  lui  apporta  à  Londres,  au  nom  de  ses 
sujets,  aux  Pâques  de  1437;  ce  nous  serait  un  spéci- 
men des  aflaires  courantes  qu'il  avait  à  traiter  pen- 
dant sa  captivité,  en  dehors  des  grandes  questions 
de  politique  générale.  Mais  j'ai  hâte  d'arriver  à  ce 
douzième  jour  de  novembre  où  il  se  trouve  à  Grave- 
Hnes  et  absolument  libre.  Il  l'était  en  fait  depuis  le 
3  du  même  mois.  Mais  ce  12,  il  avait  encore  à  prêter 
un  millième  et  dernier  serment  de  reconnaissance  et 
de  tendresse  au  roi  d'Angleterre. 


IV. 


Je  voudrais  pouvoir  donner  le  texte  de  la  conven- 
tion écrite  en  latin  le  2  juillet  1440  à  Windsor.  J'y 
rencontre  une  ampleur  de  style,  une  aisance  de  dignité, 
une  sincérité  de  tristesse  et  un  développement  de  sen- 
timents personnels  qui  me  font  attribuer  ce  document 
à   Charles   lui  même.   Après    avoir  déploré   l'état  de 


XXXVIII  F1EFACE. 

misère  où  il  est  rcdiiit  et  qui  l'empêche  de  trouver 
aisjmcnt  la  somme  qu'il  eût  si  facilement  recueillie 
au  djbut  de  sa  captivité,  il  s  engage  à  donner  immé- 
dia.emcnt  80,000  saluts  d'or  —  ciont  deux  valent  un 
noble  anglais.  —  11  fournira  dans  les  six  mois  120,000 
autres  écusd'or  pour  le  payement  desquels  s'engagent 
le  Oaupnin,  le  duc  de  Bretagne,  le  duc  d'Alençon,  le 
comte  de  V  endome,  etc.;  plus  20, "oo  autres  écusd'or; 
s'engageant  à  ne  se  considérer  comme  djtinitivement 
djlivrj  que  dans  un  an,  à  ne  pas  prendre  avant  ce 
temps  les  armj.i  contre  le  roi  d'Angleterre,  à  venir 
reprendre  sa  prison  s'il  ne  peut  compIJiement  payer. 

11  avait  dû  surtout  sa  di.ivrance  au  iluc  de  Bourgo- 
gne et  à  ces  vue;  politiques  qui  préparaient  le  der- 
nier combat  de  la  féodalité  contre  la  royauté.  Les 
grands  vassaux  voulaient  être  au  complet,  et  la  diplo- 
matie anglaise  continuait,  en  le  relâchant,  la  politique 
aui  l'avait  engag  je  à  le  garder  jusqu'alors.  Dans  les 
eux  cas  elL-  \oulait  alhxiblir  la  France,  hier  en  lui  en- 
levant un  clJment  de  lorce,  un  prince  du  sang;  au- 
jouiM'iiui  en  lui  envoyant  un  nouvel  élément  de  dis- 
corde, un  ch.t  fjodal.  Il  nous  faut  ici  encore  renvoyer 
nos  lecteurs  aux  chroniqueurs  de  Charles  \'1I,  aux 
hi  uoires  gjnirales.  Notre  duc,  aprJs  avoir  été  soustrait 
au  mouvement  gjniral  de  la  ci\ilisation  française, 
pendant  ces  vingt-cinq  ans  passés  dans  la  demi-mort 
de  l'exil,  et  dans  cette  oo.îcurité  des  préjugis  étran- 
ger ,  revenait  en  France  avec  les  idjes  de  l'an  1415. 
Il  se  croyait  encore  au  tenps  de  Ciirles  'VI  et  de  la 
puissance  absolue  des  princes-du  sang,  il  de\*int  l'ins- 
trument de  la  politique  bourguignonne, comme  il  avait 
été  le  jouet  de  la  diplomatie  anglaise,  jusqu'à  ce  que 
l'âge  é'eignant  les  derni'.res  ardeurs  cie  cette  ambi^ 
tion  renouvelle,  son  inte.ligence  et  sa  bonté  naturelles 
vinrent  en  aide  à  son  insouciance,  à  ses  habitudes  de 
loisirs  poétiques  et  de  labeur  'philosophique,  et  don- 
nèrent gain  de  cause  à  la  diplomatie  de  Charles  VII 
et  aux  conseils  du  véritable  patriotisme. 

La  vieillesse  venait  d'ailleurs;  il  avait  quarante-neuf 
ans  quand  il  sortit  de  prison,  i^ès  l'âge  de  quarante- 

)  trois  ans,  il  se  plaint  de  ses  infirmités,  et  en  iqSy, 
il  annonçait  solennel  ement  qu'il  quittait  le  Dieu 
Amours.  On  n'attendait  pas  toujours  si  tard, et  son  lu- 
tur  secrétaire,  Antoine  Astezan,dJclare,  à  l'âge  de  trente 
I  ans,  qu'il  devient  trop  grave  pour  rester  amoureux. 


VIE     DE    CHARLES     D    ORLEANS         XXXIX 

Cet  âge,  cette  gravité,  l'estime  compatissante  et  la  vé- 
nération entourant  un  prince  qui  avait  tant  souffert 
pour  la  France;  le  grand  rôle  que  lui,  son  nom, 
son  drapeau,  son  parti  avaient  dans  les  chroniques, 
son  intelligence,  son  état  de  prince  du  sang  lui  gar- 
dèrent une  situation  très-haute  et  très  imposante. 
Nous  ne  le  voyons  mêlé  et  en  première  ligne  aux  plus 
grandes  atl'aires.  iMais,  je  le  ripèie,  je  me  borne  a  si- 
gnaler les  traits  les  plus  personnels,  ou  les  moins 
connus. 

Il  avait  été  délivré  le  3  novembre  1440 —  avec  la 
réserve  que  j'ai  indiquée.  — •  I^a  politique  bourgui- 
gnonne avait  tant  de  hâte  de  l'attacher  décidément  à 
e.le,  que  le  G  il  est  tiancj  à  Marie  de  Clèves,  fille  de 
Marie  de  Bourgogne  et  nièce  de  Philippe  de  Bourgogne. 
Le  contrat  de  mariage  est  rei;u  le  G  novembre  par  Jean 
Pocholle,  bourgeois  de  Montreuil,  garde  des  sceaux 
du  bailliage  d'Amiens,  en  la  ville  de  Montreuil.  Marie 
apporta  100,000  saluts  d'or  en  dot.  Le  mariage  est 
célébré  !e  18  à  Saint-Omer.  Les  nouveaux  épou.^  sui- 
vent Philippe  en  Flandre  jusqu'à  Gand  où  on  se  sé- 
pare après  des  tendresses  infinies.  Charles  reçoit  la 
Toison  d'or,  et  donne  à  son  bel-oncle  l'ordre  du  Ca- 
mail.  Maipre  don  d'ailleurs  que  Charles  prodiguait  et 
continua  de  prodiguer  comme  nous  le  montrent  les 
plaintes  de  Alonstrelet  et  les  comptes  de  la  maison  de 
Valois.  —  le  ne  ;iuis  me  retenir  de  citer,  parmi  les 
personnares  qui  le  reçurent,  la  femme  de  Poton  de 
Xaintrailles. 

C'est  au  :.  cmeit  de  ce  troisième  mariage  qu'il  m'est 
le  moins  dilii^i.c  d'esquisser  le  portrait  de  mon  héros. 
Un  manuscrit  (traduction  de  la  Passion,  Bib.  Natio- 
nale, 968,)  nous  donne  deux  portraits  qu'on  croit  être 
le  sien  et  celui  de  Marie  de  Clèves.  Malheureusement 
les  couleurs  en  sont  fort  ternies.  Il  reste  une  ligure 
maigre,  sèche,  une  grande  bouche,  un  nez  fin,  une  phy- 
sionomie austère.  .Marie  de  Clèves  nous  présente  une 
figure  longue,  grave,  blanche,  peu  attrayante.  Dans 
l'Armoriai  manuscrit  du  Héraut  Beny  nous  avons  un 
autre  portrait  de  lui  un  peu  plus  jeune.  Mais  c'est 
bien  L  même  tvpe,  cou  long,  figure  maigro  à  l'air 
naif  et  timide,  d'une  vulgarité  presque  champêtre,  nez 
fin  Lglrement  retroussé!^  cheveux  châtains,  teint  fort 
coloré.  Il  est  là  presque  le  seul  de  tous  ces  personna- 
ges peintsdont  le  visage  ne  soit  pas  arrondi.  La  statue 


XL  PREFACE. 

couchée  sur  son  tombeau  donne  seule  une  idée  noble 
I  de  son  type  :  le  profil  ist  d'une  grande  régularité  et 
finesse,  d'une  grande  délicatesse  et  douceur,  le  ne^;  sur- 
I  tout  légèrement  aquilin  est  d'un  dessin   très-hn. 

On  m'excusera  de  ne  pas  m'étendre  sur  les  félicités 
domestiques  de  notre  poète.  Si  nous  en  croyons  le 
très-curieux  roman  historique  que  Georges  Cliasiellian 
publia  ^o■JS  le  nom  de  (".iironique  de  Jacques  de  La 
Lain,  la  tendresse  de  Madame  ne  fut  pas  extrêm.-  pour 
Monseignieur.  Mais  il  faut  lire  cette  chronique,  ici  un 
peu  scandaleuse,  en  songeant  aux  partis  pris,  aux  pré- 
jugés et  aux  innocents  devoirs  de  la  galanterie  pojti- 
que  et  chevaleresque  du  temps. 

Le  18  décembre  i  jqo,  Charles  est  à  Bruges,  comme 
nous  l'indique  un  traité  qu'il  signe  là  avec  le  duc  de 
Bourgogne;  et  sur  le  contre-sceau  dudit  traité  se  trouve 
la  devise  ma  contente  ou  m'a  contenté,  que  notre  duc 
paraît  avoir  adoptée  à  cette  époque  en  signe  de  joie, 
sans  doute,  de  sa  libération. 

Le  14  janvier  il  vint  à  Paris  avec  sa  nouvelle  épouse. 
Les  Parisiens  le  reçurent  à  merveille.  Au  bout  de  huit 
jours,  selon  le  Bourgeois  de  Paris,  il  retourna  dans 
son  pays  d'Orléanais.  Charles  VU,  le  voyant  entouré 
d'une  sorte  d'armée  de  gentilshommes  bourguignons, 
qui  s'étaient  attachés  à  lui  pour  les  raisons  qu'^  numère 
Monstrelet  avec  sa  finesse  ordinaire,  lui  avait  fait  savoir 
qu'il  le  recevrait  plus  tard  en  moins  grande  compagnie. 
Le  roi,  d'ailleurs,  surveillait  le  uéveloppement  du 
grand  mouvement  féodal  qui  éclata  en  1442,  et  il  était 
mécontent  de  voir  le  duc  d'Orléans  se  faire  si  aisément 
l'agent  de  la  politique  bourguignonne.  Celui-ci  crut 
bon  de  bouder  et  il  passa  les  années  suivantes  à  goûter, 
en  voyageant,  la  joie  de  revoir  cette  France  pendant  si 
longtemps  perdue  et  à  servir  d'instrument  à  ces  intri- 
gues auxquelles  justement  il  devait  ce  long  exil.  Les  16 
et  17  avril,  il  est  encore  à  Blois.  11  va  à  Tours.  En  août 
et  juillet,  il  parcourt  le  Perche  et  la  Bretagne.  Nous 
avons  ses  étapes  et  ses  dépenses  pendant  ce  voyage  en 
Bretagne,  qu'il  renouvela  en  1442  et  1445.  En  octobre, 
il  revient  à  Paris,  "  pour  prendre  une  beschée  sur  la 
povre  ville  »  et  regagne  la  Bourgogne.  Il  était  à  Hes- 
din  à  la  Toussaint.  Cette  beschée,  )e  ne  sais  pas  bien 
ce  qu'elle  lui  rapporta.  Mais  celle  qu'il  avait  prise  eri 
Bretagne  n'avait  pas  été  à  dédaigner  :  le  duc  breton  lui 
avait  donné  20,000  ccus  et  lui  en  avait  promis  9,5oo 


VIE  DE  CHARLES  D  ORLEANS.      XLI 

autres.  En  cette  année  il  fait  faire  hommage  au  roi  des 
Romains  pour  son  comté  d'Asti.  En  1442,  il  vend 
Bcaugency  pour  sa  rançon,  à  laquelle  chacun  travaille 
de  son  mieux.  Ainsi  cette  même  année,  il  reçoit,  entre 
autres,  5  000  francs  du  pays  d'Auvergne  et  53o  écus  de 
la  ville  deSenlis.  Il  négocie  un  traité  entre  le  roi  d'An- 
gleterre et  le  comte  d'Armagnac.  Mais  la  nécessité,  le 
patriotisme,  l'habile  politique  de  Charles  VII  et  peut- 
éireia  soi-disant  tentative  d'assassinat  de  1441,  com- 
mencèrent à  le  ranger  à  la  politique  royale.  Il  vient 
trouver  le  roi  à  Limoges,  comme  le  représentant  des 
princes  rebelles,  et  il  quitte  Limoges  comme  représen- 
tant, auprès  des  princes,  de  la  diplomatie  de  Charles  \  II. 
Il  le  quittait  plus  rich:;  aussi  :  il  reçut  160,000  li- 
vres du  roi.  qui  leva  une  taille  pour  l'aider  à  payer 
sa  rançon.  Les  sommes  énumérées  plus  haut  faisaient 
partie  de  cet  impôt,  ainsi  que  i6,8c)oécus  des  aides 
de  Saintonges,  26,200  des  aides  dû  Languedoc,  etc. 
Tout  ne  fut  pas  payé  immédiatement  ;  en  1448  en- 
core, il  fallait  batailler  pour  les  derniers  mille  écus. 
Le  roi  joignit  à  ce  don  une  pension  de  io,ooo  livres 
tournois,  qui  fut  portée  à  18,000,  en  1443,  au  mois  de 
juin.  Il  était  alors  à  Cognac  avec  sa  femme  et  la  com- 
tesse d'Etampes.  Le28  juillet,  il  est  de  retour  à  Orléans. 
Il  y  fait  don,  à  l'un  des  frères  de  la  Pucelle,  de  l'Ile  aux- 
Bœufs,  domaine  de  200  arpents.  L'acte  de  donation 
présente  cette  curiosité,  que  le  duc  n'est  pas  convaincu 
de  la  mort  de  Jeanne;  il  en  parle  seulement  comme 
d'une  absente. 

Active  année  pour  lui  que  celle  de  1444  En  fJvrier, 
il  est  à  Blois,  tout  occupé  de  sa  rançon,  puis  de  celle 
de  son  frcre,  qui  sort  enfin  de  captivitJ  pour 
210,000  écus  d'or.  Il  est  chargé  ds  traiter  de  la  paix 
avec  les  Anglais.  Il  reçoit  à  Blois  le  duc  de  Suffolk, 
son  ancien  geôlier,  le  mène  à  Tours.  Pourtant,  les 
documents  anglais  ne  nous  l'y  montrent  pas  assistant, 
le  24  mai,  aux  fiançailles  de  Margueritj  d'Anjou  et  du 
roi  d'Angleterre.  Mais  entin,  aidé  du  comte  de  Ven- 
dôme, de  dern-and  de  Beauvau  et  surtout  de  Pierre  de 
Brjzc,  il  conclut  la  trêve  de  Tours.  Il  accompagna  le 
roi  pendant  la  campagne  de  Lorraine,  1444-1445;  c'est 
là,  durant  les  fites  de  Nancy,  que  son  frère  vient  le 
trouver,  durant  la  solennité  des  noces  de  Ferry  de 
\:\'\  'emont  et  d'Yolande  de  Lorraine.  C'est  là  que 
ni. us  le  montre  à  plusieurs  reprises  la  Chronique  de 


XLII  PREFACE. 

Jacques  de  LaLain.  En  cette  annexe  1445,  il  est  mêlé 
au  procès  du  comte  d'Armagnac.  En  i  '46,  il  se  pré- 
pare à  faire  valoir  ses  droits  sur  leduclié  de  Milan  et 
se  ligue  avec  le  roi  de  Naples.  Il  est  en  Flandre,  à 
Gand,  pour  la  fête  de  laToison-d'Or.  Il  gagne  la  Bour- 
gogne où  il  organise  une  armt'e  qui  entre  en  Italie  et 
lui  gagne  assez  aisiment  son  comté  d'Asti.  La  guerre 
continue.  Charles  le  vient  visiter.  Les  poésies  latines 
d'Antoine  Aste/Can,  qui  devint  son  secrétaire,  nous 
donnent  de  nombreux  et  curieux  détails  surce  voyage. 
En  janvier  1448,  les  comptes  de  sa  maison  nous  mon- 
trent que  le  salaire  de  ses  olliciers  pour  ce  comté  était 
de  840  livres.  Par  contre  nous  voyons,  dans  les  comp- 
tes de  l'hôtel  pour  cette  même  année  1448-41),  que  si 
la  recette  totale  de  ses  revenus  est  de  14,887  livres,  la 
dépense  est  de  20,97-1.  Il  n'en  continue  pas  moins  ses 
voyages.  En  1448,  il  retourne  auprls  du  duc  de  Bour- 
gogne pour  activer  son  zèle  en  sa  faveur.  Il  est  avec 
lui  à  Arniens  qui  le  reçoit  avec  grande  solennité,  et 
qui  déjà,  dés  1440,  avait  donné  1 ,000  saluts  d'or  pour 
sa  rançon.  Il  fait  un  traité  sur  ses  alfaires  italiennes 
avec  le  roi  des  Romains;  et  disons  immédiatement 
qu'en  1450,  quoiqu'il  eût  successivement  annuli  par 
des  traités  deux  des  concurrents,  le  roi  des  Romains 
et  le  roi  de  .Naples,  le  quatrième,  François  Sforce, 
l'emporta  décidément.  Dès'le  inois  d'août  i44(j,  Charles 
était  de  retour  à  Blois.  Il  est  à  Lyon  au  printemps 
de  1430.  En  1451,  il  assiste  à  Mons  aux  fêtes  de  la 
Toison-d'Or.  En  1452,  le  20  mai,  il  nomme  ses  pro- 
cureurs pour  réclamer  de  l'empereur  l'investiture  du 
comté  d'Asti.  En  juillet  1455,  il  esta  Mehunsur-Yèvre, 
auprès  de  Charles  \  II,  dans  le  conseil  duquel  on  agi- 
tait fort  vivement  la  question  de  la  succession  du 
duché  de  Bretagne.  En  1456,  dans  ce  même  conseil 
du  roi,  il  défend  cette  idée  d'une  croisade  qui  fut  tou- 
jours chère  aux  aventureux  X'alois.  La  grande  alYaire 
de  cette  partie  de  sa  vie  fut  le  procès  de  son  gendre, 
le  duc  d'Alcnçon,  en  i45(3-58.  Nous  avons  le  discours 
par  lequel,  au  lit  de  justice  de  Vendôme,  il  le  recom- 
mande à  l'imiulgence  du  roi,  discours  où  l'on  peut 
relever  quelques  traits  intéressants  pour  sa  biogra- 
phie, et,  d'ailleurs,  plein  de  gravité,  de  douceur  et 
d'am|"leuf.  Il  peut  paraître  lourd  et  pédantesque  si 
an  L  compare  aux  lettres  de  Voltaire,  mais  il  est 
très-lin   et  cl  gant  pour   ceux   qui  connaissent  cette 


VIE     DE     CHARLES     D    ORLEANS.  XLIII 

éloquence  scolastiquc  que  la  pesante  solidité  du  rai- 
sonivjment,  le  b.-soin  d'autorités,  et  l'escorte  obligie 
de  cette  nu  Je  de  philosophes,  de  poëtes  et  de  saints 
rendent  si  pompeuse,  si  nette  en  chacune  de  ses  par- 
ties et  si  écrasante  dans  son  ensemble.  En  1460  il  n'a 
pas  oublié  le  duché  de  Milan.  Il  se  prépare  à  la  guerre 
contre  ^force.  11  se  ligue  avec  le  duc  de  Bretagne.  La 
mort  de  Charles  VII  arrête  tous  ces  projets.  Jean  de 
Troyes,  .lacques  du  Clercq,  et  surtout  Georges  Chas- 
tellain  nous  indiquent  le  rôle  qu'il  joua  aux  obslques 
■du  roi,  comment  il  n'assista  pas  au  couronnement  de 
Louis  XI  à  Kei.n-,  la  part  qu'il  prit  aux  fjtes  qui  eu- 
rent lieu  à  Paris  pour  cl-ljbrer  ce  couronnement  et  la 
gracieuse  réception  qu'il  rit  au  comte  de  Charolais  a'i 
retour  de  ces  tètes  En  1462  naquit  son  his  qui  d.-vint 
Louis  XII.  Il  avait  eu  en  14.37  un  premier  entant, 
Marie,  qui  épousa  le  vicomte  de  Narbonne,  puis  Anne, 
qui  lut  abbjsse  de  Fontevrault. 


V. 


Malgré  les  quelques  préoccupations  que  pouvaient 
lui  donner  les  alLiires  d'It.ilie,  les  petites  persécutions 
du  nouveau  roi  Louis  XI,  qui  ha  ssait  en  lui  le  grand 
feudataire,  l'ami  de  Charles  Vil,  l'espiit  d  licat  et  le 
cœur  sensible,  -  une  lettre  de  Dunois  nous  montre 
Louis  XI  à  Blois  et  insistant  pour  prendre  à  Charles 
son  comté  d'Asti  —  malgré  les  quelques  soucis  que 
lui  occasionnait  sa  ranron  non  encore  payée  —  si 
nous  en  croyons  cette  lettre  de  Dunois  —  en  1402, 
nous  pouvons  considérer  notre  prince  comme  entré 
•depuis  longtemps  d.ja  dans  le  temple  de  la  Fée  Non- 
chaloir  l'insoucian.e  philosophi  ]ue  et  la  résignation 
pieuse),  qui  fut  sa  dernière  dame  et  maîtresse.  De 
toutes  les  ambitions  qu'avait  euei  pour  lui  son  père, 
rien  n'était  resté.  Louis  d'Orléans  avait  pu  rêver  que 
l'entant  serait  empereur  d'Allemagne,  roi  d'Italie,  roi 
de  France,  peut-être.  L'enfant  devint  seulement  roi 
de  poésie,  et,  après  tant  de  fortunes  diverses,  il  rinit  sa 
Vic  dans  ia  paix,  en  prince  religieux  et  lettré.  Je  re- 
giccle  vivement  de  ne  pouvoir  retracer  minutieuse- 
niciii  Cette  existence  du  grand  seigneur  chrétien  de  la 


XLIV  PREFACE. 

fin  du  Moyen  Age.  Les  états  de  dépenses  de  la  maison 
d'Orléans  nous  fournissent  tous  les  éléments  de  ce 
curieux  travail.  Ils  nous  montrent  jusque  dans  ses 
plus  intimes  détails  cette  petite  cour  de  Bloi-s,  élé- 
gante, paisible,  brillante,  ordonnée,  pittoresque,  grave 
et  résonnant  de  rimes. 

Les  poésies  que  nous  publions  nous  ouvrent  aussi 
quelques-unes  des  perspectives  de  cette  existence. 
Nous  voyons  dans  cet  échange  de  rimes,  dans  ces  jeux 
poétiques,  le;  idées  dominantes,  les  amis  de  la  mai- 
son, les  personnages  qui  passent,  les  serviteurs  qui 
pensent.  Il  faudrait  creuser  un  peu  et  se  laisser,  trop 
peut-être,  aller  à  l'imagination  pour  donner  à  tous  les 
pîojtes  qui  s'agitent  autour  du  prince  une  physio- 
nomie caractérisée  ;  mais  nous  y  voyons  comme  cor- 
respondants ou  comme  compagnons  en  Apollon,  des 
poètes,  des  écrivains  qui  ont  lai  se  quelque  nom, 
YLU^n  ,  Reiié^  d'Anjou ,  Olivier  de  la  Marche,  Mes- 
chinot,  peut-être  Georges  Chastelain,  Robertet,  \'ille- 
brJme  ;  puis  les  princes  et  grands  seigneurs  Jeun  de 
Lorraine,  Jean  de  Bourbon,  le  grand  sénéchal,  Jac- 
ques de  la  Trémoille,  le  cadet  d'Albret,  Boucicaut, 
Jean  de  Garancières,  les  .sires  de  Tignonvilie,  de 
Torsy,  etc.  ;  enfin,  les  serviteurs  et  officiers  du  prince 
et  de  la  princesse,  Guiot  et  Philippe  Pot,  Boulainvil- 
liers,  Pierre  Chevalier,  Blosseville,  les  deux  Caillau, 
Gilles  des  Ormes,  Le  Voys,  Le  Goût,  Benoit  d'Amien, 
Faret,  l-raigne,  Fredet,  Cadier,  etc.  A  ces  distractions 
poétiques  se  joignait  le  jeu  d'eschecs  pour  le  prince, 
dont  les  partenaires  principiaux  sont  Gilles  des  Ormes 
et  Guillaume  de  Fontenay  ;  de  dames,  de  marelle,  ou  de 
glic,  pour  la  duchesse,  qui  joue  le^plus  souvent  avec 
Philippe  ou  Guiot  Pot;  puis  les  plaisirs  que  les  fêtes 
traduionnelles  du  Moven  Age  apportaient,  et  auxquels 
les  bateleurs,  les  musiciens,  les  danseurs,  les  ménes- 
trels de  passage  tra\ailiaient  ;  puis  encore  venaient  les 
voyages,  les  rencontres  de  princes,  qui  se  rattachaient 
parfois  à  cette  partie  de  la  vie,  grave  et  politique,  que 
nous  avons  notée  plus  haut;  puis  les  messages  qui 
apportent  ou  envoient  les  nouvelles,  les  livres,  les 
joyaux;  cntin  les  promenades  champêtres,  les  exer- 
cices de  piété,  les  occupations  administratives  de  ces 
immenses  domaines,  les  aumônes,  les  dons.  Oui,  c'est 
bien  là  l'existence  de  Charles  d'Orléans  telle  que  nous 
la  montrent  les  comptes  de  sa  maison. 


VIE     DE    CHARLES     D    ORLEANS.  XLV 

J'ose  à  peine  citer  quelques-unes  des  notes  que  j'y 
ai  prises,  tant  je  crains  de  ne  savoir  me  borner.  Je  ne 
puis  pourtant  rcsistcr  à  indiquer  ces  cadeaux  du  )Our 
de  l'an  14G3,  aux  enfants  de  chœur  de  Saint-Sauveur 
de  Blois,  pour  festoyer  l'évcque  qu'ils  ont  nomm  j  le 
jour  des  Innocents  ;  à  l'évêque  des  Fous,  pour  se  ré- 
galer; aux  ménestrels  de  Blois  qui  viennent  jouer; 
aux  pages  pour  régaler  le  Roi  qu'ils  nomment  le  jour 
des  Rois,  etc.,  etc.  Disons  encore  que  les  gages  ordi- 
naires de  toute  la  maison  pour  le  mois  de  mai  1430, 
qui  me  parait  représenter  une  moyenne,  sont  de  855  li- 
vres i5  sous  tournois;  les  dépenses  de  la  maison, 
personnelles  au  duc  et  à  la  duchesse,  les  dons, 
messages  et  voyages,  au  mo;s  ùe  février  1457,  par 
exemple,  sont  de  qoo  livres  i  sol  3  deniers;  en  avril 
1456,  601  livres  8  s.  6  d.;  en  novembre  1459,  786  li- 
vres 2  sols  I  denier;  en  voyage  pour  le  duc  avec  vingt 
quatre  chevaux,  la  duchesse  avec  douze,  pour  tel  sei- 
gneur ou  dame  de  sa  noitrrit.ire,  on  de  sa  société, 
comme  M'"'  d'Estampes  ou  le  sire  de  Beaujeu,  et  une 
suite  nombreuse,  on  dépense  12  livres  par  jour;  en 
juillet  145g  le  duc  reçoit  de  son  argentier,  pour  argent 
de  poche,  10  livres  20  sous  et  la  duchesse  i  10  sous 
tournois. 

Je  ne  veux  pas  oublier  cette  habitude  si  caractéristi- 
que et  que  nous  indique  un  contemporain,  Jacques 
du  Clercq  :  «  Il  fut  de  belle  et  honneste  vie  (il  s'agit 
de  notre  prince),  et  servit  fort  bien  Dieu  et  ne  feit 
oncques  puis  chose  que  bon  prince  ne  debvoit  faire. 
Toutes  les  semaines,  le  jour  de  vendredy,  donnoit  à 
treize  pauvres  à  disner  et  les  servoit  luy  mesme  et 
après  leur  lavoit  les  pieds  comme  Nostre  Seigneur 
Jésus  Christ  feit  à  ses  apostres.  Il  mourut  comme 
bon  chrestien.  »  Il  était  devenu  infirme,  non  pas  de 
cette  infirmité  un  peu  coquette  dont  ses  vers  nous  en 
treticnnent  depuis  l'année  1437,  mais  l'âge  lui  pesai 
fort;  il  dit  en  1463  qu'il  ne  pouvait  plus  écrire,  plus 
même  signer.  Il  se  rendit  pourtant  à  Tours,  à  cette 
assembLe  de  princes  et  seigneurs  que  Louis  XI  avait 
réunis  vers  le  milieu  de  décembre  14Ô4.  Charles  d'Or- 
léans voulut  prendre  la  défense  du  duc  de  Bretagne 
accusé  par  le  roi.  Mais,  dit  le  bon  Claude  de  Seyssel, 
Louis  XI  "  le  contemna  de  paroles  sans  avoir  regard 
à  la  majesté  de  sa  vieillesse  ni  à  sa  loyauté.  Dont,  de 
■>.vt»^f.  qu'il  en  eut,  et  autrement  pour  débilité  de  sa 


il 


XLVl  PRÉFACE. 

personne,  il  finit  sa  vie  dedans  deux  jours.  »  Il  mou- 
rut le  4  janvier  i4(33,  à  Ainboise,  quelques-uns  '.li- 
sent à  (^hàlcllerault.  Les  comptes  nous  iiuliqucni  avec 
quelle  hâte  on  avait  cherché  à  Orléans  son  m  de^in, 
—  que  nous  trouverons  rimant  dans  ce  recueil  de  ron- 
deaux —  maistre  Jehan  Caillau.  Ils  nous  montrent 
encore  comment  l'on  dJpensa  'i,bb-]  livres  2  sous  G  ile- 
niers  tournois  pour  le  deuil,  et  comment  Louis  XI 
laissa  à  sa  veuve  12,000  livres  de  pension. 

Nous  avons  expliqué  au  début  de  cette  esquisse  bio- 
graphique quelle  fortune  subit  sa  renommée.  Nous 
indiquerons  dans  nos  notes  quelques  pièces  de  lui 
dont  ses  contemporains  enrichirent  leurs  propres  œu- 
vres. L'abbi  Sellier,  frappé  de  la  irbertj  t'rançoise,  de 
l'heureuse  f'acilitj,  de  la  retenue  et  de  la  décence  rela- 
tive de  ses  vers,  commença  sa  r  surrection  au  xvm'  siè- 
cle. Depuis  lors  il  a  pris  dans  notre  histoire  littéraire 
une  place  supérieure  que  plusieurs  critiques  vigoureu- 
ses, violentes  même,  ne  lui  ont  pas  enlevée.  La  plupart 
des  historiens  ont  été  frappés  en  effet  de  cette  qualité 
qu'il  a  et  que  j'ai  essayé  de  résumer  en  disant  que 
c'est  un  des  classiques  du  Moyen  Age  :  il  n'appartient 
à  aucune  école,  il  est  uniquement  de  l'école  française. 

Ces  deux  volumes  fourniront  les  éléments  du  procès. 
Les  lecteurs,  en  pardonnant  la  monotonie  inhérente 
à  ce  genre  de  poésie  intime,  comprendront  tout  ce 
qu'il  y  a  de  véritable  élégance  et  de  charmante  finesse 
dans  cette  simplicité  qui  ne  saurait  lutter  avec  la  puis- 
sante grossièreté  de  Villon,  et  qui  demande  une  grande 
culture  intellectuelle  pour  être  bien  goûtée,  mais  qui 
ne  ressemble  en  rien  à  la  banalité  des  polisseurs  de 
rimes  du  xvia'  et  du  xix»  siècles. 

Il  faut  juger  Charles  d'Orléans  comme  un  poète  mé- 
ridional. Il  possède  les  qualités  de  la  langue  d'oc  plu- 
tôt que  de  la  langue  du  Nord.  Il  en  a  les  défauts  aussi. 
Je  voudrais  dire  en  terminant  que  c'est  un  troubadour 
qui  a  abandonné  la  langue  provençale.  Il  a  de  la  lit- 
térature du  midi  la  monotonie,  l'étroitesse  de  l'idée, 
l'absence  de  conception,  mais  la  grâce,  la  politesse,  la 
mesure,  la  perfection  de  la  forme  et,  à  défaut  de  l'ar- 
deur qu'il  ne  montre  guère,  une  exquise  sensibilité. 
Moralement,  politiquement,  historiquement,  nous 
l'avons  jugé  aussi  impartialement  que  possible.  Mais 
je  crois  que  malgré  ses  fautes  et  ses  faiblesses,  il  esv 
difficile  de  vivre  auprès  de  lui  quelque  temps,  comnac 


VIE    DE   CHARLES    D    ORLEANS.  XLVIÎ 

nous  l'avons  fait,  sans  se  sentir  pris  de  tendresse 
pour  ce  prince  doux,  généreux,  sincirre  et  sage,  ai- 
mant les  lettres  et  les  arts,  avec  cette  vive  et  intel- 
ligente passion  dont  Mécène  est  resté  le  type,  aimant 
les  pauvres,  ses  serviteurs  et  ses  amis,  avec  une  cha- 
rité, une  fine  bonhomie  et  une  loyauté  parfaite.  Enfin 
nous  pouvons  surtout  lui  savoir  gré  et  d'être  un  des 
pires  de  Tesj^rit  français  et  l'un  des  maîtres  de  la 
tangue   française. 


C.  D'HERICAULT. 


POÉSIES   FRANÇAISES 


CHARLES    D'ORLEANS 


LE    POÈME    DE    LA    PRISON. 


Ou  temps  passé,  quant  Nature  me  fist 
En  ce  monde  venir,  elle  me  mist 
Premièrement  tout  en  la  gouvernance 
D'une  Dame  qu'on  appelloit  Enfance, 
En  lui  faisant  estroit  commandement 
De  me  nourrir  et  garder  tendrement. 
Sans  point  souffrir  Soing  ou  Merencolie 
Aucunement  me  tenir  compaign'e; 
Dont  elle  tist  loyaument  son  devoir. 
Remercier  l'en  doy,  pour  dire  voir. 

En  cest  estât,  par  un  temps  me  nourry; 
Et  après  ce,  quant  je  fu  enforcv. 
Un  messagier,  qui  Aage  s'appella. 
Une  lettre  de  créance  bailla 
A  Enfance,  de  par  Dame  Nature, 

CHARLES    d'0RLÉ.*NS      I.  ' 


a  CHARLES     D    ORLEANS. 

Et  si  lui  dist  que  plus  la  nourriture 
De  moy  n'auroit  et  que  Dame  Jeunesse 
Me  nourriroit  et  seroit  m;i  maisrresse. 
Ainsi  du  tout  Enfance  delaissay 
Et  avecques  Jeunesse  m'en  alay. 

Quant  Jeunesse  me  tint  en  sa  maison, 
Un  peu  avant  la  nouvelle  saison, 
En  ma  chambre  s'en  vint  un  bien  matin 
Et  m'esveilla,  le  jour  saint  Valentin, 
En  me  di-^ant  :  «  Tu  dors  trop  longuement, 
Esveille  toy  et  aprestes  brietment. 
Car  je  te  veuil  avecques  moy  mener 
Vers  un  seigneur  dont  te  fault  acointer, 
Lequel  me  tient  sa  servante  treschière. 
11  nous  fera,  sans  faillir,  bonne  chière.  » 

Je  respondy  :  «  Maistresse  gracieuse, 
De  lye  cœur  et  voulenté  joyeuse 
Vostre  vouloir  suy  content  d'acom'plir. 
Mais  humblement  je  vous  veuil  requérir 
Qu'il  vous  plaise  le  nom  de  moy  nommer 
De  ce  seigneur  dont  je  vous  oy  parler. 
Car  s'ainsi  est  que  sienne  vous  tenés, 
Sien  estre  veuil,  se  le  me  commandés. 
Et  en  tous  faiz  vous  savez  que  désire 
Vous  ensuir,  sans  en  riens  contredire. 

—  Puis  qu'ainsy  est,  dist  elle,  mon  enfant, 
Que  de  savoir  son  nom  desirez  tant. 
Sachiez  de  vray  que  c'est  le  Dieu  d'Amours 
Que  j'ai  servy  et  serviray  tousjours, 
Car  de  pieçà  suy  de  sa  retenue, 
Et  de  ses  gens  et  de  lui  bien  congneue. 
Oncques  ne  vis  maison,  jour  de  ta  vie, 
De  plaisans  gens  si  largement  remplie; 
Je  te  feray  avoir  d'eulx  accointance, 
Là  trouverons  de  tous  biens  hahondance.  » 


-"POEME     UE     LA     PRISON. 

Du  Dieu  d'Amours  quant  parler  je  l'oy, 
Aucunement  me  trouvay  esbahy  ; 
Pource  lui  dis:  «  Maistresse,  je  vous  prie 
Pour  le  présent  que  je  n'y  voise  mie, 
Car  j'ay  oy  à  plusieurs  raconter 
Les  maulx  qu'Amour  leur  a  fait  endurer. 
En  son  dangier  bouter  ne  m'oseroye, 
Car  ses  tourmens  endurer  ne  pourroye  : 
Trop  jeune  suy  pour  porter  si  grant  fais. 
Il  vault  trop  mieulx  que  je  me  tiengne  en  pais. 

^     —  Fy,  dist  elle,  par  Dieu  tu  ne  vaulx  riens  , 
Tu  ne  congnois  l'onneur  et  les  grans  biens 
Que  peus  avoir,  si  tu  es  amoureux. 
Tu  as  oy  parler  les  maleureux, 
Non  pas  amans  qui  cong  oissent  qu'est  joye; 
Car  raconter  au  long  ne  te  sauroye 
Les  biens  qu'Amour  scet  aux  siens  départir. 
Essaye  les,  puis  tu  pourras  choisir 
Se  tu  les  veulx  ou  avoir  ou  laissier  ; 

kXontre  vouloir  nul  n'est  contraint  d'amer.  « 
Bien  me  revint  son  gracieux  langaige 
Et  tost  muay  mon  propos  et  couraige, 
Quant  j'entendy  que  nul  ne  contramdroit 
Mon  cueur  d'amer  fors  ainsy  qu'il  vouldroit 
Si  lui  ay  dit  ;  «  Se  vous  me  promettes, 
Ma  Maistresse,  que  point  n'obligerés 
Mon  cueur  ne  moy,  contre  nosti  e  plaisir, 
Pour  ceste  fois,  je  vous  veuil  obéir 
Et  à  ;  resent  vous  suivray,  ceste  voye; 
Je  prie  à  Dieu  qu'à  honneur  m'y  convoyé. 

—  Ne  te  doubtes,  se  dist  elle,  de  moy, 
Je  te  prometz  et  jure,  par  ma  foy, 
Par  moy  ton  cueur  jà  forcé  ne  sera, 
Mais  garde  soy  qui  garder  se  pourra; 
Car  je  pense  que  jà  n'aura  povoir 


4  CHARLES    D    ORLEANS. 

De  se  garder,  mais  changera  vouloir, 
Quant  Plaisance  lui  monstrera  à  l'ueil 
Gente  beaultc  plaine  de  doulx  acueil, 
leune,  saichant  et  de  manière  lye 
Et  de  tous  biens  à  droit  souhait  garnie.  » 

Sans  plus  parler,  sailli  hors  de  mon  lit, 
Quant  promis  m'eust  ce  que  devant  est  dit  ; 
Et  m'aprestay  le  plus  joliement 
Que  peu  faire,  par  son  commandement. 
Car  jeunes  gens  qui  désirent  honneur, 
Quant  véoir  vont  aucun  royal  seigneur, 
Hz  se  doivent  mettre  de  leur  puissance 
En  bon  array,  car  cela  les  avance 
Et  si  les  fait  estre  prisiez  des  gens. 
Quant  on  les  voit  netz,  gracieux  et  gens. 

Tantost  après  tou-;  deux  nous  en  alasmcs 
Et  si  longtemps  ensemble  cheminasmes 
Que  venismes  au  plus  près  d'un  manoir 
Trop  bel  assis  et  plaisant  à  véoir. 
Lors  Jeunes<=    me  dist  :  «  Cy  est  la  place 
Où  Amour  tient  sa  court  et  se  soulace. 
Que  t'en  semble,  n'est  elle  pas  tresbelle  ?  » 
je  respondy  :  «  Oncque  mais  ne  vy  telle.  » 
Ainsi  parlans  approchasmes  la  porte. 
Qui  à  véoir  fut  tresplaisant  et  forte. 

Lors  Jeunesse  si  hucha  le  portier. 
Et  lui  a  dit  :  «  J'ay  cy  un  estrangier, 
Avecques  moy  entrer  nous  fault  léans  ; 
On  l'appelle  Charles,  duc  d'Orléans.  » 
Sans  nul  delay  le  portier  nous  ouvry, 
Dedens  nous  mist  et  puis  nous  respondy  : 
«  Tous  deux  estes  cyens  les  bien  venuz  ; 
Aler  m'en  veuil,  s'il  vous  plaist,  vers  Venus 
Et  Cupido,  si  leur  raconteray 
Qu'estes  venuz  et  céans  mis  vous  ay.  » 


POEME    DE    LA    PRISON. 

C(;  portier  fu  appelle  Compaignie 
Qui  nous  receu  de  manière  si  lye. 
De  nous  party,  à  Amour  s'en  ala. 
Briefment  après,  devers  nous  retourna 
Et  amena  Bel  Acueil  et  Plaisance 
Qui  de  Tostel  avoient  l'ordonnance. 
Lors,  quant  de  nous  approuchier  je  les  vy, 
Couleur  changay  et  de  cueur  tressailly. 
Jeunesse  dist  :  «  De  riens  ne  t'esbahys, 
Soyes  courtois  et  en  faiz  et  en  dys.  » 

Jeunesse  tost  se  tira  devers  eulx, 
Après  elle  m'en  alay  tout  honteulx, 
Car  jeunes  gens  perdent  tost  contenance 
Quant  en  lieu  sont  oîi  n'ont  point  d'acoint-ince 
Si  lui  ont  dit  :  «  Bien  soyez  vous  venue.  » 
Puis  par  la  main  l'ont  liement  tenue. 
Elle  leur  dit  :  «  De  cueur  vous  en  mercy  ; 
J'ay  amené  céans  cest  enfant  cy, 
Pour  lui  monstrer  le  tresroyal  estât 
Du  dieu  d'Amours  et  son  joyeulx  esbat.  » 

Vers  moy  vindrent  me  prenant  par  la  main, 
Et  me  dirent  :  «  Nostre  Roy  souverain 
Le  Dieu  d'Amours  vous  prie  que  venés 
Par  devers  lui,  et  bien  venu  serés.  » 
Je  respondy  humblement:  «Je  mercie 
Amour  et  vous  de  vostre  courtoisie  ; 
De  bon  vouloir  iray  par  devers  lui, 
Pource  je  suy  venu  cy  au  jourduy, 
Car  Jeunesse  m'a  dit  que  le  verray 
En  son  estât  et  gracieux  array.  » 

Bel  Acueil  print  Jeunesse  par  le  bras, 
Et  Plaisance  si  ne  m'oublia  pas, 
Mais  me  pria  qu'avec  elle  venisse 
Et  tout  le  jour  près  d'elle  me  tenisse. 
Si  alasmes  en  ce  point  jusqu'au  lieu 


t»  Charles   d  ori-eans. 

Là  où  estoit  des  amoureux  le  Dieu. 
Entour  de  lui  son  peuple  s'esbatoit, 
Danyant,  chantant,  et  maint  esbat  faisoit. 
Tous  à  genouU  nous  meismes  humblement, 
Et  Jeunesse  parla  premièrement 

Disant:  «  Treshault  et  noble  puissant  Prince, 
A  qui  subgiet  ^st  chascuno  province 
Et  que  je  doy  servir  et  honnourer 
De  mon  povoir,  je  vous  viens  présenter 
Ce  jeune  filz  qui  en  moy  a  fiance, 
Qui  est  sailly  de  la  maison  de  France, 
Creu  ou  jardin  semé  de  fleurs  de  lys,_ 
Combien  que  j'ay  loyaument  lui  promis 
Qu'en  riens  qui  soit  je  ne  le  lyeray. 
Mais  à  son  gré  son  cueur  gouverneray.  » 

Amour  respond  :  «  Il  est  le  bien  venu  ; 
Ou  temps  passé  j'ay  son  père  congncu, 
Plusieurs  autres  aussi  de  son  lignage 
Ont  maintesfois  esté  en  mon  servage, 
Parquoy  tenu  suy  plus  de  lui  bien  laire, 
S'il  veult  après  son  lignage  retraire. 
Vien  çà,  dist  il,  mon  filz,  que  penses  tu? 
Fus  tu  oncques  de  ma  darde  féru  ? 
Je  croy  que  non,  car  ainsi  le  me  semble  ; 
Vien  près  de  moy,  si  parlerons  ensemble.  » 

De  cueur  tremblant  près  de  lui  m'aprochay, 
Si  lui  ay  dit:  «  Sire,  quant  j'acorday 
A  Jeunesse  de  venir  devers  vous, 
Elle  me  dist  que  vous  estiez  sur  tous 
Si  trescourtois  que  chacun  desiroit 
De  vous  hanter,  qui  bien  vous  congnoissoit; 
Je  vous  supply  que  je  vous  treuve  tel. 
Estrangier  suy  venu  en  vostre  hostel, 
Honte  seroit  à  vostre  grant  noblesse 
Se  fait  m'estoit  céans  mal  ou  rudesse. 


POEME     DE     LA     PRISON.  7 

—  Par  moy  contraint,  dist  Amour,  ne  seras 
Mais  de  céans  jamais  ne  partiras 
Que  ne  soies  es  las  amoureux  pris. 
Je  m'en  fais  fort;  se  bien  l'ay  entrepris. 
Souvent  mercy  me  vendras  demander 
Et  humblement  ton  fait  recommander; 
Mais  lors  sera  ma  grâce  de  toy  loing; 
Car,  à  bon  droit,  te  faulJray  au  besoing, 
Et  si  feray  vers  toy  le  dangereux, 
Comme  tu  fais  d'estre  vray  amoureux. 

Venez  avant,  dist  il,  Plaisant  Beauté, 
Je  vous  requier  que,  sur  la  loyauté 
Que  me  devez,  le  venez  assaillir  ; 
Ne  le  laissiez  reposer  ne  dormir, 
Ne  nuit,  ne  jour,  s'il  ne  me  fait  hommage. 
Aprivoisiez  ce  compaignon  sauvage. 

[Ou  temps  passé  vous  conqueistes  Sampson 
Le  fort,  aussi  le  saige  Salemon. 
Si  cest  enfant  surmonter  ne  savez, 
Vostre  renom  du  tout  perdu  avez  » 

Beauté  lors  vint,  de  costé  moy  s'assist, 
Ung  peu  se  teut,  puis  doulceraent  m'a  dit  ; 
«  Amy,  certes,  je  me  donne  merveille 
Que  tu  ne  veulx  pas  que  l'en  te  conseille  ; 
Au  fort  saches  que  tu  ne  peuz  choisir; 
Il  te  convient  à  Amour  obéir.  » 
Mes  yeulx  prindrent  fort  à  la  regarder, 
Plus  longuement  ne  les  en  peu  garder. 
Quant  Beauté  vit  que  je  la  regardoye, 
Tost  par  mes  yeulx  un  dard  au  cueur  m'envoye. 

Quant  dedens  fu,  mon  cueur  vint  esveiller 
Et  tellement  le  print  à  catoillier 
Que  je  senty  que  trop    ioit  de  joye. 
Il  me  despleut  qu'en  ce  point  le  sentoye. 
Si  commcnçay  mes  yeulx  fort  à  tenter. 


8  CHARLES    d'oRLÉaNS. 

Et  envoyay  vers  mon  cueur  un  penser, 
En  lui  priant  qu'il  giettast  hors  ce  dard. 
Helas  !  helas  !  g'y  envoiay  trop  tard, 
Car  quant  Penser  arriva  vers  mon  cueur, 
Il  le  trouva  jà  pasmé  de  doulceur. 

Quand  je  le  sceu,  je  dis  p  ir  des;onfort  : 
Je  hé  ma  vie  et  désire  ma  mort  ! 
Je  hé  mes  yeulx,  car  par  eux  suy  dcceu  ! 
Je  hé  mon  cueur  qu'ay  niccmcnt  perdu  ! 
Je  hé  ce  dard  qui  ainsi  mon  cueur  blesse  ! 
Venez  avant,  partués  moy.  Destresse, 
Car  mieulx  me  vault  tout  à  un  cop  morir 
Que  longuement  en  desai;e  languir. 
Je  congnois  bien,  mon  cueur  est  pris  es  las 
Du  dieu  d'Amours,  par  vous.  Beauté,  helas! 

Adonc  je  cheu  aux  piez  d'Amours  malade, 
Et  semblay  mort,  tan:  euz  la  coleur  fade. 
Il  m'apperceu,  si  commença  à  rire 
Disant  :  «  Enfant,  tu  as  besoing  d'un  mire  ; 
Il  semble  bien  par  ta  face  pâlie 
Que  tu  seulTres  tresdure  maladie  ; 
Je  cuidoye  que  tu  fusses  si  fort 
Qu'il  ne  fust  riens  qui  te  peust  faire  tort  ; 
Et  maintenant,  ainsi  soudainement, 
Tu  es  vaincu  par  Beauté  seulement. 

Où  est  ton  cueur  par  le  présent  aie  ? 
Ton  grant  orgueil  est  bientost  ravalé: 
Il  m'eU  advis  tu  deusses  avoir  honte, 
Si  de  legier,  quant  Beauté  te  surmonte 
Et  à  mes  piez  t'a  abatu  à  terre. 
Revenge  toy,  se  tu  vauU  riens  pour  guerre  •, 
Ou  à  elie  il  vault  mieulx  de  toy  rendre, 
Se  tu  ne  scez  autrement  te  deMendre  ; 
Car  de  deux  maulx,  puisque  tu  peuz  eslire, 
C'est  le  meilleur  que  prcigncs  le  moins  pire.  » 


POÈME     DE     LA     PRISON. 

Ainsi  de  moy  fort  Amour  se  mocquoit, 
Mais  non  pourtant  de  ce  ne  me  chalioit, 
Car  de  douleur  je  estoie  si  enclos 
Que  je  ne  tins  compte  de  tous  ses  mos. 
Quant  Jeunesse  vit  que  point  ne  parloye, 
Car  tout  advis  et  sens  perdu  avoye, 
Pour  moy  parla  et  au  dieu  d'Amours  dist  : 
«  Sire,  vueillez  qu'il  ait  aucun  re^pit.  » 
Amour  respont  :  «  Jamais  respit  n'aura 
Jusques  atant  que  rendu  se  sera.  » 

Beauté  mist  lors  en  son  giron  ma  teste 
Et  si  m'a  dit  :  «  De  main  mise  t'arreste, 
Rens  toy  à  moy,  et  tu  feras  que  sage, 
Ec  à  Amours  va  faire  ton  hommage.  » 
Je  le^pondy:  «Ma  Dame,  je  le  vueil, 
Je  me  soubzmetz  du  tout  à  vostre  vueil  ; 
Au  Dieu  d'Amours  et  à  vous  je  me  rens. 
Mon  povre  cueur  à  mort  féru  je  sens, 
Vueillez  avoir  pitié  de  ma  tristesse, 
Jeune,  gente,  nompareille  Princesse.    »    #  ► 

Quant  je  me  fa  ainsi  rendu  à  elle  : 
«  Je  maintendray,  dist  elle,  ta  querelle 
Envers  Amour,  et  tant  pourchasseray 
Qu'en  sa  grâce  recevoir  te  feray.  » 
A  brief  pa  1er  et  sans  faire  long  compte, 
Au  Dieu  d'Amours  mon  fait  au  vray  raconte, 
Et  lui  a  dit  :  «  Sire,  je  l'ay  conquis. 
Il  s'est  à  vous  et  à  moy  tout  soubzmis, 
Vueillez  avoir  de  sa  doleur  mercy. 
Pui'jque  vostre  se  tient,  et  mien  aussi. 

S'il  a  meffait  vers  vous,  il  s'en  repent, 
Et  se  soubzmet  en  vostre  jugement. 
Puisqu'il  se  veult  à  vous  abandonner, 
Legierement  lui  devez  pardonner; 
Chascun  seigneur  qui  est  plain  de  noblesse 


I,0  CHARLES    d'ORLÉANS. 

Doit  départir  mercy  à  grant  largesse. 

De  vous  servir  sera  plus  obligié, 

Se  franchement  son  mal  est  allegié  ; 

Et  si  mettra  paine  de  desservir 

Voz  grans  biensfais,  par  loyaument  servir,  a 

Amour  respont  :  «  Beauté,  si  sagement 
Avez  parlé  et  raisonnablement 
(^ue  pardonner  lui  vueil  la  malvueillance 
Qu'ay  eu  vers  lui,  car  par  oultrecuidance 
.Me  courrouça  quant,  comme  loul  et  nice, 
Il  refusa  d'entrer  à  mon  service; 
Fautes  de  lui  ainsi  que  vous  vouldrés, 
Content  me  tiens  de  ce  que  vous  ferés, 
Tout  le  soubzmetz  à  vostre  voulenté, 
Sauve,  sans  plus,  ma  souveraineté.  » 

Beauté  respont  :  «  Sire,  c'est  bien  raison 
Par  dessus  tous  et  sans  comparaison, 
Que  pour  seigneur  et  souverain  vous  tiengne. 
Et  ligement  vostre  subgiet  deviengne. 
Premièrement  devant  vous  jurera 
Que  loyaument  de  cueur  vous  servira, 
Sans  espargnier,  soit  de  jours  ou  de  nuis, 
Paine,  soussy,  dueil,  courroux  ou  ennuis; 
Et  souffrera  sans  point  se  repentir, 
Les  maulx  qu'amans  ont  souvent  à  souflfrir. 

Il  jurera  aussi  secondement 
Qu'en  ung  seul  lieu  amera  fermement. 
Sans  point  quérir  ou  désirer  le  change; 
Car,  sans  faillir,  ce  seroit  trop  estrange 
Que  bien  servir  peust  un  cueur  en  mains  lieux, 
Combien  qu'aucuns  cueurs  ne  demandent  mieulx 
Que  de  servir  du  tout  à  la  volée, 
Et  qu'ilz  ayent  d'amer  la  renommée; 
Mais  au  dcrrain  ilz  s'en  trea^ent  punis 
Par  Loyauté  d  nt  ilz  sont  e.inemis. 


POEME    DE    LA    PRISON.  II 

En  oultre  plus  promettra  tiercement 
Que  vos  conseulx  tendra  secrettement, 
Et  gardera  de  mal  parler  sa  bouche. 
Noble  Prince,  ce  point  cy  fort  vous  touche 
Car  mains  amans,  par  leurs  nices  parolles, 
Par  sotz  regars  et  contenances  folles, 
Ont  fait  parler  souvent  les  mesdisans, 
Parquov  grevez  ont  esté  voz  servans. 
Et  ont  receu  souventesfoiz  grant  perte 
Contre  raison  et  sans  nulle  desserte. 

Avecques  ce,  il  vous  fera  serment 
Que  s'il  reçoit  aucun  avancement 
En  vous  servant,  qu'il  n'en  fera  ventance. 
Cestui  meflfait  dessert  trop  grant  vengeance, 
Car  quant  Dames  veulent  avoir  pitié 
De  leurs  servans,  leur  monstrant  amitié. 
Et  de  bon  cueur  aucun  reconfort  donnent. 
En  ce  faisant  leurs  honneurs  abandon:ient, 
Soubz  fiance  de  trouver  leurs  amans 
Secrez.  ainsi  qu'en  font  les  convenans. 

Ces  quatre  poins  qu'ay  cy  devant  nommez 
A  tous  amans  doi'  ent  cstre  gardez. 
Qui  à  honneur  et  avancement  tirent 
Et  leurs  amours  à  Hn  mener  désirent. 
Six  autres  pointz  aussi  accordera. 
Mais  par  serment  point  ne  les  promettra. 
Car  nul  amant  estre  contraint  ne  doit 
De  les  garder,  se  son  prouffit  n'y  voit  ; 
Mais  se  faire  veult,  après  bon  conseil, 
A  les  garder  doit  mettre  son  traveil. 

Le  premier  est  qu'il  se  tiengne  jolis, 
Car  les  dames  le  tiennent  à  grant  pris. 
Le  second  est  que  trescourtoisement 
Soy  maintendra  et  gracieusement. 
Le  tiers  point  est  que,  selon  sa  puissance, 


12  CH  A  RI.  ES     1)    OUI.KANS. 

Querra  honneur  et  poursuivra  vaill.ince. 
Le  quatriesme  qu'il  soit  plain  de  largesse, 
Car  c'est  chose  qui  avance  noblesse. 
Le  cinquiesme  qu'il  suivra  compaignie 
Amant  honneur  et  fuiant  villenie. 

Le  sixiesme  point  et  le  derrenier 
Est  qu'il  sera  diligent  escoUier, 
En  aprenant  tous  les  gracieux  tours, 
A  son  povoir,  qui  servent  en  amours, 
C'est  assavoir  à  chanter  et  dansser, 
Faire  chançons  et  balades  rimer, 

h  Et  tous  autres  joyeux  esbatemens. 
te  sont  ycy  les  dix  commandemens, 
Vray  Dieu  d'Amours,  que  je  feray  jurer 
A  cest  enfant,  s'il  vous  plaist  l'apeller.  » 

Lors  m'apella,  et  me  tist  les  mains  mettre 
Sur  ung  livre,  en  me  faisant  promettre 
Que  feroye  loyaument  mon  devoir 
Des  points  d'amours  garder,  à  mon  povoir; 
Ce  que  je  fis  de  bon  vueil  lyement. 
Adonc  Amour  a  fait  commandement 
A  Bonne  Foy,  d'Amours  chiel  secrétaire, 
De  ma  Lettre  de  retenue  faire. 
Quant  faitte  fut,  Loyaulté  la  scella 
Du  scel  d'Amours  et  la  me  délivra. 

Ainsi  Amour  me  mist  en  son  servage. 
Mais  pour  seurté  retint  mon  cueur  en  gage, 
Pourquoy  lui  dis  que  vivre  ne  pourroye 
En  cest  estât,  s'un  autre  cueur  n'avoye. 
Il  respondit  :  «  Espoir,  mon  medicin. 
Te  gardera  de  mort  soir  et  matin, 
Jusques  atant  qu'auras  en  lieu  du  tien 
Le  cueur  d'une  qui  te  tendra  pour  sien. 
Gardes  tousjours  ce  que  t'ay  commandé, 
Et  je  t'auray  pour  bien  recommandé.  » 


POÈME     DE     LA     PRISON.  l3 


Copie  de  la  Lettre  de  retenue. 


Dieu  Cupido  et  Venus,  la  Déesse, 
Ayans  povoir  sur  Mondaine  Liesse, 
Salus  de  cueur.  par  nostre  grant  humblesse, 

A  tous  amans. 
Savoir  faisons  que  le  duc  d'Orléans 
Nommé  Charles,  à  présent  jeune  d'ans, 
Nous  retenons  pour  l'un  de  noz  servans 

Par  ces  présentes; 
Et  lui  avons  assigné  sur  noz  rentes 
Sa  pension  en  joyeuses  attentes. 
Pour  en  joïr  par  noz  lettres  patentes 

Tant  que  vouldrons  ; 
En  espérant  que  nous  le  trouverons 
Loyal  vers  nous,  ainsi  que  fait  avons 
Ses  devanciers,  dont  contens  nous  tenons 

Tresgrandement. 
Pource  donnons  estroit  commandement 
Aux  officiers  de  nostre  Parlement 
Qu'ilz  le  traittent  et  aident  doulcement 

En  tout  affaire, 
A  son  besoing,  sans  venir  au  contraire; 
Si  chier  qu'ilz  ont  nous  obéir  et  plaire, 
Et  qu'ilz  doubtent  envers  nous  de  fortaire 

En  corps  et  biens  ; 
Le  soustenant,  sans  y  espargnier  riens. 
Contre  Dangier  avecques  tous  les  siens  : 
Malle  Bouche,  plaine  de  faulx  maintiens, 

Et  Jalousie; 


14  CHARLES    D    ORLEANS. 

Car  chascun  d'eulx  de  grever  estudie 
Les  vraiz  suhgictz  de  nostre  Seigneurie, 
Dont  il  est  l'un  et  sera  à  sa  vie, 

Car  son  serment 
De  nous  servir  devant  tous  ligement 
Avons  receu,  et  pour  plus  fermement 
Nous  asseurer  qu'il  fera  loyaument 

Entier  devoir, 
Avons  voulu  en  gage  recevoir 
Le  cueur  de  lui,  lequel,  de  bon  vouloir, 
A  tout  soubzmis  en  noz  mains  et  povoir  ; 

Pourquoy  tenus 
Sommes  à  lui  par  ce  de  plus  en  plus  ; 
Si  ne  seront  pas  ses  biens  fais  perdus 
Ne  ses  travaulx  pour  néant  despendus; 

Mais  pour  monstrer 
A  toutes  gens  bon  exemple  d'amer. 
Nous  le  vo  .Ions  richement  guerdonner, 
Et  de  noz  biens  à  largesse  donner  ; 

Tesmoing  nos  seaulx 
Cy  atachiez,  devant  tous  nos  féaulx. 
Gens  de  conseil  et  serviteurs  lo  ,  aulx. 
Venus  vers  nous  par  mandemens  royaulx, 

Pour  nous  servir. 
Donné  le  jour  saint  Valentin  martir, 
En  la  cité  de  Gracieux  Désir, 
Où  avons  fait  nostre  conseil  tenir. 
Par  Cupido  et  Venus  souverains, 
A  ce  presens  plusieurs  Plaisirs  Mondains. 


y 


POÈME    DE    LA    PRISON.  l5 


BALLADE   L 


Belle,  bonne,  nompareille,  plaisant, 
Je  vous  suppli  vueilliez  me  pardonner 
Se  moy,  qui  sui  vostre  grâce  attendant. 
Viens  devers  vous  pour  mon  fait  raconter. 
Plus  longuement  je  ne  le  puis  celer 
Qu'il  ne  faille  que  sachiés  ma  destresse, 
Comme  celle  qui  me  peut  conforter, 
Car  je  vous  tiens  pour  ma  seule  maistresse. 

Se  si  aplain  vous  vois  mes  maulx  disant, 
Force  d'Amours  me  fait  ainsi  parler  ; 
Car  je  devins  vostre  loyal  servant, 
Le  premier  jour  que  je  peuz  regarder 
La  grant  beauté  que  vous  avez  sans  per, 
Qui  me  feroit  avoir  toute  liesse, 
Se  serviteur  vous  plaisoit  me  nommer  ; 
Car  je  vous  tiens  pour  ma  seule  maistresse. 

Que  me  donnez  en  octroy  don  si  grant, 
Je  ne  l'ose  dire  ne  demander; 
Mais  s'il  vous  plaist  que,  de  cy  en  avant, 
En  vous  servant,  puisse  ma  vie  user. 
Je  vous  supply  que,  sans  me  refuser, 
Vueillez  souflrir  qu'y  mette  ma  jeunesse  ; 
Nul  autre  bien  je  ne  vueil  souhaidier, 
Car  je  vous  tiens  pour  ma  seule  maistresse. 

BALLADE  IL 

Vueilliez  voz  yeulx  emprisonner, 
Et  sur  moy  plus  ne  les  giettés  ; 
Car  quant  vous  plaist  me  regarder, 
Par  Dieu,  Belle,  vous  me  tués, 


l6  CHARLES    d'oRLÉANS. 

Et  en  tel  point  mon  cueur  mettes 
Que  je  ne  s;ay  que  faire  doye. 
Je  suis  mort  se  vous  ne  m'aidiés, 
Ma  seule  souveraine  joye, 

Je  ne  vous  ose  demander 
Que  vostrc  cueur  ne  me  donnés, 
Mais,  se  droit  me  voulés  garder, 
Puisque  le  cueur  de  moy  avés. 
Le  vostre  fault  que  vous  me  laissiés. 
Car  sans  cueur  vivre  ne  pourroye; 
Faictes  en,  comme  vous  vouldrcs, 
Ma  seule  souveraine  joye. 

Trop  hardy  suy  d'ainsi  parler, 
Mais  pardonner  le  me  devés 
Et  n'en  devés  autruy  blasmer, 

IQue  le  gent  corps  que  vous  portés 
Qui  m'a  mis,  comme  vous  véés, 
^__Si  fort  en  l'amoureuse  voye. 
Qu'en  vostre  prison  me  tenés, 
Ma  seule  souveraine  joye. 


Ma  Dame,  plus  que  ne  savés, 
Amour,  si  tresfort  me  guerroyé. 
Qu'à  vous  me  rens;  or  me  prenés, 
Ma  seule  souveraine  joye. 

BALLADE   IIL 

C'est  grant  péril  de  regarder 
Chose  dont  peut  venir  la  mort, 
Combien  qu'on  ne  s'en  scet  garder 
Aucunes  fois,  soit  droit  ou  tort. 
Quant  Plaisance  si  est  d'accort 


POEME    DE    LA    PRISON.  IJ 

Avecques  un  jeune  désir, 
Nul  ne  pourrait  son  cœur  tenir 
D'envoyer  les  yeulx  en  message; 
On  le  voit  souvent  avenir 
Aussi  bien  au  foui  corn  au  sage. 

Lesquelz  yeulx  viennent  raporter 
Ung  si  tresgracieulx  raport 
Au  cueur,  quant  le  veult  escouter, 
Que  s'il  a  eu  d'amer  l'esfort, 
Encores  l'aura  il  plus  fort; 
Et  le  font  du  tout  retenir 
Ou  service,  sans  départir, 
D'Amours,  à  son  tresgrant  dommage  ; 
On  le  voit  souvent  avenir, 
Aussi  bien  au  foui  comrne  au  sage. 

Car  mains  maulx  lui  fault  endurer, 
Et  de  Soussy  passer  le  port. 
Avant  qu'il  puisse  recouvrer 
L'acointance  de  Reconfort, 
Qui  plusieurs  fois  au  besoing  dort, 
Quant  on  se  veult  de  lui  servir; 
Et  lors  il  est  plus  que  martir. 
Car  son  mal  vault  trop  pis  que  rage.    , 
On  le  voit  souvent  avenir 
Aussi  bien  au  foui  comme  au  sage. 

ENVOI. 

Amour,  ne  prenez  desplaisir 
S'ay  dit  le  mal  que  fault  souffrir, 
Demourant  en  vostre  servage  ; 
On  le  voit  souvent  avenir, 
Aussi  bien  au  foui  comme  au  sage. 


CHABI.es    D  ORLEANS    I. 


CHARLES    D   ORLEANS. 


BALLADE    IV. 


Comment  se  peut  un  povre  cueur  deffendre, 
Quant  deux  beaulx  yeulx  le  viennent  assaillir. 
Le  cueur  est  seul,  desarmé,  nu  et  tendre, 
Et  les  yeulx  sont  bien  armez  de  plaisirs  ; 
Contre  tous  deux  ne  pourroit  pie  tenir, 
Amour  aussi  est  de  leur  aliance  ; 
Nul  ne  tendroit  contre  telle  puissance. 

Il  lui  convient  ou  mourir  ou  se  rendre, 
Trop  grant  honte  lui  seroit  de  tuir. 
Plus  baudement  les  oseroit  attendre, 
S'il  eust  pavais  dont  il  se  peust  couvrir  ; 
Mais  point  n'en  a,  si  lui  vault  mieulx  souffrir 
Et  se  mettre  tout  en  leur  gouvernance  : 
Nul  ne  tendroit  contre  telle  puissance. 

Qu'il  soit  ainsi  bien  me  le  tist  aprandre 
Ma  maistresse,  mon  souverain  désir. 
Quant  il  lui  pleut  jà  pieçà  entreprandre 
De  me  vouloir  de  ses  doulx  yeulx  ferir: 
Oncques  depuis  mon  cueur  ne  peut  guérir, 
Car  lors  fut  il  desconfit  à  oultrance: 
Nul  ne  tendroit  contre  telle  puissance. 


BALLADE   V. 

Espargniez  vostre  doulx  attrait 
Et  vostre  gracieux  parler, 
Car  Dieu  scet  les  maulx  qu'iU  ont  fait 
A  mon  povre  cueur  endurer. 
Puis  que  ne  voulez  m'acorder 
Ce  qui  pourroit  mes  maulx  guérir, 


POÈME    DE    LA    PRISON.  I9 

Laissiez  moy  passer  ma  me^chance, 
Sans  plus  me  vouloir  assaillir 
Par  vostre  plaisant  accointance. 

Vers  Amours  faittes  grant  forfait, 
Je  l'ose  pour  vray  advouer. 
Quant  me  ferez  d'amoureux  trait 
Et  ne  me  voulez  conforter, 
Je  croy  que  me  voulez  tuer. 
Pleust  à  Dieu  que  peussiez  sentir 
Une  fois  la  dure  grevance 
Que  m'avez  fait  long  temps  souffrir 
Par  vostre  plaisant  accointance. 

Helas!  que  vous  ay  je  meffait 
Par  quoy  me  doyez  tourmenter? 
Quant  mon  cueur  d'amer  se  retrait, 
Tantost  le  venez  rappeller  ; 
Plaise  vous  en  paix  le  laissier, 
Ou  lui  accordez  son  désir; 
Honte  vous  est   non  pas  vaillance, 
D'un  loyal  cueur  ainsi  meurdrir 
Par  vostre  plaisant  accointance 


BALLADE    VL 


N'a  pas  long  temps  qu'alay  parler 
A  mon  cueur  tout  secrettement, 
Et  lui  conseillay  de  s'oster 
Hors  de  l'amouieux  pen^ement; 
Mais  me  dist  bien  Tellement  : 
Ne  m'en  parlez  plus,  je  vous  prie; 
J'ameray  tousjours,  se  m'aist  Dieux, 
Car  j'ay  la  plus  belle  choisie, 
Ainsi  m'ont  raporté  mes  yeulx. 


20  CHARLES    D   ORLKANS. 

Lors  dis  :  Vueilliez  me  pardonner, 
Car  je  vous  jure  mon  serment 
Que  conseil  vous  cuide  donner, 
A  mon  povoir,  tresloyaumcnt; 
Voulez  vous  sans  allégement 
En  doleur  finer  vostre  vie? 
Nennil  dya,  di>t  il,  j'auray  miculx; 
Ma  Dame  m'a  fait  chiere  lie  ; 
Ainsi  m'ont  raporté  mes  yeulx. 

Guidez  vous  savoir,  sans  doubler, 
Par  un  regart  tant  seulement. 
Se  dis  je,  du  tout  son  penser. 
Ou  par  un  douk  acointement? 
Taisiez  vous,  dist  il;  vraiement 
Je  ne  croiray  chose  qu'on  die  : 
Mais  la  serviray  en  tous  lieux, 
Car  de  tous  biens  est  enrichie  ; 
Ainsi  m'ont  raporté  mes  yeulx. 


BALLADE  VIL 

De  jamais  n'amer  par  amours 
J'ay  aucunes  fois  le  vouloir, 
Pour  les  ennuieuses  dolours 
Qu'il  me  fault  souvent  recevoir; 
Mais  en  la  lin,  pour  dire  voir, 
Quelque  mal  que  doye  porter, 
Je  vous  asseure,  par  ma  foy,       ^ 
Que  je  n'en  sauroye  garder 
Mon  cueur  qui  est  maistre  de  moy. 

Combien  qu'ay  eu  d'estranges  tours, 
Mais  j'ai  tout  mis  à  Non  Chaloir, 
Pensant  de  recouvrer  secours 


POEME     DE     LA     PRISON. 

De  C'^nfort  ou  d'un  doulx  Espoir. 
Hela>!  se  j'eusse  le  povoir 
D'aucunement  hors  m'en  bouter, 
Par  le  serment  qu'à  Amours  doy, 
Jamais  n'y  lairoye  rentrer 
Mon  cueur  qui  est  maistre  de  moy. 

Car  je  sçay  bien  que  par  doulçour.' 
Amour  le  scet  si  bien  avoir, 
Qu'il  vouldroit  ainsi  tou-;  les  jours 
Demourer  sans  jà  s'en  mouvoir. 
Nil  ne  veult  oir  ne  savoir 
Le  mal  qu'il  me  fait  endurer; 
Plai>ance  l'a  mis  en  ce  ploy, 
Elle  t'ait  mal  de  le  m'ostcr 
Mon  cueur  qui  est  maist.e  de  moy. 


Il  me  desplaist  J'en  tant  parler, 
Mais,  par  le  Dieu  en  qui  je  croy, 
Ce  fait  désir  de  recouvrer 
Mon  cueur  qui  est  maistre  de  moy. 


BALLADE    VIIL 

Quant  je  suis  couschié  en  mon  lit, 
Je  ne  puis  en  paix  reposer; 
Car  toute  la  nuit  mon  cueur  lit 
Ou  Rommant  de  Plaisant  Penser, 
Et  me  prie  de  l'escouter; 
Si  ne  l'ose  desobéir 
Pour  doubte  de  le  courroucer. 
Ainsi  je  laisse  le  dormir. 


CHARLES    d'oRLÉANS, 

Ce  livre  si  est  tout  escript 
Des  fais  de  ma  Dame  sans  per; 
Souvent  mon  cueur  de  joye  rit, 
Quand  il  les  list  ou  oyt  compter; 
Car  certes  tant  sont  à  louer 
Qu'il  y  prent  souverain  plaisir; 
Moymesmes  ne  m'en  puis  lasser, 
i\msi  je  laisse  le  dormir. 

Se  mes  yeux  demandent  respit 
Par  Sommeil  qui  les  vient  grever, 
11  les  tense  par  grant  despit, 
Et  si  ne  les  peut  surmonter; 
Il  ne  cesse  de  soupirer 
A  part  soy;  j'ay  lors,  sans  mentir, 
Grant  paine  de  le  rapaiser, 
Ainsi  je  laisse  le  dormir. 


Amour,  je  ne  puis  gouverner 
Mon  cueur;  car  tant  vous  veult  servir 
Qu'il  ne  scet  jour  ne  nuit  cesser, 
Ainsi  je  laisse  le  dormir. 


BALLADE    IX. 


Fresche  beauté,  tresriche  de  jeuaîsse, 
Riant  regart,  trait  amoureusement. 
Plaisant  parler,  gouverné  par  sagesse. 
Port  femenin  en  corps  bien  lait  et  gent, 
HauUain  maintien,  démené  douicement, 
Acueil  humble,  plain  de  manière  lie, 
Sans  nul  dangier  bonne  chiere  faisant, 


POÈME    DE     I.A     PRISON.  •  S3 

Et  de  chascun  pris  et  los  emportant; 
De  ces  grans  biens  est  ma  Dame  garnie. 

Tant  bien  lui  siet  à  la  noble  Princesse 
Chanter,  dancer  et  tout  esbatement, 
Qu'on  la  nomme  de  ce  faire  maistresse. 
Elle  fait  tout  si  gracieusement, 
Que  nul  n'y  scet  trouver  amendement; 
L'escolle  peut  tenir  de  courtoisie  : 
En  la  voyant  aprent  qui  est  sachant, 
Et  en  ses  fais  qui  va  garde  prenant; 
De  ces  grans  biens  est  ma  Dame  garnie. 

Bonté,  Honneur,  avecques  Gentillesse 
Tiennent  son  cucur  en  leur  gouvernement, 
Et  Loyaulté  nuit  et  jour  ne  la  laisse. 
Nature  mist  tout  son  entendement 
A  la  fouimer  et  faire  proprement. 
De  point  en  point,  c'est  la  mieulx  acomplie 
Qui  au  jour  duy  soit  ou  mo.ide  vivant. 
Je  ne  dy  rien>  que  tous  ne  vont  disant  : 
De  ces  grans  biens  est  ma  Dame  garnie. 

Elle  semble  mieulx  que  i'emme  Déesse; 
Si  croy  que  Dieu  l'envoya  seulement 
En  ce  monde,  pour  monstrer  la  largesse 
De  ces  haultz  dons  qu'il  a  entièrement 
En  elle  mis  abondonnéement 
Elle  n'a  per,  plus  ne  sçay  que  je  dye  ; 
Pour  foui  me  tiens  de  Taler  devisant, 
Car  moy  ne  nul  n'est  à  ce  souffisant  ; 
De  ces  grans  biens  est  ma  Dame  garnie. 

S'il  est  aucun  qui  soit  prins  de  tristesse 
Voise  xéoir  son  doulx  maintenement. 
Je  me  fais  fort  que  le  mal  qui  le  blesse 
Le  laissera  pour  lors  soudainnement, 
Et  en  oublv  sera  mis  plainement; 
C'est  Paradis  que  de  sa  compaignie, 


24  CHARLES    d'oRLÉANS. 

A  tous  complaist,  à  nul  n'est  ennuiant, 
Qui  plus  la  voit  plus  en  est  désirant  ; 
De  ces  grans  bien  est  ma  Dame  garnie. 

ENVOI. 

Toutes  dames,  qui  oyez  cy  comment 
Prise  celle  que  j'ayme  loyaument, 
Ne  m'en  sachiez  maugré,  je  vous  en  prie; 
Je  ne  parle  pas  en  vous  desprisant, 
Mais  comme  sien  je  dy  en  m'acquittant  : 
De  ces  grans  biens  ma  Dame  est  garnie. 


BALLADE    X. 

A  ma  Dame  je  ne  sçay  que  je  dye, 
Ne  par  quel  bout  je  doye  commencer, 
Pour  vous  mander  la  doloreuse  vie 
Qu'Amour  me  fait  chascun  jour  endurer. 
Trop  mieulx  vaulsist  me  taire  i|ue  parler, 
Car  proufiter  ne  me  pevent  mes  plains, 
Ne  je  ne  puis  guerison  recouvrer, 
Puisqu'ainsi  est  que  de  vous  suis  loingtains. 

Quanque  je  voy  me  desplaist  et  ennuyé, 
Et  n'en  ose  contenance  monstrer, 
Mais  ma  bouche  fait  semblant  qu'elle  rie, 
Quant  maintefois  je  sens  mon  cueur  plourer. 
Au  fort,  martir  on  me  devra  nommer, 
Se  Dieu  d'Amours  fait  nulz  amoureux  Saints, 
Car  j'ay  des  maulx  plus  que  ne  sçay  compter, 
Puisqu'ainsi  est  que  de  vous  suis  loingtains. 

Et  non  pourtant,  humblement  vous  mercie, 
Car  par  escript  vous  a  pieu  me  donner 
Ung  doulx  confort  que  j'ay  à  chiere  lie 


POÈME    DE    LA     PRISON.  25 

Receu  de  cueur  et  de  joyeux  penser, 
Vous  suppliant  que  ne  vueilliez  changier, 
Car  en  vous  sont  tous  mes  plaisirs  mondains 
Desquelz  me  fault  à  présent  déporter, 
Puisqu'ainsi  est  que  de  vous  suis  loingtains.     '^ 


j  BALLADE    XI. 

Loingtain  de  vous,  ma  tresbelle  maistresse, 
Fors  que  de  cueur  que  laissié  je  vous  ay, 
Acompaignié  de  Deuil  et  de  Tristesse, 
Jusques  a  tant  que  reconfort  auray 
D'un  doulx  plaisir,  quant  revéoir  pourray 
Vostre  gent  corps,  plaisant  et  gracieux  , 
Car  lors  lairay  tous  mes  maulx  ennuieux 
Et  trouveray,  se  m'a  dit  Espérance, 
Par  le  pourchas  du  rcgarc  de  mes  yeulx 
Autant  de  bien  que  j'ay  de  despl.'isance. 

Cars'oncques  nul  sceut  que  c'est  de  destressc, 
Je  pense  bien  que  j'en  ay  tait  l'essay. 
Si  tresavant  et  à  telle  largesse 
Qu'en  dueil  pareil  nulluy  de  nuy  ne  sçay. 
Mais  ne  m'en  chault;  certes  j'endureray, 
Au  desplaisir  des  jaloux  envieux. 
Et  me  tendray,  par  semblance,  joyeux; 
Car  quant  je  suy  en  greveuse  penance, 
Hz  reçoyvent,  que  mal  jour  leur  doint  Dieux  ! 
Autant  de  bien  que  j'ay  de  desplaisance. 

Tout  prens  en  gré,  jeune,  gente  Princesse, 
Mais  qu'en  sachiés  tant  seulement  le  vray, 
En  attendant  le  guerdon  de  Liesse 
Qu'à  mon  povoir  vers  vous  desserviray; 
Car  le  conseil  de  Loyauté  feray, 


a6  CHARLES  d'orléans. 

Que  garderay  près  de  moy  en  tous  lieux  : 
Vostre  tousjours  soye,  jeunes  ou  vieulx, 
Priant  à  Dieu,  ma  seule  desirance, 
Qu'il  vous  envoit,  s'avoir  ne  povez  mieulx, 
Autant  de  bien  que  j'ay  que  desplaisance. 


y 


BALLADE    XIL 


Puisqu'ainsi  est  que  loingtain  de  vous  suis,    ■* 
Ma  Maistresse,  dont  Dieu  scet  s'il  m'ennuie, 
Si  chierement  vous  requier  que  je  puis 
Qu'il  vous  plaise  de  vostre  courtoisie, 
Quant  vous  estes  seule,  sans  compaignie, 
Me  souhaidier  un  baisier  amoureux 
Venant  du  cueur  et  de  pensée  lie, 
Pour  alegier  mes  griefs  maulx  doloreux. 
/->     Quant  en  mon  lit  doy  reposer  de  nuis, 
Penser  m'assault  et  Désir  me  guerrye; 
Et  en  pensant  maintcsfois  m'est  aJvis 
Que  je  vous  tiens  entre  mes  bras,  m'amye; 
Lors  acolle  mon  orcillier  et  crie  : 
Mercy  Amours,  faictes  moy  si  cureux 
Qu'avenir  puist  mon  penser  en  ma  vie. 
Pour  alegier  mes  griefs  maulx  doloreux. 

Espoir  m'a  dit  et  par  sa  foy  promis 
Qu'il  m'aidera  et  que  ne  m'en  soussie; 
Mais  tant  y  met  qu'un  an  me  semble  dix. 
Et  non  pourtant,  soit  ou  sens  ou  folie, 
Je  m'y  attens  et  en  lui  je  m'afie 
Qu'il  fera  tant  que  Dangicr  le  crueux, 
N'aura  briefment  plus  sur  moy  seigneurie, 
Pour  alegier  mes  griefs  maulx  doloreux. 


POEME     DE     LA     PRISON.  27 


A  Loyauté  de  plus  en  plus  m'alye, 
Et  à  Amours  humblement  je  supplie 
Que  de  mon  t'ait  vueillent  estre  pileux, 
En  me  donnant  de  mes  vouloirs  partie, 
Pour  alegier  mes  griefs  maulx  doloreux. 


BALLADE    XIIL 

Pour  tant  se  souvent  ne  vous  voy. 
Pensez  vous  plus  que  vostre  soye? 
Par  le  serment  que  je  vous  doy, 
Si  suis  autant  que  je  souloye  ; 
N'il  n'est  ne  plaisance,  ne  joye, 
N'autre  bien  qu'on  me  puist  donner, 
Je  le  vous  promctz  loyaument, 
Qui  me  puist  ce  vouloir  oster 
Fors  que  la  mort  tant  seulement. 

Vous  savés  que  je  vous  feis  foy 
Pieçà  de  tout  ce  que  j'avoye, 
Et  vous  laissay,  en  lieu  de  moy, 
Le  gage  que  plus  chier  j'amoye  ; 
C'estoit  mon  cucur  que  j'ordonnoye 
Pouravecques  vous  demourer, 
A  qui  je  suis  entièrement. 
Nul  ne  m'en  pourroit  destourber 
Fors  que  la  mort  tant  seulement. 

Combien  certes  que  je  rcçoy 
Tel  mal  que,  se  le  vous  disoye, 
Vous  auriés,  comme  je  croy, 
Pitié  du  mal  qui  me  guerroyé. 
Car  de  tout  deuil  suis  en  la  voye, 


28  CHARLES    d'oRLÉANS. 

Vous  le  povez  assez  penser, 
Et  ay  esté  si  longuement, 
Que  je  ne  doy  riens  désirer 
Fors  que  la  mort  tant  seulement. 


Belle,  que  tant  vcoir  vouldroye, 
Je  prie  à  Dieu  que  bricf  vous  voye; 
Ou  s'il  ne  le  veult  accorder, 
Je  lui  supply  treshumblement 
Que  riens  ne  me  vucille  donner 
Fors  que  la  mort  tant  seulement. 


BALLADE   XIV. 

Quelles  nouvelles,  ma  Maistresse, 
Comment  se  portent  noz  amours? 
De  ma  part  je  vojs  fais  promesse 
Qu'en  un  propos  me  tiens  tousjours, 
Sans  jamais  penser  le  rebours  : 
C'est  que  seray  toute  ma  vie 
Vostre  du  tout  entièrement, 
Et  pource  de  vostre  partie 
Acquittés  vous  pareillement. 

Combien  que  Dangier  et  Destresse 
Ont  fait  longuement  leurs  séjours 
Avec  mon  cueur,  et  par  rudesse 
Lui  ont  monstre  d'estranges  tours, 
(Helas  !  en  amoureuses  cours, 
C'est  pitié  qu'ilz  ont  seigneurie) 
Si  mettray  paine  que  briefment 
Loyaulté  sur  eulx  ait  maistrie, 
Acquittés  vous  pareillement. 


POÈME    DE     LA     PRISON.  2Q 

Quoy  que  la  nue  de  Tristesse 
Par  un  long  temps  ait  fait  son  cours; 
Après,  le  beau  temps  de  Lyesse 
Vendra  qui  donnera  secours 
A  noz  deux  cueurs,  car  mon  recours 
J'ay  en  Espoir,  en  qui  me  He, 
Et  en  vous,  belle,  seulement, 
Car  jamais  je  ne  vous  oublie; 
Acquittés  vous  pareillement. 


Soyez  seure,  ma  doulce  amye, 
Que  je  vous  ayme  loyaument. 
Or,  vous  requier  et  vous  supplie, 
Acquittés  vous  pareillement. 


BALLADE   XV. 

Belle  que  je  tiens  pour  amye, 
Pensés,  quelque  part  que  je  soye. 
Que  jamais  je  ne  aous  oublie; 
Et  pource  prier  vous  vouldroye, 
Jusques  atant  que  vous  revoye, 
Qu'il  vous  souviengne  de  cellui 
Qui  a  trouvé  peu  de  mercy 
En  vous,  se  dire  je  l'osoye. 

Combien  que  je  ne  dye  mie 
Que  n'aye  receu  bien  et  joye, 
En  vostre  doulce  compaignie. 
Plus  que  desservir  ne  saurove, 
Non  pour  tant,  voulentiers  j'auroye 
Le  guerdon  de  loyal  amy, 


3o  CHARLES   d'oRLÉAN s. 

Qu'oncques  ne  trouvay  jusqu'à  cy 
En  vous,  se  dire  je  i'osoye. 

Je  vous  ai  longuement  servie, 
Si  m'est  advis  qu'avoir  devroye 
Le  don  que  de  sa  courtoisie 
Amour  à  ses  servans  envoyé; 
Or  faittes  qu'estre  content  doye, 
Et  m'accordez  ce  que  je  dy. 
Car  trop  avez  Refus  nourry 
En  vous,  se  dire  je  I'osoye. 


BALLADE    XVL 


Ma  Dame,  vous  povez  sa-  oir 
Les  biens  qu'ay  euz  à  vous  servir  ; 
Car,  par  ma  foy,  pour  dire  voir, 
Oncques  je  n'y  peuz  acquérir 
Tant  seulement  un  doulx  plaisir, 
Q  e,  sitost  que  je  le  tenoye, 
Dangier  le  me  venoit  tolir 
Ce  peu  de  plaisir  que  j'avoye. 

Je  n'en  savoye  nul  avoir 
Qui  peust  contenter  mon  désir, 
Se  non  quant  vous  pouvoye  voir, 
Ma  joye,  mon  seul  souvenir. 
Or  m'en  a  fait  Dangier  bannir, 
Tant  qu'il  faut  que  loing  de  vous  soye, 
Parquoy  a  tait  de  moy  partir 
Ce  peu  de  plaisir  que  j'avoye. 

Non  pas  peu,  car  de  bon  vouloir 
Content  m'en  devoye  tenir. 
En  espérant  de  recevoir 
Un  trop  plus  grant  bien  advenir; 


POÈME    DE    LA    PRISON.  3l 

Je  n'y  cuidoye  point  faillir, 
A  la  paine  que  g'y  mettoye; 
Cela  me  faisoit  enrichir 
Ce  peu  de  plaisir  que  j'avoye. 


Belle,  je  vous  vueil  requérir, 
Pensés,  quant  serés  de  loisir, 
Qu'en  grant  mal,  qui  trop  me  guerroyé, 
Est  tourné,  sans  vous  en  mentir, 
Ce  peu  de  plaisir  que  j'avoye. 


BALLADE    XVIL 

En  ce  joyeux  temps  du  jour  d'uy 
Que  le  mois  de  may  ce  commance, 
Et  que  l'en  doit  laissier  Ennuy, 
Pour  prandre  Joyeuse  Plaisance, 
Je  me  treuve,  sans  recouvrance, 
Loingtain  de  Joye  conqucster; 
De  Tristesse  si  bien  rente 
Que  j'ay,  je  m'en  puis  bien  vanter, 
Le  rebours  de  ma  voulenté. 

Las!  Amours,  je  ne  voy  nuUuy 
Qui  n'ait  au:ime  souffisance, 
Fors  que  moy  seul  qui  suis  celluy 
Qui  c-;t  le  plus  dolent  de  France. 
J'ay  failly  à  mon  espérance; 
Car  quant  à  vous  me  voulz  donner 
Pour  cstre  vostre  sermenté, 
Jamaii  ne  cuidoye  trouver 
Le  rebours  de  ma  vouienté. 


3a  CHARLES    d'ORLÉANS. 

Au  fort,  puis  qu'en  ce  point  je  suy, 
Je  porteray  ma  grant  pcnance, 
Ayant  vers  Loyauté  rcfuy 
Où  i'ay  mis  toute  ma  Hance. 
Ne  Dangicr  qui  ainsi  m'avance, 
Quelque  mal  que  doye  porter, 
Combien  que  trop  m'a  tourmenté, 
Ne  pourra  jà  en  moy  bouter 
Le  rebours  de  ma  voulenté. 

ENVOI. 

D'aucun  reconfort  accointer 
Plusieurs  foys  m'en  suy  démente; 
Mais  i'ay  tousjours,  au  par  aler, 
Le  rebours  de  ma  voulenté. 


BALLADE    XVIIL 


Quant  je  party  derrainement 
De  ma  souveraine  sans  per, 
Que  Dieu  gard  et  lui  doint  briefment 
Joye  i.'e  son  loyal  penser. 
Mon  cueur  lui  laissay  emporter. 
Oncques  puis  ne  le  peuz  ravoir, 
Si  m'esmerveille,  main  et  soir, 
Comment  j'ai  vesqu  tant  de  jours 
Depuis  sans  cueur;  mais  pour  tout  voir, 
Ce  n'est  que  miracle  d'Amours, 

Qui  est  cellui  qui  long  ement 
Peut  vivre  sans  cueur,  ou  durer 
Comme  j'ay  fait  en  grief  tourment  ? 
Certes  nul,  je  m'en  puis  vanter. 


POÈME    DE    LA    PRISON.  3i 

Mais  Amours  ont  voulu  monstrer 
En  ce  leur  gracieux  povoir, 
Pour  donner  aux  amans  vouloir 
D'eulx  lier  en  leur  doulx  secours; 
Car  bien  pevent  appercevoir 
Ce  n'est  que  miracle  d'Amours. 

Quant  Pitié  vit  que  franchement 
Voulu  mon  cueur  abandonner 
Envers  ma  Dame,  tellement 
Traitta  que  lui  fist  me  laissier 
Son  cueur,  me  chargeant  le  garder, 
Dont  j'ay  fait  mon  loyal  devoir, 
Maugré  Dangier  qui  recevoir 
M'a  fait  chascun  jour  de  telz  tours 
Que  sans  mort  en  ce  point  manoir 
Ce  n'est  que  miracle  d'Amours. 


BALLADE    XIX. 


Douleur,  Courroux,  Desplaisir  et  Tristesse 
Quelque  tourment  que  j'aye  main  et  soir. 
Ne  pour  doubte  de  mourir  de  destresse, 
Jà  ne  sera  en  tout  vostre  povoir 
De  me  changier  le  tresloyal  vouloir 
Qu'ay  eu  tousjours  de  la  belle  servir 
Par  qui  je  puis  et  pense  recevoir 
Le  plus  grant  bien  qui  me  puist  avenir. 

Quant  j'ay  par  vous  aucun  mal  qui  me  blesse, 
Je  l'endure  par  le  conseil  d'Espoir 
Qui  m'a  promis  qu'à  ma  seule  maistresse 
Lui  fera  bricf  mon  angoisse  savoir. 
En  lui  mandant  qu'en  faisant  mon  devoir. 
J'ay  tout  les  maulx  que  nul  pourroit  souffrir. 

CH.<KI.L°S    DOltLL.À.-.'S.   I.  3 


3^  CHARLES     D'oriLÉANS. 

Lors  troLiveray,  je  ne  s:ay  s'il  dist  voir,       " 
Le  plus  grant  bien  qui  me  puist  avenir. 

Ne  m'espLirgniez  donc  en  rien  de  rudesse, 
Je  vous  feray  bien  brief  appercevoir 
Qu'auray  secours  d'un  confort  de  Lyesse. 
Long  temps  ne  puis  en  ce  point  remanoir, 
Pource  je  metz  du  tout  à  non  chaloir 
Les  tresgrans  maux  que  faittes  sentir  ; 
Bien  aurez  dueil,  se  me  voyez  avoir 
Le  plus  grant  bien  qui  me  puist  avenir. 

ENVOI. 

Je  suy  cellui  au  cueur  vestu  de  noir 
Qui  dy  ainsi,  qui  que  le  \ueille  ouyr  : 
J'auray  briefment,  Loyaulté  m'en  fait  hoir, 
Le  plus  grant  bien  qui  me  puist  avenir. 


BALLADE   XX. 

y 

Jeune,  gente,  plaisant  et  débonnaire, 
Par  un  prier  qui  vault  commandement 
Chargié  m'avez  d'une  balade  faire; 
Si  l'ay  faicte  de  cueur  joyeusement; 
Or  la  vueilliez  recevoir  doulcement. 
Vous  y  verres,  s'il  vous  plaist  à  la  lire. 
Le  mal  que  j'ay,  combien  que  vrayement 
j'aymasse  mieulx  de  bouche  le  vous  dire. 

Vostre  doulceur  ma  sceu  si  bien  atraire 
Que  tout  vostre  je  suis  entièrement, 
Tresdesirant  de  vous  servir  et  plaire. 
Mais  je  scuffre  maint  doloreux  tourment, 
Quant  à  mon  gré  je  ne  vous  voy  souvent, 


POÈME    DE    LA     PRISON.  35 

Et  me  dc^plaist  quant  me  fault  vous  cscnre, 
Car  se  faire  ce  povoit  autrement, 
J'aymasse  mieuU  de  bouche  le  vous  dire. 

C'est  par  Dangier,  mon  cruel  adversaire, 
Qui  m'a  tenu  en  ses  mains  longuement; 
En  tous  mes  faiz  je  le  trouve  contraire, 
Et  plus  se  rit,  quant  plus  me  voit  dolent. 
Se  vouloye  raconter  plainement 
En  cest  escript  mon  ennuyeux  martire, 
Trop  long  seroit,  pource  certainement 
J'aymasse  mieuix  de  bouche  le  vous  dire. 


BALLADE    XXL 

Loué  soit  cellui  qui  trouva 
Premier  la  manière  d'escrire; 
En  ce,  grant  confort  ordonna 
Pour  amans  qui  sont  en  martire  ; 
Car  quant  ne  pevent  aler  dire 
A  leurs  dames  leur  grief  tourment, 
Ce  leur  est  moult  d'alegement 
Quant  par  escript  pevent  mander 
Les  maulx  qu'ilz  portent  humblement, 
Pour  bien  et  loyaument  amer. 

Quant  un  amoureux  escrira 
Son  dueil,  qui  trop  le  tient  de  rire, 
Au  plus  tost  qu'envoyé  l'aura 
A  celle  qui  est  son  seul  mire. 
S'il  lui  plaist  à  la  lettre  lire, 
Elle  peut  véoir  clerement 
Son  doloreux  gouvernement. 
Et  lors  Pitié  lui  scet  monstrer 
Qu'il  dessert  bon  guerdonnement, 


Jb  CHARLES    D    ORLEANS. 

Pour  bien  et  loyaument  amer. 

Par  mon  cueur  je  congnois  pieçà 
Ce  mestier,  car  quant  il  soupire, 
Jamais  rapaisié  ne  sera 
Tant  qu'il  ait  envoyé  de  tire 
Vers  la  belle  que  tant  désire. 
Et  puis  s'il  peut  aucunement 
Oïr  nouvelles  seulement 
De  sa  doulce  beauté  sans  per, 
11  oublie  l'ennuy  qu'il  sent 
Pour  bien  et  loyaument  amer. 


Ma  Dame,  Dieu  doint  que  briefment 
Vous  puisse  de  bouche  compter 
Ce  que  j'ay  souffert  longuement 
Pour  bien  et  loyaument  amer. 


BALLADE   XXIL 

Belle,  combien  que  de  mon  fait, 
Je  croy  qu'avez  peu  souvenance, 
Toutesfois  se  savoir  vous  plaist 
Mon  estât  et  mon  ordonnance, 
Sachiés  que  loingtain  de  Plaisance, 
Je  suis  de  tous  maulx  bien  garny. 
Autant  que  nul  qui  soit  en  France, 
Dieu  scet  en  quel  mauvais  party. 

Helas!  or  n'ay  je  rien  forfait 
Dont  porter  je  doye  penance, 
Car  tousjours  je  me  suis  retrait 
Vers  Léauté  et  Espérance, 


POÈME    DE    LA    PRISON.  Sj 

Pour  acquérir  leur  bien  vueiHance  ; 
Mais  au  besoing  ilz  m'ont  failly 
Et  m'ont  laissié,  sans  recouvrance, 
Dieu  scet  en  quel  mauvais  party. 

Dangier  m'a  joué  de  ce  trait, 
Mais  se  je  puis  avoir  puissance, 
Je  feray,  maugré  qu'il  en  ait, 
Encontre  lui  une  aliance  ; 
Et  si  lui  rendray  la  grevance, 
Le  mal,  le  dueil  et  le  soussy, 
Où  il  m'a  mis  jusqu'à  oultrance, 
Dieu  scet  en  quel  mauvais  party. 


Aydiez  moy  à  l'oultrecuidance 
Vengier,  com  en  vous  ay  tiance, 
Ma  Maistresse,  je  vous  supply, 
De  ce  faulx  Dangier  qui  m'avance 
Dieu  scet  en  quel  mauvais  party. 


BALLADE    XXIIL 

Loyal  Espoir,  trop  je  vous  voy  dormir, 
Resveilliez  vous  et  Joveuse  Pensée, 
Et  envoyez  un  plaisant  souvenir 
Devers  mon  cueur,  de  la  plus  belle  née 
Dont  au  jour  d'ui  coure  la  renommée; 
Vous  ferez  bien  d'un  peu  le  resjoïr. 
Tristesse  s'est  avecques  lui  logiée  ; 
Ne  lui  vueilliez  à  son  besoing  faillir. 

Car  Dangier  l'a  desrobé  de  Plaisir, 
Et  que  pis  est,  a  de  lui  eslongnéc 


38  CHARLES    d'or  LÉ  ANS. 

Celle  qui  plus  le  povoit  enrichir; 
C'est  sa  dame  tresloyaument  amée. 
Oncques  cueur  n'eut  si  dure  destinée. 
Pour  Dieu,  Espoir,  venez  le  secourir; 
11  a  en  vous  sa  fiance  fermée, 
Ne  lui  vueiiliez  à  son  besoing  faillir. 

Par  Povreté  lui  fault  son  pain  quérir 
A  l'uis  d'Amours  par  chascune  journée, 
Or  lui  vueiiliez  l'aumosne  départir 
De  Lyesse,  que  tant  a  désirée. 
Avancés  vous,  sans  faire  demeurée 
Pensez  de  lui,  vous  savez  son  désir, 
Par  vous  lui  soit  quelque  grâce  donnée, 
Ne  lui  vueiiliez  à  son  besoing  faillir. 

ENVOI. 

Seulle  sans  pcr,  de  toutes  gens  louée 
Et  de  tous  biens  entièrement  douce, 
Mon  cueur  ces  maulx  seuffre  pour  vous  servir, 
Sa  loyauté  vous  soit  recommandée, 
Ne  lui  vueiiliez  à  son  besoing  faillir. 


BALLADE    XXIV. 

Mon  cueur  au  derrain  entrera 
Ou  paradis  des  amoureux. 
Autrement  tort  fait  lui  sera. 
Car  il  a  de  maulx  doloreux 
Plus  d'un  cent,  non  pas  un  ou  deux. 
Pour  servir  sa  belle  maistresse  ; 
Et  le  tient  Dangier,  le  crueulx, 
Ou  purgatoire  de  Tristesse. 


POÈME     DE     LA     PRISON.  39 

Ainsi  l'a  tenu,  long  temps  a, 
Ce  taulx  traistre,  vilain,  hideux; 
Espoir  dit  que  hors  le  mettra 
Et  que  n'en  soye  jà  doubteux. 
Mais  trop  y  met,  dont  je  me  deulx; 
Dieu  doint  qu'il  tiengne  sa  promesse 
Vers  lui,  tant  est  angoisseux 
Ou  purgatoire  de  Tristesse  ! 

Amour  grant  aumosne  fera, 
En  ce  fait  cy,  d'estre  piteux, 
Et  bon  exemple  monstrera 
A  toutes  celles  et  à  ceulx 
Qui  le  servent,  quant  désireux 
Le  verront,  par  sa  grant  humblesse, 
D'aidier  ce  povre  souffreteux 
Ou  purgatoire  de  Tristesse. 


Amour!  faittes  moy  si  eureux 
Que  mettez  mon  cueur  en  liesse  : 
Laissiez  Dangier  et  Dueil  tous  seuls 
Ou  purgatoire  de  Tristesse. 


BALLADE   XXV. 


Mon  cueur  a  envoyé  quérir 
Tous  ses  bien  vucillans  et  amis, 
Il  veult  son  grant  conseil  tenir 
Avec  eulx,  pour  avoir  advis 
Comment  pourra  ses  ennemis, 
Soussy,  Dueil  et  leur  aliincc, 
Surmonter  et  tost  deconlire, 


40  CHARLES    u'ORLÉANS. 

Qui  désirent  de  le  destruire 
En  la  prison  de  Dcsplaisance. 

En  désert  ont  mis  son  plaisir^ 
Et  joye  tenue  en  pastis  ; 
Mais  Confort  lui  a,  sans  faillir, 
De  nouvel  loyaument  promis 
Qu'ilz  seront  deffais  et  bannis; 
De  ce  se  fait  fo  t  Espérance, 
Et  plus  avant  que  n'ose  dire  ; 
C'est  ce  qui  estaint  son  martire 
En  la  prison  de  Desplaisance. 

Briefment  voye  le  temps  venir, 
J'en  prie  à  Dieu  de  paradis. 
Que  chascun  puist  vers  son  désir 
Aler  sans  avoir  saufconduis. 
Adonc  Amour  et  ses  nourris 
Auront  de  Dangicr  moins  doubtance. 
Et  lors  sentiray  mon  cueur  rire 
Qui  à  présent  souvent  souspire 
En  la  prison  de  Desplaisance. 

ENVOI. 

Pource  que  véoir  ne  vous  puis, 
Mon  cueur  se  complaint  jours  et  nuis 
Belle  nompareiUe  de  France, 
Et  m'a  chargié  de  vous  escrire 
Qu'il  n'a  pas  tout  ce  qu'il  désire 
En  la  prison  de  Desplaisance. 

BALLADE  XXVL 

Desployez  vosfre  bannière, 
Loyauté,  je  vous  en  prie, 


POEME    DE    LA    PRISON.  4I 

Et  assailliez  la  frontière 
Où  Dueil  et  Merencolie, 
A  tort  et  par  felonnie, 
Tiennent  Joye  prisonnière, 
De  moy  la  font  estrangiere; 
Je  pri  Dieu  qu'il  les  maudie! 

Quant  je  deusse  bonne  chiere 
Démener  en  compaignie 
Je  n'en  fais  que  la  manière, 
Gir  quoy  que  ma  bouche  rie, 
Ou  parle  paroUe  lye, 
Dangier  et  Destresse  fiere 
Boutent  mon  plaisir  arrière; 
Je  pry  Dieu  qu'il  les  maudie! 

Helas!  tant  avoye  chiere, 
Jà  pieçà,  Joyeuse  Vie; 
Se  Raison  fust  droicturiere, 
J'en  eusse  quelque  partie. 
Or  est  de  mon  cueur  bannie 
Par  Fortune  losengiere 
Et  Durté  sa  conseilliere; 
Je  pry  Dieu  qu'il  les  maudie  ! 


Se  j'avoye  la  maistrie 
Sur  ceste  faulse  mesgnie, 
Je  les  meisse  tous  en  bière; 
Si  est  telle  ma  prière  : 
Je  pry  Dieu  qu'il  les  maudie  ! 


4a;>  CHARLES    D    ORLEANS. 


BALLADE    XXVH. 


Ardant  désir  de  véoir  ma  maistresse 

A  assailly  de  nouvel  le  logis 

De  mon  las  cueur,  qui  languist  en  tristesse. 

Et  puis  dcdens  par  tout  a  le  feu  mis. 

En  grant  doubte  certainement  je  suis 

Qu'il  ne  soit  pas  legierement  estaint, 

Sans  grant  grâce.  Si  vous  pry,  Dieu  d'Amours 

Sauvez  mon  cueur,  amsi  qu'avez  fait  maint, 

Je  l'oy  crier  piteusement  secours. 

J'ay  essayé  par  lermes  à  largesse 
De  lestaindre;  mais  il  n'en  vault  que  pis; 
C'est  feu  grégeois,  ce  croy  je,  qui  ne  cesse 
D'ardre,  s'il  n'est  estaint  par  bon  avis. 
Au  feu,  au  feu,  courez,  tous  mes  amis! 
S'aucun  de  vous,  comme  lasche,  rcmaint 
Sans  y  aler,  je  le  hé  pour  tousjours; 
Avanciez  vous,  nul  de  vous  ne  soit  faint. 
Je  l'oy  crier  piteusement  secours. 

S'il  est  ainsi  mort  par  vostre  percsse, 
Je  vous  requier,  au  moins,  tant  que  je  puis, 
Chascun  de  vous  donnez  lui  une  messe, 
Et  j'ay  espoir  que  brief  ou  paradis 
Des  amoureux  sera  moult  hault  assis, 
Comme  martif  et  treshonnorc  saint, 
Qui  a  tenu  de  Loyauté  le  cours: 
Grant  tourment  a,  puis  que  si  fort  se  plaint  ; 
Je  l'oy  crier  piteusement  secours. 


POÈME    DE     LA    PRISON.  48 


BALLADE     XXVIIL 

En  la  nef  de  Bonne  Nouvelle 
Espoir  a  chargié  Reconfort, 
Pour  l'amener,  de  par  la  belle, 
Vers  mon  cueur  qui  l'ayme  si  fort. 
A  joye  puist  venir  au  port 
De  Désir,  et  pour  tost  passer 
La  merde  Fortune,  trouver 
Un  plaisant  vent  venant  de  France, 
Où  est  à  présent  ma  maistresse 
Qui  est  ma  doulce  souvenance, 
Et  le  trésor  de  ma  lyesse. 

Certes  moult  suy  tenu  à  elle, 
Car  j'ay  sceu,  par  loyal  raport, 
Que  contre  Dangier  le  rebelle 
Qui  mainteftois  me  nuist  à  tort, 
Elle  veult  faire  son  effort 
De  tout  son  povoir  de  m'aidier, 
Et,  pource,  lui  plaist  m'cnvoyer 
Ceste  nef  plaine  de  Plaisance 
Pour  estoffer  la  forteresse, 
Où  mon  cueur  garde  l'Espérance, 
Et  le  trésor  de  ma  lyesse. 

Pource,  ma  voulenté  est  telle, 
Et  sera  jusques  à  la  mort. 
De  tousjours  tenir  la  querelle 
De  Loyauté,  où  mon  ressort 
J'ay  mis;  mon  cueur  en  est  d'accort. 
Si  vueil  en  ce  point  dcmourer, 
Et  souvent  Amour  mercier, 
Qui  me  fist  avoir  l'acoin tance 
D'une  si  loyalle  Princesse, 


44  CHARLES     D    ORLEANS. 

En  qui  puis  mettre  ma  fiance 
Et  le  trésor  de  ma  lyesse. 


Dieu  vueille  celle  nef  garder 
Des  robeurs,  escumeurs  de  mer, 
Qui  ont  à  Dangier  aliance. 
Car,  s'ilz  povoient,  par  rudesse 
M'osteroient  ma  desirance, 
Et  le  trésor  de  ma  lyesse. 


BALLADE     XXIX. 

Je  ne  crains  Dangier  ne  les  siens. 
Car  j'ay  garny  la  forteresse 
Où  moncueura  retrait  ses  biens, 
De  Reconfort  et  de  Liesse  ; 
Et  ay  fait  Loyauté  maistresse, 
Qui  la  place  bien  gardera. 
Dangier  deffy  et  sa  rudesse, 
Car  le  Dieu  d'Amours  m'aydera. 

Raison  est  et  sera  des  miens 
Car  ainsi  m'en  a  fait  promesse, 
Et  Espoir  mon  chier  amy  tiens, 
Qui  a  mainte-ifois.   par  proesse, 
Bouté  hors  d'avec  moy  Destresse; 
Dont  Dangier,  dueil  et  despit  a. 
Mais  ne  me  chault  de  sa  tristesse, 
Car  le  Dieu  d'Amours  m'aidera. 

Pource,  requérir  je  vous  viens, 
Mon  cueur,  que  prenez  hardiesse; 
Courez  lui  sus,  sans  craindre  riens, 


POÈME    DE    LA    PRISON  45 

A  Dangier  qui  souvent  vous  blesse. 
Si  tost  que  vous  prandrez  l'adresse 
De  l'assaillir,  il  se  rendra; 
Je  vous  secourray  sans  peresse, 
Car  le  Dieu  d'Amours  m'aidera 


ENVOI. 

Se  vous  m'aidiez,  gente  Princesse, 
Je  croy  que  brief  le  temps  vendra 
Que  i'auray  des  biens  à  largesse, 
Car  le  Dieu  d'Amours  m'aydera. 


BALLADE    XXX. 

Belle,  bien  avez  souvenance, 
Comme  certainement  je  croy, 
De  la  tresplaisant  aliance 
Qu'Amour  fist  entre  vous  et  moy; 
Son  secrétaire  Bonne  Foy 
Escrist  la  lectre  du  traictié, 
Et  puis  la  scella  Loyauté 
Qui  la  chose  tesmoingnera. 
Quant  temps  et  besoing  en  sera. 

Joyeux  Désir  fut  en  présence. 
Qui  alors  ne  se  tint  pas  coy, 
Mais  mist  le  fait  en  ordonnance, 
De  par  Amour,  le  puissant  roy; 
Et,  selon  l'amoureuse  loy. 
De  noz  deux  vouloirs,  pour  seurté, 
Fist  une  seule  voulante  ; 
Bien  m'en  souvient  et  souvendra, 
Quant  temps  et  besoing  en  sera. 


46  CHARLES    d'oRLÉANS. 

Mon  cueur  n'a  en  nully  fiance 
De  garder  la  lettre,  qu'en  sov; 
Et  certes  ce  m'est  grant  plaisance, 
Quant  si  tresloyal  je  le  voy, 
Et  lui  conseille,  comme  doy, 
De  tousjours  haïr  Faulseté; 
Car  quiconque  l'a  en  chierté. 
Amour  chastier  l'en  fera, 
Quant  temps  et  besoing  en  sera. 


Pensez  en  ce  que  j'ay  compté, 
Ma  Dame,  car  en  vérité 
Mon  cueur  de  foy  vous  requerra, 
Quant  temps  et  besoing  en  sera. 


■J 


BALLADE  XXXL 

Venés  vers  moy,  Bonne  Nouvelle, 
Pour  mon  las  cueur  reconforter. 
Contez  moy  comment  fait  la  belle, 
L'avez  vous  point  oy  parler 
De  moy,  et  amy  me  nommer? 
A  elle  point  mis  en  oubly 
Ce  qu'il  lui  pleut  de  m'acorder, 
Quant  me  donna  le  don  d'amy? 

Combien  que  Dangier,  le  rebelle, 
Me  fait  loing  d'elle  demourer. 
Je  congnois  tant  de  biens  en  elle 
Que  je  ne  pourroye  penser 
Que  tousjours  ne  vueille  garder 
Ce  que  me  promist  sans  nul  sy, 


POÈME    DE    LA    PRISON.  47 

Faisant  noz  deux  mains  assembler, 
Quant  me  donna  le  don  d'amy. 

Pitié  seroit,  se  Dame  telle, 
Qui  doit  tout  honneur  désirer, 
Failloit  de  tenir  la  querelle 
De  bien  et  loyaument  amer. 
Son  sens  lui  scet  bien  remonstrer 
Toutes  les  choses  que  je  dy 
Et  ce  qu'Amour  nous  fist  jurer 
Quant  me  donna  le  don  d'amy. 


Loyauté,  vueilliez  asseurer 
Ma  Dame  que  sien  suy,  ainsi 
Qu'elle  me  voulu  commander. 
Quant  me  donna  le  don  d'amy. 


BALLADE    XXXIL 

Belle,  s'il  vous  plaist  escoutcr 
Comment  j'ay  gardé  en  chierté 
Vostre  cueur  qu'il  vous  pleut  laissier 
Avec  moy,  par  vostre  bonté, 
Sachiés  qu'il  est  enveloppé 
En  ung  cueuvrechief  de  Plaisance, 
Et  enclos,  pour  plus  grant  seurté, 
Ou  coffre  de  ma  souvenance. 

Et  pour  nettement  le  garder, 
Je  l'ay  souventesfois  lavé 
En  lermes  de  Piteux  Penser; 
Et  regrettant  vostre  beauté, 
Après  ce,  sans  delay  porté, 


48  CHARLES    d'oRLÉANS. 

Pour  sechier,  au  fou  d'Espérance, 
Et  puis  doulcement  rebouté 
Ou  coffre  de  ma  souvenance. 

Pource,  vueillez  vous  acquitter 
De  mon  cueur  que  je  vous  ay  donné, 
Humblement  vous  en  vueil  prier, 
En  le  gardant  en  loyauté, 
Soubz  clef  de  Bonne  Voulenté, 
Comme  j'ay  fait,  de  ma  puissance, 
Le  vostre  que  tiens  enfermé 
Ou  coffre  de  ma  souvenance. 


Ma  Dame,  je  vous  ay  compté 
De  vostre  cueur  la  gouvernance, 
Comment  il  est  et  a  esté 
Ou  coffre  de  ma  souvenance. 


BALLADE    XXXIIL 

L'amant.  —      Se  je  vous  dy  bonne  nouvelle, 

Moncueur,que  voulez  vousdonner? 
Le  cueur.  —  Elle  pourroit  bien  estre  telle 

Que  moult  chier  la  vueil  acheter. 
L'amant.  —  Nul  guerdon  n'en  quier  demander. 
Le  cueur.  —  Dittes  tost  doncques,  je  vous  prie, 

J'ay  grant  désir  de  la  savoir. 
L'amant.  —  C'est  de  vostre  Dame  et  amye 

Qui  loyaument  fait  son  devoir. 
Le  cueur.  —      Que  me  savez  vous  dire  d'elle 

Dont  me  puisse  reconforter  ? 
L'amant.  —  Je  vous  dy,  sans  que  plus  le  celle, 

Qu'elle  vient  par  deçà  la  mer. 


POÈME     DE    LA    PRISON.  49 

Le  cueur.  —  Dittes  vous  vray?Sans  me  moquer! 
L'amant.  —  Ouil,  je  vous  le  certiffie, 

Et  dit  que  c'est  pour  vous  véoir. 
Le  ciieur.  —  Amour  humblement  j'en  mercie 

Qui  loyaumcnt  fait  son  devoir. 
L'amant.  —       Que  pourroit  plus  faire  la  belle 

Que  de  tant  pour  vous  se  pener? 
Le  cueur.  —  Loyaulté  souslient  ma  querelle, 

Qui  lui  fait  faire  sans  doubler. 
L  amant.  —  Pensez  doncques  de  bien  l'amer. 
Le  cueur.  —  Si  feray  je  toute  ma  vie, 

Sans  changier,  de  tout  mon  povoir. 
L'amant.  —  Bien  doit  estre  dame  chérie, 

Qui  loyaument  fait  son  devoir. 


BALLADE    XXXIV. 


Mon  cueur,  ouvrez  Puis  de  Pensée, 
Et  recevez  un  doulx  présent 
Que  la  tresloyaument  amce 
Vous  envoyé  nouvellement, 
Et  vous  tenez  joyeusement; 
Car,  bien  devez  avoir  liesse. 
Quant  la  trouvez  sans  changement 
Tousjours  tresloyalle  maistresse. 

Bien  devez  prisier  la  journée 
Que  fustes  sien  premièrement; 
Car  sa  grâce  vous  a  donnée, 
Sans  faintise,  tresloyaument; 
Vous  le  povez  veoir  clerement, 
Car  elle  vous  tient  sa  promesse, 
Soy  monst.-ant  vers  vous  fermement 
Tousjours  tresloyalle  maistresse. 

CHARLES    d"ORLÉa.NS.    I.  4 


5o  CHARLES    d'orLÉANS. 

Par  vous  soit  doncques  honnourée 
Et  servie  soingneusement, 
Tant  comme  vous  aurez  durée, 
Sans  point  faire  département; 
Car  vous  aurez  certainement, 
Par  elle  des  biens  à  largesse. 
Puis  qu'elle  est  si  entièrement 
Tousjours  tresloyalle  maistresse. 

ENVOI. 

Grans  mercis  des  fois  plus  de  cent, 
Ma  Dame,  ma  seule  Princesse, 
Car  je  vous  treuve  vrayemcnt 
Tousjours  tresloyalle  maistresse. 


BALLADE  XXXV. 

J'ay  ou  trésor  de  ma  pensée 
Un  mirouer  qu'ay  acheté. 
Amour,  en  l'année  passée, 
Le  me  vendy,  de  sa  bonté. 
Ou  quel  voy  tousjours  la  beauté 
De  celle  que  l'en  doit  nommer. 
Par  droit,  la  plus  belle  de  France. 
Grant  bien  me  fait  à  m'y  mirer, 
En  attendant  Bonne  Espérance. 

Je  n'ay  chose  qui  tant  m'agrée, 
Ne  dont  tiengne  si  grant  chierté, 
Car,  en  ma  dure  destinée, 
Maintesfoiz  m'a  reconforté; 
Ne  mon  cueur  n'a  jamais  santé, 
Fors  quant  il  y  peut  regarder 


POÈME    DE    LA    PRISON.  5» 

Des  yeulx  de  Joyeuse  Plaisance; 
Il  s'y  esbat  pour  temps  passer, 
En  attendant  Bonne  Espérance. 
Advis  m'est,  chascune  journée 
Que  m'y  mire,  qu'en  vérité 
Toute  doleur  si  m'est  ostée; 
Pource,  de  bonne  voulenté, 
Par  le  conseil  de  Leauté, 
Mettre  le  vueil  et  enfermer 
Ou  coffre  de  ma  souvenance, 
Pour  plus  seurementle  garder, 
En  attendant  Bonne  Espérance. 


BALLADE   XXXVL 

Je  ne  vous  puis  ne  sçay  amer, 
Ma  Dame,  tant  que  je  vouldroye  ; 
Car  escript  m'avez  pour  m'oster 
Ennuy  qui  trop  fort  me  guerroyé  : 
«  Mon  seul  amy,  mon  bien,  ma  joye, 
«  Ccllui  que  sur  tous  amerveulx, 
«  Je  vous  pry  que  soyez  joyeux 
«  En  espérant  que  brief  vous  voye.  » 

Je  sens  ces  motz  mon  cueur  percer 
Si  doulcement  que  ne  sauroye 
Le  confort,  au  vray,  vous  mander 
Que  vostre  message  m'envoye. 
Car  vous  dictes  que  querez  voye 
De  venir  vers  moy;  se  m'aid  Dieux, 
Demander  ne  vouldroye  mieulx, 
En  espérant  que  brief  vous  voye. 

Et  quant  il  vous  plaist  souhaidier 
D"e>tre  emprès  moy,  où  que  je  soyc, 


52  CHARLES    d'oRLÉANS. 

Par  Dieu  nompareille  sans  per, 
C'est  trop  fait,  se  dit  l'osoye. 
Se  suis  ge  qui  plus  le  devroye 
Souhaidier  de  cueur  tressoingneux, 
C'est  ce  dont  tant  suis  désireux, 
En  espérant  que  brief  vous  voye. 


BALLADE  XXXVIL 


L'autr'ier  alay  mon  cueur  veoir, 
Pour  savoir  comment  se  portoit; 
Si  trouvay  avec  lui  Espoir 
Qui  doulcement  le  confortoit 
Et  ces  parolles  lui  disoit  : 
Cueur,  tenez  vous  joieusement, 
Je  vous  fais  loyalle  promesse 
Que  je  vous  garde  seurement 
Trésor  d'amoureuse  richesse. 

Car  je  vous  fais,  pour  vray,  savoir 
Que  la  plus  Iresbelle  qui  soit 
Vous  ayme  de  loyal  vouloir; 
Et  voulentiers  pour  vous  feroit 
Tout  ce  qu'elle  faire  pourroit  ; 
Et  vous  mande  que  vrayement, 
Maugré  Dangier  et  sa  rudesse 
Départir  vous  veult  largement 
Trésor  d'amoureuse  richesse. 

Alors  mon  cueur,  pour  dire  voir, 
De  )oye  souvent  soupiroit. 
Et,  combien  qu'il  portast  le  noir, 
Toutesfoiz  pour  lors  oublioit 
Toute  la  doleur  qu'il  avoit, 
Pensant  de  recouvrer  briefment 


POÈME    DE    LA    PRISON  53 

Plaisance,  Confort  et  Liesse. 
Et  d'avoir  en  gouvernement 
Trésor  d'amoureuse  richesse. 


ENVOI. 

A  Bon  Espoir  mon  cueur  s'atent 
Et  à  vous,  ma  belle  maistresse, 
Que  lui  espargniez  loyaument 
Trésor  d'amoureuse  richesse. 


BALLADE    XXXVIIL 


Haa,  Doulx  Penser,  jamais  je  ne  pourroye 
Vous  desservir  les  biens  que  me  donnez. 
Car,  quant  Ennuy  mon  povre  cueur  guerroyé 
Par  Fortune,  comme  bien  le  savés. 
Toutes  les  fois  qu'amener  me  voulés 
Un  souvenir  de  ma  belle  maistresse  , 
Tantost  Doleur,  Desplaisir  et  Tristesse 
S'en  vont  fuiant;  ilz  n'osent  demourer 
Ne  se  trouver  en  vostre  compaignie  ; 
Mais  se  meurent  de  courrous  et  d'envie, 
Quant  il  vous  plaist  d'ainsi  me  conforter. 

L'aise  que  j'ay  dire  je  ne  sauroye. 
Quant  Souvenir  et  vous  me  racontés 
Les  tresdoulx  fais,  plaisans  et  plains  de  joye 
Oe  ma  Dame,  qui  sont  congneuz  assés 
En  plusieurs  lieux,  et  si  bien  renommés 
Que  d'en  parler  chascun  en  a  liesse. 
Pource,  tous  deux,  pour  me  toUir  Destresse, 
D'elle  vueilliez  nouvelles  m'aporter 
Le  plus  souvent  que  pourrés.  je  vous  prie; 


54  CHARLES    d'oRLÉAN  s. 

Vous  me  sauvez  et  maintenez  la  vie, 
Quant  il  vous  plaist  d'ainsi  me  conforter. 

Car  lors  Amour  par  vous  deux  si  m'envoye 
Ung  doulx  espoir  que  vous  me  présentes, 
Qui  me  donne  conseil  que  joyeux  soye  ; 
Et  puis  après  tous  trois  me  promettes 
Qu'à  mon  besoing  jamais  ne  me  fauldrcs. 
Ainsi  m'atens  tout  à  vostre  promesse, 
Car  par  vous  puis  avoir,  à  grant  largesse, 
Des  biens  d'Amours,  plus  que  ne  sçay  nombrer, 
Maugré  Dangier,  Dueil  et  Merencolie 
Que  je  ne  crains  en  riens,  mais  les  deffie. 
Quant  il  vous  plaist  d'ainsi  me  conforter. 

ENVOI. 

Jeune,  gente,  nompareille  Princesse,        "^ 
Puis  que  ne  puis  véoir  vostre  jeunesse. 
De  m'escrire  ne  vous  vueilliez  lasser  ; 
Car  vous  faittes,  je  le  vous  certiffie, 
Grant  aumosne  dont  je  vous  remercie, 
Quant  il  vous  plaist  d'ainsi  me  conforter. 


y 


BALLADE    XXXIX. 

Se  je  povoye  mes  souhais 
Et  mes  soupirs  faire  voler, 
Si  tost  que  mon  cueur  les  a  fais, 
Passer  leur  fcroye  la  mer 
Et  vers  celle,  tout  droit  aler, 
Que  j'ayme  du  cueur  si  tresfort, 
Comme  ma  liesse  mondaine, 
Que  je  tcndray  jusqu'à  la  mort 


POÈMEDE     LA     PRISON.  55 

Pour  ma  maistresse  souveraine. 

Helas  !  la  verray  je  jamais? 
Qu'en  dittes  vous,  tresdoulx  Penser? 
Espoir  m'a  promis  ouil,  mais 
Trop  long  temps  me  fait  endurer  ; 
Et,  quant  je  lui  viens  demander 
Secours  à  mon  besoing,  il  dort. 
Ainsi  suis  chascune  sepmaine 
En  maint  ennuy,  sans  reconfort, 
Pour  ma  maistresse  souveraine. 

Je  ne  puis  demourer  en  paix, 
Fortune  ne  m'y  veult  laissier  ; 
Au  fort,  à  présent  je  me  tais     ' 
Et  vueil  laisser  le  temps  passer. 
Pensant  d'avoir,  au  par  aler. 
Par  Léautc  où  mon  ressort 
J'ay  mis,  de  Plaisance  l'estraine, 
En  guerdoh  des  maulx  qu'ay  à  tort 
Pour  ma  maistresse  souveraine. 


BALLADE  XL. 

Fortune,  vueilliez  moy  laissier 
En  paix,  une  fois,  je  vous  prie; 
Trop  longuement,  à  vray  compter, 
Avés  eu  sur  moy  seigneurie. 
Tousjours  faittes  la  rencherie 
Vers  moy  et  ne  voulez  ouir 
Les  maulx  que  m'avez  fait  souffrir, 
Il  a  jà  plusieurs  ans  passez  ; 
Doy  je  tousjours  ainsi  languir? 
Helas!  et  n'est  ce  pas  assés? 

Plus  ne  puis  en  ce  point  durer  ; 


56  CHARLES  d'Orléans. 

Et  à  Mercy,  mercy  je  crie  ; 
Souspirs  m'empeschent  le  parler  : 
Veoir  le  povez,  sans  mocquerie, 
Il  ne  fault  jà  que  je  le  dye  ; 
Pource,  vous  vueil  je  requérir 
Qu'il  vous  plaise  de  me  tollir 
Les  maulx  que  m'avez  amassez, 
Qui  m'ont  mis  jusques  au  mourir; 
Helas  !  et  n'est  ce  pas  assez? 

Tous  maulx  suy  contant  de  porter, 
Fors  un  seul,  qui  trop  fort  m'ennuye, 
C'est  qu'il  me  fault  loing  demourer 
De  celle  que  tiens  pour  amye  ; 
Car  pieçà  en  sa  compaignie 
Laissay  mon  cucur  (.t  mon  désir  ; 
Vers  moy  ne  veulent  revenir. 
D'elle  ne  sont  jamais  lassez. 
Ainsi  suy  seul,  sans  nul  plaisir, 
Helas  !  et  n'est  ce  pas  assez  ? 

ENVOL 

De  balader  j'ay  beau  loisir. 
Autres  deduiz  me  sont  cassez, 
Prisonnier  suis,  d'Amour  martir  : 
Helas  !  et  n'est  ce  pas  assez? 


BALLADE    XLI. 

Espoir  m'a  apporté  nouvelle 
Qui  trop  me  doit  reconforter, 
Il  dit  que  Fortune,  la  telle, 
A  vouloir  de  soy  raviser 


POEME    DE    LA     PRISON. 

Et  toutes  faultes  amender 
Qu'a  faittes  contre  mon  plaisir, 
En  faisant  sa  roe  tourner. 
Dieu  doint  qu'ainsi  puist  avenir  ! 

Quoy  que  m'ait  fait  guerre  mortelle, 
Je  suis  content  de  l'esprouver, 
Et  le  desbat  qu'ay  et  querelle, 
Vers  elle  je  veuil  délaisser 
Et  tout  courroux  lui  pardonner  ; 
Car  d'elle  me  puis  bien  servir, 
Se  loyaument  veult  s'acquicter. 
Dieu  doint  qu'ainsi  puist  avenir! 

Se  la  povoye  trouver  telle 
Qu'elle  me  voulsist  tant  aidier 
Qu'en  mes  bras  je  peusse  la  belle, 
Une  fois,  à  mon  gré  trouver, 
Plus  ne  vouldroye  demander. 
Car  lors  j'auroye  mon  désir 
Et  tout  quanque  doy  souhaidier. 
Dieu  doint  qu'ainsi  puist  avenir  ! 

ENVOI. 

Amour,  s'il  vous  plaist  commander 
A  Fortune  de  me  chierir, 
Je  pense  joye  recouvrer; 
Dieu  doint  qu'ainsi  puist  avenir! 


BALLADE    XLIL 

Je  ne  me  sçay  en  quel  point  maintenir. 
Ce  premier  jour  de  May,  plein  de  liesse, 
Car  d'une  part  puis  dire  sans  faillir 


58  CHARLES    d'oRLÉANS. 

Que,  Dieu  mercy,  j'ay  loyalle  maistresse, 
Qui  de  tous  biens  a  trop  plus  qu'à  largesse. 
Et  si  pense  que,  la  sienne  mercy, 
Elle  me  tient  son  servant  et  amy  ; 
Ne  doy  je  bien  doncques  joye  mener 
Et  me  tenir  en  joyeuse  plaisance? 
Certes  oLiil,  et  Amour  mercier 
Treshumblemcnt  de  toute  ma  puissance. 

Mais  d'autre  part,  il  me  convient  souffrir 
Tant  de  douleur  et  de  dure  destresse 
Par  Fortune,  qui  me  vient  assaillir 
De  tous  costez,  qui  de  maulx  est  princesse! 
Passer  m'a  fliit  le  plus  de  ma  jeunesse, 
Dieu  scet  comment,  en  doloreux  party; 
Et  si  me  fait  demourer  en  soussy, 
Loings  de  celle  par  qui  puis  recouvrer 
Le  vray  trésor  de  ma  droitte  espérance. 
Et  que  je  vueil  obéir  et  amer 
Treshumblemcnt  de  toute  .na  puis  a-  ce. 

Et  pource,  May,  je  vous  \icns  ijq   crir, 
Pardonnez  moy  de  vostre  gcnt.lLssc, 
Se  je  ne  puis  apresent  vous  servir 
Comme  je  doy,  car  je  vous  fais  promesse, 
J'ay  bon  vouloir  envers  vous,  mais  Tristesse 
M'a  si  long  temps  en  son  dangier  nouny 
Que  j'ay  du  tout  Joye  mis  en  oubly  ; 
Si  me  vault  mieulx  seul  de  gens  eslongier; 
Qui  dolent  est  ne  sert  que  d'encombrance. 
Pource,  reclus  me  tendray  en  penser 
Treshumblemcnt  de  toute  ma  puissance. 


Doulx  Souvenir,  chierement  je  vous  pry, 
Escrivez  tost  ceste  balade  cy  ; 


POÈME    DE    LA    PRISON.  5<) 

De  par  mon  cueur  la  feray  présenter 
A  ma  Dame,  ma  seule  desirance, 
A  qui  pieçà  je  le  voulu  donner 
Treshumblement,  de  toute  ma  puissance. 


BALLADE   XLIIL 

Mon  cueur  est  devenu  hermite 
En  l'ermitage  de  Pensée; 
Car  Fortune  la  tresdespite 
Qui  l'a  hay  mainte  journée, 
S'est  nouvellement  allée, 
Contre  lui,  avecques  Tristesse, 
Et  l'ont  banny  hors  de  Lyesse  ; 
Place  n'a  où  puist  demourer, 
Fors  ou  bois  de  Merencolie, 
Il  est  content  de  s'i  logicr  ; 
Si  lui  dis  je  que  c'est  folie. 

iMainte  parolle  lui  ay  ditte, 
Mais  il  ne  l'a  point  escoutée  ; 
Mon  parler  riens  ne  lui  proufite, 
Sa  voulenté  y  est  fermée, 
De  legier  ne  seroit  changée. 
Il  se  gouverne  par  Destresse 
Qui,  contre  son  prouffit,  ne  cesse, 
Nuit  et-jour,  de  le  conseillier  ; 
De  si  près  lui  tient  compaignie 
Qu'il  ne  peut  ennuy  delaissicr, 
Si  lui  dis  je  que  c'est  folie. 

Pource  sachiez,  je  m'en  acquitte, 
Belle  tresloyaument  amée, 
Se  lectre  ne  lui  est  escripte 
Par  vous,  ou  nouvelle  mandée, 


6o  CHARLES    d'orI.ÉANS. 

Dont  sa  doleur  soit  allégée, 
11  a  fait  son  veu  et  promesse 
De  renoncer  à  la  richesse 
De  Plaisir  et  de  Doulx  Penser, 
Et  après  ce,  toute  sa  vie, 
L'abit  de  Desconfort  porter  ; 
Si  lui  dis  je  que  c'est  folie. 

ENVOI. 

Se  par  vous  n'est,  Belle  sans  per, 
Pour  quelque  chose  que  lui  dye, 
Mon  cueur  ne  se  veult  conforter; 
Si  lui  dis  je  que  c'est  folie. 


BALLADE    XLIV. 

Dangier  je  vous  giette  mon  gant, 
Vous  apellant  de  traïson, 
Devant  le  Dieu  d'Amours  puissant 
Qui  me  fera  de  vous  raison  : 
Car  vous  m'avez,  mainte  saison. 
Fait  douleur  à  tort  endurer. 
Et  me  faittes  loings  demourer 
De  la  nompareille  de  France. 
Mais  vous  l'avez  tousjours  d'usance 
De  grever  lovnulx  amoureux. 
Et  pource  que  je  sui  l'un  d'eulx. 
Pour  eulx  et  moy  prens  la  querelle; 
Par  Dieu,  vilain,  vous  y  mourrés 
Par  mes  mains,  point  ne  le  vous  celle, 
S'  à  Léauté  ne  vous  rendes. 

Comment  avez  vous  d'orgueil  tant 


POÈME    DE    LA    PRISON.  6l 

Que  VOUS  osez,  sans  achoison. 
Tourmenter  aucun  vray  amant 
Qui,  de  cueur  et  d'entencion. 
Sert  Amours  sans  condicion? 
Certes  moult  estes  à  blasmer, 
Pensez  doncques  de  l'amender. 
En  laissant  vostre  malvueillance, 
Et,  par  treshumble  repentance, 
Alez  crier  mercy  à  ceulx 
Que  vous  avez  fais  douloreux, 
Et  qui  vous  ont  trouvé  rebelle. 
Autrement  pour  seur  vous  tenez 
Que  de  gage  je  vous  appelle, 
S"  à  Léauté  ne  vous  rendes. 

Vous  estes  tous  temps  mal  pensant, 
Et  plain  de  faulse  soupeçon  ; 
Ce  vous  vient  de  mauvais  talant 
Nourry  en  courage  félon. 
Quel  mai  ou  ennuy  vous  fait  on, 
Se  par  amours  on  veult  amer, 
Pour  plus  aise  le  temps  passer 
En  lyée,  joyeuse  Plaisance  ? 
C'est  gracieuse  Desirance. 
Pource,  faulx,  vilain,  orgueilleux, 
Changiez  vos  vouloirs  oultragieux, 
Ou  je  vous  feray  guerre  telle 
Que,  sans  faillir,  vous  trouvères 
Qu'elle  vauldra  pis  que  mortelle, 
S'  à  Leauté  ne  vous  rendes. 


BALLADE    XLV. 

Se  Dieu  plaist,  briefment  la  nuée 
De  ma  tristesse  passera, 


62  CHARLES    d'oRLÉANS. 

Belle  tresloyaument  amée, 
Et  le  beau  temps  se  monstrera  : 
Mais  savez  vous  quant  ce  sera  ? 
Quant  le  doulx  souleil  gracieux 
De  vostre  bcaulté  entrera 
Par  les  fenestres  de  mes  yeulx 

Lors  la  chambre  de  ma  pensée 
De  grant  plaisance  reluira 
Et  sera  de  joye  parée, 
Adonc  mon  cueur  s'esveillera 
Qui  en  dueil  dormy  long  temps  a. 
Plus  ne  dormira,  se  m'aid  Dieux, 
Quant  caste  clarté  le  ferra 
Par  les  fenestres  de  mes  yeulx. 

Helas  !  quant  vendra  la  journée, 
Qu'ainsi  avenir  me  pourra, 
Ma  maistresse  tresdesirée  ? 
Pensez  vous  que  brief  avendra? 
Car  mon  cueur  tousjours  languira 
En  ennuy,  sans  point  avoir  mieulx, 
Jusqu'à  tant  que  cecy  verra 
Par  les  fenestres  de  mes  yeulx. 


De  reconfort  mon  cueur  aura 
Autant  que  nul  dessoubz  les  cieulx, 
Belle,  quant  vous  regardera 
Par  les  fenestres  de  mes  yeulx. 

BALLADE    XLVL 

Au  court  jeu  de  tables  jouer 
Amour  me  lait  mouU  longuement; 


POÈME    DE    LA    PRISON.  63 

Car  tousjours  me  charge  garder 
Le  point  d'attente  seulement, 
En  me  disant  que  vrayement 
Se  ce  point  lyé  sçay  tenir, 
Qu'au  derrain  je  doy,  sans  mentir, 
Gaangnier  le  jeu  entièrement. 

Je  suy  pris  et  ne  puis  entrer 
Ou  point  qie  désire  souvent  ; 
Dieu  me  doint  une  fois  gietter 
Chance  qui  soit  aucunement 
A  mon  propos,  car  autrement 
Mon  cueur  sera  pis  que  martir, 
Se  ne  puis,  ainsi  qu'ay  désir, 
Gaangnier  le  jeu  entièrement. 

Fortune  fait  souvent  tourner 
Les  dez  contre  moy  mallement  ; 
Mais  Espoir,  mon  bon  conseilher, 
M'a  dit  et  promis  seurement 
Que  Lo  auté  prochainement 
Fera  Bon  Eur  vers  moy  venir 
Qui  me  fera,  à  mon  plaisir, 
Gaangnier  le  jeu  entièrement. 

ENVOI. 

Je  vous  supply  treshumblement^ 
Amour,  aprenez  moy  comment 
J'asserray  les  dez  sans  faillir  ; 
Parquoy  pjisse,  sans  plus  languir, 
Gaangnier  le  jeu  entièrement. 

BALLADE    XLVIL 

Vous,  soyés  la  tresbien  venue 
Vers  mon  cueur,  Joyeuse  Nouvelle, 


64  CHARLES    d'oRLÉANS. 

Avez  vous  point  ma  Dame  veuc? 
Contez  moi  quelque  chose  d'elle. 
Dittes  moy,  n'est  elle  pas  telle 
Qu'estoit,  quant  derrenierement, 
Pour  m'oster  de  merencolie, 
M'escrivy  amoureusement  : 
«  C'estes  vous  de  qui  suis  amye.  » 

Son  vouloir,  jamais  ne  se  mue, 
Ce  croy  je,  mais  tient  la  querelle 
De  Léauté,  qu'a  retenue 
Sa  plus  prochaine  damoiselle; 
Bien  le  monstre,  sans  que  le  celle 
Qu'elle  se  maintient  léaument, 
Quant  lui  plaist,  dont  je  la  mercie, 
Me  mander  si  tresdoulcement  : 
K  C'estes  vous  de  qui  suis  amye.  » 

Pour  le  plus  eureux  soubz  la  nue 
Me  tiens,  quant  m'amye  s'appelle  ; 
Car  en  tous  lieux,  où  est  congneue, 
Chascun  la  nomme  la  plus  belle. 
Dieu  doint  que,  maugré  le  rebelle 
Dangier,  je  la  voye  briefment, 
Et  que  de  sa  bouche  me  die  : 
Amy,  pensez  que  seulement 
C'estes  vous  de  qui  suis  amye. 


J'ay  en  mon  cueur  joyeusement 
Escript,  afin  que  ne  l'oublie, 
Ce  refrain  qu'ayme  chierement  : 
C'estes  vous  de  qui  suis  amye. 


POÈME    DE    LA    PRISOJ.  65 


BALLADE    XLVIIL 

Trop  long  temps  vous  voy  sommeillier, 
Mon  cueur,  en  dueil  et  desplaisir; 
Vueilliez  vous,  ce  jour,  esveillier, 
Alons  au  bois  le  May  cueillir, 
Pour  la  coustume  maintenir. 
Nous  o:  rons  des  oyseaulx  le  glay 
Dont  ilz  font  les  bois  retentir, 
Ce  premier  jour  du  mois  de  May. 

Le  Dieu  d'Amours  est  coustumier, 
A  ce  jour,  de  feste  tenir, 
Pour  amoureux  cuears  festier 
Qui  désirent  de  le  servir  ; 
Pource,  fait  les  arbres  couvrir 
De  fleurs,  et  les  champs  de  vert  gay, 
Pour  la  feste  plus  embellir, 
Ce  premier  jour  du  mois  de  May. 

Bien  sçay,  mon  cueur,  que  taulx  Dangier 
Vous  fait  mainte  paine  souffrir; 
Car  il  vous  fait  trop  eslongner 
Celle  qui  est  vostre  désir. 
Pour  tant  vous  fault  esbat  quérir; 
Mieux  conseillier  je  ne  vous  s.ay 
Pour  vostre  douleur  amendrir. 
Ce  premier  jour  du  mois  de  May. 

NVOI. 

Ma  Dame,  .Tion  yeul  souvenir, 
En  cent  )Ours  n  auroye  loisir 
De  vous  raconter,  tout  au  vray, 

CHARLES    D'ORLÉANS.    I.  tr 


D<  en  M^  l  KS    n   ORLEANS. 

Le  mal  qui  tient  mon  cueur  martir, 
Ce  premier  jour  du  mois  de  May. 


BALLADE    XLIX. 

J'ay  mis  en  escript  mes  souhais 
Ou  plus  parfont  de  mon  penser  ; 
Et  combien,  quant  je  les  ay  fais, 
Que  peu  me  pevent  profiter, 
Je  ne  les  vouldroie  donner 
Pour  nul  or  qu'on  me  sceust  offrir, 
En  espérant,  qu'au  par  aler. 
De  mille  l'un  puist  avenir. 

Par  la  foy  de  mon  corps  !  jamais 
Mon  cueur  ne  se  peut  d'eulx  lasser; 
Car  si  richement  sont  pourtrais 
Que  souvent  les  vient  rega  der 
Et  s'y  csbat  pour  temps  passer. 
En  disant  par  ardent  désir  : 
Dieu  doint  que,  pour  me  confo;ter, 
De  mille  i'un  puist  avenir! 

C'est  merveille,  quant  je  me  tais, 
Que  j'oy  mon  cueur  ainsi  parler; 
Et  tient  avec  Amour  ses  plais, 
Que  tousjours  veult  acompaignier; 
Car  il  dit  que  des  biens  d'amer 
Cent  mille  lui  veult  départir; 
Plus  ne  quier,  mais  que,  sans  tarder, 
De  mille  l'un  puist  avenir. 


Vueilliez  à  mon  cueur  accorder, 
Sans  par  parolles  le  mener, 


POÈME    DE    LA    FRISOU.  6/ 

Amour,  que,  par  vostre  plaisir, 
Des  biens  que  lui  voulez  donner 
De  mille  l'un  puist  avenir. 


BALLADE   L. 

Par  le  commandement  d'Amours 
Et  de  la  plus  belle  de  France, 
J'enforcis  mon  chastel  tousjours 
Appelle  Joyeuse  Plaisance, 
Assis  sur  roche  d'Espérance; 
Avitaillé  l'ay  de  Confort  ; 
Contre  Dangicr  et  sa  puissance 
Je  le  tendray  jusqu'à  la  mort. 

En  ce  chastel  y  a  trois  tours, 
Dont  l'une  se  nomme  Fiance 
D'avoir  briefment  loyal  secours; 
Et  la  seconde  Souvenance  ; 
La  tierce  Ferme  Desirance. 
Ainsi  le  chastel  est  si  fort 
Que  nul  n'y  peut  faire  grevance; 
Je  le  tendrav  jusqu'à  la  mort. 

Combien  que  Dangier,  par  faulx  tours. 
De  le  m'oster  so'Jvent  s'avance, 
Mais  il  trouvera  le  rebours, 
Se  Dieu  plaist,  de  sa  malvueillance. 
Bon  Droit  est  de  mon  aliance. 
Loyauté  et  lui  sont  d'accort 
De  m'aidier,  pource,  sans  doubtance 
Je  le  tendray  jusqu'à  la  mort. 


6S  CHARLES    d'oRLÉANS. 


Faisons  bon  guet  sans  deccvance 
Et  assaillons  par  orJonn  incc, 
Mon  cueur,  Dangicr  qui  nous  fait  tort; 
Se  prandre  le  puis  par  vaillance, 
Je  le  tendray  jusqu'à  la  mort. 


BALLADE    LL 

La  première  fois,  ma  Maistresse, 
Qu'en  vostre  présence  vendray. 
Si  ravi  seray  de  liesse 
Qu'à  vous  parler  je  ne  pourray  ; 
Toute  contenance  perdray, 
Car,  quant  vostre  beauté  luira 
Sur  moy,  si  fort  esbloïra 
Mes  yeulx  que  je  ne  verray  goutte; 
Mon  cueur  aussi  se  pasme  a, 
C'est  une  chose  que  fort  doubte. 

Pourcc,  nompareille  Princesse, 
Quant  ainsi  devant  voas  seray, 
Vueilliez,  par  vostre  grant  humblesse, 
Me  pardonner,  se  je  ne  sçay 
Parler  à  vous,  comme  devray  ; 
Mais  tost  après,  s'asseurera 
Mon  cueur  et  puis  vous  contera 
Son  fait,  mais  que  nul  ne  l'escoutej 
Dangier  grant  guet  sur  lui  fera, 
C'est  une  chose  que  fort  doubte. 

Et  se  mettra  souvent  en  presse 
D'oûir  tout  ce  que  je  diray 


POÈME     DE     LA     PRISON.  tC) 

Mais  je  pense  que  par  sagesse 
Si  tresbien  me  gouverncray 
Kt  telle  manière  tendray 
Que  faulx  Dangier  trompé  sera, 
Ne  nulle  riens  n'apperccvra  ; 
Si  mettra  il  sa  painne  toute 
D'espier  tout  ce  qu'il  pourra; 
C'est  une  chose  que  fort  double. 


BALLADE    LIL 


Me  mocqués  vous,  Joyeux  Espoir, 
Par  parolles  trop  me  menez, 
Pensez  vous  de  medejevoir! 
Chascun  jour  vous  me  promettes 
Que  briefment  véoir  me  ferez 
Ma  Dame,  la  gente  Prince>se, 
Qui  a  mon  cueur  entièrement; 
Pour  Dieu,  tenés  vostre  promesse, 
Car  trop  ennuie  qui  attent. 

Il  a  long  temps,  pour  dire  voir, 
Que  tout  mon  estât  con-;noissés. 
N'ay  je  fait  mon  loyal  devoir 
D'endurer,  comme  bien  savés? 
Oùil,  ce  croy  je  plus  qu'assés. 
Temps  est  que  me  donnez  Liesse, 
Desservie  l'ay  loyaumenf, 
Pardonnez  moy  se  je  vous  presse, 
Car  trop  ennuie  qui  attent. 

Ne  me  mettez  à  nonchaloir, 
Honte  se  a  se  me  faillies, 
Veu  qui  nu  fie  main  et  soir 
En  tout  Cv."  que  taire  vouldrés. 


CHARLKS     D    ORLÉANS. 

Se  mieulx  faire  ne  me  povez, 

Au  moins  monstre;:  moy  ma  maistrcsse 

Une  fois,  pour  aucunement 

Allcgier  le  mal  qui  me  blesse, 

Car  trop  ennuie  qui  attent. 


Espoir,  tous) ours  vous  m'asseurés 
Que  bien  mon  fait  ordonnerés, 
Bel  me  parlés,  je  le  confesse. 
Mais,  tant  y  mettez  longuement 
Que  je  languis  en  grant  destresse, 
Car  trop  ennuie  qui  attent. 


BALLADE    LIIL 


Le  premier  jour  du  mois  de  May 
S'acquitte  vers  moy  grandement; 
Car,  ainsi  qu'à  présent  je  n'ay- 
En  mon  cueur  que  deuil  et  tourment, 
Il  est  aussi  pareillement 
Troublé,  plain  de  \enr  et  de  pluie  ; 
Estre  souloit  tout  aut;-ement, 
Ou  temps  qu'ay  congneu  en  ma  vie. 

Je  croy  qu'il  se  met  en  ess'y 
De  m'acompaignier  loyaument; 
Content  m'en  tiens,  pour  dire  vray; 
Car  meschans,  en  leur  pensemcnt. 
Reçoivent  grand  allégement, 
Quant  en  leurs  maulx  ont  compaignie; 
Essayé  l'ay  certainement. 
Ou  temps  qu'ay  congneu  en  ma  vie. 


POÈME    DE    La     prison.  Jl 

Las!  j'ay  veu  May  joyeux  et  gay 
Et  si  plaisant  à  toute  L;cnt 
Que  raconter  au  long  ne  sçay 
Le  plaisir  et  esbatement 
Qu'avoit  en  son  commandement; 
Car  Amour,  en  son  abbaye, 
Le  tenoit  chief  d^  son  couvent, 
Ou  temps  qu'ay  congncu  en  ma  vie. 


Le  temps  va  je  ne  sçay  comment, 
Dieu  l'amen  Je  prouchainement! 
Car  Plaisan.e  s'est  endormie 
Qui  soulo  t  vivre  lycment, 
Uu  temps  qu'ay  congaeu  en  ma  vie. 

BALLADE     LIV. 

Pour  Dieu,  gardez  bien  Souvenir 
Enclos  dedcn;  voitre  pensée, 
Ne  le  laissiez  dehors  yssir, 
Belle  trcsloyaument  amée. 
Faittes  quechascune  journée 
Vous  ramentoive  bien  souvent 
La  manière  quoy  et  comment, 
Jà  pie^à,  me  feistes  promesse, 
Quant  vous  retins  premièrement 
-Ma  Dame,  ma  seule  maistresse. 

Vous  savez  que,  par  Franc  Désir 
Et  Loyal  Amour  conseillée. 
Me  déistes  que,  sans  départir, 
De  m'amcr  estiés  fermée, 
Tant  comme  j'auroye  durée. 


CHARLES    d'oRLÉANS. 

Je  mctz  en  vostre  jugement 
Se  ma  bouche  dit  v.ay  ou  ment. 
Si  tiens  que  parler  de  princesse 
Vient  du  cueur,  sans  dccevement. 
Ma  Dame,  ma  seule  maistresse. 

Non  pour  tant,  me  fault  vous  ouvrir 
La  doubte  qu'en  moy  est  entrée. 
C'est  que  i'ay  paour,  sans  vous  mentir, 
Que  ne  m'ayez,  tresbellc  née, 
Mis  en  oubly;  car  mainte  année 
Suis  loingtain  de  vous  longuement, 
Et  n'oy  de  vous  aucunement 
Nouvelle  pour  avoir  liesse  ; 
Pourquoy  vis  dolorcusement, 
Ma  Dame,  ma  seule  miii^tr.-sse. 

Nul  remède  ne  sçay  quérir 
Dont  ma  doleur  soit  al  cgée, 
Fors  que  souvent  vous  requérir 
Que  la  foy  que  m'avez  donnée 
Soit  par  vous  loyaument  gardée. 
Car  vous  cognoissiez  clcrement 
Que,  par  vostre  commandenent, 
Ay  despendu  de  ma  jeunesse. 
Pour  vous  attendre  seulement, 
Ma  Dame,  ma  seule  maistresse. 

Plus  ne  vous  convient  esclarsir 
La  chose  que  vous  ay  comptée; 
Vous  la  congnoissiez,  sans  faillir; 
Pource,  soyez  bien  advisée 
Que  je  ne  vous  treuve  muée. 
Car,  s'en  vous  treuve  changement, 
Je  requerray  tout  haultement, 
Devant  l'amoureuse  Déesse, 
Que  i'aye  de  vouî  vengement. 
Ma  Djme.ma  seule  maistresse. 


POÈME    DE    LA    PRISON.  ^3 


Se  je  puis  véoir  seurement 
Que  m'amés  tousjours  loyaument. 
Content  suis  de  passer  destresse 
En  vous  servant  joyeusement. 
Ma  Dame,  ma  seule  maistresse. 


BALLADE    LV. 

Helas!  helas!  quia  laissié  entrer 
Devers  mon  cueur  Doloreuse  Nouvelle? 
Conté  lui  a  plaincment,  sans  celer, 
Que  sa  Dame,  la  tresplaisant  et  belle, 
Qu'il  a  long  temps  tresloyaument  servie. 
Est  à  présent  en  griefve  maladie; 
Dont  il  est  cheu  en  desespoir  si  fort 
Qu'il  souhaide  piteuseaient  la  mort 
Et  dit  qu'il  est  ennuyé  de  sii  vie. 

Je  suis  aie  pour  le  réconforter. 
En  lui  priant  qu'il  n'ait  nul  soussy  d'elle, 
Car,  se  Dieu  plaist,  il  orra  br.ef  conter 
Que  ce  n'est  pas  malaJie  mo  tjl  e, 
Lt  que  sera  prochainement  guérie. 
Mais  ne  lui  chault  de  chose  que  lui  die, 
Ainçois  en  pleurs  a  tousjours  son  ressort 
Par  Tristesse  qui  asprement  le  mort. 
Et  dit  qu'il  est  ennuyé  de  sa  vie. 

Quant  je  lui  dy  qu'il  ne  se  doit  doubter, 
Car  Fortune  n'est  pas  si  trescruelle, 
Qu'elle  voulsist  hors  de  ce  monde  oster 
Celle  qui  est  des  princesses  l'estoille, 
Qui  partout  luist  des  biens  dont  est  garnie; 


74  CHARLES    D   ORLEANS. 

Il  me  respond  qu'il  est  foui  qui  se  fie 
En  Fortune  qui  a  fait  à  maint  tort. 
Ainsi  ne  voult  recevoir  reconfort 
Et  dit  qu'il  est  ennuyé  de  sa  vie. 


Dieu  tout  puissant,  par  vostre  courtoisie 
Guérissez  la,  ou  mon  cueur  vous  supplie 
Que  vous  souflfrez  que  la  mort  son  cfiort 
F'ace  sur  lui,  car  il  en  est  d'accort 
Et  dit  qu'il  est  ennuyé  de  sa  vie. 


BALLADE    LVL 

Sitostque  l'autre  jour  j'ouy 
Que  ma  souveraine  sans  pcr 
Estoit  guérie,  Dieu  mercy, 
Je  m'en  alay  sans  point  tarder 
Vers  mon  cueur  pour  le  lui  conter; 
Mais  certes  tant  le  desiroit. 
Qu'à  paine  croire  le  povoit, 
Pour  la  grant  amour  qu'a  en  elle, 
Et  souvent  apar  soy  disoit  : 
Saint  Gabriel,  bonne  nouvelle! 

Je  lui  dis  :  mon  cueur,  je  vous  pry, 
Ne  vueilliez  croire  ne  penser 
Que  moy,  qui  vous  suy  vray  amy. 
Vous  vueille  mensonges  trouver, 
Pour  en  vain  vous  reconforter. 
Car,  trop  mieulx  taire  me  vaudroit. 
Que  le  dire  se  vray  n'estoit; 
Mais  la  venté  si  est  telle. 


POÈME     DE     LA     PRISON.  jS 

Soyez  joyeulx  comment  qu'il  soit. 
Saint  Gabriel,  bonne  nouvelle! 

Alors  mon  cueur  me  respondy  : 
Croire  vous  vueil  sans  plus  doubtcr, 
Et  tout  le  courrous  et  soussy 
Qu'il  m'a  convenu  endurer, 
En  joye  le  vueil  retourner; 
Puis  après,  ses  yeulx  essuyoit 
Que  de  plourer  moilliez  avoit. 
Disant  :  il  est  temps  que  rappelle 
Espoir  qui  delaissié  m'avoit. 
Saint  Gabriel,  bonne  nouvelle! 


Il  me  dist  aussi  qu'il  feroit, 
Dedens  l'amoureuse  chapelle, 
Chanter  la  messe  qu"il  nom  noit 
Saint  Gabriel,  bonne  nouvelle. 


BALLADE   LVIL 

Las!  Mort  qui  t'a  fait  si  hardie, 
De  prendre  la  noble  Princesse 
Qui  estoit  mon  confort,  ma  vic, 
Mon  bien,  mon  plaisir,  ma  richesse! 
Puis  que  tu  as  prins  ma  maistrcsse, 
Prens  moy  aussi  son  serviteur, 
Car  j'ayme  mieulx  prouchainemcnt 
Mourir  que  languir  en  tourment. 
En  paine,  soussi  et  doleur 

Las!  de  tous  biens  estoit  garnie 
Et  en  droite  fleur  de  jeunesse! 


7*^  CHARLES    D    ORLÉANS. 

Je  pry  à  Dieu  qu'il  te  maudie, 
Faulse  Mort,  pkune  de  rudesse! 
Se  prise  l'eusses  en  vieillesse, 
Ce  ne  fust  pas  si  grant  rigueur  ; 
Mais  prise  l'as  hastivement, 
Et  m'as  laissié  piteusement 
En  paine,  soussi  et  doleur. 

Las!  je  suis  seul,  sans  compaignief 
Adieu  ma  Dame,  ma  liesse! 
Or  est  nostre  amour  départie. 
Non  pour  tant,  je  vous  fais  promesse 
Que  de  prières,  à  largesse, 
Morte  vous  serviray  de  cueur, 
Sans  oublier  aucunement  ; 
Et  vous  regretteray  souvent 
En  paine,  soussi  et  doleur. 

ENVOI. 

Dieu,  sur  tout  souverain  Seigneur, 
Ordonnez,  par  grâce  et  doulceur. 
De  l'ame  d'elle,  tellement 
Qu'elle  ne  soit  pas  longuement 
En  paine,  soussi  et  doleur. 


BALLADE    LVIIL 

J'ayaux  esches  joué  devant  Amours, 
Pour  passer  temps,  avecques  faulx  Dangier, 
Et    eurement  me  suy  gardé  tousjours. 
Sans  riens  perdre  jusques  au  derrenier 
Que  Fortune  lui  eu  venu  aidier. 
Et  par  meschief,  que  maudite  soit  elle! 


POEME    DE    I.A    PRISON. 

A  ma  Dame  prise  soudainement  ; 

Par  quoy  suy  mat,  je  le  voy  clerement, 

Se  je  ne  fais  une  Dame  nouvelle. 

En  ma  Dame  j'avoye  mon  secours, 
Plus  qu'en  autre,  car  souvent  d'encombrier 
Me  delivroit,  quant  venoit  à  son  cours, 
Et  en  gardes  taisoit  mon  jeu  lier; 
Je  n'avoye  Pion,  ne  Chevalier. 
Autlin,  ne  Rocq  qui  peussent  ma  querelle 
Si  bien  aidier.  11  y  pert  vrayement, 
Car  j'ay  perdu  mon  jeu  entièrement, 
Se  je  ne  tais  une  Dame  nouvelle. 

Je  ne  me  sçay  jamais  garder  des  tours 
De  Fortune,  qui  maintes  foiz  changier 
A  fait  mon  jeu  et  tourner  à  rebours; 
Mon  dommage  scet  bien  tost  expier, 
Elle  m'assault  sans  point  me  deffier. 
Par  mon  serment,  oncques  ne  congneu  telle. 
En  jeu  party  suy  si  estrangemenc 
Que  je  me  rens  et  n'y  voy  sauvement, 
Se  je  ne  lais  une  Dame  nouvelle. 


BALLADE    LIX. 


Je  me  souloye  pourpenser 
Au  commencement  de  l'année, 
Quel  don  je  pourroye  donner 
A  ma  Dame  la  bien  amée  : 
Or  suis  hors  de  ceste  pensée, 
Car  xMort  l'a  mise  soubz  la  lame, 
Et  l'a  hors  de  ce  monde  ostée. 
Je  pry  à  Dieu  qu'il  en  ait  l'ame. 

Non  pour  tant,  pour  tousjours  garder 


11 


78  ■       CHARLES     d'ORLÉANS. 

La  coustLime  que  j'ny  usée, 
Et  pour  à  toutes  gens  monstrer 
Que  pas  n'ay  ma  Dame  oubliée, 
De  messes  je  l'ay  estrenée; 
Car  ce  me  seroit  trop  de  blasme 
De  l'oublier  ceste  journée, 
Je  pry  à  Dieu  qu'il  en  ait  lame. 
Tellement  lui  puist  proulHter 
Ma  prière  que  confortée 
Soit  son  ame,  sans  point  tarder, 
Et  de  ses  bienfais  guerdonnée 
En  Paradis  et  couronnée 
Comme  la  plus  loyalle  Dame 
Qu'en  son  vivant  j'aye  trouvée; 
Je  pry  à  Dieu  qu'il  en  ait  1  ame. 


Quant  je  pense  à  la  renommée 
Desgrans  biens  dont  estoit  parée, 
Mon  povre  cucur  de  dueil  se  pasme  ; 
De  lui  souvent  est  regrettée, 
Je  pry  à  Dieu  qu'il  en  ait  l'ame. 


BALLADE    LX. 

Quant  Souvenir  me  ramentoit 
La  grant  beauté  dont  estoit  plaine, 
Celle  que  mon  cueur  appeloit 
Sa  seule  Dame  souveraine, 
De  tous  biens  la  vraye  fontaine, 
Qui  est  morte  nouvellement. 
Je  dy,  en  pleurant  tendrement  : 


POÈME    DE    LA    PRISON.  79 

Ce  monde  n'est  que  chose  vaine. 

Ou  vieil  temps  grant  renom  couroit 
De  Creséide,  Yseud,  Elaine 
Et  maintes  autres  qu'on  nommoit 
Parfaittes  en  beauté  haultaine. 
Mais,  au  derrain,  en  son  demaine 
La  Mort  les  prist  piteusement; 
Parquoy  puis  véoir  clerement 
Ce  monde  n'est  que  chose  vaine. 

La  Mort  a  voulu  et  voulJroit, 
Bien  le  cognois,  mettre  sa  paine 
De  destruire,  s'elle  povoit. 
Liesse  et  Plaisance  Mondaine, 
Quant  tant  de  belles  dames  maine 
Hors  du  monde;  car  vraycment 
Sans  elles,  à  mon  jugement, 
Ce  monde  n'est  que  chose  vaine. 


Amours,  pour  vérité  certaine, 
Mort  vous  guerrie  feliement; 
Se  n'y  trouvez  amendement. 
Ce  monde  n'est  que  chose  vaine. 


BALLADE   LXL 

Le  premier  jour  du  mois  de  May, 
Trouvé  me  suis  en  compaignie 
Qui  estoit,  pour  dire  le  vray, 
De  gracieuseté  garnie  ; 
Et.  pour  oster  merencolie, 
Fut  ordonné  qu'on  choisiroit, 


8o  CHARLES    d'ORLÉANS. 

Comme  fortune  donneroit, 
La  fueille  plaine  de  verdure, 
Ou  la  fleur  pour  toute  l'année; 
Si  prins  la  feuille  pour  livrée, 
Comme  lors  fut  mon  aventure. 

Tantost  après  je  m'avisay 
Qu'à  bon  droit  l'avoye  choisie 
Car,  puis  que  par  mort  perdu  ay 
La  fleur,  de  tous  biens  enrichie, 
Qui  estoit  ma  Dame,  m'amie, 
Et  qui  de  sa  grâce  m'amoit 
Et  pour  son  amy  me  tenoit, 
Mon  cueur  d'autre  flour  n'a  plus  cure; 
Adonc  cogneu  que  ma  pensée 
Acordoit  à  ma  destinée. 
Comme  fut  lors  mon  aventure. 

Pource,  le  fueille  porteray 
Cest  an,  sans  que  point  je  l'oublie; 
Et  à  mon  povoir  me  tendray 
Entièrement  de  sa  partie; 
Je  n'ay  de  nulle  flour  envie, 
Porte  la  qui  porter  la  doit. 
Car  la  fleur,  que  mon  cueur  amoit 
F'ius  que  nulle  autre  créature, 
Est  hors  de  ce  monde  passée. 
Qui  son  amour  m'avoit  donnée, 
Comme  lors  fut  mon  aventure. 


Il  n'est  fueille,  ne  fleur  qui  dure 
Que  pour  un  temps,  car  espruuvée 
J'ay  la  chose  que  j'ay  contée 
Comme  lors  fut  mon  aventure. 


POEME    DE    LA    PillSON. 


BALLADE    LXH. 


Le  lendemain  du  premier  jour  de  May, 
Dedens  mon  lit  ainsi  que  je  dormoye, 
Au  point  du  jour  m'avint  que  je  songay 
<^)ue  devant  moy  une  fleur  je  véoye 
Qui  me  disoit  :  Amy,  je  me  souloye 
En  toy  fier,  car  pieçà  mon  party 
Tu  tenoies,  mais  mis  l'as  en  oubly, 
En  soustenant  la  fueille  contre  moy; 
J'ay  merveille  que  tu  veulx  faire  ainsi 
Riens  n'ay  méfiait,  se  pense  je,  vers  toy. 

Toutesbahy  alors  je  me  trouvay, 
Si  respondy,  au  mieulx  que  je  savoye  : 
Tresbelle  fleur,  oncques  je  ne  pensay 
Faire  chose  qui  desp!aire  te  doye  : 
Se,  pour  esbat,  Aventure  m'envoya 
Que  je  serve  la  fueille  cest  an  cy, 
Doy  je  pour  tant  estre  de  toy  banny? 
Nennil  certes,  je  fais  comme  je  doy 
Et  se  je  tiens  le  party  qu'ay  choisy, 
Riens  n'ay  méfiait,  ce  pense  je,  vers  toy. 

Car  non  pour  tant,  honneur  te  portera/ 
De  bon  vouloir,  quelque  part  que  je  soye, 
Tout  pour  l'amour  d'une  fleur  que  j'amay 
Ou  temps  passé.  Dieu  doint  que  je  la  voye 
En  Paradis,  après  ma  mort,  en  joye; 
Et  pource,  fleur,  chierement  je  te  pry. 
Ne  te  plains  plus,  car  cause  n'as  pourquoy, 
Puis  que  je  fais  ainsi  que  tenu  suy, 
Riens  n'ay  méfiait,  ce  pense  je,  vers  toy. 


CHARLES    D  ORLEANS.    I. 


82  CHARLES    D'oRLÉANS. 


La  venté  est  telle  que  je  dy, 
J'en  fais  juge  Amour,  le  puissant  Roy  ; 
TresJoulce  fleur,  point  ne  te  cry  mercy, 
Riens  n'ay  meffait,  se  pense  je,  vers  toy. 


BALLADE   LXIIL 

En  la  forest  d'Ennuyeuse  Tristesse, 
Un  jour  m'avint  qu'apar  mov  cheminoye, 
Si  rencontray  l'Amoureuse  Déesse 
(^ui  m'appella,  demandant  où  j'aloye. 
Je  respondy  que,  par  Fortune,  e-itoye 
Mis  en  exil  en  ce  bois,  long  temps  a, 
Et  qu'à  bon  droit  appeller  me  povoye 
L'omme  esgaré  qui  ne  scet  où  il  va. 

Et  sousriant,  par  sa  tresgrant  humblesse, 
Me  respondy  :  «  Amy,  se  je  savoye 
Pourquoy  tu  es  mis  en  ceste  destresse, 
A  mon  povoir  voulentiers  t'ayderoye  ; 
Car,  jà  pieçà,  je  mis  ton  cueur  en  voye 
De  tout  plaisir,  ne  sçay  qui  l'en  osta; 
Or  me  desplaist  qu'à  présent  je  te  voye 
L'omme  esgaré  qui  ne  scet  où  il  va. 

—  Helas!  dis  je,  souveraine  Princesse, 
Mon  fait  savez,  pourquoy  le  vous  diroye? 
C'est  par  la  Mort  qui  fait  à  tous  rudesse, 
Qui  m'a  toUu  celle  que  tant  amoye, 
En  qui  estoit  tout  l'espoir  que  j'avoye, 
Qui  meguidoit,  si  bien  m'acompaigna 
En  son  vivant  que  point  ne  me  trouvoye 
L'omme  esgaré  qui  ne  scet  où  il  va. 


POÈME    DE    LA    PRISON.  83 


Aveugle  suy,  ne  sçay  où  aler  doye; 
De  mon  baston,  affin  que  ne  forvoye, 
Je  vois  tastant  mon  chemin  çà  et  là; 
C'est  grant  pitié  qu'il  convient  que  je  soye 
L'omme  esgaré  qui  ne  scet  où  il  va. 


BALLADE    LXIV 


J'ay  esté  de  la  compaignie 
Des  amoureux  moult  longuement, 
Et  m'a  Amour,  dont  le  mercie, 
Donné  de  ses  biens  largement; 
Mais  au  derrain,  ne  sçay  comment, 
Mon  fait  est  venu  au  contraire; 
Et,  à  parler  ouvertement, 
Tout  est  rompu,  c'est  à  refaire. 

Certes,  je  ne  cuidoye  mie 
Qu'en  amer  eust  tel  changement; 
Car  chascun  dit  que  c'est  la  vie 
Où  il  a  plus  d'esbatement  ; 
Helas!  j'ay  trouvé  autrement; 
Car,  quant  en  l'amoureux  repaire 
Cuidoye  vivre  seurement, 
Tout  est  rompu,  c'est  à  reffaire 

Au  fort,  en  Amour  je  m'affie 
Qui  m'aidera  aucunement, 
Pour  l'amour  de  sa  seigneurie 
Que  j'ay  servie  loyaument; 
N'oncques  ne  fis,  par  mon  serment, 
Chose  qui  lui  doye  desplairc, 


§4  CHARLES    d'oRLÉANS. 

Et,  non  pourtant,  cstrangemcnt 
Tout  est  rompu,  c'est  à  refaire. 


ENVOI. 

Amour,  ordonnez  tellement 
Que  j'aye  cause  de  me  taire. 
Sans  plus  dire  de  cueur  dolent  : 
Tout  est  rompu,  c'est  à  reiîaire. 


BALLADE    LXV. 

Plaisant  Beauté  mon  cueur  nasvra, 
Jà  pieçà,  si  tresdurement 
Qu'en  la  fièvre  d'Amours  entra, 
Qui  l'a  tenu  moult  asprement; 
Mais,  de  nouvel,  présentement, 
Ung  bon  médecin  qu'on  appelle 
Non  Chaloir,  que  tiens  pour  amy. 
M'a  guery,  la  sienne  mercy. 
Se  la  playe  ne  renouvelle. 

Quant  mon  cueur  tout  sain  se  trouva, 
Il  l'en  mercia  grandement 
Et  humblement  lui  i-'emanda 
S'en  santé  seroit  longuement? 
Il  respondy  tressagement  : 
«  Mais  que  gardes  bien  ta  fourcellc 
Du  vent  d'Amours  qui  te  fery, 
Tu  es  en  bon  point  |u^qu'à  cy, 
Se  la  playe  ne  renouvelle. 

L'emhusche  de  Plaisir  entra 
Parmy  tes  yculx  soulivement; 
Jeunesse  le  mal  pourchassa, 


POÈME    DE     LA     PRISON.  85 

Qui  t'avoit  en  gouvernement 
Et  puis  bouta  privéement 
Dedans  ton  logis  l'estincelle 
D'Ardant  Désir  qui  tout  ardv; 
Lors  fus  nasvré,  or  t'ay  guery, 
Se  la  playe  ne  renouvelle. 


BALLADE  LXVL 


Le  beau  souleil,  le  jour  saint  Valentin 
Qui  apportoit  sa  chandelle  alumée, 
N'a  pas  long  temps,  entra  un  bien  matin 
Privéement  en  ma  chambre  fermée. 
Celle  clarté,  qu'il  avoit  apportée. 
Si  m'esveilla  du  somme  de  Soussy 
Où  j'avoye  toute  la  nuit  dormy 
Sur  le  dur  lit  d'Ennuieuse  Pensée. 

Ce  jour  aussi,  pour  partir  leur  butin 
Des  biens  d'Amours,  faisoient  assemblée 
Tous  les  oyseaulx,  qui  parlans  leur  latin, 
Crioyent  fort,  demandans  la  livrée 
Que  Nature  leur  avoit  ordonnée. 
C'estoit  d'un  per,  conime  chascun  choisy 
Si  ne  me  peu  rendormir,  pour  leur  cry, 
Sur  le  dur  lit  d'Ennuieuse  Pensée. 

Lors  en  moillant  de  larmes  mon  coessin, 
Je  regrettay  ma  dure  destinée. 
Disant  :  Oyseaulx  je  vous  voy  en  chemin 
De  tout  plaisir  et  joye  désirée; 
Chascun  de  vous  a  per  qui  lui  agrée, 
Et  point  n'en  ay,  car  Mort,  qui  m'a  trahy, 
A  prms  mon  per,  dont  en  ducil  je  languy 
Sur  le  dur  lit  d'Ennu'.euse  Pensée. 


86  CHARLES    d'oRLÉANS. 


Saint  Valentin  choisissent  ceste  année 
Ceulx  et  celles  de  l'amoureux  party; 
Seul  me  tendray,  de  Confort  desgarny, 
Sur  le  dur  lit  d'Ennuieuse  Pensée. 


BALLADE   LXVIL 

Mon  cueur  dormant  en  Non  Chaloir, 
Resveillicz  vous  joyeusement, 
Je  vous  fais  nouvelles  savoir, 
Qui  vous  doit  plaire  grandement; 
Il  est  vray  que  présentement 
Une  Dame  treshonnorée 
En  toute  bonne  renommée. 
Désire  de  vous  acheter. 
Dont  je  suy  joyculx  et  d'accort; 
Pour  vous,  son  cueur  me  veult  donner 
Sans  départir,  jusqu'à  la  mort 

Ce  change  doy  je  recevoir 
En  grant  gré,  tre^joyeuscmcnt: 
Or,  vous  charge  d'entier  po\oir 
Si  chier  et  ta  it  estroittement 
Que  je  puis,  plus  que  loyaumcnt 
Soit  par  vous  chérie  et  amée; 
Et,  en  tous  lieux,  nuit  et  journée 
L'acompaigniez,  sans  la  laissicr. 
Tant  que  j'en  aye  bon  rapport; 
Il  voLi^  convient  sien  demourer, 
Sans  départir,  jusqu'à  la  mort. 

Alez  vous  logier  ou  manoir 
De  son  tresgracicux  corps  gcnt, 


POÈME    DE    LA    PRISON.  8/ 

Pour  y  demeurer  main  et  soir, 
Et  l'onnourer  entièrement. 
Car,  par  son  bon  commandement, 
Lieutenant  vous  veult  ordonner 
De  son  cueur,  en  joyeulx  déport 
Pensés  de  bien  vous  gouverner, 
Sans  depjrtir,  jusqu'à  la  mort. 

BALLADE    LXVIIL 

Belle,  se  ne  m'osez  donner 
De  voz  doulx  baisiers  amoureux, 
Pour  paour  de  Dangier  courroucer, 
Qui  tousjours  est  fel  et  crueux; 
J'en  embleray  bien  ung  ou  deux; 
Mais  que  n'y  prenez  desplaisir 
Et  que  le  vueilliez  consentir, 
Maugré  Dangier  et  ses  consculx. 

De  ce  faulx  vilain  aveugler. 
Dieu  scet  se  j'en  suis  désireux; 
Nul  ne  le  peut  aprivoiser, 
Tous  temps  est  si  soupeçonneux 
Qu'en  penser  languist  dolorcux 
Quant  il  voit  Plaisance  venir; 
Mais  elle  se  scet  bien  chevir, 
Maugré  Dangier  et  ses  conseulx. 

Quant  estroit  la  cuide  garder, 
Hardy  Cueur,  secret  et  eureux, 
S'avecques  lui  scet  amener 
Avis  Bon  et  Aventureux, 
Desguisé  soubz  Maintien  Honteux, 
Bien  pevent  Dangier  endormir; 
Lors  PIai<;ance  fait  son  désir, 
Maugré  Dangier  et  ses  conseulx. 


CHARLES    D    ORLEANS. 


Bien  dessert  guerdon  plantureux 
Advis,  qui  scet  si  bien  servir 
Au  besoing  et  trouver  loisir, 
Maugré  Dangier  et  ses  conseulx. 


BALLADE     LXIX. 

J'ay  fait  l'obseque  de  ma  Dame 
DeJens  le  moustier  amoureux, 
Et  le  service  pour  son  aaie 
A  chanté  Penser  Doloreux; 
Mains  sierg^s  de  Soupirs  Piteux 
Ont  e^té  en  son  luminaire; 
Aussy  j'ay  fait  la  toiibe  faire 
De  iiegrcz,  tous  de  lermes  pains, 
Et  tout  en  tour,  moult  richement, 
Est  cscript  :  Cy  gist  vrayement 
Le  trésor  de  tous  biens  mondains. 

Dessus  elle,  gist  une  lame 
F.iictc  d'or  et  de  sallirs  bleux; 
Car  satlir  est  nomme  la  jame 
De  Loyauté,  et  l'or  cureux. 
Bien  lui  appartiennent  ces  deux  ; 
Car  Eur  et  Loyauté  pourtraire 
Voulu,  en  la  tresdcbonnaire. 
Dieu  qui  la  tist  de  ses  deux  mains 
Et  fourma  merveilleusement. 
C'estoit  ù  parler  plainement. 
Le  trésor  de  tous  biens  mondains. 

N'en  parlons  plus,  mon  cueur  se  pasme 
Quant  il  oyt  les  fais  vertueux 


POÈME    DE     LA     PRISON.  89 

D'elle  qui  estoit  sans  nul  blasme, 
Comme  jurent  celles  et  ceulx 
Qui  congnoissoyent  ses  conseulx; 
Si  croy  que  Dieu  la  voulu  traire 
Vers  lui,  pour  parer  son  repaire 
De  Paradis,  où  sont  les  saints; 
Car  c'est  d'elle  bel  parement, 
Que  l'en  nommoit  communément 
Le  trésor  de  tous  biens  mondains. 


De  riens  ne  servent  pleurs,  ne  plains; 
Tous  mourrons,  ou  tart  ou  brieUTient; 
Nul  ne  peut  garder  longuement 
Le  trésor  de  tous  biens  mondains. 


BALLADE    LXX. 

Puis  que  ISlort  a  prins  ma  maistresse, 
Que  sur  toutes  amer  souloye, 
Mourir  me  con  ient  en  tristesse, 
Certes  plus  vi  re  ne  pourroye. 
Pource,  par  deftaulte  de  joye 
Tresmalade,  mon  testament 
J'ay  mis  en  escript  doloreux, 
Lequel  je  présente  humblement 
Devant  tous  loyaulx  amoureux. 

Premièrement,  à  la  haultesse 
Du  Dieu  d'Amours  donne  et  envoyé 
Mon  esperit,  et  en  humblesse 
Lui  supplie  qu'il  le  convoya 
En  son  Paradis  et  pourvoye; 


go  CHARLES    D    ORLEANS. 

Car  je  jure  que  loyaument 
L'a  servi  de  vueil  désireux  ; 
Advouer  le  puis  vrayement 
Devant  tous  loyaulx  amoureux. 

Oultre  plus,  vueil  que  la  richesse 
Des  biens  d'Amours  qu'avoir  souloye 
Départie  soit,  à  largesse, 
A  vrais  amans,  et  ne  vouldroye 
Que  fa ulx  amans,  par  nulle  voye, 
En  eussent  part  aucunement; 
Oncques  n'euz  amistié  à  eulx  ; 
Je  le  prans  sur  mon  sauvement 
Devant  tous  loyaulx  amoureux 


Sans  espargnier  or,  ne  monnoye, 
Loyaulté  veult  qu'enterré  soye 
En  sa  chapelle  grandement; 
Dont  je  me  tiens  pour  bien  eureux, 
Et  l'en  mcrcie  chicrement 
Devant  tous  loyaulx  amoureux. 


BALLADE    LXXL 

J'oy  estrangement 
Plusieurs  gens  parler, 
Qui  trop  mollement 
Se  plaingncnt  d'amer; 
Car,  iegierement. 
Sans  paine  porter, 
Vouldroient,  briefmcnt, 
A  fin  amener 


POKME    DE    LA    PRISON.  QI 

Tout  leur  pensement. 

C'est  fait  follement 
D'ainsi  désirer; 
Car  qui  loyaument 
Veulent  acquester 
Bon  guerdonnement, 
Maint  mal  endurer 
Leur  fault,  et  souvent 
A  rebours  trouver 
Tout  leur  pensement. 

S'Amour  humblement 
Veulent  honnourer, 
Et  soingneusement 
Servir,  sans  faulser; 
Des  biens  largement 
Leur  fera  donner; 
Mais,  premièrement, 
Il  vcult  esprouver 
Tout  leur  pensement» 


:,2  CHARLES    D    OIU.KANS. 


SONGE    EN    COMPLAINTE. 


Après  le  jour  qui  est  fait  pour  traveil, 
Ensuit  la  nuit  pour  repos  ordonnée  ; 
Pource,  m'avintque  chargié  de  sommeil 
Je  me  trouvay  moult  fort,  une  vesprée, 
Pour  la  peine  que  j'avoye  portée 
Le  jour  devant,  si  lis  mon  appareil 
De  me  couchier,  sitost  que  le  souleil 
Je  vy  retrait  et  sa  clarté  mussée. 

Quant  couchié  fu,  de  legier  m'endormy, 
Et  en  dormant,  ainù  que  je  songoye, 
Advis  me  fu  que,  devant  moy,  je  vy 
Ung  vieil  homme  que  point  ne  congnoissoye  ; 
Et  non  pour  tant,  autretl'oiz  veu  l'avoye, 
Ce  me  sembla,  si  me  trouvay  marry 
Que  j'avoye  son  nom  mis  en  oubly, 
Et,  pour  honte,  parler  à  lui  n'osoye. 

Un  peu  se  teut,  et  puis  m'araisonna. 
Disant  :  «  Amy,  n'avez  vous  de  moy  cure? 
Je  suis  Aage  qui  lettres  apporta 
A  Enfance,  de  par  Dame  Nature, 
Quant  lui  chargcay  que  plus  la  nourriture 
N'auroit  de  vous  ;  alors  vous  délivra 
A.  Jeunesse,  qui  gouverné  vous  a 
Moult  longuement,  sans  raison  et  mesure. 

Or  est  ainsi   que  Raison,  qui  sur  tous 
Doit  gouverner,  a  fait  tresgrant  complainte 
A  Nature,  de  Jeunesse  et  de  vous, 
Disant  qu'avez  tous  deux  fait  faulte  mainte. 
Avisez  vous,  ce  n'est  pas  chose  fainte  ; 


POÈME    DE    LA    PRISON.  9^ 

Car  Vieillesse,  la  mère  de  courrous, 
Qui  tout  abat  et  amaine  au  dessoubz, 
Vous  donnera  dedens  brief  une  atainte. 

Au  derrenier,  ne  la  povez  fuir. 
Si  vous  fault  mieulx,  tantdis  qu'avez  Jeunesse, 
A  vostre  honneur  de  Folie  partir, 
Vous  esloingnant  de  l'amoureuse  adresse; 
Car,  en  descort  sont  Amours  et  Vieillesse: 
Nul  ne  les  peut  à  leur  gré  bien  servir. 
Amour  vous  doit  pour  excusé  tenir, 
Puisque  la  Mort  a  prins  vostre  maistresse. 

Et  tout  ainsi  qu'assés  est  avenant 
A  jeunes  gens,  en  l'amoureuse  voye 
De  temps  passer,  c'est  aussi  mal  séant 
Quant  en  amours  un  vieil  homme  foUoye  ; 
Chascun  s'en  rit,  disant  :  Dieu  qu'elle  joye! 
Ce  foui  vieillart  veult  devenir  enfant! 
Jeunes  et  vieulx  du  doy  le  vont  monstrant, 
Moquerie  par  tous  lieux  le  convoyé. 

A  vostre  honneur  povez  Amours  laisser 
Eh  jeune  temps,  comme  par  Nonchalance: 
Lors  ne  pourra  nul  de  vous  raconter. 
Que  l'ayez  fait  par  faulte  de  Puissance; 
Et  dira  l'en  que  c'est  par  Desplaisance 
Que  ne  voulés  en  autre  lieu  amer, 
Puisqu'est  morte  vostre  Dame  sansper, 
Dont  loyaument  gardez  la  souvenance. 

Au  Dieu  d'amours  requérez  humblement 
Qu'il  lui  plaise  de  reprandre  l'ommage 
Que  lui  feistes,  par  son  commandement, 
Vous  rebaillant  vostre  cueur  qu'a  en  gage, 
iMerciez  le  des  biens  qu'en  son  servage 
Avez  reccuz  ;  lors  gracieusement 
Départirez  de  son  gouvernement, 
A  grant  honneur  comme  loyal  et  sage. 


94  CHARLES     d'oRLÉANS. 

Puis  requerés  à  tous  les  amoureux 
Que  chascun  d'eulx  tout  ouvertement  die 
Se  vous  avez  riens  failly  envers  eulx, 
Tant  que  suivy  avez  leur  compaignie, 
Et  que  par  eulx  soit  la  faulte  punie  ; 
Leur  requérant  pardon  de  cueur  piteux, 
Car  de  servir  esties  désireux 
Amours,  et  tous  ceulx  de  sa  seigneurie. 

Ainsi  pourrez  départir  du  povoir 
Du  Dieu  d'Amours,  sans  avoir  charge  aucune. 
C'est  mon  conseil,  faittes  vostre  vouloir, 
Mais  gardez  vous  que  ne  croiez  Fortune 
Qui  de  flater  est  à  chascun  commune  ; 
Car  tousjours  dit  qu'on  doit  avoir  espoir 
De  mieulx  avoir,  mais  c'est  pour  décevoir. 
Je  ne  congnois  plus  faulse  soubz  la  lune. 

Je  sçay  trop  bien,  s'escouter  la  voulez 
Et  son  conseil  plus  que  le  mien  eslire, 
Elle  dira  que,  s'Amours  délaissiez. 
Vous  ne  povez  mieulx  vostre  cueur  dcstruire; 
Car  vous  n'aurés  lors  à  quoy  vous  déduire, 
Et  tout  plaisir  à  nonchaloir  mettrès, 
Ainsi,  le  temps  en  grant  ennuy  perdrés, 
Qui  pis  vauldra  que  l'amoureux  martire. 

Et  puis  après,  pour  vous  donner  confort, 
Vous  promettra  que  recevrez  amende 
De  tous  les  m:iulx  qu'avez  soufFers  à  tort, 
Et  que  c'est  droit  qu'aucun  guerdon  vous  rende; 
Mais  il  n'est  nul  qui  à  elle  s'atende. 
Qui  tost  ou  tard  ne  soit,  je  m'en  fais  fort, 
D'elle  deceu,  à  vous  je  m'en  raport; 
Si  pry  à  Dieu  que  d'elle  vous  deffende.  » 

En  tressaillant,  sur  ce  point  m'esveillay, 
Tremblant  ainsi  que  sur  l'arbre  la  fueille. 
Disant  :  Helas  !  oncques  mais  ne  songay 


POÈME    DE    LA     PRISON.  yS 

Chose  dont  tant  mon  povre  cueur  se  dueille  , 

Car,  s'il  est  vray  que  Nature  me  vueille 

Abandonner,  je  ne  sçay  que  feray  ; 

A  Vieillesse  tenir  pié  ne  pourray, 

Mais  convendra  que  tout  ennuy  m'accueille. 

Et  non  pour  tant,  le  vieil  homme  qu'ay  veu 
En  mon  dormant,  lequel  Aage  s'appelle, 
Si  m'a  dit  vray;  car  j'ay  bien  aperceu 
Que  Vieillesse  veult  emprandre  querelle 
Encontre  moy;  ce  m'est  dure  nouvelle 
Et  jà  soit  ce  qu'à  présent  suy  pourveu 
De  jeunesse,  sans  me  trouver  recreu. 
Ce  n'est  que  sens  de  me  pourveoir  contr'elle. 

A  celle  fin  que  quant  vendra  vers  moy, 
Je  ne  soye  despourveu  comme  nice; 
C'est  pour  le  mieulx,  s'avant  je  mepourvoy, 
Et  trouvcray  Vieillesse  plus  propice, 
Quant  congnoistra  qu'ay  laissé  tout  office 
Pour  la  suir;  alors,  en  bonne  foy 
Recommandé  m'aura,  comme  je  croy, 
Et  moins  soussy  auray  en  s")n  service. 

Si  suis  content,  sans  changier  désormais; 
Et  pour  tousjours  entièrement  propose 
De  renoncer  à  tous  amoureux  fais  ; 
Car  il  est  temps  que  mon  cueur  se  repose. 
Mes  yeulx  cligniez  et  mon  oreille  close 
Tendray,  afin  que  n'y  entrent  jamais, 
Par  Plaisance,  les  amoureux  atrais; 
Tant  les  congnois  qu'en  eux  fier  ne  m'ose. 

Qui  bien  se  veult  garder  d'amoureux  tours, 
Quant  en  repos  sent  que  son  cueur  sommeille. 
Garde  ses  yeulx  emprisonnez  tousjours  ; 
S'ils  eschappent,  ilz  crient  en  l'oreille 
Du  cueur  qui  dort,  tant  qu'il  fault  qu'il  s'esvci'.le, 
Et  ne  cessent  de  lui  parler  d'Amours, 


1)6  CHARLES    d'ORLÉANS. 

Disans  qu'ilz  ont  souvent  hanté  ses  cours, 
Où  ilz  ont  veu  plaisance  nompareille. 

Je  sçay  par  cueur  ce  mestier  bien  à  plain, 
Et  m'a  longtemps  esté  si  agréable 
Qu'il  me  sembloit  qu'il  n'estoit  bien  mondain 
Fors  en  Amours,  ne  riens  si  honnorable. 
Je  trouvoye,  par  maint  conte  notable, 
Comment  Amour,  par  son  povoir  haultain, 
A  avancié  comme  roy  souverain, 
Ses  serviteurs  en  estât  proutfitable. 

Mais  en  ce  temp-;,  ne  congnoissoye  pas 
La  grant  doleur  qu'il  convient  que  soustiengne 
Un  povre  cueur,  pris  es  amoureux  hs; 
Depuis  l'ay  sceu,  bien  sçay  à  quoy  m'en  tiengne, 
J'ay  grant  cause  que  tousjours  m'en  soaviengne; 
Or  en  suis  hors,  mon  cueur  en  est  tout  las, 
Il  ne  veult  plus  d'Amours  passer  le  pa^, 
Pour  bien  ou  mal  que  jamais  lui  adviengne. 

Pource  tantost,  sans  plus  prendre  respit, 
Escrire  vueil,  en  forme  de  requeste, 
Tout  mon  estât,  comme  devant  est  dit; 
Et  quant  j'auray  fait  ma  cedule  preste. 
Porter  la  vueil  à  la  première  feste 
Qu'Amours  tendra,  lui  monstrant  par  escript 
Les  maulx  qu'ay  euz  et  le  peu  de  prouffit 
En  poursuivant  l'amoureuse  conqueste. 

Ainsi  d'Amours,  devant  tous  les  amans, 
Prandray  congié  en  honneste  manière, 
En  estouppant  la  bouche  aux  mesdisans 
Qui  ont  langue  pour  mesdire  legiere, 
Et  requerray,  par  treshumble  prière, 
Qu'il  me  quitte  de  tous  les  convenans 
Que  je  luy  fis,  quant  l'un  de  ses  servans 
Devins  pieçà  de  vo-ilenté  entière. 

Et  reprendra/  hors  de  ses  mains  mon  cueur, 


rOÈME    DE    LA    PRISON  y7 

Que  i'engagay  par  obligacion, 

Pour  plus  seurté  d'estre  son  serviteur, 

Sans  faintise,  o  i  excursacion, 

Et  puis,  après  recommandacion, 

Jedelairay,  à  mon  tresgrant  honneur, 

A  jeunes  gens  qui  sont  en  leur  verdeur 

Tous  fais  d'Amours  par  resignacion. 


LA    REQUESTE 

Aux  excellens  et  puissans  en  noblesse. 
Dieu  Ciipido  et  Venus  la  déesse. 

Supplie  présentement. 

Humblement, 
Charles,  le  duc  d'Orlians 
Qui  a  esté  longuement, 

Ligement 
L'un  de  voz  obéissans, 
Et  entre  les  vraiz  amans, 

Vos  servans, 
A  despendu  largement 
Le  temps  de  ses  jeunes  ans, 

Tresplaisans, 
Avons  servir  loyaumcnt, 
Qu'il  vous  plaise  regarder 

Et  passer 
Geste  requesK'  présente, 
Sans  la  \ouloir  rcluscr; 

Mais  penser 
Que  d'umble  vueil  la  présente 

CHARLES    u'oiiLtANS.    1.  7 


o8  CHARLES    d'oRLÉANS. 

A  vous  par  loyalle  entente, 

En  attente 
De  vostic  grâce  trouver, 
Car  sa  fortune  dolente 

Le  tourmente 
Et  le  contraint  de  parler. 
Comme  ainsi  soit  que  la  Mort, 

A  grant  tort, 
En  droitte  Heur  de  jeunesse 
Lui  ait  o:ité  son  déport, 

Son  ressort. 
Sa  seule  Dame  et  liesse. 
Dont  a  fait  veu  et  promesse, 

Par  dcstressc, 
Desespoir  et  desconfort, 
Que  jamais  n'aura  Princesse, 

Ne  maistresse. 
Car  son  cueur  en  est  d'accort. 
Et  pource  que  jà  picçà 

Vous  jura 
De  vous  loyaumcnt  servir. 
Et  en  gage  vous  laissa 

ht  donna 
Son  cucur,  par  loyal  dcsir. 
11  vient  pour  vous  requérir 

Que  tenir 
Le  vucilliez,  tant  qu'il  vivra, 
Escusé;  car  sans  faillir, 

Pour  mourir, 
Plus  amoureux  ne  sera. 
Et  lui  vueilliezdouicemcnt, 

Franchement, 
Rebailiier  son  povre  cucur, 
En  lui  quittant  son  serment, 

'rcllcmcnt 


POÈME    DE    LA    PRISON.  y(j. 

Qu'il  se  parte,  à  son  honneur. 
De  vous,  car  bon  serviteur, 

Sans  couleur, 
Vous  a  esté  vrayement; 
Monstrez  lui  quelque  faveur, 

En  doulceur. 
Au  moins  à  son  partement. 
A  Bonne  Foy  que  tenez 

Et  nommez 
Vostre  principal  notaire, 
Estroictement  ordonnez 

Et  mandez. 
Sur  peine  de  vous  desplaire, 
Qu'il  vueille,  sans  delay  traire, 

Lettre  faire. 
En  laquelle  affermerez 
Que  congié  de  soy  retraire. 

Sans  forfaire, 

Audit  cueur  donné  avez; 

Afin  que  le  suppliant, 

Cy  devant 
Nommé,  la  puisse  garder 
Pour  sa  descharge  et  garant. 

En  monstrant 
Que  nul  ne  le  doit  hla^mer, 
S'Amours  a  voulu  laissier; 

Car  d'amer 
N'eut  oncque  puis  son  talant 
Que  Mort  lui  voulut  oster 

La  nomper 
Qui  fust  au  monde  vivant. 
Et  s'il  vous  plaist  faire  ainsi 

Que  je  dy. 
Ledit  suppliant  sera 
AUegié  de  son  soussy  ; 


100  CHAULES     D    ORLEANS. 

Et  ennuy 
D'avec  son  cueur  bannira; 
Et  après,  tant  que  vivra, 

Priera 
Pour  vous,  sans  mettre  en  oubly 
La  grâce  qu'il  recevra 

Et  aura, 
Par  vostre  bonne  mercy. 


poemè:   de   la    prison. 

LA    DESPARTIE    D'AMOURS 
En    ballades. 

BALLADE    I. 


Quant  vint  à  la  prochaine  teste 
Qu'Amours  tenoit  son  Parlement, 
Je  lui  presentay  ma  requeste 
Laquelle  leut  tresdoulcement. 
Et  puis  me  dist  :  «  Je  suy  dolent 
Du  mal  qui  vous  est  avenu , 
Mais  il  n'a  nul  recouvrement, 
Quant  la  Mort  a  son  cop  féru. 

Eslongnez  hors  de  vostre  teste 
Vostre  douloreux  pensement, 
Monstrez  vous  homme   non  pas  beste, 
Faittes  que,  sans  empeschement, 
Ait  en  vous  le  gouvernement 
Raison,  qui  souvent  a  pourveu 
En  maint  meschief  tre^sagement, 
Quant  la  Mort  a  son  cop  fcru. 

Reprenez  nouvelle  conqueste, 
Je  vous  aideray  tellement 
Que  vous  trouvères  Dame  preste 
De  vous  amer  tresloyaument, 
Qui  de  biens  aura  largement  ; 
D'elle  serez  amy  tenu  : 
Je  n'y  voy  autre  amendement, 
Quant  la  Mort  a  son  cop  t'eru.  » 


cil  ARLES    D    ORLEANS. 


BALLADE    II. 

«  Helas!  sire,  pardonnez  moy^ 
Se  dis  je,  car,  toute  ma  vie, 
Je  vous  asseure  par  ma  foy, 
Jamais  n'auray  Dame,  n'amie; 
Plaisance  s'est  de  moy  partie 
Qui  m'a  de  Liesse  forclos, 
N'en  parlez  plus,  je  vous  supplie, 
Je  suis  bien  loings  de  ce  pourpos. 

Quant  ces  parolles  de  vous  oy. 
Vous  m'essaies  ,  (ne  laittcs  mye  ;) 
A  vous  dire  vray,  je  le  croy  ; 
Ou  ce  n'est  dit  qu'en  moquerie. 
Ce  me  seroit  trop  grant  folie, 
Quant  demourcr  puis  en  repos, 
De  rcprandre  merencolie, 
Je  suis  bien  loings  de  ce  pourpos. 

Acquittié  me  sui,  com  ne  doy, 
Vers  vous  et  vostre  seigneurie. 
Désormais  me  vueil  tenir  coy. 
Pouice,  de  vostre  courtoisie. 
Accordez  moy,  je  vous  en  prie, 
Ma  requeste;  car  à  bricfs  mos, 
De  plus  amer,  quoy  que  nul  dye, 
Je  suis  bien  loings  de  ce  pourpos.  » 

BALLADE     II!. 

Amour  congnu  bien  que  j'estoye 
En  ce  pourpos,  sans  changement, 
Pource  respondy  :  «  Je  voulJioye 
Que  voulsissiez  faire  autrement, 


POEME    DE     LA     PRISON. 

Et  me  servir  plus  longuement, 
Mais  je  voy  bien  que  ne  voulés, 
Si  vous  accorde  franchement 
La  requeste  que  faitte  avés. 

Escondire  ne  vous  pourroye, 
Car  servy  m'avez  loyaumcnt, 
N'onques  ne  vous  trouvay  en  voye, 
N'en  voulenté  aucunement 
De  rompre  le  loyal  serment 
Que  me  feiste,  comme  savés; 
Ainsi  le  compte  largement 
La  requeste  que  faitte  avcs. 

Et  afin  que  tout  chacun  voye 
Que  de  vous  je  suis  tre^contcnt, 
Une  quittance  vous  octrove, 
Passée  par  mon  Parle:nent, 
Qui  relaissera  plaincmcnt 
L'ommage  que  vous  me  dcvcs, 
Comme  contient  ouvertement 
La  requeste  que  faitte  avcs     » 

BALLADE     IV. 

Tantost  Amour,  en  grant  array, 
Fist  assembler  son  Parlement. 
En  plai::  conseil  mon  faitcontay, 
Por  congié  et  commandement  ; 
Là  fust  passée  plainement 
La  quittance  que  demandoye, 
Baillée  me  fut  franchement, 
l'our  en  faire  ce  que  vouldroye. 

Oui  re  plus,  mon  cueur  demanday 
Qu'Amour  avoit  eu  longuement, 
Car  en  gage  le  lui  baillay, 


I04  CHARLES    d'oRLÉANS. 

Quant  je  me  mis  premièrement 
En  son  service  ligement  ; 
Il  me  dist  que  je  le  rauroye, 
Sans  refuser  aucunement, 
Pour  en  laire  ce  que  vouldroye, 
A  deux  genoilz  m'agenoillay, 
Merciant  Amour  humblement 
Qji  tira  mon  cueur,  sans  delay, 
Hors  d'un  escrin  privéement. 
Le  me  baillant  courtoisement, 
Lyé  en  un  noir  drap  de  soye; 
En  mon  sain  le  mist  doulcement. 
Pour  en  faire  ce  que  vouldroye. 


COPIE    DE    LA    QUITTANCE    DESSUS    DITTK. 

Sachent  presens  et  avenir, 
Que  nous.  Amours,  par  Franc  Désir 
Conseilliez,  sans  nulle  contrainte. 
Après  qu'avons  oy  la  plainte 
De  Charles,  le  duc  d'Orlians, 
Qui  a  esté,  par  plusieurs  ans, 
Nostre  vray  loyal  serviteur 
Rebaillié  lui  avons  son  cueur 
Qu'il  nous  bailla,  pieçà,  en  gage. 
Et  le  serment,  foy  et  hommage, 
Qu'il  nous  devoit  quittié  avons 
Et  pa   ces  pre>entcs  quittons. 
Oultre  plus,  faisons  assavoir. 
Et  certifhons,  pour  tout  voir, 
Pour  estoupper  aux  mesdisans 
La  bouche,  qui  trop  sont  nuisans, 
Qu'il  ne  part  de  nostre  service 


POÈME    DE    LA    PRISON.  I05 

Par  deffaulte,  forfait  ou  vice. 
Mais  seulement  la  cause  est  telle  : 
Vray  est  que  la  Mort  trop  craelle 
A  tort  lui  est  venu  oster 
Celle  que  tant  souloit  amer, 
Qui  estoit  sa  Dame  et  maistresse, 
S'amie,  son  bien,  sa  léesse; 
Et  pour  sa  loyaulté  garder, 
Il  veult  désormais  ressembler 
A  la  loyalle  turterelle 
Qui  seule  se  tient,  apar  elle, 
Après  qu'elle  a  perdu  son  pcr. 
Si  lui  avons  voulu  donner 
Congié  du  tout  de  soy  retraire 
Hors  de  nostre  court,  sans  lonaire. 
Fait  par  bon  conseil  et  advis 
De  nos  subgiez  et  vrais  amis, 
En  nostre  présent  Parlement 
Que  nous  tenons  nouvellement  : 
En  tesmoing  de  ce  avons  mis 
Nostre  scel,  plaqué  et  assis. 
En  ceste  présente  quittance, 
Escripte  par  nostre  ordonnance, 
Presens  mains  notables  recors, 
Le  jour  de  la  Feste  des  Mors, 
L'an  mil  quatre  cent  trente  et  sept, 
Ou  chastel  de  Plaisant  Recept. 

BALLADE     V. 

Quant  i'euz  mon  cueur  et  ma  quittance, 
Ma  voulenté  fut  assouvie. 
Et  non  pour  tant,  pour  l'acointance 
Qu'avoye  de  la  seigneurie 


I06  CHARLES     d'oRLÉANS. 

D'Amour  et  de  sa  compaignie, 
Quant  vins  à  conj,Mc  demander, 
Trop  mal  me  list  la  départie 
Et  ne  cessoye  de  pleurer 

Amour  vit  bien  ma  contenance, 
Si  me  dist  :  «  Amy,  je  vous  prie. 
S'il  est  riens  dessoubz  ma  puissance 
Que  vueilliez,  ne  l'espargniez  mie.  » 
Tant  plain  fu  de  merencolie. 
Que  je  ne  peuz  à  lui  parler 
Une  paroUe  ne  demye, 
Et  ne  cessoye  de  pleurer. 

Ainsi  party  en  desplaisance 
D'Amour,  faisant  chiere  marrie. 
Et  comme  tout  ravy  en  trance, 
Prins  congié,  sans  que  plus  mot  dye. 
A  Confort  dist  qu'il  me  conduye. 
Car  je  ne  m'en  savoye  aler, 
J'avoye  la  veue  esbluyc 
Et  ne  cessoye  de  plourcr. 


BALLADE    VI. 

Confort,  me  prenant  pir  la  main. 
Hors  de  la  porte  me  convoyé  ; 
Car  Amour,  le  Roy  souverain. 
Lui  chargea  moy  monstrer  la  voye 
Pour  aler  où  je  desiroye; 
C'estoit  vers  l'ancien  manoir 
Oij  en  enffance  demouroye, 
Que  l'en  appelle  Nonchaloir. 

A  Confort  dis  :  «  Jusqu'à  demain 
Ne  me  laissiez,  car  je  pourroye 
Me  forvoier,  pour  tout  certain, 


POÈME    DE    LA    PRISON.  IO7 

Par  desplai  ir,  vers  la  saussoye 
Où  est  Vieillesse  rabat  joye; 
Se  nous  travaillons  fort  ce  soir, 
Tost  serons  au  lieu  que  vouldroye, 
■Que  l'en  appelle  Nonchaloir.  » 

Tant  cheminasmes  qu'au  derrain 
Veismes  la  place  que  queroye; 
•Quant  de  la  porte  fu  prouchain, 
Le  portier  qu'assez  congnoissoye, 
5i  tost  comme  je  l'appeiloye, 
Nous  receut,  disant  que  pour  voir 
Ou  dit  lieu  bien  venu  estoye, 
Que  l'en  appelle  Nonchaloir. 


BALLADE     VII. 

Le  gouverneur  de  la  maison 
Qui  Passe  Temps  se  fait  nommer, 
Me  dist  :  «  Amy,  ceste  saison 
Vous  plaist  il  céans  séjourne;-?  » 
Je  respondy  qu'à  brief  parler, 
Se  lui  plaisoit  ma  compaignie, 
Co  tcnt  estoye  de  passer 
Avecques  lui  tcute  ma  vie. 

Et  lui  racontay  l'achoison 
Qui  me  fist  Amour  delaissier; 
Il  me  dist  qu'avoye  raison, 
Quant  eut  veu  ma  qui'tance  au  cler, 
Que  je  lui  baillay  à  garder; 
Aussi  de  ce  me  remercie 
Que  je  vouloie  dcmourcr 
Avecques  lui  toute  ma  vie. 

Le  lendemain  lettres  t  ison 
A  Confort  baiilay  à  porter 


I08  CHARLES    d'oRLÉANS. 

D'umble  recommandacion, 
Et  le  rcnvoyay  sans  tarder 
Vers  Amou'-,  pour  lui  raconter 
Que  Passe  Temps,  à  chicre  lye, 
M'avoit  rcceu  pour  reposer 
Avecques  lui  toute  ma  vie. 


A   tresnoble ,  hault    et  puissant  seigneur 
Amour,  Prince  de  mondaine  doulceiir. 

Tresexcellent,  treshault  et  noble  prince, 
Trespuissant  Roy  e  i  chascune  province, 
Si  humblement  que  se  pe.it  serviteur 
Recommander  à  son  maistre  et  seigneur, 
Me  recommande  à  vous,  tant  que  je  puis, 
Et  vous  plaise  savoir  que  tousjours  suis 
Tresdesirant  oïr  souvent  nouvel  es 
De  vostre  estât,  que  Dieu  doint  estre  telles 
Et  si  bonnes  comme  je  le  désire, 
Plus  que  ne  sçay  raconter  ou  escrire; 
Dont  vous  suppli  que  me  faittes  sentir 
Par  tous  venans,  s'il  vous  vient  à  plaisir; 
Car  d'en  oïr  en  bien  et  en  honneur, 
Ce  me  sera  parfaitte  joye  au  cueur. 
Et  s'il  plaisoit  à  votre  seigneurie 
Vouloir  oïr,  par  sa  grant  courtoisie. 
De  mon  estât,  je  suis  en  tresbon  point. 
Joyeux  de  cueur,  car  soussy  n'ay  je  point  ; 
Et  Passe  Temps,  ou  lieu  de  Nonchaloir, 
M'a  retenu  pour  avec  lui  manoir 
Et  séjourner,  tant  comme  me  plaira, 
Jusques  à  tant  que  Vieillesse  vendra, 
Car  lors  fauldra  qu'avec  elle  m'en  voise 


POÈME    DE    LA    PRISON.  1 09 

Fincr  mes  jours.  Ce  penser  fort  me  poise 
D-'ss.is  le  CLieur,  quant  j'en  ay  souvenance, 
Mais,  Dieu  mercy,  loing  suis  de  sa  puissance, 
Présentement  je  ne  la  crains  en  riens, 
N'e  1  son  dangier  aucunement  me  tiens. 
En  oultrc  plus,  sachiés  que  vous  renvoya 
Confort,  qui  m'a  conduit  la  droite  voye 
Vers  Nonchaloir,  dont  je  vous  remercie 
De  sa  bonne,  joyeuse  compaignie, 
En  ce  fait,  à  vostre  commandement, 
De  bon  vouloir  et  tressoingneusement  ; 
Auq   el  vueilliez  donner  foy  et  fiance 
En  ce  que  lui  ay  chargié,  en  créance, 
De  vous  dire  plus  plainement  de  bouche. 
Vous  suppliant  qu'en  tout  ce  qui  me  touche, 
Bien  à  loisir,  le  vueilliez  escouter, 
Et  vous  plaise  me  vouloir  pardonner 
Se  je  n'escris  devers  vostre  Excellence, 
Comme  je  doy,  en  telle  révérence 
Qu'il  appartient,  car  c'est  par  Non  Savoir 
Qui  destourbe  d'acomplir  mon  vouloir. 
En  oultre  plus,  vous  requérant  mercy. 
Je  congnois  bien  que  grandement  failly, 
Quant  me  party  derrainement  de  vous, 
Car  j'estoye  si  rampli  de  courrons 
Que  je  ne  peu  un  mot  à  vous  parler, 
Ne  mon  congié,  au  partir,  demander. 
Avecques  ce,  humblement  vous  mercie 
Des  biens  qu'ay  euz  soubz  vostre  seigneurie. 
Autre  chose  n'escris,  quant  à  présent. 
Fors  que  je  pry  à  Dieu,  le  Tout  Puissant, 
Qu'il  vous  ottroit  honneur  et  longue  vie, 
Et  que  puissiez  tousjours  la  compaignie 
De  taul.K  Dangier  surmonter  et  délia  ire, 
Qui  en  tous  temps  vous  a  esté  contraire. 


CHARLES    d'oRLÉANS. 


Escript  ce  jour  troisiesme,  vers  le  soir, 
En  novembre,  ou  lieu  de  Nonchaloir. 
Le  bien  vostre,  Charles  duc  d'Orlians, 
Qui  jadis  fut  l'un  de  voz  vrais  servans. 


BALLADE     VIII. 


Balades,  chançons  et  complaintes 
Sont  pour  moy  mises  en  oubly. 
Car  Knnuy  et  pensées  maintes 
M'ont  tenu  long  temps  cnJormy. 
Non  pour  tant,  pour  passer  Soussy» 
Essayer  vue  il  se  je  sauroye 
Rimer,  ainsi  que  je  souloye. 
Au  moms  j'en  feray  mon  povoir. 
Combien  que  je  congnois  et  sçay 
Que  mon  langage  trouveray 
Tout  enroiliié  de  Nonchaloir. 

Plaisans  parolles  sont  estaintes 
En  moy  qui  deviens  rassoty  ; 
Au  fort,  je  vendray  aux  attaintes. 
Quant  Beau  Parler  m'aura  failly. 
Pourquoy  pry  ceulx  qui  m'ont  oy 
Langagier,  quant  pieçà  j'es:oye 
Jeune,  nouvel  et  plain  de  joye, 
Que  vueillent  excusé  m'avoir. 
Oncques  mais  je  ne  me  trouvay 
Si  rude,  car  je  suis,  pour  vray. 
Tout  enroiliié  de  Nonchaloir. 

Amoureux  ont  parolles  paintes 
Et  languge  frais  et  joly; 
Plaisance  dont  ilz  sont  accointes 
Parle  pour  eu!x;  en  ce  party 
J'ay  esté,  or  n'est  plus  ainsy; 


POÈME    DE    LA     PRISON. 

Alors,  de  Beau  Parler  trouvoye 
A  bon  marchié  tant  que  vouloye; 
Si  ay  despendu  mon  savoir, 
Et  s'un  peu  espargné  en  ay. 
Il  est,  quant  vendra  à  l'essay, 
Tout  enroillic  de  Nonchaloir. 


Mon  Jubilé  faire  devroye, 
Mais  on  diroit  que  me  rendroye 
Sans  coup  ferir,  car  Bon  Espoir 
M'a  dit  que  renouvelleray  ; 
Pource,  mon  cueur  fourbir  feray 
Tout  enroillié  de  iNoncaaloir. 


BALLADE     IX. 

L'emplastre  de  Nonchaloir 
Que  sus  mon  cueur  pieçà  mis, 
M'agucri.  pour  dire  voir, 
Si  nettement  que  je  s^is 
En  bon  point,  ne  je  ne  puis 
Plus  avoir,  jour  de  ma  vie, 
L'amoureuse  maladie. 

Si  font  mes  yeulx  leur  povoir 
D'espier  par  le  pays, 
S'ilz  pourroyent  plus  veoir 
Plaisant  Beauté,  qui  jadis 
Fut  l'un  de  mes  ennemis. 
Et  mist  en  ma  compaignie 
L'amoureuse  maladie. 

Mes  yeux  lense  main  et  soir, 
Mais  ilz  sont  si  treshastis. 


CHARLES    D   ORLEANS. 

Et  trop  plains  de  leur  vouloir! 
Au  fort,  je  les  metz  au  pis, 
Facent  selon  leur  advis; 
Plus  ne  crains,  dont  Dieu  mercie, 
L'amoureuse  maladie. 


Quant  je  voy  en  doleur  pris 
Les  amoureux,  je  m'en  ris; 
Car  je  tiens,  pour  grant  folie, 
L'amoureuse  maladie. 


BALLADES 


BALLADE    l. 

Mon  cueur  m'a  fait  commandement 
De  venir  vers  vostre  jeunesse, 
Belle  que  j'ayme  loyaunient, 
Comme  doy  faire  ma  Princesse. 
Se  vous  demandes  pour  quoy  esse  ? 
C  est  pour  savoir  quant  vous  plaira 
Alegier  sa  dure  destresse. 
Ma  Dame,  le  sauray  je  jà? 

Di*^tcs  le,  par  vostre  serment; 
Je  vous  fais  leale  promesse 
Nul  ne  le  saura,  seulement 
Fors  que  lui,  pour  avoir  léesse; 
Or  lui  monstres  qu'estes  maistresse, 
Et  lui  mandez  qu'il  guérira; 
Ou  s'il  doit  morir  de  destresse, 
Ma  Dame,  le  sauray  je  j\? 

Penser  ne  pourroit  nullement 
Que  la  douleur  qui  tant  le  blesse 
Ne  vous  desplaise  aucunement; 
Or  faittes  donc  tant  qu'elle  cesse, 
Et  le  remettes  en  l'adresse 
D'Espoir,  dont  il  party  pieçù  ; 
Respondez  sans  que  plus  vous  presse, 
Ma  Dame,  le  sauray  je  jà? 

CHARLES    d'o.ILÉANS.    I. 


114  CI1AKI.es    D    ORLEANS. 


BALLADE   IL 


Je  meurs  de  soif,  en  cousté  la  fontaine; 
Tremblant  de  froit  ou  feu  des  amo'jreux; 
Aveugle  suis,  et  si  les  autres  maine  ; 
Povre  de  sens,  entre  saichins,  l'un  d'eulx; 
Trop  négligent,  en  vain  souvent  ■soigneux; 
C'est  de  mon  fait  une  chose  faiée, 
En  bien  et  mal  par  fortune  men4e. 

Je  gaingne  temps,  et  pers  mainte  ??pmaiiie; 
Je  joue  et  ris,  quant  me  sens  douloreax; 
De^plaisance  j'ay  d'espérance  plaine  ; 
J'attens  bon  eur  en  regret  angoisseux; 
Riens  ne  me  plaist,  et  si  suis  désireux; 
Je  m'esjoïs,  et  cource  à  ma  pensée, 
En  bien  et  mal  par  fortune  menée. 

Je  parle  trop,  et  me  tais  à  grant  paine  ; 
Je  m'esbays,  et  si  suis  courageux; 
Tristesse  tient  mon  confort  en  demaine, 
Faillir  ne  puis,  au  moins  à  l'un  des  deux; 
Bonne  chiere  je  faiz  quant  je  me  deulx; 
Maladie  m'est  en  santé  donnée, 
En  bien  et  mal  par  fortune  menée. 

ENVOI, 

Prince,  je  dy  que  mon  fait  maleureus 
Et  mon  prouffit  aussi  avantageux, 
Sur  ung  hasart  j'asscrray  qui-'lque  année, 
En  bien  et  mal  par  fortune  menée. 


BALLADES.  Il5 


BALLADE   IIL 


Comment  voy  j^  ses  Anglois  eshays! 
Resjoys  toy,  franc  royaume  de  France. 
On  apparçoit  que  de  Dieu  sont  hays, 
Puis  qu'ilz  n'ont  plus  couraige  ne  puissance. 
Bien  pcnsoient,  par  leur  oukrecuidancC; 
Toy  surmonter  et  tenir  en  servaige, 
Et  ont  tenu  à  tort  ton  heritaige. 
Mais  à  présent  Dieu  pour  toy  se  combat 
Et  se  monstre  du  tout  de  ta  partie, 
Leurgrant  orgueil  entièrement  abat, 
Et  t'a  rendu  Guyenne  et  Normandie. 

Quant  les  Anglois  as  pieça  envays, 
Rien  n'y  valoit  ton  sens  ne  ta  vaillance. 
Lors  estoies  ainsi  que  fut  Tays 
Pécheresse  qui,  pour  faire  penance, 
Enclouse  fut  par  divine  ordonnance. 
Ainsi  as  tu  esté  en  reclusaige 
De  Desconfort,  et  douleur  de  Couraige. 
Et  les  Anglois  menoient  leur  sabat 
En  grans  pompes,  baubans  et  tirannie. 
Or,  a  tourné  Dieu  ton  dueil  en  esbat, 
Et  t'a  rendu  Guyenne  et  Normandie. 

N'ont  pas  Anglois  souvent  leurs  Rois  traysl 
Certes  ouil,  tous  en  ont  congnoissance; 
Et  encore  le  Roy  de  leur  pays 
.'^st  maintenant  en  doubteuse  balance; 
D'en  parler  mal,  chascun  Anglois  s'avance; 
Assez  monstrent,  par  leur  mauvais  langaige, 
Que  voulentiers  lui  feroient  oultraige. 
Qui  sera  Roy  entr'eux  est  grant  desbat; 


Il6  CHARLES    d'ORLÉANS. 

Fource,  France,  que  veulx  tu  que  te  dyc!* 
De  sa  verge  Dieu  les  punist  et  bat 
Et  t'a  rendu  Guyenne  et  Normendie. 


ENVOI    AU    PRINCE. 

Roy  des  Françoys,  gaigné  as  l'advantaige, 
Parfaiz  ton  jeu,  comme  vaillant  et  saige, 
Maintenant  l'as  plus  belle  qu'au  rabat. 
De  ton  bon  eur,  France,  Dieu  remercie; 
Fortune  en  bien  avecques  toi  s'embat 
Et  t'a  rendu  Guyenne  et  Normandie. 


BALLADE     IV. 

On  parle  de  religion 
Qui  est  d'estroicte  gouvernance, 
Et  par  aidant  devocion, 
Portent  mainte  dure  penance; 
Mais,  ain;i  que  j'ay  congnoissance, 
Et  selon  mon  entencion. 
Entre  tous  j'ay  compassion 
Des  amoureux  de  l'observance. 

Tou'^jours  par  contemplacion 
Tiennent  leurs  cueurs  raviz  en  transe, 
Pour  venir  par  perfection 
Au  hault  Paradis  de  Plaisance; 
Chault,  froit,  soif  et  fain  d'espérance 
SeufT.  ent  en  mainte  nacion; 
Telle  est  la  conversacion 
Des  amoureux  de  l'o'. -ervance. 

Piez  nuz,  de  Con«o!acion 
Quierent  l'aumosne  ;  d'alej;cance 


BALLADES.  II7 


Or  ne  veulent  ne  pension, 
Fors  de  Pitié;  povre  pitance, 
En  bissacs  plains  de  Souvenance, 
Pour  leur  simple  provision! 
N'est  ce  saincte  conJicion 
Des  amoureux  de  l'observance? 


Des  bigotz  ne  quiers  l'accointance, 
Ne  loue  leur  oppinion, 
Mais  me  tiens,  par  affection, 
Des  amoureux  de  l'observance. 


OBLIGATION    DE  VAILLANT. 


Présent  le  notaire  d' Amours, 
Sans  alléguer  decepcion, 
En  renonçant  tous  ctroij  d'Amours, 
Constunie,  loy,  condicion. 
De  tresléalle  entencion 
A  vous  servir,  sans  me  douloir, 
Passe  ceste  obligacion 
Soubj  le  scel  de  voslre  vouloir. 

De  cueur,  corps,  biens,  sans  nul  recours, 
Vous  fais  renunciacion, 
Presens,  advenir,  à  tousjours  ; 
Et  vous  met^  en  possession. 
Ne  nulle  part,  ne  porcion 
N'y  aura;  et,  pour  mieulx  valoir. 
Le  jure  en  ma  dampnacinn 
Soubj  le  scel  de  vostre  vouloir. 


Il8  CHARLES    D'oRLÉANS. 

Et  quant  je  feray  le  rebours, 
Pour  recevoir  piinicion, 
Me  soiibjmet^,  sans  estre  ressours, 
A  vostre  juridiction  ; 
Et  à  bon  droit  et  action, 
Pourrej  de  vostre  plain  povoir 
Me  mettre  à  execiicion 
Soubj  lescel  de  vostre  vouloir. 

ENVOI. 

En  l'an  de  ma  grant  passion. 
Mettant  toutes  à  nonchaloir, 
Feis  ceste  presentacion, 
Soubj  le  scel  de  vostre  voulyir. 

Vidimus  de  la  dit  te   obligation 
par  le  duc  d'Orléans. 

A  ceulx  qui  verront  ces  présentes, 
Le  bailli  d'Amoureux  E>po'r 
Salut  plain  de  bonnes  ententes. 
Mandons  et  faisons  assavoir 
Qae  le  tabellion  Devoir, 
Juré  des  centraux  en  amours, 
A  veu  nouvellement,  à  Tours, 
De  Vaillant  l'obligacion 
Entière  de  bien  vraye  sorte, 
Dont  en  fait  la  relacion, 
Ainsi  que  ce  vidimus  porte. 

A  double  queue,  par  patentes, 
En  cire  vert,  pour  dire  voir. 
Oblige,  soubzmettant  ses  rentes. 


BALLADES.  l  UJ- 

Cueur,  corps  et  biens,  sans  décevoir, 
Soubz  le  seau  d'autruy  vouloir, 
Pour  recouvrer  Joyeux  Secours, 
Qu'il  a  desservy  par  mains  jours; 
Faisant  ratilïîcacion, 
Ledit  notaire  le  rapporte 
Par  sa  certifficacion. 
Ainsi  que  ce  vidimus  porte. 

Et  deust  il  mett  e  tout  en  ventes, 
Deî  biens  qu'il  pourra  recevoir, 
Veult  paier  ses  debtes  contentes, 
Tant  qu'on  pourra  apparcevoir 
Qu'il  tera  trop  plus  que  povoir, 
Combien  qu'ait  eu  d'estranges  tours 
Qui  lui  sont  venuz  à  rebours; 
En  soit  faitte  informacion. 
Car  à  Léaulte  se  conforte 
Qu'en  fera  la  probacion, 
Ainsi  que  ce  vidimus  porte. 

ENVOI. 

Pour  plus  abreviacion. 
De  l'an  et  jour  je  me  déporte, 
On  en  voit  declaracion, 
Ainsi  que  ce  vidimus  porte. 


Entendit  de  la  ditle  obligation  par  maistre 
Jehan  Caillau. 

Intendit.  Le  nommé  Vaillant 
Qui  fait  ceste  obligacion 
Vous  resigne  tout  son  vaillant, 


120  CHARLES    D   ORLEANS. 

Par  simple  resignacion 

Ne  ne  fait  supplicacion 

De  puerredoii,  pour  mieiilx  valoir  ; 

Fors  tout  à  vostre  oppinion, 

Souby  le  scel  de  vostre  vouloir. 

Lequel,  d'estoc  et  de  taillant, 
Endure  mainte  passion 
D'Amours,  qui  le  vont  assaillant; 
Mais  soubj  dissimulacion, 
Porte  sa  tribulacion, 
Faisant  semblant  de  non  doloir, 
Actendant  doulce  pension, 
Souby  le  scel  de  vostre  vouloir. 

Pour  ce,  ne  doit  estre  /aillant 
A  la  rcnunieracion, 
Car,  s'il  y  estoit  défaillant, 
Ce  serait  sa  perdicion  ; 
Et,  par  Dieu,  a;  bon  champion 
Ne  devej  mettra.'  à  nonchaloir ; 
Sifaittes  qu'ait  provision, 
Soub^  le  scel  de  vostre  vouloir. 


J'en  parle  par  compacion, 
Mais  grant  bien  lui  deve^  vouloir. 
Puis  que  met  son  entencion 
Soubj  le  sceau  de  vostre  vouloir. 


BALLADE     V. 


En  la  forest  de  longue  attente, 
Chevauchant  par  divers  sentiers 


BALL.iDES.  121 

M'en  voys,  ceste  année  présente, 

Ou  voyage  de  DesiM;rs. 

Devant  sont  allez  mes  '"nurriers 

Pour  apnareiller  mon  logis 

En  la  Cit2  de  Destinée; 

Et  pour  mon  cueur  et  moy  ont  pris 

L'ostellerie  de  Pen^ée. 

Je  mayne  des  chevaulx  quarente 
E'  autant  pour  mes  officiers, 
Voire,  par  Dieu,  plus  de  soixante, 
Sans  les  bagaiges  et  sommiers. 
Loger  nous  fauldra  par  quar  iers, 
Se  les  hostelz  sont  trop  petis 
Toutelioiz  pour  une  \esprée 
En  ^ré  prendray,  soit  mieulx  ou  pis, 
L'ostellerie  de  Pensée. 

Je  despens  chascun  jour  ma  rente 
En  maintz  travaulx  avanturiers, 
Dont  est  Fortune  mal  contente 
Qui  soutient  contre  moy  Dangiers; 
Mais  Espoirs,  s'ilz  sont  droicturiers 
Et  tiennent  ce  qu'ilz  m'ont  promis, 
Je  pense  taire  telle  armée, 
Qu'auiay,  maigre  mes  ennemis, 
L'ostellerie  de  Pejisée. 


Prince,  vray  Dieu  de  paradis, 
Vostre  grâce  me  soit  donnée, 
Telle  que  treuve  à  mon  devis, 
L'ostellerie  de  Pensée. 


CHARLES     D    OltLEANS. 


BALLADE    VL 

Je  cuide  que  ce  sont  nouvelles, 
J'oy  nouveau  bruit,  et  qu'est  ce  là? 
Helas?  pourroy  je  savoir  d'elles 
Quelque  chose  qui  me  plaira. 
Car  j'ay  désiré,  long  temps  a, 
Qu'Espoir  m'estraynast  de  liesse, 
Je  ne  sçay  pas  qu'il  en  fera. 
Le  beau  menteur  plain  de  promesse^ 

Silz  ne  sont  ou  bonnes  ou  belles, 
Au  fort,  mon  cueur  endurera, 
En  attendant  d'avoir  ce  celles 
Que  Bon  Eur  lui  apportera, 
Lt  de  l'endormye  beuvra 
De  Nonchaloir;  en  sa  détresse, 
Espoir  plus  ne  l'esveiKera, 
Le  beau  menteur  plain  de  promesse. 

Pource  mon  cueur,  se  tu  me  celles- 
Reconfort,  quant  vers  toy  vendra, 
Tu  feras  mal,  car  tes  querelles 
J'ay  gardées,  or  y  perra  ; 
Adviengne  qu'avenir  pourrai 
Je  suis  gouverné  par  Vieillesse, 
Qui  de  legier  n'escoutera 
Le  beau  menteur  plain  de  promesse. 


Ma  bouche  plus  n'en  parlera, 
Raison  sera  d'elle  maistresse  ; 
Mais  au  derrain,  blasmé  sera 
Le  beau  menteur  plain  de  promesse. 


BALLADES.  12^ 


BALLADE    VIL 


N'a  pas  longtemps  qu'escoutoye  parler 
Ung  amoureux,  qui  disoit  à  s'amye  : 
«  De  mon  estât  plaise  vous  ordonner, 
Sans  me  laissier  ainsi  finer  ma  vie; 
Je  meurs  pour  vous,  je  le  vous  certiffie.  » 
Lors  respondit,  la  plaisante  aux  doulx  yeulx  : 
«  Assez  le  cro/,  dont  je  vous  remercie. 
Que  m'aymez  bien,  et  vous  encores  mieulx. 

11  ne  fault  jà  vostre  pousse  taster  ; 
Fièvre  n'avez  que  de  merencolie, 
Vostre  orine  ne  aussi  regarder; 
Tost  se  garist  legiere  maladie, 
Medicine  devez  prendre  d'Oublye  ; 
D'autres  ay  veu  trop  pis,  en  j^lasieurs  lieux, 
Que  vous  n'estes,  et,  pource,  je  vous  prie 
Que  m'aymez  bien,  et  vous  encores  mieulx. 

Je  ne  vueil  pas  de  ce  vous  destourber 
Que  ne  m'amiez  de  vostre  courtoysie; 
Mais  que  pour  moy  doycz  mort  endurer, 
De  le  croire  ce  me  seroit  folye  ; 
Pensez  de  vous,  et  faittes  ciiiere  lye; 
J'en  ay  ouy  parler  assez  de  tieulx 
Qui  sont  tous  sains,  quoyque  point  ne  desnye 
Que  m'armez  bien,  et  vous  encores  mieulx. 


Tclz  bcaulx  parlers  ne  sont  en  compaignie 
Qu'esbatcmens,  entre  jeunes  et  vieulx  ; 
Contente  suis,  combien  que  je  m'en  rye, 
Que  m'aymez  bien,  et  vous  encores  mieulx.  » 


124  CHARLES    D   ORLÉANS. 


BALLADE    VIII. 


Portant  harnoys  rouillé  de  Nonchaloir, 
Sus  monture  foulée  de  Foibiesse, 
Mal  abillé  de  Désireux  Vouloir, 
On  m'a  croizé,  aux  montres  de  Liesse, 
Comme  cassé  des  gaiges  de  Jeunesse; 
Je  ne  congnois  où  je  puisse  servir; 
L'arriereban  a  fait  crier  Vieillesse, 
Las!  fauldra  il  son  soudart  devenir  ? 

Le  bien  que  puis  avecques  elle  avoir 
N'est  que  d'un  peu  d'atrcmpée  sagesse; 
En  lieu  de  ce,  me  fauldra  recevoir 
Ennuy,  Soussy,  Desplaisir  et  Destresse; 
Par  Dieu  !  Bon  Temps,  mal  me  tenez  promesse, 
Vous  me  deviez  contre  elle  soustenir, 
Et  je  voy  bien  qu'elle  sera  maistresse, 
Las!  fauldra  il  son  soudart  devenir? 

Foibles  jambes  porteront  Bon  Vouloir, 
Puis  qu'ainsi  est  endurant  en  humbles ie. 
Prenant  confort  d'un  bien  joyeulx  espoir. 
Quant,  Dieu  mercy,  Maladie  ne  presse. 
Mais  loing  se  tient,  et  mo  i  corps  point  ne  blesse; 
(^est  ung  trésor  que  doy  bien  chier  tenir, 
Vcu  que  la  fin  de  menasser  ne  cesse, 
Las!  fauldra  il  son  soudart  devenir? 


Prince,  je  dy  que  c'est  peu  de  richesse 
De  ce  monde  ne  de  tout  son  plaisir  : 
La  mort  départ  ce  qu'on  tient  à  largesse, 
Las!  fauldra  il  son  soudart  devenir? 


BALLADES.  123 


BALLADE    IX. 


Dieu  vueille  sauver  ma  gaiée 
Qu'ay  chargée  de  marchauJise 
De  mainte  diverse  pensée 
En  pris  de  Loyaulté  assise  ; 
Destourbée  ne  soit,  ne  prise 
Des  robeurs,  escumeurs  de  mer! 
Vent,  ne  marée  ne  luy  nuyse, 
A  bien  aler  et  retourner  ! 

A  Confort  l'ay  recommandée, 
Qu'il  en  face  tout  à  sa  guise, 
Et  pencarte  lui  ay  baillée 
Qui  d'estranges  pays  devise, 
Affin  que  dedens  il  advise 
A  quel  port  pourra  arriver, 
Et  le  chemin  à  chois  eslise, 
A  bien  aler  et  retourner. 

Pour  acquicter  joye  empruntée, 
L'envoyé,  sans  espargner  mise, 
Riche  devendray,  quelque  année. 
Se  mon  entente  n'est  surprise; 
Conscience  n'auray  reprise 
De  gaing  à  tort,  au  paraler, 
En  eur  viengne  mon  entreprise, 
A  bien  aler  et  retourner. 


Prince,  se  maulx  Fortune  atise. 
Sagement  s'y  fault  gouverner  : 
Le  droit  chemin  jamais  ne  brise, 
A  bien  aler  et  retourner. 


J26  CIIAUI.KS     d'oui.  ÉANS. 

BALLADE    X. 


Ha!  Dieu  d'Amours,  où  m'avez  vous  logié! 
Tout  droit  ou  trait  de  Désir  et  Plaisance, 
Où,  de  le.^ier,  je  puis  cstre  blecic 
Par  Doulx  Regart  et  Plaisant  Atraiance, 
Jusqu'à  la  mort,  dont  trop  suis  en  doubtance  ; 
Pour  moy  couvrir  prestez  moy  ung  pavaiz, 
Desarmé  suis,  car  pieçà  mon  harnaiz 
Je  le  vendy,  par  le  conseil  d'Oiseuse, 
Comme  lassé  de  la  guerre  amoureuse. 

Vous  savez  bien  que  me  suis  esloingné, 
Dès  long  temps  a,  d'amoureuse  vaillance, 
Où  i'estoye  moult  fort  embesoingné, 
Quant  m'aviez  en  vostre  gouvernance. 
Or  en  suis  hors.  Dieu  me  doint  la  puissance 
De  me  garder  que  n'y  rentre  jamais; 
Car,  quant  congneu  j'ay  les  amoureux  faiz, 
Retrait  me  suis  de  vie  si  peneuse. 
Comme  lassé  de  la  guerre  amoureuse. 

Et  non  pourtant,  j'ay  esté  advisé 
Que  Bel  Acueil  a  fait  grant  aliance 
Encontre  moy,  et  qu'il  est  embuschié 
Pour  me  prendre,  s'il  peut,  par  decevance. 
Ung  de  ses  gens,  appelle  Acointance, 
M'assault  tousjours;  mais  souvent  je  me  taiz, 
Monstrant  semblant  que  je  ne  quiers  que  paiz, 
Sans  me  bouter  en  paine  dangereuse. 
Comme  lassé  de  la  guerre  amoureuse. 


BALLADES.  127 


Voisent  faire  jeunes  gens  leurs  essaiz, 
Car  reposer  je  me  vueil  do^ormaiz; 
Plus  cure  n'ay  de  pensée  soingneuse, 
Comme  Jassé  de  la  guerre  amoureuse. 


BALLADE    XL 

Yeulx  rougis,  plains  de  piteux  pleurs, 
Fourcelle  d'espoir  refFroidie, 
Teste  enrumée  de  douleurs, 
Et  troublée  de  frénésie, 
Corps  perclus  sans  plaisance  lie, 
■Cueur  du  tout  pausmc  en  rigueurs, 
Voy  souvent  avoir  à  plusieurs 
Par  le  vent  de  merencolie. 

Migraine  de  plaingnans  ardeurs, 
Transe  de  sommeil  mipartie, 
Fièvre  frissonnans  de  maleurs, 
Chault  ardant  fort  en  rêverie, 
Soif  que  Confort  ne  rassasie, 
Dueil  baigné  en  froides  sueurs, 
Bégayant  et  changeant  couleurs. 
Par  le  vent  de  merencolie. 

Toute  tourmentant  en  langueurs. 
Colique  de  forcenerie, 
Gravelle  de  soings  assailleurs, 
Rage  de  désirant  folie, 
Anuys  enfîans  d'ydropisie, 
Maulx  éthiques  aussi  ailleurs 
Assourdissent  les  escouteurs, 
Par  le  vent  de  merencolie. 


IzS  CHARLES    d' ORLÉANS. 


Guerîr  ne  se  peut  maladie 
Par  phisique,  ne  cireurgic, 
AstrononiLins    n'enchantcurs, 
Des  maulx  que  seufTrent  povres  cueurs 
Par  le  vent  de  merencolie. 


BALLADE  XIL 

Ce  que  l'ueil  despend  en  plaisir, 
Le  cueur  Tachette  chierement, 
Et,  quant  vient  à  compte  tenir, 
Raison,  président  sagement. 
Demande  pour  quoy  et  comment 
Est  despendue  la  richesse 
Dont  Amours  deppart  largement. 
Sans  grant  espargne  de  liesse. 

Lors  respond  Amoureux  Désir  : 
Amours  me  fist  commandement 
De  Joyeuse  Vie  servir, 
Et  obéir  entièrement  ; 
Et,  s'ay  f  lilly  aucunement. 
On  n'en  doit  blasmer  que  Jeunesse 
Qui  m'a  fait  ouvrer  sotement. 
Sans  grant  espargne  de  liesse. 

Pas  ne  mourray  sans  repentir. 
Car  je  m'en  repens  grandement; 
Ticuvé  m'y  suis  pis  que  martir, 
Souffrant  maint  doloureux  tourment; 
Désormais  en  gouvernement 
Me  metz  et  es  mains  de  Vieillesse, 


BALLADES.  l2() 

Bien  sçay  qu'y  vivray  soubrement. 
Sans  grant  espargne  de  liesse. 


Le  temps  passe  comme  le  vent, 
Il  n'est  si  beau  jeu  qui  ne  cesse, 
En  tout  tault  avoir  finement, 
Sans  grant  espargne  de  liesse. 


BALLADE    XIU. 

Je,  qui  suis  Fortune  nommée, 
Demande  la  raison  pourquoy 
On  me  donne  la  renommée 
Qu'on  ne  se  puet  fier  en  moy 
Et  n'ay  ne  fermeté  ne  foy  ? 
Car,  quant  aucuns  en  mes  mains  prens^ 
D'en  bas  je  les  monte  en  haultesse 
Et  d'en  hault  en  bas  les  descens, 
Monstrantque  suis  Dame  et  maistresse. 

En  ce,  je  suis  à  ton:  blasmée, . 
Tenant  l'usage  de  ma  loy 
Que  de  long  temps  m'a  ordonnée 
Dieu,  sur  tous  le  souverain  Roy, 
Pour  donner  au  monde  chastoy. 
Et,  se  de  mes  biens  je  despens 
Souventesfoiz,  à  grant  largesse, 
Quant  bon  me  semble,  les  suspens, 
Monstrant  que  suis  Dame  et  maistresse. 

C'est  ma  manière  acoustumée, 
Chascun  le  scet,  comme  je  croy, 
Et  n'est  pas  nouvelle  trouvée, 

Cr  ARLES    D'oriLÉANS.    I.  9 


|30  CHARLES    d'oRLÉANS. 

Mais,  fays  ainsi  comme  je  doy. 
Me  mocquant,  je  les  montre  au  doy 
Tous  ceulx  qui  en  sont  mal  contens  ; 
En  gré  prcgnent  joye  ou  destressc, 
Qu'ayent  l'un  des  deux  me  consens, 
Monstrant  que  suis  Dame  et  maistresse. 


Sur  ce,  s'advise  qui  a  sens, 
Soit  en  jeunesse  ou  en  vieillesse, 
Et  qui  ne  m'entenr,  je  m'entens, 
Monstrant  que  suis  Dame  et  maistresse. 


BALLADE    XIV. 

Fortune,  je  vous  oy  complaindre 
Qu'on  vous  donne  renom,  à  tort, 
De  savoir  et  aider  et  faindre, 
Donnant  plaisir  et  desconfort; 
C'est  vray,  et,  encore  plus  fort, 
Souventesfoiz,  contre  raison, 
Boutez  de  hault  plusieurs  en  bas, 
Et  de  bas  en  hault;  telz  debas 
Vous  usez  en  vostre  maison. 

Bien  savez  de  Plaisance  paindre 
Et  d'Espoir,  quand  prenez  depport, 
Après  effacer  et  destaindre 
Toute  joye,  sans  nul  support, 
Et  mener  à  douloureux  port, 
Ne  vous  chault  en  quelle  saison. 
Jamais  vous  n'ouvrez  par  compas; 
Beaucoup  pis  que  je  ne  dy  pas 
Vous  usez  en  vostre  maison. 


BALLADES.  I  3  I' 

Pour  Dieu,  vueilliez  vous  en  refFraindre^ 
Affin  qu'on  ne  face  rapport, 
Qui  vouldra  vostre  fait  attaindre, 
Que  vous  soyez  digne  de  mort. 
Vosti-e. manière  chascun  mort. 
Plus  qu'autre,  sans  comparaison; 
Qui  regarde  par  tous  estas, 
Anuy  et  meschief,  à  grant  tas, 
Vous  usez  en  vostre  maison. 


Ne  jouez  plus  de  vostre  sort. 
Car  trop  le  passez  oultre  bort, 
Se  gens  ne  laissiez  en  pais,  on 
Appellera  les  advocas, 
Qui  plaideront  que  tresfaulx  cas 
Vous  en  usez  en  vostre  maison. 


BALLADE   XV. 


Or  ça,  puisque  il  faut  que  responJe, 
Moy,  Fortune,  je  parleray: 
Si  grant  n'est,  ne  puissant  ou  monde, 
A  qui  bien  parler  n'ozeray. 
J'ay  fait,  faiz  encore,  et  feray 
Ainsi  que  bon  me  semblera 
De  ceulx  qui  sont  soubz  ma  puissance; 
Parle  qui  parler  en  vouldra. 
Je  n'en  feray  qu'à  ma  plaisance. 

Quant  les  biens,  qui  sont  en  la  ronde. 
Sont  miens,  et  je  les  doniieray 
Par  grant  largesse,  dont  j'abonde, 


[32  CHARLES    d'oRLÉANS. 

Et  après  je  les  rcprendray, 
Certes,  à  nul  tort  ne  feray. 
Qui  esse  qui  m'en  blasmera? 
Je  l'ay  ainsi  d'acoustumance. 
En  gré  le  preignc  qui  pourra, 
Je  n'en  fcray  qu'à  ma  plaisance. 

En  raison  jamais  ne  me  fonde, 
Mais  mon  vouloir  accompliray; 
Les  aucuns  convient  que  confonde, 
Et  les  autres  avanceray  ; 
Mon  propos  souvent  changeray, 
En  plusieurs  lieux,  puis  çà,  puis  là, 
Sans  règle  ne  sans  ordonnance. 
Où  est  il  qui  m'en  gardera? 
Je  n'en  feray  qu'à  ma  plaisance. 


On  cscript  :  Tant  qu'il  nous  plaira, 
Es  lettres  des  seigneurs  de  Franje  ; 
Pareillement  de  moy  sera, 
Je  n'en  feray  qu'à  ma  plaisance. 


BALLADE    XVI. 

EscoUier  de  Merencolie, 
A  l'estuJe  je  suis  venu, 
I^ettrcs  de  mon  iame  clergie 
Espelant  atout  ung  festu, 
Et  moult  tort  m'y  treuve  esperdu. 
Lire  n'es:ripre  ne  s:ay  mye, 
Des  verges  de  Soussy  batu, 
Es  dcrreniers  jours  de  ma  vie. 


BALLADES.  133 

Pieçà,  en  jeunesse  Heurie, 
Quant  de  vif  entendement  fu, 
J'eusse  apris  en  heure  et  demye 
Plus  qu'à  présent  ;  tant  ay  vesqu 
Que  d'engin  je  me  sens  vaincu; 
On  me  deust  bien,  sans  flaterie, 
Chastier  despoillic  tout  nu, 
Es  derreniers  jours  de  ma  vie. 

Que  voulez  vous  que  je  vous  die? 
Je  suis  pour  ung  asnyer  tenu, 
Banny  de  Bonne  Compaignie, 
Et  de  Nonchaloir  rerenu 
Pour  le  servir.  11  est  conclu, 
Qui  vouldra,  pour  moy  cstiidie, 
Trop  tart  je  m'y  suis  entendu, 
Es  derreniers  jours  de  ma  vie. 


Se  j'ay  mon  temps  mal  despendu» 
Fait  l'ay,  par  conseil  de  Folye; 
Je  m'en  sens  et  m'en  suis  sentu. 
Es  derreniers  jours  de  ma  vie. 


BALLADE    XVH. 

L'autre  jour  tenoit  son  conseil, 
En  la  chambre  de  ma  pensée. 
Mon  cueur  qui  faisoit  appareil 
De  deffence  contre  l'armée 
De  Fortune  mal  advisée 
Qui  guerryer  vouloit  Espoir, 
Se  sagement  n'est  reboutée, 


|34  CHARLES    d'oRLÉANS. 

Par  bon  Eur  et  Loyal  Vouloir. 

Il  n'est  chose  soubz  le  souleil 
Qui  tant  doit  estre  désirée 
Que  Paix;  c'est  le  don  non  pareil 
Dont  Grâce  fait  toujours  livrée 
A  sa  gent  qu'a  recommandée  ; 
Fol  est  qui  ne  la  veult  avoir, 
Quant  elle  est  offerte  et  donnée 
Par  Bon  Eur  et  Loyal  Vouloir. 

Pour  Dieu,  laissons  dormir  Traveilj 
Ce  monde  n'a  gueres  durée, 
Et  Paine,  tant  qu'elle  a  sommeil, 
Souffrons  que  prengne  reposée. 
Qui  une  foiz  l'a  esprouvée 
La  doit  fuyr,  de  son  povoir, 
Par  tout  doit  estre  déboutée, 
Par  Bon  Eur  et  Loyal  Vouloir. 


Dieu  nous  doint  bonne  destinée, 
Et  chascun  face  son  devoir, 
Ainsi  ne  sera  redoubtée 
Par  Bon  Eur  et  Loyal  Vouloir. 


BALLADE    XVIIL 

En  la  chambre  de  ma  pensée, 
Quant  j'ay  visité  mes  trésors, 
Maintesfoiz  la  treuve  estorfée 
Richement  de  plaisans  confors. 
A  mon  cueur  je  conseille  lors 
Qu'y  prenons  no^fre  demourée, 


BALLADES.  iJ^ 

Et  que  par  nous  soit  bien  gardée 
Contre  tous  ennuyeux  rappors. 

Car  Desplaisance  maieurée 
Essaye  souvent  ses  effors, 
Pour  la  conquester  par  emblée 
tt  nous  bouter  tous  deux  dehors; 
Se  Dieu  plaist,  assez  sommes  fors 
Pour  bien  tost  rompre  son  armée, 
Se  d'Espoir  banverc  est  portée 
Contre  tous  cnnuveux  rappors. 

L'inventoire  j'ay  re.i^ardée 
De  noz  meubles,  en  biens  et  corps; 
De  legier  ne  sera  gastée, 
Et  si  ne  ferons  à  nulz  tors. 
Mieux  aymerions  estre  mors, 
Mon  cueur  et  moy,  que  couroucée 
Fust  Raison  sage  et  redoubtée. 
Contre  tous  ennuyeux  rappors. 


Demeurons  tous  en  bons  accors, 
Pour  parvenir  à  joyeux  pors: 
Ou  monde  qui  a  peu  durée, 
Soustenons  Paix  la  bien  amée 
Contre  tous  ennuyeux  rappors. 


BALLADE    XIX. 

Je  n'ay  plus  soif,  tairie  est  la  fontaine; 
Bien  eschauffé,  sans  le  feu  amoureux; 
Je  vois  bien  cler,  jà  ne  fault  qu'on  me  marne; 
Folie  et  Sens  me  gouvernent  tous  deux; 


J  30  CHARLES    d'oRLÉANS. 

En  Nonchaloir  resveille  sommeilleux; 
C'est  de  mon  fait  une  chose  mcslée, 
Ne  bien,  ne  mal,  d'aventure  menée. 

Je  gaingne  et  pars,  mescontant  par  scpmaine  ; 
Ris,  Jeux,  Deduiz,  je  ne  tiens  compte  d'culx; 
Espoir  et  Dueil  me  mettent  hors  d'alaine; 
Eur,  me  flatent,  si  m'est  trop  rigoreux; 
Dont  vient  cela  que  je  riz  et  me  dcuLi  ? 
Esse  par  sens,  ou  folie  esprouvée? 
Ne  bien,  ne  mal,  d'aventure  menée? 

Guerdonné  suis  de  malheureuse  estraine; 
En  combatant,  je  me  rens  couraigeux. 
Joye  et  Soussy  m'ont  miz  en  leur  demaine; 
Tout  desconfit,  me  tiens  au  ranc  des  preux; 
Qui  me  saroit  desnoer  tous  ses  neux  ? 
Teste  d'acier  y  fauldroit  fort  armée, 
Ne  bien,  ne  mal,  d'aventure  menée. 

ENVOI    AU    PRINCE. 

Vieillesse  fait  me  jouera  telz  jeux, 
Perdre  et  gaingner,  et  tout  par  ses  conseulx; 
A  la  faille  j'ay  joué  ceste  année. 
Ne  bien,  ne  mal,  d'aventure  menée. 


BALLADE     XX. 


Pourquoy  m'as  tu  vendu,  Jeunesse, 
A  grant  marchié,  comme  pour  rien, 
Es  mains  de  ma  Dame  Vieillesse 
Qui  ne  me  fait  guercs  de  bien? 
A  elle  peu  tenu  me  tien, 
Mais  il  convient  que  je  l'endure, 


BALLADES.  iSj 

Puis  que  c'est  le  cours  de  nature. 

Son  hostcl,  de  noir  de  Tristesse 
Est  tcnJu;  quant  dedans  je  vien, 
G'y  voy  l'istoire  de  De  Presse 
Qui  me  fait  changer  mon  maintien 
Quant  la  ly,  et  maint  mal  sousticn; 
Espargnée  n'est  créature, 
Puis  que  c'est  le  cours  de  nature. 

Prenant  en  gré  ceste  rudesse, 
Le  mal  d'aultruy  compare  au  mien  ; 
Lors  me  tance  Dame  Sagesse, 
Adoncques  en  moy  je  revien, 
Et  croy  de  tout  le  conseil  sien 
Qui  est  en  ce  plain  de  droiture. 
Puis  que  c'est  le  cours  de  nature. 

ENVOI    AU   PRINCE. 

Dire  ne  saroye  combien 
Dedans  mon  cueur  mal  je  retien, 
Serré  d'une  vieille  sainture. 
Puis  que  c'est  le  cours  de  nature. 


BALLADE    XXL 

Mon  cueur  vous  adjoirne,  Vieillesse, 
Par  droit  huissier  de  parlement, 
Devant  Raison  qui  est  maistresse, 
Et  juge  de  vray  jugement. 
Depuis  que  le  gouvernement 
A'  cz  eu  de  luy  et  de  moy, 
Vous  nous  avez,  par  tirannye, 
Mis  es  main  de  Merencolie 


l38  CHARLES    d'oRLÉANS. 

Sans  savoir  la  cause  pourquoy. 

Par  avant  nous  tcnoit  Jeunesse 
Et  nourrissoit  si  tendrement, 
En  plaisir,  contbrt  et  liesse 
Et  tout  joyeulx  esbatement; 
Or  faictes  vous  tout  autrement. 
Se  vous  est  honte,  sur  ma  foy, 
Car  en  douleur  et  maladie 
Nous  faictes  user  nostre  vie, 
Sans  savoir  la  cause  pourquoy. 

De  quoy  vous  sert  ceste  destresse 
A  donner  sans  aleigement? 
Guidés  vous  pour  telle  rudesse 
Avoir  honneur  aucunement? 
Nennil,  certes,  car  vrayement 
Chascun  vous  monstrera  au  doy, 
Disant  :  la  vieille  rassotie 
Tient  touz  maulx  en  sa  compaignie. 
Sans  savoir  la  cause  pourquoy. 

ENVOI   AU   PRINCE. 

Ce  saint  Martin  présentement, 
Qu'avocas  font  commencement 
De  plaidier  les  faiz  de  la  loy, 
Prenez  bon  conseil,  je  vous  prie, 
Ne  faictes  débat  ne  partie, 
Sans  savoir  la  cause  pourquoy. 


BALLADE  XXIL 


Chascun  s'esbat  nu  mieulx  mentir, 
Et  voulentiers  je  l'aprendroye, 


BALLADES.  l3y 

Mais  maint  mal  j'en  voy  advenir, 
Parquoy  savoir  ne  le  vouidroye. 
De  mentir  par  déduit  ou  joye 
Ou  par  passe  temps  ou  plaisir, 
Ce  n'est  point  mal  fait,  sans  faillir. 
Se  faulccté  ne  s'y  cm,)loye. 

Faulx  menteurs  puisse  l'en  couvrir, 
Sur  les  montaignes  de  Savoye, 
De  neiges  tant  que  revenir 
Ne  puissent  par  chemin  ne  voye, 
Jusques  quérir  je  les  renvoyé! 
Pour  Dieu,  laissiez  les  là  dormir, 
Ils  ne  scevent  de  riens  servir, 
Se  faulceté  ne  s'y  employé. 

Pourquoy  se  font  ilz  tant  haïr? 
Veulent  ilz  que  l'en  les  guerroyé? 
Guident  ilz  du  monde  tenir 
Tous  les  deux  boutz  de  la  courroye? 
C'est  folie,  que  vous  diroye! 
Leur  proutlit  puissent  parfournir, 
Et  laissent  les  autres  chevir, 
Se  faulceté  ne  s'y  employé. 


Paix  crie,  Dieu  la  nous  ottroye, 
C'est  ung  trésor  qu'on  doit  chérir, 
Tous  biens  s'en  pevent  ensuïr. 
Se  faulceté  ne  s'y  employé. 


140  CHARLES    D    ORLEANS. 

BALLADE    XXIIL 

Jam  nova  progenies  celo  demittitur  alto. 

O  louée  Conccpcion, 
Envoyée  sa,  jus  des  cieulx, 
Du  noble  Lis  digne  syon, 
Don  de  Jhesus  tresprecieulx, 
Marie,  nom  tresgraciculx, 
Fons  de  pitié,  source  de  grâce, 
La  joye.  confort  de  mes  yeulx, 
Qui  nostre  paix  batist  et  brasse. 

La  paix,  c'est  assavoir  des  riches, 
Des  povres  le  substantament, 
Le  rebours  des  félons  et  chiches, 
Tresnecessaire  enfantement 
Conceu,  porté  honnestement 
Hors  le  pechié  originel. 
Que  dire  je  puis  sainctement 
Souvrain  bien  de  Dieu  Éternel. 

Nom  recouvré,  joye  de  peuple. 
Confort  des  bons,  de  maulx  retraictC; 
Du  doulx  Seigneur  première  et  seule 
Fille,  de  son  cler  sang  extraicte, 
Du  dextre  costé  Clovis  traicte; 
Glorieuse  ymage  en  tout  fais, 
Ou  hault  ciel  créé  et  pourtraicte 
Pour  esjouyr  et  donner  paix. 

En  l'amour  et  crainte  de  Dieu, 
Es  nobles  tians  César  conceue, 
Des  petits  et  grans,  en  tout  lieu, 
A  tresgrande  joye  receue, 
De  l'amour  Dieu  traicte,  tissue 


BALLADES.  I4I 

Pour  les  discordez  ralier, 
Et  aux  enclos  donner  yssue, 
Leurs  lians  et  fers  délier. 

Aucunes  gens  qui  bien  peu  sentent, 
Nourriz  en  simplesse  et  confiz, 
Contre  le  vouloir  Dieu  actentent, 
Par  ignorance  desconfiz, 
Desirans  que  feussiez  ung  filz, 
Mais  qu'ainsi  soit,  ainsi  m'aist  Dieux, 
Je  croy  que  ne  soit  grans  proutiz, 
Raison,  Dieu  fait  tout  pour  le  mieulx. 

Du  Psalmiste  je  prens  les  dictz  . 
Delectasti  me,  Domine, 
In  factura  tua,  je  diz  : 
Noble  enfant  de  bonne  heure  né, 
A  toute  doulceur  destiné, 
Manna  du  ciel,  céleste  don, 
De  tous  biens  fais  le  guerdonné, 
Et  de  nos  maulx  le  vray  pardon. 


BALLADE    XXIII  bis. 


Combien  que  j'ay  leu  en  ung  dit  : 
Inimicum  putes  y  a 
Qui  te  presentem  laudabit, 
Touttesfoiz,  non  obstant  cela, 
Oncqucs  vray  homme  ne  cela 
En  son  courage  aucun  grant  bien, 
Qui  ne  le  monscrast  çà  et  là; 
On  doit  direciu  bien  la  bien. 

Saint  Jehan  Baptiste  ainsi  le  fist, 
Quant  l'aignel  de  Dieu  descela; 
En  ce  faisant  pas  ne  meffist  ; 


142  CHAULES    DORI,  KANS. 

Dont  sa  voix  es  tourbes  vola, 
Dequoy  saint  André  Dieu  loua, 
Qui  de  lui  sy  1  e  s.avoit  rien, 
Et  au  filz  de  Dieu  s'aloua  ; 
On  doit  dire  du  bien  le  bien. 

Envoyée  de  Jhesucrist, 
Rappelez  sa  jus  par  deçà 
Les  povres  que  rigueur  proscript, 
Et  que  fortune  betourna  ; 
Cy  sçay  bien  comment  y  m'en  va, 
De  Dieu,  de  vous,  vie  je  tien, 
Benoist  celle  qui  vous  porta  ; 
On  doit  dire  du  bien  le  bien. 

Cy,  devant  Dieu,  fais  congnoissance 
Que  créature  feusse  morte, 
Ne  fust  vostre  doulce  naissance. 
En  charité  puissant  et  forte 
Qui  ressuscite  et  reconforte 
Ce  que  mort  avoit  prins  pour  sien; 
Vostre  présence  me  conforte, 
On  doit  dire  du  bien  le  bien. 

Cy  vous  rens  toute  obéissance, 
Ad  ce  faire,  raison  m'exorte, 
De  toute  ma  povre  puissance; 
Plus  n'est  deul  qui  me  desconforte, 
N'autre  ennuy  de  quelconque  sortej 
Vostre  je  suis  et  non  plus  mien. 
Ad  ce  droit  et  devoir  m'enhorte, 
On  doit  dire  du  bien  le  bien. 

O  grâce  et  pitié  tresimmense, 
L'entrée  de  paix  et  la  porte, 
Some  et  bénigne  clémence, 
Qui  noz  faultes  toult  et  supporte, 
Cy  de  vous  louer  me  déporte, 
Ingrat  suis,  et  je  le  maintien, 


BALLADES.  143 


Dont  en  ce  refrain  me  transporte 
On  doit  dire  du  bien  le  bien. 

Princesse,  ce  loz  je  vous  porte, 
Que  sans  vous  je  ne  feusse  rien; 
A  vous  et  à  vous  m'en  rapporte, 
On  doit  dire  du  bien  le  bien. 


BALLADE    XXIV. 

En  regardant  vers  le  pays  de  France, 
Ung  jour  m'avint,  à  Dovre  sur  la  mer, 
Qu'il  me  souvint  de  la  doulce  plaisance 
Que  souloie  oudit  pays  trouver; 
Si  commençay  de  cueur  à  souspirer, 
Combien  certes  que  grant  bien  me  faisoit 
De  veoir  France  que  mon  cueur  amer  doit. 

Je  m'avisay  que  c'estoit  non  savance 
De  telz  souspirs  dedens  mon  cueur  garder, 
Veu  que  je  voy  que  la  voye  commence 
De  bonne  paix,  qui  tous  biens  peut  donner  ; 
Pource,  tournay  en  conlort  mon  penser, 
Mais  non  pourtant,  mon  cueur  ne  se  lassoit 
De  veoir  France  que  mon  cueur  amer  doit. 

Alors  chargay  en  la  nef  d'Espérance 
Tous  mes  souhays  en  leur  priant  d'aler 
Oultre  la  mer,  sans  faire  demourance, 
Et  à  France  de  me  recommander. 
Or  nous  doint  Dieu  bonne  paix  sans  tarder, 
AJonc  auray  loisir,  mais  qu'ainsi  soit, 
De  veoir  France  que  mon  cueur  amer  doit. 

ENVOI. 

Paix  est  trésor  qu'on  ne  peut  trop  loer. 


144  CHARLES    D   ORLÉANS. 

Je  hé  guerre,  point  ne  la  dois  prisicr, 
Destourbé  m'a  long  temps,  soit  tort  ou  droit. 
De  veoir  France  que  mon  cueur  amer  doit. 


BALLADE    XXV. 

Priez  pour  paix,  doulce  Vierge  Marie, 
Royne  des  cieulx,  et  du  monde  maistresse, 
Faictes  prier,  par  voslre  courtoisie, 
Saints  et  sainctes,  et  prenez  vostrc  adresse 
Vers  vostre  fils,  requerrant  sa  haultesse 
Qu'il  lui  plaise  son  peuple  regarder 
Que  de  son  sang  a  voulu  racheter, 
En  déboutant  guerre  qui  tout  desvoye; 
De  prières  ne  vous  vueilliez  lasser. 
Priez  pour  paix,  le  vray  trésor  de  joye. 

Priez,  prelaz  et  gens  de  saincte  vie, 
Religieux,  ne  dormez  en  peresse, 
Priez,  maistres  et  tous  suivans  clergie. 
Car  par  guerre  fault  que  l'estude  cesse; 
Moustiers  destruiz  sont  sans  qu'on  les  redresse, 
Le  service  de  Dieu  vous  fault  laisser, 
Quant  ne  povez  en  repos  demourer; 
Priez  si  fort  que  briefment  Dieu  vous  oye, 
L'Eglise  voult  à  ce  vous  ordonner; 
Priez  pour  paix,  le  vray  trésor  de  joye. 

Priez,  princes  qui  avez  seigneurie, 
Roys,  ducs,  contes,  barons  p'.ains  de  noblesse, 
Gentilz  hommes  avec  chevalerie, 
Car  meschans  gens  surmontent  gentillesse  ; 
En  leurs  mains  ont  toute  vostre  richesse, 
Debatz  les  font  en  hault  estât  monter. 
Vous  le  povez  chascun  jour  \coir  au  cler. 


BALLADES.  Î45 

Et  sont  riches  de  voz  biens  et  monnoye 
Dont  vous  deussiez  le  peuple  supporter; 
Priez  pour  paix:,  le  vr-iy  trésor  de  joye. 

Priez,  peuple  qui  souffrez  tirannie, 
Car  voz  seigneurs  sont  en  telle  foiblesse 
Qj'ilz  ne  pevent  vous  garder  par  maistrie, 
Ne  vous  aider  en  vostre  grant  '  estresse; 
Loyaux  marchans,  la  selle  si  vous  blesse 
P'ort  sur  le  dox,  cjiascun  vous  vient  presser 
Et  ne  povez  marchandise  mener, 
Car  vous  n'avez  seur  passage,  ne  voye, 
Et  maint  péril  vous  convient  il  passer; 
Priez  pour  paix,  le  vray  trésor  de  joye. 

Prie/,  galans  joyeux  en  compaignie, 
Qui  despendre  desirez  à  lar^^esse, 
Guerre  vous  tient  la  bourse  desgarnie  ; 
Priez,  amans,  qui  voulez  en  liesse 
Servir  amours,  car  guerre,  par  rudesse, 
Vous  destourbe  de  voz  dames  hanter, 
Qui  maintesfoiz  fait  leurs  vouloirs  torner. 
Et  quant  tenez  le  bout  de  la  courroye, 
Ung  estrangier  si  le  vous  vient  ostcr; 
Priez  pour  paix,  le  vray  trésor  de  joye. 

ENVOL 

Dieu  Tout  Puissant  nous  vueille  conforter 
Toutes  choses  en  terre,  ciel  et  mer, 
Priez  vers  lui  que  brief  en  tout  pourvoye, 
En  lui  seul  est  de  tous  maulx  amender; 
Priez  pour  paix,  le  vray  trésor  de  joye. 


ClIAHLES    D'OnLl.ANS.    I. 


146  CHARLES     d'oRLÉANS, 

BALLADES 

SUR     PLUSIEURS     SUJETS. 

BALLADE    I. 
Orléans  contre  Garancières. 

Je,  qui  suis  Dieu  des  amoureux, 
Prince  de  joyeuse  plaisance, 
A  toutes  celles  et  à  ceulx 
Qui  sont  de  mon  obéissance, 
Requier  qu'à  toute  leur  puissance 
Me  viengnent  aidier  et  servir. 
Pour  l'outrecuidance  punir 
D'aucuns  qui,  par  leur  jangierie, 
Veulent,  par  force,  conquérir 
Des  grans  biens  de  ma  seigneurie. 

Car  Garanciere,  l'un  d'entr'eulx. 
Si  dit  en  sa  folle  vantance, 
Pour  faire  le  chevalereux, 
Qu'avant  yer,  par  sa  grant  vaillance, 
Luy  et  son  cueur,  d'une  aliance, 
Furent  devant  Beauté  courir. 
Je  ne  luy  vy  pas,  sans  faillir. 
Mais  croy  qu'il  soit  en  resverie. 
Car  si  près  n'oseroit  venir 
Des  grans  biens  de  ma  seigneurie. 

Il  dit  qu'il  est  tant  douloreux, 
Et  qu'il  est  mort  sans  recouvrance; 


BALLADES.  I47 

Mais  bien  seroit  il  maleureux 
Qui  donneroit  en  ce  créance. 
On  pcul  veoir  que  celle  penançe, 
Qu'il  lui  a  convenu  souffrir, 
N'a  fait  son  visage  pallir 
Ne  amaigrir  de  maladie, 
Ainsi  se  moque,  pour  chevir, 
Des  grans  biens  de  ma  seigneurie. 


Sur  tous,  me  plaist  le  retenir 
Roys  des  heraulx  pour  bien  mentir; 
Cfst  office  je  luy  ottrie, 
C'est  ce  que  lui  veuil  départir 
Des  grans  biens  de  ma  seigneurie 


BALLADE  IL 
Réponse  de  Garencières. 

Cupido,  Dieu  des  amoureux. 
Prince  de  joyeuse  plaisance, 
Moi,  Garencières,  tressoingneux 
De  vous  servir  de  ma  puissance, 
Viens  vers  vous,  en  obéissance. 
Pour  vous  humblement  requérir 
Que  vous  veuillie:^  faire  punir 
Un  homme  de  mauvaise  vie, 
Qui,  contre  raison,  veult  tenir 
Le  droit  de  vostre  seigneurie. 

C'est  un  enfant  malicieux, 
Oii  nul  ne  doit  avoir  fiance. 


148  CHARLES    d'oRLÉANS. 

Car  il  en  ajà  plus  de  deux 

Deceues,  ou  p.fis  de  France, 

Dont  vous  deussie^  prendre  vengeance. 

Pour  faire  les  autres  cremir  ; 

C'est  le  prince  de  Bien  Mentir, 

A  insné  frère  de  Janglerie, 

Qui,  contre  raison,  veult  tenir 

Le  droit  de  vostre  seigneurie. 

Oncques  Lucifer  l'orgueilleux 
Ne  fist  si  grant  oultrecuidance. 
Quant  il  emprist  d'estre  envieux 
Sur  le  Dieu  de  toute  puissance. 
Il  me  semble  que,  par  sentence, 
Vous  le  deussie^  faire  bannir 
De  vostre  court,  sans  revenir. 
Lui  et  safaulse  compaignie, 
Qui,  contre  raison,  veult  tenir 
Le  droit  de  vostre  seigneurie. 


Prince,  s'on  doit  avoir  vaillance 
Pour  mentir  à  grant  habmdance 
Et  pour  faulseté  maintenir, 
Vous  verre:^  icellui  venir 
A  grant  honneur  n'en  dcubte:^  mie, 
Qui,  contre  raison,  veult  tenir 
Le  droit  de  vostre  seigneurie. 


BALLADE    IH. 


En  acquittant  nostre  temps  vers  Jeunesse, 
Le  nouvel  an  et  lasaiion  jolie, 


BALLADES.  I49 

Plains  de  plaisir  et  de  toute  liesse, 

Qui  chascun  d'eulx  chierement  nous  en  prie, 

Venuz  sommes  en  ceste  mommerie, 

Belles,  bonnes,  plaisans  et  gracieuses, 

Prestz  de  dancer  et  taire  chiere  lye, 

Pour  resveiller  voz  pensées  joieu^es. 

Or  bannissiez  de  vous  toute  peresse, 
Ennuy,  soussy  avec  mercncolie, 
Car  froit  yver,  qui  ne  veult  que  rudesse,  . 
Eu  desconfit  et  convient  qu'il  s'en  fuye; 
Avril  et  May  amainent  doulce  vie 
Avcques  cul\;  pource,  soyez  soingneuses 
D2  recevoir  leur  plaisant  compaignie, 
Pour  resveiller  voz  pen'^ée;  joieuses. 

Venus  aussi,  la  tresnoble  Déesse, 
Qui  sur  femmes  doit  avoir  la  maistrie, 
Vous  envoyé  de  Confort  à  largesse, 
Ec  Plaisance  de  grans  biens  enrichie. 
En  vous  chargeant  que  de  vostre  partie 
Vous  acquittiés  sans  estre  dangereuses; 
Aidier  vous  veult,  sans  que  point  vous  oublie, 
Pour  resveiller  voz  pensées  joyeuses. 


BALLADE    IV. 

Bien  monstrez,  printemps  gracieux. 
De  quel  mestier  savez  servir, 
Car  yver  fait  cueurs  ennuieux, 
Et  vous  les  faittes  resjouir  •, 
Si  tost,  comme  il  vous  voit  venir, 
Lui  et  sa  meschant  retenue 
Sont  contrains  et  prestz  de  fuir, 
A  vostre  joyeuse  venue. 


l50  CHARLES    d'oRLÉANS. 

Yver  fait  champs  et  arbres  vieulx, 
Leurs  barbes  de  neiges  blanchir, 
Et  est  si  froit,  ort  et  pluieux, 
Qu'emprès  le  feu  convient  croupir. 
On  ne  peut  hors  des  huis  yssir, 
Comme  un  oisel  qui  est  en  mue; 
Mais  vous  faittes  tout  rajeunir, 
A  vostre  joyeuse  venue. 

Yver  fait  le  souleil,  es  cieulx, 
Du  mantel  des  nues  couvrir; 
Or  maintenant,  loué  soit  Dieux, 
Vous  estes  venu  esclersir 
Toutes  choses  et  embellir  ; 
Yver  a  sa  peine  perdue. 
Car  l'an  nouvel  l'a  fait  bannir, 
A  vostre  joyeuse  venue. 


BALLADE   V. 


Je  fu  en  fleur  ou  temps  passé  d'Enfance, 
Et  puis  après  devins  fruit  en  Jeunesse  ; 
Lors  m'abaty  de  l'arbie  de  Plaisance, 
Vert  et  non  meur.  Folie,  ma  maistresse. 
Et  pourcela.  Raison  qui  tout  redresse 
A  son  plaisir,  sans  tort  ou  mesprison, 
iM'a  à  bon  droit,  par  sa  tresgrant  sagesse. 
Mis  pour  meurirou  feurrede  prison. 

En  ce  j'ay  fait  longue  continuance. 
Sans  estre  mis  à  l'essor  de  Largesse, 
J'en  su/  contant  et  tiens  que,  sans  doubta  ice, 
C'est  pour  le  mieulx,  combien  que  par  peresse 
Deviens  fletry  et  tire  vers  Vieillesse. 
Assez  estaint  est  en  moy  le  tison 


BALLADES.  l5l 

De  Sot  Désir,  puis  qu'ay  esté  en  presse 
Mis  pour  meurir  ou  feurre  de  prison. 

Dieu  nousdoint  paix,  car  c'est  ma  desirance, 
Adonc  seray  en  l'eaue  de  Liesse, 
Tost  refreschi,  et  au  souleil  de  France,  ' 
Bien  nettié  du  moisy  de  Tristesse; 
J'attens  Bon  Temps,  endurant  en  humblesse, 
Car  j'ay  espoir  que  Dieu  ma  guerison 
Ordonnera;  pource,  m'a  sa  haultesse 
Mis  pour  meurir  ou  feurre  de  prison. 


Fruit  suis  d'yver  qui  a  meins  de  tendresse 
Que  fruit  d'esté,  si  suis  en  garnison, 
Pour  amolir  ma  trop  verde  duresse, 
Mis  pour  meurir  ou  feurre  de  prison. 


BALLADE  VL 

Cueur,  trop  es  plain  de  folie, 
Guides  tu  de  t'eslongner 
Hors  de  nostre  compaignie, 
Et  en  repos  te  logier? 
Ton  propos  ferons  changier. 
Soing  et  Ennuy  nous  nommons, 
Avecques  toy  demourrons, 
Car  c'est  le  commandement 
De  Fortune  qui  en  serre 
T'a  tenu  moult  longuement, 
Ou  royaume  d'Angleterre. 

Dy  nous,  ne  cognois  tu  mie 
Que  Testât  de  prisonnier 


l52  CHARLES     b'oKI.KA  N'S. 

Est  que  souvent  lui  ennuyé, 
Et  endure  maint  dangicr, 
Dont  il  ne  se  peut  ven^icrP 
Pource,  nous  ne  te  faisons 
Nul  tort,  se  te  gouvernons 
/  insi  que  communément 
Sont  prisonniers  pi-is  en  guerre, 
Dont  es  l'un  présentement 
Ou  royaume  d'Angleterre. 
En  lieu  de  Plaisance  lye, 
Au  lever  et  au  couschijr 
Trouveras  Merencol  e; 
Souvent  te  fera  vei  lier, 
La  nuit  et  le  jour  rongier. 
Ainsi  te  guerdonnerons, 
Et  es  fers  te  g.irJerons 
De  Soussy  et  Pensement; 
Se  tu  peuz,  si  te  detlerre, 
Par  nous  n'auras  autrement 
Ou  royaume  d'Angleterre.. 


BALLADE    VIL 

Nouvelles  ont  couru  en  France, 
Par  mains  lieux,  que  j'estoye  mort; 
Djnt  avoient  peu  deplaisance 
Aucuns  qui  me  hayent  à  tort; 
Autres  en  ont  eu  desconfort. 
Qui  m'ayment  de  loyal  vouloir. 
Comme  mes  bons  et  vrais  amis. 
Si  fais  à  toutes  gens  savoir 
Qu'encore  est  vive  la  souris. 

Je  n'ay  eu  ne  mal  ne  grevance, 


BALLADES,  l53 

Dieu  mercy,  mais  suis  sain  et  fort, 
Et  passe  temps  en  espérance 
Que  paix,  qui  trop  longuement  dort, 
S'esveillera,  et  par  accort 
A  tous  fera  liesse  avoir. 
Pource,  de  Dieu  soient  maudis 
Ceux  qui  sont  dolens  de  véoir 
Qu'encore  est  vive  la  souris. 

Jeunesse  sur  moy  a  puissance, 
Mais  Vieillesse  fait  son  effort 
De  m'avoir  en  sa  gouvernance. 
A  présent  faillira  son  sort. 
Je  suis  assez  loing  de  son  port, 
De  pleurer  vueil  garder  mon  hoir  ; 
Loué  soit  Dieu  de  Paradis, 
Qui  m'a  donné  force  et  povoir; 
Qu'encore  est  vive  la  souris. 

ENVOI. 

Nul  ne  porte  pour  moy  le  noir, 
On  vent  meilleur  marchié  drap  gris; 
Or  tien.^ne  chascun,  pour  tout  voir, 
Qu'encore  est  vive  la  souris. 


BALLADE    VIII. 

Puis  qu'ainsi  est  que  vous  alez  en  France, 
Duc  de  Bourbon,  mon  compaignon  treschier, 
Où  Dieu  vous  doint,  selon  la  desirance 
Que  tous  avons,  bien  povoir  besongnier; 
Mon  fait  vous  vueil  descouvrir  et  chargier 
Du  tout  en  toutj  en  sens  et  en  folie; 


l54  CHARLES    d'ORLÉANS. 

Trouver  ne  puis  nul  meilleur  messagier, 
Il  ne  faut  jà  que  plus  je  vous  en  die. 

Premièrement,  se  c'est  vostre  plaisance, 
Recommandez  moy,  sans  point  l'oublier, 
A  ma  Dame;  ayez  en  souvenance, 
Et  lui  dictes,  je  vous  pry  et  requier, 
Les  maulx  que  j'ay  quant  me  fault  eslongnier» 
Maugré  mon  vueil,  sa  doulce  compaignie. 
Vous  savez  bien  que  c'est  de  tel  mestier, 
Il  ne  faut  jà  que  plus  je  vous  en  die. 

Or  y  faittes  comme  j'ay  la  fiance. 
Car  un  amy  doit  pour  l'autre  veillier  ; 
Se  vous  dittes  :  Je  ne  sçay,  sans  doubtance, 
Qui  est  celle?  vueillez  la  ensaignier. 
Je  vous  respons  qu'il  ne  vous  fault  serchier, 
Fors  que  celle  qui  est  la  mieulx  garnie 
De  tous  les  biens  qu'on  sauroit  souhaidier; 
11  ne  faut  jà  que  plus  je  vous  en  die. 


Sy  ay  chargié  à  Guilleaume  Cadier 
Que,  par  de  là,  bien  souvent  vous  supplie; 
Souviengne  vous  du  fait  du  prisonnier, 
Il  ne  faut  jà  que  plus  je  vous  en  die. 


BALLADE    IX. 

Mon  gracieulx  cousin,  Duc  de  Bourbon, 
Je  vous  requier,  quant  vous  aurez  loisir. 
Que  me  faittes,  par  balade  ou  chanijion. 
De  vostre  estât  aucunement  sentir; 
Car  quant  à  moy,  sachiez  que,  sans  mentir, 


BALLADES.  l55 

Je  sens  mon  cueur  renouveller  de  joye, 

En  espérant  le  bon  temps  avenir 

Par  bonne  paix  que  brief  Dieu  nous  envoyé. 

Tout  crestian  qui  est  loyal  et  bon, 
Du  bien  de  paix  se  doit  fort  resjoir, 
Veu  les  grans  maulx  et  la  destruccion 
Que  guerre  fait  par  tous  pays  courir 
Dieu  a  voulu  Crestianté  punir 
Qui  a  laissié  de  bien  vivre  la  voye, 
Mais  puis  après,  il  la  veult  secourir 
Par  bonne  paix  que  brief  Dieu  nous  envoyé. 

Et  pourcela,  mon  trcschier  compaignon, 
Vueilliez  de  vous  desplaisance  bannir, 
En  oubliant  vostre  longue  prison 
Qui  vous  a  fait  mainte  doleur  souffrir  ; 
Merciez  Dieu,  pensez  de  le  servir, 
Il  vous  garde  de  tous  biens  grant  montjoye 
Et  vous  fera  avoir  vostre  désir 
Par  bonne  paix  que  brief  Dieu  nous  envoyé. 


Resveilliez  vous  en  joyeulx  souvenir. 
Car  j'ay  espoir  qu'encore  je  vous  voye 
Etmoyaussyen  confort  et  plaisir 
Par  bonne  paix  que  brief  Dieu  nous  envoyé. 


"^       BALLADE    X. 


Mon  chier  cousin,  de  bon  cueur  vous  mercie 
Des  blancs  connins  vous  m'avez  donnez; 
Etoultre  plus,  pour  vray  vous  certiffie, 
Quant  aux  connins  que  dittes  qu'ay  amez, 


I  56  CHARLES     d'oRLÉANS. 

Hz  sont  pour  moy,  plusieurs  ans  a  passez, 
Mis  en  oubly;  aussi  mon  instrument 
Qui  les  servoit,  a  fait  son  testament 
Et  est  retrait  et  devenu  hermite  ; 

II  dort  tousjours,  à  parler  vrayment. 
Comme  celui  qui  en  riens  ne  proulïite. 

Ne  parlez  plus  de  ce,  je  vous  en  prie, 
Dieux  ait  l'ame  de  tous  les  trespassez  ! 
l'arler  vault  mieulx,  pour  faire  chiere  lye, 
De  bons  morceaulx  et  de  frians  pastez, 
Mais  qu'ilz  soient  tout  chaudement  tastez; 
Pour  le  présent,  c'est  bon  esbatement; 
Et  qu'on  ait  vin  pour  nettier  la  dent; 
En  char  crue  mon  cueur  ne  se  delitte. 
Oublions  tout  le  vieil  gouvernement, 
Comme  cellui  qui  en  riens  ne  prouffite. 

Quant  Jeunesse  tient  gens  en  seigneurie, 
Les  jeux  d'amours  sont  grandement  prisez; 
Mais  Fortune  qui  m'a  en  sa  baillie, 
Les  a  du  tout  de  mon  cueur  déboutez  , 
Et  désormais,  vous  et  moi  excusez. 
De  tels  esbatz  serons  legierement, 
Car  faiz  avons  nos  devoirs  grandement 
Ou  temps  passé.  Vers  Amours  me  tiens  quicte. 
Je  n'en  vueil  plus,  mon  cueur  si  s'en  repent 
Comme  cellui  qui  en  riens  ne  proulïite. 


Vieulx  soudoiers  avecques  jeune  gent 
Ne  sont  prisiez  la  valeur  d'une  mitte  ; 
Mon  office  résine  plainement, 
Comme  cellui  qui  en  riens  ne  prouffite. 


BALLADES.  iSj 

BALLADE    XL 

Dame  qui  cuidiez  trop  savoir, 
Mais  vostre  sens  tourne  en  folie, 
Et  cuidiez  les  gens  décevoir 
Par  vostre  cautelle  jolie. 
Qui  croiroit  vostre  chiere  lie 
Tantost  seroit  pris  en  voz  las, 
Encore  ne  m'avez  vous  mie, 
Encore  ne  m'avez  vous  pas. 

Vous  cuidiez  bien  qu'apercevoir 
Ne  sache  vostre  moquerie  ; 
Si  fais,  pour  vous  dire  le  voir; 
Etpource,  chierement  vous  prie, 
Alez  jouer  de  l'escremie 
Autre  part,  car  quant  en  ce  cas. 
Encore  ne  m'avez  vous  mie, 
Encore  ne  m'avez  vous,  pas. 

Vous  ferez  bien  vostre  devoir, 
Se  m'attrapes  par  tromperie  ; 
Car  trop  ay  congneu  main  et  soir 
Les  faulx  tours  dont  estes  garnie 
On  vous  appelle  :  foui  si  fie. 
Déportez  vous  de  telz  esbas, 
Encore  ne  m'avez  vous  mie, 
Encore  ne  m'avez  vous  pas. 

BALLADE  XIL 

Orléans  à  Bourgogne. 

Puisque  je  suis  vostre  voisia 
En  ce  pais  présentement, 


l58  CHARLES    d'oRLÉANS. 

Mon  compaignon,  frère  et  cousin, 
Je  vous  requier  treschiercment 
Que  de  vostre  gouvernement 
Et  estât  me  faictes  savoir, 
Car  j'en  orroye  bien  souvent, 
S'il  en  estoit  à  mon  vouloir. 

Il  n'est  jour,  ne  soir,  ne  matin, 
Que  ne  prie  Dieu  humblement 
Que  la  paix  prengne  telle  fin 
Que  je  puisse  joyeusement, 
A  mon  désir,  prouchainement 
Parler  à  vous  et  vous  véoir; 
Ce  seroit  treshastivement. 
S'il  en  estoit  à  mon  vouloir. 

Chascun  doit  estre  bien  enclin 
Vers  la  paix,  car  certainement 
Elle  départira  butin 
De  grans  biens  à  tous  largement. 
Guerre  ne  sert  que  de  tourment, 
Je  la  hé,  pour  dire  le  voir, 
Bannie  seroit  plainement, 
S'il  en  estoit  à  mon  vouloir. 

ENVOI 

Va,  ma  balade,  prestement 
A  Saint  Omer,  monstrant  comment 
Tu  vas  pour  moy  ramentevoir 
Au  Duc  à  qui  suis  loyaument. 
Et  tout  à  son  commandement, 
S'il  en  estoit  à  mon  vouloir. 


BALLADES.  ibç) 

BALLADE    XIIL 

Bourgogne  à  Orléans, 

S'il  en  estait  à  mon  vouloir. 
Mon  maistre  et  amy  sans  changier, 
Je  vous  asseure,  pour  tout  voir, 
Qu'en  vo  fait  n'auroit  nul  dangier; 
Mais  par  deçà,  sans  attargier, 
Vous  verroye  hors  de  prison, 
Quitte  dutout,  pour  abregier. 
En  ceste  présente  saison. 

Se  tel  don  pove^  recevoir 
Par  la  grâce  Dieu,  de  legier 
Pourre:^  tel  à  paix  esmouvoir. 
Qui  la  désire  eslongier  ; 
Nul  contre  n'osera  songier, 
Car  confort  aure's  bel  et  bon. 
Se  Dieu  nous  veult  assoulagter. 
En  ceste  présente  saison. 

Mettons  nous  en  nostre  devoir 
Qu'en  paix  nous  puissions  herbergter; 
Il  n'est  ou  monde  tel  manoir. 
Qui  désir  a  de  si  logier. 
Abrégeons,  sans  plus  prolongier, 
lien  est  temps,  ou  jamais  non, 
Pour  nous  de  guerre  deslogier, 
En  ceste  présente  saison. 

ENVOI. 

Or  pensons  de  vous  allegier 
De  prison,  pour  tout  engagier. 


l60  CHAULES     d'or  LÉ  AN  3. 

Se  n'avons  paix  et  union, 

Et  du  tout  ]n'j-  vucil  obligicr, 

En  ceste présente  saison. 


BALLADE    XIV. 
Orléans  à  Bourgogne. 

Pour  le  haste  de  mon  passaige 
Qu'il  me  convient  faire  oultre  mer, 
Tout  ce  que  j'ay  en  mon  couniige 
A  présent  ne  vous  puis  mandei'. 
Mais  non  pour  tant,  à  briet  parler, 
De  la  balade  que  m'avés 
Envoyée,  comme  savés, 
Touchant  paix  et  ma  délivrance. 
Je  vous  mercie  chèrement, 
Comme  tout  vostre  entièrement 
De  cueur,  de  corps  et  de  puissance. 

Je  vous  envoyeray  message, 
Se  Dieu  plaist,  brieimcnt  sans  tarder 
Loyal,  secret  et  assez  saige, 
Po..r  bien  à  plain  vous  intormci- 
De  tout  ce  que  pourray  trouve.- 
Sur  ce  que  savoir  désirés; 
Pareillement  fault  que  mettes. 
Et  faictes,  vers  la  part  de  France, 
Diligence  soingneusement. 
Je  vous  en  requier  humblement, 
De  cueur,  de  corps  et  de  puissance. 

Et  sans  plus  despendre  langage, 
A  cours  mots,  plaise  vous  penser 
Que  vous  laisse  mon  cueur  en  gage 
Pour  tousjours,  sans  jamais  faulsc.-. 


BALLADES.  l6l 

Si  me  veuillez  recommander 

A  ma  cousine;  car  croies 

Que  en  vous  deux,  tant  que  vivres, 

J'ay  mise  toute  ma  fiance  ; 

Etvostre  party  loyaument 

Tendray,  sans  faire  changement, 

De  cueur,  de  corps  et  de  puissance. 


Or  y  perra  que  vous  ferés, 
Et  se  point  ne  m'oublierés, 
Ainsi  que  g'y  ai  espérance. 
Adieu  vous  dy  présentement. 
Tout  Bourgongnon  sui  vrayement, 
De  cueur,  de  corps  et  de  puissance. 


BALLADE    XV. 

Bourgogne  à  Orléans. 

De  cueur,  de  corps  et  de  puissance. 
Vous  mercie  treshumblement 
De  vostre  bonne  souvenance 
Qu'avec  de  moy  soin^neusement; 
Or  pove:^  faire  entièrement 
De  moy,  en  tout  lien  et  honneur. 
Comme  vostre  cueur  le  propose. 
Et  de  mon  vouloir  soye^  seur, 
Qiioy  que  nul  dye,  ne  deppose. 

Ne  mettes  point  en  oubliance 
L'estat  et  le  gouvernement 
De  la  noble  maison  de  France, 

CHARLES  D'ORLÉANS,    i.  Il 


1Ô2  CHARLES    d'ORLÉANS. 

Qui  se  maintient  piteusement  ; 
Vous  saure^  tout,  quoy  et  comment  ; 
Je  n'en  dy  plus  pour  le  meilleur, 
Mais  on  en  dit  tant  et  expose 
Que  c'est  à  o'ir  grant  orreur, 
Quoy  que  nul  dye,  ne  dcppnse. 
Pensej  à  vostre  délivrance. 
Je  vous  en  prie  chieremeiit  ; 
Car,  sans  ce,  je  n'ajy  espérance 
Que  nous  ayons  paix  nullement, 
On  la  heit  tant  mortellement 
Que  trop  peu  trouve  de  faveur. 
Ne  fera,  comme  je  suppose, 
Se  ce  n'est  par  vostre  labeur. 
Quoique  nul  dye,  ne  deppose. 


Or  prions  Dieu,  par  sa  doulceur. 
Qu'à  vous  délivrer  se  dispose. 
Car  trop  avej  souffert  douleur, 
Quoy  que  nul  dye,  ne  deppose. 


BALLADE    XVI. 
Orléans  à  Bourgogne. 

Des  nouvelles  d'Albion 
S'il  vous  en  plaist  escouter, 
Mon  frère  et  mon  compaignon, 
Sachez  qu'à  mon  retourner, 
J'ay  esté,  deçà  la  mer, 
Receu  à. joyeuse  chiere. 


BALLADES.  lG3 


Et  a  fait  le  Roy  passer, 

En  bons  termes,  ma  matière. 

.Je  doy  estre  une  saison 
Eslargi  pour  pourchasser 
La  paix  aussi  ma  raençon  ; 
Se  je  puis  seurté  trouver 
Pour  oler  et  retourner, 
Il  fault  qu'en  haste  la  quiere, 
Se  je  vueil  brief  achever. 
En  bons  termes,  ma  matière. 

Or,  gentil  Duc  Bourgongnon, 
De  ce  cop  vueilliez  m'aydier, 
Comme  mon  intencion 
Est  vous  servir  et  amer, 
Tant  que  vifpourray  durer. 
En  vous  ay  hance  entière, 
Que  m'ayderez  à  finer. 
En  bons  termes,  ma  matière. 

ENVOI. 

Mes  amis  fault  esprouver 
S'ilz  vouldront  à  ma  prière 
Me  secourir  pour  mener. 
En  bons  termes,  ma  matière. 


BALLADE     XVIL 


J'ay  tant  joué  avecques  Aage 
A  la  paulme  que  maintenant 
J'ay  quarante  cinq  ;  sur  bon  gage 
Nous  jouons,  non  pas  pour  néant. 
Assez  me  sens  fort  et  puissant 


164  CHARLES    d'orLÉANS. 

De  garder  mon  jeu  jusqu'à  cy, 
Ne  je  ne  crains  riens  que  Souisy. 

Car  Soussy  tant  me  descourage 
De  jouer,  et  va  estouppant 
Les  cops  que  fiers  à  l'avantage! 
Trop  seurement  est  rachassant  ; 
Fortune  si  lui  est  aidant, 
Mais  Espoir  est  mon  bon  amy, 
Ne  je  ne  crains  riens  que  Soussy. 

Vieillesse  de  douleur  enrage 
De  ce  que  le  jeu  dure  tant, 
Et  dit  en  son  félon  langage 
Que  les  chasses  dorénavant 
Merchera,  pour  m'estre  nuisant; 
Mais  ne  m'en  chault,  je  la  deffy, 
Ne  je  ne  crains  riens  que  Soussy. 


Se  Bon  Eur  me  tient  convenant, 
Je  ne  doubte,  ne  tant  ne  quant, 
Tout  mon  adve  saire  party, 
Ne  je  ne  crains  riens  que  Soussy. 


BALLADE     XVIH. 


Visaige  de  baffe  venu 
Confit  en  composte  de  vin, 
Menton  rongneux  et  peu  barbu, 
Et  dessiré  comme  un  coquin, 
Malade  du  mal  saint  Martin, 
Et  aussi  ront  q'un  tonnellct; 
Dieu  le  me  sauve  ce  varlet! 


BALLADES.  l03 

Il  est  enroué  devenu, 
Car  une  pouldre  de  raisin 
L'a  tellement  en  l'ueil  féru 
Qu'endormy  l'a,  comme  un  touppin; 
Il  y  pert  un  chascun  matin, 
Car  il  en  a  chault  le  touppet; 
Dieu  le  me  sauve  ce  varlet  ! 

Rompre  ne  sauroit  un  festu, 
Quant  il  a  pincé,  un  loppin  , 
Saint  Poursain  qui  l'a  retenu 
Son  chier  compaignon  et  cousm. 
Combien  qu'ayent  souvent  hutin, 
Quant  ou  cellier  sont  en  secret! 
Dieu  le  me  sauve  ce  vailet  ! 


Prince,  pour  aler  jusqu'au  Rhin, 
D'un  baril  a  fait  son  ronssin. 
Et  ses  espérons  d'un  foret; 
Dieu  le  me  sauve  ce  varlet  1 


BALLADE    XIX. 


Amour  qui  tant  a  de  puissance 
Qu'il  fait  vieilles  gens  rassoter. 
Et  jeunes  plains  d'oultrecuidance, 
De  tous  estas  se  scet  meller, 
Je  l'ay  congneu  pieçà  au  cler, 
Il  ne  fault  jà  que  je  le  nye, 
Parquoy  dis  et  puis  advouer 
Ce  n'est  fors  que  plaisant  folie. 

A  droit  compter,  sans  decevance, 


l66  CHARLES    d'oRLÉANS. 

Quant  un  amant  vient  demander 
Confort  de  sa  dure  grevance, 
Que  vouldroit  il  faire  ou  trouver? 
Cela,  je  ne  l'ose  nommer; 
Au  fort,  il  fault  que  je  le  die, 
Ce  qui  fait  le  ventre  lever; 
Ce  n'est  fors  que  plaisant  folie. 

Bien  s:ay  que  je  fais  desplaisance 
Aux  amoureux,  d'ainsi  parler 
Et  que  j'acquier  leur  malvueillance; 
Mais,  s'il  leur  plaist  me  pardonner, 
Je  leur  prometz  qu'au  par  aler. 
Quant  leur  chaleur  est  refroidie, 
Hz  trouveront  que.  sans  doubter, 
Ce  n'est  fors  que  plaisant  folie. 


Prince,  quant  un  prie  d'amer, 
Se  l'autre  si  veult  accorder, 
Il  n'y  a  plus,  sans  moquerie; 
Laissiez  les  ensemble  jouer, 
Ce  n'est  fors  que  folie. 


BALLADE  XX. 

Orléans  à  BourgogJie. 

Beau  frère,  je  vous  remercie, 
Car  aidié  m'avez  grandement; 
Et  oultre  plus,  vous  certilTie 
Que  j'ay  mon  fait  entièrement  ; 
Il  ne  me  fault  plus  riens  qu'argent 


BALLADES.  1 G7 

Pour  avancer  tost  mon  passage, 
Et  pour  en  avoir  prestement 
Mettroye  corps  et  ame  en  gage. 

Il  n'a  marchant  en  Lombardie, 
S'il  m'en  prestoit  présentement, 
Que  ne  fusse,  toute  ma  vie. 
Du  cueur  à  son  commandement. 
Et  tant  que  l'eusse  fait  content 
Demourer  vouldroye  en  servage, 
Sans  espargner  aucunement, 
Mettroye  corps  et  anie  en  gTge. 

Car  se  je  suis  en  ma  partie, 
Et  oultre  la  mer  franchement, 
Dieu  mercy,  point  ne  me  soussie 
Que  n'aye  des  biens  largement. 
Et  desserviray  loyaumcnt 
A  ceulx  qui  m'ont,  de  bon  courage, 
Aidié;  sans  faillir  nullement, 
Mettroye  corps  et  ame  en  gage. 


Qui  m'ostera  de  ce  tourment. 
Il  m'achètera  plainement, 
A  tousjoursmès,  à  héritage, 
Tout  sien  scray   sans  changement, 
Mettroye  corps  et  ame  en  gage. 


BALLADE    XXL 
Orléans  à  Bourgogne. 

Pource  que  je  suis  présent 
Avec  la  gent  vostre  ennemie, 


l68  CHARLES     d'oRLÉANS. 

Il  fault  que  je  face  semblant, 
Faignant  que  ne  vous  ayme  mie  : 
Non  pour  tant,  je  vous  certiffie, 
Et  vous  pri  que  vueillez  penser 
Que  je  seray,  toute  ma  vie, 
Vostre  loyaument,  sans  faulser. 

Tous  maulx  de  vous  je  voiz  disant, 
Pour  aveugler  leur  faulse  envie  ; 
Non  pour  tant,  je  vous  ayme  tant, 
Ainsi  m'aid  la  Vierge  Marie, 
Que  je  pry  Dieu  qu'il  me  mauldie, 
Se  ne  trouvez,  au  par  aler. 
Que  vueil  estre,  quoy  que  nul  die, 
Vostre  loyaument,  sans  faulser. 

Faignez  envers  moy  mal  talant, 
A  celle  fin  que  nul  n'espye 
Nostre  amour,  car  par  ce  faisant, 
Sauldray  hors  du  mal  qui  m'anuye. 
Mais  faittes  que  Bonne  Foy  lye 
Nos  cueurs,  qu'ilz  ne  puissent  muer, 
Car  mon  vouloir  vers  vous  se  plye, 
Vostre  loyaument,  sans  faulser. 

Vous  et  moy  avons  maint  servant 
Que  Convoitise  fort  mestrie; 
Il  ne  fault  pas,  ne  tant  ne  quant, 
Qu'ilz  saichent  nostre  compaignie; 
Peu  de  nombre  fault  que  manye 
Noz  fais  secrez  par  bien  celer, 
Tant  qu'il  soit  temps  que  me  publie 
Vostre  loyaument,  sans  faulser. 

Tout  mon  fait  saurez  plus  avant 
Par  le  porteur  en  qui  me  fye; 
Il  est  léal  et  bien  saichant, 
Et  se  garde  de  janglerye. 
Créez  le,  de  vostre  partie, 


BALLADES.  169 


En  ce  qu'il  voas  doit  raconter; 
Et  me  tenez,  je  vous  en  prie, 
Vostre  loyaument,  sans  faulser. 


Dieu  me  fiere  d'espidimie, 
Et  ma  part  es  cieulx  je  renye, 
Se  jamais  vous  povez  trouver 
Que  me  faigne,  par  tromperie, 
Vostre  loyaument,  sans  faulser. 


BALLADE    XXII. 

Par  les  fenestres  de  mes  yeulx, 
Ou  temps  passé,  quant  regardoye, 
Advis  m'estoit.  ainsi  m'ait  Dieux, 
Que  de  trop  plus  belles  véoye 
Qu'à  présent  ne  fais:  mais  j'estoye 
Ravy  en  plaisir  et  lyesse, 
Es  mains  de  ma  Dame  Jeunesse. 

Or,  maintenant  que  deviens  vieulx. 
Quant  je  lis  ou  livre  de  Joye, 
Les  lunettes  prens  pour  le  mieulx; 
Par  quoy  la  lettre  me  grossoye 
Et  n'y  voy  ce  que  je  souloye. 
Pas  n'avoye  ceste  foibl.sse, 
Es  mains  de  ma  Dame  Jeunesse. 

Jeunes  gens,  vous  deviendrez  tieulx 
Se  vivez  et  suivez  ma  voie  ; 
Car  au  jourduy  n'a  soubz  les  cieulx 
Qui  en  aucun  temps  ne  fouloye. 
Puis  fault  que  Raison  son  compte  oye 


I  70  C  H  A  lU.  E  s    D  '  O  R  L  É  A  N  S. 

Du  trop  despendu  en  simplcssc, 
Es  mains  de  ma  Dame  Jeunesse. 


Dieu  en  tout,  par  grâce,  pourvoye, 
Et  ce  qui  nicement  lourvoye, 
A  son  plaisir,  en  bien  radressc 
Es  mains  de  ma  Dame  Jeunesse  ! 


BALLADE  XXIH. 

Par  les  fenestres  de  mes  yeulx 
Le  chault  d'Amours  souloit  passer; 
Mais  maintenant  que  deviens  vieulx, 
Pour  la  chambre  de  mon  penser 
En  esté  freschement  garder, 
Fermées,  les  feray  tenir; 
Laissant  le  chault  du  jou  •  aler 
Avant  que  je  les  face  ouvrir. 

Aussi  en  yver  le  pluvieux, 
Quivens  et  broillars  fait  lever, 
L'air  d'Amour  epidimieux 
Souvent  par  my  se  vient  bouter; 
Si  fault  les  pertuis  estouper. 
Par  où  pourroit  mon  cueur  ferir; 
Le  temps  verray  plus  net  et  cler, 
Avant  que  les  face  ouvrir. 

Désormais  en  sains  et  seurs  lieux, 
Ordonne  mon  cueur  dcmourer, 
Et  par  Nonchaloir,  pour  le  mieulx, 
Mon  medicin,  soy  gouverner  ; 
S'Amour  à  mes  huys  vient  hurter, 


BALLADES.  I7I 

Pour  vouloir  vers  mon  cuieur  venir, 
Seurté  lui  fauldra  me  donner, 
Avant  que  je  les  face  ouvrir. 


Amours,  vous  venistes  frapper 
Pieçà  mon  cueur,  sans  menacer; 
Or,  ay  fait  mes  logis  bastir 
Si  fors  que  n'y  pourrez  entrer, 
Avant  que  je  les  face  civrir. 


BALLADE   X  .K  I  V. 

Ung  jour  ih  mon  cueur  de\isoye 
Qui  en  secret  à  moy  pai  loit, 
Et  en  parlant  lui  demandoyc 
Se  point  d'espargne  fait  avoit 
D'aucuns  biens,  quant  Amours  servoit? 
Il  me  dist  que  tresvoulentiers 
La  vérité  m'en  compteroit, 
Maisqu'eust  visité  ses  papiers. 

Quant  ce  m'eut  dit,  il  pnnt  sa  voye 
Et  d'avecques  moy  se  partoit, 
Après  entrer  je  le  véoye 
En  ung  comptouer  qu'il  avoit; 
Là  deçà  et  delà  queroit, 
En  cherchant  plusieurs  vieux  cayers, 
Car  le  vray  monstrer  me  vouloit, 
Maisqu'eust  visité  ses  papiers. 

Ainsi,  par  ung  temps  l'atendoye. 
Tantost  devers  moy  reto.irnoit 
Et  me  monstra,  dont  j'euz  grant  joye, 


172  CHARLES    D    ORLEANS. 

Ung  livre  qu'en  sa  main  tenoit, 
Ou  quel  dedens  escript  portoit 
Ses  faiz,  au  long  et  bien  entiers, 
Desquelz  informer  me  feroit, 
Mais  qu'eust  visité  ses  papiers. 

Lors  demanday  se  j'y  liroye, 
Ou  se  mieulx  lire  lui  plaisoit? 
Il  dit  que  trop  paine  prendroye, 
Pour  tant  à  lire  commançoit  ; 
Et  puis  gettoit  et  assommoit 
Le  compte  des  biens  et  dangiers 
Tout  à  ung;  vy  que  revendroit 
Mais  qu'eust  visité  ses  papiers. 

Lors  dy  :  «  Jamais  je  ne  cuidoye. 
Ne  nul  autre  ne  le  croiroit, 
Qu'en  amer,  où  chascun  s'employe, 
De  prouffit  n'eust  plus  grant  exploit; 
Amours  ainsi  les  gens  déçoit, 
Plus  ne  m'aura  en  telz  santiers. 
Mon  cTier  bien  effacier  pourroit, 
Mais  qu'eust  visité  ses  papiers.  » 

ENVOI 

Amours  savoir  ne  me  devroit 
Mal  gré,  se  blasme  ses  mestiers. 
Il  verroit  mon  gaing  bien  estroit, 
Mais  qu'eust  visité  ses  papiers. 


BALLADE   XXV. 

En  tirant  d'Orléans  à  Blois, 
L'autre  jour  par  eaue  venoye, 


BALLADES.  IjS 

Si  rencontray,  par  plusieurs  foiz, 
Vaisseaulx,  ainsi  que  je  passoye, 
Qui  singloient  leur  droitte  voye 
Et  aloient  legierement, 
Pour  ce  qu'eurent,  comme  véoye, 
A  plaisir  et  à  gré  le  vent. 

Mon  cueur,  Penser  et  moy,  nous  trois, 
Les  regardasmes  à  grant  joye, 
Et  dist  mon  cueur  à  basse  voie  : 
«  Voulentiers  en  ce  point  feroye 
De  Confort  la  voille  tendroye, 
Se  je  cuidoye  seurement 
Avoir,  ainsi  que  je  vouldroye, 
A  plaisir  et  à  gré  le  vent. 

Mais  je  treuve   le  plus  des  mois, 
L'eaue  de  Fortune  si  quoye, 
Quant  ou  bateau  du  Monde  vois, 
Que,  s'avirons  d'Espoir  n'avoye, 
Souvent  en  chemin  demourroye, 
En  trop  grant  ennui  longuement; 
Pour  néant  en  vain  attendroye 
A  plaisir  et  a  gré  le  vent.  » 

ENVOI. 

Les  nefz  dont  cy  devant  parloye 
Montoient,  et  je  descendoye 
Contre  les  vagues  de  Tourment; 
Quant  il  lui  plaira,  Dieu  m'envoye 
A  plaisir  et  à  gré  le  vent. 

BALLADE   XXVL 

L'autre  jour  je  fis  assembler 
Le  plus  de  Conseil  que  povoye, 


174  CHARLES    DORI-ÉANS. 

Et  vins,  bien  au  long,  raconter 
Comment  delBé  me  tenoye 
Comme  par  I  ectres  monstrero/e 
De  Merancolie  et  Douleur  ; 
Pourquoy  conseiller  me  vouloye 
Par  les  Trois  Estas  de  mon  cueur. 

Mon  advocat  prist  à  parler, 
Ainsi  qu'anformé  je  l'avoye; 
Lors  veissiez  mes  amis  pleurer, 
Quant  sceurent  le  point  où  j'estoye^ 
Non  pourtant,  je  les  confortçye, 
Qu'à  l'aide  de  nostre  Seign'eur, 
Bon  remède  je  trouveroye 
Par  les  Trois  Estas  de  mon  cueur, 

Espoir,  Confort,  Loyal  Penser, 
Que  mes  chiefs  conseillers  nommoye, 
Se  firent  fors,  sans  point  doubler, 
Se  par  eulx  je  me  gouvernoye. 
De  me  trouver  chemin  et  voye 
D'avoir  brief  secours  de  Doulceur, 
Avecques  laide  que  j'auroye 
Par  les  Trois  Estas  de  mon  cueur. 

ENVOI. 

Prince,  Fortune  me  guerroyé 
Souvent  à  tort  ei  par  rigueur, 
Raison  veuit  que  je  me  pourvoye 
Par  les  Trois  Estas  de  mon  cueur. 


BALLADE    XXVII. 

Bon  régime  sanitatis 
Pro  vobis,  neuf  en  mariage; 


BALLADES.  175 


Ne  de  vouloirs  effrenatis, 
Abusez  nimis  en  mesnage; 
Sagaciter  menez  l'ouvrage, 
Ainsi  fait  homo  sapiens, 
Testibus  les  phisiciens. 

Premièrement,  caveatis 
De  coitu  trop  à  oultraige  ; 
Car,  se  sonvcni  hoc  agatis, 
Conjunx  le  vouldra  parusa^jg 
Chalenger,  veliid  heritaige, 
Aiit  erit  quasi  hors  de  sens. 
Testibus  les  phisiciens 

Oultre  plus,  nonfaciatis 
Ut  Philomena  ou  boucnge, 
Se  vos  amours  habeatis, 
Qui  siffle  carens  de  courage 
Cantendi,  mais  monstres  visage 
Joyeux,  et  sitis  paciens ; 
Testibus  les  phisiciens. 


Prince,  miscui  en  potaig'3 
Latinum  et  trançois  langaige, 
Docens  loyaulx  enseignemens, 
Testibus  les  phisiciens. 


BALLADE     XXVIIÏ 

Du  régime  quod  dedistis, 
Cognoscens  que  tressaigement 
Me,  Monseigneur,  docuistis, 
Je  vous  remercie  humblement  ; 
Mais  d'ainsi  faire  seurement, 


\y6  CHARLES  d'orléans. 

Nunquam  uxor  concordabit, 
Hoc  mains  deba^  generabit. 

Je  ne  sçay  si  bien  novistis 
L' infinie  peine  et  tourment, 
In  quibus  me  posuistis, 
Se  je  croy  vostre  enseignement  ; 
Car  tant  congnois,  s'aucunemcnt 
Fais  du  sourt  quando  temptabit, 
Hoc  mains  deba^  generabit. 

Je  voy  trop  bien  quoi  dixistis 
Ce  qu'on  doit  dire  bonnement, 
Et  qu'aussi  me  avertistis 
De  ma  santé  entièrement  ; 
Mais  quant  je  feray  autrement. 
Le  fait  d'autres  recordabit  ; 
Hoc  mains  deba^  generabit. 


Prince,  selon  mon  sentement, 
Jl/ault  s'acquiter  loyaument ; 
Quia  qui  non  laborabit 
Hoc  mains  desbaj  generabit. 


LETTRES 


EN     FORME     DE     COMPLAINTE. 


FREDET    AU    DUC    D    ORLEANS 

Monseigneur,  pource  que  sçay  bien 
Que  vous  are:^,  de  vostre  bien, 
Autreffoi:^  pris  plaisir  à  lire 
De  mes  fais  qui  ne  valent  rien, 
Dont  trop  à  vous  tenu  me  lien, 
Vouloir  m'est  pris  de  vous  escripre 
Et  mon  aventure  vous  dire, 
Laquelle  conter  vous  désire. 
Car  c'est  raison  que  je  le  far  e. 
Espérant  que  de  mon  mariire, 
Tel  conseil  qui  devra  suffire, 
Me  donnerez  de  vostre  grâce. 

Il  est  vray  que  de  par  Amours, 
Un  g  jour  saint  Valent  in,  à  Tours, 
Fut  une  grant /este  ordonnée, 
Et  Jist  assavoir  par  les  Cours, 
Comme  de  coustume  a  tousjours, 
Qiie  chascun  vint  à  la  journée. 
Là  eut  grant  joye  démenée 
Et  mainte  haulte  loy  donnée. 
Qui/ut  sans  per,  choisit  adoncques , 

CHARLES   d'orlÉANS.   I. 


i  CHARLES     d'oRLÉANS. 

Si  eti!(,  comme  par  destinée, 
A  mon  gré  la  meilleure  née 
Qui  en  France  se  trouvast  oncques. 

Comme  ma  Dame,  ma  maistresse 
Et  ma  terrienne  Déesse, 
Tousjours  la  sers  et  l'aj-  servie; 
Car  il  m'a,  par  deffense  expresse. 
Commandé  lui  faire  promesse 
D'estre  sien  pour  toute  rna  vie. 
Car  tant  ma  pensée  a  ravie 
Et  à  la  chérir  asservie 
Que  je  ne  pourroye,  sur  m'ame, 
D'aultre  jamais  avoir  envie, 
Tant  feust  elle  bien  assouvie. 
Si  fort  lui  a  pieu  que  je  lame. 

Mais  ainsi  m'en  va  que  depuis 
Qu'à  elle  donné  je  me  suis. 
Je  ne  peu:^  avoir  bien  nejoye. 
Fors  que  tous  maulx  et  tous  ennuis 
Qui  à  toute  heure,  jours  et  nuis. 
Me  tourmentent  oii  que  je  soye, 
Tant  que  ne  sçay  que  faire  doye  ; 
Et  semble,  se  dire  l'osoye, 
Qu'ilj  ayent  tous  ma  mort  jurée. 
Se  vostre  bonté  n'y  pourvoye. 
Force  sera  que  par  eulx  voye 
Finer  ma  vie  maleurée. 

Pource  que  souvent  ne  la  voy, 
Le  plus  que  je  puis,  sur  ma  foy. 
Je  ne  fais  qu'en  elle  penser . 
Save^  vous  la  cause  pourquoy? 
En  espérant  que  mon  ennoy 
Se  deust  aucunement  cesser. 
Mais  il  ne  me  veult  délaisser, 
Car  plus  en  elle  est  mon  penser; 


COMPLAINTES.  I79- 

Et  plus  de  douleur  me  court  seure. 
Qui  m'est  si  tresdure  à  passer 
Que  je  désire  trespasser 
Plus  de  mille  foys  en  une  heure. 

Que  je  sceusse  prendre  plaisir 
En  riens  qui  soit,  fors  desplaisir. 
Las!  je  ne pourroye  loing  d'elle. 
Car  c'est  celle  que  mon  désir 
M' a  fait  pour  maistresse  choisir, 
Comme  s'il  n' en  feust  point  de  telle. 
Tout  mon  bien  et  mal  vient  de  celle; 
Ainsi,  comme  il plaist  à  la  belle, 
Il  n'en  est  qu'à  sa  voulenté ; 
Et  ne  cuide^  pas  que  vous  celle 
Que  ce  ne  soit  celle  qu'appelle 
Devant  chascun  :  ma  Léauté. 

Puis  que  je  l'ame  si  tresfort, 
N'apas  doncques  Amours  grant  tort 
De  moy  faire  tant  endurer? 
Ou  dire  fault  qu'il  soit  d'accort 
Que  pour  trop  amer  prengne  mort, 
Ou  moy  faire  désespérer, 
Quant  pour  plaindre,  pour  souspirer, 
Pour  mal  qu'il  me  voye  tirer. 
Il  ne  m'en  a  que  pis  donné! 
En  ce  point  me  fault  demeurer. 
Car  mieulx  vault  ainsi  qu  empirer  ; 
Vee^  là  cojnment  suis  gouverné! 

Helas  !  ce  qui  plus  me  tourmente. 
Et  dont  fault  que  plus  de  dueil  sente, 
C'est  la  grant  doubte  que  je  fais. 
Que  je  défaille  à  mon  entente. 
Et  que  du  tout  perde  l'attente 
De  mes  tant  désire^  souhais; 
Car  je  suis  seur,plus  qu'oncques  mais. 


l80  CHARLES     D'oRI.ÉANS. 

Que  si  par  vous  ne  sont  parfais, 
User  ma  vie  rne  fauldra 
En  languissant  desoresmais, 
Comme  cil  à  qui,  pour  jamais, 
Toute  plaisance  deffauldra. 

Et  quant  devers  Amours  je  viens 
Lui  compter  les  maulx  que  soustiens. 
En  lui  requérant  allégeance, 
Il  me  respond  :  «  je  n'y  puis  riens. 
Mais  va  t'en  au  duc  d'Orliens, 
Que  fors  lui,  n'en  a  la  puissance. 
Fay  donc  qu'ayes  son  accointance 
Et  te  met:^  en  sa  bienveillance  ; 
Car,  se  tu  le  puis  faire  ainsi. 
Tu  ne  dois  point  faire  doubtance 
Que  de  ta  dure  desplaisance 
Il  n'en  ait  voulentiers  merci.  » 

A  vous  doncques  me  fault  venir 
Et  vostre  du  tout  devenir, 
Puisque  vous  avef  ce  povoir 
Que  de  moy  faire  parvenir 
Au  plus  haut  bien  qui  avenir 
Me  peut  jamais  à  dire  veoir. 
Pour  quoy  il  vous  plaise  savoir 
Que,  se  vous  y  f aides  devoir 
Et  voule^  à  mon  fait  entendre 
Tellement  que  je  puisse  avoir 
Celle  qui  tant  me  plaist  à  voir, 
Vostre  à  tousjours  je  m'iray  rendre. 

Or  n'oublie^  pas.  Monseigneur, 
Vostre  treshumble  serviteur  ; 
Mais  escoute^  mes  dolans  plains 
Desquieulx  je  vous  fais  la  clameur 
Et  vueillc'^,  par  vostre  doulceur. 
Que  par  vous  il:;  soient  estains. 


COMPLAINTES.  l8l 

Car  croie^  ^"'^f  "^  sont  pas  fains, 
Ains pires  avant  plus  que  mains. 
Puis  me  donne^,  de  vostre  grâce. 
Je  vous  en  pry  à  jointes  mains, 
Tel  responce  que,  soirs  et  mains, 
Tout  mon  vivant  joyeul.v  me  face. 


REPONSE    DU    nue    D   ORLEANS. 

Fredet,  j'ay  receu  vostre  lettre, 
Dont  vous  mercie  chicrement, 
Ou  dedens  avez  voulu  mettre 
Vostre  fait  bien  entièrement  ; 
Fier  vous  povez  seurement 
En  moy,  tout,  non  pas  à  demi, 
Au  besoing  congnoist  on  l'ami. 

S'amour  tient  vostre  cueur  en  serre, 
Ne  vous  esbahissez  en  rien; 
Il  n'est  nulle  si  forte  guerre 
Qu'au  derrain  ne  s'appaise  bien; 
Amour  le  fait,  comme  je  tien. 
Pour  esprouver  mieulx  vostre  vueil 
Grant  joye  vient  après  grant  dueil. 

Se  vous  dittes  :  Las  !  je  ne  puis 
Une  telle  doleur  porter; 
Je  vous  respons  :  Beau  Sire,  et  puis 
Vous  en  voulez  vous  depporter 
Ou  au  Dieu  d'amours  rapporter? 
L'un  des  deux  fault,  se  m'aist  Dieux,  voire: 
Puisqu'il  est  trait,  il  le  fault  boire. 

Guidez  vous,  par  dueil  et  courroux, 
Ainsi  gangner  vostre  vouloir  ? 
Nennyl,  ce  ne  sont  que  coups  rcux 
Qu'Amours  met  tout  en  nonchaloir. 


l8i^  CllAKI.ES    d'ORLÉANS. 

De  riens  ne  vous  pevent  valoir, 
Et  se  les  couchez  en  despence; 
Trop  remaint  de  ce  que  fol  pense. 

Voulez  vous  rompre  vostre  teste 
Contre  le  mur?  ce  n'est  pas  sens. 
Il  faut  dancer,  qui  est  en  feste  ; 
Certes,  autre  raison  n'y  sens; 
Et  pour  ce  là,  je  me  consens 
Que  souffrez  qu'Amours  vous  dcmaine; 
Grant  bien  ne  vient  jamais  sans  paine. 

Mais  de  voz  doleurs  raconter 
Faittes  bien,  ainsi  qu'il  me  semble, 
Et  les  assommer  et  compter 
Devant  Amours  ;  car  il  ressemble 
A  l'ostellier  qui  met  ensemble, 
Et  tout  dedens  son  papier  couche; 
Pour  parler  est  faitte  la  bouche. 

De  pieça  je  fuz  en  ce  point. 
Encore  pis,  loing  d'allegence; 
Toutesfoiz  ne  vouluz  je  point 
De  moy  mesmes  faire  vengence; 
Mais  chauldement,  par  diligence, 
Pourchassay  et  playday  mon  fait; 
Peu  gangne  celuy  qui  se  tait. 

Et  pource  que  la  lettre  dit 
Qu'Amours  veult  que  vers  moy  tirez, 
De  moy  ne  serez  escondit, 
S'aucune  chose  desirez 
A  vostre  bien,  quant  l'escriprez  ; 
Paine  mettray,  d'entente  franche, 
Que  l'ayez  de  croq  ou  de  hanche. 

Combatez,  d'estoc  et  de  taille, 
Vostre  dure  merencolie. 
Et  reprenez,  commant  qu'il  aille, 
Espoir,  confort  et  chiere  lie. 


COMPLAINTES.  l83 

De  ne  vous  oublier  me  lie, 
Autant  en  ce  que  puis  et  doy, 
Que  se  me  teniez  par  le  doy. 

Or  retournons  à  mon  propos 
Et  ne  parlons  plus  de  cecy. 
Vray  est  que  je  suis  en  repos 
D'Amours,  mais  non  pas  de  Soussy; 
Et  pojrce,  )e  vous  vueil  aussy 
De  me  conseillier  travaillier. 
L'amy  doit  pour  l'autre  veillier. 

Soussy  maintient  que  c'est  raison 
Qu'il  ait  sur  tous  vers  moy  puissance; 
Nonchaloir  dit  qu'en  ma  maison 
Vault  mieulx  qu'il  ait  la  gouvernance,  ' 
Car  il  ramènera  Plaisance 
Que  Soussy  a  bannye  à  tort, 
Sans  reveillier  le  chat  qui  dort. 

Soussy  respond  qu'estre  ne  peut, 
Tant  qu'on  est  ou  monde  vivant, 
Car  Fortune  par  tout  s'esmeut 
Et  est  à  chascun  estrivant, 
En  tous  lieux  va  mal  eicrivant, 
Et  toutes  choses  met  en  doubte; 
Elle  a  beaux  yeulx  et  ne  voit  goûte. 

Si  ne  sçay  que  je  doye  taire, 
Ne  lequel  d'culx  me  laissera: 
Car  veu  que  tousjours  j'ay  affaire, 
Soussy  jamais  ne  cessera. 
Mais  mon  plaisir  rabessera 
En  quelque  place  que  je  voysc; 
Bien  est  aise,  qui  est  sans  noyse. 

Quant  en  Nonchaloir  je  m'csbas 
Et  Dcsplaisir  vueil  deboutci". 
Jamais  ne  sçay  parler  si  ba; 
Que  Soussy  ne  vicnjne  c^coutcr. 


184  CHARLES  d'Orléans. 

Las!  je  le  doy  tant  rcdoubtcr, 
Car  à  tort  souvent  me  ravalle; 
Mais  sans  mascher  fault  que  l'avalle. 

Je  ne  sçay  remède  quelconques, 
Quanj  ay  mis  ces  choses  en  poys, 
Pour  tous  deux  contenter  adoncques, 
Fors  les  faire  servir  par  moys; 
Mandez  moy  sur  ce  quelque  loys, 
Fredet,  bon  conseil,  par  vostre  ame, 
Foy  que  devez   à  vostre  Dame. 


FREDET    AU    DUC    D    ORLEANS. 

Monsei faneur,  j'aj'  de  vous  receu 
Et  aussi  de  mot  à  mot  leu 
Une  lettre  qu'il  vous  a  pieu 
Moy  rescripre,  touchant  mon  fait, 
Par  laquelle fay  apperceu 
Le  bon  vouloir  qu'ave'^  eu 
Vers  moy  tousjours,  qui  n'est  pas  peu, 
Dont  tout  mon  dueilave:;  dej'ait. 
Et  oultre  plus,  comme  fay  veu, 
Ave:;  voulu  que  fay  e  sceu, 
De  quoy  il  ne  m'a  point  desplcu, 
Ce  qui  tant  vous  grief ve,  ou  refait. 
Sur  quoy,  de  vous  obéir  meu, 
Non  pas  ainsi  comme  il  est  deu, 
Mais  du  tout  au  mieulx  que  fay  peu, 
Mon  conseil  tel  quel  vous  ait  fait  : 

Vous  plaigniez  de  la  rigueur 
Et  aigreur, 
Que  vous  fait,  par  sa  fureur 
Et  chx-leur. 


COMPLAINTES.  l83 

Celluy  que  nomme^  Soiissy, 
Qui  sans  cause  et  sans  couleur 

Et  langueur, 
Par  son  ennuyeux  labeur 

Et  maleur, 
Vous  tourmente  sans  mercy  ; 
Dont  par  force  de  douleur 

Vostre  cueur 
Est  noyé  par  grant  langueur. 

Tout  en  pleur. 
Et  souvent  devient  iransy. 
Puis  racoulej,  Monrcigneur, 

Quel  doulceur, 
Nonchaloir,  par  son  bon  eur 

Et  valeur, 
Se  offre  vous  faire  aussi. 

De  Soussy  vous  vueil  escripre  : 
C'est  ung  tresmerveilleux  sire, 

Etfault  dire 
Que  cellui  n'a  pas  couraige 

D'omme  saige, 
Qui  veult  qu'avec  lui  demeure. 
Car  il  ne  sert  que  de  nuyre. 
Et  ne  pense,  ne  désire 

Qu'à  destruire. 
Et  fait  à  cliascun  dommaige 

Et  oultraige. 
Ne  lui  chault  qui  vive  ou  meure. 
Et  fut  il  seigneur  d'empire, 
Ou  qui  que  soit,  tout  fait  frire 

Et  martire; 
Tant  qu'il  est  en  son  servaige, 

Avantaige 
N'a  nul,  je  le  vous  asseure. 
Mille  maulx,  tous  d'une  tire, 


IbO  CHARLES    D    ORLEANS. 

Ne  lin  pevent  trop  suffire  ; 

Il  n'est  pire, 
Tant  fait  de  tourmenter  rage, 

Et  enrage 
Qu'à  son  gré  tout  ne  demeure. 
Soussy  toit  d'estre  joyeulx, 
Et  fait  merencolieiix 

Par  tous  lieux, 
Et  bien  souvent  furieux, 
Tous  ceulx  oii  il  a  puissance  ; 
Par  lui  les  biens  gracieux 
Deviennent  mal  gracieux  ; 

Jeunes,  vieux. 
Tout  fait  trouver  ennuy^eux 
A  qui  plaist  son  accointauce, 
Puis,  par  sa  grande  savance, 

Il  avance 
Autour  d'eulx  Désespérance 
Qiii,par  ses  di^  ennuyeux, 
Et  ses  fat  j  malicieux 

Et  criieux, 
Les  met  en  ceste  créance 
Que  jamais  il:^  n'auront  mieulx. 
Lors  sont  à  tel  desplaisance 
Que  plus  seroit  leur  plaisance, 

Sans  doubtance, 
Brief  mourir  qu'estre  mais  tieulx. 

Se  les  maulx  compter  vouloye, 
Et  la  puissance  en  avoye. 
Que  Soussy  vous  feroit  bien! 
Mais  à  quoy  l entreprendroye  ? 
Car  certes  je  ne  sauroye 
D'un  an  vous  dire  combien. 
Et pource,  à  tant   e  m'en  lien. 
Et  maintenant  je  revien. 


COMPLAINTES.  187 

Pour  faire  vostre  vouloir, 
A  parler,  se  j'en  sçay  rien, 
Du  grant  aise,  du  haiilt  bien. 
Lequel  donne  Nonchaloir. 

Qiti  à  Nonchaloir  s'adresse. 
Et  tout,  pour  estre  sien,  lesse 
Et  delesse, 

En  léesse, 
Sans  que  jamais  mal  le  blesse, 
Pourra  sa  vie  passer. 
Dueil,  Courroux,  Soussy,  Aspresse, 
Et  tous  ceulx  de  leur  promesse, 

Soit  Tristesse, 

Ou  Destresse, 

Ou  Rudesse, 
Qui  de  mains  grever  ne  cesse. 
Tous  les  fait  avant  passer. 

Contre  lui  n'ont  hardiesse; 
Il  les  vaint,  par  sa  sagesse, 

Et  abesse 

Leur  duresse, 

Leur  haultesse. 
Nul  ose  lui  faire  presse, 
N'encontre  lui  s'amasser. 
Car  il  maine  Joye  en  lesse. 
Qui  le  deffent  d'eulx  sans  cesse 

Par  prouesse. 

Or  donc  qu'esse? 
Est  il  au  monde  richesse 
Qui  sceust  un  g  tel  bien  passer? 
De  lui  vient  Plaisante  Vie 

Qui  des  vie 
Dueil,  Soussy,  de  toute  place; 
De  repos  Aise  assouvie. 

Sans  envie 


îfSO  CHARLES    D    ORLEANS. 

De  bien  qu'à  autruy  se  face. 
Les  autres  bonnes  efface, 

Et  defface. 
Tout  est  en  Joye  ravye, 
Tout  fait  a  joyeuse  face, 

Dont  la  f^race 
De  vous  a  bien  dascnye. 

Nonchaloir,  de  sa  nature. 
Lui  soit  fortune  ou  non,  dure  ; 
L'un  et  l'autre  tout  endure , 
Et  prent  en  gré  ïavanture, 
Car  il  ne  tient  d'ame  coûte. 
Joye,  dueil,  paix  ou  murmure, 
Gangner,  perdre  sans  mesure. 
Soit  à  tort,  ou  par  droicture, 
Tout  lui  est  ung,  je  vous  jure 
Ne  lui  chault  s'il  besse  ou  monte. 
Ou  se  moindre  le  surmonte  ; 
D  un  chascun  à  son  gré  compte  ; 
De  quanque  lui  vient  n'a  honte, 
Soit  bien  ou  mal,  rien  n'en  compte. 
A  tout  faire  s'avanture; 
Autant  lui  est  Roi  que  Conte, 
La  cause  est,  comme  il  ra  onte, 
Car  à  nulluy  ne  rent  compte. 
Et  pource,  la  fin  de  conte. 
Tous] ours  sa  vie  en  paix  dure. 

Pourquoy,  servir  je  vous  conseille 
De  nostre  maistre  Nonchaloir  ; 
Et  bannisse:^,  vueille  ou  non  vueille, 
Soucy.,  sans  plus  vous  en  chiloir; 
De  lui  mieulx  ne  pove^  valoir, 
I^Iais  soit  hors  de  vostre  mémoire  ; 
Qui  demande  conseil  doit  croire. 

Je  vous  supply  qu'il  vous  suffise. 


COMPLAINTES.  189 

Et  aussi  il  ne  vous  desplaise, 

D'une  question  qu'ay  cy  mise, 

D'un  mien  amy  très  en  malaise. 

Dont,  Monseigneur  (mais  qu'il  vous  plaise), 

Vcstre  conseil  avoir  m'en  fault  ; 

L'advis  de  deux  mieulx  que  d'un  vault. 

Cellui  que  dy  est  si  espris 
D'une  tant  belle,  bonne  Dame, 
Qu'il  ne  pourrait  estre  repris 
Tellement  si  tresfort  il  ame; 
Mais  espoir  n'a  point,  sur  mon  ame, 
D'avoir  jamais  d'elle  secours; 
Pas  n'est  en  paix  qui  sert  amours. 

Que  autre  Dame,  se  lui  semble, 
Qui  n'a  point  de  meilleur  vivant, 
Par  le  bien  qu'en  elle  s'assemble. 
Le  vouldroit  bien  pour  son  servant; 
Non  pourtant  il  mourrait  avant 
Que  son  cueur  se  peust  sien  clamer  ; 
Par  force  l'en  ne  peut  amer. 

Et  pource,  maintenant  demande 
Qui  lui  sera  moins  chose  forte, 
Celle  amer  qu  Amours  lui  commande, 
Oii  toute  s  espérance  est  morte. 
Ou  l'autre,  combien  qu'il  rapporte 
Qu'amer  ne  la  peut,  ne  désire^ 
De  deulx  maulx  on  prent  le  moins  pire. 

Vee^  là  de  mon  amy  le  cas. 
Auquel  fauldroye  bien  envis  ; 
Mais  conseiller  ne  le  puis  pas, 
Sans  en  avoir  de  vous  l'advis. 
Fait  en  soit  à  votre  devis. 
Monseigneur,  car  c'est  bien  raison. 
Et  à  tant  fine  ma  raison. 


JQO  CHARLES     D    ORLEANS. 


LA    COMPLAINTE    DE   FRANCE. 


France,  jadis  on  te  souloit  nommer. 
En  tous  pays,  le  trésor  de  noblesse, 
Car  un  chascun  povoit  en  toy  trouver 
Bonté,  honneur,  loyaulté,  gentillesse, 
Clergie,  sens,  courtoisie,  proesse. 
Tous  estrangiers  amoient  te  suir. 
Et  maintenant  voy,  dont  j'ay  desplaisance, 
Qu'il  te  convient  maint  griel  mal  soustenir, 
Trescrestien,  franc  royaume  de  France. 

Scez  tu  dont  vient  ton  mal,  à  vray  parler? 
Congnois  tu  point  pourquoy  es  en  tristesse? 
Conter,  le  vueil,  pour  vers  toy  m'acquiter, 
Escoutes  moy,  et  tu  feras  sagesse. 
Ton  grant  orgueil,  gloutonnie,  peresse, 
Convoitise,  sans  justice  tenir. 
Et  luxure,  dont  as  eu  abondance, 
Ont  pourchacié  vers  Dieu  de  te  punir, 
Trescrestien,  franc  royaume  de  France. 

Ne  te  vueilles  pour  tant  désespérer. 
Car  Dieu  est  plain  de  merci,  à  largesse. 
Va  t'en  vers  lui  sa  grâce  demander, 
Car  il  t'a  fait,  de  jà  pieçà,  promesse 
(Mais  que  faces  ton  advocat  Humblesse,) 
Que  tresjoyeux  sera  de  toy  guérir  ; 
Entièrement  metz  en  lui  ta  riance, 
Pour  toy  et  tous,  voulu  en  crois  mourir, 
Trescrestien,  franc  royaume  de  France. 

Souviengne  toy  comment  voult  ordonner 
Que  criasse  Montjoye,  par  liesse. 
Et,  qu'en  escu  d'azur,  deusscs  porter 


COMPLAINTES.  I9J 

Trois  fleurs  de  Lis  d'or,  et  pour  hardiesse 

Fermer  en  toy,  t'envoya  sa  Haultesse, 

L'Auriflamme,  qui  t'a  fait  seigneurir 

Tes  ennemis;  ne  metz  en  oubliance 

Telz  dons  haultains,  dont  lui  pleut  t'enrichir, 

Trescrestien,  franc  royaume  de  PVance 

En  oullre  plus,  te  voulu  envoyer 
Par  un  coulomb  qui  est  plain  de  simplesse, 
La  unction  dont  dois  tes  Rois  sacrer, 
Afin  qu'en  eulx  dignité  plus  en  cresse. 
Et,  plus  qu'à  nul,  t'a  voulu  sa  richesse 
De  reliques  et  corps  sains  départir; 
Tout  le  monde  en  a  la  congnoissance. 
Soyes  certain  qu'il  ne  te  veuit  faillir. 
Trescrestien,  franc  royauiye  de  France 

Court  de  Romme  si  te  fa  t  appeller 
Son  bras  dextre,  car  souvent  de  destresse 
L'as  mise  hors,  et  pour  ce  approuver, 
Les  Papes  font  te  seoir,  seul,  sans  pre?se, 
A  leur  dextre;  se  droit  jamais  ne  cesse. 
Et  pource,  dois  fort  pleurer  et  gémir. 
Quant  tu  desplais  à  Dieu  qui  tant  t'avance 
En  tous  estas,  lequel  deusses  chérir, 
Trescrestien,  franc  royaume  de  France. 

Quelz  champions  souloit  en  toy  trouver 
Crestienté  1  Jà  ne  fault  que  l'expresse  ; 
Charlemaine,  Roiant  et  Olivier, 
En  sont  tesmoings;  pource,  je  m'en  délaisse  ; 
Et  saint  Loys  Roy,  qui  tist  la  rudesse 
Des  Sarrasins  souvent  anéantir. 
En  son  vivant,  par  travail  et  vaillance; 
Les  croniques  le  monstrent,  sans  mentir, 
Trescrestien,  franc  royaume  de  France. 

Pource,  France,  vueilles  toy  adviser, 
Et  tost  reprens  de  bien  vivre  l'adresse  ; 


192  CHAULES    D    ORLEANS. 

Tous  tes  meffaiz  mctz  paine  d'amanJer, 
Faisant  chanter  et  dire  mainte  messe 
Pour  les  âmes  de  ccalx  qui  ont  l'aspresse 
De  dure  mort  souffert,  pour  te  servir; 
Leurs  loyautez  ayes  en  souvenance, 
Riens  espargnié  n'ont  pour  toy  garantir, 
Trescrestien,  franc  royaume  de  France. 

Dieu  a  les  braz  ouvers  pour  t'acoler, 
Prest  d'oublier  ta  vie  pécheresse; 
Requier  pardon,  bien  te  vendra  aidier 
Nostre  Dame,  la  trespuissant  princesse, 
Qui  est  ton  cry  et  que  tiens  pour  maistresse. 
Les  sains  aussi  te  vendront  secourir, 
Desquelz  les  corps  font  en  toy  demourance. 
Ne  vueilles  plus  en  ton  pechié  dormir, 
Trescrestien,  franc  royaume  de  France. 

Et  je,  Charles  duc  d'Orlians,  rimer 
Voulu  ces  vers,  ou  temps  de  ma  jeunesse, 
Devant  chacun  les  vueil  bien  ad  vouer, 
Car  prisonnier  les  fis,  je  le  confesse; 
Priant  à  Dieu,  qu'avant  qu'aye  vieillesse, 
Le  temps  de  paix  partout  puist  avenir, 
Comme  de  cueur  j'en  ay  la  desirance, 
Et  que  voye  tous  tes  maulx  brief  finir, 
Trescrestien,  franc  royaume  de  France. 


COMPLAINTE    I. 

Amour,  ne  vous  vueille  desplaire, 
Se  trop  souvent  à  vous  me  plains, 
Je  ne  puis  rnon  cueur  taire  taire, 
Pour  la  doleur  dont  il  est  plains. 
Helas!  vueillez  penser  au  moins 


COMPLAINTES.  Ii)3 

Aux  services  qu'il  vous  a  faiz, 
Je  vous  en  pry  à  jointes  mains, 
Car  il  en  est  temps,  ou  jamais. 

Monstrez  qu'en  avez  souvenance, 
En  lui  donnant  aucun  secours, 
Faisant  semblant  qu'avez  plaisance 
Plus  à  son  bien  qu'à  ses  doulours; 
Ou  me  dittes,  pour  Dieu,  Amours, 
Se  le  lairrez  en  cest  estât  ; 
Car  d'ainsi  demourer  tousjours, 
Cuidez  vous  que  ce  soit  esbat  ? 

Nennil,  car  Dangier  qui  désire 
De  le  mettre  du  tout  à  mort. 
L'a  mis,  pour  plustost  le  destruire. 
En  la  prison  de  Desconfort  ; 
Ne  jamais  ne  sera  d'accort 
Qu'il  en  parte  par  son  vouloir, 
Combien  que  trop,  et  à  grant  tort, 
Long  temps  lui  a  fait  mal  avoir. 

Et  pour  la  tresmauvaise  vie 
Que  lui  fait  souffrir  ce  villain. 
Il  est  encheu  en  maladie, 
Car  de  tout  ce  qui  lui  est  sain 
A  le  rebours,  j'en  suy  certain. 
En  ceste  dolente  prison, 
Ne  sçay  s'il  passera  demain 
Qu'il  ne  meure  sans  guerison. 

Car  il  n'a  que  poires  d'angoisse 
Au  matin,  pour  se  desjeuner, 
Qui  tant  le  refroisdist  et  froisse 
Qu'il  ne  peut  santé  recouvrer. 
D'eaue  ne  lui  fault  point  donner, 
Il  en  a  de  larmes  assez; 
Tant  a  de  mal,  à  vray  parler, 
Que  cent  en  seroient  lassez. 

CHARLES   d'ORLÉANS.   l.  l9 


I')4  CHARLES    D    ORLEANS. 

Et  n'a  que  le  lit  de  Pensée 
Pour  soy  reposer  et  gésir  ; 
Mais  Plaisance  s'en  est  alée, 
Qui  plus  ne  le  povoit  souffrir, 
A  paine  l'a  peu  retenir, 
S'Espoir  ne  feust  jusques  à  cy  ; 
N'a  il  donc  raison,  sans  mentir, 
S'il  fait  requeste  de  Mercy? 

11  porte  le  noir  de  Tristesse, 
Pour  Réconfort  qu'il  a  perdu, 
N'oncques  hors  des  fers  de  Destresse 
N'est  party,  pour  mal  qu'il  ait  eu  ; 
Touteffoiz  vous  avez  bien  sceu 
Qu'à  vous  s'estoit  du  tout  donné. 
Quelque  doleur  qu'il  ait  receu. 
Et  vous  l'avez  abandonné  ! 

Par  m'ame,  c'est  donner  courage 
A  chascun  de  voz  serviteurs 
De  vous  laisser,  s'il  estoit  sage, 
Et  quérir  son  party  ailleurs  ! 
Car  tant  qu'aurez  telz  gouverneurs 
Comme  Dangier,  le  desloyal, 
Vous  n'aurez  que  plains  et  clameurs, 
Car  il  ne  fist  oncques  que  mal. 

A  mon  cueur  le  conseilleroye 
Qu'il  vous  laissast  ;  mais,  par  ma  foy, 
Jà  consentir  ne  lui  feroye, 
Cat  tant  de  son  vueil  j'aperçoy. 
Quelque  doleur  qu'il  ait  en  soy, 
Qu'il  est  vostre  par  devant  tous  ; 
Et,  par  mon  serment,  je  le  croy, 
Qu'autre  maistre  n'aura  que  vous. 

Or  regardez,  n'est  ce  merveille 
Qu'il  vous  aime  si  loyaument, 
Quant  toute  doleur  nompareille 


COMPLAINTES.  Ig5 

A  receu,  sans  allégement  ? 

Et  si  le  porte  lyement, 

Pensant  que  une  foiz  mieulx  sera  ; 

A  vous  s'en  attent  seulement, 

Ne  jà  autrement  ne  fera. 

Si  m'a  chargié  que  vous  requière, 
Comme  pieçà  vous  a  requis, 
Que  vueilliez  oïr  sa  prière  : 
C'est  qu'il  soit  hors  de  prison  mis, 
Et  Dangier  et  les  siens  bannis, 
Qui  jamais  ne  vouldront  son  bien  ; 
Ou  au  moins  qu'aye  saufconduis 
Qu'ilz  ne  lui  meffacent  de  rien. 

Afin  qu'ilz  puist  oïr  nouvelle 
De  celle  dont  il  est  servant, 
Eî  souvent  veoir  sa  beaulté  belle  ; 
Car  d'autre  rien  n'est  désirant 
Que  la  servir,  tout  son  vivant, 
Comme  la  plus  belle  qui  soit, 
A  qui  Dieu  doint  de  biens  autant 
Que  son  loyal  cueur  en  vouldroit. 


COMPLAINTE    II. 


Ma  seule  Dame  et  ma  maistresse, 
Où  gist  de  tout  mon  bien  l'espoir 
Et  sans  qui  plaisir  ne  liesse 
Ne  me  pevent  en  riens  valoir, 
Pleust  à  Dieu  que  peussiez  savoir 
Le  mal,  l'ennuy  et  le  courrons. 
Qu'à  toute  heure  me  fault  avoir 
Pource  que  je  suis  loings  de  vous. 

Helas  !  or  ay  je  souvenance 


Que  je  VOUS  vy  derrainement 
A  si  tresjoyeuse  plai>nnce 
Qu'il  me  sembloit  certainement 
Que  jamais  ennuyeux  tourment 
Ne  devoit  près  de  moi  venir, 
Mais  je  trouvay  bien  autrement, 
Quant  me  fallut  de  vous  partir. 

Car,  quant  ce  vint  au  congié  prandre, 
Je  ne  savoye,  pour  le  mieulx. 
Auquel  me  valoit  plus  entendre 
Ou  à  mon  cueur,  ou  à  mes  yeulx  ; 
Car  je  trouvay,  ainsi  m'aid  Dieux, 
Mon  cueur  courroucié  si  trcsfort 
Qu'oncques  ne  le  vy,  en  nulz  lieux. 
Si  eslongnié  de  Reconfort. 

Et  d'autre  part,  mes  yeulx  estoient 
En  ung  tel  vouloir  de  pleurer 
Qu'à  peine  tenir  s'en  povoient, 
N  ilz  n'osoient  riens  regarder  ; 
Car,  par  ung  seul  semblant  monstrsr 
En  riens  d'en  estre  desplaisans, 
C'eust  esté  pour  faire  parler 
Les  jalous  et  les  mesdisans. 

Et  de  la  grant  paour  que  j'avoye 
Que  leur  deuil  si  ne  feust  congneu, 
Auquel  entendre  ne  savoye; 
Oncques  si  esbahy  ne  fu, 
Si  dolent  ne  si  esperdu  ; 
Car,  par  Dieu,  j'eusse  mieulx  amé, 
Avant  que  l'en  l'eust  apperceu. 
N'avoir  jamais  jour  esté  né. 

Car,  se  par  ma  felle  manière, 
J'eusse  monstre,  ou  par  semblant 
Venant  de  voulenté  legiere, 
L'amour  dont  je  vous  ayme  tant, 


COMPLAINTES.  I97 

(Parquoy  eussiez  eu,  tant  ne  quant, 
De  blasme,  ne  de  deshonneur) 
Je  sçay  bien  que,  tout  mon  vivant, 
Je  fusse  langui  en  doleur. 

En  ce  point  et  encore  pire, 
Alors  de  vous  je  me  party, 
Sans  avoir  loisir  de  vous  dire 
Les  maulx  dont  j'estoye  party  ; 
ToutefFoiz,  Belle,  je  vous  dy 
Qu'il  vous  pleust  de  vouloir  penser 
Que  je  vous  avoye  servi 
Et  serviroye  sans  cesser, 

Tant  comme  dureroit  ma  vie  ; 
Et,  quant  de  mort  seroye  pris. 
De  m'ame  seriez  servie, 
Priant  pour  vous  eu  Poradis, 
S'il  en  estoit  en  son  devis  ; 
Et  mes  biens,  mon  cueur  et  mon  corps. 
Je  les  vous  ay  du  tout  soubzmis  ; 
Mais  ça  esté  de  leurs  accors. 

Car  il  n'est  nulle  que  je  clame. 
Ne  qui  se  puist  nommer,  de  vray. 
Ma  seule  souveraine  Dame, 
Fors  que  vous,  à  qui  me  donnay 
Le  premier  jour  que  regarday 
Vostre  belle  plaisant  beaulté. 
De  qui  vray  serviteur  mourray, 
En  gardant  tousjours  loyaulté. 

Or,  vueilliez  donc  avoir  pensée, 
Puis  que  lors  j  avoye  tel  deuil, 
Belle  tresloyaument  amée. 
Qu'encore  est  plus  grant  le  recueil, 
Maintenant  que,  contre  mon  vueil. 
Me  fault  estre  de  vous  loingrains, 
Et  que  véoir  ne  puis  à  l'ueil 


igS  CHARLES    d'oULÉANS. 

Vos  belles,  blanches,  doulces  mains, 

Et  vostre  beaulté  nompareille 
Que  véoye  si  voulentiers, 
Plaine  de  doulceur  à  merveille. 
Dont  tous  voz  faiz  sont  si  entiers 
Qu'ilz  ont  esté  les  messaigiers 
De  me  toUir,  et  près  et  loing. 
Mes  vouloirs  et  mes  desiriers; 
Ainsi  m'aid  Dieu  à  mon  besoing. 

Si  vous  supply,  tresbonne  et  belle, 
Qu'ayez  souvenance  de  moy; 
Car,  à  tousjours,  vous  serez  celle 
Que  serviray  comme  je  doy  ; 
Je  le  vous  prometz,  par  ma  foy, 
Du  tout  à  vous  me  suis  donné  ; 
Se  Dieu  plaist,  je  feray  pourquoy 
J'en  seray  tresbien  guerdonné. 


COMPLAINTE    III. 

L'autrier  en  ung  lieu  me  trouvay, 
Triste,  pensif  et  doloreux, 
Tout  mon  fait,  bien  au  long,  compta/ 
Au  hault  Prince  des  amoureux, 
Lequel  m'a  esté  rigoreux 
Ou  temps  que  mon  cueur  le  servoit  ; 
Et,  ainsi  qu'il  me  respondoit. 
Souvenir,  qui  fut  au  plus  près, 
Ses  ditz  et  les  miens  escripvoit 
En  la  manière  cy  après  ; 

l'amant, 
Helas!  Amours,  de  vous  me  plains; 


COMPLAINTES.  I99 

Mais  les  griefz  maulx  le  me  font  faire, 
Dont  mon  cueur  et  moy  sommes  plains. 
Car  trop  estes  de  dur  afaire. 
S'un  peu  me  fussiez  débonnaire, 
Espoir,  que  j'ay  du  tout  perdu, 
Si  me  seroit  tantost  rendu  ; 
Ainçois,  par  vous  m'est  deflendu 
Plaisant  Désir  et  Bel  Acueil. 

AMOURS. 

Amours  respond  :  A  trop  prant  tort 
Vous  complaigncz  et  sans  raison, 
Car,  envers  chascun  Reconfort 
N'est  pas  tousjours  en  sa  saison  ; 
Et  si  savez  qu'en  ma  maison 
Une  coustume  se  maintient. 
C'est  assavoir  que  qui  se  tient 
Pour  serviteur  de  mon  hosrel, 
Mainteffoiz  souffrir  lui  convient: 
L'usaige  de  mes  gens  est  tel. 

l'amant. 

Certes,  Sire,  vous  dittes  vray  ; 
Mais  l'ordonnance  riens  ne  vault. 
Parler  en  puis,  car  bien  le  sçay. 
Et  ay  dancié  à  ce  court  sault  ; 
Parquoy  je  congnois  le  deffault 
De  doulx  plaisir  que  l'en  y  a; 
Car,  quant  mon  cueur  vous  depria 
Secours,  il  lui  fust  escondit, 
Adoncques,  de  dueil  regnya 
Vostre  povoir,  et  s'en  partit. 

AMOURS. 

Dca  !  beaulx  amis,  se  dit  Amours, 


200  CHARLES     d'oRLÉANS. 

Celui  qui  à  servir  se  met, 
S'il  veult  avoir  tantost  secours 
Et  le  guerdon  qu'on  y  promet, 
Ou  autrement,  il  se  desmet 
Du  service  qu'il  a  empris, 
De  Loyaulté  seroit  repris, 
Quant  je  tendray  mon  jugement, 
Et  si  perdroit  tous  los  et  pris, 
Sans  jamais  nul  recouvrement. 

l'amant. 

Voire,  Sire,  doit  on  servir 
Sans  prouffit  ou  guerdon  avoir? 
Nennil,  ung  cueur  devroit  mourir, 
Puis  qu'il  a  fait  loyal  devoir 
Entièrement  à  son  povoir. 
Et  qu'il  lui  fault  quérir  son  pain; 
A  vous,  qui  estes  souverain, 
En  est  le  plus  de  deshonneur, 
Veu  que,  par  faulte,  meurt  de  fain 
Vostre  bon  loyal  serviteur. 


Qu'on  meure  de  fain  ne  vueil  pas, 
Mais  le  trop  hasté  s'eschaulda, 
Il  convient  aler  pas  à  pas  ; 
Et  puis  après  on  congnoistra 
Qui  mieulx  son  devoir  fait  aura  ; 
Alors  doit  estre  guerdonné. 
Je  suis  assez  abandonné, 
A  grant  largesse,  de  mes  biens; 
Mais  quant  j'ay  mainteffoiz  donné 
A  plusieurs,  semble  qu'ilz  n'ont  riens. 


COMPLAINTES  201 


L    AMANT. 


De  ceulx  ne  suis,  quant  est  à  moy. 
Surce,  je  respons  à  brief  motz  : 
Je  vous  asseure,  par  ma  foy, 
Oncqaes  ne  fuz  en  ce  propos, 
J'ay  toujours  porté  sur  mon  dos, 
Paine,  Travail  à  grant  planté. 
Ne  nulle  chose  n'ay  hanté, 
Dont  on  dye  qu'aye  failly. 
Combien  qu'en  dueil  m'aiez  planté, 
Comme  faint  seigneur  et  amy. 

AMOURS. 

Estre  mon  maistre  vous  voulez, 
Par  vostre  parler,  ce  me  semble. 
Et  grandement  vous  me  foulez  ; 
Mais  l'estrif  de  nous  deux  ensemble. 
Comme  on  peut  cognoistre,  ressemble 
Au  débat  du  verre  et  du  pot; 
Fain  avez  qu'on  vous  tiengne  à  sot; 
Devant  Raison  soit  assigné, 
Se  j'ay  tort,  paier  vueil  l'escot, 
Quant  le  débat  sera  fine. 

l'aMA  NT. 

Il  fault  que  le  plus  foible  doncques 
Soit  tousjours  gecté  soubz  le  pié, 
Ne  je  ne  vy  autrement  oncques; 
Rendre  se  fault,  qui  n'a  traittié. 
J'ay  cogneu,  oîi  j'ay  peu  gaingnié, 
Vostre  court,  à  mont  et  à  val. 
Et,  soit  à  pié  ou  à  cheval. 
On  n'y  scet  trouver  droit  chemin, 
Quoy  qu'on  y  trouve,  bien  ou  mal, 
Il  fault  tout  partir  au  butin. 


202  CHARLES     D    ORLEANS. 


Pour  le  présent,  plus  n'en  parlons; 
Puisque  j'ay  puissance  sur  tous, 
Quelque  chose  que  debatons, 
A  mon  plaisir  feray  de  vous. 
Ne  me  chault  de  vostre  courrous 
Ne  de  chose  que  l'on  me  dye. 
Se  je  vous  ay  fait  courtoisie, 
Se  le  voulez,  prenez  l'en  gré, 
Car  le  premier  vous  n'estes  mie 
Qu'ay  courcié  en  plus  grant  degré. 


POESIES 

ATTRIBUÉES    A    CHARLES    d'orLÉANS. 


LA  Y     PITEUX. 

Bonne  saison,  bon  temps  avoye, 
Elas  !  amy,  quant  vous  véoye. 
Reconfort  bon  et  vous  prenoye  ; 
Tant  de  plaisir  et  d'autre  bien 
Rejoïssoit  ma  seule  joye  ; 
A  vo  vouloir  me  soubzmectoye; 
Nul  autre  bien  ne  demandoye 
Dessoubz  les  cieulx  pour  estre  mien, 

Que  vostre  amour  que  tant  amoye, 
En  vous  servant  me  delictoye! 
Et  pourquoy  non  !  bien  seur  estoye 
Que  vous  m'aimiez  tresloyaument; 
Et  quant  jadiz  vous  requeroye 
Que  vo  servant  estre  vouloye, 
Mon  seul  vouloir  vous  appelloye 
Et  mon  vaillant  entièrement. 

Vous  me  dictes  si  douicement, 
En  moy  baisant  et  accollant  : 
«  Amy,  amons  nous  chierement, 


204  POÉSIES    ATTRIBUÉES 

Baille  ton  cueur,  et  prcns  le  mien;  » 
Et  je  changay  joyeusement, 
Et  vous  aussi  si  liement, 
Etfeïsmes  loyal  serment 
Qu'avons  tenu,  je  le  sçay  bien. 

Et  est  vray  qu'oncques  cresticn 
En  amours  n'eust  autant  de  bien 
(Gardant  vostre  honneur  et  le  mien,) 
Que  j'ay  eu,  et  sans  avoir  blasme  : 
Vo  doulz  acueil,  vo  doulx  maintien, 
Vostre  plaisir  que  fust  le  mien. 
Car  sans  cellui  ne  m'estoit  rien. 
Je  le  jure  sur  Dieu,  sur  m'ame. 
Si  vous  baillay  le  mien  en  garde. 

Belle  Dame, 

Prenant  charge 
De  vous  loyaument  servir, 
Sans  reprouche  ne  diffame, 

Sur  mon  arme. 
Sans  jamais  de  vous  partir. 
Elas  !  quant  d'elle  partoye, 

Jepensoye 

Quant  pourroye 
Bien  tost  vers  elle  venir; 
Nuit  et  jour  je  la  sGr.joye, 
La  veoye  parler,  aler  et  venir! 
Tant  espris  d'elle  estoye , 
Qu'en  veillant  je  l'appelloye, 
Puis  que  bien  loing  en  estoye, 
A  soy  cuidoye  parler; 
Mais  puis  bien  après  veoye 

Que  resvoye. 
Me  prenoye  à  plourer. 

Cest  ducil  m'estoit  à  porter» 
Et  bien  aise  endurer, 


A    CHARLES    d'oRLÉANS.  205 

Car  bien  tost,  du  retourner 
Me  prenoit  tresgrant  talent; 
En  elle  si  fort  penser, 
Ma  joye  renouveller 
Me  faisoit  incontinent. 

Et  quant  venir  n'y  povoye, 
Entre  deux  lui  rescripvoye, 
Son  nom  et  le  mien  mectoye 
Escript  bien  estrangement; 
Et  puis  quant  je  la  véoye, 
Dieu  scet  quel  chiere  j'avoye 
Recueilly  joyeusement. 

Puis  nous  faillu  esloingner 
L'un  de  l'autre,  guermenter, 

Car  Dangier, 
Plusieurs  autres  mesdisans 
Nous  firent  tant  endurer, 
Et  plourer. 
Tourmenter, 
Oncques  puis  n'eusmes  bon  temps. 

Et  puis  entre  autre  gent 
Failloit,  en  nous  esloingnant, 
A  plusieurs  autres  parler, 
Avoir  autre  pensement. 
Muer  la  couleur  souvent, 
Sans  l'un  l'autre  regarder. 

Elas!  elle  s'esbastoit. 
Et  bonne  chiere  faisoit 
A  tous  autres,  fors  qu'à  moy; 
Dont  mon  cuer  tort  souspiroit, 
Quant  elle  me  regardoit. 
Je  vous  jure  par  ma  foy. 

Dont  sourdit  grant  jalousie, 
Car  elle  ne  créoit  mye 
Que  n'eusse  fait  autre  amye  ; 


206  POÉSIES    ATTRIBUÉES 

Ainsi  me  sembloit  il  d'elle 
Que  s'amour  me  fust  faillie, 

Départie, 

Etguerpie; 
M'eust  laissié  la  bonne  belle. 
Dont  ensuiesgrant  qucrcilc. 

Moy  et  elle, 
Advint  qu'en  une  chappelle 
Nous  nous  trouvasmes  tous  deux, 
Et  je  lui  dis  ;  «  Bonne  et  Belle, 
Ne  me  soiez  si  cruelle, 
Puis  que  nous  sommes  tous  seulz. 
Dictes  moy  vostre  vouloir, 
Ne  me  vueilliez  décevoir, 
Ne  mectre  à  nonchaloir, 
Car,  vers  vous  n'ay  rien  forlaii 
—  Mon  amy,  vueilliez  savoir. 
Vous  me  feistes  trop  doloir  ; 
Ne  savez  vous  comment  il  m'est? 
Vous  m'avez  abandonnée 

Et  laissiée. 

Désolée, 

Esloingnée  ; 
A  qui  oseray  je  dire 
Ma  tresdolente  pensée 

Qui  grevée 
M'a,  et  trestant  mal  menée 
Que  je  vis  en  grant  martire. 
N'est  riens  qui  me  puist  souffire, 

Tant  ay  d'ire  ; 
Quant  es  autres  vous  voy  rire, 
Et  grant  joye  démener. 
Je  ne  vueil  avoir  nul  mire 

Qui  me  mire, 
J'ayme  mieux  mes  jours  tiner.  » 


A    CHARLES    d'oRLÉANS.  2O7 

Et  lors  nous  nous  advisasmes, 
Et  l'un  l'autre  pardonnasmes, 
Car  pour  obvier  mains  blasmes, 
Il  nous  faillut  esloingner; 
Noz  amours  renouvellasmes, 
Bt  de  nouvel  nous  jurasmes 
De  nous  loyaument  amer. 

Cecy  nous  dura  long  temps; 
On  dit  qu'au  bout  de  sept  ans 
Revient  voulentiers  mal  ans; 
Ainsi  m'est  il  advenu, 
Dont  je  vis  piteusement, 

En  tourment, 
Las!  je  suis  pis  que  perdu. 

Elas  !  trescruelle  mort, 
Tu  me  fais  crier  à  tort 

A  la  mort, 

Que  ma  mort 
Bonnement  ne  l'ose  dire 

Mon  confort, 
Ma  joye  et  mon  déport. 

Or  me  fault  passer  du  port, 
Du  royaume  en  l'empire, 
De  tout  plaisir  en  tristesse  ; 
Mectre  mon  cuer  en  destresse 

Qui  me  blesse. 

Et  ne  cesse 
De  destruire  ma  jeunesse  , 
Puis  que  m'as  mort  ma  maistresse  ; 

Dont  liesse 

Si  me  blesse 

Elas  !  qu'esse. 

Qui  me  presse 
De  dire  las  1  que  feray? 
Que  diray  ?  où  iray? 


208  POÉSIES    ATTRIBUÉES 

Si  mourray, 
Ou  si  de  dueil  creveray? 
Car  je  n'ay  que  esmay 
Elas  !  et  ont  me  mectray 
Jusques  mes  jours  fineray? 
En  lieu  ne  reposeray 
Jusque  là  où  la  verray. 

Car  pour  ce  que  tant  l'aymay, 
Tous  les  jours  souhaitcray 
La  mort  qui  desjà  m'aproucho  ; 
Entre  deux  je  ne  vouldroye 
Estre  en  lieu  ont  eust  joye, 

Com  souloye, 
Car  ma  douleur  doubleroit, 

Véoir  ce  qu'avoir  souloye  ! 
Elas!  car  mieulx  ameroye 
M'en  fouir  où  que  ce  soit, 
Disant  adieu  tresdouloureux, 
Adieu,  adieu  tous  amoureux, 
Adieu  le  plaisir  de  mes  yeulx, 
Adieu,  sans  plus  estre  joyeulx. 

Adieu  le  bien  de  tous  les  lieux, 
Adieu  le  mien  dessoubz  les  cieux, 
Adieu  regard  tresgracieux, 
J'en  preing  congié  de  cueur  piteux. 
Si  fineray  ma  complainte, 
Ma  joye  sera  acteinte, 
Et  de  douleur  aura  y  mainte 

Grant  actainte 
Dont  il  me  convient  languir 

Et  sévir, 
Car  j'ay  aymé,  et  sans  fainte. 
Celle  qu'avoye  tant  crainte, 
Que  pour  elle  vueil  mourir  ! 
Sa  tresbonne  renommée, 


A    CHARLES    D    ORLEANS.  209 

Sa  grâce  de  tous  louée 
Et  de  beauté  aournée, 
Tant  amée  et  prisée, 

Désirée 
De  trestoute  autre  gent, 
La  fait  estre  regrectée, 
Dont  ay  la  mort  demandée, 
Toute  joye  oubliée. 
A  Dieu  son  ame  command. 
Et  sachiez  certainement 
Trestous  li  léal  amant, 

(J'en  dis  tant, 
Sans  nulle  dame  blasmer) 
Que  c'estoit  la  plus  plaisant 
Des  belles  et  avenant, 
C'om  peust  des  yeulx  regarder. 
C'est  le  reconfortement 
Que  j'ay  en  mes  jours  tinant. 
En  priant  humblement 
A  Dieu,  tresdevotement, 
Qu'en  son  Paradis  briefment 
Son  ame  puisse  trouver. 

EXPLICIT      LA     PREMIERE     PARTIE 
DU    LAY    PITEUX. 


RONDEAUX. 

I. 

Sans  vous  veoir, 
Près  du  manoir, 
Amy  de  vous, 
CHAr.LEs  d'orléans.  I.  14 


POESIES     ATTRIBUEES 

Fine  mes  jours 
Cest  derrain  soir, 
Veuillez  savoir 
Qu'à  nonchaloir 
Mis  par  vous  tous, 
Sans  vous  veoir. 


Mourant  espoir 
Ferez  devoir, 
Souviengne  vous 
Que  laissay  tous, 
Par  vous  vouloir. 
Sans  vous  veoir. 


II. 

Faulce  mort, 
Agrant  tort. 
M'as  grevée, 
Et  ostée 
Mon  déport  ; 
Mon  cuer  mort; 
Car  trop  tort 
L'as  serré, 
Faulce  mort. 

Près  du  bort 
Du  mal  port 
M'as  laissiée 
Désolée, 
Sans  confort, 
Faulce  mort. 


A    CHARLES    D    ORLEANS.  211 

BALLADE. 

Bien  puis  dire  souvent  elas! 
Comment  m'e^t  il  mesavenu  ! 
La  mort,  que  moqué  ne  m'a  pas, 
La  belle  bonne  m'a  tollu, 
Et  m'a  iaissié  depourveu 
De  tous  les  biens  qu'avoir  soulove, 
Tout  plain  d'ennuy,  sans  point  de  joye; 
Sy  pry  à  Dieu  qu'en  son  manoir, 
L'ame  de  soy  tout  droyt  envoyé 
Ont  la  puisse  brietment  véoir. 

Helasl  amy,  d'un  de  ses  dars 
Soudainement  Mort  m'as  féru; 
De  mon  meschief  je  n'ose  pas 
Faire  semblant  qu'ay  receu. 
Or,  ay  je  bien  trestout  perdu, 
Car  seulement  quant  je  pensoye 
De  la  véoir  m'esjoïssoye. 
Ou  près,  ou  loing   et  main  et  soir; 
Or  à  présent,  estre  vouldroye 
Ont  la  puisse  brietment  véoir. 

Hé!  Dieu  d'Amours  trop  pugny  m'as 
Sans  toy  me  sera  bien  deceu. 
Quant  me  souvient  qu'entre  ses  bras 
Amy  tout  seul  m'ot  retenu 
Mon  cueur  et  moy  si  bien  pourveu; 
Estre  tout  sien  lui  promectoye 
Tresloyaument,  et  lui  disoye  : 
Vueillez  vostre  amy  recevoir; 
Or  à  présent  estre  vouldroye 
Ont  la  puisse  briefment  véoir. 

EXPLICTT    LE    LAY    PITEUX 


212  rOKSIES    ATTRIBUÉES 


COMMENCEMENT 


d'une 


BALLADE. 


Fortune,  vray  est  vostre  comte 
Que,  quant  voz  biens  donné  avez. 
Vous  les  reprenés;  mais  c'est  honte 
Et  don  d'enfant,  bien  le  savez. 
Ainsi  faire  ne  le  devez. 
Vozfaiz  vous  mettez  à  l'enchiere, 
Chascun  ce  qu'il  en  peut  en  a 
Et  ne  vous  chault  comment  tout  va; 
Pour  Dieu,  changez  vostre  manière 


BALLADE.      1 


Je  meurs  de  soif  emprès  de  la  fontaine; 
Suffisance  ay,  et  si  suis  convoiteux; 
Une  heure  m'est  plus  d'une  quarantaine; 
Droit  et  parfait,  je  chemine  boiteux; 


A    CHARLES     d'oRLÉANS.  2I3 

Trespacient,  plus  que  nul  despiteux; 
Je  retiens  tout,  et  ce  que  j'ai,  dépars; 
A  moy  cruel  et  aux  autres  piteux, 
Le  neutre  suis,  et  si  tiens  les  deulx  pars. 

En  doubte  suis  de  chose  trescertaine; 
Infortuné,  je  me  repute  eureux  ; 
Vraye  conclus  une  chose  incertaine; 
Rien  je  ny  lois,  et  suis  adventureux  ; 
Flebe  me  tiens,  quant  me  sens  vigoreux  ; 
Plain  de  moisteur.  tout  tremblant  au  feu  ars  ; 
Doulx  et  begnin,  de  semblant  rigoreux, 
Le  neutre  suis,  et  si  tiens  les  deux  pars. 

Quant  dueil  me  prent,  grant  joye  me  demaine; 
Par  grant  plaisir,  je  deviens  langoreux  ; 
Indigent  suis,  possident  grant  demaine; 
Qui  n'a  nul  goust,  je  le  tiens  savoreux  ; 
Qui  m'est  amer,  de  lui  suis  amoureux  ; 
Ignorant  suis,  et  si  sçay  les  Sept  Ars; 
En  grant  seurté,  fort  craintif  et  paoureux, 
Le  neutre  suis,  et  si  tiens  les  deux  pars. 


Qui  me  loue,  il  m'est  injurieux; 
Je  ne  bouge,  quant  d'un  lieu  je  me  pars  ; 
Par  bien  ouvrer,  en  vain  laborieux, 
Le  neutre  suis,  et  si  tiens  les  deux  pars. 


2)^  POESIES    ATlllIBUEES 


BALLADE. 

Je  meurs  de  soif  au  près  de  la  fontaine; 
Tant  plus  mengue,  et  tant  plus  je  me  affame  ; 
Povre  d'argent  où  ma  bourse  est  plaine, 
Marié  suis  et  si  n'ay  point  de  tame; 
Qui  me  honnore,  grandement  me  diffame; 
Quant  je  vois  droit,  lors  est  que  me  devoye  ; 
Pour  loz  et  pris,  je  tiltre  de  diffame; 
Grief  desplaisir  m'est  excessive  joye. 

Quant  on  me  toult,  richement  on  me  estmine; 
Dix  mil  onces  ne  me  sont  qu'une  dragme; 
Sec  et  brahaing,  je  porte  Heur  et  graine  ; 
En  reposant,  sur  mer  tire  à  la  rame; 
Actainê  suis  en  tous  lieux  où  n'a  ame; 
Accompaigné,  je  n'ay  qui  me  convoyé; 
Toute  entière  est  la  chose  que  je  entame, 
Grief  desplaisir  m'est  excessive  jo'ye. 

En  aspirant,  je  retiens  monalaine; 
Quant  eur  me  vient,  maleureux  je  me  clame 
Fort  et  puissant,  flexible  comme  laine; 
Transi  d'amours  sans  avoir  nulle  dame  ; 
Homme  parfait,  privé  de  corps  et  d'ame; 
Paisible  suis,  et  ung  chascun  guerroyé  ; 
Mes  ennemis  plus  que  tous  autres  ame; 
Griet  desplaisir  m'est  excessive  joye. 

ENVOI. 

Mauvaise  odeur  m'est  plus  fleurant  ijue  basnie 
Pasmé  de  dueil,  angoisseux  me  resjoye  ; 
En  eaue  plungié,  je  brûle  tout  en  flame  , 
Griet  desplaisir  m'est  excessive  joie. 


A     CHARLES    d'oRLÉANS.  2l5 


BALLADE. 

Je  n'ai  plus  soif,  tarie  est  la  fontaine, 
Repeu  je  suis  de  compétent  viande, 
J'ai  pris  trêves  affîn  que  on  ne  me  actaine, 
Dissimulant,  fault  que  le  hurt  acttnde  ; 
Adjoint  des  deux,  sans  que  nul  vilipende, 
Je  festie  l'un,  à  l'austrefois  la  moue; 
En  ce  faisant,  pour  éviter  escande. 
Entre  deux  eaues,  comme  le  poisson,  noue. 

En  grant  travail  j'ai  frapé  la  quintaine, 
Jusques  ung  temps  fault  qu'à  repos  entende; 
Pour  obvier  à  voye  trop  haultaine, 
Le  moien  tiens,  affin  que  ne  descende  ; 
J'ai  eu  delay  de  paier  mon  amende  ; 
En  courroux  faint,  couvertement  me  joue, 
En  reculant  pour  mieulx  saillir  en  lande. 
Entre  deux  eaues,  comme  le  poison,  noue. 

Ne  vert,  ne  meur,  mon  ble  mengue  en  graine, 
Dueil  et  plaisir  me  tiennent  en  commande; 
En  divers  lieux  çà  et  là  me  pourmaine; 
La  moitié  fois,  quant  tout  l'en  me  commande  ; 
Ademy  trait  lors  est  que  l'arc  débande, 
Pour  abréger,  ne  l'un  ne  l'autre  loue. 
Participant  de  l'une  et  l'autre  bande, 
Entre  deux  eaues,  comme  le  poisson,  noue. 


Par  prière  de  affaictée  demande. 
Interrogé  se  l'ung  ou  l'autre  avoue, 
A  ce  respons,  se  aucun  le  me  demande  : 
Entre  deux  eaues,  comme  le  poisson,  noue. 


2l6  POÉSIES     ATTRIBUÉES 


BALLADE. 

Parfont  conseil  eximiiim 
En  ce  saint  livre,  exortatiir, 
Que  l'omme,  in  mali-imonium, 
Folement  noM  abutatiir; 
Raison?  le  sens  hebetaliir, 
De  omni  viro  quekju'il  soit; 
Fol  non  crédit  tant  qu'il  reçoit. 

Et  constat,  par  ceste  leçon, 
Pour  conserver  vim  et  robur, 
Prestat  ne  faire  mot  ne  "^on, 
Souffrir  et  escouter  murmur. 
Si  conjtinx  clamât  ad  ce  mur, 
Fingat  que  pas  ne  le  conçoit, 
Fol  non  crédit  tant  qu'il  rc.oit. 

Fortior  mnlto  que  Sanson 
En  cest  assault  conjuncitur  ; 
Contra  de  Venus  l'escusson 
Le  plus  fort  bourdon  plicatur 
(Le  vers  manque.) 
Sed  quisqids  pas  ne  le  conçoit, 
Fol  non  crédit  tant  qu'il  re.oit 


Prince  tressa ige,  legitur 
Qiiod  astucior  si  déçoit. 
Le  mieulx  nagent  y  mergitiir; 
Fol  non  crédit  tant  qu'il  reçoit. 


A    CHARLES    d'orLÉANS.  21J 

BALLADE. 

Je  meurs  de  soif  au  près  de  la  fontaine; 
J'ai  tresgrant  fain,  et  si  ne  puis  mengier; 
Je  suis  au  bas  en  la  maison  haultaine, 
Et  enchartré  en  ung  tresbeau  vergier; 
En  grant  péril,  et  hors  de  tout  dangier; 
Les  biens  que  j'ay,  me  font  povre  indigent  ; 
En  beau  logis,  ne  me  sçay  où  logier; 
Je  gaigne  assez,  et  si  n'ay  point  d'argent. 

Je  fais  grant  dueil,  tristesse  m'est  loingtaine; 
Dormir  ne  puis  et  ne  fais  que  songier  ; 
Je  suis  tout  sain  et  ay  fièvre  quartaine; 
Tout  esdenté,  mon  frain  me  fault  rongier; 
Vérité  dy,  et  si  suis  mensongier; 
Je  suis  recluz,  hanté  de  tout  gent; 
Congneu  de  tous  et  à  tous  estrangier; 
Je  gaigne  assez,  et  si  n'ay  point  d'argent. 

Grant  doubte  fays  de  chose  bien  certaine; 
Incertain  suy,  et  si  en  vueil  jugier  ; 
Ou  champ  estroit  je  jouste  à  la  auintaine; 
Non  offencé,  je  me  cuidc  vcngier; 
Ung  pesant  faiz  me  semble  treslegier  ; 
Je  suy  paillart  et  contrefay  du  gent; 
Par. trop  couart,  hardy  comme  ung  Ogier; 
Je  gaigne  assez,  et  si  n'ay  point  d'argent. 


Prince,  je  suy  siche,  pour  abregier, 
Prodigue  aussi,  nonchallant,  diligent, 
Assez  subtil,  plus  simple  que  bergier. 
Je  gaigne  assez,  et  si  n'ay  point  d'argent. 


2l8  POÉSIES    ATTRinUKKS 


BALLADE. 


J'ay  tant  en  moy  de  desplaisir 
Puisqu'il  me  convient  de  partir 
Helas!  de  vouset  loingaler! 
Et  si  ne  puis  à  vous  parler 
(Dont  i'auray  maint  mal  à  souffrir) 
N'est  riens  qui  me  peust  esjouïr  ! 
Si  n'est  le  tresdoulx  souvenir 
Que  j'ay  par  vous  bien  fort  amer, 
J'ay  tant  en  moy  de  desplaisir. 

Adieu  ma  joye,  mon  plaisir, 
Adieu  mon  loyal  souvenir  ; 
Adieu  belle  dame  sans  per  ; 
Adieu  dire  m'est  coup  mortel, 
Car  je  m'en  vais  sans  vous  véoir, 
J'ay  tant  en  moy  de  desplaisir. 


BALLADE. 


En  ceste  nouvelle  saison 
Qui  remplist  jeunes  cuers  Je  joye 
Et  qu'Amours  sault  de  sa  maison 
Pour  conquester  aucune  proye 
Nulle  riens  n'ay  qui  me  guerroyé 
Se  non  Jeunesse  qui  me  prie 
D'estre  amoureux  plus  c'oncqucs  mais, 


A     CHARLES     D    ORLEANS.  2I9 

Mais  ainsi  ne  seray  je  mie  : 

Il  me  vault  mieulx  tenir  en  paix. 

Je  ne  congnois  point  d'achoison 
Pourquoy  son  conseil  croire  doye 
En  elle  n'a  riens  de  Raison. 
Pour  trop  fol  doncques  me  tiendroye 
S'après  elle  me  gouvernoye. 
Quel  besoing  est  que  je  me  lie 
Quant  je  suis  franc  en  tous  mes  fais  ! 
Pardieu,  ce  seroit  grant  folie 
Il  me  vault  mieulx  tenir  en  paix. 

Je  suis  de  ceste  entencion 
Et  seray  quelque  part  que  soye, 
Mais  Dieu  me  gart  de  la  prison 
Qu'Amours  souventeffoys  m'envoie 
Par  mes  yeulx  qui  trop  vont  envoyé; 
Combien  que  souvent  je  leur  die 
Qu'ilz  font  mal,  dont  je  leur  desplais; 
Pour  ce,  pour  avoir  d'eulx  maistrie, 
Il  me  vault  mieulx  tenir  en  paix. 


J'ay  essaie,  toute  ma  vie, 
Qu'est  de  porter  amoureux  faiz, 
Pourquoy  congnois,  sans  mocquerie, 
Il  me  vault  mieulx  tenir  en  paix. 


220  POESIES    ATTRIBUEES 


BALLADE. 


Je  defTy  Tristesse 
Et  tout  son  povoir, 
Car  Plaisant  Léesse, 
Par  joyeux  Espoir 
M'a  fait  assavoir 
Me  faisant  promesse 
Que  de  bon  vouloir, 
Sans  me  décevoir, 
Me  sera  maistresse, 
Et  fera  avoir 
Des  biens  à  lareesse. 

C'est  ce  qui  redresse 
En  confort,  pourvoir, 
Le  mal  qui  me  blesse 
Et  me  fait  douloir 
Souvent  main  et  soir 
Et  sy  fort  me  presse, 
Que.  par  nonchaloir, 
Je  laisse  manoir 
.^ion  cuer  en  destresse, 
Loings  de  recevoir 
Des  biens  à  largesse. 


BALLADE. 


Faictes  pour  moy  com  j'ay  pour  vous, 
Retenez  moy  par  dessus  tous 
Amy  tout  seul,  tresbelle  Dame, 
Je  vous  jure  sur  Dieu,  sur  m'ame, 


A    CHARLES    D    ORLÉANS.  221 

Ne  vueil  servir  autre  que  vous, 
Faictes  pour  moy  com  j'ay  pour  vous. 

Guérissez  moy  du  mal  d'Amour: 
Et  me  donnez  du  bien  de  vous, 
Reconfort  tel  plus  ne  m'en  chaille, 
Mon  bien,  m'amours,  mon  fin  cueur  doulx, 
A  vous  me  rens,  à  vous  sur  tous, 
Faictes  pour  moy  com  j'ay  pour  vous. 

Je  vous  ayme  plus  que  autre  femme 
N 'autre  que  moy  n'aura  la  garde 
Helas  de  moy  qui  suis  à  vous, 
Faictes  pour  moy  com  j'ay  poL.r  vous. 


FIN     jU    tome    PPE.JIEa. 


TABLE   DES   MATIÈRES 


DU     TOME     PREMIER. 


Préface  : 

Vie  de  Charles  d'Orléans là  xlvii 

Le  Poème  de  la  prison  : 

Poème  de  la  prison i 

Copie  de  la  lettre  de  retenue i3 

Ballades  1  à  LXXI i5  à  91 

Songe  en  complainte 92 

Requeste    aux   excellens    et    paissans    en    noblesse, 

Dieu  Cupido  et  Vénus  la  déesse 97 

La  Despartie  d'amours  en  ballades loi 

Ballades  : 

Ballades  I  à  IV 1 13  à  116 

Obligation  de  Vaillant 117 

Vidimus  de  la  ditte  obligation  par  le  duc  d'Orléans.  118 
Entendit  de  la   ditte   obligation  par  maistre   Jehan 

Caillau 119 

Ballades  V  à  XXV 120  à  145 

Ballades  sur  plusieurs  sujets  : 

Ballade  I.  Orléans  contre  Garancières 146 

Ballade  II.  Réponse  de  Garencières 1^7 


224  TABLE    DES    MATIÈRES. 

Ballade  III  à  XI U8  à  i57 

Ballade  XII.  Orléans  à  Bourgogne iS; 

Ballade  XIII.  Bourgog;ie  à  Orléani iSg 

Ballade  XIV.  Orléans  à  Bourgogr.e i6o 

Ballade  XV.  Bourgogne  à  Orléans i6i 

Ballade  X\'I.  Orléans  à  Bourgogne 162 

Ballades  XVII  à  XIX i63  à  i65 

Ballade  XX.  Orléans  à  Bourgogne 166 

Ballade  XXI.  Orléans  à  Bourgogne 167 

Ballades  XXII  à  XXVIII lôg  à  175 

Lettres  en  forme  de  complainte  : 

Fredet  au  Duc  d'Orléans 177 

Réponse  du  Duc  d'Orléans 181 

Fredet  au  Duc  d'Orléans 184 

La  Complainte  de  France 190 

Complaintes  I,  II,  III 192  à  198 

Poésies  attribuées  a  Charles  d'Or  éans  : 

Lay  piteux ;o3 

Ballade 211 

Commencf  Tient  d'une  ballade 212 

Ballades  diverses  ,   ,   .   , ,     212  à  221 


n.N'   DK  LA  TARI.E   DES  MATIERES   D':   TOME   PREMIER, 


9409-8-15.  —  Paris   —  Imp.  Hemmerlé  et  C". 


i^. 


POESIES   FRANÇAISES 


CHARLES   D  ORLEANS 


POESIES  COMPLETES 

DF 

CHARLES   D'ORLÉANS 

REVUES    SUR    LES    MANUSCRITS 

AVEC 

PRÉFACE,     NOTES     ET     GLOSSAIRE 

PAR 

CHARLES    D'HÉRIGAULT 


TOME   U 


PARIS 

ERNEST    FLAMMARION,    ÉDITEUR 

26,    RUE     RACINE,     26 


Tous  droits  réservés 


POESIES  FRANÇAISES 


CHARLES    D'ORLEANS 


CHANSONS. 


CHANSON  I. 

Ce  May,  qu'Amours  pas  ne  sommeille 
Mais  fait  amans  esliesser, 
De  riens  ne  me  doy  soussier, 
Car  pas  n'ay  la  pusse  en  l'oreille. 

Ce  n'est  mie  doncques  merveille 
Se  je  vueil  joye  démener, 
Ce  May,  qu'Amours  pas  ne  sommeille 
Mais  fait  amans  esliesser. 

Quant  je  me  dors,  point  ne  m'esveille, 
Pource  que  n'ay  à  quoy  penser, 
Sy  ay  vouloir  de  demourer 
En  ceste  vie  nompareiJle, 
Ce  May,  qu'Amours  pas  ne  sommeille. 


y 


CHARLES    D  ORLEANS. 


CHANSON   II. 


Tiengne  soy  d'amer  qui  pourra, 
Plus  ne  m'en  pourroye  tenir, 
Amoureux  me  fault  devenir, 
Je  ne  sçay  qu'il  m'en  avendra. 

Combien  que  j'ay  oy,  pieçà  , 
Qu'en  amours  fault  mains  maulx  soulTrir, 
Tiengne  soy  d'amer  qui  pourra , 
Plus  ne  m'en  pourroye  tenir. 

Mon  cueur  devant  yer  accointa 
Beauté  qui  tant  le  scet  chierir 
Que  d'elle  ne  veult  départir; 
C'est  fait,  il  est  sien  et  sera. 
Tiengne  soy  d'amer  qui  pourra. 


CHANSON   III. 

Quelque  chose  que  je  dye 
D'Amour  ne  de  son  povoir, 
Touteffoiz,  pour  dire  voir, 
J'ay  une  Dame  choisie, 

La  mieux  en  bien  accomplie 
Que  l'en  puist  jamais  veoir, 
Quelque  chose  que  je  dye 
D'Amour  ne  de  son  povoir. 

Mais  à  elle  ne  puis  mie 
Parler,  selon  mon  vouloir, 
Combien  que,  sans  décevoir, 
Je  suis  sien  toute  ma  vie, 
Quelque  chose  que  je  dye. 


CHANSONS. 


CHANSON    IV. 


N'est  elle  de  tous  biens  garnie 
Celle  que  j'ayme  loyaument! 
Il  m'est  advis,  par  mon  serment, 
Que  sa  pareille  n'a  en  vie. 

Qu'en  dittes  vous?  je  vous  en  prie, 
Que  vous  en  semble  vrayement  ? 
N'est  elle  de  tous  biens  garnie 
Celle  que  j'ayme  loyaument  ! 

Soit  qu'elle  dance,  chante  ou  rie 
Ou  face  quelque  esbatement , 
Faittes  en  loyal  jugement , 
Sans  faveur  ou  sans  flatterie, 
N'est  elle  de  tous  biens  garnie! 


CHANSON   V. 

Quant  j'ay  nompareille  maistresse 
Qui  a  mon  cueur  entièrement, 
Tenir  me  veuil  joyeusement, 
En  servant  sa  gente  jeunesse. 

Car  certes  je  suis  en  l'adresse 
D'avoir  de  tous  biens  largement, 
Quant  j'ay  nompareille  maistresse 
Qui  a  mon  cueur  entièrement. 

Or  en  ayent  dueil  ou  tristesse 
Envieux ,  sans  allégement. 
Il  ne  m'en  chault,  par  mon  serment. 
Car  leur  desplaisir  m'est  liesse  , 
Quant  j'ay  nompareille  ma'.stresse. 


CHARLES    D   ORLEANS. 


CHANSON    VI. 


Dieu,  qu'il  la  fait  bon  regarder 
La  gracieuse  bonne  et  belle  ! 
Pour  les  grans  biens  qui  sont  en  elle, 
Chascun  est  prest  de  la  louer. 

Qui  se pourroit d'elle  lasser! 
Tousjours  sa  beaulté  renouvelle. 
Dieu,  qu'il  la  fait  bon  regarder, 
La  gracieuse,  bonne  et  belle! 

Par  deçà,  ne  delà  la  mer, 
Ne  sçay  Dame,  ne  Damoiselle 
Qui  soit  en  tous  biens  parfais  telle; 
C'est  un  songe  que  d'y  penser. 
Dieu,  qu'il  la  fait  bon  regarder! 


CHANSON    VII. 


Par  Dieu,  mon  plaisant  bien  joyeux  , 
Mon  cueur  est  si  plain  de  léesse  , 
Quant  je  voy  la  douJce  jeunesse 
De  vostre  gent  corps  gracieux! 

Pour  le  regart  de  voz  beaux  yeulx 
Qui  me  met  tout  hors  de  tristesse, 
Par  Dieu  ,  mon  plaisant  bien  joyeux  , 
Mon  cueur  est  si  plain  de  léesse  ! 

Combien  que  parler  envieux 
Souventeffoiz  moult  fort  me  blesse. 
Mais  ne  vous  chaille,  ma  maistresse, 
Je  n'en  feray  pourtant  que  mieulx, 
Par  Dieu,  mon  plaisant  bien  joyeux. 


CHANSONS. 


CHANSON    Vin. 


Que  me  conseilliez  vous,  mon  cueur, 
Irai  je  par  devers  la  belle  , 
Luy  dire  la  paine  mortelle 
Que  souffrez  pour  elle  en  doleur  ? 

Pour  vostre  bien  et  son  honneur, 
C'est  droit  que  vostre  conseil  celle. 
Que  me  conseilliez  vous,  mon  cueur, 
Irai  je  par  devers  la  belle  ? 

Si  plaine  la  sçay  de  doulceur 
Que  trouveray  mercy  en  elle, 
Tost  en  aurez  bonne  nouvelle. 
C'y  vois,  n'est  ce  pour  le  meilleur; 
Que  me  conseilliez  vous,  mon  cueur? 


CHANSON    IX. 


Ou  regard  de  voz  beaulx,  doulx  yeulx. 
Dont  loing  suis  par  les  envieux. 
Me  souhaide  si  tressouvent 
Que  mon  penser  est  seulement 
En  vostre  gent  corps  gracieux. 

Savez  pourquoy,  mon  bien  joyeulx, 
Celle  du  monde  qu'ayme  mieulx 
De  loyal  cueur,  sans  changement , 
Ou  regart  de  vos  beaulx,  doulx  \  eulx, 
Dont  loing  suis  par  les  envieux, 
Me  souhaide  si  tressouvent  ? 

Pource  que  vers  mov  en  tous  lieux 
J'ay  trouvé  plaisir  ennuieux 


10  CHARLES    D'oni.ÉANS. 

Trop  fort,  puis  le  département 

Que  de  vous  fis  derrainnement , 

A  regret  merencolieux, 

Ou  regart  de  vos  beaulx  ,  doulx-yeulx. 


CHANSON    X. 

Qui  la  regarde  de  mes  yeulx 
Ma  Dame,  ma  seule  maistresse, 
En  elle  voit,  à  grant  largesse  , 
Plaisirs  croissans  de  bien  en  mieulx. 

Son  parler  et  maintien  sont  tieulx 
Qu'ilz  mettent  un  cueur  en  liesse, 
Qui  la  regarde  de  mes  yeulx 
Ma  Dame,  ma  seule  maistresse. 

Tous  la  suient ,  jeunes  et  vieulx  , 
Dieu  scet  qu'elle  n'est  pas  sans  presse  ; 
Chascun  dit  :  C'est  une  déesse 
Qui  est  descendue  des  cieulx, 
Qui  la  regarde  de  mes  yeulx. 


y 


CHANSON    XI. 

Ce  mois  de  May,  nompareille  Princesse, 
Le  seul  plaisir  de  mon  joyeulx  espoir, 
Mon  cueur  avez  et  quanque  puis  avoir. 
Ordonnez  en  comme  dame  et  maistresse. 

Pource,  requier  vostre  doulce  jeunesse 
Qu'en  gré  vueille  mon  présent  recevoir, 
Ce  mois  de  May,  nompareille  Princesse, 
Le  seul  plaisir  de  mon  joyeulx  espoir. 

Et  vous  supply,  pour  me  tollir  tristesse. 


CHANSONS.  Il 


Treshumblement  et  de  tout  mon  povoir, 
Qu'à  m'esmayer  ayez  vostre  vouloir 
D'un  reconfort  bien  garny  de  liesse, 
Ce  mois  de  May,  nompareille  Princesse. 


CHANSON   XII. 

Commandez  vostre  bon  vouloir 
A  votre  treshumble  servant , 
Il  vous  sera  obéissant 
D'entier  cueur  et  loyal  povoir. 

Prest  est  de  faire  son  devoir, 
Ne  l'espargnez  ne  tant  ne  quant. 
Commandez  vostre  bon  vouloir 
A  vostre  treshumble  servant. 

Mettez  le  tout  à  nonchaloir. 
Sans  lui  estre  jamais  aydant, 
S'en  riens  le  trouvez  refusant  ; 
Essayez  se  je  vous  dy  voir, 
Commandez  vostre  bon  vouloir. 


CHANSON    XIII. 

Espoir,  confort  des  malheureux, 
Tu  m'estourdis  trop  les  oreilles 
De  tes  promesses  nompa  eilles. 
Dont  trompes  les  cueurs  doloreux. 

En  amusant  les  amoureux 
Et  faisant  baster  aux  corneilles  . 
Espoir,  confort  des  maleureux  , 
Tu  m'estourdis  trop  les  oreilles. 

Ne  soies  plus  si  rigoreux, 


12  CHARLES     D    ORLEANS. 

Mieux  vault  qu'à  raison  te  conseilles, 
Car  chascun  se  donne  merveilles 
Que  n'as  pitié  des  langoreux, 
Espoir,  confort  des  maleureux. 


CHANSON   XIV. 

Belle  ,  se  c'est  vostre  plaisir 
De  me  vouloir  tant  enrichir 
De  reconfort  et  de  liesse  , 
Je  vous  requier,  comme  maistresse, 
Ne  me  laissiez  du  tout  mourir  ; 

Car  je  n'ay  vouloir  ne  désir, 
Fors  de  vous  loyaument  servir, 
San^  espargnier  dueil,  ne  tristesse, 
Belle ,  se  c'est  vostre  plaisir 
De  me  vouloir  tant  enrichir 
De  reconfort  et  de  liesse. 

Et  s'il  vous  plaist  à  l'acomplir, 
Vueilliez  tant  seulement  bannir 
D'avec  vostre  doulce  jeunesse, 
Dolent  refus  qui  trop  me  blesse, 
Dont  bien  vous  me  povez  guérir, 
Belle,  se  c'est  votre  plaisir. 


CHANSON    XV. 

Paix  ou  tresves  je  requier,  Desplaisance; 
S'en  toy  ne  tient,  pas  ne  tendra  à  moy, 
Que  ne  soyons  désormais  en  requoy; 
Accordons  nous,  chargons  en  Espérance. 

Que  gaignes  tu  à  me  faire  grevence? 


CHANSONS.  l3 

Assez  me  mets  en  devoir,  sur  ma  foy. 
Paix  ou  tresves  je  requier,   Desplaisance  ; 
S'en  toy  ne  tient,  pas  ne  tendra  à  moy. 
Ou  combatons  tellement  à  oultrance 
Que  l'un  die  :  Je  me  rens  ou  ren  toy, 
Mieulx  estre  mort  je  vueil,  s'estre  le  doy, 
Qu'ainsi  languir  ;  d'offrir  premier  m'avance. 
Paix  ou  tresves  je  requier,  Desplaisance. 


CHANSON    XVI. 

Rafreschissez  le  chastel  de  m.on  cueur 
D'aucuns  vivres  de  Joyeuse  Plaisance, 
Car  faulx  Dangier,  avec  son  aliance , 
L'a  assiégé,  tout  entour,  de  doleur. 

Se  ne  voulez  le  siège  sans  longueur 
Tantost  lever,  ou  rompre  par  puissance, 
Rafreschissez  le  chastel  de  mon  cueur 
D'aucuns  vivres  de  Joyeuse  Plaisance. 

Ne  souffrez  pas  que  Dangier  soit  seigneur, 
En  conquestant  soubz  son  obéissance 
Ce  que  tenez  en  vostre  gouvernance  ; 
Avancez  vous  et  gardez  votre  honneur, 
Rafreschissez  le  chastel  de  mon  cueur. 


CHANSON    XVII. 

Si  je  fais  loyalle  requeste  , 
Soing  et  Soucy,  et  bon  vous  semble , 
Pour  Dieu,  accordons  nous  ensemble; 
Qui  tort  a  soit  mis  en  enqueste. 

Quant  vous,  ne  moy  bien  n'y  aqueste , 


14  CHARLES    d'oRLÉANS. 

Pour  jugier  droit  conseil  asemble, 

Si  je  fais  loyalle  reque?;te, 

Seing  et  Soucy,  et  bon  vous  semble. 

Je  ne  requier  aultre  conqueste 
Que  d'Espoir  qui  larron  ressemble 
Et  sans  cause  de  mon  cueur  s'emble; 
Dieu  me  secoure  en  cette  queste , 
Si  je  fais  loyalle  requeste! 


CHANSON    XVIII. 

Se  ma  doleur  vous  saviés, 
Mon  seul  joyeux  pensement, 
Je  sçay  bien  certainement 
Que  mercy  de  moy  auriés. 

Du  tout  Refus  banniriés 
Qui  me  tient  en  ce  tourment, 
Se  ma  doleur  vous  saviés, 
Mon  seul  joyeux  pensement. 

Et  le  don  me  donneriés 
Que  vous  ay  requis  souvent , 
Pour  avoir  allégement; 
Jà  ne  m'en  escondiriés, 
Se  ma  doleur  vous  saviés. 


CHANSON    XIX. 

Ne  hurtez  plus  à  l'uis  de  ma  Pensée , 
Soing  et  Soucy,  sans  tant  vous  travailler, 
Car  elle  dort  et  ne  veult  s'esveiller  ; 
Toute  la  nuit  en  paine  a  despensée. 

En  dangier  est,  s'eile  n'est  bien  pensée, 


CHANSONS.  l5 

Cessez,  cessez,  laissez  la  sommeiller. 
Ne  hurtez  plus  à  l'uis  de  ma  pensée , 
Soing  et  Soucy,  sans  tant  vous  traveiller. 

Pour  la  guérir  Bon  Espoir  a  pensée 
Medicine  qu'a  fait  apareiller  ; 
Lever  ne  peut  son  chief  de  l'oreiller 
Tant  qu'en  repos  se  soit  recompensée  ; 
Ne  hurtez  plus  à  l'uis  de  ma  pensée. 


CHANSON    XX. 

Ma  seule,  plaisant,  doulce  joye, 
La  maistresse  de  mon  vouloir, 
J'ay  tel  désir  de  vous  véoir, 
Que  mander  ne  le  vous  sauroye. 

Helas!  pensez  que  ne  pourroye , 
Aucun  bien  ,  sans  vous,  recevoir, 
Ma  seule,  plaisant,  doulce  joye  , 
La  maistresse  de  mon  vouloir. 

Car,  quant  Desplaisir  me  guerroyé 
Souventeffois  ,  de  son  povoir, 
Et  je  vueil  reconfort  avoir, 
Espérance  vers  vous  m'envoye, 
Ma  seule,  plaisant,  doulce  joye. 


CHANSON    XXI. 

L'un  ou  l'autre  desconfira 
De  mon  Cueur  et  Merencolie  ; 
Auquel  que  Fortune  s'alye  , 
L'autre  je  me  rens  lui  dira. 

D'estre  juge  me  suffira, 


l6  CHARLES    d'oRI.ÉANS. 

Pour  mettre  fin  en  leur  folye. 
L'un  ou  l'autre  desconfira 
De  mon  cueur  et  Merencolie. 

Dieu  scet  comment  mon  cueur  rira, 
Se  gangne  ,  menant  chiere  lye  , 
Contre  ceste  saison  jolye  , 
On  verra  comment  en  yra; 
L'un  ou  l'autre  desconfira. 


CHANSON   XXIL 

Je  ne  vueil  plus  riens  que  la  mort , 
Pource  que  voy  que  Reconfort 
Ne  peut  mon  cueur  eslyesser. 
Au  meins  me  pourray  je  vanter 
Que  je  souffre  douleur  à  tort. 

Car  puis  que  n'ay  d'Espoir  le  port, 
D'Amours  ne  puis  souffrir  l'effort, 
Ne  doy  je  donc  Joye  laisser? 
Je  ne  vueil  plus  riens  que  la  mort , 
Pource  que  voy  que  Reconfort 
Ne  peut  mon  cueur  eslyesser. 

Au  Dieu  d'Amours  je  m'en  rapport 
Qu'en  peine  suis  bouté  si  fort 
Que  povoir  n'ay  plus  d'endurer. 
S'en  ce  point  me  fault  demourer; 
Quant  est  de  moy,  je  m'y  accort. 
Je  ne  vueil  plus  riens  que  la  mort. 

CHANSON    XXIIL 

Qui?  quoy  ?  comment?  à  qui?  pourquoy? 
Passez,  prescris  ou  avenir^ 


CHANSONS.  17 

Quant  me  viennent  en  souvenir, 
Mon  cueur  en  penser  n'est  pas  coy. 

Au  fort ,  plus  avant  que  ne  doy, 
Jamais  je  ne  pense  en  guérir; 
Qui?  quoy  ?  comment?  à  qui  ?  pourquoy  ? 
Passez,  presens  ou  avenir. 

On  s'en  peut  rapporter  à  moy 
Qui  de  vivre  ay  eu  beau  loisir, 
Pour  bien  apprendre  et  retenir; 
Assez  ay  congneu,  je  m'en  croy, 
Qui?  quoy?  comment?  à  qui?  pourquoy? 


CHANSON   XXIV. 

Belle  que  je  chéris  et  crains , 
En  cest  estât  suis  ordonné 
Que  Dangier  m'a  emprisonné 
De  vostre  grant  beaulté  loingtains. 

N'il  ne  m'a  de  tous  biens  mondains 
Qu'un  souvenir  abandonné. 
Belle  que  je  chéris  et  crains, 
En  cest  estât  suis  ordonné. 

Mais  de  nulle  riens  ne  me  plains 
Fors  qu'il  ne  m'a  tost  raençonné  ; 
Car  bien  lui  seroit  guerdonné, 
Si  j'estoye  hors  de  ses  mains, 
Belle  que  je  chéris  et  crains. 

CHANSON    XXV. 

Je  prens  en  mes  mains  voz  debas 
Désormais,  mon  cueur  et  mes  yeulx; 

CHARLES    O'ORLÉANS.    II.  : 


l8  CHARLES    d'ORLÉANS. 

Se  longuement  vous  seuffre  tieulx, 
Moy  mesmes  de  mon  tour  m'abas. 

Pour  vostre  prouffit  me  combas  , 
Le  désirant  de  bien  en  mieulx. 
Je  prens  en  mes  mains  voz  debas 
Désormais,  mon  cueur  et  mes  yeulx. 

Quant  voz  désirs  souvent  rabas 
Desordonnez,  en  aucuns  lieux, 
Mon  devoir  fais,  ainsi  m'aid  Dieux; 
Passons  temps  en  plus  beaulx  esbas, 
Je  prens  en  mes  mains  vos  debas. 


CHANSON    XXVI. 

Ma  Dame,  tant  qu'il  vous  plaira 
De  me  faire  mal  endurer, 
Mon  cueur  est  prest  de  le  porter, 
Jamais  ne  le  refusera. 

En  espérant  qu'il  guérira  , 
En  cest  estât  veult  demourer. 
Ma  Dame  ,  tant  qu'il  vous  plaira, 
De  me  faire  mal  endurer. 

Une  fois  pitié  vous  prandra, 
Quant  seulement  vouldrez  penser 
Que  c'est  pour  loyaument  amer 
Vostre  beaulté  qu'il  servira. 
Ma  Dame  ,  tant  qu'il  vous  plaira. 

CHANSON    XXVII. 

Mon  cueur  se  combat  à  mon  eueil , 
Jamais  ne  les  trouve  d'accort; 


CHANSONS.  19 

Le  cueur  dit  que  l'eueil  fait  rapport 
Que  tousjours  lui  accroist  son  dueil. 

La  vérité  savoir  j'en  vueil , 
Que  semble  il  qui  ait  le  tort? 
Mon  cueur  se  combat  à  mon  eueil, 
Jamais  ne  les  trouve  d'accort. 

Se  je  trouve  que  Bel  Acueil 
Ait  getté  entre  eulx  aucun  tort , 
Je  le  condampneray  à  mort  ; 
Doy  je  souffrir  un  tel  orgueil? 
Mon  cueur  se  combat  à  mon  eueil. 


CHANSON   XXVIIL 

De  la  regarder  vous  gardez 
La  belle  que  sers  ligament, 
Car  vous  perdrés  soudainement 
Vostre  cueur,  se  la  regardez. 

Se  donner  ne  le  lui  voulés, 
Clignez  les  yeulx  hastivement , 
De  la  regarder  vous  gardez 
La  belle  que  sers  ligement. 

Les  biens  que  Dieu  lui  a  donnez 
Emblent  un  cueur  soubtilement. 
Sur  ce,  prenez  avisement. 
Quant  devant  elle  vous  vendrez; 
De  la  regarder  vous  gardez. 


CHANSON  XXIX. 

Tant  que  Pasques  soient  passées, 
Se  nous  avons  riens  trespassé, 


20  CHARLES    D   ORLEANS. 

Prions  mercy  du  tems  passé, 
Et  pour  les  âmes  trespassées, 

Chascun  pas  à  pas  ses  passées 
Face,  avant  que  soit  trespassé. 
Tant  que  Pasques  soient  passées, 
Se  nous  avons  riens  trespassé. 

Foleur  a  fait  grandes  passées. 
Mains  cueurs  ont  tout  oultre  passé; 
Pource,  par  nous  soit  compassé 
D'eschever  faultes  compassées, 
Tant  que  Pasques  soient  passées. 


CHANSON  XXX. 

Puis  que  je  ne  puis  eschapper 
De  vous.  Courrons,  Dueil  et  Tristesse, 
Il  me  convient  siiir  l'adresse 
Telle  que  me  vouldrés  donner. 

Povoir  n'ay  pas  de  l'amender, 
Car  Doleur  est  de  moy  maistresse. 
Puis  que  je  ne  puis  eschapper 
De  vous.  Courroux,  Dueil  et  Tristesse. 

Si  manderay  par  un  Penser 
A  mon  las  cueur  vuit  de  liesse 
Qu'il  prengne  en  gré  sa  grant  destresse, 
Car  il  lui  faut  tout  endurer. 
Puis  que  je  ne  puis  eschapper. 


CHANSON   XXXI. 

Sans  ce,  le  demourant  n'est  rien; 
Qu'esse?  je  le  vous  ay  à  dire. 


CHANSONS.  21 

N'enquerez  plus,  il  doit  suffire, 
C'est  conseil  que  tressegret  tien. 

Pour  tant  n'y  entendez  que  bien, 
Autrement  je  ne  le  désire. 
Sans  ce,  le  demourant  n'est  rien; 
Qu'esse?  je  le  vous  ay  à  dire. 

S'ainsi  m'esbas  ou  penser  mien, 
Et  mainte  chose  faiz  escripre 
En  mon  cœur,  pour  le  faire  rire  , 
Tout  ung  est  mon  fait  et  le  sien; 
Sans  ce,  le  demourant  n'est  rien. 

CHANSON   XXXII. 

C'est  fait,  il  n'en  fault  plus  parler, 
Mon  cueur  s'est  de  moy  departy  ; 
Pour  tenir  l'amoureux  party, 
Il  m'a  voulu  abandonner. 

Riens  ne  vault  m'en  desconforter 
Ne  d'estre  dolent  ou  marry. 
C'est  fait,  il  n'en  fault  plus  parler. 
Mon  cueur  s'est  de  moi  departy. 

De  moy  ne  se  fait  que  mocquer, 
Quant  piteusement  je  lui  dy 
Que  je  ne  puis  vivre  sans  luy, 
A  paine  me  veult  escouter. 
C'est  fait,  il  n'en  fault  plus  parler. 

CHANSON  XXXIII. 

Assez  pourveu,  pour  de  cy  à  grant  pièce, 
Et  plus  qu'assez,  de  penser  et  anuy, 
Je  me  treuve  sans  congnoistre  nuUuy 
Qui  se  vente  d'en  avoir  telle  pièce. 


l  CHARLES    d'oRLÉAN  s. 

Fortune  dit,  qui  tout  mon  fait  despiece, 
Que  j'endure  comme  maint  au  jour  d'huy 
Assez  pourveu,  pour  de  cy  à  grant  pièce, 
Et  plus  qu'assez,  de  penser  et  anuy. 

Pourquoy  souvent  jemetz  soubz  mon  pièce 
Prenant  confort  d'Espoir,  comme  celluy 
Qui  me  fye  parfaittement  en  luy. 
Ainsi  remains,  qui  le  croiroit,  empicce, 
Assez  pourveu,  pour  de  cy  à  grant  pièce. 


CHANSON  XXXIV. 

Çà,  venez  avant,  Espérance, 
Or  y  perra  que  respondrez 
Et  comment  vous  vous  deffendrez  ; 
On  se  plaint  de  vous  à  oultrance. 

L'un  dit  que  promectez  de  loing, 
Et  qu'en  estes  bonne  maistresse, 
L'aultre  que  faillez  au  besoing, 
En  ne  tenant  gueres  promesse. 

Quoy  que  tardez,  c'est  la  fiance 
Qu'aux  faiz  de  chascun  entendez 
Et  au  derrain  guerdon  rendrez; 
Dy  je  bien,  ou  se  trop  m'avance? 
Çà,  venez  avant.  Espérance. 


CHANSON  XXXV. 

Mon  cueur,  estouppe  tes  oreilles, 
Pour  le  vent  de  Merencoiie  ; 
S'il  y  entre,  ne  double  mye 
Il  est  dangereux  à  merveilles; 


CHANSONS.  23 

Soit  que  tu  dormes  ou  tu  veilles 
Fays  ainsi  que  dy,  je  t'en  prie  : 
Mon  cueur,  estouppe  tes  oreilles, 
Pour  le  vent  de  Merencolie. 

Il  cause  doleurs  nompareilles, 
Dont  s'engendre  la  maladie 
Qui  n'est  pas  de  legier  guérie  ; 
Croy  moy,  s'a  Raison  te  conseilles, 
Mon  cueur,  estouppe  tes  oreilles. 


CHANSON   XXXVI. 

Se  j'eusse  ma  part  de  tous  biens 
Autant  que  j'ay  de  loyauté, 
J'en  auroye  si  grant  planté 
Qu'il  ne  me  fauldroit  jamais  riens. 

Et  si  gaingneroye  des  miens, 
Ma  Dame,  vostre  voulenté, 
Se  j'eusse  ma  part  de  tous  biens, 
Autant  que  j'ay  de  loyauté. 

Car  pour  asseuré  je  me  tiens 
Que  vostre  tresplaisant  beauté 
De  s'amour  me  feroit  rente, 
Maugré  Dangier  et  tous  les  siens, 
Se  j'eusse  ma  part  de  tous  biens. 


CHANSON   XXXVII. 

Pour  les  grans  biens  de  vostre  renommée, 
Dont  j'oy  parler  à  vostre  grant  honneur, 
Je  désire  que  vous  ayez  mon  cueur, 
Comme  de  moy  tresloyaument  amée. 


24  CHARLES    d'oRLÉANS. 

Tresoriere  je  vous  voy  ordonnée 
A  le  garder  en  plaisance  et  doulceur, 
Pour  les  grans  biens  de  vostre  renommée, 
Dont  j'oy  parler  à  vostre  grant  honneur. 

Recevez  le,  s'il  vous  plaist  et  agrée, 
Da  mien  ne  puis  vous  donner  don  meilleur; 
C'est  mon  vaillant,  c'est  mon  trésor  greigneur , 
A  vous  l'offre  de  loyalle  pensée  , 
Pour  les  grans  biens  de  vostre  renommée. 


CHANSON  XXXVIII. 

Aidez  ce  povre  cayment, 
Souspir,  je  le  vous  recommande  ; 
De  vous,  quant  ausmone  demande, 
Ne  se  parte  meschantement. 

Son  cas  monstre  piteusement, 
Il  semble  que  la  mort  actende. 
Aidez  ce  povre  cayment 
Souspir,  je  le  vous  recommande. 

Donnez  lui  assez  largement, 
Qu'il  ne  meure,  Dieu  l'en  deffende; 
Affin  que  n'en  faictes  amende, 
Au  jour  d'amoureux  jugement, 
Aidez  ce  povre  cayment. 


CHANSON. 

Réponse  par  Philippe  de  Boulainviiliers.  - 

Hola,  hola^  souspir,  on  vous  oit  bien, 
Vous  vous  cuidej  embler  trop  coyetnent. 


CHANSONS.  25 

Contrefaisant  ung  peu  le  cayement, 
Grant  fain  ave^  qu'on  vous  die  :  tien. 

Vous  ne  quere^  que  d'ung  cueur  le  soustîen, 
C'est  de  tieulx  gens  tousjours  l'esbatement. 
Hola,  hola,  souspir,  on  vous  oit  bien, 
Vous  vous  cuide^  embler  trop  coyement. 

Trop  vous  haste^,  de  vray,  comme  je  tien, 
Car  l'on  congnoist  vostrefait  clerement, 
Une  autreffoi:^  faictes  plus  saigement. 
Car  maintenant  vous  n'y  gang nerej  rien; 
Hola,  hola,  souspir,  on  vous  oit  bien. 


CHANSON. 

Autre  réponse  par  Gilles  des  Ourmes. 

Hola,  hola,  souspir,  on  vous  oyt  bien. 
C'est  à  ung  sourt  à  qui  il  le  fault  Jaire, 
Retraye^  vous  et  pensez  de  vous  taire, 
Car  Dangier  oit  si  cler  qu'il  n'y  fault  rien. 

Se  d'aventure  il  vous  oyt,  si  vous  tien 
Pour  rué  Jus,  car  c'est  vostre  adversaire  ; 
Hola,  hola,  souspir^  on  vous  oyt  bien. 
C'est  à  ung  sourt  à  qui  il  le  fault  faire. 

Ne  saille^  pins,  attendez  aucun  bien  ; 
Vous  voulej  vous  de  vous  mesmes  deffaire! 
Prene^  conseil,  quant  c'est  pour  vostre  affaire; 
Et  pour  le  mieulx,  croyej,  sans  plus,  le  mien  ; 
Hola,  hola,  souspir,  on  vous  oyt  bien. 


a6  CHARLES    d'oRLÉANS. 


CHANSON    XXXIX. 

En  songe,  souhaid  et  pensée 
Vous  voy,  chascun  jour  de  sepmaine, 
Combien  qu'estes  de  moy  loingtaine, 
Belle  tresloyaument  amée. 

Pource  qu'estes  la  mieulx.  parée 
De  toute  plaisance  mondaine, 
En  songe,  souhaid  et  pensée 
Vous  voy,  chascun  jour  de  sepmaine. 

Du  tout  vous  ay  m'amour  donnée 
Vous  en  povez  estre  certaine, 
Ma  seule  Dame,  souveraine, 
De  mon  las  cueur  moult  désirée 
En  songe,  souhaid  et  pensée. 


CHANSON   XL. 

De  léal  cueur,  content  de  joye, 
Ma  maistresse,  mon  seul  désir. 
Plus  qu'oncques  vous  vueil  servir. 
En  quelque  place  que  je  soye. 

Tout  prest  en  ce  que  je  pourroye, 
Pour  vostre  vouloir  adcomplir, 
De  léal  cueur,  content  de  joye. 
Ma  maistresse,  mon  seul  désir, 

En  désirant  que  je  vous  voye, 
A  vostre  honneur  et  mon  plaisir, 
Qui  seroit  briefment,  sans  mentir, 
S'il  fust  ce  que  souhaideroye 
De  léal  cueur,  content  de  joye. 


CHANSONS.  27 

CHANSON    XLI. 

En  faulte  du  logeis  de  Joye, 
L'ostellerie  de  Pensée 
M'est  par  les  fourriers  ordonnée, 
Ne  sçay  combien  fault  que  je  y  soye. 

Autre  part  ne  me  bouteroye, 
Content  m'en  tien  ;  et  bien  m'agrée, 
En  faulte  du  logeis  de  Joye  , 
L'ostellerie  de  Pensée. 

Je  parle  tout  bas,  qu'on  ne  l'oye, 
Pensant  de  véoir,  quelque  année, 
Qu'elle  sera  ma  destinée 
Et  en  quel  lieu  demourer  doye  , 
En  faulte  du  logeis  de  Joye. 

CHANSON    XLII. 

Et  bien,  de  par  Dieu,  Espérance 
Esse  doncques  vostre  plaisir? 
Me  voulez  vous  ainsi  tenir 
Hors  et  ens  tousjours  en  balance? 

Ung  jour  j'ay  vostre  bienveillance, 
L'autre  ne  la  sçay  où  quérir. 
Et  bien,  de  par  Dieu,  Espérance, 
Esse  doncques  vostre  plaisir? 

Au  fort,  puis  que  suis  en  la  dance, 
Bon  gré  maugré,  m'y  fault  fournir, 
Et  n'y  sçay  de  quel  pié  saillir. 
Je  reculle,  puis  je  m'avance; 
Et  bien,  de  par  Dieu,  Espérance  1 


28  CHARLES    d'oRLÉAN-    . 

CHANSON   XI. II  I. 


Armez  vous  de  joyeux  Confort, 
Je  vous  en  pry,  mon  povrc  cueur, 
Que  Destresse,  par  sa  rigueur, 
Ne  vous  navre  jusqu'à  la  mort. 

Vous  couvrant  d'un  pavaiz,  au  fort, 
Tant  qu'aurez  passé  sa  chaleur, 
Armez  vous  de  joyeux  Confort, 
Je  vous  en  pry,  mon  povre  cueur. 

Faittes  bon  guet,  tant  qu'elle  dort; 
Espoir  dit  qu'il  sera  seigneur. 
Et  fera  vostre  fait  meilleur  ; 
Contre  Dangier  qui  vous  fait  tort, 
Armez  vous  de  joyeux  Confort. 


CHANSON  XLIV. 


Pour  vous  monstrerque  point  ne  vous  oublie, 
Comme  vostre,  que  suis  où  que  je  soye. 
Présentement  ma  chançon  vous  envoyé. 
Or  la  prenez  en  gré,  je  vous  en  prie. 

En  passant  temps,  plain  de  merencolie, 
L'autr'ier  la  fis,  ainsi  que  je  pensoye, 
Pour  vous  monstrer  que  point  ne  vous  oublie, 
Comme  vostre  que  suis  où  que  je  soye. 

Mon  cueur  tousjours  si  vous  tient  compaignie, 
Dieu  doint  que  brief  vous  puisse  veoir  à  joie! 
Et,  à  briefz  motz,  en  ce  que  je  pourroye, 
A  vous  m'offre  du  tout  à  chiere  lye. 
Pour  vous  monstrer  que  point  ne  vous  oublie. 


CHANSONS. 


29 


CHANSON    XLV. 


Tousjours  dictes  :  Je  vien.  je  vien , 
Espoir!  je  vous  congnois  assez, 
De  voz  promesses  me  lassez, 
Dont  peu  à  vous  tenu  me  tien. 

Je  vous  requier  au  besoin  mien, 
Legierement  vous  en  passez. 
Tousjours  dictes  :  Je  vien,  je  vien, 
Espoir!  je  vous  congnois  assez. 

Vous  ne  vous  acquittez  pas  bien 
Vers  moy,  quant  ung  peu  ne  cassez 
Les  soussiz  que  j'ay  amassez  ; 
En  me  contentant  d'un  beau  rien, 
Tousjours  dictes  :  Je  vien,  je  vien. 


CHANSON   XLVI. 

Loingtain  de  joyeuse  sente 
Où  l'en  peut  tous  biens  avoir, 
Sans  nul  confort  recevoir. 
Mon  cueur  en  tristesse  s'ente. 

Par  quoy  convient  que  je  sente 
Mains griefz  maulx,  pour  dire  voir, 
Loingtain  de  joyeuse  sente, 
Où  l'en  peut  tous  biens  avoir. 

En  dueil  a  fait  sa  descente 
De  tous  poins,  sans  s'en  mouvoir; 
Et  s'il  fault  qu'à  mon  savoir 
Maugré  mien  je  m'y  consente, 
Loingtain  de  joyeuse  sente. 


3o  chari.es  d'orléan s. 

CHANSON    XLVII. 


Vivre  et  mourir  soubz  son  dangier 
Me  veult  faire  Merencolie  ; 
Jamais  vers  moy  ne  s'amolye, 
Mais  plaisir  me  faist  estranger. 

D'ainsi  demourer,  sans  changier, 
Se  me  seroit  trop  grant  folie. 
Vivre  et  mourir  soubz  son  dangier 
Me  veult  faire  Merencolie. 

Pour  d'elle  plus  tost  me  venger, 
Force  m'est  qu'à  Confort  m'alye, 
Acompaigné  de  Chère  Lye; 
A  le  siiir  me  vueil  ranger, 
Vivre  et  mourir  soubz  son  dangier 


CHANSON   XLVIII. 


Je  ne  prise  point  telz  baisiers 
Qui  sont  donnez  par  contenance, 
Ou  par  manière  d'acointance  ; 
Trop  de  gens  en  sont  parçonniers. 

On  en  peut  avoir  par  milliers, 
A  bon  marchié,  grant  habondance. 
Je  ne  prise  point  telz  baisiers 
Qui  sont  donnez  par  contenance. 

Mais  savez  vous  lesquelz  sont  chiers 
Les  privez  venans  par  plaisance  ; 
Tous  autres  ne  sont,  sans  doubtance, 
Que  pour  festier  estrangiers. 
Je  ne  prise  point  telz  baisiers. 


CHANSONS.  il 

CHANSON  XLIX. 

Pourtant,  s'avale  soussiz  mains, 
Sans  mâcher,  en  peine  confiz. 
Si  ne  seront  ja  desconfiz  , 
Les  pensers  qui  m'ont  en  leurs  mains. 

En  ce  propos  seurement  mains 
Qu'ilz  vendront  à  aucuns  prouffiz, 
Pourtant,  s'avale  soussiz  mains. 
Sans  mâcher,  à  peine  confiz. 

Travail  mettray,  et  soirs,  et  mains, 
Autant  ou  plus  quanques  je  fiz, 
S'a  les  achever  ne  souffiz. 
D'en  faire  quelque  chose  au  mains, 
Pourtant,  s'avale  soussiz  mains. 

CHANSON   L. 

Ma  seule  amour,  ma  joye  et  ma  maistresse, 
Puisqu'il  me  fault  loing  de  vous  demourer, 
Je  n'ay  plus  riens,  à  me  reconforter, 
Qu'un  souvenir  pour  retenir  lyesse. 

En  allegant,  par  Espoir,  ma  destresse, 
Me  conviendra  le  temps  ainsi  passer. 
Ma  seule  amour,  ma  joye  et  ma  maistresse. 
Puisqu'il  me  fault  loing  de  vous  demourer. 

Car  mon  las  cueur,  bien  garny  de  tristesse , 
S'en  est  voulu  avecques  vous  aler, 
Ne  je  ne  puis  jamais  le  recouvrer, 
Jusques  verray  vostre  belle  jeunesse, 
Ma  seule  amour,  ma  joye  et  ma  maistresse. 


îa  CHARLES    d'oRLÉANS. 


CHANSON    LI. 


Trop  entré  en  la  haulte  game  , 
xMon  cueur,  d'ut,  ré,  mi,  fa,  sol,  la, 
Fut  jà  pieçà,  quant  l'afola 
Le  trait  du  regart  de  ma  Dame. 

Fors  lui,  on  n'en  doit  blasmer  ame, 
Puis  qu'ainsi  fait,  comme  fol'  l'a. 
Trop  entré  en  la  haulte  game  , 
Mon  cueur,  d'ut,  ré,  mi,  fa,  sol,  la. 

Mieulx  l'eust  valu  estre  soubz  lame, 
Car  sottement  s'en  afola  ; 
Si,  lui  dis  je  :  mon  cueur,  holâ  ! 
Mais  conte  n'en  tint,  sur  mon  ame, 
Trop  entré  en  la  haulte  game. 


CHANSON    LU. 

Se  desplaire  ne  vous  doubtoye, 
Voulentiers  je  vous  embleroye 
Ung  doux  baisier  privéement , 
Et  garderoye  seurement 
Dedens  le  trésor  de  ma  joye. 

Mais  que  Dangier  soit  hors  de  voye, 
Et  que  sans  presse  je  vous  voye. 
Belle  que  j'ayme  loyaument, 
Se  desplaire  ne  vous  doubtoye  , 
Voulentiers  je  vous  embleroye 
Un  doux  baisier  privéement. 

Jamais  ne  m'en  confesseroye, 
Ne  pour  larrecin  le  tendroye , 


CHANSONS.  33 

Mais  grant  aumosne  vrayementj 
Car  à  mon  cueur  joyeusement 
De  par  vous  le  presenteroye, 
Se  desplaire  ne  vous  doubtoye, 


CHANSON   LUI. 

Pour  nous  contenter,  vous  et  moy, 
De  bon  cueur  et  entier  povoir, 
Ne  s'espargne  Léal  Vouloir, 
Viengne  avant  sans  se  tenir  quoy. 

Commandez  moy  je  ne  sçay  quoy, 
Vous  verrez  se  feray  devoir, 
Pour  nous  contenter,  vous  et  moy, 
De  bon  cueur  et  entier  povoir. 

Se  faulz,  par  l'amoureuse  loy, 
Mis  en  fossé  de  Nonchaloir 
Soye  ,  sans  grâce  recevoir; 
Baillez  la  main,  prenez  ma  foy, 
Pour  nous  contenter,  vous  et  moy. 

CHANSON    LIV. 

Malade  de  mal  ennuieux , 

Faisant  la  peneuse  sepmaine, 
Vous  envoyé,  ma  souveraine  , 
Un  souspir  merencolieux. 

Par  lui  saurez,  mon  bien  joyeux, 
Comment  desplaisir  me  demaine. 
Malade  de  mal  ennuieux. 
Faisant  la  peneuse  sepmaine. 

Car  aler  ne  pevent  mes  yeulx 

CHARLES    d'orLÉANS.    II.  3 


J4  CHARLES    D    ORLEANS. 

Vers  la  beauté  dont  estes  plaine, 
Mais  au  fort,  ma  joye  mondaine, 
J'endureray  pour  avoir  mieuix, 
Malade  de  mal  ennuieux. 


CHANSON    LV. 

Tousjours  dictes  :  Attendez,  attendez; 
Pas  ne  payez  vos  reconfors  contens  , 
Joyeulx  Espoir,  dont  maints  sont  malcontens, 
Qui  ne  scevent  comment  vous  l'entendez. 

De  Fortune,  pour  Dieu,  l'arc  destendez; 
Ne  souffrez  plus  qu'elle  face  contens. 
Tousjours  dictes  :  Attendez,  attendez. 
Pas  ne  payez  vos  reconfors  contens. 

Vostre  grâce  tost  sur  moy  estandez. 
Vous  congnoissez  assez  à  quoy  contens  ; 
Plus  ne  perdray  un  tel  trésor  com  temps 
Ainsi  que  fait  qui  son  eur  met  en  dez  ; 
Tousjours  dictes  :  Attendez,  attendez. 


CHANSON    LVI. 

Resjouissez  plus  ung  peu  ma  pensée  , 
Léal  Espoir,  et  me  donnez  secours  ; 
Tousjours  fuyez  et  après  vous  je  cours , 
Où  j'ay  assezde  paine  despenséc. 

La  verray  je  jamais  recompensée? 
Quelque  office  lui  donnez  en  voz  cours  ; 
Resjouissez  plus  ung  peu  ma  pensée, 
Léal  Espoir,  et  me  donnez  secours. 

La  penance  soit  par  vous  dispensée  , 


CHANSONS.  35 

Car  désormais  mes  temps  deviennent  cours; 
Ne  souffrez  plus  son  plaisir  en  decours; 
Veu  que  vers  vous  n'a  faulte  pourpensée, 
Resiouissez  plus  ung  peu  ma  pensée. 


CHANSON    LVII. 

Comment  vous  puis  je  tant  amer 
Et  mon  cueur  si  tresfort  haïr 
Qu'il  ne  me  chault  de  desplaisir 
Qu'il  puisse  pour  vous  endurer? 

Son  mal  m'est  joyeux  à  porter, 
Mais  qu'il  vous  puisse  bien  servir. 
Comment  vous  puis  je  tant  amer 
Et  mon  cueur  si  tresfort  haïr! 

Las  !  or  ne  deusse  je  penser 
Qu'à  le  garder  et  chier  tenir, 
Et  non  pour  tant,  mon  seul  désir, 
Pour  vous  le  vueil  abandonner. 
Comment  vous  puis  je  tant  amer! 

CHANSON    LVIII. 

M'amye  Espérance , 
Pour  quoy  ne  s'avance 
Joyeulx  Reconfort? 
Ay  je  droit  ou  tort , 
S'en  lui  j'ay  fiance? 

Peu  de  desplaisance 
Prent  en  ma  grevance , 
Il  semble  qu'il  dort. 
M'amye  Esjicrance , 


CHARLES    D   ORLEANS. 

Pour  quoy  ne  s'avnnce 
Joyeulx  Reconfort. 

Quoy  qu'à  lui  je  tcnce, 
Pour  sa  bien  vucillance 
Acquérir  ;  au  fort , 
Je  suis  bien  d'acort 
D'attendre  allegance, 
M'amye  lïsperance. 


CHANSON    LIX. 

Dedens  mon  sein ,  près  de  mon  cueur 
J'ay  mussié  un  privé  baisier 
Que  j'ay  emblé,  maugré  Dangier, 
Dont  il  meurt  en  paine  et  langueur. 

Mais  ne  me  chault  de  sa  douleur, 
Et  en  deust  il  vif  enragier, 
Dedens  mon  sein,  près  de  mon  cueur 
J'ay  mussié  un  privé  baisier. 

Se  ma  Dame,  par  sa  doulceur, 
Le  veult  souffrir,  sans  m'empeschier, 
Je  pense  d'en  plus  pourchassier 
Et  en  feray  trésor  greigneur 
Dedens  mon  sem,  près  de  mon  cueur. 


CHANSON    LX. 

D'Espoir,  et  que  vous  en  diroye? 
C'est  ungbeau  bailleur  de  parolles, 
Il  ne  parle  qu'en  paraboUcs  , 
Dont  ung  grant  livre  j'escriroye. 

En  le  lisant,  je  me  riroye, 


CHANSONS.  37 

Tant  auroit  de  choses  frivoUes 
D'Espoir;  et  que  vous  en  diroye? 
C'est  ung  beau  bailleur  de  paroUes. 

Par  tout  ung  an  ne  le  liroye, 
Ce  ne  sont  que  promesses  folles 
Dont  il  tient  chascun  jour  escolles  ; 
Telles  estudes  n'esliroye 
D'Espoir;  et  que  vous  en  diroye? 


CHANSON    LXI. 

Passez  oultre,  Décevant  Vueil, 
Où  portez  vous  cest  estendart 
De  plaisant  Attrayant  Regart , 
Soubz  l'emprise  de  Bel  Acueil  ? 

De  ma  maison  n'entrez  le  sueil 
Plus  avant,  tirez  autre  part. 
Passez  oultre,  Décevant  Vueil, 
Où  portez  vous  cest  estendart? 

Vous  taschez  à  croistie  mon  dueil, 
Et  gens  engigner  par  votre  art; 
A!  a!  maistre  sebelin  regnart , 
On  vous  congnoist  tout  cler  à  l'ueil; 
Passez  oulire,  Décevant  Vueil. 


CHANSON    LXII. 

Trop  estes  vers  moy  endebtée, 
Vous  me  devés  plusieurs  baisiers , 
Jevouldroye  moult  voulentiers 
Que  la  debte  fust  acquittée 

Quoy  que  vous  soyez  excusée 


38  CHARLES    d'oRLÉANS. 

Que  n'osez  pour  les  faulx  Dangiers, 
Trop  estes  vers  moy  endcbtce  , 
Vous  me  devez  plusieurs  baisiers. 

J'en  ay  bonne  lettre  scellée  , 
Paiezles,  sans  tenir  si  chiers; 
Autrement,  par  les  officiers 
D'Amours,  vous  serez  arrestce  : 
Trop  estes  vers  moy  endebtée. 


CHANSON   LXIII. 

Ma  plus  chier  tenue  richesse 
Ou  parfont  trésor  de  Pensée 
Est  soubz  clef,  seurement  gardée, 
Par  Espérance,  ma  Déesse. 

Se  vous  me  demandez  et  qu'esse  ? 
N'enquerez  plus,  elle  est  mussée 
Ma  plus  chier  tenue  richesse 
Ou  parfont  trésor  de  Pensée. 

Avecques  elle,  seul,  sans  presse, 
Je  m'esbas  soir  et  matinée; 
Ainsi  passe  temps  et  journée, 
Au  partir  dy  :  Adieu  maistresse, 
Ma  plus  chier  tenue  richesse. 


CHANSON  LXIV. 

Vostre  bouche  dit  :  Baisiez  moy, 
Se  m'est  avis  quant  la  regarde  ; 
Mais  Dangier  de  trop  près  la  garde, 
Dont  mainte  doleur  je  reçoy. 

Laissez  m'avoir,  par  vostre  foy, 


CHANSONS. 

Un  doulx  baisier,  sans  que  plus  tarde, 
Vostre  bouche  dit  :  Baisiez  moy, 
Se  m'est  avis  quant  la  regarde. 

Dangier  me  heit,  ne  sçay  pourquoy, 
Et  tousjours  Destourbier  me  darde  ; 
Je  prie  à  Dieu  que  mal  feu  Tarde  ! 
Il  fust  temps  qu'il  se  tenist  coy, 
Vostre  bouche  dit  :  Baisiez  moy. 


CHANSON  LXV. 

Va  tost,  mon  amoureux  désir, 
Sur  quanque  me  veulx  obéir, 
Tout  droit  vers  le  manoir  de  Joye  ; 
Et  pour  plus  abregier  ta  voye  , 
Prens  ta  guide  Doulx  Souvenir. 

Metz  peine  de  me  bien  servir 
Et  de  ton  message  accomplir; 
Tu  congnois  ce  que  je  vouldroye  ; 
Va  tost,  mon  amoureux  désir, 
Sur  quanque  me  veulx  obéir, 
Tout  droit  vers  le  manoir  de  Joye. 

Recommandes  moy  à  Plaisir; 
Et  se  brief  ne  peuz  revenir, 
Fay  que  de  toy  nouvelles  oye 
Et  par  Bon  Espoir  les  m'envoya; 
Ne  vueilles  au  besoing  faillir; 
Va  tost,  mon  amoureux  désir. 


CHANSON   LXVI. 

Ou  puis  parfont  de  ma  merencolie 
L'eaue  d'Espoir  que  ne  cesse  de  tirer, 


40  CHARLES     d'oRLÉANS. 

Soif  de  Confort  la  me  fait  désirer, 
Quoy  que  souvent  je  la  treuve  tarie. 

Nette  la  voy  ung  temps  et  esclcrcie, 
Et  puis  après  troubler  et  empirer 
Ou  puis  parfont  de  ma  merencolie 
L'eaue  d'Espoir  que  ne  cesse  de  tirer. 

D'elle  trempe  mon  ancre  d'estudic, 
Quant  j'en  escrips,  mais  pour  mon  cueur  irer, 
Fortune  vient  mon  pappier  dessirer, 
Et  tout  gette  par  sa  grant  fclonnie 
Ou  puis  parfont  de  ma  merencolie. 


CHANSON   LXVII. 

Je  me  metz  en  vostre  mercy, 
Tresbelle,  bonne,  jeune  et  gente  , 
On  m'a  dit  qu'estes  mal  contente 
De  moy,  ne  sçay  s'il  est  ainsi. 

De  toute  nuit  je  n'ay  dormy, 
Ne  pensez  pas  que  je  vous  mente  ; 
Je  me  metz  en  vostre  mercy, 
Tresbelle,  bonne,  jeune  et  gente. 

Pource,  treshumblement  vous  pry 
Que  vous  me  dittes vostre  entente; 
Car  d'une  chose  je  me  vante 
Qu'en  loyauté  n'ay  point  failly  ; 
Je  me  metz  en  vostre  mercy. 


CHANSON   LXVIII. 

Monstrez  les  moy  ces  povres  yeulx 
Tous  batuz  et  deffigurez, 


CHANSONS.  41 

Certes  ilz  sont  fort  empirez 
Depuis  hier  qu'ilz  valloient  mieulx. 

Ne  se  congnoissent  ilz  pas  tieulx? 
Mal  se  sont  au  matin  mirez. 
Monstrez  les  moy  ces  povres  yeulx 
Tous  batuz  et  deffigurez. 

Ont  ilz  pleuré  devant  leurs  Dieux 
Comme  de  leur  grâce  inspirez? 
Ou  s'ilz  ont  mams  travaulx  tirez 
Privéement  en  aucuns  lieux? 
Monstrez  les  moy,  ces  povres  yeulx. 


CHANSON    LXIX. 

S'il  vous  plaist  vendre  vos  baisiers  , 
J'en  achatteray  voulentiers , 
Et  en  aurés  mon  cueur  en  gage , 
Pour  les  prandre  par  héritage  , 
Par  douzaines,  cens  ou  milliers. 

Ne  les  me  vendez  pas  si  chiers 
Que  vous  fériés  à  estrangiers  ; 
En  me  recevant  en  hommaige, 
S'il  vous  plaist  vendre  vos  baisiers  , 
J'en  achatteray  voulentiers , 
Et  en  aurez  mon  cueur  en  gage 

Mon  vueil  et  mon  désir  entiers 
Sont  vostres,  maugré  tous  dangiers, 
Faittes,  comme  loyalle  et  sage, 
Que  pour  mon  guerdon  et  partage. 
Je  soye  servy  des  premiers. 
S'il  vous  plaist  vendre  vos  baisiers. 


4»  CHARLES    D    ORLEANS. 

CHANSON    LXX. 

Traître  regart,  et  que  fais  tu 
Quant  tu  vas  souvent  in  questu? 
Tu  fiers  sans  dire  :  garde  toy  ; 
Et  ne  scés  la  raison  pourquoy, 
N'il  ne  t'en  chault  pas  ung  festu. 

Tu  es  de  couraige  testu 
Et  de  fureur  trop  in  estu. 
Change  ton  propos  et  me  croy, 
Traître  regart,  et  que  fais  tu 
Quant  tu  vas  souvent  in  questu  ? 
Tu  fiers  sans  dire  :  garde  toy. 

On  te  deust  batre  devestu 
Par  my  les  rues  cum  mestu , 
Par  l'ordonnance  de  la  loy; 
Car  tu  n'as  leaulté,  ne  foy, 
On  le  voit  in  tuo  gestu, 
Traître  regart,  et  que  fais  tu! 

CHANSON    LXKI. 

Ma  seule  amour  que  tant  désire, 
Mon  reconfort,  mon  doulx  penser, 
Belle,  nompareille,  sans  per, 
Il  me  desplaist  de  vous  escrire. 

Car  j'aymasse  mieulx  à  le  dire  ' 
De  bouche  ,  sans  le  vous  mander, 
Ma  seule  amour  que  tant  désire  , 
Mon  reconfort,  mon  doulx  penser. 

Las!  or  n'y  puis  je  contredire, 
Mais  Espoir  me  fait  endurer, 


CHANSONS.  43 


Qui  m'a  promis  de  retourner 
En  liesse  mon  grief  martire, 
Ma  seule  amour  que  tant  désire. 


CHANSON    LXXII. 

Anuy,  Soussy,  Soing  et  Merencolie, 
Se  vous  prenez  desplaisir  à  ma  vie 
Et  desirez  tost  avancer  ma  mort, 
Tourmentez  moy  de  plus  fort  en  plus  fort , 
Pour  en  passer  tout  à  cop  vostre  envye. 

Ay  je  bien  dit?  Nennil ,  je  le  renye, 
Et,  par  conseil  de  Bon  Espoir,  vous  prie 
Que  m'espargnez  ;  ou  vous  me  ferez  tort, 
Anuy,  Soussy,  Soing  et  Merencolie, 
Se  vous  prenez  desplaisir  à  ma  vie  , 
Et  desirez  tost  avancer  ma  mort. 

Et  qu'esse  cy?  je  suis  en  resverie. 
Il  semble  bien  que  ne  sçay  que  je  dye; 
Je  dy  puis  l'un,  puis  l'autre,  sans  accort; 
Suis  je  enchanté?  veille  mon  cueur  ou  dort? 
Vuidez,  vuidez  de  moy  telle  folie, 
Anuy,  Soussy,  Soing  et  Merencolie. 


CHANSON   LXXIII. 

Logiez  moy  entre  voz  bras, 
Et  m'envoyez  doulx  baisier 
Qui  me  viengne  festier 
D'aucun  amoureux  soûlas. 

Tant  dis  que  Dangier  est  las 
Et  le  voyez  sommeillier, 


44  CHARLES    d'oRLÉANS. 

Logiez  moy  entre  voz  bras 
Et  m'envoyez  doulx  baisier. 

Pour  Dieu,  ne  l'esveillez  pas 
Ce  faulx,  envieux  Dangier; 
Jamais  ne  puist  s'esveillier  ! 
Faittes  tos.t  et  parlez  bas, 
Logiez  moy  entre  voz  bras. 


CHANSON    LXXIV. 

Se  Dangier  me  toit  le  parler 
A  vous,  mon  bel  amy,  sans  per, 
Par  le  pourchas  des  envieux  , 
Non  plus  qu'on  toucheroit  aux  cieulx 
Ne  me  tendray  de  vous  amer. 

Car  mon  cueur  m'a  voulu  laissier 
Pour  soy  du  tout  à  vous  donner 
Et  pour  estre  vostre  en  tous  lieux, 
Se  Dangier  me  toit  le  parler 
A  vous,  mon  bel  amy,  sans  per, 
Par  le  pourchas  des  envieux. 

Tout  son  povoir  ne  peut  garder 
Que,  sur  tous  autres,  n'aye  chier 
Vostre  gent  corps,  tresgracieux  ; 
Et  se  ne  vous  voy  de  mes  yeulx. 
Pour  tant  ne  vous  veuil  je  changier, 
Se  Dangier  me  toit  le  parler. 


CHANSON    LXXV. 

Fault  il  aveugle  devenir? 
N'ose  l'en  plus  les  yeulx  ouvrir, 


CHANSONS,  45 

Pour  regarder  ce  qu'on  désire? 
Dangier  est  bien  estrange  sire  , 
Qui  tant  veut  amans  asservir. 

Vous  lerrez  vous  anéantir, 
Amours,  sans  remède  quérir  ? 
Ne  peut  nul  Dangier  contredire  ? 
Fault  il  aveugle  devenir? 
N'ose  l'en  plus  les  yeulx  ouvrir. 
Pour  regarder  ce  qu'on  désire? 

Les  yeulz  si  sont  fais  pour  servir, 
Et  pour  raporter  tout  plaisir 
Aux  cueurs,  quant  ilz  sont  en  martire. 
A  les  en  garder  Dangier  tire, 
Est  ce  bien  fait  de  le  souffrir  ? 
Fault  il  aveugle  devenir? 


CHANSON    LXXVI. 


Regardez  moy  sa  contenance, 
Lui  siet  il  bien  à  soy  jouer? 
Certes,  c'est  le  vray  mirouer 
De  toute  joyeuse  plaisance. 

Entre  les  parfaittes  de  France 
Se  peut  elle  l'une  advouer  ? 
Regardez  moy  sa  contenance  , 
Lui  siet  il  bien  à  soy  jouer  ? 

Pour  fol  me  tien,  quant  je  m'avanc 
De  vouloir  les  grans  biens  louer, 
Dont  Dieu  l'a  voulu  douer; 
Ses  faiz  en  font  la  demonstrance  : 
Regardez  moy  sa  contenance  1 


46  ciiari.es   d'okléans. 

CHANSON    LXXVII. 

Riens  ne  valent  ses  mirlifiques  , 
Et  ses  menues  oberliques; 
D'où  venez  vous,  petit  mercier? 
Gueres  ne  vault  vostre  mestier, 
Se  me  semble  ,  ne  voz  pratiques. 

Chier  les  tenez  comme  reliques, 
Les  voulez  vous  mettre  en  croniques  . 
Vous  n'y  gangnerez  ja  denier. 
Riens  ne  valent  ses  mirliliques, 
Et  ses  menues  oberliques; 
D'où  venez  vous?  petit  mercier. 

En  plusieurs  lieux  sont  trop  publiques, 
Et  pource,  sans  faire  répliques, 
Desploiez  tout  vostre  pannier, 
Affin  qu'on  y  puisse  serchier 
Quelques  bagues  plus  auctentiques;. 
Riens  ne  valent  ses  mirlifiques. 

CHANSON    LXXVIII. 

Petit  mercier,  petit  pannier! 
Pourtant  se  je  n'ay  marchandise 
Qui  soit  du  tout  à  vostre  guise  , 
Ne  blasmez,  pource,  mon  mestier. 

Je  gangne  denier  à  denier, 
C'est  loings  du  trésor  de  Venise  , 
(Petit  mercier,  petit  pannier!) 
Pourtant  se  je  n'ay  marchandise. 

Et  tandis  qu'il  est  jour  ouvrier, 
Le  temps  pers  quant  à  vous  devise  : 


CHANSONS.  47 


Je  voys  parfaire  mon  emprise 
Et  par  my  les  rues  crier  : 
Petit  mercier,  petit  pannier! 


CHANSON    LXXIX. 

Reprenez  ce  larron  souspir 
Qui  s'est  emblé  soudainement, 
Sanscongié  ou  commandement, 
Hors  de  la  prison  de  Désir. 

Mesdisans  l'ont  ouy  partir, 
Dont  ilz  tiennent  leur  parlement  ; 
Reprenez  ce  larron  souspir 
Qui  s'est  emblé  soudainement. 

Se  le  meschant  eust  sçeu  saillir 
Sans  noyse,  tout  privéement , 
N'en  peut  chaloir;  mais  sotement 
L'a  fait;  pource,  l'en  fault  pugnir, 
Reprenez  ce  larron  souspir. 


CHANSON    LXXX. 

L'ostellerie  de  Pensée, 
Plaine  de  venans  et  alans 
Soussiz.  soient  petitz  ou  grans, 
A  chascun  est  habandonnée. 

Elle  n'est  à  nul  refifusée 
Mais  preste  pour  tout  les  passans 
L'ostellerie  de  Pensée, 
Plaine  de  venans  et  alans. 

Plaisance  chierement  amée 
S'i  loge  souvent,  mais  nuisans 


48  CHARLES    d'oRLÉANS. 

Lui  sont  Ennuiz  gros  et  puissans, 
Quant  ilz  la  tiennent  empeschée 
L'ostellerie  de  Pensée. 


CHANSON    LXXXI. 

Fuyés  le  trait  de  doulx  regard, 
Cueur,  qui  ne  vous  savez  detîendre, 
Vcu  qu'estes  desarmé  et  tendre, 
Nul  ne  vous  doit  tenir  couard. 

Vous  serés  pris  ou  tost  ou  tard, 
S'Amour  le  veult  bien  entreprandre; 
Fuyez  le  trait  de  doulx  regard  , 
Cueur,  qui  ne  vous  savez  deflendre. 

Retrayez  vous  sous  l'estandart 
De  Nonchaloir,  sans  plus  attendre; 
S'a  Plaisance  vous  laissiez  rendre, 
Vous  estes  mort,  Dieu  vous  en  gard  I 
Fuyez  le  trait  de  doulx  regard. 

CHANSON    LXXXII. 

Yver,  vous  n'estes  qu'un  villain, 
Esté  est  plaisant  et  gentil , 
En  tesmoing  do  May  et  d'Avril 
Qui  l'acompaignent  soir  et  main. 

Esté  revest  champs,  bois  et  fleurs, 
De  sa  livrée  de  verdure 
Et  de  maintes  autres  couleurs, 
Par  l'ordonnance  de  Nature. 

Mais  vous,  Yver,  trop  estes  plain 
De  neige,  vent,  pluye  etgrezil; 


h 


CHANSONS.  49 

On  vous  deust  bannir  en  exil. 
Sans  point  flater,  je  parle  plain, 
Yver,  vous  n'estes  qu'un  villain. 

CHANSON    LXXXIIl. 

Mon  seul  amy,  nîon  bien,  ma  )oye, 
Cellui  que  sur  tous  amer  veulx  , 
Je  vous  pry  que  soyez  joieux 
En  espérant  que  brief  vous  voye. 

Car  je  ne  fais  que  quérir  vove 
De  venir  vers  vous,  se  m"aist  Dieux, 
Mon  seul  amy,  mon  bien,  ma  joye, 
Cellui  que  sur  tous  amer  veulx. 

Et  se,  par  souhaidier,  povoye 
Estre  emprès  vous,  un  jour  ou  deux, 
Pour  quanqu'il  a  dessoubz  les  cieulx, 
Outre  rien  ne  souhaideroye. 
Mon  seul  amy,  mon  bien,  ma  joye. 

CHANSON    LXXXIV. 

Je  le  retiens  pour  ma  plaisance, 
Espoir,  mais  que  léal  me  soit, 
Et  se  jamais  il  me  déçoit. 
Je  renie  son  acointance. 

Nous  deux  avons  fait  aliance  , 
Tant  que  mon  cueur  tel  l'aparçoit  ; 
Je  le  retiens  pour  ma  plaisance , 
Espoir,  mais  que  léal  me  soit. 

Monstrer  me  puisse  bien  vueillance, 
Ainsi  que  mon  penser  conçoit , 

CHARLES    D"ORLÉaNS.    11.  4 


5o  CHARLES    d'oRLÉANS. 

Dont  mainte  liesse  reçoit; 
Quant  à  moy,  j'ay  en  lui  fiance, 
Je  le  retiens  pour  ma  plaisance. 


CHANSON  LXXXV. 

Je  ne  les  prise  pas  deux  blans 
Tous  les  biens  qui  sonl  en  amer, 
Car  il  n'y  a  que  tout  amer 
Et  grant  foison  de  faulx  semblans. 

Pour  les  maulx  qui  y  sont  doublans, 
Pire  que  les  perilz  de  mer, 
Je  ne  les  prise  pas  deux  blans 
Tous  les  biens  qui  soni  en  amer. 

Hz  ne  sont  à  riens  ressemblans, 
Car  un  jour  viennent  entamer__ 
Le  cueur  et  après  embasmer; 
Ce  sont  amourettes  tremblans, 
Je  ne  les  prise  pas  deux  blans. 


CHANSON     LXXXVI. 

Hors  du  propos  si  baille  gaige , 
Ce  n'est  que  du  jeu  la  manière  , 
Nulle  excusacion  n'y  quiere, 
Quoyque  soit  prouffit  ou  dommaige. 

Tousjours  parle  plus  fol  que  saige, 
C'est  une  chose  coustumiere  ; 
Hors  du  propos  si  baille  gaige , 
Ce  n'est  que  du  jeu  la  manière. 

Se  l'en  me  dit  :  Vous  conte/  raige; 
Blasmez  ma  langue  trop  légère  ; 


CHANSONS.  5l 

Raison,  de  Secret  tresoriere, 
La  tance,  quant  despent  langaige 
Hors  du  propos;  si  baille  gaigel 


CHANSON     LXXXVII. 

Au  besoing  congnoist  on  l'amy 
Qui  loyaument  aidier  désire. 
Pour  vous  je  puis  bien  cecy  dire  , 
Car  vous  ne  m'avez  pas  failly. 

Mais  avez,  la  vostre  mercy, 
Tant  fait  qu'il  me  doit  souffire. 
Au  besoing  congnoist  on  l'amy 
Qui  loyaument  aidier  désire. 

Bien  brief  pense  partir  de  cy 
Pour  m'en  aler  vers  vous  de  tire; 
I.oisir  n'ay  pas  de  vous  escrire, 
Et  pource,  plus  avant  ne  dy  ; 
Au  besoing  congnoist  on  l'amy. 


CHANSON  LXXXVIII. 

O  trcsdevotes  créatures , 
En  ypocrisies  d'amours 
Que  vous  querez  d'estranges  tours 
Pour  venir  à  voz  aventures  ! 

Vous  cuidez  bien  par  voz  paintures 
Faire  sotz,  aveugles  et  sours, 
O  tresdevotes  créatures. 
En  ypocrisies  d'amours. 

On  ne  peut  desservir  deux  cures, 
Ne  prendre  gaiges  en  deux  cours  ; 


52  CHARLES    d'ORLÉANS. 

Prenez  les  champs  ou  les  taulbourgs  , 
Hz  sont  de  diverses  natures, 
O  tresdevotes  créatures. 


CHANSON    LXXXIX. 


Que  c'est  estrange  compaignie 
De  Penser  joint  avec  Espoir! 
Aidier  scevent  et  décevoir 
Ung  cueur  qui  tout  en  eulx  se  fie. 

Il  ne  fault  jà  que  je  le  dye  , 
Chascun  le  peut  en  soy  savoir 
Que  c'est  estrange  compaignie 
De  Penser  joint  avec  Espoir. 

D'eulx  me  plains  et  ne  m'en  plains  mye  , 
Car  mal  et  bien  m'ont  fait  avoir  ; 
Menty  m'ont  et  aussi  dit  voir; 
Je  l'aveu  et  si  le  renye 
Que  c'est  estrange  compaignie. 


CHANSON    XC. 


Sera  el  point  jamais  trouvée 
Celle  qui  ayme  loyauté 
Et  qui  a  ferme  voulenté 
Sans  avoir  legiere  pensée  ? 

Il  convient  qu'elle  soit  criée, 
Pour  en  savoir  la  vérité  : 
Sera  el  point  jamais  trouvée 
Celle  qui  ayme  loyauté? 


CHANSONS.  53 

Je  crois  bien  qu'elle  est  deffiée 
Desaliez  de  Faulceté, 
Dont  il  y  a  si  grant  planté, 
Que  de  paour  elle  s'est  mussiée. 
Sera  el point  jamais  trouvée? 


CHANSON. 

Réponse  du  duc  Jehan  de  Bourbon. 

Duc  d'Orléans,  je  Vay  trouvée 
Celle  qui  ayme  loyauté , 
Et  qui  a  ferme  voulenté , 
Sans  avoir  legiere  pensée. 

Ja  ne  fault  qu'elle  soit  criée. 
J'en  sçay  asse^  la  vérité  : 
Duc  d'Orléans,  je  Vai  trouvée 
Celle  qui  ayme  loyauté. 

C'est  ma  Dame  tresbien  amée , 
Qui  a  des  biens  si  grant  planté 
Quel  ne  craint  rostre  Faulceté, 
Ne  de  ceulx  de  vostre  livrée  ; 
Duc  d'Orléans,  je  l'ay  trouvée. 


CHANSON    XCI. 


Puis  çà,  puis  là, 
Et  sus  et  jus , 
De  plus  en  plus, 
Tout  vient  et  va. 


:>4  CHARLES  d'orléans. 

Tous  on  verra 
Grans  et  menus, 
Puis  çà,  puis  là  , 
Et  sus  et  jus. 

Vieulx  temps  desjà 
S'en  sont  courus , 
Et  neufz  venus, 
Que  dca!  que  dea! 
Puis  çà,  puis  là. 


CHANSON    XCII. 

Dieu  vous  cond.ue,  Doulx  Penser, 
Et  vous  doint  faire  bon  voyage , 
Rapportez  tost  joyeux  messaige 
Vers  le  cueur  pour  le  conforter. 

Ne  vueillez  gueres  demourer, 
Exploitiez  comme  bon  et  saige, 
Dieu  vous  conduie,  Doulx  Penser, 
Et  vous  doint  faire  bon  voyage. 

Riens  ne  vous  convient  ordonner, 
Les  secrez  savez  du  couraige  , 
Besongnez  à  son  avantaige 
Et  pensez  de  brief  retourner. 
Dieu  vous  conduie,  Doulx  Penser, 


CHANSON   XCIIl. 


Puis  que  par  deçà  demourons. 
Nous  Saulongnois  et  Beausserons  , 
En  la  maison  de  Savonnieres  , 


CHANSONS.  55 

Souhaidez  nous  des  bonnes  chieres 
Des  Bourbonnois  et  Bourguignons. 

Aux  champs,  par  hayes  et  buissons, 
Perdrix  et  lyevres  nous  prendrons, 
Et  yrons  pescher  sur  rivières  , 
Puis  que  par  deçà  demourons. 
Nous  Saulongnois  et  Beausserons, 
En  la  maison  de  Savonnieres. 

Vivres,  tabliers,  cartes  aurons 
Où  souvent  nous  estudirons 
Vins,  mangers  de  plusieurs  manières; 
Calerons  ,  sans  faire  prières  , 
Et  de  dormir  ne  nous  faindrons, 
Puis  que  par  deçà  demourons. 


CHANSON   XCIV. 


Les  fourriers  d'Amours  m'ont  logé 
En  un  lieu  bien  à  ma  plaisance  , 
Dont  les  mercy  de  ma  puissance 
Et  m'en  tiens  à  eulx  obligé. 

Afin  que  tost  soit  abrégé 
Le  mal  qui  me  porte  grevance, 
Les  fourriers  d'Amours  m'ont  logé 
En  un  lieu  bien  à  ma  plaisance. 

Desjà  je  me  sens  alegé  , 
Car  acointié  m'a  Espérance, 
Et  croy  qu'amoureux  n'a  en  France 
Qui  soit  mieulx  que  moy  hébergé  : 
Les  fourriers  d'Amours  m'ont  logé. 


iô  CHARLES    d'oRLÉANS. 

CHANSON    XCV. 

Penser,  qui  te  fait  si  hardy, 
De  mettre  en  ton  hostellerie 
La  tresdivcrse  compaignie 
D'Ennuy,  Desplaisir  et  Soussy. 

Se  congié  en  as,  si  le  dy, 
Ou  se  le  fais  par  ta  folie, 
Penser,  qui  te  fait  si  hardy, 
De  mettre  en  ton  hostellerie. 

Nul  ne  repose  pour  leur  cry, 
Boute  les  hors,  et  je  t'en  prie, 
Ou  il  faut  qu'on  y  remédie  ; 
Veulx  tu  estre  à  tous  ennemy, 
Penser,  qui  te  fait  si  hardy  1 

CHANSON  XCVI. 


D'ont  vient  ce  souleil  de  Plaisance 

Qui  ainsi  m'esbluyst  les  yeulx? 
Beaulté,  Doulceur,  et  encor  miculx 
Y  sont  à  trop  grant  habondance. 

Soudainement  luyst  par  semblance 
Comme  ung  escler  venant  des  cieulx; 
D'ont  vient  ce  souleil  de  Plaisance  , 
Qui  ainsi  m'esbluyst  les  yeulx  ? 

Il  fait  perdre  la  contenance 
A  toutes  gens,  jeunes  et  vieulx; 
N'il  n'est  éclipse,  se  m'aist  Dieux, 
Qui  de  l'obscurcir  ait  puissance; 
D'ont  vient  ce  souleil  de  Plaisance? 


CHANSONS.  57 

CHANSON    XCVII. 

Laissez  moy  penser  à  mon  ayse. 
Helas!  donnez  m'en  le  loisir  ; 
Je  devise  avecques  Plaisir, 
Combien  que  ma  bouche  se  taise. 

Quant  Merencolie  mauvaise 
Me  vient  maintes  fois  assaillir, 
Laissez  moy  penser  à  mon  ayse  , 
Helas!  donnez  m'en  le  loisir. 

Car  affin  que  mon  cueur  rapaise, 
J'appelle  Plaisant  Souvenir 
Qui  tantost  me  vient  resjouir; 
Pource,  pour  Dieu  ,  ne  vous  desplaise , 
Laissez  moy  penser  à  mon  ayse. 

CHANSON. 

Par  Fraigne. 

Et  où  vas  tu,  petit  souspir. 
Que  j'ay  ouy  si  doulcement? 
T'en  vas  tu  mettre  à  saquement 
Qiielqiie povre  amoureux  martir? 

Viens  ça,  dy  moy  tost,  sans  mentir. 
Ce  que  tu  as  en  pensement, 
Et  où  vas  tu^  petit  souspir, 
Que  j'ay  ouy  si  doulcement? 

Dieu  te  conduye  à  ton  désir, 
Et  te  remaine  à  sauvement  ; 
Mais  je  te  requier  humblement 
Que  ne/aces  ame  mourir  ; 
Et  oii  vas  tu,  petit  souspir? 


58  CHARLES    d'oRLÉANS. 


CHANSON   XCVIII. 

As  tu  ja  fait,  petit  souspir? 
Est  il  sur  son  trespassement 
Le  cueur  qu'as  mis  à  sacquement? 
A  il  remède  de  guérir  ? 

Tu  as  mal  fait  de  le  ferir 
En  haste,  si  piteusement. 
As  tu  ja  fait,  petit  souspir? 
Est  il  sur  son  trespassement? 

Amours,  qui  t'en  doit  bien  pugnir, 
A  fait  de  toy  son  jugement  ; 
Pren  franchise  hastivement , 
Sauve  toy,  quant  tu  as  loisir  ; 
As  tu  ja  fait,  petit  souspir? 


CHANSON    XCIX. 

Levez  ces  cueuvrechiefs  plus  hault 
Qui  trop  cueuvrent  ces  beaulx  visages  ; 
De  riens  ne  servent  telz  umbrages. 
Quant  il  ne  fait  haie  ne  chault. 

On  fait  à  Beaulté  qui  tant  vault , 
De  la  musser  tort  et  oultraiges  : 
Levez  ces  cueuvrechiefs  plus  hault 
Qui  trop  cueuvrent  ces  beaux  visages. 

Je  sçay  bien  qu'à  Dangier  n'en  chault, 
Et  pense  qu'il  ait  donné  gaiges 
Pour  entretenir  telz  usaiges; 
Mais  l'ordonnance  rompre  fault, 
Levez  ces  cueuvrechiefs  plus  hault. 


CHANSONS,  59 

CHANSON    C. 

Deux  ou  trois  couples  d'Ennuys 
J'ay  tousjours  en  ma  maison  , 
Desencombrer  ne  m'en  puis, 

Quoy  qu'à  mon  povoir  les  fuis, 
Par  le  conseil  de  Raison, 
Deux  ou  trois  couples  d'Ennuys. 

Je  les  chasse  d'où  je  suis, 
Mais  en  chascune  saison  , 
Hz  rentrent  par  ung  autre  huis, 
Deux  ou  trois  couples  d'Ennuys. 

CHANSON    CI. 

Entre  les  amoureux  fourrez , 
Non  pas  entre  les  decoppez , 
Suis,  car  le  temps  sans  refroidy, 
Et  le  cueur  de  moi  l'est  aussi. 
Tel  me  véez,  tel  me  prenez. 

Jeunes  gens  qui  Amours  servez, 
Pour  Dieu  de  moy  ne  vous  mocquez, 
Il  est  ainsi  que  je  vous  dy. 
Entre  les  amoureux  fourrez  , 
Non  pas  entre  les  decoppez. 
Suis,  car  le  temps  sans  refroidy. 

Car,  quant  Amours  servy  aurez 
Autant  que  j'ay,  vous  devendrez 
Pareillement  en  mon  party. 
Et  quant  vous  trouverez  ainsy 
Comme  je  suis,  lors  vous  serez, 
Entre  les  amoureux  fourrez. 


60  CHARLES    d'or  LÉ  AN  S. 

CHANSON    Cil. 

Durant  les  trêves  d'Angleterre 
Qui  ont  esté  faittes  à  Tours, 
Par  bon  conseil,  avec  Amours 
J'ai  prins  abstinence  de  guerre  ; 

S'autre  que  moy  ne  la  desserre, 
Content  suis  que  tiengne  tousjours, 
Durant  les  trêves  d'Angleterre 
Qui  ont  esté  faittes  à  Tours. 

Il  n'est  pas  bon  de  trop  enquerre 
Ne  s'empeschier  es  faiz  des  cours  ; 
S'on  m'assault,  pour  avoir  secours; 
Vers  Nonchaloir  iray  grant  erre, 
Durant  les  trêves  d'Angleterre. 

CHANSON  cm. 

La  veez  vous  là,  la  lyme  sourde, 
Qui  pense  plus  qu'elle  ne  dit, 
Souventeffoiz  s'esbat  et  rit 
A  planter  une  gente  bourde. 

Contrefaisant  la  coquelourde, 
Soubz  un  malicieux  abit, 
La  veez  vous  là,  la  lyme  sourde, 
Qui  pense  plus  qu'elle  ne  dit. 

Quelle  part  que  malice  sourde, 
Tost  congnoist  s'il  y  a  prouffit. 
Benoist  en  soit  le  saint  Esprit 
Qui  de  si  finete  me  hourde; 
La  veez  vous  là,  la  lyme  sourde. 


CHANSONS.  61 


CHANSON    CIV. 

Helas  !  et  qui  ne  l'aymeroit 
De  Bourbon  le  droit  héritier, 
Qui  a  l'estomac  de  papier 
Et  aura  la  goûte  de  droit  ! 

Se  Lymosin  ne  lui  aidoit, 
Il  mourroit,  tesmoing  Villequier. 
Helas  !  et  qui  ne  l'aymeroit 
De  Bourbon  le  droit  héritier? 

Jamais  plus  hault  ne  sailliroit, 
S'elle  lui  monstroit  ung  dangier  ; 
Et  pource,  Fayete  et  Gouffier 
Aidiez  chascun  en  votre  endroit; 
Helas!  et  qui  ne  l'aymeroit  ! 


CHANSON   CV. 

Dieu  vous  envoyé  pascience, 
Gentil  conte  Cleremontois, 
Vous  congnoissez,  à  ceste  fois, 
Qu'est  d'amoureuse  pénitence. 

Puis  qu'estes  hors  de  la  présence 
De  celle  que  bien  je  congnois, 
Dieu  vous  envoyé  pascience,- 
Gentil  conte  Cleremontois. 

Vouer  vous  povez  aliance 
A  la  riche,  comme  je  croys  ; 
Ne  vous  trouverez  de  ce  mois, 
Las  !  trop  estes  loing  dalegance; 
Dieu  vous  envoyé  pascience. 


02  CHARLES     d'oRLKANS. 


CHANSON   CVI. 

Sauves  toutes  bonnes  raisons, 
Mieulx  vault  mentir  pour  paix  avoii 
Qu'estre  batu  pour  dire  voir  ; 
Pource,  mon  cueur,  ainsi  faisons. 

Riens  ne  perdons,  se  nous  taisons, 
Et  se  jouons  au  plus  savoir, 
Sauves  toutes  bonnes  raisons, 
Mieulx  vault  mentir  pour  paix  avoir. 

Parler  boute  feu  en  maisons 
Et  destruit  paix,  ce  riche  avoir. 
On  aprent  à  taire  et  à  veoir, 
Selon  les  temps  et  les  saisons, 
Sauves  toutes  bonnes  raisons. 


CHANSON    CVII. 

Il  souffist  bien  que  je  le  sache, 
Sans  en  enquérir  plus  avant; 
Car  se  tout  aloye  disant, 
On  vous  pourroit  bien  dire  :  attache. 

Nul  de  la  langue  ne  m'arrache 
Ce  qu'en  mon  cœur  je  voys  pensant  ; 
Il  souffist  bien  que  je  le  sache, 
Sans  en  enquérir  plus  avant. 

Ainsi  qu'en  blanc  pert  noire  tache, 
Vostre  fait  est  si  apparant 
Que  m'y  treuve  trop  cognoissant  ; 
Qui  est  descouvert,  mal  se  cache; 
11  souffist  bien  que  je  le  sache. 


CHANSONS,  63 

CHANSON   CVIII. 

Pense  de  toy 
Dorénavant, 
Du  demourant 
Te  chaille  poy. 

Ce  monde  voy 
En  empirant. 
Pense  de  toy 
Dorénavant. 

Regarde  et  oy, 
Va  peu  parlant; 
Dieu  tout  puissant 
Fera  de  soy  ; 
Pense  de  toy. 

CHANSON   CIX. 

Ce  n'est  riens  qui  ne  puist  estre, 
On  voit  de  plus  grans  merveilles 
Que  de  baster  aux  corneilles 
Les  mariz,  et  l'erbe  pestre. 

Car  de  jouer  tours  de  maistre, 
Femmes  sont  les  nompareilles  ; 
Ce  n'est  riens  qui  ne  puist  estre, 
On  voit  de  plus  grans  merveilles. 

Tant  aux  huis,  comme  aux  tcnestres, 
En  champs,  jardins  ou  en  trailles, 
Par  tout  ont  yeulx  et  oreilles, 
Soit  à  dextre  ou  à  senestre; 
Ce  n'est  riens  qui  ne  puist  estre. 


64  CHARLES    d'or  LÉ  AN  s. 

CHANSON    ex. 

Or  est  de  dire  :  laissez  m'en  paix. 
Et  tout  plain  :  de  rien  ne  m'est  plus. 
Mes  propos  sont  en  ce  conclus 
Qu'ainsy  demourray  désormais. 

De  s'entremettre  de  mes  fais, 
Je  n'en  requier  nulles  ne  nuls, 
Or  est  de  dire  :  laissez  m'en  paix  ; 
Et  tout  plain  :  de  rien  ne  m'est  plus. 

Fortune,  par  ses  faulz  atrais, 
En  pipant,  a  pris  à  la  glus 
Mon  cueur,  et  en  soussy  reclus 
Se  tient,  sans  départir  jamais. 
Or  est  de  dire  :  laissez  m'en  paix. 

CHANSON   CXI. 


C'est  grant  paine  que  de  vivre  en  ce  monde, 
Encore  esse  plus  paine  de  mourir; 
Si  convient  il,  en  vivant,  mal  souffrir, 
Et  au  derrain,  de  mort  passer  la  bonde. 

S'aucune  foiz  joye  ou  plaisir  abonde, 
On  ne  les  peut  longuement  retenir. 
C'est  grant  paine  que  de  vivre  en  ce  monde. 
Encore  esse  plus  paine  de  mourir. 

Pource,  je  vueil  comme  un  fol  qu'on  me  tonde 
Se  plus  pense,  quoy  que  voye  avenir. 
Qu'à  vivre  bien  et  bonne  fin  quérir  ; 
Las  !  il  n'est  rien  que  Soussy  ne  confonde; 
C'est  grant  paine  que  de  vivre  en  ce  monde. 


CHANSONS.  65 

CHANSON    GXII. 

En  vivant  en  bonne  espérance, 
Sans  avoir  desplaisance,  ou  dueil, 
Vous  aurez  brief,  à  votre  vueii, 
Nouvelle  plaine  de  plaisance. 

De  guerre  n'avons  plus  doubtance. 
Mais  tousjours  gracieulx  acueil, 
En  vivant  en  bonne  espérance. 
Sans  avoir  desplaisance,  ou  dueil. 

Tous  nouveaulx  revendrons  en  France, 
Et  quant  me  reverrés  à  l'ueil, 
Je  suis  tout  autre  que  je  sueil; 
Au  moins  j'en  fais  la  contenance, 
En  vivant  en  bonne  espérance. 


CHANSON    CXIII. 

Orléans  à  Sicile. 

Vostre  esclave  et  serf,  où  que  soye, 
Qui  trop  ne  vous  puis  mercier. 
Quant  vous  a  pieu  de  m'envoyer 
Le  don  qu'ay  receu  à  grant  joye! 

Tel  que  dy  et  plus,  se  povoye, 
Me  trouvères,  à  l'essayer, 
Vostre  esclave  et  serf,  où  que  soye, 
Qui  trop  ne  vous  puis  mercier. 

Paine  mettray  que  brief  vous  voye. 
Et  tost  arez,  sans  délayer, 
Chose  qui  est  sus  le  mestier, 
Qui  vous  plaira  ;  plus  n'en  diroye, 
Vostre  esclave  et  serf,  où  que  soye. 

CHARLES  D'ORLÉANS.    II.       '  J 


66  CHARLES    d'oRLÉANS. 


CHANSON^CXIV. 


Tellement,  qucllement, 
Me  faut  le  temps  passer, 
Et  soucy  amasser 
Mainteffbiz,  mallement. 

Quant  ne  puis  nullement 
Ma  fortune  casser, 
Tellement,  quellement. 
Me  faut  le  temps  passer. 

J'iray  tout  bellement, 
Pour  paour  de  me  lasser, 
Et  sans  trop  m'enlasser 
Ou  monde  follement, 
Tellement,  quellement. 


CHANSON  CXV. 

A  tout  bon  compte  revenir 
Convendra,  qui  qu'en  rie  ou  pleure; 
Et  ne  scet  on  le  jour,  ne  l'eure; 
Souvent  en  devroit  souvenir. 

Prenez  qu'on  ait  dueil  ou  plaisir. 
En  brief  temps,  ou  longue  demeure, 
A  tout  bon  compte  revenir 
Convendra,  qui  qu'en  rie  ou  pleure. 

Las  !  on  ne  pense  qu'à  siiyr 
Le  monde  qui  toujours  labeure  , 
Et  quant  on  cuide  qu'il  sequeure, 
Au  plus  grant  besoing  vient  faillir, 
A  tout  bon  compte  revenir. 


CHANSONS.  <»7 

CHANSON   CXVI. 


«  Vous  estes  paie  pour  ce  jour, 
Puis  qu'avez  eu  ung  doulx  regart.  » 
Devant  ung  ancien  régna rt 
Tost  est  apparceu  ung  tel  tour. 

Quant  on  a  esté  à  séjour, 
Ce  sont  les  gaiges  de  musart  : 
«  Vous  estes  paie  pour  ce  jour, 
Puis  qu'avez  eu  ung  doulx  regart.  » 

Il  souffist  pour  vostre  labour, 
Et  s'après  on  vous  sert  de  l'art. 
Prenez  en  gré,  maistre  coquart; 
Ce  n'est  qu'un  restraintif  d'amour  : 
«  Vous  estes  paie  pour  ce  jour.  » 


CHANSON   CXVII. 


Puis  qu'estes  en  chaleur  d'Amours, 
Pour  Dieu,  laissez  veoir  vostre  orine; 
On  vous  trouvera  medicine 
Qui  briefment  vous  fera  secours. 

Trop  tost,  oultre  le  commun  cours, 
Vous  bat  le  cueur  en  la  poictrine. 
Puis  qu'estes  en  chaleur  d'Amours, 
Pour  Dieu,  laissez  veoir  vostre  orine. 

La  fièvre  blanche  ses  séjours 
A  fait  ;  se  voulez  que  termine 
Et  que  plus  ne  vous  soit  voisine, 
Repousez  vous  pour  aucuns  jours, 
Puis  qu'estes  en  chaleur  d'Amours. 


68  CHARLES    d'ORLKANS. 


CHANSON    CXVIII. 

Saint  Valeiitin,  quant  vous  venez 
En  Karesme  au  commancement, 
Receu  ne  serez  vrayement 
Ainsi  que  acoustumé  avez. 

Soussy  et  Penance  amenez. 
Qui  vous  recevroit  lyement, 
Saint  Valentin,  quant  vous  venez 
En  Karesme  au  commancement .'' 

Une  autreffoiz  vous  avancez 
Plus  tost,  et  alors  toute  gent 
Vous  recuilliront  autrement; 
Et  pers  à  choisir  amenez, 
Saint  Valentin,  quant  vous  venez. 


CHANSON   CXIX. 

Saint  Valentin  dit  :  Veez  me  çà. 
Et  apporte  pers  à  choisir  ; 
Viengne  qui  y  devra  venir, 
C'est  la  coustume  de  pieçà. 

Quant  le  jour  des  Cendres  «  hola  » 
Respond,  auquel  doit  on  faillir? 
Saint  Valentin  dit  :  Veez  me  çà, 
Et  apporte  pers  à  choisir. 

Au  fort,  au  matin  convendra 
En  devocion  se  tenir. 
Et  après  disner  à  loisir 
Choississe  qui  choisir  vouldra, 
Saint  Valentin  dit  :Veez  me  çà. 


CHANSONS.  69 

CHANSON   CXX. 


Satis^  satis,  plus  quatn  satis, 
N'en  avez  vous  pas  encore  assez  ? 
Par  Dieu,  vous  en  serez  lassez 
Des  folies  quas  amatis. 

Cum  sensibus  ebetatis, 
Sottes  gens,  vous  les  amassez. 
Satis,  satis,  plus  quam  satis, 
N'en  avez  vous  encore  assez? 

Et  pource,  si  me  credatis, 
Oubliez  tous  les  temps  passez 
Et  voz  meschans  pensers  cassez, 
Dolendo  de  perpetratis  : 
Satis,  satis,  plus  quam  satis. 


CHANSON  CXXI. 

Non  temptabis^  tien  te  coy, 
Regard  plain  d'atrayement, 
Vade  rétro  tellement 
Que  point  n'aproches  de  moy. 

Probavi  te,  sur  ma  foy, 
Je  crains  ton  assotement, 
Non  temptabis,  tien  te  coy, 
Regard  plain  d'atrayement. 

Ecce  la  raison  pourquoy  : 
Tu  resveilles  trop  souvent 
Corda;  bien  congnois  comment 
Presches  l'amoureuse  loy, 
Non  temptabis,  tien  te  coy. 


yO  CHARLES    D    ORLÉANS. 

CHANSON    CXXII. 

Gardez  vous  de  merf^o^ 
Trompeurs  faulx  et  rusez, 
Qui  les  gens  abusez 
Mainteftoiz  a  tergo. 

En  tous  lieux  où  pergo, 
Fort  estes  accusez. 
Gardez  vous  de  mer  go 
Trompeurs  faulx  et  rusez. 

Mercy  dit  :  abstergo 
Les  faultes  dont  usez, 
Mais  que  les  refusez; 
Avisez  vous  ergo^ 
Gardez  vous  de  mergo. 


CHANSON   CXXIIl 

Quant  n'ont  assez  fait  dodo 
Ces  petitz  enfanchonnés 
Hz  portent  soubz  leurs  bonnes 
Visages  plains  de  bobo. 

C'est  pitié  s'ilz  font  jojo 
Trop  matin,  ies  doulcinés, 
Quant  n'ont  assez  fait  dodo 
Ces  petitz  enfanchonnés. 

Mieux  amassent  à  gogo 
Gesir  sur  molz  coissinés, 
Car  ilz  sont  tant  poupines  ! 
Helas  !  c'est  gnogno,  gnogno 
Quant  n'ont  assez  fait  dodo. 


CHANSONS. 


CHANSON   CXXIV. 

Mon  cueur  plus  ne  volera, 
Il  est  enchaperonné, 
Nonchaloir  l'a  ordonné, 
Qui  jà  pieçà  le  m'osta. 

Confort  depuis  ne  lui  a 
Cure,  n'atirer  donné. 
Mon  cueur  plus  ne  volera, 
Il  est  enchaperonné. 

Se  sa  gorge  gettera, 
Je  ne  sçay,  car  gouverné 
Ne  l'ay,  mais  abandonné; 
Soit  com  avenir  pourra, 
Mon  cueur  plus  ne  volera. 


CHANSON   CXXV. 

Chascun  dit  qu'estes  bonne  et  belle, 
Mais  mon  ueil  jugier  ne  saura, 
Car  Lignage  m'avuglera, 
Qui  maintendra  vostre  querelle. 

Quant  on  parle  de  damoiselle. 
Qui  à  largesse  de  biens  a, 
Chascun  dit  qu'estes  bonne  et  belle, 
Mais  mon  ueil  jugier  ne  saura. 

A  nostre  assemblée  nouvelle, 
Verray  ce  qu'il  m'en  semblera  ; 
Et,  s'ainsi  est,  bien  me  plaira  ; 
Or,  prenons  que  vous  soyez  telle, 
Chascun  dit  qu'estes  bonne  et  belle, 


7ï 


72  CHARLES    D   ORLEANS. 

CHANSON   CXXVI. 

Et  eussiez  vous  Dangier,  cent  yeulx 
Assis  et  derrière  et  devant 
Jà  n'yrez  si  près  regardant 
Que  vostre  propos  en  soit  mieulx. 

Estre  ne  povez  en  tous  lieux, 
Vous  prenez  peine  pour  néant, 
Et  eussiez  vous,  Dangier,  cent  yeulx 
Assis  et  derrière  et  devant. 

Les  faiz  des  amoureux  sont  tieux 
Tousjours  vont  en  assoubtivant  ; 
Jamais  ne  saurez  faire  tant 
Qu'ilz  ne  vous  trompent,  se  m'aist  Dieux, 
Et  eussiez  vous,  Dangier,  cent  yeulx. 

CHANSON   GXXVII. 

Patron  vous  fais  de  ma  galée 
Toute  chargée  de  Pensée, 
Confort,  en  qui  j'ay  ma  fiance; 
Droit  ou  pais  de  Desirance 
Briefment  puissiez  faire  arriver. 

Affin  que,  par  vous,  soit  gardée 
De  la  tempeste  fortunée 
Qui  vient  du  vent  de  Desplaisance, 
Patron  vous  fais  de  ma  galée 
Toute  chargée  de  Pensée, 
Confort,  en  qui  j'ay  ma  fiance. 

Au  port  de  Bonne  Destinée 
Deschargez  tost,  sans  demourée, 
La  marchandise  d'Espérance  ; 
Et  m'aportez  quelque  finance. 
Pour  paier  ma  joye  empruntée, 
Patron  vous  fais  de  ma  galée. 


CAROLES. 


CAROLE   I. 

Las!  Merencolie, 
Me  tendres  vous  longuement 
Es  maulx  dont  j'ay  plus  de  cent. 
Sans  pensée  lie 
Je  l'ay  souffert  main  et  soir, 
Loingtain  de  joyeulx  confort. 

Mais  nul  bien  n'en  puis  avoir 
Dont  mon  cueur  est  près  que  mort. 

Au  moins,  je  vous  en  prie 
Que  me  laissiez  seulement 
Aucun  peu  d'alegement 
Sans  m'oster  la  vie, 
Las!  Merencolie. 
Espérance  d'avoir  mieulx 
Dist  qu'elle  me  veult  aidier. 

Mais  toujours  maugracieux 
Je  trouvé  le  faulx  Dangier 
Qui  tant  me  guerrie. 
Si,  vous  requier  humblement 
Qu'en  ce  douloureux  tourment 
Ne  me  laissiez  mie, 
Las!  Merencolie 


74  CHARLES     D    ORLEANS. 

CAROLE    II. 

Avancez  vous,  Espérance 
Venez  mon  cueur  conforter 
Car  il  ne  peut  plus  porter 
Sa  tresgreveuse  penance. 

Pieça,  Joyeuse  Pensée 
S'esbatoit  avecques  lui, 

Mais  elle  s'en  est  alée, 
Tant  a  pourchassé  Ennuy. 

Se  vous  n'avez  la  puissance 
De  tout  son  mal  lui  oster 
Plaise  vous  à  alegier 
Au  moins  un  peu  sa  grevance, 
Avancez  vous.  Espérance. 

Vous  lui  avez  fait  promesse 
De  le  venir  secourir, 

Et  de  lui  toUir  tristesse. 
Mais  trop  le  faittes  languir. 

Ayez  de  lui  souvenance 
Et  le  venez  deslogier 
De  la  prison  de  Dangier 
Où  il  meurt  en  desplaisance; 
Avancez  vo^.ls,  Espérance. 

CAROLE  III. 

N'avez  vous  point  mis  en  oubly? 
Par  Dieu,  je  doubte  fort,  oy. 
Ma  seule  maistresse  et  ma  joye  ; 
Non  pour  tant,  quelque  part  que  soye, 
Je  m'attens  à  vostre  mercy. 


CAROLES.  75 

Espoir  m'a  dit  que  Léauté 
Vous  fera  souvenir  de  moy 
Car  vostre  bonne  voulenté 
Ne  peult  faillir,  comme  je  croy. 

Quant  est  à  moy,  je  vous  supply 
Pensez  que  l'anvDureux  party 
Que  j'ay  prins  changier  ne  pourroye. 
Certes  avant  mourir  vouldroye. 
Je  vous  promets  qu'il  est  ainsi, 
N'avez  vous  point  mis  en  oubly? 

Amour  a  tort,  se  m'est  advis, 
Qu'il  ne  fait  aux  dames  sentir 
Les  maulx  011  leurs  servans  sont  mis 
Pour  les  tresléaument  servir. 

Pour  vous  ma  Dame,  je  le  dy, 
Car  se  vous  saviez  le  soussy 
Qu'Amours,  pour  vous  servir,  m'envoye, 
Vous  diriez  bien  que  j'auroye 
De  droit,  gangnié  le  don  d'amy. 
N'avez  vous  point  mis  en  oubly  ? 


RONDEAUX. 


RONDEAU   I, 

Puisqu'Amour  veult  que  banny  soye 
De  son  hostel,  sans  revenir,v(^ 
Je  voy  bien  qu'il  m'en  fault  partir, 
Effacé  du  livre  de  Joye. 

Plus  demeurer  je  n'y  pourroye, 
Car  pas  ne  doy  ce  mois  servir  , 
Puisqu'Amour  veult  que  banny  soye    '<■ 
De  son  hostel,  sans  revenir.^ 

De  Confort  ay  perdu  la  voye, 
Et  ne  me  veult  on  plus  ouvrir 
La  barrière  de  Doulx  Plaisir, 
Par  Desespoir  qui  me  guerroyé 
Puis  qu'Amour  veult  que  banny  soye.  ' 

RONDEAU  II. 

Pour  le  don  que  vous  m'avez  donné, 
Dont  tresgrant  gré  vous  doy  savoir, 
J'ay  congneu  vostre  bon  vouloir, 


78  CHARLES    d'oRLÉANS, 

Qui  VOUS  sera  bien  guerdonné. 

Raison  l'a  ainsi  ordonné  : 
Bien  fait  doit  plaisir  recevoir 
Pour  le  don  que  vous  m'avez  donné, 
Dont  tresgrant  gré  vous  doy  savoir. 

Mon  cueur  se  tient  emprisonné 
Et  obligé,  pour  dire  voir, 
Jusqu'à  tant  qu'ait  fait  son  devoir 
Vers  vous,  et  se  soit  raençonné 
Pour  le  don  que  vous  m'avez  donné. 


RONDEAU   III. 

Se  mon  propos  vient  à  contraire, 
Certes,  je  l'ay  bien  desservy, 
Car  je  congnois  que  j'ay  failly 
Envers  ce  que  devoye  plaire. 

Mais  j'espoire  que  débonnaire 
Trouveray  sa  grâce  et  mercy  ; 
Se  mon  propos  vient  à  contraire, 
Certes,  je  l'ay  bien  desservy. 

Je  vueil  endurer  et  me  taire, 
Quant  cause  sui  de  mon  soucy  ; 
Las  !  je  me  sens  en  tel  party 
Que  je  ne  sçay  que  pourray  faire 
Se  mon  propos  vient  à  contraire. 


RONDEAU   IV. 

Par  le  pourchas  du  regard  de  mes  yeulx, 
En  vous  servant,  ma  tresbelle  maistresse, 
J'ay  essayé  qu'est  plaisir  et  tristesse, 


RONDEAUX.  79 

Dont  i'ay  trouvé  maint  penser  ennuyeux. 

Mais  de  cellui  que  j'amoye  le  mieulx, 
N'ay  peu  avoir  qu'à  petite  largesse. 
Par  le  pourchas  du  regard  de  mes  yeulx, 
En  vous  servant,  ma  tresbelle  maistresse. 

Car  pour  un  jour  qui  m'a  esté  joyeux, 
J'ay  eu  trois  moys  la  fièvre  de  Destresse; 
Mais  Bon  Espoir  m'a  guery  de  liesse 
Qui  m'a  promis  de  ses  biens  gracieux, 
Par  le  pourchas  du  regard  de  mes  yculx. 


RONDEAU   V. 

Prenez  tost  ce  baisier,  mon  cueur, 
Que  ma  maistresse  vous  présente, 
La  belle,  bonne,  jeune  et  gente, 
Par  sa  tresgrant  grâce  et  doulceur. 

Bon  guetferay,  sus  mon  honneur, 
Affin  que  Dangier  rien  n'en  sente. 
Prenez  tost  ce  baisier,  mon  cueur 
Que  ma  maistresse  vous  présente. 

Dangier  toute  nuit  en  labeur 
A  fait  guet,  or  gist  en  sa  tente  ; 
Acomplissez  brief  vostre  entente, 
Prenez  tost  ce  baisier,  mon  cueur. 


RO?^DEAU   VI. 

De  vostre  beauté  regarder, 
Ma  tresbelle,  gente  maistresse, 
Ce  m'est  certes  tant  de  lyesse 
Que  ne  le  sauriès  penser. 


80  CHARLES    d'oKLÉANS. 

Je  ne  m'en  pourroye  lasser, 
Car  j'oublie  toute  tristesse 
De  vostre  beauté  regarder 
Ma  tresbelle,  gente  maistresse. 

Mais,  pour  mesdisans  destourber 
De  parler  sus  vostre  jeunesse, 
Il  fault  que  souvent  m'en  délaisse, 
Combien  que  ne  m'en  puis  garder 
De  vostre  beauté  regarder. 


RONDEAU   VIL 


Et  ne  cesserez  vous  jamais? 
Tousjours  est  à  recommencer  ; 
C'est  folie  d'y  plus  penser, 
Ne  s'en  soucier  désormais. 

Plus  avant  j'en  diroye,  mais 
Rien  n'y  vault  flatter  ne  tanser; 
Et  ne  cesserez  vous  jamais? 
Tousjours  est  à  recommencer. 

Passez  a  plusieurs  moys  des  Mays 
Qu'Amours  vous  vouldrent  avanser  ] 
Mal  les  voulez  recompenser, 
En  servant  de  tels  entremais  ; 
Et  ne  cesserez  vous  jamais  ? 


RONDEAU  VIII. 

Orléans  à  Nevers. 

Pour  paier  vostre  belle  chiere, 
Laissez  en  gage  vostre  cueur, 


RONDEAUX.  8j 

Nous  le  garderons  en  doulceur 
Tant  que  vous  retournez  en  arrière. 

Contentez,  car  c'est  la  manière 
Vostre  hostesse  pour  vostre  honneur, 
Pour  paier  vostre  belle  chiere, 
Laissez  en  gage  vostre  cueur. 

Et  se  voiez  nostre  prière 
Estre  trop  plaine  de  rigueur 
Changeons  de  cueur,  c'est  le  meilleur, 
De  voulenté  bonne  et  entière, 
Pour  paier  vostre  belle  chiere. 


RONDEAU. 

Réponse  de  Nevers. 

Mon  tresbon  hoste  et  ma  tresdoulce  hostesse, 
Treshumblement  et  plus  vous  remercie 
Des  biens,  honneurs,  bonté  et  courtoisie, 
Que  m' ave^  fais  tous  deux,  par  vostre  humblesse. 

Aussi fay  je  de  vostre grant  largesse 
Et  tressoingneuse  et  bonne  compagnie, 
Mon  tresbon  hoste  et  ma  tresdoulce  hostesse, 
Treshumblement  et  plus  vous  remercie. 

Mon  pauvre  cueur  pour  paiement  vous  laisse, 
Prene\  en  gré,  et  je  vous  en  supplie, 
Enoultre  plus,  tant  que  je  puis  vous  prie 
Que  m'ottroye^  estre  maistre  et  maistresse, 
Mon  tresbon  hoste  et  ma  tresdoulce  hostesse. 


CHARLIS  D'ORLÉANS.   H. 


82  CHARLES     d'oRLÉANS. 

RONDEAU  IX. 

Qu'ilz  ne  le  me  font, 
Pour  veoir  que  fcroye 
Et  se  je  sauroye 
Leur  donner  le  lient  ! 

Puisque  telz  ilz  sont, 
Affin  qu'on  les  voye, 
Qu'ilz  ne  le  me  font 
Pour  veoir  que  feroye  ! 

Droit  à  droit  rcspont, 
Paier  les  vouldroye 
De  telle  monnoye 
Qu'ilz  desserviront  ; 
Qu'ilz  ne  le  me  font  ! 

RONDEAU   X. 

A  ce  jour  de  saint  Valentin 
Que  chascun  doit  choisir  son  per, 
Amours,  demourray  je  non  per. 
Sans  partir  à  vostre  butin  ? 

A  mon  resveillier  au  matin 
Je  n'y  ay  cessé  de  penser, 
A  ce  jour  de  saint  Valentin 
Que  chascun  doit  choisir  son  per. 

Mais  Nonchaloir,  mon  medicin, 
M'est  venu  le  pousse  taster, 
Qui  m'a  conseillié  reposer 
Et  rendormir  sur  mon  coussin, 
A  ce  jour  de  saint  Valentin. 


RONDEAUX. 


RONDEAU  XI. 


83 


J'ay  esté  Poursuivant  d'Amours, 
Mais  maintenant  je  suis  Hérault  ; 
Monter  me  fault  en  l'eschaffault, 
Pour  jugier  des  amoureux  tours. 

Quant  je  verray  riens  à  rebours 
Dieu  scet  se  je  crieray  bien  hault  : 
J'ay  esté  Poursuivant  d'Amours, 
Mais  maintenant  je  suis  Hérault 

Et  s'amans  vont  faisant  les  lours, 
Tantost  congnoistray  leur  defFault  ; 
Ja  devant  moy  clochier  ne  fault, 
D'amer  sçay  par  cueur  le  droit  cours^ 
J'ay  esté  Poursuivant  d'Amours. 


RONDEAU  XII. 

Soubz  parler  couvert 
D'estrange  devise 
Montrez  qu'avez  prise 
Douleur  ;  il  y  pert. 

Du  tout  en  désert 
N'est  pas  vostre  emprise, 
Soubz  parler  couvert 
D'estrange  devise. 

Se  Confort  ouvert 
N'est  à  vostre  guise, 
Tost,  s'Amour  s'avise. 
Sera  recouvert 
Soubz  parler  couvert. 


^4  CHARLES    d'oKLÉANS. 

RONDEAU   XIII. 

Laissiez  aler  ces  gorgias, 
Chascun  yvcr,  à  la  pippée  ; 
Vous  verrez  comme  la  gelée 
Reverdira  leurs  estomas. 

Dieu  scet  s'ilz  auront  froit  aux  bras, 
Par  leur  manche  deschiquetée, 
Laissez  aler  ces  gorgias, 
Chascun  yver,  à  la  pippée. 

Hz  portent  petiz  soulers  gras , 
A  une  poulaine  embourrée  , 
Froidure  fera  son  entrée 
Par  leurs  talons  nuz  par  embas  ; 
Laissez  aler  ces  gorgias. 

RONDEAU  XIV. 

Les  en  voulez  vous  garder 
Ces  rivières  de  courir 
Et  grues  prendre  et  tenir 
Quant  hault  les  véez  voler  ! 

A  telles  choses  muser 
Voit  on  tolz  souvent  servir. 
Les  en  voulez  vous  garder 
Ces  rivières  de  courir  ! 

Laissez  le  temps  tel  passer 
Que  Fortune  veult  souffrir, 
Et  les  choses  avenir 
Que  l'en  ne  scet  destourber, 
Les  en  voulez  vous  garder! 


RONDEAUX.  85 

RONDEAU  XV. 

Au  roi  de  Sicile. 

Veu  que  j'ay  tant  Amour  servy, 
Ne  suis  je  pas  mal  guerdonné? 
Du  plaisir  qu'il  m'avoit  donné  , 
Sans  cause  m'a  tost  desservy. 

Mon  cueur  loyaument  son  serf  vy, 
Mais  a  tort  l'a  habandonné  ; 
Veu  que  j'ay  tant  Amour  servy 
Ne  suis  je  pas  mal  guerdonné! 

Plus  ne  lui  sera  asservy  ; 
Pour  Dieu,  qu'il  me  soit  pardonné  , 
Je  crois  que  suis  à  ce  don  né 
D'avoir  mal  pour  bien  desservy, 
Veu  que  j'ay  tant  Amour  servy, 

RONDEAU. 

Réponse  par  le  roi  de  Sicile. 

Pour  tant  se  vous  plaigne:^  d' Amours , 
Il  n'est  pas  temps  de  vous  retraire; 
Car  encore  il  vous  pourra  faire 
Tel  bien  que  perdrej  vos  dolours. 

Vous  congnoisse^  asse:^  ses  tours. 
Je  ne  dy  pas  pour  vous  desplaire , 
Pour  tant  se  vous  plaigne:^  d'Amours 
Il  n'est  pas  temps  de  vous  retraire  : 

Ajye^ fiance  en  lui  tousjours 
Et  mette:^  paine  de  lui  plaire 


86  CHARLES  d'orléans. 

Combien  que  ynieulx  me  vaulsit  taire , 
Car  vous  pense:^  tout  le  rebours 
Pour  tant  se  vous  plaigne:^  d'Amours. 


RONDEAU. 

Du  roi  de  Sicile. 

Se  vous  estie:^  comme  moi, 
Las  {  vous  devriej  bien  plaindre 
Car  de  tous  mes  maulx  le  moindre 
Est  plus  grant  que  vostre  ennoy. 

Bien  vous  pourrie^,    ur  mafoy 
D'Amours  alors  vous  couiplaindre. 
Se  vous  estie^  comme  moy, 
Las!  vous  devrie:^  bien  plaindre. 

Car  si  tresdolent  me  voy  , 
Que  plus  la  mort  ne  vueil  craindre  ; 
Touteffoi^ ,  il  me  faut  faindre  ; 
Aussi  ferie^  vous,  se  crqj-. 
Se  vous  estie:;  comme  moy. 

RONDEAU    XVI. 

Réponse  au  roi  de  Sicile. 

Chascune  vieille  son  dueil  plaint  ; 
Vous  cuidez  que  vostre  mal  passe 
Tout  autre;  mais  ja  ne  parlasse 
Du  mien,  se  n'y  feusse  contraint. 

Saichiez  de  voir  qu'il  n'est  pas  faint 
Le  tourment  que  mon  cueur  enlassc  ; 


RONDEAUX.  87 

Chascune  vieille  son  dueil  plaint, 
Vous  cuidez  que  vostre  mal  passe. 
Ma  peine  pers  comme  fait  maint 
Et  contre  Fortune  je  chasse  ; 
Desespoir  de  pis  me  menasse, 
Je  sens  où  mon  pourpoint  m'estraint, 
Chascune  vieille  son  dueil  plaint. 


RONDEAU. 

Par  le  roi  de  Sicile. 

Bien  deffendu,  bien  assailly, 
Chascun  dit  qu'il  a  grant  dolours, 
Mais ,  au  fort,  je  veiiil  croire  Amours 
Par  qui  le  débat  est  sailly, 

Affin  que  qui  aurafailly, 
N'axe  jamais  de  lui  secours 
Bien  deffendu,  bien  assailly 
Chascun  dit  qu'il  a  grant  dolours. 

Carsej'ay  en  riens  deffailly 
De  compter  mon  mal  puis  deux  jours, 
Banny  veuil  estre  de  ses  cours 
Com  un  homme  lasche  et  failly; 
Bien  deffendu,  bien  assailly. 


RONDEAU    XVIi. 

Réponse  par  le  duc  d'Orléans. 

Bien  assailly,  bien  deffendu, 
Quant  assez  aurons  débattu, 


88  CHARLES    d'oRLÉANS. 

Il  faut  assembler  noz  raisons, 
Et  que  les  fons  voler  faisons 
Du  débat  nouvel  advenu, 

Tresfort  vous  avez  combattu. 
Et  j'ay  mon  billart  bien  tenu  ; 
C'est  beau  débat  que  de  deux  bons; 
Bien  assailly,  bien  defll'endu; 
Quant  assez  aurons  débattu, 
Il  faut  assembler  nos  raisons. 

Vray  est  qu'estes  d'Amour  féru 
Et  en  ses  fers  estroit  tenu, 
Mais  moy  non,  ainsi  l'entendons  j 
Il  a  passé  maintes  saisons 
Que  me  suis  aux  armes  rendu 
Bien  assailly,  bien  deflfendu. 


RONDEAU    XVIII. 

Vous  vistes  que  le  véoye. 
Ce  que  je  vueil  descouvrir, 
Et  congnustes,  à  l'ueil  ouvrir, 
Plus  avant  que  je  ne  vouloye. 

L'ueil  d'embusche  saillit  en  voye, 
De  soy  retraire  n'eut  loisir. 
Vous  vistes  que  je  le  véoye. 
Ce  que  je  vueil  descouvrir. 

Trop  est  saige  qui  ne  foloye. 
Quant  on  est  es  mains  de  Plaisir, 
Qui  lors  vint  vostre  cueur  saisir 
Et  fist  comme  pieça  souloyej 
Vous  vistes  que  je  le  véoye. 


RONDEAUX.  89 

RONDEAU. 

Par  Fredet. 

Jusques  Pasques  soient  passées, 
Donne^  trieves  à  mes  pensées , 
Je  vous  pri  tant  que  puis,  Amours; 
Car  c'est  bien  droit  qu'à  ces  bons  jours 
En  paix  de  vous  soient  lessées. 

Asse:^  vo^  gens  les  ont  lassées 
Et,  pour  ceste  foij  couroussées ; 
Alle^  ailleurs  faire  vos  tours; 
Jusques  Pasques  soient  passées, 
Donne^  trieves  à  mes  pensées, 
Je  vous  pri  tant  que  puis,  Amoiirs. 

Pour  plus  donc  n'estre  d'eulx  pressées. 
Qui  tant  les  ont  fort  menassées , 
Faittes  les  crier  par  vos  cours^ 
Et  leur  deffende^  bien  tousjours 
Que  par  eulx  ne  soient  cassées, 
Jusques  Pasques  soient  passées. 

RONDEAU    XIX. 

Réponse  par  le  duc  d'Orléans. 

Tant  que  Pasques  soient  passées , 
Sans  resveiller  le  chat  qui  dort, 
Fredet  je  suis  de  votre  accort 
Que  pensées  soient  cassées; 

Et  enaumaires  entassées 
Fermans  à  clef  tresbien  et  fort, 


90  CHARLES    D    ORLEANS. 

Tant  que  Pasques  soient  passées 
Sans  resveillcrle  chat  qui  dort. 

Quant  aux  miennes,  elz  sont  lassées, 
Mais  de  les  garder  mon  effort 
Feray,  par  l'avis  de  Confort , 
En  fardeaulx  d'espoir  amassées 
Tant  que  Pasques  soient  passées. 


RONDEAU    XX. 

Beauté,  gardez  vous  de  mes  yeulx. 
Car  ilz  vous  viennent  assaillir  ; 
S'ilz  vous  povoient  conquérir, 
Hz  ne  demanderoyent  mieulx. 

Vous  estes  seule  soubz  les  cieulx 
Le  trésor  de  parfait  plaisir, 
Beauté,  gardez  vous  de  mes  yeulx 
Car  ilz  vous  viennent  assaillir. 

Congneus  les  ay  jeunes  et  vieulx 
Qu'il  ne  leur  chauldroit  de  morir, 
Mais  qu'eussent  de  vous  leur  désir; 
Je  vous  avise  qu'ilz  sont  tieulx, 
Beauté,  gardez  vous  de  mes  yeulx. 


RONDEAU   XXI. 

Bien  viengne  doulx  regart  qui  rit , 
Quelque  bonne  nouvelle  porte, 
Dont  Dangier  fort  se  desconforte 
Et  de  courroux  en  douleur  frit. 

Ne  peut  chaloir  de  son  dépit 
Ne  de  ceulx  qui  sont  de  sa  sorte; 


RONDEAUX.  91 

Bien  viengne  doulx  regart  qui  rit , 
Quelque  bonne  nouvelle  porte. 

Dangier  dist  :  baille  par  escript, 
Et  qu'il  n'entre  point  en  la  porte. 
Mais  Amour  comme  la  plus  forte, 
Veult  qu'il  entre  sans  contredit , 
Bien  viengne  doulx  regart  qui  rit. 


RONDEAU    XXII. 

En  la  promesse  d'Espérance 
Où  i'ay  tant  perdu  et  usé, 
J'ay  souvent  conseil  reffusé  , 
Qui  me  povoit  donner  Plaisance. 

Las!  ne  suis  le  premier  de  France 
Qui  sottement  s'est  abusé 
En  la  promesse  d'Espérance 
Où  j'ay  tant  perdu  et  usé. 

Et  de  ma  nysse  gouvernance 
Devant  Raison  j'ay  accusé 
Mon  cueur,  mais  il  s'est  excusé 
Disant  que  deceu  l'a  Fiance 
En  la  promesse  d'Espérance. 


RONDEAU    XXIII. 

Mon  cueur,  il  me  fault  estre  mestre 
A  ma  foiz,  aussi  bien  que  vous 
N'en  ayez  ennuy  ou  courroux  ; 
Certes  il  convient  ainsi  estre, 

Trop  longuement  m'avez  fait  pestre 
Et  tousjours  tenir  au  dessoue, 


92  CHARLES    D    ORLEANS. 

Mon  cueur,  il  me  fault  eitre  mestre 
A  ma  foiz,  aussi  bien  que  vous. 
Allez  à  dextre  ou  à  senestre, 
Pris  serez,  sans  estre  rescous, 
Passer  vous  fault,  mon  amy  doulx, 
Ou  par  là,  ou  par  la  fenestre, 
Mon  cueur,  il  me  fault  estre  mestre. 


RONDEAU   XXIV. 

Mes  yeulx  trop  sont  bien  reclamés 
Quant  ma  Dame  si  les  appelle, 
Leur  monstrant  sa  grant  beauté  belle, 
Hz  reviennent  comme  affamez. 

Maugré  mesdisans  peu  amez 
Et  Dangier  qui  tient  leur  querelle. 
Mes  yeulx  trop  sont  bien  reclamés 
Quant  ma  Dame  si  les  appelle. 

Estre  devroient  diffamez 
S'ilz  ne  voloyent  de  bonne  elle 
Vers  les  grans  biens  qui  sont  en  elle , 
Mes  yeulx  trop  sont  bien  reclamés. 


RONDEAU   XXV. 

Retraiez  vous,  regart  mal  avisé, 
Vous  cuidez  bien  que  nuUuy  ne  vous  voye; 
Certes  Aguet  par  tous  lieux  vous  convoyé 
Privéement,  en  habit  déguisé. 

De  gens  saichans  en  estes  moins  prisé 
D'ainsi  tousjours  trotter  par  my  la  voye  ; 
Retraiez  vous,  regart  mal  avisé, 


RONDEAUX.  aS 

Vous  cuidez  bien  que  nulluy  ne  vous  voye. 

Dangier  avez  contre  vous  atisé  , 
Quant  Sot  Maintien  tellement  vous  forvoye  ; 
Au  derrenier,  faudra  qu'il  y  pour\  oye  ; 
Il  est  ainsi  que  je  l'ay  devisé; 
Retraiez  vous,  regart  mal  avisé. 


RONDEAU   XXVI. 

Regart,  vous  prenez  trop  de  paine 
Tousjours  coures  et  raccourés, 
Il  semble  qu'aux  barres  jouez  ; 
Reprenez  ung  peu  vostre  alaine. 

Cueurs  qu'Amour  tient  en  son  demaine 
Guident  qu'assaillir  les  voulez; 
Regart,  vous  prenez  trop  de  paine 
Tousjours  coures  et  raccourés. 

Amours,  une  foiz  la  sepmaine 
C'est  raison  que  vous  reposez  , 
Et  affin  que  ne  morfondez 
Il  faudra  que  l'en  vous  pourmaine , 
Regart,  vous  prenez  trop  de  paine. 


RONDEAU    XXVII. 

Le  voulez  vous 
Que  vostre  soye  ? 
Rendu  m'octroye 
Pris  ou  recous. 

Ung  mot  pour  tous, 
Bas  qu'on  ne  loye  : 
Le  voulez  vous 


94  CHARLES    D    ORLEANS. 

Que  vostre  soye. 

Maugré  jalous , 
Foy  vous  tendroye; 
Or  si\,  ma  joye, 
Accordons  nous, 
Le  voulez  vous? 


RONDEAU   XXVIII. 

Crevez  moy  les  yeulx 
Que  ne  voye  goutte, 
Car  trop  je  redoutte 
Beaulté  en  tous  lieux. 

Ravir  jusqu'aux  cieulx 
Veult  ma  joye  toute  ; 
Crevez  moy  les  yeulx 
Que  ne  voye  goutte. 

D'elle  me  gard  Dieux, 
Affin  qu'en  sa  route 
Jamais  ne  me  boute; 
N'esse  pour  le  mieulx? 
Crevez  moy  les  yeux. 

Quant  je  la  regarde, 
Elle  vient  ferir 
Mon  cueur,  de  la  darde 
D'amoureux  désir; 
Crevez  moy  les  yeulx. 


RONDEAU    XXIX. 


Jeunes  amoureux  nouveaulx, 
En  la  nouvelle  saison. 


RONDEAUX.  95 

Par  les  rues,  sans  raison, 
Chevauchent  faisans  les  saulx. 

Et  font  saillir  des  carreaulx 
Le  feu  ,  comme  de  charbon, 
Jeunes  amoureux  nouveaulx, 
En  la  nouvelle  saison. 

Je  ne  sçay  se  leurs  travaulx 
Hz  employent  bien  ou  non; 
Mais  piqués  de  l'esperon 
Sont  autant  que  leurs  chevaulx, 
Jeunes  amoureux  nouveaulx. 


RONDEAU   XXX. 

Gardez  le  trait  de  la  fenestre. 
Amans,  qui  par  rues  passez, 
Car  plus  tost  en  serez  blessez 
Que  de  trait  d'arc  ou  d'arbalestre. 
.  N'alez  à  destre  ne  à  senestre , 

y       Regardant,  mais  les  yeulx  bessez; 
Gardez  le  trait  de  la  fenestre, 
Amans,  qui  par  rues  passez. 

Se  n'avez  medicin  bon  maistre, 
Si  tost  que  vous  serez  navrez 
A  Dieu  soiez  recommandez, 
Mort  vous  tiens,  demandez  leprestre, 
Gardez  le  trait  de  la  fenestre 


RONDEAU   XXXI. 

En  gibessant  toute  l'après  disnée 
Par  my  les  champs  pour  me  desanuyer 


gÔ  CHARLES    d'ORLÉANS. 

N'a  pas  long  temps  que  faisoye,  l'autr'ier, 
Voler  mon  cueur  après  mainte  Pensée. 

L.'aquilote,  Souvenance  nommée, 
Sourdoit  déduit  et  savoit  remerchier, 
En  gibessant  toute  l'après  disnée 
Par  my  les  champs  pour  me  desanuyer. 

Gibessiere  de  Passe  Temps  ouvrée, 
Emply  toute  d'assez  plaisant  gibier  ; 
Et  puis  je  peu  mon  cueur,  au  derrenier, 
Sur  ung  faisant  d'Espérance  Celée, 
En  gibessant  toute  l'après  disnée. 


RONDEAU   XXXII. 

Que  faut  il  plus  à  ung  cueur  amoureux, 
Quant  assiégé  l'a  Dangier,  de  Tristesse, 
Qu'avitailler  tantost  sa  forteresse 
D'assez  vivres  de  Bon  Espoir  eureux  ? 

Cappitaine  face  Désir  Songneux 
Qui,  nuyt  et  jour,  fera  guet  sans  peresse; 
Que  faut  il  plus  à  ung  cueur  Amoureux 
Quant  assiégé  l'a  Dangier  de  tristesse. 

Artillié  soit  d'Avis  Avantureux, 
Coulevrines  et  canons  à  largesse, 
Prez,  assortiz  et  chargiez  de  Sagesse, 
Es  boulevers  et  lieux  avantageux  ; 
Que  faut  il  plus  à  ung  cueur  amoureux  ! 


RONDEAU  XXXIII. 

Des  maleureux  porte  le  pris. 
Servant  Dame  loyalle  et  belle, 


RONDEAUX.  97 

Qui,  pour  mourir  en  la  querelle, 
N'achevé  ce  qu'a  entrepris. 

Diffamé  de  droit  et  repris 
Par  devant  dame  et  damoiselle, 
Des  maleureux  porte  le  pris, 
Servant  Dame  loyalle  et  belle. 

Pour  quoy  est  d'amer  si  espris 
Quant  congnoist  que  son  cueur  chancelle! 
En  soy  donnant  repreuve  telle 
Où  a  il  se  mestier  apris  ! 
Des  maleureux  porte  le  prix. 


RONDEAU  XXXIV. 


En  amer  n'a  que  martire, 
Nully  ne  le  devroit  dire 
Mieulx  que  moy  ; 
J'en  sauroye,  sur  ma  foy, 
De  ma  main  un  livre  escripre, 

Où  amans  pourroient  lire, 
Des  yeulx  larmoyans  sans  rire, 
Je  m'en  croy; 
En  amer  n'a  que  martire, 
Nully  ne  le  devroit  dire 
Mieulx  que  moy. 

Des  maulx  qu'on  y  peut  eslire 
Celluy  qui  est  le  mains  pire, 
C'est  Anoy 

Qui  n'est  jamais  apart  soy; 
Plus  n'en  dy,  bien  doit  souffire  ; 
En  amer  n'a  que  martire. 

CHARLES  D'ORLÉANS.   11. 


98  CHARLES   d'oULÉANS. 


RONDEAU    XXXV. 

Me  fauldrez  vous  h  mon  besoing, 
Mon  reconfort  et  ma  liance? 
M'avez  vous  mis  en  oubliance 
Pour  tant  se  de  vous  je  suis  loing  ? 

N'avez  vous  pitié  de  mon  soing  ! 
Sans  vous,  savez  que  n'ay  puissance. 
Me  fauldrez  vous  à  mon  besoing, 
Mon  reconfort  et  ma  fiance  ? 

On  feroit  des  larmes  un  baing, 
Qu'ay  pleurées  de  desplaisance  ; 
Et  crie,  par  désespérance, 
Ferant  ma  poictrine  du  poing  : 
Me  fauldrez  a-qus  ù  mon  besoing! 


RONDEAU  XXXVI. 

Cueur  endormy  en  pensée. 
En  transes,  moitié  veillant, 
S'on  lui  va  riens  demandant, 
Il  respont  à  la  volée. 

Et  parle  de  voix  cassée 
Sans  propos  ne  tant  ne  quant, 
Cueur  endormy  en  pensée, 
En  transes,  moitié  veillant. 

Tout  met  en  galimafrée, 
Lombart,  Anglois,  Alemant, 
François,  Picart  et  Normant; 
C'est  une  chose  faée, 
Cueur  endormy  en  pensée. 


RONDEAUX.  99 


RONDEAU   XXXVII. 

A  trompeur,  trompeur  et  demy; 
Tel  qu'on  semé,  convient  cueillir; 
Se  mestier  voy  partout  courir, 
Chascun  y  joue  et  moi  aussi. 

Dy  je  bien  de  ce  que  je  dy? 
De  tel  pain  souppe  fault  servir, 
A  trompeur,  trompeur  et  demy, 
Tel  qu'on  sème  convient  cueillir. 

Et  qui  n'a  pas  langaige  en  luy. 
Pour  parler  selon  son  désir, 
Ung  truchement  lui  fault  quérir  ; 
Ainsi,  ou  par  là,  ou  par  cy, 
A  trompeur,  trompeur  et  demy. 


RONDEAU    XXXVIII. 


Baillez  lui  la  massue 
A  cellui  qui  cuide  estre 
Plus  subtil  que  son  maistre, 
Et  sans  raison  l'argue. 

Ou  sera  beste  mue 
Quant  on  l'envoyera  pestre  ; 
Baillez  lui  la  massue 
A  cellui  qui  cuide  estre. 

Quoy  qu'il  regibe,  ou  rue, 
Si  sault  par  la  fenestre, 
Comme  s'  1  vint  de  nestre  ! 
Sera  chose  c-perdue  ; 
Baillez  lui  la  massue. 


JOO  CHARLES   d'orLÉANS. 


RONDEAU   XXXIX. 

Il  vit  en  bonne  espérance, 
Puis  qu'il  est  vestu  de  gris, 
Qu'il  aura,  à  son  advis. 
Encore  sa  desirance. 

Combien  qu'il  soit  hors  de  France, 
Par  deçà  le  mont  Senis, 
Il  vit  en  bonne  espérance, 
Puis  qu'il  est  vestu  de  gris. 

Perdu  a  sa  contenance 
El  tous  ses  jeux  et  ses  ris, 
Gaigner  lui  fault  Paradis 
Par  force  de  paciance, 
Il  vit  en  bonne  espérance. 


RONDEAU   XL. 

Ubi  supra 
N'en  parlons  plus 
Des  tours  cornulz 
Et  cœtera. 

Non  est  cura 
De  telz  abus, 
Ubi  supra 
N'en  parlons  plus 

Mala  jura 
Sont  suspendus 
Ou  deffenj'js, 
Et  reliqua, 
Ubi  supra. 


RONDEAUX.  lOI 


RONDEAU   XLl. 


Noli  me  tangere^ 
Faulte  de  serviteurs, 
Car  Bonté  de  seigneurs 
Ne  les  scet/rangere. 

Il  vous  fault  regere. 
En  craintes  et  rigueurs, 
Noli  me  tangere, 
Faulte  de  serviteurs. 

De  hault  erigere 
Trop  tost  en  grans  faveurs. 
Ce  ne  sont  que  foleurs  ; 
Bien  m'en  y^ux'-,  plan  gère  \ 
Noli  me  tangere. 


RONDEAU  XLII. 

Maistre  Estienne  Le  Goût,  nominatif, 
Nouvellement,  par  manière  optative, 
Si  a  voulu  faire  copulative; 
Mais  failli  a  en  son  cas  génitif. 

Il  avait  mis  six  ducatz  en  datif, 
Pour  mieulx  avoir  s'amie  vocative, 
Maistre  Estienne  Le  Goût,  nominatif 
Nouvellement,  par  manière  optative. 

Quant  rencontré  a  un  accusatif 
Qui  sa  robbe  lui  a  fait  ablative; 
De  fenestre  assez  superlative 
A  fait  ung  sault  portant  coups  en  passif, 
Maistre  Estienne  Le  Goût,  nominatif  i 


CHAULES    d'oRI.KANS. 

RONDEAU. 

Réponse  de  maitre  Estienne  Le  Goût. 


Mon  seigneur  tressupellatif, 
Pour  respondre  au  narratif 
De  vostre  briefve  expositive , 
Elle  fut  premier  vocative. 
Par  le  moyen  du  génitif. 

Les  six  ducat^  sont  nombratif. 
Mais  quant  au  fait  du  possessif 
La  chose  est  un  peu  neutrative, 
Mon  seigneur  tressupellatif, 
Pour  respondre  au  narratif 
De  votre  briefve  expositive 

Et,  quant  au  dangier  du  passif, 
J'ai  saufconduit  prerogatif. 
Par  quoy  mettray  paine  soubtive 
D'accorder,  sus  la  négative, 
L'adjectif  et  le  substantif. 
Mon  seigneur  tressupellatif. 


RONDEAU   XLIII. 

Près  là,  briquet  aux  pendantes  oreilles, 
Tu  scez  que  c'est  de  déduit  de  gibier, 
Au  derrenier  tu  auras  ton  loyer, 
Et  puis  seras  viande  pour  corneilles. 

Tu  ne  fais  pas  miracles  mais  merveilles 
Et  as  aide  pour  te  bien  enseigner  ; 


RONDEAUX  lo3 

Près  là,  briquet  aux  pendantes  oreilles, 
Tu  scez  que  c'est  de  déduit  de  gibier. 

A  toute  heure  dili,t;emment  traveilles, 
Et  en  chasse  vaulx  autant  qu'un  limier, 
Tu  amaines,  au  tiltre  de  lévrier, 
Toutes  bestes,  et  noires  et  vermeilles, 
Près  là,  briquet,  aux  pendantes  oreilles. 


RONDEAU   XLIV. 


Or  s'y  joue  qui  vouldra. 
Qui  me  change,  je  le  change  ; 
Nul  ne  le  tiengne  chose  estrange 
D'avoir  selon  qu'il  fera  ! 

Quant  par  sa  faulte  fera, 
Gré  ne  dessert,  ne  louange, 
Or  s'y  joue  qui  vouldra. 
Qui  me  change,  je  le  change. 

Puisque  advisé  on  l'en  a 
Et  à  raison  ne  se  range, 
S'après  elle  se  revange. 
Le  tort  à  qui  demourra? 
Or  s'y  joue  qui  vouldra. 


RONDEAU    XLV. 

Orléans  à  Alencon. 


En  la  vigne  jusqu'au  pcschier 
Estes  boule,  mon  hlz  treschier. 


I04  CHARLES    D'ORLÉANS. 

Dont,  par  ma  foy,  suis  tresjoyeulx 
Quant  de  rimer  vous  voy  songneux 
Et  vous  en  voulez  empeschier. 

Soit  au  lever,  ou  au  couchier, 
Ou  quant  vous  devez  chevauchier, 
Estalez  vous  y  pour  le  miculx; 
En  la  vigne  jusqu'au  peschier 
Estes  bouté,  mon  filz  treschier, 
Dont,  par  ma  foy,  suis  tresjoyeulx. 

Se  Desplaisir  vous  vient  scrchier, 
Près  de  lui  tost  vous  despeschier, 
Sans  estre  merencolieux, 
Grant  bien  vous  fera,  se  m'aid  Dieux, 
En  la  vigne  jusqu'au  peschier. 


RONDEAU. 

Réponse  d'Aleiiçon. 

Le  vigneron  fut  atrapé, 
Quant  il  fut  trouvé  en  la  vigne. 
Trop  mieulx  que  poisson  à  la  ligne, 
Ne  que  rat  au  lardon  liapé. 

D'un  trait  d'ueil  fut  prins  et  f râpé 
Par  celle  qui  pas  ne  for  ligne, 
Le  vigneron  fut  atrapé 
Quant  il  fut  trouvé  en  la  vigne. 

A  peine  lui  fut  escimppé 
Le  povre  compaignon  qui  pigne  ; 
Tresnial  pigné  des  dents  d' nu  pigne  ; 
Ainsi  sur  prins  et  agrapé 
Le  vigneron  fust  atrapé. 


RONDEAUX  I05 

RONDEAU   XLVI. 

Quant  je  fus  prins  ou  pavillon 
De  ma  dame  tresgente  et  belle, 
Je  me  brulay  à  la  chandelle, 
Ainsi  que  fait  le  papillon  : 

Je  rougiz  comme  vermeillon, 
Aussi  flambant  qu'une  estincelle, 
Quant  je  fus  prins  ou  pavillon. 
De  ma  Dame  tresgente  et  belle. 

Si  j'eusse  esté  esmerillon 
Ou  que  j'eusse  eu  aussi  bonne  aile, 
Je  me  le-isse  gardé  de  celle 
Qui  me  bailla  de  l'aigLullon 
Quant  je  fus  prins  ou  pavillon. 

RONDEAU  XLVII. 

Encore  lui  fait  il  grant  bien 
De  veoir  celle  qu'a  tant  amée, 
A  celui  qui  cueur  et  pensée 
Avoit  en  elle,  comme  sien. 

Combien  qu'il  n'y  aye  plus  rien 
Et  qu'autre  la  lui  ait  ostée, 
Encore  lui  fait  il  grant  bien 
De  veoir  celle  qu'a  tant  amée. 

En  regardant  son  doulx  maintien 
Et  son  fait  qui  moult  lui  agrée, 
S'il  la  peut  tenir  embrassée, 
Il  pense  que  une  foiz  fust  sien  J 
Encore  lui  fait  il  grant  bien. 


I06  CHARLES    d'oRI.KANS 


RONDEAU    XLVIII. 

Avugle  et  assourdy 
De  tous  poins  en  nonchaloir, 
Je  ne  puis  ouir,  ne  venir 
Chose  dont  soye  esjouy. 

Soit  desplaisant  ou  marry, 
Tout  m'est  ung,  pour  dire  veoir, 
Avugle  et  assourdy, 
De  tous  poins  en  nonchaloir. 

Es  escoUes  fu  nourry 
D'Amours,  pensant  mieux  valoir: 
Quant  plus  y  cuiday  savoir, 
Plus  m'y  trouvay  rassoty, 
Avugle  et  assourdy. 


RONDEAU    XLIX. 

Prociil  à  uobîs 
Soient  ces  trompeurs, 
Dxntur  aux  flateurs 
Verba  pro  ver  bis, 

Siciit  pax  vobis  ; 
Et  tendent  ailleurs. 
Prociil  à  nobis 
Soient  ces  trompeurs. 

Non  seiiiel  sed  b'S, 
Et  des  fbiz  plusieurs, 
Sont  loup?  ravisseurs 
Soubz  pcaulx  de  biebiz. 
Prociil  à  nobis! 


RONDEAUX.  107 


RONDEAU    L. 


Faulcette  confite 
En  plaisant  parler  ! 
Laissez  la  aler, 
Car  )e  la  despite. 

Ce  n'est  que  redite 
De  tant  l'esprouver, 
Faulcette  confite 
En  plaisant  parler. 

Et  quant  on  s'aquicte 
Plus  de  l'amender, 
Pis  la  voy  ouvrer; 
C'est  chose  maudicte, 
Faulcette  confite  1 


RONDEAU    LI. 


J'estraine  de  bien  loing  m'amie  , 
De  cueur,  de  corps  et  quanque  j'ay, 
En  bon  an  lui  souhaideray 
Joye,  santé  et  bonne  vie. 

Mais  que  ne  m'estraine  d'oublié, 
Ne  plus  ne  moins  que  la  feray; 
J'estraine  de  bien  loinq  m  amie, 
De  cueur,  de  corps  et  quanque  j'ay. 

Mon  cueur  de  chapel  de  Soussie, 
Ce  jour  de  l'an,  estreneray  ; 
Et  à  elle  presenteray 
Des  fleurs  de  Ne  m'oubliez  mie. 
J'estraine  de  bien  loin"  m'amie. 


J08  en  ARLES    u' ORLÉANS. 


RONDEAU    LU. 


Parlant  ouvertement 
Des  faiz  du  Dieu  d'Amours  , 
N'a  il  d'estranges  tours 
En  son  commandement? 

Ouil  ,  certainement. 
Qui  dira  le  rebours  , 
Parlant  ouvertement 
Des  faiz  du  Dieu  d'Amours  f 

S'on  faisoit  loyaument 
Enqueste  par  les  cours, 
On  orroit  tous  les  jours 
Qu'on  s'en  plaint  grandement. 
Parlant  ouvertement. 


RONDEAU    LUI. 


Il  fauldroit  faire  l'arquemie, 
Qui  vouldroit  forgier  Faulceté 
Tant  qu'elle  devint  Loyaulté, 
Quant  en  malice  est  endurcie! 

C'est  rompre  sa  teste  en  folie  , 
Et  temps  perdre  en  oysiveté. 
Il  fauldroit  faire  l'arquemie, 
Qui  vouldroit  forgier  Faulceté. 

Plus  avant  qu'on  y  estudie, 
Et  moins  y  congnoist  on  seurté, 
Car  de  faire  de  mal,  bonté  , 
L'un  à  l'autre  est  trop  contrarié, 
Il  fauldroit  faire  l'arquemie. 


RONDEAUX.  109 

RONDEAU    LIV. 

Tant  sont  les  yeulx  de  mon  cueur  endormiz 
En  Nonchaloir,  qu'ouvrir  ne  les  pourroye  ; 
Pource,  parler  de  Beaulté  n'oseroye  , 
Pour  le  présent,  comme  j'ay  fait  jadiz. 

Par  cueur  retiens  ce  que  j'en  ay  apris  , 
Car  plus  ne  sçay  lire  ou  Livre  de  joye , 
Tant  sont  les  yeulx  de  mon  cueur  endormiz 
En  Nonchaloir,  qu'ouvrir  ne  les  pourroye. 

Chascun  diroit  qu'entre  les  rassotiz  , 
Comme  aveugle  des  couleurs  jugeroye  , 
Taire  m'en  vueil ,  rien  n'y  voy,  Dieu  y  voye! 
Plaisans  regars  n'ont  plus  en  moy  logis, 
Tant  sont  les  yeulx  de  mon  cueur  endormiz. 

RONDEAU. 

De  maistre  Jehan  Caillau. 

Tant  sont  les  yeulx  de  mon  cueur  endormi^ 
En  Nonchaloir,  qu'ouvrir  ne  les  pourroye  ; 
Pource^  parler  de  Beaulté  n'oseroye 
Pour  le  présent ,  comme  f  ay  fait  jadi^. 

Joye  et  soula^  ne  sont  plus  mes  amis , 
Chose  ne  voy  de  quoy  je  me  resjoye  ; 
Tant  sont  les  yeulx  de  mon  cueur  endormi^f 
En  Nonchaloir,  qu'ouvrir  ne  les  pourroye. 

Je  suis  mouillé  et  retrait  et  remis. 
Morne  et  pensif,  trop  plus  que  ne  souloye , 
J'y  voy  trouble ,  car  es  yeux  ay  la  taye , 
Et  n'y  congnois  le  blanc  d'avec  le  bis , 
Tant  sont  les  yeulx  de  mon  cueur  endormi:^. 


110  CHARLES   D   ORLtlANS. 


RONDEAU    LV. 

En  changeant  mes  appetiz  , 
Je  SUIS  tout  saoul  de  blanc  pain  , 
Et  de  menger  meurs  de  fain 
D'un  frès  et  nouveau  pain  bis, 

A  mon  gré ,  ce  pain  faitis 
C'est  ung  morceau  souverain. 
En  changeant  mes  appetiz, 
Je  suis  tout  saoul  de  blanc  pain. 

S'il  en  fust  à  mon  devis  , 
Plus  tost  anuyt  que  demain 
J'en  eusse  mon  vouloir  plain, 
Car  grant  désir  m'en  est  pris, 
En  changeant  mes  appetiz. 


RONDEAU. 

De  Fredet. 

Pour  mettre  à  fin  la  grant  doleur 
Que  par  trop  amer  je  reçoy, 

Secoure^  moi; 
Las!  ou  autrement,  sur  ma  foy, 
Mes  jours  n'auront  pas  grant  longueur. 
Car  si  trestourmenté  je  suis 
De  tant  d'ennuj's 
Qui  sans  cesser  me  courent  seure, 
Que  je  n'ay  bons  jours,  bonnes  nuys. 
Et  si  ne  puis , 
Trouver,  fors  vous,  qui  me  sequeure. 


RONDEAUX. 

Aide^  à  vostre  serviteur 

Qui  est  mieulx  pris  que  par  le  dqy, 

Ou  mort  me  voy, 

Se  ne  monstre:^  brief,  saye^  l^'oy? 

Qiie  vous  aye^  nion  fait  à  cueur, 

Pour  mettre  à  Jin  la  grant  doleur. 


RONDEAU    LVI. 
Réponse  d'Orléans  k  Fredat. 


Pour  mettre  afin  vostre  doleur, 
Où  pour  le  présent  je  vous  voy, 

Descouvrez  moy 
Tout  vostre  fait ,  car,  sur  ma  foy, 
Je  vous  secourray  de  bon  cueur  ; 
Plus  avant  offrir  ne  vous  puis, 
Fors  que  je  suis 
Prest  de  vous  aider  à  toute  heure , 
A  vous  bouter  hors  des  ennuys 
Que,  jours  et  nuys  , 
Dittes  qu'avec  vous  font  demeure. 

Quant  vous  tenez  mon  serviteur, 
Et  vostre  doleur  apparçoy, 

Montrer  au  doy 
On  me  devroit,  se  tenir  quoy 
Vouloye  ,  comme  faint  seigneur, 
Pour  mettre  à  fin  vostre  doleur. 


CHARLES   d'orLÉANS. 


RONDEAU     LVII. 

Helas  !  me  tuerez  vous  ? 
Pour  Dieu  retraiez  cest  eueil 
Qui  d'un  amoureux  acueil 
M'occist,  se  ne  suis  rescous. 

Je  tiens  vostre  cueur  si  doulx  , 
Que  me  rens  tout  à  son  vueil. 
Helas!  me  tuerez  vous? 
Pour  Dieu  retraiez  cest  eueil. 

De  quoy  vous  peut  mon  courrous 
Valoir,  ne  servir  mon  dueil  ? 
Quant  humblement,  sans  orgueil , 
Je  requier  mercy  à  tous, 
Helas  !  me  tuerez  vous  ? 


RONDEAU     LVIII. 

Ung  cueur,  ung vueil,  une  plaisance, 
Ung  désir,  ung  consentement  , 
Ung  reconfort,  unj  pensement  , 
Fermez  en  loyalle  tiance  , 

Dieu  que  bonne  en  est  l'accointance  ! 
Tenir  la  doit  on  chierement  : 
Ung  cueur,  ung  vueil ,  une  plaisance  , 
Ung  désir,  ung  consentement. 

Contre  Dangier  et  sa  puissance  , 
Qui  les  het  trop  mortelement , 
Gardons  les  bien  et  sagement , 
N'est  ce  toute  nostre  chevance  , 
Ung  cueur,  ung  vueil ,  une  plaisance. 


RONDEAUX.  Il3 


RONDEAU    LIX 

Pource  que  Plaisance  est  morte, 
Ce  May,  suis  vestu  de  noir, 
C'est  grant  pitié  de  véoir 
Mon  cueur  qui  s'en  desconforte. 

Je  m'abille  de  la  sorte 
Que  doy,  pour  faire  devoir. 
Pource  que  Plaisance  est  morte  , 
Ce  May,  suis  vestu  de  noir. 

Le  temps  ces  nouvelles  porte . 
Qui  ne  veult  déduit  avoir, 
Mais  par  torce  de  plouvoir, 
Fait  des  champs  clorre  la  porte, 
Pource  que  Plaisance  est  morte. 


RONDEAU   LX. 

Après  l'escadre  route, 
Mettons  à  saquement 
Annuyeulx  Pensement 
Et  sa  brigade  toute. 

Il  crye  :  Volte  route. 
Râlions  nostre  gent. 
Après  l'escadre  route, 
Mettons  à  saquement. 

Se  Loyaulté  s'y  boute, 
Par  advis  saigement, 
Crye  gaillardement 
D'aly  brusque,  sans  doubte. 
Après  l'escadre  route. 

CHARLES    d"ORLÉANS.    H. 


J 


114  CHARLES    D    ORLEANS. 


RONDEAU    LXI. 


Les  fourriers  d'Esté  sont  venus 
Pour  apparcillier  son  logis, 
Et  ont  l'ait  tendre  ses  tappis, 
De  fleurs  et  verdure  tissus. 

En  estandant  tappis  velus, 
De  vert  herbe  par  le  païs, 
Les  fourriers  d'Esté  sont  venus 
Pour  appareiUier  son  logis. 

Cueurs  d'ennuy  pieçà  morfondus, 
Dieu  mercy,  sont  sains  et  jolis; 
Alez  vous  en,  prenez  païs, 
Yver,  vous  ne  demourrés  plus; 
Les  fourriers  d'Esté  sont  venus. 


RONDEAU   LXIL 


Se  mois  de  May,  ne  joyeulx,  ne  dolent 
Estre  ne  puis  ;  au  fort,  vaille  que  vaille, 
C'est  le  meilleur  que  de  riens  ne  me  chaille, 
Soit  bien  ou  mal,  tenir  m'en  fault  content. 

Je  lesse  tout  courir  à  val  le  vent, 
Sans  regarder  lequel  bout  devant  aille; 
Se  mois  de  May,  ne  joyeulx,  ne  dolent 
Estre  ne  puis;  au  fort,  vaille  que  vaille. 

Qui  Soussy  suit,  au  derrain  s'en  repent  , 
C'est  ung  mestier  qui  ne  vault  une  maille, 
Avantureux  comme  le  jeu  de  faille; 
Que  vous  semble  de  mon  gouvernement, 
Se  mois  de  May,  ne  joyeulx,  ne  dolent  ? 


RONDEAUX.  Il5 


RONDEAU    LXIII, 

Le  temps  a  laissié  son  manteau 
De  vent,  de  froidure  et  depluye, 
Et  s'est  vestu  de  brouderie, 
De  soleil  luyant,  cler  et  beau. 

Il  n'y  a  beste,  ne  oyseau, 
Qu'en  son  jargon  ne  chante  ou  crie 
Le  temps  a  laissié  son  manteau 
De  vent,  de  froidure  et  de  pluve. 

Rivière,  fontaine  et  ruisseau 
Portent,  en  livrée  jolie, 
Gouttes  d'argent  d'orfavrerie, 
Chascun  s'abille  de  nouveau  : 
Le  temps  a  laissié  son  manteau. 


RONDEAU    LXIV. 

En  regardant  ces  belles  fleurs 
Que  le  temps  nouveau  d'Amours  prie, 
Chascune  d'elle  s'ajolie 
Et  farde  de  plaisans  couleurs. 

Tant  embasmées  sont  de  odeurs 
^/        Qu'il  n'est  cueur  qui  ne  rajeunie. 
En  regardant  ces  belles  fleurs 
Que  le  temps  nouveau  d'Amours  prie. 

Les  oyseaulx  deviennent  danseurs 
Dessus  mainte  branche  fleurie, 
Et  font  joyeuse  chanterie, 
De  contres,  des  chans  et  teneurs, 
En  regardant  ces  belles  fleurs. 


Il6  CHARLES   d'oRLÉANS. 


RONDEAU  LXV. 

Ciicur,  à  qui  prendrez  vous  conseil  ? 
A  nul  ne  povez  descouvrir 
Le  tresangoisseux  desplaisir 
Qui  vous  tient  en  paine  et  traveill 

Je  tiens  qu'il  n'a  soubz  le  souleil , 
De  vous  plus  parfait  vray  martire. 
Cueur,  à  qui  prendrez  vous  conseil  ? 
A  nul  ne  povez  descouvrir. 

Au  moins  faittes  votre  apareil 
De  bien  vous  faire  ensevellir, 
Ce  n'est  que  mort  d'ainsi  languir, 
En  tel  martire  nompareil. 
Cueur,  à  qui  prendrez  vous  conseil? 


RONDEAU    LXVI. 

Dedens  mon  livre  de  pensée , 
J'ay  trouve  escrivant  mon  cueur 
La  vraye  histoire  dedoleur, 
De  lermcs  toute  enluminée. 

En  défiassent  la  trcsamée 
Ymage  de  plaisant  doulccur, 
Dedens  mon  livre  de  Pensée, 
J'ay  trouvé  escrivant  mon  cueur. 

Helas!  où  la  mon  cueur  trouvée? 
Les  grosses  gouttes  de  sueur 
Lui  saillent,  de  peine  cl  labour 
Qu'il  y  prent,  et  nuit  et  journée, 
Dedens  moii  livre  de  l^cnscc. 


RONDEAUX.  117 

RONDEAU    LXVIÏ. 


A  Dieu  !  qu'il  m'anuye, 
Helas  !  qu'est  ce  cy  ? 
Demourray  ainsi 
En  merencolic  ? 

Qui  que  chante  ou  rie, 
J'ay  tousjours  soussy. 
A  Dieu,  qu'il  m'anuye, 
Helas  !  qu'est  ce  cy  ? 

Penser  me  guerrie , 
Et  fortune  aussi , 
Tellement  et  si 
Fort  que  hé  ma  vie. 
A  Dieu  !  qu'il  m'anuye  ! 


RONDEAU    LXVIII. 

Ci  pris,  ci  mis. 
Trop  fort  me  lie 
Merencolic, 
De  pis  en  pis. 

Quant  me  tient  pris 
En  sa  baillie. 
Ci  pris,  ci  mis, 
Trop  fort  me  lie. 

Se  hors  Soussts 
Je  ne  m'alie 
A  Chiere  lie, 
Vivant  languis. 
Ci  pris,  ci  mis. 


Il8  CHARLES    d'oIU.É  ANS 


RONDEAU    LXIX. 


Et  de  cela,  quoy  ? 
Se  Soussy  m'assault, 
A  mon  cueur  n'en  chault, 
N'aussi  peu  à  moy. 

Comme  i'apperçoy, 
Courroux  riens  n'y  vault. 
Et  de  cela,  quoy, 
Se  Soussy  m'assault? 

Par  luy  je  reçoy 
Souvent  froit  et  chault, 
Puisqu'estre  ainsi  tault, 
Remède  n'y  voy; 
Et  de  cela,  quoy  ? 


RONDEAU    LXX. 

Et  de  cela,  quoy? 
En  ce  temps  nouveau, 
Soit  ou  laid,  ou  beau. 
Il  m'en  chault  bien  poy. 

Je  demourray  quoy 
En  ma  vieille  peau. 
Et  de  cela,  quoy, 
En  ce  temps  nouveau  ? 

Plusieurs,  comme  voy, 
Ont  des  pois  au  veau; 
Je  mettray  mon  seau 
Qu'ainsi  je  le  croy. 
Et  de  cela,  quoy  ? 


F<  O  N  D  E  A  U  X.  119 

RONDEAU    LXXI. 

Oncques  feu  ne  fut  sans  fumée, 
Ne  doloreux  cueurs  sans  pensée, 
Ne  reconfort  sans  espérance, 
Ne  joyeulx  regart  sans  plaisance, 
Ne  beau  soleil  qu'après  nuée. 

J'ay  tCKSt  ma  sentence  donnée, 
De  plus  sachant  soit  amendée. 
J'en  dy  selon  ma  congnoissance  : 
Oncques  feu  ne  fut  sans  fumée, 
Ne  doloreux  cueurs  sans  pensée. 

Esbatement  n'est  sans  risée, 
Souspir  sans  chose  regretée, 
Souhait  sans  arJant  desirance, 
Double  sans  muer  contenance. 
C'est  chose  de  vray  esprouvée; 
Oncques  teu  ne  fut  sans  famée. 

RONDEAU    LXXII. 

Chantez  ce  que  vous  pensez, 
Monstrant  joyeuse  manière. 
Ne  la  vendez  pas  si  chiere, 
Trop  envis  la  despensez. 

Or  sus,  to^t  vous  avancez. 
Laissez  coustume  estrangiere. 
Chantez  ce  que  vous  pensez, 
Monstrant  joyeuse  manière. 

Tous  noz  menuz  pourpense^ 
Descouvrons,  à  lye  chiere, 
L'un  à  l'autre,  sans  prière. 
J'achcveray,  commencez. 
Chantez  ce  que  vous  pensez. 


CHARLES    D    ORLEANS. 


RONDEAU    LXXIII. 

Le  trouveray  je  jamais 
Ung  loyal  cueur  joinct  au  mien. 
A  qui  je  soye  tout  sien, 
Sans  départir  désormais? 

D'en  deviser  par  souhais, 
Souvent  m'y  esbas  ;  et  bien, 
Le  trouveray  je  jamais 
Ung  loyal  cueur  joinct  au  mien? 

Autant  vault  se  je  m'en  tais. 
Car  certainement  je  tien 
Qu'il  ne  s'en  fera  jà  rien; 
En  toute  chose  a  ung  mais. 
Le  trouveray  je  jamais? 


RONDEAU    LXXIV. 

Gens  qui  cuident  estre  si  saiges 
Qu'ilz  pensent  plusieurs  abestir, 
Si  bien  ne  se  sauront  couvrir 
Qu'on  n'aperçoive  leurs  courages. 

Payer  leur  fauldra  les  usages 
De  leurs  becz  jaunes,  sans  faillir. 
Gens  qui  cuident  estre  si  saiges 
Qu'ilz  pensent  plusieurs  abestir. 

On  scet  par  anciens  ouvrages, 
De  quel  mestier  scevent  servir  ; 
Melusine  n'en  peut  mentir, 
Elle  les  cognoist  aux  visaiges, 
Gens  qui  cuident  estre  si  saiges. 


RONDEAUX.  121 


RONDEAU    LXXV. 


Il  me  pleust  bien, 
(Se  tour  il  a) 
Quant  me  monstra 
Que  estoit  tout  mien. 

Par  son  maintien 
Tost  me  gaigna. 
11  me  pleust  bien, 
Se  tour  il  a. 

Sans  dire  rien, 
Mon  cueur  pensa, 
Et  ordonna 
Qu'il  seroit  sien: 
Il  me  pleust  bien. 


RONDEAU    LXXVI. 


En  mon  cueur  ehéoit, 
Et  là  devinoye, 
Comme  je  pensoyc, 
Qu'ainsi  m'av&ndroit. 

Fol,  tant  qu'il  re:oit. 
Ne  croit  rien  qu'il  voye. 
En  mon  cueur  chcoit, 
Et  là  devinoye 

Sotye  seroit 
Se  plus  y  musoye; 
Ma  teste  romperoye  ; 
Soit  ou  tort  ou  droit, 
En  mon  cueur  ehéoit. 


122  CHARLES    d'oRLÉANS. 

RONDEAU     LXXVII. 

Quant  i'ay  ouy  le  tahourin 
Sonner,  pour  s'en  aller  au  May, 
En  mon  lit  n'en  ay  fait  effray, 
Ne  levé  mon  chief  du  coissin  ; 

En  disant  :  il  est  trop  matin, 
Ung  peu  je  me  rendormiray; 
Quant  j'ay  ouy  le  tabourin 
Sonner,  pour  s'en  aler  au  May. 

Jeunes  gens  partent  leur  butin, 
De  Nonchaloir  m'acointeray, 
A  lui  je  m'abutinerav. 
Trouvé  I'ay  plus  prouchain  voisin, 
Quant  j'ay  ouy  le  tabourin. 

RONDEAU     LXXVIII. 

Le  premier  jour  du  mois  de  May, 
De  tanné  et  de  vert  perdu. 
Las  !  j'ay  ti-ouvé  mon  cueur  vestu, 
Dieu  scet  en  quel  piteux  array  ! 

Tantost  demandé  je  lui  ay, 
Dont  estoit  cest  habit  venu. 
Le  premier  jour  du  mois  de  xMay, 
De  tanné  et  de  vert  perdu. 

Il  m'a  respondu,  bien  le  sçay, 
Mais  par  moy  ne  sera  cogneu  ; 
Desplaisance  m'en  a  pourVeu, 
Sa  livrée  je  porteray. 
Le  premier  jour  du  mois  de  may. 


RONDEAUX.  123 

RONDEAU    LXXIX. 

Le  monde  est  ennuyé  de  moy, 
Et  moy  pareillement  de  lui  ; 
Je  ne  congnois  rien  au  jour  d'ui 
Dont  il  me  chaille  que  bien  poy. 

Dont  quanque  devant  mes  yeulx  voy, 
Puis  nom.mer  anuy  sur  anuy. 
Le  monde  est  ennuyé  de  moy, 
Et  moy  pareillement  de  lui. 

Chierement  se  vent  bonne  foy  ; 
A  bon  marché  n'en  a  nuUuy  ; 
Et  pource,  se  je  suis  cellui 
Qui  m'en  plains,  j'ay  raison  pourquoy  : 
Le  monde  est  ennuyé  de  moy. 

RONDEAU     LXXX. 


De  riens  ne  sert  à  cueur  en  desplaisance, 
Chanter,  danser,  n'aucan  esbatement, 
Il  lui  souffist  de  povoir  seulement 
Tousjours  penser  à  sa  maie  meschance. 

Quant  il  congnoist  qu'en  hazart  gist  sa  chance, 
Et  désir  n'est  à  son  commandement. 
De  riens  ne  sert  à  cueur  en  desplaisance, 
Chanter,  danser,  n'aucun  esbatement. 

S'on  rit,  pleurer  lui  est  d'acoustumance  ; 
S'il  peut,  à  part  se  met  le  plus  souvent. 
Afin  qu'à  nul  ne  tiengne  parlement; 
Pour  le  guérir  jà  mire  ne  s'avance  ; 
De  riens  ne  sert  à  cueur  en  desplaisance. 


124  CHARLES    d'orLÉANS. 

RONDEAU    LXXXI. 

Vous  y  fiez  vous 
En  Mondain  Espoir  ? 
S'il  scet  décevoir, 
Demandez  ù  tous. 

Son  attrait  est  doulx, 
Pour  gens  mieulx  avoir. 
Vous  y  fiez  vous 
En  Mondain  Espoir  ? 

De  joye  ou  courroux, 
Soing  ou  nonchaloir, 
Veult,  à  son  vouloir, 
Tenir  les  deux  boux, 
Vous  y  fiez  vous  ? 

RONDEAU    LXXXII. 

Fiez  vous  y. 

A  qui? 

En  quoi  ? 
Comme  je  voy, 
Riens  n'est  sans  sy. 

Ce  monde  cy 

A  sy 

Pou  foy. 
Fiez  vous  y. 

A  qui? 

Plus  je  n'en  dy, 

N'escry, 

Pourquoi  ? 
Chascun  j'en  croy 
S'il  est  ainsy  ; 
Fiez  vous  y  ! 


RONDEAUX.  125 

RONDEAU     LXXXIII. 


Vengence  de  mes  yeulx 
Puisse  mon  cueur  avoir  ; 
Hz  lui  font  recevoir 
Trop  de  maulx  en  mains  lieux. 

Amours,  le  Roy  des  Dieux, 
Faittes  vostre  devoir  : 
Vengence  de  mes  yeulx 
Puisse  mon  cueur  avoir. 

Se  jamais  plus  sont  tieulx 
Encontre  mon  vouloir. 
Sur  eulx,  et  main  et  soir, 
Crieray,  jusques  aux  cieulx, 
Vengence  de  mes  yeulx. 


RONDEAU    LXXXIV. 

De  legier  pleure  à  qui  la  lippe  pent  ; 
Ne  demandez  jamais  comment  lui  va, 
Laissez  l'en  paix,  il  se  confortera. 
Ou  en  sorr  fait  mettra  appointtement. 

A  son  umbre  se  combattra  souvent, 
Et  puis  son  frein  rungicr  lui  conviendra. 
De  legier  pleure  à  qui  la  lippe  pent  ; 
Ne  demandez  jamais  comment  lui  va. 

S'on  parle  à  lui,  il  en  est  mal  content; 
Cheminée,  au  derrain,  trouvera 
Par  où  passer  sa  fumée  pourra  ; 
Ainsi  avint  le  plus  communément  ; 
De  legier  pleure  à  qui  la  lippe  pent. 


120  CHARLES    d'oRLÉANS. 

RONDEAU    LXXXV. 


Espoir  ne  me  fist  oncques  bien, 
Souvent  me  ment  pour  me  complaire 
Et  assez  promet  sans  riens  taire, 
Dont  à  lui  peu  tenu  me  tien. 

En  ses  ditz  ne  me  fie  en  rien. 
Se  Dieu  m'aist,  je  ne  m'en  puis  taire, 
Espoir  ne  me  fist  oncques  bien, 
Souvent  me  ment  pour  me  complaire. 

Quant  Reconfort  requérir  vien 
Et  cuide  qu'il  le  doye  faire, 
Tousjours  me  respont  au  contraire, 
Et  me  hare  Reffus  son  chien  ; 
Espoir  ne  me  fist  oncques  bien. 


RONDEAU    LXXXVI. 


D'ont  viens  tu  maintenant,  Souspir, 
Aportes  tu  nulles  nouvelles  ? 
Dieu  doint  qu'ilz  puissent  estre  telles 
Que  voulentiers  les  doye  ouir. 

S'ilz  viennent  de  devers  Désir, 
Hz  ne  sont  que  bonnes  et  belles. 
D'ont  viens  tu  maintenant,  Souspir, 
Aportes  tu  nulles  nouvelles  ? 

Mais  s'ilz  sourdent  de  Desplaisir, 
J'ayme  mieulx  que  tu  les  m^e  celés, 
Assez  et  trop  j'en  ay  de  telles  ; 
Ne  dy  riens  que  pour  m'esjouir. 
D'ont  viens  tu  maintenant,  Souspir. 


RONDEAUX.  127 

RONDEAU    LXXXVII. 

C'est  par  vous  seulement,  Fiance, 
Qu'ainsi  je  me  trouve  deceu; 
Car,  se  par  avant  l'eusse  sceu, 
Bien  y  eusse  mis  pourvéance. 

Au  fort,  quant  je  suis  en  la  dance, 
Puis  qu'il  est  trait,  il  sera  beu. 
C'est  par  vous  seulement,  Fiance, 
Qu'amsi  je  me  trouve  deceu. 

Je  doy  bien  haïr  l'acomttance 
Du  premier  jour  que  vous  ay  veu. 
Car  prins  m'avez  au  despourveu  ; 
Nul  n'est  trahy  qu'en  Espérance  ; 
C'est  par  vous  seulement,  Fiance. 

RONDEAU    LXXXVIII. 


Ou  pis,  ou  mieulx, 
Mon  cueur  aura, 
Plus  ne  sera 
En  soussis  tieulx. 

Par  Dieu,  des  cieuh 
Chemin  prendra  ; 
Ou  pis,  ou  mieux. 
Mon  cueur  aura. 

En  aucuns  lieux, 
Fortune,  or  ça. 
On  vous  verra 
Plus  cler  aux  ycuLx, 
Ou  pis,  ou  mieulx. 


'28  CTTARtES  d'ORLÉans. 

RONDEAU  LXXXIX. 


Par  vous,  Regard,  sergent  d'Amours, 
Sont  arrestcs  les  povres  cueurs. 
Souvent  en  plaisirs  et  doulceurs, 
Et  mainteffbiz  tout  au  rebours. 

Devant  les  amoureuses  cours, 
Les  officiers  et  gouverneurs, 
Par  vous,  regard,  sergent  d'Amours, 
Sont  arrestés  les  povres  cueurs. 

Et  adjournez  à  trop  briefz  jours. 
Pour  leur  porter  plus  de  rigueurs. 
Comme  subgiez  et  serviteurs. 
Endurent  mains  estranges  tours, 
Par  vous,  Regard,  sergent  d'Amours. 


RONDEAU    XC. 

S'en  mes  mains  une  foiz  vous  tiens, 
Pas  ne  m'eschapperez.  Plaisance, 
Jà  Fortune  n'aura  puissance 
Que  n'aye  ma  part  de  voz  biens. 

En  despit  de  Dueil  et  des  siens, 
Qui  me  tourmentent  de  penance. 
S'en  mes  mains  une  foiz  vous  tiens, 
Pas  ne  m'eschapperez.  Plaisance. 

Doy  je  tousjours,  sans  avoir  riens. 
Languir  en  ma  dure  grevance  ? 
Nennil,  promis  m'a  Espérance 
Que  serez  de  tous  poins  des  miens, 
S'en  mes  mains  une  foiz  vous  tiens. 


RONDEAUX,  129 


RONDEAU   XCI. 

Payez  selon  vostre  déserte 
Puissiez  vous  estre,  faux  trompeurs  ! 
Au  derrenier  des  cabuseurs 
Sera  la  malice  déserte. 

D'entre  deux  meures,  une  verte 
Vous  fault  servir,  pour  voz  labeurs. 
Payez  selon  vostre  déserte 
Puissiez  vous  estre,  faux  trompeurs! 

Vostre  besongne  est  trop  ouverte, 
Ce  n'est  pas  jeu  d'entrejetteurs  ; 
Aux  esches  s'estes  bons  joueurs, 
Gardez  l'eschec  à  descouverte, 
Payez  selon  vostre  déserte. 


RONDEAU   XGII. 


Plus  penser  que  dire 
Me  convient  souvent. 
Sans  monstrer  comment 
N'a  quoy  mon  cueur  tire, 

Faignant  de  soubzrire, 
Quant  suis  tresdolent, 
Plus  penser  que  dire 
Me  convient  souvent. 

En  toussant,  souspire 
Pour  secrètement 
Musser  mon  tourment. 
C'est  privé  martire, 
Plus  penser  que  dire. 

CHARLES    D'ORLÉANS.    II. 


|30  CHARLES    D'ORLÉANS. 


RONDEAU  XCIII. 


Mort  de  moy  !  vous  y  jouez  vous 
Avec  Dame  Merencolie  ! 
Mon  cueur,  vous  faittes  g  ant  folye  ! 
C'est  la  nourrisse  de  Courroux. 

Ung  baston  qui  point  à  deux  boutz 
Porte,  dont  elle  s'escremye. 
Mort  de  moy  !  vous  y  jouez,  vous, 
Avec  Dame  Merencolie! 

Je  tiens  saiges  toutes  et  tous 
Qui  eslongnent  sa  compaignie  ; 
Saint  Jehan,  je  ne  m'y  mcttray  mie; 
Que  je  m'y  boutasse  à  quans  coups, 
Mort  de  moyl  vous  y  jouez,  vous! 


RONDEAU    XCIV. 


Je  ne  suis  pas  de  ses  gens  là 
A  qui  Fortune  plaist  et  rit. 
De  reconfort  trop  m'escondit, 
Veu  que  tant  de  mal  donne  m'a. 

S'on  demande  comment  me  va, 
Il  est  ainsi  comme  j'ai  dit  : 
Je  ne  suis  pas  de  ses  gens  là, 
A  qui  Fortune  plaist  et  rit. 

Quant  je  dy  que  bon  temps  vendra, 
Mon  cueur  nie  rcspont  par  dcspit  : 
Voire,  s'Espoir  ne  vous  mentit, 
Plusieurs  déçoit  et  dcccvra. 
Je  ne  suis  pas  de  ses  gens  là. 


RONDEAUX.  l3l 


RONDEAU  XCV. 

Allez,  allez,  vieille  nourrice 
De  Courroux  et  de  Malle  Vie, 
Rassotée  Merencolie, 
Vous  n'avez  que  dueil  et  malice. 

Desormaiz  plus  n'aurez  office 
Avec  mon  cueur,  je  vous  regnye. 
Allez,  allez,  vieille  nourrice 
De  Courroux  et  de  Malle  Vie. 

Pour  vous  n'y  a  point  lieu  propice, 
Confort  l'a  prins,  n'en  doublez  mie, 
Fuyez  hors  de  la  compaignie 
D'Espoir;  fais  nouvel  editice  ; 
Allez,  allez,  vieille  nourrice 


RONDEAU    XCVI. 

Remède  comment 
Pourray  je  quérir 
Du  mal  qu'à  souftVir 
J'ay  trop  longuement? 

Qu'en  dit  loyaument 
Conseil  ?  sans  mentir, 
Remède  comment 
Pourray  je  quérir  ? 

Pour  abrègement, 
Guérir,  ou  mourir! 
Plus  ne  puis  fournir, 
Se  Sens  ne  m'aprent 
Remède  comment. 


l32  CHARLES    u'ORLÉANS. 


RONDEAU    XCVII. 


Vous  ne  tenez  cmipte  de  moy, 
Beau  Sire,  mais  qui  estes  vous? 
Voulez  vous  estre  seul  sur  tous, 
Et  qu'on  vous  laisse  tenir  quoy  ? 

Merencolie  suiz  et  doy, 
En  tous  faiz,  tenir  l'un  des  bouts. 
Vous  ne  tenez  compte  de  moy, 
Beau  Sire,  mais  qui  estes  vous? 

Se  je  vous  pinse  parle  doy, 
Ne  me  chault  de  vostre  courroux, 
On  verra  se  serez  rescous 
De  mes  mains,  par  qui,  et  pourquoy 
Vous  ne  tenez  compte  de  moy. 


RONDEAU   XCVIII. 

Quant  je  voy  ce  que  ne  vueil  rnic, 
Et  n'ay  ce  dont  suis  désirant, 
Pensant  ce  qui  m'est  desplaisant. 
Est  ce  merveille  s'il  m'ennuye? 

Nennil,  force  est  que  me  soussie 
De  mon  cueur  qui  est  languissant, 
Quant  je  voy  ce  que  ne  vueil  mie, 
Et  n'ay  ce  dont  suis  désirant. 

En  douleur  et  merencolie 
Suis,  nuit  et  jour,  estudiant  ; 
Lors  je  me  boute  trop  avant 
En  une  haulte  théologie, 
Quant  je  voy  ce  que  ne  vueil  mie. 


RONDEAUX,  l33 


RONDEAU    XCIX. 


Ainsi  que  chassoye  aux  sangliers, 
Mon  cueur  chassoit  après  Dangiers 
En  la  forest  de  ma  Pensée, 
Dont  rencontra  grant  assemblée 
Trespassans  par  divers  sentiers. 

Deux  ou  trois  saillirent  premiers, 
Comme  fors,  orgueilleux  et  fiers  ; 
N'estoit  ce  pas  chose  effrayée  ? 
Ainsi  que  chassoye  aux  sangliers, 
Mon  cueur  chassoit  après  Dangiers 
En  la  forest  de  ma  Pensée. 

Lors  mon  cueur  lascha  sus  lévriers, 
Lesquels  sont  nommés  Desiriers  ; 
Puis  Espérance  l'asseurée, 
L'espieu  ou  poing,  sainte  l'espée. 
Vint  pour  combattre  voulentiers, 
Ainsi  que  chassoye  aux  sangliers 


RONDEAU    C. 

Sot  eueil,  raporteur  de  nouvelles»^ 
Où  vas  tu  (et  ne  scès  pourquoy. 
Ne  sans  prandre  congié  de  moy} 
En  la  compaignie  des  belles  ? 

Tu  es  trop  tost  acointé  d'elles  ; 
Il  te  vaulsist  mieulx  tenir  quoy. 
Sot  eueil,  raporteur  de  nouvelles, 
Où  vas  tu?  et  ne  scès  pourquoy! 

Se  ne  changes  manières  telles, 


IH  CHARLES     d'orLÉANS. 

Par  Raison,  ainsi  que  je  doy, 
Chastier  te  vueil,  sur  ma  foy  ; 
Contre  toy  j'ay  assez  querelles. 
Sot  eueil,  reporteur  de  nouvelles. 


RONDEAU    CI. 

Mort  de  moy  !  vous  y  jouez  vous  ? 

—  En  quoy  ?  —  Es  faiz  de  tromperie. 

—  Ce  n'est  que  coustume  jolie 
Dont  ung  peu  ont  toutes  et  tous  ! 

—  Renverser  s'en  dessuz  dessoubz, 
Est  ce  bien  fait  ?  je  vous  en  prie  ? 
Mort  de  moy  !  vous  y  jouez  vous  ? 

—  En  quoy  ?  —  Es  faiz  de  tromperie. 
—  Laissez  moy  taster  vostre  pouls, 

Vous  tient  point  celle  maladie? 

—  Parlez  bas,  qu'on  ne  l'oye  mie, 
Il  semble  que  criez  aux  loups  : 
Mort  de  moy  !  vous  y  jouez  vous  ? 


RONDEAU    Cil. 

Est  ce  vers  moi  qu'envoyez  ce  souspir  ? 
M'apporte  il  point  quelque  bonne  nouvelle  ? 
Soit  mal  ou  bien,  pour  Dieu,  qu'il  ne  me  celle 
Ce  que  lui  vueil  de  mon  tait  enquérir. 

Suis  je  jugié  de  vivre,  ou  de  mourir  ? 
Soustiendra  jà  Loyaulté  ma  querelle  ? 
Est  ce  vers  moy  qu'envoyez  ce  souspir; 
M'apporte  il  point  quelque  bonne  nouvelle? 

Et,  nuit  et  jour,  j'escoute  pour  ouir 


RONDEAUX.  |33 

S'auray  confort  de  ma  peine  cruelle. 
Pire  ne  peut  estre  se  non  mortelle; 
Dictes  se  riens  y  a  pour  m'esjouir  ? 
Est  ce  vers  moy  qu'envoyez  ce  souspir  i 


RONDEAU    cm. 

M'apelez  vous  cela  jeu 
D'estre  tousjours  en  ennuy? 
Certes,  je  ne  voy  nuUy 
Qui  n'en  ait  plus  trop  que  peu. 

Nul  ne  desnoue  ce  neu, 
S'il  n'a  de  Fortune  apuy. 
M'apelez  vous  cela  jeu 
D'estre  tousjours  en  ennuy. 

On  s'art  qui  est  près  du  feu; 
Et  pource,  je  suis  cellui 
Qui  à  mon  povoir  le  fui, 
Quant  je  n'y  congnois  mon  preu. 
M'apelez  vous  cela  jeu  ? 


RONDEAU     CIV. 

Alons  nous  esbatre, 
Mon  cueur,  vous  et  moy, 
Laissons,  à  part  soy, 
Soussi  se  combatre. 

Tousjours  veult  debatre, 
Et  jamais  n'est  quoy. 
Alons  nous  esbatre, 
Mon  cueur,  vous  et  moy. 

On  vous  devroit  batre. 


l36  CHARLES     d'oRLÉANS. 

Et  monstrer  au  doy, 
Se  dessoubz  sa  loy 
Vous  laissiez  abatrc. 
Alons  nous  esbatre. 


RONDEAU   GV. 

Aussi  bien  laides  que  belles 
Contrefont  les  dangereuses, 
Et  souvent  les  précieuses  ; 
Elz  ont  les  manières  telles. 

Pareillement  les  pucelles 
Deviennent  tantost  honteuses  ; 
Aussi  bien  laides  que  belles 
Contrefont  les  dangereuses. 

Les  vieilles  font  les  nouvelles, 
En  paroUes  gracieuses 
Et  accointances  joyeuses  ; 
C'est  la  condicion  d'elles, 
Aussi  bien  laides  que  belles. 


RONDEAU    CVI. 

Je  vous  arreste,  de  main  mise, 
Mes  yeulx,  emprisonnez  serez, 
Plus  mon  cueur  ne  gouvernerez 
Désormais,  je  vous  en  avise. 

Trop  avez  fait  à  vostre  guise. 
Par  ma  foy,  plus  ne  le  ferez. 
Je  vous  arreste,  de  main  mise, 
Mes  yeulx,  emprisonnez  serez. 

On  peut  bien  pour  vous  corner  prise, 


RONDEAUX.  iSy 

Prins  estes,  point  n'eschapperez; 
Nul  remède  n'y  trouverez, 
Rien  n'y  vault  apel,  ne  franchise. 
Je  vous  arreste,  de  main  mise. 


RONDEAU   CVII. 


/ 


Qui  a  toutes  ses  hontes  beues, 
Il  ne  lui  chault  que  l'en  lui  die, 
Il  laisse  passer  mocquerie 
Devant  ses  yeulx,  comme  les  nues. 

S'on  le  hue  par  my  les  rues, 
La  teste  hoche  à  chiere  lie. 
Qui  a  toutes  ses  hontes  beues, 
Il  ne  lui  chault  que  l'en  lui  die. 

Truffes  sont  vers  lui  bien  venues; 
Quant  gens  rient,  il  faut  qu'il  rie; 
Rougir  on  ne  le  feroit  mie; 
Contenances  n'a  point  perdues, 
Qui  a  toutes  ses  hontes  beues. 


RONDEAU    CVIII. 

En  mes  païs,  quant  me  trouve  à  repos, 
Je  m'esbais,  et  n'y  sçay  contenance, 
Car  i'ay  apris  travail  dès  mon  enfance. 
Dont  Fortune  m'a  bien  chargié  le  dos. 

Que  voulez  que  vous  die?  à  briefz  mos, 
Ainsi  m'est  il,  ce  vient  d'accoustumance  : 
En  mes  païs,  quant  me  trouve  à  repos, 
Je  m'esbais,  et  n'y  sçay  contenance. 

Tout  à  part  moy,  en  mon  penser  m'enclos, 


l38  CHARLES    d'oRLÉANS. 

Et  fais  chasteaulx  en  Espaigne  et  en  France  ; 
Oultre  les  monts  forge  mainte  ordonnance, 
Chascun  jour,  j'ay  plus  de  mille  propos, 
En  mes  païs,  quant  me  trouve  à  repos. 


RONDEAU    CrX. 

Repaissez  vous  en  parler  gracieux, 
Avec  dames  qui  manguent  poisson, 
Vous  qui  jeusnez,  par  grant  devocion, 
Ce  vendredi  ne  povez  faire  mieulx. 

Se  vous  voulez  de  Déesses  ou  Dieux, 
Avoir  confort  ou  consolacion. 
Repaissez  vous  en  parler  gracieux, 
Avec  dames  qui  manguent  poisson. 

Lire  vous  voy  faiz  merencolieux 
De  Troilus,  plains  de  compassion; 
D'Amour  martir  fut  en  sa  nascion. 
Laissez  l'en  paix,  il  n'en  est  plus  de  tieulx  ; 
Repaissez  vous  en  parler  gracieux. 


RONDEAU    ex. 

Alez  vous  en,  alez,  alez, 
Soussy,  Soing  et  Merencolie, 
.  Me  cuidez  vous  toute  ma  vie 

^/  Gouverner,  comme  fait  avez? 

Je  vous  prometz  que  non  ferez, 
Raison  aura  sur  vous  maistrie. 
Alez  vous  en,  alez,  alez, 
Soussy,  Soing  et  Merencolie. 
Se  jamais  plus  vous  retournez 


RONDEAUX.  l3g 

Avecques  vostre  compaignie, 
Je  pri  à  Dieu  qu'il  vous  maudie, 
Et  ce  par  qui  vous  revendrez. 
Alez  vous  en,  alez,  alez. 


RONDEAU    CXI. 

Hau  !  guette,  mon  ueil  ;  et  puis  quoy? 
Voyez  vous  riens?  —  Ouil,  assez. 

—  Qu'est  ce  cela  que  vous  savez? 

—  Cler,  le  vous  puis  monstrer  au  doy. 
—  Regardez  plus  avant  un  poy, 

Vos  regars  ne  soient  lassez. 
Hau  !  guette,  mon  ueil  ;  et  puis  quoy? 
Voyez  vous  riens?  —  Ouil,  assez. 
Acquitté  me  suis,  comme  doy. 
Il  a  jà  plusieurs  ans  passez, 
Sans  avoir  mes  gaiges  cassez. 

—  Bien  avez  servi,  sur  ma  foy. 

Hau  !  guette,  mon  ueil  ;  et  puis  quoy! 


RONDEAU    CXII. 

Le  voulez  vous  que  tout  vostre  deviengne  ? 
En  me  monstrant  quelque  joyeux  semblant, 
Dictes  ce  mot  :  Je  \  ous  tiens  mon  servant, 
Servez  si  bien  que  contente  m'en  tiengne. 

Devoir  leray,  comment  qu'il  m'en  adviengne, 
Tresloyaumcnt,  dcsoresenavant. 
Le  voulez  vous  que  tout  vostre  deviengne  ? 
En  me  monstrant  quelque  joyeux  semblant. 

Sans  que  Mercy,  ne  Grâce  me  sousticngne, 


140  CHARLES    D    ORLEANS. 

S'en  Loyaulté  je  faulx,  ne  tant  ne  quant, 
Punissez  moy  tout  à  vostre  talant  ; 
Et  se  bien  sers,  pour  Dieu,  vous  en  souvicngneî 
.Le  voulez  vous  que  tout  vostre  deviengne  ? 


RONDEAU    CXIII. 

Que  nous  en  faisons 
De  telles  manières, 
Et  doulces,  et  fieres, 
Selon  les  saisons  ! 

En  champs,  ou  maisons. 
Par  bois  et  rivières, 
Que  nous  en  faisons 
De  telles  manières  ! 

Ung  temps  nous  taisons, 
Tenans  assez  chieres 
Nos  joyeuses  chieres, 
Puis  nous  rapaisons  ; 
Que  nous  en  faisons  ! 


RONDEAU     CXIV. 

A  l'autre  huis, 
Souvent  m'envoye  Espérance, 

Et  me  tanse, 
Quant  en  tristesse  je  suis. 

Jours  et  nuys, 
Se  lui  demande  alegance, 

A  l'autre  huis, 
Souvent  m'envoye  Espérance. 
Oncques  puis 


RONDEAUX.  141 

Que  failli  ma  desirance, 

De  plaisance 
Mon  cueur  et  moy  sommes  vuys, 

A  l'autre  huis. 


RONDEAU. 

Clennontois. 


Qui  veult  achatter  de  mon  dueilf 
D'en  avoir  trop,  las!  je  me  vante, 
Car  mapovre  vie  dolente 
N  en  peut  plus ,  non  fait  pas  mon  vueil . 

Partout  oit  je  voys,  mon  recueil 
Est  si  piteux,  et  mon  attente  ! 
Qiii  veult  achatter  de  mon  dueil? 
D'en  avoir  trop,  las!  je  me  vante. 

Que  j'aye  ung  petit  bon  accueil, 
Au  commancement  de  ma  vante, 
Et  puis  après,  se  jamais  liante 
Amours,  qu'on  me  crevé  cest  iieil  ! 
Qui  veult  achatter  de  mon  dueilf 


RONDEAU    CXV. 


Vendez  autre  part  vostre  dueil, 
Quant  est  à  moy,  je  n'en  ay  cure; 
A  grant  marché,  oultre  mesure. 
J'en  ay  assez  contre  mon  vueil. 

Jà  n'entrera  dedans  le  sucil 


142  CHARLES    D    ORLEANS. 

De  mon  penser,  je  vous  le  jure  ; 
Vendez  autre  part  vostre  dueil, 
Quant  est  à  moy,  je  n'en  ay  cure. 

Desconfort,  la  lerme  à  l'ueil, 
Ailleurs  quiere  son  avanture, 
Plus  ne  vous  mène  vie  dure  ! 
Puisque  mal  vous  fait  son  acueil, 
Vendez  autre  part  vostre  dueil. 


RONDEAU    CXVI. 


Comme  j'oy  que  chascun  devise, 
On  n'est  pas  tousjours  à  sa  guise; 
Beau  chanter  si  ennuyé  bien  ; 
Jeu  qui  trop  dure  ne  vault  rien; 
Tant  va  le  pot  à  l'eaue  qu'il  brise. 

Il  convient  que  trop  parler  nuyse, 
Se  dit  on,  et  trop  grater  cuise; 
Riens  ne  demeure  en  ung  maintien. 
Comme  j'oy  que  chascun  devise, 
On  n'est  pas  tousjours  à  sa  guise  ; 
Beau  chanter  si  ennuyé  bien. 

Après  chault  temps,  vient  vent  de  bise, 
Après  hucques,  robbes  de  frise  ; 
Le  monde  de  passé  revien, 
A  son  vouloir  joue  du  sien 
Tant  entre  gens  laiz  que  d'Eglise, 
Comme  j'oy  que  chascun  devise. 


RONDEAUX.  I4I1 

RONDEAU    CXVII. 

Ad  ce  premier  jour  de  l'année, 
De  cueur,  de  corps  et  quanque  j'ay 
Privéement  estreneray 
Ce  qui  me  gist  en  ma  pensée. 

C'est  chose  que  tendray  cellée, 
Et  que  point  ne  descouvreray, 
Ad  ce  premier  jour  de  l'année, 
De  cueur,  de  corps  et  quanque  j'ay. 

Avant  que  soit  toute  passée 
L'année,  je  l'aproucheray, 
Et  puis  à  loisir  conteray 
L'ennuy  qu'ay,  quant  m'est  eslongnée, 
Ad  ce  premier  jour  de  l'année. 

RONDEAU    REDOUBLÉ. 

Que  voulez  vous  que  plus  vous  die, 
Jeunes  assotez  amoureux  ? 
Par  Dieu,  j'ay  esté  l'un  de  ceulx 
Qui  ont  eu  vostre  maladie  ! 

Prenez  exemple,  je  vous  prie, 
A  moy  qui  m'en  compiains  et  deulx; 
Que  voulez  vous  que  plus  vous  die. 
Jeunes  assotez  amoureux  ! 

Et  pource,  de  vostre  partie, 
Se  voulez  croire  mes  conseulx, 
D'abregier  conseillier  vous  veulx 
Vos  faiz,  en  sens  ou  en  folie, 
Que  voulez  vous  que  plus  vous  die  ! 

Plusieurs  y  trouvent  chiere  lye 


144  CHARLES    D'ORLÉANS. 

Mainteffbiz,  et  plaisans  acueulx, 
Que  voulez  vous  que  plus  vous  die! 
Jeunes  assotez  amoureux  I 

Mais  au  derrain,  Merencolie 
De  ses  huis  fait  passer  les  seulx, 
En  deuil  et  soussy,  Dieu  scct  quieulx! 
Lors  ne  chault  de  mort  ou  de  vie, 
Que  voulez  vous  que  plus  vous  die? 


RONDEAU     CXVIII. 

Mais  que  vostre  cueur  soit  mien, 
Ne  doit  le  mien  estre  vostre? 

—  Ouil,  certes,  plus  que  sien. 

—  Que  vous  en  semble?  dy  je  bieni 

—  Vray  comme  la  Patenostre, 
Mais  que  vostre  cueur  soit  mien. 

Content  et  joyeulx  m'en  tien, 
Foy  que  doy  saint  Pol  l'Apostre, 
îe  ne  désire  autre  rien, 
Mais  que  vostre  cueur  soit  mien. 


RONDEAU    CXIX. 

A  ce  jour  de  saint  Valentin, 
Que  prendray  je?  per,  ou  non  per? 
D'Amours  ne  quiers  riens  demander, 
Piecà  j'eus  ma  part  du  butin. 

Veu  que  plus  resveille  matin 
Ne  vueil  avoir,  mais  reposer, 
A  ce  jour  de  saint  Valentin, 


RONDEAUX.  145 

Que  prendray  je?  per,  ou  non  per  ? 

Jeunes  gens  voisent  au  hutin 
Leurs  sens,  ou  folie  esprouver  ; 
Vieux  suis  pour  à  l'escolle  aller, 
J'entens  assez  bien  mon  latin, 
A  ce  jour  de  saint  Valentin. 


RONDEAU    CXX. 

Pour  Dieu!  boutons  la  hors, 
Geste  Merencolie 
Qui  si  fort  nous  guerrie 
Et  fait  tant  de  grans  tors. 

Monstrons  nous  les  plus  fors, 
Mon  cu;ur,  je  vous  en  prie, 
Pour  Dieu  !  boutons  la  hors, 
Geste  Merencolie. 

Trop  lui  avons  amors 
D'estre  en  sa  compaignie  , 
Ne  nous  amusons  mie 
A  croire  ses  rappors, 
Pour  Dieu!  boutons  la  hors. 


RONDEAU     GXXI. 

Gontre  le  trait  de  Faulceté, 
Gonvient  harnois  de  Bonne  Espreuvc, 
Artillerie  forgé  neufve, 
Ghascun  jour,  en  soutiveté. 

A  !  Jhesus,  benedicite  I 
Nul  n'est  qui  seurement  se  treuve  ; 
Gontre  le  trait  de  Faulceté, 

CHARLES    D'ORLÉANS      11-  I{) 


I4t)  CHARLES    D    ORLEANS. 

Convient  harnois  de  Bonne  Espreuve. 

Au  derrain,  fera  Loyaulté 
Faulceté  de  son  penser  veufve; 
Pour  Raison  fault  que  Dieu  s'esmeuve, 
Monstrant  sa  puissance  et  bonté 
Contre  le  trait  de  Kaulceté. 


RONDEAU    CXXII. 

Acquittez  vostre  conscience, 
Et  gardez  aussi  vostre  honneur, 
Ne  laissez  mourir  en  douleur 
Ce  qui  avoir  vostre  aide  pense. 

Puisque  avez  le  povoir  en  ce 
De  l'aider,  par  grâce  et  doulceur, 
Acquittez  vostre  conscience, 
Et  gardez  aussi  vostre  honneur. 

On  criera  sur  vous  vengence, 
Se  soufirez  murdrir  en  rigueur, 
Ainsi  à  tort,  ung  povre  cueur  ; 
Assez  a  porté  pascience, 
Acquittez  vostre  conscience. 

RONDEAU    CXXIII. 

On  ne  peut  servir  en  deux  lieux. 
Choisir  convient  ou  çà,  ou  li  ; 
Afestu  tire  qui  pourra 
Pour  prendre  le  pis  ou  le  mieulx 

Qu'en  dittes  vous,  jeunes  et  vieulx? 
Parle  qui  parler  en  vouldra  ; 
On  ne  peut  ser\  ir  en  deux  lieux, 


RONDEAUX.  147 

Choisir  convient  ou  çà.  ou  là. 

Les  faiz  de  ce  monde  sont  tieulx: 
Qui  bien  fera,  bien  trouvera; 
Chascun  son  paiement  aura, 
Tesmoing  les  Déesses  et  Dieux; 
On  ne  peut  servir  en  deux  lieux. 


RONDEAU    CXXIV. 

Quant  tu  es  courcé  d'autres  choses, 
Cueur,  mieulx  te  vault  en  paix  laisser, 
Car  s'on  te  vient  araisonner, 
Tost  y  trouves  d'estranges  gloses. 

De  ton  desplaisir  monstrer  n'oses 
A  aucun,  pour  te  conforter; 
Quant  tu  es  courcé  d'autres  choses 
Cueur,  mieulx  te  vault  en  paix  laisser. 

De  tes  lèvres  les  portes  closes 
Penses  de  saigement  garder, 
Que  de  hors  n'eschappe  Parler 
Qui  descouvre  le  pot  aux  roses, 
Quant  tu  es  courcé  d'autres  choses. 


RONDEAU. 

Du  comte  de  Clermont. 

Le  truchemen  de  ma  pensée 
Qui  de  long  temps  est  commencée, 
Va  devers  vous,  pour  exposer 
Ce  que  de  bouche  proposer 
A'ofe,  craingnant  d'esire  tancée. 


148  CHARLES    d'oRLÉANS. 

Combien  que  chose  n'a  pensée. 
Dont  deust  estre  desavancée, 
Comme  au  long  vous  pourra  gloser. 
Le  truchemen  de  ma  pensée 
Qui  de  long  temps  est  commencée. 
Va  devers  vous  pour  exposer. 

Si  soit  par  vous  recompensée 
Et  selon  son  cas  avancée, 
Pour  mieulx  se  povoir  disposer; 
Car  plus  ne  pourra  reposer, 
Jusques  sa  joye  ait  prononcée, 
Le  truchemen  de  ma  pensé-'. 


RONDEAU    CXXV. 


Le  truchemen  de  ma  pensée, 
Qui  est  venu  devers  mon  cueur, 
De  par  Reconfort,  son  seigneur, 
Lui  a  une  lettre^apportée. 

Puis  a  sa  créance  contée, 
En  langaige  plain  de  doulceur, 
Le  truchemen  de  ma  pensée, 
Qui  est  venu  devers  mon  cueur. 

Response  ne  lui  est  donnée. 
Pour  le  présent,  c'est  le  meilleur; 
Il  aura,  par  conseil  greigneur, 
Son  ambaxade  despeschée. 
Le  truchemen  de  ma  pensée. 


RONDEAUX.  149 

RONDEAU    GXXVI. 


Le  truchemen  de  ma  pensée, 
Qui  parle  maint  divers  langaige, 
M'a  rapporté  chose  sauvaige 
Que  je  n'ay  point  acoustumée. 

En  françoys  la  m'a  translatée, 
Comme  tressouffisant  et  saige. 
Le  truchemen  de  ma  pensée, 
Qui  parle  maint  divers  langaige. 

Quant  mon  cueur  l'a  bien  escoutée, 
Il  lui  a  dit  :  Vous  faittes  raige, 
Oncques  mais  n'ouy  tel  messaige  ; 
Venez  vous  d'estrange  contrée, 
Le  truchemen  de  ma  pensée? 


RONDEAU    CXXVH. 

J'ayme  qui  m'ayme,  autrement  non; 
Et  non  pour  tant,  je  ne  hay  rien, 
Mais  vouldroye  que  tout  feust  bien, 
A  l'ordonnance  de  Raison. 

Je  parle  trop,  las  !  se  faiz  mon! 
Au  fort,  en  ce  propos  me  tien: 
J'ayme  qui  m'ayme,  autrement  non; 
Et  non  pour  tant,  je  ne  hay  rien. 

De  pensées  son  chapperon 
A  brodé  le  povre  cueur  mien; 
Tout  droit  de  devers  lui  je  vien. 
Et  m'a  baillé  ceste  chançon  : 
J'ayme  qui  m'ayme,  autrement  non. 


l5o  CHARLES    d'oRLÉANS. 


RONDEAU     CXXVIU. 


Comme  le  subgiet  de  Fortune, 
Que  i'ay  esté  en  ma  jeunesse, 
Encores  le  suis  en  vieillesse; 
Vers  moy  la  trouve  tousjours  une. 

Je  suis  ung  de  ceulx,  soubz  la  lune, 
Qu'elle  plus  à  son  vouloir  dresse, 
Comme  le  subgiet  de  Fortune, 
Que  j'ay  esté  en  ma  jeunesse. 

Ce  ne  m'est  que  chose  commune. 
Obéir  fault  à  ma  maistresse  ; 
Sans  machier,  soit  joye  ou  tristesse. 
Avaler  me  fault  ceste  prune. 
Comme  le  subgiet  de  Fortune. 


RONDEAU    CXXIX 

Quelque  chose  derrière. 
Convient  tousjours  rjnrder, 
On  ne  peut  pas  monstrer 
Sa  voulenté  entière. 

Quant  on  est  en  frontier'^ 
De  Dangereux  Parler, 
Quelque  chose  derrière, 
Convient  tousjours  garder 

Se  Pensée  legiere 
Vcult  motz  trop  despenser 
Raison  doit  espargnier. 
Comme  la  tresoriere, 
Quelque  chose  derrière. 


RONDEAUX.  l5l 


RONDEAU  CXXX. 

Ce  qui  m'entre  par  une  oreille, 
Par  l'autre  sault,  comme  est  venu, 
Quant  d'y  penser  n'y  suis  tenu  ; 
Ainsi  Raison  me  le  conseille. 

Se  i'oy  dire  :  vecy  merveille, 
L'ung  est  long,  l'autre  court  vestu  ; 
Ce  qui  m'entre  par  une  oreille, 
Par  l'autre  sault,  comme  est  venu. 

Mais  paine  pert  et  se  traveille. 
Qui  devant  moy  trayne  ung  festu  ; 
Comme  ung  chat,  suis  vieil  et  chenu  ; 
Legierement  pas  ne  m'esveille 
Ce  qui  m'entre  par  une  oreille. 


RONDEAU     CXXXI. 

Que  cuidez  vous  qu'on  verra, 
Avant  que  passe  l'année? 
Mainte  chose  démence 
Estrangement,  çà  et  là. 

Veu  que  des  cy,  et  des  jà. 
Court  merveilleuse  brouée, 
Que  cuidez  vous  qu'on  verra, 
Avant  que  passe  l'année  ? 

"Viengne  que  advenir  pourra! 
Chascun  a  sa  destinée, 
Soit  que  desplaise,  ou  agrée: 
Quant  nouveau  monde  vendra, 
Que  cuidez  vous  qu'on  verra? 


l52  CHARLES     d'oRLÉANS. 

RONDEAU. 

Du  comte  de  Clcnnont. 

De  bien  on  mal,  le  bien  faire  l emporte, 
N'est  il  pas  vray,  ainsi  que  dit  cliascun  ? 
Elas,  ouy,  car  je  n'en  voy  pas  iinij; 
Qid  à  la  fin  d'un  jeu  ne  se  déporte. 

Je  vous  diray,  quant  la  personne  est  morte 
Et  a  bien  fait  :  il  n'a  este  commun. 
De  bien  ou  mal,  le  bien  faire  l'emporte, 
N'est  il  pas  vray,  ainsi  que  dit  cliascun? 

Faisons  le  donc,  nous  trouverons  la  porte 
De  Paradis,  oii  il  n'entre  nesunf^, 
Qiie  peu  ne  soit,  s'il  n'est  trop  importun 
De  prier  Dieu,  et  à  vous  m'en  rapporte. 
De  bien  ou  mal,  le  bien  faire  l'emporte. 

RONDEAU   CXXXII. 

Réponse  du  duc  d'Orléans, 

Quant  oyez  prescher  le  regnart, 
Pensez  de  voz  oyes  garder, 
Sans  à  son  parler  regarder, 
Car  souvent  scet  servir  de  l'art. 

Contrefaisant  le  papelart. 
Qui  scet  ses  paroUes  farder. 
Quant  oyez  prescher  le  regnart, 
Pensez  de  voz  oyes  garder. 

Les  faiz  de  Dieu  je  metz  à  part, 


RONDEAUX.  l53 


Ne  je  ne  les  vueil  retarder, 
Ne  contre  le  monde  darder  ; 
Chascun  garde  son  estendart, 
Quant  oyez  prescher  le  regnart. 


RONDEAU     CXXXIII. 

Pour  le  comte  d'Étampes. 

Je  suis  mieulx  pris  que  par  le  doy, 
Et  fort  enserré  d'un  anneau. 
S'a  fait  ung  visaige  si  beau, 
Qui  m'a  tout  conquesté  à  soy. 

Je  rougis  et  bien  l'aperçoy, 
Ainsi  q'un  amoureux  nou\  eau, 
Je  suis  mieulx  pris  que  par  le  doy, 
Et  fort  enserré  d'un  anneau. 

Et  d'amourettes,  par  ma  foy, 
J'ay  assemblé  ung  grant  fardeau, 
Qu'ay  mussées  soubz  mon  chappeau; 
Pour  Dieu  !  ne  vous  mocquez  de  moy 
Je  suis  mieulx  pris  que  par  le  doy. 


RONDEAU     CXXXIV. 

Marché  nul  autrement 
Avecques  vous,  Beaulté, 
Se  de  vous  Loyaulté 
N'a  le  gouvernement  ! 

Puis  que  mes  jours  despens 
A  vous  vouloir  amer, 
Et  après  m'en  repens, 


I  54  CHARLES     D'ORLÉANS. 

Qui  en  doit  on  blasmer? 

Riens,  fors  vous  seulement, 
A  qui  tiens  féaulté. 
Quant  monstrez  cruaulté, 
Veu  qu'Amour  le  dcffent  ; 
Marché  nul  autrement. 


RONDEAU    CXXXV. 

Las!  le  faut  il?  est  ce  ton  vueil, 
Fortune,  qu'aye  douleur  mainte? 
De  l'ueil  me  soubzris,  mais  c'est  fainte, 
Et  soubz  decepte,  doulx  accueil. 

Ay  je  tort?  quant  reçoy  tel  dueil, 
S'ainsi  je  dy  en  ma  complainte  : 
Las!  le  faut  il?  est  ce  ton  vueil, 
Fortune,  qu'aye  douleur  mainte? 

Tue  moy,  puis  en  mon  sercueil 
Me  boute,  c'est  chose  contrainte; 
Lors  n'y  aura  Dieu,  saint,  ne  sainte, 
Qui  n'apperçoive  ton  orgueil; 
Las!  le  faut  il?  est  ce  ton  vueil? 


RONDEAU. 

Par  Maistre  Jehan  Caillau. 

Las!  le  faut  il?  est  ce  ton  vueil, 
Fortune,  dont  me  plains  et  dueil, 
Que  tout  mon  temps  en  doleur  passe? 
Souffre  que  j'aye  quelque  espasse 
De  repos,  entre  tant  de  dueil. 


RONDEAUX,  !55 

N'auray  je  de  toy  autre  accueil, 
Fors  desdaing,  reprouche  et  orgueil? 
Veux  tu  qu'en  ce  point  je  trespasse? 
Las!  le  fault  il?  est  ce  ton  vueil, 
Fortune,  dont  me  plains  et  dueil, 
Qtie  tout  mon  temps  en  doleur  passe? 

Je  ris  de  bouche,  et  pleure  d  ueil. 
Et  fays  et  dy  ce  que  ne  vueil; 
Ainsi  ma  vie  se  compassé, 
Maleureuse,  chetive  et  lasse, 
En  paine  et  maulx  dont  trop  recueil, 
Las!  le  fault- il?  est  ce  ton  vueil? 


RONDEAU    CXXXVI. 


As  tu  ce  jour  ma  mort  jurée, 
Soussy?  je  te  pri,  tien  te  quoy, 
Car  à  tort  ma  douleur,  par  toy, 
Est  trop  souvent  renouvellée. 

A  belle  enseigne  desployée, 
Me  cours  sus,  et  nesçay  pourquov? 
As  tu  ce  jour  ma  mort  jurée, 
Soussy?  je  te  pri,  tien  te  quoy. 

La  guerre  sera  tost  Hnée, 
Se  tu  veulx,  de  toy  et  de  moy, 
Car  je  me  rens,  or  me  reçoy. 
Hola!  paix,  puisqu'elle  est  criée! 
As  tu  ce  jour  ma  mort  jurée! 


i  56  CHARLES  d'orléans. 


RONDEAU     CXXXVII. 


Ne  fais  je  bien  ma  besoingne? 
Quant  mon  fait  cuide  avancer, 
Je  suis  à  recommancer, 
Et  ne  sçay  comment  m'esloingne. 

Fortune  tousjours  me  groingne, 
Et  ne  t'ait  riens  que  tanser; 
Ne  fais  je  bien  ma  besoingne, 
Quant  mon  fait  cuide  avancer? 

Certes  tant  je  la  ressoingne  ! 
Car  mon  temps  fait  despenser 
Trop,  en  ennuyeux  penser, 
Dont  en  roingeant  mon  frain,  froingne. 
Ne  fais  je  bien  ma  besoingne  ? 


RONDEAU    CXXXVIII. 

Quant  commenceray  à  voler, 
Et  sur  elles  me  sentiray. 
En  si  grant  aise  je  seray 
Que  j'ay  doubte  de  m'essorer. 

Beau  Crier  aura  le  lévrier, 
Chemin  de  Plaisant  Vent  tendray, 
Quant  commenceray  à  voler, 
Et  sur  elles  me  sentiray. 

La  mue  m'a  fallu  garder 
Par  long  temps,  plus  ne  le  feray, 
Puis  que  doulx  temps  et  cler  verra 
On  le  me  devra  pardonner, 
Quand  je  commenceray  à  voler. 


RONDEAUX.  iSj 

RONDEAU     CXXXIX. 


Je  ne  hanis  pour  autre  avoine, 
Que  de  m'en  retourner  à  Blois; 
Trouvé  me  suis  pour  une  fois 
Assez  longuement  en  Touraine. 

J'ay  gale,  à  largesse  plaine, 
Mes  grans  poissons  et  vins  des  Grois, 
Je  ne  hanis  pour  autre  avoine 
Que  de  m'en  retourner  à  Blois. 

A  la  court  plus  ne  prendray  paine, 
Pour  generaulx  et  millenois, 
Confesser  à  présent  m'en  vois 
Contre  la  peneuse  sepmaine. 
Je  ne  hanis  pour  autre  avoine. 


RONDEAU    CXL. 

Je  congnois  assez  telz  debas 
Que  l'ueil  et  le  cueur  ont  entre  eulx. 
L'un  dit  :  Nous  serons  amoureux, 
L'autre  dit  :  Je  ne  le  vueil  pas. 

Raison  s'en  rit,  disant  tout  bas  : 
Escoutez  moy  ces  maleureux  ; 
Je  congnois  assez  telz  debas 
Que  l'ueil  et  le  cueur  ont  entre  eulx. 

Lors  m'en  vois  plustost  que  le  pas, 
Et  les  tanse  si  bien  tous  deux 
Que  je  les  laisse  treshonteux; 
Mainteflfoiz  ainsi  me  combas; 
Je  congnois  assez  telz  debas. 


I  58  CHARLES    d'oRLKANS. 


RONDEAU    CXLI. 

Que  pensé  je?  dittes  le  moy; 
Adevinez,  je  vous  en  prie, 
Autrement  ne  le  saurez  mie; 
Il  y  a  bien  raison  pourquoy. 

A  parler  à  la  bonne  foy, 
Je  vous  en  fais  juge  et  partie  : 
Que  pensé  je?  dittes  le  moy; 
Adevinez,  je  vous  en  prie. 

Vous  ne  saurez,  comme  je  croy; 
Car  heure  ne  suis  ne  demye 
Qu'en  diverse  merencolie; 
Devisez,  je  me  tairay  quoy. 
Que  pensé-je?  dittes  le  moy. 


RONDEAU  CXLH. 

Cueur,  que  fais-tu?  revenge  toy 
De  Soussy  et  Merencolie; 
C'est  deshonneur  et  villenie 
De  laschement  se  tenir  coy. 

Je  t'ayderay,  quant  est  à  moy, 
Voulentiers;  or  ne  te  fains  mie. 
Cueur,  que  fais-tu?  revenge  toy 
De  Soussy  et  Merencolie. 

N'espergne  riens,  scez  tu  pourquoy? 
Pource  qu'abrégeras  ta  vie 
Se  les  tiens  en  ta  compaignie. 
Desconfiz  les  et  prens  leur  foy. 
Cueur,  que  fais  tu?  revenge  toy. 


RONDEAUX.  l5q 

RONDEAU    CXLIII. 

Plaindre  ne  s'en  doit  Loyal  Cueur, 
S'Amours  a  servy  longuement, 
Recevant  des  biens  largement 
Et  pareillement  de  douleur. 

N'est  ce  raison  que  le  seigneur 
Ait  tout  à  son  commandement! 
Plaindre  ne  s'en  doit  Loyal  Cueur, 
S'amours  a  servy  longuement. 

Se  plus  a  desservi  Doulceur 
Que  ne  trouve  à  son  jugement, 
En  gré  prengne  pour  payement 
Moins  de  proutit  et  plus  de  honneur. 
Plaindre  ne  s'en  doit  Loyal  Cueur. 

RONDEAU    CXLIV. 

Par  les  portes  des  yeulx  et  des  oreilles, 
Que  chascun  doit  bien  saigement  garder, 
Plaisir  Mondain  va  et  vient,  sans  cesser, 
Et  raporte  de  diverses  merveilles. 

Pourcc,  mon  cueur,  s'a  Raison  te  conseilles, 
Ne  le  laisses  point  devers  toy  entrer 
Par  les  portes  des  yeulx  et  des  oreilles, 
Que  chascun  doit  bien  saigement  garder. 

A  celle  fin  que  par  lui  ne  t'esveilles, 
Veu  qu'il  te  fault  désormais  reposer, 
Dy  lui  :  Va  t'en,  sans  jamais  retourner. 
Ne  revien  plus,  car  en  vain  te  traveilles 
Par  les  portes  des  yeulx  et  des  oreilles. 


CllARL-îS    d'oRL^AN!». 


RONDEAU    CXLV. 


En  faittes  vous  doubtc? 
Point  ne  le  devez, 
Veu  que  vous  savez 
Ma  pensée  toute. 

Quant  mon  cueur  s'y  boute. 
Et  vostre  l'avez, 
En  faittes  vous  doubte? 
Point  ne  le  devez. 

Dangier  nous  escoute, 
Sus,  tost  achevez, 
Ma  foy  recevez, 
Jà  ne  sera  route; 
En  faittes  vous  doubte? 


RONDEAU     CXLVI. 

En  faittes  vous  doubte 
Que  vostre  ne  soye? 
Se  Dieu  me  doint  joye 
Au  cueur,  si  suis  toute. 

Rien  ne  m'en  déboute, 
Pour  chose  que  j'oye. 
En  faittes  vous  doubte 
Que  vostre  ne  soye? 

Dangier  et  sa  route 
S'en  voisent  leur  voye, 
Sans  que  plus  les  voye  ! 
Tousjours  il  m'escoute, 
En  faittes  vous  doubte? 


RONDEAUX.  loi 


RONDEAU    CXLVlI. 


A  qui  les  vent  on 
Ces  gueines  dorées? 
Sont  elz  achettées 
De  nouvel,  ou  non? 

Par  prest,  ou  par  don 
En  idit  on  livrées? 
A  qui  les  vent  on 
Ces  gueines  dorées? 

Alant  au  pardon, 
Je  les  ay  trouvées; 
De  telles  denrées, 
C'est  petit  guerdon. 
A  qui  les  vent  on? 


RONDEAU    CXLVIII. 

A  qui  vendez  vous  vos  coquilles 
Entre  vous,  amans  pèlerins? 
Vous  cuidez  bien,  par  voz  engins, 
A  tous  pertuis  trouver  chevilles. 

Sont  ce  coups  d'esteufs,  ou  de  billes 
Que  ferez  tesmoing  voz  voisins? 
A  qui  vendez  vous  voz  coquilles 
Entre  vous,  amans  pèlerins  ? 

On  congnoist  tous  voz  tours  d'estrilles 
Et  bien  clerement  voz  latins  ; 
Trotez,  reprenez  voz  patins, 
Et  troussez  voz  sacs  et  voz  quilles; 
A  qui  vendez  vous  voz  coquilles! 

CHARLES   D'oRIÉANS.    II.  II 


\^2  CHARLES    d'ORLÉANS. 


RONDEAU    CXLIX. 


Avez  vous  dit!  laissez  me  dire, 
Amans  qui  devisez  d'Amours: 
Sainte  Marie!  que  de  jours 
J'ay  despenduz  en  martire! 

Vous  mocquez  vous?  je  vous  voy  rire, 
Guidez  vous  qu'il  soit  le  rebours  ? 
Avez  vous  dit  !  laissez  me  dire, 
Amans  qui  devisez  d'Amours. 

Parler  n'en  puis  que  ne  souppire  ; 
Raconter  vous  y  sçay  cent  tours 
Qu'on  y  a,  sans  joyeulx  secours, 
S'au  vray  m'en  voulez  ouïr  lire  : 
Avez  vous  dit  !  laissez  me  dire. 


RONDEAU    CL. 

Pource  qu'on  jouxte  à  la  quintaine 
A  Orléans,  je  tire  à  Blois  ; 
Je  me  sens  foulé  du  harnois. 
Et  veulx  reprendre  mon  alaine. 

Raisonnable  cause  m'y  maine, 
Excusé  soye  ceste  fois, 
Pource  qu'on  jouxte  à  la  quintaine 
A  Orléans,  je  tire  à  Blois. 

Je  vous  prometz  que  c'est  grant  paine 
De  tant  faire  u  baille  lui  bois;  » 
Eslongner  quelque  part  du  mois. 
Vault  mieulx,  pour  avoir  teste  saine, 
Pource  qu'on  jouxte  à  la  quintaine. 


RONDEAUX.  l63 


RONDEAU    CLI. 

Envoyez  nous  ung  doulx  regart 
Qui  nous  conduie  jusqu'à  Blois. 
Nous  le  vous  rendrons  quelque  fois, 
Quoy  que  l'atente  nous  soit  tart. 

Puis  qu'en  emportez  l'estandart 
De  la  Doulceur,  que  bien  congnois, 
Envoyez  nous  ung  doulx  regart 
Qui  nous  conduie  jusqu'à  Blois. 

Et  pry  Dieu  que  toutes  vous  gart, 
Et  vous  doint  bons  jours,  ans  et  mois, 
A  voz  désirs,  vouloirs  et  chois  ; 
Acquittez  vous  de  vostre  part  : 
Envoyez  nous  ung  doulx  regart. 


RONDEAU. 

Par  le  comte  de  Nevers. 

En  la  forest  de  Longue  Attente, 
Mainte  personne  bien  joyeuse 
S'est  trouvée  moult  doloreuse. 
Triste,  marrie  et  bien  dolente. 

D'y  estre,  nul  ne  s' entaient e ; 
La  demeure  est  trop  ennuyeuse, 
En  la  forest  de  Longue  Attente, 
Mainte  personne  bien  joyeuse. 

Chascun  qui  pourra,  s'en  abscente. 
Car  l'entrée  en  est  périlleuse, 
Et  l'issue  fort  dangereuse; 
Pas,  de  cent,  ung  ne  se  contente 
En  la  forest  de  Longue  Attente. 


104  CHARLES    D    ORLEANS. 

RONDEAU    CLIL 

Par  le  duc  d'Orldans. 

En  la  forcst  de  Longue  Attente, 
Par  vent  de  Fortune  Dolente, 
Tant  y  voy  abatu  de  bois 
Que,  sur  ma  foy,  je  n'y  congnois 
A  présent  ne  voye,  ne  sente. 

Pieçà,  y  pris  joyeuse  rente, 
Jeunesse  la  payoit  contente. 
Or  n'y  ay  qui  vaille  une  nois, 
En  la  forest  de  Longue  Attente, 
Par  vent  de  Fortune  Dolente, 
Tant  y  voy  abatu  de  bois  ! 

Vieillesse  dit,  qui  me  tourmente  î 
Pour  toy  n'y  a  pesson,  ne  vente, 
Gomme  tu  as  eu  autreffoiz; 
Passez  sont  tes  jours,  ans  et  mois; 
Souffize  toy  et  te  contente, 
En  la  forest  de  Longue  Attente. 

RONDEAU. 

Par  madame  d'Orléans. 

En  la  forest  de  Longue  Attente, 
Entrée  suis  en  une  sente, 
Dont  oster  je  ne  puis  mon  cueur, 
Pourquoy  je  vi^  en  grant  langueur 
Par  Fortune  qui  me  tourmente. 

Souvent  Espoir  chascun  contente. 


RONDEAUX.  l65 

Excepté  moi,  povre  dolente. 
Qui,  niiyt  et  jour,  suis  en  doleur  ; 
En  laforest  de  Longue  Attente, 
Entrée  suis  en  une  sente 
Dont  osterje  ne  puis  mon  ciieur. 

Ay  je  donc  tort  se  me  garmente 
Plus  que  nulle  qui  soit  vivente? 
Par  Dieu,  nennil,  veu  mon  maleur; 
Car,  ainsi  m'aist  mon  Créateur 
Qii'il  n'est  paine  que  je  ne  sente 
En  laforest  de  Longue  Attente. 


RONDEAU 

Par  Frédet. 

En  la  for  est  de  Longue  Attente, 
Des  brigans  de  Soussi  bien  trente 
Helas!  ont  pris  mon  povre  cueur  ; 
Et  Dieu  scet  se  c'est  grant  orreur 
De  veoir  comment  on  le  tourmente. 

Priant  vostre  aide,  se  lamente 
Pource  que  chascun  d'eulx  se  vente 
Qu'il^  le  merront  à  leur  Seigneur. 
En  laforest  de  Longue  Attente, 
Des  brigans  de  Soussi  bien  trente, 
Helas!  ont  pris  mon  povre  cueur. 

Et  pource,  à  vous  il  s'en  garmente. 
Car  il  voit  bien  qu'ilcf  ont  entente 
De  lui  faire  tant  rigueur 
Qu'il  ne  sera  mal,  ne  doleur, 
Se  n'y  pourvoye:[,  qu'il  ne  sente 
En  la  forest  de  Longue  Attente. 


l66  CHARLES    d'ORLÉANS. 

RONDEAU    CLIII. 

Réponse  du  duc  d'Orléans. 

En  la  forest  de  Longue  Attente, 
Forvoyc  de  joyeuse  sente 
Parla  guide  Dure  Rigueur, 
A  esté  robbé  vostre  cueur, 
Comme  j'entens,  dont  se  lamente. 

Par  Dieu!  j'en  congnois  plus  de  trente 
Qui,  chascun  d'eulx,  sans  que  s'en  vente, 
Est  vestu  de  vostre  couleur, 
En  la  tbrest  de  Longue  Attente, 
Forvoyé  de  joyeuse  sente. 

Et  en  briefz  motz,  sans  que  vous  mente, 
Soiez  seur  que  je  me  contente, 
Pour  allegier  vostre  douleur, 
De  traitter  avec  le  seigneur 
Qui  les  brigans  soustient  et  hente 
En  la  torest  de  Longue  Attente. 

RONDEAU. 

Par  messire  Philippe  Pot. 

En  la  forest  de  Longue  Attente 
Où  mainte  personne  est  dolente, 
Espoir  me  promist  de  donner, 
Se  bien  vouloye  cheminer, 
Ce  qui  tous  amoureux  contente. 


RONDEAUX.  167 

Tay  tout  mis,  cueiir,  corps  et  entente 
A  traverser  chemin  et  sente 
Pour  cuider  ce  grant  bien  trouver  ; 
En  la  forest  de  Longue  Attente 
Oii  mainte  personne  est  dolente, 
Espoir  ?ne  promist  de  donner. 

Mais  d'une  chose  je  me  vente 
Que  fay  eu  tous  les  jours  de  rente, 
Pour  ma  queste  parachever, 
Paine  et  Ennuy,  sans  conquester 
Riens,  si  non  Dueil  qui  me  tourmente, 
En  la  forest  de  Longue  Attente. 


RONDEAU 

Par  Antoine  de  Lussay. 

En  la  forest  de  Longue  Attente 
Oii  les  contentés  Dieu  contente, 
Je  vous  asseure,  sur  ma  foy, 
Que  je  n'y  ay  eu,  tant  soit  poy, 
Joye,  ne  bien  dont  je  me  sente. 

Pense^  se  ma  vie  est  dolente, 
Veu,  qu'ainsi  soit,  je  me  garmenîe 
Et  que  nul  bien  n'y  a  pour  moi 
En  la  forest  de  Longue  Attente 
OU.  les  contentés  Dieu  contente. 

Au  fort,  d'une  chose  me  vante. 
Se  je  ne  faulx  en  mon  entente. 
Ou  se  la  mort  brief  ne  reçoy. 
Que  je  y  auray,  save:^  vous  quoyf 
Aucun  plaisir  qui  vauldra  rente. 
En  la  forest  de  Longue  Attente. 


l68  CHAULES    d'oRLÉANS. 

RONDEAU. 
Par  Guiot  Pot. 


En  laforest  de  Longue  Attente, 
Jà  pieçà,  fus  en  une  sente, 
Là  oUj'ay  esgaré  mon  cueur, 
Mais  y  souffrit  tant  de  douleurs 
Que  tousjours  convient  que  s'en  sente. 

Depuis,  tousjours  tant  fort  lamente. 
Par  Fortune  qui  le  tourmente. 
Qu'il  fault  qu'il  vive  en  grant  langueur. 
En  laforest  de  Longue  Attente, 
Ja  pieçà,  fus  en  une  sente. 

Mais,  s'il  eschappe,  bien  se  vente 
Qu'il  gardera  qu'on  ne  le  tente 
Par  Beau  Parler,  ne  par  Rigueur; 
Car  chascun  se  doit  tenir  seur 
Que  l'on  fault  bien  à  son  entente 
En  laforest  de  Longue  Attente. 


RONDEAU. 

Par  Gilles  des  Ormes. 


En  la  for  est  de  Longue  Attente, 
Mon  povre  cueur  tant  se  garmente 
D'en  saillir  par  aucune  voye. 
Qu'il  ne  lui  semble  pas  qu'il  voye 
Jamais  la  fin  de  son  entente. 


RONDEAUX.  l6g 

Deconfort  le  tient  en  sa  tente, 
Qui  par  telle  façon  le  tente 
Qiie  j'ay  paour  qu'il  ne  le  forvoye, 
En  laforest  de  Longue  Attente. 

Espoir  en  riens  ne  le  contente, 
Comme  il  souloit,  pour  quoy  dolente 
Sera  ma  vie,  oii  que  je  soye, 
Et  si  auray,  en  lieu  de  joye, 
Dueil  et  Soussi  tousjours  de  rente. 
En  laforest  de  Longue  Attente. 


RONDEAU. 

Par  Jacques  bâtard  de  la  Trémoille 


En  laforest  de  Longue  Attente 
J'ay  couru,  l'année  présente, 
Tant  que  la  saison  a  duré. 
Mais  j'ay  esté  plus  maleuré 
Qiie  homme  qui  vive,  je  m'en  vente. 

La  haye  fut  garnie  de  tente, 
Et  fis  ma  queste  belle  et  gente, 
Suivant  les  chiens,  Je  m'esgare 
En  la  for  est  de  Longue  Attente  ; 
J'ay  couru,  l'année  présente. 
Tant  que  la  saison  a  duré. 

Je  cours,  je  corne,  je  tourmente  ; 
En  traversant,  sans  trouver  sente, 
Me  trouvay  tresfort  enserré, 
Tout  seul  presque  désespéré; 
Cuiday  mourir  des  foi^  soixante. 
En  laforest  de  Longue  Attente. 


170  CHARLES    D    ORLEANS. 


RONDEAU    CLIV. 

Des  arrérages  de  Plaisance, 
Dont  trop  endebté  m'est  Espoir, 
Se  quelque  part  j'en  peusse  avoir, 
Du  surplus  donnasse  quictance. 

Mais  au  pois  et  à  la  balance 
N'en  puis  que  bien  peu  recevoir 
Des  arrérages  de  Plaisance, 
Dont  trop  endebté  m'est  Espoir. 

Usure  ou  perte  de  chevance 
Mettroye  tout  à  non  chaloir. 
Se  je  savoye,  à  mon  vouloir, 
Recouvrer  prestement  finance 
Des  arrérages  de  Plaisance. 


RONDEAU    CLV. 

Rescouez  ces  deux  povres  yeulx 
Qui  tant  ont  nagé  en  Plaisance 
Qu'ilz  se  nayent  sans  recouvrance; 
Je  les  tiens  mors  ou  presque  tieulx. 

Vidés  les  tost,  se  vous  aist  Dieux, 
En  la  sentine  d'Alegence; 
Rescouez  ces  deux  povres  yeulx 
Qui  tant  ont  nagé  en  Plaisance. 

Courez  y  tous,  jeunes  et  vieulx. 
Et  à  cros  de  bonne  Espérance, 
De  les  tirer  hors  qu'on  s'avance! 
Chascun  y  face  qui  mieulx,  mieulx  î 
Rescouez  ces  deux  povres  yeulx! 


RONDEAUX.  171 


RONDEAU     CLVI. 

A  recommencer  de  plus  belle, 
J'en  voy  jà  les  adjournemens 
Que  font,  vers  vieulx  et  jeunes  gens, 
Amours  et  la  saison  nouvelle. 

Chascun  d'eulx,  aussi  bien  lui  qu'elle, 
Sont  tous  aprestés  sur  les  rens 
A  recommencer  de  plus  belle  ; 
J'en  voy  jà  les  adjournemens. 

Comme  toute  la  chose  est  telle, 
Je  congnois  telz  esbatemens 
Assez,  de  pieçà  m'y  entens. 
Ce  n'est  que  ancienne  querelle 
A  recommencer  de  plus  belle. 


RONDEAU    CLVII. 

Ainsi  doint  Dieux  à  mon  cueur  joye, 
En  ce  que  souhaidier  vouldroye, 
Et  à  mon  penser  Reconfort, 
Comme  voulentiers  prisse  accort 
A  Soussy  qui  tant  me  guerroyé. 

Mais  remède  n'y  trouveroye. 
Et  qui  pis  est,  je  n'oseroye 
Descouvrir  les  maulx  qu'ay  à  tort  ; 
Ainsi  doint  Dieux  à  mon  cueur  joye, 
En  ce  que  souhaidier  vouldroye. 
Et  à  mon  penser  Reconfort. 

Quant  je  lui  dy  :  Dieu  te  convoyé, 
Laisse  m'en  paix,  va  t'en  tavoye; 


172  CHARLES    d'oRLÉANS. 

Par  ton  enchantement  et  sort 
Gueres  mieulx  ne  vault  vif  que  mort, 
Je  languis  quelque  part  que  soye; 
Ainsi  doint  Dieux  à  mon  cueur  joyel 


RONDEAU    CLVIII. 


Se  vous  voulez  m'amour  avoir 
A  tousjours  mais,  sans  départir, 
Pensez  de  faire  mon  plaisir, 
Et  jamais  ne  me  décevoir. 

Bientost  sauray  apparcevoir, 
Au  paraler,  vostre  désir, 
Se  vous  voulez  m'amour  avoir 
A  tousjours  mais,  sans  départir. 

Assez  biens  povez  recevoir, 
S'en  vous  ne  tient;  sans  y  faillir. 
Vous  estes  près  d'y  avenir. 
Faisant  vers  moy  léal  devoir, 
Se  vous  voulez  m'amour  avoir. 


RONDEAU    CLIX. 


Maudit  soit  mon  cueur,  se  j'en  mens! 
Quant  à  mon  lesir  estre  puis 
Et  avecques  Pensée  suis. 
En  mes  maulx  prens  alegemens. 

Car  Soussy  plain  d'encombremens 
Boutons  hors  et  lui  fermons  l'uis! 
Maudit  soit  mon  cueur,  se  j'en  mens! 
Quant  à  mon  lesir  estre  puis. 


RONDEAUX.  173 

Assez  y  trouve  esbatement, 
Lors  lui  dy  :  Ma  maistresse,  et  puis 
Serons  nous  ainsi  jours  et  nuis  ? 
G'y  donne  mes  consentemens, 
Maudit  soit  mon  cueur,  se  j'en  mens  ! 


RONDEAU. 

(Par  Fredet.) 

Tattens  l'aitmosne  de  Doiilceur, 
Par  l'aumosnier  de  Doulx  Regart  ; 
Espoir  m'a  promis  de  sa  part 
Qu'il  me  fera  toute  faveur . 

En  espérant  que  ma  langueur 
Cessera,  qui  tant  tnon  cueur  art, 
J'attens  l'aumosne  de  Doulceur, 
Par  l'aumosnier  de  Doulx  Regart. 

Car,  comme  léal  serviteur, 
J'ay  servy  tousjours  main  et  tart; 
Pensant  qu'Amours  aura  regart 
Qiielquefoi-j  à  ma  grant  douleur, 
J'attens  l'aumosne  de  Doulceur. 


RONDEAU    CLX. 

Par  l'aumosnier,  Plaisant  Regart, 
Donnez  l'aumosne  de  Doulceur 
A  ce  povre  malade  cueur 
Du  feu  d'Amours,  dont  Dieu  nous  gart. 

Nuit  et  jour,  sans  cesser,  il  art; 
Secourez  le,  pour  vostre  honneur  ; 


174  CHARLES    d'oRLÉANS. 

Par  î'aumosnier,  Plaisant  Regart, 
Donnez  l'aumosne  de  Doulceur. 

S'il  vous  plaisoit,  de  vostre  part, 
Prier  Amours  qu'en  sa  langueur, 
Pourvoyent,  à  vostre  faveur, 
Aidié  sera  plus  tost  que  tart, 
Par  l'aumosiiier,  Plaisant  Regart. 


RONDEAU    CLXI. 

En  la  querelle  de  Plaisance, 
J'ay  veu  le  rencontre  des  yeulx 
Qui  estoient,  ainsi  m'aid  Dieux, 
Tous  prestz  de  combatre  à  oultrance. 

Rangez  par  si  belle  ordonnance 
Qu'on  ne  sauroit  deviser  mieulx, 
En  la  querelle  de  Plaisance, 
J'ay  veu  le  rencontre  des  yeulx. 

S'Amours  n'y  mettent  pourvéance, 
De  pieçà  je  les  congnois  tieulx 
Qu'au  derrenier,  jeunes  ou  vieulx. 
Mourront  tous,  par  leur  grant  vaillance, 
En  la  querelle  de  Plaisance. 


RONDEAU    CLXII. 

De  la  maladie  des  yeulx 
Feruz  de  pouldre  de  Plaisir, 
Par  le  vent  d'Amoureux  Désir, 
Est  fort  à  guérir,  se  m'aid  Dieux. 

Toutes  gens,  et  jeunes,  et  vieulx, 
S'en  scevent  bien  à  quoy  tenir 


RONDEAUX.  175 

De  la  maladie  des  yeulx 
Feruz  de  pouldre  de  Plaisir. 

Je  n'y  congnois  remèdes  tieulx 
Que  hors  de  presse  soy  tenir 
Et  la  compaignie  fuir; 
Qui  plus  en  saura,  die  mieulx 
De  la  maladie  des  yeulx. 


RONDEAU    CLXIII. 

Ce  n'est  que  chose  acoustumée, 
Quant  Soussy  voy  vers  moy  venir, 
Se  tost  ne  lui  venoye  ouvrir, 
11  romproit  l'uis  de  ma  Pensée. 

Lors  fait  d'escremie  levée, 
Et  puis  vient  mon  cueur  assaillir. 
Ce  n'est  que  chose  acoustumée. 
Quant  Soussy  voy  vers  moy  venir. 

Adonc  prent  d'Espoir  son  espée 
Mon  cueur  pour  des  coups  soy  couvrir 
Et  se  deffendre  et  garentir; 
Ainsi  je  passe  la  journée, 
Ce  n'est  que  chose  acoustumée. 


RONDEAU    CLXIV. 

Par  m'ame,  s'il  en  fust  en  moy, 
Soussy,  Dieu  scet  que  je  teroye! 
Moy  et  tous,  de  toy  vengeroye  ; 
Il  y  a  bien  raison  pourquoy. 

Riens  ne  dy  qu'ainsi  que  je  doy, 
Et  telle  est  la  voulenté  moye. 


176  CHAULES  d'ori.k.vns. 

Par  m'ame,  s'il  en  fust  en  moy, 
Soussy,  Dieu  scet  que  je  fcroye! 

Ung  chascun  se  complaint  de  toy, 
Pource,  voulentiers  fin  prcndroye 
Avec  toy,  se  je  povoye; 
Je  n'y  vois  qu'à  la  bonne  foy, 
Par  m'arae,  s'il  en  fust  en  mo/. 


RONDEAU    CLXV. 

Chascun  devise  à  son  propos, 
Quant  à  moi,  je  suis  loing  du  mien, 
Mais  mon  cueur  en  espoir  je  tien 
Qu'il  aura  une  foiz  repos. 

Souvent  dit,  me  tournant  le  dos 
Je  double  que  n'en  sera  rien. 
Chascun  devise  à  son  propos, 
Quant  à  moy,  je  suis  loing  du  mien. 

Tenez  Fuis  de  Pensée  clos, 
Faittes  ainsi  pour  vostre  bien  ; 
Soussy  vous  vouldroit  avoir  sien, 
Ne  croyez,  n'escoutez  ses  mos; 
Chascun  devise  à  son  propos. 


RONDEAU     CLXVI. 

Ennemy,  je  te  conjure, 
Regart,  qui  aux  gens  cours  sus; 
Vieillars  aux  mentons  chanus, 
Dont  suis,  n'avons  de  toy  cure. 

Jeune,  navré  de  blesseure 
Fu  par  toy,  n'y  reviens  plus, 


RONDEAUX.  177 

Ennemy,  je  te  conjure, 
Regart,  qui  aux  gens  cours  sus. 

Va  quérir  ton  avanture 
Sus  amans  nouveaulx  venus; 
Nous  vieuli-,  avons  obtenus 
Saufconduitz,  de  par  Nature; 
Ennemy,  je  te  conjure. 

RONDEA.U     CLXVII. 

Mon  cueur  se  plaint  qu'il  n'est  payé 
De  ses  despens,  pour  son  traveil 
Qu'il  a  porté,  si  nompareil 
Qu'oncques  tel  ne  fut  essayé. 

Son  payement  est  délayé 
Trop  longtemps;  sur  ce,  quel  conseil? 
Mon  cueur  se  plaint  qu'il  n'est  payé 
De  ses  despens  pour  son  traveil. 

Puis  qu'il  n'est  de  gaiges  rayé 
Mais  prest  en  loyal  appareil 
Autant  que  nul  soubz  le  souleil, 
Se  mieulx  ne  peut,  soit  deffrayé; 
Mon  cueur  se  plaint  qu'il  n'est  payé. 


RONDEAU     CLXVIII. 

Ou  Loyaulté  me  payera 
Des  services  qu'ay  faiz  sans  faindue, 
Ou  j'auray  cause  de  me  plaindre, 
Qui  mon  gueredon  délayera. 

Bon  Droit  pour  moy  tant  criera 
Qu'aux  cieulx  fera  sa  voix  attaindre, 

CHARLES    DORLÉANS.    II.  I 


178  CHARLES    d'ORLÉANS. 

Ou  Loyaultc  me  payera 

Des  services  qu'ay  faiz  sans  faindre. 

Quant  Fortune  s'effrayera, 
Dieu  a  povoir  de  la  rcffraindre, 
Et  Raison,  qui  ne  doit  riens  craindre, 
De  moy  aider  s'essayera. 
Ou  Loyaulté  me  payera. 


RONDEAU    CLXIX. 

Mon  cueur,  n'entreprens  trop  de  choses; 
Tu  peus  penser  ce  que  tu  veulz, 
Et  faire  selon  que  tu  peutz, 
Et  dire  ainsi  comme  tu  oses. 

Qui  vouldroit  sur  ce  trouver  gloses, 
Je  m'en  rapporteray  à  eulx. 
Mon  cueur,  n'entreprens  trop  de  choses,  -^ 
Tu  peus  penser  ce  que  tu  veulz. 

Se  ces  raisons  garder  proposes, 
Tu  feras  bien,  par  mes  conseulz; 
Laisse  les  embesoignez  seulz, 
Il  est  temps  que  tu  te  reposes, 
Mon  cueur,  n'entreprens  trop  de  choses. 


RONDEAU     CLXX. 

Ostez  vous  de  devant  moy, 
Beaulté,  par  vostre  serment, 
Car  trop  me  temptez  souvent  ; 
Tort  avez,  tenez  vous  quoy. 

Toutes  les  foiz  que  vous  \oy, 
Je  suis  je  ne  sçay  comment; 


RONDEAUX.  179 

Ostez  VOUS  de  devant  moy, 
Beaulté,  par  vostre  serment. 
Tant  de  plaisirs  j'apperçoy 
En  vous,  à  mon  jugement, 
Qu'ilz  troublent  mon  pensement, 
Vous  me  grevez,  sur  ma  foy  ; 
Ostez  vous  de  devant  moy. 


RONDEAU     CLXXI. 

Comment  ce  peut  il  faire  ainsi 
En  une  seule  créature, 
Que  tant  ait  des  biens  de  nature, 
Dont  chascun  en  est  esbahy  ! 

Oncques  tel  chief  d'œuvre  ne  vy 
Mieulx  acomply,  oultre  mesure  ; 
Comment  ce  peut  il  faire  ainsi 
En  une  seule  créature! 

Mes  yeulx  cuiday  qu'eussent  manty, 
Quant  apportèrent  sa  figure 
Devers  mon  cueur,  en  pourtraiture; 
Mais  vray  tut  et  plus  que  ne  dy. 
Comment  ce  peut  il  faire  amsi  I 


RONDEAU    CLXXII. 

Plaisant  Regard,  mussez  vous, 
Ne  vous  monstrez  plus  en  place, 
Mon  cueur  craint  vostre  menace, 
Dont  mainteffoiz  l'ay  rescous. 

Vostre  attrait  soubtil  et  doulx 
Blesse  sans  qu'on  lui  mefface. 


l8o  CHARLES    d'oRLÉANS. 

Plaisant  Regard,  mussez  vous, 
Ne  vous  monstrez  plus  en  place 

Se  dittes  :  Je  fais  à  tous 
Ainsi,  car  je  m'y  solace; 
A  tort,  sauve  vostre  grâce  ; 
Ne  devez  donner  courrons; 
Plaisant  Regard,  mussez  vous. 


RONDEAU     CLXXIII. 

Je  ne  vous  voy  pas  à  demy, 
Tant  ay  mis  en  vous  ma  plaisance, 
Tousjours  m'estes  en  souvenance. 
Puis  le  temps  que  premier  vous  vy. 

Assez  ne  puis  estre  esbahy 
Dont  vient  si  ardent  desirance. 
Je  ne  vous  voy  pas  à  demy, 
Tant  ay  mis  en  vous  ma  plaisance. 

Fin  de  compte,  puisqu'est  ainsi. 
Fermons  nos  cueurs  en  aliance  ; 
Quant  plus  ay  de  vous  acointance, 
Plus  suis,  ne  sçay  comment,  ravy; 
Je  ne  vous  voy  pas  à  demy. 


RONDEAU    CLXXIV. 

Ne  m'en  racontez  plus,  mes  yeulx, 
De  Beaulté  que  vous  prisez  tant. 
Car  plus  voys  ou  monde  vivant. 
Et  moins  me  plaist,  ainsi  m'aist  Dieux. 

Trouver  je  ne  me  sçay  en  lieux 
Qu'il  m'en  chaille,  ne  tant  ne  quant. 


RONDEAUX.  l8l 

Ne  m'en  racontez  plus,  mes  yeulx, 
De  Beaulté  que  vous  prisez  tant. 

Qu'est  ce  cy?  deviens  je  des  vieulx? 
Ouy  certes,  dorénavant; 
J'ay  fait  mon  Karesme  Prenant, 
Et  jeusne  de  tous  plaisirs  tieulx. 
Ne  m'en  racontez  plus,  mes  yeulx. 


RONDEAU    CLXXV, 

Si  hardiz,  mes  yeulx, 
De  riens  regarder 
Qui  me  puist  grever, 
Qu'en  valez  vous  mieulx? 

Estroit,  se  m'aist  Dieux, 
Vous  pense  garder, 
Si  hardiz,  mes  yeulx, 
De  riens  regarder. 

Vous  devenez  vieulx, 
Et  tousjours  troter 
Voulez,  sans  cesser  ; 
Ne  soyez  plus  tieulx. 
Si  hardiz,  mes  yeulx  ! 


RONDEAU     CLXXVI. 

Mon  cueur,  pour  vous  en  garder, 
De  mes  yeux  qui  tant  vous  temptent 
Afin  que  devers  vous  entrent, 
Faittes  les  portes  fermer. 

S'ilz  vous  viennent  raporter 
Nouvelles,  pensez  qu'ilz  mentent, 


CHARLES     D    ORLEANS. 

Mon  cueur,  pour  vous  en  garder, 
De  mes  yeux  qui  tant  vous  tcmptent. 

Mensonges  scevent  conter 
Et  trop  de  Plaisir  se  ventent, 
Folz  sont  qui  en  eulx  s'atendent, 
Ne  les  vueillez  escouter, 
Mon  cueur,  pour  vous  en  garder. 


RONDEAU    CLXXVII. 

N'est  ce  pas  grant  trahison 
De  mes  yeulx  en  qui  me  fye, 
Qui  me  conseillent  folie 
Maintes  foys,  contre  raison! 

Que  maie  part  y  ait  on 
D'eulx  et  de  leur  tromperie  ! 
N'est  ce  pas  grant  trahison 
De  mes  yeulx  en  qui  me  fye! 

Mieulx  me  fust  en  ma  maison 
Estre  seul  à  chiere  lye. 
Qu'avoir  telle  compaignie 
Qui  me  bat  de  mon  baston; 
N'est  ce  pas  grant  trahison  1 


RONDEAU     CLXXVITI. 

Rendez  compte,  Vieillesse, 
Du  temps  mal  despendu 
Et  sotement  perdu 
Es  mains  dame  Jeunesse. 

Trop  vous  court  sus  Foiblesse; 
Qu'est  Povoir  devenu  ? 


RONDKAUX.  l83 

Rendez  compte,  Vieillesse. 

Mon  bras  en  l'arc  se  blesse, 
Quant  je  l'ay  estendu; 
Parquoy  j'ay  entendu 
Qu'il  convient  que  jeu  cesse; 
Rendez  compte,  Vieillesse. 

Tout  vous  est,  en  destresse, 
Désormais  chier  vendu  ; 
Rendez  compte.  Vieillesse. 

Des  trésors  de  Liesse 
Vous  sera  peu  rendu, 
Riens  qui  vaille  ung  festu  ;    ' 
N'avez  plus  que  Sagesse; 
Rendez  compte,  Vieillesse. 


RONDEAU. 

Par  le  seigneur  de  Torcy. 


Mais  que  mon  mal  si  ne  m'empire^ 
Je  suis  en  bon  point,  Dieu  mercjr, 
Ne  n'ay  ne  douleur,  ne  soucy 
De  chose  que  on  me  puisse  dire. 

Plus  ne  me  plains,  plus  ne  souspire. 
Je  men^ue  et  dors  bien  aussi. 
Mais  que  mon  mal  si  ne  m'empire. 
Je  suis  en  bon  point.  Dieu  mercy. 

Pleurer  souloye  en  lieu  de  rire. 
En  requérant  grâce  et  mercy  ; 
Maintenant  ne  fais  plus  ainsi, 
Car  je  ne  crains  point  l'escondire. 
Mais  que  mon  mal  si  ne  m'empire. 


184  CHARLES    d'oRLICANS. 


RONDEAU     CLXXIX. 

Mats  que  mon  propos  ne  m'enipire, 
Il  ne  me  chault  des  taiz  d'Amours, 
Voisent  à  droit,  ou  à  rebours, 
Certes  je  ne  m'en  fais  que  rire. 

En  ne  peut  de  riens  m'escondire, 
Aide  ne  requiers,  ne  secours  ! 
Mais  que  mon  propos  ne  m'empire, 
Il  ne  me  chault  des  faiz  d'Amours. 

Quant  j'oy  ung  amant  qui  souspire, 
A,  ha  !  dis  je,  vêla  des  tours 
Dont  usay  en  mes  jeunes  jours. 
Plus  n'en  vueil,  bien  me  doit  souffire, 
Mais  que  mon  propos  ne  m'empire. 

RONDEAU. 

Du  comte  de  Clermont. 

J'amasse  ung  trésor  de  regre^ 
Que  ma  tant  ame'e  m' envoyé. 
Mais  jusqu'à  ce  que  je  la  voye 
Ne  partiront  de  mes  secre^. 

La  cause  pourquoy  je  les  celle, 
Ses  griefs  maulx  qui  me  font  mourir? 

C'est  pour  garder  l'onneur  de  celle 
Qui  ne  me  daigne  secourir. 

Plus  l'eslongne,  plus  d'elle  est  près 
Mo7i  cueur,  dont  mt)n  povre  œil  lermoye 
Il  n'est  point  doleur  que  la  moye, 
Car  quant  j'ay  assej  plaint,  après 
J'amasse  ung  trésor  de  regre^. 


RONDEAUX.  l85 

RONDEAU    CLXXX. 
Réponse  du  duc  d'Orléans. 

C'est  une  dangereuse  espergne 
D'amasser  trésor  de  regrés  ; 
Qui  de  son  cueur  les  tient  trop  près, 
H  convient  que  mal  lui  en  preigne. 

Veu  qu'ilz  sont  si  oultre  l'enseigne, 
Non  pas  assez  nuysans,  mais  très, 
C'est  une  dangereuse  espergne 
D'amasser  trésor  de  regrés. 

Se  je  mens,  que  l'en  m'en  repreigne  ; 
Soient  essayez,  puis  après 
On  saura  leurs  tourmens  segrés  ; 
Qui  ne  m'en  croira,  si  l'apreigne; 
C'est  une  dangereuse  espergne. 

RONDEAU    CLXXXI. 

A    Frédet. 


Le  fer  est  chault,  il  le  fault  batre, 
Vostre  fait  que  savez  va  bien  ; 
Tout  le  saurez,  sans  celer  rien. 
Se  venez  vers  moy  vous  esbatre. 

Il  a  convenu  fort  combatre. 
Mais,  s'il  vous  plaist,  pariait  le  tien 
Le  fer  est  chault,  il  le  fault  batre, 
Vostre  fait  que  savez  va  bien. 

Convoitise  vouloit  rabatre 


l86  CHARLES    d'or  LÉ  AN  s. 

Escharsement  et  trop  du  sien; 
Mais  ung  peu  j'ay  aidic  du  mien, 
Qui  l'a  fait  cesser  de  debatre. 
Le  fer  est  chault,  il  le  fault  batre. 


RONDEAU. 

De    Fredel 

Je  regrette  mes  dolans  jours. 
Comme  celliiy  là  qui  tousjours 
Ne  fait  que  désirer  sa  mort  ; 
Car  plus  avant  vois  et  plus  fort 
Acroissent  mes  dures  dolours, 

Quant  on  me/ait  d'estraii^es  tours. 
Que,  mille  foi^  le  jour,  en  plours. 
Me  fault  dire  par  desconfort  : 
Je  regrette  mes  dolans  jours. 

En  vous  seul  est  tout  mon  recours, 
Faittes  donc,  plus  tost  que  le  cours. 
Cesser  le  mal  que  souffre  à  tort. 
Ou  autrement  je  me  voy  mort, 
Et  tout  pour  bien  servir  Amours  ; 
Je  regrette  mes  dolans  jours. 


RONDEAU    CLXXXII. 

Réponse  à  Frédet. 

Se  regrettez  vos  dolans  jours, 
Et  je  regrette  mon  argent 


RONDEAUX.  187 

Que  j'ay  délivré  franchement, 
Guidant  de  vous  donner  secours. 

Se  ne  sont  pas  les  premiers  tours 
Dont  Convoitise  sert  souvent  ;   . 
Se  regrettez  vos  dolans  jours, 
Et  je  regrette  mon  argent. 

Mais  se  vous  n'avez  voz  amours, 
Puis  que  Convoitise  vous  ment, 
Le  mien  recouvreray  briefment, 
Ou  mettray  le  fait  en  droit  cours, 
Se  regrettez  vos  dolans  jours. 


RONDEAU    CLXXXIII. 

A    Daniel. 


Vous  dittes  que  j'en  ayme  deux, 
Mais  vous  parlez  contre  Raison, 
Je  n'ayme  fors  ung  chapperon, 
Et  ung  couvrechief  plus  n'en  veulx. 

C'est  assez  pour  ung  amoureux  ; 
Mal  me  louez,  ce  faittes  mon, 
Vous  dittes  que  j'en  ayme  deux, 
Mais  vous  parlez  contre  Raison. 

Certes  je  ne  suis  pas  de  ceulx 
Qui  par  tout  veulent  à  toison 
Eulx  tournir,  en  toute  saison  ; 
N'en  parlez  plus,  j'en  suis  honteux 
Vous  dittes  que  j'en  ayme  deux. 


l88  CHARLES    d'oRLÉANS. 

RONDEAU 

d'Olivier  de  La  Marche. 


Pour  amours  des  dames  de  France, 
Je  suis  entre'  en  l'observance 
Du  tresrenommé  saint  François, 
Pour  cuider  trouver  utie  fois 
La  doulce  voye  d'Alegance. 

Saint  suis  de  corde  de  Souffrance, 
Soubj  haire  d'Ais^re  Desirance, 
Plus  qu'en  mon  Dieu  ne  me  congnois. 
Pour  amours  des  dames  de  France, 
Je  suis  entré  en  l'observance. 

Soubrement  vis  de  ma  Plaisance, 
Et  june  ce  que  Désir  pense, 
Mandiant  par  tout  où  je  vois, 
Je  veille  à  conter,  par  mes  dois. 
Les  maulx  que  m'a  fait  Espérance, 
Pour  amours  des  dames  de  France. 


RONDEAU. 

Par  Vaillant. 


Des  amoureux  de  l'observance, 
Je  suis  le  plus  subgiet  de  France, 
Car  je  sers  d'estre  mandien 
Et  cherche  le  cotidien  ; 
Mais  nul  en  mon  sac  rien  ne  lance. 


RONDEAUX.  189 

«  Aux  frères  l'aumosne,  pour  Dieu,  » 
Tousjours  vois  criant  d'uys  en  huis, 
Las!  Charité  ne  trouve  en  lieu. 
Ne  Pitié  ne  scet  qui  je  suis. 

Retourner  m'en  fault  sans  pitance , 
Désir,  le  Pourvéeur,  me  tance. 
Puis  le  beau  père  Gardien; 
Pis  suis  que  Boesme,  n'Yndien; 
L'ordre  vueil  laisser  sans  doubtance. 
Des  amoureux  de  l'observance. 


RONDEAU. 

Par  Georges. 

Les  serviteurs  submis  à  l'observance, 
Quoj'  que  souvent,  il  leur  tourne  à  grevance, 
De  7ion  avoir  leur  plaisir  à  toute  heure, 
Toute  fois.  Dieu,  soub:;  qui  rien  ne  demeure, 
A  tel:;  serrans  ne  fist  onc  decevance. 

Mains  il  convient,  par  contrainte  eslevance, 
Qii'Onneur,  Fortune,  ou  Amour  les  avance 
En  quelque  endroit,  et  au  besoing  seqeure 
Les  serviteurs  submis  à  l'observance, 
Qiioy  que  souvent,  il  leur  tourne  à  grevance 
De  non  avoir  leur  plaisir  à  toute  heure. 

De  long  souffrir  en  pénible  estrivance 
Naist  aux  souffrans,  haulte  et  riche  chevance 
Finablement,  qui  les  paye  et  honneure  ; 
Après  l'aigret  trouve  on  la  doulce  meure 
Qiii  radoulcist,  en  leur  propre  savance, 
Les  serviteurs  submis  à  l'observance. 


igO  CHARLES   D   ORLEANS. 

RONDEAU     CLXXXIV. 

Des  amoureux  de  Tobservance, 
Dont  j'ay  esté  ou  temps  passé, 
A  présent  m'en  trouve  lassé 
Du  tout,  sinon  de  souvenance. 

Ou  je  prens  d'en  parler  plaisance, 
Quoy  que  suis  de  l'ordre  cassé 
Des  amoureux  de  l'observance. 
Dont  j'ay  este  ou  temps  passé. 

Souvent  y  ly  porté  penance. 
Et  si  pou  de  biens  amassé 
Que.  quant  je  seray  trespassé, 
A  mes  hoirs  lairray  pou  chevance 
Des  amoureux  de  l'observance. 

RONDEAU. 

Par  Boucicault  ou  monseigneur  du  Bridore. 

Assej  ne  m'en  peuj  merveiller 
Qu'aucuns  amoureux  ont  créance, 
D'estre  de  ceulx  de  l'observance, 
Mais  plus  n'y  veulent  travailler. 

Je  dr  que  leur  vaulsist  trop  mieulx 
Plus  large  reigle  avoir  choisie; 

Car  servir  jeunes,  et  puis  vieulx 
Laisser  tout,  c'est  ypocrisie. 

Autre  nom  leur  convient  bailler, 
C'est  aposta^,  qui  pour  doubtance 
D'avoir  un  peu  de  penitance, 
Ont  voulu  Loyaulté  soiller; 
Asse:^  ne  m'en  peu^  merveiller 


RONDEAUX.  191 

RONDEAU    CLXXXV. 

Par  le  duc  d'Orléans. 

Ce  n'est  pas  par  ypocrisie, 
Me  je  ne  suis  point  apostat 
Pour  tant  se  change  mon  estât 
Es  derreniers  jours  de.  ma  vie. 

J'ay  gardé,  ou  temps  de  jeunesse, 
L'observance  des  amoureux. 

Or  m'en  a  bouté  hors  Vieillesse, 
Et  mis  en  l'ordre  douloreux 

Des  chartreux  de  Merencolie, 
Solitaire,  sans  nul  esbat; 
A  briefz  motz,  mon  fait  va  de  plat, 
Et  pource,  ne  m'en  blasmez  mye, 
Ce  n'est  pas  par  ypocrisie, 

RONDEAU. 

Par  Boucicaiilt. 

Monstrer  on  doit  qu'il  en  desplaise 
Du  meffait,  à  qui  n'a  povoir  " 

De  servir,  car  si  cru,  pour  voir, 
En  parler,  il  semble  qu'il  plaise. 

Qui  ne  peut,  pour  le  moins  se  taise, 
Et  face  en  dueil  larmes  plouvoir. 
Monstrer  on  doit  qu'il  en  desplaise 
Du  meffait,  à  qui  n'a  povoir. 

Mais  dire  qu'on  n'a  temps,  ne  aise, 


192  CHARLES     d'orLiJANS. 

Pour  aage,  d'y  faire  devoir, 
Chascun  scet  bien  apparcevoir 
Que  pou  cour  ce  tost  se  rappaise  ; 
Monstrer  on  doit  qu'il  en  desplaise 


RONDEAU    CLXXXVI. 

Réponse  par  Orléans. 

A  quiconques  plaise,  ou  desplaise, 
Quant  Vieillesse  vient  les  gens  prendre, 
Il  convient  à  elle  se  rendre 
Et  endurer  tout  son  malaise. 

Nul  ne  peut  faire  son  devoir 
De  garder  d'Amours  l'observance, 
Quant,  avecques  son  bon  vouloir, 
Il  a  povreté  de  puissance. 

Plus  n'en  dy,  mieulx  vault  que  m'en  taise, 
Car  j'en  ay  à  vendre  et  revendre  ; 
Ung  chascun  doit  son  fait  entendre  ; 
Qui  ne  peut,  ne  peut,  si  s'appaise, 
A  quiconques  plaise,  ou  desplaise. 

RONDEAU    CLXXXVII. 

Celle  que  je  ne  sçay  nommer 
Com  à  mon  gré  desireroye, 
Ce  jour  de  l'an,  de  biens  et  joye 
Plaise  à  Dieu  de  vous  estrener. 

S'amie  vous  vueil  appeller, 
Trop  simple  nom  vous  bailleroye. 
Celle  que  je  ne  sçay  nommer 


RONDEAUX. 

Com  à  mon  gré  desireroye. 

De  ma  Dame  nom  vous  donner, 
Orguilleuse  je  vous  feroye  : 
Maistresse  point  ne  vous  vouldroye  ; 
Comment  donc  doy  je  à  vous  parler, 
Celle  que  je  ne  sçay  nommer? 


RONDEAU    CLXXXVIII. 

A  ce  jour  de  saint  Valentin, 
Que  l'en  prent  per  par  destinée, 
J'ay  choisy,  qui  tresmal  m'agrée, 
Pluye,  vent  et  mauvais  chemin. 

Il  n'est  de  l'amoureux  butin 
Nouvelle  ne  chançon  chantée, 
A  ce  jour  de  saint  Valentin, 
Que  l'en  prent  per  par  destinée. 

Sourges  me  donne  ce  tatin, 
Et  à  plusieurs  de  ma  livrée  ; 
Mieulx  vauldroit  en  chambre  natée 
Dormir,  sans  lever  sy  matin, 
A  ce  jour  de  saint  Valentin. 


RONDEAU. 
De  Fredet. 

Le  truchemen  de  ma  pensée, 
Ceste  saint  Valentin  passée, 
J'ay  envoyé  devers  Amours, 
Pour  lui  compter  les  grans  dolours 
Que  seuffre,  pour  ma  tant  amée; 

CHARLES   D'ORLÉANS.   II.  ij 


^94  CHARLES   d'oRLÉANS. 

Requérant  ma  peine  alegée, 
Autrement  ma  vie  est  finée, 
Comme  scet  bien,  il  a  mains  Jours, 
Le  truchemen  de  ma  pensée. 

Et  quant  sa  raison  eut  contée, 
Lui  dist  :  Ta  requeste  m'agrée, 
Car  trop  léal  t'ay  veu  tous  jours  ; 
Lors  /ut  commandé  mon  secours. 
Et  le  m'apporta,  la  journée, 
Le  truchemen  de  ma  pensée. 


RONDEAU. 

En  rdpons    p«r  Simonnet  Caillau. 

Pour  bref  te l^  maulx  d'Amours  guérir, 
Lsgrun  de  Dueil  te  faiilt  fuyr, 
Les  poix  au  veau  te  sont  cnnîraires, 
Quant  les  fleurs  de  plaisans  viaires 
Sont  dedans  mises  au  boillir. 
L'oubliete  te  peut  servir, 

Et  l'herbe  de  Nonsouvenir, 

A  faire  bons  electuaires. 

Pour  bref  telj  maulx  d'Amours  guérir. 
Du  triade  de  Repentir, 

Pour  tes  acce^  faire  faillir. 

Prendras  sur  les  appoticaires  ; 

Avecques  sirop:^  nécessaires, 

Fai^  en  succres  de  Deppartir, 

Pour  bref  tel^  maulx  d'Amours  guérir. 


RONDEAUX.  Ig5 

RONDEAU     CLXXXIX. 

Autre  réponse  par  Orléans,  en  guise  de  recette. 


Les  malades  cueurs  amoureux 
Qui  ont  perduz  leurs  apetiz, 
Et  leurs  estomacs  refroiJiz 
Par  soussiz  et  maulx  douloureux, 

Diète  gardent  sobrement, 
Sans  faire  excès  de  Trop  Douloir  ; 
Chaulx  electuaires  souvent 
Usent  de  Conforté  Vouloir; 

Succres  de  Penser  Savoureux, 
Pour  reconforter  leurs  esperiz; 
Ainsi  pevent  estre  gueriz, 
Et  hors  de  Danger  langoureux, 
Les  malades  cueurs  amoureux. 


RONDEAU. 

Autre  réponse  par  Monseigneur  Jean  de  Lorraine. 


Pour  brief  du  mal  d'amer  guérir, 
Esloingner  l'air  de  Souvenir 
Convient,  sans  grant  merencolie 
Après  tous  mes,  mengier  oublie 
Près  du  couchier,  pour  mieulx  dorir.ir 


If)6  CHARLES    n'OR  LÉ  AN  s. 

De  Non  Chaloir,  pour  adoulcir 
La  medicine  de  Désir, 
Prendre  failli  la  plus  grant  partie; 
Pour  brief  du  mal  d'amer  guérir, 
Esloingner  l'air  de  Souvenir. 

Puis  ung  beau  régime,  à  l'issir 
De  vostre  accès,  pourrez  choisir, 
D'une  Léaulté  my  partie, 
Affin  que  ne  reuchéej  ttijye, 
Faittes  Reffu^  d'Amour  bannir. 
Pour  brief  du  mal  d'amer  gucrir. 


RONDEAU     CXC. 

Autre  réponse  en  guise  de  recette. 

Pour  tous  voz  maulx  d'Amours  guérir, 
Prenez  la  fleur  de  Souvenir 
Avec  le  just  d'une  ancolie, 
Et  n'obliez  pas  la  soussie, 
Et  meslez  tout  en  Desplaisir. 

L'erbe  de  Loing  de  son  Désir,     . 
Poire  d'Angoisse  pour  refreschir, 
Vous  envoyé  Dieu,  de  vostre  amye, 
Pour  tous  voz  maulx  d'Amours  guérir. 

Pouldre  de  Plains  pour  adoulcir, 
Feille  d'Auhre  Que  Vous  Choisir, 
Et  racine  de  Jalousie, 
Et  de  tretout  la  plus  partie 
Mettes  au  cueur,  avant  dormir, 
Pour  tous  voz  maulx  d'Amours  guérir. 


RONDEAUX  197 


RONDEAU    CXCI. 


Puis  que  tu  t'en  vas, 
Penser,  en  message, 
Se  tu  fais  que  sage, 
Ne  t'esgarc  pas. 

Au  mieulx  que  pourras, 
Pren  le  seur  passage, 
Puis  que  tu  t'en  vas, 
Penser,  en  message. 

Tout  beau,  pas  à  pas, 
Reffrain  ton  courage, 
Qu'en  si  long  voyage 
Ne  deviengnes  las, 
Puis  que  tu  t'en  vas. 


RONDEAU   CXCII. 

L'ueil  et  le  cueur  soient  mis  en  tutelle, 
Si  tost  qu'ilz  sont  rassotez  en  amours  : 
Combien  qu'il  a  plusieurs  qui  tont  les  lours 
Et  ont  trouvé  contenance  nouvelle, 

Pour  mieulx  embler  privéement  Plaisance 
Mommerie,  sans  Parler  de  la  bouche, 
En  beaux  abiz  d'or  cliquant  d'Acointance, 
Soubz  visières  de  Semblant  qu'on  n'y  touche, 

Faignent  souvent  l'amoureuse  querelle. 
Ainsi  l'ay  vu  faire  en  mes  jeunes  jours  *, 
Vestu  m'y  suis  à  droit  et  à  rebours. 
Je  jangle  trop,  au  fort,  je  me  rappelle; 
L'ueil  et  le  cueur  soient  mis  en  tutelle  ! 


KjS  CHAULES   n'OKi-ÉANS. 

RONDEAU. 

Par  Monseigneur  de  I.orraina. 

Pour  eschever  plus  grant  dangicr. 
Certes,  mon  cueiir,  il  est  mestier, 
Puis  que  )70us  alons  véoir  la  belle, 
Qiie  iene^  mon  ueil  en  tutelle, 
Qit'i  ne  vous  donne  à  besongner. 

Commande^  lui  bien,  sans  prier, 
Qii'il  ne  croie  riens  de  legier, 
Dont  il  vous  rapporte  nouvelle  ; 
Pour  eschever  plus  grant  dangier. 
Certes,  mon  cueur,  il  est  mesiier. 

Puis,  s'il  ne  s'y  veult  obligier, 
Mette^  Raison  pour  espier 
A  part  sa  couverte  cautelle  ; 
Car  c'est  cellui  seul  qui  se  mesle 
De  tieulx  defaultes  corrigier, 
Pour  eschever  plus  grant  dangier. 


RONDEAU    CXCIII. 

Chose  qui  plaist  est  à  demy  vendue, 
Quelque  cherté  qui  coure  par  païs  ; 
Jamais  ne  sont  bons  marcliands  esbahis, 
Tousjours  gaignent  à  l'allée,  ou  venue. 

Car,  quant  les  yeulx  qui  sont  facteurs  du  cucur, 
Voyent  Plaisir  à  bon  marchié  en  vente, 
Qui  les  tendroit  d'achater  leur  bon  eur? 
Et  deusscnt  ilz  cngai^er  biens  et  rente, 


RONDEAUX.  199 

Et  à  rachat  toute  leur  revenue  ! 
De  lascheté  seroient  bien  trâys, 
Et  devroient  d'Amours  estre  hâys  ! 
Marchandise  doit  estre  maintenue, 
Chose  qui  plaist  est  à  demy  vendue. 


RONDEAU    CXCIV. 

Chose  qui  plaist  est  à  demy  vendue, 
A  bon  compte  souvent,  ou  chierement; 
Qui  du  marchié  le  denier  à  Dieu  prent, 
11  n'y  peut  plus  mettre  rabat,  ne  creue. 

D'en  débattre  n'est  que  peine  perdue; 
Prenez  ore  qu'après  on  s'en  repent. 
Chose  qui  plaist  est  à  demy  vendue, 
A  bon  compte  souvent,  ou  chierement. 

S'aucun  aussi  monstre  sa  retenue. 
Et  au  bureau  va  faire  le  serment, 
Les  officiers  n'y  font  empeschement. 
Mais  demandent  tantost  la  bienvenue. 
Chose  qui  plaist  est  à  demy  vendue. 


RONDEAU. 

Par  Monseitjneur  de  Lorraine. 

L'abit  le  moine  ne  fait  pas, 
Pour  tant  se  je  me  veis  de  diieil, 
J'ay  la  lerme  asse^f  loing  de  l'iteil, 
Passant  mes  ennuij  au  gros  sacs. 

Je  fains  d'assembler  à  grans  tas 
Douleurs  ;  à  part  mais  quant  je  vueil. 


CHARLES    D    ORLEANS, 

L'abit  le  moine  ne  fait  pas, 
Pour  tant  se  je  me  veis  de  dueil. 

Conclusion,  véej  cy  mon  cas  : 
De  nulle  rien  je  ne  me  dueil, 
En  gré  prens  d' Amours  le  recueil. 
Soit  beau,  ou  lait  ;  puis  je  di^  bas  : 
L'abit  le  moine  ne  fait  pas. 


RONDEAU    CXCV. 

Par  Orléans. 

L'abit  le  moine  ne  fait  pas, 
L'ouvrier  se  congnoist  à  l'ouvrage 
Et  Plaisant  Maintien  de  visage 
Ne  monstre  pas  toujours  le  cas. 

Aler  tout  soubrement  le  pas, 
N'est  que  contretaire  le  saige. 
L'abit  le  moine  ne  fait  pas, 
L'ouvrier  se  congnoist  à  l'ouvrage. 

Soubtil  sens  couché  par  compas, 
Enveloppé  en  beau  langage, 
Musse  le  vouloir  du  courage  ; 
Guider  déçoit  en  mains  estas; 
L'abit  le  moine  ne  fait  pas. 

RONDEAU. 
Par  Madame  d'Orléans. 

L'abit  le  moine  ne  fait  pas, 
Car  quelque  chiere  que  je  face. 
Mon  mal  seul  tous  les  autres  pace 


RONDEAUX.  2 

De  ceulx  qui  tant  plaignent  leur  cas. 

Souvent,  en  densant  fait  mains  pas 
Qiie  mon  cueur  près  en  dueil  tresp.ice  ; 
L'abit  le  moine  ne  fait  pas. 

Las  !  mesyeulx  gettent  sans  compas 
Des  larmes  tant  par  my  ma  face, 
Dont  plusieurs  foi^j  je  change  place, 
Alant  à  part  pour  crier  :  las, 
L'abit  le  moine  ne  fait  pas. 

RONDEAU. 

Par  Guiot  Pot. 

L'abit  le  moine  ne  fait  pas, 
Car  tel  n'est  pas  vestu  de  noir, 
Qui  a  cause  de  se  douloir. 
Par  Dieu,  qui  congnoistroit  son  cas. 

S'en  lui  fait  changier  ses  estas 
Contre  raison  et  son  vouloir, 
L'abit  le  moine  ne  fait  pas. 

Quant  Fortune  charge  le  bas 
Au  compaignon,  s'il  a  povoir 
Et  s'il  joue  ung  tour  de  sa)oir. 
Disant  que  de  souffrir  est  las, 
L'abit  le  moine  ne  fait  pas. 

RONDEAU. 

Par  Jean  de  Lorraine. 

De  fol  juge,  briefve  sentence; 
Certes  bon  cueur  ne  peut  mentir; 
Et  si  ne  scet  du  sac yssir 


202  CHARLKS     D 'OH  l,  l£  A  N  S. 

Qiie  ce  qui  est  d'acoustumance. 

Là  oïl  Raison  pert  pascience, 
On  voit  bien  souvent  avenir 
De  fol  juge,  briefve  sentence, 
Certes  bon  cueiir  ne  peut  mentir. 

Envie,  atout  sa  double  lance. 
Blesse  en  mains  lieux  sans  cop  fcrir. 
Dont  il  se  convient  repentir 
Aucuncffoij,  qui  bien  y  pense. 
De  fol  Juge,  briefve  sentence  I 

RONDEAU     CXCVI. 

Réponse  par  Orléans. 

De  fol  juge,  briefve  sentence; 
On  n'y  sauroit  remédier 
Quant  l'advocat  Oultrecuidier, 
Sans  raison,  mainteffois  sentence 

Après  s'en  repent  et  s'en  tcnce, 
C'e^t  tart,  et  ne  se  peut  vuidier. 
De  fol  juge,  briefve  sentence; 
On  n'y  sauroit  remédier. 

Fleurs  portent  odeur  ;  et  sentence 
Et  savoir  vient  d'estudier  ; 
Ce  n'est  pas  ne  d'anuyt  ne  d'yer. 
J'en  dy  ce  que  mon  cueur  sent  en  ce  : 
De  fol  juge,  briefve  sentence. 

RONDEAU    CXCVII. 

Par  Orléans. 

Crié  soit  à  la  clochete, 
Par  les  rues,  sus  et  jus, 


RONDEAUX. 

Fredet  ;  on  ne  le  voit  plus  ; 
Est  il  mis  en  oubliete  ? 

Jadis  il  tenoit  bien  conte 
De  visiter  ses  amis, 
Est  il  roy,  ou  duc,  ou  conte 
Quant  en  oubly  les  a  mis  ? 

Banny  à  son  de  trompeté, 
Comme  marié  confus, 
Entre  chartreux,  ou  reclus, 
A  il  point  fait  sa  retrete  ? 
Crié  soit  à  la  clochete! 


RONDEAU. 

Réponse  par  Fredet. 

Se  véoir  ne  vous  voys  plus, 
Helas!  ce  fait  mariage, 
Qui  me  fait  avoir  courage 
D'estre  désormais  reclus. 

Puis  que  si  fort  m'a  confus, 
Ne  le  tenej  à  oultraige, 
Se  véoir  ne  vous  voys  plus; 
Helas!  ce  fait  mariage. 

Mais  non  pourtant  Je  conclus 
Qiie  ce  n'est  pas  fait  que  sage, 
Car  f  en  puis,  à  brief  langage, 
Pour  le  moins  perdre  le  plus 
Se  véoir  ne  vous  voys  plus. 


203 


204  CHARLES    D    ORLEANS 

RONDEAU     CXCVnio 

Par  Orléans. 


En  l'ordre  de  mariage 
A  ildesduit  ou  courrous? 
Comment  vous  gouvernez  vous  ? 
Y  devient  on  fol,  ou  sage  ? 

Soit  aux  vieulx  ou  jeunes  d'âge, 
Rapporter  m'en  vueil  à  tous  ! 
En  l'ordre  de  mariage 
A  il  desduit,  ou  courroux? 

Le  premier  an,  c'est  la  rage, 
Tant  y  fait  plaisant  et  douls  ; 
Après  fault  toussir  ;  la  tous 
Cesser  me  fait  de  langage, 
En  l'ordre  de  mariage. 


RONDEAU. 
Par  le  caJet  d'AIbrct. 


Dedans  l'abisme  de  douleur, 
OU  tant  a  d'amere  saveur 
Aussi  d'angoisseuse  destresse, 
Se  trouve  tourmenté,  sans  cesse. 
Pour  vous  amer,  mon  povre  cueiir 

Ma  Dame,  par  vostre  doulceur, 
Secoure'^  ce  bon  serviteur 


UONDEAUX. 

A  qui  l'on  fait  tant  de  rudesse. 
Dedans  l'abisme  de  douleur. 
Oit  tant  a  d'amere  saveur. 

Las!  oste:^  de  lui  tout  maleur, 
Ou  autrement  il  se  tient  seur 
De  jamais  n'avoir  que  tristesse  , 
Dont  fauldra  que  sa  vie  cesse 
Piteusement,  en  grant  langueur, 
Dedans  l'abisme  de  douleur. 


RONDEAU. 
De  Gilles  des  Ormes. 


Dedens  l'abisme  de  douleur 
Sont  tourmentés  par  grant  foleur 
Maints  cueurs,  parfaulte  de  secours. 
Qui  n'ont  à  personne  recours 
Qu'à  Pitié  qui  détient  le  leur. 

Car,  quant  ilj  ont  servy,  on  leur 
Taille  la  broche  sans  couleur; 
Lors  il^  s'en  vont  languir  le  cours; 
Dedens  l'abisme  de  douleur 
Sont  tourmentés  par  grand  foleur 
Maints  cueurs,  parfaulte  de  secours. 

Par  Dieu  !  c'est  faulte  de  valeur 
A  ceulx  qui  le  font  par  chaleur, 
Et  de  fait,  les  tiennent  si  cours 
Qu'il  leur fault  user  tout  le  cours 
De  leur  vie,  en  paine  et  maleur, 
Dedens  l'abisme  de  douleur. 


2o6  ciiARi.i:s  d'okléans. 

RONDEAU     CXCIX. 

Par  le  duc  d'Orlcaua. 

Dedans  l'abisme  de  douleur, 
Sont  tourmentées  povrcs  anics 
Des  amans;  et,  par  Dieu,  mes  Dames, 
Vous  leur  portez  trop  de  rigueur. 

Ostez  les  de  cestc  langueur 
Où  ilz  sont  en  maulx  et  diflames. 
Dedans  l'abisme  de  douleur, 
Sont  tourmentées  povres  âmes. 

Se  n'y  monstrez  vostre  doulceur. 
Vous  en  pourrez  recevoir  blasmcs; 
Tost  orra  prières  de  famés, 
Dangier,  des  dyables  le  greigneur. 
Dedans  l'abisme  de  douleur. 

RONDEAU    ce. 

Que  je  vous  ayme  maintenant 
Quant  je  congnois  vostre  manière 
Venant  de  Voulenté  Legiere, 
Enveloppée  en  Faulx  Semblant  ! 

Je  ne  m'y  He  tant  ne  quant, 
Veu  qu'en  estes  bien  coustumiere. 
Que  je  vous  ayme  maintenant 
Quant  je  congnois  vostre  manière! 

N'en  peut  chaloir,  tirez  avant, 
Parfaitte  comme  mesnagiere. 
De  haulte  lisse  bonne  ouvrière  ; 
Plus  vous  voy,  plus  vous  prise  tant 
Que  je  vous  ayme  maintenant  ! 


RONDEAUX. 


207 


RONDEAU    CCI. 

CucLir,qu'estccla  ? — Cesommes  nous  vos  yculx. 

-  ()i;'apportez  vous  ? — Grant  toison  de  nouvelles, 
-(faciles  sont  ilz  ?  —  Amoureuses  et  belles. 

■  Je  n'en  vuei)  point  voire    on,  se  m'aist  Dieux. 
— D'où  venez  v^us.  —  be  plusieurs  plaisans  lieux. 

-  lit  qu'  a  il  ?  —  Bon  marchic  de  querelles. 
-(Aieur, qu'est celu? — Cesommes  nousvoz  yeulx. 
-Qu'apportez  vous'--Gr'ant  foisonde  nouvelles. 

—  C'est  pour  jeunes? — Aussi  est  ce  pour  vieulx. 
-' Trop  sont  vieulxsoulz!  — Picça, n'en  eustes  telles. 

-  Si  ay,  si  ay.  —  Au  moins  escoutez  d'elles. 

-  Paix,  je  m'endors.  —  Non  ferez  pour  le  mieulx. 

-  Cueur,  qu'est  cela?  —  Ce  sommes  nous  voz  yeulx. 


RONDEAU    CCII. 


soussv. 

LE   CUKUR. 


soussv. 

LE   CUKUR. 


SOUSSV. 
LE  CUEUR. 


SOUSSY. 
LE   CUEUR. 


Soussy,  beau  Sii-e,  je  vous  prie. 
De  quoy  .''  que  me  demandez  vous? 
Ostez  moi  d'anuy  et  courous 
Où  vous  estes. 

Non  feray  mie. 

Tenir  je  vous  vueil  compaignie, 
Las!  non  faictes,  soyez  moy  douls, 
Soussy,  beau  Sire,  je  vous  prie. 
De  quoy?  que  me  demandez  vous? 

Parlez  en  à  Merencolie, 
Conseil  premier  entre  vous, 
li^poir  y  pourroit  plus  que  nous. 
Kaictes  donc  qu'il  y  r-emedie. 
Soussy,  beau  Sire,  je  vous  prie. 


208  CHARLES    d'ORLÉANS. 


RONDEAU      CCIII. 

Quant  Léaulté  et  Amcur  sont  ensemble 
Et  on  les  scet  à  deux  entretenir 
En  temps  et  lieu  et  pour  les  retenir, 
Hz  font,  par  Dieu,  feu  Grejois,  ce  me  semble. 

J'en  congnois  deux  qui  portent  granl  atour, 
Qui  contre  droit  en  emportent  le  bruit, 
Helas!  voire,  et  ne  font  pas  séjour, 
Car  traïson  en  leurs  cueurs  tousjours  bruit. 

Garder  se  fault  que  nul  ne  les  ressemble, 
Ne  nulle  aussi  qui  veult  à  bien  venir  ; 
Pource,  conclus,  pour  au  point  revenir. 
Que  jamais  mal  entre  amoureux  n'assemble 
Quant  Leaulté  et  Amour  sont  ensemble. 


RONDEAU     CCIV. 

Plus  tost  accointé  que  congneu, 
Plus  tost  esprouvé  que  nourry, 
Plus  tost  plaisant  que  bien  choisy, 
Est  souvent  en  grâce  receu. 

Mains  tost  que  riche,  despourveu 
Se  trouve  garny  de  soussy; 
Plus  tost  accointé  que  congneu. 
Plus  tost  esprouvé  que  nourry  ! 

Assez  tost  meschant  est  recreu, 
Assez  tost  entreprent  hardy, 
Assez  tost  senti  qui  s'ardy, 
Tout  ce  mal  est  de  chascun  sceu; 
Plus  tost  accointé  que  congneu I 


RONDEAUX.  209 

RONDEAU. 

Par  Benoist  d'Amiens. 

Au  plus  fort  de  ma  maladie. 
M'a  abandonné  Espérance, 
Laquelle,  sans  point  decevance. 
Me  devait  tenir  compaignie. 

Helas!  ce  n'es*  pas  mocquerie 
D'avoir  perdu  ceCle  alliance, 
Au  plus  fort  de  ma  maladie. 

Car  ccrte:,  qui  /jue  chante  ou  rie, 
J'ay  à  toute  herre  desplaisance 
Plus  que  nesung  qui  soit  en  France, 
Par  quoy  je  ne  sçay  que  je  die, 
Au  plus  fort  de  ma  maladie. 


RONDEAU    CGV. 

Par  le  duc  d'Orléans. 

Au  plus  fort  de  ma  maladie 
Des  fièvres  de  Merencolie, 
Quant  d'Anuy  je  frissonne  fort, 
J'entre  en  chaleur  de  Desconfort 
Qui  me  met  tout  en  Resverie. 

Lors  je  jangle  mainte  Folie, 
Et  meurs  de  soif  de  Chiere  Lie  ; 
De  mourir  seroye  d'accort, 
Au  plus  fort  de  ma  maladie. 

Adoncques  me  tient  compaignie 
Espoir,  dont  je  le  remercie, 

CHARLES   d'oRLÉANS.   II.  1% 


CHARLES    D    ORLEANS. 

Qui  de  me  guérir  se  fait  fort, 
Disant  que  n'ay  garde  de  mort, 
Et  qu'en  riens  je  ne  m'en  soussie, 
Au  plus  fort  de  ma  maladie. 


RONDEAU    GCVI. 

A  ce  jour  de  saint  Valentin, 
Bien  et  beau  Karesme  s'en  va  ; 
Je  ne  sçay  qui  ce  jeu  trouva. 
Penser  m'y  a  pris  au  matin  ; 

Et  puis  pour  jouer  à  tintin 
Avecques  moy  tost  se  leva  ; 
A  ce  jour  de  saint  Valentin, 
Bien  et  beau  Karesme  s'en  va. 

Soussy  m'a  cuide  ung  tatin 
Donner,  mais  pas  ne  l'acheva, 
Bien  garday  que  ne  me  greva  ; 
Maledicatur  en  latin, 
A  ce  jour  de  saint  Valentin. 


RONDEAU    CCVII. 

A  ce  jour  de  saint  Valentin, 
Venez  avant,  nouveaux  faiseurs, 
Faittes  de  plaisirs  ou  douleurs 
Rimes  en  françoys  ou  latin. 

Ne  dormez  pas  trop  au  matin. 
Pensez  à  garder  voz  honneurs. 
A  ce  jour  de  saint  Valentin, 
Venez  avant,  nouveaux  faiseurs. 

Heur  et  Maleur  sont  en  hutin. 


RONDEAUX.  211 


Pour  donner  pers,  cy  et  ailleurs, 
Autant  aux  moindres  qu'aux  greigneurs; 
Veulent  départir  leur  butin, 
A  ce  jour  de  saint  Valentin. 


RONDEAU    CCVIII. 

A  ce  jour  de  saint  Valentin 
Qu'il  me  convient  choisir  ung  per, 
Et  que  je  n'y  puis  esohapper, 
Pensée  prens  pour  mon  butin. 

Elle  m'a  resveillé  matin, 
En  venant  à  mon  huis  frapper, 
A  ce  jour  de  saint  Valentin 
Qu'il  me  convient  choisir  ung  per. 

Ensemble  nous  arons  hutin, 
S'elle  veult  trop  mon  cueur  happer  ; 
-Mais,  s'Espoir  je  pense  atrapper, 
Je  parlasse  d'autre  latin, 
A  ce  jour  de  saint  Valentin. 


RONDEAU    CCIX. 

De  Monseigneur  d'Orléans  à  madame  d'Angoalêmc, 

A  ce  jour  de  saint  Valentin, 
Puis  qu'estes  mon  per  ceste  année. 
De  bien  eureuse  destinée 
Puissions  nous  partir  le  butin. 

Menez  à  beau  frère  hutin 
Tant  qu'ayez  la  pense  levée, 
A  ce  jour  de  saint  Valentin. 


X 


CHARLES    D   ORLEANS. 

Je  dors  tousjours  sur  mon  coissin, 
Et  ne  fois  chose  qui  agrée 
Gueres  à  ma  malassenée, 
Dont  me  fait  les  groings  au  matin, 
A  ce  jour  de  saint  Valentin. 


RONDEAU. 

Par  Tignonville, 

Pour  la  coustitme  maintenir, 
Ceste  saint  Valentin  nouvelle, 
Mon  cueur  a  choisy  damoiselle, 
Moyennant  l'amoureux  désir. 

Par  ung  regart  fait  à  loisir, 
Se  voult  logier  es  mains  de  celle 
Pour  la  coustume  maintenir, 
Ceste  saint  Valentin  nouvelle. 

S' on  lui  fait  trop  de  mal  souffrir, 
Je  m'accorde  qu'i  se  rappelle, 
Et  puis  se  tiengne  à  la  plus  belle 
Qiie  sesyeulx  lui  pourront  choisir, 
Pour  la  coustume  maintenir. 


RONDEAU    CCX. 

Contre,  fenoches  et  nox  bu^e, 
Peut  servir  ung  «  tantost  »  de  France; 
Da  ly  parolles  de  plaisance, 
Au  plus  sapere  l'en  cabuze. 

Jà  cossy  maintes  foiz  s'abuze, 
Grandissime  fault  pourveance, 


RONDEAUX.  2l3 

Contre  fenoches  et  nox  bm^e. 

Sta/ermo  toutes  choses  uze, 
Aspette  ung  poco  par  savance, 
La  Rason  fa  l'ordonnance 
De  qtiella  medicine  on  uze 
Contre  fenoches  et  nox  bu^e. 

RONDEAU. 

Par  Benoist  d'Amiens. 

Contre  fenouches  et  nox  buze, 
Convient  l'un  faire,  /'aultro  dire. 
Pleurer  d'un  ueil^  de  /'aultro  rire  ; 
Questo  modo  les  gens  abu^e. 

Or  da  poy  que  lo  mondo  en  u^e, 
Non  est  dy  besoingno  dormire, 
Contre  fenouches  et  nox  buze, 
Convient  l'un  faire,  /'aultro  dire. 

Tanto  principo  comme  duze, 
Veulent  le  lour  fato  conduire, 
Et  li  soy  servitor  instruire 
A  sapere  jouar  la  ruje. 
Contre  fenouches  et  nox  buze. 


RONDEAU. 

Par  maistre  Berthault  de  Villebresme. 

Puisque  chascun  sert  de  fenouches, 
Et  de  mentir,  nei^  que  de  mouches. 
Aucun  aujourduy  ne  tient  conte, 
Mais  à  chascun  d'avoir  son  compte 


214  CHARLES    D    ORLEANS. 

Soiijffist,  soit  honneur,  ou  reprouches, 

Retraire  je  me  vueii  es  touches 
Des  bois,  ainsi  que  les  farouches, 
Car  d'estre  au  monde  j'ay  grant  honte. 
Puisque  chascun  sert  de  fenouches. 
Et  de  mentir,  nei^  que  dernouches. 

Je  y  congnois  tant  de  maies  bouche 
De  clers  voyans  faisant  les  louches. 
De  bons  et  simples  que  Von  doute  ; 
Veu  donc  que  mal  bien  y  surmonte, 
Plus  me  plaist  vivre  entre  les  souches. 
Puisque  chascun  sert  de  fenouchcs. 


RONDEAU    CCXI. 


Ce  premier  jour  du  mois  de  May, 
Quant  de  mon  lit  hors  me  levay, 
Environ  vers  la  matinée, 
Dedens  mon  jardin  de  Pensée, 
Avecques  mon  cueur,  seul  entray. 

Dieu  scet  s'entrepris  fu  d'esmay, 
Car  en  pleurant  tout  regarday 
Destruit  d'ennuyeuse  gelée, 
Ce  premier  jour  du  mois  de  May, 
Quant  de  mon  lit  hors  me  levay, 
Environ  vers  la  matinée. 

En  gast,  fleurs  et  arbres  trouvay 
Lors  au  jardinier  demanday 
Se  Desplaisance  maleurée, 
Par  tempeste^  vent  ou  nuée, 
Avoit  fait  ce  piteux  array, 
Ce  premier  jour  du  mois  de  May. 


RONDEAUX. 


RONDEAU    CCXII. 

Qui  est  cellui  qui  s'en  tendroit 
De  bouter  hors  Merencolie, 
Quant  toute  chose  reverdie, 
Par  les  cliamps,  devant  ses  yeulx,  voiti 

Ung  malade  s'en  gueriroit 
Et  ung  mort  revendroit  en  vie. 
Qui  est  cellui  qui  s'en  tendroit 
De  bouter  hors  Merencolie! 

En  tous  lieux  on  le  nommeroit 
Meschant  endormy  en  foUie, 
Chasser  de  bonne  compaignie, 
Par  raison,  chascun  le  devroit. 
Qui  est  cellui  qui  s'en  tendroit  î 

RONDEAU    CCXIII. 

Allez  vous  masser  maintenant, 
Ennuyeuse  Merencolie, 
Regardez  la  saison  jolie 
Qui  par  tout  vous  va  reboutant. 

Elle  se  rit  en  vous  mocquant, 
De  tous  bons  lieux  estes  bannye. 
Allez  vous  musser  maintenant, 
Ennuyeuse  Merencolie. 

Jusque  vers  Karesme  Prenant 
Que  jeusne  les  gens  amaigrie 
Et  1-1  saison  est  admortie, 
Ne  vous  monstrez  ne  tant  ne  quan:; 
Allez  vous  musser  maintenant. 


2l6  CHARLES    d'oRLÉAN  s. 


RONDEAU    CCXIV. 

Qui  est  cellui  qui  d'amer  se  tendroit, 
Quant  Beaulté  fait  de  morisque  l'entrée, 
De  Plaisance  si  richement  parée 
Qu'à  l'amender  jamais  nul  ne  vendroit! 

Cueur  demy  mort,  les  yeulx  en  ouvreroit, 
Disant  :  C'est  cy  raige  désespérée. 
Qui  est  cellui  qui  d'amer  se  tendroit. 
Quant  Beaulté  fait  de  morisque  l'entrée! 

Lors  quant  Raison  enseigner  le  vendroit, 
Il  lui  diroit  :  A  !  vieille  rassotée, 
Laissez  m'en  paix,  vous  troublez  ma  pensée, 
Pour  riens  en  ce  nully  ne  vous  croiroit. 
Qui  est  cellui  qui  d'amer  se  tendroiti 


RONDEAU    CCXV. 

Bon  fait  avoir  cueur  à  commandement, 
Quant  il  est  temps,  qui  scet  laisser  ou  prendre, 
Sans  trop  vouloir  sotement  entreprendre 
Chose  où  ne  gist  gueres  d'amendement. 

Quel  besoing  est,  quand  on  est  à  son  aise, 
De  se  bouter  en  soussy  et  meschief  I 
Je  tiens  amans  pour  folz,  ne  leur  desplaise. 
De  travailler  sans  riens  mènera  chiet. 

C'est  par  Espoir  ou  par  son  mandement, 
Qui  tel  mestier  leur  conseille  d'aprendre; 
Il  fait  pechié,  on  l'en  devroit  reprendre  ; 
J'en  parle  au  vray,  à  mon  entendement  : 
Bon  fait  avoir  cueur  à  commandement. 


RONDEAUX.  217 

RONDEAU    CCXVI. 

.  Je  vous  entens  à  regarder, 
Et  part  de  voz  pensers  congnois, 
Essayé  vous  ay  trop  de  fois, 
De  moy  ne  vous  povez  garder. 

Guidez  vous  par  voz  motz  farder, 
Mener  les  gens  de  deux  en  trois! 
Je  vous  entens  à  regarder, 
Et  part  de  voz  pensers  congnois. 

Vous  savez  tirer  et  tarder, 
Raige  faittes  et  feu  Gregois  ; 
Bien  gangnez  voz  gaiges  par  mois, 
Parachevez  sans  retarder. 
Je  vous  entens  à  regarder. 

RONDEAU    CCXVII. 

Plus  de  desplaisir  que  de  joye, 
Assez  d'ennuy,  souvent  à  tort. 
Beaucoup  de  soussy  sans  confort, 
Oultraige  de  peine,  oîi  que  soye  ! 

Trop  de  douleur  à  grant  montjoye, 
Foison  de  trespiteux  rapport  1 
Plus  de  desplaisir  que  de  joye. 
Assez  d'ennuy,  souvent  à  tort  ! 

Tant  de  grief  que  je  ne  diroye  ; 
Mains  amant  ma  vie,  que  mort  ; 
Pis  que  mourir,  n'est  ce  pas  fort? 
Telz  beaulx  dons  fortune  m'envoye. 
Plus  de  desplaisir  que  de  joye  ! 


2l8  CHARLES     d'oRLÉANS. 

RONDEAU    CCXVIII. 

Pour  mon  cueur  qui  est  en  prison, 
Mes  yculx  vont  l'aumosne  quérir  ; 
Gueres  n'y  pevent  acquérir, 
Tant  petitement  les  prise  on. 

Réconfort  qui  est  l'aumosnier. 
Et  Espoir,  sont  allez  dehors, 
On  ne  donna  point  l'aumosne  hier; 
Refus  estoit  portier  alors, 
Pour  mon  cueur  qui  est  en  prison. 

Il  est  si  plain  de  mesprison, 
De  rien  ne  le  faut  requérir. 
N'essayer  de  le  conquérir, 
Tousjours  tient  sa  vieille  aprison, 
Pour  mon  cueur  qui  est  en  prison. 

RONDEAU    CCXIX. 

Et  comment  l'entendez  vous, 
Ennuy  et  Merencolie, 
Voulez  vous  toute  ma  vie 
Me  tourmenter  en  courrous? 

Le  plus  mal  eureux  de  tous 
Doy  je  estre  ?  je  le  vous  nye. 
Et  comment  l'entendez  vous, 
Ennuy  et  Merencolie? 

De  tous  poins  accordons  nous, 
Ou,  par  la  vierge  Marie, 
Se  Raison  n'y  remédie. 
Tout  va  s'en  dessus  dessous. 
Et  comment  l'entende  i  vous  ? 


RONDEAUX.  2J9 


RONDEAU    CCXX. 


Voire,  dea  !  je  vous  ameray, 
Ennuyeuse  Merencolie, 
Et  servant  de  Plaisance  lie, 
Par  vous  plus  ne  me  nommeray! 

Foy  que  doy  à  Dieu,  si  seray 
Tout  sien,  soit  ou  sens,  ou  folie. 
Voire,  dea  !  je  vous  ameray, 
Ennuyeuse  Merencolie! 

Jamais  ne  m'y  rebouteray, 
En  voz  lactz,  se  je  m'en  deslie, 
Et  se  Bon  Eur  à  moy  s'alie, 
Je  faiz  à  vous...  mais  non  feray, 
Voire,  dea  !  je  vous  ameray! 


RONDEAU    CCXXI. 

Fortune,  passez  ma  requeste, 
Quant  assez  m'aurez  tort  porté, 
Ung  peu  je  soye  déporté. 
Que  Desespoir  ne  me  conqtieste! 

Veu  que  je  me  suis,  en  la  queste 
D'Amours,  loyaument  déporté. 
Fortune,  passez  ma  requeste, 
Quant  assez  m'aurez  tort  porté. 

Mon  droit,  sans  que  plus  y  acqueste, 
Aux  jeunes  gens  j'ay  transporté  ; 
Se  riens  est  de  moy  rapporté. 
Je  vous  pry  qu'on  en  face  enqueste  ; 
Fortune,  passez  ma  requeste. 


220  CHARLES    D    ORLEANS. 


RONDEAU    CCXXIT. 

De  quoy  vous  sert  cela,  Fortune  ? 
Voz  propos  sont,  puis  longs,  puis  cours, 
Une  tbiz  estes  en  decours, 
L'autre,  plaine  comme  la  lune! 

On  ne  vous  trouve  jamais  une, 
Nouvelletez  sont  en  voz  cours  ; 
De  quoy  vous  sert  cela.  Fortune  ? 
Voz  propos  sont,  puis  longs,  puis  cours. 

S'est  vostre  manière  commune  ; 
Car,  quand  je  vous  requiers  secours, 
Vous  fuyez,  après  vous  je  cours 
Et  pitié  n'a  en  vous  aucune. 
De  quoy  vous  sert  cela.  Fortune? 


RONDEAU     CCXXIII. 

Fortune  !  sont  ce  de  voz  dons, 
Engoisses  que  vous  aportez? 
A  présent  vous  en  déportez, 
Ce  sont  trop  doloreux  guerdons. 

D'entrer  céans  vous  deffendons, 
Dures  nouvelles  rapportez. 
Fortune  !  sont  ce  de  voz  dons, 
Engoisses  que  vous  aportez? 

Et  oultreplus,  vous  commandon3 
Que  les  cueurs  ung  peu  supportez; 
Jouez  vous,  et  vous  depportez 
Autre  part,  baillant  telz  pardons. 
Fortune  !  sont  ce  de  voz  dons  ? 


RONDEAUX.  221 


RONDEAU    GCXXIV. 

Sans  faire  mise  ne  recepte 
Du  monde,  dont  compte  ne  tien, 
Mon  cueur  en  propos  je  maintien 
Que  mal  et  bien  en  gré  accepte. 

Se  Fortune  est  mauvaise  ou  bonne, 
A  chascun  la  fault  endurer  ; 
Quant  Raison  y  mettra  la  bonne. 
Elle  ne  pourra  plus  durer. 

Rien  n'y  vault  engin,  ne  decepte, 
Au  derrain  on  congnoistra  bien 
Qui  fera  le  mal  ou  le  bien, 
Grans,  ne  petiz,  je  n'en  excepte, 
Sans  faire  mise  ne  recepte. 


RONDEAU    CCXXV. 

C'est  pour  rompre  sa  teste 
De  Fortune  tanser 
Qui  à  riens  ne  s'arreste  ! 

Trop  seroit  fait  en  beste. 
C'est  pour  rompre  sa  teste! 

Quant  elle  tient  sa  feste, 
Les  aucuns  tait  danser, 
Et  les  autres  tempeste, 
C'est  pour  rompre  sa  teste  ! 


CHARLES    l>   ORLEANS. 


RONDEAU     GCXXVI. 


Pour  quoy  moy,  plus  que  les  autres  ne  font, 
Doy  je  porter  de  Fortune  l'effort  ? 
Par  tout  je  vois  criant  :  Confort,  Confort; 
C'est  pour  néant,  jamais  ne  me  respont. 

Me  convient  il  tousjours  ou  plus  parfont 
De  Dueil  nager,  sans  venir  à  bon  port  ! 
Pour  quoy  moy,  plus  que  les  autres  ne  font, 
Doy  je  porter  de  Fortune  l'effort  ? 

J'aj^pelle  aussi,  er  en  bas  et  amont, 
Loyal  Espoir,  mais  je  pense  qu'il  dort, 
Ou  je  cuide.  qu'il  contrefait  le  mort  ; 
Confort,  n'Espoir,  je  ne  sçay  où  ilz  sont, 
Pour  quoy  moy,  plus  que  les  autres  ne  font? 

RONDEAU     GCXXVII. 

Pour  quoy  moy,  mains  que  nully 
Que  je  congnoisse  au  jourduy, 
Auray  je  part  en  Liesse, 
Veu  qu'ay  despendu  Jeunesse 
Longuement,  en  grant  ennuy? 

Doy  je  donc  estre  cellui 
Qui  ne  trouvera  en  lui 
Bon  Eur,  qu'à  peu  de  largesse  ? 
Pour  quoy  moy,  mains  que  nully? 

J'ay  Loyal  Désir  suy 
A  mon  povoir,  et  fuy 
Tout  ce  qui  à  tort  le  blesse  ; 
Désormais,  en  ma  vieillesse, 
Demourray  je  sans  apuy? 
Pour  quoy  moy,  mains  que  nully? 


RONDEAUX. 


RONDEAU     CCXXVIII. 

Serviteur  plus  de  vous,  Merencolie, 
Je  ne  seray,  car  trop  fort  y  traveille  ; 
Raison  le  veult  et  ainsi  me  conseille 
Que  le  face,  pour  l'aise  de  ma  vie. 

A  Non  Chaloir  vueil  tenir  compaignie, 
Par  qui  j'auray  repos  sans  que  m'esveille. 
Serviteur  plus  de  vous,  Merencolie, 
Je  ne  seray,  car  trop  fort  y  traveille. 

Se  de  vous  puis  faire  la  départie, 
Et  il  seurvient  quelque  estrange  merveille, 
Legierement  passera  par  l'oreille  1 
Au  contraire  jamais  nul  ne  me  die 
Serviteur  plus  de  vous,  Merencolie! 


RONDEAU     CCXXIX. 

Du  tout  retrait  en  hermitaige 
De  Non  Chaloir,  laissant  Folie, 
Désormais  veult  user  sa  vie 
Mon  cueur  que  j'ay  veu  trop  volage. 

Et  savez  vous  qui  son  courage 

changié?  s'a  fait  maladie, 
Du  tout  retrait  en  hermitaige 
De  Non  Chaloir,  laissant  Folie. 

Fera  il  que  fol  ou  que  sage  ? 
Qu'en  dictes  vous,  je  vous. en  prie? 
Il  fera  bien,  quoy  que  nul  dye, 
Moult  y  trouvera  d'avantage, 
Du  tout  retrait  en  hermitai-^e. 


CHARLES   D'ORLÉANS. 


RONDEAU    CCXXX. 

Est  ce  tout  ce  que  m'apportez 
A  vostre  jour,  Saint  Valentin  ? 
N'auray  je  que  d'Espoir  butin, 
L'attente  des  desconfortez .-' 

Petitement  vous  m'enhortcz 
D'estre  joyeulx  à  ce  matin. 
Est  ce  tout  ce  que  m'aportez 
A  vostre  jour,  Saint  Valentin  ? 

Nulle  rien  ne  me  rapportez, 
Fors  bona  dies  en  latin, 
Vieille  relique  en  viel  satin; 
De  telz  presens  vous  déportez. 
Est  ce  tout  ce  que  m'apportez? 


RONDEAU    CGXXXI. 

Quant  Pleur  ne  pleut,  Souspir  ne  vante, 
Et  que  cessée  est  la  tourmente 
De  Dueil,  parle  doulx  temps  d'Espoir, 
La  nef  de  Desireulx  Vouloir 
A  Port  Eureux  fait  sa  descente. 

Sa  marchandise  met  en  vante 
Et  à  bon  marché  la  présente 
A  cculx  qui  ont  fait  leur  devoir, 
Quant  Pleur  ne  pleut,  Souspir  ne  vante. 
Et  que  cessée  est  la  tourmente 
De  Dueil,  par  le  doulx  temps  d'Espoir, 

Lors  les  marchans  de  Longue  Attente, 
Pour  gaaigner  et  corps  et  rente 


RONDEAUX.  223 


Et  tout  ce  qu'en  peveni  avoir , 

Q'en  achetter  font  leur  povoir 

Tant  que  chascun  cueur  s'en  contente, 

Quant  Pleur  ne  pleut,  Souspir  ne  vante. 


RONDEAU. 

Par  Benoist  d'Amiens. 

En  la  grant  mer  de  Desplaisance, 
Sans  avoir  espoir  d'Alegance 
De  trouver  port,  fors  de  Douleur, 
Nage  tousjours  mon  povre  cueur. 
En  bateau  banny  d'Espérance. 

Voille  n'a  que  Decevance, 
Ne  soutte  que  de  Pacience, 
Jamais  n'y  vente  que  Maleur, 
En  la  grant  mer  de  Desplaisance, 
Sans  avoir  espoir  d'Alegance 
De  trouver  port,  fors  de  Douleur. 

Dueil,  Soussy  ont  la  gouvernance, 
Qiii  ne  lui  donnent,  pour  pitance, 
Qiie  bescuit  durcy  de  Langueur, 
Avecques  eaue  de  Rigueur  ; 
Ainsi  languist,  faisant  penance. 
En  la  grant  mer  de  Desplaisance. 

RONDEAU    CCXXXII. 

Quant  Pleur  ne  pleut,  Soui,pir  ne  vente 
Le  bruit  sourt  de  Jeux  et  Risée, 
Et  Joye  vient  appareillée 
De  recevoir  d'Espoir  sa  rente, 

CHARLES    D'ORLÉANS.    II.  l5 


226  CHARLES    d'oRLÉANS. 

Assignée  sur  Longue  Attente, 
Mais  après  loyaument  paiée  ; 
Quant  Pleur  ne  pleut,  Souspir  ne  vente, 
Le  bruit  sourt  de  Jeux  et  Risée. 

Jà  Reconfort  est  mis  en  vente. 
Et  Plaisance  fait  sa  livrée 
De  biens  si  richement  ouvrée 
Que  Dueil  fuyt  et  s'en  mal  contente, 
Quant  Pleur  ne  pleut,  Souspir  ne  vente. 


RONDEAU. 

Par  maistre  Jean  Caillau. 

Quant  Pleurne pleut,  Souspir  ne  vente. 
Si  fait,  dea!  des  foi:^  plus  de  trente. 

Maint  se  tourmente, 
Souffrant  le  revers  de  son  vueil, 
Et  touteffoij  lerme  de  l'ueil 

Neist  hors  du  sueil, 
Pour  parer  du  Courroux  la  rente, 

Du  dolent,  ou  de  la  dolente, 
Qui  seuffre  doleur  non  pas  lente. 

Sans  nulle  attente 
D'assouagement  de  leur  dueil, 
Quant  Pleur  ne  pleut,  Souspir  ne  vente. 

Tant  y  en  a  en  ceste  sente, 
Souff'rans  de  corps,  de  cueur,  d'entente. 

Loin  g  de  la  tente 
Où  sont  Plaisance  et  Doulx  Acueil! 
Quant  à  moy,  des  maulx  que  recueil. 

Dont  tant  me  dueil, 
Seulet,  à  part  moy,  me  guermente, 
Quant  Pleur  ne  pleut,  Souspir  ne  vente. 


RONDEAUX.  227 

RONDEAU   CCXXXIII. 

Quant  je  congnois  que  vous  estes  tant  mien, 
Et  que  m'aymez  de  cueur  si  loyaument, 
Je  feroye  vers  vous  trop  faulcement 
Se,  sans  faindre,  ne  vous  amoye  bien. 

Essayez  moy  se  vous  fauldray  en  rien. 
Gardant  tousjours  mon  honneur  seulement, 
Quant  je  congnois  que  vous  estes  tant  mien, 
Et  que  m'aymez  de  cueur,  si  loyaument. 

Se  me  dittes  :  Las  !  je  ne  sçay  combien 
Vostre  vouloir  durera  longuement  ; 
Je  vous  respons,  sans  aucun  changement, 
Qu'en  ce  propos  me  tendray  et  me  tien. 
Quant  je  congnois  que  vous  estes  tant  mien. 

RONDEAU     CCXXXIV. 

Pour  Monseigneur  de  Beaujeu. 

Puis  qu'estes  de  la  confrairie 
D'Amours,  comme  monstrent  voz  yeulx, 
Vous  y  trouvez  vous  pis,  ou  mieulx  ? 
Qu'en  dittes  vous  de  telle  vie  ? 

Souffler  vous  y  fault  l'alquemie, 
Ainsy  que  font  jeunes  et  vieulx. 
Puis  qu'estes  de  la  confrairie 
D'Amours,  comme  monstrent  voz  yeulx. 

Ne  cuidez  par  nygromancye 
Estre  invisible  ;  se  m'aist  Dieux, 
On  congnoistra,  en  temps  et  lieux, 
Comment  jourez  de  l'escremye, 
Puis  qu'estes  de  la  confrairie. 


228  CHARLES    D'ORLliANS. 

RONDEAU    CCXXXV. 

Dedans  l'amoureuse  cuisine, 
Où  sont  les  bons,  frians  morceaux, 
Avaler  les  convient  tous  chaulx, 
Pour  reconforter  la  poictrine. 

Saulcc  ne  faut,  ne  cameline, 
Pour  jeunes  appetiz  nouveaulx, 
Dedans  l'amoureuse  cuisine, 
Où  sont  les  bons,  frians  morceaux. 

Il  souffist  de  tendre  geline 
Qui  soit  sans  os,  ne  vieilles  peaulx, 
Mainssée  de  plaisans  cousteaux; 
C'est  au  cueur  vraye  medicine, 
Dedans  l'amoureuse  cuisine. 

RONDEAU     CCXXXVI. 

Soupper  ou  baing  et  disner  ou  bateau, 
En  ce  monde  n'a  telle  compaignie, 
L'un  parle  ou  dort,  et  l'autre  chante  ou  crie, 
Les  autres  font  balades,  ou  rondeau. 

Et  y  boit  on  du  viel  et  du  nouveau, 
On  l'appelle  le  desduit  de  la  pie. 
Soupper  ou  baing  et  disner  ou  bateau. 
En  ce  monde  n'a  telle  compaignie. 

Il  ne  me  chault  ne  de  chien  ne  d'oiseau  ; 
Quant  tout  est  tait,  il  fault  passer  sa  vie 
Le  plus  aise  qu'on  peut,  à  chiere  lie  ; 
A  mon  advis,  c'est  mestier  bon  et  beau, 
Soupper  ou  baing  et  disner  ou  bateau. 


RONDEAUX.  229 

RONDEAU    CCXXXVII. 

En  yver,  du  feu,  du  feu, 
Et  en  esté,  boire,  boire. 
C'est  de  quoy  on  fait  mémoire, 
Quant  on  vient  en  aucun  lieu. 

Ce  n'est  ne  bourde,  ne  jeu, 
Qui  mon  conseil  vouldra  croire  : 
En  yver,  du  feu,  du  feu. 
Et  en  esté,  boire,  boire. 

Chaulx  morceaux  faiz  de  bon  queu, 
Fault  en  froit  temps,  voire,  voire. 
En  chault,  froide  pomme  ou  poire, 
C'est  l'ordonnance  de  Dieu, 
En  yver,  du  feu,  du  teu  ! 

RONDEAU     CCXXXVIII. 

Où  le  trouvez  vous  en  escript. 
Se  dient  à  mon  cueur  mes  yeulx, 
Que  nous  ne  soyons  vers  vous  tieulx 
Que  devons,  de  jour  et  de  nuyt  ? 

Se  ne  vous  conseillons  proutïit, 
Nous  en  croirez  vous  ?  nennil.  Dieux  1 
Où  le  trouvez  vous  en  escript? 
Se  dient  à  mon  cueur  mes  yeulx. 

Quant  rapportons  quelque  déduit 
Que  nous  avons  veu  en  mains  lieux. 
Prenez  en  ce  qui  vous  plaist  mieulx. 
L'autre  lessez  est  ce  mau  dit? 
Où  le  trouvez  vous  en  escript  ? 


23o  CHARLES    d'oRLÉANS. 


RONDEAU    CCXXXIX. 

L'cauc  de  Pleurs,  de  Joye  ou  de  Douleur, 
Qui  lait  mculdre  le  molin  de  Pensée, 
Dessus  lequel  la  rente  est  ordonnée, 
Qui  doit  fournir  la  despense  du  cueur, 

Despartir  fait  farine  de  Doulceur, 
D'avecques  son  de  Dure  Destinée, 
L'eaue  de  Pleurs,  de  Joye,  ou  de  Douleur, 
Qui  fait  meuldre  le  molin  de  Pensée. 

Lors  le  mosnier,  nommé  Bon,  ou  Mal  Eur, 
En  prent  proutBt,  ainsi  que  lui  agrée; 
Mais  Fortune  souvent  desmesurée 
Lui  destourbe  mainteftbis,  par  rigueur, 
L'eaue  de  Pleurs,  de  Joye,  ou  de  Douleur, 


RONDEAU    CCXL. 

En  verrây  je  jamais  la  fin 
De  voz  euvres,  Merencolie  ? 
Quant  au  soir  de  vous  me  deslie, 
Vous  me  ratachez  au  matin. 

J'amasse  mieulx  autre  voisin 
Que  vous,  qui  si  fort  me  guerrie. 
En  verray  je  jamais  la  fin 
De  vos  euvres,  Merencolie? 

Vers  moy  venez  en  larrecin. 
Et  me  robez  Plaisance  Lie  ; 
Suis  je  destiné,  en  ma  vie, 
D'estre  tousjours  en  tel  hutin? 
En  verray  je  jamais  la  fin  ? 


RONDEAUX.  23l 


RONDEAU     CCXLI. 

Qu'est  cela  ?  —  C'est  Merencolie, 

—  Vous  n'entrerez  jà,  —  Pourquoy  ? —  Pour  ce 
Que  vostre  compaignie  acourse 

Mes  jours,  dont  je  foys  grant  folie. 

—  Se  me  chassez  par  Chiere  Lie, 
Brïef  revendray  de  plaine  course. 

—  Qu'est  cela  ?  —  C'est  Merencolie, 

—  Vous  n'entrerez  jà,  —  Pourquoy?  —  Pource. 

—  Il  fault  que  Raison  amohe 
Vostre  cueur  et  plus  ne  se  cource. 
Ainsi  pourrez  avoir  ressource, 
Mais  que  vostre  mal  sens  deslie. 

—  Qu'est  cela?  —  C'est  Merencolie. 

RONDEAU    CCXLII. 

Ne  cessez  de  tanser,  mon  cueur, 
Et  fort  combatre  ces  faulx  yeulx 
Que  nous  trouvons,  vous  et  moy,  tieulx. 
Qu'ilz  nous  fpnt  trop  souffrir  douleur. 

Estroittement  commandez  leur 
Qu'ilz  ne  trottent  en  tant  de  lieulx. 
Ne  cessez  de  tanser,  mon  cueur. 
Et  fort  combatre  ces  faulx  yeulx. 

Et  leur  monstrez  telle  rigueur 
Qu'ilz  vous  craingnent,  car  c'est  le  mieulx 
Qu'ilz  obéissent,  se  m'aist  Dieux, 
A  vous,  vous  monstrant  leur  Seigneur; 
Ne  cessez  de  tanser,  mon  cueur. 


2'32  CHARLES    d'oRLÉANS. 


RONDEAU    CCXLIII. 


Je  ne  voy  rien  qui  ne  m'annuye, 
Et  ne  sçay  chose  qui  me  plaise  ; 
Au  fort,  de  mon  mal  me  rapaise, 
Quant  nul  n'a  sur  mon  fait  envye. 

D'en  tant  parler,  ce  m'est  follie, 
Ilvault  trop  mieulx  que  je  me  taise. 
Je  ne  voy  rien  qui  ne  m'annuye, 
Et  ne  sçay  chose  qui  me  plaise. 

Vouldroit  aucun  changer  sa  vie 
A  moy,  pour  essayer  mon  aise  ? 
Ne  trouveroy,  je  l'en  detïie  ; 
Je  ne  voy  rien  qui  ne  m'annuye. 


RONDEAU    CCXLIV. 


Ne  bien,  ne  mal,  mais  entre  deulx 
J'ay  trouvé  au  jourduy  mon  cueur 
Qui,  parmi  Confopt  et  Douleur, 
Se  seioit  ou  millieu  d'entr'eulx. 

Il  me  dit  :  Qu'est  ce  que  tu  veulx  ? 
Peu  respondy  pour  le  meilleur. 
Ne  bien,  ne  mal,  mais  entre  deulx 
J'ay  trouvé  au  jourduy  mon  cueur. 

Aux  dames  et  aux  paons  faiz  veulx, 
Se  Fortune  me  tient  rigueur, 
De  sa  foy  requerray  Bon  Eur 
Qu'il  s'acquitte,  quant  je  me  deulx, 
Ne  bien,  ne  mal,  mais  entre  deulx. 


RONDEAUX.  233 

RONDEAU    CCXLV. 

Fermez  lui  l'uis  au  visaige, 
Mon  cueur,  à  Merencolie, 
Gardez  qu'elle  n'entre  mye, 
Pourgaster  nostre  mesnaige. 

Comme  le  chien  plain  de  raige, 
Chassez  la,  je  vous  en  prie  ; 
Fermez  lui  l'uis  au  visaige, 
Mon  cueur,  à  Merencolie. 

C'est  trop  plus  nostre  avantaige 
D'estre  sans  sa  compaignie. 
Car  tousjours  nous  tanse,  et  crye, 
Et  nous  porte  grand  dommaige. 
Fermez  lui  l'uis  au  visaige. 

RONDEAU    CCXLVI. 

Ou  millieu  d'Espoir  et  de  Doubte 
Les  cueurs  se  mussent  plusieurs  jours, 
Pour  regarder  les  divers  tours 
Dont  Dangier  souvent  les  déboute. 

L'oreille  je  tens  et  escoute 
Savoir  que,  sur  ce,  dit  Secours. 
Ou  millieu  d'Espoir  et  de  Doubte, 
Les  cueurs  se  mussent  plusieurs  jours. 

Eslongné  de  mondaine  route 
Me  tiens,  comme  né  en  decours, 
Entre  les  aveugles  et  sours  ; 
Dieu  y  voye,  je  n'y  voy  goûte 
Ou  millieu  d'Espoir  et  de  Doubte. 


234  CHARLES    d'orlé.vns. 


RONDEAU    CCXLVII. 

Devenons  saiges  désormais, 
Mon  cuear,  vous  et  moy,  pour  le  mieulx, 
Noz  oreilles,  aussi  noz  yeulx, 
Ne  croyons  de  legier  jamais. 

Passer  fault  nostrc  temps  en  paix  ; 
Veu  que  sommes  au  renc  des  vieulx, 
Devenons  saiges  désormais, 
Mon  cueur,  vous  et  moy,  pour  le  mieulx. 

Se  nous  povions  par  souhaiz 
Rasjeunir,  ainsi  m'aide  Dieux, 
Feu  Grejoys  ferions  en  mains  lieux; 
Mais  les  plus  grans  coups  en  sont  faiz, 
Devenons  saiges  désormais. 


RONDEAU     CCXLVIII. 

Qui  le  vous  a  commandé 
Soussy,  de  me  mener  guerre  ? 
Avant  qu'on  vous  aille  querre, 
Venez  sans  estre  mandé. 

M'ordonnez  vous  almandé, 
Quant  Mort  de  son  dart  m'enferre  ! 
Qui  le  vous  a  commandé 
Soussy,  de  me  mener  guerre? 

Pour  Dieu,  tost  soit  amendé 
Le  mal  qui  tant  fort  me  serre  1 
Après  que  seray  en  terre, 
Vous  en  sera  demandé, 
Qui  le  vous  a  commandé  ? 


RONDEAUX  235 


RONDEAU   CCXLIX. 

Une  povre  ame  tourmentée 
Ou  Purgatoire  de  Soussy, 
Est  en  mon  corps  ;  qu'il  soit  îiinsi, 
Il  y  pert,  et  nuyt  et  journée. 

Piteusement  est  detirée. 
Sans  point  cesser,  puis  là,  puis  cy, 
Une  povre  ame  tourmentée 
Ou  Purgatoire  de  Soussy. 

Mon  cueur  en  a  -peine  portée, 
Tant  qu'il  en  est  presque  transy; 
Mais  espérance  j'ay  aussi 
Qu'au  derrenier,  sera  sauvée, 
Une  povre  ame  tourmentée. 


RONDEAU    GCL. 

Ces  beaulx  mignons  à  vendre  et  à  revendre, 
Regardez  les,  sont  ilz  pas  à  louer  ? 
Au  service  sont  tous  près  d'eulx  louer 
Du  Dieu  d'Amours,  s'il  lui  plaist  à  les  prendre. 

Bon  escolle  sauront  bientost  aprendre  ; 
Bons  escolliers,  je  les  vueil  advouer, 
Ces  beaulx  mignons  à  vendre  et  à  revendre  ; 
Regardez  les,  sont  ilz  pas  à  louer  ? 

Et  s'ilz  faillent,  il  les  pourra  reprendre, 
Quant  ilz  vouldront  trop  nycement  jouer. 
Et  sus  leurs  braz  la  chemise  nouer, 
Tant  qu'au  batre  ne  se  puissent  deffendre. 
Ces  beaulx  mii^nons  à  vendre  et  à  revendre. 


2Jb  CHARLES  d'orléans. 


RONDEAU     CCLI. 

D'Espoir,  il  n'en  est  nouvelles. 
Qui  le  dit?  Merencolie. 
Elle  ment.  Je  vous  le  nye. 
A!  a!  vous  tenez  ses  querelles! 

Non  faiz,  mais  parolles  telles 
Courent,  je  vous  certiffie. 
D'Espoir,  il  n'en  est  nouvelles. 
Qui  le  dit?  Merencolie. 

Parlons  doncques  d'aultres,  quelles? 
De  celles  dont  je  me  rie. 
Peu  j'en  sçay.  Or  je  vous  prie 
Que  m'en  contez  des  plus  belles. 
D'Espoir,  il  n'en  est  nouvelles. 


RONDEAU. 

Par  maistre  Jehan  Caillau. 

Espoir  où  est?  en  chambre  close. 
Et  là  que/ait?  il  se  repose. 
Sera  il  empiece  esveillé  ? 
Il  dit  que  il  a  trop  veillé, 
Et  que  dormir  veult  une  pose. 

Qiie  pour  quelque  pris  je  compose 
A  vous,  et  l'esveiller  je  n'ose. 
Car  il  est  las  et  traveillé. 
Espoir  oit  est?  en  chambre  close. 

Par  Dieu,  ainsi  que  Je  suppose, 
Il  fait  quelque  roman  ou  glose  ; 


RONDEAUX.  237 

Moy  mesmes  suis  esmerveillé 
De  le  veoir  si  ensommeillé , 
Ne  m'en  direz  vous  autre  chose  ? 
Espoir  où.  est?  en  chambre  close. 


RONDEAU     CCLII. 

Pour  empescher  le  chemin, 
Il  ne  fault  qu'un  amoureux 
Qui,  en  penser  désireux, 
Va  songant  soir  et  matin. 

Donnez  lui  ung  bon  tatin, 
Il  s'endort  le  maleureux. 
Pour  empescher  le  chemin. 
Il  ne  fault  qu'un  amoureux. 

D'eaue  tout  plain  ung  bassin 
Eust  il  dessus  ses  cheveulx, 
D'un  coup  d'esperon,  ou  deux, 
Ne  veult  chasser  son  roussin, 
Pour  empescher  le  chemin. 

RONDEAU    CCLIII. 

Qu'est  ce  la?  qui  vient  si  matin  ? 
—  Se  suis  je.  —  Vous,  saint  Valeniin! 
Qui  vous  amaine  maintenant, 
Ce  jour  de  Karesme  prenant, 
Venez  vous  départir  butin  ? 

A  présent  nully  ne  demande. 
Fors  bon  vin  et  bonne  viande, 
Banquetz  et  faire  bonne  chicre. 

Car  Karesme  vient  et  commande 
A  Charnaige,  tant  qu'on  le  mande, 


238  CHARLES    d' OR  LÉ  ANS. 

Que  pour  ung  temps  se  tire  arrière. 

Ce  nous  est  ung  mauvaiz  tatin, 
Je  n'y  entens  nul  bon  latin  ; 
Il  nous  fauldra  dorénavant 
Confesser,  penance  faisant  ; 
Fermons  lui  l'uys  à  tel  hutin. 
Qu'est  ce  la  ?  qui  vient  si  matin  ? 


RONDEAU    CCLIV. 

Commandez  qu'elle  s'en  voise, 
Mon  cueur,  à  Merencolie, 
Hors  de  vostre  compaignie, 
Vous  laissent  en  paix  sans  noise. 

Trop  a  esté,  dont  me  poise, 
Avecques  vous,  c'est  folie. 
Commandez  qu'elle  s'en  voise, 
Mon  cueur,  à  Merencolie. 

Oncques  ne  vous  fust  courtoise, 
Mais  les  jours  de  vostre  vie 
A  traittez  en  tirannie  ; 
Sang  de  moy,  quelle  bourgeoise  ! 
Commandez  qu'elle  s'en  voise. 


RONDEAU. 

Du  duc  de  Bourbon  (jadis  Clermont). 

Je  gis  au  Ht  d'amertume  et  doleiir. 
Livré  à  mort,  par  faulte  de  secours, 
Et  si  tîe  sçay  quant  Jinera  le  cours 
De  mon  aspre  et  immortel  malheur. 


RONDEAUX.  2-')9 

Prie^  pour  moy,  car  je  m'en  vois  mourir, 
Mes  bons  amis,  aie^  en  souvenance  ; 
On  ne  me  veult  au  besoing  secourir, 
Requerej  en,  après  mes  jours,  vengance, 

Si  vous  }n'ame:{.  Car  c'est  pour  la  valleur 
D'une  sans  per,  qu'ainsi  mest  au  decours 
Ma  povre  vie,  sans  répit,  ne  recours  ; 
Pour  estre  tant  son  loyal  serviteur, 
Je  gis  au  lit  d' amertume  et  doleur. 


RONDEAU    CCLV. 

Réponse  du  duc  d'Orléans. 

Comme  parent  et  alyé 
Du  duc  Bourbonnois  à  présent, 
Par  ung  rondeau  nouvellement 
Me  tiens  pour  requis  et  payé. 

Par  une,  gist  malade,  mis 
Ou  lit  d'amertume  et  grevance, 

Requérant  tous  ses  bons  amis, 
S'il  meurt,  qu'on  demande  vengance. 

Quant  à  moy,  j'ay  jà  defïié 
Celle  qui  le  tient  en  tourment, 
Et  après  son  trespassement, 
Par  moy  sera  bien  hault  crié 
Gomme  parent  et  alyé. 

RONDEAU    CCLVI. 

_/         Quant  ung  cueur  se  rent  à  beaulx  yeulx, 
Criant  mercy  piteusement, 


240  CHARLES    D   ORLÉANS. 

S'ilz  le  chastient  rudement, 

Et  il  meurt,  qu'en  valent  ilz  miculx? 

Batu  de  verges  de  Beaultc, 
De  lui  font  sang  par  tout  courir, 

Mais  qu'il  n'ait  fait  deslcauté, 
Pitié  le  devroit  secourir, 

S'il  n'a  point  hanté  entre  tieulx 
Qui  ne  s'aquittent  loyaument  ; 
Doit  estre  tel  pugnissement, 
A  mon  advis,  en  autres  lieux. 
Quant  ung  cueur  se  rent  à  beaulx  yeulx. 


RONDEAU. 

Par  le  grand  sénéchal. 

Ma  fille  de  confession, 
Veuille^  avoir  compassion 
De  cellui  qui  sert  loyaument, 
Et  qui  est  vostre  entièrement, 
Sans  point  faire  de  fiction. 

Selon  raison  et  conscience, 
Tort  lui  tendre^,  c'est  ma  créance, 
S'il  n'a  bien  brief  ce  que  tant  vault. 

Je  vous  charge  par  pénitence 
Qii'aye^  en  lui  toute  fiance, 
Sans  plus  respondre  :  Ne  m'en  chault. 

Cellui  qui  souffrist  Passion, 
Vous  doint  bonne  contriccion. 
Au  chois  de  mon  entendement. 
Plus  eureux  soub^  le  firmament 
N'auroit,  dont  il  soit  mencion. 
Ma  fille  de  confession. 


RONDEAUX, 

RONDEAU    CCLVII. 

Réponse  du  duc  d'Orléans. 

Beau  Père  !  benedicite, 
Je  vous  requier  confession, 
Et,  en  humble  contnction, 
Mon  pechié  sera  recité. 

En  moy  n'a  eu  mercy,  ne  grâce. 
Prenant  de  ma  beaulté  orgueil  ; 
Amours  me  pardoint  !  ainsi  face; 
Désormais  repentir  m'en  vueil. 

Refïus  a  mon  cueur  délité  ; 
J'en  feray  satisfacion, 
Donnez  m'en  absolucion 
Et  penance,  par  charité, 
Beau  Père  !  benedicite. 

RONDEAU. 

Par  Blosseville. 

Ma  tresbelle,  plaisante  seiir, 
Confiteor  du  bon  du  cueur 
Dittes,  par  grant  devocion, 
Sans  plus  avoir  intencion 
De  maintenir  vostre  folleur. 

Car  tost  après,  de  ma  puissance 
Vous  absouldray,  en  espérance 
Que  doulce  sere^  envers  tous. 

Et  vous  enjoings,  par  penitance. 
De  donner  demain  allegance 
A  cellui  qui  se  meurt  par  vous  ; 

CHARLES  d'ori.éans.  i(.  i6 


241 


242       ■  CHARLES     d'oRLÉANS. 

Lequel,  par  vostre  gram  rigueur, 
Seuffre,  comme  j'entens,  doïeur, 
Et  sans  cause  pugnicUm  ; 
Dont  jà  n'aure^  remission. 
Tant  qu'il  en  soit  hors,  j'en  suis  seur, 
Ma  tresbelle^  plaisante  seur. 


RONDEAU. 
Par  le  duc  de  Bourbon. 

Je  sens  le  mal  qu'il  me  convient  porter 
Non  advenu,  mais  je  crains  qu'il  aviengne. 
Et  qu'en  la  fin  maleureux  je  deviengne. 
Sans  m  asservir  ailleurs,  ne  transporter. 

S'ainsi  advient  qu'à  cort  on  m'abandonne, 
Qiie  Dieu  ne  vueille  !  que  fer ay  je  sans  per' 
Las!  je  ne  sça^^!  si  ce  mal  on  me  donne. 
Des  malheureux  je  seray  le  non  per. 

Pour  le  meilleur,  il  me  fault  déporter 
Jusques  à  tant  que  ce  maleur  me  viengne  ; 
Mais  à  ma  Dame  hardiement  en  souviengne , 
Car,  pour  tousjours  sa  rigueur  supporter, 
Je  sens  le  mal  qu'il  me  convient  porter. 


RONDEAU    CCLVIII. 

Response  d'Orléans  à  Bourbon. 

A  voz  amours  hardiement  en  souviengne, 
Duc  de  Bourbon  ;  se  mourez  par  rigueur, 
Jamais  n'auront  ung  bi  bon  serviteur, 
Ne  qui  vers  eulx  tant  loyaument  se  tiengne. 


RONDEAUX.  243 

Dieu  ne  vueille  que  tel  meschief  adviengne, 
Hz  perdroient  leur  renom  de  doulceur. 
A  voz  amours  hardiement  en  souviengne, 
Duc  de  Bourbon,  se  mourez  par  rigueur. 

S'il  est  jangleur  qui  sottement  maintiengne 
Que  Bourbonnois  ont  souvent  legier  cueur, 
Je  ne  respons,  fors  que  pourvostre  honneur 
Espérance  convient  que  vous  soustiengne. 
A  voz  amours  hardiement  en  souviengne! 

RONDEAU. 

Par  le  duc  de  Bourbon. 

Prene'^  l'ommaige  de  mon  cueur. 
En  recevant  sa  féaulté, 
Et  il  gardera  loyaulté, 
Comme  doit  le'al  serviteur. 

S'il  se  forfait  en  vous  servant. 
Et  qu'il  soit  clerement  cogneu, 
Ne  le  tene^  plus  pour  servant, 
Banny  soit  comme  descongneu. 

Mais  ce  pendant,  toute  doulceur 
Lui  soit  faitte,  sans  cruaulté! 
Attendant  que  vostre  beaulté 
Ait  pouveu  à  sa  grant  douleur, 
Prene^  l'ommaige  de  mon  cueur. 

RONDEAU     CCLIX. 

Descouvreur  d'embusche,  sot  ucil, 
Pourquoy  as  tu  passé  le  sueil 
De  ton  logis,  sans  mandement 
Et  par  oultrageux  hardement, 


244  CHARLES    d'oRLÉANS. 

As  entrepris  contre  mon  vueil  ? 

Demourer  en  repos  je  vueil, 
Et  en  paix  faire  mon  recueil, 
Sans  guerre  avoir  aucunement, 
Descouvreur  d'embusche,  sot  ueil, 
Pourquoy  as  tu  passé  le  sueil? 

En  aguet  se  tient  Bel  Acueil , 
Et  se  par  puissance,  ou  orgueil, 
Une  foiz  en  ses  mains  te  prent. 
Tu  fineras  piteusement 
Tes  jours,  en  la  prison  de  Dueil, 
Descouvreur  d'embusche,  sot  ueil. 


RONDEAU. 

Par  Fraignê. 

Mon  oeil  m'a  dit  qu'il  me  defpe 
A  tousjours  mais,  sans  repentir, 
Se  je  ne  lui  fais  ce  plaisir 
D^amer  une  qu'il  a  choisie. 

Se  c' estait  pour  sauver  sa  vie, 
Plus  ne  m'en  pourroit  requérir; 
Mon  oeil  m'a  dit  qu'il  me  deffie 
A  tousjours  mais,  sans  repentir. 

Je  lui  ay  dit  :  Tu  fais  folie, 
Je  teprjy,  laisse  moy  dormir, 
Je  n''ay  pas  à  présent  loisir 
De  penser  à  ta  resverie. 
Mon  oeil  m'a  dit  qu'il  me  defjîe. 


RONDEAUX.  245 

RONDEAU. 

Par  le  m'me. 

Mon  oiieil^je  te  pry  et  requîer 
Que  tu  n'ayes  plus  en  pensée 
D'aler  veoir  ma  tant  désirée, 
Où  tu  me  met^  en  grant  dangier. 

Et  si  te  dy,  pour  abregier, 
Que  c'est  ma  mort  toute  jurée. 
Mon  oueil,je  te  pry  et  requier 
Que  tu  n'ayes  plus  en  pensée. 

Quant  tu  la  verras  au  moustier, 
Ou  quelque  part  à  la  passée. 
Ne  te  met:^  pas  à  sa  visée, 
Car  périlleux  est  tel  archier. 
Mon  oueil,je  te  pry  et  requier. 

RONDEAU    CCLX. 

Amours,  à  vous  ne  chault  de  moy, 
N'a  moy  de  vous,  c'est  quitte  et  quitte; 
Ung  vieillart  jamais  ne  proutfite 
Avecques  vous,  comme  je  croy. 

Puisque  suis  absolz  de  ma  foy, 
Et  Jeunesse  m'est  interditte, 
Amours,  à  vous  ne  chault  de  moy, 
N'a  moy  de  vous,  c'est  quitte  et  quitte. 

Jeune,  sceu  vostre  vieille  loy, 
Vieil,  la  nouvelle  je  despitte. 
Ne  je  ne  crains  la  mort  subitte 
De  Regart  ;  qu'en  dittes  vous,  quoy? 
Amours,  à  vous  ne  chault  de  moyl 


240  CHARLES    D   ORLEANS. 


RONDEAU     CCLXI. 


J'ay  pris  le  logis  de  bonne  heure 
D'Espoir,  pour  mon  cueur,  au  jourduy, 
Affin  que  les  fourriers  d'Annuy 
Ne  le  preignent  pour  sa  demeure. 

Veu  que,  nuyt  et  jour,  il  labcure 
De  me  gaster,  et  je  le  fuy, 
J'ay  pris  le  logis  de  bonne  heure 
D'Espoir,  pour  mon  cueur,  au  jourduy. 

Bon  Eur,  avant  que  mon  cueur  meure, 
L'aidera,  il  se  fye  en  luy  ; 
Autre  part  ne  quiers  mon  apuy; 
En  attendant  qu'il  me  sequeure, 
J'ay  pris  le  logis  de  bonne  heure. 


RONDEAU    CCLXir. 

Fyez  vous  y,  se  vous  voulez, 
En  Espoir  qui  tant  promet  bien  ; 
Mais  souventeftbiz  n'en  fait  rien, 
Dont  mains  cueurs  se  sentent  foulez. 

Quant  Désir  les  a  affolez, 
Au  grand  besoing  leur  fault  du  sien  ; 
Fyez  vous  y,  se  vous  voulez, 
En  Espoir  qui  tant  promet  bien 

Lors  sont  de  Destresse  affolez  ; 
J'aymeroye,  pour  le  cueur  mien, 
Mieulx  que  deux  tu  l'aras,  ung  tien. 
Quant  les  oyseaulx  s'en  vont  voliez, 
Fyez  vous  y,  se  vous  voulez! 


itONDEAUX.  247 

RONDEAU    CCLXIII. 

Escoutez  et  laissez  dire, 
Et  en  voz  mains  point  n'empire 
Le  mal,  retournez  le  en  bien  ; 
Tout  yra,  n'en  doubtez  rien, 
Si  bien  qu'il  devra  suffire. 

Dieu,  comme  souverain  mire, 
Fera  mieulx  qu'on  ne  désire, 
Et  pourverra;  tout  est  sien. 
Escoutez  et  laissez  dire, 
Et  en  voz  mains  point  n'empire. 

Chascun  à  son  propos  tire. 
Mais  on  ne  peut  pas  eslire; 
Je  l'ay  trouvé,  ou  fait  mien  ; 
Au  fort,  content  je  m'en  tien, 
Car  après  pleurer,  vient  rire. 
Escoutez  et  laissez  dire. 

RONDEAU    CCLXIV. 

En  arrierefief  soubz  mes  yeulx, 
Amours,  qui  vous  ont  fait  hommaige, 
Je  tiens  de  mon  cueur  l'eritaige; 
A  vous  sommes  et  serons  ticul.K, 

Voz  vraiz  subgietz,  voire  des  vieulx, 
Soit  nostre  prouffit,  ou  dommaige, 
En  arrierefief  soubz  mes  yeulx, 
Amours,  qui  vous  ont  fait  hommaige. 

J'appelle  Déesses  et  Dieux 
Sur  ce,  vers  vous,  en  tesmoingnaige, 
Se  voulez,  j'en  tendray  ostaige, 
(Vous  puis  je  dire,  ou  faire  mieulx?) 
En  arrierefief  soubz  mes  yeuîx. 


248  CHARLES   d'oRLÉANS. 


RONDEAU    CCLXV. 

J'en  baille  le  dénombrement 
Que  je  tiens  soubz  vous  loyaument, 
Loyal  Désir  et  Bon  Vouloir; 

Mais  j'ay  trop  engagé  Povoir, 
Se  je  n'en  ay  relievement. 

Je  vous  ay  servi  longuement, 
En  y  despendant  largement 
Des  biens  que  j'ay  peu  recevoir. 
J'en  baille  le  dénombrement 
Que  je  tiens  soubz  vous  loyaument, 
Loyal  Désir  et  Bon  Vouloir. 

Vieillesse  m'assault  Tellement, 
Et  me  veult  à  destruisement 
Mener,  mais,  veu  qu'ay  fait  devoir, 
Que  m'aiderez  j'ay  ferme  espoir. 
A  mes  droiz  voyez  les  Comment, 
J'en  baille  le  dénombrement. 


RONDEAU    CCLXVL 

Je  suis  à  cela 
Que  Merencolie 
Me  gouvernera. 

Qui  m'en  gardera? 
Je  suis  à  cela. 

Puisqu'ainsi  me  va, 
Je  croy  qu'à  ma  vie 
Autre  ne  sera, 
Je  suis  à  cela. 


RONDEAUX.  249 


RONDEAU   CCLXVII. 

On  ne  peult  chastier  les  yeulx, 
N'en  chevir,  quoy  que  l'en  leur  dye, 
Dont  le  cueur  se  complaint  et  crye, 
Quant  s'esgarent  en  trop  de  lieux. 

Seront  ilz  tousjours  ainsi?  Dieux! 
Rien  n'y  vault  s'on  les  tan  se  ou  prie. 
On  ne  peult  chastier  les  yeulx, 
N'en  chevir,  quoy  que  l'en  leur  die. 

Quant  aux  miens,  ilz  sont  desja  vieulx 
Et  assez  lassez  de  foUie  •, 
Les  yeulx  jeunes,  fault  qu'on  les  lye 
Comme  enragiez,  n'est  ce  le  mieulx? 
On  ne  peult  chastier  les  yeulx. 


RONDEAU  CCLXVIII. 

Tel  est  le  partement  des  yeulx, 
Quant  congié  prennent  doulcement, 
D'eulx  retraire  piteusement, 
En  regretz  privez,  pour  le  mieulx. 

Lors  divers  se  dient  adieux, 
Esperans  revenir  briefment. 
Tel  est  le  partement  des  yeulx, 
Quant  congié  prennent  doulcement  ! 

Et  si  laissent,  en  plusieurs  lieux. 
Des  lermes  par  engagement 
Pour  paier  leur  deffrayement. 
En  gettant  souspirs.  Dieu  scet  quieulx; 
Tel  est  le  partement  des  yeulx  ! 


250  CHARLES    d'oRLÉANS. 


RONDEAU    CCLXIX. 

Sont  les  oreilles  estouppces? 
Rapportent  ilz  au  cueur  plus  rien? 
Ouyl,  plustost  le  mal  que  bien, 
Quant  on  ne  les  tient  gouvernées. 

Se  leurs  portes  ne  sont  fermées, 
Tout  y  court  de  va  et  de  vien. 
Sont  les  oreilles  estouppées  ? 
Rapportent  ilz  au  cueur  plus  rien  ? 

Les  miennes  seront  bien  t;ardées 
De  Non  Chaloir,  que  portier  tien  ; 
Dont  se  plaint  et  dit  le  cueur  mien  ; 
On  ne  me  sert  plus  de  pensées, 
Sont  les  oreilles  estouppées  ? 


RONDEAU    CCLXX. 

Pour  monstrer  que  j'en  ay  esté, 
Des  amoureux  aucuneflbiz, 
Ce  May,  le  plus  plaisant  des  mois, 
Vueil  servir,  ce  présent  Esté. 

Quoy  que  Soucy  m'ait  arresté, 
Sans  son  congié,  je  m'y  envoiz  ; 
Pour  monstrer  que  j'en  ay  esté, 
Des  amoureux  aucuneffbiz. 

Pource,  je  me  tiens  apresté 
A  deduiz,  en  champs  et  en  bois, 
S'Amours  y  prent  nulz  de  ses  droitz, 
Quelque  bien  m'y  sera  preste  ; 
Pour  monstrer  que  j'en  ay  esté. 


RONDEAUX.  2?I 


RONDEAU    CCLXXI. 

Tant  ay  largement  despendu 
Des  biens  d'amoureuse  richesse, 
Ou  temps  passé  de  ma  jeunesse, 
Que  trop  chier  m'a  esté  rendu. 

Car  lors  à  rien  je  n'ay  tendu 
Qu'à  conquester  foison  lyesse  ; 
Tant  ay  largement  despendu 
Des  biens  d'amoureuse  richesse  ! 

Commandé  m'est  et  defFendu 
Désormais  par  Dame  Vieillesse, 
Qu'aux  jeunes  gens  laisse  prouesse 
Tout  leur  ay  remis  et  vendu 
Tant  ay  largement  despendu. 


RONDEAU    CCLXXII. 

Jaulier  des  prisons  de  Pensée, 
Soussy,  laissez  mon  cueur  yssir, 
Pasmé  l'ay  veu  esvanouir 
En  la  fosse  descontortée. 

Mais  que  seurté  vous  soit  donnée 
De  tenir  foy  et  revenir, 
Jaulier  des  prisons  de  Pensée, 
Soussy,  laissez  mon  cueur  yssir. 

S'il  mouroit  en  prison  fermée, 
Honneur  n'y  povez  acquérir  ; 
V'ueilliez  au  moins  tant  l'eslargir 
Qu'ait  sa  finance  pourchassée, 
Jaulier  des  prisons  de  Pensée. 


252  CHARLES    d'oRLÉANS. 

RONDEAU. 

Par  Simonet  Caillau. 


JailUer  des  prisons  de  Pensée, 
Mon  povre  cueur  aux  fers  tene^. 
Et  dit  on  que  vous  lui  donne^, 
Chascun  jour,  une  bastonnce. 

Est  ce  par  sentence  ordonnée 
Qu'en  ce  point  le  me  gouverne^  f 
Jaulier  des  prisons  de  Pensée, 
Mon  povre  cueur  aux  fers  tene^. 

Se  la  cause  estoit  bien  menée, 
On  jugerait  que  mesprenej 
Et  qu'à  grant  tort  le  retene^. 
Sans  plainte  de  personne  née, 
Jaulier  des  prisons  de  Pensée. 


RONDEAU 

Par  Tignonville, 

Jaulier  des  prisons  de  Pensée, 
Avej  vous  le  commandement 
De  traitter  ainsi  rudement 
Les  povres  cueurs,  en  ceste  année? 

Vous  est  la  puissance  donnée 
De  par-  Soussy,  ou  autrement? 
Jaulier  des  prisons  de  Pensée, 
Ave^  vous  le  commandement? 


RONDEAUX.  253 

Dedens  la  chartre  adoulée, 
Tenir  les  deussie^  doulcement  ; 
Batre  ne  deve^  nullement 
Prisonniers  en  fosse  fermée, 
Jaulier  des  prisons  de  Pensée. 

RONDEAU. 

Par  Gilles  des  Ormes. 

Jaulier  des  prisons  de  Pensée, 
Qui  tenet^  tant  de  gens  de  bien, 
Ouvre^  leur,  il^  paieront  bien 
Le  droit  de  Vyssue  et  l'entrée. 

11^  m'ont  commission  baillée 
D'appointer,  dittes  moi  cotnbien, 
Jaulier  des  prisons  de  Pensée, 
Qui  tene^  tant  de  gens  de  bien  ? 

Car  fay  cy  finance  apportée 
Asse^,  que  du  leur,  que  du  mien. 
Tant  qu'on  ne  vous  en  devra  rien. 
Jusqu'à  la  derreniere  journée, 
Jaulier  des  prisons  de  Pensée. 

RONDEAU. 
Par  Hugues  Le  Voys. 

Jaulier  des  prisons  de  Pensée, 
Ouvres  à  Re confort  la  porte, 
Car  à  mon  cueur  l'aumosne  porte 
Que  mes  yeulx  lui  ont  pourchassée. 

Tenu  l'avej,  mainte  journée, 
Ou  cep  d'Anuy  et  prison  forte  ; 


254  CHARLES    d'oRLÉANS. 

Jaulier  des  prisons  de  pensée, 
Oiivre^  à  Reconfort  la  porte. 
Tant  a  fain  et  soif  endurée 
Qu'il  a  perdu  couleur  et  sorte, 
Helas!  pour  Dieu,  qu'on  le  supporte. 
Autrement  sa  vie  est  finée, 
Jaulier  des  prisons  de  Pensée! 


RONDEAU    CCLXXIII. 

Donnez  l'aumosne  aux  prisonniers, 
Réconfort  et  Espoir  aussi; 
Tant  feray  au  jaulier  Soussi 
Qu'il  leur  portera  voulentiers. 

Hz  n'ont  ne  vivres,  ne  deniers. 
Crians  de  tain  ;  il  est  ainsi  ; 
Donnez  l'aumosne  aux  prisonniers, 
Reconfort  et  Espoir  aussi. 

Meschans  ont  esté  mesnagiers, 
Tenuz  pour  debte  jusques  cy; 
Faittes  les  euvres  de  mercy, 
Comme  vous  estes  coustumiers  : 
Donnez  l'aumosne  aux  prisonniers. 

RONDEAU. 
Par  Benoist  d'Amiens» 

N'oublie^  pas  les  prisonniers, 
Bonnes  gens,  aie^  en  mercy; 
11:^  sont  en  la  tour  de  Soussy 
Et  tfont  ne  mailles,  ne  deniers. 


RONDEAUX.  255 

Larrons  ne  sont  point,  ne  uinrtriers, 
Par  Envie  on  les  tient  ainsi. 
N'oublie:^  pas  les  prisonniers, 
Bonnes  gens,  aie^  en  mercy. 

Fait  tes  comme  bons  aumosniers, 
Pour  la  grant  pitié  que  vee:^  cy, 
Et  pour  vous  prieront  Dieu  aussi 
De  tresbon  cueur  et  voulentiers  ; 
N'oublie^  pas  les  prisonniers. 


RONDEAU  CCLXXIV. 

Banissons  Soussy,  ce  ribault 
Batu  de  verges  par  la  ville, 
C'est  ung  crocheteur  trop  habille 
Pour  embler  Joye  qui  tant  vault. 

Copper  une  oreille  lui  fault. 
Il  est  fort  larron  entre  mille. 
Banissons  Soussy,  ce  ribault 
Batu  de  verges  par  la  ville. 

Se  plus  ne  revient,  ne  m'en  chault; 
Laissez  le  aller  sans  croix,  ne  pille. 
Le  Deable  l'ait  ou  trou  SebiUe  ; 
Point  n'en  saille  pour  froit,  ne  chault. 
Banissons  Soussy,  ce  ribault. 

RONDEAU  CCLXXV. 

Des  vieilles  defferres  d'Amours 
?e  suis  à  présent,  Dieu^mercy; 
Vieillesse  me  gouverne  ainsi, 
Qui  m'a  condempné  en  ses  cours. 


256  CHARLES    d'oRLÉANS. 

Je  m'esbahis  quant  à  rebours 
Voy  mon  fait,  disant  :  Qu'est  ce  cy? 
Des  vieilles  defferres  d'Amours, 
Je  suis  à  présent,  Dieu  mercy. 

Mon  vieil  temps  convient  qu'ait  son  cours, 
Qui  en  tutelle  me  tient  sy 
Du  jaulier  appelle  Soussy, 
Que  rendu  me  tiens  pour  tousjours, 
Des  vieilles  déferres  d'Amours. 


RONDEAU     CCLXXVl. 

Comme  monnoye  descriée, 
Amours  ne  tient  compte  de  moy; 
Jeunesse  m'a  laissé,  pourquoy? 
Je  ne  suis  plus  de  sa  livrée. 

Puis  que  telle  est  ma  destinée, 
Désormais  me  fault  tenir  coy. 
Comme  monnoye  descriée, 
Amours  ne  tient  compte  de  moy. 

Plus  ne  prent  plaisir  qu'en  pensée 
Du  temps  passé  ;  car,  sur  ma  foy, 
Ne  me  chault  du  présent  que  voy, 
Car  Vieillesse  m'est  délivrée 
Comme  monnoye  descriée. 

RONDEAU. 
Par  Hugues  le  Voys. 

Comme  monnoye  descriée, 
Loyaulté  je  voy  abriée 
Dessoub^  le  pavillon  de  Honte, 


AOHUEAUX.  lOj 

Par  Faulceté  qui  la  surmonte, 
Et  l'a  d'oultrance  deffiée. 

De  Bonne  Foy  s'est  aljrée, 
Et  de  son  aide  l'a  priée, 
Mais  on  n'en  tient  que  peu  de  conte. 
Comme  monnoye  descriée, 
Loyaulté  je  voy  abriée 
Dessoub:^  le  pavillon  de  Honte. 

Du  tout  la  tiens  pour  ravallée. 
Par  montaigne  et  par  vallée. 
Est  notoire  ce  que  raconte. 
En  maison  de  Duc,  ne  de  Conte, 
Ne  se  treuve  qu'à  l'eschappée. 
Comme  monnoye  descriée. 


RONDEAU    CCLXXVII. 


Laissez  Baude  buissonner, 
Le  vieil  Briquet  se  repose, 
Désormais  travailler  n'ose, 
Abayer,  ne  mot  sonner. 

On  lui  doit  bien  pardonner, 
Ung  vieillart  peut  pou  de  chose. 
Laissez  Baude  buissonner. 
Le  vieil  Briquet  se  repose. 

Et  Vieillesse  emprisonner 
L'a  voulu,  en  chambre  close  ; 
Par  quoy  j'entens  que  propose 
Plus  peine  ne  lui  donner. 
Laissez  Baude  buissonner. 


CHARLES   D'ORLÉANS.   II.  fj 


58  CHARLES    D'ORLÉANS. 


RONDEAU    CCLXXVIII. 

Quant  me  treuve  seul,  à  part  moy, 
Et  n'ay  gueres  de  compaignie, 
Ne  demandez  pas  s'il  m'ennuye, 
Car  ainsi  est  il,  sur  ma  foy. 

En  riens  Plaisance  n'aperçoy, 
Fors  comme  une  chose  endormye, 
Quant  me  treuve  seul,  à  part  moy, 
Et  n'ay  gueres  de  compaignie. 

Mais  s'entour  moy  plusieurs  je  voy, 
Et  qu'on  rie,  parle,  chante  ou  crye, 
Je  chasse  hors  Merencolie 
Que  tant  haïr  et  craindre  doy, 
Quant  me  treuve  seul,  à  part  moy. 


RONDEAU    CCLXXIX. 

Trop  ennuyez  la  compaignie, 
Douloureuse  Merencolie, 
Et  troublez  la  feste  Je  Joye  ; 
Foy  que  doy  à  Dieu,  je  vouldroye 
Que  feussiez  du  pays  bannie. 

Vous  venez  sans  que  l'on  vous  prie, 
Bon  gré,  maugré,  à  l'estourdie, 
Alez,  que  plus  on  ne  vous  voye. 
Trop  ennuyez  la  compaignie, 
Douloureuse  Merencolie, 
Et  troublez  la  feste  de  Joye. 

Soussy  avecques  vous  s'alye, 
Si  lui  dy  je  que  c'est  folie. 


RONDEAUX.  250 

Quel  mesnaige  !  Dieu  vous  convoyé 
Si  loing,  tant  que  je  vous  revoye 
Quérir,  quant?  jamais  en  ma  vie  ; 
Trop  ennuyez  la  compaignie  ! 


RONDEAU    CCLXXX. 


Escollier  de  MerencoUe, 
Des  verges  de  Soussy  batu, 
Je  suis  à  l'estude  tenu, 
Es  derreniers  jours  de  ma  vie. 

Se  j'ay  ennuy,  n'en  doubtez  mye, 
Quant  me  sens  vieillart  devenu, 
Escollier  de  Merencolie, 
Des  verges  de  Soussy  batu. 

Pitié  convient  que  pour  moy  prie 
Qui  me  treuve  tout  esperdu  ; 
Mon  temps  je  perds  et  ay  perdu, 
Comme  rassoté  en  folie, 
Escollier  de  Merencolie. 


RONDEAU. 

Escollier  de  Merencolie, 
Par  Soussy  qui  est  le  recteur, 
A  l'estude  est  tenu  mon  cueur  ; 
Et  Dieu  scet  comme  on  le  chastie. 

De  s'y  mettre fist  grant  folie, 
Car  on  le  tient  à  la  rigueur, 
Escollier  de  Merencolie, 
Par  Soussy  qui  est  le  recteur. 


2U0  en  ARLES   D    ORLEANS. 

Bon  Temps  n'aura  jour  de  sa  vie; 
Puisqu'il  y  est,  de  scn  maleur, 
Dedans  le  livre  de  Douleur 
Lui  est  force  qu'il  estudie, 
Escollier  de  Merencolie. 


RONDEAU     CCLXXXI. 

Et  fust  ce  ma  mort,  ou  ma  vie, 
Je  ne  puis  de  mon  cueur  chevir 
Qu'il  ne  vueille  conseil  tenir 
Souvent,  avec  Merencolie. 

Si  lui  dy  je  que  c'est  folie  ; 
Mais  comme  sourt  ne  veult  oïr; 
Et  fust  ce  ma  mort,  ou  ma  vie. 
Je  ne  puis  de  mon  cueur  chevir. 

A  Grâce,  pource,  je  supplie 
Qu'il  lui  plaise  me  secourir; 
Au  paraller,  ne  puis  fournir, 
Se  ne  m'aide  par  Courtoisie, 
Et  fust  ce  ma  mort,  ou  ma  vi?. 


RONDEAU    CCLXXXII. 

Allez  vous  en  d'ont  vous  venez, 
Ennuyeuse  Merencolie, 
Certes  on  ne  vous  mande  mye, 
Trop  privée  vous  devenez. 

Soussy  avecques  vous  menez, 
Mon  huis  ne  vous  ouvreray  mye. 
Allez  vous  en  d'ont  vous  venez, 
Ennuyeuse  Merencolie. 


RONDEAUX.  261 

Car  mon  cueuren  tourment  tenez, 
Quant  estes  en  sa  compaignie  ; 
Prenez  congié,  je  vous  en  prie, 
Et  jamais  plus  ne  retournez; 
Allez  vous  en  d'ont  vous  venez. 


RONDEAU     CCLXXXIII. 

A  qui  en  donne  l'en  le  tort, 
Puis  que  le  cueur  en  est  d'accort, 
Se  les  yeulx  vont  hors  en  voyage. 
Et  rapportent  aucun  messaige 
De  Beaulté  plaine  de  confort  ? 

Hz  crient  :  Resveille  qui  dort; 
Lors  le  cueur  ne  dort  pas  si  fort 
Qu'i  ne  dye  :  J'oy  compter  rage. 
A  qui  en  donne  l'en  le  tort, 
Puis  que  le  cueur  en  est  d'accort, 
Se  les  yeulx  vont  hors  en  voyage? 

Adoncques  Désir  picque  et  mort, 
Savez  comment?  jusqu'à  la  mort  ; 
Mais  le  cueur,  s'il  est  bon  et  saige, 
Remède  y  treuve  et  avantaige, 
Bien,  ou  mal  en  vient  oultre  bort. 
A  qui  en  donne  l'en  le  tort? 


RONDEAU    CCLXXXIV. 

Doivent  ilz  estre  prisonniers. 
Les  yeulx,  quant  ilz  vont  assaillir 
L'embusche  de  Plaisant  Désir, 
Comme  hardiz  avanturiersl 


a62  CHARLES    d'oRLÉANS. 

Veu  qu'ilz  sont  d'Amours  souldoyers, 
Et  leurs  gaiges  fault  desservir, 
Doivent  ilz  estre  prisonniers, 
Les  yeulx,  quant  ils  vont  assaillir! 

Hz  se  tiennent  siens  si  entiers 
Qu'au  besoing  ne  pevent  faillir, 
Jusques  à  vivre  ou  à  mourir, 
Hz  le  font  bien,  et  voulentiers  ; 
Doivent  ilz  estre  prisonniers! 


RONDEAU    CCLXXXV. 

N'oubliez  pas  vostre  manière  ! 
Non  ferez  vous,  je  m'en  fais  fort, 
Ennuy,  armé  de  Desconfort, 
Qui  tousjours  me  tenez  frontière. 

Venez  combatre  à  la  barrière, 
Et  faittes  acoup  vostre  effort. 
N'oubliez  pas  vostre  manière  ! 
Non  ferez  vous,  je  m'en  fais  fort. 

Quant  mettez  sus  vostre  bannière, 
Cueurs  loyaux  guerriez  si  fort 
Que  les  faittes  retraire  ou  fort 
De  Douleurs,  à  piteuse  chiere. 
N'oubliez  pas  vostre  manière! 


RONDEAU     CGLXXXVI. 

Chiere  contrefaitte  de  cueur, 
De  vert  perdu  et  tanné  painte, 
Musique  notée  par  Fainte, 
Avecques  faulx  bourdon  de  Maleur! 


RONDEAUX.  263 

Qui  est  il  ce  nouveau  chanteur, 
Qui  si  mal  vient  à  son  attainte  ? 
Chiere  contrefaitte  de  cueur, 
De  vert  perdu  et  tanné  painte. 

Je  ne  tiens  contre,  ne  teneur, 
Enroué,  faisant  faulte  mainte. 
Et  mal  entonné  par  Contrainte  ; 
C'est  la  chapelle  de  Douleur, 
Chiere  contrefaitte  de  cueur. 


RONDEAU  CCLXXXVII. 

Il  n'est  nul  si  beau  passe  temps 
Que  de  jouer  à  la  Pensée, 
Mais  qu'elle  soit  bien  despensée 
Par  Raison,  ainsi  je  l'entens. 

Elle  a  fait  miLz  despens  contens, 
Par  Espoir  soit  recompensée. 
Il  n'est  nul  si  beau  passe  temps 
Que  de  jouera  la  Pensée. 

Elle  dit  :  A  ce  je  m'attens, 
Veu  qu'ay  Loyaulté  pourpensée, 
Que  de  mes  soussiz  dispensée 
Seray,  malgré  les  malcontens. 
Il  n'est  nul  si  beau  passe  temps. 

RONDEAU  CCLXXXVIII. 

Prophetizant  de  vostre  advenement. 
Voyant  venir  voz  haulx  biens  cleremenr 
Acompaignez  de  vostre  grant  beaulté, 
A  vous  amer  si  fort  me  suis  bouté 
Qu'au  monde  n'ay  nul  autre  pensement. 


264  CHARLES   d'oRLÉANS. 

Tresque  mon  oueil  vous  vit  premièrement, 
Il  ordonna  mon  cueur  entièrement 
Pour  vous  servir  en  toute  fcaulté, 
Prophetizant  de  vostre  advenement, 
Voyant  venir  voz  haulx  biens  clerement, 
Acompaigncz  de  vostre  grant  bcaulté. 

Lors  je  jugay,  à  mon  entendement, 
Que  quelque  foiz  j'auroye  ad\  cncement, 
Vous  remonstrant  ma  tresgrant  loyaulté, 
Et  que  de  biens  j'auroye  à  grant  planté; 
Cela  je  creu  dès  le  commencement, 
Prophetizant  de  vostre  advenement. 


RONDEAU   CCLXXXIX. 

Pour  Dieu,  faittes  moy  quelque  bien, 
Veu  que  m'a  desrobé  Vieillesse, 
Plaisance;  car,  en  ma  jeunesse, 
Savez  que  vous  amoye  bien. 

Pour  vous  n'ay  espargné  du  mien. 
Or  suis  povre,  plain  de  foiblesse. 
Pour  Dieu,  faittes  moy  quelque  bien, 
Veu  que  m'a  desrobé  Vieillesse. 

Devoir  ferez,  comme  je  tien, 
Car  j'ay  despendu  à  largesse, 
Pieçà,  mon  trésor  de  liesse, 
Et  maintenant  je  n'ay  plus  rien  ; 
Pour  Dieu,  faittes  moy  quelque  bien. 

RONDEAU   CCXG. 

C'est  la  prison  Dedalus 
Que  de  ma  merencolie, 


RONDEAUX.  2^5 

Quant  je  la  cuide  faillie, 
J'y  rentre  de  plus  en  plus. 

Aucunes  foiz  je  conclus 
D'y  bouter  Plaisance  lie. 
C'est  la  prison  Dedalus, 
Que  de  ma  merencolie. 

Oncques  ne  fut  Tantalus 
En  si  trespeneuse  vie, 
Ne,  quelque  chose  qu'on  die, 
Chartreux.,  heremite,  ou  reclus. 
C'est  la  prison  Dedalus. 


RONDEAU    CCXCl. 

A!  que  vous  m'ennuyez,  Vieillesse, 
Que  me  grevez  plus  que  oncques  mes! 
Me  voulez  vous  à  tousjoursmès 
Tenir  en  courroux  et  rudesse  1 

Je  vous  fais  loyalle  promesse 
Que  ne  vous  aymeray  jamés. 
A  !  que  vous  m'ennuyez,  Vieillesse, 
Que  me  grevez  plus  que  oncques  mes  ! 

Vous  m'avez  banny  de  Jeunesse, 
Rendre  me  convient  désormais. 
Et  faittes  vous  bien?  Nennil,  mais, 
De  tous  maulx  on  vous  tient  maistresse. 
Al  que  vous  m'ennuyez,  Vieillesse! 

RONDEAU    CCXCII. 

Les  biens  de  vous,  honneur  et  pris, 
M'ont  tant  espris 
De  vous  amer,  ma  gente  Dame, 


266  CHARLES    d'oRLÉANS. 

Qu'il  n'est  pas  en  puissance  d'ame 
De  tourner  ailleurs  mes  cspris. 

C'est  à  moy  trop  hault  entrepris, 
Com  mal  apris, 
Mais  blasmez  en,  s'il  y  a  blasme, 
Les  biens  de  vous,  honneur  et  pris. 

Donc,  puisqu' Amour  ainsi  m'a  pris 
En  son  pourpris. 
Et  que  tant  loyaument  vous  ame, 
Amez  moy,  je  prens  sus  mon  ame 
Que  jamais  n'en  seront  repris 
Les  biens  de  vous,  honneur  et  pris. 


RONDEAU     GCXCin. 


C'est  par  vous  que  tant  fort  souspire, 
Tousjours  m'empire; 
A  vostre  advis,  faictes  vous  bien 
Que  tant  plus  je  vous  veulx  de  bien 
Et,  sus  ma  foy,  vous  m'estes  pire  ! 

Ha!  ma  Dame,  si  grief  martire, 
Ame  ne  tire 
Que  moy,  dont  ne  puis  mais  en  rien; 
C'est  par  vous  que  tant  fort  souspire. 

Vostre  beaulté  vint,  de  grant  tire, 
A  mon  oueil  dire 
Que  feist  mon  cueur  devenir  sien. 
Il  le  voulut.  S'il  meurt  et  bien 
Je  ne  lui  puis  aider,  ou  nuyre: 
C'est  par  vous  que  tant  fort  souspire. 


RONDEAUX.  207 

RONDEAU    CCXCIV. 

Pour  mettre  fin  à  mes  douloureux  plains, 
Et  aux  ennuys  dont  je  me  sens  si  plams, 

Fort  me  complains 
A  toute  heure,  mais  remède  n'y  treuve. 
Fors  qu'il  me  fault  de  mort  faire  l'espreuve 

Ou  dame  neuve, 
Car  la  mienne  se  rit,  tant  plus  me  plains. 

Souvent  m'a  veu  pleurant  par  brais  et  plains, 
A  triste  cueur,  de  dueil  paliz  et  tains, 

Près  que  m'estains. 
Mais  pensez  vous  que  de  riens  el  se  meuve, 
Pour  mettre  fin  à  mes  douloureux  plains  ? 

Nenny,  ains  dit  par  sa  foy,  qu'autres  mains 
SeufFrent  des  maulxplus  que  moy,  soirs  et  mains, 

Et  qu'en  ay  mains 
Que  je  ne  dy;  ainsi  mon  fait  repreuve  ; 
Bien  lui  plairoit  qu'elle  feust  de  moy  veutve. 

Son  cas  le  preuve  ; 
Ne  suis  je  pas  doncques  en  bonnes  mains, 
Pour  mettre  fin  à  mes  douloureux  plains? 

RONDEAU    CCXCV. 

M'amerez  vous  bien, 
Dittes  par  vostre  ame, 
Mais  que  je  vous  ame 
Plus  que  nulle  rien? 

Le  vostre  me  tien, 
Sans  faire  autre  Dame. 


268  CHARLES    d'ORLÉANS. 

M'amerezvous  bien. 
Dittes,  par  vostre  ame  P 

Dieu  mist  tant  de  bien 
En  vous  que  c'est  basme  ; 
Pource,  je  me  clame 
Vostre,  mais  combien 
M'amerez  vous  bien? 


RONDEAU    CCXCVI. 

Temps  et  temps  m'ont  emblé  Jeunesse, 
Et  laissé  es  mains  de  Vieillesse 
Oij  vois  mon  povre  pain  querant  ; 
Aage  ne  me  veult,  tant  ne  quant, 
Donner  l'aumosne  de  Liesse. 

Puis  qu'elle  se  tient  ma  maistresse, 
Demander  ne  lui  puis  promesse, 
Pource,  n'enquerons  plus  avant. 
Temps  et  temps  m'ont  emblé  Jeunesse. 

Je  n'ay  repast  que  de  Foiblesse, 
Couchant  sur  paille  de  Destresse, 
Suis  je  bien  payé  maintenant 
De  mes  jeunes  jours  cy  devant? 
Nennil,  nul  n'est  qui  le  redresse, 
Temps  et  temps  m'ont  emblé  Jeunesse. 

RONDEAU    GCXCVII. 

Asourdy  de  Non  Chaloir, 
Aveuglé  de  Desplaisance, 
Pris  de  goûte  de  Grevance, 
Ne  sçay  à  quoi  puis  valoir. 


RONDEAUX.  269 

Voulez  VOUS  mon  fait  savoir? 
Je  suis  presque  mis  en  trance, 
Asourdy  de  Non  Chaloir, 
Areuglé  de  Desplaisance. 

Se  le  Medicin  Espoir, 
Qui  est  le  meilleur  de  France, 
N'y  met  briefment  pourvéance, 
Vieillesse  estaint  mon  povoir, 
Asourdy  de  Non  Chaloir. 

RONDEAU     CCXCVIII. 

Dedens  la  maison  de  Douleur, 
Où  estoit  trespiteuse  dance, 
Soussy,  Vieillesse  et  Desplaisance 
Je  vy  dancer  comme  par  cueur. 

Le  tabourin  nommé  Mal  Eur 
Ne  jouoit  point  par  ordonnance, 
Dedens  la  maison  de  Douleur, 
Où  estoit  trespiteuse  dance. 

Puis  chantoient  chançons  de  Pleur, 
Sans  musicque,  ne  accordance  ; 
D'ennuy,  comme  ravy  en  trance, 
M'endormy  lors,  pour  le  meilleur, 
Dedens  la  maison  de  Douleur. 

RONDEAU. 
Par  Simonnet  Caillau. 

Dedens  la  maison  de  Douleur, 
Où  n'a  léesse,  ne  musique, 
Mon  las  cueur  gist  merencolique. 
Malade  ou  piteux  lit  de  Pleur. 


270  CHARLES   D'oRLÉANS. 

Dieu  t  n'est  ce  pas  grant  maieur? 
Il  est  pis  que  paralitique, 
Dedetis  la  maison  de  Douleur, 
Où  n'a  léesse,  ne  musique. 

Par  racine,  feuille,  ne  fleur, 
Nepar  medicine  auctentique. 
Remédier  n''y  scet  phisique  ; 
Confesse  soy,  c'est  le  meilleur, 
Dedens  la  maison  de  Douleur. 


RONDEAU    CCXCIX. 

Je  vous  sans  et  congnois  venir, 
Ennuyeuse  Merencolie  ; 
Mainteffoiz,  quant  je  ne  vueil  myc, 
L'uys  de  mon  cueur  vous  fault  ouvrir. 

Point  ne  vous  envoyé  quérir, 
Assez  hay  vostre  compaignie. 
Je  vous  sans  et  congnois  venir, 
Ennuyeuse  Merencolie. 

Jeunes  pevent  paine  souffrir, 
Plus  que  vieillars;  pource,  vous  prie 
Que  n'ayez  plus  sur  nous  envie, 
Ne  nous  vuelliez  plus  assaillir; 
Je  vous  sans  et  congnois  venir. 


RONDEAU    CGC. 

Mentez,  menteurs  à  quarterons, 
Certes  point  ne  vous  redoubtons, 
Ne  vous,  ne  vostre  baverye  ; 
Loyaulté  dit,  de  sens  garnie  : 
Fy  de  vous  et  de  voz  raisons. 


RONDEAUX.  271 

On  ne  vous  prise  deux  boutons, 
Et  pource,  nous  vous  déboutons, 
Esloignant  nostre  compaignie  ; 
Mentez,  menteurs  à  quarterons, 
Certes  point  ne  vous  redoubtons, 
Ne  vous,  ne  vostre  baverye. 

Voz  parlez,  Pires  que  poisons, 
Boutent  par  tout  feu  en  maisons  ; 
Que  voulez  vous  que  l'en  vous  die  ? 
Dieu  tout  puissant  si  vous  mauldie, 
Vous  donnant  de  maulx  jours  foisons  ! 
Mentez,  menteurs  de  quarterons  l 


RONDEAU. 

Par  Gilles  des  Ormes, 

Pour  bien  mentir  souvent  et  plaisamment, 
Mais  qu'il  ne  tourne  à  aucun  préjudice, 
Il  7n'est  advis  que  ce  n'est  point  de  vice, 
Mais  est  vertu  et  bon  entendement. 

On  en  voit  maint  eslevé  haultement. 
Bien  recueilly  et  requis  en  service, 
Pour  bien  mentir  souvent  et  plaisamment. 
Mais  qu'il  ne  tourne  à  aucun  préjudice. 

Mais  controuveurs  qui  jnentent  faulcement 
Pour  diffamer  quelcun  par  leur  malice, 
Soient  pugni^  par  droit,  selon  justice; 
Pource,,  chascun  s'avise  saigement 
Pour  bien  mentir  souvent  et  plaisamment. 


272  CHARLES    D   ORLEANS. 


RONDEAU    ceci. 

Des  soucies  de  la  court 
J'ai  acheté  au  jourduy, 
De  deulx  bien  garny  j'en  suy. 
Quoy  que  mon  argent  soit  court. 

A  les  avoir  chascun  y  court, 
Mais  quant  à  moy,  je  m'enfuy. 
Des  soucies  de  la  court 
J'ay  acheté  au  jourduy. 

Je  deviens  vieil,  sourt  et  lourt, 
Et  quant  me  treuve  en  ennuy, 
Non  Chaloir  est  mon  apuy, 
Qui  mainteffoiz  me  secourt 
Des  soucies  de  la  court. 


RONDEAU     CCCII. 

Tout  plain  ung  sac  de  Joyeuse  Promesse, 
Soubz  clef  fermé,  en  ung  cofïîn  d'Oublié 
Qui  ne  poursuit,  certes  c'est  grant  folie, 
Tant  qu'on  en  ayt  par  Raison,  à  largesse. 

Craindre  ne  fault  Fortune  la  diverse 
Qui  Passe  temps  avecques  elle  alie  ; 
Tout  plain  ung  sac  de  Joyeuse  Promesse, 
Soubz  clet  fermé,  en  ung  cofEn  d'Oublié. 

Conseil  requier  à  gens  plains  de  sagesse, 
Qui  mieulx  saura,  si  leur  plaist,  c'om  le  die; 
Car  Bon  Espoir,  quoy  qu'on  le  contrarie, 
A  droit  vendra  et  trouvera  richesse 
Tout  plain  ung  sac  de  Joyeuse  Promesse. 


RONDEAUX.  273 


RONDEAU    CCCIII. 


Je  n'ay  deffaulte  que  de  veue, 
Et  ne  congnois  riens  qu'à  demy, 
En  Non  Chaloir  j'ay  tant  dormy 
Qu'ay  mainte  chose  descongneue. 

Vieillesse  tient  mon  cueur  en  mue, 
Accompaignée  de  Soucy  ; 
Je  n'ay  deffaulte  que  de  veue, 
Et  ne  congnois  riens  qu'à  demy. 

Plus  ne  suis  de  la  retenue 
De  Jeunesse  qui  m'a  banny; 
Mais,  au  fort,  puisqu'il  est  ainsi, 
Souffrir  fault  fortune  advenue; 
Je  n'ay  deffaulte  que  de  veue. 


RO(NDEAU    CCCIV. 

Tais  toy,  cueur,  pourquoy  parles  tu? 
C'est  folie  de  trop  parler 
De  ce  que  ne  puis  amender, 
Ton  jangler  ne  vault  ung  festu, 

Tu  pers  temps,  d'Espoir  devestu  ; 
Pense  de  toy  reconforter. 
y        Tais  toy,  cueur,  pourquoy  parles  tu? 
C'est  folie  de  trop  parler. 

J'ay  desjà  plusieurs  ans  vescu, 
Et  tant  congnois  qu'au  paraler 
Il  faut  bien  ou  mal  endurer  ; 
Riens  ne  gaignes  d'estre  testu. 
Tais  toy,  cueur,  pourquoy  parles  tu  ? 

CHARLES  d'ORLÉANS.   II.  18 


274  CHARLES    d'ORLÈA.N  •. 


RONDEAU     CCCV. 

Qu'a  mon  cueur,  qui  s'est  esveillé, 
A  faire  cliançon,  ou  balade  ? 
Dieu  mercy,  il  n'est  plus  malade, 
Tant  a  par  eaue  travaillé. 

D'Orléans  s'est  appareillé 
Aler  à  Blois  mangier  salade  ; 
Qu'a  mon  cueur,  qui  s'est  esveillé, 
A  faire  chançon,  ou  balade? 

Son  harnois  fourbira  rouillé, 
Quelque  foiz  aussi  sa  salade. 
Mais  qu'il  ait  joyeuse  ambaxade, 
Tout  se  trouvera  retaillé. 
Qu'a  mon  cueur,  qui  s'est  esveillé? 


RONDEAU     CCGVI. 

Dieu  les  en  puisse  guerdonner 
Tous  ceulx  qui  ainsi  tormenter 
Font,  de  vent,  de  neige  et  de  pluye, 
Et  nous  et  nostre  compaignie, 
Dont  peu  nous  en  devons  louer. 

Mais  il  fauldra  qu'au  par  aller. 
Comment  qu'il  en  doye  tarder, 
Que  nous,  ou  eulx,  en  pleure,  ou  rie. 
Dieu  les  en  puisse  guerdonner 
Tous  ceulx  qui  ainsi  tormenter 
Font,  de  vent,  de  neige  et  de  pluye. 

Or  ça,  il  fault  parachever 
Et  puisqu'il  est  trait,  avaler. 


RONDEAUX.  275 

On  congnoistra  qu'est  de  clergie 
D'Orléans  trait  de  Lombardie. 
Tous  bien  faiz  convendra  trouver. 
Dieu  lea  en  puisse  guerdonner  ! 


RONDEAU     CCCVII. 


M'appelez  vous  cela  jeu  ; 
En  froit  d'aler  par  pays  ? 
Or  pleust  à  Dieu  que  à  Paris, 
Nous  feussions  emprès  le  feu  ! 

Nostre  prouffit  veulent  peu, 
Qui  en  ce  point  nous  ont  mis  ! 
M'appelez  vous  cela  jeu, 
En  froit  d'aler  par  pays  ? 

Deslyer  nous  faut  ce  neu, 
Et  desployer  faiz  et  dis, 
Tant  qu'aviengne  mieulx  ou  pis, 
Passer  convient  par  ce  treu  ; 
M'appelez  vous  cela  jeu? 


RONDEAU    CCCVIII. 


Prenons  congié  du  plaisir  de  noz  yeulx, 
Puisqu'à  présent  ne  povons  mieulx  avoir, 
De  revenir  faisons  nostre  devoir, 
Quant  Dieu  plaira,  et  sera  pour  le  mieulx. 

Il  faut  changier  aucunefoiz  les  lieux, 
Et  essayer,  pour  plus,  ou  moins  savoir. 
Prenons  congié  du  plaisir  de  nos  yeulx, 
Puisqu'à  présent  ne  povons  nr.jeulx  avoir. 


J 


27b  CHARLES    D'oRLÉANS. 

Ainsi  parlent  les  jeunes  et  les  vieulx  ; 
Pource,  chascun  en  face  son  povoir. 
Nul  ne  mette  sa  seurté  en  Espoir, 
Car  au  jourduy  courent  les  Eurs  tieulx  queulx. 
Prenons  congié  du  plaisir  de  noz  yeulx. 


RONDEAU    CCCIX. 

De  Vieillesse  porte  livrée 
Qu'elle  m'a,  puis  ung  temps,  donnée, 
Quoy  que  soit  contre  mon  désir, 
Mais  maugré  myen  le  fault  souffrir, 
Quant  par  Nature  est  ordonnée. 

Elle  est  d'Ennuy  si  fort  bordée, 
Dieu  scet  que  l'ay  chiere  achettée, 
Sans  gueres  d'argent  et  de  Plaisir. 
De  Vieillesse  porte  livrée 
Qu'elle  m'a,  puis  ung  temps,  donnée, 
Quoy  que  soit  contre  mon  désir. 

Par  moy  puist  estre  bien  usée, 
En  Eur  et  Bonne  Destinée, 
Et  à  mon  souhait  parvenir. 
Tant  que  vivre  puisse  et  mourir 
Selon  i'escript  de  ma  pensée. 
De  Vieillesse  porte  livrée. 

RONDEAU  CCCX. 

Saluez  moy  toute  la  compaignie 
Où  à  présent  estes  à  chiere  lie, 
Et  leur  dictes  que  voulentiers  seroye 
Avecques  eulx,  mais  estre  n'y  porroye, 
Pour  Vieillesse  qui  m'a  en  sa  baillie. 


RONDEAUX.  277 

Au  temps  passé,  Jeunesse  si  jolie 
Me  gouvernoit  ;  las  !  or  n'y  suis  je  mye, 
Et  pour  cela,  pour  Dieu,  que  excusé  soye; 
Saluez  moy  toute  la  compaignie 
Où  à  présent  estes  à  chiere  lie, 
Et  leur  dictes  que  voulentiers  seroye. 

Amoureux  fus,  or  ne  le  suis  je  mye. 
Et  en  Paris  menoye  bonne  vie  ; 
Adieu  Bon  Temps,  ravoir  ne  vous  saroye, 
Bien  sanglé  fus  d'une  estroite  courroye, 
Que,  par  Aige,  convient  que  la  deslie. 
Saluez  moy  toute  la  compaignie. 


PIECES   ATTRIBUEES 


CHARLES    D'ORLEANS. 


RONDEAU. 

J'ay  tant  en  moy  de  desplaisir, 
Puis  qu'il  me  convient  départir, 
Elas!  de  vous,  et  loing  aller, 
Et  si  ne  puis  à  vous  parler, 
Dont  j'auray  maint  mal  à  souffrir! 

N'est  riens  oui  ouist  esjoïr, 
Si  n'est  le  tresdoulx  souvenir 
Que  j'ay  par  vous  bien  fort  amer. 
J'ay  tant  en  moy  de  desplaisir, 
Puis  qu'il  me  convient  départir, 
Elas  !  de  vous,  et  loing  aller  I 

Adieu  ma  joye,  mon  plaisir. 
Adieu  mon  loyal  souvenir. 
Adieu  belle  Dame  sans  per; 
Adieu  dire  m'est  coup  mortel, 
Car  je  m'en  vois  sans  vous  •  éir; 
J'ay  tant  en  moy  de  desplaisir! 

RÉPONSE. 

Mon  amy,  Dieu  te  convoyé, 
Et  brief  te  remaint  à  joye, 


CHARLES    D   ORLEANS.  279 

A  ton  honneur  et  plaisir, 
Tout  ainsi  que  je  désire 
Mieulx  que  dire  ne  sauroye. 

Si  par  scuh-iit  je  povoye, 
Plus  souvent  te  reverroye ; 
Mais,  car  ne  te  puis  ve'ir, 
Mon  amy.  Dieu  te  convoyé, 
Et  briefte  remaint  àjoye, 
A  ton  honneur  et  plaisir. 

Ces  te  chançon  je  t' envoyé 
De  m'amour  par  grant  montjoye, 
Si  t'en  vueilles  esjoir  ; 
Car  te  jure,  sans  mentir. 
Que  t'ayme,  loing  que  je  soye. 
Mon  amy.  Dieu  te  convoyé. 

CHANSON. 

Faire  ne  puis  joyculx  semblant, 
Reconfort  n'ay,  qui  soit  plaisant 
A  moy  qui  suis  sans  mon  amy; 
Il  a  long  temps  que  ne  le  vy, 
Ne  le  verray,  je  ne  sçay  quant  ; 
Faire  ne  puis  joyeulx  semblant. 

Guérir  ne  puis  du  mal  qu'ay  tant, 
Elas  1  emy  !  jusques  à  tant 
Retournera  celluy  pourqjoy 
Faire  ne  puis  joyeulx  semblant. 

Mon  cueur  si  est  si  desplaisant  ! 
Aussi  bien  doit  estre  dolent: 
Il  m'ayme  tant!  si  foys  je  lui. 
Ne  le  mettray  point  en  oubli 
Etl'ameray;  en  l'attendant, 
Faire  ne  puis  joyeulx  semblant. 


28o  PIÈCES    ATTKILUÉES. 


CHANSON. 


Faittes  pour  moy  com  j'ay  pour  vous. 
Retenez  moy,  par  dessus  tous, 
Amy  tout  seul,  tresbelle  Dame, 
Je  vous  jure  sur  Dieu,  sur  m'ame, 
Nevueil  servir  autre  que  vous. 

Guerrissez  moy  du  mal  d'Amours, 
Et  me  donnez,  du  bien  de  vous. 
Réconfort  tel  plus  ne  m'en  chaille. 
Moncueur,  m'amour,  monfincueurdoulx, 
A  vous  me  rens,  à  vous  suis  tous. 
Je  vous  ayme  plus  que  autre  femme, 
N'autre  que  vous  n'aura  la  garde 
Elas  de  moy  qui  suis  à  vous. 

CHANSON. 

D'amours  meschant  par  parolle  de  bouche 
Et  tresriche  de  cuer  privéement 
Est  Varamboz,  qui  fait  secrètement 
Tousjoursson  fait,  sans  monstrer  qu'il  y  touche. 

Il  ne  faut  jà  qu'il  face  le  farouche. 
On  le  congnoist  par  son  contenement  : 
D'amours  meschant  par  parolle  de  bouche, 
Et  tresriche  de  cuer  privéement. 

Quant  il  est  temps  d'amoureuse  escarmouche, 
Bien  est  armé  de  saïette  hardement. 
Et  scet  traire  son  parler  doulcement. 
Je  n'en  dy  plus,  c'est  une  forte  mouche  : 
D'amours  meschant  par  parolle  de  bouche. 


NOTICE  BIBLIOGRAPHIQUE 
et 

OBSERVATIONS     SUR    LA    PRÉSENTE    ÉDITION 


La  première  édition  que  je  connaisse  des  poésies  de 
notre  poète  a  été  publiée  sous  le  titre  de  Choix  des 
poésies  de  Charles  d'Orléans,  extrait  du  premier  vo- 
lume dts  Annales  poétiques  ou  Almanach  des  Muses. 
Paris,  1778,  in-i8. 

Je  vois  ensuite  Poésies  de  Charles  d'Orléans,  père 
de  Louis  XII  et  oncle  de  François  I",  rois  de  France. 
Grenoble,  Giraud,  i8o3,  avec  une  notice  historique 
par  Chalvet. 

L'édition  publiée  par  Warré,  in-12,  en  1809,  est, 
sans  doute,  une  réimpression  de  la  précédente.  Je  ne 
l'ai  pas  vue. 

J'ignore  si  entre  les  Annales  poétiques  et  les  Poètes 
français,  publié  chez  Menard,  par  Champagnac,  en 
1825,  quelque  recueil  a  publié  des  vers  de  Charles 
d'Orléans.  Mais  dès  cette  dernière  date  notre  poète 
entre  en  pleine  r/otoriété.  Il  s'impose  désormais  à 
toutes  les  anthologies.  Nous  nous  contenterons  de 
citer,  dans  cet  ordre  de  publications,  un  autre  re- 
cueil à&s  Poètes  français  publié  sous  la  direction  de 
M.  E.  Crépet,  en  1 861,  et  où  M.  A.  de  Montaiglon  a 
consacré  une  notice  à  notre  poëte. 

En  1827,  M.  Watson  Taylor  avait  publié  pour 
Roxburgue-Club,  à  très-petit  nombre  d'exemplaires, 
un  in-8»  de  295  pages  sous  ce  titre :Poem5  written  in 
English  by  Cliarles  duke  of  Orléans ,  during  his 
captivity  in  England,  after  the  Battle  of  Azincourt. 
London,  William  Nicol,  1827. 

L'éditeur  est  convaincu  que  Charles  d'Orléans  a 
traduit  lui-même  ses  vers  en  anglais,  et  il  n'est  pas 
bien  sûr  que  le  duc  d'Orléans  ne  soit  pas  un  poète 


282  NOTICE    BIBLIOGRAPHIQUE. 

anglais.  Il  est  fort  tenté  de  supposer  que  la  version 
anglaise  est  l'originale,  elle  a  toute  la  vigueur  de 
l'originalité,  dit-il,  et  il  jurerait  volontiers  que  le 
texte  français  n'est  qu'une  mauvaise  traduction. 

Je  suppose — ne  connaissant  que  sommairement  les 
manuscrits  anglais  — que  cette  édition  a  été  donnée 
d'après  le  manuscrit  sur  vélin  de  la  bibiiotlrèque 
Harléienne.  Klle  contient  les  poésies  de  la  captivité, 
avec  quelques  pièces  qui  ne  se  trouvent  pas  dans  les 
manuscrits  français,  un  début  différent  et  une  suite 
au  poème  de  la  Prison.  J'ai  remarqué  encore  que 
contrairement  à  tous  nos  manuscrits  qui  ne  redisent 
à  la  fin  des  rondeaux  que  le  premier  vers,  la  version 
anglaise  en  répète  deux  ou  trois,  c'est-à-dire  autant 
qu'au  milieu  de  la  pièce. 

Pour  rendre  justice  à  mon  prédécesseur  britanni- 
que, et  expliquer  ce  qu'il  y  a  d'excessif  dans  son  en- 
thousiasme de  la  version  anglaise,  je  dois  dire  qu'il 
connaissait  Charles  d'Orléans  uniquement  par  ce  qu'en 
avaient  publié  l'abbé  Sallier  et  Chalvet;  il  était  donc 
porté  à  dire  que  le  Prince  avait  bien  plus  écrit  pour 
les  Anglais  que  pour  les  Français,  et  il  félicitait  l'An- 
gleterre de  la  bonne  fortune  qui  lui  amenait  un  poète, 
pieds  et  poings  liés,  à  une  époque  où  elle  n'en  trou- 
vait guère  sur  son  sol. 

En  1842  paraissent,  coup  sur  coup,  deux  éditions, 
qui  firent  grand  bruit,  ou  plutôt  dont  les  auteurs  firent 
grand  bruit  dans  le  royaume  de  l'érudition. 

Poésies  de  Charles  d'Orléans,  publiées...  par  J.  M. 
Guichard.  Paris,  Gosselin,   i842,in-i2. 

Les  Poésies  du  duc  Charles  d'^  rléans,  par  Aimé 
ChampoUion-Figeac.  Paris,  Belin-Leprieur,  1842, 
in-i2  et  in-S». 

Nous  n'avons  pas  à  entrer  dans  le  grand  détail  de  la 
querelle  fort  vive  qui  divisa  les  deux  éditeurs,  et  où 
il  semble  que  les  questions  de  situation  et  d'influence 
se  mêlaient  à  la  discussion  scientifique.  Diverses  bro- 
chures aigres  et  violentes  suivirent  la  publication  des 
poésies.  Chacun  des  deux  érudits  essayait  de  prouver 


NOTICE     BIBLIOGRAPHIQUE.  283 

non-seulement  que  son  texte  était  très-supérieur  au 
texte  de  l'ennemi,  mais  qu'il  avait  été  publié  le  pre- 
mier. M.  ChampoUion  avait  commencé  son  étude  bien 
avant  M.  Guichard,  disait-il.  M.  Guichard  répondait 
que  s'il  était  parti  en  retard,  il  était  arrivé  le  premier. 
Pas  absolument,  répliquait-on,  puisque  vous  n'avez 
publié  que  le  texte  indigeste,  en  remettant  à  plus  tard 
préface,  glossaire  et  tous  les  accessoires  obligés  de 
votre  édition. 

A  juger  la  question  uniquement  sur  les  renseigne- 
ments fournis  par  les  brochures,  entre  deux  érudits 
que  je  ne  connais  ni  l'un  ni  l'autre  et  que  je  crois,  tous 
deux,  fort  estimables,  M.  ChampoUion  crut  trop  que  le 
long  temps  consacré  par  lui  à  étudier  Charles  d'Or- 
léans, et  le  soin  amoureux  qu'iiy  mettait  lui  donnaient 
une  sorte  de  droit  sur  le  prince-poëte,  et  méritaient  le 
monopole  de  tout  ce  qui  concernait  cet  écrivain  si 
cher.  Il  le  prit  de  fort  haut  quand  il  vit  venir  un  con- 
current. Il  soutint  avec  un  ton  d'autorité  magistrale 
et  doctrinale  des  hypothèses  pour  le  moins  douteuses, 
et  la  bonne  fortune  rare  —  j'en  sais  quelque  chose 
puisque  la  demande  même  du  ministre  de  l'instruc- 
tion publique  ne  m'a  pas  pu  l'obtenir  —  qu'il  eut  de 
pouvoir  garder  par  devers  soi  le  manuscrit  de  Gre- 
noble, lui  persuada  que  ce  manuscrit  était  parfait  et 
que  tous  les  autres  ne  valaient  rien.  M.  Guichard,  de 
son  côté,  voyant  avancer  si  lentement  les  travaux  de 
son  concurrent,  crut  trop  aisément  que  le  temps  ne 
fait  rien  à  l'affaire. 

La  vérité  est  que  chacune  de  ces  éditions  a  ses  qua- 
lités et  que  toutes  deux  sont  recommandables,  eu 
égard  surtout  au  temps  où  elles  parurent;  et  si  je  pré- 
fère le  texte  de  M.  Guichard,  j'apprécie  extrêmement 
les  travaux  dont  M.  ChampoUion  a  accompagné  son 
édition,  et  j'en  ai  tiré  bon  profit. 

Je  serais  peu  excusable,  après  ces  trente  années  où 
l'érudition  a  été  tellement  active  et  où  elle  a  apporté 
tant  de  lumière  dans  la  littérature  du  Moyen  Age,  si 
je  n'étais  pas  renseigné   sur   bien  des  points  encore 


284  NOTICE     BIBLIOGRAPHIQUE. 

obscurs  pour  mes  prédécesseurs.  Pourtant  je  dois  re- 
connaître que  M.  Champollion  n'a  pas  laissé  grand 
chose  à  apprendre  sur  la  vie  de  Charles  d'Orléans,  et 
constater  que  je  n'ai  pas  évité  tous  les  défauts  qu'on 
a  signalés  dans  leurs  éditions. 

La  plus  grave  des  critiques  portait  sur  le  manque 
d'ordredans  le  classement  des  pièces.  M.  deMontaiglon, 
que  je  nommais  plus  haut,  M.  de  Beaucourt,  dans  un 
article  de  la  Correspondance  littéraire  et,  si  je  ne  me 
trompe,  M.  Beautils,  dans  l'étude  plus  esthétique  que 
critique  qu'il  publia  en  1861  sur  Charles  d'Orléans, 
avaient  indiqué,  en  même  temps  que  le  mal,  les  re- 
mèdes qu'ils  jugeaient  bons  pour  le  guérir.  Moi-même, 
avec  cette  ignorance  du  danger  qui  caractérise  le  criti- 
que, j'avais  bien  maugréé  contre  ce  fatras,  —  je  dois 
confesser  mon  crime. 

Ce  fut  donc  le  travail  de  coordination  qui  me 
préoccupa  quand  je  commençai  à  préparer  cette  édi- 
tion. Le  lecteur  n'en  verra  pourtant  pas  de  traces 
profondes.  J'ai  dû  m'arrêter,  en  effet,  après  m'être 
mis  de  grand  courage  à  cette  besogne. 

Je  puis  raconter  naïvement  les  raisons  qui  me  firent 
rebrousser  chemin. 

Je  me  suis  aperçu  que  je  faisais  non  une  œuvre 
d'érudit  mais  une  œuvre  de  romancier.  Oui,  c'était 
bien  le  roman  des  sentiments  de  Charles  d'Orléans 
que  j'étais  amené  à  construire.  Cela  tient  à  ce  qu'ici 
le  fil  conducteur  n'est  pas  surtout  historique  mais 
moral.  Il  s'agit  de  décider  fréquemment  non  pas  des 
faits,  mais  de  la  série  de  sentiments  par  où  le  poète 
avait  passé. 

Il  y  a,  sans  doute,  telles  pièces  qu'on  peut  attribuer 
sûrement  à  la  vieillesse  ou  à  la  jeunesse,  au  temps  de 
l'exil,  ou  aux  années  qui  suivirent;  quelques-unes 
ont  une  physionomie  historique,  d'autres  enfin  sont 
caractérisées  par  les  personnages  qui  y  sont  nom- 
més. Mais  un  certain  nombre  de  ballades  ou  com- 
plaintes, un  très-grand  nombre  de  chansons  ou  ron- 
deaux restent,  où  je  n'avais  plus  pour  me  guider  que 


NOTICE    BIBLIOGRAPHIQUE.  285 

l'arbitraire,  que  mon  impression  ou  mon  sentiment. 
Si  j'avais  eu  à  faire  un  choix,  une  édition  classique, 
je  me  fusse  cru  autorisé  à  ce  travail  psychologique. 
J'eusse  pu  ranger  en  bel  ordre  les  morceaux  sur  les- 
quels il  n'y  avait  pas  de  doute.  J'ai  reculé  devant  la 
masse  des  pièces  qu'il  m'eût  fallu  laisser  dans  un 
chaos  d'autant  plus  répugnant  que  j'eusse  répandu 
un  peu  de  lumière  dans  le  voisinage. 

Je  me  garde  de  blâmer  ceux  que  ce  travail  philoso- 
phique tentera.  Je  n'y  ai  pas  vu  un  intérêt  scientifique 
suffisant,  une  utilité  historique  et  un  gain  littéraire 
assez  considérables  pour  m'autoriser,  contre  les  con- 
seils de  tous  les  manuscrits,  à  faire  cette  révolution 
radicale.  Je  me  suis  contenté  de  la  classification  par 
genres,  classification  peu  méritoire  et  qui  ne  de- 
mande pas  une  grande  dépense  de  génie,  mais  qui 
est  la  plus  sûre  dans  un  travail  d'exposition  non 
de  critique.  Cette  division  est  indiquée,  du  reste,  à 
l'état  rudimentaire  dans  les  premiers  manuscrits.  Je 
me  suis  contenté  de  débrouiller  le  chaos  là  où  j'avais 
pour  me  conduire  quelque  règle  précise,  comme  la 
conformité  du  sujet  traité.  Ce  travail  a  eu  lieu  sur- 
tout à  propos  des  rondeaux  où  le  trouble  —  pour  des 
causes  que  révèle  la  diversité  d'écriture  du  plus  im- 
portant manuscrit  —  est  complet. 

Je  reviendrai,  du  reste,  sur  le  plan  —  mot  bien 
prétentieux  peut-être  après  la  confession  que  je  viens 
de  faire  —  que  j'ai  suivi  pour  cette  édition. 

J'ai  dû  la  préparer  sur  les  manuscrits  puisqu'il 
n'existe  aucune  édition  ancienne  de  ces  poésies. 

De  tous  les  manuscrits  que  nous  avons  en  France, 
on  a  regardé  jusqu'ici  comme  le  premier  en  date  celui 
que  possède  la  bibliothèque  de  Grenoble,  manuscrit 
fort  connu,  souvent  et  très-complètement  décrit,  no- 
tamment par  MM.  Berriat  Saint-Prix  et  Champollion- 
Figeac.  Je  ne  l'ai  pas  vu,  mais  j'ai  pu  en  avoir  une  copie 
manuscrite,  écrite  au xviii»  siècle,  revue  et  corrigée  plus 
tard.  M.  Champollion-Figeac,  qui  a  bâti  son  édition 
d'après  ce  manuscrit,  a  été  naturellement  porté  à  en 


286  NOTICE    BIBLIOGRAPHIQUE. 

exagérer  la  valeur,  et  il  sV'st  laissé  aller  fort  douce- 
ment sur  cette  pente.  II  affirme  d'un  ton  magistral 
que  c'est  de  beaucoup  le  plus  important,  et  il  traite 
dédaigneusement  et  légèrement  tous  les  autres  en  les 
appelant  des  manuscrits  de  seconde  main. 

Ce  document  a  évidemment  une  grande  valeur,  on 
peut  la  constater  sans  y  mettre  le  ton  enthousiaste  et 
impérieux  de  M.  ChampoUion. 

Il  contient  les  poésies  latines  d'un  lettré  italien, 
Antoine  Astezan,  ou  L'Astezan,  c'est-à-dire  d'Asti  en 
Piémont.  Ce  personnage  et  les  relations  que  Charles 
d'Orléans  avait  avec  Asti  nous  sont  connus  par  la 
préface.  Nous  savons  qu'à  Villeneuve,  dans  ce  comté 
d'Ast,  pendant  le  voyage  qu'y  fit  le  duc  en  1448-1449, 
Antoine  Astezan  vint  faire  sa  cour  à  son  prince,  de 
cette  façon  humble  et  quémanderesse  que  Marot  et  du 
Bellay  n'allaient  pas  tarder  à  stigmatiser  comme  une 
habitude  italienne.  A  cette  date,  le  savant  Italien  igno- 
rait complètement  le  talent  poétique  de  son  futur 
maître,  les  discours  qu'il  prononça  nous  en  donnent 
la  preuve.  Il  obtint  de  Charles  la  place  de  premier 
secrétaire.  Il  le  vint  rejoindre  en  France  en  1450.  Il  le 
quitta  en  I453,  emportant  les  poésies  du  prince  en 
Italie  pour  les  traduire  en  latin.  C'est  cette  traduction 
avec  texte  en  regard  et  autres  poésies  latines  d'Aztezan 
que  renferme  le  manuscrit  de  Grenoble. 

Il  ne  contient  donc  que  les  poésies  antérieures  à 
cette  date  de  1453.  Il  n'a  pas  été  écrit  sous  les  yeux 
de  Charles,  ni  classé  d'après  son  inspiration.  S'il  a  été 
achevé  du  vivant  du  prince,  —  ce  qui  est  possible, 
—  il  ne  le  fut  pas  avant  1461,  et  Astezan  était  de- 
puis 1453  en  Italie.  Il  n'a  donc  que  la  valeur  qu'a  pu 
lui  donner  Astezan,  un  Italien,  ce  qui  enlève  quelque 
autorité  à  son  système  orthographique;  un  Italien  qui 
resta  quelque  temps  auprès  de  notre  duc  et  qui  espé- 
rait sans  doute  que  son  travail  passerait  sous  les 
regards  de  son  maître,  mais  qui  arrange  les  poésies 
de  l'auteur  en  vue  de  la  traduction  latine,  en  vue 
d'une  traduction   destinée  surtout   à  faire  valoir  les 


NOTICE    BIBLIOGRAPHIQUE.  287 

dons  poétiques  de  Charles  aux  yeux  des  savants  de 
l'Italie  et  du  Milanais.  Il  y  a  là  de  quoi  diminuer 
l'intérêt  qui  s'attacherait  pour  nous  à  un  classement 
moins  pédantesque,  dirigé  par  un  but  moins  parti- 
culier et  moins  politique. 

Je  ne  saurais  admettre  l'argument  que  donne 
M.  ChampoUion  pour  prouver  que  ce  texte  a  été  écrit 
par  un  frère  d'Antoine,  Nicolas  Astezan,  aussi  secré- 
taire du  duc  d'Orléans.  Il  essaye  aussi  de  démontrer 
que  le  manuscrit  a  été  achevé  du  vivant  du  prince.  Ses 
raisons  ne  sont  pas  toutes  probantes.  Il  nous  dit  que 
le  poëte  italien  qui  a  fait  tant  d'épitaphes  eût  sans 
doute  fait  celle  de  son  maître  si  ce  livre  eût  été  achevé 
après  la  mort  de  Charles.  Je  veux  bien  le  croire.  Mal- 
heureusement c'est  une  présomption  détruite  par  une 
pièce  de  latin  du  volume,  pièce  symbolique  peut-être, 
mais  dont  il  serait  facile  de  soutenir  la  réalité,  où 
l'on  discute  du  tombeau  du  prince  et  où  on  dit  : 
«  Princeps  non  mediocris  eras,  »  A  celte  présomption 
on  contredit  par  une  autre  et  l'on  fait  remarquer  que 
Charles  mettait  sa  signature  sur  beaucoup  de  ses  li- 
vres et  qu'elle  n'est  pas  sur  celui-ci.  On  en  conclut  que 
ce  volume  n'a  pas  été  dans  les  mains  du  prince.  Cet 
argument  contre  la  thèse  de  M.  ChampoUion  ne  vaut 
guère  mieux  que  l'argument  qu'il  donne  pour.  Quant 
à  moi,  je  crois  difficile  de  ne  pas  voir  le  manuscrit 
d'Astezan  dans  celui  pour  la  reliure  duquel  on  donna 
20  sols  à  la  veuve  de  Jean  Fougère ,  relieur  à  Blois, 
pour  avoir  relié  un  volume  en  parchemin  renfermant 
«  le  livre  des  Balades  de  Monseigneur  le  duc  d'Or- 
«  leans,  tant  en  françois  comme  en  latin  et  autres  li- 
«  vres  en  icelluy.  »  Je  n'ai  pas  pu  retrouver  cette 
note  dans  les  papiers  d'Orléans.  Mais  si  la  date  de 
1463  que  donne  M.  ChampoUion  est  exacte,  on  peut 
considérer  ce  manuscrit  comme  ayant  été  achevé  entre 
1461  et  1463. 

Ainsi  le  manuscrit  d'Astezan  a  les  qualités  d'être 
écrit  par  un  contemporain,  avec  l'assentiment  de 
l'auteur  et  sans  doute  d'avoir  appartenu  à  celui-ci.  Il 


288  NOTICE    BIBLIOGRAPHIQUE. 

a  les  défauts  d'être  incomplet,  d'avoir  été  écrit  par 
un  étranger,  en  pays  éloigné  de  l'auteur,  et  d'après  un 
plan  tout  particulier,  soit  dans  l'intérêt  du  copiste,  soit 
dans  un  but  politique. 

Nous  l'avons  fréquemment  consulté,  nous  ne  l'avons 
pas  suivi. 

Nous  avons  préféré  deux  des  manuscrits  de  la  Bi- 
bliothèque nationale  de  Paris,  et  surtout  le  manuscrit 
français  25,428,  autrefois   La   Vallière  igS. 

C'est  un  petit  in-8"  sur  parchemin  de  269  feuillets. 
Il  porte  à  la  première  page,  non  pas  comme  le  sui- 
vant, les  armes  d'Orléans  et  de  Milan  qui  indiquaient  un 
livre  destiné  à  la  famille  du  duc  d'Orléans,  mais  un 
seul  écusson,  aux  armes  du  prince,  et  qui  lui  donne  un 
caractère  plus  personnel.  Le  format  relativement  plus 
leste,  l'apparence  du  manuscrit  qui,  comparé  à  ses  frères 
in-folio  ou  in-quarto,  fait  songer  aux  manuscrits  des 
jongleurs,  ses  conditions  intérieures,  m'ont  donné  à 
penser  qu'il  avait  pu  être  écrit  pour  Charles  d'Orléans, 
par  un  secrétaire  attaché  à  la  maison,  à  la  personne  de 
l'auteur,  chargé  de  tenir  copie  et  de  mettre  au  net 
les  poésies  dans  l'ordre  et  selon  le  temps  où  elles 
étaient  composées.  Le  copiste,  en  effet,  après  nous 
avoir  donné  les  anciennes  poésies,  les  complaintes, 
les  ballades,  toutes  les  pièces  antérieures  au  retour 
en  France,  écrit  les  chansons,  les  rondeaux  ;  puis  arrivé 
aux  trois  quarts  du  volume,  un  accident  —  la  mort  du 
prince...  ou  du  secrétaire  —  l'interrompt.  La  copie 
est  reprise,  mais  plus  tard  et  par  un  écrivain  d'une 
valeur  beaucoup  moindre,  qui  profite  des  blancs 
laissés  en  tête  des  pages  par  le  premier  copiste,  pour 
y  jeter  pêle-mêle  les  pièces  peut-être  composées  pos- 
térieurement, mais,  en  tout  cas,  non  encore  écrites 
par  ce  prédécesseur. 

Il  y  a  là,  je  le  reconnais,  une  part  d'hypothèse,  que 
l'écriture  ne  contredit  pas  toutefois,  le  manuscrit  pa- 
raissant avoir  été  écrit  dans  sa  plus  ancienne  portion 
entre  1460  et  1470. 

Ce  qui  est  sûr,  c'est  qu'il  nous   offre  le    meilleur 


NOTICE    BIBLIOGRAPHIQUE.  289 

texte,  écrit  par  un  homme  intelligent,  soigneux, 
ayant  un  système  orthographique  très-réfléchi,  très- 
caractéristique  et  pouvant  donner  une  fort  bonne 
idée  de  la  situation  de  cette  question  orthographique 
au  milieu  du  xv«  siècle. 

L'autre  manuscrit  de  la  Bibliothèque  nationale,  qui 
nous  a  été  aussi  fort  utile,  provient  de  l'ancien  fonds 
Colbert  (25o2)  et  porte  actuellement  le  n»  1104  fonds 
français.  C'est  un  magnifique  in-quarto  sur  vélin 
blanc,  de  112  feuillets  à  deux  colonnes,  d'une  écri- 
ture admirable.  Il  porte  en  tête  le  double  écusson 
d'Orléans  et  de  Milan  et  la  devise  de  Charles  :  Ma 
Volonté.  Il  a  été  probablement  écrit  pour  la  famille, 
pour  le  duc,  la  duchesse,  ou  le  comte  d'Angouléme,  par 
un  calligraphe  extrêmement  habile,  renommé,  un  peu 
vieux,  vers  1460  (époque  probable  de  la  confection 
du  manuscrit),  malheureusement  infiniment  moins 
intelligent  qu'adroit. 

En  sa  qualité  de  manuscrit  de  famille,  ce  volume 
renferme  le  discours  prononcé  par  Charles  d'Orléans 
en  faveur  du  duc  d'Alençon,  son  gendre.  Mais  le  texte 
des  poésies  offre  de  nombreuses  erreurs. 

Dans  la  comparaison  que  j'ai  faite  de  cette  copie  et 
de  la  précédente,  j'ai  rencontré  une  difficulté  que  je 
n'ai  pas  pu  éclaircir.  Ce  dernier  manuscrit  —  Colbert 
—  à  le  juger  d'après  le  texte,  est  postérieur  au  manus- 
crit La  Vallière,  sur  lequel  il  semble  avoir  été  copié. 
Il  donne,  en  effet,  régulièrement  et  imperturbable- 
ment ce  pêle-mêle  arrivé  dans  le  La  Vallière  par 
accident,  et  grâce  au  remplacement  du  premier  escrip- 
vain;  de  plus  ce  copiste  du  Colbert  ajoute  tout  à  la 
fin  plusieurs  rondeaux  qui  ne  sont  pas  là  à  leur  place, 
mais  qu'il  s'aperçoit  avoir  omis  quand,  après  sa  co- 
pie achevée,  il  coUationna  le  manuscrit  La  Vallière 
où  les  pièces  sont  bien  à  une  place  logique.  Voilà 
donc  de  graves  présomptions  en  faveur  de  l'anté- 
riorité de  ce  manuscrit  La  Vallière,  et  pourtant 
l'écriture  du  texte  Colbert  paraît  incontestablement 
plus  ancienne.  Faut-il  chercher  l'explication  dans  les 

CHARLES   DORLÉANS,   II.  19 


^gO  NOTICE    BIBLIOGRAPHIQUE. 

conditions  particulières  de  la  personne  du  copiste  du 
Colbert  qui,  très-vieux,  trcs-habile,  a  garde  des  pra- 
tiques et  des  soins  de  la  période  précédente  f 

Malgré  cette  apparence  matérielle  d'ancienneté,  mal- 
gré l'orthographe  parfaitement  régulière  et  soignée  — 
trop  soignée,  et  exceptionnellement  régulière,  —  j'ai 
été  trop  trappe  du  peu  d'intelligence  que  cet  admirable 
calligraphe  avait  du  texte,  et  même  du  rhythme,  pour 
m'en  fier  à  lui.  Je  ne  l'ai  suivi  que  là  où  mon  plus 
ancien  copiste  du  manuscrit  La  Vallière  cédait  la  place 
à  son  ou  à  ses  successeurs. 

Dès  lois  je  ne  devais  plus  hésiter;  ces  derniers 
étant  beaucoup  moins  sûrs  que  leur  prédécesseur  et 
cette  fois  sans  conteste,  —  fort  postérieurs  à  l'illustre 
et  inepte  calligraphe  du  Colbert,  —  il  m'a  fallu  pour 
la  dernière  partie  de  l'édition  tenir  grand  compte 
de  ce  dernier. 

Il  en  est  résulté  cet  inconvénient  de  mettre  en  plus 
grande  lumière  le  manque  d'uniformité  de  l'ortho- 
graphe contemporaine.  Inconvénient  peu  considérable, 
d'ailleurs,  en  un  temps  où  le  même  écrivain  ne  suit  pas 
d'un  bout  à  l'autre  de  son  manuscrit  les  mêmes  habi- 
tudes orthographiques. 

Enfin,  malgré  la  confiance  que  j'ai  accordée  à  ce  pre- 
mier copiste  du  manuscrit  La  Vallière,  je  ne  l'ai  pas 
suivi  dans  ses  singularités.  Il  écrit  toujours  povair  ri- 
mant avec  la  syllabe  oir,  souvent  serement  et  guerre' 
don  avec  la  valeur  de  deux  syllabes.  J'ai,  par  faiblesse 
pourl'œil  de  mes  contemporains,  écrit  povoir,  serment, 
j'ai  dû  aussi  me  résoudre  à  changer  moustrer  (qu'il 
donne  constamment  au  lieu  de  monstrer],  mais  je  l'ai 
fait  à  regret,  cette  syllabe  ou  étant  caractéristique  d'une 
tentative  d'euphonisme  qui  n'a  pas  complètement 
avorté,  et  à  laquelle,  par  exemple,  nous  devons  mow 
fier,  couvent,  au  lieu  de  monticr  et  couvent  qui  sont 
la  forme  ancienne  et  étymologique. 

Les  lecteurs  qui  s'occupent  particulièrement  d'éru- 
dition me  pardonneront  ces  explications  minutieu- 
ses; les  autres  les  trouveront  ennuyeuses,  mais  ils  en 


NOTICE    BIBLIOGRAPHIQUE  ÎQI 

concluront,  j'espère,  que  si  cette  édition  est  bien  im- 
parfaite, la  bonne  volonté  n'a  pas  manqué  à  l'éditeur. 

J'ai  tiré  quelque  utilité  d'un  manuscrit  sur  papier, 
du  commencement  du  xvi'^  siècle  (B.  N.,  Fonds  fran- 
çais 19,139,  autrefois  Saint-Germain  1600).  C'est  lui 
qui  contient  le  Lay  Piteus  dont  je  parlerai  plus  tard. 

J'ai  trouvé  douze  pièces  du  duc  d'Orléans  dans  un 
manuscrit  curieux  de  l'extrême  fin  du  xv  siècle  ou 
du  commencement  du  xvn«  (B.  N.,  Fonds  français 
9223).  C'est  un  recueil  qui  contient  les  poésies  de 
deux  académies  poétiques  du  xv«  siècle.  L'une,  la 
seule  qui  nous  occupe  est  celle  qui  gravite  autour  de 
Charles  d'Orléans,  elle  est  représentée  par  la  plupart  des 
poètes  qui  sont  nommés  dans  les  manuscrits  dont  nous 
avons  déjà  parlé  et  par  quelques  inconnus.  Mgr  d'Or- 
léans y  a  12  pièces;  Blosseville,  3i;  Prévôt,  9;  Vail- 
lant, 9;  Antoine  de  Guise,  11;  Tanneguy  du  Chas- 
tel,  3  ;  Mgr  de  Clermont,  Mgr  d'Orvilliers,  i  ;  Mgr  de 
Torcy,  2;  Meschinot,  3.  Puis  nous  rencontrons  Gilles 
des  Ormes,  Mgr  Jean  de  Lorraine,  Mgr  du  Bridore, 
Mgr  de  Tais,  maistre  Martin  Le  Franc,  Robertet, 
Monbeton,  Jammette  de  Nesson,  Régine  d'Orange, 
Jeanne  Filleul,  Jeucourt,  M"*  de  Beau-Chastel,  etc. 
Quelques  pièces  de  ce  recueil  se  trouvent  dans  les 
manuscrits  précédents  —  et  notamment  toutes  celles 
du  prince,  d'autres  sont  nouvelles. 

J'ai  pu  consulter  aussi  à  l'Arsenal  un  manuscrit  sur 
parchemin  du  commencement  du  xvi«  siècle.  Il  porte 
la  signature  de  M.  de  Paulmy,  et,  d'une  écriture  con- 
temporaine du  manuscrit,  celle  de  Lyonnet  Poureijle. 
Il  est  incomplet,  s'arrête  au  rondeau  :  Des  Arrérages 
de  Plaisance  et  paraît  avoir  copié  le  manuscrit  La 
'Vallière. 

La  même  bibliothèque  possède  un  manuscrit  sur 
papier  du  xviii'  siècle,  avec  des  notes  de  Lacurne  de 
Sainte-Palaye.  C'est  une  copie  du  manuscrit  Colbert. 

M.  Guichard  signale  dans  cette  bibliothèque  de  l'Ar- 
senal un  autre  manuscrit  renfermant  quelques  poésies 
de  notre  duc.  On  n'a  pas  pu  me  le  communiquer.  Je 


292  NOTICE    BIBLIOGRAPHIQUE. 

m'en  suis  aisément  consolé,  la  désignation  qu'en  donne 
mon  prédécesseur  montrait  suffisamment  que  son 
texte  ne  saurait  avoir  aucune  importance. 

C'est  donc  à  l'aide  des  manuscrits  précédents  et 
tout  particulièrement  du  manuscrit  La  Vallière  que 
j'ai  composé  le  texte  de  la  présente  édition. 

Il  existe  encore  de  notre  auteur  plusieurs  manus- 
crits que  je  n'ai  pas  vus.  D'abord  un  manuscrit  de  la 
bibliothèque  de  Carpentras,  dont  M.  ChampoUion  et 
M,  Lambert,  bibliothécaire  de  cette  ville  (Catalogue 
raisonné  des  manuscrits  de  la  bibliothèque  de  Carpen- 
tras)  donnent  une  ample  description.  D'après  eux,  ce 
serait  une  copie  du  manuscrit  Colbert.  Il  n'est  pour- 
tant pas  complètement  d'accord  avec  celui-ci  sur 
l'attribution  de  quelques  pièces  aux  poètes  qui  entou- 
rent Charles  d'Orléans.  On  y  trouve  aussi  une  ballade 
non  recueillie  par  les  autres  manuscrits.  Les  quel- 
ques vers  qu'on  en  cite  suffisent  à  nous  convaincre 
qu'elle  appartient  à  l'école  bourguignonne-flamande, 
école  tout  à  fait  différente  de  celle  où  l'on  peut  ranger 
notre  prince. 

Londres  possède  quatre  manuscrits  des  poésies  de 
Charles  d'Orléans.  Nous  les  connaissons  par  ce  qu'en 
dit  M.  Fr.  Michel,  dans  son  Rapport  au  ministre  de 
l'instruction  publique,  1849  (Documents  inédits  de 
l'Histoire  de  France);  par  une  ample  description  que 
donne  du  magnifique  manuscrit  de  la  Bibliothèque 
du  roi,  Bristish  Muséum,  Vallet  de  Viriville  (Bulletin 
du  Bibliophile,  1846).  II  y  prouve  assez  clairement 
que  cette  copie  doit  être  de  1 600-1 606.  On  y  trouve 
deux  chansons  en  anglais  qui  ne  se  rencontrent  pas 
dans  nos  manuscrits,  plus  quelques-unes  des  pièces 
rangées  à  la  fin  de  nos  deux  volumes  parmi  celles 
qu'on  attribue   à  notre  poète. 

Un  excellent  article  de  la  Rétrospective  Rewiew, 
i?>'i'],  m'a  fourni  aussi  des  renseignements  sur  ces 
copies  anglaises,  qui  sont  au  nombre  de  trois,  outre 
le  manuscrit  du  roi:  un  manuscrit  de  la  bibliothèque 
Lansdowne  et  deux  de  la    bibliothèque  Harléienne. 


NOTICE     BIBLIOGRAPHIQUE.  îgj 

M.  Champollion  a,  sur  ces  textes,  reçu  de  M.  Martial 
Delpit,  alors  en  mission  en  Angleterre,  des  commu- 
nications qui  nous  enlèvent,  en  partie,  le  regret  de 
n'avoir  pu  les  consulter. 

Dans  les  uns  et  les  autres  de  ces  manuscrits  on 
trouve  un  très-grand  nombre  de  pièces  qui  ont  été 
composées  par  les  amis,  les  serviteurs,  les  parents  de 
Charles  d'Orléans,  par  les  gens  de  cette  petite  cour 
lettrée  qu'il  avait  rassemblée  à  Flois,  plus  quelques 
chansons  en  anglais  et  une  ou   deux  pièces  en  latin. 

J'ai  promis  les  poésies  françaises  de  Charles  d'Or- 
léans, et  l'espace  qui  m'est  mesuré  dans  cette  publi- 
cation ne  me  permet  pas  d'être  prodigue,  j'ai  donc  re- 
tranché tout  ce  qui  n'était  pas  en  langue  française. 

D'autre  part,  je  n'ai  pas  voulu  publier  toutes  les 
poésies  de  la  cour  de  Charles  d'Orléans.  J'ai  repro- 
duit celles  qui  servaient  de  réponse  à  plusieurs  pièces 
de  notre  poète,  et  quelques-uns  de  ces  jeux  de  rhéto- 
rique où  sur  un  vers,  sur  une  idée,  sur  un  refrain, 
toute  la  petite  bande  se  précipitait  à  la  suite  du  duc 
et  se  répandait  en  rimes  fort  banales. 

Le  caractère  italique  indiquera  celles  des  pièces  qui 
ne  sont  pas  de  notre  poète.  Je  vais  indiquer  dans  les 
notes  plusieurs  pièces  sur  la  paternité  desquelles  j'avais 
quelque  doute.  Enfin,  j'ai  renvoyé  à  la  fin  de  chaque 
volume,  les  ballades,  chansons  et  rondeaux  que  cer- 
tains manuscrits  attribuaient  au  prince,  sans  que  l'en- 
semble des  documents  confirmât  cette  attribution. 

Les  notes  qui  vont  suivre  compléteront,  en  entrant 
dans  quelques  détails,  ces  observations  générales.  Je 
n'ai  pas  rangé  parmi  les  œuvres  de  Charles  d'Orléans 
une  traduction  de  la  Consolation  de  Boèce,  traduction 
qui  lui  avait  été  attribuée  un  peu  légèrement  ;  M.  Léo- 
pold  Delille  Ta  prouvé  surabondamment.  (Séance  de 
4'Académie  des  Inscriptions,  3i  janvier  iSyS). 


NOTES,   NOTICES 


VARIANTES. 


Les  diiffres  placés  au  commencement  des  notes 
renvoient  aux  pages,  ceux  qui  suivent  le  trait  indi- 
quent les  vers  ou  les  lignes;  i-i,  2-20  signifient 
donc  :  page   i,  ligne   i,  page  2,  vers  20;  et,  ainsi  de 


suite. 


TOME    PREMIER. 

I  Nous  avons  indiqué  dans  la  Préface  comment  nous  avons 
été  amené  à  mettre  en  tête  de  cette  partie  des  œuvres  de 
notre  poète  :  Poëme  de  la  Prison,  ce  qui  traduit,  à  peu  prts, 
en  langage  moderne,  cette  phrase  que  nous  trouvons  dans 
plusieurs  manuscrits  :  Le  Livre  que  Mi^  d'Orléans fist,  estani 
prisonnier. 

2-20.  De  nommer  à  moi  le  nom. 

3-i5.  Ce  qu'est  joie. 

3-29.  Dans  cette  voie. 

7-8.  Comme  il  est  d'usage,  je  te  manquerai  au  besoin. 

7-9    Comme  tu  fais  le  dédaigneux  à  propos  d'amour. 

8-29.  Quand,  ainsi  légèrement.  Beauté  triomphe. 

8-35.  Il  vaut  mieux  que  tu  choisisses. 

11-20.  Ainsi  qu'ils  s'y  engagent 

21-18.  Ce  qui  fait  cela,  c'est. 

23-5.  On  la  nomme  maîtresse  en  cela. 

23-7.  Trouver  amendement,  trouver  qu'elle  puisse  mieux  faire. 

23-10.  Celui  qui  observe  ses  actions  apprend  à  se  conduire. 

21^-26.  Je  ne  puis  en  dire  davantage. 

ïS-io.  Nul  excepté  moi. 


NOTES,    NOTICES    ET    VARIANTES.  295 

a6-2.  Jeunes  avec  un  s  au  singulier.  Jeunes  ou  vieux,  ainsi 
m'aisl  Dieiix,  etc.  ce  sont  des  formules  que  l'usage  avait  con- 
servées de  la  langue  du  xiieetdu  xiii«  siècle,  et  introduites  dans 
celle  du  st«  siècle.  Elles  peuvent,  dans  une  certaine  mesure, 
servir  à  distinguer  les  premières  poésies  de  notre  prince. 

a6-i8.  AcoUr,  prendre  par  le  col.  Les  écrivains  du  Moyen 
Age  distinguaient  soigneusement  baiser,  accoler,  embrasser, 
la  caresse  des  lèvres,  des  bras  autour  du  col,  ou  des  bras 
autour  de  la  taille.  On  voit  par  ce  vers  que  la  confusion 
entre  accoler  et  embrasser  commence  à  se  faire  dans  le  lan- 
gage de  Charles  d'Orléans. 

26-20.  Penser,  signifie  ici  désir.  Qu'une  fois  en  ma  vie  je  voie 
arriver  ce  que  je  désire. 

42-12.  Le  feu  grégeois  brûlait  dans  l'eau. 

43.  Ce  n'est  guère  qu'à  partir  de  cette  ballade  qu'on  peut  trou- 
ver les  traits  d'une  allégorie  précise  et  les  marques  de  pièces 
écrites  dans  l'exil.  Les  précédentes  ont  bien  pu  avoir  été 
composées  avant  la  bataille  d'Azincourt  et  encadrées  dans  les 
poèmes  où  Charles  raconte  allégoriquement  ses  amours. 

46-12.  Vous  demandera  votre  foi. 

52-3.  Se  suis  ge,  celui-là  )e  suis. 

57-6.  De  la  mettre  à  une  nouvelle  épreuve. 

59-27.  Je  remplis  mon  devoir  de  vous  l'apprendre. 

fio-8.  Se  par  vous  n'est,  sous-entendu  :  conforté. 

63-g.  Gietter  chance,  jetter  les  dés  de  façon  à  avoir  chance 
de  gain. 

79  Créséide,  Yseult,  Elaine.  Briséis,  Iseult,  Hélène.  Trois 
héroïnes  des  romans  de  chevalerie,  célébrées  dans  le  Roman 
de  Troye  et  les  Romans  de  la  Table  Ronde. 

82.  Le  recueil  intitulé  Le  Jardin  de  Plaisance  cite,  sans  attri- 
bution  d'auteur,  cette  ballade,  ainsi  que  la  suivante. 

86.  L'envoi  de  cette  ballade  LXVII  manque  dans  les  manuscrits. 

88- ig.  L'or  est  nommé  heureux,  symbole  du  bonheur. 

90-12.  Je  le  jure  sur  mon  salut. 

io3.  Alençon,  son  gendre;  celui  dont  parle  notre  préface.  Il  y 
a  dans  ce  rondeau  et  le  suivant  une  série  d'allusions  difficiles 
à  comprendre  sûrement. 

r  14-24.  Asserray  est  là,  je  crois,  pour  assolerai.  Je  ne  pense 
pas  qu'il  vienne  ici  d'asserrer,  tranquilliser. 

II 5.  Tays.  Ste  Thaïs,  célèbre  pénitente.  VoyQZ  LegenJa  aurea. 
Lipsiic,  iS5o.  p.  677. 

Ii5.  La  réduction  de  la  Guyenne  ne  fut  complète  qu'en  1453. 
C'est  donc  après  cette  date  qu'il  faut  placer  la  compositiou 
de  celte  ballade. 


296         NOTES,    NOTICES    ET    VARIANTES. 

116,  bal.  IV.  On  appelait  Frères  de  l'Observance  on  Obser» 
vantins,  des  moines  réformés  de  l'ordre  des  Franciscains. 
C'est  par  allusion  à  la  sévérité  de  leur  règle  que  notre  poCte 
parle  des  amoureux  maltraités  par  leurs  dames  et  réduits  aux 
angoisses  de  l'amour. 

120  Les  poètes  de  la  cour  de  Charles  exercèrent  leur  verve 
sur  le  thème  de  cette  ballade,  fort  digne,  par  son  style,  d'ap. 
partenir  à  notre  poète,  bien  que  sa  place  dans  les  manuscrits 
puisse  porter  à  supposer  qu'elle  n'est  pas  de  lui. 

121-21.  Il  faut  comprendre  comme  s'il  y  avait  :  d'Espoir. 

122.  Il  est  possible  que  la  ballade  VI  et  les  suivantes  jusqu'à 
la  page  i35  inclusivement  ne  soient  pas  de  Charles  d'Orléans. 
Elles  se  trouvent  dans  les  manuscrits,  mêlées  à  des  pièces 
portant  les  unes  le  nom  de  notre  prince,  les  autres  le  nom  de 
divers  auteurs.  Celles  que  nous  signalons  ici  n'ont  aucune 
attribution.  Nous  en  dirons  autant  de  la  ballade  XXIII. 

125-4.  Estimée  d'après  le  cours  établi  par  Loyauté. 

126-2.  Exposée  aux  coups  de. 

i3i-6.  Pour  qui,  aux  yeux  de  qui  regarde. 

i3i-26.  Et  quand  je  les  donnerai. 

l32- 1 5 .  Les  rois  de  France  ont  cette  formule  :  Car  tel  est  notre 
plaisir. 

i33-i3.  Je  dis,  pour  conclure. 

l36-20.  Jeu  de  mots  sur  le  sens  àt  faille  qui  désigne  un  jeu 
et  aussi  veut  dire  manquement. 

140.  Cette  ballade  —  nous  lui  conservons  cette  désignation 
donnée  par  les  manuscrits,  bien  qu'elle  n'ait  pas  les  caractères 
propres  au  genre  —  laisse  comprendre,  dans  son  obscurité, 
qu'il  s'agit  de  Marie  de  Bourgogne,  fille  de  Charles,  d'"'  'l* 
Charolais.  La  ballade  suivante  est  liée  à  la  précédente,  dans 
ces  manuscrits,  sans  en  être  séparée  par  le  titre  constamment 
mis  en  tête  des  autres  pièces.  Toutes  deux  sont  suivies  par 
un  morceau  signé  Vostre  povre  escoHer  françois,  et  qui  est 
peut-être  de  Villon. 

142-32.  Le  manuscrit  que  je  suis  généralement  donne  bien 
soine  J'ai  cru  voir  là  une  mauvaise  copie.  Some  serait  ici  la 
traduction  grossière  de  summa,  très-grande.  Je  répète  d'ail- 
leurs que  cette  pièce,  lourde,  obscure,  à  physionomie  antique 
ne  saurait  être  de  Charles  d'Orléans. 

143-8.  Dovre,  Dover,  Douvres,  ville  anglaise  sur  les  bords  du 
détroit  du  Pas  de  Calais. 

i52,  ballade  VII.  Une  de  celles  que  le  Jardin  de  Plaisanca  a 
empruntées  à  Charles  d'Orléans. 

i53.  Ballade  VIII.  Ce  dut  de  Bourbon  est  vraisembiablenient 


NOTES,    NOTICES    ET    VARIANTES.         297 

Jean  I«',  prisonnier  d'Aziiicourt,  qui  vint  momentanément  en 
France  en  141 7  et  mourut  en  Angleterre,  en  1433. 

154-9.  C*  qi^s  c'est  qu'une  telle  vie. 

157.  Ballade  XI f.  Philippe  le  Bon,  duc  de  Bourgogne. 

161-2.  Isabellede  Portugal,  troisième  femme  de  Philippe  le  Boa. 

162-13.  Ne  fera,  n'en  trouvera  pas  plus  à  l'avenir. 

164-5.  Fiers  à  l'avantage  je  frappe  heureusement. 

164-21.  Mes  prédécesseurs  donnent  au  mot  baffe  le  sens  de 
coup.  Je  crois  qu'ils  ont  cédé  inconsciemment  à  la  ressem* 
blance  de  ce  mot  avec  buffe.  L'ensemble  de  la  ballade  et  les 
vers  suivants  me  portent  à  le  faire  venir  de  Baffa  qui  signi- 
fiait à  Rome  pâtisserie  grossière  et  grasse.  Ce  serait  donc  : 
visage  venu  de  bafrerie,  formé  de  graisse  grossière  et  confit 
en  une  consMve  de  vin. —  Au  Moyen  Age,  on  remplaçait  par» 
fois  le  sucre  par  le  vin  doux  pour  faire  certaines  compotes. 

164-25.  Mal  Saint  Martin,  l'ivresse.  Autrefois,  onseréunissaità 
la  Saint-Martin  pour  goûter  le  vin  nouveau  et  pour  le  vendre: 

  la  Saint-Martin  fault  gouster  le  vin. 

i65-2.  La  poudre  de  raisin,  c'est  le  vin  et  l'ivresse. 

I65-I0.  Saint-Poursain,  nom  d'un  vin  d'Auvergne  dont  la  cé- 
lébrité dura  jusqu'au  xvni«  siècle,  et  dont  Fléchier  parle  en 
ses  Méiiioires.  Nous  avons  peine  aujourd'hui  à  coaiprendre 
cette  renommée. 

172-9.  Gettoit,  signifie  ici  :  comptait.  Mais  est-ce  par  allusion 
aux  jetons  qui  servaient  à  calculer  ou  aux  papiers  qu'on  triait 
en  les  jetant  sur  divers  tas? 

173-10.  J'agirai  volontiers  ainsi. 

174.  Cette  ballade  XXVII  est  attribuée  à  Blosseville  par  le  ma- 
nuscrit de  Carpentras. 

177.  Saint  Valentin,  dont  nous  rencontrons  le  nom  dans  plu- 
sieurs endroits  de  ces  poésies,  joue  un  grand  rôle  dans  la 
poésie  amoureuse  de  la  fin  du  Moyen-Age.  Il  était  considéré 
comme  le  patron  des  amants;  le  jour  de  sa  fcte  correspondait, 
dit-on,  à  cette  date  du  printemps  où  les  oiseaux  s'accouplent. 
Les  jeunes  gens  choisissaient  ce  jour-là  une  compagne  envers 
laquelle  ils  étaient  tenus  à  certains  devoirs  gracieux.  Notons 
toutefois  que  la  Saint-Valentin  était  plus  célébrée  en  Angle- 
terre qu'en  France,  et  qu'elle  n'y  est  pas  encore  complètement 
oubliée. 

188.  Les  premiers  vers  de  cette  page  ne  sont  pas  absolument 
clairs.  Les  autres  bonnes!  Faut-il  donc  sous-entendre  choses, 
places,  vies  ? 


298         NOTES,    NOTICES    ET    VARIANTES. 

Tout  fait  a.  On  peut  encore  comprendre  en  mettant  un 
accent  sur  l'a. 

199-22.  La  danse  à  courts  sauts,  autrement  la  basr,e  dani'e, 
danse  grave,  solennelle,  était,  comme  la  pavane,  en  oppo- 
sition avec  les  danses  moresques,  par  exemple,  qui  deman- 
daient des  mouvements  plus  violents  et  plus  adroits. 

200-1  et  suivants.  Celui  qui  se  met  à  servir,  s'il  voulait  avoir 
immédiatement  sa  récompense,  sinon  se  démettre  du  service, 
celui-là  serait  blâmé  par  Loyauté. 

200-26.  J'ai  assez  abandonné  avec  générosité,  de  mes  biens. 

aoi-24.  Celui  qui  n'a  pas  un  traité  doit  se  rendre  à  merci. 

201  in  fine.  Il  faut  tout  mettre  en  partage  quand  vient  le  mo- 
ment de  distribuer  le  butin. 

3o3-3.  Et  vous,  de  même  que  vous,  en  votre  compagnie. 

2o3.  J'ai  trouvé  la  pièce  suivante  dans  un  seul  des  manuscrits 
originaux  de  Charles  d'Orléans.  Il  est  facile  de  voir  combien 
la  langue  diffère  du  style  des  autres  morceaux.  Je  ne  l'ai  pas 
rejetée  pourtant.  On  peut  supposer  que  notre  poète  l'a  com- 
posée, en  son  extrême  jeunesse,  à  titre  de  pastiche  des  poésies 
du  siècle  précédent. 

On  peut  imaginer  encore  que  Charles,  touché  par  le  senti- 
ment naïf,  très-pénétrant,  très-doux  et  très-sincère  qui  a 
inspiré  ce  Lay,  l'avait  gardé  parmi  ses  papiers.  Aussi  je  n'ai 
garde  de  blâmer  ceux  de  mes  prédécesseurs  qui  ont  vu  dans 
l'attribution  de  cette  antique  complainte  à  notre  poète  une 
pure  fantaisie  d'un  copiste  ignorant.  En  tout  cas,  ce  petit 
poème  m'a  paru,  comme  je  le  disais,  inspiré  par  un  senti- 
ment délicat  et  vraiment  attendri;  et  je  l'ai  conservé  pour  les 
cueurs  de  noble  amour  espris. 

204-34.  Il  m'était  imposé  de  porter  ce  deuil. 

2o5-25.  Changer  de  couleur  (en  parlant  du  visage). 

2o6-5.  Et  il  me  semblait  qu'elle  m'avait  délaissé. 

207-18.  Car  la  mort,  —  c'est  à  peine  si  j'ose  le  dire,  —  c'est 
ma  consolation,  mon  plaisir  et  mon  soulagement. 

209-17.  Que  j'ai,  en  ma  vie,  finissant  (je,  moi,  qui  termine)  en 
priant —  ou  bien  en  ma  vie  qui  décline. 

2i3-iS.  Les  sept  arts  constituaient  et  comprenaient  la  science 
classique  du  Moyen-Age.  Ils  se  divisaient  en  deux  séries  :  le 
Trivium,  qui  comprenait  grammaire,  logique,  rhétorique,  et 
le  Quadrivium,  qui  représentait  ce  que  l'on  nommerait  au- 
jourd'hui les  sciences  et  renfermait  arithmétique,  astronomie, 
musique  et  géométrie. 

214-7.  En  guise  de  louange  et  d'estime,  je  suis  titré,  décoré 
de  déshonneur. 


NOTES,     NOTICES    ET    VARIANTES.         2g() 

Si5-Q.  La  Quinlaine,  jeu  qui  se  faisait  à  la  lance  ou  au  bâton, 
à  cheval  ou  à  pied  et  où  il  s'agissait  de  frapper  très-exactement, 
à  un  point  indiqué,  un  mannequin  qui,  mal  atteint,  donnait  un 
coup  violent  au  maladroit. 

217-23.  Ogier  l'Ardennois,  héros  bien  connu  des  romans  de 
chevalerie. 

219-7.  Après,  s'après  elle,  si  d'après  elle. 

320  in  fine.  Je  ferai  sur  cette  ballade  les  mêmes  observations 
que  sur  le  Lay  Piteux. 

221-4.  Donnez-moi,  de  la  tendresse  qui  est  en  vous,  une  telle 
consolation,  que  j'oublie  cette  souffrance  d'amour. 


TOME   SECOND. 

9-6.  Il  est  juste  que  je  tienne  votre  conseil  secret. 

13-7.  Je  jure  de  faire  les  premiers  pas. 

13-24.  Qu'on  fasse  une  enquête  pour  savoir  qui  a  tort. 

14- 1.  Que   Droit   assemble  conseil   pour  juger  si,  etc. 

20  in  fine.  C'est  ce  qui  reste  à  dire,  c'est  à  savoir. 

22.-5.  Sous  mon  pied  cela. 

22-14.  Et  que  vous  êtes  passée  maîtresse  en  cette  affaire, 

23-1 3.  Je  mettrais  parmi  mes  biens. 

25-1 5.  Qu'il  n'j-  manque  rien. 

29-4.  Dont  je  vous  suis  peu  reconnaissant. 

3i-5.  Je  persiste  en  cette  opinion  qu'ils  viendront,  etc. 

53.  Voir  la  note  ci-dessous  sur  les  Bourbons  contemporains- 
de  Charles  d'Orléans. 

60.  Pour  ces  trêves,  voyez  la  préface. 

61-2.  C'est  un  des  deux  derniers  comtes  de  Clermont  dont  nous 
parlons  ci-dessous,  et  probablement  le  troisième. 

Le  Villequierdont  il  est  ici  question  paraît  être  André,  qui 
épousa  Antoinette  de  Maignelais,  assez  effrontément.  Nous 
voyons  trois  La  Fayette  sous  Charles  VII,  Charles,  Gilbert, 
Pierre.  Quant  à  Gouffier,  le  plus  connu  est  Guillaume,  qui 
fut  accusé  de  vouloir  attenter  à  la  vie  de  Charles  VU. 

65.  Le  Sicile  dont  il  est  ici  question  est  le  très-connu  René 
d'Anjou. 

71-6.  On  peut  lire  n'a  tirer.  Quelques  manuscrits  donnent 
atirée  qui  rend  le  vers  faux.  Je  suppose  que  atirer,  atiré 
atirée  est  un  appât  pour  le  faucon. 

71-q.  Comme  les  jeunes  faucons  qui  vont  muer. 


300         NOTES,    NOTICES    ET    VARIANTES. 

73.  On  appelait  Carole    un  air  de  danse    que   l'on  dansa 
aux  fêtes  et  surtout  à  Noël. 

79-S.  A  l'aide  de  liesse. 

11-80.  Ce  Nevers  est,  je  crois,  le  plus  célèbre  des  deux  qui 
jouèrent  quelque  rôle  au  xv«  siècle,  Jean  de  Bourgogne,  comte 
de  Nevers. 

88-2.  Que  nous  mettions  au  jour  les  derniers  arguments. 

88-20.  L'œil  qui  était  en  embuscade  saute  sur  la  route. 

89-14.  Faites  annoncer  ces  trêves. 

96-4.  Je  suppose  que  ce  sont  là  des  termes  de  fauconnerie,  je 
comprends  :  développait  le  plaisir  de  la  chasse,  et  savait 
quêter,  —  revenu  sur  ses  passées. 

ICI.  Rond.  XLIl.  Blaisf  d'Auriol,  dans  sa  Despartie  d'Amour, 
s'est  approprié  ce  rondeau  en  changeant  Le  Goût  en  Le  Grant. 

102- 1.  Avez-vous  fini  ?  Laissez-moi  parler  à  mon  tour. 

102-18.  Près  là,  ici. 

102-18.  Le  briquet  n'était  pas  de  race  pure,  le  limier  chas- 
sait la  grosse  bête. 

Il3-i8.  Volte  route,  tournez,  changez  de  chemin,  revenez. 
On  peut  aussi  lire  7o//<?,  ro«/c",  tourne,  compagnie. 

Ii3-25.  Ce  vers  m'a  un  peu  embarrassé,  et  je  crois,  d'après 
la  façon  dont  il  est  reproduit  dans  les  manuscrits  que  les  co- 
pistes ne  le  comprenaient  pas.  Je  suppose  qu'il  faut  écrire 
d'aly  et  non  da  ly,  comme  je  le  vois  dans  plusieurs  textes. 
Je  prends  aly  pour  mot  technique,  pour  un  mot  de  guerre  ou 
de  chasse,  pour  une  sorte  de  contraction  d'un  mol  comme 
halali,  par  exemple.  J'explique  ainsi  la  phrase  :  Crie  gaillar- 
dement, d'un  brusque  halali,  après  le  balaillon  rompu. 

120.  Melusine,  la  fée,  qui  se  cachait  sous  la  forme  d'un  serpent. 
Il  y  a  le  roman  de  Melusine,  par  Jean  d'Arras,  auquel  évi- 
demment fait  allusion  notre  vers. 

122-9.  Que  les  jeunes  partagent  leur  butin, 

129-3.  Cabuseurs.  J'ignore  quelle  espèce  particulière  de  far- 
ceurs, de  joueurs,  d'hommes  politiques  ou  de  truands,  in- 
dique ce  mot  d'argot.  On  peut  y  chercher  diverses  étymolo- 
gies,  et  j'avoue  que  j'ai  été  tenté  d'y  voir  le  mot  Gabuseur, 
mal  écrit  ou  mal  prononcé.  Le  sens  général  du  vers  et  du 
suivant  est,  du  reste,  clair  :  La  malice  ne  finira  pas  tant  qu'il 
y  aura  un  Cabuseur. 

Je  ne  puis  pas  non  plus  préciser  le  sens  du  mot  entrejetteiir 
qui  vient  plus  loin. 

i3o-i3.  Que  je  m'y  mette  pour  recevoir  quelques  coups,  vous 
moquez-vous  ! 

i35-i3.  On  se  brûle  quand  on  est  près  du  feu,  et  pour  cela, 


NOTES,    NOTICES    ET    VARIANTES.  3oi 

}e  suis  l'homma  qui  le  fuis  de  mon  mieux,  quand  je  n'y  trouve 
pas  mon  avantage. 

i38-2.  On  se  rappelle  que  Charles  d'Orléans  revendiquait  le 
duché  de  Milan,  etc.  du  chef  de  sa  mère. 

l38-i4.  Troilus  joue  un  grand  rôle  dans  le  poëme  de  Benoît 
de  Sainte-More  et  dans  bien  d'autres  poèmes  au  Moyen-Age. 
Mais  nous  pensons  que  Charles  fait  allusion  à  ce  livre  de 
Troilus  que  Pierre  l"  de  Beauveau  avait,  à  la  fin  du  xiv^  siècle, 
tiré  du  Filostrato  de  Boccace.  Nous  avons  publié  ce  roman 
qui  fut  célèbre  au  xv*  siècle  et  dont  nous  avons  trouvé  un 
manuscrit  provenant  de  la  bibliothèque  de  Valentine  de  Milan. 

140-14.  Distribuons  non  avec  avarice  nos  sourires,  nos  bonnes 
grâces. 

141.  Clermoutois,  c'est-à-dire  du  comte  de  Clermont. 

Notre  prince  a  connu  trois  comtes  de  Clermont  :  Jean  I«% 
qui  devint  duc  de  Bourbon  en  1410,  et  qui  fut  son  compagnon 
de  captivité;  le  fils  de  celui-ci,  Charles,  né  en!i40i, 
comte  de  Clermont  jusqu'à  la  mort  de  son  (père  (1434), 
époque  où  il  prit  le  titre  de  duc  de  Bourbon  ;  enfin  le  fils  de 
celui-ci,  Jean  II  le  Bon,  né  en  1426,  comte  de  Clermont, 
puis  duc  de  Bourbon  en  1456,  date  de  la  mort  du  précédent. 
Je  ne  trouve  rien  dans  ces  rondeaux  qui  me  porte  à  choisir 
l'un  des  trois  Clermont  plutôt  que  l'autre. 

14 1-8.  Ce  n'est  pas  par  la  faute  de  ma  volonté. 

142-4.  Les  textes  donnent  Desconforté,  qui  ne  m'offre  guère 
de  sens.  Je  pense  qu'il  faut  lire  Desconfort,  l'ennemi  de  Con- 
fort, qui  joue  dans  les  poésies  allégoriques  le  rôle  de  consola- 
teur, et  ne  pas  élider  l'e  de  lerme,  licence  que  notre  poète 
se  permet  à  l'occasion. 

142-8,  D'après  ce  que  j'entends  dire. 

143.  Ce  rondeau  redoublé  n'est  pas  absolument  conforme  aux 
règles  qui  veulent  que  ce  genre  de  rondeau  ait  six  couplets. 

145-15.  Amors.  Amordre  avait  deux  sens  au  Moyen-Age, 
atteindre  ou  gratter  en  grinçant,  et  un  troisième  sens  dérivé 
de  ce  dernier  —  et  qui  est  resté  dans  le  patois  picard  —  re- 
passer une  lame. 

Ici  je  ne  vois  aucun  de  ces  sens  bien  applicables,  je  suppose 
que    notre    poète   aura  entrevu  le  sens  de  amorcé,  habitué. 

I48-11.  Jusqu'à  ce  qu'il  ait  sa  joye  accordée,  décrétée. 

l52-io.  Où  il  n'entre  pas'un,  quoique  ce  soit  peu. 

l53.  Comte  d'Étampes.  Charles  eut  un  beau-frère  et  un  neveu 
de  ce  nom.  Le  premier,  Richard,  fils  de  Jean  le  'Vaillant,  duc 
de  Bretagne.  Richard  avait  épousé  Marguerite,  sœur  de 
Charles.  De  ce  mariage  était  né  en  143:  François,  également 


302         NOTES,    NOTICES    ET    VARIANTES. 

comte  d'Etampes,  et  qui  deviut  duc  de  Bretagne.  Le  rondeau 
paraît  s'adresser  à  ce  dernier. 

136-17.  Il  y  aura  le  lévrier  lieau  Crier. 

iby-6.  Je  ne  sais  s'il  ne  faut  [ias  prendre  ici  poisson  dans 
le  sens  de  mesure,  verre  de  vin.  Quant  au  vin  des  Grois 
dont  il  est  question,  c'est  la  première  fois  que  je  le  vois  cité. 

iSj-io.  Faut-il  chercher  lu  une  allusion  de  ses  projets  decon-j 
quêtes  du  Milanais,  ou  voir  simplement  dans  généraux  et  mil- 
lenois  les  hauts  agents  de  finances  ro\  aies  ? 

i5i-6.  Croyez-vous  que  ce  soit  le  contraire? 

102-23.  Baille  lui  bois.  Expression  tirée  du  jeu  de  la  quin- 
tiine,  et  qui  s'explique  aisément.  Quand  on  touchait  mala- 
droitement de  la  lance  l'un  des  bras  de  la  qnintaine  et  qu'on 
en  était  trop  près,  l'on  recevait  sur  la  tête  l'uu  des  autres  bras 
de  la  machine. 

162-24.  I^^  mois.  Faut-il  comprendre  :  s'éloigner  pendant 
quelque  partie,  quelques  jours  du  mois?  Faut-il  prendre 
viois  pour  le  mai,  l'arbre  du  mai,  et  par  extension,  poteau  de 
la  quintaine  qui  est  aussi  une  sorte  d'arbre  de  fête? 

i63-2i.  Le  comte  de  Nevers,  qui  n'est  pas  expert,  manque  la 
plus  grande  qualité  —  qui  est  aussi  la  plus  grande  diffi- 
culté —  du  rondeau,  je  veux  dire  l'application  exacte,  la 
complète  appropriation  des  premiers  vers  comme  refrain.  On 
doit  sans  doute  sous-entendreici/^ivar,  pour  mainte  personne. 

i65.  Pièce  citée  dans  le  Jardin  de  Plaisance  ainsi  qu'une  autre 
qui  commence  ainsi  : 

En  la  forest  de  longue  attente 
Demeure  sans  maison  ni  tente. 

167-8.  De  rente,  en  guise  de  rente. 

172-3.  Bien  que  je  lui  dise...  je  languis,  etc. 

174-24.  Dans  la  maladie...  il  y  a  fort  à  guérir. 

177-24.  Dans  l'un  de  nos  manuscrits,  Guerdon  est  cons- 
tamment écrit  gueredon,  et  Ve  entre  \'r  et  le  d  constam- 
ment élidé  pour  l'oreille,  et  pour  la  mesure  des  vers. 

178-18.  Laisse  seuls  les  nécessiteux. 

187-13.  Il  faut  prendre,  je  crois,  ce  rondeau  dans  le  sens 
ironique,  et  regarder  le  mot  Chapperon,  coiffure  plus  grave, 
comme  une  allusion  à  la  Sagesse. 

188-8.  Je  ne  connais  plus  rien  que  mon  Dieu. 

188-19.  Mon  service  est  d'être  père  mendiant  et  je  cherche 
mon  pain  quotidien. 

189-16.  Par  une  élévation  forcée,  fatale,  providentielle. 

189-2Ô.  Je  ne  comprends  pas  bien  le  mot  savance  inventé 


NOTES,    NOTICES    ET    VARIANTES.  000 

pour  la  rime  et  lourdement,  selon  la  formule  de  l'école  bour- 
guignonne. Ni  saveur  ni  savoir  ne  donnent  un  sens  bien 
concordant  avec  l'ensemble  de  l'idée. 

190-12.  Je  laisserai  peu  de  bien  acquis  parmi  les  amoureux. 

190.  Rond.  CLXXXIV.  C'est  une  des  pièces  qu'a  empruntées 
le  Jardin  de  Plaisance, 

191-16.  Car,  en  parler  si  lestement,  si  crûment,  en  vérité  c'est 
montrer  qu'on  n'en  souffre  guère. 

192-3.  Que  l'homme  peu  courroucé  s'apaise  vite. 

193-15.  Le  sens  indique  dans  Sources  un  nom  de  lieu  vers 
lequel  va  notre  poète,  ou  un  homme  à  propos  duquel  ii  est 
obligé  de  voyager.  Je  connais  Serges  et  Foiirges  ;  j'ignore  oii 
pourrait  être  situé  Sourges.  Je  n'ai  pas  trouvé  ce  nom  dans 
les  papiers  d'Orléans. 

194- II.  Ce  rondeau,  on  le  voit  facilement,  est  bâti  sur  une 
série  de  jeux  de  mots,  où  les  noms  des  fleurs  rappellent  le 
nom  des  sentiments.  Le  rondeau  CXC  formé  d'après  le 
même  système,  est  Imoins  précis  et  plus  vague  en  son  allé- 
gorie ;  il  est  plus  d'un  poète  et  moins  d'un  médecin. 

198.  Rondeaux  CXCI II  et  suiv.  Ces  deux  rondeaux  sont  attri- 
bués à  Jean  de  Lorraine  par  le  manuscrit  de  Carpentras,  évi- 
demment par  erreur. 

198-5.  De  crainte  qu'il  ne  vous  donne. 

199-3.  Sous-eiUeudu  :  s'ils  faisaient  autrement. 

199-14.  Montre  son  engagement  (qui  le  retient  à  la  solde 
d'un  capitaine.) 

202.  Rondeau  CXCVn.  Attribué  par  le  manuscrit  de  Car- 
pentras  à  Mm»  d'Orléans. 

2o5-2i.  Cette  phrase  obscure  peut  s'interpréter  de  plusieurs 
sortes;  j'incline  pour  ce  sens  :  C'est  faute  de  valeur  de  la 
part  de  ces  amoureux  ardents  en  apparence,  et  qui,  en  fait, 
sont  si  prudents  que,  par  une  juste  punition,  etc. 

206.  Rondeau  CC.  Il  faut  le  comprendre  dans  le  sens  ironique. 

206- II .  Et  alors  ce  sera  à  Danger,  leur  ennemi  mortel,  que  les 
femmes  seront  obligées  de  se  soumettre. 

312.  Rondeau  CCX.  Voici  le  sens  général  de  cettepiècemipartie: 
Contre  ces  gueux  rusés  d'Italie,  il  est  bon  d'employer  le 
mot  français  :  à  plus   tard.  Donnez-leur   de  l'eau   bénite  de 
cour.  Tout  au  plus  bernez-les  du  mot  savoir? 

Oui,  sans  doute,  c'est  déjà  trop  ;  car  il  faut  grande  prudence 
avec  ces  astucieux  menteurs. 

Tiens  bon  est  peu  politique,  mais  voyons  un  peu  est  une 
phrase  habile.  C'est  la  diplomatie  qui  indique  le  remède 
qu'on  doit  employer  contre  les  hypocrites  coquins. 


3o4         NOTES,    NOTICES    ET    VARIANTE*. 

2  1 3-3.  Peut-iître  peut-on  lire  s'avance.  Mais  alors  je  ne  sais 
que  faire  de  par,  soit  en  français,  soit  en  italien,  à  moins  de 
foiger  le  verbe  par  s'avancer,  qui  alors  est  contradiction  aVec 
poco. 

21 3-1 5.  J'imagine  que  ce  vers  —  dans  un  patois  plus  folle- 
ment macaronique  encore  que  celui  du  rondeau  précédent 
—  peut  signifier  :  autant  le  prince  que  les  ducs. 

ai 7-1.  Rien  qu'en  vous  regardant. 

221-7  J'ai  été  tenté  de  lire  borne;  on  peut  voir  une  mau- 
vaise prononciation  de  bonde;  ou  dans  mettre  la  bonne  une 
locution   adverbiale    dans    le  sens   de  mettre  le  holà  i 

iîS-ig.  Dcduit  delà  pie.  P»e  signifie  souvent  boisson.  Cro- 
quer la  pie,  humer  le  piot. 

232-11.  Peut-être  faut-il  lire  ne  trouverait,  il  ;n*en  trouve- 
rait pas  d'aise. 

a32-2i.  Faire  vœu  sur  le  paon,  usage  chevaleresque,  qui  a 
donné  naissance  à  plusieurs  romans  d'aventures. 

237-15.  Baude  et  Briquet,  deux  noms  de  chiens  de  chasse. 
Il  est  probable  que  notre  prince  fait  ici  allusion  aux  débuts  de 
Baude,  poète  de  la  fin  du  xv«  siècle,  dont  il  reste  quelques 
pièces  d'une  forme  élégante. 

247-27.  Je  me  mettrai  en  otage. 

848-1.  Sous-entendu,  des  biens. 

255-20.  Trou  Sebille,  probablement  l'antre  de  la  sybille. 

2G1-13.  J'oy  compter  rage.  Expression  proverbiale  :  J'en- 
tends dire  merveilles. 

263.  Le  rondeau  CCLXXXVTII,  qui  commence  par  Prophéti- 
sant, ainsi  que  ceux  qui  portent  dans  notre  édition  les 
numéros  CCXCr,  CCXCII,  CCXCIII  et  CCXCIV,  me  pa- 
raissent avoir  été  attribués  à  tort  à  Charles  d'Orléans.  Leur 
forme,  et  surtout  leur  position  dans  les  manuscrits,  me 
portent  à  croire  qu'ils  sont  de  quelque  poète  de  la  cour  dont  le 
nom  a  échappé  au  premier  copiste. 

274.  Rondeau  CCCV.  Ce  rondeau  et  les  deux  suivants  pa- 
raissent faire  allusion  à  son  voyage  en  Italie.  Les  deux  pre- 
miers vers  de  la  page  suivante  peuvent  se  comprendre  : 
On  reconnaîtra  qu'il  est  sage  le  duc  d'Orléans  né  d'une 
Lombarde,  ou  bien  :  Que  c'est  chose  sage  de  tirer  d'Orléans 
en  Lombardie. 

276-13.  Il  paraît  qu'il  faut  élider  \'e  de  gueres. 

Les  pièces  attribuées  ici  à  notre  poète,  et  particulièrement  ta  pre- 
mière chanson  de  la  page  280,  portent  le  même  caractère 
d'ancienneté  que  celles  qui  sont  à  la  fin  du  volume  précédent. 

Angoulême  (M^'d').  Marie  de  Rohan,  épouse  de  Jean  d'Orléans^ 


NOTES,    NOTICES    Er    VARIANTES.  3o5 

comte   d'Angoulêmej   frère   puîné  de  Charles    d"Orléans   et 

grand  -  père    de    François   I»'.    Elle   avait    épousé   Jean ,  le 

3i  août  1449  :  la  pièce  qui  lui  est  adressée  est,  je  crois,  du 

17  février  1450. 

Albret  (le  cadet  d').  Parmi  les  six  seigneurs  d'AIbret  qui 
jouent  un  rôle  sous  Charles  VII.  C'est  Arnaud-Amanieu,  sire 
d'Orval,  qu'on  nommoit  le  Cadet  d'AIbret,  d'après  la  chronique 
de  J.  Chartier.  Charles  d'AIbret,  sire  de  Ste-Bazeilles,  portait 
aussi  ce  sobriquet. 

Beaujeu  (monseigneur  de).  Pierre  II  de  Bourbon,  qui  épousa 
la  fille  de  Louis  XI. 

Benoist  d'Amiens.  Est-ce  le  même  Benoist  que  nous  voyons 
en  I454  parmi  les  affidésdu  Dauphin  Louis? 

Boucicaut.  Le  petit-fils  du  premier  maréchal  de  ce  nom. 
Nous  le  voyons  mêlé  en  compagnie  du  duc  d'Orléans  au  mou- 
vement féodal  de  1440-1442. 

J'ai  trouvé  dans  un  seul  de  mes  manuscrits  l'attribution  à  Mon- 
seigneur du  Bridore  du  rondeau  généralement  placé  sous  le  nom 
de  Boucicaut.  Faut-il  voir  le  même  personnage  sous  ces  deux- 
noms  ? 

P.  de  Boulainvilliers.  Ce  domestique  de  la  cour  d'Orléans 
est-il  le  parent  de  ce  Perceval  de  Boulainvilliers  dont  nous  avons 
une  si  curieuse  lettre  sur  Jeanne  d'Arc  ?  Est-il  l'un  des  ancê- 
tres de  l'historien  politique  du  xviii=  siècle?  Je  ne  sais  rien  sur 
lui  et  je  ne  le  vois  pas  apparaître  dans  les  chroniques  et  les 
comptes  du  xv«  siècle. 

Jehan  Caillau,  médecin  de  Charles  et  celui  qui  le  soigna  dans 
sa  dernière  maladie. 

Daniel.  Je  ne  connais  pas  d'autres  Daniel  au  xv«  siècle  qu'un 
chambellan  de  Louis  XI  en  1478. 

Fredet  Guillaume,  licentié  es  loix.  Garde  des  sceaux  de  la 
prévôté  de  Bourges.  Je  trouve  son  nom  dans  un  acte  de  1422. 

Garancières.  Ce  nom  revient  souvent  dans  les  comptes  de  la 
maison  d'Orléans  et  dans  l'histoire  du  xv«  siècle.  Celui-ci  était, 
je  crois,  fils  d'Yon  de  Garancières,  maître  d'hôtel  d'Ysabeau  de 
Bavière,  et  ce  Jehannet  de  Garancières  qui  tient  la  plume  pour 
les  seigneurs  Orléanais  lors  de  la  déclaration  de  St-Ouen,  141 1. 

Georges.  Les  précédents  historiens  de  Charles  d'Orléans  ont 
cru  voir  en  ce  Georges,  Georges  Chastellain,  notable  historien 
bourguignon  du  xv«  siècle. 

Ce  rondeau,  en  effet,  rappelle  plus  que  les  autres  pièces  du 
recueil  la  pesante  gravité  de  l'école  bourguignonne-flamande  de 
cette  époque. 

Jean  de  Lorraine.  Le  fils  de  René  d'Anjou. 

CHARLES  d'orléans.  II.  20 


3o6         NOTES      NOTICES    ET    VARIANTES. 

Olivier  de  La  Marche.  Historien  fort  connu  du  xv«  siècle. 

Hugues  Le  Voys,  un  des  partners  iiabituels  du  duc  aux  lichecs, 
et  de  la  Duchesse  aux  tables,  aux  daines,  au  trictrac. 

Le  comle  de  h'cvers.  Jean  \"  duc  de  Clèves. 

Lussay  (Antoine  de).  Etait-il  de  cette  famille  de  Lucé  ou  de 
Lusse,  dont  je  vois  plusieurs  membres  cités  dans  les  chroniques 
du  xv«  siècle? 

Madame  d'Orléans.  La  princesse  de  Clèves,  femme  de  notre 
duc,  {voir  la  préface). 

Gilles  des  Ormes  est  un  de  ceux  qui  sont  nommés  parmi  les 
)0ueurs  qui  font  le  plus  fréquemment  la  partie  d'échecs  as'ec 
le  duc. 

Pot  (Guyot),  chancelier  du  Prince. 

Est-ce  le  fils  de  ce  Régnier  Pot,  si  enragé  Bourguignon  au 
commencement  du  siècle  ;  et  le  père  de  Jehan  Pot,  »  page  de 
monseigneur  »  ?  En  tous  cas,  c'est  le  partner  habituel  de  la  Du- 
chesse au  jeu  de  tables,  au  jeu  de  gluc. 

Pot,  Philippe.  Nous  le  voyons  en  grand  état  à  la  cour  de 
Bourgogne  en   1458. 

Senechal  (le  grand).  Pierre  de  Brezé. 

Torcy  (leseigueur de)  Jehan d'Estouteville,  seigneurde Torsy» 
conseiller  du  roi  Charles  VU. 

La  Trémoille  (Jacq.  bâtard  de).  Chef  de  bandes  sous  Char- 
les VU  et  «  vaillant  chevalier  aux  armes  »  comme  l'appelle 
Jean  Chartier. 

Villebresme  (Guill.  de)  Poète  souvent  cité  au  xv»  siècle, 
«  secrétaire  du  roy  et  de  Monseigneur  u. 

Blosseville, 

Caillau  (Simonet), 

Fraigne, 

Tignomnlle, 

Vaillant, 

Domestiques  de  Charles  d'Orléans,  sur  lesquels  noua  navor.s 
trouvé  aucun  renseignement. 


GLOSSAIRE 


A,  avec;  atout,  atoute'avsc 
tout,  avec  toute. 

A  parfois  le  sens  de  est  •  il 
^!   il  y  a,  il  est. 
^.  A,  a  sa  vie,  pendant  toute  sa 

ABANDONNÉEMENT.avecaban 
don,  sans  compter. 
Abrié,  abrité. 

profft^^'"^'*'  ^'^^^"'^'er  pour  un 

pagnT"*"^'  ''"°^"'^>  accom 

AccoRT,  accorde 

AcHOISo^f,    occasion ,    cause 
opportune.  *        "*^ 

AcoLLER,  prendre  au  cou 

AcoRDER  à,  concorder  avec 

AcouRSE,  raccoursit 

p.ir  son  devoir,  s'acquitter  de 
tenir  promesse  envers 

qui^é""^'"^'  ''"'''''^'  ^-"é»  ta 

Adonc,  adoncques,  alors 
reâJ!°"''^'    af'-ké;    doulou. 

Adresse,  chemin,  voie    di 
rection,  mjyen,  habitude  ' 

advis,    sagesse,     bon    sen<! 
raisonnement^  d'où  avisé  ' 

Affaicté,     grave,    sérieux 
demande  affaictée,  une  deman 

cf.lf.V"'^"-  ""^  réponseTpé 
ciale  et  précise.  ^ 

Affier.  se  fier. 

AiGRET,  l'épine  vinette. 


AiNS,  aînçois,  mais. 

,.-7r'.S'',  ,:)j^,  ~i^  in'atst  Dieux 
SI  Dieu  m  aide  ""^«at, 

f^A^f^^'^É  (?j  On  trouve  par- 
.'^'tnj"'^"f'  pour  amande  ou 
amende,  almandé  veut-i]  dife 
comme  un  homme  mandé,  ôa 
commandé,  ou  condamne"  >' 

Ancolie,   fleur  connue,'  d'où 
mer-ancolie,  melencolie. 

Amendrir,  amoindrir 
tist™^'*'  0')  donner  une  sa 
tistaction,  se  corr  ger  et  oilrir 
une  compensation. 

Amer,  aimer. 

Anuyt,  aujourd'hui. 

AouRNÉ,  aonté,  orn 

Appeler  de,  appeler  au  com- 
bat pour  cause  de 

Aprison,  plus  correctemenf 
asprison,  aigreur,  hostilité  ^' 
^^Aquilote,    petit   oiseau   de 

^  Araisonner,    parler  grave- 

artr.l^."""'^'-'  ''-^r,  brûla- 
Arguer,  poursuivre  d'aro^it 

ments  taquins  et  pointilleux" 
Arme,  ame. 

^.^Art,  science,  habileté,  ma- 
AspRKSSE.synonvme  d'âoreté 

adSer"'''"''"''°°^«- 


3o8 


GLOSSAIRE. 


AssoTEMENT,   acoquinement. 

AssouACEMENT,  scula^einetit. 

AssounTivER,  devenir  plus 
•ubtil.  plus  fin,  plus  malicieux. 

Atraire.  attirer. 

Athkmpk,  modéré. 

Attabgier.  tarder. 

Atteintes,  terme  de  tournoi  ; 
en  venir  aux  atteintes,  être 
blessé. 

Aucun,  quelque. 

AucuNE.MENT,  parfois  ;  avec  la 
négative  non  aucunement,  si- 
gnifie non  parfois,  c'est-à-dire 
jamais. 

AuFFiN,  terme  de  jeu  d'échec, 
le  cavalier. 

Au  FORT,  enfin,  en  résumé, 
après  tout. 

AuMAiRES.  armoires. 

Avancer,  avantager,  honorer, 
pousser  en  estime  et  gloire; 
mettre  en  péril. 

B 

Bailler,  garder. 

Bas,  charger  le  bas,  surchar- 
ger le  bat,  ouTrapper  aux  jambes. 

Bas.me,  baume. 

Baster,  regarder  avec  non- 
chalance. 

Baubans,  bobans,  fêtes,  bom- 
bances. 

Baudement,  joyeusement. 

Baverie  ,  bavardage  médi- 
sant ou  calomnieux. 

Becs-jaunes,  niaiserie,  sotte 
prétention. 

Bien,  un  bien  matin,  de  bon 
matin. 

Blanc,  monnaie  d'une  valeur 
variable,  mais  qui  le  plus  géné- 
ralement valait  la  moitié  d'un 
toi. 

Bonde,  obstacle. 

BoNT  (donner  le),  terme  de 
lutteur,  renverser. 

Bouter,  mettre. 

Brahaing,  brehaing,  stérile. 

Brais,  gémissement. 

Brief,  adverbe,  brièvement. 


Broche,  sans  couleur,  c'est, 
je  crois,  le  bâton  blanc  qu'on 
donnait  aux  soldats  renvoyés. 

Brouée,  brouillard,  nuage, 
quelquefois  tapage,  ou  fantaisie. 


C'OM,  qu'on. 

Cabuzkr,  tromper. 

Cameline,  espèce  de  sauce 
où  dominait  la  moutarde.  Elle 
venait  d'Italie,  et  paraît  fort  ap- 
préciée au  xv«  siècle. 

Car,  que. 

Carreaulx,  pavés. 

Cassez,  détruits,  enlevés. 

Catoiller,  chatouiller. 

Cavment,  mendiant. 

Chaille,  importe. 

Chalanger,  réclamer. 

Charge,  reproche. 

Charnaige,  personnification 
des  Jours-Gras.  Le  combat  de 
Caresme  et  de  Charnaige  a  servi 
de  texte  à  plusieurs  poésies  du 
moyen  âge. 

Ch A  stier,  instruire,  corriger, 
reprendre. 

Chastoy,  conseil,  leçon,  ré- 
primande. 

Chault,  de  chaloir,  inquiéter, 
il  ne  m'en  chault,  je  ne  m'en 
soucie. 

Chevance,  gain,  profit,  bien 
acquis. 

Chevir,  achever, venir  à  bout, 
maîtriser,  aboutir. 

Chier,  cher,  si  chier  qu'ils 
ont,  si  désireux  quils  soient; 
chiere  lie,  bonne  chère,  bon 
accueil,  bon  visage;  chierté, 
tendresse. 

Clamer,  proclamer. 

CoESSiN,  coussin,  oreiller. 

CoEUVERCHiEF,  cucuvrechief, 
chapeau.  Le  couvrechef  de 
Plaisance  était  employé  dans 
les  tournois  pour  arrêter  le 
combat. 

CoFFi>f,  petit  coffret. 

CoMMANO.  je  recommande. 


GLOSSAIRE. 


Comment,  commentaire,  cau- 
se, origine. 

CoMPASSER,  mûrement  arrê- 
ter, décider  fermement. 

Compter,  parfois,  conter. 

CoNGiÉ,  pretidre  congé,  de- 
mander permission. 

CoNNiNS,  lapins. 

CoNSEULX,  conseillers,  com- 
pagnons. 

CoMTENS,  comptant;  conten- 
tion, dispute;  je  tends. 

Contre,  chanteur  en  haute- 
contre. 

Cop,  tout  à  un  cop,  tout  d'un 
coup. 

Coquabt,  fanfaron,  nigaud 
prétentieux. 

CoQUELOuRDES,  cspèce  de 
fleur,  notre  poc-te  p-end  ce  mot 
dans  le  sens  de  nigaud. 

Corner,  proclamer  à  son  de 
trompette. 

Cornu,  grossier,  maladroit, 
ridicule. 

CosTÉ,  de  costé,  à  côté. 

CouLO.viB,  pigeon,  colombe. 

Courage,  cœur,  pensée,  vo- 
lonté, désir. 

CouRCER,  courroucer. 

Courtois,  homme  de  cour, 
bien  élevé,  poli,  gracieux,  spi- 
rituel. 

Couverte,  hypocrite. 

Crémir,  trembler. 

Cresse,  croisse. 

Creu,  crû. 

Crier,  annoncer,  proclamer, 
appeler  à  cor  et  à  en,  plaindre, 
vanter. 

Crocq, decroq  ou  déhanche, 
de  toute  façon,  soit  par  la  hache, 
soit  par  la  lance. 

Crueux,  cruel. 

Guider,  penser. 

Cv,  <i^  cy  en  avant,  désor- 
mais d'ores  en  avant. 

Cye.ss,  céans,  ici  dedans. 

D 

Danger,  la   personnification 


309 


de  tous  les  obstacles  qui  éloi- 
gnent de  l'amie.  C'est  le  sur- 
veillant, c'est  le  jaloux,  etc. 

Dangereuses,  amies,  clien- 
tes de  Danger,  l'ennemi  d'A- 
mour, Prudes. 

Dangereux,  dédaigneux,  dit- 
ficile. 

Darde,  dard. 

Dea,  da  ! 

Décepte,  tromperie. 

Decoppé,  fendu,  ouvert,  tail- 
lade. 

Decours,  décours  de  la  lune, 
descente,  infortune. 

Deffassent,  effaçant. 

Defferres,  choses  hors  d'u- 
sage, on  dirait  aujourd'hui  vul- 
gairement les  vieilles  démises. 

Deffv,  je  défie. 

Delair.w,  délaisserai. 

Délayer,  retarder. 

Déliter,  fig.  pousser  au  pé- 
ché. 

De.maine,  propriété,  escla- 
vage. 

Dementer,  désoler,  lamenter. 

Départir,  partager,  donner, 
distribuer,  despars,  je  partage. 

Département,  départ,  ab- 
sence, éloignement. 

Déport,  conduite,  consola- 
tion, satisfaction,  récréation. 

Déporter,  agir,  se  conduire, 
vivre,  éloigner. 

Derrain,  dernier,  ati  der- 
rain,  en  dernier  lieu,  derraine- 
ment,  dernièrement! 

Desaise,  malaise. 

Desavancier,  retarder,  ces- 
ser de  faire  des  progrès. 

Desconfort,  désolation,  dé- 
sespoir. 

Descongneu,  non  reconnu, 
méconnu,  oublié. 

Désert,  (en),  abandonné. 

Desservir,  mériter,  d'oa  des- 
serte, mérite. 

Desoresknavant.  des  mainte- 
nant jusqu'en  l'avenir,  d'où 
i.ous  avons  fait  doresciuvant, 
dorénavant. 


iio 


GLOSSAIRE. 


Despiter,  mépriser  injurier; 
desfiteurs,  plein  decclère;  dcs- 
pit,  vexant,  taquin,  contrariant. 

Destourber,  détourner,  éloi- 
gner, empêciier.  Destourbicr 
l'accident  qui  éloigne,  qui  trou- 
ble. 

Devis,  signifie  parfois  pou- 
voir. 

Deulx,  de  douloir,  dont  je 
me  deulx,  de  quoi  je  me  plains, 
ou  dont  je  souffre 

Dieux,  forme  archaïque  pour 
Dieu.  N'est  plus  employé  par 
Charles  d'Orléans  que  dans  une 
formule  proveibiale  qui  avait 
persisté  malgré  les  changements 
cie  syntaxe. 

DoiNT,  donne  (subjonctif)- 

Dont,  de  quoi,  sur  quoi,  à 
propos  de  quoi. 

DouBTER,  craindre,  redou- 
ter  se  défier;  d'o'i  doiibtance. 

Doui  çoiiR.  douceur, 

DoYE,'  doye\.  doive,  deviez. 

Dya,  Da,  neniiil  dya,  non 
vraiment. 

K 

Elles,  ailes. 

Effrav,  effroi,   mouvement. 

Embler,  enlever,  déiober,;;ar 
embler,  de  vive  force. 

Empiece,  pendant  quelque 
temps. 

Emprês,  au  près. 

Emprandre,  entreprendre. 

Emprise,  entreprise.  Dans 
les  habitudes  chevaleresques 
c'était  tout  ce  qu'un  chevalier 
avait  juré  de  faire  ou  de  porter. 

Emy.  interjection  qui  paraît 
venir  aune  abréviation  de  deux 
mots  latins,  qu'on  rencontre 
fréquemment  dans  les  offices  de 
l'Eglise  et  qui  avaient  pu  pas- 
ser de  là  dans  l'usage  des  éco- 
V.'s,  Hei  mihi. 

En,  on. 

Encheu,  tombé. 

Enccmbrier,  péril,  perte. 


Endormye,  pavot. 

Enduim^r,  il  est  parfois  neu- 
tre au  Moyen- Age, 

Enfoiîcer,  devenir  plus  fort. 

Engigner,  tromper,  induire. 

Engin,  entendement. 

ENNuiER,pour  s'ennuyer. 

Enkoillé,  enrouillé. 

Ens,  dedans. 

Enseigne,  [oultre  /')plus  en- 
core que  l'apparence. 

Ensuir,  ensuivre,  suivre. 

Envis  malgré  moi,  de  mau- 
vaise grâce. 

Erre,  grant  erre,  prompte- 
ment. 

Es,  dans  les. 

Escadre,  escadron,  corps  cr- 
ganisé,  discipliné. 

Escande.  bruit,  scandale. 

EscHAFFAULT,  cstradc. 

EsCHARSEMENT,  avaricicusc- 
ment. 

EscHEVER,  éviter. 

Esclarsir,  éclairer. 

Escondire  ,  éconduire,  re- 
pousser, refuser. 

EscREMiR,  escrimer. 

EsGRUN,  plus  correctement 
aigrun  l'aigreur,  l'ennui,  le  cha- 
grin; et  aussi  toute  espèce 
d'herbe  amère. 

EsLiESSER,  réjouir. 

Eslonger,  éloigner,  s'éloi- 
gner. 

EsPARGNiER,  conserver  soi- 
gneusement. 

EsMAYER,  réjouir. 

Essorer,  prendre  son  essor, 
se  sauver. 

EsTEUF,  balle  employée  au 
jeu  de  paume. 

EsTOFFER,  munir,  meubler, 
fortifier. 

EsTouPER,  fermer,  au  figuré, 
mettre  obstacle. 

EsTRAiNE,  cadeau. 

EsTRANGER,  éloigner. 

EsTRiF,  débat,  discussion. 

Estrilles  (tour  d'),  tour  de 
main,  habileté. 


GLOSSAIRE. 


EsTRiVER,  inquiéter,  lutiner, 
tourmenter. 

EsTRiVANCE,  lutte  pénible, 
dur  labeur. 

EsTUDiE,  étude  ou  cabinet  d'é- 
tude. 

ExPLOîTTER,  agir,  se  démener 
par  les  chemins. 


Fade,  pâle. 

Faiée,  mystérieuse,  extraordi- 
naire, fatale. 

Faille,  signifie  en  même 
temps,  voile  de  veuve  ou  de 
religieuse,  et  faute  ;  je  ne  sais 
auquel  de  cen  deux  sens  fait 
allusion  \e  jeu  de  la  faille. 

Faindre,  tarder,  tergiverser, 
trahir. 

Faint,  paresseux,  traître. 

FAiNTiSE,m(  nsonge,trahison, 
hypocrisie. 

Faitis,  bien  fait,  propre, 
joli. 

Fenoches,  fenouches,  por- 
teur de  foin,  coquin,  lâche,  men- 
teur. Y  a-t-il  dans  ce  mot  tiré 
de  l'Italien  une  allusion  à  fi- 
naud ? 

Fiers,  frappes. 

Fièvres  blanches,  générale- 
ment la  maladie  qui  accompa- 
gne les  pâles  couleurs. 

Finer,  finir. 

Fel,  fellementj  faux,  traître, 
trompeur. 

Ferez,  de  férir,  frapper. 

Fermer,  fortifier,  assurer, 
confirmer,  décider   fermement. 

Festier,  festoyer. 

FiiRRA,  de  férir,  frappera. 

Festu,  tirer  à  festu,  à  la 
comte  paille. 

Fei'rre,  paille. 

Foiz,  une  foii,  un  jour. 

Folloyer,  faire  le  fol. 

Fors,  hors;  ce  n'est  fors,  ce 
n'est  rien. 

Fort,  au  fort .,  par-dessus 
tout,  ù  la  fin,  au  fond, après  touc. 


FouL,  fol  ;  fouloyer.foloyer, 
faire  le  fou,  faire  des  folies. 

Fourcelle, /"orce/Ze ,  four- 
cliette,  fourche,  os  de  l'estomac, 
la  poitrine. 

Fourré,  qui  porte  fourrure 
et  robes  à  la  vieille  mode. 

FoY  de  mon  corps.,  c'est-à- 
dire  en  offrant  mon  corps  en 
témoignage  de  ma  véracité. 

Franchise,  liberté,  libéra- 
tion, ou  charte  d'affranchis- 
sement ,  de  dégrèvement  de 
droit,  etc. 

Froingne.  Nous  avons  en- 
core ren-frongné. 

Fro.xtière'^  (tenir),  assaillir 
un  pays. 


Gage,  appeler  de  gage,  ap- 
peler en  combat  singulier  après 
avoir  jeté  son  gage. 

Galée,  galère. 

Galer,  se  régaler. 

Gast,  dégât. 

GARMENTER(se).^Zi?r»Ke«^i?r, 

se  lamenter,  se  désespérer,  se 
désoler. 

Ge,  je. 

Geline,  poule. 

Gens,  gracieux,  polis. 

Glay,  bruit. 

GoRGiAS,  élégants,  qui  s'ha- 
billent à  la  mode  nouvelle. 

Greigneur,  plus  grand. 

Grevance,  de  grever,  frap- 
per, alourdir,  blesser. 

Groings  (faire  les),  faire  la 
moue. 

GuEiNES,  gaines. 

GuERDON  .  guerredon  ,  ré- 
compense, d  où  guerdonner. 

Guerrir,  guerroyer. 

H 

Hardement,  hardiesse. 
Hastis,    pluriel    de    hastif; 
treshastis,  vifs,  inquiets,  sub- 


3l2 


CI-OSSAIRE. 


Hau,  Interjection. 

Haultain,  pris  dans  un  bon 
sens,  grand,  noble,  souverainj 
mais  sans  orf^uei!  ou  insolence. 

Hé,  je  le  hais. 

Hoir,  héritier,  possesseur. 

HouRDER,  embarrasser,  em- 
pêtrer. 

HuCHER,  appeler. 

HucQUE,  huque,  manteau;  à 
l'usage  des  femmes,  d'origine 
allemande  ou  flamande.  Il  est 
plus  souyent  employé  pour  si- 
gnifier une  courte  tunique  res- 
semblant un  peu  à  la  veste  du 
xviiK  siècle  et  serrée  sur  la  poi- 
trine au-dessus  des  chausses. 

HuMBLESSE,  humilité,  mais 
avec  une  nuance  que  donnent  à 
ce  mot  les  habitudes  chrétiennes 
du  Moyen-Age,  c'est  l'abaisse- 
ment volontaire,  gracieux  et 
courtois  du  supérieur  qui,  par 
charité  et  izenti'lesse,  rend  à  l'in- 
férieur des  devoirs  qu'il  ne  doit 
pas. 

HuRT,  choc. 

HuTiN,  bruit,  lutte,  débat. 

I 

I.  y- 

Intendit,  pîècede  procédure 
contenant  l'exnosit'on  des  faits. 

Ire,  colère,  irer,  mettre  en 
colère 

IssiR,  yssir,  sortir. 


Ja,  bientôt  ;  jà  soit  ce  que, 
bien  que. 

Jame,  pierre  précieuse. 

Jonglerie,  plaisanterie,  as- 
tuce, tromperie. 

Joli,  élégant. 

Jouxter,  jouter. 

Jus,  ruer  Jus,  jeter  en  bas. 

JusT,  jus. 

K 
Karesme  prenant,  les  jours 


de  fête  précédant  le  temps  où 
prend  ou  commence  le  carê- 
me; le  carnaval,  le  mardi  gras. 


Lame,  la  pierre  de  la  tombe. 

Langagier,  parler  avec  élo- 
quence. 

Latins  ,  langage  ,  manière 
particulière,  habile,  détournée 
et  fine  de  parler  ;  la  science, 
l'expérience. 

Léans,  là  dedans. 

Legier  (de) ,  pour  peu  de 
chose,  avec  peu  d  efforts. 

Lermes,  larmes. 

Levée,  levée  d'escremie,  as- 
saut à  main  armée. 

Lettre  de  retenue,  contrat 
de  service ,  engagement  d'un 
serviteur. 

Liesse,  joie,  gaîté,  les  senti- 
ments les  plus  légers,  les  nuan- 
ces les  moins  énergiques  du 
bonheur.  Lie,  lie,  lyé,  liement, 
joyeux,  joyeusement. 

Ligement,  fidèlement,  ferme- 
ment. 

Lignage,  famille. 

Livrée,  solde,  bien,  fortune, 
don. 

Livrées,  délivrance,  prise  en 
possession. 

Los,  louange. 

Losengière,  flatteuse,  men- 
teuse, trompeuse. 

Lyme,  lyme  sourde,  expres- 
sion employée  pour  désigner  un 
malicieux  et  sournois  person- 
nage. 

M 

M'ame,  mon  âme. 

Main,  matin. 

Mainssée,  coupée,  émincée. 

Maintendray,  je  soutiendrai. 

Mais  que,  puisque,  pourvu 
que,  aussitôt  que. 

Maistrie,  maitrise,  domina- 
tion, puissance. 


GLOSSAIRE. 


3i3 


Malassénée,  mal   partagée. 

Mâle  part,  mauvais  partage, 
mauvaise  aventure ,  mauvaise 
chance. 

Mallement,  malencontreu- 
sement, méchamment. 

Mal  talent,  mauvaise  vo- 
lonté, colère,  etc. 

M  vNOiR,   remanoir,  rester, 

Martirer,  martyriser. 

Maugré,  mauvais  gré,  mau- 
gré  myen,  sous  entendu  caeur, 
couratge,  esperit,  engin,  mal- 
gré moi. 

Mefface  {qu'on),  qa' on  fasse 
mal. 

.Merchera,  marquera. 

MERcr,  miséricorde,  la  sien- 
ne mercy,  par  sa  grâce. 

Merront,  mèneront. 

MEschance,  malechance. 

Meschief,  mésaventure,  mal- 
heur. 

Mesgnie,  famille 

Mien,  maugré  mien,  mal  gré 
mien,  voyez  :  Maugré. 

Mire,  médecin. 

MiRLiFiQUES,  babioles,  jouets 
d'enfants. 

MoiLLiER.  mouiller,  femme. 

MoMMERiE,  réunion,  fête. 
danses  de  gens  déguisés  etmas- 
q  Js,  au  figuré,  grimace,  gestes 
bizarres. 

iMo.v,  locution  destinée  à  ren- 
forcer une  affirmation  :  Cefai^ 
mon!  Eh!  oui  je  le  fais. 

Mont,  à  mont,  en  haut. 

Montjoye,  masse. 

Montres,  revues. 

MoRiSQUE,  haute  danse,  tTh&- 
vWa.  Entrée  de  morisque.  Nous 
dirions  aujourd'hui  entrée  de 
ballets. 

MoYE,  mienne. 

Mue,  m.uette. 

Muer,  changer. 

Murdrir    meurtrir. 

Musart,  fainéant,  niais. 

Mvsser,  cacher. 

MuPARTiE,|  partagé  en  deux. 


N 


N'iL,  ne  il. 

Neiz,  pas  plus. 

Nef,  navire 

Nesun,  pas  un. 

Nettié,  nettoyé. 

Nice,  nysse,  innocent,  naïf. 
sot,  niais,  nicemenl. 

NoiiPAREiLLE.  sans   pareille 

Non  pourtant ,  non  pour 
cela. 

Non  chaloir,  ou  nonchaloir, 
insouciance,  résignation. 

Nouer,   nager. 

Nourris,  serviteurs,  ceux 
qui  ont  la  nourriture  en  la 
maison. 

Nox  bu\e,  parait  venir  de 
no\\e  noce  et  de  bu^'^o  ventre. 
Ce  serait  donc  quelque  chose 
comme  parasite,  lâche  et  plat 
courtisan. 

NuLLV,  Nulluy,  nulle  per- 
sonne. 

Nvcromancie,  nécromancie 

o 

.  OsERLiQtJES,  breloques,  me- 
nus bijoux. 

Observance,  réforme  aus- 
tère de  l'ordre  des  franciscains. 
On  comprend  comment  amou- 
reux de  l'observance  devint 
l'occasion  d'un  jeu  d'esprit,  et 
signifie  des  amoureux  plus  fi- 
dèles, plus  dévoués,  plus  sévè- 
rement soumis  aux  règles  et  aux 
devoirs  de  l'amour. 

Oiseuse,  la  paresse. 

On,  on. 

Oncque,    oncques,  quelque 
fois,  avec  la  négation  n'onc^Mes, 
n'oncques  mais,  jamais. 

Ont,  où, 

ORDONNANCE,gouvernement, 
direction ,  par  ordonnance, 
avec  discipline. 

Ore,  maintenant,  même.  Pre- 
nezore,  supposez  même. 

Orine,  origine,  urine. 


GLOSSAIRE. 


314 


Orrons,  de  ouïr,  nous  en- 
te 'dions. 

OnT,  ord,  sale. 

Ot,  eut, 

Ou.  au,  auquel,  auquel. 

Ouui.iETE,  jeu  de  mot  :  ou- 
bliette.1  pâtisserie,  herbe,  ou 
fleur;  oubliette,  prisou  ;  ou- 
bliette l'action  d'oublier. 

OuiL,  oui. 

Oui« ,  o'ir,  entendre,  avec 
ses  différents  temps  j'oj,  j'oîy, 
il  oit,  etc.,  etc. 

Ouvrer,  travailler  ,  ouvrer 
par  compas,  travailler  métho- 
diquement. 


Paintes  ,  paroles  ,  langage 
colore,  phrases  poétiques. 

Pesson  ,  plus  correctement 
paisson,  droit  de  pâture  dans 
les  forêts. 

Papelart,  hypocrite. 

Par  aller,  ou  paraller  ;  par 
joue  le  rôle  d'augmentatif  :  par 
aller,  aller  jusqu'au  bout.  Il  a  à 
peu  près  le  même  sens  que  au 
fort,  a  chief  de  pièce;  nous 
dirions  aujourd'hui  :  tantôt,  a- 
prés  tout;  tantôt:  en  mettant 
le  tout  au  pis. 

Parçonnier,  copartageant. 

Pardon,  fête  religieuse. 

Partie,  endroit, e«  ma  partie, 
chez  moi  ;  de  vosire  partie,  de 
TOtre  côté. 

Partir,  partager,  mettre  en 
commun. 

Partuer,  tuer  sans  remis- 
sion, achever  de  tuer. 

Passées,  faire  ses  passées, 
revenir  sur  ses  traces,  méditer. 

Pastis,  pâturage  de  qualité 
inférieure,  presque  stérile. 

Pausmé  ;  frappé. 

P.iVAiz  (le  dialecte  Orléanais 
dit  pavas),  boucliers  faits  de 
douves  recouvertes  de  cuir  et 
qui  servaient  à  monter  à  l'as- 
saut. 

Pener  (se),  prendre   peine  ; 


pcnance,  pénitence, /a  sepmaine 
peiu'use,  la  semaine  sainte. 

Penser,  panser. 

Per,  pareil,  nomper,  nompa- 
reil,  sans  pareil  ;  per  si;;nitie 
parfois  compagne  ou  compa- 
gnon . 

Peresse,  paresse. 

Pi;rt,  il  y  pert,  il  y  paraît, 
perra  paraîtra. 

pBCRTuis,  trou. 

Peu,  repus,    t 

Phisique,  médecine. 

Pikça,  garant  piéça,  s.  ent 
de  tenips,  quelque  te'mps,  long- 
temps. 

PiGNER,  peigner. 

PiTEtjx,  qui  a  pitié. 

Plaid,  plaids,  plais,  parle- 
ment, cour,  assises,  discussion. 

Plain,  parler  plain,  parler 
franchement  et  hautement. 

Plains,  plaintes. 

Plaisant,  uniquement  le  sens 
de  agréable. 

Ploy,  pli. 

PoiNT,%>ique. 

Poix  au  veau,  espèce  de  gros, 
pois  vert. 

PouRCHAS,  poursuite,  recher- 
che, quête. 

Pourchasser,  verbe  neutre 
au  Moyen-Age. 

PouRPRis,   enclos,  domaine. 

Pourtraire,  peindre,  dessi- 
ner ressemblant. 

Pousse,  pouls. 

PoY,  peu. 

Preu,  profit,  avantage. 

Pris,  estime. 

PuET,  peut;  puist,  puisse, 


QuANQtJE,  autant  que,  tout 
ce  que. 

Quant,  quant  est  à  moy, 
pour  ce  qui  est  de  moi. 

Que,  car,  q  ;i,  comme,  ainsi 
que,  de  peur  que, 

Querelle  ,  toute  situation 
difficile. 


GLOSSAIRE. 


3i5 


QuiER,  qtierra,  de  quérir, 
chercher,  désirer,  ambitionner. 

QuEu,  cuiàiirer. 

Queue,  ruban  pendant  au  bas 
d'an  parchemin,  et  sur  lequel 
on  appliquait  le  sceau. 

QuiEULX,  quels. 

Quitter,  tenir  quitte. 

QuoyE,  coye,  tranquille. 

R 

Rabat,  terme  du  jeu  de  pau- 
me quand  l'adversaire  vous  ren- 
voie la  balle. 

Ranientevoir.  rappeler. 

Rassotir  ,  aevenir  lourd  , 
grossier,  hébété. 

Rfb AILLER,  restituer. 

Rebouter,  replacer. 

Reclusaige,  prison. 

Recom.mandé,  avoir  recom- 
mandé, avoir  en  recommanda- 
tion. 

Recous,  rescous,  secouru. 

Recreu,   fatigué,   deshonoré. 

Reffraindré,  priver,  maitri- 
ser.  .' 

REFtnr,  refuge. 

Relièvement  (avoir),  terme 
du  droit  féodal,  être  relevé  de 
son  serment,  de  son  hommage. 

Remaindre,  rester,  être  per- 
du, gaspillé,  non  avenu. 

REMAiNT.de  re»uînoir,rester. 

Remis,  fatigué. 

Renter,  enrichir. 

Repreuve,  le  blâme,  ou  je 
blâme. 

Requot,  repos. 

Rescouer,  secourir. 

Résiner,  résigner;  résigna- 
tion, cession,  abandon. 

Resseingner,  redouter. 

Ressort,  appui,  aide,  dé- 
fense. 

RESS0URS,p!us  régulièrement, 
resours,  relevé,  secouru,  pro- 
tésé. 

Retailler,  remettre  en  vi- 
gueur. 

Retenue,  troupe  soudoyée;  de 
la  retenue,  retenu  par  lui,  de 


son  cortège,  de  sa  suite,  à  son 
service. 

Retraire,  revenir 

Riens,  rien.  cho>e:  c'est  avec 
la  négation  qu'il  signifie  nulle 
chose. 

RoBEUR,  voleur. 

PocQ,  terme  du  jeu  d'échec, 
la  Tour. 

Roe,  roue. 

RoNCiN,  roussin,  courtaud, 
fort  cheval. 

Route,  rompue  ;  bande. 

Roux,  rompus,  coups  roux, 
coups  inutiles,  par  allusion  aux 
jeux  de  la  lance,  à  la  quintaine 
et  dans  les  tournois. 


S' pour  se  ou  si,  ainsi,  si,  cela. 

Sacque.ment,  saccage. 

Saichans,  savants. 

Saillêz,  de  saillir,  sortir, 
bondir. 

Sainte,  ceinte. 

Salade,  espèce  de  casque , 
sans  visière. 

Sault,  saute;  sauldray,  sor- 
tirai, sauterai. 

Saussoye,  lieu  planté  de  sau- 
les. 

Savance,  sagesse. 

Se,  si,  ou  cela. 

S'acquitter,  remplir  son  of- 
fice. 

S'effrayer,  s'emporter,  de- 
venir extravagant. 

S'entalenter,  se  préoccuper. 

Sebelin,  vêtu  de  poils  sem- 
blables à  la  martre  zibeliiie. 
Peut-être  faut-il  penser  à  Sv- 
bille  ;  au  fig.  il  a  le  sens  "de 
tromjjeur. 

Séjour  (  estre  à  ),  avoir  de 
l'expérience. 

Se.mblance,  apparence. 

Sentir,  parfois  avec  le  sens 
de  comprendre,  connaître. 

Sequeure,  seconrre. 

Ser.me.n'té,  atta;hé  par  ser- 
ment. 

Seuil  (je),y'a»  ihabilude. 


3i6 


Glossaire. 


Sévir,  Gtre  tourmenté,  en  co- 
lère. 

Si,  il  a  deux  sens,  celui  (qu'il 
a  gardé,  si;  et  le  sens  de  ainsi, 
il  est  donc  au  Moyen-Age  tan- 
tôt conditionnel,  tantôt  aflirma- 
tif.  11  signifie  encore  :  pourtant, 
certes,  etc. 

SiCHE,  chiche. 

Sorte,  propre  apparence. 

SouFiSANCE,  de  quoi  suffire  à 
ses  besoins. 

SouHAiDiER,  souhaiter. 

Soulager,  s  placier,  récréer, 
rejouir. 

Soui.oYE,  souloi',  j'avais,  il 
avait  l'habitude. 

SouRT,  jaillit,  so«ri«Y,s'éleva. 

Soutiveté,  subtilité,  habileté, 
soutivement,  subtilement. 

SuiENT,  suy,  suivent,  suivi. 

Sus,  et  Jus,  haut  et  bas. 

Sy,  excuse,  réserve,  condi- 
tion, sans  nul  sy,  sans  nulle 
restriction;  5j  tellement. 

T.  U.  V.  Y 

Tables  (jeu  de),  les  échecs, 
les  dames,  le  trictrac.  Le  court 
jeu  de  tables  est,  je  crois,  tan- 
tôt le  jacquet,  tantôt  le  trictrac. 

Talent,  talent,  esprit,  carac- 
tère, volonté,  désir,  manière 
d'être. 

Tanné,  couleur  d'un  brun 
jaunâtre,  fauve. 

Tant,  ne  tant  ne  quant,  au 
grand  jamais,  atant,  a  cela  seu- 
lement. 

Tatin,  coup,  ennui. 

Tendroit,  tiendroit,  retien- 
drait. 

Teneur,  ténor,  la  partie  du 
ténor. 

Tenser,  tancer. 

TiEULX,  tels. 

TiNTiN,  son  d'une  cloche  qui 
tinte;  parfois fredon  ou  gazouil- 
lage. 

Tire,  allure,  de  tire,  d'une 


tire,  sans  s'arrêter,  ù  la  file,  en 
masse. 

Tirer,  tendre,  travailler. 

Touches  de  bois,  touffe  de 
bois,  ilôt  de  grands  arbres. 

Trait,  tiré,  lancé, 

Traitter,  agir. 

Traveil,  travail. 

Tkespasser,  outrepasser, mal 
agir,  commettre  une  faute. 

Thesque,  dès  que. 

Triacle,  thOriaque. 

ToLLiR,  enlever,  toit,  tnult, 
enlève,  empêche,  t  llu,\o\é. 

TouPiN,  bouchon. 

Tour,  de  mon  tour,  à  mon 
tour 

Tout,  du  tout,  entièrement. 

Toute,  toux. 

Traire,  tirer. 

■Trop,  très,  beaucoup;  trop 
mieulx,  entièrement  mieux, frop 
plus,  beaucoup  plus. 

Truffes,  railleries. 

Uis,  porte. 

Un,  le  même,  unique. 

Usance,  usage. 

Vaillant,  mon  vaillant,  tout 
mon  bien. 

Vol,  à  vol,  en  bas,  à  vol  le 
vent,  le  long  de  la  terre,  en 
suivant  le  vent. 

Vaulsist,  vaudrait. 

Vert  g-aj,  c'est  proprement 
la  couleur  verte  de  I  aile  du  per- 
roquet vert  perdu,  vert  sombre. 

Viaire,  visage. 

ViDiMus,  visa,  certificat  qui 
donne  l'authenticité  à  un  acte. 

Vivant,  vie. 

Vo,  votre. 

Voir,  vrai. 

VoiSE,  aille,  vois,  je  vais. 

Volée,  à  la  vo  /ee,légèrement. 

VouLSiST,  voulut;  voul\, 
voulus. 

VuEiL,  vouloir. 

VuiT,  vuys,  vide. 

Yer,  devant  yer,  avant  hier. 


TABLE  DES   MATIÈRE 

DU    TOME    SECOND. 


Chansons  : 

Chanson  [  à  XXXVIII 5  à  24 

—  Réponse  par  Philippe  de  Boulaiiivilliers.   ...      24. 

—  Autre  réponse  par  Gilles  des  Ormes 2D 

—  XXXIX  à  XC 20  à  52 

—  Réponse  du  duc  Jehan  de  Bourbon 53 

—  XCI  à  XCVII 53  à  57 

—  Par  P'raigne 57 

—  XCVIII  a  CXXVII 58  à  72 

Caroles : 

Caroles  I,   II,  III 73  à  76 

Rondeaux  : 

Rondeau  I  à   VII 77  à  80' 

—  VII,  Orléans  à  Nevers 80 

—  Réponse  de  Nevers 81 

—  IX  à  XIV 82  à  84 

—  XV,  au  roi  de  Sicile 85 

—  Réponse  par  le  roi  de  Sicile 85 

—  Du  roi  de  Sicile 86 

—  XVI,  réponse  au  roi  de  Sicile 86 

—  Par  le  roi  de  Sicile 87 

—  XVII,  réponse  par  le  duc  d'Orléans 87 

—  XVIII 88 

—  Par  Fredet 89 

—  XIX,  réponse  par  le  duc  d'Orléans 89 

—  XX  à  XLII 90  à  loi 

—  Réponse  de  maître  Etienne  Le  Goût 102 

—  XLIII  et  XLIV 102  à  2o3 

—  XLV,  Orléans  à  Alençon io3 

—  Réponse  d'Alencoa.  .' 104 

—  XLVI  à  LIV  .   .* io5  à  109 

—  De  maistre  Jehan  Caillau loq 

—  LV iio 

—  De   Fredet iio 

—  LVI,  réponse  d'Orléans  à  Fredet 11 1 

—  LVII  à   CXIV 112  à  140 

—  Clermontois 141 

—  CXV  à  CXVII 141  à  14.1 

—  Redoublé 143 


3  iS  TABLE    DES    MAllÈRES. 

Rondeau  CXVIII  à  CXXIV 144  à 

—  Du   comte  de  Cleimoat 

—  CXXV  à  CXXXI 148  à 

—  Du  comte  de  Clermont 

—  CXXXIl,  réponse  du  duc  d'Orléans 

—  CXXXlll,  pour  le  comte  d'Etampes 

—  CXXXI V  et  CXXXV i53  à 

—  Par  Maistre  Jehan  Caillau 

—  CXXXVI  à  CLI i55  à 

—  Par  le  comte  de  Nevers 

—  CLII,  par  le  duc  d'Orléans 

—  Par  madame  d'Orléans 

—  Par  Fredet 

—  CLIII,  réponse  du  duc  d'Orléans 

—  Par  mesftirc  Philippe  l'ot 

—  Par  Antoine  de   Lussay •   .   .   . 

—  Par  Guiot  Pot . 

—  Par  Gilles  des  Ormes 

—  Par  Jacques,  bâtard  de  la  Trémoille 

—  CLIV  à  eux 170  à 

—  Par  Fredet 

—  CLX  à  CLXXVIir 173  à 

—  Par  le  seigneur  de  Torcy 

—  CLXX[X 

—  Du  comte  de   Clermont 

—  CLXXX,  réponse  du  duc  d'Orléans 

—  CLXXXr,  à  Fredet 

—  De    Fredet 

—  CLXXXII,  réponse  à    Fredet 

—  CLXXXII f,  à  Daniel 

—  D'Olivier  de  La  Marche 

—  Par  'Vaillant 

—  Par    Georges 

—  CLXXXIV. 

—  Par  Boucicault  ou  monseigneur  de  Bridore.   .  . 

—  CLXXXV,  par  le  duc  d'Orléans 

—  Par   Boucicault 

—  CLXXXVL  réponse  par  Orléans 

—  CLXXXVII   et  CLXXXVllI 192  à 

—  De  Fredet 

—  En  réponse  par  Simonet  Caillau      . 

—  CLXXXIX,  Autre  réponse  par  Orléans  en  guise 

de  recette 

■ —  Autre  réponse  par  Mgr  Jean  de  Lorraine  .   ,   . 

—  CXC,  autre  réponse  en  guise  de  recette  .... 

—  CXCI  et  CXCII 

—  Par  monseigneur  de  Lorraine 

—  CXCill  et  CXCIV 198  à 

—  Par  monseigneur  de  Lorraine 

—  CXCV,  par  Orléans 2ÔÔ 

—  Par  Madame  d'Orléans 200 

—  Par  Guiot  Pot 201 


TABLE    DES    MATIÈRES.  "3  i  g 

Rondeau  Par  Jean  de  Lorrains 201 

—  CXC\  I.  réponse  par  Orléans 202 

—  CXCVlt,  par  Orléans 202 

—  Réponse  par  Fredet 2o3 

—  CXCVIU    par  Orléans 204 

—  Par  le  cadet  d'Albret 20^ 

—  De  Gilles  des  Ormes 202 

—  CXCIX  à  CCIV      206  à  208 

—  Par  Benoist  d'Amiens 209 

—  CCV  à  CCVIU 209  à  211 

—  CCIX  de  Mgr  d  Orléans  à  madame  d'Angoulême    211 

—  Par  Tignonville 212 

—  CCX 210 

—  Par  Benoist  d'Amiens 2i3 

—  Par  maistre  Berthault  de  Villebresme 2i3 

_        CCXI  à  CCXXXI 214  à  224 

—  Par  Benoist  d'Amiens 223 

—  CCXXXII 225 

—  Par  maistre  Jean  Caillau 226 

—  CCXXXIIl 327 

CCXXXIV,  pour  Monseigneur  de  Beaujeu.   .   .     227 

—  CCXXXV  à  CCL( 228  à  236 

—  Par  maistre  Jean  Caillau 236 

—  CCLII  à  CCLIV 237  à  238 

—  Du  duc  de  Bourbon  (jadis  Clermont) 238 

—  CCI.V,  réponse  du  duc  d'Orléans 239 

—  CCLVI 239 

—  Par  le  grand  sénéchal 240 

—  CCLVII,  réponse  du  duc  d'Orléans 241 

—  Par  Blosseville 241 

—  Par  le  duc  de  Bourbon 242 

—  CCLVIII,  réponse  d'Orléans  à  Bourbon  ....     242 

—  Par  le  duc  de  Bourbo.i 243 

—  CCLIX 243 

—  Par  Fraigne 244 

—  Par  le  même 243 

—  CCLX  à  CCLXXIl .    245  à  25 1 

—  Par  Simonet  Caillau 252 

—  Par  Tignonville 222 

—  Par  Gilles  des  Ormes 253 

—  Par  hugues  Le  Voys 253 

—  CCLXXIII 254 

—  Par  Benoist  d'Amiens 254 

—  CCLXXIV  à  CCXXVL 255  à  256 

—  Par  Hugues  le  V^ovs 256 

—  CCLXXVll  à  CCLXXX 257  à  259 

—  Par  un  inconnu , 259 

—  CCLXXXI  à  CCLXXXVIII- 26o  à  269 

—  Par  Simoiiet  Caillau 269 

—  CCXCIX  et  CGC.  ,   , 270 

—  Par  Gilles  des  Ormes 271 

—  ceci  à  CCCX 272  à  277 


320  TABLE    DES    MATIÈRES. 

Pièces  attribuées  a  Ch.  d'Orléans  : 

Rondeau 278 

—       Réponse 278 

Chansons 279  à  280 

Notice  bibliographique  et  observations  sur  la  présente 
édition 281a  293 

Notes,  Notices,  Variantes 294 

Glossaire 3i7 

Errata 320 

fin  de  la  table  des  matières  du  tome  second. 


ERRATA. 


Tome  I,  page  5o,  vers  6,  mettez  ;  après  bonté. 

—  52,  I,  mettez  ,  après  Dieu. 

—  57,  8,  enlevez  ,  après  querelle. 

—  64,  12,  mettez  ,  après  celle. 

—  69,  22,  mettez  ,  après  croy  je'. 

—  97,  3,  lisez  excusacion. 

—  io3,  21,  lisez  asx/5, 

—  128,  3,  lisez  ne  enchanteurs, 

—  i3i,  5,  lisez  chascun  mort, 

—  21,11,  lisez  N'il. 

—  34,  8,  lisez  ;  que  me  /ailles  sentir» 

—  157,  21,  lisez  -./oui  s'i  fie. 

—  181,  22,  mettez  ,  açrti  jamais. 

—  190,  9,  lisez  ,  d'ont. 

Tome  IT,  page  22,  5,  lisez  ,  pié  ce. 

—  3o,  21,  mettez  ?  après  chicrt. 

—  81,  3,  mettez  ,  après  manière. 

—  87,  i3,  mettez  ;  après  secours. 

—  gj,  iîS,  lisez  l'ore. 

—  82,  6,  lisez, /o/,  l'a. 

—  5 1 ,  9,  lisez  ,  que  il. 

—  60,  1 1,  mettez  ,  après  secours. 


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Villon.  —  Œuvres  com- 
plèles 

Caylus (M-»"  de). -Sou- 
venirs  

Contes  fantastiques. 
—  Le  Diable  amoureux 
Démon    marié.    Merveil- 
leuse histoire 

Lafayette  (M"""  de).  — 
La  Hrincesse  de  Clèves. 

Malherbe .  —  Poésies 
complètes 

Manon  Lescaut...    . 

La  Fontaine.  —  Contes 
et  Nouvelles 

La  Fontaine.  —  Fables. 

Daphnis  et  Chloé 

Restif  de  la  Bretonne  : 
*    Comtemporaines    mê- 
lées   

**      Contemporaines     du 
commun 

'*'      Comtemporaines    par 
gradation. 

Régnier.  —Œuvres  com- 
plètes   

Heptaméron  des  nou- 
velles de  la  Reine 
de  Navarre 2    — 

Voltaire.  —  Dialogues 
complets 3    — 

L'Homme  à  bonnes 
fortunes 1      - 

Histoire  de  don  Pablo 
de  Ségovie 1    — 

Rabelais.  —  Œuvres 
complètes  (  Notes  et 
Glossaire) 7    — 

Aventures      de      Til 


vol. 


1 

Peiiault.  —  Contes i    _ 

Le  Sage.  —  Le  Diable 
boiieux 2    

Fei'nando  de  Rojas.  — 

La  Célesiine ^     _ 

Clément-Marot.— Œu- 
vres complètes 4    — 

Diderot.  —  Œuvres  choi- 
sies : 

*  Le  neveu  de  Rameau.     1    — 

'*  Pensées  philosophiques   1    — 

**''  La  Religieuse 1    ^ 

""*  Jacques  le  Fataliste. .     1    — 

Anatole  de  Montai- 
glon.  —  Le  Roman  de 
.lehan  de  Paris 1     — 

Chénier  (André).  —  Poé- 
sies     1    _ 

Les  quinze  Joyes  du 
m  ariage l    — 

Les  Caquets  de  l'ac- 
couchée, recueil  géné- 
ral, suivi  de  l'Anti-Ca- 
quet,  des  F.ssais  de  Ma- 
Ihurine  et  de  la  Sen- 
tence par  corps 1     — 

Ch.  d'Orléans.  —  Poé- 
sies complètes 2    — 

Montesquieu.  —  Lettres 
persanes... 2    — 

Lettres  de  M"=  de 
Lespinasse 2    — 

Staal  (M""'  de).  —  Œu- 
vres :  niém.,  leltr.,  etc.     2    — 

La  Peconnaissance 
de  Sakountalà 1    — 

Merveilles  de  l'Inde.. 

(inédit) 1     ~ 

Agrippa  d'Aubigné. 
—  Les  Aventures  du 
baron  de  Fœneste 1     — 


Ulespiègle 1    — 

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94  9.  —  Paris    —  Imp.  Hemmerlé  et  C" 


-15). 


r\^  {jii&Ties  a'urieaiis 
1553  Poésies  complètes  de 

C5A17  Charles  d'Orléans 
1915 


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