POÉSIES COMPLETES
CHARLES D'ORLÉANS
REVUES SUR LES MANUSCRITS
AVEC
PRÉFACE, NOTES ET GLOSSAIRE
PAR
CHARLES D'HÉRICAULT
TOME I
PARIS
LIBRAIRIE ERNEST FLAMMARION
26, RUE RACINE, 26
POESIES FRANÇAISES
CHARLES DORLÉANS
Jou<. droits réserves.
li. l'iCAU'.
POÉSIES COMPLÈTES
DE
CHARLES D'ORLÉANS
REVUES SUR LES MANUSCRITS
AVEC
PRÉFACE, NOTES ET GLOSSAIRE
PAU
CHARLES D'HÉRICAULT
TOME l
PARIS
ERNEST FLAMMARION, ÉDITEUR
26, RUE RACINE, 26
Tous droits réservés
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MAY24 1S55
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VIE DE CHARLES D'ORLEANS.
L'Esprit Français possède deux qualités qu'il semble
particulièrement chargé de faire valoir dans le con-
cert de l'Esprit Humain. D'autres peuples peuvent
cultiver l'intelligence plus profondément ou plus mi-
nutieusement; ils peuvent rendre leurs sentiments
avec une poésie plus souple, plus mélodieuse, plus
gracieuse, plus colorée, leurs sensations avec une
imagination plus variée, plus humoristique, plus iro-
nique, plus réellement observatrice, plus habileou
plus saisissante. Le génie de la France a, par-dessus
tout, la Force et la Finesse. Je neveux pas prouver ici
que c"est de la première que naissent sa Simplicité et
sa Précision, — les vrais éléments de la force durable,
— que c'est de la seconde que vient sa Clarté, — pre-
mière conséquence de la véritable finesse. — Mais je
puis dire que dès le début de notre histoire littéraire,
dès que notre langue eut cessé de bégayer, Force et
Finesse se montrent de compagnie : le ^ oyage de Char-
lemagne, cette raillerie si inattendue, n'est pas bien
loin de la chanson de Roland; chansons de gestes et
fabliaux cheminent côte à côte, parfois même en se mê-
lant; et la chanson de Beaudoin de Sebourg finit le
grand cycle de la croisade. Nous reconnaissons pour
grand siècle, non pas celui où il y a eu le plus de
puissance créatrice, le plus de poésie, le plus de phi-
losophie, non pas le xn\' ou le xvi* ou le xv n-, mais
celui où la Force a été le plus constamment à côté de
la Finesse, où Corneille est en compagnie de Racine,
VI PRÉFACE.
Bossuet près de La Fontaine, Sévigné dans le voisi-
n.igc de Pascal; et notre grand homme, ce n'est pas
celui qui a l'esprit le plus varié, le génie le plus vaste,
l'imagination la plus colorée, le style le plus pur,
(.'est l'homme qui a su le mieux équilibrer la force
et la finesse, c'est Molière. Cet équilibre, il semble
que nous devions le chercher sans cesse par des réac-
tions, même par des excès de l'une de ces qualités
3uand l'autre s'est livrée à la débauche : après les
épenses de mièvrerie et de poésies fugitives où la Fi-
nesse se ruinait au commencement du xvii.° siècle,
vinrent à la fin les extravagances mugissantes de la
Force, les discours pompeux, les proclamations em-
phatiques et les déclamations enthousiastes. Et pour-
tant derrière toutes ces parades de la Force en délire
la Finesse, tout efl'arouchée qu'elle fût, préparait ses
traits qui allaient partir sous le Directoire en mille
couplets, vaudevilles et pamphlets.
Enfin, cet équilibre, la postérité dans ses jugements
travaille toujours à l'établir. Elle donne leur revan-
che aux représentants de la Finesse quand ceux-ci,
écrasés par une puissante rhétorique, par un pédan-
tisme tyrannique, par un goût excessif de l'ampleur
et de la vigueur, ou par un besoin momentané du
travail scolastique et de la recherche érûdite, ont été
méconnus par leurs siècles.
C'est ici que j'en viens directement à Charles d'Or-
léans.
Il occupe dans l'histoire littéraire, comme dans l'his-
toire politique, nous le verrons, la plus rare position,
et si rare qu'elle a presque les allures d'un mystère.
Voici, en eflet, un poète, un vrai poète, non pas un
artiste dans telle et telle école, au nom de telle ou telle
mode ou règle de rhétorique, mais un poète du cœur
humain, inspiré par un sent'ment large, naturel et
sincère. Encore aujourd'hui, il nous paraît char-
mant malgré la vétusté et les couleurs ternies de
l'habit qu'il porte. Ce poète était, en même temps,
un grand seigneur, un prince, un Mécène. Il méri-
tait donc d'être connu, et il avait toute chance d'ê-
tre vanté. De plus, il arrive au commencement de la
Renaissance, au moment où la passion de la poésie est
développée jusqu'au délire; il écrit aux débuts de
l'imprimerie, au temps où les plus creuses rimes sont
reproduites. Il avait donc de plus en plus chance
VIE r>E CHARLES D ORLEANS. VU
d'être connu. Son lîls, Louis XII, un protecteur des
lettrés, monte sur le trône. François I"' est son ne-
veu, et François I'' développe, met en honneur
justement les qualités littéraires où son oncle a brillé,
il protège les poètes qui sont de la même famille in-
tellectuelle, et c'est tout ce qui fait l'immense gloire
de Marot, que d'avoir des tendances poétiques analo-
gues à celles de Charles d'Orléans. Là encore, celui-ci
avait donc toute chance d'être vanté.
Or non-seulement il n'est pas vanté, il n'est même
pas connu. Il est oublié à un point qui ne se peut
dire. Ses contemporains n'en parlent pas, ses succes-
seurs du xvi« siècle n'en sonnent mot et son existence
était ignorée du xvii« siècle.
Il y a là, sans doute, un mystère qui a paru assez
étonnant à tous ceux qui se sont occupés de Charles
d'Orléans. Je crois que l'explication est possible, on la
trouve en étudiant l'histoire littéraire du xv« siècle.
La linesse pure que représente Charles d'Orléans était
exclue de ce siècle. Villon n'a passé, si je puis dire,
qu'à l'aide de sa vigueur intellectuelle; encore la place
que ses contemporains lui ont faite est-elle bien pe-
tite. La postérité a été obligée de prendre sa cause en
main, quoique avec moins d'efforts que pour Charles
d'Orléans et pour ces trois autres inconnus duxv siè-
cle, ces trois autres charmants et réhabilités repré-
sentants de la Finesse, les auteurs du Petit Jean de
Saintré, de Jean de Paris et de l'avocat Pathelin. Vil-
lon et Pathelin n'avaient survécu que par ce qu'ils
avaient de grossièrement populaire. Les trois autres
écrivains qui n'avaient rien que de fin furent oubliés.
L'instinct littéraire du xv siècle, l'instinct général
se portait vers la science, vers l'ampleur, vers la gra-
vité et l'emphase, vers tous les excès du travail et de la
vigueur intellectuelle; l'aisance, la simplicité, la grâce
étaient oubliées ou méprisées. Or cet instinct était
énergique, et il avait créé une école puissante, dédai-
Igneuse comme toutes les écoles de pédants, habile
dans l'art de l'admiration mutuelle, comme toutes les
écoles oij la médiocrité domine, et violemment e-vc/w-
siviste comme toutes celles où la recherche et la con-
vention sont le mot du guet. Pour elle, pour cette
école où les Molinet, les Crestin, les Le Maire étaient
les grands maîtres, tout ce qui ne se rangeait point
parmi les disciples, qui n'acceptait pas les formules
VIII PREFACE.
consacrées, et avait la candeur de cultiver les for-
mes aisées soit du rhythme, soit de la langue, tout
cela était méprisable, grotesque, inavouable et sou-
mis à l'excommunication majeure du dédain et de
l'oubli.
. Pour de tels pontifes littéraires, Charles d'Orléans
I qui disait simplement les choses, dans une langue
sans prétention; qui n'avait essayé aucune des soixante
manières de torturer un rondeau, et qui n'avait pas eu
l'humilité de demander la permission de parler fran-
çais en s'excusant humblement de son maternel et
rural langage, Charles d'Orléans était un profane.
/ Il était un poète amateur, un poète d'album, pour
me servir de cette désignation moderne. C'est là le
mot, et c'est là l'explication du mystère de sa position.
Ce jugement fut accepté, imposé à ceux deses parents
qui occupèrent le trône et tenu pour bon par LouisXII
comme par François I*''.
Il fut donc dédaigné parce qu'en un temps où l'école
était toute-puissante, il ne fut pas poète de l'école du
xv« siècle, mais un poète français, un poète humain.
Par contre, c'est pour cela que la postérité l'a réha-
bilité.
Je me suis parfois demandé si le trouble apporté
dans les habitudes littéraires par les premiers efforts
de l'imprimerie ne fut pas pour quelque chose dans
l'obscurité de notre poète. J'ai supposé que Charles et
ses copistes avaient été portés à rester dans les vieilles
traditions du Moyen Age qui renfermaient les œuvres
importantes, les œuvres des princes dans les manus-
crits, dans les parchemins bien écrits et bien ornés.
Peut-être les préjugés du temps forçaient-ils le duc
de sang royal à considérer la publicité de ses œuvres
comme indigne de lui, et les œuvres imprimées
comme choses de commerce banal et de marchan-
dise bourgeoise. Il n'y a là qu'une hypothèse, que je
livre à la discussion. J'ajouterai que Louis XII et
François I"' ont dû être tentés de voir dans ces poésies
des impressions toutes personnelles, tout intimes,
toutes de famille, et qu'il ne convenait pas de confier
au public.
Quoi qu'il en soit, c'est aux accidents de sa vie, à
son long emprisonnement que le prince dut d'être
resté ainsi personnel, original, de s'être maintenu dans
le grand courant de la poésie humaine et dans lesl'gnes
VIE DE CHARLES D ORLEANS. IX
générales de la littérature. Sans eux, il eût eu quelque
chance de devenir un savant élève d'Eustache Des-
champs, un émule d'Alain Chartier, de Georges Chas-
teiain et de Meschinot, il nous eût peut-être donné,
avant Biaise d'Auriol,des ballades doubles couronnées
à double unissonnance, ou dorées par équivoques mâles
ou femelles, simples, composées ou mêlées. Mais il
n'eût pas affermi, fortifié la langue française et enrichi
de véritables joyaux notre trésor intellectuel. Il n'eût
pas surtout, ce qui est sa plus grande gloire comme
son mérite éminent, été un des chaînons de cette
tradition qui permit au xvii= siicle de tixer la langue
française; un de ces fermes et indépendants écrivains
qui, de la fin du xiii= siècle au milieu du xvi«, pen-
dant ce long sommeil où l'originalité créatrice avait
cédé la place à l'imitation consciencieuse, lourde et
pédante, ont défendu naïvement le génie français.
Les incidents de sa vie ne servirent pas seulement
à lui donner une place à part dans notre littérature,
ils le mirent aussi dans une des plus curieuses situa-
tions que l'histoire puisse enregistrer. Il fut la Belle
au-Bois-dormant de la féodalité. Il s'endormit quand
les grands vassaux, dont il était l'un des plus puis-
sants, étaient tout, et se réveilla quand la royauté res-
tait presque complètement maîtresse de la France.
La biographie que nous allons donner aussi étert>-
due que le permettent les limites de ce livre, va nous
foui nir les preuves et le développement de ces idées
picliminaires.
Notre poëte est fils de Louis de Valois, duc d'Or-
léans, qui était frère de Charles VI et second fils de
Charles V. Il eut pour mère Valentine, fille de Galéas
Visconti, seigneur de Milan. Louis et Valentine ont
laissé dans l'histoire une trace lumineuse qui éclaire
et la vie que nous esquissons et les origines de la
Renaissance.
Louis d'Orléans est un des types les plus accusés de
cette race des Valois, la branche la plus épanouie et
la plus parfumée de la fleur de lis, la poésie chevale-
resque de la maison de France; race qui paraît avoir
X PREFACE.
eu pour caractère d'aimer les belles ou les grandes
choses, qui subit le plus de revers, qui tomba le plus
bas et porta le pays au plus haut. Non moins saisis-
sante par la variété de ses fortunes que par la fou-
gue de son mouvement, elle semble avoir fait de l'his-
toire de France un merveilleux poème épique, moitié
chanson de peste héroïque, moitié roman d'aventures,
amoureux et chevaleresque. Louis de Valois, l'un des
plus ambitieux et des plus voluptueux de ce sang au-
dacieux et galant, l'un des plus lettrés de cette famille
magnifique, et des plus fanatiques d'art et de luxe,
résuma en lui toute cette diversité des destinées de sa
maison, son éclat et son infortune. Il rêva dix cou-
ronnes et mourut comme l'on sait. Exécré de la
masse de ses contemporains qu'il insultait par l'effron-
terie de ses amours, hai parle peuple qu'il pressurait
pour les besoins de son luxe, méprisé par la bour-
geoisie, déjà maîtresse de l'opinion et de la chronique
et qui voyait en lui, non-seulement un libertin effréné,
non-seulement un tyran cupide, mais un .«avant, un
penseur, un curieux, un novateur dont les recherches
inquiétaient les préjugés; il sut pourtant séduire jus-
qu'à l'histoire. Cette puissance de séduction, si grande
que les gens du xv siècle y voyaient de la sorcellerie,
il l'exerce jusque sur nous; et nous so;ames toujours
tentés d'oublier les hontes de sa corruption, l'odieux
de son avidité et la folie de son ambition, pour nous
représenter sa générosité, sa bonté, sa franchise, pour
nous rappeler l'ami des poites et des lettrés, l'amou-
reux des beaux livres, des peintures, des grands mo-
numents comme des tins joyaux, des reliures, des
tapisseries, des pierres fines.
.Mais ses contemporains mêmes, si disposés qu'ils
fussent à le mal juger, rendaient justice à ses hautes
qualités intellectuelles. Un voyageur qui nous raconte
ses impressions de l'an i3q5 nous dit, non-seulement
qu'il est taillé pour faire" un grand prince, mais il
constate sa sagesse (sa science). Quel cœur de fer ne
s'attendrirait pas, dit le Religieux de Saint-Denis, en
voyant l'exécrable meurtre de ce prince si intelligent
et si politique, dont l'cloquence élégante le mettait au-
dessus des autres seigneurs, et que sa beauté et sa
bonté infinie rendaient si attrayant.
C'était cette facilité d'éloquence plus encore peut-
être que l'étendue de ses connaissances qui frappait
VIE DE CHARLES D ORLEANS. XI
les gens graves de son temps. Le Religieux de Saint-
Denis y revient encore : il avait, dit-il, à titre de
prérogative singulière, une éloquence naturelle et
dune extrême facilité. Juvénal des Ursins nous le
montre un jour haranguant ses ennemis les Parisiens.
« Il usa de moult belles et gracieuses paroles, dit-il, car J
il en estoit bien aisé. » Retenons ces qualités de facilité,
d'aisance et de grâce en songeant à notre poète.
Celui-ci dut plus encore à Valentine, Valois elle
aussi par sa mère, mais par-dessus tout italienne, et j
si je puis dire, l'une des mères de la Renaissance, i
C'est elle qui, en donnant à ses enfants des droits sur
ritalie, poussa la France à aller chercher là le soleil
qui devait faire éclore les germes littéraires ensevelis
par le xv^ siècle sous la poussière germaine, flamande et
bourguignonne ; elle aussi qui en donnant à ses des-
cendants Louis XII, François I"' et Henri II cette grâce
f»articulière au génie transalpin, assouplit la force '1
rançaise et étendit, en l'amollissant, lajïnesse gauloise.
Cette grâce si expressive en elle que les contempo- f
rains.là encore, criaient à la sorcellerie, cette souplesse, I
cette mollesse, cette chaleur intellectuelle, nous ne de- !
vons pas les oublier non plus en songeant à Charles '
d"Orléans.
C'est donc de ce Valois, poète, amoureux, lettré, re- ;
marquab'e par les qualités faciles de son esprit et de '
son cœur, de cette Italienne sensible, gracieuse, ai-
mante et intelligente, de ce père et de cette mère éner-
giques tous deux, ambitieux tous deux, que naquit
notre poite, le 26 mai iSgi. Cette date n'est mise en
doute par personne, et à difaut d'autres preuves, les
Comptes de l'Hôtel suffiraient pour laisser cette année
iSgi hors de doute. Pourtant les deux plus graves
his'toriens de ce temps, l'un, hi-toriographe presque
officiel, le Religieux d^ Saint-Denis, aont je parlais
plus haut, nous dit : Vers le milieu de novembre —
de l'année 1394, — madame la duchesse d'Orléans,
dans la maison royale de Saint-Paul, mit au monde
un tils auquel '< le roi de France, Charles, en le tenant
sur les fonts sacrés, donna son nom. » « En ladite an-
née, i3q4, nous raconte l'autre historien Juvénal, que
jicitais'aussi, la duchesse d'Orléans eut un fils nommé
(Charles, et à le baptiser y eut grande solennité. » Belle-
forêt, Guyon, Mézeray nous donnent aussi gS ou 94.
Devons-nous supposer que les deux vieux chroni-
XII I' R E F A C E .
qucurs aient cnntondu la naissance avec le baptême qui
eut lieu, deux ans pkis tard, et où, en eiTet, entre au-
tres solennités, Louis d'Orléans créa cet ordre du Porc-
Eric dont parlait tout au long la Chronique aujtjur-
d'nui perdue, ou momentanément perdue, d'Hannotin
de Clairieux, héraut dOrléans.
Nous aurions trouvé dans cette Chronique le nom de
tous les personnages, familiers ou amis de la maison
d'Orléans et parmi lesquels Charles avait passé son en-
k fance. Nous pouvons supposer qu'il fut élevé au milieu
' des poètes et parmi les livres. Les poètes avaient tou-
jours joué un grand rôle dans l'éducation militaire et
chevaleresque des grands barons, et les livres, au
XIV» siècle et sous les Valois, commençaient à joindre
leurs efforts à ceux des poètes-chanteurs. Celte sorte
de cour d'amour qui gravitait autour de Louis d'Or-
léans et à laquelle nous devons le livre des Cent
Ballades ne fut pas sans influence sur ce jeune esprit.
(Les deux grands auteurs d'alors, F.ustache Deschamps
et Christine de Pisan, étaient les favoris de Louis, en-
touré d'ailleurs de translateurs et d'cscripvains tout au-
tant que de peintres-enlumineurs, d'imagiers, d'archi-
tectes et d'orfèvres. La Bible, les Histoires anciennes, la
Vie de saint Louis, le Miroir historial, les Chroniques
de France, il fait tout traduire. Il achète des Ballades,
des Chansons, tous les livres de poésie, de moralité et
d'histoire. La collection de Joursanvault nous donne
le détail de ces achats, les titres de ces ouvrages qu'on
retrouvera plus tard dans la bibliothèque de Charles
et signés de sa main.
C'est là, sans doute, qu'il chercha la récréation
de ses yeux d'enfants, de son esprit d'adolescent. Je
ne veux pas oublier de citer, à côté de toutes ces élé-
gances des palais paternels et de toutes ces sources
(i'ins'.i'uccion, ce jardin de Saint-Marcel où son père
avait rassemblé tant de plantes rares et dont la ver-
dure et les fleurs purent fournir à son imagination
poétique les éléments que nous y trouverons plus
tard.
En fait, la première fois que je le vois agir, c'est en
iSgg et 1400. Il est alors escuyer, et au mois de mai,
en compagnie de quelques grands seigneurs, il reçoit,
sslon l'usage, une houppelande des mains du roi. En
1402, les comptes des dépenses de la maison d'Or-
léans ùous le montrent escorté d'un chapelain et d'un
VIE DE CHARLES 0 ORLEANS. XIII
maistre d'école. En 1403, Charles VI lui fait une
jjension de 12,000 livres d'or.
Je n'ai plus présente à l'esprit la date des pourpar-
lers qui eurent lieu sur la question de le marier avec
la marquise de Moravie, nièce de Wenceslas, roi des
Romains. Louis d'Orléans, très-ambitieux pour son
fils comme pour lui, le voyait déjà, grâce à cette union,
roi de Bohême, de Hongrie et de Pologne. Ce projet
fut très vague, j'imagine. Le 4 juin 1404, on le tiança
avec Isabelle, tille aîné de Charles VI, veuve à dix ans
du roi Richard d'Angleterre qu'elle n'avait pas connu,
et revenue en France depuis le mois d'août 1401. Le
mariage eut lieu le 29 juin 1406. La jeune princesse
avait alors dix-sept ans, — elle était née le 1 3 novembre
1389, — Charles, quinze ans. <( Pleuroit fort ladite
Isabeau, » dit Juvénal des Ursins, qui indique en la
Îirincesse un grand dépit d'avoir pour mari un enfant,
e lis, dans une des notes de Gaignères qu'elle ap-
porta à ce jeune époux 5oo,ooo francs de dot. J'avais
d'abord été tenté de trouver là quelque confusion avec
les 5oo,ooo francs de la dot que les Anglais devaient
restituer et qu'ils gardèrent, en menaçant de conserver
la princesse, si on ne leur permettait pas de la dé-
pouiller. Les archives nationales, dans l'original du
traité de mariage (5 juin 1406), ne parlent que de
3oo,ooo livres. Mais je vois une lettre du 23 juin 1406,
par laquelle Charles VI promet de donner en outre
200,000 livres. Quant à Louis d'Orléans, il assigna
pour douaire à sa belle-fille six mille livres de rente
sur la cbâtellenie de Crécy en Brie. Les dispenses né-
cessaires pour célébrer le mariage entre cousins ger-
mains avaient été accordées par Benoît XIII, à Taras-
con, le 5 janvier 1405.
Nous ne savons rien de ce mariage, sinon que la
pauvre princesse mourut en couches le i3 septembre
1409, laissant une fille, celle même dont la naissance
lui coûtait la vie. Quelques biographes s'étonnent
que Charles n'ait pas chanté son bonheur, lui qui
aimait tant, disent-ils, à entretenir le public de tout ce
qui le concernait et qui a tant vanté sa seconde femme,
Bonne d'Armagnac Ils en concluent qu'il a été fort
malheureux. Mais l'embarras même où ils sont pour
deviner qui est cette beauté que le prince a chantée,
démontre au contraire que s'il disait volontiers ses
impressions, il racontait peu ses aventures, et qu'il
XIV PREFACt;.
1 faisait de la poésie, non de la chronique scandaleuse. Je
montrerai plus tard, du reste, que rien ne prouve
qu'il n'ait pas adressé ses vers à Isabelle, et c'est pure
fantaisie de supposer que son poème s'inspire de
Bonne d'Armagnac, morte deux ans avant le temps où
il envoie un messager à cette dame Beauté, le soi-
disant symbole de la demoiselle d'Armagnac.
Quoi qu'il en soit du rêve ou du cauchemar qu'a
pu être pour lui cette première année de ménage, il
en fut réveillé par un terrible coup. Le 23 novembre
J407, Louis d'Orléans était assassmé par les gens du
Iduc de Bourgogne, « la plus pileuse et douloureuse
aventure, dit NÎonstrelet, qui de longtemps fut arrivée
au chrétien royaume de France. »
La nouvelle de ce crime fut apportée à Château-
Thierry où il était avec sa femme et sa mère. Cette
mort lui donnait, au nom du testament fait par Louis
en 1403, le duché d'Orléans, les comtés de Valois, de
.ôlois, de Dunois et de Beaumont, la baronnie de
Coucy, la châtellenie de Chauny, Fallouel et Cou-
drcn, le duché du Luxembourg, le comté d'Ast, tous
les droits qui pouvaient lui venir du chef de sa mère,
héritière aes ducs de Milan, et un véritable trésor
d'objets mobiliers. Mais il lui imposait aussi une
situation que nous allons étudier.
II.
A la mort de son père, Charles, jusque-là comte
d'Angoulême, devint duc d'Orléans et l'un des quatre
chefs de la féodalité française. Je compte, en etfet,
avec lui, non-seulement le duc de Bourgogne et le duc
de Bretagne, mais au_ssi^l^eroi dlAngleterxe. Il faut bien
comprendre la situatioiTde cedernier pour expliquer
et excuser la conduite de Charles d'Orléans en mainte
circonstance. Le roi d'Angleterre était dans une posi-
tion analogue à celle du roi de Sicile, prince français^
seigneur de l'Anjou. Il était, non pas seulement un roi
étranger, mais un grand baron français par droit lé-
gitime de mariage et d'héritage. A ne consulter que
les vieux usages féodaux, largement interprétés dans
ces temps de troubles, ses pairs pouvaient, sans for-
Vlli DE CHARLES D ORLEANS. XV
faire à l'honneur contemporain, voir en lui un allié.
C'était là le vice de la féodalité déclinante. Elle avait
été le progrès, la civilisation, le salut de la France,
elle en devenait la ruine. Après avoir été une institu-
tion féconde, elle était un parti, et comme l'histoire
nous le montre de tous les partis, elle mettait ses pré-
jugés et ses intérêts au-dessus des instincts supérieurs
de la famille, du patriotisme, de la morale et de la
religion. J'insiste sur cela qui doit éclairer, ai-je dit,
quelques points de cette biographie. On ne prou-
verait pas grande équité j'imagine, en faisant peser
sur Charles d'Orléans tout le poids des fautes et des
idées de son temps.
Je n'ai pas compris les barons du Midi dans ma liste
des puissances féodales. Ecrasé depuis la guerre des
Albigeois, obligé de lutter, constamment contre les
Anglais maîtres de la Guyenne, ce pays cherchait à
former des ligues de province pour sa propre défense.
Mais il n'avait pas à présenter un seigneur dont la
puissance pût se comparer à celle des quatre grands
princes que nous venons de signaler. Il se mêla pour-
tant à la lutte et y prit bientôt, grâce au génie de son
représentant, le comte d'Armagnac, une part prépondé-
rante. Dans le début, et avant d'être un des derniers
incidents de la grande querelle entre le Nord et le
Midi, avant de devenir le suprême événement de la
bataille engagée entre la France et l'Angleterre, l'affaire
fut surtout un duel féodal, une sorte de combat ju-
diciaire entre Orléans et Bourgogne. Duel, combat,
où chacun en appelait au jugement de Dieu et où la
royauté devait intervenir comme juge de camp, pou-
vant, au moment venu, jeter entre les combattants le
bâton de commandement qui devait les séparer. Mais
débile encore, plus affaiblie en ce début de sa puis-
sance que la féodalité en son déclin, la royauté se
laissa traîner à la suite des deux combattants pour
mettre au service tantôt de l'un tantôt de l'autre ce
peu qu'elle avait alors de prestige et de force.
Il nous faut nous contenter de ce résumé sommaire
de la situation historique au milieu de laquelle notre
prince s'agita depuis la mort de son père jusqu'à la
bataille d'Àzincourt.
Etait-il bien capable de diriger et de dominer des
événements aussi graves que ceux où il se trouvait si
brusquement, si douloureusement jeté, événements
XVI l'KÉFACE.
dont la gravité allait se développer de jour en jour et
le mettre lui en une telle lumière que l'histoire de
I France n'est plus à ce moment que l'histoire de
J Charles d'Orléans? C'est la première de toutes les
questions sur lesquelles les biographes de notre poëte
sont peu d'accord; et ici, comme en tout le reste de
cette étude, je voudrais me délier de l'enthousiasme
des uns comme de la rudesse critique des autres.
On ne peut pas demander à cet adolescent de feize
ans, quittant brusquement la tutelle d'un père tel que
Louis d'Orléans, d'avoir vu tout clairement que lui,
son nom, son parti allaient devenir la France, la na-
tionalité française et d'avoir été de prime abord à la
hauteur d'une telle situation. Je reconnais volontiers
qu'il n'y fut jamais — et pour y être, il n'eût fallu
rien moins que voler la couronne et prendre le pou-
voir royal. — Ce fut son nom plutôt que sa personne
Il qui commanda son parti, et il fut un drapeau plutôt
qu'un chef. Si je puis dire, le vrai chef fut Bernard d'Ar-
magnac et il portait notre duc comme un drapeau. Je
sais bien encore que les qualités intellectuelles fines
et charmantes que Charles montra plus tard et qui
étaient essentielles à sa nature, n'accompagnent géné-
ralement pas les dons du grand capitaine et du grand
homme d'Etat. Mais il n'était pas si dénué qu'on le
dit de l'ambition qui distingue son père, de l'ardeur
et de la diplomatie que montra Valentine. Nous le
voyons toujours en tête des siens, à la bataille et mêlé
à tous les conseils. Il n'était sans doute pas en âge de
les diriger; toutefois il accepta volontiers les plus éner-
giques, et il les suivit, revenant sans cesse à la res-
cousse, reprenant toujours la lutte. On lui reproche
d'avoir laissé à son frère Philippe la plus grande part
du soin de la guerre, on oublie qu'il était, non-seule-
ment chef de guerre, mais chef de famille et chef de
parti et qu'il avait des devoirs politiques, des fonctions
diplomatiques à remplir qui pouvaient fort bien le
forcer à remettre à son frère une autre partie de son
fardeau. On l'accuse encore d'avoir accepté à plu-
sieurs reprises de faire la paix avec l'assassin de son
père. Ne faut-il pas tenir compte et des circonstances
et de l'autorité royale qui reparaissait, en ces moments
!à, avec toute sa puissance et son prestige pour domi-
ner l'adolescent, et aussi de l'impression profonde que
pouvaient faire dans ce jeune et sincère esprit les con-
VIE UE CHARLES D ORLEANS. XVII
scils de gens pieux qui parlaient du pardon des inju-
res, \~s rériexions des gens graves qui montraient le
besoin que la pauvre France avait de la paix. Les dé-
tails que nous avons sur ses entrevues avec les Bour-
guignons nous le inontrent résistant de son mieux;
et toujours, et aussitôt qu'il le put, il reprit les soins
de sa vengeance et de sa politique.
On le voit trop tel qu'il fut plus tard quand, alourdi
physiquement, et moralement affaissé par vingt ans
de captivité, iteut p^ris pour devise Xonchaloir. pour
consolation l'Insouciance et pour Dieu la Résignation.
On oublie que ce sont les plus ardents, les plus ac-
tifs, les plus ambitieux que l'âge amollit le plus
quand ils ont lutté longuement contre des liens que
nul effort n'a pu briser.
Il me serait facile de montrer combien Charles dé-
pensa d'énergie, si je pouvais entrer dans les détails
minutieux de ces sept années de luttes. Mais, ainsi
que je le disais plus haut, sa biographie, à cette date,
c'est toute l'histoire de France. Elle est connue. Je n'en
veux indiquer que les grandes lignes et quelques
traits plus particuliers, ou plus ignorés, ou plus per-
sonnels à notre poète.
Louis d'Orléans avait été assassiné le 7 novembre.
La première pensée de Valentine est pour la sûreté de
ses enfants. Elle les envoie au château de Blois où
l'on commence ces travaux de fortifications, ces amas
d'artillerie qui vont se continuer pendant les années
suivantes, dans les principales forteresses des domai-
nes d'Orléans. Messire Guillaume de Braquemont,
messire Guillaume de Trie, et Pierre de Mornay, sei-
gneur de Gaules, chevalier fort connu sous le nom
de Galuet, nous sont indiqués par divers documents
comme présidant alors la maison militaire des d'Or-
léans : Galuet surtout, qui était chambellan de Charles
d'Orléans, et qui devint gouverneur du château de
Blois. Nous avons ses quittances en cette qualité, de
juillet 1408 à février 1409. Nous le retrouvons sou-
vent dans le cours de cette biographie. Nous vovons
notamment qu'il accompagnait Valentine, partant le
24 novembre 1407, — Monstrelet ne nous indique
son arrivée que le 10 décembre, — par le plus terri-
ble hyver du siècle, pour venir à Paris demander
vengeance de la mort de son mari. Elle y vint avec
son pl'is jeune fils, Jean, et sa belle fille, fille du roi
CHARLES D'ORLÉANS. I. b
XVIII PRÉFACE.
« en estât du plus hault deuil, dit le ("jcste des nobles,
qui devant eust esté veu. » Mais, comme le dit Juvcnal
clesUrsins, « pour lors elle ne lit guèrcs. » Elle avait
pourtant en son nom et, « comme ayant la t^arde et
gouvernement de ses enfants, » selon la formule
qu'elle employa toujours, prêté serment au roi pour
les diverses seigneuries de la maison d'Orléans. Char-
les, après s'être préparé de son mieux à la guerre facile
à prévoir, et avoir notamment gagné l'alliance du duc
de Br^'tagne, vint à Paris pour faire lui-même cet
hommage de ses terres au roi. Sa mère l'avait précédé
de quelques jours. Cette fois elle était arrivée le 27 août
1408, avec une suite qui était une armée. Le regis-
tre du conseil du roi dit que ce fut le lundi 28. « Elle
arriva en une litière couverte de noir, à quatre che-
vaulx couverts dé drap noir, à heure de vespres, ac-
compaignez de plusieurs charios noirs pleins de dames
et de femmes et de plusieurs ducs et comtes et gens
d'armes. » " Environ huit jours après, écrit Monstrelet,
Charles — il avoit été nommé comte d'Angoulesme
jusqu'à la mort de son père — d'Orléans accompagné
de 3oo hommes d'armes — environ i5oo hommes —
Juvé-
vestu de
noir, tout droit s'en alla à Saint-Paul vers le roy pour
lui demander vengeance de la mort de son père. » Va-
lentine resta à Paris avec sa belle-fille. Si nous en ju-
geons par certains détails domestiques que nous livrent
les litres et papiers de la'maison d'Orléans, elle y de-
meura assez longtemps, plus longtemps même que je
ne l'eusse supposé. En elVct, Philippot Boulart, épicier,
chargé de fournir l'hostel de Behaigne ou de Bohême,
d'épiceries de chambre (dragées et sucreries) et qui pa-
rait faire un commerce lucratif puisqu'il vend cha-
que jour une quinzame de livres de cette épicerie,
nous donne le compte de ce qu'il a livré en 1408 à
Madame Valentine de dragées (à 10 sous la livre), de
noix confites (à 7 sous la livre), de pignolet, de sucre
rosat, etc., pour la fête du roi. Ce devait être le 4 no-
vembre. Valentine mourut le 4 du mois suivant à
Blois, « de courroux et de desplaisance de ce qu'elle ne
pouvoit avoir justice de son feu bon seigneur et
mari. >>
Charles était depuis longtemps retourné à Blois.
Nous l'y voyons au mois de septembre, s'occupant
vint à Paris. »'< C'étoit le 9' jour de septembre, dit Jt
nal.leduc d'Orléans en bien humble estât, vestu
VIE DE CHARLES D ORLEANS. XIX
toujours de fortifier ses bonnes villes et son parti.
Nous avons, en ell'et, plusieurs montres et revues de
gensd'armes qui prouvent son activité et sa prévoyance.
Entre autres dJiails nous voyons que treize écuyers
qui formaient, si je ne me trompe, une compagnie de
quarante hommes lui coûtaient 87 francs par mois.
Dis la mort de sa mère, Charles VI l'émancipé et lui
fait don de tous les droits de garde et de prise auxquels
le roi avait droitcomme tuteur des princes mineurs. Le
principal obstacle qui s'opposait à la pacification des
seigneurs de la fieur de lis paraissait enlevé avec la
mort de l'énergique et vindicative duchesse. Le 2 mars
1409, le roi mande à Chartres plusieurs membres du
parlement pour aviser à la paix entre les princes. On
peut lire dans les mémoires de Monstreict et dans
ceux de Saint-Remi le récit de la scène de réconcilia-
tion, qui se passa alors en cette ville de Chartres,
scène émouvante et grande, où Charles et ses frères
furent loin de montrer cette faiblesse dont on les ac-
cuse. Mais que pouvaient faire ces enfants doublement
orphelins à qui le roi, l'Eglise, toute la France, pour
ainsi dire, venaient au nom de la religion et du pa-
triotisme imposer le pardon des injures ? Mais si,
comme l'indique un chroniqueur, ils consentirent à
se laisser embrasser par Jean de Bourgogne, la ten-
dresse ne fut pas longue. Le conseil royal a beau ré-
gler la maison militaire de Charles, décider — pour
le temps qu'il passera à Paris, autant que je puis
comprendre — qu'elle se composera, en dehors des
conseillers, chambellans et gentilshommes, de douze
chevaliers et douze escuyers servant quatre par qua-
tre pendant deux mois, ayant bouche a cour, foin et
avoine pour quatre ou deux chevaux et payés, les che-
valiers : 5 sous, les escuyers : 2 sous par jour, il passa
aisément par-dessus ces règles. Le cartulaire de Sen-
lis nous le montre dès septembre 1409, cherchant à
attirer les bonnes villes dans son - parti. Nous le
voyons pendant cette année 140g à Blois ou au châ-
teau de Brie-comte-Roberl. Au i" juin 1409 une let-
tre patente nous le montre à « Monstereau'où Fault
d'Yonne. »
C'est le i3 septembre de cette année qu'il perdit,
avons-nous dit, sa première femme « pour la mort
de Inquelle le duc eut au cœur très-grand'douleur, et
depuis prit consolation pour l'amour de sa fille, » de
XX PREFACE.
cette lille qui coûtait la vie à sa mère. Cette consolation
semble être venue assez vite, quoioue le Relii^ieux
de Saint Denis parle de ses continua lamenta. Gàluet,
qui avait été dépêché vers le comte d'Armagnac, re-
vint avec un traité d'alliance politique et matrimonial.
Charles se tiançaitavec Bonne, tille de ce comte d'Ar-
magnac et de Bonne de Berry. Les fiançailles eurent
lieu à Meun-sur-Yèvre. Dans l'intervalle des prépara-
tifs, nous le voyons, en janvier, février, mars 141 o, à
Blois où il signa, tin mars, les comptes de son secré-
taire, maître Pierre Sauvage. Il avait refusé de se
joindre à cette « grande compagnée >> de princes et
seigneurs que le roi avait convoquée à Paris, à la Noël
de l'année qui venait de linir.
Il ne parait pas avoir donné grand temps aux fêtes
de son mariage; peut-être d'ailleurs n'y eut-il que des
fiançailles, et le bon chanoine Claude Dormay, dans
son histoire de Soissons, incline fort à penser qu'il
n'y eut jamais autre chose et que le mariage ne fut
pas consommé. Toute cette année 1410 est pour lui
pleine d'activité diplomatique. On se prépare éner-
giquement à la guerre. Le i5 avril, il est à Gien où
se fonde définitivement la ligue Orléanaise, entre les
princes d'Orléans, les ducs de Berri, de Bourbon, de
Bretagne, les comtes d'Alençon , d'Armagnac, etc.
Ce comte d'Armagnac était le général , l'homme
[)olitique qui avait manqué jusqu'ici; lui trouvé,
e parti d'Orléans était désormais fondé, jusqu'à ce
qu'absorbi par l'énergie du chef réel, il devînt le
parti d'Armagnac, le parti Dauphinois, le parti de
Jeanne d'Arc, national et français. Charles était venu
à Gien avec son chambellan et maréchal, Galuet, et
vingt-neuf gentilshommes dont les noms nous ont été
conser\és et dont les gages étaient de i5 livres par
mois. Il y vint aussi avec une bourse bien garnie, et
nous le voyons notamment prêter au duc de Bourbon
une somme de 200 livres, à propos de laquelle, en
janvier suivant, il se fâcha contre son trésorier qui
voulait la réclamer. Après cette assemblée, il resta
dans le pays à armer ses gens. En juillet, il est à
Amboise. Mais tout est prêt, les princes se réunis-
sent encore à Chartres, au commencement de septem-
bre. « Et après, les dits Orléanois vinrent, atout leur
puissance, de Chartres jusqu'à Monthléry, et es villes
aux environs de Paris se logèrent. » Dans le courant
VIE DE CHARLES D ORLEANS. XXI
de sepiembre, Charles est à Etampes. Il vient se lo-
ger à l'hôtel de l'évêque de Paris, à Gentilly, et ses
gens arrivèrent jusqu'au faubourg Saint-Marcel et à
la porte Bordelles. Après de nouvelles assemblées à
Gien, en août et septembre, il passa le mois d'octobre
à Bicêtre, auprès de son oncle le duc de Berry, et il
distribua, aux officiers, aux ménestrels de son dit
oncle la somme de ii8 livres. Puisque nous sommes
sur ces détails intimes de la vie de notre poite — •
nous devrions dire de la vie de son siècle — constatons
que la livrée de la bûche, c'est-à-dire le bois de chauf-
fage destiné aux principaux serviteurs, coûtait en cette
année 1410, àce premier prince du sang royal, 2 li-
vres H sous. Le quarteron de bûcies en comptait 1,040,
il coûtait 8 francs, ou 64 sous — le franc valant à es
moment-là 8 sous, ^ et le chan>elier d'Orléans, qui
était le preni er des serviteurs, avait 6 quarterons ou
4S francs de bois pour sa provision annuelle.
J'aid;ji parlé à plusieurs reprises et j'aurai main-
te'oi^ encore a parler des objets et de leur valeur pé-
cuni.;i,-e — ne fût-ce que de celle qu'on donna à no-
trj prince quand on le mit à rançon. — Je désirerais,
à c'i.iquj lois, donner l'équivalent en monnaie contem-
poraine. Cela est fort difficile, sinon impossible, à
cause de la valeur relative qui changeait évidemment
selon l'e?p"-ce des objets. On dit généralement qu'il
faut muit plier par 40 les chilïVes monétaires donnés
au w siècle pour avoir une idée de ce qu'ils vau-
dr lient aujourd'hui. Cela me paraît excessif, ou plu-
fi; je voudrais distinguer. Ainsi, pour juger la position
de fortune de ces chevaliers auxquels on donnait 5 sous
par jour, et qui étaient de notables personnages, je
cro s que ce n'est pas exagéré, tant s'en faut, que de
dire qu'ils sont dans une situation analogue aux em-
ployés du gouvernement actuel dont les émoluments
sont de 10 francs par jour ou 3, 600 francs par an. —
Ces chevaliers étaient évidemment beaucoup plus éle-
vés en grade que nos capitaines d'infanterie. Mais
quand je vois que la livre de dragées, par exemple,
coûtait 10 sous, je ne puis croire qu'elle valût
20 francs de notre monnaie. Je ne veux pas trop al-
longer cette parenthèse, si importante qu'elle soit
même dans cette biographie. C'est donc par à peu près
et pour la satisfaction vague de son imagination que
le lecteur peut multiplier par 40 tous les ciiilVres moné-
XXU PRÉFACE.
taircs que je lui donnerai. Pour la valeur intrinsèque
de l'arfjent on a des résultats plus positifs et je prends
les résumes donnes par M. de Wailly. La livre tour-
nois a valu, sousCharles VI, entre l'i francs 28 centi-
mes et 4 francs 77; sous Charles Vil, entre i2,o5et
6,14; sous Lou s aI, entre 8,20 et 6,99. La comparai-
son entre les chillVcs de ces trois règnes prouve que
sous chaque règne la moyenne se rapproche beau-
coup plus souvent du plus haut chiffre que du moin-
dre. Les écus d'or et les saluts d'or, qui n'en ililVi-
raient pas sensiblement, valaient à peu près un quart
en plus de la livre, et il y avait une dill'érence d'un
sixième entre la livre parisis et la livre tournois. 11
faut que mes lecteurs se contentent de ces données, si
g^nc'rales qu'elles soient.
Nous retrouvons notre duc à Etampes en novembre.
Il est de retour à Blois en décembre 1410; en janvier
1411, il y reçoit, sans que j'en comprenne bien la
cause, des habitants de Saint-Aignan, en Ikrry, un
aide de 80 livres. 11 y donne un reçu à Guillaume Si-
zain, auditeur de ses comptes, du prix de divv.-rs bi-
joux qu'il lui avait remis pour vendre le 12 septembre
précédent. Puis, tandis que son maréchal Galuet passe
des revues ou montres de gens d'armes — il nous en
reste des procès-verbaux sce;lés de son sceau, un au
moins, en juillet 141 1 —le duc veille au payement
de ses hommes de guerre. Les gages des chevaliers, es-
cuyers, archers, arbalétriers tle son hôtel, au mois de
novembre 1410, montaient;! 1,4(10 livres 10 sous tour-
nois, lin féviier, les gages des archers, arbalétriers
et portiers du château de Blois seulement, vont à
202 livres, les archers et ies arbalétriers étant payés
environ 8 francs par mois et le portier 80 francs par
an. Charles continue de se montrer généreux envers
le duc de Bourbon auquel il donna en ce mois de fé-
vrier 100 escus d'or. Grosse somme, si l'on pense qu'il
octroyait à son frère Philippe 10 livres tournois par
mois pour ses menus plaisirs, en cette même année
141 1. Pour lui-même et pour son argent de poche, si
je puis dire, il se donnait, en 1414, au temps de sa
splendeur, 100 livres par mois.
En mars 141 1, il continuait de chercher à rassem-
bler de l'argent. Il met un dioit d'octroi sur les grains
et vins amenés dans ses bonnes villes et c'est toujours
pour « poursuivre la réparation de la très-cruelle et
VIE DE CHAULES û ORLEANS. XXIJI
très-inhumaine mort de feu nostre très redoubté sei-
gneur et père » et pour « reparer l'onneur de monsei-
gneur le roy qui, en ce, a esté tant blecié, etc. » L'ar-
gent et les soldats étant prêts, il songeait à l'opinion
publique, et dès le commencement de cette année il
écrit aux bonnes villes, à 1 Université, au roi, car'
tout prouvait que l'accord fait pendant ce séjour à'
Bicétre, dont nous avons parlé, serait vain. Ces let-
tres sont énergiques et claires. La dernière, qui fut
écrite au roi, de Jargeau, 14 juillet, est fort belle. On
l'a attribuée, sans grande raison, à Jean Gerson.
Charles d'OrL-ans ne devait pas sans doute être étran-
ger a ces combiUs de plume. Le i8 juillet partaient les
lettres de déh des hls d'Orléans à Jean de Bourgogne.
La guerre est commencée. C'est le roi, on le sait, qui
accepta le gant. Il proclama la forfaiture des Orléanais,
conrisqua le comté de Soissons, réunit au bailliage
de Scnlis les comtés de Valois, Beaumont, etc. Pen-
dant ce temps, ou plutôt avant ce temps, le duc d'Or-
léans était venu assiéger Paris. De sa personne, il
logeait tantôt à Saint-Ouen, tantôt à Saint-Denis.
C'est à cette époque que sç place ce fait raconté par la
Chronique bourguignonne de la bibliothèque de Lille.
Les Armagnacs en arrivant à Saint Denis, dit-elle,
forcèrent les coftVes où se trouvaient les joyaux de la
reine et, parmi eux, une couronne, « laquelle le comte
d'Armagnac l'assist sur la teste du duc d'Orléans et
Jui dit : " Monseigneur, pour sauver mon serment, je
Il vous fais roi de JFrance, quoique vous n'en possédiez
« pas la terre. Mais cette possession, je vous la donnerai
Il avant de retourner en ma seigneurie, et je vous ferai
« couronner a Reims. « Le bruit courait, en effet, et le
Religieux de Saint-Denis le confirme, que l'on vou-
lait 1j faire roi de France, et un chevalier picard, Vivet
d Lspineuse, l'avait affirmé en ajoutant que ses adhé-
rents voulaient se partager la France. Ce projet a
bien pu traverser l'esprit ambitieux .de Bernard d'Ar-
magnac. Mais la haine du Parisien contre les Arma-
gnacs était bien niaisement crédule, la Chronique
lilloise est bien lourdement, partialement et grossiè-
rement Hamande, et Vivet d'Fspineuse fut fort aidé
par la torture dans ses révélations Le 9 octobre,
vingt-huit des plus nobles chevaliers de l'armée orléa-
naise d énientaiert ces bruits avec indignation.
Dans ce canevas que nous donnons de la vie de
notre pojte, nous n'admettons que les détails absolu-
ment personnels et qui ont éciiappé jusqu' ci aux his-
toriens, nous n'avons pas a nous occuper de la retraite
des Orléanais, mais un peu plus de leur alliance avec
le roi d'Ani^leterre, alliance que se disputaient le duc
de Bours^oi^ne comme le duc de Breta^ne, que l'état
de la Krance et de la féodalité, et la situation particu-
lière des enfants de Louis d'Orléans peuvent expli-
quer, mais qui reste une des grandes fautes politiques
et morales de la vie de Charles.
Elle commença pourtant par lui procurer un traité
de paix assez favorable. D' s le 12 mars, Ls bases ea
sont arrêtées et prcfque tout le reste de l'année se
passe en néi^ociations. Mais il fallait payer les Ani^lais
qui avaient \endu cher leurs ser\ices et qui pillaient de
leur mieux en attendant qu'on leur payât leur solde.
Charles leur donna le plus d'argent qu'il put trouver
et remit, le 14 novembre 141-2, son frère Jean d'An-
i;ouléme et quelques gentilshommes en otages pour
la somme de 20(),ooo francs Dés le 5 avril de l'année
suivante, Charles \"1 donnait à ses baillis l'ordre de
l'aider a faire rentrer les impôts mis sur les domaines
d'Orléans pour le payement de cette rançon. Mais il
se trouva dis lors et toujours arrêté par les plaintes
des habitants, qui au moment où il songeait à leur de-
mander quelque aide le prévenaient toujours en lui
demandant une remise des anciens impôts
Le 12 août, à Auxerre, la paix avait été solennelle-
ment proclamée entre les enfants du duc d Orléans et
le duc de l'ourgogne. Le même jour, on leur restitua
leur- biens. Le ^'.\ Charl s renonce à l'alliance d An-
gleterre Le 8 septembre, a Melun, il fait un traité
particulier d'alliance avec Jean de Bourgogne. Le 20,
il assiste avec lui au conseil du roi. Il termine plus
dignement cette année douloureuse en faisant tenir
les Grands-Jours à lilois. La paix solennelle eut le
sort de tous les traités qui devaient jamais intervenir
entre Orléans et Bourgogne. La guerre recommença
plus âpre. En mars 141 3, Charles est à Angers où il
s'allie avec le roi de Sicile; apr's avoir toutefois, ds
le 20 février, muni sa bonne cave de Bloisde dix queues
de vin. Le 23 mai, on le déclare encore déchu de tous
ses honneurs et dignités. Le 2 septembre, séance
du Parlement pour établir de neuve u; la paix solen-
nelle entre les princes. Cette fois, 1 astre des d'Oi léans
VIE DE CHARLES D ORLEANS. XXV
l'emporte dicidiment. Du 5 au i5 septembre on lui
rend tous ses biens II entre a Paris le 3o septembre.
Le i<i du mêm^ mois, il avait reçu de l'empereur
Sigisinond — - son allié, djpuis le 12 septembre, con-
tre le duc de Bourgo ne — l'investiture du comtj
d'Asti. L'Université dj Paris, sa vieille ennemie, veut
bien simuler quelque tendresse pour lui. On con-
damne l'apologie faite par Jean Petit du meurtre de
Louis d'Orléans ; on transporte sur la tète des Bour-
gui'^nons l'excommunication dont on avait frappé les
Armagnacs. Le i8 décembre, il assiste aux tiançailles
de Charles — plus tard Charles VII — avec Marie
d'Anjou. Pendant toute l'année 1414 il est au faite de
sa gloire. Dis le mois de janvier il fait un traité avec
la reine ; en février il se trouve à Paris. Le pauvre roi,
qui l'année précédente le redoutait comme un mons-
tre, ne peut plus se passer de lui. Charles a hérité de
son pl-re, de sa mère surtout, cette grâce ais;e, ou-
verte, pénétrante, cette grâce de famille si charmante
que les contemporains, nous lavons vu, l'attribuaient
à la magie. Charles l'avait exercée sur le duc de
Guyenne après le traité d'Auxerre, maintenant le roi
en était séduit au point, nous dit Lottin, d'après les
registres de la ville d'Orléans, que Charles VI le fai-
sait coucher dans sa chambre. Il le voulait toujours
avoir présent à ses conseils. Nous le voyons au con-
seil tenu au Louvre. La guerre est déclarée par
Charles VI au duc de Bourgogne. Le 6 juin, le roi
donne à Charles 2,000 livres par mois pour l'entre-
tien des cent hommes d'armes qu'il doit mener contre
le duc de Bourgogne. Il accompagna Charles VI pen-
dant toute la campagne. L'armée va battre Compiegne
tandis que le roi et les princes vont l'y rejoindre par
Senliset \'erberie. Compiegne prise, le 8 mai, on vint
mettre le siège devant Soissons. Notre duc loge à l'ab-
baye de Saint-Quentin. De là, l'on va à Laon oij l'on
est joyeusement reçu. Le 10 juin l'on part pour s'en
aller en Thiérache, à Ribémoni, à Saint-Quentin où la
comtesse de Hainaut, sœur du duc de Bourgogne,
vient inutilement faire des ouvertures pacitiques. Le
roi et le; princes gagnent Guise en Thiérache. re-
viennent à Saint-(!iuentin, puis à Péronne où l'on
passe en fêtes et en vaines tentatives d'accommode-
ment la fin de juin et le commencement de juillet.
Le 8 de ce mois, il est en affaire avec l'Anglet-îrre,
e:
XXVI PREFACE.
il donne neuf livres pour procurer un sauf-conduit à
un Anglais. Le 9, le roi et les princes vont en pèleri-
nage à Notre-Dame de Cuerlu et viennent mettre le
sicgc devant Bapaume. La ville prise, le 19, l'armée
jui comjnait, selon Monstrelet, •2oo,o(jo personnes, se
resente devant .Xrras. Le 8 septembre l'on fit la paix.
e duc d'Orléans résista longtemps à la signer. Dans
les détails qui nous sont donnés, rien n'indique le
manque d'énergie que l'on aime à lui reprocher. La
paix solennellement proclamée et jurée, le (; mars,
Charles V'I et les princes regagnèrent, par Bapaume,
Péronne, Noyon, Compiègne, Senlis, où l'on demeura
le mois de septembre.
Dès le début de l'année 141 5, la veille des Rois, nous
voyons Charles au service que le roi fait célJbrer à
Notre-Dame de Paris, pour le repos de l'âme de Louis
d'Orléans. Il avait naguère quitté les habits de deuil
à la demande du duc de Guyenne. I e 10 février, il
prit part à des fêtes plus brillantes encore que celles
où, vêtu d'une huque violette à boutons d'argent, il avait
asfistJ en 1413. Cette fois il jouta contre le duc de
Bavière. Il retourna ensuite a OrlJans pour y faire
tenir les Grands-Jours, comme il le ht, du reste, encore
en 1438 et 14G0 Nous trouvons à cette date(i4i3)
dans les comptes de sa maison bien des renseigne-
ments, celui-ci entre autres, que 43 livres parisis va-
laient 33 livres i5 sous tournois, et cet autre, moins
important, que sa maison dépensait en deux mois
pour 20 livres 9 sous 4 deniers de souliczs.et hou-
seaulx. Arrive, avec le mois d'octobre la bataille d'A-
zincourt. Charles y amenait un contingent de cinq
cents hommj.i d'ar.nes ou bassinets, sous le comman-
dement de G.iluet, car il était avec le duc de Bourbon,
commandant en chef de l'arm je. Le 20 octobre, il en-
voie trois hérauts au roi d'Angleterre pour l'avertir
qu'il livrera bataille au jour que celui-ci voudra
choisir. Dans la nuit du 24 octobre il détacha deux
cents hommes d'armes pour observer la position de
l'ennemi, le 25 octobre, au début de la bataille, il est
à l'avantgarde. Quelques auteurs disent qu'on l'a
trouvé blessé, sous un monceau de morts : d'autres,
qu'il échappa avec peine-à la tuerie des prisonniers dé-
sarmés que le roi anglais ordonna à la fin de la bataille.
On peut lire dans Saint-Remy et Juvénal des Ursins
ii récit de la conversation qu'il eut avec Henri d'An-
VIE DE CHARLES D ORLEANS. XXVII
gleterre. Les documents anglais et notamment Harris
Niçois, historien de la bataille d'Azincourt, assurent
que le roi lui parla avec la plus grande commisération
et courtoisie. J'y vois surtout cette hypocrisie puri-
taine dont Cromwell n'eut pas seul le secret parmi
les grands politiques d'Angleterre. Les mêmes docu-
ments nomment sir Richard Wallas, le chevalier qui
le fit prisonnier.
11 reste prisonnier à Calais jusqu'au i6 novembre,
et accompagne le roi vainqueur en Angleterre.
J'ignore si c'est à Eltham, à Westminster, à la Tour
ou à Windsor qu'il fut mené tout d'abord. J'inclin
pour ce dernier endroit. 11 était sûrement à Londres
à la fin de novembre. Après quoi on ne tarda pas à
l'envoyer au château de Bolingbroke, où il est en mai
1423, puis à l'extrémité septentrionale de l'Angle-
terre, au château de Domfret. En 1430, il était à la
Tour de Londres. Vallet de \'iriville nomme le châ-
teau de Ampthill, parmi ceux où il fut conduit. Je le
vois à Vingfield en i433, il est sous la garde du duc
de Suffolk, en 1436 sous celle de sir Reginald Cobham,
puis à la Tour jusqu'en juillet 1440. Nous trouvons
aussi parmi ses geôliers Jean de Cornouailles.
Mais nos renseignements sur les incidents de sa vie
pendant les vingt-cinq ans de sa captivité ne se bor-
nent pas absolument à ces vagues données
III.
La première infortune de Charles d'Orléans, en lui
enlevant son père dans des circonstances aussi tragi-
ques, lui avait fourni la chance de devenir, par la
guerre et la diplomatie, l'un des plus grands hommes
du siècle, et le maître de la France et l'arbitre de la
royauté comme de la féodalité. Le second et le plus
çrand de ses malheurs lui offrit une nouvelle chance
que, cette fois, il ne manqua pas. Il devint réellement
•'im des écrivains de la France, l'un des grands poètes
il Moyen Age. Aussi l'historien bénit-il ces vingt-
cinq années de captivité, là où \p biographe compatis-
ïint pour son héros trouve 'es preuves de tant d'an-
giisses. L'imagination nous aide facilement à deviner
XXVIII PRÉFACE.
)es souflVances que le pauvre et doux prince indique
avec son vague et triste sourire. Dans ces liens sans
cesse renaissants, si l'on peut dire, dans ces niiu'squi
semblaient, comme le laurier enveloppant Dapiiné,
monter lentement, serrement, continûment autour du
prisonnier, il chercha, quand toute espérance de salut
lui tut enlevée, sa consolation dans la poésie. Adieu
les rêves de l'ambition, adieu les brillants voyages,
les belles chasses, les aventures de guerre; adieù les
fêtes galantes, le luxe, le bien-être même ; adieu l'a-
mie et l'ami. Mais la poésie \a rendre tout cela, elle
va changer cette grande tempête de la douleur en
la douce et chaude petite pluie de la mélancolie. .le
sais bien qu'on ne peut ici parler de noir cachot, de
cette porte des antiques prisons qui s'entr'ouvrait
pour laisser entrevoir le beau ciel pendant un ins-
tant et rendre plus horribles encore les murailles de
la prison. Moralement pourtant c'était cela, et ces
etïbrts toujours \ains, ces e-;pjrances de liberté tou-
jours trompées, rendaient bien l'ertét de décourage-
ment et d'atVaissement de cette porte de cachot qui
s'ouvre un instant et se referme encore, et encore, et
to ijours. Bien des traits nous prouvent d'ailleurs qu'il
s'a'zissait pour lui d'une véritable prison. Il avait une
trop grande valeur, et politique et hnancière, pour que
le gouvernement anglais, qui avait déjà les qualités
pratiques qu'il a continué de perfectionner, ne sacri-
tiît pas tout au soin de le garder savemcnt comme le
dit un de ses grMiers. Les lettres du Conseil d'Angle-
terre à ses gardiens, recoin m .indaient une garde sévère.
Nous voyons qu'on ne lui permettait de causer avec
nul étranger sans témoins. Et quand je l'aperçois dans
ces gravures d'un man'iscrit anglaisqui nous le mon-
trent assis d.ins son roide banc, devant sa tabL% écri-
vant et rêvant au milieu de gardes et de soldats, je
remercie la bonne muse de pouvoir lui faire oublier
cette muraille vivante de corps brutaux et de cœurs
ennemis qui ne le quittaient plus. Je le remercie, lui,
d'avoir demandé aux lettres la compensation de tant
de biens perdus. Je comprends comment ce jeune chef
de guerre, ce chevalier actif, ce tendre et hardi servant
du dieu d'amours est devenu cet alourdi vieillard, je
devine comment la religion du dieu Nonchaloir s'est
imposée à lui, et je prépare dans mon esprit, dans
l'espnt de mes lecteurs, j'espère, les excuses dont il
VIE DE CHARLES D ORLEANS. XXIX
aura bientôt besoin. Mais nous en sommes encore au
règne de Cupido et Vénus la déesse.
La poésie domine donc, à nos yeux, cette période
de vingt-cinq années qui s'écoula entre la bataille
d'Azincourt et la délivrance. « Ici finit, nous disent
certains manuscrits, le livre que monseigneur d'Or-
léans écrivit dans sa prison. » C'est ce que j'ai traduit
par Poème de la Prison. Je n'ignore pas que cette
note des manuscrits n'est pas un document irréfutable ;
mais il en faut tenir grand compte. Bien des pièces,
d'ailleurs, qui composent ce poème, portent avec elles
la preuve absolue qu'elles ont été composées entre
141 5 et 1440; pour d'autres, il n'y a qu'une preuve
morale. Mais ont-elles été toutes écrites à cette époque?
je suis porté à ne pas le supposer. Je pense que ce
poème allégorique est un cadre qui aura servi à en-
fermer, à conserver^ à coordonner les pièces compo-
sées jadis, à côté d'autres écrites pendant la prison,
soit pour une nouvelle amie, soit pour compléter l'œu-
vre d'art. Le poème allégorique est généralement une
œuvre de pure imagination. Celui-ci — et c'est ce qui
lui donne un caractère à part — renferme nombre de
ballades qui sont réellement un récit, un envoi, une
oftVande. On comprend qu'elles se rapportent à tel
fait vraiment arrivé, à telle impression ressentie à un
moment précis, et à la suite d'un incident réel. Que
plusieurs de ces pièces aientété faites avant l'an I4i5,
j'en suis très-convaincu. On y trouve l'élan, l'ardeur
primesautière , le vif écho du sentiment, le jet de
l'inspiration, le cri naïf de la plainte ou du désir qui
veulent obtenir les dons d'amour bien plutôt que
plaire à la muse ou à l'amante; et c'est la marque,
non -seulement de la réalité mais aussi de la jeu-
nesse. Le fils qui pleurait son père assassiné, et sa
mère morte de douleur, le vengeur qui poursuivait
sa mission de haine, le capitaine courant sans cesse
aux aventures sanglantes , le chef féodal, empêché
de diplomatie, n'avait sans doute pas grand loisir pour
songer aux rimes et aux gracieuses tendresses. Tou-
tefois, dans ce cerveau si bien disposé pour la poé-
sie, dans ce cœur facilement tenté par l'amour, dame
Vénus et le seigneur Apollo ne durent pas attendre
l'âge mûr pour parler. II nous dit lui-même que
dame Jeunesse, quand elle le prit des mains d'En-
fance, le mena au palais de Cupido, et l'éternel amour,
XXX PRÉFACE.
l'adolescence insouciante pouvaient bien trouver un
coin de terre vert et tieuri dans cette France ravagée
du xv" siècle. Pourtant j'ai dû me dérier de 1 imagina-
tion du critique. Je n'ai pas osé séparer nettement
des autres les morceaux que notre poète avait dû
composer avant son âge de vingt-quatre ans.
J'ai cru pouvoir chercher plus utilement à qui ces
rimes amoureuses, et toutes celles qu'il y a jointes
dans son poème, avaient pu être adressées. Quelle est
<:ette Beauté qui l'entraîne, qui le retient ilans les
liens du dieu Amour r Les précédents biographes y
voient tantôt une femme réelle dont Beauté eût été le
surnom, tantôt Bonne d'Armagnac, sa seconde femme,
tantôt la France. Le texte et le détail des vers, les ha-
bitudes du poème allégorique, le genre d'esprit de l'au-
teur ne se prêtaient aisément à aucune de ces hypo-
thèses. Il ne faut pas oublier que c'est un poème que
Charles a voulu composer, c'est-à-dire une œuvre pa-
tiemment élaborée, c'est un poème allégorique, c'e^t-
à-dire — cela paraît clair — une allégorie. Il veut
raconter comment il fut amoureux depuis sa jeunesse
jusqu'à ce moment de son âge mûr où il est obligé,
par l'approche de Vieillesse, de se despartir du dieu
Cupido. Ce n'est donc pas un amour qu'il a chanté,
mais toute sa vie amoureuse ; et Beauté ce n'est pas
telle femme, c'est la femme, la femme belle, la fenmie
qu'on aime, c'est le symbole, l'allégorie — il faut y
insister — de tous ces cœurs féminins qui se sont don-
nés à lui. Seulement, ainsi que je le disais plus haut,
il a, avec un sens parfait de la vraie poésie, inséré
dans ce cadre, incrusté dans cette charpente les piè-
ces qu'il avait offertes à telle ou telle personne, en
choisissant ces morceaux selon qu'ils convenaient aux
unes ou aux autres des parties logiques de son œuvre.
Il a ainsi communiqué à son labeur artistique une vie
plus intense, en précisant des états de sentiment, des
faits de passion, des événements de la vie journalière
ou historique mêlés à ses mémoires galants. Rien ne
prouve que telle ballade, telle chanson, extraite de ce
journal d'amour, n'ait pas été adressée à sa première
femme Isabelle, à sa seconde femme Bonne; mais que
telle autre ait été écrite pour Marie de Berry, par
exemple, ou pour quelqu'une desdamoiselles de l'hô-
tel de la reine, je n'y voudrais contredire.
Ce ne fut pas dès 141 5, ni vraisemblablement dans
VIE DE CHARLES D ORLEANS. XXXI
les premières années, que sa captivité put avoir une
ardeur poitique suffisante po ir fournir et 1 idée et les
éléments de l'œuvre et cette quantité de chansons, de
rondeaux. La blessure, les vives angoisses, les in-
quiétudes patriotiques et ambitieuses, la brusquerie
du changement, l'irritation plus vive contre la nou-
veauté de l'esclavage et l'espoir de la liberté plus tié-_
vreuse, ne semblent pas permettre la réflexion néces-
saire à l'art. Mais à part ces premiers mois, ou ces
premiers ans, la Muse, la Muse amoureuse, conso-
lante et rêveuse devint sa compagne d'exil II ne faut
pas l'oublier. Si le manuscrit du Roi — que j'indi-
quais plus haut — nous montre le prisonnier ici, à
la fenêtre de sa prison, regardant venir le messager
porteur des nouvelles d'espérance, là, dans son estude
ou son retrait, éternellement escorté de sa troupe de
gardiens ennemis, l'imagination doit nous faire voir,
à côté de tous les événements que sa biographie va
nous fournir, une garde aussi fidèle et plusaouce, qui
est la Poésie, et un messager plus consolant encore. 11
venait auprès de lui par les fenêtres de sa geôle, et c'était
le regard que lui envoyait le ciel clair et l'horizon ver-
dissant. Ce fut là, nous le répétons, le bénétice de sa pri-
son. S'il eût continué la vie commencée, il fût devenu
peut-être un capitaine comme Dunois, un diplomate
rusé comme La Trémoille, mais au milieu des ri-
gueurs et des distractions d'une telle existence, au
milieu des amours faciles, au milieu des grandes et
cruelles chevauchées, le poète sensible, souriant et
touchant, qu'eùt-il pu devenir? Il lui a fallu cette so-
litude, les tristesses de l'espérance toujours trompée
et cette nécessité de rentrer en soi-même, il lui a fallu
aussi la difficulté, désormais grande, de jouir de l'es-
pace, de l'air et des champs pour enfoncer dans son
âme, comme dans son cerveau, l'image, le souvenir,
la douceur des belles amours et des libres perspecti-
ves. Aussi gagna-t-il la triple qualité de son génie :1e
sentiment intense de la nature, le mouvement pro-
fond et sincère de la sensibilité cordiale, et la légè-
reté souriante du philosophe résigné.
Je suis forcé de prier les lecteurs de rechercher dans
l'ensemble des poésies ci-après publiées la trace des
consolations que la Muse put lui fournir Ils y trou-
veront aussi l'indication de quelques incidents inti-
mes ou politiques, des échanges d'amitié ou de ten-
XX XII l'REKACli.
liressc, qvii aidcrcnt le travail du rêve et Je rinleliigence
à faire triompher la résignation dans lame du pri-
sonnier. Mais c'est à leur imagination surtout que je
fais appel pour deviner les distractions que la vie jour-
nalièrelui apportait par l'intermédiaire soit de sescom-
pagnons de captivité, soit tie la famille de ses geôliers,
soit des visiteurs anglais. Nous voyons qu'il se mit de
grand cœur à apprendre la langue anglaise. On a
peut-être exagéré la connaissance qu'il en eut, et les
critiques anglais croient pouvoir assurer que parmi les
nombreuses pièces, ou traduites, ou originales c^u'on
lui attribue, trois seules, et des plus lourdes, sont de
lui.
En dehors de ces distractions que la poésie, le tra-
vail et les hasards de la captivité lui apportaient, les
espérances de liberté, les visites trcs-surveillées de ses
serviteurs français, les lettres qu'on lui permettait d'é-
erre, le mouvement de cette illustre colonie française
que la captivité avait formée en Angleterre, les nou-
velles châtrées, révisées et arrangées qu'on lui laissait
parvenir, et plus tard l'activité diplomatique où le
gouvernement anglais aux abois le poussa, consti-
tuaient la vie du prisonnier.
De ces espérances de liberté toujours vaines, l'em-
pereur Sigismond lui apporta la première en 1416.
Eli. -s durent recevoir un grar.d coup quand, après la
mort de Henri \', en 1422, il avait appris que ce grand
et habilj roi, a s-on lit de mort, avait par-dessus lout
recommandé qu'i n nedélivr.'tt pas son beau cousin d'Ûr-
léan;. Ce passage du testament politique d'un homme
d'E at de cette trempe mériterait d'être approfondi et
analyse. Nous indiquons seulement la principale rai-
son de cette recommandation. Il s'agis*ait surtout
d'enlever à une partie de la féodalité française son
chef, à cette partie de l'armée française qui était jus-
tement l'armée du Dauphin, son général. Quelque
soin que Guillaume Cousinot; le représentant diplo-
matique et administratif de Charles, quelque zèle que
ses représentants militaires, Galuet, puis le comte de
Vertus, puis Dunois, aient pu mettre dans le gouver-
nement de ses seigneuries, l'apanage d'Orléans n'en
était pas moins féodalemerit dans l'apparence et la si-
tuation d'un orphelin. Monstrelet, qui paraît connaître
à fond l'esprit pratique des Anglais, ajoute que le duc
eût été délivré bien plus tôt s'il n'avait pas fait venir
VIE DE CHARLES D ORLEANS. WXIII
chaque année, en Angleterre, beaucoup d argent dont
le roi, les conseillers, les geôliers, leurs yens et leurs
fournisseurs s'enrichissaient.
Plus tard, l'espérance put renaître, non pas seule-
ment quand il vit qu'on délivrait (en 1427, pour
200,000 saluts d'or) le duc d'Alençon, grand chef
féodal, lui aussi, qui avait été pris à Verneuil, mais
Gaucourt (1428, pour 12,000 livres), puis le comte
d'Eu, qui avaient été désignés, comme lui, parmi les
prisonniers à garder jusqu'à la majorité d'Henri VI.
Puis il pouvait deviner que dans chaque bataille ses
amis songeaient à lui et cherchaient à faire des pri-
sonniers qui pussent s'échanger contre lui, et ce fut,
après la bataille de Beaugé, no'tamment, une des préoc-
cupations du fidèle Cousinot et des ministres de
Charles VII.
Mais s'il perdait momentanément l'espérance pour
lui-même, il la conservait toujours pour son frère
Jean d'Angouléme. Rymer et nos Archives nationales
renferment plusieurs pilces se rapportant à ces efforts
(K 64, etc., etc.). Nous avons aussi l'état des sommes
qu'il lui donna de 1413 à 1436. Elles pourraient ser-
vir de point de comparaison — toute différence gardée
entre l'aîné et le cadet — pour nous aider à deviner le
chiffre des propres dépenses de Charles. Disons seule-
ment qu'en 141 5, par exemple, l'année même de la
captivité du donataire, Jean reçut de son frère : en fé-
vrier, 200 livres, en avril, d'abord, 4,820 livres, puis
2,125 ; en juin, ci8o livres et en un autre payement,
3,562; en septembre, 2,000. Il subvenait à ces dépen-
ses, aux siennes, aux avances qu'il faisait aux autres
prisonniers, grâce aux soins de son conseil insti-
tué à Blois. Il avait songé dès le 29 novembre 1415 à
faire des économies, et il avait cassé aux gages ses
serviteurs et officiers. Non pas tous, sans doute,
car nous en voyons venir un grand nombre en An-
gleterre. Rymer a conservé beaucoup d'actes — j'en
compte vingt jusqu'en 1433 — qui, dès le 27 novem-
bre 141 5, parlent du prisonnier, des serviteurs qui
le vinrent visiter, des eU'orts qu'il fit pour se libérer
et de maint détail personnel, qui permettent à l'his-
torien de reconstituer son existence d'alors et celle
de ses compagnons d'exil. Citons quelques brefs traits.
C'est le I" juin 1417 qu'on le traiispoi-e de Wind-
sor au château de Pou ntfrect , sous la garde de
CHARLES d'o (!.ÉAN3. 1. C
XXXIV PRÉFACE.
Robert Watterton qui doit le remettre au vicomte de
Bedtort. Nous devinons que par ce redoublement de
rigueur on veut punir le prince qui vient de refuser
fort dédaigneusement de reconnaître le roi d'Angle-
terre pour suzerain, ce qui était, dès lors, la condition
de sa délivrance. C'est à cette date qu'il faut rapporter
le bruit qui indignait le Religieux de Saint-Denis et
qui montrait le prince d'Orléans relégué à l'extrémité
de l'Angleterre et humilié par une lâche et sournoise
recherclie d'insolence : il était obligé de se contenter
d'un seul serviteur français, quand les nombreux An-
glais qu'il était forcé de rencontrer l'écrasaient de leur
luxe, tn 1419 on recommande un redoublement de
surveillance, la fuite du duc, dans les circonstances
actuelles, serait du plus grand préjudice. En 1423, la
garde est confiée à Thomas Combworth, qui reçoit,
pour l'entretien du prisonnier, 20 sous par jour. En
1432, c'est Jean Cornewaille, seigneur de Fanhope, qui
est son gardien. Un an après, ce seigneur se fait don-
ner par le prince une reconnaissance de 2,000 ccus.
Puis vient, de 1433 à 1440, la série des actes concer-
nant les longs préliminaires de la délivrance. N'ou-
blions pas pourtant que le duc de Suftblk avait ofl'ert
lin rabais sur le prix de l'entretien du prisonnier et
qu'on l'en avait chargé pour 14 sous 4 deniers par
jour.
Nous ne relevons pas les noms de tous les visiteurs
qui lui venaient de France. Que lui apprenaient-ils.
et qu'avaient-ils le droit de lui apprendre et quelle
étrange histoire de France ils devaient s'engager à lui
narrer.' Les événements de famille, laca|Uurede son
frère, le bâtard d'Orléans(i4i8), la mort de son frère,
le comte de Vertus (1420), le mariage de Marguerite
sa sœur, avec Richard de Bretagne — mariage dont il
ne fut pas content, dit Cousinot — les fiançailles et le
mariage de sa fille Jeanne avec le duc d'Alençon
(1421-1424) et autres incidents de cette sorte purent
sans doute lui être connus assez promptement. On
peut supposer aussi qu'il prenait intérêt aux voyages
que faisaient ses belles tapisseries et courtines em-
pruntées pour les noces et relevailles des princes-
ses royales de France. Quand nous le voyons, d'un
zèle qui touche notre cœur d'érudit, lutter avec son
recueillera les livres de la
s V, pillés par Bedfort et
I^cie qui toucne notre cceur
frère d'Angoulême à qui i
bibliothèque du roi Charle
VIE DE CHAULES D OIU. EANi. XXXV
vendus par lui aux marchands de Londres, nous de-
vons croire aussi qu'il se préoccupait de cette bibliothè-
que, de ce riche mobilier rassemblésau château de Blois
par son père. Ce lut, sans doute, par ses ordres spé-
ciaux qu'en 1427, on dressa le catalogue — que nous
avons encore — de cette bibliothèque, et qu'on la
transporta liors du voisinage des Anglais, de Blois à
Saumur. '
Mais comment lui furent racont'es cette vaillante
épopée du siige d'Orléans, et cette miraculeuse Iliade
de Jeanne d'Arc r
Pourtant parmi les traits touchants de ce cœur hé-
roïque de Jeanne, qui représente, au milieu d'une lu-
mière surnaturelle, la plus noble, la plus clairvoyante
partie du cœur de la France, je trouve sa tendresse
naïve pour le pauvre duc d'Orléans. Au fond c'était
son parti qui défendait la nationalité française, et
Jeanne avait pitié de sa ville comme de la patrie, et
elle s'était attachée à lui comme au gentil Dauphin.
C'est à lui qu'elle songeait en faisant des prisonniers,
lui qu'elle voulait aller bravement délivrer après avoir
délivré la France. Elle le délivra réellement. Non-seu-
lement elle écrasa la puissance anglaise, mais il ne
paraît pas douteux que ses prédictions excitèrent le
zèle de celle qui fut surtout sa libératrice, je veux dire
la duchesse de Bourgogne.
Le siège d'Orléans lui porta de toute façon bonheur.
En 1427, il avait fait, avec le gouvernement anglais,
un traité qui donnait à ses terres protection et exemp-
tion de guerre. Les Anglais l'oublièrent quand '^tirlii..,
intérêt leur montra les inconvénients de cette pro- \\"
messe. Nouspouvons nous rendrediihcilement compte
de l'horreur que souleva ce procédé, non parce qu'il
violait ertrontément un traité — chose vulgaire —
mais parce qu'il affrontait audacieusement i'opinior.
publique. La chevalerie avait tendu à protéger à titre
d\rphelin la terre prisée de son seigneur vaillamment
tombé dans la bataille. .-Xussi ce fut un cri général
quand on apprit le siège d'Orléans, cri dont l'écho
nous est précieusement conservé, dans toutes les Chro-
niques. On peut même conclure des paroles du pape
Pie II que ce fut un des traits qui dévoilèrent le
mieux, aux yeux de la chrétienté, le caractère inso-
lemment et vilainement brutal de la politique an-
glaise. Le principe des nationalités n'était pas encore
XXXVI PREFACE.
entré dans la diplomatie euroix'enne ; la royauté
n'avait pas encore t'ait prévaloir l'iticc de patrie telle
qu'elle existe aujourd'hui; la patrie, sous la léoda-
lité, était à la fois plus t;énérale et plus restreinte,
elle ne visait pas directement la France, mais la chré
tienté et la municipalité. Toutetois l'opinion publi-
que avait adopté certains instincts d'une haute gé-
nérositi chevaleresque, et, nous ic répétons, elle ne
permettait pas d'attaquer les forteresses de l'homme
qu'on tenait en capti\ité.
C'est en 14S2, que la sympathie éveillée par Jeanne
d'Arc et la politique de la duchesse de Bourt^ogne
commencèrent à faire entrevoir à Charles de nou-
velles chances de salut. Rymer, dom Plancher, danâ
son histoire de Bourgogne, Monstrelel, (Hiartier, les
chroniqueurs de Charles Vil, les poésies du duc lui-
même, nos archives nous renseignent sur les in-
certitudes de ces huit années, où le pauvre prince fut
le jouet de la politique anglaise et où il laissa trop
voir combien la captivité avait obscurci son jugement
et brisé son âme. C'est dans cet intervalle, en ellet,
qu'oublieux des hères résolutions d'autrefois, il fit,
pour le dire en deux mots, soumission au roi d'An-
gleterre et cela sans réserve. Je n'ai pas mission de
l'en excuser, j'écris son histoire, non son apologie;
je fais la biographie non pas d'un héros, mais d'un
pojte, et j'ai tout droit de le blâmer bien que j'aie en-
trepris d'esquisser sa vie et de publier ses rimes. Mais
si cet abaissement, ou cette erreur, peuvent difficile-
ment s'excuser, ils s'expliquent fort bien. Il faut lire
dans le tome IV de l'histoire de Bourgogne, de dom
Plancher, le très-curieux récit des relations que les
ambassadeurs de Bourgogne ont, en 141^3, avec le
duc d'Orléans. On ne veut le laisser communiquer
avec personne; il tient ses renseignements politiques
uniquement des Anglais; on surveille jusqu'à ses
moindres gestes, il ne peut écrire, sans une permis-
sion qui lui est ordinairement refusée. Le prince ajoute
qu'il est désespéré de passer sa vie dans les fers, que
tout le monde l'abandonne. Il ignore que les négo-
ciateurs français font de sa liberté une des conditions
du traité de paix; il se rappelle seulement cet acte
du 4 juin 1402 où Charles VI s'engage à payer la ran-
çon des tils de son frère, au cas où ils seraient prison-
niers. Enfin, il dit expressément qu'il veut se procurer
VIE DE CHARLES D ORLEANS. XXXVH
la libcrtî à toute force. C'est dans ce désespoir, dans
les conséquences intellectuelles et morales d'une telle
situation, d.ms ces vingt-cinq années d'une telle ser-
vitude qu'on trouve l'explication de l'acte humiliant
et inutile de 143IÎ. Il ignorait le véritable ctat des
allai rci dj France. De plus la loi Salique, on le sait
maintenant, n'avait pas alors cette grande autorité
qu'elle acquit par la suite. La légitimité de Cliar-
iss \ U avait été fortement mise en question. Henri VI
d'.Angl.tjrre, petit-lils de Charles VI, reconnu comme
hjrit.er de la couronne de France par un consentement
dont on avait dû exagérer la généralité, et par une as-
sem'olée que les Anglais aimaient à faire passer pour
les Etats généraux, avait des apparences de roi de
France tout autant que d'Angleterre. Ces usages,
ces lois, ces préjugés de la fjoj.ilitj auxquels l'ai'fait
mainte lois allusion, ne donnaient pas à Charles sur
le patriotisme les idées que nous avons aujourd'hui.
Ces raisons me portent à croire que ses contempo-
rains, me Heurs juges de la situation historique, ne le
jugèrent pas aussi sévèrement que nous avons le droit
de le faire au nom de la morale.
Nous pourrions donner ici la liste des demandes que
Jean Hardouin lui apporta à Londres, au nom de ses
sujets, aux Pâques de 1437; ce nous serait un spéci-
men des aflaires courantes qu'il avait à traiter pen-
dant sa captivité, en dehors des grandes questions
de politique générale. Mais j'ai hâte d'arriver à ce
douzième jour de novembre où il se trouve à Grave-
Hnes et absolument libre. Il l'était en fait depuis le
3 du même mois. Mais ce 12, il avait encore à prêter
un millième et dernier serment de reconnaissance et
de tendresse au roi d'Angleterre.
IV.
Je voudrais pouvoir donner le texte de la conven-
tion écrite en latin le 2 juillet 1440 à Windsor. J'y
rencontre une ampleur de style, une aisance de dignité,
une sincérité de tristesse et un développement de sen-
timents personnels qui me font attribuer ce document
à Charles lui même. Après avoir déploré l'état de
XXXVIII F1EFACE.
misère où il est rcdiiit et qui l'empêche de trouver
aisjmcnt la somme qu'il eût si facilement recueillie
au djbut de sa captivité, il s engage à donner immé-
dia.emcnt 80,000 saluts d'or — ciont deux valent un
noble anglais. — 11 fournira dans les six mois 120,000
autres écusd'or pour le payement desquels s'engagent
le Oaupnin, le duc de Bretagne, le duc d'Alençon, le
comte de V endome, etc.; plus 20, "oo autres écusd'or;
s'engageant à ne se considérer comme djtinitivement
djlivrj que dans un an, à ne pas prendre avant ce
temps les armj.i contre le roi d'Angleterre, à venir
reprendre sa prison s'il ne peut compIJiement payer.
11 avait dû surtout sa di.ivrance au iluc de Bourgo-
gne et à ces vue; politiques qui préparaient le der-
nier combat de la féodalité contre la royauté. Les
grands vassaux voulaient être au complet, et la diplo-
matie anglaise continuait, en le relâchant, la politique
aui l'avait engag je à le garder jusqu'alors. Dans les
eux cas elL- \oulait alhxiblir la France, hier en lui en-
levant un clJment de lorce, un prince du sang; au-
jouiM'iiui en lui envoyant un nouvel élément de dis-
corde, un ch.t fjodal. Il nous faut ici encore renvoyer
nos lecteurs aux chroniqueurs de Charles \'1I, aux
hi uoires gjnirales. Notre duc, aprJs avoir été soustrait
au mouvement gjniral de la ci\ilisation française,
pendant ces vingt-cinq ans passés dans la demi-mort
de l'exil, et dans cette oo.îcurité des préjugis étran-
ger , revenait en France avec les idjes de l'an 1415.
Il se croyait encore au tenps de Ciirles 'VI et de la
puissance absolue des princes-du sang, il de\*int l'ins-
trument de la politique bourguignonne, comme il avait
été le jouet de la diplomatie anglaise, jusqu'à ce que
l'âge é'eignant les derni'.res ardeurs cie cette ambi^
tion renouvelle, son inte.ligence et sa bonté naturelles
vinrent en aide à son insouciance, à ses habitudes de
loisirs poétiques et de labeur 'philosophique, et don-
nèrent gain de cause à la diplomatie de Charles VII
et aux conseils du véritable patriotisme.
La vieillesse venait d'ailleurs; il avait quarante-neuf
ans quand il sortit de prison, i^ès l'âge de quarante-
) trois ans, il se plaint de ses infirmités, et en iqSy,
il annonçait solennel ement qu'il quittait le Dieu
Amours. On n'attendait pas toujours si tard, et son lu-
tur secrétaire, Antoine Astezan,dJclare, à l'âge de trente
I ans, qu'il devient trop grave pour rester amoureux.
VIE DE CHARLES D ORLEANS XXXIX
Cet âge, cette gravité, l'estime compatissante et la vé-
nération entourant un prince qui avait tant souffert
pour la France; le grand rôle que lui, son nom,
son drapeau, son parti avaient dans les chroniques,
son intelligence, son état de prince du sang lui gar-
dèrent une situation très-haute et très imposante.
Nous ne le voyons mêlé et en première ligne aux plus
grandes atl'aires. iMais, je le ripèie, je me borne a si-
gnaler les traits les plus personnels, ou les moins
connus.
Il avait été délivré le 3 novembre 1440 — avec la
réserve que j'ai indiquée. — • I^a politique bourgui-
gnonne avait tant de hâte de l'attacher décidément à
e.le, que le G il est tiancj à Marie de Clèves, fille de
Marie de Bourgogne et nièce de Philippe de Bourgogne.
Le contrat de mariage est rei;u le G novembre par Jean
Pocholle, bourgeois de Montreuil, garde des sceaux
du bailliage d'Amiens, en la ville de Montreuil. Marie
apporta 100,000 saluts d'or en dot. Le mariage est
célébré !e 18 à Saint-Omer. Les nouveaux épou.^ sui-
vent Philippe en Flandre jusqu'à Gand où on se sé-
pare après des tendresses infinies. Charles reçoit la
Toison d'or, et donne à son bel-oncle l'ordre du Ca-
mail. Maipre don d'ailleurs que Charles prodiguait et
continua de prodiguer comme nous le montrent les
plaintes de Alonstrelet et les comptes de la maison de
Valois. — le ne ;iuis me retenir de citer, parmi les
personnares qui le reçurent, la femme de Poton de
Xaintrailles.
C'est au :. cmeit de ce troisième mariage qu'il m'est
le moins dilii^i.c d'esquisser le portrait de mon héros.
Un manuscrit (traduction de la Passion, Bib. Natio-
nale, 968,) nous donne deux portraits qu'on croit être
le sien et celui de Marie de Clèves. Malheureusement
les couleurs en sont fort ternies. Il reste une ligure
maigre, sèche, une grande bouche, un nez fin, une phy-
sionomie austère. .Marie de Clèves nous présente une
figure longue, grave, blanche, peu attrayante. Dans
l'Armoriai manuscrit du Héraut Beny nous avons un
autre portrait de lui un peu plus jeune. Mais c'est
bien L même tvpe, cou long, figure maigro à l'air
naif et timide, d'une vulgarité presque champêtre, nez
fin Lglrement retroussé!^ cheveux châtains, teint fort
coloré. Il est là presque le seul de tous ces personna-
ges peintsdont le visage ne soit pas arrondi. La statue
XL PREFACE.
couchée sur son tombeau donne seule une idée noble
I de son type : le profil ist d'une grande régularité et
finesse, d'une grande délicatesse et douceur, le ne^; sur-
I tout légèrement aquilin est d'un dessin très-hn.
On m'excusera de ne pas m'étendre sur les félicités
domestiques de notre poète. Si nous en croyons le
très-curieux roman historique que Georges Cliasiellian
publia ^o■JS le nom de (".iironique de Jacques de La
Lain, la tendresse de Madame ne fut pas extrêm.- pour
Monseignieur. Mais il faut lire cette chronique, ici un
peu scandaleuse, en songeant aux partis pris, aux pré-
jugés et aux innocents devoirs de la galanterie pojti-
que et chevaleresque du temps.
Le 18 décembre i jqo, Charles est à Bruges, comme
nous l'indique un traité qu'il signe là avec le duc de
Bourgogne; et sur le contre-sceau dudit traité se trouve
la devise ma contente ou m'a contenté, que notre duc
paraît avoir adoptée à cette époque en signe de joie,
sans doute, de sa libération.
Le 14 janvier il vint à Paris avec sa nouvelle épouse.
Les Parisiens le reçurent à merveille. Au bout de huit
jours, selon le Bourgeois de Paris, il retourna dans
son pays d'Orléanais. Charles VU, le voyant entouré
d'une sorte d'armée de gentilshommes bourguignons,
qui s'étaient attachés à lui pour les raisons qu'^ numère
Monstrelet avec sa finesse ordinaire, lui avait fait savoir
qu'il le recevrait plus tard en moins grande compagnie.
Le roi, d'ailleurs, surveillait le uéveloppement du
grand mouvement féodal qui éclata en 1442, et il était
mécontent de voir le duc d'Orléans se faire si aisément
l'agent de la politique bourguignonne. Celui-ci crut
bon de bouder et il passa les années suivantes à goûter,
en voyageant, la joie de revoir cette France pendant si
longtemps perdue et à servir d'instrument à ces intri-
gues auxquelles justement il devait ce long exil. Les 16
et 17 avril, il est encore à Blois. 11 va à Tours. En août
et juillet, il parcourt le Perche et la Bretagne. Nous
avons ses étapes et ses dépenses pendant ce voyage en
Bretagne, qu'il renouvela en 1442 et 1445. En octobre,
il revient à Paris, " pour prendre une beschée sur la
povre ville » et regagne la Bourgogne. Il était à Hes-
din à la Toussaint. Cette beschée, )e ne sais pas bien
ce qu'elle lui rapporta. Mais celle qu'il avait prise eri
Bretagne n'avait pas été à dédaigner : le duc breton lui
avait donné 20,000 ccus et lui en avait promis 9,5oo
VIE DE CHARLES D ORLEANS. XLI
autres. En cette année il fait faire hommage au roi des
Romains pour son comté d'Asti. En 1442, il vend
Bcaugency pour sa rançon, à laquelle chacun travaille
de son mieux. Ainsi cette même année, il reçoit, entre
autres, 5 000 francs du pays d'Auvergne et 53o écus de
la ville deSenlis. Il négocie un traité entre le roi d'An-
gleterre et le comte d'Armagnac. Mais la nécessité, le
patriotisme, l'habile politique de Charles VII et peut-
éireia soi-disant tentative d'assassinat de 1441, com-
mencèrent à le ranger à la politique royale. Il vient
trouver le roi à Limoges, comme le représentant des
princes rebelles, et il quitte Limoges comme représen-
tant, auprès des princes, de la diplomatie de Charles \ II.
Il le quittait plus rich:; aussi : il reçut 160,000 li-
vres du roi. qui leva une taille pour l'aider à payer
sa rançon. Les sommes énumérées plus haut faisaient
partie de cet impôt, ainsi que i6,8c)oécus des aides
de Saintonges, 26,200 des aides dû Languedoc, etc.
Tout ne fut pas payé immédiatement ; en 1448 en-
core, il fallait batailler pour les derniers mille écus.
Le roi joignit à ce don une pension de io,ooo livres
tournois, qui fut portée à 18,000, en 1443, au mois de
juin. Il était alors à Cognac avec sa femme et la com-
tesse d'Etampes. Le28 juillet, il est de retour à Orléans.
Il y fait don, à l'un des frères de la Pucelle, de l'Ile aux-
Bœufs, domaine de 200 arpents. L'acte de donation
présente cette curiosité, que le duc n'est pas convaincu
de la mort de Jeanne; il en parle seulement comme
d'une absente.
Active année pour lui que celle de 1444 En fJvrier,
il est à Blois, tout occupé de sa rançon, puis de celle
de son frcre, qui sort enfin de captivitJ pour
210,000 écus d'or. Il est chargé ds traiter de la paix
avec les Anglais. Il reçoit à Blois le duc de Suffolk,
son ancien geôlier, le mène à Tours. Pourtant, les
documents anglais ne nous l'y montrent pas assistant,
le 24 mai, aux fiançailles de Margueritj d'Anjou et du
roi d'Angleterre. Mais entin, aidé du comte de Ven-
dôme, de dern-and de Beauvau et surtout de Pierre de
Brjzc, il conclut la trêve de Tours. Il accompagna le
roi pendant la campagne de Lorraine, 1444-1445; c'est
là, durant les fites de Nancy, que son frère vient le
trouver, durant la solennité des noces de Ferry de
\:\'\ 'emont et d'Yolande de Lorraine. C'est là que
ni. us le montre à plusieurs reprises la Chronique de
XLII PREFACE.
Jacques de LaLain. En cette annexe 1445, il est mêlé
au procès du comte d'Armagnac. En i '46, il se pré-
pare à faire valoir ses droits sur leduclié de Milan et
se ligue avec le roi de Naples. Il est en Flandre, à
Gand, pour la fête de laToison-d'Or. Il gagne la Bour-
gogne où il organise une armt'e qui entre en Italie et
lui gagne assez aisiment son comté d'Asti. La guerre
continue. Charles le vient visiter. Les poésies latines
d'Antoine Aste/Can, qui devint son secrétaire, nous
donnent de nombreux et curieux détails surce voyage.
En janvier 1448, les comptes de sa maison nous mon-
trent que le salaire de ses olliciers pour ce comté était
de 840 livres. Par contre nous voyons, dans les comp-
tes de l'hôtel pour cette même année 1448-41), que si
la recette totale de ses revenus est de 14,887 livres, la
dépense est de 20,97-1. Il n'en continue pas moins ses
voyages. En 1448, il retourne auprls du duc de Bour-
gogne pour activer son zèle en sa faveur. Il est avec
lui à Arniens qui le reçoit avec grande solennité, et
qui déjà, dés 1440, avait donné 1 ,000 saluts d'or pour
sa rançon. Il fait un traité sur ses alfaires italiennes
avec le roi des Romains; et disons immédiatement
qu'en 1450, quoiqu'il eût successivement annuli par
des traités deux des concurrents, le roi des Romains
et le roi de .Naples, le quatrième, François Sforce,
l'emporta décidément. Dès'le inois d'août i44(j, Charles
était de retour à Blois. Il est à Lyon au printemps
de 1430. En 1451, il assiste à Mons aux fêtes de la
Toison-d'Or. En 1452, le 20 mai, il nomme ses pro-
cureurs pour réclamer de l'empereur l'investiture du
comté d'Asti. En juillet 1455, il esta Mehunsur-Yèvre,
auprès de Charles \ II, dans le conseil duquel on agi-
tait fort vivement la question de la succession du
duché de Bretagne. En 1456, dans ce même conseil
du roi, il défend cette idée d'une croisade qui fut tou-
jours chère aux aventureux X'alois. La grande alYaire
de cette partie de sa vie fut le procès de son gendre,
le duc d'Alcnçon, en i45(3-58. Nous avons le discours
par lequel, au lit de justice de Vendôme, il le recom-
mande à l'imiulgence du roi, discours où l'on peut
relever quelques traits intéressants pour sa biogra-
phie, et, d'ailleurs, plein de gravité, de douceur et
d'am|"leuf. Il peut paraître lourd et pédantesque si
an L compare aux lettres de Voltaire, mais il est
très-lin et cl gant pour ceux qui connaissent cette
VIE DE CHARLES D ORLEANS. XLIII
éloquence scolastiquc que la pesante solidité du rai-
sonivjment, le b.-soin d'autorités, et l'escorte obligie
de cette nu Je de philosophes, de poëtes et de saints
rendent si pompeuse, si nette en chacune de ses par-
ties et si écrasante dans son ensemble. En 1460 il n'a
pas oublié le duché de Milan. Il se prépare à la guerre
contre ^force. 11 se ligue avec le duc de Bretagne. La
mort de Charles VII arrête tous ces projets. Jean de
Troyes, .lacques du Clercq, et surtout Georges Chas-
tellain nous indiquent le rôle qu'il joua aux obslques
■du roi, comment il n'assista pas au couronnement de
Louis XI à Kei.n-, la part qu'il prit aux fjtes qui eu-
rent lieu à Paris pour cl-ljbrer ce couronnement et la
gracieuse réception qu'il rit au comte de Charolais a'i
retour de ces tètes En 1462 naquit son his qui d.-vint
Louis XII. Il avait eu en 14.37 un premier entant,
Marie, qui épousa le vicomte de Narbonne, puis Anne,
qui lut abbjsse de Fontevrault.
V.
Malgré les quelques préoccupations que pouvaient
lui donner les alLiires d'It.ilie, les petites persécutions
du nouveau roi Louis XI, qui ha ssait en lui le grand
feudataire, l'ami de Charles Vil, l'espiit d licat et le
cœur sensible, - une lettre de Dunois nous montre
Louis XI à Blois et insistant pour prendre à Charles
son comté d'Asti — malgré les quelques soucis que
lui occasionnait sa ranron non encore payée — si
nous en croyons cette lettre de Dunois — en 1402,
nous pouvons considérer notre prince comme entré
•depuis longtemps d.ja dans le temple de la Fée Non-
chaloir l'insoucian.e philosophi ]ue et la résignation
pieuse), qui fut sa dernière dame et maîtresse. De
toutes les ambitions qu'avait euei pour lui son père,
rien n'était resté. Louis d'Orléans avait pu rêver que
l'entant serait empereur d'Allemagne, roi d'Italie, roi
de France, peut-être. L'enfant devint seulement roi
de poésie, et, après tant de fortunes diverses, il rinit sa
Vic dans ia paix, en prince religieux et lettré. Je re-
giccle vivement de ne pouvoir retracer minutieuse-
niciii Cette existence du grand seigneur chrétien de la
XLIV PREFACE.
fin du Moyen Age. Les états de dépenses de la maison
d'Orléans nous fournissent tous les éléments de ce
curieux travail. Ils nous montrent jusque dans ses
plus intimes détails cette petite cour de Bloi-s, élé-
gante, paisible, brillante, ordonnée, pittoresque, grave
et résonnant de rimes.
Les poésies que nous publions nous ouvrent aussi
quelques-unes des perspectives de cette existence.
Nous voyons dans cet échange de rimes, dans ces jeux
poétiques, le; idées dominantes, les amis de la mai-
son, les personnages qui passent, les serviteurs qui
pensent. Il faudrait creuser un peu et se laisser, trop
peut-être, aller à l'imagination pour donner à tous les
pîojtes qui s'agitent autour du prince une physio-
nomie caractérisée ; mais nous y voyons comme cor-
respondants ou comme compagnons en Apollon, des
poètes, des écrivains qui ont lai se quelque nom,
YLU^n , Reiié^ d'Anjou , Olivier de la Marche, Mes-
chinot, peut-être Georges Chastelain, Robertet, \'ille-
brJme ; puis les princes et grands seigneurs Jeun de
Lorraine, Jean de Bourbon, le grand sénéchal, Jac-
ques de la Trémoille, le cadet d'Albret, Boucicaut,
Jean de Garancières, les .sires de Tignonvilie, de
Torsy, etc. ; enfin, les serviteurs et officiers du prince
et de la princesse, Guiot et Philippe Pot, Boulainvil-
liers, Pierre Chevalier, Blosseville, les deux Caillau,
Gilles des Ormes, Le Voys, Le Goût, Benoit d'Amien,
Faret, l-raigne, Fredet, Cadier, etc. A ces distractions
poétiques se joignait le jeu d'eschecs pour le prince,
dont les partenaires principiaux sont Gilles des Ormes
et Guillaume de Fontenay ; de dames, de marelle, ou de
glic, pour la duchesse, qui joue le^plus souvent avec
Philippe ou Guiot Pot; puis les plaisirs que les fêtes
traduionnelles du Moven Age apportaient, et auxquels
les bateleurs, les musiciens, les danseurs, les ménes-
trels de passage tra\ailiaient ; puis encore venaient les
voyages, les rencontres de princes, qui se rattachaient
parfois à cette partie de la vie, grave et politique, que
nous avons notée plus haut; puis les messages qui
apportent ou envoient les nouvelles, les livres, les
joyaux; cntin les promenades champêtres, les exer-
cices de piété, les occupations administratives de ces
immenses domaines, les aumônes, les dons. Oui, c'est
bien là l'existence de Charles d'Orléans telle que nous
la montrent les comptes de sa maison.
VIE DE CHARLES D ORLEANS. XLV
J'ose à peine citer quelques-unes des notes que j'y
ai prises, tant je crains de ne savoir me borner. Je ne
puis pourtant rcsistcr à indiquer ces cadeaux du )Our
de l'an 14G3, aux enfants de chœur de Saint-Sauveur
de Blois, pour festoyer l'évcque qu'ils ont nomm j le
jour des Innocents ; à l'évêque des Fous, pour se ré-
galer; aux ménestrels de Blois qui viennent jouer;
aux pages pour régaler le Roi qu'ils nomment le jour
des Rois, etc., etc. Disons encore que les gages ordi-
naires de toute la maison pour le mois de mai 1430,
qui me parait représenter une moyenne, sont de 855 li-
vres i5 sous tournois; les dépenses de la maison,
personnelles au duc et à la duchesse, les dons,
messages et voyages, au mo;s ùe février 1457, par
exemple, sont de qoo livres i sol 3 deniers; en avril
1456, 601 livres 8 s. 6 d.; en novembre 1459, 786 li-
vres 2 sols I denier; en voyage pour le duc avec vingt
quatre chevaux, la duchesse avec douze, pour tel sei-
gneur ou dame de sa noitrrit.ire, on de sa société,
comme M'"' d'Estampes ou le sire de Beaujeu, et une
suite nombreuse, on dépense 12 livres par jour; en
juillet 145g le duc reçoit de son argentier, pour argent
de poche, 10 livres 20 sous et la duchesse i 10 sous
tournois.
Je ne veux pas oublier cette habitude si caractéristi-
que et que nous indique un contemporain, Jacques
du Clercq : « Il fut de belle et honneste vie (il s'agit
de notre prince), et servit fort bien Dieu et ne feit
oncques puis chose que bon prince ne debvoit faire.
Toutes les semaines, le jour de vendredy, donnoit à
treize pauvres à disner et les servoit luy mesme et
après leur lavoit les pieds comme Nostre Seigneur
Jésus Christ feit à ses apostres. Il mourut comme
bon chrestien. » Il était devenu infirme, non pas de
cette infirmité un peu coquette dont ses vers nous en
treticnnent depuis l'année 1437, mais l'âge lui pesai
fort; il dit en 1463 qu'il ne pouvait plus écrire, plus
même signer. Il se rendit pourtant à Tours, à cette
assembLe de princes et seigneurs que Louis XI avait
réunis vers le milieu de décembre 14Ô4. Charles d'Or-
léans voulut prendre la défense du duc de Bretagne
accusé par le roi. Mais, dit le bon Claude de Seyssel,
Louis XI " le contemna de paroles sans avoir regard
à la majesté de sa vieillesse ni à sa loyauté. Dont, de
■>.vt»^f. qu'il en eut, et autrement pour débilité de sa
il
XLVl PRÉFACE.
personne, il finit sa vie dedans deux jours. » Il mou-
rut le 4 janvier i4(33, à Ainboise, quelques-uns '.li-
sent à (^hàlcllerault. Les comptes nous iiuliqucni avec
quelle hâte on avait cherché à Orléans son m de^in,
— que nous trouverons rimant dans ce recueil de ron-
deaux — maistre Jehan Caillau. Ils nous montrent
encore comment l'on dJpensa 'i,bb-] livres 2 sous G ile-
niers tournois pour le deuil, et comment Louis XI
laissa à sa veuve 12,000 livres de pension.
Nous avons expliqué au début de cette esquisse bio-
graphique quelle fortune subit sa renommée. Nous
indiquerons dans nos notes quelques pièces de lui
dont ses contemporains enrichirent leurs propres œu-
vres. L'abbi Sellier, frappé de la irbertj t'rançoise, de
l'heureuse f'acilitj, de la retenue et de la décence rela-
tive de ses vers, commença sa r surrection au xvm' siè-
cle. Depuis lors il a pris dans notre histoire littéraire
une place supérieure que plusieurs critiques vigoureu-
ses, violentes même, ne lui ont pas enlevée. La plupart
des historiens ont été frappés en effet de cette qualité
qu'il a et que j'ai essayé de résumer en disant que
c'est un des classiques du Moyen Age : il n'appartient
à aucune école, il est uniquement de l'école française.
Ces deux volumes fourniront les éléments du procès.
Les lecteurs, en pardonnant la monotonie inhérente
à ce genre de poésie intime, comprendront tout ce
qu'il y a de véritable élégance et de charmante finesse
dans cette simplicité qui ne saurait lutter avec la puis-
sante grossièreté de Villon, et qui demande une grande
culture intellectuelle pour être bien goûtée, mais qui
ne ressemble en rien à la banalité des polisseurs de
rimes du xvia' et du xix» siècles.
Il faut juger Charles d'Orléans comme un poète mé-
ridional. Il possède les qualités de la langue d'oc plu-
tôt que de la langue du Nord. Il en a les défauts aussi.
Je voudrais dire en terminant que c'est un troubadour
qui a abandonné la langue provençale. Il a de la lit-
térature du midi la monotonie, l'étroitesse de l'idée,
l'absence de conception, mais la grâce, la politesse, la
mesure, la perfection de la forme et, à défaut de l'ar-
deur qu'il ne montre guère, une exquise sensibilité.
Moralement, politiquement, historiquement, nous
l'avons jugé aussi impartialement que possible. Mais
je crois que malgré ses fautes et ses faiblesses, il esv
difficile de vivre auprès de lui quelque temps, comnac
VIE DE CHARLES D ORLEANS. XLVIÎ
nous l'avons fait, sans se sentir pris de tendresse
pour ce prince doux, généreux, sincirre et sage, ai-
mant les lettres et les arts, avec cette vive et intel-
ligente passion dont Mécène est resté le type, aimant
les pauvres, ses serviteurs et ses amis, avec une cha-
rité, une fine bonhomie et une loyauté parfaite. Enfin
nous pouvons surtout lui savoir gré et d'être un des
pires de Tesj^rit français et l'un des maîtres de la
tangue française.
C. D'HERICAULT.
POÉSIES FRANÇAISES
CHARLES D'ORLEANS
LE POÈME DE LA PRISON.
Ou temps passé, quant Nature me fist
En ce monde venir, elle me mist
Premièrement tout en la gouvernance
D'une Dame qu'on appelloit Enfance,
En lui faisant estroit commandement
De me nourrir et garder tendrement.
Sans point souffrir Soing ou Merencolie
Aucunement me tenir compaign'e;
Dont elle tist loyaument son devoir.
Remercier l'en doy, pour dire voir.
En cest estât, par un temps me nourry;
Et après ce, quant je fu enforcv.
Un messagier, qui Aage s'appella.
Une lettre de créance bailla
A Enfance, de par Dame Nature,
CHARLES d'0RLÉ.*NS I. '
a CHARLES D ORLEANS.
Et si lui dist que plus la nourriture
De moy n'auroit et que Dame Jeunesse
Me nourriroit et seroit m;i maisrresse.
Ainsi du tout Enfance delaissay
Et avecques Jeunesse m'en alay.
Quant Jeunesse me tint en sa maison,
Un peu avant la nouvelle saison,
En ma chambre s'en vint un bien matin
Et m'esveilla, le jour saint Valentin,
En me di-^ant : « Tu dors trop longuement,
Esveille toy et aprestes brietment.
Car je te veuil avecques moy mener
Vers un seigneur dont te fault acointer,
Lequel me tient sa servante treschière.
11 nous fera, sans faillir, bonne chière. »
Je respondy : « Maistresse gracieuse,
De lye cœur et voulenté joyeuse
Vostre vouloir suy content d'acom'plir.
Mais humblement je vous veuil requérir
Qu'il vous plaise le nom de moy nommer
De ce seigneur dont je vous oy parler.
Car s'ainsi est que sienne vous tenés,
Sien estre veuil, se le me commandés.
Et en tous faiz vous savez que désire
Vous ensuir, sans en riens contredire.
— Puis qu'ainsy est, dist elle, mon enfant,
Que de savoir son nom desirez tant.
Sachiez de vray que c'est le Dieu d'Amours
Que j'ai servy et serviray tousjours,
Car de pieçà suy de sa retenue,
Et de ses gens et de lui bien congneue.
Oncques ne vis maison, jour de ta vie,
De plaisans gens si largement remplie;
Je te feray avoir d'eulx accointance,
Là trouverons de tous biens hahondance. »
-"POEME UE LA PRISON.
Du Dieu d'Amours quant parler je l'oy,
Aucunement me trouvay esbahy ;
Pource lui dis: « Maistresse, je vous prie
Pour le présent que je n'y voise mie,
Car j'ay oy à plusieurs raconter
Les maulx qu'Amour leur a fait endurer.
En son dangier bouter ne m'oseroye,
Car ses tourmens endurer ne pourroye :
Trop jeune suy pour porter si grant fais.
Il vault trop mieulx que je me tiengne en pais.
^ — Fy, dist elle, par Dieu tu ne vaulx riens ,
Tu ne congnois l'onneur et les grans biens
Que peus avoir, si tu es amoureux.
Tu as oy parler les maleureux,
Non pas amans qui cong oissent qu'est joye;
Car raconter au long ne te sauroye
Les biens qu'Amour scet aux siens départir.
Essaye les, puis tu pourras choisir
Se tu les veulx ou avoir ou laissier ;
kXontre vouloir nul n'est contraint d'amer. «
Bien me revint son gracieux langaige
Et tost muay mon propos et couraige,
Quant j'entendy que nul ne contramdroit
Mon cueur d'amer fors ainsy qu'il vouldroit
Si lui ay dit ; « Se vous me promettes,
Ma Maistresse, que point n'obligerés
Mon cueur ne moy, contre nosti e plaisir,
Pour ceste fois, je vous veuil obéir
Et à ; resent vous suivray, ceste voye;
Je prie à Dieu qu'à honneur m'y convoyé.
— Ne te doubtes, se dist elle, de moy,
Je te prometz et jure, par ma foy,
Par moy ton cueur jà forcé ne sera,
Mais garde soy qui garder se pourra;
Car je pense que jà n'aura povoir
4 CHARLES D ORLEANS.
De se garder, mais changera vouloir,
Quant Plaisance lui monstrera à l'ueil
Gente beaultc plaine de doulx acueil,
leune, saichant et de manière lye
Et de tous biens à droit souhait garnie. »
Sans plus parler, sailli hors de mon lit,
Quant promis m'eust ce que devant est dit ;
Et m'aprestay le plus joliement
Que peu faire, par son commandement.
Car jeunes gens qui désirent honneur,
Quant véoir vont aucun royal seigneur,
Hz se doivent mettre de leur puissance
En bon array, car cela les avance
Et si les fait estre prisiez des gens.
Quant on les voit netz, gracieux et gens.
Tantost après tou-; deux nous en alasmcs
Et si longtemps ensemble cheminasmes
Que venismes au plus près d'un manoir
Trop bel assis et plaisant à véoir.
Lors Jeunes<= me dist : « Cy est la place
Où Amour tient sa court et se soulace.
Que t'en semble, n'est elle pas tresbelle ? »
je respondy : « Oncque mais ne vy telle. »
Ainsi parlans approchasmes la porte.
Qui à véoir fut tresplaisant et forte.
Lors Jeunesse si hucha le portier.
Et lui a dit : « J'ay cy un estrangier,
Avecques moy entrer nous fault léans ;
On l'appelle Charles, duc d'Orléans. »
Sans nul delay le portier nous ouvry,
Dedens nous mist et puis nous respondy :
« Tous deux estes cyens les bien venuz ;
Aler m'en veuil, s'il vous plaist, vers Venus
Et Cupido, si leur raconteray
Qu'estes venuz et céans mis vous ay. »
POEME DE LA PRISON.
C(; portier fu appelle Compaignie
Qui nous receu de manière si lye.
De nous party, à Amour s'en ala.
Briefment après, devers nous retourna
Et amena Bel Acueil et Plaisance
Qui de Tostel avoient l'ordonnance.
Lors, quant de nous approuchier je les vy,
Couleur changay et de cueur tressailly.
Jeunesse dist : « De riens ne t'esbahys,
Soyes courtois et en faiz et en dys. »
Jeunesse tost se tira devers eulx,
Après elle m'en alay tout honteulx,
Car jeunes gens perdent tost contenance
Quant en lieu sont oîi n'ont point d'acoint-ince
Si lui ont dit : « Bien soyez vous venue. »
Puis par la main l'ont liement tenue.
Elle leur dit : « De cueur vous en mercy ;
J'ay amené céans cest enfant cy,
Pour lui monstrer le tresroyal estât
Du dieu d'Amours et son joyeulx esbat. »
Vers moy vindrent me prenant par la main,
Et me dirent : « Nostre Roy souverain
Le Dieu d'Amours vous prie que venés
Par devers lui, et bien venu serés. »
Je respondy humblement: «Je mercie
Amour et vous de vostre courtoisie ;
De bon vouloir iray par devers lui,
Pource je suy venu cy au jourduy,
Car Jeunesse m'a dit que le verray
En son estât et gracieux array. »
Bel Acueil print Jeunesse par le bras,
Et Plaisance si ne m'oublia pas,
Mais me pria qu'avec elle venisse
Et tout le jour près d'elle me tenisse.
Si alasmes en ce point jusqu'au lieu
t» Charles d ori-eans.
Là où estoit des amoureux le Dieu.
Entour de lui son peuple s'esbatoit,
Danyant, chantant, et maint esbat faisoit.
Tous à genouU nous meismes humblement,
Et Jeunesse parla premièrement
Disant: « Treshault et noble puissant Prince,
A qui subgiet ^st chascuno province
Et que je doy servir et honnourer
De mon povoir, je vous viens présenter
Ce jeune filz qui en moy a fiance,
Qui est sailly de la maison de France,
Creu ou jardin semé de fleurs de lys,_
Combien que j'ay loyaument lui promis
Qu'en riens qui soit je ne le lyeray.
Mais à son gré son cueur gouverneray. »
Amour respond : « Il est le bien venu ;
Ou temps passé j'ay son père congncu,
Plusieurs autres aussi de son lignage
Ont maintesfois esté en mon servage,
Parquoy tenu suy plus de lui bien laire,
S'il veult après son lignage retraire.
Vien çà, dist il, mon filz, que penses tu?
Fus tu oncques de ma darde féru ?
Je croy que non, car ainsi le me semble ;
Vien près de moy, si parlerons ensemble. »
De cueur tremblant près de lui m'aprochay,
Si lui ay dit: « Sire, quant j'acorday
A Jeunesse de venir devers vous,
Elle me dist que vous estiez sur tous
Si trescourtois que chacun desiroit
De vous hanter, qui bien vous congnoissoit;
Je vous supply que je vous treuve tel.
Estrangier suy venu en vostre hostel,
Honte seroit à vostre grant noblesse
Se fait m'estoit céans mal ou rudesse.
POEME DE LA PRISON. 7
— Par moy contraint, dist Amour, ne seras
Mais de céans jamais ne partiras
Que ne soies es las amoureux pris.
Je m'en fais fort; se bien l'ay entrepris.
Souvent mercy me vendras demander
Et humblement ton fait recommander;
Mais lors sera ma grâce de toy loing;
Car, à bon droit, te faulJray au besoing,
Et si feray vers toy le dangereux,
Comme tu fais d'estre vray amoureux.
Venez avant, dist il, Plaisant Beauté,
Je vous requier que, sur la loyauté
Que me devez, le venez assaillir ;
Ne le laissiez reposer ne dormir,
Ne nuit, ne jour, s'il ne me fait hommage.
Aprivoisiez ce compaignon sauvage.
[Ou temps passé vous conqueistes Sampson
Le fort, aussi le saige Salemon.
Si cest enfant surmonter ne savez,
Vostre renom du tout perdu avez »
Beauté lors vint, de costé moy s'assist,
Ung peu se teut, puis doulceraent m'a dit ;
« Amy, certes, je me donne merveille
Que tu ne veulx pas que l'en te conseille ;
Au fort saches que tu ne peuz choisir;
Il te convient à Amour obéir. »
Mes yeulx prindrent fort à la regarder,
Plus longuement ne les en peu garder.
Quant Beauté vit que je la regardoye,
Tost par mes yeulx un dard au cueur m'envoye.
Quant dedens fu, mon cueur vint esveiller
Et tellement le print à catoillier
Que je senty que trop ioit de joye.
Il me despleut qu'en ce point le sentoye.
Si commcnçay mes yeulx fort à tenter.
8 CHARLES d'oRLÉaNS.
Et envoyay vers mon cueur un penser,
En lui priant qu'il giettast hors ce dard.
Helas ! helas ! g'y envoiay trop tard,
Car quant Penser arriva vers mon cueur,
Il le trouva jà pasmé de doulceur.
Quand je le sceu, je dis p ir des;onfort :
Je hé ma vie et désire ma mort !
Je hé mes yeulx, car par eux suy dcceu !
Je hé mon cueur qu'ay niccmcnt perdu !
Je hé ce dard qui ainsi mon cueur blesse !
Venez avant, partués moy. Destresse,
Car mieulx me vault tout à un cop morir
Que longuement en desai;e languir.
Je congnois bien, mon cueur est pris es las
Du dieu d'Amours, par vous. Beauté, helas!
Adonc je cheu aux piez d'Amours malade,
Et semblay mort, tan: euz la coleur fade.
Il m'apperceu, si commença à rire
Disant : « Enfant, tu as besoing d'un mire ;
Il semble bien par ta face pâlie
Que tu seulTres tresdure maladie ;
Je cuidoye que tu fusses si fort
Qu'il ne fust riens qui te peust faire tort ;
Et maintenant, ainsi soudainement,
Tu es vaincu par Beauté seulement.
Où est ton cueur par le présent aie ?
Ton grant orgueil est bientost ravalé:
Il m'eU advis tu deusses avoir honte,
Si de legier, quant Beauté te surmonte
Et à mes piez t'a abatu à terre.
Revenge toy, se tu vauU riens pour guerre •,
Ou à elie il vault mieulx de toy rendre,
Se tu ne scez autrement te deMendre ;
Car de deux maulx, puisque tu peuz eslire,
C'est le meilleur que prcigncs le moins pire. »
POÈME DE LA PRISON.
Ainsi de moy fort Amour se mocquoit,
Mais non pourtant de ce ne me chalioit,
Car de douleur je estoie si enclos
Que je ne tins compte de tous ses mos.
Quant Jeunesse vit que point ne parloye,
Car tout advis et sens perdu avoye,
Pour moy parla et au dieu d'Amours dist :
« Sire, vueillez qu'il ait aucun re^pit. »
Amour respont : « Jamais respit n'aura
Jusques atant que rendu se sera. »
Beauté mist lors en son giron ma teste
Et si m'a dit : « De main mise t'arreste,
Rens toy à moy, et tu feras que sage,
Ec à Amours va faire ton hommage. »
Je le^pondy: «Ma Dame, je le vueil,
Je me soubzmetz du tout à vostre vueil ;
Au Dieu d'Amours et à vous je me rens.
Mon povre cueur à mort féru je sens,
Vueillez avoir pitié de ma tristesse,
Jeune, gente, nompareille Princesse. » # ►
Quant je me fa ainsi rendu à elle :
« Je maintendray, dist elle, ta querelle
Envers Amour, et tant pourchasseray
Qu'en sa grâce recevoir te feray. »
A brief pa 1er et sans faire long compte,
Au Dieu d'Amours mon fait au vray raconte,
Et lui a dit : « Sire, je l'ay conquis.
Il s'est à vous et à moy tout soubzmis,
Vueillez avoir de sa doleur mercy.
Pui'jque vostre se tient, et mien aussi.
S'il a meffait vers vous, il s'en repent,
Et se soubzmet en vostre jugement.
Puisqu'il se veult à vous abandonner,
Legierement lui devez pardonner;
Chascun seigneur qui est plain de noblesse
I,0 CHARLES d'ORLÉANS.
Doit départir mercy à grant largesse.
De vous servir sera plus obligié,
Se franchement son mal est allegié ;
Et si mettra paine de desservir
Voz grans biensfais, par loyaument servir, a
Amour respont : « Beauté, si sagement
Avez parlé et raisonnablement
(^ue pardonner lui vueil la malvueillance
Qu'ay eu vers lui, car par oultrecuidance
.Me courrouça quant, comme loul et nice,
Il refusa d'entrer à mon service;
Fautes de lui ainsi que vous vouldrés,
Content me tiens de ce que vous ferés,
Tout le soubzmetz à vostre voulenté,
Sauve, sans plus, ma souveraineté. »
Beauté respont : « Sire, c'est bien raison
Par dessus tous et sans comparaison,
Que pour seigneur et souverain vous tiengne.
Et ligement vostre subgiet deviengne.
Premièrement devant vous jurera
Que loyaument de cueur vous servira,
Sans espargnier, soit de jours ou de nuis,
Paine, soussy, dueil, courroux ou ennuis;
Et souffrera sans point se repentir,
Les maulx qu'amans ont souvent à souflfrir.
Il jurera aussi secondement
Qu'en ung seul lieu amera fermement.
Sans point quérir ou désirer le change;
Car, sans faillir, ce seroit trop estrange
Que bien servir peust un cueur en mains lieux,
Combien qu'aucuns cueurs ne demandent mieulx
Que de servir du tout à la volée,
Et qu'ilz ayent d'amer la renommée;
Mais au dcrrain ilz s'en trea^ent punis
Par Loyauté d nt ilz sont e.inemis.
POEME DE LA PRISON. II
En oultre plus promettra tiercement
Que vos conseulx tendra secrettement,
Et gardera de mal parler sa bouche.
Noble Prince, ce point cy fort vous touche
Car mains amans, par leurs nices parolles,
Par sotz regars et contenances folles,
Ont fait parler souvent les mesdisans,
Parquov grevez ont esté voz servans.
Et ont receu souventesfoiz grant perte
Contre raison et sans nulle desserte.
Avecques ce, il vous fera serment
Que s'il reçoit aucun avancement
En vous servant, qu'il n'en fera ventance.
Cestui meflfait dessert trop grant vengeance,
Car quant Dames veulent avoir pitié
De leurs servans, leur monstrant amitié.
Et de bon cueur aucun reconfort donnent.
En ce faisant leurs honneurs abandon:ient,
Soubz fiance de trouver leurs amans
Secrez. ainsi qu'en font les convenans.
Ces quatre poins qu'ay cy devant nommez
A tous amans doi' ent cstre gardez.
Qui à honneur et avancement tirent
Et leurs amours à Hn mener désirent.
Six autres pointz aussi accordera.
Mais par serment point ne les promettra.
Car nul amant estre contraint ne doit
De les garder, se son prouffit n'y voit ;
Mais se faire veult, après bon conseil,
A les garder doit mettre son traveil.
Le premier est qu'il se tiengne jolis,
Car les dames le tiennent à grant pris.
Le second est que trescourtoisement
Soy maintendra et gracieusement.
Le tiers point est que, selon sa puissance,
12 CH A RI. ES 1) OUI.KANS.
Querra honneur et poursuivra vaill.ince.
Le quatriesme qu'il soit plain de largesse,
Car c'est chose qui avance noblesse.
Le cinquiesme qu'il suivra compaignie
Amant honneur et fuiant villenie.
Le sixiesme point et le derrenier
Est qu'il sera diligent escoUier,
En aprenant tous les gracieux tours,
A son povoir, qui servent en amours,
C'est assavoir à chanter et dansser,
Faire chançons et balades rimer,
h Et tous autres joyeux esbatemens.
te sont ycy les dix commandemens,
Vray Dieu d'Amours, que je feray jurer
A cest enfant, s'il vous plaist l'apeller. »
Lors m'apella, et me tist les mains mettre
Sur ung livre, en me faisant promettre
Que feroye loyaument mon devoir
Des points d'amours garder, à mon povoir;
Ce que je fis de bon vueil lyement.
Adonc Amour a fait commandement
A Bonne Foy, d'Amours chiel secrétaire,
De ma Lettre de retenue faire.
Quant faitte fut, Loyaulté la scella
Du scel d'Amours et la me délivra.
Ainsi Amour me mist en son servage.
Mais pour seurté retint mon cueur en gage,
Pourquoy lui dis que vivre ne pourroye
En cest estât, s'un autre cueur n'avoye.
Il respondit : « Espoir, mon medicin.
Te gardera de mort soir et matin,
Jusques atant qu'auras en lieu du tien
Le cueur d'une qui te tendra pour sien.
Gardes tousjours ce que t'ay commandé,
Et je t'auray pour bien recommandé. »
POÈME DE LA PRISON. l3
Copie de la Lettre de retenue.
Dieu Cupido et Venus, la Déesse,
Ayans povoir sur Mondaine Liesse,
Salus de cueur. par nostre grant humblesse,
A tous amans.
Savoir faisons que le duc d'Orléans
Nommé Charles, à présent jeune d'ans,
Nous retenons pour l'un de noz servans
Par ces présentes;
Et lui avons assigné sur noz rentes
Sa pension en joyeuses attentes.
Pour en joïr par noz lettres patentes
Tant que vouldrons ;
En espérant que nous le trouverons
Loyal vers nous, ainsi que fait avons
Ses devanciers, dont contens nous tenons
Tresgrandement.
Pource donnons estroit commandement
Aux officiers de nostre Parlement
Qu'ilz le traittent et aident doulcement
En tout affaire,
A son besoing, sans venir au contraire;
Si chier qu'ilz ont nous obéir et plaire,
Et qu'ilz doubtent envers nous de fortaire
En corps et biens ;
Le soustenant, sans y espargnier riens.
Contre Dangier avecques tous les siens :
Malle Bouche, plaine de faulx maintiens,
Et Jalousie;
14 CHARLES D ORLEANS.
Car chascun d'eulx de grever estudie
Les vraiz suhgictz de nostre Seigneurie,
Dont il est l'un et sera à sa vie,
Car son serment
De nous servir devant tous ligement
Avons receu, et pour plus fermement
Nous asseurer qu'il fera loyaument
Entier devoir,
Avons voulu en gage recevoir
Le cueur de lui, lequel, de bon vouloir,
A tout soubzmis en noz mains et povoir ;
Pourquoy tenus
Sommes à lui par ce de plus en plus ;
Si ne seront pas ses biens fais perdus
Ne ses travaulx pour néant despendus;
Mais pour monstrer
A toutes gens bon exemple d'amer.
Nous le vo .Ions richement guerdonner,
Et de noz biens à largesse donner ;
Tesmoing nos seaulx
Cy atachiez, devant tous nos féaulx.
Gens de conseil et serviteurs lo , aulx.
Venus vers nous par mandemens royaulx,
Pour nous servir.
Donné le jour saint Valentin martir,
En la cité de Gracieux Désir,
Où avons fait nostre conseil tenir.
Par Cupido et Venus souverains,
A ce presens plusieurs Plaisirs Mondains.
y
POÈME DE LA PRISON. l5
BALLADE L
Belle, bonne, nompareille, plaisant,
Je vous suppli vueilliez me pardonner
Se moy, qui sui vostre grâce attendant.
Viens devers vous pour mon fait raconter.
Plus longuement je ne le puis celer
Qu'il ne faille que sachiés ma destresse,
Comme celle qui me peut conforter,
Car je vous tiens pour ma seule maistresse.
Se si aplain vous vois mes maulx disant,
Force d'Amours me fait ainsi parler ;
Car je devins vostre loyal servant,
Le premier jour que je peuz regarder
La grant beauté que vous avez sans per,
Qui me feroit avoir toute liesse,
Se serviteur vous plaisoit me nommer ;
Car je vous tiens pour ma seule maistresse.
Que me donnez en octroy don si grant,
Je ne l'ose dire ne demander;
Mais s'il vous plaist que, de cy en avant,
En vous servant, puisse ma vie user.
Je vous supply que, sans me refuser,
Vueillez souflrir qu'y mette ma jeunesse ;
Nul autre bien je ne vueil souhaidier,
Car je vous tiens pour ma seule maistresse.
BALLADE IL
Vueilliez voz yeulx emprisonner,
Et sur moy plus ne les giettés ;
Car quant vous plaist me regarder,
Par Dieu, Belle, vous me tués,
l6 CHARLES d'oRLÉANS.
Et en tel point mon cueur mettes
Que je ne s;ay que faire doye.
Je suis mort se vous ne m'aidiés,
Ma seule souveraine joye,
Je ne vous ose demander
Que vostrc cueur ne me donnés,
Mais, se droit me voulés garder,
Puisque le cueur de moy avés.
Le vostre fault que vous me laissiés.
Car sans cueur vivre ne pourroye;
Faictes en, comme vous vouldrcs,
Ma seule souveraine joye.
Trop hardy suy d'ainsi parler,
Mais pardonner le me devés
Et n'en devés autruy blasmer,
IQue le gent corps que vous portés
Qui m'a mis, comme vous véés,
^__Si fort en l'amoureuse voye.
Qu'en vostre prison me tenés,
Ma seule souveraine joye.
Ma Dame, plus que ne savés,
Amour, si tresfort me guerroyé.
Qu'à vous me rens; or me prenés,
Ma seule souveraine joye.
BALLADE IIL
C'est grant péril de regarder
Chose dont peut venir la mort,
Combien qu'on ne s'en scet garder
Aucunes fois, soit droit ou tort.
Quant Plaisance si est d'accort
POEME DE LA PRISON. IJ
Avecques un jeune désir,
Nul ne pourrait son cœur tenir
D'envoyer les yeulx en message;
On le voit souvent avenir
Aussi bien au foui corn au sage.
Lesquelz yeulx viennent raporter
Ung si tresgracieulx raport
Au cueur, quant le veult escouter,
Que s'il a eu d'amer l'esfort,
Encores l'aura il plus fort;
Et le font du tout retenir
Ou service, sans départir,
D'Amours, à son tresgrant dommage ;
On le voit souvent avenir,
Aussi bien au foui comrne au sage.
Car mains maulx lui fault endurer,
Et de Soussy passer le port.
Avant qu'il puisse recouvrer
L'acointance de Reconfort,
Qui plusieurs fois au besoing dort,
Quant on se veult de lui servir;
Et lors il est plus que martir.
Car son mal vault trop pis que rage. ,
On le voit souvent avenir
Aussi bien au foui comme au sage.
ENVOI.
Amour, ne prenez desplaisir
S'ay dit le mal que fault souffrir,
Demourant en vostre servage ;
On le voit souvent avenir,
Aussi bien au foui comme au sage.
CHABI.es D ORLEANS I.
CHARLES D ORLEANS.
BALLADE IV.
Comment se peut un povre cueur deffendre,
Quant deux beaulx yeulx le viennent assaillir.
Le cueur est seul, desarmé, nu et tendre,
Et les yeulx sont bien armez de plaisirs ;
Contre tous deux ne pourroit pie tenir,
Amour aussi est de leur aliance ;
Nul ne tendroit contre telle puissance.
Il lui convient ou mourir ou se rendre,
Trop grant honte lui seroit de tuir.
Plus baudement les oseroit attendre,
S'il eust pavais dont il se peust couvrir ;
Mais point n'en a, si lui vault mieulx souffrir
Et se mettre tout en leur gouvernance :
Nul ne tendroit contre telle puissance.
Qu'il soit ainsi bien me le tist aprandre
Ma maistresse, mon souverain désir.
Quant il lui pleut jà pieçà entreprandre
De me vouloir de ses doulx yeulx ferir:
Oncques depuis mon cueur ne peut guérir,
Car lors fut il desconfit à oultrance:
Nul ne tendroit contre telle puissance.
BALLADE V.
Espargniez vostre doulx attrait
Et vostre gracieux parler,
Car Dieu scet les maulx qu'iU ont fait
A mon povre cueur endurer.
Puis que ne voulez m'acorder
Ce qui pourroit mes maulx guérir,
POÈME DE LA PRISON. I9
Laissiez moy passer ma me^chance,
Sans plus me vouloir assaillir
Par vostre plaisant accointance.
Vers Amours faittes grant forfait,
Je l'ose pour vray advouer.
Quant me ferez d'amoureux trait
Et ne me voulez conforter,
Je croy que me voulez tuer.
Pleust à Dieu que peussiez sentir
Une fois la dure grevance
Que m'avez fait long temps souffrir
Par vostre plaisant accointance.
Helas! que vous ay je meffait
Par quoy me doyez tourmenter?
Quant mon cueur d'amer se retrait,
Tantost le venez rappeller ;
Plaise vous en paix le laissier,
Ou lui accordez son désir;
Honte vous est non pas vaillance,
D'un loyal cueur ainsi meurdrir
Par vostre plaisant accointance
BALLADE VL
N'a pas long temps qu'alay parler
A mon cueur tout secrettement,
Et lui conseillay de s'oster
Hors de l'amouieux pen^ement;
Mais me dist bien Tellement :
Ne m'en parlez plus, je vous prie;
J'ameray tousjours, se m'aist Dieux,
Car j'ay la plus belle choisie,
Ainsi m'ont raporté mes yeulx.
20 CHARLES D ORLKANS.
Lors dis : Vueilliez me pardonner,
Car je vous jure mon serment
Que conseil vous cuide donner,
A mon povoir, tresloyaumcnt;
Voulez vous sans allégement
En doleur finer vostre vie?
Nennil dya, di>t il, j'auray miculx;
Ma Dame m'a fait chiere lie ;
Ainsi m'ont raporté mes yeulx.
Guidez vous savoir, sans doubler,
Par un regart tant seulement.
Se dis je, du tout son penser.
Ou par un douk acointement?
Taisiez vous, dist il; vraiement
Je ne croiray chose qu'on die :
Mais la serviray en tous lieux,
Car de tous biens est enrichie ;
Ainsi m'ont raporté mes yeulx.
BALLADE VIL
De jamais n'amer par amours
J'ay aucunes fois le vouloir,
Pour les ennuieuses dolours
Qu'il me fault souvent recevoir;
Mais en la lin, pour dire voir,
Quelque mal que doye porter,
Je vous asseure, par ma foy, ^
Que je n'en sauroye garder
Mon cueur qui est maistre de moy.
Combien qu'ay eu d'estranges tours,
Mais j'ai tout mis à Non Chaloir,
Pensant de recouvrer secours
POEME DE LA PRISON.
De C'^nfort ou d'un doulx Espoir.
Hela>! se j'eusse le povoir
D'aucunement hors m'en bouter,
Par le serment qu'à Amours doy,
Jamais n'y lairoye rentrer
Mon cueur qui est maistre de moy.
Car je sçay bien que par doulçour.'
Amour le scet si bien avoir,
Qu'il vouldroit ainsi tou-; les jours
Demourer sans jà s'en mouvoir.
Nil ne veult oir ne savoir
Le mal qu'il me fait endurer;
Plai>ance l'a mis en ce ploy,
Elle t'ait mal de le m'ostcr
Mon cueur qui est maist.e de moy.
Il me desplaist J'en tant parler,
Mais, par le Dieu en qui je croy,
Ce fait désir de recouvrer
Mon cueur qui est maistre de moy.
BALLADE VIIL
Quant je suis couschié en mon lit,
Je ne puis en paix reposer;
Car toute la nuit mon cueur lit
Ou Rommant de Plaisant Penser,
Et me prie de l'escouter;
Si ne l'ose desobéir
Pour doubte de le courroucer.
Ainsi je laisse le dormir.
CHARLES d'oRLÉANS,
Ce livre si est tout escript
Des fais de ma Dame sans per;
Souvent mon cueur de joye rit,
Quand il les list ou oyt compter;
Car certes tant sont à louer
Qu'il y prent souverain plaisir;
Moymesmes ne m'en puis lasser,
i\msi je laisse le dormir.
Se mes yeux demandent respit
Par Sommeil qui les vient grever,
11 les tense par grant despit,
Et si ne les peut surmonter;
Il ne cesse de soupirer
A part soy; j'ay lors, sans mentir,
Grant paine de le rapaiser,
Ainsi je laisse le dormir.
Amour, je ne puis gouverner
Mon cueur; car tant vous veult servir
Qu'il ne scet jour ne nuit cesser,
Ainsi je laisse le dormir.
BALLADE IX.
Fresche beauté, tresriche de jeuaîsse,
Riant regart, trait amoureusement.
Plaisant parler, gouverné par sagesse.
Port femenin en corps bien lait et gent,
HauUain maintien, démené douicement,
Acueil humble, plain de manière lie,
Sans nul dangier bonne chiere faisant,
POÈME DE I.A PRISON. • S3
Et de chascun pris et los emportant;
De ces grans biens est ma Dame garnie.
Tant bien lui siet à la noble Princesse
Chanter, dancer et tout esbatement,
Qu'on la nomme de ce faire maistresse.
Elle fait tout si gracieusement,
Que nul n'y scet trouver amendement;
L'escolle peut tenir de courtoisie :
En la voyant aprent qui est sachant,
Et en ses fais qui va garde prenant;
De ces grans biens est ma Dame garnie.
Bonté, Honneur, avecques Gentillesse
Tiennent son cucur en leur gouvernement,
Et Loyaulté nuit et jour ne la laisse.
Nature mist tout son entendement
A la fouimer et faire proprement.
De point en point, c'est la mieulx acomplie
Qui au jour duy soit ou mo.ide vivant.
Je ne dy rien> que tous ne vont disant :
De ces grans biens est ma Dame garnie.
Elle semble mieulx que i'emme Déesse;
Si croy que Dieu l'envoya seulement
En ce monde, pour monstrer la largesse
De ces haultz dons qu'il a entièrement
En elle mis abondonnéement
Elle n'a per, plus ne sçay que je dye ;
Pour foui me tiens de Taler devisant,
Car moy ne nul n'est à ce souffisant ;
De ces grans biens est ma Dame garnie.
S'il est aucun qui soit prins de tristesse
Voise xéoir son doulx maintenement.
Je me fais fort que le mal qui le blesse
Le laissera pour lors soudainnement,
Et en oublv sera mis plainement;
C'est Paradis que de sa compaignie,
24 CHARLES d'oRLÉANS.
A tous complaist, à nul n'est ennuiant,
Qui plus la voit plus en est désirant ;
De ces grans bien est ma Dame garnie.
ENVOI.
Toutes dames, qui oyez cy comment
Prise celle que j'ayme loyaument,
Ne m'en sachiez maugré, je vous en prie;
Je ne parle pas en vous desprisant,
Mais comme sien je dy en m'acquittant :
De ces grans biens ma Dame est garnie.
BALLADE X.
A ma Dame je ne sçay que je dye,
Ne par quel bout je doye commencer,
Pour vous mander la doloreuse vie
Qu'Amour me fait chascun jour endurer.
Trop mieulx vaulsist me taire i|ue parler,
Car proufiter ne me pevent mes plains,
Ne je ne puis guerison recouvrer,
Puisqu'ainsi est que de vous suis loingtains.
Quanque je voy me desplaist et ennuyé,
Et n'en ose contenance monstrer,
Mais ma bouche fait semblant qu'elle rie,
Quant maintefois je sens mon cueur plourer.
Au fort, martir on me devra nommer,
Se Dieu d'Amours fait nulz amoureux Saints,
Car j'ay des maulx plus que ne sçay compter,
Puisqu'ainsi est que de vous suis loingtains.
Et non pourtant, humblement vous mercie,
Car par escript vous a pieu me donner
Ung doulx confort que j'ay à chiere lie
POÈME DE LA PRISON. 25
Receu de cueur et de joyeux penser,
Vous suppliant que ne vueilliez changier,
Car en vous sont tous mes plaisirs mondains
Desquelz me fault à présent déporter,
Puisqu'ainsi est que de vous suis loingtains. '^
j BALLADE XI.
Loingtain de vous, ma tresbelle maistresse,
Fors que de cueur que laissié je vous ay,
Acompaignié de Deuil et de Tristesse,
Jusques a tant que reconfort auray
D'un doulx plaisir, quant revéoir pourray
Vostre gent corps, plaisant et gracieux ,
Car lors lairay tous mes maulx ennuieux
Et trouveray, se m'a dit Espérance,
Par le pourchas du rcgarc de mes yeulx
Autant de bien que j'ay de despl.'isance.
Cars'oncques nul sceut que c'est de destressc,
Je pense bien que j'en ay tait l'essay.
Si tresavant et à telle largesse
Qu'en dueil pareil nulluy de nuy ne sçay.
Mais ne m'en chault; certes j'endureray,
Au desplaisir des jaloux envieux.
Et me tendray, par semblance, joyeux;
Car quant je suy en greveuse penance,
Hz reçoyvent, que mal jour leur doint Dieux !
Autant de bien que j'ay de desplaisance.
Tout prens en gré, jeune, gente Princesse,
Mais qu'en sachiés tant seulement le vray,
En attendant le guerdon de Liesse
Qu'à mon povoir vers vous desserviray;
Car le conseil de Loyauté feray,
a6 CHARLES d'orléans.
Que garderay près de moy en tous lieux :
Vostre tousjours soye, jeunes ou vieulx,
Priant à Dieu, ma seule desirance,
Qu'il vous envoit, s'avoir ne povez mieulx,
Autant de bien que j'ay que desplaisance.
y
BALLADE XIL
Puisqu'ainsi est que loingtain de vous suis, ■*
Ma Maistresse, dont Dieu scet s'il m'ennuie,
Si chierement vous requier que je puis
Qu'il vous plaise de vostre courtoisie,
Quant vous estes seule, sans compaignie,
Me souhaidier un baisier amoureux
Venant du cueur et de pensée lie,
Pour alegier mes griefs maulx doloreux.
/-> Quant en mon lit doy reposer de nuis,
Penser m'assault et Désir me guerrye;
Et en pensant maintcsfois m'est aJvis
Que je vous tiens entre mes bras, m'amye;
Lors acolle mon orcillier et crie :
Mercy Amours, faictes moy si cureux
Qu'avenir puist mon penser en ma vie.
Pour alegier mes griefs maulx doloreux.
Espoir m'a dit et par sa foy promis
Qu'il m'aidera et que ne m'en soussie;
Mais tant y met qu'un an me semble dix.
Et non pourtant, soit ou sens ou folie,
Je m'y attens et en lui je m'afie
Qu'il fera tant que Dangicr le crueux,
N'aura briefment plus sur moy seigneurie,
Pour alegier mes griefs maulx doloreux.
POEME DE LA PRISON. 27
A Loyauté de plus en plus m'alye,
Et à Amours humblement je supplie
Que de mon t'ait vueillent estre pileux,
En me donnant de mes vouloirs partie,
Pour alegier mes griefs maulx doloreux.
BALLADE XIIL
Pour tant se souvent ne vous voy.
Pensez vous plus que vostre soye?
Par le serment que je vous doy,
Si suis autant que je souloye ;
N'il n'est ne plaisance, ne joye,
N'autre bien qu'on me puist donner,
Je le vous promctz loyaument,
Qui me puist ce vouloir oster
Fors que la mort tant seulement.
Vous savés que je vous feis foy
Pieçà de tout ce que j'avoye,
Et vous laissay, en lieu de moy,
Le gage que plus chier j'amoye ;
C'estoit mon cucur que j'ordonnoye
Pouravecques vous demourer,
A qui je suis entièrement.
Nul ne m'en pourroit destourber
Fors que la mort tant seulement.
Combien certes que je rcçoy
Tel mal que, se le vous disoye,
Vous auriés, comme je croy,
Pitié du mal qui me guerroyé.
Car de tout deuil suis en la voye,
28 CHARLES d'oRLÉANS.
Vous le povez assez penser,
Et ay esté si longuement,
Que je ne doy riens désirer
Fors que la mort tant seulement.
Belle, que tant vcoir vouldroye,
Je prie à Dieu que bricf vous voye;
Ou s'il ne le veult accorder,
Je lui supply treshumblement
Que riens ne me vucille donner
Fors que la mort tant seulement.
BALLADE XIV.
Quelles nouvelles, ma Maistresse,
Comment se portent noz amours?
De ma part je vojs fais promesse
Qu'en un propos me tiens tousjours,
Sans jamais penser le rebours :
C'est que seray toute ma vie
Vostre du tout entièrement,
Et pource de vostre partie
Acquittés vous pareillement.
Combien que Dangier et Destresse
Ont fait longuement leurs séjours
Avec mon cueur, et par rudesse
Lui ont monstre d'estranges tours,
(Helas ! en amoureuses cours,
C'est pitié qu'ilz ont seigneurie)
Si mettray paine que briefment
Loyaulté sur eulx ait maistrie,
Acquittés vous pareillement.
POÈME DE LA PRISON. 2Q
Quoy que la nue de Tristesse
Par un long temps ait fait son cours;
Après, le beau temps de Lyesse
Vendra qui donnera secours
A noz deux cueurs, car mon recours
J'ay en Espoir, en qui me He,
Et en vous, belle, seulement,
Car jamais je ne vous oublie;
Acquittés vous pareillement.
Soyez seure, ma doulce amye,
Que je vous ayme loyaument.
Or, vous requier et vous supplie,
Acquittés vous pareillement.
BALLADE XV.
Belle que je tiens pour amye,
Pensés, quelque part que je soye.
Que jamais je ne aous oublie;
Et pource prier vous vouldroye,
Jusques atant que vous revoye,
Qu'il vous souviengne de cellui
Qui a trouvé peu de mercy
En vous, se dire je l'osoye.
Combien que je ne dye mie
Que n'aye receu bien et joye,
En vostre doulce compaignie.
Plus que desservir ne saurove,
Non pour tant, voulentiers j'auroye
Le guerdon de loyal amy,
3o CHARLES d'oRLÉAN s.
Qu'oncques ne trouvay jusqu'à cy
En vous, se dire je i'osoye.
Je vous ai longuement servie,
Si m'est advis qu'avoir devroye
Le don que de sa courtoisie
Amour à ses servans envoyé;
Or faittes qu'estre content doye,
Et m'accordez ce que je dy.
Car trop avez Refus nourry
En vous, se dire je I'osoye.
BALLADE XVL
Ma Dame, vous povez sa- oir
Les biens qu'ay euz à vous servir ;
Car, par ma foy, pour dire voir,
Oncques je n'y peuz acquérir
Tant seulement un doulx plaisir,
Q e, sitost que je le tenoye,
Dangier le me venoit tolir
Ce peu de plaisir que j'avoye.
Je n'en savoye nul avoir
Qui peust contenter mon désir,
Se non quant vous pouvoye voir,
Ma joye, mon seul souvenir.
Or m'en a fait Dangier bannir,
Tant qu'il faut que loing de vous soye,
Parquoy a tait de moy partir
Ce peu de plaisir que j'avoye.
Non pas peu, car de bon vouloir
Content m'en devoye tenir.
En espérant de recevoir
Un trop plus grant bien advenir;
POÈME DE LA PRISON. 3l
Je n'y cuidoye point faillir,
A la paine que g'y mettoye;
Cela me faisoit enrichir
Ce peu de plaisir que j'avoye.
Belle, je vous vueil requérir,
Pensés, quant serés de loisir,
Qu'en grant mal, qui trop me guerroyé,
Est tourné, sans vous en mentir,
Ce peu de plaisir que j'avoye.
BALLADE XVIL
En ce joyeux temps du jour d'uy
Que le mois de may ce commance,
Et que l'en doit laissier Ennuy,
Pour prandre Joyeuse Plaisance,
Je me treuve, sans recouvrance,
Loingtain de Joye conqucster;
De Tristesse si bien rente
Que j'ay, je m'en puis bien vanter,
Le rebours de ma voulenté.
Las! Amours, je ne voy nuUuy
Qui n'ait au:ime souffisance,
Fors que moy seul qui suis celluy
Qui c-;t le plus dolent de France.
J'ay failly à mon espérance;
Car quant à vous me voulz donner
Pour cstre vostre sermenté,
Jamaii ne cuidoye trouver
Le rebours de ma vouienté.
3a CHARLES d'ORLÉANS.
Au fort, puis qu'en ce point je suy,
Je porteray ma grant pcnance,
Ayant vers Loyauté rcfuy
Où i'ay mis toute ma Hance.
Ne Dangicr qui ainsi m'avance,
Quelque mal que doye porter,
Combien que trop m'a tourmenté,
Ne pourra jà en moy bouter
Le rebours de ma voulenté.
ENVOI.
D'aucun reconfort accointer
Plusieurs foys m'en suy démente;
Mais i'ay tousjours, au par aler,
Le rebours de ma voulenté.
BALLADE XVIIL
Quant je party derrainement
De ma souveraine sans per,
Que Dieu gard et lui doint briefment
Joye i.'e son loyal penser.
Mon cueur lui laissay emporter.
Oncques puis ne le peuz ravoir,
Si m'esmerveille, main et soir,
Comment j'ai vesqu tant de jours
Depuis sans cueur; mais pour tout voir,
Ce n'est que miracle d'Amours,
Qui est cellui qui long ement
Peut vivre sans cueur, ou durer
Comme j'ay fait en grief tourment ?
Certes nul, je m'en puis vanter.
POÈME DE LA PRISON. 3i
Mais Amours ont voulu monstrer
En ce leur gracieux povoir,
Pour donner aux amans vouloir
D'eulx lier en leur doulx secours;
Car bien pevent appercevoir
Ce n'est que miracle d'Amours.
Quant Pitié vit que franchement
Voulu mon cueur abandonner
Envers ma Dame, tellement
Traitta que lui fist me laissier
Son cueur, me chargeant le garder,
Dont j'ay fait mon loyal devoir,
Maugré Dangier qui recevoir
M'a fait chascun jour de telz tours
Que sans mort en ce point manoir
Ce n'est que miracle d'Amours.
BALLADE XIX.
Douleur, Courroux, Desplaisir et Tristesse
Quelque tourment que j'aye main et soir.
Ne pour doubte de mourir de destresse,
Jà ne sera en tout vostre povoir
De me changier le tresloyal vouloir
Qu'ay eu tousjours de la belle servir
Par qui je puis et pense recevoir
Le plus grant bien qui me puist avenir.
Quant j'ay par vous aucun mal qui me blesse,
Je l'endure par le conseil d'Espoir
Qui m'a promis qu'à ma seule maistresse
Lui fera bricf mon angoisse savoir.
En lui mandant qu'en faisant mon devoir.
J'ay tout les maulx que nul pourroit souffrir.
CH.<KI.L°S DOltLL.À.-.'S. I. 3
3^ CHARLES D'oriLÉANS.
Lors troLiveray, je ne s:ay s'il dist voir, "
Le plus grant bien qui me puist avenir.
Ne m'espLirgniez donc en rien de rudesse,
Je vous feray bien brief appercevoir
Qu'auray secours d'un confort de Lyesse.
Long temps ne puis en ce point remanoir,
Pource je metz du tout à non chaloir
Les tresgrans maux que faittes sentir ;
Bien aurez dueil, se me voyez avoir
Le plus grant bien qui me puist avenir.
ENVOI.
Je suy cellui au cueur vestu de noir
Qui dy ainsi, qui que le \ueille ouyr :
J'auray briefment, Loyaulté m'en fait hoir,
Le plus grant bien qui me puist avenir.
BALLADE XX.
y
Jeune, gente, plaisant et débonnaire,
Par un prier qui vault commandement
Chargié m'avez d'une balade faire;
Si l'ay faicte de cueur joyeusement;
Or la vueilliez recevoir doulcement.
Vous y verres, s'il vous plaist à la lire.
Le mal que j'ay, combien que vrayement
j'aymasse mieulx de bouche le vous dire.
Vostre doulceur ma sceu si bien atraire
Que tout vostre je suis entièrement,
Tresdesirant de vous servir et plaire.
Mais je scuffre maint doloreux tourment,
Quant à mon gré je ne vous voy souvent,
POÈME DE LA PRISON. 35
Et me dc^plaist quant me fault vous cscnre,
Car se faire ce povoit autrement,
J'aymasse mieuU de bouche le vous dire.
C'est par Dangier, mon cruel adversaire,
Qui m'a tenu en ses mains longuement;
En tous mes faiz je le trouve contraire,
Et plus se rit, quant plus me voit dolent.
Se vouloye raconter plainement
En cest escript mon ennuyeux martire,
Trop long seroit, pource certainement
J'aymasse mieuix de bouche le vous dire.
BALLADE XXL
Loué soit cellui qui trouva
Premier la manière d'escrire;
En ce, grant confort ordonna
Pour amans qui sont en martire ;
Car quant ne pevent aler dire
A leurs dames leur grief tourment,
Ce leur est moult d'alegement
Quant par escript pevent mander
Les maulx qu'ilz portent humblement,
Pour bien et loyaument amer.
Quant un amoureux escrira
Son dueil, qui trop le tient de rire,
Au plus tost qu'envoyé l'aura
A celle qui est son seul mire.
S'il lui plaist à la lettre lire,
Elle peut véoir clerement
Son doloreux gouvernement.
Et lors Pitié lui scet monstrer
Qu'il dessert bon guerdonnement,
Jb CHARLES D ORLEANS.
Pour bien et loyaument amer.
Par mon cueur je congnois pieçà
Ce mestier, car quant il soupire,
Jamais rapaisié ne sera
Tant qu'il ait envoyé de tire
Vers la belle que tant désire.
Et puis s'il peut aucunement
Oïr nouvelles seulement
De sa doulce beauté sans per,
11 oublie l'ennuy qu'il sent
Pour bien et loyaument amer.
Ma Dame, Dieu doint que briefment
Vous puisse de bouche compter
Ce que j'ay souffert longuement
Pour bien et loyaument amer.
BALLADE XXIL
Belle, combien que de mon fait,
Je croy qu'avez peu souvenance,
Toutesfois se savoir vous plaist
Mon estât et mon ordonnance,
Sachiés que loingtain de Plaisance,
Je suis de tous maulx bien garny.
Autant que nul qui soit en France,
Dieu scet en quel mauvais party.
Helas! or n'ay je rien forfait
Dont porter je doye penance,
Car tousjours je me suis retrait
Vers Léauté et Espérance,
POÈME DE LA PRISON. Sj
Pour acquérir leur bien vueiHance ;
Mais au besoing ilz m'ont failly
Et m'ont laissié, sans recouvrance,
Dieu scet en quel mauvais party.
Dangier m'a joué de ce trait,
Mais se je puis avoir puissance,
Je feray, maugré qu'il en ait,
Encontre lui une aliance ;
Et si lui rendray la grevance,
Le mal, le dueil et le soussy,
Où il m'a mis jusqu'à oultrance,
Dieu scet en quel mauvais party.
Aydiez moy à l'oultrecuidance
Vengier, com en vous ay tiance,
Ma Maistresse, je vous supply,
De ce faulx Dangier qui m'avance
Dieu scet en quel mauvais party.
BALLADE XXIIL
Loyal Espoir, trop je vous voy dormir,
Resveilliez vous et Joveuse Pensée,
Et envoyez un plaisant souvenir
Devers mon cueur, de la plus belle née
Dont au jour d'ui coure la renommée;
Vous ferez bien d'un peu le resjoïr.
Tristesse s'est avecques lui logiée ;
Ne lui vueilliez à son besoing faillir.
Car Dangier l'a desrobé de Plaisir,
Et que pis est, a de lui eslongnéc
38 CHARLES d'or LÉ ANS.
Celle qui plus le povoit enrichir;
C'est sa dame tresloyaument amée.
Oncques cueur n'eut si dure destinée.
Pour Dieu, Espoir, venez le secourir;
11 a en vous sa fiance fermée,
Ne lui vueiiliez à son besoing faillir.
Par Povreté lui fault son pain quérir
A l'uis d'Amours par chascune journée,
Or lui vueiiliez l'aumosne départir
De Lyesse, que tant a désirée.
Avancés vous, sans faire demeurée
Pensez de lui, vous savez son désir,
Par vous lui soit quelque grâce donnée,
Ne lui vueiiliez à son besoing faillir.
ENVOI.
Seulle sans pcr, de toutes gens louée
Et de tous biens entièrement douce,
Mon cueur ces maulx seuffre pour vous servir,
Sa loyauté vous soit recommandée,
Ne lui vueiiliez à son besoing faillir.
BALLADE XXIV.
Mon cueur au derrain entrera
Ou paradis des amoureux.
Autrement tort fait lui sera.
Car il a de maulx doloreux
Plus d'un cent, non pas un ou deux.
Pour servir sa belle maistresse ;
Et le tient Dangier, le crueulx,
Ou purgatoire de Tristesse.
POÈME DE LA PRISON. 39
Ainsi l'a tenu, long temps a,
Ce taulx traistre, vilain, hideux;
Espoir dit que hors le mettra
Et que n'en soye jà doubteux.
Mais trop y met, dont je me deulx;
Dieu doint qu'il tiengne sa promesse
Vers lui, tant est angoisseux
Ou purgatoire de Tristesse !
Amour grant aumosne fera,
En ce fait cy, d'estre piteux,
Et bon exemple monstrera
A toutes celles et à ceulx
Qui le servent, quant désireux
Le verront, par sa grant humblesse,
D'aidier ce povre souffreteux
Ou purgatoire de Tristesse.
Amour! faittes moy si eureux
Que mettez mon cueur en liesse :
Laissiez Dangier et Dueil tous seuls
Ou purgatoire de Tristesse.
BALLADE XXV.
Mon cueur a envoyé quérir
Tous ses bien vucillans et amis,
Il veult son grant conseil tenir
Avec eulx, pour avoir advis
Comment pourra ses ennemis,
Soussy, Dueil et leur aliincc,
Surmonter et tost deconlire,
40 CHARLES u'ORLÉANS.
Qui désirent de le destruire
En la prison de Dcsplaisance.
En désert ont mis son plaisir^
Et joye tenue en pastis ;
Mais Confort lui a, sans faillir,
De nouvel loyaument promis
Qu'ilz seront deffais et bannis;
De ce se fait fo t Espérance,
Et plus avant que n'ose dire ;
C'est ce qui estaint son martire
En la prison de Desplaisance.
Briefment voye le temps venir,
J'en prie à Dieu de paradis.
Que chascun puist vers son désir
Aler sans avoir saufconduis.
Adonc Amour et ses nourris
Auront de Dangicr moins doubtance.
Et lors sentiray mon cueur rire
Qui à présent souvent souspire
En la prison de Desplaisance.
ENVOI.
Pource que véoir ne vous puis,
Mon cueur se complaint jours et nuis
Belle nompareiUe de France,
Et m'a chargié de vous escrire
Qu'il n'a pas tout ce qu'il désire
En la prison de Desplaisance.
BALLADE XXVL
Desployez vosfre bannière,
Loyauté, je vous en prie,
POEME DE LA PRISON. 4I
Et assailliez la frontière
Où Dueil et Merencolie,
A tort et par felonnie,
Tiennent Joye prisonnière,
De moy la font estrangiere;
Je pri Dieu qu'il les maudie!
Quant je deusse bonne chiere
Démener en compaignie
Je n'en fais que la manière,
Gir quoy que ma bouche rie,
Ou parle paroUe lye,
Dangier et Destresse fiere
Boutent mon plaisir arrière;
Je pry Dieu qu'il les maudie!
Helas! tant avoye chiere,
Jà pieçà, Joyeuse Vie;
Se Raison fust droicturiere,
J'en eusse quelque partie.
Or est de mon cueur bannie
Par Fortune losengiere
Et Durté sa conseilliere;
Je pry Dieu qu'il les maudie !
Se j'avoye la maistrie
Sur ceste faulse mesgnie,
Je les meisse tous en bière;
Si est telle ma prière :
Je pry Dieu qu'il les maudie !
4a;> CHARLES D ORLEANS.
BALLADE XXVH.
Ardant désir de véoir ma maistresse
A assailly de nouvel le logis
De mon las cueur, qui languist en tristesse.
Et puis dcdens par tout a le feu mis.
En grant doubte certainement je suis
Qu'il ne soit pas legierement estaint,
Sans grant grâce. Si vous pry, Dieu d'Amours
Sauvez mon cueur, amsi qu'avez fait maint,
Je l'oy crier piteusement secours.
J'ay essayé par lermes à largesse
De lestaindre; mais il n'en vault que pis;
C'est feu grégeois, ce croy je, qui ne cesse
D'ardre, s'il n'est estaint par bon avis.
Au feu, au feu, courez, tous mes amis!
S'aucun de vous, comme lasche, rcmaint
Sans y aler, je le hé pour tousjours;
Avanciez vous, nul de vous ne soit faint.
Je l'oy crier piteusement secours.
S'il est ainsi mort par vostre percsse,
Je vous requier, au moins, tant que je puis,
Chascun de vous donnez lui une messe,
Et j'ay espoir que brief ou paradis
Des amoureux sera moult hault assis,
Comme martif et treshonnorc saint,
Qui a tenu de Loyauté le cours:
Grant tourment a, puis que si fort se plaint ;
Je l'oy crier piteusement secours.
POÈME DE LA PRISON. 48
BALLADE XXVIIL
En la nef de Bonne Nouvelle
Espoir a chargié Reconfort,
Pour l'amener, de par la belle,
Vers mon cueur qui l'ayme si fort.
A joye puist venir au port
De Désir, et pour tost passer
La merde Fortune, trouver
Un plaisant vent venant de France,
Où est à présent ma maistresse
Qui est ma doulce souvenance,
Et le trésor de ma lyesse.
Certes moult suy tenu à elle,
Car j'ay sceu, par loyal raport,
Que contre Dangier le rebelle
Qui mainteftois me nuist à tort,
Elle veult faire son effort
De tout son povoir de m'aidier,
Et, pource, lui plaist m'cnvoyer
Ceste nef plaine de Plaisance
Pour estoffer la forteresse,
Où mon cueur garde l'Espérance,
Et le trésor de ma lyesse.
Pource, ma voulenté est telle,
Et sera jusques à la mort.
De tousjours tenir la querelle
De Loyauté, où mon ressort
J'ay mis; mon cueur en est d'accort.
Si vueil en ce point dcmourer,
Et souvent Amour mercier,
Qui me fist avoir l'acoin tance
D'une si loyalle Princesse,
44 CHARLES D ORLEANS.
En qui puis mettre ma fiance
Et le trésor de ma lyesse.
Dieu vueille celle nef garder
Des robeurs, escumeurs de mer,
Qui ont à Dangier aliance.
Car, s'ilz povoient, par rudesse
M'osteroient ma desirance,
Et le trésor de ma lyesse.
BALLADE XXIX.
Je ne crains Dangier ne les siens.
Car j'ay garny la forteresse
Où moncueura retrait ses biens,
De Reconfort et de Liesse ;
Et ay fait Loyauté maistresse,
Qui la place bien gardera.
Dangier deffy et sa rudesse,
Car le Dieu d'Amours m'aydera.
Raison est et sera des miens
Car ainsi m'en a fait promesse,
Et Espoir mon chier amy tiens,
Qui a mainte-ifois. par proesse,
Bouté hors d'avec moy Destresse;
Dont Dangier, dueil et despit a.
Mais ne me chault de sa tristesse,
Car le Dieu d'Amours m'aidera.
Pource, requérir je vous viens,
Mon cueur, que prenez hardiesse;
Courez lui sus, sans craindre riens,
POÈME DE LA PRISON 45
A Dangier qui souvent vous blesse.
Si tost que vous prandrez l'adresse
De l'assaillir, il se rendra;
Je vous secourray sans peresse,
Car le Dieu d'Amours m'aidera
ENVOI.
Se vous m'aidiez, gente Princesse,
Je croy que brief le temps vendra
Que i'auray des biens à largesse,
Car le Dieu d'Amours m'aydera.
BALLADE XXX.
Belle, bien avez souvenance,
Comme certainement je croy,
De la tresplaisant aliance
Qu'Amour fist entre vous et moy;
Son secrétaire Bonne Foy
Escrist la lectre du traictié,
Et puis la scella Loyauté
Qui la chose tesmoingnera.
Quant temps et besoing en sera.
Joyeux Désir fut en présence.
Qui alors ne se tint pas coy,
Mais mist le fait en ordonnance,
De par Amour, le puissant roy;
Et, selon l'amoureuse loy.
De noz deux vouloirs, pour seurté,
Fist une seule voulante ;
Bien m'en souvient et souvendra,
Quant temps et besoing en sera.
46 CHARLES d'oRLÉANS.
Mon cueur n'a en nully fiance
De garder la lettre, qu'en sov;
Et certes ce m'est grant plaisance,
Quant si tresloyal je le voy,
Et lui conseille, comme doy,
De tousjours haïr Faulseté;
Car quiconque l'a en chierté.
Amour chastier l'en fera,
Quant temps et besoing en sera.
Pensez en ce que j'ay compté,
Ma Dame, car en vérité
Mon cueur de foy vous requerra,
Quant temps et besoing en sera.
■J
BALLADE XXXL
Venés vers moy, Bonne Nouvelle,
Pour mon las cueur reconforter.
Contez moy comment fait la belle,
L'avez vous point oy parler
De moy, et amy me nommer?
A elle point mis en oubly
Ce qu'il lui pleut de m'acorder,
Quant me donna le don d'amy?
Combien que Dangier, le rebelle,
Me fait loing d'elle demourer.
Je congnois tant de biens en elle
Que je ne pourroye penser
Que tousjours ne vueille garder
Ce que me promist sans nul sy,
POÈME DE LA PRISON. 47
Faisant noz deux mains assembler,
Quant me donna le don d'amy.
Pitié seroit, se Dame telle,
Qui doit tout honneur désirer,
Failloit de tenir la querelle
De bien et loyaument amer.
Son sens lui scet bien remonstrer
Toutes les choses que je dy
Et ce qu'Amour nous fist jurer
Quant me donna le don d'amy.
Loyauté, vueilliez asseurer
Ma Dame que sien suy, ainsi
Qu'elle me voulu commander.
Quant me donna le don d'amy.
BALLADE XXXIL
Belle, s'il vous plaist escoutcr
Comment j'ay gardé en chierté
Vostre cueur qu'il vous pleut laissier
Avec moy, par vostre bonté,
Sachiés qu'il est enveloppé
En ung cueuvrechief de Plaisance,
Et enclos, pour plus grant seurté,
Ou coffre de ma souvenance.
Et pour nettement le garder,
Je l'ay souventesfois lavé
En lermes de Piteux Penser;
Et regrettant vostre beauté,
Après ce, sans delay porté,
48 CHARLES d'oRLÉANS.
Pour sechier, au fou d'Espérance,
Et puis doulcement rebouté
Ou coffre de ma souvenance.
Pource, vueillez vous acquitter
De mon cueur que je vous ay donné,
Humblement vous en vueil prier,
En le gardant en loyauté,
Soubz clef de Bonne Voulenté,
Comme j'ay fait, de ma puissance,
Le vostre que tiens enfermé
Ou coffre de ma souvenance.
Ma Dame, je vous ay compté
De vostre cueur la gouvernance,
Comment il est et a esté
Ou coffre de ma souvenance.
BALLADE XXXIIL
L'amant. — Se je vous dy bonne nouvelle,
Moncueur,que voulez vousdonner?
Le cueur. — Elle pourroit bien estre telle
Que moult chier la vueil acheter.
L'amant. — Nul guerdon n'en quier demander.
Le cueur. — Dittes tost doncques, je vous prie,
J'ay grant désir de la savoir.
L'amant. — C'est de vostre Dame et amye
Qui loyaument fait son devoir.
Le cueur. — Que me savez vous dire d'elle
Dont me puisse reconforter ?
L'amant. — Je vous dy, sans que plus le celle,
Qu'elle vient par deçà la mer.
POÈME DE LA PRISON. 49
Le cueur. — Dittes vous vray?Sans me moquer!
L'amant. — Ouil, je vous le certiffie,
Et dit que c'est pour vous véoir.
Le ciieur. — Amour humblement j'en mercie
Qui loyaumcnt fait son devoir.
L'amant. — Que pourroit plus faire la belle
Que de tant pour vous se pener?
Le cueur. — Loyaulté souslient ma querelle,
Qui lui fait faire sans doubler.
L amant. — Pensez doncques de bien l'amer.
Le cueur. — Si feray je toute ma vie,
Sans changier, de tout mon povoir.
L'amant. — Bien doit estre dame chérie,
Qui loyaument fait son devoir.
BALLADE XXXIV.
Mon cueur, ouvrez Puis de Pensée,
Et recevez un doulx présent
Que la tresloyaument amce
Vous envoyé nouvellement,
Et vous tenez joyeusement;
Car, bien devez avoir liesse.
Quant la trouvez sans changement
Tousjours tresloyalle maistresse.
Bien devez prisier la journée
Que fustes sien premièrement;
Car sa grâce vous a donnée,
Sans faintise, tresloyaument;
Vous le povez veoir clerement,
Car elle vous tient sa promesse,
Soy monst.-ant vers vous fermement
Tousjours tresloyalle maistresse.
CHARLES d"ORLÉa.NS. I. 4
5o CHARLES d'orLÉANS.
Par vous soit doncques honnourée
Et servie soingneusement,
Tant comme vous aurez durée,
Sans point faire département;
Car vous aurez certainement,
Par elle des biens à largesse.
Puis qu'elle est si entièrement
Tousjours tresloyalle maistresse.
ENVOI.
Grans mercis des fois plus de cent,
Ma Dame, ma seule Princesse,
Car je vous treuve vrayemcnt
Tousjours tresloyalle maistresse.
BALLADE XXXV.
J'ay ou trésor de ma pensée
Un mirouer qu'ay acheté.
Amour, en l'année passée,
Le me vendy, de sa bonté.
Ou quel voy tousjours la beauté
De celle que l'en doit nommer.
Par droit, la plus belle de France.
Grant bien me fait à m'y mirer,
En attendant Bonne Espérance.
Je n'ay chose qui tant m'agrée,
Ne dont tiengne si grant chierté,
Car, en ma dure destinée,
Maintesfoiz m'a reconforté;
Ne mon cueur n'a jamais santé,
Fors quant il y peut regarder
POÈME DE LA PRISON. 5»
Des yeulx de Joyeuse Plaisance;
Il s'y esbat pour temps passer,
En attendant Bonne Espérance.
Advis m'est, chascune journée
Que m'y mire, qu'en vérité
Toute doleur si m'est ostée;
Pource, de bonne voulenté,
Par le conseil de Leauté,
Mettre le vueil et enfermer
Ou coffre de ma souvenance,
Pour plus seurementle garder,
En attendant Bonne Espérance.
BALLADE XXXVL
Je ne vous puis ne sçay amer,
Ma Dame, tant que je vouldroye ;
Car escript m'avez pour m'oster
Ennuy qui trop fort me guerroyé :
« Mon seul amy, mon bien, ma joye,
« Ccllui que sur tous amerveulx,
« Je vous pry que soyez joyeux
« En espérant que brief vous voye. »
Je sens ces motz mon cueur percer
Si doulcement que ne sauroye
Le confort, au vray, vous mander
Que vostre message m'envoye.
Car vous dictes que querez voye
De venir vers moy; se m'aid Dieux,
Demander ne vouldroye mieulx,
En espérant que brief vous voye.
Et quant il vous plaist souhaidier
D"e>tre emprès moy, où que je soyc,
52 CHARLES d'oRLÉANS.
Par Dieu nompareille sans per,
C'est trop fait, se dit l'osoye.
Se suis ge qui plus le devroye
Souhaidier de cueur tressoingneux,
C'est ce dont tant suis désireux,
En espérant que brief vous voye.
BALLADE XXXVIL
L'autr'ier alay mon cueur veoir,
Pour savoir comment se portoit;
Si trouvay avec lui Espoir
Qui doulcement le confortoit
Et ces parolles lui disoit :
Cueur, tenez vous joieusement,
Je vous fais loyalle promesse
Que je vous garde seurement
Trésor d'amoureuse richesse.
Car je vous fais, pour vray, savoir
Que la plus Iresbelle qui soit
Vous ayme de loyal vouloir;
Et voulentiers pour vous feroit
Tout ce qu'elle faire pourroit ;
Et vous mande que vrayement,
Maugré Dangier et sa rudesse
Départir vous veult largement
Trésor d'amoureuse richesse.
Alors mon cueur, pour dire voir,
De )oye souvent soupiroit.
Et, combien qu'il portast le noir,
Toutesfoiz pour lors oublioit
Toute la doleur qu'il avoit,
Pensant de recouvrer briefment
POÈME DE LA PRISON 53
Plaisance, Confort et Liesse.
Et d'avoir en gouvernement
Trésor d'amoureuse richesse.
ENVOI.
A Bon Espoir mon cueur s'atent
Et à vous, ma belle maistresse,
Que lui espargniez loyaument
Trésor d'amoureuse richesse.
BALLADE XXXVIIL
Haa, Doulx Penser, jamais je ne pourroye
Vous desservir les biens que me donnez.
Car, quant Ennuy mon povre cueur guerroyé
Par Fortune, comme bien le savés.
Toutes les fois qu'amener me voulés
Un souvenir de ma belle maistresse ,
Tantost Doleur, Desplaisir et Tristesse
S'en vont fuiant; ilz n'osent demourer
Ne se trouver en vostre compaignie ;
Mais se meurent de courrous et d'envie,
Quant il vous plaist d'ainsi me conforter.
L'aise que j'ay dire je ne sauroye.
Quant Souvenir et vous me racontés
Les tresdoulx fais, plaisans et plains de joye
Oe ma Dame, qui sont congneuz assés
En plusieurs lieux, et si bien renommés
Que d'en parler chascun en a liesse.
Pource, tous deux, pour me toUir Destresse,
D'elle vueilliez nouvelles m'aporter
Le plus souvent que pourrés. je vous prie;
54 CHARLES d'oRLÉAN s.
Vous me sauvez et maintenez la vie,
Quant il vous plaist d'ainsi me conforter.
Car lors Amour par vous deux si m'envoye
Ung doulx espoir que vous me présentes,
Qui me donne conseil que joyeux soye ;
Et puis après tous trois me promettes
Qu'à mon besoing jamais ne me fauldrcs.
Ainsi m'atens tout à vostre promesse,
Car par vous puis avoir, à grant largesse,
Des biens d'Amours, plus que ne sçay nombrer,
Maugré Dangier, Dueil et Merencolie
Que je ne crains en riens, mais les deffie.
Quant il vous plaist d'ainsi me conforter.
ENVOI.
Jeune, gente, nompareille Princesse, "^
Puis que ne puis véoir vostre jeunesse.
De m'escrire ne vous vueilliez lasser ;
Car vous faittes, je le vous certiffie,
Grant aumosne dont je vous remercie,
Quant il vous plaist d'ainsi me conforter.
y
BALLADE XXXIX.
Se je povoye mes souhais
Et mes soupirs faire voler,
Si tost que mon cueur les a fais,
Passer leur fcroye la mer
Et vers celle, tout droit aler,
Que j'ayme du cueur si tresfort,
Comme ma liesse mondaine,
Que je tcndray jusqu'à la mort
POÈMEDE LA PRISON. 55
Pour ma maistresse souveraine.
Helas ! la verray je jamais?
Qu'en dittes vous, tresdoulx Penser?
Espoir m'a promis ouil, mais
Trop long temps me fait endurer ;
Et, quant je lui viens demander
Secours à mon besoing, il dort.
Ainsi suis chascune sepmaine
En maint ennuy, sans reconfort,
Pour ma maistresse souveraine.
Je ne puis demourer en paix,
Fortune ne m'y veult laissier ;
Au fort, à présent je me tais '
Et vueil laisser le temps passer.
Pensant d'avoir, au par aler.
Par Léautc où mon ressort
J'ay mis, de Plaisance l'estraine,
En guerdoh des maulx qu'ay à tort
Pour ma maistresse souveraine.
BALLADE XL.
Fortune, vueilliez moy laissier
En paix, une fois, je vous prie;
Trop longuement, à vray compter,
Avés eu sur moy seigneurie.
Tousjours faittes la rencherie
Vers moy et ne voulez ouir
Les maulx que m'avez fait souffrir,
Il a jà plusieurs ans passez ;
Doy je tousjours ainsi languir?
Helas! et n'est ce pas assés?
Plus ne puis en ce point durer ;
56 CHARLES d'Orléans.
Et à Mercy, mercy je crie ;
Souspirs m'empeschent le parler :
Veoir le povez, sans mocquerie,
Il ne fault jà que je le dye ;
Pource, vous vueil je requérir
Qu'il vous plaise de me tollir
Les maulx que m'avez amassez,
Qui m'ont mis jusques au mourir;
Helas ! et n'est ce pas assez?
Tous maulx suy contant de porter,
Fors un seul, qui trop fort m'ennuye,
C'est qu'il me fault loing demourer
De celle que tiens pour amye ;
Car pieçà en sa compaignie
Laissay mon cucur (.t mon désir ;
Vers moy ne veulent revenir.
D'elle ne sont jamais lassez.
Ainsi suy seul, sans nul plaisir,
Helas ! et n'est ce pas assez ?
ENVOL
De balader j'ay beau loisir.
Autres deduiz me sont cassez,
Prisonnier suis, d'Amour martir :
Helas ! et n'est ce pas assez?
BALLADE XLI.
Espoir m'a apporté nouvelle
Qui trop me doit reconforter,
Il dit que Fortune, la telle,
A vouloir de soy raviser
POEME DE LA PRISON.
Et toutes faultes amender
Qu'a faittes contre mon plaisir,
En faisant sa roe tourner.
Dieu doint qu'ainsi puist avenir !
Quoy que m'ait fait guerre mortelle,
Je suis content de l'esprouver,
Et le desbat qu'ay et querelle,
Vers elle je veuil délaisser
Et tout courroux lui pardonner ;
Car d'elle me puis bien servir,
Se loyaument veult s'acquicter.
Dieu doint qu'ainsi puist avenir!
Se la povoye trouver telle
Qu'elle me voulsist tant aidier
Qu'en mes bras je peusse la belle,
Une fois, à mon gré trouver,
Plus ne vouldroye demander.
Car lors j'auroye mon désir
Et tout quanque doy souhaidier.
Dieu doint qu'ainsi puist avenir !
ENVOI.
Amour, s'il vous plaist commander
A Fortune de me chierir,
Je pense joye recouvrer;
Dieu doint qu'ainsi puist avenir!
BALLADE XLIL
Je ne me sçay en quel point maintenir.
Ce premier jour de May, plein de liesse,
Car d'une part puis dire sans faillir
58 CHARLES d'oRLÉANS.
Que, Dieu mercy, j'ay loyalle maistresse,
Qui de tous biens a trop plus qu'à largesse.
Et si pense que, la sienne mercy,
Elle me tient son servant et amy ;
Ne doy je bien doncques joye mener
Et me tenir en joyeuse plaisance?
Certes oLiil, et Amour mercier
Treshumblemcnt de toute ma puissance.
Mais d'autre part, il me convient souffrir
Tant de douleur et de dure destresse
Par Fortune, qui me vient assaillir
De tous costez, qui de maulx est princesse!
Passer m'a fliit le plus de ma jeunesse,
Dieu scet comment, en doloreux party;
Et si me fait demourer en soussy,
Loings de celle par qui puis recouvrer
Le vray trésor de ma droitte espérance.
Et que je vueil obéir et amer
Treshumblemcnt de toute .na puis a- ce.
Et pource, May, je vous \icns ijq crir,
Pardonnez moy de vostre gcnt.lLssc,
Se je ne puis apresent vous servir
Comme je doy, car je vous fais promesse,
J'ay bon vouloir envers vous, mais Tristesse
M'a si long temps en son dangier nouny
Que j'ay du tout Joye mis en oubly ;
Si me vault mieulx seul de gens eslongier;
Qui dolent est ne sert que d'encombrance.
Pource, reclus me tendray en penser
Treshumblemcnt de toute ma puissance.
Doulx Souvenir, chierement je vous pry,
Escrivez tost ceste balade cy ;
POÈME DE LA PRISON. 5<)
De par mon cueur la feray présenter
A ma Dame, ma seule desirance,
A qui pieçà je le voulu donner
Treshumblement, de toute ma puissance.
BALLADE XLIIL
Mon cueur est devenu hermite
En l'ermitage de Pensée;
Car Fortune la tresdespite
Qui l'a hay mainte journée,
S'est nouvellement allée,
Contre lui, avecques Tristesse,
Et l'ont banny hors de Lyesse ;
Place n'a où puist demourer,
Fors ou bois de Merencolie,
Il est content de s'i logicr ;
Si lui dis je que c'est folie.
iMainte parolle lui ay ditte,
Mais il ne l'a point escoutée ;
Mon parler riens ne lui proufite,
Sa voulenté y est fermée,
De legier ne seroit changée.
Il se gouverne par Destresse
Qui, contre son prouffit, ne cesse,
Nuit et-jour, de le conseillier ;
De si près lui tient compaignie
Qu'il ne peut ennuy delaissicr,
Si lui dis je que c'est folie.
Pource sachiez, je m'en acquitte,
Belle tresloyaument amée,
Se lectre ne lui est escripte
Par vous, ou nouvelle mandée,
6o CHARLES d'orI.ÉANS.
Dont sa doleur soit allégée,
11 a fait son veu et promesse
De renoncer à la richesse
De Plaisir et de Doulx Penser,
Et après ce, toute sa vie,
L'abit de Desconfort porter ;
Si lui dis je que c'est folie.
ENVOI.
Se par vous n'est, Belle sans per,
Pour quelque chose que lui dye,
Mon cueur ne se veult conforter;
Si lui dis je que c'est folie.
BALLADE XLIV.
Dangier je vous giette mon gant,
Vous apellant de traïson,
Devant le Dieu d'Amours puissant
Qui me fera de vous raison :
Car vous m'avez, mainte saison.
Fait douleur à tort endurer.
Et me faittes loings demourer
De la nompareille de France.
Mais vous l'avez tousjours d'usance
De grever lovnulx amoureux.
Et pource que je sui l'un d'eulx.
Pour eulx et moy prens la querelle;
Par Dieu, vilain, vous y mourrés
Par mes mains, point ne le vous celle,
S' à Léauté ne vous rendes.
Comment avez vous d'orgueil tant
POÈME DE LA PRISON. 6l
Que VOUS osez, sans achoison.
Tourmenter aucun vray amant
Qui, de cueur et d'entencion.
Sert Amours sans condicion?
Certes moult estes à blasmer,
Pensez doncques de l'amender.
En laissant vostre malvueillance,
Et, par treshumble repentance,
Alez crier mercy à ceulx
Que vous avez fais douloreux,
Et qui vous ont trouvé rebelle.
Autrement pour seur vous tenez
Que de gage je vous appelle,
S" à Léauté ne vous rendes.
Vous estes tous temps mal pensant,
Et plain de faulse soupeçon ;
Ce vous vient de mauvais talant
Nourry en courage félon.
Quel mai ou ennuy vous fait on,
Se par amours on veult amer,
Pour plus aise le temps passer
En lyée, joyeuse Plaisance ?
C'est gracieuse Desirance.
Pource, faulx, vilain, orgueilleux,
Changiez vos vouloirs oultragieux,
Ou je vous feray guerre telle
Que, sans faillir, vous trouvères
Qu'elle vauldra pis que mortelle,
S' à Leauté ne vous rendes.
BALLADE XLV.
Se Dieu plaist, briefment la nuée
De ma tristesse passera,
62 CHARLES d'oRLÉANS.
Belle tresloyaument amée,
Et le beau temps se monstrera :
Mais savez vous quant ce sera ?
Quant le doulx souleil gracieux
De vostre bcaulté entrera
Par les fenestres de mes yeulx
Lors la chambre de ma pensée
De grant plaisance reluira
Et sera de joye parée,
Adonc mon cueur s'esveillera
Qui en dueil dormy long temps a.
Plus ne dormira, se m'aid Dieux,
Quant caste clarté le ferra
Par les fenestres de mes yeulx.
Helas ! quant vendra la journée,
Qu'ainsi avenir me pourra,
Ma maistresse tresdesirée ?
Pensez vous que brief avendra?
Car mon cueur tousjours languira
En ennuy, sans point avoir mieulx,
Jusqu'à tant que cecy verra
Par les fenestres de mes yeulx.
De reconfort mon cueur aura
Autant que nul dessoubz les cieulx,
Belle, quant vous regardera
Par les fenestres de mes yeulx.
BALLADE XLVL
Au court jeu de tables jouer
Amour me lait mouU longuement;
POÈME DE LA PRISON. 63
Car tousjours me charge garder
Le point d'attente seulement,
En me disant que vrayement
Se ce point lyé sçay tenir,
Qu'au derrain je doy, sans mentir,
Gaangnier le jeu entièrement.
Je suy pris et ne puis entrer
Ou point qie désire souvent ;
Dieu me doint une fois gietter
Chance qui soit aucunement
A mon propos, car autrement
Mon cueur sera pis que martir,
Se ne puis, ainsi qu'ay désir,
Gaangnier le jeu entièrement.
Fortune fait souvent tourner
Les dez contre moy mallement ;
Mais Espoir, mon bon conseilher,
M'a dit et promis seurement
Que Lo auté prochainement
Fera Bon Eur vers moy venir
Qui me fera, à mon plaisir,
Gaangnier le jeu entièrement.
ENVOI.
Je vous supply treshumblement^
Amour, aprenez moy comment
J'asserray les dez sans faillir ;
Parquoy pjisse, sans plus languir,
Gaangnier le jeu entièrement.
BALLADE XLVIL
Vous, soyés la tresbien venue
Vers mon cueur, Joyeuse Nouvelle,
64 CHARLES d'oRLÉANS.
Avez vous point ma Dame veuc?
Contez moi quelque chose d'elle.
Dittes moy, n'est elle pas telle
Qu'estoit, quant derrenierement,
Pour m'oster de merencolie,
M'escrivy amoureusement :
« C'estes vous de qui suis amye. »
Son vouloir, jamais ne se mue,
Ce croy je, mais tient la querelle
De Léauté, qu'a retenue
Sa plus prochaine damoiselle;
Bien le monstre, sans que le celle
Qu'elle se maintient léaument,
Quant lui plaist, dont je la mercie,
Me mander si tresdoulcement :
K C'estes vous de qui suis amye. »
Pour le plus eureux soubz la nue
Me tiens, quant m'amye s'appelle ;
Car en tous lieux, où est congneue,
Chascun la nomme la plus belle.
Dieu doint que, maugré le rebelle
Dangier, je la voye briefment,
Et que de sa bouche me die :
Amy, pensez que seulement
C'estes vous de qui suis amye.
J'ay en mon cueur joyeusement
Escript, afin que ne l'oublie,
Ce refrain qu'ayme chierement :
C'estes vous de qui suis amye.
POÈME DE LA PRISOJ. 65
BALLADE XLVIIL
Trop long temps vous voy sommeillier,
Mon cueur, en dueil et desplaisir;
Vueilliez vous, ce jour, esveillier,
Alons au bois le May cueillir,
Pour la coustume maintenir.
Nous o: rons des oyseaulx le glay
Dont ilz font les bois retentir,
Ce premier jour du mois de May.
Le Dieu d'Amours est coustumier,
A ce jour, de feste tenir,
Pour amoureux cuears festier
Qui désirent de le servir ;
Pource, fait les arbres couvrir
De fleurs, et les champs de vert gay,
Pour la feste plus embellir,
Ce premier jour du mois de May.
Bien sçay, mon cueur, que taulx Dangier
Vous fait mainte paine souffrir;
Car il vous fait trop eslongner
Celle qui est vostre désir.
Pour tant vous fault esbat quérir;
Mieux conseillier je ne vous s.ay
Pour vostre douleur amendrir.
Ce premier jour du mois de May.
NVOI.
Ma Dame, .Tion yeul souvenir,
En cent )Ours n auroye loisir
De vous raconter, tout au vray,
CHARLES D'ORLÉANS. I. tr
D< en M^ l KS n ORLEANS.
Le mal qui tient mon cueur martir,
Ce premier jour du mois de May.
BALLADE XLIX.
J'ay mis en escript mes souhais
Ou plus parfont de mon penser ;
Et combien, quant je les ay fais,
Que peu me pevent profiter,
Je ne les vouldroie donner
Pour nul or qu'on me sceust offrir,
En espérant, qu'au par aler.
De mille l'un puist avenir.
Par la foy de mon corps ! jamais
Mon cueur ne se peut d'eulx lasser;
Car si richement sont pourtrais
Que souvent les vient rega der
Et s'y csbat pour temps passer.
En disant par ardent désir :
Dieu doint que, pour me confo;ter,
De mille i'un puist avenir!
C'est merveille, quant je me tais,
Que j'oy mon cueur ainsi parler;
Et tient avec Amour ses plais,
Que tousjours veult acompaignier;
Car il dit que des biens d'amer
Cent mille lui veult départir;
Plus ne quier, mais que, sans tarder,
De mille l'un puist avenir.
Vueilliez à mon cueur accorder,
Sans par parolles le mener,
POÈME DE LA FRISOU. 6/
Amour, que, par vostre plaisir,
Des biens que lui voulez donner
De mille l'un puist avenir.
BALLADE L.
Par le commandement d'Amours
Et de la plus belle de France,
J'enforcis mon chastel tousjours
Appelle Joyeuse Plaisance,
Assis sur roche d'Espérance;
Avitaillé l'ay de Confort ;
Contre Dangicr et sa puissance
Je le tendray jusqu'à la mort.
En ce chastel y a trois tours,
Dont l'une se nomme Fiance
D'avoir briefment loyal secours;
Et la seconde Souvenance ;
La tierce Ferme Desirance.
Ainsi le chastel est si fort
Que nul n'y peut faire grevance;
Je le tendrav jusqu'à la mort.
Combien que Dangier, par faulx tours.
De le m'oster so'Jvent s'avance,
Mais il trouvera le rebours,
Se Dieu plaist, de sa malvueillance.
Bon Droit est de mon aliance.
Loyauté et lui sont d'accort
De m'aidier, pource, sans doubtance
Je le tendray jusqu'à la mort.
6S CHARLES d'oRLÉANS.
Faisons bon guet sans deccvance
Et assaillons par orJonn incc,
Mon cueur, Dangicr qui nous fait tort;
Se prandre le puis par vaillance,
Je le tendray jusqu'à la mort.
BALLADE LL
La première fois, ma Maistresse,
Qu'en vostre présence vendray.
Si ravi seray de liesse
Qu'à vous parler je ne pourray ;
Toute contenance perdray,
Car, quant vostre beauté luira
Sur moy, si fort esbloïra
Mes yeulx que je ne verray goutte;
Mon cueur aussi se pasme a,
C'est une chose que fort doubte.
Pourcc, nompareille Princesse,
Quant ainsi devant voas seray,
Vueilliez, par vostre grant humblesse,
Me pardonner, se je ne sçay
Parler à vous, comme devray ;
Mais tost après, s'asseurera
Mon cueur et puis vous contera
Son fait, mais que nul ne l'escoutej
Dangier grant guet sur lui fera,
C'est une chose que fort doubte.
Et se mettra souvent en presse
D'oûir tout ce que je diray
POÈME DE LA PRISON. tC)
Mais je pense que par sagesse
Si tresbien me gouverncray
Kt telle manière tendray
Que faulx Dangier trompé sera,
Ne nulle riens n'apperccvra ;
Si mettra il sa painne toute
D'espier tout ce qu'il pourra;
C'est une chose que fort double.
BALLADE LIL
Me mocqués vous, Joyeux Espoir,
Par parolles trop me menez,
Pensez vous de medejevoir!
Chascun jour vous me promettes
Que briefment véoir me ferez
Ma Dame, la gente Prince>se,
Qui a mon cueur entièrement;
Pour Dieu, tenés vostre promesse,
Car trop ennuie qui attent.
Il a long temps, pour dire voir,
Que tout mon estât con-;noissés.
N'ay je fait mon loyal devoir
D'endurer, comme bien savés?
Oùil, ce croy je plus qu'assés.
Temps est que me donnez Liesse,
Desservie l'ay loyaumenf,
Pardonnez moy se je vous presse,
Car trop ennuie qui attent.
Ne me mettez à nonchaloir,
Honte se a se me faillies,
Veu qui nu fie main et soir
En tout Cv." que taire vouldrés.
CHARLKS D ORLÉANS.
Se mieulx faire ne me povez,
Au moins monstre;: moy ma maistrcsse
Une fois, pour aucunement
Allcgier le mal qui me blesse,
Car trop ennuie qui attent.
Espoir, tous) ours vous m'asseurés
Que bien mon fait ordonnerés,
Bel me parlés, je le confesse.
Mais, tant y mettez longuement
Que je languis en grant destresse,
Car trop ennuie qui attent.
BALLADE LIIL
Le premier jour du mois de May
S'acquitte vers moy grandement;
Car, ainsi qu'à présent je n'ay-
En mon cueur que deuil et tourment,
Il est aussi pareillement
Troublé, plain de \enr et de pluie ;
Estre souloit tout aut;-ement,
Ou temps qu'ay congneu en ma vie.
Je croy qu'il se met en ess'y
De m'acompaignier loyaument;
Content m'en tiens, pour dire vray;
Car meschans, en leur pensemcnt.
Reçoivent grand allégement,
Quant en leurs maulx ont compaignie;
Essayé l'ay certainement.
Ou temps qu'ay congneu en ma vie.
POÈME DE La prison. Jl
Las! j'ay veu May joyeux et gay
Et si plaisant à toute L;cnt
Que raconter au long ne sçay
Le plaisir et esbatement
Qu'avoit en son commandement;
Car Amour, en son abbaye,
Le tenoit chief d^ son couvent,
Ou temps qu'ay congncu en ma vie.
Le temps va je ne sçay comment,
Dieu l'amen Je prouchainement!
Car Plaisan.e s'est endormie
Qui soulo t vivre lycment,
Uu temps qu'ay congaeu en ma vie.
BALLADE LIV.
Pour Dieu, gardez bien Souvenir
Enclos dedcn; voitre pensée,
Ne le laissiez dehors yssir,
Belle trcsloyaument amée.
Faittes quechascune journée
Vous ramentoive bien souvent
La manière quoy et comment,
Jà pie^à, me feistes promesse,
Quant vous retins premièrement
-Ma Dame, ma seule maistresse.
Vous savez que, par Franc Désir
Et Loyal Amour conseillée.
Me déistes que, sans départir,
De m'amcr estiés fermée,
Tant comme j'auroye durée.
CHARLES d'oRLÉANS.
Je mctz en vostre jugement
Se ma bouche dit v.ay ou ment.
Si tiens que parler de princesse
Vient du cueur, sans dccevement.
Ma Dame, ma seule maistresse.
Non pour tant, me fault vous ouvrir
La doubte qu'en moy est entrée.
C'est que i'ay paour, sans vous mentir,
Que ne m'ayez, tresbellc née,
Mis en oubly; car mainte année
Suis loingtain de vous longuement,
Et n'oy de vous aucunement
Nouvelle pour avoir liesse ;
Pourquoy vis dolorcusement,
Ma Dame, ma seule miii^tr.-sse.
Nul remède ne sçay quérir
Dont ma doleur soit al cgée,
Fors que souvent vous requérir
Que la foy que m'avez donnée
Soit par vous loyaument gardée.
Car vous cognoissiez clcrement
Que, par vostre commandenent,
Ay despendu de ma jeunesse.
Pour vous attendre seulement,
Ma Dame, ma seule maistresse.
Plus ne vous convient esclarsir
La chose que vous ay comptée;
Vous la congnoissiez, sans faillir;
Pource, soyez bien advisée
Que je ne vous treuve muée.
Car, s'en vous treuve changement,
Je requerray tout haultement,
Devant l'amoureuse Déesse,
Que i'aye de vouî vengement.
Ma Djme.ma seule maistresse.
POÈME DE LA PRISON. ^3
Se je puis véoir seurement
Que m'amés tousjours loyaument.
Content suis de passer destresse
En vous servant joyeusement.
Ma Dame, ma seule maistresse.
BALLADE LV.
Helas! helas! quia laissié entrer
Devers mon cueur Doloreuse Nouvelle?
Conté lui a plaincment, sans celer,
Que sa Dame, la tresplaisant et belle,
Qu'il a long temps tresloyaument servie.
Est à présent en griefve maladie;
Dont il est cheu en desespoir si fort
Qu'il souhaide piteuseaient la mort
Et dit qu'il est ennuyé de sii vie.
Je suis aie pour le réconforter.
En lui priant qu'il n'ait nul soussy d'elle,
Car, se Dieu plaist, il orra br.ef conter
Que ce n'est pas malaJie mo tjl e,
Lt que sera prochainement guérie.
Mais ne lui chault de chose que lui die,
Ainçois en pleurs a tousjours son ressort
Par Tristesse qui asprement le mort.
Et dit qu'il est ennuyé de sa vie.
Quant je lui dy qu'il ne se doit doubter,
Car Fortune n'est pas si trescruelle,
Qu'elle voulsist hors de ce monde oster
Celle qui est des princesses l'estoille,
Qui partout luist des biens dont est garnie;
74 CHARLES D ORLEANS.
Il me respond qu'il est foui qui se fie
En Fortune qui a fait à maint tort.
Ainsi ne voult recevoir reconfort
Et dit qu'il est ennuyé de sa vie.
Dieu tout puissant, par vostre courtoisie
Guérissez la, ou mon cueur vous supplie
Que vous souflfrez que la mort son cfiort
F'ace sur lui, car il en est d'accort
Et dit qu'il est ennuyé de sa vie.
BALLADE LVL
Sitostque l'autre jour j'ouy
Que ma souveraine sans pcr
Estoit guérie, Dieu mercy,
Je m'en alay sans point tarder
Vers mon cueur pour le lui conter;
Mais certes tant le desiroit.
Qu'à paine croire le povoit,
Pour la grant amour qu'a en elle,
Et souvent apar soy disoit :
Saint Gabriel, bonne nouvelle!
Je lui dis : mon cueur, je vous pry,
Ne vueilliez croire ne penser
Que moy, qui vous suy vray amy.
Vous vueille mensonges trouver,
Pour en vain vous reconforter.
Car, trop mieulx taire me vaudroit.
Que le dire se vray n'estoit;
Mais la venté si est telle.
POÈME DE LA PRISON. jS
Soyez joyeulx comment qu'il soit.
Saint Gabriel, bonne nouvelle!
Alors mon cueur me respondy :
Croire vous vueil sans plus doubtcr,
Et tout le courrous et soussy
Qu'il m'a convenu endurer,
En joye le vueil retourner;
Puis après, ses yeulx essuyoit
Que de plourer moilliez avoit.
Disant : il est temps que rappelle
Espoir qui delaissié m'avoit.
Saint Gabriel, bonne nouvelle!
Il me dist aussi qu'il feroit,
Dedens l'amoureuse chapelle,
Chanter la messe qu"il nom noit
Saint Gabriel, bonne nouvelle.
BALLADE LVIL
Las! Mort qui t'a fait si hardie,
De prendre la noble Princesse
Qui estoit mon confort, ma vic,
Mon bien, mon plaisir, ma richesse!
Puis que tu as prins ma maistrcsse,
Prens moy aussi son serviteur,
Car j'ayme mieulx prouchainemcnt
Mourir que languir en tourment.
En paine, soussi et doleur
Las! de tous biens estoit garnie
Et en droite fleur de jeunesse!
7*^ CHARLES D ORLÉANS.
Je pry à Dieu qu'il te maudie,
Faulse Mort, pkune de rudesse!
Se prise l'eusses en vieillesse,
Ce ne fust pas si grant rigueur ;
Mais prise l'as hastivement,
Et m'as laissié piteusement
En paine, soussi et doleur.
Las! je suis seul, sans compaignief
Adieu ma Dame, ma liesse!
Or est nostre amour départie.
Non pour tant, je vous fais promesse
Que de prières, à largesse,
Morte vous serviray de cueur,
Sans oublier aucunement ;
Et vous regretteray souvent
En paine, soussi et doleur.
ENVOI.
Dieu, sur tout souverain Seigneur,
Ordonnez, par grâce et doulceur.
De l'ame d'elle, tellement
Qu'elle ne soit pas longuement
En paine, soussi et doleur.
BALLADE LVIIL
J'ayaux esches joué devant Amours,
Pour passer temps, avecques faulx Dangier,
Et eurement me suy gardé tousjours.
Sans riens perdre jusques au derrenier
Que Fortune lui eu venu aidier.
Et par meschief, que maudite soit elle!
POEME DE I.A PRISON.
A ma Dame prise soudainement ;
Par quoy suy mat, je le voy clerement,
Se je ne fais une Dame nouvelle.
En ma Dame j'avoye mon secours,
Plus qu'en autre, car souvent d'encombrier
Me delivroit, quant venoit à son cours,
Et en gardes taisoit mon jeu lier;
Je n'avoye Pion, ne Chevalier.
Autlin, ne Rocq qui peussent ma querelle
Si bien aidier. 11 y pert vrayement,
Car j'ay perdu mon jeu entièrement,
Se je ne tais une Dame nouvelle.
Je ne me sçay jamais garder des tours
De Fortune, qui maintes foiz changier
A fait mon jeu et tourner à rebours;
Mon dommage scet bien tost expier,
Elle m'assault sans point me deffier.
Par mon serment, oncques ne congneu telle.
En jeu party suy si estrangemenc
Que je me rens et n'y voy sauvement,
Se je ne lais une Dame nouvelle.
BALLADE LIX.
Je me souloye pourpenser
Au commencement de l'année,
Quel don je pourroye donner
A ma Dame la bien amée :
Or suis hors de ceste pensée,
Car xMort l'a mise soubz la lame,
Et l'a hors de ce monde ostée.
Je pry à Dieu qu'il en ait l'ame.
Non pour tant, pour tousjours garder
11
78 ■ CHARLES d'ORLÉANS.
La coustLime que j'ny usée,
Et pour à toutes gens monstrer
Que pas n'ay ma Dame oubliée,
De messes je l'ay estrenée;
Car ce me seroit trop de blasme
De l'oublier ceste journée,
Je pry à Dieu qu'il en ait lame.
Tellement lui puist proulHter
Ma prière que confortée
Soit son ame, sans point tarder,
Et de ses bienfais guerdonnée
En Paradis et couronnée
Comme la plus loyalle Dame
Qu'en son vivant j'aye trouvée;
Je pry à Dieu qu'il en ait 1 ame.
Quant je pense à la renommée
Desgrans biens dont estoit parée,
Mon povre cucur de dueil se pasme ;
De lui souvent est regrettée,
Je pry à Dieu qu'il en ait l'ame.
BALLADE LX.
Quant Souvenir me ramentoit
La grant beauté dont estoit plaine,
Celle que mon cueur appeloit
Sa seule Dame souveraine,
De tous biens la vraye fontaine,
Qui est morte nouvellement.
Je dy, en pleurant tendrement :
POÈME DE LA PRISON. 79
Ce monde n'est que chose vaine.
Ou vieil temps grant renom couroit
De Creséide, Yseud, Elaine
Et maintes autres qu'on nommoit
Parfaittes en beauté haultaine.
Mais, au derrain, en son demaine
La Mort les prist piteusement;
Parquoy puis véoir clerement
Ce monde n'est que chose vaine.
La Mort a voulu et voulJroit,
Bien le cognois, mettre sa paine
De destruire, s'elle povoit.
Liesse et Plaisance Mondaine,
Quant tant de belles dames maine
Hors du monde; car vraycment
Sans elles, à mon jugement,
Ce monde n'est que chose vaine.
Amours, pour vérité certaine,
Mort vous guerrie feliement;
Se n'y trouvez amendement.
Ce monde n'est que chose vaine.
BALLADE LXL
Le premier jour du mois de May,
Trouvé me suis en compaignie
Qui estoit, pour dire le vray,
De gracieuseté garnie ;
Et. pour oster merencolie,
Fut ordonné qu'on choisiroit,
8o CHARLES d'ORLÉANS.
Comme fortune donneroit,
La fueille plaine de verdure,
Ou la fleur pour toute l'année;
Si prins la feuille pour livrée,
Comme lors fut mon aventure.
Tantost après je m'avisay
Qu'à bon droit l'avoye choisie
Car, puis que par mort perdu ay
La fleur, de tous biens enrichie,
Qui estoit ma Dame, m'amie,
Et qui de sa grâce m'amoit
Et pour son amy me tenoit,
Mon cueur d'autre flour n'a plus cure;
Adonc cogneu que ma pensée
Acordoit à ma destinée.
Comme fut lors mon aventure.
Pource, le fueille porteray
Cest an, sans que point je l'oublie;
Et à mon povoir me tendray
Entièrement de sa partie;
Je n'ay de nulle flour envie,
Porte la qui porter la doit.
Car la fleur, que mon cueur amoit
F'ius que nulle autre créature,
Est hors de ce monde passée.
Qui son amour m'avoit donnée,
Comme lors fut mon aventure.
Il n'est fueille, ne fleur qui dure
Que pour un temps, car espruuvée
J'ay la chose que j'ay contée
Comme lors fut mon aventure.
POEME DE LA PillSON.
BALLADE LXH.
Le lendemain du premier jour de May,
Dedens mon lit ainsi que je dormoye,
Au point du jour m'avint que je songay
<^)ue devant moy une fleur je véoye
Qui me disoit : Amy, je me souloye
En toy fier, car pieçà mon party
Tu tenoies, mais mis l'as en oubly,
En soustenant la fueille contre moy;
J'ay merveille que tu veulx faire ainsi
Riens n'ay méfiait, se pense je, vers toy.
Toutesbahy alors je me trouvay,
Si respondy, au mieulx que je savoye :
Tresbelle fleur, oncques je ne pensay
Faire chose qui desp!aire te doye :
Se, pour esbat, Aventure m'envoya
Que je serve la fueille cest an cy,
Doy je pour tant estre de toy banny?
Nennil certes, je fais comme je doy
Et se je tiens le party qu'ay choisy,
Riens n'ay méfiait, ce pense je, vers toy.
Car non pour tant, honneur te portera/
De bon vouloir, quelque part que je soye,
Tout pour l'amour d'une fleur que j'amay
Ou temps passé. Dieu doint que je la voye
En Paradis, après ma mort, en joye;
Et pource, fleur, chierement je te pry.
Ne te plains plus, car cause n'as pourquoy,
Puis que je fais ainsi que tenu suy,
Riens n'ay méfiait, ce pense je, vers toy.
CHARLES D ORLEANS. I.
82 CHARLES D'oRLÉANS.
La venté est telle que je dy,
J'en fais juge Amour, le puissant Roy ;
TresJoulce fleur, point ne te cry mercy,
Riens n'ay meffait, se pense je, vers toy.
BALLADE LXIIL
En la forest d'Ennuyeuse Tristesse,
Un jour m'avint qu'apar mov cheminoye,
Si rencontray l'Amoureuse Déesse
(^ui m'appella, demandant où j'aloye.
Je respondy que, par Fortune, e-itoye
Mis en exil en ce bois, long temps a,
Et qu'à bon droit appeller me povoye
L'omme esgaré qui ne scet où il va.
Et sousriant, par sa tresgrant humblesse,
Me respondy : « Amy, se je savoye
Pourquoy tu es mis en ceste destresse,
A mon povoir voulentiers t'ayderoye ;
Car, jà pieçà, je mis ton cueur en voye
De tout plaisir, ne sçay qui l'en osta;
Or me desplaist qu'à présent je te voye
L'omme esgaré qui ne scet où il va.
— Helas! dis je, souveraine Princesse,
Mon fait savez, pourquoy le vous diroye?
C'est par la Mort qui fait à tous rudesse,
Qui m'a toUu celle que tant amoye,
En qui estoit tout l'espoir que j'avoye,
Qui meguidoit, si bien m'acompaigna
En son vivant que point ne me trouvoye
L'omme esgaré qui ne scet où il va.
POÈME DE LA PRISON. 83
Aveugle suy, ne sçay où aler doye;
De mon baston, affin que ne forvoye,
Je vois tastant mon chemin çà et là;
C'est grant pitié qu'il convient que je soye
L'omme esgaré qui ne scet où il va.
BALLADE LXIV
J'ay esté de la compaignie
Des amoureux moult longuement,
Et m'a Amour, dont le mercie,
Donné de ses biens largement;
Mais au derrain, ne sçay comment,
Mon fait est venu au contraire;
Et, à parler ouvertement,
Tout est rompu, c'est à refaire.
Certes, je ne cuidoye mie
Qu'en amer eust tel changement;
Car chascun dit que c'est la vie
Où il a plus d'esbatement ;
Helas! j'ay trouvé autrement;
Car, quant en l'amoureux repaire
Cuidoye vivre seurement,
Tout est rompu, c'est à reffaire
Au fort, en Amour je m'affie
Qui m'aidera aucunement,
Pour l'amour de sa seigneurie
Que j'ay servie loyaument;
N'oncques ne fis, par mon serment,
Chose qui lui doye desplairc,
§4 CHARLES d'oRLÉANS.
Et, non pourtant, cstrangemcnt
Tout est rompu, c'est à refaire.
ENVOI.
Amour, ordonnez tellement
Que j'aye cause de me taire.
Sans plus dire de cueur dolent :
Tout est rompu, c'est à reiîaire.
BALLADE LXV.
Plaisant Beauté mon cueur nasvra,
Jà pieçà, si tresdurement
Qu'en la fièvre d'Amours entra,
Qui l'a tenu moult asprement;
Mais, de nouvel, présentement,
Ung bon médecin qu'on appelle
Non Chaloir, que tiens pour amy.
M'a guery, la sienne mercy.
Se la playe ne renouvelle.
Quant mon cueur tout sain se trouva,
Il l'en mercia grandement
Et humblement lui i-'emanda
S'en santé seroit longuement?
Il respondy tressagement :
« Mais que gardes bien ta fourcellc
Du vent d'Amours qui te fery,
Tu es en bon point |u^qu'à cy,
Se la playe ne renouvelle.
L'emhusche de Plaisir entra
Parmy tes yculx soulivement;
Jeunesse le mal pourchassa,
POÈME DE LA PRISON. 85
Qui t'avoit en gouvernement
Et puis bouta privéement
Dedans ton logis l'estincelle
D'Ardant Désir qui tout ardv;
Lors fus nasvré, or t'ay guery,
Se la playe ne renouvelle.
BALLADE LXVL
Le beau souleil, le jour saint Valentin
Qui apportoit sa chandelle alumée,
N'a pas long temps, entra un bien matin
Privéement en ma chambre fermée.
Celle clarté, qu'il avoit apportée.
Si m'esveilla du somme de Soussy
Où j'avoye toute la nuit dormy
Sur le dur lit d'Ennuieuse Pensée.
Ce jour aussi, pour partir leur butin
Des biens d'Amours, faisoient assemblée
Tous les oyseaulx, qui parlans leur latin,
Crioyent fort, demandans la livrée
Que Nature leur avoit ordonnée.
C'estoit d'un per, conime chascun choisy
Si ne me peu rendormir, pour leur cry,
Sur le dur lit d'Ennuieuse Pensée.
Lors en moillant de larmes mon coessin,
Je regrettay ma dure destinée.
Disant : Oyseaulx je vous voy en chemin
De tout plaisir et joye désirée;
Chascun de vous a per qui lui agrée,
Et point n'en ay, car Mort, qui m'a trahy,
A prms mon per, dont en ducil je languy
Sur le dur lit d'Ennu'.euse Pensée.
86 CHARLES d'oRLÉANS.
Saint Valentin choisissent ceste année
Ceulx et celles de l'amoureux party;
Seul me tendray, de Confort desgarny,
Sur le dur lit d'Ennuieuse Pensée.
BALLADE LXVIL
Mon cueur dormant en Non Chaloir,
Resveillicz vous joyeusement,
Je vous fais nouvelles savoir,
Qui vous doit plaire grandement;
Il est vray que présentement
Une Dame treshonnorée
En toute bonne renommée.
Désire de vous acheter.
Dont je suy joyculx et d'accort;
Pour vous, son cueur me veult donner
Sans départir, jusqu'à la mort
Ce change doy je recevoir
En grant gré, tre^joyeuscmcnt:
Or, vous charge d'entier po\oir
Si chier et ta it estroittement
Que je puis, plus que loyaumcnt
Soit par vous chérie et amée;
Et, en tous lieux, nuit et journée
L'acompaigniez, sans la laissicr.
Tant que j'en aye bon rapport;
Il voLi^ convient sien demourer,
Sans départir, jusqu'à la mort.
Alez vous logier ou manoir
De son tresgracicux corps gcnt,
POÈME DE LA PRISON. 8/
Pour y demeurer main et soir,
Et l'onnourer entièrement.
Car, par son bon commandement,
Lieutenant vous veult ordonner
De son cueur, en joyeulx déport
Pensés de bien vous gouverner,
Sans depjrtir, jusqu'à la mort.
BALLADE LXVIIL
Belle, se ne m'osez donner
De voz doulx baisiers amoureux,
Pour paour de Dangier courroucer,
Qui tousjours est fel et crueux;
J'en embleray bien ung ou deux;
Mais que n'y prenez desplaisir
Et que le vueilliez consentir,
Maugré Dangier et ses consculx.
De ce faulx vilain aveugler.
Dieu scet se j'en suis désireux;
Nul ne le peut aprivoiser,
Tous temps est si soupeçonneux
Qu'en penser languist dolorcux
Quant il voit Plaisance venir;
Mais elle se scet bien chevir,
Maugré Dangier et ses conseulx.
Quant estroit la cuide garder,
Hardy Cueur, secret et eureux,
S'avecques lui scet amener
Avis Bon et Aventureux,
Desguisé soubz Maintien Honteux,
Bien pevent Dangier endormir;
Lors PIai<;ance fait son désir,
Maugré Dangier et ses conseulx.
CHARLES D ORLEANS.
Bien dessert guerdon plantureux
Advis, qui scet si bien servir
Au besoing et trouver loisir,
Maugré Dangier et ses conseulx.
BALLADE LXIX.
J'ay fait l'obseque de ma Dame
DeJens le moustier amoureux,
Et le service pour son aaie
A chanté Penser Doloreux;
Mains sierg^s de Soupirs Piteux
Ont e^té en son luminaire;
Aussy j'ay fait la toiibe faire
De iiegrcz, tous de lermes pains,
Et tout en tour, moult richement,
Est cscript : Cy gist vrayement
Le trésor de tous biens mondains.
Dessus elle, gist une lame
F.iictc d'or et de sallirs bleux;
Car satlir est nomme la jame
De Loyauté, et l'or cureux.
Bien lui appartiennent ces deux ;
Car Eur et Loyauté pourtraire
Voulu, en la tresdcbonnaire.
Dieu qui la tist de ses deux mains
Et fourma merveilleusement.
C'estoit ù parler plainement.
Le trésor de tous biens mondains.
N'en parlons plus, mon cueur se pasme
Quant il oyt les fais vertueux
POÈME DE LA PRISON. 89
D'elle qui estoit sans nul blasme,
Comme jurent celles et ceulx
Qui congnoissoyent ses conseulx;
Si croy que Dieu la voulu traire
Vers lui, pour parer son repaire
De Paradis, où sont les saints;
Car c'est d'elle bel parement,
Que l'en nommoit communément
Le trésor de tous biens mondains.
De riens ne servent pleurs, ne plains;
Tous mourrons, ou tart ou brieUTient;
Nul ne peut garder longuement
Le trésor de tous biens mondains.
BALLADE LXX.
Puis que ISlort a prins ma maistresse,
Que sur toutes amer souloye,
Mourir me con ient en tristesse,
Certes plus vi re ne pourroye.
Pource, par deftaulte de joye
Tresmalade, mon testament
J'ay mis en escript doloreux,
Lequel je présente humblement
Devant tous loyaulx amoureux.
Premièrement, à la haultesse
Du Dieu d'Amours donne et envoyé
Mon esperit, et en humblesse
Lui supplie qu'il le convoya
En son Paradis et pourvoye;
go CHARLES D ORLEANS.
Car je jure que loyaument
L'a servi de vueil désireux ;
Advouer le puis vrayement
Devant tous loyaulx amoureux.
Oultre plus, vueil que la richesse
Des biens d'Amours qu'avoir souloye
Départie soit, à largesse,
A vrais amans, et ne vouldroye
Que fa ulx amans, par nulle voye,
En eussent part aucunement;
Oncques n'euz amistié à eulx ;
Je le prans sur mon sauvement
Devant tous loyaulx amoureux
Sans espargnier or, ne monnoye,
Loyaulté veult qu'enterré soye
En sa chapelle grandement;
Dont je me tiens pour bien eureux,
Et l'en mcrcie chicrement
Devant tous loyaulx amoureux.
BALLADE LXXL
J'oy estrangement
Plusieurs gens parler,
Qui trop mollement
Se plaingncnt d'amer;
Car, iegierement.
Sans paine porter,
Vouldroient, briefmcnt,
A fin amener
POKME DE LA PRISON. QI
Tout leur pensement.
C'est fait follement
D'ainsi désirer;
Car qui loyaument
Veulent acquester
Bon guerdonnement,
Maint mal endurer
Leur fault, et souvent
A rebours trouver
Tout leur pensement.
S'Amour humblement
Veulent honnourer,
Et soingneusement
Servir, sans faulser;
Des biens largement
Leur fera donner;
Mais, premièrement,
Il vcult esprouver
Tout leur pensement»
:,2 CHARLES D OIU.KANS.
SONGE EN COMPLAINTE.
Après le jour qui est fait pour traveil,
Ensuit la nuit pour repos ordonnée ;
Pource, m'avintque chargié de sommeil
Je me trouvay moult fort, une vesprée,
Pour la peine que j'avoye portée
Le jour devant, si lis mon appareil
De me couchier, sitost que le souleil
Je vy retrait et sa clarté mussée.
Quant couchié fu, de legier m'endormy,
Et en dormant, ainù que je songoye,
Advis me fu que, devant moy, je vy
Ung vieil homme que point ne congnoissoye ;
Et non pour tant, autretl'oiz veu l'avoye,
Ce me sembla, si me trouvay marry
Que j'avoye son nom mis en oubly,
Et, pour honte, parler à lui n'osoye.
Un peu se teut, et puis m'araisonna.
Disant : « Amy, n'avez vous de moy cure?
Je suis Aage qui lettres apporta
A Enfance, de par Dame Nature,
Quant lui chargcay que plus la nourriture
N'auroit de vous ; alors vous délivra
A. Jeunesse, qui gouverné vous a
Moult longuement, sans raison et mesure.
Or est ainsi que Raison, qui sur tous
Doit gouverner, a fait tresgrant complainte
A Nature, de Jeunesse et de vous,
Disant qu'avez tous deux fait faulte mainte.
Avisez vous, ce n'est pas chose fainte ;
POÈME DE LA PRISON. 9^
Car Vieillesse, la mère de courrous,
Qui tout abat et amaine au dessoubz,
Vous donnera dedens brief une atainte.
Au derrenier, ne la povez fuir.
Si vous fault mieulx, tantdis qu'avez Jeunesse,
A vostre honneur de Folie partir,
Vous esloingnant de l'amoureuse adresse;
Car, en descort sont Amours et Vieillesse:
Nul ne les peut à leur gré bien servir.
Amour vous doit pour excusé tenir,
Puisque la Mort a prins vostre maistresse.
Et tout ainsi qu'assés est avenant
A jeunes gens, en l'amoureuse voye
De temps passer, c'est aussi mal séant
Quant en amours un vieil homme foUoye ;
Chascun s'en rit, disant : Dieu qu'elle joye!
Ce foui vieillart veult devenir enfant!
Jeunes et vieulx du doy le vont monstrant,
Moquerie par tous lieux le convoyé.
A vostre honneur povez Amours laisser
Eh jeune temps, comme par Nonchalance:
Lors ne pourra nul de vous raconter.
Que l'ayez fait par faulte de Puissance;
Et dira l'en que c'est par Desplaisance
Que ne voulés en autre lieu amer,
Puisqu'est morte vostre Dame sansper,
Dont loyaument gardez la souvenance.
Au Dieu d'amours requérez humblement
Qu'il lui plaise de reprandre l'ommage
Que lui feistes, par son commandement,
Vous rebaillant vostre cueur qu'a en gage,
iMerciez le des biens qu'en son servage
Avez reccuz ; lors gracieusement
Départirez de son gouvernement,
A grant honneur comme loyal et sage.
94 CHARLES d'oRLÉANS.
Puis requerés à tous les amoureux
Que chascun d'eulx tout ouvertement die
Se vous avez riens failly envers eulx,
Tant que suivy avez leur compaignie,
Et que par eulx soit la faulte punie ;
Leur requérant pardon de cueur piteux,
Car de servir esties désireux
Amours, et tous ceulx de sa seigneurie.
Ainsi pourrez départir du povoir
Du Dieu d'Amours, sans avoir charge aucune.
C'est mon conseil, faittes vostre vouloir,
Mais gardez vous que ne croiez Fortune
Qui de flater est à chascun commune ;
Car tousjours dit qu'on doit avoir espoir
De mieulx avoir, mais c'est pour décevoir.
Je ne congnois plus faulse soubz la lune.
Je sçay trop bien, s'escouter la voulez
Et son conseil plus que le mien eslire,
Elle dira que, s'Amours délaissiez.
Vous ne povez mieulx vostre cueur dcstruire;
Car vous n'aurés lors à quoy vous déduire,
Et tout plaisir à nonchaloir mettrès,
Ainsi, le temps en grant ennuy perdrés,
Qui pis vauldra que l'amoureux martire.
Et puis après, pour vous donner confort,
Vous promettra que recevrez amende
De tous les m:iulx qu'avez soufFers à tort,
Et que c'est droit qu'aucun guerdon vous rende;
Mais il n'est nul qui à elle s'atende.
Qui tost ou tard ne soit, je m'en fais fort,
D'elle deceu, à vous je m'en raport;
Si pry à Dieu que d'elle vous deffende. »
En tressaillant, sur ce point m'esveillay,
Tremblant ainsi que sur l'arbre la fueille.
Disant : Helas ! oncques mais ne songay
POÈME DE LA PRISON. yS
Chose dont tant mon povre cueur se dueille ,
Car, s'il est vray que Nature me vueille
Abandonner, je ne sçay que feray ;
A Vieillesse tenir pié ne pourray,
Mais convendra que tout ennuy m'accueille.
Et non pour tant, le vieil homme qu'ay veu
En mon dormant, lequel Aage s'appelle,
Si m'a dit vray; car j'ay bien aperceu
Que Vieillesse veult emprandre querelle
Encontre moy; ce m'est dure nouvelle
Et jà soit ce qu'à présent suy pourveu
De jeunesse, sans me trouver recreu.
Ce n'est que sens de me pourveoir contr'elle.
A celle fin que quant vendra vers moy,
Je ne soye despourveu comme nice;
C'est pour le mieulx, s'avant je mepourvoy,
Et trouvcray Vieillesse plus propice,
Quant congnoistra qu'ay laissé tout office
Pour la suir; alors, en bonne foy
Recommandé m'aura, comme je croy,
Et moins soussy auray en s")n service.
Si suis content, sans changier désormais;
Et pour tousjours entièrement propose
De renoncer à tous amoureux fais ;
Car il est temps que mon cueur se repose.
Mes yeulx cligniez et mon oreille close
Tendray, afin que n'y entrent jamais,
Par Plaisance, les amoureux atrais;
Tant les congnois qu'en eux fier ne m'ose.
Qui bien se veult garder d'amoureux tours,
Quant en repos sent que son cueur sommeille.
Garde ses yeulx emprisonnez tousjours ;
S'ils eschappent, ilz crient en l'oreille
Du cueur qui dort, tant qu'il fault qu'il s'esvci'.le,
Et ne cessent de lui parler d'Amours,
1)6 CHARLES d'ORLÉANS.
Disans qu'ilz ont souvent hanté ses cours,
Où ilz ont veu plaisance nompareille.
Je sçay par cueur ce mestier bien à plain,
Et m'a longtemps esté si agréable
Qu'il me sembloit qu'il n'estoit bien mondain
Fors en Amours, ne riens si honnorable.
Je trouvoye, par maint conte notable,
Comment Amour, par son povoir haultain,
A avancié comme roy souverain,
Ses serviteurs en estât proutfitable.
Mais en ce temp-;, ne congnoissoye pas
La grant doleur qu'il convient que soustiengne
Un povre cueur, pris es amoureux hs;
Depuis l'ay sceu, bien sçay à quoy m'en tiengne,
J'ay grant cause que tousjours m'en soaviengne;
Or en suis hors, mon cueur en est tout las,
Il ne veult plus d'Amours passer le pa^,
Pour bien ou mal que jamais lui adviengne.
Pource tantost, sans plus prendre respit,
Escrire vueil, en forme de requeste,
Tout mon estât, comme devant est dit;
Et quant j'auray fait ma cedule preste.
Porter la vueil à la première feste
Qu'Amours tendra, lui monstrant par escript
Les maulx qu'ay euz et le peu de prouffit
En poursuivant l'amoureuse conqueste.
Ainsi d'Amours, devant tous les amans,
Prandray congié en honneste manière,
En estouppant la bouche aux mesdisans
Qui ont langue pour mesdire legiere,
Et requerray, par treshumble prière,
Qu'il me quitte de tous les convenans
Que je luy fis, quant l'un de ses servans
Devins pieçà de vo-ilenté entière.
Et reprendra/ hors de ses mains mon cueur,
rOÈME DE LA PRISON y7
Que i'engagay par obligacion,
Pour plus seurté d'estre son serviteur,
Sans faintise, o i excursacion,
Et puis, après recommandacion,
Jedelairay, à mon tresgrant honneur,
A jeunes gens qui sont en leur verdeur
Tous fais d'Amours par resignacion.
LA REQUESTE
Aux excellens et puissans en noblesse.
Dieu Ciipido et Venus la déesse.
Supplie présentement.
Humblement,
Charles, le duc d'Orlians
Qui a esté longuement,
Ligement
L'un de voz obéissans,
Et entre les vraiz amans,
Vos servans,
A despendu largement
Le temps de ses jeunes ans,
Tresplaisans,
Avons servir loyaumcnt,
Qu'il vous plaise regarder
Et passer
Geste requesK' présente,
Sans la \ouloir rcluscr;
Mais penser
Que d'umble vueil la présente
CHARLES u'oiiLtANS. 1. 7
o8 CHARLES d'oRLÉANS.
A vous par loyalle entente,
En attente
De vostic grâce trouver,
Car sa fortune dolente
Le tourmente
Et le contraint de parler.
Comme ainsi soit que la Mort,
A grant tort,
En droitte Heur de jeunesse
Lui ait o:ité son déport,
Son ressort.
Sa seule Dame et liesse.
Dont a fait veu et promesse,
Par dcstressc,
Desespoir et desconfort,
Que jamais n'aura Princesse,
Ne maistresse.
Car son cueur en est d'accort.
Et pource que jà picçà
Vous jura
De vous loyaumcnt servir.
Et en gage vous laissa
ht donna
Son cucur, par loyal dcsir.
11 vient pour vous requérir
Que tenir
Le vucilliez, tant qu'il vivra,
Escusé; car sans faillir,
Pour mourir,
Plus amoureux ne sera.
Et lui vueilliezdouicemcnt,
Franchement,
Rebailiier son povre cucur,
En lui quittant son serment,
'rcllcmcnt
POÈME DE LA PRISON. y(j.
Qu'il se parte, à son honneur.
De vous, car bon serviteur,
Sans couleur,
Vous a esté vrayement;
Monstrez lui quelque faveur,
En doulceur.
Au moins à son partement.
A Bonne Foy que tenez
Et nommez
Vostre principal notaire,
Estroictement ordonnez
Et mandez.
Sur peine de vous desplaire,
Qu'il vueille, sans delay traire,
Lettre faire.
En laquelle affermerez
Que congié de soy retraire.
Sans forfaire,
Audit cueur donné avez;
Afin que le suppliant,
Cy devant
Nommé, la puisse garder
Pour sa descharge et garant.
En monstrant
Que nul ne le doit hla^mer,
S'Amours a voulu laissier;
Car d'amer
N'eut oncque puis son talant
Que Mort lui voulut oster
La nomper
Qui fust au monde vivant.
Et s'il vous plaist faire ainsi
Que je dy.
Ledit suppliant sera
AUegié de son soussy ;
100 CHAULES D ORLEANS.
Et ennuy
D'avec son cueur bannira;
Et après, tant que vivra,
Priera
Pour vous, sans mettre en oubly
La grâce qu'il recevra
Et aura,
Par vostre bonne mercy.
poemè: de la prison.
LA DESPARTIE D'AMOURS
En ballades.
BALLADE I.
Quant vint à la prochaine teste
Qu'Amours tenoit son Parlement,
Je lui presentay ma requeste
Laquelle leut tresdoulcement.
Et puis me dist : « Je suy dolent
Du mal qui vous est avenu ,
Mais il n'a nul recouvrement,
Quant la Mort a son cop féru.
Eslongnez hors de vostre teste
Vostre douloreux pensement,
Monstrez vous homme non pas beste,
Faittes que, sans empeschement,
Ait en vous le gouvernement
Raison, qui souvent a pourveu
En maint meschief tre^sagement,
Quant la Mort a son cop fcru.
Reprenez nouvelle conqueste,
Je vous aideray tellement
Que vous trouvères Dame preste
De vous amer tresloyaument,
Qui de biens aura largement ;
D'elle serez amy tenu :
Je n'y voy autre amendement,
Quant la Mort a son cop t'eru. »
cil ARLES D ORLEANS.
BALLADE II.
« Helas! sire, pardonnez moy^
Se dis je, car, toute ma vie,
Je vous asseure par ma foy,
Jamais n'auray Dame, n'amie;
Plaisance s'est de moy partie
Qui m'a de Liesse forclos,
N'en parlez plus, je vous supplie,
Je suis bien loings de ce pourpos.
Quant ces parolles de vous oy.
Vous m'essaies , (ne laittcs mye ;)
A vous dire vray, je le croy ;
Ou ce n'est dit qu'en moquerie.
Ce me seroit trop grant folie,
Quant demourcr puis en repos,
De rcprandre merencolie,
Je suis bien loings de ce pourpos.
Acquittié me sui, com ne doy,
Vers vous et vostre seigneurie.
Désormais me vueil tenir coy.
Pouice, de vostre courtoisie.
Accordez moy, je vous en prie,
Ma requeste; car à bricfs mos,
De plus amer, quoy que nul dye,
Je suis bien loings de ce pourpos. »
BALLADE II!.
Amour congnu bien que j'estoye
En ce pourpos, sans changement,
Pource respondy : « Je voulJioye
Que voulsissiez faire autrement,
POEME DE LA PRISON.
Et me servir plus longuement,
Mais je voy bien que ne voulés,
Si vous accorde franchement
La requeste que faitte avés.
Escondire ne vous pourroye,
Car servy m'avez loyaumcnt,
N'onques ne vous trouvay en voye,
N'en voulenté aucunement
De rompre le loyal serment
Que me feiste, comme savés;
Ainsi le compte largement
La requeste que faitte avcs.
Et afin que tout chacun voye
Que de vous je suis tre^contcnt,
Une quittance vous octrove,
Passée par mon Parle:nent,
Qui relaissera plaincmcnt
L'ommage que vous me dcvcs,
Comme contient ouvertement
La requeste que faitte avcs »
BALLADE IV.
Tantost Amour, en grant array,
Fist assembler son Parlement.
En plai:: conseil mon faitcontay,
Por congié et commandement ;
Là fust passée plainement
La quittance que demandoye,
Baillée me fut franchement,
l'our en faire ce que vouldroye.
Oui re plus, mon cueur demanday
Qu'Amour avoit eu longuement,
Car en gage le lui baillay,
I04 CHARLES d'oRLÉANS.
Quant je me mis premièrement
En son service ligement ;
Il me dist que je le rauroye,
Sans refuser aucunement,
Pour en laire ce que vouldroye,
A deux genoilz m'agenoillay,
Merciant Amour humblement
Qji tira mon cueur, sans delay,
Hors d'un escrin privéement.
Le me baillant courtoisement,
Lyé en un noir drap de soye;
En mon sain le mist doulcement.
Pour en faire ce que vouldroye.
COPIE DE LA QUITTANCE DESSUS DITTK.
Sachent presens et avenir,
Que nous. Amours, par Franc Désir
Conseilliez, sans nulle contrainte.
Après qu'avons oy la plainte
De Charles, le duc d'Orlians,
Qui a esté, par plusieurs ans,
Nostre vray loyal serviteur
Rebaillié lui avons son cueur
Qu'il nous bailla, pieçà, en gage.
Et le serment, foy et hommage,
Qu'il nous devoit quittié avons
Et pa ces pre>entcs quittons.
Oultre plus, faisons assavoir.
Et certifhons, pour tout voir,
Pour estoupper aux mesdisans
La bouche, qui trop sont nuisans,
Qu'il ne part de nostre service
POÈME DE LA PRISON. I05
Par deffaulte, forfait ou vice.
Mais seulement la cause est telle :
Vray est que la Mort trop craelle
A tort lui est venu oster
Celle que tant souloit amer,
Qui estoit sa Dame et maistresse,
S'amie, son bien, sa léesse;
Et pour sa loyaulté garder,
Il veult désormais ressembler
A la loyalle turterelle
Qui seule se tient, apar elle,
Après qu'elle a perdu son pcr.
Si lui avons voulu donner
Congié du tout de soy retraire
Hors de nostre court, sans lonaire.
Fait par bon conseil et advis
De nos subgiez et vrais amis,
En nostre présent Parlement
Que nous tenons nouvellement :
En tesmoing de ce avons mis
Nostre scel, plaqué et assis.
En ceste présente quittance,
Escripte par nostre ordonnance,
Presens mains notables recors,
Le jour de la Feste des Mors,
L'an mil quatre cent trente et sept,
Ou chastel de Plaisant Recept.
BALLADE V.
Quant i'euz mon cueur et ma quittance,
Ma voulenté fut assouvie.
Et non pour tant, pour l'acointance
Qu'avoye de la seigneurie
I06 CHARLES d'oRLÉANS.
D'Amour et de sa compaignie,
Quant vins à conj,Mc demander,
Trop mal me list la départie
Et ne cessoye de pleurer
Amour vit bien ma contenance,
Si me dist : « Amy, je vous prie.
S'il est riens dessoubz ma puissance
Que vueilliez, ne l'espargniez mie. »
Tant plain fu de merencolie.
Que je ne peuz à lui parler
Une paroUe ne demye,
Et ne cessoye de pleurer.
Ainsi party en desplaisance
D'Amour, faisant chiere marrie.
Et comme tout ravy en trance,
Prins congié, sans que plus mot dye.
A Confort dist qu'il me conduye.
Car je ne m'en savoye aler,
J'avoye la veue esbluyc
Et ne cessoye de plourcr.
BALLADE VI.
Confort, me prenant pir la main.
Hors de la porte me convoyé ;
Car Amour, le Roy souverain.
Lui chargea moy monstrer la voye
Pour aler où je desiroye;
C'estoit vers l'ancien manoir
Oij en enffance demouroye,
Que l'en appelle Nonchaloir.
A Confort dis : « Jusqu'à demain
Ne me laissiez, car je pourroye
Me forvoier, pour tout certain,
POÈME DE LA PRISON. IO7
Par desplai ir, vers la saussoye
Où est Vieillesse rabat joye;
Se nous travaillons fort ce soir,
Tost serons au lieu que vouldroye,
■Que l'en appelle Nonchaloir. »
Tant cheminasmes qu'au derrain
Veismes la place que queroye;
•Quant de la porte fu prouchain,
Le portier qu'assez congnoissoye,
5i tost comme je l'appeiloye,
Nous receut, disant que pour voir
Ou dit lieu bien venu estoye,
Que l'en appelle Nonchaloir.
BALLADE VII.
Le gouverneur de la maison
Qui Passe Temps se fait nommer,
Me dist : « Amy, ceste saison
Vous plaist il céans séjourne;-? »
Je respondy qu'à brief parler,
Se lui plaisoit ma compaignie,
Co tcnt estoye de passer
Avecques lui tcute ma vie.
Et lui racontay l'achoison
Qui me fist Amour delaissier;
Il me dist qu'avoye raison,
Quant eut veu ma qui'tance au cler,
Que je lui baillay à garder;
Aussi de ce me remercie
Que je vouloie dcmourcr
Avecques lui toute ma vie.
Le lendemain lettres t ison
A Confort baiilay à porter
I08 CHARLES d'oRLÉANS.
D'umble recommandacion,
Et le rcnvoyay sans tarder
Vers Amou'-, pour lui raconter
Que Passe Temps, à chicre lye,
M'avoit rcceu pour reposer
Avecques lui toute ma vie.
A tresnoble , hault et puissant seigneur
Amour, Prince de mondaine doulceiir.
Tresexcellent, treshault et noble prince,
Trespuissant Roy e i chascune province,
Si humblement que se pe.it serviteur
Recommander à son maistre et seigneur,
Me recommande à vous, tant que je puis,
Et vous plaise savoir que tousjours suis
Tresdesirant oïr souvent nouvel es
De vostre estât, que Dieu doint estre telles
Et si bonnes comme je le désire,
Plus que ne sçay raconter ou escrire;
Dont vous suppli que me faittes sentir
Par tous venans, s'il vous vient à plaisir;
Car d'en oïr en bien et en honneur,
Ce me sera parfaitte joye au cueur.
Et s'il plaisoit à votre seigneurie
Vouloir oïr, par sa grant courtoisie.
De mon estât, je suis en tresbon point.
Joyeux de cueur, car soussy n'ay je point ;
Et Passe Temps, ou lieu de Nonchaloir,
M'a retenu pour avec lui manoir
Et séjourner, tant comme me plaira,
Jusques à tant que Vieillesse vendra,
Car lors fauldra qu'avec elle m'en voise
POÈME DE LA PRISON. 1 09
Fincr mes jours. Ce penser fort me poise
D-'ss.is le CLieur, quant j'en ay souvenance,
Mais, Dieu mercy, loing suis de sa puissance,
Présentement je ne la crains en riens,
N'e 1 son dangier aucunement me tiens.
En oultrc plus, sachiés que vous renvoya
Confort, qui m'a conduit la droite voye
Vers Nonchaloir, dont je vous remercie
De sa bonne, joyeuse compaignie,
En ce fait, à vostre commandement,
De bon vouloir et tressoingneusement ;
Auq el vueilliez donner foy et fiance
En ce que lui ay chargié, en créance,
De vous dire plus plainement de bouche.
Vous suppliant qu'en tout ce qui me touche,
Bien à loisir, le vueilliez escouter,
Et vous plaise me vouloir pardonner
Se je n'escris devers vostre Excellence,
Comme je doy, en telle révérence
Qu'il appartient, car c'est par Non Savoir
Qui destourbe d'acomplir mon vouloir.
En oultre plus, vous requérant mercy.
Je congnois bien que grandement failly,
Quant me party derrainement de vous,
Car j'estoye si rampli de courrons
Que je ne peu un mot à vous parler,
Ne mon congié, au partir, demander.
Avecques ce, humblement vous mercie
Des biens qu'ay euz soubz vostre seigneurie.
Autre chose n'escris, quant à présent.
Fors que je pry à Dieu, le Tout Puissant,
Qu'il vous ottroit honneur et longue vie,
Et que puissiez tousjours la compaignie
De taul.K Dangier surmonter et délia ire,
Qui en tous temps vous a esté contraire.
CHARLES d'oRLÉANS.
Escript ce jour troisiesme, vers le soir,
En novembre, ou lieu de Nonchaloir.
Le bien vostre, Charles duc d'Orlians,
Qui jadis fut l'un de voz vrais servans.
BALLADE VIII.
Balades, chançons et complaintes
Sont pour moy mises en oubly.
Car Knnuy et pensées maintes
M'ont tenu long temps cnJormy.
Non pour tant, pour passer Soussy»
Essayer vue il se je sauroye
Rimer, ainsi que je souloye.
Au moms j'en feray mon povoir.
Combien que je congnois et sçay
Que mon langage trouveray
Tout enroiliié de Nonchaloir.
Plaisans parolles sont estaintes
En moy qui deviens rassoty ;
Au fort, je vendray aux attaintes.
Quant Beau Parler m'aura failly.
Pourquoy pry ceulx qui m'ont oy
Langagier, quant pieçà j'es:oye
Jeune, nouvel et plain de joye,
Que vueillent excusé m'avoir.
Oncques mais je ne me trouvay
Si rude, car je suis, pour vray.
Tout enroiliié de Nonchaloir.
Amoureux ont parolles paintes
Et languge frais et joly;
Plaisance dont ilz sont accointes
Parle pour eu!x; en ce party
J'ay esté, or n'est plus ainsy;
POÈME DE LA PRISON.
Alors, de Beau Parler trouvoye
A bon marchié tant que vouloye;
Si ay despendu mon savoir,
Et s'un peu espargné en ay.
Il est, quant vendra à l'essay,
Tout enroillic de Nonchaloir.
Mon Jubilé faire devroye,
Mais on diroit que me rendroye
Sans coup ferir, car Bon Espoir
M'a dit que renouvelleray ;
Pource, mon cueur fourbir feray
Tout enroillié de iNoncaaloir.
BALLADE IX.
L'emplastre de Nonchaloir
Que sus mon cueur pieçà mis,
M'agucri. pour dire voir,
Si nettement que je s^is
En bon point, ne je ne puis
Plus avoir, jour de ma vie,
L'amoureuse maladie.
Si font mes yeulx leur povoir
D'espier par le pays,
S'ilz pourroyent plus veoir
Plaisant Beauté, qui jadis
Fut l'un de mes ennemis.
Et mist en ma compaignie
L'amoureuse maladie.
Mes yeux lense main et soir,
Mais ilz sont si treshastis.
CHARLES D ORLEANS.
Et trop plains de leur vouloir!
Au fort, je les metz au pis,
Facent selon leur advis;
Plus ne crains, dont Dieu mercie,
L'amoureuse maladie.
Quant je voy en doleur pris
Les amoureux, je m'en ris;
Car je tiens, pour grant folie,
L'amoureuse maladie.
BALLADES
BALLADE l.
Mon cueur m'a fait commandement
De venir vers vostre jeunesse,
Belle que j'ayme loyaunient,
Comme doy faire ma Princesse.
Se vous demandes pour quoy esse ?
C est pour savoir quant vous plaira
Alegier sa dure destresse.
Ma Dame, le sauray je jà?
Di*^tcs le, par vostre serment;
Je vous fais leale promesse
Nul ne le saura, seulement
Fors que lui, pour avoir léesse;
Or lui monstres qu'estes maistresse,
Et lui mandez qu'il guérira;
Ou s'il doit morir de destresse,
Ma Dame, le sauray je j\?
Penser ne pourroit nullement
Que la douleur qui tant le blesse
Ne vous desplaise aucunement;
Or faittes donc tant qu'elle cesse,
Et le remettes en l'adresse
D'Espoir, dont il party pieçù ;
Respondez sans que plus vous presse,
Ma Dame, le sauray je jà?
CHARLES d'o.ILÉANS. I.
114 CI1AKI.es D ORLEANS.
BALLADE IL
Je meurs de soif, en cousté la fontaine;
Tremblant de froit ou feu des amo'jreux;
Aveugle suis, et si les autres maine ;
Povre de sens, entre saichins, l'un d'eulx;
Trop négligent, en vain souvent ■soigneux;
C'est de mon fait une chose faiée,
En bien et mal par fortune men4e.
Je gaingne temps, et pers mainte ??pmaiiie;
Je joue et ris, quant me sens douloreax;
De^plaisance j'ay d'espérance plaine ;
J'attens bon eur en regret angoisseux;
Riens ne me plaist, et si suis désireux;
Je m'esjoïs, et cource à ma pensée,
En bien et mal par fortune menée.
Je parle trop, et me tais à grant paine ;
Je m'esbays, et si suis courageux;
Tristesse tient mon confort en demaine,
Faillir ne puis, au moins à l'un des deux;
Bonne chiere je faiz quant je me deulx;
Maladie m'est en santé donnée,
En bien et mal par fortune menée.
ENVOI,
Prince, je dy que mon fait maleureus
Et mon prouffit aussi avantageux,
Sur ung hasart j'asscrray qui-'lque année,
En bien et mal par fortune menée.
BALLADES. Il5
BALLADE IIL
Comment voy j^ ses Anglois eshays!
Resjoys toy, franc royaume de France.
On apparçoit que de Dieu sont hays,
Puis qu'ilz n'ont plus couraige ne puissance.
Bien pcnsoient, par leur oukrecuidancC;
Toy surmonter et tenir en servaige,
Et ont tenu à tort ton heritaige.
Mais à présent Dieu pour toy se combat
Et se monstre du tout de ta partie,
Leurgrant orgueil entièrement abat,
Et t'a rendu Guyenne et Normandie.
Quant les Anglois as pieça envays,
Rien n'y valoit ton sens ne ta vaillance.
Lors estoies ainsi que fut Tays
Pécheresse qui, pour faire penance,
Enclouse fut par divine ordonnance.
Ainsi as tu esté en reclusaige
De Desconfort, et douleur de Couraige.
Et les Anglois menoient leur sabat
En grans pompes, baubans et tirannie.
Or, a tourné Dieu ton dueil en esbat,
Et t'a rendu Guyenne et Normandie.
N'ont pas Anglois souvent leurs Rois traysl
Certes ouil, tous en ont congnoissance;
Et encore le Roy de leur pays
.'^st maintenant en doubteuse balance;
D'en parler mal, chascun Anglois s'avance;
Assez monstrent, par leur mauvais langaige,
Que voulentiers lui feroient oultraige.
Qui sera Roy entr'eux est grant desbat;
Il6 CHARLES d'ORLÉANS.
Fource, France, que veulx tu que te dyc!*
De sa verge Dieu les punist et bat
Et t'a rendu Guyenne et Normendie.
ENVOI AU PRINCE.
Roy des Françoys, gaigné as l'advantaige,
Parfaiz ton jeu, comme vaillant et saige,
Maintenant l'as plus belle qu'au rabat.
De ton bon eur, France, Dieu remercie;
Fortune en bien avecques toi s'embat
Et t'a rendu Guyenne et Normandie.
BALLADE IV.
On parle de religion
Qui est d'estroicte gouvernance,
Et par aidant devocion,
Portent mainte dure penance;
Mais, ain;i que j'ay congnoissance,
Et selon mon entencion.
Entre tous j'ay compassion
Des amoureux de l'observance.
Tou'^jours par contemplacion
Tiennent leurs cueurs raviz en transe,
Pour venir par perfection
Au hault Paradis de Plaisance;
Chault, froit, soif et fain d'espérance
SeufT. ent en mainte nacion;
Telle est la conversacion
Des amoureux de l'o'. -ervance.
Piez nuz, de Con«o!acion
Quierent l'aumosne ; d'alej;cance
BALLADES. II7
Or ne veulent ne pension,
Fors de Pitié; povre pitance,
En bissacs plains de Souvenance,
Pour leur simple provision!
N'est ce saincte conJicion
Des amoureux de l'observance?
Des bigotz ne quiers l'accointance,
Ne loue leur oppinion,
Mais me tiens, par affection,
Des amoureux de l'observance.
OBLIGATION DE VAILLANT.
Présent le notaire d' Amours,
Sans alléguer decepcion,
En renonçant tous ctroij d'Amours,
Constunie, loy, condicion.
De tresléalle entencion
A vous servir, sans me douloir,
Passe ceste obligacion
Soubj le scel de voslre vouloir.
De cueur, corps, biens, sans nul recours,
Vous fais renunciacion,
Presens, advenir, à tousjours ;
Et vous met^ en possession.
Ne nulle part, ne porcion
N'y aura; et, pour mieulx valoir.
Le jure en ma dampnacinn
Soubj le scel de vostre vouloir.
Il8 CHARLES D'oRLÉANS.
Et quant je feray le rebours,
Pour recevoir piinicion,
Me soiibjmet^, sans estre ressours,
A vostre juridiction ;
Et à bon droit et action,
Pourrej de vostre plain povoir
Me mettre à execiicion
Soubj lescel de vostre vouloir.
ENVOI.
En l'an de ma grant passion.
Mettant toutes à nonchaloir,
Feis ceste presentacion,
Soubj le scel de vostre voulyir.
Vidimus de la dit te obligation
par le duc d'Orléans.
A ceulx qui verront ces présentes,
Le bailli d'Amoureux E>po'r
Salut plain de bonnes ententes.
Mandons et faisons assavoir
Qae le tabellion Devoir,
Juré des centraux en amours,
A veu nouvellement, à Tours,
De Vaillant l'obligacion
Entière de bien vraye sorte,
Dont en fait la relacion,
Ainsi que ce vidimus porte.
A double queue, par patentes,
En cire vert, pour dire voir.
Oblige, soubzmettant ses rentes.
BALLADES. l UJ-
Cueur, corps et biens, sans décevoir,
Soubz le seau d'autruy vouloir,
Pour recouvrer Joyeux Secours,
Qu'il a desservy par mains jours;
Faisant ratilïîcacion,
Ledit notaire le rapporte
Par sa certifficacion.
Ainsi que ce vidimus porte.
Et deust il mett e tout en ventes,
Deî biens qu'il pourra recevoir,
Veult paier ses debtes contentes,
Tant qu'on pourra apparcevoir
Qu'il tera trop plus que povoir,
Combien qu'ait eu d'estranges tours
Qui lui sont venuz à rebours;
En soit faitte informacion.
Car à Léaulte se conforte
Qu'en fera la probacion,
Ainsi que ce vidimus porte.
ENVOI.
Pour plus abreviacion.
De l'an et jour je me déporte,
On en voit declaracion,
Ainsi que ce vidimus porte.
Entendit de la ditle obligation par maistre
Jehan Caillau.
Intendit. Le nommé Vaillant
Qui fait ceste obligacion
Vous resigne tout son vaillant,
120 CHARLES D ORLEANS.
Par simple resignacion
Ne ne fait supplicacion
De puerredoii, pour mieiilx valoir ;
Fors tout à vostre oppinion,
Souby le scel de vostre vouloir.
Lequel, d'estoc et de taillant,
Endure mainte passion
D'Amours, qui le vont assaillant;
Mais soubj dissimulacion,
Porte sa tribulacion,
Faisant semblant de non doloir,
Actendant doulce pension,
Souby le scel de vostre vouloir.
Pour ce, ne doit estre /aillant
A la rcnunieracion,
Car, s'il y estoit défaillant,
Ce serait sa perdicion ;
Et, par Dieu, a; bon champion
Ne devej mettra.' à nonchaloir ;
Sifaittes qu'ait provision,
Soub^ le scel de vostre vouloir.
J'en parle par compacion,
Mais grant bien lui deve^ vouloir.
Puis que met son entencion
Soubj le sceau de vostre vouloir.
BALLADE V.
En la forest de longue attente,
Chevauchant par divers sentiers
BALL.iDES. 121
M'en voys, ceste année présente,
Ou voyage de DesiM;rs.
Devant sont allez mes '"nurriers
Pour apnareiller mon logis
En la Cit2 de Destinée;
Et pour mon cueur et moy ont pris
L'ostellerie de Pen^ée.
Je mayne des chevaulx quarente
E' autant pour mes officiers,
Voire, par Dieu, plus de soixante,
Sans les bagaiges et sommiers.
Loger nous fauldra par quar iers,
Se les hostelz sont trop petis
Toutelioiz pour une \esprée
En ^ré prendray, soit mieulx ou pis,
L'ostellerie de Pensée.
Je despens chascun jour ma rente
En maintz travaulx avanturiers,
Dont est Fortune mal contente
Qui soutient contre moy Dangiers;
Mais Espoirs, s'ilz sont droicturiers
Et tiennent ce qu'ilz m'ont promis,
Je pense taire telle armée,
Qu'auiay, maigre mes ennemis,
L'ostellerie de Pejisée.
Prince, vray Dieu de paradis,
Vostre grâce me soit donnée,
Telle que treuve à mon devis,
L'ostellerie de Pensée.
CHARLES D OltLEANS.
BALLADE VL
Je cuide que ce sont nouvelles,
J'oy nouveau bruit, et qu'est ce là?
Helas? pourroy je savoir d'elles
Quelque chose qui me plaira.
Car j'ay désiré, long temps a,
Qu'Espoir m'estraynast de liesse,
Je ne sçay pas qu'il en fera.
Le beau menteur plain de promesse^
Silz ne sont ou bonnes ou belles,
Au fort, mon cueur endurera,
En attendant d'avoir ce celles
Que Bon Eur lui apportera,
Lt de l'endormye beuvra
De Nonchaloir; en sa détresse,
Espoir plus ne l'esveiKera,
Le beau menteur plain de promesse.
Pource mon cueur, se tu me celles-
Reconfort, quant vers toy vendra,
Tu feras mal, car tes querelles
J'ay gardées, or y perra ;
Adviengne qu'avenir pourrai
Je suis gouverné par Vieillesse,
Qui de legier n'escoutera
Le beau menteur plain de promesse.
Ma bouche plus n'en parlera,
Raison sera d'elle maistresse ;
Mais au derrain, blasmé sera
Le beau menteur plain de promesse.
BALLADES. 12^
BALLADE VIL
N'a pas longtemps qu'escoutoye parler
Ung amoureux, qui disoit à s'amye :
« De mon estât plaise vous ordonner,
Sans me laissier ainsi finer ma vie;
Je meurs pour vous, je le vous certiffie. »
Lors respondit, la plaisante aux doulx yeulx :
« Assez le cro/, dont je vous remercie.
Que m'aymez bien, et vous encores mieulx.
11 ne fault jà vostre pousse taster ;
Fièvre n'avez que de merencolie,
Vostre orine ne aussi regarder;
Tost se garist legiere maladie,
Medicine devez prendre d'Oublye ;
D'autres ay veu trop pis, en j^lasieurs lieux,
Que vous n'estes, et, pource, je vous prie
Que m'aymez bien, et vous encores mieulx.
Je ne vueil pas de ce vous destourber
Que ne m'amiez de vostre courtoysie;
Mais que pour moy doycz mort endurer,
De le croire ce me seroit folye ;
Pensez de vous, et faittes ciiiere lye;
J'en ay ouy parler assez de tieulx
Qui sont tous sains, quoyque point ne desnye
Que m'armez bien, et vous encores mieulx.
Tclz bcaulx parlers ne sont en compaignie
Qu'esbatcmens, entre jeunes et vieulx ;
Contente suis, combien que je m'en rye,
Que m'aymez bien, et vous encores mieulx. »
124 CHARLES D ORLÉANS.
BALLADE VIII.
Portant harnoys rouillé de Nonchaloir,
Sus monture foulée de Foibiesse,
Mal abillé de Désireux Vouloir,
On m'a croizé, aux montres de Liesse,
Comme cassé des gaiges de Jeunesse;
Je ne congnois où je puisse servir;
L'arriereban a fait crier Vieillesse,
Las! fauldra il son soudart devenir ?
Le bien que puis avecques elle avoir
N'est que d'un peu d'atrcmpée sagesse;
En lieu de ce, me fauldra recevoir
Ennuy, Soussy, Desplaisir et Destresse;
Par Dieu ! Bon Temps, mal me tenez promesse,
Vous me deviez contre elle soustenir,
Et je voy bien qu'elle sera maistresse,
Las! fauldra il son soudart devenir?
Foibles jambes porteront Bon Vouloir,
Puis qu'ainsi est endurant en humbles ie.
Prenant confort d'un bien joyeulx espoir.
Quant, Dieu mercy, Maladie ne presse.
Mais loing se tient, et mo i corps point ne blesse;
(^est ung trésor que doy bien chier tenir,
Vcu que la fin de menasser ne cesse,
Las! fauldra il son soudart devenir?
Prince, je dy que c'est peu de richesse
De ce monde ne de tout son plaisir :
La mort départ ce qu'on tient à largesse,
Las! fauldra il son soudart devenir?
BALLADES. 123
BALLADE IX.
Dieu vueille sauver ma gaiée
Qu'ay chargée de marchauJise
De mainte diverse pensée
En pris de Loyaulté assise ;
Destourbée ne soit, ne prise
Des robeurs, escumeurs de mer!
Vent, ne marée ne luy nuyse,
A bien aler et retourner !
A Confort l'ay recommandée,
Qu'il en face tout à sa guise,
Et pencarte lui ay baillée
Qui d'estranges pays devise,
Affin que dedens il advise
A quel port pourra arriver,
Et le chemin à chois eslise,
A bien aler et retourner.
Pour acquicter joye empruntée,
L'envoyé, sans espargner mise,
Riche devendray, quelque année.
Se mon entente n'est surprise;
Conscience n'auray reprise
De gaing à tort, au paraler,
En eur viengne mon entreprise,
A bien aler et retourner.
Prince, se maulx Fortune atise.
Sagement s'y fault gouverner :
Le droit chemin jamais ne brise,
A bien aler et retourner.
J26 CIIAUI.KS d'oui. ÉANS.
BALLADE X.
Ha! Dieu d'Amours, où m'avez vous logié!
Tout droit ou trait de Désir et Plaisance,
Où, de le.^ier, je puis cstre blecic
Par Doulx Regart et Plaisant Atraiance,
Jusqu'à la mort, dont trop suis en doubtance ;
Pour moy couvrir prestez moy ung pavaiz,
Desarmé suis, car pieçà mon harnaiz
Je le vendy, par le conseil d'Oiseuse,
Comme lassé de la guerre amoureuse.
Vous savez bien que me suis esloingné,
Dès long temps a, d'amoureuse vaillance,
Où i'estoye moult fort embesoingné,
Quant m'aviez en vostre gouvernance.
Or en suis hors. Dieu me doint la puissance
De me garder que n'y rentre jamais;
Car, quant congneu j'ay les amoureux faiz,
Retrait me suis de vie si peneuse.
Comme lassé de la guerre amoureuse.
Et non pourtant, j'ay esté advisé
Que Bel Acueil a fait grant aliance
Encontre moy, et qu'il est embuschié
Pour me prendre, s'il peut, par decevance.
Ung de ses gens, appelle Acointance,
M'assault tousjours; mais souvent je me taiz,
Monstrant semblant que je ne quiers que paiz,
Sans me bouter en paine dangereuse.
Comme lassé de la guerre amoureuse.
BALLADES. 127
Voisent faire jeunes gens leurs essaiz,
Car reposer je me vueil do^ormaiz;
Plus cure n'ay de pensée soingneuse,
Comme Jassé de la guerre amoureuse.
BALLADE XL
Yeulx rougis, plains de piteux pleurs,
Fourcelle d'espoir refFroidie,
Teste enrumée de douleurs,
Et troublée de frénésie,
Corps perclus sans plaisance lie,
■Cueur du tout pausmc en rigueurs,
Voy souvent avoir à plusieurs
Par le vent de merencolie.
Migraine de plaingnans ardeurs,
Transe de sommeil mipartie,
Fièvre frissonnans de maleurs,
Chault ardant fort en rêverie,
Soif que Confort ne rassasie,
Dueil baigné en froides sueurs,
Bégayant et changeant couleurs.
Par le vent de merencolie.
Toute tourmentant en langueurs.
Colique de forcenerie,
Gravelle de soings assailleurs,
Rage de désirant folie,
Anuys enfîans d'ydropisie,
Maulx éthiques aussi ailleurs
Assourdissent les escouteurs,
Par le vent de merencolie.
IzS CHARLES d' ORLÉANS.
Guerîr ne se peut maladie
Par phisique, ne cireurgic,
AstrononiLins n'enchantcurs,
Des maulx que seufTrent povres cueurs
Par le vent de merencolie.
BALLADE XIL
Ce que l'ueil despend en plaisir,
Le cueur Tachette chierement,
Et, quant vient à compte tenir,
Raison, président sagement.
Demande pour quoy et comment
Est despendue la richesse
Dont Amours deppart largement.
Sans grant espargne de liesse.
Lors respond Amoureux Désir :
Amours me fist commandement
De Joyeuse Vie servir,
Et obéir entièrement ;
Et, s'ay f lilly aucunement.
On n'en doit blasmer que Jeunesse
Qui m'a fait ouvrer sotement.
Sans grant espargne de liesse.
Pas ne mourray sans repentir.
Car je m'en repens grandement;
Ticuvé m'y suis pis que martir,
Souffrant maint doloureux tourment;
Désormais en gouvernement
Me metz et es mains de Vieillesse,
BALLADES. l2()
Bien sçay qu'y vivray soubrement.
Sans grant espargne de liesse.
Le temps passe comme le vent,
Il n'est si beau jeu qui ne cesse,
En tout tault avoir finement,
Sans grant espargne de liesse.
BALLADE XIU.
Je, qui suis Fortune nommée,
Demande la raison pourquoy
On me donne la renommée
Qu'on ne se puet fier en moy
Et n'ay ne fermeté ne foy ?
Car, quant aucuns en mes mains prens^
D'en bas je les monte en haultesse
Et d'en hault en bas les descens,
Monstrantque suis Dame et maistresse.
En ce, je suis à ton: blasmée, .
Tenant l'usage de ma loy
Que de long temps m'a ordonnée
Dieu, sur tous le souverain Roy,
Pour donner au monde chastoy.
Et, se de mes biens je despens
Souventesfoiz, à grant largesse,
Quant bon me semble, les suspens,
Monstrant que suis Dame et maistresse.
C'est ma manière acoustumée,
Chascun le scet, comme je croy,
Et n'est pas nouvelle trouvée,
Cr ARLES D'oriLÉANS. I. 9
|30 CHARLES d'oRLÉANS.
Mais, fays ainsi comme je doy.
Me mocquant, je les montre au doy
Tous ceulx qui en sont mal contens ;
En gré prcgnent joye ou destressc,
Qu'ayent l'un des deux me consens,
Monstrant que suis Dame et maistresse.
Sur ce, s'advise qui a sens,
Soit en jeunesse ou en vieillesse,
Et qui ne m'entenr, je m'entens,
Monstrant que suis Dame et maistresse.
BALLADE XIV.
Fortune, je vous oy complaindre
Qu'on vous donne renom, à tort,
De savoir et aider et faindre,
Donnant plaisir et desconfort;
C'est vray, et, encore plus fort,
Souventesfoiz, contre raison,
Boutez de hault plusieurs en bas,
Et de bas en hault; telz debas
Vous usez en vostre maison.
Bien savez de Plaisance paindre
Et d'Espoir, quand prenez depport,
Après effacer et destaindre
Toute joye, sans nul support,
Et mener à douloureux port,
Ne vous chault en quelle saison.
Jamais vous n'ouvrez par compas;
Beaucoup pis que je ne dy pas
Vous usez en vostre maison.
BALLADES. I 3 I'
Pour Dieu, vueilliez vous en refFraindre^
Affin qu'on ne face rapport,
Qui vouldra vostre fait attaindre,
Que vous soyez digne de mort.
Vosti-e. manière chascun mort.
Plus qu'autre, sans comparaison;
Qui regarde par tous estas,
Anuy et meschief, à grant tas,
Vous usez en vostre maison.
Ne jouez plus de vostre sort.
Car trop le passez oultre bort,
Se gens ne laissiez en pais, on
Appellera les advocas,
Qui plaideront que tresfaulx cas
Vous en usez en vostre maison.
BALLADE XV.
Or ça, puisque il faut que responJe,
Moy, Fortune, je parleray:
Si grant n'est, ne puissant ou monde,
A qui bien parler n'ozeray.
J'ay fait, faiz encore, et feray
Ainsi que bon me semblera
De ceulx qui sont soubz ma puissance;
Parle qui parler en vouldra.
Je n'en feray qu'à ma plaisance.
Quant les biens, qui sont en la ronde.
Sont miens, et je les doniieray
Par grant largesse, dont j'abonde,
[32 CHARLES d'oRLÉANS.
Et après je les rcprendray,
Certes, à nul tort ne feray.
Qui esse qui m'en blasmera?
Je l'ay ainsi d'acoustumance.
En gré le preignc qui pourra,
Je n'en fcray qu'à ma plaisance.
En raison jamais ne me fonde,
Mais mon vouloir accompliray;
Les aucuns convient que confonde,
Et les autres avanceray ;
Mon propos souvent changeray,
En plusieurs lieux, puis çà, puis là,
Sans règle ne sans ordonnance.
Où est il qui m'en gardera?
Je n'en feray qu'à ma plaisance.
On cscript : Tant qu'il nous plaira,
Es lettres des seigneurs de Franje ;
Pareillement de moy sera,
Je n'en feray qu'à ma plaisance.
BALLADE XVI.
EscoUier de Merencolie,
A l'estuJe je suis venu,
I^ettrcs de mon iame clergie
Espelant atout ung festu,
Et moult tort m'y treuve esperdu.
Lire n'es:ripre ne s:ay mye,
Des verges de Soussy batu,
Es dcrreniers jours de ma vie.
BALLADES. 133
Pieçà, en jeunesse Heurie,
Quant de vif entendement fu,
J'eusse apris en heure et demye
Plus qu'à présent ; tant ay vesqu
Que d'engin je me sens vaincu;
On me deust bien, sans flaterie,
Chastier despoillic tout nu,
Es derreniers jours de ma vie.
Que voulez vous que je vous die?
Je suis pour ung asnyer tenu,
Banny de Bonne Compaignie,
Et de Nonchaloir rerenu
Pour le servir. 11 est conclu,
Qui vouldra, pour moy cstiidie,
Trop tart je m'y suis entendu,
Es derreniers jours de ma vie.
Se j'ay mon temps mal despendu»
Fait l'ay, par conseil de Folye;
Je m'en sens et m'en suis sentu.
Es derreniers jours de ma vie.
BALLADE XVH.
L'autre jour tenoit son conseil,
En la chambre de ma pensée.
Mon cueur qui faisoit appareil
De deffence contre l'armée
De Fortune mal advisée
Qui guerryer vouloit Espoir,
Se sagement n'est reboutée,
|34 CHARLES d'oRLÉANS.
Par bon Eur et Loyal Vouloir.
Il n'est chose soubz le souleil
Qui tant doit estre désirée
Que Paix; c'est le don non pareil
Dont Grâce fait toujours livrée
A sa gent qu'a recommandée ;
Fol est qui ne la veult avoir,
Quant elle est offerte et donnée
Par Bon Eur et Loyal Vouloir.
Pour Dieu, laissons dormir Traveilj
Ce monde n'a gueres durée,
Et Paine, tant qu'elle a sommeil,
Souffrons que prengne reposée.
Qui une foiz l'a esprouvée
La doit fuyr, de son povoir,
Par tout doit estre déboutée,
Par Bon Eur et Loyal Vouloir.
Dieu nous doint bonne destinée,
Et chascun face son devoir,
Ainsi ne sera redoubtée
Par Bon Eur et Loyal Vouloir.
BALLADE XVIIL
En la chambre de ma pensée,
Quant j'ay visité mes trésors,
Maintesfoiz la treuve estorfée
Richement de plaisans confors.
A mon cueur je conseille lors
Qu'y prenons no^fre demourée,
BALLADES. iJ^
Et que par nous soit bien gardée
Contre tous ennuyeux rappors.
Car Desplaisance maieurée
Essaye souvent ses effors,
Pour la conquester par emblée
tt nous bouter tous deux dehors;
Se Dieu plaist, assez sommes fors
Pour bien tost rompre son armée,
Se d'Espoir banverc est portée
Contre tous cnnuveux rappors.
L'inventoire j'ay re.i^ardée
De noz meubles, en biens et corps;
De legier ne sera gastée,
Et si ne ferons à nulz tors.
Mieux aymerions estre mors,
Mon cueur et moy, que couroucée
Fust Raison sage et redoubtée.
Contre tous ennuyeux rappors.
Demeurons tous en bons accors,
Pour parvenir à joyeux pors:
Ou monde qui a peu durée,
Soustenons Paix la bien amée
Contre tous ennuyeux rappors.
BALLADE XIX.
Je n'ay plus soif, tairie est la fontaine;
Bien eschauffé, sans le feu amoureux;
Je vois bien cler, jà ne fault qu'on me marne;
Folie et Sens me gouvernent tous deux;
J 30 CHARLES d'oRLÉANS.
En Nonchaloir resveille sommeilleux;
C'est de mon fait une chose mcslée,
Ne bien, ne mal, d'aventure menée.
Je gaingne et pars, mescontant par scpmaine ;
Ris, Jeux, Deduiz, je ne tiens compte d'culx;
Espoir et Dueil me mettent hors d'alaine;
Eur, me flatent, si m'est trop rigoreux;
Dont vient cela que je riz et me dcuLi ?
Esse par sens, ou folie esprouvée?
Ne bien, ne mal, d'aventure menée?
Guerdonné suis de malheureuse estraine;
En combatant, je me rens couraigeux.
Joye et Soussy m'ont miz en leur demaine;
Tout desconfit, me tiens au ranc des preux;
Qui me saroit desnoer tous ses neux ?
Teste d'acier y fauldroit fort armée,
Ne bien, ne mal, d'aventure menée.
ENVOI AU PRINCE.
Vieillesse fait me jouera telz jeux,
Perdre et gaingner, et tout par ses conseulx;
A la faille j'ay joué ceste année.
Ne bien, ne mal, d'aventure menée.
BALLADE XX.
Pourquoy m'as tu vendu, Jeunesse,
A grant marchié, comme pour rien,
Es mains de ma Dame Vieillesse
Qui ne me fait guercs de bien?
A elle peu tenu me tien,
Mais il convient que je l'endure,
BALLADES. iSj
Puis que c'est le cours de nature.
Son hostcl, de noir de Tristesse
Est tcnJu; quant dedans je vien,
G'y voy l'istoire de De Presse
Qui me fait changer mon maintien
Quant la ly, et maint mal sousticn;
Espargnée n'est créature,
Puis que c'est le cours de nature.
Prenant en gré ceste rudesse,
Le mal d'aultruy compare au mien ;
Lors me tance Dame Sagesse,
Adoncques en moy je revien,
Et croy de tout le conseil sien
Qui est en ce plain de droiture.
Puis que c'est le cours de nature.
ENVOI AU PRINCE.
Dire ne saroye combien
Dedans mon cueur mal je retien,
Serré d'une vieille sainture.
Puis que c'est le cours de nature.
BALLADE XXL
Mon cueur vous adjoirne, Vieillesse,
Par droit huissier de parlement,
Devant Raison qui est maistresse,
Et juge de vray jugement.
Depuis que le gouvernement
A' cz eu de luy et de moy,
Vous nous avez, par tirannye,
Mis es main de Merencolie
l38 CHARLES d'oRLÉANS.
Sans savoir la cause pourquoy.
Par avant nous tcnoit Jeunesse
Et nourrissoit si tendrement,
En plaisir, contbrt et liesse
Et tout joyeulx esbatement;
Or faictes vous tout autrement.
Se vous est honte, sur ma foy,
Car en douleur et maladie
Nous faictes user nostre vie,
Sans savoir la cause pourquoy.
De quoy vous sert ceste destresse
A donner sans aleigement?
Guidés vous pour telle rudesse
Avoir honneur aucunement?
Nennil, certes, car vrayement
Chascun vous monstrera au doy,
Disant : la vieille rassotie
Tient touz maulx en sa compaignie.
Sans savoir la cause pourquoy.
ENVOI AU PRINCE.
Ce saint Martin présentement,
Qu'avocas font commencement
De plaidier les faiz de la loy,
Prenez bon conseil, je vous prie,
Ne faictes débat ne partie,
Sans savoir la cause pourquoy.
BALLADE XXIL
Chascun s'esbat nu mieulx mentir,
Et voulentiers je l'aprendroye,
BALLADES. l3y
Mais maint mal j'en voy advenir,
Parquoy savoir ne le vouidroye.
De mentir par déduit ou joye
Ou par passe temps ou plaisir,
Ce n'est point mal fait, sans faillir.
Se faulccté ne s'y cm,)loye.
Faulx menteurs puisse l'en couvrir,
Sur les montaignes de Savoye,
De neiges tant que revenir
Ne puissent par chemin ne voye,
Jusques quérir je les renvoyé!
Pour Dieu, laissiez les là dormir,
Ils ne scevent de riens servir,
Se faulceté ne s'y employé.
Pourquoy se font ilz tant haïr?
Veulent ilz que l'en les guerroyé?
Guident ilz du monde tenir
Tous les deux boutz de la courroye?
C'est folie, que vous diroye!
Leur proutlit puissent parfournir,
Et laissent les autres chevir,
Se faulceté ne s'y employé.
Paix crie, Dieu la nous ottroye,
C'est ung trésor qu'on doit chérir,
Tous biens s'en pevent ensuïr.
Se faulceté ne s'y employé.
140 CHARLES D ORLEANS.
BALLADE XXIIL
Jam nova progenies celo demittitur alto.
O louée Conccpcion,
Envoyée sa, jus des cieulx,
Du noble Lis digne syon,
Don de Jhesus tresprecieulx,
Marie, nom tresgraciculx,
Fons de pitié, source de grâce,
La joye. confort de mes yeulx,
Qui nostre paix batist et brasse.
La paix, c'est assavoir des riches,
Des povres le substantament,
Le rebours des félons et chiches,
Tresnecessaire enfantement
Conceu, porté honnestement
Hors le pechié originel.
Que dire je puis sainctement
Souvrain bien de Dieu Éternel.
Nom recouvré, joye de peuple.
Confort des bons, de maulx retraictC;
Du doulx Seigneur première et seule
Fille, de son cler sang extraicte,
Du dextre costé Clovis traicte;
Glorieuse ymage en tout fais,
Ou hault ciel créé et pourtraicte
Pour esjouyr et donner paix.
En l'amour et crainte de Dieu,
Es nobles tians César conceue,
Des petits et grans, en tout lieu,
A tresgrande joye receue,
De l'amour Dieu traicte, tissue
BALLADES. I4I
Pour les discordez ralier,
Et aux enclos donner yssue,
Leurs lians et fers délier.
Aucunes gens qui bien peu sentent,
Nourriz en simplesse et confiz,
Contre le vouloir Dieu actentent,
Par ignorance desconfiz,
Desirans que feussiez ung filz,
Mais qu'ainsi soit, ainsi m'aist Dieux,
Je croy que ne soit grans proutiz,
Raison, Dieu fait tout pour le mieulx.
Du Psalmiste je prens les dictz .
Delectasti me, Domine,
In factura tua, je diz :
Noble enfant de bonne heure né,
A toute doulceur destiné,
Manna du ciel, céleste don,
De tous biens fais le guerdonné,
Et de nos maulx le vray pardon.
BALLADE XXIII bis.
Combien que j'ay leu en ung dit :
Inimicum putes y a
Qui te presentem laudabit,
Touttesfoiz, non obstant cela,
Oncqucs vray homme ne cela
En son courage aucun grant bien,
Qui ne le monscrast çà et là;
On doit direciu bien la bien.
Saint Jehan Baptiste ainsi le fist,
Quant l'aignel de Dieu descela;
En ce faisant pas ne meffist ;
142 CHAULES DORI, KANS.
Dont sa voix es tourbes vola,
Dequoy saint André Dieu loua,
Qui de lui sy 1 e s.avoit rien,
Et au filz de Dieu s'aloua ;
On doit dire du bien le bien.
Envoyée de Jhesucrist,
Rappelez sa jus par deçà
Les povres que rigueur proscript,
Et que fortune betourna ;
Cy sçay bien comment y m'en va,
De Dieu, de vous, vie je tien,
Benoist celle qui vous porta ;
On doit dire du bien le bien.
Cy, devant Dieu, fais congnoissance
Que créature feusse morte,
Ne fust vostre doulce naissance.
En charité puissant et forte
Qui ressuscite et reconforte
Ce que mort avoit prins pour sien;
Vostre présence me conforte,
On doit dire du bien le bien.
Cy vous rens toute obéissance,
Ad ce faire, raison m'exorte,
De toute ma povre puissance;
Plus n'est deul qui me desconforte,
N'autre ennuy de quelconque sortej
Vostre je suis et non plus mien.
Ad ce droit et devoir m'enhorte,
On doit dire du bien le bien.
O grâce et pitié tresimmense,
L'entrée de paix et la porte,
Some et bénigne clémence,
Qui noz faultes toult et supporte,
Cy de vous louer me déporte,
Ingrat suis, et je le maintien,
BALLADES. 143
Dont en ce refrain me transporte
On doit dire du bien le bien.
Princesse, ce loz je vous porte,
Que sans vous je ne feusse rien;
A vous et à vous m'en rapporte,
On doit dire du bien le bien.
BALLADE XXIV.
En regardant vers le pays de France,
Ung jour m'avint, à Dovre sur la mer,
Qu'il me souvint de la doulce plaisance
Que souloie oudit pays trouver;
Si commençay de cueur à souspirer,
Combien certes que grant bien me faisoit
De veoir France que mon cueur amer doit.
Je m'avisay que c'estoit non savance
De telz souspirs dedens mon cueur garder,
Veu que je voy que la voye commence
De bonne paix, qui tous biens peut donner ;
Pource, tournay en conlort mon penser,
Mais non pourtant, mon cueur ne se lassoit
De veoir France que mon cueur amer doit.
Alors chargay en la nef d'Espérance
Tous mes souhays en leur priant d'aler
Oultre la mer, sans faire demourance,
Et à France de me recommander.
Or nous doint Dieu bonne paix sans tarder,
AJonc auray loisir, mais qu'ainsi soit,
De veoir France que mon cueur amer doit.
ENVOI.
Paix est trésor qu'on ne peut trop loer.
144 CHARLES D ORLÉANS.
Je hé guerre, point ne la dois prisicr,
Destourbé m'a long temps, soit tort ou droit.
De veoir France que mon cueur amer doit.
BALLADE XXV.
Priez pour paix, doulce Vierge Marie,
Royne des cieulx, et du monde maistresse,
Faictes prier, par voslre courtoisie,
Saints et sainctes, et prenez vostrc adresse
Vers vostre fils, requerrant sa haultesse
Qu'il lui plaise son peuple regarder
Que de son sang a voulu racheter,
En déboutant guerre qui tout desvoye;
De prières ne vous vueilliez lasser.
Priez pour paix, le vray trésor de joye.
Priez, prelaz et gens de saincte vie,
Religieux, ne dormez en peresse,
Priez, maistres et tous suivans clergie.
Car par guerre fault que l'estude cesse;
Moustiers destruiz sont sans qu'on les redresse,
Le service de Dieu vous fault laisser,
Quant ne povez en repos demourer;
Priez si fort que briefment Dieu vous oye,
L'Eglise voult à ce vous ordonner;
Priez pour paix, le vray trésor de joye.
Priez, princes qui avez seigneurie,
Roys, ducs, contes, barons p'.ains de noblesse,
Gentilz hommes avec chevalerie,
Car meschans gens surmontent gentillesse ;
En leurs mains ont toute vostre richesse,
Debatz les font en hault estât monter.
Vous le povez chascun jour \coir au cler.
BALLADES. Î45
Et sont riches de voz biens et monnoye
Dont vous deussiez le peuple supporter;
Priez pour paix:, le vr-iy trésor de joye.
Priez, peuple qui souffrez tirannie,
Car voz seigneurs sont en telle foiblesse
Qj'ilz ne pevent vous garder par maistrie,
Ne vous aider en vostre grant ' estresse;
Loyaux marchans, la selle si vous blesse
P'ort sur le dox, cjiascun vous vient presser
Et ne povez marchandise mener,
Car vous n'avez seur passage, ne voye,
Et maint péril vous convient il passer;
Priez pour paix, le vray trésor de joye.
Prie/, galans joyeux en compaignie,
Qui despendre desirez à lar^^esse,
Guerre vous tient la bourse desgarnie ;
Priez, amans, qui voulez en liesse
Servir amours, car guerre, par rudesse,
Vous destourbe de voz dames hanter,
Qui maintesfoiz fait leurs vouloirs torner.
Et quant tenez le bout de la courroye,
Ung estrangier si le vous vient ostcr;
Priez pour paix, le vray trésor de joye.
ENVOL
Dieu Tout Puissant nous vueille conforter
Toutes choses en terre, ciel et mer,
Priez vers lui que brief en tout pourvoye,
En lui seul est de tous maulx amender;
Priez pour paix, le vray trésor de joye.
ClIAHLES D'OnLl.ANS. I.
146 CHARLES d'oRLÉANS,
BALLADES
SUR PLUSIEURS SUJETS.
BALLADE I.
Orléans contre Garancières.
Je, qui suis Dieu des amoureux,
Prince de joyeuse plaisance,
A toutes celles et à ceulx
Qui sont de mon obéissance,
Requier qu'à toute leur puissance
Me viengnent aidier et servir.
Pour l'outrecuidance punir
D'aucuns qui, par leur jangierie,
Veulent, par force, conquérir
Des grans biens de ma seigneurie.
Car Garanciere, l'un d'entr'eulx.
Si dit en sa folle vantance,
Pour faire le chevalereux,
Qu'avant yer, par sa grant vaillance,
Luy et son cueur, d'une aliance,
Furent devant Beauté courir.
Je ne luy vy pas, sans faillir.
Mais croy qu'il soit en resverie.
Car si près n'oseroit venir
Des grans biens de ma seigneurie.
Il dit qu'il est tant douloreux,
Et qu'il est mort sans recouvrance;
BALLADES. I47
Mais bien seroit il maleureux
Qui donneroit en ce créance.
On pcul veoir que celle penançe,
Qu'il lui a convenu souffrir,
N'a fait son visage pallir
Ne amaigrir de maladie,
Ainsi se moque, pour chevir,
Des grans biens de ma seigneurie.
Sur tous, me plaist le retenir
Roys des heraulx pour bien mentir;
Cfst office je luy ottrie,
C'est ce que lui veuil départir
Des grans biens de ma seigneurie
BALLADE IL
Réponse de Garencières.
Cupido, Dieu des amoureux.
Prince de joyeuse plaisance,
Moi, Garencières, tressoingneux
De vous servir de ma puissance,
Viens vers vous, en obéissance.
Pour vous humblement requérir
Que vous veuillie:^ faire punir
Un homme de mauvaise vie,
Qui, contre raison, veult tenir
Le droit de vostre seigneurie.
C'est un enfant malicieux,
Oii nul ne doit avoir fiance.
148 CHARLES d'oRLÉANS.
Car il en ajà plus de deux
Deceues, ou p.fis de France,
Dont vous deussie^ prendre vengeance.
Pour faire les autres cremir ;
C'est le prince de Bien Mentir,
A insné frère de Janglerie,
Qui, contre raison, veult tenir
Le droit de vostre seigneurie.
Oncques Lucifer l'orgueilleux
Ne fist si grant oultrecuidance.
Quant il emprist d'estre envieux
Sur le Dieu de toute puissance.
Il me semble que, par sentence,
Vous le deussie^ faire bannir
De vostre court, sans revenir.
Lui et safaulse compaignie,
Qui, contre raison, veult tenir
Le droit de vostre seigneurie.
Prince, s'on doit avoir vaillance
Pour mentir à grant habmdance
Et pour faulseté maintenir,
Vous verre:^ icellui venir
A grant honneur n'en dcubte:^ mie,
Qui, contre raison, veult tenir
Le droit de vostre seigneurie.
BALLADE IH.
En acquittant nostre temps vers Jeunesse,
Le nouvel an et lasaiion jolie,
BALLADES. I49
Plains de plaisir et de toute liesse,
Qui chascun d'eulx chierement nous en prie,
Venuz sommes en ceste mommerie,
Belles, bonnes, plaisans et gracieuses,
Prestz de dancer et taire chiere lye,
Pour resveiller voz pensées joieu^es.
Or bannissiez de vous toute peresse,
Ennuy, soussy avec mercncolie,
Car froit yver, qui ne veult que rudesse, .
Eu desconfit et convient qu'il s'en fuye;
Avril et May amainent doulce vie
Avcques cul\; pource, soyez soingneuses
D2 recevoir leur plaisant compaignie,
Pour resveiller voz pen'^ée; joieuses.
Venus aussi, la tresnoble Déesse,
Qui sur femmes doit avoir la maistrie,
Vous envoyé de Confort à largesse,
Ec Plaisance de grans biens enrichie.
En vous chargeant que de vostre partie
Vous acquittiés sans estre dangereuses;
Aidier vous veult, sans que point vous oublie,
Pour resveiller voz pensées joyeuses.
BALLADE IV.
Bien monstrez, printemps gracieux.
De quel mestier savez servir,
Car yver fait cueurs ennuieux,
Et vous les faittes resjouir •,
Si tost, comme il vous voit venir,
Lui et sa meschant retenue
Sont contrains et prestz de fuir,
A vostre joyeuse venue.
l50 CHARLES d'oRLÉANS.
Yver fait champs et arbres vieulx,
Leurs barbes de neiges blanchir,
Et est si froit, ort et pluieux,
Qu'emprès le feu convient croupir.
On ne peut hors des huis yssir,
Comme un oisel qui est en mue;
Mais vous faittes tout rajeunir,
A vostre joyeuse venue.
Yver fait le souleil, es cieulx,
Du mantel des nues couvrir;
Or maintenant, loué soit Dieux,
Vous estes venu esclersir
Toutes choses et embellir ;
Yver a sa peine perdue.
Car l'an nouvel l'a fait bannir,
A vostre joyeuse venue.
BALLADE V.
Je fu en fleur ou temps passé d'Enfance,
Et puis après devins fruit en Jeunesse ;
Lors m'abaty de l'arbie de Plaisance,
Vert et non meur. Folie, ma maistresse.
Et pourcela. Raison qui tout redresse
A son plaisir, sans tort ou mesprison,
iM'a à bon droit, par sa tresgrant sagesse.
Mis pour meurirou feurrede prison.
En ce j'ay fait longue continuance.
Sans estre mis à l'essor de Largesse,
J'en su/ contant et tiens que, sans doubta ice,
C'est pour le mieulx, combien que par peresse
Deviens fletry et tire vers Vieillesse.
Assez estaint est en moy le tison
BALLADES. l5l
De Sot Désir, puis qu'ay esté en presse
Mis pour meurir ou feurre de prison.
Dieu nousdoint paix, car c'est ma desirance,
Adonc seray en l'eaue de Liesse,
Tost refreschi, et au souleil de France, '
Bien nettié du moisy de Tristesse;
J'attens Bon Temps, endurant en humblesse,
Car j'ay espoir que Dieu ma guerison
Ordonnera; pource, m'a sa haultesse
Mis pour meurir ou feurre de prison.
Fruit suis d'yver qui a meins de tendresse
Que fruit d'esté, si suis en garnison,
Pour amolir ma trop verde duresse,
Mis pour meurir ou feurre de prison.
BALLADE VL
Cueur, trop es plain de folie,
Guides tu de t'eslongner
Hors de nostre compaignie,
Et en repos te logier?
Ton propos ferons changier.
Soing et Ennuy nous nommons,
Avecques toy demourrons,
Car c'est le commandement
De Fortune qui en serre
T'a tenu moult longuement,
Ou royaume d'Angleterre.
Dy nous, ne cognois tu mie
Que Testât de prisonnier
l52 CHARLES b'oKI.KA N'S.
Est que souvent lui ennuyé,
Et endure maint dangicr,
Dont il ne se peut ven^icrP
Pource, nous ne te faisons
Nul tort, se te gouvernons
/ insi que communément
Sont prisonniers pi-is en guerre,
Dont es l'un présentement
Ou royaume d'Angleterre.
En lieu de Plaisance lye,
Au lever et au couschijr
Trouveras Merencol e;
Souvent te fera vei lier,
La nuit et le jour rongier.
Ainsi te guerdonnerons,
Et es fers te g.irJerons
De Soussy et Pensement;
Se tu peuz, si te detlerre,
Par nous n'auras autrement
Ou royaume d'Angleterre..
BALLADE VIL
Nouvelles ont couru en France,
Par mains lieux, que j'estoye mort;
Djnt avoient peu deplaisance
Aucuns qui me hayent à tort;
Autres en ont eu desconfort.
Qui m'ayment de loyal vouloir.
Comme mes bons et vrais amis.
Si fais à toutes gens savoir
Qu'encore est vive la souris.
Je n'ay eu ne mal ne grevance,
BALLADES, l53
Dieu mercy, mais suis sain et fort,
Et passe temps en espérance
Que paix, qui trop longuement dort,
S'esveillera, et par accort
A tous fera liesse avoir.
Pource, de Dieu soient maudis
Ceux qui sont dolens de véoir
Qu'encore est vive la souris.
Jeunesse sur moy a puissance,
Mais Vieillesse fait son effort
De m'avoir en sa gouvernance.
A présent faillira son sort.
Je suis assez loing de son port,
De pleurer vueil garder mon hoir ;
Loué soit Dieu de Paradis,
Qui m'a donné force et povoir;
Qu'encore est vive la souris.
ENVOI.
Nul ne porte pour moy le noir,
On vent meilleur marchié drap gris;
Or tien.^ne chascun, pour tout voir,
Qu'encore est vive la souris.
BALLADE VIII.
Puis qu'ainsi est que vous alez en France,
Duc de Bourbon, mon compaignon treschier,
Où Dieu vous doint, selon la desirance
Que tous avons, bien povoir besongnier;
Mon fait vous vueil descouvrir et chargier
Du tout en toutj en sens et en folie;
l54 CHARLES d'ORLÉANS.
Trouver ne puis nul meilleur messagier,
Il ne faut jà que plus je vous en die.
Premièrement, se c'est vostre plaisance,
Recommandez moy, sans point l'oublier,
A ma Dame; ayez en souvenance,
Et lui dictes, je vous pry et requier,
Les maulx que j'ay quant me fault eslongnier»
Maugré mon vueil, sa doulce compaignie.
Vous savez bien que c'est de tel mestier,
Il ne faut jà que plus je vous en die.
Or y faittes comme j'ay la fiance.
Car un amy doit pour l'autre veillier ;
Se vous dittes : Je ne sçay, sans doubtance,
Qui est celle? vueillez la ensaignier.
Je vous respons qu'il ne vous fault serchier,
Fors que celle qui est la mieulx garnie
De tous les biens qu'on sauroit souhaidier;
11 ne faut jà que plus je vous en die.
Sy ay chargié à Guilleaume Cadier
Que, par de là, bien souvent vous supplie;
Souviengne vous du fait du prisonnier,
Il ne faut jà que plus je vous en die.
BALLADE IX.
Mon gracieulx cousin, Duc de Bourbon,
Je vous requier, quant vous aurez loisir.
Que me faittes, par balade ou chanijion.
De vostre estât aucunement sentir;
Car quant à moy, sachiez que, sans mentir,
BALLADES. l55
Je sens mon cueur renouveller de joye,
En espérant le bon temps avenir
Par bonne paix que brief Dieu nous envoyé.
Tout crestian qui est loyal et bon,
Du bien de paix se doit fort resjoir,
Veu les grans maulx et la destruccion
Que guerre fait par tous pays courir
Dieu a voulu Crestianté punir
Qui a laissié de bien vivre la voye,
Mais puis après, il la veult secourir
Par bonne paix que brief Dieu nous envoyé.
Et pourcela, mon trcschier compaignon,
Vueilliez de vous desplaisance bannir,
En oubliant vostre longue prison
Qui vous a fait mainte doleur souffrir ;
Merciez Dieu, pensez de le servir,
Il vous garde de tous biens grant montjoye
Et vous fera avoir vostre désir
Par bonne paix que brief Dieu nous envoyé.
Resveilliez vous en joyeulx souvenir.
Car j'ay espoir qu'encore je vous voye
Etmoyaussyen confort et plaisir
Par bonne paix que brief Dieu nous envoyé.
"^ BALLADE X.
Mon chier cousin, de bon cueur vous mercie
Des blancs connins vous m'avez donnez;
Etoultre plus, pour vray vous certiffie,
Quant aux connins que dittes qu'ay amez,
I 56 CHARLES d'oRLÉANS.
Hz sont pour moy, plusieurs ans a passez,
Mis en oubly; aussi mon instrument
Qui les servoit, a fait son testament
Et est retrait et devenu hermite ;
II dort tousjours, à parler vrayment.
Comme celui qui en riens ne proulïite.
Ne parlez plus de ce, je vous en prie,
Dieux ait l'ame de tous les trespassez !
l'arler vault mieulx, pour faire chiere lye,
De bons morceaulx et de frians pastez,
Mais qu'ilz soient tout chaudement tastez;
Pour le présent, c'est bon esbatement;
Et qu'on ait vin pour nettier la dent;
En char crue mon cueur ne se delitte.
Oublions tout le vieil gouvernement,
Comme cellui qui en riens ne prouffite.
Quant Jeunesse tient gens en seigneurie,
Les jeux d'amours sont grandement prisez;
Mais Fortune qui m'a en sa baillie,
Les a du tout de mon cueur déboutez ,
Et désormais, vous et moi excusez.
De tels esbatz serons legierement,
Car faiz avons nos devoirs grandement
Ou temps passé. Vers Amours me tiens quicte.
Je n'en vueil plus, mon cueur si s'en repent
Comme cellui qui en riens ne proulïite.
Vieulx soudoiers avecques jeune gent
Ne sont prisiez la valeur d'une mitte ;
Mon office résine plainement,
Comme cellui qui en riens ne prouffite.
BALLADES. iSj
BALLADE XL
Dame qui cuidiez trop savoir,
Mais vostre sens tourne en folie,
Et cuidiez les gens décevoir
Par vostre cautelle jolie.
Qui croiroit vostre chiere lie
Tantost seroit pris en voz las,
Encore ne m'avez vous mie,
Encore ne m'avez vous pas.
Vous cuidiez bien qu'apercevoir
Ne sache vostre moquerie ;
Si fais, pour vous dire le voir;
Etpource, chierement vous prie,
Alez jouer de l'escremie
Autre part, car quant en ce cas.
Encore ne m'avez vous mie,
Encore ne m'avez vous, pas.
Vous ferez bien vostre devoir,
Se m'attrapes par tromperie ;
Car trop ay congneu main et soir
Les faulx tours dont estes garnie
On vous appelle : foui si fie.
Déportez vous de telz esbas,
Encore ne m'avez vous mie,
Encore ne m'avez vous pas.
BALLADE XIL
Orléans à Bourgogne.
Puisque je suis vostre voisia
En ce pais présentement,
l58 CHARLES d'oRLÉANS.
Mon compaignon, frère et cousin,
Je vous requier treschiercment
Que de vostre gouvernement
Et estât me faictes savoir,
Car j'en orroye bien souvent,
S'il en estoit à mon vouloir.
Il n'est jour, ne soir, ne matin,
Que ne prie Dieu humblement
Que la paix prengne telle fin
Que je puisse joyeusement,
A mon désir, prouchainement
Parler à vous et vous véoir;
Ce seroit treshastivement.
S'il en estoit à mon vouloir.
Chascun doit estre bien enclin
Vers la paix, car certainement
Elle départira butin
De grans biens à tous largement.
Guerre ne sert que de tourment,
Je la hé, pour dire le voir,
Bannie seroit plainement,
S'il en estoit à mon vouloir.
ENVOI
Va, ma balade, prestement
A Saint Omer, monstrant comment
Tu vas pour moy ramentevoir
Au Duc à qui suis loyaument.
Et tout à son commandement,
S'il en estoit à mon vouloir.
BALLADES. ibç)
BALLADE XIIL
Bourgogne à Orléans,
S'il en estait à mon vouloir.
Mon maistre et amy sans changier,
Je vous asseure, pour tout voir,
Qu'en vo fait n'auroit nul dangier;
Mais par deçà, sans attargier,
Vous verroye hors de prison,
Quitte dutout, pour abregier.
En ceste présente saison.
Se tel don pove^ recevoir
Par la grâce Dieu, de legier
Pourre:^ tel à paix esmouvoir.
Qui la désire eslongier ;
Nul contre n'osera songier,
Car confort aure's bel et bon.
Se Dieu nous veult assoulagter.
En ceste présente saison.
Mettons nous en nostre devoir
Qu'en paix nous puissions herbergter;
Il n'est ou monde tel manoir.
Qui désir a de si logier.
Abrégeons, sans plus prolongier,
lien est temps, ou jamais non,
Pour nous de guerre deslogier,
En ceste présente saison.
ENVOI.
Or pensons de vous allegier
De prison, pour tout engagier.
l60 CHAULES d'or LÉ AN 3.
Se n'avons paix et union,
Et du tout ]n'j- vucil obligicr,
En ceste présente saison.
BALLADE XIV.
Orléans à Bourgogne.
Pour le haste de mon passaige
Qu'il me convient faire oultre mer,
Tout ce que j'ay en mon couniige
A présent ne vous puis mandei'.
Mais non pour tant, à briet parler,
De la balade que m'avés
Envoyée, comme savés,
Touchant paix et ma délivrance.
Je vous mercie chèrement,
Comme tout vostre entièrement
De cueur, de corps et de puissance.
Je vous envoyeray message,
Se Dieu plaist, brieimcnt sans tarder
Loyal, secret et assez saige,
Po..r bien à plain vous intormci-
De tout ce que pourray trouve.-
Sur ce que savoir désirés;
Pareillement fault que mettes.
Et faictes, vers la part de France,
Diligence soingneusement.
Je vous en requier humblement,
De cueur, de corps et de puissance.
Et sans plus despendre langage,
A cours mots, plaise vous penser
Que vous laisse mon cueur en gage
Pour tousjours, sans jamais faulsc.-.
BALLADES. l6l
Si me veuillez recommander
A ma cousine; car croies
Que en vous deux, tant que vivres,
J'ay mise toute ma fiance ;
Etvostre party loyaument
Tendray, sans faire changement,
De cueur, de corps et de puissance.
Or y perra que vous ferés,
Et se point ne m'oublierés,
Ainsi que g'y ai espérance.
Adieu vous dy présentement.
Tout Bourgongnon sui vrayement,
De cueur, de corps et de puissance.
BALLADE XV.
Bourgogne à Orléans.
De cueur, de corps et de puissance.
Vous mercie treshumblement
De vostre bonne souvenance
Qu'avec de moy soin^neusement;
Or pove:^ faire entièrement
De moy, en tout lien et honneur.
Comme vostre cueur le propose.
Et de mon vouloir soye^ seur,
Qiioy que nul dye, ne deppose.
Ne mettes point en oubliance
L'estat et le gouvernement
De la noble maison de France,
CHARLES D'ORLÉANS, i. Il
1Ô2 CHARLES d'ORLÉANS.
Qui se maintient piteusement ;
Vous saure^ tout, quoy et comment ;
Je n'en dy plus pour le meilleur,
Mais on en dit tant et expose
Que c'est à o'ir grant orreur,
Quoy que nul dye, ne dcppnse.
Pensej à vostre délivrance.
Je vous en prie chieremeiit ;
Car, sans ce, je n'ajy espérance
Que nous ayons paix nullement,
On la heit tant mortellement
Que trop peu trouve de faveur.
Ne fera, comme je suppose,
Se ce n'est par vostre labeur.
Quoique nul dye, ne deppose.
Or prions Dieu, par sa doulceur.
Qu'à vous délivrer se dispose.
Car trop avej souffert douleur,
Quoy que nul dye, ne deppose.
BALLADE XVI.
Orléans à Bourgogne.
Des nouvelles d'Albion
S'il vous en plaist escouter,
Mon frère et mon compaignon,
Sachez qu'à mon retourner,
J'ay esté, deçà la mer,
Receu à. joyeuse chiere.
BALLADES. lG3
Et a fait le Roy passer,
En bons termes, ma matière.
.Je doy estre une saison
Eslargi pour pourchasser
La paix aussi ma raençon ;
Se je puis seurté trouver
Pour oler et retourner,
Il fault qu'en haste la quiere,
Se je vueil brief achever.
En bons termes, ma matière.
Or, gentil Duc Bourgongnon,
De ce cop vueilliez m'aydier,
Comme mon intencion
Est vous servir et amer,
Tant que vifpourray durer.
En vous ay hance entière,
Que m'ayderez à finer.
En bons termes, ma matière.
ENVOI.
Mes amis fault esprouver
S'ilz vouldront à ma prière
Me secourir pour mener.
En bons termes, ma matière.
BALLADE XVIL
J'ay tant joué avecques Aage
A la paulme que maintenant
J'ay quarante cinq ; sur bon gage
Nous jouons, non pas pour néant.
Assez me sens fort et puissant
164 CHARLES d'orLÉANS.
De garder mon jeu jusqu'à cy,
Ne je ne crains riens que Souisy.
Car Soussy tant me descourage
De jouer, et va estouppant
Les cops que fiers à l'avantage!
Trop seurement est rachassant ;
Fortune si lui est aidant,
Mais Espoir est mon bon amy,
Ne je ne crains riens que Soussy.
Vieillesse de douleur enrage
De ce que le jeu dure tant,
Et dit en son félon langage
Que les chasses dorénavant
Merchera, pour m'estre nuisant;
Mais ne m'en chault, je la deffy,
Ne je ne crains riens que Soussy.
Se Bon Eur me tient convenant,
Je ne doubte, ne tant ne quant,
Tout mon adve saire party,
Ne je ne crains riens que Soussy.
BALLADE XVIH.
Visaige de baffe venu
Confit en composte de vin,
Menton rongneux et peu barbu,
Et dessiré comme un coquin,
Malade du mal saint Martin,
Et aussi ront q'un tonnellct;
Dieu le me sauve ce varlet!
BALLADES. l03
Il est enroué devenu,
Car une pouldre de raisin
L'a tellement en l'ueil féru
Qu'endormy l'a, comme un touppin;
Il y pert un chascun matin,
Car il en a chault le touppet;
Dieu le me sauve ce varlet !
Rompre ne sauroit un festu,
Quant il a pincé, un loppin ,
Saint Poursain qui l'a retenu
Son chier compaignon et cousm.
Combien qu'ayent souvent hutin,
Quant ou cellier sont en secret!
Dieu le me sauve ce vailet !
Prince, pour aler jusqu'au Rhin,
D'un baril a fait son ronssin.
Et ses espérons d'un foret;
Dieu le me sauve ce varlet 1
BALLADE XIX.
Amour qui tant a de puissance
Qu'il fait vieilles gens rassoter.
Et jeunes plains d'oultrecuidance,
De tous estas se scet meller,
Je l'ay congneu pieçà au cler,
Il ne fault jà que je le nye,
Parquoy dis et puis advouer
Ce n'est fors que plaisant folie.
A droit compter, sans decevance,
l66 CHARLES d'oRLÉANS.
Quant un amant vient demander
Confort de sa dure grevance,
Que vouldroit il faire ou trouver?
Cela, je ne l'ose nommer;
Au fort, il fault que je le die,
Ce qui fait le ventre lever;
Ce n'est fors que plaisant folie.
Bien s:ay que je fais desplaisance
Aux amoureux, d'ainsi parler
Et que j'acquier leur malvueillance;
Mais, s'il leur plaist me pardonner,
Je leur prometz qu'au par aler.
Quant leur chaleur est refroidie,
Hz trouveront que. sans doubter,
Ce n'est fors que plaisant folie.
Prince, quant un prie d'amer,
Se l'autre si veult accorder,
Il n'y a plus, sans moquerie;
Laissiez les ensemble jouer,
Ce n'est fors que folie.
BALLADE XX.
Orléans à BourgogJie.
Beau frère, je vous remercie,
Car aidié m'avez grandement;
Et oultre plus, vous certilTie
Que j'ay mon fait entièrement ;
Il ne me fault plus riens qu'argent
BALLADES. 1 G7
Pour avancer tost mon passage,
Et pour en avoir prestement
Mettroye corps et ame en gage.
Il n'a marchant en Lombardie,
S'il m'en prestoit présentement,
Que ne fusse, toute ma vie.
Du cueur à son commandement.
Et tant que l'eusse fait content
Demourer vouldroye en servage,
Sans espargner aucunement,
Mettroye corps et anie en gTge.
Car se je suis en ma partie,
Et oultre la mer franchement,
Dieu mercy, point ne me soussie
Que n'aye des biens largement.
Et desserviray loyaumcnt
A ceulx qui m'ont, de bon courage,
Aidié; sans faillir nullement,
Mettroye corps et ame en gage.
Qui m'ostera de ce tourment.
Il m'achètera plainement,
A tousjoursmès, à héritage,
Tout sien scray sans changement,
Mettroye corps et ame en gage.
BALLADE XXL
Orléans à Bourgogne.
Pource que je suis présent
Avec la gent vostre ennemie,
l68 CHARLES d'oRLÉANS.
Il fault que je face semblant,
Faignant que ne vous ayme mie :
Non pour tant, je vous certiffie,
Et vous pri que vueillez penser
Que je seray, toute ma vie,
Vostre loyaument, sans faulser.
Tous maulx de vous je voiz disant,
Pour aveugler leur faulse envie ;
Non pour tant, je vous ayme tant,
Ainsi m'aid la Vierge Marie,
Que je pry Dieu qu'il me mauldie,
Se ne trouvez, au par aler.
Que vueil estre, quoy que nul die,
Vostre loyaument, sans faulser.
Faignez envers moy mal talant,
A celle fin que nul n'espye
Nostre amour, car par ce faisant,
Sauldray hors du mal qui m'anuye.
Mais faittes que Bonne Foy lye
Nos cueurs, qu'ilz ne puissent muer,
Car mon vouloir vers vous se plye,
Vostre loyaument, sans faulser.
Vous et moy avons maint servant
Que Convoitise fort mestrie;
Il ne fault pas, ne tant ne quant,
Qu'ilz saichent nostre compaignie;
Peu de nombre fault que manye
Noz fais secrez par bien celer,
Tant qu'il soit temps que me publie
Vostre loyaument, sans faulser.
Tout mon fait saurez plus avant
Par le porteur en qui me fye;
Il est léal et bien saichant,
Et se garde de janglerye.
Créez le, de vostre partie,
BALLADES. 169
En ce qu'il voas doit raconter;
Et me tenez, je vous en prie,
Vostre loyaument, sans faulser.
Dieu me fiere d'espidimie,
Et ma part es cieulx je renye,
Se jamais vous povez trouver
Que me faigne, par tromperie,
Vostre loyaument, sans faulser.
BALLADE XXII.
Par les fenestres de mes yeulx,
Ou temps passé, quant regardoye,
Advis m'estoit. ainsi m'ait Dieux,
Que de trop plus belles véoye
Qu'à présent ne fais: mais j'estoye
Ravy en plaisir et lyesse,
Es mains de ma Dame Jeunesse.
Or, maintenant que deviens vieulx.
Quant je lis ou livre de Joye,
Les lunettes prens pour le mieulx;
Par quoy la lettre me grossoye
Et n'y voy ce que je souloye.
Pas n'avoye ceste foibl.sse,
Es mains de ma Dame Jeunesse.
Jeunes gens, vous deviendrez tieulx
Se vivez et suivez ma voie ;
Car au jourduy n'a soubz les cieulx
Qui en aucun temps ne fouloye.
Puis fault que Raison son compte oye
I 70 C H A lU. E s D ' O R L É A N S.
Du trop despendu en simplcssc,
Es mains de ma Dame Jeunesse.
Dieu en tout, par grâce, pourvoye,
Et ce qui nicement lourvoye,
A son plaisir, en bien radressc
Es mains de ma Dame Jeunesse !
BALLADE XXIH.
Par les fenestres de mes yeulx
Le chault d'Amours souloit passer;
Mais maintenant que deviens vieulx,
Pour la chambre de mon penser
En esté freschement garder,
Fermées, les feray tenir;
Laissant le chault du jou • aler
Avant que je les face ouvrir.
Aussi en yver le pluvieux,
Quivens et broillars fait lever,
L'air d'Amour epidimieux
Souvent par my se vient bouter;
Si fault les pertuis estouper.
Par où pourroit mon cueur ferir;
Le temps verray plus net et cler,
Avant que les face ouvrir.
Désormais en sains et seurs lieux,
Ordonne mon cueur dcmourer,
Et par Nonchaloir, pour le mieulx,
Mon medicin, soy gouverner ;
S'Amour à mes huys vient hurter,
BALLADES. I7I
Pour vouloir vers mon cuieur venir,
Seurté lui fauldra me donner,
Avant que je les face ouvrir.
Amours, vous venistes frapper
Pieçà mon cueur, sans menacer;
Or, ay fait mes logis bastir
Si fors que n'y pourrez entrer,
Avant que je les face civrir.
BALLADE X .K I V.
Ung jour ih mon cueur de\isoye
Qui en secret à moy pai loit,
Et en parlant lui demandoyc
Se point d'espargne fait avoit
D'aucuns biens, quant Amours servoit?
Il me dist que tresvoulentiers
La vérité m'en compteroit,
Maisqu'eust visité ses papiers.
Quant ce m'eut dit, il pnnt sa voye
Et d'avecques moy se partoit,
Après entrer je le véoye
En ung comptouer qu'il avoit;
Là deçà et delà queroit,
En cherchant plusieurs vieux cayers,
Car le vray monstrer me vouloit,
Maisqu'eust visité ses papiers.
Ainsi, par ung temps l'atendoye.
Tantost devers moy reto.irnoit
Et me monstra, dont j'euz grant joye,
172 CHARLES D ORLEANS.
Ung livre qu'en sa main tenoit,
Ou quel dedens escript portoit
Ses faiz, au long et bien entiers,
Desquelz informer me feroit,
Mais qu'eust visité ses papiers.
Lors demanday se j'y liroye,
Ou se mieulx lire lui plaisoit?
Il dit que trop paine prendroye,
Pour tant à lire commançoit ;
Et puis gettoit et assommoit
Le compte des biens et dangiers
Tout à ung; vy que revendroit
Mais qu'eust visité ses papiers.
Lors dy : « Jamais je ne cuidoye.
Ne nul autre ne le croiroit,
Qu'en amer, où chascun s'employe,
De prouffit n'eust plus grant exploit;
Amours ainsi les gens déçoit,
Plus ne m'aura en telz santiers.
Mon cTier bien effacier pourroit,
Mais qu'eust visité ses papiers. »
ENVOI
Amours savoir ne me devroit
Mal gré, se blasme ses mestiers.
Il verroit mon gaing bien estroit,
Mais qu'eust visité ses papiers.
BALLADE XXV.
En tirant d'Orléans à Blois,
L'autre jour par eaue venoye,
BALLADES. IjS
Si rencontray, par plusieurs foiz,
Vaisseaulx, ainsi que je passoye,
Qui singloient leur droitte voye
Et aloient legierement,
Pour ce qu'eurent, comme véoye,
A plaisir et à gré le vent.
Mon cueur, Penser et moy, nous trois,
Les regardasmes à grant joye,
Et dist mon cueur à basse voie :
« Voulentiers en ce point feroye
De Confort la voille tendroye,
Se je cuidoye seurement
Avoir, ainsi que je vouldroye,
A plaisir et à gré le vent.
Mais je treuve le plus des mois,
L'eaue de Fortune si quoye,
Quant ou bateau du Monde vois,
Que, s'avirons d'Espoir n'avoye,
Souvent en chemin demourroye,
En trop grant ennui longuement;
Pour néant en vain attendroye
A plaisir et a gré le vent. »
ENVOI.
Les nefz dont cy devant parloye
Montoient, et je descendoye
Contre les vagues de Tourment;
Quant il lui plaira, Dieu m'envoye
A plaisir et à gré le vent.
BALLADE XXVL
L'autre jour je fis assembler
Le plus de Conseil que povoye,
174 CHARLES DORI-ÉANS.
Et vins, bien au long, raconter
Comment delBé me tenoye
Comme par I ectres monstrero/e
De Merancolie et Douleur ;
Pourquoy conseiller me vouloye
Par les Trois Estas de mon cueur.
Mon advocat prist à parler,
Ainsi qu'anformé je l'avoye;
Lors veissiez mes amis pleurer,
Quant sceurent le point où j'estoye^
Non pourtant, je les confortçye,
Qu'à l'aide de nostre Seign'eur,
Bon remède je trouveroye
Par les Trois Estas de mon cueur,
Espoir, Confort, Loyal Penser,
Que mes chiefs conseillers nommoye,
Se firent fors, sans point doubler,
Se par eulx je me gouvernoye.
De me trouver chemin et voye
D'avoir brief secours de Doulceur,
Avecques laide que j'auroye
Par les Trois Estas de mon cueur.
ENVOI.
Prince, Fortune me guerroyé
Souvent à tort ei par rigueur,
Raison veuit que je me pourvoye
Par les Trois Estas de mon cueur.
BALLADE XXVII.
Bon régime sanitatis
Pro vobis, neuf en mariage;
BALLADES. 175
Ne de vouloirs effrenatis,
Abusez nimis en mesnage;
Sagaciter menez l'ouvrage,
Ainsi fait homo sapiens,
Testibus les phisiciens.
Premièrement, caveatis
De coitu trop à oultraige ;
Car, se sonvcni hoc agatis,
Conjunx le vouldra parusa^jg
Chalenger, veliid heritaige,
Aiit erit quasi hors de sens.
Testibus les phisiciens
Oultre plus, nonfaciatis
Ut Philomena ou boucnge,
Se vos amours habeatis,
Qui siffle carens de courage
Cantendi, mais monstres visage
Joyeux, et sitis paciens ;
Testibus les phisiciens.
Prince, miscui en potaig'3
Latinum et trançois langaige,
Docens loyaulx enseignemens,
Testibus les phisiciens.
BALLADE XXVIIÏ
Du régime quod dedistis,
Cognoscens que tressaigement
Me, Monseigneur, docuistis,
Je vous remercie humblement ;
Mais d'ainsi faire seurement,
\y6 CHARLES d'orléans.
Nunquam uxor concordabit,
Hoc mains deba^ generabit.
Je ne sçay si bien novistis
L' infinie peine et tourment,
In quibus me posuistis,
Se je croy vostre enseignement ;
Car tant congnois, s'aucunemcnt
Fais du sourt quando temptabit,
Hoc mains deba^ generabit.
Je voy trop bien quoi dixistis
Ce qu'on doit dire bonnement,
Et qu'aussi me avertistis
De ma santé entièrement ;
Mais quant je feray autrement.
Le fait d'autres recordabit ;
Hoc mains deba^ generabit.
Prince, selon mon sentement,
Jl/ault s'acquiter loyaument ;
Quia qui non laborabit
Hoc mains desbaj generabit.
LETTRES
EN FORME DE COMPLAINTE.
FREDET AU DUC D ORLEANS
Monseigneur, pource que sçay bien
Que vous are:^, de vostre bien,
Autreffoi:^ pris plaisir à lire
De mes fais qui ne valent rien,
Dont trop à vous tenu me lien,
Vouloir m'est pris de vous escripre
Et mon aventure vous dire,
Laquelle conter vous désire.
Car c'est raison que je le far e.
Espérant que de mon mariire,
Tel conseil qui devra suffire,
Me donnerez de vostre grâce.
Il est vray que de par Amours,
Un g jour saint Valent in, à Tours,
Fut une grant /este ordonnée,
Et Jist assavoir par les Cours,
Comme de coustume a tousjours,
Qiie chascun vint à la journée.
Là eut grant joye démenée
Et mainte haulte loy donnée.
Qui/ut sans per, choisit adoncques ,
CHARLES d'orlÉANS. I.
i CHARLES d'oRLÉANS.
Si eti!(, comme par destinée,
A mon gré la meilleure née
Qui en France se trouvast oncques.
Comme ma Dame, ma maistresse
Et ma terrienne Déesse,
Tousjours la sers et l'aj- servie;
Car il m'a, par deffense expresse.
Commandé lui faire promesse
D'estre sien pour toute rna vie.
Car tant ma pensée a ravie
Et à la chérir asservie
Que je ne pourroye, sur m'ame,
D'aultre jamais avoir envie,
Tant feust elle bien assouvie.
Si fort lui a pieu que je lame.
Mais ainsi m'en va que depuis
Qu'à elle donné je me suis.
Je ne peu:^ avoir bien nejoye.
Fors que tous maulx et tous ennuis
Qui à toute heure, jours et nuis.
Me tourmentent oii que je soye,
Tant que ne sçay que faire doye ;
Et semble, se dire l'osoye,
Qu'ilj ayent tous ma mort jurée.
Se vostre bonté n'y pourvoye.
Force sera que par eulx voye
Finer ma vie maleurée.
Pource que souvent ne la voy,
Le plus que je puis, sur ma foy.
Je ne fais qu'en elle penser .
Save^ vous la cause pourquoy?
En espérant que mon ennoy
Se deust aucunement cesser.
Mais il ne me veult délaisser,
Car plus en elle est mon penser;
COMPLAINTES. I79-
Et plus de douleur me court seure.
Qui m'est si tresdure à passer
Que je désire trespasser
Plus de mille foys en une heure.
Que je sceusse prendre plaisir
En riens qui soit, fors desplaisir.
Las! je ne pourroye loing d'elle.
Car c'est celle que mon désir
M' a fait pour maistresse choisir,
Comme s'il n' en feust point de telle.
Tout mon bien et mal vient de celle;
Ainsi, comme il plaist à la belle,
Il n'en est qu'à sa voulenté ;
Et ne cuide^ pas que vous celle
Que ce ne soit celle qu'appelle
Devant chascun : ma Léauté.
Puis que je l'ame si tresfort,
N'apas doncques Amours grant tort
De moy faire tant endurer?
Ou dire fault qu'il soit d'accort
Que pour trop amer prengne mort,
Ou moy faire désespérer,
Quant pour plaindre, pour souspirer,
Pour mal qu'il me voye tirer.
Il ne m'en a que pis donné!
En ce point me fault demeurer.
Car mieulx vault ainsi qu empirer ;
Vee^ là cojnment suis gouverné!
Helas ! ce qui plus me tourmente.
Et dont fault que plus de dueil sente,
C'est la grant doubte que je fais.
Que je défaille à mon entente.
Et que du tout perde l'attente
De mes tant désire^ souhais;
Car je suis seur,plus qu'oncques mais.
l80 CHARLES D'oRI.ÉANS.
Que si par vous ne sont parfais,
User ma vie rne fauldra
En languissant desoresmais,
Comme cil à qui, pour jamais,
Toute plaisance deffauldra.
Et quant devers Amours je viens
Lui compter les maulx que soustiens.
En lui requérant allégeance,
Il me respond : « je n'y puis riens.
Mais va t'en au duc d'Orliens,
Que fors lui, n'en a la puissance.
Fay donc qu'ayes son accointance
Et te met:^ en sa bienveillance ;
Car, se tu le puis faire ainsi.
Tu ne dois point faire doubtance
Que de ta dure desplaisance
Il n'en ait voulentiers merci. »
A vous doncques me fault venir
Et vostre du tout devenir,
Puisque vous avef ce povoir
Que de moy faire parvenir
Au plus haut bien qui avenir
Me peut jamais à dire veoir.
Pour quoy il vous plaise savoir
Que, se vous y f aides devoir
Et voule^ à mon fait entendre
Tellement que je puisse avoir
Celle qui tant me plaist à voir,
Vostre à tousjours je m'iray rendre.
Or n'oublie^ pas. Monseigneur,
Vostre treshumble serviteur ;
Mais escoute^ mes dolans plains
Desquieulx je vous fais la clameur
Et vueillc'^, par vostre doulceur.
Que par vous il:; soient estains.
COMPLAINTES. l8l
Car croie^ ^"'^f "^ sont pas fains,
Ains pires avant plus que mains.
Puis me donne^, de vostre grâce.
Je vous en pry à jointes mains,
Tel responce que, soirs et mains,
Tout mon vivant joyeul.v me face.
REPONSE DU nue D ORLEANS.
Fredet, j'ay receu vostre lettre,
Dont vous mercie chicrement,
Ou dedens avez voulu mettre
Vostre fait bien entièrement ;
Fier vous povez seurement
En moy, tout, non pas à demi,
Au besoing congnoist on l'ami.
S'amour tient vostre cueur en serre,
Ne vous esbahissez en rien;
Il n'est nulle si forte guerre
Qu'au derrain ne s'appaise bien;
Amour le fait, comme je tien.
Pour esprouver mieulx vostre vueil
Grant joye vient après grant dueil.
Se vous dittes : Las ! je ne puis
Une telle doleur porter;
Je vous respons : Beau Sire, et puis
Vous en voulez vous depporter
Ou au Dieu d'amours rapporter?
L'un des deux fault, se m'aist Dieux, voire:
Puisqu'il est trait, il le fault boire.
Guidez vous, par dueil et courroux,
Ainsi gangner vostre vouloir ?
Nennyl, ce ne sont que coups rcux
Qu'Amours met tout en nonchaloir.
l8i^ CllAKI.ES d'ORLÉANS.
De riens ne vous pevent valoir,
Et se les couchez en despence;
Trop remaint de ce que fol pense.
Voulez vous rompre vostre teste
Contre le mur? ce n'est pas sens.
Il faut dancer, qui est en feste ;
Certes, autre raison n'y sens;
Et pour ce là, je me consens
Que souffrez qu'Amours vous dcmaine;
Grant bien ne vient jamais sans paine.
Mais de voz doleurs raconter
Faittes bien, ainsi qu'il me semble,
Et les assommer et compter
Devant Amours ; car il ressemble
A l'ostellier qui met ensemble,
Et tout dedens son papier couche;
Pour parler est faitte la bouche.
De pieça je fuz en ce point.
Encore pis, loing d'allegence;
Toutesfoiz ne vouluz je point
De moy mesmes faire vengence;
Mais chauldement, par diligence,
Pourchassay et playday mon fait;
Peu gangne celuy qui se tait.
Et pource que la lettre dit
Qu'Amours veult que vers moy tirez,
De moy ne serez escondit,
S'aucune chose desirez
A vostre bien, quant l'escriprez ;
Paine mettray, d'entente franche,
Que l'ayez de croq ou de hanche.
Combatez, d'estoc et de taille,
Vostre dure merencolie.
Et reprenez, commant qu'il aille,
Espoir, confort et chiere lie.
COMPLAINTES. l83
De ne vous oublier me lie,
Autant en ce que puis et doy,
Que se me teniez par le doy.
Or retournons à mon propos
Et ne parlons plus de cecy.
Vray est que je suis en repos
D'Amours, mais non pas de Soussy;
Et pojrce, )e vous vueil aussy
De me conseillier travaillier.
L'amy doit pour l'autre veillier.
Soussy maintient que c'est raison
Qu'il ait sur tous vers moy puissance;
Nonchaloir dit qu'en ma maison
Vault mieulx qu'il ait la gouvernance, '
Car il ramènera Plaisance
Que Soussy a bannye à tort,
Sans reveillier le chat qui dort.
Soussy respond qu'estre ne peut,
Tant qu'on est ou monde vivant,
Car Fortune par tout s'esmeut
Et est à chascun estrivant,
En tous lieux va mal eicrivant,
Et toutes choses met en doubte;
Elle a beaux yeulx et ne voit goûte.
Si ne sçay que je doye taire,
Ne lequel d'culx me laissera:
Car veu que tousjours j'ay affaire,
Soussy jamais ne cessera.
Mais mon plaisir rabessera
En quelque place que je voysc;
Bien est aise, qui est sans noyse.
Quant en Nonchaloir je m'csbas
Et Dcsplaisir vueil deboutci".
Jamais ne sçay parler si ba;
Que Soussy ne vicnjne c^coutcr.
184 CHARLES d'Orléans.
Las! je le doy tant rcdoubtcr,
Car à tort souvent me ravalle;
Mais sans mascher fault que l'avalle.
Je ne sçay remède quelconques,
Quanj ay mis ces choses en poys,
Pour tous deux contenter adoncques,
Fors les faire servir par moys;
Mandez moy sur ce quelque loys,
Fredet, bon conseil, par vostre ame,
Foy que devez à vostre Dame.
FREDET AU DUC D ORLEANS.
Monsei faneur, j'aj' de vous receu
Et aussi de mot à mot leu
Une lettre qu'il vous a pieu
Moy rescripre, touchant mon fait,
Par laquelle fay apperceu
Le bon vouloir qu'ave'^ eu
Vers moy tousjours, qui n'est pas peu,
Dont tout mon dueilave:; dej'ait.
Et oultre plus, comme fay veu,
Ave:; voulu que fay e sceu,
De quoy il ne m'a point desplcu,
Ce qui tant vous grief ve, ou refait.
Sur quoy, de vous obéir meu,
Non pas ainsi comme il est deu,
Mais du tout au mieulx que fay peu,
Mon conseil tel quel vous ait fait :
Vous plaigniez de la rigueur
Et aigreur,
Que vous fait, par sa fureur
Et chx-leur.
COMPLAINTES. l83
Celluy que nomme^ Soiissy,
Qui sans cause et sans couleur
Et langueur,
Par son ennuyeux labeur
Et maleur,
Vous tourmente sans mercy ;
Dont par force de douleur
Vostre cueur
Est noyé par grant langueur.
Tout en pleur.
Et souvent devient iransy.
Puis racoulej, Monrcigneur,
Quel doulceur,
Nonchaloir, par son bon eur
Et valeur,
Se offre vous faire aussi.
De Soussy vous vueil escripre :
C'est ung tresmerveilleux sire,
Etfault dire
Que cellui n'a pas couraige
D'omme saige,
Qui veult qu'avec lui demeure.
Car il ne sert que de nuyre.
Et ne pense, ne désire
Qu'à destruire.
Et fait à cliascun dommaige
Et oultraige.
Ne lui chault qui vive ou meure.
Et fut il seigneur d'empire,
Ou qui que soit, tout fait frire
Et martire;
Tant qu'il est en son servaige,
Avantaige
N'a nul, je le vous asseure.
Mille maulx, tous d'une tire,
IbO CHARLES D ORLEANS.
Ne lin pevent trop suffire ;
Il n'est pire,
Tant fait de tourmenter rage,
Et enrage
Qu'à son gré tout ne demeure.
Soussy toit d'estre joyeulx,
Et fait merencolieiix
Par tous lieux,
Et bien souvent furieux,
Tous ceulx oii il a puissance ;
Par lui les biens gracieux
Deviennent mal gracieux ;
Jeunes, vieux.
Tout fait trouver ennuy^eux
A qui plaist son accointauce,
Puis, par sa grande savance,
Il avance
Autour d'eulx Désespérance
Qiii,par ses di^ ennuyeux,
Et ses fat j malicieux
Et criieux,
Les met en ceste créance
Que jamais il:^ n'auront mieulx.
Lors sont à tel desplaisance
Que plus seroit leur plaisance,
Sans doubtance,
Brief mourir qu'estre mais tieulx.
Se les maulx compter vouloye,
Et la puissance en avoye.
Que Soussy vous feroit bien!
Mais à quoy l entreprendroye ?
Car certes je ne sauroye
D'un an vous dire combien.
Et pource, à tant e m'en lien.
Et maintenant je revien.
COMPLAINTES. 187
Pour faire vostre vouloir,
A parler, se j'en sçay rien,
Du grant aise, du haiilt bien.
Lequel donne Nonchaloir.
Qiti à Nonchaloir s'adresse.
Et tout, pour estre sien, lesse
Et delesse,
En léesse,
Sans que jamais mal le blesse,
Pourra sa vie passer.
Dueil, Courroux, Soussy, Aspresse,
Et tous ceulx de leur promesse,
Soit Tristesse,
Ou Destresse,
Ou Rudesse,
Qui de mains grever ne cesse.
Tous les fait avant passer.
Contre lui n'ont hardiesse;
Il les vaint, par sa sagesse,
Et abesse
Leur duresse,
Leur haultesse.
Nul ose lui faire presse,
N'encontre lui s'amasser.
Car il maine Joye en lesse.
Qui le deffent d'eulx sans cesse
Par prouesse.
Or donc qu'esse?
Est il au monde richesse
Qui sceust un g tel bien passer?
De lui vient Plaisante Vie
Qui des vie
Dueil, Soussy, de toute place;
De repos Aise assouvie.
Sans envie
îfSO CHARLES D ORLEANS.
De bien qu'à autruy se face.
Les autres bonnes efface,
Et defface.
Tout est en Joye ravye,
Tout fait a joyeuse face,
Dont la f^race
De vous a bien dascnye.
Nonchaloir, de sa nature.
Lui soit fortune ou non, dure ;
L'un et l'autre tout endure ,
Et prent en gré ïavanture,
Car il ne tient d'ame coûte.
Joye, dueil, paix ou murmure,
Gangner, perdre sans mesure.
Soit à tort, ou par droicture,
Tout lui est ung, je vous jure
Ne lui chault s'il besse ou monte.
Ou se moindre le surmonte ;
D un chascun à son gré compte ;
De quanque lui vient n'a honte,
Soit bien ou mal, rien n'en compte.
A tout faire s'avanture;
Autant lui est Roi que Conte,
La cause est, comme il ra onte,
Car à nulluy ne rent compte.
Et pource, la fin de conte.
Tous] ours sa vie en paix dure.
Pourquoy, servir je vous conseille
De nostre maistre Nonchaloir ;
Et bannisse:^, vueille ou non vueille,
Soucy., sans plus vous en chiloir;
De lui mieulx ne pove^ valoir,
I^Iais soit hors de vostre mémoire ;
Qui demande conseil doit croire.
Je vous supply qu'il vous suffise.
COMPLAINTES. 189
Et aussi il ne vous desplaise,
D'une question qu'ay cy mise,
D'un mien amy très en malaise.
Dont, Monseigneur (mais qu'il vous plaise),
Vcstre conseil avoir m'en fault ;
L'advis de deux mieulx que d'un vault.
Cellui que dy est si espris
D'une tant belle, bonne Dame,
Qu'il ne pourrait estre repris
Tellement si tresfort il ame;
Mais espoir n'a point, sur mon ame,
D'avoir jamais d'elle secours;
Pas n'est en paix qui sert amours.
Que autre Dame, se lui semble,
Qui n'a point de meilleur vivant,
Par le bien qu'en elle s'assemble.
Le vouldroit bien pour son servant;
Non pourtant il mourrait avant
Que son cueur se peust sien clamer ;
Par force l'en ne peut amer.
Et pource, maintenant demande
Qui lui sera moins chose forte,
Celle amer qu Amours lui commande,
Oii toute s espérance est morte.
Ou l'autre, combien qu'il rapporte
Qu'amer ne la peut, ne désire^
De deulx maulx on prent le moins pire.
Vee^ là de mon amy le cas.
Auquel fauldroye bien envis ;
Mais conseiller ne le puis pas,
Sans en avoir de vous l'advis.
Fait en soit à votre devis.
Monseigneur, car c'est bien raison.
Et à tant fine ma raison.
JQO CHARLES D ORLEANS.
LA COMPLAINTE DE FRANCE.
France, jadis on te souloit nommer.
En tous pays, le trésor de noblesse,
Car un chascun povoit en toy trouver
Bonté, honneur, loyaulté, gentillesse,
Clergie, sens, courtoisie, proesse.
Tous estrangiers amoient te suir.
Et maintenant voy, dont j'ay desplaisance,
Qu'il te convient maint griel mal soustenir,
Trescrestien, franc royaume de France.
Scez tu dont vient ton mal, à vray parler?
Congnois tu point pourquoy es en tristesse?
Conter, le vueil, pour vers toy m'acquiter,
Escoutes moy, et tu feras sagesse.
Ton grant orgueil, gloutonnie, peresse,
Convoitise, sans justice tenir.
Et luxure, dont as eu abondance,
Ont pourchacié vers Dieu de te punir,
Trescrestien, franc royaume de France.
Ne te vueilles pour tant désespérer.
Car Dieu est plain de merci, à largesse.
Va t'en vers lui sa grâce demander,
Car il t'a fait, de jà pieçà, promesse
(Mais que faces ton advocat Humblesse,)
Que tresjoyeux sera de toy guérir ;
Entièrement metz en lui ta riance,
Pour toy et tous, voulu en crois mourir,
Trescrestien, franc royaume de France.
Souviengne toy comment voult ordonner
Que criasse Montjoye, par liesse.
Et, qu'en escu d'azur, deusscs porter
COMPLAINTES. I9J
Trois fleurs de Lis d'or, et pour hardiesse
Fermer en toy, t'envoya sa Haultesse,
L'Auriflamme, qui t'a fait seigneurir
Tes ennemis; ne metz en oubliance
Telz dons haultains, dont lui pleut t'enrichir,
Trescrestien, franc royaume de PVance
En oullre plus, te voulu envoyer
Par un coulomb qui est plain de simplesse,
La unction dont dois tes Rois sacrer,
Afin qu'en eulx dignité plus en cresse.
Et, plus qu'à nul, t'a voulu sa richesse
De reliques et corps sains départir;
Tout le monde en a la congnoissance.
Soyes certain qu'il ne te veuit faillir.
Trescrestien, franc royauiye de France
Court de Romme si te fa t appeller
Son bras dextre, car souvent de destresse
L'as mise hors, et pour ce approuver,
Les Papes font te seoir, seul, sans pre?se,
A leur dextre; se droit jamais ne cesse.
Et pource, dois fort pleurer et gémir.
Quant tu desplais à Dieu qui tant t'avance
En tous estas, lequel deusses chérir,
Trescrestien, franc royaume de France.
Quelz champions souloit en toy trouver
Crestienté 1 Jà ne fault que l'expresse ;
Charlemaine, Roiant et Olivier,
En sont tesmoings; pource, je m'en délaisse ;
Et saint Loys Roy, qui tist la rudesse
Des Sarrasins souvent anéantir.
En son vivant, par travail et vaillance;
Les croniques le monstrent, sans mentir,
Trescrestien, franc royaume de France.
Pource, France, vueilles toy adviser,
Et tost reprens de bien vivre l'adresse ;
192 CHAULES D ORLEANS.
Tous tes meffaiz mctz paine d'amanJer,
Faisant chanter et dire mainte messe
Pour les âmes de ccalx qui ont l'aspresse
De dure mort souffert, pour te servir;
Leurs loyautez ayes en souvenance,
Riens espargnié n'ont pour toy garantir,
Trescrestien, franc royaume de France.
Dieu a les braz ouvers pour t'acoler,
Prest d'oublier ta vie pécheresse;
Requier pardon, bien te vendra aidier
Nostre Dame, la trespuissant princesse,
Qui est ton cry et que tiens pour maistresse.
Les sains aussi te vendront secourir,
Desquelz les corps font en toy demourance.
Ne vueilles plus en ton pechié dormir,
Trescrestien, franc royaume de France.
Et je, Charles duc d'Orlians, rimer
Voulu ces vers, ou temps de ma jeunesse,
Devant chacun les vueil bien ad vouer,
Car prisonnier les fis, je le confesse;
Priant à Dieu, qu'avant qu'aye vieillesse,
Le temps de paix partout puist avenir,
Comme de cueur j'en ay la desirance,
Et que voye tous tes maulx brief finir,
Trescrestien, franc royaume de France.
COMPLAINTE I.
Amour, ne vous vueille desplaire,
Se trop souvent à vous me plains,
Je ne puis rnon cueur taire taire,
Pour la doleur dont il est plains.
Helas! vueillez penser au moins
COMPLAINTES. Ii)3
Aux services qu'il vous a faiz,
Je vous en pry à jointes mains,
Car il en est temps, ou jamais.
Monstrez qu'en avez souvenance,
En lui donnant aucun secours,
Faisant semblant qu'avez plaisance
Plus à son bien qu'à ses doulours;
Ou me dittes, pour Dieu, Amours,
Se le lairrez en cest estât ;
Car d'ainsi demourer tousjours,
Cuidez vous que ce soit esbat ?
Nennil, car Dangier qui désire
De le mettre du tout à mort.
L'a mis, pour plustost le destruire.
En la prison de Desconfort ;
Ne jamais ne sera d'accort
Qu'il en parte par son vouloir,
Combien que trop, et à grant tort,
Long temps lui a fait mal avoir.
Et pour la tresmauvaise vie
Que lui fait souffrir ce villain.
Il est encheu en maladie,
Car de tout ce qui lui est sain
A le rebours, j'en suy certain.
En ceste dolente prison,
Ne sçay s'il passera demain
Qu'il ne meure sans guerison.
Car il n'a que poires d'angoisse
Au matin, pour se desjeuner,
Qui tant le refroisdist et froisse
Qu'il ne peut santé recouvrer.
D'eaue ne lui fault point donner,
Il en a de larmes assez;
Tant a de mal, à vray parler,
Que cent en seroient lassez.
CHARLES d'ORLÉANS. l. l9
I')4 CHARLES D ORLEANS.
Et n'a que le lit de Pensée
Pour soy reposer et gésir ;
Mais Plaisance s'en est alée,
Qui plus ne le povoit souffrir,
A paine l'a peu retenir,
S'Espoir ne feust jusques à cy ;
N'a il donc raison, sans mentir,
S'il fait requeste de Mercy?
11 porte le noir de Tristesse,
Pour Réconfort qu'il a perdu,
N'oncques hors des fers de Destresse
N'est party, pour mal qu'il ait eu ;
Touteffoiz vous avez bien sceu
Qu'à vous s'estoit du tout donné.
Quelque doleur qu'il ait receu.
Et vous l'avez abandonné !
Par m'ame, c'est donner courage
A chascun de voz serviteurs
De vous laisser, s'il estoit sage,
Et quérir son party ailleurs !
Car tant qu'aurez telz gouverneurs
Comme Dangier, le desloyal,
Vous n'aurez que plains et clameurs,
Car il ne fist oncques que mal.
A mon cueur le conseilleroye
Qu'il vous laissast ; mais, par ma foy,
Jà consentir ne lui feroye,
Cat tant de son vueil j'aperçoy.
Quelque doleur qu'il ait en soy,
Qu'il est vostre par devant tous ;
Et, par mon serment, je le croy,
Qu'autre maistre n'aura que vous.
Or regardez, n'est ce merveille
Qu'il vous aime si loyaument,
Quant toute doleur nompareille
COMPLAINTES. Ig5
A receu, sans allégement ?
Et si le porte lyement,
Pensant que une foiz mieulx sera ;
A vous s'en attent seulement,
Ne jà autrement ne fera.
Si m'a chargié que vous requière,
Comme pieçà vous a requis,
Que vueilliez oïr sa prière :
C'est qu'il soit hors de prison mis,
Et Dangier et les siens bannis,
Qui jamais ne vouldront son bien ;
Ou au moins qu'aye saufconduis
Qu'ilz ne lui meffacent de rien.
Afin qu'ilz puist oïr nouvelle
De celle dont il est servant,
Eî souvent veoir sa beaulté belle ;
Car d'autre rien n'est désirant
Que la servir, tout son vivant,
Comme la plus belle qui soit,
A qui Dieu doint de biens autant
Que son loyal cueur en vouldroit.
COMPLAINTE II.
Ma seule Dame et ma maistresse,
Où gist de tout mon bien l'espoir
Et sans qui plaisir ne liesse
Ne me pevent en riens valoir,
Pleust à Dieu que peussiez savoir
Le mal, l'ennuy et le courrons.
Qu'à toute heure me fault avoir
Pource que je suis loings de vous.
Helas ! or ay je souvenance
Que je VOUS vy derrainement
A si tresjoyeuse plai>nnce
Qu'il me sembloit certainement
Que jamais ennuyeux tourment
Ne devoit près de moi venir,
Mais je trouvay bien autrement,
Quant me fallut de vous partir.
Car, quant ce vint au congié prandre,
Je ne savoye, pour le mieulx.
Auquel me valoit plus entendre
Ou à mon cueur, ou à mes yeulx ;
Car je trouvay, ainsi m'aid Dieux,
Mon cueur courroucié si trcsfort
Qu'oncques ne le vy, en nulz lieux.
Si eslongnié de Reconfort.
Et d'autre part, mes yeulx estoient
En ung tel vouloir de pleurer
Qu'à peine tenir s'en povoient,
N ilz n'osoient riens regarder ;
Car, par ung seul semblant monstrsr
En riens d'en estre desplaisans,
C'eust esté pour faire parler
Les jalous et les mesdisans.
Et de la grant paour que j'avoye
Que leur deuil si ne feust congneu,
Auquel entendre ne savoye;
Oncques si esbahy ne fu,
Si dolent ne si esperdu ;
Car, par Dieu, j'eusse mieulx amé,
Avant que l'en l'eust apperceu.
N'avoir jamais jour esté né.
Car, se par ma felle manière,
J'eusse monstre, ou par semblant
Venant de voulenté legiere,
L'amour dont je vous ayme tant,
COMPLAINTES. I97
(Parquoy eussiez eu, tant ne quant,
De blasme, ne de deshonneur)
Je sçay bien que, tout mon vivant,
Je fusse langui en doleur.
En ce point et encore pire,
Alors de vous je me party,
Sans avoir loisir de vous dire
Les maulx dont j'estoye party ;
ToutefFoiz, Belle, je vous dy
Qu'il vous pleust de vouloir penser
Que je vous avoye servi
Et serviroye sans cesser,
Tant comme dureroit ma vie ;
Et, quant de mort seroye pris.
De m'ame seriez servie,
Priant pour vous eu Poradis,
S'il en estoit en son devis ;
Et mes biens, mon cueur et mon corps.
Je les vous ay du tout soubzmis ;
Mais ça esté de leurs accors.
Car il n'est nulle que je clame.
Ne qui se puist nommer, de vray.
Ma seule souveraine Dame,
Fors que vous, à qui me donnay
Le premier jour que regarday
Vostre belle plaisant beaulté.
De qui vray serviteur mourray,
En gardant tousjours loyaulté.
Or, vueilliez donc avoir pensée,
Puis que lors j avoye tel deuil,
Belle tresloyaument amée.
Qu'encore est plus grant le recueil,
Maintenant que, contre mon vueil.
Me fault estre de vous loingrains,
Et que véoir ne puis à l'ueil
igS CHARLES d'oULÉANS.
Vos belles, blanches, doulces mains,
Et vostre beaulté nompareille
Que véoye si voulentiers,
Plaine de doulceur à merveille.
Dont tous voz faiz sont si entiers
Qu'ilz ont esté les messaigiers
De me toUir, et près et loing.
Mes vouloirs et mes desiriers;
Ainsi m'aid Dieu à mon besoing.
Si vous supply, tresbonne et belle,
Qu'ayez souvenance de moy;
Car, à tousjours, vous serez celle
Que serviray comme je doy ;
Je le vous prometz, par ma foy,
Du tout à vous me suis donné ;
Se Dieu plaist, je feray pourquoy
J'en seray tresbien guerdonné.
COMPLAINTE III.
L'autrier en ung lieu me trouvay,
Triste, pensif et doloreux,
Tout mon fait, bien au long, compta/
Au hault Prince des amoureux,
Lequel m'a esté rigoreux
Ou temps que mon cueur le servoit ;
Et, ainsi qu'il me respondoit.
Souvenir, qui fut au plus près,
Ses ditz et les miens escripvoit
En la manière cy après ;
l'amant,
Helas! Amours, de vous me plains;
COMPLAINTES. I99
Mais les griefz maulx le me font faire,
Dont mon cueur et moy sommes plains.
Car trop estes de dur afaire.
S'un peu me fussiez débonnaire,
Espoir, que j'ay du tout perdu,
Si me seroit tantost rendu ;
Ainçois, par vous m'est deflendu
Plaisant Désir et Bel Acueil.
AMOURS.
Amours respond : A trop prant tort
Vous complaigncz et sans raison,
Car, envers chascun Reconfort
N'est pas tousjours en sa saison ;
Et si savez qu'en ma maison
Une coustume se maintient.
C'est assavoir que qui se tient
Pour serviteur de mon hosrel,
Mainteffoiz souffrir lui convient:
L'usaige de mes gens est tel.
l'amant.
Certes, Sire, vous dittes vray ;
Mais l'ordonnance riens ne vault.
Parler en puis, car bien le sçay.
Et ay dancié à ce court sault ;
Parquoy je congnois le deffault
De doulx plaisir que l'en y a;
Car, quant mon cueur vous depria
Secours, il lui fust escondit,
Adoncques, de dueil regnya
Vostre povoir, et s'en partit.
AMOURS.
Dca ! beaulx amis, se dit Amours,
200 CHARLES d'oRLÉANS.
Celui qui à servir se met,
S'il veult avoir tantost secours
Et le guerdon qu'on y promet,
Ou autrement, il se desmet
Du service qu'il a empris,
De Loyaulté seroit repris,
Quant je tendray mon jugement,
Et si perdroit tous los et pris,
Sans jamais nul recouvrement.
l'amant.
Voire, Sire, doit on servir
Sans prouffit ou guerdon avoir?
Nennil, ung cueur devroit mourir,
Puis qu'il a fait loyal devoir
Entièrement à son povoir.
Et qu'il lui fault quérir son pain;
A vous, qui estes souverain,
En est le plus de deshonneur,
Veu que, par faulte, meurt de fain
Vostre bon loyal serviteur.
Qu'on meure de fain ne vueil pas,
Mais le trop hasté s'eschaulda,
Il convient aler pas à pas ;
Et puis après on congnoistra
Qui mieulx son devoir fait aura ;
Alors doit estre guerdonné.
Je suis assez abandonné,
A grant largesse, de mes biens;
Mais quant j'ay mainteffoiz donné
A plusieurs, semble qu'ilz n'ont riens.
COMPLAINTES 201
L AMANT.
De ceulx ne suis, quant est à moy.
Surce, je respons à brief motz :
Je vous asseure, par ma foy,
Oncqaes ne fuz en ce propos,
J'ay toujours porté sur mon dos,
Paine, Travail à grant planté.
Ne nulle chose n'ay hanté,
Dont on dye qu'aye failly.
Combien qu'en dueil m'aiez planté,
Comme faint seigneur et amy.
AMOURS.
Estre mon maistre vous voulez,
Par vostre parler, ce me semble.
Et grandement vous me foulez ;
Mais l'estrif de nous deux ensemble.
Comme on peut cognoistre, ressemble
Au débat du verre et du pot;
Fain avez qu'on vous tiengne à sot;
Devant Raison soit assigné,
Se j'ay tort, paier vueil l'escot,
Quant le débat sera fine.
l'aMA NT.
Il fault que le plus foible doncques
Soit tousjours gecté soubz le pié,
Ne je ne vy autrement oncques;
Rendre se fault, qui n'a traittié.
J'ay cogneu, oîi j'ay peu gaingnié,
Vostre court, à mont et à val.
Et, soit à pié ou à cheval.
On n'y scet trouver droit chemin,
Quoy qu'on y trouve, bien ou mal,
Il fault tout partir au butin.
202 CHARLES D ORLEANS.
Pour le présent, plus n'en parlons;
Puisque j'ay puissance sur tous,
Quelque chose que debatons,
A mon plaisir feray de vous.
Ne me chault de vostre courrous
Ne de chose que l'on me dye.
Se je vous ay fait courtoisie,
Se le voulez, prenez l'en gré,
Car le premier vous n'estes mie
Qu'ay courcié en plus grant degré.
POESIES
ATTRIBUÉES A CHARLES d'orLÉANS.
LA Y PITEUX.
Bonne saison, bon temps avoye,
Elas ! amy, quant vous véoye.
Reconfort bon et vous prenoye ;
Tant de plaisir et d'autre bien
Rejoïssoit ma seule joye ;
A vo vouloir me soubzmectoye;
Nul autre bien ne demandoye
Dessoubz les cieulx pour estre mien,
Que vostre amour que tant amoye,
En vous servant me delictoye!
Et pourquoy non ! bien seur estoye
Que vous m'aimiez tresloyaument;
Et quant jadiz vous requeroye
Que vo servant estre vouloye,
Mon seul vouloir vous appelloye
Et mon vaillant entièrement.
Vous me dictes si douicement,
En moy baisant et accollant :
« Amy, amons nous chierement,
204 POÉSIES ATTRIBUÉES
Baille ton cueur, et prcns le mien; »
Et je changay joyeusement,
Et vous aussi si liement,
Etfeïsmes loyal serment
Qu'avons tenu, je le sçay bien.
Et est vray qu'oncques cresticn
En amours n'eust autant de bien
(Gardant vostre honneur et le mien,)
Que j'ay eu, et sans avoir blasme :
Vo doulz acueil, vo doulx maintien,
Vostre plaisir que fust le mien.
Car sans cellui ne m'estoit rien.
Je le jure sur Dieu, sur m'ame.
Si vous baillay le mien en garde.
Belle Dame,
Prenant charge
De vous loyaument servir,
Sans reprouche ne diffame,
Sur mon arme.
Sans jamais de vous partir.
Elas ! quant d'elle partoye,
Jepensoye
Quant pourroye
Bien tost vers elle venir;
Nuit et jour je la sGr.joye,
La veoye parler, aler et venir!
Tant espris d'elle estoye ,
Qu'en veillant je l'appelloye,
Puis que bien loing en estoye,
A soy cuidoye parler;
Mais puis bien après veoye
Que resvoye.
Me prenoye à plourer.
Cest ducil m'estoit à porter»
Et bien aise endurer,
A CHARLES d'oRLÉANS. 205
Car bien tost, du retourner
Me prenoit tresgrant talent;
En elle si fort penser,
Ma joye renouveller
Me faisoit incontinent.
Et quant venir n'y povoye,
Entre deux lui rescripvoye,
Son nom et le mien mectoye
Escript bien estrangement;
Et puis quant je la véoye,
Dieu scet quel chiere j'avoye
Recueilly joyeusement.
Puis nous faillu esloingner
L'un de l'autre, guermenter,
Car Dangier,
Plusieurs autres mesdisans
Nous firent tant endurer,
Et plourer.
Tourmenter,
Oncques puis n'eusmes bon temps.
Et puis entre autre gent
Failloit, en nous esloingnant,
A plusieurs autres parler,
Avoir autre pensement.
Muer la couleur souvent,
Sans l'un l'autre regarder.
Elas! elle s'esbastoit.
Et bonne chiere faisoit
A tous autres, fors qu'à moy;
Dont mon cuer tort souspiroit,
Quant elle me regardoit.
Je vous jure par ma foy.
Dont sourdit grant jalousie,
Car elle ne créoit mye
Que n'eusse fait autre amye ;
206 POÉSIES ATTRIBUÉES
Ainsi me sembloit il d'elle
Que s'amour me fust faillie,
Départie,
Etguerpie;
M'eust laissié la bonne belle.
Dont ensuiesgrant qucrcilc.
Moy et elle,
Advint qu'en une chappelle
Nous nous trouvasmes tous deux,
Et je lui dis ; « Bonne et Belle,
Ne me soiez si cruelle,
Puis que nous sommes tous seulz.
Dictes moy vostre vouloir,
Ne me vueilliez décevoir,
Ne mectre à nonchaloir,
Car, vers vous n'ay rien forlaii
— Mon amy, vueilliez savoir.
Vous me feistes trop doloir ;
Ne savez vous comment il m'est?
Vous m'avez abandonnée
Et laissiée.
Désolée,
Esloingnée ;
A qui oseray je dire
Ma tresdolente pensée
Qui grevée
M'a, et trestant mal menée
Que je vis en grant martire.
N'est riens qui me puist souffire,
Tant ay d'ire ;
Quant es autres vous voy rire,
Et grant joye démener.
Je ne vueil avoir nul mire
Qui me mire,
J'ayme mieux mes jours tiner. »
A CHARLES d'oRLÉANS. 2O7
Et lors nous nous advisasmes,
Et l'un l'autre pardonnasmes,
Car pour obvier mains blasmes,
Il nous faillut esloingner;
Noz amours renouvellasmes,
Bt de nouvel nous jurasmes
De nous loyaument amer.
Cecy nous dura long temps;
On dit qu'au bout de sept ans
Revient voulentiers mal ans;
Ainsi m'est il advenu,
Dont je vis piteusement,
En tourment,
Las! je suis pis que perdu.
Elas ! trescruelle mort,
Tu me fais crier à tort
A la mort,
Que ma mort
Bonnement ne l'ose dire
Mon confort,
Ma joye et mon déport.
Or me fault passer du port,
Du royaume en l'empire,
De tout plaisir en tristesse ;
Mectre mon cuer en destresse
Qui me blesse.
Et ne cesse
De destruire ma jeunesse ,
Puis que m'as mort ma maistresse ;
Dont liesse
Si me blesse
Elas ! qu'esse.
Qui me presse
De dire las 1 que feray?
Que diray ? où iray?
208 POÉSIES ATTRIBUÉES
Si mourray,
Ou si de dueil creveray?
Car je n'ay que esmay
Elas ! et ont me mectray
Jusques mes jours fineray?
En lieu ne reposeray
Jusque là où la verray.
Car pour ce que tant l'aymay,
Tous les jours souhaitcray
La mort qui desjà m'aproucho ;
Entre deux je ne vouldroye
Estre en lieu ont eust joye,
Com souloye,
Car ma douleur doubleroit,
Véoir ce qu'avoir souloye !
Elas! car mieulx ameroye
M'en fouir où que ce soit,
Disant adieu tresdouloureux,
Adieu, adieu tous amoureux,
Adieu le plaisir de mes yeulx,
Adieu, sans plus estre joyeulx.
Adieu le bien de tous les lieux,
Adieu le mien dessoubz les cieux,
Adieu regard tresgracieux,
J'en preing congié de cueur piteux.
Si fineray ma complainte,
Ma joye sera acteinte,
Et de douleur aura y mainte
Grant actainte
Dont il me convient languir
Et sévir,
Car j'ay aymé, et sans fainte.
Celle qu'avoye tant crainte,
Que pour elle vueil mourir !
Sa tresbonne renommée,
A CHARLES D ORLEANS. 209
Sa grâce de tous louée
Et de beauté aournée,
Tant amée et prisée,
Désirée
De trestoute autre gent,
La fait estre regrectée,
Dont ay la mort demandée,
Toute joye oubliée.
A Dieu son ame command.
Et sachiez certainement
Trestous li léal amant,
(J'en dis tant,
Sans nulle dame blasmer)
Que c'estoit la plus plaisant
Des belles et avenant,
C'om peust des yeulx regarder.
C'est le reconfortement
Que j'ay en mes jours tinant.
En priant humblement
A Dieu, tresdevotement,
Qu'en son Paradis briefment
Son ame puisse trouver.
EXPLICIT LA PREMIERE PARTIE
DU LAY PITEUX.
RONDEAUX.
I.
Sans vous veoir,
Près du manoir,
Amy de vous,
CHAr.LEs d'orléans. I. 14
POESIES ATTRIBUEES
Fine mes jours
Cest derrain soir,
Veuillez savoir
Qu'à nonchaloir
Mis par vous tous,
Sans vous veoir.
Mourant espoir
Ferez devoir,
Souviengne vous
Que laissay tous,
Par vous vouloir.
Sans vous veoir.
II.
Faulce mort,
Agrant tort.
M'as grevée,
Et ostée
Mon déport ;
Mon cuer mort;
Car trop tort
L'as serré,
Faulce mort.
Près du bort
Du mal port
M'as laissiée
Désolée,
Sans confort,
Faulce mort.
A CHARLES D ORLEANS. 211
BALLADE.
Bien puis dire souvent elas!
Comment m'e^t il mesavenu !
La mort, que moqué ne m'a pas,
La belle bonne m'a tollu,
Et m'a iaissié depourveu
De tous les biens qu'avoir soulove,
Tout plain d'ennuy, sans point de joye;
Sy pry à Dieu qu'en son manoir,
L'ame de soy tout droyt envoyé
Ont la puisse brietment véoir.
Helasl amy, d'un de ses dars
Soudainement Mort m'as féru;
De mon meschief je n'ose pas
Faire semblant qu'ay receu.
Or, ay je bien trestout perdu,
Car seulement quant je pensoye
De la véoir m'esjoïssoye.
Ou près, ou loing et main et soir;
Or à présent, estre vouldroye
Ont la puisse brietment véoir.
Hé! Dieu d'Amours trop pugny m'as
Sans toy me sera bien deceu.
Quant me souvient qu'entre ses bras
Amy tout seul m'ot retenu
Mon cueur et moy si bien pourveu;
Estre tout sien lui promectoye
Tresloyaument, et lui disoye :
Vueillez vostre amy recevoir;
Or à présent estre vouldroye
Ont la puisse briefment véoir.
EXPLICTT LE LAY PITEUX
212 rOKSIES ATTRIBUÉES
COMMENCEMENT
d'une
BALLADE.
Fortune, vray est vostre comte
Que, quant voz biens donné avez.
Vous les reprenés; mais c'est honte
Et don d'enfant, bien le savez.
Ainsi faire ne le devez.
Vozfaiz vous mettez à l'enchiere,
Chascun ce qu'il en peut en a
Et ne vous chault comment tout va;
Pour Dieu, changez vostre manière
BALLADE. 1
Je meurs de soif emprès de la fontaine;
Suffisance ay, et si suis convoiteux;
Une heure m'est plus d'une quarantaine;
Droit et parfait, je chemine boiteux;
A CHARLES d'oRLÉANS. 2I3
Trespacient, plus que nul despiteux;
Je retiens tout, et ce que j'ai, dépars;
A moy cruel et aux autres piteux,
Le neutre suis, et si tiens les deulx pars.
En doubte suis de chose trescertaine;
Infortuné, je me repute eureux ;
Vraye conclus une chose incertaine;
Rien je ny lois, et suis adventureux ;
Flebe me tiens, quant me sens vigoreux ;
Plain de moisteur. tout tremblant au feu ars ;
Doulx et begnin, de semblant rigoreux,
Le neutre suis, et si tiens les deux pars.
Quant dueil me prent, grant joye me demaine;
Par grant plaisir, je deviens langoreux ;
Indigent suis, possident grant demaine;
Qui n'a nul goust, je le tiens savoreux ;
Qui m'est amer, de lui suis amoureux ;
Ignorant suis, et si sçay les Sept Ars;
En grant seurté, fort craintif et paoureux,
Le neutre suis, et si tiens les deux pars.
Qui me loue, il m'est injurieux;
Je ne bouge, quant d'un lieu je me pars ;
Par bien ouvrer, en vain laborieux,
Le neutre suis, et si tiens les deux pars.
2)^ POESIES ATlllIBUEES
BALLADE.
Je meurs de soif au près de la fontaine;
Tant plus mengue, et tant plus je me affame ;
Povre d'argent où ma bourse est plaine,
Marié suis et si n'ay point de tame;
Qui me honnore, grandement me diffame;
Quant je vois droit, lors est que me devoye ;
Pour loz et pris, je tiltre de diffame;
Grief desplaisir m'est excessive joye.
Quant on me toult, richement on me estmine;
Dix mil onces ne me sont qu'une dragme;
Sec et brahaing, je porte Heur et graine ;
En reposant, sur mer tire à la rame;
Actainê suis en tous lieux où n'a ame;
Accompaigné, je n'ay qui me convoyé;
Toute entière est la chose que je entame,
Grief desplaisir m'est excessive jo'ye.
En aspirant, je retiens monalaine;
Quant eur me vient, maleureux je me clame
Fort et puissant, flexible comme laine;
Transi d'amours sans avoir nulle dame ;
Homme parfait, privé de corps et d'ame;
Paisible suis, et ung chascun guerroyé ;
Mes ennemis plus que tous autres ame;
Griet desplaisir m'est excessive joye.
ENVOI.
Mauvaise odeur m'est plus fleurant ijue basnie
Pasmé de dueil, angoisseux me resjoye ;
En eaue plungié, je brûle tout en flame ,
Griet desplaisir m'est excessive joie.
A CHARLES d'oRLÉANS. 2l5
BALLADE.
Je n'ai plus soif, tarie est la fontaine,
Repeu je suis de compétent viande,
J'ai pris trêves affîn que on ne me actaine,
Dissimulant, fault que le hurt acttnde ;
Adjoint des deux, sans que nul vilipende,
Je festie l'un, à l'austrefois la moue;
En ce faisant, pour éviter escande.
Entre deux eaues, comme le poisson, noue.
En grant travail j'ai frapé la quintaine,
Jusques ung temps fault qu'à repos entende;
Pour obvier à voye trop haultaine,
Le moien tiens, affin que ne descende ;
J'ai eu delay de paier mon amende ;
En courroux faint, couvertement me joue,
En reculant pour mieulx saillir en lande.
Entre deux eaues, comme le poison, noue.
Ne vert, ne meur, mon ble mengue en graine,
Dueil et plaisir me tiennent en commande;
En divers lieux çà et là me pourmaine;
La moitié fois, quant tout l'en me commande ;
Ademy trait lors est que l'arc débande,
Pour abréger, ne l'un ne l'autre loue.
Participant de l'une et l'autre bande,
Entre deux eaues, comme le poisson, noue.
Par prière de affaictée demande.
Interrogé se l'ung ou l'autre avoue,
A ce respons, se aucun le me demande :
Entre deux eaues, comme le poisson, noue.
2l6 POÉSIES ATTRIBUÉES
BALLADE.
Parfont conseil eximiiim
En ce saint livre, exortatiir,
Que l'omme, in mali-imonium,
Folement noM abutatiir;
Raison? le sens hebetaliir,
De omni viro quekju'il soit;
Fol non crédit tant qu'il reçoit.
Et constat, par ceste leçon,
Pour conserver vim et robur,
Prestat ne faire mot ne "^on,
Souffrir et escouter murmur.
Si conjtinx clamât ad ce mur,
Fingat que pas ne le conçoit,
Fol non crédit tant qu'il rc.oit.
Fortior mnlto que Sanson
En cest assault conjuncitur ;
Contra de Venus l'escusson
Le plus fort bourdon plicatur
(Le vers manque.)
Sed quisqids pas ne le conçoit,
Fol non crédit tant qu'il re.oit
Prince tressa ige, legitur
Qiiod astucior si déçoit.
Le mieulx nagent y mergitiir;
Fol non crédit tant qu'il reçoit.
A CHARLES d'orLÉANS. 21J
BALLADE.
Je meurs de soif au près de la fontaine;
J'ai tresgrant fain, et si ne puis mengier;
Je suis au bas en la maison haultaine,
Et enchartré en ung tresbeau vergier;
En grant péril, et hors de tout dangier;
Les biens que j'ay, me font povre indigent ;
En beau logis, ne me sçay où logier;
Je gaigne assez, et si n'ay point d'argent.
Je fais grant dueil, tristesse m'est loingtaine;
Dormir ne puis et ne fais que songier ;
Je suis tout sain et ay fièvre quartaine;
Tout esdenté, mon frain me fault rongier;
Vérité dy, et si suis mensongier;
Je suis recluz, hanté de tout gent;
Congneu de tous et à tous estrangier;
Je gaigne assez, et si n'ay point d'argent.
Grant doubte fays de chose bien certaine;
Incertain suy, et si en vueil jugier ;
Ou champ estroit je jouste à la auintaine;
Non offencé, je me cuidc vcngier;
Ung pesant faiz me semble treslegier ;
Je suy paillart et contrefay du gent;
Par. trop couart, hardy comme ung Ogier;
Je gaigne assez, et si n'ay point d'argent.
Prince, je suy siche, pour abregier,
Prodigue aussi, nonchallant, diligent,
Assez subtil, plus simple que bergier.
Je gaigne assez, et si n'ay point d'argent.
2l8 POÉSIES ATTRinUKKS
BALLADE.
J'ay tant en moy de desplaisir
Puisqu'il me convient de partir
Helas! de vouset loingaler!
Et si ne puis à vous parler
(Dont i'auray maint mal à souffrir)
N'est riens qui me peust esjouïr !
Si n'est le tresdoulx souvenir
Que j'ay par vous bien fort amer,
J'ay tant en moy de desplaisir.
Adieu ma joye, mon plaisir,
Adieu mon loyal souvenir ;
Adieu belle dame sans per ;
Adieu dire m'est coup mortel,
Car je m'en vais sans vous véoir,
J'ay tant en moy de desplaisir.
BALLADE.
En ceste nouvelle saison
Qui remplist jeunes cuers Je joye
Et qu'Amours sault de sa maison
Pour conquester aucune proye
Nulle riens n'ay qui me guerroyé
Se non Jeunesse qui me prie
D'estre amoureux plus c'oncqucs mais,
A CHARLES D ORLEANS. 2I9
Mais ainsi ne seray je mie :
Il me vault mieulx tenir en paix.
Je ne congnois point d'achoison
Pourquoy son conseil croire doye
En elle n'a riens de Raison.
Pour trop fol doncques me tiendroye
S'après elle me gouvernoye.
Quel besoing est que je me lie
Quant je suis franc en tous mes fais !
Pardieu, ce seroit grant folie
Il me vault mieulx tenir en paix.
Je suis de ceste entencion
Et seray quelque part que soye,
Mais Dieu me gart de la prison
Qu'Amours souventeffoys m'envoie
Par mes yeulx qui trop vont envoyé;
Combien que souvent je leur die
Qu'ilz font mal, dont je leur desplais;
Pour ce, pour avoir d'eulx maistrie,
Il me vault mieulx tenir en paix.
J'ay essaie, toute ma vie,
Qu'est de porter amoureux faiz,
Pourquoy congnois, sans mocquerie,
Il me vault mieulx tenir en paix.
220 POESIES ATTRIBUEES
BALLADE.
Je defTy Tristesse
Et tout son povoir,
Car Plaisant Léesse,
Par joyeux Espoir
M'a fait assavoir
Me faisant promesse
Que de bon vouloir,
Sans me décevoir,
Me sera maistresse,
Et fera avoir
Des biens à lareesse.
C'est ce qui redresse
En confort, pourvoir,
Le mal qui me blesse
Et me fait douloir
Souvent main et soir
Et sy fort me presse,
Que. par nonchaloir,
Je laisse manoir
.^ion cuer en destresse,
Loings de recevoir
Des biens à largesse.
BALLADE.
Faictes pour moy com j'ay pour vous,
Retenez moy par dessus tous
Amy tout seul, tresbelle Dame,
Je vous jure sur Dieu, sur m'ame,
A CHARLES D ORLÉANS. 221
Ne vueil servir autre que vous,
Faictes pour moy com j'ay pour vous.
Guérissez moy du mal d'Amour:
Et me donnez du bien de vous,
Reconfort tel plus ne m'en chaille,
Mon bien, m'amours, mon fin cueur doulx,
A vous me rens, à vous sur tous,
Faictes pour moy com j'ay pour vous.
Je vous ayme plus que autre femme
N 'autre que moy n'aura la garde
Helas de moy qui suis à vous,
Faictes pour moy com j'ay poL.r vous.
FIN jU tome PPE.JIEa.
TABLE DES MATIÈRES
DU TOME PREMIER.
Préface :
Vie de Charles d'Orléans là xlvii
Le Poème de la prison :
Poème de la prison i
Copie de la lettre de retenue i3
Ballades 1 à LXXI i5 à 91
Songe en complainte 92
Requeste aux excellens et paissans en noblesse,
Dieu Cupido et Vénus la déesse 97
La Despartie d'amours en ballades loi
Ballades :
Ballades I à IV 1 13 à 116
Obligation de Vaillant 117
Vidimus de la ditte obligation par le duc d'Orléans. 118
Entendit de la ditte obligation par maistre Jehan
Caillau 119
Ballades V à XXV 120 à 145
Ballades sur plusieurs sujets :
Ballade I. Orléans contre Garancières 146
Ballade II. Réponse de Garencières 1^7
224 TABLE DES MATIÈRES.
Ballade III à XI U8 à i57
Ballade XII. Orléans à Bourgogne iS;
Ballade XIII. Bourgog;ie à Orléani iSg
Ballade XIV. Orléans à Bourgogr.e i6o
Ballade XV. Bourgogne à Orléans i6i
Ballade X\'I. Orléans à Bourgogne 162
Ballades XVII à XIX i63 à i65
Ballade XX. Orléans à Bourgogne 166
Ballade XXI. Orléans à Bourgogne 167
Ballades XXII à XXVIII lôg à 175
Lettres en forme de complainte :
Fredet au Duc d'Orléans 177
Réponse du Duc d'Orléans 181
Fredet au Duc d'Orléans 184
La Complainte de France 190
Complaintes I, II, III 192 à 198
Poésies attribuées a Charles d'Or éans :
Lay piteux ;o3
Ballade 211
Commencf Tient d'une ballade 212
Ballades diverses , , . , , 212 à 221
n.N' DK LA TARI.E DES MATIERES D': TOME PREMIER,
9409-8-15. — Paris — Imp. Hemmerlé et C".
i^.
POESIES FRANÇAISES
CHARLES D ORLEANS
POESIES COMPLETES
DF
CHARLES D'ORLÉANS
REVUES SUR LES MANUSCRITS
AVEC
PRÉFACE, NOTES ET GLOSSAIRE
PAR
CHARLES D'HÉRIGAULT
TOME U
PARIS
ERNEST FLAMMARION, ÉDITEUR
26, RUE RACINE, 26
Tous droits réservés
POESIES FRANÇAISES
CHARLES D'ORLEANS
CHANSONS.
CHANSON I.
Ce May, qu'Amours pas ne sommeille
Mais fait amans esliesser,
De riens ne me doy soussier,
Car pas n'ay la pusse en l'oreille.
Ce n'est mie doncques merveille
Se je vueil joye démener,
Ce May, qu'Amours pas ne sommeille
Mais fait amans esliesser.
Quant je me dors, point ne m'esveille,
Pource que n'ay à quoy penser,
Sy ay vouloir de demourer
En ceste vie nompareiJle,
Ce May, qu'Amours pas ne sommeille.
y
CHARLES D ORLEANS.
CHANSON II.
Tiengne soy d'amer qui pourra,
Plus ne m'en pourroye tenir,
Amoureux me fault devenir,
Je ne sçay qu'il m'en avendra.
Combien que j'ay oy, pieçà ,
Qu'en amours fault mains maulx soulTrir,
Tiengne soy d'amer qui pourra ,
Plus ne m'en pourroye tenir.
Mon cueur devant yer accointa
Beauté qui tant le scet chierir
Que d'elle ne veult départir;
C'est fait, il est sien et sera.
Tiengne soy d'amer qui pourra.
CHANSON III.
Quelque chose que je dye
D'Amour ne de son povoir,
Touteffoiz, pour dire voir,
J'ay une Dame choisie,
La mieux en bien accomplie
Que l'en puist jamais veoir,
Quelque chose que je dye
D'Amour ne de son povoir.
Mais à elle ne puis mie
Parler, selon mon vouloir,
Combien que, sans décevoir,
Je suis sien toute ma vie,
Quelque chose que je dye.
CHANSONS.
CHANSON IV.
N'est elle de tous biens garnie
Celle que j'ayme loyaument!
Il m'est advis, par mon serment,
Que sa pareille n'a en vie.
Qu'en dittes vous? je vous en prie,
Que vous en semble vrayement ?
N'est elle de tous biens garnie
Celle que j'ayme loyaument !
Soit qu'elle dance, chante ou rie
Ou face quelque esbatement ,
Faittes en loyal jugement ,
Sans faveur ou sans flatterie,
N'est elle de tous biens garnie!
CHANSON V.
Quant j'ay nompareille maistresse
Qui a mon cueur entièrement,
Tenir me veuil joyeusement,
En servant sa gente jeunesse.
Car certes je suis en l'adresse
D'avoir de tous biens largement,
Quant j'ay nompareille maistresse
Qui a mon cueur entièrement.
Or en ayent dueil ou tristesse
Envieux , sans allégement.
Il ne m'en chault, par mon serment.
Car leur desplaisir m'est liesse ,
Quant j'ay nompareille ma'.stresse.
CHARLES D ORLEANS.
CHANSON VI.
Dieu, qu'il la fait bon regarder
La gracieuse bonne et belle !
Pour les grans biens qui sont en elle,
Chascun est prest de la louer.
Qui se pourroit d'elle lasser!
Tousjours sa beaulté renouvelle.
Dieu, qu'il la fait bon regarder,
La gracieuse, bonne et belle!
Par deçà, ne delà la mer,
Ne sçay Dame, ne Damoiselle
Qui soit en tous biens parfais telle;
C'est un songe que d'y penser.
Dieu, qu'il la fait bon regarder!
CHANSON VII.
Par Dieu, mon plaisant bien joyeux ,
Mon cueur est si plain de léesse ,
Quant je voy la douJce jeunesse
De vostre gent corps gracieux!
Pour le regart de voz beaux yeulx
Qui me met tout hors de tristesse,
Par Dieu , mon plaisant bien joyeux ,
Mon cueur est si plain de léesse !
Combien que parler envieux
Souventeffoiz moult fort me blesse.
Mais ne vous chaille, ma maistresse,
Je n'en feray pourtant que mieulx,
Par Dieu, mon plaisant bien joyeux.
CHANSONS.
CHANSON Vin.
Que me conseilliez vous, mon cueur,
Irai je par devers la belle ,
Luy dire la paine mortelle
Que souffrez pour elle en doleur ?
Pour vostre bien et son honneur,
C'est droit que vostre conseil celle.
Que me conseilliez vous, mon cueur,
Irai je par devers la belle ?
Si plaine la sçay de doulceur
Que trouveray mercy en elle,
Tost en aurez bonne nouvelle.
C'y vois, n'est ce pour le meilleur;
Que me conseilliez vous, mon cueur?
CHANSON IX.
Ou regard de voz beaulx, doulx yeulx.
Dont loing suis par les envieux.
Me souhaide si tressouvent
Que mon penser est seulement
En vostre gent corps gracieux.
Savez pourquoy, mon bien joyeulx,
Celle du monde qu'ayme mieulx
De loyal cueur, sans changement ,
Ou regart de vos beaulx, doulx \ eulx,
Dont loing suis par les envieux,
Me souhaide si tressouvent ?
Pource que vers mov en tous lieux
J'ay trouvé plaisir ennuieux
10 CHARLES D'oni.ÉANS.
Trop fort, puis le département
Que de vous fis derrainnement ,
A regret merencolieux,
Ou regart de vos beaulx , doulx-yeulx.
CHANSON X.
Qui la regarde de mes yeulx
Ma Dame, ma seule maistresse,
En elle voit, à grant largesse ,
Plaisirs croissans de bien en mieulx.
Son parler et maintien sont tieulx
Qu'ilz mettent un cueur en liesse,
Qui la regarde de mes yeulx
Ma Dame, ma seule maistresse.
Tous la suient , jeunes et vieulx ,
Dieu scet qu'elle n'est pas sans presse ;
Chascun dit : C'est une déesse
Qui est descendue des cieulx,
Qui la regarde de mes yeulx.
y
CHANSON XI.
Ce mois de May, nompareille Princesse,
Le seul plaisir de mon joyeulx espoir,
Mon cueur avez et quanque puis avoir.
Ordonnez en comme dame et maistresse.
Pource, requier vostre doulce jeunesse
Qu'en gré vueille mon présent recevoir,
Ce mois de May, nompareille Princesse,
Le seul plaisir de mon joyeulx espoir.
Et vous supply, pour me tollir tristesse.
CHANSONS. Il
Treshumblement et de tout mon povoir,
Qu'à m'esmayer ayez vostre vouloir
D'un reconfort bien garny de liesse,
Ce mois de May, nompareille Princesse.
CHANSON XII.
Commandez vostre bon vouloir
A votre treshumble servant ,
Il vous sera obéissant
D'entier cueur et loyal povoir.
Prest est de faire son devoir,
Ne l'espargnez ne tant ne quant.
Commandez vostre bon vouloir
A vostre treshumble servant.
Mettez le tout à nonchaloir.
Sans lui estre jamais aydant,
S'en riens le trouvez refusant ;
Essayez se je vous dy voir,
Commandez vostre bon vouloir.
CHANSON XIII.
Espoir, confort des malheureux,
Tu m'estourdis trop les oreilles
De tes promesses nompa eilles.
Dont trompes les cueurs doloreux.
En amusant les amoureux
Et faisant baster aux corneilles .
Espoir, confort des maleureux ,
Tu m'estourdis trop les oreilles.
Ne soies plus si rigoreux,
12 CHARLES D ORLEANS.
Mieux vault qu'à raison te conseilles,
Car chascun se donne merveilles
Que n'as pitié des langoreux,
Espoir, confort des maleureux.
CHANSON XIV.
Belle , se c'est vostre plaisir
De me vouloir tant enrichir
De reconfort et de liesse ,
Je vous requier, comme maistresse,
Ne me laissiez du tout mourir ;
Car je n'ay vouloir ne désir,
Fors de vous loyaument servir,
San^ espargnier dueil, ne tristesse,
Belle , se c'est vostre plaisir
De me vouloir tant enrichir
De reconfort et de liesse.
Et s'il vous plaist à l'acomplir,
Vueilliez tant seulement bannir
D'avec vostre doulce jeunesse,
Dolent refus qui trop me blesse,
Dont bien vous me povez guérir,
Belle, se c'est votre plaisir.
CHANSON XV.
Paix ou tresves je requier, Desplaisance;
S'en toy ne tient, pas ne tendra à moy,
Que ne soyons désormais en requoy;
Accordons nous, chargons en Espérance.
Que gaignes tu à me faire grevence?
CHANSONS. l3
Assez me mets en devoir, sur ma foy.
Paix ou tresves je requier, Desplaisance ;
S'en toy ne tient, pas ne tendra à moy.
Ou combatons tellement à oultrance
Que l'un die : Je me rens ou ren toy,
Mieulx estre mort je vueil, s'estre le doy,
Qu'ainsi languir ; d'offrir premier m'avance.
Paix ou tresves je requier, Desplaisance.
CHANSON XVI.
Rafreschissez le chastel de m.on cueur
D'aucuns vivres de Joyeuse Plaisance,
Car faulx Dangier, avec son aliance ,
L'a assiégé, tout entour, de doleur.
Se ne voulez le siège sans longueur
Tantost lever, ou rompre par puissance,
Rafreschissez le chastel de mon cueur
D'aucuns vivres de Joyeuse Plaisance.
Ne souffrez pas que Dangier soit seigneur,
En conquestant soubz son obéissance
Ce que tenez en vostre gouvernance ;
Avancez vous et gardez votre honneur,
Rafreschissez le chastel de mon cueur.
CHANSON XVII.
Si je fais loyalle requeste ,
Soing et Soucy, et bon vous semble ,
Pour Dieu, accordons nous ensemble;
Qui tort a soit mis en enqueste.
Quant vous, ne moy bien n'y aqueste ,
14 CHARLES d'oRLÉANS.
Pour jugier droit conseil asemble,
Si je fais loyalle reque?;te,
Seing et Soucy, et bon vous semble.
Je ne requier aultre conqueste
Que d'Espoir qui larron ressemble
Et sans cause de mon cueur s'emble;
Dieu me secoure en cette queste ,
Si je fais loyalle requeste!
CHANSON XVIII.
Se ma doleur vous saviés,
Mon seul joyeux pensement,
Je sçay bien certainement
Que mercy de moy auriés.
Du tout Refus banniriés
Qui me tient en ce tourment,
Se ma doleur vous saviés,
Mon seul joyeux pensement.
Et le don me donneriés
Que vous ay requis souvent ,
Pour avoir allégement;
Jà ne m'en escondiriés,
Se ma doleur vous saviés.
CHANSON XIX.
Ne hurtez plus à l'uis de ma Pensée ,
Soing et Soucy, sans tant vous travailler,
Car elle dort et ne veult s'esveiller ;
Toute la nuit en paine a despensée.
En dangier est, s'eile n'est bien pensée,
CHANSONS. l5
Cessez, cessez, laissez la sommeiller.
Ne hurtez plus à l'uis de ma pensée ,
Soing et Soucy, sans tant vous traveiller.
Pour la guérir Bon Espoir a pensée
Medicine qu'a fait apareiller ;
Lever ne peut son chief de l'oreiller
Tant qu'en repos se soit recompensée ;
Ne hurtez plus à l'uis de ma pensée.
CHANSON XX.
Ma seule, plaisant, doulce joye,
La maistresse de mon vouloir,
J'ay tel désir de vous véoir,
Que mander ne le vous sauroye.
Helas! pensez que ne pourroye ,
Aucun bien , sans vous, recevoir,
Ma seule, plaisant, doulce joye ,
La maistresse de mon vouloir.
Car, quant Desplaisir me guerroyé
Souventeffois , de son povoir,
Et je vueil reconfort avoir,
Espérance vers vous m'envoye,
Ma seule, plaisant, doulce joye.
CHANSON XXI.
L'un ou l'autre desconfira
De mon Cueur et Merencolie ;
Auquel que Fortune s'alye ,
L'autre je me rens lui dira.
D'estre juge me suffira,
l6 CHARLES d'oRI.ÉANS.
Pour mettre fin en leur folye.
L'un ou l'autre desconfira
De mon cueur et Merencolie.
Dieu scet comment mon cueur rira,
Se gangne , menant chiere lye ,
Contre ceste saison jolye ,
On verra comment en yra;
L'un ou l'autre desconfira.
CHANSON XXIL
Je ne vueil plus riens que la mort ,
Pource que voy que Reconfort
Ne peut mon cueur eslyesser.
Au meins me pourray je vanter
Que je souffre douleur à tort.
Car puis que n'ay d'Espoir le port,
D'Amours ne puis souffrir l'effort,
Ne doy je donc Joye laisser?
Je ne vueil plus riens que la mort ,
Pource que voy que Reconfort
Ne peut mon cueur eslyesser.
Au Dieu d'Amours je m'en rapport
Qu'en peine suis bouté si fort
Que povoir n'ay plus d'endurer.
S'en ce point me fault demourer;
Quant est de moy, je m'y accort.
Je ne vueil plus riens que la mort.
CHANSON XXIIL
Qui? quoy ? comment? à qui? pourquoy?
Passez, prescris ou avenir^
CHANSONS. 17
Quant me viennent en souvenir,
Mon cueur en penser n'est pas coy.
Au fort , plus avant que ne doy,
Jamais je ne pense en guérir;
Qui? quoy ? comment? à qui ? pourquoy ?
Passez, presens ou avenir.
On s'en peut rapporter à moy
Qui de vivre ay eu beau loisir,
Pour bien apprendre et retenir;
Assez ay congneu, je m'en croy,
Qui? quoy? comment? à qui? pourquoy?
CHANSON XXIV.
Belle que je chéris et crains ,
En cest estât suis ordonné
Que Dangier m'a emprisonné
De vostre grant beaulté loingtains.
N'il ne m'a de tous biens mondains
Qu'un souvenir abandonné.
Belle que je chéris et crains,
En cest estât suis ordonné.
Mais de nulle riens ne me plains
Fors qu'il ne m'a tost raençonné ;
Car bien lui seroit guerdonné,
Si j'estoye hors de ses mains,
Belle que je chéris et crains.
CHANSON XXV.
Je prens en mes mains voz debas
Désormais, mon cueur et mes yeulx;
CHARLES O'ORLÉANS. II. :
l8 CHARLES d'ORLÉANS.
Se longuement vous seuffre tieulx,
Moy mesmes de mon tour m'abas.
Pour vostre prouffit me combas ,
Le désirant de bien en mieulx.
Je prens en mes mains voz debas
Désormais, mon cueur et mes yeulx.
Quant voz désirs souvent rabas
Desordonnez, en aucuns lieux,
Mon devoir fais, ainsi m'aid Dieux;
Passons temps en plus beaulx esbas,
Je prens en mes mains vos debas.
CHANSON XXVI.
Ma Dame, tant qu'il vous plaira
De me faire mal endurer,
Mon cueur est prest de le porter,
Jamais ne le refusera.
En espérant qu'il guérira ,
En cest estât veult demourer.
Ma Dame , tant qu'il vous plaira,
De me faire mal endurer.
Une fois pitié vous prandra,
Quant seulement vouldrez penser
Que c'est pour loyaument amer
Vostre beaulté qu'il servira.
Ma Dame , tant qu'il vous plaira.
CHANSON XXVII.
Mon cueur se combat à mon eueil ,
Jamais ne les trouve d'accort;
CHANSONS. 19
Le cueur dit que l'eueil fait rapport
Que tousjours lui accroist son dueil.
La vérité savoir j'en vueil ,
Que semble il qui ait le tort?
Mon cueur se combat à mon eueil,
Jamais ne les trouve d'accort.
Se je trouve que Bel Acueil
Ait getté entre eulx aucun tort ,
Je le condampneray à mort ;
Doy je souffrir un tel orgueil?
Mon cueur se combat à mon eueil.
CHANSON XXVIIL
De la regarder vous gardez
La belle que sers ligament,
Car vous perdrés soudainement
Vostre cueur, se la regardez.
Se donner ne le lui voulés,
Clignez les yeulx hastivement ,
De la regarder vous gardez
La belle que sers ligement.
Les biens que Dieu lui a donnez
Emblent un cueur soubtilement.
Sur ce, prenez avisement.
Quant devant elle vous vendrez;
De la regarder vous gardez.
CHANSON XXIX.
Tant que Pasques soient passées,
Se nous avons riens trespassé,
20 CHARLES D ORLEANS.
Prions mercy du tems passé,
Et pour les âmes trespassées,
Chascun pas à pas ses passées
Face, avant que soit trespassé.
Tant que Pasques soient passées,
Se nous avons riens trespassé.
Foleur a fait grandes passées.
Mains cueurs ont tout oultre passé;
Pource, par nous soit compassé
D'eschever faultes compassées,
Tant que Pasques soient passées.
CHANSON XXX.
Puis que je ne puis eschapper
De vous. Courrons, Dueil et Tristesse,
Il me convient siiir l'adresse
Telle que me vouldrés donner.
Povoir n'ay pas de l'amender,
Car Doleur est de moy maistresse.
Puis que je ne puis eschapper
De vous. Courroux, Dueil et Tristesse.
Si manderay par un Penser
A mon las cueur vuit de liesse
Qu'il prengne en gré sa grant destresse,
Car il lui faut tout endurer.
Puis que je ne puis eschapper.
CHANSON XXXI.
Sans ce, le demourant n'est rien;
Qu'esse? je le vous ay à dire.
CHANSONS. 21
N'enquerez plus, il doit suffire,
C'est conseil que tressegret tien.
Pour tant n'y entendez que bien,
Autrement je ne le désire.
Sans ce, le demourant n'est rien;
Qu'esse? je le vous ay à dire.
S'ainsi m'esbas ou penser mien,
Et mainte chose faiz escripre
En mon cœur, pour le faire rire ,
Tout ung est mon fait et le sien;
Sans ce, le demourant n'est rien.
CHANSON XXXII.
C'est fait, il n'en fault plus parler,
Mon cueur s'est de moy departy ;
Pour tenir l'amoureux party,
Il m'a voulu abandonner.
Riens ne vault m'en desconforter
Ne d'estre dolent ou marry.
C'est fait, il n'en fault plus parler.
Mon cueur s'est de moi departy.
De moy ne se fait que mocquer,
Quant piteusement je lui dy
Que je ne puis vivre sans luy,
A paine me veult escouter.
C'est fait, il n'en fault plus parler.
CHANSON XXXIII.
Assez pourveu, pour de cy à grant pièce,
Et plus qu'assez, de penser et anuy,
Je me treuve sans congnoistre nuUuy
Qui se vente d'en avoir telle pièce.
l CHARLES d'oRLÉAN s.
Fortune dit, qui tout mon fait despiece,
Que j'endure comme maint au jour d'huy
Assez pourveu, pour de cy à grant pièce,
Et plus qu'assez, de penser et anuy.
Pourquoy souvent jemetz soubz mon pièce
Prenant confort d'Espoir, comme celluy
Qui me fye parfaittement en luy.
Ainsi remains, qui le croiroit, empicce,
Assez pourveu, pour de cy à grant pièce.
CHANSON XXXIV.
Çà, venez avant, Espérance,
Or y perra que respondrez
Et comment vous vous deffendrez ;
On se plaint de vous à oultrance.
L'un dit que promectez de loing,
Et qu'en estes bonne maistresse,
L'aultre que faillez au besoing,
En ne tenant gueres promesse.
Quoy que tardez, c'est la fiance
Qu'aux faiz de chascun entendez
Et au derrain guerdon rendrez;
Dy je bien, ou se trop m'avance?
Çà, venez avant. Espérance.
CHANSON XXXV.
Mon cueur, estouppe tes oreilles,
Pour le vent de Merencoiie ;
S'il y entre, ne double mye
Il est dangereux à merveilles;
CHANSONS. 23
Soit que tu dormes ou tu veilles
Fays ainsi que dy, je t'en prie :
Mon cueur, estouppe tes oreilles,
Pour le vent de Merencolie.
Il cause doleurs nompareilles,
Dont s'engendre la maladie
Qui n'est pas de legier guérie ;
Croy moy, s'a Raison te conseilles,
Mon cueur, estouppe tes oreilles.
CHANSON XXXVI.
Se j'eusse ma part de tous biens
Autant que j'ay de loyauté,
J'en auroye si grant planté
Qu'il ne me fauldroit jamais riens.
Et si gaingneroye des miens,
Ma Dame, vostre voulenté,
Se j'eusse ma part de tous biens,
Autant que j'ay de loyauté.
Car pour asseuré je me tiens
Que vostre tresplaisant beauté
De s'amour me feroit rente,
Maugré Dangier et tous les siens,
Se j'eusse ma part de tous biens.
CHANSON XXXVII.
Pour les grans biens de vostre renommée,
Dont j'oy parler à vostre grant honneur,
Je désire que vous ayez mon cueur,
Comme de moy tresloyaument amée.
24 CHARLES d'oRLÉANS.
Tresoriere je vous voy ordonnée
A le garder en plaisance et doulceur,
Pour les grans biens de vostre renommée,
Dont j'oy parler à vostre grant honneur.
Recevez le, s'il vous plaist et agrée,
Da mien ne puis vous donner don meilleur;
C'est mon vaillant, c'est mon trésor greigneur ,
A vous l'offre de loyalle pensée ,
Pour les grans biens de vostre renommée.
CHANSON XXXVIII.
Aidez ce povre cayment,
Souspir, je le vous recommande ;
De vous, quant ausmone demande,
Ne se parte meschantement.
Son cas monstre piteusement,
Il semble que la mort actende.
Aidez ce povre cayment
Souspir, je le vous recommande.
Donnez lui assez largement,
Qu'il ne meure, Dieu l'en deffende;
Affin que n'en faictes amende,
Au jour d'amoureux jugement,
Aidez ce povre cayment.
CHANSON.
Réponse par Philippe de Boulainviiliers. -
Hola, hola^ souspir, on vous oit bien,
Vous vous cuidej embler trop coyetnent.
CHANSONS. 25
Contrefaisant ung peu le cayement,
Grant fain ave^ qu'on vous die : tien.
Vous ne quere^ que d'ung cueur le soustîen,
C'est de tieulx gens tousjours l'esbatement.
Hola, hola, souspir, on vous oit bien,
Vous vous cuide^ embler trop coyement.
Trop vous haste^, de vray, comme je tien,
Car l'on congnoist vostrefait clerement,
Une autreffoi:^ faictes plus saigement.
Car maintenant vous n'y gang nerej rien;
Hola, hola, souspir, on vous oit bien.
CHANSON.
Autre réponse par Gilles des Ourmes.
Hola, hola, souspir, on vous oyt bien.
C'est à ung sourt à qui il le fault Jaire,
Retraye^ vous et pensez de vous taire,
Car Dangier oit si cler qu'il n'y fault rien.
Se d'aventure il vous oyt, si vous tien
Pour rué Jus, car c'est vostre adversaire ;
Hola, hola, souspir^ on vous oyt bien.
C'est à ung sourt à qui il le fault faire.
Ne saille^ pins, attendez aucun bien ;
Vous voulej vous de vous mesmes deffaire!
Prene^ conseil, quant c'est pour vostre affaire;
Et pour le mieulx, croyej, sans plus, le mien ;
Hola, hola, souspir, on vous oyt bien.
a6 CHARLES d'oRLÉANS.
CHANSON XXXIX.
En songe, souhaid et pensée
Vous voy, chascun jour de sepmaine,
Combien qu'estes de moy loingtaine,
Belle tresloyaument amée.
Pource qu'estes la mieulx. parée
De toute plaisance mondaine,
En songe, souhaid et pensée
Vous voy, chascun jour de sepmaine.
Du tout vous ay m'amour donnée
Vous en povez estre certaine,
Ma seule Dame, souveraine,
De mon las cueur moult désirée
En songe, souhaid et pensée.
CHANSON XL.
De léal cueur, content de joye,
Ma maistresse, mon seul désir.
Plus qu'oncques vous vueil servir.
En quelque place que je soye.
Tout prest en ce que je pourroye,
Pour vostre vouloir adcomplir,
De léal cueur, content de joye.
Ma maistresse, mon seul désir,
En désirant que je vous voye,
A vostre honneur et mon plaisir,
Qui seroit briefment, sans mentir,
S'il fust ce que souhaideroye
De léal cueur, content de joye.
CHANSONS. 27
CHANSON XLI.
En faulte du logeis de Joye,
L'ostellerie de Pensée
M'est par les fourriers ordonnée,
Ne sçay combien fault que je y soye.
Autre part ne me bouteroye,
Content m'en tien ; et bien m'agrée,
En faulte du logeis de Joye ,
L'ostellerie de Pensée.
Je parle tout bas, qu'on ne l'oye,
Pensant de véoir, quelque année,
Qu'elle sera ma destinée
Et en quel lieu demourer doye ,
En faulte du logeis de Joye.
CHANSON XLII.
Et bien, de par Dieu, Espérance
Esse doncques vostre plaisir?
Me voulez vous ainsi tenir
Hors et ens tousjours en balance?
Ung jour j'ay vostre bienveillance,
L'autre ne la sçay où quérir.
Et bien, de par Dieu, Espérance,
Esse doncques vostre plaisir?
Au fort, puis que suis en la dance,
Bon gré maugré, m'y fault fournir,
Et n'y sçay de quel pié saillir.
Je reculle, puis je m'avance;
Et bien, de par Dieu, Espérance 1
28 CHARLES d'oRLÉAN- .
CHANSON XI. II I.
Armez vous de joyeux Confort,
Je vous en pry, mon povrc cueur,
Que Destresse, par sa rigueur,
Ne vous navre jusqu'à la mort.
Vous couvrant d'un pavaiz, au fort,
Tant qu'aurez passé sa chaleur,
Armez vous de joyeux Confort,
Je vous en pry, mon povre cueur.
Faittes bon guet, tant qu'elle dort;
Espoir dit qu'il sera seigneur.
Et fera vostre fait meilleur ;
Contre Dangier qui vous fait tort,
Armez vous de joyeux Confort.
CHANSON XLIV.
Pour vous monstrerque point ne vous oublie,
Comme vostre, que suis où que je soye.
Présentement ma chançon vous envoyé.
Or la prenez en gré, je vous en prie.
En passant temps, plain de merencolie,
L'autr'ier la fis, ainsi que je pensoye,
Pour vous monstrer que point ne vous oublie,
Comme vostre que suis où que je soye.
Mon cueur tousjours si vous tient compaignie,
Dieu doint que brief vous puisse veoir à joie!
Et, à briefz motz, en ce que je pourroye,
A vous m'offre du tout à chiere lye.
Pour vous monstrer que point ne vous oublie.
CHANSONS.
29
CHANSON XLV.
Tousjours dictes : Je vien. je vien ,
Espoir! je vous congnois assez,
De voz promesses me lassez,
Dont peu à vous tenu me tien.
Je vous requier au besoin mien,
Legierement vous en passez.
Tousjours dictes : Je vien, je vien,
Espoir! je vous congnois assez.
Vous ne vous acquittez pas bien
Vers moy, quant ung peu ne cassez
Les soussiz que j'ay amassez ;
En me contentant d'un beau rien,
Tousjours dictes : Je vien, je vien.
CHANSON XLVI.
Loingtain de joyeuse sente
Où l'en peut tous biens avoir,
Sans nul confort recevoir.
Mon cueur en tristesse s'ente.
Par quoy convient que je sente
Mains griefz maulx, pour dire voir,
Loingtain de joyeuse sente,
Où l'en peut tous biens avoir.
En dueil a fait sa descente
De tous poins, sans s'en mouvoir;
Et s'il fault qu'à mon savoir
Maugré mien je m'y consente,
Loingtain de joyeuse sente.
3o chari.es d'orléan s.
CHANSON XLVII.
Vivre et mourir soubz son dangier
Me veult faire Merencolie ;
Jamais vers moy ne s'amolye,
Mais plaisir me faist estranger.
D'ainsi demourer, sans changier,
Se me seroit trop grant folie.
Vivre et mourir soubz son dangier
Me veult faire Merencolie.
Pour d'elle plus tost me venger,
Force m'est qu'à Confort m'alye,
Acompaigné de Chère Lye;
A le siiir me vueil ranger,
Vivre et mourir soubz son dangier
CHANSON XLVIII.
Je ne prise point telz baisiers
Qui sont donnez par contenance,
Ou par manière d'acointance ;
Trop de gens en sont parçonniers.
On en peut avoir par milliers,
A bon marchié, grant habondance.
Je ne prise point telz baisiers
Qui sont donnez par contenance.
Mais savez vous lesquelz sont chiers
Les privez venans par plaisance ;
Tous autres ne sont, sans doubtance,
Que pour festier estrangiers.
Je ne prise point telz baisiers.
CHANSONS. il
CHANSON XLIX.
Pourtant, s'avale soussiz mains,
Sans mâcher, en peine confiz.
Si ne seront ja desconfiz ,
Les pensers qui m'ont en leurs mains.
En ce propos seurement mains
Qu'ilz vendront à aucuns prouffiz,
Pourtant, s'avale soussiz mains.
Sans mâcher, à peine confiz.
Travail mettray, et soirs, et mains,
Autant ou plus quanques je fiz,
S'a les achever ne souffiz.
D'en faire quelque chose au mains,
Pourtant, s'avale soussiz mains.
CHANSON L.
Ma seule amour, ma joye et ma maistresse,
Puisqu'il me fault loing de vous demourer,
Je n'ay plus riens, à me reconforter,
Qu'un souvenir pour retenir lyesse.
En allegant, par Espoir, ma destresse,
Me conviendra le temps ainsi passer.
Ma seule amour, ma joye et ma maistresse.
Puisqu'il me fault loing de vous demourer.
Car mon las cueur, bien garny de tristesse ,
S'en est voulu avecques vous aler,
Ne je ne puis jamais le recouvrer,
Jusques verray vostre belle jeunesse,
Ma seule amour, ma joye et ma maistresse.
îa CHARLES d'oRLÉANS.
CHANSON LI.
Trop entré en la haulte game ,
xMon cueur, d'ut, ré, mi, fa, sol, la,
Fut jà pieçà, quant l'afola
Le trait du regart de ma Dame.
Fors lui, on n'en doit blasmer ame,
Puis qu'ainsi fait, comme fol' l'a.
Trop entré en la haulte game ,
Mon cueur, d'ut, ré, mi, fa, sol, la.
Mieulx l'eust valu estre soubz lame,
Car sottement s'en afola ;
Si, lui dis je : mon cueur, holâ !
Mais conte n'en tint, sur mon ame,
Trop entré en la haulte game.
CHANSON LU.
Se desplaire ne vous doubtoye,
Voulentiers je vous embleroye
Ung doux baisier privéement ,
Et garderoye seurement
Dedens le trésor de ma joye.
Mais que Dangier soit hors de voye,
Et que sans presse je vous voye.
Belle que j'ayme loyaument,
Se desplaire ne vous doubtoye ,
Voulentiers je vous embleroye
Un doux baisier privéement.
Jamais ne m'en confesseroye,
Ne pour larrecin le tendroye ,
CHANSONS. 33
Mais grant aumosne vrayementj
Car à mon cueur joyeusement
De par vous le presenteroye,
Se desplaire ne vous doubtoye,
CHANSON LUI.
Pour nous contenter, vous et moy,
De bon cueur et entier povoir,
Ne s'espargne Léal Vouloir,
Viengne avant sans se tenir quoy.
Commandez moy je ne sçay quoy,
Vous verrez se feray devoir,
Pour nous contenter, vous et moy,
De bon cueur et entier povoir.
Se faulz, par l'amoureuse loy,
Mis en fossé de Nonchaloir
Soye , sans grâce recevoir;
Baillez la main, prenez ma foy,
Pour nous contenter, vous et moy.
CHANSON LIV.
Malade de mal ennuieux ,
Faisant la peneuse sepmaine,
Vous envoyé, ma souveraine ,
Un souspir merencolieux.
Par lui saurez, mon bien joyeux,
Comment desplaisir me demaine.
Malade de mal ennuieux.
Faisant la peneuse sepmaine.
Car aler ne pevent mes yeulx
CHARLES d'orLÉANS. II. 3
J4 CHARLES D ORLEANS.
Vers la beauté dont estes plaine,
Mais au fort, ma joye mondaine,
J'endureray pour avoir mieuix,
Malade de mal ennuieux.
CHANSON LV.
Tousjours dictes : Attendez, attendez;
Pas ne payez vos reconfors contens ,
Joyeulx Espoir, dont maints sont malcontens,
Qui ne scevent comment vous l'entendez.
De Fortune, pour Dieu, l'arc destendez;
Ne souffrez plus qu'elle face contens.
Tousjours dictes : Attendez, attendez.
Pas ne payez vos reconfors contens.
Vostre grâce tost sur moy estandez.
Vous congnoissez assez à quoy contens ;
Plus ne perdray un tel trésor com temps
Ainsi que fait qui son eur met en dez ;
Tousjours dictes : Attendez, attendez.
CHANSON LVI.
Resjouissez plus ung peu ma pensée ,
Léal Espoir, et me donnez secours ;
Tousjours fuyez et après vous je cours ,
Où j'ay assezde paine despenséc.
La verray je jamais recompensée?
Quelque office lui donnez en voz cours ;
Resjouissez plus ung peu ma pensée,
Léal Espoir, et me donnez secours.
La penance soit par vous dispensée ,
CHANSONS. 35
Car désormais mes temps deviennent cours;
Ne souffrez plus son plaisir en decours;
Veu que vers vous n'a faulte pourpensée,
Resiouissez plus ung peu ma pensée.
CHANSON LVII.
Comment vous puis je tant amer
Et mon cueur si tresfort haïr
Qu'il ne me chault de desplaisir
Qu'il puisse pour vous endurer?
Son mal m'est joyeux à porter,
Mais qu'il vous puisse bien servir.
Comment vous puis je tant amer
Et mon cueur si tresfort haïr!
Las ! or ne deusse je penser
Qu'à le garder et chier tenir,
Et non pour tant, mon seul désir,
Pour vous le vueil abandonner.
Comment vous puis je tant amer!
CHANSON LVIII.
M'amye Espérance ,
Pour quoy ne s'avance
Joyeulx Reconfort?
Ay je droit ou tort ,
S'en lui j'ay fiance?
Peu de desplaisance
Prent en ma grevance ,
Il semble qu'il dort.
M'amye Esjicrance ,
CHARLES D ORLEANS.
Pour quoy ne s'avnnce
Joyeulx Reconfort.
Quoy qu'à lui je tcnce,
Pour sa bien vucillance
Acquérir ; au fort ,
Je suis bien d'acort
D'attendre allegance,
M'amye lïsperance.
CHANSON LIX.
Dedens mon sein , près de mon cueur
J'ay mussié un privé baisier
Que j'ay emblé, maugré Dangier,
Dont il meurt en paine et langueur.
Mais ne me chault de sa douleur,
Et en deust il vif enragier,
Dedens mon sein, près de mon cueur
J'ay mussié un privé baisier.
Se ma Dame, par sa doulceur,
Le veult souffrir, sans m'empeschier,
Je pense d'en plus pourchassier
Et en feray trésor greigneur
Dedens mon sem, près de mon cueur.
CHANSON LX.
D'Espoir, et que vous en diroye?
C'est ungbeau bailleur de parolles,
Il ne parle qu'en paraboUcs ,
Dont ung grant livre j'escriroye.
En le lisant, je me riroye,
CHANSONS. 37
Tant auroit de choses frivoUes
D'Espoir; et que vous en diroye?
C'est ung beau bailleur de paroUes.
Par tout ung an ne le liroye,
Ce ne sont que promesses folles
Dont il tient chascun jour escolles ;
Telles estudes n'esliroye
D'Espoir; et que vous en diroye?
CHANSON LXI.
Passez oultre, Décevant Vueil,
Où portez vous cest estendart
De plaisant Attrayant Regart ,
Soubz l'emprise de Bel Acueil ?
De ma maison n'entrez le sueil
Plus avant, tirez autre part.
Passez oultre, Décevant Vueil,
Où portez vous cest estendart?
Vous taschez à croistie mon dueil,
Et gens engigner par votre art;
A! a! maistre sebelin regnart ,
On vous congnoist tout cler à l'ueil;
Passez oulire, Décevant Vueil.
CHANSON LXII.
Trop estes vers moy endebtée,
Vous me devés plusieurs baisiers ,
Jevouldroye moult voulentiers
Que la debte fust acquittée
Quoy que vous soyez excusée
38 CHARLES d'oRLÉANS.
Que n'osez pour les faulx Dangiers,
Trop estes vers moy endcbtce ,
Vous me devez plusieurs baisiers.
J'en ay bonne lettre scellée ,
Paiezles, sans tenir si chiers;
Autrement, par les officiers
D'Amours, vous serez arrestce :
Trop estes vers moy endebtée.
CHANSON LXIII.
Ma plus chier tenue richesse
Ou parfont trésor de Pensée
Est soubz clef, seurement gardée,
Par Espérance, ma Déesse.
Se vous me demandez et qu'esse ?
N'enquerez plus, elle est mussée
Ma plus chier tenue richesse
Ou parfont trésor de Pensée.
Avecques elle, seul, sans presse,
Je m'esbas soir et matinée;
Ainsi passe temps et journée,
Au partir dy : Adieu maistresse,
Ma plus chier tenue richesse.
CHANSON LXIV.
Vostre bouche dit : Baisiez moy,
Se m'est avis quant la regarde ;
Mais Dangier de trop près la garde,
Dont mainte doleur je reçoy.
Laissez m'avoir, par vostre foy,
CHANSONS.
Un doulx baisier, sans que plus tarde,
Vostre bouche dit : Baisiez moy,
Se m'est avis quant la regarde.
Dangier me heit, ne sçay pourquoy,
Et tousjours Destourbier me darde ;
Je prie à Dieu que mal feu Tarde !
Il fust temps qu'il se tenist coy,
Vostre bouche dit : Baisiez moy.
CHANSON LXV.
Va tost, mon amoureux désir,
Sur quanque me veulx obéir,
Tout droit vers le manoir de Joye ;
Et pour plus abregier ta voye ,
Prens ta guide Doulx Souvenir.
Metz peine de me bien servir
Et de ton message accomplir;
Tu congnois ce que je vouldroye ;
Va tost, mon amoureux désir,
Sur quanque me veulx obéir,
Tout droit vers le manoir de Joye.
Recommandes moy à Plaisir;
Et se brief ne peuz revenir,
Fay que de toy nouvelles oye
Et par Bon Espoir les m'envoya;
Ne vueilles au besoing faillir;
Va tost, mon amoureux désir.
CHANSON LXVI.
Ou puis parfont de ma merencolie
L'eaue d'Espoir que ne cesse de tirer,
40 CHARLES d'oRLÉANS.
Soif de Confort la me fait désirer,
Quoy que souvent je la treuve tarie.
Nette la voy ung temps et esclcrcie,
Et puis après troubler et empirer
Ou puis parfont de ma merencolie
L'eaue d'Espoir que ne cesse de tirer.
D'elle trempe mon ancre d'estudic,
Quant j'en escrips, mais pour mon cueur irer,
Fortune vient mon pappier dessirer,
Et tout gette par sa grant fclonnie
Ou puis parfont de ma merencolie.
CHANSON LXVII.
Je me metz en vostre mercy,
Tresbelle, bonne, jeune et gente ,
On m'a dit qu'estes mal contente
De moy, ne sçay s'il est ainsi.
De toute nuit je n'ay dormy,
Ne pensez pas que je vous mente ;
Je me metz en vostre mercy,
Tresbelle, bonne, jeune et gente.
Pource, treshumblement vous pry
Que vous me dittes vostre entente;
Car d'une chose je me vante
Qu'en loyauté n'ay point failly ;
Je me metz en vostre mercy.
CHANSON LXVIII.
Monstrez les moy ces povres yeulx
Tous batuz et deffigurez,
CHANSONS. 41
Certes ilz sont fort empirez
Depuis hier qu'ilz valloient mieulx.
Ne se congnoissent ilz pas tieulx?
Mal se sont au matin mirez.
Monstrez les moy ces povres yeulx
Tous batuz et deffigurez.
Ont ilz pleuré devant leurs Dieux
Comme de leur grâce inspirez?
Ou s'ilz ont mams travaulx tirez
Privéement en aucuns lieux?
Monstrez les moy, ces povres yeulx.
CHANSON LXIX.
S'il vous plaist vendre vos baisiers ,
J'en achatteray voulentiers ,
Et en aurés mon cueur en gage ,
Pour les prandre par héritage ,
Par douzaines, cens ou milliers.
Ne les me vendez pas si chiers
Que vous fériés à estrangiers ;
En me recevant en hommaige,
S'il vous plaist vendre vos baisiers ,
J'en achatteray voulentiers ,
Et en aurez mon cueur en gage
Mon vueil et mon désir entiers
Sont vostres, maugré tous dangiers,
Faittes, comme loyalle et sage,
Que pour mon guerdon et partage.
Je soye servy des premiers.
S'il vous plaist vendre vos baisiers.
4» CHARLES D ORLEANS.
CHANSON LXX.
Traître regart, et que fais tu
Quant tu vas souvent in questu?
Tu fiers sans dire : garde toy ;
Et ne scés la raison pourquoy,
N'il ne t'en chault pas ung festu.
Tu es de couraige testu
Et de fureur trop in estu.
Change ton propos et me croy,
Traître regart, et que fais tu
Quant tu vas souvent in questu ?
Tu fiers sans dire : garde toy.
On te deust batre devestu
Par my les rues cum mestu ,
Par l'ordonnance de la loy;
Car tu n'as leaulté, ne foy,
On le voit in tuo gestu,
Traître regart, et que fais tu!
CHANSON LXKI.
Ma seule amour que tant désire,
Mon reconfort, mon doulx penser,
Belle, nompareille, sans per,
Il me desplaist de vous escrire.
Car j'aymasse mieulx à le dire '
De bouche , sans le vous mander,
Ma seule amour que tant désire ,
Mon reconfort, mon doulx penser.
Las! or n'y puis je contredire,
Mais Espoir me fait endurer,
CHANSONS. 43
Qui m'a promis de retourner
En liesse mon grief martire,
Ma seule amour que tant désire.
CHANSON LXXII.
Anuy, Soussy, Soing et Merencolie,
Se vous prenez desplaisir à ma vie
Et desirez tost avancer ma mort,
Tourmentez moy de plus fort en plus fort ,
Pour en passer tout à cop vostre envye.
Ay je bien dit? Nennil , je le renye,
Et, par conseil de Bon Espoir, vous prie
Que m'espargnez ; ou vous me ferez tort,
Anuy, Soussy, Soing et Merencolie,
Se vous prenez desplaisir à ma vie ,
Et desirez tost avancer ma mort.
Et qu'esse cy? je suis en resverie.
Il semble bien que ne sçay que je dye;
Je dy puis l'un, puis l'autre, sans accort;
Suis je enchanté? veille mon cueur ou dort?
Vuidez, vuidez de moy telle folie,
Anuy, Soussy, Soing et Merencolie.
CHANSON LXXIII.
Logiez moy entre voz bras,
Et m'envoyez doulx baisier
Qui me viengne festier
D'aucun amoureux soûlas.
Tant dis que Dangier est las
Et le voyez sommeillier,
44 CHARLES d'oRLÉANS.
Logiez moy entre voz bras
Et m'envoyez doulx baisier.
Pour Dieu, ne l'esveillez pas
Ce faulx, envieux Dangier;
Jamais ne puist s'esveillier !
Faittes tos.t et parlez bas,
Logiez moy entre voz bras.
CHANSON LXXIV.
Se Dangier me toit le parler
A vous, mon bel amy, sans per,
Par le pourchas des envieux ,
Non plus qu'on toucheroit aux cieulx
Ne me tendray de vous amer.
Car mon cueur m'a voulu laissier
Pour soy du tout à vous donner
Et pour estre vostre en tous lieux,
Se Dangier me toit le parler
A vous, mon bel amy, sans per,
Par le pourchas des envieux.
Tout son povoir ne peut garder
Que, sur tous autres, n'aye chier
Vostre gent corps, tresgracieux ;
Et se ne vous voy de mes yeulx.
Pour tant ne vous veuil je changier,
Se Dangier me toit le parler.
CHANSON LXXV.
Fault il aveugle devenir?
N'ose l'en plus les yeulx ouvrir,
CHANSONS, 45
Pour regarder ce qu'on désire?
Dangier est bien estrange sire ,
Qui tant veut amans asservir.
Vous lerrez vous anéantir,
Amours, sans remède quérir ?
Ne peut nul Dangier contredire ?
Fault il aveugle devenir?
N'ose l'en plus les yeulx ouvrir.
Pour regarder ce qu'on désire?
Les yeulz si sont fais pour servir,
Et pour raporter tout plaisir
Aux cueurs, quant ilz sont en martire.
A les en garder Dangier tire,
Est ce bien fait de le souffrir ?
Fault il aveugle devenir?
CHANSON LXXVI.
Regardez moy sa contenance,
Lui siet il bien à soy jouer?
Certes, c'est le vray mirouer
De toute joyeuse plaisance.
Entre les parfaittes de France
Se peut elle l'une advouer ?
Regardez moy sa contenance ,
Lui siet il bien à soy jouer ?
Pour fol me tien, quant je m'avanc
De vouloir les grans biens louer,
Dont Dieu l'a voulu douer;
Ses faiz en font la demonstrance :
Regardez moy sa contenance 1
46 ciiari.es d'okléans.
CHANSON LXXVII.
Riens ne valent ses mirlifiques ,
Et ses menues oberliques;
D'où venez vous, petit mercier?
Gueres ne vault vostre mestier,
Se me semble , ne voz pratiques.
Chier les tenez comme reliques,
Les voulez vous mettre en croniques .
Vous n'y gangnerez ja denier.
Riens ne valent ses mirliliques,
Et ses menues oberliques;
D'où venez vous? petit mercier.
En plusieurs lieux sont trop publiques,
Et pource, sans faire répliques,
Desploiez tout vostre pannier,
Affin qu'on y puisse serchier
Quelques bagues plus auctentiques;.
Riens ne valent ses mirlifiques.
CHANSON LXXVIII.
Petit mercier, petit pannier!
Pourtant se je n'ay marchandise
Qui soit du tout à vostre guise ,
Ne blasmez, pource, mon mestier.
Je gangne denier à denier,
C'est loings du trésor de Venise ,
(Petit mercier, petit pannier!)
Pourtant se je n'ay marchandise.
Et tandis qu'il est jour ouvrier,
Le temps pers quant à vous devise :
CHANSONS. 47
Je voys parfaire mon emprise
Et par my les rues crier :
Petit mercier, petit pannier!
CHANSON LXXIX.
Reprenez ce larron souspir
Qui s'est emblé soudainement,
Sanscongié ou commandement,
Hors de la prison de Désir.
Mesdisans l'ont ouy partir,
Dont ilz tiennent leur parlement ;
Reprenez ce larron souspir
Qui s'est emblé soudainement.
Se le meschant eust sçeu saillir
Sans noyse, tout privéement ,
N'en peut chaloir; mais sotement
L'a fait; pource, l'en fault pugnir,
Reprenez ce larron souspir.
CHANSON LXXX.
L'ostellerie de Pensée,
Plaine de venans et alans
Soussiz. soient petitz ou grans,
A chascun est habandonnée.
Elle n'est à nul refifusée
Mais preste pour tout les passans
L'ostellerie de Pensée,
Plaine de venans et alans.
Plaisance chierement amée
S'i loge souvent, mais nuisans
48 CHARLES d'oRLÉANS.
Lui sont Ennuiz gros et puissans,
Quant ilz la tiennent empeschée
L'ostellerie de Pensée.
CHANSON LXXXI.
Fuyés le trait de doulx regard,
Cueur, qui ne vous savez detîendre,
Vcu qu'estes desarmé et tendre,
Nul ne vous doit tenir couard.
Vous serés pris ou tost ou tard,
S'Amour le veult bien entreprandre;
Fuyez le trait de doulx regard ,
Cueur, qui ne vous savez deflendre.
Retrayez vous sous l'estandart
De Nonchaloir, sans plus attendre;
S'a Plaisance vous laissiez rendre,
Vous estes mort, Dieu vous en gard I
Fuyez le trait de doulx regard.
CHANSON LXXXII.
Yver, vous n'estes qu'un villain,
Esté est plaisant et gentil ,
En tesmoing do May et d'Avril
Qui l'acompaignent soir et main.
Esté revest champs, bois et fleurs,
De sa livrée de verdure
Et de maintes autres couleurs,
Par l'ordonnance de Nature.
Mais vous, Yver, trop estes plain
De neige, vent, pluye etgrezil;
h
CHANSONS. 49
On vous deust bannir en exil.
Sans point flater, je parle plain,
Yver, vous n'estes qu'un villain.
CHANSON LXXXIIl.
Mon seul amy, nîon bien, ma )oye,
Cellui que sur tous amer veulx ,
Je vous pry que soyez joieux
En espérant que brief vous voye.
Car je ne fais que quérir vove
De venir vers vous, se m"aist Dieux,
Mon seul amy, mon bien, ma joye,
Cellui que sur tous amer veulx.
Et se, par souhaidier, povoye
Estre emprès vous, un jour ou deux,
Pour quanqu'il a dessoubz les cieulx,
Outre rien ne souhaideroye.
Mon seul amy, mon bien, ma joye.
CHANSON LXXXIV.
Je le retiens pour ma plaisance,
Espoir, mais que léal me soit,
Et se jamais il me déçoit.
Je renie son acointance.
Nous deux avons fait aliance ,
Tant que mon cueur tel l'aparçoit ;
Je le retiens pour ma plaisance ,
Espoir, mais que léal me soit.
Monstrer me puisse bien vueillance,
Ainsi que mon penser conçoit ,
CHARLES D"ORLÉaNS. 11. 4
5o CHARLES d'oRLÉANS.
Dont mainte liesse reçoit;
Quant à moy, j'ay en lui fiance,
Je le retiens pour ma plaisance.
CHANSON LXXXV.
Je ne les prise pas deux blans
Tous les biens qui sonl en amer,
Car il n'y a que tout amer
Et grant foison de faulx semblans.
Pour les maulx qui y sont doublans,
Pire que les perilz de mer,
Je ne les prise pas deux blans
Tous les biens qui soni en amer.
Hz ne sont à riens ressemblans,
Car un jour viennent entamer__
Le cueur et après embasmer;
Ce sont amourettes tremblans,
Je ne les prise pas deux blans.
CHANSON LXXXVI.
Hors du propos si baille gaige ,
Ce n'est que du jeu la manière ,
Nulle excusacion n'y quiere,
Quoyque soit prouffit ou dommaige.
Tousjours parle plus fol que saige,
C'est une chose coustumiere ;
Hors du propos si baille gaige ,
Ce n'est que du jeu la manière.
Se l'en me dit : Vous conte/ raige;
Blasmez ma langue trop légère ;
CHANSONS. 5l
Raison, de Secret tresoriere,
La tance, quant despent langaige
Hors du propos; si baille gaigel
CHANSON LXXXVII.
Au besoing congnoist on l'amy
Qui loyaument aidier désire.
Pour vous je puis bien cecy dire ,
Car vous ne m'avez pas failly.
Mais avez, la vostre mercy,
Tant fait qu'il me doit souffire.
Au besoing congnoist on l'amy
Qui loyaument aidier désire.
Bien brief pense partir de cy
Pour m'en aler vers vous de tire;
I.oisir n'ay pas de vous escrire,
Et pource, plus avant ne dy ;
Au besoing congnoist on l'amy.
CHANSON LXXXVIII.
O trcsdevotes créatures ,
En ypocrisies d'amours
Que vous querez d'estranges tours
Pour venir à voz aventures !
Vous cuidez bien par voz paintures
Faire sotz, aveugles et sours,
O tresdevotes créatures.
En ypocrisies d'amours.
On ne peut desservir deux cures,
Ne prendre gaiges en deux cours ;
52 CHARLES d'ORLÉANS.
Prenez les champs ou les taulbourgs ,
Hz sont de diverses natures,
O tresdevotes créatures.
CHANSON LXXXIX.
Que c'est estrange compaignie
De Penser joint avec Espoir!
Aidier scevent et décevoir
Ung cueur qui tout en eulx se fie.
Il ne fault jà que je le dye ,
Chascun le peut en soy savoir
Que c'est estrange compaignie
De Penser joint avec Espoir.
D'eulx me plains et ne m'en plains mye ,
Car mal et bien m'ont fait avoir ;
Menty m'ont et aussi dit voir;
Je l'aveu et si le renye
Que c'est estrange compaignie.
CHANSON XC.
Sera el point jamais trouvée
Celle qui ayme loyauté
Et qui a ferme voulenté
Sans avoir legiere pensée ?
Il convient qu'elle soit criée,
Pour en savoir la vérité :
Sera el point jamais trouvée
Celle qui ayme loyauté?
CHANSONS. 53
Je crois bien qu'elle est deffiée
Desaliez de Faulceté,
Dont il y a si grant planté,
Que de paour elle s'est mussiée.
Sera el point jamais trouvée?
CHANSON.
Réponse du duc Jehan de Bourbon.
Duc d'Orléans, je Vay trouvée
Celle qui ayme loyauté ,
Et qui a ferme voulenté ,
Sans avoir legiere pensée.
Ja ne fault qu'elle soit criée.
J'en sçay asse^ la vérité :
Duc d'Orléans, je Vai trouvée
Celle qui ayme loyauté.
C'est ma Dame tresbien amée ,
Qui a des biens si grant planté
Quel ne craint rostre Faulceté,
Ne de ceulx de vostre livrée ;
Duc d'Orléans, je l'ay trouvée.
CHANSON XCI.
Puis çà, puis là,
Et sus et jus ,
De plus en plus,
Tout vient et va.
:>4 CHARLES d'orléans.
Tous on verra
Grans et menus,
Puis çà, puis là ,
Et sus et jus.
Vieulx temps desjà
S'en sont courus ,
Et neufz venus,
Que dca! que dea!
Puis çà, puis là.
CHANSON XCII.
Dieu vous cond.ue, Doulx Penser,
Et vous doint faire bon voyage ,
Rapportez tost joyeux messaige
Vers le cueur pour le conforter.
Ne vueillez gueres demourer,
Exploitiez comme bon et saige,
Dieu vous conduie, Doulx Penser,
Et vous doint faire bon voyage.
Riens ne vous convient ordonner,
Les secrez savez du couraige ,
Besongnez à son avantaige
Et pensez de brief retourner.
Dieu vous conduie, Doulx Penser,
CHANSON XCIIl.
Puis que par deçà demourons.
Nous Saulongnois et Beausserons ,
En la maison de Savonnieres ,
CHANSONS. 55
Souhaidez nous des bonnes chieres
Des Bourbonnois et Bourguignons.
Aux champs, par hayes et buissons,
Perdrix et lyevres nous prendrons,
Et yrons pescher sur rivières ,
Puis que par deçà demourons.
Nous Saulongnois et Beausserons,
En la maison de Savonnieres.
Vivres, tabliers, cartes aurons
Où souvent nous estudirons
Vins, mangers de plusieurs manières;
Calerons , sans faire prières ,
Et de dormir ne nous faindrons,
Puis que par deçà demourons.
CHANSON XCIV.
Les fourriers d'Amours m'ont logé
En un lieu bien à ma plaisance ,
Dont les mercy de ma puissance
Et m'en tiens à eulx obligé.
Afin que tost soit abrégé
Le mal qui me porte grevance,
Les fourriers d'Amours m'ont logé
En un lieu bien à ma plaisance.
Desjà je me sens alegé ,
Car acointié m'a Espérance,
Et croy qu'amoureux n'a en France
Qui soit mieulx que moy hébergé :
Les fourriers d'Amours m'ont logé.
iô CHARLES d'oRLÉANS.
CHANSON XCV.
Penser, qui te fait si hardy,
De mettre en ton hostellerie
La tresdivcrse compaignie
D'Ennuy, Desplaisir et Soussy.
Se congié en as, si le dy,
Ou se le fais par ta folie,
Penser, qui te fait si hardy,
De mettre en ton hostellerie.
Nul ne repose pour leur cry,
Boute les hors, et je t'en prie,
Ou il faut qu'on y remédie ;
Veulx tu estre à tous ennemy,
Penser, qui te fait si hardy 1
CHANSON XCVI.
D'ont vient ce souleil de Plaisance
Qui ainsi m'esbluyst les yeulx?
Beaulté, Doulceur, et encor miculx
Y sont à trop grant habondance.
Soudainement luyst par semblance
Comme ung escler venant des cieulx;
D'ont vient ce souleil de Plaisance ,
Qui ainsi m'esbluyst les yeulx ?
Il fait perdre la contenance
A toutes gens, jeunes et vieulx;
N'il n'est éclipse, se m'aist Dieux,
Qui de l'obscurcir ait puissance;
D'ont vient ce souleil de Plaisance?
CHANSONS. 57
CHANSON XCVII.
Laissez moy penser à mon ayse.
Helas! donnez m'en le loisir ;
Je devise avecques Plaisir,
Combien que ma bouche se taise.
Quant Merencolie mauvaise
Me vient maintes fois assaillir,
Laissez moy penser à mon ayse ,
Helas! donnez m'en le loisir.
Car affin que mon cueur rapaise,
J'appelle Plaisant Souvenir
Qui tantost me vient resjouir;
Pource, pour Dieu , ne vous desplaise ,
Laissez moy penser à mon ayse.
CHANSON.
Par Fraigne.
Et où vas tu, petit souspir.
Que j'ay ouy si doulcement?
T'en vas tu mettre à saquement
Qiielqiie povre amoureux martir?
Viens ça, dy moy tost, sans mentir.
Ce que tu as en pensement,
Et où vas tu^ petit souspir,
Que j'ay ouy si doulcement?
Dieu te conduye à ton désir,
Et te remaine à sauvement ;
Mais je te requier humblement
Que ne/aces ame mourir ;
Et oii vas tu, petit souspir?
58 CHARLES d'oRLÉANS.
CHANSON XCVIII.
As tu ja fait, petit souspir?
Est il sur son trespassement
Le cueur qu'as mis à sacquement?
A il remède de guérir ?
Tu as mal fait de le ferir
En haste, si piteusement.
As tu ja fait, petit souspir?
Est il sur son trespassement?
Amours, qui t'en doit bien pugnir,
A fait de toy son jugement ;
Pren franchise hastivement ,
Sauve toy, quant tu as loisir ;
As tu ja fait, petit souspir?
CHANSON XCIX.
Levez ces cueuvrechiefs plus hault
Qui trop cueuvrent ces beaulx visages ;
De riens ne servent telz umbrages.
Quant il ne fait haie ne chault.
On fait à Beaulté qui tant vault ,
De la musser tort et oultraiges :
Levez ces cueuvrechiefs plus hault
Qui trop cueuvrent ces beaux visages.
Je sçay bien qu'à Dangier n'en chault,
Et pense qu'il ait donné gaiges
Pour entretenir telz usaiges;
Mais l'ordonnance rompre fault,
Levez ces cueuvrechiefs plus hault.
CHANSONS, 59
CHANSON C.
Deux ou trois couples d'Ennuys
J'ay tousjours en ma maison ,
Desencombrer ne m'en puis,
Quoy qu'à mon povoir les fuis,
Par le conseil de Raison,
Deux ou trois couples d'Ennuys.
Je les chasse d'où je suis,
Mais en chascune saison ,
Hz rentrent par ung autre huis,
Deux ou trois couples d'Ennuys.
CHANSON CI.
Entre les amoureux fourrez ,
Non pas entre les decoppez ,
Suis, car le temps sans refroidy,
Et le cueur de moi l'est aussi.
Tel me véez, tel me prenez.
Jeunes gens qui Amours servez,
Pour Dieu de moy ne vous mocquez,
Il est ainsi que je vous dy.
Entre les amoureux fourrez ,
Non pas entre les decoppez.
Suis, car le temps sans refroidy.
Car, quant Amours servy aurez
Autant que j'ay, vous devendrez
Pareillement en mon party.
Et quant vous trouverez ainsy
Comme je suis, lors vous serez,
Entre les amoureux fourrez.
60 CHARLES d'or LÉ AN S.
CHANSON Cil.
Durant les trêves d'Angleterre
Qui ont esté faittes à Tours,
Par bon conseil, avec Amours
J'ai prins abstinence de guerre ;
S'autre que moy ne la desserre,
Content suis que tiengne tousjours,
Durant les trêves d'Angleterre
Qui ont esté faittes à Tours.
Il n'est pas bon de trop enquerre
Ne s'empeschier es faiz des cours ;
S'on m'assault, pour avoir secours;
Vers Nonchaloir iray grant erre,
Durant les trêves d'Angleterre.
CHANSON cm.
La veez vous là, la lyme sourde,
Qui pense plus qu'elle ne dit,
Souventeffoiz s'esbat et rit
A planter une gente bourde.
Contrefaisant la coquelourde,
Soubz un malicieux abit,
La veez vous là, la lyme sourde,
Qui pense plus qu'elle ne dit.
Quelle part que malice sourde,
Tost congnoist s'il y a prouffit.
Benoist en soit le saint Esprit
Qui de si finete me hourde;
La veez vous là, la lyme sourde.
CHANSONS. 61
CHANSON CIV.
Helas ! et qui ne l'aymeroit
De Bourbon le droit héritier,
Qui a l'estomac de papier
Et aura la goûte de droit !
Se Lymosin ne lui aidoit,
Il mourroit, tesmoing Villequier.
Helas ! et qui ne l'aymeroit
De Bourbon le droit héritier?
Jamais plus hault ne sailliroit,
S'elle lui monstroit ung dangier ;
Et pource, Fayete et Gouffier
Aidiez chascun en votre endroit;
Helas! et qui ne l'aymeroit !
CHANSON CV.
Dieu vous envoyé pascience,
Gentil conte Cleremontois,
Vous congnoissez, à ceste fois,
Qu'est d'amoureuse pénitence.
Puis qu'estes hors de la présence
De celle que bien je congnois,
Dieu vous envoyé pascience,-
Gentil conte Cleremontois.
Vouer vous povez aliance
A la riche, comme je croys ;
Ne vous trouverez de ce mois,
Las ! trop estes loing dalegance;
Dieu vous envoyé pascience.
02 CHARLES d'oRLKANS.
CHANSON CVI.
Sauves toutes bonnes raisons,
Mieulx vault mentir pour paix avoii
Qu'estre batu pour dire voir ;
Pource, mon cueur, ainsi faisons.
Riens ne perdons, se nous taisons,
Et se jouons au plus savoir,
Sauves toutes bonnes raisons,
Mieulx vault mentir pour paix avoir.
Parler boute feu en maisons
Et destruit paix, ce riche avoir.
On aprent à taire et à veoir,
Selon les temps et les saisons,
Sauves toutes bonnes raisons.
CHANSON CVII.
Il souffist bien que je le sache,
Sans en enquérir plus avant;
Car se tout aloye disant,
On vous pourroit bien dire : attache.
Nul de la langue ne m'arrache
Ce qu'en mon cœur je voys pensant ;
Il souffist bien que je le sache,
Sans en enquérir plus avant.
Ainsi qu'en blanc pert noire tache,
Vostre fait est si apparant
Que m'y treuve trop cognoissant ;
Qui est descouvert, mal se cache;
11 souffist bien que je le sache.
CHANSONS, 63
CHANSON CVIII.
Pense de toy
Dorénavant,
Du demourant
Te chaille poy.
Ce monde voy
En empirant.
Pense de toy
Dorénavant.
Regarde et oy,
Va peu parlant;
Dieu tout puissant
Fera de soy ;
Pense de toy.
CHANSON CIX.
Ce n'est riens qui ne puist estre,
On voit de plus grans merveilles
Que de baster aux corneilles
Les mariz, et l'erbe pestre.
Car de jouer tours de maistre,
Femmes sont les nompareilles ;
Ce n'est riens qui ne puist estre,
On voit de plus grans merveilles.
Tant aux huis, comme aux tcnestres,
En champs, jardins ou en trailles,
Par tout ont yeulx et oreilles,
Soit à dextre ou à senestre;
Ce n'est riens qui ne puist estre.
64 CHARLES d'or LÉ AN s.
CHANSON ex.
Or est de dire : laissez m'en paix.
Et tout plain : de rien ne m'est plus.
Mes propos sont en ce conclus
Qu'ainsy demourray désormais.
De s'entremettre de mes fais,
Je n'en requier nulles ne nuls,
Or est de dire : laissez m'en paix ;
Et tout plain : de rien ne m'est plus.
Fortune, par ses faulz atrais,
En pipant, a pris à la glus
Mon cueur, et en soussy reclus
Se tient, sans départir jamais.
Or est de dire : laissez m'en paix.
CHANSON CXI.
C'est grant paine que de vivre en ce monde,
Encore esse plus paine de mourir;
Si convient il, en vivant, mal souffrir,
Et au derrain, de mort passer la bonde.
S'aucune foiz joye ou plaisir abonde,
On ne les peut longuement retenir.
C'est grant paine que de vivre en ce monde.
Encore esse plus paine de mourir.
Pource, je vueil comme un fol qu'on me tonde
Se plus pense, quoy que voye avenir.
Qu'à vivre bien et bonne fin quérir ;
Las ! il n'est rien que Soussy ne confonde;
C'est grant paine que de vivre en ce monde.
CHANSONS. 65
CHANSON GXII.
En vivant en bonne espérance,
Sans avoir desplaisance, ou dueil,
Vous aurez brief, à votre vueii,
Nouvelle plaine de plaisance.
De guerre n'avons plus doubtance.
Mais tousjours gracieulx acueil,
En vivant en bonne espérance.
Sans avoir desplaisance, ou dueil.
Tous nouveaulx revendrons en France,
Et quant me reverrés à l'ueil,
Je suis tout autre que je sueil;
Au moins j'en fais la contenance,
En vivant en bonne espérance.
CHANSON CXIII.
Orléans à Sicile.
Vostre esclave et serf, où que soye,
Qui trop ne vous puis mercier.
Quant vous a pieu de m'envoyer
Le don qu'ay receu à grant joye!
Tel que dy et plus, se povoye,
Me trouvères, à l'essayer,
Vostre esclave et serf, où que soye,
Qui trop ne vous puis mercier.
Paine mettray que brief vous voye.
Et tost arez, sans délayer,
Chose qui est sus le mestier,
Qui vous plaira ; plus n'en diroye,
Vostre esclave et serf, où que soye.
CHARLES D'ORLÉANS. II. ' J
66 CHARLES d'oRLÉANS.
CHANSON^CXIV.
Tellement, qucllement,
Me faut le temps passer,
Et soucy amasser
Mainteffbiz, mallement.
Quant ne puis nullement
Ma fortune casser,
Tellement, quellement.
Me faut le temps passer.
J'iray tout bellement,
Pour paour de me lasser,
Et sans trop m'enlasser
Ou monde follement,
Tellement, quellement.
CHANSON CXV.
A tout bon compte revenir
Convendra, qui qu'en rie ou pleure;
Et ne scet on le jour, ne l'eure;
Souvent en devroit souvenir.
Prenez qu'on ait dueil ou plaisir.
En brief temps, ou longue demeure,
A tout bon compte revenir
Convendra, qui qu'en rie ou pleure.
Las ! on ne pense qu'à siiyr
Le monde qui toujours labeure ,
Et quant on cuide qu'il sequeure,
Au plus grant besoing vient faillir,
A tout bon compte revenir.
CHANSONS. <»7
CHANSON CXVI.
« Vous estes paie pour ce jour,
Puis qu'avez eu ung doulx regart. »
Devant ung ancien régna rt
Tost est apparceu ung tel tour.
Quant on a esté à séjour,
Ce sont les gaiges de musart :
« Vous estes paie pour ce jour,
Puis qu'avez eu ung doulx regart. »
Il souffist pour vostre labour,
Et s'après on vous sert de l'art.
Prenez en gré, maistre coquart;
Ce n'est qu'un restraintif d'amour :
« Vous estes paie pour ce jour. »
CHANSON CXVII.
Puis qu'estes en chaleur d'Amours,
Pour Dieu, laissez veoir vostre orine;
On vous trouvera medicine
Qui briefment vous fera secours.
Trop tost, oultre le commun cours,
Vous bat le cueur en la poictrine.
Puis qu'estes en chaleur d'Amours,
Pour Dieu, laissez veoir vostre orine.
La fièvre blanche ses séjours
A fait ; se voulez que termine
Et que plus ne vous soit voisine,
Repousez vous pour aucuns jours,
Puis qu'estes en chaleur d'Amours.
68 CHARLES d'ORLKANS.
CHANSON CXVIII.
Saint Valeiitin, quant vous venez
En Karesme au commancement,
Receu ne serez vrayement
Ainsi que acoustumé avez.
Soussy et Penance amenez.
Qui vous recevroit lyement,
Saint Valentin, quant vous venez
En Karesme au commancement .''
Une autreffoiz vous avancez
Plus tost, et alors toute gent
Vous recuilliront autrement;
Et pers à choisir amenez,
Saint Valentin, quant vous venez.
CHANSON CXIX.
Saint Valentin dit : Veez me çà.
Et apporte pers à choisir ;
Viengne qui y devra venir,
C'est la coustume de pieçà.
Quant le jour des Cendres « hola »
Respond, auquel doit on faillir?
Saint Valentin dit : Veez me çà,
Et apporte pers à choisir.
Au fort, au matin convendra
En devocion se tenir.
Et après disner à loisir
Choississe qui choisir vouldra,
Saint Valentin dit :Veez me çà.
CHANSONS. 69
CHANSON CXX.
Satis^ satis, plus quatn satis,
N'en avez vous pas encore assez ?
Par Dieu, vous en serez lassez
Des folies quas amatis.
Cum sensibus ebetatis,
Sottes gens, vous les amassez.
Satis, satis, plus quam satis,
N'en avez vous encore assez?
Et pource, si me credatis,
Oubliez tous les temps passez
Et voz meschans pensers cassez,
Dolendo de perpetratis :
Satis, satis, plus quam satis.
CHANSON CXXI.
Non temptabis^ tien te coy,
Regard plain d'atrayement,
Vade rétro tellement
Que point n'aproches de moy.
Probavi te, sur ma foy,
Je crains ton assotement,
Non temptabis, tien te coy,
Regard plain d'atrayement.
Ecce la raison pourquoy :
Tu resveilles trop souvent
Corda; bien congnois comment
Presches l'amoureuse loy,
Non temptabis, tien te coy.
yO CHARLES D ORLÉANS.
CHANSON CXXII.
Gardez vous de merf^o^
Trompeurs faulx et rusez,
Qui les gens abusez
Mainteftoiz a tergo.
En tous lieux où pergo,
Fort estes accusez.
Gardez vous de mer go
Trompeurs faulx et rusez.
Mercy dit : abstergo
Les faultes dont usez,
Mais que les refusez;
Avisez vous ergo^
Gardez vous de mergo.
CHANSON CXXIIl
Quant n'ont assez fait dodo
Ces petitz enfanchonnés
Hz portent soubz leurs bonnes
Visages plains de bobo.
C'est pitié s'ilz font jojo
Trop matin, ies doulcinés,
Quant n'ont assez fait dodo
Ces petitz enfanchonnés.
Mieux amassent à gogo
Gesir sur molz coissinés,
Car ilz sont tant poupines !
Helas ! c'est gnogno, gnogno
Quant n'ont assez fait dodo.
CHANSONS.
CHANSON CXXIV.
Mon cueur plus ne volera,
Il est enchaperonné,
Nonchaloir l'a ordonné,
Qui jà pieçà le m'osta.
Confort depuis ne lui a
Cure, n'atirer donné.
Mon cueur plus ne volera,
Il est enchaperonné.
Se sa gorge gettera,
Je ne sçay, car gouverné
Ne l'ay, mais abandonné;
Soit com avenir pourra,
Mon cueur plus ne volera.
CHANSON CXXV.
Chascun dit qu'estes bonne et belle,
Mais mon ueil jugier ne saura,
Car Lignage m'avuglera,
Qui maintendra vostre querelle.
Quant on parle de damoiselle.
Qui à largesse de biens a,
Chascun dit qu'estes bonne et belle,
Mais mon ueil jugier ne saura.
A nostre assemblée nouvelle,
Verray ce qu'il m'en semblera ;
Et, s'ainsi est, bien me plaira ;
Or, prenons que vous soyez telle,
Chascun dit qu'estes bonne et belle,
7ï
72 CHARLES D ORLEANS.
CHANSON CXXVI.
Et eussiez vous Dangier, cent yeulx
Assis et derrière et devant
Jà n'yrez si près regardant
Que vostre propos en soit mieulx.
Estre ne povez en tous lieux,
Vous prenez peine pour néant,
Et eussiez vous, Dangier, cent yeulx
Assis et derrière et devant.
Les faiz des amoureux sont tieux
Tousjours vont en assoubtivant ;
Jamais ne saurez faire tant
Qu'ilz ne vous trompent, se m'aist Dieux,
Et eussiez vous, Dangier, cent yeulx.
CHANSON GXXVII.
Patron vous fais de ma galée
Toute chargée de Pensée,
Confort, en qui j'ay ma fiance;
Droit ou pais de Desirance
Briefment puissiez faire arriver.
Affin que, par vous, soit gardée
De la tempeste fortunée
Qui vient du vent de Desplaisance,
Patron vous fais de ma galée
Toute chargée de Pensée,
Confort, en qui j'ay ma fiance.
Au port de Bonne Destinée
Deschargez tost, sans demourée,
La marchandise d'Espérance ;
Et m'aportez quelque finance.
Pour paier ma joye empruntée,
Patron vous fais de ma galée.
CAROLES.
CAROLE I.
Las! Merencolie,
Me tendres vous longuement
Es maulx dont j'ay plus de cent.
Sans pensée lie
Je l'ay souffert main et soir,
Loingtain de joyeulx confort.
Mais nul bien n'en puis avoir
Dont mon cueur est près que mort.
Au moins, je vous en prie
Que me laissiez seulement
Aucun peu d'alegement
Sans m'oster la vie,
Las! Merencolie.
Espérance d'avoir mieulx
Dist qu'elle me veult aidier.
Mais toujours maugracieux
Je trouvé le faulx Dangier
Qui tant me guerrie.
Si, vous requier humblement
Qu'en ce douloureux tourment
Ne me laissiez mie,
Las! Merencolie
74 CHARLES D ORLEANS.
CAROLE II.
Avancez vous, Espérance
Venez mon cueur conforter
Car il ne peut plus porter
Sa tresgreveuse penance.
Pieça, Joyeuse Pensée
S'esbatoit avecques lui,
Mais elle s'en est alée,
Tant a pourchassé Ennuy.
Se vous n'avez la puissance
De tout son mal lui oster
Plaise vous à alegier
Au moins un peu sa grevance,
Avancez vous. Espérance.
Vous lui avez fait promesse
De le venir secourir,
Et de lui toUir tristesse.
Mais trop le faittes languir.
Ayez de lui souvenance
Et le venez deslogier
De la prison de Dangier
Où il meurt en desplaisance;
Avancez vo^.ls, Espérance.
CAROLE III.
N'avez vous point mis en oubly?
Par Dieu, je doubte fort, oy.
Ma seule maistresse et ma joye ;
Non pour tant, quelque part que soye,
Je m'attens à vostre mercy.
CAROLES. 75
Espoir m'a dit que Léauté
Vous fera souvenir de moy
Car vostre bonne voulenté
Ne peult faillir, comme je croy.
Quant est à moy, je vous supply
Pensez que l'anvDureux party
Que j'ay prins changier ne pourroye.
Certes avant mourir vouldroye.
Je vous promets qu'il est ainsi,
N'avez vous point mis en oubly?
Amour a tort, se m'est advis,
Qu'il ne fait aux dames sentir
Les maulx 011 leurs servans sont mis
Pour les tresléaument servir.
Pour vous ma Dame, je le dy,
Car se vous saviez le soussy
Qu'Amours, pour vous servir, m'envoye,
Vous diriez bien que j'auroye
De droit, gangnié le don d'amy.
N'avez vous point mis en oubly ?
RONDEAUX.
RONDEAU I,
Puisqu'Amour veult que banny soye
De son hostel, sans revenir,v(^
Je voy bien qu'il m'en fault partir,
Effacé du livre de Joye.
Plus demeurer je n'y pourroye,
Car pas ne doy ce mois servir ,
Puisqu'Amour veult que banny soye '<■
De son hostel, sans revenir.^
De Confort ay perdu la voye,
Et ne me veult on plus ouvrir
La barrière de Doulx Plaisir,
Par Desespoir qui me guerroyé
Puis qu'Amour veult que banny soye. '
RONDEAU II.
Pour le don que vous m'avez donné,
Dont tresgrant gré vous doy savoir,
J'ay congneu vostre bon vouloir,
78 CHARLES d'oRLÉANS,
Qui VOUS sera bien guerdonné.
Raison l'a ainsi ordonné :
Bien fait doit plaisir recevoir
Pour le don que vous m'avez donné,
Dont tresgrant gré vous doy savoir.
Mon cueur se tient emprisonné
Et obligé, pour dire voir,
Jusqu'à tant qu'ait fait son devoir
Vers vous, et se soit raençonné
Pour le don que vous m'avez donné.
RONDEAU III.
Se mon propos vient à contraire,
Certes, je l'ay bien desservy,
Car je congnois que j'ay failly
Envers ce que devoye plaire.
Mais j'espoire que débonnaire
Trouveray sa grâce et mercy ;
Se mon propos vient à contraire,
Certes, je l'ay bien desservy.
Je vueil endurer et me taire,
Quant cause sui de mon soucy ;
Las ! je me sens en tel party
Que je ne sçay que pourray faire
Se mon propos vient à contraire.
RONDEAU IV.
Par le pourchas du regard de mes yeulx,
En vous servant, ma tresbelle maistresse,
J'ay essayé qu'est plaisir et tristesse,
RONDEAUX. 79
Dont i'ay trouvé maint penser ennuyeux.
Mais de cellui que j'amoye le mieulx,
N'ay peu avoir qu'à petite largesse.
Par le pourchas du regard de mes yeulx,
En vous servant, ma tresbelle maistresse.
Car pour un jour qui m'a esté joyeux,
J'ay eu trois moys la fièvre de Destresse;
Mais Bon Espoir m'a guery de liesse
Qui m'a promis de ses biens gracieux,
Par le pourchas du regard de mes yculx.
RONDEAU V.
Prenez tost ce baisier, mon cueur,
Que ma maistresse vous présente,
La belle, bonne, jeune et gente,
Par sa tresgrant grâce et doulceur.
Bon guetferay, sus mon honneur,
Affin que Dangier rien n'en sente.
Prenez tost ce baisier, mon cueur
Que ma maistresse vous présente.
Dangier toute nuit en labeur
A fait guet, or gist en sa tente ;
Acomplissez brief vostre entente,
Prenez tost ce baisier, mon cueur.
RO?^DEAU VI.
De vostre beauté regarder,
Ma tresbelle, gente maistresse,
Ce m'est certes tant de lyesse
Que ne le sauriès penser.
80 CHARLES d'oKLÉANS.
Je ne m'en pourroye lasser,
Car j'oublie toute tristesse
De vostre beauté regarder
Ma tresbelle, gente maistresse.
Mais, pour mesdisans destourber
De parler sus vostre jeunesse,
Il fault que souvent m'en délaisse,
Combien que ne m'en puis garder
De vostre beauté regarder.
RONDEAU VIL
Et ne cesserez vous jamais?
Tousjours est à recommencer ;
C'est folie d'y plus penser,
Ne s'en soucier désormais.
Plus avant j'en diroye, mais
Rien n'y vault flatter ne tanser;
Et ne cesserez vous jamais?
Tousjours est à recommencer.
Passez a plusieurs moys des Mays
Qu'Amours vous vouldrent avanser ]
Mal les voulez recompenser,
En servant de tels entremais ;
Et ne cesserez vous jamais ?
RONDEAU VIII.
Orléans à Nevers.
Pour paier vostre belle chiere,
Laissez en gage vostre cueur,
RONDEAUX. 8j
Nous le garderons en doulceur
Tant que vous retournez en arrière.
Contentez, car c'est la manière
Vostre hostesse pour vostre honneur,
Pour paier vostre belle chiere,
Laissez en gage vostre cueur.
Et se voiez nostre prière
Estre trop plaine de rigueur
Changeons de cueur, c'est le meilleur,
De voulenté bonne et entière,
Pour paier vostre belle chiere.
RONDEAU.
Réponse de Nevers.
Mon tresbon hoste et ma tresdoulce hostesse,
Treshumblement et plus vous remercie
Des biens, honneurs, bonté et courtoisie,
Que m' ave^ fais tous deux, par vostre humblesse.
Aussi fay je de vostre grant largesse
Et tressoingneuse et bonne compagnie,
Mon tresbon hoste et ma tresdoulce hostesse,
Treshumblement et plus vous remercie.
Mon pauvre cueur pour paiement vous laisse,
Prene\ en gré, et je vous en supplie,
Enoultre plus, tant que je puis vous prie
Que m'ottroye^ estre maistre et maistresse,
Mon tresbon hoste et ma tresdoulce hostesse.
CHARLIS D'ORLÉANS. H.
82 CHARLES d'oRLÉANS.
RONDEAU IX.
Qu'ilz ne le me font,
Pour veoir que fcroye
Et se je sauroye
Leur donner le lient !
Puisque telz ilz sont,
Affin qu'on les voye,
Qu'ilz ne le me font
Pour veoir que feroye !
Droit à droit rcspont,
Paier les vouldroye
De telle monnoye
Qu'ilz desserviront ;
Qu'ilz ne le me font !
RONDEAU X.
A ce jour de saint Valentin
Que chascun doit choisir son per,
Amours, demourray je non per.
Sans partir à vostre butin ?
A mon resveillier au matin
Je n'y ay cessé de penser,
A ce jour de saint Valentin
Que chascun doit choisir son per.
Mais Nonchaloir, mon medicin,
M'est venu le pousse taster,
Qui m'a conseillié reposer
Et rendormir sur mon coussin,
A ce jour de saint Valentin.
RONDEAUX.
RONDEAU XI.
83
J'ay esté Poursuivant d'Amours,
Mais maintenant je suis Hérault ;
Monter me fault en l'eschaffault,
Pour jugier des amoureux tours.
Quant je verray riens à rebours
Dieu scet se je crieray bien hault :
J'ay esté Poursuivant d'Amours,
Mais maintenant je suis Hérault
Et s'amans vont faisant les lours,
Tantost congnoistray leur defFault ;
Ja devant moy clochier ne fault,
D'amer sçay par cueur le droit cours^
J'ay esté Poursuivant d'Amours.
RONDEAU XII.
Soubz parler couvert
D'estrange devise
Montrez qu'avez prise
Douleur ; il y pert.
Du tout en désert
N'est pas vostre emprise,
Soubz parler couvert
D'estrange devise.
Se Confort ouvert
N'est à vostre guise,
Tost, s'Amour s'avise.
Sera recouvert
Soubz parler couvert.
^4 CHARLES d'oKLÉANS.
RONDEAU XIII.
Laissiez aler ces gorgias,
Chascun yvcr, à la pippée ;
Vous verrez comme la gelée
Reverdira leurs estomas.
Dieu scet s'ilz auront froit aux bras,
Par leur manche deschiquetée,
Laissez aler ces gorgias,
Chascun yver, à la pippée.
Hz portent petiz soulers gras ,
A une poulaine embourrée ,
Froidure fera son entrée
Par leurs talons nuz par embas ;
Laissez aler ces gorgias.
RONDEAU XIV.
Les en voulez vous garder
Ces rivières de courir
Et grues prendre et tenir
Quant hault les véez voler !
A telles choses muser
Voit on tolz souvent servir.
Les en voulez vous garder
Ces rivières de courir !
Laissez le temps tel passer
Que Fortune veult souffrir,
Et les choses avenir
Que l'en ne scet destourber,
Les en voulez vous garder!
RONDEAUX. 85
RONDEAU XV.
Au roi de Sicile.
Veu que j'ay tant Amour servy,
Ne suis je pas mal guerdonné?
Du plaisir qu'il m'avoit donné ,
Sans cause m'a tost desservy.
Mon cueur loyaument son serf vy,
Mais a tort l'a habandonné ;
Veu que j'ay tant Amour servy
Ne suis je pas mal guerdonné!
Plus ne lui sera asservy ;
Pour Dieu, qu'il me soit pardonné ,
Je crois que suis à ce don né
D'avoir mal pour bien desservy,
Veu que j'ay tant Amour servy,
RONDEAU.
Réponse par le roi de Sicile.
Pour tant se vous plaigne:^ d' Amours ,
Il n'est pas temps de vous retraire;
Car encore il vous pourra faire
Tel bien que perdrej vos dolours.
Vous congnoisse^ asse:^ ses tours.
Je ne dy pas pour vous desplaire ,
Pour tant se vous plaigne:^ d'Amours
Il n'est pas temps de vous retraire :
Ajye^ fiance en lui tousjours
Et mette:^ paine de lui plaire
86 CHARLES d'orléans.
Combien que ynieulx me vaulsit taire ,
Car vous pense:^ tout le rebours
Pour tant se vous plaigne:^ d'Amours.
RONDEAU.
Du roi de Sicile.
Se vous estie:^ comme moi,
Las { vous devriej bien plaindre
Car de tous mes maulx le moindre
Est plus grant que vostre ennoy.
Bien vous pourrie^, ur mafoy
D'Amours alors vous couiplaindre.
Se vous estie^ comme moy,
Las! vous devrie:^ bien plaindre.
Car si tresdolent me voy ,
Que plus la mort ne vueil craindre ;
Touteffoi^ , il me faut faindre ;
Aussi ferie^ vous, se crqj-.
Se vous estie:; comme moy.
RONDEAU XVI.
Réponse au roi de Sicile.
Chascune vieille son dueil plaint ;
Vous cuidez que vostre mal passe
Tout autre; mais ja ne parlasse
Du mien, se n'y feusse contraint.
Saichiez de voir qu'il n'est pas faint
Le tourment que mon cueur enlassc ;
RONDEAUX. 87
Chascune vieille son dueil plaint,
Vous cuidez que vostre mal passe.
Ma peine pers comme fait maint
Et contre Fortune je chasse ;
Desespoir de pis me menasse,
Je sens où mon pourpoint m'estraint,
Chascune vieille son dueil plaint.
RONDEAU.
Par le roi de Sicile.
Bien deffendu, bien assailly,
Chascun dit qu'il a grant dolours,
Mais , au fort, je veiiil croire Amours
Par qui le débat est sailly,
Affin que qui aurafailly,
N'axe jamais de lui secours
Bien deffendu, bien assailly
Chascun dit qu'il a grant dolours.
Carsej'ay en riens deffailly
De compter mon mal puis deux jours,
Banny veuil estre de ses cours
Com un homme lasche et failly;
Bien deffendu, bien assailly.
RONDEAU XVIi.
Réponse par le duc d'Orléans.
Bien assailly, bien deffendu,
Quant assez aurons débattu,
88 CHARLES d'oRLÉANS.
Il faut assembler noz raisons,
Et que les fons voler faisons
Du débat nouvel advenu,
Tresfort vous avez combattu.
Et j'ay mon billart bien tenu ;
C'est beau débat que de deux bons;
Bien assailly, bien defll'endu;
Quant assez aurons débattu,
Il faut assembler nos raisons.
Vray est qu'estes d'Amour féru
Et en ses fers estroit tenu,
Mais moy non, ainsi l'entendons j
Il a passé maintes saisons
Que me suis aux armes rendu
Bien assailly, bien deflfendu.
RONDEAU XVIII.
Vous vistes que le véoye.
Ce que je vueil descouvrir,
Et congnustes, à l'ueil ouvrir,
Plus avant que je ne vouloye.
L'ueil d'embusche saillit en voye,
De soy retraire n'eut loisir.
Vous vistes que je le véoye.
Ce que je vueil descouvrir.
Trop est saige qui ne foloye.
Quant on est es mains de Plaisir,
Qui lors vint vostre cueur saisir
Et fist comme pieça souloyej
Vous vistes que je le véoye.
RONDEAUX. 89
RONDEAU.
Par Fredet.
Jusques Pasques soient passées,
Donne^ trieves à mes pensées ,
Je vous pri tant que puis, Amours;
Car c'est bien droit qu'à ces bons jours
En paix de vous soient lessées.
Asse:^ vo^ gens les ont lassées
Et, pour ceste foij couroussées ;
Alle^ ailleurs faire vos tours;
Jusques Pasques soient passées,
Donne^ trieves à mes pensées,
Je vous pri tant que puis, Amoiirs.
Pour plus donc n'estre d'eulx pressées.
Qui tant les ont fort menassées ,
Faittes les crier par vos cours^
Et leur deffende^ bien tousjours
Que par eulx ne soient cassées,
Jusques Pasques soient passées.
RONDEAU XIX.
Réponse par le duc d'Orléans.
Tant que Pasques soient passées ,
Sans resveiller le chat qui dort,
Fredet je suis de votre accort
Que pensées soient cassées;
Et enaumaires entassées
Fermans à clef tresbien et fort,
90 CHARLES D ORLEANS.
Tant que Pasques soient passées
Sans resveillcrle chat qui dort.
Quant aux miennes, elz sont lassées,
Mais de les garder mon effort
Feray, par l'avis de Confort ,
En fardeaulx d'espoir amassées
Tant que Pasques soient passées.
RONDEAU XX.
Beauté, gardez vous de mes yeulx.
Car ilz vous viennent assaillir ;
S'ilz vous povoient conquérir,
Hz ne demanderoyent mieulx.
Vous estes seule soubz les cieulx
Le trésor de parfait plaisir,
Beauté, gardez vous de mes yeulx
Car ilz vous viennent assaillir.
Congneus les ay jeunes et vieulx
Qu'il ne leur chauldroit de morir,
Mais qu'eussent de vous leur désir;
Je vous avise qu'ilz sont tieulx,
Beauté, gardez vous de mes yeulx.
RONDEAU XXI.
Bien viengne doulx regart qui rit ,
Quelque bonne nouvelle porte,
Dont Dangier fort se desconforte
Et de courroux en douleur frit.
Ne peut chaloir de son dépit
Ne de ceulx qui sont de sa sorte;
RONDEAUX. 91
Bien viengne doulx regart qui rit ,
Quelque bonne nouvelle porte.
Dangier dist : baille par escript,
Et qu'il n'entre point en la porte.
Mais Amour comme la plus forte,
Veult qu'il entre sans contredit ,
Bien viengne doulx regart qui rit.
RONDEAU XXII.
En la promesse d'Espérance
Où i'ay tant perdu et usé,
J'ay souvent conseil reffusé ,
Qui me povoit donner Plaisance.
Las! ne suis le premier de France
Qui sottement s'est abusé
En la promesse d'Espérance
Où j'ay tant perdu et usé.
Et de ma nysse gouvernance
Devant Raison j'ay accusé
Mon cueur, mais il s'est excusé
Disant que deceu l'a Fiance
En la promesse d'Espérance.
RONDEAU XXIII.
Mon cueur, il me fault estre mestre
A ma foiz, aussi bien que vous
N'en ayez ennuy ou courroux ;
Certes il convient ainsi estre,
Trop longuement m'avez fait pestre
Et tousjours tenir au dessoue,
92 CHARLES D ORLEANS.
Mon cueur, il me fault eitre mestre
A ma foiz, aussi bien que vous.
Allez à dextre ou à senestre,
Pris serez, sans estre rescous,
Passer vous fault, mon amy doulx,
Ou par là, ou par la fenestre,
Mon cueur, il me fault estre mestre.
RONDEAU XXIV.
Mes yeulx trop sont bien reclamés
Quant ma Dame si les appelle,
Leur monstrant sa grant beauté belle,
Hz reviennent comme affamez.
Maugré mesdisans peu amez
Et Dangier qui tient leur querelle.
Mes yeulx trop sont bien reclamés
Quant ma Dame si les appelle.
Estre devroient diffamez
S'ilz ne voloyent de bonne elle
Vers les grans biens qui sont en elle ,
Mes yeulx trop sont bien reclamés.
RONDEAU XXV.
Retraiez vous, regart mal avisé,
Vous cuidez bien que nuUuy ne vous voye;
Certes Aguet par tous lieux vous convoyé
Privéement, en habit déguisé.
De gens saichans en estes moins prisé
D'ainsi tousjours trotter par my la voye ;
Retraiez vous, regart mal avisé,
RONDEAUX. aS
Vous cuidez bien que nulluy ne vous voye.
Dangier avez contre vous atisé ,
Quant Sot Maintien tellement vous forvoye ;
Au derrenier, faudra qu'il y pour\ oye ;
Il est ainsi que je l'ay devisé;
Retraiez vous, regart mal avisé.
RONDEAU XXVI.
Regart, vous prenez trop de paine
Tousjours coures et raccourés,
Il semble qu'aux barres jouez ;
Reprenez ung peu vostre alaine.
Cueurs qu'Amour tient en son demaine
Guident qu'assaillir les voulez;
Regart, vous prenez trop de paine
Tousjours coures et raccourés.
Amours, une foiz la sepmaine
C'est raison que vous reposez ,
Et affin que ne morfondez
Il faudra que l'en vous pourmaine ,
Regart, vous prenez trop de paine.
RONDEAU XXVII.
Le voulez vous
Que vostre soye ?
Rendu m'octroye
Pris ou recous.
Ung mot pour tous,
Bas qu'on ne loye :
Le voulez vous
94 CHARLES D ORLEANS.
Que vostre soye.
Maugré jalous ,
Foy vous tendroye;
Or si\, ma joye,
Accordons nous,
Le voulez vous?
RONDEAU XXVIII.
Crevez moy les yeulx
Que ne voye goutte,
Car trop je redoutte
Beaulté en tous lieux.
Ravir jusqu'aux cieulx
Veult ma joye toute ;
Crevez moy les yeulx
Que ne voye goutte.
D'elle me gard Dieux,
Affin qu'en sa route
Jamais ne me boute;
N'esse pour le mieulx?
Crevez moy les yeux.
Quant je la regarde,
Elle vient ferir
Mon cueur, de la darde
D'amoureux désir;
Crevez moy les yeulx.
RONDEAU XXIX.
Jeunes amoureux nouveaulx,
En la nouvelle saison.
RONDEAUX. 95
Par les rues, sans raison,
Chevauchent faisans les saulx.
Et font saillir des carreaulx
Le feu , comme de charbon,
Jeunes amoureux nouveaulx,
En la nouvelle saison.
Je ne sçay se leurs travaulx
Hz employent bien ou non;
Mais piqués de l'esperon
Sont autant que leurs chevaulx,
Jeunes amoureux nouveaulx.
RONDEAU XXX.
Gardez le trait de la fenestre.
Amans, qui par rues passez,
Car plus tost en serez blessez
Que de trait d'arc ou d'arbalestre.
. N'alez à destre ne à senestre ,
y Regardant, mais les yeulx bessez;
Gardez le trait de la fenestre,
Amans, qui par rues passez.
Se n'avez medicin bon maistre,
Si tost que vous serez navrez
A Dieu soiez recommandez,
Mort vous tiens, demandez leprestre,
Gardez le trait de la fenestre
RONDEAU XXXI.
En gibessant toute l'après disnée
Par my les champs pour me desanuyer
gÔ CHARLES d'ORLÉANS.
N'a pas long temps que faisoye, l'autr'ier,
Voler mon cueur après mainte Pensée.
L.'aquilote, Souvenance nommée,
Sourdoit déduit et savoit remerchier,
En gibessant toute l'après disnée
Par my les champs pour me desanuyer.
Gibessiere de Passe Temps ouvrée,
Emply toute d'assez plaisant gibier ;
Et puis je peu mon cueur, au derrenier,
Sur ung faisant d'Espérance Celée,
En gibessant toute l'après disnée.
RONDEAU XXXII.
Que faut il plus à ung cueur amoureux,
Quant assiégé l'a Dangier, de Tristesse,
Qu'avitailler tantost sa forteresse
D'assez vivres de Bon Espoir eureux ?
Cappitaine face Désir Songneux
Qui, nuyt et jour, fera guet sans peresse;
Que faut il plus à ung cueur Amoureux
Quant assiégé l'a Dangier de tristesse.
Artillié soit d'Avis Avantureux,
Coulevrines et canons à largesse,
Prez, assortiz et chargiez de Sagesse,
Es boulevers et lieux avantageux ;
Que faut il plus à ung cueur amoureux !
RONDEAU XXXIII.
Des maleureux porte le pris.
Servant Dame loyalle et belle,
RONDEAUX. 97
Qui, pour mourir en la querelle,
N'achevé ce qu'a entrepris.
Diffamé de droit et repris
Par devant dame et damoiselle,
Des maleureux porte le pris,
Servant Dame loyalle et belle.
Pour quoy est d'amer si espris
Quant congnoist que son cueur chancelle!
En soy donnant repreuve telle
Où a il se mestier apris !
Des maleureux porte le prix.
RONDEAU XXXIV.
En amer n'a que martire,
Nully ne le devroit dire
Mieulx que moy ;
J'en sauroye, sur ma foy,
De ma main un livre escripre,
Où amans pourroient lire,
Des yeulx larmoyans sans rire,
Je m'en croy;
En amer n'a que martire,
Nully ne le devroit dire
Mieulx que moy.
Des maulx qu'on y peut eslire
Celluy qui est le mains pire,
C'est Anoy
Qui n'est jamais apart soy;
Plus n'en dy, bien doit souffire ;
En amer n'a que martire.
CHARLES D'ORLÉANS. 11.
98 CHARLES d'oULÉANS.
RONDEAU XXXV.
Me fauldrez vous h mon besoing,
Mon reconfort et ma liance?
M'avez vous mis en oubliance
Pour tant se de vous je suis loing ?
N'avez vous pitié de mon soing !
Sans vous, savez que n'ay puissance.
Me fauldrez vous à mon besoing,
Mon reconfort et ma fiance ?
On feroit des larmes un baing,
Qu'ay pleurées de desplaisance ;
Et crie, par désespérance,
Ferant ma poictrine du poing :
Me fauldrez a-qus ù mon besoing!
RONDEAU XXXVI.
Cueur endormy en pensée.
En transes, moitié veillant,
S'on lui va riens demandant,
Il respont à la volée.
Et parle de voix cassée
Sans propos ne tant ne quant,
Cueur endormy en pensée,
En transes, moitié veillant.
Tout met en galimafrée,
Lombart, Anglois, Alemant,
François, Picart et Normant;
C'est une chose faée,
Cueur endormy en pensée.
RONDEAUX. 99
RONDEAU XXXVII.
A trompeur, trompeur et demy;
Tel qu'on semé, convient cueillir;
Se mestier voy partout courir,
Chascun y joue et moi aussi.
Dy je bien de ce que je dy?
De tel pain souppe fault servir,
A trompeur, trompeur et demy,
Tel qu'on sème convient cueillir.
Et qui n'a pas langaige en luy.
Pour parler selon son désir,
Ung truchement lui fault quérir ;
Ainsi, ou par là, ou par cy,
A trompeur, trompeur et demy.
RONDEAU XXXVIII.
Baillez lui la massue
A cellui qui cuide estre
Plus subtil que son maistre,
Et sans raison l'argue.
Ou sera beste mue
Quant on l'envoyera pestre ;
Baillez lui la massue
A cellui qui cuide estre.
Quoy qu'il regibe, ou rue,
Si sault par la fenestre,
Comme s' 1 vint de nestre !
Sera chose c-perdue ;
Baillez lui la massue.
JOO CHARLES d'orLÉANS.
RONDEAU XXXIX.
Il vit en bonne espérance,
Puis qu'il est vestu de gris,
Qu'il aura, à son advis.
Encore sa desirance.
Combien qu'il soit hors de France,
Par deçà le mont Senis,
Il vit en bonne espérance,
Puis qu'il est vestu de gris.
Perdu a sa contenance
El tous ses jeux et ses ris,
Gaigner lui fault Paradis
Par force de paciance,
Il vit en bonne espérance.
RONDEAU XL.
Ubi supra
N'en parlons plus
Des tours cornulz
Et cœtera.
Non est cura
De telz abus,
Ubi supra
N'en parlons plus
Mala jura
Sont suspendus
Ou deffenj'js,
Et reliqua,
Ubi supra.
RONDEAUX. lOI
RONDEAU XLl.
Noli me tangere^
Faulte de serviteurs,
Car Bonté de seigneurs
Ne les scet/rangere.
Il vous fault regere.
En craintes et rigueurs,
Noli me tangere,
Faulte de serviteurs.
De hault erigere
Trop tost en grans faveurs.
Ce ne sont que foleurs ;
Bien m'en y^ux'-, plan gère \
Noli me tangere.
RONDEAU XLII.
Maistre Estienne Le Goût, nominatif,
Nouvellement, par manière optative,
Si a voulu faire copulative;
Mais failli a en son cas génitif.
Il avait mis six ducatz en datif,
Pour mieulx avoir s'amie vocative,
Maistre Estienne Le Goût, nominatif
Nouvellement, par manière optative.
Quant rencontré a un accusatif
Qui sa robbe lui a fait ablative;
De fenestre assez superlative
A fait ung sault portant coups en passif,
Maistre Estienne Le Goût, nominatif i
CHAULES d'oRI.KANS.
RONDEAU.
Réponse de maitre Estienne Le Goût.
Mon seigneur tressupellatif,
Pour respondre au narratif
De vostre briefve expositive ,
Elle fut premier vocative.
Par le moyen du génitif.
Les six ducat^ sont nombratif.
Mais quant au fait du possessif
La chose est un peu neutrative,
Mon seigneur tressupellatif,
Pour respondre au narratif
De votre briefve expositive
Et, quant au dangier du passif,
J'ai saufconduit prerogatif.
Par quoy mettray paine soubtive
D'accorder, sus la négative,
L'adjectif et le substantif.
Mon seigneur tressupellatif.
RONDEAU XLIII.
Près là, briquet aux pendantes oreilles,
Tu scez que c'est de déduit de gibier,
Au derrenier tu auras ton loyer,
Et puis seras viande pour corneilles.
Tu ne fais pas miracles mais merveilles
Et as aide pour te bien enseigner ;
RONDEAUX lo3
Près là, briquet aux pendantes oreilles,
Tu scez que c'est de déduit de gibier.
A toute heure dili,t;emment traveilles,
Et en chasse vaulx autant qu'un limier,
Tu amaines, au tiltre de lévrier,
Toutes bestes, et noires et vermeilles,
Près là, briquet, aux pendantes oreilles.
RONDEAU XLIV.
Or s'y joue qui vouldra.
Qui me change, je le change ;
Nul ne le tiengne chose estrange
D'avoir selon qu'il fera !
Quant par sa faulte fera,
Gré ne dessert, ne louange,
Or s'y joue qui vouldra.
Qui me change, je le change.
Puisque advisé on l'en a
Et à raison ne se range,
S'après elle se revange.
Le tort à qui demourra?
Or s'y joue qui vouldra.
RONDEAU XLV.
Orléans à Alencon.
En la vigne jusqu'au pcschier
Estes boule, mon hlz treschier.
I04 CHARLES D'ORLÉANS.
Dont, par ma foy, suis tresjoyeulx
Quant de rimer vous voy songneux
Et vous en voulez empeschier.
Soit au lever, ou au couchier,
Ou quant vous devez chevauchier,
Estalez vous y pour le miculx;
En la vigne jusqu'au peschier
Estes bouté, mon filz treschier,
Dont, par ma foy, suis tresjoyeulx.
Se Desplaisir vous vient scrchier,
Près de lui tost vous despeschier,
Sans estre merencolieux,
Grant bien vous fera, se m'aid Dieux,
En la vigne jusqu'au peschier.
RONDEAU.
Réponse d'Aleiiçon.
Le vigneron fut atrapé,
Quant il fut trouvé en la vigne.
Trop mieulx que poisson à la ligne,
Ne que rat au lardon liapé.
D'un trait d'ueil fut prins et f râpé
Par celle qui pas ne for ligne,
Le vigneron fut atrapé
Quant il fut trouvé en la vigne.
A peine lui fut escimppé
Le povre compaignon qui pigne ;
Tresnial pigné des dents d' nu pigne ;
Ainsi sur prins et agrapé
Le vigneron fust atrapé.
RONDEAUX I05
RONDEAU XLVI.
Quant je fus prins ou pavillon
De ma dame tresgente et belle,
Je me brulay à la chandelle,
Ainsi que fait le papillon :
Je rougiz comme vermeillon,
Aussi flambant qu'une estincelle,
Quant je fus prins ou pavillon.
De ma Dame tresgente et belle.
Si j'eusse esté esmerillon
Ou que j'eusse eu aussi bonne aile,
Je me le-isse gardé de celle
Qui me bailla de l'aigLullon
Quant je fus prins ou pavillon.
RONDEAU XLVII.
Encore lui fait il grant bien
De veoir celle qu'a tant amée,
A celui qui cueur et pensée
Avoit en elle, comme sien.
Combien qu'il n'y aye plus rien
Et qu'autre la lui ait ostée,
Encore lui fait il grant bien
De veoir celle qu'a tant amée.
En regardant son doulx maintien
Et son fait qui moult lui agrée,
S'il la peut tenir embrassée,
Il pense que une foiz fust sien J
Encore lui fait il grant bien.
I06 CHARLES d'oRI.KANS
RONDEAU XLVIII.
Avugle et assourdy
De tous poins en nonchaloir,
Je ne puis ouir, ne venir
Chose dont soye esjouy.
Soit desplaisant ou marry,
Tout m'est ung, pour dire veoir,
Avugle et assourdy,
De tous poins en nonchaloir.
Es escoUes fu nourry
D'Amours, pensant mieux valoir:
Quant plus y cuiday savoir,
Plus m'y trouvay rassoty,
Avugle et assourdy.
RONDEAU XLIX.
Prociil à uobîs
Soient ces trompeurs,
Dxntur aux flateurs
Verba pro ver bis,
Siciit pax vobis ;
Et tendent ailleurs.
Prociil à nobis
Soient ces trompeurs.
Non seiiiel sed b'S,
Et des fbiz plusieurs,
Sont loup? ravisseurs
Soubz pcaulx de biebiz.
Prociil à nobis!
RONDEAUX. 107
RONDEAU L.
Faulcette confite
En plaisant parler !
Laissez la aler,
Car )e la despite.
Ce n'est que redite
De tant l'esprouver,
Faulcette confite
En plaisant parler.
Et quant on s'aquicte
Plus de l'amender,
Pis la voy ouvrer;
C'est chose maudicte,
Faulcette confite 1
RONDEAU LI.
J'estraine de bien loing m'amie ,
De cueur, de corps et quanque j'ay,
En bon an lui souhaideray
Joye, santé et bonne vie.
Mais que ne m'estraine d'oublié,
Ne plus ne moins que la feray;
J'estraine de bien loinq m amie,
De cueur, de corps et quanque j'ay.
Mon cueur de chapel de Soussie,
Ce jour de l'an, estreneray ;
Et à elle presenteray
Des fleurs de Ne m'oubliez mie.
J'estraine de bien loin" m'amie.
J08 en ARLES u' ORLÉANS.
RONDEAU LU.
Parlant ouvertement
Des faiz du Dieu d'Amours ,
N'a il d'estranges tours
En son commandement?
Ouil , certainement.
Qui dira le rebours ,
Parlant ouvertement
Des faiz du Dieu d'Amours f
S'on faisoit loyaument
Enqueste par les cours,
On orroit tous les jours
Qu'on s'en plaint grandement.
Parlant ouvertement.
RONDEAU LUI.
Il fauldroit faire l'arquemie,
Qui vouldroit forgier Faulceté
Tant qu'elle devint Loyaulté,
Quant en malice est endurcie!
C'est rompre sa teste en folie ,
Et temps perdre en oysiveté.
Il fauldroit faire l'arquemie,
Qui vouldroit forgier Faulceté.
Plus avant qu'on y estudie,
Et moins y congnoist on seurté,
Car de faire de mal, bonté ,
L'un à l'autre est trop contrarié,
Il fauldroit faire l'arquemie.
RONDEAUX. 109
RONDEAU LIV.
Tant sont les yeulx de mon cueur endormiz
En Nonchaloir, qu'ouvrir ne les pourroye ;
Pource, parler de Beaulté n'oseroye ,
Pour le présent, comme j'ay fait jadiz.
Par cueur retiens ce que j'en ay apris ,
Car plus ne sçay lire ou Livre de joye ,
Tant sont les yeulx de mon cueur endormiz
En Nonchaloir, qu'ouvrir ne les pourroye.
Chascun diroit qu'entre les rassotiz ,
Comme aveugle des couleurs jugeroye ,
Taire m'en vueil , rien n'y voy, Dieu y voye!
Plaisans regars n'ont plus en moy logis,
Tant sont les yeulx de mon cueur endormiz.
RONDEAU.
De maistre Jehan Caillau.
Tant sont les yeulx de mon cueur endormi^
En Nonchaloir, qu'ouvrir ne les pourroye ;
Pource^ parler de Beaulté n'oseroye
Pour le présent , comme f ay fait jadi^.
Joye et soula^ ne sont plus mes amis ,
Chose ne voy de quoy je me resjoye ;
Tant sont les yeulx de mon cueur endormi^f
En Nonchaloir, qu'ouvrir ne les pourroye.
Je suis mouillé et retrait et remis.
Morne et pensif, trop plus que ne souloye ,
J'y voy trouble , car es yeux ay la taye ,
Et n'y congnois le blanc d'avec le bis ,
Tant sont les yeulx de mon cueur endormi:^.
110 CHARLES D ORLtlANS.
RONDEAU LV.
En changeant mes appetiz ,
Je SUIS tout saoul de blanc pain ,
Et de menger meurs de fain
D'un frès et nouveau pain bis,
A mon gré , ce pain faitis
C'est ung morceau souverain.
En changeant mes appetiz,
Je suis tout saoul de blanc pain.
S'il en fust à mon devis ,
Plus tost anuyt que demain
J'en eusse mon vouloir plain,
Car grant désir m'en est pris,
En changeant mes appetiz.
RONDEAU.
De Fredet.
Pour mettre à fin la grant doleur
Que par trop amer je reçoy,
Secoure^ moi;
Las! ou autrement, sur ma foy,
Mes jours n'auront pas grant longueur.
Car si trestourmenté je suis
De tant d'ennuj's
Qui sans cesser me courent seure,
Que je n'ay bons jours, bonnes nuys.
Et si ne puis ,
Trouver, fors vous, qui me sequeure.
RONDEAUX.
Aide^ à vostre serviteur
Qui est mieulx pris que par le dqy,
Ou mort me voy,
Se ne monstre:^ brief, saye^ l^'oy?
Qiie vous aye^ nion fait à cueur,
Pour mettre à Jin la grant doleur.
RONDEAU LVI.
Réponse d'Orléans k Fredat.
Pour mettre afin vostre doleur,
Où pour le présent je vous voy,
Descouvrez moy
Tout vostre fait , car, sur ma foy,
Je vous secourray de bon cueur ;
Plus avant offrir ne vous puis,
Fors que je suis
Prest de vous aider à toute heure ,
A vous bouter hors des ennuys
Que, jours et nuys ,
Dittes qu'avec vous font demeure.
Quant vous tenez mon serviteur,
Et vostre doleur apparçoy,
Montrer au doy
On me devroit, se tenir quoy
Vouloye , comme faint seigneur,
Pour mettre à fin vostre doleur.
CHARLES d'orLÉANS.
RONDEAU LVII.
Helas ! me tuerez vous ?
Pour Dieu retraiez cest eueil
Qui d'un amoureux acueil
M'occist, se ne suis rescous.
Je tiens vostre cueur si doulx ,
Que me rens tout à son vueil.
Helas! me tuerez vous?
Pour Dieu retraiez cest eueil.
De quoy vous peut mon courrous
Valoir, ne servir mon dueil ?
Quant humblement, sans orgueil ,
Je requier mercy à tous,
Helas ! me tuerez vous ?
RONDEAU LVIII.
Ung cueur, ung vueil, une plaisance,
Ung désir, ung consentement ,
Ung reconfort, unj pensement ,
Fermez en loyalle tiance ,
Dieu que bonne en est l'accointance !
Tenir la doit on chierement :
Ung cueur, ung vueil , une plaisance ,
Ung désir, ung consentement.
Contre Dangier et sa puissance ,
Qui les het trop mortelement ,
Gardons les bien et sagement ,
N'est ce toute nostre chevance ,
Ung cueur, ung vueil , une plaisance.
RONDEAUX. Il3
RONDEAU LIX
Pource que Plaisance est morte,
Ce May, suis vestu de noir,
C'est grant pitié de véoir
Mon cueur qui s'en desconforte.
Je m'abille de la sorte
Que doy, pour faire devoir.
Pource que Plaisance est morte ,
Ce May, suis vestu de noir.
Le temps ces nouvelles porte .
Qui ne veult déduit avoir,
Mais par torce de plouvoir,
Fait des champs clorre la porte,
Pource que Plaisance est morte.
RONDEAU LX.
Après l'escadre route,
Mettons à saquement
Annuyeulx Pensement
Et sa brigade toute.
Il crye : Volte route.
Râlions nostre gent.
Après l'escadre route,
Mettons à saquement.
Se Loyaulté s'y boute,
Par advis saigement,
Crye gaillardement
D'aly brusque, sans doubte.
Après l'escadre route.
CHARLES d"ORLÉANS. H.
J
114 CHARLES D ORLEANS.
RONDEAU LXI.
Les fourriers d'Esté sont venus
Pour apparcillier son logis,
Et ont l'ait tendre ses tappis,
De fleurs et verdure tissus.
En estandant tappis velus,
De vert herbe par le païs,
Les fourriers d'Esté sont venus
Pour appareiUier son logis.
Cueurs d'ennuy pieçà morfondus,
Dieu mercy, sont sains et jolis;
Alez vous en, prenez païs,
Yver, vous ne demourrés plus;
Les fourriers d'Esté sont venus.
RONDEAU LXIL
Se mois de May, ne joyeulx, ne dolent
Estre ne puis ; au fort, vaille que vaille,
C'est le meilleur que de riens ne me chaille,
Soit bien ou mal, tenir m'en fault content.
Je lesse tout courir à val le vent,
Sans regarder lequel bout devant aille;
Se mois de May, ne joyeulx, ne dolent
Estre ne puis; au fort, vaille que vaille.
Qui Soussy suit, au derrain s'en repent ,
C'est ung mestier qui ne vault une maille,
Avantureux comme le jeu de faille;
Que vous semble de mon gouvernement,
Se mois de May, ne joyeulx, ne dolent ?
RONDEAUX. Il5
RONDEAU LXIII,
Le temps a laissié son manteau
De vent, de froidure et depluye,
Et s'est vestu de brouderie,
De soleil luyant, cler et beau.
Il n'y a beste, ne oyseau,
Qu'en son jargon ne chante ou crie
Le temps a laissié son manteau
De vent, de froidure et de pluve.
Rivière, fontaine et ruisseau
Portent, en livrée jolie,
Gouttes d'argent d'orfavrerie,
Chascun s'abille de nouveau :
Le temps a laissié son manteau.
RONDEAU LXIV.
En regardant ces belles fleurs
Que le temps nouveau d'Amours prie,
Chascune d'elle s'ajolie
Et farde de plaisans couleurs.
Tant embasmées sont de odeurs
^/ Qu'il n'est cueur qui ne rajeunie.
En regardant ces belles fleurs
Que le temps nouveau d'Amours prie.
Les oyseaulx deviennent danseurs
Dessus mainte branche fleurie,
Et font joyeuse chanterie,
De contres, des chans et teneurs,
En regardant ces belles fleurs.
Il6 CHARLES d'oRLÉANS.
RONDEAU LXV.
Ciicur, à qui prendrez vous conseil ?
A nul ne povez descouvrir
Le tresangoisseux desplaisir
Qui vous tient en paine et traveill
Je tiens qu'il n'a soubz le souleil ,
De vous plus parfait vray martire.
Cueur, à qui prendrez vous conseil ?
A nul ne povez descouvrir.
Au moins faittes votre apareil
De bien vous faire ensevellir,
Ce n'est que mort d'ainsi languir,
En tel martire nompareil.
Cueur, à qui prendrez vous conseil?
RONDEAU LXVI.
Dedens mon livre de pensée ,
J'ay trouve escrivant mon cueur
La vraye histoire dedoleur,
De lermcs toute enluminée.
En défiassent la trcsamée
Ymage de plaisant doulccur,
Dedens mon livre de Pensée,
J'ay trouvé escrivant mon cueur.
Helas! où la mon cueur trouvée?
Les grosses gouttes de sueur
Lui saillent, de peine cl labour
Qu'il y prent, et nuit et journée,
Dedens moii livre de l^cnscc.
RONDEAUX. 117
RONDEAU LXVIÏ.
A Dieu ! qu'il m'anuye,
Helas ! qu'est ce cy ?
Demourray ainsi
En merencolic ?
Qui que chante ou rie,
J'ay tousjours soussy.
A Dieu, qu'il m'anuye,
Helas ! qu'est ce cy ?
Penser me guerrie ,
Et fortune aussi ,
Tellement et si
Fort que hé ma vie.
A Dieu ! qu'il m'anuye !
RONDEAU LXVIII.
Ci pris, ci mis.
Trop fort me lie
Merencolic,
De pis en pis.
Quant me tient pris
En sa baillie.
Ci pris, ci mis,
Trop fort me lie.
Se hors Soussts
Je ne m'alie
A Chiere lie,
Vivant languis.
Ci pris, ci mis.
Il8 CHARLES d'oIU.É ANS
RONDEAU LXIX.
Et de cela, quoy ?
Se Soussy m'assault,
A mon cueur n'en chault,
N'aussi peu à moy.
Comme i'apperçoy,
Courroux riens n'y vault.
Et de cela, quoy,
Se Soussy m'assault?
Par luy je reçoy
Souvent froit et chault,
Puisqu'estre ainsi tault,
Remède n'y voy;
Et de cela, quoy ?
RONDEAU LXX.
Et de cela, quoy?
En ce temps nouveau,
Soit ou laid, ou beau.
Il m'en chault bien poy.
Je demourray quoy
En ma vieille peau.
Et de cela, quoy,
En ce temps nouveau ?
Plusieurs, comme voy,
Ont des pois au veau;
Je mettray mon seau
Qu'ainsi je le croy.
Et de cela, quoy ?
F< O N D E A U X. 119
RONDEAU LXXI.
Oncques feu ne fut sans fumée,
Ne doloreux cueurs sans pensée,
Ne reconfort sans espérance,
Ne joyeulx regart sans plaisance,
Ne beau soleil qu'après nuée.
J'ay tCKSt ma sentence donnée,
De plus sachant soit amendée.
J'en dy selon ma congnoissance :
Oncques feu ne fut sans fumée,
Ne doloreux cueurs sans pensée.
Esbatement n'est sans risée,
Souspir sans chose regretée,
Souhait sans arJant desirance,
Double sans muer contenance.
C'est chose de vray esprouvée;
Oncques teu ne fut sans famée.
RONDEAU LXXII.
Chantez ce que vous pensez,
Monstrant joyeuse manière.
Ne la vendez pas si chiere,
Trop envis la despensez.
Or sus, to^t vous avancez.
Laissez coustume estrangiere.
Chantez ce que vous pensez,
Monstrant joyeuse manière.
Tous noz menuz pourpense^
Descouvrons, à lye chiere,
L'un à l'autre, sans prière.
J'achcveray, commencez.
Chantez ce que vous pensez.
CHARLES D ORLEANS.
RONDEAU LXXIII.
Le trouveray je jamais
Ung loyal cueur joinct au mien.
A qui je soye tout sien,
Sans départir désormais?
D'en deviser par souhais,
Souvent m'y esbas ; et bien,
Le trouveray je jamais
Ung loyal cueur joinct au mien?
Autant vault se je m'en tais.
Car certainement je tien
Qu'il ne s'en fera jà rien;
En toute chose a ung mais.
Le trouveray je jamais?
RONDEAU LXXIV.
Gens qui cuident estre si saiges
Qu'ilz pensent plusieurs abestir,
Si bien ne se sauront couvrir
Qu'on n'aperçoive leurs courages.
Payer leur fauldra les usages
De leurs becz jaunes, sans faillir.
Gens qui cuident estre si saiges
Qu'ilz pensent plusieurs abestir.
On scet par anciens ouvrages,
De quel mestier scevent servir ;
Melusine n'en peut mentir,
Elle les cognoist aux visaiges,
Gens qui cuident estre si saiges.
RONDEAUX. 121
RONDEAU LXXV.
Il me pleust bien,
(Se tour il a)
Quant me monstra
Que estoit tout mien.
Par son maintien
Tost me gaigna.
11 me pleust bien,
Se tour il a.
Sans dire rien,
Mon cueur pensa,
Et ordonna
Qu'il seroit sien:
Il me pleust bien.
RONDEAU LXXVI.
En mon cueur ehéoit,
Et là devinoye,
Comme je pensoyc,
Qu'ainsi m'av&ndroit.
Fol, tant qu'il re:oit.
Ne croit rien qu'il voye.
En mon cueur chcoit,
Et là devinoye
Sotye seroit
Se plus y musoye;
Ma teste romperoye ;
Soit ou tort ou droit,
En mon cueur ehéoit.
122 CHARLES d'oRLÉANS.
RONDEAU LXXVII.
Quant i'ay ouy le tahourin
Sonner, pour s'en aller au May,
En mon lit n'en ay fait effray,
Ne levé mon chief du coissin ;
En disant : il est trop matin,
Ung peu je me rendormiray;
Quant j'ay ouy le tabourin
Sonner, pour s'en aler au May.
Jeunes gens partent leur butin,
De Nonchaloir m'acointeray,
A lui je m'abutinerav.
Trouvé I'ay plus prouchain voisin,
Quant j'ay ouy le tabourin.
RONDEAU LXXVIII.
Le premier jour du mois de May,
De tanné et de vert perdu.
Las ! j'ay ti-ouvé mon cueur vestu,
Dieu scet en quel piteux array !
Tantost demandé je lui ay,
Dont estoit cest habit venu.
Le premier jour du mois de xMay,
De tanné et de vert perdu.
Il m'a respondu, bien le sçay,
Mais par moy ne sera cogneu ;
Desplaisance m'en a pourVeu,
Sa livrée je porteray.
Le premier jour du mois de may.
RONDEAUX. 123
RONDEAU LXXIX.
Le monde est ennuyé de moy,
Et moy pareillement de lui ;
Je ne congnois rien au jour d'ui
Dont il me chaille que bien poy.
Dont quanque devant mes yeulx voy,
Puis nom.mer anuy sur anuy.
Le monde est ennuyé de moy,
Et moy pareillement de lui.
Chierement se vent bonne foy ;
A bon marché n'en a nuUuy ;
Et pource, se je suis cellui
Qui m'en plains, j'ay raison pourquoy :
Le monde est ennuyé de moy.
RONDEAU LXXX.
De riens ne sert à cueur en desplaisance,
Chanter, danser, n'aucan esbatement,
Il lui souffist de povoir seulement
Tousjours penser à sa maie meschance.
Quant il congnoist qu'en hazart gist sa chance,
Et désir n'est à son commandement.
De riens ne sert à cueur en desplaisance,
Chanter, danser, n'aucun esbatement.
S'on rit, pleurer lui est d'acoustumance ;
S'il peut, à part se met le plus souvent.
Afin qu'à nul ne tiengne parlement;
Pour le guérir jà mire ne s'avance ;
De riens ne sert à cueur en desplaisance.
124 CHARLES d'orLÉANS.
RONDEAU LXXXI.
Vous y fiez vous
En Mondain Espoir ?
S'il scet décevoir,
Demandez ù tous.
Son attrait est doulx,
Pour gens mieulx avoir.
Vous y fiez vous
En Mondain Espoir ?
De joye ou courroux,
Soing ou nonchaloir,
Veult, à son vouloir,
Tenir les deux boux,
Vous y fiez vous ?
RONDEAU LXXXII.
Fiez vous y.
A qui?
En quoi ?
Comme je voy,
Riens n'est sans sy.
Ce monde cy
A sy
Pou foy.
Fiez vous y.
A qui?
Plus je n'en dy,
N'escry,
Pourquoi ?
Chascun j'en croy
S'il est ainsy ;
Fiez vous y !
RONDEAUX. 125
RONDEAU LXXXIII.
Vengence de mes yeulx
Puisse mon cueur avoir ;
Hz lui font recevoir
Trop de maulx en mains lieux.
Amours, le Roy des Dieux,
Faittes vostre devoir :
Vengence de mes yeulx
Puisse mon cueur avoir.
Se jamais plus sont tieulx
Encontre mon vouloir.
Sur eulx, et main et soir,
Crieray, jusques aux cieulx,
Vengence de mes yeulx.
RONDEAU LXXXIV.
De legier pleure à qui la lippe pent ;
Ne demandez jamais comment lui va,
Laissez l'en paix, il se confortera.
Ou en sorr fait mettra appointtement.
A son umbre se combattra souvent,
Et puis son frein rungicr lui conviendra.
De legier pleure à qui la lippe pent ;
Ne demandez jamais comment lui va.
S'on parle à lui, il en est mal content;
Cheminée, au derrain, trouvera
Par où passer sa fumée pourra ;
Ainsi avint le plus communément ;
De legier pleure à qui la lippe pent.
120 CHARLES d'oRLÉANS.
RONDEAU LXXXV.
Espoir ne me fist oncques bien,
Souvent me ment pour me complaire
Et assez promet sans riens taire,
Dont à lui peu tenu me tien.
En ses ditz ne me fie en rien.
Se Dieu m'aist, je ne m'en puis taire,
Espoir ne me fist oncques bien,
Souvent me ment pour me complaire.
Quant Reconfort requérir vien
Et cuide qu'il le doye faire,
Tousjours me respont au contraire,
Et me hare Reffus son chien ;
Espoir ne me fist oncques bien.
RONDEAU LXXXVI.
D'ont viens tu maintenant, Souspir,
Aportes tu nulles nouvelles ?
Dieu doint qu'ilz puissent estre telles
Que voulentiers les doye ouir.
S'ilz viennent de devers Désir,
Hz ne sont que bonnes et belles.
D'ont viens tu maintenant, Souspir,
Aportes tu nulles nouvelles ?
Mais s'ilz sourdent de Desplaisir,
J'ayme mieulx que tu les m^e celés,
Assez et trop j'en ay de telles ;
Ne dy riens que pour m'esjouir.
D'ont viens tu maintenant, Souspir.
RONDEAUX. 127
RONDEAU LXXXVII.
C'est par vous seulement, Fiance,
Qu'ainsi je me trouve deceu;
Car, se par avant l'eusse sceu,
Bien y eusse mis pourvéance.
Au fort, quant je suis en la dance,
Puis qu'il est trait, il sera beu.
C'est par vous seulement, Fiance,
Qu'amsi je me trouve deceu.
Je doy bien haïr l'acomttance
Du premier jour que vous ay veu.
Car prins m'avez au despourveu ;
Nul n'est trahy qu'en Espérance ;
C'est par vous seulement, Fiance.
RONDEAU LXXXVIII.
Ou pis, ou mieulx,
Mon cueur aura,
Plus ne sera
En soussis tieulx.
Par Dieu, des cieuh
Chemin prendra ;
Ou pis, ou mieux.
Mon cueur aura.
En aucuns lieux,
Fortune, or ça.
On vous verra
Plus cler aux ycuLx,
Ou pis, ou mieulx.
'28 CTTARtES d'ORLÉans.
RONDEAU LXXXIX.
Par vous, Regard, sergent d'Amours,
Sont arrestcs les povres cueurs.
Souvent en plaisirs et doulceurs,
Et mainteffbiz tout au rebours.
Devant les amoureuses cours,
Les officiers et gouverneurs,
Par vous, regard, sergent d'Amours,
Sont arrestés les povres cueurs.
Et adjournez à trop briefz jours.
Pour leur porter plus de rigueurs.
Comme subgiez et serviteurs.
Endurent mains estranges tours,
Par vous, Regard, sergent d'Amours.
RONDEAU XC.
S'en mes mains une foiz vous tiens,
Pas ne m'eschapperez. Plaisance,
Jà Fortune n'aura puissance
Que n'aye ma part de voz biens.
En despit de Dueil et des siens,
Qui me tourmentent de penance.
S'en mes mains une foiz vous tiens,
Pas ne m'eschapperez. Plaisance.
Doy je tousjours, sans avoir riens.
Languir en ma dure grevance ?
Nennil, promis m'a Espérance
Que serez de tous poins des miens,
S'en mes mains une foiz vous tiens.
RONDEAUX, 129
RONDEAU XCI.
Payez selon vostre déserte
Puissiez vous estre, faux trompeurs !
Au derrenier des cabuseurs
Sera la malice déserte.
D'entre deux meures, une verte
Vous fault servir, pour voz labeurs.
Payez selon vostre déserte
Puissiez vous estre, faux trompeurs!
Vostre besongne est trop ouverte,
Ce n'est pas jeu d'entrejetteurs ;
Aux esches s'estes bons joueurs,
Gardez l'eschec à descouverte,
Payez selon vostre déserte.
RONDEAU XGII.
Plus penser que dire
Me convient souvent.
Sans monstrer comment
N'a quoy mon cueur tire,
Faignant de soubzrire,
Quant suis tresdolent,
Plus penser que dire
Me convient souvent.
En toussant, souspire
Pour secrètement
Musser mon tourment.
C'est privé martire,
Plus penser que dire.
CHARLES D'ORLÉANS. II.
|30 CHARLES D'ORLÉANS.
RONDEAU XCIII.
Mort de moy ! vous y jouez vous
Avec Dame Merencolie !
Mon cueur, vous faittes g ant folye !
C'est la nourrisse de Courroux.
Ung baston qui point à deux boutz
Porte, dont elle s'escremye.
Mort de moy ! vous y jouez, vous,
Avec Dame Merencolie!
Je tiens saiges toutes et tous
Qui eslongnent sa compaignie ;
Saint Jehan, je ne m'y mcttray mie;
Que je m'y boutasse à quans coups,
Mort de moyl vous y jouez, vous!
RONDEAU XCIV.
Je ne suis pas de ses gens là
A qui Fortune plaist et rit.
De reconfort trop m'escondit,
Veu que tant de mal donne m'a.
S'on demande comment me va,
Il est ainsi comme j'ai dit :
Je ne suis pas de ses gens là,
A qui Fortune plaist et rit.
Quant je dy que bon temps vendra,
Mon cueur nie rcspont par dcspit :
Voire, s'Espoir ne vous mentit,
Plusieurs déçoit et dcccvra.
Je ne suis pas de ses gens là.
RONDEAUX. l3l
RONDEAU XCV.
Allez, allez, vieille nourrice
De Courroux et de Malle Vie,
Rassotée Merencolie,
Vous n'avez que dueil et malice.
Desormaiz plus n'aurez office
Avec mon cueur, je vous regnye.
Allez, allez, vieille nourrice
De Courroux et de Malle Vie.
Pour vous n'y a point lieu propice,
Confort l'a prins, n'en doublez mie,
Fuyez hors de la compaignie
D'Espoir; fais nouvel editice ;
Allez, allez, vieille nourrice
RONDEAU XCVI.
Remède comment
Pourray je quérir
Du mal qu'à souftVir
J'ay trop longuement?
Qu'en dit loyaument
Conseil ? sans mentir,
Remède comment
Pourray je quérir ?
Pour abrègement,
Guérir, ou mourir!
Plus ne puis fournir,
Se Sens ne m'aprent
Remède comment.
l32 CHARLES u'ORLÉANS.
RONDEAU XCVII.
Vous ne tenez cmipte de moy,
Beau Sire, mais qui estes vous?
Voulez vous estre seul sur tous,
Et qu'on vous laisse tenir quoy ?
Merencolie suiz et doy,
En tous faiz, tenir l'un des bouts.
Vous ne tenez compte de moy,
Beau Sire, mais qui estes vous?
Se je vous pinse parle doy,
Ne me chault de vostre courroux,
On verra se serez rescous
De mes mains, par qui, et pourquoy
Vous ne tenez compte de moy.
RONDEAU XCVIII.
Quant je voy ce que ne vueil rnic,
Et n'ay ce dont suis désirant,
Pensant ce qui m'est desplaisant.
Est ce merveille s'il m'ennuye?
Nennil, force est que me soussie
De mon cueur qui est languissant,
Quant je voy ce que ne vueil mie,
Et n'ay ce dont suis désirant.
En douleur et merencolie
Suis, nuit et jour, estudiant ;
Lors je me boute trop avant
En une haulte théologie,
Quant je voy ce que ne vueil mie.
RONDEAUX, l33
RONDEAU XCIX.
Ainsi que chassoye aux sangliers,
Mon cueur chassoit après Dangiers
En la forest de ma Pensée,
Dont rencontra grant assemblée
Trespassans par divers sentiers.
Deux ou trois saillirent premiers,
Comme fors, orgueilleux et fiers ;
N'estoit ce pas chose effrayée ?
Ainsi que chassoye aux sangliers,
Mon cueur chassoit après Dangiers
En la forest de ma Pensée.
Lors mon cueur lascha sus lévriers,
Lesquels sont nommés Desiriers ;
Puis Espérance l'asseurée,
L'espieu ou poing, sainte l'espée.
Vint pour combattre voulentiers,
Ainsi que chassoye aux sangliers
RONDEAU C.
Sot eueil, raporteur de nouvelles»^
Où vas tu (et ne scès pourquoy.
Ne sans prandre congié de moy}
En la compaignie des belles ?
Tu es trop tost acointé d'elles ;
Il te vaulsist mieulx tenir quoy.
Sot eueil, raporteur de nouvelles,
Où vas tu? et ne scès pourquoy!
Se ne changes manières telles,
IH CHARLES d'orLÉANS.
Par Raison, ainsi que je doy,
Chastier te vueil, sur ma foy ;
Contre toy j'ay assez querelles.
Sot eueil, reporteur de nouvelles.
RONDEAU CI.
Mort de moy ! vous y jouez vous ?
— En quoy ? — Es faiz de tromperie.
— Ce n'est que coustume jolie
Dont ung peu ont toutes et tous !
— Renverser s'en dessuz dessoubz,
Est ce bien fait ? je vous en prie ?
Mort de moy ! vous y jouez vous ?
— En quoy ? — Es faiz de tromperie.
— Laissez moy taster vostre pouls,
Vous tient point celle maladie?
— Parlez bas, qu'on ne l'oye mie,
Il semble que criez aux loups :
Mort de moy ! vous y jouez vous ?
RONDEAU Cil.
Est ce vers moi qu'envoyez ce souspir ?
M'apporte il point quelque bonne nouvelle ?
Soit mal ou bien, pour Dieu, qu'il ne me celle
Ce que lui vueil de mon tait enquérir.
Suis je jugié de vivre, ou de mourir ?
Soustiendra jà Loyaulté ma querelle ?
Est ce vers moy qu'envoyez ce souspir;
M'apporte il point quelque bonne nouvelle?
Et, nuit et jour, j'escoute pour ouir
RONDEAUX. |33
S'auray confort de ma peine cruelle.
Pire ne peut estre se non mortelle;
Dictes se riens y a pour m'esjouir ?
Est ce vers moy qu'envoyez ce souspir i
RONDEAU cm.
M'apelez vous cela jeu
D'estre tousjours en ennuy?
Certes, je ne voy nuUy
Qui n'en ait plus trop que peu.
Nul ne desnoue ce neu,
S'il n'a de Fortune apuy.
M'apelez vous cela jeu
D'estre tousjours en ennuy.
On s'art qui est près du feu;
Et pource, je suis cellui
Qui à mon povoir le fui,
Quant je n'y congnois mon preu.
M'apelez vous cela jeu ?
RONDEAU CIV.
Alons nous esbatre,
Mon cueur, vous et moy,
Laissons, à part soy,
Soussi se combatre.
Tousjours veult debatre,
Et jamais n'est quoy.
Alons nous esbatre,
Mon cueur, vous et moy.
On vous devroit batre.
l36 CHARLES d'oRLÉANS.
Et monstrer au doy,
Se dessoubz sa loy
Vous laissiez abatrc.
Alons nous esbatre.
RONDEAU GV.
Aussi bien laides que belles
Contrefont les dangereuses,
Et souvent les précieuses ;
Elz ont les manières telles.
Pareillement les pucelles
Deviennent tantost honteuses ;
Aussi bien laides que belles
Contrefont les dangereuses.
Les vieilles font les nouvelles,
En paroUes gracieuses
Et accointances joyeuses ;
C'est la condicion d'elles,
Aussi bien laides que belles.
RONDEAU CVI.
Je vous arreste, de main mise,
Mes yeulx, emprisonnez serez,
Plus mon cueur ne gouvernerez
Désormais, je vous en avise.
Trop avez fait à vostre guise.
Par ma foy, plus ne le ferez.
Je vous arreste, de main mise,
Mes yeulx, emprisonnez serez.
On peut bien pour vous corner prise,
RONDEAUX. iSy
Prins estes, point n'eschapperez;
Nul remède n'y trouverez,
Rien n'y vault apel, ne franchise.
Je vous arreste, de main mise.
RONDEAU CVII.
/
Qui a toutes ses hontes beues,
Il ne lui chault que l'en lui die,
Il laisse passer mocquerie
Devant ses yeulx, comme les nues.
S'on le hue par my les rues,
La teste hoche à chiere lie.
Qui a toutes ses hontes beues,
Il ne lui chault que l'en lui die.
Truffes sont vers lui bien venues;
Quant gens rient, il faut qu'il rie;
Rougir on ne le feroit mie;
Contenances n'a point perdues,
Qui a toutes ses hontes beues.
RONDEAU CVIII.
En mes païs, quant me trouve à repos,
Je m'esbais, et n'y sçay contenance,
Car i'ay apris travail dès mon enfance.
Dont Fortune m'a bien chargié le dos.
Que voulez que vous die? à briefz mos,
Ainsi m'est il, ce vient d'accoustumance :
En mes païs, quant me trouve à repos,
Je m'esbais, et n'y sçay contenance.
Tout à part moy, en mon penser m'enclos,
l38 CHARLES d'oRLÉANS.
Et fais chasteaulx en Espaigne et en France ;
Oultre les monts forge mainte ordonnance,
Chascun jour, j'ay plus de mille propos,
En mes païs, quant me trouve à repos.
RONDEAU CrX.
Repaissez vous en parler gracieux,
Avec dames qui manguent poisson,
Vous qui jeusnez, par grant devocion,
Ce vendredi ne povez faire mieulx.
Se vous voulez de Déesses ou Dieux,
Avoir confort ou consolacion.
Repaissez vous en parler gracieux,
Avec dames qui manguent poisson.
Lire vous voy faiz merencolieux
De Troilus, plains de compassion;
D'Amour martir fut en sa nascion.
Laissez l'en paix, il n'en est plus de tieulx ;
Repaissez vous en parler gracieux.
RONDEAU ex.
Alez vous en, alez, alez,
Soussy, Soing et Merencolie,
. Me cuidez vous toute ma vie
^/ Gouverner, comme fait avez?
Je vous prometz que non ferez,
Raison aura sur vous maistrie.
Alez vous en, alez, alez,
Soussy, Soing et Merencolie.
Se jamais plus vous retournez
RONDEAUX. l3g
Avecques vostre compaignie,
Je pri à Dieu qu'il vous maudie,
Et ce par qui vous revendrez.
Alez vous en, alez, alez.
RONDEAU CXI.
Hau ! guette, mon ueil ; et puis quoy?
Voyez vous riens? — Ouil, assez.
— Qu'est ce cela que vous savez?
— Cler, le vous puis monstrer au doy.
— Regardez plus avant un poy,
Vos regars ne soient lassez.
Hau ! guette, mon ueil ; et puis quoy?
Voyez vous riens? — Ouil, assez.
Acquitté me suis, comme doy.
Il a jà plusieurs ans passez,
Sans avoir mes gaiges cassez.
— Bien avez servi, sur ma foy.
Hau ! guette, mon ueil ; et puis quoy!
RONDEAU CXII.
Le voulez vous que tout vostre deviengne ?
En me monstrant quelque joyeux semblant,
Dictes ce mot : Je \ ous tiens mon servant,
Servez si bien que contente m'en tiengne.
Devoir leray, comment qu'il m'en adviengne,
Tresloyaumcnt, dcsoresenavant.
Le voulez vous que tout vostre deviengne ?
En me monstrant quelque joyeux semblant.
Sans que Mercy, ne Grâce me sousticngne,
140 CHARLES D ORLEANS.
S'en Loyaulté je faulx, ne tant ne quant,
Punissez moy tout à vostre talant ;
Et se bien sers, pour Dieu, vous en souvicngneî
.Le voulez vous que tout vostre deviengne ?
RONDEAU CXIII.
Que nous en faisons
De telles manières,
Et doulces, et fieres,
Selon les saisons !
En champs, ou maisons.
Par bois et rivières,
Que nous en faisons
De telles manières !
Ung temps nous taisons,
Tenans assez chieres
Nos joyeuses chieres,
Puis nous rapaisons ;
Que nous en faisons !
RONDEAU CXIV.
A l'autre huis,
Souvent m'envoye Espérance,
Et me tanse,
Quant en tristesse je suis.
Jours et nuys,
Se lui demande alegance,
A l'autre huis,
Souvent m'envoye Espérance.
Oncques puis
RONDEAUX. 141
Que failli ma desirance,
De plaisance
Mon cueur et moy sommes vuys,
A l'autre huis.
RONDEAU.
Clennontois.
Qui veult achatter de mon dueilf
D'en avoir trop, las! je me vante,
Car mapovre vie dolente
N en peut plus , non fait pas mon vueil .
Partout oit je voys, mon recueil
Est si piteux, et mon attente !
Qiii veult achatter de mon dueil?
D'en avoir trop, las! je me vante.
Que j'aye ung petit bon accueil,
Au commancement de ma vante,
Et puis après, se jamais liante
Amours, qu'on me crevé cest iieil !
Qui veult achatter de mon dueilf
RONDEAU CXV.
Vendez autre part vostre dueil,
Quant est à moy, je n'en ay cure;
A grant marché, oultre mesure.
J'en ay assez contre mon vueil.
Jà n'entrera dedans le sucil
142 CHARLES D ORLEANS.
De mon penser, je vous le jure ;
Vendez autre part vostre dueil,
Quant est à moy, je n'en ay cure.
Desconfort, la lerme à l'ueil,
Ailleurs quiere son avanture,
Plus ne vous mène vie dure !
Puisque mal vous fait son acueil,
Vendez autre part vostre dueil.
RONDEAU CXVI.
Comme j'oy que chascun devise,
On n'est pas tousjours à sa guise;
Beau chanter si ennuyé bien ;
Jeu qui trop dure ne vault rien;
Tant va le pot à l'eaue qu'il brise.
Il convient que trop parler nuyse,
Se dit on, et trop grater cuise;
Riens ne demeure en ung maintien.
Comme j'oy que chascun devise,
On n'est pas tousjours à sa guise ;
Beau chanter si ennuyé bien.
Après chault temps, vient vent de bise,
Après hucques, robbes de frise ;
Le monde de passé revien,
A son vouloir joue du sien
Tant entre gens laiz que d'Eglise,
Comme j'oy que chascun devise.
RONDEAUX. I4I1
RONDEAU CXVII.
Ad ce premier jour de l'année,
De cueur, de corps et quanque j'ay
Privéement estreneray
Ce qui me gist en ma pensée.
C'est chose que tendray cellée,
Et que point ne descouvreray,
Ad ce premier jour de l'année,
De cueur, de corps et quanque j'ay.
Avant que soit toute passée
L'année, je l'aproucheray,
Et puis à loisir conteray
L'ennuy qu'ay, quant m'est eslongnée,
Ad ce premier jour de l'année.
RONDEAU REDOUBLÉ.
Que voulez vous que plus vous die,
Jeunes assotez amoureux ?
Par Dieu, j'ay esté l'un de ceulx
Qui ont eu vostre maladie !
Prenez exemple, je vous prie,
A moy qui m'en compiains et deulx;
Que voulez vous que plus vous die.
Jeunes assotez amoureux !
Et pource, de vostre partie,
Se voulez croire mes conseulx,
D'abregier conseillier vous veulx
Vos faiz, en sens ou en folie,
Que voulez vous que plus vous die !
Plusieurs y trouvent chiere lye
144 CHARLES D'ORLÉANS.
Mainteffbiz, et plaisans acueulx,
Que voulez vous que plus vous die!
Jeunes assotez amoureux I
Mais au derrain, Merencolie
De ses huis fait passer les seulx,
En deuil et soussy, Dieu scct quieulx!
Lors ne chault de mort ou de vie,
Que voulez vous que plus vous die?
RONDEAU CXVIII.
Mais que vostre cueur soit mien,
Ne doit le mien estre vostre?
— Ouil, certes, plus que sien.
— Que vous en semble? dy je bieni
— Vray comme la Patenostre,
Mais que vostre cueur soit mien.
Content et joyeulx m'en tien,
Foy que doy saint Pol l'Apostre,
îe ne désire autre rien,
Mais que vostre cueur soit mien.
RONDEAU CXIX.
A ce jour de saint Valentin,
Que prendray je? per, ou non per?
D'Amours ne quiers riens demander,
Piecà j'eus ma part du butin.
Veu que plus resveille matin
Ne vueil avoir, mais reposer,
A ce jour de saint Valentin,
RONDEAUX. 145
Que prendray je? per, ou non per ?
Jeunes gens voisent au hutin
Leurs sens, ou folie esprouver ;
Vieux suis pour à l'escolle aller,
J'entens assez bien mon latin,
A ce jour de saint Valentin.
RONDEAU CXX.
Pour Dieu! boutons la hors,
Geste Merencolie
Qui si fort nous guerrie
Et fait tant de grans tors.
Monstrons nous les plus fors,
Mon cu;ur, je vous en prie,
Pour Dieu ! boutons la hors,
Geste Merencolie.
Trop lui avons amors
D'estre en sa compaignie ,
Ne nous amusons mie
A croire ses rappors,
Pour Dieu! boutons la hors.
RONDEAU GXXI.
Gontre le trait de Faulceté,
Gonvient harnois de Bonne Espreuvc,
Artillerie forgé neufve,
Ghascun jour, en soutiveté.
A ! Jhesus, benedicite I
Nul n'est qui seurement se treuve ;
Gontre le trait de Faulceté,
CHARLES D'ORLÉANS 11- I{)
I4t) CHARLES D ORLEANS.
Convient harnois de Bonne Espreuve.
Au derrain, fera Loyaulté
Faulceté de son penser veufve;
Pour Raison fault que Dieu s'esmeuve,
Monstrant sa puissance et bonté
Contre le trait de Kaulceté.
RONDEAU CXXII.
Acquittez vostre conscience,
Et gardez aussi vostre honneur,
Ne laissez mourir en douleur
Ce qui avoir vostre aide pense.
Puisque avez le povoir en ce
De l'aider, par grâce et doulceur,
Acquittez vostre conscience,
Et gardez aussi vostre honneur.
On criera sur vous vengence,
Se soufirez murdrir en rigueur,
Ainsi à tort, ung povre cueur ;
Assez a porté pascience,
Acquittez vostre conscience.
RONDEAU CXXIII.
On ne peut servir en deux lieux.
Choisir convient ou çà, ou li ;
Afestu tire qui pourra
Pour prendre le pis ou le mieulx
Qu'en dittes vous, jeunes et vieulx?
Parle qui parler en vouldra ;
On ne peut ser\ ir en deux lieux,
RONDEAUX. 147
Choisir convient ou çà. ou là.
Les faiz de ce monde sont tieulx:
Qui bien fera, bien trouvera;
Chascun son paiement aura,
Tesmoing les Déesses et Dieux;
On ne peut servir en deux lieux.
RONDEAU CXXIV.
Quant tu es courcé d'autres choses,
Cueur, mieulx te vault en paix laisser,
Car s'on te vient araisonner,
Tost y trouves d'estranges gloses.
De ton desplaisir monstrer n'oses
A aucun, pour te conforter;
Quant tu es courcé d'autres choses
Cueur, mieulx te vault en paix laisser.
De tes lèvres les portes closes
Penses de saigement garder,
Que de hors n'eschappe Parler
Qui descouvre le pot aux roses,
Quant tu es courcé d'autres choses.
RONDEAU.
Du comte de Clermont.
Le truchemen de ma pensée
Qui de long temps est commencée,
Va devers vous, pour exposer
Ce que de bouche proposer
A'ofe, craingnant d'esire tancée.
148 CHARLES d'oRLÉANS.
Combien que chose n'a pensée.
Dont deust estre desavancée,
Comme au long vous pourra gloser.
Le truchemen de ma pensée
Qui de long temps est commencée.
Va devers vous pour exposer.
Si soit par vous recompensée
Et selon son cas avancée,
Pour mieulx se povoir disposer;
Car plus ne pourra reposer,
Jusques sa joye ait prononcée,
Le truchemen de ma pensé-'.
RONDEAU CXXV.
Le truchemen de ma pensée,
Qui est venu devers mon cueur,
De par Reconfort, son seigneur,
Lui a une lettre^apportée.
Puis a sa créance contée,
En langaige plain de doulceur,
Le truchemen de ma pensée,
Qui est venu devers mon cueur.
Response ne lui est donnée.
Pour le présent, c'est le meilleur;
Il aura, par conseil greigneur,
Son ambaxade despeschée.
Le truchemen de ma pensée.
RONDEAUX. 149
RONDEAU GXXVI.
Le truchemen de ma pensée,
Qui parle maint divers langaige,
M'a rapporté chose sauvaige
Que je n'ay point acoustumée.
En françoys la m'a translatée,
Comme tressouffisant et saige.
Le truchemen de ma pensée,
Qui parle maint divers langaige.
Quant mon cueur l'a bien escoutée,
Il lui a dit : Vous faittes raige,
Oncques mais n'ouy tel messaige ;
Venez vous d'estrange contrée,
Le truchemen de ma pensée?
RONDEAU CXXVH.
J'ayme qui m'ayme, autrement non;
Et non pour tant, je ne hay rien,
Mais vouldroye que tout feust bien,
A l'ordonnance de Raison.
Je parle trop, las ! se faiz mon!
Au fort, en ce propos me tien:
J'ayme qui m'ayme, autrement non;
Et non pour tant, je ne hay rien.
De pensées son chapperon
A brodé le povre cueur mien;
Tout droit de devers lui je vien.
Et m'a baillé ceste chançon :
J'ayme qui m'ayme, autrement non.
l5o CHARLES d'oRLÉANS.
RONDEAU CXXVIU.
Comme le subgiet de Fortune,
Que i'ay esté en ma jeunesse,
Encores le suis en vieillesse;
Vers moy la trouve tousjours une.
Je suis ung de ceulx, soubz la lune,
Qu'elle plus à son vouloir dresse,
Comme le subgiet de Fortune,
Que j'ay esté en ma jeunesse.
Ce ne m'est que chose commune.
Obéir fault à ma maistresse ;
Sans machier, soit joye ou tristesse.
Avaler me fault ceste prune.
Comme le subgiet de Fortune.
RONDEAU CXXIX
Quelque chose derrière.
Convient tousjours rjnrder,
On ne peut pas monstrer
Sa voulenté entière.
Quant on est en frontier'^
De Dangereux Parler,
Quelque chose derrière,
Convient tousjours garder
Se Pensée legiere
Vcult motz trop despenser
Raison doit espargnier.
Comme la tresoriere,
Quelque chose derrière.
RONDEAUX. l5l
RONDEAU CXXX.
Ce qui m'entre par une oreille,
Par l'autre sault, comme est venu,
Quant d'y penser n'y suis tenu ;
Ainsi Raison me le conseille.
Se i'oy dire : vecy merveille,
L'ung est long, l'autre court vestu ;
Ce qui m'entre par une oreille,
Par l'autre sault, comme est venu.
Mais paine pert et se traveille.
Qui devant moy trayne ung festu ;
Comme ung chat, suis vieil et chenu ;
Legierement pas ne m'esveille
Ce qui m'entre par une oreille.
RONDEAU CXXXI.
Que cuidez vous qu'on verra,
Avant que passe l'année?
Mainte chose démence
Estrangement, çà et là.
Veu que des cy, et des jà.
Court merveilleuse brouée,
Que cuidez vous qu'on verra,
Avant que passe l'année ?
"Viengne que advenir pourra!
Chascun a sa destinée,
Soit que desplaise, ou agrée:
Quant nouveau monde vendra,
Que cuidez vous qu'on verra?
l52 CHARLES d'oRLÉANS.
RONDEAU.
Du comte de Clcnnont.
De bien on mal, le bien faire l emporte,
N'est il pas vray, ainsi que dit cliascun ?
Elas, ouy, car je n'en voy pas iinij;
Qid à la fin d'un jeu ne se déporte.
Je vous diray, quant la personne est morte
Et a bien fait : il n'a este commun.
De bien ou mal, le bien faire l'emporte,
N'est il pas vray, ainsi que dit cliascun?
Faisons le donc, nous trouverons la porte
De Paradis, oii il n'entre nesunf^,
Qiie peu ne soit, s'il n'est trop importun
De prier Dieu, et à vous m'en rapporte.
De bien ou mal, le bien faire l'emporte.
RONDEAU CXXXII.
Réponse du duc d'Orléans,
Quant oyez prescher le regnart,
Pensez de voz oyes garder,
Sans à son parler regarder,
Car souvent scet servir de l'art.
Contrefaisant le papelart.
Qui scet ses paroUes farder.
Quant oyez prescher le regnart,
Pensez de voz oyes garder.
Les faiz de Dieu je metz à part,
RONDEAUX. l53
Ne je ne les vueil retarder,
Ne contre le monde darder ;
Chascun garde son estendart,
Quant oyez prescher le regnart.
RONDEAU CXXXIII.
Pour le comte d'Étampes.
Je suis mieulx pris que par le doy,
Et fort enserré d'un anneau.
S'a fait ung visaige si beau,
Qui m'a tout conquesté à soy.
Je rougis et bien l'aperçoy,
Ainsi q'un amoureux nou\ eau,
Je suis mieulx pris que par le doy,
Et fort enserré d'un anneau.
Et d'amourettes, par ma foy,
J'ay assemblé ung grant fardeau,
Qu'ay mussées soubz mon chappeau;
Pour Dieu ! ne vous mocquez de moy
Je suis mieulx pris que par le doy.
RONDEAU CXXXIV.
Marché nul autrement
Avecques vous, Beaulté,
Se de vous Loyaulté
N'a le gouvernement !
Puis que mes jours despens
A vous vouloir amer,
Et après m'en repens,
I 54 CHARLES D'ORLÉANS.
Qui en doit on blasmer?
Riens, fors vous seulement,
A qui tiens féaulté.
Quant monstrez cruaulté,
Veu qu'Amour le dcffent ;
Marché nul autrement.
RONDEAU CXXXV.
Las! le faut il? est ce ton vueil,
Fortune, qu'aye douleur mainte?
De l'ueil me soubzris, mais c'est fainte,
Et soubz decepte, doulx accueil.
Ay je tort? quant reçoy tel dueil,
S'ainsi je dy en ma complainte :
Las! le faut il? est ce ton vueil,
Fortune, qu'aye douleur mainte?
Tue moy, puis en mon sercueil
Me boute, c'est chose contrainte;
Lors n'y aura Dieu, saint, ne sainte,
Qui n'apperçoive ton orgueil;
Las! le faut il? est ce ton vueil?
RONDEAU.
Par Maistre Jehan Caillau.
Las! le faut il? est ce ton vueil,
Fortune, dont me plains et dueil,
Que tout mon temps en doleur passe?
Souffre que j'aye quelque espasse
De repos, entre tant de dueil.
RONDEAUX, !55
N'auray je de toy autre accueil,
Fors desdaing, reprouche et orgueil?
Veux tu qu'en ce point je trespasse?
Las! le fault il? est ce ton vueil,
Fortune, dont me plains et dueil,
Qtie tout mon temps en doleur passe?
Je ris de bouche, et pleure d ueil.
Et fays et dy ce que ne vueil;
Ainsi ma vie se compassé,
Maleureuse, chetive et lasse,
En paine et maulx dont trop recueil,
Las! le fault- il? est ce ton vueil?
RONDEAU CXXXVI.
As tu ce jour ma mort jurée,
Soussy? je te pri, tien te quoy,
Car à tort ma douleur, par toy,
Est trop souvent renouvellée.
A belle enseigne desployée,
Me cours sus, et nesçay pourquov?
As tu ce jour ma mort jurée,
Soussy? je te pri, tien te quoy.
La guerre sera tost Hnée,
Se tu veulx, de toy et de moy,
Car je me rens, or me reçoy.
Hola! paix, puisqu'elle est criée!
As tu ce jour ma mort jurée!
i 56 CHARLES d'orléans.
RONDEAU CXXXVII.
Ne fais je bien ma besoingne?
Quant mon fait cuide avancer,
Je suis à recommancer,
Et ne sçay comment m'esloingne.
Fortune tousjours me groingne,
Et ne t'ait riens que tanser;
Ne fais je bien ma besoingne,
Quant mon fait cuide avancer?
Certes tant je la ressoingne !
Car mon temps fait despenser
Trop, en ennuyeux penser,
Dont en roingeant mon frain, froingne.
Ne fais je bien ma besoingne ?
RONDEAU CXXXVIII.
Quant commenceray à voler,
Et sur elles me sentiray.
En si grant aise je seray
Que j'ay doubte de m'essorer.
Beau Crier aura le lévrier,
Chemin de Plaisant Vent tendray,
Quant commenceray à voler,
Et sur elles me sentiray.
La mue m'a fallu garder
Par long temps, plus ne le feray,
Puis que doulx temps et cler verra
On le me devra pardonner,
Quand je commenceray à voler.
RONDEAUX. iSj
RONDEAU CXXXIX.
Je ne hanis pour autre avoine,
Que de m'en retourner à Blois;
Trouvé me suis pour une fois
Assez longuement en Touraine.
J'ay gale, à largesse plaine,
Mes grans poissons et vins des Grois,
Je ne hanis pour autre avoine
Que de m'en retourner à Blois.
A la court plus ne prendray paine,
Pour generaulx et millenois,
Confesser à présent m'en vois
Contre la peneuse sepmaine.
Je ne hanis pour autre avoine.
RONDEAU CXL.
Je congnois assez telz debas
Que l'ueil et le cueur ont entre eulx.
L'un dit : Nous serons amoureux,
L'autre dit : Je ne le vueil pas.
Raison s'en rit, disant tout bas :
Escoutez moy ces maleureux ;
Je congnois assez telz debas
Que l'ueil et le cueur ont entre eulx.
Lors m'en vois plustost que le pas,
Et les tanse si bien tous deux
Que je les laisse treshonteux;
Mainteflfoiz ainsi me combas;
Je congnois assez telz debas.
I 58 CHARLES d'oRLKANS.
RONDEAU CXLI.
Que pensé je? dittes le moy;
Adevinez, je vous en prie,
Autrement ne le saurez mie;
Il y a bien raison pourquoy.
A parler à la bonne foy,
Je vous en fais juge et partie :
Que pensé je? dittes le moy;
Adevinez, je vous en prie.
Vous ne saurez, comme je croy;
Car heure ne suis ne demye
Qu'en diverse merencolie;
Devisez, je me tairay quoy.
Que pensé-je? dittes le moy.
RONDEAU CXLH.
Cueur, que fais-tu? revenge toy
De Soussy et Merencolie;
C'est deshonneur et villenie
De laschement se tenir coy.
Je t'ayderay, quant est à moy,
Voulentiers; or ne te fains mie.
Cueur, que fais-tu? revenge toy
De Soussy et Merencolie.
N'espergne riens, scez tu pourquoy?
Pource qu'abrégeras ta vie
Se les tiens en ta compaignie.
Desconfiz les et prens leur foy.
Cueur, que fais tu? revenge toy.
RONDEAUX. l5q
RONDEAU CXLIII.
Plaindre ne s'en doit Loyal Cueur,
S'Amours a servy longuement,
Recevant des biens largement
Et pareillement de douleur.
N'est ce raison que le seigneur
Ait tout à son commandement!
Plaindre ne s'en doit Loyal Cueur,
S'amours a servy longuement.
Se plus a desservi Doulceur
Que ne trouve à son jugement,
En gré prengne pour payement
Moins de proutit et plus de honneur.
Plaindre ne s'en doit Loyal Cueur.
RONDEAU CXLIV.
Par les portes des yeulx et des oreilles,
Que chascun doit bien saigement garder,
Plaisir Mondain va et vient, sans cesser,
Et raporte de diverses merveilles.
Pourcc, mon cueur, s'a Raison te conseilles,
Ne le laisses point devers toy entrer
Par les portes des yeulx et des oreilles,
Que chascun doit bien saigement garder.
A celle fin que par lui ne t'esveilles,
Veu qu'il te fault désormais reposer,
Dy lui : Va t'en, sans jamais retourner.
Ne revien plus, car en vain te traveilles
Par les portes des yeulx et des oreilles.
CllARL-îS d'oRL^AN!».
RONDEAU CXLV.
En faittes vous doubtc?
Point ne le devez,
Veu que vous savez
Ma pensée toute.
Quant mon cueur s'y boute.
Et vostre l'avez,
En faittes vous doubte?
Point ne le devez.
Dangier nous escoute,
Sus, tost achevez,
Ma foy recevez,
Jà ne sera route;
En faittes vous doubte?
RONDEAU CXLVI.
En faittes vous doubte
Que vostre ne soye?
Se Dieu me doint joye
Au cueur, si suis toute.
Rien ne m'en déboute,
Pour chose que j'oye.
En faittes vous doubte
Que vostre ne soye?
Dangier et sa route
S'en voisent leur voye,
Sans que plus les voye !
Tousjours il m'escoute,
En faittes vous doubte?
RONDEAUX. loi
RONDEAU CXLVlI.
A qui les vent on
Ces gueines dorées?
Sont elz achettées
De nouvel, ou non?
Par prest, ou par don
En idit on livrées?
A qui les vent on
Ces gueines dorées?
Alant au pardon,
Je les ay trouvées;
De telles denrées,
C'est petit guerdon.
A qui les vent on?
RONDEAU CXLVIII.
A qui vendez vous vos coquilles
Entre vous, amans pèlerins?
Vous cuidez bien, par voz engins,
A tous pertuis trouver chevilles.
Sont ce coups d'esteufs, ou de billes
Que ferez tesmoing voz voisins?
A qui vendez vous voz coquilles
Entre vous, amans pèlerins ?
On congnoist tous voz tours d'estrilles
Et bien clerement voz latins ;
Trotez, reprenez voz patins,
Et troussez voz sacs et voz quilles;
A qui vendez vous voz coquilles!
CHARLES D'oRIÉANS. II. II
\^2 CHARLES d'ORLÉANS.
RONDEAU CXLIX.
Avez vous dit! laissez me dire,
Amans qui devisez d'Amours:
Sainte Marie! que de jours
J'ay despenduz en martire!
Vous mocquez vous? je vous voy rire,
Guidez vous qu'il soit le rebours ?
Avez vous dit ! laissez me dire,
Amans qui devisez d'Amours.
Parler n'en puis que ne souppire ;
Raconter vous y sçay cent tours
Qu'on y a, sans joyeulx secours,
S'au vray m'en voulez ouïr lire :
Avez vous dit ! laissez me dire.
RONDEAU CL.
Pource qu'on jouxte à la quintaine
A Orléans, je tire à Blois ;
Je me sens foulé du harnois.
Et veulx reprendre mon alaine.
Raisonnable cause m'y maine,
Excusé soye ceste fois,
Pource qu'on jouxte à la quintaine
A Orléans, je tire à Blois.
Je vous prometz que c'est grant paine
De tant faire u baille lui bois; »
Eslongner quelque part du mois.
Vault mieulx, pour avoir teste saine,
Pource qu'on jouxte à la quintaine.
RONDEAUX. l63
RONDEAU CLI.
Envoyez nous ung doulx regart
Qui nous conduie jusqu'à Blois.
Nous le vous rendrons quelque fois,
Quoy que l'atente nous soit tart.
Puis qu'en emportez l'estandart
De la Doulceur, que bien congnois,
Envoyez nous ung doulx regart
Qui nous conduie jusqu'à Blois.
Et pry Dieu que toutes vous gart,
Et vous doint bons jours, ans et mois,
A voz désirs, vouloirs et chois ;
Acquittez vous de vostre part :
Envoyez nous ung doulx regart.
RONDEAU.
Par le comte de Nevers.
En la forest de Longue Attente,
Mainte personne bien joyeuse
S'est trouvée moult doloreuse.
Triste, marrie et bien dolente.
D'y estre, nul ne s' entaient e ;
La demeure est trop ennuyeuse,
En la forest de Longue Attente,
Mainte personne bien joyeuse.
Chascun qui pourra, s'en abscente.
Car l'entrée en est périlleuse,
Et l'issue fort dangereuse;
Pas, de cent, ung ne se contente
En la forest de Longue Attente.
104 CHARLES D ORLEANS.
RONDEAU CLIL
Par le duc d'Orldans.
En la forcst de Longue Attente,
Par vent de Fortune Dolente,
Tant y voy abatu de bois
Que, sur ma foy, je n'y congnois
A présent ne voye, ne sente.
Pieçà, y pris joyeuse rente,
Jeunesse la payoit contente.
Or n'y ay qui vaille une nois,
En la forest de Longue Attente,
Par vent de Fortune Dolente,
Tant y voy abatu de bois !
Vieillesse dit, qui me tourmente î
Pour toy n'y a pesson, ne vente,
Gomme tu as eu autreffoiz;
Passez sont tes jours, ans et mois;
Souffize toy et te contente,
En la forest de Longue Attente.
RONDEAU.
Par madame d'Orléans.
En la forest de Longue Attente,
Entrée suis en une sente,
Dont oster je ne puis mon cueur,
Pourquoy je vi^ en grant langueur
Par Fortune qui me tourmente.
Souvent Espoir chascun contente.
RONDEAUX. l65
Excepté moi, povre dolente.
Qui, niiyt et jour, suis en doleur ;
En laforest de Longue Attente,
Entrée suis en une sente
Dont osterje ne puis mon ciieur.
Ay je donc tort se me garmente
Plus que nulle qui soit vivente?
Par Dieu, nennil, veu mon maleur;
Car, ainsi m'aist mon Créateur
Qii'il n'est paine que je ne sente
En laforest de Longue Attente.
RONDEAU
Par Frédet.
En la for est de Longue Attente,
Des brigans de Soussi bien trente
Helas! ont pris mon povre cueur ;
Et Dieu scet se c'est grant orreur
De veoir comment on le tourmente.
Priant vostre aide, se lamente
Pource que chascun d'eulx se vente
Qu'il^ le merront à leur Seigneur.
En laforest de Longue Attente,
Des brigans de Soussi bien trente,
Helas! ont pris mon povre cueur.
Et pource, à vous il s'en garmente.
Car il voit bien qu'ilcf ont entente
De lui faire tant rigueur
Qu'il ne sera mal, ne doleur,
Se n'y pourvoye:[, qu'il ne sente
En la forest de Longue Attente.
l66 CHARLES d'ORLÉANS.
RONDEAU CLIII.
Réponse du duc d'Orléans.
En la forest de Longue Attente,
Forvoyc de joyeuse sente
Parla guide Dure Rigueur,
A esté robbé vostre cueur,
Comme j'entens, dont se lamente.
Par Dieu! j'en congnois plus de trente
Qui, chascun d'eulx, sans que s'en vente,
Est vestu de vostre couleur,
En la tbrest de Longue Attente,
Forvoyé de joyeuse sente.
Et en briefz motz, sans que vous mente,
Soiez seur que je me contente,
Pour allegier vostre douleur,
De traitter avec le seigneur
Qui les brigans soustient et hente
En la torest de Longue Attente.
RONDEAU.
Par messire Philippe Pot.
En la forest de Longue Attente
Où mainte personne est dolente,
Espoir me promist de donner,
Se bien vouloye cheminer,
Ce qui tous amoureux contente.
RONDEAUX. 167
Tay tout mis, cueiir, corps et entente
A traverser chemin et sente
Pour cuider ce grant bien trouver ;
En la forest de Longue Attente
Oii mainte personne est dolente,
Espoir ?ne promist de donner.
Mais d'une chose je me vente
Que fay eu tous les jours de rente,
Pour ma queste parachever,
Paine et Ennuy, sans conquester
Riens, si non Dueil qui me tourmente,
En la forest de Longue Attente.
RONDEAU
Par Antoine de Lussay.
En la forest de Longue Attente
Oii les contentés Dieu contente,
Je vous asseure, sur ma foy,
Que je n'y ay eu, tant soit poy,
Joye, ne bien dont je me sente.
Pense^ se ma vie est dolente,
Veu, qu'ainsi soit, je me garmenîe
Et que nul bien n'y a pour moi
En la forest de Longue Attente
OU. les contentés Dieu contente.
Au fort, d'une chose me vante.
Se je ne faulx en mon entente.
Ou se la mort brief ne reçoy.
Que je y auray, save:^ vous quoyf
Aucun plaisir qui vauldra rente.
En la forest de Longue Attente.
l68 CHAULES d'oRLÉANS.
RONDEAU.
Par Guiot Pot.
En laforest de Longue Attente,
Jà pieçà, fus en une sente,
Là oUj'ay esgaré mon cueur,
Mais y souffrit tant de douleurs
Que tousjours convient que s'en sente.
Depuis, tousjours tant fort lamente.
Par Fortune qui le tourmente.
Qu'il fault qu'il vive en grant langueur.
En laforest de Longue Attente,
Ja pieçà, fus en une sente.
Mais, s'il eschappe, bien se vente
Qu'il gardera qu'on ne le tente
Par Beau Parler, ne par Rigueur;
Car chascun se doit tenir seur
Que l'on fault bien à son entente
En laforest de Longue Attente.
RONDEAU.
Par Gilles des Ormes.
En la for est de Longue Attente,
Mon povre cueur tant se garmente
D'en saillir par aucune voye.
Qu'il ne lui semble pas qu'il voye
Jamais la fin de son entente.
RONDEAUX. l6g
Deconfort le tient en sa tente,
Qui par telle façon le tente
Qiie j'ay paour qu'il ne le forvoye,
En laforest de Longue Attente.
Espoir en riens ne le contente,
Comme il souloit, pour quoy dolente
Sera ma vie, oii que je soye,
Et si auray, en lieu de joye,
Dueil et Soussi tousjours de rente.
En laforest de Longue Attente.
RONDEAU.
Par Jacques bâtard de la Trémoille
En laforest de Longue Attente
J'ay couru, l'année présente,
Tant que la saison a duré.
Mais j'ay esté plus maleuré
Qiie homme qui vive, je m'en vente.
La haye fut garnie de tente,
Et fis ma queste belle et gente,
Suivant les chiens, Je m'esgare
En la for est de Longue Attente ;
J'ay couru, l'année présente.
Tant que la saison a duré.
Je cours, je corne, je tourmente ;
En traversant, sans trouver sente,
Me trouvay tresfort enserré,
Tout seul presque désespéré;
Cuiday mourir des foi^ soixante.
En laforest de Longue Attente.
170 CHARLES D ORLEANS.
RONDEAU CLIV.
Des arrérages de Plaisance,
Dont trop endebté m'est Espoir,
Se quelque part j'en peusse avoir,
Du surplus donnasse quictance.
Mais au pois et à la balance
N'en puis que bien peu recevoir
Des arrérages de Plaisance,
Dont trop endebté m'est Espoir.
Usure ou perte de chevance
Mettroye tout à non chaloir.
Se je savoye, à mon vouloir,
Recouvrer prestement finance
Des arrérages de Plaisance.
RONDEAU CLV.
Rescouez ces deux povres yeulx
Qui tant ont nagé en Plaisance
Qu'ilz se nayent sans recouvrance;
Je les tiens mors ou presque tieulx.
Vidés les tost, se vous aist Dieux,
En la sentine d'Alegence;
Rescouez ces deux povres yeulx
Qui tant ont nagé en Plaisance.
Courez y tous, jeunes et vieulx.
Et à cros de bonne Espérance,
De les tirer hors qu'on s'avance!
Chascun y face qui mieulx, mieulx î
Rescouez ces deux povres yeulx!
RONDEAUX. 171
RONDEAU CLVI.
A recommencer de plus belle,
J'en voy jà les adjournemens
Que font, vers vieulx et jeunes gens,
Amours et la saison nouvelle.
Chascun d'eulx, aussi bien lui qu'elle,
Sont tous aprestés sur les rens
A recommencer de plus belle ;
J'en voy jà les adjournemens.
Comme toute la chose est telle,
Je congnois telz esbatemens
Assez, de pieçà m'y entens.
Ce n'est que ancienne querelle
A recommencer de plus belle.
RONDEAU CLVII.
Ainsi doint Dieux à mon cueur joye,
En ce que souhaidier vouldroye,
Et à mon penser Reconfort,
Comme voulentiers prisse accort
A Soussy qui tant me guerroyé.
Mais remède n'y trouveroye.
Et qui pis est, je n'oseroye
Descouvrir les maulx qu'ay à tort ;
Ainsi doint Dieux à mon cueur joye,
En ce que souhaidier vouldroye.
Et à mon penser Reconfort.
Quant je lui dy : Dieu te convoyé,
Laisse m'en paix, va t'en tavoye;
172 CHARLES d'oRLÉANS.
Par ton enchantement et sort
Gueres mieulx ne vault vif que mort,
Je languis quelque part que soye;
Ainsi doint Dieux à mon cueur joyel
RONDEAU CLVIII.
Se vous voulez m'amour avoir
A tousjours mais, sans départir,
Pensez de faire mon plaisir,
Et jamais ne me décevoir.
Bientost sauray apparcevoir,
Au paraler, vostre désir,
Se vous voulez m'amour avoir
A tousjours mais, sans départir.
Assez biens povez recevoir,
S'en vous ne tient; sans y faillir.
Vous estes près d'y avenir.
Faisant vers moy léal devoir,
Se vous voulez m'amour avoir.
RONDEAU CLIX.
Maudit soit mon cueur, se j'en mens!
Quant à mon lesir estre puis
Et avecques Pensée suis.
En mes maulx prens alegemens.
Car Soussy plain d'encombremens
Boutons hors et lui fermons l'uis!
Maudit soit mon cueur, se j'en mens!
Quant à mon lesir estre puis.
RONDEAUX. 173
Assez y trouve esbatement,
Lors lui dy : Ma maistresse, et puis
Serons nous ainsi jours et nuis ?
G'y donne mes consentemens,
Maudit soit mon cueur, se j'en mens !
RONDEAU.
(Par Fredet.)
Tattens l'aitmosne de Doiilceur,
Par l'aumosnier de Doulx Regart ;
Espoir m'a promis de sa part
Qu'il me fera toute faveur .
En espérant que ma langueur
Cessera, qui tant tnon cueur art,
J'attens l'aumosne de Doulceur,
Par l'aumosnier de Doulx Regart.
Car, comme léal serviteur,
J'ay servy tousjours main et tart;
Pensant qu'Amours aura regart
Qiielquefoi-j à ma grant douleur,
J'attens l'aumosne de Doulceur.
RONDEAU CLX.
Par l'aumosnier, Plaisant Regart,
Donnez l'aumosne de Doulceur
A ce povre malade cueur
Du feu d'Amours, dont Dieu nous gart.
Nuit et jour, sans cesser, il art;
Secourez le, pour vostre honneur ;
174 CHARLES d'oRLÉANS.
Par î'aumosnier, Plaisant Regart,
Donnez l'aumosne de Doulceur.
S'il vous plaisoit, de vostre part,
Prier Amours qu'en sa langueur,
Pourvoyent, à vostre faveur,
Aidié sera plus tost que tart,
Par l'aumosiiier, Plaisant Regart.
RONDEAU CLXI.
En la querelle de Plaisance,
J'ay veu le rencontre des yeulx
Qui estoient, ainsi m'aid Dieux,
Tous prestz de combatre à oultrance.
Rangez par si belle ordonnance
Qu'on ne sauroit deviser mieulx,
En la querelle de Plaisance,
J'ay veu le rencontre des yeulx.
S'Amours n'y mettent pourvéance,
De pieçà je les congnois tieulx
Qu'au derrenier, jeunes ou vieulx.
Mourront tous, par leur grant vaillance,
En la querelle de Plaisance.
RONDEAU CLXII.
De la maladie des yeulx
Feruz de pouldre de Plaisir,
Par le vent d'Amoureux Désir,
Est fort à guérir, se m'aid Dieux.
Toutes gens, et jeunes, et vieulx,
S'en scevent bien à quoy tenir
RONDEAUX. 175
De la maladie des yeulx
Feruz de pouldre de Plaisir.
Je n'y congnois remèdes tieulx
Que hors de presse soy tenir
Et la compaignie fuir;
Qui plus en saura, die mieulx
De la maladie des yeulx.
RONDEAU CLXIII.
Ce n'est que chose acoustumée,
Quant Soussy voy vers moy venir,
Se tost ne lui venoye ouvrir,
11 romproit l'uis de ma Pensée.
Lors fait d'escremie levée,
Et puis vient mon cueur assaillir.
Ce n'est que chose acoustumée.
Quant Soussy voy vers moy venir.
Adonc prent d'Espoir son espée
Mon cueur pour des coups soy couvrir
Et se deffendre et garentir;
Ainsi je passe la journée,
Ce n'est que chose acoustumée.
RONDEAU CLXIV.
Par m'ame, s'il en fust en moy,
Soussy, Dieu scet que je teroye!
Moy et tous, de toy vengeroye ;
Il y a bien raison pourquoy.
Riens ne dy qu'ainsi que je doy,
Et telle est la voulenté moye.
176 CHAULES d'ori.k.vns.
Par m'ame, s'il en fust en moy,
Soussy, Dieu scet que je fcroye!
Ung chascun se complaint de toy,
Pource, voulentiers fin prcndroye
Avec toy, se je povoye;
Je n'y vois qu'à la bonne foy,
Par m'arae, s'il en fust en mo/.
RONDEAU CLXV.
Chascun devise à son propos,
Quant à moi, je suis loing du mien,
Mais mon cueur en espoir je tien
Qu'il aura une foiz repos.
Souvent dit, me tournant le dos
Je double que n'en sera rien.
Chascun devise à son propos,
Quant à moy, je suis loing du mien.
Tenez Fuis de Pensée clos,
Faittes ainsi pour vostre bien ;
Soussy vous vouldroit avoir sien,
Ne croyez, n'escoutez ses mos;
Chascun devise à son propos.
RONDEAU CLXVI.
Ennemy, je te conjure,
Regart, qui aux gens cours sus;
Vieillars aux mentons chanus,
Dont suis, n'avons de toy cure.
Jeune, navré de blesseure
Fu par toy, n'y reviens plus,
RONDEAUX. 177
Ennemy, je te conjure,
Regart, qui aux gens cours sus.
Va quérir ton avanture
Sus amans nouveaulx venus;
Nous vieuli-, avons obtenus
Saufconduitz, de par Nature;
Ennemy, je te conjure.
RONDEA.U CLXVII.
Mon cueur se plaint qu'il n'est payé
De ses despens, pour son traveil
Qu'il a porté, si nompareil
Qu'oncques tel ne fut essayé.
Son payement est délayé
Trop longtemps; sur ce, quel conseil?
Mon cueur se plaint qu'il n'est payé
De ses despens pour son traveil.
Puis qu'il n'est de gaiges rayé
Mais prest en loyal appareil
Autant que nul soubz le souleil,
Se mieulx ne peut, soit deffrayé;
Mon cueur se plaint qu'il n'est payé.
RONDEAU CLXVIII.
Ou Loyaulté me payera
Des services qu'ay faiz sans faindue,
Ou j'auray cause de me plaindre,
Qui mon gueredon délayera.
Bon Droit pour moy tant criera
Qu'aux cieulx fera sa voix attaindre,
CHARLES DORLÉANS. II. I
178 CHARLES d'ORLÉANS.
Ou Loyaultc me payera
Des services qu'ay faiz sans faindre.
Quant Fortune s'effrayera,
Dieu a povoir de la rcffraindre,
Et Raison, qui ne doit riens craindre,
De moy aider s'essayera.
Ou Loyaulté me payera.
RONDEAU CLXIX.
Mon cueur, n'entreprens trop de choses;
Tu peus penser ce que tu veulz,
Et faire selon que tu peutz,
Et dire ainsi comme tu oses.
Qui vouldroit sur ce trouver gloses,
Je m'en rapporteray à eulx.
Mon cueur, n'entreprens trop de choses, -^
Tu peus penser ce que tu veulz.
Se ces raisons garder proposes,
Tu feras bien, par mes conseulz;
Laisse les embesoignez seulz,
Il est temps que tu te reposes,
Mon cueur, n'entreprens trop de choses.
RONDEAU CLXX.
Ostez vous de devant moy,
Beaulté, par vostre serment,
Car trop me temptez souvent ;
Tort avez, tenez vous quoy.
Toutes les foiz que vous \oy,
Je suis je ne sçay comment;
RONDEAUX. 179
Ostez VOUS de devant moy,
Beaulté, par vostre serment.
Tant de plaisirs j'apperçoy
En vous, à mon jugement,
Qu'ilz troublent mon pensement,
Vous me grevez, sur ma foy ;
Ostez vous de devant moy.
RONDEAU CLXXI.
Comment ce peut il faire ainsi
En une seule créature,
Que tant ait des biens de nature,
Dont chascun en est esbahy !
Oncques tel chief d'œuvre ne vy
Mieulx acomply, oultre mesure ;
Comment ce peut il faire ainsi
En une seule créature!
Mes yeulx cuiday qu'eussent manty,
Quant apportèrent sa figure
Devers mon cueur, en pourtraiture;
Mais vray tut et plus que ne dy.
Comment ce peut il faire amsi I
RONDEAU CLXXII.
Plaisant Regard, mussez vous,
Ne vous monstrez plus en place,
Mon cueur craint vostre menace,
Dont mainteffoiz l'ay rescous.
Vostre attrait soubtil et doulx
Blesse sans qu'on lui mefface.
l8o CHARLES d'oRLÉANS.
Plaisant Regard, mussez vous,
Ne vous monstrez plus en place
Se dittes : Je fais à tous
Ainsi, car je m'y solace;
A tort, sauve vostre grâce ;
Ne devez donner courrons;
Plaisant Regard, mussez vous.
RONDEAU CLXXIII.
Je ne vous voy pas à demy,
Tant ay mis en vous ma plaisance,
Tousjours m'estes en souvenance.
Puis le temps que premier vous vy.
Assez ne puis estre esbahy
Dont vient si ardent desirance.
Je ne vous voy pas à demy,
Tant ay mis en vous ma plaisance.
Fin de compte, puisqu'est ainsi.
Fermons nos cueurs en aliance ;
Quant plus ay de vous acointance,
Plus suis, ne sçay comment, ravy;
Je ne vous voy pas à demy.
RONDEAU CLXXIV.
Ne m'en racontez plus, mes yeulx,
De Beaulté que vous prisez tant.
Car plus voys ou monde vivant.
Et moins me plaist, ainsi m'aist Dieux.
Trouver je ne me sçay en lieux
Qu'il m'en chaille, ne tant ne quant.
RONDEAUX. l8l
Ne m'en racontez plus, mes yeulx,
De Beaulté que vous prisez tant.
Qu'est ce cy? deviens je des vieulx?
Ouy certes, dorénavant;
J'ay fait mon Karesme Prenant,
Et jeusne de tous plaisirs tieulx.
Ne m'en racontez plus, mes yeulx.
RONDEAU CLXXV,
Si hardiz, mes yeulx,
De riens regarder
Qui me puist grever,
Qu'en valez vous mieulx?
Estroit, se m'aist Dieux,
Vous pense garder,
Si hardiz, mes yeulx,
De riens regarder.
Vous devenez vieulx,
Et tousjours troter
Voulez, sans cesser ;
Ne soyez plus tieulx.
Si hardiz, mes yeulx !
RONDEAU CLXXVI.
Mon cueur, pour vous en garder,
De mes yeux qui tant vous temptent
Afin que devers vous entrent,
Faittes les portes fermer.
S'ilz vous viennent raporter
Nouvelles, pensez qu'ilz mentent,
CHARLES D ORLEANS.
Mon cueur, pour vous en garder,
De mes yeux qui tant vous tcmptent.
Mensonges scevent conter
Et trop de Plaisir se ventent,
Folz sont qui en eulx s'atendent,
Ne les vueillez escouter,
Mon cueur, pour vous en garder.
RONDEAU CLXXVII.
N'est ce pas grant trahison
De mes yeulx en qui me fye,
Qui me conseillent folie
Maintes foys, contre raison!
Que maie part y ait on
D'eulx et de leur tromperie !
N'est ce pas grant trahison
De mes yeulx en qui me fye!
Mieulx me fust en ma maison
Estre seul à chiere lye.
Qu'avoir telle compaignie
Qui me bat de mon baston;
N'est ce pas grant trahison 1
RONDEAU CLXXVITI.
Rendez compte, Vieillesse,
Du temps mal despendu
Et sotement perdu
Es mains dame Jeunesse.
Trop vous court sus Foiblesse;
Qu'est Povoir devenu ?
RONDKAUX. l83
Rendez compte, Vieillesse.
Mon bras en l'arc se blesse,
Quant je l'ay estendu;
Parquoy j'ay entendu
Qu'il convient que jeu cesse;
Rendez compte, Vieillesse.
Tout vous est, en destresse,
Désormais chier vendu ;
Rendez compte. Vieillesse.
Des trésors de Liesse
Vous sera peu rendu,
Riens qui vaille ung festu ; '
N'avez plus que Sagesse;
Rendez compte, Vieillesse.
RONDEAU.
Par le seigneur de Torcy.
Mais que mon mal si ne m'empire^
Je suis en bon point, Dieu mercjr,
Ne n'ay ne douleur, ne soucy
De chose que on me puisse dire.
Plus ne me plains, plus ne souspire.
Je men^ue et dors bien aussi.
Mais que mon mal si ne m'empire.
Je suis en bon point. Dieu mercy.
Pleurer souloye en lieu de rire.
En requérant grâce et mercy ;
Maintenant ne fais plus ainsi,
Car je ne crains point l'escondire.
Mais que mon mal si ne m'empire.
184 CHARLES d'oRLICANS.
RONDEAU CLXXIX.
Mats que mon propos ne m'enipire,
Il ne me chault des taiz d'Amours,
Voisent à droit, ou à rebours,
Certes je ne m'en fais que rire.
En ne peut de riens m'escondire,
Aide ne requiers, ne secours !
Mais que mon propos ne m'empire,
Il ne me chault des faiz d'Amours.
Quant j'oy ung amant qui souspire,
A, ha ! dis je, vêla des tours
Dont usay en mes jeunes jours.
Plus n'en vueil, bien me doit souffire,
Mais que mon propos ne m'empire.
RONDEAU.
Du comte de Clermont.
J'amasse ung trésor de regre^
Que ma tant ame'e m' envoyé.
Mais jusqu'à ce que je la voye
Ne partiront de mes secre^.
La cause pourquoy je les celle,
Ses griefs maulx qui me font mourir?
C'est pour garder l'onneur de celle
Qui ne me daigne secourir.
Plus l'eslongne, plus d'elle est près
Mo7i cueur, dont mt)n povre œil lermoye
Il n'est point doleur que la moye,
Car quant j'ay assej plaint, après
J'amasse ung trésor de regre^.
RONDEAUX. l85
RONDEAU CLXXX.
Réponse du duc d'Orléans.
C'est une dangereuse espergne
D'amasser trésor de regrés ;
Qui de son cueur les tient trop près,
H convient que mal lui en preigne.
Veu qu'ilz sont si oultre l'enseigne,
Non pas assez nuysans, mais très,
C'est une dangereuse espergne
D'amasser trésor de regrés.
Se je mens, que l'en m'en repreigne ;
Soient essayez, puis après
On saura leurs tourmens segrés ;
Qui ne m'en croira, si l'apreigne;
C'est une dangereuse espergne.
RONDEAU CLXXXI.
A Frédet.
Le fer est chault, il le fault batre,
Vostre fait que savez va bien ;
Tout le saurez, sans celer rien.
Se venez vers moy vous esbatre.
Il a convenu fort combatre.
Mais, s'il vous plaist, pariait le tien
Le fer est chault, il le fault batre,
Vostre fait que savez va bien.
Convoitise vouloit rabatre
l86 CHARLES d'or LÉ AN s.
Escharsement et trop du sien;
Mais ung peu j'ay aidic du mien,
Qui l'a fait cesser de debatre.
Le fer est chault, il le fault batre.
RONDEAU.
De Fredel
Je regrette mes dolans jours.
Comme celliiy là qui tousjours
Ne fait que désirer sa mort ;
Car plus avant vois et plus fort
Acroissent mes dures dolours,
Quant on me/ait d'estraii^es tours.
Que, mille foi^ le jour, en plours.
Me fault dire par desconfort :
Je regrette mes dolans jours.
En vous seul est tout mon recours,
Faittes donc, plus tost que le cours.
Cesser le mal que souffre à tort.
Ou autrement je me voy mort,
Et tout pour bien servir Amours ;
Je regrette mes dolans jours.
RONDEAU CLXXXII.
Réponse à Frédet.
Se regrettez vos dolans jours,
Et je regrette mon argent
RONDEAUX. 187
Que j'ay délivré franchement,
Guidant de vous donner secours.
Se ne sont pas les premiers tours
Dont Convoitise sert souvent ; .
Se regrettez vos dolans jours,
Et je regrette mon argent.
Mais se vous n'avez voz amours,
Puis que Convoitise vous ment,
Le mien recouvreray briefment,
Ou mettray le fait en droit cours,
Se regrettez vos dolans jours.
RONDEAU CLXXXIII.
A Daniel.
Vous dittes que j'en ayme deux,
Mais vous parlez contre Raison,
Je n'ayme fors ung chapperon,
Et ung couvrechief plus n'en veulx.
C'est assez pour ung amoureux ;
Mal me louez, ce faittes mon,
Vous dittes que j'en ayme deux,
Mais vous parlez contre Raison.
Certes je ne suis pas de ceulx
Qui par tout veulent à toison
Eulx tournir, en toute saison ;
N'en parlez plus, j'en suis honteux
Vous dittes que j'en ayme deux.
l88 CHARLES d'oRLÉANS.
RONDEAU
d'Olivier de La Marche.
Pour amours des dames de France,
Je suis entre' en l'observance
Du tresrenommé saint François,
Pour cuider trouver utie fois
La doulce voye d'Alegance.
Saint suis de corde de Souffrance,
Soubj haire d'Ais^re Desirance,
Plus qu'en mon Dieu ne me congnois.
Pour amours des dames de France,
Je suis entré en l'observance.
Soubrement vis de ma Plaisance,
Et june ce que Désir pense,
Mandiant par tout où je vois,
Je veille à conter, par mes dois.
Les maulx que m'a fait Espérance,
Pour amours des dames de France.
RONDEAU.
Par Vaillant.
Des amoureux de l'observance,
Je suis le plus subgiet de France,
Car je sers d'estre mandien
Et cherche le cotidien ;
Mais nul en mon sac rien ne lance.
RONDEAUX. 189
« Aux frères l'aumosne, pour Dieu, »
Tousjours vois criant d'uys en huis,
Las! Charité ne trouve en lieu.
Ne Pitié ne scet qui je suis.
Retourner m'en fault sans pitance ,
Désir, le Pourvéeur, me tance.
Puis le beau père Gardien;
Pis suis que Boesme, n'Yndien;
L'ordre vueil laisser sans doubtance.
Des amoureux de l'observance.
RONDEAU.
Par Georges.
Les serviteurs submis à l'observance,
Quoj' que souvent, il leur tourne à grevance,
De 7ion avoir leur plaisir à toute heure,
Toute fois. Dieu, soub:; qui rien ne demeure,
A tel:; serrans ne fist onc decevance.
Mains il convient, par contrainte eslevance,
Qii'Onneur, Fortune, ou Amour les avance
En quelque endroit, et au besoing seqeure
Les serviteurs submis à l'observance,
Qiioy que souvent, il leur tourne à grevance
De non avoir leur plaisir à toute heure.
De long souffrir en pénible estrivance
Naist aux souffrans, haulte et riche chevance
Finablement, qui les paye et honneure ;
Après l'aigret trouve on la doulce meure
Qiii radoulcist, en leur propre savance,
Les serviteurs submis à l'observance.
igO CHARLES D ORLEANS.
RONDEAU CLXXXIV.
Des amoureux de Tobservance,
Dont j'ay esté ou temps passé,
A présent m'en trouve lassé
Du tout, sinon de souvenance.
Ou je prens d'en parler plaisance,
Quoy que suis de l'ordre cassé
Des amoureux de l'observance.
Dont j'ay este ou temps passé.
Souvent y ly porté penance.
Et si pou de biens amassé
Que. quant je seray trespassé,
A mes hoirs lairray pou chevance
Des amoureux de l'observance.
RONDEAU.
Par Boucicault ou monseigneur du Bridore.
Assej ne m'en peuj merveiller
Qu'aucuns amoureux ont créance,
D'estre de ceulx de l'observance,
Mais plus n'y veulent travailler.
Je dr que leur vaulsist trop mieulx
Plus large reigle avoir choisie;
Car servir jeunes, et puis vieulx
Laisser tout, c'est ypocrisie.
Autre nom leur convient bailler,
C'est aposta^, qui pour doubtance
D'avoir un peu de penitance,
Ont voulu Loyaulté soiller;
Asse:^ ne m'en peu^ merveiller
RONDEAUX. 191
RONDEAU CLXXXV.
Par le duc d'Orléans.
Ce n'est pas par ypocrisie,
Me je ne suis point apostat
Pour tant se change mon estât
Es derreniers jours de. ma vie.
J'ay gardé, ou temps de jeunesse,
L'observance des amoureux.
Or m'en a bouté hors Vieillesse,
Et mis en l'ordre douloreux
Des chartreux de Merencolie,
Solitaire, sans nul esbat;
A briefz motz, mon fait va de plat,
Et pource, ne m'en blasmez mye,
Ce n'est pas par ypocrisie,
RONDEAU.
Par Boucicaiilt.
Monstrer on doit qu'il en desplaise
Du meffait, à qui n'a povoir "
De servir, car si cru, pour voir,
En parler, il semble qu'il plaise.
Qui ne peut, pour le moins se taise,
Et face en dueil larmes plouvoir.
Monstrer on doit qu'il en desplaise
Du meffait, à qui n'a povoir.
Mais dire qu'on n'a temps, ne aise,
192 CHARLES d'orLiJANS.
Pour aage, d'y faire devoir,
Chascun scet bien apparcevoir
Que pou cour ce tost se rappaise ;
Monstrer on doit qu'il en desplaise
RONDEAU CLXXXVI.
Réponse par Orléans.
A quiconques plaise, ou desplaise,
Quant Vieillesse vient les gens prendre,
Il convient à elle se rendre
Et endurer tout son malaise.
Nul ne peut faire son devoir
De garder d'Amours l'observance,
Quant, avecques son bon vouloir,
Il a povreté de puissance.
Plus n'en dy, mieulx vault que m'en taise,
Car j'en ay à vendre et revendre ;
Ung chascun doit son fait entendre ;
Qui ne peut, ne peut, si s'appaise,
A quiconques plaise, ou desplaise.
RONDEAU CLXXXVII.
Celle que je ne sçay nommer
Com à mon gré desireroye,
Ce jour de l'an, de biens et joye
Plaise à Dieu de vous estrener.
S'amie vous vueil appeller,
Trop simple nom vous bailleroye.
Celle que je ne sçay nommer
RONDEAUX.
Com à mon gré desireroye.
De ma Dame nom vous donner,
Orguilleuse je vous feroye :
Maistresse point ne vous vouldroye ;
Comment donc doy je à vous parler,
Celle que je ne sçay nommer?
RONDEAU CLXXXVIII.
A ce jour de saint Valentin,
Que l'en prent per par destinée,
J'ay choisy, qui tresmal m'agrée,
Pluye, vent et mauvais chemin.
Il n'est de l'amoureux butin
Nouvelle ne chançon chantée,
A ce jour de saint Valentin,
Que l'en prent per par destinée.
Sourges me donne ce tatin,
Et à plusieurs de ma livrée ;
Mieulx vauldroit en chambre natée
Dormir, sans lever sy matin,
A ce jour de saint Valentin.
RONDEAU.
De Fredet.
Le truchemen de ma pensée,
Ceste saint Valentin passée,
J'ay envoyé devers Amours,
Pour lui compter les grans dolours
Que seuffre, pour ma tant amée;
CHARLES D'ORLÉANS. II. ij
^94 CHARLES d'oRLÉANS.
Requérant ma peine alegée,
Autrement ma vie est finée,
Comme scet bien, il a mains Jours,
Le truchemen de ma pensée.
Et quant sa raison eut contée,
Lui dist : Ta requeste m'agrée,
Car trop léal t'ay veu tous jours ;
Lors /ut commandé mon secours.
Et le m'apporta, la journée,
Le truchemen de ma pensée.
RONDEAU.
En rdpons p«r Simonnet Caillau.
Pour bref te l^ maulx d'Amours guérir,
Lsgrun de Dueil te faiilt fuyr,
Les poix au veau te sont cnnîraires,
Quant les fleurs de plaisans viaires
Sont dedans mises au boillir.
L'oubliete te peut servir,
Et l'herbe de Nonsouvenir,
A faire bons electuaires.
Pour bref telj maulx d'Amours guérir.
Du triade de Repentir,
Pour tes acce^ faire faillir.
Prendras sur les appoticaires ;
Avecques sirop:^ nécessaires,
Fai^ en succres de Deppartir,
Pour bref tel^ maulx d'Amours guérir.
RONDEAUX. Ig5
RONDEAU CLXXXIX.
Autre réponse par Orléans, en guise de recette.
Les malades cueurs amoureux
Qui ont perduz leurs apetiz,
Et leurs estomacs refroiJiz
Par soussiz et maulx douloureux,
Diète gardent sobrement,
Sans faire excès de Trop Douloir ;
Chaulx electuaires souvent
Usent de Conforté Vouloir;
Succres de Penser Savoureux,
Pour reconforter leurs esperiz;
Ainsi pevent estre gueriz,
Et hors de Danger langoureux,
Les malades cueurs amoureux.
RONDEAU.
Autre réponse par Monseigneur Jean de Lorraine.
Pour brief du mal d'amer guérir,
Esloingner l'air de Souvenir
Convient, sans grant merencolie
Après tous mes, mengier oublie
Près du couchier, pour mieulx dorir.ir
If)6 CHARLES n'OR LÉ AN s.
De Non Chaloir, pour adoulcir
La medicine de Désir,
Prendre failli la plus grant partie;
Pour brief du mal d'amer guérir,
Esloingner l'air de Souvenir.
Puis ung beau régime, à l'issir
De vostre accès, pourrez choisir,
D'une Léaulté my partie,
Affin que ne reuchéej ttijye,
Faittes Reffu^ d'Amour bannir.
Pour brief du mal d'amer gucrir.
RONDEAU CXC.
Autre réponse en guise de recette.
Pour tous voz maulx d'Amours guérir,
Prenez la fleur de Souvenir
Avec le just d'une ancolie,
Et n'obliez pas la soussie,
Et meslez tout en Desplaisir.
L'erbe de Loing de son Désir, .
Poire d'Angoisse pour refreschir,
Vous envoyé Dieu, de vostre amye,
Pour tous voz maulx d'Amours guérir.
Pouldre de Plains pour adoulcir,
Feille d'Auhre Que Vous Choisir,
Et racine de Jalousie,
Et de tretout la plus partie
Mettes au cueur, avant dormir,
Pour tous voz maulx d'Amours guérir.
RONDEAUX 197
RONDEAU CXCI.
Puis que tu t'en vas,
Penser, en message,
Se tu fais que sage,
Ne t'esgarc pas.
Au mieulx que pourras,
Pren le seur passage,
Puis que tu t'en vas,
Penser, en message.
Tout beau, pas à pas,
Reffrain ton courage,
Qu'en si long voyage
Ne deviengnes las,
Puis que tu t'en vas.
RONDEAU CXCII.
L'ueil et le cueur soient mis en tutelle,
Si tost qu'ilz sont rassotez en amours :
Combien qu'il a plusieurs qui tont les lours
Et ont trouvé contenance nouvelle,
Pour mieulx embler privéement Plaisance
Mommerie, sans Parler de la bouche,
En beaux abiz d'or cliquant d'Acointance,
Soubz visières de Semblant qu'on n'y touche,
Faignent souvent l'amoureuse querelle.
Ainsi l'ay vu faire en mes jeunes jours *,
Vestu m'y suis à droit et à rebours.
Je jangle trop, au fort, je me rappelle;
L'ueil et le cueur soient mis en tutelle !
KjS CHAULES n'OKi-ÉANS.
RONDEAU.
Par Monseigneur de I.orraina.
Pour eschever plus grant dangicr.
Certes, mon cueiir, il est mestier,
Puis que )70us alons véoir la belle,
Qiie iene^ mon ueil en tutelle,
Qit'i ne vous donne à besongner.
Commande^ lui bien, sans prier,
Qii'il ne croie riens de legier,
Dont il vous rapporte nouvelle ;
Pour eschever plus grant dangier.
Certes, mon cueur, il est mesiier.
Puis, s'il ne s'y veult obligier,
Mette^ Raison pour espier
A part sa couverte cautelle ;
Car c'est cellui seul qui se mesle
De tieulx defaultes corrigier,
Pour eschever plus grant dangier.
RONDEAU CXCIII.
Chose qui plaist est à demy vendue,
Quelque cherté qui coure par païs ;
Jamais ne sont bons marcliands esbahis,
Tousjours gaignent à l'allée, ou venue.
Car, quant les yeulx qui sont facteurs du cucur,
Voyent Plaisir à bon marchié en vente,
Qui les tendroit d'achater leur bon eur?
Et deusscnt ilz cngai^er biens et rente,
RONDEAUX. 199
Et à rachat toute leur revenue !
De lascheté seroient bien trâys,
Et devroient d'Amours estre hâys !
Marchandise doit estre maintenue,
Chose qui plaist est à demy vendue.
RONDEAU CXCIV.
Chose qui plaist est à demy vendue,
A bon compte souvent, ou chierement;
Qui du marchié le denier à Dieu prent,
11 n'y peut plus mettre rabat, ne creue.
D'en débattre n'est que peine perdue;
Prenez ore qu'après on s'en repent.
Chose qui plaist est à demy vendue,
A bon compte souvent, ou chierement.
S'aucun aussi monstre sa retenue.
Et au bureau va faire le serment,
Les officiers n'y font empeschement.
Mais demandent tantost la bienvenue.
Chose qui plaist est à demy vendue.
RONDEAU.
Par Monseitjneur de Lorraine.
L'abit le moine ne fait pas,
Pour tant se je me veis de diieil,
J'ay la lerme asse^f loing de l'iteil,
Passant mes ennuij au gros sacs.
Je fains d'assembler à grans tas
Douleurs ; à part mais quant je vueil.
CHARLES D ORLEANS,
L'abit le moine ne fait pas,
Pour tant se je me veis de dueil.
Conclusion, véej cy mon cas :
De nulle rien je ne me dueil,
En gré prens d' Amours le recueil.
Soit beau, ou lait ; puis je di^ bas :
L'abit le moine ne fait pas.
RONDEAU CXCV.
Par Orléans.
L'abit le moine ne fait pas,
L'ouvrier se congnoist à l'ouvrage
Et Plaisant Maintien de visage
Ne monstre pas toujours le cas.
Aler tout soubrement le pas,
N'est que contretaire le saige.
L'abit le moine ne fait pas,
L'ouvrier se congnoist à l'ouvrage.
Soubtil sens couché par compas,
Enveloppé en beau langage,
Musse le vouloir du courage ;
Guider déçoit en mains estas;
L'abit le moine ne fait pas.
RONDEAU.
Par Madame d'Orléans.
L'abit le moine ne fait pas,
Car quelque chiere que je face.
Mon mal seul tous les autres pace
RONDEAUX. 2
De ceulx qui tant plaignent leur cas.
Souvent, en densant fait mains pas
Qiie mon cueur près en dueil tresp.ice ;
L'abit le moine ne fait pas.
Las ! mesyeulx gettent sans compas
Des larmes tant par my ma face,
Dont plusieurs foi^j je change place,
Alant à part pour crier : las,
L'abit le moine ne fait pas.
RONDEAU.
Par Guiot Pot.
L'abit le moine ne fait pas,
Car tel n'est pas vestu de noir,
Qui a cause de se douloir.
Par Dieu, qui congnoistroit son cas.
S'en lui fait changier ses estas
Contre raison et son vouloir,
L'abit le moine ne fait pas.
Quant Fortune charge le bas
Au compaignon, s'il a povoir
Et s'il joue ung tour de sa)oir.
Disant que de souffrir est las,
L'abit le moine ne fait pas.
RONDEAU.
Par Jean de Lorraine.
De fol juge, briefve sentence;
Certes bon cueur ne peut mentir;
Et si ne scet du sac yssir
202 CHARLKS D 'OH l, l£ A N S.
Qiie ce qui est d'acoustumance.
Là oïl Raison pert pascience,
On voit bien souvent avenir
De fol juge, briefve sentence,
Certes bon cueiir ne peut mentir.
Envie, atout sa double lance.
Blesse en mains lieux sans cop fcrir.
Dont il se convient repentir
Aucuncffoij, qui bien y pense.
De fol Juge, briefve sentence I
RONDEAU CXCVI.
Réponse par Orléans.
De fol juge, briefve sentence;
On n'y sauroit remédier
Quant l'advocat Oultrecuidier,
Sans raison, mainteffois sentence
Après s'en repent et s'en tcnce,
C'e^t tart, et ne se peut vuidier.
De fol juge, briefve sentence;
On n'y sauroit remédier.
Fleurs portent odeur ; et sentence
Et savoir vient d'estudier ;
Ce n'est pas ne d'anuyt ne d'yer.
J'en dy ce que mon cueur sent en ce :
De fol juge, briefve sentence.
RONDEAU CXCVII.
Par Orléans.
Crié soit à la clochete,
Par les rues, sus et jus,
RONDEAUX.
Fredet ; on ne le voit plus ;
Est il mis en oubliete ?
Jadis il tenoit bien conte
De visiter ses amis,
Est il roy, ou duc, ou conte
Quant en oubly les a mis ?
Banny à son de trompeté,
Comme marié confus,
Entre chartreux, ou reclus,
A il point fait sa retrete ?
Crié soit à la clochete!
RONDEAU.
Réponse par Fredet.
Se véoir ne vous voys plus,
Helas! ce fait mariage,
Qui me fait avoir courage
D'estre désormais reclus.
Puis que si fort m'a confus,
Ne le tenej à oultraige,
Se véoir ne vous voys plus;
Helas! ce fait mariage.
Mais non pourtant Je conclus
Qiie ce n'est pas fait que sage,
Car f en puis, à brief langage,
Pour le moins perdre le plus
Se véoir ne vous voys plus.
203
204 CHARLES D ORLEANS
RONDEAU CXCVnio
Par Orléans.
En l'ordre de mariage
A ildesduit ou courrous?
Comment vous gouvernez vous ?
Y devient on fol, ou sage ?
Soit aux vieulx ou jeunes d'âge,
Rapporter m'en vueil à tous !
En l'ordre de mariage
A il desduit, ou courroux?
Le premier an, c'est la rage,
Tant y fait plaisant et douls ;
Après fault toussir ; la tous
Cesser me fait de langage,
En l'ordre de mariage.
RONDEAU.
Par le caJet d'AIbrct.
Dedans l'abisme de douleur,
OU tant a d'amere saveur
Aussi d'angoisseuse destresse,
Se trouve tourmenté, sans cesse.
Pour vous amer, mon povre cueiir
Ma Dame, par vostre doulceur,
Secoure'^ ce bon serviteur
UONDEAUX.
A qui l'on fait tant de rudesse.
Dedans l'abisme de douleur.
Oit tant a d'amere saveur.
Las! oste:^ de lui tout maleur,
Ou autrement il se tient seur
De jamais n'avoir que tristesse ,
Dont fauldra que sa vie cesse
Piteusement, en grant langueur,
Dedans l'abisme de douleur.
RONDEAU.
De Gilles des Ormes.
Dedens l'abisme de douleur
Sont tourmentés par grant foleur
Maints cueurs, parfaulte de secours.
Qui n'ont à personne recours
Qu'à Pitié qui détient le leur.
Car, quant ilj ont servy, on leur
Taille la broche sans couleur;
Lors il^ s'en vont languir le cours;
Dedens l'abisme de douleur
Sont tourmentés par grand foleur
Maints cueurs, parfaulte de secours.
Par Dieu ! c'est faulte de valeur
A ceulx qui le font par chaleur,
Et de fait, les tiennent si cours
Qu'il leur fault user tout le cours
De leur vie, en paine et maleur,
Dedens l'abisme de douleur.
2o6 ciiARi.i:s d'okléans.
RONDEAU CXCIX.
Par le duc d'Orlcaua.
Dedans l'abisme de douleur,
Sont tourmentées povrcs anics
Des amans; et, par Dieu, mes Dames,
Vous leur portez trop de rigueur.
Ostez les de cestc langueur
Où ilz sont en maulx et diflames.
Dedans l'abisme de douleur,
Sont tourmentées povres âmes.
Se n'y monstrez vostre doulceur.
Vous en pourrez recevoir blasmcs;
Tost orra prières de famés,
Dangier, des dyables le greigneur.
Dedans l'abisme de douleur.
RONDEAU ce.
Que je vous ayme maintenant
Quant je congnois vostre manière
Venant de Voulenté Legiere,
Enveloppée en Faulx Semblant !
Je ne m'y He tant ne quant,
Veu qu'en estes bien coustumiere.
Que je vous ayme maintenant
Quant je congnois vostre manière!
N'en peut chaloir, tirez avant,
Parfaitte comme mesnagiere.
De haulte lisse bonne ouvrière ;
Plus vous voy, plus vous prise tant
Que je vous ayme maintenant !
RONDEAUX.
207
RONDEAU CCI.
CucLir,qu'estccla ? — Cesommes nous vos yculx.
- ()i;'apportez vous ? — Grant toison de nouvelles,
-(faciles sont ilz ? — Amoureuses et belles.
■ Je n'en vuei) point voire on, se m'aist Dieux.
— D'où venez v^us. — be plusieurs plaisans lieux.
- lit qu' a il ? — Bon marchic de querelles.
-(Aieur, qu'est celu? — Cesommes nousvoz yeulx.
-Qu'apportez vous'--Gr'ant foisonde nouvelles.
— C'est pour jeunes? — Aussi est ce pour vieulx.
-' Trop sont vieulxsoulz! — Picça, n'en eustes telles.
- Si ay, si ay. — Au moins escoutez d'elles.
- Paix, je m'endors. — Non ferez pour le mieulx.
- Cueur, qu'est cela? — Ce sommes nous voz yeulx.
RONDEAU CCII.
soussv.
LE CUKUR.
soussv.
LE CUKUR.
SOUSSV.
LE CUEUR.
SOUSSY.
LE CUEUR.
Soussy, beau Sii-e, je vous prie.
De quoy .'' que me demandez vous?
Ostez moi d'anuy et courous
Où vous estes.
Non feray mie.
Tenir je vous vueil compaignie,
Las! non faictes, soyez moy douls,
Soussy, beau Sire, je vous prie.
De quoy? que me demandez vous?
Parlez en à Merencolie,
Conseil premier entre vous,
li^poir y pourroit plus que nous.
Kaictes donc qu'il y r-emedie.
Soussy, beau Sire, je vous prie.
208 CHARLES d'ORLÉANS.
RONDEAU CCIII.
Quant Léaulté et Amcur sont ensemble
Et on les scet à deux entretenir
En temps et lieu et pour les retenir,
Hz font, par Dieu, feu Grejois, ce me semble.
J'en congnois deux qui portent granl atour,
Qui contre droit en emportent le bruit,
Helas! voire, et ne font pas séjour,
Car traïson en leurs cueurs tousjours bruit.
Garder se fault que nul ne les ressemble,
Ne nulle aussi qui veult à bien venir ;
Pource, conclus, pour au point revenir.
Que jamais mal entre amoureux n'assemble
Quant Leaulté et Amour sont ensemble.
RONDEAU CCIV.
Plus tost accointé que congneu,
Plus tost esprouvé que nourry,
Plus tost plaisant que bien choisy,
Est souvent en grâce receu.
Mains tost que riche, despourveu
Se trouve garny de soussy;
Plus tost accointé que congneu.
Plus tost esprouvé que nourry !
Assez tost meschant est recreu,
Assez tost entreprent hardy,
Assez tost senti qui s'ardy,
Tout ce mal est de chascun sceu;
Plus tost accointé que congneu I
RONDEAUX. 209
RONDEAU.
Par Benoist d'Amiens.
Au plus fort de ma maladie.
M'a abandonné Espérance,
Laquelle, sans point decevance.
Me devait tenir compaignie.
Helas! ce n'es* pas mocquerie
D'avoir perdu ceCle alliance,
Au plus fort de ma maladie.
Car ccrte:, qui /jue chante ou rie,
J'ay à toute herre desplaisance
Plus que nesung qui soit en France,
Par quoy je ne sçay que je die,
Au plus fort de ma maladie.
RONDEAU CGV.
Par le duc d'Orléans.
Au plus fort de ma maladie
Des fièvres de Merencolie,
Quant d'Anuy je frissonne fort,
J'entre en chaleur de Desconfort
Qui me met tout en Resverie.
Lors je jangle mainte Folie,
Et meurs de soif de Chiere Lie ;
De mourir seroye d'accort,
Au plus fort de ma maladie.
Adoncques me tient compaignie
Espoir, dont je le remercie,
CHARLES d'oRLÉANS. II. 1%
CHARLES D ORLEANS.
Qui de me guérir se fait fort,
Disant que n'ay garde de mort,
Et qu'en riens je ne m'en soussie,
Au plus fort de ma maladie.
RONDEAU GCVI.
A ce jour de saint Valentin,
Bien et beau Karesme s'en va ;
Je ne sçay qui ce jeu trouva.
Penser m'y a pris au matin ;
Et puis pour jouer à tintin
Avecques moy tost se leva ;
A ce jour de saint Valentin,
Bien et beau Karesme s'en va.
Soussy m'a cuide ung tatin
Donner, mais pas ne l'acheva,
Bien garday que ne me greva ;
Maledicatur en latin,
A ce jour de saint Valentin.
RONDEAU CCVII.
A ce jour de saint Valentin,
Venez avant, nouveaux faiseurs,
Faittes de plaisirs ou douleurs
Rimes en françoys ou latin.
Ne dormez pas trop au matin.
Pensez à garder voz honneurs.
A ce jour de saint Valentin,
Venez avant, nouveaux faiseurs.
Heur et Maleur sont en hutin.
RONDEAUX. 211
Pour donner pers, cy et ailleurs,
Autant aux moindres qu'aux greigneurs;
Veulent départir leur butin,
A ce jour de saint Valentin.
RONDEAU CCVIII.
A ce jour de saint Valentin
Qu'il me convient choisir ung per,
Et que je n'y puis esohapper,
Pensée prens pour mon butin.
Elle m'a resveillé matin,
En venant à mon huis frapper,
A ce jour de saint Valentin
Qu'il me convient choisir ung per.
Ensemble nous arons hutin,
S'elle veult trop mon cueur happer ;
-Mais, s'Espoir je pense atrapper,
Je parlasse d'autre latin,
A ce jour de saint Valentin.
RONDEAU CCIX.
De Monseigneur d'Orléans à madame d'Angoalêmc,
A ce jour de saint Valentin,
Puis qu'estes mon per ceste année.
De bien eureuse destinée
Puissions nous partir le butin.
Menez à beau frère hutin
Tant qu'ayez la pense levée,
A ce jour de saint Valentin.
X
CHARLES D ORLEANS.
Je dors tousjours sur mon coissin,
Et ne fois chose qui agrée
Gueres à ma malassenée,
Dont me fait les groings au matin,
A ce jour de saint Valentin.
RONDEAU.
Par Tignonville,
Pour la coustitme maintenir,
Ceste saint Valentin nouvelle,
Mon cueur a choisy damoiselle,
Moyennant l'amoureux désir.
Par ung regart fait à loisir,
Se voult logier es mains de celle
Pour la coustume maintenir,
Ceste saint Valentin nouvelle.
S' on lui fait trop de mal souffrir,
Je m'accorde qu'i se rappelle,
Et puis se tiengne à la plus belle
Qiie sesyeulx lui pourront choisir,
Pour la coustume maintenir.
RONDEAU CCX.
Contre, fenoches et nox bu^e,
Peut servir ung « tantost » de France;
Da ly parolles de plaisance,
Au plus sapere l'en cabuze.
Jà cossy maintes foiz s'abuze,
Grandissime fault pourveance,
RONDEAUX. 2l3
Contre fenoches et nox bm^e.
Sta/ermo toutes choses uze,
Aspette ung poco par savance,
La Rason fa l'ordonnance
De qtiella medicine on uze
Contre fenoches et nox bu^e.
RONDEAU.
Par Benoist d'Amiens.
Contre fenouches et nox buze,
Convient l'un faire, /'aultro dire.
Pleurer d'un ueil^ de /'aultro rire ;
Questo modo les gens abu^e.
Or da poy que lo mondo en u^e,
Non est dy besoingno dormire,
Contre fenouches et nox buze,
Convient l'un faire, /'aultro dire.
Tanto principo comme duze,
Veulent le lour fato conduire,
Et li soy servitor instruire
A sapere jouar la ruje.
Contre fenouches et nox buze.
RONDEAU.
Par maistre Berthault de Villebresme.
Puisque chascun sert de fenouches,
Et de mentir, nei^ que de mouches.
Aucun aujourduy ne tient conte,
Mais à chascun d'avoir son compte
214 CHARLES D ORLEANS.
Soiijffist, soit honneur, ou reprouches,
Retraire je me vueii es touches
Des bois, ainsi que les farouches,
Car d'estre au monde j'ay grant honte.
Puisque chascun sert de fenouches.
Et de mentir, nei^ que dernouches.
Je y congnois tant de maies bouche
De clers voyans faisant les louches.
De bons et simples que Von doute ;
Veu donc que mal bien y surmonte,
Plus me plaist vivre entre les souches.
Puisque chascun sert de fenouchcs.
RONDEAU CCXI.
Ce premier jour du mois de May,
Quant de mon lit hors me levay,
Environ vers la matinée,
Dedens mon jardin de Pensée,
Avecques mon cueur, seul entray.
Dieu scet s'entrepris fu d'esmay,
Car en pleurant tout regarday
Destruit d'ennuyeuse gelée,
Ce premier jour du mois de May,
Quant de mon lit hors me levay,
Environ vers la matinée.
En gast, fleurs et arbres trouvay
Lors au jardinier demanday
Se Desplaisance maleurée,
Par tempeste^ vent ou nuée,
Avoit fait ce piteux array,
Ce premier jour du mois de May.
RONDEAUX.
RONDEAU CCXII.
Qui est cellui qui s'en tendroit
De bouter hors Merencolie,
Quant toute chose reverdie,
Par les cliamps, devant ses yeulx, voiti
Ung malade s'en gueriroit
Et ung mort revendroit en vie.
Qui est cellui qui s'en tendroit
De bouter hors Merencolie!
En tous lieux on le nommeroit
Meschant endormy en foUie,
Chasser de bonne compaignie,
Par raison, chascun le devroit.
Qui est cellui qui s'en tendroit î
RONDEAU CCXIII.
Allez vous masser maintenant,
Ennuyeuse Merencolie,
Regardez la saison jolie
Qui par tout vous va reboutant.
Elle se rit en vous mocquant,
De tous bons lieux estes bannye.
Allez vous musser maintenant,
Ennuyeuse Merencolie.
Jusque vers Karesme Prenant
Que jeusne les gens amaigrie
Et 1-1 saison est admortie,
Ne vous monstrez ne tant ne quan:;
Allez vous musser maintenant.
2l6 CHARLES d'oRLÉAN s.
RONDEAU CCXIV.
Qui est cellui qui d'amer se tendroit,
Quant Beaulté fait de morisque l'entrée,
De Plaisance si richement parée
Qu'à l'amender jamais nul ne vendroit!
Cueur demy mort, les yeulx en ouvreroit,
Disant : C'est cy raige désespérée.
Qui est cellui qui d'amer se tendroit.
Quant Beaulté fait de morisque l'entrée!
Lors quant Raison enseigner le vendroit,
Il lui diroit : A ! vieille rassotée,
Laissez m'en paix, vous troublez ma pensée,
Pour riens en ce nully ne vous croiroit.
Qui est cellui qui d'amer se tendroiti
RONDEAU CCXV.
Bon fait avoir cueur à commandement,
Quant il est temps, qui scet laisser ou prendre,
Sans trop vouloir sotement entreprendre
Chose où ne gist gueres d'amendement.
Quel besoing est, quand on est à son aise,
De se bouter en soussy et meschief I
Je tiens amans pour folz, ne leur desplaise.
De travailler sans riens mènera chiet.
C'est par Espoir ou par son mandement,
Qui tel mestier leur conseille d'aprendre;
Il fait pechié, on l'en devroit reprendre ;
J'en parle au vray, à mon entendement :
Bon fait avoir cueur à commandement.
RONDEAUX. 217
RONDEAU CCXVI.
. Je vous entens à regarder,
Et part de voz pensers congnois,
Essayé vous ay trop de fois,
De moy ne vous povez garder.
Guidez vous par voz motz farder,
Mener les gens de deux en trois!
Je vous entens à regarder,
Et part de voz pensers congnois.
Vous savez tirer et tarder,
Raige faittes et feu Gregois ;
Bien gangnez voz gaiges par mois,
Parachevez sans retarder.
Je vous entens à regarder.
RONDEAU CCXVII.
Plus de desplaisir que de joye,
Assez d'ennuy, souvent à tort.
Beaucoup de soussy sans confort,
Oultraige de peine, oîi que soye !
Trop de douleur à grant montjoye,
Foison de trespiteux rapport 1
Plus de desplaisir que de joye.
Assez d'ennuy, souvent à tort !
Tant de grief que je ne diroye ;
Mains amant ma vie, que mort ;
Pis que mourir, n'est ce pas fort?
Telz beaulx dons fortune m'envoye.
Plus de desplaisir que de joye !
2l8 CHARLES d'oRLÉANS.
RONDEAU CCXVIII.
Pour mon cueur qui est en prison,
Mes yculx vont l'aumosne quérir ;
Gueres n'y pevent acquérir,
Tant petitement les prise on.
Réconfort qui est l'aumosnier.
Et Espoir, sont allez dehors,
On ne donna point l'aumosne hier;
Refus estoit portier alors,
Pour mon cueur qui est en prison.
Il est si plain de mesprison,
De rien ne le faut requérir.
N'essayer de le conquérir,
Tousjours tient sa vieille aprison,
Pour mon cueur qui est en prison.
RONDEAU CCXIX.
Et comment l'entendez vous,
Ennuy et Merencolie,
Voulez vous toute ma vie
Me tourmenter en courrous?
Le plus mal eureux de tous
Doy je estre ? je le vous nye.
Et comment l'entendez vous,
Ennuy et Merencolie?
De tous poins accordons nous,
Ou, par la vierge Marie,
Se Raison n'y remédie.
Tout va s'en dessus dessous.
Et comment l'entende i vous ?
RONDEAUX. 2J9
RONDEAU CCXX.
Voire, dea ! je vous ameray,
Ennuyeuse Merencolie,
Et servant de Plaisance lie,
Par vous plus ne me nommeray!
Foy que doy à Dieu, si seray
Tout sien, soit ou sens, ou folie.
Voire, dea ! je vous ameray,
Ennuyeuse Merencolie!
Jamais ne m'y rebouteray,
En voz lactz, se je m'en deslie,
Et se Bon Eur à moy s'alie,
Je faiz à vous... mais non feray,
Voire, dea ! je vous ameray!
RONDEAU CCXXI.
Fortune, passez ma requeste,
Quant assez m'aurez tort porté,
Ung peu je soye déporté.
Que Desespoir ne me conqtieste!
Veu que je me suis, en la queste
D'Amours, loyaument déporté.
Fortune, passez ma requeste,
Quant assez m'aurez tort porté.
Mon droit, sans que plus y acqueste,
Aux jeunes gens j'ay transporté ;
Se riens est de moy rapporté.
Je vous pry qu'on en face enqueste ;
Fortune, passez ma requeste.
220 CHARLES D ORLEANS.
RONDEAU CCXXIT.
De quoy vous sert cela, Fortune ?
Voz propos sont, puis longs, puis cours,
Une tbiz estes en decours,
L'autre, plaine comme la lune!
On ne vous trouve jamais une,
Nouvelletez sont en voz cours ;
De quoy vous sert cela. Fortune ?
Voz propos sont, puis longs, puis cours.
S'est vostre manière commune ;
Car, quand je vous requiers secours,
Vous fuyez, après vous je cours
Et pitié n'a en vous aucune.
De quoy vous sert cela. Fortune?
RONDEAU CCXXIII.
Fortune ! sont ce de voz dons,
Engoisses que vous aportez?
A présent vous en déportez,
Ce sont trop doloreux guerdons.
D'entrer céans vous deffendons,
Dures nouvelles rapportez.
Fortune ! sont ce de voz dons,
Engoisses que vous aportez?
Et oultreplus, vous commandon3
Que les cueurs ung peu supportez;
Jouez vous, et vous depportez
Autre part, baillant telz pardons.
Fortune ! sont ce de voz dons ?
RONDEAUX. 221
RONDEAU GCXXIV.
Sans faire mise ne recepte
Du monde, dont compte ne tien,
Mon cueur en propos je maintien
Que mal et bien en gré accepte.
Se Fortune est mauvaise ou bonne,
A chascun la fault endurer ;
Quant Raison y mettra la bonne.
Elle ne pourra plus durer.
Rien n'y vault engin, ne decepte,
Au derrain on congnoistra bien
Qui fera le mal ou le bien,
Grans, ne petiz, je n'en excepte,
Sans faire mise ne recepte.
RONDEAU CCXXV.
C'est pour rompre sa teste
De Fortune tanser
Qui à riens ne s'arreste !
Trop seroit fait en beste.
C'est pour rompre sa teste!
Quant elle tient sa feste,
Les aucuns tait danser,
Et les autres tempeste,
C'est pour rompre sa teste !
CHARLES l> ORLEANS.
RONDEAU GCXXVI.
Pour quoy moy, plus que les autres ne font,
Doy je porter de Fortune l'effort ?
Par tout je vois criant : Confort, Confort;
C'est pour néant, jamais ne me respont.
Me convient il tousjours ou plus parfont
De Dueil nager, sans venir à bon port !
Pour quoy moy, plus que les autres ne font,
Doy je porter de Fortune l'effort ?
J'aj^pelle aussi, er en bas et amont,
Loyal Espoir, mais je pense qu'il dort,
Ou je cuide. qu'il contrefait le mort ;
Confort, n'Espoir, je ne sçay où ilz sont,
Pour quoy moy, plus que les autres ne font?
RONDEAU GCXXVII.
Pour quoy moy, mains que nully
Que je congnoisse au jourduy,
Auray je part en Liesse,
Veu qu'ay despendu Jeunesse
Longuement, en grant ennuy?
Doy je donc estre cellui
Qui ne trouvera en lui
Bon Eur, qu'à peu de largesse ?
Pour quoy moy, mains que nully?
J'ay Loyal Désir suy
A mon povoir, et fuy
Tout ce qui à tort le blesse ;
Désormais, en ma vieillesse,
Demourray je sans apuy?
Pour quoy moy, mains que nully?
RONDEAUX.
RONDEAU CCXXVIII.
Serviteur plus de vous, Merencolie,
Je ne seray, car trop fort y traveille ;
Raison le veult et ainsi me conseille
Que le face, pour l'aise de ma vie.
A Non Chaloir vueil tenir compaignie,
Par qui j'auray repos sans que m'esveille.
Serviteur plus de vous, Merencolie,
Je ne seray, car trop fort y traveille.
Se de vous puis faire la départie,
Et il seurvient quelque estrange merveille,
Legierement passera par l'oreille 1
Au contraire jamais nul ne me die
Serviteur plus de vous, Merencolie!
RONDEAU CCXXIX.
Du tout retrait en hermitaige
De Non Chaloir, laissant Folie,
Désormais veult user sa vie
Mon cueur que j'ay veu trop volage.
Et savez vous qui son courage
changié? s'a fait maladie,
Du tout retrait en hermitaige
De Non Chaloir, laissant Folie.
Fera il que fol ou que sage ?
Qu'en dictes vous, je vous. en prie?
Il fera bien, quoy que nul dye,
Moult y trouvera d'avantage,
Du tout retrait en hermitai-^e.
CHARLES D'ORLÉANS.
RONDEAU CCXXX.
Est ce tout ce que m'apportez
A vostre jour, Saint Valentin ?
N'auray je que d'Espoir butin,
L'attente des desconfortez .-'
Petitement vous m'enhortcz
D'estre joyeulx à ce matin.
Est ce tout ce que m'aportez
A vostre jour, Saint Valentin ?
Nulle rien ne me rapportez,
Fors bona dies en latin,
Vieille relique en viel satin;
De telz presens vous déportez.
Est ce tout ce que m'apportez?
RONDEAU CGXXXI.
Quant Pleur ne pleut, Souspir ne vante,
Et que cessée est la tourmente
De Dueil, parle doulx temps d'Espoir,
La nef de Desireulx Vouloir
A Port Eureux fait sa descente.
Sa marchandise met en vante
Et à bon marché la présente
A cculx qui ont fait leur devoir,
Quant Pleur ne pleut, Souspir ne vante.
Et que cessée est la tourmente
De Dueil, par le doulx temps d'Espoir,
Lors les marchans de Longue Attente,
Pour gaaigner et corps et rente
RONDEAUX. 223
Et tout ce qu'en peveni avoir ,
Q'en achetter font leur povoir
Tant que chascun cueur s'en contente,
Quant Pleur ne pleut, Souspir ne vante.
RONDEAU.
Par Benoist d'Amiens.
En la grant mer de Desplaisance,
Sans avoir espoir d'Alegance
De trouver port, fors de Douleur,
Nage tousjours mon povre cueur.
En bateau banny d'Espérance.
Voille n'a que Decevance,
Ne soutte que de Pacience,
Jamais n'y vente que Maleur,
En la grant mer de Desplaisance,
Sans avoir espoir d'Alegance
De trouver port, fors de Douleur.
Dueil, Soussy ont la gouvernance,
Qiii ne lui donnent, pour pitance,
Qiie bescuit durcy de Langueur,
Avecques eaue de Rigueur ;
Ainsi languist, faisant penance.
En la grant mer de Desplaisance.
RONDEAU CCXXXII.
Quant Pleur ne pleut, Soui,pir ne vente
Le bruit sourt de Jeux et Risée,
Et Joye vient appareillée
De recevoir d'Espoir sa rente,
CHARLES D'ORLÉANS. II. l5
226 CHARLES d'oRLÉANS.
Assignée sur Longue Attente,
Mais après loyaument paiée ;
Quant Pleur ne pleut, Souspir ne vente,
Le bruit sourt de Jeux et Risée.
Jà Reconfort est mis en vente.
Et Plaisance fait sa livrée
De biens si richement ouvrée
Que Dueil fuyt et s'en mal contente,
Quant Pleur ne pleut, Souspir ne vente.
RONDEAU.
Par maistre Jean Caillau.
Quant Pleurne pleut, Souspir ne vente.
Si fait, dea! des foi:^ plus de trente.
Maint se tourmente,
Souffrant le revers de son vueil,
Et touteffoij lerme de l'ueil
Neist hors du sueil,
Pour parer du Courroux la rente,
Du dolent, ou de la dolente,
Qui seuffre doleur non pas lente.
Sans nulle attente
D'assouagement de leur dueil,
Quant Pleur ne pleut, Souspir ne vente.
Tant y en a en ceste sente,
Souff'rans de corps, de cueur, d'entente.
Loin g de la tente
Où sont Plaisance et Doulx Acueil!
Quant à moy, des maulx que recueil.
Dont tant me dueil,
Seulet, à part moy, me guermente,
Quant Pleur ne pleut, Souspir ne vente.
RONDEAUX. 227
RONDEAU CCXXXIII.
Quant je congnois que vous estes tant mien,
Et que m'aymez de cueur si loyaument,
Je feroye vers vous trop faulcement
Se, sans faindre, ne vous amoye bien.
Essayez moy se vous fauldray en rien.
Gardant tousjours mon honneur seulement,
Quant je congnois que vous estes tant mien,
Et que m'aymez de cueur, si loyaument.
Se me dittes : Las ! je ne sçay combien
Vostre vouloir durera longuement ;
Je vous respons, sans aucun changement,
Qu'en ce propos me tendray et me tien.
Quant je congnois que vous estes tant mien.
RONDEAU CCXXXIV.
Pour Monseigneur de Beaujeu.
Puis qu'estes de la confrairie
D'Amours, comme monstrent voz yeulx,
Vous y trouvez vous pis, ou mieulx ?
Qu'en dittes vous de telle vie ?
Souffler vous y fault l'alquemie,
Ainsy que font jeunes et vieulx.
Puis qu'estes de la confrairie
D'Amours, comme monstrent voz yeulx.
Ne cuidez par nygromancye
Estre invisible ; se m'aist Dieux,
On congnoistra, en temps et lieux,
Comment jourez de l'escremye,
Puis qu'estes de la confrairie.
228 CHARLES D'ORLliANS.
RONDEAU CCXXXV.
Dedans l'amoureuse cuisine,
Où sont les bons, frians morceaux,
Avaler les convient tous chaulx,
Pour reconforter la poictrine.
Saulcc ne faut, ne cameline,
Pour jeunes appetiz nouveaulx,
Dedans l'amoureuse cuisine,
Où sont les bons, frians morceaux.
Il souffist de tendre geline
Qui soit sans os, ne vieilles peaulx,
Mainssée de plaisans cousteaux;
C'est au cueur vraye medicine,
Dedans l'amoureuse cuisine.
RONDEAU CCXXXVI.
Soupper ou baing et disner ou bateau,
En ce monde n'a telle compaignie,
L'un parle ou dort, et l'autre chante ou crie,
Les autres font balades, ou rondeau.
Et y boit on du viel et du nouveau,
On l'appelle le desduit de la pie.
Soupper ou baing et disner ou bateau.
En ce monde n'a telle compaignie.
Il ne me chault ne de chien ne d'oiseau ;
Quant tout est tait, il fault passer sa vie
Le plus aise qu'on peut, à chiere lie ;
A mon advis, c'est mestier bon et beau,
Soupper ou baing et disner ou bateau.
RONDEAUX. 229
RONDEAU CCXXXVII.
En yver, du feu, du feu,
Et en esté, boire, boire.
C'est de quoy on fait mémoire,
Quant on vient en aucun lieu.
Ce n'est ne bourde, ne jeu,
Qui mon conseil vouldra croire :
En yver, du feu, du feu.
Et en esté, boire, boire.
Chaulx morceaux faiz de bon queu,
Fault en froit temps, voire, voire.
En chault, froide pomme ou poire,
C'est l'ordonnance de Dieu,
En yver, du feu, du teu !
RONDEAU CCXXXVIII.
Où le trouvez vous en escript.
Se dient à mon cueur mes yeulx,
Que nous ne soyons vers vous tieulx
Que devons, de jour et de nuyt ?
Se ne vous conseillons proutïit,
Nous en croirez vous ? nennil. Dieux 1
Où le trouvez vous en escript?
Se dient à mon cueur mes yeulx.
Quant rapportons quelque déduit
Que nous avons veu en mains lieux.
Prenez en ce qui vous plaist mieulx.
L'autre lessez est ce mau dit?
Où le trouvez vous en escript ?
23o CHARLES d'oRLÉANS.
RONDEAU CCXXXIX.
L'cauc de Pleurs, de Joye ou de Douleur,
Qui lait mculdre le molin de Pensée,
Dessus lequel la rente est ordonnée,
Qui doit fournir la despense du cueur,
Despartir fait farine de Doulceur,
D'avecques son de Dure Destinée,
L'eaue de Pleurs, de Joye, ou de Douleur,
Qui fait meuldre le molin de Pensée.
Lors le mosnier, nommé Bon, ou Mal Eur,
En prent proutBt, ainsi que lui agrée;
Mais Fortune souvent desmesurée
Lui destourbe mainteftbis, par rigueur,
L'eaue de Pleurs, de Joye, ou de Douleur,
RONDEAU CCXL.
En verrây je jamais la fin
De voz euvres, Merencolie ?
Quant au soir de vous me deslie,
Vous me ratachez au matin.
J'amasse mieulx autre voisin
Que vous, qui si fort me guerrie.
En verray je jamais la fin
De vos euvres, Merencolie?
Vers moy venez en larrecin.
Et me robez Plaisance Lie ;
Suis je destiné, en ma vie,
D'estre tousjours en tel hutin?
En verray je jamais la fin ?
RONDEAUX. 23l
RONDEAU CCXLI.
Qu'est cela ? — C'est Merencolie,
— Vous n'entrerez jà, — Pourquoy ? — Pour ce
Que vostre compaignie acourse
Mes jours, dont je foys grant folie.
— Se me chassez par Chiere Lie,
Brïef revendray de plaine course.
— Qu'est cela ? — C'est Merencolie,
— Vous n'entrerez jà, — Pourquoy? — Pource.
— Il fault que Raison amohe
Vostre cueur et plus ne se cource.
Ainsi pourrez avoir ressource,
Mais que vostre mal sens deslie.
— Qu'est cela? — C'est Merencolie.
RONDEAU CCXLII.
Ne cessez de tanser, mon cueur,
Et fort combatre ces faulx yeulx
Que nous trouvons, vous et moy, tieulx.
Qu'ilz nous fpnt trop souffrir douleur.
Estroittement commandez leur
Qu'ilz ne trottent en tant de lieulx.
Ne cessez de tanser, mon cueur.
Et fort combatre ces faulx yeulx.
Et leur monstrez telle rigueur
Qu'ilz vous craingnent, car c'est le mieulx
Qu'ilz obéissent, se m'aist Dieux,
A vous, vous monstrant leur Seigneur;
Ne cessez de tanser, mon cueur.
2'32 CHARLES d'oRLÉANS.
RONDEAU CCXLIII.
Je ne voy rien qui ne m'annuye,
Et ne sçay chose qui me plaise ;
Au fort, de mon mal me rapaise,
Quant nul n'a sur mon fait envye.
D'en tant parler, ce m'est follie,
Ilvault trop mieulx que je me taise.
Je ne voy rien qui ne m'annuye,
Et ne sçay chose qui me plaise.
Vouldroit aucun changer sa vie
A moy, pour essayer mon aise ?
Ne trouveroy, je l'en detïie ;
Je ne voy rien qui ne m'annuye.
RONDEAU CCXLIV.
Ne bien, ne mal, mais entre deulx
J'ay trouvé au jourduy mon cueur
Qui, parmi Confopt et Douleur,
Se seioit ou millieu d'entr'eulx.
Il me dit : Qu'est ce que tu veulx ?
Peu respondy pour le meilleur.
Ne bien, ne mal, mais entre deulx
J'ay trouvé au jourduy mon cueur.
Aux dames et aux paons faiz veulx,
Se Fortune me tient rigueur,
De sa foy requerray Bon Eur
Qu'il s'acquitte, quant je me deulx,
Ne bien, ne mal, mais entre deulx.
RONDEAUX. 233
RONDEAU CCXLV.
Fermez lui l'uis au visaige,
Mon cueur, à Merencolie,
Gardez qu'elle n'entre mye,
Pourgaster nostre mesnaige.
Comme le chien plain de raige,
Chassez la, je vous en prie ;
Fermez lui l'uis au visaige,
Mon cueur, à Merencolie.
C'est trop plus nostre avantaige
D'estre sans sa compaignie.
Car tousjours nous tanse, et crye,
Et nous porte grand dommaige.
Fermez lui l'uis au visaige.
RONDEAU CCXLVI.
Ou millieu d'Espoir et de Doubte
Les cueurs se mussent plusieurs jours,
Pour regarder les divers tours
Dont Dangier souvent les déboute.
L'oreille je tens et escoute
Savoir que, sur ce, dit Secours.
Ou millieu d'Espoir et de Doubte,
Les cueurs se mussent plusieurs jours.
Eslongné de mondaine route
Me tiens, comme né en decours,
Entre les aveugles et sours ;
Dieu y voye, je n'y voy goûte
Ou millieu d'Espoir et de Doubte.
234 CHARLES d'orlé.vns.
RONDEAU CCXLVII.
Devenons saiges désormais,
Mon cuear, vous et moy, pour le mieulx,
Noz oreilles, aussi noz yeulx,
Ne croyons de legier jamais.
Passer fault nostrc temps en paix ;
Veu que sommes au renc des vieulx,
Devenons saiges désormais,
Mon cueur, vous et moy, pour le mieulx.
Se nous povions par souhaiz
Rasjeunir, ainsi m'aide Dieux,
Feu Grejoys ferions en mains lieux;
Mais les plus grans coups en sont faiz,
Devenons saiges désormais.
RONDEAU CCXLVIII.
Qui le vous a commandé
Soussy, de me mener guerre ?
Avant qu'on vous aille querre,
Venez sans estre mandé.
M'ordonnez vous almandé,
Quant Mort de son dart m'enferre !
Qui le vous a commandé
Soussy, de me mener guerre?
Pour Dieu, tost soit amendé
Le mal qui tant fort me serre 1
Après que seray en terre,
Vous en sera demandé,
Qui le vous a commandé ?
RONDEAUX 235
RONDEAU CCXLIX.
Une povre ame tourmentée
Ou Purgatoire de Soussy,
Est en mon corps ; qu'il soit îiinsi,
Il y pert, et nuyt et journée.
Piteusement est detirée.
Sans point cesser, puis là, puis cy,
Une povre ame tourmentée
Ou Purgatoire de Soussy.
Mon cueur en a -peine portée,
Tant qu'il en est presque transy;
Mais espérance j'ay aussi
Qu'au derrenier, sera sauvée,
Une povre ame tourmentée.
RONDEAU GCL.
Ces beaulx mignons à vendre et à revendre,
Regardez les, sont ilz pas à louer ?
Au service sont tous près d'eulx louer
Du Dieu d'Amours, s'il lui plaist à les prendre.
Bon escolle sauront bientost aprendre ;
Bons escolliers, je les vueil advouer,
Ces beaulx mignons à vendre et à revendre ;
Regardez les, sont ilz pas à louer ?
Et s'ilz faillent, il les pourra reprendre,
Quant ilz vouldront trop nycement jouer.
Et sus leurs braz la chemise nouer,
Tant qu'au batre ne se puissent deffendre.
Ces beaulx mii^nons à vendre et à revendre.
2Jb CHARLES d'orléans.
RONDEAU CCLI.
D'Espoir, il n'en est nouvelles.
Qui le dit? Merencolie.
Elle ment. Je vous le nye.
A! a! vous tenez ses querelles!
Non faiz, mais parolles telles
Courent, je vous certiffie.
D'Espoir, il n'en est nouvelles.
Qui le dit? Merencolie.
Parlons doncques d'aultres, quelles?
De celles dont je me rie.
Peu j'en sçay. Or je vous prie
Que m'en contez des plus belles.
D'Espoir, il n'en est nouvelles.
RONDEAU.
Par maistre Jehan Caillau.
Espoir où est? en chambre close.
Et là que/ait? il se repose.
Sera il empiece esveillé ?
Il dit que il a trop veillé,
Et que dormir veult une pose.
Qiie pour quelque pris je compose
A vous, et l'esveiller je n'ose.
Car il est las et traveillé.
Espoir oit est? en chambre close.
Par Dieu, ainsi que Je suppose,
Il fait quelque roman ou glose ;
RONDEAUX. 237
Moy mesmes suis esmerveillé
De le veoir si ensommeillé ,
Ne m'en direz vous autre chose ?
Espoir où. est? en chambre close.
RONDEAU CCLII.
Pour empescher le chemin,
Il ne fault qu'un amoureux
Qui, en penser désireux,
Va songant soir et matin.
Donnez lui ung bon tatin,
Il s'endort le maleureux.
Pour empescher le chemin.
Il ne fault qu'un amoureux.
D'eaue tout plain ung bassin
Eust il dessus ses cheveulx,
D'un coup d'esperon, ou deux,
Ne veult chasser son roussin,
Pour empescher le chemin.
RONDEAU CCLIII.
Qu'est ce la? qui vient si matin ?
— Se suis je. — Vous, saint Valeniin!
Qui vous amaine maintenant,
Ce jour de Karesme prenant,
Venez vous départir butin ?
A présent nully ne demande.
Fors bon vin et bonne viande,
Banquetz et faire bonne chicre.
Car Karesme vient et commande
A Charnaige, tant qu'on le mande,
238 CHARLES d' OR LÉ ANS.
Que pour ung temps se tire arrière.
Ce nous est ung mauvaiz tatin,
Je n'y entens nul bon latin ;
Il nous fauldra dorénavant
Confesser, penance faisant ;
Fermons lui l'uys à tel hutin.
Qu'est ce la ? qui vient si matin ?
RONDEAU CCLIV.
Commandez qu'elle s'en voise,
Mon cueur, à Merencolie,
Hors de vostre compaignie,
Vous laissent en paix sans noise.
Trop a esté, dont me poise,
Avecques vous, c'est folie.
Commandez qu'elle s'en voise,
Mon cueur, à Merencolie.
Oncques ne vous fust courtoise,
Mais les jours de vostre vie
A traittez en tirannie ;
Sang de moy, quelle bourgeoise !
Commandez qu'elle s'en voise.
RONDEAU.
Du duc de Bourbon (jadis Clermont).
Je gis au Ht d'amertume et doleiir.
Livré à mort, par faulte de secours,
Et si tîe sçay quant Jinera le cours
De mon aspre et immortel malheur.
RONDEAUX. 2-')9
Prie^ pour moy, car je m'en vois mourir,
Mes bons amis, aie^ en souvenance ;
On ne me veult au besoing secourir,
Requerej en, après mes jours, vengance,
Si vous }n'ame:{. Car c'est pour la valleur
D'une sans per, qu'ainsi mest au decours
Ma povre vie, sans répit, ne recours ;
Pour estre tant son loyal serviteur,
Je gis au lit d' amertume et doleur.
RONDEAU CCLV.
Réponse du duc d'Orléans.
Comme parent et alyé
Du duc Bourbonnois à présent,
Par ung rondeau nouvellement
Me tiens pour requis et payé.
Par une, gist malade, mis
Ou lit d'amertume et grevance,
Requérant tous ses bons amis,
S'il meurt, qu'on demande vengance.
Quant à moy, j'ay jà defïié
Celle qui le tient en tourment,
Et après son trespassement,
Par moy sera bien hault crié
Gomme parent et alyé.
RONDEAU CCLVI.
_/ Quant ung cueur se rent à beaulx yeulx,
Criant mercy piteusement,
240 CHARLES D ORLÉANS.
S'ilz le chastient rudement,
Et il meurt, qu'en valent ilz miculx?
Batu de verges de Beaultc,
De lui font sang par tout courir,
Mais qu'il n'ait fait deslcauté,
Pitié le devroit secourir,
S'il n'a point hanté entre tieulx
Qui ne s'aquittent loyaument ;
Doit estre tel pugnissement,
A mon advis, en autres lieux.
Quant ung cueur se rent à beaulx yeulx.
RONDEAU.
Par le grand sénéchal.
Ma fille de confession,
Veuille^ avoir compassion
De cellui qui sert loyaument,
Et qui est vostre entièrement,
Sans point faire de fiction.
Selon raison et conscience,
Tort lui tendre^, c'est ma créance,
S'il n'a bien brief ce que tant vault.
Je vous charge par pénitence
Qii'aye^ en lui toute fiance,
Sans plus respondre : Ne m'en chault.
Cellui qui souffrist Passion,
Vous doint bonne contriccion.
Au chois de mon entendement.
Plus eureux soub^ le firmament
N'auroit, dont il soit mencion.
Ma fille de confession.
RONDEAUX,
RONDEAU CCLVII.
Réponse du duc d'Orléans.
Beau Père ! benedicite,
Je vous requier confession,
Et, en humble contnction,
Mon pechié sera recité.
En moy n'a eu mercy, ne grâce.
Prenant de ma beaulté orgueil ;
Amours me pardoint ! ainsi face;
Désormais repentir m'en vueil.
Refïus a mon cueur délité ;
J'en feray satisfacion,
Donnez m'en absolucion
Et penance, par charité,
Beau Père ! benedicite.
RONDEAU.
Par Blosseville.
Ma tresbelle, plaisante seiir,
Confiteor du bon du cueur
Dittes, par grant devocion,
Sans plus avoir intencion
De maintenir vostre folleur.
Car tost après, de ma puissance
Vous absouldray, en espérance
Que doulce sere^ envers tous.
Et vous enjoings, par penitance.
De donner demain allegance
A cellui qui se meurt par vous ;
CHARLES d'ori.éans. i(. i6
241
242 ■ CHARLES d'oRLÉANS.
Lequel, par vostre gram rigueur,
Seuffre, comme j'entens, doïeur,
Et sans cause pugnicUm ;
Dont jà n'aure^ remission.
Tant qu'il en soit hors, j'en suis seur,
Ma tresbelle^ plaisante seur.
RONDEAU.
Par le duc de Bourbon.
Je sens le mal qu'il me convient porter
Non advenu, mais je crains qu'il aviengne.
Et qu'en la fin maleureux je deviengne.
Sans m asservir ailleurs, ne transporter.
S'ainsi advient qu'à cort on m'abandonne,
Qiie Dieu ne vueille ! que fer ay je sans per'
Las! je ne sça^^! si ce mal on me donne.
Des malheureux je seray le non per.
Pour le meilleur, il me fault déporter
Jusques à tant que ce maleur me viengne ;
Mais à ma Dame hardiement en souviengne ,
Car, pour tousjours sa rigueur supporter,
Je sens le mal qu'il me convient porter.
RONDEAU CCLVIII.
Response d'Orléans à Bourbon.
A voz amours hardiement en souviengne,
Duc de Bourbon ; se mourez par rigueur,
Jamais n'auront ung bi bon serviteur,
Ne qui vers eulx tant loyaument se tiengne.
RONDEAUX. 243
Dieu ne vueille que tel meschief adviengne,
Hz perdroient leur renom de doulceur.
A voz amours hardiement en souviengne,
Duc de Bourbon, se mourez par rigueur.
S'il est jangleur qui sottement maintiengne
Que Bourbonnois ont souvent legier cueur,
Je ne respons, fors que pourvostre honneur
Espérance convient que vous soustiengne.
A voz amours hardiement en souviengne!
RONDEAU.
Par le duc de Bourbon.
Prene'^ l'ommaige de mon cueur.
En recevant sa féaulté,
Et il gardera loyaulté,
Comme doit le'al serviteur.
S'il se forfait en vous servant.
Et qu'il soit clerement cogneu,
Ne le tene^ plus pour servant,
Banny soit comme descongneu.
Mais ce pendant, toute doulceur
Lui soit faitte, sans cruaulté!
Attendant que vostre beaulté
Ait pouveu à sa grant douleur,
Prene^ l'ommaige de mon cueur.
RONDEAU CCLIX.
Descouvreur d'embusche, sot ucil,
Pourquoy as tu passé le sueil
De ton logis, sans mandement
Et par oultrageux hardement,
244 CHARLES d'oRLÉANS.
As entrepris contre mon vueil ?
Demourer en repos je vueil,
Et en paix faire mon recueil,
Sans guerre avoir aucunement,
Descouvreur d'embusche, sot ueil,
Pourquoy as tu passé le sueil?
En aguet se tient Bel Acueil ,
Et se par puissance, ou orgueil,
Une foiz en ses mains te prent.
Tu fineras piteusement
Tes jours, en la prison de Dueil,
Descouvreur d'embusche, sot ueil.
RONDEAU.
Par Fraignê.
Mon oeil m'a dit qu'il me defpe
A tousjours mais, sans repentir,
Se je ne lui fais ce plaisir
D^amer une qu'il a choisie.
Se c' estait pour sauver sa vie,
Plus ne m'en pourroit requérir;
Mon oeil m'a dit qu'il me deffie
A tousjours mais, sans repentir.
Je lui ay dit : Tu fais folie,
Je teprjy, laisse moy dormir,
Je n''ay pas à présent loisir
De penser à ta resverie.
Mon oeil m'a dit qu'il me defjîe.
RONDEAUX. 245
RONDEAU.
Par le m'me.
Mon oiieil^je te pry et requîer
Que tu n'ayes plus en pensée
D'aler veoir ma tant désirée,
Où tu me met^ en grant dangier.
Et si te dy, pour abregier,
Que c'est ma mort toute jurée.
Mon oueil,je te pry et requier
Que tu n'ayes plus en pensée.
Quant tu la verras au moustier,
Ou quelque part à la passée.
Ne te met:^ pas à sa visée,
Car périlleux est tel archier.
Mon oueil,je te pry et requier.
RONDEAU CCLX.
Amours, à vous ne chault de moy,
N'a moy de vous, c'est quitte et quitte;
Ung vieillart jamais ne proutfite
Avecques vous, comme je croy.
Puisque suis absolz de ma foy,
Et Jeunesse m'est interditte,
Amours, à vous ne chault de moy,
N'a moy de vous, c'est quitte et quitte.
Jeune, sceu vostre vieille loy,
Vieil, la nouvelle je despitte.
Ne je ne crains la mort subitte
De Regart ; qu'en dittes vous, quoy?
Amours, à vous ne chault de moyl
240 CHARLES D ORLEANS.
RONDEAU CCLXI.
J'ay pris le logis de bonne heure
D'Espoir, pour mon cueur, au jourduy,
Affin que les fourriers d'Annuy
Ne le preignent pour sa demeure.
Veu que, nuyt et jour, il labcure
De me gaster, et je le fuy,
J'ay pris le logis de bonne heure
D'Espoir, pour mon cueur, au jourduy.
Bon Eur, avant que mon cueur meure,
L'aidera, il se fye en luy ;
Autre part ne quiers mon apuy;
En attendant qu'il me sequeure,
J'ay pris le logis de bonne heure.
RONDEAU CCLXir.
Fyez vous y, se vous voulez,
En Espoir qui tant promet bien ;
Mais souventeftbiz n'en fait rien,
Dont mains cueurs se sentent foulez.
Quant Désir les a affolez,
Au grand besoing leur fault du sien ;
Fyez vous y, se vous voulez,
En Espoir qui tant promet bien
Lors sont de Destresse affolez ;
J'aymeroye, pour le cueur mien,
Mieulx que deux tu l'aras, ung tien.
Quant les oyseaulx s'en vont voliez,
Fyez vous y, se vous voulez!
itONDEAUX. 247
RONDEAU CCLXIII.
Escoutez et laissez dire,
Et en voz mains point n'empire
Le mal, retournez le en bien ;
Tout yra, n'en doubtez rien,
Si bien qu'il devra suffire.
Dieu, comme souverain mire,
Fera mieulx qu'on ne désire,
Et pourverra; tout est sien.
Escoutez et laissez dire,
Et en voz mains point n'empire.
Chascun à son propos tire.
Mais on ne peut pas eslire;
Je l'ay trouvé, ou fait mien ;
Au fort, content je m'en tien,
Car après pleurer, vient rire.
Escoutez et laissez dire.
RONDEAU CCLXIV.
En arrierefief soubz mes yeulx,
Amours, qui vous ont fait hommaige,
Je tiens de mon cueur l'eritaige;
A vous sommes et serons ticul.K,
Voz vraiz subgietz, voire des vieulx,
Soit nostre prouffit, ou dommaige,
En arrierefief soubz mes yeulx,
Amours, qui vous ont fait hommaige.
J'appelle Déesses et Dieux
Sur ce, vers vous, en tesmoingnaige,
Se voulez, j'en tendray ostaige,
(Vous puis je dire, ou faire mieulx?)
En arrierefief soubz mes yeuîx.
248 CHARLES d'oRLÉANS.
RONDEAU CCLXV.
J'en baille le dénombrement
Que je tiens soubz vous loyaument,
Loyal Désir et Bon Vouloir;
Mais j'ay trop engagé Povoir,
Se je n'en ay relievement.
Je vous ay servi longuement,
En y despendant largement
Des biens que j'ay peu recevoir.
J'en baille le dénombrement
Que je tiens soubz vous loyaument,
Loyal Désir et Bon Vouloir.
Vieillesse m'assault Tellement,
Et me veult à destruisement
Mener, mais, veu qu'ay fait devoir,
Que m'aiderez j'ay ferme espoir.
A mes droiz voyez les Comment,
J'en baille le dénombrement.
RONDEAU CCLXVL
Je suis à cela
Que Merencolie
Me gouvernera.
Qui m'en gardera?
Je suis à cela.
Puisqu'ainsi me va,
Je croy qu'à ma vie
Autre ne sera,
Je suis à cela.
RONDEAUX. 249
RONDEAU CCLXVII.
On ne peult chastier les yeulx,
N'en chevir, quoy que l'en leur dye,
Dont le cueur se complaint et crye,
Quant s'esgarent en trop de lieux.
Seront ilz tousjours ainsi? Dieux!
Rien n'y vault s'on les tan se ou prie.
On ne peult chastier les yeulx,
N'en chevir, quoy que l'en leur die.
Quant aux miens, ilz sont desja vieulx
Et assez lassez de foUie •,
Les yeulx jeunes, fault qu'on les lye
Comme enragiez, n'est ce le mieulx?
On ne peult chastier les yeulx.
RONDEAU CCLXVIII.
Tel est le partement des yeulx,
Quant congié prennent doulcement,
D'eulx retraire piteusement,
En regretz privez, pour le mieulx.
Lors divers se dient adieux,
Esperans revenir briefment.
Tel est le partement des yeulx,
Quant congié prennent doulcement !
Et si laissent, en plusieurs lieux.
Des lermes par engagement
Pour paier leur deffrayement.
En gettant souspirs. Dieu scet quieulx;
Tel est le partement des yeulx !
250 CHARLES d'oRLÉANS.
RONDEAU CCLXIX.
Sont les oreilles estouppces?
Rapportent ilz au cueur plus rien?
Ouyl, plustost le mal que bien,
Quant on ne les tient gouvernées.
Se leurs portes ne sont fermées,
Tout y court de va et de vien.
Sont les oreilles estouppées ?
Rapportent ilz au cueur plus rien ?
Les miennes seront bien t;ardées
De Non Chaloir, que portier tien ;
Dont se plaint et dit le cueur mien ;
On ne me sert plus de pensées,
Sont les oreilles estouppées ?
RONDEAU CCLXX.
Pour monstrer que j'en ay esté,
Des amoureux aucuneflbiz,
Ce May, le plus plaisant des mois,
Vueil servir, ce présent Esté.
Quoy que Soucy m'ait arresté,
Sans son congié, je m'y envoiz ;
Pour monstrer que j'en ay esté,
Des amoureux aucuneffbiz.
Pource, je me tiens apresté
A deduiz, en champs et en bois,
S'Amours y prent nulz de ses droitz,
Quelque bien m'y sera preste ;
Pour monstrer que j'en ay esté.
RONDEAUX. 2?I
RONDEAU CCLXXI.
Tant ay largement despendu
Des biens d'amoureuse richesse,
Ou temps passé de ma jeunesse,
Que trop chier m'a esté rendu.
Car lors à rien je n'ay tendu
Qu'à conquester foison lyesse ;
Tant ay largement despendu
Des biens d'amoureuse richesse !
Commandé m'est et defFendu
Désormais par Dame Vieillesse,
Qu'aux jeunes gens laisse prouesse
Tout leur ay remis et vendu
Tant ay largement despendu.
RONDEAU CCLXXII.
Jaulier des prisons de Pensée,
Soussy, laissez mon cueur yssir,
Pasmé l'ay veu esvanouir
En la fosse descontortée.
Mais que seurté vous soit donnée
De tenir foy et revenir,
Jaulier des prisons de Pensée,
Soussy, laissez mon cueur yssir.
S'il mouroit en prison fermée,
Honneur n'y povez acquérir ;
V'ueilliez au moins tant l'eslargir
Qu'ait sa finance pourchassée,
Jaulier des prisons de Pensée.
252 CHARLES d'oRLÉANS.
RONDEAU.
Par Simonet Caillau.
JailUer des prisons de Pensée,
Mon povre cueur aux fers tene^.
Et dit on que vous lui donne^,
Chascun jour, une bastonnce.
Est ce par sentence ordonnée
Qu'en ce point le me gouverne^ f
Jaulier des prisons de Pensée,
Mon povre cueur aux fers tene^.
Se la cause estoit bien menée,
On jugerait que mesprenej
Et qu'à grant tort le retene^.
Sans plainte de personne née,
Jaulier des prisons de Pensée.
RONDEAU
Par Tignonville,
Jaulier des prisons de Pensée,
Avej vous le commandement
De traitter ainsi rudement
Les povres cueurs, en ceste année?
Vous est la puissance donnée
De par- Soussy, ou autrement?
Jaulier des prisons de Pensée,
Ave^ vous le commandement?
RONDEAUX. 253
Dedens la chartre adoulée,
Tenir les deussie^ doulcement ;
Batre ne deve^ nullement
Prisonniers en fosse fermée,
Jaulier des prisons de Pensée.
RONDEAU.
Par Gilles des Ormes.
Jaulier des prisons de Pensée,
Qui tenet^ tant de gens de bien,
Ouvre^ leur, il^ paieront bien
Le droit de Vyssue et l'entrée.
11^ m'ont commission baillée
D'appointer, dittes moi cotnbien,
Jaulier des prisons de Pensée,
Qui tene^ tant de gens de bien ?
Car fay cy finance apportée
Asse^, que du leur, que du mien.
Tant qu'on ne vous en devra rien.
Jusqu'à la derreniere journée,
Jaulier des prisons de Pensée.
RONDEAU.
Par Hugues Le Voys.
Jaulier des prisons de Pensée,
Ouvres à Re confort la porte,
Car à mon cueur l'aumosne porte
Que mes yeulx lui ont pourchassée.
Tenu l'avej, mainte journée,
Ou cep d'Anuy et prison forte ;
254 CHARLES d'oRLÉANS.
Jaulier des prisons de pensée,
Oiivre^ à Reconfort la porte.
Tant a fain et soif endurée
Qu'il a perdu couleur et sorte,
Helas! pour Dieu, qu'on le supporte.
Autrement sa vie est finée,
Jaulier des prisons de Pensée!
RONDEAU CCLXXIII.
Donnez l'aumosne aux prisonniers,
Réconfort et Espoir aussi;
Tant feray au jaulier Soussi
Qu'il leur portera voulentiers.
Hz n'ont ne vivres, ne deniers.
Crians de tain ; il est ainsi ;
Donnez l'aumosne aux prisonniers,
Reconfort et Espoir aussi.
Meschans ont esté mesnagiers,
Tenuz pour debte jusques cy;
Faittes les euvres de mercy,
Comme vous estes coustumiers :
Donnez l'aumosne aux prisonniers.
RONDEAU.
Par Benoist d'Amiens»
N'oublie^ pas les prisonniers,
Bonnes gens, aie^ en mercy;
11:^ sont en la tour de Soussy
Et tfont ne mailles, ne deniers.
RONDEAUX. 255
Larrons ne sont point, ne uinrtriers,
Par Envie on les tient ainsi.
N'oublie:^ pas les prisonniers,
Bonnes gens, aie^ en mercy.
Fait tes comme bons aumosniers,
Pour la grant pitié que vee:^ cy,
Et pour vous prieront Dieu aussi
De tresbon cueur et voulentiers ;
N'oublie^ pas les prisonniers.
RONDEAU CCLXXIV.
Banissons Soussy, ce ribault
Batu de verges par la ville,
C'est ung crocheteur trop habille
Pour embler Joye qui tant vault.
Copper une oreille lui fault.
Il est fort larron entre mille.
Banissons Soussy, ce ribault
Batu de verges par la ville.
Se plus ne revient, ne m'en chault;
Laissez le aller sans croix, ne pille.
Le Deable l'ait ou trou SebiUe ;
Point n'en saille pour froit, ne chault.
Banissons Soussy, ce ribault.
RONDEAU CCLXXV.
Des vieilles defferres d'Amours
?e suis à présent, Dieu^mercy;
Vieillesse me gouverne ainsi,
Qui m'a condempné en ses cours.
256 CHARLES d'oRLÉANS.
Je m'esbahis quant à rebours
Voy mon fait, disant : Qu'est ce cy?
Des vieilles defferres d'Amours,
Je suis à présent, Dieu mercy.
Mon vieil temps convient qu'ait son cours,
Qui en tutelle me tient sy
Du jaulier appelle Soussy,
Que rendu me tiens pour tousjours,
Des vieilles déferres d'Amours.
RONDEAU CCLXXVl.
Comme monnoye descriée,
Amours ne tient compte de moy;
Jeunesse m'a laissé, pourquoy?
Je ne suis plus de sa livrée.
Puis que telle est ma destinée,
Désormais me fault tenir coy.
Comme monnoye descriée,
Amours ne tient compte de moy.
Plus ne prent plaisir qu'en pensée
Du temps passé ; car, sur ma foy,
Ne me chault du présent que voy,
Car Vieillesse m'est délivrée
Comme monnoye descriée.
RONDEAU.
Par Hugues le Voys.
Comme monnoye descriée,
Loyaulté je voy abriée
Dessoub^ le pavillon de Honte,
AOHUEAUX. lOj
Par Faulceté qui la surmonte,
Et l'a d'oultrance deffiée.
De Bonne Foy s'est aljrée,
Et de son aide l'a priée,
Mais on n'en tient que peu de conte.
Comme monnoye descriée,
Loyaulté je voy abriée
Dessoub:^ le pavillon de Honte.
Du tout la tiens pour ravallée.
Par montaigne et par vallée.
Est notoire ce que raconte.
En maison de Duc, ne de Conte,
Ne se treuve qu'à l'eschappée.
Comme monnoye descriée.
RONDEAU CCLXXVII.
Laissez Baude buissonner,
Le vieil Briquet se repose,
Désormais travailler n'ose,
Abayer, ne mot sonner.
On lui doit bien pardonner,
Ung vieillart peut pou de chose.
Laissez Baude buissonner.
Le vieil Briquet se repose.
Et Vieillesse emprisonner
L'a voulu, en chambre close ;
Par quoy j'entens que propose
Plus peine ne lui donner.
Laissez Baude buissonner.
CHARLES D'ORLÉANS. II. fj
58 CHARLES D'ORLÉANS.
RONDEAU CCLXXVIII.
Quant me treuve seul, à part moy,
Et n'ay gueres de compaignie,
Ne demandez pas s'il m'ennuye,
Car ainsi est il, sur ma foy.
En riens Plaisance n'aperçoy,
Fors comme une chose endormye,
Quant me treuve seul, à part moy,
Et n'ay gueres de compaignie.
Mais s'entour moy plusieurs je voy,
Et qu'on rie, parle, chante ou crye,
Je chasse hors Merencolie
Que tant haïr et craindre doy,
Quant me treuve seul, à part moy.
RONDEAU CCLXXIX.
Trop ennuyez la compaignie,
Douloureuse Merencolie,
Et troublez la feste Je Joye ;
Foy que doy à Dieu, je vouldroye
Que feussiez du pays bannie.
Vous venez sans que l'on vous prie,
Bon gré, maugré, à l'estourdie,
Alez, que plus on ne vous voye.
Trop ennuyez la compaignie,
Douloureuse Merencolie,
Et troublez la feste de Joye.
Soussy avecques vous s'alye,
Si lui dy je que c'est folie.
RONDEAUX. 250
Quel mesnaige ! Dieu vous convoyé
Si loing, tant que je vous revoye
Quérir, quant? jamais en ma vie ;
Trop ennuyez la compaignie !
RONDEAU CCLXXX.
Escollier de MerencoUe,
Des verges de Soussy batu,
Je suis à l'estude tenu,
Es derreniers jours de ma vie.
Se j'ay ennuy, n'en doubtez mye,
Quant me sens vieillart devenu,
Escollier de Merencolie,
Des verges de Soussy batu.
Pitié convient que pour moy prie
Qui me treuve tout esperdu ;
Mon temps je perds et ay perdu,
Comme rassoté en folie,
Escollier de Merencolie.
RONDEAU.
Escollier de Merencolie,
Par Soussy qui est le recteur,
A l'estude est tenu mon cueur ;
Et Dieu scet comme on le chastie.
De s'y mettre fist grant folie,
Car on le tient à la rigueur,
Escollier de Merencolie,
Par Soussy qui est le recteur.
2U0 en ARLES D ORLEANS.
Bon Temps n'aura jour de sa vie;
Puisqu'il y est, de scn maleur,
Dedans le livre de Douleur
Lui est force qu'il estudie,
Escollier de Merencolie.
RONDEAU CCLXXXI.
Et fust ce ma mort, ou ma vie,
Je ne puis de mon cueur chevir
Qu'il ne vueille conseil tenir
Souvent, avec Merencolie.
Si lui dy je que c'est folie ;
Mais comme sourt ne veult oïr;
Et fust ce ma mort, ou ma vie.
Je ne puis de mon cueur chevir.
A Grâce, pource, je supplie
Qu'il lui plaise me secourir;
Au paraller, ne puis fournir,
Se ne m'aide par Courtoisie,
Et fust ce ma mort, ou ma vi?.
RONDEAU CCLXXXII.
Allez vous en d'ont vous venez,
Ennuyeuse Merencolie,
Certes on ne vous mande mye,
Trop privée vous devenez.
Soussy avecques vous menez,
Mon huis ne vous ouvreray mye.
Allez vous en d'ont vous venez,
Ennuyeuse Merencolie.
RONDEAUX. 261
Car mon cueuren tourment tenez,
Quant estes en sa compaignie ;
Prenez congié, je vous en prie,
Et jamais plus ne retournez;
Allez vous en d'ont vous venez.
RONDEAU CCLXXXIII.
A qui en donne l'en le tort,
Puis que le cueur en est d'accort,
Se les yeulx vont hors en voyage.
Et rapportent aucun messaige
De Beaulté plaine de confort ?
Hz crient : Resveille qui dort;
Lors le cueur ne dort pas si fort
Qu'i ne dye : J'oy compter rage.
A qui en donne l'en le tort,
Puis que le cueur en est d'accort,
Se les yeulx vont hors en voyage?
Adoncques Désir picque et mort,
Savez comment? jusqu'à la mort ;
Mais le cueur, s'il est bon et saige,
Remède y treuve et avantaige,
Bien, ou mal en vient oultre bort.
A qui en donne l'en le tort?
RONDEAU CCLXXXIV.
Doivent ilz estre prisonniers.
Les yeulx, quant ilz vont assaillir
L'embusche de Plaisant Désir,
Comme hardiz avanturiersl
a62 CHARLES d'oRLÉANS.
Veu qu'ilz sont d'Amours souldoyers,
Et leurs gaiges fault desservir,
Doivent ilz estre prisonniers,
Les yeulx, quant ils vont assaillir!
Hz se tiennent siens si entiers
Qu'au besoing ne pevent faillir,
Jusques à vivre ou à mourir,
Hz le font bien, et voulentiers ;
Doivent ilz estre prisonniers!
RONDEAU CCLXXXV.
N'oubliez pas vostre manière !
Non ferez vous, je m'en fais fort,
Ennuy, armé de Desconfort,
Qui tousjours me tenez frontière.
Venez combatre à la barrière,
Et faittes acoup vostre effort.
N'oubliez pas vostre manière !
Non ferez vous, je m'en fais fort.
Quant mettez sus vostre bannière,
Cueurs loyaux guerriez si fort
Que les faittes retraire ou fort
De Douleurs, à piteuse chiere.
N'oubliez pas vostre manière!
RONDEAU CGLXXXVI.
Chiere contrefaitte de cueur,
De vert perdu et tanné painte,
Musique notée par Fainte,
Avecques faulx bourdon de Maleur!
RONDEAUX. 263
Qui est il ce nouveau chanteur,
Qui si mal vient à son attainte ?
Chiere contrefaitte de cueur,
De vert perdu et tanné painte.
Je ne tiens contre, ne teneur,
Enroué, faisant faulte mainte.
Et mal entonné par Contrainte ;
C'est la chapelle de Douleur,
Chiere contrefaitte de cueur.
RONDEAU CCLXXXVII.
Il n'est nul si beau passe temps
Que de jouer à la Pensée,
Mais qu'elle soit bien despensée
Par Raison, ainsi je l'entens.
Elle a fait miLz despens contens,
Par Espoir soit recompensée.
Il n'est nul si beau passe temps
Que de jouera la Pensée.
Elle dit : A ce je m'attens,
Veu qu'ay Loyaulté pourpensée,
Que de mes soussiz dispensée
Seray, malgré les malcontens.
Il n'est nul si beau passe temps.
RONDEAU CCLXXXVIII.
Prophetizant de vostre advenement.
Voyant venir voz haulx biens cleremenr
Acompaignez de vostre grant beaulté,
A vous amer si fort me suis bouté
Qu'au monde n'ay nul autre pensement.
264 CHARLES d'oRLÉANS.
Tresque mon oueil vous vit premièrement,
Il ordonna mon cueur entièrement
Pour vous servir en toute fcaulté,
Prophetizant de vostre advenement,
Voyant venir voz haulx biens clerement,
Acompaigncz de vostre grant bcaulté.
Lors je jugay, à mon entendement,
Que quelque foiz j'auroye ad\ cncement,
Vous remonstrant ma tresgrant loyaulté,
Et que de biens j'auroye à grant planté;
Cela je creu dès le commencement,
Prophetizant de vostre advenement.
RONDEAU CCLXXXIX.
Pour Dieu, faittes moy quelque bien,
Veu que m'a desrobé Vieillesse,
Plaisance; car, en ma jeunesse,
Savez que vous amoye bien.
Pour vous n'ay espargné du mien.
Or suis povre, plain de foiblesse.
Pour Dieu, faittes moy quelque bien,
Veu que m'a desrobé Vieillesse.
Devoir ferez, comme je tien,
Car j'ay despendu à largesse,
Pieçà, mon trésor de liesse,
Et maintenant je n'ay plus rien ;
Pour Dieu, faittes moy quelque bien.
RONDEAU CCXG.
C'est la prison Dedalus
Que de ma merencolie,
RONDEAUX. 2^5
Quant je la cuide faillie,
J'y rentre de plus en plus.
Aucunes foiz je conclus
D'y bouter Plaisance lie.
C'est la prison Dedalus,
Que de ma merencolie.
Oncques ne fut Tantalus
En si trespeneuse vie,
Ne, quelque chose qu'on die,
Chartreux., heremite, ou reclus.
C'est la prison Dedalus.
RONDEAU CCXCl.
A! que vous m'ennuyez, Vieillesse,
Que me grevez plus que oncques mes!
Me voulez vous à tousjoursmès
Tenir en courroux et rudesse 1
Je vous fais loyalle promesse
Que ne vous aymeray jamés.
A ! que vous m'ennuyez, Vieillesse,
Que me grevez plus que oncques mes !
Vous m'avez banny de Jeunesse,
Rendre me convient désormais.
Et faittes vous bien? Nennil, mais,
De tous maulx on vous tient maistresse.
Al que vous m'ennuyez, Vieillesse!
RONDEAU CCXCII.
Les biens de vous, honneur et pris,
M'ont tant espris
De vous amer, ma gente Dame,
266 CHARLES d'oRLÉANS.
Qu'il n'est pas en puissance d'ame
De tourner ailleurs mes cspris.
C'est à moy trop hault entrepris,
Com mal apris,
Mais blasmez en, s'il y a blasme,
Les biens de vous, honneur et pris.
Donc, puisqu' Amour ainsi m'a pris
En son pourpris.
Et que tant loyaument vous ame,
Amez moy, je prens sus mon ame
Que jamais n'en seront repris
Les biens de vous, honneur et pris.
RONDEAU GCXCin.
C'est par vous que tant fort souspire,
Tousjours m'empire;
A vostre advis, faictes vous bien
Que tant plus je vous veulx de bien
Et, sus ma foy, vous m'estes pire !
Ha! ma Dame, si grief martire,
Ame ne tire
Que moy, dont ne puis mais en rien;
C'est par vous que tant fort souspire.
Vostre beaulté vint, de grant tire,
A mon oueil dire
Que feist mon cueur devenir sien.
Il le voulut. S'il meurt et bien
Je ne lui puis aider, ou nuyre:
C'est par vous que tant fort souspire.
RONDEAUX. 207
RONDEAU CCXCIV.
Pour mettre fin à mes douloureux plains,
Et aux ennuys dont je me sens si plams,
Fort me complains
A toute heure, mais remède n'y treuve.
Fors qu'il me fault de mort faire l'espreuve
Ou dame neuve,
Car la mienne se rit, tant plus me plains.
Souvent m'a veu pleurant par brais et plains,
A triste cueur, de dueil paliz et tains,
Près que m'estains.
Mais pensez vous que de riens el se meuve,
Pour mettre fin à mes douloureux plains ?
Nenny, ains dit par sa foy, qu'autres mains
SeufFrent des maulxplus que moy, soirs et mains,
Et qu'en ay mains
Que je ne dy; ainsi mon fait repreuve ;
Bien lui plairoit qu'elle feust de moy veutve.
Son cas le preuve ;
Ne suis je pas doncques en bonnes mains,
Pour mettre fin à mes douloureux plains?
RONDEAU CCXCV.
M'amerez vous bien,
Dittes par vostre ame,
Mais que je vous ame
Plus que nulle rien?
Le vostre me tien,
Sans faire autre Dame.
268 CHARLES d'ORLÉANS.
M'amerezvous bien.
Dittes, par vostre ame P
Dieu mist tant de bien
En vous que c'est basme ;
Pource, je me clame
Vostre, mais combien
M'amerez vous bien?
RONDEAU CCXCVI.
Temps et temps m'ont emblé Jeunesse,
Et laissé es mains de Vieillesse
Oij vois mon povre pain querant ;
Aage ne me veult, tant ne quant,
Donner l'aumosne de Liesse.
Puis qu'elle se tient ma maistresse,
Demander ne lui puis promesse,
Pource, n'enquerons plus avant.
Temps et temps m'ont emblé Jeunesse.
Je n'ay repast que de Foiblesse,
Couchant sur paille de Destresse,
Suis je bien payé maintenant
De mes jeunes jours cy devant?
Nennil, nul n'est qui le redresse,
Temps et temps m'ont emblé Jeunesse.
RONDEAU GCXCVII.
Asourdy de Non Chaloir,
Aveuglé de Desplaisance,
Pris de goûte de Grevance,
Ne sçay à quoi puis valoir.
RONDEAUX. 269
Voulez VOUS mon fait savoir?
Je suis presque mis en trance,
Asourdy de Non Chaloir,
Areuglé de Desplaisance.
Se le Medicin Espoir,
Qui est le meilleur de France,
N'y met briefment pourvéance,
Vieillesse estaint mon povoir,
Asourdy de Non Chaloir.
RONDEAU CCXCVIII.
Dedens la maison de Douleur,
Où estoit trespiteuse dance,
Soussy, Vieillesse et Desplaisance
Je vy dancer comme par cueur.
Le tabourin nommé Mal Eur
Ne jouoit point par ordonnance,
Dedens la maison de Douleur,
Où estoit trespiteuse dance.
Puis chantoient chançons de Pleur,
Sans musicque, ne accordance ;
D'ennuy, comme ravy en trance,
M'endormy lors, pour le meilleur,
Dedens la maison de Douleur.
RONDEAU.
Par Simonnet Caillau.
Dedens la maison de Douleur,
Où n'a léesse, ne musique,
Mon las cueur gist merencolique.
Malade ou piteux lit de Pleur.
270 CHARLES D'oRLÉANS.
Dieu t n'est ce pas grant maieur?
Il est pis que paralitique,
Dedetis la maison de Douleur,
Où n'a léesse, ne musique.
Par racine, feuille, ne fleur,
Nepar medicine auctentique.
Remédier n''y scet phisique ;
Confesse soy, c'est le meilleur,
Dedens la maison de Douleur.
RONDEAU CCXCIX.
Je vous sans et congnois venir,
Ennuyeuse Merencolie ;
Mainteffoiz, quant je ne vueil myc,
L'uys de mon cueur vous fault ouvrir.
Point ne vous envoyé quérir,
Assez hay vostre compaignie.
Je vous sans et congnois venir,
Ennuyeuse Merencolie.
Jeunes pevent paine souffrir,
Plus que vieillars; pource, vous prie
Que n'ayez plus sur nous envie,
Ne nous vuelliez plus assaillir;
Je vous sans et congnois venir.
RONDEAU CGC.
Mentez, menteurs à quarterons,
Certes point ne vous redoubtons,
Ne vous, ne vostre baverye ;
Loyaulté dit, de sens garnie :
Fy de vous et de voz raisons.
RONDEAUX. 271
On ne vous prise deux boutons,
Et pource, nous vous déboutons,
Esloignant nostre compaignie ;
Mentez, menteurs à quarterons,
Certes point ne vous redoubtons,
Ne vous, ne vostre baverye.
Voz parlez, Pires que poisons,
Boutent par tout feu en maisons ;
Que voulez vous que l'en vous die ?
Dieu tout puissant si vous mauldie,
Vous donnant de maulx jours foisons !
Mentez, menteurs de quarterons l
RONDEAU.
Par Gilles des Ormes,
Pour bien mentir souvent et plaisamment,
Mais qu'il ne tourne à aucun préjudice,
Il 7n'est advis que ce n'est point de vice,
Mais est vertu et bon entendement.
On en voit maint eslevé haultement.
Bien recueilly et requis en service,
Pour bien mentir souvent et plaisamment.
Mais qu'il ne tourne à aucun préjudice.
Mais controuveurs qui jnentent faulcement
Pour diffamer quelcun par leur malice,
Soient pugni^ par droit, selon justice;
Pource,, chascun s'avise saigement
Pour bien mentir souvent et plaisamment.
272 CHARLES D ORLEANS.
RONDEAU ceci.
Des soucies de la court
J'ai acheté au jourduy,
De deulx bien garny j'en suy.
Quoy que mon argent soit court.
A les avoir chascun y court,
Mais quant à moy, je m'enfuy.
Des soucies de la court
J'ay acheté au jourduy.
Je deviens vieil, sourt et lourt,
Et quant me treuve en ennuy,
Non Chaloir est mon apuy,
Qui mainteffoiz me secourt
Des soucies de la court.
RONDEAU CCCII.
Tout plain ung sac de Joyeuse Promesse,
Soubz clef fermé, en ung cofïîn d'Oublié
Qui ne poursuit, certes c'est grant folie,
Tant qu'on en ayt par Raison, à largesse.
Craindre ne fault Fortune la diverse
Qui Passe temps avecques elle alie ;
Tout plain ung sac de Joyeuse Promesse,
Soubz clet fermé, en ung cofEn d'Oublié.
Conseil requier à gens plains de sagesse,
Qui mieulx saura, si leur plaist, c'om le die;
Car Bon Espoir, quoy qu'on le contrarie,
A droit vendra et trouvera richesse
Tout plain ung sac de Joyeuse Promesse.
RONDEAUX. 273
RONDEAU CCCIII.
Je n'ay deffaulte que de veue,
Et ne congnois riens qu'à demy,
En Non Chaloir j'ay tant dormy
Qu'ay mainte chose descongneue.
Vieillesse tient mon cueur en mue,
Accompaignée de Soucy ;
Je n'ay deffaulte que de veue,
Et ne congnois riens qu'à demy.
Plus ne suis de la retenue
De Jeunesse qui m'a banny;
Mais, au fort, puisqu'il est ainsi,
Souffrir fault fortune advenue;
Je n'ay deffaulte que de veue.
RO(NDEAU CCCIV.
Tais toy, cueur, pourquoy parles tu?
C'est folie de trop parler
De ce que ne puis amender,
Ton jangler ne vault ung festu,
Tu pers temps, d'Espoir devestu ;
Pense de toy reconforter.
y Tais toy, cueur, pourquoy parles tu?
C'est folie de trop parler.
J'ay desjà plusieurs ans vescu,
Et tant congnois qu'au paraler
Il faut bien ou mal endurer ;
Riens ne gaignes d'estre testu.
Tais toy, cueur, pourquoy parles tu ?
CHARLES d'ORLÉANS. II. 18
274 CHARLES d'ORLÈA.N •.
RONDEAU CCCV.
Qu'a mon cueur, qui s'est esveillé,
A faire cliançon, ou balade ?
Dieu mercy, il n'est plus malade,
Tant a par eaue travaillé.
D'Orléans s'est appareillé
Aler à Blois mangier salade ;
Qu'a mon cueur, qui s'est esveillé,
A faire chançon, ou balade?
Son harnois fourbira rouillé,
Quelque foiz aussi sa salade.
Mais qu'il ait joyeuse ambaxade,
Tout se trouvera retaillé.
Qu'a mon cueur, qui s'est esveillé?
RONDEAU CCGVI.
Dieu les en puisse guerdonner
Tous ceulx qui ainsi tormenter
Font, de vent, de neige et de pluye,
Et nous et nostre compaignie,
Dont peu nous en devons louer.
Mais il fauldra qu'au par aller.
Comment qu'il en doye tarder,
Que nous, ou eulx, en pleure, ou rie.
Dieu les en puisse guerdonner
Tous ceulx qui ainsi tormenter
Font, de vent, de neige et de pluye.
Or ça, il fault parachever
Et puisqu'il est trait, avaler.
RONDEAUX. 275
On congnoistra qu'est de clergie
D'Orléans trait de Lombardie.
Tous bien faiz convendra trouver.
Dieu lea en puisse guerdonner !
RONDEAU CCCVII.
M'appelez vous cela jeu ;
En froit d'aler par pays ?
Or pleust à Dieu que à Paris,
Nous feussions emprès le feu !
Nostre prouffit veulent peu,
Qui en ce point nous ont mis !
M'appelez vous cela jeu,
En froit d'aler par pays ?
Deslyer nous faut ce neu,
Et desployer faiz et dis,
Tant qu'aviengne mieulx ou pis,
Passer convient par ce treu ;
M'appelez vous cela jeu?
RONDEAU CCCVIII.
Prenons congié du plaisir de noz yeulx,
Puisqu'à présent ne povons mieulx avoir,
De revenir faisons nostre devoir,
Quant Dieu plaira, et sera pour le mieulx.
Il faut changier aucunefoiz les lieux,
Et essayer, pour plus, ou moins savoir.
Prenons congié du plaisir de nos yeulx,
Puisqu'à présent ne povons nr.jeulx avoir.
J
27b CHARLES D'oRLÉANS.
Ainsi parlent les jeunes et les vieulx ;
Pource, chascun en face son povoir.
Nul ne mette sa seurté en Espoir,
Car au jourduy courent les Eurs tieulx queulx.
Prenons congié du plaisir de noz yeulx.
RONDEAU CCCIX.
De Vieillesse porte livrée
Qu'elle m'a, puis ung temps, donnée,
Quoy que soit contre mon désir,
Mais maugré myen le fault souffrir,
Quant par Nature est ordonnée.
Elle est d'Ennuy si fort bordée,
Dieu scet que l'ay chiere achettée,
Sans gueres d'argent et de Plaisir.
De Vieillesse porte livrée
Qu'elle m'a, puis ung temps, donnée,
Quoy que soit contre mon désir.
Par moy puist estre bien usée,
En Eur et Bonne Destinée,
Et à mon souhait parvenir.
Tant que vivre puisse et mourir
Selon i'escript de ma pensée.
De Vieillesse porte livrée.
RONDEAU CCCX.
Saluez moy toute la compaignie
Où à présent estes à chiere lie,
Et leur dictes que voulentiers seroye
Avecques eulx, mais estre n'y porroye,
Pour Vieillesse qui m'a en sa baillie.
RONDEAUX. 277
Au temps passé, Jeunesse si jolie
Me gouvernoit ; las ! or n'y suis je mye,
Et pour cela, pour Dieu, que excusé soye;
Saluez moy toute la compaignie
Où à présent estes à chiere lie,
Et leur dictes que voulentiers seroye.
Amoureux fus, or ne le suis je mye.
Et en Paris menoye bonne vie ;
Adieu Bon Temps, ravoir ne vous saroye,
Bien sanglé fus d'une estroite courroye,
Que, par Aige, convient que la deslie.
Saluez moy toute la compaignie.
PIECES ATTRIBUEES
CHARLES D'ORLEANS.
RONDEAU.
J'ay tant en moy de desplaisir,
Puis qu'il me convient départir,
Elas! de vous, et loing aller,
Et si ne puis à vous parler,
Dont j'auray maint mal à souffrir!
N'est riens oui ouist esjoïr,
Si n'est le tresdoulx souvenir
Que j'ay par vous bien fort amer.
J'ay tant en moy de desplaisir,
Puis qu'il me convient départir,
Elas ! de vous, et loing aller I
Adieu ma joye, mon plaisir.
Adieu mon loyal souvenir.
Adieu belle Dame sans per;
Adieu dire m'est coup mortel,
Car je m'en vois sans vous • éir;
J'ay tant en moy de desplaisir!
RÉPONSE.
Mon amy, Dieu te convoyé,
Et brief te remaint à joye,
CHARLES D ORLEANS. 279
A ton honneur et plaisir,
Tout ainsi que je désire
Mieulx que dire ne sauroye.
Si par scuh-iit je povoye,
Plus souvent te reverroye ;
Mais, car ne te puis ve'ir,
Mon amy. Dieu te convoyé,
Et briefte remaint àjoye,
A ton honneur et plaisir.
Ces te chançon je t' envoyé
De m'amour par grant montjoye,
Si t'en vueilles esjoir ;
Car te jure, sans mentir.
Que t'ayme, loing que je soye.
Mon amy. Dieu te convoyé.
CHANSON.
Faire ne puis joyculx semblant,
Reconfort n'ay, qui soit plaisant
A moy qui suis sans mon amy;
Il a long temps que ne le vy,
Ne le verray, je ne sçay quant ;
Faire ne puis joyeulx semblant.
Guérir ne puis du mal qu'ay tant,
Elas 1 emy ! jusques à tant
Retournera celluy pourqjoy
Faire ne puis joyeulx semblant.
Mon cueur si est si desplaisant !
Aussi bien doit estre dolent:
Il m'ayme tant! si foys je lui.
Ne le mettray point en oubli
Etl'ameray; en l'attendant,
Faire ne puis joyeulx semblant.
28o PIÈCES ATTKILUÉES.
CHANSON.
Faittes pour moy com j'ay pour vous.
Retenez moy, par dessus tous,
Amy tout seul, tresbelle Dame,
Je vous jure sur Dieu, sur m'ame,
Nevueil servir autre que vous.
Guerrissez moy du mal d'Amours,
Et me donnez, du bien de vous.
Réconfort tel plus ne m'en chaille.
Moncueur, m'amour, monfincueurdoulx,
A vous me rens, à vous suis tous.
Je vous ayme plus que autre femme,
N'autre que vous n'aura la garde
Elas de moy qui suis à vous.
CHANSON.
D'amours meschant par parolle de bouche
Et tresriche de cuer privéement
Est Varamboz, qui fait secrètement
Tousjoursson fait, sans monstrer qu'il y touche.
Il ne faut jà qu'il face le farouche.
On le congnoist par son contenement :
D'amours meschant par parolle de bouche,
Et tresriche de cuer privéement.
Quant il est temps d'amoureuse escarmouche,
Bien est armé de saïette hardement.
Et scet traire son parler doulcement.
Je n'en dy plus, c'est une forte mouche :
D'amours meschant par parolle de bouche.
NOTICE BIBLIOGRAPHIQUE
et
OBSERVATIONS SUR LA PRÉSENTE ÉDITION
La première édition que je connaisse des poésies de
notre poète a été publiée sous le titre de Choix des
poésies de Charles d'Orléans, extrait du premier vo-
lume dts Annales poétiques ou Almanach des Muses.
Paris, 1778, in-i8.
Je vois ensuite Poésies de Charles d'Orléans, père
de Louis XII et oncle de François I", rois de France.
Grenoble, Giraud, i8o3, avec une notice historique
par Chalvet.
L'édition publiée par Warré, in-12, en 1809, est,
sans doute, une réimpression de la précédente. Je ne
l'ai pas vue.
J'ignore si entre les Annales poétiques et les Poètes
français, publié chez Menard, par Champagnac, en
1825, quelque recueil a publié des vers de Charles
d'Orléans. Mais dès cette dernière date notre poète
entre en pleine r/otoriété. Il s'impose désormais à
toutes les anthologies. Nous nous contenterons de
citer, dans cet ordre de publications, un autre re-
cueil à&s Poètes français publié sous la direction de
M. E. Crépet, en 1 861, et où M. A. de Montaiglon a
consacré une notice à notre poëte.
En 1827, M. Watson Taylor avait publié pour
Roxburgue-Club, à très-petit nombre d'exemplaires,
un in-8» de 295 pages sous ce titre :Poem5 written in
English by Cliarles duke of Orléans , during his
captivity in England, after the Battle of Azincourt.
London, William Nicol, 1827.
L'éditeur est convaincu que Charles d'Orléans a
traduit lui-même ses vers en anglais, et il n'est pas
bien sûr que le duc d'Orléans ne soit pas un poète
282 NOTICE BIBLIOGRAPHIQUE.
anglais. Il est fort tenté de supposer que la version
anglaise est l'originale, elle a toute la vigueur de
l'originalité, dit-il, et il jurerait volontiers que le
texte français n'est qu'une mauvaise traduction.
Je suppose — ne connaissant que sommairement les
manuscrits anglais — que cette édition a été donnée
d'après le manuscrit sur vélin de la bibiiotlrèque
Harléienne. Klle contient les poésies de la captivité,
avec quelques pièces qui ne se trouvent pas dans les
manuscrits français, un début différent et une suite
au poème de la Prison. J'ai remarqué encore que
contrairement à tous nos manuscrits qui ne redisent
à la fin des rondeaux que le premier vers, la version
anglaise en répète deux ou trois, c'est-à-dire autant
qu'au milieu de la pièce.
Pour rendre justice à mon prédécesseur britanni-
que, et expliquer ce qu'il y a d'excessif dans son en-
thousiasme de la version anglaise, je dois dire qu'il
connaissait Charles d'Orléans uniquement par ce qu'en
avaient publié l'abbé Sallier et Chalvet; il était donc
porté à dire que le Prince avait bien plus écrit pour
les Anglais que pour les Français, et il félicitait l'An-
gleterre de la bonne fortune qui lui amenait un poète,
pieds et poings liés, à une époque où elle n'en trou-
vait guère sur son sol.
En 1842 paraissent, coup sur coup, deux éditions,
qui firent grand bruit, ou plutôt dont les auteurs firent
grand bruit dans le royaume de l'érudition.
Poésies de Charles d'Orléans, publiées... par J. M.
Guichard. Paris, Gosselin, i842,in-i2.
Les Poésies du duc Charles d'^ rléans, par Aimé
ChampoUion-Figeac. Paris, Belin-Leprieur, 1842,
in-i2 et in-S».
Nous n'avons pas à entrer dans le grand détail de la
querelle fort vive qui divisa les deux éditeurs, et où
il semble que les questions de situation et d'influence
se mêlaient à la discussion scientifique. Diverses bro-
chures aigres et violentes suivirent la publication des
poésies. Chacun des deux érudits essayait de prouver
NOTICE BIBLIOGRAPHIQUE. 283
non-seulement que son texte était très-supérieur au
texte de l'ennemi, mais qu'il avait été publié le pre-
mier. M. ChampoUion avait commencé son étude bien
avant M. Guichard, disait-il. M. Guichard répondait
que s'il était parti en retard, il était arrivé le premier.
Pas absolument, répliquait-on, puisque vous n'avez
publié que le texte indigeste, en remettant à plus tard
préface, glossaire et tous les accessoires obligés de
votre édition.
A juger la question uniquement sur les renseigne-
ments fournis par les brochures, entre deux érudits
que je ne connais ni l'un ni l'autre et que je crois, tous
deux, fort estimables, M. ChampoUion crut trop que le
long temps consacré par lui à étudier Charles d'Or-
léans, et le soin amoureux qu'iiy mettait lui donnaient
une sorte de droit sur le prince-poëte, et méritaient le
monopole de tout ce qui concernait cet écrivain si
cher. Il le prit de fort haut quand il vit venir un con-
current. Il soutint avec un ton d'autorité magistrale
et doctrinale des hypothèses pour le moins douteuses,
et la bonne fortune rare — j'en sais quelque chose
puisque la demande même du ministre de l'instruc-
tion publique ne m'a pas pu l'obtenir — qu'il eut de
pouvoir garder par devers soi le manuscrit de Gre-
noble, lui persuada que ce manuscrit était parfait et
que tous les autres ne valaient rien. M. Guichard, de
son côté, voyant avancer si lentement les travaux de
son concurrent, crut trop aisément que le temps ne
fait rien à l'affaire.
La vérité est que chacune de ces éditions a ses qua-
lités et que toutes deux sont recommandables, eu
égard surtout au temps où elles parurent; et si je pré-
fère le texte de M. Guichard, j'apprécie extrêmement
les travaux dont M. ChampoUion a accompagné son
édition, et j'en ai tiré bon profit.
Je serais peu excusable, après ces trente années où
l'érudition a été tellement active et où elle a apporté
tant de lumière dans la littérature du Moyen Age, si
je n'étais pas renseigné sur bien des points encore
284 NOTICE BIBLIOGRAPHIQUE.
obscurs pour mes prédécesseurs. Pourtant je dois re-
connaître que M. Champollion n'a pas laissé grand
chose à apprendre sur la vie de Charles d'Orléans, et
constater que je n'ai pas évité tous les défauts qu'on
a signalés dans leurs éditions.
La plus grave des critiques portait sur le manque
d'ordredans le classement des pièces. M. deMontaiglon,
que je nommais plus haut, M. de Beaucourt, dans un
article de la Correspondance littéraire et, si je ne me
trompe, M. Beautils, dans l'étude plus esthétique que
critique qu'il publia en 1861 sur Charles d'Orléans,
avaient indiqué, en même temps que le mal, les re-
mèdes qu'ils jugeaient bons pour le guérir. Moi-même,
avec cette ignorance du danger qui caractérise le criti-
que, j'avais bien maugréé contre ce fatras, — je dois
confesser mon crime.
Ce fut donc le travail de coordination qui me
préoccupa quand je commençai à préparer cette édi-
tion. Le lecteur n'en verra pourtant pas de traces
profondes. J'ai dû m'arrêter, en effet, après m'être
mis de grand courage à cette besogne.
Je puis raconter naïvement les raisons qui me firent
rebrousser chemin.
Je me suis aperçu que je faisais non une œuvre
d'érudit mais une œuvre de romancier. Oui, c'était
bien le roman des sentiments de Charles d'Orléans
que j'étais amené à construire. Cela tient à ce qu'ici
le fil conducteur n'est pas surtout historique mais
moral. Il s'agit de décider fréquemment non pas des
faits, mais de la série de sentiments par où le poète
avait passé.
Il y a, sans doute, telles pièces qu'on peut attribuer
sûrement à la vieillesse ou à la jeunesse, au temps de
l'exil, ou aux années qui suivirent; quelques-unes
ont une physionomie historique, d'autres enfin sont
caractérisées par les personnages qui y sont nom-
més. Mais un certain nombre de ballades ou com-
plaintes, un très-grand nombre de chansons ou ron-
deaux restent, où je n'avais plus pour me guider que
NOTICE BIBLIOGRAPHIQUE. 285
l'arbitraire, que mon impression ou mon sentiment.
Si j'avais eu à faire un choix, une édition classique,
je me fusse cru autorisé à ce travail psychologique.
J'eusse pu ranger en bel ordre les morceaux sur les-
quels il n'y avait pas de doute. J'ai reculé devant la
masse des pièces qu'il m'eût fallu laisser dans un
chaos d'autant plus répugnant que j'eusse répandu
un peu de lumière dans le voisinage.
Je me garde de blâmer ceux que ce travail philoso-
phique tentera. Je n'y ai pas vu un intérêt scientifique
suffisant, une utilité historique et un gain littéraire
assez considérables pour m'autoriser, contre les con-
seils de tous les manuscrits, à faire cette révolution
radicale. Je me suis contenté de la classification par
genres, classification peu méritoire et qui ne de-
mande pas une grande dépense de génie, mais qui
est la plus sûre dans un travail d'exposition non
de critique. Cette division est indiquée, du reste, à
l'état rudimentaire dans les premiers manuscrits. Je
me suis contenté de débrouiller le chaos là où j'avais
pour me conduire quelque règle précise, comme la
conformité du sujet traité. Ce travail a eu lieu sur-
tout à propos des rondeaux où le trouble — pour des
causes que révèle la diversité d'écriture du plus im-
portant manuscrit — est complet.
Je reviendrai, du reste, sur le plan — mot bien
prétentieux peut-être après la confession que je viens
de faire — que j'ai suivi pour cette édition.
J'ai dû la préparer sur les manuscrits puisqu'il
n'existe aucune édition ancienne de ces poésies.
De tous les manuscrits que nous avons en France,
on a regardé jusqu'ici comme le premier en date celui
que possède la bibliothèque de Grenoble, manuscrit
fort connu, souvent et très-complètement décrit, no-
tamment par MM. Berriat Saint-Prix et Champollion-
Figeac. Je ne l'ai pas vu, mais j'ai pu en avoir une copie
manuscrite, écrite au xviii» siècle, revue et corrigée plus
tard. M. Champollion-Figeac, qui a bâti son édition
d'après ce manuscrit, a été naturellement porté à en
286 NOTICE BIBLIOGRAPHIQUE.
exagérer la valeur, et il sV'st laissé aller fort douce-
ment sur cette pente. II affirme d'un ton magistral
que c'est de beaucoup le plus important, et il traite
dédaigneusement et légèrement tous les autres en les
appelant des manuscrits de seconde main.
Ce document a évidemment une grande valeur, on
peut la constater sans y mettre le ton enthousiaste et
impérieux de M. ChampoUion.
Il contient les poésies latines d'un lettré italien,
Antoine Astezan, ou L'Astezan, c'est-à-dire d'Asti en
Piémont. Ce personnage et les relations que Charles
d'Orléans avait avec Asti nous sont connus par la
préface. Nous savons qu'à Villeneuve, dans ce comté
d'Ast, pendant le voyage qu'y fit le duc en 1448-1449,
Antoine Astezan vint faire sa cour à son prince, de
cette façon humble et quémanderesse que Marot et du
Bellay n'allaient pas tarder à stigmatiser comme une
habitude italienne. A cette date, le savant Italien igno-
rait complètement le talent poétique de son futur
maître, les discours qu'il prononça nous en donnent
la preuve. Il obtint de Charles la place de premier
secrétaire. Il le vint rejoindre en France en 1450. Il le
quitta en I453, emportant les poésies du prince en
Italie pour les traduire en latin. C'est cette traduction
avec texte en regard et autres poésies latines d'Aztezan
que renferme le manuscrit de Grenoble.
Il ne contient donc que les poésies antérieures à
cette date de 1453. Il n'a pas été écrit sous les yeux
de Charles, ni classé d'après son inspiration. S'il a été
achevé du vivant du prince, — ce qui est possible,
— il ne le fut pas avant 1461, et Astezan était de-
puis 1453 en Italie. Il n'a donc que la valeur qu'a pu
lui donner Astezan, un Italien, ce qui enlève quelque
autorité à son système orthographique; un Italien qui
resta quelque temps auprès de notre duc et qui espé-
rait sans doute que son travail passerait sous les
regards de son maître, mais qui arrange les poésies
de l'auteur en vue de la traduction latine, en vue
d'une traduction destinée surtout à faire valoir les
NOTICE BIBLIOGRAPHIQUE. 287
dons poétiques de Charles aux yeux des savants de
l'Italie et du Milanais. Il y a là de quoi diminuer
l'intérêt qui s'attacherait pour nous à un classement
moins pédantesque, dirigé par un but moins parti-
culier et moins politique.
Je ne saurais admettre l'argument que donne
M. ChampoUion pour prouver que ce texte a été écrit
par un frère d'Antoine, Nicolas Astezan, aussi secré-
taire du duc d'Orléans. Il essaye aussi de démontrer
que le manuscrit a été achevé du vivant du prince. Ses
raisons ne sont pas toutes probantes. Il nous dit que
le poëte italien qui a fait tant d'épitaphes eût sans
doute fait celle de son maître si ce livre eût été achevé
après la mort de Charles. Je veux bien le croire. Mal-
heureusement c'est une présomption détruite par une
pièce de latin du volume, pièce symbolique peut-être,
mais dont il serait facile de soutenir la réalité, où
l'on discute du tombeau du prince et où on dit :
« Princeps non mediocris eras, » A celte présomption
on contredit par une autre et l'on fait remarquer que
Charles mettait sa signature sur beaucoup de ses li-
vres et qu'elle n'est pas sur celui-ci. On en conclut que
ce volume n'a pas été dans les mains du prince. Cet
argument contre la thèse de M. ChampoUion ne vaut
guère mieux que l'argument qu'il donne pour. Quant
à moi, je crois difficile de ne pas voir le manuscrit
d'Astezan dans celui pour la reliure duquel on donna
20 sols à la veuve de Jean Fougère , relieur à Blois,
pour avoir relié un volume en parchemin renfermant
« le livre des Balades de Monseigneur le duc d'Or-
« leans, tant en françois comme en latin et autres li-
« vres en icelluy. » Je n'ai pas pu retrouver cette
note dans les papiers d'Orléans. Mais si la date de
1463 que donne M. ChampoUion est exacte, on peut
considérer ce manuscrit comme ayant été achevé entre
1461 et 1463.
Ainsi le manuscrit d'Astezan a les qualités d'être
écrit par un contemporain, avec l'assentiment de
l'auteur et sans doute d'avoir appartenu à celui-ci. Il
288 NOTICE BIBLIOGRAPHIQUE.
a les défauts d'être incomplet, d'avoir été écrit par
un étranger, en pays éloigné de l'auteur, et d'après un
plan tout particulier, soit dans l'intérêt du copiste, soit
dans un but politique.
Nous l'avons fréquemment consulté, nous ne l'avons
pas suivi.
Nous avons préféré deux des manuscrits de la Bi-
bliothèque nationale de Paris, et surtout le manuscrit
français 25,428, autrefois La Vallière igS.
C'est un petit in-8" sur parchemin de 269 feuillets.
Il porte à la première page, non pas comme le sui-
vant, les armes d'Orléans et de Milan qui indiquaient un
livre destiné à la famille du duc d'Orléans, mais un
seul écusson, aux armes du prince, et qui lui donne un
caractère plus personnel. Le format relativement plus
leste, l'apparence du manuscrit qui, comparé à ses frères
in-folio ou in-quarto, fait songer aux manuscrits des
jongleurs, ses conditions intérieures, m'ont donné à
penser qu'il avait pu être écrit pour Charles d'Orléans,
par un secrétaire attaché à la maison, à la personne de
l'auteur, chargé de tenir copie et de mettre au net
les poésies dans l'ordre et selon le temps où elles
étaient composées. Le copiste, en effet, après nous
avoir donné les anciennes poésies, les complaintes,
les ballades, toutes les pièces antérieures au retour
en France, écrit les chansons, les rondeaux ; puis arrivé
aux trois quarts du volume, un accident — la mort du
prince... ou du secrétaire — l'interrompt. La copie
est reprise, mais plus tard et par un écrivain d'une
valeur beaucoup moindre, qui profite des blancs
laissés en tête des pages par le premier copiste, pour
y jeter pêle-mêle les pièces peut-être composées pos-
térieurement, mais, en tout cas, non encore écrites
par ce prédécesseur.
Il y a là, je le reconnais, une part d'hypothèse, que
l'écriture ne contredit pas toutefois, le manuscrit pa-
raissant avoir été écrit dans sa plus ancienne portion
entre 1460 et 1470.
Ce qui est sûr, c'est qu'il nous offre le meilleur
NOTICE BIBLIOGRAPHIQUE. 289
texte, écrit par un homme intelligent, soigneux,
ayant un système orthographique très-réfléchi, très-
caractéristique et pouvant donner une fort bonne
idée de la situation de cette question orthographique
au milieu du xv« siècle.
L'autre manuscrit de la Bibliothèque nationale, qui
nous a été aussi fort utile, provient de l'ancien fonds
Colbert (25o2) et porte actuellement le n» 1104 fonds
français. C'est un magnifique in-quarto sur vélin
blanc, de 112 feuillets à deux colonnes, d'une écri-
ture admirable. Il porte en tête le double écusson
d'Orléans et de Milan et la devise de Charles : Ma
Volonté. Il a été probablement écrit pour la famille,
pour le duc, la duchesse, ou le comte d'Angouléme, par
un calligraphe extrêmement habile, renommé, un peu
vieux, vers 1460 (époque probable de la confection
du manuscrit), malheureusement infiniment moins
intelligent qu'adroit.
En sa qualité de manuscrit de famille, ce volume
renferme le discours prononcé par Charles d'Orléans
en faveur du duc d'Alençon, son gendre. Mais le texte
des poésies offre de nombreuses erreurs.
Dans la comparaison que j'ai faite de cette copie et
de la précédente, j'ai rencontré une difficulté que je
n'ai pas pu éclaircir. Ce dernier manuscrit — Colbert
— à le juger d'après le texte, est postérieur au manus-
crit La Vallière, sur lequel il semble avoir été copié.
Il donne, en effet, régulièrement et imperturbable-
ment ce pêle-mêle arrivé dans le La Vallière par
accident, et grâce au remplacement du premier escrip-
vain; de plus ce copiste du Colbert ajoute tout à la
fin plusieurs rondeaux qui ne sont pas là à leur place,
mais qu'il s'aperçoit avoir omis quand, après sa co-
pie achevée, il coUationna le manuscrit La Vallière
où les pièces sont bien à une place logique. Voilà
donc de graves présomptions en faveur de l'anté-
riorité de ce manuscrit La Vallière, et pourtant
l'écriture du texte Colbert paraît incontestablement
plus ancienne. Faut-il chercher l'explication dans les
CHARLES DORLÉANS, II. 19
^gO NOTICE BIBLIOGRAPHIQUE.
conditions particulières de la personne du copiste du
Colbert qui, très-vieux, trcs-habile, a garde des pra-
tiques et des soins de la période précédente f
Malgré cette apparence matérielle d'ancienneté, mal-
gré l'orthographe parfaitement régulière et soignée —
trop soignée, et exceptionnellement régulière, — j'ai
été trop trappe du peu d'intelligence que cet admirable
calligraphe avait du texte, et même du rhythme, pour
m'en fier à lui. Je ne l'ai suivi que là où mon plus
ancien copiste du manuscrit La Vallière cédait la place
à son ou à ses successeurs.
Dès lois je ne devais plus hésiter; ces derniers
étant beaucoup moins sûrs que leur prédécesseur et
cette fois sans conteste, — fort postérieurs à l'illustre
et inepte calligraphe du Colbert, — il m'a fallu pour
la dernière partie de l'édition tenir grand compte
de ce dernier.
Il en est résulté cet inconvénient de mettre en plus
grande lumière le manque d'uniformité de l'ortho-
graphe contemporaine. Inconvénient peu considérable,
d'ailleurs, en un temps où le même écrivain ne suit pas
d'un bout à l'autre de son manuscrit les mêmes habi-
tudes orthographiques.
Enfin, malgré la confiance que j'ai accordée à ce pre-
mier copiste du manuscrit La Vallière, je ne l'ai pas
suivi dans ses singularités. Il écrit toujours povair ri-
mant avec la syllabe oir, souvent serement et guerre'
don avec la valeur de deux syllabes. J'ai, par faiblesse
pourl'œil de mes contemporains, écrit povoir, serment,
j'ai dû aussi me résoudre à changer moustrer (qu'il
donne constamment au lieu de monstrer], mais je l'ai
fait à regret, cette syllabe ou étant caractéristique d'une
tentative d'euphonisme qui n'a pas complètement
avorté, et à laquelle, par exemple, nous devons mow
fier, couvent, au lieu de monticr et couvent qui sont
la forme ancienne et étymologique.
Les lecteurs qui s'occupent particulièrement d'éru-
dition me pardonneront ces explications minutieu-
ses; les autres les trouveront ennuyeuses, mais ils en
NOTICE BIBLIOGRAPHIQUE ÎQI
concluront, j'espère, que si cette édition est bien im-
parfaite, la bonne volonté n'a pas manqué à l'éditeur.
J'ai tiré quelque utilité d'un manuscrit sur papier,
du commencement du xvi'^ siècle (B. N., Fonds fran-
çais 19,139, autrefois Saint-Germain 1600). C'est lui
qui contient le Lay Piteus dont je parlerai plus tard.
J'ai trouvé douze pièces du duc d'Orléans dans un
manuscrit curieux de l'extrême fin du xv siècle ou
du commencement du xvn« (B. N., Fonds français
9223). C'est un recueil qui contient les poésies de
deux académies poétiques du xv« siècle. L'une, la
seule qui nous occupe est celle qui gravite autour de
Charles d'Orléans, elle est représentée par la plupart des
poètes qui sont nommés dans les manuscrits dont nous
avons déjà parlé et par quelques inconnus. Mgr d'Or-
léans y a 12 pièces; Blosseville, 3i; Prévôt, 9; Vail-
lant, 9; Antoine de Guise, 11; Tanneguy du Chas-
tel, 3 ; Mgr de Clermont, Mgr d'Orvilliers, i ; Mgr de
Torcy, 2; Meschinot, 3. Puis nous rencontrons Gilles
des Ormes, Mgr Jean de Lorraine, Mgr du Bridore,
Mgr de Tais, maistre Martin Le Franc, Robertet,
Monbeton, Jammette de Nesson, Régine d'Orange,
Jeanne Filleul, Jeucourt, M"* de Beau-Chastel, etc.
Quelques pièces de ce recueil se trouvent dans les
manuscrits précédents — et notamment toutes celles
du prince, d'autres sont nouvelles.
J'ai pu consulter aussi à l'Arsenal un manuscrit sur
parchemin du commencement du xvi« siècle. Il porte
la signature de M. de Paulmy, et, d'une écriture con-
temporaine du manuscrit, celle de Lyonnet Poureijle.
Il est incomplet, s'arrête au rondeau : Des Arrérages
de Plaisance et paraît avoir copié le manuscrit La
'Vallière.
La même bibliothèque possède un manuscrit sur
papier du xviii' siècle, avec des notes de Lacurne de
Sainte-Palaye. C'est une copie du manuscrit Colbert.
M. Guichard signale dans cette bibliothèque de l'Ar-
senal un autre manuscrit renfermant quelques poésies
de notre duc. On n'a pas pu me le communiquer. Je
292 NOTICE BIBLIOGRAPHIQUE.
m'en suis aisément consolé, la désignation qu'en donne
mon prédécesseur montrait suffisamment que son
texte ne saurait avoir aucune importance.
C'est donc à l'aide des manuscrits précédents et
tout particulièrement du manuscrit La Vallière que
j'ai composé le texte de la présente édition.
Il existe encore de notre auteur plusieurs manus-
crits que je n'ai pas vus. D'abord un manuscrit de la
bibliothèque de Carpentras, dont M. ChampoUion et
M, Lambert, bibliothécaire de cette ville (Catalogue
raisonné des manuscrits de la bibliothèque de Carpen-
tras) donnent une ample description. D'après eux, ce
serait une copie du manuscrit Colbert. Il n'est pour-
tant pas complètement d'accord avec celui-ci sur
l'attribution de quelques pièces aux poètes qui entou-
rent Charles d'Orléans. On y trouve aussi une ballade
non recueillie par les autres manuscrits. Les quel-
ques vers qu'on en cite suffisent à nous convaincre
qu'elle appartient à l'école bourguignonne-flamande,
école tout à fait différente de celle où l'on peut ranger
notre prince.
Londres possède quatre manuscrits des poésies de
Charles d'Orléans. Nous les connaissons par ce qu'en
dit M. Fr. Michel, dans son Rapport au ministre de
l'instruction publique, 1849 (Documents inédits de
l'Histoire de France); par une ample description que
donne du magnifique manuscrit de la Bibliothèque
du roi, Bristish Muséum, Vallet de Viriville (Bulletin
du Bibliophile, 1846). II y prouve assez clairement
que cette copie doit être de 1 600-1 606. On y trouve
deux chansons en anglais qui ne se rencontrent pas
dans nos manuscrits, plus quelques-unes des pièces
rangées à la fin de nos deux volumes parmi celles
qu'on attribue à notre poète.
Un excellent article de la Rétrospective Rewiew,
i?>'i'], m'a fourni aussi des renseignements sur ces
copies anglaises, qui sont au nombre de trois, outre
le manuscrit du roi: un manuscrit de la bibliothèque
Lansdowne et deux de la bibliothèque Harléienne.
NOTICE BIBLIOGRAPHIQUE. îgj
M. Champollion a, sur ces textes, reçu de M. Martial
Delpit, alors en mission en Angleterre, des commu-
nications qui nous enlèvent, en partie, le regret de
n'avoir pu les consulter.
Dans les uns et les autres de ces manuscrits on
trouve un très-grand nombre de pièces qui ont été
composées par les amis, les serviteurs, les parents de
Charles d'Orléans, par les gens de cette petite cour
lettrée qu'il avait rassemblée à Flois, plus quelques
chansons en anglais et une ou deux pièces en latin.
J'ai promis les poésies françaises de Charles d'Or-
léans, et l'espace qui m'est mesuré dans cette publi-
cation ne me permet pas d'être prodigue, j'ai donc re-
tranché tout ce qui n'était pas en langue française.
D'autre part, je n'ai pas voulu publier toutes les
poésies de la cour de Charles d'Orléans. J'ai repro-
duit celles qui servaient de réponse à plusieurs pièces
de notre poète, et quelques-uns de ces jeux de rhéto-
rique où sur un vers, sur une idée, sur un refrain,
toute la petite bande se précipitait à la suite du duc
et se répandait en rimes fort banales.
Le caractère italique indiquera celles des pièces qui
ne sont pas de notre poète. Je vais indiquer dans les
notes plusieurs pièces sur la paternité desquelles j'avais
quelque doute. Enfin, j'ai renvoyé à la fin de chaque
volume, les ballades, chansons et rondeaux que cer-
tains manuscrits attribuaient au prince, sans que l'en-
semble des documents confirmât cette attribution.
Les notes qui vont suivre compléteront, en entrant
dans quelques détails, ces observations générales. Je
n'ai pas rangé parmi les œuvres de Charles d'Orléans
une traduction de la Consolation de Boèce, traduction
qui lui avait été attribuée un peu légèrement ; M. Léo-
pold Delille Ta prouvé surabondamment. (Séance de
4'Académie des Inscriptions, 3i janvier iSyS).
NOTES, NOTICES
VARIANTES.
Les diiffres placés au commencement des notes
renvoient aux pages, ceux qui suivent le trait indi-
quent les vers ou les lignes; i-i, 2-20 signifient
donc : page i, ligne i, page 2, vers 20; et, ainsi de
suite.
TOME PREMIER.
I Nous avons indiqué dans la Préface comment nous avons
été amené à mettre en tête de cette partie des œuvres de
notre poète : Poëme de la Prison, ce qui traduit, à peu prts,
en langage moderne, cette phrase que nous trouvons dans
plusieurs manuscrits : Le Livre que Mi^ d'Orléans fist, estani
prisonnier.
2-20. De nommer à moi le nom.
3-i5. Ce qu'est joie.
3-29. Dans cette voie.
7-8. Comme il est d'usage, je te manquerai au besoin.
7-9 Comme tu fais le dédaigneux à propos d'amour.
8-29. Quand, ainsi légèrement. Beauté triomphe.
8-35. Il vaut mieux que tu choisisses.
11-20. Ainsi qu'ils s'y engagent
21-18. Ce qui fait cela, c'est.
23-5. On la nomme maîtresse en cela.
23-7. Trouver amendement, trouver qu'elle puisse mieux faire.
23-10. Celui qui observe ses actions apprend à se conduire.
21^-26. Je ne puis en dire davantage.
ïS-io. Nul excepté moi.
NOTES, NOTICES ET VARIANTES. 295
a6-2. Jeunes avec un s au singulier. Jeunes ou vieux, ainsi
m'aisl Dieiix, etc. ce sont des formules que l'usage avait con-
servées de la langue du xiieetdu xiii« siècle, et introduites dans
celle du st« siècle. Elles peuvent, dans une certaine mesure,
servir à distinguer les premières poésies de notre prince.
a6-i8. AcoUr, prendre par le col. Les écrivains du Moyen
Age distinguaient soigneusement baiser, accoler, embrasser,
la caresse des lèvres, des bras autour du col, ou des bras
autour de la taille. On voit par ce vers que la confusion
entre accoler et embrasser commence à se faire dans le lan-
gage de Charles d'Orléans.
26-20. Penser, signifie ici désir. Qu'une fois en ma vie je voie
arriver ce que je désire.
42-12. Le feu grégeois brûlait dans l'eau.
43. Ce n'est guère qu'à partir de cette ballade qu'on peut trou-
ver les traits d'une allégorie précise et les marques de pièces
écrites dans l'exil. Les précédentes ont bien pu avoir été
composées avant la bataille d'Azincourt et encadrées dans les
poèmes où Charles raconte allégoriquement ses amours.
46-12. Vous demandera votre foi.
52-3. Se suis ge, celui-là )e suis.
57-6. De la mettre à une nouvelle épreuve.
59-27. Je remplis mon devoir de vous l'apprendre.
fio-8. Se par vous n'est, sous-entendu : conforté.
63-g. Gietter chance, jetter les dés de façon à avoir chance
de gain.
79 Créséide, Yseult, Elaine. Briséis, Iseult, Hélène. Trois
héroïnes des romans de chevalerie, célébrées dans le Roman
de Troye et les Romans de la Table Ronde.
82. Le recueil intitulé Le Jardin de Plaisance cite, sans attri-
bution d'auteur, cette ballade, ainsi que la suivante.
86. L'envoi de cette ballade LXVII manque dans les manuscrits.
88- ig. L'or est nommé heureux, symbole du bonheur.
90-12. Je le jure sur mon salut.
io3. Alençon, son gendre; celui dont parle notre préface. Il y
a dans ce rondeau et le suivant une série d'allusions difficiles
à comprendre sûrement.
r 14-24. Asserray est là, je crois, pour assolerai. Je ne pense
pas qu'il vienne ici d'asserrer, tranquilliser.
II 5. Tays. Ste Thaïs, célèbre pénitente. VoyQZ LegenJa aurea.
Lipsiic, iS5o. p. 677.
Ii5. La réduction de la Guyenne ne fut complète qu'en 1453.
C'est donc après cette date qu'il faut placer la compositiou
de celte ballade.
296 NOTES, NOTICES ET VARIANTES.
116, bal. IV. On appelait Frères de l'Observance on Obser»
vantins, des moines réformés de l'ordre des Franciscains.
C'est par allusion à la sévérité de leur règle que notre poCte
parle des amoureux maltraités par leurs dames et réduits aux
angoisses de l'amour.
120 Les poètes de la cour de Charles exercèrent leur verve
sur le thème de cette ballade, fort digne, par son style, d'ap.
partenir à notre poète, bien que sa place dans les manuscrits
puisse porter à supposer qu'elle n'est pas de lui.
121-21. Il faut comprendre comme s'il y avait : d'Espoir.
122. Il est possible que la ballade VI et les suivantes jusqu'à
la page i35 inclusivement ne soient pas de Charles d'Orléans.
Elles se trouvent dans les manuscrits, mêlées à des pièces
portant les unes le nom de notre prince, les autres le nom de
divers auteurs. Celles que nous signalons ici n'ont aucune
attribution. Nous en dirons autant de la ballade XXIII.
125-4. Estimée d'après le cours établi par Loyauté.
126-2. Exposée aux coups de.
i3i-6. Pour qui, aux yeux de qui regarde.
i3i-26. Et quand je les donnerai.
l32- 1 5 . Les rois de France ont cette formule : Car tel est notre
plaisir.
i33-i3. Je dis, pour conclure.
l36-20. Jeu de mots sur le sens àt faille qui désigne un jeu
et aussi veut dire manquement.
140. Cette ballade — nous lui conservons cette désignation
donnée par les manuscrits, bien qu'elle n'ait pas les caractères
propres au genre — laisse comprendre, dans son obscurité,
qu'il s'agit de Marie de Bourgogne, fille de Charles, d'"' 'l*
Charolais. La ballade suivante est liée à la précédente, dans
ces manuscrits, sans en être séparée par le titre constamment
mis en tête des autres pièces. Toutes deux sont suivies par
un morceau signé Vostre povre escoHer françois, et qui est
peut-être de Villon.
142-32. Le manuscrit que je suis généralement donne bien
soine J'ai cru voir là une mauvaise copie. Some serait ici la
traduction grossière de summa, très-grande. Je répète d'ail-
leurs que cette pièce, lourde, obscure, à physionomie antique
ne saurait être de Charles d'Orléans.
143-8. Dovre, Dover, Douvres, ville anglaise sur les bords du
détroit du Pas de Calais.
i52, ballade VII. Une de celles que le Jardin de Plaisanca a
empruntées à Charles d'Orléans.
i53. Ballade VIII. Ce dut de Bourbon est vraisembiablenient
NOTES, NOTICES ET VARIANTES. 297
Jean I«', prisonnier d'Aziiicourt, qui vint momentanément en
France en 141 7 et mourut en Angleterre, en 1433.
154-9. C* qi^s c'est qu'une telle vie.
157. Ballade XI f. Philippe le Bon, duc de Bourgogne.
161-2. Isabellede Portugal, troisième femme de Philippe le Boa.
162-13. Ne fera, n'en trouvera pas plus à l'avenir.
164-5. Fiers à l'avantage je frappe heureusement.
164-21. Mes prédécesseurs donnent au mot baffe le sens de
coup. Je crois qu'ils ont cédé inconsciemment à la ressem*
blance de ce mot avec buffe. L'ensemble de la ballade et les
vers suivants me portent à le faire venir de Baffa qui signi-
fiait à Rome pâtisserie grossière et grasse. Ce serait donc :
visage venu de bafrerie, formé de graisse grossière et confit
en une consMve de vin. — Au Moyen Age, on remplaçait par»
fois le sucre par le vin doux pour faire certaines compotes.
164-25. Mal Saint Martin, l'ivresse. Autrefois, onseréunissaità
la Saint-Martin pour goûter le vin nouveau et pour le vendre:
 la Saint-Martin fault gouster le vin.
i65-2. La poudre de raisin, c'est le vin et l'ivresse.
I65-I0. Saint-Poursain, nom d'un vin d'Auvergne dont la cé-
lébrité dura jusqu'au xvni« siècle, et dont Fléchier parle en
ses Méiiioires. Nous avons peine aujourd'hui à coaiprendre
cette renommée.
172-9. Gettoit, signifie ici : comptait. Mais est-ce par allusion
aux jetons qui servaient à calculer ou aux papiers qu'on triait
en les jetant sur divers tas?
173-10. J'agirai volontiers ainsi.
174. Cette ballade XXVII est attribuée à Blosseville par le ma-
nuscrit de Carpentras.
177. Saint Valentin, dont nous rencontrons le nom dans plu-
sieurs endroits de ces poésies, joue un grand rôle dans la
poésie amoureuse de la fin du Moyen-Age. Il était considéré
comme le patron des amants; le jour de sa fcte correspondait,
dit-on, à cette date du printemps où les oiseaux s'accouplent.
Les jeunes gens choisissaient ce jour-là une compagne envers
laquelle ils étaient tenus à certains devoirs gracieux. Notons
toutefois que la Saint-Valentin était plus célébrée en Angle-
terre qu'en France, et qu'elle n'y est pas encore complètement
oubliée.
188. Les premiers vers de cette page ne sont pas absolument
clairs. Les autres bonnes! Faut-il donc sous-entendre choses,
places, vies ?
298 NOTES, NOTICES ET VARIANTES.
Tout fait a. On peut encore comprendre en mettant un
accent sur l'a.
199-22. La danse à courts sauts, autrement la basr,e dani'e,
danse grave, solennelle, était, comme la pavane, en oppo-
sition avec les danses moresques, par exemple, qui deman-
daient des mouvements plus violents et plus adroits.
200-1 et suivants. Celui qui se met à servir, s'il voulait avoir
immédiatement sa récompense, sinon se démettre du service,
celui-là serait blâmé par Loyauté.
200-26. J'ai assez abandonné avec générosité, de mes biens.
aoi-24. Celui qui n'a pas un traité doit se rendre à merci.
201 in fine. Il faut tout mettre en partage quand vient le mo-
ment de distribuer le butin.
3o3-3. Et vous, de même que vous, en votre compagnie.
2o3. J'ai trouvé la pièce suivante dans un seul des manuscrits
originaux de Charles d'Orléans. Il est facile de voir combien
la langue diffère du style des autres morceaux. Je ne l'ai pas
rejetée pourtant. On peut supposer que notre poète l'a com-
posée, en son extrême jeunesse, à titre de pastiche des poésies
du siècle précédent.
On peut imaginer encore que Charles, touché par le senti-
ment naïf, très-pénétrant, très-doux et très-sincère qui a
inspiré ce Lay, l'avait gardé parmi ses papiers. Aussi je n'ai
garde de blâmer ceux de mes prédécesseurs qui ont vu dans
l'attribution de cette antique complainte à notre poète une
pure fantaisie d'un copiste ignorant. En tout cas, ce petit
poème m'a paru, comme je le disais, inspiré par un senti-
ment délicat et vraiment attendri; et je l'ai conservé pour les
cueurs de noble amour espris.
204-34. Il m'était imposé de porter ce deuil.
2o5-25. Changer de couleur (en parlant du visage).
2o6-5. Et il me semblait qu'elle m'avait délaissé.
207-18. Car la mort, — c'est à peine si j'ose le dire, — c'est
ma consolation, mon plaisir et mon soulagement.
209-17. Que j'ai, en ma vie, finissant (je, moi, qui termine) en
priant — ou bien en ma vie qui décline.
2i3-iS. Les sept arts constituaient et comprenaient la science
classique du Moyen-Age. Ils se divisaient en deux séries : le
Trivium, qui comprenait grammaire, logique, rhétorique, et
le Quadrivium, qui représentait ce que l'on nommerait au-
jourd'hui les sciences et renfermait arithmétique, astronomie,
musique et géométrie.
214-7. En guise de louange et d'estime, je suis titré, décoré
de déshonneur.
NOTES, NOTICES ET VARIANTES. 2g()
Si5-Q. La Quinlaine, jeu qui se faisait à la lance ou au bâton,
à cheval ou à pied et où il s'agissait de frapper très-exactement,
à un point indiqué, un mannequin qui, mal atteint, donnait un
coup violent au maladroit.
217-23. Ogier l'Ardennois, héros bien connu des romans de
chevalerie.
219-7. Après, s'après elle, si d'après elle.
320 in fine. Je ferai sur cette ballade les mêmes observations
que sur le Lay Piteux.
221-4. Donnez-moi, de la tendresse qui est en vous, une telle
consolation, que j'oublie cette souffrance d'amour.
TOME SECOND.
9-6. Il est juste que je tienne votre conseil secret.
13-7. Je jure de faire les premiers pas.
13-24. Qu'on fasse une enquête pour savoir qui a tort.
14- 1. Que Droit assemble conseil pour juger si, etc.
20 in fine. C'est ce qui reste à dire, c'est à savoir.
22.-5. Sous mon pied cela.
22-14. Et que vous êtes passée maîtresse en cette affaire,
23-1 3. Je mettrais parmi mes biens.
25-1 5. Qu'il n'j- manque rien.
29-4. Dont je vous suis peu reconnaissant.
3i-5. Je persiste en cette opinion qu'ils viendront, etc.
53. Voir la note ci-dessous sur les Bourbons contemporains-
de Charles d'Orléans.
60. Pour ces trêves, voyez la préface.
61-2. C'est un des deux derniers comtes de Clermont dont nous
parlons ci-dessous, et probablement le troisième.
Le Villequierdont il est ici question paraît être André, qui
épousa Antoinette de Maignelais, assez effrontément. Nous
voyons trois La Fayette sous Charles VII, Charles, Gilbert,
Pierre. Quant à Gouffier, le plus connu est Guillaume, qui
fut accusé de vouloir attenter à la vie de Charles VU.
65. Le Sicile dont il est ici question est le très-connu René
d'Anjou.
71-6. On peut lire n'a tirer. Quelques manuscrits donnent
atirée qui rend le vers faux. Je suppose que atirer, atiré
atirée est un appât pour le faucon.
71-q. Comme les jeunes faucons qui vont muer.
300 NOTES, NOTICES ET VARIANTES.
73. On appelait Carole un air de danse que l'on dansa
aux fêtes et surtout à Noël.
79-S. A l'aide de liesse.
11-80. Ce Nevers est, je crois, le plus célèbre des deux qui
jouèrent quelque rôle au xv« siècle, Jean de Bourgogne, comte
de Nevers.
88-2. Que nous mettions au jour les derniers arguments.
88-20. L'œil qui était en embuscade saute sur la route.
89-14. Faites annoncer ces trêves.
96-4. Je suppose que ce sont là des termes de fauconnerie, je
comprends : développait le plaisir de la chasse, et savait
quêter, — revenu sur ses passées.
ICI. Rond. XLIl. Blaisf d'Auriol, dans sa Despartie d'Amour,
s'est approprié ce rondeau en changeant Le Goût en Le Grant.
102- 1. Avez-vous fini ? Laissez-moi parler à mon tour.
102-18. Près là, ici.
102-18. Le briquet n'était pas de race pure, le limier chas-
sait la grosse bête.
Il3-i8. Volte route, tournez, changez de chemin, revenez.
On peut aussi lire 7o//<?, ro«/c", tourne, compagnie.
Ii3-25. Ce vers m'a un peu embarrassé, et je crois, d'après
la façon dont il est reproduit dans les manuscrits que les co-
pistes ne le comprenaient pas. Je suppose qu'il faut écrire
d'aly et non da ly, comme je le vois dans plusieurs textes.
Je prends aly pour mot technique, pour un mot de guerre ou
de chasse, pour une sorte de contraction d'un mol comme
halali, par exemple. J'explique ainsi la phrase : Crie gaillar-
dement, d'un brusque halali, après le balaillon rompu.
120. Melusine, la fée, qui se cachait sous la forme d'un serpent.
Il y a le roman de Melusine, par Jean d'Arras, auquel évi-
demment fait allusion notre vers.
122-9. Que les jeunes partagent leur butin,
129-3. Cabuseurs. J'ignore quelle espèce particulière de far-
ceurs, de joueurs, d'hommes politiques ou de truands, in-
dique ce mot d'argot. On peut y chercher diverses étymolo-
gies, et j'avoue que j'ai été tenté d'y voir le mot Gabuseur,
mal écrit ou mal prononcé. Le sens général du vers et du
suivant est, du reste, clair : La malice ne finira pas tant qu'il
y aura un Cabuseur.
Je ne puis pas non plus préciser le sens du mot entrejetteiir
qui vient plus loin.
i3o-i3. Que je m'y mette pour recevoir quelques coups, vous
moquez-vous !
i35-i3. On se brûle quand on est près du feu, et pour cela,
NOTES, NOTICES ET VARIANTES. 3oi
}e suis l'homma qui le fuis de mon mieux, quand je n'y trouve
pas mon avantage.
i38-2. On se rappelle que Charles d'Orléans revendiquait le
duché de Milan, etc. du chef de sa mère.
l38-i4. Troilus joue un grand rôle dans le poëme de Benoît
de Sainte-More et dans bien d'autres poèmes au Moyen-Age.
Mais nous pensons que Charles fait allusion à ce livre de
Troilus que Pierre l" de Beauveau avait, à la fin du xiv^ siècle,
tiré du Filostrato de Boccace. Nous avons publié ce roman
qui fut célèbre au xv* siècle et dont nous avons trouvé un
manuscrit provenant de la bibliothèque de Valentine de Milan.
140-14. Distribuons non avec avarice nos sourires, nos bonnes
grâces.
141. Clermoutois, c'est-à-dire du comte de Clermont.
Notre prince a connu trois comtes de Clermont : Jean I«%
qui devint duc de Bourbon en 1410, et qui fut son compagnon
de captivité; le fils de celui-ci, Charles, né en!i40i,
comte de Clermont jusqu'à la mort de son (père (1434),
époque où il prit le titre de duc de Bourbon ; enfin le fils de
celui-ci, Jean II le Bon, né en 1426, comte de Clermont,
puis duc de Bourbon en 1456, date de la mort du précédent.
Je ne trouve rien dans ces rondeaux qui me porte à choisir
l'un des trois Clermont plutôt que l'autre.
14 1-8. Ce n'est pas par la faute de ma volonté.
142-4. Les textes donnent Desconforté, qui ne m'offre guère
de sens. Je pense qu'il faut lire Desconfort, l'ennemi de Con-
fort, qui joue dans les poésies allégoriques le rôle de consola-
teur, et ne pas élider l'e de lerme, licence que notre poète
se permet à l'occasion.
142-8, D'après ce que j'entends dire.
143. Ce rondeau redoublé n'est pas absolument conforme aux
règles qui veulent que ce genre de rondeau ait six couplets.
145-15. Amors. Amordre avait deux sens au Moyen-Age,
atteindre ou gratter en grinçant, et un troisième sens dérivé
de ce dernier — et qui est resté dans le patois picard — re-
passer une lame.
Ici je ne vois aucun de ces sens bien applicables, je suppose
que notre poète aura entrevu le sens de amorcé, habitué.
I48-11. Jusqu'à ce qu'il ait sa joye accordée, décrétée.
l52-io. Où il n'entre pas'un, quoique ce soit peu.
l53. Comte d'Étampes. Charles eut un beau-frère et un neveu
de ce nom. Le premier, Richard, fils de Jean le 'Vaillant, duc
de Bretagne. Richard avait épousé Marguerite, sœur de
Charles. De ce mariage était né en 143: François, également
302 NOTES, NOTICES ET VARIANTES.
comte d'Etampes, et qui deviut duc de Bretagne. Le rondeau
paraît s'adresser à ce dernier.
136-17. Il y aura le lévrier lieau Crier.
iby-6. Je ne sais s'il ne faut [ias prendre ici poisson dans
le sens de mesure, verre de vin. Quant au vin des Grois
dont il est question, c'est la première fois que je le vois cité.
iSj-io. Faut-il chercher lu une allusion de ses projets decon-j
quêtes du Milanais, ou voir simplement dans généraux et mil-
lenois les hauts agents de finances ro\ aies ?
i5i-6. Croyez-vous que ce soit le contraire?
102-23. Baille lui bois. Expression tirée du jeu de la quin-
tiine, et qui s'explique aisément. Quand on touchait mala-
droitement de la lance l'un des bras de la qnintaine et qu'on
en était trop près, l'on recevait sur la tête l'uu des autres bras
de la machine.
162-24. I^^ mois. Faut-il comprendre : s'éloigner pendant
quelque partie, quelques jours du mois? Faut-il prendre
viois pour le mai, l'arbre du mai, et par extension, poteau de
la quintaine qui est aussi une sorte d'arbre de fête?
i63-2i. Le comte de Nevers, qui n'est pas expert, manque la
plus grande qualité — qui est aussi la plus grande diffi-
culté — du rondeau, je veux dire l'application exacte, la
complète appropriation des premiers vers comme refrain. On
doit sans doute sous-entendreici/^ivar, pour mainte personne.
i65. Pièce citée dans le Jardin de Plaisance ainsi qu'une autre
qui commence ainsi :
En la forest de longue attente
Demeure sans maison ni tente.
167-8. De rente, en guise de rente.
172-3. Bien que je lui dise... je languis, etc.
174-24. Dans la maladie... il y a fort à guérir.
177-24. Dans l'un de nos manuscrits, Guerdon est cons-
tamment écrit gueredon, et Ve entre \'r et le d constam-
ment élidé pour l'oreille, et pour la mesure des vers.
178-18. Laisse seuls les nécessiteux.
187-13. Il faut prendre, je crois, ce rondeau dans le sens
ironique, et regarder le mot Chapperon, coiffure plus grave,
comme une allusion à la Sagesse.
188-8. Je ne connais plus rien que mon Dieu.
188-19. Mon service est d'être père mendiant et je cherche
mon pain quotidien.
189-16. Par une élévation forcée, fatale, providentielle.
189-2Ô. Je ne comprends pas bien le mot savance inventé
NOTES, NOTICES ET VARIANTES. 000
pour la rime et lourdement, selon la formule de l'école bour-
guignonne. Ni saveur ni savoir ne donnent un sens bien
concordant avec l'ensemble de l'idée.
190-12. Je laisserai peu de bien acquis parmi les amoureux.
190. Rond. CLXXXIV. C'est une des pièces qu'a empruntées
le Jardin de Plaisance,
191-16. Car, en parler si lestement, si crûment, en vérité c'est
montrer qu'on n'en souffre guère.
192-3. Que l'homme peu courroucé s'apaise vite.
193-15. Le sens indique dans Sources un nom de lieu vers
lequel va notre poète, ou un homme à propos duquel ii est
obligé de voyager. Je connais Serges et Foiirges ; j'ignore oii
pourrait être situé Sourges. Je n'ai pas trouvé ce nom dans
les papiers d'Orléans.
194- II. Ce rondeau, on le voit facilement, est bâti sur une
série de jeux de mots, où les noms des fleurs rappellent le
nom des sentiments. Le rondeau CXC formé d'après le
même système, est Imoins précis et plus vague en son allé-
gorie ; il est plus d'un poète et moins d'un médecin.
198. Rondeaux CXCI II et suiv. Ces deux rondeaux sont attri-
bués à Jean de Lorraine par le manuscrit de Carpentras, évi-
demment par erreur.
198-5. De crainte qu'il ne vous donne.
199-3. Sous-eiUeudu : s'ils faisaient autrement.
199-14. Montre son engagement (qui le retient à la solde
d'un capitaine.)
202. Rondeau CXCVn. Attribué par le manuscrit de Car-
pentras à Mm» d'Orléans.
2o5-2i. Cette phrase obscure peut s'interpréter de plusieurs
sortes; j'incline pour ce sens : C'est faute de valeur de la
part de ces amoureux ardents en apparence, et qui, en fait,
sont si prudents que, par une juste punition, etc.
206. Rondeau CC. Il faut le comprendre dans le sens ironique.
206- II . Et alors ce sera à Danger, leur ennemi mortel, que les
femmes seront obligées de se soumettre.
312. Rondeau CCX. Voici le sens général de cettepiècemipartie:
Contre ces gueux rusés d'Italie, il est bon d'employer le
mot français : à plus tard. Donnez-leur de l'eau bénite de
cour. Tout au plus bernez-les du mot savoir?
Oui, sans doute, c'est déjà trop ; car il faut grande prudence
avec ces astucieux menteurs.
Tiens bon est peu politique, mais voyons un peu est une
phrase habile. C'est la diplomatie qui indique le remède
qu'on doit employer contre les hypocrites coquins.
3o4 NOTES, NOTICES ET VARIANTE*.
2 1 3-3. Peut-iître peut-on lire s'avance. Mais alors je ne sais
que faire de par, soit en français, soit en italien, à moins de
foiger le verbe par s'avancer, qui alors est contradiction aVec
poco.
21 3-1 5. J'imagine que ce vers — dans un patois plus folle-
ment macaronique encore que celui du rondeau précédent
— peut signifier : autant le prince que les ducs.
ai 7-1. Rien qu'en vous regardant.
221-7 J'ai été tenté de lire borne; on peut voir une mau-
vaise prononciation de bonde; ou dans mettre la bonne une
locution adverbiale dans le sens de mettre le holà i
iîS-ig. Dcduit delà pie. P»e signifie souvent boisson. Cro-
quer la pie, humer le piot.
232-11. Peut-être faut-il lire ne trouverait, il ;n*en trouve-
rait pas d'aise.
a32-2i. Faire vœu sur le paon, usage chevaleresque, qui a
donné naissance à plusieurs romans d'aventures.
237-15. Baude et Briquet, deux noms de chiens de chasse.
Il est probable que notre prince fait ici allusion aux débuts de
Baude, poète de la fin du xv« siècle, dont il reste quelques
pièces d'une forme élégante.
247-27. Je me mettrai en otage.
848-1. Sous-entendu, des biens.
255-20. Trou Sebille, probablement l'antre de la sybille.
2G1-13. J'oy compter rage. Expression proverbiale : J'en-
tends dire merveilles.
263. Le rondeau CCLXXXVTII, qui commence par Prophéti-
sant, ainsi que ceux qui portent dans notre édition les
numéros CCXCr, CCXCII, CCXCIII et CCXCIV, me pa-
raissent avoir été attribués à tort à Charles d'Orléans. Leur
forme, et surtout leur position dans les manuscrits, me
portent à croire qu'ils sont de quelque poète de la cour dont le
nom a échappé au premier copiste.
274. Rondeau CCCV. Ce rondeau et les deux suivants pa-
raissent faire allusion à son voyage en Italie. Les deux pre-
miers vers de la page suivante peuvent se comprendre :
On reconnaîtra qu'il est sage le duc d'Orléans né d'une
Lombarde, ou bien : Que c'est chose sage de tirer d'Orléans
en Lombardie.
276-13. Il paraît qu'il faut élider \'e de gueres.
Les pièces attribuées ici à notre poète, et particulièrement ta pre-
mière chanson de la page 280, portent le même caractère
d'ancienneté que celles qui sont à la fin du volume précédent.
Angoulême (M^'d'). Marie de Rohan, épouse de Jean d'Orléans^
NOTES, NOTICES Er VARIANTES. 3o5
comte d'Angoulêmej frère puîné de Charles d"Orléans et
grand - père de François I»'. Elle avait épousé Jean , le
3i août 1449 : la pièce qui lui est adressée est, je crois, du
17 février 1450.
Albret (le cadet d'). Parmi les six seigneurs d'AIbret qui
jouent un rôle sous Charles VII. C'est Arnaud-Amanieu, sire
d'Orval, qu'on nommoit le Cadet d'AIbret, d'après la chronique
de J. Chartier. Charles d'AIbret, sire de Ste-Bazeilles, portait
aussi ce sobriquet.
Beaujeu (monseigneur de). Pierre II de Bourbon, qui épousa
la fille de Louis XI.
Benoist d'Amiens. Est-ce le même Benoist que nous voyons
en I454 parmi les affidésdu Dauphin Louis?
Boucicaut. Le petit-fils du premier maréchal de ce nom.
Nous le voyons mêlé en compagnie du duc d'Orléans au mou-
vement féodal de 1440-1442.
J'ai trouvé dans un seul de mes manuscrits l'attribution à Mon-
seigneur du Bridore du rondeau généralement placé sous le nom
de Boucicaut. Faut-il voir le même personnage sous ces deux-
noms ?
P. de Boulainvilliers. Ce domestique de la cour d'Orléans
est-il le parent de ce Perceval de Boulainvilliers dont nous avons
une si curieuse lettre sur Jeanne d'Arc ? Est-il l'un des ancê-
tres de l'historien politique du xviii= siècle? Je ne sais rien sur
lui et je ne le vois pas apparaître dans les chroniques et les
comptes du xv« siècle.
Jehan Caillau, médecin de Charles et celui qui le soigna dans
sa dernière maladie.
Daniel. Je ne connais pas d'autres Daniel au xv« siècle qu'un
chambellan de Louis XI en 1478.
Fredet Guillaume, licentié es loix. Garde des sceaux de la
prévôté de Bourges. Je trouve son nom dans un acte de 1422.
Garancières. Ce nom revient souvent dans les comptes de la
maison d'Orléans et dans l'histoire du xv« siècle. Celui-ci était,
je crois, fils d'Yon de Garancières, maître d'hôtel d'Ysabeau de
Bavière, et ce Jehannet de Garancières qui tient la plume pour
les seigneurs Orléanais lors de la déclaration de St-Ouen, 141 1.
Georges. Les précédents historiens de Charles d'Orléans ont
cru voir en ce Georges, Georges Chastellain, notable historien
bourguignon du xv« siècle.
Ce rondeau, en effet, rappelle plus que les autres pièces du
recueil la pesante gravité de l'école bourguignonne-flamande de
cette époque.
Jean de Lorraine. Le fils de René d'Anjou.
CHARLES d'orléans. II. 20
3o6 NOTES NOTICES ET VARIANTES.
Olivier de La Marche. Historien fort connu du xv« siècle.
Hugues Le Voys, un des partners iiabituels du duc aux lichecs,
et de la Duchesse aux tables, aux daines, au trictrac.
Le comle de h'cvers. Jean \" duc de Clèves.
Lussay (Antoine de). Etait-il de cette famille de Lucé ou de
Lusse, dont je vois plusieurs membres cités dans les chroniques
du xv« siècle?
Madame d'Orléans. La princesse de Clèves, femme de notre
duc, {voir la préface).
Gilles des Ormes est un de ceux qui sont nommés parmi les
)0ueurs qui font le plus fréquemment la partie d'échecs as'ec
le duc.
Pot (Guyot), chancelier du Prince.
Est-ce le fils de ce Régnier Pot, si enragé Bourguignon au
commencement du siècle ; et le père de Jehan Pot, » page de
monseigneur » ? En tous cas, c'est le partner habituel de la Du-
chesse au jeu de tables, au jeu de gluc.
Pot, Philippe. Nous le voyons en grand état à la cour de
Bourgogne en 1458.
Senechal (le grand). Pierre de Brezé.
Torcy (leseigueur de) Jehan d'Estouteville, seigneurde Torsy»
conseiller du roi Charles VU.
La Trémoille (Jacq. bâtard de). Chef de bandes sous Char-
les VU et « vaillant chevalier aux armes » comme l'appelle
Jean Chartier.
Villebresme (Guill. de) Poète souvent cité au xv» siècle,
« secrétaire du roy et de Monseigneur u.
Blosseville,
Caillau (Simonet),
Fraigne,
Tignomnlle,
Vaillant,
Domestiques de Charles d'Orléans, sur lesquels noua navor.s
trouvé aucun renseignement.
GLOSSAIRE
A, avec; atout, atoute'avsc
tout, avec toute.
A parfois le sens de est • il
^! il y a, il est.
^. A, a sa vie, pendant toute sa
ABANDONNÉEMENT.avecaban
don, sans compter.
Abrié, abrité.
profft^^'"^'*' ^'^^^"'^'er pour un
pagnT"*"^' ''"°^"'^> accom
AccoRT, accorde
AcHOISo^f, occasion , cause
opportune. * "*^
AcoLLER, prendre au cou
AcoRDER à, concorder avec
AcouRSE, raccoursit
p.ir son devoir, s'acquitter de
tenir promesse envers
qui^é""^'"^' ''"'''''^' ^-"é» ta
Adonc, adoncques, alors
reâJ!°"''^' af'-ké; doulou.
Adresse, chemin, voie di
rection, mjyen, habitude '
advis, sagesse, bon sen<!
raisonnement^ d'où avisé '
Affaicté, grave, sérieux
demande affaictée, une deman
cf.lf.V"'^"- ""^ réponseTpé
ciale et précise. ^
Affier. se fier.
AiGRET, l'épine vinette.
AiNS, aînçois, mais.
,.-7r'.S'', ,:)j^, ~i^ in'atst Dieux
SI Dieu m aide ""^«at,
f^A^f^^'^É (?j On trouve par-
.'^'tnj"'^"f' pour amande ou
amende, almandé veut-i] dife
comme un homme mandé, ôa
commandé, ou condamne" >'
Ancolie, fleur connue,' d'où
mer-ancolie, melencolie.
Amendrir, amoindrir
tist™^'*' 0') donner une sa
tistaction, se corr ger et oilrir
une compensation.
Amer, aimer.
Anuyt, aujourd'hui.
AouRNÉ, aonté, orn
Appeler de, appeler au com-
bat pour cause de
Aprison, plus correctemenf
asprison, aigreur, hostilité ^'
^^Aquilote, petit oiseau de
^ Araisonner, parler grave-
artr.l^."""'^'-' ''-^r, brûla-
Arguer, poursuivre d'aro^it
ments taquins et pointilleux"
Arme, ame.
^.^Art, science, habileté, ma-
AspRKSSE.synonvme d'âoreté
adSer"'''"''"''°°^«-
3o8
GLOSSAIRE.
AssoTEMENT, acoquinement.
AssouACEMENT, scula^einetit.
AssounTivER, devenir plus
•ubtil. plus fin, plus malicieux.
Atraire. attirer.
Athkmpk, modéré.
Attabgier. tarder.
Atteintes, terme de tournoi ;
en venir aux atteintes, être
blessé.
Aucun, quelque.
AucuNE.MENT, parfois ; avec la
négative non aucunement, si-
gnifie non parfois, c'est-à-dire
jamais.
AuFFiN, terme de jeu d'échec,
le cavalier.
Au FORT, enfin, en résumé,
après tout.
AuMAiRES. armoires.
Avancer, avantager, honorer,
pousser en estime et gloire;
mettre en péril.
B
Bailler, garder.
Bas, charger le bas, surchar-
ger le bat, ouTrapper aux jambes.
Bas.me, baume.
Baster, regarder avec non-
chalance.
Baubans, bobans, fêtes, bom-
bances.
Baudement, joyeusement.
Baverie , bavardage médi-
sant ou calomnieux.
Becs-jaunes, niaiserie, sotte
prétention.
Bien, un bien matin, de bon
matin.
Blanc, monnaie d'une valeur
variable, mais qui le plus géné-
ralement valait la moitié d'un
toi.
Bonde, obstacle.
BoNT (donner le), terme de
lutteur, renverser.
Bouter, mettre.
Brahaing, brehaing, stérile.
Brais, gémissement.
Brief, adverbe, brièvement.
Broche, sans couleur, c'est,
je crois, le bâton blanc qu'on
donnait aux soldats renvoyés.
Brouée, brouillard, nuage,
quelquefois tapage, ou fantaisie.
C'OM, qu'on.
Cabuzkr, tromper.
Cameline, espèce de sauce
où dominait la moutarde. Elle
venait d'Italie, et paraît fort ap-
préciée au xv« siècle.
Car, que.
Carreaulx, pavés.
Cassez, détruits, enlevés.
Catoiller, chatouiller.
Cavment, mendiant.
Chaille, importe.
Chalanger, réclamer.
Charge, reproche.
Charnaige, personnification
des Jours-Gras. Le combat de
Caresme et de Charnaige a servi
de texte à plusieurs poésies du
moyen âge.
Ch A stier, instruire, corriger,
reprendre.
Chastoy, conseil, leçon, ré-
primande.
Chault, de chaloir, inquiéter,
il ne m'en chault, je ne m'en
soucie.
Chevance, gain, profit, bien
acquis.
Chevir, achever, venir à bout,
maîtriser, aboutir.
Chier, cher, si chier qu'ils
ont, si désireux quils soient;
chiere lie, bonne chère, bon
accueil, bon visage; chierté,
tendresse.
Clamer, proclamer.
CoESSiN, coussin, oreiller.
CoEUVERCHiEF, cucuvrechief,
chapeau. Le couvrechef de
Plaisance était employé dans
les tournois pour arrêter le
combat.
CoFFi>f, petit coffret.
CoMMANO. je recommande.
GLOSSAIRE.
Comment, commentaire, cau-
se, origine.
CoMPASSER, mûrement arrê-
ter, décider fermement.
Compter, parfois, conter.
CoNGiÉ, pretidre congé, de-
mander permission.
CoNNiNS, lapins.
CoNSEULX, conseillers, com-
pagnons.
CoMTENS, comptant; conten-
tion, dispute; je tends.
Contre, chanteur en haute-
contre.
Cop, tout à un cop, tout d'un
coup.
Coquabt, fanfaron, nigaud
prétentieux.
CoQUELOuRDES, cspèce de
fleur, notre poc-te p-end ce mot
dans le sens de nigaud.
Corner, proclamer à son de
trompette.
Cornu, grossier, maladroit,
ridicule.
CosTÉ, de costé, à côté.
CouLO.viB, pigeon, colombe.
Courage, cœur, pensée, vo-
lonté, désir.
CouRCER, courroucer.
Courtois, homme de cour,
bien élevé, poli, gracieux, spi-
rituel.
Couverte, hypocrite.
Crémir, trembler.
Cresse, croisse.
Creu, crû.
Crier, annoncer, proclamer,
appeler à cor et à en, plaindre,
vanter.
Crocq, decroq ou déhanche,
de toute façon, soit par la hache,
soit par la lance.
Crueux, cruel.
Guider, penser.
Cv, <i^ cy en avant, désor-
mais d'ores en avant.
Cye.ss, céans, ici dedans.
D
Danger, la personnification
309
de tous les obstacles qui éloi-
gnent de l'amie. C'est le sur-
veillant, c'est le jaloux, etc.
Dangereuses, amies, clien-
tes de Danger, l'ennemi d'A-
mour, Prudes.
Dangereux, dédaigneux, dit-
ficile.
Darde, dard.
Dea, da !
Décepte, tromperie.
Decoppé, fendu, ouvert, tail-
lade.
Decours, décours de la lune,
descente, infortune.
Deffassent, effaçant.
Defferres, choses hors d'u-
sage, on dirait aujourd'hui vul-
gairement les vieilles démises.
Deffv, je défie.
Delair.w, délaisserai.
Délayer, retarder.
Déliter, fig. pousser au pé-
ché.
De.maine, propriété, escla-
vage.
Dementer, désoler, lamenter.
Départir, partager, donner,
distribuer, despars, je partage.
Département, départ, ab-
sence, éloignement.
Déport, conduite, consola-
tion, satisfaction, récréation.
Déporter, agir, se conduire,
vivre, éloigner.
Derrain, dernier, ati der-
rain, en dernier lieu, derraine-
ment, dernièrement!
Desaise, malaise.
Desavancier, retarder, ces-
ser de faire des progrès.
Desconfort, désolation, dé-
sespoir.
Descongneu, non reconnu,
méconnu, oublié.
Désert, (en), abandonné.
Desservir, mériter, d'oa des-
serte, mérite.
Desoresknavant. des mainte-
nant jusqu'en l'avenir, d'où
i.ous avons fait doresciuvant,
dorénavant.
iio
GLOSSAIRE.
Despiter, mépriser injurier;
desfiteurs, plein decclère; dcs-
pit, vexant, taquin, contrariant.
Destourber, détourner, éloi-
gner, empêciier. Destourbicr
l'accident qui éloigne, qui trou-
ble.
Devis, signifie parfois pou-
voir.
Deulx, de douloir, dont je
me deulx, de quoi je me plains,
ou dont je souffre
Dieux, forme archaïque pour
Dieu. N'est plus employé par
Charles d'Orléans que dans une
formule proveibiale qui avait
persisté malgré les changements
cie syntaxe.
DoiNT, donne (subjonctif)-
Dont, de quoi, sur quoi, à
propos de quoi.
DouBTER, craindre, redou-
ter se défier; d'o'i doiibtance.
Doui çoiiR. douceur,
DoYE,' doye\. doive, deviez.
Dya, Da, neniiil dya, non
vraiment.
K
Elles, ailes.
Effrav, effroi, mouvement.
Embler, enlever, déiober,;;ar
embler, de vive force.
Empiece, pendant quelque
temps.
Emprês, au près.
Emprandre, entreprendre.
Emprise, entreprise. Dans
les habitudes chevaleresques
c'était tout ce qu'un chevalier
avait juré de faire ou de porter.
Emy. interjection qui paraît
venir aune abréviation de deux
mots latins, qu'on rencontre
fréquemment dans les offices de
l'Eglise et qui avaient pu pas-
ser de là dans l'usage des éco-
V.'s, Hei mihi.
En, on.
Encheu, tombé.
Enccmbrier, péril, perte.
Endormye, pavot.
Enduim^r, il est parfois neu-
tre au Moyen- Age,
Enfoiîcer, devenir plus fort.
Engigner, tromper, induire.
Engin, entendement.
ENNuiER,pour s'ennuyer.
Enkoillé, enrouillé.
Ens, dedans.
Enseigne, [oultre /')plus en-
core que l'apparence.
Ensuir, ensuivre, suivre.
Envis malgré moi, de mau-
vaise grâce.
Erre, grant erre, prompte-
ment.
Es, dans les.
Escadre, escadron, corps cr-
ganisé, discipliné.
Escande. bruit, scandale.
EscHAFFAULT, cstradc.
EsCHARSEMENT, avaricicusc-
ment.
EscHEVER, éviter.
Esclarsir, éclairer.
Escondire , éconduire, re-
pousser, refuser.
EscREMiR, escrimer.
EsGRUN, plus correctement
aigrun l'aigreur, l'ennui, le cha-
grin; et aussi toute espèce
d'herbe amère.
EsLiESSER, réjouir.
Eslonger, éloigner, s'éloi-
gner.
EsPARGNiER, conserver soi-
gneusement.
EsMAYER, réjouir.
Essorer, prendre son essor,
se sauver.
EsTEUF, balle employée au
jeu de paume.
EsTOFFER, munir, meubler,
fortifier.
EsTouPER, fermer, au figuré,
mettre obstacle.
EsTRAiNE, cadeau.
EsTRANGER, éloigner.
EsTRiF, débat, discussion.
Estrilles (tour d'), tour de
main, habileté.
GLOSSAIRE.
EsTRiVER, inquiéter, lutiner,
tourmenter.
EsTRiVANCE, lutte pénible,
dur labeur.
EsTUDiE, étude ou cabinet d'é-
tude.
ExPLOîTTER, agir, se démener
par les chemins.
Fade, pâle.
Faiée, mystérieuse, extraordi-
naire, fatale.
Faille, signifie en même
temps, voile de veuve ou de
religieuse, et faute ; je ne sais
auquel de cen deux sens fait
allusion \e jeu de la faille.
Faindre, tarder, tergiverser,
trahir.
Faint, paresseux, traître.
FAiNTiSE,m( nsonge,trahison,
hypocrisie.
Faitis, bien fait, propre,
joli.
Fenoches, fenouches, por-
teur de foin, coquin, lâche, men-
teur. Y a-t-il dans ce mot tiré
de l'Italien une allusion à fi-
naud ?
Fiers, frappes.
Fièvres blanches, générale-
ment la maladie qui accompa-
gne les pâles couleurs.
Finer, finir.
Fel, fellementj faux, traître,
trompeur.
Ferez, de férir, frapper.
Fermer, fortifier, assurer,
confirmer, décider fermement.
Festier, festoyer.
FiiRRA, de férir, frappera.
Festu, tirer à festu, à la
comte paille.
Fei'rre, paille.
Foiz, une foii, un jour.
Folloyer, faire le fol.
Fors, hors; ce n'est fors, ce
n'est rien.
Fort, au fort ., par-dessus
tout, ù la fin, au fond, après touc.
FouL, fol ; fouloyer.foloyer,
faire le fou, faire des folies.
Fourcelle, /"orce/Ze , four-
cliette, fourche, os de l'estomac,
la poitrine.
Fourré, qui porte fourrure
et robes à la vieille mode.
FoY de mon corps., c'est-à-
dire en offrant mon corps en
témoignage de ma véracité.
Franchise, liberté, libéra-
tion, ou charte d'affranchis-
sement , de dégrèvement de
droit, etc.
Froingne. Nous avons en-
core ren-frongné.
Fro.xtière'^ (tenir), assaillir
un pays.
Gage, appeler de gage, ap-
peler en combat singulier après
avoir jeté son gage.
Galée, galère.
Galer, se régaler.
Gast, dégât.
GARMENTER(se).^Zi?r»Ke«^i?r,
se lamenter, se désespérer, se
désoler.
Ge, je.
Geline, poule.
Gens, gracieux, polis.
Glay, bruit.
GoRGiAS, élégants, qui s'ha-
billent à la mode nouvelle.
Greigneur, plus grand.
Grevance, de grever, frap-
per, alourdir, blesser.
Groings (faire les), faire la
moue.
GuEiNES, gaines.
GuERDON . guerredon , ré-
compense, d où guerdonner.
Guerrir, guerroyer.
H
Hardement, hardiesse.
Hastis, pluriel de hastif;
treshastis, vifs, inquiets, sub-
3l2
CI-OSSAIRE.
Hau, Interjection.
Haultain, pris dans un bon
sens, grand, noble, souverainj
mais sans orf^uei! ou insolence.
Hé, je le hais.
Hoir, héritier, possesseur.
HouRDER, embarrasser, em-
pêtrer.
HuCHER, appeler.
HucQUE, huque, manteau; à
l'usage des femmes, d'origine
allemande ou flamande. Il est
plus souyent employé pour si-
gnifier une courte tunique res-
semblant un peu à la veste du
xviiK siècle et serrée sur la poi-
trine au-dessus des chausses.
HuMBLESSE, humilité, mais
avec une nuance que donnent à
ce mot les habitudes chrétiennes
du Moyen-Age, c'est l'abaisse-
ment volontaire, gracieux et
courtois du supérieur qui, par
charité et izenti'lesse, rend à l'in-
férieur des devoirs qu'il ne doit
pas.
HuRT, choc.
HuTiN, bruit, lutte, débat.
I
I. y-
Intendit, pîècede procédure
contenant l'exnosit'on des faits.
Ire, colère, irer, mettre en
colère
IssiR, yssir, sortir.
Ja, bientôt ; jà soit ce que,
bien que.
Jame, pierre précieuse.
Jonglerie, plaisanterie, as-
tuce, tromperie.
Joli, élégant.
Jouxter, jouter.
Jus, ruer Jus, jeter en bas.
JusT, jus.
K
Karesme prenant, les jours
de fête précédant le temps où
prend ou commence le carê-
me; le carnaval, le mardi gras.
Lame, la pierre de la tombe.
Langagier, parler avec élo-
quence.
Latins , langage , manière
particulière, habile, détournée
et fine de parler ; la science,
l'expérience.
Léans, là dedans.
Legier (de) , pour peu de
chose, avec peu d efforts.
Lermes, larmes.
Levée, levée d'escremie, as-
saut à main armée.
Lettre de retenue, contrat
de service , engagement d'un
serviteur.
Liesse, joie, gaîté, les senti-
ments les plus légers, les nuan-
ces les moins énergiques du
bonheur. Lie, lie, lyé, liement,
joyeux, joyeusement.
Ligement, fidèlement, ferme-
ment.
Lignage, famille.
Livrée, solde, bien, fortune,
don.
Livrées, délivrance, prise en
possession.
Los, louange.
Losengière, flatteuse, men-
teuse, trompeuse.
Lyme, lyme sourde, expres-
sion employée pour désigner un
malicieux et sournois person-
nage.
M
M'ame, mon âme.
Main, matin.
Mainssée, coupée, émincée.
Maintendray, je soutiendrai.
Mais que, puisque, pourvu
que, aussitôt que.
Maistrie, maitrise, domina-
tion, puissance.
GLOSSAIRE.
3i3
Malassénée, mal partagée.
Mâle part, mauvais partage,
mauvaise aventure , mauvaise
chance.
Mallement, malencontreu-
sement, méchamment.
Mal talent, mauvaise vo-
lonté, colère, etc.
M vNOiR, remanoir, rester,
Martirer, martyriser.
Maugré, mauvais gré, mau-
gré myen, sous entendu caeur,
couratge, esperit, engin, mal-
gré moi.
Mefface {qu'on), qa' on fasse
mal.
.Merchera, marquera.
MERcr, miséricorde, la sien-
ne mercy, par sa grâce.
Merront, mèneront.
MEschance, malechance.
Meschief, mésaventure, mal-
heur.
Mesgnie, famille
Mien, maugré mien, mal gré
mien, voyez : Maugré.
Mire, médecin.
MiRLiFiQUES, babioles, jouets
d'enfants.
MoiLLiER. mouiller, femme.
MoMMERiE, réunion, fête.
danses de gens déguisés etmas-
q Js, au figuré, grimace, gestes
bizarres.
iMo.v, locution destinée à ren-
forcer une affirmation : Cefai^
mon! Eh! oui je le fais.
Mont, à mont, en haut.
Montjoye, masse.
Montres, revues.
MoRiSQUE, haute danse, tTh&-
vWa. Entrée de morisque. Nous
dirions aujourd'hui entrée de
ballets.
MoYE, mienne.
Mue, m.uette.
Muer, changer.
Murdrir meurtrir.
Musart, fainéant, niais.
Mvsser, cacher.
MuPARTiE,| partagé en deux.
N
N'iL, ne il.
Neiz, pas plus.
Nef, navire
Nesun, pas un.
Nettié, nettoyé.
Nice, nysse, innocent, naïf.
sot, niais, nicemenl.
NoiiPAREiLLE. sans pareille
Non pourtant , non pour
cela.
Non chaloir, ou nonchaloir,
insouciance, résignation.
Nouer, nager.
Nourris, serviteurs, ceux
qui ont la nourriture en la
maison.
Nox bu\e, parait venir de
no\\e noce et de bu^'^o ventre.
Ce serait donc quelque chose
comme parasite, lâche et plat
courtisan.
NuLLV, Nulluy, nulle per-
sonne.
Nvcromancie, nécromancie
o
. OsERLiQtJES, breloques, me-
nus bijoux.
Observance, réforme aus-
tère de l'ordre des franciscains.
On comprend comment amou-
reux de l'observance devint
l'occasion d'un jeu d'esprit, et
signifie des amoureux plus fi-
dèles, plus dévoués, plus sévè-
rement soumis aux règles et aux
devoirs de l'amour.
Oiseuse, la paresse.
On, on.
Oncque, oncques, quelque
fois, avec la négation n'onc^Mes,
n'oncques mais, jamais.
Ont, où,
ORDONNANCE,gouvernement,
direction , par ordonnance,
avec discipline.
Ore, maintenant, même. Pre-
nezore, supposez même.
Orine, origine, urine.
GLOSSAIRE.
314
Orrons, de ouïr, nous en-
te 'dions.
OnT, ord, sale.
Ot, eut,
Ou. au, auquel, auquel.
Ouui.iETE, jeu de mot : ou-
bliette.1 pâtisserie, herbe, ou
fleur; oubliette, prisou ; ou-
bliette l'action d'oublier.
OuiL, oui.
Oui« , o'ir, entendre, avec
ses différents temps j'oj, j'oîy,
il oit, etc., etc.
Ouvrer, travailler , ouvrer
par compas, travailler métho-
diquement.
Paintes , paroles , langage
colore, phrases poétiques.
Pesson , plus correctement
paisson, droit de pâture dans
les forêts.
Papelart, hypocrite.
Par aller, ou paraller ; par
joue le rôle d'augmentatif : par
aller, aller jusqu'au bout. Il a à
peu près le même sens que au
fort, a chief de pièce; nous
dirions aujourd'hui : tantôt, a-
prés tout; tantôt: en mettant
le tout au pis.
Parçonnier, copartageant.
Pardon, fête religieuse.
Partie, endroit, e« ma partie,
chez moi ; de vosire partie, de
TOtre côté.
Partir, partager, mettre en
commun.
Partuer, tuer sans remis-
sion, achever de tuer.
Passées, faire ses passées,
revenir sur ses traces, méditer.
Pastis, pâturage de qualité
inférieure, presque stérile.
Pausmé ; frappé.
P.iVAiz (le dialecte Orléanais
dit pavas), boucliers faits de
douves recouvertes de cuir et
qui servaient à monter à l'as-
saut.
Pener (se), prendre peine ;
pcnance, pénitence, /a sepmaine
peiu'use, la semaine sainte.
Penser, panser.
Per, pareil, nomper, nompa-
reil, sans pareil ; per si;;nitie
parfois compagne ou compa-
gnon .
Peresse, paresse.
Pi;rt, il y pert, il y paraît,
perra paraîtra.
pBCRTuis, trou.
Peu, repus, t
Phisique, médecine.
Pikça, garant piéça, s. ent
de tenips, quelque te'mps, long-
temps.
PiGNER, peigner.
PiTEtjx, qui a pitié.
Plaid, plaids, plais, parle-
ment, cour, assises, discussion.
Plain, parler plain, parler
franchement et hautement.
Plains, plaintes.
Plaisant, uniquement le sens
de agréable.
Ploy, pli.
PoiNT,%>ique.
Poix au veau, espèce de gros,
pois vert.
PouRCHAS, poursuite, recher-
che, quête.
Pourchasser, verbe neutre
au Moyen-Age.
PouRPRis, enclos, domaine.
Pourtraire, peindre, dessi-
ner ressemblant.
Pousse, pouls.
PoY, peu.
Preu, profit, avantage.
Pris, estime.
PuET, peut; puist, puisse,
QuANQtJE, autant que, tout
ce que.
Quant, quant est à moy,
pour ce qui est de moi.
Que, car, q ;i, comme, ainsi
que, de peur que,
Querelle , toute situation
difficile.
GLOSSAIRE.
3i5
QuiER, qtierra, de quérir,
chercher, désirer, ambitionner.
QuEu, cuiàiirer.
Queue, ruban pendant au bas
d'an parchemin, et sur lequel
on appliquait le sceau.
QuiEULX, quels.
Quitter, tenir quitte.
QuoyE, coye, tranquille.
R
Rabat, terme du jeu de pau-
me quand l'adversaire vous ren-
voie la balle.
Ranientevoir. rappeler.
Rassotir , aevenir lourd ,
grossier, hébété.
Rfb AILLER, restituer.
Rebouter, replacer.
Reclusaige, prison.
Recom.mandé, avoir recom-
mandé, avoir en recommanda-
tion.
Recous, rescous, secouru.
Recreu, fatigué, deshonoré.
Reffraindré, priver, maitri-
ser. .'
REFtnr, refuge.
Relièvement (avoir), terme
du droit féodal, être relevé de
son serment, de son hommage.
Remaindre, rester, être per-
du, gaspillé, non avenu.
REMAiNT.de re»uînoir,rester.
Remis, fatigué.
Renter, enrichir.
Repreuve, le blâme, ou je
blâme.
Requot, repos.
Rescouer, secourir.
Résiner, résigner; résigna-
tion, cession, abandon.
Resseingner, redouter.
Ressort, appui, aide, dé-
fense.
RESS0URS,p!us régulièrement,
resours, relevé, secouru, pro-
tésé.
Retailler, remettre en vi-
gueur.
Retenue, troupe soudoyée; de
la retenue, retenu par lui, de
son cortège, de sa suite, à son
service.
Retraire, revenir
Riens, rien. cho>e: c'est avec
la négation qu'il signifie nulle
chose.
RoBEUR, voleur.
PocQ, terme du jeu d'échec,
la Tour.
Roe, roue.
RoNCiN, roussin, courtaud,
fort cheval.
Route, rompue ; bande.
Roux, rompus, coups roux,
coups inutiles, par allusion aux
jeux de la lance, à la quintaine
et dans les tournois.
S' pour se ou si, ainsi, si, cela.
Sacque.ment, saccage.
Saichans, savants.
Saillêz, de saillir, sortir,
bondir.
Sainte, ceinte.
Salade, espèce de casque ,
sans visière.
Sault, saute; sauldray, sor-
tirai, sauterai.
Saussoye, lieu planté de sau-
les.
Savance, sagesse.
Se, si, ou cela.
S'acquitter, remplir son of-
fice.
S'effrayer, s'emporter, de-
venir extravagant.
S'entalenter, se préoccuper.
Sebelin, vêtu de poils sem-
blables à la martre zibeliiie.
Peut-être faut-il penser à Sv-
bille ; au fig. il a le sens "de
tromjjeur.
Séjour ( estre à ), avoir de
l'expérience.
Se.mblance, apparence.
Sentir, parfois avec le sens
de comprendre, connaître.
Sequeure, seconrre.
Ser.me.n'té, atta;hé par ser-
ment.
Seuil (je),y'a» ihabilude.
3i6
Glossaire.
Sévir, Gtre tourmenté, en co-
lère.
Si, il a deux sens, celui (qu'il
a gardé, si; et le sens de ainsi,
il est donc au Moyen-Age tan-
tôt conditionnel, tantôt aflirma-
tif. 11 signifie encore : pourtant,
certes, etc.
SiCHE, chiche.
Sorte, propre apparence.
SouFiSANCE, de quoi suffire à
ses besoins.
SouHAiDiER, souhaiter.
Soulager, s placier, récréer,
rejouir.
Soui.oYE, souloi', j'avais, il
avait l'habitude.
SouRT, jaillit, so«ri«Y,s'éleva.
Soutiveté, subtilité, habileté,
soutivement, subtilement.
SuiENT, suy, suivent, suivi.
Sus, et Jus, haut et bas.
Sy, excuse, réserve, condi-
tion, sans nul sy, sans nulle
restriction; 5j tellement.
T. U. V. Y
Tables (jeu de), les échecs,
les dames, le trictrac. Le court
jeu de tables est, je crois, tan-
tôt le jacquet, tantôt le trictrac.
Talent, talent, esprit, carac-
tère, volonté, désir, manière
d'être.
Tanné, couleur d'un brun
jaunâtre, fauve.
Tant, ne tant ne quant, au
grand jamais, atant, a cela seu-
lement.
Tatin, coup, ennui.
Tendroit, tiendroit, retien-
drait.
Teneur, ténor, la partie du
ténor.
Tenser, tancer.
TiEULX, tels.
TiNTiN, son d'une cloche qui
tinte; parfois fredon ou gazouil-
lage.
Tire, allure, de tire, d'une
tire, sans s'arrêter, ù la file, en
masse.
Tirer, tendre, travailler.
Touches de bois, touffe de
bois, ilôt de grands arbres.
Trait, tiré, lancé,
Traitter, agir.
Traveil, travail.
Tkespasser, outrepasser, mal
agir, commettre une faute.
Thesque, dès que.
Triacle, thOriaque.
ToLLiR, enlever, toit, tnult,
enlève, empêche, t llu,\o\é.
TouPiN, bouchon.
Tour, de mon tour, à mon
tour
Tout, du tout, entièrement.
Toute, toux.
Traire, tirer.
■Trop, très, beaucoup; trop
mieulx, entièrement mieux, frop
plus, beaucoup plus.
Truffes, railleries.
Uis, porte.
Un, le même, unique.
Usance, usage.
Vaillant, mon vaillant, tout
mon bien.
Vol, à vol, en bas, à vol le
vent, le long de la terre, en
suivant le vent.
Vaulsist, vaudrait.
Vert g-aj, c'est proprement
la couleur verte de I aile du per-
roquet vert perdu, vert sombre.
Viaire, visage.
ViDiMus, visa, certificat qui
donne l'authenticité à un acte.
Vivant, vie.
Vo, votre.
Voir, vrai.
VoiSE, aille, vois, je vais.
Volée, à la vo /ee,légèrement.
VouLSiST, voulut; voul\,
voulus.
VuEiL, vouloir.
VuiT, vuys, vide.
Yer, devant yer, avant hier.
TABLE DES MATIÈRE
DU TOME SECOND.
Chansons :
Chanson [ à XXXVIII 5 à 24
— Réponse par Philippe de Boulaiiivilliers. ... 24.
— Autre réponse par Gilles des Ormes 2D
— XXXIX à XC 20 à 52
— Réponse du duc Jehan de Bourbon 53
— XCI à XCVII 53 à 57
— Par P'raigne 57
— XCVIII a CXXVII 58 à 72
Caroles :
Caroles I, II, III 73 à 76
Rondeaux :
Rondeau I à VII 77 à 80'
— VII, Orléans à Nevers 80
— Réponse de Nevers 81
— IX à XIV 82 à 84
— XV, au roi de Sicile 85
— Réponse par le roi de Sicile 85
— Du roi de Sicile 86
— XVI, réponse au roi de Sicile 86
— Par le roi de Sicile 87
— XVII, réponse par le duc d'Orléans 87
— XVIII 88
— Par Fredet 89
— XIX, réponse par le duc d'Orléans 89
— XX à XLII 90 à loi
— Réponse de maître Etienne Le Goût 102
— XLIII et XLIV 102 à 2o3
— XLV, Orléans à Alençon io3
— Réponse d'Alencoa. .' 104
— XLVI à LIV . .* io5 à 109
— De maistre Jehan Caillau loq
— LV iio
— De Fredet iio
— LVI, réponse d'Orléans à Fredet 11 1
— LVII à CXIV 112 à 140
— Clermontois 141
— CXV à CXVII 141 à 14.1
— Redoublé 143
3 iS TABLE DES MAllÈRES.
Rondeau CXVIII à CXXIV 144 à
— Du comte de Cleimoat
— CXXV à CXXXI 148 à
— Du comte de Clermont
— CXXXIl, réponse du duc d'Orléans
— CXXXlll, pour le comte d'Etampes
— CXXXI V et CXXXV i53 à
— Par Maistre Jehan Caillau
— CXXXVI à CLI i55 à
— Par le comte de Nevers
— CLII, par le duc d'Orléans
— Par madame d'Orléans
— Par Fredet
— CLIII, réponse du duc d'Orléans
— Par mesftirc Philippe l'ot
— Par Antoine de Lussay • . . .
— Par Guiot Pot .
— Par Gilles des Ormes
— Par Jacques, bâtard de la Trémoille
— CLIV à eux 170 à
— Par Fredet
— CLX à CLXXVIir 173 à
— Par le seigneur de Torcy
— CLXX[X
— Du comte de Clermont
— CLXXX, réponse du duc d'Orléans
— CLXXXr, à Fredet
— De Fredet
— CLXXXII, réponse à Fredet
— CLXXXII f, à Daniel
— D'Olivier de La Marche
— Par 'Vaillant
— Par Georges
— CLXXXIV.
— Par Boucicault ou monseigneur de Bridore. . .
— CLXXXV, par le duc d'Orléans
— Par Boucicault
— CLXXXVL réponse par Orléans
— CLXXXVII et CLXXXVllI 192 à
— De Fredet
— En réponse par Simonet Caillau .
— CLXXXIX, Autre réponse par Orléans en guise
de recette
■ — Autre réponse par Mgr Jean de Lorraine . , .
— CXC, autre réponse en guise de recette ....
— CXCI et CXCII
— Par monseigneur de Lorraine
— CXCill et CXCIV 198 à
— Par monseigneur de Lorraine
— CXCV, par Orléans 2ÔÔ
— Par Madame d'Orléans 200
— Par Guiot Pot 201
TABLE DES MATIÈRES. "3 i g
Rondeau Par Jean de Lorrains 201
— CXC\ I. réponse par Orléans 202
— CXCVlt, par Orléans 202
— Réponse par Fredet 2o3
— CXCVIU par Orléans 204
— Par le cadet d'Albret 20^
— De Gilles des Ormes 202
— CXCIX à CCIV 206 à 208
— Par Benoist d'Amiens 209
— CCV à CCVIU 209 à 211
— CCIX de Mgr d Orléans à madame d'Angoulême 211
— Par Tignonville 212
— CCX 210
— Par Benoist d'Amiens 2i3
— Par maistre Berthault de Villebresme 2i3
_ CCXI à CCXXXI 214 à 224
— Par Benoist d'Amiens 223
— CCXXXII 225
— Par maistre Jean Caillau 226
— CCXXXIIl 327
CCXXXIV, pour Monseigneur de Beaujeu. . . 227
— CCXXXV à CCL( 228 à 236
— Par maistre Jean Caillau 236
— CCLII à CCLIV 237 à 238
— Du duc de Bourbon (jadis Clermont) 238
— CCI.V, réponse du duc d'Orléans 239
— CCLVI 239
— Par le grand sénéchal 240
— CCLVII, réponse du duc d'Orléans 241
— Par Blosseville 241
— Par le duc de Bourbon 242
— CCLVIII, réponse d'Orléans à Bourbon .... 242
— Par le duc de Bourbo.i 243
— CCLIX 243
— Par Fraigne 244
— Par le même 243
— CCLX à CCLXXIl . 245 à 25 1
— Par Simonet Caillau 252
— Par Tignonville 222
— Par Gilles des Ormes 253
— Par hugues Le Voys 253
— CCLXXIII 254
— Par Benoist d'Amiens 254
— CCLXXIV à CCXXVL 255 à 256
— Par Hugues le V^ovs 256
— CCLXXVll à CCLXXX 257 à 259
— Par un inconnu , 259
— CCLXXXI à CCLXXXVIII- 26o à 269
— Par Simoiiet Caillau 269
— CCXCIX et CGC. , , 270
— Par Gilles des Ormes 271
— ceci à CCCX 272 à 277
320 TABLE DES MATIÈRES.
Pièces attribuées a Ch. d'Orléans :
Rondeau 278
— Réponse 278
Chansons 279 à 280
Notice bibliographique et observations sur la présente
édition 281a 293
Notes, Notices, Variantes 294
Glossaire 3i7
Errata 320
fin de la table des matières du tome second.
ERRATA.
Tome I, page 5o, vers 6, mettez ; après bonté.
— 52, I, mettez , après Dieu.
— 57, 8, enlevez , après querelle.
— 64, 12, mettez , après celle.
— 69, 22, mettez , après croy je'.
— 97, 3, lisez excusacion.
— io3, 21, lisez asx/5,
— 128, 3, lisez ne enchanteurs,
— i3i, 5, lisez chascun mort,
— 21,11, lisez N'il.
— 34, 8, lisez ; que me /ailles sentir»
— 157, 21, lisez -./oui s'i fie.
— 181, 22, mettez , açrti jamais.
— 190, 9, lisez , d'ont.
Tome IT, page 22, 5, lisez , pié ce.
— 3o, 21, mettez ? après chicrt.
— 81, 3, mettez , après manière.
— 87, i3, mettez ; après secours.
— gj, iîS, lisez l'ore.
— 82, 6, lisez, /o/, l'a.
— 5 1 , 9, lisez , que il.
— 60, 1 1, mettez , après secours.
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La Hrincesse de Clèves.
Malherbe . — Poésies
complètes
Manon Lescaut... .
La Fontaine. — Contes
et Nouvelles
La Fontaine. — Fables.
Daphnis et Chloé
Restif de la Bretonne :
* Comtemporaines mê-
lées
** Contemporaines du
commun
'*' Comtemporaines par
gradation.
Régnier. —Œuvres com-
plètes
Heptaméron des nou-
velles de la Reine
de Navarre 2 —
Voltaire. — Dialogues
complets 3 —
L'Homme à bonnes
fortunes 1 -
Histoire de don Pablo
de Ségovie 1 —
Rabelais. — Œuvres
complètes ( Notes et
Glossaire) 7 —
Aventures de Til
vol.
1
Peiiault. — Contes i _
Le Sage. — Le Diable
boiieux 2
Fei'nando de Rojas. —
La Célesiine ^ _
Clément-Marot.— Œu-
vres complètes 4 —
Diderot. — Œuvres choi-
sies :
* Le neveu de Rameau. 1 —
'* Pensées philosophiques 1 —
**'' La Religieuse 1 ^
""* Jacques le Fataliste. . 1 —
Anatole de Montai-
glon. — Le Roman de
.lehan de Paris 1 —
Chénier (André). — Poé-
sies 1 _
Les quinze Joyes du
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Les Caquets de l'ac-
couchée, recueil géné-
ral, suivi de l'Anti-Ca-
quet, des F.ssais de Ma-
Ihurine et de la Sen-
tence par corps 1 —
Ch. d'Orléans. — Poé-
sies complètes 2 —
Montesquieu. — Lettres
persanes... 2 —
Lettres de M"= de
Lespinasse 2 —
Staal (M""' de). — Œu-
vres : niém., leltr., etc. 2 —
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