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Full text of "Pouvoir du pape au moyen âge, ou, Recherches historiques sur l'origine de la souveraineté temporelle du Saint-siège, et sur le droit public du moyen âge, relativement à la déposition des souverains ; précédées d'une introduction sur les honneurs et les prérogatives temporelles accordés à la religion et à ses ministres, chez les anciens peuples, particulièrement sous les premiers empereurs chrétiens"

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POUVOIR  DU  PAPE 


AU  MOYEN  AGE. 


PARIS.— -TYPOGRAPHIE  DE  FI  RM  IN   U1DOT  FRÈRES,  RUE  JACOB,  56. 


POUVOIR  DU  PAPE 

AU  MOYEN  AGE, 


ou 


RECHERCHES  HISTORIQUES 

SUR 

L'ORIGINE  DE  LA  SOUVERAINETÉ  TEMPORELLE  DO  SAINT-SIEGE, 

ET  SUR  LE  DROIT  PUBLIC  DU  MOYEN  AGE 

RELATIVEMENT    A    LA    DÉPOSITION    DES    SOUVERAINS; 

mici.nK.Es  d'oui 

INTRODUCTION 

Sur  les  honneurs  et  les  prérogatives  temporelles,  accordées  à  la  Religion  et  à  ses  Ministres, 
chez  les  anciens  peuples,  particulièrement  sous  les  premiers  Empereurs  chrétiens. 

PAR  M.  *** 

DIRECTEUR  AU  SÉMINAIRE  DE  SAINT-SULPICE. 


NOUVELLE  EDITION, 

CONSIDÉRABLEMENT    AUGMENTEE. 


LIBRAIRIE  CLASSIQUE  DE  PERISSE  FRÈRES, 


PARIS, 

8  ,   RUE  DU  POT-DE-FER-SAINT-SULPICE.  [ 


LYON, 

33,  GRANDE  RUE  MERCIÈRE. 


1845, 


r  /  (  : 


THE  LWRART 

BRIGHAM  Y(  ;  NG  UNI  1 1  .RSWt 
PROVO,  UT  AH 


PREFACE. 


Le  pouvoir  temporel  de  l'Église  et  du  souverain 
Pontife,  au  moyen  âge,  et  l'influence  de  ce  pouvoir 
sur  les  affaires  politiques,  pendant  plusieurs  siècles, 
offrent  sans  contredit  un  des  phénomènes  histo- 
riques les  plus  étonnants,  et  les  plus  dignes  d'oc- 
cuper les  méditations  d'un  esprit  attentif  (i). 

k  peine  sortie  des  persécutions  que  le  monde 
lui  avait  constamment  suscitées  pendant  trois  siè- 

(i)  Il  ne  sera  peut-être  pas  inutile  de  rappeler  ici  ce  qu'on 
entend  communément  par  le  moyen  âge.  On  peut  dire,  en  géné- 
ral ,  que  cette  partie  de  l'histoire  embrasse  tout  le  temps  écoulé 
depuis  l'établissement  des  Barbares  dans  les  provinces  de  l'em- 
pire romain,  en  Occident,  au  ve  siècle,  jusqu'à  la  renaissance 
des  lettres,  au  xve;  ce  qui  donne  au  moyen  âge  une  durée  d'en- 
viron dix  siècles.  Pour  en  fixer  les  limites  avec  plus  de  précision, 
un  écrivain  récent,  qui  a  particulièrement  étudié  cette  matière 
(quoique  sous  l'influence  de  fâcheux  préjugés),  place  le  com- 
mencement du  moyen  âge  à  l'établissement  des  Francs  dans  les 
Gaules,  sous  Clovis,  en  496,  et  le  termine  à  l'expédition  de 
Charles  VIII  contre  Naples,  en  i494«   (Hallam,  L'Europe  au 
moyen  âge,  tome  1,  Préface,  page  iv;  tome  iv,  page  79.  — - 
Voyez  le  compte  rendu  de  cet  ouvrage,  par  M.  Raoul  Ro- 
chette,  dans  le  Journal  des  Savants ,  décembre   1821.)  Suivant 
cette  division,  Y  histoire  du  Bas-Empire ,  au   moins  depuis  le 
Ve  siècle,  appartient  proprement  à  V histoire  du  moyen  âge;  ce- 
pendant, un  usage  constant  rattache  a.Y histoire  ancienne  celle 
du  Bas-Empire,  jusqu'à  la  chute  de  l'empire  d'Occident,  à  la 
fin  du  ve  siècle. 


Vj  PREFACE. 

cles,  l'Église  se  voit  comblée  d'honneurs,  de  ri- 
chesses et  de  privilèges.  Constantin  et  ses  plus  il- 
lustres successeurs,  non  contents  de  la  soutenir 
par  leurs  édits,  relèvent  son  autorité  spirituelle 
par  l'éclat  du  pouvoir  temporel,  jusqu'à  faire  en- 
trer les  évêques  en  participation  de  l'administration 
civile,  et  à  se  décharger  sur  eux  du  soin  des  objets 
les  plus  importants  à  l'ordre  public  et  au  bien  de  la 
société.  La  générosité  des  empereurs  chrétiens  est 
encore  surpassée  par  les  souverains  des  nouvelles 
monarchies  qui  s'élèvent  sur  les  débris  de  l'empire 
romain  ,  depuis  le  ive  siècle.  Dans  ces  nouveaux 
Etats,  le  clergé  voit  chaque  jour  augmenter  son 
pouvoir  et  ses  prérogatives  dans  l'ordre  temporel. 
Appelé,  dans  la  personne  de  ses  principaux  mem- 
bres, au  conseil  des  princes  et  a  toutes  les  assemblées 
politiques,  il  [y  occupe  le  premier  rang,  il  exerce 
son  influence  dans  toutes  les  parties  du  gouverne- 
ment civil,  dans  l'élection  même  et  la  déposition 
des  princes;  et  pendant  plusieurs  siècles,  l'union 
de  la  puissance  spirituelle  avec  la  puissance  tem- 
porelle est  si  étroite,  qu'elles  semblent  se  confon- 
dre en  une  seule,  pour  le  gouvernement  de  l'Église 
et  de  l'État. 

A  mesure  que  le  pouvoir  temporel  du  clergé 
s'établit  et  s'accroit  dans  les  divers  États  de  l'Eu- 
rope, celui  du  saint-siége  s'étend  et  se  consolide 
en  Italie,  où  le  profond  respect  des  peuples  pour 
la  religion,  joint  aux  affaiblissements  successifs  de 
la  puissance  impériale,  amène  insensiblement  la 
souveraineté  temporelle  des  Papes.  Bientôt  l'in- 
fluence de  cette  nouvelle  souveraineté  se  fait  sen- 


PilÉFÀCE.  Vij 

tir  au  loin.  Au  milieu  des  désordres  et  de  l'anarchie 
du  moyen  âge,  elle  établit  de  nouveaux  rapports 
entre  les  nations  les  plus  éloignées,  et  même  les 
plus  opposées  entre  elles,  à  raison  de  leur  intérêt 
et  de  leur  caractère  :  elle  devient  pour  toute  la  so- 
ciété comme  un  centre  commun  et  un  point  de  ral- 
liement; bien  plus,  elle  devient  un  tribunal  suprême, 
où  se  jugent  en  dernier  ressort  les  différends  entre 
les  souverains,  et  dont  les  arrêts  sont  également 
respectés  des  princes  et  des  peuples. 

Par  une  révolution  non  moins  étonnante,  le  pou- 
voir temporel  du  clergé,  après  avoir  exercé,  pen- 
dant plusieurs  siècles,  une  si  grande  influence  dans 
tous  les  États  de  l'Europe,  s'affaiblit  et  se  perd  in- 
sensiblement. Les  princes  et  les  peuples,  après  l'a- 
voir si  longtemps  regardé  comme  leur  plus  puis- 
sante ressource  et  leur  plus  ferme  appui,  ne  l'en- 
visagent plus  qu'avec  une  sorte  de  jalousie  et  de 
défiance;  ils  concourent  à  l'envi  à  le  restreindre, 
et  même  à  le  détruire.  Enfin,  telle  est  aujourd'hui 
la  disposition  générale  des  esprits,  que  la  plupart 
ne  peuvent  considérer  sans  étonnement,  et  presque 
sans  scandale,  un  ordre  de  choses  qui  semblait  au- 
trefois si  naturel;  souvent  même  on  en  vient  jus- 
qu'à reprocher  au  clergé  son  ancienne  autorité, 
comme  une  espèce  d'usurpation  et  de  révolte  con- 
tre le  pouvoir  légitime  des  princes  temporels. 

L'examen  de  ce  reproche  et  de  l'étonnante  ré- 
volution qui  a  donné  lieu  de  le  faire  au  clergé,  est 
assurément  un  des  sujets  les  plus  intéressants , 
pon-seulement  dans  l'ordre  de  la  religion ,  mais 
pous  le  rapport  même  historique  et  purement  phi* 


yiij  PUE  FACE. 

losopbique.  Dans  l'ordre  de  la  religion,  quel  sujet 
plus  digne  de  réflexion,  que  celui  qui  touche  de  si 
près  l'honneur  du  clergé  et  d'une  longue  suite  de 
pontifes?  Sous  le  rapport  historique,  et  même  pu- 
rement philosophique,  quel  spectacle  plus  intéres- 
sant, que  celui  de  l'origine  et  des  vicissitudes  d'un 
pouvoir,  qui,  après  avoir  été  pendant  si  longtemps 
un  des  principaux  mobiles  de  tous  les  événements 
politiques,  a  perdu  insensiblement  toute  son  in- 
fluence, jusqu'à  tomber  enfin  dans  cette  espèce 
d'oubli  et  d'anéantissement  où  nous  le  voyons  au- 
jourd'hui? 

Mais  quelque  intéressant  que  soit  par  lui-même 
un  pareil  sujet,  il  est  aisé  de  comprendre  combien 
les  préjugés  et  les  passions  ont  dû  influer  sur  la 
manière  de  l'envisager,  depuis  que  la  différence 
des  temps,  et  surtout  la  décadence  de  la  religion 
et  des  mœurs,  ont  exposé  un  si  grand  nombre  d'é- 
crivains à  juger  l'histoire  du  moyen  âge  d'après  les 
opinions  et  les  théories  modernes,  plutôt  que  d'a- 
près la  connaissance  et  l'examen  attentif  des  faits. 
Telle  est  sans  doute  la  principale  cause  des  juge- 
ments si  différents  qu'on  a  portés,   dans  ces  der- 
niers temps,  sur  une  matière  si  délicate.  D'un  côté, 
le  désir  d'excuser  et  de  justifier  des  hommes  res- 
pectables par  leurs  vertus  et  leur  caractère,  a  fait 
imaginer  des  systèmes  aussi  dangereux  qu'exagé- 
rés, sur  les%  droits  de  la  puissance  ecclésiastique 
.dans  l'ordre  temporel  (i).  D'un  autre  côté,  l'exagé- 

(i)  On  peut  voir  l'exposition  de  ces  systèmes,  au  n°  vm  des 
Pièces  justificatives  s  à  la  fin  de  ce  volume. 


PRÉFACE.  ix 

ration  de  ces  systèmes,  jointe  aux  abus  qu'on  a  cru 
voir  dans  l'exercice  du  pouvoir  temporel  du  clergé, 
pendant  les  siècles  du  moyen  âge,  a  donné  lieu  aux 
plus  scandaleuses  déclamations  contre  l'Église  et 
contre  son  chef  visible.  Les  reproches  d'ignorance, 
d'ambition  et  de  fanatisme,  ont  été  mille  fois  répé- 
tés, à  cette  occasion,  contre  des  hommes  dont  les 
lumières  et  les  vertus  avaient  fait  l'admiration  et 
le  bonheur  de  leurs  contemporains.  Ces  reproches 
si  odieux  ne  sont  pas  seulement  à  la  bouche  des 
hérétiques  et  des  impies;  on  est  surpris  et  affligé 
de  les  retrouver,  ou  du  moins  de  les  voir  confirmés 
d'une  manière  plus  ou  moins  expresse,  dans  les 
écrits  d'une  foule  d'auteurs  d'ailleurs  estimables, 
et  sincèrement  attachés  à  la  religion  (i).  Enfin,  ce 

(i)  Nous  citerons,  en  particulier,  V Histoire  Ecclésiastique  de 
Fleury,    celle    de   Berault-Bercastel  ;    YHistoire  de  France    de 
Velly,  et  celle  même  du  P.   Daniel;  YHistoire  de  la  Décadence 
de  l'Empire  après  C/iarlemag/ie,  parle  P.  Maimbourg;  YHistoire 
des  Croisades,  par  Michaud  ;  L'Esprit  de  l'histoire,   par  Fer- 
rand,  etc.  Tous  ces  ouvrages,  et  une  infinité  d'autres,  malgré 
les  principes  religieux  dont  leurs  auteurs  font  profession,  lais- 
sent dans  l'esprit  des  lecteurs,  les  plus  fâcheuses  impressions 
contre  les  Papes  et  le  clergé  du  moyen  âge.  La  suite  de  nos  re- 
cherches nous  donnera  lieu  de  signaler  les  principaux  écarts 
de  ces  auteurs,  et  d'un  grand  nombre  d'autres,  sur  cette  ma- 
tière. UHistoire  de  l'Église,  publiée  récemment  par  M.  l'abbé 
Receveur,  paraît  très-propre  à  leur  servir  de  correctif.  Aussi 
aurons-nous  souvent  occasion  de  la  citer,  dans  le  cours  de  cet 
ouvrage,  à  l'appui  de  nos  sentiments ,  principalement  sur  l'ori- 
gine de  la  souveraineté  temporelle  du  saint-siége,  et  sur  le 
droit  public  du  moyen  âge,   relativement  à  la  déposition  des 
souverains.  (ire  partie,  page  263;  2e  partie,  page  644,  et  alibi 
passim,) 


1  PAÉFAGE. 

qui  est  encore  plus  déplorable,  l'histoire  du  moyen 
âge  est  tellement  obscurcie,  à  cet  égard,  par  les  pré- 
ventions les  plus  opposées,  que  des  écrivains  ju- 
dicieux ont  presque  désespéré  de  la  voir  jamais 
débrouiller:  «  Sujet  si  remarquable,  dit  un  savant 
«  académicien  de  nos  jours;  sujet  défiguré  par  tant 
«  de  préventions  contraires;  sujet  enfin  dont  il 
«  n'existe  pas  encore,  et  dont  nous  attendrons  peut- 
«  être  longtemps  une  histoire  complète  et  impar- 
te tiale  (i).  » 

En  attendant  la  publication  d'un  ouvrage  qui 
éclaircisse  entièrement  cette  matière,  il  nous  a  sem- 
blé utile  d'y  préluder  par  quelques  Recherches  his- 
toriques sur  l'origine  de  la  souveraineté  temporelle 
du  saint-siège i  et  sur  le  pouvoir  du  Pape,  au  moyen 
âge,  relativement  à  la  déposition  des  souverains.  On 
sait,  en  effet,  que  ces  deux  points  sont  le  princi- 
pal sujet  des  difficultés  que  présente  l'histoire  du 
moyen  âge;  d'où  il  suit  que  leur  éclaircissement  ne 
peut  manquer  de  répandre  beaucoup  de  jour  sur 
les  principaux  événements  de  cette  époque,  et  par- 
ticulièrement sur  les  questions  relatives  à  la  lutte 
de  la  puissance  pontificale  et  de  la  puissance  impé- 
riale, depuis  le  xe  siècle. 

Le  premier  essai  de  ces  Recherches  a  paru  en  1 83o, 
dans  la  Revue  de  quelques  ouvrages  de  Fénelon,  des- 
tinée à  servir  de  supplément  aux  avertissements 
placés  en  tête  des  différentes  classes  de  ses  OEu~ 


(i)  Journal  des  Savants,  décembre  1821,  page  737;  article 
de  M.  Raoul  Rochette,  sur  l'ouvrage  de  lïallam  intitulé  ; 
JJ Europe  au  moyen  âge ,  4  vol.  iu-8°T 


PRÉFACE.  XJ 

vres  (i).  L'exposition  que  nous  avions  faite,  dans 
le  second  article  de  cet  ouvrage  (2),  des  sentiments 
de  Bossuet  et  de  Fénelon,  sur  l'autorité  du  souverain 
Pontife  dans  l'ordre  temporel,  nous  conduisit  na- 
turellement à  quelques  recherches  sur  les  Maximes 
de  droit  public,  au  moyen  desquelles  Fénelon  croit 
pouvoir  expliquer  la  conduite  des  souverains  Pon- 
tifes, qui  ont  autrefois  déposé  des  princes  tempo- 
rels. Nous  regrettions  alors  que  notre  plan  ne  nous 
permît  pas  de  nous  étendre  davantage  sur  ce  point; 
et  nous  avions  tout  lieu  de  croire,  que  des  recher- 
ches plus  étendues  confirmeraient  de  plus  en  plus 
le  sentiment  de  l'archevêque  de  Cambrai.  Nous 
n'avons  pas  été  trompé  dans  notre  attente;  et  les 
nouvelles  recherches  auxquelles  nous  nous  sommes 
livré,  depuis  cette  époque,  nous  ont  fourni  des 
preuves  aussi  nombreuses  que  frappantes  du  droit 
public  dont  il  s'agit.  Tel  fut  du  moins  le  sentiment 
unanime  des  personnes  éclairées,  auxquelles  nous 
avions  soumis  le  travail  beaucoup  plus  étendu  que 
nous  publiâmes  en  i83g,  sous  le  titre  de  Pouvoir 
du  Pape  sur  les  souverains,  au  moyen  âge  (3)  ;  et  nous 
pouvons  citer  aujourd'hui,  à  l'appui  de  ce  premier 

(1)  Cette  Revue ,  qui  fut  alors  publiée  séparément  (212  pag. 
in-8°),  fut  insérée  en  même  temps  dans  le  dernier  tome  des 
Œuvres  de  Fénelon,  qui  a  pour  titre  :  Table  des  Œuvres  de  Fé- 
nelon, précédées  d'une  Revue  de  ses  ouvrages;  Paris,  i83o,  in-8°. 

(2)  Ibid.,  n°  84,  etc. 

(3)  Cet  ouvrage,  qui  parut  alors  séparément  (Paris  et  Lyon, 
//2-8°),  a  été  reproduit,  en  forme  ^appendice,  à  la  suite  de 
YHist.  Utt.  de  Fénelon,  publiée  en  1842  [Paris  et  Lyon,  grand 
*>?-80),  pour  servir  de  complément  à  son  Histoire^  et  aux  cltffé- 
rentes  éditions  de  ses  OEuvrçs^ 


Xij  PRÉFACE. 

jugement,  l'accueil  favorable  que  notre  ouvrage  a 
depuis  obtenu,  soit  en  France,  soit  hors  de  France. 
Indépendamment  de  plusieurs  écrits  périodiques, 
justement  estimés  pour  la  solidité  des  principes 
dont  les  rédacteurs  font  profession  (i),  plusieurs 
écrivains  distingués  ont  parlé ,  avec  une  extrême 
bienveillance,  de  la  première  édition  de  notre  ou- 
vrage. Parmi  ces  derniers,  nous  remarquerons  en 
particulier  M.  l'abbé  Jager,  professeur  d'histoire 
ecclésiastique  en  Sorbonne,  et  M.  l'abbé  Palma, 
professeur  d'histoire  ecclésiastique  au  séminaire 
Romain,  et  au  collège  de  la  Propagande.  Ces  deux 
savants  professeurs,  que  l'objet  ordinaire  de  leurs 
études  met  plus  à  portée  que  personne  d'apprécier 
notre  ouvrage,  lui  ont  rendu  le  plus  honorable  té- 
moignage :  le  premier,  dans  ses  Introductions  aux 
Histoires  de  Grégoire  VII  et  d'Innocent  III  (2)  ;  le 

(1)  Voyez  le  compte  rendu  de  notre  de  première  édition 
dans  L'Ami  de  la  Religion,  tome  en,  page  419;  tome  cm, 
pages  i/i5,  257,  370,  387;  tome  cv,  page  369.  —L'Université 
catholique;  septembre,  1840,  page  1Z0.  —  Bulletin  catholique 
de  bibliographie  ;  avril ,  mai,  1840;  page  112.  — -  Journal  des 
villes  et  des  campagnes;  21  novembre,  1842.  —  L'Union  ca- 
tholique; 22  janvier  1843.  —  Annales  de  Philosophie  chré- 
tienne; mai  i843.  —  L' Université  catholique;  novembre,  184 3. 

—  Bibliographie  catholique;  tome  m,  page  293;  tome  iv, 
page  i55  et  168.  —  Plusieurs  journaux  étrangers  ont  aussi  parlé 
avec  éloges,  de  cette  première  édition.  Nous  remarquerons 
entre  autres  le  Cattolico ,  revue  italienne  qui  paraît  à  Lugano, 
en  Suisse;  les  Mémoires  de  Modène  ;  et  les  Annales  des  sciences 
religieuses,  publiées  à  Rome  par  M.  l'abbé  de  Luca. 

(2)  Voigt,  Histoire  de  Grégoire  VII,  traduite  de  l'allemand 
par  M.  Vabbé  Jager;  Paris,  i838,  2  vol.  in-8°  ;  et  1842 ,  in-8°. 

—  Hurter,  Histoire  d'Innocent  III ,  traduite  de  l'allemand  par 
MM,  l'abbé  Jager  et  Th.  Fiai;  Paris,  1840,  2  vol.  in-8°. 


PRÉFACE.  Xiij 

second  ,  dans  ses  Leçons  d'Histoire  ecclésiastique , 
récemment  publiées  à  Rome  (i),  où  il  jouit  depuis 
longtemps  de  la  considération  universelle  ,  que 
l'étendue  de  ses  lumières,  et  la  profondeur  de  ses 
études  ont  seules  pu  lui  mériter,  au  centre  même 
de  la  catholicité,  au  sein  de  l'Église  mère  et  maî- 
tresse de  toutes  les  autres  (2). 

De  pareils  encouragements,  donnés  à  la  première 
édition  de  notre  ouvrage,  étaient  pour  nous  un 
puissant  motif  d'apporter  tous  nos  soins  à  complé- 
ter et  perfectionner  notre  travail.  Nous  n'avons 
donc  rien  négligé  pour  le  rendre  de  plus  en  plus 

(1)  Prœlect.  Histor.  Eccles.  tom.  m  (Romœ  y  1840  et  1842, 
in-8°),  iâ  part.,  pag.  7;  2à  part.,  pag.  5  et  89. 

(2)  La  première  édition  de  notre  ouvrage  a  été  citée,  avec 
une  égale  bienveillance,  dans  les  ouvrages  suivants  :  Boyer,  Dé- 
fense de  l'Egl.  cathol.  contre  V hérésie  constit.  Paris,  1840,  in-8° 
(page  i5).  — Dumont,  Hist.  Rom.  2  e  édition,  Paris,  1840, 
3  vol.  in-8°  (tome  m,  pages  524  et  649). — Th.  Nisard,  Hist.  de 
Charlemagne ;  Paris,  1843,  in-12  (pages  4o8 ,  443,  etc.)  — 
Pardessus,  Note  sur  l'ouvrage  de  Bréquigny,  Diplomata  et  alia 
monumenta  ad  res  Francicas  spectantia  (tome  1,  page  282).  — 
Artaud  de  Montor,  Considérations  hist.  sur  les  Papes  qui  ont 
porté  le  nom  de  Grégoire,  pages  75,  227,  etc. 

Parmi  les  auteurs  étrangers  qui  ont  fait  une  mention  hono- 
rable de  notre  ouvrage,  nous  citerons  encore  monseigneur  Ca- 
dolini,  archevêque  d'Édesse,  secrétaire  de  la  Propagande,  à 
Rome.  Voyez  son  Discours  lu  à  V Académie  de  la  Rel.  cathol.  à 
Rome,  le  17  septembre  1840.  Ce  discours  a  été  reproduit,  pres- 
que en  entier,  dans  L'Ami  de  la  Religion,  tome  ex,  page  352,  etc. 
(Remarquez  en  particulier  la  page  373.)  —  Voyez  aussi  le  Cours 
d'Histoire  de  M.  César  Cantù ,  accueilli  en  Italie  avec  de  si 
grands  applaudissements,  et  dont  la  traduction  française  s'im- 
prime en  ce  moment.  Storia  univ.  scritta  da  C.  Cantù,  vol.  ix, 
pag.  352  ;  Torino,  1842. 


Xiv  PRÉFACE. 

digne  des  suffrages  du  public.  Nous  avons  réclamé 
avec  empressement  les  observations  des  personnes 
instruites,  et  nous  avons  profité  de  leurs  avis,  pour 
corriger  et  améliorer  notre  ouvrage,  tant  pour  le 
fond  que  pour  la  forme.  On  trouvera,  sous  ces  deux 
rapports,  des  différences  notables  entre  la  première 
et  la  seconde  édition,  comme  on  peut  s'en  con- 
vaincre par  un  simple  coup  d'oeil  sur  l'ordre  et  le 
plan  que  nous  avons  suivis  dans  celle-ci. 

Pour  mieux  éclaircir  l'objet  de  nos  recherches,  et 
pour  montrer  la  véritable  origine  du  pouvoir  tem- 
porel dont  le  saint-siége  a  été  investi,  depuis  la  chute 
de  l'empire  romain  ,  il  nous  a  paru  nécessaire  de 
remonter  beaucoup  plus  haut  dans  l'histoire.  Rien 
n'est  si  commun ,  parmi  les  écrivains  modernes , 
que  d'attribuer  à  l'ignorance  et  à  la  superstition  du 
moyen  âge,  les  honneurs  et  les  prérogatives  tem- 
porelles dont  le  clergé  en  général,  et  le  souverain 
Pontife  en  particulier,  furent  investis,  à  cette  épo- 
que, dans  toutes  les  parties  de  la  chrétienté.  Il  est 
certain,  au  contraire,  que  cet  ordre  de  choses,  qui 
nous  étonne  aujourd'hui,  était  une  conséquence 
naturelle  de  l'usage  et  des  maximes  de  l'antiquité, 
même  profane,  sur  les  honneurs  et  les  prérogatives 
dus  à  la  religion  et  à  ses  ministres.  C'est  ce  que  nous 
établissons  d'abord  dans  une  Introduction,  qui  pa- 
raît ici  pour  la  première  fois,  et  dans  laquelle  nous 
rappelons  les  honneurs  et  les  prérogatives  temporel- 
les, accordés  à  la  religion  et  à  ses  ministres  chez  les 
peuples  anciens,  particulièrement  sous  les  premiers 
empereurs  chrétiens.  Le  développement  de  cette 
matière  nous  conduit  naturellement  à  combattre, 


PBÉFACE.  XV 

par  la  tradition  et  la  pratique  même  des  premiers 
siècles  de  l'Église,  le  paradoxe  soutenu,  de  nos 
jours,  par  quelques  esprits  exaltés,  qui  représentent 
la  séparation  totale  de  V Eglise  et  de  l'Etat,  comme 
essentielle  au  bien  de  la  religion  (i);  paradoxe  jus- 
tement condamné  par  M .  S.  P.  le  Pape  Grégoire  XVI, 
dans  sa  Lettre  encyclique  du  1 5  août  j  83s ,  où  il 
s'exprime  ainsi  :  «  Nous  n'aurions  rien  d'heureux  à 
«  présager  pour  la  religion  et  le  gouvernement,  des 
«  vœux  de  ceux  qui  veulent  que  l'Église  soit  séparée 
«  de  l'État,  et  que  la  concorde  mutuelle  de  l'empire 
«  avec  le  sacerdoce  soit  rompue;  car  il  est  certain  que 
«  les  partisans  d'une  liberté  effrénée  redoutent  singu- 
«  lièrement  cette  concorde,  qui  fut  toujours  si  favo- 
«  rable  et  si  salutaire  aux  intérêts  delà  religion (2).» 

(1)  Ce  paradoxe  est  un  de  ceux  que  le  journal  de  L'Jvenir  a 
soutenus  avec  plus  de  confiance  et  d  opiniâtreté.  (Voy.  les  pro- 
positions 5i  et  53  de  la  Censure  de  divers  écrits  de  M.  de  la 
Mennais  et  de  ses  disciples,  dressée,  en  i832,  par  plusieurs 
évêques  de  France.) 

(2)  «  Neque  laetiora  Religioni  et  Principatui  ominari  posse- 
«  mus,  ex  eorum  votis  qui  Ecclesiam  a  regno  separari,  mu- 
«  tuamque  imperii  cum  sacerdotio  concordiam  abrumpi  dis— 
«  cupiunt.  Constat  quippe  pertimesci  ab  impudentissimse 
«  libertatis  amatoribus  concordiam  illam,  quae  semper  rei  sacrse 
«  et  civili  fausta  extitit  ac  salutaris.  »  Greg,  Papœ  XVI  Epist, 
Encycl.  iôaug.  i832. 

A  l'appui  de  ce  jugement,  voyez  les  Conférences  de  M.  Frays- 
sinoùs  sur  les  Principes  religieux ,  fondements  de  la  morale  et 
delà  société;  et  sur  V  Union  réciproque  de  la  religion  et  de  la 
société  (tomes  1  et  ni  des  Conf).  Voyez  aussi  l'examen  d'une 
opinion  (de  M.  de  la  Mennais),  sur  les  traitements  ecclésias- 
tiques, par  un  prêtre  du  diocèse  de  Paris  (l'abbé  Delacouture)* 
Paris,  i83o,  46  pages  in-8°. —  Boyer,  Défense  de  l'ordre  so- 
cial; tome  1,  page  173,  etc.;  tome  11,  page  410,  etc, 


xVj  PREFACE. 

Ces  premières  notions  étant  supposées,  l'objet 
de  nos  recherches  se  divise  naturellement  en  deux 
parties,  dont  la  première  concerne  l'origine  et  les 
fondements  de  la  souveraineté  temporelle  du  saint- 
siége;  et  la  seconde,  le  pouvoir  du  Pape  sur  les 
souverains,  au  moyen  âge. 

Dans  la  première,  qui  paraît  aussi  pour  la  pre- 
mière fois,  nous  recherchons,  non-seulement  l'épo- 
que précise  à  laquelle  on  doit  placer  l'origine  de 
la  souveraineté  temporelle  du  saint-siége,  mais  en- 
core la  nature  de  cette  souveraineté ,  et  les   titres 
qui  en  établissent   la  légitimité.  L'examen  de  ces 
questions,  outre  qu'il  entrait  naturellement  dans 
notre    plan,    nous    a    paru    très -important,    soit 
pour   venger  la  mémoire  des  Papes  du  vme  siè- 
cle, contre  les  attaques  de  plusieurs  écrivains  mo- 
dernes; soit  pour  mettre  dans  tout  son  jour  une 
des  principales  causes  de  l'influence  des  Papes  dans 
les  affaires  générales  de  l'Europe,  au  moyen  âge, 
soit  enfin  pour  mettre  le  lecteur  à  portée  de  ju- 
ger les  principaux  événements  relatifs  à  la  lutte 
des  deux  puissances,  à  cette  époque. Il  est  certain, 
en  effet,  que  la  question  de  la  souveraineté  de  Rome 
était  le  principal  sujet  de  contestation  entre  les 
Papes  et  les  empereurs,  principalement  depuis  Fré- 
déric Barberousse,  qui  soutint  avec  tant  de  hau- 
teur et  de  violence  ses  prétentions,  à  cet  égard  (i). 
C'est  ce  que  Voltaire  lui-même  n'a  pu  s'empêcher 
de  reconnaître,  «  11  me  paraît  sensible,  dit-il,  que 
«  le  vrai  fond  de  la  querelle  (entre  les  Papes  et  les 
«  empereurs)  était  que  les  Papes  et  les  Romains  ne 

(i)  Voyez,  ci-après,  la  note  première  de  la  page  268, 


préface.  xyij 

«  voulaient  point  d'empereur  à  Rome  (i),  »  é est-à- 
dire,  ajoute  le  comte  de  Maistre,  qiiils  ne  voulaient 
point  de  maîtres  chez  eux  (2). 

Dans  la  seconde  partie,  la  seule  qui  ait  paru 
en  1839,  nous  examinons  en  vertu  de  quel  droit 
les  souverains  Pontifes  ont  déposé  autrefois  des 
princes  temporels;  et  parmi  les  différentes  expli- 
cations qu'on  a  données  de  leur  conduite,  nous 
nous  attachons  à  établir  le  sentiment  de  Fénelon 
et  de  plusieurs  autres  écrivains  modernes,  qui 
l'expliquent  et  la  justifient  par  les  maximes  de 
droit  public ,  alors  généralement  admises.  Ici 
nous  reproduisons,  pour  le  fond,  la  première 
édition  de  nos  Recherches,  mais  avec  plusieurs 
additions  et  modifications  très-importantes.  JNous 
ferons  remarquer  en  particulier,  dans  le  chapitre 
premier  de  cette  seconde  partie,  les  détails  relatifs 
aux  effets  temporels  de  la  pénitence  publique,  qui  ont 
préparé  la  voie  à  ceux  de  Y  excommunication.  On 
trouvera  des  additions  beaucoup  plus  considérables, 
dans  le  troisième  et  le  quatrième  chapitre,  dont  les 
développements  sont  presque  entièrement  neufs, 
et  mettent  dans  un  plus  grand  jour  les  principes 
que  nous  avions  exposés  trop  brièvement,  dans  la 
première  édition.  Parmi  ces  développements,  le  lec- 
teur verra  sans  doute  avec  intérêt,  l'examen  des  dif- 
ficultés qui  nous  ont  été  proposées  dans  quelques 
écrits  périodiques,  dont  les  rédacteurs,  malgré  la 
bienveillance  avec  laquelle  ils  se  sont  exprimés  sur 
notre  ouvrage,  ont  paru  peu  frappés  de  quelques- 

(1)  Voltaire,  Essai  sur  l'Histoire  générale  ;  tome  ier,  chap.  46. 
(a)  De  Maistre,  Du  Pape;  liv,  11,  chap.  7  j  art.  3,  pag,  398, 

b 


XVÎij  PRÉFACE. 

unes  de  nos  preuves,  et  même  peu  disposés  à  em- 
brasser notre  sentiment  (i).  Nous  espérons  que  les 
lecteurs  instruits  seront  satisfaits  de  nos  réponses 
à  ces  difficultés,  et  qu'après  avoir  suivi  les  détails 
de  cette  discussion,  ils  en  concluront  avec  nous, 
que  le  sentiment  de  Fénelon  ,  sur  le  droit  public  du 
moyen  âge,  relativement  à  la  déposition  des  sou- 
verains, est  en  harmonie  parfaite  avec  les  faits  ;  et 
qu'il  fournit,  en  quelque  sorte,  la  clef  de  l'histoire 
du  moyen  âge,  et  d'une  multitude  d'événements 
qu'on  a  trop  souvent  présentés  sous  des  couleurs 
très-odieuses,  pour  ne  les  avoir  pas  envisagés  sous 
leur  véritable  point  de  vue. 

(i)  Les  écrits  périodiques  dont  nous  parlons  ici,  sont  le  Jour- 
nal des  Débats,  du  29  septembre  1 8^9;  la  Revue  Ecclésiastique , 
du  mois  de  janvier  1840;  et  Le  Semeur,  du  8  septembre  1841. 
—  Toutes  les  difficultés  qui  nous  ont  été  opposées  par  les  ré- 
dacteurs de  ces  divers  articles,  peuvent  se  réduire  à  trois  prin- 
cipales. La  première  conteste  le  fait  de  la  persuasion  générale 
du  moyen  âge,  sur  la  subordination  de  la  puissance  temporelle 
envers  la  spirituelle.  La  seconde  soutient  que  cette  persuasion 
était  fondée  sur  une  erreur,  c'est-à-dire ,  sur  l'opinion  théolo- 
gique qui  attribue  à  l'Eglise  et  au  souverain  Pontife  une  juri- 
diction au  moins  indirecte  sur  les  choses  temporelles;  d'où  l'on 
conclut  que  l'Église  ni  le  souverain  Pontife  ne  pouvaient  avoir 
un  droit  réel  sur  la  puissance  temporelle,  mais  seulement  un 
droit  putatif  ou  apparent,  qui  laissait  subsister  l'usurpation 
matérielle.  La  troisième  se  tire  de  l'incompatibilité  prétendue 
du  pouvoir  temporel  avec  le  spirituel ,  dans  les  ministres  sacrés 
delà  loi  nouvelle,  et  de  l'opposition  prétendue  entre  l'esprit 
de  l'Évangile  et  le  prodigieux  pouvoir  que  leur  attribuaient 
les  maximes  du  moyen  âge.  Nous  croyons  avoir  pleinement  ré- 
solu la  première  de  ces  difficultés  dans  le  chapitre  11  de  la  se- 
conde partie  de  cette  nouvelle  édition;  et  les  deux  autres,  dans 
le  chapitre  m.  (Remarquez,  en  particulier,  les  nos  274  et  suiv.) 


PRÉFACE.  Xix 

Indépendamment  des  notes  critiques  et  explica- 
tives, que  nous  avons  souvent  mises  au  bas  des  pa- 
ges, nous  avons  renvoyé  à  la  fin  du  volume,  sous  le 
titre  de  Pièces  justificatives ,  l'éclaircissement  de 
quelques  difficultés  particulières,  dont  la  discussion 
eût  trop  longtemps  suspendu  la  marche  de  l'ou- 
vrage. Parmi  ces  différentes  pièces,  on  lira  surtout 
avec  intérêt  celles  que  nous  avons  placées  sous  les 
numéros  vu  et  vin.  Le  premier  a  pour  objet  l'éléva- 
tion de  Pépin  au  trône  de  France,  et  l'usurpation 
communément  reprochée  à  ce  prince  ;  le  second  ren- 
ferme l'exposition  abrégée  de  l'origine,  des  progrès 
et  des  vicissitudes  de  l'opinion  qui  attribue  à  l'E- 
glise et  au  souverain  Pontife,  un  -pouvoir  de  juridic- 
tion direct  ou  indirect  sur  les  choses  temporelles,  en 
vertu  de  l'institution  divine.  Ce  dernier  éclaircisse- 
ment serait  sans  doute  susceptible  d'un  grand  déve- 
loppement, surtout  en  ce  qui  concerne  l'exposition 
des  sentiments  des  divers  auteurs  que  nous  citons; 
mais  nous  ne  pouvions  nous  étendre  davantage, 
sans  sortir  des  bornes  qui  nous  étaient  prescrites; 
et  quelque  abrégé  que  soit  notre  travail,  nous  espé- 
rons qu'il  ne  sera  pas  lu  sans  intérêt,  sous  le  dou- 
ble rapport  de  l'histoire  et  de  la  controverse. 

On  voit  assez,  par  le  plan  et  par  le  titre  même 
de  cet  ouvrage,  que  notre  intention  n'est  pas  d'y 
renouveler  les  discussions  théologiques  sur  le  droit 
divin  y  relativement  à  la  distinction  et  à  l'indépen- 
dance réciproque  des  deux  puissances.  Il  est  vrai 
que  la  seule  exposition  des  faits  qui  se  rattachent  à 
notre  plan,  peut  beaucoup  servir  à  l'éclaircissement 
des  questions  agitées,  sur  ce  sujet,  avec  tant  d'éclat, 

à. 


XX  PRÉFACE. 

dans  ces  derniers  temps.  Dans  cette  discussion 
comme  dans  un  grand  nombres  d'autres,  plusieurs 
faits  importants,  faute  d'avoir  été  soigneusement 
examinés,  avec  les  circonstances  qui  les  modifient, 
paraissent  avoir  été  invoqués  à  tort,  par  les  défen- 
seurs des  différentes  opinions;  de  graves  autorités 
ont  été  citées,  avec  une  égale  confiance,  en  faveur 
des  opinions  les  plus  opposées  :  d'où  il  suit  que 
Fexamen  attentif  de  l'histoire,  et  du  véritable  sens 
des  témoignages  allégués  de  part  et  d'autre,  est 
un  des  principaux  moyens  d'éclaircir  les  questions 
dont  il  s'agit.  Mais  ce  résultat  de  nos  recherches 
est,  à  vrai  dire,  étranger  à  l'objet  purement  his- 
torique de  cet  ouvrage  :  l'unique  but  que  nous 
nous  y  proposons,  est  de  prévenir  ou  de  corriger, 
par  la  seule  exposition  des  faits,  les  fâcheuses  im- 
pressions que  produit,  sur  une  multitude  d'esprits 
légers  ou  préoccupés,  l'étude  de  l'histoire  du  moyen 
âge,  principalement  en  ce  qui  regarde  le  pouvoir 
temporel  du  saint-siége,  à  cette  époque,  et  l'usage 
que  plusieurs  Papes  en  ont  fait,  à  l'occasion  de 
leurs  démêlés  avec  les  souverains. 

Bien  loin  de  vouloir  renouveler  les  discussions 
théologiques,  sur  cette  matière,  nous  évitons  avec 
soin,  dans  le  développement  de  notre  plan  et  des 
faits  qui  s'y  rattachent,  tout  ce  qui  pourrait  blesser 
les  défenseurs  des  différentes  opinions.  Nous  lais- 
sons au  lecteur  impartial  le  soin  de  tirer  lui-même 
les  conséquences  qui  peuvent  résulter  de  notre  ex- 
posé ,  contre  les  sentiments  de  quelques  théolo- 
giens, ou  du  moins  contre  les  raisons  qu'ils  ont 
quelquefois  invoquées  à  l'appui  de  leurs  opinions. 


PRÉFACE.  XXJ 

Pour  mieux  éclaircir  les  principaux  faits  dont 
nous  avons  occasion  de  parler,  et  pour  ne  pas  nous 
exposer  à  les  dénaturer,  ou  à  les  présenter  sous  un 
faux  jour,  nous  nous  sommes  fait  une  loi  de  n'en 
avancer  aucun,  qui  ne  soit  fondé  sur  le  témoignage 
des  auteurs  contemporains,  ou  les  plus  voisins  de 
l'époque  à  laquelle  ils  se  rapportent.  Les  bornes  qui 
noussontprescritesne  nous  permettentpas  toujours 
de  citer  au  long  le  texte  même  de  ces  auteurs;  nous 
nous  coutentons  le  plus  souvent  d'en  rapporter  la 
substance,  en  conservant,  autant  qu'il  est  possible, 
leurs  propres  expressions.  Mais  pour  suppléer  à 
notre  brièveté,  nous  indiquons  fidèlement  en  note 
les  principaux  endroits  des  ouvrages  sur  lesquels 
nous  nous  appuyons,  après  les  avoir  soigneusement 
vérifiés.  Nous  citons  même  textuellement  ceux  qui 
semblent  plus  importants  pour  éclaircir  l'objet  de 
nos  recherches,  ou  pour  corriger  des  erreurs  accré- 
ditées parmi  des  auteurs  modernes.  Pour  ce  qui 
regarde  en  particulier  les  textes  d'auteurs  grecs, 
comme  ils  ne  sont  compris  aujourd'hui  que  par  un 
petit  nombre  de  lecteurs,  nous  nous  bornons  pres- 
que toujours  à  les  citer  en  latin,  d'après  quelque 
traduction  généralement  estimée.  Nous  supprimons 
même  cette  traduction  latine,  lorsque  le  texte  ori- 
ginal est  suffisamment  représenté  dans  le  nôtre. 

Quelque  suffisants  que  soient  les  anciens  témoi- 
gnages, pour  établir  la  vérité  de  notre  exposé,  nous 
avons  cru  devoir  confirmer  les  faits  les  plus  im- 
portants, aussi  bien  que  leurs  conséquences  les  plus 
remarquables,  par  le  témoignage  des  auteurs  mo- 
dernes ,  les  moins  suspects  de  partialité  en  faveyr 


XXÏJ  HiÉFACE. 

du  clergé.  Il  est  curieux,  en  effet,  de  voir  les  prin- 
cipaux faits  qui  établissent  la  légitimité  du  pouvoir 
temporel  de  l'Église  et  du  souverain  Pontife,  au 
moyen  âge ,  confirmés  par  les  propres  aveux  des 
auteurs  les  plus  opposés  aux  principes  ultramon- 
tains,  souvent  même  par  des  écrivains  hétérodoxes, 
imbus  des  plus  funestes  préjugés  contre  le  sain t- 
siége  et  l'Eglise  catholique.  Parmi  les  auteurs  de  la 
première  classe,  on  conviendra  sans  doute  que 
nous  pouvons  citer  avec  confiance  :  Bossuet,  De- 
fensio  Declarationis  ;  Fleury,  Histoire  Ecclésiastique 
et  Institutions  au  Droit  canonique;  Velly  et  ses  con- 
tinuateurs, Histoire  de  France;  Lebeau,  Histoire 
du  Bas- Empire;  Vertot,  Origine  de  la  grandeur  de 
la  cour  de  Rome  ;  Gaillard,  Histoire  de  Charlemagne  ; 
Bernardi,  De  V  origine  et  des  progrès  de  la  législation 
française;  Ferra  nd,  V  Es  prit  de  l'Histoire;  Michaud, 
Histoire  des  Croisades;  Frantin,  Annales  du  moyen 
âge,  etc.  Tous  ces  auteurs,  et  même  ceux  d'entre 
eux  qui  font  plus  ouvertement  profession  de  res- 
pecter le  saint-siége  et  l'Eglise  catholique,  s'expri- 
ment en  général  avec  beaucoup  de  liberté,  quel- 
ques-uns même  avec  peu  de  mesure,  sur  le  sujet 
qui  nous  occupe.  Parmi  les  écrivains  hétérodoxes, 
nous  aurons  souvent  occasion  de  citer,  à  l'appui 
des  faits  les  plus  importants  pour  la  justification 
du  clergé  et  des  Papes  du  moyen  âge ,  plusieurs 
célèbres  auteurs  protestants,  tels  que  Leibniz, 
Pfeffel,  Gibbon,  Hegewisch,  Voigt,  Hurter  (i),  Ei- 

(i)  U Histoire  d'Innocent  III,  écrite  par  M.  Hurter,  long- 
temps avant  sa  conversion  à  l'Église  catholique,  porte,  en  bien 
des  endroits,  l'empreinte  des  préjugés  dont  l'auteur  n'avait  en- 


PRÉFACE.  XXÎjj 

chorn ,  Hallam ,  Sismondi,  etc.  Les  deux  derniers, 
en  particulier,  sont  d'autant  moins  suspects,  lors- 
qu'ils nous  sont  favorables,  qu'ils  se  montrent  habi- 
tuellement remplis  des  plus  odieux  préjugés  contre 
l'Eglise  catholique,  et  surtout  contre  le  sain t-siége. 
Enfin,  pour  compléter  notre  travail,  et  pour  don- 
ner au  lecteur  une  plus  grande  facilité  de  retrouver 
les  éclaircissements  relatifs  à  certains  faits  ou   à 
certains  personnages  plus  importants,  nous  avons 
ajouté,  à  la   Table  des  chapitres ,   une    Table  al- 
phabétique  des   principaux  faits    et    des  princi- 
paux personnages ,  dont   il  est  fait  mention  dans 
le  cours  de  notre  ouvrage.  D'après  le  but  que  nous 
nous  sommes  proposé,  dans  la  rédaction  de  cette 
dernière  Table,  il  nous  a  paru  inutile  d'y  rappeler 
en  détail  les  sujets  que  le  lecteur  peut  aisément 
retrouver,  par  un  simple  coup  d'œil  sur  la  Table 
des  chapitres.  Mais  nous  avons  soigneusement  indi- 
qué les  personnages  anciens  et  modernes,  tels  que 
les  souverains  Pontifes,  les  princes,  les  auteurs  cé- 
lèbres, dont  la  conduite  ou  les  écrits  offrent  un 
plus  grand  intérêt,  ou   présentent  quelques  diffi- 
cultés particulières  (i). 

core  pu  se  dépouiller.  (Voyez  ci-après  la  note  3  de  la  page  323.) 
Toutefois,  la  droiture  et  la  franchise  qu'il  montre  constamment 
dans  son  ouvrage,  donnaient  lieu  d'espérer,  que  ses  préjugés 
ne  tarderaient  pas  à  se  dissiper.  Ces  espérances  viennent  de  se 
réaliser:  l'impression  de  notre  ouvrage  était  presque  terminée, 
lorsque  nous  avons  appris  l'heureuse  nouvelle  de  la  conversion 
de  M.  Hurter.  (Voy.  L'Ami  de  la  Religion,  tome  cxxi,  page  668  ; 
tome  cxxn ,  pages  1 i ,  248 ,  465 ,  etc.) 

(1)  Cette  observation  s'applique  en  particulier  aux  artiles, 
Empire,  Excommunication,  Hérésie,  Pénitence  publique,  Pape,  etc. 


XXÎV  PRÉFACE. 

Malgré  tous  nos  efforts  pour  éclaircir  l'objet  de 
nos  Recherches,  nous  sommes  bien  éloigné  de 
croire  qu'il  ne  soit  susceptible  d'un  plus  parfait 
éclaircissement.  Nous  sommes  persuadé,  au  con- 
traire, que  des  recherches  plus  étendues  et  plus 
profondes  répandraient  encore  un  plus  grand  jour 
sur  cette  matière.  Mais  quelque  imparfait  que 
puisse  être  notre  travail,  nous  serons  au  comble  de 
nos  vœux,  si,  par  ce  faible  essai,  nous  donnons 
lieu  à  des  recherches  plus  complètes  et  plus  satis- 
faisantes, sur  un  sujet  si  intéressant  par  lui-même, 
si  peu  approfondi  jusqu'à  présent,  et  dont  l'éclair- 
cissement devient,  de  jour  en  jour,  plus  important, 
depuis  que  l'étude  de  l'histoire  du  moyen  âge,  au- 
trefois réservée  à  un  petit  nombre  d'hommes  d'un 
esprit  mûr  et  d'une  solide  instruction,  occupe  une 
place  si  considérable,  dans  l'éducation  de  la  jeu- 
nesse, et  dans  les  cours  publics  de  nos  académies. 


TABLE  DES  CHAPITRES. 


Pag. 

Préface .- v 

INTRODUCTION. 

Des  Honneurs  et  des  Prérogatives  temporelles  accordés  à  la  Religion 
et  à  ses  Ministres  chez  les  peuples  anciens ,  particulièrement  sous 
les  premiers  empereurs  chrétiens f 

1.  Plan  de  cette  introduction ib. 

Article  Ier.  —  Des  Honneurs  et  des  Prérogatives  temporelles  ac- 
cordés à  la  Religion  et  à  ses  Ministres  chez  les  peuples  anciens, 
particulièrement  chez  les  Romains ,  avant  la  conversion  de  Con- 
stantin          ib. 

2.  La  religion  de  tout  temps  regardée  comme  la  base  de  l'ordre 
public ib. 

3.  Honneurs  accordés,  en  conséquence,  à  la  religion  et  à  ses  mi- 
nistres   2 

4.  Sentiments  des  anciens  législateurs  sur  ce  point 3 

5.  Doctrine  des  plus  célèbres  philosophes ib. 

6.  Étroite  union  de  la  religion  et  du  gouvernement ,  sous  la  lé- 
gislation mosaïque 6 

7.  La  même  union  chez  les  Égyptiens 7 

8.  Lois  et  coutumes  de  la  Grèce,  sur  ce  point 8 

9.  Lois  et  coutumes  des  Athéniens 11 

10.  Lois  de  Romulus  et  de  Numa 13 

11.  Lois  des  Douze  Tables 16 

1 2.  Permanence  de  ces  anciennes  lois ,  dans  la  décadence  de  la 
république 17 

13.  Privilèges  accordés  aux  ministres  de  la  religion 20 

14.  Le  titre  de  souverain  pontife  donné  aux  premiers  empereurs 
chrétiens 22 

15.  Privilèges  des  prêtres  païens  maintenus  sous  Constantin  et 

ses  successeurs 23 

16.  Prohibition  des  cultes  étrangers  chez  les  anciens  Romains.  24 

17.  Celte  prohibition  maintenue  par  Auguste  et  Tibère.   ...  25 

18.  Elle  sert  de  prétexte  aux  païens,  pour  persécuter  les  chré- 
tiens     26 

19.  Injustice  de  ce  prétexte ib. 

20.  Cette  injustice  souvent  reconnue  par  les  païens 28 

21.  Conséquence  naturelle  de  tous  ces  faits.  Étroite  union  de 

la  religion  et  de  l'État,  sous  les  empereurs  chrétiens.    ...       29 
Article  II.  —  Des  Honneurs  et  des  Prérogatives  temporelles  accor- 
dés à  la  Religion  et  à  ses  Ministres ,  sous  les  premiers  empereurs 
chrétiens.  . #  .   „  ,  t  ..»..,..  *      30 


XX Vj  TABLE  DES  CHAPITRES. 

Pag. 

22.  Origine  des  faveurs  accordées  à  la  religion  chrétienne  ,  par 
Constantin  et  ses  successeurs 30 

§  Ier.  Situation  déplorable  de  l'empire  sous  les  premiers  empereurs 
chrétiens  ;  puissantes  ressources  que  lui  offraient  la  Religion  et  ses 
Ministres 31 

23.  Germes  de  dissolution  dans  l'empire  longtemps  avant  Con- 
stantin         ib. 

24.  Puissanles  ressources  que  lui  offrait  la  religion  chrétienne.        ib. 

25.  Vertus  éminentes  du  clergé,  et  surtout  des  évêques   ....        32 

26.  Combien  ils  étaient  respectés  par  les  fidèles  et  par  les  païens 
eux-mêmes 36 

27.  Permanence  de  ces  vertus  dans  le  clergé,  depuis  la  conver- 
sion de  Constantin 38 

28.  Aveux  remarquables  de  Julien  sur  ce  point 40 

29.  L'empire  soutenu  par  le  christianisme  contre  les  ennemis  du 
dehors 41 

30.  Rome  et  plusieurs  aulres  villes  sauvées   par  l'influence  des 
évêques 42 

31.  Le  pouvoir  temporel  du  clergé,  conséquence  naturelle  de 

tous  ces  faits ib. 

32.  Cette  conséquence  reconnue  par  des  auteurs  non  suspects. 
Aveux  de  Dupuy   .    .    .  • 43 

33.  Aveux  de  M.  Guizot 45 

&  IL  Confirmation  des  lois  divines  et  ecclésiastiques   par  l'autorité 

des  empereurs   chrétiens.  Origine  des   peines  temporelles  contre 
l'idolâtrie,  le  judaïsme,  l'hérésie,  et  les  autres  délits  de  l'impiété.        46 

34.  Etat  et  progrès  du  christianisme  dans  l'empire,  avant  Con- 
stantin        ib. 

35.  Accord  des  auteurs  païens  avec  les  chrétiens,  sur  ce  point.        48 

36.  Le  triomphe  du  christianisme  sur  l'idolâtrie  assuré  avant  la 
conversion  de  Constantin 50 

37.  Premiers  édits  de  Constantin  en  faveur  de  la  religion  chré- 
tienne        51 

38.  Son  application  à  décréditer  l'idolâtrie 53 

39.  Ses  édits  contre  la  divination  secrète 55 

40.  Sa  conduite  modérée  envers  les  païens 56 

41.  Sa  prudence  imitée  en  ce  point  par  Constance  et  Constant.       ib. 

42.  Modération  de  Jovien 58 

43.  L'autel  de  la  Victoire ,  tantôt  enlevé  du  Sénat ,  tantôt  réta- 
bli,  selon  les  conjonctures 59 

44.  Derniers  coups  portés  à  l'idolâtrie  par  Théodose 61 

45.  Confirmation  des  lois  de  l'Église,  par  les  édits  des  empe- 
reurs    64 

46.  Peines  temporelles  contre  les  transgresseurs  de  ces  lois   .    .       67 

47.  Principes  des  anciens  gouvernements  dans  leurs  rapports 
avec  la  religion .       ib. 

48.  Les  édits  des  empereurs  chrétiens  en  faveur  de  la  religion, 
fondés  sur  ces  principes  . 68 

49.  Ces  principes  reconnus  par  les  plus  célèbres  publicistes  mo- 
dernes        69 

50.  L'application  de  ces  principes,  souvent  difficile 71 

51.  Première  règle.  L'Église  seule  peut  régler  les  objets  de  l'or- 
dre spirituel .......        72 

52.  Eu  quel  sens  le  prince  est  nommé  Yévêfjuë  du  dehors  ...       73 


TABLE  DBS  CHAPITRES.  IXVij 

Pag. 

53.  Deuxième  règle.  Ne  jamais  extorquer  par  la  violence  une 
profession  de  foi 74 

54.  Troisième  régie.  Ne  jamais  infliger  la  peine  de  mort  pour  le 

seul  fait  de  la  croyance ib. 

55.  Quatrième  règle.  S'opposer  fortement  à  l'hérésie  naissante.    .  76 

56.  Dispositions  sévères  du  droit  romain  ,  sur  ce  point,  non  ap- 
prouvées par  l'Église 77 

57-  Rigueur  ordinaire  des  lois. pénales,  à  cette  époque  ....  ib. 

58.  Adoucissements  dans  la  pratique.     . 78 

1°  Lois  contre  les  Juifs 80 

59.  Sévérité  de  ces  lois .  ib. 

60.  Raisons  de  celte  sévérité 82 

II0  Lois  contre  les  hérétiques  et  les  apostats 83 

61.  Lois  de  Constantin ib. 

62.  Lois  de  Théodose  le  Grand.  Origine  de  Y  inquisition  ...  84 

63.  Lois  d'Honorius  et  de  Théodose  le  Jeune;  les  hérétiques  in- 
capables de  tout  emploi  civil 87 

64.  Lois  de  Marcien,  confirmant  et  renouvelant  les  précédentes.  88 

65.  Lois  semblables  de  Justinien ,  dans  son  Code  et  ses  Novelles.  89 

66.  Dispositions  particulières  contre  les  sacrilèges  et  les  apostats.  91 

67.  Le  droit  romain  suivi,  sur  ce  point,  dans  tous  les  États 
chrétiens  de  l'Europe ,  au  moyen  âge ib. 

68.  La  protection  des  princes  insuffisante  pour  soutenir  l'Église; 
nécessité  de  l'assistance  divine 95 

§  III.  Biens  et  richesses  du  clergé  pendant  les   premiers  siècles  de 
l'Église,  particulièrement  sous  les  empereurs  chrétiens:  saint 

usage  qu'il  en  faisait 98 

69.  Principes  de  l'Église  primitive  sur  le  renoncement  aux  biens 

de  la  terre ib. 

70.  La  pratique  conforme  à  ces  principes 99 

71.  Richesses  de  quelques  églises  pendant  les  persécutions.    .    .  101 

72.  Accroissement  des  biens  ecclésiastiques  depuis  la  conversion 

de  Constantin 103 

73.  Ses  libéralités  envers  l'Église  romaine 105 

74.  Sources  de  ces  libéralités.  Immenses  revenus  de  l'empire.    .  111 

75.  Autres  sources  de  richesses  pour  l'Église  :  restitutions;  libé- 
ralités des  fidèles,  etc %  114 

76.  Dîmes,  prémices,  donations  entre-vifs  et  par  testament  .    .  118 

77.  La  libéralité  des  fidèles  excitée  par  les  exhortations  des  saints 
docteurs.. 120 

78.  Ils  blâment  les  donations  excessives  ou  indiscrètes    ....  122 

79.  Richesses  des  églises  patriarcales 123 

80.  Richesses  de  l'Église  romaine  :  ses  nombreux  patrimoines.  .  124 

81.  Précieux  résultats  des  richesses  du  clergé, pour  le  bien  de  la 
société 128 

82.  Établissements  charitables  :  hôpitaux 130 

83.  Rachat  des  captifs;  affranchissement  des  esclaves 132 

84.  Libéralités  immenses  de  l'Église  romaine 134 

85.  L'accroissement  des  biens  ecclésiastiques ,  généralement  avan- 
tageux à  la  société 137 

86.  Injustice  des  invectives  contre  le  clergé,  sur  ce  sujet  ...  138 
...  87.  Réponse  de  saint  Jean  Chrysostome  à  ces  invectives.   .    .    .  140 

§  IV.  Immunités  ecclésiastiques,  sous  les  empereurs  chrétiens;  droit 

d'asile t   ...   t  142 


XXViij  TABLE  DES  CHAPITRES. 

Pag. 

88.  Origine  des  immunités  ecclésiastiques 142 

89.  Immunités  personnelles 144 

90.  Immunités  réelles .      148 

91.  L'Église  toujours  soumise  aux  lois ,  même  les  moins  favorables 

en  celte  matière 150 

92.  Erreur  de  Baronius  sur  ce  sujet 153 

93.  La  question  théologique  de  X origine  des  immunités  éclaircie 

par  les  faits ib. 

94.  Droit  d' asile  ;  son  origine 155 

95.  Il  est  maintenu  par  les  empereurs,  avec  de  sages  restrictions.     156 

96.  Zèle  du  clergé  pour  le  maintien  de  ce  droit 157 

97.  Avantages  de  ce  droit,  renfermé  dans  de  justes  bornes.    .    .      160 
§  V.  Pouvoir  judiciaire  des  évêques,  en  matière  temporelle,  sous  les 

empereurs  chrétiens 162 

98.  Origine  de  la  juridiction  ecclésiastique ,  en  matière  temporelle.       ib. 

99.  Les  évêques  arbitres  des  différends  dès  le  temps  des  persé- 
cutions  163 

100.  Raisons  de  maintenir  cet  usage,  depuis  la  conversion  de 
Constantin ib. 

101.  Raisons  encore  plus  fortes,  pour  exempter  le  clergé  de  la 
juridiction  séculière 164 

102.  Constantin  et  ses  successeurs,  frappés  de  ces  raisons.    .    .      165 

103.  Pouvoir  judiciaire  des  évêques  en  matière  temporelle,  sous 
Constantin 166 

104.  Ce  pouvoir  plus  ou  moins  restreint,  sous  les  successeurs  de 

ce  prince 168 

105.  Ce  pouvoir  beaucoup  plus  étendu  à  l'égard  des  clercs.    .    .      169 

106.  Dispositions  du  Code  Jusiinien,  sur  ce  point 170 

107.  Règlements  de  plusieurs  conciles,  expliqués  d'après  ces  dis* 
positions 171 

108.  Peines  temporelles  infligées  aux  coupables,  par  les  tribu- 
naux ecclésiastiques 173 

109.  Surcroît  d'embarras  occasionné  aux  évêques,  par  cette  ju- 
ridiction temporelle 174 

§  VI.  Influence  du  clergé  dans  l'administration  civile,  sous  les  empe- 
reurs chrétiens 176 

110.  Jusqu'où  s'étendait  cette  influence ,  d'après  le  droit  romain.       ib. 

111.  Attributions  des  évêques  en  général ib. 

112.  Ces  attributions  beaucoup  plus  étendues  en  Occident,  sous 

la  monarchie  des  Lombards 180 

113.  Attributions  des  patriarches,  depuis  la  fin  du  ive  siècle.    .      181 

114.  Usage  que  saint  Cyrille  d'Alexandrie  fait  de  son  pouvoir 
temporel " 183 

115.  Usage  qu'en  fait  Dioscore. ,      185 

116.  Pouvoir  extraordinaire  donné  par  Justinien  au  patriarche 
d'Alexandrie 186 

117.  Pouvoir  temporel  de  saint  Jean  l'Aumônier ib. 

118.  Influence  du  patriarche  de  Constantinople  dans  l'élection 

de  l'empereur.  Serment  exigé  de  l'élu 187 

119.  Raisons  d'exiger  ce  serment 188 

120.  Conséquences  de  ce  serment,  relativement  à  la  déposition 
d'un  empereur  hérétique 189 

121.  Conséquences  remarquables  des   faits  exposés  dans  cette 
Introduction.  .,....,,.   t   t   r  .   ,    t 19J 


TABLE  DES  CHAPITRES.  XXIX 
PREMIÈRE  PARTIE. 

ORIGINE    ET    FONDEMENTS   DE  LA  SOUVERAINETE  TEMPORELLE  DU    SAINT-SIEGE. 

1.  Circonstances   qui  ont  préparé  de  loin  la  souveraineté  tem- 
porelle du  saint-siége 193 

2.  Situation  déplorable  de    l'empire    en    Occident,    depuis   le 

ive  siècle 194 

3.  Puissantes  ressources  pour  l'Italie ,  dans  la  sagesse  et  la  vertu 

des  Papes . 195 

4.  Objet  et  plan  de  cette  première  partie 196 

CHAPITRE  PREMIER. 

Exposition  des  faits  relatifs  au  pouvoir  temporel  des  Papes  en  Italie, 
depuis  la  conversion  de  Constantin  jusqu'à  l'élévation  de  Charle- 

magne  à  l'empire ,    .  197 

5.  Pouvoir  temporel  du  Pape  avant  la  fin  du  ive  siècle ib. 

6.  Donation  prétendue  de  Constantin ib. 

7.  Sa  fausseté  prouvée  par  l'histoire 198 

8.  Accroissement  du  pouvoir  temporel  du  Pape,  sous  Honorius. .  ib. 

9.  Cet  accroissement  autorisé  par  l'empereur  :  doctrine  du  pape 
Gélase  sur  la  distinction  des  deux  puissances 199 

10.  Cette  doctrine  inculquée  par  le  pape  Symmaque 202 

11.  Motifs  de  la  générosité  des  empereurs  envers  le  saint-siége.  .  203 

12.  Ces   motifs  encore   plus  puissants,  sous  la   monarchie  des 
Lombards 204 

13.  Pouvoir  temporel  de  saint  Grégoire  le  Grand 206 

14.  Embarras  et  difficultés  de  sa  position  :  sa  prudence 208 

15.  Ses  principes  et  sa  conduite,  relativement  à  la  soumission 

due  à  l'empereur 209 

1 6.  Ses  exemples  sur  ce  point  imités  par  ses  successeurs 211 

17.  Conduite  imprudente  des  empereurs  à  l'égard  de  l'Italie  et 

du  saint-siége 212 

18.  L'autorité  du  Pape  s'accroît  par  suite  de  cette  imprudence.    .  213 

19.  Révolution  en  Italie,  sous  le  pontificat  de  Grégoire  II ;  ses 
véritables  causes 214 

20.  Le  récit  de  Paul  Diacre,  sur  ce  point,  confirmé   par  celui 
d'Anastase 215 

21.  Conséquences  remarquables  du  récit  de  ces  auteurs 219 

22.  Opposition  de  ce  récit  avec  celui  des  historiens  grecs.  .    .    .  220 

23.  Importance  d'examiner  l'autorité  des  historiens  grecs,  sur  ce 
point 221 

24.  Accord  de  Paul  Diacre  avec  Anastase  le  Bibliothécaire.    .    .  ib. 

25.  Impossibilité  de  concilier    ici  les  historiens  grecs  avec  les 
latins 223 

26.  L'opposition  de  ces  auteurs,  facile  à  expliquer ib. 

27.  Le  récit  des  auteurs  grecs  n'est  pas  ici  d'un  grand  poids.  .    .  224 

28.  Il  est  en   opposition  avec  le  caractère  et  les  principes  de 
Grégoire  II 225 

29.  La  conduite  de  ce  pontife  approuvée  par  les  auteurs  mo- 
dernes les  moins  suspects 228 

30.  Sa  modération  imitée  par  Grégoire  III 229 

31 .  Léon  l'Isaurien  indispose  de  plus  en  plus  l'Italie  par  ses  excès.  230 


XtX  •     TABLE  DES  CHAPITRES. 

Pag. 

32.  Grégoire  III  appelle  Charles  Martel  au  secours  de  l'Italie.  .     230 

33.  Cette  démarche  facile  à  justifier  d'après  les  circonstances.    .      232 

34.  Bonne  intelligence  du  Pape  et  de  l'empereur,  sous  le  ponti- 
fical de  Zacharie .*    *    *    *     ^^ 

35.  Le  pape  Etienne  II   implore  la  protection  de  Pépin  contre 

les  Lombards .•*',•..'*'     ^^ 

36.  Dispositions  favorables  de  Pépin;  sa  première  expédition  en 
Italie.    . •   •     237 

37.  Rome  assiégée  de  nouveau  par  les  Lombards;  lettres  pres- 
santes du  pape  Etienne  II  à  Pépin 240 

38.  Le  langage  du  Pape  dans  ces  lettres,  critiqué  sans  raison  par 
quelques  auteurs  modernes 241 

39.  Seconde  expédition  de  Pépin  en  Italie;  donation  faite  au 
saint-siége  par  Astolphe  et  Pépin .    .      243 

40.  Ces  deux  princes  ne  prétendent  pas  faire  au  saint-siége  une 
pure  donation,  mais  une  restitution 245 

41.  Réclamations  inutiles  de  l'empereur  contre  cet  acte  ....     246 

42.  Le  Pape,  depuis  cette  époque,  se  regarde  comme  souverain 

de  Rome  et  de  l'exarchat 247 

43.  Cette  persuasion  partagée  par  le  sénat  et  le  peuple  romain, 

et  par  le  roi  de  France 249 

44.  Conduite  du  pape  Adrien  1er,  en  conséquence  de  cette  per- 
suasion  250 

45.  La  souveraineté  temporelle  du  saint-siége  étendue  et  conso- 
lidée par  Charlemagne 251 

46.  Éclaircissement  de  quelques  difficultés  sur  ce  sujet  ....     252 

47.  Charlemagne  reçoit  du  pape  Léon  III  la  couronne  impé- 
riale.  .....' 256 

48.  La  conduite  du  Pape,  en  celte  occasion,  facile  à  justifier.    .     258 

49.  Accroissement  de  la  puissance  temporelle  du  saint-siége, 

sous  les  successeurs  de  Charlemagne 260 

CHAPITRE  II. 

Examen  critique  des  principales  questions  agitées  entre  les  auteurs 
modernes,  sur  l'origine  et  les  fondements  de  la  souveraineté  tem- 
porelle du  saint-siége 261 

50.  Questions  à  éclaircir  dans  ce  chapitre ib. 

51.  D'où  viennent  ici  les  difficultés 262 

52.  Plan  de  celte  discussion ib. 

Article  Ier.  —  A  quelle  époque  doit-on  placer  l'origine  de  la  souve- 
raineté temporelle  du  saint-siége? 263 

53.  Sentiment  commun  des  auteurs  étrangers ib. 

54.  Etat  de  la  question  :  trois  sentiments  principaux  à  examiner.  ib. 

55.  Premier  sentiment  :  La  souveraineté  de  l'empereur  d'Orient 
'anéantie  à  Rome  et  dans  l'exarchat  en  754.  ........     265 

56.  Deuxième  sentiment  :  Cette   souveraineté  maintenue  jusqu'à 

la  fin  du  vme  siècle 266 

57.  Troisième   sentiment  :  Cette   souveraineté    anéantie  d'abord 
dans  l'exarchat ,  en  754,  et  plus  lard  dans  le  duché  de  Rome.       ib. 

58.  Importance  de  la  question   présente  :  la  solution  réduite  à 
cinq  propositions :    .    .    .    .     268 

I*.  L'origine  de  la  souveraineté  temporelle  du  saint-siége  ne  peut  être 
placée  avant  le  pontificat  de  Grégoire  IL  .    .    , 269 


TABLE  DES   CHAPITRES.  XXXJ 

Pag, 

59.  Première  proposition  :  La  souveraineté  temporelle  du  saint- 
siège  ne  remonte  pas  au  delà  de  Grégoire  II 269 

11°  Le  pontificat  de  Grégoire  II  doit  être  considéré  comme  la  véritable 
époque  du.  commencement  delà  souveraineté  temporelle  dusaint- 
siége,  dans  le  duché  de  Rome  et  dans  l'exarchat ib. 

60.  Deuxième  proposition  :  Le  pontificat  de  Grégoire  II  est  l'é- 
poque véritable  de  son  commencement ib. 

111°  Avant  la  donation  de  Pépin,  en  754,  quelque  étendu  que  fût  le 

S ouvoir  temporel  des  souverains  Pontifes  dans  le  duché  de  Rome  et 
ans  l'exarchat,  il  ne  parait  pas  qu'ils  aient  prétendu  renoncer, 
d'une  manière  définitive  et  irrévocable,  à  la  domination  de  l'empe- 
reur de  Constantiuople 271 

61.  Troisième  proposition  :  Av ant  la  donation  de  Pépin,  cette 
souveraineté  n'était  que  provisoire ib. 

IV0  Depuis  la  donation  de  Pépin,  en  754,  jusqu'à  l'élévation  de  Char- 
temagne  à  l'empire,  le  Pape  seul  avait  la  souveraineté  proprement 
dite,  soit  dans  l'exarchat,  soit  dans  le  duché  de  Rome 272 

62.  Quatrième  proposition  :  Depuis  la  donation  de  Pépin,  cette 
souveraineté  fut  définitive ib. 

63.  Cette  proposition  établie,  relativement  à  l'exarchat ,  par  la 
donation  de  Pépin ib. 

64.  Confirmation  de  cette  preuve  par  la  conduite  des  Papes.    .    .     273 

65.  Preuves  de  la  quatrième  proposition ,  par  rapport  au  duché 

de  Rome 274 

66.  Le  roi  de  France,  comme  patrice  des  Romains,  n'avait  point 

la  souveraineté  de  Rome 276 

67.  La  souveraineté  du  Pape,  aussi  absolue  dans  le  duché  de 
Rome  que  dans  l'exarchat 278 

68.  Le  sénat  et  le  peuple  romain  n'y  avaient  aucune  part  '.    .    .     279 
Y0  Depuis  l'élévation  de  Charlemagne  à  l'empire,  le  Pape  continua 

de  posséder  seul  la  souveraineté  proprement  dite  dans  le  duché  de 
Rome  (et  à  plus  forte  raison  dans  l'exarchat),  tant  sous  les  empe- 
reurs carlovingiens  que  sous  les  empereurs  allemands 280 

69.  Cinquième  proposition  :  Le  Pape  conserve  la  souveraineté  de 
Rome  et  de  l'exarchat,  depuis  l'élévation  de  Charlemagne  à 
l'empire ib. 

70.  L'indépendance  du  Pape  à  l'égard  de  Charlemagne,  prouvée 

par  le  testament  de  ce.  prince,  en  806 281 

71.  Lettres  de  Léon III,  à  l'appui  de  cette  preuve 282 

72.  La  même  preuve  confirmée  par  un  acte  émané  tout  à  la  fois 

du  Pape  et  de  l'empereur 283 

73.  L'indépendance  du  Pape  à  l'égard  des  successeurs  de  Charle- 
magne prouvée  par  le  diplôme  de  Louis  le  Débonnaire.    .    .    .      284 

74.  Méprise  de  Fleury  et  de  quelques  autres,  au  sujet  de  ce 
diplôme 285 

75.  Authenticité  de  cet  acte 286 

76.  La  preuve  tirée  de  ce  diplôme,  confirmée  par  ceux  d'OthonIeV 

et  de  Henri  II ib. 

77.  L'indépendance  du  Pape  à  l'égard  des  empereurs,  prouvée 

par  le  serment  de  fidélité  que  les  Romains  leur  prêtaient.    .    .      287 

78.  Explication  du  titre  d'empereur  donné  à  Charlemagne  par  le 
pape  Léon  III 289 

79.  Raisons  d'attribuer  à  l'empereur  de  Constantinople  la  sou- 
veraineté de  Rome  et  de  l'exarchat  jusqu'à  la  fin  du  vine  siècle.    29 1 


XXXij  TABLE  DES  CHAPITRES. 

Pag. 

80.  Faiblesse  de  ces  raisons » 292 

81.  Raisons  d'attribuer  cette  souveraineté  au  roi  de  France, 
avant  la  fin  du  vme  siècle 293 

82.  Faiblesse  de  ces  raisons 294 

83.  Raisons  d'attribuer  à  Charlemagne  la  souveraineté  de  Rome, 
depuis  son  élévation  à  l'empire.  Première  raison,  tirée  de 
l'adoration  de  ce  prince,  par  LéonlII 297 

84.  Deuxième  raison,  tirée  du  testament  de  Charlemagne,  en 8 11.     301 

85.  Troisième  raison.  Les  actes  d'autorité  exercés  dans  Rome  par 
Charlemagne  et  ses  successeurs 302 

86.  Quatrième  raison.  Les  monnaies  frappées  dans  Rome,  sous 
Charlemagne  et  ses  successeurs 305 

Article  IL  —  Quels  sont  les  fondements  et  les  titres  primitifs  de  la 

souveraineté  temporelle  du  sainl-siége 307 

87.  État  de  la  question.  Principes  fondamentaux  en  cette  matière.  ib. 

88.  Divers  sentiments  à  examiner 309 

89.  La  question  résolue  par  les  faits  déjà  exposés.  La  solution 
réduite  à  trois  propositions 311 

1°  La  souveraineté  temporelle  du  saint-siége  ne  doit  point  son  origine 
à    l'opinion   théologique   qui   allribue  à    l'Église  ou  au  souverain 

Pontife,   LE  DROIT  DE   DISPOSER   DU  TEMPOREL    DES   PRINCES,  POUR   LE 

I»LUS    GRAND  BIEN  DE  LA    RELIGION 312 

90.  Première  proposition.  La  souveraineté  temporelle  du  saint- 
siége  ne  doit  point  son  origine  à  l'opinion  théologique  du 
droit  divin.  t ib. 

II«  La  souveraineté  temporelle  du  saint-siége  ne  doit  point  son  ori- 
gine à  l'ambition  ou  aux  intrigues  politiques  des  Papes  du  viue  siècle.     313 

91.  Deuxième  proposition.  Elle  ne  doit  point  son  origine  à  l'am- 
bition ou  aux  intrigues  des  Papes  du  viue  siècle ib. 

92.  Difficultés  contre  cette  proposition,  tirées  de  la  réponse  du 
pape  Zacharie  aux  Français 315 

93.  Injustice  des  reproches  faits  à  ce  pontife  :  sa  décision  consi- 
dérée en  elle-même 316 

94.  Son  caractère  et  ses  vertus 317 

95.  Sa  décision  n'était  point  un  acte  de  juridiction  sur  le  tem- 
porel  318 

IIP*  La  souveraineté  temporelle  du  saint-siége  a  été  fondée,  dès  son 

origine,  sur  les  titres  les  plus  légitimes ib. 

96.  Troisième  proposition.  La  souveraineté  temporelle  du  saint- 
siége  fondée  sur  les  titres  les  plus  légitimes ib. 

97.  L'établissement  de  cette  souveraineté,  effet  marqué  de  la 
providence  de  Dieu  sur  l'Église 320 

98.  Sentiment  de  Bossuet  sur  ce  point 321 

99.  Aveux  remarquables  d'écrivains  protestants 322 

100.  Expérience  récente,  à  l'appui  de  ces  observations  :  sages 
remontrances  de  M.  Émery  à  l'empereur  Napoléon   ....     323 

DEUXIÈME  PARTIE. 

POUVOIR    DU    PAPE    SUR    LES    SOUVERAINS,    AU    MOYEN    AGE. 

1.  Idée  générale  de  ce  pouvoir. ,....«.     326 

2.  Divers  systèmes  pour  l'expliquer * 327 


TAULE   DES   CHAPITRES.  XXXllj 

Pa?. 

3.  1°  Systèmes  théologiques  :  leur  variété 327 

4.  Système  du  droit  divin ib. 

5.  Opposition  générale  des  protestants  pour  ce  système.    .    .    .  329 

6.  Opposition  plus  modérée  de  plusieurs  écrivains  catholiques.  330 

7.  2°  Systèmes  historiques,  peu  accrédités  avant  le  xvin*  siècle.  332 

8.  Sentiment  de  Fénelon .    .  333 

9.  Comment  il  explique  la  déposition  de  Childéric,  et  celle  de 
Louis  le  Débonnaire 334 

10.  Maximes  et  usages  du  moyen  âge,  sur  la  déposition  des 
princes ib. 

11.  Pouvoir  directifde  l'Église  et  du  Pape  sur  les  souverains.    .     336 

12.  La  conduite  des  Papes  envers  les  souverains  au  moyen  âge, 
expliquée  par  le  droit  public  de  cette  époque 337 

13.  Le  sentiment  de  Fénelon,  modifié  par  celui  du  comte  de 
Maistre 339 

14.  Comment  le  comte  de  Maistre  établit  le  droit  public  dont  il 
s'agit 341 

15.  Condition  alors  mise,  selon  lui,  à  l'élection  des  souverains.      342 

16.  En  quoi  le  sentiment  du  comte  de  Maistre  diffère  de  celui  de 
Fénelon 343 

17.  Sentiment  de  Michaud  :  la  conduite  des  Papes  envers  les 
souverains,  au  moyen  âge ,  justifiée  par  la  nécessité  des  con- 
jonctures      344 

18.  Plusieurs  écrivains  protestants  favorables  à  ce  sentiment.  Té- 
moignage de  Voigt 346 

19.  Ce  sentiment  admis,  au  fond,  par  Hurler 348 

20.  Plan  de  celle  seconde  partie  :  toute  la  discussion  réduite  à 
quatre  propositions 350 

CHAPITRE  PREMIER. 

Des  principales  circonstances  qui  ont  amené  ou  favorisé  le  pouvoir  ex- 
traordinaire des  Papes  et  des  conciles  sur  les  souverains ,  au  moyen 
âge 352 

21.  Comment  juger  avec  impartialité  nos  ancêtres  et  leurs  in- 
stitutions        ib. 

22.  Le  pouvoir  des  Papes  et  des  conciles,  sur  les  souverains  au 
moyen  âge,  examiné  d'après  cette  règle 353 

Article  Ier.  —  Nature  des  gouvernements  du  moyen  âgo   ....  354 

23.  La  plupart  des  monarchies  ,  alors  électives ib. 

24.  Sentiment  de  M.  Guizot  sur  ce  point 355 

25.  L'autorité  du  souverain  modérée  par  l'assemblée  générale  de 

la  nation 357 

26.  Étroite  union  de  la  religion  et  du  gouvernement,  dans  ces 
monarchies 360 

27.  Union  des  deux  puissances 361 

28.  Cette  union  alors  plus  étroite  que  sous  les  premiers  empereurs 
chrétiens 363 

29.  Influence  du  clergé  dans  les  affaires  publiques,  par  suite  de 
cette  union 364 

30.  L'influence  du  Pape ,  suite  naturelle  des  mêmes  circon- 
stances    365 

31.  Erreurs  de  plusieurs  écrivains  modernes,  sur  ce  point.    .    .     367 

C 


XXXiV  TABLE   DES   CHAP1TBES. 

Article  II.  —  État  de  la  société  au  moyen  âge  :  ressources  que  lui 

offraient  la  religion  et  le  clergé 367 

32.  Tableau  de  la  société,  au  moyen  âge ib. 

33.  Ignorance  et  barbarie  de  cette  époque 368 

34.  Désordres  de  la  société  ,  au  temps  de  Grégoire  VII   ....  369 

35.  Ces  désordres  souvent  fomentés  par  les  exemples  des  princes.  370 

36.  Le  respect  pour  la  religion ,  toujours  subsistant  au  milieu  de 

ces  désordres 372 

37.  Le  clergé  toujours  distingué  par  ses  lumières  et  ses  vertus , 
surtout  dans  les  monastères 373 

38.  Spectacle  édifiant  des  principaux  ordres  monastiques.   ...     375 

39.  Les  désordres  du  moyen  âge,  souvent  exagérés  par  les  au- 
teurs modernes 376 

40.  Ce  fait  important,  reconnu  par  des  auteurs  non  suspects.    .       ib. 

41.  Aveux  remarquables  de  Hallam ,  sur  ce  sujet. ib. 

42.  Services  rendus  à  la  société,  parles  ordres  monastiques  ,  se- 
lon cet  auteur 377 

43.  Aveux  de  M.  Guizot.  Influence  du  clergé  sur  la  civilisation 
européenne 378 

44.  Action  salutaire  de  l'Église ,  pour  l'amélioration  sociale  .    .      380 

45.  Aveux  de  Voltaire.  Utilité  des  ordres  monastiques  ....      382 

46.  Injustes  déclamations  de  certains  auteurs ,  sur  ce  point   .    .      383 

47.  Première  conséquence  des  faits  précédents  :  L'influence  du 
clergé,  dans  l'ordre  temporel,  au  moyen  âge 384 

48.  Deuxième  conséquence  :  Origine  des  seigneuries  ecclésias- 
tiques   385 

49.  Troisième  conséquence  :  L'influence  du  Pape  dans  le  gouver- 
nement des  États 386 

50.  Quatrième  conséquence  :  Droit  de  suzeraineté  du  saint-siége, 

sur  plusieurs  États 387 

51.  L'influence  du  Pape,  plus  fréquente  et  plus  étendue,  à  l'é- 
poque des  croisades . 388 

52.  Exemples  remarquables  de  cette  influence 390 

53.  Nécessité  de  l'influence  du  clergé  dans  l'ordre  temporel ,  au 
moyen  âge ,  reconnue  par  des  auteurs  non  suspects 392 

54.  Témoignage  de  Bossuet. ib. 

55.  Témoignage  de  Bernardi. 394 

56.  Aveux  de  Hurter ib. 

57.  Plusieurs  écrivains  modernes,  peu  d'accord  avec  eux-mêmes, 

sur  ce  point 395 

Article  III.  —  Jurisprudence  du  moyen  âge ,  sur  les  effets  tempo- 
rels de  la  pénitence  publique  et  de  l'excommunication ,  par  rapport 

aux  simples  particuliers. ib. 

58.  Origine  de  celte  jurisprudence ib. 

§  Ie*.  Effets  temporels  de  la  pénitence  publique 397 

59.  Ancienne  discipline  de  l'Église,  sur  la  pénitence  publique.  ib. 

60.  Effets  temporels  de  la  pénitence  publique,  en  Occident,  du    ' 
ive  au  vnre  siècle 398 

61.  Témoignage  remarquable  de  saint  Léon,  sur  ce  point.    .    ,      399 

62.  Canons  de  divers  conciles,  sur  le  même  sujet 400 

63.  Les  effets  dont  il  s'agit,  attachés  à  la  pénitence  publique, 
même  faite  par  pure  dévotion 402 

64.  Cet  usage  autorisé  par  les  deux  puissances  ,  dans  le  royaume 

des  Goths 404 


TABLE   DES   CHAPITRES.  XXXV 

Pag. 

65.  Décadence  de  la  pénitence  publique,  du  vne  au  xne  siècle.     404 

66.  Ses  effets  temporels,  maintenus  en  France  et  ailleurs,    par 
l'autorité  des  deux  puissances 405 

67.  L'usage  de  celte  époque,  manifesté  par  l'histoire  de  Louis  le 
Débonnaire 406 

68.  Cet  usage  tombe  peu  à  peu  en  désuétude ,  depuis  le  ixe 
siècle , 407 

69.  Cet  usage  n'était  pas  fondé  sur  le  droit  divin,  ni  sur  la  seule 
autorité  de  l'Église 408 

§  II.  Effets  temporels  de  l'excommunication 410 

70.  Effets  temporels  de  l'excommunication  ,    dès  l'origine   du 
christianisme ib. 

71.  Pourquoi  les  censures  ecclésiastiques  devinrent  dans  la  suite 

si  fréquentes,  et  leurs  effets  temporels  si  étendus 412 

72.  Exemples  remarquables,  sur  ce  point,  en  France,  depuis  le 

vie  siècle .    .     413 

73.  Le  même  usage  s'établit  insensiblement  dans  les  autres  États 

de  l'Europe 414 

74.  Concours  des  souverains,  dans  l'établissement  de  cette  dis- 
cipline  415 

75.  Rigueur  de  cette  discipline,  avant  Grégoire  VII.    ....     416 

76.  Cette  rigueur  tempérée  par  Grégoire  VII 417 

77.  La  privation  de  toute  dignité,  même  temporelle,  attachée  à 
l'excommunication 418 

78.  Cette  discipline  longtemps  autorisée  par  le  droit  commun  de 
l'Europe.  Droit  germanique ib. 

79.  Lois  anglaises 419 

80.  L'ancien  usage  de  la  France,  conforme,  sur  ce  point,  à  ce- 
lui des  autres  États s>     420 

81.  Cette  législation  en  vigueur  sous  le  règne  de  saint  Louis.    .     421 

82.  Circonstances   favorables  à  l'établissement   de  cette   disci- 
pline    422 

CHAPITRE  II. 

Persuasion  générale  des  princes  et  des  peuples ,  sur  la  réalité  du  pou- 
voir que  les  Papes  et  les  conciles  du  moyen  âge  se  sont  attribué  à 
l'égard  des  souverains 423 

83.  Cette  persuasion  générale  est  un  fait  incontestable.    .    .    .       ib. 

84.  Preuves  de  ce  fait.  Plan  de  ce  chapitre.    ........       ib. 

Article  Ier.  —  Preuves  de  cette  persuasion ,  par  rapport  aux  sou- 
verains catholiques  de  l'Europe  en  général 424 

85.  La  déposition  encourue  par  les  princes  hérétiques,  d'après 

la  persuasion  générale. ib. 

86.  Cette  persuasion  établie  en  France,  sous  le  règne  de  saint 
Louis _ 425 

87.  Conciles  généraux  et  particuliers,  à  l'appui  de  cette  per- 
suasion  426 

88.  Décrets  du  troisième  concile  général  de  Latran ib. 

89.  Décrets  du  quatrième  concile  général  de  Latran 428 

90.  Concours  des  deux  puissances,  dans  la  publication  de  ces 
décrets. , 430 

91.  Confirmation  de  ces  décrets  par  les  ordonnances  des  princes, 

et  par  divers  conciles  ou  assemblées  mixtes 431 

C. 


XXXVJ  TABLE   DES  CHAPITRES. 

Pag. 

92.  Persuasion  générale,  sur  les  effets  temporels  de  l'excommu- 
nication, par  rapport  aux  princes 432 

93.  Cette    persuasion    prouvée    par    l'histoire    de    l'empereur 
Henri  IV.  Caractère  et  excès  de  ce  prince   ........  433 

94.  Il  est  menacé  d'excommunication  par  le  Pape  :  sa  réponse 
insultante  à  cette  menace 435 

95.  Il  est  excommunié  et  déposé  par  le  Pape  :  légitimité  de  cette 
sentence 436 

96.  Résultats  de  cette  sentence 437 

97.  L'empereur  sollicite  et  obtient  son  absolution  :  ses  nouveaux 
excès 439 

98.  Conséquence  de  tous  ces  faits,  relativement  à  la  persuasion 
générale  dont  il  s'agit 441 

99.  Faiblesse  des  difficultés  contre  le  fait  de  cette  persuasion.    .  442 

100.  La  sentence  du  Pape  méprisée  par  les  partisans  de  Henri.  443 

101.  Étonnement  causé  dans  le  monde  par  cette  sentence     .    .  444 

102.  Effets  temporels  de  l'excommunication ,  par  rapport  aux 
princes,  reconnus  en  Angleterre,  au  xne  siècle 445 

103.  Démêlés  de  Henri  II  avec  saint  Thomas  de  Cantorbéry.    .  448 

104.  Jugement  de  Bossuet  sur  cette  discussion 449 

105.  La  persuasion  dont  il  s'agit ,  établie  par  cette  discussion.    .  ib. 

106.  La  même  persuasion,  établie  par  l'histoire  de  Richard  Ier.  451 

107.  Preuve  de  cette  persuasion  en  France,  sous  la  deuxième 

race  de  nos  rois 452 

108.  Preuve  de  cette  persuasion  sous  la  troisième  race  :  Phi- 
lippe Ier  menacé  d'excommunication  par  Grégoire  VII.    .    .    .  453 

109.  Ce  prince  est  excommunié  par  le  pape  Urbain  II   ...    .  455 

110.  Effets   de  cette  excommunication,   selon   les    auteurs   du 
temps 456 

111.  Ces  effets  reconnus  par  Ivcs  de  Chartres.    .......  457 

112.  Faiblesse  des  difficultés  contre  ce  témoignage.    .....  458 

113.  Permanence  de  la  persuasion  dont  il  s'agit,  depuis  le  règne 

de  Philippe  1er *.    •    ■    •  459 

114.  Difficulté  contre  cette  persuasion  ,  tirée  de  la  conduite  de 
quelques  souverains 460 

115.  Cette  difficulté  résolue  par  quelques  observations  géné- 
rales  •  ib. 

116.  Réponse  à  l'exemple  de  Philippe  Ier «  462 

117.  Réponse  à  l'exemple  de  Frédéric  Barberousse.    ......  463 

118.  La  persuasion  générale  dont  il  s'agit,  reconnue  par  Bos- 
suet   465 

119.  Aveux  de  Fleury,  sur  le  même  sujet   ....    v   ...    .  466 

120.  Sentiment  du  docteur  Lingard 468 

121.  Sentiment  de  Michaud 469 

122.  Sentiment  de  Ferrand , ib. 

123.  Aveux  remarquables  d'auteurs  protestants 470 

124.  Leibniz ib. 

125.  Pfeffel 472 

126.  Aveux  de  Voltaire ib. 

Article  IL  —  Preuves  particulières  de  cette  persuasion,  par  rapport 

à  la  France 473 

127.  Témoignage  remarquable  de  saint  Grégoire,  sur  ce  sujet.  ib. 

128.  Authenticité  de  ce  témoignage 474 

129.  Diverses  explications,  proposées  par  les  critiques  ....  ib. 


TABLE   DES   CHAPITRES.  XXXVlj 

l'a  g  • 

130.  La  difficulté  levée,  par  le  consentement  des  princes  français 

au  décret  de  saint  Grégoire 475 

131.  Le   monarque  généralement  regardé  comme  justiciable  du 
concile,  sous  la  deuxième  race  de  nos  rois 476 

132.  Ce  fait  expressément  reconnu  par  nos  plvjs  célèbres  histo- 
riens     .    i 478 

133.  Comment  ils  essayent  d'en  éluder  les  conséquences.   .    .    .  479 

134.  La  persuasion  dont  il  s'agit  n'était  pas  une  erreur   ....  480 

1 35.  Elle  n'avait  pas  été  introduite  par  la  politique  de  Pépin  et 

de  ses  successeurs 481 

Article  III.  —  Preuves  particulières  de  cette  persuasion  ,  par  rap- 
port aux  souverains  feudalaires  du  saint-siége 482 

136.  Droits  de  suzeraineté  attribués    au   Pape   sur    plusieurs 
Étals ib. 

137.  Sur  l'Angleterre ib. 

138.  Sur  la  Sicile ib. 

139.  Sur  le  royaume  d'Aragon 483 

140.  Sur  la  république  de  Venise,  etc ib. 

Article  IV.  —  Preuves  particulières  de  cette  persuasion,  par  rapport 

à  l'empire  d'Occident.    . 484 

141.  Opinion  générale,  sur  la  dépendance  particulière  de  l'em- 
pire ,  à  l'égard  du  Pape ib. 

142.  En  quel  sens  l'empire  était  regardé  comme  fief  du  saint- 
siége ib. 

143.  La  dépendance  de  l'empire  à  l'égard  du  Pape,  reconnue 

par  les  seigneurs  allemands ,  sous  Grégoire  VII 485 

144.  Divers  témoignages  ,  à  l'appui  de  cette  persuasion  ....  486 

145.  Sentiment  de  Gervais  de  Tilbury 487 

146.  Sentiment  de  Ludolphe,  évoque  de  Bamberg 489 

147.  La  même  persuasion,  longtemps  établie  en  France.   .    .    .  490 

148.  Cette  persuasion  partagée  par  les  souverains 491 

149.  La  même  persuasion  établie  par  le  premier  concile  général 

de  Lyon 492 

150.  Cette  persuasion  partagée  par  les  empereurs  eux-mêmes.  494 

151.  Preuves  de  cette  persuasion,  sous  les  empereurs  earlovin- 
giens ib. 

152.  Preuves   de   cette    persuasion,  sous   les   empereurs   alle- 
mands  # 495 

153.  Élection  de  Rodolphe,  en  1077 496 

154.  Élection  d'Othon  IV,  en  1201 '  ib. 

155.  Déposition  d'Othon  IV  en  121 1  ,  et  de  Louis  de  Bavière  en 
1346 498 

156.  Serment  de  fidélité  prêté  au  Pape  par  les  empereurs.    .    .  499 

157.  Formule  de  ce  serment  au  ixe  siècle 500 

158.  Serment  prêté  par  Othon  Ier,  en  960 501 

159.  Serment  de  l'empereur  Henri  II,  en  1014 502 

160.  Formule  de  serment  dressée  par  Grégoire  VII ib. 

161.  Discussion  à  ce  sujet,  entre  Frédéric  Ier  et  Adrien  IV.    .  503 

162.  Discussion  sur  le  même  sujet,  entre  l'empereur  Henri  VII 

et  le  pape  Clément  V 505 

163.  Aveux  des  empereurs  Henri  IV  et  Frédéric  II  sur  le  droit 
qu'avait  le  Pape  de  les  déposer 507 

164.  Variations  de  Frédéric    II  et  de  quelqnes  autres,  sur  ce 
point 508 


XXXViij  TABLE  DES   CHAPITBES. 

Pag. 

165.  Première  conséquence  des  faits  précédents  :  La  persuasion 
dont  il  s'agit ,  n'a  pas  été  introduite  par  Grégoire  VII.    .    .    .      509 

166.  Deuxième  conséquence  :  Les  Papes  et  les  conciles  du  moyen 

âge  ne  peuvent  être  ici  accusés  d'une  usurpation  criminelle .    .      510 

167.  Troisième  conséquence  ;  On  ne  peut  les  accuser  non  plus 
d'une  erreur  grossière ib. 

CHAPITRE  III. 

Fondements  du  pouvoir  exercé  par  les  Papes  et  les  conciles  sur  les  sou- 
verains, au  moyen  âge . 512 

168.  Cette  question,  peu  examinée  avant  le  xne  siècle ib. 

169.  Deux  opinions  principales ,  sur  ce  point,  au- xne  siècle ,    .       ib. 

170.  Distinction  au  pouvoir  de  juridiction  et  du  pouvoir  directif .     513 

171.  La  question  présente  regarde  uniquement  le  pouvoir  de  ju- 
ridiction, en  tant  que  fondé  sur  le  droit  divin.    ......        ib. 

172.  Sentiment  de  Bossuet,  sur  le  pouvoir  directif. 514 

173.  L'opinion  qui  donne  pour  fondement  au  pouvoir  des  Pa- 
pes sur  les  souverains,  la  donation  de  Constantin  ,  justement 
abandonnée 516 

174.  L'opinion  qui  donne  pour  fondement  à  ce  pouvoir  le  sys- 
tème théologique  du  droit  divin  ,  aujourd'hui  la  plus  commune.     517 

175.  La  discussion  présente  réduite  à  deux  propositions.    .    .    .      518 
Article  Ier.  —  Examen  historique  du  système  qui  donne  pour  fonde- 
ment au   pouvoir  exercé  par  les  Papes  et  les  conciles  sur  les  sou- 
verains, au  moyen  âge,  l'opinion  théologique  du   droit  divin.    .    .        ib. 

176.  Opposition  de  ce  système  avec  l'histoire ib. 

§  Ier.  Recherches  historiques ,  sur  l'origine  de  l'opinion  théologique 

du  droit  divin 520 

177.  L'opinion  théologique  du  droit  divin,  à  peine  connue  sous 
Grégoire  VII,  et  même  longtemps  après ib. 

178.  La  doctrine  de  l'antiquité,  sur  la  distinction  des  deux  puis- 
sances, proclamée  dans  les  capitulaires 521 

179.  Cette  doctrine  professée  par  le  saint-siége  aux  vme  et  ixe 
siècles 523 

180.  La  même  doctrine  alors  professée  en  Angleterre  et  en  Es- 
pagne        ib. 

181.  Cette  doctrine  généralement  reconnue  sous  Grégoire  VII. 
Témoignage  de  saint  Pierre  Damien 524 

182.  Indices  prétendus  de  l'opinion  théologique  du  droit  divin, 
avant  Grégoire  VII .     526 

183.  Examen  des  faits  allégués.  1°  Mélange  du  spirituel  et  du 
temporel,  dans  les  actes  de  la  législation 527 

184.  2°  Entreprises  réciproques  des  deux  puissances 529 

185.  3°  Réponse  du  pape  Zacharie  aux  Français,  sur  la  dépo- 
sition de  Childéric  III " 530 

186.  4°  Les  titres  de  consul,  de  patrice  et  ai  empereur ,  donnés 

aux  rois  de  France  par  les  Papes  du  vme  siècle. 531 

187.  5°  Le  roi  regardé  comme  justiciable  du  concile  en  France  , 

au  ixe   siècle ib. 

188.  Conséquence  de  ces  explications ,    .     532 

189.  L'opinion  théologique  du  droit  divin,  à  peine  connue  avant 

le  xir9^  siècle ....     533 

190.  Le  langage  de  Grégoire  VII  ne  suppose  pa.s  cette  opinion.     534 


TABLE  DES  CHAPITRES.  XXXix 

Pag\ 

191.  Explication  des  deux  sentences  de  déposition,  portées  con- 
tre l'empereur  Henri  IV 535 

192.  Explication  des  lettres  à  Herman,  évêque  de  Metz.    .    .    .      538 

193.  Ces  explications  confirmées  par  le  sentiment  commun  des 
auteurs  contemporains , 540 

194.  Doctrine  du  B.  Ives  de  Chartres ib. 

195.  Doctrine  de   Gratien.     . „   .     542 

196.  Doctrine  de  Hugues  de   Saint- Victor 544 

197.  Doctrine  de  saint  Bernard.  En  quel  sens  il  emploie  ¥  allégo- 
rie des  deux  glaives: .     547 

198.  En  quel  sens  il  attribue  au  Pape  le  droit  de  disposer  des 
royaumes  et  des  empires 549 

199.  Divers  sens  de  Y  allégorie  des  deux  glaives,  dans  les  au- 
teurs de  cette  époque. 550 

200.  En  quel  sens  elle  est  employée  par  Geoffroy  de  Vendôme.     551 

201.  En  quel  sens  par  Hildebert,  évêque  du  Mans,  et  la  plu- 
part des   anciens  auteurs 552 

§  II.  Examen  des  principaux  actes  et  décrets  des  conciles  et  des  sou- 
verains Pontifes,  qu'on  allègue  en  faveur  de  l'opinion  théologique 
du   droit  divin 553 

202.  Cet  examen ,  quoique  très-utile  à  notre  but,  ne  lui  est  pas 
essentiel <• ib. 

203.  Donation  prétendue  de  l'Irlande,  faite  au  roi  d'Angleterre, 

par  Adrien  IV .     554 

204.  Décrets  des  111e  et  ive  conciles  de  Latran,  en  matières  tempo- 
relles, autorisés  par  les  princes. 556 

205.  Doctrine  d'Innocent  III.  En  quel  sens  il  soutient  la  préémi- 
nence du  pouvoir  spirituel  sur  le  temporel 557 

206.  En  quel  sens  il  emploie  l'allégorie  des  deux  grands  lumi- 
naires  , 559 

207.  Il  s'établit  arbitre  de  la  paix,  entre  Philippe- Auguste  et 
Jean  sans  Terre 561 

208.  Raisons  de  cette  conduite.    Comment  le  Pape  lui-même  se 
justifie 562 

209.  Injustice  des  reproches  qu'on  lui  a  faits  sur  ce  sujet.    .    .    .     563 

210.  Sages  remontrances  du  Pape  à  Philippe-Auguste 564 

211.  La  conduite  d'Innocent  III,  en  cette  occasion,  justifiée  par 

M.  Hurter 566 

212.  Déposition  de  l'empereur  Frédéric  II,  dans  le  premier  con- 
cile général  de  Lyon ib. 

213.  La  sentence  du  pape  Innocent  IV  contre  l'empereur,  expli- 
quée d'après  les  mêmes  principes  que  celle  de  Grégoire  VII.     567 

214.  Pourquoi  elle  ne  fait  pas  mention  des  lois  de  l'empire.   .    .     568 

215.  Examen  de  la  bulle  de  Boniface  VIII,  Unam  sanctam.  .    .     569 

216.  Les  plus  fortes  expressions  de  cette  bulle,  empruntées  à 
saint  Bernard,  et  à  Hugues  de  Saint-Victor 571 

217.  Conclusion  remarquable  de  cette  bulle 572 

218.  Explication  \ modérée   de    ce    décret,    donnée  par  Boni- 
face  VIII  lui-même 573 

219.  Sa  doctrine  ne  favorise  aucunement  le  système  théologique 

du  droit  divin 574 

220.  Pourquoi  elle  a  été  d'abord  enlendue  dans  un  sens  favora- 
ble à  ce  système 575 


Xl  TABLE  DES   CHAPITRES. 

221.  Décrets  du  saint-siége  pour  le  partage  des  pays  nouvelle- 
ment découverts 570 

222.  Examen  de  la  bulle  d'Alexandre  VI,   Inter  cœtera.    .    .      578 

223.  Injustice  des  reproches  faits  au  saint-siége ,  à  l'occasion  de 

ces  sortes  de  décrets 580 

224.  Décrets  des  conciles  de  Constance  et  de  Bâle,  en  matière 

>  temporelle ,  autorisés  par  les  princes.    .    .    „ .    .       ib. 

225.  Semblable  décret  du  concile  de  Trente 582 

226.  Décrets  du  saint-siége,  contre  les  rois  d'Angleterre  au  xvie 
siècle.  Principe  général  pour  l'explication  de  ces  décrets.    .    .     583 

227.  Bulle  d'excommunication  et  de  déposition,  lancée  par  le 
pape  Paul  III  contre  Henri  VIII* 584 

228.  Ce  décret  ne  suppose  aucunement  l'opinion  théologique  du 
droit  divin 585 

229.  La  bulle  de  Pie  V  contre  Elisabeth  ,  expliquée  d'après  les 
mêmes  principes 587 

230.  Serments  de  suprématie  et  d'allégeance,  exigés  des  catho- 
liques anglais,  à  cette  époque 588 

231.  Bref  de  Paul  V  contre  le  serment  d'allégeance 590 

232.  Ces  brefs  ne  favorisent  aucunement  l'opinion  théologique 

du  droit  divin 591 

233.  Le  serment  d'allégeance,  condamnable  indépendamment 
de  cette  opinion  :  1°  comme  renouvelant  le  serment  de  supré- 
matie.   .    .     .    • 592 

234.  2°   Comme  notant  d'hérésie  une  doctrine  non  condamnée 

par  l'Église ib. 

235.  3°  Comme  renversant  la  règle  de  foi  établie  par  Jésus- 
Christ -.    .    .    .     593 

236.  L'opinion  théologique  du  droit  divin,  toujours  libre  en 
Angleterre  comme  ailleurs.    .    . 594 

237.  Bulle  de  Sixte  V  contre  le  roi  de  Navarre  (Henri  IV)  et  le 
prince  de  Condé ib. 

238.  Cette  bulle  expliquée  d'après  les  mêmes  principes  que  celles 

de  Paul  III  et  de  Pie  V 596 

239.  Celte  explication  tout  à  fait  indépendante  de  l'opinion  des 
Papes,  comme  docteurs  particuliers 597 

240.  Conclusion  de  cet  examen.   1°  Aucun  décret  des  Papes  ni 

des  conciles  ,  n'autorise  le  système  théologique  du  droit  divin.     598 

241.  2°  Jamais  ce  système  n'a  été  érigé  en  dogme  de  foi.    .    .       ib. 
Article  II. — Véritable  fondement  du  pouvoir  dont  il  s'agit:  le  droit 

public  du  moyen  âge 599 

242.  Notions  du  droit  public  et  du  droit  privé ib. 

243.  Comment  l'un  et  l'autre  se  connaissent 600 

244.  Le  pouvoir  du  Pape  et  du  concile  sur  les  souverains,  au 
moyen  âge,  fondé  sur  le  droit  public  du  temps 601 

§  Ier.  Preuves  tirées  de  la  constitution  commune  à  tous  les  États  ca- 
tholiques de  l'Europe,  au  moyen  âge 602 

245.  Deux  faits  importants  à  remarquer,  sur  ce  sujet.    ....       ib. 

246.  Conséquences  naturelles  de  ces  faits,  relativement  à  la 
question  présente 603 

§  II.  Preuves  tirées  de  la  constitution  particulière  de  certains  Étals.     605 

247.  Conditions  mises    à    l'élection   des    rois    d'Espagne,    au 

vne  siècle ib. 

248.  Légitimité  de  ces  conditions 606 


TABLE  DES  CHAPITRES.  xlj 

Pag. 

249.  Permanence  dccet  ancien  droit  public  en  Espagne,  dans  la 
suite  du  moyen  âge 606 

250.  Le  roi  rebelle  envers  Dieu  et  envers  l'Église,  privé  de  son 

titre  de  roi ,  d'après  une  loi  de  saint  Edouard 607 

251.  Autbenticilé  de  cette  loi;  son  véritable  sens 609 

252.  Plusieurs  souverains  se  déclarent  feudataires  du  saint-siége , 
depuis  le  xe  siècle ib. 

253.  Serment  de  fidélité  prêté  au  Pape,  par  Robert  Guiscard, 

en  1059 610 

254.  Droits  de  suzeraineté  du  saint-siége,  soit  avant,  soit  depuis 
Grégoire  VII 612 

255.  Conséquences  remarquables  de  ces  droits 613 

256.  Le  roi  de  France  et  quelques  autres  souverains,  exempts 

de  toute  dépendance  féodale ib. 

251 '.  Les  droits  du  saint-siége  sur  l'empire  d'Occident  établis  par 
les  faits 614 

258.  Premier  fait  :  Charlemagne  ne  dut  son  titre  d'empereur  qu'à 
l'élection  du  Pape 615 

259.  Deuxième  fait  :  Le  Pape  ne  renonça  point  alors,  pour  l'a- 
venir, à  son  droit  d'élecliou 616 

260.  Troisième  fait  :  Il  a  conservé  ce  droit  longtemps  après 
Charlemagne 618 

261.  Exercice  de  ce  droit,  sous  les  empereurs  carlovingiens.    .    .      619 

262.  Ce  droit  alors  généralement  reconnu,  même  par  les  sou- 
verains  620 

263.  Comment  ce  droit  se  concilie  avec  la  conduite  des  empe- 
reurs qui  ont  associé  leurs  fils  à  l'empire 622 

264.  L'empire  transféré  des  Français  aux  Allemands,  par  l'auto- 
rité du  Pape 623 

265.  Influence  du  Pape  dans  l'élection  de  l'empereur,  depuis 
cette  époque 624 

266.  Conséquence  de  ce  mode  d'élection 625 

267.  Quatrième  fait  :  Les  droits  du  Pape  sur  l'empire,  établis 

par  l'ancien  droit  germanique 626 

268.  Subordination  de  la  puissance  temporelle  envers  la  spiri- 
tuelle, selon  ce  droit ib. 

269.  Dispositions  de  ce  droit,  sur  l'élection  de  l'empereur.  .    .  628 

270.  Trois  cas  déterminés  par  ce  droit,  où  l'empereur  peut  être 
excommunié  par  le  Pape ib. 

Ili.  Conséquences  de  cette  excommunication,  d'après  les  an- 
ciennes lois  de  l'empire 629 

272.  La  peine  de  déposition  prononcée  par  les  mêmes  lois, 
contre  les  princes  hérétiques 630 

273.  Conséquences  de  ces  dispositions 631 

§  III.  Examen  des  principales  difficultés  qu'on  peut  opposer  à  notre 

sentiment ib. 

274.  Première  difficulté  :  Le  pouvoir  divin  de  lier  et  de  délier, 
invoqué  par  les  Papes,  à  l'appui  de  leurs  sentences  de  dé- 
position        ib. 

275.  Deuxième  difficulté  :  Opposition  prétendue  entre  l'esprit  de 
l'Évangile  et  le  pouvoir  temporel  du  Pape,  au  moyen  âge.    .    .     633 

276.  Le  pouvoir  temporel  n'est  pas  incompatible,  par  sa  nature, 
avec  le  spirituel ib. 


Xlij  TABLE   DES   CHAriTRES. 

Pag. 

277.  Cette  incompatibilité  n'a  pas  été  établie  dans  la  loi  nou- 
velle, par  Jésus-Christ. 634 

278.  Croyance  et  pratique  constante  de  l'Église,  sur  ce  point.    .  635 

279.  Cette  pratique  et  cette  croyance  justifiées  par  la  raison.  .    .  636 

280.  Conséquences  inadmissibles  de  l'opinion  conlraire .    .    .    .  637 
§  IV.  Confirmation  de  notre  sentiment,  par  de  graves  autorités,    et 

par  la  constitution  de  plusieurs  Étais  modernes 638 

281.  Aveux  remarquables  de  Bossuet ib. 

282.  Correctifs    nécessaires    à  la    Défense    de   la   Déclaration, 
d'après   ces  aveux 640 

283.  Sentiment  de  l'ancienne  faculté  de  Louvain. 641 

284.  Disposition  générale   de  nos  jours,  à  embrasser  cette  ex- 
plication   643 

285.  Preuves  de  cette  disposition,  même  parmi  les  protestants: 
témoignages  de  Leibniz  et  d'Eichorn. 644 

286.  Importance  de  ces  aveux 646 

287.  Le  droit  public  dont  nous  parlons,  maintenu  par  la  consti- 
tution de  plusieurs  États  modernes. 647 

288.  Preuves  de  ce  point,  relativement  à  l'empire  d'Allemagne.  ib. 

289.  Royaume  d'Angleterre 649 

290.  Espagne  et  Sicile 650 

291.  Pologne 652 

292.  Royaume  de  France  :  but    et   motif  de    la  Ligue,  sous 
Henri  III ib. 

293.  Manifeste  de  la  Ligue ' 653 

294.  Résultats  de  cet  acte.    . 654 

295.  Conversion  de  Henri  IV  :  édit  de  Nantes,  et  sa  révocation.  ib. 

296.  Vestiges  de  l'ancien  droit  public  du  moyen  âge,   dans  plu- 
sieurs États  protestants ,  particulièrement  en  Angleterre .    .    .  655 

297.  Suède  et  Norwége 656 

298.  Différence  entre  le  droit  moderne  de  ces  États,  et. celui  du 
moyen  âge 657 

CHAPITRE  IV. 

Résultats  du  pouvoir   exercé  par  les  Papes  et   les   conciles    sur  les 

souverains ,  au  moyen  âge 659 

299.  Objet  et  plan  de  ce  chapitre ib. 

Article  Ier. — Inconvénients  prétendus  de  ce  pouvoir 660 

300.  Trois  principaux  inconvénients  qu'on  lui  attribue.    .    .    .  ib. 
§  Ier.  De  l'ambition  et  des  prétentions  excessives  qu'on  a  reprochées 

aux  Papes  du  moyen  âge ib. 

301.  Injustice  de  ce  reproche ib. 

302.  Modération  des  Papes,  considérés  comme  souverains .    .    .  ib. 

303.  Leur  modération,  comme  arbitres  des  princes ,  et  seigneurs 
suzerains 661 

304.  Objet  et  but  de  leur  politique 662 

305.  Combien  elle  était  irréprochable 663 

306.  Combien  elle  est  digne  d'éloges ib. 

307.  Vaines  déclamations,  sur  ce  sujet 664 

§  II.  Sur  l'avilissement  prétendu  de  la  souveraineté ,  dans  l'esprit  des 

peuples..    .    . 666 

308.  Préjugés  répandus  sur  ce  point ib. 


TABLE   DES  CHAPITRES.  xliij 

Pag. 

309.  La  théorie  politique  du   moyen  âge,  comparée  avec  les 
théories  modernes 666 

310.  Système  de  la  souveraineté  du  peuple 667 

311.  Graves  inconvénients  de  ce  système 668 

312.  Toutes  les    théories    modernes,    inutiles    ou  pleines   de 
dangers. 670 

313.  La  théorie  du  moyen  âge,  beaucoup  plus  raisonnable.    .  671 

314.  Elle  ne  convient  pas  à  tous  les  temps,  ni  à  tous  les  États 

de  la  société 672 

315.  Applications  que  les  Papes  en  ont  faite 673 

316.  Caractère  des  princes  déposés 674 

317.  Caractère  de  l'empereur  Henri  IV ib. 

318.  Comment  Grégoire  VII  se  justifie  sur  ce  point 675 

319.  Les  successeurs  de  Grégoire  VII,  également  faciles  à  justi- 
fier   676 

§  III.  Sur  les  prétendues  guerres  produites  par  le  choc   des  deux 

puissances 677 

320.  Exagérations  visibles,  sur  ce  sujet ib. 

321.  Véritables  causes  de  la  lutte  des  deux  puissances.    .    -    .  678 

322.  Excès  de  Henri  IV;  modération  de  Grégoire  VII.    .    .    .  ib. 

323.  Henri  IV,  véritable  cause  de  la  guerre 679 

324.  Excès   non   moins  visibles  des  empereurs  déposés  depuis 
Henri  IV 680 

325.  Origine  purement  politique  des  factions  des  Guelfes  et  des 
Gibelins .    . 681 

326.  La  guerre  n'était   pas  proprement  entre   les  deux   puis- 
sances, mais  entre  l'Allemagne  et  l'Italie 682 

327.  Exagérations  sur  la  durée  de  celte  guerre  :  sa  prétendue 
universalité ib. 

Article  IL  —  Avantages  réels  de  ce  pouvoir 683 

328.  Ces  avantages  réduits  à  trois  principaux ib. 

§  Ier.  Avantages  de  ce  pouvoir  four  le  maintien  de  la  religion.  684 

329.  Notions  fondamentales  sur  les  investitures ib. 

330.  Origine  de  la  querelle  des  investitures 685 

331.  La  cérémonie  de  V investiture,  différente  de  celles  del 'hom- 
mage,  et  du  serment  de  fidélité ib. 

332.  Objet  de  la  contestation  sur  les  investitures  ;  importance  de 
cette  question 686 

333.  Cette  importance,  reconnue  par  des  écrivains  protestants.  688 
§11.  Avantages  de  ce  pouvoir,  pour  le  maintien  des  mœurs ib. 

334.  Ce  pouvoir  principalement  employé  pour  réprimer  la  li- 
cence des  princes ib. 

335.  Aveux  de  M.  Hurter,  sur  ce  point •    .    .    .    .  690 

§  III.  Avantages  de  ce  pouvoir,  pour  le  maintien  de  la  tranquillité 

publique 691 

336.  Ces   avantages  reconnus    par  des   auteurs  non    suspects  : 
aveux  de  Voltaire ib. 

337.  Aveux  de  M.  Ferrand 692 

338.  Aveux  d'auteurs  protestants  ;  M.  Ancillon ib. 

339.  M.  Coquerel 693 

340.  Les  inconvénients  du  pouvoir  dont  il   s'agit,    bien    com- 
pensés par  ses  avantages ib. 

341.  Services  rendus  à  la  société  par  les  Papes.    ..*...  694 


Xliv  TABLE   DES  CUANTUES. 

Pag. 
CONCLUSION    ET   RESUME    DE    LA.    SECONDE    TARTIE. 

342.  Injustice  des  déclamations  contre  les  Papes  et  les  conciles 

du  moyen  âge •      695 

343.  Pourquoi  ces  déclamations  ont  été  si  facilement  adoptées 

par  des  écrivains  catholiques 696 

PIÈCES  JUSTIFICATIVES. 

I.— Sur  la  conduite  de  Constantin,  et  des  empereurs  sesfds,  à 
l'égard  de  l'idolâtrie 699 

II,  — Sur  la  valeur  des  offrandes  faites,  par  Constantin,  aux  princi- 
pales églises  de  Rome  et  des  environs 705 

III. — Sur  les  8,000  livres  d'or  trouvées,  par  saint  Jean  l'Aumônier, 
dans  le  trésor  de  son  église 708 

IV. — Sur  la  valeur  des  trois  talents  et  demi  d'or  de  revenu  annuel, 
enlevés  à  l'Église  romaine  par  Léon  l'Isaurien 711 

V. — Sur  la  Donation  de  Constantin  à  l'Église  romaine 713 

Première  question. —  La  Donation  de  Constantin  est-elle  authen- 
tique?  715 

Seconde  question.  —  A  quelle  époque,  et  par  qui  la  Donation  de 
Constantin  a-t-elle  été  fabriquée? , 717 

Troisième  question.  —  D'où  vient  que  la  Donation  de  Constantin  a 
joui,  pendant  plusieurs  siècles,  d'un  si   grand  crédit? 722 

VI.  — Sur  quelques  circonstances  du  sacre  de  Charlemagne  ,  en  S00.      723 

VIL  —  Sur  l'élévatioif  de  Pépin  au  trône  de  France  ,  et  sur  l'usurpa- 
tion communément  reprochée  à  ce  prince ^  .    .    .    .      726 

Première  question 727 

Seconde  question 729 

VIII.  —  Origine,  progrès,  et  vicissitudes  de  l'opinion  qui  attribue  à 
l'Église  et  au  souverain  Pontife  un  pouvoir  de  juridiction  direct  ou 
indirect  sur  les  choses  temporelles,  en  vertu  de  l'institution  divine.      738 

IX.  —  Ouvrages  à  consulter,  sur  les  controverses  relatives  aux  droits 
d'Elisabeth  à  la  couronne  d'Angleterre,  et  du  roi  de  Navarre  (de- 
puis Henri  IV)  à  la  couronne  de  France.   .    .    .    * 752 


FIN  DE  LA  TABLE  DES  CHAPITRES. 


INTRODUCTION. 

Des  Honneurs  et  des  Prérogatives  temporelles  accordés  à 
la  Religion  et  à  ses  Ministres  chez  les  peuples  anciens, 
particulièrement  sous  les  premiers  Empereurs  chrétiens. 


t. 

Plan  de   cette 


L'objet  de  cette  Introduction,  et  Tordre  des  faits  que  nous 
devons  y  exposer,  nous  invitent  naturellement  à  la  diviser  introduction. 
en  deux  articles ,  dont  le  premier  contiendra  le  récit  abrégé 
des  faits  antérieurs  à  la  conversion  de  Constantin ,  et  le  se- 
cond les  faits  postérieurs  à  ce  grand  événement. 


ARTICLE  Ier. 

Des  Honneurs  et  des  Prérogatives  temporelles  accordés  à  la  Religion  et 
à  ses  Ministres  chez  les  peuples  anciens,  particulièrement  chez  les  Ro- 
mains, avant  la  conversion  de  Constantin  (1). 

Dès  l'origine  de  la  société ,  la  religion  fut  généralement        2. 
regardée  comme  le  principal  soutien  des  lois  et  du  gouver-    |0"t  teïpl e 
nement,  comme  la  base  nécessaire  de  la  morale,  sans  laquelle  'Te'iabase"" 
les  plus  sages  lois  et  les  meilleurs  gouvernements  ne  servent  de  l  bit?  pu- 
de  rien.  L'expérience  apprit  de  bonne  heure  aux  princes  et 
aux  peuples,  que  les  attaques  livrées  à  la  religion  étaient  de 
véritables  attentats  contre  l'ordre  public  ;  qu'un  homme  ca- 

(1)  On  trouve  dans  Y  Histoire  de  l'Académie  des  inscriptions  et  belles- 
lettres  plusieurs  mémoires  intéressants  sur  cette  matière.  Voyez  en  particu- 
lier l'extrait  de  deux  mémoires  de  Burigny,  Sur  les  Honneurs  et  les  Préro- 
gatives accordés  aux  prêtres  dans  les  religions  profanes  (  édit.  in-4°, 
t.  xxxi,  p.  108);  et  l'extrait  d'un  autre  mémoire  du  même  auteur,  Sur  le 

respect  des  anciens  Romains  pour  la  religion  (t.  xxxiv,  p.  1 10) Voyez 

aussi  Petit-Pied ,  Traité  du  Droit  et  des  Prérogatives  des  ecclésiastiques, 
lre  partie.  Paris,  1705,  in-4°. 

1 


2  INTRODUCTION. 

pable  de  braver  la  Divinité  ne  pouvait  être  retenu  par  aucune 
loi  ;  que  son  exemple  était  un  encouragement  au  désordre  et 
à  la  révolte  contre  l'autorité  la  plus  légitime  ;  en  un  mot,  que, 
par  le  scandale  de  son  impiété,  il  devenait  le  fléau  et  la  peste 
de  la  société.  Pénétrés  de  ces  grands  principes,  les  gouver- 
nements comprirent  qu'ils  devaient  tout  faire  pour  la  religion, 
qui  fait  tout  pour  eux  ;  qu'ils  devaient  se  regarder  comme  les 
lieutenants  visibles  de  la  Divinité  ,  pour  lui  procurer  les 
hommages  de  la  société  qui  leur  était  soumise  ;  que  c'était 
par  conséquent  pour  eux  une  obligation  rigoureuse  de  faire 
fleurir  la  religion ,  d'honorer  la  Divinité  dans  la  personne  de 
ses  ministres,  et  de  réprimer,  par  des  lois  sévères,  les  attentats 
publics  de  Pimpiété. 
3.  Telle  fut  la  source  des  honneurs  et  des  prérogatives  accor- 

Honneurs    ac-    ,,,,,.    .  ,  .     .  .  ,  , 

cordés,  en    des  a  la  religion  et  a  ses  ministres,  chez  tous  les  peuples 

conséquence ,  ..,,,,.  •        i*         i  •    i 

à  la  religion  de  1  antiquité  ;  de  la  vinrent  en  particulier  les  richesses  con- 


et  a  ses 


ministres,  sidérables  dont  l'histoire  nous  montre  le  sacerdoce  partout 
environné.  Chez  les  peuples  les  plus  sages  et  les  plus  civilisés, 
comme  chez  les  plus  barbares  et  les  plus  grossiers,  rien  ne 
parut  plus  naturel  et  plus  convenable  que  d'honorer,  par  de 
riches  offrandes ,  la  Divinité  dans  la  personne  de  ses  minis- 
tres. Cette  libéralité  fut  généralement  regardée,  non-seulement 
comme'  un  témoignage  d'honneur  et  de  respect  pour  le  ca- 
ractère auguste  dont  les  ministres  sacrés  sont  revêtus ,  mais 
comme  un  juste  dédommagement  des  professions  lucratives 
auxquelles  ils  sont  presque  toujours  obligés  de  renoncer, 
pour  vaquer  librement  aux  fonctions  de  leur  ministère.  On 
pensa  qu'il  était  de  l'équité  naturelle  que  tout  homme  dont 
la  vie  est  dévouée  au  service  public ,  fût  soutenu  aux  dépens 
du  public;  et  que  les  ministres  de  la  religion  en  particulier, 
consacrés  par  état  aux  fonctions  les  plus  importantes  pour  le 
bien  de  la  société ,  pussent  réclamer  avec  justice  des  secours 
suffisants  pour  les  mettre  à  l'abri  des  inquiétudes  de  l'indi- 
gence, et  pour  exercer  avec  dignité  le  plus  auguste  des  mi- 
nistères. Parmi  tous  les  témoignages  et  les  faits  que  nous 


INTRODUCTION.  3 

offre  l'histoire  ancienne,  à  l'appui  de  ces  assertions,  il  suffira 
de  rappeler  ici  quelques-uns  des  plus  remarquables. 

Personne  n'ignore  l'importance  que  les  plus  célèbres  légis-  Sent>ntsdcs 
lateurs  de  l'antiquité,  même  profane,  ont  attachée  au  maintien   .anciens  ié- 

T  '  r  '  gislateurs  sur 

de  la  religion  et  du  culte  divin.  Lycurgue,  Dracon,  Solon,  en  ce  Poim. 
formant  les  premières  et  les  plus  florissantes  républiques  de  la 
Grèce,  firent  de  la  religion  la  base  de  leurs  institutions  (\  );  Ro- 
mulus  et  Numa  suivirent  la  même  règle,  en  donnant  des  lois  à 
leur  État  naissant  (2).  Zaleucus  etCharondas,  à  une  époque 
plus  récente ,  imitèrent  ces  grands  exemples ,  et  mirent  à  la 
tête  de  leurs  codes  une  suite  de  maximes  qu'on  peut  regar- 
der comme  les  fondements  de  la  religion  et  de  la  morale  (5). 

La  doctrine  des  plus  célèbres  philosophes  était  conforme        5-    , 

1  *  x  Doctrine  des 

aux  principes  de  ces  illustres  législateurs.  Àristote  et  Platon,  i)Ius  céièbfes 

.  .  il  i  i  philosophes. 

quelque  opposés  qu'ils  soient  sur  d  autres  objets,  s'accordent 
à  représenter  la  religion  comme  la  base  nécessaire  de  la  poli- 
tique, comme  la  principale  source  du  bonheur  et  de  la  tran- 
quillité des  États  ;  et  ils  concluent  de  ces  grands  principes , 
que  le  soin  du  culte  divin  est  le  premier  objet  de  la  sollicitude 
d'un  sage  gouvernement  (4).  Le  respect  dû  à  la  Divinité  de- 
mande, selon  eux,  que  ses  ministres  jouissent  dans  l'État 
d'une  grande  considération  ,  et  que  les  prêtres  soient  habi- 
tuellement choisis  parmi  les  premières  classes  des  citoyens  (5). 


(1)  Voyage  d'Anacharsis,  t.  n,  chap.  21;  t.  iv,  chap.  44  ;  t.  v,  chap.  67, 
p.  481. 

(2)  Voyez  les  Mémoires  de  Burigny  cités  plus  haut,  page  1,  note  1.  Voyez 
aussi  Terrasson,  Histoire  de  la  Jurisprudence  romaine,  lre  partie,  §  2. 

(3)  Voyage  d'Anacharsis,  t.  v,  chap.  62,  vers  la  fin. 

(4)  «Quàm  multae  autem  sint  res  sine  quibus  civitas  esse  nequeat,  viden- 
«  dum  est...  Primum  igitur  victus  seu  alimentum  suppetere  débet;  deindè 
«  artes;...  tertio  locoarma;...  deindè  aliqua  pecuniœ  vis  et  copia;...  quintô, 
«  quod  etiàm  primo  loco  ponendum  est ,  rerum  divinarum  curatio , 
«  quam  sacerdotium  appellant.»  Aristote,  De  Republicâ,  lib.  vu,  cap.  8. 

—  Platon  établit  ou  suppose  clairement  le  même  principe  en  plusieurs  en- 
droits. Voyez  en  particulier  De  Republicâ,  lib.  iv,  p.  391,  2e  col.,  vers  la  lin. 

—  De  Legibus,  lib.  iv,  ix,  et  x,  p.  535,  578,  589,  etc.,  édition  de  Lyon,  1657, 
in-fol.  Sur  la  doctrine  de  Platon,  relativement  au  sujet  qui  nous  occupe, 
voyez  Dacier,  Œuvres  de  Platon,  1. 1,  Discours  prélimin.,  p.  87,  etc. 

(5)  «  Nobilis  quoque  esse  débet  sacerdotum  ordo;  neque  agricola,  neque 

1. 


4  INTRODUCTION. 

Platon  ajoute  qu'il  ne  doit  pas  être  permis  à  de  simples  par- 
ticuliers de  se  choisir  des  dieux,  ni  de  leur  décerner  un  culte 
dans  le  secret  de  leurs  maisons  ;  mais  que  chacun  doit  suivre 
la  religion  de  l'État,  et  en  pratiquer  publiquement  les  céré- 
monies avec  ses  concitoyens  ;  enfin ,  que  le  gouvernement 
lui-même  ne  doit  pas  s'attribuer  le  droit  de  régler  ce  qui 
concerne  la  religion ,  mais  qu'il  doit  se  borner  à  faire  exé- 
cuter ce  qui  a  été  réglé,  sur  ce  point,  par  les  oracles  divins  (4). 
Il  veut,  de  plus,  que  les  magistrats  publient  des  lois  sévères 
contre  les  délits  de  l'impiété,  principalement  contre  le  sacri- 
lège et  l'athéisme ,  auxquels  on  doit,  selon  lui,  infliger,  en 
certains  cas,  la  peine  de  mort  et  la  privation  des  honneurs  de 
la  sépulture  (2). 


«  illiberalis artifex  sacerdos  instituendus  est;  à  civibus  enimdeos  coli  opor- 
«  tet.  »  Aristote,  De  Republicâ  ,  lib.  vu,  cap.  9.  — Platon,  dans  son  traité 
intitulé  :  Politicus,  sive  de  Regno  (p.  148,  2e  col.),  cite  et  approuve  fort 
l'ancien  usage  des  Égyptiens  suivi  dans  plusieurs  villes  delà  Grèce,  et  parti- 
culièrement à  Athènes,  de  confier  aux  principaux  magistrats  l'exercice  du 
sacerdoce.  «  Apud  .Egyptios ,  dit-il ,  non  licet  regem  absque  sacerdotio  impe- 
«  rare.  Quin  immô,  si  ex  alio  génère  quispiam  vi  regnum  usurpet,  cogitur  post 
«  regni  assumptionem  sacris  initiari ,  ut  rex  denique  sit  et  sacerdos.  Praeterea 
«  in  plurimis  Graecorum  civitatibus,  apud  vos  praesertim,  reperies  praecipua 
«  sacra  à  magistratibus  summis  institui.  » 

(1)  «  Sacella  nemo  in  privatâ  domo  habeat;cùm  verô  animum  quis  ad  sa- 
it crificandum  induxerit,  ad  publica  sacrificaturus  accédât ,  et  sacerdotibus 
«  hostias  praebeat,  qui  curam  harum  rerum  castissimè  gerunt,  quibuscum 
«  et  ipse  oret,  et  quicumque  cum  eo  simul  orare  velit.  »  Plato,  De  Legibus, 
lib.  x,  p.  597,  lre  col. 

i  Dans  ses  livres  sur  la  République ,  il  ajoute  ce  qui  suit  :  «  Quid  praeterea 
«restât  nobis  de  legum  constitutione  (dicendum)?  Nobis  quidem  nihil; 
«  Apollini  auteni  Delphino  maxima ,  prœclarissima ,  prima  instituta. 
«  Quaenam  ista?  Templorum  constitutiones,  et  sacrificia,  caeterique  deorum 
«  et  deemonum  atque  heroum  cultus,  sepulchra  praeterea  et  funera  defuncto- 
«  rum ,  et  quaecumque  sunt  ad  eos  placandos  ministeria  subeunda.  Talia  pro- 
«  fectô  neque  ipsi  scimus ,  et  in  ordinandà  civitate  nulli  credemus  alteri ,  si 
«  sapiemus ,  nullove  alio  utemur  interprète  nisi  patrio  (  deo  )  ;  hic  nempè 
«  deus ,  in  rébus  hujusmodi ,  cunctis  hominibus  patrius  interpres ,  in  mediâ 
«  terra  super  umbilicum  sedens ,  exponit.  »  Plato ,  De  Republicâ,  lib.  iv, 
p.  391,  2e  col. 

(2)  «  Si  quis  forte  sacrilegium  committere  audeat,  legem  de  hoc  feremus, 
a.  quamvis  onerosam  nobis  atque  molestam...  Qui  deprehensus  in  sacrilegio 

fuerit,  si  servus  peregrinusve  erit,  in  facie  ac  manibus  calamitate  ipsius 
«  litteris  inustâ,  verberatus  prout  judicibus  videbitur,  nudus  extra  fines 
«  pellatur  ;  forte  enim  hoc  supplicio  continentior  factus,  evadet  denique  me- 


INTRODUCTION.  5 

A  la  suite  de  ces  anciens  philosophes ,  Cicéron  avance , 
comme  un  principe  incontestable  en  matière  de  gouverne- 
ment ,  que  la  religion  en  est  le  principal  fondement,  que  les 
princes  et  les  magistrats  doivent  la  mettre  à  la  tête  de  toutes 
les  institutions ,  et  être  prêts  à  la  défendre ,  même  au  péril 
de  leur  vie  (4).  Ce  profond  respect  pour  la  religion  demande 
encore,  selon  lui,  que  le  gouvernement  interdise  absolument 
l'exercice  des  cultes  nouveaux  ou  étrangers,  jusqu'à  ce  qu'ils 
aient  été  publiquement  autorisés  par  les  lois.  C'est  ce  qu'il 
prouve  par  le  texte  même  des  Lois  des  Douze  Tables  (2). 
Enfin,  il  va  jusqu'à  souhaiter  que  le  gouvernement  inves- 
tisse le  collège  des  pontifes  du  pouvoir  d'établir  les  consuls  et 
les  magistrats,  de  les  destituer ,  et  même  d'abroger  les  lois 
qui  n'auraient  pas  leurs  suffrages  (5). 


«  lior...  Si  verô  civis  quispiam  aliquid  taie  in  deos,  aut  in  parentes,  aut  in 
«  patriam  perpetrare ,  et  ad  maximam  injuriam  induxisse  animum  depre- 
«  hendatur;  hune  judex,  quia  ex  puero  benè  doctus  educatusque  à  maximo 
«  scelere  non  abstinuit ,  sanari  non  posse  existimet  ;  pœna  huic  mors  malo- 
«  rum  minimum.  »  Plato ,  De  Legibus ,  lib.  ix,  p.  578,  2e  col. 

Dans  le  xe  livre  du  même  ouvrage ,  parlant  des  impies  qui,  par  la  hardiesse 
de  leurs  discours ,  ébranlent  parmi  le  peuple  le  respect  dû  à  la  Divinité , 
Platon  ajoute  ce  qui  suit.  :  «  Damnatus  in  mediterraneis  carceribus  vincia- 
«  tur;  nec  ullus  liber  ad  eum  accédât,  sed  statu tum  illi  à  legum  custodibus 
«  cibum  servi  afferant  ;  vitâ  denique  functum  extra  regionis  fines  insepultum 
«  ejiciant;  quem  si  quis  liber  sepelierit,  à  volente  impietatis  crimine  accuse- 
«  tur.  5)  Lib.  x,  p.  597,  lre  col. 

(1)  Parlant  des  obligations  imposées  aux  principaux  magistrats  de  la  ré- 
publique, Cicéron  s'exprime  ainsi  :  «  Hujus  autem  dignitatis  hsec  fundamenta 
«  sunt,  haec  membra,  quae  tuenda  principibus,  et  vel  capitis  periculo  de* 
«.fendenda  sunt  :  religiones,  auspicia,  potestates  magistratuum ,  senatûs 
«  auctoritas,  leges,  mos  majorum....  Harum  rerum  tôt  atque  .tantarum  esse 
«  defensorem  et  patronum,  magni  animi  est,  magni  ingenii,  magnseque 
«  constantiae.  »  Cicero, pro  P.  Sextio,  n.  46. 

(2)  «  Separatim  nemo  habessit  deos;  neve  no  vos,  sed  ne  advenas,  nisi  pu- 
ce blicè  adscitos,  privatim  colunto.  »  Cicero ,  De  Legibus,  lib.  h,  n.  8. 

(3)  «  Maximum  autem  et  praestantissimum  in  republicâ  jus  est  augurum, 
«  et  cum  auctoritate  conjunctum.  Neque  verô  hoc,  quia  sum  ipse  augur,  ita 
«  sentio;  sed  quia  sic  existimare  nos  necesse  est.  Quid  enim  majus  est ,  si 
«  de  jurequaerimus,  quàm  posse  à  summis  imperiis  et  summis  potestatibus 
«  comitiatus  et  concilia,  vel  instituta  dimittere,  vel  habita  rescindere  ?  Quid 
«  gravius,  quàm  rem  susceptam  dirimi,  si  unus  augur  alio  die  dixerit  (  esse 
«  agendam)?  Quid  magnificentius,  quàm  posse  decernere  ut  magistratu  se 
«  abdicent  consules  ?  Quid  religiosius,  quàm  cum  populo,  cum  plèbe,  agendi 
«  jus  aut  dare,  aut  non  dare?  Quid  legem,  si  non  jure  rogata  est,  tollere?... 


6  INTRODUCTION. 

e.  L'histoire,  tant  sacrée  que  profane,  nous  montre  ces  prin- 

Etroite  union      .  ,  ,         «    •        j  ■  .• 

de  h.  religion  cipes  constamment  reconnus,  et  suivis,  dans  la  pratique,  par 
Tiemevu!sons"  tous  les  anciens  gouvernements.  La  constitution  politique  des 
moSqué!"  Hébreux  en  particulier  est  remarquable  sur  ce  point ,  tant  à 
cause  de  son  origine  divine,  qu'à  raison  de  son  ancienneté  et 
de  sa  longue  durée  (\).  D'après  cette  constitution,  religieuse 
et  politique  tout  ensemble,  Dieu  lui-même  était  le  monarque 
suprême ,  dont  les  magistrats  n'étaient  que  les  ministres  et 
les  représentants.  Les  lois,  émanées  d'une  autorité  si  respec- 
table, ne  pouvaient  jamais  être  changées  :  tout  le  devoir  des 
magistrats ,  et  des  rois  eux-mêmes ,  se  réduisait  à  les  faire 
observer.  La  transgression  de  ces  lois  était  en  même  temps 
un  délit  politique  et  un  attentat  contre  la  religion.  L'idolâtrie, 
surtout ,  était  considérée  comme  un  crime  d'Etat  et  comme 
un  acte  de  révolte  contre  le  souverain  légitime  ;  aussi  était- 
elle  punie  du  dernier  supplice ,  aussi  bien  que  la  magie  et 
plusieurs  autres  pratiques  superstitieuses.  Par  une  consé- 
quence naturelle  de  ces  principes,  les  ministres  de  la  religion 
avaient  de  grands  privilèges,  et  Dieu  lui-même,  comme  sou- 
verain temporel  de  la  nation ,  leur  avait  attribué  une  partie 
de  ses  droits  politiques.  De  là  le  grand  pouvoir  qu'ils  exer- 
cèrent dans  l'ordre  même  purement  civil,  et  spécialement 
dans  l'administration  de  la  justice  (2).  De  là  encore  les  ri- 
chesses et  les  revenus  attachés  à  leur  caractère  sacré.  La  tribu 
de  Lévi ,  destinée  aux  fonctions  du  saint  ministère ,  n'avait 
point  obtenu  ,  dans  la  division  de  la  Terre-promise ,  un  par- 
tage semblable  à  celui  des  autres  tribus  ;  mais  elle  n'était 
pas  pour  cela  moins  riche  que  les  autres.  Outre  les  dîmes , 

«  Nihil  domi,  nihil  foris  per  magistratus  gestum,  sine  eorum  auctoritate, 
«  posse  cuiquam  probari?  »  Ibid^  n.  12. 

(1)  Guénée,  Lettres  de  quelques  Juifs,  1. 1,  2  e  partie;  Lettre  3e,  §  1  et 
2.  —  D.  Calmet,  Dictionn.  de  la  Bible;  article  Prêtres.—  Bible  de  Vence, 
Dissert,  sur  la  police  des  Hébreux  ;  à  la  suite  de  la  Préface  sur  le  livre 
des  Nombres.  —  Jahn,  Archœologia ,  n.  215 ,  219  ,  etc.  —  Bossuet ,  Poli- 
tique sacrée,  liv.  vu,  art.  5.  —  Ryan, Bienfaits  du  christianisme ,  en.  vi, 
n.  13. 

(2)  Veut,  xvi,  18  ;  xvn,  8,  9.  —  Ezech.  xliv,  24. 


INTRODUCTION.  7 

lies  prémices  et  les  offrandes  ordinaires  que  Dieu  lui  avait  as- 
signées, elle  possédait  quarante-huit  villes  dans  les  différentes 
tribus,  avec  deux  mille  coudées  de  terre  autour  de  chaque 
ville  (J ).  Le  grand  prêtre,  lors  même  qu'il  n'était  ni  prince 
ni  juge  d'Israël,  était  un  des  plus  riches  d'entre  les  Juifs;  outre 
les  offrandes  particulières  que  le  peuple  devait  lui  faire  en  cer- 
taines occasions,  et  la  part  qu'il  avait  à  tous  les  sacrifices,  les 
lévites  lui  donnaient  encore  la  dîme  de  tout  ce  qu'ils  rece- 
vaient (2).  Aussi  un  ancien  auteur  juif,  parlant  des  revenus  assi- 
gnés aux  prêtres  par  la  loi  de  Moïse,  ne  fait  pas  difficulté  d'éga- 
ler la  gloire  et  la  majesté  des  pontifes  à  celles  des  rois  (5). 

En  conséquence  de  cette  union  étroite  que  Dieu  avait 
établie  entre  la  religion  et  l'État,  les  livres  saints  représentent 
le  soin  du  culte  divin  comme  le  premier  devoir  des  rois  et 
comme  le  premier  objet  de  leur  sollicitude  (4).  David  ,  Salo- 
mon,  Ezéchias,  Josias,  et  tous  les  bons  princes,  sont  princi- 
palement loués  pour  leur  zèle  à  faire  observer  la  loi  du  Sei- 
gneur, à  proscrire  les  cultes  étrangers,  et  à  relever  l'éclat  du 
culte  divin  ;  tandis  que  la  négligence  sur  ces  divers  points 
est  représentée  comme  le  caractère  distinctif  des  mauvais 
princes,  et  comme  une  source  de  malheurs  pour  eux  et  pour 
leurs  sujets. 

Cette  union  étroite  de  la  religion  et  de  l'État  se  retrouve,         *• 
d  une  manière  plus  ou  moins  sensible  ,  chez  tous  les  anciens  *"}<>" chez  •«• 

Égyptiens. 

peuples.  Nous  ne  parlerons  ici  que  des  plus  célèbres  et  des 
plus  policés  (5). 

L'Egypte  en  particulier  offre ,  en  ce  genre  ,  un  exemple 
d'autant  plus  digne  d'attention,  qu'elle  est  généralement  re- 
gardée comme  la  source  commune  où  la  plupart  des  anciens 


(1)  Numer.  xxxv.  —  Josue,  xxi. 

(2)  Numer.  xvm;  et  alibi  passim. 

(3)  «  Ex  his  rébus  liquet,  juxta  legis  judicium ,  sacerdotes  aequiparari  ho- 
«  nore  et  majestate  regibus.  »  Philo ,  De  prœmiis  et  honoribus  sacerdo~ 
tum.  Oper.  p.  832;  édit.  de  1640,  in-fol. 

(4)  Dent,  xvii,  15,  etc.  —  Josue,  i,  8,  et  alibi  passim. 

(5)  Voyez  les  auteurs  cités  plus  haut,  p.  1,  note  l. 


8  INTRODUCTION. 

peuples  ont  puisé  les  principes  des  lois  et  du  gouvernement  (\  ). 
Dès  l'origine  de  cette  monarchie,  et  plusieurs  siècles  encore 
après  son  établissement,  la  religion  y  était  si  respectée,  que  les 
prêtres  formaient  le  premier  ordre  de  l'État,  jouissaient  de  très- 
grands  privilèges ,  et  avaient  une  très-grande  influence  dans 
toutes  les  parties  de  l'administration  civile.  Le  sacerdoce  était 
même  joint  àla  royauté,  que  l'on  voulait  rendre,  par  ce  moyen, 
plus  auguste  et  plus  respectable.  On  choisissait  le  plus  sage 
des  prêtres  pour  le  faire  asseoir  sur  le  trône  ;  et  si  un  usur- 
pateur venait  à  placer  la  couronne  sur  sa  tête,  on  l'obligeait 
à  se  revêtir  du  caractère  sacerdotal ,  afin  qu'il  fût  tout  à  la 
fois  le  pontife  et  le  roi  de  la  nation  (2).  Les  prêtres  possédaient 
en  propre  le  tiers  de  l'Egypte,  et  leurs  terres  étaient  exemptes 
de  toute  imposition.  Le  prince  leur  donnait,  pour  l'ordi- 
naire, beaucoup  de  part  dans  sa  confiance  ;  et  les  plus  distin- 
gués d'entre  eux  étaient  habituellement  attachés  à  sa  personne , 
pour  l'aider  de  leurs  conseils.  Ils  remplissaient  les  premières 
charges ,  rendaient  la  justice  ,  présidaient  à  la  levée  des  im- 
pôts ,  avaient  l'inspection  de  la  monnaie ,  des  poids  et  des 
mesures,  exerçaient  sur  les  rois  eux-mêmes  une  très-grande 
autorité  par  leur  crédit  et  leurs  lumières. 
••  La  législation  et  les  coutumes  de  la  Grèce  ne  sont  pas 

Lois  et  coutu-  "  * 

mes  de  la    moins  remarquables  sur  ce  point.  Une  des  plus  anciennes  et 

Grèce,  sur  ce  *  L  lA 

point.  des  plus  belles  institutions  de  ce  pays  était  le  conseil  des 
Amphictyons,  composé  d'un  certain  nombre  de  députés  des 
principales  villes  de  la  Grèce ,  et  chargé  de  juger,  avec  une 
autorité  suprême  ,  toutes  les  causes  qui  intéressaient  le  bien 
général  de  la  nation  (5).  Parmi  les  délits  dont  cette  assemblée 

(1)  Goguet,  Origine  des  lois,  des  sciences  et  des  arts,  lre  partie,  liv.  i, 
ch.  l,  art.  4. 

(2)  Platon,  Politicus,  sive  de  Regno,  p.  148,  2e  col.  vers  la  fin.  Nous  avons 
cité  plus  haut  ce  passage  (  p.  5,  note  3  ).  Voyez  aussi  Strabon,  lib.  i  et  xvh. 
—  Elien ,  Variar.  Histor. ,  lib.  xiv,  cap.  34. 

(3)  Goguet,  Origine  des  lois,  des  sciences  et  des  arts,  2e  partie,  liv.  i, 
ch.  4,  art.  1.  —  Voyage  d'Anacharsis ,  t.  m,  ch.  35.  —  Plusieurs  Mémoires 
de  M.  de  Valois  Sur  les  Amphictyons ,  dans  YHist.  de  l'Acad.  des  inscrip- 
tions et  belles-lettres  ;  édit.  in-4°,  t.  m  et  v, 


INTRODUCTION,  9 

avait  droit  de  connaître ,  les  principaux  étaient  ceux  qui  se 
commettaient  contre  la  sainteté  du  temple  de  Delphes.  Tous 
les  amphictyons  s'obligeaient,  par  serment,  à  remplir  fidèle- 
ment les  obligations  relatives  au  but  de  leur  institution ,  et 
spécialement  celles  qui  regardaient  l'honneur  et  le  respect 
dus  au  temple  d'Apollon.  On  nous  a  conservé  la  formule  de 
ce  serment,  qui  contient  ces  paroles  remarquables  :  «  Si  des 
«  impies  enlèvent  les  offrandes  faites  au  temple  d'Apollon  , 
«  nous  jurons  d'employer  nos  pieds,  nos  bras ,  nos  voix ,  et 
«  toutes  nos  forces  contre  eux  et  leurs  complices  (4).  »  Par 
suite  de  cet  engagement ,  les  Phocéens  eurent  plusieurs  fois 
la  guerre  à  soutenir  contre  les  principaux  États  de  la  Grèce , 
empressés  de  venger  l'honneur  du  dieu  outragé,  ou  colorant 
de  ce  prétexte  les  entreprises  de  leur  ambition.  Telle  fut,  en 
particulier,  l'occasion  de  la  guerre  sacrée,  dont  Philippe  sut 
tirer  de  si  grands   avantages  pour  l'agrandissement  de  sa 
puissance,  et  à  la  suite  de  laquelle  l'impiété  des  Phocéens  fut 
punie  parle  conseil  des  amphictyons,  avec  une  sévérité  bien 
capable  de  prévenir  pour  longtemps  le  retour  de  pareils  atten- 
tats (2).  Indépendamment  des  raisons  politiques  et  religieuses 
qui  pouvaient  justifier  cette  sévérité,  elle  fut  jugée  nécessaire 
pour  mettre  un  frein  à  la  cupidité  des  Phocéens ,  trop  sou- 
vent irritée  parles  immenses  richesses  du  temple  de  Delphes, 
situé  sur  leur  territoire  (5).  On  sait  en  effet  que  ce  temple 
était  le  plus  riche  de  la  Grèce,  et  plusieurs  savants  ont  cru 
pouvoir  avancer ,  sans  exagération  ,  qu'il  y  avait  peut-être 
plus  d'or  et  d'argent  dans  son  trésor  que  dans  tout  le  reste 
de  la  Grèce.  Quelque  étonnante  que  soit  cette  assertion,  elle 

(1)  On  peut  voir,  dans  les  ouvrages  que  nous  venons  de  citer,  la  formule 
entière  de  ce  serment,  tirée  de  la  harangue  d'Eschine ,  Defalsâ  legatione. 

(2)  Voyez  dans  les  tomes  vu,  ix  et  xii  de  YHist.  de  l'Acad.  des  inscript. 
(  édit.  in-4°),  plusieurs  Mémoires  de  M.  de  Valois  sur  les  Guerres  sacrées. 
Voyez  aussi  le  Voyage  d'Anacharsis,  t.  v,  en.  60  et  61,  p.  92,  209,  etc.  — 
Rollin,  Histoire  ancienne ,  t.  vi,  liv.  xiv,  §  2,  etc. 

(3)  Voyez,  dans  l'Histoire  de  l'Acad.  des  inscriptions  (t.  m  de  l'édition 
in-4°,  p.  78  ),  l'extrait  d'un  Mémoire  de  M.  de  Valois  sur  les  Richesses  du 
temple  de  Delphes.  — .  Voyage  d'Anacharsis}  t.  iij  ch,  22,  p.  429,  etc. 


1 Q  INTRODUCTION 

ne  semblera  pas  incroyable,  si  Ton  se  rappelle  qu'au  témoi- 
gnage de  Diodore  de  Sicile,  les  matières  d'or  et  d'argent  dont 
les  Phocéens  s'emparèrent  à  Delphes,  à  l'époque  de  la  guerre 
sacrée,  dont  nous  venons  de  parler,  furent  estimées  plus  de 
40,000  talents  d'argent,  c'est-à-dire,  environ  58  millions  de 
notre  monnaie  (\). 

Le  profond  respect  des  Grecs  pour  la  religion  attirait  de 
tous  côtés  à  ses  ministres  de  grands  honneurs  et  des  richesses 
considérables  (2).  Aussi  voit-on  ,  dès  les  premiers  temps,  les 
prêtres  jouir  de  la  considération  universelle ,  se  regarder 
presque  comme  indépendants  des  rois,  et  exercer  une  grande 
influence  sur  les  affaires  civiles  ,  soit  pendant  la  paix ,  soit  à 
la  guerre  (5).  Le  caractère  des  ministres  sacrés  fut  toujours 
un  des  plus  respectables  aux  yeux  de  toute  la  nation  ,  et  en- 
vironné d'honneurs  et  de  privilèges  capables  de  tenter  l'am- 
bition des  familles  les  plus  distinguées.  Aussi  une  profession 
abjecte  excluait-elle  de  cette  dignité.  Il  y  avait  même  chez 


(1)  En  supposant  avec  Paucton  (Métrologie,  p.  292,  318,  et  alibi  pas- 
sim),  que  le  talent  attique  pesait  54,79*  de  notre  poids  de  mare,  et  que  le 
marc  d'argent  vaut  aujourd'hui  53",57  ;  les  10,000  talents  dont  il  est  ici 
question  valent  plus  de  58  millionsde  notre  monnaie.  Cette  somme,  qui  paraît 
exorbitante'au  premier  abord,  n'a  rien  d'invraisemblable  lorsqu'on  se  rappelle 
les  détails  que  l'histoire  nous  a  conservés  sur  les  richesses  de  plusieurs  an- 
ciens temples.  Voyez,  à  ce  sujet,  le  n.  3  des  Pièces  justificatives,  à  la  fin  de 
ce  volume. 

(2)  Voyez  les  Mémoires  de  Burigny  cités  plus  haut,  p.  1,  note  1. 

Éclaircissements  généraux  sur  les  familles  sacerdotales  de  la  Grèce; 
Mémoires  de  l'Acad.,  t.  xxui,  p.  51. 

(3)  «  Malgré  le  pouvoir  suprême  dont  vous  êtes  revêtu ,  disait  le  devin  Ti- 
«  résias  à  OEdipe ,  j'ai  le  droit  de  vous  faire  des  reproches  semblables  à  ceux 
«  que  vous  m'adressez;  et  je  vous  les  ferai  sans  rien  craindre;  car  ce  n'est 
«  pas  à  vous  que  je  dois  obéir,  mais  au  grand  Apollon.  »  Sophocle,  Œdipe 
roi,  v.  416,  etc. 

f  Longtemps  après  (  environ  deux  cents  ans  avant  Jésus-Christ  ) ,  on  voit  à 
Athènes  le  ministère  des  prêtres  employé,  par  l'autorité  publique,  à  entrete- 
nir parmi  le  peuple  la  haine  contre  Philippe,  roi  de  Macédoine. 

Un  décret,  rendu  à  cette  époque,  sur  la  réquisition  des  orateurs  publics , 
était  conçu  en  ces  termes  :  «  Sacerdotes  publiées,  quotiescumque  pro  populo 
«  Atheniensi ,  sociisque  et  exercitibus  et  classibus  eorum  precarentur,  toties 
«  detestari  atque  execrari  Philippum,  liberos  ejus  regnumque,  terrestres 
«  navalesque  copias,  Macedonum  genus  omne  nomenque.  »  Tit.  Liv.,  Mst.9 
lib.  xxxi,  cap.  44. 


INTBODUCTION.  i  1 

les  Grecs,  aussi  bien  que  dans  plusieurs  provinces  de  l'Asie, 
des  sacerdoces  regardés  comme  des  places  très-importantes,  à 
raison  des  revenus  et  de  l'autorité  qui  y  étaient  attachés. 
Telle  était  la  grande  prêtrise  de  Paphos,  dont  la  dignité  était 
si  éminente,  que  Caton  la  promettait  au  malheureux  Ptolé- 
mée,  comme  un  dédommagement  du  royaume  de  Chypre  que 
les  Romains  lui  enlevaient  injustement  (4).  La  domination 
même  de  ces  derniers  ne  dépouilla  pas  le  sacerdoce  de  la 
haute  considération  qu'il  avait  toujours  obtenue  chez  les 
Grecs.  On  voit,  par  une  lettre  de  l'empereur  Julien  au  pontife 
Théodore,  que  le  premier  pontife  de  chaque  province  avait 
alors  «  l'intendance  générale  de  ce  qui  concernait  la  re- 
«  ligion,  et  autorité  sur  tous  les  prêtres  de  son  district,  avec 
«  pouvoir  de  traiter  chacun  d'eux  selon  son  mérite  (2)  ;  » 
ce  qui  renfermait  le  pouvoir  d'infliger  des  peines  temporelles 
à  ceux  qui  s'acquitteraient  mal  de  leurs  fonctions,  ou  qui  se 
rendraient  coupables  de  certains  délits,  dont  la  connaissance 
appartenait  au  collège  des  pontifes. 

Les  peuples  les  plus  policés  de  la  Grèce  n'avaient  point,  ,  .    9- 

r        r  r  i  i  '   Lois  et  coutu- 

à  cet  égard,  d'autres  usages  que  le  reste  de  la  nation.  Chez  mes  des 
les  Athéniens  en  particulier,  la  religion  et  ses  ministres  jouis- 
saient des  plus  grands  honneurs  (5).  Plusieurs  sacerdoces 
étaient  attachés  à  des  maisons  anciennes  et  puissantes,  où 
ils  se  transmettaient  de  père  en  fils,  comme  une  des  préroga- 
tives les  plus  honorables  pour  leur  famille.  Outre  les  biens- 

(1)  «  Per  Canidium  amicum,  quem  praemisit  in  Cyprum,  egit  cum 
«  Ptolemseo  ut  sine  certamine  cederet,  ostensâ  spe  neque  inopem  neque  ab- 
«  jectum  ipsum  Yicturum  ;  sacerdotium  enim  ei  Veneris  Paphiœ  populum 
«  daturum.  »  Plutarque,  Vie  de  Caton,  n.  10.  (  Œuvres  de  Plutarque  ; 
édition  d'Anvers ,  1620;  in-fol.,  t.  i,  p.  776.  )  —  Crevier,  Hist.  Rom.,  t.  xii, 
p.  209. 

(2)  Juliani  Epistola  63  ad  Theodorum  pontif.  Juliani  Operum,  p.  452, 
in-fol.  —  On  trouve  la  traduction  de  cette  lettre  à  la  suite  de  Y  Histoire  de 
l'empereur  Jovien,  par  Labletterie,  p.  402. 

(3)  Voyage  d'Anacharsis,  t.  »,  ch.  21.  —  Mémoire  où  Von  examine 
plusieurs  question  <  générales  concernant  les  ministres  des  dieux  à 
Athènes,  par  M.  de  Bougainville ,  t.  xvm  de  Y  Histoire  de  VAcad.  des  ins- 
cript, et  belles-lettres  ;  édition  in-4°.  —  Mémoire  sur  les  Parasites,  par 
M.  Lebeau  le  cadet.  Ibid.,  t.  xxxi,  p.  51. 


12  INTRODUCTION. 

fonds  assignés  à  l'entretien  de  la  plupart  des  temples ,  on 
consacrait  habituellement  aux  dieux  la  dime  des  dépouilles 
enlevées  à  l'ennemi,  et  une  partie  considérable  des  amen- 
des et  des  confiscations.  Il  y  avait  de  plus,  dans  chaque 
temple  ,  deux  officiers  ,  connus  sous  le  nom  de  Parasites , 
qui  avaient  droit  d'exiger  une  redevance  annuelle  sur  toutes 
les  terres  de  leur  district.  Les  Archontes,  qui  étaient  les 
magistrats  suprêmes  de  la  nation,  veillaient  spécialement  au 
maintien  du  culte  public ,  et  se  trouvaient  toujours  à  la  tête 
des  cérémonies  religieuses.  Le  second  d'entre  eux  ,  nommé 
Archonte  Roi>  était  chargé  de  présider  aux  sacrifices  pu- 
blics ,  de  veiller  à  ce  qu'on  y  observât  exactement  toutes 
les  règles  établies ,  et  de  poursuivre  les  délits  contre  la  re- 
ligion. Parmi  ces  délits,  un  de  ceux  que  les  lois  punissaient 
plus  sévèrement,  était1  celui  des  particuliers'  qui,  de  leur 
propre  autorité,  introduisaient  dans  l'État  de  nouveaux  cul- 
tes :  il  était  défendu,  sous  peine  de  mort,  d'en  admettre  au- 
cun sans  un  décret  de  l'aréopage,  sollicité  par  les  orateurs 
publics  (4). 

Les  sages  précautions  de  la  loi  et  la  vigilance  des  magis- 
trats n'empêchaient  pas  sans  doute  qu'il  ne  se  commît  quel- 
quefois des  délits  contre  la  religion ,  surtout  depuis  que  la 
décadence  des  mœurs  eut  amené ,  comme  il  arrive  d'ordi- 
naire', celle  de  l'esprit  religieux.  Mais  les  attentats  publics 
de  l'impiété  ne  manquaient  presque  jamais  d'exciter  l'in- 
dignation générale.  Les  gens  sages,  aussi  bien  que  le  peuple, 
accusaient  les  auteurs  de  ces  attentats  de  ne  secouer  le  joug 


(1)  L'historien  Josèphe,  dans  son  Second  livre  contre.  Apion  (chap.  8), 
rapporte  plusieurs  exemples  remarquables  de  châtiments  infligés  par  les 
Athéniens  à  de  célèbres  personnages,  accusés  ou  seulement  soupçonnés 
d'impiété  ;  puis  il  ajoute  ces  paroles  :  «  Et  quid  mirum ,  si  erga  viros  etiàm 
«  eximios  ita  se  gesserint,-qui  ne  mulieribus  quidem  pepercere?  Etenim  sa- 
«  cerdotem  quamdam  interfecerunt ,  quoniam  illam  quidam  accusaverat 
«  quôd  deos  coleret  peregrinos  :  decreto  vero  illud  erat  apud  ipsos 
«  prohibitum,  pœnaque  mortis]contra  illos  statuta  qui  deum  introdU' 
«  cerent  alienum.  »  Josèphe,  adv.  Apion.  lib.  n.  (Édit  d'Amsterdam,  1726, 
in-fol,  t.  u,  p.  491  et493.),> 


INTRODUCTION.  13 

de  la  Divinité  que  pour  s'abandonner  plus  librement  à  leurs 
passions  ;  le  gouvernement  se  croyait  obligé  de  sévir  contre 
eux  ;  et  la  peine  de  mort  était  le  châtiment  ordinaire  de 
ceux  qui  étaient  convaincus  d'avoir  attaqué ,  par  leurs  dis- 
cours ou  par  leur  conduite,  les  cultes  légalement  établis. 
Plusieurs  exemples  célèbres  montrent  que  ni  la  faveur,  ni 
la  dignité,  ni  le  mérite,  ni  les  talents  les  plus  applaudis,  ne 
mettaient  alors  les  coupables  à  couvert  de  la  sévérité  des 
lois.  Les  accusations  intentées  au  poète  Eschyle  et  au  philo- 
sophe Diagoras ,  pour  avoir  révélé  la  doctrine  secrète  des 
mystères  ;  la  condamnation  de  Protagoras  et  de  Prodicus , 
qui  avaient  parlé  publiquement  contre  les  dieux  reconnus  dans 
l'État;  les  procédures  dirigées  contre  Périclès  et  Anaxagore, 
qui  s'étaient  rendus  suspects  d'athéisme  ;  la  sentence  de  mort 
prononcée  contre  Alcibiade,  convaincu  d'avoir  joué  les  mys- 
tères d'Eleusis;  Socrate  condamné  à  boire  la  ciguë,» parce 
qu'on  lui  imputait  de  ne  pas  reconnaître  les  dieux  du  pays: 
tous  ces  faits,  et  plusieurs  autres  également  célèbres,  mon- 
trent qu'à  l'époque  la  plus  florissante  des  arts  et  des  sciences 
chez  les  Grecs,  l'impiété  n'était  pas  moins  sévèrement  punie 
que  dans  les  siècles  de  la  première  simplicité  (4). 

Les  mêmes  principes  ont  constamment  servi  de  règle  au  t0. 
gouvernement  et  à  la  politique  des  Romains  (2).  Nous  avons  Tus  et  d"u 
déjà  remarqué  l'étroite  union  que  Romulus  et  Numa 
avaient  établie  entre  la  religion  et  l'État  (5).  Leur  législa- 
tion ,  sur  ce  sujet ,  est  d'autant  plus  remarquable ,  qu'elle 
suppose ,  sur  la  Divinité  et  sur  le  culte  qui  lui  est  dû ,  des 
notions  beaucoup  plus  parfaites  qu'on  ne  s'attend  à  les  trou- 
ver dans  un  temps  d'ignorance  et  de  barbarie.  Romulus 

(1)  Nous  ne  faisons  qu'indiquer  ces  faits ,  dont  on  peut  voir  le  dévelop- 
pement dans  le  Voyage  d'Anacharsis  ;  ubi  suprà,  p.  414,  etc. 

(2)  Voyez  les  Mémoires  de  Burigny  que  nous  avons  cités  plus  haut(p.  1, 
note  1  ).— Terrasson,  Histoire  de  la  Jurisprudence  romaine,  lre  et  2e 
parties.  —  Rollin ,  Traité  des  Études,  t.  iv,  3e  part.  ch.  2,  art.  2,  §  7. 

(3)  Sur  les  lois  de  Romulus  et  de  Numa  ^concernant  la  religion,  voyez 
principalement  Denys  d'Halicarn.,  Antiquit.  rom.,  lib.  n,  cap.  7, 16,  etc. 


14  INTRODUCTION. 

voulut  que  tous  ses  sujets  adorassent  les  dieux  dont  le  culte 
était  reçu  dans  l'État,  et  qu'on  évitât,  dans  ce  culte,  les 
cérémonies  absurdes  ou  ridicules  que  la  superstition  des  au- 
tres peuples  y  avait  mêlées  (\).  Il  ordonna  qu'on  n'entre- 
prendrait rien  d'important  sans  avoir  auparavant  consulté 
la  volonté  des  dieux ,  par  le  ministère  des  augures  et  des 
aruspices,  dont  il  forma  un  collège  à  Rome  (2).  Il  voulut 
que  les  sacrifices  et  toutes  les  cérémonies  de  la  religion  fus- 
sent célébrés  pendant  le  jour,  et  défendit  absolument  de  les 
célébrer  pendant  la  nuit,  de  peur  qu'ils  ne  devinssent  des 
occasions  de  débauche  et  de  sédition  (5).  Enfin,  il  ordonna 
que  le  commun  du  peuple,  et  généralement  ceux  qui  ne  se- 
raient pas  de  race  noble ,  ne  pourraient  aspirer  au  sacer- 


(1)  «  A  Deorum  cultu  exorsus,...  omniajuxta  optimos  quosque  Graeco- 
«  rum  ritus  instituit.  Caeterùm  fabulas  de  ipsis  àmajoribus  traditas,  probra 
«  eorum  continentes  ac  crimina,  improbas  censuit,  inutilesque  ac  indecen- 
«  tes,  et  ne  probis  quidem  viris  dignas,  nedùm  diis  superis  ;  repudiatisque 
«  his  omnibus  ad  benè  ac  praeclarè  de  diis  sentiendum  et  loquendum  cives 
«  suos  induxit,  nihilque  eis  aftingi  passus  est  quod  beatse  illi  naturae  parùm 
«  essetconsentaneum...  Etenimnecorruptis  quidem  histemporibus  apudeos 
«  videas  arreptos  numine,  aut  furorem  corybanticum,...  non  Bacchationes 
«  et  secretos  mysterïorum  ritus ,  non  virorum  cumfœminis  in  templis 
«  pervigilia ,  non  alia  his  similia  prodigia  ;  sed  omnia  quae  ad  deos  atli- 
*  nent,  religiosiùs  aguntur  ac  dicuntur  quàm  vel  apud  Graecos,  vel  apud 
«  Barbaros.  Et  quod  omnium  maxime  miratus  sum  ,  quamvis  innumerae  na- 
«  tiones  in  eam  urbem  convenerint ,  quibus  necesse  sit  deos  patrios  dome- 
«  sticoritu  colère,  nulla  tamen  peregrina  sacra  sunt  recepta publiée, 
«  quod  multis  jàm  urbibus  accidit.  »  Denys  d'Halicarnasse ,  ibid. ,  cap.  7, 
n.  3.  (Édition  de  Leipsik,  1691,  in-fol.,  1. 1,  p.  90.) 

(2)  «  Romulus,  acceptis  àdeo  certis  signis,  advocatâ  concione  et  indica- 
«  tis  auspiciis,  rex  omnium  consensu  declaratur,  et  morem  instituit  in 
«  posterum  ,  ne  quis  regnum  assumeret,  magistratumve  iniret,  nisi  et  deus 
«  idem  probaret ,  estque  hsec  auspicii  lex  apud  Romanos  longé  observata, 
«  non  solum  sub  regibus,  verùm  etiàm  sublatà  monarchiâ,  in  consulum, 
«  imperatorum ,  caeterorumque  magistratuum  legitimorum  comitiis.  » 
Ibid.,  cap.  2,  n.  6.  (Page  81  de  l'édition  de  Leipsik.)  —  Cicéron,  De  Divin. 
lib.  i,  n.  2  et  48. 

(3)  Voyez  le  passage  de  Denys  d'Halicarnasse  que  nous  avons  cité 
plus  haut,  note  1.  —  Il  paraît  que  cette  loi  de  Romulus,  toute  sage  qu'elle 
était ,  ne  fut  pas  toujours  observée  dans  la  suite  ;  car  il  est  certain  qu'il  fut 
souvent  nécessaire  de  la  renouveler.  Voyez,  à  ce  sujet,  le  Code  Theodos., 
lib.  îx,  tit.  16,  n.  7  ;  lib.  xvi,  tit.  10,  n.  5.  —  Terrasson,  ubi  suprà,^.  29 
et  30. 


INTRODUCTION.  15 

doce(I),  usage  observé  chez  les  Romains  comme  chez  les 
Grecs  jusqu'à  la  chute  du  paganisme  (2). 

Numa  Pompilius  perfectionna  sur  ce  point,  comme  sur 
plusieurs  autres,  la  législation  de  son  prédécesseur.  Il  aug- 
menta le  nombre  des  prêtres  et  des  temples,  leur  accorda  de 
nombreuses  immunités,  et  rendit  les  cérémonies  de  la  reli- 
gion plus  pompeuses  ,  afin  qu'elles  fissent  plus  d'impression 
sur  le  peuple.  Il  voulut  qu'on  suspendît  la  poursuite  des 
procès  pendant  les  jours  de  fêtes ,  et  que  les  esclaves  eux- 
mêmes  observassent  exactement  les  solennités,  en  suspendant 
leurs  travaux  ;  et  afin  que  personne  n'ignorât  quel  jour 
tombait  chacune  de  ces  fêtes,  il  ordonna  qu'elles  fussent 
inscrites  dans  un  calendrier  public  (5).  Une  autre  loi  de 
Numa  défendit  de  faire  aucune  statue  ni  aucune  image  pour 
représenter  la  Divinité ,  déclarant  que  c'était  un  crime  de 
croire  que  Dieu  eût  la  figure  d'une  bête ,  ou  même  d'un 
homme (4).  S'il  est  vrai,  comme  Plutarque  l'avance,  que 

(1)  «  Neqne  venalia  esse  voluit  sacerdotia,  neque  sorte  distribui  ;  sed  lege 
«  sanxit  ut  è  singulis  curiis  legerentur  bini  annum  egressi  quinquagesimum , 
«  qui  virtute  ac  génère  prœcellerent  cœteros ,  opesque  haberent  suffi- 
«  cientes,  et  integro  essent  corpore.  His  non  ad  certum  tempus,  sed  in  omnem 
«  vitam  eum  honorera  concessit,  immunibus  propter  aetatem  à  militiâ,  et 
«  propter  privilegium  exemptis  ab  urbanïs  molestiis.  »  Ibïd. ,  cap.  7, 
n.  7,  p.  92  de  l'édition  de  Leipsik. 

(2)  Prudence ,  poète  chrétien  du  ive  siècle ,  fait  allusion  à  cet  ancien  usage, 
dans  un  hymne  composé  en  l'honneur  de  S.  Laurent,  où  il  décrit  en  ces 
termes  les  fruits  de  la  mort  du  saint  martyr  : 

«  Quidquid  Quiritum  sueverat 
«  Ornare  nseniasNumae, 
«  Christi  frequentans  atria, 
«  Hymnis  résultat  martyrem.  » 
«  Ipsa  et  senatûs  lumina , 
«  Quondàm  Luperci  et  Flamines, 
«  Apostolorum  et  martyrum 
«  Exosculantur  limina.  »  ^ 

Prudence,  Peristephanon  ;  hymn.  Il,  v.  517;  Biblioth.  PP.,  t.  v, 
p.  115,  col.  1.  —  Beugnot,  Hist.  de  la  destruction  du  Pagan.,t.  i,  p.  389. 

(3)  «  Feriisjurgia  amovento ,  easque  in  famulis,  operibus  patratis ,  haben- 
«  to.  Itaque,  ut  ita  cadat,  in  annuis  amfractibus  descriptum  esto.  »  (i.  e. 
in  anni  curriculis  et/astis.)  Cicero,  DeLegibusf  lib.  n,  n.  8. 

(4)  «  Hic  vetuit  Romanis  hominis  vel  bestiae  formain  tribiiere  deo;  neque 
-  fuit  ulla  apud  eos  antè  vel  picta  vel  ticta  imago  deij  sed  primos  centura 


tl. 
Lois  des  Douze 


16  INTRODUCTION. 

Numa  fut  l'auteur  de  cette  loi ,  il  y  a  tout  lieu  de  croire 
qu'elle  était  puisée  dans  la  législation  des  Juifs,  ou  dans 
quelqu'une  de  ces  traditions  primitives  que  le  paganisme  a 
bien  pu  obscurcir,  mais  qu'il  n'a  jamais  entièrement  anéan- 
ties. Du  moins  est-il  certain  que  la  législation  de  Romulus  et 
de  Numa,  telle  que  les  historiens  nous  l'ont  transmise,  a  trop 
de  rapports  avec  celles  des  Grecs  et  de  quelques  autres  peu- 
ples orientaux ,  pour  qu'on  puisse  s'empêcher  de  regarder 
ces  dernières  comme  les  sources  primitives  de  l'ancienne  lé- 
gislation de  Rome. 

Quoi  qu'il  en  soit  de  cette  conjecture ,  il  est  à  remarquer 
Tawéfc"""  que  la  plupart  des  lois  de  Romulus  et  de  Numa ,  que  nous 
venons  de  citer,  se  retrouvent  non-seulement  dans  le  code 
Papyrien,  attribué  à  Tarquin  le  Superbe  (4),  mais  encore 
dans  les  Lois  des  Douze  Tables,  qui  ont  toujours  été  en  si 
grande  estime  chez  les  Romains,  et  que  Cicéron  en  particu- 
lier mettait  au-dessus  de  tout  ce  que  les  philosophes  avaient 
écrit  de  plus  parfait  en  matière  de  gouvernement  (2).  Il  ne 
nous  reste  de  ce  dernier  recueil  que  quelques  fragments  et 
quelques  notions  éparses  dans  plusieurs  anciens  auteurs; 
mais  ces  fragments  suffisent  pour  montrer  que  la  religion 
était  un  des  principaux  objets  de  ce  code  (5).  Il  était  divisé 

«  sexaginta  annos  templa  extruxerunt  et  cellas  diis,  simulacrum  per  id  tem- 
«  poris  nullum  habuerunt,  nefas  putantes  augustiora  exprimere  humiliori- 
«  bus,  neque  aspirari  aliter  ad  deum  quàm  mente  posse.  »  Plutarque,  Vie  de 
Numa.  (  Œuvres  de  Plutarque;  édition  d'Anvers,  1620,in-fol.  1. 1,  p.  65.) 

(1)  Terrasson,  ubi  suprà,  §  4  et  5. 

(2)  «  Fremant  omnes  licet,  dicam  quod  sentio  :  Bibliothecas,  mehercule, 
«  omnium  philosophorum  unus  mihi  videtur  xn  Tabularum  libellus,  si  quis 
«  legum  fontes  et  capita  viderit,  et  auctoritatis  pondère,  et  utilitatis  ubertate 
«  superare.  »  Cicero,  De  Oratore,  lib.  i,  n.  44. — Rollin,  Hist.  Romaine, 
liv.  iv,  an.  de  R.  306  ;  t. "il,  édit.  de  1769,  p.  171,  etc. 

(3)  Jacques  Godefroy  est  le  premier  qui  ait  essayé  de  rétablir  ces  fragments 
dans  l'ordre  naturel.  Il  a  publié  le  résultat  de  son  travail ,  sous  ce  titre  : 
Fragmenta  duodecim  Tabularum,  1616,in-4°.  Il  résulte  des  rechercbes 
de  ce  savant  jurisconsulte ,  que  les  huit  premières  tables  avaient  pour  objet 
le  Droit  privé  ;la  neuvième,  le  Droit  public  ;  et  la  dixième,  le  Droit  sa- 
cré. La  onzième  et  la  douzième  renfermaient  divers  suppléments  aux  pré- 
cédentes. On  trouve  un  recueil  plus  exact  et  plus  complet  de  ces  lois  dans 
l'ouvrage  déjà  cité  de  Terrasson ,  2e  partie  ;  et  dans  celui  de  Bouchaud  ; 
Commentaire  sur  la  loi  des  Douze  Tables,  1800,  2  vol.  in-4°. 


INTRODUCTION.  17 

en  trois  parties,  dont  la  première  concernait  le  droit  privé, 
la  seconde  le  droit  public,  et  la  troisième  le  droit  sacré. 
Les  fragments  qui  nous  restent  de  cette  troisième  partie 
concernent  principalement  le  serment  et  les  sépultures,  que 
tous  les  anciens  peuples  regardaient ,  après  les  sacrifices , 
comme  les  principaux  actes  de  la  religion.  II  est  statué,  dans 
cette  dernière  partie,  que  tous,  à  l'exemple  des  ancêtres, 
doivent  regarder  le  serment  comme  une  loi  inviolable ,  qui 
nous  lie  également  envers  Dieu  et  envers  les  hommes  (4); 
qu'on  doit  bannir  des  funérailles  le  luxe ,  le  deuil  outré ,  et 
plusieurs  autres  pratiques  singulières,  ou  peu  ^conformes  à 
l'esprit  de  la  religion  qui  doit  présider  à  ces  lugubres  céré- 
monies (2). 

Toute  la  suite  de  l'histoire  montre  quel  était  le  profond        ï2. 
respect  des  anciens  Romains  pour  la  religion ,  et  même  de SS. 
combien  ils  tenaient  à  honneur  d'être  regardés  comme  la  u"  déadcaM 
nation  du  monde  la  plus  religieuse.  «  Les  Romains ,  dit  à    république. 
«  ce  sujet  Valère  Maxime,  ont  toujours  cru  devoir  mettre  la 
«  religion  au  premier  rang,  et  la  préférer   même  à  tout  ce 
€  qui  pouvait  intéresser  davantage  la  gloire  et  la  puissance 
«  de  leur  nation  (5).  »  C'est  ce  qui  faisait  dire  à  Gicéron, 
parlant  en  plein  sénat,  «  que  les  Romains  cédaient  volontiers 
«  la  force  aux  Gaulois  ,  la  ruse  aux  Carthaginois ,  le  succès 
«  aux  Grecs  dans  les  arts  ;  mais  qu'ils  se  flattaient  de  sur- 
«  passer  en  piété  et  en  religion  tous  les  autres  peuples  (4).  » 

(1)  «  Nullum  enim  vinculum  ad  adstringendam  fidem  jurejurando  ma- 
«  jores  arctius  esse  voluerunt.  Id  indicant  leges  in  xn  Tabulis,  indicant  sa- 
«  cratae,  indicant  fœdera,  quibus  etiam  cum  hoste  devincitur  fides ,  etc.  » 
Cicero,  De  Ofjic. ,  lib.  m,  n.  31. 

(2)  «  Jam caetera  in  xu  (Tabulis),  minuendi  sumptus  lamentationesque 
«  funeris,  translata  de  Solonis  ferè  legibus.  Hoc  plus ,  inquit,  ne  facito  : 

«  rogum  asciâ  ne  polito  : mulieres  gênas  ne  radunto,  neve  lessum 

«  (i.  e.  ejulationem)/Mnem  ergo  habento,  etc.  »  Idem.  De  Legib.,  lib.  n, 
n.  23,  etc. 

(3)  «  Omnia  namque  post  religionem  ponenda  semper  nostra  civitas 
duxit;  etiam  in  quibus  summse  majestatis  conspici  decus  voluit.  »  Valer. 
Max.  De  dictis  factisque  memorabilibus  ,  lib.  i,  cap.  l,  n.  9. 

(4)  «  Necrobore  Gallos,  nec  calliditate  Pœnos,  nec  artibus  Grœcos  ; 

*  sed  pietate  ac  religione omnes  gentes  nationesque  superavimus.  »  Ci- 
Si 


18  INTRODUCTION. 

C'est  à  ce    profond  respect  pour  la  religion    qu'ils    attri- 
buaient toutes  leurs  victoires ,  et  ce  haut   degré  de  puis- 
sance qui  les  distinguait  entre  tous   les  peuples.  «  Je  suis 
«  persuadé,  dit  le  pontife  Cotta  dans  Cicéron,  que  Romulus, 
a  par  l'établissement  des  auspices,  et  Numa  par  celui  des 
«  sacrifices,  ont  jeté  les  fonde  nents  de  Rome  ,  qui  n'aurait 
«  pu  s'élever  à  ce  haut  point  de  grandeur,  si  elle  ne  s'était 
«  attiré,  par  sa  religion,  la  protection  des  dieux (\).  »  Valère 
Maxime  adopte  expressément  cette  opinion,  dans  son  ouvrage 
déjà  cité  :  «  Il  n'est  pas  étonnant,  dit-il,  que  la  bonté  des 
«  dieux  ait  constamment  veillé  à  la  conservation  et  à  l'ac- 
«  croissement  de  cet  empire ,  qui  respecte  si  scrupuleuse- 
«  ment  les  moindres  observances  de  la  religion,  et  qui  a  de 
«  tout  temps  observé,  avec  la  plus  exacte  fidélité,  leà  cérémo- 
«  nies  du  culte  divin  (2).  »  Cette  persuasion  était  si  répan- 
due parmi  les  païens ,  pendant  les  premiers  siècles  de  l'ère 
chrétienne,  que  le  philosophe  Celse  prétendait  relever  les 
dieux  des  Romains  au-dessus  de  celui  des  Juifs,  par  la  si- 
tuation si  différente  de  Pun  et  de  l'autre  peuple.  «Les  Ro- 
«  mains,  disait-il  en  parlant  aux  Juifs,  sont  maîtres  de  toute  la 
«  terre  ;  et  vous ,  il  ne  vous  en  reste  pas  un  pouce  :  vous 
«  êtes  errants ,  et  obligés  de  vous  cacher,  pour  échapper  à 
«  ceux  qui  veulent  vous  exterminer  (5).  » 
Il  est  sans  doute  permis  de  penser  que,  chez  les  Romains 


cero,  De  haruspic.  responsis,  n.  9.  «  si  conferre  volumus  nostra  cum 
«  externis ,  caeteris  rebns  aut  pares ,  aut  etiam  inferiores  reperiemur  ;  re 
«  ligione,  id  est  cultu  deorum,  multô  superiores.  »  De  nat.  Deor.,  lib.  n 
cap.  3. 

(1)  «  Harum  ego  religionum  (religionum  scilicet  populi Romani  )  nul 
«  lam  unquàm  contemnendam  putavi;  mihique  ita  persuasi ,  Romulum  au 
«  spiciis ,  Numam  sacris  constitutis ,  fundamenta  jecisse  nostrae  civitatis 
«  quae  nunquàm  profectô ,  sine  summâ  placatione  deorum  immortaliura 
«  tanta  esse  potuisset.  »  Cicero,  De  nat.  Deor.>  lib.  m,  cap.  2. 

(2)  «  Nonmirum  igitur,  si  pro  eo  imperio  augendo  custodiendoque  per- 
«  tinax  deorum  indulgentia  semper  excubuit,  quod  tam  scrupulosâ  cura 
«  parvula  quoque  momenta  religionis  examinare  videtur  ;  quia  nunquàm 
«  remotos  ab  exactissimo  cultu  caeremoniarum  oculos  habuisse  nostra  civi- 
«  tas  existimanda  est.  »  Val.  Max.,  lib.  i,  cap.  1,  n.  8. 

(3)  Origène,  Adv.  Celsum,  lib.  vin,  n.  69. 


INTRODUCTION.  19 

comme  chez  les  Grecs  ,  les  philosophes  et  tous  les  hommes 
vraiment  instruits ,  en  témoignant  extérieurement  un  si 
profond  respect  pour  la  religion  établie,  étaient  bien  moins 
inspirés  par  une  piété  sincère  envers  les  dieux,  que  par  une 
politique  intéressée  à  entretenir  ou  à  ménager,  sur  ce  point, 
les  opinions  populaires.  On  doit  même  reconnaître  que  , 
dans  les  derniers  temps  de  la  république  et  sous  les  pre- 
miers empereurs,  le  gouvernement,  qui  se  montrait  en  géné- 
ral si  attaché  à  la  religion  nationale,  laissait  en  même  temps 
aux  particuliers  une  grande  liberté  de  parler  et  d'écrire 
contre  cette  religion  (\).  Elle  était  impunément  insultée  par 
les  poètes  sur  le  théâtre,  par  les  philosophes  dans  leurs 
écoles,  par  les  orateurs  en  plein  sénat;  eî  Cicéron  lui-même, 
adressant  publiquement  la  parole  à  des  juges,  osait  parler  de 
l'immortalité  de  l'âme  comme  d'une  vaine  et  fausse  opi- 
nion (2).  C'était  là  sans  doute  une  conséquence  manifeste,  et 

(1)  Voyez ,  à  l'appui  de  cette  assertion ,  le  Mémoire  déjà  cité  de  Burigny, 
Sur  le  respect  des  anciens  Romains  pour  la  religion  (  édition  in-4°, 
t.  xxxiv,  p.  120-125  ). 

Cette  inconséquence  qui  nous  étonne,  se  retrouve  à  bien  d'autres  épo- 
ques de  l'histoire ,  dans  les  temps  même  et  chez  les  peuples  qui  se  piquent 
le  plus  de  philosophie.  Dans  ces  derniers  temps  encore  ,  et  même  de  nos 
jours ,  c'est  une  maxime  généralement  reconnue  des  philosophes  et  des  po- 
litiques, que  la  religion  est  le  fondement  nécessaire  de  la  société,  et  le  plus 
ferme  appui  de  l'ordre  public.  Machiavel  et  Montesquieu  ne  s'expriment  pas 
là-dessus  moins  fortement  que  Bossuet.  (Machiavel,  Réflexions  sur  Tite-Live, 
liv.  Ier,  chap.  2.  — Montesquieu,  Esprit  des  Lois,  liv.  xxiv,  chap.  2,  3,  etc. 
—  Bossuet,  Politique  sacrée.  )  C'est  sur  ce  principe,  que  tous  les  gouver- 
nements croient  devoir  accorder  une  protection  particulière  à  la  religion 
dominante,  soit  qu'ils  la  reconnaissent  comme  religion  de  l'État,  ou  seulement 
comme  la  religion  professée  parla  plus  grande  partie  de  la  nation.  Cependant, 
qu'y  a-t-il  de  plus  ordinaire  que  de  voir  cette  même  religion  publiquement 
attaquée  dans  les  chaires  publiques  d'enseignement,  et  jusque  sur  le  théâ- 
tre, sans  que  le  gouvernement  se  mette  aucunement  en  peine  de  réprimer 
ce  scandale? 

(2)  Dans  son  Discours  pour  Cluentius  Avitus,  Cicéron  voulant  prouver 
que  l'accusé  n'est  pas  réellement  coupable  de  la  mort  d'Oppiniacus ,  son  en  - 
nemi ,  et  qu'il  n'avait  même  aucune  raison  plausible  de  se  porter  à  ce  crime, 
s'exprime  ainsi  :  «  Nam  nunc  quidem,  quid  tandem  illi  (Oppiniaco)  mors 
«  attulit?  Nisi  forte  ineptiis  ac  fabulis  ducimur ,  ut  existimemus  illum 
«  apud  inferos  impiorum  supplicia  perf'erre,  ac  plures  illic  offendisse  inimi- 
«  cos  quàm  hic  reliquisse  ;  à  socrûs,  ab  uxorum,  à  fratris,  à  liberorum  pœnis 
«  actum  esse  praecipitem  in  sceleratorum  sedem  atque  regionem.  Quœ  sifalsa 

2. 


ministres  de  la 
religion. 


20  INTRODUCTION. 

un  des  principaux  résultats  de  la  décadence  des  mœurs; 
toutefois,  il  demeure  constant  que,  chez  les  Romains  comme 
chez  tous  les  peuples  anciens,  l'alliance  de  la  religion  et  du 
gouvernement  était  fondée  sur  la  constitution  même  de  l'É- 
tat ,  et  généralement  regardée ,  par  les  philosophes  et  les 
législateurs,  comme  essentielle  au  bien  public  et  à  l'ordre  de 
la  société. 
l3  De  là  vinrent  en  particulier  les  honneurs  et  les  privilèges 

^cônifraux0  accordés  de  tout  temps,  chez  les  Romains,  aux  ministres  sa- 
crés (\).  Ils  étaient  exempts  des  fonctions  curiales  ou  muni- 
cipales, qui  entraînaient  avec  elles  des  embarras  ou  des  dé- 
penses considérables  (2).  Les  principaux  d'entre  eux,  qu'on 
appelait  pontifes  ou  flamines,  étaient  dispensés  du  ser- 
ment en  justice;  il  était  même  défendu  de  le  leur  deman- 
der :  lorsqu'on  avait  besoin  de  leur  témoignage  dans  une  af- 
faire juridique,  on  s'en  rapportait  à  leur  simple  déposition  , 
parce  qu'on  était  persuadé  que  la  parole  d'un  ministre  des 
dieux  valait  le  serment  des  autres  hommes  (5). 

«sm£,  idquod  omnes  intelligunt,  quid  ei  tandem  (Oppiniaco)  aliud  mors 
«  eripuit,  prseter  sensum  doloris?  »  Cicero,  Orat.  pro  Cluentio,  n.  61.  On 
sait  que  Cicéron ,  conformément  au  système  de  la  nouvelle  académie  qu'il 
avait  embrassé ,  soutient  souvent  le  pour  et  le  contre ,  sur  un  même  sujet. 
C'est  ce  qu'il  fait,  en  particulier,  par  rapport  à  l'immortalité  de  l'âme.  (Le- 
land,  Démonst.  évang.,  t.  iv,  3e  partie,  chap.  4 ,  §  7  ;  chap.  6,  §  3.  ) 

(1)  Voyez  l'extrait  des  Mémoires  de  Burigny  cités  plus  haut  ,  pag.  1 , 
note  1.  — Gutherius,  De  veterijure  pontificio,  lib.  i,  cap.  28  ;  lib.  n,  pas- 
sim.  —  (  Tom.  v  du  Recueil  de  Graevius,  Thésaurus  Antiquit.  Kom.,  p.  56.  ) 

(2)  Le  témoignage  de  Denys  d'Halicàrnasse  que  nous  avons  cité  plus  haut 
(  page  1  »,  note  1  ),  nous  apprend  que  cette  immunité  avait  été  accordée  aux 
prêtres  par  Romulus.  Une  loi  publiée  par  Constantin  en  335,  leur  confirme 
cette  immunité  dont  ils  avaient  joui  jusqu'alors.  Voici  le  texte  de  cette  loi  : 
«  Quoniam  Afri  curiales  conquesti  sunt  quosdam  in  suo  corpore,  postjla- 
«  minit  honorem  et  sacerdotii  vel  magistratûs  decursa  insignia,  praepo- 
«  sitos  compelli  tieri  mansionum  (i.  e.  annonarum  ),  quod  in  singulis  curiis, 
«  sequentis  meriti  et  gradûs  homines  implere  consuêrunt,  jubemus  nullum 
«  praedictis  honoribus  splendentem,  ad  memoratum  cogi  obsequium ,  ne 
«  nostro  fieri  judicio  injuria  videatur.  »  Cod.  Theod.,  lib.  xii,  tit.  1,  n.  21. 

L'importance  de  cette  immunité  est  expliquée  par  Godefroy ,  dans  le 
préambule  de  son  Commentaire  sur  ce  xne  livre. 

(3)  «  C  Valerius  Flaccus,  quem  praesentem  creaverant  (aedilem  curulem), 
«  quiajlamen  Dialis  erat,jurare  in  leges  non  poterat.  »  Tite-Live,  Hist., 
lib.  31,  cap.  50. 


INTRODUCTION.  21 

Les  différents  collèges  des  pontifes  formaient,  dans  les 
principales  villes  de  la  domination  romaine,  autant  de  tribu- 
naux, où  Ton  jugeait ,  non-seulement  les  affaires  concernant 
le  culte  des  dieux,  mais  encore  celles  qui  regardaient  les  tes- 
taments, les  adoptions,  l'affranchissement  des  esclaves,  et 
plusieurs  autres  d'une  grande  importance.  Tous  ces  collèges 
reconnaissaient  pour  chef  le  souverain  pontife ,  qui  était  un 
des  hommes  les  plus  distingués  de  l'État,  et  qui  avait,  sur  le 
corps  entier  des  pontifes,  une  juridiction  très-étendue,  même 
dans  l'ordre  temporel.  II  veillait  au  maintien  du  culte  éta- 
bli ,  et  empêchait  l'introduction  des  cultes  étrangers.  Il 
avait  la  direction  du  calendrier  ;  et  ce  fut  en  qualité  de 
grand  prêtre  que  Jules  César  réforma  celui  qui  était  alors 
en  usage.  Il  possédait  aussi  le  livre  des  fastes  (4),  à  l'exclu- 
sion de  toute  autre  personne  ;  ce  qui  lui  donnait  la  facilité 
d'avancer  ou  de  reculer  le  jugement  des  affaires  les  plus  im- 
portantes, et  souvent  de  traverser  les  desseins  des  principaux 
magistrats  de  la  république  (2).  En  un  mot,  son  pouvoir  et 


Plutarque ,  dans  ses  Questions  ou  Problèmes  sur  les  coutumes  des  Ro- 
mains, ne  se  contente  pas  d'énoncer  le  fait  de  cette  exemption  ;  mais  il  en 
expose  les  motifs  en  ces  termes  :  «  Cur  flamini  Diali  non  licet  jurare  ?  Sive 
«  quia  tormentum  liberisest  jusjurandnm,  sacerdotem  verô  quoad  animum et 
«  corpus,  oportet  torturseesse  expertem;  sive  quia  non  convenit  ei  cui  sa- 
ie cra,  id  est,  maxima  credimus,  in  minimis  fidem  non  adhibere  ;  sive  quôd 
«  omne  jusjurandum  in  execrationem  perjurii  desinit,  quae  quidem  execra- 
«  tio  funesta  est  et  exitiosa;  unde  aliis  dira  imprecari  sacerdotes  lege  pro- 
«  hibentur  ;...  sive  quia  perjurii  discrimen  omnibus  commune  futurum  es- 
te set,  si  nefario  et  perjuro  supplicationum  sacrorumque  urbis  curacommit- 
«  teretur.  »  Plutarque,  Quœst.  Rom.  sive  Problemata,  n.  43.  (  Œuvres  de 
Plutarque,  édition  d'Anvers,  1620,  in-fol. ,  t.  n,  p.  275,  C)  Le  texte  de 
Tite-Live,  que  nous  venons  de  citer,  ne  parle  que  de  l'exemption  du  Jlamine 
Diale,  c'est-à-dire,  du  grand  prêtre  de  Jupiter.  Mais  les  raisons  de  cette 
exemption,  exposées  par  Plutarque,  supposent  que  les  autres  pontifes  jouis- 
saient du  même  privilège.  Voyez,  à  l'appui  de  cette  explication,  l'ouvrage  de 
Hansenius ,  De  jurejurando  veterum ,  cap.  30.  (  Tome  v  du  Recueil  de 
Graevius,  Thésaurus  Antiquit.  Rom.  p.  863,  etc.  ) 

(  t  )  Le  livre  des  fastes  était  une  espèce  de  calendrier  qui  indiquait  les 
jours  où  il  était  permis  de  plaider. 

(2)  Censorinus,  auteur  du  troisième  siècle,  parlant  des  défauts  du  calen- 
drier avant  Jules  César,  les  attribue,  en  grande  partie,  au  pouvoir  qu'a» 
vaient  autrefois  les  pontifes  de  le  régler,  et  à  l'abus  qu'ils  faisaient  souvent 
de  ce  pouvoir,  pour  servir  leurs  intérêts  particuliers  :  «  Quod  delictum  (  de* 


tiens. 


22  INTRODUCTION. 

ses  privilèges  étaient  6i  étendus,  que  l'empereur  Auguste  et 
ses  successeurs,  lorsqu'ils  voulurent  concentrer  dans  leur 
personne  toute  l'autorité  des  principales  magistratures  de  la 
république,  jugèrent  important  de  réunir  le  titre  de  souve- 
rain pontife  à  tous  ceux  qui  étaient  attachés  à  la  dignité 
impériale.  On  remarque  même  que,  dans  l'énoncé  de  leurs 
titres,  ils  mettaient  celui  de  souverain  pontife  à  la  tête  de 
tous  les  autres,  même  avant  celui  de  dictateur (\). 
.  ..  l4;  C'est  par  une  suite  de  cet  ancien  usage,  qu'on  voit,  dans 

Le  titrede  sou-  r  o    '    T  ' 

rera in  pontife  plusjeurs  anciens  monuments  ,  le  titre  de  souverain  pon- 

donne  aux       »  '  ± 

premiers  em-  ^re   donné    aux    premiers   empereurs   chrétiens ,   jusqu'au 

pereurscure         '  *  r  >    J         i 

temps  de  Gratien  ,  qui  le  refusa  formellement  (2).  D'ha- 
biles critiques,  il  est  vrai,  ont  douté  que  les  empe- 
reurs chrétiens  aient  jamais  accepté ,  ou  pu  accepter  ce 
titre  (5)  ;  mais  il  est  constant  que  les  païens  continuèrent  à 
le  leur  donner;  et  il  est  bien  difficile  de  croire  qu'ils  eussent 
persisté  si  longtemps  à  donner  aux  empereurs  chrétiens  un 
titre  que  ceux-ci  n'eussent  pas  accepté,  ni  même  voulu  ac- 
cepter, et  qui  leur  donnait  tant  de  moyens  de  ruiner  peu  à 


«  fectum  scilicet  calendarii  )  ut  corrigeretur,  dit-il ,  pontificibus  datum  est 
«  negotium,  eorumque  arbitrio  intercalandi  ratio  permissa.  Sed  horum  ple- 
«  rique,  ob  odium  vel  gratiam,  quô  quis  magistratu  citiùs  abiret,  diutiùs- 
«  ve  fungeretur ,  aut  publici  redemptor  ex  anni  magnitudine  in  lucro  dam- 
«  nove  esset,  plus  minùsve  ex  libidine  intercalando ,  rem  sibi  ad  corrigen- 
«  dum  mandatam  ,  ultrô  depravarunt  ;  adeoque  aberratum  est,  ut  C.  Caesar, 
«  pontifex  maximus,...  quô  retrô  delictum  corrigeret,  duos  menses  interca- 
«  larios  interponeret ,  etc.  »  Censorinus,  De  die  natali,  cap.  20;  Ham- 
«  burgi,  1614,  in-4°,  p.  106. 

(1)  Gutherius ,  ubi  suprà,  lib.  i,  cap.  11.  —  Tillemont ,  Histoire  des  Em- 
pereurs^, i,  p.  17 — Voyez  aussi,  dans  le  recueil  des  Mémoires  de  l'A- 
cadémie des  inscriptions  et  belles-lettres,  plusieurs  Mémoires  de  M.  de  la 
Bastie,swr  le  souverain  pontificat  des  empereurs  romains  (t.  xviu  et 
xxii  de  l'édition  in-12).  Ces  Mémoires  sont  analysés  par  Eckhel,  Doctrina 
nummorum  veterum,  t.  vin,  p.  380,  etc. 

(2)  Quatrième  mémoire  de  M.  delà  Bastie,  sur  le  souverain  pontificat 
des  empereurs  romains.  —  Annales  de  Baronius,  anno  312,  n.  93,  etc.  — 
Bosius,  De  pontificatu  max.  imper.  Roman.  (  Dans  le  Recueil  de  Graevius, 
Thesaur.  Antiquit.Rom.,  t.  v,  p.  271,  etc.) 

(3;  Tillemont,  Hist.  des  Empereurs,  t.  iv,  p.  139  et  635;  t.  v,  p.  138  et 
705.  — Fleury,  Hist.Eccl.,  t.  iv,  liv.  xvii,  n.  24 Pagi,  Critica  in  Anna- 
les Baronii,  anno  312. 


INTRODUCTION.  23 

peu  le  paganisme,  sous  prétexte  d'en  corriger  les  abus.  Il 
semble  plus  naturel  de  dire,  avec  le  cardinal  Barohius  et 
quelques  antres,  que  les  raisons  à* État,  et  l'avantage  même 
de  la  religion,  concouraient  à  lever,  sur  ce  point,  les  scru- 
pules des  empereurs.  D'un  côté,  le  titre  de  souverain 
pontife  leur  donnait,  dans  l'ordre  temporel ,  un  pouvoir 
dont  il  leur  importait  de  n'être  pas  privés  ;  d'un  autre  côté, 
la  profession  ouverte  qu'ils  faisaient  du  christianisme  ne  per- 
mettait pas  de  supposer  qu'en  prenant  ou  acceptant  ce  titre, 
ils  prétendissent,  en  aucune  manière,  favoriser  ou  soutenir 
l'idolâtrie.  «  S'abstenant,  comme  ils  faisaient,  de  toute  fonc- 
«  tion  pontificale,  contraire  au  christianisme,  ils  s'imagi- 
«  naient  pouvoir,  en  conscience,  garder  un  nom  qu'ils  dé- 
«  testaient  dans  le  cœur,  en  attendant  que  la  politique  leur 
«  permît  de  le  rejeter  (A).  » 

Mais,  quoi  qu'il  en  soit  du  titre  de  souverain  pontife,        l5 
donné  aux  premiers  empereurs  chrétiens,  il  est  certain  que  P"  prêtes 
les  prêtres  païens  continuèrent  à  jouir  de  leurs  anciens  pri-  pa „,"s  souT^ 
viléges ,  longtemps  après  la  conversion  de  Constantin  (2). 
L'exemption  des  charges  curiales  en  particulier  leur  fut 
confirmée  sous  le  règne  de  ce  prince ,  par  deux  lois  diffé- 
rentes ,  publiées  en  535  et  557  ;  on  remarque    seulement 
que  la  dernière  de  ces  lois  restreint  aux  flamines  perpétuels, 
cette  immunité,  dont  jouissaient  auparavant  tous  les  flamines 
sans  exception  (5).  Valentinienler,  non  content  de  maintenir 

(1)  Labletterie ,  Vie  de  l'empereur  Julien,  liv.  in,  p.  232.  —  Idem,  Vie 
de  l'empereur  Jovien,  p.  106. 

M.  Beugnot,  dans  son  Histoire  de  la  destruction  du  paganisme  en  Occi- 
dent, regarde  comme  un  fait  incontestable,  non-seulement  que  le  titre  de 
souverain  pontife  a  été  donné  à  Constantin ,  mais  que  ce  prince  en  a  quel- 
quefois rempli  certaines  fonctions ,  contraires  à  l'esprit  et  aux  principes 
du  christianisme  (t.  i,  p.  89-92).  Il  s'en  faut  beaucoup  que  celte  assertion  de 
M.  Beugnot  soit  établie  par  des  preuves  décisives.  Le  quatrième  mémoire  de 
M.  de  la  Bastie  peut  servir  de  correctif,  sur  ce  point,  à  l'ouvrage  de  M.  Beu- 
gnot. 

(2)  Beugnot,  Histoire  de  la  destruction  dupagan.  en  Occident,  t.  i, 
p.  33,  234,  etc.,  329,  etc.,  353,  etc. 

(3)  Nous  avons  rapporté  plus  baut  (p.  20,  note  2)  la  première  de  ces  lois. 
Voici  le  texte  de  la  seconde  :  «  Sacerdotes  et  flamines  perpetuos ,  atque 


Constantin  et 
ses  succes- 
seurs. 


24  INTRODUCTION. 

leurs  anciens  privilèges ,  accorda  de  nouvelles  distinctions  à 
ceux  qui  se  seraient  bien  acquittés  de  leurs  fonctions  ;  il  les 
éleva  à  la  dignité  de  comtes  ,  dont  les  privilèges  étaient  fort 
étendus,  et  qui  ne  s'accordait  qu'aux  citoyens  les  plus  recom- 
mandablespar  le  zèle  et  la  probité  dont  ils  avaient  fait  preuve 
dans  l'administration  publique  (\).  Il  paraît -que  les  prêtres 
païens  continuèrent  à  jouir  de  ces  immunités  jusqu'au  règne 
de  Gratien  et  de  Théodose  ,  qui  donnèrent  les  derniers  coups 
au  paganisme  dans  l'empire  :  le  premier,  en  dépouillant  les 
temples  de  leurs  biens,  et  le  second,  en  interdisant  absolu- 
ment l'exercice  de  l'idolâtrie,  ou,  du  moins,  en  exécutant  plus 
rigoureusement  les  lois  déjà  publiées  contre  elle  par  les 
premiers  empereurs  chrétiens. 
ï6.  Une  conséquence  également  remarquable  du  respect  des 

Prohibition  *  a  ■*  ... 

des  cuites    anciens  Romains  pour  la  religion  de  l'État,  était  la  prohibi- 

é (rangers  chez  l  ° 

\es  anciens    tion  générale  des  cultes  étrangers  oui  n'étaient  pas  autorisés 

Ilomains.  °  u  *  r 

par  les  lois  (2).  Les  expressions  de  Tite-Live,  à  ce  sujet, 
sont  dignes  d'attention  :  «  Les  plus  sages  de  nos  pères,  dit-il, 
«  ceux  qui  ont  le  mieux  connu  le  droit  divin  et  humain, 

«  etiam  duumvirales,  ab  annonarum  praeposituris  inferioribusquemuneribus 
«  immunes  esse  praecipimus.  Quod  ut  perpétua  observatione  firmetur,  legem 
«  incisam  neneis  tabuîis  jussimuspublicari.  »  Cod.  77ieod.,lib.xn,tit.v,n.  2. 

(1)  «  Qui  ad  sacerdotium  provinciœ  et  principalis  (  seu  primatis)  ho- 
«  norem  gradatim  et  per  ordinem,  muneribus  expeditis  (  non  gratiâ  emen- 
«  dicatis  suffrages)  et  labore  pervenerint,  probatis  aclibus,  si  consonaest 
«  civium  fama,  et  publiée  ab  universo  ordine  comprobantur ,  habeantur 
«  immunes,  otio  fruituri  quod  continui  laboris  testimonio  promerentur;.... 
«  honorem  ctiam  eis  ex  comUibus  addi  censemus ,  quem  hi  consequi  so- 
«  lent  qui  fidem  diligentiamque  suam  in  administrandis  rébus  publicis  ad- 
«  probarint.  »  Cod.  Theod.,  ibid.,  tit.  i,n.  75.— Lebeau,  Hist.  duBas-Emp., 
t.  îv,  liv.  xvi,  n.  19.  —  Fleury,  Hist.  Eccl.,  t.  iv,  liv.  xvi,n.  29. 

Celte  loi  de  Valentinien  1er,  et  quelques  autres  actes  de  son  administra- 
tion, l'ont  fait  soupçonner  d'une  espèce  d'indifférence  à  l'égard  de  la  religion 
chrétienne.  Tillemont  croit  pouvoir  le  justifier  en  partie;  cependant  il 
avoue  que  ce  prince  «  soit  par  une  véritable  prudence,  soit  par  une  fausse 
«  politique,  n'a  pas  toujours  témoigné  tout  le  zèle  qu'on  eût  pu  attendre 
«  d'un  confesseur  (  de  la  foi  )  qu'il  avait  hautement  professée  sous  Julien.  » 
(Tillemont,  Hist.  des  Emp.,  t.  v,  p.  10 et  11.) 

(2)  Voy.  le  Mémoire ,  déjà  cité  ,  de  Burigny,  sur  le  respect  des  anciens 
Romains  pour  la  religion.  —  Guénée,  Lettres  de  quelques  Juifs,  1. 1 
2e  partie ,  lettre  3e,  §  3, 


INTRODUCTION.  25 

«  jugeaient  que  rien  n'était  si  propre  à  détruire  la  religion, 
i(  que  de  sacrifier  selon  des  rites  étrangers  (\).  »  Le  même 
historien  rapporte,  en  effet,  un  grand  nombre  de  décrets 
rendus  sur  ce  sujet  par  le  sénat,  à  différentes  époques  de  la 
république,  et  dont  plusieurs  ne  se  bornent  pas  à  interdire 
l'exercice  des  cultes  étrangers,  mais  infligent  des  peines  plus 
ou  moins  sévères  aux  transgresseurs  de  cette  défense  (2. 
Ce  fut  en  vertu  de  ces  décrets,  que  le  préteur  Cornélius 
Hispalus  chassa  de  Rome  (vers  l'an  645  de  sa  fonda- 
tion) ceux  qui  voulaient  y  introduire  le  culte  de  Jupiter  Sa- 
basius  (5),  et  que  le  sénat  fit  abattre  dans  Rome  (en  704)  les 
temples  d'Isis  et  de  Sérapis,  dont  le  culte  n'était  pas  reconnu 
par  les  lois  (4). 

Cette  ancienne  législation  continua  d'être  en  vigueur  sous        «f. 

•  1  -il*»     Celte  probibi- 

1  empire.  Auguste  la  renouvela  même,  par  le  conseil  de  M e-.tum mainte- 
cène,   à  l'occasion  des  cultes  égyptiens  ,  que  l'on  cherchait   Augusie  et 

,  ,    .  .  ,.  .    .  Tibère. 

alors  à  introduire  en  Italie.  Nous  rapporterons  ici ,  d  après 
Dion  Cassius,  le  discours  de  Mécène  à  Auguste  sur  ce  sujet  : 
«  Honorez  vous-même  les  dieux,  lui  dit-il,  selon  l'usage  de 
«  nos  pères,  et  forcez  les  autres  à  les  honorer.  Haïssez  ceux 
«  qui  innovent  dans  la  religion,  et  punissez-les,  non-seule- 
«  ment  à  cause  des  dieux  (car  celui  qui  les  méprise  ne  respecte 
«  rien),  mais  parce  que  ceux  qui  introduisent  de  nouveaux 
«  dieux  engagent  plusieurs  personnes  à  suivre  des  lois  élran- 
«  gères,  et  que  de  là  naissent  des  unions  par  serment,  des  li- 
ft gués,  des  associations,  toutes  choses  dangereuses  dans  la 
«  monarchie.  Ne  souffrez  point  les  athées  ni  les  magi- 
«  ciens,  etc.  (5).  » 

(1)  «  Judicabant  enim  prudentissimi  viri  omnis  divini  humanique  ju- 
«  ris,  nihil  œquè  dissolvendse  religioni  esse,  quàm  ubi  non  patrio  sed  exter- 
«  no  ritu  sacrificaretur.  »  Tit.  Liv.,  Hist.,  lin.  xxxix,  n.  16. 

(2)  Plusieurs  de  ces  décrets  sont  rapportés  par  Burigny  et  Guénée,  ubi 
suprà. 

(3)  Valer.  Maxim.,  lib.  i,  cap.  3,  §  2.  —  Crevier,  Hist.  Rom.t  liv.  27, 
an  de  R.  613.  (T.  vin,  in-12,  p.  516.) 

(4)  Dion  Cassius,  Hist.  Roman.,  lib.  xl,  n.  47.  (Édition  de  Hambourg, 
1750, 1. 1,  p.  252.) 

(5)  Ibid.jlib.  m,  n.  36,  p,  689. 


26  iNTÉOtitJCTtON. 

Auguste  fut  imité,  en  ce  point,  par  Tibère,  qui,  non  con 
tent  de  proscrire  les  cérémonies  égyptiennes,  comprit  dans 
son  décret  les  cérémonies  judaïques,  et  ordonna  que  tous  les 
Juifs  qui  ne  changeraient  pas  de  religion  dans  un  certain 
temps ,  sortissent  d'Italie ,  menaçant  même  de  la  servitude 
perpétuelle  ceux  qui  refuseraient  d'obéir,  Quatre  mille  af- 
franchis furent,  à  cette  occasion,  relégués  en  Sardaigne,  au 
rapport  de  Tacite  (\). 

18.  Cette  ancienne  aversion  des  Romains  et  de  tous  les  an- 

F!Ue  sert  de 

prétexte  aux  ciens  peuples  pour  les  cultes  étrangers,  fut  certainement  Une 
persécuier  les  des  principales  causes  des  oppositions  que  le  christianisme 

chrétiens.  _  •     •  1  1  j       H 

rencontra,  dès  son  origine,  dans  toutes  les  parties  de  1  em- 
pire, et  des  cruelles  persécutions  qu'il  eut  à  essuyer  pendant 
trois  siècles,  de  la  part  des  empereurs  (2).  Les  plus  célèbres 
apologistes  de  la  religion  en  ont  fait  la  remarque  (5);  et  les 
juges  eux-mêmes  donnaient  souvent  pour  motif  de  leurs  sen- 
tences contre  les  chrétiens,  l'obstination  de  ces  derniers  à 
rejeter  les  dieux  de  l'empire  ,  pour  leur  en  substituer  un 
nouveau. 

19.  Nous  n'avons  pas  besoin  de  remarquer  que  ce  motif  ne 

Injustice    de  .      .  .n  j  .  ,         .      •  . 

ce  prétexte,  pouvait  justifier,  aux  yeux  des  païens  tant  soit  peu  équitables, 
les  éditsde  persécution  publiés  contre  le  christianisme.  Quelle 
conduite,  en  effet,  plus  évidemment  injuste  que  celle  des 
païens ,  qui  rejetaient  sans  examen  ,  sous  prétexte  de  nou- 
veauté ,  une  religion  fondée  sur  des  miracles  évidemment 
divins,  et  dont  la  morale  si  pure  commandait  naturellement  le 
respecta  ses  plus  grands  ennemis;  tandis  qu'ils  ne  faisaient  au- 

(1)  Tacite,  Annal. ,  lib.  11,  cap.  85.  —  Dion,  Hist.  Rom.,  lib.  lit,  n.  6, 
p.  735  ;  lib.  lx,  n.  6,  p.  945.-- Tillemont,  Hist.  des  Empereurs,  t.  1,  p.  73. 

(2)  Naudet,  Des  changements  opérés  dans  toutes  les  parties  de  Vad- 
ministration  de  V empire  romain  sous  les  règnes  de  Dioctétien,  Con- 
stantin, etc.,  2e  partie,  §  12.  — Fleury,  Hist.  Eccl.,  tir,  liv.  vm,  n.  25. 

(3)  «  Sed  quoniam,  cùm  ad  omnia  occurrit  veritas  nostra,  postremô  le- 
«  gum  obstruitur  auctoiïtas  adversùs  eam;. .. .  de  legibus  priùs  consistam 
«  vobiscum,  ut  cum  tutoribus  legum.  »  Tertull.,  Apologet.,  §  4. 

Voyez  aussi  Lactance,  Instit.,  lib.  11,  cap.  7  (Mblioth.  PP.,  t.  m  ).  — 
Bossuet,  Explic.  de  VApocal. ,  ch.  3,  n.  4.  (  Œuvres  de  Bossuet,  t.  m, 
p.  185,  etc. 


INTRODUCTION.  [27 

cune  difficulté  de  corriger  tous  les  jours  tant  de  lois  anciennes, 
et  d'admettre  tant  de  cultes  nouveaux?  C'est  ce  que  Tertul- 
lien  représente,  avec  autant  de  force  que  de  confiance,  aux 
magistrats  de  l'empire  et  au  sénat  romain  lui-même,  dans  la 
célèbre  Apologie  qu'il  leur  adressa,  vers  la  fin  du  second  siècle 
de  l'ère  chrétienne  (\).  «  Lorsque  vous  n'avez  plus  rien  à  répon- 
«  dreaux  vérités  qu'on  vous  oppose,  leur  dit-il,  vous  ne  man- 
«  quez  jamais  de  produire  contre  nous  l'autorité  de  vos  lois. . . 
«  Mais  si  votre  loi  s'est  trompée,  c'est  qu'elle  est  l'ouvrage 
«  d'un  homme.  Est-il  donc  étonnant  qu'un  homme  ait  pu 
«  se  tromper  en  faisant  une  loi ,  ou  qu'il  reconnaisse  son 
«  erreur  en  la  révoquant?  Les  Lacédémoniens  n'ont-ils  pas 
«  corrigé  les  lois  de  Lycurgue?  Et  vous-mêmes,  ne  vous  voit- 
«  on  pas  tous  les  jours,  éclairés  par  l'expérience,  réformer 
«  les  lois  anciennes  par  des  édits  et  des  règlements  nou- 

«  veaux  (2)? Je  demanderais  volontiers,  à  ces  religieux 

(t  observateurs  des  lois  de  leurs  ancêtres,  s'ils  ont  toujours 
u  eu  le  même  respect  pour  ces  anciennes  ordonnances  ;  s'ils 
«  ne  s'en  sont  jamais  écartés  ;  s'ils  n'ont  pas  effacé  de  leur 
«  mémoire  celles  mêmes  de  ces  ordonnances  qui  étaient  plus 
«  importantes  et  plus  nécessaires  pour  le  maintien  des 
«  mœurs?  Que  sont  devenues  les  lois  qui  réprimaient  les 
«  dépenses  superflues,  l'ambition,  le  luxe  des  habits,  la  li- 
ft cence  des  théâtres  ,  les  repas  somptueux ,  le  divorce ,  les 
«  superstitions  vaines  et  déshonnêtes?  Pour  ce  qui  regarde 
«  en  particulier  le  culle  des  dieux,  combien  n'avez-vous  pas 
«  aboli  de  règlements  sagement  établis  par  vos  pères?  Les 
«  consuls,  avec  le  consentement  du  sénat,  ont  banni  de  Rome 
«  et  de  l'Italie  Bacchus  avec  ses  mystères  ;  ils  ont  défendu 
«  l'entrée  du  Capitole ,  c'est-à-dire  du  palais  des  dieux ,  à 
«  Sérapis,  à  ïsis,  à  Harpocrate,  à  Anubis,  dont  ils  ont  même 
«  renversé  les  autels,  pour  prévenir  les  désordres  occa- 
«  sionnés  par  de  vaines  et  honteuses  superstitions.  Gepen- 

(1)  Fleury,  Hist.  Eccl.,  t.  n,  liv.  v,  n.  4,  etc. 

(2)  Tertullien ,  Apologétique  ,§  4. 


28  INTRODUCTION. 

«  dant,  vous  avez  rétabli  tous  ces  dieux,  et  vous  leur  avez  con- 
«  fëré  de  nouveau  la  majesté  souveraine.  Où  est  donc  votre 
«  religion?  où  est  le  respect  que  vous  devez  à  vos  ancêtres? 
«  Vous  avez  abandonné  tout  à  la  fois  leur  langage,  leur  sim- 
«  plicité,  leur  modestie,  leur  tempérance;  vous  louez  sans 
«  cesse  l'antiquité,  et  vous  adoptez  tous  les  jours  de  nouvelles 
a  maximes;  et,  tandis  que  vous  abandonnez  les  plus  belles 
«  institutions  de  vos  pères,  celles  mêmes  auxquelles  vous 
«  devriez  être  plus  fortement  attachés,  vous  conservez  celles 

«  que  vous  devriez  être  plus  empressés  de  rejeter  (4) 

«  Chaque  province,  chaque  ville  a  son  dieu  particulier  ; 

«  les  chrétiens  seuls  sont  privés  de  ce  droit  ;  on  ne  les  re- 
«  garde  plus  comme  Romains,  parce  qu'ils  adorent  un  dieu 
«  que   les  Romains  ne  reconnaissent  point  ;   il  est  permis 
«  chez  vous  de    tout  adorer,    excepté   le   dieu   véritable  ; 
«  comme  si  le  dieu  à  qui  tous  les  hommes  appartiennent 
«  n'était  pas  plus  qu'aucun  autre  le  dieu  de  tous  (2).  » 
A  l'appui  de  ces  réflexions,  Tertullien  cite  l'autorité  de 
m«rned^  plusieurs  empereurs  païens,  même  des  plus  renommés  pour 
,m!afcns!es  leur  sagesse,  et  qui,  bien  loin  de  se  croire  obligés,  par  les 
anciennes  lois,  à  persécuter  les  chrétiens,  prenaient  ouverte- 
ment leur  défense,  jusqu'à  menacer  de  punir  leurs  persécu- 
teurs. «  Tibère ,  sous  qui  le  nom  chrétien  a  paru  dans  le 
c  monde,  ayant  été  informé  des  merveilles  que  Jésus-Christ 
«  avait  opérées  en  preuve  de  sa  divinité,  les  fit  connaître  au 
«  sénat,  en  lui  manifestant  le  désir  de  voir  Jésus-Christ  ad- 
«  mis  au  nombre  des  dieux.  Le  sénat  rejeta  cette  proposi- 
«  tion;  mais  l'empereur  demeura  ferme  dans  sa  résolution, 
«  et  menaça  de  punir  ceux  qui  accuseraient  les  chrétiens. 
«  Consultez  vos  registres  publics  ;  vous  y  verrez  que  Néron 
«  est  le  premier  qui  ait  persécuté  la  religion  chrétienne,  à 
«  l'époque  où  elle  commençait  à  se  répandre  dans  Rome  ; 
«  mais  nous  tenons  à  honneur  de  voir  un  prince  de  ce  ca- 

(1)  Tertullien,  Apologétique,  §  6. 

(2)  Tertullien,  Idid.  §  24. 


INTRODUCTION.  29 

«  ractère  à  la  tète  de  nos  persécuteurs;  car,  quiconque  le 
«  connaît,  peut  savoir  qu'il  n'a  jamais  rien  condamné  qui 
«  ne  fût  un  très-grand  bien.  Domitien,  digne  émule  deNé- 
«  ron  pour  sa  cruauté,  voulut  d'abord  imiter  son  exemple  ; 
«  mais  il  changea  bientôt  de  pensée ,  et  rappela  de  l'exil 
«  ceux  qu'il  avait  bannis.  Tels  ont  toujours  été  nos  persécu- 
«  teurs  :  des  hommes  injustes,  impies,  infâmes,  que  vous 
«  condamnez  vous-mêmes,  et  dont  vous  tachez  de  réparer  les 
«  injustices.  Parmi  tous  les  princes  véritablement  humains  et 
«  religieux,  nommez-en  un  qui  ait  poursuivi  les  chrétiens. 
«  Nous,  au  contraire,  nous  vous  en  nommerons  un  qui  s'est 
«  déclaré  leur  protecteur.  Lisez  les  lettres  de  Marc-Aurèle; 
«  vous  y  verrez  que  les  prières  des  soldats  chrétiens  obtin- 
«  rent  une  pluie  abondante  qui  apaisa  la  soif  de  son  armée; 
«  et  s'il  ne  déchargea  pas  ouvertement  les  chrétiens  des 
«  peines  portées  contre  eux,  il  le  fît  d'une  autre  manière,  en 
«  condamnant  leurs  accusateurs  à  des  peines  encore  plus  ri- 
«  goureuses.  Quelles  sont  donc  ces  lois,  qui  ne  sont  observées 
«  contre  nous  que  par  des  impies,  des  injustes,  des  infâmes, 
«  des  furieux,  des  fous,  des  insensés  ;  que  Trajan  éluda  en 
«  partie,  en  défendant  de  rechercher  les  chrétiens;  qui  ne 
«  furent  jamais  invoquées  contre  nous,  ni  par  Adrien,  si  ami 
«  des  sciences;  ni  par  Vespasien,  l'exterminateur  des  Juifs;  ni 
«  par  Ântonin  le  Pieux  ;  ni  par  Marc-Aurèle  ?  Assurément 
«  des  méchants,  tels  qu'on  nous  suppose,  auraient  dû  avoir 
«  pour  persécuteurs  tous  les  gens  de  bien,  et  non  des  hommes 
«  coupables  des  mêmes  désordres  (\).  » 

Tous  ces  détails  sur  l'usage  et  les  maximes  de  l'antiquité,        *t.  î 

■      .  ,     .,,  .  •    j    .  .  Conséquence 

relativement  a  1  étroite  union  qui  doit  exister  entre  la  reh-     naturelle 
gion  et  l'Etat,  nous  ont  entraîné  beaucoup  plus  loin  que  faits. Étroite 
nous  ne  l'avions  d'abord  pensé.  Nous  croyons  cependant  religion  et  de 
qu'ils  ne  sembleront  pas  trop  longs,  eu  égard  au  but  que  les  empereurs 
nous  nous  proposons  dans  cette   Introduction,  qui  est  de 

(1)  Tertullien,  Âpologé(iquef  §  6, 


30  INTRODUCTION. 

faire  connaître  l'origine  des  honneurs  et  des  prérogatives 
temporelles  accordés  à  la  religion  et  à  ses  ministres,  depuis  la 
conversion  de  Constantin.  Il  est  certain,  en  effet,  que  l'usage 
et  les  maximes  de  l'antiquité  suffiraient  seuls  pour  expliquer 
la  conduite  des  princes  chrétiens,  à  cet  égard.  Depuis  la  chute 
du  paganisme,  il  devait  paraître  tout  naturel  de  transporter  à 
la  religion  chrétienne  les  faveurs  dont  la  religion  nationale 
avait  joui  de  tout  temps  chez  les  Romains ,  comme  chez  tous 
les  autres  peuples  du  monde.  L'étroite  union  de  la  religion 
et  de  l'État,  que  tous  les  anciens  législateurs  avaient  jugée 
si  importante  au  bien  de  la  société,  ne  Tétait  pas  moins  de- 
puis l'établissement  du  christianisme  ;  nous  verrons  même 
bientôt  qu'elle  devenait  de  jour  en  jour  plus  nécessaire,  eu 
égard  à  la  situation  déplorable  de  l'empire.  Bien  loin  donc 
de  mériter  aucun  reproche  en  adoptant  ce  principe ,  les 
empereurs  chrétiens  eussent  témoigné  bien  peu  de  zèle  et 
de  respect  pour  la  véritable  religion,  en  la  privant  des  hon- 
neurs et  des  prérogatives  qu'un  usage  si  ancien  et  si  uni- 
versel accordait  à  la  religion  de  l'État. 


ARTICLE  IL 

Des  Honneurs  et  des  Prérogatives  temporelles  accordés  à  la  Religion  et  à  ses 
Ministres,  sous  les  premiers  Empereurs  chrétiens. 

22.  La  conversion  éclatante  de  Constantin  au  christianisme,  et 

Origine  des     •        ■■ .  ,   . .  .  i     1       n  •  i-     •  i  i 

faveurs  accor-  le  discrédit  universel  de  1  ancienne  religion,  dans  toutes  les 

dées  à  la  re-  , 

Hgion  chré-   parties  de  1  empire,  ne  pouvaient  manquer,  comme  on  vient 

tienne,    par  ,  ,        ,  t         • 

Constantin  et  de  le  voir,  d  attirer  en  peu  de  temps  a  l  Eglise,  non-seulement 

ses  succès-  .  ,    .  . 

seurs.  la  protection  des  empereurs  chrétiens,  mais  encore  les  hon- 
neurs et  les  prérogatives  temporelles  dont  le  paganisme  avait 
joui  constamment  chez  les  Romains,  comme  chez  tous  les 
peuples  anciens.  Toutefois,  on  ne  connaîtrait  qu'imparfaite- 
ment l'origine  et  les  véritables  causes  du  pouvoir  temporel 
dont  le  clergé  fut  investi  depuis  la  conversion  de  Constantin, 


23. 

Germes 
de  dissolution 


INTRODUCTION.  31 

si  l'on  ne  se  rappelait  quelle  était,  à  cette  époque,  la  situation 
déplorable  de  l'empire,  et  les  puissantes  ressources  que  lui 
offraient  la  religion  et  ses  ministres,  contre  les  dangers  sans 
nombre  qui  le  menaçaient.  Un  coup  d'reil  rapide  sur  l'état 
de  la  société  romaine,  sous  ce  double  rapport,  fournira  l'ex- 
plication naturelle  des  nombreuses  prérogatives  que  les  em- 
pereurs chrétiens  s'empressèrent  d'accorder  à  l'Église ,  et 
que  nous  devons  exposer  en  détail  dans  la  suite  de  cette  In- 
troduction. 

§  I,r.  Situation  déplorable  de  Vempire  sous  les  premiers 
Empereurs  chrétiens;  puissantes  ressources  que  lui  of- 
fraient la  Religion  et  ses  Ministres. 

Longtemps  avant  la  conversion  de  Constantin ,  l'empire 
romain  portait  dans  son  sein  des  germes  de  division,  qui,  en 
l'affaiblissant  de  jour  en  jour,  devaient  enfin  amener  son  en-  d«»sl'emPire 

J  J  '  longtemps 

tière  destruction  (4).  La  multitude  de  peuples  divers  dont  il  «vantconstan. 
se  composait,  la  variété  infinie  de  leurs  coutumes  et  de  leurs 
caractères,  la  décadence  de  la  discipline  militaire,  la  corrup- 
tion universelle  des  mœurs ,  tout  conspirait  à  ébranler  la 
constitution  de  l'empire  ;  et  les  fréquentes  irruptions  des  peu- 
ples barbares  ajoutaient  encore  au  danger  qui  résultait  de  la 
réunion  de  ces  différentes  causes. 

Dans  ces  tristes  conjonctures,  la  religion  chrétienne  offrait        24. 
au  gouvernement  un  des  plus  sûrs  moyens  d'affermir  son  ?Zu™Tcpê' 
autorité,  et  de  maintenir  les  peuples  dans  l'obéissance.  La  lïïigî2"âi!î 
forte  constitution  de  l'Église,  la  beauté  de  sa  morale,  les 
vertus  sublimes  qu'elle  inspirait  à  ses  enfants,  le  renouvelle- 
ment qu'elle  opérait  partout  dans  les  mœurs  publiques,  sem- 

;  (i)  Essai  historique  et  critique  sur  la  suprématie  temporelle  de  VÉ- 
glise  et  du  Pape,  par  M.  Afire,  ch.  xui.  — Montesquieu,  Considérations 
sur  les  causes  de  la  grandeur  des  Romains  et  de  leur  décadence ,  ch,  9, 
10,  etc.  —  Bossuet,  Histoire  universelle,  3e  partie,  ch.  7.  —  Histoire  de 
l'Église  Gallicane ,  1. 1,  années  407-409.  —  Annales  du  moyen  âge,  t.  i, 
liv.  h,  p.  215,  etc. 


tienne.; 


32  INTRODUCTION. 

blaient  naturellement  l'appeler  à  la  régénération  du  corps  so- 
cial ;  elle  seule  pouvait  donner  une  nouvelle  vie  à  ce  corps 
épuisé,  en  procurant  le  rétablissement  des  mœurs,  de  la  sub- 
ordination, et  de  tous  les  liens  propres  à  unir  entre  elles 
les  différentes  parties  de  l'État.  Les  chrétiens  ,  en  même 
temps  qu'ils  étaient  les  plus  respectueux  des  hommes  envers 
la  Divinité ,  se  montraient  les  plus  fidèles  sujets  des  empe- 
reurs. La  soumission  aux  puissances  du  siècle  était  une  de 
leurs  principales  maximes  et  de  leurs  obligations  les  plus  sa- 
crées. Jamais  on  ne  les  avait  vus  mêlés  aux  séditions  et  aux 
révoltes  qui  avaient  si  souvent  ensanglanté  les  provinces  ro- 
maines, et  renversé  le  trône  impérial.  L'expérience  constante 
et  journalière  montrait  aux  empereurs  qu'ils  n'auraient  ja- 
mais de  sujets  plus  fidèles,  de  soldats  plus  dévoués,  de  ma- 
gistrats plus  intègres,  que  dans  le  sein  du  christianisme. 
a5  Le  clergé  surtout  se  distinguait  par  des  vertus  bien  supérieu- 

Velnenter  res  atout  ce  que  les  siècles  précédents  gavaient  vu  de  plus  par- 
dUsurtout et  fait?  et  à tout  ce  (\ue  ^e  christianisme  lui-même  offrait  de  plus 
desevêques.  admirai)ie  dans  les  autres  classes  de  la  société (i).  Rien  de 

plus  touchant  que  le  tableau  des  vertus  du  clergé,  et  parti- 
culièrement des  évêques  ,  pendant  les  premiers  siècles  de 
l'Église.  «Les  plus  vertueux  de  nos  anciens,  dit  Ter- 
«  tullien  dans  son  Apologétique ,  président  à  nos  assem- 
«blées;  et  l'on  arrive  à  cet  honneur,  non  par  argent, 
«  mais  par  les  témoignages  de  l'Église  ;  car  les  choses  sain- 
«  tes  ne  s'achètent  point  (2).  n 

Aussi,  la  plupart  des  évêques  dont  l'histoire  fait  men- 
tion, dans  ces  premiers  temps ,  étaient  des  hommes  d'une 
éminente  sainteté,  qui  prêchaient  la  perfection  évangélique, 
bien  plus  par  leurs  exemples  que  par  leurs  discours.  Us 

(1)  Fleury ,  Mœurs  des  Chrétiens,  n.  32,  48  et  49.  —  Le  même  auteur 
confirme  tout  ce  qu'il  dit  en  cet  endroit ,  dans  le  tome  vm  de  son  Histoire 
Ecoles.,  2  e  Discours,  n.  4,  etc. 

(2)  «  Président  probati  quique  seniores,  honorem  istum  non  pretio  sed 
«  testimonio  adepti  ;  neque  enim  pretio  ulla  res  Dei  constat.  »  Tertullien , 
Apologet.,  cap.  39.  Origène  dit  la  même  chose ,  en  d'autres  termes,  dans  ses 
Livres  contre  Celse,  liv.  vm,  n.  75,  (Oper.,  1. 1,  p. 798.) 


INTRODUCTION.  33 

étaient  assistés  ,  dans  l'exercice  de  leurs  fonctions,  par  des 
prêtres  et  des  ministres  de  différents  ordres,  dignes  d'être 
proposés  pour  modèles  à  l'assemblée  des  fidèles ,  et  choisis 
parmi  les  plus  vertueux  d'entre  eux ,  souvent  même  parmi 
les  confesseurs  qui  avaient  montré  plus  de  constance  dans  les 
persécutions  (i).  L'évêque  faisait  ce  choix  en  présence  du 
peuple ,  souvent  même  à  sa  prière  ,  et  après  avoir  examiné 
les  candidats  avec  les  prêtres  les  plus  habiles,  pour  s'assurer 
qu'ils  avaient  les  qualités  requises.  L'évêque  lui-même  était 
choisi ,  en  présence  du  peuple  et  avec  son  suffrage ,  par  les 
évêques  de  la  province ,  assemblés  pour  cet  effet  dans  l'é- 
glise vacante  (2).  La  principale  autorité,  dans  cette  élection, 
appartenait  sans  doute  aux  évêques  ;  toutefois  la  présence  et 
les  suffrages  du  peuple  étaient  jugés  nécessaires ,  afin  que, 
ous  étant  persuadés  du  mérite  de  l'élu  ,  lui  obéissent  plus 
volontiers  (5). 

Les  clercs  choisis  pour  le  service  d'une  église ,  y  vivaient 
dans  une  entière  dépendance  de  l'évêque ,  comme  des  dis- 
ciples qu'il  avait  soin  d'instruire,  de  former,  et  d'élever  par 

(1)  Saint  Cyprien ,  Epist.  29,  38,  etc. 

(2)  Thomassin,  Ancienne  et  nouvelle  Discipline,  t.  h,  liv.  h,  ch.  1-8.  — 
De  Héricourt,  Abrégé  du  même  ouvrage,  2e  partie,  ch.  11.  — Van-Espen, 
Jus.  Eccl.  univ.,  part.  1,  tit.  xm,  cap.  1. 

(3)  Mosheim  et  plusieurs  autres  écrivains  protestants  ont  prétendu  que, 
dans  les  premiers  temps  de  l'Église ,  son  gouvernement  était  purement  démo- 
cratique ,  que  toute  l'autorité  était  alors  entre  les  mains  du  peuple,  qui  avait 
seul  le  droit  de  faire  des  lois,  et  d'instituer  ses  chefs  pour  exercer  l'autorité 
en  son  nom.  (Mosheim,  Hist.  Eccl.  ier  siècle,  2e  partie,  ch.  2,  §  6.  )  Confor- 
mément à  ces  principes,  Jurieu  prétend  que  l'élection  du  peuple  etst  seule 
essentielle  à  V établissement  des  pasteurs.  (  Syst.  de  l'Église,  p.  578.) 
Rien  de  plus  contraire  que  ces  prétentions  à  la  doctrine  et  à  la  pratique 
constante  de  l'Église.  Dans  les  premiers  siècles  mêmes,  où  le  peuple  avait  une 
plus  grande  part  à  l'élection,  la  principale  autorité  résidait  toujours  dans 
les  évêques  de  la  province;  le  suffrage  du  peuple  était  un  simple  vœu  ,  sub- 
ordonné au  jugement  des  évêques,  qui  faisaient  proprement  l'élection.  C'est 
ce  qui  résulte  clairement  des  faits  recueillis,  sur  ce  sujet,  par  les  auteurs 
que  nous  avons  cités  dans  la  note  précédente.  (  Voyez  aussi  Fénelon,  Traité 
du  ministère  des  Pasteurs,  ch.  14  et  15.  —  Bergier,  Dict.  Théol.,  art.  Hié- 
rarchie. —  Pey,  De  l'autorité  des  deux  Puissances,  t.  n,  p.  2,  etc.)  On 
peut  juger,  d'après  cela,  combien  est  inexacte  et  peu  fondée  cette  assertion 
de  M.  Guizot,  que  les  évêques  ont  été  longtemps  choisis  par  leurs  subor- 
donnés. (Hist.  générale  de  lacivilis.en  Europe,  5e  leçon,  p.  147-149.) 


34  INTRODUCTION. 

degrés  aux  différentes  fonctions,  selon  leurs  talents  et  leurs 
mérites  (4).  Mais  cette  grande  autoriié  des  évêques  sur  le 
clergé  n'était  point  une  domination  despotique  :  c'était  un 
gouvernement  paternel,  et  remarquable  par  l'esprit  de  dou- 
ceur et  de  charité  qui  en  était  l'àme  (2).  L'évêque  ne  faisait 
rien  d'important  sans  le  conseil  des  principaux  membres 
de  son  clergé,  et  surtout  des  prêtres,  qui  étaient  comme  le 
sénat  de  l'Église.  Il  donnait  même  à  quelques-uns  des  plus 
anciens  et  des  plus  respectables  une  espèce  d'autorité  sur 
lui ,  en  les  chargeant  de  surveiller  en  tout  temps  sa  con- 
duite et  ses  mœurs. 

Un  grand  nombre  de  clercs  menaient  une  vie  très-morti- 
fiée,  n'usant  que  de  légumes,  jeûnant  très-souvent,  et  pra- 
tiquant les  autres  austérités  de  la  vie  ascétique,  autant  que 
les  fonctions  du  saint  ministère  le  leur  permettaient.  La 
continence  surtout  était  fort  recommandée  aux  évêques,  aux 
prêtres  et  aux  diacres  (5).  Il  est  vrai  que,  dans  les  premiers 
temps,  on  élevait  souvent  à  ces  ordres  des  personnes  ma- 
riées. Gomment,  en  effet,  aurait-on  trouvé,  parmi  les  juifs 
et  les  païens  convertis  ,  des  hommes  qui  eussent  gardé  la 
continence  jusqu'à  un  âge  mûr?  Mais  celui  qui  était  élevé  à 
l'épiscopat  s'engageait,  pour  l'avenir,  à  la  continence  perpé- 
tuelle. Cette  discipline  s'étendait  même,  dans  la  plus  grande 

(1)  «  Si  quis  presbyter,  aut  diaconus,  aut  alius  è  clericorum  catalogo,  re- 
«  lictâ  parœciâ  sua,  ad  aliam  abierit,  et  cùm  migraverit  penitùs,  in  aliâ  pa- 
«  rœciâ  praeter  episcopi  sui  vohintatem  manserit;  hune  jubemus  non  ampliùs 
«  saeris  ininistrare,  pnesertim  si  episcopo  ad  reditum  hortanti  non  obtempe- 
«  ravit;  illic  tanien  veluti  laieus  communicet.  Sin  verô  episcopus  apud 
«  quem  versantur,  pro  nihilo  ducens  adversùm  eos  decretam  eessationem  à 
«  ministerio,  receperit  eos  tamquàm  clericos,  segregetur  ut  magister  inter- 
«  turbati  ordinis.  »  Canon.  Apost.  15  et  16.  Voyez,  à  ce  sujet,  Thomassin, 
Ancienne  et  nouvelle  Discipline,  t.  u,  liv.  i,  chap.  1  et  2.  —  De  Héricourt , 
ïbïd.y  2e  partie,  ch.  1. 

(2)  Saint  Cyprien,  Epistol.  5,  14,  29,  56,  etc.  —  Origène,  In  Matth. 
xx,  25.  {Oper.y  t.  m,  p.  722  et  878.) 

(3)  Thomassin,  Ancienne  et  nouvelle  Discipline,  1. 1,  liv.  h,  ch.  60  et  61. 
—  De  Héricourt,  Abrégé  du  même  ouvrage,  lre  partie,  ch.  16.  —  Noël 
Alexandre,  Dissert.  19  in  Hist.  Eccles.  sœc.  iv.  —  Jager,  Le  Célibat  ecclés. 
dans  ses  rapports  relig.  et  polit.,  2e  édit,  Paris,  1836,  in-8°.  —  Collet,  De 
Ordine  fi. u,  cap.  9. 


INTBODUCTION.  35 

partie  de  l'Église  ,  aux  prêtres  et  aux  diacres ,  auxquels  il 
était  défendu  de  se  marier  après  l'ordination  (4).  Ce  fut 
pour  maintenir  plus  sûrement  l'observation  de  cette  disci- 
pline, qu'on  défendit  d'abord  aux  clercs  qui  n'étaient  point 
mariés ,  toute  habitation  avec  d'autres  femmes  que  leurs 
proches  parentes  :  ce  que  le  concile  de  Nicée  réduisit,  dans 
la  suite,  aux  sœurs,  aux  mères  et  aux  tantes  (2). 

Les  évêques,  aussi  bien  que  leurs  clercs,  vivaient  pauvre- 
ment ,  ou  du  moins  avec  la  simplicité  ordinaire  aux  per- 
sonnes de  condition  médiocre  (5).  Plusieurs  avaient  distri- 
bué aux  pauvres  leur  patrimoine  ,  avant  d'être  élevés  aux 
saints  ordres.  D'autres  continuaient ,  après  l'ordination  ,  à 
vivre  du  travail  de  leurs  mains,  afin  d'être  moins  à  charge  à 
l'Église,  et  plus  en  état  de  soulager  les  pauvres. 

Tous  les  revenus  de  l'Église  étaient  administrés  par  l'é- 
vêque  :  il  en  avait  la  souveraine  disposition  ;  et  on  ne 
craignait  pas  qu'il  en  abusât  ;  le  moindre  soupçon  contre  sa 
probité  eût  empêché  de  lui  confier  le  gouvernement  des 
âmes ,  qu'on  jugeait  infiniment  plus  précieux  que  tous  les 
trésors.  C'était  donc  à  lui  que  s'adressaient  tous  ceux  qui 
avaient  besoin  de  secours  :  il  était  le  père  des  pauvres,  et 
le  refuge  de  tous  les  misérables  (4). 

A  toutes  ces  vertus,  qui  rendaient  le  clergé  si  respectable 


(1)  «  Placuit  in  totum  prohiberi  episcopis,  presbyteris  et  diaconibus,  vel 
«  omnibus  clericis  positis  in  niinisterio,  abstinere  se  à  conjugibus  suis  ,  et 
«  non  generare  filios;  quicumque  verô  fecerit,  ab  honore  clericatûs  exter- 
«  minetur.  »  Concil.  Eliberit.  anni  301  ;  can.  33.  (Labbe,  Concil.,  t.  i, 
p.  974.)  —  Voyez  encore,  à  ce  sujet,  le  Concile  d'Ancyre.,  en  314,  can.  9. 
(Ibid.,  p.  1467.)  —  Epist.  1  Siricii  papœ  ad  Himerium  Tarraconensem 
(anno  385),  cap.  7.  (Ibid.,  t.u,  p.  1019.) 

(2)  «  Vetuit  omninô  magna  synodus,  ne  liceat  episcopo,  nec  presbytero , 
«  nec  diacono,  nec  ulli  penitùseorum  qui  sunt  in  clero,  introductam  habere 
«  mulierem ,  prœterquàm  utique  matrem,  vel  sororem ,  vel  amitam  ,  vel  eas 
«  solas  personas,  quoeomnem  suspicionem  efïugiunt.-»  Concil.  Nie,  can.  3. 
(Labbe,  Concil. ,  t.  n,  p.  30.) 

(3)  Thomassin ,  Ancienne  et  nouvelle  Discipline,  t.  m,  liv.  iu,passim. 

De  Eéncourt,  ibid.,  3e  partie,  ch.  15,  etc. 

(4)  Saint  Cypiïen,  Epist.  2,  34,  etc.  —  Canon.  Apost.  39,  41,  59,  etc.  — 
Thomassin ,  ubi  supra. 

3, 


36  INTRODUCTION. 

aux  yeux  des  peuples ,  les  évêques  et  les  ministres  infé- 
rieurs joignaient  une  application  constante  au  service  de 
l'Église.  L'évêque  présidait  assidûment  aux  prières  publi- 
ques, et  à  tous  les  exercices  du  culte  divin.  Ses  occupations 
les  plus  ordinaires  ,  comme  celles  des  autres  ministres  sa- 
crés, étaient  l'instruction  des  fidèles  et  des  catéchumènes,  la 
visite  des  malades  et  des  pénitents,  la  réconciliation  des  enne- 
mis. Il  accordait  tous  les  différends  ;  car  on  ne  souffrait  pas 
que  les  chrétiens  plaidassent  devant  les  tribunaux  des 
païens;  et  les  fidèles  eux-mêmes  préféraient  au  jugement 
des  magistrats  séculiers ,  presque  tous  idolâtres  et  ennemis 
des  chrétiens ,  l'arbitrage  pacifique  et  désintéressé  des  évê- 
ques^). 
26.  Qu'on  juge,  d'après  cela,  de  l'affection  et  du  respect  que  les 

étaient 'rTspec-  fidèles  portaient  à  leurs  pasteurs  !  «  On  remarque  de  saint 
fidèief"  par  «  Polycarpe ,  dit  Fleury  (2) ,  que  c'était  à  qui  le  déchausse- 
eux  -Têmes.  «  rait  le  premier.  Il  était  ordinaire  de  se  prosterner  devant 
«  les  prêtres  en  les  abordant ,  et  de  leur  baiser  les  pieds 
«  en  attendant  leur  bénédiction.  On  s'estimait  heureux  de 
«  loger  même  un  diacre  ou  de  l'avoir  à  sa  table.  On  n'entre- 
«  prenait  aucune  affaire  importante  sans  le  conseil  du  pas- 
«  teur,  qui  était  l'unique  directeur  de  tout  son  troupeau. 
«  On  le  regardait  comme  l'homme  de  Dieu ,  comme  celui 

«  qui  tenait  la  place  de  Jésus-Christ C'étaient  ce  respect 

«  et  cet  amour  filial  qui  faisaient  tout  le  pouvoir  des  pasteurs  ; 
«  car  ils  n'avaient ,  pour  se  faire  obéir,  que  la  voie  de  la 
«  persuasion  et  les  peines  spirituelles.  Ils  ne  pouvaient  user 
«  d'aucune  autre  contrainte  que  d'intimider  les  consciences; 
«  et  ceux  qui  étaient  assez  impies  pour  mépriser  leurs  cen- 
«  sures ,  n'en  souffraient  aucune  peine  temporelle.  » 
Aussi  les  païens  eux-mêmes  ne  pouvaient  s'empêcher  de 
respecter  le  caractère  et  la  vertu  des  ministres  de  la  reli- 

(1)  Thomassin,  Ancienne  et  nouvelle  Discipline,  1. 11,  liv.  m,ch.  10i,etc. 
—  De  Héricourt ,  Abrégé  du  même  ouvrage,  2e  partie ,  ch.  29. 

(2)  Fleury,  Mœurs  des  Chrétiens,  n.32. 


INTRODUCTION.  37 

gion  chrétienne.  L'empereur  Alexandre  Sévère  proposait 
l'exemple  des  chrétiens ,  pour  montrer  avec  quel  soin  les 
officiers  publics  devaient  être  choisis  (4).  Origène,  dans  ses 
Livres  contre  Celse ,  composés  au  troisième  siècle ,  sup- 
pose ,  comme  un  fait  constant,  et  reconnu  des  païens  eux- 
mêmes,  que  la  conduite  des  chrétiens  les  plus  imparfaits  est 
bien  supérieure  à  celle  des  païens ,  et  que  la  vertu  des 
évêques  et  des  prêtres  les  moins  parfaits  l'emporte  beaucoup 
sur  celle  des  magistrats  civils.  «  Les  assemblées  des  chré- 
«  tiens,  dit-il,  comparées  aux  assemblées  populaires  des  villes 
«  qu'ils  habitent ,  ressemblent  aux  astres  qui  éclairent  le 
«  monde.  Car,  qui  ne  confessera  que  la  partie  même  la  plus 
«  imparfaite  de  nos  assemblées  est  beaucoup  meilleure  que 

«  les  assemblées  populaires Si  l'on  compare  le  sénat  de 

«  l'Église  chrétienne  avec  celui  de  chaque  ville,  on  trouvera 
«  que,  parmi  les  sénateurs  de  l'Église  (2),  il  y  en  a  qui 
«  mériteraient  de  gouverner  une  ville  habitée  par  des  êtres 
«  divins,  s'il  y  en  avait  une  pareille  dans  le  monde;  tan- 
«  dis  que  les  autres  n'ont  rien,  dans  leurs  mœurs,  qui  les 
«  rende  dignes  du  haut  rang  qu'ils  occupent.  En  compa- 
ct rant  aussi  le  pontife  de  chaque  église  avec  le  premier 
«  magistrat  de  la  ville,  on  verra  que,  parmi  les  chefs  et 
«  les  gouverneurs  de  l'Église  de  Dieu,  ceux  mêmes  qui  se 
«  distinguent  le  moins  par  leur  vertu,  l'emportent  encore, 
«  à  cet  égard,  sur  les  chefs  et  les  gouverneurs  des  villes  (5).  » 

(1)  «  Ubi  aliquos  voluisset,  vel  rectores  provinciis  dare,  vel  praepositos  fa- 
«  cere,  vel  procuratores  ordinare,  nominaeorum  coràm  proponebat,  hor- 
«  tans  populum  ut  si  quis  quid  baberet  criminis ,  probaret  manifestis  rébus; 
«  si  non  probasset,  subiret  pœnam  capitis.  Dicebatque  grave  esse,  cùm  id 
«  christiani  et  Judœi  facerentin  prsedicandis  sacerdotibus  qui  ordinandi  sunt, 
«  non  fieri  in  provinciarum  rectoribus,  quibus  fortunae  hominum  commit- 
«  tuntur  et  capita.  »  Lampride,  Vita  Alex.  Sever.  {Historiée  Augustœ scrip- 
tores,  1. 1,  p.  997  ;  Lugd.  Batav.  1671 ,  in-8°.)  —  Baronii  Annales ,  anno 
224,  n.  3. 

(2)  Les  sénateurs  de  l'Église  désignent,  en  cet  endroit,  les  évêques,  les 
prêtres  et  les  diacres.  On  sait  en  effet  que  ces  derniers  participaient  alors  au 
gouvernement  de  l'Église ,  sous  la  direction  de  l'évéque  ,  son  chef  principal. 
Voyez  la  note  du  père  Delarue,  éditeur  d'Origène,  sur  ce  passage. 

(3)  Origène,  Lib.  m  contra  Celsum,  n.  30.  (Oper.[,  1. 1,  p.  466.) 


38  INTRODUCTION. 

Il  est  à  remarquer  qu'Origène  s'exprime  ainsi  dans  un  ou- 
vrage où  il  dispute  contre  les  païens  ,  auxquels  il  se  fût 
rendu  manifestement  ridicule ,  si  le  fait  qu'il  avance  n'eût 
été  d'une  évidence  notoire  (-1). 
27.  Depuis  le  temps  des  persécutions,  et  longtemps  après  la 

Permanence  ,       _  ,        ,  ,  ,         , 

de  es  vertus  conversion  de  Constantin,  le  cierge,  et  les  eveques  surtout,  se 
clergé, depuis  montraient  généralement  dignes  des  mêmes  éloges  (2).  L'u- 
■ion  de  con-  sage  se  conserva  longtemps  de  choisir  les  évêques  par  les 
suffrages  du  clergé  et  du  peuple,  parmi  les  chrétiens  les  plus 
distingués  par  leurs  vertus  (5).  Plusieurs  étaient  tirés  de  l'é- 
tat monastique,  dont  ils  conservaient  les  pratiques  dans  l'é- 
piscopat ,  continuant  de  vivre  en  commun  avec  un  certain 
nombre  de  moines  qu'ils  réunissaient  auprès  d'eux  (4).  On 
en  trouve  surtout  de  nombreux  exemples  en  Orient ,  d'où 
cet  usage  passa  en  Occident,  vers  le  milieu  du  quatrième 
siècle,  par  les  soins  de  saint  Eusèbe  de  Verceil  (5).  Depuis 
cette  époque,  les  évêques  mêmes  qui  n'avaieni  pas  été  tirés 
de  l'état  monastique  menaient  ordinairement  avec  leurs 
clercs  la  vie  commune,  à  l'exemple  des  fidèles  de  Jérusa- 
lem, ne  possédant  rien  en  propre,  ne  subsistant  que  dëceq^uè 
l'Eglise  leur  fournissait ,  travaillant  même  quelquefois  de 
leurs  mains,  pour  être  moins  à  charge  à  l'Église,  et  plus  en  état 
de  soulager  les  pauvres.  Saint  Augustin,  qui  paraît  être,  en  Oc- 

(1)  Origène  lui-même  nous  apprend,  dans  le  Préambule  de  cet  ouvrage 
(  n.  6),  qu'il  ne  le  destine  point  aux  fidèles  affermis  dans  la  foi ,  mais  à  l'ins- 
truction des  païens,  et  des  fidèles  peu  affermis. 

(2)  Fleury,  Mœurs  des  Chrét.,  n.  48  et  49.  —  Hist.  Ecclésiast.yt.  vm, 
2e  Discours,  n.  4. 

(3)  Thomassin,  Ancienne  et  nouvelle  Discipline,  t.  11,  Hv.  11,  çh.  9,  etc. 
—  De  Héricourt,  Abrégé  du  même  ouvrage,  2e  partie,  ch.  12. 

(4)  Thomassin,  Ancienne  et  nouvelle  Discipline,  1. 1,  liv.  m,  ch.  2,  3,  4, 
7,  13,  etc. —  De  Héricourt,  ibid.  lre  partie,  ch.  22-25.—  Theiner,  Hist.  des 
instit.  ecclés.,  1. 1,  lre  période. 

(5)  «  In  Vercellensi  Ecclesiâ ,  duo  pariter  exigi  videntur  ab  episcopo  (  in 
«  sacerdotibus  ordinandis) ,  monasterii  continentia,  et  disciplina  Eccle- 
«  siœ;  haec  enim  primus,  in  Occidentis  parlibus,  diversa  inter  se  Eusebius 
«  sanctae  mémorise  conjunxit;  ut  et  in  civitate  positus  instituta  monacho- 
«  rum  teneret,  et  Ecclesiam  regeret  jejunii  sobrietate.  »  Saint  Ambroise  f 
Epist.  63,n.  66.  (Oper.,t.  n,  p.  1038.)  —  Fleury,  ffist,Eccl.,  t. m, liv. xm, 
n.  14. 


INTRODUCTION.  39 

cident,  l'instituteur  de  ces  communautés  purement  ecclésias- 
tiques^), eut  bien'ôt  un  grand  nombre  d'imitateurs,  par- 
ticulièrement en  France  et  en  Espagne,  où  plusieurs  conciles 
publièrent  des  règlements,  pour  conserver  et  pour  étendre 
une  pratique  si  favorable  au  maintien  de  l'esprit  et  des 
mœurs  ecclésiastiques  (2).  Les  vies  de  saint  Eusèbe  de  Vef- 
ceil,  de  saint  Augustin,  de  saint  Martin  évêque  de  Tours,  de 
saint  Hilaire  d'Arles,  de  saint  Grégoire  le  Grand,  et  de  plu- 
sieurs autres  saints  évêques,  fournissent,  à  cet  égard,  des  dé- 
tails aussi  édifiants  en  eux-mêmes,  qu'ils  sont  honorables  pour 
le  clergé  des  principales  églises  d'Occident,  à  cette  époque. 
Mais  pour  avoir  une  idée  du  beau  spectacle  qu'offraient 
alors  les  vertus  du  clergé,  il  suffit  de  lire  ce  qu'en  a  écrit 
saint  Augustin,  dans  son  livre  Des  Mœurs  de  l'Église  catholi- 
que, où  il  compare  les  mœurs  de  cette  Église  avec  celles  des 
Manichéens.  Après  avoir  fait  le  tableau  des  vertus  qui  brillaient 
alors  parmi  les  solitaires  et  les  religieux,  il  décrit,  en  ces  ter- 
mes, les  exemples  non  moins  admirables  que  donnaient 
les  différents  ordres  du  clergé  :  «  Il  ne  faut  pas  croire, 
«  dit-il  (5) ,  que  la  sainteté  de  l'Église  catholique  soit  ren- 

(1)  Il  paraît  que  les  communautés  ecclésiastiques,  avant  saint  Augustin, 
joignaient  aux  observances  de  la  vie  cléricale  celles  de  l'état  monastique: 
les  membres  de  ces  communautés  étaient  tout  à  la  fois  clercs  et  moines.  Les 
seules  observances  de  la  vie  cléricale  furent  conservées  par  saint  Augustin, 
dans  la  communauté  de  clercs  qu'il  établit  auprès  de  lui,  depuis  son  élévation 
à  l'épiscopat.  Voyez,  à  ce  sujet,  Thomassin  et  de  Héricourt,  ubi  suprà.  — 
Tillemont,  Mémoires  pour  servir  à  l'Histoire  Ecclés.,  t.  xm,  p.  226,  etc., 
844,  etc.  _  -  D.  Ceiilier,  Hist.  des  Aut.  ecclés. ,  t.  xi,  p.  23.  —  Helyot,  Hist. 
des  Ordres  monast.,  t.  h,  ch.  1  et  2. 

(2)  Voyez  les  auteurs  cités  plus  haut ,  note  4  de  la  page  38. 

(3)  «  Non  ita  sese  angustè  babent  Ecdesiae  catholicse  mores  optimi ,  ut 
«  eorum  tantùm  vita  quos  commemoravi  (anachoretas  nempe et  cœnobi- 
«  tas)  arbitrer  esse  laudandos.  Quàm  enim  niultos  episcopos,  optimosviros 
«  sanctissimosque  cognovi,  quàm  multos presbytères,  quàm  multos  diaconos, 
«  et  cujuscemodi  mitiistros  divinorum  sacramentorum,  quorum  virtus  eô 
«  mihi  mirabilior,  et  majore  praedicationedignior  videtur,  quô  difficilius  est 
«  eaminmultiplicibominum  génère,  etinistà  vira  turbulentioreservare!  Non 
«  enim  sanatis  magis  quàm  sanandis  hominibus  prœsunt.  Perpetienda  sunt 
«  vitia  mnltitudinis  ut  curentur,  et  priùs  toleranda  quam  sedanda  pestilen- 
«  tia.  Difticiilimum  est  hic  tenere  optimum  vitœ  modum,  et  animum  paca- 
«  tum  atque  tranquillum.  Quippe,  ut  breviter  explicem,  hi  (anachoretœ 


40  INTRODUCTION. 

«  fermée  dans  la  classe  des  solitaires  et  des  religieux.  Com- 
«  bien  ,  en  effet ,  ai-je  connu  d'excellents  et  de  saints  évê- 
«  ques,  de  prêtres,  de  diacres,  et  d'autres  minisires  sacrés, 
«  dont  la  vertu  me  paraît  d'autant  plus  admirable  et  d'au- 
«  tant  plus  digne  d'éloges,  qu'il  est  plus  difficile  de  la  con- 
«  server  dans  le  commerce  du  monde ,  et  parmi  les  agita- 
«  tions  de  la  vie  commune.  Car  ce  ne  sont  pas  des  hommes 
«  sains  ,  mais  des  malades  qu'ils  ont  à  gouverner  ;  ils  sont 
«  obligés  de  souffrir  les  vices  de  la  multitude  pour  y  remé- 
«  dier,  ef  de  tolérer  le  mal  avant  de  le  détruire.  C'est  dans 
«  une  pareille  situation  surtout,  qu'il  est  difficile  de  demeu- 
«  rer  ferme  dans  la  vertu  ,  dans  la  paix  et  le  calme  de  Pes- 
«  prit;  car,  pour  tout  dire  en  up  mot,  les  ecclésiastiques  sont 
«  dans  un  lieu  plein  d'écueils  pour  la  vertu,  et  les  solitaires, 
«  dans  le  séjour  même  de  la  vertu.  » 
28.  Aussi  les  païens  eux-mêmes  étaient-ils  frappés  du  touchant 

quabiesde    spectacle  que  donnait  au  monde  cette  admirable  discipline, 

Julien    sur  ce.  j    •     1  ••  11  »•    •  1       r    • 

point.  qui  rendait  les  ministres  de  la  religion  chrétienne  si  respec- 
tables aux  yeux  des  fidèles  (4).  C'est  ce  qu'on  voit  en  par- 
ticulier par  une  lettre  de  Julien  l'Apostat  à  Arsace,  pontife 
de  Galatie,  vers  l'an  562.  Après  avoir  tracé  les  principales 
règles  de  conduite  que  doivent  suivre  les  ministres  de  la 
religion  païenne ,  et  qui  sont  manifestement  empruntées  à 
l'Eglise  chrétienne,  l'empereur  fait  assez  connaître  combien 
il  est  piqué  de  voir  les  prêtres  du  paganisme  surpassés,  en 
ce  point ,  comme  en  plusieurs  autres ,  par  ceux  de  la  reli- 
gion chrétienne.  «Ne  souffrons  pas,  dit-il,  que  ces  nou- 
u  veaux  venus  nous  enlèvent  notre  gloire,  et  qu'en  imitant 
«  des  vertus  dont  nous  avons  parmi  nous  l'original  et  le  mo- 
«  dèle ,  ils  couvrent  d'opprobre  notre  négligence  et  notre 
«  inhumanité  ;  ou  plutôt  ne  trahissons  pas  nous-mêmes  no- 

«  videlicet  etcœnobitœ  )  agunt  ubi  vivere  discitur,  illi  ubi  vivitur.  »  S.  Au- 
gustin, Demoribus Ecclesiœ  catholicœ,  lib.  i,  cap.  32.  (Oper. ,t.i, p. 711.) 
(1)  S.  Greg.  Naz.  Oralio  4  (aliàs  3a)  adversùs  Julianùm,  n.  3.  (p.  138, 
édit.  Bened.)  —  Sozomène,  Hist.  Ecoles.,  lib.  v,  cap.  16.  —  Labletterie , Vie 
de  Julien,  p.  266,  etc. 


INTRODUCTION.  41 

«  tre  religion:  ne  déshonorons  pas  le  culte  des  dieux." Si 
«  j'apprends  que  vous  remplissiez  tous  ces  devoirs  ,  je  serai 
«  comblé  de  joie  (I).  » 

L'admiration  et  le  respect  qu'inspirait,  même  aux  plus        *9. 
grands  ennemis  du  christianisme,  le  spectacle  de  tant  de  soutenu  par  u> 

,.,  christianisme 

vertus,  montraient  assez  au  gouvernement  tout  ce  qu  il  pou-    contre  les 

i  1      n*     n  îi  i»    «  iJ  •     •    l  ennemis  du 

vait  espérer  de  1  influence  de  la  religion  et  de  ses  ministres,  dehors, 
pour  le  renouvellement  de  la  société,  et  pour  le  maintien  de 
l'ordre  public.  Mais  ce  n'était  pas  seulement  contre  les  causes 
intérieures  de  dissolution  que  le  christianisme  fortifiait  le 
gouvernement  :  cette  nouvelle  religion  semblait  également 
propre  à  défendre  l'empire  contre  les  ennemis  du  dehors. 
Au  milieu  des  incursions  continuelles  des  peuples  barbares, 
l'autorité  des  évêques  était  souvent  le  plus  ferme  rempart  des 
villes  et  des  provinces  (2) .  Le  caractère  auguste  dont  ils  étaient 
revêtus,  la  sainteté  de  leur  vie,  leur  habileté  dans  les  affaires, 
leur  tendre  affection  pour  le  peuple  confié  à  leurs  soins,  leur 
attiraient  l'estime  et  la  considération  même  des  Barbares , 
qui  souvent  ne  pouvaient  résister  à  l'ascendant  et  à  la  média- 
tion de  ces  hommes  si  recommandables.  Dès  l'an  550 ,  la 
ville  de  Nisibe ,  qui  était  la  principale  barrière  de  l'empire 
contre  les  Perses,  fut  sauvée  de  leurs  attaques  par  la  prudence 
et  la  sainteté  de  saint  Jacques,  son  évêque  (5).  Quelques 
années  après,  vers  l'an  585,  l'impératrice  Justine,  réduite  à 
négocier,  pour  les  intérêts  de  son  fils  Valentinien  II ,  avec  le 
tyran  Maxime ,  ne  crut  pas  pouvoir  les  déposer  en  de  meil- 
leures mains  que  dans  celles  de  saint  Ambroise  ;  et  le  saint 
évêque  s'acquitta  en  effet  de  cette  commission  avec  tant  de 
succès,  qu'il  arrêta  l'usurpateur  dans  sa  marche,  et  conclut 
avec  lui  un  traité  beaucoup  plus  favorable  qu'on  n'eût  osé 

(1)  Juliani  epistola  ad  Arsacium  pontif .  (Juliani  Operum,  p.  430.)  Cette 
lettre,  qui  nous  a  été  conservée  par  Sozomène  {ubi  supra),  a  été  traduite  en 
entier  par  Labletterie,  Vie  de  Jovien,  p.  468. 

(2)  Fleury,  Mœurs  des  Chrétiens ,  n.  58.  —  Thomassin,  Ancienne  et 
nouv.  Discipl.,  t.  m,  liv.  i,  chap.  26,  n.  14,  17,19,  21  ;  chap.  27,  n.  6-9. 

(3)  Théodoret,  Hist.  Eccl.,  lib.  n,  chap.  26.  —  Philostorge,  Hist.  Eccl., 
lib.  m,  n.  23.  —Fleury,  Hist.  Ecclés.,t.  m, liv.  13,  n.  2. 


42  INTRODUCTION. 

l'espérer  dans  les  conjonctures  difficiles  où  l'on  se  trou- 
vait (1). 
*     3o    ,         Ces  exemples  remarquables  de  la  salutaire  influence  des 

Rome  et  plu»  r  s 

sieurs  autres  évêques ,  se  renouvelèrent  plus  souvent  encore  dans  le  siècle 

villes   sauvées  ■  *  l 

pa. •l'influence  suivant,  à  mesure  que  les  irruptions  des  Barbares  devinrent 

des  eveques.  '  *  * 

plus  fréquentes.  Deux  fois  la  ville  de  Rome  échappa  aux  plus 
horribles  calamités,  par  la  médiation  du  pape  saint  Léon  au- 
près des  rois  barbares  Genséric  et  Attila  (2).  Vers  le  même 
temps,  la  France  trouva,  dans  le  zèle  actif  et  dans  l'inépuisable 
charité  de  ses  prélats ,  sa  plus  puissante  ressource  contre  les 
fléaux  de  la  guerre  (5).  La  ville  de  Troyes,  en  particulier, 
dut  son  salut  à  la  médiation  de  saint  Loup,  son  évêque,  auprès 
du  fier  Attila,  qui  se  laissa  également  fléchir  par  les  prières 
de  saint  Aignan  ,  en  faveur  de  la  ville  d'Orléans  (4).  L'empe- 
reur Jules  Népos,  voulant  négocier  un  accord  avec  les  Goths, 
en  474 ,  ne  trouva  pas  de  plus  utiles  médiateurs  auprès  d'eux 
que  les  évêques,  par  l'entremise  desquels  il  obtint  en  effet 
l'accommodement  qu'il  désirait  (5).  Quelques  années  aupara- 
vant, saint  Germain  d'Auxerre  et  saint  Loup  de  Troyes, 
envoyés  dans  la  Grande-Bretagne  pour  combattre  l'hérésie 
des  Pélagiens,  avaient  sauvé  cette  province  de  l'invasion  des 
Saxons  et  des  Pietés  (6). 
_    3l-    .         De  pareils  services,  rendus  à  l'État  par  le  clerpé  dans  toutes 

Le  pouvoir  *  '  r  o 

le,cie°r-eél  du  ^es  Parues  ^e  l'empire ,  les  grands  exemples  de  vertu  et  de 
c°natreeiieCe  délité  surtout  qu'il  offrait  généralement  aux  peuples,  l'ascen- 
de  tous  ces  dant  extraordinaire  de  ses  exemples  et  de  sa  doctrine  sur  les 

faits.  * 

mœurs  publiques ,  les  heureux  effets  que  le  gouvernement 


(1)  Fleury,  Hist.  Ecclés.,  t.  iv,  liv.  xvm,  n.  28. 

(2)  Fleury,  ibid.,  t.  vi,  liv.  28,  n.  39  et  55—  Tillemont,  Mém.  sur  VHist. 
Ecclés.,  t.  xv,  p.  750,  779,  etc. 

(3)  Fleury,  ibid.,  t.  vi,  liv.  xxix,  n.  36,  etc. 

(4)  Fleury,  ibid.,  liv.  27,  n  .50. 

(5)  Sidon.  Apollin.  Epistol.,  lib.  vu.  Epistola  6,  ad  Basil.  (T.  vi.  Bi- 
blioth.  Patrurn,  p.  Il  10.)—  Hist.  de  V Église  Gallicane,  t.  n,  liv.  iv,  an- 
née 474. 

(6)  Fleury,  Hist.  Ecclés.,  t.  vi,  liv.  x\v,  n.  18.  —  lÀv.ga\à,Hist.  d'Angle- 
terre, 1. 1,  chap.  1,  p.  96. 


INTRODUCTION.  4$ 

pouvait  espérer  de  son  concours  pour  le  soutien  et  la  défense 
de  l'empire ,  expliquent  naturellement  les  rapides  accroisse- 
ments du  pouvoir  temporel  de  l'Église,  sous  les  empereurs 
chrétiens.  Les  motifs  qui  avaient  engagé  Constantin  à  jeter  les 
fondements  de  ce  pouvoir,  devinrent  de  jour  en  jour  plus 
pressants,  à  mesure  que  l'empire  approcha  de  sa  ruine, 
et  que  les  causes  de  sa  destruction  devinrent  plus  actives.  Plus 
le  pouvoir  politique  s'affaiblissait ,  plus  il  sentait  le  besoin 
d'appeler  à  son  secours  l'influence  de  la  religion  et  de  ses 
ministres,  pour  retenir  les  peuples  dans  le  devoir,  et  pour  em- 
pêcher, ou  du  moins  retarder  la  dissolution  totale  de  l'empire. 
Aussi  la  plupart  des  empereurs  chrétiens ,  et  ceux  mêmes 
qui  possédaient,  dans  le  plus  haut  degré,  Part  du  gouverne- 
ment ,  loin  de  chercher  à  diminuer  le  pouvoir  temporel  du 
clergé,  s'appliquaient-ils  à  l'accroître  ;  et  ils  le  portèrent  enfin 
à  un  tel  point,  que  les  évêques,  sans  avoir  aucun  titre  poli- 
tique, sans  appartenir  proprement  à  la  constitution  de  l'État, 
en  étaient  en  quelque  sorte  le  premier  corps ,  par  leur  in- 
fluence et  par  l-'autorité  qu'ils  exerçaient  dans  toutes  les  par- 
ties de  l'administration  civile. 

La  suite  de  cette  Introduction  offrira  un  grand  nombre  de        32. 
faits  à  l'appui  de  ces  observations.  Nous  remarquerons  seu-      quence 

,  .    *         ,    ,,  P  .   j  •    «  !  .  reconnue    par 

lement  ici  qu  elles  ont  trappe  depuis  longtemps,  et  de  nos  jours  dos  auteurs 

.  ,  ,,  ,       .       .  .,    ...  p  ,.        non    suspects. 

même,  un  grand  nombre  d  écrivains  d  ailleurs  peu  favorables    Aveux  de 

i    1         1  1  «   n       ■         •  Dupuy. 

au  pouvoir  temporel  du  cierge  ,  et  surtout  a  I  extension  pro- 
digieuse que  ce  pouvoir  a  prise  dans  la  suite  du  moyen  âge. 
Malgré  leurs  préjugés  bien  connus  à  cet  égard ,  ils  ne  font 
pas  difficulté  de  reconnaître  ,  dans  les  circonstances  dont 
nous  venons  de  parler,  l'origine  de  ce  pouvoir.  «  Comme  les 
«  évêques,  dit  le  célèbre  Dupuy  (4),  s'étaient  rendus  re- 

(1)  Dupuy,  Traité  de  la  Juridiction  criminelle,  ire  partie,  chap.  4,  p.  9. 
Voyez  aussi  le  chap.  8,  p.  19.  — Cet  ouvrage  se  trouve  à  la  suite  du  1. 1 
des  Libertés  de  l'Église  Gallicane;  édition  de  1731.  A  l'appui  de  ce  témoi- 
gnage de  Dupuy,  voyez Fleury,  Institution  au  Droit  ecclés.,  1. 11,  3e  partie, 
chap.  1,  p.  5.  Voyez  aussi  son  7e  Discours  sur  VHist .  Ecclés.,  n.  4,  der- 
nière page  (t.  xix  de  VHist.  Ecclés.)  —  Bossuet,  Defens.  Declar.,  lib.  11 , 
cap.  36.  , 


44  INTRODUCTION. 

«  commandables  par  leur  zèle,  leur  justice,  et  leur  fidélité  à 
«  l'empire ,  les  empereurs  leur  commirent  beaucoup  d'af- 
«  faires  temporelles  :  premièrement,  le  jugement  des  procès, 
«  même  entre  les  laïques  qui  voudraient  les  prendre  pour 
«  arbitres  ;  ensuite ,  ils  leur  donnèrent  le  soin  de  toutes  les 
«  affaires  et  de  tous  les  règlements ,  dont  l'exécution  pou- 
«  vait  être  appuyée  par  des  hommes  de  piété  et  d'autorité, 
«  particulièrement  de  ceux  qui  regardaient  le  soulagement 
«  des  affligés,  comme  des  veuves,  des  orphelins,  des  es- 
«  claves,  etc. ,  et  de  punir  tous  ceux  qui  violaient  ces  réglé- 
es ments.  Les  évêques  étaient  associés,  pour  ces  affaires,  avec 
«  les  magistrats.  Dans  la  suite  des  temps ,  les  empereurs 
«  ayant  reconnu  la  fidélité  des  évêques  et  leur  zèle  pour 
«  l'empire ,  particulièrement  dans  les  guerres  contre  les 
«  peuples  hérétiques,  comme  les  Goths,  les  Vandales,  etc., 
«  ils  leur  commirent  le  soin  des  villes ,  pour  les  garder 
«  contre  les  ennemis  (4),  et  pour  faire  punir  ceux  qui  man- 
«  queraient  de  fidélité  à  leur  prince.  Enfin  ,  ils  donnèrent 
«  aux  patriarches,  et  principalement  au  Pape  ,  la  même  au- 
«  torité  qu'avait  le  préfet  du  prétoire  (2),  pour  faire  exécuter 
«  les  lois  et  pour  punir  ceux  qui  y  contrevenaient,  et  leur 


(1)  Nous  rapporterons  ailleurs  plusieurs  faits  remarquables  à  l'appui  de 
cette  assertion.  Voyez  le  chap.  1  de  la  première  partie ,  n.  13. 

(2)  Sous  Constantin  et  ses  successeurs ,  toutes  les  provinces  de  l'empire 
étaient  divisées  en  quatre  préfectures  :  celles  d'Orient,  d'Illyrie,  d'Italie  et 
des  Gaules.  La  charge  de  préfet  du  prétoire  était  une  des  plus  considérables 
de  l'empire,  quoique  Constantin  en  eût  beaucoup  restreint  les  attributions. 
Avant  lui,  le  préfet  du  prétoire  réunissait  l'intendance  générale  des  finan- 
ces à  la  juridiction  supérieure ,  tant  civile  que  militaire.  Les  inconvénients 
de  cette  grande  autorité  engagèrent  Constantin  à  la  réduire  à  une  adminis- 
tration purement  civile,  dont  il  retrancha  même  quelques  branches;  en 
sorte  que  ]e&  préfets  du  prétoire  ne  conservèrent  de  leurs  attributions  que 
l'administration  supérieure  des  finances  et  de  la  justice  civile ,  sans  aucune 
juridiclion  sur  la  milice.  Voyez  Tillemont,  Hist.  des  Empereurs ,  t.  îv, 
p.  284.  —  Notifia  dignitatum  Codicis  Theodosiani.  (Ad  calcem  ejusdem 
Codicis;  Lipsiœ,  1743,  in-fol.,  t.  vi,  part.  2,  p.  1,  etc.)— Lebeau,  Histoire  du 
Bas-Empire,  t.  t,  liv.  v,  n.  9,  etc.  —  Naudet,  Considérations  sur  les  chan- 
gements opérés  dans  l'administration  de  V empire,  t.  n,  3e  partie,  chap.  7, 
p.  255-259. 


INTRODUCTION.  45 

«  attribuèrent  le  jugement  des  causes  criminelles  des  laï- 
«  ques.  » 
La  doctrine  et  les  aveux  de  M.  Guizot,  sur  ce  sujet,  ne     ,  33-  , 

'  J       '  A.veux  de 

sont  pas  moins  remarquables.  (\).  Quelque  opposé  qu'il  soit  M-  ^uizot« 

à  l'influence  prodigieuse ,  et  même  excessive ,  selon  lui ,  que 

l'Eglise  a  exercée  au  moyen  âge  sur  la  société  européenne, 

dans  l'ordre  politique,  il  ne  fait  pas  difficulté  de  reconnaître 

qu'elle  a  exercé  une  influence  très-grande  et  très-salutaire 

dans  l'ordre  moral  et  intellectuel,  tant  par  ses  doctrines  que    • 

par  sa  discipline  et  par  sa  forte  constitution.  «  Depuis  le 

«  cinquième  siècle,  dit-il  (2),  le  clergé  chrétien  avait  un 

«  puissant  moyen  d'influence .  Les  évêques  et  les  clercs  étaient 

«  devenus  les  premiers  magistrats  municipaux.  Il  ne  restait, 

«  à  proprement  parler,  de  l'empire  romain,  que  le  régime 

«  municipal  ;  il  était  arrivé,  par  les  vexations  du  despotisme 

«  et  la  ruine  des  villes,  que  les  curiales,  ou  membres  des 

«  corps  municipaux ,  étaient  tombés  dans  le  découragement 

«  et  l'apathie.  Les  évêques ,  au  contraire ,  et  le  corps  des 

«  prêtres ,  pleins  de  vie  et  de  zèle ,  s'offraient  naturellement 

«  à  tout  surveiller,  à  tout  diriger.  On  aurait  tort  de  le  leur 

«  reprocher,  de  les  taxer  d'usurpation  ;  ainsi  le  voulait  le 

«  cours  naturel  des  choses  :  le  clergé  seul  était  moralement 

«  fort  et  animé;  il  devint  partout  puissant;  c'est  la  loi  de 

«  V univers. 

«  Cette  révolution  est  empreinte  dans  toute  la  législation 
«  des  empereurs  à  cette  époque.  Si  vous  ouvrez  le  Code  Théo- 
«  dosien  ou  le  Code  Justinien,  vous  y  trouverez  un  grand 
«  nombre  de  dispositions ,  qui  remettent  les  affaires  munici- 

«  pales  au  clergé  et  aux  évêques  (5) Aussi  l'Église  chré- 

«  tienne  a-t-elle  puissamment  contribué  ,  dès  cette  époque,    •. 

(t)  Guizot,  Hist.gén.dela  civilisation  en  Europe,  3e  édition.  Paris,  1840, 
in-8°,  2r  leçon. 

(2)  Ibid.,  p.  55-58. 

(3)  A  l'appui  de  cette  assertion,  M.  Guizot  cite  en  particulier  le  Code  Jus- 
tinien,  lib.  i,  tit.  4.  De  episcopali  audientiâ,  n.  26  et  30;  tit.  55.  De  Defen- 
soribus,  n.  8.  Le  développement  des  paragraphes  suivants  montrera  qu'il  eût 
pu  multiplier  bien  davantage  les  citations  sur  cette  matière. 


46  INTRODUCTION. 

«  au  caractère  et  au  développement  de  la  civilisation  moderne. 
«  Essayons  de  résumer  les  éléments  qu'elle  y  a  dès  lors  in- 
«  troduits. 

«  Et  d'abord,  ce  fut  un  immense  avantage  que  la  présence 
«  d'une  influence  morale,  d'une  force  morale,  d'une  force 
«  qui  reposait  uniquement  sur  les  convictions ,  les  croyances 
«  et  les  sentiments  moraux,  au  milieu  de  ce  déluge  de  force 
«  matérielle  qui  vint  fondre ,  à  cette  époque ,  sur  la  société. 
«  Si  l'Église  chrétienne  n'avait  pas  existé,  le  monde  entier 
«  aurait  été  livré  à  la  pure  force  matérielle.  L'Église  exer- 
«  çait  seule  un  pouvoir  moral.  Elle  faisait  plus  :  elle  entre- 
«  tenait ,  elle  répandait  l'idée  d'une  règle ,  d'une  loi  supé- 
«  Heure  à  toutes  les  lois  humaines  ;  elle  professait  cette 
«  croyance  fondamentale  pour  le  salut  de  l'humanité ,  qu'il 
«  y  a ,  au-dessus  de  toutes  les  lois  humaines ,  une  loi  appelée , 
«  selon  les  temps  et  les  mœurs ,  tantôt  la  raison ,  tantôt  le 
«  droit  divin,  mais  qui,  toujours  et  partout,  est  la  même  loi 
«  sous  des  noms  divers.  » 

§  II.  Confirmation  des  lois  divines  et  ecclésiastiques  par 
l'autorité  des  Empereurs  chrétiens.  Origine  des  peines 
temporelles  contre  l'idolâtrie ,  le  judaïsme ,  l'hérésie ,  et 
les  autres  délits  de  l'impiété. 

Avant  de  présenter  le  tableau  des  nombreuses  constitutions 

Êtatetpro-  pU[)ljées    par  les  empereurs  chrétiens,  en    faveur  de    la 

christianisme  j.eiipi0n,  il  ne  sera  pas  inutile  de  rappeler  quel  était  l'état  du 

l'emphe,    christianisme  dans  l'empire,  à  l'époque  de  la  conversion  de 

avant  *  *       * 

Constantin.  constantin.  Malgré  les  violentes  persécutions  dont  il  avait  été 
l'objet  pendant  trois  siècles,  il  formait  déjà  depuis  longtemps 
une  société  aussi  nombreuse  que  fortement  constituée  (\). 
Dès  le  commencement  du  troisième  siècle,  Tertullien  avançait 

(1)  Voyez,  à  ce  sujet,  Bullet,  ffist.  de  l'établiss.  du  Christian. ,  in-8°. 

De  la  Luzerne,  Dissert,  sur  la  vérité  de  la  rel.,  t.  iv,  3e  Dissert.  — 

Frayssinous,  Conférences  sur  l'établiss.  du  Christian. 


INTRODUCTION.  47 

avec  confiance,  dans  son  livre  contre  les  Juifs,  que  le 
royaume  de  Jésus-Christ  était  plus  étendu  que  les  em- 
pires de  Nabuchodonosor ,  d'Alexandre  et  des  Romains 
eux-mêmes  (i).  La  manière  dont  il  s'explique  là-dessus 
dans  son  Apologétique  est  encore  plus  remarquable. 
«  Nous  ne  sommes  que  d'hier,  dit-il  (2),  et  nous  rem- 
«  plissons  tout  votre  empire ,  vos  villes  ,  vos  îles ,  vos  châ- 
«  teaux,  vos  bourgades,  vos  camps,  vos  tribus,  vos  décuries, 
«  vos  palais,  votre  sénat ,  vos  places  publiques  ;  nous  ne  vous 
«  laissons  que  vos  temples.  Nous  pourrions  vous  combattre, 
«  même  sans  armes  et  sans  révolte  ,  en  nous  retirant  seule- 
«  ment  de  votre  empire.  Étant  aussi  multipliés  que  nous  le 
«  sommes,  si.  nous  voulions  seulement  nous  retirer  dans 
«  quelque  pays  éloigné,  vous  seriez  confondus  de  la  perte 
«  d'un  si  grand  nombre  de  citoyens  ;  leur  seul  éloignement 
«  vous  punirait;  vous  seriez  effrayés  de  votre  solitude,  du 
«  silence  universel  et  de  la  stupeur  où  votre  empire  serait 
«  comme  enseveli;  vous  chercheriez  à  qui  commander;  il 
«  vous  resterait  plus  d'ennemis  que  de  citoyens  ;  car  le 

(1)  Tertullien  fait  ici  remarquer  aux  Juifs  la  grande  différence  qui  existe 
entre  ces  grands  empires  et  celui  de  Jésus-Christ  :  les  premiers  n'ont  pu  s'é- 
tendre au  delà  de  certaines  limites,  au  lieu  que  celui  de  Jesus-chi  ist  s'étend 
chez  toutes  les  nations.  «Nabuchodonosor  cum  suis  regulis  ab  Indià  usque 
«  itthiopiam  habuit  regni  sui  terminos  ;  Alexander  Macedo  nunquàm  Asiam 

«  universam  et  caeteras  regiones  ,  postquàm  devicerat,  tenuit ,  Quid  de 

«  Romanis  dicam  ,  qui  de  legionum  suarum  praesidiis  imperium  suum  mu- 
«  niunt,  nec  trans  istas  gentes  porrigere  vires  regni  sui  possunt?  Christi 
«  autem  regnum  ubique  porrigitur,  ubique  creditur,  ab  omnibus  genti- 
«  bus  suprà  enumeratis  (scilicet,  barbaris  etiam  et  ignotïs)  cotitur, 
«  ubique  régnât ,  ubique  adoratur,  omnibus  ubique  tribuitur  œquali- 
«  ter.  »  Tertull.  Lib.  adv.  Jud.,  cap.  7. 

(2)  «  Hesterni  sumus,  et  vestra  omnia  implevimus,  urbes,  insulas,  cas- 
«  tella,  municipia,  conciliabula,  castra  ipsa,  tribus,  decurias,  palatium, 
«  senatum,  forum  ;  sola  vobis  relinquimus  templa....  Potuimus,  et  inermes 
«  nec  rebelles,  sed  tantummodô  discordes,  solius  divortii  invidiâ,  adversùs 
«  vos  dimicasse.  Si  enim  tanta  vis  hominum  in  aliquem  orbis  remoti  sinum 
«  abrupissemus  à  vobis,  suffudisset  utique  dominationem  vestram  tôt  qua- 
«  liumcumque  amissio  civium,  imô  eliain  et  ipsà  destitutione  punîsset; 
«  procul  dubio  expavissetis  ad  solitudinem  vestram,  ad  silentium  rerum,  et 
«  stuporem  quemdam  quasi  mortui  orbis  ;  quœsissetis  quibus  imperaretis  ; 
«  plures  hostes  quàm  cives  vobis  remansissent;  nunc  enim  pauciores  hostes 
«  habetis  prœ  multitudine  christianorum.  »  Idem,Apologet.f  cap.  37. 


48  INTRODUCTION. 

«  nombre  de  vos  ennemis  est  aujourd'hui  surpassé  par  la 
«  multitude  des  chrétiens.  » 

A  la  fin  du  même  siècle,  Arnobe,  non  content  de  con- 
firmer ,  sur  ce  point ,  le  langage  de  Tertullien ,  donne  aux 
païens  cette  diffusion  si  prompte  et  si  universelle  du  christia- 
nisme comme  une  preuve  sensible  de  la  vérité  de  cette 
religion.  «  Si,  comme  vous  le  prétendez,  leur  dit-il  (4), 
«  l'histoire  des  faits  évangéliques  n'est  pas  véritable  ,  com- 
«  ment  a-t-il  pu  se  faire  qu'en  si  peu  de  temps  le  monde 
«  entier  se  soit  trouvé  rempli  de  cette  religion  ?  Comment 
«  des  nations  de  pays  si  éloignés ,  de  climats  si  différents , 
«  ont-elles  pu  se  réunir  dans  un  seul  esprit?...  N'est-ce  pas, 
«  à  vos  yeux ,  un  motif  suffisant  pour  vous  convaincre ,  de 
«  voir,  dans  un  temps  aussi  court,  nos  dogmes  répandus  sur 
«  toute  la  terre  ;  de  voir  qu'il  n'y  a  aucune  nation  si  barbare 
«  et  si  étrangère  à  toute  civilisation ,  qui ,  changée  par  Fa* 
«  mour  de  Jésus-Christ,  n'ait  adouci  la  rudesse  de  ses  mœurs, 
«  et  qui,  dépouillant  sa  férocité,  n'ait  pris  des  sentiments 
«  plus  humains?  » 
35.  Ces  témoignages,  si  décisifs  par  eux-mêmes,  sont  d'ailleurs 

auteurs  païens  confirmés  par  l'histoire  profane,  qui  nous  montre,  à  cette 

avec  les  .  .  pp  ,       ,  x  •  j 

chrétiens ,  sur  époque,  les  païens  enrayes  des  progrès  toujours  croissants  du 
christianisme ,  de  la  décadence  universelle  de  leur  culte,  et 
de  la  multitude  immense  de  chrétiens  qu'il  faudrait  immoler; 
si  l'on  voulait  exécuter  à  la  lettre  les  édits  publiés  contre 
eux  (2).  Cette  prodigieuse  diffusion  du  christianisme,  à  la  fin 

(1)  «  Quôd  si  falsa,  ut  dicitis,  historia  illa  rerum  est,  unde  tarn  brevi  tem- 
«  pore  totus  mundus  illâ  religione  completus  est?  Aut  in  unam  coïre  qui  po- 
«  tuerunt  mentem  gentes  regionibus  disjunctae,  ventis,  cœlique  convexioni- 

«  bus  dissitae? Nonne  vel  hsec  saltem  fidem  vobis  faciunt  argumenta 

«  credendi ,  quôd  jam  per  omnes  terras,  in  tam  brevi  temporis  spatio,  im- 
«  mensi  nominis  hujus  (scilicet,  nominis  christianï)  sacramenta diffusa  sunt  ? 
«  Quôdnulla  jam  natio  est  tam  barbari  moris,  et  mansuetudinem  nesciens, 
«  quae  non,  ejus  amore  versa,  molliverit  asperitatem  suam,  et  in  placidos 
«  sensus,  assumptâ  tranquillitate,  migra verit  ?  »  Arnobe,  Adv.  Gentes,  lib.  i, 
cap.  55  ;  lib.  n,  cap.  5.  (Biblioth.  P  P.,  t.  m,  p.  438,  2e  col.  446,  2e  col.) 

(2)  Pliniï  Epistol.,  lib.  10,epist.  97  et  98.  —  Lampride,  Vita  Alex. 
Sev.,  cap.  43.  — Lactance,  De  mort.  Persec,  cap.  11.  Eusèbe,  Hist.  Eccl.f 


INTRODUCTION.  49 

du  troisième  siècle,  est  si  incontestable,  qu'elle  est  générale- 
ment reconnue,  même  dans  ces  derniers  temps,  par  les  plus 
grands  ennemis  de  la  religion.  La  plupart  des  incrédules 
modernes  prétendent  que  la  conversion  de  Constantin  ne  fut 
point  l'effet  de  la  conviction ,  mais  une  mesure  dictée  par  la 
politique  ,  pour  mettre  les  chrétiens  dans  son  parti  (4).  Nous 
sommes  bien  éloignés  d'admettre  la  vérité  de  cette  inculpa- 
tion ,  que  nous  croyons  contraire  à  tous  les  monuments  de 
l'histoire  (2)  ;  mais  ceux  qui  la  soutiennent  reconnaissent,  par 
cela  même,  le  fait  important  que  nous  voulons  établir  ici, 
savoir,  qu'avant  la  conversion  de  Constantin,  le  christianisme 
formait  déjà,  dans  l'empire,  un  corps  assez  nombreux  et 
assez  puissant  pour  que  Pempereur  eût  le  plus  grand  intérêt 
à  se  l'attacher,  et  pour  qu'il  pût  se  déclarer  ouvertement  en 
faveur  du  christianisme,  sans  avoir  rien  à  craindre  de  la  part 
des  païens.  Il  est  visible,  en  effet,  que,  dans  la  supposition 
contraire ,  la  politique  de  Constantin  eût  été  la  plus  fausse  et 
la  plus  maladroite  qu'on  pût  imaginer  (5). 

lib.  vin,  cap.  14  ;  lib.  ix,  cap.  7  et  9.  Ces  témoignages  et  plusieurs  autres 
sont  cités  par  l'abbé  Bullet,  et  par  le  card.  de  la  Luzerne  ;  ubi  suprà. 

(1)  Voltaire,  Dict.  Philos. ,  articles  Christianisme ,  Julien ,  etc.  —  Ta- 
bleau des  saints  (  par  le  B.  d'Holbach  ) ,  2e  partie ,  chap.  7,  p.  90.  —  De  la 
Félicité  publique ,  par  Chastellux,  1. 1,  sect.  2,  chap.  4. 

(2)  Voyez,  sur  ce  point,  Bergier,  Traité  de  la  Religion ,  t.  ix ,  p.  552.  — 
Labletterie,  Vie  de  Jovien,  p.  257,  etc —  Duvoisin,  Dissert,  sur  la  vision 
de  Constantin,  2e  partie,  §  14  et  15. 

(3)  Nous  croyons  pouvoir  conclure  de  ces  observations ,  qu'à  l'époque 
de  la  conversion  de  Constantin ,  et  même  assez  longtemps  auparavant ,  les 
chrétiens  formaient ,  dans  l'empire ,  une  multitude  au  moins  égale  à  celle 
des  païens.  Le  témoignage  de  Tertullien,  et' les  autres  que  nous  gavons 
cités,  établissent  clairement  ce  fait  aux  yeux  d'un  esprit  impartial.  Le  card. 
de  la  Luzerne  soutient  même ,  avec  beaucoup  de  vraisemblance ,  qu'à  l'é- 
poque de  la  conversion  de  Constantin ,  le  nombre  des  chrétiens  excédait 
celui  des  païens,  (De  la  Luz.,  ubi  suprà,  n.  19-25.)  Quoi  qu'il  en  soit  de  cette 
dernière  assertion ,  nous  croyons  du  moins  pouvoir  avancer  avec  confiance 
qu'on  doit  regarder  comme  entièrement  destituée  de  preuves,  ou  plutôt 
comme  évidemment  contraire  aux  monuments  de  l'histoire ,  la  supposition 
de  quelques  auteurs  modernes,  qui  réduisent  le  nombre  des  chrétiens  dans 
l'empire,  sous  Constantin,  au  cinquième,  au  douzième,  et  même  au  vingtième 
de  la  population.  M.  Beugnot,  dans  son  Hist.  de  la  décacl.  dupagan.  en 
Occident,  va  jusqu'à  prétendre  qu'environ  soixante  ans  plus  tard,  sous  le 
règne  de  Valentinien  Ier,  tous  les  chrétiens  répandus  dans  l'empire  ne  for- 


50  INTRODUCTION. 

36.  Concluons  de  ces  observations,  qu'on  ne  peut,  sans  contre- 

Le triomphe  ^.^  ouvertement  les  monuments  de  l'histoire,  attribuer  à  la 
chnstmnsme  protection  jes  empereurs  chrétiens  et  à  leurs  constitutions 
astùtfavànt  en  faveur  de  la  religion  chréiienne,  le  triomphe  du  christia- 
ia  conversion  nigme  sur  l'idolâtrie  (\).  Ce  triomphe  était  évidemment  assuré 
constantm.  ^^  ja  conversion  de  Constantin;  et  ce  prince,  bien  loin 
d'avoir  donné,  sur  ce  point,  le  mouvement  à  la  société,  n'a 
fait  que  suivre  l'impulsion  générale  qui  entraînait  déjà,  de- 
puis longtemps,  les  peuples  vers  le  christianisme,  dans  toutes 
les  parties  de  l'empire.  Sans  doute  l'exemple  de  Constantin , 
soutenu  par  ses  édits  et  par  ceux  de  ses  successeurs,  a  pu 
favoriser  les  progrès  du  christianisme  et  hâter  la  ruine  de 
l'idolâtrie;  mais  il  demeure  constant  que  le  triomphe  de  la 
religion  chrétienne  sur  le  paganisme  était  assuré  avant  la 
conversion  de  Constantin ,  et  que  la  toute-puissance  divine 
s'était  clairement  manifestée  dans  l'établissement  de  l'Église 
chrétienne,  avant  d'appeler  les  princes  de  la  terre  à  la  soutenir 
par  leur  protection  et  leurs  édits.  «  Dieu,  dit  Bossuet,  qui 
«  sait  que  les  plus  fortes  vertus  naissent  parmi  les  souffrances, 
«  a  fondé  son  Église-  par  le  martyre ,  et  l'a  tenue ,  durant 
«  trois  cents  ans,  dans  cet  état,  sans  qu'elle  eût  un  seul  moment 
«  pour  se  reposer.  Après  qu'il  eut  fait  voir,  par  une  si  longue 
«  expérience,  qu'il  n'avait  pas  besoin  du  secours  humain,  ni 
«  des  puissances  de  la  terre,  pour  établir  son  Église,  il  y  appela 
«  enfin  les  empereurs,  et  fit  du  grand  Constantin  unprotec- 

maientguère  qu'un  vingtième  de  la  population.  (Liv.  ix,  chap.  13,  et  alibi 
passim.  )  Ses  conjectures ,  à  cet  égard ,  n'ont  d'autre  fondement  que  des  do- 
cuments isolés ,  relatifs  à  quelques  villes  ou  à  quelques  provinces  particu- 
lières et  qui  ne  peuvent  servir  de  base  pour  évaluer  exactement,  ni  même 
d'une  manière  approximative,  le  nombre  des  chrétiens  dans  le  reste  de 
l'empire.  Il  faut  avouer  seulement  que ,  malgré  les  progrès  immenses  du 
christianisme  avant  la  conversion  de  Constantin ,  les  païens  formèrent  en- 
core longtemps  après  un  parti  considérable,  surtout  en  Occident,  et  particu- 
lièrement à  Rome,  où  un  certain  nombre  de  sénateurs  persistèrent  long- 
temps à  soutenir  l'idolâtrie.  On  peut  voir,  à  l'appui  de  ces  réflexions , 
Yhist.  de  V Église  de  M.  Receveur,  t.  m,  p.  38 ,  note.  Voyez  aussi  quelques 
autres  observations  sur  l'ouvrage  de  M.  Beugnot,  dans  le  n.  1  des  Pièces 
justificat.  à  la  fin  de  ce  volume. 

(1)  De  la  Luzerne,  ubi  supràt  n.  114,  etc. 


INTRODUCTION.  51 

«  teur  déclaré  du  christianisme  (\) C'était  le  conseil  de 

«  Dieu  et  la  destinée  de  la  vérité ,  si  je  puis  parler  de  la 
«  sorte,  qu'elle  fût  entièrement  établie  malgré  les  rois  de  la 
«  terre,  et  que,  dans  la  suite  des  temps,  elle  les  eût  première- 
«  ment  pour  disciples,  et  après  pour  défenseurs.  Il  ne  les  a 
«  point  appelés  quand  il  a  bâti  son  Église.  Quand  il  a  eu 
«  fondé  immuablement  et  élevé  jusqu'au  comble  ce  grand 
«  édifice,  il  lui  a  plu  alors  de  les  appeler  :  Et  nunc  reges  : 
«  Venez  rois  maintenant  (2).  Il  les  a  donc  appelés,  non  par 
«  nécessité,  mais  par  grâce.  Donc  l'établissement  de  la  vérité 
«  ne  dépend  point  de  leur  assistance ,  et  l'empire  de  la  vérité 
«  ne  relève  point  de  leur  sceptre.  Si  Jésus-Christ  les  a  éta- 
«  blis  défenseurs  de  son  Évangile ,  il  Fa  fait  par  honneur 
«  et  non  par  besoin;  c'est  pour  honorer  leur  autorité  et 
«  pour  consacrer  leur  puissance.  Cependant  sa  vérité  sainte 
«  se  soutient  toujours  d'elle-même  et  conserve  son  indé- 
«  pendance  (5).  » 

Après  ces  observations,  qui  nous  ont  paru  importantes  pour 
maintenir,  contre  les  assertions  de  quelques  écrivains  mo- 
dernes, le  fait  miraculeux  de  l'établissement  du  christianisme, 
nous  allons  exposer  en  détail  les  principales  dispositions  du 
Droit  romain  en  faveur  de  la  religion ,  depuis  la  conversion 
de  Constantin  (4). 

Le  premier  fruit  et  le  principal  résultat  de  cette  conver-     Premiers 

r  Af    .         L  m  edits  tle  Con- 

sion  fut  d'assurer  aux  chrétiens  une  pleine  et  entière  liberté    »tanti*en 

...  ..  .  faveur  de  l.i 

de  s'assembler,  de  bâtir  des  églises,  et  de  pratiquer  tous  les  "1>p»»  ii»é- 

"  r  -1  tienne. 

exercices  de  leur  religion.  Tel  fut  1  objet  des  édits  publiés 

p  (1)  Bossuet,  Hist.  univers. ,  ne  partie,  chap.  20.  (T.  xxxv  des  Œuvres, 
p.  311.) 

(2)  PS.  H,   10. 

(3)  Bossuet,  Sermon  sur  la  divinité  de  la  rel.t  1er  point.  (T.  xi  des  Œu- 
vres, p.  277.) 

(4)  On  peut  voir  l'analyse  du  Droit  romain,  sur  cette  matière,  dans  les 
ouvrages  suivants  :  Hist.  des  Auteurs  ecclés.,  par  D.  Ceillier,  t.  iv,  chap.  5, 
art.  4;  t.  vin,  chap.  15;  t.  xvi ,  chap.  20.  —  Domat ,  Droit  public,  liv.  i, 
titre  19.  —  Fleury,  Hist.  Ecclés.,  t.  m,  etc.,  passim.  Nous  indiquerons  plus 
bas  les  principaux  endroits  à  consulter  dans  ce  dernier  auteur. 

4. 


52  INTBODUCTION. 

en  542  et  545  ,  par  Constantin  et  Licinius(4).  Le  premier 
de  ces  édits ,  qui  était  adressé  au  préfet  du  prétoire ,  au  té- 
moignage d'Eusèbe,  n'est  pas  venu  jusqu'à  nous;  mais  le 
même  historien  nous  a  conservé  le  second ,  dont  nous  rap- 
porterons ici  les  principales  dispositions.  «  Ayant  considéré 
«  depuis  longtemps  qu'on  ne  doit  refuser  à  personne  la  li- 
ft berté  sur  le  choix  de  sa  religion,  nous  avons  déjà  ordonné 
«  qu'on  permît  aux  chrétiens ,  comme  à  tous  les  autres ,  le 
«  libre  exercice  de  la  leur.  Mais  parce  que,  dans  le  rescrit 
«  qui  leur  accorde  cette  liberté ,  il  y  a  des  clauses  qui  don- 
«  nent  lieu  à  des  contestations ,  quelques-uns  se  sont  crus 
«  dispensés  de  l'observer.  C'est  pourquoi,  nous  étant  heu- 
n  reusement  assemblés  à  Milan ,  moi  Constantin  Auguste , 
«  et  moi  Licinius  Auguste,  et  traitant  de  tout  ce  qui  regarde 
«  la  sûreté  et  l'utilité  publiques,  nous  avons  cru  qu'un  de 
«  nos  premiers  soins  devait  être  de  régler  ce  qui  regarde  le 
«  culte  de  la  Divinité,  et  de  donner  aux  chrétiens  et  à  tous 
«  les  autres  la  liberté  de  suivre  telle  religion  que  chacun 
«  voudrait,  afin  d'attirer  la  faveur  du  ciel  sur  nous  et  sur 

it  nos  sujets C'est  pourquoi  vous  devez  savoir  (conti- 

«  nuent  les  deux  empereurs ,  parlant  aux  officiers  auxquels 
«  l'édit  est  adressé)  que  ,  nonobstant  toutes  les  clauses  des 
«  lettres  qui  vous  ont  été  adressées  touchant  les  chrétiens,  il 
«  nous  a  plu  d'ordonner  purement  et  simplement,  que  tous 
«  ceux  qui  veulent  observer  la  religion  chrétienne,  le  fassent 
«  sans  être  inquiétés  et  molestés  en  aucune  manière.  C'est  ce 
a  que  nous  avons  cru  devoir  vous  déclarer  nettement,  afin 
«  que  vous  sachiez  que  nous  avons  donné  aux  chrétiens  la 
<r  faculté  libre  et  absolue  d'observer  leur  religion  ;  laissant 
«  néanmoins  à  tous  les  autres  la  même  liberté  ,  pour  main- 
«  tenir  la  tranquillité  de  notre  règne.  »  La  suite  de  cet  édit 
ordonne  de  restituer  aux  chrétiens  toutes  les  églises  et  les 
autres  lieux  où  ils  avaient  coutume  de  s'assembler,  ainsi 

(1)  Eusèb. ,  Hist.  Ecoles.,  lib.  ix,  cap.  9  ;  lib.  x ,  cap.  5.  —  Fleury,  Hist. 
Ecclés.,  t.  ii,  liv.  ix,  n.  46.  —  Hist.  de  l'Église  Gallicane,  1. 1,  p.  171,  etc. 


INTRODUCTION.  53 

que  les  biens-fonds  appartenant  aux  églises,  soit  qu'ils 
aient  été  acquis  par  le  fisc ,  ou  par  des  particuliers  ;  laissant 
toutefois  à  ces  derniers  le  droit  de  s'adresser  au  vicaire  de  la 
province,  pour  obtenir  les  indemnités  convenables. 

A  ces  premiers  édits,  Constantin  et  ses  successeurs  en 
ajoutèrent  dans  la  suite  plusieurs  autres,  pour  assurer  déplus 
en  plus  aux  chrétiens  le  libre  exercice  de  leur  culte,  et  pour  les 
protéger  contre  les  persécutions  et  les  violences  de  leurs  enne- 
mis. D'après  une  loi  de  Constantin,  publiée  en  522,  ceux 
qui  usaient  de  quelque  violence  cotttre  les  chrétiens ,  au  su- 
jet de  la  religion ,  devaient  être  condamnés  à  la  flagellation 
s'ils  étaient  esclaves ,  et  à  de  grosses  amendes  s'ils  étaient 
d'une  condition  plus  relevée  (4).  Honorius  condamna  même 
à  la  peine  capitale,  quiconque  serait  convaincu  d'avoir  in- 
sulté un  prêtre  dans  l'église  .  attaqué  les  lieux  saints  ,  ou 
troublé  par  quelque  autre  violence  le  service  divin  (2). 

Pour  favoriser  d'une  manière  encore  plus  efficace  la  propa-        3s. 

,,  .  t         ,      .      .  ,  .  Son  applica- 

gation  et  1  exercice  public  du  christianisme,  les  premiers  em-  tion  à  décré- 

i  »  i«  «    J  »        t  !•  i  éditer  l'ido- 

pereurs  chrétiens  s  appliquèrent  constamment  a  decrediter  les      îàtr.e. 
superstitions  païennes  ,  et  à  restreindre  peu  à  peu  l'exercice 
de  l'idolâtrie ,  en  attendant  que  les  circonstances  permissent 
de  l'abolir  entièrement.  Constantin  en  particulier,  pendant 
toute  la  durée  de  son  règne ,  ne  cessa  de  travailler  par  des 


(i)  «  Quoniam  comperimus  quosdam  ecclesiasticos ,  et  caeteros  catholicœ 
«  sectae  (i.  e.  societati)  servientes,  à  diversarum  religionum  hominibus 
«  (scilicet ,  paganis)  ad  lustrorum  sacrificia  celebranda  compelli  ;  hâc  san- 
«  ctione  sancimus,  si  quis  ad  ritum  aliénas  superstitionis  cogendos  esse  cre- 
«  diderit  eos  qui  sanctissimae  legi  serviunt,  si  conditio  patiatur,  publiée 
«  fustibus  verberetur;  si  verô  honoris  ratio  talem  ab  eo  repellat  injuriam, 
«  condemnationem  sustineat  damni  gravissimi  (i.  e.  mulclœ  pecuniariœ) , 
«  quod  rébus  publicis  vindicabitur  (i.  e.  de  civitatis  reditibus  exsolve- 
«  tur).  »  Cod.  Theodos.y  lib.  xvi,  tit.  2,  n.  5. 

(2)  «  si  quis  in  hocgenus  sacrilegii  proruperit,  ut  in  ecclesias  catholicas 
«  irruens,  sacerdotibus  et  ministris,  vel  ipsi  cultui  locoque  aliquid  importet 
«  injuriae;....  deferatur  in  notitiam  potestatum;....  atque  ita  provincial 
«  moderator  sacerdotum  et  catholicse  ecclesiae  ministrorum ,  loci  quoque 
«  ipsius,  et  divini  cultûs  injuriam,  capitali  in  convictos  sive  confessos  reos 
«  sententiâ  noverit  vindicandam.  *>  Ibid.,  n.  31,— .Fleury,  Hist.  Ecclés,, 
t,  v,  liv,  xx,  n.  28. 


54  INTRODUCTION. 

moyens  indirects ,  mais  très-efficaces ,  à  ja  ruine  du  culte 
païen  (\).  Jl  témoignait,  en  toute  occasion,  son  admiration  et 
sa  haute  estime  pour  la  religion  chrétienne,  et  le  désir  qu'il 
avait  de  voir  tous  ses  sujets  réunis  sous  l'étendard  de  cette 
religion  divine.  Il  répandait  avec  profusion  ses  dons  et  ses 
faveurs  sur  les  chrétiens  :  il  avait  toujours  auprès  de  lui  des 
évêques  et  des  prêtres  distingués  par  leurs  vertus  et  leur 
mérite  ;  il  en  composait  son  conseil  et  son  cortège  habituel , 
les  admettait  à  sa  table  et  à  sa  confidence  intime,  et  les  ho- 
norait même  au-dessus  d#  tous  ses  autres  confidents.  Il  choi- 
sissait ordinairement  parmi  les  chrétiens  les  magistrats  et  les 
gouverneurs  de  province  ;  et  il  défendait  à  ceux  qui  étaient 
encore  païens  de  sacrifier  aux  faux  dieux.  Il  n'oubliait  rien 
pour  décréditer  dans  l'esprit  des  peuples  les  anciennes  super- 
stitions, abattant  un  autel,  renversant  une  idole,  partout  où  il 
le  pouvait  faire  sans  occasionner  du  tumulte  ;  dépouillant  les 
temples  du  paganisme  ,  enlevant  leurs  portes  ou  leurs  toits , 
pour  les  exposer  à  une  ruine  prochaine  ;  transportant  sur  les 
places  publiques  les  statues  des  plus  fameuses  divinités,  pour 
les  exposer  au  mépris  du  peuple,  ou  pour  les  faire  servir 
d'ornements  profanes.  Ayant  fait  de  Gonstantinople  la  capi- 
tale de  son  empire ,  il  bannit  absolument  de  cette  ville  le 
culte  des  idoles  et  toutes  les  superstitions  païennes  ;  il  n'y 
laissa  aucun  temple  qui  ne  fût  consacré  au  culte  du  vrai 
Dieu,  et  ne  conserva  les  idoles  que  dans  quelque  lieux  pro- 
fanes, pour  servir  d'ornements,  et  transmettre  ainsi  à  la  pos- 
térité ces  monuments  de  l'ancien  aveuglement  des  hommes. 
Ces  différentes  mesures,  jointes  aux  prédications  d'une 
multitude  de  saints  évêques  et  de  zélés  missionnaires],  dans 


(1)  Eusèb. ,  Vita  Constantini,\ïb.  h,  cap.  44, 47,  etc.  ;  lib.  m,  cap.  48 , 
54,  etc. — Idem,  De  laudibus  Constantini,  cap.  8. —  Fleury,  Hist.Ecclés., 
t.  m,  liv.  xi,  ii.  33  et  45.  —  Lebeau ,  Hist.  du  Bas-Empire,  t.  i,  îiv.  h, 
n.  27,  et  liv.  iv,  n.  5.  —  Hist.  de  l'Église  Gallicane,  1. 1,  p.  131,  etc.  — 
Tillemont,  Hist.  des  Empereurs,  t.  iv,  p.  200-211.  — Naudet,  Des  change-' 
ments  opérés  dans  l'administration  de  l'empire,  t.  n,  3e  partie,  chap.  2  et 
3,  art.  ij  et  alibi  passim. 


INTRODUCTION.  55 

toutes  les  parties  de  l'empire,  firent  insensiblement  tomber 
le  paganisme  dans  un  tel  discrédit,  qu'une  foule  de  païens 
conçurent  de  la  honte  et  du  mépris  pour  leurs  anciennes 
superstitions. 

Constantin ,  profitant  de  cette  heureuse  révolution  opérée        39. 

il,  «il  i        11  i   '•  «  Ses  édits 

dans  1  esprit  public  ,  publia ,  dès  1  an  54  9  ,  une  loi  qui ,  sans  contre  ia  dm- 

j.  il  î      iv  i     i  a      •  i  •  •         nation  se- 

înterdire  absolument  1  exercice  de  lidolatrie  ,  le  restreignait  «è». 
beaucoup,  en  proscrivant,  sous  des  peines  très-sévères,  les 
pratiques  de  la  magie  ou  de  la  divination  secrète,  qui  pou- 
vaient favoriser  la  débauche  et  le  libertinage,  ou  servir  de 
prétexte  à  des  assemblées  suspectes  (4).  Il  paraît  même  que 
les  païens,  intimidés  par  cette  loi,  la  première  que  Constantin 
eût  faite  contre  leur  culte,  craignirent,  pendant  quelque 
temps ,  d'élever  des  statues  à  leurs  divinités ,  de  leur  offrir 
des  sacrifices,  et  d'exercer  même  en  public  les  pratiques  de 
la  divination.  Mais  l'empereur  ne  fit  pas  difficulté  de  les  ras- 
surer par  une  loi  publiée  la  même  année  que  celle  dont  nous 
venons  de  parler,  et  qui  leur  assure  le  libre  exercice  de  leur 
culte,  dans  les  temples  et  les  autres  lieux  publics.  «Que 
«  ceux,  dit-il,  qui  tiennent  encore  à  l'ancien  culte,  se  ren- 
((  dent  aux  autels  et  aux  temples  publics,  pour  y  célébrer 
«  les  cérémonies  auxquelles  ils  sont  accoutumés;  car  nous 
«  n'empêchons  personne  de  se  livrer,  en  plein  jour,  aux  pra- 
«  tiques  autorisées  par  l'ancienne   coutume  (2).  »  Cette  loi 

(1)  «Niillus  haruspex  limen  alterius  accédât;  sed  hujusmodi  hominum, 

«  quamvis  vêtus,  amicitia  repellelur Superstitioni  enim  suas  servire 

«  cupientes  poterunt  publiée  ritum  propriwn  exercere.  »  Cod.  Theod. , 
lib.  ix,  tit.  xvi,  n.  1.  — D.  Ceillier,  Hist.  des  Auteurs  ecelés.,  t.  iv,  p.  132., 
Pour  comprendre  la  nature  et  le  caractère  des  pratiques  supertitieuses  que 
Constantin  proscrivait  par  cette  loi ,  voyez  les  Notes  de  Godefroy  sur  ce 
passage.  —  Dissert,  de  M.  Bonamy,  Sur  le  rapport  de  la  magie  avec  la 
théologie  païenne.  {Mém.  de  l'Acad.  des  inscript.,  t.  vu  de  l'édition  in-4°, 
p.  25;  t.  iv de  VHist.de  l'Acad.,  édition  in-12,  p.  34.)  —  Receveur,  Hist.  de 
rÉglisett.  n,  p.  5.  —  Beugnot,  Hist.  de  la  destruct-  dupagan.f  1. 1,  p.  79,  etc. 

(2)  «  Haruspices  et  sacerdotes,  et  eos  qui  hnic  ritui  assolent  ministrare , 
«  ad  privalam  domum  prohibemus  accedere,  vel  sub  praetextu  amicitiae 
«  limen  alterius  ingredi,  pœnâ  contra  eos  proposità,  si  contempserint  legem. 
«  Qui  verô  id  vobis  existimatis  conducere,  adite  aras  publicas  atque  delu- 
«  bra,  et  consuetudinis  vestrae  celebrate  solemnia;  nec  enim  prohibemus 


56  INTRODUCTION. 

fut  confirmée ,  peu  de  temps  après ,  par  une  lettre  adressée 
aux  habitants  des  provinces  de  l'Orient,  et  dans  laquelle 
Constantin,  exhortant  ouvertement  tous  ses  sujets  à  embras- 
ser le  christianisme  ,  déclare  toutefois  qu'il  ne  prétend  pas 
inquiéter  ceux  qui  demeurent  attachés  à  l'ancien  culte ,  et 
qu'il  laisse  à  chacun  pleine  liberté  de  faire,  à  cet  égard ,  ce 
qu'il  juge  à  propos  (4). 

40.  Telle  fut  la  conduite  modérée  de  Constantin  pendant  toute 
modérée     la  durée  de  son  règne.  Il  y  a  sans  doute  lieu  de  croire  que, 

e,pa7eLes  vers  la  fin  de  sa  vie,  il  publia  une  loi  qui  ordonnait  de  fer- 
mer les  temples  des  faux  dieux ,  et  défendait  généralement  à 
tous  ses  sujets  l'exercice  de  l'idolâtrie  (2).  Mais,  soit  que  cette 
loi  n'ait  été  publiée  qu'en  Orient,  soit  que  l'empereur  n'ait 
pas  jugé  à  propos  d'en  presser  l'exécution  en  Occident,  et 
surtout  à  Rome ,  où  l'idolâtrie  avait  encore  dans  le  sénat  et 
dans  plusieurs  familles  distinguées  des  partisans  qu'il  impor- 
tait de  ménager;  il  est  certain  que,  jusqu'à  la  fin  de  son 
règne ,  les  païens  conservèrent  le  libre  exercice  de  leur 
culte  (5). 

41.  Les  empereurs  Constance  et  Constant ,  fils  et  successeurs 

Sa  prudence      ,        _,  .  .      .    , 

imitée      de  Constantin  ,  imitèrent  en  ce  point  sa  prudence.  Ils  con- 


«  prœteritœ  usurpationis  (  seu  consuetudinis  )  officia  lïberâ  luce  tra- 
«  ctari.  »  Cod.  Theod.,  ibid.,  n.  2. 

(1)  «  Nemo  alteri  molestiam  facessat  ;  qnod  cuique  libitum  fuerit,  id  agat. 
«  lllud  tamen ,  apud  eos  qui  rectè  sentiunt,  fixum  ratumque  esse  oportet, 
«  solos  illossanctècastèque  victuros,  quostu  ipse  {omniumDomine  et  sancte 
«  Deus)  ad  hoc  vocavisti ,  ut  sacrosanctis  tuis  legibus  acquiesçant.  »  Eusèbe, 
Vita  Constant.,  lib.  11,  cap.  56. 

(2)  Eusèbe,  Vita  Const.,  lib.  11,  cap.  45;  lib.  iv,  cap.  23  et  25.  —  Théo- 
doret ,  Hist.  Eccl.,  lib.  v,  cap.  21.  —  Sozomène,  Hist.,  lib.  m.  cap.  17.  — 
Orose,  Hist.,  lib.  vu.  cap.  28.  (T.  vi  de  la  Biblioth.  des  Pères,  p.  442.) 
Voyez,  à  ce  sujet,  le  n.  1  des  Pièces  justijicat.  à  la  fin  de  ce  volume. 

(3)  Libanius  le  dit  expressément ,  dans  son  Discours  pour  la  conserva- 
tion des  temples  des  Gentils,  où  il  s'exprime  ainsi,  au  sujet  de  la  conduite 
de  Constantin  à  l'égard  de  l'idolâtrie  :  «  Sacris  pecuniis  usus  est,  nihil  verà  de 
«  cultu  solemni  immutavit.  Penuria  quidem  in  templis  erat;  omnia  autem 
«  alia  impleta  videre  erat.  »  Oratio  pro  templis  Gentil,  non  exscinden- 
dis ,  §  3  et  9.  Ce  discours  a  été  publié ,  pour  la  première  fois,  par  Jac.  Gode- 
froy;  Genève,  1634,  in-4°.  Le  passage  que  nous  citons  est  rapporté  parle 
même  Godefroy,  Comment,  in  Cod.  Theodos,,  lib.  xvi,  tit.  x,  11,  3. 


INTRODUCTION.  5t 

tinuèrent,  à  la  vérité,  de  combattre  le  paganisme,  par  tous    en  «point 

i  ,,.    ■        ,■      .,,,.  ,        .    M  ,  par  Constance 

les  moyens  qu  il  avait  déjà  employés  avec  tant  de  succès,    et  constant. 
et  que  les  progrès  toujours  croissants  du  christianisme  ren- 
daient de  jour  en  jour  plus  efficaces.  Il  paraît  même  que , 

non  contents  de  renouveler  les  édits  de  Constantin^contre  la 

■ 

divination  secrète,  ils  en  publièrent  un  autre,  pour  défendre 
tout  exercice  de  l'idolâtrie  (i  ).  Par  une  conséquence  natu- 
relle de  cette  prohibition,  l'empereur  Constance,  devenu  seul 
maître  de  l'empire,  fit  enlever  du  sénat  (en, 557)  V autel  de 
la  Victoire,  sur  lequel  on  avait  coutume  de  brûler  de  l'encens 
au  commencement  de  chaque  séance,  en  présence  même 
des  sénateurs  chrétiens ,  que  l'on  avait  contraints  jusque-là 
d'assister  à  cette  cérémonie  païenne  (2).  Toutefois  ,  il  est 
certain  que  les  païens  continuèrent,  sous  le  règne  de  Con- 
stance, d'exercer  librement  leur  culte,  du  moins  en  Occident. 

(1)  Voici  le  texte  de  la  loi  publiée  par  l'empereur  Constance ,  en  341: 
«  Cesset  superstitio  :  sacrificiorum  aboleatur  insania;  nam  quicumque 
«  contra  legem  divi  principis,  parentis  nostri ,  et  hanc  nostrœ  mansuetudinis 
«  jussionem,  ausus  fuerit  sacrificia  celebrare,  competens  in  eum  vindicta,  et 
«  prœsens  sententia  exeratur.  »  Cod.  Theodos. ,  lib.  xvi,  tit.  x,  n.  2.  Cette 
loi  fut  confirmée,  peu  de  temps  après,  par  celle  de  l'empereur  Constance, 
qui  défendait  de  démolir  les  temples  situés  hors  des  murs  de  Rome  : 
«  Quamquàm  omnis  superstitio  eruenda  sit ,  est-il  dit  dans  cette  loi ,  ta- 
ct men  volumus  ut  sedes  templorum  quae  extra  muros  sunt  positae ,  intactae 
«  incorruptseque  consistant.»  Ibid.,  n.  3. — Il  est  à  remarquer  que  ces 
deux  lois ,  en  tant  que  prohibitives  de  l'idolâtrie ,  sont  un  simple  renouvel- 
lement de  celles  de  Constantin ,  comme  l'empereur  Constance  le  dit  expres- 
sément dans  la  première.  On  trouve ,  dans  le  même  titre  du  Code  Théodo- 
sien,  deux  autres  lois  de  l'empereur  Constance ,  dont  l'une  ordonne  que  les 
temples  des  idoles  soient  fermés ,  et  l'autre  défend  les  sacrifices  sous  peine 
de  mort.  (Ibid. ,  n.  4  et  6.  ),Mais  la  date  de  ces  lois  paraît  fautive  ;  ce  qui  a 
donné  lieu  de  contester  leur  authenticité.  Voyez  le  4e  Mémoire  de  M.  de  la 
Baslie,  sur  le  pontificat  des  empereurs  païens.  (Mém.  de  l'Acad.  des  in- 
scrip.,  t.  xv  de  l'édition  in-4°;  t.  xvn  de  l'édition  in-12,  p.  385.)  — Beugnot, 
ubi  suprà,  1. 1,  p.  141,  etc. 

(2)  C'est  ce  que  suppose  clairement  Symmaque,  en  plusieurs  endroits  de 
sa  Requête  à  Valentinien  II ,  pour  le  rétablissement  de  V autel  de  la  Vic- 
toire. Relatio  Symmachi ,  n.  5  et  7.  Cette  Requête  se  trouve  dans  le  re- 
cueil des  Zèbres  de  Symmaque  (lib.  x,  ep.  54);  et  parmi  les  Lettres  de 
saint  Ambroise,  à  la  suite  de  la  17e  lettre ,  adressée  à  Valentinien  II ,  sur  le 
même  sujet.  (Opcrum,  t.  n.)  Elle  est  traduite  en  français,  dans  l'ouvrage  déjà 
cité  de  Beugnot,  ubi  suprà,  p.  417  ;  mais  nous  verrons  bientôt  que  sa  tra- 
duction manque  d'exactitude,  même  sur  des  points  très-importants.  (Voyez 
ci-après,  n.  43,  note  1,  pag.  60.) 


58  INTRODUCTION. 

On  trouve  un  témoignage  irrécusable  de  ce  fait,  dans  la  Re- 
quête adressée  à  Valentinien  II  par  Symmaque  (en  584), 
pour  le  rétablissement  de  l'autel  de  la  Victoire.  L'orateur  y 
blâme  hautement  l'empereur  Constance  d'avoir  fait  enlever 
cet  autel  du  lieu  où  le  sénat  tenait  ses  séances  ;  mais  il  assure 
en  même  temps  que  ce  «  prince  n'enleva  aux  Vestales  aucun 
«  de  leurs  privilèges,  donna  les  sacerdoces  aux  nobles,  ne 
«  refusa  point  aux  Romains  les  sommes  nécessaires  à  la  cé- 
«  lébration  de  leurs  cérémonies  religieuses;...  et  que,  quoi- 
«  qu'il  professât  lui-même  une  autre  religion,  il  conserva 
«  néanmoins  celles  de  l'empire  ;  à  chacun  ses  coutumes  ,  à 
«  chacun  ses  rites  (4).  » 

Ce  fait  est  d'ailleurs  confirmé  par  plusieurs  inscriptions 
qu'on  lit  encore  aujourd'hui  sur  des  monuments  élevés  en 
Italie  et  même  à  Rome,  sous  le  règne  de  Constance,  et  qui 
font  une  mention  expresse  d'autels  et  de  statues  élevés,  à  cette 
époque,  en  l'honneur  des  faux  dieux  (2). 
Modération  de  L'exécution  des  édits  publiés  contre  l'idolâtrie  par  Con- 
jovien.  stantin  et  les  princes  ses  fils,  ayant  été  suspendue  sous  Julien 
l'Apostat,  fut  remise  en  vigueur  par  ses  successeurs;  toute- 
fois, il  est  à  remarquer  que  ceux-ci ,  à  l'exemple  des  pre- 
miers empereurs  chrétiens,  allièrent  si  bien,  dans  la  prati- 
que, la  fermeté  à  la  douceur,  que  l'exécution  de  leurs  édits 
contre  le  paganisme  n'excita  ancun  trouble  dans  l'empire. 
Themistius  ,  philosophe  païen  ,  et  l'un  des  plus  illustres  ma- 
gistrats de  son  siècle  ,  loue  hautement  la  modération  de  Jo- 
vien,  en  cetie  matière.  «  Vous  avez  compris,  lui  dit-il,  qu'il 
«  est  des  choses  auxquelles  le  souverain  ne  peut  contraindre 
«  ses  sujets.  De  ce  nombre  sont  principalement  la  religion  et 


(1)  «  Nil  ille  (Constantius)  decerpsit  sacrorum  virginum  privilegiis  ;  replè- 
te vit  nobilibus  sacerdotia  ;  Romanis  caeremoniis  non  negavit  impensas; 

«  cùmque  alias  religiones  ipse  sequeretur,  has  servavit  imperio;  suus 
«  enim  cuique  mos,  suus  cuique  ritus  est.  »  Relatio  Symmachi,  n.  8. 

(2)  On  trouve  quelques  inscriptions  de  ce  genre  dans  l'ouvrage  de  Beu- 
gnot,  ubi  suprà,  p.  153,  etc.  Toutefois,  plusieurs  de  celles  qu'il  cite  pa- 
raissent peu  concluantes. 


INTRODUCTION.  59 

«  la  piété  envers  les  dieux Aussi,  loin  d'user  de  vio- 

«  lence,  vous  avez  fait  une  loi  qui  permet  à  chacun  de  ren- 
«  dre  à  la  Divinité  le  culte  qu'il  jugera  le  meilleur.  Image 
«  de  l'Être  suprême,  vous  imitez  sa  conduite  :  il  a  mis  dans 
«  le  cœur  de  l'homme  un  penchant  naturel  qui  le  porte  à 
«  la  religion  ;  mais  il  ne  force  point  dans  le  choix  (\).  » 

Les  successeurs  de  Jovien  suivirent  les  mêmes  principes  :        43. 

i  i    ;  vi     r  i  i-     •  l     i   .  L'autel    de  la 

et  quelque  attaches  qu  ils  tussent  a  la  religion  chrétienne  ,     victoire , 

i  oo  iv  i    i         •  i  »  tantôt  enlevé 

tous  leurs  etlorts  contre  1  idolâtrie  se  bornèrent  a  en  res-    du  sénat, 

.     j  i  î  i  i,  i  tantôt  rétabli, 

tremdre  de  plus  en  plus  1  exercice  autant  que  les  circon-     (selon les 

•  .  ^  0   .  .  -,  ,        ,  .         conjonctures, 

stances  le  permettaient.  On  peut  se  taire  une  idée  des  prin- 
cipes qui  dirigeaient  habituellement  leur  politique  ,  en  cette 
matière,  par  la  conduite  qu'ils  tinrent  à  l'égard  de  l'autel  de 
la  Yictoire,  dont  l'histoire  est,  pour  ainsi  dire,  celle  des  vi- 
cissitudes du  paganisme  en  Occident,  depuis  le  règne  de 
Constantin  (2).  Cet  autel,  enlevé  pour  la  première  fois  par 
Constance  en  557,  avait  été  rétabli  par  Julien  l'Apostat. 
Valentinien  Ier  le  laissa  subsister,  par  ménagement  pour  les 
sénateurs  païens  ,  et  par  suite  de  l'entière  liberté  qu'il 
croyait  devoir  laisser  en  général  à  tous  ses  sujets  sur  l'ar- 
ticle de  la  religion  (5).  Gratien  non-seulement  le  fit  enlever 
(en  582) ,  mais  il  saisit  en  même  temps ,  et  attribua  au  fisc 
les  revenus  destinés  à  l'entretien  des  pontifes  et  aux  dépenses 
de  l'ancien  culte  (4) .  Les  sénateurs  païens  ,  vivement  affli- 
gés de  cette  ordonnance,  résolurent  d'adresser  à  l'empereur 
des  remontrances,  et  lui  députèrent,  pour  cet  effet,  Symma- 


(t)  Themistii  Or.  V.  (Inter  ejusdem  Orat.  Paris.  1684,  in-fol.  p.  68,  etc.) 
—  Labletterie,  Hist.  de]Jovien,  p.  102.  —  Beugnot,  ubi  suprà,j).  226,  etc. 

(2)  Hist.  des  Auteurs  ecclés.  par  D.  Ceillier,  t.  vu,  p.  337,  339,  340, 
522-527  ;  t.  xvm ,  p.  74-76 —  Beugnot ,  Hist.  de  la  destr.  du  pagan.  en 
Occident,  i.  i,  p.  410,  etc. 

(3)  Fleury,  Hist.  Eccl.,  t.  iv,  liv.  xvi,  n.  29.  — Tillemont,  Hist.  des  Em- 
pereurs, t.  v,  p.  8,  etc. — Lebeau,  Hist.  du  Bas-Emp.,  t.  iv,  liv.  xvi,  n.  19. 
Voyez  les  observations  que  nous  avons  faites  sur  ce  sujet  ci-dessus,  p.  24 , 
note  1 . 

(4)  Fleury,  ibid. ,  liv.  xvm,  n.  31.  —  Beugnot ,  Hist.  de  la  destruction 
du  pagan.,  1. 1,  p.  353,  etc. 


60  INTRODUCTION. 

que,  l'un  des  membres  les  plus  distingués  de  leur  compagnie, 
et  qui  passait  pour  le  plus  habile  orateur  de  son  temps.  De 
leur  côté,  les  sénateurs  chrétiens,  qui  formaient  alors  la  ma- 
jorité du  sénat  (\  ) ,  présentèrent  aussi  une  requête ,  par  la- 

(1)  Saint  Ambroise,  et  après  lui  la  plupart  des  auteurs  modernes,  disent 
expressément,  qu'à  l'époque  dont  il  s'agit,  la  majorité  du  sénat  était  chré- 
tienne. (Saint  Ambroise,  Epist.  17,  n.  9  et  10.  Operum,  t.  n,  p.  825.  — 
D.  Ceillier,  ubi  suprà,  t.  vu.  —  Baronius,  Annales,  anno  384,  n.  9»  —  Flé- 
chier,  Hist.  de  Théodose,  liv.  ni,  n.  30.  —  Lebeau,  Hist.  du  Bas-Empire , 
t.  v,  liv.  xxn,  n.  27.  —  De  la  Luzerne,  ubi  suprà,  n.  76.)  M.  Beugnot  sup- 
pose le  contraire  (  ubi  suprà,  p.  412 ,  etc.  )  ;  mais  il  ne  paraît  pas  avoir  saisi 
le  sens  du  texte  de  saint  Ambroise ,  dont  il  donne  une  version  peu  exacte 
(p.  426).  Nous  rapporterons  ici  les  propres  expressions  du  saint  docteur. 
Après  avoir  observé  que  les  chrétiens  se  croiraient  avec  raison  persécutés , 
si  on  les  forçait  de  prendre  part  aux  délibérations  du  sénat,  dans  un  lieu 
où  ils  seraient  obligés  d'assister  aux  sacrifices ,  et  de  prêter  serment  de  fidé- 
lité à  l'empereur  devant  l'autel  d'une  idole ,  saint  Ambroise  ajoute  que  «  les 
«  païens  eux-mêmes  sont  persuadés  que  l'autel  de  la  Victoire  a  été  placé 
«  dans  le  sénat ,  afin  que  le  serment  prêté  devant  cet  autel  servît  de  base  à 
«  toutes  les  délibérations ,  quoique  les  chrétiens  fissent  alors  la  plus 
«  grande  partie-du  sénat.  Propterea  enim  interpretantur  (  Gentiles) 
«  aram  locatam,  ut  ejus  sacramento,  ut  ipsi  putant,  unusquisque  con- 
«  ventus  consuleret  in  médium,  cùm  majore  j\m  curia  christianorum  nu- 

«  mero  sit  referta  (n.  9  ) Tous  les  évêques,  dit  encore  le  saint  docteur, 

«  se  joindraient  à  moi  pour  vous  conjurer  de  ne  point  autoriser  une  pareille 
«  impiété,  si  la  nouvelle  qui  attribue  cette  incroyable  mesure  à  votre  con- 
«  seil,  ou  au  sénat  lui-même,  eût  été  moins  subite.  Mais  à  Dieu  ne  plaise  que 
«  le  sénat  ait  fait  une  pareille  demande  :  elle  est  uniquement  l'ouvrage 
«  d'un  petit  nombre  de  païens  qui  abusent  du  nom  de  cette  compagnie. 
«  Âbsit  ut  hoc  senatus  petisse  dicatur;  pauci  Gentiles  communi  utuntur 
«  nomine.  En  effet ,  il  y  a  déjà  environ  deux  ans ,  les  païens  ayant  fait  une 
«  semblable  tentative ,  le  saint  pape  Daniase  m'envoya  une  requête  dressée 
«par  les  sénateurs  chrétiens,  en  nombre  innombrable  (libellum  chri- 
«  stiani  senatores  dederunt,  et  quidem  innumeri  ) ,  dans  laquelle  ils  décla- 
raient qu'ils  n'avaient  rien*demandé  de  semblable,  et  qu'il  ne  convenait 
«  point  de  consentir  à  la  demande  des  païens.  Ils  déclarèrent,  même  en  pu- 
«  blic  et  en  particulier,  que  si  elle  obtenait  son  effet ,  ils  ne  paraîtraient  plus 
«  au  sénat  (n.  10).  »  Le  langage  de  saint  Ambroise,  sur  ce  point,  est  con- 
firmé par  celui  de  Prudence ,  poëte  contemporain ,  qui ,  dans  ses  Livres 
contre  Symmaque,  avance,  comme  un  fait  notoire,  que  le  sénat  et  le  peuple 
romain  sont  chrétiens,  que  Rome  entière  est  chrétienne,  et  que,  dans  le  sénat 
en  particulier,  on  trouve  à  peine  quelques  païens  obstinément  attachés  à 
un  culte  vieilli,  et  fermant  opiniâtrement  les  yeux  à  la  lumière. 

«  Respice  ad  illustrem,  lux  est  ubi  publica,  cellam  (i.  e.  curiam)  ; 
a  Vix  pauca  invenies  genlilibus  obsita  nugis 
«  Ingénia,  cbtritos  aegrè  retinentia  cultus  ; 
«  Et  quibus  exactas  placeat  servare  tenebras, 
«  Splendentemque  die  medio  non  cernere  solem.  » 

(Prudence,  Contra  Symm.,  lib.  i,  v.  570,  etc.  Édition  de  Rome,  1789,  in-4% 


INTRODUCTION.  61 

quelle  ils  désavouaient  celle  des  païens  ;  ils  protestèrent 
même  ouvertement ,  en  public  et  en  particulier,  qu'ils  ne 
viendraient  plus  au  sénat,  si  l'empereur  accordait  aux  païens 
ce  qu'ils  demandaient.  Le  pape  Damase  fît  passer  la  requête 
des  sénateurs  chrétiens  à  saint  Ambroise ,  qui  la  remit  lui- 
même  à  Gratien.  Elle  fit  sur  ce  prince  l'impression  qu'on 
devait  attendre  ;  en  sorte  que  les  sénateurs  païens  s'étant 
présentés  pour  avoir  audience  ,  Gratien  ne  voulut  pas  même 
les  recevoir. 

Deux  ans  après,  c'est-à-dire,  en  384,  Gratien  étant  mort, 
Symmaque,  devenu  préfet  de  Rome,  présenta  sa  requête  à  Va- 
lentinien  II,  frère  de  Gratien  ;  mais  cette  nouvelle  démarche 
n'eut  pas  plus  de  succès  que  la  première.  Valentinien  com- 
muniqua la  requête  de  Symmaque  à  saint  Ambroise ,  qui  la 
réfuta  dans  deux  lettres  adressées  à  l'empereur  lui-même  (4). 
Ces  lettres  furent  lues  dans  le  conseil,  en  présence  des  comtes 
Bauton  et  Rumoride,  tous  deux  maîtres  de  la  milice,  qui, 
malgré  leurs  dispositions  bien  connues  en  faveur  des  séna- 
teurs païens,  souscrivirent  eux-mêmes  à  la  décision  rendue 
par  l'empereur  contre  la  requête  de  ces  derniers.  Les  païens 
ne  se  rebutèrent  pas  pour  cela  :  ils  firent,  en  588,  une  der- 
nière tentative  auprès  de  Théodose,  vraisemblablement  en- 
core par  l'organe  de  Symmaque  (2).  L'empereur,  non-seule- 
ment n'accorda  rien  de  ce  qu'on  lui  demandait;  mais,  pour 
punir  Symmaque  de  son  obstination,  il  le  fit  enlever,  et  con- 
duire à  cent  milles  de  Rome,  d'où  il  le  rappela  cependant  peu 
de  temps  après ,  croyant  cette  punition  suffisante  pour  ré- 
duire désormais  au  silence  le  principal  défenseur  du  paga- 
nisme. 

Mais,  quelle  que  fût  la  fermeté  de  Gratien,  de  Valentinien        44 
et  de  Théodose,  contre  la  prétention  des  sénateurs  païens,  ils  couDesr"î,r"s  à 
crovaient  du  reste  devoir  tolérer  encore  l'exercice  de  l'ido-    n,ï!?lâtre 

J  par  Tbeodose. 

t.  H,  p.  749.  —  Apud  Biblioth.  PP.,  t.  v,  p.  1046.) 

(1)  Saint  Ambroise,  Epist.  17  et  18;  Oper,  t.  h. 

(2)  Fleury,  Hist.  Eccl.y  t.  iv,  liv.  jxtl,  n.  15 


62  INTRODUCTION. 

latrie,  du  moins  en  Occident.  Saint  Ambroise  le  suppose 
clairement,  dans  sa  première  lettre  à  Valentinien  contre  la 
requête  de  Symmaque  :  «  Le  zèle  que  les  païens  témoignent 
«  pour  leur  fausse  religion,  dit— ii  à  ce  prince,  vous  apprend 

«  celui  que  vous  devez  avoir  pour  la  véritable  foi Ce 

«  n'est  pas  faire  injure  à  un  homme,  que  de  lui  préférer 
«  Dieu.  Les  païens  sont  bien  maîtres  de  garder  leurs  opi- 
«  nions  particulières;  car  vous  ne  contraignez  personne  à 
«  adorer  ce  qu'il  ne  veut  pas.  Mais  conservez  aussi  pour 
«  vous  la  même  liberté;  et  que  personne  ne  se  plaigne  de 
«  ne  pas  vous  extorquer  une  concession  qu'il  ne  voudrait 
«  pas  vous  faire ,  dans  le  cas  où  vous  prétendriez  l'exi- 
«  ger  (\).  » 

Il  était  réservé  à  Théodose  de  porter  les  derniers  coups  à 
l'idolâtrie  dans  l'empire;  et  le  discrédit  universel  où  elle 
était  enfin  tombée,  permit  à  ce  grand  prince  d'en  interdire 
absolument  l'exercice,  ou  du  moins,  de  faire  exécuter  plus 
rigoureusement  qu'on  n'avait  fait  avant  lui  les  édits  publiés , 
sur  ce  sujet,  par  ses  prédécesseurs  (2).  La  douzième  année  de 
son  règne  (en  594),  trois  ans  après  la  dernière  requête  des 
sénateurs  païens,  il  défendit  généralement  à  tous  ses  sujets  de 
sacrifier  aux  idoles,  et  d'entrer  même  dans  leurs  temples  pour 
y  exercer  aucun  acte  du  culte  païen  ;  les  transgresseurs  de 


(1)  A  l'occasion  du  zèle  des  païens  pour  la  défense  de  leurs  faux  cultes ,  le 
saint  docteur  parle  ainsi  à  Valentinien  :  «  Sed  proprio  studio  (superstitionis 
«  suce  conservandœ)  docere  et  admonere  te  débet  (  Gentilis  )  quemadmo- 
«  dùm  verae  fidei  studere  debeas ,  quando  ille  tanto  raotu  veri  vana  defen- 
«  dit....  Nullius  injuria  est,  cui  Deus  omnipotens  antefertur.  Habet  ille 
«  (Gentilis)  sententiam  suam.  Invitum  non  cogitis  colère  quod  nolit;  hoc 
«  idem  vobis  liceat,  imperator  ;  et  unusquisque  patienter  ferat,  si  non  extor- 
«  queat  imperatori,  quod  molesté  fèrret,  si  ei  extorquere  cuperet  imperator.)) 
Saint  Ambroise,  Epist.  17,  n.  6  et  7.  —  Fleury,  Hist.  Eccl.,  t.  iv,  liv.  xvm, 
n.  32.  —  Beugnot,  ubi  suprà,  p.  426. 

(2)  Les  principaux  édits  de  Théodose,  sur  cette  matière ,  sont  rapportés 
par  Fleury,  qui  n'en  observe  pas  assez  l'ordre  chronologique.  (  Hist.  Eccl., 
t.  iv,  liv.  xvm,  n.  9  et  38;  liv.  xix,  n.  15,  32,  34,  50.)  On  peut  le  rectifier 
d'après  le  Commentaire  de  Godefroy  sur  le  Code  Théodosïen.  —  Voyez 
aussi  D.  Ceillier,  Hi*  t.  des  Aut.  eccl. ,  t.  vin ,  p.  611,  etc.  —  Beugnot,  ubi 
suprà,  p.  358,.etc.j 


INTRODUCTION.  63 

cette  loi,  sans  excepter  les  magistrats  et  les  gouverneurs  de 
provinces ,  sont  condamnés  à  une  amende  de  quinze  livres 
d'or  (4).  L'année  suivante,  une  autre  loi  défendit  l'immola- 
tion des  victimes,  sous  peine  de  mort,  et  tous  les  autres  actes 
d'idolâtrie,  sous  peine  de  confiscation  des  lieux  où  ils  auraient 
été  commis  (2). 

L'exécution  de  ces  édits  souffrit  peu  de  difficultés  en 
Orient,  où  le  paganisme  comptait  à  peine  quelques  partisans 
dans  les  hautes  classes  de  la  société.  Il  n'en  fut  pas  de  même 
en  Italie,  et  surtout  à  Rome,  où  un  certain  nombre  de  séna- 
teurs ,  attachés  à  l'ancien  culte,  redoublaient  de  zèle  pour 
ses  intérêts,  à  mesure  qu'ils  voyaient  diminuer  le  nombre  de 
ses  partisans  (5).  Théodose  crut  donc  qu'il  était  de  la  pru- 
dence de  presser  moins  vivement  à  Rome  l'exécution  de  ses 


(1)  «Nemo  se  hostiis  polluât;  nemo  insontem  victimam  csedatj  nemo 
ce  delubra  adeat,  templa  perlustret,  et  mortali  opère  formata  simulacra  sus- 
«  piciat  (i.  e.  veneratione  prosequatur)  ;  ne  divinis  atque  bumanis  sanctio- 
«  nibus  reus  liât.  Judices  quoque  hanc  formani  contineant  (  i.  e.  liane  legem 
«  injudiciis  observent),  ut  si  quis,  profano  ritui  deditus,  templum  uspiarn, 
«■  vel  in  itinere,  vel  in  tube  adoraturus  intraverrt,  quindecim  pondo  auri  ipse 
«  protinùs  inferre  cogatur.  »  (Cod.  Theodos.  ,  lib.  xvi,  tit.  x,  n.  10.) 

«  isulli  sacrificandi  tribuutur  potestas;  nemo  templa  circumeat  (reli- 
«  gioso  eultu)  ;  nemo  delubra  suspiciat;  interclusos  sibi ,  nostrae  legis  obsta- 
«  culo,  profanos  aditus  recognoscant  ;  adeo  ut  si  quis  vel  de  diis  aliquid 
«  contra  vetitum  sacrisque  molietur,  nullis  exuendum  se  indulgentiis  reco- 
«  gnoscat.  Judex  quoque  (i.  e.  consulares  etprœsïdes,  juxta  Gothofredi 
«  interpretationem) ,  si  quis ,  teinpore  administrationis  suae,  fretus  privilegio 
«potestatis,  polluta  loca  sacrilegus  temerator  intraverit,  quindecim  auri 
«  pondo,  ofiicium  verô  ejus(i.  e.  o/Jiciales) ,  nisi  collatis  viribus  obviàrit, 
«  parem  summam  serario  nostro  inferre  cogatur.  »  (Ibid.,  n.  11.) 

En  supposant ,  avecPaucton,  que  la  livre  romaine  valait  alors  10  onces 
23724  de  notre  poids  de  marc ,  et  que  le  marc  d'or  vaut  aujourd'bui  840  fr. 
60  cent.,  les  15  livres  d'or  dont  il  est  ici  question  valaient  environ  17,250  fr. 
de  notre  monnaie.  (Paucton,  Métrologie,  p.  29l  et  305.)  Voyez  à  l'appui  de 
ce  calcul,  le  n.  2  des  Pièces  jus tificat.  à  la  fin  de  ce  volume. 

(2)  «  Quôd  si  quispiam  immolare  hostiam  sacriheaturus  audebit ,  aut  spi- 
«  rantia  exta  consulere  ;  ad  exemplum ,  maj esta-Us  reus  (  i.  e.  velut  maje- 
«  statis  reus  ) ,  licità  cunctis  accusatione  delatus ,  excipiat  sententiam  com- 
«  petentem ,    etiamsi    nihil    contra    salutem    principum    aut    de    salute 

«  quœsierit Si  quis  verô  mortali  opère  facta,  et  aevum  (i.  e.  interitum  ) 

«  passura  simulacra  imposito  tliure  venerabitur; is,  ut  potè  violatœ  reli- 

«  gionis  rais ,  eâ  domo  seu  possessione  mulctabitur,  in  quâ  eurn  gentilitiâ 
«  constiterit  superstilione  famulatum.  »  Ibid.,  n.  12. 

(3)  Beugnot,  ubl  suprà,  p.  411,  etc.  p.  489,  etc. 


64  INTRODUCTION. 

lois  contre  le  paganisme,  et  de  fermer  d'abord  les  yeux  sur 
quelques  infractions  particulières,  pour  ne  pas  donner  lieu  à 
des  troubles  funestes  à  Tordre  public.  Mais  après  la  défaite 
d'Eugène  (en  594),  il  fît  venir  tous  les  sénateurs  encore  atta- 
chés au  culte  païen,  et  qui  avaient  profité  du  triomphe  mo- 
mentané de  l'usurpateur,  pour  obtenir  le  rétablissement  de 
l'autel  de  la  Victoire.  Il  leur  fit  un  discours  très-pressant , 
pour  les  exhorter  à  quitter  leurs  anciennes  superstitions,  et  à 
embrasser  la  foi  chrétienne.  Pas  un,  s'il  en  faut  croire  Zo- 
zime,  ne  voulut  se  rendre  aux  exhortations  de  l'empereur  ; 
tous  répondirent  qu'ils  ne  pouvaient  renoncer  aux  cérémo- 
nies avec  lesquelles  Rome  avait  été  fondée,  et  subsistait  depuis 
4200  ans;  ils  ajoutèrent  que,  s'ils  consentaient  à  ce  change- 
ment, ils  ne  savaient  ce  qui  en  arriverait.  Alors  Théodose 
leur  déclara  que  le  trésor  public  était  trop  chargé  pour  four- 
nir à  la  dépense  des  sacrifices  et  des  autres  cérémonies 
païennes,  et  que  cet  argent  serait  beaucoup  mieux  employé  à 
l'entretien  de  ses  troupes.  Les  sénateurs  eurent  beau  remon- 
trer que  les  cérémonies  ne  pouvaient  se  faire  légitimement  et 
selon  l'ordre ,  si  la  dépense  n'était  supportée  par  l'État ,  ils 
ne  purent  rien  obtenir.  Ainsi  les  sacrifices  cessèrent  ;  les 
cérémonies  païennes  furent  négligées  ;  on  chassa  les  prêtres 
et  les  prêtresses  des  idoles ,  et  tous  les  temples  consacrés  à 
leur  culte  furent  abandonnés.  L'historien  Zozime,  qui  nous 
apprend  ces  détails,  déplore  cet  événement  comme  la  véritable 
cause  de  la  ruine  de  l'empire  (\). 
45.  A  mesure  que  le  christianisme  s'étendait  et  se  fortifiait  sur 

Confirmation    i  •  1  •  i  .    •        , 

des  lois  les  ruines  au  paganisme,  les  empereurs  ne  se  contentaient 
P*ar le? édita  pas  de  protéger  l'exercice  public  de  la  religion  chrétienne; 
empereurs,   mais  ils  confirmaient  par  leurs  édits  les  lois  de  l'Église , 

(1)  Zozime,  Hist. ,lib.  iv,  p.797;liv.v,p.  814.— Prudence,  lib.  i  contraSyin- 
machum.  — Tillemont, Hist.  desEmp.,  t.  v,  p.  387.  — Fleury,  Hist.  Eccl.f 
t.  iv,  liv.  xix,  n.  50.  —  D.  Ceillier,  Hist.  des  Aut.  eccl.,  t.  vin,  p.  630.  On 
trouve,  dans  le  t.  n  de  l'ouvrage  déjà  cité  de  M.  Beugnot ,  des  détails  intéres- 
sants sur  la  décadence  du  paganisme,  en  Occident ,  depuis  le  règne  de  Théo- 
dose. Nous  supprimons  ces  détails,  qui  n'entrent  pas  dans  notre  plan,  ;&&&£i 


INTRODUCTION.  65 

tant  sur  le  dogme  que  sur  les  mœurs  et  la  discipline.  C'est 
ainsi  que  le  concile  général  de  Nicée  fut  confirmé  par  l'au- 
torité de  Constantin  ,  celui  de  Constantinople  par  Théodose 
le  Grand,  celui  d'Éphèsepar  Théodose  le  Jeune,  et  celui  de 
Calcédoine  par  Marcien  (A).  Ces  quatre  conciles  furent  même 
placés,  par  Justinien,  parmi  les  lois  de  l'empire  (2).  D'autres 
édits  confirmèrent  en  particulier  certains  points  de  dogme, 
de  morale  ou  de  discipline  ,  tels  que  la  primauté  du 
saint-siége  (5) ,  la  sanctification  des  dimanches  et  des  fê- 


(1)  Fleury,  Hist.  Ecclés.,  t.  m,  liv.  xi,  n.  24;  t.  iv,  liv.  xvm,  n.  9;  t.  vi, 
liv.  xxvii,  n .  4 1  ;  liv.  xxvm,  n.  34. 

(2)  «  Sancimus  igitur  vicem  legum  obtinere  sanctas  ecclesiasticas  re- 
«.gulas,  quœ  à  sanctis  quatuor  conciliis  expositœ  sunt  autfirmatœ, 
«  hoc  est,  in  Nicaenâ  trecentorum  decem  et  octo,  et  in  Constantinopolitanâ 
«  sanctorum  centura  quinquaginta  patrum,  et  in  Epliesinâ  prima,  in  quâ 
«  Nestorius  est  damnatus,  et  in  Chalcedonià,  in  quâ  Eutyches  cum  Nestorio 
«  anathematizatus  est.  Praedictarum  enim  quatuor  synodorum  dogmata 
«  sicut  sanctas  Scripturas  accipimus,  et  régulas  sicut  leges  observamus.  » 
Justiniani  novella  131,  cap.  1  (ad  calcem  Cod.  Justin.).  Voyez  aussi  le 
Cod.  Justin. y  lib.i,  tit.  i,  n.  7  et  8.  —  Fleury,  ibid.,  t.  vu,  liv.  xxxm,  n.  5. 
—  Lebeau ,  Hist.  du  Bas-Empire,  t.  ix,  Hv.xli,  n.  16. 

(3)  Une  constitution  publiée  en  445 ,  à  la  requête  du  pape  saint  Léon 
[Epist.  X),  par  les  empereurs  Théodose  le  Jeune  et  Yalentinien  III,  nous  offre 
un  témoignage  remarquable  de  la  piété  de  ces  deux  princes,  et  de  la  foi  pu- 
blique de  cette  époque  sur  la  primauté  du  saint-siége.  «  Certum  est  et  nobis 
etimperio  nostrounicum  esse  praesidium  in  supernae  divinitatis  favore,  ad 
«  quem  promerendum  praecipuè  christiana  fides  et  veneranda  nobis  religio 
«  suffragatur.  Cùm  igitur  sedis  apostolicae  primatum,  sancti  Pétri  meritum , 
«  qui  princeps  est  episcopalis  coronae  (i.  e.  episcopalis  dignitatis),  etRo- 
«  manœ  dignitas  civitatis ,  sacra?  etiàm  synodi  (Nicœnœ  scilicet)  firmaret 
«  auctoritas,  ne  qnid  praeter  auctoritatem  sedis  istius  inlicitum  praesumptio 
«  attentare  nitatur  ;  tune  enim  demùm  Ecclesiarum  pax  ubique  servabitur, 

«  si  rectorem  suum  (agnoscat  universitas  {fidelium Verùm  ne  levis 

*  saltem  inter  ecclesias  turba  nascatur,  vel  in  aliquo  minui  religionis  disci- 
«  plina  videatur,  hoc  perenni  sanctione  decernimus,  ne  quid  tam  episcopis 
c«  Gallicanis  quàm  aliarum  provinciarum  contra  consuetudinem  veterem  li- 
«  ceat,  sine  viri  venerabilis  Papœ  Urbis  aeternae  auctoritate  tentare;  sed  illis 
«  omnibusque  pro  lege  sit,  quidquid  sanxit  vel  sanxerit  apostolicae  sedis  auc- 
«  toritas;  ita  ut  quisquis  episcoporum  ad  judicium  Romani  antistitis  evocatus 
«  venire  neglexerit,  per  moderatorem  ejusdem  provinciae  adesse  cogatur,  per 
«  omnia  servatis  quœ  divi  parentes  nostri  Romanae  Ecclesiae  detulerunt.  » 
Novell,  lib.  i,  nov.  24  (ad  calcem  Cod.  Theod.).  L'occasion  de  cette  cons- 
titution est  exposée  par  Fleury,  Hist.  Ecclés.,  t.vi,  liv.  27,  n.  5.  —  Hist. 
de  V Église  Gall.,  t.n,  année  445,  p.  32,  etc. 

Cette  constitution  fut  depuis  renouvelée  par  Justinien  dans  son  Code  et 
ses  Novelles.  «  Sancimus ,  dit-il ,  secundùm  eamm  (praedictarum)  synodo- 

5 


66  INTRODUCTION. 

tes  (\  ),  le  célibat  des  clercs  et  des  vierges  (2),  les  canons  concer- 
nant l'élection  des  évêques ,  la  résidence ,  la  simonie  (5),  et 
les  peines  canoniques  décernées  par  l'Église  contre  les  trans- 
gressées de  ses  lois  (4)  ;  en  sorte  qu'avec  le  temps ,  il  n'y 
eut  presque  pas  un  article  important  de  la  doctrine  et  de  la 
discipline  de  l'Église  ,  qui  ne  fût  confirmé  par  les  constitu- 
tions impériales  (5). 


«  rum  definitiones,  sanctissimum  senioris  Romae  Papam,  primum  esse  om- 
et nium  sacerdotum.  »  Justiniani  Nov.  131,  cap.  2.  —  Cod.  Justin.,  lib.i, 
tit.  i,  n.  8.  —  Fleury,  Hist.  Eccl.,  t.  vu,  liv.  xxxm,  n.  5. 

(1)  «  Omnes  judices ,  urbanaeque  plèbes,  et  cunctarum  artium  officia,  ve- 
«  nerabili  die  solis  (i.  e.  dominico  die  )  quiescant.  Ruri  tamen  positi  agrorum 
«  culturae  libéré  inserviant  ;  quoniam  fréquenter  evenit  ut  non  aptiùs  alio 
«  diefrumenta  sulcis,  aut  vineoe  scrobibus  mandentur;  ne  occasione  mo- 
«  menti  pereat  commoditas  cœlesti  provisione  concessa.  Cod.  Justin. , 
lib.  m,  tit.  xn,  n.  3 — Fleury,  ibid.,  t.  ni,  liv.  x,  n.  27  ;  t.  iv,  liv.  xvi,  n.  1; 
t.  v,  liv.  xxiv,  n.  30  ;  t.  vi,  liv.  xxix,  n.  30;  et  alibi  passim. 

(2)  Une  constitution,  publiée  par  Constantin,  en  320,  abolit  les  anciennes 
lois  qui  imposaient  des  peines  au  célibat.  «  Qui  jure  veteri  cœlibes  habe- 
«  bantur,  imminentibus  legum  terroribus  (  i.  e.  pœnis)  liberentur;  atque 
«  ita  vivant  ac  si  numéro  maritorum,  matrimonii  fœdere  fulcirentur  ;  sitque 
«  omnibus  aequa  conditio  capessendi  (i.  e  capiendi  ex  testamentis)  quod 
«  quisque  mereatur  (i.  e.  de  successione  vel  testamento  lucrabitur).  » 
Cod.  Theodos.,  lib.  vi,  tit.  xvi,  n.  1.  —  Fleury,  Hist.  Eccl.,  t.  m,  liv.  x, 
n.  27. 

Valentinien  1er  alla  plus  loin ,  et  déclara  exemptes  de  la  capitation  les 
vierges  et  les  veuves  :  «  In  virginitate  perpétua  viventes,  et  eam  viduam  de 
«  quâ  ipsa  maturitas  setatis  pollicetur  nulli  jam  eam  esse  nupturam,  à  pie- 
«  beia3  capitationis  injuria  vindicandas  esse  decernimus.  »  Cod.  Theodos., 
lib.  xiii,  tit.  x,  n.  4.  —  Fleury,  ibid.,  t.  îv,  liv.  xvi,  n.  1. 

(3)  Cod.  Justin.,  lib.  i,  tit.  m,  n.  31,  42  et  43.  —  Justiniani  Novel- 
lœ  123  et  137  (ad  calcem  Cod.  Justin.).  —  Nous  supprimons ,  pour  abréger, 
le  texte  de  ces  lois  ;  on  peut  en  voir  le  résumé  dans  Fleury,  ibid.,  t.  vi, 
liv.  xxix,  n.  30;  t.  vu,  liv.  xxxii,  n.  11  ;  liv.  xxxm,  n.  5. 

(4)  Cod.  Theodos.,  lib.  xvi,  tit.  h,  n.  27 Justiniani  Novella  vi> 

cap.  1,  §  10.  —  Novella  cxxm,  cap.  20  (ad  calcem  Cod.  Justin.). 

(5)  On  peut  voir  l'indication  et  l'analyse  de  ces  constitutions  dans  les  au- 
teurs cités  plus  haut  (p.  51 ,  note  4  ). 

Plusieurs  de  ces  constitutions  renferment  des  règlements  sur  des  objets 
purement  spirituels  qui  ne  sont  aucunement  du  ressort  de  la  puissance 
temporelle.  Telles  sont  en  particulier  celles  que  nous  avons  citées  dans  la 
note  précédente,  et  dont  les  règlements  sont  sanctionnés  par  des  peines  ca- 
noniques. Mais  il  est  certain  que  les  empereurs,  en  publiant  ces  sortes  de 
règlements ,  ne  faisaient  que  confirmer  la  discipline  alors  en  vigueur  ;  autre- 
ment ils  eussent  ouvertement  contredit  les  principes  dont  ils  faisaient  eux- 
mêmes  profession,  sur  l'indépendance  de  l'Église  en  matière  spirituelle, 
comme  on  le  verra  bientôt  (  ci-après,  p.  72,  n.  51  ).  On  peut  voir,  à  l'appui 


INTRODUCTION.  6T 

Pour  mieux  assurer  l'observation  de  leurs  édits  eu  faveur     .   46. 

Peines  tempo- 

de  la  religion  ,  les  empereurs  chrétiens  y  ajoutèrent  souvent       «hm 

a  >  l  J      J  contre  les 

la  sanction  des  peines  temporelles  contre  les  transgresseurs  tranigw*. 
de  ces  lois.  Telle  est  l'origine  des  peines  temporelles  dont  de  ces  lois. 
les  attentats  publics  de  l'hérésie  et  de  l'impiété  ont  été  si 
longtemps  punis  dans  tous  les  Etats  chrétiens,  et  que  l'esprit 
philosophique  des  derniers  siècles  a  souvent  critiquées  avec 
tant  d'amertume.  L'importance  de  cette  matière  nous  engage 
à  entrer  ici  dans  quelques  détails  sur  les  principales  disposi- 
tions du  droit  romain,  soit  à  l'égard  des  Juifs,  soit  à  l'égard 
des  hérétiques  et  des  apostats.  Mais  avant  d'exposer  cette 
ancienne  jurisprudence,  si  contraire  à  l'usage  et  aux  préjugés 
de  notre  siècle ,  il  importe  de  se  transporter  au  temps  et  aux 
circonstances  où  elle  a  été  établie ,  et  de  se  faire  une  juste 
idée  des  principes  d'après  lesquels  se  conduisaient  alors  les 
gouvernements,  dans  leurs  rapports  avec  la  religion. 

Depuis  que  l'indifférence  absolue  sur  cet  objet  est  devenue        47. 
l'opinion  dominante  et  presque  universelle,  il  est  bien  diffî-  aiSTgo" 
cile ,  et  même  impossible  à  certains  esprits,  de  juger  avec    yeTa^n 
impartialité  la  conduite  d'un  gouvernement  aux  yeux  duquel  ,eursa™PPorls 
cette  indifférence  est  tout  à  la  fois  le  plus  grand  des  mal-    larel,810n* 
heurs  et  le  plus  grand  des  crimes.  A  entendre  une  multitude 
de  philosophes  et  de  politiques  modernes  ,  la  religion  est 
comme  étrangère  à  la  société  ;  la  liberté  des  cultes  est  pour 
tous  les  peuples,  comme  pour  chaque  particulier,  un  droit 
naturel  et  inaliénable  ;  tous  les  soins  du  gouvernement  doi- 
vent se  borner  à  procurer  le  bonheur  temporel  de  ses  sujets; 

de  ces  observations ,  les  Commentaires  de  Godefroy  sur  le  Code  Théodo- 
sien,  et  l'ouvrage  des  frères  Pithou,  Observationes  ad  Codicem  et  Novel- 
las  Justiniani.  (Paris,  1689,  in-fol.  )  Ces  auteurs  indiquent  en  détail  les 
canons  des  conciles ,  et  les  autres  monuments  de  la  discipline  ecclésiastique, 
d'où  les  empereurs  chrétiens  ont  tiré  leurs  constitutions  sur  des  objets  spi- 
rituels. Voyez  aussi,  sur  ce  point,  Bossuel,  Defensio  Declar.,  lib.  iv,  cap.  5. 

—  Fleury,  Hist.  Eccl.,i.  xix,  7e  Discours,  n.  4.  —  Pierre  Lemerre,  Mé- 
moires du  Clergé, t.  vu,  p.  397.— Domat,  Traité  des  Lois,  ch.  10,  n.  1 1,  etc. 

—  Idem ,  Droit  public,  liv.  1,  tit.  xix.  —  Pey,  De  l'autorité  des  deux 
Puissances ,  t.  iv,ch.  3,  §  2. 

5. 


6S  INTRODUCTION. 

et  il  ne  doit  s'occuper  de  la  religion,  que  pour  laisser  à  cha- 
cun la  plus  entière  liberté  de  dire  et  de  faire  à  cet  égard  tout 
ce  qui  lui  plaît  (\).  Les  anciens  législateurs,  même  païens, 
avaient,  sur  ce  point,  des  idées  bien  différentes,  et  diamétrale- 
ment opposées  à  celles  de  la  philosophie  moderne  (2).  A  leurs 
yeux ,  la  religion  était  le  premier  bien ,  comme  le  premier 
besoin  de  l'homme  et  de  la  société;  et  les  délits  de  l'impiété 
n'étaient  pas  moins  contraires  au  bonheur  et  à  la  tranquillité 
des  États,  qu'injurieux  à  la  majesté  divine  ;  d'où  ils  concluaient 
qu'un  des  principaux  devoirs  du  souverain  était  de  réprimer, 
par  des  peines  sévères  ,  ces  sortes  de  délits ,  aussi  bien  que 
les  aufres  attentats  contraires  à  l'ordre  public. 

Ces  principes ,  comme  nous  l'avons  déjà  remarqué  (5) , 
tiraient  une  nouvelle  force  de  la  situation  déplorable  de  l'em- 
pire, sous  les  premiers  empereurs  chrétiens.  Jamais  la  société 
n'avait  été  en  proie  à  des  causes  plus  actives  de  dissolu- 
tion; jamais,  par  conséquent,  il  n'avait  été  plus  nécessaire 
d'y  maintenir  l'influence  de  la  religion ,  qui  lui  offrait  de  si 
puissantes  ressources  contre  tous  les  principes  de  destruction 
qu'elle  portait  dans  son  sein. 
4«.  Tels  furent  les  véritables  motifs  des  constitutions  publiées 

Les   édils   des  f  1       t    •  p  i       ■  i«     •  /-, 

empereurs    par  les  empereurs  chrétiens  en  faveur  de  la  religion.  Ces 

chrétiens  en  ,  i  r\  •  \ 

faveur      motifs  sont  exposes  par  Constantin,  avec  autant  de  lorce  que 

de  la  religion,     .  .    .    .  1  .  ,.  w  ■  «       i     »"i  i 

fondés  sur    de  précision ,  dans  une  lettre  écrite,  en  544,  a  Ablave,  vi- 

ces    princi  pcs. 

caire  ou  gouverneur  d'Afrique,  au  sujet  du  concile  d'Arles, 
qui  fut  alors  assemblé  contre  les  Donatistes.  «  Comme  je  sais, 
«  dit  l'empereur,  que  vous  servez  et  que  vous  adorez,  aussi 
«  bien  que  moi ,  le  Dieu  suprême  ,  je  vous  avoue  que  je  ne 

(1)  Bélisaire,  ch.  15.  —  Emile,  t.  m,  p.  184,  etc.  —  Raynal,  Histoire 
philos,  et  polit. y  etc.,  t.  x,  p.  14,  et  alibi  passim.  Les  vrais  principes,  sur 
cette  matière,  sont  exposés  et  solidement  établis  dans  les  Censures  publiées 
par  la  faculté  de  théologie  de  Paris,  contre  ces  trois  ouvrages.  Voyez  en  par- 
ticulier la  Conclusion  de  la  Censure  de  Bélisaire,  et  le  Mandement  publié 
en  1767  contre  le  même  ouvrage,  par  M.  de  Beau  mont,  archevêque  de  Paris. 

(2)  Voyez  les  détails  que  nous  avons  donnés,  sur  ce  sujet,  dans  l'ar- 
ticle 1er  de  cette  Introduction;  ci-dessus,  p.  1,  n.  2,  etc. 

(3)  Voyez  ci-dessus,  p. 41,  n.  29,  etc. 


INTRODUCTION.  69 

«  crois  pas  qu'il  nous  soit  permis  de  tolérer  ces  divisions  et 
«  ces  disputes,  qui  peuvent  attirer  la  colère  de  Dieu  ,  non- 
«  seulement  sur  mes  sujets,  mais  encore  sur  moi-même,  que 
«  sa  divine  bonté  a  chargé  du  soin  et  de  la  conduite  de 
«  toutes  les  choses  de  la  terre.  Mais  j'ai  tout  lieu  d'attendre 
«  de  sa  bonté ,  avec  une  entière  confiance ,  toutes  sortes  de 
«  prospérités,  lorsque  je  verrai  tous  mes  sujets  honorer, 
«  comme  ils  doivent,  la  religion  catholique,  et  rendre  à  Dieu 
«  leurs  hommages,  dans  une  fraternelle  union  et  une  parfaite 
«  concorde  (4).  »  Les  successeurs  de  Constantin  rappellent 
souvent  ces  motifs,  dans  leurs  édits  contre  les  hérétiques. 
C'est  ce  qu'on  remarque  en  particulier  dans  une  constitution 
de  Théodose  le  Jeune  contre  les  Donatistes  et  les  Manichéens, 
et  dans  une  autre  de  Justinien  contre  tous  les  hérétiques 
sans  distinction.  Les  empereurs  donnent  pour  motifs  de  ces 
*  édits,  que  quiconque  viole  la  religion  établie  de  Dieu,  pèche 

contre  l'ordre  public; et  que  les  crimes  qui  attaquent  la 

majesté  divine  sont  infiniment  plus  graves  que  ceux  qui 
attaquent  la  majesté  des  princes  de  la  terre  (2). 

Il  est  à  remarquer  que  ces  maximes  de  l'antiquité,  sur  la        49. 

1  •  t  1    1  1  l  •  111  ^es    principes 

nécessite  de  réprimer  par  des  peines  temporelles  les  attentats     reconnus 
de  l'impiété  ,  sont  également  admises  par  les  plus  célèbres     célèbres 

11..  i  .  ~         .  _.  publicistesmo- 

publicistes  modernes ,  même  protestants.  Grotius  ,  Domat ,  demes. 
Montesquieu  lui-même ,  établissent,  comme  un  principe  in- 
contestable ,  que  la  puissance  temporelle  doit  réprimer,  de 
tout  son  pouvoir,  les  délits  contraires  à  la  religion,  parce 
qu'ils  sont  de  la  nature  de  ceux  qui  troublent  tout  à  la  fois 
l'ordre  public  et  la  sûreté  des  particuliers  (5).  «  Maximes  très- 

(1)  Conslanlini  epistol.  ad  Ablavium.  (Labbe,  Concil,  t.  i,p.  1422.) 
—  Fieury,  Hist.  Ecclés.,  t.  m,  liv.  x,  n.  14. 

(2)  Cod.  Justin. y  lib.  1,  tii  v,  n.  5  et  19.  Nous  citerons  un  peu  plus  bas  le 
texte  de  ces  lois  (ci-après,  n.  63,  etc.  ).  —  On  trouve  des  extraits  plus 
étendus  des  constitutions  impériales,  sur  ce  sujet,  daus  le  Droit  public 
de  Domat,  liv.  1,  tit.  xix. 

(3)  Grotius,  De  jure  belli  et pacis,  lib.  n,  cap.  20,  n.  51.  —  Domat, 
Droit  public,  liv.  j,  tit.  xix.  —  Montesquieu,  Esprit  des  Lois,  liv.  xii, 
ch.  4  et  5;  liv.  xxv,  ch.  10.  On  peut  aussi  consulter  avec  fruit,  sur  cette 


70  INTRODUCTION. 

«  importantes,  dit  Montesquieu  :  il  faut  être  circonspect 

«  dans  la  poursuite  de  la  magie  et  de  l'hérésie Je  ne  dis 

«  point  qu'il  ne  faille  pas  punir  l'hérésie  ;  je  dis  qu'il  faut  être 
«  très-circonspect  à  la  punir  (\) Voici  le  principe  fonda- 
it mental  des  lois  politiques  :  En  fait  de  religion ,  quand  on 
«  est  maître  de  recevoir,  dans  un  État,  une  nouvelle  reli- 
«  gion  (  c'est-à-dire ,  comme  l'auteur  l'explique ,  une  fausse 
«  religion),  ou  de  ne  pas  la  recevoir,  il  ne  faut  pas  l'établir  ; 
«  quand  elle  est  établie ,  il  faut  la  tolérer  (2).  » 

Nous  ajouterons  à  ces  témoignages  celui  d'un  publiciste  de 
nos  jours,  à  qui  on  ne  peut  refuser  des  vues  très-étendues, 
en  matière  de  gouvernement.  Voici  comment  s'exprime  le 
comte  de  Maistre ,  au  sujet  de  la  peine  du  feu  ,  décernée 
autrefois  contre  les  hérétiques  opiniâtres,  par  un  usage  uni- 
versel. «  Sans  remonter  aux  lois  romaines  qui  sanctionnèrent 
«  cette  peine ,  toutes  les  nations  l'ont  prononcée  contre  ces 
«  grands  crimes  qui  violent  les  lois  les  plus  sacrées.  Dans 
«  toute  l'Europe  ,  on  a  brûlé  le  sacrilège  ,  le  parricide  ,  sur- 
«  tout  Je  criminel  de  lèse-majesté  ;  et  comme  ce  dernier 
«  crime  se  divisait,  dans  les  principes  de  jurisprudence  cri- 
«  minelle  ,  en  lèse-majesté  divine  et  humaine ,  on  regardait 
«  tout  crime ,  du  moins  tout  crime  énorme  commis  contre 
«  la  religion,  comme  un  délit  de  lèse-majesté  divine, 
«  qui  ne  pouvait  conséquemment  être  puni  moins  sévère- 
«  ment  que   l'autre.    De    là  l'usage    universel    de    brûler 

«  les  hérésiarques  et   les  hérétiques    obstinés Je  crois 

«  devoir  ajouter  que  l'hérésiarque ,  l'hérétique  obstiné 
«  et  le  propagateur  de  l'hérésie,  doivent  être  rangés  in- 

matière,  les  ouvrages  suivants  :  Pey,  De  l 'autorité  des  deux  Puissances , 
t.  iv,  4e  partie,  ch.  1  et  2.  —  De  Maistre ,  Lettres  à  un  gentilhomme  russe, 
sur  l'Inquisition  espagnole,  in-8°.  —  Frayssinous,  Conférences  sur  les 
principes  religieux,  fondements  de  la  morale  et  de  la  société;  sur  la 
tolérance;  et  sur  l'union  réciproque  de  la  religion  et  de  la  société,  1. 1 
et  m  de  l'édition  in-8°. 

(1)  Montesquieu,  Esprit  des  Lois,  iiv.  xn,  ch.  5. 

(2)  ïbid.  Iiv.  xxv,  ch.  10.  Pour  l'explication  de  ce  passage,  voyez  la 
Défense  de  l'Esprit  des  Lois ,  2e  partie,  article  Tolérance. 


INTRODUCTION.  71      J 

fi  contestablement  au  rang  des  plus  grands  criminels.  Ce 
«  qui  nous  trompe  sur  ce  point,  c'est  que  nous  ne  pouvons 
«  nous  empêcher  d'en  juger  d'après  l'indifférence  de  notre 
«  siècle  en  matière  de  religion  ;  tandis  qne  nous  devrions 
«  prendre  pour  mesure  le  zèle  antique ,  qu'on  est  bien  le 
«  maître  d'appeler  fanatisme,  le  mot  ne  faisant  rien  à  la 
«  chose.  Le  sophiste  moderne,  qui  disserte  à  l'aise  dans  son 
«  cabinet,  ne  s'embarrasse  guère  que  les  arguments  de  Luther 
«  aient  produit  la  guerre  de  trente  ans  ;  mais  les  anciens  lé- 
«  gislateurs ,  sachant  tout  ce  que  ces  funestes  doctrines  pou- 
«  vaient  coûter  aux  hommes,  punissaient  très-justement  du 
«  dernier  supplice  un  crime  capable  d'ébranler  la  société 
«  jusque  dans  ses  bases,  et  de  la  baigner  dans  le  sang  (4).  » 

Il  résulte  clairement  de  ces  observations  que ,  dans  les    ,    5o-  . 

x  L  application 

principes  de  l'antiquité,  reconnus  même  par  les  plus  célèbres  de  ces  Prin- 

17  r  *  l  L  cipes,  souvent 

publicistes  modernes ,  l'usage  modéré  des  peines  temporelles  difficile. 
contre  l'hérésie  et  les  autres  délits  de  l'impiété,  est  également 
important  pour  le  bien  delà  religion  et  pour  le  repos  de  la 
société.  Il  est  vrai  qu'en  cette  matière,  comme  en  toute  autre, 
l'application  du  principe  offre  souvent  de  grandes  difficultés, 
parce  qu'elle  dépend  d'une  foule  de  circonstances  qui  doivent 
la  modifier.  Le  souverain  peut  donc  pécher,  à  cet  égard,  par 
un  excès  de  douceur  ou  de  sévérité  ;  mais  la  difficulté  d'ap- 
pliquer un  principe,  d'ailleurs  bien  établi,  ne  saurait  en  obs- 
curcir la  vérité  (2). 

Au  reste ,  quelque  difficile  que  soit  en  bien  des  cas  cette 
application,  l'enseignement  de  l'Église  et  la  pratique  des  pre- 
miers empereurs  chrétiens,  du  moins  de  ceux  dont  l'Eglise 
a  loué  la  sagesse  et  la  piété,  nous  font  connaître  les  principales 
règles  à  suivre,  sur  ce  point. 

(1)  De  Maistre,  Lettres  sur  V Inquisition  espagnole,  2e  lettre,  p.  53,  etc. 

(2)  Ces  observations  peuvent  servir  à  corriger  celles  de  Tillemont,  sur  ce 
sujet,  à  l'occasion  de  la  conduite  de  Valentinien  1er,  à  qui  l'on  a  reproché 
avec  raison  une  espèce  d'indifférence  à  l'égard  de  la  religion.  Pour  justifier, 
du  moins  en  pai  lie,  la  conduite  de  Valentinien, Tillemont  obscurcit,  à  ce  qu'il 
nous  semble,  les  vrais  principes  sur  cette  matière.  (Tillemont,  Hist.  des 
Emp.,  t.  v,  p.10.)  (V.  les  passages  de  Tillemont  indiqués  ci-dessus  p.  24,  note  1). 


72  INTRODUCTION. 

5r.  \°  La  première  et  la  plus  importante  est,  qu'il  appartient 

PrîhgT     à  l'Église  seule  de  régler  les  objets  de  l'ordre  spirituel,  tels 
^eïrégkr*  que  le  dogme,  la  morale,  la  discipline  ecclésiastique,  etgéné- 
lesrordre  e  ralenient  tout  ce  qui  concerne  le  gouvernement  des  fidèles 
spirituel,     ^ans  l'ordre  de  la  religion  et  du  salut  éternel  (4).  Tout 
l'exercice  de  la  puissance  temporelle,  en  cette  matière,  doit 
se  borner  à  protéger  l'Église,  c'est-à-dire,  à  soutenir  ses  déci- 
sions, sans  jamais  les  prévenir,  les  étendre  ou  les  corriger  en 
aucune  manière.  Ce  principe,  souvent  inculqué  par  les  con- 
ciles et  les  saints  docteurs,  comme  appartenant  à  la  consti- 
tution divine  de  l'Église ,  était  également  reconnu  par  les 
empereurs  chrétiens,  qui  le  proclamèrent  souvent  dans  leurs 
édits  (2),  et  le  respectèrent  toujours  dans  la  pratique,  tant 
qu'ils  ne  se  laissèrent  pas  égarer  par  les  suggestions  de  l'hé- 
résie, ou  par  de  perfides  conseils.  Rien  de  plus  exact  et  de 
plus  précis  que  le  langage  de  l'empereur  Justinien,  sur  ce 
sujet,  dans  une  de  ses  Novelles  :  «  Dieu,  dit-il,  a  confié  aux 
«  hommes  le  sacerdoce  et  Pempire  ;  le  sacerdoce  pour  ad- 
«  ministrer  les  choses  divines,  et  l'empire  pour  présider  aux 
«  choses  humaines  :  l'un  et  l'autre  procèdent  du  mêmeprin- 
«  cipe;  »  d'où  l'empereur  conclut,  un  peu  plus  bas,  qu'il 
ne  prétend  pas  régler  par  lui-même  les  affaires  ecclésiasti- 
ques, mais  confirmer  seulement  les  règles  de  l'Église  et  les 
canons  des  conciles  (5). 


(1)  Pour  le  développement  de  ce  principe,  voyez  l'ouvrage  de  l'abbé  Pey  : 
De  l'autorité  des  deux  Puissances,  t.  h,  3e  partie,  cli.  1,  §  1  ;  t.  in,  ch.  4, 
§  5  et  6;  ch.  5,  §  1  ;  t.  iv,  ch.  3. 

(2)  Plusieurs  de  ces  édits  sont  textuellement  cités  par  l'abbé  Pey  ,  ubi 
supràyi.  h,  p.  43,  etc. 

(3)  «  Maxima  quidem  in  liominibus  sunt  dona  Dei,  à  supernâ  collata  cle* 
«  mentiâ,  sacerdotium  et  imperium  ;  et  illud  quidem  divinis  ministrans;  hoc 
«  autem  humanis  praesidens,  ac  diligentiam  exhibens.  Ex  uno  eodemque 

«  principio  ut  raque  procedentiahumanamexornant  vitam Bene  autem 

«  omnia  geruntur  et  competenter,  si  rei  principium  fiât  decens  et  amabile 
«  Deo.  Hoc  autem  futurum  esse  credimus ,  si  sacrarum  regularum  observa- 
«  tio  custodiatur,  quam  justi ,  et  laudandi ,  et  adorandi  inspectores  et  minis- 
«  tri  Dei  verbi  tradiderunt  apostoli ,  et  sancti  patres  custodierunt  et  expla- 
«  naverunt.  »  Justmiani  Novella  vi,  Prcef.  (ad  calcem  Cod.  Justin.). 


INTRODUCTION.  73 

C'est  d'après  ce  principe  qu'il  faut  expliquer  le  titre  d'ave-        s2. 

1  L  l        *  L       x  .  .En    quel   sens 

que  extérieur,  dont  le  premier  empereur  chrétien  se  glori-  ie  prince  est 

„  .  'il*  nommé 

fiait  quelquefois  en  présence  des  évêques.  «  Dieu,  leur  ai- i*ev«v««  «*«  <*•• 

■  .  .  hors. 

«  sait-il,  vous  a  établis  évêques  pour  le  dedans,  et  moi  pour  le 
«  dehors  (4);  »  par  où  il  faisait  entendre  que,  comme  le  de- 
voir des  évêques  est  d'enseigner  et  de  conduire  le  peuple  fidèle 
dans  l'ordre  du  salut,  celui  des  princes  est  de  soutenir  leurs 
décisions  et  leurs  ordonnances,  en  leur  procurant  le  respect 
qui  leur  est  dû.  Tel  est  le  véritable  sens  de  ce  mot  de  Cons- 
tantin, dont  les  princes  ont  quelquefois  abusé  pour  opprimer 
l'Église ,  mais  qui ,  étant  bien  entendu  ,  et  expliqué  par  la 
conduite  de  Constantin  lui-même,  leur  offre  une  des  plus 
fortes  leçons  sur  l'indépendance  de  l'Église  dans  l'ordre  spi- 
rituel, et  sur  la  protection  qu'ils  doivent  à  ses  ordonnances 
et  à  ses  décisions  en  cette  matière.  «  Il  est  vrai,  dit  à  ce  sujet 
«  un  de  nos  plus  illustres  prélats  (2),  que  le  prince  pieux  et  zélé 
«  est  nommé  Vêvêque  du  dehors,  et  le  protecteur  des  canons; 
«  expressions  que  nous  répéterons  sans  cesse  avec  joie,  dans 
«  le  sens  modéré  des  anciens  qui  s'en  sont  servis.  Mais  Vé- 
«  vêque  du  dehors  ne  doit  jamais  entreprendre  la  fonction 
«  de  celui  du  dedans.  Il  se  tient,  le  glaive  en  main,  à  la 
«  porte  du  sanctuaire  ;  mais  il  prend  garde  de  n'y  entrer  pas. 
«  En  même  temps  qu'il  protège,  il  obéit;  il  protège  les  dé- 
«  cisions,  mais  il  n'en  fait  aucune.  Voici  les  deux  fonctions 
«  auxquelles  il  se  borne  :  la  première,  est  de  maintenir  l'É- 
«  glise  en  pleine  liberté  contre  tous  ses  ennemis  du  dehors, 
«  afin  qu'elle  puisse  au  dedans,  sans  aucune  gêne,  prononcer, 
«  décider,  approuver,  corriger,  enfin  abattre  toute  hauteur 
«  qui  s'élève  contre  la  science  de  Dieu;  la  seconde,  est  d'ap- 
«  puyer  ces  mêmes  décisions,  dès  qu'elles  sont  faites,  sans  se 
«  permettre  jamais,  sous  aucun  prétexte,  de  les  interpréter. 
«  Cette  protection  des  canons  se  tourne  donc  uniquement 

(1)  Eusèbe,  De  Vitâ  Constantini,  lib.  iv,  cap.  24. 

(2)  Fénelon,  Discours  prononcé  au  sacre  de  l'électeur  de  Cologne, 
1er  point.  (T.  w\\  des  Œuvres  de  Fénelon,  p.  147.) 


74  INTRODUCTION. 

«  contre  les  ennemis  de  l'Eglise,  c'est-à-dire,  contre  les  no- 
s  vateurs,  contre  les  esprits  indociles  et  contagieux,  contre 
«  tous  ceux  qui  refusent  la  correction.  A  Dieu  ne  plaise 
«  que  le  protecteur  gouverne,  ni  prévienne  jamais  en  rien 
«  ce  que  l'Église  réglera!  Il  attend,  il  écoute  humblement,  il 
«  croit  sans  hésiter,  il  obéit  lui-même,  et  fait  autant  obéir 
«  par  l'autorité  de  son  exemple,  que  par  la  jouissance  qu'il 
«  tient  dans  ses  mains.  Mais  enfin  le  protecteur  de  la  liberté 
«  ne  la  diminue  jamais  ;  sa  protection  ne  serait  plus  un  se- 
«  cours ,  mais  un  joug  déguisé ,  s'il  voulait  déterminer 
«  l'Église,  au  lieu  de  se  laisser  déterminer  par  elle.  » 
53. i  2°  Il  résulte  également  de  la  doctrine  et  de  la  pratique  des 

%lg!Leme    premiers  siècles  de  l'Église,  que  l'usage  de  la  puissance  tem- 

Ne  l'amais  ex.  , ,  ,.,  j  i.     «  j     • ,     •  •         n  •  ■>  % 

torquer  par  porelle,  en  matière  de  religion,  ne  doit  jamais  aller  jusqu  a 

la  violence  .  "i  •     1  f        •  J      C    '  i  e 

une  profession  extorquer  par  la  violence  une  protession  de  toi  ou  un  desaveu 
de  l'erreur.  «  Il  n'est  pas  permis  aux  chrétiens,  dit  saint  Jean 
«  Chrysostome,  de  combattre  l'erreur  par  la  violence  et  la  con- 
«  trainte,  mais  seulement  par  la  raison  et  la  douceur.  C'est  pour 
«  cela  que  nul  des  empereurs  chrétiens  n'a  publié  contre  le 
«  paganisme,  des  édits  semblables  à  ceux  que  les  empereurs 
«  païens  ont  publiés  contre  les  chrétiens  (-1).  »  L'unique  objet 
des  édits,  même  les  plus  sévères,  doit  être  de  punir  les  at- 
tentats extérieurs  de  l'impiété;  d'empêcher,  autant  que  les 
circonstances  le  permettent,  la  profession  extérieure  des 
fausses  religions;  d'ôter  à  ceux  qui  en  font  profession  cer- 
tains honneurs  et  certains  avantages  qui  dépendent  de  la  libre 
disposition  des  lois,  afin  d'engager  ainsi  les  hérétiques  à  ren- 
trer en  eux-mêmes,  et  à  faire  de'scrieuses  réflexions  qui  les 
disposent  à  reconnaître  leurs  erreurs. 
„  H:>  5°  Il  serait  encore  plus  contraire  à  l'esprit  de  la  religion  , 

Troisième  *■  *  o  7 

„  .rèzle:  .    d'infliger  aux  sectateurs  d'une  fausse  religion   la  peine  de 

Ne  jamais  in-  °  **  * 

#fligeria     m0rt,  pour  le  seul  fait  de  leur  croyance.  C'est  ce  que  saint 

peine  de  mort  '   L  '  "  * 

pour  le  seul  jean  Chrysostome  suppose  comme  un  principe  incontestable, 

la  croyance. 

(1)  Saint  Jean  Chrys.  Lib.  in  S.  Babylam,  contra  Gentiles,  n.  3.  (Oper. 
t.  H,  p.  540.) 


INTRODUCTION.  75 

dans  son  commentaire  sur  le  passage  de  saint  Matthieu,  où  le 
père  de  famille  défend  à  ses  serviteurs  d'arracher  l'ivraie, 
de  peur  qu'en  même  temps  ils  ne  déracinent  le  bon  grain. 
«  Dieu,  dit-il,  parle  ainsi  à  ses  serviteurs,  pour  empêcher  les 
*  guerres  et  les  meurtres  ;  car  il  ne  faut  pas  mettre  à  mort 
«  les  hérétiques;  outre  que  ce  serait  exciter  dans  le  monde 

«  une  guerre  interminable ,  il  y  en  a  beaucoup  qui,  en 

«quittant  l'hérésie,  d'ivraie  qu'ils  étaient,  pourraient  de«» 

«  venir  bon  grain Dieu  donc  n'empêche  pas  de  rèpri- 

«  mer  les  hérétiques,  de  leur  fermer  la  bouche,  de  leur  ôter 
«  la  liberté  de  parler,  de  dissoudre  leurs  assemblées,  de 
«  rompre  toute  alliance  avec  eux  ;  il  défend  seulement  de 
«  répandre  leur  sang  (\).  »  Il  est  vrai  que  les  constitutions 
impériales  décernent,  en  certain  cas,  ce  châtiment  contre  les 
hérétiques,  les  juifs  et  les  païens  ;  mais  elles  ne  le  décernent 
jamais  pour  le  seul  fait  de  l'erreur  :  c'est  toujours  pour 
quelque  autre  délit  contraire  à  la  tranquillité  publique ,  et 
ordinairement  puni  de  mort  par  les  lois  romaines;  par 
exemple,  pour  l'obstination  des  hérétiques  à  demeurer  ou 
à  s'assembler  dans  les  lieux  qui  leur  sont  interdits,  ou  à 
prêcher  leur  doctrine,  malgré  les  défenses  réitérées  qu'on 
leur  avait  faites  (2). 


(t)  Idem,  Homil.  46  in  Matth.,  n.  1  et  2.  (Oper.  t.  vu,  p.  482.) 
(2)  Le  cardinal  Bellarmin  (Controv.  de  Laïcis,  cap.  21 ,  prob.  2°  et  4°. 
Operum  t.  n  )  suppose  que  les  empereurs  Valentinien  III  et  Marcien 
décernèrent  généralement  la  peine  de  mort  contre  les  hérétiques  qui 
s'efforceraient  de  répandre  leurs  erreurs.  Il  y  a  dans  cette  assertion 
plusieurs  inexactitudes.  1°  La  loi  citée  par  Bellarmin  n'est  pas  de  Marcien , 
mais  des  empereurs  Valentinien  II  et  Théodose  le  Grand.  (  Cod.  Theodos., 
lib.  xvi,  tit.  5,  n.  18.  )  2°  Cette  loi  n'ordonne  pas  de  mettre  à  mort  tous  les 
hérétiques  sans  distinction,  mais  seulement  les  Manichéens,  qui,  malgré 
l'injonction  formelle  de  la  loi ,  refuseraient  de  sortir  de  Rome.  Une  autre 
loi  de  Marcien  contre  les  Eutychiens,  que  nous  citerons  un  peu  plus  bas 
(  n.  64  ),  ne  décerne  pas  la  peine  de  mort  contre  tous  ces  hérétiques  sans 
distinction ,  mais  seulement  contre  ceux  qui,  malgré  les  défenses  réitérées, 
s'obstineraient  à  prêcher  l'hérésie ,  et  à  répandre  ainsi  dans  l'État  des  se- 
mences de  révolte  et  d'insubordination.  Aussi  Jacques  Godelroy ,  dans 
son  Commentaire  si  estimé  sur  le  Code  Théodosien,  a-t-il  soin  de  remar- 
quer que  les  empereurs  chrétiens  n'ont  jamais  décerné  la  peine  capitale  con- 


76  INTRODUCTION. 

55.  4°  Le  prince  doit,  en  général,  user  d'une  plus  grande  sé- 

règie"16  vérité  envers  une  hérésie  naissante  ,  qu'envers  celle  qu'il 
°tem?ntr  à"  trouve  déjà  établie  dans  ses  Etats  ;  parce  qu'il  est  tout  à  la 
es?nte"as  fois  plus  sûr  et  plus  facile  d'arrêter  le  mal  dans  le  principe, 
que  de  le  réprimer  lorsqu'il  a  déjà  fait  de  grands  progrès. 
Saint  Jérôme  établit,  en  peu  de  mots,  ce  principe  ,  par  une 
observation  décisive,  dans  son  commentaire  sur  ces  paroles 
de  saint  Paul  aux  Galates  :  Un  peu  de  levain  corrompt  tonte 
la  masse.  «  Il  faut,  dit-il,  éteindre  l'étincelle  aussitôt  qu'on 
«  l'aperçoit,  séparer  le  levain  de  toute  la  masse  voisine, 
«  couper  les  chairs  corrompues ,  et  chasser  de  la  bergerie 
«  un  animal  empesté,  de  peur  d'exposer  la  maison  tout  en- 
«  tière  à  l'incendie ,  la  masse  entière  à  la  corruption  ,  le 
«  corps  entier  à  la  pourriture,  et  le  troupeau  entier  à  la 
«  destruction.  Arius,  dans  Alexandrie,  ajoute  le  saint  doc- 
«  teur,  n'était  qu'une  faible  étincelle;  mais  parce  qu'on 
«  ne  l'a  pas  promptement  étouffée  ,  sa  flamme  a  porté  le 
«  ravage  dans  Je  monde  entier  (4).  »  Ce  fut  en  vertu  de  ce 
principe,  que  saint  Léon  le  Grand,  élevé  sur  le  saint-siége 
quelques  années  après  la  mort  de  saint  Jérôme ,  ne  se  con- 
tenta pas  d'employer  les  exhortations  et  les  peines  ecclésias- 
tiques, pour  ramener  à  l'Église  les  Manichéens  découverts  à 
Rome  de  son  temps,  mais  livra  les  plus  opiniâtres  aux  juges 
séculiers,  de  peur  que  la  contagion  de  l'hérésie,  dit-il, 
ne  gagnât  insensiblement  le  reste  du  troupeau  (2). 

tre  les  hérétiques,  pour  le  seul  fait  de  la  religion.  (Jac.  Godefr.  Comment, 
in  Cod.  Theodos.,  lib.  xvi, fit.  5,  n.  9,  34,  et  alibi  passim.  Voyez  aussi 
Bingham,  Origines  sive  antiquit.  eccles.,  tom.  vu,  lib/xvi,  cap.  2,  §  4.) 

(1)  «  Scintilla,  statim ut apparuerit,  extinguenda  est;  et  fermentum  à  mas- 
«  sse  viciniâ  semovendnm  ;  secandae  putridae  carnes  ;  et  scabiosum  animal 
«  à  caulis  ovium  repellendum  ;  ne  tota  domus ,  massa,  corpus  et  pecora,  ar- 
«  deat,  corrumpatur,  putrescat ,  intereat.  Arius  una  scintilla  fuit  ;  sed  quia 
«  non  statim  oppressa  est,  totum  orbem  ejus  flammâ  populata  est.  »  Sancti 
Hieron.  Comment,  in  Epist  ad  Gai. ,  cap.  5.  (Oper.  t.  iv,  parte  1, 
p.  291.) 

(2)  «  Aliquanti  verô  ( Manichœi)  qui  ita  se  demerserunt  (in  impietatis 
«  voraginem  ),  ut  nullo  lus  auxilii  possit  î  emedio  subveniri ,  subditi  legibus, 
«  secundum  christianorum  principum  constituta ,  ne  sanctum  gregem  suâ 
«  contagione  polluèrent,  per  publicos  judices  perpetuo  sunt  exilio  relegali.  » 


INÏRODtiCTÎOtf.  Ht 

Quelque  importantes  que  soient   ces  observations  pour        56. 

'O  il  ••  «in  i»»i        Dispositions 

justifier,  aux  yeux  cl  un  esprit  impartial,  I  usage  modère  de    sévères  du 

■  .  ,,  ,.     .  droit    romain, 

la  puissance  temporelle  en  matière  de  religion  ,  nous  ne  pré-      sur  ce 

î  ,.      .  ,  j.  point,  non  ap- 

tendons  pas  approuver  indistinctement  toutes  les  disposi-     prouvées 

j         7  .  .  *  Par  l'Église. 

tions  du  droit  romain  sur  cette  matière  ;  nous  avouerons 
même  que  la  sévérité  de  quelques-unes  de  ces  dispositions 
semble  difficile  à  justifier.  Mais  pour  prévenir  les  difficultés 
qu'elles  peuvent  offrir,  on  doit  remarquer,  4°  que  l'Église  ne 
lésa  jamais  approuvées.  Il  est  vrai  qu'elle  approuvait  en  gé- 
néral le  zèle  des  empereurs  chrétiens  pour  le  maintien  de  la 
religion,  et  pour  la  répression  de  l'hérésie  ;  mais  on  ne  voit 
pas  qu'elle  ait  jamais  approuvé  en  particulier  les  dispositions 
sévères  qu'on  remarque  dans  quelques-unes  de  leurs  cons- 
titutions, et  surtout  la  peine  de  mort  décernée,  en  certains 
cas,  contre  les  attentats  publics  de  l'impiété.  Il  est  certain, 
au  contraire  ,  qu'elle  inspirait  habituellement  aux  princes  et 
aux  magistrats ,  par  l'organe  des  évêques  et  des  saints  doc- 
teurs, une  grande  modération  dans  l'application  des  lois  por- 
tées contre  les  hérétiques,  et  qu'elle  blâmait  hautement  ceux 
de  ses  ministres  qui  pressaient  avec  rigueur  l'observation 
de  ces  lois  (\). 

Remarquons,  en  second  lieu  ,  que  ,  pour  bien  apprécier        s7. 

♦  ,.  ...  i         -i        •  •  •  ii  Rigueur  ordi- 

certaines  dispositions  du  droit  romain  qui  nous  semblent    naire  ^es 

Di       •  »     ,  m     #>  \    i«  i  l°'s  pénales,  à 

aujourd  nui  trop  sévères,  il  laut  se  transporter  a  1  époque  cette  époque. 
où  elles  ont  été  établies  ,  c'est-à-dire,  à  une  époque  où  les 
lois  pénales  étaient  généralement  beaucoup  plus  sévères 
qu'elles  ne  l'ont  été,  depuis  que  le  christianisme  eut  apporté 
de  si  grands  adoucissements  dans  les  mœurs  publiques  et  pri- 
vées (2).  Doit-on  s'étonner  en  effet  que  le  droit  romain, 


S.  Leonis  Ep\st.  8  (alias  2).  —  Fleury,  Hist.  Eccl,  t.  Vf,  liv.  xxvi,  n.  57. 

(1)  Thomassin,  Traité  des  édits  ,  1. 1,  cliap.  30,  etc.  Remarquez  en  parti- 
culier les  détails  relatifs  à  la  conduite  des  saints  docteurs  envers  les  héréti- 
ques de  leur  temps,  par  exemple,  de  saint  Augustin  envers  les  Donatistes, 
de  saint  Ambroise  et  de  saint  Martin  envers  les  Priscillianistes ,  etc. 

(2)  Ryan ,  Bienfaits  du  Christian. ,  chap.  5,  §  5 — De  Vouglans,  Lois 
crimin.  de  France,  liv.  n,  tit.  3, 4,  et  alibi  passim. 


78  INTRODUCTION. 

dans  ses  dispositions  contre  l'hérésie  et  les  autres  délits  de 
l'impiété,  ait  conservé  quelque  chose  de  la  rigueur  alors  em- 
preinte dans  toutes  les  parties  de  la  législation?  Bien  plus,  n'é- 
tait-il pas  naturel  que  les  empereurs  chrétiens  appliquassent 
aux  délits  qui  attaquaient  la  religion  chrétienne  les  peines 
constamment  décernées  jusqu'alors  contre  les  attentats  pu- 
blics de  l'impiété?  «  Il  y  a  dans  tous  les  siècles,  dit  à  ce  su- 
«  jet  le  comte  de  Maistre,  certaines  idées  générales  qui  en- 
«  traînent  les  hommes,  et  qui  ne  sont  jamais  mises  en 
«  question.  Il  faut  les  reprocher  au  genre  humain ,  ou  ne 
«  les  reprocher  à  personne  (\).  » 
58.  Ajoutons  que  la  sévérité  des  constitutions  impériales  sur 

menîTdans la  le  sujet  qui  nous  occupe  était  bien  adoucie,  dans  la  prati- 
piaïque.     ^^  p^  j>eSpr-t  fiQ  moc[ératH)n  et  de  douceur  qui  présidait 

ordinairement  à  leur  exécution.  On  a  vu  plus  haut  avec 
quelle  sage  lenteur  Constantin  et  ses  successeurs  avaient 
procédé,  dans  leurs  édits  contre  l'idolâtrie ,  laissant  d'abord 
aux  païens  le  libre  exercice  de  leur  culte,  le  restreignant  en- 
suite peu  à  peu  à  mesure  que  les  circonstances  le  permet- 
taient, et  ne  lui  portant  les  derniers  coups  que  dans  un  temps 
où  ils  pouvaient  le  faire  sans  blesser  l'opinion  publique,  et 
sans  occasionner  aucun  trouble  dans  l'État.  On  remarque 
généralement  la  même  prudence  dans  la  conduite  des  em- 
pereurs chrétiens  à  l'égard  des  hérétiques  (2).  Pour  peu  qu'on 
examine  de  près  la  suite  et  l'objet  des  constitutions  impé- 
riales sur  ce  point,  on  verra  qu'elles  étaient  plus  ou  moins 
sévères,  selon  les  différentes  circonstances  des  temps  et  des 
lieux  ;  et  la  modération  dont  on  usait  dans  leur  exécution 
montrait  clairement  que  le  prince  se  proposait  bien  moins  de 
punir  les  sectaires,  que  d'empêcher  la  propagation  de  leur 
doctrine,  et  de  les  obliger,  par  de  salutaires  mesures,  à  ren- 
trer en  eux-mêmes  et  à  reconnaître  leurs  erreurs.  C'est  la 


(1)  De  Maistre,  Lettres  sur  V Inquisition  espagnole,  2e  lettre,  p  53. 

(2)  Tkomassin,  Traité  des  édits,  1. 1,  chap.  32  et  suiv.  — Bossuet,  Poli- 
tique sacrée,  liv.  vu,  art.  3,  prop.  10- 


INTRODUCTION.  79 

réflexion  de  Sozomène ,  à  l'occasion  des  lois  publiées  contre 
les  hérétiques  par  Théodose  le  Grand  :  «  Ce  prince,  dit-il, 
«  publiait  contre  eux  des  lois  sévères  ;  mais  il  ne  les  exécu- 
«  tait  pas.  Son  dessein  n'était  pas  de  punir  les  hérétiques, 
«  mais  de  les  ramener  à  la  véritable  foi  par  la  crainte  des 
«  châtiments;  et  il  donnait  de  grandes  louanges  à  ceux  qui  se 
«  convertissaient  de  bon  gré  (4).  »  Cette  modération,  inspirée 
aux  empereurs  par  les  évêques  eux-mêmes  (2) ,  est  d'au- 
tant plus  remarquable ,  que  les  hérétiques  en  abusaient  sou- 
vent pour  se  porter  à  de  nouveaux  excès  contre  les  catho- 
liques. C'est  ce  que  suppose  clairement  saint  Augustin  dans 
plusieurs  de  ses  lettres  (5)  ;  et  tel  fut  souvent  le  motif  qui 
obligea  les  empereurs  à  renouveler  les  anciennes  lois,  que  leur 
indulgence  avait  laissées  tomber  en  désuétude  (4).  Tel  fut  en 
particulier  le  motif  qui  obligea  Honorius  à  renouveler  les 
lois  portées  par  ses  prédécesseurs  contre  les  différentes  sectes 
ennemies  de  l'Église  catholique.  «  De  peur,  dit-il,  que  les 
«  Donatistes  et  les  autres  sectes  hérétiques,  aussi  bien  que 
«  les  Juifs  et  les  païens ,  ne  regardent  les  anciennes  lois 
«  comme  tombées  en  désuétude ,  nous  enjoignons  à  tous  les 
«  juges  de  s'y  conformer  exactement,  et  d'exécuter,  sansba- 
«  lancer,  tout  ce  qui  a  été  décrété  contre  ces  différentes 
«  sectes  (5).  » 

Après  ces  observations,  qui  nous  ont  paru  nécessaires  pour 
prévenir  les  difficultés  que  présente  une  matière  si  délicate, 

(1)  Sozomène,  Hist.  Kcch,  lib.  vu,  cap.  12. — Tillemont,  Hist.  des  Em- 
pereurs, t.  v,  p.  399. 

(?)  Voyez  la  note  1  de  la  page  77. 

(3)  Saint  Augustin,  E-pist.  100,  ad  fionatum,  n.  2. — Epist.  133,  ad 
Marcelliniim,  n.  1.  (Operum  t.  n.)  La  première  de  ces  lettres  est  citée  par 
Fleury,  Hist.  Eccl.,  t.  v,  liv.  xxn,  n.  18. 

(4)  Thomassin,  Traité  des  édits,  1. 1,  chap.  33,  n.  1  ,  et  alibi  passim. 

(5)  «  Ne  Donatistae,  vel  caeterorum  vanitas  haereticorum,  aliorumque  er- 
«  ror  quibus  catholicae  communionis  cultus  non  potest  persuadeii,  Judœi  at- 
«  que  Gentiles  (quos  vulgô  Paganos  appellant) ,  arbitrentur  leguni  antè 
«  adversùm  se  datai  uni  constituta  tepuissc;  noverint  judices  universi  prae- 
«  ceptis  eorum  fideli  devotione  parendum,  et  inter  prsecipua,  quidquid  ad- 
«  versus  eos  decrevimus,  non  ambigant  exequendum.  »  Cod.  Theod.  lib. 
xvi,  tit.  5,  n.  46. 


80  INTRODUCTION. 

nous  allons  exposer  en  peu  de  mots  Ses  principales  dispositions 
du  droit  romain,  à  l'égard  des  Juifs,  des  hérétiques,  des 
sacrilèges  et  des  apostats;  dispositions  d'autant  plus  remar- 
quables, que,  sur  ce  point  comme  sur  plusieurs  autres,  le 
droit  romain  a  servi  de  modèle  à  celui  de  tous  les  États 
chrétiens  de  l'Europe  au  moyen  âge  (\). 

1°  Lois  contre  les  Juifs. 

5  La  première  loi  de  Constantin  contre  les  Juifs  fut  provo- 

sévérité     qU£e  par  jes  violences  et  les  excès  manifestes  dont  plusieurs 

de  ces  lois.      i  r  x 

d'entre  eux  s'étaient  rendus  coupables.  Environ  deux  ans 
après  la  conversion  de  ce  prince,  un  certain  nombre  de  Juifs 
ayant  osé  insulter  publiquement  les  chrétiens,  jusqu'à  leur 
jeter  des  pierres,  l'empereur  déclara,  par  un  édit,  que  si  quel- 
qu'un d'entre  les  Juifs  se  permettait  à  l'avenir  de  pareils  excès, 
il  serait  brûlé  avec  tous  ses  complices.  Il  défend,  par  la  même 
loi,  à  tous  ceux  d'une  autre  religion,  d'embrasser  le  judaïsme, 
qu'il  représente  comme  une  secte  d'hommes  turbulents, 
animés  d'une  haine  violente  et  irréconciliable  contre  le 
christianisme  (2).  Dans  cette  vue,  Constantin  défendit  encore 
aux  Juifs  de  circoncire  ceux  de  leurs  esclaves  qui  ne  seraient 
pas  de  leur  religion  ;  les  transgresseurs  de  cette  loi  sont  con- 
damnés à  perdre  leurs  esclaves  (5). 

(1)  Voyez  les  auteurs  cités  plus  haut,  p.  51,  note  4.  Voyez  aussi  Tho- 
massin,  Traité  des  édits,  t. 1,  chap.  30,  etc.  ;  t.  n,  chap.  9. 

(2)  «  Judaeis  et  majoribus  eorum  et  patriarchis  voluimus  intimai  i ,  quôd 
«  si  qui,  post  hanc  legem,  aliquem  qui  eorum  feralem  fugerit  sectam,  et  ad 
«  Dei  cultum  respexerit,  saxis  aut  alio  furoris  génère  (  quod  nunc  fieri  co- 
te gnovimus)  ausus  fuerit  ademptare  (  i.  e.  impetere),  mox  flammis  deden- 
«  dus  est,  et  cum  omnibus  suisparticipibus  concremandus.  Si  quis  verô  ex 
«  populo  ad  eorum  nefariam  sectam  accesserit,  et  conciliabulis  eorum  se 
«  applicaverit,  cum  ipsis  méritas  pœnas  (arbitrio  nempe  judicis )  susti- 
«  nebit.  »  Cod.  Theod.,  lib.  xvi,  tit.  8,  n.  1.  —  Fleury,  Hist.  JEccl.,  t.  m, 
liv.  x,  n.  20. 

(3)  «  Si  quis  Judseorum  christianum  mancipium,  vel  cujuslibet  alterius 
«  sectee,  mercatus  circumeiderit,  minime  in  servitute  retineat  circumeisum  ; 
«  sed  libertatis  privilegiis,  qui  hoc  sustinuerit,  potiatur.  »  Cod.  Theod., 
ibid.,  tit.  9,  n.  1. — Fleury,  ibid.,  liv.  xi,n.  59. 


INTRODUCTION.  81 

Cette  malheureuse  nation  ne  fut  pas  traitée  plus  favorable- 
ment sous  les  successeurs  de  Constantin  ;  car  ils  défendirent  aux 
Juifs,  sous  des  peines  très-sévères,  de  contracter  mariage  avec 
des  chrétiens,  d'acheter  et  de  circoncire  des  esclaves  d'une 
autre  nation  et  d'une  autre  religion,  et  surtout  des  esclaves 
chrétiens.  Une  loi  de  l'empereur  Constance  veut  que  l'a- 
cheteur soit  puni,  dans  ce  dernier  cas,  non-seulement  par 
la  perte  de  ses  esclaves,  mais  par  la  confiscation  de  tous  ses 
biens;  il  doit  même  être  puni  de  mort,  s'il  a  osé  circon- 
cire ses  esclaves  (]).  Une  autre  loi  du  même  prince  condam- 
nait aussi  à  mort  le  Juif  qui  aurait  épousé  une  femme  chré- 
tienne (2);  mais  la  sévérité  de  cette  loi  fut  adoucie  par 
Théodose,  qui  ordonna  seulement  que  ces  sortes  de  mariages 
fussent  punis  comme  de  véritables  adultères,  et  que  toute 
personne  fût  reçue  à  les  dénoncer  (5).  Plusieurs  édits  posté- 
rieurs défendirent  encore  aux  Juifs  d'exercer  aucun  emploi 
civil,  de  témoigner  en  juslice  contre  des  chrétiens,  de  bâtir 
aucune  synagogue  nouvelle,  et  de  pervertir  aucun  chrétien  (4). 
Ce  dernier  point  est  défendu  par  Théodose  le  Jeune,  sous 

(1)  «  Si  aliquis  Judseorum  mancipium  sectae  alterius  seu  nationis  crediderit 
«  comparandum ,  mancipium  fisco  protinùs  vindicetur.  Si  verô  emptum  cii- 
«  cumciderit ,  non  solum  mancipii  damno  mulctetur ,  verùm  etiam  capitali 
«  sententiâ  prematur.  Quôd  si  venerandee  fidei  conscia  mancipia  Judœus 
«  mercari  non  dubitet ,  omnia  quœ  apud  eum  reperiuntur  protinùs  auferan- 
«tur;  nec  interponatur  quicquam  morœ,  quin  eorum  hominum  qui  chri- 
«  stiani^sunt  possessione  careant.  »  Cod.  Theod.,  lib.  xvi,  tit.  9,  n.  2. 

Cette  loi  fut  renouvelée  (en  384)  par  les  empereurs  Valentinien  II,  Théo- 
dose  et  Arcade,  en  ces  termes  :  «  Ne  quis  omninè  Judaeorum  christianum 
a  comparet  servum...  Quôd  si  factum  publica  indago  compercrit ,  et  servi 
«  abstrahi  debent ,  et  taies  domini  congruae  atque  aptse  facinori  pœnœ  sub- 
«  jaceant;  addito  eo,  ut  si  qui  apud  Judseos  adhuc  christiani  servi...  reperti 
«  fuerint ,  soluto  per  cln  istianos  competenti  pretio,  ab  indigna  servitute  redi- 
«  mantur.  »  Ibid. ,  lib.  m,  tit.  1,  n.  5. 

(2)  «  Illud  in  reliquum  observari  (placet) ,  ne  christianas  mulieres  (Judoei) 
«  suis  jungant  flagitiis  ;  vel ,  si  hoc  fecerint,  capitali  periculo  subjugentur.  » 
Ibid. ,  lib.  xvi,  tit.  8,  n.  6. 

(3)  «  Ne  quis  christianam  mulierem  in  matrimonium  Judaeus  accipiat,  ne- 
«  que  Judœam  christianus  conjugio  sortiatur  ;  nam  si  quis  aliquid  hujusmodi 
«  admiserit,  adulterii  vicem  commissi  hujus  crimen  obtinebit  ;  libertate  in 
«  accusandum  publicis  quoque  vocibus  relaxatâ.  »  Ibid.,  lib.  m,  tit.  7,  n.  2. 

(4)  On  peut  voir  le  recueil  de  ces  édits  dans  le  Cod.  Justin.,  lib.  i,  tit.  5, 
n.  21  ;  tit.  9,  n.  16,  etc.  —  Fleury,  Hist.  EccL,  t.  vi,  liv.  xxvi,  n.  41. 


82  INTRODUCTION. 

peine  de  confiscation  des  biens  et  d'exil  perpétuel  pour  les 
transgresseurs  (\). 
60.  Quelques-unes  de  ces  dispositions  peuvent  sans  doute  pa- 

cette Sévérité,  raître  sévères;  mais  on  doit  remarquer,  \°  que  les  Juifs  y 
donnaient  souvent  lieu  par  de  nouveaux  excès ,  non  moins 
contraires  à  la  tranquillité  publique  qu'à  l'honneur  de  la  re- 
ligion chrétienne.  La  haine  invétérée  dont  ils  étaient  animés 
contre  le  christianisme  se  manifestait,  en  toute  occasion, 
tantôt  par  les  violences  et  les  cruautés  qu'ils  exerçaient  en- 
vers les  chrétiens,  tantôt  par  les  persécutions  qu'ils  leur  sus- 
citaient de  la  part  des  païens,  souvent  même  par  les  révoltes 
et  les  séditions  qu'ils  excitaient  dans  les  différentes  parties  de 
l'empire  (2). 

2°  Les  Juifs  étaient  d'autant  moins  fondés  à  se  plaindre 
des  édits  publiés  contre  eux,  que  les  empereurs  avaient  d'a- 
bord usé  envers  eux  d'une  grande  modération.  Malgré  les 
excès  dont  ils  s'étaient  rendus  coupables  sous  le  règne  de 
Constantin,  ce  prince  avait  accordé  à  leurs  chefs,  et  à  tous  les 
ministres  des  synagogues  ,  l'exemption  de  toutes  les  charges 
personnelles  et  civiles  qui  les  eussent  empêchés  de  vaquer  li- 
brement à  leurs  fonctions  (5).  Ils  jouirent,  en  effet,  de  cette 
exemption  jusqu'au  temps  de  Valentinien  II,  qui  la  révoqua 
en  585 ,  ne  jugeant  pas  convenable  de  laisser  aux  chefs  de 
la  religion  juive  une  exemption  dont  les  ministres  de  la 
religion  chrétienne  avaient  été  dépouillés  par  Valenti- 
nienler(4). 

(1)  «  Judaei  et  bonorura  proscriptione ,  et  perpetuo  exilio  damnabuntur, 
«  si  nostrae  fidei  hominem  circumcidisse  eos,  vel  circumcidendum  mandasse 
«  constiterit.  »  Cod.  Justin.,  lib.  1,  lit.  9,  n.  16. 

(2)  Fleury,  Hist.  Eccl.,  t.  m,  liv.xn,  n.  28;  liv.  xm,  n.  15;  t.  v,  liv.  xxm, 
n.  25. 

(3)  «  Hiereos,  et  archisynagogos ,  et  patres  synagogarum ,  et  caeteros  qui 
«  synagogis  deserviunt,  ab  omni  corporali  munere  liberos  esse  précipi- 
te mus.  »  Cod.  Theod.,  lib.  xvi,  tit.  8,  n.  4.  — Fleury,  Hist.  Eccl.,  %.  m, 
liv. xi,  n.  46. 

(4)  «  Jussio  qnâ  sibi  Jndaere  legis  homines  blandiuntur,  per  quam  eis  cu- 
«  rialium  munerum  datur  immunitas  ,  rescindatur  ;  cùm  oe  clerieis  quidem 
«  liberum  ait,  priùs  se  divinis  ministeriis  mancipare,  quàm  patriae  débita 


INTRODUCTION.  83 

5°  Enfin,  il  est  également  à  remarquer  que  les  empereurs 
chrétiens,  tout  en  publiant  des  lois  sévères  contre  les  Juifs, 
condamnaient  hautement,  et  réprimaient  avec  sévérité  les 
violences  arbitraires  qu'un  zèle  indiscret  inspirait  quelquefois 
contre  eux  à  leurs  ennemis.  Plusieurs  constitutions  impériales 
ont  pour  objet  de  prévenir  ces  violences,  et  menacent  d'un 
châtiment  sévère  les  chrétiens,  qui,  sous  prétexte  de  religion, 
se  permettraient  d'abattre  ou  de  piller  les  synagogues  ,  ou 
d'empêcher,  de  quelque  autre  manière,  les  assemblées  des 
Juifs  (\), 

II0  Lois  contre  les  hérétiques  et  les  apostats. 

Les  mêmes  considérations  qui  obligeaient  les  empereurs  6r. 
chrétiens  à  publier  contre  les  Juifs  des  édits  si  sévères,  les  de  Constantin. 
obligèrent  souvent  à  en  publier  de  semblables  contre  les 
hérétiques.  Les  premiers  édits,  en  ce  genre,  furent  publiés 
par  Constantin,  vers  l'an  54  6,  contre  les  Donatistes,  qui 
troublaient  alors  l'Église  d'Afrique  par  toutes  sortes  de  vio- 
lences et  de  brigandages.  L'empereur,  ayant  inutilement  em- 
ployé tous  les  moyens  de  douceur  et  de  conciliation  pour  les 
ramener  à  la  foi  catholique,  rendit  enfin  une  loi  par  la- 
quelle il  leur  ôtait  leurs  églises,  et  confisquait  leurs  biens  avec 
les  lieux  où  ils  avaient  coutume  de  s'assembler;  il  bannit 
même  quelques-uns  d'entre  eux,  qui  se  montraient  plus  opi- 
niâtres et  plus  séditieux  (2). 

«  universa  persolvant.  »  Ibid.y  lib.  xn,  tit.  i,  n.  99.  Voyez  aussi  lib.  xvi, 
tit.  2,n.  21. 

(1)  «  Judaeorum  sectam  nullâ  lege  prohibitam  satis  constat.  Unde  graviter 
«  commovemur,  interdictos  quibusdam  locis  eorum  fuisse  convenais.  Sub- 
(c  limis  igitur  magnitudo  tua ,  bàc  jussione  susceptâ ,  nimietatem  eorum 
«  qui  sui)  christianae  religionis  nomine  inlicita  quœque  prœsumunt,  et  de- 
«  slruere  synagogas  atque  expoliare  conantur ,  congruà  severitate  cohi- 
«  bebit.  »  Cod.  Theod.,  lib.  xvi,  tit.  8r  n.  9.  Voyez  aussi  les  n.  21,  25,  etc. 

(2)  Saint  Augustin,  Epist.  88,  ad  Januar.,  ».  3.  —  Epist.  93,  ad  Vin- 
centium.  (Oper.  t.  u,  p.  214  et  236.)  —  Idem,  Contra  Litt.  PetiL,  lib.  n, 
n.  205. {Oper.  t.  ix,  p.  278.)— S.  Optât,  Deschism.  Donat.,  lib.  n,p.  47  (édi- 
tion de  Paris ,  1679,  infol.  —  Biblioth.  Pair.  t.  iv,  p.  349,  ire col.)  — 

6. 


S  4  INTRODUCTION* 

Quelques  années  après,  c'est-à-dire  en  525,  Arius  ayant  été 
condamné  dans  le  concile  de  Nicée ,  Constantin  publia  aus- 
sitôt plusieurs  édits ,  par  lesquels  il  le  notait  d'infamie,  le 
condamnait  à  l'exil  avec  les  évêques  de  son  parti,  et  ordon- 
nait de  brûler  ses  écrits,  obligeant  ses  partisans  à  les  livrer, 
et  menaçant  de  mort  ceux  qui  refuseraient  d'obéir.  Il  con- 
damna aussi  les  particuliers  qui  persévéreraient  dans  l'erreur, 
à  payer,  outre  leur  capitation,  celle  de  dix  autres  person- 
nes (4).  L'année  suivante,  un  nouvel  édit  restreignit  aux 
catholiques  les  immunités  accordées  aux  clercs,  ordonnant 
que  les  hérétiques  et  les  sçhismatiques,  au  lieu  d'être  dé- 
chargés, fussent  plus  grevés  que  les  autres  (2).  L'empereur 
exceptait  cependant  de  cette  loi  les  Novatiens,  qu'il  ne  regar- 
dait pas  encore,  à  ce  qu'il  paraît,  comme  absolument  con- 
damnés (5)  ;  mais  ayanl,  dans  la  suite,  mieux  connu  cette 
secte,  il  lui  défendit,  aussi  bien  qu'à  celles  des  Valentiniens, 
des  Marcionites,  et  à  toutes  les  autres,  de  tenir  des  assem- 
blées, soit  publiques,  soit  particulières,  voulant  que  leurs 
églises  fussent  données  aux  catholiques  ,  que  les  autres  lieux 
de  leurs  assemblées  fussent  confisqués ,  et  que  leurs  livres 
fussent  recherchés  avec  soin  pour  être  détruits  (4). 
62.  Tous  ces  édits  de  Constantin  furent  depuis  renouvelés  par 

de  Théociose  ses  successeurs,  et  appliqués,  avec  plus  ou  moins  de  rigueur, 
origine" de    aux  différentes  sectes  hérétiques.  Théodose  le  Grand,  par  un 
édit  du  mois  de  janvier  584,  ôte  aux  hérétiques  toutes  les 


Fleury,  Hist.  Eccl,  t.  m,  liv.  x,  n.  19.—Thomassin,  Traité  des  édits,  1. 1, 
cbap.  11. 

(1)  Socrate,  Hist.  Ecoles.,  lib.  1,  cap.  9 ,  p.  62,  etc.  —  Sozomène,  Hist. 
Ecoles.,  Mb.  1,  cap.  20,  etc.—  Fleury,  ibid.,  liv.  xi,  11.  24. 

(2)  «  Privilégia  quae  co-ntemplatione  (  seu  intuitu  )  religionis  indulta  sunt, 
«.  catholicae  tantùm  legis  observatoribus  prodesse  oportet.  Haereticos  autem 
«  atque  scbismaticos ,  non  tantùm  ab  bis  privilegiis  alienos  esse  volumus, 
«  sed  etiàm  diversis  muneribus  constringi  etsubjici.  »  Cod.  Theod.,  lib.xvi, 
tit.  v,  n.  1.  —  Fleury,  ibid.,  liv.  xi,  n#  31. 

(3)  Cod.  Theod.,  ibid.,  n.  2.  —  Fleury,  ibid.  —  Tbomassin,  Traité  des 
édits,  t.  1,  ch.  30,  n.  67,  etc. 

(4)  Eusèbe,  Vita  Const.,  lib.  m,  cap.  63-66.  —  Fleury,  ibid.,  n.  46.  — 
Lebeau ,  Hist.  du  Bas-Empire,  t.  1,  liv.  v,  n.  56. 


INTRODUCTION.  85 

églises,  et  casse  tous  les  rescrils  contraires  qu'ils  auraient  pu 
obtenir  par  surprise  (4).  Il  condamne  nommément,  dans  cet 
édit,  les  Photiniens,  les  Ariens  et  les  Eunomiens;  il  recom- 
mande la  foi  de  Nicée,  et  défend  toutes  les  assemblées  des 
hérétiques  dans  l'enceinte  des  villes;  ajoutant  que,  s'ils  veu- 
lent faire  du  bruit,  ils  seront  même  chassés  des  villes.  La 
même  année ,  il  publia  une  loi  beaucoup  plus  sévère  conlre 
les  Manichéens ,  les  déclarant  infâmes ,  les  privant  absolu- 
ment du  droit  de  tester,  ou  même  de  succéder  aux  biens 
paternels  et  maternels  ;  voulant  que  tous  ces  biens  soient 
confisqués,  excepté  à  l'égard  des  enfants,  qui  pourront  héri- 
ter du  bien  de  leurs  pères  et  mères,  s'ils  embrassent  une  re- 
ligion plus  sainte  (2).  Une  autre  loi  de  Théodose  traite  en- 
core plus  rigoureusement  ceux  d'entre  les  Manichéens  qui, 
pour  mieux  se  déguiser,  prenaient  les  noms  d Encratides , 
de  Saccophores  et  d'Hydroparastates  ;  car  elle  veut  qu'on 
les  punisse  du  dernier  supplice  (5).  Pour  assurer  l'exécution 


(1)  «  Nullus  hsereticis  mysteriorum  locus,  nulla  ad  exercendam  animi 
«  obstinations  dementiam  pateat  occasio.  Sciant  omnes,  etiamsi  quid  spe- 
«  ciali  quolibet  rescripto,  per  fraudem  elicito ,  ab  hujusmodi  hominum  ge- 

«  nere  impetratum  est,  non  valere Ab  omnium  submoti  ecclesiarum 

«  limine  penitùs  arceantur,  cùm  omnes  haereticos  illicitas  agere  intra  oppida 
«  congregationes  vetemus;  ac  si  quid  eruptio  factiosa  tentaverit,  ab  ipsis 
«  eliam  urbium  mœnibus ,  exterminato  furore ,  propelli  jubemus.  »  Cod. 
Theod.,  lib.  xvi,  tit.  v,  n.  6.  —  Fleury,  Hist.  eccl.,  t.  iv,  liv.  xvm,  n.  9. 

(2)  «  Si  qui,  Manichaeus  Manichaeave ,  in  quamlibet  personam  condito 
«  testamento,  vel  cujuslibet  liberalitatis  atque  specie  donationis,  transmisit 
«  proprias  facultates  ;  vel  quisquam  ex  his  aditae  per  quamlibet  successionis 
«  lormam  collatione  ditatus  est;  quoniam  iisdem ,  sub  perpétua  justae  infa- 
«  miae  nota ,  testandi  ac  vivendi  jure  Romano  omnem  protinùs  eripimus  fa- 
ce cultatem  ,  neque  eos  aut  relinquenda.1  aut  capiendae  alicujus  haeredifatis 

«  habere  sinirnus  potestatem;  totum  fisci  nostris  viribus  societur His 

«  tantùm  iiliis  paternorum  vel  maternorum  bonorum  successio  deferatur , 
<c  qui,  licet  ex  Manichœis  orti,  sensu  tamen  et  affectu  proprise  salutis  admo- 
«  niti,  ab  ejusdem  vitae  professionisque  collegiis,  purà  semet  dediti  religione, 
«  dimoverint.  »  Cod.  Theod.,  lib.  xvi,  tit.  v,  n.  7.  _  Fleury,  ubï  suprà. 

(3)  «  Quos  Encratitas  prodigali  appellatione  cognominant,  cum  Sacco- 
«  piloris  sive  Hydroparastalis ,. ..  summo  supplicio,  et  inexpiabili  pœnâ 
«  jubemus  affligi. . .  Sublimitas  itaque  tua  del  Inquisitores,  aperiat  forum, 
«  indices  denuntiatoresque,  sine  invidiâ  delationis  (i.  e.  absque  metu  déla- 
is tionis) ,  accipiat;  nemo  praescriptione  communi  exordium  accusationis 
«  hujus  infringat.  »  lbid.,  n.  9.  —  Fleury,  ubï  suprà. 


86  INTRODUCTION. 

de  cette  loi ,  l'empereur  ordonne  au  préfet  du  prétoire 
d'établir  des  Inquisiteurs,  chargés  de  rechercher  les  héréti- 
ques, et  d'informer  contre  eux.  C'est  la  première  fois  qu'on 
trouve  dans  les  lois  le  nom  d'inquisiteur  contre  les  héréti- 
ques ;  mais  Vinquisition  dont  il  s'agit  ici  n'était  pas  nouvelle; 
car  nous  avons  déjà  vu  Constantin  en  ordonner  une  sem- 
blable contre  les  Ariens  et  d'autres  hérétiques  de  son 
temps  (4  ) .  Ces  mesures  sévères  étaient  provoquées  par  la  doc- 
trine abominable  des  Manichéens,  qui  avait  excité,  dès  l'ori- 
gine de  leur  secte,  la  sévérité  de  empereurs  païens  (2).  Il  est 
certain,  en  effet,  que  les  erreurs  de  cette  secte  n'attaquaient 
pas  seulement  le  dogme  catholique ,  mais  les  fondements  de 
la  morale,  et  tendaient  à  multiplier  de  jour  en  jour,  dans  la 
société,  les  plus  grands  excès  de  corruption  et  de  scéléra- 
tesse (5). 

Plusieurs  autres  lois  de  Théodose  défendent  aux  héré- 
tiques de  s'assembler ,  soit  à  la  ville ,  soit  à  la  campagne , 
et  de  faire  des  ordinations  d'évêques  (4).  L'empereur  or- 
donne  que  les  maisons  où  ils  se  seront  assemblés  soient 


(1)  Voyez  les  notes  i  et  4  de  la  page  84. 

(2)  Yoyez,  à  ce  sujet,  Fleury,  Hist.  Eccl.,  t.  h,  liv.  vin,  n.  25.  — Tho- 
massin,  Traité  des  édits ,  etc.,  1. 1,  ch.  3,  n.  12. 

(3)  Saint  Augustin,  De  moribus  Manichœorum,  passim.  (Operum,  t.  î.) 
— Tillemont,  Mémoires  pour  VHist.  Ecclés.,\.  xm,  art.  15,  etc. — Bossuet, 
Hist.  des  variations ,  liv.  xi,  n.  7,  etc. 

(4)  «  Vitiorum  institutio  (seu  schola),  Deoatque  hominibusexosa,  euno- 
«  mianascilicet,  ariana,  macedoniana ,  apollinariana ,  coeterarumque  secta- 
«  ruin  quas  verre  religionis  fides  sincera  condemnat ,  neqne  publicis ,  neque 
«  privatis  aditionibus  (i.  e.  conventibus),  in tra  urbium  atque  agrorum  ac 
«  villarum  loca,  aut  colligendarum  congregationum ,  aut  constituendarum 
«  ecclesiarum  copiam  praesumat;...  neque  ullas  creandorum  sacerdotum 
«  usurpet  atque  habeat  ordinationes.  Esedem  quoque  domus,  seu  in  urbibus, 
«  seu  in  agris  ,  in  quibus  passim  turbse  professorum  (i.  e.  hœresim  profi- 
«  tentium)  ac ministrorum  talium  colligentur,  fisci  nostri  dominio  juiique 
«  subdantur;  ita  ut  hi  qui  vel  doctrinam  vel  mysteiia  conventionum  talium 
«  exercere  consueverunt,. . ..  expellantur  à  cœtibus,  et  ad  proprias  unde 
«  oriundi  sunt  terras  redire  jubeantur.  Quodsi  negligenliùs  eaquae  serenitas 
«  nostra  constituit  impleantur,  oflicia  (  i.  e.  officiâtes)  provincialium  judi- 
«  cum,  et  principales  urbium,  in  quibus  coitio  vetilae  congregationis  reperta 
«  monstrabitur ,  sententiae  damnationique  subdantur.  »  Cod.  Theodos., 
lib.  xvi,  tit.  v,  n.  12  —  Fleury,  ibid. ,  t.  iv,  liv.  xvm,  n.  27  ;  liv.  xix,  n.  34. 


ose 


INTRODUCTION.  87 

confisquées,  et  que  leurs  docteurs  ou  ministres  publics 
soient  chassés,  et  renvoyés  au  lieu  de  leur  origine;  mena- 
çant même  de  punir  les  magistrats  qui  négligeraient  de 
veiller  à  l'exécution  de  cette  loi.  Enfin  ,  une  constitution  du 
mois  de  juin  592 ,  condamne  à  une  amende  de  dix  livres 
d'or  par  tête,  les  hérétiques  qui  auraient  donné  ou  reçu  l'or- 
dination ,  voulant  que  le  lieu  où  elle  se  serait  faite  soit  con- 
fisqué; toutefois,  si  le  propriétaire  a  ignoré  cette  cérémonie 
sacrilège,  le  locataire  seul  doit  être  puni  de  la  flagellation 
et  de  l'exil,  s'il  est  de  condition  servile,  et  d'une  amende  de 
dix  livres  d'or,  s'il  est  de  condition  libre  (\). 

Plusieurs  constitutions  des  empereurs  Honorius  et  Théo-        **■ 
dose  le  Jeune ,  déclarent  les  hérétiques  en  général ,  spécia-  ^j™"^* 
lement    les   Donatistes  et   les  Manichéens,    incapables  de  .  le.Jeu".e} 

;  r  Les  hereliques 

tout  emploi  et  de  tout  droit  civil ,  et   sujets  à  toutes  les  .  iiicaPables  . 

r  '  J  de  tout  emploi 

peines  portées  par    les    constitutions  précédentes  (2).  Une       civil- 

des    plus    remarquables   est    ceile   qui    fut   publiée    vers 

l'an  407  ,  par  Théodose  le  Jeune.  «  Nous  punissons  ,  dit-il , 

«  les  Manichéens  et  les  Donatistes  de  l'un  et  de  l'autre  sexe  , 

«  comme  le  mérite  leur   impiété.  Ainsi,   nous  ne  voulons 

«  pas  qu'ils  jouissent  des  droits  que  la  coutume  et  les  lois 

«  donnent    au    reste  des  hommes.    Nous   voulons    qu'on 

«  les  traite  en  criminels  publics,  et  que  tous  leurs  biens 

«  soient   confisqués  ;   parce  que  quiconque  viole  la  reli- 

((  gion  établie  de  Dieu,  pèche  contre  l'ordre  public, 

«  De  plus ,    nous  ôtons  à  tous  ceux  qui  seront  convaincus 

(1)  «  In  hœreticis  erroribus,  quoscumque  constiterit  vel  ordinasse  cleri- 
«  cos,  vel  suscepisse  officium  elericorum,  dénis  libris  auri  viritim  muletan- 
«  dos  esse  censemus;  locum  sanè  in  quo  vetita  lentantur,  si  connivenlia 
«  domini  patuerit,  lisci  nostri  viribus  aggregari.  Qnôd  si  id  possessorem 
«ignorasse  constiterit,  conductorem  ejus  lundi ,  si  ingenuus  est,  decem 
«  auri  libras  fisco  nostro  inferre  praecipimus;  si  servili  ibece  descendens  , 
«  csesus  fustibns,  deportatione  damnabitur.  •»  Cod.  Theod.,  ibid.,  n.  21.  Les 
dix  livres  d'or,  dont  il  est  ici  question,  valent  environ  11,500  francs  de 
notre  monnaie,  en  supposant  les  principes  établis  par  Paneton,  pour  l'éva- 
luation des  anciennes  monnaies.  (  Voyez  ci-dessus  la  note  1  de  la  page  63.) 

(2)  Cod.  Theod.,  ibid.,  n.  42,  etc.  —  Fleury,  Hist.  Ecoles.,  t.  v,  liv.  xxii, 
n.  8,  15,  18,  26,  27  ;  liv.  xxiv,  n.  54. 


88  INTRODUCTION. 

«  de  ces  hérésies ,  la  faculté  de  donner,  d'acheter  ,  de  vendre 

«  et  de  faire  aucun  autre  contrat Nous  voulons  aussi 

«  qu'on  regarde  comme  nulle  leur  dernière  volonté  ,  en 
«  quelque  manière  qu'ils  l'aient  déclarée  ,  soit  par  testa- 
«  ment,  soit  par  codicille,  soit  par  lettre  ou  autrement;  et 
«  que  leurs  enfants  ne  puissent  se  porter  pour  leurs  héri- 
«  tiers,  s'ils  ne  renoncent  à  l'impiété  de  leurs  pères  (\).  » 
Une  autre  loi  du  même  empereur  ordonne  que  les  Ma- 
nichéens soient  chassés  des  villes ,  et  punis  du  dernier 
supplice ,  comme  coupables  des  derniers  excès  de  scéléra- 
tesse (2). 
64.  L'empereur  Marcien  ,  successeur  de  Théodose  le  Jeune  , 

Lois  ,  t  î       î  -n  L  • 

de  Marcien,  ne  se  montra  pas  moins  sévère  a    regard  des  Eutychiens, 

Confirmant    et    j  .  ,  ..        _ 

renouvelant  depuis  qu  ils  eurent  ete  condamnes  par  le  concile  de  Cal- 
cédente».  cédoine  (5).  Par  un  premier  édit ,  publié  au  mois  de  fé- 
vrier 452  ,  il  leur  défendit  de  disputer  publiquement  sur  la 
religion  ,  sous  peine,  pour  les  clercs,  de  déposition  ;  pour  les 
magistrats  civils  ,  de  privation  de  leurs  charges  ;  et  pour 
les  simples  particuliers ,  d'être  chassés  de  Constantinople  , 
et  punis  selon  leurs  mérites.  Ce  premier  édit  ne  suffisant 
pas  pour  arrêter  certains  esprits  inquiets  et  turbulents , 
le  même  prince  en  publia  ,  quelques  mois  après ,  un  autre 

(1)  «  Manichaeos,  seu  Manichseas,  vel  Donatistas,  mérita  severitate  perse- 
«  quimur.  Huic  ergo  hominum  generi  nihil  ex  moribus,  nihil  ex  legibus  sit 
«  commune  cum  cseteris.  Ac  primum  quidem  volumus  esse  publicum  cri- 
«  men;  quia  quod  in  religionem  divinam  committitur,  in  omnium  fertur 

«  injuriant;  quos  bonorum  etiam  omnium  publicatione  persequimur 

«  Praeterea,  non  donandi,  non  emendi,  non  vendendi,  non  postremô  con- 

«  trahendi,  cuiquam  convicto  relinquimus  facultatem Ergo  et  suprema 

«  illius  scriptura  irrita  sit ,  sive  testamento ,  sive  codicillo ,  sive  epistolâ,  sive 
«  quolibet  alio  génère  reliquerit  voluntatem ,  qui  Manichaeus  fuisse  convin- 
«  citur;  sed  nec  filios  hasredes  eis  existere  aut  adiré  permittimus,  nisi  à  pa- 
«  ternâ  pravitate  discesserint.  »  Cod.  Justin.,  lib.  i,  tit.  v,  n.  4. 

(2)  «  Ariani,  Macedoniani,...  et  qui  ad  imamusque  scelerum  nequitiam 
«■  pervenerunt  Manichœi,  nusquàm  in  Romanum  locum  conveniendi  mo- 
«  randique  babeant  facultatem;  Manichaeis  etiam  de  civitatibus  pellendis,  et 
«  ultimo  supplicio  tradendis;  quoniam  his  nihil  relinquendum  loci  est,  in 
«  quo  ipsis  etiam  elementis  fiât  injuria.  »  Cod.  Justin.,  lib.  i,  tit.  v,  n.  5.  — 
Fleury,  Hist.  Ecoles.,  t.  v,  liv.  xxiv,  n.  54. 

(3)  Fleury,  Hist.  Eccles.,  t.  vi,  liv.  xxvm,  n.  34. 


INTRODUCTION.  89 

beaucoup  plus  sévère ,  qui  défendait  aux  Eutychiens  d'or- 
donner des  évêques,  des  prêtres  ou  d'autres  clercs,  sous 
peine  de  bannissement  et  de  confiscation  pour  ceux  qui  au- 
raient fait  ou  reçu  l'ordination  (4).  Le  même  édit  leur  dé- 
fend de  s'assembler  ou  de  bâtir  des  monastères  ,  sous  peine 
de  confiscation  des  lieux ,  et  de  diverses  punitions  pour  les 
propriétaires  ou  locataires.  Enfin,  il  est  encore  défendu 
aux  Eulychiens ,  par  cet  édit,  de  rien  recevoir  par  testa- 
ment ,  d'exercer  aucun  emploi  public ,  de  demeurer  à 
Constantinople  ou  dans  aucune  métropole  ;  les  clercs  et  les 
moines  du  monastère  d'Eutychès  doivent  être  chassés  du 
territoire  de  l'empire  ;  les  livres  de  la  secte  doivent  être 
brûlés  ;  les  prédicateurs  de  sa  doctrine  ,  punis  du  dernier 
supplice,  comme  perturbateurs  de  l'État;  et  leurs  disciples, 
condamnés  à  une  amende  de  dix  livres  d'or. 

Justinien,  non  content  d'insérer  dans  son  Code  ces  diffé-        65. 
rentes  constitutions  ,   en  publia  de  nouvelles ,  pour  expli-      Mes  de 

o  î  •  tvt  i  »•»  Justinien, dans 

qner  et  confirmer  les  anciennes.   Nous  avons  déjà  remarque    son  code  et  t 

il        J  J  *-•  r  i  «i  i  ..ses  Novelles. 

celle  du  mois  de  mars  54 1  ,  qui  place  les  quatre  conciles 
généraux  parmi  les  lois  de  V empire  (2).  Par  une  consé- 
quence naturelle  de  ce  principe  ,  plusieurs  autres  constitu- 
tions infligent  des  peines  sévères  à  tous  les  hérétiques  sans 
exception ,  comme  transgresseurs  des  lois  de  l'État.  Nous 
remarquerons  en  particulier  une  loi  de  Justinien,  conçue  en 


(1)  «  Nulli  Eutychiani  vel  Apollinaristœ  publiée  vel  privalim  convocandi 
«  cœtus,  vel  cireulos  contrahendi,  et  de  errore  haeretico  disputandi,  ac  per- 
te versitatem  facinorosi  dogmatis  asserendi  tribuatur  facilitas.  Nulli  etiam 
«.  contra  venerabilem  Chalcedonensem  synodum  liceat  aliquid  vel  dictare 

«  vel  scribere,  vel  edere  atque  emittere,  aut  aliorum  dicta  vel  scripta  super 
«  eâdem  re  proferre.  Nemo  hujusmodi  habere  libros,  et  sacrilega  scriptorum 
«  audeat  monumenta  servare.  Quôd  si  qui  in  his  criminibus  fuerint  depre- 
«  hensi ,  perpétua  deportatione  damnentur.  Eos  verô  qui ,  discendi  studio 
«  adierint  de  infaustâ  haeresi  disputantes,  decem  librorum  auri,  quae  fisco 
«■  nostro  inferendae  sunt,  jubemus  subire  dispendium.  Ultimo  etiam  suppli- 
«  cio  coerceantur,  qui  illicita  docere  tenta verint.  »  Cod.  Justin.,  lib.  i 
tit.  v,  n.  8.  —  Concil.  Chalcedon.,  part,  m,  n.  12.  (Labbe,  Concil.  t  r/ 
p.  868.) 

(2)  Yoyez  ci-dessus,  p.  65,  note  2. 


90  INTRODUCTION. 

ces  termes  :  «  Nous  déclarons  infâmes  à  perpétuité  ,  déchus 
«  de  leurs  droits,  et  condamnés  au  bannissement ,  tous  les 
«  hérétiques  des  deux  sexes ,  de  quelque  nom  qu'ils  soient  ; 
«  voulant  que  leurs  biens  soient  confisqués  sans  espérance 
«  de  retour ,  et  sans  que  leurs  enfants  puissent  prétendre  à 
«  leur  succession  ;   parce  que  les  crimes  qui  attaquent   la 
«  majesté  divine  sont  infiniment  plus  graves  que  ceux 
((  qui  attaquent  la  majesté  des  princes  de  la  terre.  Quant 
«  à  ceux  qui  seront  notablement  suspects  d'hérésie,  s'ils  ne 
«  démontrent  leur  innocence  par  des  témoignages  convena- 
it blés  ,  après  en  avoir  reçu  l'ordre  de  l'Eglise  ,  qu'ils  soient 
«  aussi  regardés  comme  infâmes,  et  condamnés  au  bannisse- 
«  nient  (4).  »  En  conséquence  de  ces  différentes  lois  ,  Jus- 
tinien  ordonne  ,  dans  une  de  ses  Novel les ,    qu'à  l'avenir, 
tous  les  gouverneurs  de  province ,  avant  d'entrer  dans  l'exer- 
cice de  leurs  charges,  prêteront  à  l'empereur  un  serment  de 
fidélité,  dans  lequel    ils  déclareront   expressément,    qu'ils 
sont  en  communion  avec  V Église  catholique,  promettront 
de  ne  jamais  rien  faire  contre  elle,  et  de  réprimer  de  tout 
leur  pouvoir  les  entreprises  de  ses  ennemis  (2).   Ce  fut 
aussi  en  conséquence  de  ces  lois,  que  Justinien  donna  au 
patriarche  d'Alexandrie,  vers  l'an  540,  une  pleine  autorité 
sur  les  ducs  et  les  tribuns  de  l'Egypte ,  pour  éloigner  de  ces 

(1)  «  Omnes  bœreticos  utriusque  sexûs,  quocumque  nomine  censeantur, 
«  perpétua  damnamus  infamià ,  diffidamus  atque  bannimus  :  censentes  ut 
«  omnia  bona  talium  confiscentur,  nec  ad  eos  ulteriùs  reverlantur  :  ita  quod 
«  filii  eorum  ad  successionem  eorum  pervenire  non  possint  ;  ciim  longé  gra- 
«  vins  sit  œternam  quàm  temporalem  offendere  majestatem.  Qui  autem 
«  inventi  fuerint  solàsuspicione  uotabiles,  nisi,  ad  mandatum  Ecclesiaajuxta 
«  considerationem  suspicionis ,  qualitatemque  personse  ,  propriam  innocen- 
«  tiam  congruâ  purgatione  monstraverint ,  tanquàm  infâmes  et  bauniti  ab 
«  omnibus  babeantur.  »  Codex  Justin. ,  lib.  i,  tit.  v,  n.  19.  Pour  l'explica- 
tion des  mots  diffidamus  et  bannimus,  voyez  le  Glossaire  de  Ducange. 

(2)  «juroego,  per  Deum  omnipotentem,  et  Fiiiumejus  unigenitiim  Dominum 
«  nostrum  Jesum  Christum,  et  Spiritum  sanctum,  et  per  sanctam  gloriosam 
«  Dei  genitricem  ,  et  semper  virginem  Mariam,  etc. . .  Communicator  sum 
«■  sanctissimee  Dei  catbolicœ  et  apostolicae  Ecclesiae;  etnullo  modo  vel  tem- 
«  pore  adversabor  ei;  nec  alium  quemcumque  permitto  (  ei  adversari), 
«  quantum  possibilitatem  babeo;  etc.  »  Justiniani  Nov.  8 (ad  calcem  Cod. 
Justin.)j 


INTRODUCTION.  91 

emplois  les  hérétiques ,  et  mettre  à  leur  place  des  catho- 
liques (4). 

Les  dispositions  du  droit  romain  n'étaient  pas   moins        66. 

.  .  T  ,  Dispositions 

sévères  contre    les  sacrilèges  et   les  apostats.  JNous  n  en-  particulières 
trerons  point  ici  dans   le   détail  des   lois  publiées  contre  5J/77^cûes 
eux  ;  elles  ne  font  guère  que  leur  appliquer  les  peines  dé-     aP0S 
cernées  contre  les  hérétiques  (2).  Nous  remarquerons  seu- 
lement que  les  lois  étaient  beaucoup  plus  sévères  à  l'égard 
de  ceux  qui  usaient  de  séduction  ou  de  violence  pour  en- 
traîner les  fidèles  dans  l'apostasie.  Une  constitution  publiée 
en  455.,  par  les  empereurs  Théodose  le  Jeune  et  Valenti- 
nien  III ,  décerne  contre  ce  crime  la  peine  capitale  (5). 

Tous  ces  détails  peuvent  servir  à  corriger  ces  assertions  67> 
échappées  à  la  plume  de  quelques  écrivains  modernes  :  romeainrs0i,';vi, 
«  Que  les  princes  chrétiens ,  et  surtout  l'Eglise,  ont  eu  surCdans'nl' 
«  pour  règle  constante ,  de  n'employer  que  les  armes  de  la  'X&iens'de* 
«  persuasion,  contre  l'erreur  qui  n'emploie  que  celles  du  rai-  alll^oJei^ge. 
«  sonnement;  que  la  secte  des  Priscillianistes  est  la  pre- 
«  mière  contre   laquelle    le   bras  séculier  se   soit  armé  du 

«  glaive ;  que,  depuis  le  milieu  du  cinquième  siècle ,  il 

«  n'est  plus  question  des  lois  impériales,  en  Occident,  con- 
«  tre  les  hérétiques  (4).  »  Il  résulte  au  contraire  des  témoi- 
gnages et  des  faits  que  nous  avons  cités  :  \°  que,  depuis  la 
conversion  de  Constantin,  les  peines  temporelles  ont  été 
employées,  par  les  empereurs  chrétiens,  contre  tous  les 
hérétiques   sans    exception ,    quoiqu'on  ait  toujours  traité 

(1)  «  Accepit  (patriarcha  Alexandrinus  )  ab  imperatore  potestatem  super 
«  ordinationem  ducum  et  tribunorum,  ut  removeret  haîreticos,  et  pro  eis 
«  orthodoxos  ordinaret.  »  Liberati  Breviarium.,  cap.  23.  (Labbe,  Concilio- 
rum  t.  v,  p.  777.)  —  Fleury,  Hist.  Ecclésiast.,  t.  vu,  liv.  xxxm,  n.  t. 

(2)  Cod.  Justin.,  lib.  i,  tit.  vu.  — Digest.,  lib.  xlviii,  tit.  xm.  —  Fleury, 
Hist.  Eccl.,  t.  iv,  liv.  xvm,  n.  27  ;  liv.  xix,  n.  32. 

(3)  «Eum  qui  servum  sive ingenuum  invitum,  seu  suasione  plectendâ  (i.  e. 
«  culpabili  et  punie rida  )  ex  cultuchristianae  religionis  in  neiandam  sectam 
«  ritumve  transduxefit,  cum  dispendio  fortunarum  capite  puniendum  esse 
«  censemus.  »  Cod.  Justin.,  ibid.,  n.  5. 

(4)  Bergier,  Dict.  Theol.,  article  Hérétique  (édit.  de  1816),  p.  14  et  15.  — 
Duvoisin,  Essai  sur  la  tolérance,  p.  357.  —  Affre,  Essai  historique, 
p.  370  et  372. 


92  INTRODUCTION. 

avec  beaucoup  plus  de  sévérité  les  hérétiques  séditieux  et 
turbulents  ,  particulièrement  les  Donatistes  et  les  Mani- 
chéens ;  2°  que  depuis  le  milieu  du  ve  siècle,  et  même 
longtemps  après ,  les  lois  impériales  contre  les  hérétiques 
ne  furent  pas  moins  en  vigueur  en  Occident  qu'en  Orient. 
En  effet ,  la  plupart  des  lois  que  nous  avons  citées,  sur  cette 
matière,  font  partie  du  Code  Théodosien,  publié  en  458, 
par  Théodose  le  Jeune  ;  or,  il  est  certain  et  généralement 
reconnu  que  ce  Code,  qui  était  en  vigueur  dans  toutes 
les  provinces  de  l'empire  d'Occident  où  les  peuples  bar- 
bares s'établirent  depuis  le  milieu  du  ve  siècle  ,  continua  d'y 
être  observé,  du  moins  par  les  anciens  habitants,  longtemps 
après  ces  établissements.  Les  nouveaux  souverains  en  per- 
mirent généralement  l'usage  aux  peuples  conquis  (4)  ;  ce 
fut  même  dans  cette  vue  qu'Alaric  II ,  roi  des  Visigoths , 
publia,  en  506,  avec  le  consentement  des  évêques  et  des 
seigneurs  de  ses  Etats  ,  un  abrégé  des  lois  romaines  ,  qui 
fut  presque  aussitôt  adopté  dans  la  plupart  des  nouvelles 
monarchies,  et  dans  lequel  on  retrouve  toutes  les  dispositions 
du  Code  Thêodosien  contre  les  hérétiques  (2).  Ces  disposi- 
tions furent  même  étendues,  dans  la  suite,  à  tous  les  sujets 
des  nouvelles  monarchies  ,  sans  distinction  de  Romains  et 


(1)  Thomassin,  Traité  des  édits,t.  i,  ch.  30, n.  2  et  3.  —  Jacques  Gc~ 
defroy,  Prolegom.  ad  Cod.  Theodos.,  cap.  3.  —  Terrasson,  Hist.  delà  Ju- 
risprudence Rom. ,  3e  partie,  §  8  ;  4e  partie,  §  1.  —  Canciani,  Barbarorum 
Leges  antiquœ,  t.  i,  Prœf.,  p.  13,  :  iv,  Prœf.  in  codicem  Legis  Roma- 
nce ,  et  in  Wisigoihorum  leges.  —  Heineccius ,  De  origine  et  progressu 
Juris  Germ.,  lib.  n,  cap.  1.  — Savigny,  Hist.  du  Droit  Rom.,  1. 1,  ch.  3 
et  suiv. 

(2)  Il  semble  étonnant,  au  premier  abord,  qu'Alaric  II,  qui  était  arien 
avec  tout  son  peuple,  ait  donné  force  de  loi  aux  constitutions  impériales  qui 
défendaient,  sous  des  peines  sévères,  la  profession  de  l'arianisme,  comme  de 
toutes  les  autres  hérésies.  On  ne  peut  cependant  douter  de  ce  fait,  clairement 
établi  par  le  texte  même  du  Code  des  Lois  romaines,  publié  par  Alaiic. 
(  Cod.  Theodos.  lib.  xvi,  tit.  v,  n.  6, 8, 1 1,  etc.)  Cette  conduite  paraîtra  moins 
étonnante,  si  l'on  se  rappelle  qu'à  l'époque  où  ce  prince  publia  son  code,  il 
ne  prétendait  pas  l'imposer  aux  Visigoths,  mais  seulement  le  reconnaître 
comme  la  loi  romaine  ,  d'après  laquelle  se  gouvernaient  les  anciens  habi- 
tants des  provinces  qu'il  avait  conquises, 


introduction.  '93 

de  Barbares.  Dans  tous  ces  États,  l'hérésie  fut  générale- 
ment regardée  comme  un  délit  aussi  contraire  à  l'ordre 
public  et  au  bien  de  la  société,  qu'à  l'honneur  de  Dieu  et 
de  la  religion.  Elle  était  réprimée  avec  tant  de  sévérité,  que, 
pendant  plusieurs  siècles ,  ses  partisans  ou  ses  fauteurs 
n'osaient  se  montrer  ,  et  qu'à  peine  en  trouve-t-on  quelques 
exemples  en  Angleterre ,  en  France  et  en  Espagne ,  depuis 
la  conversion  de  ces  royaumes  à  la  foi  catholique ,  jusqu'à 
la  fin  du  ixe  siècle  (\  ).  Un  hérétique  opiniâtre ,  aussitôt 
qu'il  était  découvert,  était  poursuivi  par  l'autorité  des  deux 
puissances,  et  retranché  de  la  société,  comme  un  membre 
gangrené  ;  l'exil  ou  la  prison  perpétuelle  était  la  peine  or- 
dinaire de  son  impiété.  Ainsi  furent  traités ,  en  France , 
vers  l'an  659,  un  hérétique  monothélite,  et  quelques  au- 
tres novateurs  qui  cherchaient  à  pervertir  le  peuple  (2). 
Les  mêmes  moyens  avaient  été  employés  en  Angleterre , 
vers  le  milieu  du  ve  siècle ,  pour  y  extirper  les  restes  du 
pélagianisme  (5).  Les  précautions,  à  cet  égard,  n'étaient 
pas  moins  grandes  en  Espagne  ,  comme  on  le  voit  en  par- 
ticulier par  le  troisième  canon  du  sixième  concile  de  To- 
lède ,  qui  oblige  le  souverain  à  promettre  avec  serment, 
entre  autres  conditions,  dans  la  cérémonie  même  de  son  élec- 
tion, de  ne  point  souffrir  d'hérétiques  dans  ses  États  (4). 


(1)  Thomassin,  Traité  des  édits ,  1. 1,  ch.  57,  n.  2  ;  t.  n,  ch.  13,  n.  1,  etc. 
— Lingard,  Antiquités  de  l'Église  Anglo-saxonne ,  ch.  vi,  p.  226.  —Daniel, 
Hist.  de  France,  t.  iv,  p.  153. 

(2)  Fleury,  Hist.  Eccl.,  t. vin,  liv.  xxxvn,  n.  40.  —Hist.  de  l'Église  Gal- 
licane ,  t.  m,  année  639. 

(3)  Bède,  Hist.  Ecclés.,  lib.  i,  cap.  21.  —  Fleury,  ibid.,  t.  vi,  liv.  xxvu, 
n.  7. 

(4)  «  Quisqnis  succedentium  temporum  regni  sortitus  fuerit  apicem,  non 
«  antè  conscendat  regiam  sedem,  quàm,  inter  indiqua  conditionum  sacra- 
«  menta,  pollicitus  fuerit,  non  permissurum  eos  (subditos)  violare  fidem 
«  (catholicam).»  Concilium  Toletanum  vi,  cap.  3.  (Labbe,  Conciliorum 
tom.  v.) 

Au  lieu  de  ces  mots  :  inter  reliqua  conditionum  sacramenta,  pollicitus 
fuerit,  une  autre  leçon  porte  :  inter  reliquas  conditiones,  sacramtnto 
pollicitus  fuerit;  ce  qui  offre  absolument  le  môme  sens.  Ce  décret  du  sixième 
concile  de  Tolède  fut  renouvelé  dans  le  huitième,  tenu  en  653,  et  qui  entre 


94  INTRODUCTION. 

La  loi  des  Visigoths ,  alors  en  vigueur  en  Espagne ,  entre  , 
à  ce  sujet ,  dans  un  détail  remarquable  :  on  y  défend  ex- 
pressément, à  toutes  sortes  de  personnes,  de  rien  avancer 
contre  la  foi  catholique  et  les  définitions  des  anciens  Pè- 
res; tous  les  violateurs  de  cette  loi,  clercs  ou  laïques,  sont 
dépouillés  à  perpétuité  de  leur  état,  de  leurs  dignités  et 
de  leurs  biens  ;  et  s'ils  refusent  opiniâtrement  de  se  con- 
vertir, ils  sont  de  plus  condamnés  à  un  exil  perpétuel  (\). 

La  législation  de  tous  les  États  chrétiens  de  l'Europe  ,  au 
moyen  âge,  offre  de  semblables  dispositions,  comme  on 
peut  s  en  convaincre ,  soil  par  le  texte  même  des  lois  alors 
en  vigueur,  soit  par  les  témoignages  de  plusieurs  conciles, 
tant  généraux  que  particuliers  ,  dont  les  décrets  ,  sur  cette 
matière  ,  ont  été  publiés  en  présence  et  avec  le  consentement 
exprès  ou  tacite  des  princes  (2).  Les  décrets  du  troisième 
et  du  quatrième  concile  de  Latran  ,  que  nous  aurons  bien- 
tôt occasion  de  citer,  fournissent,  à  cet  égard,  un  témoi- 


dans  un  plus  grand  détail,  sur  les  conditions  dont  le  roi  doit  jurer  l'observa- 
tion, dans  la  cérémonie  de  son  inauguration.  (Concil.  Tolet.  vin,  can.  10.) 

(1)  «Nullus  itaque  cujuslibet  gentis  aut  generis  homo ,  contra  sacram 

«  et  singulariter  unain  catholicae  veriiatis  iîdem,  quascumque  noxias  disputa- 
cc  tiones,  eamdem  iidem  impugnans ,  palàm  pertinaciter  aut  constanter  vel 

«  proférât,  vel  proferre  çilenter  (i.  e.  clam)  attentet Nullus  antiquorum 

«  Patron»;  impugnationibus  suis,  sacras  definitiones  iirumpat Nàm  quae- 

«  cumque  persona  in  cunctis  istis  vetitis  extiterit  deprehensa,  ex  quâ- 
«  cumque  religionis  potestate.vel  ordine  fuerit,  amisso  loci  et  dignitatis  or- 
«  dine,  perpetuo  reatu  eiït  obnoxius,  rerum  etiam  cunctarum  amissione 
«  mulctatus.  Si  verè  ex  laïcis  extiterit,  bonore  solutus  et  loco,  omni  rerum 
«  erit  possessione  nudatus  ;  ita  ut  omnis  transgressor  sanctionis  istius,  aut 
«  œterno  exilio  mancipatus  intereat,  aut  divinà  miseratione  respeclus,  à  prse- 
«  varicatione  convertatur  et  vivat.  »  Lex  Wisigothorum ,  lib.  xn,  tit.  2, 
n°  2.  On  trouve  la  Loi  des  Visigoths  dans  le  tome  iv  du  Recueil  des  His- 
toriens de  France,  publié  par  D.  Bouquet;  et  dans  le  tome  îv  du  recueil 
publié  par  le  P.  Canciani,  sous  ce  titre  :  Barbarorum  Leges  antiquœ.  Ve- 
netiis,  5  vol.  in-fol. 

(2)  Décrétai,  lib.  v,  tit.  vu.  On  peut  voir  l'analyse  de  ce  titre  des  Décré- 
tâtes, dans  les  Lois  Ecclésiastiques  de  France,  par  de  Héricourt,  page  148. 

—  Pour  le  développement  de  la  discipline  du  moyen  âge,  sur  ce  point,  voyez 
Alph.  de  Castro,  De  justâ  hœreticorum  punitione,  lib.  u,  cap.  5-13.  — 
Van-Espen,  Jus  Ecclesiast.  univ.,  tom.  u,  part,  ni,  tit.  iv,  cap.  2,  n°  41,  etc. 

—  Bossuet,  Defensio  Declar.,  lib.  iv,  cap.  3.  — De  Héricourt,  Lois  Eccïés. 
de  France,  lre  partie,  chap.  xxiv. 


INTRODUCTION.  95 

gnage  décisif,  et  qui  nous  dispense  de  multiplier  les  cita- 
tions du  même  genre,  comme  il  serait  aisé  de  le  faire  (1). 

En  terminant   cet  exposé  de  la  législation  romaine   en        es. 
faveur  de  la  religion  chrétienne,  depuis  la  conversion  de    des  princes 

„  ...  . ,         |  i        insuffisante 

Constantin,  il  ne  sera  pas  inutile  de   remarquer,   que  la  pour  soutenu- 
protection  généralement   accordée  à  l'Église ,  depuis  cette    nécessité  âe 

,  .  .  ,       ,    .  .     .  -  l'assistance 

époque,  par  les  princes  chrétiens,  ne  lui  a  pas  rendu  moins  divine.- 
nécessaire  l'assistance  divine,  qui  seule  avait  pu  la  soute- 
nir pendant  trois  siècles  de  persécutions.  On  se  tromperait, 
en  effet,,  si  l'on  attribuait  à  la  protection  des  princes,  et  à 
leurs  édits  en  faveur  de  la  religion  chrétienne ,  la  conser- 
vation de  l'Église,  depuis  la  conversion  de  Constantin.  11 
est  vrai  que  cette  protection  fut  souvent  avantageuse  à  l'É- 
glise, en  la  soutenant  contre  les  attaques  de  l'hérésie,  du 
schisme  et  de  l'impiété  ,  quelquefois  même  en  favorisant  son 
établissement  chez  les  nations  infidèles.  Toutefois,  il  est  cer- 
tain qu'elle  eut  souvent  à  souffrir,  de  la  part  des  princes 
hérétiques  ou  fauteurs  de  l'hérésie,  qui,  poussés  par  un 
zèle  aveugle,  tournèrent  contre  l'Église  elle-même  les  lois 
publiées  d'abord  pour  sa  défense.  C'est  ce  qu'on  vit  en 
particulier  à  l'occasion  des  hérésies  d'Arius,  d'Eutychès, 
et  de  plusieurs  autres,  qui  causèrent  de  si  grands  troubles 
dans  l'empire.  Constantin  lui-même ,  qui  s'était  d'abord  si 
hautement  déclaré  contre  l'arianisme ,  condamné  par  le  con- 
cile de  Nicée,  se  laissa  séduire  par  les  Ariens,  vers  la  fin 
de  sa  vie,  au  point  de  consentir  à  la  condamnation  et  à 
l'exil  de  saint  Athanase  (2).  Constance  son  fils,  s'étant  laissé 
entraîner  dans  le  même  parti ,  le  protégea  ouvertement  par 
ses  édits  et  par  ses  violences  contre  les  catholiques  (5). 
VHènotique  de  Zenon  en  faveur  des  Eutychiens  (4),  YEc- 
these  d'Héraclius   et    le  Type  de    Constant  en  faveur  du 

(1)  Voyez  ci-après,  2e  partie,  chap.  2,  art.  1,  n.  87,  etc. 

(2)  Fleury,  Hist.  Ecclés.;  tome  m,  liv.  xi,  n.  55,  etc. 

(3)  Fleury,  ibid.,  liv.  xm  et  xiv. 

(4)  Fleury,  ibid.,  tome  vi,  liv.  xxix,  n.  53,  etc. 


96  INTRODUCTION, 

monothélisme  (4) ,  l'édit  de  Justinien  en  faveur  de  la  secte 
des  Incorruptibles,  rejeton  de  celle  des  Eutychiens  (2),  et 
plusieurs  autres  faits  également  célèbres  dans  l'histoire, 
montrent  combien  l'Église  eut  souvent  à  se  plaindre  ,  même 
des  princes  dont  elle  devait  naturellement  attendre  plus  de 
protection. 

A  la  persécution  du  schisme  et  de  l'hérésie,  se  joignit 
encore  plus  souvent  celle  des  vices  et  des  scandales,  qui 
amenèrent,  à  diverses  époques ,  de  funestes  relâchements 
dans  les  mœurs  et  la  discipline  ;  en  sorte  que ,  depuis  la 
conversion  de  Constantin  comme  auparavant,  l'Église  n'a 
cessé  d'être  en  butte  à  des  attaques  qui  devaient  naturelle- 
ment la  détruire ,  si  elle  n'eût  été  conservée  par  la  puis- 
sance divine.  Née  au  milieu  des  miracles,  elle  s'est  soutenue 
par  un  miracle  continuel ,  et  il  a  fallu  que  Dieu  la  fît  triom- 
pher de  tous  les  obstacles  que  le  monde  n'a  cessé  d'opposer 
à  sa  conservation.  «A  peine,  dit  Bossuet,  commençait-elle 
«à  respirer  par  la  paix  que  lui  donna  Constantin;  et  voilà 
«  qu'Arius,  ce  malheureux  prêtre,  lui  suscite  de  plus  grands 
«  troubles  qu'elle  n'en  avait  jamais  souffert.  Constance,  fils  de 
«  Constantin,  séduit  par  les  Ariens,  dont  il  autorise  le  dogme, 
«  tourmente  les  catholiques  par  toute  la  terre  ;  nouveau 
«  persécuteur  du  christianisme,  et  d'autant  plus  redoutable, 
«  que,  sous  le  nom  de  Jésus-Christ,  il  fait  la  guerre  à 
«Jésus-Christ  même.  Pour  comble  de  malheurs,  l'Église, 
«  ainsi  divisée ,  tombe  entre  les  mains  de  Julien  l'Apostat , 
«  qui  met  tout  en  œuvre  pour  détruire  le  christianisme ,  et 
«  n'en  trouve  point  de  meilleur  moyen  que  de  fomenter  les 
«  factions  dont  il  était  déchiré.  Après  lui  vient  un  Valens, 
«  autant  attaché  aux  Ariens  que  Constance ,  mais  plus 
«  violent.  D'autres  empereurs  protègent  d'autres  hérésies 
«  avec  une  pareille  fureur.  L'Église  apprend  par  tant  d'ex- 


(1)  Fleury,  Hist.  Eccl,  tome  vin,  liv.  xxxviii,  n.  21,  etc.,  et  45,  etc. 

(2)  Fleury,  ibid.,  tome  vu,  liv.  xxxiv,  n.  8  et  9. 


INTRODUCTION.  97 

«  périences,  qu'elle  n'a  pas  moins  à  souffrir,  sous  les  em- 
«  pereurs  chrétiens,  qu'elle  n'avait  souffert  sous  les  empe- 
«  reurs  infidèles  ;  et  qu'elle  doit  verser  du  sang  pour 
«défendre,  non-seulement  tout  le  corps  de  sa  doctrine, 
«  mais  encore  chaque  article  particulier.  En  effet,  il  n'y  en  a 
«  aucun  qu'elle  n'ait  vu  attaqué  par  ses  enfants.  Mille 
«  sectes  et  mille  hérésies  sorties  de  son  sein  se  sont  élevées 
«  contre  elle.  Mais  si  elle  les  a  vues  s'élever,  selon  les  pré- 
«  dictions  de  Jésus-Christ,  elle  les  a  vues  tomber  toutes, 
«  selon  ses  promesses ,  quoique  souvent  soutenues  par  les 
«  empereurs  et  par  les  rois.  Ses  véritables  enfants  ont  été, 
«  comme  dit  saint  Paul ,  reconnus  par  cette  épreuve  :  la 
«  vérité  n'a  fait  que  se  fortifier  quand  elle  a  été  contestée; 

«  et  l'Église  est  demeurée  inébranlable  (\) C'est  ce  qui 

«  paraît  dans  toute  la  suite  de  son  histoire; Le  monde  a 

«  menacé,  la  vérité  est  demeurée  ferme  :  il  a  usé  de  tours  sub- 
it tils  et  de  flatteries,  la  vérité  est  demeurée  droite.  Les  héré- 
«  tiques  ont  brouillé,  la  vérité  est  demeurée  pure.  Les  schismes 
*  ont  déchiré  le  corps  de  l'Eglise,  la  vérité  est  demeurée 
«entière.  Plusieurs  ont  été  séduits;  les  faibles  ont  été 
«  troublés;  les  forts  mêmes  ont  été  émus;  un  Osius,  un 
«  Origène ,  un  Tertullien  ,  tant  d'autres  qui  paraissaient  l'ap- 
«  pui  de  l'Église ,  sont  tombés  avec  grand  scandale  :  la 
«  vérité  est  demeurée  toujours  immobile.  Qu'y  a-t-il  donc 
«  de  plus  souverain  et  de  plus  indépendant  que  la  vérité  , 
«  qui  persiste  toujours  immuable  ,  malgré  les  menaces  et  les 
«  caresses ,  malgré  les  présents  et  les  proscriptions ,  malgré 
«  les  schismes  et  les  hérésies,  malgré  toutes  les  tentations  et 
«  tous  les  scandales,  enfin,  au  milieu  de  la  défection  de 
«  ses  enfants  infidèles,  et  dans  la  chute  funeste  de  ceux-là 
«  même  qui  semblaient  être  ses  colonnes  (2)  ? 


(1)  Bossuet,  Hist.  univ.,  2e  partie,  chap.  21.  (Tomexxxv  des  Œuvres, 
pag.312.) 

(2)  Bossuet,  Sermon  sur  la  Divin,  de  la  Relig.,  1er  point.  (Tome  xides 
Œuvres,  page  278.)  On  peut  voir,  à  l'appui  de  ces  réflexions,  la  Préface  et 

7 


98  INTRODUCTION. 

§  III.  Biens  et  richesses  du  clergé  pendant  les  premiers 
siècles  de  l'Église,  particulièrement  sous  les  empe- 
reurs chrétiens  :  saint  usage  qu'il  en  faisait  (\). 

„    6  II  faudrait  être  tout  à  fait  étranger  à  l'histoire  du  premier 

rÉPiîislperifni  &8e  ^e  l'Église,  pour  ignorer  le  parfait  détachement  qu'elle 

tivesurie    inspirait  généralement  à  ses  enfants  pour  les  richesses  et  les 

renoncement  lu  i 

aux  biens  grandeurs  temporelles  (2).  Disciples  d'un  Dieu  pauvre  et 
humilié ,  qui  a  constamment  prêché  ,  par  ses  discours  et 
par  ses  exemples ,  la  fuite  des  honneurs ,  des  richesses  et 
des  plaisirs ,  les  premiers  chrétiens  étaient  généralement 
ennemis  du  luxe  et  de  l'éclat;  ils  n'estimaient  d'autres  biens 
que  la  vertu  et  la  piété  ;  ils  mettaient  leur  perfection  et  leur 
sûreté  à  vivre  ignorés  du  monde  et  à  l'ignorer  ;  bien  plus , 
ils  regardaient  les  honneurs  et  les  biens  de  la  terre  comme 
des  obstacles  à  l'esprit  de  détachement  dont  ils  faisaient  hau- 
tement profession  (5). 

la  Conclusion  de  YEist.  de  l'Église,  par  Lhomond.  —  Feller,  Catéch.  Phi- 
los., t  m,  n.  139.  —  Massillon,  Sermon  sur  la  vérité  de  la  Rel.  1^  point. 
(1er  Jeudi  du  Carême.) 

(1)  Thomassin,  Ancienne  et  nouvelle  Discipline,  t.  m,  liv.  t  chap.  1, 
2,  3,  12.  —  De  Héricourt,  Abrégé  du  même  ouvrage,  3e  partie,  chap.  I. 

—  Noël  Alexandre,  Hist.  Eccl.  sœc.  iv,  cap.  5,  art.  11  ;  sœc.  v,  cap.  6, 
art.  5;  sœc.  vi,  cap.  6,  art.  6. —  De  Héricourt,  Lois  Ecclés.  de  France; 
Dissert,  prélim.  de  la  2e  et  de  la  4e  parties.  —  Mnzzarelli,  Dissertation  sur 
les  richesses  du  clergé.  — *Le  même,  Dissert,  de  origine  et  usu  oblatio- 
num,  primitiarum  et  decimarum,  in-12. — Dissert,  sur  la  grandeur  tem- 
porelle de  l'Église,  dans  le  1. 1  du  Recueil  de  pièces  d'histoire  et  de  littéra- 
ture (par  l'abbé  Granet  et  le  père  Desmolets  ),  Paris ,  1731 ,  4  vol.  in-12. 

—  Bingham,  Origines  et  antiquit.  ecclesiasticœ ,  tom.  h,  lib.  v,  cap.  4. — 
Mamachi ,  Del  diritto  lïbero  delta  Chiesa  di  acquistare  e  di  possidere 
béni  temporali,  si  mobili  che  stabili,  5  vol.  in-8°,  Roma,  1769-70. — 
Fleury,  Mœurs  des  Chrétiens,  n.  14  et  28.  —  Petit-Pied,  Traité  des  droits 
et  des  prérogatives  des  ecclés.,  lre  partie — Bellarmin,  De  membris  Ec- 
clesice,  lib.  i,  cap.  26.  —  Bonnaud,  Réclamation  pour  l  Église  Gallicane, 
contre  l'invasion  des  biens  ecclés.,  Paris,  1792,  in-8°,  p.  17-55.  — Car- 
rière, De  Justitiâ  et  Jure,  t.  i,  p.  137,  etc. 

(2)  Duguet,  Conférences  ecclés.,  30e  dissertation.  —  Fleury,  Mœurs  des 
Chrétiens,  n.  11. 

(3)  Matth.  v,  3  ;  vi,  34  ;  xix,  21  ;  et  alibi  passim.  —  Act.  h  ,  44,  45  ;  iv, 
34,  35. — Tertullien,  De  Pallio,  cap.  5.  —  Saint  Cyprien,  Epist.  1,  ad  Do- 
natum,  (éditionde  Rigault,  p.  6.)— Origène,  Contra  celsum,  lib.  8,  n.  75. 
{Operumt-  i»  p.«  798.) 


INTRODUCTION.  99 

Toutefois ,  quelque  soigneuse  que  fût  l'Église  d'inspirer  à 
tous  les  fidèles  cet  esprit  de  détachement,  il  est  certain  qu'elle 
ne  regardait  pas  le  renoncement  extérieur  et  effectif  aux  biens 
du  monde  comme  absolument  nécessaire  à  la  perfection,  même 
par  rapport  aux  ministres  sacrés.  Il  suffirait ,  pour  s'en  con- 
vaincre, de  jeter  les  yeux  sur  les  saints  livres,  que  l'Église,  dès 
son  origine,  donnait  aux  fidèles  comme  la  règle  infaillible  de 
leur  croyance  et  de  leur  conduite.  Bien  loin  de  représenter  les 
richesses  comme  incompatibles,  par  elles-mêmes,  avec  le  ca- 
ractère et  la  perfection  des  ministres  sacrés,  tous  les  livres 
de  l'Ancien  Testament  supposent  le  caractère  et  la  perfec- 
tion de  ces  derniers  compatibles  avec  les  plus  grandes  ri- 
chesses. Melchisédech ,  Abraham,  Isaac,  Jacob,  Moïse,  et 
plusieurs  autres  saints  personnages,  que  l'Écriture  nous  pro- 
pose comme  des  modèles  achevés  de  perfection,  étaient  tout 
à  la  fois  rois  et  prêtres,  princes  et  prophètes.  Bien  plus, 
cette  union  des  richesses  avec  le  caractère  des  ministres  sa- 
crés, était  constante  et  habituelle ,  sous  la  loi  de  Moïse,  par 
l'institution  de  Dieu  lui-même  ,  comme  nous  l'avons  déjà 
remarqué  (\). 

La  pratique  même  des  premiers  siècles  montre  claire-   »    i°\ 

1  1    ,  l  La  pratique 

ment  que  l'Eglise  ne  croyait   pas  les  richesses  inconipa-  conformea.ee» 

*  u  «  *  r  principes. 

tibles  par  elles-mêmes  avec  le  caractère  et  la  perfection  des 
ministres  de  la  loi  nouvelle.  Un  des  plus  touchants  specta- 
cles que  nous  offre  l'Eglise  naissante ,  est  celui  des  pre- 
miers fidèles ,  vendant  leurs  biens ,  et  en  abandonnant  le 
prix  aux  apôtres ,  sans  leur  en  prescrire  l'emploi  (2)  ;  en 
sorte  qu'on  vit  dès  lors  la  première  de  toutes  les  Églises , 
gouvernée  par  les  apôtres  eux-mêmes,  et  qui  devait  servir 
de  modèle  à  toutes  les  autres,  posséder  un  fonds  de  richesses 
considérables  ,  destiné  à  l'entretien  des  pasteurs  et  du  peu- 
ple fidèle. 

Dans  les  Eglises  où  cette  communauté  de  biens  n'était 

(1)  Ci-dessus,  p.  6,  n.  6. 

(2)  Act.  Il,  44,  45;  iv,  34,  etc. 

7. 


1 00  -  INTRODUCTION. 

pas  établie ,  les  mêmes  principes  de  religion  et  d'équité 
naturelle  ,  qui  avaient  attiré  de  si  grandes  richesses  aux 
ministres  sacrés  chez  tous  les  anciens  peuples,  ne  tardè- 
rent pas  à  procurer  de  pareils  avantages  aux  ministres  de  la 
religion  chrétienne.  Telle  est  la  véritable  origine  des  dîmes, 
des  prémices,  des  offrandes,  des  quêtes  ordinaires  et  ex- 
traordinaires, que  nous  voyons  en  usage  dès  le  temps  des 
apôtres ,  et  au  moyen  desquelles  plusieurs  Eglises  particu- 
lières étaient  en  état  de  procurer  des  secours  abondants,  non- 
seulement  aux  pauvres  de  leur  territoire,  mais  encore  aux 
Églises  étrangères  qui  éprouvaient  de  plus  grands  be- 
soins (\).  Saint  Justin  et  Tertullien  parlent  des  quêtes  qui 
se  faisaient  régulièrement,  tous  les  dimanches,  dans  l'as- 
semblée des  fidèles,  et  qui  donnaient  aux  païens  eux-mê- 
mes la  plus  haute  idée  de  la  charité  des  chrétiens  (2). 
Les  Canons  Apostoliques  distinguent  deux  sortes  d'offran- 
des alors  en  usage  :  les  unes  en  blé  ,  raisin ,  huile  et  en- 
cens, se  faisaient  à  l'autel  ;  les  autres  ,  composées  de  lait,  de 
légumes  et  d'animaux  ,  se  portaient  à  la  maison  de  l'évêque, 
qui  devait  en  faire  part  aux  diacres  et  aux  autres  clercs  (5). 
Saint  Irénée,  saint  Cyprien,  et  tous  les  auteurs  ecclésiasti- 
ques de  cette  époque,  insistent  fortement  sur  l'obligation 
de  faire  à  l'Église  ces  sortes  d'offrandes  ,  non-seulement  par 
un  motif  de  charité  et  de  compassion  pour  les  pauvres , 
mais  par  un  motif  de  justice  envers  les  ministres  sacrés  ,  qui 
se  dévouent  au  service  des  saints  autels  (4). 

(1)  Act.  xi,  29;  1  Cor.  xvi,  1.  2  Cor.  tiii  et  ix.  Gai.  vi,  6;  et  alibi 
passim. 

(2)  Saint  Justin,  Apologia  i  (aliàs  n  )  ;  vers  la  fin.  —  Tertullien  ,  Apo- 
loget.,  cap.  39.  Nous  croyons  inutile  de  citer  le  texte  même  de  ces  auteurs, 
et  des  autres  que  nous  allons  indiquer  sur  le  même  sujet.  On  peut  voir  le 
recueil  de  ces  textes  dans  les  ouvrages  de  Thomassin  et  de  Muzzarclli  que 
nous  avons  cités  plus  haut  (page  98,  note  lre). 

(3)  Can.  Apost.  3,  4,  5. 

(4)  Saint  Irénée,  Adv.  Hœres.,  lib.  iv,  cap.  34.  — Saint  Cyprien,  Epist. 
lib.  i,  ep.  9.  —  Idem,  De  unitate  Eccl.  ;  versus finem.  —  Constit.  Apost. 
lib.  n,  cap.  25  et  35  ;  lib.  vu,  cap.  29.  —  Origène,  Homil.  xi  in  Numéros. 
{Operum  t.  n.)  — Fleury,  Hist.  Ecoles.,  tom.  n,  liv.  ix,  n.  19. 


INTRODUCTION.  1 01 

Au  moyen  de  ces  différentes  contributions  ,  chaque  Eglise        71- 

.  u    •  Richesses 

faisait  un  fonds  plus  ou  moins  considérable  ,  pour  la  subsis-        de 

1  quelques 

tance  des  pauvres  ,  pour  l'entretien  des  clercs  ,  et  pour  les      Église» 

,  .  pendant  les 

antres  dépenses  relatives  au  culte  divin.  L'histoire  de  la  per-  persécutions, 
sédition  excitée  en  Afrique  par  Maximien  Hercule ,  en  505, 
peut  donner  une  idée  de  la  richesse  des  Églises  à  cette  épo- 
que. Les  actes  de  cette  persécution  nous  apprennent  que 
Paul ,  évoque  de  Cirthe  en  Numidie  ,  remit  entre  les  mains 
des  magistrats  de  cette  ville  deux  calices  d'or  ,  six  calices 
d'argent,  six  burettes  d'argent ,  une  aiguière  d'argent  (4), 


Pour  l'intelligence  de  la  doctrine  des  saints  docteurs,  sur  cette  matière  , 
il  est  important  de  remarquer  que  le  précepte  de  l'ancienne  loi  qui  ordon- 
nait de  payer  aux  prêtres  les  dîmes  et  les  prémices,  appartenait  en  partie 
au  droit  naturel  et  en  partie  au  droit  positif.  Il  appartenait  au  droit 
naturel ,  en  tant  qu'il  prescrivait  au  peuple  de  pourvoir  à  l'entretien  des 
ministres  sacrés  ;  mais  il  appartenait  au  droit  positif ,  en  tant  qu'il  dé- 
terminait la  manière  de  remplir  cette  obligation  naturelle.  Sous  ce  dernier 
rapport  seulement,  le  précepte  de  l'ancienne  loi  est  abrogé  dans  le  Nouveau 
Testament  ;  mais  sous  le  premier  rapport  il  oblige  encore  les  chrétiens. 
De  là  vient  que  les  saints  docteurs  parlent  du  précepte  de  la  dîme ,  tantôt 
comme  d'un  précepte  aboli  dans  le  Nouveau  Testament,  tantôt  comme  d'un 
précepte  encore  en  vigueur.  Saint  Ëpiphane  (/Tœrcs.  vm,  cap.  6),  et 
saint  Jean  Chrysostome  (Ho%il.  lxxiv  in  Math.)  parlent  dans  le  pre- 
mier sens  ;  Origène  (Homil.  xi  in  Numer.  )  et  quelques  autres  parlent 
dans  le  second ,  que  saint  Jean  Chrysostome  lui-même  suppose  en  quel- 
ques endroits  de  ses  écrits  (  Orat.  v  adv.  Jud.  ).  On  peut  consulter  là-des- 
sus, saint  Thomas.  2.  2.  quœst.  8t>,  art.  4  ;  quœst.  87,  art.  1.  —  Thomassin, 
Ancienne  et  nouvelle  Discipline,  t.  in,  liv.  i,  chap.  9,  n.  13.  —  Van-Espen, 
Jus.  Eccles.  univer.,  parte  2,  tit.  33,  n.  1,  etc.  — Bellarmin,  bon- 
trov.  de  Clericis.,  cap.  25. — Muzzarelli,  Dissert,  de  origine  et  usu  obla- 
tionum  primitiarum  et  decinxarum. — Cotelier,  note  sur  les  Constitu- 
tions Apostoliques,  lih.  n,  cap.  35.  —  Le  père  Delarue,  Bénédictin,  dans 
son  édition  d'Origène  (  ubi  suprà),  a  reproduit  textuellement  cette  note  de 
Cotelier ,  dont  nous  donnons  ici  la  substance.  Elle  peut  servir  à  corriger 
quelques  assertions  exagérées  de  l'abbé  Bonnaud,  sur  cette  matière  ,  dans 
son  ouvrage  intitulé  :  Réclamation  pour  V Église  Gallicane ,  contre  l'in- 
vasion des  biens  ecclésiastiques  et  V abolition  de  la  dîme ,  Paris,  1792, 
in-8°,  p.  100-163. 

(1)  Le  mot  cucumellum ,  qu'on  lit  ici  dans  le  texte,  signifie  proprement 
un  vase  en  forme  de  concombre  ou  de  coloquinte  (cucumis  colocynthis  ), 
ce  qui  désigne  assez  clairement  une  aiguière.  On  sait,  en  effet,  que  \ ai- 
guière était  dès  lors  en  usage  dans  les  cérémonies  du  culte  chrétien,  comme 
elle  l'avait  été  dans  celles  du  culte  païen.  Nous  sommes  étonné  que  Fleury 
ait  rendu  ce  mot  par  celui  de  chaudron,  dans  le  passage  que  nous  expli- 
quons ici. 


102  INTRODUCTION. 

sept  lampes  du  même  métal ,  et  plusieurs  autres  meubles 
précieux,  destinés  au  service  de  l'Église  (4). 

Outre  les  oblations  volontaires  ,  en  argent ,  en  denrées  et 
autres  objets  mobiliers ,  l'Église  possédait  encore  des  biens- 
fonds,  dans  le  temps  même  des  persécutions.  Les  empe- 
reurs païens  le  souffraient  pour  l'ordinaire,  et  protégeaient 
même  quelquefois  ces  propriétés,  contre  l'injustice  et  la 
violence  des  usurpateurs  (2).  Les  dernières  persécutions 
ayant  souvent  donné  lieu  à  ces  sortes  de  violences,  Cons- 
tantin 6t  rebâtir  magnifiquement  les  églises  que  la  fureur 
des  païens  avait  détruites ,  et  ordonna  de  restituer  au  clergé 
les  maisons ,  les  possessions ,  les  champs ,  les  jardins  et 
autres  biens  dont  il  avait  été  injustement  dépouillé  (5). 

Parmi  toutes  les  églises  du  monde,  celle  de  Rome  était 
une  des  plus  riches ,  et  en  même  temps  des  plus  célèbres 
par  ses  libéralités  (4).  Longtemps  avant  Constantin  ,  elle 
était  en  état  de  fournir  à  l'entretien  d'un  grand  nombre  de 
clercs,  de  veuves,  de  vierges  et  de  pauvres.  Elle  envoyait 

(1)  Les  actes  qui  nous  apprennent  ces  détails  se  trouvent  dans  les  An- 
nales de  Baronius  (anno  303,  n.  6,  etc.  ) ,  et  dans  le  t.  n  des  Miscellanea 
de  Baluze.  —  Voyez  aussi  Fleury,  Hist.  Eccl.,  t.  h,  liv.  vin,  n.  40. 

(2)  Lampride ,  dans  la  Vie  d'Alexandre  Sévère,  cite  un  exemple  remar- 
quable de  cette  conduite  modérée  de  quelques  empereurs  païens  :  «  Cùm 
«  christiani  quemdam  locum  qui  publicus  fuerat  occupassent,  contra  popi- 
«  nariidicerentsibi  eum  deberi,  rescripsit  (imperator)  melius  esse  ^que- 
ce  modôcumque  illic  Deus  colatur ,  quàm  popinariis  dedatur.  »  Lampride, 
Vita  Alex.  Sev.  (Hist.  Aug.scrip.;  Lugd.fiatav.,  1671,  in-8°,  tom.  i, 
p.  1003.) 

Eusèbe,  dans  son  Histoire  Ecclés.,  cite  plusieurs  autres  faits  du  même 
genre,  à  l'appui  de  notre  assertion.  Voyez  en  particulier,  lib.  vu,  cap.  30. 

—  Fleury,  Hist.  Eccl.,  t.  n,  liv.  vin,  n.  8. 

(3)  «  Omnia  ergo  quae  ad  ecclesias  rectè  visa  fuerint  pertinere ,  sive  do- 
«  mus  acpossessio  sit,  sive  agrï,  sive  horti,  seu  quaecumquealia,  nullojure 
«  quod  ad  dominium  pertinet  imminuto ,  sed  salvis  omnibus  atque  integris 
«  manentibus,  restitui  jubemus.  »  Eusèbe,  Vita  Constant.,  Mb.  n,  cap.  39. 
Voyez  aussi  les  chap.  21,  36  et  41  du  même  livre.  —  Idem  ,  Hist.  Eccl.,  lib. 
vni,  cap.  1  et  2  ;  lib.  x,  cap.  5,  etc.  —  Fleury,  Hist.  Eccl.,  tom.  h,  liv.  îx, 
n.  46;  t.  m,  liv.  x,n.  2  et  40. 

(4)  Outre  les  auteurs  cités  plus  haut  (p.  98,  note  1),  voyez  Alban 
Butler,  Vie  des  Pères,  10  août.  — Fleury,  Hist.  Eccl.,  t.  n,  liv.  7,  n.  39. 

—  Saint  Ambroise,  De  Officiis,  lib.  n,  cap.  28.  — Prudence,  Hymn.  2  de 
Coronâ. 


INTRODUCTION.  103 

même  des  secours  abondants  aux  fidèles  des  provinces  les 
plus  éloignées  ,  jusqu'en  Syrie  et  en  Arabie  (\).  Elle  avait 
aussi  des  ornements  et  des  vases  fort  riches ,  pour  la  célé- 
bration des  saints  mystères ,  des  calices  d'or  et  d'argent 
relevés  en  bosse ,  et  garnis  de  diamants;  enfin,  des  riches- 
ses assez  considérables ,  pour  tenter  la  cupidité  des  persé- 
cuteurs, comme  on  le  voit  en  particulier  par  l'histoire  du 
martyre  de  saint  Laurent  (2). 

Il  résulte  évidemment  de  tous  ces  faits ,  que ,  dans  ces 
premiers  temps  ,  où  l'Eglise  était  généralement  pauvre  ,  et 
du  vivant  même  des  apôtres,  quelques  églises  particu- 
lières possédaient  beaucoup  plus  de  biens  qu'il  ne  leur  en 
fallait  pour  satisfaire  à  leurs  propres  besoins  ;  qu'elles  étaient 
assez  riches,  non-seulement  pour  entretenir  un  grand  nom- 
bre de  ministres  sacrés  ,  mais  encore  pour  célébrer  avec 
pompe  le  culte  divin  ,  pour  faire  des  aumônes  abondantes, 
et  pour  venir  au  secours  des  églises  lointaines,  qui  avaient 
par  elles-mêmes  moins  de  ressources. 

Mais  l'accroissement  des  biens  ecclésiastiques,  dans  tou-        7». 

.1  *•      -  ï      u-A    f  1  h  î        Accroissement 

tes  les  parties  de  1  Eglise,  devait  naturellement  être  un  des    des  biens 

,        ,  j       ,  ,       ~  .  ,      .      ecclésiastiques 

premiers  résultats  de  la  conversion  de  Constantin  ,  et  de  la     depuis  ia 

,.,,  ,  ,        ,     p  '     ,.  ,  .  T„  .        .        conversion  d« 

liberté  accordée  a  1  Eglise  par  ce  grand  prince.  L  histoire  Constantin. 
nous  apprend  en  effet  que  sa  munificence  ne  se  montra  nulle 
part  avec  tant  d'éclat,  que  dans  ses  libéralités  envers  l'E- 
glise. On  ne  peut  lire  sans  étonnement  les  détails  que  nous 
ont  transmis,  à  ce  sujet,  les  auteurs  contemporains,  et  parti- 
culièrement Eusèbe,  le  plus  ancien  de  tous,  et  le  plus  à 
portée  de  connaître  les  faits  qu'il  rapporte.  Dans  toutes  les 
parties  de  l'empire ,  principalement  à  Rome  ,  à  Constan- 
tinople ,  à  Jérusalem ,  et  dans  tous  les  lieux  saints  de  la 
Palestine,  Constantin  fit  bâtir  des  églises  magnifiques, 
et  leur  assigna  des  revenus  considérables  ,  n'épargnant  rien, 
soit  pour   la  beaulé  des  édifices,  soit  pour  la  richesse  des 

(1)  Eusèbe,  Hist.  Eccl.,  Iib.  iv,  cap.  23;  lib.  vu,  cap.  5. 

(2)  Voyez  la  note  4  de  la  page  précédente. 


104  INTRODUCTION. 

ornements  et  des  vases  sacrés,  soit  pour  l'entretien  du 
clergé ,  et  pour  le  soutien  des  différentes  œuvres  de  charité 
que  le  zèle  des  pasteurs  et  la  piété  des  fidèles  leur  faisaient 
entreprendre  (1).  L'année  même  où  il  publia,  de  concert 
avec  Licinius,  l'édit  qui  autorisait  l'exercice  public  de  la 
religion  chrétienne  ,  il  résolut  de  faire  des  largesses  considé- 
rables aux  églises.  On  peut  en  juger  par  la  lettre  qu'il 
écrivit  en  particulier  à  Cécilien  ,  évêque  de  Carthage ,  et 
dont  voici  la  teneur  (2)  :  «  Ayant  résolu  de  donner  quel- 
«  que  chose  pour  l'entretien  des  ministres  de  la  religion 
«  catholique,  dans  toutes  les  provinces  d'Afrique,  de  Nu- 
«  midie  et  de  Mauritanie ,  j'ai  écrit  à  Ursus ,  trésorier 
«  général  d'Afrique  ,  et  je  lui  ai  donné  ordre  de  vous  faire 
«  compter  trois  mille  bourses  (5).  Quand  vous  aurez  reçu 


(1)  Eusèbe,  Hist.  Eccl.,  lib.  x ;  cap.  6.  —  Idem,  Vita  Constantini , 
lib.  i,  cap.  43;  lib.  m/cap.  26,  41,  50;  lib.  iv,  cap.  58;  et  alibi  passim. 
Voyez  aussi  Joan.  Ciampini,  De  sacris  œdificiis'à  Constantino  Magno  con- 
structis;  Romœ,  1693,  in-fol. 

(2)  Eusèbe*,  Hist.  Ecclés.,  lib.  x,  cap.  6. — Fleury,  Hist.  Ecclés. t  t.  m, 
lib.  10,  n.  2. 

(3)  Il  serait  difficile,  et  peut-être  impossible,  de  déterminer  aujourd'hui  la 
valeur  des  trois  mille  bourses  ( cpoXXetç )  dont  il  est  ici  question.  Voici  ce 
que  nous  croyons  pouvoir  établir  de  plus  vraisemblable  sur  cette  matière, 
qui  a  beaucoup  exercé  les  savants. 

Sous  Constantin  et  ses  successeurs,  le  mot  follis  désignait  trois  sortes  de 
monnaies ,  ou  de  valeurs,  savoir  :  1°  une  monnaie  de  cuivre,  autrement  ap- 
pelée nummus  ou  tetrassarion,  valant  4  assarions,  c'est-à-dire,  selon  Pauc- 
ton,  environ  1  sou  et  demi  de  notre  monnaie;  2°  le  follis  militaire ,  c'est-à- 
dire  une  bourse  contenant  175  deniers;  3°  enfin  le  balantion,  autre  espèce 
de  bourse,  contenant  250  deniers. 

On  convient  généralement  que  le  follis  dont  il  est  question  dans  la  lettre 
de  Constantin,  n'est  pas  le  tetrassarion  ;  une  si  petite  valeur  eût  été  mani- 
festement insuffisante  pour  remplir  le  but  que  l'empereur  se  proposait  dans 
cette  lettre.  Il  n'est  guère  plus  vraisemblable  qu'il  ait  voulu  parler  du  fol- 
lis  militaire,  dans  une  lettre  adressée  à  un  évêque,  sur  un  objet  d'admi- 
nistration civile.  Le  follis  dont  il  est  ici  question  est  donc  vraisemblable- 
ment le  balantion,  valant  250  deniers.  Ainsi  l'entendent  Fleury  (Hist.  Eccl., 
t.  m,  liv.  x,  n.  2  ),  D.  Ceillier  (  Hist.  des  Auteurs  eccl.,  t.  iv,  p.  151  ),  et  la 
plupart  des  critiques. 

En  supposant  avec  Paucton  que  le  denier,  sous  Constantin  et  ses  succes- 
seurs ,  valait  environ  quinze  sous  1/2  de  notre  monnaie,  le  follis  dont  il  est 
ici  question  valait  environ  195  livres  tournois  ;  et  les  3,000  bourses,  585,000 
livres  tournois.  Fleury  et  D.  Ceillier,  attribuant  au  denier  une  valeur  beau- 
coup moins  considérable,  réduisent  la  somme  des  trois  mille  bourses  à 


INTRODUCTION.  105 

(i  cette  somme  ;  faites-la  distribuer  à  tous  ceux  que  j'ai  dit, 
«  suivant  l'état  qu'Osius  vous  a  envoyé.  Si  vous  trouvez 
«  qu'il  manque  quelque  chose  pour  accomplir  mon  in- 
«  tention ,  vous  ne  devez  point  faire  difficulté  de  le  de- 
«  mander  à  Héraclidas ,  intendant  de  mon  domaine  ;  car  je 
«  lui  ai  donné  ordre  de  vous  compter  sans  délai  tout  l'argent 
«  que  vous  lui  demanderiez.  » 

L'histoire  de  cette  époque  nous  offre  plusieurs  traits  éga- 
lement remarquables  de  la  libéralité  de  Constantin  envers 
les  églises.  Saint  Àthanase  nous  apprend  que  ce  prince  avait 
ordonné  aux  magistrats  de  l'Egypte ,  de  fournir  annuelle- 
ment au  patriarche  d'Alexandrie  une  quantité  considéra- 
ble de  froment ,  pour  le  soulagement  des  veuves  d'Egypte 
et  de  Libye  (4).  Théodoret  ajoute  que  le  même  prince 
donna  à  toutes  les  églises  une  certaine  quantité  de  mesures 
de  froment,  pour  l'entretien  du  clergé,  des  veuves,  des 
vierges  et  des  pauvres  ;  que  Julien  l'Apostat  ayant  révoqué 
ce  don  ,  son  successeur  ,  qui  ne  pouvait  le  rétablir  en  en- 
tier, en  rendit  d'abord  le  tiers  ;  et  que,  par  ce  tiers,  dont  les 
églises  jouissaient  encore  au  temps  de  Théodoret ,  on  pou- 
vait juger  de  l'incroyable  libéralité  de  Constantin  (2). 

Anastase  le  Bibliothécaire,  dans  les  Vies  des  Papes,  qu'il  a         73. 

i  i»i  p#»i  i)  v        i  i«  j       n-ri    i*  Ses  libéralités 

publiées  au  ixe  siècle,  a  après  les  archives  de  1  Eglise  ro-      envers 
maine ,  fait  un  dénombrement  bien  plus  étonnant  des  of-      LSë/ 
fraudes  faites,  par  ce  grand  prince,  aux  églises  de  cette  ville, 
et  à  quelques  autres  églises  d'Italie  (5).  «  Sous  le  pontificat 

300,000  livres  tournois.  Voyez  Paneton ,  Métrologie ,  p.  424  et  765.  —  Du- 
cange,  Dissert,  de  Nummis  imperii  C.  P.  n.  90,  etc.  ;  à  la  suite  du  Glos- 
sarium  infîmœ  Latinitatis.  —  Pétau,  Dissert,  de  Folle  (à  la  suite  des  Œu~ 
vres  de  saint  Épiphane). 

(1)  Saint  Athanase,  Apologia  defugâ,  n.  i8.—  Epist.  ad  Solitar.,  n.  31  ; 
(Operumi.  i,  parte  1.) 

(2)  Théodoret,  Hist.  Eccl.,  lib.  i,  cap.  11;  lib.  iv,  cap.  4. — Sozomène, 
Hist.,  lib.  i,  cap.  8;  lib.  v,  cap.  5. 

(3)  Anastase,  Vita  S.  Silveslri.  —  Fleury,  Mœurs  des  Chrétiens,  n.  50. 
—  Hist.  Ecclés.,  t.  m,  liv.  xi,  n.  36. 

Fleury  suit  ici  l'édition  d'Anastase,  qui  se  trouve  dans  la  collection  des 
Conciles  du  père  Labbe  (t.  i,  p.  1409).  Mais  il  est  bon  de  remarquer  que, 


106  INTRODUCTION. 

«  de  saint  Silvestre,  dit-il,  Constantin  éleva  dans  Rome,  et 
«  dans  plusieurs  autres  villes  d'Italie ,  un  grand  nombre  de 
«  basiliques ,  et  les  décora  magnifiquement.  Voici  les  prin- 
«  cipaux  ornements  dont  il  enrichit  la  Basilique  Constan- 
«  tinienne  (\  )  : 

«  \°  Un  baldaquin  d'argent  (2) ,  sur  le  devant  duquel  on 
«  voit  une  statue  du  Sauveur  assis  dans  un  siège ,  haute 
«  de  cinq  pieds  (5),  et  pesant  cent  vingt  livres.  On  y  voit 
«  aussi  les  douze  apôtres ,  avec  des  couronnes  sur  la  tête  en 
«  argent  très-pur  ,  chacune  de  cinq  pieds ,  et  pesant  qua- 
«  tre-vingt-dix  livres.  Par-derrière,  est  une  autre  statue 
«  du  Sauveur,  assis  sur  un  trône ,  et  regardant  Vabside  (4). 

depuis  cette  édition ,  il  en  a  paru  d'autres  plus  correctes  et  plus  estimées. 
Nous  citerons,  entre  autres,  celle  de  Bianchini  (Romœ,  1718,  4  vol.  in-fol.), 
et  celle  de  Muratori ,  dans  le  t.  m  du  Rerum  Italicarum  scriptores  (  Me- 
diolani,  1723,  in-fol.  ).  Nous  avons  corrigé ,  en  quelques  endroits ,  le  texte 
du  père  Labbe,  d'après  ces  dernières  éditions. 

(1)  La  Basilique  Constantinienne ,  qui  porte  aujourd'hui  le  nom  de 
Saint- Jean-de-Latran ,  était  située  auprès  du  palais  de  Latran,  ancienne 
résidence  des  empereurs ,  que  Constantin  donna  au  pape  Miltiade  et  à  ses 
successeurs.  Il  paraît  que  ce  palais,  avec  ses  dépendances,  fut  le  premier  pa- 
trimoine du  saint-siége.  Baronii  Annales ,  anno  312,  n.  80,  etc.  — Lebeau, 
Hist.  du  Bas- Empire ,  t.  i,  liv.  n,  n.  29.  —  Ciampini,  De  sacris  œdificiis 
a  Constantino  constructis,  Romœ,  1693,  in-fol. 

(2)  Le  texte  d'Anastase  porte  f as  tiyium.  Il  serait  difficile  de  déterminer 
le  sens  précis  de  ce  mot ,  que  Ducange  lui-même  n'a  pas  cru  pouvoir  déter- 
miner. (  Lexicon  infimœ  Latinit.,  article  Fastigium.  )  Fleury  croit  qu'il 
s'agit  d'un  tabernacle  (Mœurs  des  Chrétiens,  n.  50).  Mais  la  description 
que  l'ait  Anastase  de  l'ornement  dont  il  s'agit,  le  poids  qu'il  lui  attribue,  les 
dimensions  qu'il  lui  suppose ,  nous  portent  à  croire  qu'il  s'agit  plutôt  d'un 
baldaquin,  placé  au  fond  du  chœur,  ou  au-dessus  du  maître-autel.  Tel  est 
en  effet  le  sens  que  plusieurs  savants  auteurs  donnent  ici  au  mot  fastigium 
(voyez,  entre  autres,  Macii,  Hierolexicon,  seu  Dictionarium  sacrum  ; 
verbo  Fastigium)  ;  et  cette  explication  a  été  insérée  dans  ie  Dictionnaire  de 
Ducange  par  ses  nouveaux  éditeurs  (édition  de  1733).  Quoi  qu'il  en  soit  de 
cette  explication ,  Anastase  nous  apprend,  dans  la  Vie  du  pape  Sixte  III,  que 
l'ornement  dont  il  est  ici  question,  ayant  été  enlevé  par  les  Barbares  dans  le 
siècle  suivant,  fut  rétabli  par  Valentinien  III,  à  la  prière  de  ce  pontife. 
(Labbe,  Concil.,  t.  m,  p.  1258.)  Toutefois,  il  paraît,  d'après  le  récit  du  même 
auteur,  que  l'ornement  autrefois  donné  par  Constaniin  ne  fut  pas  rétabli 
dans  sa  première  magnificence;  car  le  fastigium  donné  par  Valentinien  III 
ne  pesait  que  1610  livres,  tandis  que  celui  de  Constantin  pesait  2025  livres. 

(3)  Le  pied  romain  valait  environ  11  pouces  1/2  de  notre  pied  de  roi. 
Voyez  Paucton,  Métrologie,  p.  129  et  758. 

(4)  Le  mot  abside  se  prend  en  divers  sens  dans  les  auteurs  du  moyen  âge. 


INTRODUCTION.  107 

«  Cette  statue,  haute  de  cinq  pieds,  est  du  poids  de  cent 
«  quarante  livres.  Auprès  d'elle  ,  sont  quatre  anges  d'ar- 
«  gent ,  hauts  de  cinq  pieds  ,  et  pesant  chacun  cent  cin- 
«  quante  livres.  Le  baldaquin  entier  pèse  deux  mille  vingt- 
«  cinq  livres  (4). 

«  2°  Un  lustre  d'or  très-pur  ,  orné  de  quinze  dauphins, 
«  et  pesant  vingt-cinq  livres ,  avec  la  chaîne  qui  le  tient 
«  suspendu  sous  le  baldaquin. 

«  3°  Quatre  candélabres  ,  en  forme  de  couronnes ,  d'or 
«  très-pur  ,  ornés  de  vingt  dauphins  ,  et  pesant  quinze  li- 
ce vres  chacun. 

«  h°  La  voûte  de  la  basilique,  dorée  dans  toute  sa  fon- 
ce gueur  ,  qui  est  de  cinq  cents  pieds. 

«  5°  Sept  autels  d'argent ,  pesant  chacun  deux  cents  li- 
vres. 

«  6°  Sept  patènes  d'or,  de  trente  livres  chacune. 

«  7°  Seize  patènes  d'argent ,  de  trente  livres  chacune. 

«  8°  Sept  coupes  d'or  très-pur,  de  dix  livres  chacune. 

«  9°  Une  autre  coupe  de  métal ,  parsemée  d'or,  ornée  de 
«  corail,  d'émeraudes,  et  d'hyacinthes,  et  pesant  vingt  livres 
«  trois  onces. 

«  A0°  Vingt  coupes  d'argent  de  quinze  livres  chacune. 

«  \\°  Deux  vases  sacrés  d'or  très-pur,  de  cinquante  li- 
ce vres  chacun,  et  contenant  chacun  trois  médimnes  (2). 

«  42°  Vingt  autres  vases  sacrés  en  argent,  pesant  cha- 
«  cun  dix  livres,  et  contenant  chacun  un  médimne. 

Il  signifie  généralement,  en  matière  d'architecture,  un  cintre  ou  une  voûte; 
et  il  désigne,  tantôt  la  voûte  d'une  église,  tantôt  le  fond  du  chœur  terminé 
en  demi-cercle,  tantôt  le  siège  de  l'évêque  placé  en  cet  endroit.  Il  serait 
difficile  de  dire  le  sens  précis  de  ce  mot,  dans  le  texte  d'Anastase  :  il  serait 
également  difficile  de  déterminer  la  position  respective  des  deux  statues  du 
Sauveur  dont  il  est  ici  question.  On  peut  supposer  que  la  première  était 
placée  sous  le  baldaquin  et  adossée  au  mur;  la  seconde,  au-dessus  et  sur  le 
derrière  du  baldaquin.  Cette  dernière  pouvait  regarder  la  voûte  de  l'église. 

(1)  Pour  l'évaluation  des  différentes  sommes  dont  parle  ici  Anastase,  voyez 
la  note  2  parmi  les  Pièces  justificatives,  à  la  tin  de  ce  volume. 

(2)  Il  s'agit  vraisemblablement  ici  du  médimne  attique,  qui  valait,  selon 
Paucton,  six  boisseaux  attiques,  et  trois  boisseaux  et  demi  de  Paris,  ou 
quarante-six  pintes  et  demie.  Voyez  Paucton,  ibid.,  p.  239, 263  et  757. 


108  INTRODUCTION. 

«  45°  Quarante  calices  d'or]  très-pur ,  d'une  livre  cha- 
«  cun. 

«  \à°  Cinquante  calices  d'argent,  de  deux  livres  cha- 
«  cun. 

«  4  5°  Un  lustre  ou  candélabre  d'or  très-pur,  placé  de- 
«  vant  l'autel,  orné  de  quatre-vingts  dauphins,  et  pesant 
«  trente  livres. 

«  4  6°  Un  lustre  ou  candélabre  d'argent,  orné  de  vingt 
«  dauphins  ,  et  pesant  cinquante  livres. 

«  47°  Quarante-cinq  lustres  ou  candélabres  d'argent, 
«  placés  dans  la  nef,  et  pesant  chacun  trente  livres. 

«  ^8°  Du  côté  droit  de  la  basilique,  quarante  lustres  ou 
«  candélabres  d'argent ,  de  vingt  livres  chacun. 

«  J9°  Du  côté  gauche  de  la  basilique  ,  vingt-cinq  lustres 
«  ou  candélabres  d'argent,  de  vingt  livres  chacun. 

«  20°  Cinquante  autres  lustres  ou  candélabres  d'argent, 
«  placés  dans  la  nef,  et  pesant  chacun  vingt  livres. 

«  21°  Trois  urnes  d'argent  très-pur,  pesant  chacune  trois 
«  cents  livres,  et  contenant  chacune  dix  médimnes. 

«  22°  Deux  encensoirs  d'or  très-pur,  pesant  chacun  trente 
«  livres. 

«  Voici  les  principaux  ornements  du  baptistère  : 

«  25°  Une  cuve  de  porphyre  ,  couverte  en  dedans  et  en 
«  dehors  d'une  lame  d'argent  très-pur,  du  poids  de  trois 
«  mille  huit  livres. 

«  24°  Au  milieu  de  la  cuve,  une  colonne  de  porphyre, 
«  portant  une  lampe  d'or  très-pur,  du  poids  de  cinquante 
«  livres. 

«  25°  Sur  le  bord  de  la  cuve ,  un  agneau  d'or  très-pur, 
«  versant  de  l'eau  ,  et  pesant  trente  livres. 

«  26°  A  droite  de  l'agneau ,  une  statue  du  Sauveur  ,  en 
«  argent  très-pur,  haute  de  cinq  pieds,  et  pesant  cent 
<(  soixante  et  dix  livres. 

«  27°  A  gauche  de  l'agneau ,  une  statue  de  saint  Jean- 
«  Baptiste  en  argent ,  tenant  à  la  main  une  inscription  ainsi 


.    INTRODUCTION.  109 

«  conçue  :  Voici  V Agneau  de  Dieu ,  voici  celui  qui  efface 
«  les  péchés  du  monde.  Cette  statue  ,  haute  de  cinq  pieds, 
«  pèse  cent  livres. 

«  28°  Sept  cerfs  d'argent,  versant  de  l'eau,  et  pesant 
«  chacun  quatre-vingts  livres  (I). 

«  29°  Un  encensoir  d'or  très-pur ,  du  poids  de  dix  li- 
«  vres,  orné  de  quarante-deux  pierres  précieuses  d'éme- 
«  raude  ou  d'hyacinthe.  » 

En  réunissant  tous  les  ornements  d'or  et  d'argent  dont 
Anastase  fait  ici  Pénumération,  on  voit  qu'ils  montaient  à 
six  cent  quatre-vingt-cinq  livres  d'or,  et  à  douze  mille 
neuf  cent  quarante-trois  livres  d'argent,  ce  qui  revient  à 
plus  de  \  ,700,000  fr.  de  notre  monnaie,  sans  les  façons  (2). 
Encore  ne  comprenons-nous  pas,  dans  cette  somme,  l'or  em- 
ployé pour  dorer  la  voûte  de  la  basilique ,  longue  de  cinq 
cents  pieds. 

Constantin  assura  de  plus,  à  la  même  basilique  et  à  son 
baptistère,  des  revenus  considérables  en  biens-fonds,  situés 
soit  cà  Rome  et  aux  environs  ,  soit  en  plusieurs  provinces 
éloignées  (5).  Tous  ces  biens-fonds,  dont  Anastase  fait 
l'énumération ,  procuraient  à  la  basilique  un  revenu  de 
44,604  sous  d'or,  c'est-à-dire,  environ  255,664  francs  de 
notre  monnaie.  L'empereur  y  ajouta  une  redevance  annuelle 
de  450  livres  d'aromates,  pour  le  service  divin. 

Outre  ces  offrandes,  faites  à  la  Basilique  Constantinienne, 

(1)  Les  cerfs  placés  dans  le  baptistère  étaient  un  symbole  du  désir  ardent 
que  les  catéchumènes  doivent  apporter  au  sacrement  de  la  régénération. 
Cette  expression  symbolique  est  fondée  sur  ces  paroles  du  Psaume  41  : 
Quemadmodum  desiderat  cervus  ad  fontes  aquariun,  iia  desiderat 
anima  mea  ad  te,  Deus. 

Fleury  suppose,  d'après  le  texte  du  P.  Labbe,  que  chacun  des  cerfs  dont 
il  est  ici  parlé  pesait  800  livres.  La  leçon  du  P.  Labbe  paraît  être  une  faute 
d'impression;  car  elle  ne  se  trouve  dans  aucun  des  manuscrits  consultés  par 
Bianchini  et  Muratori. 

(2)  Voyez,  à  l'appui  de  ce  calcul,  la  note  2  parmi  les  Pièces  justificatives  t 
à  la  fin  de  ce  volume. 

(3)  Voyez,  sur  cette  matière,  la  xe  Dissertation  du  P.  Zaccaria,  dans  son 
recueil  intitulé  :  De  Rébus  ad  hist.  et  antiquit.  Eccl.  pertineniibus  (Fulgi- 
niœ,  1781),  t.  H,  p.  75,  etc. 


110  INTRODUCTION. 

le  même  prince  fit  encore  des  dons  considérables  aux  églises 
de  Rome  qu'il  avait  bâties  ou  réparées,  principalement  à  cel- 
les de  Saint-Pierre,  de  Saint-Paul,  de  Sainte-Croix  de  Jérusa- 
lem ,  de  Sainte-Agnès ,  de  Saint-Laurent ,  de  Saint-Pierre  et 
de  Saint-Marcellin.  Il  ne  se  montra  pas  moins  magnifique  en- 
vers une  autre  église  de  Rome,  bâtie  par  saint  Silvestre,  et  en- 
vers les  églises  qu'il  avait  fait  construire  lui-même  à  Ostie,  à 
Albano,  à  Capoue  et  à  Naples.  Tous  les  ornements  d'or  et 
d'argent  donnés  à  ces  différentes  églises ,  formaient  environ 
les  deux  tiers  de  la  somme  des  ornements  donnés  à  la  Ba- 
silique Constantinienne .  L'empereur  assigna  aussi  à  ces  égli- 
ses des  biens-fonds  considérables  ,  situés  soit  à  Rome  et  en 
Italie  ,  soit  dans  les  provinces  les  plus  éloignées  ,  en  Afrique, 
en  Asie  ,  et  jusque  dans  les  provinces  de  l'Euphrate.  Le  re- 
venu annuel  des  biens-fonds  appartenant  aux  seules  églises  de 
Rome,  sans  y  comprendre  celui  de  la  Basilique  Constanti- 
nienne, s'élevait  à  4  6,576  sous  d'or,  valant  environ 
262,016  francs  de  notre  monnaie. 

Tout  ce  détail  a  quelque  chose  de  si  prodigieux ,  qu'il  a 
donné  lieu  à  quelques  savants  modernes,  de  soupçonner  que 
l'ancien  auteur  dont  Anastase  adopte  ici  le  récit ,  avait  attri- 
bué à  Constantin  les  offrandes  faites  à  l'Église  par  ses 
successeurs  (4).  Cette  conjecture,  selon  la  remarque  de 
Fleury  ,  pourrait  absolument  être  admise  pour  ce  qui  re- 
garde les  offrandes  en  or  et  en  argent;  mais  il  serait  bien 
difficile  de  l'admettre  pour  les  biens-fonds,  dont  les  titres 
devaient  s'être  beaucoup  mieux  conservés  (2). 


(1)  Fleury,  Hist.  Eccl,  t.  in,  liv.  ir,  n.!36.—  Mœurs  des  Chrétiens,  n.  SO. 

(2)  Faute  d'avoir  fait  cette  réflexion,  Bingham  va  jusqu'à  regarder  comme 
fabuleux  tout  ce  récit  d'Anastase ,  sous  prétexte  qu'il  paraît  être  tiré  d'un 
opuscule  faussement  attribué  au  pape  Damase  (Bingham,  Origines  et  anti- 
quitates  eccles. ,  t.  m ,  lib.  vm,  cap.  7,  §  5  )  ;  mais  cette  supposition  paraît  tout 
à  fait  insoutenable.  Quelque  soit  l'ancien  auteur  auquel  Anastase  a  emprunté 
cette  partie  de  son  récit ,  on  ne  peut  raisonnablement  en  contester  la  vérité , 
sur  des  objets  que  cet  auteur  décrit  comme  subsistant  encore  de  son  temps. 
Aussi,  l'opinion  de  Bingham,  sur  ce  point,  est-elle  généralement  abandonnée 
des  savants.  Voyez ,'  sur  l'autorité  de  l'ouvrage  d'Anastase ,  la  Préface  de 


INTRODUCTION.  111 

Au  reste,  quelque  étonnant  que  soit  le  détail  des  libéra-        74. 

'.  •  h  Sources  deces 

lités  qu  Anastase  attribue  ici  à  Constantin,  elles  ne  paraîtront    libéralités. 

.ié»,  .  ,,         ,  ,  i        .   Immenses   re- 

pas  incroyables ,  si  1  on  considère  les  sommes  énormes  dont       venus 

i-  p  i      niS    î-  .de  l'empire. 

ce  prince  pouvait  disposer  en  laveur  de  1  Lglise  ,  sans  nuire 
aucunement  à  l'État ,  et  sans  imposer  à  ses  sujets  aucune 
charge  nouvelle.  Pour  s'en  former  une  idée  ,  il  suffit  de  re- 
marquer quels  étaient,  à  cette  époque,  les  immenses  revenus 
de  l'empire,  et  l'usage  que  les  prédécesseurs  de  Constantin 
avaient  coutume  d'en  faire  (1).  On  peut  juger  de  l'un  et  de 
l'autre  par  les  dépenses  excessives  que  les  empereurs 
païens  avaient  coutume  de  faire,  non-seulement  pour  les 
frais  nécessaires  du  gouvernement  ,  mais  encore  pour  s'at- 
tacher, à  force  de  libéralités ,  le  peuple  et  les  soldats.  «  De- 
«  puis  les  guerres  civiles ,  dit  à  ce  sujet  un  écrivain  ré- 
«  cent  (2),  l'ambition  n'eut  plus  de  frein  ,  la  corruption  plus 
«  de  retenue,  la  prodigalité  plus  de  mesure.  Une  fois  qu'on 
«  parvint  à  détacher  le  peuple  romain  du  parti  de  la  répu- 
«  blique  ,  et  à  débaucher  les  armées  par  l'espoir  du  gain  ,  la 
«  concurrence  pour  l'empire  ne  fut  qu'une  vente  aux  en- 
«  chères  ;  les  généraux,  pour  régner  sur  le  monde ,  en  pro- 

«  mettaient  la  dépouille  aux  soldats  et  au  peuple 

«  César  donna  quelquefois  des  métairies  à  ses  soldats  (5). 
«Octave,  dans  les  champs  de  Fhilippes,  avait  promis 
«  5,000  drachmes  par  tête  à  tous  les  soldats  romains  ;  et  il 
«  y  avait  vingt-huit  légions  (4).  Plus  de  cent  soixante-dix 


Bianchini.  Cette  Préface  se  trouve  aussi  dans  le  volume  déjà  cité  de  Mura- 
tori.  D.  Ceillier  en  donne  le  résumé,  dans  le  tome  xixde  i'Hist.  des  Auteurs 
sacrés  et  ecclés.<,  p.  419,  etc. 

(1)  Naudet,  Des  Changements  opérés  dans  l'administration  de  l'em- 
pire romain  sous  Dioctétien ,  Constantin,  etc.,  t.  i,  impartie,  chap.  i, 
art.  2  et  3. 

(2)  Ibid.  p.  177. 

(3)  Suétone,  De  XII  Cœsaribus,  lib.  i.  (P.  40  de  ['édition  de  Leyde,  1662, 
in-8°.) 

(4)  Appien,  De  Bello  civili,  lib.  iv.  —  Juste  Lipse,  De  Magnitud.  Rom.t 
lib.  n,  cap.  13.  (T.  m  des  Œuvres  de  Juste  Lipse;  édition  d'Anvers,  1637 , 
4  v.  in-fol.) 


112  INTRODUCTION. 

«  mille    hommes   reçurent   donc    chacun    environ  5,920 
«  francs  de  notre  monnaie  (1). 

«  Caliguîa ,  Néron  ,  Didius  Julien ,  Commode ,  et  tous  les 
«  tyrans  qui  voulaient  gagner  le  cœur  de  la  populace  et  des 
«troupes,  augmentèrent  encore  l'avidité  et  la   corruption 
«  par  leurs  folies.  Commode  avait  donné  au  peuple ,  en  une 
«  seule  fois,  725  deniers  par  tête,  ou  2,900  sesterces,  c'est- 
«  à-dire  environ  568  francs  de  notre  monnaie  (2).  Au  temps 
«  d'Auguste,  on  comptait  trois  cent  vingt  mille  citoyens  nour- 
«  ris  aux  dépens  du  trésor  public  (5).  Sévère  se  vanta  d'a- 
«  voir  surpassé  les  libéralités  de  tous  les  empereurs.  Cara- 
«  calla  dissipa,  en  trois  jours,  le  trésor  amassé  par  son  père 
«  pendant  dix-huit  ans.  On  peut  voir  de  plus  amples  dé- 
«  tails  sur  ces  excessives  profusions  ,  dans  l'ouvrage  de  Juste 
«  Lipse  Sur  la  Grandeur  des  Romains  (4).  Les  bons  empe- 
«  pereurs  étaient  entraînés  par  l'usage,  qui  avait  fait  de  la 
«  dissipation  des  deniers  publics  une  nécessité.  Depuis  le 
«  règne  de  Claude,  l'avènement  d'un  prince,  une  naissance, 
«  une  adoption  dans  la  famille  impériale  ,  les  Décennales , 
«  ou  renouvellements  de  règne ,  qui  se  célébraient  tous  les 
«  dix  ans,  les  victoires,  les  retours  du  prince  dans  la  capi- 
«  taie ,  et  d'autres  circonstances  qui  se  réitéraient  plus  ou 
«  moins  souvent ,  étaient  autant  d'occasions  où  l'on  ne  pou- 
«  vait  se  dispenser  de  faire  des  largesses  au  peuple  et  aux 
<r  soldats,  sans  s'attirer  leur  haine,  et  sans  exposer  l'État  à  une 
v  révolution.  » 


(i)  La  valeur  des  5,000  drachmes  s'élève  môme  à  4,500"",  en  supposant, 
avec  Paucton,  que  la  drachme,  ou  le  denier  romain,  valait,  à  cette  époque, 
18  sous  de  notre  monnaie  (Paucton,  Métrologie,  p.  764.) 

(2)  Lampride,  Viia  Commodi  (apud  Hist.  Aug.  script.,  t.  i,  p.  519).  Selon 
Paucton,  le  denier  romain ,  qui  valait  environ  18  sous  de  notre  monnaie, 
avant  le  règne  de  Claude  ou  de  Néron,  n'en  valait  plus  que  16,  depuis  Néron 
jusqu'à  Constantin  (Paucton  ,  ibid.,  p.  764  et  765.  )  Dans  cette  supposition, 
les  725  deniers  dont  il  est  ici  question  valaient  environ  580  <+  de  notre  mon- 
naie. 

(3)  Juste  Lipse,  De  Magnitudine  Romand,  lib.  m,  cap.  3.  (T.  m  des  Œu- 
vres de  Juste  Lipse,  p.  424,  ire  col.) 

(4)  Juste  Lipse,  ibid..,  lib.  n,  cap.  12,  13,  14. 


INTRODUCTION.  113 

Ce  que  les  auteurs  du  temps  rapportent  en  particulier  de 
la  magnificence,  ou  plutôt  de  la  prodigalité,  même  des  meil- 
leurs empereurs  ,  en  fêtes  ,  en  festins  et  en  spectacles ,  n'est 
pas  moins  étonnant.  «Auguste,  dit  l'auteur  déjà  cité  (4), 
«  déclara  lui-même,  qu'il  avait  célébré  vingt-quatre  fois  en 
«  son  nom,  et  vingt-trois  fois  pour  des  magistrats  absents  ou 
«  pauvres,  des  jeux  publics  (2).  Ce  que  Suétone,  Dion  Cassius 
«  et  les  écrivains  de  l'Histoire  des  Empereurs  rapportent 
«  de  la  magnificence  et  des  profusions  de  Caligula,  de  Néron, 
«  de  Commode,  d'Héliogabale,  et  des  autres  qui  leur  res- 
«  semblaient ,  est  à  peine  croyable.  Tous  les  jours  de  leurs 
«  règnes  étaient  partagés  entre  les  cruautés  et  les  fêtes.  Des 
«  théâtres  immenses ,  revêtus  d'or  et  couverts  de  voiles  de 
«  pourpre  ;  des  multitudes  de  bêtes  féroces,  égorgées  dans 
«  l'arène  avec  des  traits  et  des  lances  garnis  d'argent;  desre- 
«  présentations  de  batailles  navales,  données  sur  des  lacs  rem- 
«  plis  devin  ;  des  loteries  pour  lesquelles  on  jetait  au  peuple 
«  des  billets  qu'il  allait  échanger  aussitôt,  l'un  pour  un  cheval, 
«  l'autre  pour  un  vase  d'or,  ou  pour  un  habit  précieux ,  ou 
«  pour  une  maison  ;  des  tables  somptueusement  servies  dans 
«  toutes  les  rues;  enfin,  tout  ce  que  les  caprices  de  l'oisiveté, 
«  l'insolence  d'une  richesse  démesurée ,  les  folies  de  la  dissi- 
«  pation,  le  mépris  de  toute  pudeur  et  de  toute  humanité, 
«  peuvent  suggérer  d'inventions  extravagantes  et  bizarres, 
«  pour  amuser  un  peuple  sanguinaire-«et  frivole ,  fut  épuisé 
«  à  Rome.  Tous  les  jours,  l'existence  des  provinces  était  sacri- 
«  fiée  aux  plaisirs  de  cette  ville.  Les  abus  étaient  devenus  des 
«  lois ,  et  les  excès  des  besoins.  Qu'on  lise  dans  Dion ,  dans 
«  Jules  Capitolin,  les  énormes  dépenses  de  Titus  et  de  Marc- 
«  Aurèle,  pour  des  jeux  prolongés  pendant  des  mois  entiers; 
«  on  jugera  des  mœurs  du  peuple  romain ,  lorsque  de  tels 
«  princes  étaient  obligés  de  lui  prodiguer  de  tels  amuse- 


(1)  Naudet,  ibid.,  p.  178  et  179. 

(2)  Suétone,  De  duodecim  Cœsaribus ,  lib.  n.  (P.  225  de  l'édition  de  Leyde, 
in-8°.) 

8 


114  INTRODUCTION. 

«  ments  ;  on  se  fera ,  si  l'on  peut ,  une  idée  des  profusions 
«  des  empereurs  ,  qui  ne  se  croyaient  maîtres  du  monde 
«  que  pour  satisfaire  tous  leurs  désirs ,  et  dissiper  en  folles 
«  dépenses  les  trésors  arrachés  aux  nations.  » 

On  voit,  par  ces  détails,  combien  il  était  facile  à  Cons- 
tantin et  à  ses  successeurs  de  se  montrer  magnifiques  envers 
l'Eglise  et  ses  ministres,  sans  imposer  à  leurs  sujels  aucune 
charge  nouvelle ,  et  même  en  diminuant  les  anciennes  .  Les 
réformes  opérées  dans  le  gouvernement  par  Dioclétien  et  Cons- 
tantin, et  bien  plus  encore  les  idées  d'ordre  et  de  convenance, 
répandues  par  le  christianisme  dans  toutes  les  parties  de  l'em- 
pire, amenèrent  insensiblement  la  diminution  des  abus  dont 
nous  venons  de  parler,  et  permirent  aux  empereurs  chrétiens 
d'employer  à  des  objets  plus  utiles  les  sommes  immenses  que 
leurs  prédécesseurs  employaient  à  des  profusions  ridicules. 
L'application  faite  aux  églises  de  cette  partie  des  revenus  de 
l'État  était  d'autant  plus  convenable ,  que ,  sans  exiger  au- 
cune augmentation  des  charges  publiques,  elle  tournait  tout 
à  la  fois  au  soulagement  des  pauvres  et  au  soutien  d'une 
religion  ,  qui,  par  son  influence  sur  les  mœurs  publiques, 
semblait  destinée  à  régénérer  la  société  tout  entière. 
75.  Remarquons  encore  que  les  revenus  de  l'empire  n'étaient 

Autres  sour-  .  _  , 

ces  de      pas ,  à  beaucoup  près  ,  1  unique  source  des  libéralités  de 

richesses  pour  .  ,  . 

rÉgiise  :     Constantin  envers  1  Eglise  M).  Il  trouvait  des  ressources  peut- 
restitutions*,  111  ■ 
libéralités  des  être  encore  plus  abondantes ,  soit  dans  les   biens  injuste- 

fidèles   etc. 

ment  confisqués  pendant  le  temps  des  persécutions,  et  dont 
les  héritiers  ne  se  trouvaient  pas  (2)  ;  soit  dans  les  trésors 
et  les  revenus  des  temples  d'idoles ,  dont  plusieurs  possé- 
daient d'immenses  richesses  (5)  ;  soit  enfin  dans  les  sommes 


(1)  Bingham,  Origines  sive  Antiquitates  eccl.,  1. 11,  lib.  v,  cap.  4. 

Fleury,  Mœurs  des  Chrétiens,  n.  60.  —  Fleury,  Hist.  Eccl.,  t.  m,  liv.  x, 
n.  40;  liv.  xi,  n.  36. 

(2)  Eusèbe,  Vita  Const.,  lib.  11,  cap.  36. 

(3)  Voyez  les  détails  que  nous  avons  donnés  sur  ce  sujet  dans  l'article  1er 
de  cette  Introd.  (  p.  10  ),  et  dans  le  n.  3  des  Pièces  justifie.,  à  la  fin  de  ce 
volume. 


INTRODUCTION.  115 

considérables  qui  étaient  auparavant  destinées  aux  sacrifi- 
ces ,  aux  jeux  et  aux  différentes  cérémonies  du  culte 
païen  (I).  Aussi  est-il  constant,  par  l'histoire ,  que  les  libé- 
ralités de  Constantin  envers  les  églises ,  non-seulement  ne 
donnèrent  lieu  à  aucune  augmentation  des  charges  publi- 
ques, mais  qu'elles  n'empêchèrent  pas  ce  prince  de  publier 
des  règlements  très-agréables  aux  peuples ,  soit  pour  la  di- 
minution des  impôts,  soit  pour  mettre  un  frein  à  la  rigueur 
et  à  l'avidité  des  percepteurs  (2). 

Non  contents  de  leurs  propres  libéralités ,  les  empereurs 
chrétiens  encourageaient,  parleurs  édits,  celles  des  simples 
particuliers  (5).  Les  lois  romaines  permettaient  générale- 
ment à  ces  derniers  de  disposer  de  leurs  biens  en  faveur  des 
établissements  publics  et  des  communautés  légalement  au- 
torisées (A).  En  vertu  de  ce  principe  ,  la  loi  avait  reconnu, 
de  tout  temps,  les  donations  faites  entre-vifs  ou  par  testa- 
ment aux  temples  et  aux  ministres  des  faux  dieux  (5).  Il 
était  donc  bien  naturel  que  Constantin  fît  jouir  l'Église  et 
ses  ministres  du  même  avantage.  Aussi  ne  balança-t-il  pas  à 
le  faire  par  une  loi  qui  autorisait,  de  la  manière  la  plus  for- 
melle, tous  les  legs  pieux  en  faveur  de  l'Église  (6).  Valenti- 


(1)  On  a  vu  plus  haut,  que  Gratien  et  Théodose  avaient  saisi  et  attribué 
au  fisc  les  revenus  destinés  à  l'entretien  des  pontifes  et  du  culte  païen. 
Ci-dessus,  n.  43,  44,  etc. —  Voyez  aussi  Bingham,  ubi  suprà,  §  10. 

(2)  Naudet ,  Des  Changements  opérés  dans  V administration  de  l'em- 
pire, t.  n,  p.  207,  236,  etc. 

(3)  Thomassin,  Ancienne  et  nouv.  Discipline ,  t.  m,  liv.  i,  chap.  18.  — 
De  Héricourt,  Abrégé  du  même  ouvrage,  3e  partie,  chap.  2.  —  Idem,  Lois 
Eccl.  de  France,  4e  part.,  p.  182,  etc. — Bingham,  Origines  sive  Antiquita- 
tes  eccl.,  t.  ii,  lib.  v,  cap.  4,  §  5,  etc. 

(4)  Digest.,  lib.  xxx,  tit.  1,  n.  117  et  122;  lib.  xxxiv,  tit.  5,  n.  20. — 
Domat,  Lois  civiles,  2e  partie,  liv.  iv,  tit.  2,  sect.  2,  n.  13. 

(5)  Digest.,  lib.  xxxm,  lit.  1,  n.  20. 

(6)  Cette  loi  de  Constantin  se  trouve  dans  le  Code  Théodosien  (lib.  xvi, 
tit.  1,  n.  4)  et  dans  le  Code  Justinien  (lib.  i,  tit.  2,  n.  1),  sauf  quelques  lé- 
gères variantes,  qui  ne  changent  rien  au  fond  de  la  loi.  Voici  le  texte  du 
Code  Justinien,  qui  semble  plus  clair  et  plus  exact  :  «Habeat  unusquisque 
«  licentiam  sanctissimo,  catholico,  venerabilique  concilio  (i.  e.  sanctissimœ 
«  Ecclesiœ  catholicœ)  decedens  bonorum  quod  optaverit  relinquere;  et 
«  non  sint  cassa  judicia  ejus.  Nihil  enim  est  quod  magis  hominibus  debea- 

8. 


116  INTRODUCTION. 

nien  1er  restreignit,  il  est  vrai,  cette  permission,  en  défen- 
dant généralement  aux  clercs  et  à  tous  ceux  qui  faisaient 
profession  de  continence,  de  rien  recevoir  des  vierges  et 
des  veuves ,  soit  par  donation  entre-vifs  ,  soit  par  testa- 
ment (4)  ;  mais  il  y  a  tout  lieu  de  croire  que  cette  loi ,  bien 
loin  de  porter  aucun  préjudice  à  l'Église,  lui  fut  très-avan- 
tageuse, en  arrêtant  le  tort  que  lui  faisait  l'avarice  de  cer- 
tains clercs,  qui,  par  de  honteux  artifices,  faisaient  tourner  à 
leur  avantage  particulier  les  pieuses  libéralités  que  les  dames 
romaines   destinaient  à  l'Église  (2).  De  semblables  motifs 


«  tur,  quàm  ut  supremse  voluntatis,  postquàm  jam  aliud  velle  non  possunt, 
«  liber  sit  stylus.  » 

(î)  «  Ecclesiastici,  aut ex  ecclesiasticis  (nati),ve\  qui  continentium  sevo- 
«  lu nt  nomine  nuncupari,  viduarum  ac  pupillarum  domos  non  adeant.... 
«  Censemus  etiam  ut  memorati  (i.  e.  jam  dictœ  personœ)  nihil  de  ejus  mu- 
«  liens  (viduœ scilicet,  aut  pupillœ)  qui  seprivatim,  sub  praetextu  religio- 
«  nis,  adjunxerint,  liberalitate  quâcumque,  vel  extremojudicio(i.  e.  ultime, 
«  voluntate)  possint  adipisci ;  etomne  in  tantum  ineflicax  sit  quod  alicui 
«  horum  ab  bis  fuerit  derelictum  ,  ut  nec  per  subjeetam  peisonam  valeant 
«  aliquid,  vel  donatione,  vel  testamento,  accipere.»  Cod.  Theodos.,  lib.xvi, 
tit.  2,  n.  20.  — Fleury,  Hist.  Eccl.  t.  iv,  liv.  16,  n.  41  —  D.  Ceillier,  Hist. 
des  Aut.  eccl. ,  t.  vin,  p.  596. 

Cette  loi  de  Valentiuien  Ier  avait  sans  doute  pour  but  de  prévenir  l'in- 
discrétion ou  la  cupidité  de  certains  clercs,  qui  pouvaient  abuser  de  leur  as- 
cendant sur  les  vierges  et  les  veuves,  pour  en  obtenir  des  donations  entre- 
vifs ou  par  testaments.  Toutefois  saint  Ambroise,  parlant  de  cette  loi,  s'é- 
tonne, avec  raison,  que  le  législateur  pousse  les  précautions  plus  loin,  en  cette 
matière,  à  l'égard  du  clergé  chrétien  qu'à  l'égard  des  ministres  du  culte 
païen.  (Saint  Ambroise,  Epistol.  xvm,  ad  Valentin.  II,  n.  12 — Fleury, 
Hist.  Eccl.,  t.  iv,  liv.  xvm,  n.  32.)  Il  était  en  effet  assez  peu  convenable 
que,  sous  un  empereur  chrétien,  les  ministres  des  faux  dieux  fussent 
plus  privilégiés,  sur  le  point  dont  il  s'agit,  que  les  ministres  de  la  véritable 
religion.  Aussi, la  loi  de  Valentinien  Ier  fut-elle  bientôt  modifiée,  et  même  en- 
tièrement révoquée  par  ses  successeurs,  comme  on  va  le  voir  un  peu  plus  bas. 

Un  écrivain  moderne ,  qui  ne  néglige  aucune  occasion  d'invectiver  contre 
l'Église  catholique,  conclut  de  cette  loi  de  Valentinien  1er,  que  la  cupidité  était 
alors  un  vice  presque  caractéristique  du  clergé.  (  Hallam,  L'Europe  au 
moyen  âge,  t.  m,  p.  294.)  Avec  un  semblable  raisonnement,  on  pourrait 
conclure,  des  différentes  lois  publiées  par  Valentinien  et  d'autres  empereurs, 
contre  certains  désordres  propres  à  la  magistrature,  à  l'état  militaire  ou  à 
d'autres  états ,  que  ces  désordres  étaient  alors  presque  caractéristiques  de 
ces  étals.  Au  reste,  la  suite  des  faits  montrera  de  plus  en  plus  l'injustice  de 
l'assertion  de  l'auteur  anglais  que  nous  venons  de  citer. 

(2)  Cette  conjecture  semble  fondée  sur  ces  paroles  de  saint  Jérôme,  dans 
sa  lettre  à  Népotien  :  «  Non  de  lege  conqueror,  sed  doleo  cur  meruerimus 


INTRODUCTION.  117 

paraissent  avoir  donné  lieu  à  la  loi  de  Théodose  le  Grand, 
qui  défend  aux  diaconesses  de  disposer,  par  testament ,  en 
faveur  de  l'Église,  des  clercs  ou  des  pauvres  (\).  On  crai- 
gnait sans  doute  que  certains  clercs  ,  soit  par  esprit  de  cupi- 
dité ,  soit  par  un  zèle  mal  entendu  pour  le  soulagement  des 
pauvres  et  des  églises,  n'usassent  de  captation,  pour  obtenir 
des  legs  en  faveur  de  l'Église,  ou  pour  leur  propre  avantage. 
Toutefois,  une  autre  loi  du  même  prince  et  de  la  même 
année,  corrige  la  sévérité  de  la  première,  en  autorisant  les 
diaconesses  à  donner  à  l'Église  ,  par  donation  entre-vifs  , 
leurs  esclaves,  leurs  biens  meubles,  et  même  ,  à  ce  qu'il  pa- 
raît, leurs  biens-fonds  (2).  Enfin,  l'empereur  Marcien,  ex- 
pliquant ou  modifiant  les  lois  précédentes,  permit  générale- 
ment aux  veuves ,  aux  vierges ,  et  à  toutes  les  personnes 
consacrées  à  Dieu ,  de  laisser  leurs  biens ,  par  testament ,  à 
l'Église,  aux  clercs  et  aux  moines  (5).  Vers  le  même  temps  , 

«banc  legem.  Cauterium  bonum  est;  sed  quô  mihi  vulnus,  ut  indigeam 
«  cauterio?....  SU  hœres,  sed  mater  fdiorum ,  idest  gregis  sui,  Ecclesia 
«  quae  illos  genuit,  nutrivit  et  pavit;  quid  nos  inserimus  inter  matrem  et 
«  liberos?  »  S.  Hieron.  Epist.  ad  Nepotian.  (Oper.  t.  iv,  part.  2,  p.  260.) 

(1)  «Si  quando  diem  obierit  (diaconissa),  nullam  Ecclesiam,  nullum 
«  clericum,  nullum  pauperem  scribat  hseredes;  careat  namque  viribus  ne- 
«  cesse  est,  si  quid  contra  vetitum,  circa  personas  specialiter  comprehensas 
«(i.  e.  mode  designatas)  fuerit  à  moriente  confectum.  »  Çod.  Theod., 
lib.  xvi,  tit.  2,  n.*27.  —  Fleury,  Hist.  Eccl.,  t.  îv,  liv.  xcix,  n.  24. 

(2)  «Legem  quae  diaconissis  vel  viduis  nuper  est  promulgata,  ne  quis 
«  videlicet  elericus ,  neve  sub  Ecclesiœ  nomine ,  mancipia ,  supellecti- 
«  lem,  prœdia  (velut  infirmi  sexûs  dispoliator  )  invaderet,  et  remotis 
«  affinibus\ac  propinquis,  ipse,  sub  prœtextu  catholicœ  disciplinée,  se 
«  ageret  vivenlis  hœredem,  eatenùs  animadvertat  esse  revocatam,  ut  de 
«  omnium  chartis,  si  jam  nota  est,auferatur  ;  neque  quisquam,  aut  litigator 
«  eâ  sibi  utendum,  aut  judex  noveiit  exequendum.  »  Cod.  Theod.,  lib.  xvr, 
tit.  2,  n.  28.  Il  y  a  ici  quelques  doutes  sur  l'article  des  biens-fonds.  Le  texte 
de  la  loi,  au  lieu  de  prœdia,  porte  prœdam,  leçon  que  plusieurs  critiques 
soutiennent  véritable.  —  Flécnier,  dans  Y  Hist.  de  Théodose ,  liv.  iv,  n.  17, 
ne  paraît  pas  avoir  saisi  le  sens  de  cette  loi  :  il  faut  le  corriger  d'après  le 
Commentaire  de  Godefroij  sur  cet  article  du  Code  Théodosien. 

(3)  Cette  constitution  de  Marcien  est  la  sixième  de  ses  Novelïes,  dans  le 
Recueil  des  Constitutions  impériales,  placées  à  la  suite  du  Code  Théodos.  (Le- 
gum  Novell,  iib.  m,  tit.  6.  )  Elle  fut  depuis  insérée  dans  le  Code  Justinien, 
en  ces  termes  :  «  Generalilege  sancimus,  sive  vidua,sive  diaconissa,  vel  virgo 
«  Deo  dicata,  vel  sanctimonialis  mulier,  sivequocumque  alio  nomine  religiosi 
«  honoris  vel  dignitatis  fœmina  nuncupata ,  vel  testamento,  vel  codicillo 


118  INTRODUCTION. 

Pempereur  Théodose  le  Jeune  publia  un  édit  également  fa- 
vorable au  clergé,  en  attribuant  aux  églises  et  aux  monastè- 
res les  biens  des  religieux  et  des  clercs  morts  sans  testament, 
et  sans  laisser  de  proches  parents  (4).  Cette  disposition  ne 
faisait  qu'étendre  à  l'Église  une  faveur  dont  jouissaient  alors 
plusieurs  autres  corporations,  qui,  d'après  les  lois,  héritaient, 
en  pareil  cas,  de  leurs  membres  défunts  (2). 
76-  La  piété  des  fidèles,  secondée  par  les  exemples  et  par  les 

Dîmes,  pré-  ,  ,  . 

mices,  <iona-  édits  des  empereurs ,  augmentait  de  jour  en  jour  les  riches- 

tions  entre-  l  '         °  J  J 

vifs  et     ses  du  clergé,  dans  toutes  les  parties  de  l'empire.  Quoique 

par  testament.  ,,',,  i  p    •  •       i 

1  Eglise  n  eût  fait,  avant  le  vie  siècle,  aucun  précepte  formel, 
pour  obliger  les  fidèles  à  payer  au  clergé  la  dime  et  les  pré- 
mices de  leurs  biens,  la  plupart  d'entre  eux  continuaient  de 
faire  volontairement  ces  sortes  d'offrandes,  selon  l'usage 
établi  dès  le  temps  des  persécutions  (5).  Les  saints  docteurs 
insistaient  souvent,  dans  leurs  écrits  et  dans  leurs  exhorta- 
tions publiques,  sur  les  motifs  de  charité,  et  même  de  jus- 
tice ,  qui  devaient  engager  les  fidèles  à  cette  pratique  (4). 
Saint  Jérôme,  entre  autres,  expliquant  ces  paroles  du  Sau- 
veur :  Rendez  à  César  ce  qui  appartient  à  César,  et  à 
Dieu  ce  qui  appartient  à  Dieu,  dit  expressément  que  ce 

«  suo  (quod  tamen  aliâ  omni  jnris  ratione  munitum  sit),  Ecclesise,  vel  mar- 
«tyrio  (i.  e.  templo  martyribus  dicato),  vel  clero,  vel  monachio  (i.  e. 
«.  cœtui  monachorum),  vel  paùperibus,  aliquid  vel  ex  integro  vel  ex  parte, 
«  in  quâcumque  re  vel  specie ,  crediderit  relinquendum  ,  id  modis  omnibus 
«  ratum  firmumque  consistât  ;  sive  hoc  institutione ,  sive  substitutione ,  seu 
«  legato  aut  fidei  commisso  per  universitatem ,  seu  speciali  ;  sive  scriplâ 
«  sive  non  scriptâ  voluntate  fuit  derelictum;  omni  in  posterum,  in  hujus- 
«  cemodi  negotiis,  ambiguitate  submotâ.»  Cod.  Justin.,  lib.  i,  tit.  2,  n.  13. 

(1)  «  si  quis  episcopus,  aut  presbyter,  aut  diaconus,  aut  diaconissa,  aut 
«  subdiaconus,  vel cujuslibet  alterius  loci  (seu  ordinïs)  eleriens,  aut  mona- 
«  chus,  aut  mulier  solitariae  vitœ  dedila.  nullo  condito  testamento  decesserit 
«  nec  ei  parentes  utriusque  sexûs ,  vel  liberi,  vel  si  qui  agnationis  cognatio- 
«  nisque  jure  junguntur,  vel  uxor  extiterit,  bona  quae  ad  eum  pertinuerint 

«  sacrosancta3  Ecclesise ,  vel  monasterio  cui  1 uerat  destinatus ,  omnifariàm 
«  socientur.  »  Cod.  Theodos.,  lib.  v,  tit.  3,  n.  1. 

(2)  Godefroy,  Comment,  ad  Cod.  Theod. ,\ib.  v,  tit.  2,  n.  1. 

(3)  Thomassin,  Ancienne  et  nouv.  Discipline,  t.  ni.  liv.  i,  chap.  4  et 
suiv.  —  De  Héricourt,  Abrégé  du  même  ouvrage,  3e  partie,  chap.  1  et  suiv. 
—  Van-Espen,  Jus  Eccl.  univ.,  t.  i,  part.  2,  tit.  33,  chap.  1. 

(4)  Voyez,  à  ce  sujet,  la  note  4  de  la  page  100. 


INTRODUCTION.  119 

qui  appartient  à  Dieu,  ce  sont  les  dîmes,  les  prémices,  et 
les  autres  sortes  d'offrandes  en  usage  dans  l'Eglise  (1).  On  re- 
marque la  même  interprétation  des  paroles  du  Sauveur, 
dans  un  sermon  attribué  à  saint  Augustin,  mais  qui  paraît 
être  plutôt  de  saint  Césaire,  ou  de  quelque  auteur  contempo- 
rain de  ce  dernier  (2).  On  ne  peut  douter  de  l'efficacité  de 
ces  exhortations,  à  l'égard  du  plus  grand  nombre  des  fidè- 
les ;  Cassien  suppose  même  que,  de  son  temps,  il  n'y  avait 
pas  moins  d'empressement ,  parmi  eux ,  pour  offrir  les 
dîmes  et  les  prémices  aux  monastères,  que  pour  les  offrir 
à  l'Église  (5).  Il  y  a  tout  lieu  de  croire  que  cette  coutume 
universelle  de  payer  la  dîme  au  clergé ,  donna  lieu  au  pré- 
cepte qu'on  trouve  généralement  établi,  à  ce  sujet,  dans  l'É- 
glise latine  ,  depuis  le  cinquième  siècle  (4). 

Indépendamment  de  ces  sortes  d'offrandes ,  l'Église 
voyait  chaque  jour  augmenter  ses  revenus,  depuis  la  con- 
version de  Constantin  ,  par  de  nouvelles  donations  de  biens- 
fonds.  Un  grand  nombre  de  personnes  riches ,  et  de  la  pre- 
mière qualité  ,  renonçaient  à  leur  patrimoine ,  en  faveur 
de  l'Eglise  ou  des  monastères,  au  moment  de  leur  conver- 
sion, de  leur  eutrée  dans  la  cléricature,  ou  dans  l'état 
monastique  (5).  D'autres  se  dépouillaient  seulement  en 
partie  pendant  leur  vie ,  et  faisaient  leur  testament  en  fa- 
veur de  l'Église,  ou  de  pieux  établissements.  Les  évêques 
surtout,  et  les  autres  ministres  sacrés,  se  faisaient  presque 
toujours   un  devoir  de  disposer  ainsi ,  non-seulement  des 


(1)  «  Eeddite  quœ  sunt  Cœsaris  Çœsari ,  id  est,  nummnm,  tribntum 
«  et  pecuniam  ;  et  quœ  sunt  Dei  Deo,  décimas,  primitias,  et  oblationes  ac 
«  victimas  sentiamus.  »  S.  Hieron.,  Comment,  in  Matth.,  cap.  22.  (Ope- 
rum,  t.  iv,  p.  105.) 

(2)  «  Eeddite  quœ  sunt  Cœsaris  Cœsari ,  et  quœ  sunt  Dei  Deo.  Majo- 
«  res  nostri  ideo  copiis  omnibus  abundabant,  quia  Deo  décimas  dabant,  et 
«  censum  Csesari  reddebant.  »  Saint  Augustin,  Operum,  t.  v;  Append., 
«  Serm.  86  (  aliùs  48  inter  Quinquaginta) ,  n.  3. 

(3)  Cassiani  Collât.  14,  21,  etc. 

(4)  Voyez  les  auteurs  cités  dans  la  note  3  de  la  page  précédente. 

(5)  Thomassin,  ibid.,  liv.  m,  chap.  2  et  3.— De  Héricourt,  ibid.f  3e  part, 
chap.  15,  n.  2. 


120  INTRODUCTION. 

biens  qu'ils  avaient  pu  acquérir  au  service  de  l'Église,  mais 
encore  de  leur  patrimoine ,  lorsqu'ils  n'avaient  pas  de  pro- 
ches parents  (\).  L'histoire  de  cette  époque  nous  offre  un 
grand  nombre  de  faits  à  l'appui  de  ces  assertions  :  nous  rap- 
porterons seulement  ici  quelques-uns  des  plus  remarquables. 
L'impératrice  Pulchérie ,  épouse  de  Marcien ,  non  con- 
tente d'avoir  bâti  et  richement  doté  un  grand  nombre  d'é- 
glises ,  laissa  ,  par  son  testament ,  à  l'Église  et  aux  pauvres , 
tous  ses  biens,  qui  ne  pouvaient  manquer  d'être  considé- 
rables ,  après  la  faveur  et  l'autorité  dont  elle  avait  joui  si 
longtemps;  et  l'empereur  Marcien  ne  fit  aucune  difficulté  de 
confirmer  ces  pieuses  dispositions  (2).  Saint  Ambroise',  lors 
de  son  élévation  sur  le  siège  de  Milan,  prit  la  résolution  de  se 
dépouiller  de  tout,  pour  imiter  la  pauvreté  de  Jésus-Christ. 
Dans  cette  vue,  il  distribua  tout  son  argent  à  l'Église  et  aux 
pauvres ,  et  donna  de  plus  à  l'Église  tous  ses  biens-fonds , 
dont   il    réserva  seulement  l'usufruit  à  sa  sœur    Marcel- 
line  (5).  Saint  Grégoire  de  Nazianze  déclare,  dans  son  tes- 
tament, qu'il  lègue  tout  son  bien  à  l'Eglise,  pour  l'entretien 
des  pauvres  du  lieu  (4).  Saint  Cyrille,  patriarche  d'Alexan- 
drie, laissa,  par  son  testament,  une  partie  considérable  de 
ses  biens  à  son  successeur,  en  lui  recommandant  seulement 
d'avoir  soin  de  ses  neveux  (5). 
La  libérai*  é       ^e  langage  et  les  exhortations  des  saints  docteurs ,  à  cette 
des  fidèles  ex-  époque,  suffiraient  pour  nous  donner  une  grande  idée  de 


(1)  Thomassin,  ibid.,  liv.  h,  chap.  38,  etc. — DeHéricourt,  ibid.,  chap.  13, 
n.  1.  Le  P.  Thomassin  rapporte  textuellement  la  plupart  des  témoignages 
que  nous  allons  citer  en  note,  à  l'appui  des  principaux  faits  qui  établissent 
notre  assertion.  Nous  nous  bornerons ,  pour  abréger,  à  citer  quelques  textes 
plus  remarquables. 

(2)  Sozomen.  Hist.  Eccl., Mb. îx,  chap.  l.— . Theodor.  Lect.  Fragm.  hist.f 
lib.  i,  p.  552  (à  la  suite  des  Histoires  deSozomène  et  de  Socrate. )— Fleury, 
Hist.  Eccl.,  t.  vi,  liv.  xxvhi,  n.  42. 

(3)  Vita  S.  Ambros.  à  Pauline-  ejus  notario scripta ,  n.  3S  (à la  suite 
des  Œuvres  de  S.  Ambroise).  —  Fleury,  Hist.  Eccl.,  t.  iv,  liv.  xvii,  n.  21. 

(4)  S.  Greg.  Oper.  1. 1,  p.  924-928.  —  D.  Ceillier,  Hist.  des  Auteurs  eccl., 
t.  vu,  p.  22. 

(5)  Concil.  Chalced.  act.  3,  cap.  5.  (Concil.  t.  îv,  p.  405.) 


INTRODUCTION.  121 

la  libéralité  ordinaire  des  fidèles,  et  surtout  des  ministres  citée  par  les 
sacrés,  envers  les  pauvres  et  envers  l'Église.  Salvien  bldme  des saims'doe- 
hautement ,  en  plusieurs  endroits  de  ses  ouvrages,  la  con- 
duite des  diacres,  des  prêtres,  et  surtout  des  évoques,  qui, 
n'ayant  point  d'enfants  ou  de  proches  parents,  laissent  leur 
bien  à  des  étrangers,  plutôt  que  de  le  donner  aux  pauvres, 
à  l'Église,  et  à  Dieu  lui-même  (4).  Il  blâme  également  les 
vierges  et  les  veuves,  qui,  n'ayant  pas  de  proches  parents,  ne 
laissent  pas  à  l'Église  une  bonne  partie  de  leurs  biens.  Il 
exhorte  même  les  personnes  du  monde  qui  ont  des  enfants  à 
faire  de  semblables  dispositions,  pour  témoigner  leur  atta- 
chement à  la  mère  commune  de  tous  les  fidèles  (2).  Saint 
Augustin  recommande  aussi  aux  riches  qui  ont  plusieurs 
enfants  ,  de  leur  adjoindre  Jésus-Christ ,  dans  la  per- 
sonne des  pauvres,  en  donnant  à  ceux-ci  une  portion  égale 
à  celle  qu'ils  donnent  à  chacun  de  leurs  enfants.  «  Si  un 
«  père,  dit-il,  n'a  qu'un  enfant,  qu'il  regarde  Jésus-Christ 
«  comme  le  second  ;  s'il  en  a  deux,  qu'il  regarde  Jésus-Christ 
«  comme  le  troisième  ;  s'il  en  a  dix  ,  qu'il  regarde  Jésus- 
«  Christ  comme  le  onzième  (5).  »  Il  invite  ailleurs  ceux  qui 
perdent  quelqu'un  de  leurs  enfants,  à  donner  aux  pauvres  la 
portion  de  leur  bien  qu'ils  destinaient  à  cet  enfant  (4).  Saint 
Jérôme  adresse  la  même  exhortation  à  un  père  riche  et 
puissant,  qui  avait  perdu,  en  peu  de  jours,  deux  de  ses  filles  : 

(1) Salvien, Epist.  adSalonium.  (Biblioth. Patrum,t  vm,p.38l,F.) 

(2)  Salv.  Ad  Eccl.  cath.  lib.  ui,passim.  Voyez  surtout  p.  394 ,  C. 

(3)  «Plané  faciat  quod  sœpe  hortatus  sum;  unum  filium  habet,  putet 
«  Christum  alterum  ;  duos  habet ,  putet  Christum  tertium  ;  deeem  habet, 
«  Christum  undecimum  faciat.»  Saint  Augustin ,  Serm.  de  diversis  355, 
«  (al.  49).  (Operum,  t.  v.) 

(4)  «  vivit  filius  tuus  (scilicet,  in  altéra  vitâ);  interroga  fidem  tuam. 
«  Si  ergo  vivit  filius  tuus,  quare  iuvaditur  pars  ejus  à  fratribus  ejus?  Sed 
«  dices  :  Numquid  rediturus  est,  et  possessurus?  Miltantur  ergo  illi  quô 
«  prsocessit  ille  (scilicet,  ad  cœlum,  mediante  eleemosynâ).  Ad  rem  suam 
«  venire  non  potest  ;  res  ejus  ad  eum  ire  potest  (ope  eleemosynœ).  Si  in  palatio 
«  militaret  filius  tuus,  et  amicus  imperatoris  lieret,  et  diceret  tibi  :  Vende  ibi 
«  partem  meam,  et  mitte  mini  ;  numquid  haberes  quod  responderes?  Modo 
«  cum  imperatore  omnium  imperatorum,  et  cum  rege  regum  est;  mittô 
«  illi,  etc.  »  Saint  Augustin,  Serm.  86  (aliàs  43),  n.  10. 


122  INTRODUCTION. 

«  Au  lieu,  dit-il,  d'enrichir  leur  sœur  du  bien  que  vous 
«  leur  destiniez,  employez-le  à  effacer  vos  péchés,  et  à  nour- 
«  rir  les  pauvres  (4).  » 
78.  Cependant ,  quelque  pressantes  que  fussent ,  en  ce  genre, 

Ils  blâment  .  .,  ...  •>•! 

les  donations  les  exhortations  des  saints  docteurs,  on  doit  remarquer  qu  ils 


excessives 


ou  indiscrètes,  désapprouvaient  et  refusaient  même  les  aumônes  excessives 
et  indiscrètes,  qui  tournaient  au  détriment  des  familles ,  et 
qui  eussent  excité  leurs  justes  réclamations  (2).  Un  homme 
riche  de  Carthage,  qui  n'avait  point  d'enfants,  et  qui  n'es- 
pérait plus  en  avoir ,  avait  donné  tous  ses  biens  à  l'Église , 
ne  s'en  réservant  que  l'usufruit.  Le  donateur  ayant  eu  de- 
puis des  enfants,  Aurèle,  évêque  de  Carthage,  sans  atten- 
dre qu'on  le  lui  demandât,  rendit  à  ce  donateur  tout  ce  que 
l'Église  avait  reçu  de  lui  (5).  Saint  Augustin  ,  qui  rapporte 
ce  trait  avec  de  grands  éloges ,  montra  ,  en  plusieurs  occa- 
sions ,  le  même  désintéressement.  Il  refusait  absolument  les 
héritages  qui  venaient  plutôt  de  la  colère  d'un  père  contre 
-  ses  enfants  ,  que  d'un  sentiment  de  compassion  envers  les 
pauvres;  et  il  blâmait  hautement  les  parents,  qui,  par  une 
charité  mal  entendue ,  dépouillaient  entièrement  leurs  en- 

(1)  «  Bona  liberis  pares,  quae  te  ad  Dominum  praecesserunt;  ut  partes  ea- 
«  rum  non  in  divitias  sororis  proflciant,  sed  in  redemptionem  animas  tuas, 
«  atquc  alimenta  miserorum.  Haec  monilia  filiae  tuae  à  te  expetunt  ;  Iris 
«  gemmis  ornari  capita  sua  volunt.  Quod  periturum  erat  in  serico,  tili- 
«  bus  pauperum  tunicis  servetur.  Repetunt  à  te  partes  suas  :  junctae  sponso, 
«  nolunt  videri  pauperes  et  ignobiles  :  propria  ornamenta  desiderant.  »  S.  Hie- 
ron.  Epist.  adJulian,  92  (aliàs  34).  (Oper.  tom.  îv,  parte  2%  pag.  752.) 

(2)  Ce  point  est  solidement  établi  par  le  P.  Thomassin,  Ancienne  et  nouv. 
Discipline,  tome  m,  liv.  ier,  chap.  17;  chap.  20,  n.  7.  Nous  croyons  cependant 
que  l'auteur  attribue  sans  fondement  à  Salvien  d'autres  sentiments  sur  cette 
matière.  Remarquez  surtout  le  passage  de  Salvien  que  nous  avons  cité  plus 
haut,  note  2  de  la  page  précédente. 

(3)  «  Quicumque  vult,  exhœredato  filio,haeredem  f'acereEcclesiam,  quaerat 
«  alterum  qui  suscipiat,  nonAugustinum  :  imô,  Deo  propitio,  neminem  in- 
«  veniat.  Quàm  laudabile  factum  sancti  et  venerandi  episcopi  Aurelii  Car- 
te thaginensis!  Quomodô  implevit  eos  omnes  qui  sciunt,  laudibus  Dei!  Qui- 
«  dam  enim,  cùm  iilios  non  habei  et,  neque  speraret,  res  suas  omnes,  retento 
«  sibi  usufructu,  donavit  Ecclesiae.  Nati  sunt  ei  filii;  reddidit  ei  episcopus, 
<(  nec  opinanti ,  quœ  ille  donaverat.  In  potestate  habebat  episcopus  non  red- 
«  dere ,  sed  jure  fori ,  non  jure  poli.  »  S.  August.  Serm.  355  (aliàs  49  de 
diversis)  n.  4. 


INTRODUCTION.  123 

fants  et  leurs  proches  parents,  ou  ne  leur  laissaient  pas 
une  fortune  convenable,  eu  égard  à  leur  état.  «  Quiconque , 
«  disait-il ,  veut  déshériter  son  fils  pour  enrichir  l'Église  , 
«  qu'il  cherche  un  autre  qu'Augustin  pour  accepter  sa 
«  donation;  ou  plutôt,  plaise  à  Dieu  qu'il  ne  trouve  per- 
«  sonne  qui  la  reçoive  (\)\  »  Saint  Jérôme,  saint  Ambroise, 
saint  Fulgence  ,  et  plusieurs  autres  saints  docteurs ,  témoi- 
gnent, par  leur  conduite  et  par  leurs  discours,  le  même  es- 
prit de  modération  et  de  désintéressement  (2). 

L'accroissement  des  richesses  du  clergé  se  faisait  surtout        79. 

,.  .  .  .  Richesses  des 

remarquer  dans  les  églises  patriarcales.  Saint  Jérôme  ,  dans      églises 

patriarcales. 

une  lettre  écrite  à  Pammachius ,  vers  1  an  400 ,  suppose 
que  l'Église  de  Jérusalem  possédait  alors  des  richesses  et 
des  revenus  considérables ,  par  suite  du  nombreux  con- 
cours de  pèlerins  qui  s'y  rendaient  continuellement ,  de 
toutes  les  parties  du  monde  (5).  Les  libéralités  de  saint 
Jean  l'Aumônier,  patriarche  d'Alexandrie ,  au  vne  siècle  , 
et  tous  les  détails  de  son  administration ,  supposent  égale- 
ment que  son  Église  avait  alors  des  ressources  immenses, 
pour  le  soulagement  des  pauvres  (4).  A  son  avènement  au 
trône  patriarcal ,  il  trouva  dans  le  trésor  de  son  Église , 
huit  mille  livres  d'or,  qu'il  s'empressa  d'employer  en 
bonnes  œuvres  (5).  Il  se  fit  remettre,  à  la  même  époque, 

(1)  S.  August,  ibid. 

(2)  S.  Hieron.  Marcellœ  epitaphium,  seu  Epist.  96,  adPrincipiam.  (Ope- 
rum,  tom.  iv,  parte  2,  pag.  780.)  —  S.  Ambros.  Expos,  in  Lucam,\\b.  vm, 
n.  77  (  Oper.  tom.  1  ).  —  Vita  S.  Fulgentii,  per  Ferrandum  Diac,  cap.  7, 
(parmi  les  Œuvres  de  S.  Fulgence).  Tous  ces  témoignages  sont  cités  par 
le  P.  Thomassin,  ubi  suprà,  chap.  17,  n.  7. 

(3)  Saint  Jérôme,  dans  une  lettre  à  Pammachius,  contre  les  erreurs  de  Jean, 
évèque  de  Jérusalem,  apostrophe  ainsi  ce  prélat:  «Tu,  qui  sumptibus  abun* 
«  dans,  et  totius  orbis  religio,  lucrum  tuum  est.  »  S.  Hieron.  Epist.  38 
(aliàs  61),  ad  Pammachium.  {Oper.  tom.  iv,  2e  parte,  pag.  314.) 

Le  P.  Martianay,  dans  une  note  sur  ce  passage,  fait  la  réflexion  suivante: 
«  Vides  locupletatos,  tempore  Hieronymi,  sacerdotes,  ex  christianorum  obla- 
«  tionibus,  qui,  religionis  causa,  Jerosolymam  pergebant.  »  Ibid. 

(4)  Vita  S.  Joan.,  per  Leontium.  (Apud  Boll.,  tom.  uJanuar.,  pag  500.) 
—  Fleury,  Hist.  Eccl.,  tom.  vm,  liv.  xxxvii,  n.  11  et  12. — Thomassin,  An- 
cienne et  nouvelle  Discipline,  tom.  m,  liv.  m,  chap.  30  ;  chap.  18,  n.  5. 

(5)  Voyez  la  note  3,  parmi  les  Pièces  justificatives»  à  la  fin  de  ce  vol. 


1 24  INTRODUCTION. 

un  rôle  des  pauvres  de  sa  ville  épiscopale  :  il  s'en  trouva 
plus  de  sept  mille  cinq  cents,  auxquels  il  fournissait  cha- 
que jour  leur  nourriture.  Indépendamment  de  ces  aumônes 
journalières,  le  saint  patriarche  établit,  en  divers  endroits 
de  son  diocèse,  des  hôpitaux  pour  les  étrangers,  les  vieil- 
lards et  les  malades;  et  rien  n'était  épargné  pour  le  sou- 
agement  des  malheureux  qu'on  y  recevait  en  foule.  Sa 
charité  ne  s'exerçait  pas  seulement  sur  les  pauvres  de  son 
diocèse  et  de  sa  province;  elle  fournissait  encore  aux  be- 
soins d'une  multitude  d'églises  et  de  malheureux,  en 
Egypte  et  en  Orient.  Enfin  ,  on  peut  juger  par  un  seul  trait 
des  richesses  de  l'Église  d'Alexandrie  à  cette  époque  :  elle 
perdit ,  en  un  seul  jour ,  sous  le  pontificat  de  saint  Jean 
l'Aumônier,  treize  vaisseaux  de  transport,  qui  portaient 
chacun  environ  dix  mille  boisseaux  de  blé. 
„.   *°-    ,        Toutes  ces  richesses  étaient  bien  surpassées  par  celles  de 

Richesses  de  ri 

l'Église  romaine ,  que  tous  les  fidèles  du  monde  chrétien 
vénéraient  comme  le  centre  de  la  catholicité.  La  plupart 
des  peuples  éclairés  des  lumières  de  la  foi ,  en  étaient  rede- 
vables au  zèle  de  cette  Église,  et  des  missionnaires  qu'elle 
leur  avait  envoyés  ;  ils  conservaient  avec  reconnaissance  le 
souvenir  d'un  si  grand  bienfait ,  et  regardaient  le  respect 
pour  le  saint-siége  comme  le  caractère  distinctif  d'un  vrai 
chrétien.  Ce  sentiment  héréditaire  parmi  tous  les  enfants  de 
l'Église  catholique  se  ranimait  souvent  dans  les  cœurs,  à  la 
nouvelle  des  calamités  que  l'inondation  des  Barbares  atti- 
raient au  saint-siége  ,  et  aux  peuples  d'Italie  qui  s'étaient 
placés  sous  sa  protection.  Dans  toutes  les  parties  du  monde 
chrétien,  les  fidèles  trouvaient  honteux  que  le  chef  de  la 
religion  ,  et  le  vicaire  de  Jésus-Christ  sur  la  terre,  fût  exposé 
aux  incommodités  du  besoin,  ou  gêné  dans  son  administra- 
tion spirituelle ,  par  les  énormes  sacrifices  qu'il  était  obligé  de 
faire  pour  le  salut  du  peuple  confié  à  ses  soins.  Dans  cette 
vue ,  les  princes  et  les  peuples  s'empressaient  de  manifester, 
par  de  riches  offrandes ,  leur  profond  respect  pour  le  suc- 


l'Eglise 

romaine:  ses 

nombreux 

patrimoines. 


INTRODUCTION.  125 

cesseur  de  saint  Pierre ,  et  de  contribuer  de  leurs  biens  au 
soutien  et  au  gouvernement  de  l'Église  universelle.  De 
là  vinrent  les  grandes  richesses  du  saint-siége,  depuis  la 
conversion  de  Constantin.  Dès  la  fin  .du  ive  siècle,  elles 
étaient  déjà  si  considérables,  que  Prétextât,  sénateur  ro- 
main ,  étant  désigné  consul  de  Rome ,  disait  agréablement 
au  pape  Damase  :  Faites-moi  évêque  de  Rome ,  et  à  Vins- 
tant  je  me  fais  chrétien  (A). 

Mais  rien  ne  donne  une  plus  haute  idée  des  richesses  de 
cette  Église,  depuis  le  ive  siècle,  que  le  nombre  et  l'étendue 
de  ses  patrimoines ,  c'est-à-dire,  des  biens-fonds  qu'elle 
possédait  dans  toutes  les  parties  du  monde  chrétien  (2). 
Les  détails  que  nous  avons  donnés  plus  haut,  d'après 
Anastase  le  Bibliothécaire,  sur  la  libéralité  de  Constantin 
envers  l'Église  romaine  ,  ne  permettent  guère  de  douter 
qu'elle  ne  possédât ,  dès  le  temps  de  ce  prince ,  un  grand 
nombre  de  biens-fonds  en  différentes  provinces  de  l'em- 
pire. En  supposant  même,  ce  qui  n'est  guère  vraisembla- 
ble, que  l'ancien  biographe ,  suivi  sur  ce  point  par  Anas- 
tase, ait  pu  se  tromper  sur  la  véritable  origine  de  ces 
patrimoines,  il  fallait  du  moins  qu'à  l'époque  où  cet  au- 
teur écrivait,  ils  appartinssent  déjà  depuis  très-longtemps 
à  l'Église  romaine,  pour  qu'on  lût  alors  généralement 
persuadé  qu'elle  les  avait  reçus  de  Constantin. 

Quoi  qu'il  en  soit  de  cette  dernière  question  ,  les  monu- 
ments qui  nous  restent  de  l'histoire  des  Papes ,  depuis  le 
milieu  du  ive  siècle ,  nous  montrent  le  nombre  des  patri- 
moines de  l'Église  romaine  s'augmentant  de  jour  en  jour 


(1)  «  Miserabilis  Prœtextatus,  qui  designatus  consul  est  mortuus,  homo 
«  sacrilegus,  idoloium  cultor,  solebat  ludens  beato  papœ  Damaso  dicere  : 
«  Facite  me  Romance  urbis  episcopum,  et  ero  protinùs  christianus.  » 
S.  Hieron.,  Epis  t.  38  (aliàs  Gl),  ad  PammacMum.  (Oper.  tom.  îv, 
parte  2,pag.  310.) 

(2)  On  peut  consulter,  sur  cette  matière,  ladixième  Dissertation  du  P.  Zac- 
caria,  dans  le  tome  n,  page  68,  du  recueil  intitulé  :  De  rébus  ad  Hist.  et 
Antiquit.  Ecoles,  pertïnentibus  Dissertationes.  Fulginiœ,  1781,  2  vol. 
in-4°. 


126  INTRODUCTION. 

par  les  libéralités  des  princes  et  des  peuples.  «  Toutes  les 
«  vies  des  Papes,  ditFleury,  depuis  saint  Silvestre ,  et  le 
«commencement  du  ive  siècle  jusques  à  la  fin  du  ixe, 
«  sont  pleines  des  présents  faits  aux  églises  de  Rome  par 
«  les  papes,  par  les  empereurs  et  par  quelques  particuliers; 
«  et  ces  présents  ne  sont  pas  seulement  des  vases  d'or  et 
«  d'argent ,  mais  des  maisons  dans  Rome,  et  des  terres  à 
«  la  campagne ,  non-seulement  en  Italie  ,  mais  en  diverses 
«  provinces  de  l'empire  (1).»  Il  serait  aisé  de  montrer, 
par  une  multitude  de  témoignages ,  la  vérité  de  cette 
assertion.  Il  nous  suffira  de  rappeler  à  ce  sujet  quelques 
faits  plus  remarquables,  et  tirés  des  monuments  les  plus 
authentiques. 

On  voit,  par  les  lettres  de  saint  Grégoire  le  Grand,  que , 
de  son  temps ,  l'Église  romaine  avait  des  patrimoines  consi- 
dérables ,  non-seulement  en  plusieurs  endroits  de  l'Italie , 
mais  en  Dalmatie ,  en  Sicile ,  en  Sardaigne ,  en  Corse  ,  en 
Espagne,  dans  les  Gaules  ,  en  Afrique  ,  et  en  plusieurs  au- 
tres provinces  (2).  Parmi  ces  patrimoines,  les  uns  étaient 
des  biens-fonds ,  dont  l'Église  romaine  percevait  le  revenu  ; 
d'autres  étaient  de  véritable  seigneuries ,  qui  embrassaient 
quelquefois  des  villes  et  des  provinces  entières,  et  dans  les- 
quelles le  Pape  exerçait,  par  le  moyen  de  ses  officiers, 
tous  les  droits  d'un  seigneur  temporel  (5).  Le  nombre  de 

(i)  Fleury,  Mœurs  des  Chrétiens,  n.  50.  —  Zaccaria,  ubi  suprà,  cap.  2 
et  seqq.  —  Hallam,  Y  Europe  au  moyen  âge,  tome  m,  page  296 

(2)  S.  Gregorii  Vita,per  Joann.  Diac.,  lib.  n,  cap.  53,  55,  etc.  —  Ejus- 
dem  Vita  recens  adornata  (  auctore  D.  de  Sainte-Marthe) ,  lib.  m,  cap.  9, 
n.  6.  (  Oper.  tom.  îv.)  —  Fleury,  Hist.  Ecclés.,  tom.  vin,  liv.  xxxv,  n.  15 
et  45.  —  Zaccaria,  ubi  suprà,  cap.  3.  —  Hist.  de  l'Égl.  Gall.,  tome  ni, 
page  311. 

(3)  Zaccaria,  ubi  suprà,  cap.  1. — Saint  Grégoire,  Epist.  lib.  i; 
Epist.  44  et  75;  lib.  ix;  Epist.  19,  99,  100,  etc.  Le  P.  Denys  de 
Sainte-Marthe,  dans  la  Vie  de  saint  Grégoire  {ubi  suprà),  le  P.  Thomas- 
sin  (Ancienne  et  nouvelle  Discipline,  tome  m.  liv.  i,  chap.  27,  n.  7);  le 
P.  Zaccaria  (ubi  suprà,  cap.  3,  n.  13),  et  plusieurs  autres  savants,  sont 
portés  à  croire  qu'au  temps  de  saint  Grégoire  ,  l'Église  romaine  avait  la 
seigneurie  des  villes  de  Naples  et  de  Népi,  où  elle  exerçait  un  grand 
pouvoir  temporel  ;  mais  ce  n'est  là  qu'une  conjecture,  de  l'aveu  de  ces  au- 


INTRODUCTION.  127 

ces  patrimoines  s'accrut  beaucoup  dans  la  suite,  par  les 
donations  successives  de  plusieurs  souverains,  et  des  empe- 
reurs eux-mêmes  (>!).  Des  monuments  authentiques  nous 
apprennent  qu'avant  la  fin  du  vu6  siècle,  l'Église  romaine 
comptait,  parmi  ces  patrimoines,  le  pays  des  Alpes  Cottien- 
nes,  comprenant  la  ville  de  Gênes  et  toutes  les  côtes  voi- 
sines, jusqu'aux  frontières  des  Gaules.  Les  Lombards  ayant 
usurpé  ce  pays  ,  vers  la  fin  du  même  siècle  ,  le  restituèrent 
au  pape  Jean  VII  (vers  l'an  708),  comme  une  ancienne 
propriété  de  l'Église  romaine  (2).  Les  patrimoines  de  cette 
Église  en  Sicile  et  en  Calabre ,  confisqués  vers  le  même 
temps ,  par  l'empereur  Léon  l'Isaurien ,  étaient  si  considéra- 
bles ,  qu'elle  en  retirait  un  revenu  annuel  de  trois  talents  et 
demi  d'or,  c'est-à-dire  plus  de  400,000  francs  de  notre 
monnaie,  selon  l'estimation  la  plus  vraisemblable  (5).  Cette 
valeur    peut  sans   doute  paraître    exorbitante  au  premier 

teurs.  On  peut  supposer,  en  effet,  que  le  Pape,  en  exerçant  le  pouvoir  tem- 
porel dans  ces  deux  villes,  comme  dans  plusieurs  autres  villes  et  provinces 
de  l'Italie,  u'agissait  alors  qu'au  nom  et  comme  représentant  de  l'empereur. 
Les  détails  que  nous  donnerons,  dans  la  première  partie  de  cet  ouvrage,  sur 
le  pouvoir  temporel  exercé  par  saint  Grégoire ,  mettront  cette  observation 
dans  un  nouveau  jour. 

(l)Thomassin,  Ane.  et  nouv.  Discipline,  tom.  m,  liv.  i,  ehap.  27,  n.  8 
et  17.  —  Zaccaria,  ubi  suprà,  cap.  4. 

(2)  Voici  les  propres  expressions  de  Bède,  sur  ce  sujet,  dans  sa  Chronique, 
sous  l'année  708:  «  Aripertus,  rex.  Longohardoruni,multas  cohortes,  et  pa- 
rt trimonia  Alpium  Cottiarum,  quœ  quondam  ad  jus  pertinebant  aposto- 
«  licœ  sedis,  sed  à  Longobardis  multo  tempore  fuerant  ablata,  restitua  juri 
«  ejusdem  sedis;  et  liane  donationem,  aureis  scriptam  litteris,  Romam  di- 
re rexit.  »  (Tome  m  des  Œuvres  de  Bède,  édition  de  Cologne,  8  vol. 
in-fol.) 

Le  même  fait  est  rapporté,  presque  dans  les  mêmes  termes,  par  Paul 
Diacre,  dans  son  Hist.  des  Lombards,  liv.  vj,  cap.  28.  (Tome  xm  de  la  Bi- 
blioth.  des  Pères.)  Voyez  aussi  Baronius,  Annales,  an.  704,  n.  1.  —  Fleury, 
Hist.  Eccl.,  tom.  ix,  liv.  xli,  n.  13.  —  Zaccaria,  ibid.,  cap.  3,  n.  22-28. 

(3)  Ce  fait  est  rapporté,  en  ces  termes,  dans  la  Chronique  de  Théophane, 
à  l'article  de  Léon  l'Isaurien  :  «  Patrimonia  Calabriae  et  Sieiliae,  quse  dicuntur 
«  sanctorum  etcorypliaeorumapostolorum  qui  in  veteri  Româ  coluntur,  tria 
«  nimirum  cum  medio  auri  talenta,  eorum  ecclesiis  ab  antiquo  assignata 
«  et  pensa,  in  publicum  aerarium  conferri  jussit.  »  Theophanes,  Chronogra- 
phia.  Parisiis,  1655,  in-fol.,  pag.  344.— Sur  la  valeur  des  trois  talents  et  demi 
d'or  dont  il  est  question  ici,  voyez  la  note  4  parmi  les  Pièces  justificatives , 
à  la  fin  de  ce  volume. 


128  INTRODUCTION. 

abord  ;  toutefois ,  elle  ne  semblera  pas  incroyable ,  si  l'on 
fait  attention  que,  selon  une  opinion  très-commune  et  très- 
probable  ,  la  plus  grande  partie  des  patrimoines  de  l'Église 
romaine  en  Sicile  et  en  Calabre,  lui  avait  été  donnée  par  les 
empereurs  ,  depuis  Théodose  le  Grand,  en  échange  de  ceux 
qu'elle  possédait  dans  plusieurs  provinces  de  l'Orient,  et  dont 
il  lui  eut  été  difficile  de  percevoir  les  revenus ,  à  cause  des 
fréquentes  irruptions  des  Barbares  dans  ces  provinces  (4). 
8t-    ,        Cet  accroissement  continuel  des  biens  ecclésiastiques ,  sous 

Précieux  rc-  t  x  ' 

suitais      les  empereurs  chrétiens  ,  depuis  le  iv    siècle  jusqu'au  vme , 

des  richesses  L  x  J         * 

du  cierge     montre  assez  quelle  était    à  cette  époque,  la  libéralité  des 

pour  *  ,       , 

le  bien  de  la  princes  et  des  peuples  envers  l'Eglise.  Mais  ce  qui  n'est  pas 
moins  certain  ni  moins  remarquable,  c'est  que  les  ecclé- 
siastiques et  les  religieux  se  montraient  généralement  dignes 
de  cette  libéralité,  souvent  même  l'excitaient,  sans  le  vou- 
loir ,  par  le  saint  usage  qu'ils  en  faisaient.  L'accroissement 
de  leurs  biens  temporels  tournait  généralement  au  profit 
des  pauvres,  et  au  soulagement  de  toutes  les  misères  de 
l'humanité.  On  peut  même  avancer  avec  confiance,  que  ce 
précieux  résultat  des  richesses  du  clergé  fut  un  des  prin- 
cipaux effets  de  l'influence  du  christianisme  sur  la  société , 
et  spécialement  sur  la  classe  des  pauvres ,  de  tout  temps  la 
plus  nombreuse,  mais  si  universellement  négligée  parmi 
les  païens  (2).  L'Église  chrétienne,  dès  son  origine,  parut 

(1)  Zaccaria,  ubi  suprà,  cap.  2,  n.  9. —  Orsi,  Délia  origine  del  dominio 
e  délia  sovranïta  de'  Romani  Pontefici.  In  Roma,  1788,  cap.  2.  La  con- 
jecture de  ces  auteurs  semble  fondée  sur  le  témoignage  même  de  Théophane, 
qui  suppose  qu'à  l'époque  où  Léon  l'isaurien  saisit  le  revenu  des  patrimoines 
de  Sicile  et  de  Calabre,  ces  provinces  étaient  depuis  longtemps  obligées  de 
le  payer  au  saint-siége.  Il  est  bien  difficile  de  croire  que  les  seuls  patrimoines 
de  Sicile  et  de  Calabre  eussent  été  depuis  longtemps  si  considérables,  s'ils 
n'eussent  été  donnés  au  saint-siége  en  échange  de  plusieurs  autres,  situés 
dans  des  provinces  plus  éloignées. 

(2)  Fleury,  Mœurs  des  Chrétiens,  n.  51.  —  Ryan,  Bienfaits  de  la  Re- 
ligion chrét.,  chap.  3,  n.  29,  etc.  —  Thomassin,  Ancienne  et  nouvelle  Dis- 
cipline, tom.  ni,  liv.  4 ,  chap.  47,  etc.  —  De  Héricourt,  Abrégé  du  même 
ouvrage,  troisième  partie,  chap.  19,  n.  2. —  Bergier,  Diction.  Théol.,  article 
Hôpitaux.  —  Naudet,  Des  Changements  opérés  dans  l'administration  de 
l'empire,  tom.  i,  page  118.  On  trouve  aussi  quelques  détails  intéressants  sur- 
ce  sujet  dans  l'ouvrage  de  M.  de  Gérando,  intitulé  :  De  la  Bien/aisance  pu- 


INTRODUCTION.  129 

suscitée  de  Dieu,  pour  réveiller,  à  cet  égard  ,  les  sentiments 
de  l'humanité ,  et  pour  inspirer  à  tous  les  hommes  un 
esprit  de  commisération  ,  auquel  ils  avaient  paru  jusqu'alors 
tout  à  fait  étrangers.  Celait  pour  les  païens  un  spectacle 
tout  nouveau.  A  la  vue  de  la  tendre  charité  qui  unissait  tous 
les  fidèles  entre  eux,  ils  s'écriaient  avec  étonnement,  au 
rapport  de  Tertullien  :  Voyez  comme  ils  s'aiment  les  uns 
les  autres  (\).  L'empereur  Julien  lui-même,   cet  ennemi 

blique.  (Tome  îv,  3e  partie,  pages  271,  etc.,  459,  etc.)  Toutefois,  l'auteur  ne 
paraît  pas  exact  dans  le  jugement  qu'il  porte  sur  les  services  que  la  religion 
chrétienne  a  rendus  à  la  société,  par  l'établissement  des  hôpitaux.  Il  recon- 
naît, à  la  vérité,  qu'on  ne  trouve  rien  de  semblable  dans  l'antiquité,  avant 
le  ive   siècle  de  notre  ère;  et  il  pense  que  le  christianisme  a  créé  ce  nou- 
veau genre  d'établissements,  précisément  à  l'époque  où  le  besoin  commençait 
à  s'en  faire  sentir.  Mais  il  soutient  en  même  temps  que  les  peuples  anciens 
n'éprouvaient  pas  ce  besoin;  que  les  usages  et  les  mœurs  antiques  te  préve- 
naient par  trois  sortes  d'institutions;  savoir  :  l' hospitalité,  les  infirmeries 
domestiques,  et  l'esclavage,  qui  mettait  à  la  charge  du  maître  l'entretien  du 
serviteur.  (Pages  271,  etc.,  460,  etc.)  La  plus  légère  connaissance  de  l'histoire 
suffit,  à  ce  qu'il  nous  semble,  pour  montrer  combien  ces  assertions  sont  peu  fon- 
dées. Il  est  certain,  en  effet,  1°  que  l'usage  ôeY hospitalité  primitive  s'affaiblit 
peu  à  peu,  et  disparut  même  presque  entièrement  chez  les  peuples  anciens, 
particulièrement  chez  les  Grecs  et  les  Romains,  à  mesure  qu'ils  s'éloignèrent 
de  leur  première  simplicité  ;  ce  qui  arriva  certainement  longtemps  avant  la 
naissance  du  christianisme  ;  2°  les  infirmeries  domestiques  n'appartenaient 
pas,  comme  le  suppose  M.  de  Gérando,  à  la  constitution  de  la  famille  chez  les 
peuples  anciens;  elles  n'existaient  que  dans  quelques  familles  riches,  et  seu- 
lement pour  leur  utilité  particulière;  3°  quant  aux  esclaves,  on  sait  qu'ils 
étaient  généralement  traités  avec  une  dureté  excessive,  particulièrement  chez 
les  Grecs  et  les  Romains,  lors  de  l'avènement  de  Jésus-Christ,  et  même  long- 
temps auparavant.  (Voyez  à  ce  sujet  un  Mémoire  de  M.  Bonamy,  Sur  les 
Esclaves  romains,  dans  les  Mém.  de  l'Acad.  des  inscript.,  tome  xxxv  de 
l'édition  in-4°,  page  328;  tome  lxiii  de  l'édition  in-12,  page  102.—  Voyage 
d'Anacharsis,  tome  u,  page  108,  etc.;  tome  iv,  page  105,  etc.  —  Leland, 
Démonst.  Évang.,  tome  m,  pag.  I00,etc,  135,  etc.)  M.  de  Gérando  lui-même 
cite,  à  cet  égard,  des  laits  qui  auraient  dû  lui  faire  modifier  beaucoup  ses 
assertions   (Remarquez  en  particulier  les  pages  468,  etc.)  Au  reste,  il  semble 
reconnaître  lui-même  l'insuffisance  de  ses  preuves,  en  avouant  que  «  les  di- 
«  vers  établissements  de  bienfaisance  qu'on  trouve  chez  les  peuples  anciens, 
«  ne  répondaient  que  d'une  manière  imparfaite  aux  nécessités  du  malheur, 
«  dans  l'état  de  la  société,  telle  qu'elle  existait  alors  »  (page  277).  M.  de  Gé- 
rando eût  sans  doute  évité  cette  espèce  de  contradiction,  s'il  eût  étudié  plus 
attentivement,  sur  cette  matière,  les  auteurs  que  nous  indiquons  au  com- 
mencement de  cette  note. 

(1)  «  Sed  ejusmodi  vel  maxime  dilectionis  (mutuœ)  operatio,  notamnobis 
«  inurit  pênes  quosdam.  Vide,  inquiunt,  ut  invicem  se  diligant;  ipsi  enim 
«  invicem  oderunt.  Et,  ut  pro  alterutro  mori  sintparati;  ipsi  enim  ad 


130  INTRODUCTION. 

déclaré  du  christianisme ,  rougissait  en  comparant ,  sous 
ce  rapport,  les  païens  avec  les  chrétiens;  c'est  ce  qu'on 
voit  en  particulier  par  sa  lettre  à  Arsace ,  pontife  de  Galatie , 
dans  laquelle  il  l'exhorle  à  établir  des  hôpitaux  pour  le 
soulagement  des  pauvres,  à  l'exemple  des  chrétiens,  qui, 
a  outre  leurs  pauvres,  dit-il ,  nourrissent  encore  les  nôtres, 
«  que  nous  laissons  manquer  de  tout  (4).  » 
82.  En  effet,  la  charité  compatissante  et  universelle  du  clergé 

mentschari-  et  des  fidèles  ne  se  manifestait  pas  seulement  par  des  au- 
hôpitaux.  mônes  passagères  et  habituelles ,  mais  encore  par  l'éta 
blissement  d'un  grand  nombre  d'asiles  publics  destinés  au 
soulagement  de  toutes  les  misères  de  l'humanité.  Les 
Grecs  et  les  Romains,  si  distingués  entre  tous  les  peu- 
ples par  leur  civilisation  ,  leur  politique ,  leurs  succès 
dans  les  arts  et  les  sciences,  ignoraient  ou  négligeaient  abso- 
lument cet  admirable  moyen  de  soulager  les  misères  et  les 
infirmités  humaines.  Toute  leur  politique  en  ce  genre,  selon 
la  remarque  de  Fleury  (2),  se  bornait  à  bannir  la  fainéan- 
tise et  les  mendiants  valides,  tout  au  plus  à  quelques  mesures 
passagères ,  pour  les  soulager  dans  certains  temps  de  cala- 
mité. On  ne  voit  point  chez  eux  d'ordre  public  et  habituel 
pour  prendre  soin  des  misérables  qui  ne  peuvent  rendre 
aucun  service  à  la  société  :  on  n'y  voit  aucun  de  ces  établis- 
sements charitables ,  que  le  christianisme  a  rendus  si  com- 
muns dans  la  plupart  des  pays  où  il  s'est  établi ,  et  dont  il 
paraît  avoir  donné  au  monde  la  première  idée.  Les  anciens 
auteurs ,  qui  ont  décrit  plus  en  détail  les  monuments  de 
Rome ,  de  Gonstantinople  ,  et  des  autres  villes  célèbres  de 
l'antiquité,  font  bien  mention  des  palais,  des  bains,  des  théâ- 
tres, des  temples,  des  ports,  des  greniers  publics,  des  pri- 
sons, et  d'autres  édifices  d'utilité  publique;  mais  ils  ne  par- 

«  occidendum  alterutrum  paratiores.  »  Tertullien,   Apologetic,  cap.   39. 

(1)  Julien,  Epist.  49,  ad  Arsacium  Pontif.  (Juliani  Oper.  pag.  430 
de  l'édition  in-fol.)  Cette  lettre  se  trouve  à  la  suite  de  la  Vie  de  l'empereur 
Jovien,  par  Labletterie,  pag.  468,  etc. 

(2)  Fleury,  Mœurs  des  Chrét.,  n.  51. 


INTBODUCTION.  131 

lent  d'aucun  établissement  destiné  à  recevoir  les  malades  et 
les  infortunés  (1).  F.es  premiers  hôpitaux  dont  il  soit  parlé 
dans  l'histoire,  sont  dus  à  la  charité  des  chrétiens.  Saint 
Grégoire  de  Nazianze,  dans  son  Discours  contre  Julien  , 
composé  en  565,  suppose  qu'ils  avaient  déjà  formé  un  grand 
nombre  de  ces  pieux  asiles,  avant  le  règne  de  ce  prince, 
qui  essaya  inutilement  d'en  former  de  semblables  (2).  Depuis 
celte  époque,  on  vit  ce  nouveau  genre  d'établissements 
se  multiplier  avec  rapidité  dans  toutes  les  parties  de  l'em- 
pire ,  et  dans  tous  les  lieux  où  pénétra  le  christianisme. 
Saint  Basile  fit  bâtir,  dans  sa  ville  épiscopaie ,  un  hôpital 
pour  les  pauvres,  vers  l'an  572,  et  parvint  même  depuis  à 
en  faire  construire  dans  plusieurs  autres  villes  ou  bourgades 
de  son  diocèse  (5).  Quelques  années  après,  saint  Pamniaque 
en  établissait  un  à  Porto,  près  de  Rome,  pour  les  étrangers, 
et  un  autre  à  Rome,  de  concert  avec  une  dame  romaine, 
nommée  Fabiola,  qui  s'y  consacra  elle-même,  avec  la  plus 
tendre  charité,  au  service  des  malades  (4).  Vers  le  même 
temps,  saint  Augustin  fit  construire  à  Hîppone  un  hospice 
pour  les  étrangers  (5),  et  saint  Gallican  un  autre  à  Ostie  (6). 


(1)  Les  infirmeries  {valetudinaria)  dont  il  est  question  dans  Sénôqne,  Co- 
lumelle,  et  quelques  autres  anciens  auteurs,  n'étaient  point  des  établisse- 
ments publics,  mais  des  appartements  placés  dans  l'intérieur  ou  dans  le  voi- 
sinage de  la  maison  des  grands,  pour  ceux  de  leurs  serviteurs  qui  y  étaient 
attachés.  Voyez  les  notes  de  Juste  Lipse  sur  Séuèque,  De  Ira,  lib.  i,  cap  16; 
et  Epist.  11 .  —  Columelle,  De  re  Rusticâ,  lib.  xi,  cap.  1.  —  Ryan,  Bien- 
faits du  Christ. y  chap.  3,  n.  31. 

(2)  «  Diversoria  et  hospitales  domos,  monasteria  item  et  virginuni  cœ- 
«  nobia  eediiicare  statnebat,  simùlque  et  benignitatem  erga  pauperes  ad* 
«  jnngere,  cùm  in  aliis  rébus,  tum  in  commendatitiis  epistolis  sitam,  quibus 
«  eos  qui  inopiâpremuntur,  ex  gente  ad  gentem  transmittiinus;  quse  vide- 
«  licet  ille  in  nostris  rébus  praesertim  admiratus  fuerat Illius  autem  co- 
te natus  inanis  et  irritus  fuit,  etc.  »  Saint  Greg.  de  Naz.,  Orat.  1,  contra 
Julian  ,  n.  111  et  112.  (Edit.  Benedict.,  tom.  1,  pag.  138.) 

(3)  Saint  Basile,  Epist.  94,  142,  143,  176,  etc.  (Oper.  tom.  ni.)  —  Saint 
Greg.  de  Naz.,  Orat.  43  (aliàs  20);  n.  63.  (Oper.  tom.  i,  pag.  817.) 

(4)  Saint  Jérôme,  Epist.  54  ad  Pammach.,  pag.  586;  Epist.  84,  ad 
Oceanum.  (Operum,  tom.  iv,pag.  662.) 

(5)  Saint  Augustin,  Serm.  356,  n.  iO.  (Operum,  tom.  v.) 

(6)  Baronius,  Martyrol.,  25  juin. 

9. 


132  IftTaODtJCTION. 

Plusieurs  constitutions  de  l'empereur  Justinien  supposent 
qu'il  y  avait,  de  son  temps,  un  grand  nombre  d'hôpitaux  éta- 
blis dans  les  différentes  parties  de  l'empire,  et  accordent  de 
grands  privilèges  à  ces  précieux  établissements  (4). 

Ducange,  dans  la  description  des  monuments  élevés  à 
Constantinople  sous  les  empereurs  chrétiens,  y  compte  jusqu'à 
trente-cinq  maisons  de  charité,  destinées  au  soulagement  de 
différentes  sortes  de  pauvres  (2).  La  plupart  de  ces  maisons 
étaient  désignées  par  des  noms  qui  annonçaient  leur  destina- 
tion. On  appelait  Brepholrophium ,  l'hôpital  destiné  à  re- 
cevoir les  petits  enfants  à  la  mamelle  ;  Orphanotrophium, 
l'hospice  des  orphelins;  Nosocomium,  celui  des  malades; 
Xenodochium,  celui  des  étrangers  ou  des  passants;  Geronto- 
comium,  celui  des  vieillards  ;  Ptochotrophium,  celui  où  l'on 
recevait  généralement  toutes  sortes  de  pauvres.  Ces  établisse- 
ments étaient,  pour  l'ordinaire,  placés  sous  la  surveillance 
de  l'évêque,  qui  chargeait  un  prêtre  de  le  représenter  dans 
cette  fonction  ,  et  qui  n'épargnait  rien  pour  procurer  aux 
pauvres  et  aux  malades  toutes  sortes  de  soulagements  (5). 
83  Les  évêques  avaient  aussi  grand  soin  de  la  sépulture  des 

Bachatdes  ,  .  ..  .  ,    ,  • 

captifs  :     pauvres,  et  du  rachat  des  captits  qui  avaient  ete  pris  par  les 

affranchisse-    _,  ....  iii»i  i 

ment       Barbares,  comme  il  arrivait  souvent  dans  la  décadence  de 

des  esclaves.    „  .  .  . 

J  empire.  Ils  vendaient  jusqu  aux  vases  sacres  pour  ces  sortes 
d'aumônes.  C'est  ce  que  fit  en  particulier  saint  Àmbroise, 
pour  le  rachat  des  captifs  enlevés  par  les  Goths,  sous  l'empire 
de  Valens  et  de  Gratien  (4) .  Vers  le  même  temps,  saint  Exu- 
père  de  Toulouse  se  réduisit  par  là  à  une  telle  pauvreté,  qu'il 


(1)  Cod.  Justin. y  lib.  i,  tit.  n,  n.  19  et  22,  et  alibi  passim? 

(2)  Ducange,  Hist.  Byzant.  parte  2e,  Descript.  Constantinopoleos 
Christianœ,  lib.  rv,  §  9  (page  113  de  l'édit.  de  Venise). 

(3)  Saint  Ëpiphane,  Hœresi,  75,  n.  1.  On  doit  corriger,  d'après  ces  détails, 
cette  assertion  singulière  de  quelques  auteurs  modernes,  qui  rapportent  à  l'é- 
poque des  premières  croisades  l'origine  des  hôpitaux.  Voyez  Peyrilhe,  Hist. 
de  la  Chirurgie,  liv.  v,  pag.  421.  —  Choiseul-Daillecourt,  Influence  des 
Croisades,  page  203. 

(4)  Saint  Ambroise,  De  Offic.,\\b.  n,  cap.  11  et  28.— Fleury,  liv.  17,  n.  39. 


INTRODUCTION.  133 

était  obligé  de  déposer  le  corps  de  Notre-Seigneur  dans  une 
corbeille  d'osier,  et  le  précieux  sang  dans  un  calice  de 
verre  (1). 

Un  autre  exercice  de  charité,  singulièrement  estimé  dans 
l'Église,  et  dont  le  clergé  surtout  donnait  l'exemple,  c'était  le 
rachat  et  l'affranchissement  des  esclaves,  principalement  de 
ceux  qui  étaient  chrétiens,  et  qui  appartenaient  à  des  maîtres 
juifs  ou  païens.  Dès  l'origine  du  christianisme ,  cet  acte  de 
charité  avait  été  considéré  comme  un  des  plus  excellents,  et 
des  plus  conformes  à  l'esprit  de  la  religion.  Ce  fut  pour  en 
favoriser  l'exercice,  que  Constantin  permit  d'abord,  en  524  , 
de  faire  les  affranchissements  dans  l'Eglise,  en  sorte  que  la 
seule  présence  du  clergé  et  du  peuple  fidèle  tint  lieu  de  toutes 
les  formalités  auparavant  requises  pour  leur  validité.  Bien 
plus,  il  permit  généralement  aux  clercs  d'affranchir  leurs 
esclaves,  même  en  particulier,  sans  aucun  acte  public,  et 
par  une  simple  manifestation  de  leur  volonté  (2)  ;  et,  quoi- 
qu'il eût  généralement  défendu  d'exercer  le  dimanche  aucun 
acte  judiciaire,  il  excepta  formellement  de  cette  défense  les 
affranchissements,  les  considérant  comme  acte  de  piété  très- 
convenable  en  ce  saint  jour  (5).  Depuis  cette  époque,  les  af- 


(1)  Saint  Jérôme,  Epist.  95,  ad  Rusticum  Monach.  (  Operum  tom.  iv, 
pag.  778.) 

(2)  «  Qui  religiosâ  mente,  in  Ecclesiae  gremio,  servulis  suis  meritam  con- 
«  cessent  libertatem,  eamdem  eodem  jure  douasse  videatur,  quo  civitas 
«  Romana  solemuitatibus  decursis  dari  consuevit  ;  sed  hoc  duntaxat  iis  qui 
«  sub  aspectu  antistitum  dederint,  placuit  relaxari.  Clericis  autem  ampliùs 
«  concedimus,  ut,  cùm  suis  famulis  tribuunt  libertatem,  non  solùm  in  con- 
«  spectu  Ecclesiae  ac  religiosi  populi  plénum  fructum  libertatis  concessisse 
«  dicauiur  (i.  e.  censeanlur),  verùm  etiam,  cùm  postremo  judicio  liberta- 
«  tes  dederint,  seu  quibuscumque  verbis  dari  praeceperint;  itaut,  ex  die 
«  publicalae  voluntatis,  sine  aliquo  juris  teste  vel  interprète,  competat  di- 
«  recta  (i.  e.  intégra  etplena)  libellas.  »  Cod.  Theod.,  lib.  iv,  tit.  \n,  n.  1. 
—  D.  Ceillier,  Hist.  des  Aut.  eccl.,  tome  îv,  page  171.  — Voyez  à  ce  sujet  un 
Mémoire,  de  fiouchaud,  parmi  les  Mémoires  de  l'Académie  des  Inscript., 
édition  in-4°,  tome  xl,  page  119. 

(3)  «  Sicut  indignissimnm  videbatur  (  vigente  paganismo  )  diem  solis , 
«  veneralione  suî  celebrem,  altercantibus  jurgiis,  et  noxiis  partium  conten- 
«  tionibus  occupari;  ita  gratum  ac  jueundum  est,  eo  die  quae  sunt  maxime 
«  votiva  (i.  e.  quœ  votis  maxime  expetuntur)  compleri.  Atque  ideo  eman- 


merises  de 
l'Église 
romaine. 


134  INTRODUCTION. 

franchissements  devinrent  de  jour  en  jour  plus  fréquents.  Les 
ecclésiastiques ,  et  surtout  les  évêques  ,  non  contents  de  re- 
commander la  compassion  envers  les  esclaves,  affranchirent 
ordinairement  un  grand  nombre  de  ceux  qui  leur  apparte- 
naient.   Saint   Grégoire   le    Grand   renouvela    souvent  cet 
exemple  de  charité ,  et  ne  négligea  aucune  occasion  d'en 
inspirer  la  pratique  au*  évêques,  et  même  généralement  à 
\      tous  les  fidèles  (\).  Les  principes  et  les  exemples  des  premiers 
siècles  sur  ce  point,  généralement  suivis,  même  chez  les  na- 
tions les  plus  barbares,  à  mesure  qu'elles  se  soumirent  au 
christianisme,  amenèrent  insensiblement  l'abolition  de  l'es- 
clavage dans  toute  l'Europe  chrétienne  (2). 
Libéralités im-      L'Église  romaine  surtout  multipliait  ses  aumônes  et  ses 
libéralités  ,  à  mesure  qu'elle  voyait  augmenter  ses  revenus. 
Depuis  le  temps  des  persécutions ,  l'histoire  nous  montre  les 
souverains  pontifes  ,  constamment  appliqués  a  faire  tourner 
au  soulagement  des  pauvres  et  à  l'entretien  des  églises,  les 
riches  offrandes  que  leur  attirait,  de  tous  côtés,  la  piété  des 
princes  et  des  peuples.  C'est  ce  que  saint  Jérôme  rapporte  en 
particulier  du  pape  Anastase  Ier,  qu'il  nomme,  à  cette  occa- 
sion, un  homme  d'une  très-riche  pauvreté,  et  d'une  sollici- 
tude vraiment  apostolique  (5).  Saint  Léon  le  Grand  consa- 
crait, avec  une   générosité   sans  bornes,    les   revenus  du 
saint-siége  ,  à  réparer  les  calamités  que  l'Italie  avait  alors  à 
souffrir  de  l'irruption  des  Vandales,  et  spécialement  à  ré- 
tablir les  églises  de  Rome  qu'ils  avaient  détruites  ou  pil- 
lées (4).  Le  pape  Gélase  1er  se  réduisit  volontairement  à  la 

«  cipandi  et  manumittendi,  die  festo,  cuncti  licentiam  habeant,  et  super  his 
«  rébus  actus  non  probibeantur.  »  Ibid.,  lib.  h,  tit.  vin,  n.  1. 

(1)  Joan.  Diac.  VitaS.  Greg.,  lib.  iv,  cap. 44.— S.  Greg.  Epistol.  lib.  \i; 
Epist.  32  et  33,  et  alibi  passim. 

(2)  Ryan,  Bienfaits  du  Christianisme,  chap.  3,  n.  32.  —  L'Ami  de  la 
Religion,  tome  lxxxviii,  page  17.  —  Bibliographie  Catholique,  Ve  année, 
page  221.  —  De  Maistre,  Du  Pape,  tome  n,  liv.  m,  chap.  2. 

(3)  «  Vir  ditissimse  paupertatis,  et  apostoliese  sollicitudinis.  »  S.  Hieron. 
Epist.  97,  ad  Demetriad.  (Oper.  tom.  iv,  parte  2,  pag.  793.) 

(4)  «  Hic  renovavit,  post  cladein  Vandalicam,  omnia  ministeria  (i.  e.  orna- 
«  menta  sive  utensilia)  argentea,  peromnes  titulos  (Ecclesiarum  Romanae 


INTRODUCTION.  1  ^ 

pauvreté,  pour  nourrir  une  multitude  de  malheureux  (\). 
Le  pontificat  de  saint  Grégoire  surtout  mérite  d'être  cité 
comme  un  des  plus  parfaits  modèles  de  la  charité  pasto- 
rale (2).  Ce  grand  pape  était  saintement  prodigue  des  biens 
de  l'Église,  pour  le  soulagement  des  pauvres,  non-seulement 
à  Rome  et  en  Italie,  mais  dans  toutes  les  parties  de  la  chré- 
tienté. Le  recueil  de  ses  lettres  est  plein  de  celles  qu'il  écri- 
vait aux  administrateurs  ou  recteurs  des  patrimoines  de 
l'Église  romaine,  situés  en  divers  pays,  pour  exciter  de  plus 
en  plus  leur  charité!  envers  les  monastères,  les  orphelins,  les 
veuves,  les  pauvres  de  toute  espèce ,  et  surtout  les  pauvres 
honteux.  Pour  animer  ses  inférieurs  par  son  exemple,  il  fai- 
sait lui-même  journellement  à  Rome  des  aumônes  abondantes, 
qu'il  redoublait  encore  en  certains  temps  de  l'année,  le  pre- 
mier jour  de  chaque  mois,  aux  approches  des  grandes  solen- 
nités, et  surtout  au  milieu  des  calamités  que  les  incursions 
des  Barbares  attiraient  alors  si  fréquemnient  sur  l'Italie  et  sur 
les  autres  provinces  de  l'empire,  en  Occident.  Parmi  les  pau- 
vres qu'il  soulageait  à  Rome,  il  nous  apprend  lui-même  qu'il  y 
avait  trois  mille  religieuses,  auxquelles  il  donnait  chaque  année 
quatre-vingts  livres  d'or,  c'est-à-dire,  environ  92,460  francs 
de  notre  monnaie  (5).  On  voyait  encore,  au  ixe  siècle,  dans 

«  urbis) Renovavit  Basilicam  beati  Pétri  apostoli,  et  fecit  ibi  cameram 

«  (i.  e.  fornicem)  quam  et  ornavit;  et  beati  Pauli  Basilicam  post  ignem  divi- 
«  num  renovavit  ;  fecit  et  cameram  in  eâdem  similiter,  et  in  Basilicâ  Constan- 
te tiniauâ,  etc.  »  Anastas.  Biblioth.  VitaS-  Leonis. — Labbe,  Concil.,  tom.m, 
pag.  1290. 

(1)  Ce  fait  est  consigné,  par  Denys  le  Petit,  dans  une  Préface  qu'il  mit  à  la 
tête  de  son  Code  de  Canons,  en  l'adressant  à  Julien,  prêtre  du  titre  de  sainte 
Anastasie.  L'auteur  de  cette  Préface  y  fait  un  grand  éloge  du  pape  Gélase, 
et  surtout  de  sa  charité  envers  les  pauvres  :  «  Tantà  misericordiâ,  cum 
«  animi  alacritate,  clarescebat,  ut  omnes  ferè  pauperes  satians,  inops  ipse 
«  moreretur.  »  Dionys.  Exig.  Prœf.  in  Can.  (Labb.  Concilior.  tom.  i, 
pag.  4.) 

(2)  Joan.  Diac,  VitaS.  Greg.,  lib.  h,  n.  24,  etc.,  51,  etc.— S.  Greg.  Vita 
recens  adornaia,  lib.  u,  cap.  3,  n.  5;  lib.  m,  cap.  9,  n.  2,  etc.  (Tonieiv  des 
Œuvres  de  saint  Grégoire.) —  Thomassin,  Ancienne  et  nouvelle  Disci- 
pline, tome  m,  liv.  m,  ebap.  29,  n.  14,  etc. — Fleury,  Hist.  EccL,  tome  vm, 

liv.  35,  n.  16. 

(3)  Voici  les  propres  expressions  de  saint  Grégoire,  dans  une  lettre  à  la 


136  INTRODUCTION. 

le  palais  de  Latran,  un  registre  des  pauvres  de  tout  âge  et 
de  tout  sexe,  que  le  saint  pape  soulageait  habituellement 
à  Rome,  en  Italie,  et  dans  les  villes  d'outre-mer,  et  des  au- 
mônes réglées  qu'il  leur  faisait.  Le  nombre  de  ces  pauvres 
était  si  prodigieux,  que  l'auteur  qui  en  parle  n'ose  le  marquer 
en  détail,  dans  la  crainte  de  fatiguer  son  lecteur  (4).  Long- 
temps avant  saint  Grégoire,  il  y  avait,  dans  tous  les  lieux  où 
l'Eglise  romaine  avait  des  patrimoines,  un  hôpital  pour  les 
pauvres,  nommé  Diaconic,  parce  qu'il  était  ordinairement 
administré  par  un  diacre.  Non  content  de  maintenir  cette 
charitable  institution,  saint  Grégoire  mandait  souvent  aux 
recteurs  des  patrimoines  du  saint-siége,  d'employer  tous  les 
revenus  qu'ils  en  tiraient,  à  soulager  les  pauvres  du  pays;  et 
il  déclare  nettement,  dans  une  de  ses  lettres,  que  s'il  envoie 
des  clercs  pour  gouverner  ces  patrimoines,  c'est  bien  moins 
pour  en  éviter  la  dissipation,  que  pour  les  faire  tourner,  par 
une  sage  administration,  au  profit  d'un  plus  grand  nombre 
de  malheureux  (2). 

Ce  n'était  pas  seulement  envers  les  pauvres,  qu'il  se  mon- 
trait si  prodigue  des  biens  de  l'Église.    Nous  le   verrons 


princesse  Théoctiste,  sœur  de  l'empereur  Maurice,  qui  lui  avait  envoyé 
trente  livres  d'or  (environ  34,560  francs  de  notre  monnaie)  pour  le  ra- 
diât des  captifs,  et  pour  le  soulagement  des  pauvres.  «  Medietatem  pe- 
«  cuniee  quam  transmisistis,  in  eorum  (captivorum)  redemptionein  trans- 
«  misi.  De  medietate  verô  ancillis  Dei ,  quas  vos  Groecâ  lingnâ  monaslrias 
«  (latine  sanctimoniales)  dicitis,  lectisternia  emere  disposui,  quia  in  lectis 
«  suis  gravi  nuditate,  in  hujus  hiemis  vehementissimo  f'rigore,  laborant.  Quae 
«  in  hâc  orbe  multae  sunt  ;  nam  juxta  notitiam  quâ  dispensantur,  tria  millia 
«  reperiuntur;  et  quidem  de  sancti  Petti  apostolorum  principis  rébus,  octo- 
«  gïnta  annuas  libras  accipiunt.  Sed  ad  tantam  multitudinem  isla  quid 
«  sunt,  maxime  in  hâc  urbe,  ubi  omnia  gravi  pretio  emuntur?  »  S.  Greg. 
Epistol.  lib.  vu,  Epist.  26.{Oper.  tom.  u,  pag.  872.)  Pour  l'estimation  des 
quatre-vingts  livres  d'or,  voyez  la  note  2,  parmi  les  Pièces  justificatives,  à 
la  fin  de  ce  volume. 

(1)  Joan.  Diac.  Vita  S.  Greg.,  lib.  n,  n.  30. 

(2)  «  Non  solùm  frequentibus  praeceptionibus,  sed  etiam  prsesentem  te  sœ- 
«.  piùs  monuisse  me  memini,  ut  illic  vice  nostrâ,  non  tantùm pro  utilita- 
«  tïbus  ccclesiasticis ,  quantum  pro  sùblevandis  pauperum  necessitati- 
«  bus,  fùngereris,  et  eos  magis  à  cujuslibet  oppressionibus  vindicares.  » 
S.  Greg.  Epistol.  lib.  i,  Epist.  55.  (Oper.  tom.  h,  pag.  547.) 


INTRODUCTION.  137 

bientôt  les  employer,  avec  la  même  libéralité,  pour  la  défense 
de  l'empire,  alors  si  fortement  attaqué  en  Italie  par  les 
Lombards  ;  et  nous  verrons  sa  générosité,  sur  ce  point,  ser- 
vir de  règle  et  de  modèle  à  tous  ses  successeurs,  pendant 
toute  la  durée  de  l'empire  romain  en  Occident. 

En  présentant  ce  tableau  des  vertus  et  de  la  charité  du     ,  8r>- 

1  L  accroisse- 

clergé  à  l'époque  dont   nous  parlons ,    nous  sommes  bien     !nent  de* 

éloigné  de  croire  qu'il  n'y  eût  alors  aucun  abus  dans  Fu- sîas,tifiues  •  s*' 

"  i  J  neralement 

sage  et  l'administration  des  biens  ecclésiastiques,    ou   que  avantageux  à 

"  J  J  la  société. 

tous  les  membres  du  clergé  se  rendissent  également  re- 
commandables  par  leur  désintéressement  et  leur  générosité. 
Il  faudrait  être  aussi  étranger  à  la  connaissance  de  l'homme 
qu'à  celle  de  l'histoire,  pour  ignorer  que  les  siècles  mêmes 
les  plus  féconds  en  vertus ,  ont  à  gémir  sur  bien  des  désor- 
dres. Tant  qu'une  société  sera  composée  d'hommes  et  non 
pas  d'anges ,  on  pourra  bien  désirer ,  mais  non  espérer  la 
fidélité  constante  de  tous  ses  membres  aux  règles  sévères  du 
détachement  et  de  l'abnégation  évangéliques.  Il  était  donc 
impossible  que  l'accroissement  des  richesses  de  l'Église  ne 
fût,  pour  quelques-uns  de  ses  ministres,  une  occasion  de 
luxe  et  de  relâchement  ;  et  nous  avouerons  sans  peine  que 
l'histoire  même  des  beaux  siècles  dont  nous  venons  de  par- 
ler offre  plusieurs  exemples  de  cet  abus.  Mais  quelque  réels 
qu'aient  pu  être  ces  abus ,  trop  souvent  exagérés  par  la  ma- 
lignité des  ennemis  de  la  religion ,  il  est  constant  que  les 
écarts  de  quelques  particuliers  ne  sauraient  diminuer,  aux 
yeux  d'un  esprit  droit  et  impartial ,  l'éclat  des  vertus  géné- 
ralement pratiquées  dans  le  corps  dont  ils  étaient  membres. 
Pour  peu  qu'on  lise  attentivement  l'histoire  de  l'époque  dont 
nous  parlons,  on  ne  peut  s'empêcher  de  reconnaître  que  le 
clergé  se  rendait  alors  généralement  recommandable  par  sa 
charité ,  comme  par  toutes  les  autres  vertus  propres  à  son 
état;  que  l'accroissement  de  ses  richesses  fut,  pour  la  so- 
ciété tout  entière,  et  spécialement  pour  toutes  les  classes 
de  malheureux ,  une  source  féconde  d'institutions  utiles  ,  et 


138  INTRODUCTION. 

de  ressources  jusqu'alors  inconnues  ;  enfin ,  que  l'Église,  loin 
de  favoriser  dans  ses  ministres  le  goût  du  luxe  et  des  super- 
fluités  que  les  grandes  richesses  entraînent  naturellement 
après  elles,  le  combattit  efficacement  par  de  sages  règle- 
ments, et  par  l'exemple  d'une  multitude  de  saints  pasteurs  ; 
en  sorte  que,  malgré  les  abus  particuliers  qu'elle  n'a  pu 
empêcher,  ou  qu'elle  a  été  obligée  de  tolérer,  l'accroisse- 
ment de  ses  richesses  n'a  pas  été  moins  avantageux  à  la  société, 
qu'honorable  aux  sentiments  religieux  qui  avaient  engagé 
les  princes  et  les  peuples  à  se  montrer  si  généreux  envers 
le  clergé. 

injustfce  des  ^n  Peut  juSer>  Par  ces  observations,  combien  sont  injustes, 
'"cmitir*    et  déplacées ,  les  invectives  de  quelques  auteurs  modernes 

le  eeesujét.sm  contre  le  clergé  des  plus  beaux  siècles  de  l'Église ,  à  l'oc- 
casion du  rapide  accroissement  des  biens  ecclésiastiques, 
depuis  la  conversion  de  Constantin.  «  Dans  cette  transition 
«  rapide  ,  d'un  état  de  misère  et  de  persécution  au  faîte  de 
«  la  prospérité ,  dit  un  de  ces  auteurs,  l'Église  dégénéra  bien- 
ce  tôt  de  sa  pureté  primitive ,  et  perdit  ses  titres  au  respect 
«  des  siècles  futurs,  dans  la  même  proportion  qu'elle  ac- 
u  quérait  l'aveugle  vénération  du  sien.  La  cupidité  surtout 
«  devint  un  vice  caractéristique  du  clergé  (4).  »  Des  accu- 
sations si  odieuses ,  dirigées  contre  le  corps  entier  du  clergé, 
à  l'époque  dont  il  s'agit ,  sont  en  opposition  manifeste  avec 
l'histoire,  qui  nous  montre,  au  contraire,  le  clergé  alors 
généralement  digne  de  la  libéralité  des  princes  et  des  peu- 
ples, par  la  pratique  de  toutes  les  vertus  chrétiennes,  et 
surtout  par  une  tendre  et  inépuisable  charité  envers  les 
pauvres.  La  loi  de  Valentinien  1er  que  nous  avons  citée 
plus  haut  (2) ,  et  que  l'auteur  invoque  à  l'appui  de  ses  as- 
sertions, suppose  bien  qu'un  certain  nombre  de  clercs 
étaient  alors  suspects,  peut-être  même  coupables  d'avarice 
et  de  cupidité.    Mais  prétendre  que  ces  vices  dominaient 

(1)  Hallam ,  L'Europe  au  moyen  âge,  t.  in,  p.  294. 

(2)  Ci-dessus,  n.  75,  pag.  116. 


INTRODUCTION.  139 

alors  dans  le  clergé ,  et  formaient  son  caractère  distinctif , 
c'est  une  supposition  ,  non-seulement  gratuite,  mais  claire- 
ment démentie  par  l'histoire.  Aussi ,  l'auteur  que  nous  ve- 
nons de  citer  n'a  pu  s'exprimer  ainsi  sans  contredire  le 
témoignage  universel  des  plus  savants  auteurs ,  même  de  sa 
communion  (4). 

Au  reste,  ce  n'est  pas  d'aujourd'hui  que  les  biens  du 
clergé  lui  ont  altiré  les  reproches  et  la  jalousie  de  ses  en- 
nemis, et  que  la  conduite  irrégulière  d'un  petit  nombre 
d'ecclésiastiques  a  donné  lieu  aux  langues  médisantes  de  dé- 
clamer contre  le  corps  entier  dont  ils  étaient  membres.  Dans 
le  temps  même  dont  nous  parlons,  il  se  trouvait  non- seulement 
parmi  les  païens,  mais  quelquefois  parmi  les  chrétiens,  des 
esprits  critiques  et  malins  qui  jugeaient  le  clergé  avec  une 
excessive  sévérité  ,  et  qui ,  sous  le  prétexte  de  le  rappeler 
à  la  perfection  de  son  état,  lui  reprochaient  hautement  ses 
richesses  ,  et  l'abus  qu'il  en  faisait  pour  se  procurer  les  dou- 
ceurs et  les  commodités  de  la  vie.  C'est  ainsi  qu'Ammien 
Marcellin ,  auteur  païen  et  très-opposé  au  christianisme, 
affecte  de  relever  la  différence  qui  se  trouvait  dès  la 
fin  du  ive  siècle ,  entre  le  Pape  et  les  évêques  des  provin- 
ces, sous    le    rapport  de    l'aisance    et  des  richesses    (2); 

(1)  Ryan ,  Bienfaits  du  Christianisme,  chap.  3,  n.  29,  etc.  Cet  auteur 
en  cite  plusieurs  autres,  appartenant  comme  lui  à  l'Église  anglicane. 

M.  Beugnot,  dans  son  Hist.  de  la  destruction  du  pagan.  en  Occident, 
est  sans  doute  bien  éloigné  d'adopter  les  odieuses  déclamations  de  Hallam, 
sur  cette  matière.  Toutefois,  on  peut  lui  reprocher  de  les  favoriser,  par  l'i- 
dée peu  avantageuse  qu'il  donne  en  général  des  dispositions  du  clergé,  à 
cette  époque ,  et  même  des  dispositions  de  saint  Ambroise ,  qu'il  repré- 
sente comme  dominé  par  un  esprit  de  cupidité ,  assez  mal  dissimulé  dans 
ses  protestations  apparentes  de  désintéressement.  (T.  i,  p.  429  et  430  ;  texte 
et  note.  )  Ce  jugement,  comme  bien  d'autres  ,  est  une  suite  de  ce  fâcheux 
préjugé,  sous  l'influence  duquel  M.  Beugnot  a  composé  son  ouvrage,  que, 
pour  bien  écrire  l'histoire  de  la  chute  du  paganisme  ,  il  faut  se  défier  des 
auteurs  chrétiens ,  et  s'attacher  principalement  aux  écrits  de  leurs  adver- 
saires (  ibid.  p.  4).  Voyez  les  observations  que  nous  avons  faites,  à  ce  su- 
jet ,  n.  l  des  Pièces  justifie.,  à  la  fin  de  ce  volume. 

(2)  Ce  passage  d'Ammien  Marcellin  est  relatif  aux  troubles  occasionnés 
dans  Rome  par  l'anti-pape  Ursin ,  qui  ne  pouvait  souffrir  que  le  pape  Da- 
mase  lui  eût  été  préféré,  pour  succéder  au  pape  Libère  (en  366).  Ammien 


140  INTRODUCTION. 

«  comme  s'il  y  eût  eu  de  quoi  s'étonner  ,  selon  la  remarque 
«  de  Fleury,  que  l'évêque  de  la  capitale  du  monde  eût 
«  une  voiture ,  pour  aller  dans  les  différents  quartiers  d'une 
«si  grande  ville,  qu'il  fût  bien  vêtu,  et  qu'il  tînt  une 
«  bonne  table,  où  il  pût  recevoir  tout  ce  qu'il  y  avait  de 
«  plus  grand  dans  l'empire  (A).  » 
*?•  Mais  il  est  curieux  surtout  d'entendre  saint  Jean  Chrvso- 

Reponse  J 

de  saint  je;.n  stome ,  prendre  la  défense  de  son  clergé ,  contre  les  repro- 

Chrysostome  7    *  u     /  i 

à  ces       cnes  qUe  ses  richesses  lui  attiraient  de  la  part  d'un  certain 

invectives.  *  l 

nombre  de  laïques  (2).  La  réponse  du  saint  docteur  est 
d'autant  plus  remarquable,  que  personne  n'a  combattu  d'ail- 
leurs avec  tant  de  force  le  luxe  et  la  mondanité  des  clercs; 
et  qu'en  justifiant,  sur  ce  point,  le  clergé  de  Constantinople, 
il  justifie  à  plus  forte  raison  celui  des  autres  villes  de  l'em- 
pire, beaucoup  moins  exposé  et  moins  sujet  que  celui  de 
la  capitale,  à  prendre  le  goût  du  luxe  et  des  superfluités. 

Saint  Jean  Chrysostome  remarque  d'abord,  que  ceux  qui 
font  au  clergé  un  crime  de  ses  richesses ,  se  mettent ,  par  là, 
bien  au-dessous  des  Juifs,  qui  ne  se  conduisaient  pas  ainsi 
envers  les  prêtres  de  l'ancienne  loi,  auxquels  ils  payaient  si 
exactement  les  dîmes ,  les  prémices,  et  plusieurs  autres  sor- 

Marcellin  attribue  les  prétentions  opposées  des  deux  partis,  an  désir  qu'ils 
avaient  tous  deux  de  jouir  des  grandes  richesses  attachées  dès  lors  au  sou- 
verain pontificat  :  «  Neque  ego  abnuo.  dit-il,  ostentationem  rerum  consi- 
«  derans  urbanarum  ,  hujus  rei  cnpidos,  ob  impetrandum  id  quod  appe- 
«  tunt,  omni  contentione  laterum  jurgari  debere;  cùm  id  adepti ,  futuri 
«  sint  ila  securi ,  ut  ditentur  oblationibus  matronarnm  ,  procedanlqne  ve- 
«  hiculis  insidentes ,  cireumspectè  vestiti ,  epulas  curantes  profusas ,  adeo 
«  ut  eorum  convivia  regales  superent  inensas.  Qui  esse  poterant  beati  re- 
«  verâ,  si,  magnitudine  urbis  despectâ,  quam  vitiis  opponunt,  ad  imitatio- 
«  nem  quorumdam  provincialium  viverent,  quos  tenuitas  edendi  potandi- 
«  que  parcissimè,  vilitas  etiam  indumentorum,  et  supercilia  humum  spe- 
«  ctantia,  perpetuo  numini ,  verisque  ejus  cultoribus  ,  ut  puros  commen- 
te dant  et  verecundos.  »  Ammien  Marcel  lia ,  Histor.  lib.  xxvn  ,  cap  3  (  p. 
481  de  l'édition  de  Paris,  1681,  in-fol.  ).  —  Fleury ,  Hist.  Eccl.,  t.  iv,  liv. 
xvi,  n.  8  — Mœurs  des  Chrétiens,  n.  49. 

(1)  Mœurs  des  Chrétiens ,  n.  49,  vers  la  fin.  Voyez,  à  l'appui  de  ces  ré- 
flexions, les  Annales  de  Baronius ,  année  367,  n.  8,  etc. 

(2)  Saint  Jean  Chrysost.,  Homil.  IX  in  EpistoL  ad  Philipp. ,  n.  4  et  5. 
—  Idem,  Homil.  I  inEpïst.  ad  Titum,  n.  4.  (Operum  t.  xi.)  —  Thomas- 
sin,  Ane.  et  nouv.  DiscipL,  t.  m,  liv.  3,  chap.  36,  n.  13,  etc. 


iNTftOtoJCTIOtf.  141 

tes  de  redevances.  Il  représente  ensuite  aux  accusateurs  du 
clergé,  que,  vivant  pour  la  plupart  au  milieu  des  richesses  et 
de  l'abondance ,  ils  ont  bien  mauvaise  grâce  à  lui  repro- 
cher le  luxe  et  les  délices  dont  il  est  généralement  fort  éloi- 
gné ;  qu'ils  appellent  richesses  et  abondance,  dans  un  prêtre, 
ce  qui  n'est  au  fond  qu'une  simple  bienséance  ,  comme  d'être 
proprement  vêtu,  de  se  nourrir  convenablement,  d'avoir 
un  domestique  pour  le  servir;  que  la  richesse  des  ecclésias- 
tiques consiste  à  savoir  se  contenter  de  peu;  tandis  que  les 
laïques,  pour  l'ordinaire,  se  trouvent  pauvres,  même  au 
sein  de  l'abondance.  Si  vous  avez  donné  à  un  clerc  ce  qu'il 
possède  ,  continue  le  saint  docteur ,  pourquoi  lui  en  faites- 
vous  un  crime?  Il  valait  mieux  ne  lui  rien  donner,  que  de 
lui  reprocher  ainsi  vos  dons.  Mais  si  c'est  un  autre  qui  lui 
a  donné  ce  qu'il  a ,  vous  êtes  encore  plus  coupable  de  blâ- 
mer les  bienfaits  d'autrui;  et  vos  reproches  sont  d'autant 
plus  mal  fondés  ,  que  celui  qu'ils  attaquent  a  librement  re- 
noncé à  toutes  les  professions  lucratives  ,  pour  se  consacrer 
au  service  de  Dieu  et  de  l'Église.  «  Que  gagne-t-il  en  effet 
«  dans  l'exercice  de  ses  fonctions?  Le  voyez-vous  porter 
«  des  habits  de  soie,  se  faire  accompagner  en  public  d'une 
«  multitude  de  valets,  aller  à  cheval,  bâtir  une  maison 
«  lorsqu'il  en  a  une  qui  sufOt  pour  le  loger?  S'il  fait  tout 
«  cela,  je  le  blâme  aussi  bien  que  vous  ;  et  loin  de  l'excuser, 
«je  le  crois  indigne  du  sacerdoce;  comment,  en  effet, 
«  pourra-t-il  exhorter  les  autres  au  mépris  des  superfluilés, 
«  s'il  ne  peut  apprendre  à  s'en  passer  lui-même?  Mais 
«  si  vous  lui  faites  un  crime  de  ne  pas  manquer  du 
«  nécessaire,  vous  voulez  donc  l'obliger  à  mendier?  De 
«  bonne  foi ,  n'en  auriez-vous  pas  honte ,  vous  qui  êtes  son 
«  disciple?  Certes,  si  votre  père  selon  la  chair  était 
«réduit  à  cette  extrémité,  vous  le  regarderiez  comme 
«  un  déshonneur  pour  vous;  et  si  votre  père  spirituel 
«  était  dans  le  même  cas  vous  n'en  rougiriez  pas  (\)?  » 
(t)  Saint  Jean  Chrys.,  Homil.  IX  in  Epist.  ad  Philipp.,  n.  4. 


142  INTRODUCTION. 

Les  accusateurs  du  clergé  prétendaient  encore  que  l'esprit 
de  l'Évangile  oblige  tous    les  ecclésiastiques  à  une  entière 
pauvreté.  Le  saint  docteur  répond  qu'il  ne  faut  pas  être  si 
aveugle  sur  ses  propres  défauts,  et  si  clairvoyant  pour  ceux 
des  autres;  que  l'exhortation  de  saint  Paul,  de  se  contenter 
des  aliments  et  des  vêtements  nécessaires  (i) ,  ne  s'adresse 
pas  seulement  aux  clercs,  mais  à  tous  les  fidèles  ;  que  les  uns 
et  les  autres  peuvent  posséder   sans  attache   les   biens  de 
ce  monde;  que   les   apôtres  eux-mêmes  ont  ainsi  entendu 
l'esprit  de  l'Évangile;  et  que   saint  Paul  en  particulier  ne 
faisait  aucune  difficulté  d'exercer  un  métier  lucratif,  pour  se 
procurer  un  entretien  convenable  (2).  A  l'appui  de  ces  ré- 
flexions ,  saint  Jean  Chrysostome  ajoute ,  dans  un  autre  en- 
droit, que  les  apôtres  eux-mêmes  étaient  servis  et  soulagés 
dans  leurs  besoins  par  des  personnes  de  la  plus  haute  qualité, 
de  l'un    et  de   l'autre  sexe,   qui  tenaient  à  honneur  d'ex- 
poser leur  vie  pour  la  défense  des  ministres  de  Jésus-Christ; 
d'où  il  conclut  que,  si  les  délices  et  les   superfluités  sont 
blâmables  dans  un  prêtre,  il  est  juste  aussi  de  lui  permettre 
un   soin  raisonnable  et  modéré  de   son  corps ,   afin  qu'il 
puisse  supporter  le  travail  de  son  ministère,  les  voyages,  les 
visites  pastorales,  et  tant  d'autres  fonctions  également   pé- 
nibles et  indispensables  (5). 

§  IV.  Immunités  ecclésiastiques,  sous  les  empereurs 
chrétiens;  droit  d'asile  (4). 

88.  Parmi  les  avantages   temporels  que  l'Église  retira  de  la 

protection  des  empereurs  chrétiens  ,  on  doit  surtout  remar- 
quer les  privilèges  honorifiques  ou  utiles,  qu'on  a  depuis 
nommés  immunités.  On  en  trouve  l'origine  dans  une  lettre 

(1)  I  Tim.  vi,  8. 

(2)  Saint  Jean  Chrys.,  Homil.  IX  in  Epist.  ad  Philipp.,  n.  5. 

(3)  Idem,  Homil.  I  in  Epist.  ad  TU.,  n.  4. 

(4)  Cod.  Theodos.  avec  les  Commentaires  de  Godefroy,  lib.  xi,  lit.  16; 
lib.  xvi,  tit  2,  etc.  — Cod.  Justin.,  lib.  i,  tit.  2,  3,  4,  11-14;  et  alibi  pas- 
sim.  —  Thomassin,  Ancienne  et  nouvelle  Discipline,  t.  m,  liv.  i,  chap,  33 


Origine  des 

immunités 

ecclésiastiques. 


INTRODUCTION.  143 

adressée  par  Constantin,  dès  l'an  515,  au  proconsul  d'A- 
frique Anulin.  «  Gomme  il  est  constant,  dit  ce  grand 
«  prince ,  que  le  mépris  de  la  religion  chrétienne ,  qui  ho- 
«  nore  Dieu  d'une  manière  si  parfaite,  a  causé  les  plus 
«  grands  maux  à  l'empire;  tandis  que  la  fidélité  à  l'ém- 
et brasser  et  à  la  pratiquer  est,  par  la  bonté  divine,  une 
«  source  de  prospérité  pour  l'État  comme  pour  les  parti- 
«  culiers;  j'ai  résolu  de  récompenser  ceux  qui  se  consacrent 
«  au  soutien  de  cette  auguste  religion  ,  par  la  sainteté  de 
«  leur  vie,  et  par  l'assiduité  de  leur  ministère.  C'est  pour- 
«  quoi  je  veux  que  tous  ceux  que  l'on  appelle  clercs,  et  qui 
«  sont  attachés  au  service  de  cette  religion ,  dans  l'Église 
«  catholique  dont  Cécilien  est  pasteur  (4),  et  dans  l'étendue 
«  de  la  province  qui  vous  est  confiée,  soient  exempts  de 
«  toutes  les  charges  publiques  ;  de  peur  que,  par  une  erreur 
«  funeste,  ou  par  une  entreprise  sacrilège  ,  on  ne  les  dé- 
«  tourne  du  culte  divin;  et  afin  qu'ils  puissent,  en  toute 
«  liberté,  se  consacrer  aux  fonctions  de  leur  ministère  ;  car 
«  je  suis  persuadé  que  les  hommages  qu'ils  rendront ,  par 
«  ce  moyen ,  à  la  divine  majesté ,  procureront  à  l'empire 
«  les  plus  grands  avantages  (2).  » 

Animés  par  l'exemple  de  Constantin  ,  et  guidés  par  le 
même  esprit  de  religion,  ses  successeurs  confirmèrent,  et 
souvent  même  augmentèrent  les  immunités  qu'il  avait  ac- 

et  34.  —  De  Hériconrt,  Abrégé  du  même  ouvrage ,  3e  partie,  chap.  7. — 
Bingham ,  Origines  et  antiquitates  ecclesiasticœ,  t.  h,  lib.  v,  cap.  2  et  3. 

Noël  Alexandre,  Hist.  Eccles.  sœculi  iv,  cap.  5,  art.  12  ;  Hist.  sœculi 

v,  cap.  6,  art.  6  ;  Hist.  sœc.  vi,  cap.  6,  ait.  7.  —  Naudet ,  Des  Change- 
ments opérés  dans  l'administration  de  l'Empire,  t  if,  chap.  2,  p.  40,  etc. 
—  Dupuy ,  Traité  de  la  Jurisp.  crimin.,1™  partie,  chap.  2,8,  etc.  (  à  la 
suite  du  Traité  des  libertés  de  l'Église  gallicane). — Bergier,  Diction. 
Théol.,  art.  Immunités. 

(1)  Cécilien  était  alors  évêque  de  Carthage,  et  en  cette  qualité  métropoli- 
tain de  la  Province  d'Afrique,  c'est-à-dire,  de  l'Afrique  occidentale. Voyez, 
à  ce  sujet,  Baudrand,  Geogr.  Sacra,  lib.  iv,  pag.  79.—  Apparatus  Concil. 
Append.  Geogr.  episc,  cap.  12. 

(2)  Euseb.,  Hist.  Eccles.,  lib.  x,  cap.  7.— Fleury,  Hist.:Eccl.,  t.  m,  liv.  x, 
n.  2.  — D.  Ceillier,  Hist.  des  Auteurs  eccles.,  1. 1?,  p.  150  et  170.  —  Corn- 
ment,  de  Godefroy  sur  le  Cod.  Theodos.,  lib.  xvi,  tit.  2,  n.  1. 


144  INTRODUCTION. 

cordées  à  l'Église.  Quelquefois  cependant  ils  crurent  devoir 
les  restreindre  ,  soit  à  raison  des  besoins  de  l'Etat,  soit  pour 
d'autres  considérations  d'intérêt  public.  Nous  n'entrepren- 
drons pas  d'exposer  ici  en  détail  les  vicissitudes  du  droit 
romain  sur  cette  matière ,  dont  l'entier  éclaircissement  pré- 
sente quelques  difficultés  ,  qui  ont  beaucoup  exercé  les  sa- 
vants (4).  Il  suffit  à  notre  objet  de  montrer,  dans  le  droit 
romain,  l'origine  des  immunités  ecclésiastiques ,  auxquelles 
la  libéralité  des  princes  chrétiens  a  donné,  dans  la  suite,  une 
si  grande  étendue.  Nous  nous  bornerons  donc  à  indiquer,  en 
peu  de  mots,  les  principales  immunités,  soit  personnelles, 
soit  réelles,  du  clergé,  sous  les  empereurs  chrétiens  (2). 
89-  4°  Les  immunités  personnelles   dont  jouissait   alors  le 

Immunités  ■*■  J 

personnelles,   clergé,  peuvent  se  rapporter  à  quatre  principaux  chefs  : 

4°  L' exemption  des  fonctions  curiales  ou  municipales  (5). 
La  lettre  déjà  citée  de  Constantin  au  proconsul  d'Afrique 
Anulin,  montre  l'origine  et  les  principaux  motifs  de  cette 
immunité,  qui  fut  depuis  expliquée  et  confirmée  dans  un 
grand   nombre  d'édits,  par  Constantin  et  ses  successeurs. 

(1)  Cette  matière  paraît  traitée  avec  beaucoup  de  soin  et  de  solidité  par 
Bingham,w&i  suprà.  Cet  auteur  peut  servir  à  corriger,  sur  quelques  points, 
le  P.  Thomassin  (ubi  suprà),  et  même  le  savant  Commentaire  de  Gode- 
froy  sur  le  Code  Théodosien. 

(2)  On  appelle  immunités  personnelles ,  celles  qui  regardent  directement 
les  personnes;  et  immunités  réelles,  celles  qui  regardent  directement  les 
biens. 

(3)  Dans  l'année  même  qui  suivit  sa  conversion  au  christianisme  ,  Con- 
stantin rendit  une  loi  qui  suppose  l'immunité  dont  il  est  ici  question,  déjà 
établie  par  l'autorité  de  l'empereur.  Voici  le  texte  de  cette  loi ,  adressée  à 
un  gouverneur  de  province  :  «  Hœreticornm  factione  comperimus  Ecclesiae 
«  catholicae  clericos  ita  vexari,  ut  nominationibus  (ad  publica  munera) 
«  seu  susceptionibus  aliquibus  (eorumdem  munerum)  quas  publicus 
«  mos  exposcit ,  contra  indulta  sibi  privilégia  prœgraventur.  Ideoque 
«  placet,  si  quem  tua  Gravitas  invenerit  ita  vexatum ,  eideni  alium  sub- 
«  rogari ,  et  deinceps  à  supradictae  religionis  hominibus  (cleficis  nempe) 
«  hujusmodi  injurias  prohiber*!.  »  Cod.  Theod., Mb.  xvi,  tit.  2,  n.  1. 

Cette  loi  fut  confirmée,  l'an  319,  par  une  autre  loi  de  Constantin,  con- 
çue en  ces  termes  :  «  Qui  divino  cultui  ministeria  religionis  impendunt 
h  (id  est,  hi  qui  clerici  appellantur),  ab  omnibus  omninô  muneribus  excu- 
«  senlur;  ne  sacrilego  livore  quorumdam,  à  divinis  obsequiis  avocentur.  » 
Ibid.,  n.  2.  Voyez  sur  le  même  sujet,  les  n.  7, 9, 11, 16,  24,  etc.,  du  même 
titre.  — Fleur  y,  Hist>  Eccl.,  t.  m,  liv.  x,  n.  2  et  40;  liv.  xi,  n.  46. 


INTRODUCTION.  145 

Cette  exemption,  dont  jouissaient  depuis  longtemps  les 
pontifes  païens,  était  alors  très-recherchée ,  même  par  les 
personnes  d'un  rang  et  d'une  fortune  distingués  ,  à  cause 
des  embarras  et  des  dépenses  qu'entraînaient  un  grand 
nombre  de  fonctions  curiales  ou  municipales.  Ces  embarras 
et  ces  dépenses  étaient  si  Considérables,  que  ceux  qui  étaient 
choisis  par  les  villes  ou  par  le  prince  pour  remplir  ces  fonc- 
tions ,  mettaient  souvent  en  œuvre  toutes  sortes  de  moyens 
pour  les  éviter  (\). 

2°  L'exemption  des  servitudes  personnelles  ,  principale- 
ment de  celles  qu'on  appelait  fonctions  viles  ou  sordides , 
et  dont  les  personnes  distinguées  dans  l'État ,  par  leur  rang 
ou  leur  naissance,  étaient  ordinairement  exemptes  (2).  Telles 
étaient  certaines  corvées,  généralement  imposées  aux  parti- 
culiers pour  le  service  de  l'État,  par  exemple,  pour  l'en- 
tretien des  chemins  publics ,  le  service  des  postes  ,  le  loge- 
gement  des  troupes  ou  des  officiers  du  prince  dans  leurs 
voyages ,  etc.  Plusieurs  de  ces  corvées  supposaient ,  dans 

(l)Godefroy,  Comment,  sur  le  Code  Théodos.,  Iiv.  xn.  Préambule  du 
titre  1.—  Beugnot,  Hist.  de  la  destruction  du  Pagan.  en  Occident,  t.  i, 
p.  77,  78,  93. 

(2)  On  trouve  dans  le  Code  Théodosien  plusieurs  constitutions  de  l'em- 
pereur Constance  sur  ce  sujet.  Nous  citerons  seulement  quelques-unes  des 
plus  remarquables.  La  première  ,  adressée  à  tous  les  clercs  ,  est  conçue  en 
ces  termes  :  «  Juxta  sanctionem  (seu  legem)  quam  dudum  meruisse  per» 
«  liibemini ,  et  vos  et  mancipia  vestra  nullus  novis  collationibus  obligabit  ; 
«  sed  vacatione  gaudebitis.  Prseterea  neque  bospites  suscipietis;  et  si  qui 
«de  vobis,  alimonise  causa ,  negotiationem  exercere  volunt,  immunitate 
«  potientur.  •»  Cod.  Theod.  lib.  xvi,  tit.  2,  n.  8. 

Cette  immunité  fut  étendue  et  confirmée  par  une  constitution  postérieure 
des  empereurs  Constance  et  Constant,  adressée  à  tous  les  évêques  de  leur 
territoire ,  et  conçue  en  ces  termes  :  «  Ut  Ecclesiarum  cœtus  concursu  po- 
«  pulorum  frequentetur,  clericis  ac  juvenibus  (i.  e.  clericorum  ministris) 
«  praebeatur  immunitas;  repellaturque  ab  bis  exactio  munerum  sordido- 
«  rum;  negotiatorum  dispendiis  minime  obligentur,  cùm  certum  sit  quae- 
«  stus  quos  ex  tabernaculis  atque  ergasteriis  colligunt ,  pauperibus  profu- 
«  turos.  Ab  hominibus  etiam  eorum  qui  inercimoniis  student,  cuncta  di- 
«  spendia  (amovenda)  esse  sancimus.  Parangariarum  quoque  (seu  cursus 
«.  publici)  parili  modo  cesset  exactio.  Quod  et  eonjugibus ,  et  liberis 
«c  eorum,  et  ministeriis,  maribus  pariter  et  fœminis,  indulgemus;  quos  à 
«  censibus etiam  jubemus  perseverare  immunes.  »  Ibid.,  n.  10.  Voyez,  pour 
un  plus  ample  développement,  lib.  xi,  tit.  16,  n.  15, 18,  21,  22. 

10 


146  INTRODUCTION. 

ceux  qui  les  exerçaient  par  eux-mêmes,  l'exercice  de  quelque 
métier  ou  art  mécanique  ,  ordinairement  réservé  aux  per- 
sonnes de  basse  condition. 

5°  L'exemption  de  la  capitation  ou  des  impôts  person- 
nels (\).  Cette  immunité,  accordée  d'abord  à  l'Église 
romaine  par  Constantin  ,  fut  depuis  étendue  à  tout  le  clergé 
catholique,  par  ce  prince  et  par  ses  successeurs.  Valentinien  Ier 
l'étendit  même  aux  vierges,  aux  veuves  et  aux  diaconesses  (2). 
Ce  qui  semble  plus  étonnant  au  premier  abord  ,  c'est  que 
cette  exemption  s'appliquait  même  aux  clercs  qui  faisaient 
le  négoce  ,  à  leurs  femmes ,  à  leurs  enfants  et  à  leurs  servi- 
teurs (5).  Voici  quelle  fut  l'occasion  et  le  motif  de  cette 
disposition.  Il  est  certain  que  l'Église  permettait  alors  aux 
clercs  de  se  procurer ,  par  le  travail  ou  le  négoce  ,  les 
moyens  de  subsister  honnêtement,  et  de  faire  des  aumônes  plus 
abondantes  (A).  Ce  fut  pour  entrer  dans  ces  vues  de  l'Église, 
que  les  premiers  empereurs  chrétiens  accordèrent  aux  clercs 
l'immunité  dont  il  s'agit.  Toutefois  ,  pour  prévenir  les  abus 
qu'elle  pouvait  occasionner  ,  l'empereur  Constance  déclara 
qu'elle  regardait  uniquement  les  clercs  qui  se  bornaient  à 
un  petit  trafic ,  et  non  ceux  qui  seraient  inscrits  sur  le  rôle 

(i)  Cod.  Theodos.  lib.  xvi,  t.  2.  Outre  le  n.  10,  que  nous  avons  cité  dans 
la  note  précédente,  voyez  aussi  les  n.  13  et  14.  Nous  supposons  ici,  selon  le 
sentiment  commun,  l'existence  de  la  capitation  ou  de  Yimpôt personnel , 
sous  Constantin  et  ses  successeurs.  Godefroy,  dans  son  Commentaire  sur 
le  Code  Théodosien,  a  fortement  combattu  cette  opinion  ;  mais  il  a  été 
généralement  abandonné  des  savants,  sur  ce  point.  Bingham ,  entre  autres , 
nous  paraît  l'avoir  solidement  réfuté.  (  Bingham,  ubi  supra  ;  cap.  3,  §  1. 
Voyez  aussi  Naudet,;wôi  supra ,  1. 1,  p.  345,  etc.  ;  t.  n ,  p.  322. 

(2)  «  In  virginitate  perpétua  viventes,  et  eam  viduam  de  quâ  ipsa  matu- 
«  ritas  pollicetur  nulli  jam  eam  esse  nupturam,  à  plebeise  capitationis  inju- 
«  riâ  vindicandos  esse  decernimus;  item  pupillos  in  virili  sexu,  usque  ad 
«  viginti  annos  ,  ab  istiusmodi  functione  immunes  esse  debere;  mulieres  au- 
«  tem,  donec  virum  unaquaeque  sortitur.  »  Cod.  Theod.  lib.  xm,tit.  10, 
n-  4.  Voyez  aussi  le  n.  6  du  même  titre.  —  Fleury,  Hist.  Eccles.,  t.  iv, 

liv.  xvi,  n.  1. 

(3)  Cod.  Theodos.  lib.  xvi,  tit.  2,n.  8, 10  et  14.  Nous  avons  cité  les  n.  8 
et  10  dans  la  note  2  de  la  page  précédente. 

(4)  Thomassin,  Ancienne  etnouv.  Discipline,  t.  m,  liv.  m,  chap.  17 
et  18.  —  De  Héricourt,  Abrégé  du  même  ouvrage ,  3e  partie,  chap.  17. 


INTRODUCTION.  147 

des  principaux  négociants  (4).  Cette  exemption,  même  ainsi 
restreinte ,  fut  enGn  supprimée  par  Valentinien  ÏII ,  à  une 
époque  où  l'accroissement  des  biens  ecclésiastiques  rendait 
le  commerce  beaucoup  moins  nécessaire  aux  clercs  ,  et  où 
l'Église  elle-même  crut  devoir  le  leur  interdire  ,  à  cause  des 
abus  qu'il  pouvait  entraîner  (2). 

4°  Enfin  ,  une  des  principales  immunités  du  clergé  ,  sous 
les  empereurs  chrétiens,  était  l'exemption  de  la  juridiction 
séculière.  Nous  en  parlerons  plus  en  détail  dans  le  paragraphe 
suivant ,  où  nous  examinerons  quelle  était ,  à  cette  époque  , 
la  juridiction  ou  le  pouvoir  judiciaire  des  évêques,  en  ma- 
tière temporelle. 

L'importance  et  l'étendue  de  ces  immunités  ne  tarda  pas 
à  donner  lieu  à  quelques  abus  ,  que  les  empereurs  se  hâtè- 
rent de  réprimer  par  leurs  édits.  On  voyait  quelquefois  des 
particuliers  entrer  dans  le  clergé,  sans  autre  motif  que  celui 
de  jouir  des  immunités  ecclésiastiques,  et  surtout  pour  éviter 
les  fonctions  municipales,  auxquelles  ils  étaient  sujets  par 
leur  naissance  ou  leur  fortune.  Pour  arrêter  ce  désordre , 
Constantin  défendit  d'ordonner  un  plus  grand  nombre  de 
clercs  qu'il  n'en  fallait  pour  le  service  de  l'Église ,  et  de  les 
choisir  parmi  ceux  que  leur  naissance  ou  leur  fortune  rendait 
sujets  aux  charges  publiques  ;  car  il  est  juste  ,  dit  la  loi , 
que  les  riches  portent  les  charges  du  siècle ,  et  que  les  pau- 
vres soient  entretenus  par  les  biens  des  Églises  (5).  Cette 

(1)  «Clerici...itaà  sordidis  muneribus  debent  immunes,  atque  à  collatione 
«  praestari  (i.  e.  à  tributo  negotiatoribus  imposito  ),  si  exiguis  admodum 
«  mercimoniis  tenuem  sibi  victum  vestitumque  conquirent.  Reliquiautem, 
«  quorum  nomina  negotiatorum  matricula  comprehendit,  eo  tempore  quo 
«  collatio  celebrata  est  (seu  instituta  est  ),  negotiatorum  munia  et  pensi- 
«  tationes  agnoscant  ;  quippe  postmodum  clericorum  se  cœtibus  aggrega- 
«  runt.  »  Cod.  Theodos.  fit»,  xvi,  tit.  2,  ri.  15. 

(2)  «  Jubemus  ut  clerici  nihii  prorsus  negotiationis  exerceant;  si  ve- 
«  lint  negotiari ,  sciant  se  judicibus  subditos,  clericorum  privilegio  non 
«  muniri.  »  Valentiniani  Novella  2,  versus  médium.  (Ad  calcem-  Codicis 
Theodos.  édition  deRitter,t.  vi,  p.  417.)  —  Thomassin,  Ancienne  et 
nouv.  Discipline,  t.  ni,  liv.  i,  chap.  33,  n.  5,  etc.;  chap.  34,  n.  4. 

(3)  Cod.  Theodos.  lib.  xvi,  tit.  2,  n.  3  et  6.  «  Opulentos  enim,  dit  cette 
«  dernière  loi ,  soeculi  subire  nécessitâtes  oportet ,  pauperes  Ecclesiarum 

10, 


148  INTRODUCTION. 

Joi  fut  cependant  modifiée  ,  dans  la  suite  ,  par  l'empereur 
Constance,  en  faveur  des  évêques ,  et  même  généralement 
en  faveur  des  clercs  appelés  au  service  de  l'Eglise  avec  le 
consentement  du  conseil  municipal ,  et  par  le  suffrage  uni- 
versel du  peuple,  qui  avait  alors  une  grande  influence  dans 
l'élection  des  ministres  sacrés  (4). 
.  9°-  II.  Les  immunités  réelles  du  clerffé  subirent  beaucoup 

Immunités  *J  i 

réelles.  pjus  fte  variations  que  ses  immunités  personnelles  ,  sous  les 
empereurs  chrétiens.  Constantin^exempta  d'abord  des  con- 
tributions publiques  toutes  les  propriétés  de  l'Église  (2). 
Mais  celte  exemption  ne  dura  pas  longtemps  ;  et  tout  porte 
à  croire  qu'elle  n'eut ,  dans  le  principe  ,  d'autre  motif  que 
la  pauvreté  des  Églises.  L'accroissement  que  leurs  biens 
avaient  pris  insensiblement  sous  le  règne  de  Constantin  , 
engagea  l'empereur  Constance  ,  son  successeur  ,  à  révoquer 
cette  exemption  ,  et  k  soumettre  aux  contributions  réelles 
les  biens  de  l'Église  comme  ceux  des  particuliers  (5).  Celte 

«  divitiis  sustentai!  »  —  Fleury;  Hist.  Ecclés.,  tom.  m,  liv.  xi,  n.  31.  — 
D.  Ceillier,  Hist.  des  Auteurs  ecclés.,  t.  iv,  p.  175. — Thomassin,  Ancienne 
et  nouv.  Discipline,  t.  i,  liv.  m,  chap.  61. 

(1)  «  Solum  episcopum  facultates  suas  curiœ,  sicut  antè  fuerat  constitu- 
«  tum,  nullus  adigat  mancipare  ;  sed  antîstes  maneat,  nec  faciat  substantiae 
«  cessionem.  Sanè  si  qui  ad  presbyterorum  gradus,  diaconorum  etiam  seu 
«  subdiaconorum ,  caeterorumque  (  clericorum  gradus)  pervenerint ,  assi- 
«  stente  curiâ,  ac  sub  obtutibus  judicis  promente  consensum  (  cùm  eorum 
«  vitam  insignem  atque  innocentem  esse  omni  probitate  consliterit  )  babere 
«  débet  (eorum  unusquisque)  patrimonium  probabilis  instituti  (i.  e.patri- 
«  monium  légitimé  acquisitum),  ut  retineat  proprias  facultates  ;  maxime 
«  si  totius  populi  vocibus  expetatur.  >»  Cod.  Theodos.  lib.  xn,  fit.  1, 
n.  49,  etc.  Voyez  aussi  le  Commentaire  de  Godefroy  sur  cette  partie  du 
Code  Théodosien. 

(2)  «  Preeter  privatas  res  nostras ,  et  Ecclesias  catholicas ,  et  domum 
«  clarissimse  memoria3  Eusebii  ex  consule  et  ex  magistro  equitum  et  pedi- 
«tum,  et  Arsacis  régis  Armeniorum  {utpote,  ab  antique,  Romanorum 
«fœderati  et  amici),  nemo  ex  nostrâ  jussione  prseeipuis  (i.  e.  immunibus) 
«  emolumentis  familiaris  juvetur  substantiae.  »  Cod.  Theodos.  lib.  xi,  tit.  1, 
n.  1.  Voyez,  pour  l'explication  de  cette  loi,  le  Commentaire  de  Godefroy  ; 
et  Bingham,  ubi  suprà,  cap.  3,  §  3. 

(3)  «  In  Ariminensi  synodo ,  super  Ecclesiarum  et  clericorum  privilegiis 
«  tractatu  habito ,  usque  eô  dispositio  progressa  est ,  ut  juga  (i.  e.  prœdia) 
«  quœ  videntur  ad  Ecclesiam  pertinere ,  à  publicd  functione  cessarent 

«  (i.  e.  inmunia  esssent);  quod  nostra  videtur  dudum  sanctio  repulisse 

«  De  his  sanè  clericis  qui  praedia  possident,  sublimis  auctoritas  tua,  non  so- 


INTRODUCTION.  149 

disposition  fut  toujours  maintenue  dans  la  suite ,  du  moins 
quant  aux  contrïbu lions  ordinaires.  Toutefois,  l'empereur 
Honorius  rétablit  ou  confirma  les  immunités  réelles  du 
clergé  ,  quant  aux  contributions  et  aux  charges  sor- 
dides (4);  et  cette  disposition  fut  adoptée  par  Justinien , 
dans  ses  Novelles  ,  où  il  marque ,  dans  un  grand  détail , 
quelles  sont  les  charges  extraordinaires  et  sordides  dont  les 
biens  du  clergé  sont  exempts  (2). 

Indépendamment  des  immunités  réelles  et  personnelles 
dont  jouissait  le  clergé,  dans  touies  les  parties  de  l'empire  , 
quelques  Églises  particulières  avaient  obtenu ,  à  raison  de 
leur  dignité  ou  de  leurs  besoins  ,  des  immunités  beaucoup 
plus  étendues.  L'empereur  Théodose  le  Grand,  pour  honorer 
les  lieux  saints  de  la  Palestine,  voulut  que  les  laïques  mêmes 
préposés  à  la  garde  de  ces  saints  lieux ,  fussent  exempts  , 
comme  les  clercs,  des  contributions  personnelles  (5).  Quelques 

«  lùm  eos  aliéna  juga nequaquam  statuet  excusare  (i.  e.  immunia  facere) ; 
«  sed  etiam  pro  his  quae  ipsi  possident ,  eosdem  ad  pensitanda  liscalia  per- 
ce urgeri.  »  Cod.  Theodos.  lib.  xvi,  tit.  2,  n.  15. 

(1)  «Placet,  rationabilis  concilii  (verisimiliter  Africanï)  tenore  perpenso, 
«  districtâ  moderatione  prœscribere ,  à  quibus  specialiter  necessitatibus  ec- 
«  clesiae  urbium  singularum  habeantur  immunes.  Prima  quippe  illins  usu'rpa- 
«  tionis  contumelia  depellenda  est,  ne  praedia  usibus  cœlestium  secretorum 
«  (i.  e.  mysteriorum)  dicata,  sordidorum  munerumfœce  vexentur;  nullâ 
«  jugatione  (i.  e.  mensurâ  pensilationis)  quae  talium  privilegiorum  sorte 
«  gratulatur,  muniendi  itineris  constringat  injuria;  nihil  extraor  dinar  ium 
«  ab  bac  (jw#a#ofte)]superindictitiumve  flagitetur;  nulla  pontium  instau- 
«  ratio  ;  nulla  translationum  sollicitudo  gignatur;  non  aurum  caeteraque 
«  lalia  {ad  luslralem  collationempertinentia,  sivè  adeensumnegotiatori- 
«  bus  impositum)  poscantur.  Postremô  nihil  praeter  canonicam  illationem 
«  (i.  e.  ordinarium  tributum)  quod  adventitiœ  necessitatis  sarcina  repen- 
«  tina  depoposcerit,  ejus  ïunctionibus  adscribatur.  Si  quis  contra venerit, 
«  post  débitas  ultionis  acrimoniam ,  quœ  erga  sacrilegos  jure  promenda  est , 
«  exilio  perpetuae  deportationis  uratur.  »  Cod.  Theodos.  ibid.,  n.  40.  — 
Fleury,  His  t.  Ecclés.,  t.  v,  liv.  xxm,  n.  4. 

(2)  Justiniani  Novellœ  37,  43,  131,  etc. 

(3)  «  Universos  quos  constiterit  custodes  ecclesiarum  esse  vel  sanctorum 
«  locorum,  ac  religiosis  obsequiis  deservite,  nullius  attentationis  (i.  e.  one~ 
«  m,  seu  muneris  personalis)  molestiam  sustinere  decernimus.  Quis  enim 
«  capite  censos  patiatur  esse  devinctos,  quos  necessario  intelligit  suprà  me- 
<c  morato  obsequio  mancipatos?  »  Cod.  Theodos.  lib.  xvi,  tit.  2,  n.  26.  — 
Fleury,  Hist.  Ecclés.,  t.  iv,  liv.  xvm,  n.  9 — Bingham,  ubi  suprà,  lib.  m, 
cap.  13,  §  2. 

Il  paraît,  d'après  cette  loi  de  Théodose,  qu'il  y  avait  alors  un  certain 


150  INTRODUCTION. 

années  après  .  les  empereurs  Honorius  et  Tbéodose  le  Jeune 
exemptèrent  de  tout  impôt  réel  les  Églises  de  Thessalonique, 
de  Constantinople  et  d'Alexandrie  ,  à  condition  cependant 
qu'elles  ne  profiteraient  point  de  cette  faveur  pour  prendre 
sous  leur  protection  les  biens  des  particuliers,  soit  clercs, 
soit  laïques  ,  et  les  faire  ainsi  participer  à  la  même  exemp- 
tion ,  au  détriment  de  l'État  (4).  Justinien  accorda  ,  dans  la 
suite  ,  une  nouvelle  exemption  du  même  genre  à  l'Église  de 
Constantinople  ,  en  considération  des  dépenses  qu'elle  était 
dans  F  usage  de  faire,  pour  la  sépulture  gratuite  d'un  grand 
nombre  de  pauvres  (2).  Nous  ne  voyons  pas  que  l'Église 
romaine  ait  alors  obtenu  de  semblables  exemptions.  Il  y  a 
tout  lieu  de  croire  que  les  grandes  richesses  dont  elle  jouis- 
sait ,  par  suite  des  libéralités  de  Constantin  et  de  ses  succes- 
seurs, ôtaient  aux  empereurs  l'idée  de  lui  accorder,  relative- 
ment aux  contributions  publiques ,  d'autres  immunités  que 
celles  dont  jouissaient  généralement  toutes  les  Églises  de 
l'empire. 

Mais   ce  qu'il   importe  surtout  de  remarquer  ici ,  c'est 

qu'au    milieu  des  fréquentes  variations  que   subirent  les 

m.se  aux  jmmunu^s  ecclésiastiques ,  sous  les  empereurs   chrétiens , 

nombre  de  Gardiens  établis  dans  les  lieux  saints  de  la  Palestine,  soit  pour 
veiller  à  la  garde  de  ces  saints  lieux,  soit  pour  maintenir  l'ordre  parmi  le 
grand  concours  de  pèlerins  que  la  dévotion  y  attirait  habituellement.  On 
trouve  des  détails  intéressants,  sur  ces  anciens  pèlerinages,  dans  Gretser,  De 
Cruce,  1. 1,  lib.  i,  cap.  73  et  76.  Voyez  aussi  Michaud,  Hist.  des  Croisades, 
4e  édition,  1. 1,  p.  11,  etc.,  546,  etc. 

(1)  L'exemption  dont  il  s'agit  fut  accordée  à  l'Église  de  Thessalonique, 
par  une  loi  de  l'an  424,  qui  déterminait  la  quotité  des  impôts  pour  la  Macé- 
doine, dont  Thessalonique  était  la  ville  capitale.  L'exemption  accordée  à  cette 
ville  est  conçue  en  ces  termes  :  «  Sacrosancta  Thessalonicensis  Ecclesia  civi- 
«  tatis  excepta  ;  ita  tamen  ut  apertè  sciât  propriae  tantùmmodô  capitationis 
«  modum  beneficio  mei  numinis  sublevandum;  nec  externorum  (seu  extra- 
it neorum  )  gravamine  tributorum  rempublicam  ecclesiastici  nominis 
«  abusione  lœdendam.  »  Cod.  Theodos.  lib.  xi,  tit.  i,  n.  33.  Une  semblable 
exemption  avait  été  accordée,  quelques  années  auparavant  (en  415),  aux 
églises  de  Constantinople  et  d'Alexandrie,  par  une  loi  d'Honorius  et  de  Théo- 
dose le  Jeune,  dont  nous  croyons  inutile  de  rapporter  les  propres  expressions. 
Cod.  Theod.  ibid.,  tit.  xxiv,  n.  6.  — ■  Bingham,  ubi  suprà,  lib.  v,  cap.  3, 
§3. 

(2)  Justiniani  Novella  43,  cap.  1. 


9*> 

L'Eglise  tou- 
jours 
soumise  aux 


cette  matière. 


INTRODUCTION.  J51 

l'Église  ne  faisait  aucune  difficulté  de  se  soumettre  en  cette     même  les 

.  .....  ■  r  moins  favora- 

matière  ,  aux  lois  mêmes  qui  lui  étaient  moins  tavora-  biesen 
blés.  C'est  ce  qu'on  vit  en  particulier  depuis  la  loi  de 
l'empereur  Constance  ,  qui  avait  révoqué  les  immunités 
réelles  accordées  au  clergé  par  Constantin.  Les  évêques , 
loin  de  réclamer  contre  cette  restriction,  regardaient  comme 
un  devoir  de  conscience,  de  se  soumettre,  sur  ce  point  comme 
sur  tous  les  autres,  aux  ordonnances  des  princes,  dans  l'ordre 
temporel.  C'est  le  témoignage  que  leur  rend  Valentinien  Ier, 
dans  sa  lettre  aux  évêques  d'Asie ,  pour  la  confirmation  du 
concile  d'IIlyrie.  Entre  autres  éloges  qu'il  fait  des  évêques 
catholiques,  il  les  loue  de  ce  qu  ils  ne  sont  pas  moins  fidèles 
aux  lois  des  princes  temporels  qu'à  celles  de  Dieu  lui- 
même  ,  et  de  ce  qu'ils  payent  exactement  les  tributs  établis 
par  les  lois  (4).  Saint  Ambroise  reconnaît  expressément  la 
même  chose  ,  dans  son  Discours  contre  Auxence  ,  où  il  ré- 
clame avec  tant  de  fermeté  contre  les  instances  de  Valentinien 
le  Jeune,  qui  demandait  une  Église  pour  les  Ariens.  Le  saint 
docteur  ,  pour  montrer  que  son  refus  n'a  d'autre  motif  que 
l'intérêt  de  la  foi  ,  déclare  qu'en  toute  autre  matière  ,  il  fait 
profession  ,  avec  toute  l'Église  ,  d'obéir  aux  ordres  des  em- 
pereurs ,  et  qu'il  se  croit  particulièrement  obligé  à  payer  les 
impôts  qu'ils  ont  coutume  de  lever  sur  les  terres  de  l'Église. 
«  Si  l'empereur ,  dit-il ,  demande  un  tribut ,   nous  ne  le 

«  refusons  pas  :  les  terres  de  l'Église  le  payent Nous 

«  donnons  à  César  ce  qui  est  à  César ,  et  à  Dieu  ce  qui  est 
«  à  Dieu.  Le  tribut  appartient  à  César,  on  le  lui  paye  ; 
«  mais  l'Église  appartient  à  Dieu  ,  elle  ne  peut  être  donnée 
«  à  César  (2) .  » 
Faute  d'avoir  fait  attention  à  la  dernière  partie  de  ce  texte, 

(1)  Theodoret,  Hist.  Eccles.,  lib.  iv,  cap.  8. 

(2)  «  Si  tributum  petit  (imperator),  non  negamus  :  agri  Ecclesise  solvunt 
é  «  tributum Solvimus  quœ  sunt  Cœsaris  Cœsari,  et  quœ  sunt  Dei  Deo. 

«  Tributum  Cœsaris  est,  non  negatur;  ecclesia  Dei  est,  Csesari  utique  non 
«  débet  addici.  »  S.  Ambroise,  Serm.  contra  Auxentium,  n.  33  et  35.  (Ad 
calcem  Epistol.  21,  Operum  tom.  n.) 


152  INTRODUCTION. 

que  nous  avons  soulignée,  le  cardinal  Baronius  ,  et  après  lui 
un  certain  nombre  de  théologiens  et  de  canonistes,  pensent 
que  saint  Ambroise  ne  parle  pas  ici  d'une  obligation  rigou- 
reuse, mais  d'une  obligation  de  simple  convenance,  fondée 
sur  la  douceur  chrétienne ,  qui  prescrit,  en  certains  cas, 
aux  fidèles,  de  se  laisser  dépouiller  injustement,  plutôt  que 
de  contester  (1).  Mais  il  suffit  de  lire  attentivement  et  sans 
préjugé  les  paroles  de  saint  Ambroise,  pour  voir  qu'il  parle 
ici  d'une  obligation  rigoureuse,  fondée  sur  le  précepte  de 
Notre-Seigneur  :  Rendez  à  César  ce  qui  appartient  à  César, 
et  à  Dieu  ce  qui  appartient  à  Dieu  (2). 

Saint  Grégoire  le  Grand  témoigne  les  mêmes  sentiments, 
dans  plusieurs  de  ses  lettres  (5).  Quelque  zélé  qu'il  fût  pour 
les  immunités  accordées  par  les  princes  à  l'Eglise  et  à  ses 
ministres,  il  suppose  et  reconnaît  souvent  l'obligation  de 
payer  les  tributs,  qui,  d'après  les  constitutions  impériales,  se 
levaient  alors  sur  les  terres  de  l'Église.  Dans  une  de  ses  let- 
tres au  défenseur  de  Sardaigne  (4) ,  il  lui  recommande  de 

(1)  Baronius,  Annales,  tom.  iv,  anno  387,  n.  il,  etc. 

(2)  Matth.  xxu,  21.  Le  passage  de  saint  Ambroise,  que  nous  venons  de 
citer,  semble,  au  premier  abord,  difficile  à  concilier  avec  le  langage  qu'il 
tient  dans  une  de  ses  lettres ,  à  l'occasion  du  tribut  payé  par  Notre-Sei- 
gneur. (Matth.  xvii  ,  26.)  Saint  Ambroise,  expliquant  ce  passage  de  l'Évan- 
gile, paraît  croire  que  Jésus-Christ  et  ses  apôtres  étaient  naturellement 
exempts  de  l'obligation  de  payer  les  impôts,  et  ne  les  payaient  que  par  con- 
descendance, pour  ne  pas  scandaliser  les  Juifs.  (S.  Ambroise,  Epïst.  7,  n.  17 
et  1 8,  Operum,  tom.  n.)  Mais  si  l'on  examine  attentivement  l'objet  et  la  suite 
de  cette  lettre,  on  verra  que  l'exemption  dont  parle  ici  le  saint  docteur,  en 
tant  qu'elle  s'applique  aux  apôtres  et  aux  ministres  sacrés  en  général,  doit 
se  prendre  pour  une  exemption  de  pure  convenance,  très-compatible  avec 
Yobligaiion  rigoureuse  que  le  saint  docteur  reconnaît  ailleurs  si  claire- 
ment dans  son  Discours  contre  Auxence ,  et  qu'il  prouve  par  le  sens 
littéral  de  ces  paroles  du  Sauveur  :  Rendez  à  César  ce  qui  est  à 
César. 

La  difficulté  de  concilier  ces  deux  passages  a  donné  lieu  au  P.  Thomassin  de 
s'exprimer  là-dessus  d'une  manière  si  embarrassée,  qu'elle  permet  à  peine  de 
comprendre  quels  sentiments  il  attribue  à  saint  Ambroise  sur  l'obligation 
imposée  aux  clercs  de  payer  les  impôts.  (Thomassin,  Ancienne  et  nouvelle 
Discipline,  t.  m,  liv.  i,  chap.  33,  n.  10,  etc.) 

(3)  Thomassin,  ibid.,  chap.  34,  n.  10,  etc. 

(4)  On  donnait  alors  le  nom  de  défenseurs,  aux  administrateurs  des  patri- 
moines de  l'Église  romaine,  situés  en  divers  pays.  Voyez  Zaccaria,  De  rébus 


INTRODUCTION.  153 

faire  bien  cultiver  les  terres  de  V Église ,  afin  qu' elles  soient 
en  état  de  payer  les  impôts  (\).  Ailleurs,  il  oblige  des  reli- 
gieux de  Palerme  à  payer  les  impôts  qu'on  exigeait  d'eux  , 
d'après  les  lois  alors  en  vigueur  (2). 

Tous  ces  détails  sur  l'origine  et  les  vicissitudes  des  inimu-  Erreur9^e  Ba. 
nités  ecclésiastiques,  sous  les  empereurs  chrétiens ,  peuvent  sJ°cne'g;i-et# 
servir  à  corriger  une  erreur  assez  grave  de  Baronius  ,  sur 
cette  matière.  Cet  auteur  avance  avec  confiance,  que,  depuis 
la  conversion  de  Constantin ,  aucun  empereur  n'a  exigé  les 
impôts  du  clergé ,  excepté  Julien  l'Apostat,  Valens ,  attaché 
à  la  secte  des  Ariens,  et  Valentinien  le  Jeune,  dominé  par 
l'impératrice  Justine,  qui  était  dévouée  au  même  parti (5). 
Il  résulte,  au  contraire,  des  témoignages  et  des  faits  que 
nous  venons  de  rapporter ,  que  tous  les  empereurs  chrétiens, 
depuis  Constantin  jusqu'à  Justinien;  ont  exigé  du  clergé  des 
contributions  plus  ou  moins  fortes  ;  que  les  empereurs  même 
les  plus  religieux,  tels  que  Gratien  et  Théodose  le  Grand, 
suivirent ,  à  cet  égard ,  l'usage  établi  par  leurs  prédéces- 
seurs ;  et  que  les  saints  docteurs ,  loin  de  réclamer  contre 
cet  usage ,  se  croyaient  obligés  ,  en  conscience ,  à  y  confor- 
mer leur  conduite. 

Nous  remarquerons  aussi,  en  passant  l'importance  de  ces        9* 

.  ,  La  question 

faits ,  pour  éclaircir  la  question  agitée  entre  les  théologiens    tbéoi«gis«o 


de 


ad  Hist.  et  Àntiquit.  Ecclesiœ  perlinentibus,  tom.  h,  Dissert.  10,  cap.  5, 
§  2.— Ducange,  Glossarhtm  infimœ  Latin.,  verbo  Defensor.  —S.  Greg. 
Epistol.  lib.  v,  Epist.  29, 

(1)  «  Ut  possessiones  Ecclesiae ad  tributa  sua  solvenda  idoneae  exis- 

«  tant.  »  S.  Greg.  Epistol.  lib.  îx,  Epist.  64. 

(2)  Voici  ce  que  saint  Grégoire  écrit  sur  ce  sujet  à  Zittanus,  maître  de  la  mi- 
lice de  PaIerme4-«  Epist olasvestras,Gra3Co  sermone  dictatas,  meindico  susce- 
«  pisse,  in  quibus  dicitis  quod  quaedam  religiosa  loca  responsum  (i.  e.  satis- 
«  factionemseusolutionem)  juripublico,  de  rebusei  competentibus,  reddere 

«  contemnant.  Quae  res  me  omninô  coutristavit Proinde  Fautino  defen- 

«  sori  quœ  scripserim  Gloriae  vestrœ  transmisi,  ut  ipse  religiosos  quosque  in 
«  Panormitanis  partibus  apud  electos  judices  venire  compellat,  et  suorum 
«  actuum  rationem  reddant.  »  S.  Greg.  Epistol.  lib.  x,  Epist.  27. 

(3)  Baronius,  Annal,  tom.  iv,  anno  387,  n.  11  et  14.  Cette  erreur  de  Baro- 
nius est  relevée  avec  beaucoup  de  dureté  par  Bingbam,  ubi  supra,  lib.  v, 
cap.  3,  §  1  et  4,  pag.  227  et  236. 


154  INTRODUCTION. 

voriginedes   et  les  canonistes,  sur  l'origine  des  immunités  ecclësiasti- 


immumtes 


les  faits. 


éciairciepar  ques  (J).  Le  sentiment  commun  des  théologiens  est,  qu'elles 
sont  uniquement  fondées  sur  le  droit  positif-humain;  les 
canonistes ,  au  contraire ,  pensent  communément  qu'elles 
sont  fondées  sur  le  droit  divin ,  naturel  et  positif.  Entre 
ces  deux  sentiments ,  le  cardinal  Bellarmin  croit  pouvoir 
établir  une  opinion  mitoyenne ,  qui  lui  semble  propre  à  les 
concilier.  Selon  cet  habile  controversiste  ,  les  immunités 
ecclésiastiques  ne  sont  pas  de  droit  divin,  en  ce  sens  qu'elles 
soient  fondées  sur  un  précepte  divin  proprement  dit,  et 
formellement  exprimé  dans  V Écriture ,  mais  uniquement 
en  ce  sens  qu'elles  se  déduisent ,  par  une  conséquence  natu- 
relle ,  de  certains  exemples  de  l'Écriture ,  tels  que  celui  du 
patriarche  Joseph ,  qui  exempta  de  toute  contribution  les 
prêtres  égyptiens  (2) .  et  celui  du  roi  de  Perse  Artaxerce , 
qui  accorda  la  même  exemption  aux  prêtres  israélites  (5). 
Selon  le  même  auteur ,  les  immunités  ecclésiastiques  ne  sont 
pas  de  droit  naturel ,  en  ce  sens  qu'elles  appartiennent  aux 
premiers  principes,  ou  aux  conséquences  prochaines  et  né- 
cessaires du  droit  naturel ,  mais  uniquement  en  ce  sens 
qu'elles  sont  tout  à  fait  convenables  et  conformes  à  l'équité 
naturelle;  ce  ne  sont  point,  ajoute-t-il ,  des  conséquences 
évidentes  et  absolument  nécessaires  du  droit  naturel ,  mais 
des  conséquences  obscures  et  éloignées,  qui  ont  besoin  d'être 
déterminées  par  les  lois  humaines;  et  elles  sont  en  effet 
déterminées  ,  pour  le  fond ,  par  le  droit  des  gens ,  ou  par 
le  consentement  unanime  de  tous  les  peuples,  qui  ont  tou- 
jours accordé  aux  ministres  sacrés  des  immunités  plus 
ou  moins  étendues. 

Il  n'entre  pas  dans  notre  plan  d'examiner  jusqu'à  quel 
point  ces  explications  sont  propres  à  concilier  les  divers  sen- 
timents des  théologiens  et  des  canonistes  sur  cette  matière  ; 

(1)  Bellarmin,  Controv.  de  Clericis,  cap.  28  et  29.  (Operumt  tom.  n.) 

(2)  Gènes,  xlvii,  22. 

(3)  I  Esdr.  vu,  24. 


INTRODUCTION.  155 

mais  il  résulte  assez  clairement ,  des  faits  que  nous  avons 
rapportés ,  qu'on  ne  peut  regarder  les  immunités  ecclésias- 
tiques comme  fondées  sur  le  droit  divin  proprement  dit ,  et 
qu'elles  sont  uniquement  fondées  sur  le  droit  positif-hu- 
main ,  au  moins  dans  le  sens  où  l'explique  le  cardinal  Bel- 
larmin.  En  effet ,  il  est  certain  que  ces  immunités  ont  subi , 
sous  les  empereurs  chrétiens ,  de  nombreuses  variations  ; 
que  l'Église  ne  faisait  aucune  difficulté  de  se  soumettre  aux 
différentes  lois  des  empereurs  sur  cette  matière ,  lors  même 
qu'elles  lui  étaient  moins  favorables  ;  et  que,  loin  de  réclamer 
contre  les  lois  qui  restreignaient  ses  immunités,  elle  regar- 
dait comme  une  obligation  rigoureuse  de  se  soumettre,  sur 
ce  point,  comme  sur  tous  les  autres,  aux  ordonnances  des 
princes,  dans  l'ordre  temporel.  Or,  il  est  aisé  de  voir  com- 
bien tous  ces  faits  seraient  difficiles  à  concilier  avec  le  senti- 
ment qui  représente  les  immunités  ecclésiastiques  comme 
appartenant  au  droit  naturel  ou  divin  proprement  dit ,  que 
toutes  les  puissances  de  la  terre  sont  obligées  de  respecter , 
loin  d'y  pouvoir  jamais  déroger.  On  voit ,  au  contraire  , 
combien  les  mêmes  faits  sont  faciles  à  concilier  avec  le  sen- 
timent qui  regarde  les  immunités  ecclésiastiques  comme 
fondées  uniquement  sur  le  droit  positif '.  dans  le  sens  où 
l'explique  le  cardinal  Bellarmin  (4). 

III.  On  peut  rapporter  aux  immunités  réelles  du  clergé ,  94. 
sous  les- empereurs  chrétiens,  le  dr  oit  d'asile,  c'est-à-dire,  son  origine.' 
le  droit  accordé  aux  accusés  qui  se  réfugient  dans  l'Église  , 
ou  dans  quelque  autre  lieu  saint ,  de  ne  pouvoir  y  être  pour- 
suivis, du  moins  pendant  un  certain  temps,  et  par  certaines 
personnes  (2).  L'origine  et  la  nature  de  ce  droit  sont  très- 
Ci)  On  peut  voir,  à  l'appui  de  ces  observations,  Pey,  De  V Autorité  des 
deux  Puissances,  3e  partie,  chap.  3,  §  7,  tome  m,  pages  138,  525;  et  alibi 
passim. 

Les  mêmes  observations  peuvent  servir  à  corriger  quelques  assertions  exa- 
gérées de  l'abbé  Bonnaud,  sur  cette  matière,  dans  son  ouvrage  intitulé  : 
Réclamations    pour    l'Église    Gallicane ,  pages  308  -  347  ;    et   alibi 
passim. 
(2)  Cod.  Theod.  lib.  ix,  tit.  xlv.  —  Cod.  Justin,  lib.  1,  tit.  xii,  —  Tho- 


156  INTRODUCTION. 

bien  expliquées  dans  un  Mémoire  sur  ce  sujet,  lu,  en  \7\\  , 
à  l'Académie  des  inscriptions ,  parFr.  Simon,  l'un  des  aca- 
démiciens les  plus  distingués  de  cette  époque.  «  Dès  que  les 
«  hommes,  dit-il  (4),  ont  commencé  à  invoquer  l'Auteur 
«  de  la  nature,  qu'ils  lui  ont  élevé  des  autels  et  offert  des 
«  sacrifices ,  pour  le  reconnaître  comme  l'arbitre  souverain 
«  de  leur  sort  et  implorer  son  assistance;  ils  l'ont  regardé 
«  comme  présent,  d'une  manière  particulière,  dans  les  lieux 
«  où  l'on  célébrait  ses  mystères ,  et  ont  appréhendé  d'y  pa- 
«  raître  inflexibles  pour  les  autres ,  lorsqu'ils  tachaient  de  le 
«  fléchir  pour  eux-mêmes.  Cette  crainte  respectueuse  les 
«  disposa  à  traiter  favorablement  ceux  qui  venaient  s'y  ré- 
«  fugier  ,  et  à  empêcher  qu'on  ne  leur  fit  violence.  C'est  en 
«  quoi  consiste  proprement  le  droit  d'asile ,  »  comme  l'au- 
teur du  Mémoire  l'établit  solidement  par  l'histoire  des  Asiles 
chez  les  peuples  anciens.  Il  résulte  clairement ,  des  détails  de 
cette  histoire ,  que  le  droit  d'asile  n'a  pas  été  établi  pour 
mettre  les  criminels  à  l'abri  des  poursuites  de  la  justice,  mais 
pour  ouvrir  aux  innocents  un  lieu  de  refuge,  pour  mettre  les 
accusés  à  couvert  de  la  violence  et  des  voies  de  faits,  et  pour 
laisser  aux  juges  le  temps  d'examiner  mûrement  les  délits, 
avant  de  leur  infliger  la  peine  convenable. 
95.  Tels  furent  aussi  les  motifs  qui  engagèrent  les  empereurs 


epà"Ts      chrétiens  à  transporter  aux  églises  le  droit  d'asile,  dont 

""avec,  '  jouissaient  auparavant  les  temples  et  quelques  antres  lieux 

trictioM.    consacrés  au  culte  des  divinités  païennes.  Il  serait  difficile  de 

dire  si  ce  droit  fut  attribué  d'abord  aux  églises  par  une  loi 

expresse ,  ou  s'il  fut  simplement  regardé  comme  une  consé- 

massin,  Ancienne  et  nouvelle  Discipline,  tome  n,  liv.  ni,  chap.  95-101.  — 
De  Héricourt,  Abrégé  du  même  ouvrage,  2e  partie,  chap.  28,  §  2.  —  Bin- 
gham,  Origines  et  Antiq.  eccles.,  tome  m,  lib.  vin,  cap.  11.  —  Bergier, 
Dict.  Théol.f  art.  Asiles.  — Van-Espen,  Dissertatio  de  immunitate  locali, 
seu  de  asylo  templorwn.  (Operum  tom.  n  ;  ad  calcem.) 

(1)  Mémoire  sur  les  Asiles,  dans  Y  Histoire  de  l'Académie  des  inscript., 
édition  in-12,  tom.  n,  page  52.  L'auteur  de  ce  mémoire  est  Fr.  Simon, 
conservateur  des  médailles  du  cabinet  du  Roi,  mort  en  1719,  à  l'âge  de 
soixante-cinq  ans. 


INTRODUCTION.  iôj 

quence  naturelle  du  droit  dont  les  temples  du  paganisme 
avaient  joui  dans  toute  l'antiquité.  Cette  dernière  supposi- 
tion ,  généralement  admise  des  savants  ,  semble  confirmée 
par  la  plus  ancienne  des  constitutions  impériales  sur  ce  sujet, 
qui  est  de  l'empereur  Théodose  le  Grand  (4).  Il  est  cà  re- 
marquer ,  en  effet ,  que  cette  constitution ,  aussi  bien  que 
toutes  les  autres  plus  récentes,  n'établit  point  le  droit  d'asile, 
mais  le  suppose  déjà  établi ,  et  se  borne  à  y  mettre  de  sages 
restrictions ,  pour  prévenir  les  abus  auxquels  il  pouvait 
donner  lieu ,  et  pour  empêcher  qu'il  ne  tournât  au  détriment 
de  l'ordre  public,  en  assurant  l'impunité  aux  criminels. 
C'est  dans  cette  vue  que  les  empereurs  ordonnèrent  de  sai- 
sir ,  même  dans  l'Église ,  les  débiteurs  publics ,  les  homi- 
cides, les  adultères,  les  ravisseurs,  et  d'autres  criminels 
notoires ,  dont  il  importait  à  l'ordre  public  de  ne  pas  différer 
le  châtiment  (2). 

Le  droit  d'asile ,  renfermé  dans  de  justes  bornes ,  était        9e. 
trop  conforme  aux  principes  de  la  douceur  et  de  la  charité      pomie 8 
chrétienne,  pour  que  le  clergé  ne  s'y  montrât  pas  très-attaché.   "^  droit. e 
Aussi  voyons-nous  les  évêques  et  les  conciles  témoigner ,  en 
général ,  beaucoup  de  zèle  pour  la  conservation  de  ce  droit , 
et  l'invoquer  presque  toujours  avec  succès ,  tantôt  pour  dé- 
fendre les  innocents   injustement  persécutés,   tantôt  pour 
implorer  la  grâce  des  criminels  qui  se  réfugiaient  dans  l'É- 
glise, ou  du  moins  pour  obtenir  l'adoucissement  de  la  peine 
qu'ils  avaient  encourue ,  mais  surtout  pour  empêcher  que  la 
rigueur  delà  justice  humaine  ne  les  privât,  comme  il  arri- 


(1)  «  Publicos  debitores  (i.  e.  tributorum  debitores)  f  siconfugiendum 
«  ad  ecclesias  crediderint,  aut  illico  ex  trahi  de  latebris  oportebit,  aut  pro 
«  bis  ipsos  qui  eos  occultare  probantur,  episcopos  exigi  (i.  e.  ad  solvendum 
«  compelli.) Sciât  igitur  prœcellensauctoritastua,  neminem  debitorum  (pu- 
«  blicorum)  posthac  à  clericis  defendendum  ;  aut  per  eos  ejus  quem  defen- 
«  dendum  esse  crediderint  debitum  esse  solvendum.  »  Cod.  Theod.  lib.  ix, 
Ut  45,  n.  i. 

(2)  Cod.  Theodos.  et  Cod.  Justin,  ubi  suprà.  —  Tables  de  YHist. 
Eccl.  de  Fleury ,  et  de  YHist.  des  Auteurs  ecclés.  de  D.  Ceillier  ;  art. 
Asiles. 


158  INTRODUCTION. 

vait  quelquefois ,  des  secours  spirituels  que  la  religion  offre 
toujours  aux  pécheurs  ,  et  dont  les  plus  grands  criminels  ont 
encore  plus  besoin  que  les  autres  (\).  Tels  étaient  les  vérita- 
bles motifs  du  zèle  que  témoignaient  habituellement  les  évê- 
ques  et  les  conciles,  pour  le  maintien  du  droit  d'asile.  Sans 
doute,  ils  n'ignoraient  pas  l'autorité  donnée  aux  magistrats, 
pour  la  répression  et  le  châtiment  des  crimes  qui  attaquent 
Tordre  public,  ou  les  droits  des  particuliers  ;  et,  loin  de  dési- 
rer que  ces  crimes  demeurassent  impunis,  ils  reconnaissaient 
hautement  la  nécessité  d'user,  en  certains  cas,  de  sévérité  à 
l'égard  des  criminels  (2)  ;  mais  ils  souhaitaient  que  la  fermeté 
des  magistrats ,  comme  celle  du  gouvernement,  fût  tempérée 
par  la  clémence,  et  qu'en  punissant  le  péché,  on  ne  négli- 
geât rien  pour  sauver  le  pécheur ,  afin  que  le  châtiment  tem- 
porel des  coupables  pût  contribuer  à  leur  salut  éternel.  C'est 
ce  que  saint  Augustin  explique  admirablement,  dans  une 
lettre  à  Macédonius,  vicaire  d'Afrique,  où  il  traite  à  fond 
cette  matière  (5).  «Voulez-vous  savoir  ,  dit  le  saint  docteur, 
«  pourquoi  nous  intercédons,  autant  que  nous  le  pouvons, 
«  pour  tous  les  criminels?  C'est  que  tout  péché  paraît  par- 
«  donnable,  lorsque  le  coupable  promet  de  s'amender.  C'est 
«  votre  maxime,  et  c'est  aussi  la  nôtre.  Nous  sommes  donc 
«  bien  éloignés  d'approuver  le  péché,  puisque  nous  voulons 
«  qu'on  s'en  corrige;  et  si  nous  demandons  qu'il  demeure 
«  impuni,  ce  n'est  pas  qu'il  nous  plaise;  mais  c'est  qu'en 
«  même  temps  que  nous  détestons  le  crime  ,  nous  avons  pitié 
«  du  criminel;  et  que  plus  nous  avons  d'horreur  du  mal, 

(1)  Thomassin,  ubi  suprà.  Les  vies  de  S.  Augustin,  de  S.  Basile  et  de 
S.  Jean  Chrysostome  offrent  plusieurs  exemples  remarquables  de  cette 
charitable  intervention  des  prélats  ,  en  faveur  des  innocents  et  des  crimi- 
nels. Voyez  Fleury  et  D.  Ceillier,  ubi  suprà. 

(2)  voyez  les  réflexions  que  nous  avons  faites  plus  haut  (n.  47  et  suiv., 
page  67,  etc.  )  sur  l'usage  modéré  des  peines  temporelles  contre  l'hérésie  et 
les  autres  délits  publics  de  l'impiété. 

(3)  S.  Augustin,  Epist.  153  (allas  54)  ad  Macedonium.  On  peut  voir 
l'analyse  de  cette  lettre  dans  Fleury,  Hist.  EccL,  t.  v,  liv.  xxn,  n.  52.  —  D. 
Ceillier,  Hist.  des  Auteurs  ecclés.,  t.  xi,  p.  245,  etc. —Thomassin,  ubi 
suprà ,  chap.  95,  n.  2,  etc. 


INTRODUCTION.  159 

«  plus  nous  craignons  que  celui  qui  l'a  commis  ne  meure, 

«sans  avoir  eu  le  temps  de  s'amender L'amour  que 

«  nous  avons  pour  les  hommes  nous  oblige  donc  d'intercéder 
«  pour  les  criminels  ,  de  peur  que,  du  supplice  qui  finit  avec 
«  leur  vie ,  ils  ne  tombent  dans  un  supplice  qui  ne  finira 
«  jamais.  Vous  ne  devez  point  douter  que  la  religion  n'auto- 
«  rise  cette  pratique,  puisque  Dieu  même,  en  qui  il  n'y  a 
«  point  d'injustice,  ce  Dieu  dont  la  puissance  est  sans  bornes, 
«  qui  voit  non-seulement  ce  que  chacun  est ,  mais  ce  qu'il 

«  doit  être   dans  la  suite ,  ne  laisse  pas  néanmoins, 

«  comme  dit  l'Évangile ,  de  faire  lever  son  soleil  sur  les  mé- 
«  chants,  et  de  faire  tomber  la  pluie  sur  les  impies,  aussi 

«  bien  que  sur  les  justes Que  si  parmi  ces  méchants 

«  qu'il  épargne,  et  à  qui  il  laisse  la  santé  et  la  vie ,  il  y  en 
«  a  plusieurs  dont  il  prévoit  bien  qu'ils  ne  feront  jamais 
«  pénitence ,  et  qu'il  ne  laisse  pas  de  souffrir  avec  la  même 
«  patience  que  les  autres,  à  combien  plus  forte  raison  devons- 
«  nous  être  touchés  de  compassion  pour  ceux  qui  promettent 
«  de  s'amender,  puisque,  encore  que  nous  ne  sachions  pas 
«  s'ils  seront  fidèles  à  leurs  promesses,  nous  devons  toujours 

«  en  bien  espérer Il  est  vrai  qu'on  emploie  très-utile- 

«  ment  la  terreur  des  lois ,  pour  réprimer  l'audace  et  la  li- 
«  cence  des  méchants  :  cette  sévérité  est  utile,  non-seulement 
«  aux  bons ,  qui ,  par  ce  moyen ,  vivent  en  sûreté  parmi  les 
«  méchants ,  mais  aux  méchants  eux-mêmes  ,  qui ,  parmi  les 
«  justes  châtiments  qu'on  leur  inflige,  peuvent  invoquer  Dieu, 
«  et  se  convertir,  Cependant,  les  intercessions  des  évêquesne 
«  sont  point  contraires  à  l'ordre  établi  parmi  les  hommes  :  elles 
«  ne  subsistent  même  que  sur  cet  ordre  ;  et  la  grâce  que  Fin- 
«  tercesseur    obtient  pour  le   coupable    est    d'autant   plus 

«  grande,  que  le  supplice  lui  était  plus  justement  dû 

«  Il  peut  arriver  ,  sans  doute ,  que  la  grâce  accordée  à  un 
«  criminel  qui  allait  être  condamné  ait  des  suites  toutes 
«  contraires  à  ce  que  nous  prétendions.  Il  peut  arriver  que 
«  celui-là  même  à  qui  nous  aurons  sauvé  la  vie  par  nos  inter- 


160  INTRODUCTION. 

«  cessions ,  l'ôte  ensuite  à  plusieurs ,  et  que  son  audace , 
«  augmentée  par  l'impunité ,  abuse  de  l'indulgence  qu'on 
«  aura  eue  pour  lui  ;  ou  que,  s'il  en  profite  pour  se  corriger, 
«  l'espérance  d'une  semblable  impunité  en  perde  quelques 
«  autres,  et  les  jette  dans  de  semblables  désordres,  ou  même 
«  dans  de  plus  grands.  Ces  maux,  qui  peuvent  résulter  de 
«  nos  intercessions ,  ne  doivent  pas  nous  être  imputés  :  on 
«.  ne  doit  mettre  sur  notre  compte  que  le  bien  que  nous 
«  avons  en  vue,  et  que  nous  tachons  de  procurer;  car  nous 
\  «  n'intercédons  pour  les  coupables  que  dans  le  dessein  de 

«  rendre  la  religion  aimable  par  des  exemples  de  douceur  , 
«  afin  que  ceux  que  nous  délivrons  de  la  mort  temporelle 
«  vivent  de  telle  sorte ,  qu'ils  ne  tombent  pas  dans  la  mort 
«  éternelle ,  dont  personne  ne  saurait  les  délivrer.  » 
97 .  On  voit  assez  ,  par  ces  observations ,  ce  qu'il  faut  penser 

VcendS,  e  de  l'opinion  de  quelques  auteurs  modernes,  qui  représentent 
reiderjusteSans  le  droit  d'asile  comme  un  fruit  de  l'ignorance  et  de  la 
superstition,  comme  un  abus  du  pouvoir  ecclésiastique, 
enfin  comme  n'étant  propre  qu'à  favoriser  les  criminels,  en 
leur  assurant  l'impunité.  On  eût  évité,  sur  ce  sujet,  bien 
des  déclamations ,  si  l'on  eût  fait  attention  que  le  droit  d'a- 
sile remonte  à  l'origine  même  de  la  société;  qu'il  a  été 
admis ,  avec  plus  ou  moins  d'étendue  ,  par  tous  les  anciens 
législateurs  ,  et  chez  les  peuples  même  les  plus  civilisés;  que 
Dieu  lui-même  l'avait  autorisé ,  quoique  avec  de  sages  res- 
trictions ,  dans  la  loi  de  Moïse  (4);  qu'à  l'époque  de  l'éta- 
blissement du  christianisme ,  il  était  naturel  d'appliquer  aux 
Églises  ce  droit  fondé  sur  un  usage  si  ancien  et  si  universel; 
enfin,  que  ce  droit,  renfermé  dans  de  justes  bornes ,  tend , 
par  sa  nature,  à  entretenir  parmi  les  peuples  un  profond 
respect  pour  le  lieu  saint  et  pour  la  Divinité  même ,  et  à 
prévenir  une  multitude  d'excès  également  funestes  à  l'ordre 
public  et  à  la  sûreté  des  particuliers  (2).  Sans  doute  on  peut 

(1)  Numer.  xxxv.  *-*•*«- 

(2)  il  faut  corriger  d'après  ces  observations,  les  Annales  du  moyen 


INTRODUCTION.  161 

abuser  de  ce  droit  comme  on  abuse  tous  les  jours  des  insti- 
tutions même  les  plus  utiles  et  les  plus  légitimes  ;  mais  les 
abus  ne  doivent  pas  nous  empêcher  de  reconnaître  les  grands 
avantages  qui  résultent  de  ce  droit.   Dans   l'enfance  de  la 
société  surtout ,  et  généralement  chez  tous  les  peuples  peu 
avancés  dans  la  civilisation ,  rien  n'est  plus  avantageux  que 
le  droit  d'asile,  pour  suppléer  au  défaut  des  lois  et  du  gou- 
vernement ;  pour  arrêter  la  violence  des  particuliers,   qui 
s'imaginent  communément  avoir  le  droit  de  se  faire  justice 
par  eux-mêmes;  enfin,  pour  prévenir  ou  modérer  les  pre- 
miers mouvements  d'une  vengeance  souvent  injuste,  et  tou- 
jours dangereuse  (4).  Montesquieu  lui-même,  frappé  de 
ces  considérations,  n'a  pu  s'empêcher  d'admirer,  sur  ce 
point,  la  sagesse  des  lois  de  Moïse,  et  d'approuver  géné- 
ralement le  droit  d'asile,  pourvu  qu'on  y  mette  les  restric- 
tions nécessaires  pour  en  prévenir  les  abus.  «  Comme  la 
«  Divinité,  dit-il  (2) ,  est  le  refuge  des  malheureux,  et  qu'il 
«  n'y  a  pas  de  gens  plus  malheureux  que  les  criminels ,  on  a 
«  été  naturellement  porté  à  penser  que  les  temples  étaient 
«  un  asile  pour  eux;  et  celte  idée  parut  encore  plus  natu- 
«  relie  chez  les  Grecs,  où  les  meurtriers,  chassés  de  leur 
«  ville  et  de  la  présence  des  hommes ,  semblaient  n'avoir 
«  plus  de  maisons  que  les  temples ,  ni  d'autres  protecteurs 
«  que  les  dieux.  Ceci  ne  regarda  d'abord  que  les  homicides  in- 
«  volontaires  ;  mais  lorsqu'on  y  comprit  les  grands  criminels, 
«  on  tomba  dans  une  contradiction  grossière  :  s'ils  avaient 
«  offensé  les  hommes,  ils  avaient,  à  plus  forte  raison,  of- 

«  fensé  les  dieux Les  lois  de  Moïse  furent  très-sages. 

«  Les  homicides  involontaires  étaient  innocents;  mais  ils 

dge,  t.  vu,  p.  337,  etc. — Hegewisch,  Hist.  de  Charlemagne,  pag.  176,  etc. 
—  Gaillard,  Hist.  de  Charlemagne  ,  t.  h,  p.  105,  etc.  — De  Pouilly, 
Dissert,  sur  l'origine  et  les  progrès  de  la  Jurid.  ecclés.  (  Mém.  de 
l'Acad.  des  inscrip.,  tom.  xxxix,  in«4°,  p.  576,  etc.) 

(1)  Voyez,  à  l'appui  de  ces  observations ,  Bernardi ,  De  V Origine  et  des 
Progrès  de  la  Législation  française,  liv.  i,  chap.  il,  p.  76. —  Lingard, 
Antiquités  de  V Église  Anglo-saxonne,  chap.  3,  p.  116,  etc. 

(2)  Montesquieu ,  Esprit  des  Lois,  liv.  xxv,  chap.  3,  vers  la  fin. 

11 


162  INTRODUCTION. 

<(  devaient  être  ôtés  de  devant  les  yeux  des  parents  du  mort  ; 
u  il  établit  donc  un  asile  pour  eux  (4).  Les  grands  criminels 
«  ne  méritent  point  d'asile  :  ils  n'en  eurent  pas.  Les  Juifs 
«  n'avaient  qu'un  tabernacle  portatif,  et  qui  changeait  con- 
«  tinuellement  de  lieu  ;  cela  excluait  l'idée  d'asile.  Il  est  vrai 
«  qu'ils  devaient  avoir  un  temple  ;  mais  les  criminels ,  qui 
«  y  seraient  venus  de  toutes  parts ,  auraient  pu  troubler  le 
«  service  divin.  Si  les  homicides  avaient  été  chassés  hors  du 
«  pays,  comme  ils  le  furent  chez  les  Grecs,  il  eût  été  à 
«  craindre  qu'ils  n'adorassent  des  dieux  étrangers.  Toutes 
«  ces  considérations  firent  établir  des  villes  d'asile ,  où  l'on 
«  devait  rester  jusqu'à  la  mort  du  souverain  pontife.  »  La 
lecture  attentive  de  l'histoire  suffit  pour  se  convaincre  que  , 
dans  la  loi  nouvelle ,  comme  dans  l'ancienne ,  les  ministres 
de  la  religion ,  et  les  souverains  pontifes  en  particulier,  loin 
d'abuser  de  leur  autorité,  pour  soutenir  ou  étendre  impru- 
demment le  droit  d'asile,  ont  de  tout  temps  concouru  avec 
les  princes,  pour  en  corriger  les  abus,  et  même  pour  le  res- 
treindre de  plus  en  plus,  à  mesure  qu'il  devenait  plus  abu- 
sif et  moins  nécessaire  au  maintien  de  l'ordre  public  (2). 

§  V.  Pouvoir  judiciaire  des  évêques ,  en  matière  tempo- 
relle, sous  les  empereurs  chrétiens  (3). 

98.  Une  des  principales  immunités  personnelles  du  clergé  , 

juridiction  a  sous  les  empereurs  chrétiens ,  comme  nous  l'avons  déjà  re- 
eeLemSe'  marqué,  était  X exemption  de  la  juridiction  séculière,  c'est- 

temporelle. 

(1)  Numer.,  xxxv. 

(2)  Voyez ,  à  l'appui  de  cette  assertion ,  les  auteurs  que  nous  avons  cités 
plus  haut,  p.  155,  note  2,  et  p.  157,  note  2. 

(3)  Cod.  Theodos.  lib.  xvi,  tit.  2,  passim.  —  Cod.  Justin,  lib.  1,  tit.  4. 

—  Thomassin,  Ancienne  et  nouvelle  Discipline,  t.  11,  liv.  m,  chap. 
101,  etc.  — De  Héricourt,  Abrégé  du  même  ouvrage,  2e  partie,  chap.  29. 

—  Petit-Pied ,  Traité  des  Droits  et  des  Prérogatives  des  ecclésiastiques. 
Paris,  1705 ,  in-4°,  lre  partie,  p.  62,  etc.  —  Bingham,  Origines  sive  anti- 
quit.  Eccles.,  t.  1,  lib.  11,  cap.  7  ;  1. 11,  lib.  v,  cap.  2.  —  Fleury,  Hist.  Eccl., 
t.  xix,  7e  Discours,  n.  4.  —  Dupuy ,  Traité  de  la  Jurid.  crimin.,  lre  par- 
tie, chap.  2,  8,  etc.  (à  la  suite  du  Traité  des  Libertés  de  l'Église  Gall.). 


INTRODUCTION.  163 

à-dire,  le  privilège  accordé  aux  clercs,  de  ne  pouvoir  être 
traduits  devant  les  tribunaux  séculiers,  et  de  faire  juger 
leurs  causes,  en  matière  même  temporelle,  par  un  tribunal 
ecclésiastique.  Mais  le  pouvoir  de  terminer  les  contestations 
entre  les  clercs  n'était  qu'une  partie  de  la  juridiction  tem- 
porelle des  évoques  ;  et  ils  étaient  investis,  en  bien  des  cas, 
de  la  même  autorité  par  rapport  aux  laïques.  Il  est  d'autant 
plus  important  de  montrer  ici  l'origine  et  les  progrès  de 
cette  juridiction  temporelle  du  clergé,  que  le  droit  romain, 
sur  cette  matière,  a  servi  de  modèle  à  celui  de  toutes  les  nou- 
velles monarchies  qui  se  sont  élevées  en  Occident,  depuis  le 
quatrième  siècle,  sur  les  ruines  de  l'empire  (4). 

Dès  le  temps  des  persécutions,  l'usage  des  fidèles,  fondé        99- 

11  .  Lesevcques 

sur  la  doctrine  et  les  exhortations  de  saint  Paul  (2),  était  de     arbitres 

.  des  différends 

prendre  les  évêques  pour  arbitres  de  leurs  différends.  Le  dès  ie  temps 
caractère  auguste  des  premiers  pasteurs,  joint  aux  vertus  persécutions. 
éminentes  qui  distinguaient  alors  le  plus  grand  nombre  d'entre 
eux,  leur  attirait  généralement  le  respect  et  la  confiance  des 
peuples,  et  les  faisait  regarder  comme  les  arbitres  naturels  de 
toutes  les  contestations  qui  pouvaient  s'élever  entre  les 
fidèles.  Leur  arbitrage  pacifique  et  désintéressé  était  en  effet 
bien  préférable  au  jugement  des  magistrats  séculiers,  presque 
tous  idolâtres ,  pleins  de  préjugés ,  souvent  même  de  haine 
contre  les  chrétiens,  et  devant  lesquels,  par  conséquent,  les 
fidèles  ne  pouvaient  porter  leurs  différends  sans  danger  pour 
eux-mêmes,  et  sans  scandale  pour  les  païens. 

Ces  considérations,  qui  avaient  naturellement  introduit  et       ioo. 

Baisons  de 

maintenu,  pendant  tout  le  temps  des  persécutions,  1  arbitrage  maintenir  cet 
des  évêques,  eurent  sans  doute  moins  de  force  depuis  la  con-    depuis  ia 

j       /~i  •  il  i    pp   «i  î-  i  conversion   de 

version  de  Constantin  ;  elles  s  allaiblirent  même  de  jour  en  Constantin. 
jour,  à  mesure  que  le  christianisme  fut  plus  répandu  et  plus 

(1)  L'entier  éclaircissement  de  cette  matière,  comme  nous  l'avons  déjà 
remarqué  (ci-dessus,  p.  144),  présente  de  grandes  difficultés,  que  notre 
plan  ne  nous  permet  pas  d'examiner  à  fond.  La  lecture  des  auteurs  que 
nous  indiquons  en  note,  pourra  suppléer  à  notre  brièveté. 

(2)  I  Cor.  vi. 


164  ItfîRODUCTIOtf. 

autorisé  dans  l'empire.  Toutefois,  l'usage  de  prendre  les 
évêques  pour  arbitres  des  différends  entre  les  fidèles ,  avait 
des  avantages  trop  manifestes  pour  que  les  empereurs  chré- 
tiens ne  cherchassent  pas  à  le  conserver.  Cet  usage,  autorisé 
par  les  anciennes  lois  de  l'empire,  et  par  la  pratique  des  peu- 
ples les  plus  policés  (4  ) ,  était  d'ailleurs  conforme  aux  vues  d'une 
sage  politique,  dans  l'état  où  se  trouvait  alors  la  société. 
Outre  que  le  jugement  des  évêques  avait,  par  lui-même, 
quelque  chose  de  plus  doux  et  de  plus  paisible  que  l'appareil 
des  jugements  séculiers,  il  était  ordinairement  plus  désinté- 
ressé, et  moins  dispendieux  pour  les  parties,  étant  rendu 
par  des  hommes  plus  éminents  en  vertu,  plus  détachés  du 
monde,  moins  exposés  par  conséquent  à  la  séduction  des 
présents,  et  à  tant  d'autres  vues  intéressées,  qui  corrompent 
souvent  la  justice  dans  les  tribunaux  séculiers. 
•  .10t-  Tous  ces  motifs,  qui  devaient  naturellement  engager  les 

Baisons  en-  '     x  u    u 

core       empereurs   chrétiens  à  favoriser  l'arbitrage  des  évêques, 
ro,jre*e™Pter  même  par  rapport  aux  simples  fidèles,  devaient,  à  plus  forte 
de  ia  juridic-  raison,  les  engager  à  exempter  le  clergé  de  la  juridiction 
Hère.       séculière.  Il  ne  faut  en  effet  qu'un  peu  de  réflexion,  pour  être 
frappé  des  raisons  de  convenance  qui  semblent  exiger  cette 
immunité,  et  des  graves  inconvénients  qu'entraînerait  infail- 
liblement, pour  la  religion  et  la  société,  l'assujettissement  des 
ministres  sacrés  aux  tribunaux  séculiers ,  en  matière  même 
purement  temporelle  (2).  Le  résultat  naturel  de  cette  pra- 
tique, serait  d'enlever  insensiblement  au  clergé  le  respect  et 
la  considération  qui  lui  sont  absolument  nécessaires  pour 
l'exercice  de  son  ministère.  Qu'y  a-t-il  en  effet  de  plus  propre 
à  décréditer,  dans  l'esprit  du  peuple,  les  ministres  sacrés, 
que  de  les  voir  traînés  à  des  tribunaux  séculiers,  où  leurs 
faiblesses  réelles  ou  apparentes  seront  publiées  avec  éclat,  et 


(1)  Voyez  les  détails  que  nous  avons  donnés  sur  ce  sujet,  dans  l'article  1er 
de  cette  Introduction,  p.  8,  20,  etc. 

(2)  Voyez  les  observations  que  nous  avons  faites  dans  le  §  précédent,  sur 
Y  Origine  des  Immunités  ecclésiastiques.  (Ci-dessus,  p.  143,  154,  etc.) 


INTRODUCTION.  1G5 

manifestées  avec  scandale?  Combien  de  fois  le  corps  entier 
n'aura-t-il  pas  à  souffrir,  pour  les  écarts  ou  les  imprudences 
de  quelques  particuliers?  combien  de  fois  ces  graves  incon- 
vénients ne  seront-ils  pas  occasionnés  par  de  pures  calomnies, 
et  par  la  malignité  de  certains  hommes  toujours  prêts  à  croire 
le  mal  qu'on  débite  sur  le  compte  du  clergé,  quelquefois 
même  poussés  à  Je  diffamer ,  par  un  esprit  de  vengeance  ou 
d'impiété?  On  a  vu,  même  dans  les  plus  beaux  siècles  de 
l'Eglise,  des  hommes  de  ce  caractère,  à  qui  les  accusations 
les  plus  absurdes,  et  les  plus  odieuses  calomnies,  ne  coûtaient 
rien,  pour  diffamer  les  plus  saints  personnages,  et  pour  faire 
retomber  sur  l'ordre  entier  du  clergé  la  honte  des  accusa- 
tions dirigées  contre  quelques  particuliers.  Saint  Augustin, 
dans  plusieurs  de  ses  écrits,  se  plaint  hautement  de  ces  fâ- 
cheuses dispositions  des  ennemis  de  l'Église,  et  même  d'un 
certain  nombre  de  mauvais  chrétiens  (l).  Si  de  pareils  in- 
convénients ont  pu  avoir  lieu  dans  les  plus  beaux  temps  de 
l'Eglise,  combien  sont-ils  plus  à  craindre  à  certaines  époques 
de  relâchement  et  de  dissolution? 

Aussi  est-il  à  remarquer  que  ce  motif  est  un  de  ceux  qui        io». 

P  .      ,  ,  ,,.  .  ,  Constantin    et 

ont  toujours  lait  le  plus  a  impression  sur   les  empereurs    ses  suces- 

,,.  „  .  .       ..  ...,,,       seurs,  frappés 

chrétiens.  Constantin  en  particulier  en  était   si  pénètre  ,      de  ces 

...  ,    ..         .         .  .  .  raisons. 

qu  il  ne  négligeait  rien  pour  assoupir  et  terminer  sans 
éclat  toutes  les  accusations  dirigées  contre  les  ministres 
de  l'Église.  Peu  de  temps  avant  l'ouverture  du  concile  de 
Nicée,  au  rapport  de  Théodoret  (2),  «  quelques  évêques 
«  voulant  profiter  de  la  présence  de  l'empereur  dans  cette 
«  ville,  pour  obtenir  sa  protection  dans  les  différends  qu'ils 
«  avaient  avec  leurs  collègues,  lui  remirent  des  mémoires 
«  pour  soutenir  leurs  accusations.  Constantin  reçut  les  mé- 
«  moires,  les  fît  rouler  et  cacheter  sans  les  ouvrir,  et  ordonna 

(1)  S.  Augustin,  Eptst.  11  (aliàs  136),  ad  Felicem  et  Hilarinum,  n.  1. 
—  Epist.  78  (aliàs  137  ),  ad  Çlerum  Bippon.  n.  5  et  6.  (Operum,  t.  h, 
p.   181,  184,  etc.) 

(2)  Théodoret,  Hist.  Eccl.,  lib.  i,  cap.  lt.  —  Sozomène,  ffist.9  lib.  i, 
cap.  17.  —  Fleury,  Hist.  Eccl.,  t.  m,  liv.  xr,  n.  8. 


166  INTRODUCTION. 

«  qu'on  les  lui  conservât  soigneusement  jusqu'à  un  certain 
«  jour;  puis  il  s'appliqua  aussitôt  à  réconcilier  entre  eux  les 
«  prélats  qui  se  plaignaient  les  uns  des  autres.  Le  jour  mar- 
te que  étant  venu,  et  la  paix  étant  rétablie  entre  les  évoques, 
«  il  se  fit  apporter  les  mémoires,  et  les  brûla  en  leur  pré- 
«  sence,  en  assurant  avec  serment  qu'il  n'en  avait  pas  lu  la 
«  moindre  partie.  Il  ajouta  qu'il  ne  fallait  jamais  faire  con- 
te naître  au  peuple   les  fautes  des  prêtres,  parce  qu'elles 
«  étaient  pour  lui  un  sujet  de  scandale,  et  une  occasion  de 
«  se  porter  plus  facilement  au  mal.  On  rapporte  qu'il  dit 
«  encore,  dans  cette   occasion,  que  s'il  voyait  un  évêque 
«  commettre  une  faute,  il  le  couvrirait  de  son  manteau,  pour 
«  dérober  au  public  la  connaissance  d'un  pareil  scandale.  » 
Pour  peu  qu'on  examine  de  près  l'origine  et  les  progrès 
de  la  juridiction  ecclésiastique,  sous  les  empereurs  chrétiens, 
on  verra  ces  admirables  sentiments  de  Constantin  servir  de 
règle  à  ses  successeurs,  et  leur  dicter  la  plupart  des  consti- 
tutions qu'on  trouve  dans  le  droit  romain,  sur  cette  matière. 
io3.  Le  premier  soin  de  Constantin  fut  de  favoriser  l'arbitrage 

Pouvoir   jnai-  *  u 

c.aire      des  évêqnes,  et  de  donner  une  nouvelle  autorité  à  leurs  ju- 

des  évèques  en 

matière  gements.  Dans  cette  vue,  «  il  permit  généralement,  dit  So- 
sous  «  zomène,  à  ceux  qui  avaient  des  procès,  de  récuser  les 
«  juges  civils  et  d'en  appeler  au  jugement  des  évêques;  il 
«  voulut  même  que  les  sentences  rendues  par  le  tribunal 
«  ecclésiastique  eussent  plus  de  force  que  celles  des  juges 
«  séculiers;  qu'elles  eussent  la  même  autorité  que  si  elles 
«  eussent  été  rendues  par  l'empereur  lui-même;  enfin,  que 
«  les  gouverneurs  de  provinces  et  leurs  officiers  fussent 
«  obligés  d'en  procurer  l'exécution  (4).  »  On  trouve  en  effet, 

(1)  «  Fuit  hoc  etiam  argumentum  vel  maximum  reverentise  quam  pius 
a  princeps  erga  religionem  gerebat.  Nam  et  omnes  ubique  clericos  immu- 
«  rittate  donavit,  lege  hâc  de  re  specialiter  data;  et  litigantibus  permisit  ut 
«ad  episeoporum  judicium  provocarent,  si  magistratus  civiles  rejicere 
«  relient;  eorum  autem  sententia  rata  esset,  aliorumque  judicum  senten- 
«  tiis  prsevaleret ,  perinde  ac  si  ab  imperatore  ipso  data  fuisset  ;  utque  res 
«  ab  episcopis  judicatas,  rectores  provinciarum  eorumque  officiales  exécu- 
te tioni  mandarent.  »  Sozomène,  Hist.  Eccl.  lib.  i,  cap.  9.  —  Fleury,  JJUU 


Constantin. 


INTRODUCTION.  167 

à  la  suite  du  Code  Théodosien,  une  loi  de  Constantin,  adressée 
à  Ablave,  préfet  du  prétoire,  et  qui  est,  au  jugement  de  plu- 
sieurs savants,  la  même  dont  parle  Sozomène.  L'empereur  y 
ordonne  «  que  tous  ceux  qui  auront  des  procès,  soit  comme 
«  demandeurs,  soit  comme  défendeurs,  aient  la  liberté,  soit 
«  au  commencement,  soit  dans  la  suite  de  la  contestation, 
«  soit  pendant  la  plaidoirie,  soit  au  moment  de  la  conclu- 
«  sion,  d'en  appeler  au  jugement  de  l'évêque  ;  et  cela,  malgré 
«  l'opposition  qu'une  des  parties  pourrait  former  à  cet  ap- 
«  pel  (i).»  Il  est  vrai  que  l'authenticité  de  cette  loi  est  contestée 
par  quelques  savants(2);  mais,  outre  que  leurs  difficultés  ont 
parujaibles  au  plus  grand  nombre  des  critiques,  cette  dis- 
cussion est,  au  fond,  peu  importante,  la  plupart  des  dispo- 
sitions de  la  loi  que  nous  venons  de  citer  étant  clairement 
exprimées  dans  le  texte  de  Sozomène  que  nous  avons  rap- 
porté, et  dont  l'authenticité  est  généralement  reconnue  (5). 
Il  résulte  en  effet  de  ce  texte,  que  l'arbitrage  des  évêques, 
qui,  en  matière  civile,  était,  avant  Constantin,  un  pur  minis- 
tère de  charité,  prit  alors  le  caractère  d'une  véritable  juri- 
diction, émanée  du  souverain  lui-même  ;  que  les  sentences 
des  évêques,  qui  n'avaient  auparavant  d'autorité  que  par  la 


Eccl.,  t.  m,  liv.  x,  n.  27.  —  Lebeau,  Hist.  du  Bas-Empire,  t.  i,  liv.  v,  h. 
57.  —  Annales  du  moyen  âge,  t.  i,  liv.  n,  p.  260. 

(1)  «  Quicumque  litem  habens ,  sive  possessor ,  sive  petitor  erit ,  inter 
«  initia  lilis,  vel  decursis  temporum  curriculis,  sive  cùm  negotium  perora- 
«  tur ,  sive  cùm  jam  cœperit  promi  sententia  ,  judieium  eligit  sacrosanctaj 
«  legis  antistitis;  illico  sine  ullà  dubitatione,  etiamsi  alia  pars  refragatur, 
«  ad  episcopum  cum  sermone  (i.  e.  cum  allegatïonibus  )  litigantium  di- 
«  rigatur.  »  Extravag.  1,  (ad  calcem  Cod.  Theodos.  ). 

(2)  Voyez  principalement  le  Commentaire  de  Godefroy  sur  l'Extra- 
vagante que  nous  venons  de  citer. 

(3)  Tillemont  établit  solidement,  à  ce  qu'il  nous  semble,  l'authenticité  de  la 
loi  adressée  à  Ablave,  contre  les  difficultés  de  Godefroy.  (Hist.  des  Emper., 
t.  iv,  p.  295  et  663.)  Le  sentiment  de  Tillemont,  sur  ce  point,  est  générale- 
ment suivi  par  les  auteurs  plus  récents.  Voyez,  entre  autres,  le  P.  Thomas- 
sin,  ubi  supra,  chap.  102,  n.  2.  — Petit-Pied,  ubi  suprà,  p.  65.  — D. 
Ceillier ,  Histoire  des  Auteurs  ecclés.,  t.  iv,  p.  176.  —  Concilia  Galliœ 
(  édition  de  Paris,  1789,  1. 1,  p.  755.  )  Il  est  à  remarquer  que  Bingham,  tout 
en  inclinant  à  l'opinion  de  Godefroy,  ne  se  prononce  pas  absolument.  (Bin- 
gham, Origines  et  Antiquit.  eccles.,  1. 1,  lib.  n,  cap.  7,  §  3.) 


168  INTRODUCTION. 

convention  des  parties,  commencèrent  alors  à  avoir,  en  vertu 
de  la  loi,  toute  la  force  des  jugements  rendus  par  les  tri- 
bunaux séculiers,  et  même  plus  de  force  que  les  jugements 
rendus  par  les  juges  ordinaires;  enfin,  que  les  tribunaux  sé- 
culiers purent  dès  lors  être  récusés  par  tous  ceux  qui  avaient 
des  procès,  et  qui  désiraient  les  soumettre  au  tribunal  ecclé- 
siastique (4). 
ce  potvoir  "  ne  Para^  Pas  <ïue  cette  juridiction  accordée  aux  évêques 
ouPmoins  par  Constantin  ait  été  restreinte  par  ses  successeurs,  jusqu'à 
^les'suc!0"8  *a  ^n  du  rèSne  de  Théodose  le  Grand.  La  conduite  des 
eeSprhiSCee  °e  Pms  samts  évêques  de  celte  époque  suppose  même  claire- 
ment, comme  nous  le  verrons  bientôt,  que  les  évêques^con- 
tinuaient  alors  d'exercer  sans  contradiction  une  juridiction 
temporelle  très-étendue.  Il  est  vrai  que,  depuis  Théodose  le 
Grand,  cette  juridiction  fut  quelquefois  restreinte  par  les 
constitutions  impériales.  On  trouve  même  une  loi,  publiée 
par  les  empereurs  Arcade  et  Honorius,  qui  semble  restrein- 
dre la  juridiction  des  évêques  aux  causes  religieuses  ou  pu- 
rement spirituelles  (2).  Mais  il  est  également  certain  que  ces 
deux  princes,  soit  qu'ils  se  fussent  d'abord  mal  expliqués,  soit 

(1)  On  doit  corriger  ou  expliquer,  d'après  ces  observations,  plusieurs  au- 
teurs modernes  qui  représentent  les  évêques,  sous  Constantin ,  comme  sim- 
ples arbitres  des  différends  entre  les  laïques,  sans  juridiction  proprement 
dite,  en  matière  temporelle.  (  Fleury ,  Hist.  Eccl.,  t.  m,  liv.  x,  n.  27  ;  t.  v, 
liv.  xx,  n.  35  ;  t.  xix,  7e  Discours,  n.  2  et  4. — Idem,  Instit.  au  Droit  Eccl., 
chap.  l ,  p.  4.  Remarquez  aussi  la  note  de  Boucher  d'Argis  sur  ce  passage.) 
Ces  auteurs  n'ont  pas  fait  attention  que ,  depuis  la  loi  de  Constantin  adres- 
sée à  Ablave  ,  la  même  vraisemblablement  dont  parle  Sozomène ,  les  évê- 
ques n'étaient  plus  seulement  arbitres  volontaires,  librement  choisis  par 
les  parties,  mais  qu'ils  étaient,  du  moins  en  certains  cas,  arbitres  néces- 
saires ,  et  imposés  aux  parties  par  la  loi;  ce  qui  leur  donnait  une  véritable 
juridiction,  et  le  caractère  de  véritables  juges.  (Voyez,  à  ce  sujet ,  Devoti , 
Instit.  Can.  t.  m,  tit.  17,  §  3.  )  Il  paraît  que  cet  état  de  choses  subsista 
jusqu'à  Honorius ,  qui  restreignit,  à  certains  égards,  la  juridiction  accordée 
aux  évêques  par  Constantin ,  en  laissant  toutefois  une  grande  autorité  à 
leurs  sentences ,  comme  on  va  le  voir  un  peu  plus  bas. 

(2)  «  Quoties  de  religione  agitur,  episcopos  convenit  judicare  ;  caeteras 
«  verù  causas,  quae  ad  ordinarios  cognitores  [seu  judices)  vel  ad  usum  pu- 
«  blici  juris  (i.  e.juris  communis)  pertinent,  legibus  oportet  audiri.  » 
Cod.  Theodos.  lib.  xvi,  tit.  11 ,  n.  1.  Voyez  aussi  le  Commentaire  de  Gode- 
froy  sur  cette  loi. 


io5. 


INTRODUCTION.  169 

qu'ils  aient  depuis  changé  de  dispositions,  se  montrèrent  dans 
la  suite  très-favorables  à  la  juridiction  temporelle  desévêques. 
On  trouve,  en  effet,  dans  le  Code  Justinien,  deux  constitu- 
tions de  ces  empereurs,  qui  attribuent  généralement  aux 
évêques  le  pouvoir  de  juger  en  dernier  ressort,  en  matière 
même  temporelle,  comme  le  préfet  du  prétoire  (4),  et  de 
faire  exécuter  leurs  sentences  par  les  officiers  ordinaires  de 
la  justice  séculière.  On  met  toutefois  à  ces  droits  deux  res- 
trictions importantes;  savoir  :  \°  que  l'évêque  ne  pourra 
en  user  que  dans  les  causes  déférées  à  son  tribunal  par  le 
consentement  commun  des  deux  parties;  2°  qu'il  ne  pourra 
en  user  que  dans  les  causes  civiles,  et  non  dans  les  causes 
criminelles  (2). 

Le  pouvoir  judiciaire  des  évêques  était  beaucoup  plus  Ce  pouvoir 
étendu  à  l'égard  des  clercs.  Plusieurs  constitutions  impé-  bea"cten5ulus 
riales  exemptent  absolument  ces  derniers  de  la  juridiction  alec!ercs. es 
séculière,  non-seulement  dans  les  causes  purement  ecclé- 
siastiques, mais  encore  dans  les  causes  purement  civiles  ou 
pécuniaires,  et  même  dans  les  causes  criminelles  qui  n'ont 
pas  pour  objet  certains  crimes  énormes,  tels  que  ceux  de 
lèse-majesté,  de  rébellion,  d'homicide,  et  quelques  autres (5). 


(i)  Sur  la  charge  de  préfet  du  prétoire,  voyez  ci-dessus  la  note  2  de 
la  page  44. 

(2)  «  Si  qui  ex  consensu  apud  sacrae  legis  antistitem  litigare  voluerint, 
«  non  vetabuntur  ;  sed  experientur  illius ,  in  avili  duntaxat  negotio,  more 
«  arbitri  sponte  residentis,  judicium.  »  Cod.  Justin,  lib.  i,  tit.  4,  n.  7. 

«  Episcopale  judicium  ratum  sit  omnibus  qui  se  audiri  à  sacerdotibus  ele- 
«  gerint;  eamque  illorum  judicationi  adhibendam  esse  reverentiam  jube- 
«  mus ,  quam  vestris  deferri  necesse  est  potestatibus  (  i.  e.  potestatibus 
«  prœfecti prœtorio  ),  à  quibus  non  licet  provocare.  »  Ibid.,  n.  8 —  Fleury, 
Hist.  JScclés.,  t.  v,  liv.  xx,  n.  35. 

(3)  «  Cod.  Theod.  lib.  xvi,  tit.  2,  n.  23,  41,  47.  On  doit  surtout  remar- 
quer ici  la  loi  d'Honorius,  conçue  en  ces  termes  :  «  Clericos  non  nisi  apud 
«  episcopos  accusari  convenu.  Igitur  si  episcopus,  vel  presbyter,  diaconus, 
«  et  quicumque  inferioris  loci  (seu  gradûs  ),  ehristianae  legis  minister,  apud 
«  episcopum  (siquidem  alibi  non  oportet)  à  quâlibet  personâ  fuerint  accu- 
«  sati,  sive  ille  sublimis  vir  honoris,  sive  ullius  alterius  dignitatis;...  no- 
ce verit  docenda  probationibus,  monstranda  documentis  [crimina)  se  debere 
«  inferre.  »  Ibid.  n.  41. —  Fleury,  Hist.  Ecoles.,  t.  v,  liv.  xxm,  n.  4;  t.  vi, 
liv.  xxviii,  n.  54  ;  liv.  xxix,  n.  30. 


io6. 
Dispositions 

du  Code 
Justinien  ,  sur 


170  INTRODUCTION. 

Toutefois,  Valentinien  III,  expliquant  ces  constitutions,  y  ap- 
porte des  restrictions  importantes,  et  qui  semblent  annoncer 
de  sa  part  peu  de  respect  et  de  bienveillance  pour  le  clergé. 
Il  déclare  que  l'évêque  ne  peut  juger,  même  les  clercs,  que 
de  leur  consentement,  et  en  vertu  d'un  compromis;  et  il 
ajoute  que,  dans  le  cas  où  un  clerc  sera  en  contestation  avec 
un  laïque,  celui-ci  aura  le  droit  de  citer  son  adversaire  devant 
le  juge  séculier,  soit  en  matière  civile  ou  pécuniaire,  soit  en 
matière  criminelle;  seulement  les  évèques  et  les  prêtres  au- 
ront le  privilège  de  se  défendre  par  procureur,  en  matière 
criminelle  (<!). 

Tel  était  à  peu  près  l'état  de  la  juridiction  ecclésiastique 
avant  le  règne  de  Justinien,  qui  recueillit  dans  son  Code  la 
ce  point,  plupart  des  constitutions  précédentes,  en  y  ajoutant  quelques 
nouvelles  dispositions  pour  fixer  avec  plus  de  précision,  et 
d'une  manière  plus  favorable  au  clergé,  les  limites  de  la 
juridiction  ecclésiastique  et  de  la  juridiction  séculière.  Voici 


(1)  «  De  episcopali  judicio  diversorum  ssepe  causatio  (i.  e.  mens  seu  opinio) 
«  est.  Ne  ulteriùs  querela procédât,  necesseest  prosenti  lege  sanciri.  ïtaque 
«  cùm  inter  clericos  jurgium  vertitur,  et  ipsis  litigatoribus  convenit,  habeat 
«  episcopus  licentiam  judicandi,  proeunte  tamen  vinculo  compromissi.  Quod 
«  et  laïcis,  si  consentiant,  auctorïtas  nostra  permittit.  Aliter  eos  judices  esse 
«  non  patimur,  nisi  voluntas  jurgantium,  interposità,  sicut  dictum  est,  con- 
te ditione  procédât.  Quoniam  constat  episcopos  et  presbyteros  forum  legibus 
«  non  habere,  nec  de  aliis  causis,  secundum  Arcadii  etHonorii  Divalia  consti- 
«  tuta  ,  qnse  Tiieodosianum  corpus  ostendit,  praeter  religionem,  posse  co- 
te gnoscere.  Si  ambo  ejusdem  oificii  litigatores  nolint,  vel  alteruter,  agant 
<c  publicis  legibus  et  jure  communi.  Si  verô  petitor  laïeus ,  seu  in  civili,  seu 
«  (in)  criminali  causa,  cujuslibet loci  clericum  adversarium  suum,  si  id 
«  magis eligat,  per  auctoritatem  legitimam  in  publico  judicio  respondere com- 
«  pellat.  Quam  formam,  etiam  circa  episcoporum  personam,  observari  opor- 
«  tere  censemus,  (  ita  tamen  )  ut  si  in  hujuscemodi  ordinis  homines  acco- 
te nem  provaricationis  et  atrocium  injuriarumdirigi  necesse  fuerit,  per  pro- 
«  curatorem  solemniter  ordinatum ,  apud  judicem  publicum,  inter  leges  et 
«  jura  confligant....  Quod iis  religionis  et  sacerdotii  veneratione  permitti- 
«  mus  ;  nam  notum  est  procurationem  in  criminalibus  negotiis  non  posse 
«  concedi.  Sed  utsit  ulla  discretio  meritorum,  episcopis  et  presbyteris  tantùm 
«  id  oportet  impedi.  »  Valentiniani  III  Noveila  12;  (ad  calcem  Co* 
dicis  Theodosiani).  —  Hist.  de  l'Église  Gallicane,  t.  u,  p.  76.  —  Tille- 
mont,  Hist.  des  Emp.y  t.  vi,  p4  254. —  Fleury,  Hist.  Eccl.,\.  vi,  liv.  xxvin> 
n.  39.  —  Baronius,  Annales,  X,  vi,  anno  452,  n,  52. 


INTRODUCTION.  171 

les  principales  dispositions  du  Code  Justinien,  sur  cette  ma- 
tière (4). 

\°  Pour  ce  qui  regarde  les  causes  des  laïques,  Justinien 
adopte  la  loi  des  empereurs  Arcade  et  Honorius,  que  nous 
avons  citée  plus  haut  (2),  et  autorise  de  plus  le  recours  du 
juge  séculier  à  l'évêque,  toutes  les  fois  que  les  parties  se  croi- 
ront lésées  par  la  sentence  du  premier. 

2°  En  matière  civile,  les  clercs,  les  moines,  les  vierges  et 
les  veuves,  doivent  être  poursuivis  devant  l'évêque,  en  pre- 
mière instance  ;  et  devant  le  juge  séculier,  seulement  en  cas 
d'appel.  En  matière  criminelle,  ils  peuvent  être  poursuivis 
devant  l'évêque  ou  devant  le  juge  séculier,  au  choix  de  l'ac- 
cusateur. 

5°  Les  économes  des  églises ,  et  les  administrateurs  des 
hôpitaux,  ne  peuvent  être  poursuivis  que  devant  l'évêque, 
pour  le  fait  de  leurs  charges;  et,  en  cas  d'appel,  leurs  causes 
doivent  être  terminées  par  le  métropolitain  ou  par  le  pa- 
triarche. 

4°  Les  évoques  ne  peuvent  être  poursuivis  devant  les 
juges  séculiers,  pour  quelque  cause  que  ce  soit,  mais  seule- 
ment devant  le  métropolitain  ou  le  patriarche,  qui  doivent 
terminer  la  cause  dans  le  concile  de  la  province. 

Ces  dispositions  du  droit  romain,  généralement  adoptées 
depuis  dans  les  nouvelles  monarchies  qui  s'élevèrent  en  Oc-  Rè^euîsde 
cident  sur  les  ruines  de  l'empire,  fournissent  l'explication  conciies,exPh- 
naturelle  d'un  grand  nombre  de  règlements  qu'on  trouve  ^^ 
dans  les  conciles,  depuis  la  fin  du  quatrième  siècle,  pour  dé- 
fendre aux  clercs,  et  même  aux  laïques,  en  certains  cas,  de 


(1)  Nous  croyons  inutile  de  citer  textuellement  ces  dispositions  ;  il  nous 
a  paru  suffisant  à  notre  objet,  d'en  donner  une  simple  analyse.  On  peut 
voir ,  pour  de  plus  amples  développements,  le  Code  Justinien,  lib.  i,  tit.  4, 
De  Episcopali  audientiâ.  — Jusliniani  Novellœ  83,  86,  123,  etc.  — 
Thomassin,  ubi  suprà,  cliap.  103. — Fleury,  Hist  Ecclés.,  t.  vu,  liv.  xxxm, 
n.  6;  t.  xix,  7e  Discours,  n.  4.  —  D.  Ceillier,  Hist.  des  Auteurs  eccl., 
t.  xvi,  p.  470,  473,  etc. 

(2)  Ci-dessus,  p.  169,  note  2. 


ces 
lions. 


172  .         INTRODUCTION. 

porter  leurs  causes  aux  tribunaux,  séculiers  (4).  Le  troisième 
concile  de  Carthage,  tenu  en  597,  décerne  la  peine  de  dé- 
position contre  les  évêques,  les  prêtres,  les  diacres  et  les 
autres  clercs,  qui,  ayant  la  liberté  de  porter  leurs  causes  au 
tribunal  ecclésiastique,  les  portent  à  un  tribunal  séculier.  La 
raison  que  le  concile  apporte  de  ce  décret  est  digne  d'attention  : 
c'est  que  les  clercs  dont  il  s'agit  font  affront  à  l'Église,  en 
soumettant  à  des  juges  séculiers  des  différends  que  Papôtre 
saint  Paul  engage  même  les  laïques  à  porter  au  tribunal 
ecclésiastique  (2).  Aussi  le  décret  du  troisième  concile  de  Car- 
thage, sur  ce  sujet,  fut-il  renouvelé  dans  le  concile  œcuméni- 
que de  Chalcédoine,  en  454  (5).  Le  quatrième  concile  de 
Carthage,  en  598,  excommunie  même  les  laïques  qui  por- 
teront leurs  causes  à  des  juges  hérétiques  ou  infidèles  (4). 
On  trouve  ces  règlements  confirmés  ou  renouvelés  dans  une 
multitude  de  conciles  postérieurs  (5). 

(1)  Thomassin,  ibid.,  chap.  102,  n.  15. —  Muzzarelli,  Dissert,  sur  les  Im» 
munîtes  ecclésiastiques,  pag.  14,  etc. 

(2)  «  placuit  ut  quisquis  episcoporum,  presbyterorum  et  diaconorum  seu 
«  clericorum,  cùm  in  ecclesiâ  ei  crimen  fuerit  intentatum,  vel  civilis  causa 
«  fuerit  commota  ;  si,  relicto  ecclesiastico  judicio,  publicis  judiciis  purgari 
«  voluerit,  etiamsi  pro  ipso  fuerit  prolata  sententia ,  locum  suum  amittat, 
«  et  hoc  in  criminali  judicio  ;  in  civili  verô  perdat  quod  evicit,  si  locum  suum 
«  obtinere  voluerit.  Cui  enim  ad  eligendos  judices  undique  patet  auctoritas, 
«  ipse  se  indignum  fraterno  consortio  judicat,  qui,  de  universâ  Ecclesiâ  inalè 
«  sentiendo,  de  judicio  sseculari  poscit  auxilium  ;  cùm  privatorum  christiano- 
«  rum  causas  apostolus  ad  Ecclesiam  deferri,  atque  ibi  determinari  praeci- 
«  piat.  »  Concil.  Carthagin.  m,  can.  9.  (Labbe,  Concil.  tom.  n,  page  1168.) 
—  Fleury,  Hist.  Ecclés.,  tome  v,  liv.  20,  n.  25. 

(3)  «  Si  quis  clericus  habet  cum  clerico  litem  aut  negotium ,  proprium 
«  episcopum  ne  relinquat,  et  ad  saecularia  judicia  ne  excurrat;  sed  causam 
«  priùs  apud  proprium  episcopum  agat  ;  vel  de  episcopi  sententia,  apud  eos 
«.  quos  utraque  pars  elegerit,  judicium  agitetur.  Si  quis  autem  praeter  haec 
«  fecerit,  canonicis  pœnis  subjiciatur.  »  Concil.  Chalcedon.  act.  15,  can.  9. 
(Labbe,  Concil.  tom.  iv,  page  760.)  —  Fleury,  Hist.  Eccl.,  tom.  vi,  liv.  28, 
n.  29. 

(4)  «  Catholicus  qui  causam  suam,  sive  justam  sive  injustam,  ad  judicium 
«  alterius  fîdei  judicis  provocat,  excommunicetur.  »  Concil.  Carthagin.  iv, 
can.  87.  (Labbe,  Concil.  tom.  ir,  pag.  1206.) 

(5)  Quelques  auteurs  modernes  ont  cru  pouvoir  conclure  de  ces  règlements, 
que  les  immunités  personnelles  des  clercs  étaient  fondées  sur  le  droit  di- 
vin. (Voyez,  entre  autres,  Muzzarelli,  Dissert,  sur  les  Immunités  ecclés., 
page  14,  etc.)  Mais  il  est  aisé  de  voir  que  cette  conséquence  n'est  pas  rigou- 
reuse. On  conçoit,  en  effet,  que  l'exemption  de  la  juridiction  séculière  étant 


INTRODUCTION.  173 

Une  conséquence  également  naturelle  de  la  juridiction  tem-       108. 
porelle  des  évêques,  était  le  droit  d'infliger  aux  coupables     mreiieTP° 
des  peines  temporelles,  comme  la  prison,  la  flagellation,  les  'VupYbies*,* 
amendes  pécuniaires,  la  confiscation  et  l'exil  (4).  Saint  Au- par  nauz 
gustin  suppose  clairement  cet  usage,  dans  une  lettre  adressée,     "quès. 
yers  l'an  442,  au  tribun  Marcellin,  pour  l'exhorter  à  ne  pas 
punir  les  Donatistes  selon  la  sévérité  des  lois.  Le  saint  docteur 
souhaite  «  qu'on  n'emploie  contre  eux,  ni  les  chevalets,  ni 
«  les  ongles  de  fer ,  ni  le  feu ,  mais  seulement  les  verges, 
«  qui  sont  une  sorte  de  châtiment  dont  les  pères  se  servent 
«  envers  leurs  enfants,  les  maîtres  envers  leurs  écoliers,  et 
«  souvent  même  les  évêques  dans  leurs  jugements  (2).  » 
Le  cinquième  concile  de  Garthage,  tenu  en  599  ou  400,  dé- 
cerne, contre  certains  crimes,  des  amendes  pécuniaires  (5). 
Le  cinquième  concile  Romain,  tenu  en  503,  sous  le  pape 

une  fois  accordée  aux  clercs  par  les  lois  civiles ,  l'Église  peut ,  en  vertu  de 
cette  concession,  obliger  ses  ministres  à  profiter  de  ce  privilège,  fondé  sur  de 
si  fortes  raisons  de  convenance.  Cette  explication  des  règlements  ecclésiasti- 
ques concernant  les  immunités  personnelles  des  clercs  est  d'autant  plus 
naturelle,  qu'il  semble  nécessaire  de  l'appliquer  aux  canons  qui  défendent,  en 
certains  cas,  aux  laïques  eux-mêmes  de  plaider  devant  des  juges  infidèles  ou 
hérétiques.  Il  est  sans  doute  permis  de  penser  que  cette  dernière  défense  n'est 
pas  fondée  sur  le  droit  divin,  mais  uniquement  sur  le  droit  civil;  toutefois, 
elle  n'est  pas  exprimée  en  termes  moins  absolus,  dans  plusieurs  anciens  con- 
ciles, que  la  défense  faite  aux  clercs  de  plaider  devant  les  tribunaux  séculiers. 
Rien  n'empêche  donc  de  penser  que  l'une  et  l'autre  défense,  est  uniquement 
fondée  sur  le  'droit  civil ,  et  sur  une  pure  concession  des  princes.  (Voyez 
ci-dessus,  page  154,  etc.) 

(1)  Thomassin,  Ancienne  et  nouv.  Discipline,  tom.  h,  lib.  m,  chap.  102, 
n.  19.  — -  Devoti,  Instit.  Canon.,  tom.  iv,  lib.  îv,  tit.  1,  n.  10. 

(2)  «  impie,  christiane  judex,  pii  patris  officium;  sic  succense  iniqui- 

«  tati,  ut  consulere  humanitati  memineris Woli  perdere  paternam  dili- 

«  gentiam,  quam  in  ipsâ  inquisitione  (scelerum)  servasti,  quando  tantorum 
«  scelerum  confessionem,  non  extendente  equuleo,  non  sulcantibus  ungulis, 
«  non  urentibus  flammis,  sed  virgarum  verberibus  eruisti;  qui  modus  coer- 
«  citionis  à  magistiïs  artium  liberalium,  et  ab  ipsis  parentibus ,  et  sœpe 
«  etiam  injudiciis  solet  ab  episcopis  adhiberi.  »  S.  Augustin  ,  Epist.  133 
(aliàs  159),  ad  Marcellinum,  n.  2.  (Operum,  tom.  n,  pag.  396.) 

(3)  «  Et  illud  statuendum,  ut  si  quis  cujuslibet  honoris  clericus,  judicio 
«  episcoporum,  pro  quocumque  crimine  fuerit  damnatus,  non  liceat  eum, 
«  sive  ab  Ecclesiis  quibus  praefuit,  sive  à  quolibet  homine  defensaii;  interpo- 
se sitâpœnâ  damni,  pecuniae  atque  honoris,  quâ  nec  aetatem  nec^exum 
«  excusandum  esse  praecipimus.  »  Concil.  Carthagin.  v,  can.  2.  (Labbe, 
Concil.  tom.  n,  pag.  1215.)—  Fleury,  Hist.  Ecclésias  t.  f  tome  \,\iv.  20,n.43. 


i 74  INTRODUCTION. 

Symraaque,  condamne  à  l'exil  et  à  la  perte  de  tous  leurs  biens 
les  calomniateurs  des  évoques,  conformément  aux  anciens 
décrets  des  Pères  (4).  L'histoire  ecclésiastique  fournit  un 
grand  nombre  d'exemples  semblables  depuis  le  quatrième 
siècle  (2). 

Pour  l'exécution  de  leurs  sentences,  les  évêques  n'ayant 
alors,  d'après  les  lois,  que  le  pouvoir  judiciaire ,  et  non  le 
pouvoir  coactif,  dans  l'ordre  temporel,  étaient  ordinairement 
obligés  de  recourir   au  magistrat   séculier.   Cependant  ils 
avaient  déjà,  vers  la  fin  du  quatrième  siècle,  des  prisons 
pour  les  clercs  condamnés  à  la  réclusion  (5).   Il    est  fait 
mention  de  ces  prisons  dans  une   constitution   des    empe- 
reurs Arcade  et  Honorius,  publiée  en  596  ;  dans  les  actes  du 
concile  d'Éphèse,  tenu  en  A3\  ;  et  dans  une  Novelle  de  Jus- 
tinien,  datée  de  l'an  559  (4).  On  verra  bientôt  que  le  sou- 
verain pontife  et  les  patriarches  commencèrent,  vers  le  même 
temps,  à  avoir  sous  leurs  ordres  des  corps  d'officiers,  destinés 
à  faire  respecter  leur  autorité. 
snrcro°îtd'em.      On  se  figure  aisément  quel  surcroît  d'affaires  et  d'em- 
casbnné^ûx  barras  devait  attirer  aux  évêques  l'exercice  de  leur  juridic- 
pu. «noir!-  ti°n  temporelle.   L'histoire   de   saint    Augustin ,   de    saint 
temporelle.  Ambroise,  de  saint  Grégoire  de   Nazianze,  de  saint  Jean 


(1)  «  Hi  qui  ad  versa  eis  moliuntur,  sicut  à  sanctis  Patribus  dudum  sta- 
«  tutum  esse,  et  hodie  synodali  et  apostolicâ  auctoritate  firmatur,  penitus 
«  abjiciantur ,  et  exilio ,  suis  omnibus  sublatis ,  perpetuo  tradantur.  » 
Concil.  Rom.  v.  (Labbe,  Concil.  tom.  iv,  pag.  1366  E.)  Ce  décret  si  remar- 
quable est  omis  par  Fleury,  D.  Ceillier,  et  plusieurs  autres,  dans  l'analyse  de 
ce  concile  de  Rome. 

(2)  Voyez  les  auteurs  cités  à  la  page  précédente,  note  1. 

(3)  Ces  prisons  étaient  nommées  Decanica,  ou  Diaconica,  parce  qu'elles 
étaient  ordinairement  placées  dans  le  voisinage  d'une  Diaconie,  c'est-à-dire, 
d'une  sacristie  dont  le  service  était  confié  aux  diacres.  Voyez  Ducange, 
Glossar.  med.  et  inf.  Latin,  verb.  Decanicum  et  Diaconicum.  — 
Bingham,  Origines  et  Antiquitates  eccl.,  tom.  m,  lib.  vm,  cap.  7,  §  9. 
—  Devoti,  Instit.  Can.,  tom.  m,  lib.  m,  tit.  1,  n.  21.  —  Godefroy,  Com- 
ment, in  Cod.  Theodos.,  lib.  xvi,  lit.  5,  n.  30. 

(4)  Cod.  Theodos.  ibid.— Concil.  Ephes.,  parte  l,cap.  30,  n.  3.  (Labbe, 
ConcU.  tom.  m,  pag.  429.)  —  Justiniani  Novella  79,  cap.  3  (à  la  suite  du 
Code  Justinien). 


INTRODUCTION.  175 

Chrysostome,  et  de  plusieurs  autres  saints  évêques,  montre 
qu'ils  regardaient  cette  partie  de  leurs  fonctions  comme  une 
des  plus  importantes,  pour  le  maintien  de  la  paix  et  de  l'union 
parmi  les  fidèles,  et  qu'ils  ne  faisaient  aucune  difficulté  de 
consacrer  habituellement  à  l'administration  de  la  justice  un 
temps  considérable  (\).  Saint  Augustin  en  particulier  se 
plaint,  dans  plusieurs  de  ses  ouvrages,  de  ce  que  le  soin  des 
affaires  temporelles  lui  ôte  la  liberté  de  vaquer  aussi  assi- 
dûment qu'il  le  voudrait  à  l'étude  et  à  la  méditation  des 
livres  saints  (2);  et,  vers  le  même  temps,  Synésius,  évêque  de 
Ptolémaïde  en  Libye,  fatigué  de  ces  embarras  temporels, 
demandait  avec  instance  qu'il  lui  fût  permis  de  donner  la 
démission  de  son  siège  (5).  Il  est  vrai  que,  pour  concilier  le 
soin  des  affaires  temporelles  avec  les  autres  obligations  de 
leur  emploi,  les  évêques  se  déchargeaient  ordinairement  en 
partie  de  l'administration  de  la  justice  sur  des  prêtres  ou  des 
diacres,  quelquefois  même  sur  des  laïques  d'une  probité  re- 
connue (4).  Toutefois,  ils  ne  s'en  déchargeaient  pas  telle- 
ment ?  qu'ils  n'y  conservassent  une  part  très-active,  soit  en 
surveillant  de  près  leurs  officiers,  soit  en  examinant  par  eux- 
mêmes  les  affaires  les  plus  importantes.  Quelque  pénible  que 
fût  pour  eux  ce  surcroît  d'occupations,  ils  ne  balançaient  pas 
à  sacrifier,  sur  ce  point,  leurs  inclinations  particulières  à 
l'intérêt  de  leur  troupeau,  au  bien  de  la  religion,  et  aux 
ordonnances  mêmes  de  l'Eglise,  qui  obligeaient,  en  certains 
cas,  les  laïques  aussi  bien  que  les  clercs  à  soumettre  leurs 
contestations  au  tribunal  ecclésiastique. 

(1)  Thomassin,  ubi  suprà,  chap.  101  et  suiv.  —  D.  Ceillier,  Histoire  des 
Auteurs  ecclésiast.,  tom.  xiv,  pag.  256. 

(2)  S.  August.,  InPsalm.  118,  Serm.  24,  n.  3.  [Operum,  tom.  iv.)—Idem, 
De  Opère  Monachorum,  cap.  29.  (Operum,  tom.  vi.)—  Fleury,  ffist.  Eccles., 
tom.  v,  liv.  xx,  n.  35. 

(3)  Synesii,  Epist.  57,  pag.  198,  etc.  —  Fleury,  Hist.  Ecclés. ,  ibid. 
liv.  xxii,  n.  45. 

(4)  Thomassin,  ubi  suprà.  —  Bingham,  Origines  et  Antiquit.  eccles., 
tom.  i,  lib.  n,  cap.  7,  §  5. 


176  INTRODUCTION. 

§  VI.  Influence  du  clergé  dans  l'administration  civile,  sous 
les  empereurs  chrétiens  (\). 

no.  Le  pouvoir  judiciaire  dont  nous  venons  de  parler,  n'était 

USt"ndaitSe  qu'une  faible  partie  du  pouvoir  temporel  des  évêques,  sous 
Cce!d"après  les  empereurs  chrétiens.  Il  suffît  de  parcourir  les  monuments 
romaZ.  de  l'histoire ,  à  cette  époque,  et  particulièrement  les  dispo- 
sitions du  droit  romain,  concernant  la  juridiction  épisco- 
pale,  pour  se  convaincre  que  les  évêques  avaient  alors  une 
très-grande  part  à  l'administration  civile,  et  qu'ils  étaient, 
en  quelque  sorte,  les  hommes  de  confiance  du  gouvernement, 
qui  croyait  devoir  se  décharger  sur  eux  du  soin  des  objets 
les  plus  importants  au  bien  des  peuples  et  à  l'ordre  public. 
On  en  jugera  par  les  détails  que  nous  allons  donner  sur  le 
pouvoir  temporel  dont  les  évêques  et  les  patriarches  étaient 
alors  investis ,  en  vertu  des  constitutions  impériales. 

I.  Pour  ce  qui  regarde  d'abord  les  évêques  en  général , 
dés       on  ne  peut  lire  sans  étonnement  le  détail  de  leurs  attribu- 
eyeqnérar se"  tions,  dans  le  droit  romain  (2). 


(1)  Thomassin,  Ancienne  et  nouvelle  Discipline,  tome  n,  liv.  in,  chap.  103, 
n.  13;  tora.  m,  liv.  i,  chap.  >26  et  27.  —  Fleury,  Hist.  Ecclés.,  tome  xix, 
V  Discours,  n.  4.  —  Instit.  au  Droit  ecclés.,  tom.  n,  3e  partie,  chap.  1. 

(2)  Cod.  Theodos.  lib.  xvi,  passim. —  Cocl.  Justin,  lib.  i.  Voyez  surtout 
le  titre  4  :  De  Episcopali  audientiâ.  —  Justiniani  Novellœ;  passim. 

Le  P.  Thomassin  paraît  croire  que,  dès  le  temps  de  Constantin,  tous  les 
bons  évêques  étaient  chargés  de  la  meilleure  partie  du  gouvernement 
civil.  (Thomassin,  Ancienne  et  nouvelle  Discipline,  tom.  ni,  liv.  i,chap.  26, 
n.  19.)  Cette  assertion  lui  semble  prouvée  par  un  passage  de  Théodoret,  qui 
représente  saint  Jacques  de  Nisibe,  et  tous  les  bons  évêques  de  ce  temps, 
comme  les  protecteurs  et  les  défenseurs  des  orphelins,  des  veuves,  et  de  tous  les 
gens  misérables  ou  opprimés.  (Théodoret,  Hist.  Relig.  sive  Solitar.,  cap.  l.) 
Mais  il  ne  paraît  pas  que  les  évêques  aient  eu  alors  d'autre  pouvoir  temporel 
que  celui  dont  nous  avons  parlé  dans  le  paragraphe  précédent,  et  qui  regar- 
dait uniquement  l'administration  de  la  justice.  Le  passage  de  Théodoret 
prouve  bien  la  sollicitude  paternelle  des  bons  évêques  pour  le  bien  même 
temporel  de  leur  troupeau,  et  l'ascendant  que  leur  donnait,  sur  l'esprit  des 
peuples,  la  sainteté  de  leur  vie  et  de  leur  caractère,  jointe  au  pouvoir  ju- 
diciaire dont  ils  étaient  investis  ;  mais  tout  cela  ne  suppose ,  en  aucune 
manière,  ce  pouvoir  extraordinaire  que  le  P.  Thomassin  leur  attribue,  sur  la 
meilleure  partie  du  gouvernement  civil. 


ii  t 

Attributions 


INTRODUCTION.  1 77 

4°  Dès  l'an  568,  une  loi  des  empereurs  Valentinien  Ier  et 
Valens  chargea  les  évêques  de  veiller  sur  les  marchands, 
pour  empêcher  ou  corriger  leurs  injustices ,  surtout  à  l'égard 
des  pauvres  (\). 

2°  Une  loi  des  empereurs  Honorius  et  Théodose  le  Jeune, 
publiée  en  409  ,  et  renouvelée  depuis  par  l'empereur  Ana- 
stase,  ordonne  que  les  défenseurs  des  villes  soient  choisis  et 
institués  par  les  évêques ,  dans  une  assemblée  de  clercs  et  de 
notables  (2)  ;  elle  ajoute  qu'ils  ne  pourront  être  choisis  que 
parmi  les  catholiques.  Ce  dernier  point  était  une  conséquence 
naturelle  des  lois  alors  en  vigueur,  qui  déclaraient  les  héré- 
tiques incapables  de  tout  emploi  civil  (5). 

5°  Une  constitution  publiée  ,  en  428 ,  par  les  empereurs 
Théodose  le  Jeune  et  Valentinien  III,  permet  aux  filles  libres 


(1)  «  Negotiatores ,  si  qui  ad  domum  nostram  pertinent,  ne  modum  mer- 
ce  candi  videantur  excedere,  christiani  (quibus  verus  cultus  est  adjuvare  pau- 
«  pères,  et  positos  in  necessitate)  provideant  episcopi.  »  Cod.  Justin,  lib.  i, 
tit  4,  n.  1. 

(2)  Voici  le  texte  de  la  loi  publiée  par  les  empereurs  Honorius  et  Théodose 
le  Jeune  :  «  Defensores  ita  prsecipimus  ordinarï,  ut  sacris  orthodoxae  reli- 
«  gionis  imbuti  mysteriis,  reverendissimorum  episcoporum,  neenon  clerico- 
«  rum,  et  honoratorum,  ac  possessorum  et  curialium  decreto  constituantur; 
«  de  quorum  ordinatione  référendum  est  ad  illusirissimam  prsetorianam  po- 
rt testatem;  ut  litteris  ejusdem  magnificae  sedis  earum  solideturauctoritas.  » 
Cod.  Justin,  lib.  i,  tit.  55,  n.  8. 

La  loi  publiée  sur  le  même  sujet  par  l'empereur  Anastase  se  trouve  dans 
le  titre  4  du  même  livre,  n.  19. 

Il  y  avait  alors ,  dans  les  principales  villes  de  l'empire ,  un  défenseur 
chargé ,  comme  son  nom  même  le  fait  entendre ,  de  protéger  les  citoyens 
contre  toute  espèce  d'oppression,  soit  de  la  part  des  magistrats,  soit  de  la 
part  des  simples  particuliers.  On  peut  voir  le  détail  des  fonctions  et  des  obli- 
gations des  défenseurs  dans  le  Code  Théodosien,  lib.  i,  tit  11  ;  le  Code  Jus- 
tinien,  lib.  i,  tit.  55,  et  les  Noveiles  de  ce  dernier  empereur.  (Voyez  surtout 
la  quinzième.) 

Il  ne  faut  pas  confondre  ces  défenseurs  des  villes,  institués  vers  le  mi- 
lieu de  ive  siècle,  avec  les  défenseurs  des  églises,  établis  un  peu  plus  tard, 
pour  soutenir  auprès  des  magistrats  séculiers  les  intérêts  de  l'Église  et  des 
pauvres.  Sur  l'origine  etles  fonctions  de  ces  derniers,  voyez  le  Commentaire 
de  Godefroy  sur  le  Code  Théodosien,  lib.  n,  tit.  4 ,  n.  7  ;  lib.  xvi ,  tit.  2, 
n.  38.  —  Thomassin ,  Ancienne  et  nouvelle  Discipline,  tom.  i,  liv.  u, 
chap.  97,  etc.  —  De  Héricourl,  Abrégé  dit  même  ouvrage,  Ve  partie, 
chap.  19,  §  3.—  Bingham,  Origines  et  Antiquit.  ecclesiast.,  tom.  n,  lib.  3, 
cap.  11. 

(3)  Voyez  plus  haut,  art.  1er,  page  87,  etc. 

12 


178  INTRODUCTION. 

ou  esclaves,  que  leurs  pères  ou  leurs  maîtres  voudraient 
prostituer,  d'implorer  la  protection  de  l'évêque  pour  con- 
server leur  innocence  (4).  L'empereur  Léon  Ier  étendit,  dans 
la  suite ,  cette  disposition  aux  filles  qu'on  voudrait  faire  mon- 
ter malgré  elles  sur  le  théâtre  (2).  Justinien ,  non  content 
de  confirmer  ces  différentes  constitutions,  en  les  insérant  dans 
son  Code,  porta  encore  plus  loin  le  pouvoir  temporel  des 
évêques.  Voici  les  principales  dispositions  qu'il  ajouta ,  sur 
ce  point,  à  celles  de  ses  prédécesseurs  : 

A0  II  chargea  les  évêques  de  la  protection  des  orphelins , 
des  esclaves ,  des  prisonniers ,  et  généralement  de  toutes  les 
personnes  faibles  ou  misérables ,  que  leur  âge  ou  leur  con- 
dition exposaient  davantage  aux  vexations  (5).  En  vertu  de 
cette  commission,  l'évêque  devait  intervenir,  conjointement 
avec  les  magistrats  civils ,  dans  la  nomination  des  tuteurs  et 


(1)  «  Si  lenones  patres  et  domini  suis  filiabus  vel  ancillis  peccandi  ne- 
«  cessitatem  imposuerint  ;  liceat  filiabus  et  ancillis,  episcoporum  implorato 
«  suffragio,  omni  miseriarum  necessitate  absolvi.  »  Cod.  Justin,  lib.  i,  tit.  4., 
n.  12. 

(2)  «  (Magistratibus  oppidomm  et  episcopis)  curas  erit,  ne  etiam  invitam 
«  mulierem,  liberam  aut  ancillam,  conjungi  patiantur  animis  aùt  choris  (i.  e. 
a  matrimonio  jungi,  aut  choris  prqfanis  adjungï),  aut  aliud  spectaculum 
«  in  theatro  agere  invitam.  »  Ibid.,ïi.  14. 

(3)  La  plupart  des  constitutions  impériales,  sur  cette  matière,  sont 
réunies  dans  le  premier  livre  du  Code  Justinien,  tit.  iv,  n.  22,  23,  24, 
30,  33,  etc.  Nous  remarquerons  en  particulier  celle  qui  charge  les  évê- 
ques de  la  surveillance  des  prisons  :  «  Neminem  volumus  in  custodiam 
«  conjici ,  absque  jussu  gloriosissimorum  ,  vel  illustrium  ,  vel  clarissi- 
«  morum  magistratuum  hujus  felicissimae  urbis  (  Constantinop.)  vel  pro- 
«  vinciarum,  aut  defensorum  civitatum.  De  his  autem  quicuraque  conjecti 
«  aut  conjiciendi  sunt,  Deo  amabiles  locorum  episcopos  jubemusper  unam 

«  cujusque  hebdomadee  diem, eos  qui  in  custodiâ  habentur  visitare, 

«et  diligenter  inquirere  causam  ob  quam  detinentur,  et  sive  servi  sint 
ce  sive  liberi,  sive  pro  pecuniis,  sive  pro  aliis  criminationibus,  sive  pro  homi- 
«  cidiis  conjecti,  illustrissimos,  et  spectabiles,  et  clarissimos  magistratus 
«  admonere,  tam  eos  qui  sunt  in  bâc  felicissimâ  urbe,  quàm  qui  sunt  in  pro- 
«  vinciis,  ut  ea  exequantur  circa  ipsos,  quse  divalis  nostra  constitutio,  ad 
«  illustres  prsefectos  eâ  de  re  emissa,  praecipit  ;  licentiâ  data  Deo  carissimis 
«  pro  tempore  episcopis,  si  quam  negligentiam  admissam  cognoverint  ab  il- 
«  lustrissimis,  et  magnificentissimis ,  atque  clarissiniis  pro  tempore  magis- 
«  tratibus,  vel  iis  quae  illis  parent  officiis,  talem  ipsorum  negligentiam  indi- 
«  candi,  ut  conveniens  adversùs  négligentes  animi  nostri  motus  insurgat.  » 
lbid.7  n.  22. 


INTRODUCTION.  170 

curateurs ,  veiller  à  la  conservation  de  la  liberté  des  enfants 
trouvés,  visiter  chaque  semaine  les  prisonniers,  tant  libres 
qu'esclaves,  s'informer  du  sujet  de  leur  détention ,  avertir  les 
magistrats  civils  des  désordres  qu'ils  remarquaient  en  cette 
matière  ,  et  donner  avis  à  l'empereur  lui-même  de  la  négli- 
gence des  magistrats  à  réprimer  ces  désordres. 

5°  D'après  le  Code  Justinien ,  les  évêques  étaient  encore 
chargés  de  veiller  à  l'observation  des  lois  de  police  concer- 
nant les  jeux  de  hasard  ,  et  de  réprimer ,  de  concert  avec  les 
magistrats  civils,  les  transgresseurs  de  ces  lois (4). 

6°  Ils  étaient  également  chargés,  conjointement  avec  trois 
notables  de  la  ville,  de  l'administration  de  ses  revenus,  de 
l'inspection  des  travaux  publics ,  et  de  plusieurs  autres  objets 
concernant  les  intérêts  de  la  cité  (2). 

7°  Une  constitution  de  Justinien ,  qui  fait  partie  des  No- 
velles  placées  à  la  suite  de  son  Code,  charge  les  évêques  de 
veiller  à  la  conservation  des  poids  et  mesures  (5).  Pour  cet 
effet ,  l'empereur  ordonne  qu'on  en  conserve  le  type  dans  la 
principale  église  de  chaque  ville.  Il  est  à  remarquer  que 
cette  disposition  était  empruntée  à  la  législation  de  plusieurs 
anciens  peuples ,  particulièrement  à  celles  de  Moïse ,  des 
Égyptiens  ,  et  même  des  anciens  Romains,  qui  ordonnaient 

(t)  «  Quae  de  aleâ,  sive  (ut  vocant)  cottis  (quâdam  ludi  aleatorii  specie) 
«  ac  de  eorum  prohibitione,  à  nobis  sancita  sunt ,  ea  liceat  Dei  amicissimis 
«  episcopis  et  perscrutari,  et  cohibere  si  fiant,  et  flagitiosos,  per  clarissimos 
«  preesides  provinciarum,  et  patres  defensoresque  civitatum,  ad  modestiam 
«  reducere.  »  Cod.  Justin,  lib.  i,  tit.  4,  n.  25. 

Il  paraît  que  l'espèce  de  jeu  désigné  ici  par  le  mot  cotta,  prend  son  nom 
des  osselets  qui  lui  servent  d'instruments,  et  que  les  Grecs  modernes  appel- 
lent xotÇi.  (Voyez  le  mot  Cotta,  dans  le  Dictionnaire  latin  de  Facciolati, 
édition  dePadoue,  1827.)  —  Ducange,  Glossarium  mediœ  et  infimœ  Grœ- 
citatis  ;  verbo  xotÇia. 

(2)  Ibid.y  n.  26.  Cette  constitution  de  Justinien  entre  dans  un  détail  re- 
marquable sur  les  attributions  des  évêques  dans  l'administration  des  revenus 
de  la  cité  ;  mais  quelque  intéressant  que  soit  ce  détail,  sa  longueur  même 
nous  oblige  à  le  supprimer. 

(3)  «  Mensuras  et  pondéra  in  sanctissimâ  uniuscujusque  civitatis  ecclesiâ 
«  servdLii  (prœcipimus),  ut  secundùm  ea,  et  gravamencollatorum,  et  fisca- 
«  lium  illatio,  et  militares  et  alise  expensae  fiant.  »  Justin.  Novella  128, 

cap.  15. 

12. 


180 


INTRODUCTION. 


de  conserver  dans  les  temples  les  types  des  poids  et  me- 
sures ,  comme  des  choses  sacrées  et  inviolables  (4). 

8°  Sous  Justinien  et  ses  successeurs,  il  était  d'usage  que 
les  lois  concernant  des  matières  ecclésiastiques,  fussent  adres- 
sées par  l'empereur  aux  patriarches ,  qui  devaient  les  faire 
passer  aux  évêques ,  par  le  canal  des  métropolitains  (2).  La 
même  chose  avait  lieu  quelquefois  par  rapport  aux  lois  con- 
cernant des  matières  civiles  (5).  Dans  l'un  et  l'autre  cas ,  les 
évêques  étaient  chargés  de  surveiller  l'observation  des  lois, 
et  de  faire  connaître  à  l'empereur  la  négligence  des  magis- 
trats à  observer  ses  ordres ,  particulièrement  en  ce  qui  re- 
gardait la  recherche  et  la  punition  des  hérétiques  (4). 
ji2.  Les  successeurs  de  Justinien,  loin  de  voir  avec  peine  cet 

Ces  attribu-  .  .,  ..  i   j         »     *  l    •    J  a 

tions       accroissement  du  pouvoir  temporel  des  eveques ,  lui  donne- 

TendTes us  rent  encore  plus  d'étendue ,  principalement  en  Italie ,  où  la 

mm  la  '  situation  des  affaires  rendait  le  concours  du  clergé  plus  né- 


(1)  Exod.  xxx,  13  ;  Levit.  xxvii,  25.  —  Clem.  Alex.,  Stromat.  lib.  6 , 

Fannius,  De  Amphorâ.  —  D.  Calmet,  Dictionnaire  de  la  Bible,  article 
Poids. 

(2)  On  en  trouve  un  exemple  remarquable,  dans  la  sixième  Novelle  de  Justi- 
nien, qui  regarde  les  ordinations,  et  l'administration  temporelle  des  églises. 
La  conclusion  de  cet  édit  est  conçue  en  ces  termes  :  «  Sanctissimi  patriarchae 
«  uniuscujusque  diœcesis  haec  proponant  in  Ecclesiis  sub  se  constitutis,  et 
«  manifesta  faciant  Deo  amabilibus  metropolitis ,  quœ  à  nobis  constituta 
«  sunt.  Illi  quoque  rursus  etiam  ipsi  proponant  ea  in  metropolitanâ  sanctis- 
«  simâ  Ecclesiâ,  et  constitutis  sub  se  episcopis  haec  manifesta  faciant.  Illo- 
«  rum  verô  singuli  in  propriâ  Ecclesiâ  haec  proponant,  ut  nullus  nostrae  rei- 
«  publicae  ignoret  quae  à  nobis,  ad  bonorem  et  augmentum  magni  Dei  et 
«  salvatoris  nostri  Jesu  Christi ,  disposita  sunt.  »  Justinien,  Novellaô; 
Epilogus. —  DeMarca,  De  Concordiâ,  lib.  n,  cap.  11,  n.  9;  cap.  15, 
n.  2. 

(3)  La  huitième  Novelle  de  Justinien ,  qui  a  pour  objet  l'élection  et  les 
principaux  devoirs  des  magistrats,  fut  adressée  aux  patriarches  et  aux  métro- 
politains, par  un  édit  conçu  en  ces  termes  :  «  Traditae  nobis  à  Deo  reipublicae 
«  curam  babentes,  et  in  omni  justiliâ  vivere  nostros  subjectos  studentes,  sub- 
«  jectam  legem  conscripsimus  ;  quam  tuae  sanctitati ,  et  per  eam  omnibus 
«  qui  turc  provinciae  sunt,  facere  manifestam,  bene  babere  putavimus.  Tuae 
«  igitur  sit  reverentia?  et  caeteroi  um  (episcoporum),  haec  custodire;  et  si  quid 
«  transcendatur  à  judicibus,  ad  nos  referre;  ut  nihil  contemnatur  horum 
«  quae  sanctè  et  juste  à  nobis  sancita  sunt.  »  Justiniani  edictum  (ad  calcem 
JVovellœ  8). 

(4)  Ityd.  Voyez  aussi  le  Code  Justin.,  lib.  i,  tit.  5,  n.  J8( 


INTRODUCTION.  J81 

cessaire  au  bien  de  l'État  (4).  Depuis  l'établissement  de  la    monarchie 
monarchie  des  Lombards  ,  qui  porta  un  si  grand  coup  à  l'au-  *  Lombards. 
torité  des  empereurs  en  Italie,  la  faiblesse  toujours  crois- 
sante de   l'empire  obligea  ces  derniers   à  témoigner  aux 
évoques  une  confiance    presque   sans    bornes,  jusqu'à  se 
reposer  sur  eux  de  la  défense  des  villes,  dans  les  provinces 
les  plus  exposées  aux  incursions  des  Barbares.  Les  Lettres 
de  saint  Grégoire  le  Grand  fournissent  des  preuves  décisives 
de  ce  fait,  qui  semblerait  tout  à  fait  incroyable,  si  l'on  ne 
savait  d'ailleurs  quelle  était,  à  cette  époque,  la  situation 
déplorable  de  l'empire  en  Occident.  L'empereur  Maurice 
comptait  si  bien  sur  le  concours  des  évoques,  pour  la  défense 
des  villes,  qu'il  demandait  au  Pape,  avec  de  grandes  instan- 
ces, la  déposition  d'un  évêque  que  ses  infirmités  empêchaient 
de  veiller,  avec  toute  l'activité  nécessaire,  à  la  défense  de  sa 
ville  épiscopale.  Saint  Grégoire  ne  jugeant  pas  à  propos  de  dé- 
poser un  évêque  pour  un  semblable  motif,  lui  donna  cepen- 
dant un  coadjuteur  capable  de  veiller  à  la  défense  de  la  ville, 
en  cas  d'attaque  (2).  Plusieurs  lettres  du  même  pontife  ont 
pour  objet  d'exciter  les  évêques  à  remplir  ce  devoir  avec  zèle, 
à  veiller  assidûment  à  la  garde  des  murailles ,  à  l'entretien 
des  places  fortes  ,  à  leur  approvisionnement ,  en  un  mot ,  à 
tous  les  autres  objets  qui,  dans  un  autre  temps ,  eussent  été 
entièrement  abandonnés  aux  soins  des  magistrats  civils  (5). 

II.  A  mesure  que  les  empereurs  augmentaient  le  pouvoir       u3. 
temporel  des  évêques,  il  était  naturel  qu'ils  donnassent  aussi  '     <ie"  *  s 
une  nouvelle  étendue  à  celui  des  patriarches.  L'histoire  nous   pa<[épn<iScs 
offre,  en  effet ,  de  nombreuses  preuves  de  cet  accroissement,       siècle.4 
depuis    le   ive   siècle.    Nous    croyons    d'autant    plus    im- 
portant de  recueillir  les  détails  qu'elle  nous  a  conservés  sur 


(1)  Voyez  plus  haut,  art.  2,  page  42,  etc. 

(2)  Il  s'agit  ici  de  l'évêque  de  la  première  Justinienne,  dans  la  province 
d'illyrie.  S.  Greg.  Epistol.  lib.  xi ,  Epist.  47  {aliàs  41). 

(3)  S.  Greg.  Epistol.  lib.  vin,  Epist.  18  {aliàs  20);  lib.  ix,  Epist.  4  et  6 
{aliàs  2  et  5)  ;  et  alibi  passim. 


182  INTRODUCTION. 

ce  sujet ,  qu'ils  semblent  avoir  échappé  aux  recherches  d'un 
grand  nombre  d'auteurs  modernes  (\). 

Jusqu'à  la  fin  du  iye  siècle,  on  ne  voit  pas  que  les 
patriarches  aient  eu ,  d'après  les  lois  ou  la  coutume ,  un 
pouvoir  temporel  plus  étendu  que  celui  des  évêques  (2). 
Mais  le  pontificat  de  saint  Cyrille  paraît  être  l'époque  d'un 
accroissement  considérable  dans  le  pouvoir  temporel  du  pa- 
triarche d'Alexandrie,  et  vraisemblablement  des  autres 
patriarches  (5).  L'historien  Socrate  nous  apprend,  en  effet, 


(1)  Voyez,  à  ce  sujet,  Thomamn,  Ancienne  et  nouvelle  Discipline,  tom.  m, 
liv.  i,  chap.  26,  n.  3,  4,  etc.;  chap.  27,  n.  14  et  16. 

(2)  Le  P.  Thomassin  suppose  qu'avant  le  pontificat  de  saint  Cyrille  (c'est- 
à-dire  avant  l'année  412),  et  même  dès  le  temps  de  saint  Athanase,  le  patriar- 
che d'Alexandrie  avait  déjà  un  grand  pouvoir  {temporel),  non-seulement 
dans  sa  ville  épiscopale,  mais  dans  toute  V Egypte.  (Thomassin,  ubi 
suprà,  chap.  26,  n.  3,  9,  etc.)  A  l'appui  de  cette  assertion,  il  cite  :  1°  les  ac- 
cusations intentées  à  saint  Athanase  par  les  Ariens,  d'avoir  imposé  un  tribut 
de  linge  à  toute  l'Egypte,  et  d'avoir  voulu  empêcher  le  transport  de  blé  qui 
se  faisait  tous  les  ans  d'Egypte  à  Constantinople  ;  (Socrate,  Hist.  Ecclés., 
lib.  i,  cap.  27  et  35.  —  Fleury,  Hist.  Ecclés.,  tome  m,  liv.  xi,passim.  — 
Tillemont ,  Mémoires  sur  VHist.  Ecclés.  tome  vm  ;  Vie  de  saint  Atha- 
nase, pages  71,  etc.)  2°  la  conduite  de  Théophile  envers  les  moines 
de  Nitrie,  qu'il  chassa  de  l'Egypte  ,  au  moyen  de  la  force  armée.  (Fleury, 
Hist.  Ecclés.,  tome  v,  liv.  xxi,  n.  3.  —  Tillemont,  ibid.  tome  x,  page 
474,  etc.) 

Ces  exemples  prouvent  sans  doute  que  les  patriarches  avaient  alors,  à  rai- 
son de  leur  auguste  caractère,  un  grand  ascendant  sur  l'esprit  des  peuples  ; 
mais  nous  ne  croyons  pas  qu'on  puisse  en  conclure  que  les  patriarches  eus- 
sent alors,  d'après  les  lois  ou  la  coutume,  un  pouvoir  temporel  plus  étendu 
que  celui  des  évêques.  La  réponse  même  de  saint  Athanase  aux  calomnies 
des  Ariens,  semble  tout  à  fait  inconciliable  avec  la  supposition  de  ce  grand 
pouvoir  temporel  que  le  P.  Thomassin  lui  attribue;  car  il  repousse  princi- 
palement ces  calomnies,  en  représentant  qu'il  n'est  qu'un  simple  et  pauvre 
particulier  (S.  Athanase,  Apologia  contra  Arianos,  n.  9);  ce  qu'il  n'eût  pu 
avancer  avec  tant  soit  peu  de  vraisemblance,  s'il  eût  joui  d'un  grand  pou- 
voir temporel. 

L'exemple  de  Théophile  ne  semble  pas  plus  propre  à  établir  l'opinion  du 
P.  Thomassin.  En  effet,  il  est  à  remarquer  que  Théophile,  pour  chasser  de 
l'Église  les  moines  de  Nitrie,  ne  fait  point  usage  d'un  pouvoir  temporel 
attaché  à  son  siège  ;  il  se  contente  d'implorer  le  secours  du  gouverneur 
d'Egypte,  qui  met  des  soldats  à  sa  disposition,  pour  appliquer  aux  moines 
de  Nitrie  les  mesures  de  rigueur  que  le  gouvernement  avait  alors  coutume 
d'employer  généralement  contre  tous  les  hérétiques,  comme  nous  l'avons 
montré  ailleurs.  (Voyez  plus  haut,  art.  2,  page  84,  etc.) 

(3)  Il  y  avait  en  Orient,  au  ve  siècle,  quatre  patriarcats,  ceux  d'Alexan- 
drie ,  d'Antioche ,  de  Constantinople  et  de  Jérusalem.  Les  deux  premiers 


INTRODUCTION.  183 

que  saint  Cyrille  porta  sa  puissance  beaucoup  plus  loin  que 
Théophile,  son  prédécesseur,  et  que,  «  depuis  ce  temps, 
«  l'évêque  d'Alexandrie  joignit  à  l'autorité  spirituelle  le 
«  gouvernement  des  choses  temporelles  M).  »  Le  même 
auteur  ajoute  un  peu  plus  bas  que,  sous  le  pape  Gélestin, 
contemporain  de  saint  Cyrille,  «  l'évêque  de  Rome,  comme 
«  celui  d'Alexandrie,  joignait  depuis  longtemps  à  l'autorité 
«  spirituelle  une  domination  temporelle  (2).  »  Ces  paroles 
de  Socrate  nous  portent  à  croire  que  l'évêque  de  Rome  fut 
le  premier  des  patriarches  dont  le  pouvoir  temporel  reçut  ; 
vers  la  fin  du  ive  siècle  ,  un  accroissement  extraordi- 
naire ;  et  que  la  générosité  d'Honorius,  empereur  d'Occi- 
dent, envers  le  souverain  pontife  ,  excita  celle  de  Théodose 
le  Jeune,  empereur  d'Orient,  envers  le  patriarche  d'Alexan- 
drie. Quoi  qu'il  en  soit  de  cette  conjecture,  l'historien  So- 
crate, dans  les  passages  mêmes  que  nous  venons  de  citer,  se 
plaint  hautement  de  l'usage  que  les  évêques  de  Rome  et 
d'Alexandrie  faisaient  de  cette  nouvelle  autorité,  pour 
empêcher  les  assemblées  publiques  des  Novatiens,  pour 
fermer  leurs  églises ,  enlever  leurs  ornements  et  leurs  vases 
sacrés ,  et  dépouiller  de  ses  biens  leur  évêque  Théopompe. 
Ces  plaintes  n'ont  rien  d'étonnant  dans  la  bouche  de  Socrate, 
qu'on  sait  avoir  été  favorable  aux  Novatiens  ;  mais  elles  mon- 
trent clairement  l'étendue  qu'avait  alors  le  pouvoir  tem- 
porel des  évêques  de  Rome  et  d'Alexandrie  ,  et  l'usage  qu'ils 
en  faisaient  pour  le  soutien  de  l'Église  et  pour  la  ruine  de 
l'hérésie. 

Il  serait  difficile  de  dire  jusqu'où  s'étendait,  dans  ces  pre-       114. 
miers  temps ,  le  pouvoir  temporel  du  patriarche  d'Alexan-    s.  Cyrille 

avaient  été  fondés  par  saint  Pierre  lui-même  ;  celui  de  Constantinople  ne  fut 
érigé  que  "vers  la  fin  du  ive  siècle,  dans  le  concile  général  qu'on  y  célébra  en 
381.  Enfin,  celui  de  Jérusalem  fut  définitivement  reconnu  dans  le  concile  de 
Chalcédoine,  en  451.  Voyez  Thomassin,  Ancienne  et  nouvelle  Discipline, 
tome  1,  liv.  1,  chap.  7  et  suiv.  — De  Héricourt,  Abrégé  du  même  ouvrage, 
Ve  partie,  chap.  3. 

(1)  Socrate,  Hist.  Eccl  lib.  vu,  cap.  7. 

(2)  Ibid.,  cap.  11. 


son 
'P 


184  INTRODUCTION. 

d'Alexandrie  drie.  Mais  on  peut  assurer  que,  dès  le  temps  de  saint  Cyrille, 
on  pouvoir  ce  pouvoir  était  assez  grand  pour   exciter  la  jalousie  du 

temporel.  l  or  J 

gouverneur,  qui  trouvait  son  autorité  fort  diminuée  par 
celle  du  patriarche.  C'est  ce  que  l'historien  Socrate  nous 
apprend  encore ,  à  l'occasion  de  la  conduite  de  saint  Cyrille 
envers  les  Juifs ,  qu'il  chassa  d'Alexandrie ,  en  punition  des 
violences  auxquelles  ils  s'étaient  portés  contre  les  chré- 
tiens (J).  Le  patriarche  se  servit,  pour  cette  exécution, 
d'un  corps  d'officiers  nommés  Parabolains,  qu'il  avait  à  sa 
disposition  pour  soutenir  sa  puissance  et  faire  respecter  les 
actes  de  son  autorité  (2).  Ce  corps  d'officiers  n'était,  à  ce 
qu'il  paraît ,  dans  le  principe,  qu'une  pieuse  association  des- 
tinée au  service  des  malades;  mais  il  devint,  avec  le  temps, 
et  avec  le  consentement  des  empereurs ,  le  principal  soutien 
de  l'autorité  des  patriarches  d'Alexandrie.  C'est  ce  quirésulte 
clairement  d'une  loi  de  Théodose  le  Jeune  sur  cette  matière, 
et  des  détails  mêmes  que  Socrate  nous  a  laissés  sur  la  con- 
duite de  saint  Cyrille,  dans  l'occasion  dont  nous  venons  de 
parler.  En  effet,  Oreste  ,  qui  était  alors  gouverneur  d'A- 
lexandrie, mécontent  de  la  rigueur  dont  saint  Cyrille  avait 
usé  envers  les  Juifs,  s'en  plaignit  à  Théodose  le  Jeune,  qui 
paraît  avoir  désapprouvé  d'abord  la  conduite  du  patriarche  ; 
on  croit  même  qu'il  faut  rapporter  à  cette  époque  la  loi  du 
même  empereur,  qui  réduit  à  cinq  cents  le  nombre  des  Pa- 
rabolains, et  en  ôte  la  nomination  au  patriarche  (5).  Toute- 
fois, il  est  certain  que  l'empereur,  adouci  ou  mieux  informé 
dans  la  suite ,  révoqua  celte  première  loi  par  une  autre  ,  qui 
porte  le  nombre  des  Parabolains  jusqu'à  six  cents,  tous  à  la 
nomination  et  sous  la  dépendance  du  patriarche  (4). 

(1)  Socrate,  ffist.  Eccles.  lib.  vu,  cap.  13.  —  Fleury,  Hist.  Ecoles., 
tomev,  liv.  xxm,  n.  25. —  Thomassin  ,  ubi  suprà,  chap.  26  ,  n.  12  et  13. 

(2)  Sur  les  Parabolains  d'Alexandrie,  voyez  le  Code  Theod.,  lib.  xvi, 
tit.  2,  n.  42  et  43.  —  Tillemont,  Mémoires  sur  VHist.  Ecclés.,  tome  xiv, 
page  277.  —  Fleury,  ubi  suprà.  —  Bingbam,  Origines  sive  Antiquit. 
eccles.,  tom.  h,  lib.  m,  cap.  9. 

(3)  Cocl.  Theodos.,  ubi  suprà,  n.  42. 
(4j  «  Parabolani  (qui  ad  curanda  debilium  segra  corpora  deputantur) , 


INTRODUCTION.  185 

Nous  remarquerons,  à  ce  sujet/que  des  auteurs  estimables, 
pour  n'avoir  pas  assez  observé  l'origine  et  les  progrès  du 
pouvoir  temporel  des  patriarches,  ont  paru  surpris  de  la 
conduite  de  saint  Cyrille  ,  soit  à  l'égard  des  Novatiens,  soit 
à  l'égard  des  Juifs  (4).  Mais,  outre  que  Péminente  vertu  de 
saint  Cyrille  ne  permet  pas  de  croire  qu'il  se  soit  attribué 
de  lui-même  un  si  grand  pouvoir,  le  témoignage  déjà  cité 
de  l'historien  Socrate  suppose  clairement  qu'à  l'époque 
dont  il  s'agit ,  l'autorité  des  évêques  de  Rome  et  d'Alexan- 
drie avait  reçu  de  grands  accroissements ,  du  consentement 
même  des  empereurs. 

L'histoire  de  Dioscore,  successeur  de  saint  Cyrille  dans       Il5. 
le  siège  d'Alexandrie ,  offre   de  nouvelles  preuves  de  ce  UsagfaiT en 
grand  pouvoir,   dont  il  fît  un  usage  si  déplorable ,  pour    D,oscore• 
soutenir  le  parti  d'Eutychès(2).  Parmi  les  différentes  requêtes 
présentées  contre  lui,  dans  la  troisième  session  du  concile 
de  Chalcédoine,  en  454  ,  on  remarque  celle  du  diacre  Ischy- 
rion,  du  prêtre  Athanase ,  et  du  laïque  Sophronius,   qui 
accusent  le  patriarche  d'avoir  désolé  les  campagnes,  saisi  et 
ruiné  les  maisons  de  ses  ennemis,  d'en  avoir  banni  plusieurs, 
d'avoir  confisqué  les   biens   des  autres,  enfin  d'avoir  agi 
dans  Alexandrie  comme  si  elle  eût  été  son  propre  domaine  , 
et  comme  s'il  y  eût  exercé  une  autorité  supérieure  à  celle 
même  de  l'empereur  (5).  Il  paraît  que  ces  accusations  n'é- 

«  quingentos  esse  antè  prœcepimus.  Sed  quia  hos  minus  sufficere  in  prœ- 
«  senti  cognovimus',  pro  quingentis  sexcentos  constitui  praecipimus;  ita  ut, 
«  pro  arbitrio  viri  reverendissimi,  antistitis  Alexandrinœ  urbis,  de  lus  qui 
«  antè  fuerant,  et  qui  pro  consuetudine  curandi  gerunt  experientiam ,  sex- 
«  centi  parabolani  ad  ejusmodi  sollicitudinem  eligantur  (exceptis  videlicet 
«  honoratis  et  curialibus,  i.  e.  extra  horum  corpus).  Si  quis  autem  ex  his 
«  naturali  sorte  fuerit  absumptus,  alter  in  ejus  locum,  pro  voluntate  ejusdem 
«  sacerdotis  (seu  antistitis)  subrogetur;  ita  ut  hi  sexcenti,  viri  reverendis- 
«  simi  sacerdotis  prseceptis  ac  dispositionibus  obsecundent,  et  sub  ejus  cura 
«  consistant.  »  Ibid. ,  n.  43. 

(1)  Fleury,  ubisuprà.—  Alban  Butler,  Vies  des  Pères,  28  janvier,  p.  457. 

(2)  Thomassin,  ubi  suprà,  chap.  26,  n.  8  et  9 —  Fleury,  Hist.  Ecclés., 
t.  vi,  Hv.  xxviu,  n.  13. 

(3)  Concil.  Chalcedon.y  act.  3,  n.  4.  (Labbe,  Concil.  t.  îv,  p.  399,  etc.) 
—  Fleury,  Hist.  Ecclés.,  t,  vi,  liv.  xxvm,  n.  7,  etc. 


186  INTRODUCTION. 

taient  pas  sans  fondement,  puisque  Dioscore,  cité  par  le 
concile  pour  se  défendre ,  et  ayant  refusé  de  comparaître , 
fut  condamné  par  contumace ,  et  déposé  pour  toujours  de  sa 
dignité.  Sans  doute,  on  né  peut  juger  du  pouvoir  légitime  du 
patriarche  d'Alexandrie,  par  les  actes  de  violence  auxquels 
se  porta  Dioscore  ;  mais  quelque  abusifs  que  fussent  ces  actes, 
ils  supposent  au  moins  que  le  patriarche  avait  alors  à  sa  dis- 
position de  puissants  moyens,  pour  influer  dans  l'administra- 
tion des  choses  temporelles. 
ne.  Les  monuments  du  vie  et  du  vne  siècle  nous  offrent  des 

Pouvoir  ex* 

traordinaire   exemples   bien  plus   propres  à  faire  connaître  le  pouvoir 

par  jnstinien  légitime  du  patriarche  d'Alexandrie,  et  l'usage  qu'en  faisaient 

patriarche    les  prélats  les  plus  éminents  en  sainteté ,  et  les  plus  exempts 

d'Alexandrie.      ,  i         •    1  n         i  '«■  *         >■  \ 

de  tout  soupçon  de  violence  et  d  ambition  (\). 

Libérât,  diacre  de  l'Église  de  Cartilage  au  vie  siècle,  nous 
apprend  que  l'empereur  Justinien  donna  au  patriarche  Paul, 
vers  Pan  540,  une  pleine  autorité  sur  les  ducs  et  les  tribuns 
de  l'Egypte,  c'est-à-dire,  sur  les  officiers  civils  et  militaires 
de  cette  province ,  pour  éloigner  de  ces  emplois  les  héréti- 
ques, et  mettre  à  leur  place  des  catholiques  (2).  Cette  mesure 
extraordinaire  n'était  au  fond  que  l'application  des  lois  sou- 
vent publiées  contre  les  hérétiques,  et  renouvelées  par  Justi- 
nien lui-même  (5);  mais  il  est  remarquable  que  l'exécution 
de  ces  lois ,  pour  ce  qui  regarde  les  magistrats  hérétiques  de 
toute  l'Egypte,  soit  confiée  au  patriarche  d'Alexandrie. 
II?>  L'histoire  de  saint  Jean  l'Aumônier,  qui  occupa  le  même 

PoUporeilem  siège    au  commencement  du  siècle  suivant ,  renferme  des 
l'Aumônier,   détails    aussi   curieux    qu'édifiants,   sur  l'exercice  de  son 
pouvoir  temporel  (4).  Il  consacra  les  prémices  de  sonponti- 


(1)  Thomassin,  Ancienne  et  nouvelle  Discipline,  t.  n,  liv.  ni,  chap.  103, 
n.  10,  etc.;  t.  ni,  liv.  i,  chap.  27,  n.  14  et  16. 

(2)  Voyez,  ci-dessus,  la  note  1  de  la  page  91. 

(3)  Voyez  plus  haut,  art.  2,  p.  87,  etc. 

(4)  S.  Joannis  Vita,  per  Leontium  scripta  ,  cap.  3,  5,  34,  etc. 
(Apud  Bollandum,  30januarii.)— Fleury, Hist.  Ecclés.,  t.  vm,liv.  xxxvii, 
n.  12. 


INTRODUCTION.  187 

ficat  par  la  réforme  des  poids  et  mesures ,  et  obligea  tous  les 
marchands  à  se  conformer  à  ses  règlements  sur  ce  point , 
sous  peine  d'amendes  et  de  confiscation.  Il  employait  un 
grand  nombre  d'officiers  à  surveiller  la  police  et  les  mœurs 
de  la  ville.  Ces  officiers  étaient  autorisés  à  emprisonner  les 
coupables ,  à  saisir  leurs  biens ,  et  à  leur  infliger  d'autres 
peines  temporelles.  Mais  pour  prévenir  les  vexations  dont  ils 
auraient  pu  se  rendre  coupables,  le  saint  évêque  faisait  placer, 
tous  les  mercredis  et  les  vendredis,  devant  la  porte  de  l'église, 
un  siège  où  il  écoutait  publiquement  les  plaintes  de  tout  le 
monde ,  et  faisait  promptement  rendre  justice  à  chacun. 

L'histoire  nous  a  conservé  peu  de  détails  sur  le  pouvoir       !«•. 

,  _T  Influence  du 

temporel  des   autres  patriarches.  Nous  croyons  même  peu    patriarche 
vraisemblable  qu'ils  eussent  tous,  dans  le  principe,  la  même  Constamino- 

,        .  te  •  •  1  »      r         P^e  dans 

autorité  que  celui  d  Alexandrie,  qui  fut  toujours  considère  r élection  de 

•         il        ,)r,  -,  l'empereur. 

comme  le  premier  patriarche  de  1  Orient,  du  moins  avant     serment 

,,,  .  ,  .         .  1      ,-.  .  ii«/r»«i  exigé  de  l'élu 

1  érection  du  patnarchat  de  Constantinople.  JMais  il  est  cer- 
tain que ,  depuis  la  fin  du  ve  siècle,  le  patriarche  de  la  ville 
impériale  fut  souvent  appelé  aux  assemblées  politiques, 
surtout  à  celles  où  se  faisait  l'élection  des  empereurs ,  et  qu'il 
y  exerçait  ordinairement  une  grande  influence  (\).  C'est  ce 
que  prouve  en  particulier  l'histoire  d'Anastase,  élevé  au 
trône  impérial,  en  494 ,  par  les  suffrages  du  sénat  et  de  l'ar- 
mée. Comme  il  était  attaché  au  parti  d'Eulychès,  le  patriar- 
che Euphémius  refusa  constamment  de  lui  donner  la  couronne 
impériale  ,  jusqu'à  ce  qu'il  eût  promis  avec  serment  de  con- 
server la  foi  catholique ,  et  de  ne  rien  innover  dans  la  reli- 
gion (2).  Depuis  cette  époque,  on  voit  le  patriarche,  quel- 
quefois même  les  évêques ,  appelés  aux  assemblées  politiques, 
dans  plusieurs  occasions  importantes,  principalement  à  celles 

(1)  Thomassin,  Ancienne  et  nouvelle  Discipline,  t.  n,  liv.  n,  chap.  4  , 
n.  1  ;  liv.  m,  chap.  46,  n.  1-5. 

(2)  Evagre,  Hist.  Eccles.  lib.  m,  cap.  32,—  Fleury,  Hist.  Ecclés., 
t.  vu,  liv.  xxx,  n.  22.  —  Lebeau,  Hist.  du  Bas-Empire,  t.  vin,  liv.  xxxvm. 
—  Bossuel,  Defensio  Declar.,  lib.  n,  cap.  7.  —  Idem ,  Défense  de  VHist. 
des  variations,  n.  6. 


Raisons  d'exi 

ger  ce 

serment 


188  INTRODUCTION. 

où  se  faisait  l'élection  des  empereurs.  Le  consentement  du 
patriarche  était  regardé  comme  nécessaire  pour  leur  cou- 
ronnement; et  il  ne  le  donnait  qu'en  leur  faisant  jurer  de 
conserver  la  foi  orthodoxe,  et  de  maintenir  la  paix  des  Égli- 
ses (\  ) . 
9.  Cette  conduite  d'Euphémius  et  de  ses  successeurs  peut, 

sans  doute ,  paraître  extraordinaire  au  premier  abord  ;  et 
peut-être  bien  des  lecteurs  trouveront-ils  étonnant  que  ces 
prélats  aient  fait  dépendre  le  couronnement  de  l'empereur, 
d'une  condition  tout  à  fait  sans  exemple  sous  les  premiers 
empereurs  chrétiens.  Mais  on  doit  remarquer  qu'au  temps 
où  les  patriarches  de  Constantinople  commencèrent  à  exiger 
cette  condition ,  les  circonstances  étaient  bien  différentes  de 
ce  qu'elles  avaient  été  auparavant.  Depuis  le  règne  de  Théo- 
dose le  Grand,  plusieurs  constitutions  impériales  avaient 
déclaré  les  hérétiques  incapables  de  tout  emploi  et  de  tout 
droit  civil  (2).  Cette  disposition  avait  été  successivement 
appliquée  aux  différentes  sectes  hérétiques,  et  spécialement 
à  celle  des  Eutychiens ,  dont  Anastase  professait  la  doctrine 
avant  son  élection  à  l'empire  (5).  Est-il  étonnant  que  ,  dans 
ces  conjonctures,  le  patriarche  de  Constantinople,  appelé  par 
la  confiance  du  sénat  et  du  peuple  aux  assemblées  publiques 
où  se  faisait  l'élection  de  l'empereur,  ait  fait  difficulté  de  cou- 
ronner un  prince  hérétique?  Pouvait-il  se  conduire  autre- 
ment sans  compromettre  tout  à  la  fois  les  intérêts  de  la 
religion  et  ceux  de  l'empire?  Elever  un  hérétique  au  trône 
impérial,  au  milieu  d'une  société  catholique,  et  dans  un 
État  où  les  hérétiques  étaient  déclarés,  par  les  lois,  incapables 
de  tout  emploi  et  de  tout  droit  civil ,  n'était-ce  pas  exposer 
l'Église  et  l'État  aux  plus  violentes  commotions?  Loin  donc 
que  la  conduite  du  patriarche  Euphémius  et  de  ses  successeurs 


(1)  Voyez  les  auteurs  cités,  à  ce  sujet,  par  le  P.  Thomassin,  ubi  suprà. 

(2)  Voyez  plus  haut,  article,  2,  p.  87,  etc. 

(3)  Voyez ,  à  ce  sujet ,  les  Constitutions  de  l'empereur  Marcien ,  que  nous 
avons  citées  plus  haut,  pages  88  et  89. 


INTRODUCTION.  189 

soit  répréhensible  en  ce  point ,  elle  était  pleine  de  sagesse  et 
de  prudence  :  on  doit  la  regarder  comme  une  conséquence 
naturelle  de  la  législation  alors  en  vigueur,  et  des  me- 
sures que  les  empereurs  eux-mêmes  avaient  cru  devoir 
adopter,  pour  le  maintien  de  la  religion  catholique  dans  leurs 
États. 

L'usage  de  ce  serment,  exigé  des  empereurs  à  l'époque    "  120. 

.  1  •      1        -e     •      1  •  1  Conséquences 

de  leur  élection,  depuis  le  v    siècle,  a  lait  naître  ,  dans  la       deCC 

il*  i  i*         i  1  t  serment  ,  re- 

SUlte,  une  question  de  droit  public  du  plus  haut  intérêt,    utilement 

savoir,  si,  en  vertu  de  ce  serment,  un  empereur  hérétique    déposition 

•  i  1  ,n  n  •    •    i  11  ri      t  d'unempereut 

pouvait  être  déposer  Sans  entrer  ici  dans  lexamen  spéculant  hérétique. 
de  cette  question ,  qui  nous  jetterait  dans  le  champ  des  con- 
troverses théologiques ,  tout  à  fait  étrangères  à  notre  plan , 
nous  ferons  seulement  quelques  remarques  historiques ,  très- 
propres  à  éclaircir  la  question  dont  il  s'agit ,  et  à  mettre  dans 
un  nouveau  jour  la  doctrine  de  l'antiquité  sur  cette  matière. 

\°  Avant  l'établissement  du  nouvel  empire  d'Occident, 
sous  Charlemagne ,  il  ne  paraît  pas  que  cette  importante 
question  ait  jamais  été  agitée;  du  moins  nous  n'avons  trouvé 
jusqu'ici,  dans  les  monuments  authentiques  de  l'histoire, 
aucun  vestige  d'une  pareille  discussion.  On  voit  bien  quel- 
ques mouvements  populaires  s'élever  contre  les  empereurs 
hérétiques ,  spécialement  contre  Anastase  et  Léon  l'Isaurien  ; 
mais  le  clergé  est  tout  à  fait  étranger  à  ces  mouvements ,  et 
l'on  ne  voit  aucune  discussion  sérieuse  entre  les  docteurs , 
sur  la  permanence  des  droits  d'un  prince  hérétique  (\). 

2°  La  conduite  du  clergé ,  et  même  des  souverains  pon- 
tifes, envers  les  empereurs  de  Constantinople,  depuis  le 
Ve  siècle  jusqu'au  ixe,  paraît  toujours  supposer  la  perma- 


(1)  Sur  les  mouvements  populaires  qui  s'élevèrent  à  Constantinople  con- 
tre l'empereur  Anastase,  à  l'occasion  de  son  attachement  au  parti  d'Euty- 
chès.  voyez  les  auteurs  que  nous  avons  cités,  p.  187,  note  2.  Nous  parlerons 
ailleurs  de  semblables  mouvements  qui  eurent  lieu  en  Italie  contre  Léon  l'I- 
saurien, à  l'occasion  de  son  attachement  à  l'hérésie  des  Iconoclastes,  et  qui 
furent  apaisés  par  la  prudence  de  Grégoire  11.  (Voyez  ci-après,  lre  partie, 
chap.  i.) 


J90  INTRODUCTION. 

nence  des  droits  d'un  prince  même  notoirement  hérétique. 
C'est  ce  qui  résulte  assez  clairement  des  détails  que  l'his- 
toire nous  a  conservés ,  sur  la  conduite  du  pape  Symmaque 
et  du  clergé  de  Gonstantinople  envers  l'empereur  Ânastase* 
La  même  chose  semble  résulter  des  détails  que  nous  don- 
nerons plus  bas  sur  la  conduite  des  papes  du  vine  siècle 
envers  les  empereurs  hérétiques,  et  spécialement  envers 
Léon  l'Isaurien. 

5°  Pour  expliquer  la  conduite  différente  des  souve- 
rains pontifes  envers  les  princes  hérétiques ,  avant  le 
IXe  siècle  et  depuis  cette  époque ,  il  importe  de  remar- 
quer une  différence  essentielle  entre  la  constitution  de  l'em 
pire  romain  et  la  constitution  des  nouvelles  monarchies 
qui  s'élevèrent  en  Occident,  depuis  le  ive  siècle,  sur  les 
ruines  de  cet  empire.  Ni  l'usage  ,  ni  la  constitution  de  l'em- 
pire romain  ne  déclaraient  déchu  du  trône  un  prince  héré- 
tique. Quoique  les  empereurs  chrétiens  fussent  obligés,  non- 
seulement  par  une  obligation  naturelle,  mais  encore  (depuis 
le  ve  siècle)  en  vertu  du  serment  de  leur  élection ,  à  main- 
tenir et  protéger  la  religion  catholique ,  il  ne  paraît  pas  que 
rengagement  contracté  par  ce  serment  fût  alors  considéré 
comme  une  condition  rigoureuse  de  leur  élection.  Cette 
clause  n'était  point  formellement  stipulée  à  l'époque  de  l'é- 
lection; et  rien  ne  prouve  que  f  usage  suppléât,  sur  ce  point, 
à  une  stipulation  formelle.  Dans  les  nouvelles  monarchies, 
au  contraire,  ou  du  moins  dans  la  plupart  d'entre  elles,  la 
profession  de  la  foi  catholique  a  été,  pendant  plusieurs 
siècles ,  une  condition  rigoureuse  de  Vèlection  du  souve- 
rain (4)  ;  cette  condition  était  formellement  stipulée,  tantôt 
dans  les  lois  fondamentales  de  l'État,  tantôt  dans  l'acte  même 
de  l'élection  du  prince ,  tantôt  par  l'usage  et  la  persuasion 
universelle  des  princes  et  des  peuples  ;  d'où  il  résultait  natu- 

(1)  Nous  verrons  plus  bas  que  cette  condition  a  été  autrefois  en  usage  en 
Espagne,  en  Angleterre,  en  Allemagne,  et  dans  plusieurs  autres  États.  (Voyez 
ci-après,  2e  partie,  chap.  3.) 


INTRODUCTION.  191 

Tellement  qu'un  prince  hérétique  était  déchu  du  trône,  par 
la  constitution  de  l'État,  et  que  la  sentence  du  tribunal 
ecclésiastique  qui  déclarait  un  prince  hérétique ,  le  décla- 
rait, par  cela  même,  déchu  de  tous  ses  droits.  Nous 
exposerons  ailleurs  plus  en  détail  les  principaux  faits  qui 
établissent ,  à  cet  égard  ,  le  droit  public  de  l'Europe  au 
moyen  âge. 

La  suite  des  faits  que  nous  avons  exposés  dans  cette  In-       ,«. 

.        i  ,  , ,       .     .  .   î  >      Conséquences^ 

troauction,  ne  montre  pas  seulement  1  origine  et  les  progrès      ramar- 
du  pouvoir  temporel  de  l'Eglise,  sous  les  empereurs  chré-   quafaits 
tiens  ;  mais  elle  montre  en  même  temps  la  véritable  origine  exp°cette 
de  celui  qu'elle  exerça  dans  les  différentes  monarchies  éle- 
vées sur  les  débris  de  l'empire  romain  en  Occident,  depuis 
le  ive  siècle.  Plusieurs  écrivains  modernes  représentent  ce 
pouvoir  comme  un  effet  de  l'ambition  et  des  intrigues  du 
clergé ,  secondés  par  l'ignorance  et  la  superstition  du  moyen 
âge.  Il  résulte,  au  contraire ,  des  faits  que  nous  avons  ex- 
posés : 

4°  Que  les  fondements  de  ce  pouvoir  furent  jetés  par 
Constantin  et  ses  successeurs,  à  une  époque  remarquable 
par  l'état  florissant  de  la  civilisation  ,  des  arts  et  des  sciences. 
2°  Qu'en  accordant  au  clergé  un  si  grand  pouvoir ,  les 
empereurs  chrétiens  ne  firent  que  transporter  à  l'Église  les 
honneurs  et  les  prérogatives  accordés,  de  tout  temps,  aux 
ministres  sacrés  chez  les  Romains ,  comme  chez  tous  les  an- 
ciens peuples. 

5°  Que  cette  conduite  des  empereurs  chrétiens  était  aussi 
conforme  aux  principes  d'une  sage  politique,  qu'à  l'usage  et 
aux  maximes  de  l'antiquité,  sur  l'étroite  union  qui  doit 
exister  entre  la  religion  et  l'État. 

4°  Enfin  ,  que  le  clergé ,  loin  d'avoir  ambitionné  ce  pou- 
voir, ne  l'exerçait  qu'à  regret;  et  que,  parmi  les  évêques 
surtout,  ceux  qui  l'ont  exercé  avec  plus  d'éclat,  sous  les 
empereurs  chrétiens  ,  sont  précisément  le  plus  à  couvert  du 
reproche  d'ambition  et  de  cupidité. 


192  INTRODUCTION. 

Toutes  ces  conséquences  seront  mises  dans  un  nouveau 
jour ,  par  les  détails  que  nous  donnerons ,  dans  la  première 
partie  de  cet  ouvrage ,  sur  V origine  de  la  souveraineté  tem- 
porelle du  saint-siège. 


POUVOIR  DU  PAPE 

AU  MOYEN  AGE. 


PREMIERE  PARTIE. 


ORIGINE  ET  FONDEMENTS  DE  LA  SOUVERAINETÉ  TEMPORELLE 

DU  SAINT-SIÈGE. 


•  &04^4SBBI 


raineté  tem- 
porelle du 
saint-sié^e. 


L'établissement  de  la  souveraineté  temporelle  du  saint-siége        t. 
n'a  pas  été  une  de  ces  révolutions  subites  et  imprévues,  qui  ^qTo'n"00* 
étonnent  le  monde  par  la  rapidité  de  leur  marche.  La  lecture  loL^sou^e- 
attentive  de  l'histoire  nous  montre,  au  contraire,  l'établissement 
de  cette  souveraineté  insensiblement  amené  et  préparé,  pour 
ainsi  dire,  de  loin ,  par  un  concours  de  circonstances  tout  à  fait 
indépendant  de  la  volonté  des  souverains  pontifes  ;  circonstances 
dont  ils  eussent  vainement  essayé  d'arrêter  l'influence,  et  dont 
ils  n'eussent  même  pu  empêcher  le  résultat  naturel ,  sans  com- 
promettre également  les  intérêts  de  la  religion  et  de  la  société. 
Un  aperçu  rapide  de  ces  circonstances  montrera,  dès  ce  mo- 
ment, au  lecteur  l'importance  et  les  difficultés  du  sujet  que 
nous  devons  traiter  dans  cette  première  partie. 

Les  détails  que  nous  avons  donnés,  dans  Y  Introduction ,  sur 
les  honneurs  et  les  prérogatives  temporelles  accordés  à  la  reli- 
gion et  à  ses  ministres ,  sous  les  premiers  empereurs  chrétiens , 
font  déjà  connaître  une  partie  des  événements  qui  ont  préparé 
de  loin  la  souveraineté  temporelle  du  saint-siége.  On  conçoit, 
en  effet,  que  les  mêmes  considérations  qui  engageaient  alors  les 
empereurs  à  donner  à  tous  les  évêques,  et  surtout  aux  patriar- 
ches, une  si  grande  influence  dans  les  affaires  civiles,  les  en- 
gageaient naturellement  à  donner  une  autorité  encore  plus 

13 


194  SOUVERAINETE   TEMPORELLE   DU  PAPE. 

grande  au  saint-siége,  que  toutes  les  Églises  vénéraient  comme 
le  centre  de  la  catholicité;  il  était  assurément  bien  convenable 
que  ce  siège,  distingué  entre  tous  les  autres  par  ses  préroga- 
tives dans  l'ordre  spirituel,  le  fût  également  par  ses  prérogatives 
dans  l'ordre  temporel. 

Mais,  à  cette  première  cause  du  pouvoir  temporel  dont  le 
saint-siége  fut  investi ,  depuis  la  conversion  de  Constantin ,  il 
faut  en  ajouter  plusieurs  autres,  tirées  de  la  situation  déplo- 
rable de  l'empire,  principalement  en  Occident,  sous  les  suc- 
cesseurs de  ce  grand  prince ,  et  des  services  importants  que  les 
papes  rendirent  à  l'Italie ,  dans  les  circonstances  difficiles  où 
elle  se  trouvait  (l). 
2.  Personne  n'ignore,  en  effet,  quelle  fut,  depuis  le  ive  siècle, 

dépiSTdela  triste  situation  de  l'empire,  surtout  en  Occident  (2).  Les  ir- 
^mdentT  rupti°ns  continuelles  des  Barbares  lui  enlevèrent  successive- 
ie  it^ècie  men*  ses  Pms  belles  provinces ,  et  attirèrent  sur  leurs  malheu- 
reux habitants  les  plus  affreuses  calamités.  Les  invasions  se 
multiplièrent  à  un  tel  point,  qu'avant  la  fin  du  ve  siècle,  l'em- 
pire était  déjà  presque  éteint  en  Occident,  et  que  Rome  elle- 
même,  assujettie  d'abord  à  la  domination  des  Hérules,  puis  à 
celle  des  Ostrogoths,  semblait  enlevée  pour  toujours  à  ses  an- 
ciens maîtres.  Il  est  vrai  que,  sous  le  règne  de  Justinien,  les 
conquêtes  de  Bélisaire  et  de  Narsès  rétablirent,  pendant  quel- 
ques années ,  la  gloire  de  l'empire  en  Italie.  Mais  à  peine  ces 
deux  grands  capitaines  eurent  quitté  cette  province,  que  les 
Lombards  l'asservirent  de  nouveau  presque  tout  entière,  et 
fondèrent,  dans  sa  partie  supérieure,  une  monarchie  qui  fut, 
pendant  plus  de  deux  siècles,  une  source  de  calamités  pour  les 
provinces  d'Italie  encore  soumises  à  la  domination  impériale. 
Au  milieu  de  ces  calamités,  sans  cesse  renaissantes,  ces  malheu- 
reuses provinces  étaient  presque  entièrement  destituées  du  se- 

(1)  Parmi  les  auteurs  français  qu'on  peut  citer  à  l'appui  de  cet  ex- 
posé,  voyez  en  particulier  Bossuet ,  Defens.  Declar.,  lib.  u,  cap.  36-39. 
—  Thomassin,  Ancienne  et  nouvelle  Discipline,  t.  m,  liv.  i,  ch.  27,  n.  6-9; 
eh.  29,  n.  2,  etc.  <—  Affre,  Essai  historique  sur  la  Puissance  temporelle 
du  Pape  et  de  l'Église ,  ch.  8.  —  Lebeau,  Hist.  du  Bas-Empire ,  t.  xiv, 
liv.  lxvi,  n.  51.  —  Annales  du  moyen  âge,  t.  iv,  liv.  xin,  p.  40,  etc.  — 
De  Maistre,  Du  Pape,  liv.  n,  ch.  6,  p.  249,  etc. 

(2)  Outre  les  auteurs  cités  dans  la  note  précédente,  voyez  Bossuet,  Hist. 
universelle,  ire  partie,  ne  Époque. 


PREMIÈRE  PARTIE.  195 

cours  des  empereurs.  Ceux-ci ,  qui  pouvaient  à  peine  se  soutenir 
en  Orient  contre  de  semblables  attaques ,  étaient  presque  tou- 
jours obligés  de  refuser  à  l'Italie  les  secours  qu'elle  ne  cessait 
de  réclamer.  Plusieurs  même,  oubliant  les  principes  et  les 
exemples  de  leurs  prédécesseurs,  sur  la  soumission  due  à  l'Église 
et  au  saint-siége,  semblaient  travailler  eux-mêmes  à  ruiner  leur 
autorité  en  Italie,  par  la  protection  ouverte  qu'ils  accordaient  à 
l'hérésie ,  et  par  les  vexations  qu'ils  exerçaient  contre  les  peu- 
ples, en  punition  de  leur  attachement  au  saint-siége  et  à  la  foi 
catholique. 

Dans  ces  tristes  conjonctures,  la  Providence  avait  ménagé  à        3. 
l'Italie  une  puissante  ressource,  dans  la  sagesse  et  la  vertu  des  ^^«'«JS" 
papes  qui  occupèrent  alors  le  saint-siége.  Depuis  la  conversion  11'1,alie«  da,,f 

1     *■         *  *  or  la  sagesso  et  la 

de  Constantin  jusqu'au  règne  de  Charlemagne,  ils  furent  près-  vem« 
que  tous  distingués  par  leurs  lumières,  leur  prudence  et  leur 
éminente  sainteté.  Les  grandes  richesses  et  la  considération  uni- 
verselle dont  ils  jouissaient,  loin  d'être  l'écueil  de  leur  vertu, 
ne  servaient  qu'à  lui  donner  plus  d'éclat.  L'augmentation  de 
leurs  patrimoines  tournait  constamment  au  profit  des  pauvres, 
dans  toutes  les  parties  de  la  chrétienté  (1);  et  l'Italie  surtout 
dut  plus  d'une  fois  à  la  prudence  et  à  la  générosité  des  papes,  le 
soulagement  ou  la  cessation  des  fléaux  que  lui  attirait  sans  cesse 
le  voisinage  des  Barbares. 

Tous  ces  motifs  réunis  devaient  naturellement  lui  rendre  de 
jour  en  jour  plus  chère  et  plus  précieuse  la  protection  des  papes, 
et  donner  en  même  temps  à  ceux-ci  une  plus  grande  influence 
dans  le  gouvernement  temporel  ;  influence  d'autant  plus  légi- 
time, qu'elle  était  le  résultat  inévitable  de  circonstances  et 
d'événements  tout  à  fait  indépendants  de  leur  volonté.  Aussi, 
les  auteurs  même  les  moins  favorables  au  saint-siége  sont-ils 
forcés  de  reconnaître,  que  ce  concours  de  circonstances  fut  la 

(1)  On  appelait  alors  patrimoines  de  V Église,  les  biens-fonds  qu'elle  pos- 
sédait pour  son  entretien  et  pour  le  soulagement  des  pauvres.  La  plupart 
des  grandes  Églises  avaient  des  patrimoines  plus  ou  moins  considérables  • 
mais  la  plus  riche,  en  ce  genre  de  propriétés,  était  l'Église  romaine.  Voyez 
Fleury,  Mœurs  des  Chrétiens,  n.  49,  50,  58,  etc.  —  Hist.  Ecclés., 
t.  vin,  liv.  xxxv,  n.  16.  —  Thomassin,  Ancienne  et  nouvelle  Discipline, 
t.  111,  liv.  m,  chap.  29.  —  Zaccaria,  De  rébus  ad  Hist.  et  Antiquit.  Eccles. 
pertinentibus.  Fulginiœ,  1781  ;  t.  n,  Dissertatio  x. 

13. 


136  SOUVERAINETÉ   TEMPORELLE  Dtl  JAJPE. 

principale  cause  de  l'accroissement  prodigieux  du  pouvoir  tem- 
porel des  papes,  depuis  le  ve  siècle  (1).  Toutefois,  en  s'accor- 
dant  avec  nous  sur  ce  point,  ils  ne  s'accordent  pas  également 
sur  la  nature  du  pouvoir  que  les  papes  ont  exercé  en  Italie 
avant  la  donation  de  Pépin,  ni  sur  l'époque  précise  à  laquelle 
on  doit  placer  l'origine  de  leur  souveraineté  temporelle,  ni  sur 
les  véritables  fondements  de  cette  souveraineté. 
4.  L'importance  de  ces  questions,  relativement  à  l'objet  de  nos 

objet ^ei  pian  rec^erc^e^  ]a  grande  variété  d'opinions  qui  existe  sur  ce 
***** p^lère  sujet  entre  les  auteurs  modernes,  et  le  prétexte  qu'elles  ont 
trop  souvent  fourni  aux  plus  odieuses  déclamations  contre  l'É- 
glise et  le  saint-siége,  nous  engagent  à  ne  rien  négliger  pour 
éclaircir  cette  matière ,  et  à  la  traiter  avec  tout  le  développe- 
ment que  nous  permettent  le  plan  et  le  but  de  notre  ouvrage. 
Pour  cet  effet,  nous  partagerons  cette  première  partie  en 
deux  chapitres.  Nous  exposerons,  dans  le  premier,  les  princi- 
paux faits  relatifs  au  pouvoir  des  papes  en  Italie,  depuis  la  con- 
version de  Constantin  jusqu'à  l'élévation  de  Charlemagne  à 
l'empire.  Cette  exposition  servira  de  base  à  l'examen  que  nous 
ferons,  dans  le  second  chapitre,  des  questions  agitées  entre  les 
auteurs  modernes,  sur  l'origine  et  les  fondements  de  la  souve- 
raineté temporelle  du  saint-siége. 

r  (1)  Outre  les  auteurs  déjà  cités  (p.  194,  note  1),  voyez  Vertot,  Origine 
de  la  grandeur  de  la  Cour  de  Rome,  p.  10  et  1 1. —  Daunou,  Essai  histo- 
rique sur  la  Puissance  temporelle  des  Papes,  ch.  1. 


PREMIÈRE  PARTIE.  — CHAPITRE  I.  197 


CHAPITRE  PREMIER. 

Exposition  des  faits  relatifs  au  pouvoir  temporel  des  Papes 
en  Italie,  depuis  la  conversion  de  Constantin  jusqu'à 
V élévation  de  Charlemagne  à  l'empire. 

Depuis  le  règne  de  Constantin  jusqu'à  celui  de  Théodose  le        s. 
Grand,  c'est-à-dire,    jusqu'à   la  fin  du  rve  siècle,  nous  ne  porehi"  p^ 
voyons  guère  de  différence  entre  le  pouvoir  temporel  du  Pape  d*™"î  ^lie. 
et  celui  des  autres  évoques.  La  générosité  des  empereurs  envers 
le  saint-siége  se  manifestait  souvent,  il  est  vrai,  par  de  riches 
offrandes,  même  en  biens-fonds  (1)  ;  mais  il  ne  paraît  pas  qu'elle 
se  soit  alors  manifestée  en  lui  donnant,  dans  l'ordre  temporel, 
un  pouvoir  plus  étendu  que  celui  dont  jouissaient  généralement 
les  évêques  et  les  patriarches,  dans  les  autres  parties  de  l'empire. 

On  a  longtemps  supposé  que  l'empereur  Constantin ,  pour  ho-  6. 
norer  le  saint-siége,  lui  avait  donné  pour  toujours,  par  un  acte  «îdaëdJ6" 
solennel ,  la  ville  de  Rome  avec  V Italie ,  et  toutes  les  pro- 
vinces de  V empire  en  Occident^).  L'acte  de  cette  prétendue 
donation,  qui  paraît  avoir  été  publié,  pour  la  première  fois,  au 
ixe  siècle,  dans  le  recueil  des  fausses  décrétâtes,  a  été  cité 
depuis  avec  confiance  par  un  grand  nombre  d'auteurs ,  et  même 
généralement  regardé  comme  authentique,  depuis  le  xe  siècle 
jusqu'au  xve.  Mais,  depuis  la  renaissance  des  lettres,  plusieurs 
savants  en  démontrèrent  la  supposition  (3)  ;  et  il  est  générale- 
ment reconnu  aujourd'hui,  que  la  donation  de  Constantin, 
telle  qu'on  la  trouve  dans  le  recueil  des  fausses  décrétâtes,  et 
dans  les  principales  collections  des  conciles,  est  une  pièce 
apocryphe. 

(1)  Voyez  les  détails  que  nous  avons  donnés  sur  ce  sujet,  dans  l'Introduc- 
tion de  cet  ouvrage,  art.  2,  §  3 ,  p.  103,  etc. 

r  (2)  On  peut  voir  cet  acte  dans  la  Collection  des  Conciles  du  P.  Labbe 
(t.  11,  p.  1530).  Voyez  aussi  le  n.  5  des  Pièces  justificatives ,  à  la  fin  de 
ce  volume. 

(3)  Nous  avons  cité,  dans  les  Pièces  justificatives ,  les  principaux  défen- 
seurs de  ce  sentiment.  Voyez  le  P.  Alexandre,  Dissert,  xxv  sur  VHist. 
Ecclés.  du  ive  siècle,  art.  1,  Prop.  1 ,  2  et  3. 


Constantin. 


198  SOUVERAINETÉ  TEMPORELLE  DU  PAPE. 

7.  Il  est  certain,  en  effet,  que,  du  vivant  de  Constantin ,  et 

Sprouvéele  longtemps  après  sa  mort,  la  ville  de  Rome,  aussi  bien  que 
par  l'histoire.  toutes  \es  provinces  de  l'empire  en  Occident,  fut  toujours  sous 
la  domination  des  empereurs.  Constantin  lui-même,  dans  le 
partage  qu'il  fit  de  l'empire  entre  ses  enfants,  assigna  l'Italie, 
avec  l'Afrique  et  l'Illyrie,  à  Constant,  le  plus  jeune  d'entre  eux, 
qui  en  prit  effectivement  possession,  et  y  exerça  l'autorité  sou- 
veraine, sans  le  concours  ni  la  participation  du  Pape  (l).  Tous 
les  successeurs  de  Constantin  exercèrent  la  même  autorité  à 
Rome  et  en  Italie  jusqu'au  vme  siècle,  excepté  pendant  la 
courte  durée  de  la  domination  des  Hérules  et  des  Ostrogoths, 
depuis  l'an  475  jusqu'en  553  ;  et  l'on  ne  voit  pas  que  les  papes 
aient  jamais  réclamé  contre  cette  conduite  des  empereurs,  ni 
qu'ils  se  soient  jamais  attribué  l'autorité  souveraine  à  Rome,  ou 
dans  le  reste  de  l'Italie ,  avant  le  vme  siècle.  Il  est  vrai  qu'ils 
eurent  beaucoup  de  part  au  gouvernement  temporel  de  cette 
province,  depuis  le  ive  siècle,  et  surtout  depuis  l'établissement 
de  la  monarchie  des  Lombards,  en  572.  Mais  quelque  étendu 
que  fût,  à  cette  époque,  leur  pouvoir  temporel,  on  verra  bien- 
tôt qu'ils  l'exerçaient  toujours  sous  la  dépendance  de  l'empe- 
reur, et  comme  ses  représentants  en  Italie.  Soit  qu'ils  agissent 
comme  seigneurs  temporels,  dans  les  patrimoines  du  saint- 
siège,  soit  qu'ils  agissent  pour  l'intérêt  général  de  l'Italie, 
ils  reconnaissaient  toujours  la  souveraineté  de  l'empereur;  ils 
employaient  leur  autorité  à  maintenir  la  sienne ,  et  à  contenir 
dans  l'obéissance  les  peuples  disposés  à  la  révolte, 
s.  Le  règne  des  empereurs  Honorius  et  Théodose  le  Jeune 

Accroissement  -il  •  -t  ,     ,  i  -v  /  îj 

du  pouvoir  peut  être  considère  comme  la  première  époque  d  un  accroisse- 
dup^pe^sous  ment  considérable  dans  le  pouvoir  temporel  du  Pape,  aussi 
Honorius.  j^jj  qUe  ^es  autres  patriarches  (2).  L'histoire  nous  montre  en 
effet,  depuis  ce  temps,  les  plus  saints  papes  se  servant  de  leur 
autorité  pour  empêcher  les  assemblées  des  hérétiques,  pour 
fermer  leurs  églises,  les  dépouiller  de  leurs  biens,  et  condamner 
même  à  l'exil  leurs  principaux  chefs.  C'est  ainsi  que  l'hérétique 


(1)  Eusèbe,  Vita  Constantini ,  lib.  iv,  cap.  51.—  Fleury,  Hist.  Ecclés., 
t.  m,  liv.  xiï,  n.  1. 

(2)  Voyez  les  détails  que  nous  avons  donnés  sur  le  pouvoir  temporel  des 
patriarches,  dans  Y  Introduction  de  cet  ouvrage,  art.  2 ,  §  6,  p.  18i,  etc. 


PREMIÈRE  PARTIE.  —  CHAPITRE  I.  199 

Célestius  fut  banni  de  l'Italie  par  ordre  du  pape  saint  Céles- 
tin  (1),  et  les  Manichéens  par  les  ordres  des  papes  Gélase  et 
Symmaque  (2).  Pour  l'exécution  de  ces  mesures,  il  y  a  tout  lieu 
de  croire  que  le  souverain  pontife,  aussi  bien  que  le  patriarche 
d'Alexandrie,  avait  à  sa  disposition  quelques  corps  d'officiers (3). 
Mais  il  fallait  du  moins  que  les  magistrats  civils  fussent  obligés 
de  lui  prêter  main -forte,  pour  faire  respecter  les  actes  de  son 
autorité  ;  c'est  ce  que  suppose  clairement  la  conduite  de  saint 
Augustin ,  conjurant  le  pape  Célestin  de  ne  point  employer  la 
force  armée ,  pour  rétablir  dans  le  siège  de  Fussale ,  en  Afri- 
que, l'évêque  Antoine,  qui  avait  appelé  au  saint- siège  d'une 
sentence  de  déposition  prononcée  contre  lui  dans  un  concile 
provincial  (4), 

L'histoire,  qui  nous  a  conservé  ces  détails ,  ne  nous  fait  pas        g. 
connaître  la  date  et  l'origine  précise  des  divers  accroissements  meut  autorisé 
que  prit,  pendant  le  cours  du  ve  siècle ,  le  pouvoir  temporel  du  pai  reurT* 
saint-siége.  Mais  l'éminente  sainteté  des  papes  qui  gouvernaient  p^fcliase 
alors  l'Église,  et  les  principes  dont  ils  faisaient  profession  sur  distinction  des 
la  soumission  due  à  la  puissance  temporelle,  ne  permettent  pas   Jeux  i>uis- 
de  douter  que  le  saint-siége  ne  fût  alors  autorisé  par  l'empereur 
à  exercer  les  actes  dont  nous  venons  de  parler.  Il  est  certain, 
en  effet,  que  la  doctrine  de  la  distinction  et  de  l'indépendance 
réciproque  des  deux  puissances  était  alors  ouvertement  pro- 
fessée par<  le  saint-siége,  comme  fondée  sur  l'institution  di- 
vine et  sur  la  tradition  constante  de  l'Église.  On  sait  avec 
quelle  précision  et  quelle  clarté  cette  doctrine  est  exposée  par 
le  pape  Gélase,  dans  une  lettre  à  l'empereur  Anastase,  protec- 
teur déclaré  des  Euty chiens.  Ce  passage  est  d'autant  plus  re- 


(1)  S.  Prosper,  Contra  Collât.,  cap.  21,  n.  138.  (OperumS.  Augustini, 
tom.  x.  Append.  p.  195.) —  Fleury,  Hist.  Eccl.,  t.  vi ,  liv.  xxv,  n.  2. 

(2)  Anastase  le  Bibliothéc. ,  Vïtœ  SS.  Gelasii  et  Symmachi.  (Labbe, 
Concil.  t.  îv,  p.  1144  et  1297.)  —  Fleury,  Hist.  Ecclés.,  t.  vu,  liv.  xxx, 
n.  41  et  55. 

(3)  On  a  vu  plus  haut  que  le  patriarche  d'Alexandrie  avait  à  sa  disposi- 
tion un  corps  d'officiers ,  nommés  Parabolains ,  pour  soutenir  sa  puis- 
sance, et  faire  respecter  les  actes  de  son  autorité.  (Voyez  ci-dessus  YJntrod., 
art.  2,§  6,  p.  184,  etc.  ) 

(4)  S.  Augustin,  Epistol.  209,  allas  261.  (Operum  t.  n.)  —  Fleury, 
Hist.  Ecclés. ,  t.  v,  liv.  xxiv,  n.  34.  —  Tillemont,  Mémoires  sur  l'Hist. 
Ecclés. ,  t.  xiii  ,  art.  315  et  316. 


200  SOUVEBAINETÊ  TEMPORELLE  DU  PAPE. 

marquablë,  qu'il  a  été  adopté  depuis  par  le  sixième  concile  de 
Paris,  et  inséré  dans  les  Capitulaires ,  qui  ont  fait  pendant 
si  longtemps  le  fond  de  la  législation,  en  France,  en  Italie  et 
en  Allemagne  (1).  Le  Pape  voulant  faire  comprendre  à  l'empe- 
reur l'irrégularité  de  sa  conduite,  lui  parle  en  ces  termes: 
«  Ce  monde,  auguste  empereur,  est  gouverné  par  deux  puis- 
«  sances,  celle  des  pontifes  et  celle  des  rois  ;  entre  lesquelles  la 
«  charge  des  prêtres  est  d'autant  plus  grande ,  qu'ils  doivent 
«  rendre  compte  à  Dieu,  dans  son  jugement,  pour  l'âme  des 
«rois.  Vous  savez,  mon  très -cher  fils,  qu'encore  que  votre 
«  dignité  vous  élève  au-dessus  des  autres  hommes,  cependant 
«  vous  vous  humiliez  devant  les  évêques  chargés  de  l'adminis- 
«  tration  des  choses  divines;  vous  vous  adressez  à  eux  pour 
«  être  conduit  dans  la  voie  du  salut  ;  et  dans  tout  ce  qui  con- 
«  cerne  la  réception  et  l'administration  des  sacrements,  vous 
«reconnaissez  que,  bien  loin  de  pouvoir  leur  commander, 
«  vous  êtes  obligé  de  leur  obéir.  Vous  savez,  dis-je,  que,  sur 
«  tout  cela,  vous  dépendez  de  leur  jugement,  et  que  vous 
«  n'avez  pas  droit  de  les  assujettir  à  votre  volonté.  Car  si  les- 
«  ministres  de  la  religion  obéissent  à  vos  lois ,  dans  tout  ce 
«  qui  concerne  l'ordre  temporel,  parce  qu'ils  savent  que  vous 
«  avez  reçu  d'en  haut  votre  puissance ,  avec  quelle  affection, 
«je  vous  prie,  devez-vous  obéir  à  ceux  qui  sont  chargés  de 
«  dispenser  nos  augustes  mystères  (2)?  » 


(1)  Voyez  à  ce  sujet  la  seconde  partie  de  ces  Recherches,  ch.  3,  art.  1 ,  n.  178. 

(2)  «  Duo  sunt ,  Imperator  auguste ,  quibus  principaliter  mundus  hic  regi- 
«tur,  auctoritas  sacra  pontifîcum ,  et  regalis  potestas;  in  quibus  tantô 
«  gravius  est  pondus  sacerdotum ,  quantô  etiam  pro  ipsis  regibus  in  di- 
«  vino  reddituri  sunt  examine  rationem.  Nosti  enim,  fili  clementissime , 
«  quôd,  licèt  praesideas  humano  generi ,  dignitate ,  rerum  tamen  praîsuli- 
«  bus  divinarum  devotus  colla  submittis,  atque  ab  eis  causas  tuée  salutis 
«  expetis  ;  inque  sumendis  cœlestibus  sacramentis ,  eisque ,  ut  competit , 
«  disponendis ,  subdi  te  debere  cognoscis,  religionis  ordine,  potiùs  quàm 
«  praeesse.  Nosti  itaque  inter  hœc  ex  illorum  te  pendere  judicio ,  non  illos 
«  ad  tuam  velle  redigi  voluntatem.  Si  enim,  quantum  ad  ordinem  periinet 
«  publicœ  disciplinœ,  cognoscentes  imperium  tïbi  supernâdispositione  col- 
«  latum,  legibus  tuis  ipsi  quoque parent  religionis  antistites,...  quo,  rogo, 
«  decet  affectu  eis  obedire ,  qui  pro  erogandis  venerabilibus  sunt  attributi 
«  mysteriis  ?  »  S.  Gelasti  Papœ  Epist.  ad  Anast.  Aug.  (Labbe,  Con- 
cil.) t.  îv,  p.  1182.)  —  Fleury,  Hist.  Ecclés.,  t.  vu,  lib.  xxx,  n.  31.  Pour 
plus  ample  développement  de  ce  passage,  voyez  Bossuet,  Defens.  Declar., 
lib.  1,  sect.  2a,   cap.  33,  etc. 


PREMIÈRE  PARTIE.  — CHAPITRE  I.  201 

Il  est  impossible,  assurément,  d'exprimer  en  termes  plus  clairs 
la  distinction  et  l'indépendance  réciproque  des  deux  puissances  ; 
car  elles  sont  ici  représentées  comme  ayant,  chacune  en  particu- 
lier, leur  objet  propre  et  leurs  fonctions  distinctes ,  d'après  l'in- 
stitution divine  ;  bien  plus,  comme  étant  également  souveraines, 
en  tout  ce  qui  est  de  leur  compétence,  puisqu'elles  sont  également 
soumises  l'une  à  l'autre,  en  tout  ce  qui  concerne  leur  autorité 
respective.  Comment  seraient-elles  véritablement  souveraines , 
chacune  dans  son  ressort,  comment  leurs  fonctions  seraient- 
elles  véritablement  distinctes ,  si  Tune  des  deux  pouvait  régler 
les  objets  qui  appartiennent  à  la  juridiction  de  l'autre,  annuler 
ses  actes,  et  même  la  destituer,  en  vertu  d'une  juridiction  su- 
périeure, directe  ou  indirecte?  Il  est  vrai  que,  dans  les  prin- 
cipes du  pape  Gélase,  la  puissance  spirituelle  est  supérieure, 
en  un  sens,  à  la  temporelle;  savoir ,  en  ce  sens  que  les  ponti- 
fes doivent  rendre  compte  à  Dieu  dans  son  jugement  pour 
Vâme  des  rois.  Mais  il  est  clair  que,  dans  le  sentiment  de  ce 
pontife,  cette  supériorité  ne  donne  pas  à  la  puissance  spirituelle 
le  droit  de  régler  les  objets  soumis  à  la  juridiction  de  la  puis- 
sance temporelle,  bien  moins  encore  le  droit  de  la  destituer: 
un  pareil  droit  serait  manifestement  incompatible  avec  la  dis- 
tinction de  deux  puissances  souveraines ,  chacune  dans  son 
ressort.  La  supériorité  que  le  pape  Gélase  attribue  à  la  puissance 
spirituelle  se  réduit  donc  à  diriger  la  puissance  temporelle  par 
de  sages  conseils,  par  des  avis  paternels,  et  s'il  le  faut,  par 
l'usage  des  peines  spirituelles  (1). 

(1)  Plusieurs  théologiens  ultramontains  se  servent,  aussi  bien  que  nous, 
des  paroles  du  pape  Gélase ,  pour  montrer  que  l'Église  n'a  aucun  pouvoir 
direct  sur  les  choses  temporelles.  (Bellarmin,  De  Summo  Pontif.  lib.  v, 
cap.  3.  —  Roncaglia,  Animadv.  in  Dissert.  2  Nat.  Alex,  ad  Hist. 
Ecoles,  saec.  xi ,  §  1 .  )  Mais  ils  ne  croient  pas  que  ces  paroles  excluent 
le  pouvoir  indirect  de  régler  ces  objets,  en  vertu  du  pouvoir  qu'a  l'É- 
glise de  faire  tout  ce  qu'exige  le  plus  grand  bien  de  la  religion.1  Cette  expli- 
cation semble  manifestement  contraire  au  texte  de  Gélase.  Qu'importe,  en 
effet,  que  l'Église  règle  les  choses  temporelles  en  vertu  d'un  pouvoir 
direct,  ou  en  vertu  d'un  pouvoir  indirect ,  si  elle  a  réellement  le  pouvoir 
de  les  régler  sans  le  concours  de  la  puissance  temporelle,  et  même  malgré 
elle,  pour  le  plus  grand  bien  de  la  religion  ?  Dans  l'un  comme  dans  l'autre 
cas ,  la  distinction  de  deux  puissances  souveraines ,  si  clairement  établie 
par  le  pape  Gélase ,  devient  inutile  et  chimérique.  Sur  la  notion  du  pouvoir 
direct  et  du  pouvoir  indirect,  voyez  le  n.  8  des  Pièces  justificatives 
à  la  fin  de  ce  volume. 


202  SOUVERAINETÉ   TEMPORELLE  DU  PAPE. 


10.  L'opiniâtreté  de  l'empereur  à  soutenir  l'hérésie  obligea  ;  quel- 

^ncuiquéé"6  ques  années  après  »  le  pape  Symmaque  à  lui  rappeler  cette  doc- 

psymmaque.e  trine  fondamentale (l).  «  Croyez- vous,  dit-il,  parce  que  vous 

«  êtes  empereur,  qu'il  vous  soit  permis  de  mépriser  le  jugement 

«  de  Dieu ,  et  de  vous  élever  contre  la  puissance  de  saint 

«  Pierre? Comparons  la  dignité  de  l'empereur  avec  celle 

«  des  pontifes.  Il  y  a  entre  elles  autant  de  différence  qu'il  y 
«  en  a  entre  un  administrateur  des  choses  de  la  terre  et  un 
«  administrateur  des  choses  du  ciel.  Vous,  prince,  vous  re- 
«  cevez  du  pontife  le  baptême  et  les  sacrements  :  vous  lui  de- 
«  mandez  des  prières,  vous  souhaitez  sa  bénédiction,  et  vous 
«  le  priez  de  vous  accorder  la  pénitence  ;  en  un  mot ,  tandis 
«  que  vous  n'avez  soin  que  des  choses  humaines ,  il  vous  dis- 
«  pense  les  biens  du  ciel.  Sa  dignité  est  donc  au  moins  égale , 

«  pour  ne  pas  dire  supérieure  à  la  vôtre Vous  direz  peut- 

«  être  que,  suivant  l'Écriture,  nous  devons  être  soumis  à 
«  toutes  les  puissances  (2).  Sans  doute,  nous  obéissons  aux 
«  puissances  de  la  terre,  lorsqu'elles  se  tiennent  à  leur  place, 
«  et  qu'elles  n'opposent  point  leur  volonté  à  celle  de  Dieu.  Au 
«  reste,  si  toute  puissance  vient  de  Dieu  (3),  celle  qui  est  éta- 
«  blie  pour  régler  les  choses  divines  en  vient  à  plus  forte  rai- 
«  son.  Respectez  Dieu  en  nous,  et  nous  le  respecterons  en 
«  vous.  Mais  si  vous  n'obéissez  pas  à  Dieu ,  vous  ne  pouvez 
«  user  du  privilège  de  celui  dont  vous  méprisez  les  droits,  ni 


(1)  «An,  quia  imperator  es ,  divinum  putas  contemnendum  esse  judi- 
«  cium?  ...  An,  quia  imperator  es,  contra  Pétri  niteris  potestatem?  .  .  . 
«  Conferamus  autem  honorem  imperatoris  cum  honore  pontificis  ;  inter  quos 
«  tantùm  distat,  quantum  ille  rerum  humanarum  curam  gerit ,  iste  divina- 
«  rum.  Tu,  imperator,  à  pontifice  baptismum  accipis,  sacramenta  sumis, 
«  orationem  poscis,  benedictionem  speras,  pœnitentiam  rogas.  Postremô,  tu 
«  humana  administras,  ille  tibi  divina  dispensât.  Itaque,  ut  non  dicam  su- 
«  perior,  certè  sequalis  lionor  est.  .  .  .  Fortassis  dicturus  es  scriptum  esse, 
«  omni  potestati  nos  subditos  esse  debere.  Nos  quidem  potestates  huma- 
«  nas  suo  loco  suscipimus,  donec  contra  Deum  suas  erigant  volunlates. 
«  Ceeterùm  si  omnis  potestas  à  Deo  est,  magis  ergo  quae  rébus  est  prae- 
«  stitutadiviuis.  Defer  Deo  in  nobis,  et  nos  deferemus  Deo  in  te.  Caeterùm 
«  si  tu  Deo  non  déferas ,  non  potes  ejus  uti  privilegio,  cujus  jura  contem- 
«  riis.  »  Symmachi  Papœ  Apologia  ad  Anast.  (  Labbe ,  Çoncil.  t.  iv , 
p.  1298.)  —  Fleury ,  Ibid. ,  n.  55.  —  Bossuet,  Ibid.,  lib.  h,  cap.  7. 

(2)  Boni,  xui,  1. 

(3)  Ibid. 


PREMIÈRE  PARTIE.  —  CHAPITRE  I.  203 

«  exiger  de  nous  une  soumission  que  vous  refusez  à  Dieu  lui- 
«  même(l).  » 

On  voit  que  le  pape  Symmaque,  à  l'exemple  de  Gélase, 
non  content  de  marquer  avec  précision  la  distinction  des  deux 
puissances ,  par  la  nature  des  objets  sur  lesquels  s'exerce  leur 
autorité,  oblige  les  pontifes  eux-mêmes,  en  vertu  de  l'institu- 
tion divine ,  à  obéir  aux  puissances  de  la  terre  en  tout  ce  qui 
regarde  l'ordre  temporel,  comme  les  princes  sont  obligés 
d'obéir  à  l'Église  eu  tout  ce  qui  regarde  l'ordre  spirituel.  Le 
seul  cas  où  il  croie  la  désobéissance  permise,  c'est  lorsque  le 
prince,  excédant  les  bornes  de  son  autorité,  oppose  sa  propre 
volonté  à  celle  de  Dieu.  Prétendre  après  cela  que  les  papes  du 
ve  siècle  se  sont  attribué,  de  leur  propre  mouvement,  unejuri- 
diction  directe  ou  indirecte  sur  les  choses  temporelles,  ne  serait- 
ce  pas  faire  *une  supposition  évidemment  gratuite,  contraire 
à  l'histoire  et  à  la  doctrine  constante  des  souverains  pontifes? 

Au  reste,  la  générosité  des  empereurs  envers  le  saint-siége,  à       „    - 
l'époque  dont  nous  parlons,  n'a  rien  d'étonnant,  si  l'on  fait  at-  ^.^  iaes 
tention  qu'ils  avaient  alors  les  plus  puissants  motifs  de  s'atta-    empereurs 

i  .  ./.  i  ni  •!/!•/  envers  le  saint- 

cher  les  souverains  pontites  par  de  nouvelles  libéralités ,  et  que  siège. 
ceux-ci  étaient  obligés,  par  la  nécessité  des  circonstances,  et 
pour  l'intérêt  même  de  l'empire ,  à  prendre  une  part  très- 
activeaux  affaires  publiques.  L'Italie,  continuellement  harcelée 
par  les  Barbares,  n'avait  pas  de  plus  ferme  rempart  contre 
eux  que  l'autorité  du  saint-siége.  On  sait  que  le  pape  saint 
Léon,  vers  le  milieu  du  ve  siècle,  sauva  deux  fois  la  ville 
de  Rome,  par  sa  médiation  auprès  des  rois  barbares  Attila  et 
Genséric  (2).  Le  pape  Agapet  se  chargea,  dans  le  siècle  suivant, 
avec  la  même  générosité ,  quoique  avec  moins  de  succès ,  de 
négocier  la  paix  entre  Théodat,  roi  des  Goths,  et  l'empereur 
Justinien  (3).  Le  pape  Vigile  fut  plus  heureux  dans  ses  négo- 
ciations auprès  du  même  empereur,  pour  les  intérêts  de  l'Italie; 

(1)  Ces  dernières  paroles  paraissent  faire  allusion  au  danger  qu'Anastase 
avait  déjà  couru  de  perdre  sa  dignité ,  au  milieu  des  révoltes  occasionnées 
par  la  protection  qu'il  donnait  aux  Eutychiens. 

(2)  Fleury,  Hist.  Ecclés. ,  t.  vi,  liv.  28,  n.  39  et  55 —  Tillemont ,  Mém. 
sur  VHist.  Ecclés.,  t.  xv,  p.  750,  779,  etc.  —  Thomassin,  Ancienne  et  nouv. 
Discipline,  t.  m,  liv.  i,  chap.  26. 

(3)Cassiodore,  Epistol.  lib.  x,  Epist,  19  et  20.  —  Lebeau,  Hist.  du  Bas- 


204  SOUVERAINETÉ   TEMPORELLE  DIT  PAPE. 

car  il  obtint  de  ce  prince  une  constitution  ou  pragmatique, 
dont  l'objet  principal  était  de  confirmer  les  donations  faites  aux 
Romains  par  les  rois  goths  Athalaric  et  Théodat(l).  Cassiodore , 
sénateur  romain,  fait  sans  doute  allusion  à  cette  grande  in- 
fluence du  Pape  sur  les  affaires  publiques,  lorsque,  étant  pro- 
mu à  la  dignité  de  préfet  du  prétoire  (2),  en  534 ,  il  s'adresse 
au  pape  Jean  II ,  pour  lui  demander  ses  prières  et  ses  conseils, 
dans  l'exercice  de  sa  nouvelle  dignité.  «Vous  êtes,  lui  dit-il, 
«  le  gardien  du  peuple  chrétien  ;... .  et  votre  qualité  de  pasteur 
«  n'exclut  pas  le  soin  des  choses  temporelles;  tous  les  intérêts 
«  des  peuples  sont  en  vos  mains  ;  vous  devez  les  défendre  avec 
«  le  zèle  et  l'affection  d'un  père  (3).  » 
I2.  Mais  quelque  sensible  qu'eût  été  l'accroissement  du  pouvoir 

encoT^L  temporel  du  saint-siége,  pendant  le  ve  et  le  vie [siècle,  il  le 
puissants.sous  fut  jjjgjj  davantage  depuis  l'établissement  de  la  monarchie  des 

Ja  monarchie  °  r 

d«-s  Lombards,  en  572.  Depuis  cette  nouvelle  révolution,  la  fai- 
blesse  toujours  croissante  de  r  empire,  et  letat  d  abandon  [ou 
se  trouvaient  de  plus  en  plus  les  provinces  d'Italie  encore  sou- 
mises à  la  domination  impériale,  rendirent  de  jour  en  jour 
plus  nécessaire  à  ces  provinces  l'autorité  du  souverain  pontife  (4). 
Sans  cesse  vexées  par  les  Lombards,  elles  ne  cessaient  d'implorer , 
mais  presque  toujours  inutilement,  le  secours  des  empereurs, 
tantôt  par  l'organe  des  papes ,  tantôt  par  l'organe  des  exar- 

Empiref  t.  ix ,  liv.  43,  n.  20  et  25.  —  Fleury,  Hist.  Ecclés.,  t.  vu,  liv.  32, 
n.  53. 

(1)  Baronii  Annales,  anno  554,  n.  9,  etc.  —  Fleury,  Hist.  Ecclés.,  t.  vu, 
liv.  33,  n.  52. 

(2)  Sur  la  charge  de  préfet  du  prétoire,  voyez  ci-dessus,  p.  44  de  Yln- 
trod.,  note  2. 

(3)  «  Vos  enim  speculatores  christiano  populo  praesidetis;  vos  patris  no- 
«  mine  omnia  dirigitis.  Securitas  ergo  plebis  ad  vestram  respicit  famam,  cui 
«  divinitus  est  commissa  custodia.  Quapropter  nos  decet  custodire  ali- 
«  qua,  sed  vos  omnia.  Pascitis  quidem  spiritualité!'  commissum  vobisgregem; 
«  tamen  nec  ista  potestis  negligere,  qua?  corporis  videntur  substantiam  con- 
te tinere;  nam;  sicut  homo  constat  ex  dualitate,  ita  boni  patris  est  utroque 
«  refovere.  »  CassiQÛoreSEpistol  lib.xi,  Epist.  2.  (Operum,  1. 1.)—  Ejus- 
dem  Vita;  parte  l,n.  31  (au  commencement  du  même  tome).  —  Thomas- 
sin,  Ancienne  et  nouv.  Discipline,  t.  m,  liv.  i,  chap.  27,  n.  10. 

(4)  Outre  les  auteurs  cités  plus  haut,  p.  194,  note  2,  voyez  aussi  Anna- 
les du  moyen  âge,  t.  ni,  p.  191-198.  —  Montesquieu,  Considérations 
sur  les  causes  de  la  grandeur  et  de  la  décadence  des  Romains, 
chap.  19,  etc. 


PREMIÈRE  PARTIE.  —  CËÀi>IÏRË  i .  20S 

ques,  qui  gouvernaient  alors  ces  provinces  au  nom  de  l'empe- 
reur (l).  Dans  une  situation  si  déplorable ,  la  principale  et  sou- 


(1)  Il  ne  faut  pas  confondre  les  exarques  civils,  dont  il  est  souvent  ques- 
tion dans  l'histoire  du  Bas-Empire  ,  avec  les  exarques  ecclésiastiques  dont 
il  est  parlé  dans  l'histoire  des  premiers  siècles.  La  dignité  de  ces  derniers  ré- 
pondait à  peu  près  à  celle  des  patriarches  ou  des  primats.  (Voyez,  à  ce  su- 
jet, Thomassin,  Ancienne  et  nouv.  Discipline,  t.  i,  liv.  t,  chap.  17,  etc.  — 
De  Héricourt,  Abrégé  du  même  ouvrage,  lre  partie,  chap.  4.  )  Dans  l'ordre 
civil,  on  appelait  exarque,  un  magistrat  préposé  par  l'empereur  au  gouver- 
nement de  certaines  provinces.  L'histoire  fait  surtout  mention  des  exarques 
d'Italie ,  d'Afrique  et  de  Sicile.  Mais  le  plus  célèbre  de  tous  est  celui  d'Italie, 
qu'on  appelle  aussi  quelquefois  Y  exarque  de  Ravenne,  parce  qu'il  résidait 
ordinairement  dans  cette  dernière  ville.  Celui-ci  avait,  dans  sa  province,  une 
autorité  absolue  et  presque  sans  bornes,  tant  pour  l'administration  civile, 
que  pour  le  gouvernement  militaire.  Il  donnait  lui-même  le  titre  de  duc  aux 
gouverneurs  de  Rome,  de  la  Pentapole,  de  Naples,  et  des  autres  villes  d'Ita- 
lie encore  soumises  à  l'empereur.  Les  seules  marques  de  sa  dépendance 
étaient  la  révocabilité ,  et  l'obligation  de  payer  chaque  année  à  l'empereur 
une  certaine  somme,  que  celui-ci  avait  stipulée,  en  conférant  à  l'exarque 
son  emploi.  Le  premier  exarque  d'Italie  fut  Longin,  qui  y  fut  envoyé  en  568, 
par  Justin  II ,  pour  défendre  cette  province  contre  les  Lombards.  Mais  l'au- 
torité des  exarques  fut  une  bien  faible  barrière  contre  les  progrès  de  ces  bar- 
bares, qui  ne  cessèrent  presque  pas  de  ravager  l'Italie,  jusqu'à  ce  qu'elle  eût 
appelé  les  Français  à  son  secours ,  par  l'organe  des  papes.  L'exarchat  de  Ra- 
venne, après  avoir  duré  184  ans,  fut  éteint  dans  la  personne  d'Eutychius, 
en  752.  Son  autorité  fut  aussitôt  remplacée  par  celle  des  papes ,  qui,  appe- 
lés par  le  vœu  et  la  confiance  des  peuples,  gouvernaient  déjà  depuis  quelques 
années,  avec  une  souveraine  autorité,  la  plus  grande  partie  des  provinces  de 
l'empire  en  Italie.  (Sur  l'origine  des  exarques  d'Italie ,  voyez  Lebeau,  Hist. 
du  Bas- Empire,  t.  xi,  liv.  l,  n.  21;  t.  xm,  liv.  lxiv,  n.  18.  —  S.  Grégoire  le 
Grand ,  Epistol.  lib.  i,  Epist.  33 ,  nota  b.  —  Ducange,  Glossarium  infimœ 
Latinit.fYerho'^xarchus.  On  trouve,  dans  Y  Art  de  vérifier  les  dates,  la 
suite  chronologique  des  exarques  d'Italie.  Mais  tout  ce  qui  tient  à  leur  his- 
toire est  surtout  traité  avec  soin  par  Beretta ,  De  Italiâ  medii  œvi  dissert, 
chorograph.,  sect.  16  et  20,  apud  Muratori,  Rerum  Italie.  Script.,  t.  x.) 

Pour  ce  qui  regarde  la  dénomination  et  la  position  géographique  des  pro- 
vinces soumises  à  la  juridiction  de  l'exarque  d'Italie ,  il  est  important  de  re- 
marquer que  le  mot  exarchat ,  depuis  l'établissement  du  royaume  des 
Lombards ,  et  pendant  toute  sa  durée ,  se  prend  en  deux  sens  différents  dans 
les  anciens  auteurs.  Dans  le  sens  le  plus  élendu,  il  désigne  toutes  les  pro- 
vinces d'Italie  alors  soumises  à  la  domination  impériale,  c'est-à-dire  princi- 
palement, la  Vénétie ,  une  partie  des  côtes  de  la  Ligurie ,  la  partie  orientale 
de  l'ancienne  Emilie,  la  Flaminie,  la  partie  occidentale  de  l'ancien  Picénum, 
et  le  duché  de  Rome.  Dans  un  sens  moins  étendu ,  le  mot  &  exarchat  dé- 
signe seulement  la  partie  orientale  de  l'ancienne  Emilie  et  la  Flaminie;  ce  qui 
répond  à  peu  près  à  la  Romagne  actuelle.  Dans  ce  dernier  sens,  Y  exarchat 
est  distingué  de  la  Pentapole  et  du  Duché  de  Rome.  La  Pentapole  répond  à 
peu  près  à  la  partie  occidentale  de  l'ancien  Picénum  :  c'est  ce  qu'on  appelle 
aujourd'hui  le  duché  d'Urbin ,  et  partie  de  la  Marche  d'Ancône.  Le  Duché 
de  Rome  renferme  une  partie  de  l'Etrurie  ou  de  la  Toscane,  avec  la  Sabine, 


206         SOUVERAINETÉ  TEMPORELLE  DU  PAPE. 

vent  Tunique  ressource  de  l'Italie ,  était  l'autorité  du  saint-siége, 
dont  la  protection  était  nécessaire  à  l'exarque  lui-même, 
tantôt  pour  subvenir  aux  frais  du  gouvernement ,  tantôt  pour 
apaiser  les  peuples  disposés  à  la  révolte,  tantôt  pour  négocier 
avec  les  Barbares,  qui  respectaient  beaucoup  plus  la  dignité  et 
surtout  la  parole  du  pontife  que  celle  de  l'exarque  ;  en  sorte  que 
les  papes,  en  intervenant  alors,  comme  ils  faisaient  si  souvent  dans 
les  affaires  publiques,  ne  faisaient  que  céder  à  la  nécessité  absolue 
des  circonstances,  et  aux  vœux  réunis  des  princes  et  des  peuples. 
3  L'histoire  du  pontificat  de  saint  Grégoire ,  qui  concourt  avec 

rouvoir  tem-  les  premiers  temps  de  la  monarchie  des  Lombards,  fournit  une 
saint  Grégoire  multitude-  de  faits  à  l'appui  de  ces  assertions  (l).  Jamais  homme 
n'eut  plus  d'éloignement  que  ce  grand  pape  pour  l'embarras  et  le 
tumulte  des  affaires  du  siècle,  ni  plus  d'attrait  pour  la  vie  de  retraite 
et  de  recueillement  qu'il  avait  longtemps  menée  dans  le  cloître, 
avant  son  élévation  au  pontificat  (2).  Sa  répugnance  pour  cette 
éminente  dignité  était  si  grande,  qu'il  employa  toutes  sortes  de 

une  partie  de  l'Ombrie,  et  la  Campanie';  ce  qui  répond  à  peu  près  à  ce  qu'on 
appelle  aujourd'hui  le  patrimoine  de  saint  Pierre ,  avec  partie  de  l'Ombrie  et 
la  Campagne  de  Rome.  Pour  ces  détails  géographiques,  voyez  Beretta,  ubi 
suprà,  sect.  16,  etc.— Baudrand,  Geographia  ordine  Utterarum disposita ; 
verbis  Exarchatus ,  Mmilia,  Pentapolis,  Romanus  ducatus,  etc. 

(1)  Thomassin,  Ancienne  et  nouvelle  Discipline,  t.  n,  liv.  ni,  chap.  106, 
n.  7;  t.  fii,  liv.  i,  cliap.  27,  n.  6-9 —  S.  Gregorii  Vita  recens  adornata 
{Operum,  t.  îv) ,  lib.  n  et  ni,  passim.  Voyez  surtout  lib.  m,  cap.  9,  n.  6.  — 
— Fleury,  Hist.  Ecclés.,  t.  vm,  liv.  xxxv,n.  15  et  25.  —  Annales  du  moyen 
âge,  t.  iv,  liv.  xni,  p.  37-58. — Orsi,  Délia  origine  delDominio  et  délia  So- 
vranita  de'  Romani  Pontefici  :  prefazione. 

(2)  Hallam,  Gibbon,  et  quelques  autres  écrivains  protestants,  attribuent  à 
saint  Grégoire  un  esprit  d'ambition  et  d'intrigue  tout  à  fait  indigne  de  son 
caractère.  (Hallam,  l'Europe  au  moyen  âge,  t.  m,  p.  326-328.  —  Gibbon, 
Hist.  de  la  Décad.  de  V Empire  rom.,  t.  vm,  chap.  45,  p.  370.)  La  plus  lé- 
gère connaissance  des  écrits  de  saint  Grégoire,  de  ses  lettres  surtout  (  t.  n 
de  ses  Œuvres),  et  des  anciens  auteurs  qui  ont  écrit  sa  vie,  suffît  pour 
montrer,  à  un  esprit  non  prévenu,  l'injustice  de  ce  reproche.  Aussi,  de  cé- 
lèbres écrivains  protestants  s'accordent-ils  avec  les  catholiques  à  représenter 
saint  Grégoire  comme  un  pontife  aussi  recommandable  par  l'éminence  de  ses 
vertus  que  par  l'étendue  de  ses  lumières ,  et  par  la  sagesse  de  son  gouver- 
nement. Tel  est,  en  particulier,  le  jugement  de  Cave,  dans  son  Histoire  Lit- 
térale. Les  éloges  qu'il  donne  aux  talents  et  aux  vertus  de  saint  Grégoire 
sont  d'autant  moins  suspects ,  qu'il  juge  d'ailleurs  ce  pontife  avec  beaucoup 
de  sévérité  sur  quelques  autres  points ,  particulièrement  à  l'occasion  des  té- 
moignages de  respect  qu'il  crut  devoir  donner  à  l'usurpateur  Phocas,  et  à 
l'occasion  de  l'accusation  intentée  au  même  pontife ,  d'avoir  voulu  anéantir 
tousles  auteurs  et  les  monuments  de  l'antiquité  païenne.  Sur  le  premier  point, 
voyez  Alban  Butler,  Vie  de  saint  Grégoire;  et  sur  le  second ,  les  Éclaircis- 


PREMIERE    PARTIE.  —  CHAPITRE   I.  207 

moyens  pour  l'éviter,  et  qu'il  persista  constamment  à  la  refu- 
ser, jusqu'à  ce  que  la  volonté  de  Dieu,  sur  ce  point,  se  fût  mani- 
festée par  des  miracles  (1).  Toutefois,  il  nous  apprend  lui-môme 
que,  de  son  temps,  l'évêque  de  Rome  était,  à  raison  de  sa 
charge  pastorale ,  tellement  occupé  de  soins  extérieurs ,  qu'il 
y  avait  souvent  lieu  de  douter  s'il  faisait  Voffice  de  pasteur 
ou  celui  de  seigneur  temporel (2).  En  effet,  un  souverain  de 
Rome  et  de  l'Italie  n'eût  pas  été  plus  accablé  qu'il  ne  l'était  des 
soins  du  gouvernement  temporel.  Indépendamment  de  ceux 
qu'il  était  obligé  de  donnera  l'administration  des  patrimoines 
et  des  seigneuries  de  l'Église  romaine  (3) ,  le  voisinage  des  Lom- 
bards, et  leurs  continuelles  incursions  dans  les  provinces  d'Italie 
encore  soumises  à  la  domination  de  l'empereur ,  lui  attiraient 
une  multitude  d'embarras,  qui  lui  faisaient  dire  avec  douleur, 
qu' en  punition  de  ses  péchés,  il  avait  été  fait  évêque ,  non 
des  Romains  mais  des  Lombards  (4).  On  le  voit  habituelle- 
ment remplir  les  fonctions  d'un  seigneur  temporel ,  et  presque 
d'un  souverain ,  pour  l'administration  et  la  défense  des  villes 
les  plus  exposées  aux  incursions  des  ennemis.  Il  envoie  un  gou- 
verneur à  Népi,  avec  injonction  au  peuple  de  lui  obéir  comme 
au  souverain  pontife  lui-même  (5).  Il  envoie  à  Naples  le  tribun 

sements  donnés  par  M.  Ëmery,  dans  le  tome  h  du  Christianisme  de  Bacon, 
p.  332  et  suiv. 

(1)  S.  Gregorii  Vitd  recens  adornata,  lib.  i ,  cap.  7 ,  n.  2,  etc.  ;  lib.  n, 
cap.  l,  n.  5,  etc.  —  Fleury,  ubi  suprà,  n.  1. 

(2)  «  Hoc  in  loco  quisquis  pastor  dicitur,  curis  exterioribus  graviter  occu- 
«  patur,  ita  ut  saepe  incertum  fiât,  utrùm  pastoris  officium,  an  terreni  pro- 
«  cerisagat.»  S.  Gregorii  Epistol.  lib.  i,  Epist.  25  (aliàs24),p.  514,  c. 
(Oper.  t.  n.  )  Les  derniers  éditeurs  de  saint  Grégoire  (note  sur  la  lettre  5e  du 
même  livre,  p.  491)  supposent  avec  le  P,  Thomassin  (ubi  suprà,  t.  m,  liv.  1, 
cbap.  27,  n.  6),  que  saint  Grégoire,  dans  ce  passage,  parle  des  soins  tempo- 
rels dont  tous  les  évêques  d'Occident  étaient  alors  chargés.  Mais  il  paraît  as- 
sez 'clair  que  saint  Grégoire  ne  parle  ici  que  de  l'évêque  de  Rome.  C'est  ainsi 
que  ce  passage  est  entendu  par  Orsi  {ubi  suprà,  note  2). 

(3)  Voyez  les  détails  que  nous  avons  donnés  sur  ce  point,  dans  YIntrod. 
art.  n,  §  3,  n.80. 

(4)  «  sicut  peccata  mea  merebantur ,  non  Romanorum ,  sed  Longobardo- 
«  rum  episcopus  factus  sum.  »  S.  Gregorii  Epistol.  lib.  i,  Epistol.  31 
(aliàs  30). 

(5)  «  Leontio  curam  sollicitudinemque  civitatis  (Nepesinœ)  injunximus ; 
«  utincunctis  invigilans,  quae  ad  utilitatem  vestram  vel  reipublicse  pertmere 

«  dignoscet,  ipse  disponat Quisquis  congruœ  ejus  ordinationirestiterit, 

«  nostrœ  resultare  dispositioni  cognoscetur.  »  S.  Gregor.  Epistol.  lib.  n, 
Epist.  11  (a lias  S). 


208  SOUVERAINETÉ  TËMPORËLtE  DtJ  PAPE. 

Constance,  pour  commander  les  troupes  de  cette  ville  menacée 
par  les  ennemis  de  l'empire  (l).  11  excite  et  ranime  dans  plusieurs 
de  ses  lettres  la  vigilance  et  le  zèle  des  évoques  pour  la  défense 
des  villes,  pour  la  garde  des  murailles,  et  l'approvisionnement 
des  places  fortes  (2).  Il  donne  des  ordres,  sur  le  même  sujet, 
aux  officiers  militaires  (3)  ;  il  traite  lui-même  de  la  paix  avec 
les  Lombards ,  et  il  facilite  le  succès  des  négociations,  tan- 
tôt par  ses  libéralités ,  tantôt  par  ses  instances  réitérées  auprès 
des  exarques,  des  empereurs  et  des  Lombards  eux-mêmes.  En 
un  mot,  son  autorité,  également  respectée  des  princes  et  des 
peuples ,  des  Romains  et  des  Barbares ,  est  comme  le  centre  du 
gouvernement  et  de  toutes  les  affaires  politiques  en  Italie  (4). 
14.  Les  embarras  et  les  difficultés  de  sa  position  étaient  surtout 

Edifficruuéset  augmentés  par  la  mauvaise  volonté  des  exarques,  qui,  loin  de 
de  tfon'05"  s'U]Qir  à  lui  pour  protéger  les  peuples  en  proie  à  tant  de  cala- 
sa  prudence,  niités ,  abusaient  souvent  de  leur  autorité ,  fpour  exercer  toutes 
sortes  de  rapines  et  de  vexations.  «  Je  ne  puis  vous  dire ,  écrit- il 
«  à  un  évêque,  tout  ce  que  nous  avons  ici  à  souffrir  de  la  part 
«  de  l'exarque  Romanus,  votre  ami.  Je]vous  dirai,  en  deux  mots, 
«  que  sa  méchanceté  est  pire  pour  nous  que  les  armes  des  Lom- 
bards; en  sorte  que  nous  préférons  les  ennemis  qui  nous 
«  tuent ,'  aux  officiers  de  l'empire  qui  nous  consument  par  leurs 
«  fraudes  et  leurs  rapines.  Être  en  même  temps  chargé  du  soin 
«des  évèques,  du  clergé,  des  monastères  et  du  peuple;  être 
«  continuellement  en  garde  contre  les  surprises  des  ennemis, 


(1)  «  Devotio  vestra,  sicut  et  nunc  didicimus,  epistolis  nostris,  quibus 
«  magnificum  virum  Constantium  tribunum  custodiœ  civitatis  (Neapoli- 
«  tanœ  )  deputaviraus  prœesse ,  paruit ,  et  congruam  militaris  devotionis 
«  obedientiam  demonstravit.  »  S.  Gregorii  Epistol.  lib.  11 ,  Epist%  31 
(aliàs  24). 

(2)  Ibid.,  lib.  vin,  Epist.  18  ( aliàs  20  ) ;  lib.  ix ,  Epist.  4  et  6  (  aliàs  2 
et  5  )• 

(3)  Ibid.,  lib.  11,  Epist.  3  et  29. 

(4)  «  Sicut ,  in  Ravennse  partibus ,  dominorum  pietas  apud  primum  exer- 
«  citum  ltaliae  sacellarium  habet  (  i.  e.  œrarii  dispensatorem),  qui,  causis 
«  supervenientibus,  quotidianas  expensas  faciat;  ita  et  in  liâc  urbe,  in  cau- 
«  sis  talibus,  sacellarius  eorum  ego  sum.  »  Ibid.,  lib.  v,  Epist.  21  (aliàs, 
lib.  iv,  Epist.  34  )  ;  paulô  post  médium.  —  S.  Gregorii  Vita  recens  ador- 
nata,  lib.  11,  cap.  vm,n.  3;  lib.  m,  cap.  2,  n.  1 ,  etc.  ;  lib.  iv,  cap.  1 ,  n.  1 , 
et  alibi  passim.  —  Lebeau,  Hist.  du  Bas-Empire,  t.  xi,  liv.  lui,  n.  47,  etc. 
— Fleury,  Hist.  Ecclés.,  t.  vm,  liv.  xxxv,  n.  40,  etc.;  liv.  xxxvi,  n.  4. 


PREMIÈRE  PARTIE.  —  CHAPITRE   I.  209 

«  contre  la  perfidie  et  la  malice  des  gouverneurs  :  voilà  une  idée 
«  des  travaux  et  des  sollicitudes  auxquels  m'expose  journelle- 
«  ment  l'exercice  de  mon  emploi  (1).  »  Dans  une  situation  si 
délicate  et  si  pénible,  le  sage  pontife  se  conduisait  avec  tant 
de  prudence  et  de  désintéressement,  que  son  autorité,  loin  de 
nuire  à  celle  de  l'empereur  en  Italie,  ne  servait  qu'à  la  mainte- 
nir et  à  la  faire  respecter.  Il  était  si  éloigné  de  s'attribuer  le 
titre  ou  les  droits  de  la  souveraineté,  qu'il  faisait  hautement 
profession  de  suivre,  en  tout  ce  qui  regardait  l'ordre  temporel, 
les  instructions  et  les  ordres  de  l'empereur. 

On  en  trouve  une  preuve  bien  remarquable,  dans  sa  conduite        l5# 
envers  l'empereur  Maurice,  à  l'occasion  d'une  loi  de  ce  prince,  Ses  Jî[isncîpes 
qui  excluait  des  monastères  tous  ceux  qui  occupaient  des  em-    «»*»*«•. 

x  J  L  relativement  a 

plois  civils,  ou  qui  étaient  engagés  dans  la  milice  (2).  La  dernière  ,a  soumission 

i  .    ,    .      ,  .  -.  ,  due  à 

partie  de  cette  loi  était,  au  jugement  de  saint  Grégoire,  con-  l'empereur, 
traire  au  bien  de  la  religion,  en  ce  qu'elle  fermait,  pour  ainsi 
dire ,  le  chemin  du  ciel,  à  des  hommes  qui  pouvaient  avoir  un 
besoin  pressant  de  la  retraite,  pour  opérer  leur  salut.  Toutefois, 
l'empereur  lui  ayant  adressé  cette  loi,  selon  l'usage (3),  pour  la 
publier  dans  les  provinces  de  l'Occident,  le  saint  pape  ne  fit  au- 
cune difficulté  de  l'envoyer  dans  ces  provinces,  'pour  obéir  aux 
ordres  du  prince;  il  se  contenta  de  lui  adresser  de  sages  remon- 
trances, pour  l'engager  à  modifier  ou  à  retirer  sa  loi  (4).  «  Étanf 
«  soumis  à  vos  ordres,  dit-il,  j'ai  envoyé  votre  loi  dans  les  di- 
«  verses  parties  du  monde;  mais  comme  elle  ne  s'accorde  pas 
«  avec  la  loi  du  Dieu  tout-puissant,  j'ai  cru  qu'il  était  de  mon 
«  devoir  de  vous  faire  des  remontrances.  J'ai  rempli  en  cela 
«  un  double  devoir  :  d'un  côté,  en  obéissant  à  l'empereur,  et  de 


(1)  S.  Grégoire,  Epistol.  lib.  v,  Epist.  42. 

(2)  Fleury,  Hist.  Ecclés.,  t  vin,  liv.  xxxv,  n.  31.— ■  Bossuet,  Defens. 
Declar.,  lib.  n,  cap.  8.  —  S.  Gregorn,  Papœ  Vita  recens  adornata,  lib. 
n,  cap.  10,  n.  1-4. 

(3)  Nous  avons  remarqué  ailleurs  que  l'usage  des  empereurs,  depuis 
Justinien,  était  d'adresser  les  lois  concernant  des  matières  ecclésiastiques, 
aux  patriarches,  qui  devaient  les  faire  passer  aux  évêques  par  le  canal  des 
métropolitains.  (Voyez  ci-dessus,  page  180  de  Y  Introduction.  ) 

(4)  Il  paraît,  en  effet,  que  l'empereur  ne  tarda  pas  à  modifier  cette  loi, 
d'après  les  représentations  de  saint  Grégoire.  S.  Grégoire,  Epist.  lib.  m, 
Epistol.  65  et  66  (aliàs  62  et  65).  —  Fleury,  Hist.  Eccl. ,  t.  vm,  liv.  xxxv, 
n.  35  et  50. 

14 


210  SOUVERAINETÉ  TEMPORELLE  DU  PAPE. 

«  l'autre,  en  lui  faisant  connaître  mes  pensées  pour  l'honneur 
«  de  Dieu  (t).  »  Saint  Grégoire  se  fût-il  exprimé  de  la  sorte ,  s'il 
eût  cru  avoir,  en  vertu  de  la  loi  divine ,  une  juridiction  di- 
recte ou  indirecte  sur  les  choses  temporelles,  c'est-à-dire,  s'il 
eût  cru  avoir  le  droit  de  régler  par  lui-même  ces  sortes  d'ob- 
jets ,  pour  le  plus  grand  bien  de  la  religion  ?  Avec  de  pareils 
principes,  se  fût-il  cru  obligé  en  conscience  d'obéir  à  l'empereur, 
en  publiant  lui-même  une  loi  qu'il  jugeait  contraire  aux  in- 
térêts de  la  religion? 

Pour  éluder  la  force  de  ce  raisonnement,  quelques  auteurs  mo- 
dernes ont  prétendu  que  saint  Grégoire,  en  promulguant  la  loi 
dont  il  est  ici  question,  la  modifia ,  ou  du  moins  ordonna  d'en 
suspendre  l'exécution  (2).  D'autres  soutiennent  que  V obéissance 
de  saint  Grégoire,  en  cette  occasion,  n'était  pas  une  obéissance 
de  droit,  à  laquelle  il  se  crût  obligé  par  le  précepte  divin,  mais 
une  obéissance  de  fait ,  à  laquelle  il  se  détermina,  contre  son 
inclination,  daus  la  crainte  des  troubles  que  sa  résistance  eût  pu 
occasionner  (3).  Ces  différentes  explications  paraissent  égale- 
ment inconciliables  avec  le  texte  de  saint  Grégoire.  En  effet,  ce 
texte  suppose  clairement  que  le  pontife,  malgré  sa  répugnance, 


(1)  «  Ego  quidem,  jussioni  subjectus,  eamdem  legem  per  diversas  terra- 
it rum  partes  transmitti  feci  ;  et  quia  lex  ipsa  omnipotenti  Deo  minime 
«  concordat,  ecce  per  suggestionis  meao  paginam  serenissimis  dominis  min- 
et tiavi.  Utrobique  ergo  quœdebui  exolvi,  qui  et  imper atori  obedientiam 
«  prœbui,  et  pro  Deo  quod  sensi,  minime  tacui.  »  S.  Grégoire,  lib.  m, 
Epist.  65  (aliàs  62). 

(2)  Baronius,  Annales,  ad  annum  593. —  De  Marca,  DeConcordiâ, 
lib.  h  ,  cap.  il ,  n.  9.  —  Thomassin ,  Ancienne  et  nouvelle  Discipline,  1. 1, 
liv.  m,  chap.  61,  n.  12.  —  Rohrbacher ,  Des  rapports  naturels  entre  les 
deux  Puissances ,  1. 1,  chap.  19.  Les  défenseurs  de  ce  sentiment  s'appuient 
principalement  sur  une  lettre  de  saint  Grégoire  à  plusieurs  évêques  et  mé- 
tropolitains de  l'Occident ,  qui  apporte,  en  effet ,  quelques  modifications  à 
la  loi  dont  il  est  ici  question.  {Epistol.  lib.  vin,  Epistol.  5.)  Mais  en 
lisant  attentivement  cette  lettre ,  on  voit  que  saint  Grégoire  ne  modifie  pas 
la  loi,  de  sa  propre  autorité ,  mais  au  nom  de  l'empereur  lui-même ,  qui 
avait  accordé  ces  modifications  à  la  prière  du  pontife.  C'est  ainsi  que  la 
lettre  de  saint  Grégoire  est  généralement  entendue  par  les  critiques  ,  et  par- 
ticulièrement par  les  derniers  éditeurs  de  saint  Grégoire.  (  Vita  sancti 
Greg.  recens  adornata;  ubi  suprâ.  — D.  Ceillier,  Hist.  des  Auteurs  ec- 
clés.,  t.  xvn,  pag.  280.  ) 

(3)  Bellarmin,  De  Potestate  summi  Pontif.  adversits  Barclaium , 
cap.  3 ,  n.  10.  (  Operum,  t.  vu.  )  —  Mamachi ,  Origines  et  Antiquit.  chri- 
stianœ,  t.  îv,  p.  125,  texte  et  note. 


PREMIÈRE  PARTIE.  — CHAPITRE   ï.  211 

se  crut  obligé  en  conscience  de  publier  la  loi,  telle  qu'il  l'avait 
reçue  de  l'empereur,  par  conséquent  sans  aucune  modification, 
et  sans  en  diminuer  aucunement  l'autorité.  Le  même  texte 
suppose  que  son  obéissance  fut  véritablement  une  obéissance 
de  droit,  fondée  sur  le  précepte  naturel  et  divin  qui  oblige  tous 
les  sujets,  et  les  pontifes  eux-mêmes,  à  obéir  à  leur  souverain 
légitime,  en  tout  ce  qui  regarde  l'ordre  temporel. 

Une  lettre  qu'il  adressa,  vers  le  même  temps,  à  l'impératrice 
Constantine,  épouse  de  Maurice,  met  dans  un  nouveau  jour  ses 
véritables  sentiments.  Il  se  représente,  dans  cette  lettre,  comme 
un  simple  officier  de  l'empereur,  chargé  de  veiller  aux  intérêts 
de  l'empire  dans  la  capitale  de  l'Italie.  «  Voici  vingt-sept  ans, 
«  dit-il ,  que  nous  vivons  dans  cette  ville ,  parmi  les  glaives  des 
«  Lombards.  Mais  pour  vivre  avec  eux,  je  ne  puis  vous  dire 
«  quelles  sommes  il  faut  que  l'Église  leur  paye  journellement. 
«  Pour  vous  le  faire  entendre  en  peu  de  mots ,  je  vous  dirai 
«  seulement  que ,  comme  l'empereur  a  soin  de  placer  dans  la 
«  province  de  Ravenne,  auprès  de  sa  principale  armée  d'Italie, 
«  un  trésorier  chargé  de  subvenir  aux  besoins  journaliers  des 
«  troupes,  de  même,  je  suis  à  Rome  le  trésorier  de  l ' empereur 9 
«  pour  subvenir  aux  besoins  de  cette  ville,  sans  cesse  attaquée 
«  par  les  Lombards  (1).  » 

Les  successeurs  de  ce  grand  pape  n'héritèrent  pas  moins  de       l6. 
sa  générosité  que  de  son  pouvoir  (2).  Les  mêmes  circonstances  Ses  es^lc«fes' 
qui  l'avaient  obligé  à  prendre  une  part  si  active  aux  affaires  po-  p°int; imités 
litiques  et  au  gouvernement  temporel  de  l'Italie,  y  obligèrent  successeurs. 
également  la  plupart  de  ses  successeurs;  mais  ils  le  firent,  à  son 
exemple,  avec  tant  de  modération  et  de  prudence,  que  tout 
l'exercice  de  leur  autorité  semblait  avoir  uniquement  pour  but, 
de  soutenir  et  de  consolider  celle  de  l'empereur.  Dans  le  temps 
même  où  ils  avaient  contre  lui  de  plus  grands  sujets  de  plainte, 
ils  employaient  généreusement  leur  crédit  et  leurs  trésors  pour 
la  défense  de  l'empire,  pour  entretenir  les  murs  et  les  fortiûca- 


(1)  S.  Grégoire,  Epistol.,  lib.  v;  Ëpist.  21  (aliàs,  lib.  tv,  Epist.  34). 
Nous  avons  cité  plus  haut  la  dernière  partie  de  ce  texte  (page  22,  note  4  ). 

(2)  Thomassin ,  Ancienne  et  nouvelle  Discipline,  t.  m,  liv.  1,  chap.  27, 
n.  8;  chap.  29,  n.  2,  etc.  — ■  Fleury,  Mœurs  des  Chrétiens,  n.  58,  vers 
la  fin. 

14. 


212  SOUVERAINETÉ   TEMPORELLE  DU  PAPE. 

tionsde  Rome,  pour  réparer  ses  aqueducs  et  ses  établissements 
publics,  et  surtout  pour  garantir  l'Italie  de  la  fureur  des  Lom- 
bards. Aussi  est-il  à  remarquer  que  les  empereurs ,  loin  de  se 
croire  offensés  par  la  conduite  des  papes,  et  par  l'accroissement 
de  leur  puissance  temporelle,  entretenaient  habituellement  avec 
eux  les  relations  les  plus  pacifiques.  Cette  heureuse  harmonie  ne 
put  être  troublée  que  par  l'attachement  opiniâtre  de  quelques 
empereurs  au  parti  de  l'hérésie,  qui  les  entraîna,  principalement 
au  vme  siècle,  dans  les  mesures  les  plus  imprudentes,  et  les  plus 
propres  à  ruiner  entièrement  leur  autorité  en  Italie  (1). 
,7.  En  effet,  à  cette  époque,  où  ils  avaient  plusjbesoin  que  jamais 

°PndLtT  de  ménager  les  peuples  de  cette  province,  que  le  seul  amour  du 
des  empereurs  devoir  pouvait  maintenir  dans  l'obéissance ,  ils  v  ébranlaient 

a  I  égard  *■  " 

de  l'Italie  et  sans  cesse  leur  autorité ,  en  combattant  ouvertement  la  religion 

du  saint-siége.  ,  ...,  .... 

catholique,  en  persécutant  le  saint-siege,  et  contrariant  ainsi  les 
peuples  dans  leurs  plus  chères  affections.  Par  suite  de  ces 
mauvaises  dispositions,  ils  envoyaient  en  Italie,  et  à  Rome 
môme ,  des  magistrats  aussi  mal  disposés ,  souvent  même  des 
hérétiques  ,  que  les  lois  alors  en  vigueur  déclaraient  incapa- 
bles de  tout  emploi  civil  (2).  Ces  magistrats ,  naturellement 
odieux  à  un  peuple  profondément  attaché  à  la  foi  catholique, 
au  lieu  de  l'adoucir  par  de  sages  ménagements,  l'irritaient  sou- 
vent à  un  tel  point  par  leurs  vexations ,  qu'ils  le  poussaient  en 
quelque  sorte  à  la  révolte,  et  lui  rendaient  de  plus  en  plus 
odieuse  la  domination  de  l'empereur  (3).  De  pareilles  impru- 
dences accéléraient  nécessairement  la  ruine  de  l'empire  d'Occi- 
dent, abandonné  tout  à  la  fois  et  persécuté  par  ses  propres  sou- 
verains; et,  par  une  conséquence  naturelle,  dans  les  circon- 
stances où  l'on  se  trouvait,  elles  augmentaient  de  jour  en  jour  le 
pouvoir  des  papes  dans  l'Italie,  accoutumée  depuis  longtemps  à 
les  regarder  comme  sa  principale  ressource,  au  milieu  des  cala- 
mités qui  la  désolaient. 

(1)  Voyez  les  auteurs  cités  plus  haut,  page  194,  note  1. 

(2)  Nous  avons  rapporté ,  dans  Y  Introduction,  les  principales  disposi- 
tions du  droit  romain  à  cet  égard.  {Introd. ,  art.  2,  §  2,  p.  87,  etc.) 

(3)  Anastase  le  Bibliothéc.  Vitœ  SS.  Pontificum  Sergii,  Joannis  VI, 
Constantini,  Gregoriill,  etc.  (  Labbe,  Concil.  t.  vi.  )  —  Baronius,  An- 
nales, t.  vin,  anno  711,  n.  12.  —  Annales  du  moyen  âge,  t.  vi,  Uv.  xx, 
p.  80-85. 


PREMIÈRE   PARTIE.  — CHAPITRE  I.  213 

Tel  fut  en  effet  le  résultat  de  la  conduite  des  empereurs.  Dans       ,g.. 
l'impuissance  d'obtenir  d'eux  les  secours  qui  lui  étaient  néces-  LpaaUpe"1cdu 
saires,  l'Italie  s'affectionna  de  plus  en  plus  au  saint-siége,  et  se  CTOÎ]ep**£ite 
montra  disposée  à  le  défendre,  même  par  la  force  ouverte,  con-  imprudence. 
tre  les  vexations  de  l'empereur  et  de  ses  officiers.  La  milice 
d'Italie  était  si  bien  dans  cette  disposition,  à  la  fin  du  vne 
siècle,  que  l'empereur  Justinien  II,  ayant  voulu  faire  amener  de 
force  à  Constantinople  le  pape  Sergius,  pour  l'obliger  à  sous- 
crire les  actes  du  Concile  Quinisexte ,  elle  obligea  les  envoyés 
du  prince  à  renoncer  à  leur  projet  (1).  Elle  se  fût  même  portée 
contre  eux  aux  derniers  excès,  si  elle  n'eût  été  retenue  par  l'au- 
torité du  pontife,  qui  les  prit  sous  sa  protection  (2).  Jean  VI, 
successeur  de  Sergius,  fut  défendu  de  la  même  manière,  en 
701,  contre  l'exarque,  soupçonné  de  vouloir  user  envers  lui  de 
semblables  violences  (3). 

Telle  était ,  à  cette  époque,  l'autorité  du  Pape,  que  lui  seul 
pouvait  apaiser  les  émeutes ,  souvent  occasionnées  à  Rome  et  en 
Italie  par  les  vexations  de  l'empereur,  et  lui  conserver  un 
reste  d'autorité,  dans  un  pays  qu'il  était  incapable  de  défendre. 
Déjà  on  avait  pu  s'en  convaincre,  sous  le  pontificat  de  Ser- 
gius et  de  Jean  VI ,  dont  l'autorité  seule  avait  pu  sauver  les 
envoyés  de  l'empereur,  au  milieu  des  séditions  occasionnées 
par  leurs  projets  hostiles  contre  le  Pape  (4).  On  remarque  un  fait 
du  même  genre  sous  le  pontificat  de  Constantin ,  en  7 1 3 ,  à  Poc- 

(1)  Le  concile  Quinisexte,  convoqué  par  l'empereur  Justinien  II,  en  692, 
est  ainsi  nommé ,  parce  qu'il  était  destiné  à  servir  de  supplément  aux  cin- 
quième et  sixième  conciles  généraux.  On  le  nomme  aussi  Trullus,  ou  in 
Trullo,  parce  qu'il  se  tint  dans  le  dôme  du  palais,  nommé  en  latin  trullus. 
Les  Grecs  l'ont  regardé  comme  concile  général  ;  mais  les  Latins  l'ont  rejeté  ; 
et  le  pape  Sergius  ne  voulut  jamais  y  souscrire,  malgré  toutes  les  instances 
de  l'empereur  Justinien,  déclarant  qu'il  aimerait  mieux  mourir,  que  de  con- 
sentir aux  erreurs  et  aux  nouveautés  qu'on  y  avait  établies.  Il  est  certain 
d'ailleurs  qne  le  Pape  n'avait  eu  aucune  part  à  la  convocation  de  ce  concile, 
et  qu'il  n'y  avait  assisté,  ni  en  personne,  ni  par  ses  légats.  Voyez  D.  Ceillier, 
Hist.  des  Auteurs  ecclés.,  t.  xix,  p.  785.  —  Fleury,  Hist.  Ecclés. ,  t.  ix, 
liv.  xl,  n.  49,  etc. 

(2)  Anastase  le  Bibliothéc. ,  Vita  Sergii,  p.  1290  et  1291.— Fleury,  Hist. 
Ecclés.,  t.  ix,  liv.  xl,  n.  54.  —Annales  du  moyen  âge,  ubi  suprà, 
p.  80,  etc. 

(3)  Anastase,  Vita  JoannisVI,  p.  1382.  —  Fleury,  Hist.  Ecclés.,  t.  ix, 
liv.  xli,  n.  5.  —  Annales  du  moyen  âge,  ubi  suprà,  p.  84. 

(4)  Anastase,  ubi  suprà. 


Grégoire  II; 
ses  véri- 
tables causes 


214  SOUVERAINETÉ   TEMPORELLE  DU  PAPE. 

casion  du  soulèvement  des  Romains  contre  l'empereur  Philip- 
pique,  qui  s'était  ouvertement  déclaré  en  faveur  de  l'hérésie  des 
Monothélites  (l).  Ce  prince  ayant  envoyé  à  Rome  le  duc  Pierre, 
pour  prendre  possession  du  gouvernement  de  cette  ville,  le  peuple 
refusa  de  le  reconnaître ,  et  entreprit  môme  de  le  repousser  à 
main  armée;  un  combat  qui  fut  engagé  ,  à  cet  effet,  devant  le 
palais  du  duc ,  aurait  eu  les  suites  les  plus  graves ,  sij  le  Pape 
n'eût  envoyé  des  évoques,  avec  les  évangiles  et  les  croix,  pour 
apaiser  la  sédition.  «  Le  parti  du  gouverneur  était  désespéré,  et 
«  lui-même  exposé  à  perdre  la  vie;  mais  les  catholiques  se  re- 
«  tirèrent  à  l'ordre  du  Pape ,  et  laissèrent  ainsi  leurs  adver- 
«  saires  se  relever,  comme  s'ils  eussent  été  victorieux  (2).  » 

,  »9« .  n       Ce  prodigieux  pouvoir  du  Pape  se  manifesta  encore  avec  plus 
en  naiie,  sous  d'éclat ,  vers  l'an  726,  sous  le  pontificat  de  Grégoire  Iï,  qu'on 

p  de  doit  regarder  comme  la  véritable  époque  de  la  grande  révo- 
lution, qui,  en  achevant  de  ruiner  l'empire  romain  en  Occident, 
prépara  les  voies  à  la  souveraineté  temporelle  du  saint-siége. 
L'importance  de  cette  révolution  demande  que  nous  en  expo- 
sions ici  les  principales  circonstances,  d'après  les  auteurs  les 
plus  dignes  de  foi  (3). 

La  protection  ouverte  que  l'empereur  Léon  l'Isaurien  don- 
nait à  l'hérésie  des  Iconoclastes,  et  les  violences  auxquelles  il  se 

(1)  Anastase,  Vita  Constantini,\>.  1395.  —  Fleury,  Hist.  Ecclés.,  t.  ix, 
liv.  xli,  n.  23. 

(2)  «  Pars  Pétri  (  ducis  Romani)  ita  angustiata  (erat) ,  ut  nulla  illi  esset 
«  spes  vivendi;  verùm,  ad  pontilicis  jussionem  pars  alia,  qnaeet  christiana 
«  vocabatur,  recessit  ;  sicque  defensoris  haeretici  pars  valuit  Pétri ,  ac  si  illa 
«  attrita  recederet.  »  Anastase,  ubi  suprà. 

(3)  Parmi  les  auteurs  anciens,  voyez  principalement  Paul  Diacre,  De  Ges- 
tis  Langobardorum ,  lib.  vi,  cap.  49.  (Bibliothec.  Patrum,  t.  xm,  p. 
198 ,  etc.)  —  Anastase  le  Bibliothécaire,  Vita  Gregorii  II.  (  Labbe,  Concil. 
t.  vi,  p.  1430,  etc.  ) 

Parmi  les  auteurs  modernes,  voyez  surtout  Bossuet,  Defensio  Declar., 
lib.  11,  cap.  u,  etc.;  3b,  etc.— Thomassin,  Ancienne  et  nouvelle  Discipline, 
t.  ni,  liv.  1,  chap.  27,  n.8;  chap.  29,  n.  2,  etc.  —De  Marca,  De  Concordiât 
lib.  m,  cap.  H.  — Orsi,  Délia  origine  delDominio  de'  Romani  Pontejici, 
cap.l,  etc.  — Observations  sur  l'Bist.  de  la  seconde  race  de  nos  rois,  par 
leP.  Griffet;  dansle  t.  m  de  V Histoire  de  France  du  P.  Daniel,  p.  250,  etc. 

Les  principaux  événements  relatifs  à  la  révolution  dont  il  s'agit,  sont  bien 
appréciés ,  et  présentés  sous  leur  véritable  point  de  vue,  par  Alban  Butler, 
dans  une  Note  sur  la  Vie  de  Henri  II,  empereur  (Vies  des  Pères,  etc., 
15  juillet);  et  par  l'abbé  Pey,  De  l'Autorité  des  deuoç  Puissances ,  t.  1, 
2e  partie,  chap.  1,  p.  106,  etc. 


PREMIÈRE   PARTIE.  —  CHAPITRE  I.  215 

portait,  par  suite  de  cette  malheureuse  disposition ,  contre  les 
catholiques  et  contre  le  souverain  pontife  lui-même,  furent,  au 
témoignage  de  ces  auteurs,  la  véritable  cause  de  cette  révolu- 
tion. Voici  le  récit  abrégé  qu'en  fait  Paul,  diacre  d'Aquilée,  au 
vine  siècle,  dans  son  Histoire  des  Lombards  :  «  Le  roi  des 
«  Lombards,  dit-il  (i),  assiégea  Ravenne,  et  s'empara  de  la 
«  flotte  impériale  qu'il  détruisit.  Alors  le  patrice  Paul  envoya 
«  de  Ravenne  des  émissaires,  avec  ordre  de  faire  mourir  le 
«  Pape  ;  mais  cette  conspiration  échoua  par  la  résistance 
«  des  Lombards,  qui  prirent  la  défense  du  pontife,  et  qui 
«  furent  secondés ,  en  ce  point ,  par  les  habitants  de  Spolette , 
«  et  par  d'autres  Lombards  de  Toscane.  Ce  fut  dans  ce  même 
«  temps  que  l'empereur  Léon  fît  brûler  à  Constantinople  les 
«  les  images  des  saints ,  dont  il  avait  dépouillé  les  églises  ;  et  il 
«  manda  au  Pape  de  faire  la  même  chose ,  s'il  voulait  recou- 
«  vrer  ses  bonnes  grâces.  Mais  le  Pape  méprisa  ses  ordres.  Toutes 
«  les  troupes  de  Ravenne  et  de  Venise  s'y  opposèrent  aussi  una- 
nimement; et  si  elles  n'eussent  été  retenues  par  le  Pape, 
«elles  eussent  choisi  un  autre  empereur  (2).  Luitprand,  de 

«  son  côté,  s'empara  de  plusieurs  villes  de  l'Emilie Il  prit 

«  aussi  la  ville  de  Sutri  (  en  Toscane)  ;  mais  il  la  rendit  peu  de 
«  temps  après  aux  Romains.  Cependant,  l'empereur  Léon,  par 
«  un  nouvel  excès  d'impiété ,  ordonna  aux  habitants  de  Con- 
«  stantinople,  d'enlever  en  tous  lieux  les  images  du  Sauveur,  de 
«  la  sainte  Vierge  et  des  saints,  et  de  les  brûler  publiquement  ;  et 
«  plusieurs  s'étant  opposés  h  l'exécution  de  ce  crime ,  furent  tués 
«  ou  mutilés  en  punition  de  leur  résistance.  Ce  fut  à  cette  occa- 
«  sion  que  Germain,  patriarche  de  Constantinople ,  fut  chassé 
«  de  son  siège,  et  remplacé  par  le  prêtre  Anastase.  » 

Tous  les  faits  que  l'historien  des  Lombards  se  contente  d'in-        20. 
diquer  ici  en  peu  de  mots,  sont  exposés  beaucoup  plus  en  dé-  Pau*  Diacre, 
tail  par  Anastase  le  Bibliothécaire,  dans  la  Vie  du  pape  Gré-  *Z££m 
goire  H,  composée  au  milieu  du  siècle  suivant,  d'après  les    d'ACnIsîase. 


(1)  Paul  Diacre,  De  Gestis  Langob.,  ubi  suprà. 

(2)  «  Omnis  quoque  Ravennse  exercitus  vel  Venetiarum  talibus  jussis  una- 
«  nimiter  restiterunt;  et  nisi  eos  prohibuisset  pontifex,  imperatorem 
«■  super  se  constituere  fuissent  aggressi.  »  Paul  Diacre,  De  Gestis  Lan~ 
gob.,ubi  suprà. 


216  SOUVERAINETÉ   TEMPORELLE  DU  PAPE, 

archives  de  l'Église  romaine.  «Le  roi  des  Lombards,  dit-il (l), 
«ayant  levé  une  nombreuse  armée,  s'avança  vers  Ravenne, 
«  qu'il  assiégea  pendant  plusieurs  jours;  et  s'en  étant  emparé, 
«  il  prit  aussi  la  flotte,  avec  des  richesses  immenses.  Quelque 
«  temps  après,  le  duc  Basile  et  quelques  autres  officiers  de  l'em- 
«  pereur  formèrent  le  dessein  de  faire  mourir  le  Pape.  Ils  fu- 
«  rent  autorisés  dans  ce  complot  par  Marin ,  qui  gouvernait 
«  alors  le  duché  de  Rome,  et  à  qui  l'empereur  lui-même  avait 
«  donné  de  pareils  ordres.  Mais  Dieu  ne  permit  pas  qu'ils 

«réussissent Paul  ayant  été  ensuite  envoyé  en  Italie,  en 

«  qualité  de  patrice  et  d'exarque,  les  conspirateurs  songèrent 
«  de  nouveau  à  exécuter  leur  criminel  dessein  ;  mais  il  fut  dé- 
*  couvert  par  les  Romains ,  qui  mirent  à  mort  deux  des  prin- 

«  cipaux  conspirateurs Cependant,  l'exarque  Paul,  d'après 

«  les  ordres  de  l'empereur  lui-même ,  cherchait  à  faire  mourir 
«  le  Pape ,  sous  prétexte  qu'il  empêchait  la  levée  des  impôts 

«  dans  la  province  (2) Il  envoya  même  de  Ravenne  et  de 

«  quelques  autres  villes,  des  émissaires  qu'il  avait  séduits  pour 
«  l'exécution  de  ce  crime  ;  mais  les  Romains  et  les  Lombards 
«  s'étant  réunis  pour  la  défense  du  pontife,  empêchèrent  les 
«  suites  de  ce  complot.  Peu  de  temps  après,  l'empereur  envoya 
«  des  ordres  en  Italie  pour  détruire  en  tous  lieux  les  images 
«  des  saints  et  des  martyrs,  menaçant  de  sa  colère  ceux  qui 
«  refuseraient  d'obéir,  promettant  de  rendre  ses  bonnes  grâ- 
«  ces  au  Pape,  s'il  acquiesçait  à  ses  ordres ,  et  menaçant  de  le 
«  déposer  s'il  résistait.  Le  saint  pontife,  ayant  appris  ces  ordres 
«  impies ,  se  prépara  à  résister  à  l'empereur  comme  à  un  en- 
«  nemi,  rejetant  ouvertement  son  hérésie,  et  écrivant  de  tous 
«  côtés  aux  fidèles  pour  les  prémunir  contre  une  pareille  im- 
«  piété  (3).  Aussi,  les  habitants  de  la  Pentapoleet  les  troupes 

(1)  Anastase  le  Bibliothécaire ,  Vita  Gregoriill.  (Labbe,  Concil.  t.  vi, 
p.  1430,  etc.)  — Fleury  a  inséré  la  plus  grande  partie  de  ce  récit  dans 
son  Hist.  Ecclés.  (t.  ix,  liv.  xlii,  n.  6);  mais  il  en  a  dérangé  l'ordre,  nous 
ignorons  pour  quelle  raison.  La  suite  des  faits  rapportés  par  Anastase  est 
mieux  conservée  par  Lebeau ,  Hist.  du  Bas- Empire ,  t.  xm,  liv.  lxiii, 
n.  40,  etc.  Voyez  aussi  Annales  du  moyen  âge,  t.  vi,  liv.  xxm,  p.  384,  etc. 

(2)  «Paulus  verô  exarchus,  imperatoiïs  jussione,  eumdem  pontincem 
«  conabatur  interficere,  eo  quod  censum  in  provinciâ  ponere prœpedie- 
«  bat.  »  Anastase,  ubi  suprà,  p.  1433.  Nous  justifierons  un  peu  plus  bas  le 
sens  que  nous  donnons  ici  aux  mots  soulignés. 

(3)  «  Respiciens  ergo  pius  vir  profanam  principis  jussionem,  jam  contra 


PREMIÈRE  PARTIE.  — CHAPITRE   I.  217 

«  de  Venise ,  touchés  des  exhortations  du  Pape ,  refusèrent 
«  d'obéir  aux  ordres  de  l'empereur,  déclarant  que  jamais  ils 
«  ne  souffriraient  qu'on  attentât  à  la  vie  du  pontife,  et  qu'ils 
«  étaient  prêts  à  prendre  ouvertement  sa  défense.  Us  anathémati- 
«  sèrent  en  conséquence  l'exarque  Paul  avec  tous  ses  adhérents  ; 
«  et,  au  mépris  de  son  autorité,  les  peuples  d'Italie  se  choisi- 
«  rent  de  tous  côtés  des  chefs  (l) ,  afin  de  pourvoir  ainsi  à  leur 
«  liberté  et  à  celle  du  Pape.  Bien  plus,  à  la  nouvelle  des  mau- 
«  vais  desseins  de  l'empereur ,  toute  l'Italie  résolut  de  se  choisir 
«  un  autre  empereur,  et  de  le  conduire  à  Constantinople; 
«  mais  le  Pape,  qui  espérait  la  conversion  du  prince,  empêcha 

«  V exécution  de  ce  dessein  (2) Peu  de  temps  après ,  l'empe- 

«reur  envoya  à  Naples  l'eunuque  Eutychius,  patrice,  qui  avait 
«  été  autrefois  exarque,  lui  recommandant  d'exécuter  les  mau- 
«  vais  desseins  que  l'exarque  Paul  et  ses  adhérents  n'avaient  pu 
«accomplir;  mais  Dieu  permit  que  ses  projets  fussent décou- 

«  verts; et  comme  il  avait  envoyé  à  Rome  un  agent,  avec 

«  des  ordres  pour  mettre  à  mort  le  pontife  et  les  principaux  de 
«  la  ville,  les  Romains,  qui  eurent  connaissance  de  ce  cruel  des- 
«  sein,  se  disposèrent  à  tuer  l'envoyé  d'Eutychius;  et  ils  l'eussent 
«  fait,  s'ils  n'eussent  été  arrêtés  par  la  défense  du  Pape.  Us 
«  anathématisèrent  aussi  l'exarque  Eutychius ,  s'engageant  par 
«  serment,  grands  et  petits,  à  ne  jamais  permettre  qu'on  insultât 
«  ou  qu'on  éloignât  d'eux  un  pontife  si  zélé  pour  la  foi ,  et  à 
«  mourir ,  s'il  le  fallait,  pour  sa  défense.  L'exarque,  de  son  côté, 
«  envoya  des  députés  au  roi  et  aux  seigneurs  lombards ,  pour 

«  imperatorem  quasi  contra  hostem  se  armavit ,  renuens  hseresim  ejus,  scri- 
«  bens  ubique  cavere  christianos ,  eô  quôd  orta  fuisset  impietas  talis.  » 
Anastase,  ubi  suprà,  p.  1433  et  1434. 

(1)  «  Spernentes^ ordinationem  e)us,sibi  omnes  ubique  in  Italiâ  duces 
«  elegerunt ,  atque  sic  de  pontificis ,  deque  sua  immunitate  cuncti  stude- 
«  bant.  »  Anastase,  ubi  suprà,  p.  1434. 

On  a  vu  plus  haut  que,  depuis  l'établissement  de  YexarchoA  en  Italie, 
les  principales  villes  encore  soumises  à  l'empereur  étaient  gouvernées  par 
des  ducs  subordonnés  à  ïexarque  (ci-dessus,  p.  205,  note  1).  A  l'époque  de 
la  révolution  dont  nous  parlons,  ces  ducs  furent  remplacés  par  d'autres,  au 
choix  des  villes  qui  secouèrent  le  joug  de  l'empereur.  C'est  le  sens  naturel  du 
texte  d'Anastase. 

(2)  «  Cognitâ  verô  imperatoris  nequitiâ,  omnis  Italia  consilium  iniit,  ut 
«  sibi  eligerent  imperatorem ,  et  Constantinopolim  ducerent;  sed  compes- 
«  cuit  taie  consilium  Pontifex,  sperans  conversionem  principis.  »  Anastase, 
ubi  suprà,  p.  1434. 


218  SOUVERAINETÉ  TEMPORELLE  DU  PAPE. 

«  les  engager,  par  la  promesse  de  riches  présents ,  à  retirer  leur 
«protection  au  pontife.  Mais  les  Lombards,  détestant  la  per- 
«  fidie  de  l'exarque,  contractèrent  avec  les  Romains  une  étroite 
«  alliance ,  par  laquelle  ils  s'engageaient  tous  ensemble  à 
«  mourir  glorieusement  pour  la  défense  du  Pape,  à  ne  jamais 
«  souffrir  qu'on  l'inquiétât,  enfin  à  soutenir  de  tout  leur  pou- 
«  voir  la  religion  chrétienne  et  la  vraie  foi.  Cependant ,  le  Pape 
«redoublait  ses  aumônes,  ses  prières  et  ses  jeûnes,  comptant 
«  beaucoup  plus  sur  la  protection  de  Dieu  que  sur  celle  des 
«  hommes  ;  et  en  témoignant  au  peuple  sa  reconnaissance  pour 
«  ses  généreuses  dispositions ,  il  l'exhortait ,  par  de  touchants 
«  discours,  à  persévérer  dans  la  foi  et  les  bonnes  œuvres;  mais 
«  il  l'avertissait  aussi  de  ne  pas  oublier  rattachement  et  la  fi- 
«  délité  qu'ils  devaient  à  V empereur ,  adoucissant  ainsi  tous  les 
«  cœurs,  et  les  consolant  au  milieu  de  leurs  continuelles  dou- 
«  leurs  (1).  Vers  ce  même  temps,  les  Lombards  ayant  surpris  la 
«ville  de  Sutri  (en  Toscane),  le  Pape,  par  ses  lettres,  ses 
«  instances  et  ses  présents,  obligea  le  roi  des  Lombards  à  resti- 
«  tuer  cette  ville ,  dont  ce  prince  fit  présent  aux  saints  apôtres 

«  Pierre  et  Paul Bientôt  après,  le  patrice  Eutychius  et  le 

«  roi  Luitprand  formèrent  une  alliance  criminelle,  par  laquelle 
«  ils  s'engageaient  à  réunir  leurs  forces,  afin  que  le  roi  pût  sou- 
«  mettre  à  son  obéissance  les  ducs  de  Spolette  et  de  Bénévent, 
«  tandis  que  l'exarque  se  rendrait  maître  de  Rome,  et  exécute- 
«  rait  le  projet  qu'il  avait  formé  depuis  longtemps  contre  la 
«  personne  du  Pape.  Le  roi  vint  en  effet  à  Spolette,  où  il  reçut 
«  le  serment  de  fidélité  des  deux  ducs ,  avec  des  otages  pour 
«  garantir  ce  serment.  Gomme  il  approchait  de  Rome,  le  Pape 
«  en  sortit  pour  aller  au-devant  de  lui ,  et  l'adoucit  tellement 
«  par  ses  représentations ,  que  le  prince  se  prosterna  à  ses  pieds, 
«  et  lui  promit  de  ne  faire  mal  à  personne.  Le  roi  fut  même  si 
«  touché  des  exhortations  du  pontife,  qu'il  se  dépouilla  de  ses 
«  armes,  et  déposa  devant  le  corps  de  saint  Pierre  son  man- 
«  teau ,  ses  bracelets ,  son  baudrier  et  son  épée  dorée ,  avec  une 

(1)  «  Gratias  voluntati  populi  referens  pro  mentis  proposito,  blando  om- 
«  nés  sermone,  ut  bonis  in  Denm  proficerentactibus,  et  in  fide  persistèrent, 
«  rogabat;  sed  ne  désistèrent  ab  amore  veljide  Romani  Imperii  admo- 
«  nebat.  Sic  cunctorum  corda  molliebat,  et  dolores  continuos  mitigabat.  » 
Anastase,  ubi  suprà,  p.  1434  et  1435. 


PREMIÈRE  PARTIE.  — CHAPITRE  I.  219 

«  couronne  d'or  et  une  croix  d'argent.  Ayant  ensuite  fait  sa 
«  prière .  il  supplia  le  pontife  de  recevoir  aussi  l'exarque  à  la 
«  paix,  ce  qui  fut  fait.  L'exarque  étant  donc  entré  dans  Rome, 
«  un  séducteur  nommé  Tibère,  et  surnommé  Pétase,  vint  à 
«  Manture  en  Toscane,  où  il  entreprit  de  se  faire  reconnaître 
«  empereur ,  et  se  ût  même  prêter  serment  de  fidélité  par  les 
«  habitants  de  plusieurs  villes.  A  cette  nouvelle,  l'exarque  fut 
«très- alarmé;  mais  le  Pape  l'encouragea,  et  envoya  avec  lui, 
«  contre  les  perturbateurs ,  des  troupes  auxquelles  il  adjoignit 
«  les  principaux  de  son  clergé.  Étant  arrivés  à  Manture,  ils  firent 
«  mourir  Pétase ,  dont  ils  envoyèrent  la  tête  à  Constantinople. 
«  Toutefois ,  l'empereur  ne  s'apaisa  pas  encore  à  l'égard  des  Ro- 
«  mains,  il  continua  au  contraire  de  donner  de  nouvelles  preuves 
«  de  ses  mauvaises  dispositions  contre  le  Pape,  jusqu'à  obliger  les 
«  habitants  de  Constantinople,  soit  par  séduction,  soit  par  vio~ 
«  lence,  à  enlever  en  tous  lieux  les  images  du  Sauveur,  de  sa 
«  sainte  mère  et  de  tous  les  saints ,  et  à  les  brûler  au  milieu  de 
«  la  ville.  Ce  fut  à  cette  occasion  que  Germain  ,  patriarche  de 
«  Constantinople,  fut  chassé  de  son  siège,  et  remplacé  par  le 
«  prêtre  Anastase,  partisan  de  l'empereur.  » 

Nous  avons  cru  devoir  citer  au  long  ces  fragments  histori-        2T> 
ques  de  Paul  Diacre  et  d' Anastase  le  Bibliothécaire,  non-seu-  c!°!f?°6"ces 

X  '  rc  lu  0 1 CJ  11  a  • 

lement  parce  que  ces  deux  auteurs  sont  les  plus  estimés  de  tous    ,  ^les, du 

L  ±  x  récit  de  ces 

les  anciens  qui  ont  rapporté  les  faits  dont  il  s'agit,  mais  encore  auteurs, 
parce  qu'on  y  trouve  exposées  en  détail,  les  circonstances  et  les 
véritables  causes  de  la  révolution  arrivée  en  Occident  sous 
Grégoire  II.  Il  résulte ,  en  effet,  de  ces  témoignages  :  1°  que  le 
soulèvement  de  l'Italie  contre  l'empereur,  à  cette  époque,  fut 
provoqué  par  l'imprudence  et  les  excès  de  l'empereur  Léon  et  de 
ses  officiers,  qui,  non  contents  de  laisser  l'Italie  en  proie  à  la 
fureur  des  Lombards ,  lui  étaient  sa  principale  défense ,  en  dé- 
clarant ouvertement  la  guerre  au  Pape  et  à  tous  les  fidèles 
catholiques  de  cette  province;  2°  que  le  pape  Grégoire  II,  bien 
loin  de  favoriser  le  soulèvement  de  l'Italie  contre  l'empereur, 
et  d'en  profiter  pour  établir  sa  propre  domination  dans  cette  pro- 
vince, s'opposa  de  tout  son  pouvoir  à  la  révolte,  et  usa  de  son 
crédit  pour  conserver  à  l'empereur  et  à  ses  officiers  un  reste 
d'autorité  ;  3°  que,  malgré  tous  ses  efforts  pour  maintenir  en 


220  SOUVERAINETÉ   TEMPORELLE  DU  PAPE. 

Italie  l'autorité  de  l'empereur,  il  était  réellement  investi  d'une 
puissance  presque  souveraine,  par  la  confiance  des  peuples,  qui 
le  regardaient  avec  raison  comme  leur  principal  refuge  contre 
la  fureur  des  Lombards ,  et  contre  les  vexations  continuelles  de 
l'empereur  et  de  ses  officiers. 
22.  Mais,  après  avoir  exposé  l'histoire  de  cette  grande  révolu- 

ceS'avec6  tion,  d'après  les  auteurs  les  plus  exacts  et  les  plus  dignes  de 
des  hisim-iens  foi,  nous  ne  dissimulerons  pas  que  cette  même  histoire  est  pré- 
grecs.  t.  seut£e  sous  un  jour  bien  différent  par  les  historiens  grecs.  S'il 
en  faut  croire  Théophane,  auteur  du  vme  siècle,  suivi,  sur  ce 
point,  parles  écrivains  plus  récents  de  la  même  nation,  l'empe- 
reur Léon  s'étant  déclaré,  la  neuvième  année  de  son  règne  (en- 
viron l'an  726),  contre  le  culte  des  saintes  images,  le  pape 
Grégoire  II,  non  content  de  lui  adresser,  à  ce  sujet,  les  plus 
fortes  représentations,  défendit  aux  habitants  de  Rome  et  de 
V  Italie  deluipayer  lesimpôts.  Voici  les  propres  expressions  de  cet 
auteur  :  «(La  neuvième  année  de  l'empereur  Léon),  ce  prince 
«  impie  fit  ses  premières  tentatives  contre  les  saintes  images , 
«  qu'il  résolut  de  proscrire  et  d'abolir.  Le  pape  Grégoire  l'ayant 
«appris,  défendit  à  l'Italie  et  à  Borne  de  lui  payer  les  im- 
«pôts,  après  lui  avoir  écrit  une  lettre  dogmatique,  pour  lui 
«  représenter  qu'il  n'appartient  pas  au  prince  de  statuer  sur  la 
«  foi,  et  de  réformer  l'ancienne  croyance  de  l'Église,  fondée  sur 
«l'enseignement  des  saints  docteurs  (l).  «Quatre  ans  après, 
selon  le  même  auteur,  l'empereur  persistant  opiniâtrement 
dans  l'hérésie,  «  le  Pape  détacha  de  son  empire  et  de  son 
«obéissance,  tant  dans  l'ordre  civil  que  dans  V ordre  ec- 
« clésiastique ,  la  ville  de  Rome,  l'Italie,  et  tout  l'Occi- 
«  dent  (2).  » 

(1)  Théophane,  Chronog raphia  ;  ann.  Leonis  Isauri  9.  Parisiis,  1655, 
in-fol. ,  p.  338.  La  traduction  que  nous  donnons  de  ce  passage  est  un 
peu  différente  de  celle  du  P.  Mamachi.  (  Origines  et  Antiquit.  eccles. , 
t.  iv,  p.  208,  note  1.  )  Nous  croyons  que  celui-ci  n'a  pas  vérifié  ,  ou  qu'il 
a  mal  traduit  ce  passage.  Au  reste ,  notre  traduction  s'accorde  parfaitement 
avec  celle  de  Raronius  (Annales,  anno  726);  de  Rossuet  (  Defens.  Declar. , 
lib.  ii,  cap.  12  ),  etc.  Voyez  aussi  Cedrenus,  Chronique;  art.  de  Léou  l'I- 
saurien.  —  Zonaras,  Annales,  ibid.  (  Apud  Hislor.  Byzantin,  et  apud  Ra- 
ronium  ,  ibid.,  n.  24  et  26.  ) 

(l)  Théophane,  Chronogr.,  ibid.,  p.  342 — Baronii  Annales,  anno 
730,  n.  3. 


PREMIÈRE   PARTIE.  —  CHAPITRE  I.  221 

Ce  récit  des  historiens  grecs  est  invoqué ,  avec  une  égale  con-       23. 
fiance ,  par  les  défenseurs  de  deux  sentiments  très-opposés ,  dont   a'Xmi'ner 
l'un  est  aussi  peu  respectueux  envers  le  saint-siége,  que  l'autre  v*£^e  d 


icns 


est  favorable  à  ses  droits  même  les  plus  douteux  et  les  plus  con-  srccs>.  s«>-  ce 

1  *  point. 

testés.  D'un  côté,  un  certain  nombre  d'auteurs  modernes  in- 
voquent ce  récit,  à  l'appui  du  reproche  qu'ils  font  à  Grégoire  II 
et  à  ses  successeurs,  d'avoir  habilement  profité  des  circon- 
stances, pour  établir  leur  domination  en  Italie,  aux  dépens  des 
empereurs  de  Constantinople(l).  D'un  autre  côté,  plusieurs 
théologiens,  surtout  parmi  les  étrangers,  ont  cru  voir ,  dans  ce 
même  récit,  une  preuve  du  sentiment  qui  attribue  à  l'Église  et 
au  souverain  pontife  une  juridiction  au  moins  indirecte  sur 
le  temporel  des  princes  ;  et,  par  une  conséquence  naturelle  de 
ce  principe,  ils  ont  loué  le  pape  Grégoire  II,  de  s'être  soustrait  à 
la  domination  d'un  prince  hérétique,  et  d'avoir  soulevé  l'État 
pour  sauver  la  religion (2).  Mais,  avant  de  rien  conclure  du 
récit  de  Théophane  et  des  autres  historiens  grecs,  il  est  juste 
d'en  examiner  l'autorité,  et  de  le  comparer  avec  le  récit  des 
Latins,  qui  présente  les  faits  d'une  manière  si  différente. 

On  a  vu  plus  haut  que  Paul  Diacre,  qui  écrivait  un  peu        m- 
avant  Théophane,  bien  loin  d'attribuer  à  Grégoire  II  le  sou-  Pau^iwe ' 
lèvement  de  l'Italie  contre  l'empereur,  l'attribue  aux  troupes  TBibiShT 
d'Italie,  tellement  irritées  contre  ce  prince,  qu'elles  eussent 
choisi  un  autre  empereur,  si  elles  n'eussent  été  retenues  par 
le  Pape  (3).  Anastase  le  Bibliothécaire,  qui  écrivait  au  milieu 
du  neuvième  siècle ,  confirme  évidemment  ce  récit  ;  car  il  repré- 
sente  le  pape  Grégoire  II  s'opposant  de  toutes  ses  forces  à  la 
révolte  de  l'Italie.  «  Toute  l'Italie,  dit-il,  ayant  appris  l'impiété 
«  de  Léon ,  résolut  d'élire  un  autre  empereur,  et  de  le  mener  à 
«  Constantinople  ;  mais  le  Pape,  qui  espérait  la  conversion  de 


(1)  Nous  examinerons  ,  dans  le  chapitre  suivant  ( art.  2),  ce  qu'il  faut 
penser  de  cette  accusation,  intentée  aux  papes  du  vme  siècle  par  un  certain 
nombre  d'auteurs  protestants ,  et  trop  facilement  adoptée  par  quelques  écri- 
vains catholiques. 

(2)  Voyez,  entre  autres,  Bellarmin,  De  Rom.  Pontif. ,  lib.  v,  cap.  8.  — 
Bianchi,  Délia  Potesta  délia  Chiesa  ,  lib.  n,  §  16.  — Mamachi,  Origin. 
et  Antiquit.  Christian.,  t.  iv ,  pag.  208 ,  etc.  —  Rohrbacher,  Des  Rapports 
naturels  entre  les  deux  Puissances,  chap.  19. 

(3)  Paul  Diacre,  De  Gestis  Langob.,  lib.  vi ,  cap.  49  (  ci-dessus ,  p.  215). 


cane. 


222 


SOUVERAINETÉ  TEMPORELLE  DU  PAPE. 


«  Léon,  empêcha  V exécution  de  ce  dessein;  »  et,  sans  rien  né- 
gliger pour  maintenir  les  peuples  d'Italie  dans  l'attachement  à 
la  vraie  foi,  il  les  avertissait  en  même  temps  de  ne  pas  oublier 
rattachement  et  la  fidélité  qu'ils  devaient  à  l'empereur  (1). 
Il  est  vrai  que  le  môme  auteur  semble,  au  premier  abord,  con- 
firmer le  fait  du  refus  des  impots,  en  disant,  un  peu  plus  haut, 
«que  l'exarque  Paul,  d'après  les  ordres  de  l'empereur,  cher- 
ce  chait  à  faire  mourir  le  Pape ,  parce  qu'il  empêchait  la  levée 
«  des  impots  dans  la  province  (2).  »  Mais,  si  l'on  examine  atten- 
tivement le  récit  d'Anastase,  on  verra  qu'il  rapporte  ici,  non  ce 
que  faisait  Grégoire,  mais  le  prétexte  allégué  par  l'empereur  et 
par  l'exarque  pour  colorer  leur  crime.  En  effet,  bien  loin  de 
croire  ce  prétexte  fondé,  Anastase  lui-même  représente,  dans  la 
suite  de  ce  passage,  le  pape  Grégoire  II  s'opposant  de  toutes 
ses  forces  à  la  révolte  de  l'Italie,  et  ne  négligeant  rien  pour 
maintenir  les  peuples  d'Italie  dans  l'attachement  et  la  fidélité 
qu'ils  devaient  à  l'empereur.  Il  ajoute  que  le  Pape,  ayant  ap- 
pris les  ordres  impies  que  l'empereur  avait  donnés  pour  le 
renversement  et  la  destruction  des  saintes  images,  se  pré- 
para  à  lui  résister  comme  à  un  ennemi  (3)  ;  mais  il  explique 
aussitôt  la  nature  de  cette  résistance,  en  disant  que  le  Pape, 
«  non  content  de  rejeter  l'hérésie  de  l'empereur,  écrivit  de  tous 
«  côtés  aux  fidèles ,  pour  les  prémunir  contre  cette  erreur  im- 
«  pie;  »  ce  qui  fait  assez  entendre  que  la  résistance  du  Pape  se 
réduisit  aux  exhortations  et  aux  avis  adressés  de  tous  côtés 
aux  peuples  fidèles,  pour  les  prémunir  contre  l'impiété  de 
Léon  (4). 

(1)  Anastase  le  Bibliothécaire,  Vita  GregoriiJI.  (Labbe,  Concil.  t.  y, 
p.  1434  et  1435;  ci-dessus,  p.  217,  etc.) 

(2)  Anastase  le  Bibliothécaire,  ibid.  (ci-dessus,  p.  216,'note  2). 

(3)  Voyez  le  texte  même  d'Anastase  {ibid.,  note  3). 

(4)  Il  ne  sera  pas  inutile  de  remarquer  ici  que  le  P.  Thomassin  (ubi  suprà, 
ch.  27,  n.  5  )  cite  Anastase  le  Bibliothécaire  comme  favorable  au  récit  de 
Théophane;  mais  le  savant  Oratorien,  par  une  singulière  méprise,  attribue 
ici  à  Anastase  un  texte  dont  il  n'est  que  le  traducteur.  Ce  texte  est  pris  de 
Y  Histoire  Ecclésiastique  d'Anastase,  qui  n'est  qu'une  simple  traduction  de 
la  Chronique  de  Théophane  et  de  quelques  autres.  (  Voyez ,  à  ce  sujet,  Bos- 
suet,  Defens.  Declar.,  lib.  n,cap.  17.  — D.  Ceillier,  Hist.  des  Auteurs 
sacrés  et  ecclésiast. ,  t.  xix,  p.  417. —  Cave,  Script,  ecclesiast.  Hist. 
litter.  sœculi  octavi.  )  Le  P.  Thomassin  lui-même  corrige  cette  méprise  , 
en  citant,  un  peu  plus  bas,  le  véritable  texte  d'Anastase,  (Thomassin,  ibid., 
ch.  27,  n.  8;ch.  29,  u.  2.) 


PREMIÈRE   PARTIE.  —  CHAPITRE  I.  223 

Pour  concilier  le  récit  des  historiens  grecs  avec  celui  des  la-        25. 
tins,  quelques  auteurs  modernes  supposent  que  la  révolte  de  ^e^ondilèï 
l'Italie  et  le  refus  des  impôts,  doot  parlent  les  premiers,  sont  icirie1^  ^scls°' 
postérieurs,  de  quelques  années,  à  la  révolte  dont  parlent  les  avec  tes  latins, 
seconds  ;  que  le  pape  Grégoire  II ,  dans  l'espérance  de  ramener 
l'empereur  à  de  meilleurs  sentiments,  arrêta  d'abord  les  peuples 
disposés  à  la  révolte,  et  qu'il  les  y  autorisa  ensuite,  pour  punir 
le  prince  de  son  opiniâtreté  (i).  Mais  il  est  aisé  de  voir  que  ces 
suppositions  n'ont  aucun  fondement  dans  les  auteurs  latins ,  et 
qu'elles  sont  tout  à  fait  inconciliables  avec  le  récit  des  grecs. 
Les  premiers  disent  clairement,  comme  on  Ta  vu,  que  le  Pape, 
loin  de  songer  à  soulever  l'Italie,  usa  de  son  autorité  pour  com- 
primer la  révolte.  Les  seconds  ne  distinguent  point  deux  ré- 
voltes différentes,  dont  la  première  ait  été  apaisée  par  le  Pape, 
et  l'autre  excitée  ou  autorisée  par  lui  ;  ils  supposent,  au  contraire, 
que  le  Pape  ayant  appris  les  premières  tentatives  de  l'empereur 
contre  les  saintes  images,  défendit  aussitôt  à  Rome  et  à  l'Italie 
de  luipaijer  les  impôts;  c'est  ce  qui  résulte  clairement  des  ex- 
pressions de  Théophane  que  nous  avons  citées. 

Au  reste,  quelque  étonnante  que  paraisse,  au  premier  abord,        26 
l'opposition  qui  existe,  sur  ce  point,  entre  le  récit  des  histo-  L'°ijPositi°n 
riens  grecs  et  celui  des  latins,  elle  est  facile  à  expliquer,  d'après  a»le«";  fadie 
les  circonstances  différentes  dans  lesquelles  ils  se  trouvaient  (2). 
Les  premiers  voyant,  d'un  côté ,  la  révolte  de  l'Italie  occasionnée 
par  la  conduite  imprudente  de  Léon,  et,  de  l'autre,  la  grande 
influence  du  Pape  dans  les  affaires  publiques  en  Italie,  durent 
être  naturellement  portés  à  lui  attribuer  le  soulèvement  des 
peuples  ;  et  ce  préjugé  ne  put  que  s'accréditer  de  plus  en  plus 
dans  la  suite,  par  un  effet  naturel  de  la  haine  toujours  crois- 
sante des  Grecs  contre  les  Latins,  surtout  depuis  que  l'Italie  eut 
contracté  alliance  avec  les  Français  (3).  Les  historiens  latins,  au 


(1)  Tel  est  le  sentiment  de  Baronius  (  Annales,  anno  730 ,  n.  4  et  5  ) ,  et 
de  Mamachi  {ubi  suprà,  p.  210,  etc.  ).  Le  Cardinal  Orsi,dans  sa  Disserta- 
tion déjà  citée ,  convient  que  cette  supposition  de  Baronius  n'a  aucun  fon- 
dement dans  les  anciens  historiens  latins,  et  que  les  Grecs  ne  méritent, 
sur  ce  point  y  aucune  croyance,  ch.  1.  (P.  5  et  6  ;  édit.  in-8°,  1688.) 

(2)  Orsi ,  ubi  suprà  y  capit.  1  ,  p.  15,  etc. 

(3)  Sur  l'origine  et  les  progrès  de  l'aliénation  des  Grecs  contre  les  Latins, 
voyez  Lebeau,  Hist,  du  Bas-Empire ,  t.  xrv,  liv.  lxvi,  n.  50,  etc.  — 


224  SOUVERAINETÉ  TEMPORELLE  DtJ  PAPE. 

contraire,  outre  qu'ils  étaient  beaucoup  plus  à  portée  de  con- 
naître et  de  vérifier  des  faits  d'une  si  grande  importance ,  et 
récemment  arrivés  dans  le  pays  même  où  ils  écrivaient ,  n'a- 
vaient aucun  intérêt  à  les  déguiser  ou  à  les  altérer,  dans  un 
temps  où  l'Italie  n'avait  plus  rien  à  craindre  ni  à  espérer  de 
l'empereur  de  Constantinople. 
»7.  Quoi  qu'il  en  soit  de  ces  observations,  dans  l'impossibilité 

autels'  grecs  de  concilier ,  sur  le  point  en  question ,  les  historiens  des  deux 
nest^pasici  Datj0DS  ^  nous  cr0yons,  avec  le  plus  grand  nombre  des  criti- 
grand  poids.  gUes  ^  que  je  r£cjt  jes  auteurs  grecs  est  jcj  d'une  bien  faible 
autorité  en  comparaison  de  celui  des  latins,  soit  que  l'on  con- 
sidère ces  deux  récits  en  eux-mêmes,  soit  qu'on  en  juge  d'après 
le  caractère  et  les  sentiments  bien  connus  de  Grégoire  II  (l). 

D'abord,  si  l'on  considère  le  témoignage  de  Théophane  en  lui- 
même,  il  est  aisé  de  se  convaincre  qu'il  n'est  pas  ici  d'un 
grand  poids.  Les  fréquents  anachronismes  de  cet  auteur,  son 
peu  d'exactitude  et  de  critique,  sont  généralement  reconnus  des 
savants  (2).  Ces  défauts  se  font  surtout  remarquer  dans  la  partie 
de  son  histoire  qui  regarde  les  affaires  d'Occident;  la  diffi- 
culté de  connaître  et  de  vérifier  des  faits  arrivés  dans  un  pays 
si  éloigné  de  celui  où  il  écrivait,  l'oblige  souvent  à  les  rappor- 
ter sur  des  bruits  populaires  et  sans  aucun  fondement.  Il  est 
d'ailleurs  naturel  de  penser  que  cet  auteur,  malgré  sa  bonne 
foi ,  a  pu  être  quelquefois  entraîné,  sans  le  savoir,  par  les  pré- 
jugés que  les  Grecs  avaient  déjà  conçus ,  de  son  temps,  contre 
les  Latins,  et  qui  se  manifestèrent  avec  tant  d'éclat,  peu  de 
temps  après  sa  mort,  à  l'occasion  du  schisme  de  Photius.  Ces 
considérations,  qui  rendent  très -suspect  en  lui-même  le  té- 
moignage de  Théophane,  s'appliquent,  à  plus  forte  raison,  aux 

Thomassin,  Ancienne  et  nouvelle  Discipline,  t.  i ,  liv.  i,  ch.  10,  etc.  — 
De  Héïicourt,  Abrégé  du  même  ouvrage ,  lre  partie ,  ch.  3 ,  n.  2. 

(1)  Outre  les  auteurs  déjà  cités  (p.  214,  note  3),  voyez  Launoy,  Epistol. 
lib.  vu ,  Epist.  7.  (  Oper.  t.  x  .)  —Natal.  Alex.  Hist.  Eccles.  sœculi  vm, 
Dissert.  ia.  L'auteur  des  Annales  du  moyen  âge  (t.  vi,  liv.  xx,  p.  169) 
paraît  d'abord  incliner  pour  le  récit  des  Grecs;  mais  il  se  corrige  lui-même 
un  peu  plus  bas  (liv.  xxm ,  p.  390  ). 

(2) Cave,  Scriptorum  Eccles.  Hist.  litter.;  sœculo  vm.  —  D.  Ceillier, 
Hist.  des  Auteurs  eccles.,  t.  xvm,  p.  261  —  Bossuet,  Defens.  Declar., 
lib.  ii,  cap.  12.  Voyez  aussi  les  Notes  du  P.  Combefis  sur  l'ouvrage  de 
Théophane. 


PREMIÈRE   PARTIE.  —  CHAPITRE  I.  225 

historiens  grecs  Cedrenus  et  Zonare,  qui  l'ont  suivi  sur  le  fait 
de  Grégoire  II.  Ces  auteurs,  qui  écrivaient  au  xne  siècle,  et 
par  conséquent  plus  de  quatre  cents  ans  après  les  événements 
dont  il  s'agit,  étaient  encore  plus  exposés  que  ïhéophane  à  se 
laisser  entraîner  par  les  préjugés  de  leur  nation  contre  l'Église 
romaine. 

Ce  qui  rend  encore  plus  suspect  le  témoignage  de  ces  auteurs,  „  .  **• 
c'est  qu'il  est  manifestement  en  opposition  avec  le  caractère  et , silion  a,vec 

x  »  Je  caractère  et 

les  sentiments  bien  connus  de  Grégoire  11.  En  effet,  les  Lom-  les  principes 

de 

bards  ayant  profité  des  troubles  occasionnés  en  Italie  par  l'im-  Grégoire  h. 

prudence  de  l'empereur,  pour  s'emparer  de  l'exarchat  de  Ra- 

venne,sous  prétexte  de  le  soustraire  à  la  domination  d'un  prince 

hérétique,  le  Pape  écrivit  en  ces  termes  au  doge  de  Venise  : 

«  Faites  en  sorte  que  la  ville  de  Ravenne  soit  rendue  à  l'empire, 

«  et  remise  sous  l'obéissance  de  nos  seigneurs ,  les  illustres  em- 

«  pereurs  Léon  et  Constantin  ;  afin  que,  remplissant  toujours 

«  avec   zèle   les    devoirs   que   nous  imposent  notre  sainte 

«  croyance,  nous  puissions,  avec  l'assistance  divine,  demeu- 

«  rer  inviolablement  attachés  à  VÉtat  et  aux  empereurs  (1).  » 

De  bonne  foi,  est-ce  là  le  langage  d'un  Pape  disposé  à  secouer 

le  joug  de  l'empereur,  et  à  soulever  les  peuples  contre  lui? 

Deux  autres  lettres  du  même  pontife  à  l'empereur  Léon ,  res- 
pirent la  même  soumission  et  le  même  zèle  pour  la  défense  de 
l'empire  (2).  Ces  deux  lettres  sont  d'autant  plus  remarquables, 


(1)  «  Quia,  peccato  faciente,  Ravennatum  civitas,quae  caputextat  omnium, 
«  à  nec  dicendâ  gente  Longobardorum  capta  est,  et  iilius  noster  eximius 
«  dominus  exarchus  apud  Venetias  (  ut  cognovimus  )  moratur  ;  debeat  no- 
«  bilitas  tua  ei  (  exarcho  scilicet)  adhaerere,  et  cum  eo  nostrâ  vice  pari- 
«  ter  decertare ,  ut  ad  pristinum  statum  sanctae  reipubliese ,  in  impe- 
«  riali  servitio  dominorum  filiorum  nostrorum  Leonis  et  Constantini , 
«  magnorum  imperatoium,  ipsa  revocetur  Ravennatum  civitas;  ut  zelo  et 
«  amore  sanctœ  fidei  nostrœ  in  statu  reipublicœ  et  imperiali  servitio 
«firmi  persistere,  Domino  coopérante,  valeamus.  »  Gregorii  II  Epistola 
ad  Ursum,  Vcnetiarum  ducem.  (Baronii  Annales ,  t.  ix,  anno  726,  n.  27. 
Labbe,  Concil.  t.  vi,  p.  1447.)  —  Lebeau,  Hist.  du  Bas-Empire ,  t.  xm, 
liv.  lxiii,  n.  44. 

(2)  Baronius,  Annal.,  ibid.,  n.  28.  —  Labbe,  Concil.  t.  vu,  p.  10,  etc. 
Nous  supposons,  avec  Baronius,  Bossuet,  et  la  plupart  des  critiques  mo- 
dernes, que  ces  deux  lettres  sont  de  Grégoire  II,  et  non  de  Grégoire  III.  Le 
sentiment  contraire,  suivi  par  quelques  auteurs  (  Fleury,  Hist.  E celés. , 
t.  ix,  liv.  xlh,  n.  8  et  9.  —  Annales  du  moyen  âge,  t.  vi,  liv.  xxm, 
p.  414),  paraît  solidement  réfuté  par  plusieurs  savants,  cités  et  analysés, 

15 


226  SOUVERAINETÉ  TEMPORELLE  DU  PArE. 

qu'elles  furent  adressées  à  l'empereur  dans  un  temps  où  il  per- 
sécutait l'Église  avec  violence,  et  où  le  Pape  avait  plus  de  faci- 
lité que  jamais  pour  lui  résister,  s'il  eût  voulu  opposer  à  l'en- 
nemi de  l'Église  d'autres  armes  que  celles  de  la  persuasion. 
C'est  ce  que  le  pontife  lui-même  représente  à  l'empereur,  avec 
beaucoup  de  force ,  dans  la  première  de  ces  lettres.  «  Vous 
«  croyez,  lui  dit-il,  nous  épouvanter  en  disant  :  J'enverrai  à 
«  Rome  briser  Vimage  de  saint  Pierre  ;  et  je  ferai  enlever  le 
«  Pape  Grégoire,  chargé  de  chaînes,  comme  Constant  fit  à 
«  Martin  (1).  Mais  sachez  que  les  papes  sont  les  médiateurs 

«  et  les  arbitres  de  la  paix  entre  l'Orient  et  l'Occident 

«  Nous  ne  craignons  point  vos  menaces  :  à  une  lieue  de  Rome, 

«  vers  la  Campanie,  nous  sommes  en  sûreté Si  vous  voulez 

«  en  faire  l'expérience,  vous  n'avez  qu'à  venir  ;  vous  trouverez 
«  les  Occidentaux  tout  disposés  à  venger  les  injures  que  vous 

«  avez  faites  aux  Orientaux L'Occident  offre  de  donner  au 

«  siège  de  saint  Pierre  des  preuves  effectives  de  sa  foi.  Si  vous 
«  envoyez  quelqu'un  pour  renverser  l'image  de  saint  Pierre , 
«  je  vous  en  avertis,  il  pourra  bien  y  avoir  du  sang  répandu. 
«  Pour  moi ,  j'en  suis  innocent  ;  et  tout  le  crime  retombera  sur 
«  vous  (2).  »  Ce  discours  n'était  point  une  pure  ostentation  dans 


sur  ce  point,  dans  l'ouvrage  d'Orsi  {ubi  suprà,  cap.  1 ,  notes  30  et  31  ). 
Au  reste,  on  voit  assez  que  ces  deux  lettres  ne  sont  pas  nécessaires  pour 
établir  notre  sentiment  sur  la  conduite  de  Grégoire  II.  Qu'elles  soient  de  ce 
pontife  ou  de  son  successeur,  on  peut  toujours  les  regarder  comme  un 
témoignage  éclatant  des  dispositions  pacifiques  du  saint-siége  envers  l'em- 
pereur de  Constautinople ,  à  une  époque  où  le  Pape  avait  contre  lui  les  plus 
justes  sujets  de  plainte. 

(1)  il  s'agit  ici  de  l'enlèvement  du  Pape  Martin  II,  exécuté,  en  653,  par 
ordre  de  l'empereur  Constant  II ,  qui  voulait  obliger  le  pontife  à  souscrire  le 
Type  ou  l'édit  publié  par  ce  prince  en  faveur  du  monothélisme.  Voyez  Fleury, 
Hist.  Ecclés.y  t.  vin,  liv.  xxxix ,  n.  1  et  2. 

(2)  «  At  enim  nos  perterrefacis  ,  aisque  :  Romam  mittam ,  et  imaginem 
«  sancti  Pétri  confringam  ;  sed  et  Gregorium  illinc  pontifcem  vinctum 
«  adduci  curabo,  sicut  Martinum  Constans  adduxit.  Scire  autem  de- 
«  bes  ac  pro  certo  habere,  pontifices  qui,  pro  tempore,  Romae  extiterint , 
«  conciliandœ  pacis  causa  sedere  tanquam  parietem.  médium  Orientis  et 

«  Occidentis,  ac  pacis  arbitros  et  moderatores  esse Quôd  si  nobis  in- 

«  solenter  insultes,  et  minas  intentes,  non  est  nobis  necesse  tecum  in 
«  certamen  descendere  ;  ad  quatuor  et  viginti  stadia  secedet  in  regionem 

«  Campaniae  Romanus  pontifex Quôd  si  hoc  velis  experiri,  plané 

«  parati  sunt  Occidentales  ulcisci  etiam  Orientales.,  quos  injuriis  affecisti 

«  Totus  Occidens  sancto  principi  apostolorum  fidei  fructus  offert.  Quôd 


PREMIÈRE   PARTIE.  —  CHAPITRE   I.  227 

la  bouche  de  Grégoire;  car  on  a  déjà  vu  (l),  et  la  suite  de  l'his- 
toire montre  de  plus  en  plus,  quel  était  alors  l'attachement  des 
peuples  de  l'Italie  pour  le  saint-siége,  et  combien  ils  étaient 
peu  disposés  à  souffrir  les  violences  de  l'empereur  et  de  ses 
envoyés  contre  le  Pape.  Mais,  quelque  favorables  que  ces  con- 
jonctures fussent  à  Grégoire  lï,  s'il  eût  voulu  opposer  à  l'empe- 
reur la  force  ouverte,  il  se  contente  d'employer  auprès  de  lui 
les  remontrances  et  les  exhortations.  La  plus  grande  partie 
de  ses  lettres  est  employée  à  établir,  par  de  solides  raisonne- 
ments, le  culte  des  saintes  images;  et  loin  de  songer  à  di- 
minuer en  rien  la  puissance  impériale,  il  rappelle  et  professe 
hautement,  dans  ses  deux  lettres,  les  principes  de  l'antiquité, 
sur  la  distinction  et  l'indépendance  mutuelle  des  deux  puis- 
sances. «  Vous  savez,  seigneur,  dit-il,  que  la  décision  des 
«  dogmes  de  la  foi  n'appartient  pas  aux  empereurs,  mais  aux 
«  évêques,  qui  veulent,  en  conséquence,  les  enseigner  librement. 
«  C'est  pourquoi  les  évêques ,  préposés  au  gouvernement  de 
«  l'Église,  ne  se  mêlent  point  des  affaires  publiques;  que  les 
«  empereurs  donc  ne  se  mêlent  pas  non  plus  des  affaires  ec- 
«  clésiastiques,  et  se  bornent  à  celles  qui  leur  sont  confiées.... 
«  Apprenez  donc,  seigneur,  la  différence  qui  se  trouve  entre  les 
«  palais  des  princes  et  les  églises,  entre  l'empire  et  le  sacerdoce  ; 
«  apprenez-le  pour  votre  salut,  et  ne  vous  livrez  pas  opiniâtré- 

«  ment  à  la  dispute Comme  Vévêque  n'a  pas  droit  d'étendre 

«  son  inspection  sur  le  palais ,  et  de  donner  les  dignités 
«  roijales;  ainsi  l'empereur  ne  doit  pas  étendre  la  sienne  sur 
«  les  églises,  ni  s'ingérer  de  faire  les  élections  dans  le  clergé,  de 
«  consacrer  ou  d'administrer  les  sacrements,  ou  même  d'y  par- 
«  ticiper  sans  le  ministère  du  prêtre.  Il  faut  que  chacun  de  nous 
«  demeure  dans  Vétat  auquel  Dieu  l'a  appelé '(2).  » 

«  si  quospiam  ad  evertendam  jmaginem  miseris  sancti  Pétri,  vide,  pro- 
)>  testamur  libi ,  innocentes  sumns  à  sanguine  quem  fusuri  sunt  ;  verùm  in 
«  cervices  tuas  et  in  caput  tuum  ista  recident.  »    Gregorii  Epist.  J,  versus 
fmem.  (Labbe,  ubi  suprà,  p.  19  et  22.) 

(1)  Voyez  plus  haut,  p.  213,  etc. 

(2)  «Scis,  imperator,  sanctee  Ecclesiae  dogmata  non  imperatorum  esse,sed 
<c  pontificum,  qui  tutô  volunt  dogmatizare.  Idcircô  Ecclesiis  prœpositi  sunt 
«  pontifices,  à  reipublicœ  negotiis  abstinentes  ;  et  imperatores  ergo  simi- 
«  liter  ab ecclesiasticis  abstïneant,  et  quœ sibi  commissa sunt  capessant... 
«  Ecce  tibi  palatii  et  Ecclesiarum  scribo  discrimen ,  imperatorum  et  pontifi- 

15. 


228  SOUVERAINETÉ  TEMPORELLE  DU  PAPE. 

t 

La  conduite  de  Grégoire  II  fut  toujours  conforme  à  ces  prin- 
cipes ;  et  jusqu'à  la  fin  de  sa  vie,  on  le  vit  sans  cesse  appliqué  à 
soutenir  en  Italie  l'autorité  de  l'empereur.  L'histoire  de  la  ré- 
volte de  Pétase ,  que  nous  avons  rapportée  plus  haut  d'après 
Anastase ,  fournit  une  preuve  remarquable  de  ces  disposi- 
tions (1).  L'usurpateur  ayant  gagné  à  son  parti  plusieurs  villes 
d'Italie,  et  s'y  étant  môme  fait  reconnaître  empereur,  l'exarque 
effrayé  se  voyait  hors  d'état  de  lui  faire  la  guerre.  Grégoire 
l'encouragea ,  et  lui  envoya  même  un  corps  de  troupes ,  qui 
triompha  en  peu  de  temps  des  rebelles  ;  en  sorte  que  Pétase  lui- 
môme  fut  réduit  à  se  renfermer  dans  une  place  forte,  où  il  per- 
dit la  vie,  avec  son  titre  d'empereur. 
29.  On  doit  conclure  de  tous  ces  faits ,  que  la  conduite  de  Gré- 

a  °de  UI  e  goire  II ,  dans  les  circonstances  difficiles  où  il  se  trouvait ,  offre 
CpiWeCPar  im  parfait  modèle ,  non-seulement  de  prudence  et  de  fermeté 
les  auteurs    p0ur  [e  maiiitien  de  la  saine  doctrine ,  mais  encore  du  respect 

modernes  les    x  '  L 

moins  sus-  et  de  la  soumission  que  l'Église  a  toujours  professés,  même  pour 
les  plus  méchants  princes,  en  tout  ce  qui  concerne  l'ordre  tem- 
porel. Aussi  la  conduite  de  ce  pontife  a-t-elle  été  généralement 
louée ,  même  par  les  auteurs  les  moins  accoutumés  à  flatter  le 
saiut-siége,  et  qui  blâment  plus  ouvertement  la  conduite  des 
successeurs  de  Grégoire  II  envers  les  empereurs  de  Constanti- 
nople.  «  Dans  la  conjoncture  la  plus  critique  qui  fut  jamais,  dit 
«  un  de  ces  auteurs  (2),  lorsque,  d'un  côté,  l'hérésie  armée  de  la 
«  puissance  impériale  s'efforçait  de  s'introduire  en  Italie,  et  que, 
«de  l'autre,  l'Italie  semblait  ne  pouvoir  repousser  l'hérésie 


«  cum  :  agnosce  illud,  et  salvare,  nec  contentiosus  esto...  Quemadmodum 
«  pond/ex  introspiciendi  in  palatium  pôles  latem  non  habet,  ac  dignitates 
«  rcgias  deferendi;  sic  neque  imperator  in  Ecclesias  introspiciendi,  et 
a  electiones  in  clero  peragendi,  neque  consecrandi ,  vel  symbola  sanctorum 
«  sacramentorum  administrandi ,  sed  neque  participandi,  absque  operâ  sa- 
«  cerdotis;  sed  unusquisque  nostrûm,  in  qnâ  vocatione  vocatus  est  à 
«  Deo,  in  eâ  maneat.  »  Gregorii  Epistolœ  1  et  2.  (Labbe,  ïbid.,  pag.  18 
et  26.) 

(1)  Voyez  le  texte  d' Anastase,  que  nous  avons  cité  plus  haut,  page  219. — 
Baionii  Annales,  anno  729.  —  Lebeau,  Hist.  du  Bas-Empire,  tome  xm, 
liv.  lxih,  n.  48. 

(2)  Lebeau,  Hist.  du  Bas-Empire,  tome  xm,  liv.  lxih,  n.  54.  —  Voyez,  à 
l'appui  de  ces  observations ,  Annales  du  moyen  âge ,  tome  vi,  liv.  xxm , 
pag.  391,  413,  etc.  —  Daunou,  Essai  hist.  sur  la  puissance  temp.  des 
Papes,  chap.  1,  page  23,  etc. 


PREMIÈRE   PARTIE.  —  CHAPITRE  I.  229 

«  qu'en  se  révoltant  contre  sou  souverain,  le  Pape  Grégoire  II 
«  remplit  également  deux  devoirs  qui  paraissaient  alors  in- 
«  compatibles.  Chef  intrépide  de  l'Église,  il  s'opposa  constam- 
«  ment  à  l'exécution  d'un  édit  contraire  à  la  pratique  du  chris- 
«  tianisme  :  il  lit  tous  ses  efforts  pour  détourner  l'empereur  de 
«  son  dessein  impie  ;  il  fortifia  les  peuples  dans  la  résolution  de 
«  rejeter  des  ordres  auxquels  ils  ne  pouvaient  obéir  sans  tra- 
«  hir  leur  religion  ;  mais  en  même  temps,  fidèle  sujet  du  prince, 
«  il  se  tint  lui-même,  et  maintint  les  peuples  dans  une  juste 
«  obéissance  ;  il  étouffa  l'esprit  de  révolte;  et,  malgré  les  noirs 
«  complots  que  le  prince  même  tramait  contre  sa  vie ,  prélat 
«  vraiment  apostolique,  supérieur  à  tout  sentiment  de  vengeance 
«  ainsi  que  de  crainte ,  il  fut  assez  généreux  pour  conserver 
«  au  prince  l'Italie  prête  à  lui  échapper.  » 

S'il  faut  en  croire  un  certain  nombre  d'auteurs  modernes ,        30. 
les  successeurs  de  Grégoire  II  n'imitèrent  pas  sa  conduite  res-  s\™Te%™n 
pectueuse  envers  les  empereurs  de  Constantinople  ;  et  Gré-  Gréeoire  lIL 
goire  III,  son  successeur  immédiat,  ne  fit  pas  difficulté  de 
renoncer  ouvertement  à  l'obéissance  qu'il  devait  à  son  sou- 
verain légitime  (1).  Mais,  si  l'on  examine  attentivement  la  suite 
des  faits,  et  la  difficulté  des  conjonctures,  on  verra  que  le 
nouveau  pontife  ne  se  conduisit  pas  avec  moins  de  sagesse  et 
de  modération  que  son   prédécesseur  (2).  Un  des  premiers 
actes  de  son  pontificat,  fut  d'écrire  aux  empereurs  Léon  et 
Constantin  Copronyme,  pour  les  exhorter,  par  de  sages  re- 
montrances, à  revenir  à  de  meilleurs  sentiments  sur  le  culte 
des  saintes  images  (3).  Un  concile  tenu  à  Rome ,  peu  de  temps 

(1)  Lebeau,  Histoire  du  Bas-Empire,  tome  xm,  liv.  lxiii,  n.  63,  page  385. 
— Annales  du  moyen  âge,  tome  vi,  liv.  xxm,  page  439.  —  Velly,  Hist.  de 
France,  tome  1 ,  page  336  ,  etc.  —  Daunou ,  Essai  historique ,  chap.  1 
page  27.  —  Vertot,  Origine  de  la  grandeur  de  la  cour  de  Rome,  pag.  18 
22,  etc. 

(2)  Thomassin,  Ancienne  et  nouvelle  Discipline,  tome  111,  liv.  1,  chap.  29 
n.  3.  — -  Bossuet,  Defensio  Declar.,  lib.  11,  cap.  18  et  37.  —  Fîeury,  Hist 
Ecclés.,  tome  ix,  liv.  xlii,  11.  8,  17,  24 ,  etc.  —Daniel,  Histoire  de 
France,  année  740.  —  Annales  du  moyen  âge,  tome  vi,  livre  xxin 
page  414,  etc.  —  Lebeau  ,  Histoire  du  Bas-Empire,  tome  xm,  livre  lxiii 
n.  58,  etc. 

(3)  «  Idem  sanctissimus  vir  {ad  Leonem  et  Constanlinum) ,  ut  ab  hoc  re- 
«  sipiscerent  ac  se  removerent  errore,  commonitoria  scripta,  quemadmodum 
«  et  sanctae  memoriae  decessor  ipsius  direxerat,  misit  per  Georgium  presbyte- 


230         SOUVERAINETÉ  TEMPORELLE  DU  PAPE. 

après,  par  le  même  Pape,  décida  que  ceux  qui  condamneraient 
ce  culte,  seraient  retranchés  de  la  communion  de  l'Église  ca- 
tholique. Mais  on  ne  voit  ici,  de  la  part  du  Pape,  aucun  acte 
contraire  à  l'autorité  des  empereurs  en  Italie  :  Anastase  suppose 
même  assez  clairement  que  cette  province  n'avait  pas  encore 
définitivement  renoncé  à  leur  obéissance  ;  car  il  rapporte  qu'elle 
leur  adressa,  en  ce  même  temps,  une  requête  pour  le  rétablis- 
sement des  saintes  images;  ce  qu'elle  n'eût  sans  doute  pas 
fait,  si  elle  eût  absolument  et  pour  toujours  secoué  leur  au- 
torité. 

Léon  risau-  Cependant  l'empereur  Léon ,  loin  de  céder  à  de  si  pressantes 
l 'd"  piuiSenSe  sollicitations ,  redoubla  de  fureur  contre  les  catholiques.  Il  en- 

pius  ntalie  vova  d'abord  en  Italie  une  flotte  considérable ,  destinée  à  sacca- 

par  ses  excès.         *>  ' 

ger  Rome  et  plusieurs  autres  villes,  en  punition  de  leur  attache- 
ment au  culte  des  saintes  images.  Le  commandant  de  la  flotte  avait 
ordre  de  saisir  le  Pape  lui-même ,  et  de  le  conduire ,  pieds  et 
mains  liés,  à  Constantinople.  L'exécution  de  ces  cruels  projets 
ne  fut  empêchée  que  par  la  perte  de  la  flotte ,  dispersée  près  de 
Ravenne  par  une  furieuse  tempête.  Irrité  de  ce  contre-temps, 
l'empereur  se  porta  à  de  nouveaux  excès  contre  l'Italie,  et  sur- 
tout contre  le  Pape  :  il  accabla  le  peuple  de  nouveaux  impôts , 
et  fit  saisir  les  patrimoines  de  l'Église  romaine  en  Sicile  et  en 
Calabre  (l).  Une  conduite  si  peu  mesurée  indisposa  de  plus  en 
plus  l'Italie  contre  l'empereur ,  et  donna,  pour  ainsi  dire,  les 
derniers  coups  à  la  puissance  impériale  en  Occident. 
Gré^n'e  m  En  ^^>  dans  ces  tristes  conjonctures,  la  ville  de  Rome  était 
«,  afpei!e  .  i  vivement  pressée  par  les  Lombards,  et  réduite  aux  dernières 

Charles  Martel  r  r  ' 

au  secours  de  extrémités  par  le  roi  Luitprand.  Les  Romains  n'espérant  plus 

«  rum Majore-(dem)  fidei  ardore  permotus,  synodale  decretum 

«  decrevit,  ut  si  quis  deinceps . adversùs  eamdem  venerationem  sa- 
it crarum  imaginum profanator  vel  blasphemus  extiterit,  sit  ex- 

«  torris  à  corpore  et  sanguine  Domini  nostriJesu  Christi,  vel  totius  Ec- 

«  clesiœ  unitate  atque  compage Post  peractum  igilur  hoc  synodale 

«  conslitutwn, cuncta  generalitas  istius  provinciœ  Italiœ  simili- 

«  ter,  pro  erigendis  imaginions,  supplicationum  scripta  unanimiler  ad 
«  eosdem  principes  direxerunt.-»  Anastase  le  Bibliothéc.,  Vita  Gregor.  III. 
(Labbe,  Concil.  tom.  vi,  pag.  1463  et  1464.) 

(l)Theophane,  Chronog raphia,  pag.  343.  On  a  vu  plus  haut  que  le  re- 
venu annuel  de  ces  patrimoines  s'élevait  à  trois  talents  et  demi  d'or,  qui  font 
plus  de  400,000  francs  de  notre  monnaie.  (Introd.,  art.  h,  page  127.) 


PREMIÈRE  PARTIE.  —  CHAPITRE  I.  231 

aucun  secours  de  l'empereur,  qui,  loin  de  protéger  Rome  et 
l'Italie,  leur  déclarait  ouvertement  la  guerre ,  ne  virent  plus 
d'autre  ressource  que  d'implorer  l'assistance  des  Français.  Le 
Pape  Grégoire  III  écrivit,  pour  cet  objet,  plusieurs  lettres  très- 
pressantes  à  Charles  Martel,  qui,  sous  le  titre  de  maire  du  palais, 
gouvernait  alors  la  France,  au  nom  du  roi  Thierry  IV  (1).  Ces 
premières  démarches  n'ayant  produit  aucun  résultat,  le  Pape 
envoya,  en  741 ,  une  ambassade  solennelle  au  maire,  pour  lui 
faire  de  nouvelles  instances  (2).  Les  ambassadeurs  portaient  avec 
eux  de  magnifiques  présents  pour  Charles  Martel;  mais  ils 
étaient  surtout  chargés  de  lui  offrir,  au  nom  du  Pape,  des 


(1)  Les  deux  lettres  de  Grégoire  III  à  Charles  Martel,  sur  ce  sujet,  se  trouvent 
dans  la  collection  des  Conciles  du  P.  Labbe,  tome  vi,  page  1472.  Ces  deux  let- 
tres sont  les  premières  du  recueil  connu  sous  le  nom  de  Code  Carolin,  parce 
qu'il  paraît  avoir  été  formé,  dans  le  principe,  par  les  soins  de  Charlemagne. 
Ce  recueil  contient  quatre-vingt-dix-neuf  lettres ,  adressées,  pour  la  plupart, 
aux  rois  de  Fiance  et  aux  Français,  par  le  pape  Grégoire  III  et  ses  succes- 
seurs, de  739  à  791.  Il  fut  publié  pour  la  première  fois  à  Ingolstadt,  en  1613, 
in-4°,  par  les  soins  de  Gretser.  On  le  trouve  aussi  dans  le  tome  m  du  Recueil 
des  Historiens  de  France  de  Duchesne.  (Paris,  1641  et  1644,  in-fol.)  Mais 
la  meilleure  édition  est  celle  qui  se  trouve  dans  le  tome  i  du  recueil  de 
Cenni,  Monumenta  dominationis  Pontificiœ  :  Romœ,  1760;  2  vol.  in-4°. 
Les  avertissements  et  les  notes  de  cette  édition  répandent  beaucoup  de  jour 
sur  l'histoire  des  papes  du  vme  siècle,  et  sur  la  véritable  origine  de  la  sou- 
veraineté temporelle  du  saint-siége.  C'est  d'après  cette  édition  que  nous  cite- 
rons désormais  le  Code  Carolin. 

Sur  les  deux  lettres  de  Grégoire  III  à  Charles  Martel,  voyez  le  tome  i  de  ce 
recueil,  pag.  1,  etc.  —  Daniel,  Histoire  de  France,  tome  n,  année  740.  — 
Hist.  de  l'Église  GalL,  tome  iv,  année  741.  —  Annales  du  moyen  âge, 
tome  vi,  liv.  xxm,  pag.  431,  etc. 

(2)  Nos  anciens  annalistes  ont  soin  de  remarquer  qu'on  n'avait  point  vu, 
ni  ouï  parler,  avant  cette  époque,  d'une  pareille  ambassade.  (Voyez  en 
particulier  les  Annales  de  Metz ,  et  le  continuateur  de  la  Chronique  de 
Frédégaire.)  Nous  rapportons  textuellement  ces  témoignages  à  la  page  sui- 
vante, note  2.  Bossuet  les  cite  dans  la  Défense  de  la  Déclar.,  lib.  h, 
cap.  18.  Anastasele  Bibliothécaire,  dans  la  Vie  d'Etienne  II,  semble  dire 
le  contraire;  car  il  assure  que  ce  pontife  écrivit  secrètement  à  Pépin,  à 
l'exemple  de  ses  prédécesseurs ,  Grégoire  II,  Grégoire  III  et  Zacharie, 
qui  s'étaient  adressés  à  Charles  Martel ,  pour  obtenir  sa  protection 
contre  les  Lombards.  (Labbe,  Concil. ,  tom.  vi,  pag.  1622.)  On  peut 
cependant  concilier  Anastase  avec  les  auteurs  fiançais ,  en  disant  que  Gré- 
goire II  se  contenta  d'écrire  à  Charles  Martel,  et  que  Grégoire  III  lui  envoya 
une  ambassade  solennelle.  Au  reste ,  il  est  aisé  de  voir  que  cette  discussion 
n'a  aucune  importance,  relativement  au  sujet  qui  nous  occupe.  Les  mêmes 
raisons  qui  servent  à  justifier  la  conduite  de  Grégoire  111,  en  cette  occasion  , 
pourraient  également  servir  à  justifier  Grégoire  IL 


232  SOUVERAINETÉ  TEMPORELLE  DU  PAPE. 

seigneurs  et  du  peuple  romain,  la  dignité  de  consul  (t),  pourvu 

qu'il  les  assurât  de  sa  protection.  En  conséquence  d'un  décret 

adopté  par  les  seigneurs  de  Rome,  le  Pape  disait,  dans  sa 

lettre  au  prince  français ,  que  le  peuple  romain,  renonçant  à 

la  domination  de  V  empereur ,  suppliait  Charles  de  prendre 

sa  défense,  et  avait  recours  à  sa  protection  invincible  (2). 

'     33.  Cette  conduite  du  Pape  et  des  seigneurs  de  Rome  était  sans 

marche  facile  doute  une  démarche  hardie  ;  mais  elle  est  facile  à  justifier  d'après 

cripSs  Tes,  les  principes  du  droit  public  les  plus  universellement  reconnus  (3). 


circonstances. 


(1)  Le  titre  de  consul,  qui  donnait  autrefois  chez  les  Romains  une  si  grande 
autorité  à  celui  qui  en  était  revêtu,  n'était  plus ,  sous  les  empereurs,  qu'un 
tifred'honneur,  comme  ont  été  depuis,  parmi  nous,  ceux  de  duc,  de  comte,  de 
marquis,  et  plusieurs  autres.  Il  fut  même  supprimé  par  Justinien,  qui  cessa, 
en  541 ,  dénommer  des  consuls,  comme  il  avait  fait  jusqu'alors  chaque  année,  à 
l'exemple  de  ses  prédécesseurs.  Toutefois,  depuis  cette  époque,  les  empereurs 
prirent  encore  quelquefois  ce  titre,  et  le  donnèrentmême  par  honneur  à  des  per- 
sonnages distingués.  L'histoire  du  vme  siècle  en  offre  de  nombreux  exemples. 
(Anastas.  Bibliothec.  Vitœ  Gregorii  III,  Zachariœ  et  Hadriani  1;  apud 
Labbe,  Concil.  tom.  vi,  pag.  1463,  1487,  1726,  1744.)  On  voit  assez,  d'après 
cela,  quels  étaient  la  nature  et  le  but  du  consulat  offert  par  le  Pape  et  les 
Romains  à  Charles  Martel.  Ils  ne  prétendaient  pas  le  reconnaître  par  là  pour 
leur  souverain,  mais  seulement  l'attacher  à  leurs  intérêts  par  un  titre  ho- 
norable, et  l'engager  plus  efficacement  à  les  protéger  contre  la  tyrannie  des 
Lombards. 

Nous  croyons  inutile  d'examiner  plus  en  détail  les  conjectures  des  savants 
sur  ce  point.  On  peut  consulter  là-dessus  Ducange,  Glossariuminfimœ  Lati- 
nitatis,  article  Consul. — Pagi,  Crilica  in  Annales  Baronii,  tom.  m, 
anno  740,  n  6.  —  Cenni,  ubï  suprà,  pag.  4.  —  Lebeau,  Hist.  du  Bas-Em- 
pire, tom.  x,  liv.  46,  n.  41.  —  Daniel,  Hist.  de  France,  édition  du  P.  Grif- 
fet,  tom.  i,  pag.  65  ;  tom.  n,  pag.  219. 

(2)  «  Eo  tempore  bis  à  Româ,  sede  sancti  Pétri  apostoli,  beatus  papa  Gre- 
«  gorius  claves  venerandi  sepulcri,  cum  vinculis  sancti  Pétri,  et  muneribus 
«  magnis  et  inlinitis,  legatione,  quod  anlea  nullis  auditis  aut  visis  tempo- 
«  ribus  fait,  memorato  principi  (Carolo)  destinavit,  eo  pacto  patrato,  ut  ad 
«  partes  (hoc  est,  consueto  hujns  sévi  stylo ,  à  partïbus)  imperatoris  recede- 
«  ret,  et  Eomanum  consulatùm  prœfato  principi  Carolo  sanciret.  »  Fre- 
degarii  Chronicon  continuatum ,  n.  110.  (Ad  calcem  Hist.  Francorum 
S.  Greg.  Turon.  ;  édition  de  D.  Ruinart. — Tom.  i  du  Recueil  de  Duchesne.) 

Les  Annales  de  Metz  rapportent,  presque  dans  les  mêmes  termes, 
l'ambassade  du  Pape  à  Charles  Martel  ;  à  quoi  elles  ajoutent  ce  qui  suit  : 
«  Epistolam  quoque,  decreto  Romanorum  principum,  sibi  (i.  e.  Carolo  prin- 
«  dpi)  praedictus  praesul  Gregorius  miserat,  quod  sese  populus  Romanus , 
«  relictâ  imperatoris  dominatione ,  ad  suam  defensionem  et  invictam 
«  clementiam  converlere  voluisset.  »  Annal.  Metenses,  anno  741.  (Tom.  m 
du  Recueil  de  Duchesne,  pag.  271.) 

(3)  De  Marca,  De  Concordiâ,  lib.  m,  cap.  11,  n.  5  et  6.  —  Thomassin  , 
Ancienne  et  nouv .  Discipline,  t.  m,  liv.  i,  chap.  27,  n.  8,  chap.  29,  n.  l,etc. 
—  Bossuet,  Politique  sacrée,  liv.  vi,  art.  2,  prop.  5.  —  Pey,  Autorité  des 


PREMIÈRE  TARTIE.  —  CHAPITRE   I.  283 

En  effet,  il  est  certainement  permis  à  un  peuple  abandonné  de 
ses  anciens  maîtres ,  et  injustement  opprimé  par  ses  voisins ,  de 
se  donner  un  chef  capable  de  le  défendre  ;  le  droit  naturel,  qui 
autorise ,  en  pareil  cas ,  un  simple  particulier  à  réclamer  la 
protection  de  ses  semblables,  n'y  autorise  pas  moins  un  peuple 
entier.  «  Tout  le  monde  convient,  dit  Puffendorf,  que  les  sujets 
«  d'un  monarque,  lorsqu'ils  se  voient  sur  le  point  de  périr, 
«  sans  avoir  aucun  secours  à  attendre  de  leur  souverain ,  peu- 
«  vent  se  soumettre  à  un  autre  prince  (l).  »  «  Aucune  partie  de 
«l'État,  dit  Grotius,  n'a  droit  de  se  détacher  du  corps,  à 
«  moins  que,  sans  cela,  elle  ne  soit  manifestement  réduite 
«  à  périr;  car  tous  les  établissements  humains  semblent  ren- 
«  fermer  l'exception  tacite  du  cas  d'une  extrême  nécessité ,  qui 
«  ramène  les  choses  au  seul  droit  naturel  (2).  »  A  l'appui  de  ce 
principe ,  Grotius  cite  un  passage  de  saint  Augustin ,  qui  n'est 
pas  moius  formel  :  «Parmi  toutes  les  nations,  dit  le  saint  doc- 
«  teur ,  on  a  mieux  aimé  se  soumettre  au  joug  d'un  vainqueur, 
«  que  d'être  exterminé  en  s'exposant  aux  derniers  actes  d'hos- 
«  tilité  ;  c'est  comme  la  voix  de  la  nature  (3).  » 

Les  auteurs  même  les  plus  opposés  aux  principes  ultramon- 
tains,  ne  font  aucune  difficulté  d'appliquer  ces  principes  d'équité 
naturelle  aux  circonstances  où  se  trouvait  l'Italie  depuis  le 
pontificat  de  Grégoire  II.  Il  est  vrai  que  ces  auteurs  ne  con- 
viennent entre  eux,  ni  sur  l'époque  précise  à  laquelle  s'étei- 
gnit, à  Rome  et  dans  l'exarchat,  le  pouvoir  des  empereurs  de 
Constantinople ,  ni  sur  la  pâture  du  pouvoir  que  le  Pape  et  le 
roi  de  France  y  exercèrent  depuis  ;  mais  ils  conviennent  ou 
supposent  manifestement  que  ces  provinces,  abandonnées  des 
empereurs,  comme  elles  l'étaient  depuis  le  pontificat  de  Gré- 
goire II,  avaient  le  droit  de  se  soustraire  à  leur  domination,  . 
pour  se  donner  un  autre  chef.  «Dans  la  chute  de  l'empire, 

deux  Puissances,  tom.  i,  pag.  210. — Fleury,  Hist.  Ecclés.,  tom.  x,  liv.  xlv, 
n.  21.  — Orsi,  ubi  suprà,  cap.  6. 

(1)  Puffendorf,  De  Jure  nat.  et  gent.,  lib.  vu,  cap.  7,  §  4. 

(2)  Grotius,  De  Jure  belli  etpacis,  lib.  n,  cap.  6,  §  5. 

(3)  «  In  omnibus  ferè  gentibus,  quodam  modo  vox  naturae  ista  personuit, 
«  ut  subjugari  victoribus  mallent,  quihus  contigit  \inci,  quàm  ;bellicâ  emni- 
«  fariàm  vastatione  deleri.  »  S.  Augustin,  De  Civitate  Dei,  lib.  xyiii,  cap.  2, 
n.  1.  {Oper. tom.  vu) 


B 


234  SOUVERAINETÉ   TEMPORELLE  DU  PAPE. 

«  dit  Rossuet,  lorsque  les  Césars  suffisaient  à  peine  à  défendre 
«  l'Orient,  où  ils  s'étaient  renfermés  ;  Rome ,  abandonnée,  près 
«  de  deux  cents  ans,  à  la  fureur  des  Lombards,  et  contrainte 
«  d'implorer  la  protection  des  Français ,  fut  obligée  de  s'éloigner 
«  des  empereurs.  On  pâtit  longtemps  avant  que  d'en  venir  à 
«  cette  extrémité  ;  et  on  n'y  vint  enfin  que  quand  la  capitale  de 
«  l'empire  fut  regardée  par  ses  empereurs  comme  un  pays  ex- 
«  posé  en  proie,  et  laissé  à  l'abandon  (1) .  « 
34-  Charles  Martel  reçut  avec  plaisir  les  propositions  de  Gré- 


onne 


intelligence  goire  III.  Déjà  même  il  paraissait  disposé  à  passer  en  Italie, 

rempe^eui-,6  lorsqu'il  fut  surpris  par  la  mort ,  peu  après  le  départ  des  am- 

ponUficatede  bassadeurs.  La  mort  de  l'empereur  Léon  et  celle  du  Pape,  qui 

zacharie.    arrivèrent  cette  même  aunée  741 ,  engagèrent  les  Romains  à 

suspendre  les  négociations  entamées  avec  la  France;  et  la 

conduite  modérée  du  pape  Zacharie,  successeur  de  Grégoire III, 

sembla  rétablir  un  peu  les  affaires  de  l'empire  en  Italie  (2). 

Le  nouveau  pape  ne  fut  pas  plutôt  monté  sur  le  saint-siége, 
qu'il  employa  tous  ses  soins  à  pacifier  cette  province,  à  obtenir 
la  restitution  des  villes  et  territoires  de  l'exarchat  dont  les 
Lombards  s'étaient  emparés ,  à  maintenir  contre  eux  l'autorité 
de  l'exarque,  et  par  conséquent  celle  de  l'empereur,  dont 
l'exarque  n'était  que  le  représentant.  Le  succès  répondit  au 
zèle  du  pontife  :  le  roi  des  Lombards,  touché  de  ses  prières  et 
de  ses  remontrances,  lui  rendit  d'abord  quatre  villes  du  duché 
de  Rome,  et  bientôt  après ,  plusieurs  autres  villes  et  territoires 
de  l'exarchat  (3).  Toutefois,  il  est  à  remarquer  que  le  Pape,  en 
sollicitant  ces  restitutions  auprès  du  roi  des  Lombards,  ne  les 
réclamait  point  au  nom  de  l'empereur,  mais  en  son  propre 
nom,  et  comme  chef  de  la  république  romaine,  c'est-à-dire, 
des  villes  et  des  provinces  d'Italie  qui  l'avaient  librement  choisi 

(1)  Bossuet,  Politique  sacrée,  ubi  suprà,  pag.  274.  Voyez  aussi  les  auteurs 
cités  dans  la  note  2  de  la  page  232. 

(2)  Baronius,  Annales,  tom.  ix,  ânno  743,  n.  12  ,  29  et  30. — Bossuet,  De- 
fensio  Declar.,  lib.  n,  cap.  19 —  Fleury,  Hist.  Écclés.,  tom.  ix,  liv.  xlii, 
n.  31,  38  et  40-  —  Annales  du  moyen  âge,  tom.  vi,  liv.  xxm,  pag.  439,  etc. 
—  Lebeau,  Histoire  du  Bas-Empire,  ton),  xm,  liv.  64,  n.  2,  etc. 

(3)  Anastase  le  Bibliothéc. ,  Vita  Zachariœ.  (Labbe,  Conciliorum 
tom.  vi,  pag.  1487  et  1489.)  Voyez  les  détails  que  nous  avons  donnés  plus 
haut  (page  205,  note  1)  sur  la  position  géographique  de  Vexarchat  et  du 
duché  de  Rome. 


PREMIÈRE  PARTIE.  —  CHAPITRE  I.  235 

pour  leur  chef  (1).  Le  roi  des  Lombards  lui-même,  cédant  aux 
instances  du  Pape,  accorda  ces  restitutions,  non  à  l'empereur, 
mais  au  saint-siége  et  à  la  république  romaine  (2);  ce  qui  sup- 
pose clairement,  qu'aux  yeux  des  peuples  d'Italie,  toute  la  force 
et  l'autorité  du  gouvernement,  dans  le  duché  de  Rome  et  dans 
l'exarchat ,  était  alors  entre  les  mains  du  Pape. 

Quoi  qu'il  en  soit  de  ce  dernier  point,  il  est  certain  que  l'em- 
pereur Constantin  Copronyme,  successeur  de  Léon ,  malgré  son 
attachement  à  l'hérésie,  se  montra  pleinement  satisfait  de  la 
conduite  du  Pape,  et  lui  donna  un  témoignage  non  équivoque 
de  cette  satisfaction,  en  ajoutant  aux  patrimoines  de  l'Église 
romaine,  deux  métairies  considérables,  situées  dans  les  pro- 
vinces d'Italie  encore  dépendantes  de  l'empire  (3).  Ce  dernier 

(1)  Les  mots  de  république  romaine ,  souvent  employés  par  Anastase  et 
d'autres  écrivains  de  cette  époque,  pour  désigner  les  villes  et  provinces  d'I- 
talie qui  reconnaissaient  alors  le  Pape  pour  leur  chef,  ne  supposent  pas  que 
ces  villes  et  provinces  formassent  une  république  proprement  dite.  On  sait, 
en  effet,  que  le  mot  de  république,  dans  les  écrivains  du  moyen  âge,  comme 
dans  les  auteurs  plus  anciens,  ne  désigne  pas  toujours  une  république  pro- 
prement dite,  mais  en  général,  Y  État,  le  royaume  ou  Vempire,  selon  la  na- 
ture des  gouvernements  auxquels  il  se  rapporte.  (Muratori,  Antiquit.  Ital. 
medii  œvi,  ton»,  i,  Dissert.  18,  pag.  987,  etc.)  La  lettre  de  Grégoire  II  au 
doge  de  Venise,  que  nous  avons  citée  plus  haut,  fournit,  sur  ce  sujet,  un 
exemple  remarquable.  (Ci-dessus,  page  225,  note  1.)  C'est  dans  cette  accep- 
tion générale  qu'il  est  employé  par  Anastase  et  parles  auteurs  de  cette  époque, 
lorsqu'ils  parlent  de  la  république  romaine;  on  voit,  en  effet ,  par  la  suite 
de  l'histoire ,  qu'ils  parlent  des  habitants  de  cette  république  comme  des 
sujets  du  Pape,  ce  qui  suppose  que  le  Pape  était  leur  véritable  souverain. 
Cette  observation  sera  mise  dans  tout  son  jour,  par  les  détails  que  nous 
donnerons  sur  les  progrès  dé  l'autorité  du  Pape,  depuis  le  pontificat  de  Za- 
charie. 

(2)  Voici  les  propres  expressions  d 'Anastase,  sur  la  restitution  des  quatre  villes 

du  duché  de  Rome.  «  (Zachariae)  piis  eloquiis  flexu#(Longobardorum  rex), 

«  praedictas  quatuor  civitates  eidem  sancto  viro,  cum  eorum  habitatoribus, 

«  redonavit  ; (quas)  per  donationis  titulum,  ipsi  beato  Petro  apostolo- 

«  rum  principi  reconcessit.  »  Le  même  auteur  emploie  de  semblables  expres- 
sions, en  parlant  de  la  restitution  des  villes  et  territoires  de  l'exarchat.  «  Ab 
«■  eodem  rege  nimis  honorificè  susceptus  (Zacharias),  salutaribus  monitis  eum 

«  allocutusest,  obsecrans ut  ablalasRavennatnm  urbes  sibi  redonaret. 

«  Qui  praedictus  rex,  post  multam   duritiam  inclinatus  est, et  duas 

«  partes  terri  toi  ii  Cesenee  Castri  adpartem  reipublicœ  restituit,  etc.,  etc.  » 
(Labbe,  Concil.,  ibid.) 

(3)  «  Post  haec,  requirens  (Constantinus  princeps)  missum  apostolicœ 
«  sedis,  qui  ibidem  (Constanlinopolim)  in  tempore  perturbations  contigerat 
«  advenisse,  eumque  repertum  ad  sedem  absolvit  (i.  e.  dimisit)  apostolicam  ; 
«  et  juxta  quod  beatissimus  pontifex  postulaverat ,  donationem  in  scriplis 


Lombards. 


236  SOUVERAINETÉ   TEMPORELLE  DU  PAPE. 

fait  est  d'autant  plus  remarquable,  qu'il  montre  clairement  les 
dispositions  pacifiques  de  l'empereur  envers  le  Pape,  malgré  la 
grande  autorité  que  celui-ci  exerçait  alors  en  Italie,  à  l'exem- 
ple de  ses  prédécesseurs  Grégoire  II  et  Grégoire  III  (1). 
35  Cependant,  la  bonne  intelligence  qui  régnait  alors  entre  le 

Etienne  h  im-  Pape  et  l'empereur,  n'empêchait  pas  que  l'autorité  de  ce  der- 

plore  la  pro-       .  ,    „„   .,  _.      _  .  ..  „„ 

tection  de  nier  ne  s  allaiblit  de  jour  en  jour  en  Italie,  par  un  effet  naturel 
pep.n contre  ^s  circonstances  que  nous  avons  indiquées,  et  surtout  par 
suite  des  vexations  que  les  Lombards  ne  cessaient  d'y  exercer  (2). 
L'année  même  delà  mort  de  Zacharie,  c'est-à-dire,  en  752, 
ils  s'emparèrent  de  l'Italie,  de  la  Pentapole,  et  de  l'exarchat. 
L'exarque  Eutychius ,  hors  d'état  de  résister ,  s'enfuit  à  Naples  ; 
et  ainsi  finit  l'exarchat,  qui  subsistait  depuis  cent  quatre-vingt- 
quatre  ans.  Après  de  pareils  succès,  Astolphe,  roi  des  Lom- 
bards ,  ne  voyant  plus  que  la  ville  de  Rome  qui  pût  mettre  des 
bornes  à  ses  conquêtes,  dirigea  contre  elle  toutes  ses  forces. 
Etienne  II,  successeur  de  Zacharie,  ne  pouvant  espérer  aucun 
secours  de  l'empereur  contre  ces  nouvelles  attaques ,  employa 
d'abord  la  voie  des  négociations  auprès  d'Astolphe.  L'empereur, 
loin  de  blâmer  cette  conduite  du  Pape ,  lui  envoya  des  députés , 
pour  l'engager  à  prendre  en  main  les  intérêts  de  l'empire ,  et  à 
sommer  le  roi  des  Lombards  de  restituer  les  provinces  d'Italie 
qu'il  avait  usurpées.  Ces  négociations  parurent  d'abord  avoir 
quelques  succès;  mais  elles  devinrent  bientôt  inutiles,  par  la 
perfidie  d'Astolphe,  qui,  après  avoir  signé  un  traité  de  paix, 
revint  presque  aussitôt  menacer  Rome.  Dans  cette  extrémité,  le 

«  de  duabus  massis  (i.  e.  fundis  seu  prœdiis),  quse  Nymphas  et  Normias  ap« 
«  pellantur ,  juris  existentes  publici,  eidem  sanctissimo  ac  beatissimo  Papœ 
«  sanctae  Romanae  Ecclesiae,  jure  perpetuo,  direxit  possidendas.  »  Anastase, 
ubï  suprà,  pag.  1491. 

(1)  Nous  examinerons  ailleurs  les  reproebes  qu'on  a  faits  au  pape  Zacbarie, 
à  l'occasion  de  sa  réponse  à  la  consultation  des  Français  sur  la  déposition  de 
Childéric  III.  (Ci-après,  chap.  2,  art.  2,  n.  92,  etc.) 

(2)  Anastase  le  Bibliothéc,  Vita  Stephani  II.  (Labbe ,  Concil.  tom.  vi, 
pag.  1620,  etc.)  —  Thomassin,  Ancienne  et  nouvelle  Discipline,  tom.  m, 
liv.  i,  chap.  29,  n.  6,  etc.  —  Fleury,  Hist.  Ecclés.,  tom.  ix,  liv.  xliii,  n.  4, 
9,  etc.  —  Lebeau,  Hist.  du  Bas-Empire,  tom.  xm,  liv.  lxiv,  n.  18,  etc., 
30,  etc.  —  Daniel,  Hist.  de  France,  tome  h  ,  année  752,  etc.  —  Annales  du 
moyen  âgeyiom.  vu, liv. xxiv.  —  Bossuet,  Defensio Declar., lib.  n, cap.  19. 
—  Cenni,  BÏbnumenta  dominationis  Pontificiœ,  tom.  i,  pag.  11,  57,  etc. — 
Orsi,  Délia  origine  del  Dominio,  et  délia  Sovranita  de  Rom.  Pontefici, 
cap.  6.  —  Natal.  Alex.  Dissert.  25,  in  Hist.  Ecoles,  sœculi  îv,  prop.  5. 


PREMIERE   PARTIE CHAPITRE  I.  237 

Pape  ayant  inutilement  sollicité  le  secours  de  l'empereur,  ne 
vit  plus  /T autre  ressource  pour  lui  et  pour  son  peuple,  que 
ft  implorer  le  secours  du  roi  de  France ,  à  l'exemple  de  ses 
prédécesseurs  Grégoire  II ',  Grégoire  III  et  Zacharie  (1).  Il 
lui  écrivit,  pour  cet  effet,  eu  753,  une  lettre  très-pressante , 
par  laquelle  il  [lui  demandait  tout  à  la  fois ,  un  asile  dans  ses 
États,  et  sa  protection  contre  les  Lombards.  Pépin  accueillit 
favorablement  la  demande  du  Pape,  lui  promit  sa  protection, 
et  l'invita  à  venir  chercher  en  France  l'asile  qu'il  souhaitait. 
Malgré  ces  invitations  et  ces  promesses,  Etienne  II ,  avant  de       36. 

.  ,  f  i  •      i         w  Dispositions 

passer  en  France,  voulut  s  arrêter  a  la  cour  du  roi  des  Lom-    favorables 
bards,  et  faire  auprès  de  lui  un  dernier  effort,  pour  obtenir  la    %eEesa 
restitution  de  Ravenne,  de  l'exarchat,  et  des  autres  places  ^tuile?  en 
usurpées  par  les  Lombards  sur  la  république  romaine  (2). 
Astolphe  demeurant  ferme  dans  son  refus ,  le  Pape  se  retira  en 
France,  où  il  fut  accueilli  de  Pépin  avec  les  plus  grandes  marr 
ques  d'honneur  et  de  respect.  Ce  prince  s'engagea  même  solen- 
nellement,  dans  une  assemblée  générale  des  seigneurs  du 
royaume,  tenue  à  Quierzy-sur-Oise,  à  faire  rendre  au  saint- 
siège  l'exarchat  de  llavenne ,  avec  les  autres  villes  et  territoires 
d'Italie  usurpés  par  les  Lombards  (3).  Bien  plus,  il  dressa  dès 
lors  un  acte  de  donation,  qui  fut  signé  de  lui  et  des  princes  ses 

(1)  «Tune  praefatus  sanctissimus  vir,  agnito  maligni  régis  (Aistulphi) 
«  consilio,  misit  in  regiam  urbem  (  Constantinopolim  )  suos  missos,.... 
«  deprecans  imperialem  clementiam,  ut,  juxta  quod  ei  ssepiùs  scripserat , 
«  cum  exercitu  ad  tuendas  lias  Italise  partes,  modis  omnibus  adveniret,  et  de 
«  iniquitatis  filii  morsibus  Romanam  hanc  urbem,  vel  cunctam  Italise  pro- 

«  vinciam  liberaret Cernens prœterea  et  ab  imperiati  potentiâ  nullum 

«  esse  subveniendi  auxilium;  tunc,quemadmodum  praedecessores  ejus  bea- 
«  tae  mémorise,  Gregorius,  et  Gregorius  alius,  et  Dominus  Zacharias,  beatis- 
«  simi  Pontifices,  Carolo  exçellentissimae  mémorise  régi  Francorum  direxe- 
«  runt,  pelentes  sibi  subveniri  propter  oppressiones  ac  invasiones  quas  et 
«  ipsi,  in  hâc  Romanorum  provinciâ,  à  nefandâ  Longobardorum  gente  per- 
«  pessi  sunt;  ita  modo  et  ipse  venerabilis  pater  (  Stephanus  ) ,  divinâ  gratiâ 
«  inspirante,  clam  per  quemdam  peregrinum  suas  misit  litteras  Pippino 
«régi  Francorum,  nimio  dolore  buic  provincial  adhœrenti  conscriptas.  » 
Anastase,  ibid.,  p.  1621  et  1622. 

(2)  «  Conjungente  verô  eo  (Stephano)  Papiam  civitatem,  et  prœfato  ne- 
«  fando  régi  (  Aistutpho)  praesentato,  plura  iili  tribuit  munera,  et  nimis  eum 
«  obsecratus  est  atque  lacrymis  piofusis  eum  petivit,  ut  Dominicas  quas 
«  abstulerat  redderet  oves,  et  propria  propriis  reslïtueret.  »  Anastase , 
Vita  Stephani  II,  p.  1623. 

(3)  Anastase,  ibid.,  p.  1624. 


238  SOUVERAINETÉ  TEMPORELLE   DU  PAPE. 

fils,  et  par  lequel  ils  s'engageaient  à  mettre  le  saint-siége  en 
possession  des  mêmes  villes  et  territoires  (l).  Le  Pape,  de  son 
côté,  pour  reconnaître  et  encourager  de  plus  en  plus  la  géné- 
rosité du  roi,  lui  donna,  ainsi  qu'à  ses  deux  fils,  Charles  et 
Carloman ,  le  titre  de  patrices  des  Romains  (2) ,  qu'il  continua 
toujours  depuis  de  leur  donner  dans  ses  lettres,  et  qui  subsista 
dans  la  famille  des  rois  francs ,  jusqu'au  moment  où  Charle- 
magne  le  changea  en  celui  à' empereur. 

(1)  Anastase,  dans  la  Vie  du  pape  Etienne  II  (  ubi  suprà),  ne  parle  que 
de  la  promesse  faite  par  Pépin  et  les  seigneurs  français,  dans  l'assemblée  de 
Quierzy,  défaire  rendre  au  saint  siège  les  ailles  et  territoires  dont  il  s'agit  ; 
mais  il  ne  parle  pas  de  l'acte  de  donation  des  mêmes  villes  et  territoires , 
signé  dans  la  même  assemblée,  par  le  roi  et  les  princes  ses  fils.  Ce  dernier  fait 
est  rapporté  par  Anastase,  dans  la  Vie  du  pape  Adrien  1er  (Ibid.,  p.  1738), 
à  l'occasion  de  la  lecture  qui  fut  faite  à  Charlemagne,  en  772,  de  la  Donation 
de  Pépin,  qui  fut  suivie  d'un  nouvel  acte  de  Donation  pour  confirmer  le 
premier.  Le  pape  Etienne  II  lui-même  suppose  clairement  la  Donation  de 
Pépin,  dans  une  lettre  écrite  à  ce  prince  après  l'assemblée  de  Quierzy,  en 
754 ,  peu  de  temps  après  la  première  expédition  de  Pépin  en  Italie.  (Cod. 
Caroh,  Epist.  7,  aliàs9;  apud  Cenni,  Monument.  1. 1,  p.  8t.  ) 

(2)  Il  paraît ,  d'après  les  Annales  de  Metz  (  année  754  ) ,  que  le  Pape  con- 
féra ce  titre  aux  princes  français,  pendant  son  séjour  en  France;  mais  il  est 
certain  qu'il  ne  leur  donne  ce  titre  dans  aucune  de  ses  lettres,  avant  son  re- 
tour en  Italie.  (Voyez  Pagi,  Critica  in  Annales  Baronii,  anno  755,  n.  3. — 
Cenni,  ubi  suprà,  p.  12  et  60.  ) 

La  dignité  de  palrice ,  créée  par  Constantin  pour  rabaisser  et  diminuer 
celle  des  préfets  du  prétoire ,  était  une  des  plus  considérables  du  Bas-Em- 
pire. Elle  ne  conférait,  par  elle-même,  aucune  fonction  particulière;  mais  on 
la  joignait  souvent  à  d'autres  dignités,  telles  que  le  consulat,  la  préfecture 
du  prétoire,  etc.  ;  et  elle  donnait  à  celui  qui  en  était  revêtu,  le  droit  de  sié- 
ger dans  le  conseil  de  l'empereur,  au-dessus  des  préfets  du  prétoire.  (  Le- 
beau,  Hist.  du  Bas-Empire,  t.  i,  liv.  v,  n.  11.  —  Godefroy,  Comment,  sur 
le  Code  Théodos.,  lib  vi,  tit.  6. — Naudet,  Des  Changements  opérés  dans 
la  constitution  de  l'empire,  t.  h,  p.  76,  etc.) 

Il  faut  donc  distinguer  deux  sortes  de  patrices  :  les  uns ,  purement  hono- 
raires, jouissaient  des  honneurs  et  des  prérogatives  du  patriciat,  sans  exer- 
cer aucune  autorité  particulière,  en  vertu  de  ce  titre.  C'est  ainsi  que  Adalgise, 
fils  de  Didier,  roi  des  Lombards,  et  Vitigez,  roi  des  Goths,  eurent  à  la  cour 
de  Constantinople  le  rang  et  la  qualité  de  patrices.  (Hist.  du  Bas-Empire, 
t.  x,  liv.  xffv,  n.  48.  —  Annales  du  moyen  âge ,  t.  vin,  liv.  xxvn,  p.  39.) 
C'est  ainsi  que  Clovis  reçut,  en  507,  le  titre  et  les  ornements  de  cette  dignité, 
qui  lui  fut  conférée  par  l'empereur  Anastase,  en  signe  d'alliance  et  d'amitié 
réciproque.  (Hist.  de  l'Église  Gallicane,  t.  h,  année  508.  —  Hist.  du  Bas- 
Empire  j\.  vin,  liv.  39,  n.  12.  —  Daniel,  Hist.  de  France,  1. 1,  année  507  ; 
t.  n,  p.  219.  — Pagi,  Critica,  anno  508.  )  Une  autre  sorte  de  patriciat  don- 
nait à  celui  qui  en  était  revêtu,  le  gouvernement  ou  la  défense  de  quelque 
province,  au  nom  de  l'empereur,  qui  en  conservait  la  souveraineté  propre- 
ment dite.  Tels  étaient  les  patrices  de  Sicile,  d'Afrique,  de  Rome,  etc.  Le 


PREMIÈRE  PARTIE.  —  CHAPITRE  I.  239 

En  conséquence  des  promesses  faites  à  Etienne  II ,  et  sur  les 
instances  mêmes  du  pontife,  Pépin  envoya  aussitôt  à  Astolphe 
des  ambassadeurs  chargés  de  solliciter  la  restitution  des  villes 
et  territoires  enlevés  'par  lui  ou  ses  prédécesseurs  à  l'Église 
et  à  la  république  romaine  (1).  Sur  le  refus  d' Astolphe,  Pépin 
entra  en  Italie,  en  754,  avec  une  nombreuse  armée ,  tailla  en 
pièces  celle  des  Lombards,  et  poursuivit  Astolphe  jusque  dans 
Pavie,  où  il  le  tint,  pendant  plusieurs  jours,  étroitement  assiégé. 
Enfin,  le  prince  lombard,  ne  voyant  plus  de  ressource,  offrit 
d'entrer  en  accommodement,  et  promit  avec  serment,  de 
rendre  sans  délai  à  l'Église  et  à  la  république  romaine ,  la 
ville  de  Ravenne ,  avec  plusieurs  autres  (2) .  C'est  ainsi  que 
Pépin  établit,  ou  plutôt  reconnut  et  confirma  la  souveraineté 
temporelle  que  le  Pape  exerçait  déjà  longtemps  auparavant,  en 
vertu  du  libre  choix  des  peuples ,  sur  ces  provinces  abandon- 
nées de  leurs  anciens  et  légitimes  souverains.  On  doit  remar- 

titre  de  patrice  des  Romains  fut  toujours  attaché  à  celui  d'exarque  de 
Ravenne,  jusqu'à  l'extinction  de  l'exarchat,  en  752  ;  ce  qui  a  donné  lieu  à 
plusieurs  historiens,  soit  anciens,  soit  modernes,  de  prendre  l'un  pour  l'au- 
tre les  titres  de  patrice  et  d'exarque.  (Anastase  le  Bibliothéc. ,  Vita 
Adriani  I,  apud  Lahhe,  Concil.  t.  vi,  p.  1736.)  C'est  en  ce  dernier  seus  que 
Pépin  et  ses  enfants  reçurent  du  Pape  le  titre  de  patrices  des  Romains,  qui 
substituait  le  roi  de  France  à  l'exarque,  pour  la  défense  de  l'Italie.  Telle  est 
l'idée  que  tous  les  anciens  auteurs  nous  donnent  du  patriciat  de  Pépin  et 
de  Charlemagne.  Ce  n'est  que  dans  ces  derniers  temps,  qu'on  a  vu  quelques 
auteurs  attacher  à  ce  titre  la  souveraineté  de  Rome  et  de  l'exarchat.  On 
verra,  dans  le  chapitre  suivant,  combien  cette  supposition  est  peu  fondée,  et 
même  conlraire  à  l'histoire.  On  peut  consulter  là-dessus  Ducange,  Glossa- 
rium  infimœ  Latinit.,  verbo  Patricius. — Alamanni,  De  Lateranensi- 
bus  Parietinis,  cap.  1 1.  —  De  Marca,  De  Concordid,  lib.  i,  cap.  12  ;  lib  ni , 

cap.  11.  —  Pagi,  Critica  in  Annales  Baronii ,  anno  740,  n.  6,  etc. Daniel 

Hist.  de  France,  édition  du  P.  Griffet,  t.  m,  p.  254,  etc.  —  De  Maistre,  Du 
Pape,  liv.  n,  chap.  6,  p.  257. 

(1)  «  Porrô  christianissimus  Pippinus,  Francorum  rex ,  ut  verè  beati  Pétri 
«  lidelis  (i.  e.  defensor) ,  atque  jam  tanti  sanctissimi  pon'tificis  salutiferis 
«  obtemperans  monitis,  direxit  suos  missos  Aistulpho ,  nequissimo  Longo- 
«  bardorum  régi,  propter  pacis  feedera,  et  prœfatœ  sanctœ  Dei  Ecclesiœ 
«  ac  reipublicœ  restituendajura;  atque  bis  et  tertio  eum  deprecatus  est 
«  et  plura  ei  pollicitus  est  munera,  ut  tantummodo  pacificè  propria  resti- 
«  tueret  propriis.  »  Anastase,  Vita  S.  Stephani,  p.  1623. 

(2)  «  Spopondit  ipse  Aistulphus  cum  universis  suis  judicibus  (i.  e.  magna- 
«  tibns),  subterribili  et  fortissimo  sacramento,  atque  in  eodem  pacti  fœ- 
«  dere  per  scriptam  paginam  aftirmavit ,  .se  illico  redditurum  civitatem 
a  Ravennatium ,  cum  aliis  diversis  civitalibus.  »  Anastase ,  ubi  mprà 
p.  1626.  ' 


240  SOUVERAINETÉ  TEMPORELLE  DU  PAPE. 

quer,  en  effet,  d'après  le  récit  môme  d' Anastase  qui  nous  ap- 
prend ces  faits,  que  Pépin  ne  prétendit  pas  faire  à  l'Église  et 
à  la  république  romaine  une  pure  donation,  mais  leur  faire 
restituer  ce  qui  leur  avait  été  injustement  enlevé  par  les  Lom- 
bards. Aussi  le  mot  donation  est-il  employé  indistinctement 
avec  celui  de  restitution,  soit  par  Anastase,  soit  par  les  anciens 
auteurs  français  qui  ont  écrit  sur  ce  sujet ,  comme  on  le  verra 
bientôt. 

A  peine  le  roi  de  France  eut-il  quitté  l'Italie,  que  le  roi  des 
Lombards ,  au  lieu  d'exécuter  ses  promesses ,  recommença  ses 
hostilités  contre  les  Romains,  leur  enleva  plusieurs  places,  et 
ravagea,  de  tous  côtés,  les  environs  de  Rome,  sans  épargner 
Rome  assiégée  même  les  églises(i).  Dans  cette  nouvelle  extrémité,  le  Pape 
e  «««veau  ^j,^  ^  pepm  plusieurs  lettres  très-pressantes ,  pour  le  conjurer 
^ettS  pVw.*  de  mettre  enfin  un  terme  aux  calamités  de  la  religion  et  des 
tienne  ïiT  Peuples  en  Italie.  Dans  une  de  ces  lettres,  pour  frapper  davan- 
i,eP'»-      tage  l'esprit  des  Français,  et  les  exciter  plus  efficacement  à  le 
secourir,  il  emploie  un  tour  d'éloquence  que  la  nouveauté  des 
circonstances  pouvait  sans  doute  inspirer  à  un  pontife  si  zélé 
pour  le  bien  de  la  religion  et  pour  le  soulagement  des  peuples 
confiés  à  ses  soins.  C'est  au  nom  de  saint  Pierre,  qu'il  écrit  au 
roi  et  aux  seigneurs  français,  mettant  dans  la  bouche  même  du 
prince  des  apôtres  les  plus  touchantes  sollicitations ,  pour  ob- 
tenir le  secours  que  réclame  la  triste  situation  de  l'Église  et  du 
peuple  romain.  Nous  rapporterons  ici  textuellement  le  début  et 
les  principaux  traits  de  cette  lettre,  si  malignement  interprétée 
par  quelques  auteurs  modernes.  «Pierre,  appelé  à  l'apostolat 
«  par  Jésus-Christ  Fils  du  Dieu  vivant;  et  par  moi,  toute  l'Église 
«moderne,  catholique  et  apostolique;  à  vous,  très- excellents 
«princes,  Pépin,  Charles  et  Carloman,  rois;  ainsi  qu'aux  évê» 
«ques,  abbés,  ducs  et  comtes  ;  aux  armées  et  au  peuple  fran- 
«  çais....  Moi,  Pierre,  apôtre  de  Dieu,  à  qui  il  a  daigné  singu- 
«  lièrement  confier  ses  ouailles,  et  donner  les  clefs  du  ciel  j  je 
«  vous  regarde,  vous  autres  Français,  comme  mes  enfants  adop- 
«tifs;  et  comptant  sur  l'amour  que  vous  me  portez,  je  vous 

(1)  Anastase,  ibid. —  Codex  Carolinus,  Epist.  7-10.  (Cenni,  t.  i, 
p.  78,  etc.  Labbe,  Concil.  t.  vi,  p.  1632, etc.) —  Daniel,  Hist.  de  France, 
t.  h,  année  754.  —Hist.  de  l'Église  Gallicane,  t.  iv,  année  754. 


PREMIÈRE  PARTIE.  —  CHAPITRE  1.  241 

«  exhorte  et  je  vous  conjure  de  délivrer  ma  ville  de  Rome,  mon 
«peuple,  et  la  basilique  où  je  repose  selon  la  chair,  des  vio- 
«  lences  que  les  Lombards  y  commettent.  Car  cette  perfide  nation 
«opprime  cruellement  l'Église  qui  m'a  été  confiée.  Mes  chers 
«enfants,  persuadez-vous  que  je  parais  devant  vous  en  per- 
«  sonne,  pour  vous  en  conjurer  dans  les  termes  les  plus  près- 
«sants;  parce  qu'en  effet,  suivant  la  promesse  de  nôtre  Ré- 
«  dempteur,  c'est  vous,  peuple  français,  que  nous  considérons 
«  particulièrement  entre  toutes  les  nations....  La  mère  de  Dieu , 
«toujours  vierge,  vous  fait  les  mêmes  instances  que  moi.  Elle 
«vous  presse  et  vous  commande,  avec  tous  les  chœurs  des 
«  anges ,  tous  les  saints  martyrs  et  confesseurs ,  d'avoir  com- 
«  passion  des  maux  de  Rome.  Défendez-la  contre  les  Lombards, 
«  de  peur  que  ces  persécuteurs  ne  profanent  mon  corps  qui  a  été 
«  immolé  dans  les  tourments  pour  Jésus-Christ,  et  ne  souillent 
«  l'église  où  il  repose.  Secourez  au  plus  tôt  mon  peuple ,  afin  que 
«moi  Pierre,  appelé  de  Dieu  à  l'apostolat,  je  vous  protège  à 
«mon  tour  au  jour  du  jugement,  et  que  je  vous  prépare  des 
«  places  dans  le  ciel....  On  sait  que  parmi  toutes  les  nations  qui 
«  sont  sous  le  ciel,  c'est  la  nation  française  qui  a  montré  le  plus 
«  d'attachement  pour  moi  Pierre,  apôtre;  c'est  pour  cela  que  je 
«  vous  ai  recommandé  par  mon  vicaire,  de  délivrer  l'Église  que 
«  le  Seigneur  m'a  confiée  ;  c'est  moi  qui  vous  ai  secourus  dans 
«  vos  besoins,  quand  vous  avez  eu  recours  à  moi;  qui  vous  ai 
«donné  la  victoire  sur  vos  ennemis,  et  qui  vous  la  donnerai 
«encore  dans  la  suite,  si  vous  accourez  au  secours  de  ma 
«  ville  (1).  » 

Pour  peu  qu'on  se  représente  les  fâcheuses  extrémités  aux-        38. 
quelles  le  Pape  et  les  Romains  étaient  réduits,  à  cette  époque,  LVa7e8dansdu 
par  la  tyrannie  des  Lombards,  on  s'explique  aisément  la  viva-  ce*rJ^!^ • 
cité  du  style  de  cette  lettre ,  et  cette  fleure  hardie  par  laquelle  le   sans  raison 

J  *  °  A  ±  par  quelques 

Pape  met  à  la  bouche  même  du  prince  des  apôtres  les  exhorta-  auteurs  mo. 

i  .  i-i  dénies. 

tions  pressantes  quil  adresse  aux  Français,  pour  obtenir  leur 
secours.  «  Cette  méthode  de  faire  parler  les  morts ,  dit  à  ce  sujet 
«  un  historien  célèbre,  était  familière  aux  anciens  orateurs  (2)  ;  » 

(1)  Cod.  [Carol.  Epist.  10  (aliàs  3).  (Cenni,  %ibï  suprà,  p.  98.  — Labbe, 
ubi  suprà,  p.  1639.) 

(2)  Gibbon,  Hist.  de  la  Décad.  de  l'Empire,  t.  ix,  chap.  49,  p.  306. 
Après  un  pareil  aveu,  on  est  surpris  de  lire,  au  même  endroit,  que  le  Pape 

16 


242         SOUVERAINETÉ  TEMPORELLE  DU  PAPE. 

et  jamais  peut-être  elle  n'avait  été  employée  dans  une  occasion 
plus  importante,  puisqu'il  ne  s'agissait  de  rien  moins  que  de  la 
délivrance  du  chef  de  l'Église,  menacé  par  des  ennemis  achar- 
nés à  sa  perte. 

Conçoit-on,  après  cela,  que  des  auteurs  judicieux  aient  pu 
voir  dans  cette  lettre  une  supercherie  ou  une  fiction  indigne 
de  la  gravité  de  celui  qui  l'a  employée?  A  entendre  Fleury ,  et 
quelques  auteurs  qui  l'ont  suivi,  la  lettre  que  nous  venons  de 
citer  est  pleine  d'équivoques;  et  par  un  artifice  sans  exemple 
dans  toute  V histoire  de  l'Église ,  les  motifs  de  la  religion  y 
sont  employés  pour  une  affaire  oVÉtat{\)\  comme  si  la  déli- 
vrance du  chef  de  l'Église,  opprimé  par  Astolphe,  et  celle  de 
l'Église  romaine,  cruellement  persécutée  par  les  Lombards, 
étaient  une  simple  affaire  d'État ,  et  non  une  affaire  du  plus 
haut  intérêt  pour  la  religion.  «  La  défense  de  Rome,  dit  à  ce 
«  sujet  un  auteur  non  suspect ,  était  considérée  comme  une 
«  guerre  religieuse,  parce  que  les  Lombards  étaient  les  uns 
«  Ariens,  les  autres,  attachés  encore  au  paganisme  ($).»  Au  reste, 
ce  n'est  pas  la  seule  occasion  où  Fleury,  et  après  lui  tant  d'écri- 
vains entraînés  par  son  exemple  ;  faute  d'avoir  bien  compris  la 
situation  des  papes  du  moyen  âge,  c'est-à-dire,  leur  double 
caractère  de  pasteurs  spirituels ,  et  de  chefs  ou  représentants 

employa  cette  belle  figure  avec  la  grossièreté  de  V époque  où  il  écrivait.  On 
ne  voit  pas  sur  quoi  porte  ce  reproche  de  grossièreté,  à  l'occasion  d'un  tour 
d'éloquence  que  l'auteur  convient  avoir  été  familier  aux  anciens  ora- 
teurs. Rien,  en  effet,  de  plus  ordinaire  aux  orateurs,  soit  anciens,  soit  mo- 
dernes, que  le  langage  figuré  qui  personnifie  les  choses  inanimées,  et  les  morts 
eux-mêmes ,  pour  donner  plus  de  force  et  de  vivacité  au  discours.  L'Écri- 
ture sainte  elle-même  en  offre  une  foule  d'exemples.  Voyez  entre  autres , 
Isaïe,  xiv,  10;  Jérém.  xxxi,  15;Ézéchiel,  xxxii,  21;  Matth.  n,  18. 

(1)  Fleury,  Hist.  Ecclés.,  t.  ix,  liv.  xliii, n.  17.  Ces  réflexions  de  Fleury 
ont  été  répétées  par  un  certain  nombre  d'auteurs ,  entraînés  sans  doute  par 
son  exemple.  Voyez  en  particulier  Muratori,  Annales  d'Italie,  année  755. — 
Lebeau,  Hist.  du  Bas-Empire,  t.  vm,  liv.  64,  n.  28.  —  Annales  du  moyen 
âge,  t.  vu,  liv.  xxiv,  p.  58.  —  Michaud,  Hist.  des  Croisades,  t.  iv,p.  462.  — 
De  Héricourt ,  Lois  Ecclésiastiques  de  France ,  ive  partie,  p.  185.  —  Dau- 
nou,  Essai  hist.  sur  la  Puissance  temporelle  des  Papes,  t.  i,  p.  33; 
t.  ii ,  p.  68 ,  etc.  —  Gaillard  ,  Hist.  de  Charlemagne ,  1. 1,  p.  209.  —  Sis- 
mondi ,  Hist.  des  Français,  t.  n ,  2e  partie,  chap.  1,  p.  194.  Sur  ce  point , 
comme  sur  bien  d'autres,  YHist.  de  l  Église  de  M.  Receveur  peut  servii*  de 
correctif  à  celle  de  Fleury  et  des  auteurs  qui  l'ont  suivi.  (Voyez  en  particu- 
lier, t.  iv,  p.  89,  etc.  ) 

(2)  Sismondi ,  Hist.  des  Républ.  ltal.y  1. i,  chap.  3,  p.  122. 


PREMIÈRE   PARTIE.  —  CHAPITRE  I.  243 

de  la  république  romaine ,  qui  leur  avait  confié  ses  intérêts 
temporels,  ont  attribué  à  une  politique  tout  humaine  des  dé- 
marches impérieusement  exigées  par  l'intérêt  commun  de  la 
religion  et  de  l'État  (l). 

Touché  des  instances  du  pontife,  Pépin  vola  de  nouveau  à        39 

1  '         r  Seconde 

son  secours,  en  755.  Le  seul  bruit  de  sa  marche  obligea  As-  expédition  de 
tolpheà  lever  le  siège  de  Rome,  qui  durait  depuis  trois  mois,  itai2T«w- 
Arrivé  en  Italie,  le  roi  de  France  poussa  si  vivement  le  siège  au ^Tint-siège 
de  Pavie,  qu'il  réduisit  encore  Astolphe  à  lui  demander  la  paix.  ^Veplï!" 
Pépin  l'accorda ,  mais  à  des  conditions  plus  dures  que  l'année 
précédente;  et  pour  punir  Astolphe  de  sa  perfidie,  il  ajouta  la 
ville  et  le  territoire  de  Comachio  aux  autres  villes  et  territoires 
qu' Astolphe  s'était  déjà  engagé,  l'année  précédente,  à  rendre  au 
saint-siége.  Pour  assurer  l'exécution  de  ce  traité ,  Pépin  laissa 
en  Italie  Fulrade,  abbé  de  Saint-Denis,  qui  se  rendit  en  per- 
sonne dans  toutes  les  villes  cédées  à  l'Église  romaine,  et  en  re- 
çut les  clefs,  qu'il  vint  ensuite  déposer  sur  la  confession  de 
saint  Pierre,  avec  Y  acte  de  la  donation ,  que  le  roi  des  Lom- 
bards lui -môme  en  faisait  pour  toujours  au  saint-siége  :  en  sorte 
que  la  possession  des  villes  et  territoires  dont  il  s'agit,  lui  fut 
alors  assurée  par  deux  actes  de  donation  très-distincts,  dont 
l'un  avait  été  dressé  par  Pépin ,  dans  l'assemblée  de  Quierzy,  en 
754,  et  l'autre  par  Astolphe  lui-même,  à  la  réquisition  de 
Pépin,  en  755  (2). 


(l)Flenry,  Ibid.,\iw.  xlhi,  n.  15,  17, 31  ;  liv.  xliv,  n.  17 ';et alibi  pas sim. 
—  Annales  du  moyen  âge,  Ibid-,  p.  58,  72,  etc.  —  M.  Ferrand,  un  des  écri- 
vains de  nos  jours  qui  ont  jugé  avec  plus  de  sévérité  la  conduite  des  papes  du 
moyen  âge ,  cite  fréquemment  Fleury  à  l'appui  de  ses  jugements,  et  regarde 
son  Hist.  Ecclésiastique  comme  le  meilleur  guide  à  suivre,  pour  passer 
entre  les  écueils  que  présente  l'étude  de  l'histoire  du  moyen  âge ,  relative- 
ment à  la  puissance  temporelle  et  spirituelle  des  papes.  Ferrand,  Esprit  de 
V Histoire,  t.  n,  lettre  42,  p.  429. 

(2)  «  De  quibus  omnibus  receptis  civitatibus,  donattonemin  scriptis,  à 
«  beato  Petto  et  à sanctâ  Romanâ  Ecclesiâ,  vel  omnibus  in  perpetuum  pontifi- 
«  cibus  apostolicœ  sedis,  (Aislulphas)  emisit  possidendam,  quœusque  hac- 
«  tenus  in  archivo  sanclœ  Ecclesiœ  recondita  tenetur.. . .  Prœnominatus 
«  autem  Fulradus,  venerabilis  abbas,  ipsas  claves  tam  Ravennatium  urbis, 
«  quàm  diversarum  civitatum  ipsius  Ravennatium  exarchatûs,  unà  cum 
«  supra  scriptâ  donatione  de  eis  à  suo  rege  emissâ ,  in  confessione 
«  beati  Petii  ponens,  eidem  apostolo  et  ejus  vicario  sanctissimo  Papa?, 
«  atque  omnibus  ejus  successoribus  pontificibus,  perenniter  possidendas  at- 

16. 


244  SOUVERAINETÉ   TEMPORELLE   DU  PAPE. 

Toutes  les  villes  comprises  dans  cette  dernière  donation,  et 
dont  Anastase  fait  rénumération ,  étaient  au  nombre  de  vingt- 

«  que  disponendas  tradidit.  «  Anastase,  VitaStephanilI.  (Labbe,  Concil. 
t.  vi,  p.  1627  et  1628.) 

Fleury,  le  P.  Daniel ,  le  P.  Longueval,  avec  la  plupart  des  historiens  mo- 
dernes, supposent  que' l'acte  de  donation  dont  il  est  ici  question,  et  qui  fut 
déposé  par  Fulrade  sur  »la  confession  de  saint  Pierre,  est  l'acte  même  de  la 
donation  de  Pépin.  Il  paraît  que  c'est  une  méprise  :  le  texte  d' Anastase,  que 
nous  venons  de  citer,  dit  assez  clairement  que  l'acte  dont  il  s'agit  en  cet 
endroit  fut  dressé  et  signé  par  Astolphe,  qui  l'envoya  à  Rome  pour  être  dé- 
posé sur  la  confession  de  saint  Pierre.  Le  texte  d' Anastase  suppose  donc 
que  la  possession  des  villes  et  territoires  dont  il  est  ici  question  fut  alors  as- 
surée au  saint-siége  par  deux  actes  de  donation  très-distincts,  dont  l'un 
avait  été;  dressé  par  Pépin  dans  l'assemblée  de  Quierzy,  en  754,  comme  on 
l'a  vu  plus  haut  (page  237,  etc.)  ;  et  l'autre  fut  dressé  par  Astolphe ,  en  755 , 
à  la  réquisition  de  Pépin.  Au  reste,  on  ne  peut  douter  que  Pépin,  qui  ré- 
duisit Astolphe  à  la  nécessité  de  faire  cet  acte  de  donation,  n'en  ait  lui- 
même  dicté  ou  déterminé  en  détail  toutes  les  dispositions.  Sous  ce  rapport, 
\a]donation  de  Pépin  se  confond  avec  celle  d' Astolphe  ;  et  la  seconde  n'était 
au  fond  qu'un  renouvellement  et  une  confirmation  authentique  de  la  pre- 
mière. 

Quelques  auteurs  modernes  sont  tombés  dans  une  erreur  beaucoup  plus 
grave,  en  élevant  des  doutes  sur  la  réalité  de  la  donation  de  Pépin,  sous 
prétexte  que  les  dispositions  qu'elle  renferme  ne  sont  mentionnées  par  aucun 
auteur  contemporain ,  et  que  l'acte  lui-même  ne  nous  est  connu  que  par 
Anastase  le  Bibliothécaire ,  dont  l'ouvrage  parut  environ  un  siècle  plus  tard 
(Voltaire ,  Annales  de  l'Empire  ;  Essai  sur  les  Mœurs ,  et  alibi  passim. 

—  Daunou,  Essai  hist.,  1. 1,  p.  34,  etc.)  Les  auteurs  qui  ont  proposé  cette 
difficulté  ignoraient  sans  doute  que  la  donation  de  Pépin ,  telle  que  la 
rapporte  Anastase,  est  connue  par  des  manuscrits  plus  anciens  que  lui,  du 
moins  au  jugement  de  plusieurs  critiquas  habiles,  qui  les  ont  eus  sous  les 
yeux,  et  qui  en  citent  des  fragments.  (Juste  Fontanini ,  Defens.  i«  Dominii 
temp.  S.  Sedis  in  Comachium ,  italicè  scripta.  Romœ,  1709,  in-4°,  p.  242 
et  346.  — Bianchini,  Proleg.  ad  Anastas.  de  Vit is  Pontifie,  t.  n,  p.  55.) 
Mais ,  en  supposant  même  qu'Anastase  soit  le  plus  ancien  auteur  qui  ait 
parlé  de  cette  donation ,  avec  quelle  apparence  de  raison  voudrait-on  ré- 
cuser son  témoignage  sur  un  fait  de  cette  nature,  et  à  l'appui  duquel  il 
cite  avec  confiance  les  actes  qui  se  conservaient ,  de  son  temps,  dans 
les  archives  de  V Église  romaine  ?  (  Outre  le  passage  d'Anastase  que  nous 
avons  cité  au  commencement  de  cette  note,  voyez  encore  celui  que  nous 
avons  indiqué  plus  haut,  d'après  la  Vie  d'Adrien  Ier,  ci-dessus,  p.  238, 
note  l.)Il  est  certain  d'ailleurs  que  ce  fait  est  clairement  supposé  et  con- 
firmé par  plusieurs  actes  postérieurs ,  spécialement  par  un  grand  nombre 
de  lettres  d'Etienne  II  et  de  ses  successeurs  à  Pépin  et  à  Charlemagne.  Cod. 
Carol.  Epist.  7,  8,  9,  15,  40,  42,  97  (aliàs4,  6,  9,  19,  26,  36,  85).  (Cenni, 
Monument.  Domin.  Pontifie,  t.  i,  p.  81,  85,  91,  144,  228,  239,  521,  etc.) 
Aussi  l'authenticité  de  la  donation  de  Pépin  est- elle  généralement  reconnue, 
même  par  les  auteurs  les  moins  favorables  au  saint-siége  ;  voyez  en  particu- 
lier Gibbon ,  Hist.  de  la  Décad-  de  l'Empire,  t.  ix,chap.  49,  p.  315. 

—  Hegcwisch,  Hist.  de  Charlemagne,  p.  128.  — Guizot,  Hist.  de  la  Civilis. 
en  France,  27e  leçon,  p.  31G. 


PREMIÈRE   PARTIE. — CHAPITRE  I.  245 

deux;  elles  formaient  la  plus  grande  partie  de  l'exarchat  de  Ra- 
venne,  avec  une  partie  delaPcntapole,  ou  de  l'ancien  Picénum. 
La  plupart  étaient  situées  le  long  des  côtes  de  la  mer  Adria- 
tique, ou  à  peu  de  distance  de  ces  côtes,  dans  un  espace 
d'environ  quarante  lieues,  du  nord-ouest  au  sud-est.  Ainsi,  tout 
le  pays  compris  dans  la  donation  dont  il  s'agit,  était  borné,  au 
nord  et  au  couchant,  par  le  Pô  et  le  Tanaro;  au  midi,  par  les 
Apennins;  et  à  l'orient,  par  la  mer  Adriatique.  Cette  donation 
comprenait  aussi  la  ville  de  Narni,  dans  l'Ombrie,  qui  dépen- 
dait du  duché  de  Rome,  et  dont  les  Lombards  de  Spolette 
s'étaient  emparés  (1). 

Ce  qu'il  y  a  de  plus  remarquable  dans  la  donation  de  Pépin ,        4o. 
comme  dans  celle  d'Astolphe,  qui  en  fut  la  conséquence  et  la  J^J1™*^ 
confirmation  authentique,  c'est  que  les  deux  monarques,  en  f  '.endent iîas 

-*•       *  x  x  *  iaire  au  saml- 

assuranl;  au  saint-siége  les  villes  et  territoires  dont  nous  venons    siésc  ,me 

,.•-..  .  pure  donation  , 

de  parler,  ne  prétendaient  pas  lui  faire  une  pure  donation ,     «nais  une 

.....  7  .  /  î-w-T-,        restitution. 

mais  une  restitution  des  provinces  usurpées  par  les  Lombards 
sur  r Église  et  la  république  romaine.  C'est  à  ce  titre  que  le 
Pape  et  le  roi  de  France  réclamèrent  constamment  ces  provin- 
ces ,  et  que  le  roi  des  Lombards  lui-même  les  rendit  au  saint- 
siège,  comme  il  résulte  du  récit  uniforme  des  plus  anciens  au- 
teurs, soit  français,  soit  étrangers  (2).  Il  était  en  effet  bien 

(1)  Sur  ces  détails  géographiques,  voyez  ci-dessus,  la  note  1  de  la  p.  205; 
voyez  aussi  Lecointe,  Annales  Ecoles. ,  t.  v,  anno  755,  §  17,  etc.  —  Anna- 
les du  moyen  âge,  tom.  vu,  p.  67,  etc. — D.  Lieble,  Mémoire  sur  les  limites 
de  V Empire  de  Charlemagne.  Paris,  1764,  in-12,  p.  42,  elc. 

(2)  Voyez  les  divers  passages  d'Anastase  que  nous  avons  cités  plus  haut 
(p.  235,  237,  239). 

Le  langage  d'Éginhard,  dans  ses  Annales,  est  tout  à  fait  conforme,  sur  ce 
point ,'•  à  celui  d'Anastase.  «Pippinus,  dit-il ,  invitante  Romano  Pontifice, 
«propter  ereptd  Romance  Ecclesiœ  per  regem  Longobardorum  dominia, 
«  Italiam  manu  valida  ingreditur.  »  Et  un  peu  plus  bas  :  «  Haistolphus 
«  Longobardorum  rex ,  quanquam  anno  superiore  obsides  dedisset,  et  ad 
«  reddendum  ea  quœ  Romance  Ecclesiœ  abslulerat ,  tàm  se  quàm  opti- 
«■  mates  suos  jurejurando  obstrinxisset ,  etc.  »  Enfin,  il  ajoute  que  Pépin 
s' étant  fait  rendre  par  Astolphe  la  ville  de  Ravenne,  la  Pentapole  et  tout 
l'Exarchat,  les  livra  lui-même  à  saint  Pierre:  «  Redditamque  sibi  Ra- 
«  vennam,  et  Pentapolim ,  et  omnem  Exarchatum  ad  Ravennam  pertinen- 
ce tem,  ad  sanctum  Petrum  tradidit.  »  Eginhard,  Annales,  ann.  755  et  756. 
(T.  11  du  Recueil  de  Duchesne,  p.  235,  etc.) 

Tous  ces  passages  sont  cités,  à  l'appui  de  notre  sentiment,  par  le  P.  Tho- 
massin,  ubi  suprà,  chap.  29,  n.  6,  etc.  —  Orsi,  Del  Dominio ,  etc. ,  cap.  Q, 
vers  la  fin.  —  De  Maistre,  Du  Pape,  liv.  11,  chap.  6.  p.  254. 


Réclamations 


acte. 


246  SOUVERAINETÉ   TEMPORELLE   DU   PAPE. 

naturel  de  regarder  comme  appartenant  à  l'Église  et  à  la  ré- 
publique romaine,  des  provinces  abandonnées  depuis  long- 
temps de  leurs  anciens  maîtres,  et  qui,  dans  l'extrémité  où  elles 
étaient  réduites ,  s'étaient  librement  placées  sous  la  protection 
du  saint- siège  (1). 
Ce  n'est  pas  que  l'empereur  de  Constantinople  ne  prétendît 
inutnës"""  conserver  ses  droits  sur  les  provinces  usurpées  par  les  Lom- 
econtnreeCeetUr  bards.  Il  envoya  même  des  ambassadeurs  à  Pépin,  en  755,  pour 
le  presser  de  restituer  à  l'empire  l'exarchat  de  Ravenne,  avec 
les  villes  et  territoires  qui  en  dépendaient  (2).  Mais  Pépin  rejeta 

(1)  Quelques  écrivains  modernes,  faute  d'avoir  remarqué  ou  bien  compris 
en  quel  sens  la  donation  de  Pépin  pouvait  être  considérée  comme  une  res- 
titution faite  à  l'Église  romaine,  ont  proposé  différentes  explications  du 
mot  de  restitution  employé,  en  cette  occasion,  par  les  anciens  auteurs. 

Le  P.  Longueval  soupçonne  que  ces  auteurs  font  allusion  à  la  prétendue 
donation  de  Constantin,  qu'ils  croyaient  authentique.  (Hist.  de  l'Église 
Gallicane,  tom.  îv,  année  754,  pag.  376.)  Cette  conjecture  suppose  que  l'acte 
de  la  donation  de  Constantin,  tel  qu'on  le  lit  aujourd'hui  dans  la  collection 
des  conciles,  existait  dès  le  temps  de  Pépin;  supposition  gratuite,  invrai- 
semblable, et  généralement  abandonnée  des  savants,  comme  nous  l'avons 
montré  ailleurs.  (Voyez  le  n.  1  des  Pièces  justificatives,  à  la  tin  de  ce  volume.) 

Le  P.  Alexandre,  Cenni,  et  quelques  autres,  persuadés  que  cet  acte  ne  parut 
qu'au  ix.e  siècle,  et  par  conséquent  depuis  les  donations  de  Pépin  et  de 
Charlemagne  au  saint-siége,  sont  fort  embarrassés  pour  expliquer  le  mot  de 
restitution,  que  les  anciens  auteurs  donnent  à  ces  donations.  Ils  croient 
pouvoir  expliquer  ce  mot  en  disant,  1°  qu'il  ne  s'applique  point  à  toutes  les 
villes  et  provinces  données  au  saint-siége  par  Pépin  et  Charlemagne,  mais 
seulement  aux  patrimoines  du  saint-siége,  dont  les  Lombards  s'étaient  em- 
parés ;  2°  que  les  anciens  auteurs  ont  pu  considérer  comme  une  restitution 
faite  au  saint-siége,  toutes  les  villes  et  provinces  qui  lui  furent  données 
par  nos  rois ,  depuis  la  première  donation  que  Pépin  lui  en  avait  taite  dans 
l'assemblée  de  Quierzy,  en  754,  avant  sa  première  expédition  en  Italie.  (Natal. 
Alex.  Dissert.  25  in  Hist.  sœculi  iv,  art.  1,  prop.  6,  obj.  3.  —Cenni, 
Monumenta  Dominationis  Ponlif.,  tom.  i,  pag.  76,  note  5.) 

Mais  ces  explications  sont  inconciliables  avec  le  langage  des  anciens  au- 
teurs ;  car,  1°  il  est  certain  qu'ils  se  servent  du  mot  de  restitution,  non-seu- 
lement en  parlant  des  patrimoines  du  saint-siége,  dont  les  Lombards  s'é- 
taient emparés,  mais  généralement  en  parlant  de  toutes  les  villes  et  territoires 
donnés  au  saint-siége  par  nos  rois  ;  2°  il  est  également  certain  qu'avant  l'as- 
semblée de  Quierzy,  tenue  en  754,  et  par  conséquent  avant  que  Pépin  eût  rien 
donné  au  saint-siége,  Anastase  représente  la  ville  de  Havenne  et  plusieurs 
autres ,  dont  les  Lombards  s'étaient  emparés ,  comme  appartenant  à  l'Église 
et  à  la  république  romaine,  et  à  ce  titre  devant  être  restituées  au  saint- 
siége.  On  peut  voir,  à  l'appui  de  ces  assertions,  les  témoignages  d' Anastase, 
que  nous  avons  cités  plus  haut  (pag.  235,  237  et  239.) 

(2)  Anastase,  Vita  Stephani  II,  p.  1627.  —  Fleury,  Hist.  Ecclés.,  t.  ix, 
liv.  xLiii,  n.  18.  — Annales  du  moyen  âget  t.  vu,  liv.  xxiv,  p.  64 


PREMIERE   PARTIE. — CHAPITRE   I.  247 

bien  loin  cette  proposition ,  et  déclara  qu'il  ne  souffrirait  jamais 
que  cette  province  fût  enlevée  à  l'Église  romaine.  11  ajouta 
même  avec  serment,  qu'il  n'avait  entrepris  son  expédition  en 
Italie  par  aucune  considération  humaine,  mais  uniquement 
pour  l'amour  de  saint  Pierre ,  et  pour  obtenir  le  pardon  de  ses 
péchés.  Ce  langage  de  Pépin  n'était  pas  moins  conforme  aux 
principes  de  l'équité ,  qu'aux  sentiments  d'une  véritable  piété. 
Convenait-il  en  effet  que  ce  prince  entreprît  une  pareille  expé- 
dition pour  l'intérêt  de  l'empereur,  évidemment  incapable  de 
défendre  ses  anciennes  possessions  en  Italie,  et  qui,  depuis  si 
longtemps,  se  montrait  plutôt  l'ennemi  déclaré  que  le  maître 
de  ces  provinces?  Çonvenait-il  de  rendre  à  un  tel  maître  une 
conquête  si  importante?  Et  pour  ne  pas  la  rendre  inutile,  n'é- 
tait-il pas  naturel  de  la  céder  à  celui  que  l'intérêt  et  le  vœu  des 
peuples  conquis  appelaient  évidemment  à  les  gouverner  ;  à  celui 
qui  avait  déjà,  en  quelque  façon,  acquis  ces  provinces,  parle 
libre  choix  des  peuples  abandonnés  de  leur  légitime  souverain, 
et  par  la  généreuse  protection  qu'il  leur  avait  tant  de  fois  don- 
née, dans  les  circonstances  les  plus  difficiles? 

Un  tel  concours  de  circonstances  autorisait  de  plus  en  plus  le        4*. 
pape  Etienne  II  et  ses  successeurs,  à  se  regarder  comme  les  vé-  depJs^eYte 
ritables  souverains  de  Rome  et  de  l'exarchat.  Aussi  les  papes,  épT3er'dee  re" 
depuis  cette  époque,  se  conduisirent-ils  en  effet  comme  sou-  co^"^ns^' 
verains  de  ces  provinces,  et  se  crurent-ils  définitivement  af-   1(ome  et  de 

i/  -t  11  >  i      i  l'exarchat. 

franchis  de  toute  dépendance  à  regard  des  empereurs  de 
Constantinople  (1).  Le  pape  Etienne  II,  dans  plusieurs  lettres 
écrites  à  Pépin,  depuis  l'an  754,  réclame  toujours  sa  protection, 
au  nom  de  la  république  et  du  peuple  romain ,  dont  il  parle 
comme  de  son  peuple  et  de  ses  sujets ,  sans  faire  aucune  men- 
tion de  l'empereur  (2).  Dans  une  autre  lettre,  il  parle  d'une 

Cenni,  Monumenta  Dominationis  Pontificiœ,  1. 1,  p.  64.— De  Maistre,  Du 
Pape,  liv.  11,  chap.  G.  p.  255. 

(1)  Alamanni,  De  Lateranensibus  Parietinis,  cap.  H.  — Orsi,  Délia  ori- 
gine delDominio,  etc.,  cap.  8.  —  Cenni,  Monumenta  Domin.  Pontif., 
t.  1,  p.  12,  67,  68,  et  alibi passim.  —  Vagi ,  Crilica  in  Annales  Baronii, 
anno  755,  n.  6  ;  anno  796,  n.  1 1,  etc.  —  Nat.  Alex.  Dissert.  25  in  Hist.  Eccl. 
sœculi  îv,  art.  1,  prop.  5  et  6.  —  Tiiomassin,  Ancienne  et  nouv .  Discipline 
t.  m,  liv.  1,  chap.  27,  n.  8;  chap.  29,  n.  1,  etc. 

(2)  Voyez  les  lettres  du  pape  Etienne  II,  que  nous  avons  citées  en  note, 
p.  240  et  241. 


248 


SOUVERAINETE   TEMPORELLE   DU  PAPE. 


alliance  qu'il  vient  de  contracter  avec  Didier,  roi  des  Lombards; 
des  restitutions  que  ce  prince  a  promis  de  faire,  non  à  l'em- 
pereur, mais  à  saint  Pierre,  à  V Église,  et  à  la  république 
romaine;  enfin,  de  la  paix  qu'il  a  promis  d'observer  avec  le 
peuple  ou  les  sujets  du  Pape(l).  Paul  1er,  successeur  d'É- 
tiennell,  suppose  plus  clairement  encore,  dans  plusieurs  de 
ses  lettres  à  Pépin,  la  souveraineté  temporelle  et  indépendante 
du  saint-siége,  dans  le  ducbé  de  Rome  et  dans  l'exarchat  (2). 
Non-seulement,  il  parle  de  plusieurs  villes  de  ces  provinces, 
comme  lui  appartenant,  et  comme  étant  soumises  à  sa  domi- 
nation (3)  ;  mais  il  se  plaint  hautement  du  dessein  formé  par 
l'empereur,  de  recouvrer  le  duché  de  Rome  et  l'exarchat ,  avec 
le  secours  de  Didier,  roi  des  Lombards;  il  conjure  Pépin  de 
s'opposer,  de  tout  son  pouvoir,  à  l'exécution  de  ce  projet;  et  à 
cette  occasion,  il  parle  de  l'empereur,  non  comme  de  son  sou- 
verain ,  mais  comme  d'un  ennemi  déclaré  de  l'Église  et  de  la 
république  romaine.  «  Nous  avons  appris,  dit  le  Pape  au  roi  de 
France,  que  les  Grecs,    ces  ennemis  jurés  de  l'Église  de 
Dieu ,  ces  cruels  persécuteurs  de  la  foi  orthodoxe ,  méditent 
une  expédition  contre  nous,  et  contre  l'exarchat  de  Ravenne. 
C'est  pourquoi,  comme  après  Dieu  et  saint  Pierre,  nous  avons 
remis  toutes  nos  espérances  en  votre  protection,  nous  avons 
recours  à  vous,  très- excellent  fils  :  procurez,  pour  l'amour  de 
Dieu  et  de  saint  Pierre,  le  salut  d'une  province  que  vous  avez 
délivrée  par  vos  armes.  Nous  l'espérons  d'autant  plus,  que 
Votre  Excellence  est  pleinement  convaincue  que  les  Grecs  ne 
nous  persécutent  qu'en  haine  de  la  foi  orthodoxe  et  de  la  tra- 
dition des  saints  Pères,  qu'ils  s'efforcent  de  détruire  (4).  » 

(1)  «  Longobardorum  rex  Desiderius ,  vir  mitissimus ,  in  praesentià  ipsius 
Fulradi,  sub  juramento  pollicitus  est  restituendum  B.  Petro  civitaies  re- 

liguas,  Faventiam,  Imolam  et  Ferrariam  cum  eorum  finibus Etpost- 

modum,  per  Garinodum  ducem  et  Grimoaldum,  nobis  reddendum  spo- 
pondit  civitatem  Bononiam  cum  finibus  ejus,  et  inpacis  quiète  cum 
eâdem  Dei Eeclesiâ  et  nostro  populo  semper  mansurum  prof essus  est.» 

Cod.  Carol.  Epist.  1 1  (alias  8).  (Cenni ,  Monumenta ,  1. 1,  p.  109  et  110.  — 
Labbe,  Concil.  t.  yi,  p.  1642.) 

(2)  Cenni,  Monumenta  Dom.  Pontif.,  t.  i,  p.  12,  67,  68, 122,  131,  etc. 

(3)  Nostras  civitates Nostram  Seno-Galliam  (in  Pentapoli) 

Nostrum  Castrum  Valentis  (in  Campaniâ).  Cod.  Carol.  Epist.  38,  39, 
40  (aliàs,  14,  24  et  26.)  (Cenni,  ibid.,  p.  218,  etc.) 

(4)  Cod.  Carol.  Epist.  25  (aliàs  34).  Voyez  aussi  Epist.  18  (aliàs  15). 


r-REMIÈRE   I»ÀRTIE.  —  CHAPITRE    I.  249 

Le  sénat  et  le  peuple  romain,  et  le  roi  de  France  lui-même,        43. 
étaient  manifestement  alors  clans  la  même  persuasion,  relative-  au^JSêHL 
ment  à  la  souveraineté  temporelle  du  Pape  dans  les  provinces  *£*££* 
dont  il  s'agit.  Une  lettre  du  sénat  et  du  peuple  romain,  écrite  à  p,e  romain, 

°  *        *  •  et  par  le  roi  de 

Pépin  au  commencement  du  pontificat  de  Paul  1er,  nous  ap-     France. 
prend  que  le  roi  de  France,  en  qualité  de  défenseur  de  V Église, 
leur  avait  écrit  «  pour  les  avertir  de  demeurer  fermes  dans  la 
«  fidélité  qu'ils  devaient  à  saint  Pierre,  à  la  sainte  Église,  et  au 

(Cenni,  ubi  supra,  p.  153  et  175.  — Labbe,  Conciliorum  t.  vi,  p.  1676 
et  1684.  —  Hist.  de  VÉglise  Gallicane,  t.  iv,  p.  421.) 

Fleury,  dans  son  Histoire  Ecclésiastique  (t.  ix,  liv.  xliii,  n.  31),  blâme 
hautement  la  conduite  et  le  langage  du  pape  Paul  Ier  à  l'égard  de  l'em- 
pereur de  Conslantinople.  Il  reproche  à  ce  pontife  ,  comme  à  son  prédé- 
cesseur Etienne  II,  de  confondre  toujours  le  temporel  avec  le  spirituel; 
d'avoir  fait  plus  de  difficulté  d'obéir  aux  Lombards,  que  les  anciens 
papes  n'avaient  fait  d'obéir  aux  Hérules  et  aux  Goths  ariens ,  etc. 
Rien  n'est  plus  mal  fondé  que  ces  reproches.  Nous  avons  déjà  remarqué,  et 
il  est  d'ailleurs  assez  clair,  que  la  délivrance  du  chef  de  l'Église  et  de  son 
peuple,  opprimés  parles  Lombards,  n'était  point  une  affaire  purement 
temporelle,  mais  une  affaire  du  plus  haut  intérêt  pour  la  religion.  (Ci-dessus, 
p.  242.)  Quant  à  l'obéissance  du  Pape  aux  Lombards ,  on  ne  voit  pas  à  quel 
titre  ceux-ci  eussent  pu  l'exiger,  puisqu'ils  ne  furent  jamais  en  possession  de 
Rome,  et  que  leurs  conquêtes  en  Italie,  principalement  dans  le  duché  de 
Rome  et  dans  l'exarchat,  étaient  au  fond  des  actes  de  violence  et  d'usurpa- 
tion. Fleury  surtout  est  d'autant  moins  fondé  à  reprocher  aux  papes  du 
vme  siècle,  d'avoir  fait  difficulté  d'obéir  aux  Lombards ,  qu'il  regarde  l'em- 
pereur de  Constantinople  comme  étant  encore,  à  cette  époque,  le  vrai 
souverain  de  Rome.  (  Fleury,  ubi  supra.  )  Au  reste,  il  est  à  remarquer  que 
l'opinion  de  Fleury,  sur  ce  dernier  point,  est  en  opposition  manifeste  avec  les 
monuments  qu'il  invoque.  Pour  prouver  que  le  sénat  et  le  peuple  romain  con- 
tinuaient alors  de  regarder  V empereur  de  Constantinople  comme  le  vrai 
souverain  de  Rome,  il  se  fonde  sur  deux  raisons  :  la  première,  que  les  let- 
tres du  pape  Paul  1^,  aussi  bien  que  des  autres,  sont  datées  du  règne 
de  V empereur  de  Constantinople  ;  la  seconde,  que  le  sénat  et  le  peuple  ro- 
main, écrivant  à  Pépin  ,  ne  nomment  pas  le  Pape  leur  seigneur,  mais  leur 
pasteur  et  leur  père  spirituel.  Outre  que  ces  deux  raisons  ne  sont  pas,  par 
elles-mêmes,  fort  concluantes,  elles  sont  uniquement  fondées  sur  de  fausses 
suppositions;  car,  1°  la  plupart  des  lettres  du  pape  Paul  1er  ne  sont  point  da- 
tées du  règne  de  l'empereur  de  Constantinople;  deux  seulement,  dans  la 
collection  des  Conciles  (t.  vi,  p.  1G89  ) ,  portent  cette  date;  encore  est-elle 
jointe,  dans  une  des  deux,  à  la  date  du  règne  de  Pépin.  (Voyez  le  recueil  des 
lettres  du  Pape  Paul  Ie'-,  dans  la  collection  des  Conciles  du  P.  Labbe,  et  dans 
l'ouvrage  de  Cenni ,  Monumenta,  1. 1.)  2°  Le  sénat  et  le  peuple  romain,  dans 
leur  lettre  à  Pépin,  que  nous  citerons  un  peu  plus  bas,  n'appellent  pas  seu- 
lement le  Pape  leur  pasteur  et  leur  père ,  mais  ils  l'appellent  aussi  leur 
seigneur.  {Cod  Carol.  Epistol.  1 5 ;  aliàs  36,  apud  Cenni ,  ibid.,  p.  143.) 
Nous  examinerons  de  plus  près,  dans  le  chapitre  suivant,  la  question  de  la 
souveraineté  de  Rome  à  cette  époque. 


250  SOUVERAINETÉ   TEMPORELLE  DU  PAPE. 

«souverain  pontife  Paul,  leur  seigneur.»  Ils  ajoutent  que, 
pour  répondre  à  cette  sage  invitation,  «ils  demeureront  con- 
stamment fidèles  à  la  sainte  Église  et  à  leur  seigneur  Paul, 
souverain  pontife  et  Pape  universel,  parce  qu'ils  le  regardent 
comme  leur  père  et  leur  excellent  pasteur,  qui  ne  cesse  de 
travailler  avec  zèle  pour  leur  salut,  comme  le  pape  Etienne, 
son  frère,  de  sainte  mémoire,  les  protégeant  et  les  gouvernant 
comme  un  troupeau  de  brebis  raisonnables ,  que  Dieu  lui  a 
confiées  (1).  »  Ce  langage  du  sénat  et  du  peuple  romain  suppose 
clairement  que,  d'après  leur  persuasion ,  l'empereur  de  Con- 
stantinople  n'était  plus  alors  souverain  de  Rome  et  de  l'exarchat, 
et  que  ses  droits,  à  cet  égard,  étaient  passés  entre  les  mains  du 
Pape. 
44.  Les  lettres  d'Adrien  Ier  fournissent  un  plus  grand  nombre 

°nPape  l  encore  de  semblables  témoignages  (2).  Il  parle  constamment  de 
conTéquence"  la  ville  et  du  duché  de  Rome,  des  villes  et  territoires  de  l'exar- 
nwsSoii.  cnat>  comme  de  lieux  soumis  à  sa  domination.  Il  parle  des  ha- 
bitants de  ces  provinces  comme  de  ses  sujets  (3);  et  il  emploie, 
pour  exprimer  cette  domination  temporelle,  les  mêmes  expres- 
sions dont  il  se  sert ,  pour  exprimer  celle  du  roi  de  France  sur 
les  pays  et  sur  les  peuples  soumis  à  son  autorité  (4).  Bien  plus , 
il  ne  fait  pas  difficulté  d'implorer  le  secours  de  Charlemagne 
contre  l'empereur  de  Constantinople ,  qui  avait  formé  une  al- 
liance avec  quelques  villes  d'Italie,  pour  s'emparer  de  Rome. 

(1)  «  Prœcellentia  vestra,  disent  le  sénat  et  le  peuple,  parlant  à  Pépin,  nos 
«  admonere  studuit,  firmosnos  ac  fidèles  debere  permanere  erga  B.  Petrum, 
«  principem  apostolorum ,  et  sanctam  Dei  Ecclesiam ,  et  circa  beatissimum 
(c  et  spirilalem  patrem  vestrum ,  à  Deo  decretum  Dominum  nostrum  Pau- 

«  fem  ,  summum  Pontificem  et  universalem  Papam Nos  quidein,  prse- 

«  cellentissime  regum,  firmi  ac  fidèles  servi  sanctse  Dei  Ecclesia3,  et  prsefati 
«  Patris  vestri,  Domini  nostri,  Pauli  summi  Pontifias,  et  universalis  Pa- 
«  pae  consistimus,  quia  ipse  noster  est  pater  et  optimus  pastor,  etc.  »  Cod. 
Carol.  Epist.  15  (aliàs  36).  (Cenni,  ibid.,  p.  143.) 

(2)  Cenni ,  ubi  suprà,  p.  293. 

(3)  Hanc   nostram  Romanam  civitatem.  .  .  .  Nostros  Romanos.  .  . . 

Civilas  nostra   Castelli  Felicitatis  (in  Tusciâ  ) Civitas  nostra 

Cenlumcellensis  (in  ducatu  Romano.  ).  .  Territoria  nostra.  .  .  Nostros 
homines,  etc.  Cod.  Carol.  Epist.  55,  57,  63,  83,  97  (aliàs,  40,  59,  65,  84, 
85). 

(4)  Vestros  fines, . . .  V estr as  partes , . ..  Nostras  vestrasque  fines, . .. 
Vestros  homines,...  Nostros  hommes,  etc.  Ibid.,  Epist.  84  et  97  (aliàs 
85  et  91). 


PREMIÈRE   PARTIE.  —  CHAPITRE   I.  251 

«  Les  ducs  de  Spolette ,  de  Bénévent ,  de  Frioul  et  de  Clusium , 
«dit  le  Pape  au  roi  de  France  (1),  ont  formé  contre  nous  le 
«  pernicieux  dessein  de  se  réunir  prochainement  aux  Grecs  et 
«  à  Adalgise,  fils  de  Didier,  pour  nous  combattre  par  terre  et 
«  par  mer,  s'emparer  de  notre  ville  de  Rome  (2) ,  piller  les 
«églises  de  Dieu,  enlever  les  riches  ornements  de  l'autel  de 
«  saint  Pierre ,  nous  emmener  nous-même  en  captivité  (  ce 
«  qu'à  Dieu  ne  plaise  !  )  et  rétablir  malgré  vous  le  royaume  des 
«  Lombards.  Je  vous  conjure  donc ,  très-excellent  roi  et  tres- 
se cher  fils ,  en  présence  du  Dieu  vivant  et  véritable ,  et  du  bien- 
«  heureux  Pierre,  prince  des  apôtres,  de  venir  sans  délai,  et  le 
«  plus  promptement  possible,  à  notre  secours;  parce  que  c'est  à 

«  vous  après  Dieu, et  par  l'ordre  de  Dieu  et  de  saint  Pierre, 

«  que  nous  avons  remis  la  défense  de  la  sainte  Église,  de  notre 
«peuple  romain,  et  de  la  république  romaine  (3).  Venez  donc 
«  promptement  au  séjour  du  prince  des  apôtres,  de  saint  Pierre, 
«  votre  protecteur,  afin  de  réduire,  par  votre  puissance  royale, 
«  tous  les  ennemis  de  l'Église  de  Dieu,  c'est-à-dire,  vos  ennemis 
«  et  les  nôtres,  et  de  maintenir  l'offrande  que  vous  avez  faite, 
«  de  vos  propres  mains,  à  ce  saint  apôtre ,  pour  le  salut  de  votre 
«  âme.  »  On  voit,  par  ces  dernières  expressions,  et  par  quelques 
autres  de  la  même  lettre ,  qu'elle  est  postérieure  à  la  destruction 
du  royaume  des  Lombards,  et  à  la  donation  que  Charlemagne 
fit  alors  au  saint-siége,  pour  étendre  et  confirmer  celle  de 
Pépin. 

En  effet,  Charlemagne  ne  se  borna  pas  à  reconnaître  et  à       f45. 
respecter  la  souveraineté  du  Pape  en  Italie  ;  il  l'étendit  et  la  ^ïï^1." 
consolida  encore  par  ses  victoires  sur  les  Lombards ,  et  par  l'en-     r.elIe  îu 

x  >         r  saint-siege 

tière  destruction  de  leur  monarchie,  en  773.  Leur  opiniâtreté     «tendue 

,,..■;  ,  et  consolidée 

à  persécuter  le  saint-siege  et  à  braver  les  armes  des  Français,  ^    f 
fut  la  véritable  cause  de  cette  nouvelle  révolution ,  qui  ne  fut 
pas  moins  avantageuse  au  roi  de  France  qu'au  saint-siége  dont 
il  prenait  si  généreusement  la  défense.  Nous  rappellerons  ici,  en 

(1)  Cod.  Carol.  Epist.  57  (aliàs  59).  (Cenni,  ibid.,  p.  344,  etc.) 

(2)  «Cupientes  hanc  nostram  Romanam  invadere  civitatem.  »  Ibid. 
(3)«  Quoniam  tuae  dulcissimae  Sublimitati,  per  Dei  prseceptionem  et  B. 

«  Pétri ,  sanctam  Dei  Ecclesiam ,  et  nostrum  Jtiomanorum  reipublicœ  po- 
«  pulum,  commisimus  protegendum  »  Ibid. 


Charlemagne. 


252  SOUVERAINETÉ   TEMPORELLE   DU   TAPE. 

peu  de  mots,  les  principales  circonstances  de  cet  événement, 
qui  est  tout  à  la  fois  un  des  plus  importants  du  règne  de  Char- 
lemagne ,  et  un  de  ceux  qui  contribuèrent  davantage  à  conso- 
lider la  souveraineté  temporelle  du  saint-siége  (1). 

Adrien  1er,  pressé  plus  vivement  que  jamais  par  Didier,  roi 
des  Lombards,  en  772,  implora  le  secours  du  roi  de  France, 
dont  il  connaissait  le  dévouement  aux  intérêts  de  la  religion 
et  du  souverain  pontife.  Charlemagne  ayant  inutilement  em- 
ployé, auprès  de  Didier,  la  voie  des  négociations,  pour  l'obli- 
ger à  satisfaire  le  Pape,  passa  les  Alpes  en  773,  et  l'assiégea 
dans  Pavie,  où  il  s'était  renfermé.  Après  six  mois  de  siège, 
Didier  fut  obligé  de  se  rendre,  et  envoyé  en  France,  dans  le 
monastère  de  Corbie,  où  il  termina  saintement  ses  jours.  Ainsi 
finit  le  royaume  des  Lombards ,  après  avoir  duré  plus  de  deux 
cents  ans;  et  Charlemagne  ajouta,  depuis  ce  temps,  au  titre  de 
roi  des  Français ,  celui  de  roi  des  Lombards. 

Pendant  le  siège  de  Pavie,  ce  grand  prince  s'étant  rendu  à 
Rome ,  donna  au  Pape  les  marques  les  plus  touchantes  de  res- 
pect et  de  dévouement.  Non  content  de  confirmer  la  donation 
de  Pépin,  il  fit  dresser,  par  son  chapelain  Etherius ,  l'acte  d'une 
donation  beaucoup  plus  ample,  par  laquelle  il  assurait  pour 
toujours  à  l'Église  romaine,  l'exarchat  de  Ravenne,  l'île  de 
Corse,  les  provinces  de  Parme,  de  Mantoue,  de  Venise  et  d'Is- 
trie ,  avec  les  duchés  de  Spolette  et  de  Bénévent  (2).  Le  roi  signa 
de  sa  propre  main  cette  donation ,  et  la  fit  signer  aussi  par  les 
évèques,  abbés,  ducs  et  comtes  qui  l'accompagnaient;  après 
quoi,  il  la  mit  sur  l'autel  de  saint  Pierre,  et  fit  serment,  avec 
tous  les  seigneurs  français,  de  conserver  au  saint-siége  tous  les 
États  qui  lui  étaient  donnés  par  cet  acte. 
Éciairdsse-       ^  semble  étonnant,  au  premier  abord,  que  Charlemagne  y 


(1)  Anastase,  Vita  Adriani.  (Labbe,  Concil.  t.  vi,  p.  1725,  etc.) 
—  Fleury,  Hist.  Ecclés.,i.  ix,  liv.  xliv,  n.  4,  etc. —  Hist.  de  V Église 
Gallic,  t.  iv,  année  772,  etc.  —  Lebeau,  Hist.  du  Bas-Empire ,  t.  xiv, 
liv.  lxv,  n.  21 ,  etc.;  liv.  lxvi  ,  n.  4i),  etc.  —  Annales  du  moyen  âge,  t.  vu, 
liv.  xxiv,  année  774.  —  Daniel ,  Hist.  de  France ,  t.  n,  année  772,  etc. 

(2)  Anastase,  ubi  suprà,\>.  1738.  Sur  l'étendue  des  possessions  du  saint- 
siége,  à  cette  époque ,  par  suite  des  libéralités  de  Pépin  et  de  Charlemagne , 
voyez  le  Mémoire  déjà  cité  de  D.  Lièble ,  sur  les  limites  de  l'empire  de 
Charlemagne,  p.  42-46. 


ce  sujet. 


PREMIERE  PARTIE.  —  CHAPITRE  I.  253 

ait  fait  entrer  l'île  de  Corse,  le  duché  de  Bénévent,  et  quelques     mcnt  de 

..  ,  i'ii«  quelques    dif- 

autres  Tilles  et  territoires,  sur  lesquels  il  n  avait  encore  aucun  ficuiiéssur 
droit  de  conquête  ni  de  souveraineté  (l).  C'est  ce  qui  a  donné 
lieu  à  quelques  auteurs  de  révoquer  en  doute  la  donation  de 
Charlemagne,  du  moins  quant  à  ces  provinces  (2).  On  conçoit 
cependant  qu'elles  ont  pu  entrer  dans  l'acte  dont  il  s'agit,  en 
supposant  qu'elles  fussent  du  nombre  de  celles  qui ,  depuis  le 
pontificat  de  Grégoire  II ,  s'étaient  données  au  saint-siége ,  pour 
obtenir  sa  protection ,  dans  l'état  d'abandon  où  elles  se  trou- 
vaient (3).  Or,  il  y  a  tout  lieu  de  croire  que  telle  était  la  situation 
des  villes  et  territoires  mentionnés  dans  la  donation  de  Char- 
lemagne ,  et  sur  lesquels  il  n'avait  alors  aucun  droit  de  con- 
quête ni  de  souveraineté.  Il  est  certain,  en  effet,  que,  depuis  le 
pontificat  de  Grégoire  II,  plusieurs  villes  et  territoires  d'Italie 
se  donnèrent  successivement  au  saint-siége,  pour  obtenir  sa 
protection  contre  les  Lombards.  C'est  ce  que  firent  en  particu- 
lier les  habitants  de  Spolette  et  de  Riéti,  sous  le  pontificat 
d'Adrien  1er,  quelque  temps  avant  la  destruction  du  royaume  des 
Lombards,  peut-être  même  beaucoup  plus  anciennement  (4) .  On 

(1)  Il  ne  paraît  pas  que  Charlemagne  eût  alors  aucun  droit  sur  l'île  de 
Corse;  et  il  ne  se  rendit  maître  du  duché  de  Bénévent  que  huit  ou  dix  ans 
après  la  destruction  du  royaume  des  Lombards.  Voyez  Daniel,  Histoire 
de  France ,  t.  n ,  année  774 ,  p.  31  ;  année  788 ,  p.  61 ,  etc.  —  Cod.  Carol. 
Epist.  91  (aliàs  88).  (Cenni,  Monumenta ,  t.  i,  p.  486;  t.  n,  p.  3,  60,  100.) 

(2)  Lebeau,  Hist.  du  Bas-Empire ,  t.  xiv,  liv.  lxv,  n.  24.  —  Annales 
du  moyen  âge,  t.  vu,  liv.  xxiv,  p.  199.  —  Hegewisch,  Hist.  de  Charle- 
magne, p.  142.  —  Daunou,  Essai  histor.,  t.  i,p.38.  —  Daniel,  Hist. 
de  France ,  t.  n,  année  774. 

(3)  Voyez  les  détails  que  nous  avons  donnés  sur  ce  sujet ,  ci-dessus ,  pag. 
217,  219,  232,  etc. 

(4)  «  Spoletini  et  Reatini,. ..  antequam  Desiderius,  seu  Longobardorum  ejus 
«  exercitus,  ad  Clusas  pergerent,  ad  beatum  Petrum  confugium  facien- 
«  tes ,  prœdicto  sanctissimo  Hadriano  Papœ  se  tradiderunt,  et  in  fide 
«  ipsius  principis  aposlolorum,  atque  prœdicti  sanctissimi  Pontïficïs  ju- 
«  rantes,  more  Romanum  tonsurati  sunt  (incisis  nempe  capillis  et  bar- 
«  bâ,  in  subjectionis  signum)...  Et  confestim  ipse  ter  beatissimus  bonus 
«  pastor  etpater, cum  omnibus  exultans,  constituil  eis  ducem  quem  ipsipro- 
«.  pria  voluntate  sibi  elegerunt ,  scilicet  Hildeprandum  nobilissimum,  qui 
«  priùs  cum  reliquis  ad  apostolicam  sedem  refugium  fecerat.  »  Anastase  le 
Biblioth.,  VitaAdriani  I.  (Labbe,  ibid.,  p.  1735.)—  Fleury,  Hist.  Ecclés., 
t.  ix, liv.  xuv,n.  4. 

Pour  l'intelligence  de  ce  passage,  il  faut  remarquer  que  la  coutume  des 
Lombards  était  alors  de  se  raser  les  cheveux  derrière  la  tête,  et  de  laisser 
croître  ceux  de  devant,  aussi  bien  que  leur  barbe.  Dans  les  alliances 


254  SOUVERAINETÉ   TEMPORELLE  J)U  PAPE.5' 

peut  conjecturer  la  même  chose,  avec  beaucoup  de  vraisem- 
blance, de  l'île  de  Corse  et  de  quelques  autres  villes  et  provinces 
mentionnées  par  Anastase ,  d'après  l'acte  même  de  la  donation 
de  Charlemagne,  qu'il  avaitsousles  yeux(l).  Cette  conjecture 
semble  confirmée ,  et  même  solidement  établie ,  par  le  langage 
uniforme  des  anciens  auteurs,  soit  français,  soit  étrangers,  qui 
parlent  de  la  donation  de  Charlemagne ,  aussi  bien  que  de  celle 
de  Pépin,  comme  d'une  restitution  faite  au  saint- siège  des 
'provinces  usurpées  par  les  Lombards.  C'est  ainsi  qu'en  parle, 
non-seulement  l'historien  des  Papes,  mais  Éginhard  lui-même , 
si  zélé  pour  la  gloire  de  Charlemagne  et  de  Pépin,  et  si  éloigné 
par  conséquent  de  rabaisser  le  mérite  des  donations  faites  au 
saint-siége  par  ces  deux  grands  princes  (2).  Le  Pape  Adrien  1er 

qu'ils  contractaient  avec  les  Romains ,  ou  les  Grecs,  ils  adoptèrent  l'usage 
de  ces  peuples  qui  portaient  les  cheveux  et  la  barbe  beaucoup  plus  courts; 
et  ils  regardaient  cette  réforme  comme  une  marque  de  soumission  et  de 
dépendance  à  l'égard  de  leurs  nouveaux  maîtres  ou  alliés.  On  trouve,  à  ce 
sujet,  dans  les  Lettres  d'Adrien  Fr  à  Charlemagne  {Cod.  Carol.  Epist.  91, 
aliàs  88;  apud  Cenni,  i,  p.  488),  un  exemple  tout  à  fait  semblable  à  celui 
dont  parle  ici  Anastase.  Quelques  autres  faits  prouvent  qu'à  cette  époque,  il 
y  avait ,  parmi  les  Francs  et  les  Lombards,  une  sorte  de  [tonsure,  regardée 
comme  un  signe  d'alliance  ou  d'adoption  ,  par,  lequel  celui  à  qui  l'on  coupait 
les  cheveux  reconnaissait  l'autorité  de  celui  qui  les  lui  avait  coupés.  Voyez, 
à  ce  sujet,  Canciani,  Barbarorum  Leges  antiquœ,  t.  v,  p.  369,  etc.  —  Mu- 
raton,  Antiquit.  liai,  t.,  h,  Dissert.  23,  p.  298-301. — Ducange,  Glossarium 
injimœ  Lalinit.,  verbo  Tonsura.  — Mabillon,  Prœf.in  3m  sœc.  Bened. , 
§ï,  n.  17.  —  Thomassin,  Ancienne  et  nouvelle  Discipline,  t.  m,  liv.  i, 
ch.  29,  n.  9.  —  Leheau,  Hist.  du  Bas-Empire,  t.  xiv,  liv.  lxxvi,  n.  19. 

Une  lettre  du  pape  Etienne  II  à  Pépin,  en  756,  paraît  supposer  que  les 
duchés  de  Spolette  et  de  Bénévent,  soumis  jusqu'alors  aux  rois  des  Lom- 
bards, manifestèrent  dès  lors  l'intention  de  se  mettre,  par  l'entremise  du 
Pape ,  sous  la  protection  du  roi  de  France  ,  mais  que  les  circonstances  ne 
leur  permirent  pas  d'exécuter  ce  projet ,  ou  du  moins  que  l'exécution 
eut  alors  peu  de  suite.  Ce  qu'il  y  a  de  certain,  c'est  qu'on  trouve  encore  ces 
duchés  soumis  au  roi  des  Lombards,  sous  le  pontificat  de  Paul  Ier,  en  761. 
Voyez,  à  ce  sujet,  Cod.  Carol.  Epist.  11,  18  et  25  (aliàs  8,  15  et  34). 
(Cenni,  Monumcnta,  t.  i,  p.  110,  154,  176,  297,  298  et  342.) 

(1)  Thomassin,  Ancienne  et  tiouv.  Discipline,  t.  m,  liv.  i,  chap.  29, 
n.  8  et  suiv.  —  De  Maistre,  Du  Pape,  liv.  n,  chap.  6,  pag.  254. 

(2)  Charlemagne  et  ses  envoyés  ,  réclamant  auprès  de  Didier  les  villes  et 
les  provinces  qu'il  avait  enlevées  au  saint-siége ,  ou  différé  de  lui  rendre , 
les  réclament  constamment  comme  une  restitution  due  au  Pape  et  aux 
Romains.  Voici  les  propres  expressions  d'Anastase,  souvent  répétées  dans 
cet  article  de  la  Vie  d'Adrien  Ier  :  «  Ipsi  Francorum  missi,  properantes  cum 
«  apostolicae  sedis  missis,  declinaverunt  ad  Desiderium  ;  qui  et  constanter 
«  eum  deprecantes  adhoi  tati  sunt,  sicut  illis  à  suo  rege  praeceptum  extitit, 
«ut  antefatas,  quas  abstulerat  civitates,  pacificè  beato  Petro  redderet, 


PREMIÈRE  PARTIE.  —  CHAPITRE   I.  255 

s'exprime  de  même,  dans  une  lettre  qu'il  écrivit,  quelques 
années  après,  à  l'empereur  Constantin  et  à  l'impératrice  Irène, 
pour  les  engager,  par  l'exemple  de  Charlemagne ,  à  restituer  au 
saint-siège  ses  patrimoines  situés  en  Grèce  et  en  Orient  (1). 

et  justitias  parti  Eomanorum  faceret;  sed  minime  quidquam  horum 
ajnid  eum  obtinere  valuerunt ,  asserentem  se  minime  quidquam  reddi- 
turum.  .  .  .  Sed  dum  in  tantâ  duritiâ  protervus  ipse  permaneret  rex  De- 
siderius ,  cupiens  antedictus  christianissimus  Francorum  rex  pacilicè 
justitias  beati  Pétri  recipere,  direxit  eidem  Longobardorum  régi,  ut 
«  solummodo  très  obsides  Longobardorum  judicum  filios  illi  tradidisset, 
pro  istis  restituendis  civitalibus,  etc.  »  Anastase ,  ibid.,  p.  1734  et 
1735. 

Éginhard  emploie  de  semblables  expressions  dans  la  Fée  de  Charlemagne  : 
«Finis  belli,  dit -il,  fuit  subacta  ltalia,  et  res  à  Longobardorum  rege 
«ereptœ,  Adriano  Romanse  ecclesiee  Rectori  restitutœ.  »  (Tom.  ir  du 
Recueil  de  Duchesne ,  p.  96.  ) 

Ces  passages ,  et  quelques  autres  également  remarquables,  sont  rapportés 
par  les  auteurs  que  nous  avons  cités  dans  la  note  précédente. 

(1)  «  Porrô  et  hoc  vestrum  à  Deo  coronatuin  ac  piisshnum  poscimus  iui- 

«  perium,  ut , sicut  antiquitus  ab  orthodoxis  imperatoribus ,  seu  à 

«  caeteris  christianis  fidelibus ,  oblata  atque  concessa  sunt  patrimonia  beati 
«  Pétri ,  apostolorum  principis ,  fautoris  vestri ,  in  inlegrum  nobis  resti- 
«  tuere  dignemini ,  pro  luminariorum  concinnationibus  ,  eidem  Dei  Eccle- 

«  sise  atque  alimoniis  pauperum Sicut  filius  et  spiritualis  compater 

«  noster,  Domiuus  Carolus,  rex  Francorum  et  Longobardorum,  ac  patri- 
«  cius  Romanorum,  ....  persua  laboriosa  certamina,  eidem  DeiEcclesiee  , 
«  ob  nimium  amorem  ,  plura  dona  perpétué  obtulit  possidenda  ,  tàm  pro- 
«  vincias,  quàm  civitates,  seu  castra  et  caetera  territoria,  imô  et  patrimo- 
«  nia ,  quaa  à  pertidâ  Longobardorum  gente  detinebaniur,  brachio  forti  ei- 
«  dem  Dei  apostolo  restituit ,  cujus  et  jure  esse  dignoscebantur.  » 
Concil.  Nicœn.  anno  787,  act.  2.  (Labbe,  Concil.t.  vu,  p.  119.)  —  Fieury, 
Hist.  Eccl.,  t.  îx ,  liv.  xliv,  n.  25. 

La  connaissance  de  ce  point  d'histoire  fournit  en  1810,  à  M.  Émery,  supé- 
rieur du  séminaire  de  Saint-Sulpice,  un  moyen  facile  de  repousser  une  préten- 
tion ridicule  de  Napoléon,  qui,  en  sa  qualité  d'empereur,  s'imaginait  avoir  le 
droit  d'ôter  au  Pape  le  pouvoir  temporel  que  Charlemagne  lui  avait  donné. 
Voici  comment  le  fait  est  rapporté  par  M.  le  chevalier  Artaud  ,  daus  Y  Hist. 
de  Pie  VII,  à  l'occasion  d'un  entretien  de  Napoléon  avec  M.  Émery,  qu'il  avait 
mandé  à  Fontainebleau,  au  mois  de  novembre  de  l'année  1809.  «  Napoléon , 
«  s'étant  mis  à  parler  de  ses  démêlés  avec  le  Pape,  déclara  qu'il  respectait 
«  sa  puissance  spirituelle  ;  mais  que,  quant  à  sa  puissance  temporelle ,  elle  ne 
«  venait  pas  de  Jésus-Christ,  mais  de  Charlemague  ;  et  que  lui,  qui  était  em- 
«  pereur  comme  Charles,  voulait  ôter  au  Pape  cette  puissance  temporelle  , 
«  afin  qu'il  lui  restât  plus  de  temps  à  donner  aux  affaires  spirituelles. 
«  M.  Émery,  attaqué  sur  ce  terrain,  objecta  que  Charlemagne  n'avait  pas 
«  donné  au  Pape  toutes  ses  possessions  temporelles ,  qui  étaient  très- 
«.  considérables  dès  le  ve  siècle  ;  et  qu'au  moins  l'empereur  ne  de- 
«  vait  pas  toucher  à  ces  premiers  biens  temporels.  M.  Émery  allait  conti- 
«  nuer  ;  Napoléon  ,  qui  n'était  pas  très-instruit  de  l'histoire  ecclésiastique , 
«  et  qui  paraissait  ignorer  ce  point,  ne  répondit  rien  à  cet  égard;  mais, 


256  SOUVERAINETÉ   TEMPORELLE  DU  PAPE. 

47.  Non  content  d'avoir  solennellement  reconnu  la  souveraineté 

cï"!,7"dgune  temporelle  du  Pape ,  et  de  l'avoir  délivré  de  la  tyrannie  des 

^Tcoutonne'1  Lombards,  Charlemagne  se  montra  toujours  plein  de  zèle  pour 

impériale.    ja  g|0jre  (ju  saint-siége ,  et  pour  le  maintien  de  son  pouvoir 

temporel,  contre  tons  les  ennemis  du  dedans  et  du  dehors.  Le 

Pape,  de  son  côté,  ne  négligea  rien  pour  assurer  de  plus  en 

plus  à  l'Église  et  au  saint-siége  une  si  puissante  protection  ;  et 

telle  fut  la  véritable  cause  de  l'élévation  de  Charlemagne  à 

l'empire,  en  800  (1). 

Peu  de  temps  après  l'élection  de  Léon  III ,  successeur  d'A- 
drien Ier,  une  horrible  conjuration  éclata  contre  le  nouveau  pon- 
tife ,  par  les  intrigues  de  deux  neveux  d'Adrien ,  qui  aspiraient 
à  la  même  dignité.  Le  Pape ,  échappé  avec  beaucoup  de  peine 
aux  violences  des  factieux ,  se  retira  en  France  auprès  de  Char- 
lemagne, pour  implorer  sa  protection.  Ce  prince  accueillit  le 
souverain  pontife  avec  respect ,  lui  donna  une  bonne  escorte 
pour  retourner  en  Italie,  et  s'y  rendit  lui-môme,  en  800,  pour 
rétablir  la  paix,  en  jugeant  les  conspirateurs.  Quelques  jours 
après  la  conclusion  de  cette  affaire,  le  jour  de  Noël  de  la  même 
année,  le  roi  étant  venu  à  Saint-Pierre  entendre  la  messe, 
comme  il  était  incliné  devant  l'autel  pour  faire  sa  prière ,  le 
Pape  lui  mit  sur  la  tête  une  couronne  très-précieuse  ;  en  même 
temps  le  peuple  s'écria  tout  d'une  voix  :  A  Charles  Auguste, 
couronné  de  Dieu,  grand  et  pacifique  empereur  des  Romains, 
vie  et  victoire.  Ces  paroles  furent  répétées  trois  fois,  avec  l'in- 
vocation de  plusieurs  saints,  par  toute  rassemblée,  qui  éta- 
blit ainsi  Charlemagne  empereur  des  Romains,  selon  la 
remarque  d'Anastase  (2).  Éginhard  et  quelques  autres  anna- 
listes français  ajoutent,  qu'après  les  acclamations,  le  Pape  ren- 
dit le  premier  à  Charlemagne  l'adoration,  c'est-à-dire  l'hom- 

«  adoucissant  sa  voix ,  il  passa  brusquement  à  autre  chose.  »  (Hist.  de 
Pie  Vil,  2e  édition,  t.  n,ch.  21,  p.  256.) 

(1)  Anastase  le  Biblioth. ,  Vita  Leonis  III.  (Labbe,  Concil.  t.  vu, 
p.  1079,  etc.)  — Éginhard,  Annal. ,  anno  800.—  Fleury,  Hist.  E celés.  f 
t.  x ,  liv.  xlv,  n.  5 ,  10 ,  11,21,  etc.  —  Daniel,  Hist.  de  France  ,  t.  u  , 
an  800.  —  Lebeau ,  Hist.  du  Bas-Empire ,  t.  xiv,  liv.  lxvi,  n.  52,  etc.  — 
Annales  du  moyen  âge ,  t.  vm ,  année  800.  —  Bossuet,  Defens.  Declar. , 
lib.  ii,  cap.  37  et  38. 

(2)  «  Et  ab  omnibus  constitutu s  estimperator  Romanorum.  »  Anastase, 
ubï  suprà,  p.  1082. 


PREMIERE  PARTIE.  —  CHAPITRE  I.  257 

mage  extérieur  de  respect  qu'on  avait  coutume  de  rendre  aux 
empereurs  ;  il  lui  déclara  en  même  temps  que  désormais,  au  lieu 
du  titre  de  Patrice  des  Romains,  qu'il  avait  porté  jusqu'alors,  on 
lui  donnerait  ceux  ft Empereur  et  d'Auguste  (l).  Le  Pape  donna 
ensuite  l'onction  sainte,  non-seulement  au  roi,  mais  encore  à 
Charles  son  fils  aîné,  qui  jusque-là  n'avait  pas  encore  eu  ce 
titre  (2). 

Éginhard,  secrétaire  et  confident  de  Charlemagne ,  ajoute  à 
ce  récit  une  circonstance  que  plusieurs  auteurs  modernes  ont 
révoquée  en  doute,  mais  qu'il  est  difficile  de  rejeter,  après  le 
témoignage  positif  d'un  écrivain  si  respectable  (3).  Il  suppose 
que  Charlemagne,  en  se  rendant,  le  jour  de  Noël,  à  l'église  de 
Saint-Pierre,  ignorait  absolument  le  dessein  du  Pape;  qu'au 
moment  où  il  fut  salué  du  nom  à' Empereur  et  à' Auguste,  il 
fut  également  étonné  et  affligé  de  cette  démarche  du  peuple 
romain  ;  et  protesta  que,  s'il  avait  prévu  la  chose,  il  ne  serait 
pas  venu  à  l'église  ce  jour-là ,  nonobstant  la  célébrité  de  la 
fête.  Sans  doute,  il  est  difficile  de  supposer  que  Charlemagne 
ait  absolument  ignoré  le  dessein  du  Pape-;  mais  il  pouvait  très- 
bien  ignorer  que  le  Pape  fût  dans  la  disposition  de  l'exécuter  si 
promptement,  malgré  les  considérations  qui  devaient  l'engager 
à  en  différer  l'exécution ,  soit  par  ménagement  pour  la  cour  de 
Constantinople,  soit  par  égard  pour  la  répugnance  que  Char- 
lemagne lui-même  témoignait  à  prendre  le  nouveau  titre  qu'on 
lui  offrait. 

Au  reste,  quelle  qu'ait  pu  être  d'abord  la  répugnance  de 
Charlemagne  pour  le  titre  d'Empereur,  il  est  certain  qu'il  ne 
tarda  pas  à  l'accepter  ;  car  depuis  l'époque  de  son  couronne- 


(1)  «Postquas laudes,  ab  omnibus,  atque  ab  ipso  pontifice,  more  anti- 
ce  quorum  principum ,  adoratum ,  atque ,  omisso  Patricii  nomine ,  Impera- 
«  torem  et  Augustum  appellatum  fuisse  ;  ordinatisque  rébus,  Româ  disces- 
«.  sisse.  »  Éginhard,  Annal,  anno  801.  — Annal.  Met.  Fuld.  et  alii.  (Recueil 
de  Duchesne,  t.  11;  Pœcueil  de  D.  Rouquet,  t.  v.  )  La  plupart  de  ces  témoi- 
gnages sont  recueillis  ou  indiqués  par  Rossuet,  ubi  suprà,  cap.  37. 

(2)  Voyez  !e  n.  6  des  Pièces  justificatives ,  à  la  fin  de  ce  volume. 

(3)  Fleury,  le  P.  Daniel,  le  P.  Longueval,  et  la  plupart  des  historiens,  rap- 
portent cette  circonstance,  sur  l'autorité  d'Éginhard.  Lebeau,  Gaillard, 
Hegewisch  et  quelques  autres,  attribuent  ici  à  Charlemagne  une  dissimula- 
tion que  semble  démentir  le  caractère  de  ce  grand  prince,  et  dont  la  sup- 
position n'est  fondée  que  sur  une  maligne  conjecture. 

17 


258        SOUVERAINETÉ  TEMPORELLE  DU  PAPE. 

ment,  il  prit  habituellement  ce  titre  dans  ses  diplômes,  donna 
aux  empereurs  d'Orient  le  titre  de  frères,  et  joignit  à  la  date 
des  années  de  son  règne,  celle  des  années  de  son  empire.  Enfin, 
toutes  les  monnaies  frappées  à  Rome  depuis  cette  époque ,  por- 
tent d'un  côté  le  nom  du  nouvel  empereur ,  et  de  l'autre  le  nom 
ou  la  figure  de  Saint-Pierre  (1). 
48.  La  conduite  du  Pape,  en  cette  occasion,  peut  sans  doute 

^Tapè1,16  paraître  extraordinaire  à  ceux  qui  la  considèrent  indépendam- 
esion"fac;ieCà  ment  des  circonstances  qui  avaient  depuis  longtemps  préparé  et 
justifier.  même  consommé  la  chute  de  l'empire  romain,  en  Occident. 
Toutefois  il  est  certain  que  les  auteurs  contemporains  la 
croyaient  pleinement  justifiée  par  ce  concours  de  circonstances. 
La  plupart  de  ces  auteurs  ont  soin  de  remarquer  que  Charle- 
magne,  au  moment  où  il  reçut  la  couronne  impériale,  avait  déjà 
la  principale  autorité  dans  la  plus  grande  partie  des  anciennes 
provinces  de  l'empire  en  Occident,  et  particulièrement  en  Italie, 
soit  par  droit  de  conquête,  soit  par  le  vœu  légitime  des  peu- 
ples, qui,  abandonnés  de  leurs  anciens  maîtres,  l'avaient  déjà 
choisi  pour  leur  protecteur  en  lui  conférant,  par  l'organe 
du  Pape,  le  titre  de  Patrice  des  Romains.  Sans  avoir  le  nom 
à! Empereur,  il  en  avait  au  fond  toute  l'autorité,  que  les  em- 
pereurs de  Constantinople  avaient  insensiblement  perdue ,  par 
la  faiblesse  et  l'imprudence  de  leur  conduite  ;  ce  qui  fait  dire  à 
quelques  anciens  annalistes,  que  c'était  une  justice  de  réunir , 
dans  la  personne  du  roi  de  France ,  le  titre  ^'Empereur  à  la 
puissance  effective  de  l'empire  (2).  La  plupart  des  historiens 

(1)  Leblanc,  Dissert,  sur  quelques  monnaies  de  Charlemagne.  Paris , 
1689,  in-4°.  Cette  Dissertation,  publiée  séparément  en  1689,  ne  fut  pas 
jointe  au  Traité  des  Monnaies,  publié ,  l'année  suivante ,  par  le  même  au- 
teur, mais  seulement  à  l'édition  de  ce  Traité  publiée  à  Amsterdam, 
1692,  in-4°. 

(2)  Nous  citerons  seulement  ici  les  Annales  de  Moissac,  répétées,  presque 
mot  pour  mot ,  par  quelques  autres  :  «  Anno  801,  cùm  apud  Romam  mora- 
le retur  rex  Carolus  ,  nuntii  delati  sunt  ad  eum  ,  dicentes  quôd  apud  Graecos 
«  nomen  imperatoris  cessasset ,  et  fœmineum  imperium  apud  se  haberent. 
«.  Tune  visum  est  ipsi  apostolico  Leoni ,  et  universis  sanctis  patribus  qui  in 
«  ipso  concilio  aderant ,  seu  reliquo  christiano  populo,  ut  ipsum  Carolum, 
«  regem  Francorum ,  imperatorem  nominare  debuissent  ;  quia  ipsani  Ro- 
«  mam  matremimperii  tenebat,  ubi  semper  Caesares  et  Imperatores  sedere 
«  soliti  fuerant ,  seu  reliquas  sedes  (  putà  Mediolanum  ,  Trevirim  et  caete- 
<c  ras)  quas  ipse  in  Italiâ  et  Galliâ,  neenon  in  Germaniâ  tenebat;  quia  Deus 


PREMIERE   PARTIE.  —  CHAPITRE    I.  259 

modernes  adoptent  pleinement  ce  jugement.  «  Charlemagne, 

«  dit  Fleury,  était  déjà  maître  de  la  plus  grande  partie  de 

«  l'Italie  depuis  la  ruine  des  Lombards;  et  il  était  souverain  de 

«  Rome  en  particulier  (l),  puisqu'on  lui  prêtait  serment  de 
$ 

«  omnipotens  has  omnes  sedes  in  potestate  ejus  concessit  ;  et  ne  pagani  in- 
«  sultarent  christianis,  iùeojustum  esse  videbatur,  ut  ipse,  cum  Dei  adju- 
«  torio,  et  universo  populo  christiano  pelente ,  ipsum  nomen  haberet.  » 
Annal.  Mussiac.  anno  80!.  (Recueil  de  Duchesne,t.  ni,  p.  143;  et  Re- 
cueil de  Bouquet,  t.  v,  p.  79.)  Ce  passage  est  cité  par  Bossuet,  ubi  suprà, 
cap.  37,  p.  543. 

Quelques  expressions  employées  ici  par  nos  anciens  annalistes,  ont  besoin 
d'explication ,  et  peuvent  donner  lieu  à  des  observations  importantes.  1°  Ces 
auteurs  supposent  que  Charlemagne ,  avant  son  élévation  à  l'empire,  avait 
déjà  en  sa  puissance  la  ville  de  Rome ,  capitale  de  l'ancien  empire.  Il 
est  vrai  qu'il  y  exerçait  une  grande  autorité,  comme  patrice  des  Romains  ; 
mais  nous  avons  déjà  remarqué,  et  nous  montrerons  ailleurs  plus  au  long, 
qu'il  n'y  exerçait  pas  proprement  une  puissance  souveraine,  et  indépendante 
de  celle  du  Pape.  Le  titre  de  Patrice  des  Romains ,  donné  à  Pépin  et  à  ses 
enfants  par  Etienne  II,  ne  conférait  pas,  par  lui-même,  une  souveraineté 
proprement  dite,  mais  seulement  le  droit  et  l'obligation  de  gouverner,  au 
nom  du  souverain  légitime,  les  provinces  dont  l'administration  était  confiée 
au  patrice.  (Voyez  ci-dessus,  p.  238,  note  1 .  —  Ci-après ,  chap.  2 ,  art.  i , 
nos  65,  66  et  82,  etc.  )  C'est  en  ce  sens  qu'il  faut  expliquer  la  puissance 
que  nos  anciens  annalistes  attribuent  à  Charlemagne  dans  Rome,  avant  son 
élévation  à  l'empire,  pour  concilier  leur  langage  avec  les  monuments  déci- 
sifs qui  nous  obligent  à  regarder  le  Pape  comme  le  véritable  souverain  de 
Rome,  à  cette  époque. 

2°  Parmi  les  raisons  qui  engageaient  alors  les  Romains  à  donner  le  titre 
d: 'Empereur  à  Charlemagne ,  les  mêmes  auteurs  font  valoir  celle  qui  se 
tirait  de  l'honneur  du  peuple  chrétien ,  ou  de  la  nécessité  de  prévenir  les 
insultes  des  païens  (ne  pagani  christianis  insul tarent).  Ces  paroles 
s'expliquent  naturellement,  d'après  l'observation  faite  un  peu  plus  haut, 
que  l'empire  de  Constat) tinople  était  alors  gouverné  par  une  femme  :  ce  qui 
était  sans  exemple ,  et  ce  que  les  Romains  croyaient  tout  à  fait  indigne 
d'eux. 

3°  Enfin,  ce  qui  est  surtout  à  remarquer,  c'est  que,  d'après  le  récit  de 
nos  anciens  annalistes ,  aussi  bien  que  d'après  celui  d'Anastase ,  Charle- 
magne ne  fut  pas  élu  empereur  par  le  Pape  seul,  comme  chef  de  l'Église , 
mais  par  le  Pape  ,  comme  organe  et  représentant  du  peuple  romain,  qui  lui 
avait  confié  ses  intérêts  temporels ,  par  le  Pape  agissant  de  concert  avec  ce 
peuple,  qui  soutint  et  appuya,  par  ses  acclamations,  le  choix  du  pontife; 
en  sorte  que,  d'après  le  récit  uniforme  de  ces  auteurs,  le  langage  et  la  con- 
duite du  Pape  ne  supposent  aucunement  qu'il  se  soit  attribué ,  d'après 
l'institution  divine  et  en  vertu  de  son  caractère  sacré,  le  pouvoir  de  disposer 
de  l'empire,  pour  le  plus  grand  bien  de  la  religion. 

(1)  Fleury  ,  en  adoptant  ici ,  pour  le  fond,  les  réflexions  des  anciens  anna- 
listes français  que  nous  venons  de  citer ,  va  beaucoup  plus  loin  qu'eux , 
en  disant  expressément  que  Charlemagne  était  souverain  de  Rome  et  de 
V Italie  depuis  la  ruine  des  Lombards.  Il  faut  corriger  cette  assertion , 
d'après  les  observations  que  nous  venons  de  faire  dans  la  note  précédente. 

17, 


26Ô  SOUVERAINETÉ   TEMPORELLE  DU  PAPE. 

et  fidélité,  ef  qu'il  y  rendait  la  justice  par  ses  commissaires  et 
«  en  personne,  et  dans  la  cause  du  Pape  même.  De  plus,  les 
«  Romains  avaient  leurs  raisons  pour  donner  à  Charles  le  titre 
«  d' Empereur  :  ils  étaient  abandonnés  des  Grecs,  qui,  depuis 
«  longtemps,  ne  leur  donnaient  aucun  secours;  et  Constanti- 
«  nople  était  alors  gouvernée  par  une  femme,  à  qui  ils  croyaient 
«  indigne  d'obéir;  caria  chose  était  sans  exemple.  11  était  donc 
«  juste  de  réunir  le  nom  à? Empereur  à  la  puissance  effective; 
«  et  l'exécution  s'en  fit  par  les  mains  du  Pape,  à  qui  sa  dignité 
«  donnait  à  Rome  le  premier  rang  (1).  »  Ajoutons  que  les  em- 
pereurs de  Constantinople ,  malgré  la  répugnance  extrême  qu'ils 
témoignèrent  d'abord ,  et  qu'ils  devaient  naturellement  éprouver 
à  reconnaître  le  nouveau  titre  de  Charlemagne ,  ne  tardèrent 
pas  à  le  reconnaître ,  dans  plusieurs  traités  faits  avec  ce  grand 
prince,  depuis  son  élévation  à  l'empire  (2). 
49  Cette  importante  révolution,  qui  porta,  pour  ainsi  dire,  au 

Âccro  i  s  s  cm  c  n  t 

deia      plus  haut  point  la  gloire  de  Charlemagne,  n'eut  pas  des  ré- 
teinPpovdïeCdu  sultats  moins  avantageux  pour  la  puissance  temporelle  du  saint- 
soLTlelTc-  siège,  dont  elle  consolida  la  souveraineté  en  Italie,  en  lui 
cSema  te  assuraiît  de  plus  en  plus  la  protection  du  plus  puissant  prince 
de  l'Europe (3).  Nous  terminons  donc  ici,  d'après  le  plan  de  notre 
ouvrage ,  l'exposition  des  faits  relatifs  à  l'origine  du  pouvoir  tem- 
porel des  papes  en  Italie.  Nous  remarquerons  seulement,  en  finis- 
sant, que  l'acte  solennel  par  lequel  Charlemagne ,  à  l'exemple 
de  Pépin,  avait  reconnu  et  confirmé  la  souveraineté  temporelle 
du  saint-siége,   fut   souvent  renouvelé    par  ses  successeurs. 
Les  diplômes  de  Louis  le  Débonnaire  en  817,  d'Othon  Ier  en 
962,  et  de  Henri  II  en  1020 ,  dont  nous  parlerons  plus  en  dé: 
tail  dans  le  chapitre  suivant,  sont  principalement  célèbres  dans 
l'histoire;  et  il  est  certain  que,  pendant  plus  de  deux  siècles 

(1)  Fleury,  Hist.  Ecclés. ,  t.  x,  liv.  xlv,  n.  21.  Voyez  aussi  les  auteurs 
cités  plus  haut ,  p.  232,  note  1 . 

(2)  Ëginhard,  Annales,]  anno  803.  —  Daniel,  Hist.  de  France,  années 
802  et  811.  —  Velly,  Hist.  de  France,  1. 1 ,  p.  465. 

(3)  Pour  avoir  une  juste  idée  de  la  puissance  de  Charlemagne,  il  suffit  de 
lire  le  Mémoire  déjà  cité  de  D.  Lieble,  Sur  les  limites  de  l'empire  de  Char' 
lemagne.  (Paris,  1764,  73  pages  in-12.)  Ce  Mémoire,  aujourd'hui  assez  rare, 
fait  partie  de  la  Collection  de  pièces  rares,  concernant  l'histoire  de 
France,  publiée  par  MM.  Leber,  Salgues  et  Cohen.  Paris  1826-1842,  20  vol. 
in-8.  (Voyez  le  tome  n  de  cette  Collection,  page  316) 


PREMIÈRE   PARTIE.  —  CHAPITRE  II.  261 

après  Charlemagne,  les  empereurs,  à  l'époque  de  leur  couron- 
nement, avaient  coutume  de  confirmer  par  un  acte  solennel 
tout  ce  qui  avait  été  fait  à  cet  égard  par  leurs  prédécesseurs  (1). 
Quelques-tfns  même,  à  l'exemple  d'Othon  Ier  et  de  Henri  TI, 
non  contents  d'assurer  au  saint  siège  ses  anciennes  possessions , 
y  ajoutaient,  à  cette  occasion,  de  nouvelles  libéralités.  Nous 
n'entrons  pas  ici  dans  le  détail  des  accroissements  successifs 
que  reçurent,  par  ce  moyen ,  les  États  du  saint-siége,  avant  la 
donation  de  la  comtesse  Mathilde,  la  plus  considérable  qui  eût 
été  faite  à  l'Église  depuis  Charlemagne,  et  qui  s'étendait  princi- 
palement dans  les  diocèses  de  Mantoue,  de  Reggio,  de  Parme 
et  deModène(2). 


pitre. 


CHAPITRE  IL 

Examen  critique  des  principales  questions  agitées  entre  les 
auteurs  modernes ,  sur  l'origine  et  les  fondements  de  la 
souveraineté  temporelle  du  saint-siége. 

Il  est  certain  et  généralement  reconnu  que,  depuis  le  ve  siè-        5o 
cle,  et  surtout  depuis   l'établissement  de  la  monarchie  des   Q»^'.™  à 

L  eclaircir 

Lombards,  en  572 ,  les  papes  eurent  toujours  une  très-grande  û*n*,™  cha. 
influence  dans  le  gouvernement  temporel  de  Rome  et  de  l'Italie. 
Mais  la  nature  et  l'étendue  de  l'autorité  qu'ils  y  exerçaient  est  un 
grand  sujet  de  contestation  entre  les  auteurs  modernes  ;  et  peu 
de  questions  historiques  ont  donné  lieu  à  une  aussi  grande  di- 
versité de  sentiments.  Les  auteurs  ne  s'accordent  entre  eux,  ni 
sur  l'époque  précise  à  laquelle  s'éteignit  l'autorité  de  l'empe- 

(1)  Cermi,' Monumenta  Domin.Pontif.,  tome  n,  pag.  28,  etc.,  491,  etc.  On 
trouve,  dans  le  tome  h  de  cet  ouvrage,  le  texte  des  diplômes  dont  nous 
venons  de  parler,  avec  des  dissertations  qui  en  établissent  l'authenticité,  et 
qui  éclaircissent  les  difficultés  qu'ils  peuvent  offrir. 

H  (2)  Cette  donation  eut  lieu  en  1077.  Il  serait  difficile  d'en  fixer  aujourd'hui, 
avec  précision ,  l'objet  et  l'étendue;  toutefois,  il  est  certain  qu'elle  s'étendait 
principalement  dans  les  diocèses  que  nous  désignons.  Voyez  Cenni,  ubi 
suprà,  tom.  i,  Prœf.  n.  33,  etc.;  tom.  h,  pag.  195,  etc. 


262  SOUVERAINETÉ   TEMPORELLE  DU   PAPE. 

renr  de  Constantinople  dans  le  duché  de  Rome  et  dans  Y  exar- 
chat (\),  ni  sur  l'autorité  respective  du  Pape  et  du  roi  de 
France  dans  ces  provinces,  depuis  que  l'empereur  d'Orient 
y  eut  perdu  ses  anciens  droits,  ni  sur  les  véritables  fondements 
de  l'autorité  que  le  Pape  y  exerça  depuis  cette  époque. 
5i.  Ce  qui  rend  surtout  difficile  la  solution  de  ces  questions, 

Do\ï,ksne"t  selon  la  judicieuse  remarque  d'un  historien  moderne,  «  c'est 

difficultés.  <(  qUe  je  pOUVOjr  (jes  empereurs  (  en  Italie)  ne  s'éteignit  pas  tout 
«  d'un  coup,  par  une  révolution  soudaine,  mais  déclina  peu  à 
«  peu,  par  des  degrés  presque  insensibles  ;  c'était  un  mourant, 
«  dont  le  dernier  moment  est  équivoque,  et  qui  respire  encore 
«  lorsque  des  héritiers  avides  le  croient  déjà  mort  (2).  »  Par  une 
conséquence  naturelle  de  cet  affaiblissement  successif  de  l'em- 
pire en  Italie ,  l'autorité  des  papes  y  prenait  chaque  jour  de  tels 
accroissements,  qu'il  est  difficile  de  dire  précisément  à  quelle 
époque  elle  devint  tout  à  l'ait  indépendante,  et  prit  le  carac- 
tère d'une  souveraineté  proprement  dite. 
52.  La  suite  des  faits  que  nous  avons  exposés  dans  le  chapitre 

dis^Jsi?"6  précédent,  suffit,  à  ce  qu'il  nous  semble,  pour  éclaircir  toutes 
ces  difficultés.  Pour  les  examiner  avec  ordre,  nous  partagerons 
ce  chapitre  en  deux  articles.  Nous  examinerons,  en  premier 
lieu,  à  quelle  époque  on  doit  placer  l'origine  de  la  souverai- 
neté temporelle  du  saint-siége,  soit  dans  le  duché  de  Rome,  soit 
dans  l'exarchat  (3);  2°  quels  sont  les  fondements  et  les  titres 
primitifs  de  cette  souveraineté. 


(1)  Sous  le  nom  d'Exarchat,  nous  désignons  dans  ce  chapitre,  non-seule- 
ment Y  Exarchat  proprement  dit,  mais  encore  la  Pentapole,  qui  en  étatt 
une  dépendance  à  lepoque  où  l'autorité  des  exarques  fut  remplacée  en 
Italie  par  celle  des  souverains  pontifes.  Voyez  à  ce  sujet  la  note  1  de  la 
page  205. 

(2)Lebeau,  Histoire  du  Bas -Empire,  tome  xiv,  liv.  lxvi,  n.  52, 
page  167. 

(3)  Nous  ne  parlons  pas  ici  de  quelques  autres  provinces,  données  par 
Charlemagne  au  saint-siége ,  hors  de  V exarchat  et  du  duché  de  Rome,  et 
qu'il  rendit  seulement  tributaires  du  Pape ,  en  s'y  réservant  à  lui-même  la 
souveraineté.  Ceci  regarde  en  participer  le  duché  de  Spolette,  et  la  partie  de 
la  Toscane  que  ies  auteurs  de  cette  époque  appellent  Toscane  royale.  On 
voit,  par  les  diplômes  déjà  cités  de  Louis  le  Débonnaire  et  d'Othon  Ier,  que 
les  successeurs  de  Charlemagne  conservèrent  assez  longtemps,  à  son  exem- 
ple, la  souveraineté  de  ces  provinces,  sauf  le  tribut  annuel  qu'elles  devaient 
payer  au  saint-siége»  (Cenni,  Mohumenta,  tom.  ii,  pag.  129  et  130.)  Il  serait 


PREMIÈRE   PARTIE.  —  CHAPITRE  II.  263 

ARTICLE  PREMIER. 

A  quelle  époque  doit-on  placer  l'origine  de  la  souveraineté  temporelle  du 

saint-siége  ? 


Le  sentiment  commun  des  auteurs  étrangers,  principalement       53. 

,.,.  Sentiment 

des  Italiens,  qui  paraissent  avoir  étudie  plus  soigneusement  commun  des 
cette  question ,  place  l'origine  de  la  souveraineté  temporelle  du  étranger!. 
saint-siége  sous  le  pontiûcat  de  Grégoire  II,  à  l'époque  où  plu- 
sieurs villes  et  provinces  d'Italie,  abandonnées  de  l'empereur 
d'Orient ,  et  fatiguées  des  vexations  qu'il  exerçait  depuis  long- 
temps contre  elles,  se  choisirent,  sous  le  titre  de  Ducs ,  des 
chefs  indépendants  de  l'empereur ,  et  se  mirent  sous  la  protec- 
tion du  saint-siége,  pour  combattre  de  concert  leurs  ennemis 
communs  (i).  Toutefois,  les  défenseurs  de  ce  sentiment  pen- 
sent communément ,  qu'avant  la  donation  de  Pépin ,  les  sou- 
verains pontifes ,  en  exerçant  l'autorité  qui  leur  était  librement 
déférée  par  le  vœu  des  peuples ,  ne  prétendaient  pas  renoncer 
définitivement  à  la  domination  de  l'empereur,  mais  exercer 
une  autorité  purement  provisoire ,  jusqu'à  ce  que  les  circon- 
stances permissent  à  celui-ci  de  rentrer  dans  l'exercice  de  ses 
droits. 
Ce  sentiment,  que  nous  ne  voyons  contredit  par  aucun  auteur     t  54. 

État  de  la 

difficile  d'assigner  aujourd'hui  la  véritable  raison  de  cette  restriction,  mise  à 
l'autorité  du  Pape  dans  ces  provinces,  particulièrement  dans  le  duché  de 
Spolette,  qui  s'était  librement  donné  au  saint-siége  avant  la  destruction  du 
royaume  des  Lombards,  comme  on  l'a  vu  plus  haut  (chap.  1,  pag.  253.)  On 
voit  seulement,  par  les  mêmes  diplômes,  qu'il  y  avait  eu,  sur  ce  sujet,  une 
convention  particulière  entre  Charlemagne  et  Adrien  1er.  (Cenni,  Monumenta, 
tome  11,  pag.  130  et  160.) 

(1)  Nicolas  Alamanni,  De  Lateranensibus  Parietinis  Dissert.  Roitiœ, 
1755,  in-4°,  pages  71,  95,  107,  et  alibi  passim.  Cet  ouvrage,  publié  pour  la 
première  fois  à  Rome  en  1625,  in-4°,  se  trouve  aussi  dans  le  tome  vin  du 
Recueil  de  Grœvins,  Thésaurus  Antiqintatuni  et  Historiarum  Italiœ. 
Lugd.  Batav.,  1725,  45  vol.  in-fol.  —  Cenni,  Monumenta  Dominationis 
Pontijiciœ,  tom.  i,  pag.  12,  etc.  —  Orsi,  Delta  origine  del  Dominio,  etc., 
cap.  1-8. — Le  sentiment  commun  des  auteurs  italiens,  sur  ce  point,  est  suivi 
par  quelques  auteurs  français.  Voyez,  entre  autres,  Thomassin,  Ancienne  et 

nouvelle  Discipline,  tom.  m,  liv.  î,  chap.  27,  n.  8  ;  chap.  29,  n.  1,  etc. 

De  Maistre,  Du  Pape,  liv.  n,  chap.  6,  pag.  249-257.  —  Receveur,  Hist.  de 
l'Église,  tom.  IV,  pag.  83-91 ,  208,  241,  285. 


264  SOUVERAINETÉ  TEMPORELLE  DU  PAPE. 

question: trois  de  poids,  et  que  nous  trouvons  même  confirmé  par  le  langage 

senti  ni  p il  t s 

principaux  à  d'un  grand  nombre  de  ceux  qui  ne  le  soutiennent  pas  formel- 
lement (1),  laisse  entièrement  subsister  la  principale  question 
que  nous  devons  examiner  dans  cet  article,  savoir  :  A  quelle 
époque  les  souverains  pontifes  commencèrent-ils  à  exercer  dé- 
finitivement, dans  le  duché  de  Rome  et  dans  l'exarchat,  une 
souveraineté  proprement  dite,  exempte  de  toute  dépendance, 
soit  à  l'égard  de  l'empereur  d'Orient,  soit  à  l'égard  du  roi  de 
France  ? 

Les  divers  sentiments,  sur  cette  matière,  peuvent  se  rappor- 
ter à  trois  principaux,  qui  ont  été  modifiés  eux-mêmes  de  plu- 
sieurs manières  (2). 


(1)  Voyez  les  auteurs  cités  plus  haut,  pag.  194,  note  1  ;  pag.  196,  noie  1  ; 
pag.  229,  note  1. 

(2)  Orsi,  dans  le  huitième  chapitre  de  son  ouvrage  déjà  cité  {Délia  origine 
del  Dominio,  etc.),  expose  et  discute  avec  soin  ces  divers  sentiments.  Plu- 
sieurs historiens  modernes,  et  quelques-uns  même  des  plus  célèbres,  s'ex- 
priment là-dessus  avec  tant  de  légèreté,  qu'ils  ne  paraissent  pas  avoir  sérieu- 
sement examiné  la  question  qui  donne  lieu  à  une  si  grande  diversité  de  sen- 
timents, ni  même  avoir  une  opinion  bien  arrêtée  sur  cette  question.  Parmi 
ces  auteurs,  nous  remarquerons  en  particulier  l'historien  anglais  Gibbon,  si 
connu  par  son  Histoire  de  la  Décadence  de  l'Empire  romain ,  dont  on  a 
tant  vanté  l'érudition  et  la  critique.  Dans  le  chapitre  49  de  cet  ouvrage,  où  il 
expose  assez  au  long  l'histoire  de  la  grande  révolution  opérée  en  Italie  au 
vme  siècle,  il  avance  d'abord,  comme  un  fait  incontestable,  que,  «  jusqu'au 
«  couronnement  de  Charlemagne,  l'administration  de  Rome  et  de  l'Italie  fut 
«toujours  au  nom  des  successeurs  de  Constantin  »  {Édition  de  1828, 
tom.  ix,  pag.  297);  ce  qui  ne  l'empêche  pas  de  soutenir  un  peu  plus  bas,  avec  le 
même  ton  d'assurance,  que  «  les  chefs  d'une  nation  puissante  (Pépin  et  Char- 
«  lemagne)  eussent  dédaigné  des  titres  ser viles  et  des  fonctions  subordon- 
«  nées  ;  que,  depuis  la  révolte  de  l'Italie  (sous  Grégoire  II),  le  règne  des  em- 
«pereurs  grecs  était  suspendu;  et  que,  durant  la  vacance  de  l'empire,  les 
«  princes  français  obtinrent  du  Pape  et  de  la  république  une  mission  plus 
«  glorieuse  (c'est-à-dire,  comme  l'auteur  lui-même  l'explique,  la  souverai- 
«  neté  de  Rome).  Les  ambassadeurs  romains,  ajoute-t-il,  présentèrent  aux 
«  patrices  de  Rome  (Pépin  et  Charlemagne),  les  clefs  de  l'église  de  Saint- 

«  pierre,  pour  gage  et  pour  symbole  de  souveraineté Durant  les 

«  vingt-six  années  qui  s'écoulèrent  entre  la  conquête  de  la  Lombardie  et  le 
«  couronnement  de  Charlemagne ,  en  qualité  d'empereur,  il  gouverna  en 
«■  maître  la  ville  de  Rome,  qu'il  avait  délivrée  par  ses  armes.  »  (Ibid., 
pag.  312-314.)  Il  serait  assurément  bien  difficile  de  concilier  ces  dernières  as- 
sertions avec  la  première  ;  car  il  est  assez  clair  que  si  Y  administration  de 
Rome  et  de  l'Italie  se  faisait  au  nom  des  successeurs  de  Constantin,  les 
princes  français  n'avaient  point  la  souveraineté  de  Rome,  mais  un  titre  et 
des  fonctions  subordonnés  à  ceux  de  l'empereur. 

L'auteur  ne  paraît  pas  avoir  des  idées  plus  exactes  sur  la  question  relative 


PREMIÈRE  PARTIE.  —  CHAPITRE  II.  265 

Le  premier  sentiment  est  celui  des  auteurs  qui  regardent  la      55. 
juridiction  de  l'empereur  de  Constantinople ,  comme  entière-      ment . 
ment  anéantie  dans  le  duchéde  Rome  et  dans  l'exarchat,  depuis    anse™vdeerai' 
la  donation'de  Pépin  ,  en  754.  C'est  le  sentiment  d'Alamanni,    ■'JgJJJ* 
d'Orsi,  de  Cenni.  du  P.  Pagi,  du  P.  Alexandre,  et  de  quelques  nmU^f 

'  O    >  j  x  j-  Rome  et  dans 

autres  écrivains  français  (1).  Toutefois,  ces  auteurs  ne  s'accor-    i'exa.Cbat 

V         V    '  .en  754. 

dent  pas  également  sur  l'autorité  respective  du  Pape  et  du  roi 
de  France,  dans  les  provinces  dont  il  s'agit,  depuis  la  donation 
de  Pépin.  La  plupart  des  auteurs  italiens,  suivis  sur  ce  point 
par  le  P.  Pagi ,  pensent  que  le  Pape  seul  avait  la  souveraineté 
proprement  dite  de  ces  provinces,  et  que  le  roi  de  France,  en 
vertu  de  son  titre  depatrice  des  Romains ,  n'y  pouvait  exer- 


à  la  souveraineté  de  Rome,  depuis  l'élévation  de  Charlemagne  à  l'empire.  Il 
avoue  d'abord  que  cette  question  lui  paraît  enveloppée  d'épaisses  ténèbres  ; 
et  il  adopte  seulement ,  comme  plus  probable,  l'opinion  qui  attribue  cette 
souveraineté  à  l'empereur  d'Occident.  (Ibid.,  pag.  333,  note  1.)  Oubliant  en- 
suite le  ton  douteux  et  réservé  avec  lequel  il  s'est  exprimé  sur  cette  question, 
il  avance,  comme  un  fait  constant,  que  «  cette  souveraineté  des  empereurs 
«  fut  détruite  par  les  artifices  des  papes  et  la  violence  du  peuple  ;  et  que  les 
«  successeurs  de  Charlemagne,  contents'des  titres  A' Empereur  et  d' Auguste, 
«  négligèrent  de  maintenir  cette  juridiction.  »  {lbid.,  pag.  369.)  Comment 
Gibbon  peut-il  avancer,  avec  tant  de  confiance,  que  la  souveraineté  des 
empereurs  fut  détruite  par  les  artifices  des  papes  et  par  la  violence  du 
peuple,  tandis  qu'il  est  fort  douteux,  de  son  aveu,  que  les  empereurs  aient 
jamais  eu  cette  souveraineté? 

On  remarque  dans  l'auteur  le  même  embarras,  lorsqu'il  s'agit  d'expliquer 
l'origine  et  le  fondement  de  l'autorité  des  empereurs  dans  Rome.  Tl  suppose 
tout  à  la  fois,  et  que  «  Charlemagne  y  régnait  par  droit  de  conquête,  »  et  que 
«  les  Romains ,  libres  de  se  choisir  un  maître,  accordèrent  d'une  manière  ir- 
«  révocable  aux  empereurs  français  et  saxons  le  pouvoir  délégué  d'abord  au 
«  patrice.  »  (Ibid.,  pag.  368.  Voy.  aussi  le  chap.  69,  tom.  xm,  pag.  139.)  Si 
Charlemagne  régnait  à  Borne  par  droit  de  conquête,  comment  les  Romains 
étaient-ils  libres  de  se  choisir  un  maître  ? 

Il  y  aurait  bien  d'autres  contradictions  à  relever,  sur  ce  point,  dans  l'ouvrage 
de  Gibbon.  Celles  que  nous  venons  d'indiquer  suffisent 'pour  montrer  avec, 
quelle  défiance  on  doit  lire,  dans  cet  ouvrage  ,  tout  ce  qui  regarde  la  lutte 
trop  fameuse  des  papes  et  des  empereurs,  au  moyen  âge.  Une  foule  d'auteurs 
modernes  s'expriment  là-dessus  avec  la  même  légèreté,  et  souvent  avec  les 
mêmes  contradictions.  Nous  indiquerons,  dans  les  notes  suivantes,  quelques- 
uns  de  ces  auteurs.  (Voyez  ci-après  la  note  3  de  la  page  267.) 

(1)  Alamanni,  De  Lateranensibus  Parietinis,  cap.  11.  —  Orsi,  Delta 
origine  delDominio,  etc.,  cap.  8. —  Cenni, Monumenta  Dominationis  Pon- 
tificiœ,  tom.  1,  pag.  12,  67,  68,  et  alibi  passim.  —  Pagi,  Critica  in  Annales 
Baronii,  anno  755,  n.  6  ;  anno  796  ,  n.  11 ,  etc.  —  Natal.  Alex.  Dissert.  25 
in  Hist.  Eccles.  sœculi  iv,  art.  1,  prop.  5  et  6 —  Thomassin,  Ancienne  et 
nouvelle  Discipline,  tom.  m,  liv.  1,  chap.  27,  n.  8;  chap.  29,  n.  1,  etc. 


266  SOUVERAINETÉ   TEMPORELLE  DU  PAPE. 

cer  aucune  autorité  qu'avec  l'agrément  du  Pape,  et  de  concert 
avec  lui.  Le  P.  Alexandre,  au  contraire,  prétend  que  la  souve- 
naineté  de  ces  provinces  appartenait  en  commun  au  Pape  et 
au  roi  de  France,  qui  l'exercèrent  de  concert  jusqu'en  876;  et 
qu'à  cette  époque,  Charles  le  Chauve  y  renonça,  pour  en  lais- 
ser au  Pape  seul  la  pleine  et  entière  jouissance  (1). 
^6-  Le  second  sentiment  est  celui  des  auteurs  qui  attribuent  à 

Deuxième  sert- 

timem  .■      P  empereur  de  Constantinople  la  souveraineté  du  duché  de 

Cette  souve-  .  i^ii     i'i     j  e  ■> 

raineté      Rome  et  de  l  exarchat,  jusqu  a  la  fin  du  vin    siècle.  Les 
jusquàteiaUfin  défenseurs  de  ce  sentiment  prétendent  que  Pépin  et  Charlema- 


da 


VIII 


siècle,  gue,  aussi  bien  que  le  Pape  Etienne  II  et  ses  successeurs,  jusqu'à 
l'an  796,  n'ont  eu  d'autre  pouvoir  en  Italie,  que  celui  dont 
jouissaient  auparavant  les  patrices  ou  exarques,  qui  gouver- 
naient cette  province  au  nom  de  l'empereur  (2).  M.  de  Marca  et 
le  P.  Lecointe ,  qui  sont  les  principaux  défenseurs  de  cette  opi- 
nion ,  ne  s'accordent  pas  entre  eux  sur  l'autorité  respective  du 
Pape  et  du  roi  de  France,  dans  Rome  et  dans  l'exarchat,  depuis 
l'an  796.  Selon  M.  de  Marca,  la  souveraineté  de  ces  provinces 
passa  alors  des  mains  de  l'empereur  de  Constantinople  en  celles 
du  Pape  et  du  roi  de  France ,  qui  l'exercèrent  en  commun  jus- 
qu'au temps  de  Charles  le  Chauve.  Selon  le  P.  Lecointe,  la  sou- 
veraineté de  ces  provinces,  depuis  l'an  796,  appartint  exclusi- 
vement au  roi  de  France,  qui  en  laissa  seulement  au  Pape  Y  ad- 
ministration, ou  le  domaine  utile,  jusqu'en  824,  époque  à 
laquelle  Louis  le  Débonnaire  céda  entièrement  ses  droits  au 
Pape  (3). 
57  Le  troisième  sentiment  est  celui  des  auteurs  qui  soutiennent 

Tr°dm7nt  sm'^ue  l'emPereur  de  Constantinople  perdit  d'abord,  en  754, 
^cettesouye-  ia  souveraineté  de  l'exarchat,  et  conserva  celle  du  duché  de 

rainete 

(1)  Cette  opinion  du  P.  Alexandre  paraît  être  au  fond  celle  du  P.  Daniel, 
Hist.  de  France  (tom.  u,  année  796,  pag.  95),  et  du  P.  Griffet,  dans  ses  Ob- 
servations sur  cette  Histoire  (tome  m,  pag.  253,  etc). 

(2)  De  Marca,  De  Concordiâ,  lib.  m,  cap.  11,  n.  9,  etc.  — Lecointe,  An- 
nales Ecoles.,  anno  796,  n.  1 12  ;  anno  800,  n.  31. 

(3)  Bossuet,  dans  la  Défense  de  la  Déclaration  (liv.  n,  chap.  19  et  38), 
paraît  adopter,  avec  quelques  modifications ,  l'opinion  du  P.  Lecointe.  Il 
suppose  que  l'empereur  de  Constantinople  ne  perdit  qu'en  800  la  souverai- 
neté de  Rome  et  de  l'exarchat.  Il  est  fort  douteux  que  Bossuet  ait  examiné 
de  près  cette  question,  et  discuté  avec  soin  les  différentes  opinions ,  sur  cette 
matière. 


PREMIÈRE  PARTIE.  —  CHAPITRE  II.  267 

Rome,  au  moins  jusqu'à  la  destruction  du  royaume  des  anéantie d'a- 
Lombards,  en  774,  et  même ,  selon  quelques-uns,  jusqu'à  ve™rc\i™,Sea 
l'élévation  desCharlemagne  à  l'empire  d'Occident,  en  800.  el  plfj'tard 
Selon  les  défenseurs  de  ce  sentiment,  la  souveraineté  de  l'em-     ,da.ns  ]* 

'  duclie  de 

pereur  de  Constantinople,  à  mesure  qu'elle  s'éteignit  dans  Rome.-» 
ces  provinces,  passa  entre  les  mains  du  roi  de  France, 
qui  en  laissa  au  Pape  Y  administration  ,  ou  le  domaine  utile , 
et  s'en  réserva  le  haut  domaine,  ou  la  souveraineté ,  d'abord 
sous  le  titre  de  patrice,  puis  sous  le  titre  d 'empereur ,  au 
moins  jusqu'au  temps  de  Charles  le  Chauve,  et  même  beaucoup 
plus  tard,  selon  quelques-uns.  Ce  sentiment,  soutenu  d'abord 
par  Melchior  Goldast  et  par  François  Junius,  au  commence- 
ment du  xviie  siècle,  a  été  renouvelé  par  M.  Leblanc,  dans  sa 
Dissertation  sur  quelques  monnaies  de  Charlemayne  et  de  ses 
successeurs  (1) .  Cette  Dissertation ,  qui  suppose  beaucoup  de 
recherches  et  d'érudition,  paraît  avoir  entraîné  dans  le  senti- 
ment de  M.  Leblanc  la  plupart  des  auteurs  français  qui  ont 
écrit  depuis,  sur  ce  sujet;  et  nous  n'en  connaissons  aucun  qui 
ait  essayé  de  le  combattre  (2).  Il  a  été  renouvelé,  de  nos  jours, 
par  de  célèbres  auteurs ,  avec  diverses  modifications ,  dont  le 
détail  serait  trop  long,  et  assez  peu  utile  (3). 

(1)  Voyez  ci-dessus  la  note  1  de  la  page  258. 

(2)  Parmi  les  défenseurs  de  ce  sentiment,  nous  remarquerons  en  particu- 
lier, Fleury,  Hist.  Ecclés.,  tom.  ix,  liv.  xliii,  n.  31  ;  tome  x,  liv.  lxv,  n.  21. 

—  Lebeau,  Hist.  du  Bas-Empire,  tom.  xm,  liv.  lxiv,  n.  32.  —  Annales  du 
moyen  âge,  tome  vu,  liv.  xxiv,  pag.  74;  liv.  xxv,  pag.  246;  tom.  vin, 
liv.  xxvm,  pag.  175.  —  De  la  Bruère,  Hist.  de  Charlemagne ,  tom.  i, 
pag  121,  etc.  —  Gaillard,  Hist.  de  Charlemagne,  tom.  n,  pag.  23,  etc.  — 
Maimbourg,  Hist.  de  la  Décadence  de  l'empire  de  Charlemagne,  pag.  8, 
11,  16,  etc.  —  Ferrand,  Esprit  de  l'Histoire,  tom.  u,  lettre  28,  pag.  220,  etc. 

—  Lenglet  Dufresnoy,  Méthode  pour  étudier  l'Histoire,  tom.  xm  de  l'édi- 
tion in-12,  page  230.  —  Lelong,  Bibliothèque  historique  de  la  France, 
tom.  n,  liv.  m,  chap.  5,  art.  10,  §  1.  — Muratori,  Annales d' Italie ,  an  800. 

(3)  Voyez  en  particulier  Sismondi,  Hist.  des  Républiques  Italiennes, 
tom.  i,  pag.  19,  20,  132,  135 ,  etc.  —  Savigny,  Hist.  du  Droit  Romain, 
tom.  i,  pag.  234-238.  —  Guizot,  Hist.  générale  de  la  Civilisation  en 
France,  tome  n,  27e  leçon,  pag.  316-319.  Il  faut  appliquer  à  ces  auteurs  ce 
que  nous  avons  dit  plus  haut  de  Gibbon  (pag.  264,  note  2).  Ils  traitent  fort  lé- 
gèrement cette  question ,  et  supposent  comme  incontestables  des  assertions 
qu'une  étude  sérieuse  de  l'histoire  ne  permet  pas.  ce  semble,  d'avancer  avec 
tant  de  confiance.  M.  Guizot,  par  exemple,  décide,  sans  balancer,  que  le  sys- 
tème qui  attribue  au  Pape  le  seul  domaine  utile  des  provinces  dont  il  est  ici 
question,  et  le  système  qui  leur  en  attribue  la  souveraineté  politique ,  sont 


268  SOUVERAINETÉ   TEMPORELLE  DU  PAPE. 

58.  La  diversité  même  des  sentiments  que  nous  veiions  d'ex- 

importance  p0ser^  montre  assez  i'imp0rtance  et  les  difficultés  de  la  ques- 

question     tion  qu'jj  s>a„it  jcj  <je  résoudre  ;  on  en  comprendra  encore 

j>resente  :  la  *  o  *• 

soiuiion     mieux  l'importance ,  si  l'on  se  rappelle  que  la  souveraineté  de 

réduite  à  cinq  ■*■  i  ... 

propositions.  Rome  était  un  des  principaux  sujets  des  contestations  si  vives 
qui  s'élevèrent,  au  moyen  âge,  entre  les  papes  et  les  empe- 
reurs, principalement  depuis  Frédéric  Barberousse ,  qui  sou- 
tint avec  tant  de  hauteur  et  de  violence  ses  prétentions  à  cet 
égard  (1). 

Au  milieu  de  toutes  ces  controverses,  le  premier  sentiment, 
tel  que  l'expliquent  communément  les  auteurs  italiens ,  nous 
paraît  être  le  plus  conforme  à  l'histoire.  Nous  croyons  même 
pouvoir  avancer  avec  confiance ,  que  la  plupart  des  auteurs 
modernes  qui  ont  embrassé  un  autre  sentiment ,  y  ont  été  en- 
traînés, sans  le  vouloir,  par  des  préjugés  nationaux,  bien  plus 
que  par  l'examen  attentif  des  faits  et  des  monuments  propres  à 
éclaircir  cette  matière  (2).  Pour  mettre  dans  tout  son  jour  le 

également  insoutenables,  «  et  reposent  sur  un  complet  oubli  de  l'état  des 
«  esprits,  au  temps  dont  il  s'agit;  parce  qu'on  ne  se  faisait  point  alors,  en  ma- 
«  tière  de  souveraineté ,  de  pouvoirs,  de  droits,  des  idées  aussi  nettes,  aussi 
«  précises  que  celles  que  nous  nous  en  formons  aujourd'hui.  »  (Guizot,  ubï 
suprà,  pag.  317  et  318.)  Cette  assertion  étonnera  sans  doute  bien  des  lec- 
teurs. Il  résulte  en  effet,  assez  clairement,  de  l'histoire  de  cette  époque, 
qu'alors,  comme  aujourd'hui ,  on  distinguait  très-bien  les  droits  d'un  souve- 
rain sur  ses  propres  États,  d'avec  ceux  qu'il  exerçait  sur  des  États  simple- 
ment tributaires ,  et  la  souveraineté  absolue  d'avec  une  simple  suzerai- 
neté. Les  mots  employés  pour  désigner  ces  divers  droits  ont  pu  varier  ;  mais 
le  fond  des  notions  était  toujours  le  même.  C'est  ce  qui  résulte  en  particulier 
de  plusieurs  faits  que  nous  avons  rapportés  dans  le  cours  de  cet  ouvrage. 
{Introd.,  pag.  126,  et  ci-dessus,  pag.  262,  note  3.)  Mais  tous  les  doutes  qu'on 
pourrait  élever  à  cet  égard  sont  pleinement  dissipés,  à  ce  qu'il  nous  semble, 
par  M.  Guizot  lui-même,  dans  ses  Essais  sur  V Histoire  de  France  {qua- 
trième et  cinquième  Essais),  où  il  explique  la  nature  et  le  caractère  du  ré- 
gime féodal. 

(1)  Sur  les  prétentions  de  Frédéric  Barberousse,  voyez  Fleury,  Hist.  Ec- 
clés.,  tome  xv,  liv.  lxx,  n.  23  et  26.  —  Maimbourg,  Hist.  de  la  Décadence 
de  l'empire,  pag.  454,  etc.,  465,  etc.  Plusieurs  écrivains  célèbres  ont  remar- 
qué ,  avant  nous,  que  ces  prétentions  étaient  un  des  principaux  sujets  de 
contestation  entre  les  papes  et  les  empereurs.  Nous  avons  déjà  cité ,  à  ce 
sujet,  le  témoignage  de  Voltaire  dans  la  Préface  de  cet  ouvrage.  Voyez  aussi 
Michaud,  Hist.  des  Croisades,  tom.  iv,  pag.  467,  etc. — De  Maistre ,  Du 
Pape,  tom.  i,  liv.  n,  chap.  7,  art.  3  (pag.  298,  etc.). 

(2)  On  conçoit  que  les  préjugés  nationaux  engageaient  naturellement  les 
auteurs  allemands  à  soutenir,  sur  ce  point,  les  prétentions  des  empereurs. 
Plusieurs  auteurs  français  ont  été  entraînés  dans  ce  sentiment ,  par  de  sem- 


Première 
ition 
souve- 


PREMIERE  PARTIE.  —  CHAPITRE   Iï.  269 

sentiment  que  nous  croyons  devoir  adopter ,  nous  le  réduirons 
à  un  petit  nombre  de  propositions ,  qui  semblent  être  des  consé- 
quences naturelles  des  faits  que  nous  avons  exposés  dans  le 
chapitre  précédant. 

1°  L 'origine  de  la  souveraineté  temporelle  du  saint-siège  ne 
peut  être  placée  avant  le  pontificat  de  Grégoire  H. 

Il  est  certain,  en  effet,  qu'avant  cette  époque,  les  souverains     p*%. 
pontifes  n'ont  jamais  exercé  en  Italie  aucun  pouvoir  temporel  en  jjw* 
leur  propre  nom,  et  d'une  manière  indépendante  de  Tempe-      raineté 
reur  de  Constantinople.  Il  est  vrai  que,  depuis  le  ive  siècle,  et    M^nég»11. 
surtout  depuis  l'établissement  de  la  monarchie  des  Lombards,  neT deîàpas 
en  572,  ils  avaient  souvent  une  très-grande  part  au  gouver-  deGré§oirelL 
nement  temporel  de  l'Italie;  mais  ils  ne  faisaient  rien  qu'au 
nom  de  l'empereur,  comme  ses  officiers  et  ses  représentants, 
dans  l'unique  but  de  maintenir  son  autorité,  et  de  retenir  dans 
son  obéissance  les  peuples  disposés  à  la  révolte  (1). 

11°.  Le  pontificat  de  Grégoire  II  doit  être  considéré  comme 
la  véritable  époque  du  commencement  de  la  souveraineté 
temporelle  du  saint-siége ,  dans  le  duché  de  Rome  et  dans 
V exarchat  (2). 

On  a  vu  en  effet,  dans  le  chapitre  précédent  (3),  que  sous       6o. 

Deuxième 

blables  préjugés,  depuis  les  démêlés  de  Philippe  le  Bel  avec  Boniface  VIII,  et 
de  Louis  XIV  avec  Innocent  XI.  Il  est  inutile  d'ajouter  que  le  même  senti- 
ment a  dû  être  embrassé  avec  chaleur,  par  les  écrivains  hérétiques,  schis- 
matiques  ou  impies,  que  leurs  opinions  portaient  naturellement  à  blâmer  et 
à  décrier  les  papes.  Le  sentiment  commun  des  auteurs  italiens  que  nous  sui- 
vons sur  ce  point,  est  également  suivi  par  quelques  auteurs  français,  que 
nous  avons  indiqués  plus  haut,  pag.  263,  note  1. 

(1)  Voyez  les  n0s  7,  13,  etc.,  du  chap.  précédent. 

(2)  C'est  le  sentiment  des  auteurs  que  nous  avons  cités  plus  haut  p.  263, 
note  1.  Voyez  principalement  Orsi  et  Cenni.  Il  y  a  cependant  ici  une  diffé- 
rence remarquable  entre  le  sentiment  d'Orsi  et  celui  de  Cenni.  Le  premier 
croit  que  la  souveraineté  du  saint-siége  était  déjà  établie  dans  l'exarchat, 
aussi  bien  que  dans  le  duché  de  Rome,  avant  l'expédition  de  Pépin  en  Ita- 
lie, en  754.  (Orsi ,  Del  Dominio,  cap.  1-5.  )  Le  second  pense  que  la  souve- 
raineté du  saint-siége ,  avant  cette  expédition ,  n'était  établie  que  dans  le 
duché  de  Rome,  que  la  souveraineté  de  l'exarchat  appartenait  encore  à 
l'empereur,  et  que  le  Pape  n'en  fut  investi  qu'en  754,  par  la  donation  de 
Pépin.  (  Cenni ,  Monumenta  Domin.  Poniif.ft.  î ,  pag.  15 ,  16 ,  76 ,  293  , 
294  et  296.  )  La  suite  des  faits  que  nous  avons  exposés  dans  le  chapitre  pré- 
cédent nous  paraît  établir  assez  clairement  le  sentiment  d'Orsi. 

(3)  Voyez  plus  haut,  nos  20,  21,  32,  34,  etc. 


proposition  : 
Le  pontificat 

de  Gré- 
goire II  est 

l'époque 
véritable  de 

son 
commence- 
ment. 


270  SOUVERAINETÉ   TEMPORELLE  DU  PAPE. 

Grégoire  II  plusieurs  villes  et  provinces  d'Italie,  abandonnées 
de  l'empereur,  et  fatiguées  des  vexations  qu'il  exerçait  depuis 
longtemps  contre  elles,  se  choisirent,  sous  le  titre  de  Ducs, 
des  chefs  indépendants  de  l'empereur,  afin  de  pourvoir  à  leur  li- 
berté et  à  celle  du  Pape,  qu'elles  regardaient  avec  raison  comme 
leur  principal  refuge,  dans  l'état  d'abandon  où  elles  se  trou- 
vaient. Depuis  cette  époque,  on  vit  constamment  les  papes,  sans 
prendre  le  titre  et  les  insignes  de  la  souveraineté ,  en  exercer 
tous  les  droits,  par  rapport  aux  villes  et  provinces  d'Italie  qui 
s'étaient  placées  sous  la  protection  du  saint-siége ,  c'est-à-dire 
principalement,  dans  le  duché  de  Rome  et  dans  l'exarchat  (1). 
Ils  continuaient,  à  la  vérité,  d'honorer  l'empereur,  autant  qu'il 
était  en  eux  et  que  les  circonstances  le  leur  permettaient  ;  ils 
s'efforçaient  même  de  conserver  son  autorité  en  Italie  ;  et  tout 
porte  à  croire  que,  dans  les  commencements,  ils  ne  préten- 
daient pas  renoncer  à  sa  domination  d'une  manière  définitive 
et  irrévocable  (2).  Mais,  tout  en  lui  conservant  ces  marques 
d'honneur  et  de  respect,  ils  exerçaient  réellement,  dans  le 
duché  de  Rome  et  dans  l'exarchat,  tous  les  droits  de  la  souve- 
raineté ,  non  plus  au  nom  de  l'empereur,  mais  comme  chefs  et 
représentants  de  la  république  romaine,  qui,  dans  l'état  d'a- 
bandon où  elle  se  trouvait,  leur  avait  confié  ses  intérêts  tempo- 
rels. En  vertu  de  ce  libre  choix  des  peuples,  le  Pape  considérait 
le  duché  de  Rome  et  l'exarchat  comme  ses  propres  États  ;  il  re- 
gardait les  habitants  de  ces  provinces  comme  son  peuple  et  ses 
sujets,  les  revendiquait,  à  ce  titre,  auprès  des  Lombards,  appe- 
lait le  roi  de  France  à  leur  secours,  et  lui  donnait,  de  concert 
avec  eux ,  les  titres  de  consul  ou  de  patrice,  pour  l'exciter  plus 
efficacement  à  prendre  leur  défense. 


(1)  Je  dis  principalement  ;  car  nous  avons  déjà  remarqué  que  ces  pro- 
vinces ne  fuient  probablement  pas  les  seules  qui  se  mirent  sous  la  pro- 
tection du  saint-siége,  depuis  le  pontificat  de  Grégoire  II.  On  peut  conjectu- 
rer la  même  chose  ,  avec  beaucoup  de  vraisemblance  ,  de  quelques  autres 
villes  et  provinces  d'Italie  ,  qui  furent  depuis  données  au  saint  -  siège  par 
Charlemagne.  Voyez  plus  haut,  n°  46.  —  Thomassin,  Ancienne  et  nouvel. 
Discipline,  t.  m ,  liv.  i ,  chap.  29,  n.  8  et  suiv. 

(2)  Tel  est  au  fond,  le  sentiment  d'Orsi  (  ubi  suprà ,  cap.  4) ,  et  de  Cenni 
(  ubi  suprà  ,  t.  i,  pag.  14 ,  etc. ,  n.  21 ,  24,  58  ).  L'abbé  Pey,  sans  se  pro- 
noncer nettement  là-dessus,  paraît  incliner  à  cette  opinion.  {De  l'autor. 
des  deux  Puissances,  1. 1,  pag.  110.) 


Troisième 
proposition  : 


PREMIÈRE  PARTIE. — CHAPITRE  IL  271 

111°.  Avant  la  donation  de  Pépin,  en  754,  quelque  étendu 
que  fût  le  pouvoir  temporel  des  souverains  pontifes  dans  le 
duché  de  Rome  et  dans  l'exarchat,  il  ne  paraît  pas  qu'ils 
aient  prétendu  renoncer,  dyune  manière  définitive  et  irrévo- 
cable, à  la  domination  de  l'empereur  de  Conslantinople  (1). 

Ce  n'est  pas  qu'ils  ne  fussent  dès  lors  autorisés ,  par  le  vœu       6, 
légitime  et  par  le  libre  choix  de  ces  provinces,  à  s'en  regarder 
comme  les  véritables  souverains  (2);  mais,  quelque  bien  fondée  la  d^tfon  de 
qu'eût  été  cette  prétention,  il  ne  paraît  pas  qu'elle  soit  entrée      pePin>   . 

r  7  r  r         n.  cette  souverai- 

dans  l'esprit  des  souverains  pontifes,  avant  la  donation  de  Pe-      ;*** 

_  •     ,  n'était  que 

pin;  du  moins,  tout  porte  à  croire  qu'ils  ne  prétendaient  pas  provisoire. 
s'attribuer,  d'une  manière  définitive  et  irrévocable ,  la  souve- 
raineté des  provinces  dont  il  s'agit ,  mais  y  exercer  seulement 
une  autorité  provisoire ,  jusqu'à  ce  que  les  circonstances  per- 
missent cà  l'empereur  de  rentrer  dans  l'exercice  de  ses  anciens 
droits.  C'est  ce  qui  paraît  clairement  résulter  de  la  conduite  des 
papes  Grégoire  HT ,  Zacharie  et  Etienne  II,  à  l'époque  dont  nous 
parlons.  La  requête  adressée  aux  empereurs,  par  l'Italie,  sous  le 
pontificat  de  Grégoire  III ,  pour  le  rétablissement  des  saintes 
images;  les  soins  du  pape  Zacharie  pour  maintenir  contre  les 
Lombards  l'autorité  de  l'exarque,  et  par  conséquent  celle  de 
l'empereur,  dont  il  n'était  que  le  représentant;  les  instances  réi- 
térées du  pape  Etienne  II  pour  obtenir  des  secours  de  l'empereur, 
avant  d'appeler  le  roi  de  France  en  Italie  ;  tous  ces  faits,  et  plu- 
sieurs autres  dont  l'histoire  du  temps  fait  mention ,  supposent  as- 
sez clairement  que  les  papes  ne  prétendaient  pas  alors  s'attribuer 
définitivement  la  souveraine  autorité  dans  le  duché  de  Rome  et 
dans  l'exarchat,  et  qu'ils  travaillaient  au  contraire,  de  tout 
leur  pouvoir,  à  y  maintenir  celle  de  l'empereur. 


(1)  Voyez  la  note  2  de  la  page  précédente. 

(2)  Voyez  plus  haut,  n°  42,  etc.,  pag.  247  et  suiv. 


272  SOUVERAINETÉ   TEMPORELLE  DU  PAPE. 

6*:>  IV°.  Depuis  la  donation  de  Pépin,  en  754,  jusqu'à  l'élévation 
proposition  :  de  Charlemagne  à  l'empire,  le  Pape  seul  avait  la  souverai- 
ia<foS>«<fe  neté  proprement  dite,  soit  dans  V exarchat,  soit  dans  le 
cettTïouve-       duché  de  Rome. 

rainelé 

fut  défunte      j  a  premi£re  partie  de  cette  assertion ,  relative  à  la  souverain 

ceue  proposi-  neté  de  Vexarchat,  est  facile  à  établir,  par  la  nature  et  les  cir- 

li*euuw*'  constances  de  la  donation  de  Pépin ,  et  par  la  conduite  même 

ment à  lexai-  jes  papGs  à  l'égard  des  habitants  de  l'exarchat ,  depuis  cette 

paria^/on  donation.  On  a  vu  en  effet  que,  depuis  le  pontificat  de  Gré- 
efe  Pépin.  •        »  «  »     t«  •  •  • 

goire  II ,  c  est-a-dire ,  vingt-cinq  ans  environ  avant  la  donation 
de  Pépin,  toute  la  force  et  l'autorité  du  gouvernement  de  l'exar- 
chat était  entre  les  mains  du  Pape,  considéré  comme  chef  et  re- 
présentant de  la  république  romaine;  en  sorte  que,  sans  avoir 
le  titre  et  les  insignes  de  la  souveraineté ,  il  en  exerçait  tous  les 
droits  (i).  Or,  on  ne  voit  pas  que  la  donation  de  Pépin  ait  rien 
changé,  sur  ce  point,  à  la  situation  du  Pape,  sinon  pour  conso- 
lider son  autorité,  et  la  rendre  définitivement  indépendante, 
à  l'égard  de  l'empereur  de  Constantinople.  Il  est  certain  en  effet 
que  Pépin ,  en  donnant  au  saint-siége  les  villes  et  territoires 
de  l'exarchat,  a  pu  et  voulu  dépouiller  définitivement  l'empereur 
de  la  souveraineté  de  cette  province,  pour  la  céder  au  saint-siége, 
saus  s'y  réserver  aucun  droit.  Qu'il  ait  pu  dépouiller  définitive- 
ment l'empereur  de  cette  souveraineté,  c'est  une  conséquence  na- 
turelle de  sa  conquête  (2)  ;  l'empereur  ne  pouvait  raisonnable- 
ment exiger  que  Pépin  rendît  une  conquête  si  importante,  à  un 
maître  évidemment  incapable  de  la  défendre,  et  qui,  depuis  si 
longtemps,  se  montrait  bien  plutôt  l'ennemi  déclaré  que  le 
maître  des  provinces  dont  il  s'agit.  Que  le  roi  de  France  ait 
réellement  voulu  dépouiller  l'empereur  de  cette  souveraineté , 
c'est  ce  qui  résulte  clairement  du  refus  absolu  que  fit  Pépin  de 
reconnaître  les  prétentions  de  l'empereur,  à  ce  sujet  (3).  Enfin,  il 
est  également  certain  qu'en  donnant  au  saint-siége  les  provinces 
dont  il  s'agit,  Pépin  n'a  prétendu  s'y  réserver  aucun  droit  de 
souveraineté.  La  supposition  de  cette  réserve  est  également  in- 

(1)  Voyez  ci-dessus  la  2e  assertion,  pag.  269,  etc. 

(2)  Voyez  plus  haut,  n.  41,  pag.  246,  etc. 
(3)Jftid. 


64. 

Confirmation 
de  celte 


PREMIÈRE  PARTIE.  — CHAPITRE  II.  273 

conciliable  avec  le  langage  des  anciens  auteurs  et  avec  la  con- 
duite de  Pépin  ;  car  les  anciens  auteurs  parlent  de  la  donation 
faite  au  saint-siége  par  ce  monarque,  comme  d'une  restitution 
des  provinces  que  les  Lombards  lui  avaient  injustement  enle- 
vées (l);  et  Pépin,  pressé  par  les  ambassadeurs  de  Constantinople 
de  restituer  l'exarchat  à  l'empereur,  déclara  avec  serment  qu'il 
n'avait  entrepris  son  expédition  en  Italie  par  aucune  considéra- 
tion humaine ,  mais  uniquement  pour  l'amour  de  saint  Pierre, 
et  pour  l'expiation  de  ses  péchés.  Assurément,  ce  n'est  pas  là  le 
langage  d'un  prince  qui  prétend  conserver  un  droit  de  souve- 
raineté sur  des  provinces  conquises.  On  ne  voit  pas  d'ailleurs 
que  Charlemagne  ait  eu  là-dessus  d'autres  dispositions  que 
celles  de  Pépin  ;  car  sa  nouvelle  donation  n'avait  pour  but  que 
de  confirmer  et  d'étendre  la  première  ;  et  les  historiens  du  temps, 
soit  français  soit  étrangers ,  parlent  de  ces  deux  donations, 
comme  de  véritables  restitutions  faites  à  l'Église  romaine  (2). 
Enfin ,  la  conduite  des  papes  depuis  la  donation  de  Pépin 
vient  encore  à  l'appui  de  notre  sentiment.  Il  est  certain  en  effet 
que,  depuis  cette  époque,  les  papes  exercèrent  tous  les  actes  de  preuve,  par  ia 
la  souveraineté  dans  l'exarchat,  sans  aucun  témoignage  de  dé-  Pap\*. e 
pendance  à  l'égard  de  l'empereur  de  Constantinople  ;  et  que , 
bien  loin  de  se  regarder  comme  ses  sujets,  ils  combattirent  ou- 
vertement ses  prétentions  sur  l'exarchat,  comme  celles  d'un 
ennemi  déclaré  (3).  Or,  cette  conduite  des  papes  suffirait  seule 
pour  établir  ce  que  nous  avançons.  En  effet,  outre  qu'elle  était 
manifestement  autorisée  par  le  vœu  légitime  des  peuples,  on  doit 
remarquer  que  les  pontifes  dont  nous  parlons  étaient  des  hommes 
également  recommandables  par  leurs  lumières  et  leurs  vertus. 
Tous  les  anciens  historiens,  et  la  plupart  des  modernes,  même 
parmi  ceux  qui  sont  plus  portés  à  blâmer  la  conduite  politique 
des  papes  de  cette  époque,  ont  rendu  hommage  à  leur  pru- 
dence, à  leurs  vertus  et  à  leur  éminente  sainteté.  Lebeau  lui- 
môme,  dans  Y  Histoire  du  Bas-Empire ,  où  il  représente  Gré- 
goire II  ï  et  ses  successeurs  comme  coupables  de  félonie  envers 


(l)  Voyez  plus  haut,  n.  40,  pag.  245. 

(î)Ibid.,  n.  46,  pag.  254. 

(3)  Ibid.y  n.  42  et  suiv.,  pag.  247,  etc. 

18 


274  SOUVERAINETÉ  TEMPORELLE  DU  PAPE. 

les  empereurs  de  Constantinople  (l),  fait  ensuite  le  plus  bel  éloge 
des  mêmes  pontifes,  sous  le  rapport  de  la  prudence  et  de  la 
vertu.  «  Malheureusement  pour  les  empereurs  de  Constantinople, 
«  dit-il,  la  vertu  la  plus  éminente ,  jointe  à  la  prudence  la  plus 
«  éclairée,  siégait  alors  sur  la  chaire  de  saint  Pierre.  On  vit,  pen- 
«  dant  quatre-vingts  ans  de  suite,  sept  papes,  aussi  respectables 
«  pour  la  sainteté  de  leur  vie,  que  redoutables  à  leurs  souverains 
«  par  la  profondeur  de  leur  politique.  Quel  contraste  de  la  sagesse 
«  de  Grégoire  III, de  Zacharie, d'Etienne  II, et  surtout  d'Adrien  Ier, 
«  génie  ferme  et  étendu ,  vraiment  digne  du  siècle  de  Charle- 
«  magne,  avec  la  légèreté ,  les  emportements  de  Léon  l'Isaurien 
«  et  de  Constantin  Copronyme  (2)  !  »  On  remarque  avec  éton-, 
nement  les  mêmes  aveux,  dans  la  plupart  des  auteurs  qui  jugent 
d'ailleurs  avec  plus  de  sévérité  les  papes  du  vine  siècle  (3).  Qu'il 
nous  suffise  de  citer  ici  le  témoignage  de  M.  Sismondi ,  que  per- 
sonne ne  soupçonnera  de  partialité  en  faveur  de  ces  pontifes  : 
«  Plus  les  Romains,  dit-il,  se  voyaient  négligés  par  les  empereurs, 
«  plus  ils  s'attachaient  aux  papes,  qui ,  pendant  cette  période, 
«  étaient  eux-mêmes,  presque  tous,  Romains  de  naissance,  et  que 
«  leurs  vertus  ont  fait  admettre ,  pour  la  plupart,  dans  le  cata- 
«  logue  des  saints.  La  défense  de  Rome  était  considérée  comme 
«  une  guerre  religieuse,  parce  que  les  Lombards  étaient,  les  uns 
«  Ariens,  les  autres  attachés  encore  au  paganisme;  les  papes, 
«  pour  protéger  les  églises  et  les  couvents  contre  la  profanation 
«  des  Barbares,  employaient  les  richesses  ecclésiastiques  dont  ils 
«  disposaient,  et  les  aumônes  qu'ils  obtenaient  de  la  charité  des 
«  fidèles  occidentaux  ;  en  sorte  que  le  pouvoir  croissant  de  ces 
«  pontifes  sur  la  ville  de  Rome,  était  fondé  sur  les  titres  les  plus 
«  respectables ,  des  vertus  et  des  bienfaits  (4) .  » 
65.  La  seconde  partie  de  notre  assertion ,  qui  regarde  la  souve- 

Prouves 

deia      raineté  du  Pape  dans  le  duché  de  Rome ,  depuis  la  donation  de 


(i)  Lebeau  ,  Hist.  du  Bas -Empire,  t.  xm,  liv.  lxih,  n.  63;  liv.  lxiv, 
n.  1  ;  t.  xiv,  liv.  lxvi,  n.  19  et  alibi  passim. 

(2)  Ibid.  ,  liv.  lxvi,  n.  5t. 

(3)  Annales  du  moyen  âge,  t.  vu,  liv.  xxiv ,  pag.  67.  —  Daunou,  Essai 
historique ,  1. 1 ,  pag.  29  et  30. 

(4)  Sismondi,  Hist.  des  Rép.  ïtal.,\.  1,  chap.  3,  pag.  122.  L'auteur  re- 
produit, pour  le  fond,  ces  réflexions  dans  son  Hist.  des  Français,  t.  n, 
pag.  184-186. 


PREMIÈRE   PARTIE.  —  CHAPITRE  II.  275 

Pépin,  semble,  au  premier  abord,  plus  difficile  à  établir  que  la  quatrième  P,o- 
première,  parce  que  le  duché  de  Rome  ne  faisait  point  partie  des  p£Tra^wt 
territoires  donnés  à  l'Église  romaine  par  le  roi  de  France  ;  mais,  £  ^mè! 
indépendamment  de  cette  donation,  la  conduite  des  papes  de- 
puis cette  époque,  et  celle  des  monarques  français  envers  le  saint- 
siége,  suffisent  pour  établir  ce  que  nous  avançons.  Il  est  certain 
en  effet  que,  depuis  la  donation  de  Pépin  jusqu'à  l'élévation  de 
Charlemagne  à  l'empire,  les  papes  exercèrent  constamment  tous 
les  droits  de  la  souveraineté  dans  le  duché  de  Rome,  aussi  bien 
que  dans  l'exarchat,  sans  aucun  témoignage  de  dépendance  à 
l'égard  de  l'empereur  de  Constantinople  ni  des  monarques  fran- 
çais (1).  Bien  plus,  ceux-ci  reconnaissaient  ouvertement  la  souve- 
raineté du  Pape  dans  le  duché  de  Rome,  soit  en  recevant  de  lui 
Je  titre  àepatrices  des  Roinains,  qui  ne  pouvait  émaner  que  du 
légitime  souverain  de  Rome  ;  soit  en  reconnaissant  la  souverain  été 
du  Pape  dans  les  provinces  de  l'exarchat,  que  les  Lombards  lui 
avaient  enlevées  (2).  Qui  ne  voit,  en  effet,  que  le  roi  de  France  ne 
pouvait  reconnaître  cette  dernière  souveraineté,  sans  recon- 
naître également  celle  que  le  Pape  exerçait  dans  le  duché  de 
Rome,  l'une  et  l'autre  étant  évidemment  fondées  sur  le  même 
titre,  c'est-à-dire,  sur  le  libre  choix  et  sur  le  vœu  légitime 
des  habitants  de  ces  provinces ,  abandonnées  de  leurs  anciens 
maîtres? 

A  quel  titre  d'ailleurs  le  roi  de  France  eût-il  pu  s'attribuer 
la  souveraineté  de  Rome?  Serait-ce  par  droit  de  conquête  ?  Il 
ne  pouvait  avoir  ce  droit  que  dans  les  provinces  conquises  sur 
les  Lombards  ;  or,  il  est  certain  que  ceux-ci  n'ont  jamais  été 
maîtres  de  Rome  (3).  Serait-ce  comme  patrice  des  Romains  ? 
Il  est  certain  que  ce  titre  ne  donnait  par  lui-même  aucune 

(1)  Voyez  plus  haut,  chap.  1 ,  n.  42,  p.  247,  etc. 

(2)  Voyez  plus  haut,  chap.  1 ,  n.  46,  p.  254. 

(3)  Bossuet  (Defens.  Declar.  lib.  il,  cap.  38,  1er  alinéa),  Fleury 
(Hist.  Ecclés.,  t.  x,  liv.  xlv,  n.  21  ) ,  et  quelques  autres  auteurs,  suppo- 
sent que  Charlemagne  était  souverain  de  Rome  par  droit  de  conquête.  Nous 
ne  voyons  rien  dans  l'histoire,  qui  puisse  appuyer  cette  supposition.  Aussi 
la  plupart  des  historiens  supposent ,  au  contraire  ,  comme  une  chose  con- 
stante, que  le  roi  de  France  ne  fut  jamais  souverain  de  Rome,  avant  l'éléva- 
tion de  Charlemagne  à  l'empire.  Lebeau  ,  Hist.  du  Bas-Empire,  t.  xm, 
liv.  lxiv,  n.  32.  Voyez  aussi  les  observations  que  nous  avons  faites  sur  ce 
sujet,  à  la  fin  du  chapitre  précédent,  ci-dessus,  n.  48,  texte  et  notes. 

18. 


276  SOUVERAINETÉ  TEMPORELLE  Ï)Ù  PAPE. 

souveraineté.  Depuis  le  règne  de  Constantin  jusqu'à  la  chute  de 
l'empire  d'Occident ,  ce  titre,  lorsqu'il  n'était  pas  purement  ho- 
norifique, ne  donnait  qu'un  pouvoir  subordonné  à  l'autorité  du 
souverain  légitime.  Le  patrice  d'Italie,  comme  ceux  de  Sicile  et 
d'Afrique,  n'avait  d'autre  pouvoir,  que  celui  de  gouverner  sa  pro- 
vince au  nom  de  l'empereur,  et  comme  son  représentant  (1). 
Aussi  est-il  généralement  reconnu  que  le  titre  de  patrice  des  Ro- 
mains, accordé  à  Pépin  par  le  Pape  Etienne  II ,  ne  lui  donna 
aucune  souveraineté,  avant  son  expédition  en  Italie.  Nous  ne 
connaissons  pas  un  seul  auteur  qui  fasse  remonter  la  souveraineté 
du  roi  de  France  dans  le  duché  de  Rome  ou  dans  l'exarchat,  jus- 
qu'à l'époque  où  il  reçut  du  Pape  le  titre  de  patrice  des  Ro- 
mains.  Tous  les  auteurs  qui  lui  attribuent  quelque  souveraineté 
en  Italie,  la  supposent  postérieure  à  ce  titre,  et  attribuent  par 
conséquent  à  cette  souveraineté  une  autre  origine  (2). 
66.  Concluons,  en  passant,  de  ces  observations,  que  le  titre  de 

France,6  patrice  des  Romains,  quelque  honorable  qu'il  fût  pour  Pépin  et 
7e?mRomZue,  Charlemagne,  ne  leur  donnait  par  lui-même  aucune  souverai- 
iioin'tT'sou-  ne^  proprement  dite  dans  Rome  et  dans  l'exarchat,  mais 
verRmneë  de  um(Iuement  Ie  droit  et  l'obligation  de  protéger  le  saint-siége 
contre  ses  ennemis,  et  de  régler,  de  concert  avec  le  Pape,  tout 
ce  qui  regardait  l'ordre  et  la  tranquillité  publique,  dans  ses  États. 
Cette  conséquence,  qui  résulte  naturellement  des  faits  que 
nous  venons  d'exposer ,  est  d'ailleurs  établie  par  le  langage  or- 
dinaire des  anciens  auteurs,  qui  ont  parlé  du  patriciat  de  Pépin 
et  de  Charlemagne.  Les  souverains  pontifes,  le  sénat  et  le 
peuple  romain,  le  roi  de  France  lui-même,  bien  loin  d'attacher 
à  ce  titre  la  souveraineté  de  Rome,  n'y  attachaient  d'autre  idée 
que  celle  de  protecteur  et  de  défenseur  de  l'Église  romaine  (3). 
Les  papes  Paul  Ier  et  Adrien  Ier,  qui  s'attribuent  la  souveraineté 
de  Rome  et  de  l'exarchat ,  donnent  indistinctement  au  roi  de 
France,  tantôt  le  titre  de  patrice  des  Romains,  tantôt  seulement 
celui  de  tuteur,  de  défenseur,  ou  de  libérateur  de  V Église  ro- 

(1)  Voyez  plus  haut ,  chap.  1 ,  pag.  238 ,  note  2. 

(2)  Voyez  les  auteurs  cités  plus  haut,  pag.  267,  note  2. 

(3)  Voyez  principalement,  sur  ce  point,  Alamanni ,  De  Lateranensibus 
Parietinis,  cap.  1 1 .—  Pagi,  Critica,  anno  740,  n.  8;  anno  796,  n.  3,  etc.  — 
Orsi,  Del  Dominio,  etc.,  cap.  8 ,  pag.  126,  etc.  —  Cenni ,  Monum.  Domin. 
Ponlif.,  t.  i ,  pag.  294-296.  —  De  Maistie,  Du  Pape ,  liv.  u  ,  ch.  6 ,  p.  257. 


* 


PREMIÈRE  PARTIE.  —  CHAPITRE  II.  277 

maine  et  de  son  peuple  particulier  (1).  Le  sénat  et  le  peuple  ro- 
main emploient  également  ces  expressions  les  unes  pour  les  au- 
tres, dans  uncAettre  à  Pépin,  sous  le  pontificat  de  Paul  Ier  (2). 
Charlemagne  lui-même  n'attachait  pas  d'autre  idée  à  son  pa- 
triciat;  il  est  à  remarquer  en  effet  que,  dans  ses  lettres  et  ses 
actes  publics,  il  prend  indistinctement  le  titre  de  patrice  des 
Romains  et  celui  de  défenseur  de  V Église ,  tantôt  réunissant 
ces  deux  titres,  tantôt  omettant  celui  de  patrice  et  prenant 
seulement  celui  de  défenseur;  et  toujours  mettant  ces  titres 
après  celui  de  roi  de  France  et  des  Lombards  (3).  Est-il 
croyable  qu'il  eût  constamment  employé  ce  langage,  s'il  eût  re- 
gardé la  souveraineté  de  Rome  comme  attachée  à  son  titre  de 
patrice  des  Romains? 

La  lettre  qu'il  écrivit,  en  796 ,  au  pape  Léon  HT,  pour  le  fé- 
liciter de  son  exaltation  au  pontificat,  et  pour  le  prier  de  con- 
firmer son  titre  de  patrice  des  Romains ,  vient  parfaitement  à 
l'appui  de  ces  observations.  «  Nous  vous  envoyons,  lui  dit-il, 

«  Angilbert,  notre  secrétaire à  qui  nous  avons  donné  nos 

«  instructions,....  afin  que  vous  régliez  ensemble  tout  ce  que  vous 
«  croirez  nécessaire  à  l'exaltation  de  la  sainte  Église,  au  maintien 
«  de  votre  dignité,  et  à  l'affermissement  de  notre  patriciat. 
»  Car,  de  même  que  f  ai  contracté  alliance  avec  votre  bienheu- 
«  veux  prédécesseur ,  je  désire  la  contracter  d'une  manière  aussi 
«  inviolable  avec  Votre  Béatitude  ;  afin  qu'avec  la  grâce  de 
«  Dieu,  et  par  les  prières  des  saints,  la  bénédiction  apostolique  de 
«  Votre  Sainteté  m'accompagne  partout ,  et  qu'avec  l'aide  de 
«  Dieu,  je  puisse  toujours  défendre  avec  zèle  le  saint-siége  de 
«  l'Église  romaine  (4).  »  11  est  difficile  assurément  de  concilier 


(1)  Cod.  Carol.  Ep.  13,  17, 18,  30,  83,  93.  (Cenni,  Monumenta,  1. 1, 
pag.  136,  150,  153,  189,  460,  500;  et  alibi  passim.) 

(2)  Cod.  Carol.  Ep.  15  (aliàs  36).  (Cenni,  ibid.,  pag.  142, 144.) 

(3)  Caroli  Magni  Epist.  ad  Offam  regem;  ad  Fastradam  reginam; 
ad  Angilbertum ;  ad  Leonem  III,  etc.,  etc.  (Baluzii  Capitularia , 
1. 1,  pag.  194,  255,  271,  272.  —  Labbe,  Concil.  t.  vu,  pag.  1128,  etc.) 
Ejusdem  Capitularia  annorum  769,  789,  etc.  (Baluz.  ibid. ,  t.  i, 
pag.  190,  210.) 

(4)  «Ad  dilectionis  pacificam  unitatem,  Angilbertum,  manualem  nostrse 

«  familiaritatis ,  Vestree  direximus  Sanctitati , illique  omnia  injunxi- 

«  mus  ,  quœ  vel  nobis  voluntaria,  vel  vobis  necessaria  esse  videbantur;  ut 
«  ex  collatione  mutuâ  conferatis  quidquid  ad  exaltationem  sanctae  Dei  Eccle- 


278  SOUVERAINETÉ   TEMPORELLE  DU  PAPE. 

cette  lettre  avec  le  sentiment  des  auteurs  modernes  qui  attri- 
buent au  roi  de  France ,  comme  patrice  des  Romains ,  la  sou- 
veraineté de  Rome,  à  l'époque  dont  il  s'agit.  Charlemague,  bien 
loin  de  s'attribuer  cette  souveraineté ,  reconnaît  clairement  le 
Pape  pour  le  véritable  souverain  de  Rome,  soit  en  s'adressant  à 
lui  pour  être  confirmé  dans  la  dignité  de  patrice  des  Romains, 
soit  en  déclarant  expressément  que  l'unique  motif  de  cette  de- 
mande, est  de  contracter  avec  lui  une  alliance ,  en  vertu  de 
laquelle  il  puisse  défendre  efficacement  le  saint-siége  contre  ses 
.     G7-    .   ennemis. 

La  souverai- 

neté  du         Pour  expliquer  plus  à  fond  la  nature  et  l'étendue  de  la  souve- 

Pape,  aussi  ,  / 

absolue  dans  rainete  temporelle  du  saint-siege,  à  l'époque  dont  nous  parlons, 
de  RomVque  nous  ne  devons  pas  omettre  ici  une  observation  importante. 

l'exaTchat.  Quelques  auteurs  modernes  prétendent  que  cette  souveraineté 
était  moins  absolue  dans  le  duché  de  Rome  que  dans  X exarchat; 
qu'elle  était  restreinte,  dans  le  duché  de  Rome,  par  l'autorité  du 
sénat  et  du  peuple  romain  ;  mais  que  cette  restriction  n'existait 
pas  dans  les  autres  provinces  soumises  à  la  domination  du  saint- 
siége.  La  raison  de  cette  différence,  selon  ces  auteurs,  venait  de 
l'origine  de  la  souveraineté  du  saint-siége,  dans  ces  différentes 
provinces.  Dans  le  duché  de  Rome,  elle  était  uniquement  fon- 
dée sur  le  libre  choix  du  sénat  et  du  peuple  romain ,  qui ,  en  se 
soumettant  à  l'autorité  du  Pape,  n'avaient  pas  renoncé  à  l'exer- 
cice des  droits  dont  ils  avaient  constamment  joui  sous  les  empe- 
reurs; dans  V exarchat,  la  souveraineté  du  saint-siége  n'était  pas 
seulement  fondée  sur  le  libre  choix  des  peuples,  mais  encore  sur 
la  libéralité  du  roi  de  France,  qui,  après  avoir  conquis  ces  pro- 
vinces sur  les  Lombards ,  les  avait  cédées  au  saint-siége  absolu- 
ment et  sans  restriction  (l). 

«  sise,  vel  ad  stabilitatem  honoris  vestri ,  vel  patriciatûs  nostri  firmita- 
«  tem  neeessarium  intelligeretis.  Sicut  enim  cum  prœdecessore  Vestrœ 
«  sanctœ  Paternitatis  pactuminii,  sic  cum  Beatitudine  Vestrâ  ejusdem 
«  fidei  et  caritatis  inviolabile  fœdus  statuere  desidero;  quatenus  apostolicae 
«  Sanctitatis  Vestra? ,  divinâ  donante  gratiâ,  sanctorum  advocata  precibus 
«  me  ubique  apostolica  benedictio  consequatur,  et  saiictissima  Romanœ  Ec- 
«  clesiae  sedes ,  Deo  donante ,  nostra  semper  devotione  defendatur.  » 
Caroli  Magni  Epist.  ia  ad  Leonem  III.  (  Labbe,  Conciliorum  t.  vu, 
pag.  1128.  —  Baluzii  Capitularia ,  t.  i,  pag.  271.) —  Fleury,  Hist. 
Eccl. ,  t.  x,  liv.  xlv,  n.  5. 
(l)  Cenni,  Monum.  Domin.  Pontif.,  t.  n,  pag.  108. 


PREMIÈRE   PARTIE.  — CHAPITRE   II.  279 

Nous  ne  voyons  rien,  dans  l'histoire,  qui  autorise  cette  explica- 
tion ;  nous  y  trouvons,  au  contraire,  des  raisons  de  croire  que  la 
souveraineté  dtf  saint-siége  n'était  pas  moins  absolue  dans  le 
duché  de  Rome  que  dans  l'exarchat.  Dans  l'une  et  l'autre  de 
ces  provinces,  elle  était  également  fondée  sur  le  libre  choix 
des  peuples,  qui,  dans  l'état  d'abandon  où  ils  se  trouvaient, 
avaient  mis  tous  leurs  intérêts  entre  les  mains  du  Pape,  et  lui 
avaient  confié  l'autorité  que  l'empereur  de  Constantinople  exer- 
çait auparavant  sur  eux ,  par  le  moyen  de  ses  officiers.  Pépin 
et  Charlemagne  avaient  eux-mêmes  reconnu  la  légitimité  de  ce 
titre,  en  restituant  au  saint-siége  les  villes  et  territoires  de 
l'exarchat  que  les  Lombards  lui  avaient  enlevés  (1). 

Dira-t-on  que  le  sénat  et  le  peuple  romain,  en  se  soumettant  à       68. 
l'autorité  du  Pape,  n'avaient  pas  renoncé  à  l'exercice  des  droits   e  ^"upie 
dont  ils  avaient  constamment  joui  sous  les  empereurs  (2)?  Cette  a™i™tTucû»e 
difficulté  suppose  que  le  sénat  et  le  peuple  romain  avaient       part' 
conservé  jusqu'alors  leurs  anciens  droits,  dans  le  gouvernement 
de  l'État.  Il  est  certain  au  contraire,  et  généralement  reconnu, 
qu'ils  en  étaient  dépouillés  depuis  longtemps,  par  suite  des  ac- 
croissements successifs  du  pouvoir  impérial  (3).  Depuis  le  règne 
de  Constantin  surtout,  le  sénat  de  Rome  n'était  plus  qu'un 
corps  municipal,  environné  sans  doute  de  la  considération  at- 
tachée à  son  caractère ,  mais  sans  aucune  juridiction  hors  des 
murs  de  la  ville ,  et  sans  aucune  participation  au  gouvernement 
de  l'État (4).  Ses  droits  municipaux  subsistaient,  il  est  vrai,  à  l'é- 


(1)  Voyez  ci-dessus  ,  pag.  273  et  275. 

(2)  Cenni ,  ubi  suprà. 

(3)  Mœliler ,  Manuel  d'Hist.  du  moyen  âge,  chap.  1 ,  §  3.  —  Naudet, 
Des  Changements  opérés  dans  l'administration  de  l'empire  sous  Dio- 
ctétien et  Constantin ,  t.  r,  pag.  289,  etc.  ;  t.  h,  chap.  7.  —  Muratori, 
Chorogr.  medii  œvi ,  §  20.  (Rerum.  Ital.  Script.,  t.  x.) 

(4)  On  sait  que,  sous  les  empereurs  romains,  la  plupart  des  villes  d'Italie 
formaient  des  communes  ou  républiques,  qui  avaient  une  espèce  de  régime 
ou  de  gouvernement  municipal ,  sous  le  haut  domaine  ou  la  haute  admi- 
nistration de  l'empereur.  Ces  communes  ou  républiques  avaient  un  sénat 
et  des  magistrats  particuliers  à  leur  choix,  des  assemblées  et  des  lois  parti- 
culières ,  qui  avaient  pour  objet  l'ordre  et  les  intérêts  particuliers  de  la  cité. 
(Godefroy,  Cod.  Theodos.  lib.  xn,  Praeamb.  in  tit.  1  ;  Comment,  in  Ut.  2, 
n.  l,tom.  îv,  pag.  289,  etc. — Muratori,  Antiquit.  Ital.  medii  œvi,  Dissert. 
18, t.  i,  p. 981.  —Naudet,  ubi  suprà,  1. 1, pag.  49,  etc.;  t.  n,  pag.  101,  etc. 
— Mœlher,  ubi  suprà ,  pag.  49.  —  Guizot,  Essais  sur  l'Hist.  de  France; 


280  SOUVERAINETÉ   TEMPORELLE   DtJ  PAPE. 

poque  où  l'Italie  secoua  le  joug  de  l'empereur  de  Constanti- 
nople;  et  il  y  a  tout  lieu  de  croire  que  le  régime  municipal  sub- 
sista encore  longtemps,  depuis  cette  époque,  à  Rome  aussi  bien 
que  dans  plusieurs  autres  villes  de  l'Italie  (i )  ;  mais  ce  régime , 
qui  n'existait  pas  moins  dans  les  principales  villes  de  l'exarchat 
que  dans  le  duché  de  Rome ,  n'avait  pour  objet  que  l'ordre  et 
les  intérêts  particuliers  de  la  cité ,  et  ne  diminuait  en  rien  les 
droits  du  souverain  pour  le  gouvernement  de  l'État. 

V°.  Depuis  V élévation  de  Charlemagne  à  l'empire ,  le  Pape 
continua  de  posséder  seul  la  souveraineté  proprement  dite 
dans  le  duché  de  Rome  [et  à  plus  forte  raison  dans  l'exar- 
chat) (2),  tant  sous  les  empereurs  carlovingiens  que  sous  les 
empereurs  allemands. 

_.  69-,  En  effet,  si  l'on  examine  attentivement  la  suite  des  faits  rela- 

CinqnXeme  ' 

I,rjPo°ï'Te     ^S  au  P0llV0^r  temporel  du  Pape  depuis  l'élévation  de  Charle- 
conserve  in   magne  à  l'empire  .  on  verra  que  ce  grand  événement  ne  donna 

souveraineté  x  x  ° 

de  Rome     aucune  atteinte  à  la  souveraineté  que  le  Pape  exerçait  aupara- 

et  de  l 'exor* 

chat,       vant  dans  le  duché  de  Rome  et  dans  l'exarchat  ;  on  le  verra  con- 
ept'io»  deVa  tinuer,  depuis  cette  époque ,  à  exercer  dans  ces  provinces  tous 
Cà rempîfe"6  *es  droits  de  la  souveraineté,  sans  aucune  dépendance,  soit  à 
l'égard  de  l'empereur  d'Orient,  soit  à  l'égard  du  nouvel  empe- 
reur d'Occident. 

L'indépendance  du  Pape  à  l'égard  de  l'empereur  d'Orient, 
depuis  l'élévation  de  Charlemagne  à  l'empire,  est  généralement 
admise  par  les  historiens  ;  et  nous  ne  croyons  pas  qu'on  puisse 
raisonnablement  la  contester.  On  a  déjà  vu  que,  longtemps  avant 
l'élévation  de  Charlemagne  à  l'empire ,  l'empereur  de  Constan- 
tinople  avait  été  dépouillé  de  ses  droits  sur  le  duché  de  Rome  et 
sur  l'exarchat,  par  le  vœu  légitime  des  peuples  de  ces  provinces; 

1er  Essai.)  Cet  ordre  de  choses  continua  de  subsister  sous  les  empereurs 
chrétiens  ;  et  l'on  en  trouve  encore  des  vestiges  sous  les  rois  goths  et  même 
sous  la  domination  des  Lombards  et  des  Francs.  (Muratori,  ubi  suprà, 
pag.  982,  1007,  etc.) 

(1)  Muratori,  Antiquit.  Ital.  medii  œvi;  Dissert.  18  et  45.  t.  i  et  m. 

(2)  Je  dis,  à  plus  forte  raison  dans  l'exarchat  ;  parce  que,  indépen- 
damment des  raisons  qui  établissent  également  la  souveraineté  du  Pape  dans 
le  duché  de  Rome  et  dans  l'exarchat,  le  saint-siége  avait  des  droits  particu- 
liers à  la  souveraineté  dans  cette  dernière  province ,  en  vertu  des  donations 
de  Pépin  et  de  Charlemagne.  Voyez  ci-dessus,  n.  63,  pag.  272,  etc. 


PREMIÈRE  PARTIE.  —  CHAPITRE  II.  281 

et  que  le  Pape,  qui  n'avait  d'abord  accepté  le  gouvernement  de 
ces  provinces  que  d'une  manière  provisoire,  avait  été  définiti- 
vement affranchi  de  toute  dépendance,  à  l'égard  de  l'empereur, 
depuis  la  donation  de  Pépin,  en  754  (1). 

11  est  plus  difficile  de  décider  si  la  souveraineté  du  Pape  dans 
Rome  fut  également  indépendante  de  l'empereur  d'Occident 
depuis  l'établissement  du  nouvel  empire.  Toutefois,  le  senti- 
ment qui  soutient  cette  indépendance  paraît  clairement  établi 
par  l'histoire,  tant  sous  le  règne  de  Charlemagne,  que  sous  les 
successeurs  de  ce  grand  prince  (2). 

1°  L'indépendance  du  Pape  à  l'égard  de  Charlemagne ,        7°- 
depuis  son  élévation  à  l'empire ,  semble  clairement  établie  par  dance  du  pape 
le  testament  que  ce  prince  fit,  en  806,  dans  la  diète  de  Thion-    decharie- 
ville,  pour  le  partage  de  ses  États  entre  ses  enfants  (3).  L'empe-  ma*"e  pST"" 
reur  y  déclare  d'abord,  qu'il  fait  cet  acte  afin  de  prévenir  tout  ^J^ÎSÎÏ 
sujet  de  contestation  entre  ses  trois  fils,  en  partageant  entre     en  8o(i- 
eux  tout  le  corps  de  son  royaume.  «  Nous  faisons  savoir, 
«  dit-il ,  que  nous  souhaitons  laisser  nos  trois  fils ,  s'il  plaît  à 
«  Dieu,  héritiers  de  notre  royaume  et  de  notre  empire.  Ne  vou- 
«  lant  point  cependant  leur  transmettre  confusément  et  sans 
«règle  la  possession  de  ce  royaume,  comme  un  sujet  de  con- 
troverse, mais  en  diviser  tout  le  corps  en  trois  parties,  et 


(1)  Voy.  plus  haut,  nos  60  et  65,  pag.  270  et  275.  Concluons,  en  passant,  de 
ces  observations,  que,  à  parler  exactement,  l'empire  d'Occident  ne  fut  point 
transféré  des  Grecs  aux  Français ,  par  l'élévation  de  Charlemagne  à 
l'empire,  comme  le  supposent  Baronius,  Bellarmin  et  plusieurs  autres. 
Longtemps  avant  cette  époque ,  l'empire  d'Occident  était  détruit ,  puisque 
l'empereur  avait  perdu  tous  ses  droits  dans  le  duché  de  Rome  et  dans  l'exar- 
chat. L'empire  ne  fut  donc  pas  proprement  transféré,  mais  renouvelé , 
dans  la  personne  de  Charlemagne.  Aussi,  est-ce  l'expression  employée  dans 
plusieurs  médailles  de  Charlemagne,  dont  l'inscription  porte  ces  mots  : 
Renovalio  Imperii.  Voyez,  à  ce  sujet ,  D.  Bouquet,  Recueil  des  Historiens 
de  France,  t.  v,  pag.  23 ,  53,  etc.  —  Cenni,  Monumenta  Domin.  Pontif., 
t.  ii,  pag.  17,  etc. 

(2)  Cenni,  Monumenta  Dominationis  Pontificiœ,  t.  n,  Dissert.  1  :  De 
Leonis  III  Epistolis,  n.  2, 19,  etc. — Orsi,  Délia  origine  del  Dominio,  etc., 
cap.  9  et  10. 

(3)  Baluze,  Capitular.  t.  i,  p.  437.  Cet  acte  est  traduit  en  entier  dans  les 
Annales  du  moyen  âge,  t.  vin,  liv.  xxix,  p.  267.  Fleury  fait  aussi  mention 
de  cet  acte  dans  son  Hist.  Ecclés.  (t.  x,  liv.  xlv,  n.  34).  Voyez,  à  ce  sujet, 
les  observations  de  Marchetti,  Critique  de  Fleury,  t.  h,  n.  95.— Orsi,  Délia 
origine  del  Dominio,  cap.  9,  p.  154,  etc. 


282  SOUVERAINETÉ   TEMPORELLE  DU  PAPE. 

«  assigner  à  chacun  celle  qu'il  doit  régir  et  protéger  (1).  »  Après 
ce  préambule,  l'empereur  assigue  à  chacun  de  ses  trois  fils  une 
portion  de  ses  États,  dont  il  fait  une  description  fort  détaillée, 
et  dans  lesquels  il  n'oublie  pas  de  faire  entrer  les  provinces 
d'Italie  qui  formaient  alors  le  royaume  de  Lombardie  (2).  Mais 
il  est  à  remarquer  que,  dans  cette  division  de  tout  le  corps  de 
son  royaume ,  il  omet  entièrement  le  duché  de  Rome  et  l'exar- 
chat. Il  se  contente  d'ordonner  à  ses  enfants  «  de  prendre  tous 
«  ensemble  le  soin  et  la  défense  de  l'Église  romaine ,  ainsi  qu'il 
«  a  été  pratiqué  par  Charles  Martel ,  son  aïeul ,  par  son  père 
«  Pépin,  d'heureuse  mémoire,  et  par  lui-même (3).  »  Pouvait-il 
supposer  plus  clairement  que  le  duché  de  Rome  et  l'exarchat  ne 
faisaient  point  partie  du  corps  de  son  royaume  ?  S'ils  en  eussent 
fait  partie,  les  aurait-il  omis  dans  l'énumération  et  le  partage 
de  ses  États?  En  les  omettant,  n'eût-il  pas  laissé  à  ses  enfants  le 
plus  grand  sujet  de  contestation,  dans  l'acte  même  qu'il  desti- 
nait à  prévenir  tout  sujet  de  contestation  entre  eux? 
71  On  peut  citer,  à  l'appui  de  ce  raisonnement,  plusieurs  lettres 

Lettres  de       ,  l  '  rr  -,  . 

Léon  m,  à  i'a P-  écrites  par  le  Pape  Léon  III  à  Charlemagne,  depuis  son  eleva- 
cette  preuve,  tion  à  l'empire ,  et  qui  supposent  clairement  que  le  titre  ft em- 
pereur, conféré  au  roi  de  France,  n'avait  porté  aucune  atteinte 
à  la  souveraineté  du  Pape,  dans  le  duché  de  Rome  et  dans  l'exar- 
chat (4).  Le  Pape,  dans  ces  lettres,  donne  indistinctement  à 
Charlemagne  le  titre  ^empereur,  et  celui  de  défenseur  de 
V Église;  et  il  emploie  tellement  ces  deux  titres  l'un  pour  l'au- 
tre, qu'il  n'attache  pas  à  celui  $  empereur  d'autre  idée  que 
celle  de  défenseur  de  V Église ,  auparavant  attachée  au  titre  de 


(1)  «  Non  ut  confuse  atque  inordinatè,  aut  sub  totius  regni  dominatione , 
«  jurgii  controversiam  eis  relinquamus  ;  sed  trinâ  partitione  totum  regni 
«  corpus  dividendes  ,  quam  qnisquis  illorum  tueri  vel  regere  debeat  portio- 
«  neni  distribuere  et  designare  volumus.  »  Baluze,  ubi  suprà,  p.  439. 

(2)  Cet  acte  fournit  des  notions  très-importantes,  pour  déterminer  l'éten- 
due et  les  limites  de  l'empire  de  Charlemagne.  On  peut  voir,  sur  ce 
sujet,  le  Mémoire  de  D.  Lieble,  que  nous  avons  indiqué  plus  haut,  pag.  260, 
note  3. 

(3)  «  Super  omnia  aufem  jubemus  atque  prœcipimus,  ut  ipsi  très  fratres 
«  curam  et  defensionem  Ecclesiœ  sancti  Pétri  simul  suscipiant,  sicut  quon- 
«  dam  ab  avo  nostro  Carolo,  et  beatae  mémorise  genitore  nostroPippino  rege, 
«  et  à  nobis  postea  suscepta  est.  »  Baluze,  ubi  suprà,  n.  15,  p.  443. 

(4)  Cenni,  ubi  suprà,  n.  2. 


PREMIÈRE  PARTIE.  —  CHAPITRE  H.  283 

patrice  des  Romains  (l).  D'autres  lettres  du  même  Pape  sup- 
poseut  qu'il  exerçait  alors  dans  le  duché  de  Rome  et  dans  l'exar- 
chat, sans  aucune  contradiction  de  la  part  de  l'empereur,  tous 
les  actes  de  la  souveraineté ,  instituant  librement  les  ducs  ou  , 
gouverneurs  des  villes ,  prenant  des  mesures  pour  détendre  les 
côtes  contre  les  Sarrasins,  etc.  (2). 

Un  autre  monument  de  cette  époque  suppose  même  l'autorité        7** 
de  l'empereur  subordonnée  à  celle  du  Pape,  dans  le  duché  de  preuve  confir- 
Rome.  On  trouve  dans  le  Bullaire,  sous  la  date  de  l'année  805,  lacte  émane" 
un  acte  émané  à  la  fois  de  Léon  III  et  de  Charlemagne ,  pour  ^Su^ïpe"" 
assurer  la  possession  de  quelques  biens-fonds  au  monastère  de  et  d°  „*mpe" 
Saint- Anastase  des  Trois-Fontaines,  situé  aux  environs  de  Rome. 
Il  est  à  remarquer  que  le  Pape  est  nommé  avant  l'empereur, 
soit  dans  le  titre  de  ce  diplôme,  soit  dans  sa  date,  qui  marque 
les  années  du  pontificat  de  Léon  avant  celles  de  Charlemagne , 
soit  dans  les  signatures,  dont  celle  du  Pape  occupe  le  premier 
rang  (3).  Peut-on  raisonnablement  supposer  qu'un  acte  de  cette 
nature,  dont  l'objet  direct  est  d'assurer  les  droits  temporels  d'un 
établissement  important,  eût  été  ainsi  rédigé,  si  le  Pape  n'eût 
exercé  dans  Rome  qu'une  autorité  subordonnée  à  celle  de  l'em- 
pereur? Cette  rédaction  ne  suppose-t-elle  pas,  an  contraire,  que 
l'autorité  de  l'empereur,  dans  Rome,  était  subordonnée  à  celle 
du  Pape? 

(1)  Leonis  III  Epistol.  ad  Carol.  imperat.  2,  4  et  5.  (Cenni,  ubi  su- 
pra, p.  51,  59  et  62.  ) 

(2)  Ibid.,  Epist.  4,  5  et  8,  p.  60,  63,  74. 

(3)  Il  suffit  à  notre  but  de  citer  le  titre,  le  préambule  et  la  conclusion  de  ce 
diplôme  : 

«  In  nomine  Domini  Dei  salvatoris  nostri  Christi. 

«  Léo  episcopus ,  servus  servorum  Dei ,  et  Carolus  Magnificus  et  praesens 
«  rex,  hâc  die,  nullo  prohibente  nec  contradicente,  sed  propriâ  nostrâ  volun- 
«  tate,  concedimus,  tradimus,  etc..  Actum  est  hoc  traditum anno  Dominicse 
«  Incarnationis  octingentesimo  quinto,  indictione  décima  tertiâ,  et  Domini 
«  Leonis  summi  papse  tertii  anno  decimo,  Caroli  imperatoris  anno  quinto. 

«  Ego  Léo,  episcopus  Romanae  Ecclesiae  subscripsi. 
«  Ego  Carolus  rex,  impeiator  augustus  subscripsi.  » 

On  peut  voir  le  texte  entier  de  cet  acte  dans  le  t.  1  (p.  161)  du  Bullarium 
magnum  Romanum.  Romœ ,  1739-1750,  28  vol.  in-f'ol.  Ce  même  acte  est 
rapporté  en  entier  dans  la  dissertation  italienne  de  Santelli,  intitulée  :  Oltra- 
gio  fatto  a  Leone  ed  a  Carlomagno,  in  un  quadro  ed  una  stampa  espri- 
menti  Vadorazione  dei  Pontefice  alV  imper  adore.  Roma ,  1815,  in-4° 
(p.  19). 


Débonnaire, 


284  SOUVERAINETÉ    TEMPORELLE   DU   PAPE. 

73.  2°  L'indépendance  du  Pape  à  l'égard  des  successeurs  de 

da^«!uiTape  Charlemagne ,  tant  sous  les  empereurs  carlovingiens  que  sous 

tLl  Sccel    *es  empereurs  allemands ,  n'est  pas  moins  clairement  établie  par 

seursdechar-  l'histoire,  il  suffit,  pour  s'en  convaincre,  de  lire  attentivement 

prouvée  par >  les  diplômes  de  Louis  le  Débonnaire,  d'Othon  Ier  et  de  Henri  II, 

hluùh     qui  confirment  les  donations  faites  au  saint-siége  par  Pépin  et 

Charlemagne. 

Le  premier  de  ces  diplômes,  donné  en  817  par  Louis  le 
Débonnaire,  suppose  clairement  que  le  duché  de  Rome  et 
l'exarchat  appartiennent  depuis  longtemps  au  saint-siége; 
l'empereur  y  déclare  expressément ,  qu'il  ne  prétend  s'y  réser- 
ver aucune  autorité,  à  lui  ou  à  ses  successeurs ,  sinon  dans  le 
cas  où  le  Pape  aurait  recours  à  sa  protection.  «  Moi,  Louis, 
«  empereur  auguste,  dit-il  (l),  j'abandonne  par  cet  acte  de  con- 
»  firmation,  à  vous,  bienheureux  Pierre,  prince  des  apôtres,  à 
«  votre  vicaire  le  seigneur  Pascal ,  souverain  pontife  et  Pape 
«universel,  et  à  ses  successeurs ,  pour  toujours,  comme  vos 
«prédécesseurs  Vont  tenu  jusqu'à  ce  jour  sous  leur  puissance 
«  et  juridiction  (2) ,  la  ville  de  Rome  avec  son  duché  et  ses  dé- 

(i)  «  Ego  Ludovicus,  imperator  augustus,  statuo  et  concedo  per  hoc  pa- 
rt ctum  confirmationis  nostrae,  tibi  beato  Petro,  principi  apostolorum,  et  per 
«  te  vicariotuo  Domino  Paschali,  summo  pontifie),  et  universali  papœ,  et  suc- 
«  cessoribus  ejus  in  perpetuum,  sicut  à  prœdecessoribus  vestris  usque 
«  nunc  in  vestrâ  potestate  et  dilione  tenuistis  et  disposuistis ,  civitatem 

«  Romanam  cum  ducatu  suo  et  suburbanis  atque  viculis  omnibus,  etc 

«  Nullamque  in  eis  nobis  partem,  aut  potestatem  disponendi,  vel  judicandi, 
«  subtrahendive  aut  minorandi  vindicamus,  nisi  quando  ab  illo  qui  eo  tem- 
«  pore  hujus  sanctse  Ecclesiae  regimen  tenuerit,  rogati  fuerimus.  »  Privile- 
gium  Ludov.  imperat.  Apud  Cenni,  ubi  suprà,  t.  ri,  p.  125,  etc.  Fleury 
parle  de  cet  acte  dans  son  Hist.  Ecclés.  (ibid. ,  liv.  xlvi  ,  n.  26  ),  mais  fort 
brièvement,  et  même  d'une  manière  très-peu  exacte,  comme  on  va  le  voir. 
VHist.  de  l'Église  de  M.  Receveur  peut  lui  servir  de  correctif  sur  ce  point, 
comme  sur  plusieurs  autres.  (T.  iv,  p.  209.) 

(2)  Au  lieu  de  ces  mots,  sicut  à  prœdecessoribus  vestris,  qu'on  lit  dans 
tous  les  manuscrits,  le  Décret  de  Gralien ,  suivi  par  quelques  critiques  mo- 
dernes, porte  :  sicut  à  prœdecessoribus  nostris.  Mais,  indépendamment  de 
l'autorité  des  manuscrits,  cette  dernière  leçon  est  manifestement  contraire 
au  témoignage  de  l'histoire.  Il  est  certain ,  en  effet  ,•  que  le  duché  de  Rome , 
dont  il  est  fait  mention  immédiatement  après  les  paroles  dont  il  s'agit,  n'a 
pas  été  donné  au  saint-siége  par  Pépin  et  Charlemagne,  qui  n'y  ont  jamais 
eu  aucun  droit  de  souveraineté.  Louis  le  Débonnaire  n'a  donc  pas  pu  dire 
que  ses  prédécesseurs  ravalent  tenu  sous  leur  juridiction.  Il  est  certain 
au  contraire ,  et  Louis  le  Débonnaire  a  pu  dire  avec  vérité ,  que  ce  duché 
était  sous  la  juridiction  des  pontifes  prédécesseurs  de  Pascal,  puis- 


PREMIÈRE   PARTIE.  —  CHAPITRE  II.  285 

«  pendances.  »  Suit  rénumération  des  villes  et  territoires  d'Ita- 
lie, alors  appartenant  au  saint-siége;  après  quoi  l'empereur 
continue  ainsi  :  «  Et  nous  ne  prétendons  nous  attribuer  aucun 
«  droit  ou  pouvoir  de  gouverner  ou  de  juger  dans  lesdites  villes 
«  et  territoires ,  d'en  rien  soustraire  ou  diminuer,  si  ce  n'est 
«  lorsque  nous  en  serons  prié  par  celui  qui  possédera  en  ce 
«  temps  le  gouvernement  de  la  sainte  Église  romaine.  »  ■ 
Après  un  témoignage  si  formel,  on  est  étonné  de  voir  Fleurv        74. 

r  D       °  '  J       Méprise  de 

et  quelques  autres  historiens  modernes,  citer  ce  diplôme  à  l'ap-  Ffcury  et  de 
pui  du  sentiment  qui  suppose  que  Pépin  et  Charlemagne  don-  nm?"»- 
nèrent  seulement  au  Pape  le  domaine  utile  des  provinces  dont    ^l/iômT. 
il  est  ici  question,  en  s'y  réservant  le  haut  domaine  ou  la  sou- 
veraineté, pour  eux  et  leurs  successeurs  (1).  Mais  pour  peu 
qu'on  examine  la  suite  du  texte,    on   verra  que  ces  au- 
teurs n'en  ont  pas  saisi  le  véritable  sens.  Louis  le  Débon- 
naire, après  avoir  confirmé,  dans  le  passage  qu'on  vient  de 
lire ,  les  donations  faites  au  saint-siége  par  Pépin  et  Charle- 
magne, lui  confirme  aussi  quelques  pensions  et  autres  revenus 
sur  les  duchés  de  Toscane  et  de  Spolette ,  avec  cette  clause 
remarquable  :  sauf  notre  domination  sur  ces  duchés ,  et  leur 
sujétion  envers  nous  (2),  Il  ne  faut  qu'un  peu  d'attention  pour 
voir  que  cette  clause  tombe  uniquement  sur  les  duchés  de 
Toscane  et  de  Spolette ,  et  nullement  sur  les  États  du  saint- 

qu'ils  en  avaient  eu  la  souveraineté  depuis  l'année  754,  et  même  plus 
anciennement ,  comme  nous  l'avons  montré.  Voyez ,  à  ce  sujet,  Cenni,  Mo- 
numenta  Domin.  Pontif.,  1. 1.  Prœf.,  n.  26;  t.  11,  Dissert.  lâ,  n.  12,  etc., 
et  note  3  de  la  page  125. 

(1)  Fleury,  ubi  suprà.  —  Leblanc ,  Dissert,  sur  quelques  monnaies  de 
Charlemagne,  chap.  v,  p.  30.  —  D.  Ceillier,  Hist.  des  Auteurs  ecclés., 
t.  xviii,  p.  618. 

(2)  «  simili  modo,  perhoc  nostrae  confirmationis  decretum,  firmamus 

«  censum  et  pensiones,  seu  cacteras  donationes  quse  aimuatim  in  palatium  régis 
«  Langobardorum  inferri  solebant,  sive  de  Tusciâ  Langobardorum ,  sive  de 
«  ducatu  Spoletino  ;  sicut  in  suprascriptis  donationibus  continetur,  et 
«  inter  sanclœ  memoriœ  Adrianum  Papam  et  dominum  ac  genilorem 
«  nostrum  Carolum  imperatorem  convenu,  quando  idem  Pontifex  eidem 
«  de  suprascriptis  ducatibus  id  est,  Tuscano  et  Spoletino,  suae  auctoritatis 
«  praeceptum  confirmavit  ;  eo  scilicet  modo ,  ut  annis  singulis  praedictus 
«  census  Ecclesiœ  beati  Pétri  apostoli  persolvatur;  salvâ  super  eosdem  du- 
«  caius  nostrd  in  omnibus  dominatione ,  et  illorum  ad  nostram  partem 
«  subjectione.  »  Privileg.  Ludov.,  apud  Cenni,  ubi  suprà,  p.  129  et  130. 
Voyez  plus  liaut  (page  262,  note  3), quelques  observations  sur  ce  passage  du 
diplôme  de  Louis  le  Débonnaire. 


75. 


286  SOUVERAINETÉ  TEMPORELLE  DU  PAPE. 

siège,  dont  l'empereur  a  fait  plus  haut  l'énumération.  Mais  les 
auteurs  que  nous  combattons  ne  paraissent  pas  avoir  lu  atten- 
tivement le  diplôme  dont  il  s'agit  ;  car  ils  citent  la  clause  rela- 
tive aux  duchés  de  Toscane  et  de  Spolette,  comme  si  elle  re- 
gardait tous  les  États  du  saint -siège,  tandis  qu'ils  passent 
entièrement  sous  silence  les  autres  paroles  du  diplôme  qui  éta- 
blissent clairement  notre  sentiment. 
Nous  ne  dissimulerons  pas  que  d'habiles  critiques  ont  élevé 
Autt/eniicité  des  doutes  sur  l'authenticité  de  ce  diplôme  (i).  Toutefois,  nous 

de  cet  acte.  ,,.  n  . , 

croyons  pouvoir  lmvoquer  avec  confiance ,  soit  parce  que  son 
authenticité  nous  paraît  généralement,  admise  et  solidement 
défendue  par  le  plus  grand  nombre  des  savants,  soit  parce 
qu'elle  est  formellement  reconnue  par  plusieurs  de  ceux  dont 
elle  renverse  les  sentiments  sur  la  question  qui  nous  occupe  (2). 
76-     ,      Au  reste ,  quelque  décisive  que  soit  cette  pièce  en  faveur  de 

La  preuve  tirée 

(1)  L'authenticité  de  ce  diplôme  est  principalement  contestée  par  le  P. 
Pagi  et  par  Muratori.  (Pagi,  Critica  in  Annales  Baronii,  anno  817,  n.  7. 
— .  Muratori ,  Annales  medli  œvi,t.  m ,  p.  29.  —  Idem,  Piena  esposizione 
del  diritti  imperiali,  cap.  4  ,  p.  42,  etc.)  Elle  est  solidement  défendue  par 
Gretser,  Defensioin  Goldastum,  p.  204. — Idem,  Apologia  Baronii,  cap.  8, 
p.  340.  —  Cenni,  Monumenta  Dominationis  Pontiftciœ,t.  i,  Prœf.  §  3  ; 
t.  n,  p.  83,  etc.  Voyez  aussi  la  Dissertation  du  même  auteur  sur  le  Diplôme 
de  Louis  le  Débonnaire,  à  la  suite  de  l'ouvrage  d'Orsi,  Délia  origine  del 
Dominio ,  etc.  —  Marini ,  Nuovo  Esame  delV  autenticita  de  diplomi  di 
Ludovico  Pio,  Ottone  I,  e  Arrigo  If,  etc.  Roma,  1822,  in-8°.  A  l'appui  de  son 
sentiment,  ce  dernier  auteur  (pages  10  et  11)  cite  plusieurs  autres  écrivains 
de  sa  nation  qui  paraissent  avoir  solidement  traité  cette  matière. 

La  principale  raison  alléguée  contre  l'authenticité  du  diplôme  de  Louis  le 
Débonnaire,  se  tire  du  droit  qu'il  attribue  au  saint-siége  sur  la  Sicile,  qui  ap- 
partenait alors  aux  empereurs  grecs,  et  sur  laquelle  l'empereur  d'Occident 
n'avait  aucundroit.  Pour  résoudre  celte  difficulté,  les  défenseurs  du  diplômeob- 
serventque  le  saint-siége,  déjà  dépouillé  injustement,  par  les  empereurs  grecs, 
àespatiï?noines  considérables  qu'il  possédait  en  Sicile  et  en  Calabre  (voyez  plus 
haut,  chap.  1,  n.  31),  était  encore  exposé,  depuis  plusieurs  années,  à  perdre 
toute  espérance  de  les  recouvrer,  par  suite  des  incursions  des  Sarrasins,  qui 
menaçaient  d'envahir  ces  provinces.  Dans  ces  conjonctures,  il  était  sans 
doute  permis  au  roi  de  France  de  soutenir  tout  à  la  fois  les  droits  du  saint- 
siége  contre  l'injuste  spoliation  des  empereurs  de  Constantinople  et  contre 
les  attaques  également  injustes  des  Sarrasins,  en  lui  assurant  la  possession 
de  la  Sicile.  Il  y  a  tout  lieu  de  croire  que  Charlemagne  prit  en  effet  ce 
moyen  d'assurer  les  droits  du  saint-siége,  puisque  Louis  le  Débonnaire  sup- 
pose clairement  les  droits  du  Pape  sur  la  Sicile.  Voyez,  à  ce  sujet,  Cenni, 
Monumenta,  t.  u,  Dissert.  1,  n.  3;  Dissert.  2,  n.  20,  note  14  de  la  p.  128, 
et  alibi  passim. 

(2)  Voyez  les  auteurs  cités  dans  la  note  1  de  la  page  précédente. 


PREMIÈRE  PARTIE.  —  CHAPITRE  II.  287 

notre  sentiment ,  elle  n'est  pas  nécessaire  pour  l'établir.  Il  est      de  ce 
certain,  en  effet,  qu'on  retrouve  le  même  langage  et  les  mêmes  confinnf/ par 
dispositions  dans  le  diplôme  donné  par  l'empereur  Othon  Ier,  d'oth^uï**  et 
en  962,  etdans>eeluide  Henri  II,  en  1020,  dont  l'authenticité  deHenrilL 
est  généralement  reconnue  (l).  On  retrouve  dans  chacun  de  ces 
diplômes  les  expressions  employées  dans  celui  de  Louis  le  Débon- 
naire, pour  conûrmer  au  saint-siége  la  juridiction  exercée 
jusqu'alors  par  les  souverains  pontifes  dans  le  duché  de  Rome, 
et  dans  les  autres  provinces  qui  formaient  alors  l'État  de 
l'Église  (2). 

Indépendamment  même  de  ces  diplômes,  la  subordination    L>in7d7éeu. 
de  l'empereur  à  l'égard  du  Pape,  dans  le  gouvernement  de  ces  dance  du  pape 

x  ^  *  ^  à  l'égard 

provinces,  est  clairement  établie  par  le  serment  de  fidélité  que  des  empereurs, 

•  i  a  v     n  prouvée 

les  Romains  avaient  coutume  de  prêter  a  1  empereur,  sous  les  par  ie  serment 
successeurs  de  Charlemagne,  au  moins  depuis  l'élection  du  ^  in  ho- 
Pape  SergiusII,  en  844  (3).  Il  est  certain,  en  effet,  que  ce  ser-    ^^ 

(1)  On  peut  voir  le  texte  de  ces  diplômes,  dans  l'ouvrage  déjà  cité  de 
Cenni,  t.  n,  p.  157,  187,  etc.  Le  même  auteur  examine  avec  soin  le  sens 
et  l'autorité  de  ces  diplômes,  ibid.  ;  1. 1,  Prsef.  §  3  et  4  ;  t.  n,  p.  134,  etc. 

(2)  Cenni,  ubi  suprà,ï.  n,  p.  157  et  187.  Il  est  à  remarquer  :  1°  quela leçon 
sicut  à  prœdecessoribus  vestris ,  contestée  par  quelques  critiques,  dans  le 
diplôme  de  Louis  le  Débonnaire,  ne  l'est  aucunement  dans  les  diplômes  d'O- 
thon  Ier  et  de  Henri  II;  2°  que  dans  ces  deux  derniers  diplômes,  comme 
dans  le  premier,  la  clause  :  sauf  noire  domination  sur  ces  duchés,  et  leur 
sujétion  envers  nous ,  tombe  uniquement  sur  les  duchés  de  Toscane  et  de 
Spolette.  Fleury  et  plusieurs  autres  écrivains  fiançais ,  faute  d'avoir  lu  at- 
tentivement les  pièces  originales ,  supposent  que  cette  clause  regarde  indis- 
tinctement tous  les  États  du  saint-siége;  d'où  ils  concluent,  contre  le  té- 
moignage de  l'histoire,  et  contre  le  texte  même  des  diplômes,  que  le  Pape 
avait  uniquement  le  domaine  utile  de  ces  États,  et  que  l'empereur  en  était 
le  véritable  souverain.  Voyez  Fleury,  Hist.  Ecclés. ,  t.  xn,  liv.  lvi,  n.  I  ; 
liv.  lviii,  n.  46.— Berault-Bercastel,  Hist.  de  VÉgl.,  t.  v,  liv.  xxix,  p.  208. 

(3)  Cenni,  Monumenta  Domin.  Pontif.,  t.  n,  Dissert.  la,  n.  25,  etc — 
Fleury  et  quelques  autres  écrivains  modernes  supposent  qu'un  semblable 
serment  fut  prêté  par  les  Romains  à  Lothaire  Ier,  en  824  (Fleury,  Hist.  Eccl, 
t.  x,  liv.  xlvi,  n.  53.  — Hist.  de  VÉgl.  Gall.,  t.  v,  année  824,  pag.  322. 
—  Receveur,  Hist.  de  VÉgl.,  t.  iv,  pag.  241)  ;  mais  ce  fait  n'est  appuyé 
que  sur  le  témoignage  d'un  auteur  anonyme,  qui  a  continué  Y  Histoire  des 
Lombards  de  Paul  Diacre;  témoignage  qui  paraît  fort  suspect  aux  meilleurs 
critiques.  (Voyez,  à  ce  sujet,  Cenni,  ibid.,  Dissert.  2,  n.  35  et  45  ;  Dissert. 
4,  n.  21 ,  etc.  )  Au  reste ,  il  est  à  remarquer  que  la  formule  de  ce  serment, 
comme  de  ceux  qui  furent  prêtés  dans  la  suite  par  les  Romains  à  l'empe- 
reur, renferme  la  clause  :  sauf  la  foi  que  f  ai  promise  au  seigneur  Pape, 
ce  qui  suppose  clairement  l'autorité  de  l'empereur  subordonnée  à  celle  du 
Pape,  dans  le  gouvernement  de  Rome.  (On  peut  voir  la  formule  entière  de 


288  SOtJVEBAINETÈ  TEMPORELLE  DtJ  PAPE. 

ment  n'était  prêté  que  sous  le  bon  plaisir  du  Pape,  et  sauf  la 
fidélité  que  les  Romains  lui  devaient.  C'est  ce  que  prouve  en 
particulier  la  conduite  du  Pape  SergiusII  envers  le  prince  Louis, 
fils  de  Lothaire  Ier,  en  844(1).  Celui-ci  ayant  envoyé  son  fils 
en  Italie,  à  l'occasion  de  quelques  sujets  de  plainte  qu'il  avait 
contre  les  Romains,  qui  n'avaient  pas  attendu  son  consente- 
ment pour  consacrer  le  nouveau  pontife,  le  prince  ne  fut  admis 
par  le  Pape  dans  l'église  de  Saint-Pierre,  qu'après  avoir  assuré, 
en  présence  de  tout  le  peuple ,  qu'il  venait  avec  des  intentions 
droites  y  pour  le  bien  de  l'État  et  de  l'Église  (2).  Quelques 
jours  après,  «  les  Français  ayant  demandé  que  tous  les  seigneurs 
«de  Rome  prêtassent  le  serment  de  fidélité  au  prince  Louis,  le 
«  sage  pontife  n'eut  garde  de  le  permettre  ;  mais  il  répondit  avec 
«  une  noble  fermeté  :  Si  vous  voulez  seulement  qu'ils  prêtent  ce 
«  serment  à  l'empereur  Lothaire,  j'y  consens  et  je  le  permets; 
«  quant  au  prince  Louis  son  fils ,  ni  moi,  ni  les  seigneurs  de 
«Rome  n'y  consentent  (3).  » 

La  subordination  de  l'empereur  à  l'égard  du  Pape  dans  le 
gouvernement  de  Rome,  se  manifeste  également  dans  la  for- 
ce serment,  dans  l'ouvrage  déjà  cité  de  Cenni ,  pag.  113  ;  et  dans  le  t.  i  des 
Capïtulaires  de  Baluze,  pag.  647.  )  Il  est  certain  d'ailleurs  que  l'empereur 
Lothaire  ne  fit  alors  aucun  acte  d'autorité  dans  Rome,  qu'avec  le  consente- 
ment et  sous  le  bon  plaisir  du  Pape.  (Baronius,  Annal.,  t.  ix ,  anno  824, 
n.  1 1 ,  etc.  —  Hist.  de  l'Égl.  Gall.,  ubi  suprà.  ) 

(1)  Anastase,  Vita  Sergii  II.  (Labbe,  Concil.  t.  vu,  pag.  1793,  etc.) 
—  Fleury,  Hist.  Ecclés. ,  t.  x ,  liv.  xlviii  ,  n.  16.  —  Hist.  de  VÉgl.  Gall. , 
t.  v,  année  844,  pag.  500.  —  Daniel,  Hist.  de  France,  t.  n,  année  844, 
pag.  346. 

(2)  «.  Tune  almificus  prœsul  claudi  faciens  omnes  januas  beati  Pétri,  . . , 
«  sancto  Spiritu  admonente,  régi  sic  dixit  :  Sipurâ  mente  et  sincerd  vo- 
«  luntate,  etpro  salute  reipublicœ  ac  lotius  orbis,  hujusque  Ecclesiœ , 
«  hue  advenisti,  has  ingredere  januas,  med  jussione;  sin  aliter,  nec 
«  per  me ,  nec  per  meam  concessionem,  istœ  Ubi  portœ  aperientur.  Sta- 
«  tim  rex  illi  respondens  dixit  ;  Quod  nullo  maligno  animo,  aut  aliqud 
«  pravitate,  vel  malo  ingenio  advenisset.  Tune,  eodem  prsesule  praeci- 
«  piente,  appositis  manibus  ,  prsedictas  januas  patefecerunt.  »  Anastase, 
ubi  suprà ,  pag.  1794. 

(3)  «  His  igitur  peractis ,  (  Franci  )  à  praedicto  postulaverunt  pontifice , 
«  ut  omnes  primates  Romani  fidelitatem  ipsi  Ludovico  régi  per  sacramen- 
«  tum  promitterent.  Quod  prudentissimuspontifex  fieri  nequaquam  conces- 
«  sit ,  sed  sic  orsus  est  illis  :  Quia,  si  vultis,  domino  Lothario  magno 
<c  imperatori  hoc  sacramentum  utfaciant,  solummodo  consentio  atque 
«  permitto;  nam  Ludovico  ejus  filio  ut  hoc  peragalur,  nec  ego,  nec  omnis 
«  Romanorum  nobilitas  permittit.  »  Anastase,  ibid.,  pag.  1795. 


PREMIÈRE  PARTIE.  —  CHAPITRE  II.  289 

mule  du  serment  de  fidélité  prêté  par  les  Romains  à  l'empereur 
Arnoul,  en  896  (1).  Cette  formule  était  ainsi  conçue  :  «  Je  jure, 
«  par  les  saints  mystères,  que,  sauf  mon  honneur,  ma  loi,  et  la 
«fidélité  que  je  dois  à  mon  seigneur  le  pape  Formose,  je  suis 
«  et  serai  fidèle,  tous  les  jours  de  ma  vie,  à  l'empereur  Arnoul, 
«  et  je  ne  contracterai  alliance  contre  lui,  avec  qui  que  ce  soit  (2).» 

On  a  de  la  peine  à  comprendre  comment  un  si  grand  nombre 
d'auteurs  modernes  ont  cru  pouvoir  établir  la  souveraineté  des 
empereurs  dans  Rome,  par  ces  formules  de  serment,  qui  éta- 
blissent, d'une  manière  si  positive,  l'indépendance  du  Pape  à 
l'égard  de  l'empereur,  dans  le  gouvernement  de  Rome  (3).  La 
suite  de  nos  recherches  nous  donnera  lieu  de  montrer  que, 
pendant  tout  le  cours  du  moyen  âge,  les  empereurs  eux-mêmes, 
à  l'époque  de  leur  couronnement,  prêtèrent  au  Pape  un  ser- 
ment de  fidélité,  qui  ne  supposait  pas  seulement  l'indépendance 
du  saint-siége  à  leur  égard,  mais  qui  supposait  clairement  une 
dépendance  particulière  de  l'empereur  à  l'égard  du  Pape  (4). 

Mais,  s'il  en  est  ainsi,  dira-t-on,  quel  fut  donc  l'effet  du        78. 
couronnement  de  Chaiiemagne  par  le  pape  Léon  III,  et  du  titre  **$"«£? 
à' empereur  qui  lui  fut  donné  dans  cette  occasion  solennelle  (5)?  Aon^Z^x 
Je  réponds  que  le  Pape  voulait  s'assurer  de  plus  en  plus  la  puis-      lemasne 
santé  protection  de  Charlemagne,  en  lui  conférant  un  titre  sin-    L«on  "'• 
gulièrement  honorable,  à  cette  époque,  dans  l'opinion  de  tous 
les  peuples.  Quelque  glorieux,  en  effet,  que  fût  le  titre  de  pa- 
trice  des  Romains,  que  le  roi  de  France  avait  porté  jusque-là, 

(l)Cenni,  Monumenta,  t.  h,  Dissert.  la,  n.  25  et  26.  —  Pagi,  Cri- 
tica  in  Baronii  Annales ,  anno  896,  n.  3.  —  Fleury,  Hist.  Ecclés.,  t.  xi, 
liv.  liv,  n.  25.  —  D.  Ceiliier,  Hist.  des  Auteurs  ecclés.,  t.  xix,  pag.  460. 

(2)«Juroper  haec  omnia  Dei  mysteria,  quôd,  salvo  honore,  et  lege 
«  nieâ,  atque  fidelitate  Domini  Formosi  Papœ ,  fidelis  sum  et  ero,  om- 
«  nibus  diebus  vitae  meœ,  Arnolpho  imperatori,  et  nunquam  me  ad  illiusin. 
«  fidelitatem  cum  aliquo  homine  sociabo.»  Luitprand,  Hist.,  lib.  i,  chap.  8. 
(Recueil  de  Duchesne ,  t.  m.  —  Mmatori,  Script.  Rer.  Ital.,  t.  n.) 

(3)  Voyez,  entre  autres,  Fleury,  Hist.  Ecclés.,  t.  x,  liv.  xlvi,  n.  21  et  53; 
liv.  xlviii,  n.  16. 

(4)  Seconde  partie  de  ces  Recherches ,  chap.  2,  art.  4. 

(5)  Les  divers  sentiments  des  auteurs  modernes,  sur  ce  point,  sont  expo- 
sés et  discutés  dans  la  lre  Dissert,  du  P.  Alexandre  sur  VHist.  Ecclésiast. 
du  ixe  siècle.  Voyez  aussi  les  Remarques  du  P.  Roncaglia  et  du  P.  Mansi  sur 
cette  Dissert.  —  Pièces  justifie,  (à  la  fin  de  ce  volume  ),  n.  6,  §  3.  —  Et 
ci-dessus,  note  1  de  la  pag.  281 

19 


290  SOUVERAINETÉ  TEMPORELLE  DU  PAPE. 

celui  d'empereur  l'était  bien  davantage.  Sans  ajouter  aucun 
nouveau  domaine  à  ceux  que  Charlemagne  possédait  aupara- 
vant ,  le  titre  d'empereur  lui  donnait  le  premier  rang  entre  tous 
les  princes  de  l'Occident  ;  il  communiquait  un  caractère  auguste 
à  la  royauté  même  ;  il  faisait  en  quelque  sorte  briller,  sur  le  front 
de  Charlemagne ,  toute  la  gloire  et  tous  les  souvenirs  de  Rome. 

Cette  explication,  qui  peut  sembler  extraordinaire  au  premier 
abord ,  est  une  conséquence  naturelle  des  principes  que  nous 
avons  établis,  et  des  faits  qui  leur  servent  de  fondement.  On  a 
vu,  en  effet,  que  le  couronnement  de  Charlemagne,  par  le 
pape  Léon  III,  et  le  titre  d' empereur  ([m  fut  alors  donné  à  ce 
grand  prince,  n'eut  pas  proprement  pour  effet  de  dépouiller 
l'empereur  de  Constantinople  de  la  souveraineté  de  Rome  et 
de  l'exarchat,  puisqu'il  en  était  déjà  réellement  dépouillé  long 
temps  auparavant,  c'est-à-dire,  au  moins  depuis  la  donation 
de  Pépin,  en  754  (l).  Il  résulte  également  de  nos  principes,  que 
le  couronnement  de  Charlemagne,  en  800,  n'eut  pas  pour  effet 
de  donner  au  roi  de  France  la  souveraineté  de  Rome  et  de 
l'exarchat,  puisque  le  Pape  continua,  depuis  ce  temps,  d'y 
exercer  seul  tous  les  droits  de  la  souveraineté ,  comme  il  avait 
fait  constamment  depuis  la  donation  de  Pépin  (2).  D'après 
cela,  quel  autre  effet  put  avoir  le  couronnement  de  Charle- 
magne, en  800,  que  de  l'attacher  de  plus  en  plus  à  la  protection 
et  à  la  défense  du  saint-siége ,  par  un  titre  plus  honorable  que 
celui  de  patrice  des  Romains,  qu'il  avait  porté  jusque-là? 

Au  reste,  on  doit  remarquer  que  cette  explication  du  titre 
d'empereur,  donné  à  Charlemagne  par  le  pape  Léon  III,  n'est 
pas  particulière  aux  défenseurs  du  sentiment  que  nous  avons 
embrassé,  sur  la  nature  et  l'étendue  de  l'autorité  du  Pape,  dans 
Rome ,  depuis  l'élévation  de  Charlemagne  à  l'empire.  Plusieurs 
même  des  auteurs  qui  n'adoptent  pas  ce  sentiment,  pensent  que 
Charlemagne,  avant  son  élévation  à  l'empire,  possédait  déjà  la 
souveraineté  de  Rome,  soit  en  commun  avec  le  Pape,  soit  ex- 
clusivement au  Pape  (3).  Une  conséquence  nécessaire  de  cette 

(1)  Ci-dessus,  n.  62,  etc.,  pag.  272,  etc. 

(2)  Ibid.,  n.  69,  etc. 

(3)  Telle  est  manifestement  l'opinion  de  M.  de  Marca,  du  P.  Alexandre, 
de  Fleury,  et  de  plusieurs  autres  que  nous  avons  cités  plus  haut,  p.  266,  etc. 


eur 


PREMIÈRE  PARTIE.  —  CHAPITRE  II.  291 

opinion,  comme  de  la  nôtre,  est  que  le  titre  $  empereur,  con- 
féré par  le  pape  Léon  III  à  Charlemagne,  ne  lui  donna  aucune 
souveraineté  dans^Rome,  mais  seulement  un  caractère  et  un 
titre  plus  augustes ,  pour  exercer  l'autorité  qu'il  possédait  déjà 
auparavant,  comme  patrice  des  Romains. 

Pour  mettre  dans  un  plus  grand  jour  la  vérité  de  notre  senti- 
ment, il  ne  sera  pas  inutile  d'examiner  ici,  en  peu  de  mots,  les 
principales  raisons  qu'on  allègue  en  faveur  des  autres  senti- 
ments qui  partagent,  sur  ce  point,  les  auteurs  modernes. 

Ii  Ceux  qui  attribuent  à  l'empereur  de  Constantinople  la       79. 
souveraineté  de  Rome  et  de  l'exarchat,  jusqu'à  la  fin  du  *™™>lerat 
vine  siècle,  se  fondent  :  i°  sur  ce  que  les  papes  de  cette  époque  ^cTnSu 
dataient  encore  assez  souvent  leurs  actes  publics ,  des  années  de     ™>pie> 

L  '  souverainele 

l'empereur  (l  )  ;  2°  sur  ce  qu'ils  lui  donnaient  encore,  dans  leurs        <io 

;  i  i.  i       •  -.  •  ,    x        n  Rome  etde 

lettres  et  leurs  actes  publics,  le  titre  de  seigneur  (2);.  3    sur  ce    l'exarchat 
que  le  pape  Adrien  Ier,  voulant  sauver  la  vie  à  un  chef  de  fac-  JUS<in  vnîe  n 
tion,  pour  lui  laisser  le  temps  de  faire  pénitence ,  écrivit  à  l'em-      s,ecle' 
pereur,  pour  le  prier  de  recevoir  ce  malheureux  en  Grèce  (3J  ; 
4°  enfin,  sur  une  mosaïque,  qu'on  voit  aujourd'hui  dans  le 
palais  de  Latran,  et  qui  représente  le  Sauveur  donnant  d'une 
main  les  clefs  à  saint  Pierre,  et  de  l'autre,  un  étendard  à  un 
prince  nommé  Constantin,  qui  paraît  être  Constantin  V;  d'où 
il  semble  résulter  que ,  sous  le  règne  de  ce  prince,  c'est-à-dire, 

(1)  Bossuet  etFleury,  entre  autres,  regardent  ce  fait  comme  une  preuve 
décisive  de  leur  sentiment.  Fleury,  Hist.  EccL,  tom.  ix,  liv.  xliii,  n.  31.  — 
Bossuet,  Defensio  Declar.,  lib.  n,  cap.  19 ,  pag.  482.  Outre  les  lettres  des 
papes,  citées  à  ce  sujet  par  Fleury,  Bossuet  cite  un  privilège  accordé  par  le 
pape  Etienne  II  à  Fulrad,  abbé  de  Saint-Denis,  et  daté  de  la  trente-hui- 
tième année  du  règne  de  Constantin  Copronyme.  (Labbe,  Concil.  tom.  vi, 
pag.  1647.)  Le  P.  Longueval,  dans  Y  Hist.  de  l'Égl.  Gall.  (tome  iv,  année 
757),  répand  quelques  nuages  sur  l'authenticité  de  ce  privilège.  Mais  ses  rai- 
sons paraissent  bien  faibles ,  contre  l'autorité  des  manuscrits  qui  ont  engagé 
la  plupart  des  critiques  à  soutenir  l'authenticité  de  cette  pièce.  Voyez  Manil- 
lon, Annales  Ordinis  Benedictini,  tom.  m,  parte  2,  pag.  336.  —  Fleury, 
Hist.  EccL,  t.  ix,  liv.  xliii,  n.  28.  —  Félibien,  'Histoire  de  l'Abbaye  de 

Saint-Denys,  année  757.  —  Gallia  Christiana,  tom.  vu,  pag.  345. D.  Ceil- 

lier,  Hist.  des  Auteurs  ecclés.,  to'm.  xvm,  pag.  189. 

(2)  Privileg.  Fulradi,  ubi  sttprà.  —  Adriani  I  Epistola  ad  Constante 
num  et  Irenem.  (Labbe,  Concil.  tom.  vu,  pag.  99.)  —  Bossuet,  Defens. 
Declar.,  lib.  n,  cap.  19.) 

(3)  Anastase,  Vita  Adriani  I.  (Labbe,  Concil.  tom.  vi,  pag.  1730.)—. 
Fleury,  Hist.  Ecclés.,  tom.  ix,  liv.  xnv,  n.  2. 

19. 


Faiblesse  de 
ces  raisons 


292  SOUVERAINETÉ   TEMPORELLE  DTI  PAPE. 

vers  la  fin  du  vme  siècle,  le  Pape  reconnaissait  encore  la  sou- 
veraineté de  l'empereur  de  Constantinople  (l). 
80.  Ces  raisons,  il  faut  l'avouer,  sont  loin  d'être  décisives;  nous 

croyons  même  qu'elles  paraîtront  bien  faibles,  si  on  les  examine 
de  près  (2).  Car,  1°  il  est  constant,  par  d'autres  exemples,  qu'on 
a  souvent  daté  les  actes  publics  des  années  d'un  prince,  sans 
reconnaître  pour  cela  son  droit  de  souveraineté.  C'est  ainsi 
que,  sous  la  première  race  de  nos  rois,  plusieurs  conciles  tenus 
chez  les  Francs,  les  Bourguignons  et  les  Visigoths,  sont  datés 
des  années  des  consuls,  dont  ces  peuples  ne  reconnaissaient 
point  l'autorité  (3).  Un  autre  concile,  tenu  à  Rome,  en  743, 
sous  le  pape  Zacharie ,  est  daté  de  la  seconde  année  de  l'empe- 
reur Artabaze ,  et  de  la  trente-deuxième  de  Luitprand ,  roi  des 
Lombards  (4).  Conclura- t-on  de  là  que  les  Romains  se  reconnais- 
saient alors  également  sujets  de  l'empereur  de  Constantinople 
et  du  roi  des  Lombards,  tandis  qu'il  est  constant  par  l'histoire 
que  Luitprand  n'a  jamais  exercé  aucune  autorité  dans  Rome? 
Un  privilège  accordé,  en  761,  par  le  pape  Paul  Ier,  à  l'abbé 
d'un  monastère  de  Home ,  peut  donner  lieu  à  un  semblable  rai- 
sonnement; car  il  est  daté  tout  à  la  fois  des  années  de  l'empe- 
reur de  Constantinople,  et  de  celles  de  Pépin ,  roi  de  France  (5). 
Il  résulte  clairement  de  ces  exemples ,  que  les  formules  dont  il 
s'agit  n'indiquent  par  elles-mêmes  aucune  sujétion  ni  dépen- 
dance à  l'égard  des  princes,  et  qu'on  les  emploie  uniquement 
pour  fixer  l'année  dans  laquelle  un  acte  a  été  dressé. 

2°  Le  titre  de  seigneur,  donné  aux  empereurs  de  Constanti- 
nople, depuis  l'année  754,  ne  fournit  pas  une  preuve  plus  so- 
lide de  leur  souveraineté  dans  le  duché  de  Rome  et  dans  l'exar- 
chat. Il  est  certain,  en  effet,  que  les  papes  -Grégoire  II  et 

(1)  Ciampini,  Vetera  Monimenta,  parte  2,  cap.  21.  —  Muratori,  Annali 
Ôtltalia,  tom.  iv,  année  798,  pag.  371.  —  Lebeau ,  Hist.  du  Bas-Empire, 
tom.  xiv,  liv.  lxvi,  n.  52.  — Hallam,  L'Europe  au  moyen  âge,  tom.  1, 
pag.  16,  note  2. 

(2)  Pagi,  Critica  in  Annales  Baronii,  anno  796,  n.  14.  —  Orsi,  Del  Do- 
minio,  etc.,  cap  8,  pag.  121-123. 

(3)  Concil.  Galliœ ; passim  in  Inscriptionibus.  Voyez,  entre  autres,  les 
titres  des  conciles  d'Agde  en  506;  d'Orléans,  en  511  ;  d'Épone,  en  517,  etc. 
(Labbe,  Concil.  tom.  îv.) 

(4)  Labbe,  Conciliorum  tom.  vi,  pag.  1546. 

(5)  Ibid.,  pag.  1694. 


PREMIÈRE  PARTIE.  —  CHAPITRE  II.  293 

Grégoire III,  écrivant  à  Charles  Martel,  simple  maire  dupa- 
lais,  lui  ont  donné  le  même  titre (1);  prétendra-t-on  en  con- 
clure que  ces  ponjtifes  reconnaissaient  Charles  Martel  pour  leur 
souverain? 

3°  Le  pape  Adrien  Ier  a  pu  prier  l'empereur  de  recevoir  en 
Grèce  un  malheureux  exilé ,  sans  reconnaître  la  souveraineté 
de  ce  prince  sur  Rome  et  sur  l'exarchat.  Demander  à  un  prince 
un  acte  de  compassion ,  et  reconnaître  sa  souveraineté ,  sont 
évidemment  deux  choses  très- différentes. 

4°  L'argument  tiré  de  la  mosaïque  du  palais  de  Latran ,  sup- 
pose que  l'empereur  Constantin,  représenté  dans  ce  tableau, 
est  Constantin  V  ;  mais  cette  explication  est  trop  douteuse  et 
trop  contestée ,  pour  qu'on  puisse  nous  l'opposer  avec  confiance. 
Plusieurs  savants  pensent  que  ce  tableau  représente  le  Sauveur, 
donnant  d'une  main  les  clefs  à  saint  Silvestre,  et  de  l'autre, 
un  étendard  au  grand  Constantin.  Cette  explication ,  adoptée 
par  Alamanni  et  le  P.  Pagi,  est  pour  le  moins  aussi  vraisem- 
blable que  la  première ,  et  n'est  combattue  par  aucun  argument 
positif  (2). 

II.  Les  auteurs  qui  attribuent  au  roi  de  France  la  souverai-       8i. 

,     ,      -r  ,  T  7/»7  e      •  *    i  Raisons  d'at- 

nete  de  Rome  et  de  V exarchat ,  avant  la  fin  du  vin   siècle ,      tribuer 
soit  exclusivement  au  Pape ,  soit  en  commun  avec  lui ,  se  fon-  cetlreainetr" 
dent  principalement  sur  les  raisons  suivantes  :  1°  sur  le  serment  F™ncreolt  ^l^ 
de  fidélité  que  les  Romains  prêtaient  à  Charlemagne,  avant  son    Jf[.fijAjl 
élévation  à  l'empire  (3)  ;  2°  sur  l'envoi  que  le  pape  Léon  III , 
lors  de  son  avènement  au  pontificat,  fit  à  Charlemagne  de  l'é- 
tendard de  Rome  (4);  3°  sur  la  conduite  de  Charlemagne,  en 
799,  dans  le  jugement  des  conspirateurs  qui  avaient  attenté  à  la 
vie  du  même  pontife  (5).  Le  roi  de  France,  dit-on,  exerça,  en 
cette  occasion,  les  fonctions  de  juge  entre  le  Pape  et  ses  sujets  ; 

(1)  Gregorii  II  Epistola  2  ad  Carolum  Martellum.  —  Gregorii  III 
Epistola  5  et  6  adeumdem.  (Labbe,  ibid.,  pag.  1439,  1472,  etc.)  —  Cod. 
Carol.  Epist.  1  et  2.  (Cenni,  Monumenla  Domin.  Pontif.,  tom.  i, 
pag.  19,  etc.) 

(2)  Pagi,  ubi  suprà,  anno  796,  n.  7,  etc —  Alamanni,  De  Lateranensibus 
Parietinis,  cap.  9. 

(3)  Eginhard,  Annales,  anno  796.  (Recueil  de  Duchesne,  tom.  h,  pag.  248.; 
—  Fleury,  Hist.  Ecclés.,  tom.  x,  liv.  xlv,  n.  5.    j 

(4)  Ibid.  jj 

(5)  Fleury,  ibid.,  n.  20  et_21. 


Faiblesse  de 
ces  raisons 


294  SOUVERAINETÉ  TEMPORELLE  DU  PAPE. 

fonctions  qui  ne  pouvaient  appartenir  qu'au  souverain  de 
Rome.  4°  A  l'appui  de  ces  raisons,  on  cite  encore  quelques 
expressions  de  Paul  Diacre,  auteur  du  vme  siècle,  qui  sem- 
blent supposer  que  Charlemagne,  avant  son  élévation  à  l'em- 
pire, avait  déjà  la  souveraineté  de  Rome.  Cet  auteur,  dans 
Y  Histoire  des  évéques  de  Metz,  dit  que  Charlemagne,  ayant 
détruit  le  royaume  des  Lombards,  soumit  la  ville  de  Rome  à 
sa  domination  (1).  Le  même  auteur,  dans  la  dédicace  du  livre 
de  Pompeius  Festus ,  adressée  à  Charlemagne  avant  son  élé- 
vation à  l'empire,  lui  dit  :  «  Vous  trouverez,  dans  ce  livre,  les 
«  noms  des  rues ,  des  portes ,  et  des  tribus  de  votre  ville  de 
«Rome  (2).»  On  trouve  de  semblables  expressions  dans  les 
Annales  de  Moissac,  et  dans  quelques  autres  de  la  même  épo- 
que (3). 
8a.  Il  est  aisé,  à  ce  qu'il  nous  semble,  de  montrer  la  faiblesse 

de  toutes  ces  raisons.  l°Le  serment  de  fidélité  que  les  Ro- 
mains prêtaient  à  Charlemagne,  avant  son  élévation  à  l'empire, 
prouve  sans  doute  qu'ils  reconnaissaient  dans  ce  monarque 
une  grande  autorité  sur  eux  ;  mais  l'autorité  qu'ils  reconnais- 
saient en  lui,  était-elle  précisément  la  so uvera ine té  de  Rome 
et  de  V exarchat?  C'est  ce  qu'on  ne  peut  soutenir,  après  les  rai- 
sons positives  qui  établissent  la  vérité  de  notre  sentiment.  Il  ré- 
sulte, en  effet,  de  ces  preuves,  que  Charlemagne,  avant  son 
élévation  à  l'empire,  n'avait  d'autre  pouvoir,  dans  le  duché  de 
Rome  et  dans  l'exarchat,  que  celui  de  patrice  des  Romains; 
pouvoir  qui  se  bornait  à  protéger  et  défendre  le  saint-siége 
contre  ses  ennemis,  et  à  régler,  de  concert  avec  le  Pape,  tout 
ce  qui  regardait  l'ordre  et  la  tranquillité  publique  dans  ses 
États  (4).  Le  serment  de  fidélité  que  les  Romains  prêtaient  alors 
à  Charlemagne  était  relatif  à  ce  pouvoir  attaché  au  titre  de 
patrice  des  Romains;  mais  ce  serment  était  subordonné  à  celui 
que  les  Romains  prêtaient  au  Pape ,  comme  à  leur  véritable  sou- 

(1)  «  Romuleam  civitatem  suis  addidit  sceptris.  »  Paul  Diacre ,  Hist. 
Episc.  Metens.  (Biblioth.  Patrum,  tom.  xm,  pag.  331 ,  lre  col.) 

(2)  «Civitatis  vestrae  Romuleae.  »  Annales  Ordinis  S.  JBened.  tom.  n, 
Append.  n.  36,  pag.  717,  édition  de  1704. 

(3)  Annales  de  Moissac,  année  800.  (Recueil  de  D.  Bouquet,  tom.  v,  pag,  79> 
lre  col.)  Nous  avons  cité  plus  haut  ce  passage,  chap.  1,  pag.  258,  note  2. 

(4)  Voyez  plus  haut,  n.  66,  pag.  276,  etc. 


PREMIÈRE  PARTIE.  —  CHAPITRE  II.  295 

verain,  et  qu'ils  continuèrent  de  lui  prêter,  même  depuis  l'élé- 
vation de  Charlemagne  à  l'empire.  Il  est  certain,  en  effet,  que 
même  avant  cette  époque  les  Romains  prêtaient  tout  à  la  fois 
serment  de  fidélité  au  Pape  et  au  roi  de  France.  C'est  ce  qui 
résulte  clairement,  comme  l'observe  M.  de  Marca,  d'une  lettre 
du  sénat  et  du  peuple  romain  à  Pépin,  sous  le  pontificat  de 
Paul  Ier,  dans  laquelle  ils  se  reconnaissent  tout  à  la  fois  sujets 
du  Pape  et  du  roi  de  France  (1).  Le  pape  Paul  1er  suppose  la 
même  chose  dans  une  lettre  à  Pépin,  où  il  se  plaint  des  mau- 
vais traitements  que  le  roi  des  Lombards  a  fait  subir  au  duc  de 
Spolette  et  à  ses  officiers,  qui  ont  également  prêté  serment  de 
fidélité  au  Pape  et  au  roi  de  France  (2).  Ce  langage  suppose , 
à  la  vérité ,  que  les  sujets  du  Pape  étaient  aussi ,  en  un  certain 
sens,  sujets  du  roi  de  France;  mais  non  en  ce  sens  que  la  sou- 
veraineté de  Rome  et  de  l'exarchat  appartînt  également  à  l'un 
et  à  l'autre,  puisqu'il  résulte  clairement  de  nos  preuves  que  le 
Pape  seul  avait  alors  la  souveraineté  proprement  dite  dans  ces 
provinces,  et  que  l'autorité  du  roi  de  France  y  était  subor- 
donnée à  celle  du  Pape  (3). 

(1)  Cod.  Carol.  Epist.  15  (aliàs  36.)(Cenni,  Monumenta  Domin.  Pon- 
tif.,  tom.  i,  pag.  143.)  Nous  avons  cité  ailleurs  les  expressions  de  cette 
lettre,  par  lesquelles  le  sénat  et  le  peuple  romain  se  reconnaissent  sujets  du 
souverain  pontife  Paul,  leur  seigneur.  (Ci-dessus,  n.  43.)  Ils  emploient  de 
semblables  expressions  dans  la  même  lettre,  pour  se  reconnaître  sujets  du 
roi  de  France;  et  ils  lui  témoignent  en  ces  termes  avec  quelle  joie  ils  ont 
reçu  la  recommandation  qu'il  leur  a  faite,  de  demeurer  fidèles  aie  Pape  : 
«  O  quanta  divinâ  aspiratione  interna  viscerum  nostroium  praecordia  in 
«  nobis,  vestris  fidelibus ,  redundant!  »  On  sait  que  le  mot  fidelis ,  dans  le 
style  de  ce  temps,  désigne  un  sujet  ou  vassal,  attaché  à  son  seigneur  par  un 
serment  ou  une  promesse  de  fidélité.  (  Voyez  Ducange ,  Lexicon  infimœ 
Latin. ,  verbo,  Fidelis.) 

(2)  «  Comprehensum  Albinum  ducem  Spoletinum  cum  ejus  satrapibus,  qui 
«  in  fide  beati  Pétri  et  vestrâ  sacramentum  prœbuerunt ,  infixis  in 
«  eis  pessimis  vulneribus,  in  vinculis  detinet.  »  Cod.  Carol.  Epist.  18 
(aliàs  15),  pag.  154. 

(3)  M.  de  Marca,  et  quelques  autres  écrivains  modernes,  croient  pouvoir 
conclure  des  deux  lettres  que  nous  venons  de  citer,  que  le  Pape  et  le  roi 
de  France  exerçaient  alors  en  commun  l'autorité  de  patrices  ou  à? exarques 
dans  le  duché  de  Rome  et  dans  l'exarchat.  (De  Marca,  De  Concordiâ, 
lib.  m,  cap.  11,  n.  6.)  Voyez  ci-dessus  (n.  56)  l'exposition  de  ce  sentiment. 
Il,  paraît,  en  effet,  par  une  lettre  d'Adrien  Ier  à  Charlemagne,  que  le  Pape 
et  le  roi  de  France  prenaient  également  le  titre  de  patrice,  et  en  exerçaient 
l'autorité  de  concert  pour  le  gouvernement  et  la  défense  du  peuple  romain. 
(Cod.  Carol.  Epist.  97,  aliàs 95 ;  apud  Cenni,  Monumenta,  tom.  i,  pag.  521. 


296  SOUVERAINETÉ  TEMPORELLE  DU  PAPE. 

2°  La  seconde  raison  qu'on  nous  oppose  n'est  pas  plus  solide 
que  la  première.  Pour  qu'elle  fût  concluante,  il  faudrait  montrer 
que  l'envoi  de  l'étendard  de  Rome  était  un  signe  de  la  souve- 
raineté de  Charlemagne  sur  les  Romains;  or,  c'est  ce  qui  n'est 
pas  prouvé;  on  sait,  au  contraire,  qu'à  l'époque  dont  il  s'agit, 
les  Romains  avaient  coutume  de  rendre  cet  honneur  aux  exar- 
ques ou  patrices,  qui  n'avaient  certainement  pas  la  souverai- 
neté proprement  dite  des  provinces  dont  l'administration  leur 
était  confiée.  C'est  ce  que  nous  apprend  Anastase  le  Bibliothé- 
caire, dans  la  Vie  d'Adrien  Ier,  à  l'occasion  des  honneurs  que 
ce  pontife  fit  rendre  à  Charlemagne,  en  774.  Le  Pape,  dit  cet 
auteur,  envoya  au-devant  de  ce  prince  les  magistrats  de  Rome , 
suivis  d'un  nombreux  corps  de  troupes,  sous  la  conduite  de 
leurs  officiers,  avec  les  étendards  et  les  croix,  comme  on 
avait  coutume  de  faire  à  la  réception  d'un  exarque  ou  d'un 
patrice  (1). 

3°  La  troisième  raison  paraîtra  bien  faible,  si  l'on  fait  at- 

—  Labbe,  Concil.  tom.  vi,  pag.  1773.)  Mais  il  ne  faut  pas  'oublier  que  le 
Pape,  outre  le  titre  de  patrice,  avait,  dans  le  duché  de  Rome  et  dans  l'exar- 
chat, un  droit  de  souveraineté,  fondé  sur  le  vœu  légitime  des  peuples  de  ces 
provinces,  qui,  abandonnées  de  leurs  anciens  maîtres,  l'avaient  librement 
choisi  pour  leur  chef;  droit  que  Pépin  et  Charlemagne  reconnaissaient  eux- 
mêmes,  comme  nous  l'avons  montré,  nos  63  et  65. 

Ces  observations  fournissent  l'explication  naturelle  d'un  passage  de  la 
lettre  d'Adrien  Ier,  qui  suppose  que  le  patriciat  avait  été  accordé  au  Pape 
par  le  roi  de  France  (à  Pippino  concessus)  ;  d'où  quelques  auteurs  mo- 
dernes ont  conclu  que  le  Pape  tenait  son  patriciat  de  Pépin,  comme  Pépin  le 
tenait  du  Pape  et  des  seigneurs  de  Rome.  (Voyez  Noël.  Alex.,  Dissert-  25 
in  Hist.  Eccles.  sœculi  iv;  prop.  6,  iniiio.  —  De  Marca,  De  Concordiâ, 
lib.  m,  cap.  2,  n.  6.)  La  suite  de  l'histoire  montre  qu'il  ne  faut  pas  prendre 
ici  à  la  rigueur  le  mot  concessus,  et  qu'il  faut  l'entendre  dans  le  même 
sens  que  la  donation  de  Pépin ,  c'est-à-dire ,  dans  le  sens  d'une  resti- 
tution ou  d'une  confirmation  des  droits  déjà  acquis  par  le  saint-siége, 
et  usurpés  par  les  Lombards.  En  effet,  il  est  certain  que  Pépin  n'avait 
pas  plus  de  droit  sur  le  patriciat  de  Rome  et  de  l'exarchat,  que  sur  les 
provinces  dont  il  lit  restitution  au  saint-siége.  Il  est  également  certain 
que  le  Pape  n'avait  pas  moins  d'autorité  dans  Rome  et  dans  l'exarchat 
avant  l'expédition  de  Pépin,  que  depuis  cette  expédition.  Il  est  vrai  seu- 
lement qu'il  était  gêné  dans  l'exercice  de  son  autorité ,  par  la  tyrannie  des 
Lombards,  dont  il  ne  fut  pleinement  délivré  que  par  la  protection  du  roi  de 
France. 

(1)  «  obviam  illi  ejus  Sanctitas  dirigens  venerandas  cruces,  id  est  signa, 
«  sicut  mos  est  ad  exarchum  aut  patricium  suscipiendum ,  eum  cum  in- 
«  genti  honore  suscipi  fecit.  »  Anastase,  Vitâ  Adriani.  (Labbe,  Concil. 
tom.  vi,  pag.  1736.  —  Fleury,  Hist.  Ecclés.,  tom.  ix,  liv.  xuv,  u.  5.)    iJJM 


PREMIÈRE  PARTIE. — CHAPITRE  II.  297 

tention  que  Charlemagne  pouvait  exercer  la  fonction  de  juge, 
comme  il  fit  en  799,  entre  le  Pape  et  ses  sujets,  sans  être  sou- 
verain de  Rome;  il  avait  droit  d'exercer  cette  fonction,  soit 
comme  patrice  des  Romains ,  soit  pour  répondre  au  désir  du 
Pape,  qui  avait  lui-même  imploré  sa  protection  contre  les 
conspirateurs. 

4°  Les  expressions  de  Paul  Diacre  ne  supposent  pas  nécessai- 
rement que  Charlemagne  fût  devenu  souverain  de  Rome,  de- 
puis la  destruction  du  royaume  des  Lombards;  il  est  aisé  de  les 
expliquer,  en  les  rapportant  à  la  dignité  depatrice ,  qui  donnait 
à  ce  prince  la  défense  et  la  protection  de  Rome,  et  le  droit 
d'y  régler,  de  concert  avec  le  Pape,  tout  ce  qui  regardait  l'ordre 
et  la  tranquillité  publique.  Sous  ce  rapport,  la  ville  de  Rome, 
aussi  bien  que  toutes  les  provinces  alors  soumises  au  saint-siége, 
pouvait  être  considérée,  en  un  certain  sens,  comme  faisant 
partie  des  États  de  Charlemagne;  et  les  Romains  pouvaient 
être  considérés  comme  ses  sujets,  quoiqu'il  n'eût  pas  sur  eux 
une  souveraineté  proprement  dite ,  supérieure  ou  égale  à  celle 
du  Pape.  On  sait,  en  effet,  que,  dans  les  auteurs  du  moyen 
âge,  le  titre  de  sujets  ne  se  donne  pas  seulement  aux  sujets 
d'un  roi  ou  d'un  empereur,  mais  encore  à  ceux  d'un  duc ,  d'un 
baron,  et  de  plusieurs  autres  seigneurs  subordonnés  au  souve- 
rain proprement  dit  (l). 

III.  Il  nous  reste  à  examiner  les  fondements  de  Y  opinion  qui       83. 
attribue  à  Charlemagne  la  souveraineté  de  Rome,  depuis    ^bne/ 
son  élévation  à  V empire.  *      a  fahsoliv"S-e 

Les  défenseurs  de  ce  sentiment  se  fondent,  1°  sur  Y  adoration  neté^^e' 
ou  l'hommage  extérieur  que  le  pape  Léon  III ,  à  la  tète  des  sei-     s.on  f1?; 

°  ±  x     l  '  vation  a  l  em- 

gneurs  de  Rome,  rendit  à  Charlemagne,  dans  la  cérémonie  de       Piie- 

Première  rai- 

son  couronnement,  et  par  lequel  il  sembla  le  reconnaître  pour    *>«,  tirée 

>  ,  .  f,  ,.  «  -,        de  L'adoration 

son  souverain  :  apontifice,  more  antiquorum  prmcipum,  ado-  <ie  ce  prince, 
ratus  est,  disent  les  Annales  des  Francs ,  communément  at-     LéoTui. 
tribuées  à  Éginhard  (2). 


(1)  Ducange,  Glossarium  injimœ  Latinitatis ,  verbis ,  Regnum,  Subdi- 
tus. —  Pagi,  Critica  in  Annales  Baronii,  anno  796,  n.  6. —  Dissert,  sur  le 
sens  du  mot  Regnum  j  dans  YHist.  de  VAcad.  des  incript.,  tom.  1er,  in-4°, 
page  162. 

(2)  Nous  avons  cité  plus  haut  ce  texte  d'Eginhard.  (Chap.  i,  pag.  257, 


598  SOUVERAINETÉ  TEMPORELLE  DU  PAPE. 

Peut-être  pourrait-on  contester  la  vérité  de  ce  fait,  dont  il 
n'existe  aucune  trace  dans  les  auteurs  contemporains ,  étrangers 
à  la  France,  et  qui  racontent  plus  en  détail  la  cérémonie  du 
couronnement  de  Charlemagne  (1).  Quelques  savants  ont  pensé 
que  le  silence  de  ces  auteurs ,  sur  un  fait  de  cette  importance , 
fournissait  un  préjugé  légitime  contre  sa  vérité,  et  que  ce  si- 
lence n'était  pas  suffisamment  balancé  par  le  témoignage  des 
Annales  des  Francs,  attribuées  à  Éginhard,  et  dont  l'authen- 
ticité a  paru  douteuse  à  de  célèbres  critiques  (2). 

Mais,  en  supposant  même  la  vérité  du  fait,  nous  ne  voyons 
pas  qu'on  puisse  en  tirer  aucun  argument  en  faveur  de  la  sou- 
veraineté de  Charlemagne  dans  Rome.  Il  est  vrai  que  Fleury  et 
quelques  autres  écrivains  modernes ,  expliquant  le  passage  en 
question  des  Annales  des  Francs ,  supposent  que  le  Pape  se 
prosterna  devant  l'empereur,  le  reconnaissant  ainsi  pour 
son  souverain .  Mais  il  suffit  de  lire  attentivement  et  sans  pré- 
jugé le  passage  cité  des  Annales  des  Francs,  pour  voir  combien 
cette  explication  est  arbitraire  et  peu  fondée. 

D'abord,  ce  passage  ne  suppose  pas  nécessairement  que  le 
Pape  se  soit  alors  prosterné  devant  l'empereur.  Cette  supposi- 
tion ne  peut  être  justifiée,  ni  par  le  sens  propre  du  mot  adora- 
tion, ni  par  V ancien  usage  dont  parlent  ici  les  Annales  des 
Francs.  On  sait,  en  effet,  que,  dans  le  style  des  anciens  au- 
teurs, et  particulièrement  dans  celui  des  écrivains  du  moyen 
âge,  le  mot  adoration  exprime  souvent  un  simple  témoignage 
de  respect ,  rendu  à  une  personne  distinguée  par  son  caractère 
ou  son  mérite,  par  exemple,  en  lui  baisant  les  mains,  la  sa- 
luant, formant  des  vœux  pour  elle,  etc.  (3).  Tel  paraît  être  le 
sens  de  ces  expressions,  employées  par  quelques  anciens  auteurs, 
et  qu'on  rencontre  aussi  quelquefois  dans  le  Code  Théodosien  et 
le  Code  Justinien  :  Adorare  purpuram  principis;  adorare  sere- 

note  1.)  On  ne  lira  pas  sans  intérêt,  sur  ce  point  d'histoire,  la  Dissertation 
italienne  de  Santelli,  que  nous  avons  citée  plus  haut.  (Pag.  283,  note  3.) 

(1)  Les  principaux  de  ces  auteurs  sont,  Anastase  le  Bibliothécaire  et  Paul 
Diacre.  (  Santelli,  ubi  suprà,  pag.  22,  etc.) 

(2)  Le  P.  Alexandre ,  le  P.  Lecointe ,  et  plusieurs  autres  savants ,  contes- 
tent l'authenticité  de  ces  Annales.  (Santelli ,  ubi  suprà ,  pag.  30,  etc.) 

(3)  Voyez  les  Dictionnaires  de  Robert  Estienne,  de  Calepin,  de  Facciolati, 
de  Ducange  et  autres,  au  mot  Adorare.  —  Diction,  de  Moreri,  et  Diction* 
Theol.  de  Bergier,  au  mot  Adoration. 


PREMIÈRE  PARTIE.  —  CHAPITRE  II.  299 

nitatem  principis;  adorare  diuturnitatem  imperii,  etc.  (1). 

V ancien  usage,  rappelé  par  les  Annales  des  Francs  dans 
le  passage  qui  nous  occupe ,  ne  suppose  pas  qu'on  doive  en- 
tendre dans  un  autre  sens ,  Y  adoration  rendue  à  Charlemagne 
par  le  pape  Léon  III.  En  effet,  il  est  tout  à  fait  invraisemblable 
que  ces  Annales  fassent  allusion  à  l'ancien  usage  de  quelques 
princes  orientaux,  qui,  voulant  se  faire  adorer  comme  des  dieux, 
se  faisaient  rendre  par  leurs  sujets  l'hommage  de  la  génuflexion 
et  du  prosternement.  Il  est  bien  plus  naturel  de  croire  que  l'au- 
teur des  Annales,  qui  était  français,  fait  uniquement  allusion 
à  quelque  ancien  usage  observé  à  l'égard  des  rois  francs.  Or,  il 
ne  paraît  pas  que  la  génuflexion  ou  le  prosternement  aient 
jamais  été  en  usage,  par  rapport  à  ces  derniers  ;  non-seulement 
on  n'en  trouve  dans  l'histoire  aucun  exemple ,  mais  on  sait  po- 
sitivement que  ces  princes,  aussi  bien  que  leurs  sujets,  regar- 
daient comme  une  chose  tout  à  fait  étrange ,  et  indigne  d'un 
peuple  libre,  la  conduite  superbe  et  dédaigneuse  des  monarques 
orientaux  à  l'égard  des  peuples  soumis  à  leur  autorité  (2). 

On  dira  peut-être  que  l'auteur  des  Annales  fait  sans  doute  al- 
lusion à  Y  ancien  usage  des  empereurs  romains ,  qui  se  faisaient 
rendre,  en  certains  cas,  l'hommage  de  la  génuflexion  ou  du 
prosternement.  Mais ,  outre  que  cette  allusion  est  peu  vraisem- 
blable, dans  un  auteur  français,  on  doit  remarquer  que  l'usage 
de  la  génuflexion  ou  du  prosternement  ne  s'est  pas  constam- 
ment observé  sous  les  empereurs  romains  (3)  ;  Caligula  et  quel- 
ques autres  qui  l'ont  exigé,  s'étaient  par  là  rendus  très-odieux  ; 
et  la  plupart  même  des  empereurs  païens  l'ont  constamment  re- 
fusé. «A Dieu  ne  plaise,  disait  l'empereur  Maximin  Ier,  qu'on 
«  m'adore  en  se  prosternant  devant  moi  (4).  » 


(1)  Santelli,  ubi  suprà,  pag.  36,  54. 

(2)  D.  Ruinart,  Prœf.  ad  Opéra  S.  Greg.  Turon.  n.  15.  — Santelli,  ubi 
suprà%  pag.  39,  etc. 

(3)  Santelli,  ubi  suprà,  pag.  49,  etc.  Voyez  aussi  Godefroy,  Comment, 
in  Cod.  Théodos.  lib.  vi ,  tit.  8  et  13  ;  lib.  vin ,  tit  7.  (Tora.  n ,  pag.  79 , 
94,571.) 

(4)  «  Primus  omnium  (Diocletianus),  post  Caligulam  Domitianumque, 
«  Dominum  palàm  sedici  passus,  et  adorari  se,  appellarique  uti  Deum.  Quîs 
«  rébus,  quantum  ingenium  est,  compertum  habeo,  humillimos  quosque, 
«  maxime  ubi  alta  accesserunt,  superbiâ  atque  ambitione  immodicos  esse.  » 
Aurelius  Victor,  Hist.  Rom.  de  Cœsar.,  cap.  39. 


300  SOUVERAINETÉ  TEMPORELLE  DU  TAPE. 

Concluons  de  ces  observations,  que  le  passage  en  question  des 
Annales  des  Francs,  pris  dans  le  sens  propre  et  naturel,  se 
réduit  à  dire  que  «  le  Pape  fit  à  l'empereur  une  profonde  révé- 
«rence,  selon  l'ancien  usage  observé  à  l'égard  des  princes.  » 
C'est  ainsi  que  ce  passage  est  expliqué  par  le  P.  Montfaucon, 
Muratori,  le  P.  Daniel,  et  plusieurs  autres  (1). 

Enfin,  en  supposant  môme  que  le  Pape  se  soit  alors  prosterné 
devant  l'empereur,  en  signe  de  respect  pour  sa  nouvelle  di- 
gnité, il  resterait  à  prouver  qu'il  voulait,  par  ce  témoignage  de 
respect,  reconnaître  V empereur  pour  son  souverain  :  or,  cette 
dernière  supposition  est  encore  plus  gratuite  et  plus  invraisem- 
blable que  la  première  ;  car  elle  est  en  opposition  manifeste  avec 
les  monuments  que  nous  avons  cités  à  l'appui  du  sentiment  qui 
attribue  au  Pape  seul  la  souveraineté  de  Rome,  depuis  l'éléva- 
tion de  Charlemagne  à  l'empire. 

Au  reste ,  il  est  à  remarquer  que  la  manière  dont  nous  expli- 
quons Y  adoration  rendue  à  Charlemagne  par  le  pape  Léon  III, 
n'est  pas  particulière  au  sentiment  que  nous  avons  cru  devoir 
embrasser;  elle  est  également  admise  par  les  auteurs  qui  re- 
gardent la  souveraineté  de  Rome  comme  ayant  été  possédée  en 


Ammien  Marcellin,  rapportant  le  même  fait,  explique  plus  clairement  le  rit 
du  prosternement  ou  de  là  génuflexion,  substitué  par  Dioclétien  à  la  simple 
salutation  autrefois  en  usage:  «Diocletianus,  omnium  primus,  exleroritu  et 
«  regio  more  instituit  adorari,  cùm  semper  antea  ad  similitudinem  judicum, 
«  salutatos  principes  legerimus.  »  Ammien  Marcellin,  Histor.  lib.  xv, 
cap.  5. 

«  Ipse  (Alexander  Severus),  dit  Lampride,  adorari  se  vetuit,  cùm  jam  cœ- 
«  pisset  Heliogabalus  adorari ,  regum  more  Persarum.  »  Lampride ,  Vita 
Alex.  Severi,  cap.  18.  (Hist.  Aug.  Script.  Lugd.  Batav.,  1671,  in-8°,  tom.  i, 
pag.  908.) 

Jules  Capitolin,  dans  la  Vie  des  deux  Maximin,  nous  apprend  que  Maxi- 
min  1er,  quelque  odieux  qu'il  fût  d'ailleurs  au  peuple  romain,  par  suite  de 
son  avarice  et  de  ses  cruautés,  ne  souffrait  pas  qu'on  se  prosternât  devant 
lui.  Son  fils,  qu'il  avait  associé  à  l'empire ,  n'imita  pas  cet  exemple,  et  se 
rendit  par  là  très-odieux  :  «In  salutationibus  superbissimus  erat  (Maxi- 
«  minus  junior),  dit  Capitolin;  et  manum  porrigebat,  genua  sibi  osculari  pa- 
«'tiebatur,  et  nonnunquam  etiam  pedes  ;  quod  nunquam  passus  est  senior 
«  Maximinus,  qui  dicebat  :  Diiprohibeant  ut  quisquam  ingenuorum  pc- 
«  dibus  meis  osculum  Jigat  !  »  Jules  Capitolin,  Vita  Maximini  J unions  t 
cap.  2.  (iMi,tom.  n,  p.  66.) 

(1)  Montfaucon,  Monuments  de  la  Monarchie  française,  tome  i.  —  Mu- 
ratori, Annales  d'Italie,  année  800.  —  Santelli,  ubï  supra,  pag.  39,  etc.  _ 
Daniel,  Hist.  de  France,  tom.  »,  an  800. 


PREMIÈRE  PARTIE.— CHAPITRE  IL  30 1 

commun  par  le  Pape  et  l'empereur,  sous  Charlemagne  et  ses 
successeurs.  Dans  cette  supposition ,  le  Pape  et  l'empereur  ayant 
une  égale  autopité  dans  Rome,  il  est  tout  à  fait  incroyable  que 
l'un  des  deux  se  soit  prosterné  devant  Vautre ,  et  l'ait  ainsi 
reconnu  pour  son  souverain. 
On  oppose,  en  second  lieu,,  à  notre  sentiment,  une  difficulté       H- 

-i  ,  ,.  •     >        i        m  o   •  11        Deuxième  rai- 

beaucoup  plus  spécieuse,  tirée  du  Testament  lait  par  Charle-    ««,  tirée 
magne,  en  811,  pour  le  partage  de  ses  trésors.  L'empereur,    utes(£,nent 
dans  cet  acte,  partage  tousses  biens  meubles  en  trois  lots,  et  cha^nei^ne  » 
joint  ensemble  les  deux  premiers ,  dont  il  fait  vingt  et  une  por- 
tions, pour  vingt  et  une  métropoles  de  son  royaume,  à  la  tète 
desquelles  il  nomme  Rome  et  Ravenne.  Tl  regardait  donc  ces 
deux  villes  comme  faisant  partie  de  son  royaume  (1). 

Cette  difficulté  serait  véritablement  insoluble,  s'il  fallait 
prendre  ici  le  mot  royaume  dans  le  sens  propre  et  rigoureux , 
pour  les  États  d'un  souverain  proprement  dit.  Mais  il  est 
certain  que ,  dans  les  auteurs  du  moyen  âge ,  le  mot  regnum 
se  prend  assez  souvent  dans  un  sens  plus  large,  pour  les  États 
soumis  à  une  autorité  plus  ou  moins  restreinte ,  et  subor- 
donnée à  V autorité  souveraine.  C'est  ainsi  que,  dans  la  Loi  des 
Bavarois ,  rédigée  au  ve  siècle  par  Thierry,  roi  d'Austrasie ,  et 
corrigée  au  vne  siècle  par  Dagobert  Ier,  le  mot  regnum  désigne 
les  États  d'un  duc  (2). 

(1)  «  Omnem  supellectilem  atque  substantiam  suam  ,  tam  in  auro  quàm 

«  in  argento,  gemmisque  et  ornatu  regio, primo  quidem  trinâ  divisione 

«  partitns  est;  deinde,  easdem  partes  subdividendo,  de  duabus  partibus  21 

«  partes  f'ecit; ut  quia  in  regno  illius  metropolitanœ  civitates  21  esse 

«noscuntitr,  unaquaeque  iliarum  partium  ad  unamquamque  metropolim, 
«  per  manus  haeredum  et  amicorum  suorum ,  eleemosynae  nomine,  perve- 

«  niât Nomina  verô  metropoliticarum  eivitatum,  ad  quas  eadem 

«  eleemosyna  vel  largitio  data  est,  haec  sunt  :  Roma,  Ravenna,  Mediola- 
«  num,  etc.  »  Ëginhard,  Vitâ  Carol.  Magni.  (Baluze,  Capitularia ,  t.  i, 
pag.  487.  —  Labbe,  Concil.  tom.  vu,  pag.  1202,  etc.) —  FJeury,  Hist.  Ec- 
oles., tom.  x,  liv.  xlv,  n.  50. — Hist.  de  l'Église  Gallicane,  tom.  v,  Iiv.  xm, 
année  811. 

Marchetti  reproche  à  Fleury  d'avoir,  à  sa  fantaisie,  qualifié  les  villes  de 
Rome  et  de  Ravenne  de  métropoles  du  royaume  de  Charles.  (Marchetti 
Critique  de  Fleury,  tom.  n,  n.  95.)  La  critique  de  Marchetti  est  ici  en  dé- 
faut ;  on  voit,  par  la  manière  dont  il  s'explique  sur  ce  sujet,  qu'il  n'a  fait  at* 
tention  qu'au  testament  de  806,  dont  nous  avons  parlé  plus  haut  (n.  70), 
et  non  à  celui  de  81 1,  dont  il  est  ici  question. 

(2)  «  Si  quis  filius  ducistam  superbus  vel  stultus  fuerit,  ut  patrem  suum 
«  dehonestare  voluerit  per  consilium  malignorum,  vel  per  fortiam  (i.  e.  per 


302  SOUVERAINETÉ  TEMPORELLE  DU  PAPE. 

Cela  posé,  l'acte  de  811  ne  présente  aucune  difficulté  contre 
notre  sentiment.  La  comparaison  attentive  de  cet  acte  avec 
celui  de  806,  et  les  autres  que  nous  avons  cités  (1),  montre 
que  le  mot  regnwn  doit  s'entendre  ici  dans  le  sens  large  et  im- 
propre, pour  celui  d'États.  En  effet,  il  résulte  clairement  de 
ces  derniers  actes,  que  Charlemagne  ne  regardait  pas  Rome  et 
Ravenne  comme  faisant  partie  du  corps  de  son  royaume ,  c'est- 
à-dire,  des  États  dont  il  pouvait  disposer  comme  souverain 
proprement  dit;  qu'il  n'a  jamais  prétendu  s'y  réserver  aucune 
autorité,  sinon  dans  le  cas  où  le  Pape  aurait  recours  à  sa 
protection.  Si  donc  il  place  Rome  et  Ravenne  parmi  les  mé- 
tropoles de  son  royaume,  dans  l'acte  de  811 ,  ce  ne  peut  être 
que  dans  un  sens  large  et  impropre,  eu  égard  à  l'autorité  que 
lui  donnait  son  titre  d'empereur,  pour  la  protection  et  la  dé- 
fense des  États  du  saint-siége;  autorité  en  vertu  de  laquelle  il 
ne  pouvait  en  disposer  à  son  gré ,  ni  les  gouverner  comme  sou- 
verain proprement  dit ,  mais  seulement  y  faire,  à  la  prière  du 
Pape,  et  de  concert  avec  lui,  tous  les  actes  nécessaires  à  la  tran- 
quillité de  ces  provinces. 
85.  On  nous  oppose,  en  troisième  lieu,  les  actes  d'autorité  que 

r7on!Tesrai  Charlemagne  et  ses  successeurs  ont  exercés  dans  Rome ,  y  admi- 
arité  exer-°"  nistrant  la  justice,  y  tenant  des  plaids,  y  publiant  des  règle- 
ces  dansRome  ments  p0ur  je  gouvernement  temporel,  jugeant  les  différends 
charlemagne  qUi  s' élevaient  entre  le  Pape  et  ses  sujets,  exigeant  des  Romains 
successeurs,  un  serment  de  fidélité ,  etc.  (2). 

De  pareils  actes  supposent  sans  doute  que  Charlemagne  et  ses 
successeurs  avaient  une  grande  autorité  dans  Rome ,  et  qu'ils  y 
exerçaient  des  droits  fort  étendus.  Mais  ces  droits  étaient-ils 
précisément  ceux  de  la  souveraineté ,  d'une  souveraineté  in- 

«  vint),  et  regnum  ejus  au/erre  ab  eo; sciât  se  ille  fîlius  contra  legem 

«  fecisse,  et  de  hœreditate  patris  sui  se  esse  dejectum.  »  Lex  Bajuvariorum, 
tit.  2,  cap.  10,  n.  1.  (Baluze,  Capitular.  tom.  î,  pag.  104.  —  Canciani, 
Barbarorum  Leges  antiquœ,  tom.  n,  pag.  365.)  Sur  le  sens  du  mot  reg- 
num, dans  les  auteurs  du  moyen  âge,  voyez  ci-dessus,  pag.  297,  texte  et 
note  1. 

(1)  Voyez  plus  haut,  n.  70,  etc. 

(2)  Fleury,  Hist.  Ecclés.,  tom.  x,  liv.  xlv,  n.  20  et  21  ;  liv.  xlvi,  n.  53; 
liv.  xlyiii,  n.  16.  —  Daniel,  Histoire  de  France,  tom.  h,  années  824  et  844 
(pag.  215,  346,  et  alibi passim).  —  Berault-Bercastel,  Histoire  de  l'Église, 
tom.  îv,  liv,  xxiv  et  xx\tpassim< 


PREMIÈRE  PARTIE.  —  CHAPITRE   II.  303 

dépendante  et  supérieure  à  celle  du  Pape?  L'examen  attentif 
de  l'histoire  ne  permet  pas  d'admettre  cette  supposition  ;  car, 
l°  on  ne  peut  l'admettre  sans  contredire  les  monuments  que 
nous  avons  cités^l) ,  particulièrement  Y  acte  départage  fait  par 
Charlemagne  en  806;  les  diplômes  de  Louis  le  Débonnaire, 
d'Othon  1er,  et  de  Henri  II ,  qui  confirment  les  donations  faites 
au  saint-siége  par  Pépin  et  Charlemagne;  enfin,  la  formule  du 
serment  de  fidélité  prêté  par  les  Romains  aux  empereurs  carlo- 
vingiens.  Tous  ces  actes  supposent  clairement,  comme  nous 
l'avons  montré ,  que  la  souveraineté  du  Pape  dans  Rome  et  dans 
l'exarchat,  même  depuis  l'élévation  de  Charlemagne  à  l'empire, 
était  une  souveraineté  proprement  dite,  également  indépen- 
dante à  l'égard  de  l'empereur  de  Constantinople  et  à  l'égard  du 
roi  de  France.  2°  Les  actes  d'autorité  qu'on  nous  oppose  étaient 
exercés  par  le  roi  de  France,  avant  son  élévation  à  l'empire,  en 
vertu  du  seul  titre  de  patrice  des  Romains,  qui  ne  lui  donnait 
pas  la  souveraineté  proprement  dite  dans  les  États  du  saint- 
siége,  mais  seulement  le  droit  de  régler,  de  concert  avec  le 
Pape ,  tout  ce  qui  regardait  l'ordre  et  la  tranquillité  publique 
dans  ses  États.  C'est  en  vertu  de  ce  titre  que  Charlemagne,  à 
la  demande  du  pape  Léon  III ,  récemment  élevé  à  la  dignité 
pontificale  (en  795),  envoya  à  Rome  un  des  principaux  sei- 
gneurs de  sa  cour,  pour  recevoir  le  serment  de  fidélité  des 
Romains  (2).  C'est  en  vertu  du  même  titre,  que  ce  prince,  tou- 
jours à  la  demande  du  pontife,  se  rendit  à  Rome,  en  800, 
pour  rétablir  l'ordre  troublé  par  les  conspirateurs  qui  avaient 
osé  attentera  la  vie  du  Pape  (3).  3°  Enfin,  les  circonstances 
mêmes  des  faits  qu'on  nous  oppose,  montrent  que  Charle- 
magne, depuis  son  élévation  à  l'empire,  aussi  bien  que  les 
empereurs  de  sa  race  qui  lui  succédèrent ,  ne  prétendirent 
point  exercer  dans  Rome  une  autorité  indépendante  de  celle 
du  Pape.  Charlemagne,  en  jugeant  les  conspirateurs  qui  avaient 
attenté  à  la  vie  de  Léon  III,  ne  fit  que  continuer  les  pro- 


(1)  Ci-dessus,  n.  70,  etc. 

(2)  Voyez  les  auteurs  cités  plus  haut,  pag.  256,  note  1  ;  particulièrement 
Fleury,  Hist.  Ecclés.,  tom.  x,  liv.  xlv,  n.  5. 

(3)Fleury,  ibid.,  n.  10,  etc.  —  Hist.  de  V Église  Gallicane,  tom,  y, 
année  800, 


30  4        SOUVERAINETE  TEMPORELLE  DU  PAPE. 

cédures  qu'il  avait  déjà  commencées  auparavant  comme  pa- 
trice  des  Romains,  et  à  la  prière  du  pontife  (1).  L'exemple 
de  Lothaire  Ier,  en  824,  est  particulièrement  remarquable 
sur  ce  point  (2).  L'empereur  Louis  le  Débonnaire,  ayant  ap- 
pris la  nouvelle  de  l'élection  du  pape  Eugène  II,  et  des  trou- 
bles dont  elle  avait  été  l'occasion,  «prit  la  résolution  d'en- 
«  voyer  son  fils  Lothaire  en  Italie,  pour  faire,  avec  le 
«  nouveau  pontife  et  avec  le  peuple  romain ,  les  règlements 
«  convenables  aux  conjonctures  présentes  (3).  »  Lotbaire  fut 
reçu  par  le  Pape  avec  tous  les  honneurs  dus^à  sa  dignité,  et 
fit  aussitôt,  sous  le  bon  plaisir  du  pontife,  de  sages  ordon- 
nances, pour  réparer  les  désordres  passés,  et  pour  en  prévenir  le 
retour  (4).  Ce  fut  le  sujet  d'une  Constitution  qu'il  publia  à 
Rome  même,  pendant  le  séjour  qu'il  fit  dans  cette  ville.  Un  des 

(1)  ibid. 

(2)  Fginhard,  Annales,  anno  824.  (Recueil  de  Duchesne,  tom.  n;  et 
tom.  vi  du  Recueil  de  D.  Bouquet.) — Baronius,  Annales,  tom.  ix,  anno  824, 
n.  31,  etc.  —  Hist.  de  V Église  Gallicane,  tom.  v,  année  824,  pag.  320,  etc. 
Fleury,  ubi  suprà,  liv.  xlvi,  n.  52,  etc. 

(3)  «Cujus  rei  nuntium  cùm  Quirinus  subdiaconus  ad  imperatorem  delu- 

«  lisset, ipse  Lotharium  filium  suum,  imperii  socium,  Romam  mittere 

«  decrevit,  ut  vice  sua  functus  ea  quse  rerum  nécessitas  tlagitare  videbatur, 
«  ciim  novo  pontifice  populoque  JRomano  statueret  atque  firmaret.  » 
Éginhard,  ubi  suprà.  (Recueil  de  D.  Bouquet,  tom.  vi,  pag.  185.)  — 
Baronius  {ubi  suprà)  cite  ce  texte,  non  comme  étant  d'Éginhard,  mais 
comme  tiré  de  la  Vie  de  Louis  le  Débonnaire ,  composée  par  l'auteur  ano- 
nyme, connu  sous  le  nom  à' Astronome.  Il  paraît  que  c'est  une  erreur.  Le 
p.  Pagi,  D.  Bouquet,  et  la  plupart  des  critiques,  attribuent  ce  texte  à 
Éginhard.  Cette  discussion ,  au  reste ,  a  peu  d'importance,  relativement  à 
l'objet  de  nos  recherches.  Les  annalistes  de  ce  siècle  et  des  suivants  se  co- 
pient souvent  les  uns  les  autres;  et  le  texte  même  que  nous  citons,  a  été  litté- 
ralement reproduit  par  l'auteur  des  Annales  de  saint  Bertin,  selon  la  re- 
marque de  D.  Bouquet.  (Ibid.) 

(4)  «statum  populi  Romani,  jamdudum  quorumdam  perversitatepraesulum 
«  depravatum,  memorati  ponlificis  benevolâ  assensione  corrrexit,  etc.  » 
(Ibid.)  Les  expressions  que  nous  avons  soulignées  dans  cette  note  et  dans  la 
précédente,  sont  dignes  de  remarque.  Il  est  difficile  de  comprendre  comment 
Fleury,  qui  rapporte  lui-même  ces  expressions,  a  pu  dire,  avec  tant  d'assu- 
rance, que  «  la  souveraineté  de  l'empereur  sur  Rome  paraît  clairement  dans 
«  la  constitution  de  Lothaire,  aussi  bien  que  dans  le  serment  qu'il  fit  prêter 
«  aux  Romains.  »  (Au  sujet  de  ce  serment,  voyez  les  observations  que  nous 
avons  faites  ci-dessus,  pag.  287,  note  3.) 

Le  P.  Daniel  parle  sur  ce  sujet  avec  la  même  légèreté.  (Hist.  de  France, 
tom.  n,  année  824,  pag.  215.)  Sur  ce  point,  comme  sur  bien  d'autres,  Yffis* 
toire  de  l'Église  Gallicane  peut  beaucoup  servir  à  corriger  ces  deux 
auteurs. 


PREMIÈRE  PARTIE.  —  CHAPITRE  II.  305 

principaux  objets  de  cette  Constitution ,  est  de  maintenir  l'au- 
torité  du  Pape  dans  le  gouvernement  de  ses  États  et  dans 
toutes  les  parties  de  son  administration  (l).  Il  est  à  remarquer 
gue,  dans  tous  les  articles  de  cette  même  Constitution  qui  re- 
gardent l'autorité  du  Pape  et  celle  de  l'empereur  pour  le  gou- 
vernement de  Rome,  le  Pape  est  constamment  nommé  avant 
l'empereur,  comme  ayant  l'autorité  principale  (2).  Il  est  même 
statué  expressément,  par  le  quatrième  article,  que  le  Pape  doit 
tout  régler  en  premier  ressort,  par  lui-même  ou  par  ses  offi- 
ciers; et  que  l'empereur  n'interviendra  dans  les  actes  du 
gouvernement  pontifical ,  qu'à  la  demande  du  souverain  pon- 
tife, pour  l'aider  à  corriger  les  abus  qu'il  ne  pourrait  corriger 
par  lui-même  (3). 

Enfin,  on  oppose  encore  à  notre  sentiment  les  monnaies       86. 
frappées  dans  Rome,  sous  Charlemagne  et  ses  successeurs,  et     so^Tes"1' 
sur  lesquelles  on  lit,  d'un  côté,  le  nom  de  l'empereur,  et  de  h^^ iedsans 
l'autre,  le  nom  du  Pape  ou  la  figure  de  saint  Pierre.  M.  Leblanc      Ro™e> . 

1  *■  ©  sous  Charle- 

surtout,  dans  sa  Dissertation  sur  quelques  Monnaies  de  Char-      masne 

et  ses   succès* 

lemagne  et  de  ses  successeurs ,  regarde  ces  monnaies  comme      seurs. 
la  plus  forte  preuve  de  la  souveraineté  des  empereurs  dans 
Rome  (4). 

Nous  sommes  étonné  de  la  confiance  avec  laquelle  M.  Le- 
blanc et  quelques  autres  écrivains  font  valoir  cet  argument ,  à 
l'appui  de  leur  opinion.  Pour  le  soutenir,  il  faut  nécessaire- 
ment supposer,  qu'à  l'époque  où  furent  frappées  les  monnaies 
dont  il  s'agit ,  le  droit  de  battre  monnaie  était  uniquement  exercé 
par  les  souverains ,  exclusivement  à  tous  les  seigneurs  particu- 
liers. Mais ,  bien  loin  que  ce  point  soit  clairement  établi ,  il  est 
certain,  au  contraire,  et  M.  Leblanc  lui-même  reconnaît,  dans 
son  Traité  des  Monnaies  de  France,  qu'à  cette  époque,  un 


(1)  On  peut  voir  le  texte  de  cette  constitution  dans  la  collection  des  Con- 
ciles du  P.  Labbe,  tom.  vir,  pag.  1550. 

(2)  Lotharii  Constit.,  art.  1,  4, 5,  etc.  (Ibicl,  pag.  1550  et  1551.) 

(3)  «  Decernimusitaque,  utprzmwmomnesclamoresquinegligentiâducum 
«  aut  judicum  fuerint,  ad  notitiam  Domini  Apostolici  referantur;  ut  statim 
«  aut  ipse  per  suos  nuntios  eosdem  emendare  faciat,  aut  nobis  notificet,  ut 
«  legatione  à  nobis  directâ  emendentur.  »  (Ibid.,  art.  4,  pag.  1551.) 

(4)  Voyez  les  pages  23,  40,  etc.,  de  cette  Dissertation,  à  la  suite  du 
Traité  des  Monnaies  du  même  auteur.  Amsterdam,  1692,  in-4°. 

20 


306  SOUVERAINETÉ  TEMPORELLE  DU  PAPE. 

grand  nombre  de  seigneurs  particuliers  jouissaient  du  droit  de 
battre  monnaie  (l).  Sous  la  première  race  de  nos  rois,  ce  droit 
fut  d'abord  accordé  à  quelques  célèbres  églises,  et  à  de  grandes 
abbayes;  sous  la  seconde  race ,  et  au  commencement  de  la  troi- 
sième, le  même  privilège  fut  accordé,  non-seulement  à  des 
églises  et  à  des  abbayes,  mais  à  un  grand  nombre  de  seigneurs 
laïques  (2). 

Cet  usage  n'existait  pas  seulement  en  France  ;  on  en  trouve 
aussi  des  exemples  dans  plusieurs  autres  États,  particulière- 
ment en  Italie,  aux  vnie  et  ixe  siècles,  et  même  plus  ancien- 
nement. Les  villes  de  Pavie,  de  Milan,  de  Lucques,  de  Tré- 
vise,  et  quelques  autres,  jouissaient  déjà  de  ce  droit  sous  les 
rois  goths  et  lombards,  et  le  conservèrent  encore  longtemps 
sous  les  empereurs  français,  et  même  sous  les  allemands  (3). 
Après  cela ,  comment  peut-on ,  avec  tant  soit  peu  de  vraisem- 
blance, invoquer  les  monnaies  frappées  dans  Rome,  au  nom 
de  Charlemagne  et  de  ses  successeurs,  en  preuve  de  leur  souve- 
raineté dans  cette  ville  ?  Dans  un  temps  où  plusieurs  seigneurs 
particuliers  jouissaient  du  droit  de  battre  monnaie  ,  est-il  éton- 
nant que  les  empereurs ,  sans  être  souverains  de  Rome ,  y  aient 
exerce  ce  droit,  avec  l'agrément  du  Pape?  Bien  pins,  ne  peut -on 
pas  supposer ,  avec  beaucoup  de  vraisemblance ,  que  les  mon- 
naies dont  il  s'agit  ont  été  frappées  par  l'ordre  même  du  Pape, 
qui  y  a  fait  représenter  tout  à  la  fois  la  figure  de  l'empereur 
et  celle  du  pontife ,  soit  pour  honorer  l'empereur ,  soit  pour 
exprimer  le  concert  de  la  puissance  impériale  et  de  la  puis- 
sance pontificale ,  dans  le  gouvernement  de  Rome  ? 


(1)  Leblanc,  Traité  des  Monnaies  de  France.  Paris  1690,  in-4°,  pag.  73, 
143,  etc.  —  Daniel,  Histoire  de  France;  édition  du  P.  Griffet,  tom.  ni , 
pag.  248.  —  Ducange,  Glossarium ,  verbo  Moneta.  Remarquez  surtout  les 
§§  Moneta  regia  et  Moneta  baronum.  — Tobiesen-Duby,  Traité  des  Mon- 
naies des  Barons.  Paris  1790,  2  vol.  in-4°.  Voyez  principalement  la  Préface 
de  cet  ouvrage ,  où  l'auteur  expose  l'origine  et  les  progrès  de  l'usage  dont 
nous  parlons. 

(2)  Tobiesen-Duby,  dans  son  ouvrage  déjà  cité  (tom.'i,  pag.  79),  donne  une 
très-longue  liste  des  prélats  et  barons  de  France  qui  ont  joui  de  ce  droit. 
On  trouve ,  dans  cette  liste ,  plus  de  cent  évêchés ,  chapitres  ou  abbayes. 

(3)  Tobiesen-Duby,  ubi  supra,  pag.  33.  —  Muratori,  Antiquit.  Ital. 
medii  œvi;  Dissert.  27,  De  Moneta,  seu  jure  cudendi  nummos;  pag.  547, 
581,  etc. 


PREMIÈRE   PARTIE. — CHAPITRE  II.  807 

Ces  raisons  nous  semblent  tellement  décisives  contre  la  difû- 
cultédont  il  s'agit,  que,  bien  loin  de  la  regarder  comme  une  des 
plus  fortes  preuves  de  la  souveraineté  des  empereurs  dans 
Rome,  nous  ne  croyons  pas  qu'elle  puisse  être  alléguée,  avec  tant 
soit  peu  de  confiance ,  par  un  homme  instruit  des  faits  que  nous 
venons  de  rappeler.  Nous  sommes  donc  très-porté  à  croire  que 
M.  Leblanc,  à  l'époque  où  il  écrivait  la  Dissertation  dans  la- 
quelle il  expose  cette  difficulté ,  ne  connaissait  pas  encore  ces 
faits ,  ou  du  moins  n'en  avait  que  des  idées  vagues  et  incom- 
plètes. Il  est  à  remarquer,  en  effet,  que  cette  Dissertation, 
publiée  pour  la  première  fois  en  1689,  ne  fut  pas  reproduite  par 
Fauteur  dans  le  Traité  des  Monnaies  qu'il  publia  l'année  sui- 
vante ,  et  dans  lequel  il  reconnaît  expressément  les  faits  dont 
nous  venons  de  parler.  Il  y  a  tout  lieu  de  croire  qu'il  se  propo- 
sait de  revoir  sa  Dissertation,  d'après  ses  nouvelles  recherches; 
mais  il  ne  paraît  pas  qu'il  ait  exécuté  ce  projet.  L'édition  donnée 
en  1692,  à  Amsterdam,  dans  laquelle  on  trouve  la  Disserta- 
tion à  la  suite  du  Traité  des  Monnaies ,  paraît  avoir  été  publiée 
sans  la  participation  de  l'auteur,  qui  mourut  peu  de  temps 
après  (en  1698),  sans  avoir  donné  aucune  autre  édition  de  son 
ouvrage. 

ARTICLE  IL 

Quels  sont  les  fondements  et  les  titres  primitifs  de  la  souveraineté 
temporelle  du  saint-siége. 

Pour  fixer  avec  plus  de  précision  et  de  clarté  l'état  de  la       s7. 
question  que  nous  devons  examiner  dans  ce  second  article,    f„aels£ona 
nous  rappellerons  d'abord  ici  deux  principes  généralement  re-  v^v**  t™- 

L  L  *'.'.*:.'."  damentaux 

connus,  et  qui  doivent  servir  de  base  à  toute  cette  discussion,     en  cette 

_j  •        i-  .     ,    -,       -,  matière. 

Nous  supposons,  en  premier  lieu,  comme  un  point  de  droit 
incontestable,  que  les  ministres  sacrés  ne  sont  point,  à  raison 
de  leur  caractère,  incapables  d'acquérir  et  de  posséder  des 
biens  temporels  ;  et  que  le  pouvoir  spirituel  dont  ils  sont  inves- 
tis n'est  pas  incompatible,  par  sa  nature,  avec  le  pouvoir 
temporel.  Ce  principe  universellement  admis,  dans  tous  les 
temps  et  tous  les  pays  du  monde ,  avant  la  venue  de  Jésus- 
Christ,  n'a  pas  été  moins  généralement  reconnu  depuis  cette 

20. 


308  SOUVERAINETÉ  TEMPORELLE  DU  PAPE. 

époque,  même  dans  les  premiers  et  les  plus  beaux  siècles  de 
l'Église;  c'est  ce  qui  résulte  clairement  des  détails  que  nous 
avons  donnés  dans  Y  Introduction  de  cet  ouvrage,  sur  les  hon- 
neurs et  les  prérogatives  temporelles  accordées  à  la  religion  et  à 
ses  ministres  chez  les  peuples  anciens ,  particulièrement  sous  les 
premiers  empereurs  chrétiens.  Aussi,  le  principe  que  nous  rap- 
pelons ici  n'a-t-il  été  contesté  que  par  un  petit  nombre  d'héré- 
tiques ou  de  philosophes  impies,  visiblement  entraînés  par  la 
passion  et  par  l'esprit  de  parti,  dans  leurs  déclamations  contre 
les  richesses  et  le  pouvoir  temporel  du  clergé  (l). 

Nous  supposons ,  en  second  lieu ,  comme  un  point  de  fait 
également  incontestable,  que  la  souveraineté  temporelle  du 
saint-siége  n'a  pas  eu  pour  fondement  et  pour  titre  primitif  la 
donation  de  Constantin,  comme  on  l'a  cru  assez  généralement 
depuis  le  xe  siècle  jusqu'au  xve.  Ce  point  de  fait,  universelle- 
ment admis  par  les  critiques  modernes ,  est  d'ailleurs  suffisam- 

(1)  Parmi  les  hérétiques  qui  refusent  à  l'Église  et  à  ses  ministres  le  droit 
d'acquérir  et  de  posséder  des  biens  temporels,  on  remarque  surtout  Arnaud 
de  Bresse,  au  xue  siècle  ;  les  Vaudois,  au  xiue  ;  Marsile  de  Padoue,  au  xive  ; 
et  Wielef,  au  xve.  Calvin  et  les  premiers  réformateurs,  adoucissant  un  peu 
la  doctrine  de  ces  anciens  hérétiques,  se  réduisent  à  soutenir  l'incompatibi- 
lité du  pouvoir  temporel  avec  le  spirituel,  dans  la  personne  des  ministres 
sacrés,  au  moins  sous  la  loi  nouvelle.  (Calvin,  Instit.  lib.  iv,  cap.  11, 
n.  8,  etc.) 

Le  cardinal  Bellarmin,  dans  ses  Controverses  contre  les  Protestants,  ex- 
pose et  réfute  solidement  ces  divers  systèmes.  {De  Rom.  Pontif.  lib.  v, 
cap.  1,  9  et  10.  —  De  Membris  EccL  lib.  i,  cap.  26  et  27.)  On  peut  con- 
sulter là-dessus,  pour  un  plus  ample  développement,  la  Dissert,  sur  la 
Grand,  temp.  de  V Église,  dans  le  tom.  i  du  Recueil  de  pièces  d'Hist.  et  de 
Littér.  (par  l'abbé  Granet  et  le  P.  Desmolets.  Paris,  1731 ,  4  vol.  in-12), 
et  l'ouvrage  de  M.  Carrière,  Prœlect.  de  Jure  et  Just.,  tom.  i,  n.  94, 
pag.  132,  etc. 

Les  vrais  principes  sur  cette  matière  ont  été  combattus,  dans  ces  derniers 
temps,  par  un  certain  nombre  de  philosophes  impies  et  de  faux  politiques, 
dont  les  erreurs  ont  causé  les  plus  fâcheux  éclats  en  plusieurs  États ,  par- 
ticulièrement en  France,  à  l'époque  de  la  révolution  de  1789.  V  Encyclopé  . 
die,  qui  avait  pris  hautement  la  défense  de  ces  erreurs  (article  Fondation) 
fournit  aux  révolutionnaires  français  la  plupart  des  sophismes  qu'ils  déve- 
loppèrent ,  sur  ce  sujet ,  à  Y  Assemblée  constituante ,  et  qui  amenèrent  la 
spoliation  du  clergé.  L'ouvrage  déjà  cité  de  M.  Carrière,  donne  un  résumé 
solide  de  cette  discussion,  et  indique  fort  en  détail  les  principaux  auteurs  à 
consulter.  On  peut  y  ajouter  l'abbé  Pey,  De  V autorité  des  deux  Puissances, 
tom.  îv,  pag.  166,  etc.  La  suite  de  nos  Recherches  nous  donnera  lieu  d'ex- 
poser un  peu  plus  au  long  les  vrais  principes  sur  ce  sujet.  (2e  partie,  chap. 
m,  art.  2,  §  3). 

p.   ■ 


88. 
Divers  senti- 


a  examiner. 


PREMIÈRE   PARTIE.  —  CHAPITRE   II.  309 

ment  établi  par  la  suite  des  faits  que  nous  avons  exposés  dans 
le  chapitre  précédenl ,  sur  l'origine  et  les  progrès  de  la  souve- 
raineté temporell^du  saint-siége  (l).  Il  résulte  clairement  de  cet 
exposé,  que  Constantin  et  ses  successeurs,  quelque  généreux 
qu'ils  se  soient  montrés  envers  le  saint-siége ,  ne  lui  ont  donné 
aucune  souveraineté  proprement  dite,  avant  le  vme  siècle,  et 
que  ceux  mêmes  des  souverains  pontifes  qui  ont  pris  plus  de  part 
aux  affaires  publiques,  avant  cette  époque,  ne  l'ont  fait  que 
sous  le  bon  plaisir  de  l'empereur,  et  de  concert  avec  lui,  comme 
ses  officiers  et  ses  représentants  en  Italie. 

Ces  principes  étant  supposés,  il  s'agit  d'examiner  quels  sont 
les  fondements  et  les  titres  primitifs  de  la  souveraineté  tempo-  s  ments 
relie  dont  le  saint-siége  a  été  investi  au  vme  siècle,  et  dont  il  a 
joui  constamment  depuis  cette  époque.  Les  auteurs  modernes  ne 
sont  guère  moins  partagés  entre  eux  sur  cette  question,  que  sur 
l'époque  précise  à  laquelle  on  doit  placer  l'origine  d^  la  souve- 
raineté dont  il  s'agit. 

1°  Ceux  qui  croient  cette  souveraineté  antérieure  à  la  do- 
nation de  Pépin,  lui  donnent  pour  fondement  le  voeu  légi- 
time des  peuples  d'Italie,  qui,  se  voyant  abandonnés  de  leurs 
anciens  maîtres ,  confièrent  librement  au  saint-siége  leurs  inté- 
rêts temporels  (2).  Quelques  défenseurs  de  ce  sentiment  ajou- 
tent que  cette  conduite  des  peuples  d'Italie  était  encore  auto- 
risée par  le  droit  divin,  qui  permet  aux  sujets  de  secouer  le 
joug  d'un  prince  hérétique,  au  moins  après  une  sentence  de 
l'Église  ou  du  Pape,  qui  le  déclare  déchu  du  trône  (3). 

2°  Les  auteurs  qui  croient  la  souveraineté  temporelle  du 
saint-siége  postérieure  à  la  donation  de  Pépin,  regardent  com- 
munément cette  souveraineté  comme  un  pur  effet  de  la  libéra- 
lité de  Pépin  et  de  Charlemagne ,  qui  voulurent  bien  faire  hom- 
mage au  saint-siége  d'une  partie  des  provinces  qu'ils  avaient 
justement  conquises  sur  les  Lombards.  Ce  sentiment  est  com- 

(1)  Ci-dessus,  chap.  1,  n.  6,  etc.  Voyez  aussi  le  n.  5  des  Pièces  justif.  à 
la  fin  de  ce  volume. 

(2)  Voyez  les  auteurs  cités  plus  haut,  pag.  263,  note  1. 

(3)  Bellarmin,  De  Rom.  Pontif.  lib.  v,  cap.  8.  (  Operum,  tom.  i.)~ 
Baronii  Annales,  tom.  rx,  anno  730,  n.  4  et  5.  —  Orsi,  Délia  origine,  etc., 
cap.  5.  —  Mamachi,  Origines  et  Antiquitates  Christianœ,  lom.  îv,  lib.  iv, 
cap.  2,  §  4. 


310  SOUVERAINETÉ  TEMPORELLE  DU  PAPE. 

munément  soutenu  ou  supposé  par  les  auteurs  français  (i). 
3°  Quelques  écrivains  modernes,  sans  contester  absolument 
la  légitimité  des  donations  de  Pépin  et  de  Charlemagne ,  ac- 
cusent le  pape  Grégoire  II  et  ses  successeurs,  d'avoir  habile- 
ment profité  des  circonstances  dans  lesquelles  ils  se  trouvaient, 
pour  secouer  peu  à  peu  le  joug  de  l'empereur  de  Constanti- 
nople,  et  d'avoir  ainsi  préparé  les  voies  à  leur  souveraineté 
temporelle,  par  les  intrigues  d'une  politique  ambitieuse  et  toute 
profane.  On  conçoit  que  cette  opinion ,  si  peu  respectueuse  en- 
vers le  saint-siége,  particulièrement  envers  plusieurs  papes 
d'une  éminente  vertu,  et  honorés  même  par  l'Église  d'un  culte 
public,  ait  pu  être  soutenue  par  des  écrivains  hérétiques  ou 
impies,  dont  plusieurs  ont  été  jusqu'à  cet  excès  que  nous  avons 
signalé,  de  supposer  le  pouvoir  temporel  incompatible" avec  le 
spirituel ,  dans  la  personne  des  ministres  sacrés ,  au  moins  sous 
la  loi  nouvelle  (2).  Mais  on  voit  avec  étonnement  cette  même 
opinion  embrassée  par  un  certain  nombre  d'auteurs  catholi- 
ques ,  sincèrement  attachés  à  la  religion ,  mais  qui  ne  se  sont 
pas  tenus  assez  en  garde  contre  des  préjugés  répandus  et  accré- 
dités dans  le  monde,  par  des  ennemis  déclarés  de  l'Église  et  du 
saint-siége  (3). 


(1)  DeMarca,De  Concordiâ,  lib.  m,  cap.  11,  n.  5, etc. — Nat.  Alex.  Dissert. 
25  m  Hist-  Ecoles,  sœculi  iv,  prop.  5.  —  Bossuet,  Hlst.  Univ.,  lre  partie, 
année755. — Lebesni,Hist.  du  Bas-Empire, tom.  xni,pag.  292  et  449.— Velly, 
Hist.  de  France,  tom.  1,  pag.  363.  —  Bernardi ,  De  l'Origine  et  des  Pro- 
grès, etc.,  liv.  11,  chap.  6,  pag.  147.  —  Magnin,  La  Papauté  considérée  dans 
son  origine,  etc.,  f e  partie,  chap.  10. 

(2)  Nous  avons  déjà  remarqué  (ci-dessus,  p.  308,  note  1)  que  cette  opinion, 
si  visiblement  exagérée,  était  communément  admise  par  les  premiers  réforma* 
teurs.  Les  protestants  modernes  paraissent,  en  général,  bien  éloignés  de  cet 
excès;  toutefois,  ils  continuent  généralement  à  regarder  l'ambition  et  les  intri- 
gues des  papes  du  vme  siècle,  comme  la  source  et  le  principe  de  leur  souverai- 
neté temporelle.  Voyez,  entre  autres,  Basnage,  Hist.  de  l  Église,  tom  1,  pag. 
260,  etc.;  1. 11,  p.  1347,  1598, etc. — Mosheim,  Instit.  Hist.  Eccl.  sœculi  vin, 
part.  2,  cap.  2,  §  6,  etc.;  cap.  3,  §  11,  etc.  —  Gibbon,  Hist.  de  la  Décad. 
de  VEmp.  rom.,  tom.  ix,  chap.  49,  pag.  284,  etc.  (Édition  de  1828.)  —  Hal- 
lam,  L'Europe  au  moyen  âge,  tom.  1,  pag.  11.  —  Sismondi,  Hist.  des  Ré- 
publiques Italiennes,  tom.  1,  chap.  3,  pag.  123-133.  —  Hist.  des  Français, 
tom.  11,  pag.  146,  etc.,  186,  etc.  —  Hegewisch ,  Hist.  de  Charlemagne, 
pag.  56,  etc. 

(3)  Vertot,  Origine  de  la  Grandeur  de  la  cour  de  Rome,  pag.  10  et  11 . 
—  Lebeau,  Hist.  du  Bas-Empire,  tom.  xin,  liv.  lxiii,  n.  54  et  64;  liv  lxiv, 
n.  1;  tom.  xiv,  liv.  lxvi,  n.  19.  —  Velly,  Hist.  de  France,  tom.  I,  pag. 


PREMIÈRE   PARTIE,  — CHAPITRE   II.  311 

4°  Enfin  quelques  écrivains  modernes,  par  suite  de  sem- 
blables préjugés,  vont  jusqu'à  contester  la  légitimité  des  dona- 
tions faites  au  saint- siège  par  Pépin  et  Charlemagne.  S'il  en 
faut  croire  les  défenseurs  de  ce  sentiment,  ces  deux  monarques, 
en  donnant  au  saint-siége  les  provinces  qu'ils  avaient  conquises 
sur  les  Lombards ,  disposèrent  de  ce  qui  ne  leur  appartenait  pas, 
ne  pouvant,  sans  injustice,  dépouiller  l'empereur  de  Constanti- 
nople  de  cette  partie  de  ses  domaines  (l).  Toutefois,  les  défen- 
seurs de  cette  opinion  ne  font  pas  difficulté  de  reconnaître  que 
la  souveraineté  temporelle  du  saint-siége,  quelque  défectueuse 
qu'elle  ait  pu  être  dans  le  principe,  est  depuis  longtemps  éta- 
blie sur  un  titre  de  prescription  incontestable ,  et  reconnue  de 
tous  les  princes  chrétiens  (2). 

La  suite  des  faits  que  nous  avons  exposés,  montre  ce  qu'il       89-  . 

•1  •  -ri       /       1  1    •  i        ^a  question 

faut  penser  de  ces  divers  sentiments.  Il  resuite  clairement  de     résolue 
cet  exposé,  que  la  souveraineté  temporelle  du  saint-siége  ne  déjà  exposés, 
doit  son  origine,  ni  à  l'ambition  des  papes  du  vme  siècle,  ni    l,Jâ£jîï0? 
au  pouvoir  qu'ils  croyaient  avoir  de  disposer  du  temporel  des à  1rs°ï-0^opo" 
princes ,  pour  le  plus  grand  bien  de  la  religion  ;  mais  qu'elle  a 
été  fondée,  dès  son  origine,  sur  les  titres  les  plus  légitimes, 
c'est-à-dire,  sur  le  vœu  légitime  des  peuples  d'Italie,  solennel- 
lement reconnu  et  confirmé  par  les  donations  de  Pépin  et  de 
Charlemagne.  Ces  conséquences  vont  être  mises  dans  un  nou- 
veau jour,  par  le  développement  des  trois  assertions  suivantes, 
auxquelles  on  peut  réduire  notre  sentiment. 

336,  etc.;  361,  396,  et  alibi  passim.  —  Annales  du  moyen  âge,  tom.  v, 
liv.  xvin,  pag.  244,  et  alibi  passim.  —  De  Peyronnet,  Hist.  des  Francs , 
tom.  h,  liv.  xii,  chap.  8. 

(i)  Cette  opinion  singulière  a  été  soutenue,  au  commencement  du  dernier 
siècle,  par  Muratori,  dans  plusieurs  écrits  publiés  pour  la  défense  des  pré- 
tentions de  l'empire  sur  les  villes  de  Comachio,  de  Parme  et  de  Plaisance.  Il 
a  été  solidement  réfuté  par  Fontanini,  dans  plusieurs  écrits  publiés  sur  le 
même  sujet.  On  trouve,  dans  le  Dictionnaire  de  Moreri  (articles  Muratori  et 
Fontanini),  la  liste  des  ouvrages  publiés,  de  part  et  d'autre,  dans  le  cours  de 
cette  controverse.  Depuis  cette  époque,  Muratori  a  reproduit  son  opinion  sur 
l'origine  de  la  souveraineté  temporelle  du  saint-siége,  dans  ses  Annales  d'I- 
talie. Elle  est  suivie  par  Sismondi ,  ubi  suprà  (  note  2  de  la  page  pré- 
cédente). 

:  (2)  Muratori,  conclusion  des  Annales  d'Italie,  citée  par  Orsi,  Del  Domi- 
nio,  etc.  Prefazione,  pag.  xm,  note  6. 


droit  divin, 


312  SOUVERAINETÉ   TEMPORELLE   DU  PAPE. 

9<».        1°.  La  souveraineté  temporelle  du  saint-siège  ne  doit  point 

Première  pro-  **»'•'.  7   '    »        • 

position.         son  origine  a  l  opinion  tneologique  qui  attribue  à  V Eglise 

La  souverai-  •  »  •/• 

neté  ou  au  souverain  pontije ,  le  droit  de  disposer  du  temporel 

teEtrsiégedU        DES   PRINCES  ,  POUR  LE  PLUS  GRAND  BIEN  DE  LA  RELIGION. 

ne  doit  poiut 
son  origine 
à  l'opinion 

théologique  si  Ton  examine  attentivement  l'origine  et  les  progrès  de  la 
souveraineté  temporelle  du  saint-siége ,  on  verra  que  les  papes 
n'ont  jamais  prétendu  se  l'attribuer  ou  l'exercer  en  vertu  du 
principe  ou  de  l'opinion  théologique  dont  il  est  ici  question , 
mais  uniquement  comme  chefs  et  représentants  des  peuples  d'I- 
talie, qui,  dans  l'état  d'abandon  où  ils  se  trouvaient  réduits, 
avaient  librement  confié  au  saint-siége  leurs  intérêts  temporels. 
C'est  ce  qui  résulte  clairement  des  faits  que  nous  avons  exposés 
dans  le  chapitre  précédent,  et  surtout  de  la  conduite  des  souve- 
rains pontifes,  depuis  le  pontificat  de  Grégoire  II.  Lorsque  Gré- 
goire III,  son  successeur  immédiat,  pour  obtenir  la  protection  de 
Charles  Martel,  lui  offrit  le  titre  de  consul,  il  ne  le  fit  qu'au  nom 
du  peuple  romain ,  et  en  vertu  d'un  décret  des  seigneurs  de 
Rome  (t).  Les  papes  Zacharie  et  Etienne  II,  en  sollicitant  auprès 
des  Lombards  la  restitution  de  plusieurs  villes  et  territoires  de 
l'exarchat  et  du  duché  de  Rome ,  agissaient  expressément  au 
nom  de  la  république  romaine,  qui  leur  avait  confié  ses  inté- 
rêts (2).  Enfin,  le  pape  Léon  III,  en  conférant  à  Charlemagne  le 
titre  d'empereur,  agissait  de  concert  avec  le  peuple  romain  et 
les  seigneurs  de  Rome,  qui  manifestèrent  hautement  leur  inten- 
tion à  cet  égard  (3).  Tous  les  anciens  monuments  nous  montrent 
les  papes  du  vme  siècle  agissant  uniquement  en  vertu  des 
titres  que  nous  venons  d'énoncer  ;  et  nous  pouvons  défier  nos 
adversaires  de  citer  un  seul  de  ces  monuments ,  qui  suppose  , 
dans  les  souverains  pontifes,  l'intention  de  disposer  du  temporel 
des  princes,  pour  le  plus  grand  bien  de  la  religion. 

Mais,  indépendamment  de  ces  faits  si  décisifs,  il  suffirait,  pour 
établir  notre  proposition,  d'examiner  quels  étaient  alors  les 


(1)  Voyez  plus  haut ,  chap.  1 ,  n.  32. 

(2)  Ibid.y  n.  34. 
(3)'/M<f.,  n.  4% 


PREMIÈRE   PARTIE. — CHAPITRE   II.  313 

principes  reconnus  et  professés  par  le  saint-siége,  sur  l'autorité 
respective  des  deux  puissances.  11  est  constant  qu'à  l'époque  où 
s'établit  la  souveraineté  temporelle  du  saint-siége,  le  principe  de 
la  distinction  et  de  l'indépendance  réciproque  des  deux  puissances 
était  ouvertement  professé  par  les  souverains  pontifes ,  comme  il 
l'avait  toujours  été  auparavant.  On  a  vu  plus  haut  la  doctrine 
de  l'antiquité,  sur  cette  matière,  exposée  avec  autant  de  précision 
que  de  clarté,  par  les  papes  Gélase,  Symmaque  et  saint  Grégoire 
le  Grand  (1).  On  a  vu  le  pape  Grégoire  II  s'exprimer,  sur  ce 
sujet,  d'une  manière  également  forte  et  précise,  dans  ses  lettres 
à  l'empereur  Léon  l'isaurien ,  vers  l'an  726 ,  c'est-à-dire ,  à  l'é- 
poque même  où  s'établit  la  souveraineté  temporelle  du  saint- 
siége  (2).  Avec  quelle  apparence  de  raison  pourrait-on,  après 
cela  ,  attribuer  l'établissement  de  cette  souveraineté  à  l'opinion 
théologique  qui  attribue,  de  droit  divin ,  à  l'Église  et  au  Pape 
le  pouvoir  de  disposer  du  temporel  des  princes,  pour  le  plus 
grand  bien  de  la  religion  ? 

11°.  La  souveraineté  temporelle  du  saint-siége  ne  doit  point 
son  origine  à  l'ambition  ou  aux  intrigues  politiques  des 
papes  du  vme  siècle. 


91- 


Le  sentiment  qui  attribue  à  ces  pontifes  une  conduite  si  peu 
digne  de  leur  caractère,  est  en  opposition  manifeste  avec  l'his-  Deupxôs™on.r°' 
toire,  qui  les  représente,  au  contraire,  comme  des  modèles  de  * 
désintéressement,  dans  les  circonstances  les  plus  délicates,  et 
les  plus  propres  à  exciter,  dans  le  commun  des  hommes ,  les 


Elle  ne  doit 
>oint  son  ori- 
gine 
à    l'ambition 

ou  aux 
intrigues  des 

idées  de  fortune  et  d'ambition.  On  a  vu  en  effet  que,  depuis  le  papes  du 
pontificat  de  Grégoire  II,  toute  la  force  et  l'autorité  du  gouver- 
nement, soit  dans  l'exarchat,  soit  dans  le  duché  de  Rome, 
étaient  entre  les  mains  du  Pape,  considéré  comme  chef  et  repré- 
sentant de  la  république  romaine,  qui  lui  avait  librement 
confié  ses  intérêts  temporels  ;  en  sorte  que,  sans  avoir  le  titre  et 
les  insignes  de  la  souveraineté,  il  était  au  fond  le  véritable  sou- 
verain de  ces  provinces.  On  a  vu  aussi  que  le  vœu  des  peuples 
d'Italie,  qui  avaient  donné  un  si  grand  pouvoir  au  Pape,  était 

(1)  Voyez  plus  haut,  n.  9,  10,  14,  15,  etc. 

(2)  Ibid. ,  n.  28. 


314         SOUVERAINETE  TEMPORELLE  DU  PAPE. 

fondé  tout  à  la  fois  sur  le  droit  naturel,  qui  autorise  un  peuple 
abandonné  de  ses  anciens  maîtres  à  se  choisir  un  chef  capable 
de  le  défendre ,  et  sur  les  services  inappréciables  que  les  papes 
avaient  rendus  à  l'Italie  pendant  plus  de  deux  siècles.  Dans 
ces  conjonctures  si  favorables  à  leur  domination,  les  papes, 
loin  de  la  rechercher  ou  de  l'accepter  avec  empressement,  ne 
négligent  rien  pour  l'éviter ,  et  pour  maintenir  en  Italie  les 
droits  de  l'empereur  :  ils  n'usent  de  leur  autorité  que  à'mie  ma- 
nière provisoire,  et  par  la  seule  nécessité  des  circonstances  (l)  ; 
enfin,  ils  ne  l'acceptent  définitivement  qu'à  la  dernière  extré- 
mité, c'est-à-dire,  lorsque  l'impossibilité  où  se  trouvait  l'empe- 
reur de  venir  au  secours  de  l'Italie,  les  oblige  d'appeler  le  roi 
de  France,  pour  mettre  un  terme  aux  vexations  des  Lombards. 
Trouve- t-on,  dans  cette  conduite  des  papes ,  le  moindre  sujet 
au  reproche  d'ambition,  que  leur  adressent  si  légèrement  quel- 
ques auteurs  modernes?  Ou  plutôt,  trouve-t-on  dans  l'histoire 
un  exemple  de  désintéressement  qu'on  puisse  comparer  à  celui 
du  pape  Grégoire  II  et  de  ses  successeurs? 

Aussi,  est-il  à  remarquer  que  la  plupart  des  auteurs  qui  ont 
attaqué  ,  sur  ce  point,  la  mémoire  de  ces  pontifes,  sont  tombés 
dans  la  plus  étrange  contradiction.  Qu'y  a-t-il,  en  effet,  de  plus 
visiblement  contradictoire,  que  d'attribuer  un  système  soutenu 
d'ambition  et  d'intrigue,  à  une  longue  suite  de  pontifes,  qu'on 
ne  peut  s'empêcher  d'ailleurs  de  regarder  comme  des  modèles 
de  vertu  et  de  sainteté?  Or,  telle  est  la  contradiction  dans  la- 
quelle tombent  nécessairement  tous  ceux  qui  représentent  l'am- 
bition et  les  intrigues  des  papes  du  vme  siècle,  comme  la  source 
et  le  principe  de  leur  souveraineté  temporelle.  D'un  côté,  ils  at- 
tribuent à  ces  pontifes  un  système  suivi  d'ambition  et  d'intri- 
gue ,  qui  avait  pour  but  d'établir  leur  souveraineté  temporelle , 
aux  dépens  de  celle  des  empereurs  de  Constantinople  ;  d'un  au- 
tre côté,  ils  ne  peuvent  s'empêcher  de  rendre  hommage  à  la 
vertu  ,  et  même  à  l'éminente  sainteté  de  ces  pontifes.  On  a  pu 
s'en  convaincre,  par  les  aveux  remarquables  de  plusieurs  écri- 
vains non  suspects,  que  nous  avons  cités  plus  haut  (2).  De  bonne 
foi,  des  qualités  si  opposées  ne  sont-elles  pas  visiblement  incon- 

(1)  Voyez  les  détails  que  nous  avons  donnés  à  ce  sujet,  n.  61,  page  271. 

(2)  Voyez  les  témoignages  de  Lebeau  et  de  Sismondl  que  nous  avons  cités 


PREMIÈRE  PARTIE  — CHAPITRE  II.  31 5 

ciliables?  Si  la  conduite  des  pontifes  dont  nous  parlons  eût  été 
fondée  sur  les  calculs  d'une  politique  ambitieuse ,  au  lieu  de 
leur  attribuer  une  éminente  sainteté ,  ne  faudrait-il  pas  recon- 
naître en  eux  utfe  ambition  démesurée,  un  esprit  de  révolte  et  de 
dissimulation ,  tout  à  fait  indigne  du  haut  rang  qu'ils  occu- 
paient, et  du  caractère  sacré  dont  ils  étaient  revêtus? 
Les  difficultés  qu'on  pourrait  tirer  ici  contre  nous,  de  la  con-       s*. 

-,..-.  _     ,  ^     ,  _T,  -,  Difficultés 

duite  des  papes  Grégoire  II  et  Grégoire  III  envers  les  empereurs  contre  cette 
de  Constantinople,  sont  pleinement  résolues ,  à  ce  qu'il  nous  tSÏJ'iTré- 
semble,  par  les  détails  que  nous  avons  donnés,  sur  ce  sujet,  du  JJ°n*eZa. 
dans  le  chapitre  précédent  (1).  Mais  il  ne  sera  pas  inutile  d'exa-  lchaHe  aux 

x  x  v    '  L  Français. 

miner,  en  peu  de  mots ,  les  reproches  faits  au  pape  Zacharie ,  à 
l'occasion  de  sa  réponse  à  la  consultation  de  Pépin  et  des 
seigneurs  français,  sur  la  déposition  de  Çhildéric  III. 

Nos  anciens  annalistes  rapportent  que  Pépin,  de  concert 
avec  les  seigneurs  français,  envoya  consulter,  en  752,  le  pape 
Zacharie ,  sur  la  question  de  savoir  s'il  n'était  pas  plus  à  propos 
de  donner  le  titre  de  roi  à  celui  qui  en  avait  toute  la  puissance, 
que  de  le  donner  à  un  prince  qui  n'en  avait  que  le  nom  sans  en 
avoir  l'autorité.  Le  Pape  répondit  qu'il  paraissait  plus  conve- 
nable de  donner  le  nom  de  roi  à  celui  qui  en  avait  l'autorité. 
En  conséquence  de  cette  réponse,  Çhildéric  fut  rasé  et  renfermé 
dans  un  monastère  ;  et  Pépin  fut  élevé  sur  le  trône,  par  les 
seigneurs  français  (2). 

plus  haut  (n.  64,  pag.  273,  etc.)  ;  voyez  aussi  les  auteurs  cités  dans  la  note  3 
de  la  pag.  310.— Gibbon  lui  même,  qui  accuse  ouvertement  le  pape  Grégoire  H 
et  ses  successeurs  d'avoir  préparé  les  voies  à  la  souveraineté  temporelle 
du  saint-siége,  par  esprit  d'ambition  et  de  révolte  contre  les  empereurs  de 
Constantinople  (Hist.  de  laDécad.  de  l'Empire,  t.  ix,  ch.  49,  p.  284,  etc.), 
s'exprime  ensuite  avec  tant  de  modération  sur  la  conduite  des  mêmes  pon- 
tifes (pag.  297,  300  ,  316  ,  etc.  ),  qu'on  l'a  quelquefois  cité  avec  confiance, 
comme  leur  apologiste  sur  ce  point.  (De  Joux,  Lettres  sur  l'Italie,  t.  1, 
lettre  20,  pag.  260.)  Nous  croyons  cependant  qu'on  l'eût  cité  avec  moins 
de  confiance,  si  l'on  eût  remarqué  les  contradictions  dans  lesquelles  il  est 
tombé ,  comme  bien  d'autres ,  sur  ce  sujet. 

(1)  Ci-dessus,  n.  29,  etc. 

(2)  Voyez  les  Annales  d'Êginhard,  le  Continuateur  de  Frédégaire, 
les  Annales  de  Metz ,  et  les  autres  anciens  annalistes  cités  par  Bossuet, 
Defens.  DecL,  lib.  11,  cap.  34  et  35.  On  trouve  une  plus  longue  suite  de 
témoignages,  sur  ce  sujet,  dans  l'ouvrage  de  Serarius,  Rerum  Mogunti- 
nensium  libri  quinque;  Moguntiœ,  1604,  in-4°;  notes  38-44  sut  le  liv.  111. 
(L'édition  de  cet  ouvrage  donnée  par  Christian  Joamms,  FrancofurU,  1722, 


310  SOUVERAINETÉ  TEMPORELLE  DU  PAPE. 

Cette  décision  a  donné  lieu  à  quelques  auteurs  modernes 
d'attribuer  au  pape  Zacharie,  aussi  bien  qu'à  son  prédécesseur, 
les  vues  ambitieuses  d'une  politique  tout  humaine.  S'il  en  faut 
croire  ces  auteurs,  «Zacharie,  successeur  de  Grégoire,  mais 
«  plus  politique,  sans  renoncer  ouvertement  à  la  soumission 
«  qu'il  devait  à  l'empire ,  en  avança  la  ruine  en  Italie.  En  se 
«  prêtant  avec  complaisance  au  désir  qu'avaient  les  Français, 
«  d'élever  sur  le  trône  une  nouvelle  race  de  monarques ,  il  les 
«  mit  dans  les  intérêts  des  papes ,  et  ménagea  leur  secours  à  ses 
«  successeurs,  pour  se  soustraire  à  la  domination  des  empereurs 
«  de  Constantinople  (l).  » 
. .  9.3.  '        Rien  de  plus  gratuit  que  les  reproches  adressés  au  pape  Za- 

Injustice  des  . 

reproches  faits  cbarie,  à  l'occasion  de  la  décision  dont  il  s'agit.  Soit  qu'on  exa- 

ponttfe  :  sa  mine  cette  décision  en  elle-même,  soit  que  l'on  considère  le 

çoDsSér'éV  en  caractère  du  pontife  qui  l'a  rendue,  et  l'idée  que  l'histoire  nous 

eiie-meme.    ^oime  je  sa  vertu ,  il  est  aisé  de  voir  combien  les  reproches 

qu'on  lui  fait  sont  mal  fondés  (2). 

D'abord,  si  l'on  examine  sa  décision  en  elle-même,  on  con- 
viendra que  nous  n'en  connaissons  pas  assez  les  circonstances 
pour  la  bien  apprécier.  En  effet ,  sans  prétendre  ici  justiûer  Pé- 
pin de  tout  reproche  d'ambition,  est-il  bien  certain  qu'on  doive 
le  regarder  comme  usurpateur  de  la  couronne  de  France?  Pour 
répondre  à  cette  question ,  si  étroitement  liée  avec  celles  qu'on 
peut  faire  sur  la  décision  de  Zacharie,  il  faudrait  connaître 
beaucoup  mieux  que  nous  ne  connaissons  aujourd'hui,  la  consti- 
tution et  le  droit  public  de  la  monarchie  française,  sous  les  rois 
mérovingiens.  La  couronne  était-elle,  à  cette  époque,  héréditaire 
ou  élective?  Jusqu'à  quel  point  l'autorité  royale  était-elle  res- 
treinte par  les  droits  de  l'assemblée  générale  de  la  nation? 

in-fol.,  renferme  quelques  additions  importantes.  )—  Voyez  aussi  Ellies  Du- 
pin,  Traité  de  la  Puissance  ecclés.,  pag.  245,  etc.— Fleury,  Hist.  Ecclés.,t. 
ix,  liv.  xliii,  n.  1.  —  Annales  du  moyen  âge,  t.  vi,  liv.  xxm  ,  pag.  539.  — 
Daniel,  Hist.  de  France,  année  750.  —  Hist.  de  VÉgl.  Gall.,  année  752. 

(1)  Lebeau,  Hist.  du  Bas-Empire ,  t.  xm,  liv.  lxiv,  n.  1 ,  pag.  395.  — 
Annales  du  moyen  âge,  t.  vi,  liv.  xxm,  pag.  536,  etc.  — Hegewisch, 
Hist.  de  Charlemagne ,  pag.  56 ,  etc.  —  De  Peyronnet ,  Hist  des  Francs, 
1. 11,  liv.  xii,  chap.  8. 

(2)  Voyez ,  parmi  les  Pièces  justificat. ,  à  la  fin  de  ce  volume,  la  note  7 , 
sur  l'authenticité  de  la  décision  attribuée  au  pape  Zacharie,  et  sur 
l'usurpation  communément  reprochée  à  Pépin. 


PREMIÈRE  PARTIE. — CHAPITRE  II.  317 

Cette  assemblée  n'avait-elle  pas ,  ou  du  moins ,  ne  croyait-elle 
pas  avoir  le  droit  de  priver  du  trône  un  prince  et  une  famille 
inutiles  à  la  nation,  et  incapables  de  la  gouverner?  Ce  droit, 
quelque  dangereux  qu'il  fût  en  lui-même ,  n'était-il  pas  alors 
généralement  reconnu  parles  Français?  L'opinion  générale  ne 
suffisait-elle  pas  pour  l'établir,  surtout  dans  un  temps  où  les 
Français  n'avaient  pas  encore  de  constitution  écrite  ?  Supposé 
même  que  ce  droit  parût  alors  douteux,  peut-on  blâmer  les 
seigneurs  français  d'avoir  incliné  pour  le  parti  qui  semblait  le 
plus  favorable  au  bien  de  l'État,  et  d'avoir  demandé  au  pape  Za- 
charie  une  décision  conforme  à  leur  sentiment?  Enfin,  peut-on 
blâmer  ce  pontife  d'avoir  résolu  le  doute  qu'on  lui  soumettait, 
de  la  manière  la  plus  conforme  au  vœu  des  seigneurs  et  à  la 
tranquillité  de  la  nation?  Ou  plutôt,  n'est-ce  pas  ainsi  qu'une 
question  si  délicate  devait  se  résoudre  dans  ces  circonstances? 
Pour  peu  qu'on  examine  de  près  ces  questions ,  la  décision  du 
pape  Zacharie  ne  semblera  pas  si  étonnante  ;  et,  loin  de  la  blâ- 
mer, peut-être  la  regardera-t-on  comme  une  nouvelle  preuve 
de  cette  rare  prudence,  dont  la  vie  de  ce'pontife  offre  d'ailleurs 
des  témoignages  incontestables  (1). 

Les  reproches  qu'on  lui  a  faits,  à  ce  sujet,  sont  d'autant  plus 
déplacés,  qu'ils  sont  manifestement  en  opposition  avec  l'idée  que 
l'histoire  nous  donne  de  son  caractère  et  de  ses  vertus.  En  effet, 
avec  quelle  apparence  de  raison  peut-on  faire  de  pareils  reproches 
à  un  pontife  que  l'histoire  nous  montre  d'ailleurs  si  respectueux 
envers  l'empereur,  si  zélé  pour  les  intérêts  de  l'empire  en  Italie, 
et  si  recommandablepar  les  vertus  dignes  du  haut  rang  qu'il  oc- 
cupait? Tous  les  historiens  conviennent  que  Zacharie ,  dans  un 
temps  où  il  n'avait  rien  à  craindre  ou  à  espérer  de  l'empereur, 
employa  son  crédit  et  son  autorité  pour  lui  conserver  l'exar- 
chat de  Ravenne,  dont  les  Lombards  s'était  emparés  (2).  Une  con- 
duite si  désintéressée  est  -  elle  compatible  avec  les  vues  ambi- 
tieuses et  l'esprit  d'intrigue  qu'on  attribue  à  ce  pontife?  Les 
historiens  s'accordent  également  à  le  représenter  comme  un 

(1)  Voyez,  à  l'appui  de  ces  observations,  Bossuet,  ubisuprà,  cap.  34 
et  35.—  Thomassin,  Ancienne  et  nouv.  Discipline,  t.  m  ,  liv.  1,  chap.  29, 
n.  11.—  Receveur,  Hist.  de  l'Égl.,  t.  iv,pag.  80,  note.—  De  Saint  Victor, 
Tableau  de  Paris,  1. 1,  pag.  66,  69,  etc. 

(2)  Voyez  ci-dessus,  chap.  1,  n.  34. 


9/1. 

Son  caractère 
et  ses 
vertus. 


318  SOUVERAINETÉ  TEMPORELLE  DU  PAPE. 

homme  de  la  plus  éminente  vertu.  Les  auteurs  mêmes  qui  le 
jugent  avec  tant  de  sévérité ,  à  l'occasiou  de  sa  réponse  à  la 
consultation  de  Pépin  et  des  seigneurs  français,  rendent  té- 
moignage, partout  ailleurs,  non-seulement  à  sa  rare  prudence, 
mais  encore  à  la  sainteté  de  sa  vie  (1).  Peut-on  raisonnablement 
supposer  qu'un  pontife  de  ce  caractère  ait  pu  s'oublier,  dans  sa 
réponse  aux  Français,  jusqu'à  sacrifier  la  vérité  aux  calculs 
d'une  politique  ambitieuse? 
95.  Au  reste,  quelque  sentiment  qu'on  adopte  sur  la  conduite  de 

n?!taitCpo°int  Zacharie  en  cette  occasion ,  il  est  important  de  remarquer  que 
dJjïtrïdîciion  sa  réponse,  telle  que  l'histoire  nous  l'a  conservée,  n'était  pas 
m 'orei  proprement  un  acte  de  juridiction  temporelle,  que  le  pontife 
prétendît  exercer  sur  le  royaume  de  France ,  mais  un  simple 
avis  doctrinal,  sur  un  cas  de  conscience  que  les  Français 
avaient  librement  porté  à  son  tribunal.  Tel  est  manifestement 
le  sens  naturel  de  tous  les  anciens  annalistes  qui  ont  parlé  de  ce 
fait  (2).  On  ne  peut  d'ailleurs  l'expliquer  autrement,  sans  attri- 
buer au  pape  Zacharie  une  doctrine  diamétralement  opposée  à 
celle  de  ses  prédécesseurs,  et  particulièrement  à  celle  que  le  pape 
Grégoire  II  professait  ouvertement ,  quelques  années  aupara- 
vant ,  sur  la  distinction  et  l'indépendance  réciproque  des  deux 
puissances  (3). 

111°.  La  souveraineté  temporelle  du  saint-siège  a  été  fondée , 
dès  son  origine,  sur  les  titres  les  plus  légitimes, 

g6  II  résulte  en  effet  de  toute  cette  discussion ,  que  la  souverai- 

r7"0«S/ro"  neté  temporelle  du  saint-siége  a  été  fondée,  dès  son  origine,  sur 

La  souverai-  \q  vœu  légitime  des  peuples  d'Italie ,  solennellement  reconnu 

temporelle    et  confirmé  par  les  donations  de  Pépin  et  de  Charlemagne  (4). 

u  Sfo"dilege  Ce  dernier  titre  seul  suffirait  sans  doute  pour  établir  la  souve- 
smiesePiustres  raineté  du  saint-siége ,  rien  n'étant  plus  légitime  que  les  côn- 

îegit.mes.    qU£tes  ^e  pepin  et  de  Charlemagne  en  Italie;  conquêtes  entre- 

(1)  Lebeau,  Hist.  du  Bas-Empire ,  t.  xiv,  liv.  lxvi,  n.  51 ,  pag.  164.  — 
Annales  du  moyen  âge ,  ubi  suprà. 

(2)  Voyez  leurs  témoignages  cités  et  expliqués  par  Bossuet,  Defens. 
Declar. ,  lib.  n ,  cap.  34  et  35. 

(3)  Voyez  les  développements  que  nous  avons  donnés  sur  ce  sujet,  ci-des- 
sus, pag.  313. 

(4)  Voyez  plus  haut,  les  n.  33,  41,  63;  p.  232,  247,  272,  etc. 


PREMIÈRE  PARTIE.  —  CHAPITRE  II.  319 

prises  à  la  demande  d'un  peuple  injustement  opprimé  par  ses 
ennemis,  et  abandonné  de  ses  anciens  maîtres.  Mais  indépen- 
damment de  ce  titre,  et  avant  l'expédition  de  Pépin  en  Italie,  le 
saint-siége  y  possédait  déjà  une  véritable  souveraineté ,  fondée 
sur  le  vœu  légitime  des  peuples ,  qui ,  dans  l'extrémité  où  ils 
étaient  réduits ,  avaient  librement  confié  au  Pape  tous  leurs  in- 
térêts temporels;  d'où  l'on  doit  conclure  que  Pépin  et  Charle- 
magne  ne  furent  pas,  à  proprement  parler,  les  fondateurs,  mais 
seulement  les  protecteurs  et  les  soutiens  de  la  souveraineté  tem- 
porelle du  saint-siége  ;  et  que  le  résultat  de  leurs  expéditions  en 
Italie,  ne  fut  pas  précisément  d'y  établir  cette  souveraineté, 
mais  de  la  protéger,{de  la  consolider,  et  de  la  rendre  définitive- 
ment indépendante  des  empereurs  de  Constantinople. 

On  peut  confirmer  ce  raisonnement,  par  les  propres  aveux 
des  auteurs  modernes  qui  se  montrent ,  sur  ce  point ,  moins  fa- 
vorables au  saint-siége.  Malgré  tous  leurs  préjugés ,  ils  ne  peu- 
vent s'empêcher  de  regarder  le  concours  des  circonstances  dont 
nous  venons  de  parler,  comme  la  principale  cause  de  la  grande 
révolution  qui  établit  la  souveraineté  temporelle  du  saint-siége, 
sur  les  ruines  de  la  puissance  impériale  en  Italie.  «  Une  autre 
«  cause,  dit  un  de  ces  auteurs,  amenait  et  justifiait  même  la 
«  révolution  qui  allait  s'opérer  en  Italie  contre  les  empereurs 
«  grecs  ;  c'était  l'abandon  presque  absolu  dans  lequel  ils  lais- 
«  saient ,  depuis  deux  siècles ,  les  provinces  qu'ils  possédaient 
«  dans  cette  contrée.  Ils  n'entretenaient  aucune  garnison  dans 
«Rome;  et  cette  ville,  continuellement  menacée  par  les  Lom- 
«  bards,  invoqua  plus  d'une  fois  en  vain,  par  l'organe  de  ses 
«  dues  ou  de  ses  pontifes,  les  soins  de  l'exarque,  et  la  puissance 

«  de  l'empereur Délaissés  par  leurs  maîtres ,  les  Romains 

«  durent  s'attacher  à  leurs  pontifes ,  alors  presque  tous  Ro- 
«  mains,  alors  aussi  presque  tous  recommandables.  Pères  et  dé- 
«  fenseurs  du  peuple,  médiateurs  entre  les  grands ,  chefs  de  la 
«religion  et  de  l'empire,  les  papes  réunissaient  les  divers 
«  moyens  de  crédit  et  d'influence  que  donnent  les  richesses ,  les 
«  bienfaits,  les  vertus,  et  le  sacerdoce  suprême  (l).  » 

(1)  Daunou,  Essai  histor.,  t.  i,  pag.  29  et  30.  Voyez  aussi  les  auteurs 
cités  plus  haut,  n.  64,  texte  et  notes;  et  pag.  310,  note  3. 


320  SOUVERAINETÉ   TEMPOBELLE  DU  PAPE. 

Concluons  de  ces  témoignages,  et  de  tous  les  faits  exposés  dans 
cette  première  partie ,  que  la  souveraineté  temporelle  du  saint- 
siége  a  été  fondée,  dès  son  origine  ,  sur  les  titres  les  plus  justes 
et  les  plus  honorables ,  c'est-à-dire ,  sur  le  vœu  légitime  des 
peuples  abandonnés  de  leurs  anciens  maîtres  ;  sur  la  juste  con- 
quête des  Français,  que  l'Italie,  par  l'organe  des  papes,  avait 
appelés  à  son  secours  ;  et  sur  les  services  inappréciables  que  lui 
avaient  rendus,  pendant  plus  de  deux  siècles,  et  dans  les  circon- 
stances les  plus  difficiles ,  la  prudence  et  la  générosité  d'une 
longue  suite  de  pontifes.  L'histoire  offre  certainement  bien  peu 
d'exemples,  et  peut-être  n'en  offre-t-elle  aucun  autre,  d'une 
souveraineté  dont  l'origine  soit  aussi  légitime  et  aussi  respec- 
table; et  quoique  le  saint-siége  n'ait  aujourd'hui  aucun  besoin 
de  justifier  sa  souveraineté  temporelle,  suffisamment  établie  par 
une  si  longue  prescription,  il  est  bien  glorieux  pour  lui,  de  pou- 
voir produire ,  en  faveur  de  cette  souveraineté ,  des  titres  si  ho- 
norables, et  que  nul  autre  gouvernement  au  monde  ne  peut  in- 
voquer. 
97.  Ajoutons  que  cette  souveraineté,  si  légitime  dans  son  prin- 

Lmênt  de86    cipe,  est  en  même  temps,  aux  yeux  de  tous  les  esprits  solides  et 
ceUense°t"verai"  réûéchis,  un  des  effets  les  plus  marqués  de  la  providence  de  Dieu 
effet  marqué  slir  son  Église ,  et  de  cette  sagesse  infinie  qui  fait  tourner  à 

de  la  *-'  *  ^  * 

providence  de  l'exécution  de  ses  desseins  toutes  les  révolutions  humaines.  De- 
sur  rÉgiise.  puis  la  chute  de  l'empire  romain,  qui  a  divisé  la  chrétienté  en 
un  si  grand  nombre  d'États  indépendants  les  uns  des  autres , 
il  était  de  la  plus  haute  importance,  pour  le  bon  gouvernement 
de  l'Église,  que  son  chef  ne  fût  sujet  d'aucun  monarque  particu- 
lier. Un  Pape,  citoyen  de  Londres  ou  de  Paris,  ne  serait  pas 
également  respecté  des  deux  nations,  et  serait  souvent  gêné 
dans  les  actes  de  son  administration.  Voltaire  lui-même  observe 
avec  raison,  que  «  les  papes  d'Avignon  étaient  trop  dépendants 
«  des  volontés  des  rois  de  France ,  et  ne  jouissaient  pas  de  la  li- 
«  berté  nécessaire  au  bon  emploi  de  leur  autorité  (1).  »  Les  pa- 
triarches de  Constantinople ,  jouets  continuels  des  empereurs 
ariens,  monothélites ,  iconoclastes  et  musulmans,  sont  l'image 
de  ce  que  seraient  devenus  les  papes ,  ou  de  ce  qu'ils  auraient 

(l)  Voltaire ,  Annales  de  V Empire,  1. 1 ,  p.  397 . 


PREMIÈRE   PARTIE.  —  CHAPITRE   II.  321 

pu  devenir  dans  la  suite  des  siècles,  s'ils  n'eussent  joui  d'une 
souveraineté  indépendante.  «  Tant  que  l'empire  romain  a  sub- 
«  sisté,  dit  Fleury ,  il  renfermait  dans  sa  vaste  étendue  presque 
«  toute  la  chrétien^  ;  mais  depuis  que  l'Europe  est  divisée  entre 
«  plusieurs  princes  indépendant  les  uns  des  autres ,  si  le  Pape 
«  eût  été  sujet  de  l'un  d'eux ,  il  eût  été  à  craindre  que  les  autres 
«  n'eussent  peine  à  le  reconnaître  pour  père  commun,  et  que  les 
«  schismes  n'eussent  été  fréquents.  On  peut  donc  croire  que  c'est 
«  par  un  effet  particulier  de  la  Providence,  que  le  Pape  s'est 
«  trouvé  indépendant,  et  maître  d'un  État  assez  puissant  pour 
«  n'être  pas  aisément  opprimé  par  les  autres  souverains ,  afin 
«  qu'il  fût  plus  libre  dans  l'exercice  de  sa  puissance  spirituelle, 
«  et  qu'il  pût  contenir  plus  facilement  tous  les  autres  évêques 
«  dans  leurs  devoirs.  C'était  la  pensée  d'un  grand  évêque  de 
«  notre  temps  (l).  » 

Ce  grand  évêque,  dont  Fleury  invoque  l'autorité,  à  l'appui  98. 
de  ces  réflexions,  est  sans  doute  l'évêque  de  Meaux,  qui  les  pré-  bÔ^i 
sente  en  effet  avec  confiance  en  plusieurs  endroits  de  ses  ou-  sul  ce  v°mi' 
vrages,  et  particulièrement  dans  son  Discours  sur  l'unité  de 
l'Église ,  prononcé  à  l'ouverture  de  la  célèbre  assemblée  de 
1682.  «  Dieu,  dit-il,  qui  voulait  que  cette  Église,  la  mère  com- 
te mime  de  tous  les  royaumes ,  dans  la  suite  ne  fût  dépendante 
«  d'aucun  royaume  dans  le  temporel,  et  que  le  siège  où  tous  les 
«  fidèles  devaient  garder  l'unité,  à  la  fin  fût  mis  au-dessus  des 
«  partialités  que  les  divers  intérêts  et  les  jalousies  d'État  pour- 
«  raient  causer ,  jeta  les  fondements  de  ce  grand  dessein  par 
«  Pépin  et  par  Charlemagne  (2).  C'est  par  une  heureuse  suite  de 
«  leur  libéralité,  que  l'Église ,  indépendante  dans  son  chef  de 
«  toutes  les  puissances  temporelles,  se  voit  en  état  d'exercer  plus 
«  librement,  pour  le  bien  commun,  et  sous  la  commune  protec- 
«  tion  des  rois  chrétiens ,  cette  puissance  céleste  de  régir  les 
«  âmes  ;  et  que ,  tenant  en  main  la  balance  droite,  au  milieu  de 
«  tant  d'empires  souvent  ennemis,  elle  entretient  l'unité  dans 

(1)  Fleury,  Hist.  Ecclés.,  t.  xvi,  4  e  Discours,  n.  10. 

(2)  On  a  vu  plus  haut  que  Pépin  et  Charlemagne  n'étaient  pas  proprement 
les  fondateurs  de  la  souveraineté  temporelle  du  saint-siége;  mais  qu'ils 
avaient  seulement  reconnu  et  consolidé  cette  souveraineté,  déjà  établie  de- 
puis le  pontiticat  de  Grégoire  II.  (Voyez  ci-dessus,  chap.  i,  pag.  239,  245, 
254,  etc.  ;  chap.  u,  pag.  269,  etc.) 

21 


99- 
Aveux  remar- 
quables 


322         SOUVERAINETÉ  TEMPORELLE  DÛ  PAPE. 

«  tout  le  corps,  tantôt  par  d'inflexibles  décrets,  et  tantôt  par  de 
«  sages  tempéraments  (  1).  » 

11  est  curieux  de  voir  ces  réflexions  de  Bossnet  confirmées  par 
les  aveux   de  plusieurs  écrivains  protestants,   que  la  seule 
d  ^'lant"8   f°rce  &e  la  vérité  peut  avoir  amenés  à  partager,  sur  ce  point, 
le   sentiment   d'un  prélat  qu'ils   regardent ,    avec   raison  , 
comme  un  de  leurs  plus  redoutables  adversaires  (2).  Parmi 
plusieurs  témoignages  remarquables  en  ce  genre,  il  nous  suf- 
fira de  citer  celui  d'un  célèbre  ministre  de  nos  jours,  que  la 
modération  de  ses  jugements  et  la  franchise  de  ses  aveux ,  sur 
plusieurs  points  de  controverse,  ont  rendu  justement  recom- 
mandable,  aux  yeux  mêmes  des  catholiques.  M.  Hurter,  dans 
Y  Histoire  d'Innocent  III,  ne  fait  pas  difficulté  de  reconnaître 
l'importance  d'un  domaine  indépendant  de  toute  influence 
étrangère ,  pour  assurer  le  libre  exercice  des  devoirs  attachés 
au  souverain  pontificat.  «  La  sûreté  du  pays,  dit-il,  et  de  la  ville 
«  d'où  le  souverain  pontife  doit  veiller  an  maintien  et  à  la  con- 
«  servation  de  l'Église  dans  toutes  les  autres  contrées,  est  une  des 
«  conditions  essentielles  pour  remplir  les  devoirs  d'une  position  si 
«  élevée.  Comment,  en  effet,  le  Pape  pourrait-il  planer  sur  tant 
«  de  relations  diverses,  donner  conseil  et  assistance,  prendre  des 
«  décisions  dans  les  affaires  innombrables  de  toutes  les  églises , 
«  veiller  à  l'extension  du  royaume  de  Dieu,  repousser  les  attaques 
«  contre  la  foi,  parler  librement  aux  rois  et  aux  peuples,  s'il  ne 
«  trouvait  le  repos  dans  sa  propre  maison  ;  si  les  complots  des 
«  méchants  le  forçaient  à  concentrer  sur  ses  propres  États  le  re- 
«  gard  qui  devait  embrasser  le  monde,  à  combattre  pour  le  soin 
«  de  son  propre  salut  et  de  sa  liberté,  ou  à  chercher  en  fugitif 
«  protection  et  asile  chez  l'étranger?  Innocent  connaissait  par 
«  expérience  les  dangers  d'une  semblable  situation  »  (3).  Faute 

(1)  Œuvres  de  Bossuety  t.  xv,  pag.  529.  On  retrouve  cette  observation 
dans  un  passage  de  la  Défense  de  la  Déclaration  (  lib.  i ,  sect.  1,  cap.  16), 
que  nous  aurons  bientôt  occasion  de  citer.  Voyez  aussi,  à  l'appui  de  ces  ré- 
flexions, quelques  autres  témoignages,  cités  par  Feller,  Catéch.  Philos. 
(t.  ni,  n.  511)  ;  Muzzarelli,  Dissertation  sur  le  Domaine  temporel  du 
Pape  (  pag.  33-42  ). 

(2)  On  trouve,  dans  Y  Esprit  de  Leibniz,  (éd.  in-12,  t.  n,  pag.  9,  etc.) 
plusieurs  passages  remarquables  sur  ce  point.  Voyez  aussi  un  passage  de 
Hume  ,  cité  par  FtUer ,  ubï  supra. 

(3)  Hurter,  Hist,  d'Innocent  III,  t.  n,  pag.  216. 


PREMIERE  PARTIE.  —  CHAPITRE  II,  323 

de  cette  indépendance ,  ajoute  ailleurs  M.  Hurter ,  «  le  Pape 
«  pourrait  facilement ,  et  tel  avait  été  le  projet  du  dernier  em- 
«  pereur  (Henri  VI)  (1),  être  réduit  à  devenir  un  simple  patriar- 
«  che  de  la  cour  impériale ,  et  la  chrétienté  entière  être  livrée 
«  aux  caprices  de  ce  souverain ,  comme  l'Église  d'Orient  l'était 
«  aux  caprices  de  l'empereur  de  Constantinople  (2).  » 

Une  expérience  récente  a  mis  dans  un  nouveau  iour  la  vérité    „  "?• 
de  ces  réflexions.  Personne  n'ignore  combien  l'Eglise  eut  à  souf-  ,  p«*nte, 
frir  pendant  les  dernières  années  du  règne  de  Napoléon,  par  ces  ^IIU*. 
suite  de  l'usurpation  qu'il  avait  faite  des  États  romains ,  et  de  sagesTemon- 
la  dure  captivité  à  laquelle  il  avait  réduit  le  chef  de  l'Église.  On  de  ÏÏ!7Ltj 
ne  peut  penser  sans  frémir  aux  funestes  conséquences  qu'eussent    à  '^"j.'6" 
entraînées  ces  mesures  tyranniques,  si  la  Providence  n'eût  bien-    Naroli'o«. 
tôt  après  renversé  la  puissance  de  Napoléon.   C'est  ce  que 
M.  l'abbé  Émery,  interrogé  là-dessus  par  l'empereur  lui-même, 
eut  le  courage  de  lui  représenter,  avec  autant  de  force  que  de 
mesure,  dans  une  séance  de  la  commission  formée  en  1 8 1 1 ,  pour 
délibérer  sur  les  affaires  de  l'Église.  Nous  tirons  encore  ces  dé- 
tails de  Y  Histoire  de  Pie  VJI,  par  M.  Artaud  de  Montor,  qui 
nous  a  déjà  fourni  de  si  précieux  détails  sur  le  caractère  et  la 
conduite  de  M.  Émery  dans  ces  conjonctures  difficiles  (3). 

L'empereur,  après  avoir  déclamé,  dans  la  commission, 
contre  la  puissance  spirituelle  du  Pape,  se  rabattit,  d'a- 
près les  sages  observations  de  M.  Émery,  à  contester  sa  puis- 
sance temporelle.  «  Je  ne  vous  conteste  pas,  dit-il,  la  puissance 
«  spirituelle  du  Pape,  puisqu'il  l'a  reçue  de  Jésus- Christ;  mais 

(1)  M.  Hurter  lui-même  explique  un  peu  plus  haut  (pag.  73)  ce  qu'il  dit  ici 
du  projet  du  dernier  empereur. 

(2)  Ibid.,  t. 1,  pag.  93.  Nous  saisissons  avec  empressement  cette  occasion  de 
nous  associer  aux  justes  éloges  que  plusieurs  écrivains  catholiques  ont  don- 
nés à  M.  Hurter,  non-seulement  pour  l'étendue  des  recherches  et  de  l'éru- 
dition ,  mais,  ce  qui  est  beaucoup  plus  précieux  encore,  pour  le  caractère 
de  droiture  et  de  franchise  qui  brille ,  en  quelque  sorte ,  à  chaque  page  de 
son  Histoire  d'Innocent  III.  Nous  remarquerons  seulement,  en  passant,  que 
l'auteur,  n'ayant  pu  se  dépouiller  entièrement  des  préjugés  dans  lesquels  il  a 
été  nourri ,  a  laissé  échapper  ça  et  là,  dans  le  cours  de  son  ouvrage,  quel- 
ques assertions  mal  sonnantes  pour  des  oreilles  catholiques.  Sa  rare  bonne 
foi  l'obligera  sans  doute  quelque  jour  à  modifier  ces  assertions.  (Voyez  à  ce 
sujet  la  Bibliogr.  Cathol.,  3e  année,  pag.  295.  —  L'Université  cathol., 
t.  xvi,  pag.  370,  etc.  ) 

(3)  Ci-dessus,  chap.  1,  pag.  255,  note  1, 

ai. 


324  SOUVERAINETÉ   TEMPORELLE   DU   PAPE. 

«  Jésus-Christ  ne  lui  a  pas  donné  la  puissance  temporelle;  c'est 
«  Charlcmagne  qui  la  lui  a  donnée;  et  moi,  successeur  de 
«  Charlemagne ,  je  veux  la  lui  ôter,  parce  qu'il  ne  sait  pas  en 
«  user,  et  qu'elle  l'empêche  d'exercer  ses  fonctions  spirituelles. 

«  M.  Émery,  que  pensez- vous  de  cela? Sire,  répondit 

«  M.  Émery,  Votre  Majestéhonore  le  grand  Bossuet,  et  se  plaît  à  le 
«  citer  souvent.  Je  ne  puis  avoir  là-dessus  d'autre  sentiment  que 
«  celui  de  Bossuet,  dans  sa  Défense  de  la  Déclaration  du  Clergé, 
«  où  il  soutient  expressément,  que  l'indépendance  et  la  pleine  li- 
«  berté  du  chef  de  l'Église  sont  nécessaires  pour  le  libre  exercice 
«  de  la  suprématie  spirituelle,  dans  l'ordre  actuel  de  la  multi- 
«  plicité  des  royaumes  et  des  empires.  Je  citerai  textuellement  le 
«  passage,  que  j'ai  très-présent  à  la  mémoire.  Sire,  Bossuet  parle 
«  ainsi  :  Nous  savons  que  les  pontifes  romains  et  l'ordre  sa- 
«  cerdotal  tiennent  de  la  concession  des  princes ,  et  possèdent 
«  très 'légitimement  des  biens,  des  droits,  des  principautés 
«  (imperia),  comme  en  possèdent  les  autres  hommes.  Nous  sa- 
«  vons  que  ces  possessions,  en  tant  que  dédiées  à  Dieu,  doivent 
«  être  sacrées,  et  qu'on  ne  peut,  sans  commettre  un  sacrilège, 
«  les  envahir,  les  ravir,  et  les  donner  à  des  séculiers.  On  a 
«  accordé  au  siège  apostolique  la  souveraineté  de  la  ville  de 
«  Rome ,  et  d'autres  possessions ,  afin  qu'il  pût  exercer  avec 
«plus  de  liberté  sa  puissance  dans  tout  l'univers.  Nous  enfé- 
«  licitons  non-seulement  le  siège  apostolique,  mais  encore  l'É- 
«  glise  universelle  ;  et  nous  souhaitons  de  toute  l'ardeur  de  nos 
«  vœux  que  cette  principauté  sacrée  demeure  saine  et  sauve, 
«  en  toutes  manières.  (1)  Napoléon,  après  avoir  écouté  avec 
«  patience,  prit  doucement  la  parole,  comme  il  avait  coutume  de 
«  faire  lorsqu'il  était  hautement  contredit,  et  parla  ainsi  :  Je  ne 
«  récuse  pas  l'autorité  de  Bossuet  ;  tout  cela  était  vrai  de  son 
«  temps,  où  l'Europe  reconnaissant  plusieurs  maîtres,  il  n'était 
«  pas  convenable  que  le  Pape  fût  assujetti  à  un  souverain 
«  particulier.  Mais  quel  inconvénient  y  a-t-il  que  le  Pape  me 
«  soit  assujetti  à  moi,  maintenant  que  l'Europe  ne  connaît  d'autre 
«  maître  que  moi  seul?  M.  Émery  fut  un  peu  embarrassé,  parce 
«  qu'il  ne  voulait  pas  faire  une  réponse  qui  blessât  l'orgueil  in- 

,  (l)  Bossuet,  Defens.  Déclar.,  lib,  i,  sect,  1,  cap.  16,  pag.  273. 


PREMIÈRE  TARTIE.  —  CHAPITRE   II.  "  325 

*  dividuel.  Il  se  contenta  de  dire,  qu'il  pouvait  se  faire  que  les 
«  inconvénients  prévus  par  Bossuet  n'eussent  pas  lieu  sous  le 
«  règne  de  Napoléon,  et  sous  celui  de  son  successeur;  puis  il 
«  ajouta  •.  Mais,  Sire/,  vous  connaissez  aussi  bien  que  moi  l'his- 
«  toire  des  révolutions  :  ce  qui  existe  maintenant  peut  ne  pas 
«  exister  toujours;  à  leur  tour  les  inconvénients  prévus  par 
«  Bossuet  pourraient  reparaître.  11  ne  faut  donc  pas  changer  un 
«  ordre  si  sagement  établi  (l).  » 

(J)  Artaud  ,  Hist.  de  Pie  VII,  2e  édition,  tom.  h,  chap.  22 ,  pag.  20G. 


326  DEUXIÈME  PARTIE.  —  POUVOIR  DU  PAfE 


DEUXIÈME  PARTIE. 

POUVOIR  DU  PAPE  SUR  LES  SOUVERAINS,  AU  MOYEN  AGE. 


i.  Indépendamment  de  l'autorité  suprême  que  le  Pape  exer- 

!aeedeceerae  çait  dans  ses  propres  États,  il  en  exerça,  depuis  le  xe  siècle, 
pouvoir,  une  ]jeauc0Up  pius  extraordinaire,  à  l'égard  des  autres  souve- 
rains. Depuis  cette  époque,  tous  les  États  catholiques  de  l'Eu- 
rope formèrent,  pendant  plusieurs  siècles,  une  espèce  de  répu- 
blique, dont  le  Pape  était  regardé  comme  le  chef.  En  cette 
qualité,  il  prononçait,  soit  dans  les  conciles,  soit  hors  des 
conciles,  comme  arbitre  ou  juge  suprême,  dans  les  débats  qui 
s'élevaient  entre  les  princes  et  leurs  sujets,  ou  entre  les  princes 
eux-mêmes;  il  citait  les  souverains  à  son  tribunal;  et,  non  con- 
tent d'infliger  aux  princes  scandaleux  des  peines  spirituelles ,  il 
privait  de  leur  dignité  ceux  qui  persévéraient  opiniâtrement  dans 
leurs  désordres.  C'est  ainsi  que  l'empereur  d'Allemagne,  Henri  IV, 
fut  solennellement  déposé  par  Grégoire  VII,  en  1076;  Frédé- 
ric Ier,  par  Alexandre  III,  en  1160  ;  l'empereur  Othon  IV,  et 
Jean  sans  Terre,  roi  d'Angleterre,  par  Innocent  III,  en  1211  ; 
Frédéric  II,  par  Innocent  IV,  en  1245.  Les  conciles  même  gé- 
néraux ,  loin  de  réclamer  contre  ces  actes  d'autorité ,  en  suppo- 
sèrent quelquefois  la  légitimité,  et  s'attribuèrent  eux-mêmes 
un  semblable  droit.  C'est  ce  qu'on  vit  en  particulier  dans  le 
premier  concile  de  Lyon ,  où  le  pape  Innocent  IV  prononça 
contre  l'empereur  Frédéric  II  une  sentence  de  déposition ,  sans 
aucune  réclamation  de  la  part  des  Pères,  et  même  avec  leur 
approbation  expresse ,  comme  on  le  verra  bientôt  (1).  C'est  ce 
qu'on  vit  encore  dans  le  troisième  et  le  quatrième  conciles  de 
Latran,  dans  les  conciles  de  Constance  et  de  Bâle,  qui  déclarè- 

(1)  Ci-après,  chap.  n,  n.  149 


SUll    LES    SOUVERAINS.  327 

rent  les  hérétiques  privés  de  toutes  leurs  dignités  même  tem- 
porelles, et  délièrent,  en  ce  cas,  les  sujets  du  serment  de  fidé- 
lité qui  les  attachait  à  leur  souverain. 

La  difficulté  d'expliquer  un  pouvoir  si  prodigieux  a  donné  Divel.sa'  systs. 
lieu,  dans  ces  derniers  temps,  aux  systèmes  les  plus  opposés,   l.,"xeslf°ù1err 
soit  parmi  les  écrivains  catholiques,  soit  parmi  les  hérétiques. 
Tous  ces  systèmes  peuvent  se  rapporter  à  deux  classes,  dont  la 
première  renferme  les  systèmes  théologiques,  dans  lesquels  on 
examine  principalement  la  difficulté  sous  le  rapport  théologi- 
que, c'est-à-dire,  d'après  les  principes  de  la  révélation  ou  du 
droit  divin;  la  seconde  classe  renferme  les  systèmes  histori- 
ques, dans  lesquels  on  examine  principalement  la  difficulté 
sous  le  rapport  historique,  c'est-à-dire,  d'après  le  droit  positif 
humain,  d'après  les  principes  de  législation  alors  en  vigueur, 
et  d'après  quelques  autres  considérations  tirées  de  l'état  et  des 
besoins  de  la  société  au  moyen  âge. 

1°  Systèmes  théologiques.  Depuis  la  renaissance  des  lettres,    ^A^ 
jusqu'au  commencement  du  dernier  siècle ,  la  difficulté  dont  il  tUot^f^  - 
s'agit  n'était  guère  examinée  que  sous  le  rapport  théologique;     varia*, 
la  plupart  même  des  auteurs  qui  l'examinaient  sous  ce  point  de 
vue,   ne  paraissaient  pas  soupçonner  qu'on  pût  l'examiner 
sous  un  autre  rapport.  Toutefois,  cette  manière  de  l'envisager 
donna  lieu  à  des  systèmes  tellement  opposés,  que  les  uns  ten- 
dent à  justifier  complètement  la  conduite  des  papes  et  des  con- 
ciles du  moyen  âge  envers  les  souverains,  tandis  que  les  autres 
la  condamnent  absolument,  et  d'autres  se  bornent  à  l'excuser, 
eu  égard  aux  circonstances  et  aux  opinions  alors  dominantes. 

La  conduite  des  papes  et  des  conciles,  sur  ce  point,  est  com-        4. 
plétement  justifiée  par  les  principes  mêmes  de  la  révélation  et  du  droîu^m. 
du  droit  divin ,  s'il  en  faut  croire  les  défenseurs  de  l'opinion 
théologique  qui  attribue  à  l'Église  et  au  souverain  pontife, 
d'après  l'institution  divine ,   un  pouvoir  de  juridiction  au 
moins  indirecte  sur  les  choses  temporelles  (1).  Selon  les  défen- 

(1)  On  peut  voir  l'exposition  de  ce  système  dans  les  ouvrages  suivants  : 
Bellaimin ,  De  summo  Pontifice,  lib.  v,  cap.  1  et  6.  — Pereira  de  Castro, 
De  manu  Regiâ.  Prœlud.  I.  Lugd.  Batav.  1673,  in-fol.  Olyssipone,  1625, 
1688  et  1742.—  Roncaglia,  Animadverstones  in  Hist.  Eccles.  Nat.  Alexan- 
dri;  à  la  suite  de  la  2e  Dissert,  du  P.  Alex,  sur  VHist.  Eccl.  du  xie  siè- 
cle.— Bianchi,  Délia  Potesta  e  délia  politia  délia  Chiesa,  tom.  1?  lib.  1, 


328  DEUXIÈME  PARTIE.  —  POUVOIR  DU  PAPE 

seurs  de  ce  sentiment,  l'objet  direct  et  immédiat  de  la  puis- 
sance ecclésiastique  est  de  gouverner  les  fidèles  dans  l'ordre 
du  salut,  ce  qui  renferme  naturellement  le  pouvoir  de  faire 
tous  les  règlements  nécessaires  à  leur  bien  spirituel  ;  mais  ce 
pouvoir  entraîne  indirectement,  et  par  voie  de  conséquence, 
celui  de  régler  môme  les  choses  temporelles,  pour  le  plus  grand 
bien  de  la  religion;  en  sorte  que  la  puissance  temporelle,  quoi- 
que distincte,  par  sa  nature,  de  la  spirituelle,  lui  est  néan- 
moins subordonnée,  comme  un  inférieur  à  l'égard  de  son  supé- 
rieur, qui  a  droit  déjuger,  d'examiner  et  d'annuler  ses  actes, 
et  même  de  la  destituer,  toutes  les  fois  qu'elle  le  juge  nécessaire 
pour  le  plus  grand  bien  delà  religion.  En  conséquence  de  ces 
principes ,  la  puissance  ecclésiastique  ne  se  mêle  aucunement  des 
choses  temporelles ,  tant  que  le  prince  établi  pour  les  régler 
ne  fait  rien  de  contraire  au  bien  de  la  religion  ;  mais  dans  ce 
dernier  cas,  la  puissance  ecclésiastique  peut  et  doit  réprimer 
la  puissance  temporelle,  par  tous  les  moyens  nécessaires  au  plus 
grand  bien  de  la  religion,  jusqu'à  déposer  le  souverain,  et  en 
établir  un  autre  à  sa  place  (f).  Ce  système  a  été  longtemps  sou- 
tenu, avec  des  modifications  plus  ou  moins  importantes,  par 
un  grand  nombre  de  théologiens,  principalement  hors  de 
France  (2);  mais  la  suite  de  nos  Recherches  nous  donnera  lieu 


§  8,  n.  1.  — Perez  Valiente ,  Apparatus  Juris  publici  Hispanici ',  Matriti, 
1751,  2  vol.  in-4°  ;  1. 1,  cap.  14  et  15.  —  Mamachi,  Origines  et  Antiquila- 
tes  Chris fiance,  t.  îv,  cap.  2,  §  4.  On  sait  avec  quel  éclat  les  opinions  ultra- 
montaines ,  sur  ce  point,  ont  été  renouvelées ,  de  nos  jours ,  par  un  trop  cé- 
lèbre écrivain.  Voyez  en  particulier  les  deux  ouvrages  intitulés  :  De  la  Re- 
ligion considérée  dans  ses  rapports  avec  l'ordre  politique.  Paris,  1826 , 
in-8°.  —  Des  progrès  de  la  révolution ,  et  de  la  guerre  contre  V Église. 
Paris,  1829,  in-8°.  Voyez  aussi,  dans  Y  Histoire  littéraire  de  Fénelon  (4e 
partie,  n.  74),  l'exposition  du  système  de  cet  auteur,  sur  le  pouvoir  temporel 
de  l'Église  et  du  souverain  pontife. 

(1)  Remarquez  que  le  système  du  pouvoir  indirect,  tel  que  nous  venons  de 
l'exposer,  est  principalement  soutenu  par  le  cardinal  Bellarmin  (ubi  supra). 
Les  auteurs  mêmes  qui  ont  depuis  modifié  ce  système,  ont  pris  pour  base  la 
doctrine  du  savant  cardinal ,  qu'ils  reproduisent  presque  dans  toutes  ses 
parties  ;  en  sorte  que  les  modifications  apportées  à  son  système  se  rédui- 
sent, dans  le  fond,  à  bien  peu  de  chose.  Voyez,  au  n.  8  des  Pièces  justifie. 
à  la  fin  de  ce  volume,  de  plus  amples  développements,  sur  l'origine,  les 
progrès  et  les  vicissitudes  de  ce  système. 

(2)  Avant  le  xvie  siècle,  ce  système  n'était  guère  moins  accrédité  en 
France  que  dans  les  pays  étrangers.  Voyez  à  ce  sujet,  Charlas ,  Tract,  de 
Itibert,  Eçcl.  GalL  lib.  vii,  cap.  8  et  9.  -^-Bianchi,  Delta  Potesta  e  délia 


ce  système. 


SUR  LES  SOUVERAINS.  329 

de  montrer  qu'il  n'a  jamais  été  autorisé  par  aucune  définition 
de  l'Église  ou  du  saint-siége  (l).  Quelques  écrivains  récents  ont 
même  cru  pouvoir  avancer  avec  confiance,  qu'il  était  aujour- 
d'hui généralement  abandonné,  môme  par  les  théologiens  étran- 
gers (2). 

L'exposition  que  nous  avons  faite,  dans  la  première  partie    q^  & 
de  cet  ouvrage,  des  [divers  sentiments  des  auteurs  modernes,  générale  <ies 
sur  les  fondements  et  les  titres  primitifs  Jde  la  souveraineté  tem-  '   pour  $ 
porelle  du  saint-siége,  fait  assez  connaître  l'opposition  générale 
des  écrivains  protestants  pour  le  système  que  nous  venons  d'expo- 
ser (3).  On  a  vu  que  les  premiers  réformateurs,  à  l'exemple  de  Cal- 
vin, poussaient  généralement  cette  opposition  jusqu'à  prétendre 
que  le  pouvoir  temporel  est  incompatible  avec  le  spirituel,  au 
moins  sous  la  loi  nouvelle;  d'où  ils  concluaient  :  1°  que  la 
conduite  des  papes  et  des  conciles,  au  moyen  âge,  envers  les 
souverains,  ne  peut  être  excusée  d'une  erreur  grossière ,  et 
même  d'une  usurpation  criminelle  sur  les  droits  des  souve- 
rains; 2°  que  la  sainteté  et  Y  infaillibilité  attribuées  à  l'Église 
romaine  par  les  théologiens  catholiques ,  étaient  également 
compromises  par  cette  conduite  (4). 

Les  Protestants  modernes  paraissent,  en  général,  fort  éloignés 
de  l'exagération  des  anciens,  qui  allaient  jusqu'à  soutenir  l'in- 
compatibilité du  pouvoir  temporel  avec  le  spirituel ,  dans  les 

politia  délia  Chiesa,  1. 1,  lib.  i,  §  10-14.  — Mamachi,  Origines  et  Ânti- 
quit.  Christ.,  t.  iv,  p.  254,  note  1.  Remarquez  cependant  que  ces  auteurs 
attribuent  l'opinion  théologique  du  pouvoir  indirect  à  plusieurs  anciens 
théologiens,  qui  peuvent  aisément  s'expliquer  dans  le  sens  du  pouvoir  pu- 
rement directif. 

(1)  Voyez  plus  bas,  ch.  3,  art.  1,  dernier  n°. 

(2)  Frayssinous,  Les  vrais  Principes  de  l'Église  Gallicane,  2e  édition , 
p.  62.  —  De  la  Luzerne,  Sur  la  Déclar.  de  rassemblée  de  1682.  Paris, 
1821,  in-8°,  p.  7.  —  Lettre  de  monseigneur  l'évoque  de  Chartres  à  un  de 
ses  diocésains,  du  30  mars  1826,  p.  57,  69,  etc.  —  Milner,  Excellence  de 
la  Rel.  cath.,  t.  n,  p.  579,  etc.  —  L'Ami  de  la  Rel.,  t.  xvnr,  p.  198  ;  lx, 
p.  35,  81;  t.  xcv,  p.  434. 

A  l'appui  du  sentiment  de  ces  auteurs,  voyez  le  n.  8  des  Pièces  justifie. 
à  la  fin  de  ce  volume. 

(3)  Voyez  ci-dessus,  lre  partie,  chap.  2,  art.  2,  p.  308  et  310,  texte  et 
notes. 

(4)  Calvin,  Instit.  lib.  iv,  cap.  2,  n.  8,  etc. —  Le  card.  Bellarmin  (De 
Rom.  Pontif.,  lib.  v,  cap.  1  )  indique,  à  ce  sujet,  quelques  autres  ouvra- 
ges des  premiers  réformateurs. 


380  DEUXIÈME  PARTIE.  —  POUVOIR   DU   PAPE 

ministres  de  la  loi  nouvelle.  Toutefois,  un  grand  nombre  d'en- 
tre eux  ne  font  pas  difficulté  de  reproduire ,  avec  plus  ou  moins 
de  violence  et  d'amertume,  les  déclamations  des  premiers  ré- 
formateurs contre  les  papes  et  les  conciles,   particulièrement 
les  accusations  à! erreur  et  d'usurpation  criminelle  contre  les 
droits  de  la  puissance  temporelle  (1), 
6- .         Le  système  des  auteurs  qui  croient  pouvoir  justifier  la  con- 
plus       duite  des  Papes  et  des  conciles  envers  les  souverains  au  moyen 
ibphisîeurs  âge,  par  Y  opinion  théologique  du  pouvoir  indirect,  n'a  pas 
caiboh^es.  é lé  combattu  seulement  par  des  écrivains  protestants,  mais  en- 
core par  un  grand  nombre  de  théologiens  catholiques ,  qui  re- 
gardent cette  opinion  comme  une  erreur  contraire  à  la  doctrine 

(1)  Voyez,  entre  autres,  Basnage,  Hist.  de  V Église,  t.  u,  liv.  xxvn,  ch.  7. 
—  Mosheim,  Hist.  Eccl.  sœc.  n,  part.  2,  cap.  2,  §  9;  sœc.  xm,  part.  2, 
cap.  2,  §  11  ;  cap.  5,  §  2,  etc.  ;  et  alibi  passim.—Edlhm,  L'Europe  aie 
moyen  âge,  t.  m  ,  chap.  7. 

M.  Guizot  s'exprime,  il  faut  l'avouer,  avec  plus  de  modération  que 
ces  auteurs  ;  toutefois ,  il  est  aisé  de  voir  qu'il  a  puisé  dans  les  prin- 
cipes et  les  préjugés  de  la  réforme  ,  son  système  sur  le  pouvoir  tem- 
porel de  l'Église  et  du  Pape  au  moyen  âge.  (Guizot,  Hist.  gén.  de  la 
Civilis.  en  Europe ■',  3e  édition.  Paris,  1840,  in-8°.)  Selon  lui,  quelque 
salutaire  qu'ait  été,  depuis  le  ve  siècle ,  l'influence  de  l'Église  sur  la  société 
européenne,  elle  tendait  dès  lors  à  s'emparer  du  pouvoir  temporel,  et  à 
dominer  exclusivement.  (Ibid.,  p.  59.)  Pour  se  défendre  contre  la  violence 
et  le  despotisme  des  princes,  elle  proclama  sa  propre  indépendance;  et  par 
le  développement  naturel  de  l'ambition,  elle  tenta  d'établir,  non-seulement 
l'indépendance,  mais  la  domination  du  pouvoir  spirituel  sur  le  temporel. 
(Pages  156-161.  )  Grégoire  VII  est  le  véritable  auteur  de  cette  réforme,  pré- 
parée de  loin  dans  les  siècles  précédents  (page  192);  mais  l'exécution  de 
son  plan  rencontra,  dès  le  principe,  de  grands  obstacles,  que  l'Église  ne  réus- 
sit pas  à  écarter.  Grégoire  VII  lui-même,  par  sa  conduite  peu  mesurée,  com- 
promit peut-être  plus  qu'il  n'avança  la  cause  qu'il  voulait  servir;  et  ses  ten- 
tatives échouèrent,  vers  la  lin  du  xme  siècle ,  par  suite  de  la  réaction  des 
peuples  et  des  souverains  contre  la  domination  de  l'Église.  (Pag.  289-297.) 
L'auteur  atténue  cependant,  sur  ce  point,  les  torts  de  l'Église,  à  raison  de 
l'état  déplorable  de  la  société,  qui,  depuis  le  Ve  siècle  jusqu'au  xue,  rendait 
absolument  nécessaire  l'intervention  du  pouvoir  spirituel  entre  les  princes 
et  les  peuples,  pour  maintenir  la  liberté  de  ceux-ci  contre  le  despotisme  des 
premiers.  (Page  159.) 

Il  est  aisé  de  voir  que  tout  ce  système  repose  sur  trois  assertions  princi- 
pales, savoir  :  1°  que  l'indépendance  de  l'Église  à  l'égard  des  princes,  même 
•  dans  l'ordre  spirituel,  n'était  pas  reconnue  dans  l'Église  avant  le  ve  siècle; 
2°  que,  depuis  cette  époque,  l'Église,  non  contente  de  soutenir  sa  propre  in- 
dépendance, s'est  attribué  la  domination  sur  le  pouvoir  temporel  ;  3°  que  Gré- 
goire VII  est  le  principal  auteur  de  ce  plan  de  réforme ,  qui  tend  à  soumet- 
tre le  pouvoir  temporel  au  spirituel.  La  suite  de  nos  Recherches  nous  don- 
nera lieu  de  montrer  la  fausseté  de  ces  assertions.  Voyez  principalement  le 
chap.  m  de  cette  seconde  partie. 


SUR  LES  SOUVERAINS,  331 

de  l'antiquité,  sur  la  distinction  et  l'indépendance  réciproque 
des  deux  puissances  (l).  Selon  les  défenseurs  de  ce  système,  la 
puissance  spirituelle  et  la  puissance  temporelle  sont  également 
souveraines  dans  leur  ressort,  et  indépendantes  l'une  de  l'autre, 
d'après  l'institution  divine.  La  puissance  spirituelle,  quoique 
plus  excellente  par  sa  nature  et  son  objet ,  n'a  pas  le  droit  de 
régler  les  objets  qui  sont  du  ressort  de  la  puissance  temporelle  ; 
elle  peut  bien  diriger  celle  ci  par  des  avis  et  des  exhortations, 
mais  non  par  des  ordres  et  des  décrets,  en  matière  temporelle. 
On  voit  assez  que ,  dans  ce  système ,  la  conduite  des  papes  et 
des  conciles  du  moyen  âge  envers  les  souverains  ne  peut  être 
excusée  d'erreur,  et  par  conséquent  d'une  usurpation,  au 
moins  matérielle ,  sur  les  droits  des  souverains.  Toutefois,  les 
théologiens  dont  nous  parlons  sont  bien  éloignés  d'admettre, 
comme  des  conséquences  légitimes  de  leurs  principes,  les  odieu- 
ses déclamations  des  ennemis  de  l'Église,  sur  ce  sujet;  ils 
observent,  au  contraire,  que  l'erreur  qui  a  servi  de  base  à  la 
conduite  des  papes  et  des  conciles  du  moyen  âge  envers  les 
souverains,  n'a  jamais  été  autorisée  par  aucune  définition  ou 
décret  de  foi,  et  qu'elle  est  toujours  demeurée  dans  la  classe 
des  simples  opinions ,  abandonnées  à  la  liberté  des  Écoles  (2)  ; 
ils  ajoutent  que  cette  erreur  était  la  plus  innocente  et  la  plus 
excusable  qui  fût  jamais;  qu'elle  s'était  insensiblement  accré- 
ditée, par  suite  de  la  décadence  des  études,  au  point  d'être  par- 
tagée par  les  hommes  les  plus  pieux  et  les  plus  éclairés  (3)  ; 

(1)  Ce  système  est  communément  soutenu ,  principalement  depuis  deux 
siècles,  parles  auteurs  français.  Le  plus  célèbre  de  ces  auteurs,  sans  contredit, 
est  Bossuet,  Def.  Declar.  (Œuvr.  t.  xxxi  et  suiv.,  éd.  de  Vers.)  C'est  d'après 
lui  que  Mamachi  expose  assez  longuement  le  système  des  auteurs  français. 
(Mamachi,  ubi  suprà,  p.  158,etc.)Voy.  aussi Dupïn,  Ti*aité  de  laPuiss.  Eccl. 
et  Temp.  Paris,  1707,  in-8°.  Cet  ouvrage  est  recommandé  par  De  Héricourt, 
comme  un  des  plus  solides  sur  cette  matière.  (De  Héricourt,  Lois  Ecclés.  de 
France.  Paris,  1771,  in-fol.,  p.  220.) L'abbé  Dinouart  adonné,  en  1768,  une 
nouvelle  édition  de  l'ouvrage  de  Dupin,  3  vol.  in-8°. — Nat.  Alexand.,  Dissert. 
2  in  Hist.  Eccl.  sœculi  xi,  artic.  9  et  10.  Nous  croyons  que  Bossuet  a 
puisé  dans  ce  dernier  auteur  la  plus  grande  partie  des  faits  et  des  observa- 
tions recueillis,  sur  ce  sujet,  dans  la  Défense  de  la  Déclaration. 

(2)  Bossuet  s'attache  particulièrement  à  établir  ce  point ,  dans  l'examen 
des  principaux  faits  allégués  par  les  théologiens  ultramontains,  à  l'appui  de 
leur  opinion.  Remarquez  en  particulier  les  éclaircissements  qu'il  donne  sur 
ce  sujet,  dans  sa  Défense  de  la  Déclar.,  liv.  m,  chap.  1  et  5. 

(3)  Bossuet,  Defens.  Declar.,  lib.  i,  sect.  2,  cap.  24,  p.  348.  ;  lib.  m, 
cap.^21,  p.  662. 


332  DEUXIÈME  PARTIE.  —  POUVOIR  DU  PAPE 

enfin,  que  l'illusion  était  alors  d'autant  plus  facile  et  plus  excu- 
sable, que  la  situation  et  l'intérêt  de  la  société  avaient  insensi- 
blement amené ,  et  rendaient  en  quelque  sorte  nécessaire  l'in- 
tervention de  la  puissance  ecclésiastique  dans  les  affaires 
temporelles,  et  la  grande  influence  qu'elle  y  exerçait,  avec  le 
consentement  exprès  ou  tacite  des  princes  (1).  Il  faut  avouer 
cependant  que  tous  les  écrivains  catholiques  ne  s'expriment  pas 
là-dessus  avec  autant  de  mesure ,  et  que  plusieurs  ont  adopté, 
avec  beaucoup  trop  de  légèreté ,  les  odieuses  déclamations  des 
ennemis  de  l'Église  sur  ce  point  (2). 
„   7.  11°  Sijstèmes  historiques.   Jusqu'à  la  fin  du  xvne  siècle, 

2     Systèmes  ,.  f 

historiques,  comme  nous  lavons  déjà  remarque,  on  ne  vit  guère  sur  ce 
occStôs  sujet,  que  des  systèmes  théologiques ,  soutenus,  de  part  et 
ava"ièciïy111  d'autre,  avec  beaucoup  d'ardeur ,  quelquefois  même  avec  une 
extrême  vivacité.  Ce  n'est  pas  que  la  difficulté  qui  avait  donné 
lieu  à  ces  divers  systèmes,  ne  fût  examinée  par  quelques  auteurs 
sous  le  rapport  historique ,  indépendamment  des  principes  de 
la  révélation  ou  du  droit  divin;  mais  ceux  mêmes  qui  l'exami- 
naient sous  ce  point  de  vue,  ne  le  faisaient,  pour  ainsi  dire, 
qu'en  passant,  et  d'une  manière  purement  accessoire,  dans 
l'unique  but  d'appuyer  et  de  confirmer  la  solution  plus  complète, 
qu'ils  croyaient  trouver  dans  les  seuls  principes  de  la  théolo- 
gie. C'est  ce  qu'on  remarque  en  particulier  dans  plusieurs  écrits 
publiés,  au  xvie  siècle,  par  les  catholiques  anglais  et  français , 
contre  les  droits  d'Elisabeth  à  la  couronne  d'Angleterre,  et 
contre  ceux  du  roi  de  Navarre  (depuis  Henri  IV)  à  la  couronne 
de  France  (3).  Les  auteurs  de  ces  écrits  invoquent  principale- 
ment contre  les  deux  prétendants,  le  droit  divin,  soit  dans  le 
sens  où  l'expliquent  les  défenseurs  de  l'opinion  théologique  du 

(1)  Ce  dernier  point  est  reconnu,  comme  on  le  verra  bientôt  (  ci-après , 
chap.  4,  art.  2  ),  même  par  des  auteurs  français,  qui  blâment  d'ailleurs  avec 
beaucoup  d'amertume  et  de  vivacité,  les  maximes  et  la  conduite  des  papes 
et  des  conciles  du  moyen  âge  envers  les  souverains.  Voyez  ,  entre  autres; 
Bossuet,  ibid.,  liv.  iv,  cap.  5.  — Ferrand,  V Esprit  de  l'Histoire,  1. 11,  let- 
tre 47,  p.  494. 

(2)  Nous  avons  indiqué  quelques-uns  de  ces  auteurs  dans  la  Préface  de 
cet  ouvrage. 

(3)  Nous  renvoyons  au  n.  9  des  Pièces  justificatives ,  à  la  fin  de  ce  vo- 
lume ,  quelques  détails  sur  les  principaux  ouvrages  relatifs  à  ces  deux  con- 
troverses. 


SUR  LES  SOUVERAINS.  333 

pouvoir  indirect,  soit  dans  le  sens  où  l'expliquent  les  auteurs 
qui  attribuent  à  la  société  le  droit  naturel  de  destituer,  en 
certains  cas,  les  souverains  ;  mais  ils  invoquent  aussi,  à  l'ap- 
pui de  leur  sentiment,  le  droit  humain  positif,  c'est-à-dire, 
l'ancienne  jurisprudence  des  États  catholiques  de  l'Europe,  par- 
ticulièrement celle  de  la  France  et  de  l'Angleterre,  qui  exclut 
du  trône  les  princes  hérétiques. 

La  plupart  des  théologiens  qui  ont  examiné,  avant  le  xvme 
siècle,  la  difficulté  dont  nous  parlons,  paraissent  avoir  ignoré 
ce  dernier  moyen  de  solution,  qu'ils  passent  entièrement  sous 
silence;  et  plusieurs  même  de  ceux  qui  l'ont  connu  paraissent 
y  avoir  attaché  peu  d'importance.  Telle  était  en  particulier  la 
disposition  de  Bossuet,  comme  la  suite  de  nos  Recherches  nous 
donnera  lieu  de  l'observer.  Il  est  à  remarquer,  en  effet,  que  dans 
la  Défense  de  la  Déclaration,  où  il  expose  brièvement  cette  ma- 
nière d'expliquer  la  conduite  des  souverains  pontifes,  surtout 
à  l'égard  des  empereurs  d'Allemagne,  il  se  borne  à  indiquer 
cette  explication  ;  et,  sans  l'approuver  ni  la  rejeter,  il  en  ren- 
voie l'examen  aux  jurisconsultes,  et  à  ceux  pour  qui  cette  dis- 
cussion peut  avoir  quelque  intérêt  (t). 

Mais  la  difficulté  dont  il  s'agit,  après  avoir  été  presque  uni- 
quement examinée,  pendant  si  longtemps,  sous  le  rapport  théo- 
logique,  fut  enfin  examinée  de  plus  près,  sous  le  rapport  his- 
torique, pendant  le  cours  du  dernier  siècle.  Plusieurs  écrivains 
célèbres,  non-seulement  parmi  les  catholiques,  mais  encore 
parmi  les  protestants,  entreprirent  d'expliquer  et  de  justifier  la 
conduite  des  papes  et  des  conciles  du  moyen  âge  envers  les 
souverains,  par  des  considérations  purement  historiques,  ti- 
rées soit  de  la  législation  alors  en  vigueur,  soit  de  l'état  et 
des  besoins  de  la  société  à  cette  époque.  Ce  nouveau  point  de 
vue  donna  lieu  à  divers  systèmes,  qui  semblent  obtenir  de 
jour  en  jour  plus  de  crédit,  à  mesure  qu'on  se  livre  avec  plus 
d'ardeur  et  d'impartialité  aux  études  historiques.  Nous  expose- 
rons seulement  ici  les  plus  remarquables  de  ces  systèmes. 

Celui  de  Fénelon  est,  sans  contredit,  un  des  plus  dignes        s. 
d'attention,  soit  par  le  nom  de  son  auteur,  soit  par  la  solidité  ScFéS.de 

(1)  Defens.  Declar.,  lib.  i,  sect.  1,  cap.  16,  p.  273;  lib.  m,  cap.  24 
p.  682.  Voyez  ci-après,  cliap.  3,  art.  2,  §  2. 


334  DEUXIÈME  PARTIE.  —  POUVOIR   DU  PAPE 

de  ses  principes ,  comme  nous  le  montrerons  dans  la  suite  de  cet 
ouvrage,  soit  enfin  parce  que  l'illustre  prélat  paraît  être  le  premier, 
parmi  les  écrivains  catholiques,  qui  ait  exposé,  avec  un  certain 
développement,  le  sentiment  qui  explique  par  le  droit  public  du 
moyen  âge  la  conduite  des  papes  et  des  conciles  qui  ont  autrefois 
déposé  des  princes  temporels  (l).  Nous  avouerons  même  que  le 
ton  ferme  et  assuré  avec  lequel  il  s'exprime  à  ce  sujet,  est  la  vé- 
ritable origine  des  recherches  que  nous  avons  entreprises,  depuis 
quelques  années,  pour  l'éclaircissement  d'un  point  si  impor- 
tant. 
9.  Dans  le  chapitre  39e  de  sa  Dissertation  sur  V autorité  du 

explique    souverain  Pontife,  il  examine  ex  professo ,  en  vertu  de  quel 
déposition    droit  l'autorité  ecclésiastique  a  déposé  autrefois  les  prin- 
chiidéric,    ms  temporels;  et  voici  de  quelle  manière  il  croit  pouvoir 
celIe  deel  Louis  résoudre  cette  question  délicate.   Il  remarque  d'abord  que 
Débonnaire   *a  rép0Ilse  du  PaPe  Zacharie  aux  Français ,  sur  la  déposition  de 
Childéric,  en  752,  et  la  déposition  de  Louis  le  Débonnaire  par 
les  évêques  de  France,  en  833,  ne  sont  pas  proprement  des  actes 
de  juridiction ,  exercés  par  l'autorité  ecclésiastique,  sur  le  tem- 
porel des  princes.  La  réponse  du  pape  Zacharie  était  un  simple 
avis  sur  un  cas  de  conscience,  que  les  Français  avaient  porté 
librement  à  son  tribunal  (2)  ;  et  les  évêques  de  France  qui  pro- 
noncèrent la  déchéance  de  Louis  le  Débonnaire ,  ne  le  firent 
point  en  vertu  de  l'autorité  ecclésiastique,  mais  en  qualité  de 
premiers  seigneurs  du  royaume ,  et  de  concert  avec  les  autres 
seigneurs,  qui  composaient  les  états  généraux  de  la  nation  (3). 
Après  ces  observations  importantes ,  Fénelon  continue  ainsi  : 


10. 

Maximes 


(1)  Nous  verrons  ailleurs  que  les  idées  de  Fénelon,  sur  ce  point,  paraissent 
être ,  au  fond ,  les  mêmes  que  Leibniz  avait  exposées,  quelques  années  au- 
paravant ,  dans  plusieurs  de  ses  ouvrages.  (Voyez  ci-après ,  chap.  2,  art.  1, 
n.  124.)  Nous  ignorons  jusqu'à  quel  point  le  sentiment  de  Leibniz  a  pu 
influer  sur  celui  de  Fénelon  ;  mais  nous  croyons  que  l'archevêque  de  Cambrai 
a  présenté  le  sien  d'une  manière  beaucoup  plus  nette  et  plus  précise.  Quoi 
qu'il  en  soit,  rien  n'est  plus  digne  d'attention,  que  l'accord  de  ces  deux 
grands  hommes,  sur  une  question  aussi  importante,  malgré  la  différence  de 
leurs  principes  religieux. 

(2)  Remarquez  que  cette  explication  de  Fénelon  est  adoptée  par  Bossuet 
et  par  nos  meilleurs  historiens.  Voyez  ci-dessus,  le  chap.  2  de  la  première 
partie,  n.  95.  Voyez  aussi  le  chap.  3  de  la  seconde  partie,  n.  172. 

(3)  Fénelon  paraît  supposer,  en  cet  endroit ,  que  Louis  le  Débonnaire  fut 
déposé  par  le  concile  de  Compiègne,  en  833.  Nous  verrons  ailleurs  que  ce 


StTR  LES   SOUVERAINS.  335 

«  Depuis  ce  dernier  événement  (1) ,  on  vit  peu  à  peu  s'imprimer        et 


usages  du 


«profondément,  dans  l'esprit  des  peuples  catholiques,  cette  moyen  âge, 


sur  la 


des 
princes. 


a  opinion,  que  la  puissance  suprême  ne  pouvait  être  confiée    déposition 

«  qu'à  un  prince  orthodoxe,  et  qu'une  des  conditions  apposées 

«  au  contrat  taci^ment  passé  entre  les  peuples  et  le  prince,  était 

«  que  les  peuples  obéiraient  fidèlement  au  prince,  pourvu  que 

«  celui-ci  fût  lui-même  soumis  à  la  religion  catholique  (2).  Cette 

«  condition  étant  supposée,  on  pensait  généralement  que  le 

«  lien  du  serment  qui  attachait  la  nation  à  son  prince  était 

«  rompu  ,  aussitôt  que  celui-ci,  au  mépris  de  la  condition  dont 

«il  s'agit,  se  révoltait  ouvertement  contre  la  religion  catho- 

«  lique.  //  était  alors  d'usage  (3)  que  les  excommuniés  fussent 

«  privés  de  toute  société  avec  les  fidèles,  et  ne  pussent  commu- 

concile  approuva  seulement  la  déposition  de  l'empereur,  déjà  décrétée  aupa- 
ravant par  l'assemblée  des  seigneurs  de  l'armée  rebelle  de  Lothaire.  (Ci- 
après,  chap.  1,  art.  3,n.  67.) 

(1)  «  Sensim  catholicarum  gentium  hœc  fuit  sententia,  animis  alte 
«  impressa,  scilicet,  supremam  potestatem  çommitti  non  posse  nisi  principi 
«  catholico,  eamque  esse  legem  sive  conditionem  tacito  contractai  appositam 
a  populos  inter  et  principem ,  ut  populi  principi  fidèles  parèrent;  modo  prin- 
ce ceps  ipse  catholicae  reli  gioni  obsequeretur.  Quâ  lege  positâ ,  passim  pu- 
«■  tabant  omnes  solutum  esse  vinculum  sacramenti  fidelitatis  a  totâ  gente 
«  praestitum ,  simul  atque  princeps,  eâ  lege  violatâ,  catholicae  religioni  con- 
«  tumaci  animo  resisteret.  »  Fénelon,  Disserl.  de  auctoritate  summi  Pon- 
tifias, cap.  39,  p.  382. 

(2)  Fénelon  suppose  ici  que  l'autorité  du  prince  peut  être  restreinte  par 
la  loi  fondamentale  de  l'État,  au  moyen  de  certaines  conditions,  mises  à 
l'élection  du  souverain.,  et  dont  l'infraction  l'expose  à  être  déposé  par  l'as- 
semblée générale  delà  nation.  Cette  doctrine  est  en  effet  admise  par  les  plus 
célèbres  et  les  plus  sages  publicistes,  et  par  Bossuet  lui-même.  Voyez  plus 
bas,  chap.  1,  art.  1,  n.  25. 

(3)  «  Tum  verô  morts  erat,  ut  excommunicati  piorum  omnium  societate 
«  privarentur,  et  solâ  ope  ad  victum  necessarià  frui  possent  :  unde  nihil  est 
«  mirum  si  gentes  catholicae  religioni  quàm  maxime  addictse  ,  principis  ex- 
«  communicati  jugum  excuterent.  Eâ  enim  lege  sese  principi  subditas  fore 
«  pollicitae  erant,  ut  princeps  ipse  catholicae  religioni  pariter  subditus  esset. 
«  Princeps  verô  qui,  ob  haeresim,  vel  ob  facinorosam  et  impiam  regni  admi- 
«  nistrationem ,  ab  Ecclesia  excommunicatur ,  jam  non  censetur  pius  ille 
«  princeps,  cui  tota  gens  sese  committere  voluerat  :  unde  solutum  sacramenti 
«vinculum  arbitrabantur.  Praeterea  canonico  jure  sancitum  fuit,  ut  ii 
«  censerentur  haeretici,  aut  saltem  haereticae  pravitatis  valde  suspecti ,  qui , 
«  excommunicati  ab  Ecclesia,  intra  certum  tempus  absolutionem  excom- 
«  municationis  débita  submissione  non  consequerentur.  Ita  principes  qui 
«  in  excommunicationis  vinculo  contumaces  jam  obstordescebant ,  ut  impii 
«  Ecclesiee  catholicae  contemptores,  atque  adeo  haeretici  habebantur.  Hos 
«  autem ,  tanquam  a  contractu  secum  inito  déficientes ,  exauctorabat  gens 
«  sua.  Porro  hoc  erat  hujus  morts  temperamentum,  quod  ea  depositio  non 


336        DEUXIÈME  PAUTIE. — POUVOIR  DU  PAPE 

«  niquer  avec  eux,  que  pour  les  besoins  indispensables  de  la  vie. 
«  Il  n'est  donc  pas  étonnant  que  les  peuples ,  alors  si  attachés  à 
«la  religion  catholique,  secouassent  le  joug  d'un  prince  ex- 
ce  communié.  En  effet,  ils  avaient  promis  de  lui  obéir,  à  condition 
«  qu'il  serait  lui-même  soumis  à  la  religion  catholique;  or,  le  prin- 
«  ce  qui  était  excommunié  par  l'Église  pour  cause  d'hérésie,  ou 
«  pour  les  crimes  et  les  impiétés  dont  ils'était  rendu  coupabledans 
«  le  gouvernement  de  son  royaume,  n'était  plus  considéré  comme 
«  ce  prince  religieux  auquel  toute  la  nation  avait  voulu  se  soumet- 
«  tre;  on  pensait  donc  que  le  lien  du  serment  qui  attache  les  su- 
«  jets  à  leur  souverain ,  était  rompu  en  ce  cas.  De  plus,  le  droit 
«  canonique  avait  décidé  que  les  excommuniés  qui  n'obtiendraient 
«  pas  l'absolution  en  se  soumettant  à  l'Église  dans  un  certain  es- 
«  pace  de  temps,  seraient  censés  hérétiques,  ou  du  moins  très-sus- 
«  pects  d'hérésie.  Ainsi,  les  princes  qui  croupissaient  avec  obstina- 
«  tionsousle  lien  de  l'excommunication,  étaient  regardés  comme 
«  coupables  d'un  mépris  sacrilège  envers  l'Église,  et  par  conséquent 
«  d'hérésie;  et  le  peuple,  les  regardant  comme  coupables  de  Fin- 
«  fraction  du  contrat  qu'ils  avaient  passé  avec  lui,  secouait  leur  au- 
«  torité.  Toutefois  cet  usage  était  modifié,  en  ce  quela  déposi  tion  du 
«  prince  ne  pouvait  être  effectuée  qu'après  avoir  consulté  l'Église... 
„.  «  Cette  discipline,  qui  a  été  longtemps  en  vigueur,  ne  peut 

****#! Afrec'  «  donner  lieu  de  révoquer  en  doute  aucun  point  de  la  doctrine 
rÉgiise  et  du  «  (je  l'Église;  car  il  s'agit  uniquement  d'une  maxime  qui  avait 
sur \<*soii\e- a  alo?*s  prévalu  chez  toutes  les  nations  catholiques,  savoir, 
«  que  l'autorité  séculière  n'était  confiée  au  prince  que  sous  la 
«  condition  expresse  de  protéger  et  d'observer  en  toutes  choses 
«  la  religion  catholique.  Ainsi,  Y  Église  ne  destituait  point  et 
«  n  instituait  point  les  princes  temporels  ;  mais  étant  consultée 
«  par  les  peuples,  elle  répondait  seulement  ce  qui  regardait  la 

«  fieret,  nisi  consulta  prias  Ecclesiâ....  In  eâ  autem  disciplina,  quac  mul- 
«  tum  viguit,  milla  est  Ecclesiee  doctrina  quœ  in  dnbium  Vocari  possit  :  sed 
«  solnmmodo  agitur  ôeplacito ,  quod  apud  omnes  catholicas  g  entes  inva- 
«  luit,  nimirum,ut  saecularis  auctoritas  non  committeretur  principi,  nisi  eâ 
«  certissimâ  lege,  ut  ipse  priuceps  catholicae  religioni  per  omnia  tuendee  et 
«  observandae  incumberet.  Itaque  Ecclesiâ  neque  destituebat  neque  insti- 
«  iuebat  laïcos  principes  ;  sed  tan  tu  m  consulentibus  gentibus  responde- 
«  bat,  quid  ,  ratione  contractûs  et  sacramenti ,  conscientiam  attineret.  Hœc 
«  non  juridica  et  civilis,  sed  directiva  tantùm  et  ordinativa  potestast 
«  quam  approbat  Geisonius.  »  Fénelon,  ubi  supra. 


rains. 


SDR  LES    SOUVERAINS.  337 

«  conscience,  à  raison  du  contrat  et  du  serment.  Elle  n'exerçait 
«  pas  un  pouvoir  civil  et  juridique ,  mais  le  pouvoir  purement 

«  direct  if  et  ordinatif  approuvé  par  Gerson Ce  pouvoir 

«  consiste  uniquement  en  ce  que  le  Pape ,  en  tant  que  prince  des 
«  pasteurs,  en  tant  que  principal  directeur  et  docteur  de 
«l'Église,  dans  les  grandes  questions  de  morale,  est  obligé 
«  d'instruire  le  peuple  qui  le  consulte  sur  l'observation  du  ser- 
«  ment  de  fidélité.  Du  reste,  les  pontifes  n'ont  aucune  raison 
«  de  prétendre  commander  aux  princes,  à  moins  qu'ils  n'aient 
«  acquis  ce  droit  par  un  titre  spécial ,  ou  par  une  possession 
«  'particulière ,  sur  quelque  prince  feudataire  du  saint-siége ; 
«  car  c'est  à  tous  les  apôtres,  et  par  conséquent  à  Pierre,  que  Jésus- 
«  Christ  a  dit  :  Les  rois  des  nations  exercent  leur  empire  sur 
«  elles,-  pour  vous ,  n'en  usez  pas  ainsi  (1).  » 

Conformément  à  ces  principes,  Fénelon  enseigne,  dans  les 
Plans  de  gouvernement,  rédigés  en  1711  pour  le  duc  de  Bour- 
gogne, que  le  Pape  n'a  aucun  pouvoir  direct  sur  le  temporel 
des  princes,  mais  seulement  un  pouvoir  indirect,  dans  le  sens 
qu'il  vient  d'expliquer,  c'est-à-dire,  un  pouvoir  purement  di- 
rectif,  qui  se  réduit  à  décider  sur  le  serment,  par  voie  de 
consultation,  et  qui  ne  suppose ,  en  aucune  manière,  le  pouvoir 
proprement  dit  de  déposer  les  souverains  (2). 

Ainsi,  dans  le  sentiment  de  Fénelon,  la  conduite  des  souve- 
rains pontifes  qui  ont  autrefois  déposé  des  princes  temporels,   Ldes°nadpues 
s'explique  naturellement  par  les  maximes  alors  généralement  envcr!>les«>« 

(1)  «  Hsec  autem  potestas,  quam  Gersonins  directivam  et  ordinativam 
«  nuncupat ,  in  eo  tantùm  consistit ,  qnod  Papa,  utpote  princeps  pastorum , 
«  utpote  praecipuus ,  in  majorihus  moralis  disciplina  causis,  Ecclesiœ  dire- 
«  ctor  et  doctor,  de  servando  fidelitatis  sacramento  populum  consulentem 
<c  edocere  teneatur.  De  csetero,  nihil  est  quod  pontifices  regibus  imperare 
«  velint,  nisi  ex  speciali  titulo,  aut  possessione  aliquâ  peculiari,  id  sibi 
a  juris,  in  aliquem  regem  feudatarium  sedis  apostolicœ,  adeptifuerint, 
«  Namque  apostolis  omnibus ,  ac  proinde  Petro  dictum  est  :  Reges  gentium 
«  dominantur  eorum;  vos  autem  non  sic.  »  Fénelon,  ubi  suprà,  cap.  27, 
p.  334. 

(2)  Voici  les  propres  expressions  de  Fénelon  dans  ce  passage ,  où  sa  pen- 
sée est  plutôt  indiquée  que  développée  :  «  Puissance  (de  Rome)  sur  le  tern- 
ie porel  :  — directe,  absurde  et  pernicieuse;  — indirecte,  évidente,  quoique 
«  faillible,  quand  elle  est  réduite  à  décider  sur  le  serment  par  consultation  ; 
«  mais  déposition  n'en  suit  nullement.  »  Voyez,  dans  Y  Histoire  littéraire 
de  Fénelon  (4e  partie,  n.  60,  note),  quelques  observations  importantes, 
pour  établir  l'authenticité  de  ce  passage. 

22 


ii. 

La  conduite 


338  DEUXIÈME  PARTIE.  —  POUVOIR  DU  PAPE 

au  moyen  àge,  admises  parmi  les  peuples  catholiques  de  l'Europe ,  et  qui  don- 
ptt^drlit  naient,  en  certains  cas,  à  l'Église  le  pouvoir  au  moins  indi- 
de  cette%o-  reci  d'instituer  et  de  destituer  les  souverains.  Ce  pouvoir , 
iue-  selon  l'archevêque  de  Cambrai,  n'était  pas  un  pouvoir  de  ju- 
ridiction temporelle,  fondé  sur  le  droit  divin;  mais  c'était 
tout  ensemble  un  pouvoir  directif  d'institution  divine,  et  un 
pouvoir  de  juridiction  temporelle,  d'institution  purement  hu- 
maine. En  effet,  le  Pape  et  l'Église,  ayant,  d'après  l'institution 
divine,  l'obligation  et  par  conséquent  le  pouvoir  d'éclairer 
et  de  diriger  la  conscience  des  princes  et  des  peuples ,  en  tout 
ce  qui  regarde  le  salut ,  ont ,  par  cela  même ,  le  pouvoir  de 
décider  les  questions  relatives  aux  obligations  de  conscience, 
qui  résultent  du  serment  de  fidélité  (l).  Mais  indépendamment 
de  ce  pouvoir  directif,  d'institution  divine ,  ils  avaient ,  au 
moyen  âge,  un  pouvoir  de  juridiction  temporelle,  d'institution 
purement  humaine ,  fondé  sur  Y  usage  et  les  maximes  de  droit 
public  alors  généralement  admises.  En  déposant  un  souverain 
opiniâtre  dans  l'hérésie  ou  l'excommunication,  ils  n'agissaient 
pas  seulement  comme  docteurs  et  directeurs  des  fidèles,  dans 
l'ordre  du  salut  ;  ils  agissaient  en  même  temps  comme  juges 
établis  et  reconnus  par  Yusage  et  le  droit  public  alors  en  vi- 
gueur, pour  examiner  et  juger  la  cause  des  souverains  qui  en 
couraient  la  déchéance,  par  l'infraction  du  contrat  qu'ils  avaient 
passé  avec  leur  peuple.  Telle  est  au  fond  la  pensée  de  Fénelon, 
quoiqu'il  ne  l'exprime  peut-être  pas  avec  la  même  précision 
que  nous  le  faisons. 

Il  est  aisé  de  voir  que,  dans  ce  sentiment ,  la  sentence  de  dé- 
position prononcée  par  le  Pape  ou  le  concile,  au  moyen  âge, 
contre  un  souverain  hérétique  ou  excommunié,  était  fondée 
tout  à  la  fois  sur  le  droit  divin  et  sur  le  droit  humain.  Elle 
était  fondée  sur  le  droit  divin,  non-seulement  en  tant  qu'elle  dé- 
clarait le  prince  hérétique  ou  excommunié ,  mais  encore  en  tant 
qu'elle  éclairait  et  dirigeait  la  conscience  des  princes  et  des 


(1)  Il  est  à  remarquer  que  le  pouvoir  directif  du  Pape,  ainsi  expliqué,  est 
admis  sans  difficulté ,  même  par  des  théologiens  très-opposés  au  sentiment 
qui  attribue,  de  droit  divin,  à  l'Église  et  au  souverain  pontife  une  jurU 
diction  au  moins  indirecte  sur  les  choses  temporelles.  (Voyez  ci-après, 
Chap.  3,  n.  172.) 


SUR  LES   SOUVERAINS.  339 

peuples,  relativement  aux  obligations  qui  résultaient  du  ser- 
ment de  fidélité.  Elle  était  en  même  temps  fondée  sur  le  droit 
humain,  non-seulement  en  tant  qu'elle  déclarait  le  prince  déchu 
de  ses  droits,  par  suite  de  la  condition  mise  à  son  élection ,  mais 
encore  en  vertu  du  pouvoir  que  Yusage  et  le  droit  public  don- 
naient alors  au  Pâ'pe  et  au  concile,  pour  juger  la  cause  des  sou- 
verains qui  encouraient  la  déchéance.  En  prononçant  cette  sen- 
tence, le  Pape  et  le  concile  ne  déposaient  pas  proprement  le 
souverain,  et  ne  s'attribuaient  pas,  de  droit  divin ,  le  pouvoir 
de  le  déposer;  mais  ils  déclaraient  seulement  et  ils  décidaient 
que,  d'après  la  condition  mise  à  son  élection  par  Yusage  et  la 
jurisprudence  du  temps,  il  était  déchu  de  sa  dignité.  Leur  sen- 
tence peut  être  comparée  à  celle  d'un  juge  ordinaire,  qui  pro- 
nonce la  nullité  d'un  acte  invalidé  par  les  lois,  mais  dont  la 
nullité  n'existe  pas  de  plein  droit,  et  n'a  d'effet  qu'après  avoir 
été  prononcée  par  le  juge  (1). 
La  suite  de  cet  ouvrage  nous  donnera  lieu  de  citer .  à  l'appui        l3- 

.  .  7  rr        Le  sentiment 

de  ce  sentiment,  plusieurs  savants  auteurs,  même  protestants,       ,d« 
qui  l'ont  adopté  plus  ou  moins  ouvertement,  depuis  un  siècle,     modifié' 
quoique  avec  diverses  modifications  (2).  Nous  remarquerons 
seulement  ici  que ,  parmi  les  auteurs  qui  l'ont  admis,  quel- 

(1)  Remarquez  que,  dans  ce  sentiment,  le  Pape  et  le  concile,  qui  déliaient 
les  sujets  du  serment  de  fidélité  prêté  au  souverain,  ne  donnaient  pas  une 
dispense  proprement  dite  de  ce  serment,  mais  une  simple  interprétation 
ou  déclaration  de  sa  nullité.  En  effet,  le  serment  de  fidélité  étant  unique- 
ment relatif  au  contrat  passé  entre  le  prince  et  ses  sujets,  n'avait  de  force 
que  pour  appuyer  ce  contrat ,  et  uniquement  dans  l'hypothèse  de  la  validité 
de  ce  contrat.  Par  le  seul  fait  de  la  rupture  du  contrat,  le  serment  devenait 
sans  objet  ;  et  la  même  sentence  qui  déclarait  le  contrat  nul ,  renfermait,  par 
une  conséquence  naturelle ,  une  déclaration  de  la  nullité  du  serment,  sans  qu'il 
fût  nécessaire  d'en  dispenser,  dans  le  sens  propre  et  rigoureux  de  ce  mot.  Si 
donc  le  Pape  et  les  conciles  emploient  quelquefois,  en  ce  cas,  les  termes  de 
dispense ,  d'absolution,  et  d'autres  semblables,  c'est  dans  un  sens  large  et 
impropre,  comme  Fénelon  l'explique  à  l'occasion  de  la  sentence  de  déposi- 
tion prononcée  par  le  pape  Innocent  IV  contre  Frédéric  II,  dans  le  concile 
de  Lyon,  en  1245.  (Fénelon ,  ubi  suprà ,  cap.  39,  p.  387.  Voyez  ce  passage 
ci-après,  cliap.  3 ,  art.  1,  n.  213.  )  Au  reste,  si  l'on  insiste  pour  voir  ici  une 
dispense  proprement  dite ,  nous  ne  disputerons  pas  sur  les  mots  ;  nous  re- 
marquerons seulement  qu'il  est  souvent  difficile  de  distinguer,  en  cette 
matière ,  une  dispense  proprement  dite  d'avec  une  simple  interprétation. 
Il  faut  avouer  du  moins  que  la  différence  communément  assignée  entre  ces 
deux  choses  n'est  pas  toujours  facile  à  saisir. 

(2)  Voyez  plus  bas,  chap.  3,  art.  2,  §  4. 

22. 


par  celui  du 

comte 

de  Maislre. 


340  DEUXIÈME   riRTIE.  —  POUVOIR   DU  PAPE 

ques-uns  ont  cru  pouvoir  le  concilier  avec  le  système  du  droit  di- 
vin, que  nous  avons  exposé  plus  haut,  et  que  Fénelon  rejette  ex- 
pressément (1).  Déjà  nous  avons  remarqué  que  le  droit  divin  et 
le  droit  positif  humain  étaient  également  invoqués,  au  xvie  siè- 
cle, parles  catholiques  anglais  et  français,  contre  les  droits  d'Eli- 
sabeth à  la  couronne  d'Angleterre,  et  contre  ceux  du  roi  de  Na- 
varre (depuis  Henri  IV)  à  la  couronne  de  France  (2).  Tel  paraît 
être  aussi  le  sentiment  adopté,  de  nos  jours,  par  le  comte  de 
Maistre ,  dans  son  ouvrage  intitulé  :  Du  Pape.  Selon  lui ,  il 
ne  répugne  pas  que  la  souveraineté,  quoique  divine  dans  son 
principe,  soit  contrôlée  par  l'autorité  spirituelle,  établie  de 
Dieu  pour  le  gouvernement  de  l'Église,  et  que  cette  autorité 
ait  le  droit,  en  certains  cas,  de  révoquer  le  serment  fait  aux 
princes  par  les  sujets.  Telle  était  au  fond  l'idée  du  moyen  âge, 
selon  le  comte  de  Maistre.  «  Ces  idées ,  dit-il ,  flottaient  dans  la 
«  tête  de  nos  aïeux ,  qui  n'étaient  point  en  état  de  se  rendre 

(1)  Il  semble  difficile ,  au  premier  abord,  de  concilier  ces  deux  sentiments 
dans  un  même  système;  car,  si  l'on  suppose  que  l'Église  a,  de  droit  divin, 
le  pouvoir  de  déposer  les  souverains,  pour  le  plus  grand  bien  de  la  religion, 
que  pourrait  ajouter  à  ce  pouvoir  le  droit  positif  humain?  Toute  disposi- 
tion des  lois  humaines,  sur  ce  point,  ne  serait  qu'une  répétition  inutile  de  la 
loi  divine  :  ce  serait  donc  une  loi  inutile  et  sans  effet,  et  par  conséquent  ra- 
dicalement nulle.  Toutefois,  cette  difficulté  est  plus  spécieuse  que  solide. 
Rien  n'empêche  en  effet  qu'un  point  de  droit  divin  soit  inséré  dans  le  droit 
positif  humain ,  pour  en  mieux  assurer  l'observation,  en  ajoutant  la  sanc- 
tion de  la  puissance  temporelle  à  celle  de  la  volonté  divine,  et  pour  contenir 
par  la  crainte  des  peines  temporelles  ceux  que  la  seule  crainte  de  Dieu  ne 
contiendrait  pas  suffisamment.  C'est  parce  motif  que  tous  les  princes  chré- 
tiens, depuis  Constantin ,  ont  confirmé  par  leurs  édits  plusieurs  lois  divines, 
comme  nous  l'avons  montré  ailleurs.  (Introd.,  art.  2,  §  2.)  Par  suite  de  cette 
confirmation ,  plusieurs  dispositions  de  droit  public  ou  privé  appartiennent 
tout  à  la  fois  au  droit  divin  et  au  droit  humain  :  au  droit  divin ,  par  leur 
origine  primitive;  et  au  droit  humain,  par  la  confirmation  que  les  princes 
en  ont  faite.  C'est  ainsi  que,  dans  un  pays  où  la  religion  catholique  est  re- 
connue loi  de  l'État,  à  l'exclusion  de  toute  autre,  la  profession  extérieure  de 
cette  religion  est  fondée  tout  à  la  fois  sur  le  droit  divin  et  sur  le  droit  hu- 
main; en  sorte  que  celui  qui  en  professerait  extérieurement  une  autre,  se 
rendrait  tout  à  la  fois  coupable  de  désobéissance  envers  Dieu  et  envers  le 
prince ,  et  serait  tout  à  la  fois  passible  des  peines  spirituelles  et  des  peines 
temporelles. 

(2)  Voyez  ci-dessus,  n.  7,  pag.  232.  —Il  est  à  remarquer  que  Leibniz,  qui 
admet  au  fond  le  sentiment  de  Fénelon ,  sur  le  sujet  qui  nous  occupe ,  n'ose 
condamner  absolument  l'opinion  théologique  du  pouvoir  indirect,  dans  le 
sens  où  l'explique  le  cardinal  Bellarmin.  Voyez  ci-après  un  passage  remar- 
quable de  Leibniz  sur  cette  matière.  (Chap.  2,  n.  167.) 


SDR   LES   SOUVERAINS.  341 

«raison  de  cette  théorie,  et  de  lui  donner  une  forme  systé- 
«  matique  ;  ils  laissèrent  seulement  entrer  dans  leur  esprit 
«  l'idée  vague ,  que  la  souveraineté  temporelle  pouvait  être 
«  contrôlée  par  ce  haut  pouvoir  spirituel  qui  avait  le 
«droit,  dans  certains  cas ,  de  révoquer  le  serment  des  su- 
rjets (t).v 

Mais  indépendamment  de  cette  théorie,  qu'il  ne  prétend       J^  ( 
pas  adopter  absolument,  le  comte  de  Maistre  croit  pouvoir    comte  de 

1  •  -        _        Maistre  établit 

expliquer  et  justifier  pleinement  la  conduite  des  papes  et  des  ie  droit  public 
conciles  du  moyen  âge  envers  les  souverains,  par  le  droit 
public  de  cette  époque.  Quels  qu'aient  pu  être  l'origine  et  le  fon- 
dement de  ce  droit,  sa  réalité  est  clairement  établie,  selon 
l'auteur,  par  le  seul  fait  de  l'usage  et  de  la  persuasion  univer- 
selle du  moyen  âge,  ou  de  la  longue  et  paisible  possession  des 
papes  et  des  conciles.  Ce  droit  public  est  tel,  selon  lui,  «  qu'il 
«  n'en  a  jamais  existé  de  plus  général  et  de  plus  incontestable- 
«  ment  reconnu  (2)....  Il  faut  partir,  dit-il,  d'un  principe  général 
«  et  incontestable,  savoir,  que  tout  gouvernement  est  bon,  lors- 
«  qu'il  est  établi  et  qu'il  subsiste  depuis  longtemps  sans  con- 
«  testation....  Toutes  les  formes  possibles  de  gouvernement  se 
«  sont  présentées  dans  le  monde;  et  toutes  sont  légitimes,  dès 
«qu'elles  sont  établies,  sans  que  jamais  il  soit  permis  de  rai- 
«  sonner  d'après  des  hypothèses  entièrement  séparées  des  faits. 
«  Or,  s'il  est  un  fait  incontestable,  attesté  par  tous  les  monu- 
«  ments  de  l'histoire,  c'est  que  les  papes,  dans  le  moyen  âge, 
«  et  bien  avant  encore  dans  les  derniers  siècles,  ont  exercé  une 
«  grande  puissance  sur  les  souverains  temporels  ;  qu'ils  les  ont 
«jugés,  excommuniés  dans  quelques  grandes  occasions,  et  que 
«  souvent  même  ils  ont  déclaré  les  sujets  de  ces  princes,  déliés 
«  envers  eux  du  serment  de  fidélité....  L'autorité  des  papes  fut 
«  la  puissance  choisie  et  constituée,  dans  le  moyen  âge,  pour 
«  faire  équilibre  à  la  souveraineté  temporelle,  et  la  rendre  sup- 
«  portable  aux  hommes....  Il  n'y  avait  là  certainement  rien  de 
«contraire  à  la  nature  des  choses,  qui  n'exclut  aucune  forme 
«  d'association  politique.  Si  cette  puissance  n'est  pas  établie ,  je 


(1)  De  Maistre,  Du  Pape,  liv.  n,  chap.  3  et  10,  pag.  227,  333-335. 

(2)  Ibid.y  pag.  235. 


342  DEUXIÈME  PARTIE.  —  POUVOIR  DU  PAPE 

«  ne  dis  pas  qu'on  doive  l'établir  ou  la  rétablir  :  c'est  de  quoi  je 
«  n'ai  cessé  de  protester  solennellement;  je  dis  seulement,  en 
«  me  reportant  aux  temps  anciens,  que  si  elle  est  établie,  elle 
«  sera  légitime  comme  toute  autre,  aucune  puissance  n'ayant 
«  d'autre  fondement  que  la  possession....  L'autorité  des  papes 
«  sur  les  rois  n'était  contestée  que  par  celui  qu'elle  frappait.  Il 
«  n'y  eut  donc  jamais  d'autorité  pins  légitime,  comme  jamais 
«  il  n'y  en  eut  de  moins  contestée....  Qu'y  a-t-il  donc  de  sûr 
«parmi  les  hommes,  si  la  coutume,  non  contredite  surtout, 
«  n'est  pas  la  mère  de  la  légitimité?  Le  plus  grand  de  tous  les 
«sophismes,  c'est  celui  de  transporter  un  système  moderne 
«  dans  les  temps  passés,  et  déjuger  sur  cette  règle  les  choses  et 
«  les  hommes  de  ces  époques  plus  ou  moins  reculées.  Avec  ce 
«principe,  on  bouleverserait  l'univers;  car  il  n'y  a  pas  d'in- 
«  stitution  établie  qu'on  ne  pût  renverser  par  le  môme  moyen , 
«  en  la  jugeant  sur  une  théorie  abstraite.  Dès  que  les  peuples  et 
«  les  rois  étaient  d'accord  sur  l'autorité  des  papes,  tous  les  rai- 
«  sonnements  modernes  tombent....  J'ai  beaucoup  entendu  de- 
«  mander  dans  ma  vie  de  quel  droit  les  papes  déposaient  les 
«  empereurs;  il  est  aisé  de  répondre  :  Du  droit  sur  lequel  repose 
«  toute  autorité  légitime,  possession  d'un  côté,  assentiment  de 
«  l'autre  (1).  » 
«5.  Au  reste,  quoique  l'auteur  ne  croie  pas  nécessaire  de  re- 

aior"  mfse,  chercher  l'origine  de  ce  droit,  pour  justifier  les  papes  et  les 
hi'éieCntioUndes  conciles  qui  en  ont  usé,  il  fait  assez  entendre  que  ce  droit  était 
fondé  sur  la  condition  mise  à  l'élection  des  souverains,  par  les 
électeurs,  qui,  d'après  la  uature  élective  des  gouvernements  du 
moyen  âge,  avaient  incontestablement  le  droit  de  restreindre 
ainsi  l'autorité  des  souverains.  Sous  ce  rapport,  le  sentiment  du 
comte  de  Maistre  se  rapproche  beaucoup  de  celui  de  Fénelon. 
«Je  ne  terminerai  point  ce  chapitre,  dit-il,  sans  faire  une  ob- 
«  servation,  sur  laquelle  il  me  semble  qu'on  n'a  point  assez  in- 
«  sisté  :  c'est  que  les  plus  grands  actes  d'autorité  qu'on  puisse 
«  citer,  de  la  part  des  papes  agissant  sur  le  pouvoir  temporel, 
«attaquaient  toujours  une  souveraineté  élective,  c'est-à-dire, 
«  une  demi-souveraineté,  à  laquelle  on  avait  sans  doute  le  droit 

(1)  De  Maistre,  ibid.,  chap.  9,  etc.,  p.  318, 320,  321,  325,  337,  344,  378. 


souverains. 


SUR  LES   SOUVERAINS.  343 

«  de  demander  compte,  et  que  même  on  pouvait  déposer,  s'il 
«  lui  arrivait  de  malverser  à  un  certain  point.  Voltaire  a  fort 
«  bien  remarqué  que  V élection  suppose  nécessairement  un 
«  contrat  entre  le  roi  et  la  nation  (l)  ;  en  sorte  que  le  roi  électif 
«  peut  toujours  être  pris  à  partie  et  être  jugé  :  il  manque  tou- 
jours de  ce  caractère  sacré  qui  est  l'ouvrage  du  temps;  car 
«  l'homme  ne  respecte  réellement  rien  de  ce  qu'il  a  fait  lui- 
«  même  :  il  se  rend  justice  en  méprisant  ses  œuvres,  jusqu'à  ce 
«  que  Dieu  les  ait  sanctionnées  par  le  temps.  La  souveraineté 
«  étant  donc,  en  général,  fort  mal  comprise  et  fort  mal  assurée 
«  dans  le  moyen  âge ,  la  souveraineté  élective  en  particulier 
«  n'avait  guère  d'autre  consistance,  que  celle  que  lui  donnaient 
«  les  qualités  personnelles  du  souverain  :  qu'on  ne  s'étonne  donc 
«point  qu'elle  ait  été  si  souvent  attaquée,  transportée  ou  ren- 
«  versée  (2).  » 
On  voit,  par  cet  exposé,  en  quoi  le  sentiment  du  comte  de  p     '*: 

1  .  ^n  quoi  le  sen- 

Maistre  s'accorde  avec  celui  de  l'archevêque  de  Cambrai,  et  en      timent 

•   «t  it£>«  ™  i  j  i  ■•  da  comte  de 

quoi  il  en  dittere.  lous  deux  s  accordent  à  expliquer  le  pouvoir  Maistre  diffère 
de  l'Église  sur  les  souverains,  au  moyen  âge,  par  les  maximes  de  Fénlfôn. 
de  droit  public  alors  généralement  admises;  mais  cette  expli- 
cation, dans  le  sentiment  du  comte  de  Maistre,  n'exclut  pas 
celle  qui  se  tire  du  droit  divin.  De  plus,  les  deux  sentiments 
diffèrent  dans  la  manière  dont  ils  établissent  le  droit  public 
dont  il  s'agit.  Fénelon  lui  donne  pour  unique  fondement  (hors 
des  fiefs  et  des  autres  souverainetés  que  l'Église  a  pu  acqué- 
rir par  un  titre  spécial)  le  contrat  tacitement  passé  entre  le 
prince  et  les  sujets ,  et  en  vertu  duquel  le  souverain  encourait 
la  perte  de  ses  droits,  par  sa  rébellion  envers  l'Église.  Le  comte 
de  Maistre,  indépendamment  de  ce  premier  fondement,  qu'il 
reconnaît  avec  l'archevêque  de  Cambrai,  croit  pouvoir  établir 
le  droit  public  dont  il  s'agit,  par  le  seul  fait  de  la  persuasion 
universelle  du  moyen  âge ,  ou  de  la  longue  et  paisible  pos- 
session des  papes  et  des  conciles.  Il  suit  delà  que  le  système 
du  comte  de  Maistre ,  indépendamment  des  difficultés  qui  peu- 
vent lui  être  communes  avec  celui  des  théologiens  ultramon- 
tains,  et  avec  celui  de  Fénelon ,  est  encore  exposé  aux  difficultés 

(1)  Voltaire,  Essai  sur  les  Mœurs,  toi».  m,  chap.  121. 

(2)  De  Maistre,  ubi  suprà,  pag.  327. 


344  DEUXIÈME   PARTIE.  —  POUVOIR   DU   PAPE 

qu'on  peut  faire  contre  l'argument  de  prescription,  que  le 
comte  de  Maistre  regarde  comme  le  principal  fondemeHt  de 
son  système.  Nous  sommes  très-porté  à  croire  que  la  plupart  des 
lecteurs  seront  effrayés  d'un  si  grand  appareil  de  difficultés,  et 
y  trouveront,  en  quelque  sorte,  un  préjugé  légitime  contre  le 
système  du  comte  de  Maistre  (l). 
a   '7-  Enfin,  quelques  auteurs  modernes,  sans  examiner  précisé- 

Sentiment  *     x         x  '  L 

.  ^        ment  l'origine  et  les  fondements  du  pouvoir  exercé  sur  les  sou- 

Micbaud:  . 

ia  conduite  des  verains,  par  les  papes  et  les  conciles  du  moyen  âge,  ont  cru  ce 

enveïsïïsou.  pouvoir  suffisamment  justifié  par  la  nécessité  des  temps  et  des 

au mTyen^ge,  conjonctures,  c'est-à-dire ,  par  la  situation  déplorable  où  se 

justifiée     trouvait  alors  la  société  en  Europe  :  situation  qui  rendait  ab- 

pa"   Jet  neecs™  *-  ■*■ 

site  des     sôlument  nécessaire  cette  espèce  de  dictature  dont  les  papes  et 

conjonctures.  *■  *•    * 

les  conciles  étaient  investis ,  pour  remédier  aux  désordres  pu- 
blics. Michaud,  dans  Y  Histoire  des  Croisades,  se  montre 
favorable  à  cette  explication,  et  l'oppose  avec  confiance  aux 
écrivains  modernes,  qui  ont  blâmé  avec  tant  de  légèreté  la  con- 
duite des  papes  du  moyen  âge.  «  Dans  les  derniers  temps,  dit-il, 
«  les  publi cistes  ont  beaucoup  parlé  de  la  puissance  des  chefs  de 
«  l'Église;  mais  ils  l'ont  plutôt  jugée  d'après  des  systèmes  que 
«  d'après  des  faits ,  et  d'après  l'esprit  de  notre  siècle ,  que  d'après 
«  l'esprit  du  moyen  âge.  On  a  beaucoup  vanté  le  génie  des  sou- 
«  verains  pontifes;  on  l'a  vanté  surtout  dans  le  dessein  de  faire 
«  ressortir  davantage  leur  ambition.  Mais  si  les  papes  avaient 
«  eu  le  génie  et  l'ambition  qu'on  leur  suppose,  on  doit  croire 
«  qu'ils  se  seraient  d'abord  occupés  d'agrandir  leurs  États,  et 
«  d'accroître  leur  autorité  comme  souverains  ;  cependant  ils  n'y 
«  ont  point  réussi,  ou  ne  l'ont  point  tenté....  N'est-il  pas  plus 
«  naturel  de  penser  que  les  souverains  pontifes,  dans  ce  qu'ils 

(1)  M.  Henrion,  dans  l'édition  qu'il  a  donnée  de  V Histoire  de  V Église  de 
Berault-Bercastel,  paraît  adopter  au  fond  le  système  du  comte  de  Maistre  ; 
car  il  explique  et  justifie  la  conduite  des  papes  du  moyen  âge  envers  les  sou- 
verains, tantôt  par  la  jurisprudence  ou  le  droit  public  de  cette  époque , 
tantôt  par  le  système  Ihéologique  du  droit  divin ,  tantôt  par  ces  deux 
moyens  réunis.  Toutefois,  il  se  prononce,  en  quelques  endroits,  en  faveur  de 
la  seconde  explication,  beaucoup  plus  fortement  que  ne  fait  le  comte  de 
Maistre.  On  peut  voir,  en  particulier,  à  l'appui  de  ces  observations,  les  cor- 
rections faites  par  M.  Henrion  au  texte  de  Berault-Bercastel,  dans  les  pas- 
sages relatifs  à  Grégoire  VII,  Innocent  III,  Innocent  IV,  Jean  XXII,  etc. 
(Tom.  îv,  pag.  405  et  406;  tom.  v,  pag.  94,  206,  239,  263,  329,  503,  517,  etc.  ; 
tom.  vu,  p.  231,  428,  et  alibi  passim.  ) 


SUR  LES  SOUVERAINS.  345 

«  firent  de  grand,  suivirent  l'esprit  de  la  chrétienté?  Dans  le 
«  moyen  âge,  qui  fut  l'époque  de  leur  puissance,  ils  furent 
«  bien  plus  dirigés  par  cet  esprit,  qu'ils  ne  le  dirigèrent  eux- 
«  mêmes....  Leur  souveraine  puissance  vint  de  leur  position, 
«  et  non  de  leur  volonté.,,.  Sans  vouloir  justifier  leur  domina- 
it tion ,  on  peut  dire  qu'ils  furent  amenés  à  s'emparer  du  pouvoir 
«  suprême  par  les  circonstances  où  se  trouvait  l'Europe,  dans 
«  les  xie  et  xne  siècles.  La  société  européenne,  sans  lois,  plon- 
«  gée  dans  l'ignorance  et  l'anarchie,  s'était  jetée  entre  les  bras 
«  des  papes,  et  croyait  se  mettre  sous  la  protection  du  ciel. 
«  Comme  les  peuples  n'avaient  d'autre  idée  de  la  civilisation , 
«  que  celle  qu'ils  recevaient  de  la  religion  chrétienne,  les  sou- 
«  verains  pontifes  se  trouvèrent  naturellement  les  arbitres  su- 
«  prêmes  des  nations.  Au  milieu  des  ténèbres  que  la  lumière  de 
«  l'Évangile  tendait  sans  cesse  à  dissiper,  leur  autorité  dut  être 
«  la  première  établie ,  et  la  première  reconnue.  La  puissance 
«  temporelle  avait  besoin  de  leur  sanction;  les  peuples  et  les 
«  rois  imploraient  leur  appui,  consultaient  leurs  lumières; 
«  ils  se  crurent  autorisés  à  exercer  une  dictature  universelle. 
«  Cette  dictature  s'exerça  souvent  au  profit  de  la  morale  pu- 
«  blique  et  de  l'ordre  social  ;  souvent  elle  protégea  le  faible 
«  contre  le  fort;  elle  arrêta  l'exécution  de  projets  criminels;  elle 
«  rétablit  la  paix  entre  les  États  ;  elle  sauva  la  société  naissante , 
«  des  excès  de  r ambition ,  de  la  licence  et  de  la  barbarie  (l).  » 


(1)  Michaud,  Hist  des  Croisades,  4e  édition,  t.  iv,  pag.  97  ;  t.  vi,pag.  230- 
234.  Ces  judicieuses  réflexions  peuvent  servir  à  corriger  plusieurs  endroits 
du  même  ouvrage,  où  l'auteur  adopte  beaucoup  trop  légèrement  les  juge- 
ments sévères  des  écrivains  modernes  contre  Grégoire  VII,  Urbain  II,  In- 
nocent III,  Innocent  IV,  et  plusieurs  autres  papes  du  moyen  âge.  Après  les 
avoir  ouvertement  justifiés  des  reproches  à' ambition  et  ai"  usurpation,  dans  les 
passages  que  nous  venons  de  citer,  il  reproduit  ailleurs  les  mêmes  reproches, 
sans  essayer  de  les  concilier  avec  ce  qu'il  avait  dit  auparavant  pour  les  ré- 
futer. Nous  remarquerons,  en  particulier,  les  passages  suivants  :  sur  Gré- 
goire VII,  tom.  i,  pag.  86  et  87  ;  tom.  iv,  162-164;  tom.  vi,  260.  —  Sur  le 
pape  Urbain  IT,  tom.  i,  101  et  102.  —  Sur  Innocent  III,  tom.  m,  399,  400, 
405.— Sur  Grégoire  IX,  tom.  iv,  18,  73,  488,  etc.— Sur  Innocent  IV,  tom.  iv, 
91,  145,  152-154,  157,  161-163,  184,  185,  198,  452-455,  470,  et  alibi  pas- 
sim.  En  comparant  ces  divers  passages  avec  ceux  que  nous  avons  rappor- 
tés, on  ne  peut  s'empêcher  de  croire  que  l'auteur  n'avait  pas  des  idées  bien 
arrêtées,  sur  le  pouvoir  des  papes  au  moyen  âge.  Nous  croyons  aussi  pouvoir 
attribuer  ses  variations,  en  cette  matière,  à  la  crainte  excessive  qu'il  avait  de 
s'exposer,  par  ses  opinions  modérées,  aux  contradictions  de  certains  esprits 


346        DEUXIEME  PARTIE.  —  POUVOIR  DU  PAPE 

18.  Depuis  la  publication  de  l'ouvrage  que  nous  venons  de  citer, 

écrivai'nTpro-  plusieurs  écrivains  catholiques  ont  pleinement  adopté  le  senti- 
favoràbîes  à  ment  et  les  explications  si  modérées  de  Michaud ,  et  ils  en  ont 
ce  sentiment,  faft  ]a  Dase  je  ieurs  jugements  sur  la  conduite  des  papes  et  des 

Témoignage  j     <-<  j.     m. 

de  voigt.  conciles  envers  les  souverains,  au  moyen  âge  (1).  Mais  rienn'est 
plus  remarquable,  sur  ce  point,  que  le  langage  de  deux  écri- 
vains protestants,  qu'une  étude  profonde  et  impartiale  des  mo- 
numents relatifs  à  l'histoire  de  Grégoire  VII  et  d'Innocent  III, 
ont  conduits  à  juger  ces  deux  illustres  pontifes  avec  une  mo- 
dération que  bien  des  auteurs  catholiques  n'ont  pas  toujours 
observée,  en  cette  matière  :  «  Il  est  impossible,  dit  M.  Voigt,  dans 
«  Y  Histoire  de  Grégoire  VII ,  de  porter  sur  ce  pontife  un  ju- 
«  gement  qui  réunisse  tous  les  suffrages.  Sa  grande  idée ,  et  il 
«n'en  avait  qu'une  seule,  était  Y  indépendance  de  l'Église. 
«  C'est  autour  de  ce  point  que  venaient  se  grouper,  comme 
«  autant  de  rayons  lumineux,  toutes  ses  pensées,  tous  ses  écrits 
«  et  toutes  ses  actions.  C'est  dans  cette  idée  qu'il  puisait  son  ac- 
«  tivité  prodigieuse  :  cette  idée  est  comme  l'abrégé  de  sa  vie,  et 
«  l'âme  de  toutes  ses  opérations.  Le  pouvoir  politique  tend  na- 
«  turellement  à  être  un  ;  ainsi  Grégoire  voulut  procurer  à  l'Église 
«  une  parfaite  unité,  en  l'élevant  au-dessus  de  tout  autre  pou- 
«  voir. . .  Arriver  à  ce  point ,  le  consolider,  le  faire  dominer  dans 


exagérés.  Telle  est  du  moins  la  raison  qu'il  nous  a  donnée  lui-même,  de  la 
suppression  de  la  seconde  partie  du  Mémoire  sur  la  lutte  des  deux  Puis- 
sances  au  moyen  âge,  placé  à  la  tête  des  Éclaircissements  du  tom.  iv  de 
son  Histoire  (pag.  461  ).  L'auteur ,  en  terminant  ce  Mémoire,  en  annonçait 
un  second  (pag.  517),  qui  devait  être  inséré  dans  le  volume  suivant,  et  qu'il 
renvoya  depuis  au  tom.  vi ,  où  on  ne  le  trouve  point.  (Voyez  le  tom.  v, 
pag.  537.) 

Dans  la  même  conversation,  où  Michaud  nous  fit  l'aveu  dont  nous  venons 
de  parier  (ce  qui  eut  lieu  peu  de  temps  après  la  publication  de  la  4e  édition  de 
son  Histoire),  il  entendit  avec  intérêt  l'exposition  que  nous  lui  fîmes  du 
sentiment  de  Fénelon;  sans  l'adopter  ouvertement,  il  jugea  que  cette  explica- 
tion méritait  un  sérieux  examen,  et  nous  engagea  fortement  à  continuer  nos 
recherches  sur  ce  point.  Il  parut  même  persuadé  que  l'autorité  des  papes,  au 
moyen  âge,  était  un  droit  provisoire  nécessité  par  les  circonstances,  c'est- 
à-dire,  par  l'état  d'anarchie  où  se  trouvait  lasociété  ;  il  compara  la  conduite  des 
papes  de  cette  époque,  à  celle  d'un  simple  particulier  qui,  dans  un  temps  de 
désordre  et  d'anarchie,  saisirait  d'une  main  ferme  les  rênes  du  gouvernement, 
pour  sauver  sa  patrie. 

(1)  Voyez,  en  particulier,  Lefranc,  Hist.  du  moyen  âge,  liv.  rv,  chap.  6, 
Si- 


SUR  LES  SOUVERAINS.  347 

«  tous  les  siècles  et  dans  tous  les  pays  ;  tel  était  le  but  constant 
«  des  efforts  de  Grégoire ,  et ,  selon  son  intime  conviction ,  le 
«  devoir  de  sa  charge. . .  En  supposant  qu'il  ait  eu ,  comme  Tan- 
ce cienne  Rome,  l'idée  de  dominer  sur  tous  les  peuples,  oserait- 
«  on  blâmer  les  moyens  qu'il  a  employés ,  surtout  quand  on 
«  considère  qu'ils  étaient  dans  V intérêt  des  peuples?...  Pour 
«  bien  juger  ses  actes,  il  faut  considérer  son  but  et  ses  inten- 
«  tions ,  il  faut  examiner  ce  qui  était  nécessaire  de  son  temps. 
«  Sans  doute  une  généreuse  indignation  s'empare  de  l'Allemand, 
«  quand  il  voit  son  empereur  (Henri  IV)  humilié  à  Canosse  ;  ou 
«  du  Français ,  quand  il  entend  les  sévères  leçons  données  à  son 
«roi  (Philippe  Ier)  (1).  Mais  l'historien,  qui  embrasse  les  évé- 
nements sous  un  point  de  vue  général,  s'élève  au-dessus  de 
«  l'horizon  étroit  de  l'Allemand  ou  du  Français,  et  trouve  fort 
«juste  ce  qui  a  été  fait,  quoique  les  autres  le  blâment...  Les 
«  ennemis  mêmes  de  Grégoire  sont  obligés  de  convenir  que 
«  Vidée  dominante  de  ce  pontife  9  l'indépendance  de  l'Église, 
«  était  indispensable  pour  le  bien  de  la  religion  et  pour  la 
a  réforme  delà  société;  et  que,  pour  cet  effet,  il  fallait  rompre 
«  tous  les  liens  qui  jusqu'alors  avaient  enchaîné  l'Église  à 
«  l'État,  au  grand  détriment  de  la  religion...  Il  est  difficile  de 
«  donner  au  génie  de  Grégoire  VII  des  éloges  exagérés  ;  car  il  a 
«  jeté  partout  les  fondements  d'une  gloire  solide;  et  chacun  doit 
«  vouloir  qu'on  rende  justice  à  qui  elle  est  due.  Qu'on  ne  jette 
«  donc  point  la  pierre  à  celui  qui  est  innocent;  qu'on  respecte 
«  et  qu'on  honore  un  homme  qui  a  travaillé  pour  son  siècle, 
«  selon  des  vues  si  grandes  et  si  généreuses  (2).  » 


(1)  Voyez  plus  bas,  chap.  2,  art.  1,  n.  97  et  108. 

(2)  Voigt,  Hist.  de  Grégoire  VII,  tom.  n;  Conclusion ,  pag.  605,  etc. 
Nous  appliquerons  ici,  en  passant,  à  l'ouvrage  de  M.  Voigt,  ce  que  nous  avons 
dit  ailleurs  de  Y  Histoire  d'Innocent  III  par  M.  Hurter.  (Ci-dessus,  lre  par- 
tie, pag.  323,  note  2.  )  Le  panégyrique  d'un  pontife  tel  que  Grégoire  VII, 
dans  la  bouche  d'un  écrivain  protestant,  est  sans  doute  un  rare  exemple  de 
franchise,  et  des  résultats  que  peuvent  avoir  des  études  consciencieuses,  pour 
dissiper,  dans  un  esprit  droit,  les  préjugés  les  plus  enracinés.  Toutefois,  il 
était  bien  difficile  que  M.  Voigt ,  attaché  comme  il  l'est  encore  aux  princi- 
pes fondamentaux  de  la  réforme ,  ne  laissât  échapper  bien  des  assertions 
contraires  à  la  doctrine  catholique.  Sous  ce  rapport,  son  ouvrage,  quelque 
utile  qu'il  soit  d'ailleurs  pour  dissiper  des  préventions  fâcheuses,  laisse  beau- 
coup à  désirer.  Pour  composer  un  pareil  ouvrage,  pour  bien  apprécier  les 
principes  et  la  conduite  de  Grégoire  VII,  la  science  ne  suffit  pas,  si  elle  n'est 


348  DEUXIÈME   PARTIE.  —  POUVOIR  DU  PAI>E 

i9.  On  retrouve  les  mêmes  idées,  pour  le  fond,  dans  Y  Histoire 

^admis?"1  d'Innocent  III,  par  M.  Hurter,  ouvrage  non  moins  remar- 
au  Hunrtér.par  quable  que  celui  de  M.  Voigt,  tant  sous  le  rapport  de  l'érudi- 
tion, que  sous  le  rapport  de  la  modération  et  de  l'impartialité 
dans  les  jugements.  D'après  les  recherches  les  plus  étendues  et 
les  plus  consciencieuses,  sur  le  caractère  et  les  principaux  actes 
d'Innocent  III,  M.  Hurter  professe  une  admiration  sincère 
pour  les  hautes  idées  que  ce  pontife  s'était  formées  des  pouvoirs 
attachés  à  son  caractère,  non-seulement  dans  l'ordre  spirituel, 
mais  encore  dans  l'ordre  temporel  ;  il  rend  hommage  à  la  pro- 
fondeur de  ses  vues,  aussi  bien  qu'à  la  droiture  de  ses  inten- 
tions; il  reconnaît  enfin  la  conformité  des  idées  d'Innocent  III 
avec  celles  de  son  siècle,  et  les  grands  avantages  que  la  société 
a  retirés  du  système  politique,  qui  attribuait  alors  au  Pape  un 
si  grand  pouvoir  sur  les  souverains  (1).  «  Un  pouvoir  basé  sur 
«la  morale  la  plus  pure,  dit  M.  Hurter,  sur  la  reconnaissance 
«  d'une  influence  divine  dans  les  affaires  humaines ,  ne  pouvait- 
«  il  pas  être  appelé  bienfaisant,  quand  il  empêchait  ou  conciliait 
«  les  différends  des  rois  et  des  couronnes?  Lorsque  Innocent 
«  prenait  le  titre  de  représentant  du  conciliateur  suprême  des 
«  hommes ,  ce  n'était  point  chez  lui  un  vain  mot  ;  car,  pendant 
«  toute  sa  vie,  il  s'efforça  d'être  à  la  hauteur  de  cette  mission. 
«  Si  une  paix  universelle  n'était  pas  un  rêve,  elle  ne  pourrait  se 
«  réaliser  qu'autant  qu'une  autorité  spirituelle  généralement  re- 
«  connue,  s'établissant  médiatrice  entre  les  rois  et  les  peuples, 
«  ferait  marcher  toutes  les  forces  de  la  chrétienté  contre  celui 
«  qui ,  abusant  de  sa  puissance ,  refuserait  de  se  soumettre  à  ses 
«jugements,  et  troublerait  la  tranquillité  générale  (2).  C'est 
«  ainsi  que  l'autorité  d'Innocent  rétablit  la  paix  entre  les  rois 

dirigée  par  une  croyance  pure,  et  par  une  adhésion  sincère  à  la  doctrine  ca- 
tholique. Voyez,  à  ce  sujet,  le  compte  rendu  de  l'ouvrage  de  M.  Voigt,  dans 
\âBibliogr.  Cathol.,  2e  année,  pag.  431,  etc. 

(1)  A  l'appui  de  ces  assertions,  remarquez,  en  particulier,  les  passages 
suivants  de  Y  Histoire  d'Innocent  III,  tom.  1,  pag.  220,  221,  430,  431  ; 
tom.  11,  pag.  445,  etc.;  731,  732,  786,  etc.;  798,  etc.;  801,  846,  etc. 

(2)  M.  Hurter  n'est  pas  le  premier,  ni  le  seul  auteur,  qui  ait  établi  sur  cette 
base  la  pensée  d'une  paix  universelle.  Il  indique,  à  l'appui  de  ce  sentiment, 
le  prieur  Gerhoho  de  Raitenpuch ,  cité  par  Schmid  ,  Hist.  d'Allemagne, 
tom.  iv.  Nous  verrons  ailleurs  que  cette  idée  avait  été  émise  longtemps  au- 
paravant par  Leibniz.  (Ci-après,  chap.  2,  art.  1,  n.  124.) 


SUR   LES   SOUVERAINS.  349 

«  de  Castille  et  de  Portugal ,  menacés  par  les  Maures 

«  S'agit-il  maintenant  déporter  un  jugement  sur  ce  pontife? 
«  Tous  les  historiens,  tant  anciens  que  modernes,  qui  ont  su 
«  apprécier  la  vie  d'un  homme  par  la  profondeur  de  ses  vues, 
«  par  la  difficulté  des  problèmes  sociaux  qu'il  a  résolus,  par  la 
«  hauteur  à  laquelle  il  s'est  élevé ,  en  se  faisant  comme  le  point 
«  central  vers  lequel  il  a  su  faire  converger  tous  les  rayons  de 
«  son  siècle;  tous  ceux-là  sont  d'accord  que,  pendant  plusieurs 
«  siècles  avant  et  après  Innocent ,  le  siège  de  saint  Pierre  n'a  eu 
«  aucun  pontife  qui  ait  jeté  un  plus  vif  éclat,  par  l'étendue  de 
«  ses  connaissances ,  par  la  pureté  de  ses  mœurs ,  et  par  les  ser- 
«  vices  éminents  qu'il  a  rendus  à  l'Église  :  de  sorte  qu'il  a  été 
«  appelé,  non-seulement  le  plus  puissant,  mais  encore  le  plus 
«  sage  de  tous  les  papes,  qui,  depuis  Grégoire  VU,  avaient 

«  illustré  le  trône  pontifical 

« Si  des  écrivains,  postérieurs  à  son  époque, 

«  ont  accueilli  les  calomnies  débitées  sur  ce  pape,  par  quelques 
«  contemporains  qui  avaient  été  froissés  dans  leurs  intérêts,  et 
«  blessés  dans  leur  rivalité,  il  faut  attribuer  cette  erreur  histo- 
«  rique ,  plutôt  à  des  passions  intéressées  qu'à  une  sérieuse  in- 
«  vestigation  des  actes,  et  surtout  des  intentions  d'Innocent, 
«  qu'il  avait  eu  soin  cependant  de  révéler  et  d'expliquer  lui- 
«  même  avec  la  plus  grande  loyauté.  D'autres  écrivains,  qui 
«  ont  su  s'affranchir  des  préjugés  de  leur  siècle,  et  qui  ont 
«  mieux  compris  ce  grand  pape ,  ainsi  que  sa  position  difficile , 
«  en  ont  porté  un  jugement  tout  à  fait  différent  ;  le  mensonge 
«  et  l'exagération  qui  ont  pour  source  la  haine  des  partis,  n'au- 
«  raient  jamais  dû  passer  pour  vérité  historique.  Pourra-t-on 
«  soutenir,  sans  blesser  l'histoire,  qu'Innocent  n'a  été  qu'un 
«  ambitieux?  Pour  résoudre  cette  question  historique,  nous 
«  n'avons  qu'une  seule  chose  à  faire  ;  c'est  d'examiner  sérieu- 
«  sèment  si  ce  pape ,  dans  l'exercice  de  sa  puissance ,  dans  sa 
«  manière  de  diriger  [les  affaires  du  monde,  dans  sa  persévé- 
«  rance  à  influer  sur  elles  en  sa  qualité  d'arbitre  suprême, 
«  n'a  eu  en  vue  que  l'éclat  qui  devait  en  rejaillir  sur  sa  per- 
ce sonne ,  ou  bien  plutôt  la  réalisation  grave  et  simple  de  la  haute 
«  idée  qu'il  avait  conçue  des  devoirs  du  souverain  pontificat; 
«  si  c'est  enfin  lui  qui  s'est  créé  sa  position.  Les  faits  que  nous 


20. 


350  DEUXIÈME  PARTIE.  —  POUVOIR  DU  PAPE 

«  avons  exposés ,  les  convictions  dont  Innocent  était  pénétré , 

«  et  qu'il  a  manifestées  dans  plusieurs  circonstances  décisives, 

«  sans  se  préoccuper,  ce  me  semble,  du  jugement  de  la  posté- 

«  rite,  répondent  suffisamment  de  son  désintéressement  (1).  » 

La  diversité  même  des  sentiments  que  nous  venons  d'exposer, 

PlaSectndette  montre  assez  l'importance  et  les  difficultés  du  sujet  que  nous 

fadfe»Mta!  avons  à  traiter,  dans  cette  seconde  partie.  Pour  y  procéder  avec 

réduite     ordre,  nous  la  diviserons  en  quatre  chapitres,  dont  le  dévelop- 

a  quatre  pro-  '  » 

positions,  pement  nous  donnera  lieu  d'éclaircir  toutes  les  difficultés  que 
présente  cette  matière.  Nous  ferons  connaître,  dans  le  premier, 
les  principales  circonstances  qui  ont  amené  ou  favorisé  l'établis- 
sement du  pouvoir  extraordinaire  que  les  papes  et  les  conciles 
ont  exercé  sur  les  souverains,  au  moyen  âge.  Nous  examine- 
rons, dans  le  second,  quelle  était  la  persuasion  générale  des 
princes  et  des  peuples  sur  la  réalité  de  ce  pouvoir.  Nous 
montrerons,  dans  le  troisième,  quels  étaient  les  véritables  fon- 
dements de  ce  pouvoir.  Enfin,  nous  verrons ,  dans  le  quatrième, 
quels  en  ont  été  les  résultats  pour  le  bien  de  la  société.  Le  déve- 
loppement de  ces  différents  points  mettra  dans  le  plus  grand 
jour  la  vérité  des  quatre  propositions  suivantes,  auxquelles  on 
peut  réduire  toute  la  discussion  présente ,  et  qui  renferment  la 
justification  complète  des  papes  et  des  conciles,  sur  le  sujet  de 
nos  Recherches.  1°  Le  pouvoir  des  papes  et  des  conciles  sur  les 
souverains,  au  moyen  âge,  quelque  extraordinaire  qu'il  nous  pa- 
raisse aujourd'hui,  fut  naturellement  amené,  et  en  quelque  sorte 

(1)  Hurter,  Histoire  d'Innocent  III,  tom.  n,  pag.  801,  846,  etc.  Nous  re- 
marquerons en  passant,  que  MM.Voigtet  Hurter  ne  sont  pas  les  seuls  écrivains 
protestants  de  nos  jours,  qui  se  soient  exprimés  avec  tant  de  modération,  sur 
le  caractère  et  la  conduite  de  Grégoire  VII  et  de  ses  successeurs.  On 
trouve  plusieurs  autres  témoignages  également  remarquables,  en  ce  genre, 
dans  le  n.  2  des  Annales  des  Sciences  rel.  publiées  à  Rome  par  l'abbé  de 
Luca  (oct.  1835).  Cet  article  a  été  reproduit  en  partie,  dans  Y  Ami  de  la  Re- 
ligion (tome  lxxxviii,  pag.  18,  55,  etc.;  tom.  xci,  pag.  257,  etc.),  et  traduit 
en  entier  dans  le  tom.  xvi  des  Démonstrations  évangéliques,  publiées  par 
l'abbé  Migne.  (  Paris  1843,  in-4°,  pag.  577,  etc.  )  Cet  article  a  pour  auteur 
M.  Wiseman,  alors  recteur  du  collège  anglais  à  Rome,  aujourd'hui  évê- 
que  in  partibus  de  Mellipotamos,  et  coadjuteur  du  district  du  Milieu, 
en  Angleterre.  Nous  indiquerons  encore ,  à  ce  sujet,  le  compte  rendu  de 
YHist.de  Grég.  VII  de  M.  Voigt,  dans  la  Biblioth.  univ.  de  Genève, 
n.  25  et  26.  (Janvier  et  février  1838.)  Ces  deux  articles  sont  de  M***,  mi- 
nistre protestant,  professeur  de  belles-lettres  à  l'Acad.  de  Genève,  et  biblio- 
thécaire de  cette  ville. 


SUR  LES  SOUVERAINS.  351 

nécessité ,  par  la  situation  et  les  besoins  de  la  société,  à  cette  épo- 
que; 2°  les  papes  et  les  conciles,  en  s'attribuant  et  en  exerçant 
ce  pouvoir,  ont  suivi  des  principes  alors  autorisés  par  la  persua- 
sion universelle  ;  3°  la  persuasion  universelle  qui  leur  attri- 
buait ce  pouvoir ,  n'était  point  fondée  sur  une  erreur  ou  une 
usurpation  de  leur  part,  mais  sur  le  droit  public  alors  en  vi- 
gueur ;  4°  enfin,  les  maximes  du  moyen  âge  qui  leur  attribuaient 
ce  pouvoir,  n'ont  pas  eu ,  à  beaucoup  près,  tous  les  inconvé- 
nients qu'on  a  quelquefois  supposés,  dans  ces  derniers  temps  ; 
et  les  inconvénients  mêmes  qu'elles  ont  pu  avoir,  ont  été 
bien  compensés  par  les  grands  avantages  que  la  société  a  retirés 
du  pouvoir  extraordinaire  dont  les  papes  et  les  conciles  ont 
été  si  longtemps  investis  (l).  Le  développement  de  ces  quatre 


(1)  Quelques  lecteurs  seront  peut-être  surpris,  au  premier  abord,  de  l'or- 
dre que  nous  suivons  dans  cette  seconde  partie,  et  regretteront  de  ne  pas 
voir  les  faits  qui  s'y  rattachent,  exposés  selonjl'ordre  chronologique,  comme 
dans  la  première  partie.  Cette  observation  nous  ayant  été  faite  par  quelques 
personnes  auxquelles  nous  avons  soumis  notre  travail,  nous  avons  plusieurs 
fois  essayé  de  modifier  notre  plan  d'après  cette  idée  ;  mais  l'exécution  nous  a 
paru  difficile,  et  peut-être  impossible.  Dans  la  première  partie,  l'ordre  chrono- 
logique était  facile  à  observer,  parce  que  nous  n'avions  au  fond  qu'une  seule 
question  à  examiner  ;  savoir,  l'origine  et  les  progrès  de  la  souveraineté  tempo- 
relle du  saint-siége,,  Danslaseconde,  nous  avons  à  examiner  plusieurs  questions 
très-différentes,  et  par  rapport  à  plusieurs  États.  Il  s'agit  d'examiner,  1°  Les 
circonstances  qui  ont  préparé  les  voies  au  pouvoir  temporel  du  Pape  sur 
les  souverains,  circonstances  qui,  par  leur  nombre  et  leur  variété,  demandent 
à  être  exposées  séparément  ;  2°  L'exercice  de  ce  pouvoir  en  divers  États,  et 
dans  des  circonstances  très-différentes;  tantôt  à  l'égard  des  princes  feuda- 
taires  du  saint-siége  ;  tantôt  à  l'égard  de  l'empereur,  qui,  sans  être  proprement 
feudataire  du  saint-siége,  était  dans  une  dépendance  particulière  à  l'égard  du 
Pape;  tantôt  à  l'égard  des  autres  souverains;  3°  Les  fondements  de  ce  pou- 
voir, soit  à  l'égard  de  l'empereur,  soit  à  l'égard  des  autres  souverains  ;  fonde- 
ments qui  ne  peuvent  être  exposés,  sans  un  examen  attentif  de  la  constitu- 
tion des  divers  États,  et  de  l'hypothèse  qui  explique  la  conduite  du  Pape 
envers  les  souverains,  par  l'opinion  théologique  du  pouvoir  indirect.  L'exa- 
men de  tant  de  questions  différentes  n'est  guère  conciliable  avec  l'ordre 
chronologique  ;  du  moins  nous  avons  inutilement  cherché  le  moyen  de  faire 
cette  conciliation.  Tl  nous  semble  d'ailleurs  que  l'ordre  chronologique  est 
ici  compensé  très-avantageusement  par  l'ordre  logique  des  quatre  proposi- 
tions auxquelles  nous  réduisons  cette  seconde  partie,  ordre  qui  a  l'avantage  in- 
contestable de  procéder  du  plus  clair  au  moins  clair,  en  exposant  d'abord  les 
faits  les  plus  faciles  à  établir  et  les  plus  généralement  reconnus ,  pour  en  dé- 
duire, par  voie  de  conséquence,  le  droit  public,  qui  est  l'objet  principal  de 
nos  Recherches.  De  plus,  la  première  et  la  seconde  propositions  préparent  si 
naturellement  les  voies  à  la  troisième ,  que  les  deux  premières  étant  une  fois 
établies,  le  lecteur  est  naturellement  disposé  à  embrasser  le  sentiment  que 


352  DEUXIÈME   PARTIE.  —  POUVOIR  DU  PAPE 

propositions  offrira  une  nouvelle  exposition  du  sentiment  de 
Fénelon,  dont  nous  avons  déjà  présenté  l'analyse ,  et  que  nous 
croyons  préférable  à  tous  les  autres,  sur  le  sujet  qui  nous  occupe. 


CHAPITRE  PREMIER. 

Des  principales  circonstances  qui  ont  amené  ou  favorisé  le 
pouvoir  extraordinaire  des  papes  et  des  conciles  sur  les 
souverains,  au  moyen  âge. 

2t.  «  Pour  juger  nos  ancêtres  avec  impartialité,  selon  la  remar- 

ju^r'a'^im- «  que  d'un  historien  judicieux,  nous  ne  devons  pas  mesurer 

partialité    ((  j        actions  à  nos  mœurs  et  à  nos  idées  actuelles  :  il  faut  nous 

nos  ancêtres  ' 


ei  leurs  inien-  «  reporter  au  siècle  où  ils  vivaient,  et  réfléchir  sur  leurs  insti- 

tions.  x 

«  tutions  politiques,  leurs  principes  de  législation  et  leur  gou- 
«  vernement  (1).  »  On  peut  assurer  avec  confiance,  que  l'oubli 
de  ce  principe  est  une  des  causes  les  plus  ordinaires  des  faux 
jugements  qu'on  rencontre  dans  une  foule  d'auteurs  modernes, 
sur  les  principaux  événements  et  sur  les  plus  célèbres  person- 
nages de  l'histoire,  soit  ancienne,  soit  moderne.  De  là,  en  par- 
ticulier, les  jugements  divers  qu'on  a  portés,  dans  ces  derniers 
temps,  sur  la  conduite  des  papes  et  des  conciles  envers  les  sou- 
verains, au  moyen  âge.  On  eût  évité,  sur  ce  point  comme  sur 
bien  d'autres,  une  multitude  d'erreurs  et  de  déclamations 
odieuses,  si  l'on  eût  mieux  connu  les  institutions  politiques 
du  moyen  âge,  et  l'état  de  la  société  à  cette  époque. 

Il  suffit,  pour  s'en  convaincre,  d'examiner  de  près  l'origine 

Le  "ûvoir  du  pouvoir  extraordinaire  que  les  papes  et  les  conciles  exer- 

des  „     çaient  alors  sur  les  souverains ,  c'est-à-dire ,  les  circonstances 

papes  et  des    z  '  -  ' 

condies,    qui  ont  insensiblement  amené  ce  pouvoir,  qui  en  ont  favorisé 

sur  les  souve-  ,,,...  .  .  .,       ,      ,      . 

rains      1  établissement ,  et  qui  ont  contribue  a  le  maintenir,  pen- 

au  moyen  âge, 
examiné 

nous  adoptons  dans  la  troisième.  Le  développement  de  notre  plan,  et  surtout 
du  chapitre  troisième  de  cette  seconde  partie,  mettra  dans  tout  leur  jour 
l'importance  et  la  justesse  de  ces  observations. 
(1)  Lingard,  Histoire  d'Anglet.,  tom.  ni,  pag.  48. 


SDR  LES   SOUVERAINS.  —  CHAPITRE  I.  353 

dant  plusieurs  siècles.  Le  résultat  de  cet  examen  sera  de  con-  d'apis  cette 
vaincre  tout  lecteur  impartial,  que  ce  pouvoir,  si  contraire  rts'6' 
aux  préjuges  et  aux  mœurs  de  notre  siècle ,  fut  naturellement 
amené ,  et  maintenu  pendant  la  plus  grande  partie  du  moyen 
âge,  par  la  situation  et  les  besoins  de  la  société,  et  par  la  consti- 
tution même  des  principaux  États  de  l'Europe  catholique.  Dans 
un  temps  où  toutes  les  monarchies  étaient  électives,  et  où  le 
clergé  y  occupait  le  premier  rang,  il  devait  nécessairement 
arriver  avec  le  temps ,  que  la  principale  condition  mise  à  l'élec- 
tion du  souverain,  fût  de  professer  la  religion  catholique,  et 
de  la  protéger  contre  tous  ses  ennemis.  Cette  condition  une  fois 
établie ,  le  souverain  ne  pouvait  la  violer,  sans  encourir  la  perte 
de  ses  droits  ;  il  devenait  naturellement  justiciable  du  Pape  et 
du  concile ,  seuls  juges  compétents  de  ces  sortes  de  délits;  il 
était  même  de  son  intérêt  que  ce  jugement  fût  réservé  au  tribu- 
nal de  l'Église ,  beaucoup  plus  éclairé  et  plus  désintéressé  que 
celui  des  seigneurs  laïques.  Quelque  singulier  que  nous  paraisse 
aujourd'hui  cet  ordre  de  choses ,  l'intérêt  général  de  la  société 
le  réclamait  hautement ,  dans  un  temps  où  le  clergé  se  trouvait 
naturellement  placé  à  la  tête  de  la  société,  par  le  triple  ascendant 
de  son  caractère ,  de  ses  lumières  et  de  ses  vertus.  Enfin ,  cet 
ordre  de  choses  dut  s'établir  d'autant  plus  facilement ,  qu'il 
était,  au  fond,  le  résultat  et  l'application  naturelle  de  la  juris- 
prudence alors  en  vigueur  dans  tous  les  États  catholiques  de 
l'Europe ,  sur  les  effets  temporels  de  l'hérésie ,  de  la  pénitence 
publique,  et  de  l'excommunication. 

Ce  concours  de  circonstances,  qui  explique  d'une  manière 
si  naturelle  l'origine  du  pouvoir  des  papes  et  des  conciles, 
par  rapport  aux  souverains  catholiques  de  l'Europe  en  général, 
l'explique  à  plus  forte  raison  par  rapport  à  ceux  qui  s'étaient 
librement  déclarés  feudataires  du  saint-siège ,  et  par  rapport 
aux  empereurs  d'Occident,  qui,  dès  l'origine  du  nouvel  empire, 
avaient  été,  à  l'égard  des  papes,  dans  une  dépendance  par- 
ticulière. 

Telles  sont  les  principales  circonstances  dont  la  réunion 
explique  naturellement  l'origine  du  pouvoir  dont  il  s'agit.  Pour 
les  mettre  dans  tout  leur  jour,  nous  allons  entrer,  sur  chacune 
d'elles,  dans  un  plus  grand  développement. 

23 


Uves. 


354  DEUXIÈME  PARTIE.  —  POUVOIR  DU  PAPE 

ARTICLE  PREMIER. 

Nature  des  gouvernements  du  moyen  âge. 

*3-  Pour  peu  qu'on  examine  de  près  la  nature  du  gouverne- 

La  plupart  r  x  j.  o 

des       nient  de  l'Europe  au  moyen  âge,  surtout  pendant  les  premiers 
mak>TéiêcS-'  siècles  de  cette  période,  on  ne  sera  pas  surpris  de  la  grande 
influence  que  le  clergé  obtint  pendant  longtemps  dans  les 
affaires  publiques,  particulièrement  dans  l'élection  et  la  dépo- 
sition des  souverains. 

l°  La  plupart  des  monarchies  établies  en  Europe,  sur  les 
débris  de  l'empire  romain,  depuis  le  ive  siècle,,  étaient  élec- 
tives, du  moins  en  ce  sens  que  le  souverain  pouvait  être 
choisi  indifféremment,  entre  tous  les  princes  de  la  famille 
régnante.  La  couronne  n'était  donc,  à  proprement  parler, 
ni  purement  élective ,  ni  purement  héréditaire ,  mais  hérédi- 
taire et  élective  tout  ensemble  :  héréditaire ,  en  ce  sens  que 
le  souverain  devait  être  choisi  parmi  les  princes  delà  maison  ré- 
gnante ;  élective,  en  ce  sens  que  le  choix  de  la  nation  pouvait 
tomber  indifféremment  sur  tous  les  princes  du  sang  royal.  Tous 
les  enfants  du  roi  défunt  avaient  un  droit  égal  à  succéder  au 
trône,  qu'ils  partageaient  quelquefois  entre  eux,  comme  une 
succession  particulière,  avec  l'agrément  exprès  ou  tacite  des 
seigneurs  de  l'État  ;  mais  ce  droit  était  subordonné  à  l'appro- 
bation de  ces  derniers ,  qui  pouvaient  s'opposer  au  partage  du 
royaume ,  et  choisir  le  nouveau  roi  parmi  tous  les  parents  du 
défunt,  à  l'exclusion  même  de  ses  enfants.  La  naissance  donnait 
bien  à  ceux-ci  une  espérance,  et,  pour  ainsi  dire,  un  com- 
mencement de  droit ,  mais  non  un  droit  complet  et  incontes- 
table ;  on  pouvait  bien  les  regarder  comme  successeurs  natu- 
rels et  probables  du  roi  défunt,  mais  non  comme  successeurs 
nécessaires ,  puisqu'ils  pouvaient  être  exclus  par  les  seigneurs 
auxquels  appartenait  l'élection.  Tel  était  l'ordre  de  la  succession 
au  trône,  dans  la  monarchie  des  Visigoths  en  Espagne  (l)  ;  dans 

(1)  Hallam,  L'Europe  au  wioyenâge,  tom.  i,  pag.  384,  411,  et  alibi  pas- 
sim. _  Ferreras,  Hist.  d'Espagne,  tom.  n,  p.  414.  —  Perez  Valiente,  Ap- 
paratus  Juris  publia  Hispanici;  Matriti,  1751, 2  vol.  in-4°;  tom.  h,  cap.  6, 
7  et  21. 


SUR  LES   SOUVERAINS.  — CHAPITRE  I.  355 

celle  des  Anglo-Saxons  de  la  Grande-Bretagne  (i)j  dans  celle 
des  Français,  sous  la  seconde  race  de  nos  rois,  selon  le  senti- 
ment commun  des  historiens  (2),  et  même  sous  la  première, 
selon  le  sentiment  de  plusieurs  savants  auteurs  (3).  Telle  était 
surtout  la  nature  du  nouvel  empire  d'Occident,  où  cette  forme 
de  gouvernement  s'est  conservée  beaucoup  plus  longtemps  que 
dans  les  autres  États  de  l'Europe  (4). 
Nous  croyons  inutile  d'insister  sur  ce  premier  point,  gêné-       24. 

!  .  1  ,  n  '         L  l      '.  >  Sentiment    de 

ralement  reconnu  par  les  auteurs  modernes  qui  ont  traite,  avec  m.  Guizot 
plus  de  soin ,  l'histoire  des  différents  États  dont  nous  venons  sur  ce  point* 
de  parler.  Il  suffira  de  citer,  à  l'appui  de  notre  exposé,  le 
sentiment  de  M.  Guizot,  dans  ses  Essais  sur  l'histoire  de 
France y  où  il  résume,  en  peu  de  mots,  les  recherches  des 
plus  célèbres  auteurs  modernes  sur  ce  point.  Il  regarde  comme 
un  fait  incontestable  «  le  mélange  d'élection  et  d'hérédité  qui 
«  se  rencontre,  quant  à  la  royauté,  dans  le  premier  âge  des 
«  monarchies  modernes.  De  là,  dit-il,  ce  fait  presque  univer- 
«  sel,  que  l'élection  n'avait  guère  lieu  qu'entre  les  membres 
«  d'une  seule  famille,  investie  du  privilège  de  donner  au  peuple 
«  ses  rois  (5).  » 

Non  content  de  donner  ce  principe  comme  un  point  de 
droit,  commun  à  toutes  les  nations  germaniques,  M.  Guizot 
l'établit  spécialement  par  rapport  au  royaume  des  Francs. 


(1)  Hallam,  ubi  suprà,  tom.  11,  pag.  70, 113,  et  alibi  passim.  —  Lingard, 
Hist.  d'Angleterre,  tom.  1,  pag.  99,  225,  521,  542,  etc.  —  Alban  Butler, 
Vies  des  Pères;  note  sur  la  Vie  de  saint  Edouard  le  Confesseur  ;  13  oc- 
tobre, tom.  ix,  pag.  473,  etc. 

(2)  Daniel,  Hist.  de  France,  tom.  1  ;  Préface  historique,  art.  3. 

(3)  Vertot,  Dissertation  sur  la  succession  à  la  couronne  de  France;  dans 
les  Mémoires  de  l'Académie  des  inscriptions,  tom.  vi  de  l'édition  in-12,  et 
tom.  iv  de  l'édition  m-\°.  L'opinion  de  cet  auteur  est  suivie  par  Velly,  Mon- 
tesquieu, Hallam,  de  Saint-Victor,  Gaillard,  de  Chateaubriand,  Mœller,  Gui- 
zot. Remarquez,  en  particulier,  l'ouvrage  de  ce  dernier  auteur,  Essais  sur 
l'Hist.  de  France,  4e  Essai,  chap.  3,  pag.  218.  Voyez  aussi  quelques  éclair- 
cissements, sur  ce  point,  au  n.  7  des  Pièces  justificatives,  à  la  fin  de  ce 
volume. 

(4)  Lenglet-Dufresnoy,  Méthode  pour  étudier  l'Histoire,  4e  partie, 
chap.  5,  art.  1.  (Tom.  vi  de  l'édition  in-12.)  —  Pfeffel,  Abrégé  de  l'Histoire 
d'Allemagne,  passim.  Voyez,  dans  les  tables  de  cet  ouvrage,  les  articles 
Élection ,  Électeurs ,  etc.  —  Hallam ,  L'Europe  au  moyen  âge ,  tom.  iv, 
p.  11,  19,  33,  etc. 

(5)  Guizot,  Essais  sur  l'Histoire  de  France,  4e  Essai,  chap.  3,  p.  219. 

23, 


356  DEUXIÈME  PARTIE.  —  POUVOIR  DU  PAPE 

«  Autant  qu'on  peut  en  juger,  dit-il,  en  l'absence  de  monu- 
«  ments  anciens  et  originaux,  le  principe  de  V élection  domi- 
«  naît  chez  les  premiers  Francs Cependant  les  plus  an- 
ciens textes  qui  parlent  de  l'élection  des  rois  francs,  disent 
«  en  même  temps  qu'elle  plaça  sur  le  trône  une  famille  déjà 
«  distinguée  par  le  privilège  de  porter  seule  une  longue  cheve- 
«  hire,  ce  qui  valut  dès  lors  à  ces  rois  le  surnom  de  cheve- 

«lus(i) Après  l'établissement  territorial,  et  lorsque  Clo- 

«  vis  eut  rallié  sous  sa  domination  presque  toutes  les  tribus 
«  franques,  l'hérédité  du  trône  ne  tarda  pas  à  prévaloir.  C'était 
«  le  résultat  nécessaire  de  la  prépondérance  que  possédait  en  fait 
«  la  .famille  royale,  et  aussi  de  l'indépendance  où  vivaient,  à 
«  l'égard  du  roi ,  la  plupart  des  chefs  importants.  Les  uns  ne 
«  pouvaient  contester  sa  supériorité ,  les  autres  s'en  inquiétaient 
«  peu.  Il  est  ridfcule  de  rechercher,  clans  un  tel  état  de  mœurs, 
«  un  principe  clairement  reconnu  et  fermement  établi  ;  il  est 
«  inutile  d'y  vouloir  trouver  des  institutions  publiques  savam- 
«  ment  combinées  et  constamment  détendues.  Les  Francs  ne 
«  songeaient  pas  plus  à  disposer  solennellement  du  trône  à  cha- 
«  que  vacance ,  qu'ils  n'auraient  souffert  que  leurs  rois  se  pré- 
«  tendissent  propriétaires  de  la  nation  et  du  pouvoir.  Les  choses 
«  se  passaient  d'une  façon  à  la  fois  moins  régulière  et  plus  sim- 
«  pie.  La  royauté  n'était  ni  élective,  ni  affranchie  des  chances 
«  du  désordre  et  des  conditions  de  la  liberté.  A  la  mort  du  roi, 
«  ses  fils  héritaient  de  son  titre  comme  de  ses  domaines;  c'était 
«  la  pensée  commune ,  qu'ils  avaient  droit  à  l'un  comme  aux 
«  autres  ;  seulement,  pour  que  le  pouvoir  suivît  le  titre,  ils  se 
«  sentaient  d'ordinaire  dans  la  nécessité  de  faire  reconnaître  leur 
«droit  dans  quelque  assemblée,  plus  ou  moins  nombreuse, 
«  des  chefs  et  du  peuple  qu'ils  devaient  commander.  Ainsi,  le 
«  principe  de  l'hérédité  subsistait,  mais  sous  l'obligation  de  se 
«  faire  souvent  avouer  ;  les  Francs  ne  se  donnaient  point  un  roi 
«  nouveau,  mais  ils  acceptaient  assez  communément  le  succes- 
«  seur  naturel  du  roi  mort.  Ni  l'idée  de  la  légitimité  ni  celle 
«  de  l'élection  n'avaient  plus  de  consistance  et  de  portée.  Le 
«  trône  appartenait  héréditairement  à  une  famille  ;  mais  les 

(1)  Guizot,  Essais  sur  VHist.  de  France;  4e  Essai,  chap.  3,  p.  220. 


SUR  LES   SOUVERAINS. — CHAPITRE   I.  357 

«  Francs  s'appartenaient  à  eux-mêmes;  et,  sauf  les  cas  où  in- 
«  ter  venait  la  violence,  ces  deux  droits  se  rendaient  réciproque» 
«  ment  hommage,  en  se  proclamant  l'un  l'autre  quand  le  besoin 

«  s'en  faisait  sentir  (l  ) C'est  là  le  double  fait  qu'il  est  impos- 

«  sible  de  méconnaître  dans  les  historiens  du  temps  qui  ont  été 
«  allégués,  pour  prouver,  tantôt  l'hérédité,  tan  tôt  l'élection  popu- 

«  laire  des  rois  francs  (2) L'atteinte  que  l'élection  de  Pépin 

«avait  portée  au  principe  de  l'hérédité (3),  n'empêcha  point 
«  qu'il  ne  prévalût  de  nouveau  et  sans  contestation ,  au  profit 
«  des  Carlo  vin  giens.  Pépin  avait  fait  jurer  aux  Francs  qu'ils 
«  n'éliraient  jamais  de  rois  issus  du  sang  d'un  autre  homme. 
«  11  exigea  ce  serment ,  bien  plutôt  pour  mettre  ses  descendants 
«  à  l'abri  des  prétentions  de  la  famille  détrônée,  que  pour  res- 
«  treindre  l'exercice  d'un  droit  public,  auquel  personne  ne  son- 
«  geait.  L'élection  des  rois  ne  fut  pas  plus  réelle  sous  la  seconde 
«  race  que  sous  la  première.  Les  textes  où  il  en  est  question , 
«  indiquent  seulement,  comme  sous  les  Mérovingiens,  la  recon- 
«  naissance  des  droits  héréditaires,  une  sorte  d'acceptation  na- 
«  tionale  du  successeur  légitime.  Cette  acceptation  avait  lieu , 
«  tantôt  à  la  mort  du  roi ,  tantôt  de  son  vivant  et  sur  sa  propre 
«  demande  ;  c'était  le  travail  du  principe  de  l'hérédité,  s'établis- 
«  sant  dans  une  société  désordonnée  et  de  mœurs  violentes, 
«  non  une  élection  véritable.  Seulement,  comme  la  révolu- 
«  tion  qui  porta  les  Carlovingiens  au  trône  avait ,  par  sa 
«nature  même,  rendu  aux  institutions  et  aux  libertés  ger- 
«  maines  une  vigueur  nouvelle  et  momentanée,  l'adhésion  des 
«  peuples  au  droit  des  fils  du  prince  était  plus  régulièrement 
«  réclamée ,  plus  formellement  exprimée ,  et  portait  davan- 
«  tage,  du  moins  dans  les  termes,  l'apparence  d'un  choix  na- 
«  tional  (4).  » 
2°  Dans  toutes  les  nouvelles  monarchies,  l'autorité  du  souve-       *5  .  . 

'  Lautorite 


(1)  Guizot,  Essais  sur  l'Histoire  de  France,  te  Essai,  chap.  3,  p.  221. 

(2)  Ibid. ,  p.  222,  note  1. 

(3)  M.  Guizot  suppose  ici  que  Pépin  n'appartenait  point  à  la  famille  royale 
des  Mérovingiens.  Nous  avons  remarqué  ailleurs  que  cette  supposition  n'est 
pas  sans  difficulté.  Voyez  len.  7  des  Pièces  justificatives ,  à  la  fin  de  ce 
volume. 

(4)  Ibid. y  p.  223.  On  peut  voir ,  dans  l'ouvrage  de  M.  Guizot ,  les  princi- 
paux témoignages  des  anciens  auteurs  à  l'appui  de  son  sentiment. 


358  DEUXIÈME  PARTIE.  —  POUVOIR  DU  PAPE 

do  souverain  rain  était  modérée  par  l'assemblée  générale  delà  nation  (l). 
modérée     toutes  jes  grancies  affaires  étaient  réglées  dans  cette  assemblée, 

1«énérnaieée  dont  ^es  pouvoirs  étaient  fort  étendus ,  et  n'ont  peut-être  jamais 
nation  ^  déterminés  avec  précision ,  ce  qui  n'était  pas  une  des  moin- 
dres causes  des  troubles  et  des  désordres  qui  agitaient  si  souvent 
la  société  à  cette  époque.  «  Ici,  dit  encore  M.  Guizot,  on  cher- 
«  cherait  vainement  quelque  principe,  quelques  règles  des  pré- 
«  rogatives  et  des  limites,  je  ne  dis  pas  respectées,  mais  recon- 
«  nues.  Le  trône  passait,  sans  contestation,  du  père  au  fils; 
«  mais  la  puissance  réelle  et  actuelle  du  possesseur  était  matière 
«  de  fait ,  non  de  droit.  Ce  n'est  point  à  dire  qu'elle  fût  abso- 
«  lue  ;  j'entends  seulement  qu'elle  était  variable  et  déréglée: 
«  aujourd'hui  immense,  demain  nulle;  souveraine  ici ,  ignorée 
«  ailleurs,  presque  toujours  et  à  peu  près  partout  en  guerre  avec 
«  ceux  sur  qui  elle  devait  s'exercer  ;  forte  ou  faible ,  selon  que 
«  la  guerre  tournait  contre  elle  ou  en  sa  faveur  (2).  » 

Mais  quelque  difficile  et  même  impossible  qu'il  soit,  aujour- 
d'hui surtout,  de  fixer  les  limites  des  pouvoirs  attribués  à  cette 
assemblée  générale,  par  la  constitution  de  l'État,  il  est  du  moins 
certain  que,  d'après  la  nature  même  du  gouvernement  électif, 
elle  pouvait  mettre  des  conditions  à  l'élection  du  souverain, 
le  rendre  responsable  de  ses  actes  devant  elle,  et  même  le  dé- 
poser en  certains  cas,  pour  l'infraction  des  conditions  apposées 
à  son  élection  (3).  En  effet,  il  est  généralement  reconnu  que, 
dans  les  gouvernements  électifs,  l'autorité  du  souverain  peut 
être  ainsi  restreinte,  par  l'assemblée  générale  de  la  nation.  Voici 
comment  s'exprime,  à  ce  sujet,  un  auteur  judicieux,  parlant 
des  conditions  imposées  aux  rois  goths  en  Espagne,  au  vne siè- 
cle. «  Il  faut  raisonner  d'une  manière  bien  différente  par  rap- 
«  port  aux  roijaumes  électifs  et  par  rapport  aux  royaumes  hé- 
«  réditaires.  Dans  ceux-ci ,  on  n'a  pas  droit  d'imposer  d'autres 

(1)  Voyez  les  auteurs  cités  dans  les  notes  précédentes.  (Ci-dessus ,  p.  354 
et  355). 

(2)  Guizot,  nbi  suprà,  p.  226. 

(3)  Il  ne  sera  pas  inutile  de  remarquer,  que  la  monarchie  mixte,  telle 
que  nous  l'expliquons  ici,  ne  suppose  pas  nécessairement  le  principe  de  la 
souveraineté  du  peuple  ;  elle  suppose  seulement  une  loi  fondamentale  de 
l'État,  en  vertu  de  laquelle  le  pouvoir  du  monarque  est  plus  ou  moins  res- 
treint. (Pey,  De  V autorité  des  deux  Puissances,  t.  i,  2e  partie,  chap.  4.) 


SUR  LES   SOUVERAINS.  —  CHAPITRE   I.  359 

«  lois  aux  souverains ,  que  celles  qui  ont  été  portées  lorsque  la 
«  monarchie  s'est  formée.  Mais  quand  on  a  droit  d'élire  un  roi, 
«  on  est  en  droit  de  lui  proposer  les  conditions  auxquelles  on 
«  veut  l'élire ,  surtout  quand  elles  se  proposent  dans  l'assemblée 
«  générale  de  tous  les  ordres  du  royaume,  et  au  nom  de  tout  le 
«  peuple  (1).  »  Un  célèbre  publiciste  du  dernier  siècle  établit  les 
mêmes  principes,  à  l'occasion  de  la  Capitulation  impériale, 
signée  par  Charles-Quint,  à  l'époque  de  son  élection,  en  1519  (2). 
«L'empereur,  dit-il,  s'oblige  par  serment  à  l'observation  de 
«  tous  les  articles  de  ce  contrat.  Par  leur  inobservation ,  il  dé- 
«  lie  ses  sujets  du  serment  réciproque  :  il  perd  tous  les  droits 
«  qu'il  a  sur,  l'empire ,  puisque  V empire  ne  lui  a  été  confié, 
«  qu'à  condition  qu'il  observera  ces  articles.  Ils  ne  sont  pas 
«  toujours  les  mêmes;  ils  changent  selon  les  temps  et  les  be~ 
«  soins  :  on  y  ajoute  ou  on  y  retranche ,  ainsi  qu'on  le  juge 
«  nécessaire  pour  la  sûreté  de  l'empire;  en  cela  bien  différents 
«  des  serments  que  les  rois ,  même  successifs  et  héréditaires , 
«  ont  coutume  de  faire  lorsqu'ils  sont  sacrés  ou  couronnés. 
«  Les  articles  de  ces  serments,  une  fois  proposés  par  les  hom- 
«  mes ,  lorsqu'ils  se  sont  donnés  à  une  famille ,  demeurent 
«  toujours  les  mêmes,  et  ne  sont  plus  de  leur  connaissance  ; 
«  Dieu  seul  en  est  le  juge.  Ceux  des  princes  électifs ,  traités 
«  que  la  république  change ,  réforme ,  interprète ,  resserre  ou 
«  étend  selon  sa  volonté ,  sont  toujours  soumis  à  son  juge- 
«  ment.  Le  chef  qu'elle  a  choisi  est  toujours  responsable,  de- 
«  vant  elle,  de  leur  observation  ;  et  elle  a  toujours  le  droit,  ou 
«  de  l'obliger  à  les  observer,  ou  de  le  déclarer  déchu,  s'il  ne 
«  les  observe  pas  (3).  » 

(1)  Note  du  P.  Charenton,  jésuite,  sur  Y  Histoire  d'Espagne  de  Mariana; 
1. 1,  liv.  i,  n.  32. 

(2)  Nous  parlerons  ailleurs  plus  en  détail  de  cette  Capitulation.  (Ci-après, 
chap.  m,  art  2,  §  4,  n.  288.) 

(3)  Lettres,  Mémoires  et  Actes  concernant  la  guerre  présente  (la 
guerre  de  la  succession  d'Espagne)  ;  Basic,  1703  et  1704,  t.  ni,  p,  146.  Ces 
lettres  anonymes,  qui  forment  8  vol.  in-12,  ont  pour  auteur  Jean  de  la 
Chapelle,  secrétaire  des  commandements  du  prince  de  Conti,  et  mort  à  Pa- 
ris, en  1723.  A  l'appui  des  observations  de  cet  auteur,  sur  la  nature  du 
gouvernement  électif,  on  peut  consulter  Bossuet,  Défense  de  VHist.  des 
variations,  n.  5  et  13.  (Œuvres  de  Bossuet,  t.  xxi.)  —  Pey,  De  V Auto- 
rité des  deux  Puissances,  t.  i,  p.  271.  — Lenglet-Dufresnoy,  Méthode  pour 
étudier  VHistoiret  4e  partie,  chap.  5,  art.  1 .  (T.  vi  de  l'édition  in-12,  p.  333.) 


360  DEUXIÈME  PARTIE.  —  POUVOIR  DU  PAPE 

26.  3°  Dans  toutes  les  monarchies  du  moyen  âge ,  la  religion 

tr°deian,°n  était  regardée  comme  la  base  et  le  soutien  nécessaire  de  la  so- 
dTmTwiM-  c*été-  Ofl  était  généralement  persuadé  que  le  premier  devoir  du 
^metit ,      prince,  et  de  tous  ceux  qui  participent  à  son  autorité ,  est  de 
monarchies,  respecter  et  de  faire  respecter  la  religion  ;  en  sorte  que  le  souve- 
rain ou  le  magistrat  qui  transgressent  ce  devoir  essentiel ,  se 
montrent,  par  cela  seul,  indignes  de  leur  titre,  et  méritent 
d'en  être  dépouillés.  Ces  principes  sont  clairement  énoncés  dans 
la  législation  des  divers  États  dont  nous  parlons,  et  particuliè- 
rement dans  la  législation  française.  Voici  ce  qu'on  lit,  à  ce 
sujet,  dans  la  seconde  addition  aux  Capitulaires ,  d'après  plu- 
sieurs conciles  ou  assemblées  mixtes,  tenus  en  France  au  ixe 
siècle.  «  Le  roi  est  ainsi  nommé,  pour  exprimer  la  rectitude  de 
«  conduite  qui  doit  le  distinguer  ;  car  s'il  se  conduit  avec  piété, 
«  avec  justice  et  avec  bonté,  c'est  avec  raison  qu'il  porte  le 
«nom  de  roi;  s'il  manque  de  ces  qualités,  ce  n'est  plus  un 

«roi,  mais  un  tyran Le  principal  devoir  du  roi  est  de 

«  gouverner  et  de  conduire  le  peuple  de  Dieu  avec  justice,  et 
«  de  s'appliquer  à  le  maintenir  dans  la  paix  et  la  concorde.  Il 
«  doit ,  avant  toutes  choses ,  être  le  défenseur  des  Églises  et 
«  des  serviteurs  de  Dieu,  des  veuves,  des  orphelins,  des  pau- 
«  vres  et  de  tous  les  indigents  (1).  » 

Ces  principes  ne  sont  pas  moins  clairement  énoncés  dans  la 
législation  d'Espagne,  d'Angleterre  et  d'Allemagne,  à  cette  épo- 
que (2);  nous  verrons  môme  bientôt,  que,  pour  en  maintenir 
l'observation,  il  fut  établi  successivement,  dans  ces  divers  États, 


(1)  «  Rex ,  a  rectè  agendo  vocatur.  Si  enim  piè  et  juste  et  misericordi- 
«  ter  agit,  meritô  Rex  appellatur  ;  si  his  caruerit,  non  rex,  sed  tyrannus 

«  est Regale  namque  ministerium  specialiter  est  populum  Dei  guber- 

«  nare  et  regere  cum  œquitate  et  justitiâ,  et  ut  pacem  et  concordiam  habeant 
«  studere.  Ipse  enim  débet  primo  defensor  esse  Ecclesiarum  etservorum  Dei, 
«  viduanim,  orphanorum ,  ceteroriimque  pauperum,  necnon  et  omnium 
k  indigentium.  »  Capitular.  additio  2,  n.  24  et  25.  (Baluze,  Capitulât \ 
t.  i,  p.  1146 ,  etc.)  Ces  passages,  tirés  du  6e  Concile  de  Paris,  tenu  en  829 , 
et  du  2e  Concile  d'Aix-la-Chapelle,  tenu  en  836,  se  retrouvent  aussi, 
avec  quelques  modifications,  dans  un  Concile  de  Mayence ,  tenu  en  888  ; 
et  dans  Hincmar,  Opusc.  de  Divortio  Lotharii.  (Oper.  t.  j,  p.  693,  etc.) 

(2)  Lex  Visigothorum ,  lib.  xn ,  tit.  2,  n.  2.  (Canciani,  Barbarorum 
Loges,  t.  iv,  p.  185.)  —  Leges  Angliœ.  (lbid. ,  p.  311,  337,  etc.  )  —  Juris 
Alamannicï  seu  Suevici  prœfamen ,  n.  21-24.  (Senckenberg,  Corpus  Juris 
Germanici,  t.  n,  p.  6,  etc.  ) 


ces. 


SUR   LES    SOUVERAINS. — CHAPITRE  I.  361 

que  le  souverain  ne  serait  élu  que  sous  la  condition  expresse 
ou  tacite,  de  professer  la  religion  catholique,  et  de  la  défendre 
de  tout  son  pouvoir,  contre  les  attaques  de  l'hérésie  et  de 
l'impiété  (l). 
4°  L'étroite  union  des  deux  puissances  était  regardée ,  dans       *i> 

■  Union  des 

toutes  les  monarchies  du  moyen  âge ,  comme  une  conséquence  <ieux  puissan- 
naturelle  de  ces  principes,  et  comme  essentielle  au  bien  géné- 
ral de  la  société.  Il  serait  aisé  de  citer ,  à  l'appui  de  cette  asser- 
tion, une  foule  de  témoignages,  indépendamment  de  ceux  que 
nous  venons  de  rapporter.  Plusieurs  capitulaires  de  Charle- 
magne  renferment,  à  ce  sujet,  des  dispositions  remarquables. 
«  Nous  voulons ,  dit  un  de  ces  capitulaires ,  publié  en  805 , 
«dans  la  diète  de  Thionville,  que  tons  nos  sujets,  depuis 
«le  plus  petit  jusqu'au  plus  grand,  soient  soumis  aux  mi- 
«  nistres  sacrés,  comme  à  Dieu  même,  dont  ils  tiennent  la  place 
«  dans  l'Église;  car  nous  ne  pouvons  aucunement  compter  sur 
«  la  fidélité  de  ceux  qui  se  montrent  infidèles  à  Dieu  et  à  ses 
«  prêtres,  ni  être  assurés  de  trouver  obéissants  envers  nous  et 
«  nos  officiers,  ceux  qui  n'obéissent  pas  aux  ministres  sacrés, 

«  dans  les  causes  de  Dieu  et  les  intérêts  de  l'Église 

«  Nous  ordonnons,  en  conséquence,  que  tous  leur  obéissent, 
«  en  tout  ce  qui  regarde  l'exercice  de  leur  ministère ,  et  la  puni- 
«  tion  des  méchants.  Quant  à  ceux  qui  se  montreront,  à  cet 
«  égard,  négligents  ou  désobéissants,  fussent-ils  nos  propres 
«  enfants ,  qu'ils  sachent  qu'ils  ne  peuvent  conserver  aucun 
«  emploi  dans  notre  empire  ou  dans  notre  palais ,  ni  avoir  au- 
«  cun  commerce  avec  nous  ou  nos  sujets,  mais  qu'ils  doivent 

«  au  contraire  être  châtiés  sévèrement, publiquement 

«  notés  d'infamie,  dépouillés  de  leurs  propriétés,  et  envoyés  en 
«  exil  (2).  » 


(1)  Ci-après,  chap.  2,  art.  1  et  4;  chap.  3,  art.  2. 

(2)  «  Volumus  atque  prœcipimus,  ut  omnes  suis  sacerdotibus,  tam  majo- 
«  ris  ordinis  quàm  et  inferioris,  a  minimo  usque  ad  maximum,  ut  summo 
«  Deo,  cujus  vice,  in  Ecclesiâ,  legatione  funguntur,  obedientes  existant. 
«  Nam  nullo  pacto  agnoscere  possumus  qualiter  nobis  fidèles  existere  pos- 
«  sunt,  qui  Deo  infidèles,  et  suis  sacerdotibus  apparuerint  ;  aut  qualiter  no- 
«  bis  obedientes  nostrisque  mînistris  ac  legatis  obtempérantes  erunt ,  qui 

«  illis,  in  Dei  causis  et  Ecclesiarum  utilitatibus ,  non  obtempérant 

«  Jubemus  (ergo)  ut  omnes  eis,  pro  viribus,  ad  eorum  peragenda  ministe» 


362  DEUXIÈME   PARTIE.  — POUVOIR  DU   PAPE 

On  remarque  de  semblables  dispositions ,  dans  un  discours 
du  roi  d'Angleterre  Edgar,  à  saint  Dunstan ,  archevêque  de 
Cantorbéry ,  et  à  quelques  évêques  de  sa  province  (en  969), 
pour  les  exciter  à  la  réforme  des  abus  qui  défiguraient  alors  la 
face  de  l'Église  d'Angleterre.  «  Il  est  temps,  dit  le  roi,  de  s'éle- 
«  ver  contre  les  transgresseurs  de  la  loi  de  Dieu  ;  j'ai  en  main 
«  le  glaive  de  Constantin ,  et  vous  celui  de  Pierre  ;  donnons- 
«  nous  la  main ,  et  joignons  le  glaive  au  glaive,  pour  chasser 
«  les  lépreux  du  camp ,  et  purger  le  sanctuaire  du  Seigneur.... 

«Jamais  la  puissance  royale  ne  vous  manquera, pour 

«  chasser  de  l'Église  les  pécheurs  scandaleux ,  et  y  introduire 
«  les  justes(i). 

Le  discours  de  l'empereur  Henri  II  au  pape  Benoît  VIII,  dans 
un  concile  tenu  à  Pavie,  vers  l'an  1022 ,  n'est  pas  moins  remar- 
quable. Le  Pape  ayant  prié  l'empereur  de  vouloir  bien  confir- 
mer les  décrets  de  ce  concile,  Henri  lui  répondit  en  ces  termes  : 
«  Je  ne  puis  rien  vous  refuser,  très-saint  Père,  puisque  je  vous 

«  dois  tout  en  Jésus-Christ Tout  ce  que  votre  autorité  pa- 

«  ternelle  a  réglé  dans  le  concile,  pour  la  réforme  de  l'Église, 
«je  le  loue,  je  le  confirme  et  je  l'approuve  comme  votre  fils; 

« je  veux  que  tout  cela  soit  observé  à  jamais,  reçu  dans 

«  le  droit  public,  et  solennellement  inséré  parmi  les  lois  (2).  » 

aria,  et  ad  malos  et  peccatores  atque  négligentes  homines  distringendos , 
«  summopere  obedientes  existant.  Qui  autem  in  his,  quod  absit,  negli- 
«  gentes  eisque  inobedientes  fuerint  inventi ,  sciant  se  nec  in  nostro  im- 
«  perio  honores  retinere ,  licet  etiam  filii  nostri  fuerint,  nec  in  palatio  lo- 
«  cum,  neque  nobiscuni  aut  cum  nostris  societatem  aut  communionem  ul- 
«  lam  habere,  sed  magis  sub  magnâ  districtione  et  ariditate  pœnas  luere...; 
«  sed  etiam  infâmes  atque  reprobi  manifesté  apparentes  notabuntur,  eorum- 
«  que  domus  publicabunfur,  et  ipsi  exiliabuntur.  »  Capitulum  imperalo- 
ris,  apud  Theodonis  Villamfaimo  805).  (Baluze,  Capitular.  1. 1,  p.  437.) 
Capitular.  lib.  vu,n.  390.  (Ibid.,  p.  1109.) 

(1)  «  Tempus  est  insurgendi  contra  eos  qui  dissiparunt  legem  Dei.  Ego 
«  Constantini,  vos  Pétri  gladium  habetis  in  manibus;  jungamus  dexteras  : 
«  gladium  gladio  copulemus,  ut  ejiciantur  extra  castra  leprosi,  ut  purgetur 

«  sanctuarium  Domini Non  deerit  tibi  potestas  regia, ut  et  epi- 

«  scopali  censura,  et  regiâ  auctoritate,  turpiter  viventes  de  Ecclesiis  ejician- 
«  tur ,  et  ordinatè  viventes  introducantur.  »  Oratio  Edgari  Régis  ad  Dun- 
stanum.  (Labbe,  Concil.  t.  ix,  p.  697.) — Fleury,  Hist.  Ecclés.,  t.  xii, 
liv.  lvi,  n.  30. 

(2)  «  Nihil  tibi,  sanctissime  papa,  possum  negare,  cui  per  Deum  omnia 

«  debeo Omnia  quidem,  quœ  pro  Ecclesiae  necessariâ  reparatione , 

«  synodaliter  instituit  et  reformavit  Paternitas  tua,  ut  filius  laudo,  confîrmo, 


SUR  LES   SOUVERAINS.  —  CHAPITRE   I.  363 

Ces  principes,  qui  avaient  généralement  servi  de  base  à  la        ag. 
législation  des  empereurs  chrétiens,  depuis  la  conversion  de   ^"lo""10" 
Constantin,  furent  encore  plus  constamment  la  règle  des  gou-   pl°^^6 
vernements  du  moyen  âge ,  et  y  reçurent  une  application  beau-  '^^7/ 
coup  plus  fréquente.  En  vertu  de  ces  principes,  on  avait  vu  les    chrétiens. 
empereurs  chrétiens  protéger  ouvertement  l'exercice  public  de 
la  religion,  accorder  à  ses  ministres  de  nombreuses  préroga- 
tives, et  une  juridiction  très-étendue  dans  l'ordre  temporel, 
confirmer  par  leurs  édits  les  lois  divines  et  ecclésiastiques,  et 
décerner  des  peines  sévères  contre  les  attentats  de  l'hérésie  et 
de  l'impiété  (1).  Mais  les  prérogatives  du  clergé,  et  son  in- 
fluence dans  toutes  les  parties  du  gouvernement  civil,  furent 
portées  encore  plus  loin,  par  la  générosité  des  souverains,  dans 
les  nouvelles  monarchies  élevées,  depuis  le  ive  siècle,  sur  les 
ruines  de  l'empire  romain.  Le  clergé  y  fut  généralement  re- 
gardé comme  le  premier  corps  de  l'État,  et  appelé,  en  cette 
qualité,  non-seulement  au  conseil  des  rois,  mais  à  toutes  les 
assemblées  politiques,  même  aux  assemblées  générales  de  la 
nation,  où  se  faisait  l'élection  des  souverains,  et  où  se  trai- 
taient les  plus  grandes  affaires.  Cette  prééminence  du  clergé 
n'était  pas  particulière  à  quelques  États ,  comme  paraissent  le 
croire  quelques  auteurs  modernes,  qui  semblent  la  restreindre 
à  la  France  et  à  l'Espagne;  mais  elle  était  commune  à  toutes  les 
nouvelles  monarchies,  formées  en  Europe  depuis  le  ive  siècle. 
C'est  ce  qui  résulte  évidemment  d'une  foule  de  monuments  par- 
venus jusqu'à  nous,  et  particulièrement  d'un  grand  nombre  de 
conciles  ou  assemblées  mixtes,  tenus  depuis  cette  époque  dans 
tous  les  États  catholiques  de  l'Europe,  et  où  les  deux  puis- 
sances réunies  réglaient  de  concert  tout  ce  qui  pouvait  intéres- 
ser le  bien  de  la  religion  et  de  l'État  (2). 

«  et  approbo; et  in  aeternura  mansura,  et  inter  publica  jura  semper  reci- 

«  pienda,  et  humanis  legibus  solemniter  inscribenda , coram  Deo  et 

((  Ecclesiâ  ità  corrobora  m  us.  »  Henrici  Augusti  Responsio  ad  Bened.  VIII. 
(Labbe, ibid.,  p.  831.)  —  FJeury,  ibid.,  liv.  lvih,  n.  47.  Ce  témoignage, 
aussi  bien  que  le  précédent ,  a  paru  si  remarquable  à  Bossuet ,  qu'il  les  cite 
textuellement  dans  son  Discours  sur  l'Unité  de  l'Église  ,  à  la  fin  de  la 
première  partie. 

(1)  Voyez  les  détails  que  nous  avons  donnés  ,  snr  ce  sujet ,  dans  l'Intro- 
duction de  cet  ouvrage,  art.  2,  §  2. 

(2)  M.  Sismondi,  à  la  suite  de  quelques  écrivains  modernes,  regarde  comme 


29- 
Influence  du 
elei 


cette  union. 


364  DEUXIÈME  PARTIE.  —POUVOIR  DU  PAPE 

5°  Sous  un  tel  gouvernement,  il  était  inévitable  que  le  clergé 
prît  une  part  très-active  à  toutes  les  affaires  publiques,  et  qu'il 
dans  ies°affai.  y  exerçât  une  très-grande  influence,  par  l'ascendant  naturel  de 
publiques,    ses  lumières  et  de  ses  vertus,  joint  à  son  caractère  politique  et 
aideU,t     religieux.  On  doit  même  reconnaître,  avec  Fleury  et  les  meil- 
leurs historiens,  qu'en  se  rendant  aux  assemblées  politiques, 
où  se  traitaient  ces  sortes  d'affaires,  il  ne  faisait  que  satisfaire  à 
son  devoir,  et  qu'il  ne  pouvait  se  dispenser  d'y  prendre  part , 
étant  convoqué,  à  cet  effet,  avec  les  autres  seigneurs  (l). 
Des  esprits  légers  ou  prévenus  ont  pu  blâmer  cet  ordre  de 
choses;  mais  un  esprit  droit  et  impartial  ne  peut  manquer  d'en 
reconnaître  la  légitimité,  puisqu'il  était  fondé  sur  la  constitu- 
tion même  dé  l'État ,  et  que  le  clergé  n'y  exerçait  aucune  in- 
fluence que  de  concert  avec  les  autres  seigneurs ,  dans  les  as- 
semblées mixtes  dont  nous  venons  de  parler  (2).  Tel  était,  en 

une  innovation  de  Pépin,  l'appel  des  prélats  aux  assemblées  politiques,  qui 
augmenta  si  fort  l'influence  du  clergé,  sous  les  rois  carlovingiens.  (Sis- 
mondi,  Hist.  des  Français,  t.  n,  2e  partie  ,  chap.  1,  p.  175.  —  Hïst.  des 
Rép.  Ital.y  t.  ier,  chap.  3,  p.  139,  etc.)  C'est  une  erreur.  Pépin,  en  appelant 
les  prélats  aux  assemblées  politiques,  ne  fit  que  suivre  l'usage  déjà  établi 
depuis  longtemps  en  France ,  et  dans  tous  les  États  catholiques  de  l'Europe. 
Pour  ce  qui  regarde  la  France  en  particulier ,  ce  point  d'histoire  a  été  so- 
lidement traité  par  l'abbé  Bullet ,  dans  sa  Dissertation  sur  l'état  des  évê- 
ques  en  France ,  sous  la  première  race  de  nos  rois.  Cette  Dissertation 
fait  partie  du  recueil  intitulé  :  Dissertations  sur  la  Mythologie  française, 
et  sur  plusieurs  points  curieux  de  V Histoire  de  France ,  par  l'abbé  Bul- 
let. Paris,  1771,  in-12.  Le  P.  Berthier  a  traité  le  même  sujet  plus  briève- 
ment, mais  avec  beaucoup  de  solidité,  dans  le  3e  article  de  son  Discours 
sur  les  Assemblées  de  l'Église  Gallicane,  à  la  tête  du  t.  xvn  de  Y  Hist.  de 
l'Église  Gallicane.  Pour  ce  qui  regarde  les  autres  États,  voyez  Thomassin, 
Ancienne  et  nouvelle  Discipline,  t.  n,  liv.  m ,  chap.  44,  46  et  suiv.  — 
Fleury,  Hist.  Ecclés.,  t.  xm,  3e  Discours,  n.  9  et  10.  —  Mœurs  des  Chré- 
tiens, n.  58.  —  Lingard,  Hist.  d'Angleterre,  t.  i,  chap.  7. — Mariana  et 
Ferreras,  Hist.  d'Espagne,  vie  et  vue  siècle.  —  Perez  Valiente,  Appar.  Juris 
publ.  Hispan.y  t.  m,  passim.  —  Pfeffel,  Abrégé  de  l'Histoire  d'Allemagne 
(articles  Évêques,  Clergé,  etc.,  dans  les  Tables). 

(1)  Fleury,  ubi  suprà,  3e  Discours,  n.  9. 

(2)  Fleury ,  ibid.  Il  est  étonnant  que  l'auteur,  dans  ce  même  Discours  où 
il  reconnaît  expressément  la  nature  des  assemblées  mixtes  dont  nous  par- 
lons, et  l'obligation  qu'avaient  les  évêques  d'y  prendre  part,  aussi  bien  que 
les  seigneurs  laïques,  blâme  hautement  le  mélange  du  spirituel  et  du  tem- 
porel dans  ces  assemblées  ,  et  reproche  ouvertement  aux  évêques  de  s'y 
être  mêlés  de  régler  le  temporel  et  de  juger  les  rois.  (Ibid.,n.  9  et  10.) 
Les  évêques  étant  légitimement  convoqués  à  ces  assemblées,  avec  les  autres 
seigneurs ,  et  ne  pouvant  se  dispenser  d'y  prendre  part,  de  l'aveu  de 
Fleury,  est-il  étonnant  qu'ils  y  aient  réglé,  de  concert  avec  les  autres  sei- 


L'influence 


mêmes 
circonstances. 


SUR  LES  SOUVERAINS.  —  CHAPITRE  I.  365 

effet,  le  caractère  des  nombreux  conciles  tenus  à  Tolède  au 
vne  siècle,  et  particulièrement  du  quatrième,  tenu  en  633,  où 
il  fut  statué,  qu'après  la  mort  du  roi,  son  successeur  serait  élu 
dans  l'assemblée  des  évêques  et  des  seigneurs  (l).  Tel  était  le 
concile  tenu,  en  787,  à  Calcuth,  en  Angleterre,  et  dont  le 
douzième  canon  déclare,  que  les  rois,  pour  être  légitimes, 
doivent  être  choisis  par  les  évêques  et  les  seigneurs  (2).  Tels 
étaient  aussi  plusieurs  conciles  tenus  en  France,  sous  la  se- 
conde race  de  nos  rois,  et  où  les  évêques  disposèrent  quelque- 
fois de  la  couronne  avec  une  autorité  absolue  (3). 

Cette  grande  influence  du  clergé  dans  les  affaires  politiques       3o. 
des  divers  États  de  l'Europe,  devait  naturellement  augmenter,    L,"du 
du  moins  en  bien  des  occasions,  celle  que  le  souverain  pontife  ™tureii?deS 
y  exerçait  déjà,  soit  par  l'autorité  que  lui  donnait,  aux  yeux  des 
princes  et  des  peuples,  son  caractère  sacré,  soit  en  vertu  du  pou- 
voir temporel  dont  il  était  revêtu ,  depuis  que  l'Italie  avait  se- 
coué le  joug  de  l'empire  d'Orient.  Le  caractère  de  souverains 
que  les  papes  avaient  acquis  par  suite  de  cette  grande  révo- 

gneurs ,  tout  ce  qui  concernait  le  gouvernement  temporel  ;  et  même  qu'ils 
y  aient ,  en  certains  cas ,  jugé  les  rois ,  alors  responsables  de  leurs  actes  de- 
vant l'assemblée  générale  de  la  nation,  d'après  la  nature  du  gouvernement 
électif  ? 

On  doit  corriger,  d'après  ces  observations,  non-seulement  un  grand 
nombre  de  passages  des  Discours  et  de  X Histoire  Ecclésiastique  de  Fleury, 
mais  encore  une  foule  d'auteurs  modernes,  qui,  faute  d'avoir  assez  remarqué 
le  double  caractère,  ecclésiastique  et  politique,  de  plusieurs  conciles  du 
moyen  âge,  ont  blâmé  beaucoup  trop  légèrement  la  conduite  des  évêques 
dans  ces  conciles.  Le  P.  Longueval  lui-même,  le  P.  Daniel,  et  plusieurs  autres 
écrivains  d'ailleurs  très-estimables ,  ne  sont  pas  exempts  de  reproches ,  sur 
ce  point. 

(1)  «  Defuncto  in  pace  principe,  primates  totius  gentis,  cum  sacerdo- 
«  tibus  ,  successorem  regni ,  concilio  communi ,  constituant.  »  Concil. 
Tolct.  iv,  can.  75.  (Labbe,  Concil.  t.  v,  p.  1724.)  — Fleury,  Hist.  Ecclés., 
t.  vin,  liv.  xxxvii,  n.  50. 

(2)  «  in  ordinatione  regum ,  nullus  permittat  pravorum  prœvalere  as- 
«  sensum  ;  sed  légitimé  reges  a  sacerdotibus  et  senioribuspopuli  eligantur.  » 
Concilium  Calchutense,  can.  12.  (Labbe,  t.  vi,  p.  1867.)  —  Fleury,  ibid., 
t.  ix,  liv.  xliv,  n.  41. 

(3)  Nous  remarquerons  en  particulier  les  conciles  d'Aix-la-Chapelle  en 
842,  et  de  Savonnières  en  859,  dont  nous  parlerons  ailleurs  plus  en  détail 
(chap.  2,  art.  2,  n.  131);  celui  de  Mante  ou  Mantelle,  près  Vienne  en 
Dauphiné,  où  Boson  fut  élu  roi  de  Provence',  en  879;  celui  de  Forcheinï, 
où  Louis,  fils  d'Arnoul,  fut  élu  roi  de  Germanie,  en  900.  Voyez,  sur  ces  deux 
derniers  conciles,  Fleury,  Hist.  Ecclés. ,  t.  xi,  liv.  lui,  n.  10;  liv.  liv,  n. 
31.  —  Hist.  de  V Église  Gallicane,  t.  vi,  p.  334. 


366  DEUXIÈME  PARTIE.  —  POUVOIR  DU  PAPE 

lution ,  leurs  droits  particuliers  sur  le  nouvel  empire  d'Occi- 
dent (1),  les  intérêts  de  la  religion,  qu'ils  devaient  procurer  en 
tous  lieux ,  l'autorité  que  leur  donnait  le  titre  auguste  de  chefs 
de  l'Église ,  pour  veiller  au  maintien  de  la  loi  et  des  mœurs 
dans  tous  les  États  chrétiens,  pour  ménager  la  paix  entre 
les  princes,  pour  prévenir  et  corriger  les  désordres  pu- 
blics, les  autorisaient  naturellement,  souvent  même  les  obli- 
geaient, à  intervenir  dans  le  gouvernement  des  États,  et  à 
prendre  une  part  très-active  aux  plus  grandes  affaires,  non- 
seulement  parleurs  avis  et  leurs  exhortations,  mais  encore 
par  de  justes  réclamations  et  par  de  fortes  remontrances,  lors- 
qu'il s'agissait  de  maintenir  les  droits  que  leur  donnait,  aussi 
bien  qu'à  tous  les  autres  souverains,  leur  caractère  de  princes 
temporels. 

Un  des  plus  célèbres  orateurs  qui  aient  honoré  la  tribune  po- 
litique en  Angleterre,  à  la  fin  du  dernier  siècle,  a  parfaitement 
exprimé  cette  position  des  papes,  à  l'égard  des  autres  souverains. 
«  Comme  prince  temporel,  dit  Bnrke,  dans  un  de  ses  discours 
«  parlementaires,  le  Pape  est  l'égal  de  tous  les  autres  ;  mais  si  l'on 
«  ajoute  à  ce  titre  celui  de  chef  suprême  du  christianisme,  il  n'a 
«  plus  d'égal  (2).  »  Il  est  aisé  de  voir  que  cette  réflexion  deBurke, 
sur  la  situation  des  papes ,  môme  dans  ces  derniers  temps ,  s'ap- 
plique à  plus  forte  raison  à  leur  situation  pendant  les  siècles  du 
moyen  âge,  surtout  depuis  que  le  clergé  eut  été  appelé,  dans 
tous  les  États  chrétiens  de  l'Europe,  à  exercer  une  si  grande 
influence  dans  toutes  les  parties  du  gouvernement  temporel.  Il 
était  en  effet  bien  naturel  que  les  princes  et  les  peuples,  qui  ac- 
cordaient une  si  grande  confiance  au  clergé,  l'accordassent,  à 
plus  forte  raison ,  à  celui  qu'ils  vénéraient  comme  le  premier  de 
tous  les  évoques,  et  comme  le  centre  de  la  catholicité.  11  était 
même  impossible  que  le  clergé,  qui  avait  tant  de  part  aux  af- 
faires publiques  et  au  gouvernement  des  États ,  ne  fût ,  en  bien 
des  occasions,  l'organe  et  l'instrument  de  celui  qu'il  regardait 
comme  son  chef  et   son  oracle,  en  tout  ce  qui  concerne  le 


(1)  On  verra  plus  bas  l'origine  de  ces  droits  ;  ci-après,  chap.  3,  art.  2 , 
§2. 

(2)  Nous  empruntons  cette  citation  à  M.  De  Joux,  Lettres  sur  l'Italie , 
t.  i,  lettre  13e,  p.  176. 


SUR  LES  SOUVERAINS.  —  CHAPITRE  I.  367 

bien  de  la  religion,  si  étroitement  lié  avec  celui  de  l'État. 
Faute  d'avoir  bien  compris  cette  position  des  papes,  une        ». 

»,-,,,..  .  ,  Erreurs  de 

loule  d  écrivains  modernes  attribuent  à  leur  ambition,  à  des  plusieurs  écri- 
prétentions  excessives,  et  à  une  politique  toute  mondaine,  des  modernes, 
démarches  qui  s'expliquent  naturellement  par  les  circonstances  sur  ce  point' 
que  nous  venons  d'exposer.  C'est  par  ce  concours  de  circon- 
stances, qu'il  faut  expliquer  en  particulier  la  conduite  des  papes 
Grégoire  IV,  Nicolas  Ier  et  Adrien  II ,  si  ouvertement  blâmée 
par  un  grand  nombre  d'historiens,  d'ailleurs  estimables,  mais 
qui  ne  se  sont  pas  assez  pénétrés  des  motifs  qui  obligeaient  le 
souverain  pontile  à  intervenir  dans  les  démêlés  entre  les  princes 
français,  sous  les  règnes  de  Louis  le  Débonnaire  et  de  Charles 
le  Chauve  (1).  La  suite  de  nos  Recherches  nous  donnera  lieu  de 
montrer  que  les  motifs  qui  autorisaient,  et  souvent  même  né- 
cessitaient cette  intervention  du  Pape  dans  le  gouvernement 
des  États,  et  dans  les  affaires  publiques  de  l'Europe,  devinrent 
de  plus  en  plus  puissants  et  multipliés  dans  la  suite  du  moyen 
âge,  principalement  à  l'époque  des  croisades  (2). 

ARTICLE  IL 

État  de  la  société  au  moyen  âge  :  ressources  que  lui  offraient  la  religion  et 

le  clergé. 

L'intérêt  général  de  la  société,  au  moyen  âge,  surtout  pen-       32# 
dant  les  premiers  siècles  de  cette  période,  devait  naturellement  Tablea.u  de  ,a 

l  l  >  société , 

amener  cette  grande  influence  du  clergé  dans  les  affaires  tem- au  m°yea  ase- 
porelles.  Il  suffit,  pour  s'en  convaincre,  de  considérer,  d'un 
côté,  l'état  déplorable  de  la  société,  à  cette  époque,  et  de  l'au- 
tre ,  les  ressources  immenses  que  lui  offraient  la  religion  et  le 
clergé,  contre  tous  les  maux  qui  la  désolaient. 
Qu'on  se  rappelle,  en  effet,  quel  était  le  caractère  des  peu- 

(1)  Ces  observations  peuvent  servir  à  corriger,  sur  plusieurs  points ,  un 
grand  nombre  d'auteurs  modernes.  Nous  indiquerons  seulement  ici  quel- 
ques-uns des  plus  célèbres.  Fleury,  Hist.  Ecclés.,  t.  xi,  liv.  li  et  lu,  pas- 
sim;t.  xiu,  3e  Discours,  n.  10,  etc. — Daniel,  Hist,  de  France,  t.  n,  p. 
426,  468,  475,  et  alibi  passim.  —  Hist .  de  l'Église  Gallic,  t.  v  et  vi , 
passim. 

(2)  Ci-après,  art.  2,  n.  51, etc. 


$68  DEUXIÈME  PARTIE.  —  POUVOIR   DU  PAPE 

pies  barbares,  qui  se  partagèrent,  depuis  le  ive  siècle,  les  débris 
de  l'empire  romain  en  Occident  (l).  Entièrement  étrangers  aux 
sciences,  aux  arts  et  à  la  civilisation,  ils  ne  connaissaient, 
pour  ainsi  dire,  d'autre  occupation  que  la  chasse  et  la  guerre, 
d'autre  loi  que  la  violence,  d'antre  gloire  que  celle  des  con- 
quêtes; et  bien  loin  de  sentir  les  inconvénients  et  le  désordre 
de  cet  état  sauvage,  ils  professaient  un  souverain  mépris  pour 
un  genre  de  vie  pins  policé.  La  religion  chrétienne,  qu'ils  em- 
brassèrent tous  successivement,  adoucit,  il  est  vrai,  peu  à  peu 
leur  férocité  ;  mais  ce  précieux  résultat  de  leur  conversion  fut 
lent  et  insensible;  la  plupart  d'entre  eux  conservèrent  long- 
temps leurs  anciennes  mœurs,  c'est-à-dire,  leur  caractère  léger, 
violent  et  emporté,  leur  goût  passionné  pour  la  chasse  et  la 
guerre,  leur  profond  mépris  pour  les  sciences  et  les  arts,  mais 
surtout  cet  esprit  d'insubordination  et  d'indépendance,  qui 
semblait  être  le  trait  le  plus  ineffaçable  de  leur  caractère. 
33.  L'influence  naturelle  des  mœurs  du  peuple  dominant  sur 

Jcnorn  ncc  et 

barbarie  celles  des  peuples  conquis,  ne  pouvait  manquer  d'amener,  parmi 
e  ceite  ePo-  ceg  derniers ,  la  décadence  des  lumières  et  de  la  civilisation. 
Aussi  l'ignorance  et  la  barbarie  sont-elles  généralement  regar- 
dées comme  les  caractères  distinctifs  de  l'état  de  la  société ,  au 
moyen  âge  ;  et  quoique  ce  double  caractère  ne  s'applique  pas 
également  à  toutes  les  parties  de  cette  période ,  quoiqu'il  ait  été 
souvent  exagéré  par  la  passion  et  la  malignité ,  on  ne  peut  dis- 
convenir que ,  sous  le  rapport  des  lumières  et  de  la  civilisa- 
tion y  le  moyen  âge ,  comparé  aux  temps  qui  l'ont  précédé  et 
suivi,  ne  présente  un  spectacle  vraiment  triste  et  affligeant. 
Nous  n'entreprendrons  pas  d'en  retracer  ici  tous  les  traits  ;  il 
suffit  de  remarquer,  avec  tous  les  historiens,  que  l'état  de 
la  société,  quelque  déplorable  qu'il  fût  alors,  sous  le  rapport 
des  sciences  et  des  arts ,  l'était  encore  davanlage  sous  le  l'ap- 
port de  la  civilisation  et  des  mœurs.  Sous  ce  dernier  rapport, 
l'histoire  du  moyen  âge,  surtout  pendant  les  premiers  siècles 
de  sa  durée ,  est  un  spectacle  continuel  de  désordres  et  de  cala- 
mités. Si  l'on  excepte  certains  intervalles  de  repos  et  de  tran- 
quillité, dus  à  l'influence  de  quelques  souverains  plus  fermes  et 

(1)  Fleury,  Mœurs  des  Chrétiens,  n.  57.  —  Hist.   Ecclés.,  t.  xm,  3e 
Discours. 


SUR  LES   SOUVERAINS.  —  CHAPITRE  I.  369 

plus  habiles  que  les  autres,  partout  on  voit  la  société  sans  po- 
lice, le  gouvernement  sans  force,  les  lois  sans  autorité,  la  cor- 
ruption des  mœurs  à  son  comble.  Le  glorieux  règne  de  Char- 
lemagne  semblait  destiné  à  mettre  un  terme  à  ces  désordres  ; 
mais  les  espérances  qu'on  put  alors  concevoir,  furent  bientôt 
anéanties  par  la  faiblesse  de  ses  successeurs ,  par  les  abus  du 
système  féodal,  et  par  les  nouvelles  irruptions  des  Barbares, 
dans  toutes  les  parties  de  l'Europe.  Ce  malheureux  concours  de 
circonstances  replongea  la  société  dans  la  barbarie  d'où  elle 
commençait  à  sortir,  et  acheva  d'y  détruire  les  faibles  restes  de 
la  civilisation  romaine. 

Aussi  rien  n'est  plus  affligeant  que  le  tableau  des  désordres  34. 
auxquels  la  société  fut  en  proie ,  pendant  les  trois  siècles  qui  sui-  iHLJS  ,e 
virent  le  règne  de  Charlemagne.  Voici  les  principaux  traits  de  cVégouTYii. 
ce  tableau,  d'après  un  auteur  contemporain  de  Grégoire  VIT  : 
«  Le  monde,  dit  saint  Pierre  Damien,  se  précipite  violemment 
«  dans  l'abîme  de  tous  les  vices;  et  plus  il  approche  de  sa  fin, 
«  plus  il  voit  grossir  la  masse  énorme  de  ses  crimes.  La  disci- 
«  pline  ecclésiastique  est  presque  universellement  négligée.  Les 
«  prêtres  ne  reçoivent  plus  le  respect  qui  leur  est  dû  ;  les  saints 
«  canons  sont  foulés  aux  pieds  -,  et  l'ardeur  qu'on  devrait  avoir 
«  pour  le  service  de  Dieu ,  est  uniquement  employée  à  la  pour- 
«  suite  des  biens  de  la  terre.  L'ordre  légitime  des  mariages  est 
«  confondu  ;  et,  à  la  honte  du  nom  chrétien,  on  y  vit  à  la  ma- 
«  nière  des  Juifs.  En  effet,  où  ne  voit-on  pas  régner  la  rapine  et 
«le  larcin?  Qui  a  honte  du  parjure,  de  l'impudicité,  dusacri- 
«  lége,  et  des  plus  horribles  forfaits?  11  y  a  déjà  longtemps  que 
«  nous  avons  renoncé  à  toute  vertu,  et  que  les  désordres  de 
«  toute  espèce  nous  inondent  de  toutes  parts  (1)....  Un  mauvais 

(1)  «  Totusmundus,  promis  in  malum,  perlubrica  vitiorum,  in  prœceps 
«  ruit;  et  quanto  fini  suo  jamjam  vicinus  appropinquat ,  tanto  graviorum 
«  super  se  quotidie  criminum  moles  exaggerat.  Ecclesiastici  siquidem  genii 
«  ubique  pêne  disciplina  negligitur  ;  débita  sacerdotibus  reverentia  non  prse- 
«  betur;  canonicae  sanctionis  instituta  calcantur;  et  soli  terrenae  (cupiditati) 
«  inbianter  explendee  digna  Deo  cura  servïtur.  In  fœderandis  porro  conju- 
«  giis  legitimus  ordo  confunditur  :  et,  0  nefas!  ab  eis  in  veritate  judaïcè  vi- 
te vitur,  qui,  superficie  tenus,  ebristiano  vocabulo  palliantur.  Enimvero  ubi 
«  rapinae  desunt  ?  ubi  furta  caventur  ?  Qui  pei  juria  ?  qui  lenocinia  ?  qui  sa- 
«  crilegia  metuunt?  qui  denique  perpetrare  quaelibet  atrocissima  crimina 
«  perhorrescunt ?  Jamdudum  plané  virtutum  studiis  repudium  dedimus, 

24 


370  DEUXIÈME  PARTIE.  —  POUVOIR  DU  PAPE 

«  esprit  précipite  avec  fureur  le  genre  humain  dans  un  abîme 
«  de  forfaits,  et  répand  de  tous  côtés  les  haines  et  la  jalousie, 
«  sources  de  divisions.  Les  guerres,  les  armées,  les  irruptions 
«  d'ennemis,  se  multiplient  à  un  tel  point,  que  l'épée  fait  périr 
«  un  plus  grand  nombre  d'hommes ,  que  les  maladies  et  les  in- 
«  firmités  attachées  à  la  condition  humaine.  Le  monde  entier  est 
«  comme  une  mer  agitée  par  la  tempête  ;  les  dissensions  et  les 
«discordes,  semblables  à  des  flots  irrités,  agitent  tous  les 
«  cœurs.  L'affreux  homicide  pénètre  partout,  et  semble  par- 
«  courir  tous  les  pays  du  monde,  pour  les  réduire  à  une  affreuse 
«  stérilité  (1).  » 
35  Les  princes  et  les  seigneurs,  au  témoignage  du  même  auteur, 

ces  désordres  ail  \[Gn  de  réprimer  et  de  combattre  ces  désordres ,  les  fomen- 

souvent  ,  .        , ,,  ,  , 

fomeiaés  par  taient  par  leurs  exemples.  Partout  on  les  voyait  s  élever  et  s  e- 
exempies     tendre ,  aux  dépens  de  leurs  voisins  plus  faibles  qu'eux,  dégrader 

des  princes,  j^  fljg,^  par  jes  exces  fe  tout  genre,  et  accabler  leurs  peu- 
ples par  toutes  sortes  de  vexations.  «  Les  Églises ,  dit  encore 
«  saint  Pierre  Damien  (2) ,  sont  en  proie  à  de  si  affreuses  cala- 


«  omniumque  perversitatum  pestes ,  velut  impetu  facto ,  feraliter  emerse- 
«  runt.  »  S.  Pétri  Damiani  Epist.  lib.  n;  Epist.  1,  ad  S.  R.  E.  Cardinales; 
initio. 

(1)  «  Malignus  plané  spiritus  humanum  genus  nunc  solito  vehementiùs 
«  per  omnia  vitiorum  abrupta  praecipitat,  truculentiùs  tamen  odiorum,  ac 
«  simultatum  omnes  livore  perturbât.  Tôt  enim  quotidie  bella  desseviunt, 
«  armatae  acies  proruunt,  hostiles  impetus  inhorrescunt ,  ut  de  militari- 
«  bus  quidem  viris  plures  gladius  videatur  absumere ,  quàm  in  grabatulis 
«  quiescentes,  corporeae  conditionis  aegritudo  fmire,  ut  propemodum  ma- 
«  ris  more  geratur  hic  mundus...  Discordiae  procellis  cuncta  hominum 
«  corda  vexantur ,  et  tamquam  spumosis  fluctibus  illiduntur.  Instabilis  enim 
«  hoiuicida  omnia  scrutatur,  omnia  mundi  velut  unius  agri  loca  perlustrat, 
«  ne  quid  infœcundum  a  lividi  fomitis  satione  praetereat.  >  Id.,  Epist. 
lib.  iv  ;  Epist.  9,  ad  Oldericum  episcopum  Firmanum,  p.  51,  col.  2. 

(2)  «  Tarn  immanis  pressurae  calamitas  incumbit  Ecclesiis,  ut  tamquam 
«  Babylonicee  legionis  acies  circumfusa,  et  Hierusalem  cum  civibus  suis  vi- 
«  deatur  obsessa.  Sœculares  ecclesiastica  jura  corradunt ,  salaria  subtra- 
«  hunt ,  possessiones  invadunt ,  et  sic  stipendia  pauperum  ,  velut  hostium 
«  se  reportare  manubias,  gloriantur.  Ipsi  quoque  saeculares  nihilominus  in- 
«  ter  se  proprii  juris  bona  diripiunt ,  alter  alteri  supergredientes  impin- 

«  gunt;  et quia  soli  esse  nequeunt,  mutuâ  se  pervasione  collidunt. 

«  Mox  arundineas  rusticorum  segetes  aggrediuntur  exurere,  et  fel  atrocis- 
«  simi  livoris ,  quod  suis  utique  nequeunt  inimicis  invomere,  imbellibus 

«  non  erubescunt  rusticis  propinare Fortis  ac  ingenuus  quisque  bel- 

«  lator  vitat  inermem,  impetit  adversùm  se  tela  vibrantem, isti  verô 

«  adversùs  inermes  arma  corripiunt ,  et  dum  fluant  hostes,  vapulant  inno- 


SUR   LES   SOUVERAINS.  — CHAPITRE  1.  371 

mités,  qu'elles  sont  comme  cernées  par  les  armées  de  Baby- 
lone,  et  qu'elles  ressemblent  à  Jérusalem  assiégée  avec  tous 
ses  habitants.  Les  séculiers  s'emparent  des  droits  de  l'Église, 
saisissent  ses  revenus,  envahissent  ses  possessions,  et  se  parent 
de  la  substance  des  pauvres,  comme  des  dépouilles  de  leurs 
ennemis.  Ils  se  pillent  en  môme  temps  les  uns  les  autres,  se 
jettent  l'un  sur  l'autre;  et  comme  s'ils  voulaient  demeurer 
seuls  maîtres  du  monde,  font  tous  leurs  efforts  pour  se  sup- 
planter mutuellement.  Puis  ils  vont  incendier  les  chaumières 
des  pauvres  villageois,  et  verser  sur  ces  malheureux  la  bile 
qu'ils  n'ont  pu  décharger  sur  leurs  ennemis....  Un  brave  et 
honorable  guerrier  n'attaque  pas  un  homme  désarmé;  il  se 
contente  de  repousser  celui  qui  l'attaque;...  mais  ceux-ci 
prennent  les  armes  contre  des  hommes  sans  défense,  et  frap- 
«  pent  les  innocents,  des  coups  dont  ils  ne  peuvent  accabler  leurs 
«ennemis....  Aussi  le  monde  entier  n'est  plus,  de  nos  jours, 
qu'un  théâtre  d'intempérance ,  d'avarice  et  de  libertinage  ;  et 
comme  autrefois  il  était  soumis  à  trois  Césars  (l),  de  même  le 
«  genre  humain  courbe  aujourd'hui  sa  tête  sous  ces  trois  vices, 
«  et  obéit  servilement  aux  lois  de  ces  tyrans.  » 

Les  rois  les  plus  puissants  étaient  souvent  aussi  les  plus 
scandaleux.  Philippe  Ier,  roi  de  France,  faisait  un  honteux  trafic 
des  évêchés  et  des  abbayes,  encourageait  par  son  exemple  le  pil- 
lage et  la  débauche ,  et  poussa  la  violence  jusqu'à  faire  dépouil- 
ler des  marchands  étrangers  qui  étaient  venus  à  une  foire  de 
son  royaume  (2).  Que  n'aurions-nous  pas  à  dire  de  l'empereur 

«  centes Totus  itaque  mundus,  hoc  tempore,  niliil  est  aliud  nisi  gula, 

«  avaritia  atque  libido  ;  et  sicut  olim  trifariam  divisas  est  orbis,  ut  tribus 
«  simnl  principibus  suhjaceret ,  ita  nunc  genus  humanum  ,  heu  proh  dolor  ! 
«  his  tribus  vitiis  servilia  colla  substernit,  eorumque  quasi  totidem  tyranno- 
«  rum  legibus  obtempérante!'  obedit.  »  Id.,  lib.  i,  Epist.  15,  ad  Alexan- 
drum  II  Romanum  pontificem;  passim,  p.  12,  etc.  Tous  ces  passages  des 
lettres  de  S.  Pierre  Damien  ,  et  quelques  autres  également  remarquables, 
ont  été  recueillis  par  Voigt,  Hïst.  de  Grégoire  VII,  liv.  h,  p.  57,  etc.  Il 
serait  aisé  de  les  confirmer  par  une  foule  de  témoignages,  tirés  des  lettres 
de  Grégoire  VII,  et  des  autres  monuments  contemporains ,  selon  la  remar- 
que du  même  historien;  ibid.,  p.  88.  Voyez  en  particulier,  Greg.  VII  Epist, 
lib.  n;  Epist.  49.  — Fleury,  Hist.  Ecclés.t  t.  xm,  liv.  62,  n.  54.— D.  Ceillier, 
Histoire  des  Auteurs  ecclés.,  t.  xx ,  p.  663 ,  etc. 

(1)  L'auteur  fait  ici  allusion  au  temps  où  l'empire  romain  était  partagé 
entre  plusieurs  Césars. 

(2)  Gregorii  VII  Epist.  lib.  i,  35;  n,  5,  18.  — Fleury,  Histoire  Ecclés., 

24. 


372  DEUXIÈME  PARTIE.  —  POUVOIR  DU  PAPE 

d'Allemagne,  Henri  IV,  que  tous  les  historiens  s'accordent  à 
représenter  comme  un  des  princes  les  plus  cruels  et  les  plus 
corrompus  dont  il  soit  fait  mention  dans  les  annales  de  l'his- 
toire, et  que  saint  Anselme,  archevêque  de  Cantorbéry ,  auteur 
contemporain ,  ne  fait  pas  difficulté  de  représenter  comme  un 
digne  successeur  de  Néron  et  de  Julien  l'Apostat  (l)? 
36.  Toutefois ,  ce  serait  bien  mal  connaître  l'état  de  la  société  en 

pouerTapereii.  Europe,  au  moyen  âge,  que  de  regarder  l'oubli  et  le  mépris 
toujours"  'sub-  général  de  la  religion  comme  des  conséquences  nécessaires  de 
RumiHeu  a,  l'ignorance  et  de  la  barbarie  que  nous  venons  de  signaler  (2). 
fcs  désordres,  jj  est  certain ,  au  contraire ,  que  le  déclin  des  lumières  et  de  la 
civilisation,  à  cette  époque,  laissait  généralement  subsister, 
dans  l'esprit  des  peuples,  un  profond  respect  pour  la  religion 
et  ses  ministres.  Au  milieu  des  épaisses  ténèbres  dont  la  société 
était  enveloppée,  la  foi  était  toujours  entière,  et  même  vive.  On 
ne  s'avisait  pas  de  douter  des  vérités  qu'elle  enseigne  :  on  avait 
généralement  horreur  de  l'hérésie  et  de  l'impiété;  et  le  respect 
des  peuples  pour  la  religion  se  manifestait ,  dans  tous  les  États 
chrétiens  de  l'Europe,  par  les  honneurs  et  les  prérogatives  ac- 
cordés à  ses  ministres.  Il  était  sans  doute  inévitable  que ,  dans 
ces  temps  de  désordre ,  le  clergé ,  comme  le  reste  de  la  société , 
fût  quelquefois  l'objet  des  violences  et  des  injustices  que  l'anar- 
chie entraîne  toujours  après  elle;  mais  ces  violences  n'avaient 
pas  ordinairement  pour  principe  le  mépris  de  la  religion  et  de 

t.  xm ,  liv.  lxii  ,  n.  6  et  16.  —  Histoire  de  l'Église  Gallicane,  t.  vu ,  an- 
nées 1073  et  1074,  p.  504-508.  Nous  donnerons  plus  bas  (chap.  2,  art.  1, 
n.  108,  etc.)  quelques  autres  détails  sur  le  caractère  et  la  conduite  de  Phi- 
lippe Ier.  Après  cela,  on  est  étonné  de  voir  des  auteurs,  d'ailleurs  estimables, 
blâmer  ouvertement  la  conduite  de  Grégoire  VII  envers  ce  prince,  et  atténuer, 
dans  cette  vue,  des  désordres  qu'ils  ne  peuvent  s'empêcher  de  reconnaître. 
Voyez  Y  Hist.  de  V Église  Gallicane,  ubisuprà,  p.  509.  —  Daniel,  Hist. 
de  France ,  t.  m,  année  1073,  p.  377  et  453. 

(1)  «  Scienti  breviter  loquor,  écrivait  saint  Anselme  à  l'évêque  deNeu- 
«  bourg;  si  certus  essem  prudentiam  vestram  non  la vere  successori  Juin 
a  Cœsaris  ,  et  Neronis ,  et  Juliani  Apostatœ ,  contra  successorem  et  vica- 
«  rium  Pétri  apostoli  ;  libentissimè  vos  ut  amicissimum  et  reverendum  epi- 
«  scopum  salutarem.  »  S.  Anselmus,  De  Azymo  et  Fermentât o  ;  prœf. 
{Operum,  p.  135.)  Voyez  aussi  Noël  Alexandre,  2e  Dissert,  sur  VHist.  Eccl. 
du  xie  siècle,  art.  1.  —  Fleury,  Hist.  Ecclés.,  t.  xm,  liv.  lxi,  n.  31.  — 
Voigt,  Hist.  de  GrégoireVH,  p.  69,  110,  133,  etc.— De  Maistre,  Du  Pape, 
liv.  n,  chap.  12,  p.  358,  note  1. 

(2)  Fleury,  Mœurs  des  Chrétiens,  n.  52,  61,  etc. 


SDR   LES   SOUVERAINS.  —  CHAPITRE   I.  373 

ses  ministres  •.  elles  étaient  presque  toujours  l'effet  de  quelque 
passion  ardente,  que  les  coupables  eux-mêmes  se  reprochaient, 
et  condamnaient  hautement,  après  ces  moments  d'agitation  et 
d'effervescence. 
Le  clergé  méritait  en  effet  la  considération  générale  dont  il       37. 

i  •  Le  clergé 

jouissait,  par  les  lumières  et  les  vertus  dont  il  conservait,  pour  toujours  db- 
ainsi  dire,  la  tradition ,  et  qui  brillaient  dans  un  grand  nombre  par  «^lu- 
de  ses  membres.  Malgré  les  abus  et  le  relâchement  qui  s'y  étaient  el  s™»™sUl,f 
introduits,  aussi  bien  que  dans  tous  les  autres  états,  ses  habi-  dai'"r,,^ul,no. 
tudes  et  ses  occupations  journalières  le  préservaient,  beaucoup    «M^res. 
plus  que  le  reste  de  la  société ,  de  l'ignorance  et  de  la  barbarie 
universelle  (1).  Le  peu  de  science  et  de  lumières  qui  se  conser- 
vait alors  en  Europe,  était  concentré  dans  les  églises  et  les 
monastères  :  on  ne  connaissait  presque  pas  d'autres  écoles  que 
celles-là;  et  les  institutions  monastiques  surtout  rendaient,  sous 
ce  rapport,  des  services  inappréciables  à  la  société  (2).  En 
même  temps  qu'elles  étaient  comme  le  centre  des  lumières  et 
de  la  civilisation,  elles  offraient  au  monde  de  touchants  exem- 
ples de  vertu ,  et  une  des  plus  fortes  barrières  contre  la  cor- 
ruption universelle.  Nulle  part  on  ne  voyait  de  si  nombreux 
exemples  de  toutes  les  vertus  chrétiennes,  et  particulièrement 
de  cet  esprit  de  charité  qui ,  dès  le  principe ,  avait  distingué 
l'état  monastique.  Ces  exemples  frappants  et  multipliés  le  fai- 
saient généralement  regarder  comme  un  état  de  perfection  et 
de  sainteté.  Aussi  était-il  ordinaire,  dans  les  monarchies  du 
moyen  âge ,  comme  sous  la  domination  romaine ,  de  tirer  des 
religieux  de  leurs  monastères,  pour  les  élever  au  sacerdoce  ou  à 
l'épiscopat  ;  on  voyait  un  grand  nombre  de  clercs  unir  les  fonc- 


(1)  Fleury,  Hist.  Ecclés.,i.  xiii,  3e  Discours,  n.  21  et  22.  —  Ryan, 
Bienfaits  de  la  Religion  chrétienne ,  chap.  3.  —  Lingard ,  Antiquités  de 
l'Église  Anglo-saxonne;  passim.  Voyez  surtout  le  chap.  4.  — De  Saint- 
Victor,  Tableau  de  Paris,  t.  i,  p.  194,  etc.  — DeMontalembert,  Hist.  de 
sainte  Elisabeth  de  Hongrie,  Introd.,  p.  70,  etc.  —  Voigt,  Hist.  de  Gré- 
goire VII,  1. 1,  p.  204,  etc. 

(2)  Outre  les  auteurs  cités  dans  la  note  précédente ,  voyez  Rergier,  Dict. 
Théol.,  art.  Moines.  —  Mabillon,  Prœf.  in  3um  sœc.  Bened.,  §  4;  Prœf.  in 
4u,n  sœc,  là  part.,  §  8. — Thomassin,  Ancienne  et  nouvelle  Discipline,  t.  i, 
liv.  m , passim.  — •  De  Héricourt ,  Abrégé  du  même  ouvrage,  2e  partie, 
chap.  6,  n.  3. 


374  DEUXIÈME  PARTIE.  —  POUVOIR  DU  PAPE 

tions  ecclésiastiques  aux  exercices  de  la  vie  religieuse  (i).  Les 
fidèles  de  tout  âge  et  de  toute  condition ,  qui  avaient  un  désir 
ardent  de  la  perfection,  ne  connaissaient  pas  de  plus  sûr  moyen 
d'y  arriver,  que  d'entrer  dans  un  monastère.  On  y  voyait  de 
jeunes  enfants  que  leurs  parents  y  offraient,  pour  les  soustraire 
de  bonne  heure  aux  périls  du  monde  (2);  des  vieillards,  qui 
cherchaient  à  finir  saintement  leur  vie;  des  personnes  mariées, 
qui,  d'un  commun  consentement,  renonçaient  au  monde  pour 


(1)  Thomassin,  Ancienne  et  nouvelle  Discipline  y  t.  1 ,  liv.  m,  chap.  4, 
13,  etc.  —  De  Héricourt,  Abrégé  du  même  ouvrage,  lre  partie,  chap.  22. 

(2)  L'ancien  usage  d'offrir  les  enfants  à  Dieu,  dans  l'état  ecclésiastique  ou 
dans  l'état  religieux,  sans  attendre  leur  consentement,  a  été  jugé  très- 
diversement  par  les  auteurs  anciens  et  par  les  modernes.  La  plupart  des 
anciens  y  voyaient  un  usage  louable ,  et  très-conforme  à  la  piété  ;  ils  y 
voyaient,  selon  la  remarque  d'un  écrivain  récent,  «  une  sorte  de  rançon  que 
«  les  hommes  du  siècle  payaient  à  Dieu  pour  leurs  péchés ,  comme  un  vase 
«  d'élection  qu'ils  choisissaient  eux-mêmes  dans  leur  famille,  pour  la  sancti- 
«  fier.  »  (Nettement ,  Vie  de  Suger,  p.  6.  )  La  plupart  des  modernes  y  voient 
un  abus  tout  à  fait  blâmable ,  et  contraire  à  la  liberté  que  les  parents  doi- 
vent laisser  à  leurs  enfants  pour  le  choix  d'un  état ,  et  surtout  de  certains 
états  qui  imposent  des  obligations  plus  pénibles  à  la  nature.  (  Nettement  r 
ïbid.  —  Nisard ,  Histoire  de  la  reine  Blanche ,  p.  83.  )  Nous  sommes  loin 
de  vouloir  justifier,  en  ce  genre,  des  abus  manifestes,  qui  ont  été  trop  sou- 
vent une  occasion  de  relâchements  et  de  scandales,  dans  l'état  ecclésiastique 
et  dans  l'état  religieux.  Mais  ne  pourrait-on  pas  distinguer  ici,  comme  en 
toute  autre  matière,  l'usage  en  lui-même,  d'avec  l'abus  dont  il  a  été  quel- 
quefois l'occasion  ou  le  prétexte  ?  Sans  doute  c'est  un  abus  manifeste  et  tout 
à  fait  blâmable,  que  de  gêner  la  liberté  des  enfants,  relativement  aux  graves 
obligations  de  l'état  ecclésiastique  et  de  l'état  religieux  ;  aussi  cet  abus  a-t-il 
été  constamment  désapprouvé  par  l'Église,  comme  on  le  voit  en  particulier 
par  le  vingt-troisième  canon  du  concile  de  Mayence,  tenu  en  813,  qui  défend 
expressément  de  donner,  à  qui  que  ce  soit,  la  tonsure  ecclésiastique  ou  mo- 
nastique avant  l'âge  convenable,  et  sans  qu'il  y  consente  librement.  (Labbe, 
Concil.  t.  vu,  p.  1248.)  Mais,  à  considérer  la  chose  en  elle-même,  il  est 
certainement  permis  à  des  parents  de  consacrer  à  Dieu  leurs  enfants  en  l>as 
âge,  en  leur  conservant  la  liberté  de  révoquer  ou  de  ratifier  cette  offrande, 
lorsqu'ils  seront  en  état  de  faire  un  choix  raisonnable.  C'est  avec  cette  ré- 
serve, que  l'offrande  des  enfants  avait  lieu  autrefois,  dans  les  églises  et  dans 
les  monastères.  D'après  les  règles  ecclésiastiques  et  monastiques ,  cette  pre- 
mière offrande  n'était  pas  considérée  comme  un  engagement  irrévocable, 
mais  comme  une  espèce  de  noviciat,  qui  n'était  pas  toujours  suivi  de  la  pro- 
fession. C'était  un  moyen  sûr  et  facile  de  procurer  aux  enfants  une  bonne 
éducation,  et  de  les  préserver,  au  moins  pour  un  temps,  des  dangers  et  de  la 
contagion  du  monde.  (Pour  le  développement  de  ces  observations,  voyez 
Mabillon ,  Prœfat.  in  3um  sœc.  Bened.  §  1,  n.  17,  etc.  ;  Prœf.  in  4um  sœc. 
part.  2,  cap.  7,  11.  199  ;  Prœf.  in  6um  sœc.  part.  2,  §  11.  —  Mège,  Comment, 
sur  la  Règle  de  saint  Benoît,  chap.  1,  p.  50-52.  —  Fleury,  Hist.  Ecclés., 
t.  xiii,  liv.  Lxiii,  n.  58.) 


monastiques; 


SUR   LES    SOUVERAINS.  —  CHAPITRE    I.  375 

se  consacrer,  dans  la  solitude,  à  une  vie  plus  parfaite;  des 
princes  et  des  princesses  du  plus  haut  rang,  dont  les  uns  ve- 
naient y  chercher  le  bienfait  précieux  d'une  éducation  digne 
de  leur  naissance  (i  ) ,  et  les  autres,  désabusés  des  illusions  du 
monde,  renonçaient  volontairement  aux  biens  et  aux  dignités 
du  siècle,  pour  chercher  dans  la  retraite  un  bonheur  plus  so- 
lide; quelquefois  aussi  des  pécheurs  scandaleux,  qui,  touchés 
de  repentir,  allaient  pratiquer,  dans  la  solitude,  une  péni- 
tence qu'ils  n'eussent  pas  eu  le  courage  ni  peut-être  la  liberté 
de  pratiquer  au  milieu  du  monde. 

Ce  touchant  spectacle,  offert  au  monde  par  les  premiers  or-  s    ta3t8,;  édi. 
dres  religieux  qui  s'établirent  en  Orient  et  en  Occident ,  à  la    ,  fian.1  . 

w  *  .  t  des  princi- 

suite  des  persécutions,  se  renouvela  très-souvent  dans  la  suite  pau*  ordres 
du  moyen  âge,  même  dans  les  temps  et  dans  les  pays  où  la  face 
de  la  religion  était  en  général  plus  défigurée.  Tel  fut  en  parti- 
culier le  spectacle  offert,  au  ixe  siècle,  par  la  fondation  du 
monastère  d'Aniane  en  France  ;  au  xe  siècle ,  par  la  fondation 
des  ordres  de  Cluni  en  France ,  et  des  Camaldules  en  Italie  ;  au 
xie  siècle,  par  la  fondatiou  de  l'ordre  des  Chartreux;  au 
xne  siècle,  par  la  fondation  des  monastères  de  Cîteaux  et  de 
Clairvaux  ;  au  xine  siècle ,  par  la  fondation  des  ordres  de  saint 
Dominique  et  de  saint  François.  Chacun  de  ces  établissements 
était  comme  un  nouveau  foyer  de  lumières  et  de  vertus ,  dont 
l'influence  se  faisait  sentir  dans  toutes  les  parties  de  la  société, 
et  maintenait,  au  milieu  de  l'ignorance  et  du  désordre  uni- 
versel, l'ancienne  tradition  de  la  doctrine  et  des  mœurs;  en 
sorte  que  les  fondateurs  de  ces  différents  ordres ,  saint  Benoît , 

(1)  Le  P.  Mabillon,  dans  les  Actes  de  l'ordre  de  saint  Benoît ,  cite  plu- 
sieurs princes  du  sang  royal  de  France,  qui  ont  reçu  leur  première  éducation 
dans  les  monastères  de  cet  ordre,  à  différentes  époques  de  notre  histoire.  Il 
nomme,  entre  autres,  Lothaire,  fils  de  Charles  le  Chauve,  élevé  dans  le  mo- 
nastère de  Saint-Germain  d'Auxerre  ;  Thierry  III ,  dans  celui  de  Chelles  ; 
Louis  VI  et  plusieurs  autres,  dans  le  monastère  de  Saint-Denis,  aussi  bien 
que  Pépin  le  Bref,  tige  de  la  seconde  race  de  nos  rois,  et  Robert,  second 
roi  de  la  troisième.  (Mabillon,  Prœf.  in  3um  sœc.  Bened.  §  4  ,  n.  40.)  Ce 
fut  pendant  son  séjour  au  monastère  de  Saint-Denis,  que  Louis  VI  (dit  le 
Gros  )  connut  pour  la  première  fois  l'abbé  Suger,  alors  simple  moine  de  celte 
abbaye,  mais  qu'il  ne  tarda  pas  à  distinguer  entre  tous  les  autres,  et  pour 
qui  il  conçut  dès  lors  cette  haute  estime,  dont  Suger  se  montra  si  digne,  par- 
les services  éminents  qu'il  rendit,  dans  la  suite,  à  son  prince  et  à  toute  la 
France.  (Nettement,  Vie  de  Suger,  p.  11  et  12.) 


376  DEUXIÈME  PARTIE.  —  POUVOIR  DU  PAPE 

saint  Odon,  saint  Romuald,  saint  Bruno,  saint  Bernard ,  saint 
Dominique ,  saint  François  d'Assise,  et  tant  d'autres  instituteurs 
ou  réformateurs  d'ordres  monastiques,  indépendamment  des 
vertus  personnelles  qui  leur  ont  fait  décerner  par  l'Église  un 
culte  public,  mériteraient  à  jamais  les  hommages  et  l'admi- 
ration universelle,  par  l'heureuse  influence  qu'ils  ont  exercée 
sur  la  société  tout  entière,  tant  sous  le  rapport  des  lumières 
et  de  la  civilisation ,  que  sous  le  rapport  de  la  vertu  et  des 
mœurs. 
39.  Il  résulte  évidemment  de  tous  ces  faits,  selon  la  remarque 

Les  desordres  ^  Fjeiiry  lui-même  (1),  d'ailleurs  si  porté  à  exagérer  les  abus 
moSduVei!f'  et  les  désordres  qui  défiguraient  la  face  de  l'Église  au  moyen 
eSÎ'uteursar  c^e  (2)>  ^ue  *es  socles  roême  les  plus  obscurs  et  les  plus  mal- 
modernes,    heureux  ne  l'ont  pas  été  autant  qu'on  le  suppose  communément; 
que,  malgré  les  progrès  du  vice  et  de  l'ignorance ,  ils  n'ont  été 
dépourvus  ni  de  science  ni  de  vertu  ;  enfin ,  que  le  clergé  et  les 
ordres  religieux  étaient  alors,  comme  dans  tous  les  temps, 
aussi  distingués  entre  tous  les  ordres  de  l'État ,  par  les  lumières 
et  les  vertus,  que  par  la  sainteté  de  leur  caractère. 
4°-  Telle  est  l'idée  que  nous  donnent  généralement  du  clergé  de 

Cefaitimpor-  ,  x  °  -i      i,i  •         • 

tant,       cette  époque,  les  monuments  les  plus  authentiques  de  1  histoire, 
.,  connu  pai  jes  pXus  sages  écrivains  des  derniers  siècles  (3) ,  souvent  même 
nonaUsuspects,  les  moins  suspects  de  partialité  en  faveur  du  clergé,  et  les  plus 
opposés  d'ailleurs  à  son  pouvoir  temporel.  Voici  comment  s'ex- 
plique, à  ce  sujet,  un  écrivain  de  nos  jours,  que  ses  préjugés  bien 
connus  contre  l'Église  catholique,  et  surtout  contre  l'état  reli- 
gieux, rendent  moins  suspect  que  tout  autre,  dans  les  témoi- 
gnages qui  lui  échappent  quelquefois  en  leur  faveur  :  «  Les 
4«.        «  évoques,  dit-il,  acquirent  et  conservèrent  une  grande  partie 

Aveux  remar-  -1  ,  .    i  i         i 

quabies     «  de  leur  ascendant ,  par  une  influence  tres-respectable ,  la  su- 

e  ce'sujet.8"1  «  périorité  des  lumières.  Étant  seuls  versés  dans  l'art  d'écrire,  ils 

«  furent  chargés  de  la  correspondance  politique ,  et  de  la  rédac- 

(1)  Fleury,  Hist.  E  celés. ,  t.  xiu,  3e  Discours,  n.  25.  —Mœurs  des 
Chrétiens,  n.  61. 

(2)  Nous  avons  signalé  ailleurs  quelques-unes  de  ces  exagérations.  (Ci-des- 
sus, pag.  364,  note  2.)  La  suite  de  ces  Recherches  nous  donnera  lieu  d'en 
signaler  encore  d'autres.  Ci-après,  n.  57,  notes:  Table  alphab.  des  ma- 
tières, art.  Fleury. 

(3)  Voyez  les  auteurs  cités  dans  la  note  1  de  la  page  379. 


SUR   LES   SOUVERAINS.  —  CHAPITRE  I.  377 

«  tion  des  lois.  Connaissant  seuls  les  éléments  de  quelques  scien- 
«  ces,  l'éducation  des  familles  royales  leur  fut  dévolue,  comme 
«  une  de  leurs  attributions  nécessaires.  A  la  chute  de  Rome, 
«  leur  influence  sur  les  Barbares  fit  disparaître  les  aspérités  de 
«  la  conquête,  et  préserva  en  partie  les  habitants  des  provinces, 
«  des  suites  funestes  de  cette  effrayante  révolution.  Si  la  Grèce 
«  captive  soumit  Rome  qui  l'avait  conquise,  Rome  à  son  tour, 
«tombée  dans  la  servitude,  imposa  le  joug  de  sa  supériorité 
«  morale  aux  farouches  conquérants  du  Nord.  Ce  fut  surtout 

«  par  les  efforts  des  évoques ,  que  la  religion,  le  langage,  et 

«  même  une  partie  des  lois  de  l'ancienne  capitale  du  monde,  fu- 
«  rent  transplantés  dans  les  cours  de  Paris  et  de  Tolède ,  que 

«  l'imitation  rendit  un  peu  moins  barbares  (1) 

«  Si  l'on  demande  comment  quelques  étincelles  de  la  littéra-     Ser4v2ices 
«  ture  ancienne  purent  se  conserver  pendant  ce  Ions;  hiver ,   rendus  à  la 

L  x  ~  '  société, 

«  nous  ne  pouvons  attribuer  ce  bienfait  qu'à  l'établissement  du  p^  i«  ordre» 

-i.,..  _  ,.     .  1       •     ,  •     t  monastiques, 

«christianisme.   La  religion  seule  jeta,  pour  ainsi  dire,  un       selon 
«  pont  à  travers  le  chaos ,  et  lia  entre  elles  les  deux  époques  de    cet  auleur' 

«la  civilisation  ancienne  et   moderne Pendant  tout  le 

«  cours  du  moyen  âge ,  on  ne  trouvait  guère  d'hommes  de 
«  quelque  mérite  que  dans  les  chapitres  ou  dans  les  couvents. 
«  Les  monastères,  assujettis  à  une  discipline  sévère,  avaient  au 
«  moins  l'avantage  d'offrir  des  moyens  d'étude  plus  nombreux 
«  que  ceux  que  possédait  le  clergé  séculier,  et  d'éloigner  des  séduc- 
«  tions  mondaines.  Mais  le  plus  grand  service  qu'ils  rendirent 
«  aux  lettres,  fut  comme  dépôts  sûrs  de  livres.  C'est  grâce  à 
«  eux ,  qu'ont  été  conservés  tous  nos  manuscrits  ;  et  il  aurait  été 
«  difficile  qu'ils  nous  parvinssent  autrement  ;  du  moins  il  y  eut 
«  des  intervalles  pendant  lesquels  je  ne  vois  pas  qu'il  ait  existé 

«  de  bibliothèques  royales  ni  particulières  (2) Une  salu- 

«  taire  influence,  exercée  par  l'esprit  d'une  religion  plus  pure, 
«  se  déployait  quelquefois  au  milieu  des  corruptions  de  la  su- 
ce perstition.  11  y  avait,  dans  les  principes  qui  avaient  présidé  à 
«l'institution  des  ordres  monastiques,  et  dans  les  règles  au 
«  moins  qui  devaient  les  régir,  un  caractère  de  douceur,  de 
«charité,  de  désintéressement,  qui  ne  pouvait  entièrement 


(1)  Hallam,  V Europe  aumoijen  âge,  t.  ni,  p.  313. 

(2)  Ibid.,  t.  iv,  p.  115  et  116. 


378  DEUXIÈME   PARTIE,  —  POUVOIR  DU   PAPE 

«s'effacer Le  soulagement  de  l'indigence  surtout  fut  une 

«  vertu,  dans  la  pratique  de  laquelle  les  moines  se  montrèrent, 
«  en  général ,  pénétrés  des  véritables  sentiments  de  leur  profes- 

«  sion Les  anciens  temps  n'offrent  pas,  si  je  ne  me  trompe, 

«  un  seul  exemple  de  ces  institutions  publiques  répandues  dans 
«  toutes  les  contrées  de  l'Europe,  et  destinées  au  soulagement 
«  des  souffrances  humaines  (l).  Les  vertus  des  moines  prenaient 
«  un  caractère  encore  plus  noble ,  lorsqu'ils  se  constituaient  les 
«  défenseurs  des  opprimés.  C'était  une  loi  établie  et  fondée  sur  une 
«  superstition  très-ancienne ,  que  l'enceinte  d'une  église  était  un 
«  asile  pour  les  accusés (2)....  Combien  ce  droit  dut  accroître  le 
«  respect  des  hommes  pour  les  institutions  religieuses!  avec  quel 
«  plaisir  les  victimes  des  guerres  intestines  devaient  détourner 
«  les  yeux  du  château  baronial ,  la  terreur  et  le  fléau  du  voisi- 
«  nage,  pour  reporter  leurs  regards  vers  ces  murs  vénérables,  où 
«  le  tumulte  des  armes  ne  venait  jamais  interrompre  les  chants 
«  de  la  religion,  ni  troubler  le  service  des  saints  autels!  La  pro- 
«  tection  d'un  sanctuaire  n'était  jamais  refusée.  Un  fils  de 
«  Chilperic,  roi  de  France,  s'étant  réfugié  dans  celui  de  Tours, 
«  son  père  menaça  de  ravager  toutes  les  terres  de  l'Église,  si  on 
«  ne  lui  livrait  le  fugitif.  L'historien  Grégoire,  évêque  de  cette 
«  ville,  répondit  au  nom  de  son  clergé,  que  des  chrétiens  ne 
«  pouvaient  se  rendre  coupables  d'un  acte  inouï  chez  les 
«  païens.  Le  roi  tint  sa  parole,  et  ne  ménagea  point  les  pro- 
«  priétés  de  l'Église  ;  mais  il  n'osa  pas  violer  ses  privilèges  (3).  » 
43.  Le  langage  de  M.  Guizot,  sur  ce  point,  n'est  pas  moins  remar- 

ia. Guizot.  quable.  Non  content  de  reconnaître  l'heureuse  influence  de 
In  clergé  ™  l'Église  chrétienne  sur  la  société,  sous  les  premiers  empereurs 
9UPsïtion,h"  chrétiens  (4) ,  il  montre  que  cette  influence  n'a  pas  été  moins 
européenne,  avantageuse ,  dans  les  nouvelles  monarchies  qui  se  sont  élevées 
en  Occident,  sur  les  ruines  de  l'empire  romain,  depuis  le 

(1)  Voyez,  à  l'appui  de  cette  observation,  les  détails  que  nous  avons  don- 
nés dans  Y  Introduction  de  cet  ouvrage  (n.  81,  etc.),  et  les  auteurs  que  nous 
avons  cités  en  note. 

(2)  Voyez  Bergier,  Dict.  Théol.,  article  Asiles. 

(3)  Hallam,  ubi  suprà,  p.  132-134.  Voyez,  sur  les  circonstances  de  ce 
fait,  Grégoire  de  Tours,  Hist.  de  France,  lib.  v.  —  Daniel,  Hist.  de 
France;  et  le  P.  Longueval,  Hist.  de  V Église  Gallicane,  année  576. 

(4)  Voyez  Y  Introduction  de  cet  ouvrage ,  n.  33. 


SUR   LES   SOUVERAINS.  —  CHAPITRE   I.  379 

Ve  siècle  ;  et  il  ne  fait  pas  difficulté  de  représenter  cette  salutaire 
influence,  comme  une  des  principales  causes  de  la  civilisation 
européenne,  du  ve  au  xe  siècle.  «L'Église,  dit-il  (1),  était  une 
«société  régulièrement  constituée,  ayant  ses  principes,  ses 
«  règles,  sa  discipline,  et  qui  éprouvait  un  ardent  besoin  d'é- 
«  tendre  son  influence,  de  conquérir  ses  conquérants.  Parmi  les 
«  chrétiens  de  cette  époque ,  dans  le  clergé  chrétien  ,  il  y  avait 
«  des  hommes  qui  avaient  pensé  à  tout ,  à  toutes  les  questions 
«  morales  et  politiques;  qui  avaient  sur  toutes  choses  des  opi- 
«  nions  arrêtées,  des  sentiments  énergiques,  et  un  vif  désir  de  les 
«  propager,  de  les  faire  régner.  Jamais  société  n'a  fait,  pour  agir 
«  autour  d'elle,  et  s'assimiler  le  monde  extérieur,  de  tels  efforts 

«que  l'Église  chrétienne,  du  ve  au  xe  siècle Elle  a,  en 

«  quelque  sorte,  attaqué  la  barbarie  par  tous  les  bouts,  pour  la 

«  civiliser  en  la  dominant En  Espagne,  c'est  l'Église  elle- 

«  même  qui  essaye  de  recommencer  la  'civilisation.  Au  lieu 
«  des  anciennes  assemblées  germaines,  l'assemblée  qui  prévaut 
«  en  Espagne,  c'est  le  concile  de  Tolède;  et  dans  le  concile, 
«  quoique  les  laïques  considérables  s'y  rendent,  ce  sont  les  évê- 
«  ques  qui  dominent.  Ouvrez  la  loi  des  Visigoths;  ce  n'est  pas 
«  une  loi  barbare  ;  évidemment  celle-ci  est  rédigée  par  les  phi- 
«  losophes  du  temps,  par  le  clergé,  Elle  abonde  en  idées  géné- 
«  raies ,  en  théories ,  et  en  théories  pleinement  étrangères  aux 

«  mœurs  barbares En  un  mot,  la  loi  visigothe  tout  entière 

«porte  un  caractère  savant,  systématique,  social.  On  y  sent 
«  l'ouvrage  de  ce  même  clergé  qui  prévalait  dans  les  conciles  de 
«  Tolède ,  et  influait  si  puissamment  sur  le  gouvernement  du 
«  pays.  » 

Un  peu  plus  bas ,  l'auteur  résume  en  ces  termes  ce  qu'il  a  dé- 
veloppé plus  au  long  dans  ses  leçons  précédentes,  sur  l'influence 
salutaire  de  l'Église  chrétienne  dans  la  société  européenne,  de- 
puis le  ve  siècle.  «  Il  suffit  d'un  premier  regard,  dit-il  (2),  pour 
«  reconnaître,,  entre  l'état  de  l'Église  au  ve  siècle,  et  celui  des  au- 
«  très  éléments  delà  civilisation  européenne,  une  différence  im- 
«  mense.  J'ai  indiqué,  comme  éléments  fondamentaux  de  notre 
«  civilisation,  le  régime  municipal,  le  régime  féodal,  la  royauté  et 

(1)  Guizot,  Hist.  gén.  de  la  Civilisation  en  Europe,  3e  leçon,  p.  86-90. 

(2)  Ibid.,  5e  leçon,  p.  132 


380  DEUXIÈME   PARTIE.  —  POUVOIR  DU   PAPE 

«  l'Église.  Le  régime  municipal,  au  ve  siècle,  n'était  pins  qu'un 
«  débris  de  l'empire  romain,  une  ombre  sans  vie  et  sans  forme 
«  arrêtée.  Le  régime  féodal  ne  sortait  pas  encore  du  chaos.  La 
«  royauté  n'existait  que  de  nom.  Tous  les  éléments  civils  de  la 
«  société  moderne  étaient  dans  la  décadence  ou  dans  l'enfance. 
«L'Église  seule  était  à  la  fois  jeune  et  constituée;  seule  elle 
«  avait  acquis  une  forme  définitive,  et  conservait  toute  la  vigueur 
«  du  premier  âge  ;  seule  ,  elle  possédait  à  la  fois  le  mouvement 
«  et  l'ordre,  l'énergie  et  la  règle,  c'est-à-dire,  les  deux  grands 
«  moyens  d'influence.  N'est-ce  pas,  je  vous  le  demande,  par  la 
«  vie  morale,  par  le  mouvement  intérieur,  d'une  part,  et  par 
«  l'ordre,  par  la  discipline,  de  l'autre,  que  les  institutions s'em- 
«  parent  des  sociétés?  L'Église  avait  remué  d'ailleurs  toutes  les 
«  grandes  questions  qui  intéressent  l'homme  ;  elle  s'était  in- 
«  quiétée  de  tous  les  problèmes  de  sa  nature ,  de  toutes  les 
«  chances  de  sa  destinée.  Aussi  son  influence  sur  la  civilisation 
«  moderne  a-t-elle  été  très-grande,  plus  grande  peut-être  que 
«  ne  l'ont  faite  même  ses  plus  ardents  adversaires,  ou  ses  plus 
«  zélés  défenseurs.  Occupés  de  la  servir  ou  de  la  combattre,  ils 
«  ne  l'ont  considérée  que  sous  un  point  de  vue  polémique,  et 
«  n'ont  su ,  je  crois ,  ni  la  juger  avec  équité ,  ni  la  mesurer  dans 
«  toute  son  étendue.  » 
44-  Dans  la  suite  du  même  ouvrage,  l'auteur  explique  plus 

c"taheau"  en  détail  l'action  salutaire  de  l'Église  pour  l'amélioration 
delPom-se'  sociale.  «  L'Église,  dit-il,  agissait  surtout  d'une  manière  très- 
1,amelior,ation  «  efficace ,  pour  l'amélioration  de  l'état  social  (l).  Nul  doute 

sociale.  >    x  \    • 

«  qu'elle  ne  luttât  obstinément  contre  les  grands  vices  de 
«l'état  social,  par  exemple,  contre  l'esclavage.....  On  ne 
«  peut  douter  qu'elle  n'employât  son  influence  à  le  restreindre. 
«  Il  y  en  a  une  preuve  irrécusable  :  la  plupart  des  formules  d'af- 
«  franchissement ,  à  diverses  époques ,  se  fondent  sur  un  motif 
«  religieux  ;  c'est  au  nom  des  idées  religieuses ,  des  espérances 
«  de  l'avenir,  de  l'égalité  religieuse  des  hommes,  que  l'affran- 
«  chissement  est  presque  toujours  prononcé.  L'Église  travaillait 
«  également  à  la  suppression  d'une  foule  de  pratiques  barbares , 
«  à  l'amélioration  de  la  législation  criminelle  et  civile.  Vous 

(1)  Guizot,  ibid.,  6e  leçon,  p.  172-178. 


SUR  LES   SOUVERAINS.  — CHAPITRE   I.  381 

savez  à  quel  point,  malgré  quelques  principes  de  liberté, 
cette  législation  était  alors  absurde  et  funeste  ;  vous  savez  que 
de  folles  épreuves,  le  combat  judiciaire,  le  simple  serment 
de  quelques  hommes,  étaient  considérés  comme  les  seuls 
moyens  d'arriver  à  la  découverte  de  la  vérité.  L'Église  s'effor- 
çait d'y  substituer  des  moyens  plus  rationnels  et  plus  légitimes. 
J'ai  déjà  parlé  de  la  différence  qu'on  remarque  entre  les  lois 
des  Visigoths ,  issues  en  grande  partie  des  conciles  de  Tolède , 
et  les  autres  lois  barbares.  Il  est  impossible  de  les  comparer , 
sans  être  frappé  de  l'immense  supériorité  des  idées  de  l'Église, 
en  matière  de  législation,  de  justice,  dans  tout  ce  qui  inté- 
resse la  recherche  de  la  vérité ,  et  la  destinée  des  hommes. 
Sans  doute  la  plupart  de  ces  idées  étaient  empruntées  à  la 
législation  romaine  ;  mais  si  l'Église  ne  les  avait  pas  gardées 
et  défendues,  si  elle  n'avait  pas  travaillé  à  les  propager, 
elles  auraient  péri. 

«  Il  y  a,  Messieurs,  dans  les  institutions  de  l'Église,  un  fait  en 
général  trop  peu  remarqué  :  c'est  son  système  pénitentiaire. . . . 
Si  vous  étudiez  la  nature  des  peines  de  l'Église,  des  péniten- 
ces publiques,  qui  étaient  son  principal  mode  de  châtiment, 
vous  verrez  qu'elles  ont  surtout  pour  objet  d'exciter  dans  l'âme 
du  coupable,  le  repentir ,  et  dans  celle  des  assistants,  la  ter- 
reur morale  de  l'exemple 

«  Enfin,  elle  essayait  également,  par  toutes  sortes  de  voies, 

de  réprimer,  dans  la  société,  le  recours  à  la  violence,  les  guerres 

continuelles.  Il  n'y  a  personne  qui  ne  sache  ce  que  c'était  que 

la  trêve  de  Dieu,  et  une  foule  de  mesures  du  même  genre, 

par  lesquelles  l'Église  luttait  contre  l'empire  de  la  force ,  et 

s'appliquait  à  introduire  dans  la  société,  plus  d'ordre,  plus  de 

douceur.  Les  faits  sont  ici  tellement  connus,  que  je  puis  me 

dispenser  d'entrer  dans  aucun  détail.  » 

La  conséquence  que  l'auteur  tire  de  ces  développements , 

n'est  pas  moins  honorable  au  clergé  que  rigoureusement  établie 

par  l'histoire  :  «  Tels  sont,  Messieurs,  les  points  principaux  que 

«  j'ai  à  mettre  sous  vos  yeux,  quant  aux  rapports  de  l'Église  avec 

«  les  peuples  (1) Il  nous  reste  à  tirer  de  ce  que  nous  savons, 

(1)  Guizot,  ibid.,  p.  178-180. 


382 


DEUXIÈME   PARTIE.  —  POUVOIR   DU  PAPE 


45; 

Aveux  de 

Voltaire  : 

Utilité  des 

ordres 

monastiques. 


«  par  voie  d'induction  et  de  conjecture ,  son  influence  générale 
«  sur  la  civilisation  européenne.  C'est  là,  si  je  ne  me  trompe, 
«  un  travail  à  peu  près  fait ,  ou  du  moins  fort  avancé  ;  le  simple 
«  énoncé  des  faits ,  des  principes  dominants  dans  l'Église ,  ré- 
«  vêle  et  explique  son  influence.  Les  résultats  ont  en  quelque 

«sorte  passé  déjà  sous  vos  yeux  avec  les  causes A  tout 

a  prendre,  cette  influence  a  été  salutaire  :  non-seulement 
«  elle  a  entretenu ,  fécondé  le  mouvement  intellectuel  en  Eu- 
«  rope;  mais  le  système  de  doctrines  et  de  préceptes,  au  nom 
«  desquels  elle  imprimait  le  mouvement ,  était  très- supérieur 
«  à  tout  ce  que  le  monde  ancien  avait  jamais  connu.  Il  y  avait 
«  à  la  fois  mouvement  et  progrès.  » 

A  ces  aveux  si  remarquables,  nous  ajouterons  ceux  de  Vol- 
taire lui-même,  qui,  malgré  sa  haine  si  connue  contre  la 
religion  et  ses  institutions,  reconnaît,  dans  plusieurs  doses 
ouvrages ,  l'absurdité  des  satires  qu'il  a  lancées  contre  le  clergé 
en  général ,  et  contre  les  religieux  en  particulier,  et  que  tant 
d'autres  écrivains  ont  répétées  après  lui.  «Ce  fut  longtemps, 
«  dit-il  (  l  ) ,  une  consolation  pour  le  genre  humain ,  qu'il  y 
«  eût  des  asiles  ouverts  à  tous  ceux  qui  voulaient  fuir  les  op- 
«  pressions  du  gouvernement  goth  et  vandale.  Presque  tout  ce 
«  qui  n'était  pas  seigneur  de  château,  était  esclave  ;  on  échappait, 
«  dans  la  douceur  des  cloîtres ,  à  la  tyrannie  et  à  la  guerre.  Le 
«  peu  de  connaissances  qui  restait  chez  les  Barbares,  fut  perpétué 
«  dans  les  cloîtres.  Les  Bénédictins  transcrivirent  quelques  livres; 
«  peu  à  peu,  il  sortit  des  monastères  des  inventions  utiles. 
«  D'ailleurs  ces  religieux  cultivaient  la  terre,  chantaient  les 
«  louanges  de  Dieu ,  vivaient  sobrement,  étaient  hospitaliers; 
«  et  leurs  exemples  pouvaient  servir  à  mitiger  la  férocité  de  ces 

«  temps  de  barbarie On  ne  peut  nier  qu'il  n'y  ait  eu,  dans 

«  le  cloître,  de  grandes  vertus.  Il  n'est  guère  encore  de  monas- 
«  tères,  qui  ne  renferment  des  âmes  admirables  qui  font  honneur 
«  à  la  nature  humaine.  Trop  d'écrivains  se  sont  plu  à  recher- 
«  cher  les  désordres  et  les  vices  dont  furent  souillés  quelquefois 
«  ces  asiles  de  la  piété.  Il  est  certain  que  la  vie  séculière  a  tou- 
«  jours  été  plus  vicieuse ,  que  les  grands  crimes  n'ont  pas  été 

(1)  Voltaire ,  Essai  sur  les  Mœurs  et  l'Esprit  des  nations,  chap.  139. 
(Œuvres  complètes ,  in-8°,  t.  xvm,  p.  235,  etc.) 


SUR  LES   SOUVERAINS. — CHAPITRE  I.  383 

«  commis  dans  les  monastères  ;  mais  ils  ont  été  plus  remarqués 
«  par  leur  contraste  avec  la  règle;  nul  état  n'a  toujours  été 

«  pur Les  Chartreux,,  malgré  leurs  richesses,  sont  consacrés 

«  sans  relâchement  au  jeûne,  au  silence,  à  la  prière,  à  la  soli- 
«  tude;  tranquilles  sur  la  terre,  au  milieu  de  tant  d'agitations, 
«  dont  le  bruit  vient  à  peine  jusqu'à  eux ,  et  ne  connaissant  les 
«  souverains  que  par  les  prières  où  leurs  noms  sont  insérés.  » 

Le  même  écrivain,  parlant  de  quelques  auteurs  modernes       46. 
qui  ont  trop  déclamé  contre  les  religieux  en  général  •.  «  Il  fallait  '"'mluonï a" 
«  avouer ,  dit-il  (l) ,  que  les  Bénédictins  ont  donné  beaucoup  de   deM^™ 
«  bons  ouvrages,  que  les  Jésuites  ont  rendu  de  grands  services  sur  ce  Point* 
«  aux  lettres;  il  fallait  bénir  les  frères  de  la  Charité,  et  ceux  de 
«  la  Rédemption  des  Captifs.  Le  premier  devoir  est  d'être  juste... 
«  Il  faut  convenir  (2) ,  malgré  tout  ce  que  l'on  a  dit  contre  leurs 
«  abus,  qu'il  y  a  toujours  eu  parmi  eux  des  hommes  éminents 
«  en  science  et  en  vertu  ;  que  s'ils  ont  fait  de  grands  maux  ?  ils 
«  ont  rendu  de  grands  services  ;  et  qu'en  général  on  doit  les  plain- 

«  dre  encore  plus  que  les  condamner Les  instituts  consacrés 

«  au  soulagement  des  pauvres  (3)  et  au  service  des  malades  ont 
«  été  moins  brillants,  et  ne  sont  pas  les  moins  respectables. 
«  Peut-être  n'est-il  rien  de  plus  grand  sur  la  terre,  que  le  sacri- 
«  fice  que  fait  un  sexe  délicat,  de  la  beauté,  de  la  jeunesse, 
«  souvent  de  la  haute  naissance,  pour  soulager,  dans  les  hôpi- 
«  taux ,  ces  ramas  de  toutes  les  misères  humaines ,  dont  la  vue 
«  est  si  humiliante  pour  l'orgueil ,  et  si  révoltante  pour  notre 
«  délicatesse.  Les  peuples  séparés  de  la  communion  romaine, 

«  n'ont  imité  qu'imparfaitement  une  charité  si  généreuse Il 

«  est  une  autre  congrégation  plus  héroïque;  car  ce  nom  convient 
«  aux  Trinitaires  de  la  Rédemption  des  Captifs.  Ces  religieux  se 
«  consacrent,  depuis  cinq  siècles,  à  briser  les  chaînes  des  chrétiens 
«  chez  les  Maures  :  ils  emploient  à  payer  les  rançons  des  esclaves, 
«  leurs  revenus  et  les  aumônes  qu'ils  recueillent,  et  qu'ils  por- 
«  tent  eux-mêmes  en  Afrique.  On  ne  peut  se  plaindre  de  tels 
«  instituts.  » 

(1)  Dict.  Philos.,  article  Apocalypse.  (Œuvres  complètes ,  t.  xxxvn, 
p.  409.) 

(2)  Voltaire,  ibid.,  article  Biens  d'Église.  (T.  xxxvm,  p.  297.) 

(3)  Essai  sur  les  Mœurs,  ubi  suprà,  p.  249. 


384  DEUXIÈME  PARTIE.  —  POUVOIR  DU  PAPE 

On  conviendra,  sans  doute,  que  de  pareils  aveux  suffi- 
raient pour  établir  les  faits  importants  que  nous  avons  rap- 
pelés, dans  le  cours  de  cet  article,  sur  les  ressources  im- 
menses que  la  religion  et  le  clergé  olfraient  à  la  société, 
au  milieu  des  désordres  du  moyen  âge.  Des  aveux  si  peu 
suspects  ne  sauraient  être  balancés  par  les  invectives  et  les 
déclamations  d'un  si  grand  nombre  d'auteurs  contre  les 
moines  et  le  clergé  de  cette  époque;  déclamations  d'autant 
plus  injustes,  qu'elles  sont  fondées,  pour  la  plupart,  ou  sur 
de  malignes  conjectures,  ou  sur  des  abus  particuliers,  dont 
les  plus  belles  institutions  ne  peuvent  être  entièrement 
exemptes. 
47- .  Il  résulte  évidemment  de  ces  détails,  que  Yintérét  général  de 

Première         .  •  ,     /  A  /    i  •      i  i»«      n 

conséquence  la  société ,  au  moyen  âge,  réclamait  hautement  1  influence  du 
prudents:  clergé  dans  l'ordre  temporel.  Il  était  en  effet  bien  naturel  que 
duêkTgMans  *es  Pouces  et  les  peuples  s'empressassent  de  confier  leurs  intérêts, 
tem  °ltl\  au  ^  ce^u*  ^e  tous  *es  or<fres  de  l'État ,  qui ,  par  ses  lumières  et  ses 
moyen  âge.  vertus,  se  montrait  le  plus  digne  de  leur  confiance,  et  dont 
l'autorité  était  alors  la  principale  ressource  de  la  société,  et  le 
plus  ferme  appui  de  l'ordre  public.  Les  souverains  surtout  avaient 
un  puissant  intérêt  à  étendre  le  pouvoir  et  l'influence  du  clergé. 
Cet  ordre,  si  respecté  des  peuples ,  était,  par  sa  doctrine  et  par 
ses  exemples,  le  plus  ferme  soutien  du  trône,  alors  si  fréquem- 
ment ébranlé,  par  l'insubordination  et  les  révoltes  des  seigneurs 
laïques.  L'enseignement  de  l'Église  sur  l'obéissance  due  aux 
princes  de  la  terre ,  imprimait,  en  quelque  sorte,  sur  le  front 
des  rois,  un  caractère  sacré,  qui  les  rendait,  plus  vénérables  à 
leurs  sujets.  Dans  les  principes  du  christianisme ,  les  princes 
sont  les  images  de  Dieu  sur  la  terre ,  et  les  dépositaires  de  son 
autorité.  Il  est  aisé  de  comprendre  combien  cette  doctrine ,  con- 
stamment enseignée  par  l'Église,  devait  paraître  importante,  aux 
yeux  de  la  politique,  dans  un  temps  de  désordre  et  d'anarchie , 
et  parmi  des  peuples  barbares,  qui  ne  connaissaient,  pour  ainsi 
dire,  d'autre  frein  que  celui  de  la  religion.  Les  ecclésiastiques 
prêchaient  d'autant  plus  efficacement  cette  doctrine,  qu'ils  la 
soutenaient  généralement  par  leurs  exemples.  C'était  parmi  eux 
que  les  souverains  trouvaient  leurs  sujets  les  plus  fidèles  et  les  plus 
dévoués.  L'influence  du  clergé,  selon  la  remarque  d'un  écrivain 


SUR  LES   SOUVERAINS.  —  CHAPITRE  I.  385 

récent  (l) ,  servait  l'autorité  royale  sans  la  mettre  en  danger  ;  et 
si  quelquefois  il  se  mêla  parmi  les  rebelles ,  c'est  qu'il  fut  forcé 
momentanément  à  servir  d'instrument  aux  passions  de  ceux 
qu'il  était  destiné  à  combattre.  Mais  ses  erreurs  n'étaient  pas 
durables,  comme  on  le  voit  par  l'histoire  de  Louis  le  Dé- 
bonnaire; les  évoques  qui  avaient  favorisé  la  révolte  de  ses 
enfants  furent  presque  aussitôt  punis  par  leurs  propres  con- 
frères (2). 

Charlemagne  et  ses  successeurs  étaient  si  convaincus  de  cette        43. 


heureuse  influence  du  clergé,  pour  appuyer  et  maintenir  leur 

Origine 
les  seigneuries 


conséquence  t 

autorité,  qu'une  des  principales  combinaisons  de  leur  politi-  dï 

que ,   fut  de  multiplier  les  seigneuries  ecclésiastiques ,  dans  ecclésiastique*. 

les  parties  de  l'empire  les  plus  difficiles  à  contenir  (3).  «  Char- 

«  lemagne  et  ses  premiers  successeurs ,  dit  Montesquieu,  crai- 

«  gnirent  que  ceux  qu'ils  placeraient  dans  des  lieux  éloignés 

«  ne  fussent  portés  à  la  révolte;  ils  crurent  qu'ils  trouveraient 

«  plus  de  docilité  dans  les  ecclésiastiques;  ainsi  ils  érigèrent  en 

«Allemagne  un  grand  nombre  d'évêchés,  et  y  joignirent  de 

«  grands  fiefs C'étaient  des  pièces  qu'ils  mettaient  en  avant 

«  contre  les  Saxons.  Ce  qu'ils  ne  pouvaient  attendre  de  l'indo- 
«  lence  ou  des  négligences  d'un  leude ,  ils  crurent  qu'ils  devaient 
«  l'attendre  du  zèle  et  de  l'attention  agissante  d'un  évêque  ; 
«  outre  qu'un  tel  vassal ,  bien  loin  de  se  servir  contre  eux  des 
«  peuples  assujettis,  aurait  au  contraire  besoin  d'eux  pour  se 

(1)  Bernardi,  De  l'Origine  et  des  Progrès  de  la  Législation  française ; 
liv.  1,  chap.  ll,pag.  74. 

(2)  Fleury,  Hist.  Ecclésiast. ,  tome  x,  liv.  xLvir,n.  47. —  Daniel,  Hist.  de 
France ,  tora.  11,  année  835 —  Histoire  de  l'Église  Gallicane,  tom.  v, 
année  833. 

(3)  «  Carolus  Magnus,  pro  contundendâ  gentium  illarum  (Germanias)  fe- 
«  rociâ,  omnes  pêne  terras  Ecclesiis  contulerat  ;  consiliosissimè  perpendens 
«  nolle  sacri  ordinis  homines,  tamTacilè  quàm  laïcos,  fidelitatem  Domini  re- 
«  jicere  ;  praeterea  si  laïci  rebellarent,  illos  posset  excommunicationis  aucto- 
«  ritate,  et  potentiae  severitate  compescere.  »  Guillaume  de  Malmesbury,  De 
Gestis  Anglorum,  lib.  v.  (Apud  Henr.  Savillium,  Anglicarum  rerum  Scrip- 
tores.  Londini,  1596,  in-fol.  pag.  166.  )  Voyez,  à  l'appui  de  ce  témoignage, 
Thomassin,  Ancienne  et  nouvelle  Discipline,  tom.  m,  liv.  1,  chap.  28  et  30. 
—  Mémoires  de  l'Académie  des  inscriptions,  tom.  h,  in-4°,  pag.  711 
(tom.  m,  in-12,  pag.  442).  — Maimbourg,  Hist.  de  la  Décadence  de  l'Em- 
pire de  Charlemagne,  liv.  ni,  p.  1  et  suiv.  —  Gaillard,  Hist.  de  Charle- 
magne, tom.  11,  pag.  124.  —  Hallam,  L'Europe  aumoyen âge,  1. 1,  pag.. 191 
et  192.  —  Nettement,  Vie  de  Suger,  pag.  il,  32,  37, 46,  et  alil?ipassim. 

25 


Troisième 
conséquence 


386        DEUXIÈME  PARTIE.  —  POUVOIR  DU  PAPE 

«  soutenir  contre  les  peuples  (1).  »  Telle  est  la  véritable  ori- 
gine, ou  du  moins  une  des  principales  causes  de  l'établissement 
des  seigneuries  ecclésiastiques ,  qui  ont  tant  contribué  à  aug- 
menter les  richesses  et  le  pouvoir  temporel  du  clergé ,  dans  tous 
les  États  chrétiens  de  l'Europe,  au  moyen  âge.  Telle  est  en  par- 
ticulier l'origine  des  grands  fiefs  ecclésiastiques  de  l'empire 
germanique ,  qui  ont  subsisté  jusqu'à  ces  derniers  temps,  avec 
tous  les  droits  et  les  prérogatives  que  leur  assurait  l'ancienne 
constitution  de  l'État  (2). 

Les  mêmes  circonstances  qui  nécessitaient  alors  l'influence 
du  clergé  dans  le  gouvernement  temporel  des  États,  nécessi- 
Linflucnce   talent  également  celle  du  souverain  pontife.  Au  milieu  des  dés- 
pape  dans    or(jres  de  tout  genre  qui  défiguraient  la  société ,  les  princes 

le  gouverne-  o  x  o  7  l 

ment  voyaient  tout  à  la  fois,  dans  le  saint-siége,  le  centre  de  la 
religion,  des  lumières  et  de  la  civilisation;  bien  plus,  ils  y 
voyaient  la  plus  puissante  protection  qu'ils  pussent  invoquer 
contre  l'usurpation  de  leurs  voisins,  et  contre  la  rébellion  de 
leurs  vassaux.  L'autorité  du  Pape  étant  alors  la  seule  univer- 
sellement reconnue,  et  la  plus  respectée,  même  par  les  hommes 
les  plus  violents  et  les  plus  barbares ,  est-il  étonnant  que  les  sou- 
verains s'empressassent  de  prendre  le  saint-siége  pour  arbitre  de 
leurs  différends,  pour  médiateur  et  garant  de  leurs  traités, 
quelquefois  même  de  lui  faire  hommage  de  leurs  États ,  pour 
s'assurer  davantage  la  protection  dont  ils  avaient  besoin?  Com- 
bien ne  durent-ils  pas  être  confirmés  dans  ces  dispositions ,  par 
la  fermeté  du  saint-siége  à  soutenir  les  droits  des  souverains 
qui  avaient  recours  à  son  autorité  tutélaire!  Aussitôt  qu'un  usur- 
pateur voulait  s'emparer  des  États  d'un  prince  feudataire  du 
Pape  (3),  il  était  intimidé,  et  souvent  arrêté,  par  les  remontran- 
ces et  les  menaces  du  pontife ,  qui  lui  disait,  comme  Grégoire  VII 
à  Vézelin,  chef  d'un  parti  de  révoltés  contre  le  roi  deDalmatie  : 


(1)  Montesquieu,  Esprit  des  Lois,  liv.  xxxi,  chap.  19. 

(2)  Voyez,  sur  l'ancienne  constitution  de  l'empire  germanique,  Lenglet-Du- 
fresnoy,  Méthode  pour  étudier  VHist.,  torn.  vi  de  l'édition  in-12,  chap.  5, 
art.  4.  —  Diction,  de  Moreri,  articles  Allemagne  et  Bulle  d'or. 

(3)  Dans  le  style  du  moyen  âge,  on  appelle  feudataire  ou  vassal,  un  sei- 
gneur subordonné  à  un  autre,  nommé  suzerain,  dont  il  tient  son  Jief  ou.  son 
domaine.  Le  droit  du  seirjneur  suzerain  sur  son  vassal,  se  nomme  droit  de 
suzeraineté. 


5o. 


StJR  LES   SOUVERAINS.  —  CHAPITRE  I.  387 

«  Nous  sommes  bien  étonné,  qu'ayant  promis  depuis  long- 
«  temps  d'être  fidèle  à  saint  Pierre  et  à  nous ,  vous  vouliez 
«  maintenant  vous  élever  contre  celui  que  l'autorité  apostolique  a 
«  établi  roi  en  Dalmatiefl).  C'est  pourquoi  nous  vous  défendons, 
«  de  la  part  de  saint  Pierre,  de  prendre  les  armes  contre  ce  roi, 
«  parce  que  l'entreprise  que  vous  feriez  contre  lui  serait  contre 
«  le  saiut-siége  lui-même.  Si  vous  avez  quelque  sujet  de  plainte, 
«  vous  devez  nous  demander  justice,  et  attendre  notre  juge- 
«  ment;  autrement,  sachez  que  nous  tirerons  contre  vous  le 
«  glaive  de  saint  Pierre,  pour  punir  votre  audace,  et  la  témérité 
«  de  tous  ceux  qui  vous  favoriseront  dans  cette  entreprise  (2).  » 
Tel  a  été  constamment  le  langage  et  la  conduite  des  papes  du 
moyen  âge  contre  l'usurpation;  ils  employaient  leur  ascendant  JÊÇ^, 
et  leurs  armes  spirituelles,  pour  la  défense  de  ceux  qui  s'étaient     Dro,tfe , 

*■  -i  su  zci  (im  v  il    cm 

mis  sous  leur  protection,  comme  les  princes  temporels  emplovaient    saiutsiése. 

.„  1  _  l  l  f      *  sur    plusieurs 

la  lorce  des  armes  pour  défendre  leurs  vassaux.  C'est  ce  qui   .  in- 
expliqué la  conduite  d'un  si  grand  nombre  de  souverains ,  qui, 
depuis  le  xe  siècle,  se  rendirent  volontairement  feudataires  du 

(1)  Démétrius  ou  Zuitemir,  roi  de  Dalmatie,  s'était  librement  reconnu  feu- 
dataire  du  saint-siége,  en  1076.  (Annales  de  Baronius,  année  1076,  n.  65  et 
66.)  Les  fréquentes  révolutions  de  la  Dalmatie,  à  cette  époque,  nous  portent  à 
croire  que  cette  démarche  fut  inspirée  à  Démétrius,  comme  elle  le  fut  depuis 
à  plusieurs  autres  souverains,  par  le  désir  de  pourvoir  à  la  tranquillité  de  ses 
États.  Il  paraît  que  le  roi  de  Dalmatie  avait  été  jusque-là  vassal  de  Tempe* 
reur  de  Constantinople.  Mais  la  faiblesse  ou  la  lâcheté  des  empereurs,  ne 
permettant  plus  à  Démétrius  d'espérer  d'eux  le  secours  et  la  protection  dont 
il  avait  besoin,  l'engagèrent  à  secouer  le  joug  de  l'empire,  pour  se  mettre 
sous  4a  protection  du  saint-siége.  Voyez  Ducange,  Illyricum  vêtus  et  no- 
vum,  seu  Hist.  Dalmatiœ,  etc.  Posonii,  1746,  in-fol.  —  Georges  Pray, 
Annales  reg.  Hungar.  Vindobonœ,  1764,  in-fol.,  tom.  i,  pag.  76. 

(2)  «  Scias  nos  de  prudentiâ  tuâ  multum  mirari,  ut  qui  te  esse  dudum 
«  beato  Petro  et  nobis  fidelem  promiseris,  contra  eum  quem  in  Dalmatiâ  re- 
«  gem  auctoritas  apostolica  constituit ,  tu  modo  coneris  insurgere.  Quapro- 
«  pter  nobilitatem  tuam  monemus  ,  et  ex  parte  beati  Pétri  prœcipimus ,  ut 
«  adversùs  jam  dictum  regem  deinceps  arma  capere  non  prsesumas  ;  sciens 
«  quod  qnidquid  in  illum  ausus  fueris,  procul  dubio  te  in  apostolicam  sedem 
«  facturum.  Si  verô  adversùs  ipsum  aliquid  te  forte  dicishabere,  a  nobis  ju- 
«  dicium  debes  expetere,  et  expectare  justitiam,  polius  quàm  contra  eum,  ad 
«  injuriam  sedis  apostolicae,  manus  tuas  armare.  Quod  si  te  tuae  temeritatis 
«  non  pœnitueiit,sed  contra  mandatum  nostrum  contumaciter  ire  tenta veris, 
«  scias  indubitanter,  quia  gladium  beati  Pefriin  audaciâim  tuam  evaginabi- 
«  mus ,  et  eodem  pertinaciam  tuam ,  et  omnium  qui  tibi  ih  eâ  re  fàverint, 
«nisi  resipiscas,  mulctabimus.  »  Gregorii  VII  Epist.  \ib.  7,  Epist.4.  (  2ta« 
ronii  Annales,  anno  1079,  n.  29.  ) 

25. 


$88  DEUXIÈME  TARTIE.  —  POUVOIR  DU  PAPE 

saint-siège.  Cette  démarche,  qui  nous  paraît  aujourd'hui  si 
extraordinaire,  n'était  pas  seulement,  de  leur  part,  un  acte  de 
religion,  inspiré  par  un  profond  respect  pour  l'Église  et  le 
saint-siége;  c'était  encore  une  démarche  politique,  fondée  sur 
Pintérêt  temporel  des  princes  et  de  leurs  sujets  (1).  Il  est  facile 
aujourd'hui  à  des  écrivains  superficiels  ou  passionnés,  d'attri- 
buer à  l'ambition  des  papes  le  pouvoir  vraiment  prodigieux 
que  leur  attira  ce  concours  de  circonstances  ;  mais ,  outre  que 
cet  état  de  choses  était  tout  à  fait  indépendant  de  leur  volonté, 
n'est-ce  pas  une  injustice  manifeste,  d'attribuer  à  leur  ambition 
un  pouvoir  qui  leur  était  librement  déféré  par  les  souverains , 
autant  par  des  motifs  d'intérêt  que  par  des  motifs  de  religion? 
Et  les  papes ,  bien  loin  de  mériter  les  reproches  qu'on  leur  a 
faits  depuis,  sur  ce  sujet,  n'eussent-ils  pas  été  bien  plus  répré- 
hensibles ,  de  refuser  une  autorité  alors  si  nécessaire  au  bien 
de  la  société  et  à  la  tranquillité  des  États? 
L'intervention  du  Pape  dans  les  affaires  publiques  de  l'Eu- 
L'infiuence  du  rope ,  déjà  si  fréquente  pendant  les  premiers  siècles  du  moyen 
piusfre^enie  âge,  par  suite  des  circonstances  dont  nous  venons  de  parler,  et 
étendPùe,s  à    de  plusieurs  autres  que  nous  avons  indiquées  dans  l'article  pré- 
VàcPro?^def:S  cèdent,  le  devint  encore  davantage  à  l'époque  des  croisades, 
parce  qu'elle  était  alors  plus  nécessaire  que  jamais,  pour  la  con- 
duite et  le  succès  de  ces  expéditions,  si  importantes  à  l'intérêt 
commun  de  la  chrétienté  en  Europe  (2).  Les  souverains  eux- 


(1)  Voyez,  à  l'appui  de  ces  réflexions,  Bossuet,  Defensio  Declar.,  lib.  1, 
sect.  1,  cap.  14.  —  Lingard,  Hist.  d'Angleterre,  tom.  m,  chap.  l,»pag. 
45.50.  —  Affre,  Essai  historique  sur  la  Suprématie  temporelle  du  Pape 
et  de  V Église,  chap.  18,  pag.  309,  etc.  —  De  Montalembert ,  Histoire  de 
sainte  Elisabeth  de  Hongrie,  Introd.,  pag.  xxvj,  etc.  —  Jager,  Introd.  à 
Y  Hist.  de  Grégoire  VII,  pag.  xxj-xxiij. 

(2)  Une  foule  d'auteurs  modernes,  surtout  depuis  deux  siècles,  n'ont  vu 
dans  les  croisades,  que  des  guerres  inspirées  par  un  zèle  de  religion  mal  en- 
tendu. Il  serait  difficile  de  faire,  en  moins  de  mots,  une  apologie  plus  com- 
plète de  ces  expéditions,  que  ne  l'a  fait  l'abbé  de  Gambacérès,  dans  le  Pc- 
négyrique  de  saint  Louis,  prononcé  en  1768  :  «  Transporter  au  delà  des 
«  mers  des  vassaux  rebelles  et  factieux,  et  par  là  rendre  le  calme  à  l'État; 
«  tourner  contre  les  Barbares  la  fureur  de  ces  lions  indomptés  qui  déchi- 
k raient  la  patrie,  et,  par  là,  laisser  reposer  les  peuples;  occuper  leurs 
«  armes  contre  un  ennemi  éloigné ,  afin  qu'ils  ne  les  tournassent  pas 
«  contre  leurs  rois ,  et  par  là  affermir  le  trône,  et  par  les  guerres  étrangères 
jx  étouffer  les  intestines  :  En  voilà  la  politique.  Combattre  un  peuple  fé* 


SUE   LES   SOUVERAINS.  —  CHAPITRE  I.  389 

mêmes  le  comprirent,  et  s'accordèrent  bientôt  à  regarder  le  sou- 
verain pontife  comme  l'âme  et  le  principal  mobile  de  ces  grandes 
entreprises.  «  Personne  n'ignore,  dit  Bossuet,  qu'à  cette  époque, 
«  les  princes  chrétiens  étaient  bien  aises  de  voir  le  souverain 
«  pontife  à  la  tête  de  toutes  les  affaires  concernant  les  guerres 
«  saintes,  afin  que  tout  y  fût  conduit  avec  plus  de  concert  et  de 
«  respect  pour  la  religion.  Souvent  même  les  rois  et  les  princes 
«  qui  s'enrôlaient  dans  la  guerre  sainte ,  plaçaient  leurs  per- 
«  sonnes  et  leurs  biens  sous  la  protection  des  souverains  pon- 
«  tifes.  Il  nous  suffit  de  rappeler  en  peu  de  mots  ces  faits  con- 
«  stants  et  notoires.  Ce  n'était  pas  seulement  dans  les  guerres 
«  saintes,  mais  encore  dans  toutes  les  autres,  que  les  souverains, 
«  par  leurs  traités  de  paix ,  se  soumettaient  à  l'autorité  du  saint- 
«  siège,  pour  les  confirmer  et  pour  en  assurer  l'exécution,  et 
«  appelaient  ainsi  la  religion  à  leur  secours;  d'où  il  arrivait  que 
«  les  affaires  politiques  les  plus  importantes  se  traitaient  à  Rome, 
«en  présence  du  souverain  pontife.  A  cette  occasion,  la  puis- 
«  sance  spirituelle  s'emparait  de  plusieurs  droits  des  souverains; 
«  et  les  princes  chrétiens,  quoiqu'ils  s'en  aperçussent,  n'y  té- 
«moignaient  pas  toujours  de  répugnance;....  souvent  même  ils 


«  roce,  qui  avait  pour  article  de  foi  d'exterminer  les  chrétiens;  qui  avait 
«porté  ses  ravages  en  Espagne,  en  Portugal,  en  Allemagne,  et  jusque 
«  dans  la  France  ;  qui  préparait  des  fers  à  toute  la  chrétienté,  si  la  religion 
«  n'eût  réuni  les  princes  chrétiens  contre  ces  rapides  conquérants,  et, 
«par  les  croisades,  délivré  l'Asie  et  rassuré  l'Europe  :  En  voilà  la  justi- 
«  ce.  Osons  donc  une  fois  braver  le  préjugé,  et  nous  représenter  ces  guerres 
«  saintes,  aussi  heureuses  qu'elles  auraient  pu  l'être  !  L'Asie  ne  serait  point  la 
«  proie  des  Barbares  ;  la  loi  de  l'Évangile  aurait  fait  des  mœurs  et  des  hom- 
«  mes,  là  où  la  loi  d'un  imposteur  n'a  produit  que  des  mœurs  honteuses 
«  pour  l'humanité;  l'Europe,  l'Asie,  l'Afrique,  ne  seraient  pour  ainsi  dire 
«  qu'un  peuple  et  une  religion;  la  mer  serait  sans  pirates,  le  commerce  sans 
«  obstacles,  le  nom  de  chrétien  sans  ennemis  ;  des  millions  de  malheureux, 
«  nos  frères  et  nos  compatriotes,  ne  gémiraient  point,  à  la  honte  des  nations, 
«  sous  les  fers  des  infidèles  ;  et  en  voyant  le  monde  affranchi  de  la  tyrannie 
«  ottomane,  au  lieu  de  dire  :  «  Quelle  folie  que  les  croisades  !  »  on  s'écrierait  : 
«  Quel  malheur  pour  l'humanité ,  que  les  croisades  n'aient  pas  réussi  :  »  En 
«  voilà  l'apologie.  » 

On  peut  voir,  à  l'appui  de  ce  jugement,  les  ouvrages  suivants  :  Bergier, 
Dict.  Théol.,  article  Croisades. —  Feller,  Diction,  histor.,  article  Pierre 
l'Ermite.  —  De  Maistre,  Du  Pape,  liv.  m,  chap.  7.  —  De  Choiseul  d'Ail- 
lecourt,  De  V Influence  des  Croisades,  pag.  9,  etc.  —  D'Exauvillez,  Hist.  de 
Godefroy  de  Bouillon,  Introcl.,  pag.  29,  etc.  —  Frayssinous,  Panégyrique 
de  saint  Louis,  2e  partie.  (Discoxirs  inédits,  pag.  433,  etc.) 


390  Deuxième  partie.  —  pouvoir  du  pape 

«l'approuvaient  par  leur  consentement,  leur  permission  ou 
«leur  silence (l).  » 
s2.  L'histoire  de  cette  époque  renferme  une  multitude  de  faits,  à 

remarq^bïes  l'appui  de  ces  assertions  (2).  Pendant  toute  la  durée  des  croi- 
influence,  sades ,  et  surtout  pendant  les  premières,  souvent  on  vit  les  sou- 
verains et  leurs  armées  se  placer  sous  la  dépendance  presque 
absolue  du  Pape.  A  la  voix  du  chef  de  l'Église,  on  voyait,  de 
tous  côtés,  s'assembler,  s'armer,  se  mettre  en  marche,  des 
troupes  innombrables  de  croisés.  Le  souverain  pontife,  de  con- 
cert et  à  la  prière  même  des  princes  chrétiens,  veillait  au 
prompt  et  fidèle  accomplissement  de  leurs  vœux,  examinait  et 
jugeait  les  causes  de  dispenses,  ordonnait  des  impositions  et  des 
taxes  pour  les  frais  de  la  guerre  sainte,  dirigeait  par  lui-même 
ou  par  ses  légats  la  marche  des  armées,  et  les  négociations  des 
princes  chrétiens  avec  les  infidèles.  Les  croisés  reconnaissaient 
si  hautement  leur  dépendance  à  l'égard  du  Pape,  d'après  la 
nature  même  de  leur  pieuse  entreprise,  qu'ils  le  pressaient 
quelquefois  de  venir  en  personne  se  mettre  à  leur  tête  (3),  et 

(1)  «  Neminem,  credo,  latet  (  ecclesiasticam  potestatem  multa  sibi  vindi- 
«  casse  civilia,  principum  concessione  ant  consensione),  sacrorum  bellorum, 
«  quae  cruciatas  vocant,tempore,  siveillœ  in  Saracenos  recuperandœ  Palae- 
«  stinœ  gratiâ,  sive  in  haereticos  susceptee  essent.  Placebat  enim  chiïstianis 
«  regibus,  in  illis  sacris  bellis,  prseesse  omnibus  pontihciam  potestatem,  ut 
«et  cunjunctioribus  animis,  et  majori  religionis  reverentiâ  rem  gérèrent. 
«  Saepe  etiàm  reges  ac  principes,  bellum  sacrum  inituri,  se  suaque  omnia 
«  pontificibus  tuenda  commendabant.  Haec  obvia  et  nota  tantùm  referimus. 
«  Neque  duntaxat  in  sacris,  sed  etiam  in  omnibus  bellis,  pacto  de  pace  fœ- 
«  dere,  hujus  firmandi  et  exequendi  gratià,  sedi  apostolicae  se  ultro  submit- 
«  tebant  ;  aliisque  multis  modis  se  religionis  nomine  ac  reverentiâ  tutaban- 
«  tur  ;  quibus  ïieret  ut  saecularia  negotia  maxima,  Roma?  potissimùm  coram 
«  pontiiice  tractarentur.  Per  eam  intérim  occasionem,  spiritualis  potestas 
«  multa  regum  jura  invadebat  ;  cùmque  id  perspicerent  boni  ac  pii  princi- 

«  pes,  non  semper  repugnabant sed  (in  bis  omnibus)  diligentissimè  secer- 

«  nenda  quœ  aChristo  concessa  sint  (Ecclesiae),  ab  iisqu;e  regum  auctoritate, 
«  consensu,permissu,  conniventiâ,silenlio  denique,  gesseritaut  babuerit.» 
Bossuet,  Defensio  Declar.,  lib.  iv,  cap.  5. 

(2)  Fleury,  Ilisl. Ecoles. ,  tom.  xvm,  6e  Discours,  n.  7  et  8  —  De  Cboi- 
seul  d'Aillecourt,  De  l'Influence  des  Croisades,  pag.  83  et  84.  —  Micliaud, 
HisL  des  Croisades,  tom.  vi,  liv.  22,  ch.  7,  et  alibi  passim. 

(3)  Voyez  la  lettre  des  croisés  au  pape  Urbain  il,  après  la  prise  d'Antio- 
cbe,  en  1098.  Cette  lettre  nous  a  été  conservée  par  Foucher  de  Cbartres, 
Gesta  Peregrin.  Francor.  (Tom.  î  du  Recueil  deBongars;  Gesta  Dei  per 
Francos.  Hanoviae,  1611,  2  vol.  in-fol.  Tom.  îv  du  Recueil  des  Hist.  de 
France,  de  Duchesne.)  On  trouve  un  extrait  de  cette  lettre,  dans  l'ouvrage 


SUR  LES  SOUVERAINS.  —  CHAPITRE  î.         39  i 

qu'on  vit,  en  effet ,  dans  un  moment  où  la  chrétienté  était  plus 
fortement  menacée  par  ses  ennemis,  un  pontife  sexagénaire 
prendre  cette  résolution  extraordinaire,  que  la  mort  seule  l'em* 
pécha  d'exécuter  (1). 

Nous  excéderions  de  beaucoup  les  bornes  qui  nous  sont  pres- 
crites, si  nous  voulions  rassembler  ici  les  preuves  sans  nombre 
que  l'histoire  des  croisades  offre,  pour  ainsi  dire,  à  chaque 
page,  de  l'influence  extraordinaire  que  les  papes  exerçaient 
alors  dans  le  gouvernement  des  États,  et  dans  les  affaires  géné- 
rales de  l'Europe,  par  la  nécessité  même  des  circonstances,  et 
avec  le  consentement  exprès  ou  tacite  des  souverains.  Qu'il 
nous  suffise  de  rappeler  en  particulier  le  concile  de  Clermont, 
tenu  en  1095  sous  le  pape  Urbain  II,  et  dans  lequel  fut  résolue 
la  première  croisade;  le  premier  concile  général  de  Latran, 
tenu  en  1123;  et  plusieurs  autres  conciles  généraux  ou  parti- 
culiers, dont  les  décrets  en  matière  temporelle,  et  spécialement 
pour  ce  qui  regarde  les  guerres  saintes,  furent  approuvés  par 
les  souverains  qui  assistaient  à  ces  conciles,  soit  en  personne, 
soit  par  leurs  ambassadeurs.  Qu'on  se  rappelle  encore  les  détails 
relatifs  à  la  régence  de  l'abbé  Suger,  en  France,  pendant  l'ab- 
sence de  Louis  le  Jeune;  l'histoire  de  l'attaque  et  de  la  prise  de 
Constantinople  par  les  croisés  en  1204,  et  les  principaux  événe- 
ments qui  s'y  rattachent  (2).  Tous  ces  événements,  et  tant  d'au- 
tres que  nous  ne  pouvons  même  indiquer  ici  bièvement ,  four- 
nissent des  preuves  manifestes  à  l'appui  de  ce  que  nous  venons 
de  dire,  sur  les  raisons  qui  autorisaient  alors,  et  souvent  même 
nécessitaient  l'intervention  du  Pape  dans  les  affaires  générales 
de  l'Europe.  Us  fournissent  aussi  l'explication  naturelle  d'un 

déjà  cité  de  Choiseul  d'Aillecourt ,  De  V Influence  des  Croisades,  pag.  84 
et  281  ;  et  dans  Y  Hist.  Ecclés.  de  Fleury,  tom.  xur,  liv.  lxiv,  n.  58. 

(1)  Sur  cette  résolution  extraordinaire  de  Pie  II,  voyez  Michaud,  Hist.  des 
Croisades ,  tom.  v,  liv.  xx,  année  1463  ,  pag.  376,  etc.  — De  Choiseul 
d'Aillecourt,  ubi  suprà,  pag.  281,  —  Fleury,  Hist.  Eccl.,  t.  xxm,  liv.  cxn, 
n.  98,  etc. 

(2)  Pour  le  détail  de  ces  événements ,  voyez  principalement  les  ouvrages 
de  Fleury,  du  P.  Daniel  et  du  P.  Longneval;  Y  Hist.  des  Croisades ,  du 
P.  Maimbourg  ;  celle  de  Michaud,  etc.— Pour  ce  qui  regarde  en  particulier  les 
détails  relatifs  à  la  régence  de  l'abbé  Suger,  voyez  Nettement,  Vie  de  Suger, 
pag.  184-187,  268-278,  318,  etc.  —  Sur  l'attaque  et  la  prise  de  Constantino- 
ple par  les  croisés,  en  1203  et  1204,  voyez  Hurter,  Histoire  d'Innocent  lit, 
tom.  i,  liv.  vu  et  vin. 


392  DEUXIÈME  PARTIE.  —  POUVOIR  DU  PAPE 

grand  nombre  de  faits,  qui,  pour  n'avoir  pas  été  envisagés  sous 
leur  véritable  point  de  vue,  ont  été  si  diversement  jugés  par  les 
auteurs  modernes,  et  si  malignement  interprétés  par  les  ennemis 
de  l'Église  et  du  saint-siége  (1). 
«. .  .        Toutes  les  observations  que  nous  venons  de  faire,  dans  le 

Nécessite  . 

de  rinflumce  cours  de  cet  article,  pour  expliquer  l'intervention  si  fréquente 
dergé  dans    des  papes  et  des  conciles  dans  les  affaires  politiques  de  l'Eu- 
JTOPord.    rope,  au  moyen  âge,   ont  frappé,  même  dans  ces  derniers 
*" reconnue3*'  temps,  un  grand  nombre  d'écrivains,  d'ailleurs  peu  favorables 
parifnrSau*  **  l'extension  prodigieuse  que  prit  alors  le  pouvoir  temporel  du 
«on  aspects.  ciergé.  Malgré  leurs  préjugés  bien  connus,  en  cette  matière, 
ces  auteurs  ne  font  pas  difficulté  de  reconnaître,  que  l'influence 
du  clergé  dans  le  gouvernement  temporel,  à  cette  époque ,  était 
nécessitée  par  la  situation  déplorable  de  la  société;  que  les 
princes  et  les  peuples  étaient  également  intéressés  à  reconnaître 
et  à  maintenir  cette  influence;  et  que  celle  du  saint-siége  en 
particulier  était  une  espèce  de  dictature ,  nécessaire  pour  dé- 
fendre la  société  contre  l'anarchie  universelle ,  qui  la  menaçait 
d'une  ruine  totale.  Déjà  nous  avons  cité,  à  l'appui  de  ces  asser- 
tions, plusieurs  témoignages  remarquables  (2).  En  voici  quelques 
autres,  qui  ne  semblent  pas  moins  dignes  d'attention. 
.  54-  Bossuet,  dans  la  Défense  de  la  Déclaration,  explique,  en 

Témoignage  '  J  n 

de  ces  termes,  l'origine  et  les  progrès  de  la  puissance  temporelle 
de  l'Église  et  du  saint-siége,  depuis  la  conversion  de  Constantin 
jusqu'à  l'élévation  de  Cbarlemagne  à  l'empire  d'Occident, 
a  Tout  le  monde  sait,  dit-il,  quel  était,  dès  les  premiers  siècles 
«de  l'Église,  le  -pouvoir judiciaire  des  évêques.  Sans  entrer 
«  dans  le  détail  de  toutes  les  lois  des  princes,  qui  prouvent  ce 
«  que  j'avance,  on  n'a  qu'à  lire  ce  qui  est  dit  dans  le  Code  Jus- 
«  tinien,  sous  ce  titre  :  De  l'Audience  des  évêques  (3)  ;  et  l'on 

"  (1)  Ces  observations  peuvent  beaucoup  servir  à  expliquer"  la  conduite 
d'Innocent  III  envers  les  rois  de  France  et  d'Angleterre  (en  1199)  ;  celle  de 
Grégoire  IX  et  de  ses  successeurs  envers  Frédéric  II  (1239-1245);  celle  de 
Boniface  VIII  envers  Philippe  le  Bel  (1296  et  1302),  etc.  Aussi,  plusieurs  au- 
teurs l'ont-ils  justifiée ,  du  moins  sur  plusieurs  points,  d'après  ces  observa- 
tions, comme  nous  aurons  bientôt  occasion  de  le  montrer.  (Ci-après,  chap.  3, 
art.  1). 

»   (2)  Voyez  ci-dessus  (pag.  346,  etc.)  les  témoignages  de  Voigt,  de  Hurter,  et 
de  plusieurs  autres  écrivains  protestants. 
(3)  Cod.  Justiniani  lib.  1,  tit.  4. 


Bossuet 


SUR  LES  SOUVERAINS.  —  CHAPITRE  I.  393 

«  verra  combien  les  évoques  étaient  déjà  puissants  à  une  époque 
«où  ils  n'avaient  encore  aucun  emploi  civil  (1).  Les  secours 
«  même  temporels  qu'ils  donnaient  à  leurs  peuples,  avec  une 
«  charité  vraiment  paternelle,  les  faisaient  regarder,  non-seule- 
«  ment  comme  les  ornements,  mais  encore  comme  les  défenseurs 
«  et  les  soutiens  de  l'État.  Dans  cette  persuasion ,  les  rois  et  les 
«  peuples  conçurent  pour  eux  tant  d'estime  et  de  vénération , 
«  qu'ils  les  considérèrent  comme  le  premier  corps  et  comme  les 
«  principaux  seigneurs  de  VÉtat.  Plusieurs  même  devinrent , 
«avec  le  temps,  seigneurs  et  princes  temporels  de  leurs  villes. 
«  Cette  puissance,  ajoutée  à  leur  caractère  sacré,  et  fondée  sur 
«la  dignité  même  de  ce  caractère,  est  très-différente  de  celle 
«  qu'ils  possèdent  en  vertu  de  leur  première  institution.  Distin- 
«  guons  donc,  dans  la  puissance  ecclésiastique,  ce  qui  vient  de 
«  son  institution,  d'avec  ce  qu'on  y  a  surajouté  dans  la  suite; 
«  ce  qui  est  primordial,  d'avec  ce  qui  est  purement  secondaire  ; 
«  ce  qui  tient  à  l'essence,  d'avec  ce  qui  est  purement  accidentel. 
«  Plus  les  papes  étaient  élevés  en  dignité,  soit  comme  successeurs 
«  de  saint  Pierre,  et  en  cette  qualité  ne  voyant  personne  au-des- 
«  sus  d'eux ,  soit  comme  évèques  de  la  capitale  du  monde  ;  plus 
«  ils  furent  environnés  de  cette  puissance  accessoire  et  secon- 
«  daire.  Le  saint-siége  commença  donc  à  exercer  une  grande 
«influence,  non-seulement  dans  les  affaires  ecclésiastiques ,  qui 
«  sont  naturellement  de  son  ressort,  mais  encore  dans  les  affaires 
«  civiles;  principalement  depuis  que  les  empereurs,  voyant  leur 
«  puissance  anéantie  en  Occident,  n'y  purent  soutenir  leur  di- 
«  gnité,  que  par  la  fidélité  et  le  respect  que  les  papes  conservaient 
«  pour  eux  (2).  » 


(1)  Il  n'est  pas  exact  de  dire  qu'à  l'époque  dont  il  s'agit,  c'est-à-dire  sous 
l'empire  de  Justinien,  les  évêques  n'avaient  encore  aucun  emploi  civil;  il 
est  certain,  au  contraire,  que,  môme  avant  cette  époque,  les  évêques  exer- 
çaient déjà,  par  la  concession  des  empereurs,  plusieurs  emplois  civils  très- 
importants.  Voyez  les  détails  que  nous  avons  donnés,  sur  ce  sujet,  dans  Y  In- 
troduction de  cet  ouvrage,  art.  2,  §  5  et  6. 

(2)  «  Quid  enim  episcopi,  primis  Ecclesiae  temporibus,  in  judiciis  potuerint, 
«  neminem  latet,  probatque  titulus  de  Episcopali  audientiâ,  in  Codice,  ut  hic 
«  alia  principum  constituta  omittamus.  Tanta  poterant,  cùm  needum  aliquid 
«  publici  muneris  attigissent.  Cùm  autem  commissas  grèges ,  paternâ  cari- 
«  tate,  etiam  in  negotiis  secularibus  adjuvai  ent,  ipsique  reipublicae,  non  tan- 
te tùm  ornamento,  verùm  etiam  tutelee  ac  firmamento  essent,  eos  tanta  re<? 


S94  DEUXIÈME  PARTIE.  —  POUVOIR  DU  PAPE 

55,  Un  jurisconsulte  de  nos  jours ,  qui  a  fait  une  étude  particu- 

Témoignage  jière  ^e  la  juriSpriujence  du  moyen  âge,  adopte  pleinement 
Bernardi.  cette  explication  de  Bossuet,  et  s'en  sert  même  pour  expliquer 
l'accroissement  prodigieux  du  pouvoir  temporel  du  clergé,  dans 
tous  les  États  catholiques  de  l'Europe,  depuis  le  règne  de 
Charlemagne  :  «  Les  souverains  eux-mêmes,  dit  M.  Bernardi  (l), 
«  trouvaient  leurs  avantages  (dans  la  grande  autorité  du  clergé). 
«  Les  grands  de  l'État  étaient  d'une  indocilité  extrême  ;  ils  se 
«  pliaient  avec  peine  aux  lois  de  l'obéissance....  Pour  affermir 
«leur  trône,  et  se  garantir  des  insultes  auxquelles  ils  étaient 
«continuellement  exposés,  les  rois  furent  forcés  de  se  jeter 
«  dans  les  bras  des  ecclésiastiques ,  parmi  lesquels  ils  trou- 
«  vèrent  des  sujets  plus  éclairés  et  plus  soumis.  Leurs  lumières 
«  étaient  d'ailleurs  utiles  dans  toutes  les  parties  de  l'administra- 

«  tion,  où  il  fut  nécessaire  de  les  employer De  toutes  ces 

«  circonstances,  vinrent  le  crédit  dont  le  clergé  jouit,  dès  les 
«  premiers  instants  de  la  fondation  des  monarchies  de  l'Eu- 
«  rope ,  l'inspection  qu'on  lui  donna  sur  les  juges  civils,  l'auto- 
«  rite  qu'il  exerça  dans  les  différentes  parties  de  l'administration 
«  publique,  dont  les  véritables  règles  n'étaient  connues  que  de 
«lui;  de  là  encore  l'usage  fréquent  des  peines  canoniques, 
«  qui  pouvaient  seules  en  imposer  a  des  hommes  qui  bravaient 
«  toutes  les  autres.  » 
Aveux  de  M.  Hurter,  dans  Y  Histoire  d'Innocent  III,  ne  se  borne  pas 
Vwrtor-     à  expliquer  et  à  justifier,  par  de  semblables  considérations, 

«  gum  ac  civhim  caritas  et  reverentia  prosecula  est ,  utjam  reipublicœ 
«.pars  maxima,  interque  optimates  primi  haberentur ;  multi  etiam, 
a  lapsu  tempoiïs,  suarum  urbium  principatum  ditionemqueobtinerent;  quae 
«  sacro  conjuncta  ordini,  et  ejus  dignitate  tamquam  fundamento  nixa,  longé 
«  tamen  absunt  ab  iis  quae  primée  institutionis  esse  constat.  Distinguanius 
«  itaque,  quae  institutionis  sint,  quae  sint  accessionis  ;  quae  primaria,  quae 
«  secundaria ;  quae  innata,  quae  annexa  sint.  Ponlifices  Romani,  quo  al- 
«  tiore  loco  erant,  Pétri  nomine  ac  majestate  primum,  quae  post  Cliristum 
«  erat  maxima,  tum  dominée  urbis  splendore  commendati,  baec  annexa  et 
«  secundaria  longé  eminentiùs  obtinebant.  Cœpit  ergo  Romana  sedes,  non 
«  modo  in  ecclesiasticis,  quod  et  ipsi  innatum,  sed  etiam  in  civilibus  majes- 
«tatem  babere  negotiis;  eo  maxime  tempore,  quo  imperatores,  solutâ  in 
«  Occidente  imperii  vi,  Romanorum  pontilicum  fide  atque  observantiâ  sin- 
«  gulari,  suam  dignitatem  in  bis  parti  bus  sustentabant.  »  Bossuet,  Defensio 
Declar.,  lib.  n,  cap.  36. 

(1)  Bernardi,  De  l'Origine  et  des  Progrès  de  la  Législation  française. 
Paris,  1816,  in-8°,  liv.  i,  chap.  11,  p.  71-75. 


SUR  LES   SOUVERAINS.  —  CHAPITRE  U  395 

comme  on  l'a  vu  plus  haut(t),  l'intervention  si  fréquente  du 
saint-siége  dans  les  affaires  politiques  de  l'Europe,  au  moyen 
âge;  mais  il  reconnaît  en  particulier  l'importance  et  les  avan- 
tages de  cette  intervention  à  l'époque  des  croisades.  «  On  ne 
«saurait  trop  apprécier,  dit-il,  les  services  que  la  papauté  a 
«  rendus,  en  réunissant  les  forces  de  l'Occident  contre  ce  torrent 
«  de  hordes  barbares,  qui  menaçaient  d'envahir  l'Europe.  Qui 
«  sait  si  les  croisades  n'ont  pas  préservé  cette  partie  du  monde 
«  d'une  irruption  aussi  désastreuse  que  le  furent  celles  de  710 
«et  de  1683?  Et  si,  de  1529,  nous  jetons  les  yeux  en  arrière 
«  de  quatre  siècles ,  ne  devons-nous  pas  présumer  que  c'est  à 
«  ceux  qui  dirigèrent  les  forces  de  l'Europe  vers  le  pays  de  l'is- 
«lamisme,  que  l'Europe  doit  d'avoir  échappé  aux  invasions 
«  des  sectaires  de  Mahomet  (2)  ?  » 
Nous  ne  multiplierons  pas  davantage  les  citations  sur  ce  su-  ,  .57-  .  . 

L  l  °  Plusieurs  ecri- 

jet.  Nous  remarquerons  seulement  la  conséquence  naturelle  qui      vains 
résulte  des  témoignages  et  des  faits  que  nous  avons  recueillis  "VâScT" 
dans  cet  article,  contre  les  reproches  d'ambition  et  d'usurpa-  mèmesTsûr 
tion,  qu'un  si  grand  nombre  d'écrivains  modernes  adressent  au     ce  po,n1, 
clergé  du  moyen  âge,  et  principalement  aux  souverains  pon- 
tifes, à  l'occasion  du  pouvoir  extraordinaire,  dont  l'usage  et  la 
coutume  de  leur  siècle  les  avaient  investis  (3).  Avec  quelle  ap- 
parence de  raison  peut- on  donner  une  origine  si  peu  honorable 
à  ce  pouvoir,  exercé,  dès  le  principe,  par  un  si  grand  nombre 
de  pontifes  distingués  par  l'éminence  de  leurs  vertus  ;  à  ce  pou- 
voir que  les  princes  et  les  peuples  avaient  librement  déféré  au 
clergé,  et  dont  il  fit  le  plus  souvent  un  usage  si  louable,  et  si 
utile  au  bien  général  de  la  société? 

ARTICLE  III. 

Jurisprudence  du  moyen  âge,  sur  les  effets  temporels  de  la  pénitence 
publique  et  de  l'excommunication ,  par  rapport  aux  simples  particu- 
liers. 


L'étroite  union  des  deux  puissances,  dans  tous  les  États  chré  - 


58. 


tiens  de  l'Europe,  au  moyen  âge  ;  la  prééminence  dont  le  clergé   0risine  de 

(1)  Ci-dessus,  n.  19,  pag.  348. 

(2)  Hurter,  Histoire  d'Innocent  III,  tom.  h,  pag.  518. 

(3)  Voyez  la  note  1  de  la  pag.  345. 


deuce. 


396  DEUXIÈME  PARTIE.  —  POUVOIR  DU  PAPE 

jarîspru-  y  jouissait  entre  tous  les  ordres  de  l'État,  le  profond  respect  des 
peuples  pour  la  religion,  alors  généralement  regardée  comme  la 
base  et  le  soutien  nécessaire  du  gouvernement  ;  toutes  ces  cir- 
constances réunies  devaient  naturellement  amener  l'usage  de 
confirmer  les  lois  divines  et  ecclésiastiques  par  l'autorité  des 
princes,  et  par  la  sanction  des  peines  temporelles.  Cet  usage, 
déjà  établi  sous  les  empereurs  chrétiens,  depuis  la  conversion  de 
Constantin  (l),  devait  paraître  d'autant  plus  naturel  dans  les 
autres  États,  que  l'union  des  deux  puissances  y  était  beaucoup 
plus  étroite,  et  que  la  grossièreté  des  peuples  y  rendait  beaucoup 
plus  nécessaire  l'emploi  des  peines  temporelles,  pour  le  main- 
tien de  l'ordre  public. 

Telle  est  la  véritable  origine  des  peines  temporelles  décernées 
parla  législation  de  tous  les  États  chrétiens,  au  moyen  âge,  con- 
tre l'arme,  Y  apostasie,  le  blasphème,  et  plusieurs  autres  délits 
contraires  à  la  religion  (2). 

L'exposition  que  nous  avons  faite,  dans  Y  Introduction  de  cet 
ouvrage,  des  principales  dispositions  du  droit  romain  contre 
l'hérésie,  fait  suffisamment  connaître,  à  cet  égard,  la  législa- 
tion du  moyen  âge ,  entièrement  empruntée  au  droit  romain. 
Pour  ne  pas  répéter  inutilement  ce  que  nous  avons  déjà  dit 
sur  ce  sujet,  nous  parlerons  seulement,  dans  ce  troisième  ar- 
ticle, des  effets  temporels  attachés,  par  la  législation  du  moyen 
âge,  à  la  pénitence  publique  et  à  Y  excommunication.  Nous 
considérerons  principalement  ces  effets  par  rapport  aux  simples 
particuliers,  réservant  au  chapitre  suivant  ce  qui  regarde  les 
mêmes  effets  par  rapport  aux  souverains. 

(1)  Voyez  les  détails  que  nous  avons  donnés  sur  ce  sujet,  dans  Y  Introduc- 
tion de  cet  ouvrage,  art.  2,  §  2,  p.  46,  etc. 

(2)  Pour  ce  qui  concerne  la  législation  française  sur  ce  point,  voyez 
principalement  l'Analyse  des  Capitulâmes ,  dans  l'Histoire  des  Auteurs 
sacrés  et  ecclésiast.,  par  D.  Ceillier,  t.  xviu,  p.  380.  Cette  analyse  est  ré- 
pandue dans  les  tomes  ix  et  x  de  Y  Histoire  Ecclésiastique  de  Fleury  ;  dans 
les  tomes  iv  et  v de  YHistoirede  V Église  Gallicane;  dans  les  Annales  du 
moyen  âge,  t.  v,  liv.  xvn,  p.  69;  t.  vin,  liv.  xxvu,  p.  47  ;  liv.  xxx,  passim. 

—  Pour  la  législation  anglaise,  voyez  Lingard,  Antiquités  de  l'Église  An- 
glo-saxonne ,  chap.  5,  p.  193,  etc.  —  Hist.  d'Angleterre,  t.  i,  chap.  2, 
p.  128.  —Leges  Ethelberti,  Inœ,  etc.  (Wilkins,  Concilia  Britanniœ,  1. 1.) 

—  Alban  Butler,  Vies  des  Pères,  28  octobre,  note  sur  Alfred  le  Grand.  — 
Pour  la  législation  d'Espagne  et  des  autres  pays,  voyez,  dans  l'ouvrage 
de  D.  Ceillier,  Yanalyse  des  conciles  ou  assemblées  mixtes ,  tenus  dans 
ces  divers  États,  depuis  le  vie  siècle.  (  T.  xvn,  xxu  et  xxm.  ) 


SUR  LES   SOUVERAINS.  —  CHAPITRE  I.  397 

§  Ier.  Effets  temporels  de  la  pénitence  publique  (1). 
L'origine  et  les  progrès  de  cet  usage  sont  d'autant  plus  dignes       6'9- 

-.,    .k       ,.  ...  7  .  ,7  ..  ,  .       ,.      .    ,.         Ancienne   dis. 

d  attention,  qu  il  parait  avoir  amené  insensiblement  la  discipline  cip'.ne 
du  moyen  âge,  sur  les  effets  temporels  de  l'excommunication.  e  ^\T  ' 
Dès  le  temps  des  persécutions,  l'Église  obligeait  à  diverses  pra-  Pënj,t1eîn™  pu 
tiques  de  pénitence  extérieure  et  publique ,  les  pécheurs  coupa- 
bles de  certains  crimes  énormes,  tels  que  l'apostasie,  le  meurtre 
et  la  fornication  (2).  Il  existe,  à  la  vérité,  de  grandes  contestations 
entre  les  savants,  sur  l'origine  et  les  variations  de  cette  ancienne 
discipline,  et  principalement  sur  la  nature  des  délits  que  les  lois 
de  l'Église  soumettaient  à  la  pénitence  publique.  Quelques  au- 
teurs ont  pensé  que  tous  les  péchés  mortels,  même  secrets,  y 
avaient  été  autrefois  assujettis;  d'autres  ont  cru  que  les  fautes 
secrètes  n'y  avaient  jamais  été  soumises,  et  que,  parmi  les  fau- 
tes même  publiques,  l'Église  ne  punissait  ainsi  que  certains  pé- 
chés considérables.  Mais  quoi  qu'il  en  soit  de  ces  discussions,  tout 
à  fait  étrangères  à  notre  objet,  il  est  certain,  et  généralement 
reconnu,  que  plusieurs  péchés  considérables  ont  été,  dès  le  temps 
des  persécutions,  assujettis  à  la  pénitence  publique,  soit  en 
Orient  soit  en  Occident  ;  que  cette  discipline  a  été  généralement 
observée  avec  plus  ou  moins  de  rigueur,  jusqu'au  vme  siècle, 
dans  l'Église  d'Occident,  où  elle  est  peu  à  peu  tombée  en  désué- 
tude, depuis  le  vme  siècle  jusqu'au  xne;  enfin,  que,  pendant  la 
durée  de  cette  ancienne  discipline,  et  principalement  depuis  le 
ive  siècle  jusqu'au  vine,  les  exercices  de  la  pénitence  publique 

(1)  Ce  point  d'histoire,  généralement  peu  connu,  a  été  soigneusement 
traité  par  le  P.  Morin,  dans  son  ouvrage  intitulé  :  Commentarius  histori- 
ens, de  disciplina  in  administraiione  sacramenli  Pœnitentiœ  olim  obser- 
vatâ,  (Parisiis,  1651,  in-fol.)  lib.  v,  cap.  18-25;  lib.  vu,  cap.  4-7.  On 
trouve  une  longue  analyse  de  cet  ouvrage,  dans  la  Bibliothèque  des  Auteurs 
ecclés.  du  xvne  siècle,  par  Dupin,  2e  partie,  p.  254,  etc. 

(2)  On  peut  consulter,  sur  ce  point  de  discipline,  le  P.  Morin,  ubi  suprà. 
—  Sirmond,  Histoire  de  la  Pénitence  publique.  —  Nat.  Alexander,  Dis- 
sert.  6  et  seqq.  in  Hist.  Eccles.  seculi  tertii.  —  Bingham,  Origines  sive 
Antiquitates  eccles. ,  t.  vin,  lib.  xvm.  — Billuart,  Digressio  historica ,  ad 
calcem  tractatûs  de  Pœnitentiâ.  —  Flemy,  Hist.  Ecclés.,  t.  11,  liv.  vi, 
n.  20  ;  t.  m,  liv.  x,  n.  5.  —  Mœurs  des  Chrétiens,  11.  25  et  26.  —  Marchetti, 
Critique  de  Fleury,  lre  partie,  §  6.  —  Muzzarelli,  Remarques  sur  l'His- 
toire Ecclés.  de  Fleury,  §8,  9,  10.  —  Alban  Butler,  Fêtes  mobiles,  5e 
traité,  chap.  8. 


398  DEUXIÈME   PARTIE.  —  POUVOIR  DU  PAPE 

n'étaient  pas  seulement  pratiqués  par  des  pécheurs  publics  et 
scandaleux,  mais  encore  par  un  certain  nombre  de  pieux  fidèles, 
qui  s'y  assujettissaient  librement,  soit  pour  l'expiation  de  quel- 
ques fautes  secrètes,  soit  par  un  pur  motif  de  dévotion  et  de 
ferveur. 

Depuis  le  ive  siècle,  la  discipline  fut  beaucoup  plus  sévère, 
sur  ce  point,  en  Occident  qu'en  Orient.  Indépendamment  des 
exercices  pénibles  et  humiliants,  qui  avaient  toujours  fait  le  fond 
de  la  pénitence  publique,  l'usage  de  l'Église  latine  y  attacha, 
depuis  cette  époque,  plusieurs  effets  temporels,  qui  n'y  ont  ja- 
mais été  attachés  dans  l'Église  grecque ,  et  sur  lesquels  l'usage 
de  l'Église  latine  elle-même  a  beaucoup  varié,  selon  les  temps 
et  les  lieux.  Nous  exposerons  ici,  en  peu  de  mots,  les  principales 
vicissitudes  de  cette  discipline. 
60.  l°  Depuis  le  ive  siècle  jusqu'au  vme,  il  était  généralement 

ereistd!;npo  défendu  aux  pénitents  publics,  en  Occident,  de  contracter  ma- 
'publique^  riage,  d'user  de  celui  qu'ils  avaient  contracté  auparavant,  et 
'  même  d'exercer  aucun  emploi  séculier,  dangereux  pour  le  salut, 
comme  la  milice,  lajudicature  et  plusieurs  autres  (l).  Cette 
discipline,  il  est  vrai,  n'était  pas  observée  avec  la  même 
rigueur,  dans  tous  les  lieux  ;  quelques  Églises  particulières  ne  la 
regardaient  pas  comme  obligatoire,  mais  comme  une  pratique 
de  conseil  et  de  perfection  (2)  ;  d'autres  ne  l'admettaient  qu'avec 
des  restrictions  plus  ou  moins  importantes  (3).  Toutefois,  il  pa- 
raît certain  que,  depuis  le  ve  siècle  jusqu'au  vme,  elle  fut  géné- 
ralement regardée  comme  obligatoire  en  Occident,  particulière- 

(1)  Morin,  De  Pœnitentiâ,  lib.v,  cap.  18-23.  —  Duguet,  Conférences 
Ecclés.,t.  1,  30e  Dissert.,  p.  511. 

(2)  A  l'appui  de  cette  assertion,  le  P.  Morin  cite  le  sermon  58  de  Tem- 
pore,  attribué  à  saint  Augustin*  Il  paraît  que  ce  sermon  est  de  S.  Césaire 
d'Arles  ;  c'est  le  258e  des  Sermons  réunis  dans  Y  Appendice  du  tome  v  des 
Œuvres  de  saint  Augustin,  édition  des  Bénédictins. 

(3)  Il  paraît  que  cette  discipline  n'était  admise  en  Angleterre,  qu'avec  bien 
des  restrictions.  On  en  trouve  cependant  quelques  vestiges,  dans  les  statuts 
dressés,  vers  l'an  680,  par  Théodore,  archevêque  de  Cântorbéry,  et  dans 
ceux  d'Egbert ,  archevêque  d'York,  vers  l'an  750.  Ces  deux  prélats  adoptè- 
rent, sur  la  pénitence  publique  et  sur  plusieurs  autres  points,  la  discipline 
mitigée  de  l'Eglise  grecque.  Voyez,  dans  le  tome  vi  de  la  collection  des  Con- 
cilesàu  P.  Labbe  (p.  1616  et  1877),  les  statuts  de  Théodore, n.  51,  53,  et 
alibi  passim;  et  ceux  d'Egbert,  sur  la  Pénitence ,  ri.  3.  —  Voyez  aussi 
Lingard,  Antiquités  de  l'Église  Anglo-saxonne,  chap.  6,  p.  246,  etc. 


du  ive 
au  vme  siècle 


StîR  LES   SOUVERAINS.  —CHAPITRE  I.  $99 

ment  en  France  et  en  Espagne.  D'après  la  discipline  alors  en 
vigueur,  les  effets  temporels  dont  nous  venons  de  parler  étaient 
attachés  à  la  pénitence  publique,  soit  qu'on  fût  obligé  de  la 
faire  pour  quelque  crime  public,  soit  qu'on  la  fît  librement,  pour 
quelque  crime  secret,  ou  môme  par  pure  dévotion.  Bien  plus, 
ces  effets  temporels  avaient  lieu,  non-seulement  pendant  la  du- 
rée de  la  pénitence  publique,  mais  encore  après  qu'elle  était 
terminée,  et  pendant  tout  le  reste  de  la  vie  de  celui  qui  s'y  était 
assujetti  ;  en  sorte  que  la  pénitence  publique  était  alors  considé- 
rée comme  un  engagement  perpétuel  à  une  vie  de  retraite  et  de 
perfection.  L'histoire  détaillée  de  toutes  les  variations  de  la 
discipline,  sur  ce  point ,  nous  entraînerait  beaucoup  trop  loin , 
et  serait  peu  utile  à  notre  but.  Nous  nous  bornerons  à  rapporter 
les  principaux  témoignages  qui  établissent  la  réalité  de  cette  dis- 
cipline, principalement  en  France  et  en  Espagne ,  depuis  le  ive 
siècle  jusqu'au  vme. 

Un  des  plus  remarquables  est  celui  de  saint  Léon ,  dans  sa 
lettre  à  Rustique  de  Narbonne,  vers  l'an  450.  Ce  prélat  avait 
consulté  le  Pape,  sur  la  conduite  à  observer  envers  ceux  qui,  Témoignage 
après  avoir  achevé  le  temps  de  la  pénitence  publique,  se  per-  rema5*uabIe 
mettaient  de  plaider,  de  faire  le  négoce,  de  rentrer  dans  la  sa,nt  Lëo,\ 

*■  *  °         '  sur  ce  point. 

milice,  ou  de  contracter  mariage.  Le  Pape  regarde  toutes  ces 
choses  comme  contraires  à  l'usage  ordinaire,  mais  non  comme 
absolument  interdites,  si  ce  n'est  le  retour  à  la  milice,  à  cause 
des  dangers  qui  en  sont  inséparables-  «  //  est  tout  à  fait  con- 
«  traire,  dit-il,  aux  règles  ecclésiastiques,  de  rentrer  dans  la 
«  milice  du  siècle,  après  avoir  été  mis  en  pénitence.  Celui  qui 
«  rentre  ainsi  dans  la  milice  du  monde,  s'engage  dans  les  pièges 
«  du  démon  (1).  »  Il  est  à  remarquer,  l°  que  saint  Léon  ne 
parle  pas  seulement  ici  des  pénitents  qui  parcourent  actuelle- 
ment les  exercices  de  la  pénitence  publique,  mais  encore  de 
ceux  qui  ont  achevé  de  les  parcourir;  2°  que  la  discipline 

(1)  «  Contrarium  est  omnino  ecclesiasticis  regulis,  post  pœnitentiae  acco- 
te nem,  redire  ad  militiam  secularem  ;  cùm  apostolus  dicat,  Nemo  militans 
«  Deo  implicet  se  ncgotiis  secularibus.  Unde  non  est  liber  à  laqueis  dia- 
«  boli,  qui  se  militià  mundanâ  voluerit  implicare.  »  S.  Leonis  Epistola  2, 
ad  Rusticum;inqiiis.  10 ,11,  12,  13.  —  Fleury,  Histoire  Ecclésiastique , 
t.  vi,  liv.  xxvi,  n.  53.— 'On  peut  voir,  dans  l'ouvrage  déjà  cité  du  P.  Morin, 
(ubisuprà,  cap.  24),  l'explication  détaillée  de  ce  passage  de  saint  Léon, 


400  DEUXIÈME  PARTIE.  —  POUVOIR  DU  TAPE 

alors  en  vigueur,  sur  les  effets  temporels  de  la  pénitence  pu- 
blique ,  était  antérieure  au  pontificat  de  saint  Léon ,  puisqu'il 
la  regarde  comme  fondée  sur  des  règles  ecclésiastiques  plus 
anciennes.  C'est  donc  bien  à  tort  que  Flcury  suppose,  en  plu- 
sieurs endroits  de  son  Histoire,  que  les  effets  dont  nous  parlons 
avaient  lieu,  seulement  pendant  le  cours  de  la  pénitence  pu- 
blique (l).  Au  reste,  quel  qu'ait  été  l'usage  primitif,  sur  ce 
point ,  on  va  voir  que ,  depuis  saint  Léon ,  la  discipline  devint 
beaucoup  plus  sévère,  et  que  les  effets  temporels  de  la  pénitence 
publique  avaient  lieu,  même  après  qu'on  avait  achevé  d'en  par- 
courir les  exercices. 
Le  second^concile  d'Arles,  tenu  en  452,  défend,  sous  peine 
6a         d'excommunication,  aux  époux  qui  ont  été  mis  en  pénitence, 
canons      <je  contracter  un  nouveau  mariage  ,  après  la  mort  de  l'un  des 

de  divers  o     /      a 

condics, sur  deux.  \\  défend  aussi  d'imposer  la  pénitence  aux  époux,  sans 

le  même  -i      1»    i  t  •  i       1 

«"jet.  leur  consentement  mutuel,  à  cause  de  1  obligation  de  la  conti- 
nence, qui  était  alors  attachée  à  la  pénitence  publique.  Enfin,  il 
menace  d'excommunication,  ceux  qui,  après  avoir  embrassé 
la  pénitence,  reprennent  ïliabit  séculier ,  c'est-à-dire,  la  vie 
et  la  milice  du  siècle,  selon  l'interprétation  commune  des  criti- 
ques (2). 


(()  Fleury,  Hist.  Ecclés.,  t.  x,  liv.  xlvii,  n.  40.  A  l'appui  de  son  opi- 
nion, Fleury  cite  le  12e  canon  du  concile  de  Nicée,  et  le  5e  article  de  la 
lettre  de  saint  Sirice  à  Himérius ,  évêque  de  Tarragone ,  en  Espagne  ;  mais 
il  paraît  que  Fleury  n'a  pas  saisi  le  véritable  sens  de  ces  deiix  témoignages. 
Voyez,  sur  le  12e  canon  du  concile  de  Nicée,  le  P.  Morin,  De  Pœnit.,  lib.  v, 
cap.  19,  n.  8  et  9.  — D.  Ceillier,  Hist.  des  Auteurs  ecclés.,  t.  iv,  p.  598,  etc. 
Sur  la  lettre  de  Sirice  à  Himérius,  voyez  D.  Constant,  Eplstolœ  Roman. 
Pontijicum,  p.  628,  texte  et  note.  —  D.  Ceillier,  ibid. ,  t.  vm ,  p.  165. 

(2)  «  Pœnitens  quaecumque,  defuncto  viro ,  alii  nubere  praesumpserit,  vel 
«suspecta  vel  interdictâ  familiaritate  cum  extraneo  vixerit,  cum  eodem 
«  ab  Ecclesiae  liminibus  arceatur.  Hoc  etiam  de  viro  in  pœnitentiâ  posito 
«  placuit  observai!.  »  Concil.  Arelat.  u,  can.  21. 

«  pœnitentiâ  conjugatis  non  nisi  ex  consensu  danda.  »  Can.  22. 

«  Hi,  qui  post  sanctam  religionis  professionem,  apostatant,  et  ad  sœculum 
«  redeunt ,  et  postmodum  pœnitentiâ?  remédia  non  requirunt ,  sine  pœni- 
«  tentiâ  communionem  penitus  non  accipiant.  Quos  etiam  jubemus  ad  cleri- 
«  catûs  officium  non  admitti;  et  quicumque  ille,  postpœnitentiam,  babitum 
«  seecularem  non  praesumat.  Quôd  si  praesumpserit ,  ab  Ecclesiâ  alienus  hâ- 
te beatur.  »  Can.  25.  (Labbe,  Conciliorum  t.  iv,  p.  1013.)  —  Fleury,  Hist. 
Ecclés.,  t.  vi,  liv.  xxvm,  n.  48.  —  Histoire  de  l'Eglise  Gallic,  t.  uf  liv.  iv; 
p.  74. 


SUR  LES  SOUVERAINS. — CHAHTRE  I.  401 

Le  troisième  concile  d'Orléans,  en  538,  défend  de  donner  la 
pénitence  aux  jeunes  gens,  aussi  bien  que  de  la  donner  aux  époux, 
sans  leur  consentement  mutuel ,  à  moins  qu'ils  ne  soient  d'un 
âge  mûr.  Le  motif  de  ce  canon  est  le  même  que  celui  du  second 
concile  d'Arles ,  que  nous  venons  de  citer.  Un  autre  canon  du 
troisième  concile  d'Orléans  excommunie  ceux  qui,  après  avoir 
reçu  la  pénitence,  reprennent  l'habit  et  la  milice  du  siècle  (1). 

Le  premier  concile  de  Barcelone,  en  540,  entre,  à  ce  sujet,  dans 
un  détail  remarquable.  Il  ordonne  aux  pénitents  publics,  de  se 
couper  les  cheveux,  de  s'habiller  modestement,  et  d'employer  le 
temps  en  jeûnes  et  en  prières  ;  il  leur  défend  d'assister  aux  fes- 
tins, et  de  vaquer  aux  affaires  du  siècle-,  enfln,  il  leur  ordonne 
de  garder  la  retraite,  et  de  mener  une  vie  simple  et  frugale  (2). 

En  conséquence  de  ces  anciens  règlements,  le  second  concile 
de  Barcelone,  tenu  en  599,  excommunie  ceux  qui  contractent 
mariage,  après  avoir  fait  vœu  de  virginité,  ou  demandé  la 
pénitence  de  leur  propre  mouvement  (3).  Le  quatrième  concile  de 
Tolède,  en  633,  excommunie,  comme  apostats,  les  pénitents  qui 
reprennent  Vhabit  et  Véiat  laïques;  aussi  bien  que  les  vierges 
et  les  veuves  qui ,  après  s'être  consacrées  à  Dieu ,  quittent  leur 
saint  habit,  et  osent  contracter  mariage  (4).  Ce  canon  fut  con- 

(i)  «  Ut  ne  quis  benedictionem  pœnitentise  juvenibus  personis  credere 
«preesumat;  certè  conjugatis,  nisi  ex  consensu  partium,  et  setate  jàm 
«  plenâ,  eam  dare  non  audeat.  »  Concil.  Aurel.  m,  can.  24. 

«  Si  quis,  pœnitentiœ  benedictione  susceptâ,  ad  ssecularem  liabitum  mi- 
«  litiamque  reverti  prsesumpserit ,  viatieo  concesso ,  usque  ad  exiturn  ex- 

«  communicatione  plectatur.  »  Ibid.,  can.  25  (Concil.  t.  v,  p.  302.) Hist. 

de  l'Église  Gallic,  t.ii ,  liv.  vi,  p.  443. 

(2)  «  Ut  pœnitentes  epulis  non  intersint ,  nec  negotiis  operam  dent  in 
«  datis  et  acceptis;  sed  tantùm  in  suis  domibus  vitam  frugalem  agere  de- 
«  béant.»  Concilium  Barcinonense  î,  can.  7  et  8.  (Labbe,  ibid.,  p.  379.) 
—  Ferreras,  Hist.  d'Espagne,  t.  n,  année  540.  Nous  ne  trouvons  aucune 
mention  de  ce  concile  dans  Y  Hist.  Ecclés.  de  Fleury. 

(3)«Si  qua  virgo,  propriâ  voluntate,  abjectâ  laïcali  veste,  devotarum  more 
«induta,  castitatem  servare  promiserit;  vel  si  qui  bominum  utriusqne 
«  sexûs,  pœnitentiae  benedictionem  expetendo  a  sacerdote  perceperint,  et 
«  ad  terrena  connubia  sponte  transierint;  aut  violenter  abstractae  feminse  a 
«  pudicitise  violatore  se  sequeslrare  noluerint  ;  utrique  ab  Ecclesiarum  limi- 
te nibus  expulsi,  ita  ab  hominum  catholicorum  communione  sint  separati, 
«  ut  nulla  prorsus  eis  vel  colloquii  consolatio  sit  relicta.  »  Concil.  Barcin.  n, 
«  can.  4.  (Labbe,  ibid.,  p.  1606.) — Fleury,  Hist.  ficelés.,  t.  vm,  liv.  xxxvi, 
n.  12.  —  Ferreras,  ibid.,  année  599. 

(4)  k  Quicumque  ex  saecularibus,  accipientes  pœnitentiam,  totonderunt  se, 

26 


402  DEUXIÈME  PARTIE.  —  POUVOIR  DU  PAPE 

firme,  pour  ce  qui  concerne  les  pénitents .  par  le  sixième  con- 
cile de  Tolède,  en  638  (1). 
63.  On  voit  que  ces  conciles  ne  distinguent  point  la  pénitence  re- 

^aWgit?11*  çue  librement  et  par  dévotion,  d'avec  celle  qui  est  imposée  par 
atpéniéience Ia  l'Église,  en  punition  des  péchés;  mais  qu'ils  attribuent  généra- 
pubiique,    ment  à  ja  pénitence  publique  les  effets   dont  il  s'agit.  Cette 

même  faite  par  i  î  -i  o 

Pure       décision  se  trouve  môme  dans  plusieurs  conciles ,  qui  supposent 

dévotion.  ,     .  r 

clairement  lusage  de  donner  la  pénitence  publique  aux  fidèles 
qui  la  demandent  par  pure  dévotion  (2).  Outre  les  conciles  déjà 
cités,  le  douzième  concile  de  Tolède,  en  681,  déclare  sujets 
aux  effets  de  la  pénitence  publique  ceux  mêmes  qui  l'ont  reçue 
en  maladie,  par  pure  dévotion,  et  à  la  prière  de  leurs  amis, 
selon  la  pratique  alors  assez  commune  (3). 

Peu  de  temps  avant  ce  concile,  le  roi  Ervige,  successeur  de 
Vamba,  entreprit  de  lui  appliquer  ce  principe,  contre  toutes 
les  règles  de  l'équité  (4).  Entraîné  par  l'ambition  de  régner,  il 
lit  prendre  à  celui-ci  une  potion  malfaisante ,  dans  le  dessein  de 
se  délivrer  de  lui,  ou  du  moins  de  le  réduire  à  un  état  de  maladie, 


«  et  rursus  praevaricantes  laïci  effecti  sunt,  comprehensi  ab  episcopo  suo , 
«  ad  pœnitentiam ,  ex  quâ  recesserunt ,  revocentur.  Quèd  si  aliqui  per  pœ- 
«  nitentiam  irrevocabiles  sunt,  nec  admoniti  revertentur,  verè  ut  apostatae, 
«  coram Ecclesiâ ,  auathematis  sententiâcondemneutur.  Non  aliter  et  hi  qui 
«  detonsi  a  parentibus  fuerint,  aut  sponte  suâ  ,  amissis  parentibus ,  seipsos 
«  religioni  devoverunt,  et  postea  babitum  saecularem  sumpserunt;  etiidem 
«  a  sacerdote  comprehensi,  adcultum  religionis,  actâpriùs  pœnitentiâ,  revo- 
«■  centur.  Quôd  si  reverti  non  possunt,  verè  ut  apostatae,  anatbematis  sen- 
«  téntiae  subjiciantur.  Quae  forma  servabitur  etiam  in  viduis  virginibusque 
«  sacris,  ac  pœnitentibus  l'œminis,  quae  sanctimonialem  babitum  induernnt, 
«  et  postea,  aut  vestem  mutaverunt,  aut  ad  nuptias  transierunt.  »  Concil. 
Tolet.  iv,  can.  55.  (Labbe,  ibid.,  p.  1718.) — Fleury,  ibid.,  liv.  xxxvii,  n.  49. 
(i)  Concil.  Tolet.  vi,  can.  7,  p.  1744.  —  Fleury,  ïbid.,  liv.  xxxvm,  n.  14. 

(2)  Remarquez  en  particulier  les  canons  déjà  cités  du  1er  concile  de  Bar- 
celone, du  4e  et  du  6e  de  Tolède. 

(3)  «  Sicut  baptismum,  quod,  nescientibus  parvulis,  sine  ullâ  contentione, 
«in  fide  tantùm  proximorum  accipitnr;  ita  et  pœnitenliae  doniim,  quod 
«  nescientibus  illabitur,  absque  ullâ  repugnantiâ  inviolabiliter  hi,  qui  illud 
«  exceperint ,  observabunt.  »  Concil.  Tolet.  xu,  can.  2.  (Concil.  t.  vi, 
p.  1226.)  —  Fleury,  Hist.  Ecclés. ,  t.  ix,  liv.  xl,  n.  29. 

Les  fidèles  avaient  alors  assez  souvent  la  dévotion  de  prendre ,  en  mala- 
die, l'habit  de  pénitent  ;  comme  ils  ont  eu  depuis  la  dévotion  de  prendre ,  en 
pareille  circonstance,  l'habit  religieux. 

(4)  Julien  de  Tolède,  Hist  Vambœ.  (Tom.  i  du  Recueil  des  Hist.  de 
France,  par  Duchesne,  p.  821 ,  etc.)  — Mariana,  Hist.  d'Espagne,  liv.  vi, 
années  680  et  681. 


SUR  LES  SOUVERAINS.  —  CHAPITRE  I.  403 

qui  déterminerait  l'archevêque  de  Tolède  à  lui  donner ,  avec 
les  derniers  sacrements,  l'habit  de  pénitent,  selon  l'usage  du 
temps  ;  ce  qui  le  rendrait  incapable  de  toutes  les  fonctions  ci- 
viles, quand  même  il  reviendrait  en  santé.  La  chose  fut  exé- 
cutée selon  le  désir  d'Ervige.  L'archevêque  de  Tolède,  croyant 
le  roi  sur  le  point  de  mourir ,  lui  administra  les  derniers  sa- 
crements, et  le  revêtit  de  l'habit  de  pénitent  ;  en  même  temps, 
les  émissaires  secrets  qu'Ervige  entretenait  auprès  du  malade,  lui 
suggérèrent  de  désigner  Ervige  pour  son  successeur,  ce  qu'il 
fit  en  signant  un  papier  qu'on  lui  présenta.  Le  lendemain,  Vamba, 
revenu  à  lui-même,  et  tout  à  fait  hors  de  danger,  fut  très- 
surpris  d'apprendre  ce  qui  s'était  passé.  Toutefois,  regardant 
cet  événement  comme  l'effet  d'une  providence  particulière 
pour  son  salut,  il  ratifia  tout  ce  qu'il  avait  fait  pendant  sa 
maladie,  et  se  retira  dans  un  monastère ,  où  il  consacra  le  reste 
de  sa  vie  au  service  de  Dieu.  On  voit  assez,  par  ces  détails, 
que  l'application  faite  à  Vamba,  par  Ervige,  son  successeur, 
du  principe  général  relativement  aux  effets  de  la  pénitence  pu- 
blique, était  une  injustice  manifeste;  et  que  l'abdication  du 
roi,  en  de  pareilles  circonstances,  eût  été  nulle,  s'il  ne  l'eût 
ratifiée  librement,  après  avoir  recouvré  la  santé.  Mais  les  in- 
trigues d'Ervige,  en  cette  occasion,  supposent  clairement  le 
principe,  alors  généralement  reconnu  en  Occident,  et  particu- 
lièrement dans  le  royaume  des  Goths,  qui  regardait  les  péni- 
tents publics  comme  incapables  de  tous  les  emplois  civils  (l). 


(1)  Fleury  et  quelques  autres  écrivains  modernes  supposent  que  l'applica- 
tion de  ce  principe  fut  faite  à  Vamba  parle  12e  concile  de  Tolède,  qui  donna 
ainsi  le  premier  exemple  d'un  souverain  déposé  sous  prétexte  de  pénitence. 
(Fleury,  Hist.  Ecclés.,  t.  ix,liv.  xL,n.  29;  t.  xm,  3e  Discours,  n.  10.  — 
Annales  du  moyen  âge,  t.  v,  liv.  xix,  p.  498.  —  Bianchi,  Délia  Potesta 
délia  Chiesa,  t.  i,  lib.  ni ,  §  2  ,  n.  5.  — Mamachi,  Origines  et  Antiquit. 
Christ. ,  t.  iv,  p.  187.)  Cette  supposition  n'est  pas  exacte.  Le  12e  concile  de 
Tolède  n'applique  nulle  part  à  Vamba  le  principe  dont  il  s'agit  ;  il  se  borne  à 
ratifier  l'élection  d'Ervige,  son  successeur,  d'après  les  pièces  présentées  au 
concile,  desquelles  il  résultait  que  Vamba  avait  reçu  l'habit  de  religion,  et 
avait  désigné  Ervige  pour  son  successeur.  (Concil.  Tolet.  xn,  can.  1;  apud 
Labbe,  Conc.  t.  vi,  p.  1225.)  Ce  décret  du  concile  ne  dépose  donc  pas 
Vamba  ;  il  suppose  uniquement  que  ce  prince  s'est  librement  demis  de  sa 
dignité,  comme  il  l'avait  l'ait,  selon  le  témoignage  des  historiens,  après 
avoir  recouvré  la  santé.  (Voyez  à  ce  sujet  le  P.  Alexandre,  Dissert.  4  in 
Hist.  Eccles.  sœculi  vu.) 

26. 


404  DEUXIÈME  PARTIE.  — POUVOIR  DU  PAPE 

Le  treizième  concile  de  Tolède,  en  683 ,  met  dans  un  nou- 
veau jour  ce  point  de  discipline ,  par  sa  conduite  envers  Gau- 
dence,  évêque  de  Valérie,  qui  avait  reçu,  par  dévotion,  la 
pénitence  publique,  dans  une  maladie  grave.  Ce  prélat  consulta 
le  concile,  pour  savoir  s'il  pouvait  reprendre  ses  fonctions, 
après  avoir  reçu  la  pénitence.  Le  concile  décida  qu'il  le  pou- 
vait, parce  que  la  pénitence  publique,  étant  un  état  de  perfec- 
tion ,  n'est  pas  incompatible  avec  les  fonctions  sacrées ,  mais 
seulement  avec  les  emplois  profanes  et  séculiers  (l). 
6*-  Il  résulte  clairement  de  tous  ces  faits,  l°que  la  pénitence 

Cet  usage  '  *  r 

autorisé  par  publique ,  même  faite  librement  et  par  pure  dévotion ,  était 
deux  puis-    généralement  considérée  en  Occident ,   depuis  le  ive  siècle , 
dansée     comme  un  engagement  religieux  et  perpétuel  à  une  vie  de  re- 
royGoths des  traite  et  de  perfection,  à  la  pratique  de  la  continence,  à  la  fuite 
des  divertissements  profanes,  et  de  tous  les  emplois  séculiers; 
2°  que  cette  discipline ,  d'abord  établie  par  la  seule  autorité  de 
l'Église,  fut  depuis  reconnue  et  confirmée  par  la  puissance  tem- 
porelle, dans  le  royaume  des  Goths,  depuis  le  vie  siècle.  En 
effet,  les  conciles  d'Espagne  que  nous  venons  de  citer,  depuis 
le  ive  de  Tolède,  en  633,  étaient,  comme  nous  l'avons  déjà 
remarqué  (2),  des  assemblées  mixtes,  où  les  deux  puissances  réu- 
nies réglaient  de  concert  les  affaires  de  l'Église  et  celles  de  l'État. 
Nous  n'oserions  assurer  que  la  discipline  dont  nous  parlons, 
ait  été  dès  lors  confirmée,  ailleurs  qu'en  Espagne,  par  l'autorité 
de  la  puissance  temporelle  ;  mais  nous  verrons  bientôt  l'usage 
de  l'Espagne,  sur  ce  point,  également  autorisé  en  France,  et 
dans  tous  les  pays  soumis  à  la  domination  de  Charlemagne. 
11°  Depuis  le  vne  siècle  jusqu'au  xne,  l'usage  de  la  péni- 
65.        tence  publique,  même  pour  les  crimes  publics,  étant  peu  à 

Décadence   de  ,»-,,,        -,  ,  ,.       »  v    , 

îapéni-     peu  tombe  en  désuétude,  on  publia  de  nouveaux  règlements, 

te"Cque,u      qui  avaient  pour  but  de  la  maintenir  en  certains  cas,  et  d'y 

duvsïècie.XI,e  substituer,  en  d'autres,  des  peines  équivalentes  (3).  Il  fut  donc 

statué,  dans  un  grand  nombre  de  conciles  et  de  capitulaires: 

(1)  «  Pœnitens  abstinere  à  peccatis  parité  r  et  negotiorum  tumullibus  dé- 
fi bet,  non  ab  iis  quae  sancta  videntur,  et  snmma  se  abstrahere,  quœ  opéran- 
te tem  plus  expiant,  quàm  commaculando  deturpant.  »  Çoncil.  Tolet.  xm  , 
can.  10.  (Concil.  t.  m.)  —  Fleury,  ibid.,  liv.  xl,  n.  3o. 

(2)  Voyez  plus  liant,  n.  28  et  29,  pag.  363,  etc. 

(3)  Morin,  De  Pœnit.  lib.  v,  cap.  22:  lib.  vu,  cap.  4,  5,  6. 


SUR  LES   SOUVERAINS.  — CHAPITRE   I.  405 

1°  que  les  effets  temporels,  attachés  depuis  longtemps  a  la  péni- 
tence publique,  seraient  désormais  attachés  à  certains  crimes 
énormes,  tels  que  l'adultère,  l'inceste,  le  rapt,  le  parricide, 
le  meurtre  d'un  évèque,  d'un  prêtre  ou  d'un  diacre,  soit  que 
le  coupable  fît  une  pénitence  publique  de  ces  crimes ,  soit  qu'il 
se  contentât  d'une  pénitence  secrète  (l)  ;  2°  que ,  dans  certains 
cas,  où  ces  crimes  auraient  une  plus  grande  publicité,  on  obli- 
gerait les  coupables ,  par  l'excommunication ,  à  subir  la  péni- 
tence publique,  selon  l'ancien  usage  ;  que  s'ils  refusaient  de  s'y 
soumettre,  ils  y  seraient  contraints  par  l'autorité  de  la  puissance 
temporelle;  3°  enfin,  que  si  les  ducs  et  les  comtes  refusaient,  en 
ce  cas,  leur  concours,  ils  seraient  eux-mêmes  frappés  d'excom- 
munication, et  de  peines  temporelles,  qui  pourraient  aller  jusqu'à 
la  perte  de  leur  dignité  (2). 
On  voit  par  ces  détails ,  1°  que,  malgré  la  décadence  de  l'an*  0    S6- 

r  ,  i  Ses  effets  tem- 

cienne  discipline  sur  la  pénitence  publique,  ses  effets  tem-     poreis, 

.....  .  P  o-vi         maintenus    en 

porels  étaient  encore  en  vigueur  au  vm    et  au  ixe  siècle,      France 

(1)  «De  incestuosis  et  parricidis,  ut  canonicè  coerceantur;  sicut  de  illo 
«  judicatum  est  qui  materteree  suae  filiam  stnpravit,  ut  conjugium  ultra  non 
«  répétât,  et  militiae  cingulum  derelinquat ,  et  aut  monasterium  petat,  aut 
«si  loris  remanere  voluerit,  tempora  pœnitentise  secundùm  canoues  p!e- 
«  niter  exsolvat.  »  Capitular.  lib.  yi,  n.  71. 

«si  quissacerdotem,  vellevitam  aut monachum  interfecerit,  vel  debilitave- 
«  rit,  juxta  statuta;priorum  capitulorum,  quae  legi  Salicae  sunt  addita,  compo- 
te nat;  et  insuper  bannum  nostrum,  idest,  sexaginta  solidos,  nobis  persolvat, 
«  et  arma  relinquat,  atque  in  monasterio,  diebus  vitae  suae,  sub  arduâ  pœni- 
«  tentiâ,  Deo  serviat,  nusquam  postmodum  seculo  vel  secularibus  militatu- 
«  rus,  neque  uxori  copulaturus.  »  Ibid.,  n.  98.  Le  P.  Morin  (lib.  v,  cap.  22)  a 
recueilli ,  sur  ce  point ,  un  grand  nombre  de  témoignages,  tirés  des  Conciles 
et  des  Capitulaires  du  vme  et  du  ixe  siècle. 

(2)  Si  quis,  in  his  supradictis  sanctorum  canonum  nostrique  decreti  san- 
«  ctionibus  (pœnitentiam publicam  spectantibus) ,  episcopis  inobediens  et 
«  contumax  extiterit;  primùm  canonicâ  sententiâ  (i.  e.  excommunicatio- 
«  nis)  feriatur;  deinde  in  nostro  regno  benefîcium  non  babeat,  et  alodis  ejus 
«  in  bannum  mittatur  (i.  e.  prœdia  et  possessiones  ejus  in  fisci potestatem 
«  reponantur  )  ;  et  si  annum  et  diem  in  nostro  banno  permanserit ,  ad 
a  fiscum  nostrum  redigatur;  et  captus  in  exilium  religetur;  et  ibi  tamdiù 
«  custodiatur  et  constringatur,  donec  coactus  Deo  et  sanctae  Ecclesiae  satis- 
«  faciat  quod  priùs  satisl'acere  noluerat.  »  Capitulare  Tribur.  anni  822,  n.  6. 
(Tom.  1  du  Recueil  de  Baluze,  p.  629.) 

a  Quicumque,  propriâ  uxore'derelictâ,  vel  sine  culpâ  interfectâ,  aliam  duxe- 
«  rit  ;  armis  depositis:,  publicam  agat  pœnitentiam;  et  si  contumax  fuerit, 
«  comprehendatur  a  comité,  et  ferro  vinciatur,  et  in  custodiam  mittatur, 
«  donec  res  ad  nostram  notitiam  deducatur.  »  Capitular.  lib.  v,  n.  300. 
(  lbid..,  p.  885.)  Voyez  aussi  lib.  vu,  n.  258,  432, 433,  et  alibi  passim. 


406  DEUXIÈME   PARTIE.  —  POUVOIR  DU  PAPE 

et  ailleurs,  ^ans  jes  pavs  SOumis  à  la  domination  de  Charlemagne,  c'est-à- 

par    1  autorité 

^s        dire,  principalement  en  France,  en  Allemagne  et  en  Lombar- 

deux  puissan-  *  .   ,  .  ,  . 

ces.  die;  2  que  dans  tous  ces  pays,  aussi  bien  qu  en  Espagne,  les 
effets  temporels  de  la  pénitence  publique  étaient  formellement 
reconnus  et  confirmés  par  la  puissance  temporelle ,  puisqu'ils 
étaient  ordonnés  dans  les  capitulaires ,  publiés  par  l'autorité 
des  deux  puissances,  et  appartenant  également  à  la  législation 

e7.  ecclésiastique  et  à  la  législation  civile. 
cei'te'époque,  L'histoire  de  la  déposition  de  Louis  le  Débonnaire,  en  833 , 
pa™arhStoira  suffirait  seule  pour  faire  connaître  la  discipline  alors  en  vi- 
iouiSc,îe  d<<  Sueur  dans  l'empire  français  (1).  Lothaire,  son  fils  aîné,  ouver- 
bonoaire.  tement  révolté]  contre  lui,  l'ayant  fait  déposer  tumultuaire- 
menf ,  dans  une  assemblée  des  principaux  seigneurs  de  l'armée 
rebelle,  voulut  se  faire  reconnaître,  d'une  manière  plus  authen- 
tique, dans  une  assemblée  générale  de  la  nation.  Il  indiqua 
donc,  pour  le  premier  jour  d'octobre  833,  une  diète  à  Com- 
piègne,  où  se  rendirent  un  grand  nombre  d'évêques,  d'abbés 
et  de  seigneurs  qui  lui  étaient  dévoués.  Plusieurs  d'entre  eux, 
ayant  à  leur  tête  Ebbon ,  archevêque  de  Reims,  lui  suggérè- 
rent de  faire  juridiquement  le  procès  à  Louis ,  comme  coupa- 
ble de  plusieurs  crimes  contre  les  intérêts  de  l'Église  et  de 
l'État  ;  après  quoi,  on  le  condamnerait  à  la  pénitence  publique 
pour  le  reste  de  sa  vie,  et  on  lui  appliquerait  les  canons  qui 
défendaient  aux  pénitents  de  porter  les  armes,  et  de  se  mêler 
des  affaires  publiques.  L'expédient  fut  agréé;  Louis  fut  accusé 
devant  les  évoques,  et  jugé  coupable  des  crimes  qu'on  lui 
imputait  ;  il  les  reconnut  lui-même  par  une  confession  publique, 
et  demanda  comme  une  grâce  la  pénitence  canonique,  qu'on  lui 
accorda  aussitôt,  en  lui  faisant  quitter  son  épée,  et  le  revêtant 
de  l'habit  de  pénitent;  après  quoi,  on  le  conduisit  en  cérémonie 
dans  une  petite  cellule  du  monastère  de  Saint-Médard  de  Sois- 
sons,  pour  y  vivre  en  pénitence  le  reste  de  ses  jours  (2). 

(1)  Voyez,  sur  ce  fait  extraordinaire,  Fleury,  le  P.  Daniel,  le  P.  Longueval, 
année  833.  —  Noël  Alexandre ,  Dissert.  2  in  Hist.  Eccl.  sajc.  rx.  —  Bossuet, 
Defens.  Declar. ,  lib.  11,  cap.  21.  — Bianchi,  Délia  Polesta  délia  Chiesa, 
1. 1,  lib.  m,  §  3.  —  Mamachi,  Origin.  et  Antiquit.  Christ.,  t.  iv,  p.  189. 

(2)  Quelque  répréhensible  que  fût,  en  cette  occasion,  la  conduite  des 
évêques  envers  Louis  le  Débonnaire ,  on  doit  remarquer  que,  à  proprement 
parler,  ils  ne  déposèrent  pas  ce  prince  ;  ils  approuvèrent  seulem  ent  sa  dépo- 


SUR   LES   SOUVERAINS.  —  CHAPITRE   I.  407 

La  pénitence  publique  imposée  à  Louis  en  cette  occasion,  et 
l'application  qu'on  fit  alors  à  ce  prince,  des  canons  qui  inter- 
disaient aux  pénitents  de  porter  les  armes  et  de  se  mêler  des 
affaires  publiques,  étaient  sans  doute  des  injustices  manifestes, 
inspirées  aux  évoques  par  l'esprit  de  rébellion  que  Lothaire 
leur  avait  communiqué.  Toutefois,  il  est  à  remarquer  que  les 
auteurs  contemporains  qui  blâment  plus  ouvertement  la  dépo- 
sition de  Louis,  ne  contestent  pas  l'existence  des  canons  qui  in- 
terdisaient aux  pénitents  publics  l'exercice  des  emplois  sécu- 
liers ;  ils  supposent  même  ces  canons  en  vigueur;  ils  blâment 
seulement  l'application  qu'on  en  fit  à  Louis,  pour  des  crimes 
dont  il  n'avait  pas  été  convaincu ,  et  pour  lesquels  il  avait  déjà 
fait  une  pénitence  volontaire,  dans  le  concile  d'Attigny  (l). 

Ce  fut  néanmoins  vers  ce  temps  que  les  mêmes  canons  dont       68. 
il  s'agit  commencèrent  à  tomber  en  désuétude.  Une  lettre  de  ,  c*tusase  ' 

^j  toiriDe   peu    a 

Nicolas  Ier  à  Rodolphe,  archevêque  de  Bourges,  vers  l'an  866,    j™.  «j, 
offre,  à  ce  que  nous  croyons,  le  premier  exemple  de  l'adoucis-      dePuis  ' 

i      n  •  »'•■»•  i      n-A-  i«       m  i  <wi  le  ixe  siècle. 

sèment  de  lancienne  discipline  de  1  Eglise  latine,  sur  les  effets 
temporels  de  la  pénitence  publique.  «  Les  pénitents  qui  retour  - 
«  nent  au  service  des  armes,  dit  le  Pape,  agissent  contre  tes 
«  règles;  mais  puisque  vous  témoignez  que  cette  défense  en 
«  pousse  quelques-uns  au  désespoir,  et  d'autres  à  se  réfugier 
«  chez  les  païens,  nous  vous  laissons  la  liberté  défaire,  à  cet  égard, 
«  ce  qui  vous  paraîtra  plus  convenable,  suivant  les  circon- 
«  stances  particulières  (2).  »  De  semblables  motifs  engagèrent  le 


sition ,  déjà  décrétée  par  l'assemblée  des  principaux  seigneurs  de  l'armée 
rebelle  de  Lothaire.  C'est  ce  qui  résulte  clairement  du  récit  uniforme  des 
historiens  contemporains,  selon  la  remarque  des  auteurs  que  nous  avons 
cités  dans  la  note  précédente.  (Voyez  surtout  le  P.  Alexandre,  ubi  suprà.) 
C'est  à  quoi  n'ont  pas  fait  assez  d'attention  plusieurs  écrivains  modernes, 
qui  attribuent  au  concile  de  Compiègne  la  déposition  de  Louis  le  Débon- 
naire, (hianchi  et  Mamachi,  ubi  suprà.) 

(1)  Voyez  en  particulier  la  Chronique  d'Éginhard,  et  l'auteur  anonyme 
de  la  Vie  de  Louis  le  Débonnaire ,  année  833.  Ces  deux  ouvrages  se  trou- 
vent dans  le  tome  vi  du  Recueil  des  Historiens  de  France,  par  D.  Bouquet. 
Les  passages  que  nous  indiquons  sont  cités  par  le  P.  Alexandre  et  par  Bian- 
chi,  ubi  suprà. 

(2)  «  De  bis  verô  qui  pro  criminibus  pœnitentiam  gerunt,  et  ad  cingulum 
«  militiœ  levertuntur,  constat  eos  contra  sacras  régulas  agere.  Verùm, 
«  quia  crimina  non  sequalia  sunt,  perbibesque  aiios  horum,  propter  nimiam 
«  hebetudinem ,  in  desperationem  adisse ,  alios  ob  hoc  ad  paganos  fugisse  , 


408  DEUXIÈME  PARTIE.  —  POUVOIR   LU  PAPE 

même  pape,  dans  une  autre  occasion,  à  relâcher  quelque  chose 
de  l'ancienne  discipline,  en  faveur  d'un  certain  Weimar,  qui 
avait  tué  ses  trois  fils.  Le  Pape,  en  l'obligeant  à  la  pénitence  pu- 
blique, lui  défend  déporter  les  armes,  le  reste  de  sa  vie,  ex- 
cepté contre  les  païens  (1).  Un  concile  tenu  à  Reims,  en  924, 
poussa  beaucoup  plus  loin  la  condescendance ,  en  dispensant 
des  pratiques  de  la  pénitence  publique ,  ceux  qui  seraient 
actuellement  occupés  au  service  militaire  (2).  Grégoire  VII 
s'efforça  de  maintenir,  sur  ce  point,  l'ancienne  discipline,  avec 
les  adoucissements  que  Nicolas  Ier  y  avait  apportés  (3);  mais 
ses  efforts  n'empêchèrent  pas  que  la  pénitence  publique  et  ses 
effets  temporels  ne  tombassent  de  plus  en  plus  en  désuétude, 
en  conséquence  de  l'usage  qui  s'introduisit,  vers  ce  temps,  de  la 
compenser  par  d'autres  oeuvres  satisfactoires ,  telles  que  les  au- 
mônes, les  flagellations,  et  les  pèlerinages  (4). 
69.  La  simple  exposition  de  ces  vicissitudes  de  l'ancienne  disci- 

nïtir'S    pline ,  sur  les  effets  temporels  de  la  pénitence  publique ,  suffit, 

«.  tibi  hoc  committimus  decernendum,  nimirum  qui  loca  et  tempus  regionis 
«  illius,  modumque  culpae,  necnon  et  pœnitentiam,  etgemitus  hominum  ad 
«  confessionem  venientium,  pr.-rsens  positus  inspicere  vales.  »  Nicolai  I 
Epistola  19  (aliàs  39),  ad  Rodolphum,  n.  4.  (Labbe,  Conciliorum  t.  vm, 
p.  505.)  —  Fleury ,  Hist.  Ecclés.,  t.  xi,  liv.  51,  n.  8. 

(1)  «  Usque  ad  diem  mortis  suœ  perseveret  in  jam  dicta  pœnitentiâ, 
«  atque  arma,  nisi  contra  paganos,  non  ferai.  »  Nicolai  I  Epist.  17 
(aliàs  5),  ad  Rivoladrum  Episcopum.  (Labbe,  ibid.,  p.  503.) 

(2)  «  Similiter  (pœnitentiam  agant) omni  sextâ  f'eriâ  per  totum  an- 

«  num  ,  nisi  redemerint,  aut  festivitas  celebris  ipsâ  die  accident,  vel  eum 
«  infirmitate  sive  militiâ  detentum  esse  contigerit.  »  Concilium  Remense, 
anni924.  (Labbe,  Concil.  t.  ix,  p.  581.)  — Fleury,  Hist.  Ecclés.,  t.  xr, 
liv.  liv,  n.  57. 

(3)  «  Quicunque  miles ,  vel  negofiator ,  vel  alicui  officio  deditus  quod 
«  sine  peccato  exerceri  non  possit,  si  culpis  gravioribus  irretitus  ad  pœni- 
«  tentiam  venerit ,  vel  qui  bonaalteriùs  injuste  detinet,  vel  qui  odium  in 
a  corde  gerit ,  et  recognoscat  se  veram  pœnitentiam  non  posse  peiagere , 
«per  quam  ad  aeternam  vitam  valeat  pervenire,  nisi  arma  deponat,  iilte- 
«  riusque  non  ferat,  nisi  consilio  religiosorum  episcopotum  pro  defendendâ 
«  justitiû  ;  vel  negotinm  derelinquat,  vel  ofticium  deserat,  et  odium  ex  corde 
a  dimittat,  bonaque  quœ  injuste  abstulit  restituât.  »  Concilium  Rom.  anni 
1078,  canone  5  (aliàs  6).  (Labbe,  Concil.  t.  x,p.  373.)  Voyez,  pour 
l'explication  de  ce  canon,  Chrétien  Loup,  Décréta  et  Canones,  t.  v, 
p.  151,  etc. 

(4)Morin,De  Pœnit.  lib.  vu,  cap.  7  et  seqq.  —  Fleury,  Mœurs  des 
Chrétiens,  n.  63.  Plusieurs  assertions  de  Fleury,  sur  cette  matière,  doivent 
être  corrigées  d'après  les  ouvrages  de  Marchetti  et  de  Muzzarelli,  que  nous 
avons  indiqués  plus  haut,  p.  397,  note  2. 


SUR   LES   SOUVERAINS.  —  CHAPITRE  I.  409 

à  ce  qu'il  nous  semble,  pour  distinguer,  en  cette  matière,  ce  r011dé 
qui  appartient  au  droit  divin  et  à  Y  institution  de  r  Église,  "^j£  B|  «  " 
d'avec  ce  qui  vient  de  la  libre  volonté  et  de  la  pure  concession  J^JJ?* 
des  princes.  On  ne  peut  douter  que  l'Église  ne  possède,  de  ^»- 
droit  divin }  et  par  l'institution  même  de  Jésus-Christ,  le  pou- 
voir d'infliger  aux  pécheurs  des  pénitences  proportionnées  à  la 
grièveté  de  leurs  fautes.  Ce  pouvoir  a  toujours  été  regardé  dans 
l'Église  comme  une  conséquence  naturelle  et  immédiate  de 
celui  qu'elle  a  reçu  de  lier  et  de  délier  les  pécheurs  (l)  ;  d'où  il 
suit  qu'il  y  a  pour  ceux-ci  une  obligation  de  conscience,  d'ac- 
complir les  oeuvres  satisfactoires  que  l'Église  juge  à  propos  de 
leur  imposer,  pour  l'expiation  de  leurs  péchés.  D'après  ce  prin- 
cipe, il  y  avait  certainement  une  obligation  de  conscience, 
pour  les  pénitents  publics,  dans  l'Église  d'Occident ,  depuis  le 
ive  siècle ,  d'éviter  certains  actes  et  certains  emplois  civils ,  que 
l'Église  jugeait  à  propos  de  leur  interdire,  comme  peu  confor- 
mes h  l'esprit  de  la  pénitence  publique.  Mais,  quelque  rigou- 
reuse que  fût  cette  obligation  de  conscience ,  elle  n'entraînait 
par  elle-même ,  la  perte  d'aucun  droit  civil,  avant  que  cette 
obligation  eût  été  confirmée  par  l'autorité  des  princes.  Comment, 
en  effet ,  pourrait-on  regarder  comme  fondé  sur  le  droit  divin 
un  effet  aussi  variable  que  celui  dont  nous  parlons  ;  un  effet 
qui  n'a  jamais  eu  lieu  dans  l'Église  d'Orient,  qui  n'a  pas  eu 
lieu  dans  l'Église  latine  elle-même  pendant  les  cinq  ou  six  pre- 
miers siècles,  et  qui,  dans  le  temps  même  où  il  a  été  admis,  a 
subi  tant  de  variations  et  de  modifications,  selon  les  temps  et 
les  lieux?  Comment  supposer  que  l'autorité  de  l'Église,  sans  le 
concours  de  la  puissance  temporelle,  ait  attaché  à  la  pénitence 
publique  la  perte  des  droits  civils,  dès  le  ve  ou  le  vie  siècle, 
tandis  qu'à  cette  époque,  et  même  longtemps  après,  l'Église 
reconnaissait  hautement,  par  l'organe  des  conciles,  des  saints 
docteurs,  et  des  souverains  pontifes  eux-mêmes,  la  distinc- 
tion et  l'indépendance  réciproque  des  deux  puissances  ;  et 
les  représentait  comme  également  souveraines ,  en  tout  ce  qui 
est  de  leur  compétence,  comme  tellement  indépendantes  l'une 
de  l'autre,  que  la  puissance  ecclésiastique  n'a  pas  plus  le  droit 

(1)  Matt.  xvi,  19;  et  xvin,  18.  Voyez,  sur  ce  point,  le  P.  Morin,  De 
Pœnit.  lib.  i,  cap.  3,  etc. 


l'excoinmuni 

cation , 

dès  l'origine 

du 


410  DEUXIÈME   PARTIE.  — POUVOIR  DU  PAPE 

de  régler  les  objets  de  l'ordre  temporel,  que  la  puissance  tem- 
porelle n'a  le  droit  de  régler  les  objets  spirituels  (1)? 

Concluons  de  ces  observations  que  la  pénitence  publique 
n'entraînait,  par  elle-même,  la  perte  d'aucun  droit  civil, 
avant  que  la  discipline  de  l'Église,  sur  les  effets  temporels  de 
la  pénitence  publique,  eût  été  confirmée  par  la  puissance 
temporelle;  ce  qui  ne  paraît  pas  avoir  eu  lieu  avant  le  vne 
siècle  (2). 

§  II.  Effets  temporels  de  V excommunication  (3). 

70.  L'usage  d' attacher  à  l'excommunication  certains  effets  tem- 

ere]stedT°  porels,  remonte  à  l'origine  même  du  christianisme  ;  toute  la  dif- 
férence entre  la  discipline  des  premiers  siècles  et  celle  du  moyen 
âge ,  sur  ce  point ,  consiste  en  ce  que  la  première  était  beaucoup 
christianisme.  moins  rigoureuse ,  et  fondée  sur  la  seule  autorité  de  l'Église  et 
de  son  divin  fondateur  ;  tandis  que  la  seconde  était  établie  par 
l'autorité  et  le  concours  des  deux  puissances.  Nous  rapporterons 
ici,  en  peu  de  mots,  l'origine  et  les  progrès  de  cette  discipline, 


.  (1)  On  a  vu  plus  haut  les  preuves  qui  établissent  le  fait  de  cette  ancienne 
tradition.  (lre  partie,  chap.  I,  n.  9,  10,  15,  28.  )  Elle  sera  de  plus  en  plus 
établie  dans  le  3e  chapitre  de  cette  seconde  partie,  art.  1. 

(2)  On  voit,  par  ces  observations,  ce  qu'il  faut  penser  du  raisonnement 
de  quelques  théologiens  ultramontains ,  qui  ont  cru  pouvoir  établir  la  ju- 
ridiction au  moins  indirecte  de  V Église  sur  les  choses  temporelles ,  par 
le  pouvoir  que  Jésus-Christ  lui  a  donné  d'établir  la  pénitence  publique.  Ce 
raisonnement  est  employé  par  Mamachi ,  Origines  et  Antiquitales  Chri- 
stianœ ,  t.  iv,  p.  188.  —  Bianchi,  Délia  Polizia  e  délia  Podesta  délia 
Chiesa,  1. 1,  lib.  ni,  §  2 ,  p.  453,  etc.  — Rohrbacher,  Des  Rapports  natu- 
rels entre  les  deux  Puissances,  t.  1,  chap.  13,  p.  180. 

(3)  L'excommunication  est  une  peine  spirituelle,  infligée  par  un  supé- 
rieur ecclésiastique,  ou  par  l'Église  elle-même,  et  qui  prive,  en  tout  ou 
en  partie ,  le  fidèle  des  biens  spirituels  propres  aux  membres  de  l'Église, 
tels  que  la  participation  des  sacrements  ,  les  prières  publiques ,  etc.  Dans 
toute  société,  le  souverain ,  et  les  magistrats  qui  exercent  en  son  nom  la 
justice,  peuvent  infliger  des  peines  aux  sujets  coupables ,  les  priver  des 
biens  qu'elle  procure  à  ses  enfants  dociles ,  et  même  les  exclure  de  son  sein 
pour  de  graves  délits.  Ces  notions  de  simple  bon  sens  suffiraient  pour  éta- 
blir le  pouvoir  qu'a  l'Église  de  rejeter  de  son  sein  les  pécheurs  opiniâtres. 
Pour  de  plus  amples  développements  sur  cette  matière ,  on  peut  consulter, 
outre  les  théologiens  et  les  canonistes,  Pey,  De  l'Autorité  des  deux  Puis- 
sances, t.  m,  3e  partie,  chap.  5,  §  2,  p.  471. — Bergier,  Dictionnaire  Théo- 
logique ,  article  Excommunication. 


SUR  LES  SOUVERAINS.  —  CHAPITRE  I.  411 

si  longtemps  en  vigueur  dans  tous  les  États  catholiques  de 
l'Europe,  au  moyeu  âge  (1). 

Dès  l'origine  du  christianisme ,  d'après  l'institution  môme  de 
Jésus-Christ  et  des  apôtres ,  l'effet  propre  de  l'excommunication 
était  de  priver  un  fidèle,  non-seulement  des  biens  spirituels 
propres  aux  membres  de  l'Église ,  mais  encore  de  certains 
actes  du  commerce  civil ,  qui  dépendent  de  la  libre  volonté  des 
particuliers,  et  dont  ils  peuvent  s'abstenir  sans  blesser  aucun 
droit  :  tels  sont  plusieurs  témoignages  ordinaires  d'amitié  ou  de 
civilité,  comme  manger  ensemble,  converser  familièrement, 
se  saluer  mutuellement,  etc  (2).  On  trouve  de  nombreux  témoi- 
gnages de  cette  ancienne  discipline,  dans  les  auteurs  ecclésiasti- 
ques des  premiers  siècles ,  qui  la  regardaient  comme  également 
importante  pour  préserver  les  fidèles  de  la  contagion  du  mau- 
vais exemple,  et  pour  exciter  les  pécheurs  à  la  pénitence,  par 
une  salutaire  confusion  (3). 

(i)  Nous  ne  connaissons  aucun  auteur  qui  ait  traité  historiquement  cette 
matière,  avec  un  certain  développement.  On  peut  consulter  là-dessus  Vari- 
Espen,  Tractatus  historico-canonicus  de  Censuris  Ecclesiasticis ,  cap.  7, 
§  2  et  3.  (Operum  t.  n.)  —  Dupin,  Traité  historique  des  Excommunica- 
tions, Ve  partie,  §  16;  2e  partie,  §  3.  Cependant  la  hardiesse  et  la  témérité 
de  ces  auteurs ,  sur  plusieurs  points  relatifs  au  dogme  et  à  la  discipline  de 
l'Église,  demandent  qu'on  lise  leurs  ouvrages  avec  précaution.  Le  Traité 
de  Van-Espen  parut,  pour  la  première  fois,  en  1728,  c'est-à-dire,  l'année 
même  où  l'auteur  fut  suspendu  de  ses  fonctions  académiques ,  par  le  rec- 
teur de  l'Académie  de  Louvain,  pour  son  attachement  opiniâtre  au  parti  de 
l'appel.  Le  second  tome  du  Traité  de  Dupin  fut  supprimé  ,  en  1743,  par  un 
arrêt  du  conseil  d'État ,  à  cause  des  pièces  qu'il  renfermait  en  faveur  du 
même  parti.  (Voyez  le  Dictionnaire  de  Moreri,  articles  Van-Espen  et 
Dupin.) 

(2)  «  Quod  sinon  audierit  eos,  die  Ecclesiae;  si  autem  Ecclesiam  non 
«  audierit,  sit  tibi  sicut  ethnicus  et  publicanus.  »  Math,  xvm,  17. 

«  Nunc  autem  scripsi  vobis  non  commisceri,  si  is  qui  frater  nominatur,  est 
«  fornicator,  aut  avarus,  aut  idolis  serviens  ,  aut  maledicus,  aut  ebriosus, 
«  aut  rapax;  cum  ejusmodi  nec  cibum  sumere.  »  /  Cor.  v,  11. 

«  Quod  si  quis  non  obedit  verbo  nostro  per  epistolam,  hune  notate,  et  ne 
«  ■feommisceamini  cum  illo,  ut  confundafur.  »  //  Thessal.  m,  14. 

«  Si  quis  venit  ad  vos,  et  hanc  doctrinam  non  affert,  nolite  recipere  eum 
«  indomum,nec  ave  ei  dixeritis;  qui  enim  dicit  illi  ave,  communicat 
«  operibus  ejus  malignis.  »  II  Joan.  10,  11.  Voyez,  sur  le  passage  de  saint 
Matthieu,  Maldonat,  Menochius,  etc.  ;  sur  les  autres  passages,  Estius,  Mau- 
duit,  etc. 

(3)  Fleury,  Mœurs  des  Chrétiens,  n.  24. — Bingham,  Origines  et  Anti- 
quitates  Eccles. ,  t.  vu,  lib.  xvi,  cap.  2,  §  11,  etc.  —  Duguet,  Conférences 
Ecclésiastiques,  33e  Dissert.,  §  2.  — Bossuet,  Def.  Declar.,  lib.  i,  sect.  2, 
cap.  xxu,  etc. 


412  DEUXIÈME  PARTIE.  —  POUVOIR  DU  PAPE 

7i.  Depuis  ie  vne  siècle  jusqu'au  xne,  l'usage  de  la  pénitence  pu- 

^"eTmes65  blique  étant  peu  à  peu  tombé  en  désuétude,  et  les  désordres  se 
ecdfvi»reî!rs  multipliant  de  jour  en  jour ,  par  suite  de  l'état  d'anarchie  auquel 
da'sVf!éS-uile  ^a  société  était  en  proie,  il  était  naturel  que  les  deux  puissances 
quentes,  et  cherchassent  à  suppléer  à  la  pénitence  publique,  par  quelque 
temporels  si  autre  châtiment  qui  pût  en  imposer  à  des  hommes  barbares  et 
indisciplinés.  La  religion  étant  presque  la  seule  autorité  qu'ils 
respectassent,  on  ne  trouva  pas  de  moyen  plus  efficace,  pour  les 
comprimer,  que  l'usage  des  censures  ecclésiastiques ,  et  parti- 
culièrement de  Y  excommunication.  Les  souverains  eux-mêmes, 
selon  la  remarque  d'un  ancien  auteur,  ne  voyaient  pas  de 
meilleur  moyen  pour  contenir  dans  le  devoir  leurs  vassaux 
rebelles  (1)  ;  et  l'étroite  union  qui  régnait  entre  les  deux  puis- 
sances, les  engagea  naturellement  à  attacher  à  cette  peine  spi- 
rituelle des  effets  temporels  semblables  à  ceux  qui  étaient  depuis 
longtemps  attachés  à  la  pénitence  publique. 

Telle  est,  au  jugement  de  Bossuet,  la  véritable  origine  des 
effets  temporels  attachés  à  l'excommunication ,  dans  la  suite 
du  moyen  âge.  «  Suivant  les  témoignages  de  l'Évangile  et  des 
«  apôtres,  dit-il,  un  excommunié  est  banni  de  la  société  humaine, 
«  en  tant  que  cette  société  conserve  les  bonnes  mœurs;  mais  il 
«  conserve  tous  les  droits  que  lui  donne  la  loi  civile,  à  moins  que 
«  la  loi  elle-même  ne  l'ait  réglé  autrement.  Si  dans  la  suite  les 
«  excommuniés  ont  été  regardés  comme  infâmes,  intestables, 
«  et  inhabiles  à  certaines  fonctions  delà  vie  civile,  jusqu'à  ce 
«  qu'ils  fussent  rentrés  dans  le  devoir ,  cela  est  venu  de  ce  que 


(1)  Voyez  le  témoignage  de  Guillaume  de  Malmesbury,  que  nous  avons 
cité  plus  haut,  art.  2,  p.  335,  note  3.  —  De  Saint -Victor,  Tableau  hist.  et 
pittoresque  de  Paris,  t.  i,  p.  336-344. 

A  l'appui  de  ces  témoignages,  et  de  tout  ce  que  nous  venons  de  dire  sur 
l'efficacité  de  l'excommunication,  à  cette  époque,  pour  prévenir  et  pour  ré- 
primer les  désordres,  on  pourrait  citer  une  foule  d'exemples  remarquables. 
L'histoire  de  France  en  particulier  en  offre  un  très-grand  nombre.  Nous  re- 
marquerons ,  entre  autres,  celui  du  roi  Robert,  excommunié  en  998  ,  pour 
son  mariage  incestueux  avec  Berthe;  celui  de  Philippe  1er,  excommunié 
en  1094,  pour  son  mariage  illégitime  avec  Bertrade;  celui  de  Philippe  II, 
excommunié  en  119S,  pour  son  mariage  adultère  avec  Agnès  de  Méranie. 
On  pourrait  citer  un  bien  plus  grand  nombre  d'exemples  semblables,  relatifs 
à  des  seigneurs,  et  à  des  particuliers  d'une  condition  moins  relevée.  Voyez, 
à  ce  sujet,  Y  Hist.  de  V Église  Gallicane,  t.  vi,  années  913,  948,  964  (p. 
446,  514,  549);  et  alibi  passim. 


SUR  LES   SOUVERAINS.  —  CHAPITRE  I.  413 

«  les  princes  ont  conformé  leurs  lois,  autant  qu'il  leur  a  été 
«  possible ,  à  la  règle  des'  bonnes  mœurs  et  à  la  discipline 
«  évangélique ,  et  non  de  ce  que  l'excommunication  prive  par 
«  elle-même  de  quelque  droit  ou  de  quelque  bien  temporel  (1).  » 

Le  premier  exemple  que  l'histoire  nous  offre  de  cette  priva-       72. 
vation  des  droits  civils ,  attachée  à  l'excommunication ,  se  remarquable, 
trouve  dans  une  constitution  de  Childebert  II ,  publiée  en  595.     poi^Ten 
Ce  prince  y  défend  à  tous  ses  sujets,  même  aux  seigneurs  fran-  ^««stSê!* 
çais  qu'il  nomme  chevelus  (2),  de  contracter  des  mariages  inces- 
tueux. Il  ordonne  que  ceux  qui  refuseront  d'obéir  en  cela  aux 
évèques,  et  qui  se  feront  excommunier  pour  ce  sujet,  soient 
chassés  de  son  palais,  et  dépouillés  de  leurs  biens,  en  faveur 
de  leurs  héritiers  légitimes  (3). 

Depuis  cette  constitution  de  Childebert,  à  mesure  que  l'an- 
cienne discipline  de  la  pénitence  publique  s'affaiblissait,  on  vit 
paraître,  en  France  et  ailleurs,  un  grand  nombre  de  semblables 
ordonnances,  publiées  par  l'autorité  des  deux  puissances,  pour 


(1)  «  Ergo  excommunicatus,  evangelicâ  atque  apostolicâ  auctoritate , 
«  humanae  societatis  exsors  est,  quatenus  humana  societas  ad  bonos  mores 
«  spectat;  manentque  intégra  quse  civili  lege  continentur,  nisi  aliter  lex 
«  ipsa  caverit.  Quod  autem  postea,  inter  christianos ,  exeommunicati ,  nisi 
«  resipiscant,  sint  infâmes,  intestabiles,  ad  quidam  vitae  civilis  officia  inha- 
«  biles  ;  id  ex  eo  ortum  est,  quod  christiani principes,  quoad  fieri  potest , 
«  leges  suas  ad  bonos  mores  atque  evangelicam  disciplinant  aptent, 
«  non  quod  excommunicatio  per  se  ullo  temporali  jure  bonoque  privet.  » 
Bossuet,  Def.  Declar.,  lib.  1,  sect.  2,  cap.  22,  p.  345. 

(2)  On  sait  que,  sous  la  première  race  de  nos  rois ,  la  longue  chevelure 
était  une  marque  distinctive  des  princes  de  la  maison  royale.  Voyez,  à  ce 
sujet,  YHist.  de  France  du  P.  Daniel,  édition  du  P.  Griffet,  t.  1,  p.  73  et 
112  ;  t.  11,  lre  partie,  p.  135,  etc.  — D.  Bouquet,  Recueil  des  Historiens  de 
France ,  t.  m,  Préface,  p.  j-iv. 

(3)  a  Convenit  una  cum  leudis  nostris  (id  est  cum  vassalis  nobilioribus 
«  sive  oplimalibus)  ut  nullus  de  crinosis  incestum  usum  sibi  societ  con- 
te jugio,  hoc  est,  nec  fratris  sui  uxorem ,  nec  uxoris  suue  sororem ,  nec  uxo- 
«  rem  patrui  sui,  autparentis  consanguinei.  Si  quis  uxorem  patris  acceperit, 
«  mortis  periculum  incurrat.  De  prœteritis  verô  conjunctionibus,  quae  inces- 
«  tœ  esse  videntur,  per  praedicationem  episcoporum  jussimus  emendari.  Qui 
«  verô  episcopum  suum  noluerit  audire,  et  excommunicatus  fuerit,  peren- 
«  nem  condemnationem  apud  Deum  sustineat  ;  et  insuper  de  palatio  nostro 
«  sit  omnino  extraneus ,  et  omnes  facilitâtes  suas  parent ibus  legitimis 
«  amittat ,  qui  noluit  sacerdotis  sui  medicamenta  sustinere.  »  Childe- 
berti  Constitution  n.  2.  (Baluze,  Capitularia ,  1. 1,  p.  17.)  —  Fleury,  Hist. 
Ecclésiastique ,  t.  vin,  liv.  xxxv,  11.  45.  —  Hist.  de  l'Église  Gall.,  t.  m, 
liv.  vin,  p.  313. 


414  DEUXIÈME  PARTIE.  — POUVOIR  DU  PAPE 

étendre  de  pi  us  en  plus  les  effets  temporels  de  l'excommunication. 
Une  des  plus  remarquables  est  celle  du  concile  de  Verneuil, 
assemblé  en  755,  par  ordre  de  Pépin  le  Bref,  et  dont  les  décrets 
furent  confirmés  par  son  autorité.  Le  neuvième  canon  de  ce 
concile,  qui  fut  depuis  inséré  dans  les  Capitulaires ,  défend 
aux  excommuniés  d'entrer  dans  l'église,  et  de  manger  avec 
aucun  chrétien;  il  condamne  de  plus  à  l'exil  celui  qui  refuse 
de  se  soumettre  à  cette  défense  (1).  Un  autre  capitulaire  prive 
les  excommuniés  de  leurs  bénéfices  et  de  leurs  biens  pro- 
pres, et  les  condamne  même  à  l'exil,  s'ils  refusent  obstiné- 
ment de  satisfaire  à  l'Église  dans  l'année  (2).  Un  autre  enfin 
les  prive  du  droit  d'accuser  et  de  se  défendre  en  justice,  et  con- 
damne à  l'exil  celui  qui  témoigne  faire  peu  de  cas  de  l'excom- 
muûication  (s). 
i3\  On  trouve  dans  la  législation  des  autres  États  de  l'Europe , 

Le  même  w    ,    ■■  l 

usage  s'établit  vers  le  même  temps ,  particulièrement  dans  celle  d'Angleterre , 

insensible-  iiiiit 

ment  un  grand  nombre  de  semblables  dispositions ,  qui  ne  permettent 
anSÉtatT les  pas  de  douter  que  les  effets  temporels  de  l'excommunication 
de  l'Europe.  n>ajeut  fa£  introduits ,  dès  le  principe,  non-seulement  sans  au- 

(1)  «  Si  quis  presbyter  ab  episcopo  degradatus  fueiit,  etipse  per  contemp- 
«  tum  postea  aliquid  de  suo  officio ,  sine  commeatu  (id  est,  sine  licentiâ) 
«  facere  praesumpserit,  et  postea  ab  episcopo  suo  correptus  et  excommuui- 
«  catus  fuerit;  qui  cum  ipso  communicaverit  scienter,  sciât  se  esse  excom- 
«  municatum.  Similiter  quicumque  clericus  aut  laïcus,  vel  l'œmina  incestum 
«  commiserit,  et  ab  episcopo  suo  correptus  seeinendare  noluerit,  et  ab  epi- 
«  scopo  suo  excommunicatus  fueiit,  si  quis  cum  ipso  communicaverit  scien- 
ce ter,  sciât  se  excommunicatum  esse.  Et  ut  sciatis  qualis  sit  modus  istius 
«  excommunicationis ,  in  Ecclesiam  non  débet  iutrare,  nec  cum  ullo  ebris- 
«  tiano  cibum  vel  potum  sumere,  necejus  mimera  quisquam  débet  accipere, 
«  vel  osculum  porrigere  débet,  nec  in  oratione  se  jungere,  nec  salutare,  an- 
ce  tequam  ab  episcopo  suo  fueiit  reconciliatus.  Quod  si  aliquis  se  réclama- 
it verit  quod  injuste  sit  excommunicatus,  licentiam  babeat  ad  metropoli- 
«  tanum  episcopum  venire,  et  ibidem  secundùm  canonicam  institutionem 
«  dijudicetur;  intérim  suam  excommunicationem  custodiat.  Quod  si  aliquis 
«.  ista  omnia  contempserit,  et  episcopus  emendare  minime  potuerit,  régis 
a  judicio,  exilio  condemnetur.  •»  Concilium  Vernens.  can.  9.  (Baluze, 
«  ibid.,  p.  172  et  836.)  —  Hist.  de  V Église  Gallicane,  t.  iv,  p.  398. 

(2)  Voyez  le  Capitulaire  de  Tribur,  que  nous  avons  cité  dans  l'article 
précédent  (p.  405,  note  2.  ) 

(3)  «  Omnium  anathematum  vox,  in  accusatione,  vel  testimonio,  aut  bu- 
»  mano  judicio,  penitus  non  audiatur;  nec  bi  accusare  quemquam  permit- 
«  tantur  ;  sed  si  quis  anathematis  pœnam  parvi  duxerit ,  aut  in  insulam  re- 
«  ligetur,  aut  exilio  deputetur,  ne  possit  Ecclesiam  Dei  ejusque  famulos  per- 
ce turbare.  »  Capitularium  lib.  vu,  cap.  21 5.  (Baluze,  1. 1,  p.  1071.) 


SUR  LES   SOUVERAINS.  —  CHAPITRE  I.  415 

cune  réclamation  de  la  part  des  princes,  mais  avec  leur  con- 
cours et  leur  approbation  expresse.  Une  constitution  d'Éthelrède, 
roi  d'Angleterre,  publiée  en  1008,  «défend  aux  excommuniés 
«  non  absous  de  demeurer  dans  le  voisinage  du  roi  (et  par  con- 
«  séquent  de  remplir  auprès  de  lui  aucun  office)  avant  d'avoir 
«  satisfait  à  Dieu  et  à  l'Église  (1).  »  Une  loi,  publiée  quelques 
années  après,  par  le  roi  Canut,  «  condamne  à  la  perte  de  la  vie 
«  et  de  tous  ses  biens,  celui  qui  aura  donné  refuge  à  un  homme 
«  excommunié  ou  proscrit  civilement  (2).  » 
Le  concours  des  souverains,  dans  l'établissement  de  cette  dis-    „  ?4- 

Concours 

cipline,  est  formellement  reconnu  par  plusieurs  écrivains  mo-        des 

i  m- 'm'i  v  i  *  ,    ,  -,         souverains, 

dernes,  d  ailleurs  tres-opposes  aux  maximes  et  a  la  pratique  du      dans 

1  ctfiblissc- 

moyen  âge,  sur  ce  point.  «  Charlemagne,  dit  à  ce  sujet  le  conti-  ment 
«  nuateur  de  Velly,  loin  de  redouter  la  puissance  des  évêques ,  de  ^Sat $cl" 
«  croyait  qu'il  était  de  son  intérêt  de  l'augmenter,  afin  qu'elle 
«  servît  de  contre-poids  à  celle  des  seigneurs ,  qui ,  nourris  dans 
«  l'exercice  des  armes,  et  ayant  à  leur  disposition  les  principales 
«  forces  du  royaume,  commençaient  à  méconnaître  le  joug  de 
«l'autorité.  Il  fit  donc  adopter ,  non-seulement  dans  les  écoles 
«  qu'il  fondait,  mais  dans  les  tribunaux  ecclésiastiques  dont  il 
«  étendait  la  juridiction,  et  jusque  dans  les  parlements  ou  as- 
«  semblées  générales ,  qui  étaient  le  tribunal  suprême  de  la 
«nation,  de  nouvelles  maximes,  aussi  favorables  à  l'Église 
n  qu'elles  étaient  contraires  aux  droits  des  souverains  (3).  Ces 

«  germes  ne  tardèrent  pas  à  se  développer Les  rois  ou  em- 

«  pereurs  ayant  communiqué  une  portion  du  pouvoir  civil  et 
«  politique  aux  évêques ,  et  ayant  intérêt  que  les  sentences  ecclé- 
«  siastiques  ne  demeurassent  pas  sans  exécution ,  avaient  donné 
«  à  l'excommunication  une  tout  autre  étendue  (qu'elle  n'a- 

(1)  «  Si  aliquis  excommunicatus  absque  pace  sit  (i.  e.  absque  veniâ  seu 
«  absolutions  delictorum) ,  non  commoretur  in  régis  vicinià  alicubi ,  ante- 
«  qnam  divinam  compensationem  diligenter  fecerit.  »  JEthelredi  régis 
Constitution  (Canciani,  Barbarorum  Leges  antiquœ,  tom.  iv,  p.  291, 
col.  2.) 

(2)  «  Si  quis  excommunicatum  vel  exlegem  (i.  e.  qui  bénéficia  legis , 
«  proinde  juribus  civilibus  privatur)  habuerit  et  custodierit,  luat  vitam  et 
«  omnem  suani  possessionem.  »  Leges  Canutiregis.  (Ibid.,  pag.  309, n.  64.) 

(3)  Il  est  étonnant  que  l'auteur  de  ce  passage  représente  comme  contraires 
aux  droits  des  souverains,  des  maximes  autorisées,  de  son  aveu,  par. les 
souverains  eux-mêmes,  qui  croyaient  avoir  le  plus  grand  intérêt  à  les  au- 
toriser. 


416  DEUXIÈME  PARTIE.  —  POUVOIR  DU  PAPE 

«  vait  eue  dans  les  premiers  siècles  de  l'Église).  Un  excom- 
«  munie ,  s'il  n'avait  la  docile  attention  de  se  faire  absoudre 
«  avant  un  certain  temps,  perdait  tout  droit  de  citoyen;  il  était 
((proscrit  et  banni  de  la  société ,  etc.  (1).  » 

La  sévérité  fut  insensiblement  portée  à  un  tel  point ,  avant  le 
75        pontificat  de  Grégoire  VII,  qu'il  était  défendu,  même  aux 
Te'ue"   '  serviteurs  et  aux  proches  parents  d'un  excommunié,  de  corn- 
et Gré-    muniquer  avec  lui ,  excepté  pour  les  besoins  indispensables  de  la 
goire  vu.    yje  j2j .  rï'où  Ton  concluait  que  l'excommunication  le  rendait 
incapable  de  tout  emploi  civil ,  le  dépouillait  de  toute  dignité , 
même  temporelle,  et  déliait  ses  sujets  de  toute  obligation  d'o- 
béissance et  de  fidélité  envers  lui,  jusqu'à  ce  qu'il  eût  satisfait  à 
l'Église  en  se  faisant  absoudre.  Telle  était  encore  la  sévérité  de  la 
discipline  sous  le  pontificat  de  Grégoire  VII ,  qui  ne  fit  là-dessus 
autre  chose,  que  de  confirmer  les  statuts  de  ses  prédécesseurs, 
comme  il  le  déclare  lui-même ,  dans  le  troisième  canon  du  qua- 
trième concile  de  Rome.  «  Conformément  aux  ordonnances  de 
«  nos  prédécesseurs,  dit-il,  nous  délions  de  leurs  serments,  en 
>  «vertu  de  l'autorité  apostolique  (3) ,  tous  ceux  qui  sont  liés 
«  envers  les  excommuniés ,  par  quelque  engagement  ou  même 
«  par  serment;  et  nous  défendons  absolument  d'observer  ces 
«  engagements  (4).  »  On  doit  cependant  remarquer,  que  la  sen- 

(1)  Garnier,  Hist.  de  France,  tom.  xxi,  pag.  201  et  208.  On  peut  voir,  à 
l'appui  de  ce  témoignage,  Bernardi,  De  l'Origine  et  des  Progrès  de  la  Lé- 
gislation française,  liv.  1,  cliap.  2;  liv.  îv,  chap.  6,  pag.  71,  275,  etc.  — 
Gaillard,  Histoire  de  Charlemagne,  tom.  11,  pag.  124.  —  Bossuet,  Defensio 
Declar.,  lib.  1,  sect.  2,  cap.  22,  versus  finem. 

(2)  Voyez,  à  ce  sujet,  les  plaintes  de  S.  Abbon,  abbé  de  Fleury-sur-Loire, 
dans  son  Apologie  adressée  aux  rois  Hugues  et  Robert,  vers  la  fin  du  xe  siè- 
cle. (Pag.  401,  à  la  suite  du  Codex  Canonum,  publié  par  Pithou.  Paris,  1687, 
in-fol.)  —  Fleury,  Hist.  Ecclés.,  tom.  xii,  liv.  lvii,  n.  44. 

(3)  Les  effets  temporels  de  l'excommunication  étant  alors  autorisés  par  la 
puissance  temporelle,  comme  on  vient  de  le  voir,  ces  paroles  de  Gré- 
goire VII  :  En  vertu  de  l'autorité  apostolique,  doivent  naturellement  s'ex- 
pliquer dans  le  sens  du  pouvoir  directif,  tel  que  l'explique  Fénelon.  (Voyez 
ci-dessus,  n.  10, 11, 12,  pag.  334,  etc.  ;  et  ci-après,  chap.  3,  n.  170.)  Nous  exa- 
minerons ailleurs  de  plus  près  la  doctrine  de  Grégoire  VII  sur  ce  point.  (Ci- 
après,  chap.  2  et  3  de  cette  seconde  partie.) 

(4)  <(  Sanctorum  praedecessorum  nostrorum  statuta  tenentes,  eos  qui  ex- 
«  communicatis  lidelitate  aut  sacramento  constricti  sunt,  apostolicâ  aucto- 
«  ritate,  a  sacramento  absolvimus,  et  ne  sibi  fidelilatem  observent,  omnibus 
«  modis  prohibemus.  »  Synodus  Rom.  iv,  sub  Greg.  VII,  cap.  3.  (Labbe, 
Concil.  tom.  x,  pag.  370.) 


SUR  LES   SOUVERAINS.  —  CmriTRE  I.  417 

tence  d'excommunication  ne  privait  un  excommunié  de  ses 
droits  civils ,  que  lorsqu'il  persévérait  opiniâtrement  dans  l'ex- 
communication, pendant  un  certain  temps  déterminé  par  la  loi 
ou  la  coutume  de  chaque  pays.  Cette  restriction,  clairement  éta- 
blie par  l'usage  constant  du  moyen  âge,  est  expressément  ajou- 
tée au  texte  de  Grégoire  VIT,  dans  le  Décret  de  Gratien  (l). 
Nous  verrons  bientôt  quelle  était  à  cet  égard  la  législation  des 
principaux  États  de  l'Europe. 

Les  graves  inconvénients  qui  résultaient  souvent,  dans  le        76. 

1     -,         .         -,,  .......  .    Cette  rigneur 

commerce  de  la  vie,  d  une  discipline  si  rigoureuse,  engagèrent  tempérée 
bientôt  les  souverains  pontifes  à  la  mitiger,  sur  plusieurs  Gré^rè  vu. 
points.  Grégoire  VII  permit  d'abord  aux  femmes,  aux  en- 
fants et  aux  domestiques  de  l'excommunié,  de  communiquer 
avec  lui.  Il  étendit  même  cette  permission  à  tous  ceux  dont  la 
présence  n'était  pas  propre  à  l'entretenir  dans  ses  mauvaises 
dispositions  (2).  Ce  décret,  qui  n'était  d'abord  que  provisoire, 
fut  depuis  renouvelé  par  les  successeurs  de  Grégoire  VII  ;  et  il  a 
été  inséré  dans  le  Corps  du  Droit  (3).  Enfin,  le  pape  Martin  V, 
non  content  d'approuver  cet  adoucissement ,  l'étendit  encore 
dans  le  concile  de  Constance,  en  déclarant  qu'on  ne  serait  désor- 
mais obligé  d'éviter  que  les  excommuniés  publiquement  et  \ 


(1)  A  la  suite  du  texte  de  Grégoire  VII ,  que  nous  venons  de  citer,  Gratien 
ajoute  ces  mots  :  quoadusque  ipsi  in  satisfactionem  ventant.  Gratiani 
Dccretum,  parte  2,  caus.  15,  quaest.  6,  can.  4  et  5.  — Décrétai,  lib.  v, 
tit  37,  cap.  Gravem,  13. 

(2)  «  Qnoniam  mulfos,  peccatis  nostiis  exigentibus,  pro  causa  excommu- 
«  nicationis  perire  quotidie  cernimus,  partim  ignoranliâ,  partim  etiam  nimiâ 
«  simplicitate,  partim  timoré,  partim  eliam  necessitate  ;  devicti  misericor- 
«  dià,  anathematis  sententiam  ad  tempus,  prout  possumus,  opportune  tem- 
«  peramus.  Apostolicâ  namque  auctoritate,  auathematis  vinculo  hos  subtra- 
«  himus,  videlicet  :  uxores,  liberos  ,  servos,  ancillas,  seu  mancipia ,  neenon 
«.  rusticos  et  servientes,  et  omnes  alios  qui  non  adeo  curiales  sunt  (i.  e.  adeo 
«  in  officiis  curïœ versantur) ,  uteorumconsiliosceieraperpetrenttir;  etillos 
«  qui  ignoranter  excommunicatis  communicant,  seu  illos  qui  communicant 
«  cum  eis  qui  communicant  excommunicatis.  Quicnmque  autem  aut  orator 
«  (i.  e.  qui  orationis  et  pietalis  causa  peregrinatur) ,  sive  peregrinus 
«  aut  viator,  in  terram  excommunicatorum  devenerit,  ubî  non  possit  emere, 
«  ycI  non  habet  unde  emal  ab  excommunicatis ,  accipiendi  licentiam  damas. 
«  Et  si  quis  excommunicatis  pro  sustentatione,  non  superbiœ,  sed  bumanitatis 
«  causa,  aliquid  dare  voluerit,  fieii  non  probibemus.  «  Synodus  Romanaiv, 
sub  Grcg.  VU,  cap.  4.  (Labbe,  Conciliorum  tom.  x,  pag.  371.) 

(3)  Gratiani  Decretum,  parte  2,  caus.  11,  quœst.  3,  can.  103. 

27 


418  DEUXIÈME  PARTIE.  — POUVOIR  DU  PAPE 

nommément  dénoncés;  et  telle  est  encore  aujourd'hui  la  disci- 
pline de  l'Église  (l). 

77.  Ces  divers  adoucissements  laissèrent  néanmoins  subsister, 
La  privation  pen(jant  toute  \a  suite  du  moyen  âge,  le  principe  général  qui 
t0UM^ité'  privait  de  toute  dignité,  même  temporelle,  les  excommuniés 

temporelle,  0piniâtres.  Telle  était  la  persuasion   générale  des  hommes 

attachée  *■  , 

à  l'excommu-  pieux  et  éclairés  sous  le  pontincat  de  Grégoire  VII ,  et  même 
plus  anciennement,  de  l'aveu  des  auteurs  les  moins  favorables 
à  cette  discipline  (2). 

78.  ,       H  est  certain  que  cet  ancien  usage  continua,  pendant  plu- 
e  pHne      sieurs  siècles,  à  faire  partie  du  droit  commun  de  tous  les  États 

'""S""1  catholiques  de  l'Europe.  Il  était  autorisé  en  particulier,  de  la 

^communTe   manière  la  plus  expresse ,  dans  plusieurs  articles  du  Droit  Ger- 

i)rou"'"Trma-  w?«^<7^?  rédigé  au  xine  siècle,  d'après  les  anciennes  coutu- 

nique.      mes  de  l'Empire  (3).  Voici  ce  qu'on  lit,  sur  ce  sujet,  dans  le 

Droit  de  Souabe  :  «  Si  quelqu'un  est  excommunié  par  le  juge 

«  ecclésiastique ,  et  demeure  en  cet  état  pendant  six  semaines 

«  et  un  jour,  il  peut  être  proscrit  (4)  par  le  juge  séculier.  De 

«  même,  si  quelqu'un  est  proscrit  par  le  juge  séculier,  il  peut 

«  être  excommunié  par  le  juge  ecclésiastique.  S'il  a  été  excom- 

«  munie  avant  d'être  proscrit,  on  doit  l'absoudre  del'excom- 

«  munication  (s'il  en  est  digne)  avant  de  lever  la  proscription  ; 

«  et  de  même,  s'il  a  été  proscrit  avant  d'être  excommunié,  on 


(1)  Van-Espen,  Tract,  hist.  can.  de  Censur.,  cap.  7,  §  5.  (Oper.  tom.  11.) 
—  Suarez,  De  Censur.,  disp.  15. 

(2)  Bossuet,  Defensio  Declar.,  lib.  1,  sect.  2,  cap.  24;  lib.  m,  cap.  4, 
pag.  348  et  587.  Nous  citerons  un  peu  plus  bas  ces  passages  de  Bossuet.  (Ci- 
après,  chap.  2,  art.  1,  n.  118).  —  Fleury,  Hist.  Eccl.,  tom.  xni,  3e  Dis- 
cours,  n.  18;  tom.  xvn,  5e  Discours,  n.  13,  vers  la  fin.  —  Pfeffel,  Abrégé 
chronologique  de  V Histoire  d'Allemagne,  année  1106.  (Édition  in-4°,tom.  1, 
pag.  228.) 

(3)  Voici  le  titre  du  Droit  de  Souabe  :  «■  Hic  incipit  liber  Juris  provin- 
ce cialis  Cœsarei,  statutus  et  ordinatus  a  Romanis  imperatoribus  et  electori- 
«  bus ,  continens  omnes  communes  articulos  Juris ,  quidve  agendum  aut 
«  omitteudum  sif, . . .  communis  pacis  causa,  a  sacro  imperio  statutum,  et  ab 
«  antiquo  tempore ,  serio  confirmation.  »  Prœfamen  Juris  Alaman- 
nici,  sive  Suevici.  (Senckenberg,  Corpus  Juris  Germanici,  tom.  ir, 
pag.  1.) 

(4)  On  voit,  par  le  contexte,  que  la  proscription  dont  il  est  ici  question, 
consiste  dans  la  privation  des  droits  civils.  C'est  ce  qui  résulte  surtout  de  la 
comparaison  du  chapitre  3  avec  le  chapitre  127,  selon  la  remarque  de  Senc- 
kenberg, 


SUR  LES  SOUVERAINS.  — CHAPITRE   I.  419 

«  doit  lever  la  proscription  avant  de  l'absoudre  de  l'excom- 
«  munication.  Ni  l'un  ni  l'autre  des  deux  juges  ne  doit  l'absou- 
«  dre  (de  l'excommunication  ou  de  la  proscription),  avant  qu'il 
«  ait  satisfait  pour  la  faute  qui  l'avait  fait  excommunier  ou  pro- 

«  scrire  (l) Si  un  homme  proscrit  ou  excommunié  cite  quel- 

«  qu'un  en  justice,  personne  n'est  tenu  de  répondre  à  leur 
«  citation  ;  mais  si  on  les  cite  ,  ils  sont  tenus  de  répondre.  La 
«  raison  est  qu'ils  sont  privés,  dans  les  jugements,  soit  ecclésias- 
«  tiques ,  soit  séculiers ,  du  droit  commun  à  tous  les  chrétiens. 
«  Si  un  homme  est  seulement  proscrit  ou  excommunié ,  il  est 
«  censé  frappé  tout  à  la  fois  des  deux  sortes  de  peines  (2).  » 
La  législation  de  l'Angleterre  et  de  la  France ,  depuis  le  xe  siè-     .   79-  . 

00  x  Lois  anglaises. 

cle,  était  au  fond  la  môme,  sur  ce  point,  quoique  avec  de 
légères  modifications  (3).  D'après  les  lois  anglaises,  un  excom- 
munié qui  ne  se  mettait  pas  en  devoir  d'obtenir  l'absolution 
dans  l'espace  de  quarante  jours,  était  dénoncé  par  l'évèque  aux 
officiers  royaux,  qui  le  faisaient  mettre  en  prison,  jusqu'à  ce 
qu'il  eût  satisfait  à  l'Église,  en  se  faisant  absoudre;  et  s'il  persé- 
vérait opiniâtrement  dans  V excommunication  pendant  une 
année  entière,  il  était  noté  d'infamie  (4).  Si  le  coupable  était 

(1)  «Si  quis  a  judicio  ecclesiastico  fuit  excommunicatus ,  et  in  illo  statu 
«  manet  per  sex  septimanas  et  unum  diem ,  tune  jure  potest  proscribi  a 
«judicio  saeculari.  Similiter,  si  quis  a  judicio  saeculari  proscribitur,  jure  a 
«  judicio  ecclesiastico  excommunicatur.  Et  si  priùs  fuerat  excommunicatus 
«  quàm  proscriptus ,  priùs  etiam  ab  excommunicatione  absolvi  débet  (prae- 
«  stitis  praestandis)  ;  et  vicissim  ,  si  priùs  fuit  proscriptus  quàm  excommuni- 
«  catus,  débet  etiam  priùs  liberari  a  proscriptione.  Neuter  horum  judicum 
«  débet  illum  absolvere  (ab  excommunicatione  vel  proscriptione),  priusquam 
«  ratione  prioris  culpae  (propter  quam  primùm  fuit  excommunicatus  vel 
«  proscriptus)  satisfecerit.  »  Juris  Alamanrdci  cap.  3.  (Senckenberg ,  Cor- 
pus Juris  Germanici ,  lom.  11.) 

(2)  «  Proscriptis  aut  excommunicatis ,  si  aliquem  convenire  conantur, 
«  nemo  tenetur  respondere;  si  autem  ipsi  ab  aiiis  conveniuntur,  obstricti 
«  sunt  ut  respondeant.  Hoc  inde  est  quod,  in  judicio  ecclesiastico  et  saecu- 
«  lari,  exclusi  sunt  a  jure  quod  christianis  ordinarie  competit.  Si  quis  est  vel 
a  solummodo  proscriptus ,  vel  solummodo  excommunicatus ,  tum  censetur 
«  quasi  et  proscriptus  et  excommunicatus  esset.  »  Juris  Alamannici  cap. 
127.  Voyez  aussi  les  chap.  1  et  2. 

(3)  Voyez  Ducange,  Glossarium  mediœ  et  injimœ  Latinitatis,  verbo  Ex- 
communicatio .  —  Idem,  Observations  sur  l'Histoire  de  saint  Louis,  par 
Joinville,  pag.  40.  —  D.  Brial,  Recueil  des  Hist.  de  France,  tom.  xiv,  Pré- 
face, sect.  1,  §  10. 

(4)  Voici  comment  s'expriment,  à  ce  sujet,  les  compagnons  d'exil  de  S.  Tho- 
mas de  Cantorbéry,  dans  une  lettre  écrite  au  cardinal  Albert,  en  1170  :  «  In 

27. 


420  DEUXIÈME  PARTIE.  — POUVOIR  DU  PAPE 

un  baron  ou  un  autre  seigneur,  ses  sujets  étaient  déliés  de 

leur  serment  de  fidélité  envers  lui,  et  ses  fiefs  pouvaient  être 

saisis  par  le  seigneur  suzerain ,  jusqu'à  ce  qu'il  eût  satisfait  à 

l'Église  (1). 

80.  Il  serait  aisé  de  montrer,  par  un  grand  nombre  de  faits,  que 

ancien  usage  ^  prance  n'avait  pas  alors,  sur  ce  point,  d'autre  usage  que  le 

F'fo.CmeC,°n"  reste  de  l'Europe  catholique  (2).  Mais  il  suffit,  pour  s'en  con- 

sur  hceceP^nt '  vaincre,  de  parcourir  les  écrits  du  bienheureux  ïves  de  Char- 

des  autres    ires  la  lumière  et  l'oracle  de  l'Église  de  France ,  et  même  de 

l'Jtats. 

tout  l'Occident,  au  xne  siècle.  Dans  son  Décret  ou  recueil  de 
canons,  il  suppose  clairement  la  discipline  alors  universelle,  sur 
les  effets  temporels  de  l'excommunication ,  et  particulièrement 
l'usage  constant  qui  privait  les  excommuniés  du  droit  d'accuser 
et  de  se  défendre  en  justice  (3).  Mais  il  expose  cette  discipline 
avec  beaucoup  plus  de  développement  dans  une  de  ses  lettres, 
adressée  à  Laurent,  moine  de  La  Charité,  et  qui  paraît  avoir 
été  écrite  dans  le  temps  de  l'excommunication  lancée  par  le 
pape  Urbain  II  contre  Philippe  Ier,  à  l'occasion  de  son  mariage 
scandaleux  avec  Bertrade.  L'évêque  de  Chartres,  consulté  par 
Laurent  sur  la  conduite  à  tenir  envers  les  excommuniés,  lui 
rappelle  les  règles  établies  ou  renouvelées,  sur  ce  sujet ,  par  Gré- 
goire VII  :  il  cite  et  explique ,  à  cette  occasion  ,  les  canons  du 
concile  de  Rome  que  nous  avons  rapportés  plus  haut  (4);  et 
après  avoir  rappelé  la  défense  faite  aux  excommuniés,  d'accuser 
et  de  se  défendre  en  justice ,  il  ajoute  que  les  lois  divines  et 

«  eo  maxime,  apud  nostrates,  justitia  viget  ecclesiastica,  quôd  qui  per  an- 
«  num  excommunicationem  sustinent,  notari  soient  inf'amiâ.  »  S.  Thom. 
Cantuariens.  Epistol.  lib.  5,  Epist.  22.  Cette  lettre  est  la  258e  dans  le  Recueil 
des  Hist.  de  France  de  D.  Bouquet,  tom.  xvi,  pag.  419. 

(1)  Voyez  les  conciles  et  autres  actes  de  la  législation  anglaise  cités  par 
Ducange,  ubi  suprà;  voyez  en  particulier  le  concile  de  Lambeth,  en  1261, 
cap.  De  Excommunicalis  capiendis;  et  celui  de  Londres,  en  1342,  cap.  13. 
(Labbe,  Concil.  tom.  xi,  pag.  808  et  1897.)  —  Fleury,  Histoire  Ec- 
oles., tom  xvin,  Ht.  lxxxv,  n.  ô;  tom.  xx,  liv.  xcv,  n.  13.  — Prynn, 
Antiquœ  Constilutiones  regnl  Angliœ.  Londini,  1672,  in -fol.  pag.  358 
et  410. 

(2)  Voyez  les  auteurs  cités  dans  la  note  3  (le  la  page  précédente. 

(3)  «  Definimus  eum  rite  ad  accusationem  non  admitti,  qui  postea  quàm  ex- 
a  communicatus  fuerit,  in  ipsà  adliuc  excommunicatioue  constitutus,  sive 
«  cleiicus,  sive  laïcus,  àecusare Voluerit.  »  Ivonis  Décret,  lib.  xiv,  cap.  69. 
Voyez  aussi  les  chap.  95-97. 

(4)  Yoyez  plus  baut,  pag.  416  et  417. 


SUR  LES   SOUVERAINS.  — CHAPITRE   I.  421 

humaines  Vont  ainsi  établi,  pour  obliger  les  excommuniés  à 
rentrer  en  eux-mêmes  y  et  à  se  repentir  de  leurs  péchés  (1). 
Nous  aurons  bientôt  occasion  de  citer  plusieurs  autres  lettres 
du  même  prélat,  écrites  au  sujet  du  mariage  scandaleux  de 
Philippe  Ier,  et  qui  supposent  les  effets  temporels  de  l'excommu- 
nication alors  admis  en  France ,  môme  par  rapport  aux  sou- 
verains. 

Une  ordonnance  publiée  par  saint  Louis,  en  1228,  établit        &t. 
d'une  manière  également  décisive  la  législation  alors  suivie  en  CeM<^,s,a 
France,  sur  cette  matière.  On  y  trouve  des  dispositions  tout  à    en\'su™r 

'  <i  l  sous   le  regn 

fait  semblables  à  celles  que  nous  venons  de  remarquer  dans  la        de 

. ,     .  ,  ,  saint  Louis. 

législation  anglaise  (2).  Cette  ordonnance  enjoint  aux  juges  sécu- 
liers, «  d'employer  les  peines  temporelles  contre  les  excommuniés 
«  qui  persévèrent  opinâtrément  dans  l'anathème  pendant  une 
«  année,  afin  de  ramener  à  l'Eglise  ,  par  la  crainte  des  châti- 
«  ments,  ceux  que  la  crainte  de  Dieu  ne  touche  pas.  Nous  or- 
«  donnons  en  conséquence  à  nos  baillis,  ajoutele  roi,  de  saisir, 
«  au  bout  d'un  an ,  tous  les  biens  meubles  et  immeubles  des 
«  excommuniés,  et  de  ne  les  leur  restituer  qu'après  qu'ils  au- 
«  ront  été  absous,  et  qu'ils  auront  satisfait  à  l'Église  ;  et  dans  ce 
«  cas  môme,  lesdits  biens  ne  seront  restitués,  qu'après  avoir  ob- 
«  tenu  de  nous  un  ordre  spécial  (3).  »  On  retrouve  ces  disposi- 


(!)  «  Divinae  leges  pariter  et  humanee  réfutant  et  vitant  eorum  (excom- 
«  municatorum)  testimonia  et  judicia;  non  quod  non  aliquando  vera  testifi- 
«  centur,  et  justa  décernant;  sed  ut,  tali  repulsâ  confutati,  ab  errore  suo 
«  désistant.  »  Ivonis  Epist.  180.  (Operum,  part.  2  ,  pag.  78,  col.  2.)  Cette 
lettre  d'ives  de  Chartres  ne  se  trouve  pas  dans  le  Recueil  déjà  cité  de  D.  Bou- 
quet, qui  renferme  seulement  un  choix  de  lettres  du  prélat. 

(2)  Cette  ordonnance  de  saint  Louis  se  trouve  dans  le  tom.  xi  de  la  coîlec- 
lion  des  Conciles  du  P.  Labbe,  pag.  424.  On  peut  voir,  à  ce  sujet,  Y  Histoire 
de  V Église  Gallicane,  tom.  xi,  pag.  569-572.  —  Daniel,  Bist.  de  France, 
loin.  îv,  pag.  308  et  576.  —  Ducange,  ubi  suprà. 

(3)  «Statuimus,  ut  excommunicati  vitentnr ,  secunditm  canonicas 
«  sanctiones  ;  et  si  aliqui  per  annum  contumaciter  in  excommunica- 
«  tione  perstiterint ,  extunc  temporaliter  compellantur  redire  ad  ecclesiasti- 
«  cam  unitatem;  ut  quos  a  malo  non  retrahit  tiinor  Dei,  saltem  pœna 
«  temporalis  cornpellat  Unde  praecipimus  quod  halivi  nostri  omnia  bona  ta- 
ct lium  exeommunicatorum  mobilia  et  immobiîiapost  annum  capiant,  nec  eis 
«  aliquo  modo  restituant,  donec  praedicti  absoluti  fuerint,  et  Ecclesise  satisfe- 
«  cerint;  nec  tune  etiam,  nisi  de  nostro  speciali  mandato.  »  Statuta  Ludo- 
vici  régis,  pro  libertate  Ecclesiœ ,  n.  7  et  8.  ( Labbe ,\Concil.  tom.  xi, 
pag.  424.) 


422  DEUXIÈME  PARTIE.  —  POUVOIR  DU  PAPE 

tions  dans  plusieurs  conciles  de  France,  tenus  vers  le  même 
temps,  particulièrement  dans  ceux  de  Cognac,  en  1262  (i),  et  de 
Cologne,  en  1266  (2).  On  les  remarque  également  dans  le  recueil 
de  lois  publié,  vers  le  même  temps,  sous  le  titre  ft  Établissements 
de  saint  Louis  (3) ,  et  qui,  s'il  n'est  pas  l'ouvrage  de  ce  prince, 
exprime  du  moins  la  législation  en  vigueur  de  son  temps  (4). 
82  Quelque  rigoureuse  que  nous  semble  aujourd'hui  cetle  an- 

circonstances  cjenne  législation ,  elle  s'établit  d'autant  plus  facilement,  qu'elle 

favorables  °  L  *    M 

à  rétablisse-  était  au  fond  un  adoucissement  de  l'ancienne  discipline,  sur  les 
de  cette  disci-  effets  temporels  de  la  pénitence  publique.  Il  est  certain  en  effet 
p,ne*  que  celle-ci,  indépendamment  des  pratiques  pénibles  et  humi- 
liantes qu'elle  imposait ,  donnait  lieu  aux  effets  temporels  dont 
nous  parlons ,  même  lorsqu'on  la  faisait  librement  et  par  pure 
dévotion;  et  ces  effets  subsistaient,  même  après  le  temps  de  la 
pénitence  (5).  D'après  la  nouvelle  discipline,  au  contraire,  outre 
que  le  coupable  n'était  pas  ordinairement  obligé  aux  pratiques 
pénibles  et  humiliantes  de  la  pénitence  publique,  l'excommuni- 
cation n'était  prononcée  qu'en  punition  de  certains  délits  consi- 
dérables ;  et  ses  effets  cessaient,  aussitôt  que  le  coupable  se  mon- 
trait digne  d'absolution. 

(1)  Concilium  Copriniacense  (de  Cognac),  n.  3.  (Labbe,  ibid.,  pag.  821.) 

(2)  Concilium  Coloniense,  cap.  38.  (Labbe,  ibid.,  pag.  854.) 

(3)  Établissements  de  saint  Louis,  liv.  i,  chap.  121.  Ce  chapitre  est 
cité  par  Ducange,  dans  son  Glossaire,  ubisuprà.  Le  texte  entier  des  Établis- 
sements se  trouve  à  la  suite  de  l'Histoire  de  saint  Louis,  par  Joinville,  édi- 
tion de  Ducange. 

(4)  Daniel,  Histoire  de  France,  tom.  iv,  pag.  596.  —  Montesquieu,  Esprit 
des  Lois,  liv.  xxvm,  chap.  37,  etc.  — Bernardi,  De  l'Origine  et  des  Progrès 
de  la  Législation  française,  liv.  v,  chap.  4,  pag.  329. 

(5)  Voyez,  à  l'appui  de  ces  assertions ,  l'ouvrage  du  P.  Morin  que  nous 
avons  cité  plus  haut,  pag.  397,  note  1. 


SUR  LES   SOUVERAINS.  423 


CHAPITRE  IL 

Persuasion  générale  des  princes  et  des  peuples,  sur  la  réalité 
du  pouvoir  que  les  papes  et  les  conciles  du  moyen  âge  se 
sont  attribué  à  l'égard  des  souverains. 

Quelle  qu'ait  été  l'origine  du  pouvoir  extraordinaire  que  les        83. 
papes  et  les  conciles  ont  exercé  à  l'égard  des  souverains,  au       sSlT** 
moyen  âge,  il  est  de  fait  que,  depuis  le  xe  siècle  au  moins,  et    JS^uh 
même  beaucoup  plus  anciennement  dans  quelques  États,  il  s'é- inco,itestable- 
tablit  insensiblement,  dans  l'Europe  catholique,  une  persua- 
sion universelle ,  qui  subordonnait  la  puissance  temporelle  à  la 
puissance  spirituelle ,  en  ce  sens  que  le  souverain  pouvait  être 
jugé,  et  môme  déposé,  en  certains  cas,  par  l'autorité  du  Pape 
ou  du  concile.  On  peut  se  partager  sur  l'origine  et  les  fonde- 
ments de  cette  persuasion,  diversement  expliqués  parles  au- 
teurs modernes,  comme  on  l'a  vu  plus  haut(l);  mais  il  est  peu 
de  faits  aussi  clairement  établis  par  l'histoire,  que  celui  de 
cette  persuasion  universelle. 

Pour  en  exposer  les  preuves  avec  ordre,  nous  la  considérerons        8*- 

r  *■  Preuves 

successivement  par  rapport  aux  souverains  catholiques  de  l'Eu-  de  ce  fait. 
rope  en  général,  par  rapport  à  la  France  et  aux  États  feuda-  cLpitre. 
taires  du  saint-siége,  enfin  par  rapport  à  l'empire  d'Occident. 
Le  développement  de  ces  divers  points  mettra  dans  tout  son 
jour  la  vérité  de  ce  fait  important,  que  les  papes  et  les  conciles 
qui  se  sont  attribué  le  pouvoir  déjuger  et  de  déposer  des  princes 
temporels,  et  Grégoire  VII  lui-même,  qui  le  premier  a  fait 
usage  de  ce  pouvoir  (2) ,  n'ont  fait  que  suivre  des  principes 
alors  universellement  admis,  et  reconnus  même  par  les  souve- 
rains qui  avaient  le  plus  d'intérêt  à  les  contester. 

(1)  Ci-dessus,  pag.  327,  n.  2,  etc. 

(2)  Nous  supposons  ici ,  comme  on  le  fait  communément,  que  la  sentence 
de  déposition  portée  par  Grégoire  VII ,  contre  l'empereur  d'Allemagne 
Henri  IV,  est  le  premier  exemple  en  ce  genre.  Cette  supposition  cependant 
n'est  pas  sans  difficulté.  Il  paraît  certain  que  l'empereur  Arnoul  fut  couronné 
empereur,  en  896,  par  le  pape  Formose,  qui  le  substitua  à  Lambert,  cou- 


424  DEUXIÈME  PARTIE.  — POUVOIR  DU  PAPE 

ARTICLE  PREMIER. 

Preuves  de  cette  persuasion ,  par  rapport  aux  souverains  catholiques  de 

l'Europe  en  général. 

85- .  Un  des  points  les  mieux  établis  par  l'histoire  de  l'Europe,  au 

La  déposition  -  .     -         -     .'     -  .  , 

encourue    moyen  âge,  cest  que,  depuis  le  x   siècle  au  moins,  on  a  ge- 

par  les  princes       ,.  -j.        >  •  i       •        •  j  i  • 

hérétiques,   néraîement  applique  aux  souverains  la  jurisprudence,  depuis 
d'a«iastonper"  longtemps  en  vigueur  par  rapport  aux  simples  particuliers,  sur 
générale.    jes  effets  temporels  de  l'hérésie  et  de  l'excommunication. 

Pour  ce  qui  regarde,  en  premier  lieu,  les  effets  temporels 
de  l'hérésie ,  il  est  certain  que ,  d'après  l'usage  et  la  persuasion 
universelle,  les  souverains,  aussi  bien  que  les  seigneurs  parti- 
culiers, encouraient,  par  l'hérésie,  la  perte  de  leur  dignité,  et 
pouvaient  être  déposés  par  une  sentence  du  Pape  ou  du  concile. 
On  peut  s'en  convaincre  par  le  propre  témoiguage  de  l'empe- 
reur Henri  IV,  à  une  époque  où  il  était  moins  disposé  que  ja- 
mais à  favoriser  les  prétentions  du  Pape,  et  plus  intéressé  à  les 
contester.  Immédiatement  après  le  concile  de  Worms,  en  1076, 
dans  lequel  Henri  avait  fait  déposer  le  pontife ,  il  lui  écrivit 
une  lettre  conçue  dans  les  termes  les  plus  insultants,  pour  lui 
notifier  cette  décision.  Toutefois,  dans  cette  lettre  si  violente, 
il  ne  lui  conteste  pas  absolument  le  pouvoir  de  déposer  les  sou- 
verains; il  soutient  seulement  que,  «  suivant  la  tradition  des 
«  Pères,  un  souverain  ne  peut  être  déposé,  pour  quelque  crime 
«  que  ce  soit,  si  ce  n'est  qu'il  abandonne  la  foi  (î).  »  C'était  re- 


ronné  par  le  même  pape,  quatre  ans  auparavant.  Mais  nous  ne  connaissons 
pas  assez  les  circonstances  de  ce  fait ,  pour  en  conclure  avec  assurance,  que 
la  persuasion  générale  des  princes  et  des  peuples  attribuait  dès  lors  au  Pape 
le  pouvoir  de  déposer  l'empereur.  Dans  le  cas  où  cette  persuasion  eût  déjà 
existé,  il  est  difficile  de  croire  que  Grégoire  Vil  ne  l'eût  pas  invoquée,  à  l'ap- 
pui de  sa  conduite  envers  l'empereur  d'Allemagne.  Nous  parlerons  ailleurs 
plus  en  détail  de  l'élection  de  Lambert  et  d'Arnonl.  Sur\la  date  précise  de  ces 
élections,  voyez  principalement  le  P.  Pagi,  Critic.  in  Annales  Baron.,  anno 
892,  n.  2  ;  894,  n.  3;  895,  n.  4;  896,  n.  3;  898,  n.  7.— L'Art  de  vérifier  les  Da- 
tes ;  Chronolog.  Hist.  des  Emp.  d' Occident.] —  Cenni,  Monumenta,  tom.  n, 
pag.  28  et  242. 

(1)  «Me  quoque,...  qnem  sanctorum  patrum  traditio  soli  Deo  judican- 
«  dum  docuit,  nec  pro  aliquo  crimine,  nisi  à  fide  (quod  absit)  exorbitave- 

«  rim,  deponendum  asseruit, me,  inquam  ,  a  Deo  constitutum  inlio- 

«noras.  »  (Christian.  Urstitius,  Germaniœ  Historici  illustres ,  tom.  i, 


SUR  LES   SOUVERAINS.  —  CHAPITRE  II.  425 

connaître  assez  clairement,  selon  la  remarque  de  Fleury,  que, 
d'après  un  usage  déjà  très-ancien,  un  souverain  qui  aban- 
donnait la  foi  pouvait  être  justement  déposé. 

Environ  deux  siècles  plus  tard,  nous  trouvons  un  témoi-  Cette8£rsua> 
gnage  également  remarquable  de  cette  persuasion,  dans  une  f*°n 
lettre  des  seigneurs  français  au  pape  Grégoire  IX,  à  l'occasion  Fronce,  sou* 
de  la  déposition  de  Frédéric  II,  empereur  d'Allemagne.  Ce  saint  Louis 
prince  ayant  été  excommunié  et  déposé  par  le  Pape,  en  1239, 
celui-ci  écrivit  à  saint  Louis  une  lettre,  par  laquelle  il  lui  faisait 
part  de  cet  événement,  et  lui  offrait  l'empire  pour  le  comte 
Robert  son  frère  (i).  Le  roi  et  les  seigneurs  français  se  mon- 
trèrent, il  est  vrai,  fort  opposés  à  la  conduite  du  Pape  contre 
Frédéric.  Toutefois,  ils  ne  contestèrent  pas  à  l'Église  le  droit 
de  déposer  l'empereur,  en  certains  cas,  particulièrement  pour 
le  crime  d'hérésie.  «Si  l'empereur,  disaient-ils,  avait  mérité 
«d'être  déposé,  il  ne  devait  l'être  que  dans  un  concile,  »  né- 
cessaire, selon  eux,  pour  procéder  plus  sûrement,  dans  une  ma- 
tière aussi  grave.  Ils  ajoutaient  «  que  l'empereur  leur  semblait 
«innocent,  tant  sous  le  rapport  de  sa  conduite  séculière,  que 
«  sous  le  rapport  de  la  foi  catholique;  qu'au  reste,  on  lui  en- 
verrait des  ambassadeurs,  pour  examiner  soigneusement  ses 
«  sentiments  sur  la  foi  catholique;  et  que,  s'il  était  reconnu 
«coupable  sur  ce  point,  on  lui  ferait  la  guerre  à  outrance, 
«  comme  on  la  ferait ,  en  pareil  cas ,  à  tout  autre,  et  au  Pape 
«  lui-même  (2).  »  Il  est  à  remarquer  que  le  ton  d'ailleurs  peu 
mesuré  de  cette  lettre,  et  les  termes  offensants  qu'on  y  emploie 

pag.  394.)  —  Baronii,  Annales,  tom.  xi,  anno  1080,  n.  24. —  Flenry, 
Hist.  Ecclés.,  tom.  xm,  liv.  lxii,  n.  28.  —  Voigt,  Histoire  de  Grégoire  VU, 
liv.  vin,  pag.  377. 

(1)  Matthieu  Paris,  Hist.  Angl.,  anno  1239.  —  Bossuet,  Defensio  Declar., 
liv.  iv,  cap.  6  et  9.  —  Fleury,  Hist.  Ecclés.,  tom.  xvn,  liv.  lxxxi,  n.  36,  etc. 
—  Hist.  de  l'Église  Gallicane,  tom.  xi,  année  1239.  — Daniel,  Hist.  de 
France,  tom.  iv,  année  1239. 

(2)  «  si  Fridericus  ab  apice  imperiali,  meritis  exigentibus,  deponendus 

«  esset,  non  nisi  per  générale  concilium  cassandus  judicaretur Insontem 

«  sibi  videriadhuc  Fridericum ,  neque  quid  sinistri  in  eo  visum,  vel  in  fide- 
«  litate  saeculari,  vel  in  fide  catholicâ;  missuros  ad  Imperatorem ,  qui  quo- 
«  modo  de  fide  catholicâ  sentiat  diligenter  inquirant :  tum  ipsani,  imàetiam 
«  ipsum  Papam,  si  ma!e  de  Deo  senserit,  usque  ad  internecionem  per- 
«  secuturos.  »  Matth.  Paris,  ubï  suprà  (cité  par  Bossuet,  ibid. ,  cap.  6, 
pag.  26). 


426  DEUXIÈME  PARTIE. — POUVOIR  DU  PAPE 

contre  le  Pape,  font  soupçonner  à  quelques  auteurs  qu'elle  lui 
fut  adressée,  sans  la  participation  du  roi,  par  les  seigneurs 
français,  alors  très-animés  contre  le  Pape  et  les  évèques(l). 
Mais  quoi  qu'il  en  soit  de  cette  conjecture,  la  lettre  dont  il  s'a- 
git n'est  pas  moins  propre  à  faire  connaître  les  principes  alors 
généralement  admis,  sur  les  droits  de  la  puissance  spirituelle , 
relativement  à  la  déposition  des  princes,  et  particulièrement 
de  l'empereur,  pour  cause  d'hérésie.  Il  fallait,  en  effet,  que  ces 
principes  fussent  alors  généralement  regardés  comme  incontes- 
tables, puisqu'ils  étaient  formellement  reconnus  par  les  auteurs 
de  cette  lettre,  d'ailleurs  pleine  des  expressions  les  plus  offen- 
santes contre  le  Pape. 
g?.  On  peut  citer  encore ,  en  preuve  de  cette  persuasion  générale , 

Sé°érzlxet  plusieurs  conciles,  tant  généraux  que  particuliers,  dont  les  dé- 
pnvticuiiers,  crets   sur  ce^e  matière,  ont  été  publiés  en  présence  et  avec  le 

a  l appui  '  >  l  ± 

de  cette  per-  consentement  exprès  ou  tacite  des  souverains.  Mais  rien  n'est 

suasion.  '  ,   , 

plus  remarquable,  en  ce  genre,  que  les  décrets  du  troisième  et 
du  quatrième  concile  ,'œcuménique  de  Latran,  si  diversement 
expliqués  par  plusieurs  auteurs,  qui  n'ont  pas  fait  assez  d'atten- 
tion au  concours  des  deux  puissances  dans  ces  grandes  as- 
semblées (2). 
^  Le  premier  de  ces  conciles,  tenu  en  1179,  renouvelle  contre 

Décrits  du  , 

troisième  ton-  les  Albigeois  et  plusieurs  autres  hérétiques  de  cette  époque,  les 
génlrai  de  principales  dispositions  du  droit  romain,  alors  en  vigueur 
dans  tous  les  États  chrétiens  de  l'Europe  (3).  Dans  le  préambule 
de  son  décret,  le  concile  distingue  soigneusement  les  peines 
spirituelles  que  l'Église  décerne  contre  les  hérétiques,  par  sa 
propre  autorité,  d'avec  les  peines  temporelles  qu'elle  décerne 
du  consentement  et  avec  le  secours  des  princes  chrétiens. 
Voici  les  propres  expressions  de  ce  concile  (4)  :  «  Quoique  FÉ- 


(1)  Voyez  Daniel  et  Berthier,  ubi  suprà. 

(2)  Voyez,  sur  ces  différentes  explications,  Tournely,  De  Ecclesia,  tom.  n, 
pag.  447.  —  Bossnet,  Defensio  Declar.,  lib.  iv,  cap.  I~et2.  —  Mamachi, 
Origines  et  Antiquitates  Christianœ,  tom.  iv,  pag.  245,  note  2. 

(3)  Nous  avons  exposé  plus  haut  ces  dispositions,  dans  YIntrod.  de  cet 
ouvrage,  art.  2,  §  2,  n.  61,  etc. 

(4)  «  Sicut  ait  beatus  Léo,  licèt  ecclesiastica  disciplina,  sacerdolali  con- 
«  tenta  judicio,  cruentas  non  efficiat  ultiones,  calholicorum  tamenprinci- 
«  pum  constitutionibus  adjuvatur,  ut  sœpe  quaerant  hommes  salutare  re- 


Latran. 


SUR  LES  SOUVERAINS. — CHAPITRE  II.  427 

«  glise,  comme  dit  saint  Léon  (1) ,  contente  de  prononcer  des 
«peines  spirituelles ,  par  la  bouche  de  ses  ministres,  ne  fasse 
«point  d'exécutions  sanglantes,  elle  est  pourtant  aidée  par 
«  les  lois  des  princes  chrétiens ,  afin  que  la  crainte  du  châti- 
«  ment  corporel  engage  les  coupables  à  recourir  au  remède  spi- 
rituel. »  Après  avoir  établi  ce  principe,  le  concile  décerne 
contre  les  hérétiques  des  peines  spirituelles  et  temporelles. 
D'abord  il  les  anathématise,  eux  et  leurs  fauteurs,  les  sépare 
de  la  communion  des  fidèles,  défend  d'offrir  pour  eux  le  saint 
sacrifice,  et  de  leur  donner  la  sépulture  chrétienne.  Puis,  fai- 
sant usage  du  secours  que  l'Église  reçoit  des  princes  chré- 
tiens, il  décerne,  contre  les  hérétiques,  des  peines  temporelles , 
en  ces  termes  :  «  Que  tous  ceux  qui  s'étaient  engagés  envers  eux 
«  par  quelque  convention,  se  regardent  comme  déliés  de  toute 
«  obligation  de  fidélité,  d'hommage  et  d'obéissance,  tandis 
«  qu'ils  persévéreront  dans  l'hérésie.  De  plus,  nous  enjoignons 
«  à  tous  les  fidèles,  pour  la  rémission  de  leurs  péchés,  de  s'op- 
«  poser  courageusement  aux  ravages  des  hérétiques ,  et  de  dé- 
«  fendre  par  les  armes  le  peuple  chrétien  contre  eux.  Nous  or- 
«  donnons  aussi  que  leurs  biens  soient  confisqués ,  et  qu'il 
«  soit  permis  aux  princes  de  les  réduire  en  servitude  (2).  »  Le 
concours  des  deux  puissances,  pour  la  publication  de  ce  décret, 
outre  qu'il  est  clairement  supposé  par  le  texte  même  que  nous 
venons  de  citer,  est  d'ailleurs  attesté  par  un  auteur  contempo- 
rain, qui,  après  avoir  rapporté  les  canons  dont  il  s'agit,  ajoute 
que  «ces  décrets  ayant  été  publiés,  furent  reçus  par  tout  le 
«  clergé  et  le  peuple  présentez).  »  Il  est  certain,  comme  Bos- 

«  médium,  dum  corporale  super  se  metuunt  evenire  supplicium.  »  Concil. 
Later.  m,  can.  27.  (Labbe,  Concil.  tom.  x,  pag.  1522.) 

(1)  Le  concile  emploie  ici  les  propres  expressions  de  saint  Léon,  dans  sa 
Lettre  à  Turibius,  évêque  d'Espagne,  au  sujet  des  Priscillianistes  qui  infes- 
taient alors  ce  royaume.  S.  Leonis  Epist.  15  (aliàs  93),  n.  1.  —  Fleury,  Hist. 
Ecclés.,  t.  vi,  liv.  xxvn,  n.  10. 

(2)  «  Relaxatos  autem  se  noverint  a  debito  Jidelitatis  et  hominii,  ac 
«  totius  obsequii,  donec  in  tantâ  iniquitate  permanserint ,  quicumque  illis 
«  aliquo  pacto  tenentur  annexi.  Ipsis  autem,  cunctisque  fidelibus,  in  remis- 
«  sionem  peccatorum  injungimus,  ut  tantis  cladibus  se  viriliter  opponant,  et 
«  contra  eos  armis  populum  christianum  tueantur,  confîscenturque  eorum 
«  bona,  et  liberum  sit  principibus  hujusmodi  hommes  subjicere  servituti.  » 
Concil.  Lateran.  m;ubi  saprà,  pag.  1523. 

(3)  «  His  itaque  decretis  promulgatis,  et  ab  universo  clero  ac  populo 


428 


DEUXIEME   PARTIE. — POUVOIR  DU   PAPE 


suet  le  remarquée  ce  sujet,  que,  dans  le  style  des  conciles  et  de 
tous  les  auteurs  ecclésiastiques,  le  mot  peuple  est  ici  employé 
par  opposition  au  clergé ,  pour  désigner  tous  les  laïques  pré- 
sents au  concile,  même  les  princes  et  les  seigneurs  (1). 
s9.  Ce  décret  du  troisième  concile  de  Latran  fut  renouvelé ,  au 

<Dua'riLdeU    commencement  du  siècle  suivant,  par  le  quatrième  concile  de 
concile  gêné-  jjatran ,  tenu  en  1215.  Après  avoir  anathémafcisé,  généralement 

rai  ° 

de  Latran.    et  sans  exception ,  toutes  les  hérésies  contraires  à  la  foi  catho- 
lique, le  concile  continue  en  ces  termes  :  «  Nous  ordonnons  (2) 


«  circumstante  receptis,  etc.  »  Roger  de  Hoveden,  Ann.  Anglican,  lib.  11. 
(Scriptores  Angliœ,  tom.  1.  —  Labbe  ,  Concil.  tom.  x  ,  pag.  1525.) 

(1)  «  Populi  autem  nomine,  ecclesiastico  more  sty loque,  laïci omnes  in- 
«  telligebantur,  ipsique  adeo  principes,  et  eorum  legati.  •»  Bossuet,  Defensio 
Declar.,  lib.  iv,  cap.  1,  pag.  6.  On  peut  voir  encore,  à  l'appui  de  ces  obser- 
vations, Fleury,  Hist.  Eccl.,  tom.  xv,  liv.  lxxiii,  n.  22.  —  D.  Ceillier,  Hist. 
des  Auteurs  ecclésiastiq.,  tom.  xxi,  pag.  721. — Pey,  De  l'Autorité  des  deux 
Pîiissances,  tom.  1,  pag.  112. — Thomassin,  Traité  des  Édits,  tom.  11,  chap.9. 
—  Bernardi,  De  l'Origine  et  des  Progrès  de  la  Législation  française , 
liv.  v,  chap.  3,  p.  316. 

(2)  «  Damnati  verô,  saecularibus  potestatibus  prœsentibus,  aut  eorum  ba- 
livis,  relinquantur  animadversione  débita  puniendi,  clericis  priùs  a  suis  or- 
dinibus  degradatis;  ita  quod  bona  bujusmodi  damnatorum,  si  laïci  fuerint, 
contiscentur;  si  verô  clerici,  applicenturecclesiis  a  quibus  stipendia  perce- 
perunt.  Qui  autem  inventi  fuerint  solà  suspicione  notabiles,  nisi  juxta  con- 
siderationes  suspicionis ,  qualitatemque  personae ,  propriam  innocentiam 
congrue  purgatione  monstraverint,  anatbematis  gladio  feriantur,  et  usque 
ad  satisfactionem  condignam,  ab  omnibus  evitentur;  ita  quod  si  per  annum 
in  excommunicatione  perstiterint ,  extunc  velut  haeretiei  condemnentur. 
Moneantur  autem  et  inducantur,  et  si  necesse  fuerit,  percensuram  eccle- 
siasticam  compellantur  saeculares  potestates,  quibuscumque  fungantur  of- 
ficiis,  ut  sicut  reputari  cupiunt  et  haberi  fidèles,  itapro  defensione  fidei 
prsestent  publiée  juramentum,  quod  de  terris  suœ  juridictioni  subjectis, 
universos  haereticos  ab  Ecclesiâ  denotatos,  bonâ  fide,  pro  viribus  extermi- 

nare  studebnnt Si  verô  dominus  temporalis,  requisilus  et  monitus  ab 

Ecclesiâ,  terram  suam  purgare  neglexerit  ab  bac  haereticâ  fœditate,  per 
metropolitanum  et  caeteros  comprovinciales  episcopos  excommunicationis 
vinculo  innodetur;  et  si  satisfacere  contempserit  infra  annum  ,  significetur 
hoc  summo  pontifici,  ut  extunc  ipse  vassallos  ab  ejus  fidelilate  denuntiet 
absolutos,  et  terram  exponat  catholicis  occupandam,  qui  eam,  extermi- 
nalis  bœreticis,  sineullâ  contradiclione  possideant,  et  in  fidei  puritate  con- 
servent; salvo  jure  domini  principalis,  dummodo  super  hoc  ipse  nullum 
prœstet  obstaculum  ,  nec  aliquod  impedimentum  opponat  ;  eâdem  niliilo- 

minus  lege  servatâ  circa  eos  qui  non  habent  dominos  principales 

Credentes  verô  prseterea,  receptores,  defensores  et  fautores  hsereticorum, 
excommunicationi  decernimus  subjacere;  lirmiter  statuentes,  ut  postquam 
quis  talium  fuerit  excommunicatione  notatus ,  si  satisfacere  contempserit 
infra  annum,  extunc  ipso  jure  sit  factus  infamis,  nec  ad  publica  officia  seu 


SUR   LES    SOUVERAINS.  —  CHAPITRE   II.  429 

«  quo  les  hérétiques,  après  avoir  été  condamnés,  soient  livrés 
«  aux  puissances  séculières,  ou  à  leurs  baillis,  pour  être  punis 
«  comme  ils  le  méritent,  en  observant  néanmoins  de  dégrader 
«  les  clercs,  avant  de  les  livrer  au  bras  séculier  ;  que  les  biens  des 
«laïques  ainsi  condamnés  soient  confisqués,  et  ceux  des  clercs 
«  appliqués  aux  églises  dont  ils  ont  reçu  les  rétributions;  que 
«  l'on  frappe  aussi  d'anathème  ceux  qui  seront  suspects  d'hé- 
«résie,  à  moins  qu'ils  ne  se  justifient  d'une  manière  conve- 
«  nable,  suivant  la  nature  du  soupçon,  et  la  qualité  de  la  per- 
«  sonne;  que  tous  les  fidèles  évitent  de  communiquer  avec  eux, 
«  jusqu'à  ce  qu'ils  aient  satisfait  à  l'Église;  et  qu'ils  soient  enfin 
«  condamnés  comme  hérétiques,  s'ils  persistent  dans  l'excom- 
«  munication  pendant  un  an.  On  avertira  encore,  et  on  obligera 
«môme,  s'il  est  nécessaire,  par  les  censures  ecclésiastiques, 
«toutes  les  puissances  séculières,....  de  s'engager,  par  un  ser- 
«  ment  public,  à  chasser  de  leurs  terres  les  hérétiques  notés  par 
«l'Église....  Si  un  seigneur  temporel,  averti  et  requis  par  FÉ- 
«  glise,  néglige  de  purger  sa  terre  de  la  contagion  de  l'hérésie, 
«  il  sera  d'abord  excommunié  par  le  métropolitain  et  ses  com- 
«  provinciaux  ;  et,  s'il  ne  satisfait  dans  l'année,  on  en  avertira 
«  le  Pape,  afin  qu'il  déclare  les  vassaux  de  ce  seigneur  déliés  de 
«  leur  serment  de  fidélité,  et  qu'il  abandonne  sa  terre  à  des  ca- 
«tholiques,  pour  la  posséder  paisiblement,  après  en  avoir 
«  chassé  les  hérétiques,  et  pour  y  maintenir  la  pureté  de  la  foi  ; 
«  sauf  le  droit  du  seigneur  suzerain,  pourvu  que  lui-même  ne 
«  mette  aucun  obstacle  ou  empêchement  à  l'exécution  de  ce  dé- 
«  cret;  et  cependant  on  suivra  la  même  règle  à  l'égard  de  ceux 
«qui  n'ont  point  de  seigneur  suzerain....  Nous  ordonnons,  en 
«  outre ,  que  les  protecteurs  et  les  fauteurs  des  hérétiques  soient 
«excommuniés;   et  que,  s'ils  ne  satisfont  dans  l'année,  ils 

«  consilia,  nec  ad  eligendos  aliquos  ad  hujusmodi,  nec  ad  testimonium  ad- 
«  niiltatur.  Sit  etiani  intestabilis,  ut  nectestandi  liberam  habeat  faeultatem, 
«  nec  ad  haereditatis  successionem  accédât.  Nullus  prseterea  ipsi,  super  quo- 
«  cumque  negotio,  sed  ipse  aliis  respondere  cogatur.  Quod  si  forte  judex  ex- 
ce  titeiit,  ejus  sententia nullam  obtîneat  firmitatem,  nec  causa?  aliqua?  ad  ejus 
«  audientiam  perferantur.  Si  fuerit  advocatus,  ejus  patrocinium  nullatenus 
«  admiltatur.  Si  tabellio,  ejus  instrumenta  confecta  per  ipsum  nullius  penitus 
«  sint  momenti,  sed  cum  auctore  damnato  damnentur.  »  Goncilittm  Laie» 
ranense  iv,  can.  3.  (Labbe,  Concil.  tom.xi,  part.  1,  p.  147,  etc.)  —  Fleury, 
Hist.  Ecclés.,  t.  xvr,  liv.  lxxvii,  n.  47. 


430  DEUXIÈME  PARTIE. — POUVOIR  DU  PAPE 

«soient,  de  plein  droit,  regardés  comme  infâmes,  inhabiles 
«aux  offices  et  conseils  publics,....  intestables,  c'est-à-dire, 
«  incapables  de  tester  et  de  recueillir  une  succession  ;  que  per- 
«  sonne  ne  soit  obligé  de  leur  répondre  en  justice,  sur  quelque 
«  affaire  que  ce  soit ,  bien  qu'ils  soient  obligés  de  répondre  aux 
«  autres.  Si  un  homme  ainsi  condamné  est  juge,  ses  sentences 
«  n'auront  aucune  force;  s'il  est  avocat,  il  ne  sera  point  admis 
«  à  plaider;  s'il  est  tabellion  (ou  notaire),  les  actes  par  lui  dres- 
«  ses  n'auront  aucune  valeur.  » 
9o.  Il  semble,  au  premier  abord,  que  le  concile,  en  publiant  de 

ConTux  des  pareils  décrets,  entreprenait  sur  les  droits  de  la  puissance  tem- 
puidaa"sCes'  porelle.  Mais,  outre  que  le  concours  des  princes,  nécessaire 
ia  publication  p0ur  \à  validité  de  ces  décrets,  avait  été  clairement  expliqué 
ces  décrets.  dans  le  troisième  concile  de  Latran ,  tenu  peu  de  temps  aupara- 
vant, il  est  certain  que  ces  décrets  ne  furent  publiés  que  de 
concert  avec  les  princes  chrétiens,  qui  avaient  tous  été  convo- 
qués à  ce  concile,  et  qui  y  assistèrent  en  effet  par  leurs  ambas- 
sadeurs. C'est  ainsi  que  Bossuet,  Fleury,  et  la  plupart  des  histo- 
riens et  des  canonistes,  particulièrement  en  France,  expliquent 
les  décrets  dont  il  s'agit,  et  plusieurs  autres  du  même  genre, 
qu'on  rencontre  dans  les  conciles  généraux  du  moyen  âge  (1). 
La  réunion  des  deux  puissances,  dans  ces  conciles,  a  même  en- 
gagé plusieurs  savants  auteurs  à  les  considérer  comme  des  diètes 
générales,   ou  des  états  généraux  de  l'Europe,  qui  avaient 
tout  à  la  fois  le  caractère  d'assemblées  ecclésiastiques  et  d'as- 
semblées politiques  (2).  En  effet,  tous  les  princes  catholiques  de 
l'Europe  y  étant  convoqués,  aussi  bien  que  les  évêques,  et  y 
assistant  par  eux-mêmes  ou  par  leurs  ambassadeurs,  les  décrets 
qu'on  y  publiait  sur  les  objets  temporels,  émanaient  tout  à  la 
fois  de  l'autorité  de  l'Église  et  des  princes,  et  devenaient  ainsi 
obligatoires  pour  tous  les  peuples  catholiques  de  l'Europe. 


(1)  Fleury,  ubï  suprà.  —  Bossuet,  Defensio  Declar.,  lib.  iv,  cap.  1-5.  — 
D.  Ceillier,  Histoire  des  Auteurs  ecclésiastiques ,  tom.  xxi,  pag.  721; 
tom.  xxiii,  pag.  560.  —  Milner,  Excellence  de  la  Religion  catholique,  let- 
tre 49.  Voyez  aussi  les  ouvrages  de  l'abbé  Pey,  du  P.  Thomassin  et  de  Ber- 
nard!, cités  dans  la  note  1  de  la  pag.  428. 

(2)  Thomassin,  Traité  des  Édits,  tom.  h,  chap.  9,  pag.  87  .  —  Idem,  An- 
cienne et  nouvelle  Discipline,  tom.  h,  liv.  m,  chap.  45-57,  passim.  —  Ber- 
nardi,  ubi  suprà,  pag.  316, 


SUR  LES  SOUVERAINS.  — CHAPITRE  II.  431 

Mais ,  indépendamment  de  ce  concours  des  deux  puissances       91. 
dans  le  troisième  et  le  quatrième  concile  de  Latran,  le  consen-  Condeceastlou 
tement  que  les  princes  chrétiens  donnaient  aux  décrets  que  nous  dorXlnsn^rcèsS 
venons  de  citer,  est  clairement  prouvé  par  un  grand  nombre  de       .des 

'  x  i  «j  princes, 

lois  émanées,  vers  le  même  temps,  de  la  puissance  temporelle ,  et  Par  divers 

,  conct/cs  ou 

et  par  plusieurs  conciles  ou  assemblées  mixtes  y  tenues  en  di-  assemblées 
vers  Etats.  Nous  remarquerons  en  particulier  une  constitution 
publiée  par  Frédéric  II,  empereur  d'Allemagne,  en  1220,  le 
jour  même  où  il  reçut  la  couronne  impériale,  de  la  main  du  pape 
Honorius  III.  L'empereur  confirme  expressément,  par  cette 
constitution ,  les  décrets  du  troisième  et  du  quatrième  concile 
de  Latran  que  nous  avons  rapportés,  et  qui  sont  textuellement 
insérés  dans  cette  ordonnance  (l).  Quelques  années  après,  saint 
Louis,  à  peine  monté  sur  le  trône,  en  publia  une  semblable, 
pour  assurer  l'exécution  des  mêmes  décrets,  dans  les  provinces 
du  midi  de  la  France,  où  l'hérésie  des  Albigeois,  et  la  protec- 
tion que  le  comte  de  Toulouse  leur  avait  longtemps  accordée, 
rendaient  cette  exécution  plus  difficile  (2).  Ce  fut  par  de  sem- 
blables motifs,  que  le  saint  roi  demanda  depuis  au  pape  Alexan- 
dre IV,  et  obtint  de  lui  l'établissement  du  tribunal  de  l'inquisi- 
tion en  France  (3). 


(1)  Constitutio  Friderici  //(dans  le  Corpus  Juris  Romani,  à  la  suite 
du'  Livre  des  Fiefs).  — Fleury,  Hist.  Ecclésiast.,  tome  xvi,  liv.  lxxviii, 
n.  40. 

(2)  Constitutio  Ludovici  IX.  (Labbe,  Concil.  tom.  xi,  prima  parte, 
pag.  423.)  — Histoire  de  V Église  Gallicane,  tom.  xi,  liv.  xxxi , 
pag.  31.  —  Daniel,  Histoire  de  France,  édition  du  P.  Griffet,  tom.  iv, 
pag.  575. 

(3)  Fleury,  Histoire  Ecclésiastique,  tom.  xvn,  liv.  lxxxiv,  n.  15.  On 
doit  expliquer  ou  modifier,  d'après  cet  exposé,  l'assertion  de  plusieurs  cano- 
nistes  français  du  dernier  siècle,  qui  assurent  que  les  peines  temporelles , 
prononcées  par  les  papes  contre  les  hérétiques,  ne  sont  point  d'usage  en 
France.  (DeHéricourt,  Lois  Ecclésiast.  de  France,  tom.  i,  pag.  149,  lrecol.) 
Il  est  certain  que,  sous  le  règne  de  saint  Louis,  et  même  longtemps  après,  la 
France  n'avait  point,  à  cet  égard,  d'autre  usage  que  celui  de  tous  les  États 
catholiques  de  l'Europe.  Il  est  vrai  que,  par  suite  des  progrès  de  la  réforme 
en  France,  les  principales  dispositions  du  droit  commun,  sur  ce  point,  y 
tombèrent  peu  à  peu  en  désuétude  ;  mais  on  sait  que  la  plupart  de  ces  dispo- 
sitions furent  remises  en  vigueur  par  la  révocation  de  VÉdit  de  Nantes,  en 
1685.  Voyez  de  Héricourt,  ïbid.,  pag.  378,  etc. — D'Avrigny,  Mémoires 
pour  servir  à  V Histoire  Ecclésiastique  du  xvne  siècle,  tom.  m,  année 
1685.  —  Histoire  de  Bossuet,  par  le  cardinal  de  Bausset ,  tom.  îv,  liv.  xi, 
ri.  15. 


432  DEUXIÈME   PARTIE, — POUVOIR  DU  TAPE 

Parmi  les  conciles  ou  assemblées  mixtes  qui  ont  publié, 
vers  le  même  temps,  de  semblables  décrets,  nous  remarquerons 
en  particulier  le  concile  de  Tours,  en  1163,  composé  d'une 
multitude  d'évéques  et  de  seigneurs  des  royaumes  de  France  et 
d'Angleterre  (l);  celui  de  Vérone,  en  H 84,  auquel  assistèrent 
un  grand  nombre  d'évcques  et  de  seigneurs  d'Allemagne ,  de 
Lombardie,  et  de  quelques  autres  États  (2);  et  celui  de  Tou- 
louse, en  1229,  où  l'on  renouvela  les  règlements  publiés,  peu 
de  temps  auparavant,  par  saint  Louis  contre  les  hérétiques  (3). 

Tous  ces  témoignages  sont  assurément  bien  suffisants  pour 
établir  l'usage  et  la  persuasion  universelle  de  l'Europe,  au 
moyen  âge,  sur  les  eiïets  temporels  de  l'hérésie,  par  rapport 
aux  princes.  Mais  ce  point  si  important  sera  de  plus  en  plus  éta- 
bli, dans  la  suite  de  ce  chapitre  (4),  par  les  propres  aveux  des 
souverains  les  plus  jaloux  de  leur  autorité,  et  les  plus  inté- 
ressés à  contester  l'usage  dont  nous  parlons. 
92-  Les   effets   temporels   de   V excommunication ,    par    rap- 

Persuasion  .  ,  .      .  ,      ,       . 

générale,  sur  port  aux  souverains ,  n  étaient  pas  moins  généralement  recon- 
effeis  Tempo-  nus  ;  et  l'histoire  nous  montre  les  princes  eux-mêmes  parta- 
deiwlnimu.  géant,  à  cet  égard,  la  persuasion  universelle.  L'histoire  de 
pîrCîapQârt  l'empereur  d'Allemagne ,  Henri  IV,  suffirait  seule  pour  établir 
ce  que  nous  avançons.  Nous  croyons  devoir  l'exposer  ici  avec  un 
certain  développement,  soit  parce  qu'elle  nous  offre  le  premier 
exemple  d'un  souverain  déposé  par  suite  de  l'excommuni- 
cation (5),  soit  parce  que  les  détails  de  cette  histoire  sont  très- 
propres  à  éclaircir  l'objet  principal  de  nos  Recherches  (6). 


(1)  Concil.  Turon.  (Labbe,  Concil.  tom.  x,  pag.  1411.)  —  Fleury,  Hist. 
Ecclés.,  tom.  xv,  liv.  lxx,  n.  63. 

(2)  Concil.  Veron.  (Labbe,  ibid.,  pag.  1737  et  1740.)  — Fleury,  ibid., 
liv.  Lxxm,  n.  54. 

(3)  Concil.  Tolos.  anni  1229.  (Labbe,  Concil.  tom.  xi,  prima  parte, 
pag.  426,  etc.)  — Fleury,  ibid.,  tom.  xvr,  liv.  lxxix,  n.  57.  —  Hist.  de  l'É- 
glise Gallicane,  tom.  xi,  liv.  xxxi,  pag.  35,  etc.  —  Pour  de  plus  amples 
détails,  sur  ce  point,  on  peut  consulter  les  auteurs  que  nous  avons  cités 
dans  Y  Introduction  de  cet  ouvrage ,  pag.  94,  note  2. 

(4)  Ci-après,  art.  4. 

(5)  Voyez  ci-dessus  la  note  2  de  la  page  423. 

(6)  Pour  le  développement  des  faits  que  nous  allons  rapporter,  voyez 
principalement  les  Annales  de  Baronius  (année  1073  elsuiv.),  et  la  2e 
Dissert,  du  P.  Alexandre  sur  VHist.  Eccl.  du  xie  siècle.  Ces  deux  auteurs 
citent  longuement  les  principaux  témoignages  des  auteurs  contemporains , 


aux 
princes. 


SUR   LES  SOUVERAINS.  —  CHAPITRE  II.  433 

Les  historiens  s'accordent  à  représenter  l'empereur  Henri  IV       93. 

.  ,  Cette    persua- 

comrae  un  des  plus  méchants  princes  qui  aient  régne  sur  1  Aile-       sion 
magne.  La  débauche,  la  tyrannie,  l'avarice,  la  simonie,  fai-  Twltoiw* 
saient  tout  à  la  fois  de  ce  prince  le  fléau  de  l'État  et  de  la  de^tnwTr 
religion  (1);  et  ses  vexations  continuelles  aliénèrent  à  un  tel  Caract«re  et 

°  x    '  7  ,  excès 

point  les  seigneurs  de  ses  Etats,  qu'ils  songèrent  plus  d'une  de  ce  prince, 
fois  à  le  déposer,  dans  une  assemblée  [générale  de  la  nation. 
Dès  l'an  1067 ,  longtemps  avant  le  pontificat  de  Grégoire  VII, 
ils  en  avaient  conçu  le  dessein,  qu'ils  renouvelèrent  souvent 
depuis,  et  dont  l'exécution  ne  fut  arrêtée  que  par  les  intrigues,  les 
promesses,  ou  l'amendement  passager  de  Henri  (2).  Déjà  le  pape 
Alexandre  II,  dans  le  désir  de  remédier  aux  maux  de  l'Église 
et  de  l'État,  avait  cité  ce  prince  à  Rome  (en  1073)  pour  rendre 
compte  de  sa  conduite,  et  pour  se  justifier  en  particulier  sur 
l'article  de  la  simonie,  une  des  principales  sources  des  trou- 
bles et  des  scandales  qui  affligeaient  alors  l'Église  d'Allemagne; 
mais  la  mort  du  pontife,  arrivée  peu  de  temps  après  cette  ci- 
tation, la  rendit  inutile,  ou  du  moins  calma  bientôt  les  inquié- 
tudes de  l'empereur  (3).  Grégoire  VII,  successeur  d'Alexandre  II, 
ne  fut  pas  plus  lot  monté  sur  le  saint-siége,  qu'il  songea  sérieu- 
sement à  prendre  des  moyens  efficaces  pour  faire  cesser  le 
scandale;  mais  pour  peu  qu'on  observe  attentivement  sa  con- 
duite, on  verra  combien  il  était  naturellement  éloigné  des 
moyens  de  rigueur,  surtout  à  l'égard  de  Henri.  11  était  impos- 
sible ,  en  effet ,  de  pousser  plus  loin  qu'il  ne  fit  les  témoignages 
de  bienveillance,  de  douceur  et  de  compassion,  envers  un  prince 
si  opiniâtre  dans  ses  désordres  (4).  Ce  ne  fut  qu'après  avoir 
épuisé  inutilement,  par  lui-même  et  par  ses  légats,  tous  les 
moyens  de  douceur,  qu'il  en  vint,  pour  ainsi  dire  malgré  lui, 

sur  les  faits  dont  nous  parlons.  Voyez  aussi  Y  Hist.  de  Grégoire  VII ,  par 
Voigt;  2e  édition.  Paris,  1842,  in-8°.  —  Fleury,  Hist.  Eccl.,  t.  xm, 
liv.  lxii,  etc.  — Receveur,  Hist.  de  l'Église,  tora.  v,  liv.  xxvu.  Nous  avons 
déjà  fait  remarquer  ailleurs  (Préface),  que  ce  dernier  ouvrage  peut  servir 
de  correctif  à  Y  Histoire  Ecclésiastique  de  Fleury,  et  à  un  grand  nombre 
d'autres,  particulièrement  sur  les  détails  concernant  l'histoire  de  Gré- 
goire VII. 

(1)  Voyez  les  auteurs  cités  plus  haut,  p.  372,  note  1. 

(2)  Voigt,  ibid.,  p.  111. 

(3)  Ibid.,  p.   158,  etc. 

(4)  Voigt,  ibid.,  p.  187,  etc.,  364,  etc.— Noël  Alex.,  2ibi  suprà,  art.  2  et  3. 

28 


434  DEUXIÈME  PARTIE.  —  POUVOIR  DU  PAPE 

aux  menaces  et  à  la  rigueur  ;  encore  ne  le  fit-il  qu'à  la  prière 
des  seigneurs  saxons ,  qui,  poussés  à  bout  par  les  vexations  de 
l'empereur,  et  ne  croyant  plus  pouvoir  compter  sur  ses  pro- 
messes tant  de  fois  violées,  s'adressèrent  au  saint-siége,  comme 
à  leur  unique  refuge,  et  au  seul  tribunal  capable  de  mettre  des 
bornes  au  despotisme  et  à  tous  les  crimes  de  Henri.  Après  avoir 
exposé  au  Pape  la  triste  situation  de  l'Église  et  de  l'État  en  Alle- 
magne, ils  lui  représentent  «  qu'il  ne  convient  pas  de  souffrir  sur 
«  le  trône  un  si  méchant  prince,  vu  surtout  que  Rome  ne  lui  a  pas 
«  encore  donné  la  dignité  royale  (t)  ;  qu'il  est  à  propos  de  rendre 
«à  Rome  son  droit  d'établir  les  rois;  qu'il  appartient  au  Pape 
«  et  à  la  ville  de  Rome,  de  concert  avec  les  princes  (allemands), 
«  de  choisir  un  homme  digne ,  par  sa  conduite  et  sa  prudence, 
«  d'un  rang  si  élevé  (2).  »  Ils  ajoutaient,  pour  appuyer  leur  de- 
mande, que  l'empire  était  un  fief  de  la  ville  éternelle,  et  qu'il 
appartenait  par  conséquent  au  Pape ,  comme  chef  et  organe  du 
peuple  romain,  de  venir  au  secours  de  l'empire,  dans  l'extré- 
mité où  il  se  trouvait  (3).  On  doit  remarquer  que  les  seigneurs 
saxons,  en  provoquant  la  sévérité  du  Pape  contre  Henri,  agis- 

(1)  D'après  l'usage  et  le  droit  public  de  l'Allemagne,  le  choix  que  les  sei- 
gneurs allemands  faisaient  du  roi  de  Germanie,  ne  lui  conférait  pas  propre- 
ment  la  dignité  impériale;  il  ne  devait  prendre  le  titre  d 'empereur  qu'a- 
près avoir  été  reconnu  et  couronné  par  le  Pape.  (Voyez  ci-après,  art.  4;  et 
chap.  3,  art.  2,  §  2.  )  Cette  dernière  formalité  n'eut  jamais  lieu  par  rapport  à 
Henri,  puisqu'il  ne  fut  jamais  couronné  par  un  pape  légitime,  mais  seule- 
ment par  l'antipape  Guibert.  Il  n'était  donc  pas  proprement  empereur,  mais 
seulement  roi  de  Germanie,  et  empereur  élu.  C'est  en  ce  sens  que  les 
seigneurs  saxons  disent ,  que  Rome  ne  lui  a  pas  encore  donné  la  dignité 
royale. 

(2)  «  Non  decere  (Henricum  IV)  tam  fîagitiosum,  plus  notum  crimine 
«  quàm  nomine,  regnare  ;  maxime  cùm  sibi  regiam  dignitatem  Roma  non 
«  contulerit;  oportere  Romœ  suumjus  in  constituendis  regibus  reddi  ; 
«  providerent  Apostolicus  et  Roma ,  ex  consilio  principum,  cujus  vita  et  sa- 
it pientia  tanto  honori  congrueret.  »  Apologia  Henrici  IV;  apud  Urstitium, 
Germaniœ  Historici  illustres;  Francofurti,  ie70,  in-folio,  p.  382  (cité 
par  Voigt ,  ubi  supra,  lib.  vin,  p.  364  ;  et  par  Bossuet,  Def.  Declar.,  lib.  i, 
cap.  12  ;  lib.  iv,  cap.  9,  p.  33). 

(3)  «  Proponunt  deinde  imperium  beneficium  esse  urbis  œternae.  »  Aven- 
tin,  Henrici  IV  Vita,  anno  1076  (cité  par  Voigt,  ibid.).  Le  mot  benefi- 
cium, dans  les  auteurs  du  moyen  âge,  est  souvent  synonyme  défendus. 
(Voyez  Ducange,  Glossarium  mediœ  et  infimœ  Latin.,  verbo  Beneficium.) 
C'est  ainsi  que  Voigt  et  son  traducteur  l'entendent  en  cet  endroit.  Toute- 
fois, nous  verrons  ailleurs  que  l'empire  n'était  pas  un  fief  du  saint-siége, 
dans  le  sens  propre  et  rigoureux.  (Ci-après ,  art.  4,  n.  142.) 


SUR  LES  SOUVERAINS.  —  CHAPITRE  II.  435 

saient  de  concert  avec  le  plus  grand  nombre  des  seigneurs  alle- 
mands ,  dont  le  mécontentement  s'était  depuis  longtemps  mani- 
festé ,  et  se  manifestait  encore  toutes  les  fois  qu'il  n'était  pas 
comprimé  par  la  puissance  de  Henri ,  ou  par  les  promesses  si- 
mulées qui  ne  coûtaient  rien  à  ce  prince,  toujours  prêt  à  les 
violer  aussitôt  qu'il  pouvait  le  faire  impunément  (1). 

L'opiniâtreté  qu'il  montrait  dans  ses  désordres,  et  le  soulève-        94. 
ment  général  qui  s'augmentait  de  jour  en  jour  contre  lui,  ne  II  d'exc™m-aoé 
permettaient  plus  au  Pape  de  se  borner  à  des  exhortations  et  à    ^"1°^°". 
des  avis  paternels  :  il  adressa  donc  à  Henri  les  plus  fortes  remon-   .sa  réP°»se 

t  A  insultante  à 

trances ,  pour  l'obliger  à  mettre  fin  à  ses  excès ,  et  surtout  à  cette  menace. 
rendre  la  liberté  aux  évêques  qu'il  tenait  captifs,  et  à  leur  restituer 
leurs  églises  et  leurs  biens  injustement  usurpés;  enfin,  il  le  lit 
menacer  d'excommunication  par  ses  légats ,  s'il  ne  satisfaisait 
promptement  à  l'Église  (2).  Henri,  blessé  jusqu'au  vif  par  cette 
menace,  chassa  honteusement  les  légats,  et  convoqua  un  con- 
cile à  Worms ,  où  il  fit  dresser  contre  Grégoire  un  acte  d'accu- 
sation, rempli  des  calomnies  les  plus  infâmes,  par  suite  des- 
quelles il  fut  déclaré  déchu  du  pontificat  (3).  Henri  lui-même 
notifia  cette  décision  au  Pape,  dans  une  lettre  insultante,  et  d'un 
style  aussi  peu  digne  de  la  majesté  royale,  qu'indigne  d'un 
chrétien.  Ce  que  nous  devons  surtout  y  remarquer,  c'est  la 
crainte  que  le  prince  y  témoigne  des  suites  que  l'excommuni- 
cation pouvait  avoir,  relativement  à  sa  dignité  royale.  Quoique 
Grégoire ,  en  le  menaçant  d'excommunication,  n'eût  pas  dit  un 
seul  mot  de  la  déposition ,  Henri  suppose  clairement  que ,  dans 
le  sentiment  du  Pape  et  de  bien  d'autres  personnes ,  l'excom- 
munication pouvait  entraîner  ce  terrible  effet,  du  moins  après 
un  certain  laps  de  temps  ;  car  il  accuse  Grégoire  de  l'avoir  at- 
taqué personnellement ,  et  d'avoir  voulu  lui  enlever  son 
royaume.  «Tu  m'as  déshonoré,  lui  dit-il,  moi  qui  tiens  ma 
«  puissance  de  Dieu  lui-même;  moi  qui,  suivant  la  tradition  des 
«  Pères,  n'ai  d'autre  juge  que  Dieu,  et  ne  puis  être  déposé  pour 
«  aucun  crime,  si  ce  n'est  que  j'abandonne  la  foi  (4).  »  Henri 

(1)  Voigt,  ubi  suprà,  p.  111,  117, 121,  123,  133,  etc.;  J47,  etc.;  192,  etc.; 
200,  etc.,  etc. 

(2)  Voigt,  ubi  suprà,  p.  364,  etc.  — Noël  Alex.,  ubi  suprà,  art.  3. 

(3)  Voigt,  ubi  suprà  ,  p.  369,  etc.  —  Noël  Alex.,  ibid. 

(4)  Voyez  ci-dessus  la  note  4  de  la  page  424. 

28. 


436  DEUXIÈME   PARTIE. — POUVOIR  DU   PAPE 

paraît  nier  ici  absolument  qu'un  souverain  pût  alors  être  déposé 
pour  une  autre  cause  que  celle  de  l'hérésie.  Cette  assertion , 
prise  à  la  rigueur,  contredit  formellement  la  persuasion  géné- 
rale de  cette  époque  sur  les  suites  de  l'excommunication  par 
rapport  aux  souverains  ;  persuasion  qu'il  ne  tarda  pas  lui-même 
à  reconnaître,  par  l'organe  de  ses  députés ,  dans  les  négociations 
relatives  à  son  absolution.  Il  est  donc  vraisemblable,  qu'il  ne 
prenait  pas  à  la  rigueur  l'assertion  que  nous  venons  de  citer  ;  et 
que,  selon  l'usage  des  anciens  auteurs  ecclésiastiques,  il  prenait  le 
mot  d'hérésie  dans  un  sens  large,  non-seulement  pour  Y  hérésie 
proprement  dite,  mais  encore  pour  certains  crimes  qui  rendent 
un  pécheur  suspect  d'hérésie.  Tel  était  en  particulier  le  crime 
de  simonie,  qui  était  un  des  principaux  griefs  de  Grégoire 
contre  Henri  (l). 
95.  Les  derniers  excès  de  ce  prince,  dans  le  concile  de  Worms,  ne 

11  emuîiïé0m  pouvaient  demeurer  impunis.  Au  moment  où  le  Pape  en  reçut 
et fe Pape :P"  *a  ûouvelle ,  il  venait  de  convoquer  un  concile,  dans  lequel  il 
légitimité  de  prononça  contre  Henri  une  sentence  d'excommunication  et  de 
semence,    déposition  (2).  Toutefois  la  suite  de  l'histoire  montre  que  la  sen- 
tence, en  tant  qu'elle  regardait  la  déposition  de  Henri,  n'était 
pas  définitive,  et  ne  devait  avoir  son  entier  effet,  que  dans  le 
cas  où  le  prince  demeurerait  opiniâtrement  dans  l'excommuni- 
cation pendant  un  an,  sans  se  mettre  en  devoir  de  satisfaire  à 
l'Église  (3).  On  va  voir  que  la  sentence  était  ainsi  entendue 
par  les  partisans  de  Henri ,  comme  par  ceux  de  Grégoire. 

La  légitimité  de  cette  sentence  était  reconnue  par  les  hom- 
mes les  plus  éclairés  et  les  plus  pieux  de  cette  époque ,  tels  que 
saint  Anselme  de  Lucques,  Gébehard,  évêque  de  Salzbourg, 
Domnison,  chapelain  de  la  comtesse  Mathilde,  Paul  Bernried, 
Lambert  de  Schafnabourg,  etc.  (-1).  Mais  les  partisans  de  Henri, 


(!)  Voyez,  à  ce  sujet,  Launoi,  De  Simonia;  observ.  3,  4,  5,  11.  (Oper. 
tom.  11,  part.  2.)  Fleury,  Hist.  Ecclés.,  tom.  xui,liv.  lxiii,  n.  52. 

(2)  Voigt,  vtii  supra,  p.  375,  etc.  —Noël  Alex.,  ibid.,  art.  4. 

(3)  Le  P.  Alexandre  établit  solidement  ce  point,  par  le  témoignage  des 
auteurs  contemporains  et  par  les  lettres  mêmes  de  Grégoire  VII.  (Ibid., 
art.  4.)  Il  faut  corriger,  d'après  cette  observation ,  l'assertion  contraire  de 
Voigt  (p.  378,  note  3). 

(4)  Voyez  leurs  témoignages  cités  par  le  P.  Alexandre  (ibid.,  art.  4  ),  et 
par  le  P.  Labbe.  {Concil.  t.  x,  p.  357,  etc.) 


SUR   LES   SOUVERAINS.  —  CHAPITRE   II.  437 

comme  on  devait  s'y  attendre,  la  blâmaient  hautement,  comme 
un  acte  inspiré  à  Grégoire  par  un  sentiment  de  vengeance 
personnelle,  plutôt  que  par  le  zèle  de  la  justice.  Ce  fut  pour 
réfuter  cette  calomnie ,  que  le  Pape  écrivit  aux  seigneurs  alle- 
mands une  lettre,  dans  laquelle  il  expose,  avec  un  langage  plein 
de  dignité ,  les  motifs  de  la  sentence  portée  contre  Henri.  On 
voit  par  cette  lettre ,  que  Grégoire ,  en  publiant  cette  sentence, 
ne  prétendait  pas  se  fonder  uniquement  sur  le  pouvoir  divin 
de  lier  et  de  délier ,  mais  tout  à  la  fois  sur  les  lois  divines  et 
humaines y  «  selon  lesquelles  Henri  méritait,  non-seulement 
«  d'être  excommunié,  mais  d'être  privé  de  la  diguité  royale  (1).  » 

Ces  lettres  du  Pape ,  jointes  aux  peines  spirituelles  dont  il        96. 
menaçait  les  partisans  du  schisme ,  et  à  la  mort  subite  dont  fu-  ^esUcéue de 
rent  frappés,  en  ce  même  temps,  plusieurs  partisans  de  Henri,    sentence- 
diminuèrent  beaucoup  le  nombre  de  ces  derniers  (2).  Plusieurs 
même  de  ceux  qui  lui  avaient  été  d'abord  le  plus  attachés ,  con- 
çurent des  inquiétudes  sur  leur  conduite,  et  commencèrent  à 
respecter  la  sentence  du  Pape,  «  considérant  surtout  que,  d'après 
«  les  lois  de  l'empire,  un  excommunié  qui  ne  se  fait  pas  absou- 
«  dre  dans  l'année,  doit  être  privé  de  toutes  ses  dignités  (3).  » 
Le  petit  nombre  de  ceux  qui  demeuraient  attachés  à  l'empereur, 
se  retranchaient  à  soutenir  que  sa  cause  n'avait  pas  été  suffi  - 


(1)  «  Propter  quae  (scelera)  Henricum  excommunicari  non  solùm  usque 
«  ad  dignam  satisfactionem,  sed  ab  omni  honore  regni,  absque  spe  recupe- 
«  rationis,  debere  destitui,  divinarum  et  humanarum  legum  testatur 
«  auctoritas.  »  Paul  Bernried1,  De  Rébus  gestis  Greg.  VII ,  cap.  78.  (Mu- 
ratori,  Rerum  liai.  Script,  t.  ni,  part.  1,  p.  337.  lre  col.  D.)  —  Voigt,  ubi 
suprà,  p.  384.  — Noël  Alexandre,  ubisuprà,  art.  4. — Fleury,  Hist.  Eccl., 
t.  xiii,  liv.  lxii,  n.  33. 

(2)  Voigt,  ibid.y  p.  385,  etc. 

(3)  «  Dubitare  cœperunt  an  excommunicationem  ipsam  contemnere,  an 
«  reverenter  observare  deberent;  maxime  cùm  in  eorum  lege  contineatur, 
«  ut  si  quis,  infra  annum  et  diem ,  excommunicationis  vinculo  non  fuerit 
«  absolutus,  omni  careat  dignitatis  honore.  »  Nicolas  Roselli,  cardinal  d'Ara- 
gon, Vita  Gregorii  VII.  (Muratori,  Rerum  Italie.  Script,  t.  m;  part.  1, 
p.  307,  note  14.)  —  Voigt ,  ubi  suprà,  p.  390.  — Le  cardinal  d'Aragon  écri- 
vait sous  le  pape  Innocent  VI,  vers  l'an  1360  ;  son  témoignage,  sur  le  point 
qui  nous  occupe ,  est  confirmé,  comme  on  va  le  voir,  par  ceux  de  Lambert  et 
de  Bernried ,  contemporains  de  Grégoire  VII.  Il  peut  d'ailleurs  servir  à  prou- 
ver que,  dans  la  suite  du  moyen  âge ,  comme  au  temps  de  Grégoire  VII,  on 
ne  regardait  pas  le  pouvoir  du  Pape  sur  les  souverains ,  dans  l'ordre  tem- 
porel, comme  uniquement  fondé  sur  le  droit  divin. 


438  DEUXIÈME  PARTIE. — POUVOIR  DU  PAPE 

samment  examinée ,  ou  qu'un  souverain  ne  peut  être  excommu- 
nié (1).  Grégoire  VII  avait  suffisamment  réfuté  le  premier  pré- 
texte dans  sa  lettre  aux  seigneurs  allemands;  il  examine  le 
second  dans  une  lettre  à  Herman ,  évêque  de  Metz ,  qui  l'avait 
consulté  sur  cette  question;  et  il  montre,  d'après  l'Écriture  et 
la  tradition,  que  la  puissance  de  lier  et  de  délier ,  ayant  été 
donnée  aux  apôtres  généralement  et  sans  distinction  de  person- 
nes, comprend  les  princes  comme  les  autres  (2). 


(i)  Voigt,  ibid. ,  p.  389  et  390. 

(2)  «  Eis  autem  qui  dicunt  regem  non  oportere  excommunicari,  licèt  pro 
«  magnâ  fatuitate  nec  etiam  eis  respondere  debeamus  ,  tamen  ne  impatien- 
«  ter  illorum  insipientiam  prseterire  videamur,  ad  sanctorum  patrum  dicta 

«  vel  facta  illos  mittimus,  ut  eos  ad  sanam  doctrinam  revocemus Sed 

«  forte  hoc  volunt  prasdicti  viri  intelligere,  qnôd  quando  Deus  Ecclesiam 
«■  suam  ter  beato  Petro  commisit,  dicens,  Pasce  oves  measf  reges  exceperit. 
«  Cur  non  attendunt ,  vel  potiùs  erubescendo  confitentur ,  quia  ubi  Deus 
«  beato  Petro  principaliter  dédit  potestatem  ligandi  et  solvendi  in  cœlo 
«  et  in  terra ,  nullum  excepit,  nihil  ab  ejus  potestate  subtraxit  ?  »  Greg.  Vil 
Epistol.  lib.  iv,  Epist.  2.  (Labbe,  ConciL  tom.  x ,  p.  149  et  150.)  —  D.  Ceil- 
lier,  Hist.  des  Auteurs  eccl. ,  t.  xx,  p.  633.— Fleury,  ubi  suprà,  n.  32. 
—  Voigt,  ubi  suprà,  p.  391 ,  etc.  —  Noël  Alex.,  ubi  suprà],  art.  4,  dernier 
alinéa. 

Bossuet ,  dans  la  Défense  de  la  Déclaration ,  suppose  avec  le  P.  Alexan- 
dre, que  les  partisans  de  Henri  ne  contestaient  pas  précisément  qu'un 
souverain  pût  être  excommunié ,  mais  seulement  qu'il  pût  être  frappé 
d'une  excommunication  qui  entraînât  la  perte  de  ses  droits  temporels. 
(Nat.  Alexand.,  ubi  suprà,  art.  10,  n.  6.  —  Rossuet,  Defens.  Decl., 
ïib.  i,  sect.  1,  cap.  7  ;  sect.  2,  cap.  30.)  Cette  supposition  est  contraire  au 
texte  de  Grégoire  VII,  qui  déclare  lui-même,  au  commencement  de  la  lettre 
dont  nous  parlons ,  qu'il  va  répondre  à  ceux  qui  prétendent  qu'un  roi  ne 
doit  pas  être  excommunié.  Ce  qui  paraît  avoir  induit  le  P.  Alexandre  et  Bos- 
suet après  lui,  dans  l'erreur  sur  ce  point ,  c'est  qu'ils  ont  confondu  la  pre- 
mière lettre  de  Grégoire  VII  à  Herman ,  écrite  en  1076  (  lib.  îv,  Ep.  2),  avec 
la  seconde,  écrite  en  1080  (lib.  vu,  Ep.  21j).  Dans  la  première,  écrite  avant 
que  l'empereur  eût  été  définitivement  déposé,  Grégoire  se  propose  uni- 
quement d'examiner  la  difficulté  de  ceux  qui  prétendaient  qu'un  roi  ne 
doit  pas  être  excommunié;  dans  la  seconde,  écrite  après  la  sentence  défi- 
nitive de  déposition ,  Grégoire  examine  de  plus  la  difficulté  de  ceux  qui 
prétendaient  que  le  Pape  ne  pouvait  délier  les  sujets  de  leur  serment  de 
fidélité.  «  Quod  autem  postulasti,  te  quasi  nostris  scriptis  juvari  ac  praemu- 
«  niri  contra  illorum  insaniam,  qui  nefando  ore  garriunt,  auctoritatem  san- 

«  ctae  sedis  non  potuisse  regem  Henricum excommunicare ,  nec  quem- 

«  quam  à  sacramento  fidelitatis  ejus  absolvere;  non  adeo  necessarium 
«  nobis  videtur  ,  cùm  hujus  rei  tam  multa  ac  certissima  documenta  in  sa- 
«  crarum  Scripturarum  paginis  reperiantur.»  (Epist.  lib.  vin,  Ep.  21,  pag. 
267.)  Faute  d'avoir  distingué  ces  deux  lettres,  le  P.  Alexandre  est  tombé 
sur  ce  point  dans  une  contradiction  remarquable  ;  tantôt  il  suppose  avec  nous 


SUR  LES   SOUVERAINS.  —  CHAPITRE  II.  439 

La  fermeté  du  Pape  à  soutenir  la  sentence  portée  contre  Henri,       97, 
ne  l'empêchait  pas  de  se  montrer  disposé  à  l'absoudre ,  dans  L  s™^ur 
le  cas  où  il  reviendrait  à  de  meilleurs  sentiments.  Les  Saxons  el  uobtient  son 

1  .  ...  absolution: 

profitant  des  circonstances,  pour  renouveler  leur  ancienne  ligue  ses  nouveaux 
contre  l'empereur,  s'adressèrent  de  nouveau  au  saint-siége, 
pour  demander  conseil  sur  le  parti  qu'ils  devaient  prendre  (t). 
Grégoire  profita  de  cette  occasion ,  pour  manifester  ses  disposi- 
tions pacifiques  à  l'égard  de  Henri.  Il  engagea  les  seigneurs 
allemands  à  user  de  douceur  envers  lui,  afin  de  lui  donner  lieu 
de  s'amender  ;  il  les  priait  en  même  temps  de  ne  songer  à 
une  nouvelle  élection ,  que  dans  le  cas  où  ce  prince  refuserait 
absolument  de  satisfaire  à  l'Église  (2).  Les  seigneurs,  qui  por- 
taient impatiemment ,  depuis  si  longtemps,  le  joug  de  l'empe- 
reur ,  se  réunirent  alors  à  Tribur ,  pour  délibérer  sur  ce  qu'ils 
avaient  à  faire,  et  songèrent  à  déposer  Henri,  pour  lui  donner 
un  successeur  (3).  L'empereur,  effrayé  de  ces  dispositions, 
entra  en  négociation  avec  les  seigneurs ,  et  leur  promit,  de  la 
manière  la  plus  solennelle ,  de  réparer  au  plus  tôt  ses  injustices 
passées  ;  mais  tout  ce  qu'il  put  obtenir  d'eux ,  ce  fut  qu'ils  sus- 
pendissent leurs  délibérations,  jusqu'à  ce  qu'il  se  fut  rendu  à 
Rome ,  pour  soumettre  sa  cause  à  la  décision  du  Pape  ;  encore 
ajoutèrent-ils ,  que  si ,  par  sa  faute ,  il  ri  était  pas  absous  de 
V excommunication  dans  l'espace  d'un  an,  il  serait  définiti- 
vement déchu  du  trône,  sans  aucune  espérance  de  recou- 
vrer sa  dignité,  que  les  lois  de  V empire  ne  lui  permettent 

que  plusieurs  des  partisans  de  Henri  soutenaient  qu'un  roi  ne  peut  être  ex- 
communié (art.  4,  dernier  alinéa);  tantôt  il  suppose  que  personne  ne  sou- 
tenait alors  cette  erreur  (  art.  10,  n.  6  ). 

(1)  Voigt,  ibid.,  p.  397,  etc. 

(2)  «  Quia  nos  contra  eum  non  movit,  Deo  teste,  saecularis  superbia,  nec 
«  vana  mundi  cupiditas ,  sed  sanctss  sedis  et  univcrsalis  Ecclesiae  solliciludo 
«  et  disciplina;  monemus  vos  in  Domino  Jesu  et  rogamus,  sicut  carissimos 
«  fratres,  ut  eum  bénigne  ,  si  ex  toto  corde  ad  Deum  conversus  fuertt , 
«  suscipiatiSy  et  circa  eum  ,  non  tantùm  justitiam  quae  illum  regnare  pro- 

«  hibet,  sed  misericordiam  quaa  multa  delet  scelera,  ostendatis Quod 

«  si  ex  corde  non  fuerit  ad  Deum  conversus ,  talis  ad  regni  gubernatio- 
«  nem,  Deo  favente,  inveniatur,  qui  ea  quœ  videntur  christianse  rcligioni, 
«  et  totius  imperii  saluti  necessaria,  secretâ  ac  indnbitabili  promissione  ob- 
«  servaturum  promittat.  »  Greg.  VII  Epist.  lib.  iv,  Epist.  3.  (Labbe,  Concil. 
ubi  suprà,  p.  151  et  152.)  — Voigt,  ibid.,  p.  405. 

(3)  Voigt,  ibid.,  p.  407,  etc. 


440  DEUXIÈME  PARTIE. — POUVOIR  DU  PAPE 

pas  de  conserver,  après  être  demeuré  excommunié  pendant  une 
année  entière  (l).  > 

Quelque  humiliantes  que  fussent  ces  conditions ,  Henri  s'es- 
tima heureux  de  les  obtenir,  et  songea  sérieusement  à  se 
réconcilier  avec  le  Pape,  «  persuadé,  disent  les  auteurs  con- 
«  temporains ,  que  tout  son  salut  consistait  à  recevoir  Vab- 
«  solution  avant  le  jour  anniversaire  de  son  excommuni- 

*  cation, et  que  s'il  n'était   absous  avant  ce 

«jour,  il  perdrait  définitivement  son  royaume,  sans  espé- 
«  rance  de  le  recouvrer  (2) ,  »  il  se  rendit  promptement  en 
Italie,  pour  négocier  auprès  du  Pape  l'affaire  de  son  absolution. 
Arrivé  à  Canosse,  où  était  alors  le  pontife,  il  lui  envoya  des 
députés  chargés  de  lui  annoncer  qu'il  était  prêt  à  lui  donner 
toutes  les  satisfactions  qu'il  souhaiterait.  Ces  députés  de- 
vaient aussi  représenter  au  Pape,  «  que  le  jour  anniversaire  de 
«  l'excommunication  approchait ,  et  que  si  elle  n'était  point 
«  levée  avant  ce  jour ,  le  prince,  d'après  les  lois  de  l'empire, 

(1)  «  Quôd  si  ante  diem  anniyersarium  excommunicationis  suœ,  suo  prae- 
«  sertim  vitio,  excommunicatione  non  absolvatur,  absque  retractatione  in 
«  perpetuum  causa  ceciderit,  nec  legibus  deinceps  regnum  repetere  pos- 
ée sit,  qnod  legibus  ultra  administrais, ,  annuam  passus  excommuni- 
«  cationem,  non  possit.  »  Lambert  de  Scbafnabourg,  Chronicon ,  anno 
1076.  (Tom.  i  du  Recueil  de  Pistorius,  Rerum  German.  Scrip.  Ratisbonœ, 
1726,  3  vol.  in-fol.  )  Le  passage  dont  il  s'agit  est  cité  par  le  P.  Alexandre, 
ubi  suprà,  art.  5.  —  Baronii  Annales ,  anno  1076 ,  n.  57.  —  Voigt,  ibid., 
p.  413. — Fleury,  Hist.  Ecclés.,  t.  xm  ,  liv.  lxii,  n.  36. 

(2)  «  Rex  certo  sciens  omnem  suam  in  eo  verti  salutem ,  si  ante  anni- 

«  versarium  diem  excommunicatione  absolveretur ,  optimum  factu 

«  sibi  judicavit,  ut  Romano  pontifici  in  Italiam  occurreret Hiems  erat 

«  asperrima  ; sed  dies  anuiversarius ,  qno  rex  in  excommunicationem 

«  devenerat,  è  vicino  imminens,  nullas  accelerandi  itineris  moras  patieba- 
«  tur;  quia  nisi  ante  eam  diem  anathemate  absolveretur  ,  decretum  no- 
te verat  communi  principum  sententiâ,  ut  et  causa  in  perpetuum  cecidisset, 
«  et  regnum  sine  ullo  deinceps  remedio  amisisset.  »  Lambert  de  Scbaf- 
nabourg, ubi  suprà.  {Baronii  Annales,  anno  1076,  n.  60;  anno  1077 ', 
n.  1.)  Ce  texte  est  également  cité  par  Voigt,  ubi  suprà,  pages  419  et 
422.  Mais  la  première  partie  est  attribuée  mal  à  propos  à  Paul  Rernried. 
Voici  le  texte  de  ce  dernier,  parfaitement  conforme,  pour  le  fond,  à  celui  de 
Lambert  :  «  Ipse  verô  (Henricus)  ejusque  complices,  communionem  utcum- 
«  que  festinaverant  recipere  ,  qn\a,J2ixta  legem  Teutonicorum ,  se  prsediis 
«  et  beneficiis  privandos  esse  non  dubitabant ,  si  sub  excommunicatione 
«  integrum  annum  permanerent ;  cujus  adbuc  unus  mensis  surperfuit, 
«  dum  ad  reconciliationem  redirent.  »  Paul  Rernried ,  De  Rébus  gestis 
Greg.  VII,  cap.  85.  ( Muratori ,  ubi  suprà,  p.  339,  2e  col.)  Voyez  aussi 
Fleury,  ubi  suprà,  n,  37. 


SUR  LES  SOUVERAINS. — CHAPITRE   II.  441 

«serait  jugé  indigne  de  la  royauté  (1).»  Grégoire,  touché 
de  ses  promesses,  lui  accorda  l'absolution,  à  condition  qu'il 
promît  avec  serment ,  de  soumettre  sa  cause  à  l'assemblée  gé- 
nérale des  seigneurs  allemands  et  au  jugement  du  Pape,  qui, 
après  un  sérieux  examen  des  accusations  portées  contre  lui ,  dé- 
cideraient de  concert,  s'il  convenait  de  lui  conserver  sa  di- 
gnité (2).  Malheureusement,  dans  cette  occasion  comme  en 
plusieurs  autres ,  Henri  ne  cherchait  qu'à  gagner  du  temps,  et 
à  calmer  l'orage,  par  des  promesses  apparentes.  A  peine  sorti 
de  Canosse,  où  il  avait  reçu  l'absolution,  il  oublia  tous  ses 
engagements,  et  provoqua,  par  de  nouveaux  excès,  la  sévérité 
des  seigneurs  allemands,  qui,  sans  la  participation  de  Grégoire, 
et  malgré  ses  efforts  pour  les  apaiser ,  déposèrent  Henri  (  en 
1077  )  dans  la  diète  de  Forcheim,  et  lui  substituèrent  Rodol- 
phe de  Souabe  (3).  Ce  fut  seulement  après  cette  élection ,  que 
Henri  fut  de  nouveau  excommunié,  et  définitivement  déposé 
en  1080  par  le  Pape,  dont  la  sentence  ne  fut  réellement  qu'une 
confirmation  du  jugement  déjà  prononcé  par  les  seigneurs  alle- 
mands, dans  la  diète  de  Forcheim  (4). 

Il  résulte  clairement  de  cet  exposé,  qu'à  l'époque  des  fâcheu-  „    s8- 

*■  '    ■*  *-      *  Conséquence 

ses  discussions  dont  nous  venons  de  parler,  on  était  générale-     «ic  tous 

-./  ,*      "■    %      ,        »    .       •»     ,,  .  .  .  ces  fails,  rela- 

ment  persuade  que,  d  après  les  lots  de  l  empire ,  un  prince  qui     tivemmi 
persévérait  opiniâtrement  dans  l'excommunication  pendant  une  a  yESSl1011 
année  entière,  sans  se  mettre  en  devoir  de  satisfaire  à  l'Église, dont  il  sag!t' 
était  déchu  de  sa  dignité,  et  pouvait  être  déposé.  Il  est  vrai  que 
l'empereur  Henri  IV  paraît  supposer  le  contraire,  dans  la  lettre 
insultante  qu'il  écrivit  à  Grégoire  VII,  au  commencement  de  cette 
contestation  (5);  mais  cette  lettre,  visiblement  inspirée  par  la 
passion,  qui  ne  connaît  pas  de  mesure,  ne  saurait  prévaloir  sur  le 
témoignage  des  auteurs  contemporains  que  nous  avons  cités  (6) , 


(1)  «  Ut  si  ante  hanc  diem  excommunicatione  non  absolvatur,  deinceps , 
ajuxta  Palatinas  leges,  indignus  regio  honore  habeatur.  »  Lambert  de 
Schafnabonrg ,  Historia  Imperatorum.  (Script.  Reriim  Germanie,  ubi 
suprà.)  —  V oigt,  ibid.,  p.  426.  —  Fleury,  ibid. ,  n.  39. 

(2)  Voigt,  ibid.,  p.  429,  etc. 

(3)  Voigt,  ibid.,  p.  436,  etc.  —Noël  Alex.,  ubi  suprà\  art.  6  et  7. 

(4)  Voigt,  ibid.,  p.  523,  etc  — Noël.  Alex.,  ubi  suprà,  art.  8. 

(5)  Ci-dessus,  p.  435. 

(6)  Ci-dessus ,  n.  97. 


442  DEUXIÈME  PARTIE.  —  POUVOIR  DU  PAPE 

des  seigneurs  allemands  assemblés  à  Tribur,  et  des  députés 
mêmes  de  Henri,  qui,  pour  presser  le  Pape  de  lui  accorder  l'ab- 
solution, insistaient  fortement  sur  les  anciennes  lois  de  V em- 
pire,  «  d'après  lesquelles  il  serait  jugé  indigne  de  la  royauté, 
«  s'il  n'était  absous  avant  le  jour  anniversaire  de  son  excommu- 
«  nication  (l).  » 
99-  11  n'entre  pas  dans  notre  plan  d'examiner  en  détail  toutes  les 

"difficiles es  difficultés  qu'on  peut  opposera  notre  sentiment,  relativement 
co"deeceu/ait  au  fait  de  cette  persuasion  universelle,  sur  les  effets  temporels 

persuasion,  fe  i'excommunication  (2).  Outre  que  cet  examen  nous  condui- 
rait beaucoup  trop  loin,  nous  croyons  avoir  prévenu,  par  notre 
exposé,  la  plupart  des  difficultés  dont  il  s'agit.  11  était  impossi- 
ble, en  effet,  qu'une  sentence  aussi  terrible  que  celle  de  Gré- 
goire VII,  prononcée  contre  un  prince  du  caractère  de  l'empe- 
reur Henri  IV,  n'éprouvât  de  vives  contradictions,  principalement 
de  la  part  de  ses  partisans,  de  ceux  qui  avaient  à  redouter  sa 
puissance,  ou  qui  espéraient  de  lui  quelque  faveur.  Il  était  donc 
inévitable  que,  malgré  la  sentence  du  Pape,  un  certain  nombre 
de  personnes,  intéressées  à  soutenir  la  cause  de  Henri,  ou 
éblouies  par  les  sopbismes  de  ses  défenseurs,  continuassent  à  le 
reconnaître,  et  à  traiter  avec  lui  comme  avec  un  prince  légitime, 
surtout  avant  la  sentence  définitive  qui  le  déposa,  en  1080. 
Mais  on  conçoit  aussi  que  toutes  ces  oppositions  n'affaiblissent 
aucunement  l'autorité  des  témoignages  positifs  que  nous  avons 
cités,  pour  établir  le  fait  de  la  persuasion  générale  qui  existait 
alors,  sur  les  effets  temporels  de  l'excommunication,  d'après  les 
lois  de  l'empire. 

Quelque  suffisante  que  soit  cette  observation ,  pour  résoudre 
la  plupart  des  difficultés  qu'on  peut  nous  opposer,  nous  croyons 
devoir  examiner  de  plus  près  celles  qui  sont  de  nature  à  faire 
plus  d'impression  sur  un  certain  nombre  de  lecteurs.  Elles  se 
tirent  principalement  de  la  conduite  des  partisans  de  Henri ,  qui 
méprisèrent  la  sentence  du  Pape,  et  de  l'étonnement  causé  dans 
le  monde  par  cette  sentence. 

(1)  Ci-dessus,  n.  97. 

(2)  Ces  difficultés  sont  exposées  par  Noël.  Alex.,  ubï  suprà,  art.  10;  et 
par  Bossuet,  ubï  suprà,  lib.  m,  cap.  6,  etc.  —  Elles  sont  examinées  en  dé- 
tail par  Bianchi,  Délia  Potesta  délia  Chiesa,  t.  i,  lib.  h;  et  plus  briève- 
ment par  Mamachi,  Origines  et  Antiquit,  Christ.,  t.  iv,  p.  249. 


SUR  LES  SOUVERAINS.  —  CHAPITRE  II.  443 

La  première  difficulté,  tirée  de  la  conduite  des  partisans  de 


IOO. 

La  sentence 


Henri,  est  bien  faible,  sous  quelque  rapport  qu'on  l'envisage.  Car,  d"ïaepnè 
l°  le  parti  de  ce  prince  se  composait  principalement  des  seigneurs  méi,r{^e  Par 
qui  participaient  à  ses  violences  et  à  ses  brigandages,  ou  d'évê-  ^'"j!^"? de 
ques  et  d'autres  ecclésiastiques  simoniaques  et  concubinaires, 
manifestement  intéressés  .à  contredire  la  sentence  du  Pape,  qui 
les  menaçait  eux-mêmes  d'excommunication  et  de  privation  de 
leurs  dignités  ou  de  leurs  bénéfices.  2°  Les  partisans  de  Henri 
contestaient,  à  la  vérité,  la  validité  de  la  sentence  portée  contre 
lui  par  le  Pape,  sous  prétexte  qu'elle  avait  été  rendue  sans  un  exa- 
men suffisant,  qu'elle  n'était  pas  revêtue  des  formes  requises; 
quelques-uns  même,  sous  prétexte  qu'un  souverain  ne  peut  être 
excommunié  (1).  Mais  on  ne  voit  pas  qu'ils  contestassent  précisé- 
ment les  suites  attachées  à  l'excommunication,  par  les  lois  de 
l'empire.  On  voit  même  ces  suites  reconnues  par  les  députés 
chargés  de  négocier  auprès  du  Pape  l'absolution  de  l'empereur. 
3°  Plusieurs  de  ceux  qui  avaient  d'abord  soutenu  la  cause  de  ce 
prince,  l'abandonnèrent  bientôt,  «  considérant  surtout  que, 
«  d'après  les  lois  de  l'empire ,  un  excommunié  qui  ne  se  fait 
«  pas  absoudre  dans  l'année,  doit  être  privé  de  toutes  ses  digni- 
«  tés  (2).  »  4°  Enfin,  quand  il  serait  vrai  que  ce  terrible  effet 
de  l'excommunication  eût  été  contesté  par  quelques  partisans 
de  Henri,  il  demeure  constant  qu'il  était  généralement  admis 
par  les  hommes  pieux  et  éclairés.  Ce  fait,  qui  résulte  clairement 
de  notre  exposé,  est  reconnu  par  les  auteurs  modernes  les  moins 
suspects  de  partialité  en  faveur  de  Grégoire.  «  Ce  raisonnement 
«  (tiré  de  l'obligation  de  fuir  les  excommuniés),  dit  Bossuet, 
«  avait  tellement  frappé  les  hommes  pieux  et  éclairés,  au  temps 
«  de  Grégoire  VII ,  qu'ils  renoncèrent  à  l'obéissance  de  l'empe- 
«  reur  Henri  IV,  excommunié  par  ce  pontife...  On  avait  coutume 
«  alors  d'insister  fortement  sur  la  loi  qui  défend  le  commerce 
«  avec  les  excommuniés  ;. . .  et  c'était  la  principale  raison  appor- 
«  tée  par  ceux  qui  renonçaient  à  l'obéissance  de  l'empereur  (3).  » 

(i)  Voigt,  p.  389,  etc. 

(2)  Ci-dessus,  p.  437. 

(3)  «  Hoc  illud  argumentum  est,  quo  uno,  Gregorii  VII  temporibus,  viros 
«  bonos  doctosque  permotos  fuisse  videbimus ,  ut  ab  Henrici  IV  régis  ex- 

«  communicati  obedientiâ  recédèrent Solebant  autem ,  his  tempori- 

«  bus,  vehementissimè  urgere,  quod  excommunicatos  vitaredebeamus;.... 


IOI. 

Étonnement 
causé 


444  DEUXIÈME  PAKTIE. —POUVOIR  DU  PAPE 

Peut-être  nous  opposera-t-on  avec  plus  de  confiance  l'étonne- 
ment  causé  dans  le  monde  par  la'sentence  de  Grégoire  VIT  con- 
tins immonde  tre  j'empereur.  «  La  nouveauté  de  cette  sentence,  dit  Bossuet  (l) 
cette  semence.  «  causa  un  étonnement  universel,  au  témoignage  d'Othon,  évê- 
«  que  de  Frisinguc,  écrivain  distingué  du  xue  siècle,...  et  pané- 
«  gyriste  de  Grégoire  Vil.  Voici  comment  il  s'exprime,  au  sujet 
«  de  la  déposition  de  Henri  :  L'empire  fut  d'autant  plus  indigné 
«  de  cette  nouveauté,  que  jamais  il  n'avait  vu,  avant  cette 
«  époque,  une  pareille  sentence ,  publiée  contre  un  empereur 
«  romain  (2).  Dans  un  autre  endroit,  il  témoigne  en  ces  termes 
«  l'étonnement  que  lui  causait  cette  nouveauté  :  J'ai  beau  lire 
«  et  relire  les  histoires  des  rois  et  des  empereurs  romains,  je 
«  ne  trouve  nulle  part  qu'aucun  d'eux,  avant  Henri  IV,  ait 

«  eâque  se  ratione  maxime  tuebantur ,  qui  regem  respuebant.  »  Bossuet, 
Def.  Declar.y  lib.  i,  sec.  2,  cap.  24,  p.  348;  lib.  m,  cap.  4,  p.  587,  et  alibi 
passim.  A  l'appui  de  ce  témoignage  de  Bossuet,  nous  citerons  un  peu  plus 
bas  ceux  de  Fleury,  Pfeffel,  etc.  (Ci-après,  n.  119,  etc.  ) 

(1)  «  Ad  rei  novitatem  obstupuere  omnes.  Testis  Otho ,  episcopus  Frisin- 
«  gensis,  duodecimi  saeculi  auctor  nobilis,  doctrine,  virtutibus  ac  génère 
«  clarus;  ad  haec  historiens  candidissimus,  et  Gregorii  VII  laudator  exi- 
«  mius;  sedi  verô  apostolicœ  sic  addictus,  ut  Romanos  pontifices,  prope- 
«  modùm  impeccables  faceret.  Isenim  de  Henrïco  deposito  haec  scribit  :  Cu- 
«  jus  rei  novitatem  eo  vehementiiis  indignatione  motum  suscepit  impe- 
«  rium,  quonumquam,  ante  hœc  tempora,  hujusmodi  sententiam  in 
«  principem  Romanorum promulgatam  noverat.  Quin  ipse  etiam  Otho, 
«  quantum  eâ  novitate  moveretur  ,  his  verbis  testatur  :  Lego  et  relego  Rô- 
ti manorum  regum,  et  imperatorum  gesta;  et  nusquam  invenio  quem- 
«  quam  ante  hune  (Henricum  IV)  à  Romano  pontijice  eœcommunicatum, 
«■  vel  regno privatum.  »  Bossuet,  Def.  Declar.,  lib.  i,  sect.  1,  cap.  7  ;  lib.  m, 
cap.  3.  —  Noël  Alexandre ,  ubi  supra,  art.  9  et  10.  —  Fleury,  Hist.  EccL, 
t.  xnr,  3e  Discours,  n.  18;  liv.  lxii,  n.  32.  Le  P.  Alexandre  (ibid.,  art.  10, 
n.  7)  cite  en  preuve  de  l'étonnement  causé  dans  le  monde  chrétien  par  la 
sentence  du  Pape  ,  le  témoignage  de  Grégoire  VII  lui-même,  dans  une  lettre 
adressée  aux  Allemands ,  où  il  dit ,  que  «  tous  les  Latins  (  c'est-à-dire ,  les 
«  Italiens),  à  peu  d'exceptions  près,  prennent  le  parti  de  Henri,  et  accusent 
«  le  Pape  d'une  excessive  dureté  envers  l'empereur.  »  (  Gregorii  Epistol. 
lib.  vu,  Ep.  3.)  Le  P.  Alexandre  n'a  pas  fait  attention  que  cette  lettre, 
écrite  en  1079,  ne  regarde  pas  la  sentence  du  Pape  contre  l'empereur,  mais 

1  la  difficulté  que  faisait  le  Pape  d'approuver  l'élection  de  Rodolphe.  Cette 
élection,  comme  nous  l'avons  remarqué  (ci-dessus,  p.  441  ),  avait  été  faite 
sans  la  participation  de  Grégoire,  qui  ne  regardait  pas  Henri  comme  défini- 
tivement déposé ,  et  qui  n'avait  pas  perdu  toute  espérance  d'obtenir  de 
lui  les  satisfactions  convenables.  (Voigt,  Histoire  de  Grégoire  VII , 
p.  507,  etc.) 

(2)  Othon  deFrisingue,  Chronicon.  lib.  vi,  cap.  35,  etc.  (Tom.  i  du 
Recueil  d'Urstitius ,  Germaniœ  Historici  illustres.  Francofurti,  1670, 
2  vol.  in-fol.  ) 


SUR  LES  SOUVERAINS. — CHAPITRE  II.         445 

«  été  excommunié,  ou  privé  de  son  royaume  par  le  Pape  (  l  ).  »> 
Les  auteurs  qui  proposent  cette  difficulté  tombent,  à  ce  qu'il 
nous  semble,  dans  une  contradiction  singulière.  D'un  côté,  ils 
avouent  que  Grégoire  VII,  en  s'attribuant  un  si  grand  pouvoir 
sur  les  souverains,  ne  faisait  que  suivre  des  maximes  générale- 
ment  reconnues  de  son  temps,  même  par  les  hommes  pieux  et 
éclairés  (2).  D'un  autre  côté,  ils  prétendent  qu'en  s'attribuant 
ce  pouvoir,  il  étonna  le  monde  entier,  par  l'étrange  nouveauté 
de  ses  principes  (3).  Il  semble  difficile  de  concilier  deux  asser- 
tions si  différentes. 

Mais  pour  examiner  en  elle-même  la  difficulté  qu'on  nous  op- 
pose, comment  peut-on  apporter  en  preuve  de  l'étonnement  causé 
par  la  sentence  de  Grégoire  VII  contre  l'empereur,  Othon  de 
Frisingue,  qui  écrivait  un  siècle  plus  tard?  Pour  savoir  l'impres- 
sion que  produisit  cette  sentence,  à  qui  faut-il  s'en  rapporter? 
aux  auteurs  contemporains,  qui  assurent  qu'elle  était  conforme 
aux  anciennes  lois  de  V empire,  ou  aux  écrivains  plus  récents, 
qui  la  représentent  comme  une  étrange  nouveauté  ? 

Peut-être  cependant  pourrait-on  concilier  ces  auteurs  entre  eux, 
en  observant  que  cette  sentence,  quoique  fondée  sur  les  ancien- 
nes lois  de  l'empire,  était,  à  certains  égards,  une  véritable  nou- 
veauté. C'était  la  première  fois  qu'on  appliquait  le  principe  con- 
sacré par  ces  anciennes  lois  ;  et  l'application  avait  quelque  chose 
d'étonnant,  et  même  d'effrayant,  étant  faite  à  un  si  grand  prince. 
Si  le  monde  avait  été  justement  étonné  de  voir  saint  Ambroise 
excommunier  Théodose ,  et  ce  prince  humblement  soumis  à  la 
sentence  du  pontife,  il  devait  l'être  bien  davantage,  envoyant, 
pour  la  première  fois,  un  empereur  déposé,  en  vertu  des  lois 
de  l'empire ,  qui  attachaient  à  l'excommunication  ce  terrible 
effet. 

La  suite  de  l'histoire  nous  montre  ce  même  effet  de  l'excom-       I02. 
munication,  également  reconnu  dans  les  autres  États  catholiques  EffertesutXpo" 
de  l'Europe.  L'empereur  Frédéric  Ier  (Barberousse)  ayant  été  rexco,.nmui,i- 
excommunié  et  déposé  par  le  pape  Alexandre  III ,  en  punition  par  rapport 

aux 

(1)  Idem,  De  Gestis  Frider.  1,  lib.  i,  cap.  1.  (Tom.  i  du  Recueil  d'Ur- 
stitius.  ) 

(2)  Ci-dessus,  p.  443. 

(3)  Voyez  les  auteurs  cités  dans  la  note  1  de  la  page  précédente. 


446 


DEUXIÈME  PARTIE  —POUVOIR  DU  PAPE 


princes ,  de  ^a  protection  publique  qu'il  accordait  à  l'antipape  Victor  (l  ), 
reconnus  en  Jean  fe  Sarisberv,  auteur  contemporain,  et  l'un  des  écrivains 
xne  siècle,  les  plus  distingués  de  cette  époque,  suppose  comme  un  prin- 
cipe universellement  reconnu,  que  la  déposition  de  l'empe- 
reur est  une  suite  de  l'excommunication  dont  le  Pape  l'a 
frappé  ;  et  il  souhaite  que  le  souverain  pontife  emploie  le  même 
moyen,  pour  obliger  le  roi  d'Angleterre  à  se  désister  de  ses  in- 
justes prétentions,  contre  les  libertés  de  l'Église  d'Angleterre. 
«J'espère  dans  le  Seigneur,  écrivait-il,  en  1167,  à  Guillaume, 
«  sous-prieur  d'un  monastère  de  la  province  de  Kent  (2) ,  que  la 
«  ville  de  Jéricho  (c'est-à-dire  le  roijaume  du  démon  et  des  per- 
«  sécuteurs  de  l'Église)  ne  tardera  pas  à  tomber,  au  bruit  des 


(1)  Cette  sentence  d'excommunication  et  de  déposition  fut  prononcée 
d'abord  en  1160,  dans  le  concile  d'Anagni,  et  renouvelée  en  1167  ,  dans  un 
concile  de  Latran.  C'est  par  erreur  que  Bossuet  la  recule  jusqu'à  l'an  1 168. 
Voyez,  à  ce  sujet,  les  Annales  de  Baronius,  année  11 68,  n.  32. —  Fleury , 
Hist.  Ecclés.,  t.  xv,  liv.  lxx,  n.  43.  — Bianchi,  Délia  Potesta  délia  Chie- 


sa,  t.  h,  lib.  v,  §  14,  n.  2. 


(2)  «  Spes  est  in  Domino,  ut,vociferantibus  tubis  sacerdotalibus,  in  proxi- 
mo  corruat  et  Hiericho  ,  et  regnum  proprio  sanguine  acquisitum  obtineat 
triumphator  Jésus,  et  in  pace  possideat  quod  sui  juris  est,  sponsus  et 
custos  Ecclesiae  Christus.  Cùm  enim  Romanus  pontifex  per  patientiam 
Teutonicum  tyrannum  diutius  expectasset ,  ut  vel  sic  provocaretur  ad 
pœnitentiam,  et  schismaticus ,  abutens  patientiâ  ejus,  peccata  peccatis  ad- 
deret  jugiter,  ut  error  in  amentiam  verteretur  ;  vicarius  Pétri,  a  Domino 
constilutus  super  génies  et  super  régna,  Italos  et  omnes  qui  ei ,  ex 
causa  imperii  et  regni,  religione  jurisjurandi  tenebantur  adstricti ,  a  fide- 
litate  ejus  absolvit  ;  et  Italiam  fere  totam  a  facie  furentis  et  praesentis  , 
tantà  felicitate  et  celeritate,  excussit ,  ut  in  eâ  nihil  habere  videatur  nisi 
tortores  quos  évitât  interdum  ,  et  angustiarum,  quas  evitare  non  potest, 
juge  supplicium;  abstulit  ei  etiam  regiam  dignitatem,  ipsumque  anathe- 

mate  condemnavit , donec  fructus  pœnitentiae  condignos  operetur... 

Et  quidem  illa  sententia  effectum  sortita  est  ;  et  hanc,  de  privilegio  Pétri 

latam,  videtur  ipse  Dominus  confirmasse.  Hoc  enim  Itali  audito,  ab  eo 

discedentes ,  reaedificaverunt  Mediolanum ,  schismaticos  expulerunt,  ca- 

tbolicos  reduxerunt  episcopos,  et  apostolicae  sedi  unanimiter  adbaeserunt. 

Sed  quld  nota  recenseo?  Hoc  ubique  locorum  fama,  quasi  praeconâ  voce, 

concélébrât;  nec  aliquibus  dubium  puto,  nisi  forte  lateat  illos,  qui  soli, 

tempestate  hâc,  exulant  domi  suae.  Quia  ergo  ab  Oriente  jam  radius  se- 

renitatis  illuxit  per  Christum ,  et  incolumitas  Ecclesiae  in  capite  repara- 

tur,  superest  spes  fidei  certissima ,  quod  unguentum  a  capite  in  aposto- 

licam  barbam  exuberans  descendet  in  caput  et  oram  Ecclesiae  Anglica- 

nae.  »   Jean  de  Sarisb.,  Epistola  210,  ad  Wilhelmum,    subpriorem 

Cantiœ.  (Biblioth.  Patrum  t.  xxui — Inter  Epistolas  S.  Thomœ  Can- 

tuar.y  lib.  n,  epist.  89.  —  Baronii  Annales ,  t.  xii,  anno  1668,  n.  63.  — - 

Rerum  Gallic.  Script,  t.  xvi.  Joan.  Sarisb.  Epist.  57.) 


SUR  LES   SOUVERAINS.  —  CHAPITRE  II.  447 

«  trompettes  sacerdotales  ;  que  Jésus ,  triomphant  de  ses  enne- 
«  mis,  va  obtenir  le  royaume  qu'il  a  acheté  par  son  sang;  et  que 
«le  Christ,  époux  et  gardien  de  l'Église,  va  enfin  posséder  en 
«  paix  ce  qui  lui  appartient.  En  effet,  le  souverain  pontife  ayant 
«  longtemps  attendu  avec  patience  le  tyran  d'Allemagne  (Fré~ 
«  déric  Ier) ,  pour  l'amener  à  pénitence,  et  le  prince  schismatique 
«  ayant  abusé  de  sa  patience  pour  multiplier  ses  crimes,  et  por- 
«  ter  ses  excès  jusqu'à  la  fureur;  le  vicaire  de  saint  Pierre, 
«  établi  de  Dieu  sur  les  nations  et  sur  les  royaumes  (1) ,  a  dé- 
«  lié  de  leurs  engagements  envers  lui,  les  Italiens,  et  tous  ceux 
«  qui,  à  raison  de  sa  dignité  impériale  et  royale,  lui  étaient  atta- 
«  chés  par  la  religion  du  serment.  La  sentence  du  Pape  a  si  heu- 
rt reusement  et  si  promptement  délivré  l'Italie  presque  entière 
«  de  la  fureur  du  tyran ,  que  celui-ci  n'y  paraît  voir  à  présent 
«  que  des  ennemis  dont  il  évite  la  rencontre,  et  des  châtiments 
«auxquels  il  ne  peut  se  soustraire.  Cette  sentence  l'a  dépouillé 

«de  sa  dignité  royale,  et  frappé  lui-même  d'anathème, 

«jusqu'à  ce  qu'il  fasse  de  dignes  fruits  de  pénitence....  Le  Sei- 
«  gneur  semble  avoir  confirmé  cette  sentence  portée  en  vertu 
«  du  privilège  de  saint  Pierre;  car,  les  Italiens  l'ayant  apprise, 
«  ont  abandonné  l'empereur,  rétabli  la  ville  de  Milan  (2),  chassé 
«les  évoques  schismatiques,  rappelé  les  catholiques,  et  unani- 
«  mement  adhéré  au  saint-siége.  Mais  pourquoi  rappeler  des 
«choses  si  connues?  La  renommée  les  publie  en  tous  lieux; 
«  et  personne  ne  peut  les  révoquer  en  doute ,  sinon  ceux  qui  se 
«condamneraient  à  une  solitude  continuelle,  dans  le  fond  de 
«  leurs  maisons.  Maintenant  donc  que  la  puissance  de  Jésus- 
«  Christ  a  fait  succéder  en  Orient  le  calme  à  l'orage ,  et  rendu  à 
«l'Église  son  intégrité,  dans  la  personne  de  son  chef,  espérons 
«avec  une  ferme  confiance,  que  le  parfum  qui  découle  de  la 
«  tête  sur  la  barbe  du  pontife  (3),  s'étendra  sur  le  chef  et  sur 
«  les  membres  de  l'Église  d'Angleterre,  »  c'est-à-dire,  sur  le  pri- 
mat et  le  clergé  de  cette  Église ,  alors  persécutés  par  le  roi. 
Il  est  à  remarquer  que  l' évoque  de  Chartres,  dans  ce  passage, 

(i)Jcrem.  1,  10. 

(2)  Cette  Tille,  ruinée  par  Frédéric  en  1162,  fut  rebâtie  par  les  Milanais 
en  1166.  (Fleury,  Hist.  Ecclés.,  tom.  xv,  liv.  lxx,  n.  56;  liv.  lxxi,  n.  40. 

(3)  Psalm.  cxxxh. 


448  DEUXIÈME  PARTIE. — POUVOIR  DU  PAPE 

n'examine  pas  précisément  en  vertu  de  quel  droit  la  déposition 
de  l'empereur  suit  de  l'excommunication;  il  suppose  seulement, 
comme  un  fait  notoire ,  que  le  Pape  a  déposé  l'empereur,  par 
le  moyen  de  l'excommunication ,  et  que  cet  effet  de  l'excom- 
munication est  généralement  reconnu-  Il  ajoute,  à  la  vérité, 
que  la  sentence  du  Pape  contre  l'empereur  a  été  portée  en  vertu 
du  pouvoir  des  clefs,  ou  du  privilège  de  saint  Pierre.  On  peut 
dire  en  effet  qu'elle  était  fondée  sur  ce  pouvoir,  quant  à  son 
objet  direct  et  immédiat ,  qui  était  l'excommunication,  comme 
nous  l'avons  expliqué  ailleurs  (t)  ;  mais  cette  supposition  laisse 
entièrement  subsister  la  question  de  savoir  en  vertu  de  quel 
droit  la  déposition  suit  l'excommunication.  Jean  de  Sarisbery 
n'examine  point  ici  cette  question,  sur  laquelle  il  s'explique 
assez  ouvertement  dans  un  autre  ouvrage  (2). 
to3.  Les  dernières  paroles  de  sa  lettre,  que  nous  venons  de  citer, 

îîenrTn e  montrent  qu'elle  fut  écrite  à  l'époque  des  funestes  démêlés  de 
saintTLnas  Henri  II,  roi  d'Angleterre,  avec  saint  Thomas  de  Cantorbéry, 
„  ,deK,      sur  la  juridiction  et  les  immunités  ecclésiastiques.  Nous  rap- 

Cantorbery.  J  n  £ 

pellerons  ici,  en  peu  de  mots,  l'occasion  et  le  sujet  de  cette 
discussion,  qui  fournit  une  nouvelle  preuve  de  la  persuasion 
alors  établie  en  Angleterre,  sur  les  effets  temporels  de  l'excom- 
munication, par  rapport  aux  souverains  (3). 

A  peine  élevé  sur  le  siège  de  Cantorbéry,  Thomas  ne  tarda 
pas  à  perdre,  comme  il  l'avait  prévu,  les  bonnes  grâces  du  roi , 
qui  l'avait  jusque-là  comblé  de  ses  faveurs.  Il  serait  difficile  de 
dire  quelle  fut  précisément  la  cause  de  ce  changement  :  les  uns 
l'attribuent  au  mécontentement  que  ressentit  le  roi  de  la  dé- 
mission faite  par  l'archevêque,  de  la  charge  de  chancelier;  les 
autres,  à  la  restitution  qu'il  exigea,  des  terres  de  son  siège  in- 

(1)  Ci-dessus,  n.  12,  pag.  138. 

(2)  Jean  de  Sarisbery,  Polycraticus,  lib.  iv,  cap.  1,  2,  3.  Dans  cet  ouvrage, 
l'évêque  de  Chartres  soutient  l'opinion  qui  attribue  à  l'Église  et  au  Pape  un 
pouvoir  direct  sur  les  choses  temporelles.  C'est  le  premier  auteur,  à  notre 
connaissance ,  qui  ait  soutenu  cette  opinion  ;  nous  verrons  ailleurs  qu'il  eut 
peu  de  partisans,  avant  le  xur3  siècle.  (Voyez  len.  8  des  Pièces  justifie,  à  la 
fin  de  ce  volume.) 

(3)  On  peut  voir  plus  en  détail  l'histoire  de  cette  discussion ,  dans  YHist. 
d'Angleterre,  par  Lingard,  tom.  h,  pag.  333, etc.  —  Alban  Butler,  Vies 
des  Pères ,  etc.  29  décembre.  -— Noël  Alexandre ,  Dissert.  10  inJUist.  Eccl. 
sœculi  xir. 


SUR  LES   SOUVERAINS. — CHAPITRE  II,  449 

justement  aliénées;  d'autres,  à  ses  efforts  pour  réformer  le 
clergé  de  la  cour,  ou  à  son  opposition  au  rétablissement  d'une 
taxe  odieuse,  imposée  au  clergé,  sans  égard  à  ses  anciennes  im- 
munités. Mais  ce  qui  détermina  une  rupture  ouverte  entre  le 
roi  et  l'archevêque,  ce  fut  une  discussion  relative  à  la  juridic- 
tion ecclésiastique.  Thomas  se  plaignait  hautement  des  en- 
treprises fréquentes  des  juges  laïques,  qui  citaient  à  leurs  tribu- 
naux les  personnes  ecclésiastiques ,  au  mépris  des  immunités 
dont  le  clergé  jouissait,  de  temps  immémorial ,  en  Angleterre, 
comme  dans  les  autres  États  chrétiens,  et  dont  le  roi  lui-même 
avait  juré  le  maintien  dans  la  cérémonie  de  son  couronnement. 
Henri,  blessé  de  ces  réclamations,  mit  tout  en  œuvre  pour 
obliger  l'archevêque  à  s'en  désister.  Thomas  ne  croyant  pas 
qu'il  loi  fût  permis  en  conscience  de  sacrifier  les  droits  de 
l'Église,  persista  à  les  soutenir,  malgré  les  instances  du  roi.  De 
là  ces  funestes  brouilleries,  qui  attirèrent  au  prélat  de  si  longues 
persécutions,  et  qui  aboutirent  enfin  à  son  martyre,  le  29  dé- 
cembre 1170. 

Le  lecteur  verra  sans  doute  ici  avec  plaisir  le  jugement  de      Io4. 
Bossuet  sur  cette  célèbre  discussion  :  «Henri  II,  roi  d'Angle-  Ju|ementde 

o  Bossuet 

«  terre ,  dit-il ,  se  déclare  l'ennemi  de  l'Eglise  ;  il  l'attaque  au  sur  celle  dis- 

•    •         t  i  •  t  cussion. 

«  spirituel  et  au  temporel,  en  ce  qu  elle  tient  de  Dieu,  et  en  ce 
«  qu'elle  tient  des  hommes;  il  usurpe  ouvertement  sa  puissance; 
«  il  met  la  main  dans  son  trésor,  qui  enferme  la  subsistance 
«  des  pauvres  ;  il  flétrit  l'honneur  de  ses  ministres  par  l'abro- 
«  gation  de  leurs  privilèges ,  et  opprime  leur  liberté  par  des  lois 
«  qui  lui  sont  contraires.  Prince  téméraire  et  mal  avisé!  que  ne 
«  peut-il  découvrir  de  loin  les  renversements  étranges  que  fera 
«  un  jour-  dans  son  État,  le  mépris  de  l'autorité  ecclésiastique,  et 
«  les  excès  inouïs  où  les  peuples  seront  emportés,  quand  ils  au- 
«  ront  secoué  ce  joug  nécessaire  (l)  !  » 

L'histoire  de  ces  tristes  démêlés  fournit  une  preuve  re-       ï05. 

marquable  de  la  persuasion  qui  existait  alors  en  Angleterre,  LaJonStUiT°n 

comme  dans  les  autres  États  catholiques  de  l'Europe ,  sur  les  sas^'^ie 


(1)  Panégyrique  de  saint  Thomas  de  Cantorbéry,  1er  point.  (Œuvres  de 
Bossuet,  tom.  xvr,  pag.  586.)  Ce  passage  n'est  pas  le  seul  où  Bossuet  se  pro- 
nonce si  expressément  sur  cette  affaire.  On  peut  voir  le  jugement  qu'il  en 
porte,  dans  un  magnifique  éloge  du  saint  archevêque ,  à  la  lin  du  liv.  vu  de 
l'Histoire  des  Variations.  (Tom.  xix  des  Œuvres.) 

29 


discussion. 


450  DEUXIÈME  PARTIE.  —  POUVOIR  DU  PAPE 

effets  temporels  de  l'excommunication ,  par  rapport  aux  souve- 
rains. Henri  II  persistant  opiniâtrement  dans  ses  injustes  pré- 
tentions, le  Pape  lui  écrivit,  en  1169,  des  lettres  très-pressantes, 
pour  l'obliger  à  se  réconcilier  avec  l'archevêque  de  Cantorbéry. 
Le  roi  protesta  d'abord  avec  serment ,  en  présence  des  légats 
du  Pape,  qu'il  n'en  ferait  rien,  et  menaça  même  de  se  porter  à 
de  nouveaux  excès.  Un  des  légats  lui  répondit  aussitôt  avec  dou- 
ceur :  «  Seigneur,  ne  faites  point  de  menaces  :  nous  ne  les  crai- 
«  gnons  point,  parce  que  nous  sommes  d'une  cour  qui  a  cou- 
«  tume  de  commander  aux  empereurs  et  aux  rois.  »  Alors  le  roi 
s'étant  radouci,  parut  disposé  à  se  réconcilier  avec  l'arche- 
vêque, et  prit  à  témoin  plusieurs  barons  et  ecclésiastiques  de  sa 
chapelle,  pour  montrer  les  avances  qu'il  avait  déjà  faites  dans 
cette  vue(l).  La  réponse  du  légat  renfermait  évidemment  une 
menace  d'excommunication  et  de  déposition,  semblables  à  celles 
dont  le  Pape  avait  frappé  l'empereur,  quelques  années  aupara- 
vant ;  et  il  résulte  clairement  de  ce  récit,  que  le  roi  d'Angleterre, 
loin  de  contester,  à  cet  égard ,  le  pouvoir  du  Pape ,  fut  intimidé 
par  les  menaces  du  légat,  et  se  mit  en  devoir  de  satisfaire  le 
souverain  pontife ,  pour  prévenir  les  suites  fâcheuses  que  sa  ré- 
sistance aurait  pu  entraîner  (2). 

(1)  «  Aliquantulum  ante  occasum  solis,  exiitrex  multum  iratus,  conque- 
ce  rens  graviter  de  domino  Papa,  quod  numquam  in  aliquo  audierit  eum  ;  et 
«  cum  quâdam  contumaciâ  dixit  rex  :  Per  oculos  Dei,  ego  faciamaliud.  Et 
«  Gratianus  gratiosè  respondit  :  Domine ,  noli  minari  :  nos  enim  nullas 
«  minas  timemus;  quia  de  tali  curiâ  sumus,  quœ  consuevit  imperare  im- 
«  peratoribus  et  regibus.  Tune  convocati  sunt  omnes  barones  et  monachi 
«  albi,  qui  praesentes  erant,  et  omnes  fere  de  capeJlâ;  et  dominus  rex  roga- 
«  vit  ut  tempore  opportuno  testificarentur  pro  eo,  quanta  et  qualia  obtu- 
«lerat,  restitutionem  scilicet  archiepiscopatûs  et  pacis.  »  S.  Thomœ  Can- 
tuar.  Epist.  lib.  m,  Epist.  61.  —  Fleury,  Hist.  Ecclés.,  t.  xv,  liv.  lxxii, 
n.  7. 

«  Quelques  personnes,  dit  à  ce  sujet  M.  Hurter,  regardent  comme  inso- 
«.  lentes  les  paroles  que  le  cardinal  Gratien  adressa  (en  cette  occasion)  au  roi 
«  d'Angleterre;  nous  les  considérons  comme  dictées  par  le  sentiment  pro- 
ie fond  que  ce  prélat  avait  des  obligations  de  la  papauté.  »  Hurter,  Hist. 
d'Innocent  III,  t.  n,  liv.  xx,  p.  800. 

(2)  Le  P.  Daniel  {Hist.  de  France,  t.  m,  p.  601  et 61 3)  suppose  que  ce 
fut  aussi  la  crainte  de  l'excommunication  et  de  la  déposition  dont  le  roi 
d'Angleterre  se  voyait  menacé,  qui  l'engagea,  vers  le  même  temps,  à  asso- 
cier son  fils  à  la  couronne ,  afin  d'assurer  à  ce  jeune  prince  le  gouvernement 
du  royaume,  dans  le  cas  où  son  père  serait  déposé.  Il  y  a  tout  lieu  de  croire 
que  tel  fut  en  effet  le  motif  de  Henri  eut  faisant  couronner  son  fils,  en  1 170; 


SUR  LES   SOUVERAINS.  — CHAPITRE  II.  451 

L'histoire  d'Angleterre  fournit  encore,  vers  le  même  temps,  I06. 
un  témoignage  remarquable  de  la  persuasion  générale  des  LaSufsToenrr 
princes  et  des  peuples,  à  cette  époque,  sur  les  effets  de  l'ex-  1^JJJJJ/ÎJ 
communication,  par  rapport  aux  souverains.  Richard  Ier,  roi  R«chardi«. 
d'Angleterre,  ayant  été  réduit  en  captivité,  au  retour  de  la 
Terre-Sainte,  par  l'empereur  d'Allemagne,  Henri  VI,  en  1192, 
la  reine  Éléonore,  sa  mère,  écrivit  plusieurs  fois  au  pape  Cé- 
lestinlll,  pour  obtenir,  par  son  intervention,  la  délivrance  de 
son  fils  (l).  Parmi  les  considérations  pressantes  dont  elle  appuie 
sa  demande,  elle  représente  au  pontife,  que,  pour  obtenir  la 
délivrance  de  Richard,  il  lui  suffit  de  faire  usage  de  l'autorité 
que  Dieu  lui  a  donnée  sur  tous  les  royaumes  et  sur  toutes  les 
puissances  de  la  terre,  par  le  moyen  de  l'excommunication. 
«Quelle  excuse,  lui  dit-elle,  pourrait  pallier  votre  négligence, 
«  puisqu'il  est  connu  de  tout  le  monde,  que  vous  avez  le  pouvoir 
«  de  délivrer  mon  fils ,  si  vous  en  aviez  la  volonté?  Dieu  nfa-t-il 
«  pas  donné  à  saint  Pierre ,  et  à  vous  en  sa  personne ,  la  puis- 
«.sance  de  gouverner  tous  les  royaumes?  Il  n'y  a  ni  roi,  ni 
«empereur,  ni  duc ,  qui  soit  exempt  du  joug  de  votre  juri- 
«  diction.  Où  est  donc  le  zèle  de  Phinéès?  Qu'il  paraisse  que  ce 
«  n'est  pas  en  vain  que  l'on  vous  a  mis  en  main ,  à  vous  et  à  vos 
«coévêques,  des  glaives  à  deux  tranchants  (2)....  Vous  me 

mais,  quelque  bien  fondée  que  soit  cette  conjecture,  elle  ne  paraît  pas  assez 
clairement  établie  par  l'ancien  auteur  que  cite  à  ce  sujet  le  P.  Daniel.  (Hist. 
Quadrip.  lib.  h,  cap.  31.  Cet  ouvrage  se  trouve  à  la  têle  des  Lettres  de 
saint  Thomas  de  Cantorbéry,  publiées  par  Chr.  Lupus.)  Il  est  à  remarquer 
que  le  docteur  Lingard  ne  dit  rien  non  plus  de  ce  motif,  que  le  P.  Daniel 
croit  pouvoir  donner  à  la  démarche  de  Henri.  {Histoire  d'Angleterre,  t.  h, 
chap.  5,  p.  376,  etc.) 

(1)  Pétri  Blesensis  Epistolœ  144,  145,  146.  (Operum\).  227,  etc.)  — 
Rymer,  Fœdera,  Conventiones,  etc.,  1. 1,  p.  72-78.  — D.  Ceillier,  Histoire 
des  Auteurs  ecclésiastiques ,  t.  xxm,  p.  220.  —  Fleury,  Hist.  Ecclés.,  t. 
xv,  liv.  lxxiv,  n.  41.  —  Michaud,  Histoire  des  Croisades ,  t.  h,  p.  553.  — 
Bibliothèque  des  Croisades,  2e  partie,  p.  862. 

(2)  «Quee  enim  excusatio  possit  vestram  desidiam  et  incuriam  palliare, 
«  cùm  omnibus  liqueat  quod  liberandi  filium  meum  habelis  potestatem,  et 
«  subtrahitis  voluntatem?  Nonne  Petro  aposlolo ,  et  in  eovobis ,  a  Deo 
«  omne  regnum ,  omnisque potestas  regenda  committitur?...  Non  rex , 
«  non  imper ator  aut  dux  ajugo  vestrœ  jurisdicdonis  eximitur.  Ubi  est 
«  ergo  zelus  Phinees?....  Appareat  quod  non  in  vanum  dati  suni  vobis  et 
a  coepiscopis  vestris  gladii  ancipites  in  manibus  vestris  »  Pétri  Blesen- 
sis Epist.  145.  (Oper.  p.  228,  col.  2.) 

Ces  paroles  font  allusion  à  V allégorie  des  deux  glaives,  souvent  em- 

29, 


452  DEUXIÈME   PARTIE.  —  POUVOIR  DU  PAPE 

«  direz  que  cette  puissance  vous  a  été  donnée  sur  les  âmes ,  et 
«  non  sur  les  corps.  Je  le  veux  ;  mais  il  nous  suffit  que  vous 
«  ayez  la  puissance  de  lier  les  âmes  de  ceux  qui  tiennent  mon 
«  fils  en  prison ,  pour  qu'il  vous  soit  facile  de  le  délivrer  ;  faites 
«  seulement  que  la  crainte  de  Dieu  chasse  en  vous  la  crainte  des 
«  hommes.  Rendez-moi  mon  fils,  ô  homme  de  Dieu  ;  si  toutefois 
«  vous  êtes  l'homme  de  Dieu,  et  non  pas  un  homme  de  sang  (l).  » 
Ces  paroles  supposent  évidemment  que,  d'après  la  persua- 
sion alors  universelle,  le  Pape  pouvait,  au  moyen  des  peines 
spirituelles,  gouverner  les  royaumes,  et  contenir  les  souverains 
dans  le  devoir.  Ce  langage  de  la  reine  d'Angleterre  est  d'autant 
plus  digae  d'attention,  que,  pour  écrire  au  Pape  les  lettres  que 
nous  venons  de  citer,  elle  employa  la  plume  de  Pierre  de  Blois , 
un  des  hommes  les  plus  distingués  de  cette  époque,  par  son 
savoir  et  sa  vertu,  et  alors  attaché  à  la  reine  en  qualité  de 
secrétaire. 
I07,  La  persuasion  générale  dont  nous  parlons,  n'était  pas  moins 

ceuceUperleia-  établie  en  France  que  dans  les  autres  États,  sous  la  seconde  race 
sionen      fe  nos  r0[s   et  au  commencement  de  la  troisième.  Lothaire  le 

France ,    sous  7 

îa  deuxième  jeune ,  roi  de  Lorraine,  fils  de  l'empereur  Lothaire  Ier,  et  petit- 
de  nos  rois,  fils  de  Louis  le  Débonnaire ,  ayant  répudié  Teutberge,  son 
épouse  légitime,  et  pris  en  sa  place  une  concubine  nommée  Val- 
drade ,  le  pape  Nicolas  1er,  un  des  plus  savants  et  des  plus  sages 
pontifes  qui  aient  occupé  le  saint  siège,  menaça  d'abord  de 
l'excommunier,  s'il  ne  renonçait  à  son  mariage  adultère  (2). 
Bientôt  après  (en  866),  il  excommunia  Valdrade,  et  fit  assez 
entendre  que,  s'il  n'infligeait  pas  encore  la  même  peine  à  Lo- 
thaire, c'était  uniquement  par  ménagement  pour  ce  prince, 
qu'il  espérait  amener,  par  cette  modération,  à  une  conduite 

ployée  par  les  écrivains  de  cette  époque,  pour  exprimer  la  réunion  de  la 
puissance  spirituelle  et  de  la  temporelle  entre  les  mains  du  Pape. 

(1)  «  Sed  dicetis  liane  potestatem  vobis  in  animabus  ,  non  in  corporibus 
«  fuisse  commissam.  Esto;  certe  sufficit  nobis  si  eorum  ligaveritis  animas, 
«  qui  filium  m  eu  m  ligatum  in  carcere  tenent.  Filium  meum  solvere,  vobis 
«  in  expedito  est ,  dummodo  humanum  timorem  Dei  timor  evacuet. 
«  Redde  igitur  mihi  filium  meum,  vir  Dei;  si  tamen  vir  Dei  es,  et  non  po- 
rt tiùs  vir  sanguinum.  »  Pétri  Blesensis  Epist.  146.  (  Operum  p.  230 , 
col.  2.) 

(2)  Voyez,  pour  les  détails  de  ce  fait,  Baronius,  Annales,  anno  866, 
n.  24,  etc.  —  Fleury,  Hist.  Ecclés.,  t.  xi,  liv.  l,  n.  43.  —  Hist.  de  V Église 
G  ail.,  t.  vi,  années  866  et  867. 


SUR  LES   SOUVERAINS.  —  CHAPITRE  II.  453 

plus  chrétienne.  Lothaire  effrayé  écrivit  au  Pape  une  lettre 
très-soumise ,  dans  laquelle  il  promettait  de  satisfaire  à  l'Église, 
et  conjurait  le  Pape  «  de  n'élever  au-dessus  de  lui,  et  de  rièta- 
«blir  sur  ses  Étals  aucun  de  ses  égaux  (c'est-à-dire,  de  ses 
«  proches  parents)  ;  de  peur  de  donner  lieu  à  ceux-ci  de  former 
«  contre  lui  des  entreprises  qu'il  ne  pourrait  supporter,  et  qui 
«  causeraient  entre  eux  de  scandaleuses  divisions  (l).  » 

Ce  langage  de  Lothaire  suppose  assez  clairement  qu'il  recon- 
naissait, dans  le  Pape,  le  pouvoir  de  le  dépouiller  de  ses  États, 
par  le  moyen  de  l'excommunication.  Quelques  auteurs,  il  est 
vrai,  à  la  suite  de  Fleury,  supposent  que  l'excommunication  de 
Lothaire  n'eût  été  qu'un  prétexte  employé  par  ses  oncles,  pour 
lui  ôter  la  couronne  (2);  mais  cette  supposition  est  bien  diffi- 
cile à  concilier  avec  la  lettre  de  Lothaire,  qui  conjure  le  Pape, 
en  termes  si  soumis,  de  n  élever  au-dessus  de  lui ,  et  de  n'éta- 
blir sur  ses  États  aucun  de  ses  égaux. 

Mais  quel  qu'ait  été,  à  cet  égard,  l'usage  de  la  France,  sous       *°8. 
la  seconde  race  de  nos  rois,  il  est  solidement  établi,  pour  le  cette  persua- 
commencement  de  la  troisième ,  par  la  conduite  des  papes  Gré-  8o«s  ia  dk». 
goire  VII  et  Urbain  II  envers  Philippe  ïer,  et  par  le  témoignage  pSppTï« 
de  plusieurs  écrivains ,  même  français,  au  sujet  du  mariage d.e^Jjini. 
scandaleux  de  ce  prince  avec  Bertrade.  calio" 

x  par 

Les  lettres  de  Grégoire  VII,  aussi  bien  que  les  autres  mo-  Grégoire  vu. 
numents  de  l'histoire  contemporaine,  nous  représentent  Phi- 
lippe 1er  comme  un  des  princes  les  plus  scandaleux  de  cette 
époque,  par  le  dérèglement  de  ses  mœurs,  et  par  le  honteux 
trafic  qu'il  faisait  des  évêchés  et  des  abbayes  (3).  Grégoire  VII, 

(1)  «  Quamobrem  cernuo  lumine  vestram  affatim  deposcimus  Paternita- 
«  tem,  ut  dum  nos  vobis  missisque  vestris,  ut  ita  dicamus,  majoribus  seu 
«  minoribus,  per  omnia,  super  omnes  coœquales  nostros  obedire  volumus, 
«  non  aliquem  nostri,  Deo  miserante,  consimilem  super  nos  extollere,  aut 
«  terrée  praeponere,  vestree  libeat  Paternitati;  ne  forte  ipsi  talem  contra  nos 
«  moliri  velint  causam ,  quam  tolerare  non  valentes ,  pro  regio  munimine  , 
«  inter  nos  aliquod  scandalum  evenire  possit.  »  Lotharïi  Epislola  ad  Ni- 
colaum  I.  (Baronii  Annales,  anno866,  n.  41.) 

(2)  Fleury,  ubi  suprà. 

(3)  Ivonis  Carnot.  Epistolœ  35,  66,  etc.  Remarquez  les  notes  de  Juretsur 
ces  lettres.  —  Guibert,  abbé  de  Nogent,  confirme  les  reproches  qu'on  a  faits 
à  Philippe  Ier  sur  l'article  de  la  simonie ,  en  le  caractérisant  par  ces  mots  si 
expressifs  :  Hominem  in  Dei  rébus  venalissimum.  (Guib.  Monodiarum, 
sive  de  Vita  sua,  lib.  m,  cap.  2.  (Rec.  des  Hist.  de  France,  tom.  xii, 


454        DEUXIÈME  PARTIE.  —  POUVOIR  DU  PAPE 

si  zélé  pour  la  réforme  de  l'Église  et  des  mœurs  publiques , 
l'ayant  inutilement  sollicité  de  changer  de  conduite ,  crut  enfin 
devoir  le  menacer  d'excommunication  et  de  déposition ,  s'il  per- 
sistait dans  ses  désordres.  Voici  en  quels  termes  il  en  écrivit  à 
l'évêque  de  Châlons,  en  le  chargeant  d'avertir  le  roi  :  «  Faites 
«  savoir  à  ce  prince,  que  nous  ne  souffrirons  pas  plus  longtemps 
«  ses  entreprises  contre  l'Église  ;  car,  ou  il  renoncera  au  trafic 
«honteux  de  la  simonie,  ou  les  Français,  frappés  d'un  ana- 
«  thème  général,  rejuseront  désormais  de  lui  obéir,  s'ils  n'ai- 
«  ment  mieux  renoncer  au  christianisme  (1).  »  Grégoire  VII  ré- 
pète ces  menaces  dans  une  lettre  adressée,  vers  le  même  temps , 
aux  évêques  de  France,  qu'il  accusait  de  fomenter  parleur 
faiblesse,  et  par  un  lâche  silence,  les  désordres  du  roi.  Il  leur 
enjoint  en  conséquence  de  s'assembler,  afin  de  concerter  entre 
eux  les  moyens  de  l'obliger  à  rétablir  dans  ses  États  la  justice  et 
les  bonnes  mœurs;  ajoutant  que,  «s'il  persiste  dans  ses  dérégle- 
«  ments,  il  emploiera,  avec  l'aide  de  Dieu,  tous  les  moyens  de 
«  lui  ôter  la  possession  de  son  royaume  (2).  »  Les  moyens  dont 
parle  ici  le  Pape  sont  expliqués  dans  sa  lettre  à  Guillaume, 
comte  de  Poitiers,  qu'il  invite  à  se  joindre  aux  évêques  et  aux 
seigneurs  de  France,  pour  obliger  le  roi  à  se  corriger,  et  à 
cesser  enfin  les  violences  qui  le  rendaient  également  odieux  aux 
Français  et  aux  étrangers.  «  S'il  persiste  dans  ses  dérèglements, 
«  continue  le  Pape ,  nous  le  séparerons  de  la  communion  de 
«l'Église,  daus  le  prochain  concile  de  Rome,  lui  et  tous  ceux 

p.  241.)  —  Fleury,  Hist.  Ecclés. ,  t.  xm,  liv.  lxii  ,  n.  6, 16  et  20.  —  Hist. 
de  VÉgl.  Gall.,  t.  vu,  année  1073,  p.  504,  etc.  —  D.  Ceillier,  Hist  des  Au- 
teurs ecclés. ,  t.  xx,  p.  618  et  626. 

(1)  «  ïndubitanter  noverit  nos  banc  Ecclesise  ruinam  nequaquam  diutiùs 
«  toleraturôs,  et  ex  auctoritate  beatorum  apostolorum  Pétri  et  Pauli,  duram 
«  inobedientiœ  contumaciam  canonicâ  austeritate  coercituros.  Nam,  aut 
«  rex  ipse,  repudiato  turpi  simoniacae  hœresis  mercimonio ,  idoneas  ad  sa- 
«  crum  regimen  personas  promoveii  permittet;  aut  Franci  pro  certo,  nisi 
«  fidem  christianam  abjicere  maluerint  (simoniacam  hœresim  amplectendo 
«  vel  fovendo) ,  generalis  anatliematis  mucrone  percussi,  illi  ulterius  ob- 
«  temperare  recusabunt.  »  Gregorii  VII  Epistol.  lib.  i,  Epist.  35.  (Labbe, 
Conciliorum  t.  x,  p.  34.)  Cette  lettre,  aussi  bien  que  celle  que  nous  indi- 
quons dans  la  note  suivante,  a  été  citée  par  Bossuet,  Defens.  Declar., 
lib.  i,  sect.  l,cap.  7. 

(2)  «Quod  si  nec  hujusmodi  districtione  voluerit  resipiscere,  nulli  clam 
«aut  dubium  esse  volumus,  quin  modis  omnibus  regnum  Franciœ  de 
«  ejus  occupatione ,  adjuvante  Deo,  tentemus  eripere.  »  Gregorii  VII 
Epist.  lib.  n,  Epist.  5,  p.  74. 


SUR   LES   SOUVERAINS.  —  CHAPITRE  II.  455 

«  qui  lui  rendront  honneur  et  obéissance  (l).  »  Ce  langage  sup- 
pose clairement  que  les  effets  temporels  de  l'excommunication , 
par  rapport  aux  souverains ,  n'étaient  pas  moins  reconnus  en 
France  que  dans  les  autres  États  de  l'Europe.  Comment  croire, 
en  effet,  que  Grégoire  VII,  à  qui  ses  adversaires  eux-mêmes  ne 
peuvent  refuser  beaucoup  de  lumières ,  de  pénétration ,  et  de 
talents  pour  le  gouvernement,  eût  employé  avec  tant  de  con- 
fiance un  pareil  langage,  dans  des  lettres  adressées  aux  évèques 
et  aux  seigneurs  de  France ,  si  les  effets  temporels  de  l'excom- 
munication n'eussent  été  admis  dans  ce  royaume ,  comme  dans 
tons  les  autres? 
Le  pape  Urbain  II ,  dont  tous  les  historiens  s'accordent  à       io9 


Ce  prince    est 
exconimit- 


pape 
Urbain  II. 


louer  la  prudence  et  les  lumières,  était,  à  cet  égard,  dans  la 
môme  persuasion  que  Grégoire  VII.  C'est  ce  qui  résulte  claire-  n,ePaJeIe 
ment  de  la  conduite  qu'il  tint  envers  Philippe  Ier,  en  1095,  dans 
le  concile  de  Clermont,  un  des  plus  nombreux  qui  aient  été 
tenus  en  France,  et  auquel  assistèrent  une  multitude  d'évèques 
et  de  seigneurs,  de  toutes  les  provinces  du  monde  chrétien  (2). 
Le  roi  ayant  été  excommunié,  l'année  précédente,  par  le  légat 
du  Pape,  dans  le  concile  d'Autun,  pour  son  mariage  illégitime 
avec  Bertrade,  avait  obtenu  du' souverain  pontife,  dans  le  con- 
cile de  Plaisance,  un  délai  pour  plaider  sa  cause;  mais,  comme 
il  n'avait  donné,  depuis  ce  temps,  aucune  espérance  de  conver- 
sion, le  Pape  confirma,  dans  le  concile  de  Clermont,  la  sen- 
tence d'excommunication  déjà  portée  contre  lui ,  et  décerna  la 
môme  peine  «  contre  ceux  qui  le  reconnaîtraient  pour  roi  ou 
«  seigneur,  et  qui  lui  obéiraient ,  ou  même  lui  parleraient ,  sinon 
«pour  le  faire  rentrer  en  lui-même (3).  «  Ce  sont  les  propres 

(1)  «  Si  in  perversitate  studiorum  suorum  perduraverit1,  et  secundùm  du- 
«  ritiam  et  impœnitens  eor  suum  iram  Dei  et  sancti  Pétri  sibi  thesaurizave- 
«  rit ,  nos ,  Deo  auxiliânte ,  et  nequitiâ  sua  promerente,  in  Romanà  synodo, 
«  a  corpore  et  communione  sanctae  Ecclesiae  ipsum  et  quicumque  sibi  re- 
«  galem  honorem  vel  obedientiam  exhibuerit ,  sine  dubio  sequestrabi- 
«  mus.  »  Gregorii  VII  Epist.  lib.  n,  Epist.  18,  p.  84. 

(2)  Hist.  de  l'Église  Gallicane ,  t.  vin ,  liv.  xxn ,  p.  50,  51,  76,  etc.  — 
Fleury,  Hist.  Ecclés. ,  t.  xm,  liv.  lxiv,  n.  21,  22,  29,  37,  etc. 

(3)  «in  eo concilio  (Claromontano),  excommunieavit  dominus  Papa  regem 
«  Philippum  Francorum ,  et  omnes  qui  eum  vel  regem ,  vel  dominum  suum 
«  vocaverint,  et  ei  obedierint,  et  ei  locuti  fuerint,  nisi  quod  peitineret  ad 
«  eum  corrigendum.  »  Guill.  Malmesb.  De  Gestis  Anglorum,  lib.  iv,  cap.  2. 
(Recueil  des  Historiens  de  France,  t.  xv,  p.  6 ;  et  Préface,  p.  5.)  Ce  pas- 


456  DEUXIÈME   PARTIE.  —  POUVOIR  DU   PAPE 

expressions  de  Guillaume  de  Malmesbury,  auteur  contemporain, 
dont  le  récit  est  expressément  confirmé  par  la  Chronique  de 
Gui,  chanoine  de  Chàlons- sur -Marne,  écrite  vers  la  fin  du 
xiie  siècle,  et  par  celle  d'Albéric ,  moine  des  Tr ois-Fontaines, 
qui  écrivait  au  xme  siècle  (l).  Il  est  vrai  que  Bossuet  et  quelques 
autres  écrivains  modernes  contestent  la  vérité  de  ce  fait ,  sous 
prétexte  que  Guillaume  de  Malmesbury,  le  plus  ancien  auteur 
qui  en  parle ,  était  un  étranger,  peu  au  fait  de  ce  qui  se  passait 
en  France ,  et  qu'il  semble  réfuté  par  le  silence  des  auteurs  fran- 
çais du  même  temps  (2).  Mais  il  semble  difficile  de  contester 
l'autorité  de  Guillaume  de  Malmesbury,  sur  un  événement  si 
important ,  arrivé  dans  un  concile  si  célèbre ,  et  dans  un  temps 
où  les  relations  entre  la  France  et  l'Angleterre  étaient  si  fré- 
quentes. Il  est  encore  plus  difficile  de  supposer  que  deux  auteurs 
français,  Gui  et  Albéric,  eussent  rapporté  le  fait  avec  tant  de 
confiance,  au  xne  et  au  xme  siècle,  si  la  tradition  ne  s'en  était 
conservée  en  France.  Au  reste,  il  est  à  remarquer  que  Bossuet, 
et  la  plupart  des  auteurs  modernes  qui  ont  contesté  ce  fait, 
ignoraient  absolument  les  témoignages  de  Gui  et  d'Albéric,  sur 
cette  matière, 
no.  Mais  ce  qui  résulte  du  moins  évidemmment  du  témoignage 

l.e  de  ces  deux  auteurs,  c'est  qu'ils  regardaient  les  effets  temporels 
seioaiw  au-  de  l'excommunication ,  par  rapport  aux  souverains,  comme  un 

sage  de  Guillaume  de  Malmesbury  est  cité  par  Bossuet ,  Defens.  Declar., 
lib.  m,  cap.  11,  p.  621. 

(1)  «■  lbi  (in  concilio  Claromontano)  dominus  Apostolicus  excommunica- 
«  vit  Guibertum  Ravennatem,  qui  se  Papam  appellabat,  et  Henricum  impe- 
«  ratorem  Romanorum ,  qui  eum  manu  tenebat ,  Philippum  quoque  regem 
«  Francorum  ,  ejus  concubinam ,  comitis  Andegavorum  uxorem  ,  et  omnes 
«  qui  eum  regem  vel  dominum  vocarent ,  vel  obedirent,  quousque  veniret 
«.  ad  emendationem  ,  ut  aller  ab  altero  discedat.  »  Alberici ,  monachi  Trium 
Fontium,  Chron.;  anno  1095.  (Leibniz,  Accessiones  historicœ  ad  Scrip- 
toiles  rerum  German.  Hanoverœ,  1700,  in-4°,  t.  h,  p.  144.)  Sibérie  lui- 
même,  dans  le  passage  que  nous  venons  de  citer,  rapporte  le  fait  dont 
il  s'agit,  d'après  Gui,  ebantre  de  l'église  de  Saint-Étienne  de  Châlons,  mort 
en  1203 ,  et  auteur  d'une  Chronique  qui  renferme  un  abrégé  d'histoire  uni- 
verselle, depuis  le  commencement  du  monde,  jusqu'au  temps  où  l'auteur 
écrivait.  La  préface  de  l'ouvrage  de  Leibniz  renferme  de  plus  amples  détails 
sur  la  Chronique  d'Albéric ,  et  sur  les  anciens  auteurs  d'après  lesquels  il  a 
écrit.  Voyez  aussi  YHist.  littéraire  de  la  France,  t.  xvi,  p.  132,  et  alibi 
passim. 

(2)  Bossuet,  ubi  suprà.  —  Recueil  des  Hist.  de  France ,  t.  xv,  ubi  su- 
prà;  t.  xvi,  Préface,  p.  lxx. 


Effets  de  cette 
excoinmuni 


SUR  LES   SOUVERAINS.  —  CHANTRE  ÏI.  457 

point  de  droit,  aussi  bien  reconnu  en  France  que  dans  les    ,  teurs 

»  ,  P  du  temps. 

autres  Etats  de  l'Europe ,  au  xn  siècle.  Assurément  il  est  bien 
plus  naturel  de  s'en  rapporter,  sur  un  fait  de  cette  importance, 
à  des  auteurs  si  anciens  et  si  voisins  du  règne  de  Philippe  Ier, 
qu'à  des  auteurs  modernes,  qui  n'opposent  au  témoignage  des 
anciens,  aucun  témoignage  positif ,  mais  de  simples  raisonne- 
ments ,  dont  la  solidité  est  loin  d'être  à  l'abri  de  toute  con- 
testation. 

En  supposant  même  que  le  témoignage  de  ces  auteurs  pût       m. 
laisser  quelques  doutes"sur  ce  point,  ils  seraient  pleinement  dis-  Ces cf^s rc 
sipés  par  le  témoignage  d'Ives  de  Chartres,   un  des  prélats  pcLIrtTesde 
français  les  plus  distingués  par  ses  lumières  et  sa  piété,  sous  le 
règne  de  Philippe  Ier  (1).  Déjà  nous  avons  cité  une  lettre  de  ce 
prélat ,  qui  suppose  clairement  les  effets  temporels  de  l'excom- 
munication reconnus  en  France,  comme  dans  les  autres  États 
de  l'Europe,  à  l'époque  dont  nous  parlons  (2).  Mais,  indépen- 
damment de  cette  lettre ,  le  prélat  en  écrivit  plusieurs  autres ,  à 
l'occasion  du  mariage  scandaleux  de  Philippe,  dans  lesquelles 
il  suppose  que  les  effets  temporels  de  l'excommunication  n'é- 
taient pas  alors  moins  reconnus  en  France,  par  rapport  aux  sou- 
verains, que  par  rapport  aux  simples  particuliers.  En  effet,  ce 
prince  étant  menacé  d'excommunication  (en  1092)  pour  le  ma- 
riage dont  il  s'agit,  l'évêque  de  Chartres  lui  écrivit,  à  diverses 
reprises ,  pour  le  faire  rentrer  en  lui-même  ;  et  parmi  les  motifs 
d'amendement  qu'il  lui  donne ,  il  lui  représente  surtout  le  péril 
extrême  auquel  il  expose  sa  couronne  et  le  royaume  entier, 
et  la  perte  qu'il  doit  craindre  de  son  royaume  temporel, 
aussi  bien  que  du  royaume  éternel,  s'il  persiste  opiniâtrement 
dans  son  péché  (3).  Le  pape  Urbain  II  ayant  adressé,  vers  le 
même  temps,  une  lettre  circulaire  à  tous  les  archevêques  et  évê- 

(l)Fleury,  Hist.  Ecclês.,  t.  xm,  liv.  lxiv,  n.  6 — Daniel,  Hist.  de 
France,  t.  m,  année  1092,  etc —  Hist.  de  V Église  Gall.,  t.  vin,  ibid. 

(2)  Voyez  plus  haut,  cliap.  1,  art.  3,  n.  80,  etc. 

(3)  «  Nec  ista  (  quœ  contra  illegitimas  régis  nuptias  Ivo  objiciebat  ) 
«  contra  fidelitatem  vestram,  sed  pro  summà  hdelitate  dicere  me  arbitror; 
«  cùm  hoc  et  animas  vestrae  magnum  credam  fore  detrimentum,  et  coronœ 

«  regni  vestri  summum  periculum Caveat  ergo  sublimitas  vestra  ne  in 

«  horum  incidatis  exemplum  ,  et  ita  cum  diminutione  terreni ,  regnum 
«  amittatis  œternum.»  Ivonis  Carnot.  Epist.  15.  (Duchesne,  Historiœ 
Francorum  Scriptores ,  t.  iv.)  Voyez  aussi  la  lettre  13.  Ces  lettres  sont  les 
5e  et  7e,  dans  le  Recueil  des  Hist.  de  France,  de  D.  Bouquet,  t.  xv. 


458  DEUXIÈME  PARTIE.  —  POUVOIR  DU  PAPE 

ques  de  France,  pour  les  autoriser  à  contraindre  le  roi,  par  les 
voies  canoniques,  à  se  séparer  de  Bertrade,  l'évêque  de  Char- 
tres obtint,  par  son  ascendant  sur  l'esprit  des  évoques,  que 
cette  lettre  demeurât  quelque  temps  secrète,  afin  d'empêcher, 
autant  qu'il  était  en  lui,  le  soulèvement  du  royaume  contre 
le  roi  (1).  Enfin  ce  prince,  après  plusieurs  alternatives  d'amen- 
dement et  de  rechutes,  d'excommunications  et  d'ahsolutions , 
ayant  été  de  nouveau  excommunié  en  1 100,  dans  le  concile  de 
Poitiers ,  par  les  légats  du  pape  Pascal  IT ,  l'évêque  de  Chartres 
engagea  ce  pontife  à  user  de  condescendance  envers  le  roi, 
pour  délivrer  le  royaume  du  danger  auquel  il  était  exposé, 
par  Vanathème  de  ce  prince  (2).  Il  est  impossible,  à  ce  qu'il 
nous  semble,  de  ne  pas  reconnaître,  dans  ces  différentes  lettres, 
une  allusion  aux  effets  temporels  que  l'excommunication  en- 
traînait alors  après  elle,  d'après  l'usage  et  la  persuasion  géné- 
rale ,de  la  France,  comme  des  autres  États  catholiques  de 
l'Europe. 
i.2.  Quelques  auteurs,  il  est  vrai,  ont  prétendu  que  l'évêque  de 

diffieuiUes  Chartres,  en  parlant  ainsi,  ne  faisait  pas  allusion  à  ces  effets 
temporels,  mais  au  prétexte  que  plusieurs  seigneurs  mécontents 
du  roi  pouvaient  prendre  de  son  excommunication,  pour  soule- 
ver le  royaume  contre  lui  (3).  Mais  rien  de  plus  invraisemblable 
que  cette  explication  ;  car  1°  l'évêque  de  Chartres  suppose  que 
le  roi  est  exposé,  par  son  excommunication,  à  voir  soulever 
contre  lui,  non  un  certain  nombre  de  seigneurs,  mais  le 
royaume  entier-,  ce  qui  n'eût  pas  été  à  craindre,  dans  le  cas  où 
l'excommunication  du  roi  n'eût  été  qu'un  prétexte  de  révolte, 
pour  un  certain  nombre  de  seigneurs  ;  2°  en  admettant  même 
que  le  danger  ne  fût  venu  que  d'un  certain  nombre  de  sei- 
gneurs ,  les  lettres  du  prélat  supposent  du  moins,  que  la  révolte 


(1)  «  Hse  quidem  litteree  jam  publicatoe  essent;  sed  pro  amore  ejus,  feci 
«  eas  adhuc  detineri,  quia  nolo  regnum  ejus,  quantum  ex  me  est,  adversùs 
«  eum  aliquâ  ratione  commoveri.  »  Ivonis  Epist.  23  (aliàs  14)  ad  Wi- 
donem  dapiferum. 

(2)  a  Nostrœ  suggestionis  summa  est,  ut  imbecillitati  hominis  amodo, 
«  quantum  cum  salute  ejus  potestis,  condescendatis ,  et  terram  quœ  ejus 
<(■  anathemate  periclitatur  ab  hoc  periculo  eruatis.  »  Ivonis  Epist.  144 
(aliàs  89),  ad  Paschalem  papam  II. 

(3)  Blondel,  De  formula,  Régnante  Christo.  Amstelodami,  1646,  in-4°, 
sect.  2,  §  15.  —  Mist.  de  l'Église  Gall.,  t.  vin,  p.  43. 


contre  ce  té- 
moigna i*e. 


SUR  LES   SOUVERAINS.  —  CHAPITRE  II.  459 

de  ces  seigneurs  eût  été  puissamment  secondée  par  l'opinion 
publique  sur  les  effets  temporels  de  l'excommunication  ;  autre- 
ment, il  est  tout  à  fait  incroyable  que  leurs  intrigues,  pour  dé- 
trôner le  roi ,  eussent  été  aussi  à  craindre  que  le  supposent  les 
lettres  que  nous  venons  de  citer.  Au  reste,  le  sens  que  nous 
attachons  à  ces  lettres,  est  confirmé  par  l'idée  que  les  historiens 
nous  donnent  généralement  de  la  disposition  des  esprits  en 
France,  à  l'époque  dont  nous  parlons.  Le  roi,  malgré  les  pro- 
messes réitérées  qu'il  avait  faites  de  renvoyer  Bertrade ,  l'ayant 
reprise  en  1098,  et  ayant  été  excommunié,  pour  cette  raison, 
dans  le  concile  de  Poitiers ,  crut  devoir,  dans  une  conjoncture  si 
critique,  associer  à  la  couronne  son  fils  Louis,  âgé  seulement 
de  dix-neuf  ou  vingt  ans.  Le  motif  de  cette  association ,  selon  le 
sentiment  commun  des  historiens ,  fut  que  l'excommunication 
du  roi  était  un  prétexte  plausible,  aux  plus  puissants  vas- 
saux, de  se  révolter  (1).  Un  pareil  motif  suppose  clairement 
que  la  révolte  des  vassaux ,  dans  ces  conjonctures  ',  eût  été  puis- 
samment secondée  par  la  persuasion  générale ,  qui  attachait  à 
l'excommunication  la  perte  de  toute  dignité ,  même  temporelle. 

Il  y  a  tout  lieu  de  croire  que  cette  persuasion  existait  encore       „3. 
en  France,  comme  dans  les  autres  États  de  l'Europe,  longtemps  Ven™™uce 
après  le  règne  de  Philippe  1er;  car  nous  verrons  bientôt  que  dJ^u  Su 
les  plus  célèbres  écrivains  du  xne  et  du  xme  siècle ,  dans  ce      dfPuis , 

le  règne  de 

royaume  comme  ailleurs ,  continuaient  de  soutenir,  comme  un  Philippe  ier. 
principe  généralement  admis ,  la  subordination  de  la  puissance 
temporelle  envers  la  spirituelle,,  en  ce  sens,  que  les  souverains 
pouvaient  être  jugés  et  même  déposés,  en  certains  cas,  par 
l'autorité  de  l'Église  ou  du  saint-siége  (2).  Il  paraît  même  que 
la  crainte  de  ces  terribles  effets  de  l'excommunication,  fut  le 
principal  motif  qui  empêcha  Philippe-Auguste  de  soutenir  aussi 
ouvertement  qu'il  l'eût  souhaité ,  les  prétentions  de  Louis  son 
fils  au  trône  d'Angleterre,  contre  celles  de  Jean  sans  Terre, 
abandonné  par  le  plus  grand  nombre  de  ses  barons  (3). 

(1)  Daniel,  Hist.  de  France,  ubi  suprà,  p.  398  et  613.  — Velly,  Hist. 
de  France,  t.  11,  p.  425.  —  Biographie  universelle ,art.  Philippe  Ier. 

(2)  Voyez  plus  bas,  chap.  3,  art.  1,  n.  194,  etc. 

(3)  Lingard,  Hist.  d'Angleterre,  t.  m,  années  1215  et  1216.  —  Hist.  de 
VÉgl.  Gall.,  t.  x.  —  Hist.  d'Innocent  III,  par  Huiter,  t.  1,  p.  747, 
760,  etc.  —  Daniel,  Hist.  de  France,  t.  iv,  année  1216. 


Difficulté 
contre  cette 


460        DEUXIÈME  PARTIE.  —  POUVOIR  DU  PAPE 

n4.  Peut-être  opposera-ton  à  notre  sentiment,  sur  la  persuasion 

générale  dont  il  s'agit,  la  conduite  de  plusieurs  souverains, 
uSde'ia côn.  <FH;*  malgré  la  sentence  d'excommunication  dont  ils  avaient 
,  d,iit,e       été  frappés  ,  continuaient  de  gouverner  leurs  États ,  et  d'v  être 

de  quelques  J.  i         >  *->  »  «i 

souverains,  reconnus  comme  souverains  légitimes.  S'il  faut  en  croire  Fleury, 
Bossuet  et  quelques  autres  écrivains,  Philippe  Ier,  roi  de 
France,  Frédéric  Ier,  empereur  d'Allemagne,  et  plusieurs  au- 
tres souverains,  quoique  excommuniés,  ne  perdirent  rien  de 
leur  autorité,  et  ne  furent  point  regardés  comme  déchus  de 
leurs  droits  (1). 

cettedffficuité     Les  Dornes  "PU  nous  sout  prescrites  ne  nous  permettent  pas 
résolue     d'examiner  en  détail  tous  les  faits  qu'on  invoque  à  l'appui 

par    quelques  * 

observations  de  cette  difficulté  (2);  nous  nous  contenterons  d'y  opposer  quel- 
ques observations  générales  qui  suffisent  pour  la  résoudre,  et 
qui  renversent  en  particulier  la  difficulté  tirée  des  exemples  de 
Philippe  Ier  et  de  Frédéric  Ier. 

Observons  d'abord  que ,  d'après  l'usage  dont  nous  parlons , 
la  sentence  d'excommunication  n'entraînait  point  par  elle- 
même  la  perte  des  droits  civils  ;  elle  n'avait  cet  effet  qu'au  bout 
d'un  certain  temps ,  qui  était  beaucoup  plus  long  par  rapport 
aux  souverains,  que  par  rapport  aux  simples  particuliers.  C'est 
ce  que  Bossuet  lui-même  reconnaît  expressément ,  en  disant  que 
les  papes  distinguaient  très-bien  Y  excommunication  de  la  dépo- 
sition ,  et  les  séparaient  souvent  l'une  de  l'autre  (3).  Il  n'est 
donc  pas  étonnant  qu'un  prince  excommunié  continuât  souvent 
de  gouverner  ses  États,  et  d'y  être  reconnu  pour  légitime 
souverain. 

Observons,  en  second  lieu,  qu'indépendamment  de  ce  délai, 
accordé  aux  excommuniés  par  l'usage  ordinaire,  avant  d'en- 
courir la  perte  de  leurs  droits  temporels ,  ils  obtenaient  quel- 

(1)  Fleury,  Hist.  Ecclés.,  t.  xm,liv.  lxiv,  n.  21  et  29;  t.  xv,liv.  lxx, 
n.  43;  liv.  lxxih,  n.  6.  —Bossuet,  Defens.  Declar.,  lib.  m,  cap.  10, 19,  20. 

(2)  Pour  l'éclaircissement  de  ces  faits ,  on  peut  consulter  Bianchi ,  Délia 
Potesta  e  délia  Politia  délia  Chiesa.  Roma,  1745,  5  vol.  in-4°.  Voyez 
principalement  le  t.  n. 

(3)  «  Anno  1163,  dit  Bossuet,  in  concilio Turonensi  excommunicationem 
«rénovât  (Alexander  III),  nullâ  hàctenus  deposilionis  mentione;  hanc 
«  enim  ab  excommunicatione  Romani  pontifices  separabant.  »  Bossuet , 
Defens.  Declar.,  lib.  m,  cap.  19,  p.  654.  Voyez  aussi  le  chap.  10  du  même 
livre,  dernier  alinéa. 


SUR  LES  SOUVERAINS.  —  CHAPITRE  II.  461 

quefois  un  délai  plus  considérable,  soit  par  des  appels,  soit  par 
des  promesses  de  soumission,  soit  par  des  négociations  qu'ils 
prolongeaient  adroitement,  pour  éluder  une  sentence  définitive. 
C'est  ainsi  que  Philippe  Ier,  excommunié  dans  le  concile  d'Au- 
tun  en  1094,  obtint  un  sursis,  l'année  suivante,  au  concile 
de  Plaisance ,  et  ne  fut  définitivement  excommunié  que  dans  le 
concile  de  Clermont,  tenu  vers  la  fin  de  l'année  1095  (l). 

Observons,  en  troisième  lieu,  que  le  Pape,  auquel  il  appar- 
tenait, d'après  l'usage  et  la  persuasion  universelle,  de  pro- 
noncer la  sentence  de  déposition  contre  les  souverains  qui  per- 
sévéraient opiniâtrement  dans  l'excommunication,  différait 
souvent  de  la  prononcer ,  soit  par  ménagement  pour  les  princes, 
soit  par  l'espérance  de  leur  amendement ,  soit  dans  la  crainte 
des  funestes  effets  qui  pouvaient  résulter  de  la  sentence.  Ce  fut  ce 
dernier  motif,  selon  Bossnet,  qui  empêcha  les  papes  Grégoire  VII 
et  Urbain  II  de  prononcer  contre  Philippe  Ier  une  sentence  de 
déposition  (2).  Cette  conjecture  de  l'évêque  de  Meaux  est  sans 
doute  sujette  à  contestation,  dans  le  cas  particulier  dont  il  parle  ; 
mais  elle  peut  servir  à  expliquer  d'autres  faits  du  même  genre. 

Observons  enfin ,  que  les  souverains ,  comme  les  particuliers, 
ont  pu  quelquefois  s'attribuer,  malgré  les  censures  de  l'Église, 
les  droits  spirituels  ou  temporels  dont  ils  étaient  réellement  dé- 
pouillés (3).  De  tout  temps,  on  a  vu  des  coupables  faire  peu  de 
cas  de  la  sentence  qui  les  condamnait,  et  affecter  même  de  la 
mépriser.  Les  souverains  surtout  ne  manquent  pas  ordinaire- 
ment de  moyens  pour  soutenir  leurs  prétentions  en  pareils  cas, 
et  pour  intéresser  à  leur  cause  une  partie  de  leurs  sujets,  souvent 
même  des  princes  étrangers.  Mais  il  est  évident  qu'on  ne  doit 
pas  alors  juger  du  droit  par  les  faits ,  qui  peuvent  être  dignes 
de  blâme-,  on  doit  au  contraire  juger  des  faits  par  le  droit  \ 
surtout  quand  celui-ci  est  d'ailleurs  établi  par  la  persuasion 
générale  des  princes  et  des  peuples,  et  par  les  propres  aveux 
des  souverains,  dans  un  temps  où  ils  n'étaient  pas  intéressés  à 
le  contester. 

(1)  Voyez  Fleuiy  et  Bossuet,  ubi  suprà. 

(2)  «  Neque  bis  (depositionis  minis)  Franci  auscultabant,  dit  Bossnet  ;  et 
«  ab  iis  adversùs  Francos  Romani  pontifices  temperabant.  »  Bossuet,  Def. 
Declar.,  lib.  m,  cap.  10. 

(3)  Voyez  les  auteurs  cités  plus  haut,  p.  421,  note  2. 


462  DEUXIÈME   PARTIE.  —  POUVOIR  DU  PAPE 

„6.  Quoique  ces  observations  générales  soient  bien  suffisantes 

rexSnpîede  pour  résoudre  la  difficulté  qu'on  nous  oppose,  nous  y  ajoute- 
phiiippeier.  rons  qUeiques   observations   particulières,  relativement  aux 
exemples  de  Philippe  Ier  et  de  Frédéric  Ier. 

Pour  parler  d'abord  du  roi  de  France,  cest  bien  à  tort  qu'on  a 
prétendu  que  la  sentence  d'excommunication  prononcée  contre 
lui,  à  l'occasion  de  son  mariage  avec  Bertrade,  ne  lui  avait  rien 
fait  perdre  de  son  autorité  royale  (l).  11  est  certain  au  con- 
traire que ,  «  pendant  tout  le  temps  qu'il  fut  excommunié  ,  il  ne 
«  porta  jamais  le  diadème,  ni  la  pourpre,  et  ne  tint  aucune 
«  cour  solennelle,  à  la  manière  des  rois  (2).  »  Ce  sont  les  propres 
expressions  d'Orderic  Vital,  auteur  contemporain.  Il  résulte 
évidemment  de  ce  témoignage,  que,  d'après  un  usage  reconnu 
en  France,  l'excommunication  privait  alors  le  souverain  de  cer- 
tains droits  et  de  certains  honneurs  temporels ,  même  avant 
que  sa  déposition  eût  été  prononcée  (3). 

Il  est  vrai  que  Philippe ,  dans  le  temps  même  où  il  était 
privé  de  ces  honneurs ,  et  depuis  la  sentence  prononcée  contre 
lui  par  le  pape  Urbain  II ,  dans  le  concile  de  Clermont,  continua 
de  gouverner  ses  États,  et  d'y  être  regardé  comme  souverain  lé- 
gitime. Mais  on  doit  remarquer  aussi  que  ce  prince,  effrayé  de 
cette  sentence ,  parut  se  repentir  de  son  crime ,  et  se  mit  en 
devoir  de  satisfaire  le  Pape ,  dont  il  obtint  en  effet  l'absolution , 
au  concile  de  Nîmes,  en  1096  (4).  Les  négociations  qui  eurent 
lieu,  à  ce  sujet,  durent  naturellement  suspendre  l'effet  de  la 
sentence.  Ajoutons  que,  le  texte  de  cette  sentence  n'étant  pas 

(1)  Bossuet  et  Fleury,  ubi  suprà. 

(2)  «  Tempo re  Urbani  et  Paschalis,  Romanorum  pontificum,  fere  quinde- 
«  cim  annis  interdictus  fuit  (Philippus).  Quo  tempore,  numquam  diadema 
«  portavit,  nec  purpuram  induit,  neque  solemnitatem  aliquam  regio  more 
«  celebravit.  »  Orderic  Vital,  Hist.  Eccles.  lib.  vin,  anno  1092.  —  Recueil 
des  Hist.  de  France,  t.  xu,  p.  050;  t.  xiv,  Préface,  §  10,  n.  40.  —  Hist. 
de  V Église  Gallicane,  t.  vin,  p.  50. 

(3)  On  voit  quelque  chose  de  semblable,  dans  la  pénitence  imposée  au  roi 
d'Angleterre,  Edgar,  vers  Tan  967,  par  S.  Dunstan,  archevêque  de  Cantor- 
béry ,  et  dans  les  conditions  de  l'absolution  accordée  à  l'empereur  Henri  IV 
par  Grégoire  VII,  en  1076.  Voyez,  sur  ce  dernier  point,  Voigt,  Hist.  de 
Grég.  VII,  p.  428  et  430.— Fleury,  Hist.  Ecclés.,  t.  xm,  liv.  lxii,  n.  39  et 
40.  — Sur  l'Histoire  d'Edgar,  roi  d'Angleterre,  voyez  Labbe,  Concil.  tom.  ix, 
p.  702.  —  Lingard,  Antiquités  de  V Église  Anglo-Saxonne ,  chap.  12, 
p.  489.  —  Fleury,  ibid.,  t.  xu,  liv.  lvi,  n.  28. 

(4)  Voyez  Fleury  et  Bossuet,  ubi  suprà. 


SUR  LES   SOUVERAINS.  — CHAPITRE  II.  463 

parvenu  jusqu'à  nous,  il  serait  difficile  de  dire  si  la  déposition  de 
Philippe  y  était  prononcée  d'une  manière  absolue  et  définitive, 
ou  seulement  eu  termes  conditionnels,  c'est-à-dire,  supposé  qu'il 
refusât  de  satisfaire  à  l'Église  dans  un  temps  déterminé. 
L'exemple  de  Frédéric  Barberousse  ne  fournit  pas  une  diffi-       "7-   v 

Réponse  a 

culte  plus  sérieuse,  contre  la  persuasion  universelle  dont  nous  l'exemple  de 
parlons.  11  est  vrai  que  ce  prince,  malgré  la  sentence  de  dépo-  Barberouïse. 
sition  prononcée  contre  lui  par  le  pape  Alexandre  III  ^  continua 
d'être  réputé  et  nommé  empereur  par  un  grand  nombre  de  ses 
sujets,  surtout  en  Allemagne,  et  en  Italie  même,  par  les  parti- 
sans du  schisme  qu'il  soutenait  ;  mais  il  est  certain  qu'il  était 
réellement  déchu  de  sa  dignité,  aux  yeux  des  autres  nations,  et 
des  fidèles  catholiques.  C'est  ce  qui  résulte  clairement  de  plu- 
sieurs lettres  de  Jean  de  Sarisbery,  particulièrement  de  celle 
que  nous  avons  déjà  citée  (l),  qu'il  écrivit  à  Guillaume,  sous- 
prieur  de  l'abbaye  de  Cantorbéry  ,  à  l'occasion  des  démêlés  du 
roi  d'Angleterre  avec  saint  Thomas  de  Cantorbéry.  L'auteur 
de  cette  lettre  suppose ,  comme  des  choses  notoires  et  générale- 
ment reconnues  :  1  °  que  le  Pape  a  réellement  déposé  l'empereur, 
par  le  moyen  de  l'excommunication;  2°  que  cette  sentence  a 
détaché  de  Frédéric,  et  soulevé  contre  lui  la  plus  grande  partie 
de  ses  États  en  Italie.  Tout  ce  que  dit,  à  ce  sujet,  Jean  de  Sa- 
risbery, est  confirmé  par  les  Actes  d' 'Alexandre  III ,  publiés 
en  partie ,  d'après  les  Archives  du  Vatican ,  par  le  cardinal 
Baronius,  et  plus  complètement,  au  milieu  du  dernier  siècle, 
par  Muratori,  dans  son  Recueil  des  Historiens  d' Italie  (2).  Il 
résulte  de  ces  Actes  :  l°que  Frédéric  était  regardé ,  en  Orient 
aussi  bien  qu'en  Occident,  comme  déchu  de  l'empire,  depuis 
la  sentence  de  déposition  prononcée  contre  lui  par  le  pape 
Alexandre  III  ;  et  que  dans  cette  persuasion ,  l'empereur  Manuel 
supplia  le  Pape  de  lui  rendre  la  couronne,  dont  Frédéric  avait 
été  justement  privé  (3);  2°  que  Frédéric,  après  de  longues  et 

(1)  Voyez  plus  haut,  n.  102.  Voyez  aussi  les  lettres  150,  178 ,  182,  211, 
233,  270  du  môme  auteur. 

(2)  Baronius,  Annal,  tom.  xn,  anno  1170,  n.  54,  etc.  ;  anno  1176,  n.  15; 
anno  1177,  n.  13,  et  alibi  passim.  —  Muralori,  Rerum  Italicarum  Sciïp- 
lores,  tom.  m,  pag.  459,  etc. 

(3)  «  Unde  (Emmanuel  Magnus,  Constantinopolitanus  imperator)  rogat  et 
«  postulat  quatenus ,  praedictae  Ecclesiœ  adversario  imperii  Romani  coronâ 


464  DEUXIÈME  PARTIE.  —  POUVOIR  DU  PAPE 

inutiles  tentatives ,  pour  ramener  à  son  obéissance  les  peuples 
d'Italie,  fut  enfin  obligé  de  s'humilier  devant  le  Pape,  et  de 
lui  demander  sérieusement  l'absolution,  qu'il  obtint  en  effet 
en  1177  (l). 

«  privato,  eam  sibi,  prout  ratio  et  justitia  exigit,  restituais.  »  Baronii  An- 
nales, anno  1170,  n.  54.  —  Muratori,  ubisuprà,  p.  460,  col.  2. 

(l)  «  Fridericus  verè,  cùm in  cunctis  actionibus  suis  eventus  semper 

«  sinistros  îiaberet,. . .  pacem  Romanae  Ecclesiœ ,  quam  prœ  caeteris  rébus 

«  affectare  se  publiée  assevebat,  per  se  ipsum  requirere  sluduit Quam- 

«  vis  autem  causa  ejus ,  ab  eo  tempore  quo  cœpit  Ecclesiam  Dei  persequi , 
«  semper,  ultore  Domino,  in  deterius  haberetur,  et  nulla  eum  adversitas  at- 
«  que  diflicultas  laboris  a  suo  incepto  retraberet  ;  modo  tamenita  vehemen- 
«  ter  a  supremo  judice  percussus  et  bumiliatus  est,  quod  ad  pacem  Eccle- 
«  sise,  quam  hactenus  in  duplicitate  qusesiverat,  inclinari  humiliter  videretur, 
«  et  eam  4  per  majores  personas  imperii ,  a  domino  Alexandro  papa  et  ejus 
«  fratribus,  suppliciter  postularet.  »  Baronius,  ubi  suprà,  anno  1176,  n.  15. 
—  Muratori,  ubi  suprà,  pag.  465,  col.  2;  et  467,  col.  2.  —  Fleury,  Hist. 
Ecclés.,  tom.  xv,  liv.  lxxiii,  n.  1,  etc. 

Quelques  auteurs  modernes  ont  ajouté  à  l'histoire  de  cette  réconciliation, 
des  circonstances  fabuleuses,  parmi  lesquelles  on  remarque  surtout  la  con- 
duite pleine  de  hauteur  qu'ils  attribuent  au  pape  Alexandre  III  envers  l'em- 
pereur. S'il  en  faut  croire  ces  auteurs,  Frédéric  s'étant  prosterné  publique- 
ment aux  pieds  du  Pape,  pour  lui  promettre  obéissance,  le  pontife  lui  mit 
le  pied  sur  le  cou,  en  prononçant  ces  paroles  du  psaume:  Vous  mar- 
cherez sur  l 'aspic  et  sur  le  basilic,  et  vous  foulerez  aux  pieds  le  lion 
et  le  dragon.  (Ps.  xc.)  Frédéric,  choqué  de  cette  insulte,  répondit  avec 
vivacité:  Ce  n'est  pas  à  vous  que  j'obéis,  mais  à  Pierre;  sur  quoi  le 
Pape  répliqua  :  Non  à  Pierre,  mais  à  moi.  Cette  anecdote  ridicule  est  suf- 
fisamment démentie  par  le  silence  des  auteurs  contemporains ,  tels  que 
Matthieu  Paris,  Guillaume  de  Tyr,  Roger  de  Hoveden ,  et  Romuald,  arche- 
vêque de  Salerne,  qui  a  écrit  avec  plus  de  détail  que  les  autres  l'histoire  de  la 
réconciliation  de  Frédéric  avec  le  Pape.  (Voyez  la  Chronique  de  Romuald , 
dans  le  tom.  vu  du  Recueil  de  Muratori,  Rer.  Ital.  Script.)  Cette  anecdote 
est  d'ailleurs  en  opposition  manifeste  avec  le  caractère  de  douceur  et  de 
bonté,  dont  le  pape  Alexandre  III  a  donné  des  preuves  indubitables.  Aussi  est- 
elle  regardée  comme  une  fable  par  le  plus  grand  nombre  des  critiques ,  et 
même  par  ceux  que  leurs  préjugés  bien  connus  contre  le  saint-siége  enga- 
geaient naturellement  à  accueillir  les  faits  propres  à  confirmer  ces  préjugés. 
Elle  est  formellement  rejetée  par  le  cardinal  Baronius  {Annal,  anno 
1177,  n.  85,  etc.);  Dupin  (Histoire  Ecclésiastique,  xne  siècle,  2e  partie, 
pag.  426),  et  le  P.  Alexandre  (Hist.  Ecclésiast.  sœculi  xn,  cap.  2,  art.  9). 
Bossuet  n'en  fait  aucune  mention  dans  la  Défense  de  la  Déclaration  (ubi 
suprà),  où  il  rapporte  assez  au  long  l'histoire  des  différends  de  Frédéric 
avec  le  pape  Alexandre  III.  Fleury  n'en  parle  pas  davantage  dans  son  Hist. 
Eccl.  [ubi  suprà).  Enfin,  elle  est  également  omise  par  Daunou,  dans  son 
Essai  sur  la  Puissance  temporelle  des  Papes,  où  il  a  recueilli  avec  tant 
de  soin  tout  ce  qui  lui  a  paru  propre  à  exciter  et  entretenir  la  haine  contre 
le  saint-siége.  (Voyez,  à  ce  sujet,  Alban  Butler,  Vies  des  Saints,  dernière 
note  sur  la  Vie  de  saint  Galdin,  archevêque  de  Milan,  18  avril,  tom.  m, 


SUR   LES    SOUVERAINS.  —  CHAPITRE   II.  465 

On  peut  juger,  d'après  ces  témoignages,  avec  combien  peu 
de  fondement  Fleury  et  d'autres  écrivains  ont  avancé,  que  Fré- 
déric,  après  la  sentence  de  déposition  prononcée  contre  lui 
par  le  pape  Alexandre  III ,  était  constamment  reconnu  pour 
empereur 3  et  que  ses  sujets  catholiques,  même  ecclésiastiques, 
ne  lui  obéissaient  pas  moins  qu'auparavant  (l). 

A  l'appui  de  tous  les  faits  que  nous  venons  de  rapporter,  nous       ,l8-  . 

,  *  *  La  persuasion 

remarquerons  encore,  que  la  persuasion  générale  des  princes  et  générale 
des  peuples,  au  moyen  âge,  sur  les  effets  temporels  de  l'hérésie  Teèonmfe *  ' 
et  de  l'excommunication,  par  rapport  aux  souverains,  est  exprès-  par  Bos5uet* 
sèment  reconnue  par  les  auteurs  modernes,  même  les  moins  fa- 
vorables à  cet  ancien  usage.  Bossuet,  en  particulier,  comme  on 
l'a  vu  plus  haut,  avoue  que,  dès  le  temps  de  Grégoire  VII,  la  per- 
suasion générale  des  hommes  pieux  et  éclairés  attachait  à  l'ex- 
communication la  perte  de  toute  dignité,  même  temporelle  (2). 
Ailleurs,  le  même  prélat  ne  fait  pas  difficulté  de  reconnaître  que, 
dans  ces  anciens  temps ,  l'Église  a  souvent  agi  d'après  ce  prin- 
cipe, du  consentement  et  par  la  concession  des  princes  eux- 
mêmes.  C'est  ainsi  qu'il  explique  en  particulier  la  peine  de  dé- 
position ,  et  les  autres  peines  temporelles ,  décernées  contre  les 
princes  hérétiques,  dans  le  troisième  et  le  quatrième  concile  de 
Latran  :  «  Toutes  ces  dépositions,  dit-il,  ne  se  faisaient  point  en 
«  vertu  du  pouvoir  des  clefs,  mais  par  la  concession  des  princes, 
«  sans  laquelle  de  pareils  décrets  eussent  été  nuls  (3)...  Si  donc 

page  401.)  On  peut  conjecturer,  avec  assez  de  vraisemblance,  que  cette  anec- 
dote n'est  qu'une  application  maligne  ou  ingénieuse ,  faite  au  pape  Alexan- 
dre III,  de  la  conduite  de  Justinien  II  envers  Léonce  et  Tibère  Absimare, 
usurpateurs  de  l'empire,  qu'il  fil  étendre  par  terre  devant  son  siège,  et 
foula  lui-même  aux  pieds  dans  l'Hippodrome,  pendant  que  le  peuple  criait 
à  haute  voix  :  Tu  as  marché  sur  l'aspic  et  sur  le  basilic ,  et  tu  as  foulé 
aux  pieds  le  lion  et  le  dragon.  (Fleury,  Hist.  E celés.  ,  tom.  ix,  liv.  xli, 
n.  11.  —  Lebeau,  Hist.  du  Bas-Empire,  tom.  xni,liv.  lxii,  n.  33.)  Cette  oc- 
casion n'est  pas  la  seule,  où  Justinien  ait  fait  preuve  de  ce  caractère  cruel  et 
vindicatif,  qui  le  rendit  si  odieux  à  ses  sujets. 

(1)  Fleury,  Hist.  Ecoles.,  tom.  xv,  liv.  lxxiii,  n.  60.  —  Bossuet,  De/ensio 
Declar.,  lib.  m,  cap.  19. 

(').)  Voyez  ce  témoignage  de  Bossuet,  ci-dessus,  n.  100,  pag.  444. 

(3)  «  Ergo  hœc  demonstravimus  ; .  ..  .  quae  a  sacris  conciliisœcumenicis, 
«  circa  temporalia,  décréta  sint,  numquam  auctoritate  clavium  facta  esse; 
«numquam  adscriptum  eâ  auctoritate  fieri;  imô  explicatum  fieri,  mutuatâ 
«  a  regibus  potestate  ;  neque  umquam  ea  décréta,  nisi  consensu  principum, 
v.  valuisse.  »  {De/ensio  Declar. ,  lib.  iv,  cap.  17,  n.  13,  tom.  xxxu,pag.  71.) 

30 


466  DEUXIÈME  PARTIE.  —  POUVOIR  DU   PAPE 

«  plusieurs  princes  reconnaissaient  alors  ;  qu'ils  pouvaient  être 
«  déposés  par  l'Église  (pour  les  crimes  d'hérésie  et  d'apostasie), 
«  ce  n'est  pas  qu'ils  reconnussent  dans  les  évoques  aucun  pou- 
«  voir  de  régler  les  choses  temporelles  ;  mais  ces  princes  pous- 
«  saient  la  haine  de  l'hérésie,  jusqu'à  se  soumettre  volontiers  aux 
«  peines  les  plus  rigoureuses,  s'ils  étaient  assez  malheureux  pour 
«  s'en  laisser  infecter  (l).  » 
,i9.  L'abbé  Fleury,  étroitement  lié  avec  Bossuet,  n'est  pas  moins 

Fi^ryTsur  le  connu  quelui,  pour  son  opposition  aux  maximes  nltramontaines, 
même  sujet.  et  p0ur  ja  sévérité  avec  laquelle  il  blâme ,  dans  plusieurs  de  ses 
ouvrages,  la  conduite  des  contiles  et  des  souverains  pontifes  qui 
ont  autrefois  déposé  des  princes  temporels.  Toutefois,  dans  les 
endroits  mêmes  où  il  s'exprime  sur  ce  sujet  avec  plus  de  rigueur, 
il  reconnaît  expressément,  que  les  maximes  sur  lesquelles  se 
fondaient  les  papes  et  les  conciles  qui  exerçaient  de  si  grands 
actes  d'autorité ,  étaient  alors  généralement  reconnues  par  les 
souverains  eux-mêmes.  «  Depuis  que  les  évêques,  dit-il,  se  vi- 
ce rent  seigneurs ,  et  admis  en  part  du  gouvernement  des  États , 
«ils  crurent  avoir  comme  évêques,  ce  qu'ils  ri  avaient  que 
«  comme  seigneurs;  ils  prétendirent  juger  les  rois,  non-seule- 
«  ment  dans  le  tribuual  de  la  pénitence,  mais  dans  les  conciles  ; 
«  et  les  rois,  peu  instruits  de  leurs  droits ,  rien  disconvenaient 
«  pas  (2)...  Cette  opinion,  que  les  évêques  pouvaient  déposer  les 
«  rois,  fit  un  tel  progrès  (pendant  le  vme  et  le  ixe  siècle),  que 
«  les  rois  eux-mêmes  en  convenaient ,  comme  il  paraît  par  la 
«  requête  de  Charles  le  Chauve,  présentée  au  concile  de  Savo- 
«  nières,  en  859,  contre  Venilon,  archevêque  de  Sens  (3).  »  On 


C'est  principalement  dans  ce  quatrième  livre,  que  Bossuet  discute  et  expli- 
que les  décrets  dont  nous  parlons  ici.  On  peut  consulter  aussi  là-dessus  l'ou- 
vrage intitulé  :  Essai  historique  et  critique  sur  la  suprématie  temporelle 
du  Pape  et  de  l'Église,  par  M.  l'abbé  At'fre,  vicaire  général  du  diocèse  d'A- 
miens. (Paris,  1829,  in-8°.)  L'auteur  adopte  pleinement  cette  explication  de 
Bossuet,  et  la  confirme  par  de  nouvelles  observations.  Voyez,  en  particulier, 
les  chapitres  16,  17,  18,  etc. 

(1)  «  Quod  ergo  quidam  forte  principes  se  propter  eas  causas  (hseresis  at- 
«  que  apostasiae)  deponi  posse  concesserint ,  id  non  oritur  ex  ullà  potestate 
«  quam  in  pontificibus  agnoscant  ad  ordinanda  temporalia;  sed  quod  haere- 
«  si  m  detestati,  omnia  in  se  ultro  permittant ,  si  eà  se  peste  infici  sinant.  » 
Defensio  Declar.,  lib.  iv,  cap.  18.  ,  pag.  73. 

(2)  Fleury,  Hist.  Ecclés.,  tom.  xiiï,  3e  Discours,  n.  10. 

(3)  Ibid.,  tom.  xix,  7e  Discours,  n.  5. 


SUR  LES   SOUVERAINS.  — CHAPITRE  II.  467 

voit  que,  de  l'aven  de  Fleury,  les  évoques  avaient  alors,  sinon 
comme  évêques ,  du  moins  comme  seigneurs,  le  pouvoir  de 
déposer  les  rois,  et  que  ceux-ci  n'en  disconvenaient  pas. 
Fleury  suppose,  il  est  vrai,  qu'en  cela  les  souverains  étaient  peu 
instruits  de  leurs  droits  ;  niais  il  semble  étonnant  que  Fleury 
attribue  ainsi  à  tous  les  souverains,  pendant  plusieurs  siècles, 
une  si  grande  ignorance  de  leurs  droits  ;  et  nous  verrons  bien- 
tôt combien  ce  reproche  est  peu  fondé  (l). 

Le  môme  auteur  convient  qu'au  temps  de  Grégoire  VII,  les 
maximes  qui  attachaient  à  l'excommunication  la  perte  des 
droits  civils ,  étaient  universellement  reconnues  ;  tellement  que 
les  défenseurs  du  roi  Henri  se  retranchaient  à  dire  qu'un 
souverain  ne  pouvait  être  excommunié  ;  assertion  tout  à  fait 
insoutenable,  comme  Fleury  le  reconnaît  au  même  endroit. 
«  Plus  de  deux  cents  ans  avant  Grégoire  Vil,  dit-il ,  les  papes 
«  avaient  commencé  à  régler  par  autorité  les  droits  des  cou- 
«  ronnes  (2).  Grégoire  VII  suivit  ces  nouvelles  maximes ,  et  les 
«  poussa  encore  plus  loin  (3) ,  prétendant  ouvertement  que , 
«  comme  pape ,  il  était  en  droit  de  déposer  les  souverains  rebel- 
«  les  à  l'Église.  Il  fonda  cette  prétention  principalement  sur 
«  l'excom-munication.  On  doit  éviter  les  excommuniés,  n'avoir 
«  aucun  commerce  avec  eux,  ne  pas  leur  parler,  ne  pas  même 
«  leur  dire  bonjour,  suivant  l'apôtre  saint  Jean.  Donc  un  prince 
«  excommunié  doit  être  abandonné  de  tout  le  monde  ;  il  n'est 
«  plus  permis  de  lui  obéir,  de  recevoir  ses  ordres,  de  l'appro- 
«  cher;  il  est  exclu  de  toute  société  avec  les  chrétiens...  Il  faut 
«  avouer  qu'on  était  alors  tellement  prévenu  de  ces  maximes, 
«  que  les  défenseurs  du  roi  Henri  se  retranchaient  à  dire 
«  qu'un  souverain  ne  pouvait  être  excommunié  ;  mais  il  était 


(1)  Ci-après,  chap.  3,  art.  2. 

(2)  Fleury  fait  principalement  allusion  ici,  à  ce  qu'il  a  dit  précédemment 
(n°  10  du  même  Discours)  de  la  conduite  du  pape  Adrien  II  envers  Charles 
le  Chauve,  qui  s'était  emparé  du  royaume  de  Lothaire,  au  détriment  de 
l'empereur  Louis  II,  fils  de  Lothaire.  Nous  avons  indiqué  ailleurs  les  raisons 
qui  expliquent  la  conduite  du  Pape,  en  cette  occasion.  Voyez  plus  haut, 
chap.  1,  art.  1,  n.  30  et  31. 

(3)  La  suite  de  cet  ouvrage  montrera  clairement,  que  Grégoire  VII  ne 
poussa  pas  plus  loin  que  ses  prédécesseurs,  les  maximes  dont  il  s'agit  ;  il 
se  contenta  d'en  faire  une  application  plus  rigoureuse,  parcejqu'il  y  fut  obligé 
à  raison  des  circonstances.     .    i 

30. 


Liii£ard. 


468  DEUXIÈME   PARTIE.  —  POUVOIR  DU  PAPE 

«  facile  à  Grégoire  VII  de  montrer  que  la  puissance  de  lier  et 
«  de  délier  a  été  donnée  aux  apôtres  généralement ,  sans  ex- 
«  ception  de  personnes ,  et  comprend  les  princes  comme  les 
«  autres  (1).  » 
120.  Le  docteur  Lingard  adopte  au  fond  la  même  opinion,  dans 

e" doctear  "  son  Histoire  d'Angleterre,  où  il  croit  pouvoir  expliquer  la  con- 
duite des  papes  du  moyen  âge,  à  l'égard  des  souverains,  par  les 
principes  alors  généralement  admis,  sur  la  subordination  de  la 
puissance  temporelle  envers  la  spirituelle;  principes  qui  étaient, 
selon  lui,  le  résultat  de  la  combinaison  des  idées  religieuses  avec 
la  jurisprudence  féodale.  «Le  lecteur,  dit-il,  a  vu  qu'Innocent  III 
«  appuyait  ses  prétentions  temporelles,  sur  le  droit  qu'il  avait  de 
«  prononcer,  quand  il  s'agissait  du  péché,  et  de  l'obligation  qui 
«  résulte  du  serment  (2).  Cette  doctrine,  quelque  contraire  qu'elle 
«  pût  être  à  l'indépendance  des  souverains,  fut  souvent  admise 
«par  les  souverains  eux-mêmes.  Ainsi,  quand  Richard  Ier  fut 
«  réduit  en  captivité  par  l'empereur  (d'Allemagne,  Henri  VI,  en 
«  1192),  sa  mère  Éléonore  sollicita,  à  plusieurs  reprises,  le  pon- 
«  tife  de  procurer  la  liberté  de  son  fils ,  en  faisant  usage  de 
«  V autorité  qu [il  possédait  sur  tous  les  princes  temporels  (3). 
«  C'est  ainsi  que  Jean  sans  Terre  lui-même  invoqua  l'appui  de  la 
«  même  autorité,  pour  recouvrer  la  Normandie  envahie  par  le  roi 
«  de  France  (Philippe  Auguste).  Il  est  vrai  que,  dans  les  commen- 
«  céments,  les  papes  se  contentaient  de  faire  usage  des  censures 
«  spirituelles;  mais  à  une  époque  où  toutes  les  notions  de  justice 
«  étaient  formées  sur  le  modèle  de  la  jurisprudence  féodale,  il 
«fut  bientôt  reçu,  que  les  princes,  parleur  désobéissance,  de- 
«  venaient  traîtres  à  Dieu;  que  comme  traîtres  ils  encouraient 
«  la  privation  des  royaumes  et  des  fiefs  qu'ils  tenaient  de 
«  Dieu;  et  qu'il  appartenait  au  pontife,  vicaire  de  Jésus- Christ 
«  sur  la  terre,  de  prononcer  contre  eux  une  sentence  de  dépo- 
«  sition.  Par  ce  moyen,  le  serviteur  des  serviteurs  de  Dieu  de- 
«  vint  le  souverain  des  souverains,  et  s'attribua  le  droit  de  les 


(l)Fleury,  Hist.  Ecclés.,  tom.  xui,  3e  Discours,  n.  18. 

(2)  L'auteur  fait  ici  allusion  à  une  Décrétale  d'Innocent  III,  dont  nous 
parlerons  plus  bas,  chap.  3,  art.  1,  n.  208,  etc. 

(3)  On  a  vu  plus  haut  (n.  106,  pag.  451,  etc.)  quelques  détails  sur  ce  fait 
important. 


121. 


SUR  LES    SOUVERAINS.  — CHAPITRE   II.  469 

«  juger  à  son  tribunal,  et  de  transférer  leurs  couronnes  quand  il 
«  le  jugeait  convenable  (l).  » 

Michaud,  dans  Y  Histoire  des  Croisades,  regarde  comme  un 
fait  incontestable,  que  les  maximes  sur  lesquelles  Grégoire  Vïï  JE**, 
et  ses  successeurs  se  fondaient ,  étaient  généralement  reconnues 
longtemps  avant  ce  pontife,  non-seulement  par  les  simples  par- 
ticuliers, mais  par  les  souverains  eux-mêmes,  quelque  in- 
térêt qu'ils  eussent  à  les  contester.  «  Il  faut  avouer,  dit-il ,  que 
«  les  prétentions  des  papes,  à  cet  égard,  furent  favorisées  par 
«  les  opinions  contemporaines.  On  se  plaignait  quelquefois  d'être 
«  jugé  injustement  au  tribunal  des  chefs  de  l'Église  ;  mais  on 
«  ne  leur  contestait  guère  le  droit  de  juger  les  puissances  de 
«  la  chrétienté;  et  les  peuples  recevaient  presque  toujours  leurs 
«  jugements  sans  murmure  (2)....  Tout  le  monde  sait  que  l'au- 
«  torité  des  successeurs  de  saint  Pierre  avait  déjà  fait  d'immen- 
«  ses  progrès  avant  les  croisades  :  la  tête  des  plus  puissants  mo- 
«  narques  s'était  déjà  courbée  devant  les  foudres  du  Vatican;  et 
«  déjà  la  chrétienté;  semblait  avoir  adopté  cette  maxime  de 
«  Grégoire  VII,  que  le  Pape ,  en  qualité  de  vicaire  de  Jésus- 
«  Christ,  devait  être  supérieur  à  toute  puissance  humaine  (3).» 

On  trouve  de  semblables  aveux ,.  dans  un  des  écrivains  de  nos  Ia2. 
jours  qui  ont  le  plus  sévèrement  blâmé  la  conduite  des  papes  SFe^7nnd.de 
du  moyen  âge  envers  les  souverains.  «  Malheureusement,  dit 
«  cet  auteur,  presque  tous  les  souverains,  par  un  aveuglement 
«inconcevable,  travaillaient  eux-mêmes  à  accréditer,  dans 
«  V opinion  'publique ,  une  arme  qui  n'avait  et  ne  pouvait  avoir 
«  de  force  que  par  cette  opinion.  Quand  elle  attaquait  un  de 

(1)  Lingard, Hist.  d'Angleterre,  tom.  m,  année  1213 ,  page  40,  note.  — 
Au  lieu  de  ces  mots  :  s'attribua  le  droit,  la  traduction  de  M.  le  chevalier  de 
Roujoux ,  que  nous  avions  suivie  dans  la  première  édition  de  cet  ouvrage , 
porte,  s'arrogea  le  droit.  Nous  corrigeons  cette  traduction,  d'après  les  ob- 
servations du  docteur  Lingard  lui-même,  à  qui  nous  avons  envoyé  un  exem- 
plaire de  notre  première  édition ,  et  qui  nous  a  fait  remarquer,  que  le  mot 
anglais  dont  il  s'est  servi',  io  assume,  a  un  sens  beaucoup  plus  doux  que  le 
mot  to  arrogate;  le  premier  ne  supposant  ni  blâme  ni  approbation,  mais 
seulement  que  le  Pape  commença  à  exercer  le  droit  dont  il  est  ici 
question. 

(2)  Michaud,  Hist.  des  Croisades,  4e  édition,  tom.  iv,  pag.  163.  il  est  à 
remarquer  que  les  jugements  dont  il  s'agit,  n'étaient  jamais  contestés  par  ceux 
qui  n'avaient  aucun  intérêt  à  les  contester. 

(3)  Ibicl,  tom.  vi,  pag.  225. 


Lfibm'z 


470        DEUXIÈME  PARTIE. —  POUVOIR  DU  PAPE 

«  leurs  rivaux  et  de  leurs  ennemis,  non-seulement  ils  l'approu- 
«  vaient,  mais  ils  provoquaient  quelquefois  l'excommunication  ; 
«  et  en  se  chargeant  eux-mêmes  d'exécuter  la  sentence  qui  dé- 
«  pouillait  un  souverain  de  ses  États,  ils  soumettaient  les  leurs 
«  à  cette  juridiction  usurpée  (1).  » 
i?3j  II  serait  aisé  de  multiplier  les  témoignages  des  auteurs  catho- 

Aveux  reniai'-  <■•  •    .  •  1  . 

cibles  liques,  sur  ce  sujet  ;  mais  ce  que  nous  devons  surtout  remarquer, 
ll  [,ièliantsp,°  c'est  que  Ie  ^it  de  cette  persuasion  générale  est  également  re- 
connu par  des  écrivains  protestants,  qui  ne  font  pas  difficulté 
de  s'en  servir,  pour  expliquer  le  pouvoir  extraordinaire  que  les 
papesse  sont  attribué,  pendant  le  moyen  âge,  sur  le  temporel 
des  princes. 
,24.  Tel  est  en  particulier  le  sentiment  du  célèbre  Leibniz,  dont 

l'autorité  n'est  pas  moins  grande  en  histoire  et  en  jurisprudence, 
que  dans  les  sciences  mathématiques  et  philosophiques.  Ce  grand 
homme  reconnaît  expressément,  dans  plusieurs  de  ses  ouvrages, 
la  réalité  et  même  les  avantages  des  maximes  du  moyen  âge,  qui 
donnaient  au  souverain  pontife  une  si  grande  autorité  sur  les 
princes,  dans  l'ordre  temporel;  et  sans  approuver  indistinctement 
toutes  les  prétentions  des  papes  en  ce  genre,  il  reconnaît  du  moins 
que  leur  autorité  avait  alors  une  très -grande  étendue,  d'après 
l'usage  et  les  maximes  reconnues  des  souverains  eux-mêmes. 
«  Tl  faut  convenir,  dit-il  (2) ,  que  la  vigilance  des  papes  pour 
«l'observation  des  canons,  et  pour  le  maintien  de  la  discipline 
«ecclésiastique,  a  produit  de  temps  en  temps  de  très-bons  ef- 
«fets;  et  qu'en  agissant  à  temps  et  à  contre-temps  auprès  des 
«  rois,  soit  par  la  voie  des  remontrances  que  l'autorité  de  leur 
«  charge  les  mettait  en  droit  de  faire ,  soit  par  la  crainte  des 
«  censures  ecclésiastiques ,  ils  arrêtaient  beaucoup  de  désordres. 
«Rien  n'était  plus  commun  que  de  voir  les  rois,  dans  leurs 
«  traités,  se  soumettre  à  la  censure  et  à  la  correction  des  papes, 

(1)  Ferrand,  i?spn£  de  VHist. ,tom.  11,  lettre  41e,  pag.  413.  C'est  par  erreur 
que  ce  texte  a  été  attribué  à  Bolyngbroke,  dans  la  première  édition  de  ces 
Recherches  (n.  31,  pag.  62).  Il  ne  faut  pas  confondre  Y  Esprit  de  l'His- 
toire,  ou  Lettres  politiques  et  morales,  par  M.  Ferrand  (4  vol.  in-8°), 
avec  les  Lettres  sur  V Histoire,  par  le  vicomte  Bolyngbroke  (1752,  2  vol. 
in-8°). 

(2)  Leibniz,  Dissert.  \,de  Actorum  publicorum  usu.  (Oper.  t.  iv, p.  299.) 
Cette  dissertation  est  la  Préface  du  Codex  diplomaticus  Juris  gentiwn, 
publié  pour  la  première  fois  à  Hanovre,  1693,  in-fol. 


SUR  LES   SOUVERAINS.  —  CHAPITRE    II.  471 

ccomme  dans  le  traité  de  Bretigny  en  1360,  et  dans  le  traité 
«  d'Étaples  en  1492.  » 

Mais  c'est  principalement  dans  son  traité  De  Jure  suprema- 
tus, que  Leibniz  expose  ses  principes,  sur  cette  matière.  «  Il  est 
«constant,  dit-il,  que  plusieurs  princes  sont  feudataires  ou 
«vassaux  de  l'empire  romain,  ou  du  moins  de  l'Église  ro- 
umaine; qu'une  partie  des  rois  et  des  ducs  ont  été  créés  par 
«l'empereur  on  par  le  Pape;  et  que  les  autres  ne  sont  pas  sa- 
«  crés  rois ,  sans  faire  en  même  temps  hommage  à  Jésus-Christ , 
«à  l'Église  duquel  ils  promettent  fidélité,  lorsqu'ils  reçoivent 
«  l'onction  par  la  main  de  l'évêque  ;  et  c'est  ainsi  que  se  vérifie 
«  cette  formule  :  Christus  régnât ,  vincit,  imperat  (l) ,  puisque 
«  toutes  les  histoires  témoignent  que  la  plupart  des  peuples  de 
«l'Occident  se  sont  soumise  l'Église  avec  autant  d'empresse- 
«  ment  que  de  piété.  Je  n'examine  point  si  toutes  ces  choses  sont 
«  de  droit  divin.  Ce  qu'il  y  a  de  constant ,  c'est  qu'elles  ont  été 
«faites  avec  un  consentement  unanime ,  qu'elles  ont  très-bien 
«  pu  se  faire,  et  qu'elles  ne  sont  point  opposées  au  bien  de  la 
«  chrétienté  ;  car  souvent  le  salut  des  âmes  et  le  bien  public  sont 
«l'objet  du  même  soin...  (2).  Il  est  arrivé,  dit-il  un  peu  plus 
«  bas,  par  la  connexion  étroite  qu'ont  entre  elles  les  choses  sa- 
«  crées  et  les  profanes,  qu'o^  a  cru  que  le  Pape  avait  reçu 
«  quelque  autorité  sur  les  rois  eux-mêmes.  »  C'est  ce  que  Leib- 
niz, explique  en  cet  endroit  en  faisant  une  longue  énumération 
des  souverains,  qui,  selon  lui,  ont  été  autrefois  feudataires  de 
l'Église  romaine.  «  Je  ne  cherche  point  actuellement,  ajoute- 
«  t-il ,  par  quel  droit  ces  choses  se  sont  faites,  mais  quelle  a  été, 
«  dans  les  siècles  précédents,  Y  opinion  des  hommes  (3).  »  Il  va 


(1)  Ces  paroles,  qui  étaient  souvent  le  cri  de  guerre  des  soldats  chrétiens 
pendant  les  croisades ,  forment  la  légende  du  revers  de  toutes  les  monnaies 
d'or  frappées  en  France,  depuis  Louis  VI  ou  Louis  VII  jusqu'à  Louis  XVI. 
Voyez  Michaud ,  Hist.  des  Croisades,  tom.  h,  pag.  38.  — Paucton,  Métro- 
logie, cliap.  13,  pag.  685. 

(2)  Tract,  de  Jure  suprematus,  part.  3.  (Oper.  tom.  iv,  pag.  330.) 

(3)  De  Jure  suprematus,  ubisuprà,  pag.  401.  Leibniz  adopte  les  mêmes 
principes  dans  l'ouvrage  intitulé  iStjstema  Theologicum,  où  il  s'exprime 
ainsi  :  «  Etsi  chiistiani  principes  non  minus  Ecclesiae  obedientiam  debeant 
«  quàm  minimus  quisque  fnlelium  ;  tamen,  nisi  ipso  jure  regni  aliter  pro- 
«  visum  actumque  esse  constet ,  ecelesiastica  potestas  eô  extendenda  non 
«  est,  ut  snbditos  in  veros  dominos  armet.  »  Expos,  de  la  Doctrine  de 
Leibniz,  cit.  ;  Paris,  1819,  in-8°  ;  pag.  306. 


472  DEUXIÈBE   PARTIE.  —  POUVOIR   DU  PAPE 

encore  plus  loin  dans  une  lettre  à  M.  Grimaret,  où  il  regrette 
cet  ancien  usage,  dont  le  rétablissement,  selou  lui,  nous  ra- 
mènerait le  siècle  d'or.  «Je  serais  d'avis,  dit-il,  d'établir  à 
«Rome  môme  un  tribunal  (pour  juger  les  différends  entre  les 
«  princes) ,  et  d'en  faire  le  Pape  président;  comme  en  effet  il  fai- 
«  sait  autrefois  figure  de  juge  entre  les  princes  chrétiens.  Mais  il 
«  faudrait  en  môme  temps  que  les  ecclésiastiques  reprissent  leur 
«  ancienne  autorité ,  et  qu'un  interdit  et  une  excommunication 
«lissent  trembler  des  rois  et  des  royaumes,  comme  du  temps 
«de  Nicolas  1er  ou  de  Grégoire  Vil.  Voilà  des  projets  qui  réus- 
«  siront  aussi  aisément  que  celui  de  M.  l'abbé  de  Saint-Pierre  (1). 
«  Mais  puisqu'il  est  permis  de  faire  des  romans,  pourquoi  trou- 
«  verons-nous  mauvaise  la  fiction  qui  nous  ramènerait  le  siècle 
«d'or  (2)^  » 

,,5.  Un  auteur  protestant,  plus  récent  que  Leibniz,  et  qui  blâme 

rfeffei.  ^'ailleurs  ouvertement  la  conduite  des  papes  du  moyen  âge  en- 
vers les  souverains ,  convient  cependant  que  les  maximes  par 
lesquelles  Grégoire  VII  justifiait  sa  conduite  envers  l'empereur 
d'Allemagne,  c'est-à-dire,  les  maximes  qui  attachaient  à  l'ex- 
communication la  perte  des  droits  civils,  et  de  toute  dignité, 
même  temporelle,  étaient  généralement  reconnues,  même  des 
docteurs,  longtemps  avant  le  pontificat  de  Grégoire  VII;  d'où 
il  conclut  avec  raison ,  que  ce  pontife  ne  pouvait  agir  autre- 
ment  qu'il  ne  fit,  et  que  toutes  ses  démarches  étaient  une  suite 
nécessaire  des  principes  alors  universellement  admis  (3). 

i26.  Enfin,  la  persuasion  universelle  des  peuples  du  moyen  âge, 

voltaire.6    sur  ce  point -,  est  également  reconnue  par  un  des  ennemis  les 

plus  déclarés,  non-seulement  de  la  papauté,  mais  encore  de 

toute  religion.  «  Il  paraît,  dit  Voltaire,  dans  son  Essai  sur  les 

«mœurs,  que  des  princes  qui  avaient  le  droit  d'élire  l'empe- 


(1)  L'abbé  de  Saint-Pierre  venait  de  publier  son  Projet  pour  rendre  la 
paix  perpétuelle  en  Europe.  (1713  et  1716,  3  vol.  in-12.)  Il  proposait,  dans 
cet  ouvrage,  l'établissement  d'une  diète  européenne ,  pour  juger  les  diffé- 
rends qui  pourraient  s'élever  entre  les  princes. 

(2)  Deuxième  lettre  à  M.  Grimaret.  (  Œuvres  de  Leibniz  tom.  v, 
pag.  65.)  Voyez,  à  l'appui  de  cette  idée  de  Leibniz,  le  témoignage  de  M.  Hur- 
ter,  et  de  quelques  autres  écrivains  protestants,  que  nous  avons  cités  plus 
haut,  n.  19,  texte  et  notes. 

(3)  pfeffel,  Nouvel  Abrégé  d'histoire  d'Allemagne,  année  1106  ;  édition 
in-4°,  tom.  i,  pag.  228  et  229. 


SUR   LES   SOUVERAINS.— CHAPITRE   II.  473 

«reur,  avaient  aussi  le  droit  de  le  déposer;  mais  vouloir  faire 
«présider  le  Pape  à  ce  jugement,  c'était  le  reconnaître  pour 
«juge  naturel  de  l'empereur  et  de  l'empire  (l)....  Tout  prince, 
«ajoute-t-il  dans  la  suite  du  même  ouvrage,  tout  prince  qui 
«  voulait  usurper  ou  recouvrer  un  domaine,  s'adressait  au  Pape, 
«  comme  à  son  maître....  Aucun  nouveau  prince  n'osait  se  dire 
«  souverain ,  et  ne  pouvait  être  reconnu  des  autres  princes,  sans 
«  la  permission  du  Pape;  et  le  fondement  de  tonte  l'histoire  du 
«  moyen  âge,  est  toujours  que  les  papes  se  croient  seigneurs  su- 
«zerains  de  tous  les  États,  sans  en  excepter  aucun  (2).»  Les 
malignes  exagérations  de  Voltaire,  en  cet  endroit ,  n'empêchent 
pas  qu'il  ne  reconnaisse  formellement  la  persuasion  universelle 
des  princes  et  des  peuples,  qui  attribuaient  alors  au  Pape  un 
si  grand  pouvoir  temporel  sur  tous  les  États  de  l'Europe,  et 
particulièrement  sur  l'empire. 

ARTICLE  II. 

Preuves  particulières  de  cette  persuasion ,  par  rapport  à  la  France. 

Indépendamment  des  faits  qui  établissent  la  persuasion  gêné-  I4J3J'Mg- 
raie  des  princes  et  des  peuples  catholiques  de  l'Europe,  au  rejealsqa"°tbl* 
moyen  âge,  sur  les  effets  temporels  de  Thérésie  et  de  l'excom-  Grégoire,  sur 
munication,  par  rapport  aux  souverains,  l'histoire  de  France 
en  particulier  fournit  des  preuves  évidentes  de  la  persuasion  qui 
subordonnait,  en  certains  cas,  dans  ce  royaume,  le  pouvoir  du 
souverain  à  l'autorité  du  Pape  ou  du  concile.  On  peut  même 
avancer  avec  confiance,  que  le  royaume  des  Francs  est,  de  tous 
les  États  de  l'Europe,  celui  qui  nous  offre  les  plus  anciens  ves- 
tiges de  cette  persuasion. 

Saint  Grégoire  le  Grand,  vers  la  fin  du  vie  siècle,  accordant 
certains  privilèges  aux  monastères  et  à  l'hôpital  d'Autun ,  déclare 
déchus  de  leurs  dignités  tous  les  laïques,  même  les  rois  et  autres 
seigneurs,  qui  oseraient  violer  ces  privilèges  (3).  «  Si  quelqu'un, 

(1)  Voltaire,  Essai  sur  les  Mœurs,  tom.  h,  chap.  46. 

(2)  Ibid.,  tom.  m,  chap.  64. 

(3)  S.  Greg.  Epist.  lib.  xm,  Epist.  8,9  et  10.  (Operum  tom.  il)  — 
Fleury,  Histoire  Ecclés.,  tom.  vin,  liv.  xxxvi,  n.  43.  —  Hist.  de  V Église 


474  DEUXIÈME  PARTIE.  —  POUVOIR  DU   PAPE 

«  dit-il,  roi,  évêque,  juge,  ou  autre  personne  séculière,  ayant 
«connaissance  de  cette  constitution,  ose  y  donner  atteinte, 
«  qu'il  soit  privé  du  pouvoir  et  de  l'honneur  attachés  à  sa 
«  dignité,  et  qu'il  s'attende  à  répondre  de  son  crime  au  juge- 
«ment  de  Dieu(l).  » 
i»i.  La  difficulté  de  concilier  ce  langage  avec  la  doctrine  de  l'an- 

A"  deceClte  tiquité,  et  avec  les  principes  de  saint  Grégoire  lui-même,  sur  la 
tcnoiguage.  distinction  et  l'indépendance  mutuelle  des  deux  puissances,  a 
fait  soupçonner  à  plusieurs  critiques  modernes,  que  cette  clause 
avait  été  ajoutée  à  ses  lettres  par  un  faussaire  (2).  Mais  cette 
opinion  est  clairement  réfutée  par  l'autorité  des  manuscrits, 
même  les  plus  anciens,  et  par  plusieurs  autres  témoignages  au- 
thentiques, selon  la  remarque  des  savants  éditeurs  des  Œuvres 
de  saint  Grégoire  (3).  Aussi,  un  judicieux  critique  du  dernier 
siècle  ne  craint  pas  de  dire,  que  les  privilèges  dont  il  s'agit,  tels 
qu'ils  sont  rapportés  dans  les  lettres  de  saint  Grégoire,  doivent 
paraître  incontestables  à  toute  personne  non  prévenue  (4). 

En  supposant  l'authenticité  de  la  clause  dont  il  s'agit,  quel- 
ques auteurs  ont  cru  lever  la  difficulté  qu'elle  présente,  en  sou- 
pvoposées  par  tenant  que  cette  clause  n'était  pas  proprement  un  décret  ou 

les  critiques.  7 

une  menace  de  déposition  contre  les  infracteurs ,  mais  une 
formule  purement  imprécatoire ,  pour  les  menacer  de  la  ven- 
geance divine,  même  en  ce  monde  (5).  Mais  cette  explication 
paraît  tout  à  fait  contraire  au  texte  de  saint  Grégoire,  dont  les 
paroles,  prises  dans  leur  sens  naturel,  n'expriment  pas  une  for- 
mule purement  imprécatoire  y  mais  une  déclaration  absolue  : 

Gallicane,  tom.  m,  année  602,  pag.  356.  —  Bossuet,  Defensio  Declar., 
lib.  ii,  cap.  9. 

(1)  «  Si  quis  regwm ,  sacerdotum ,  judicum ,  personarumque  saecularium , 
«  hanc  constitutioiris  nostrse  paginam  agnoscens,  contra  eam  venire  tenta- 
«  verit,  potestatis ,  honorisque  sui  dignitate  careat  ,  reumque  se  divino 
«  judicio  existere  de  perpetratâ  iniquitate  cognoscat.  »  S.  Greg.,  ubi  sUprà, 
Epist.  8,  9  et  10. 

(2)  Cette  opinion  est  adoptée  par  le  P.  Maimbourg,  Hist.  du  pontificat  de 
saint  Grégoire,  pag,  290.  —  Lebeau,  Hist.  du  Bas  -  Empire ,  tom,  xi, 
liv.  xlix,  n.  50. 

(3)  Voyez  la  note  b  des  éditeurs,  sur  la  8e  lettre  déjà  citée. 

(4)  D.  Ceillier,  Hist.  des  Auteurs  ecclés.,  tom.  xvn,  pag.  317. 

(5.)  D.  Ceillier,  Hist.  des  Auteurs  ecclés.,  ubi  suprà.  —  Mabillon,  De  re 
Diplom.,  lib.  n,  cap.  9.  —  Bossuet,  Defensio  Declar.,  lib.  n,  cap. 9.— Noël 
Alexandre,  2e  Dissert,  sur  l'Histoire  Ecclés.  du  xie  siècle,  art.  10, 
5e  alinéa. 


"9- 
Diverses  ex 
plications , 


SUR   LES  SOUVERAINS.  —  CHAPITRE  II.  475 

Qu'il  s'attende,  dit  le  Pape,  à  répondre  de  son  crime  au  ju- 
gement de  Dieu. 

Pour  lever  entièrement  la  difficulté ,  les  éditeurs  des  Œuvres 
de  saint  Grégoire  observent,  d'après  ses  lettres  mêmes,  que  les 
privilèges  dont  il  s'agit  jurent  accordés  à  la  demande  de  la 
reine  Brunehaut ,  et  que  tout  y  fut  réglé  conformément  à  ses 
désirs.  «  On  ne  peut  douter,  disent-ils  (l) ,  que  saint  Grégoire, 
«  s'il  eût  suivi  sa  propre  inclination  et  sa  douceur  naturelle,  ne 
«  se  fût  abstenu  d'une  clause  si  sévère  ;  mais  il  ne  pouvait  la  re- 
«  fuser  à  la  reine,  qui  voulait  intimider,  par  ce  moyen,  les  vio- 
«lateurs  de  l'acte  dont  il  s'agit.  C'est  ainsi  que  les  Pères  du 
«quatrième  concile  d'Orléans  (en  541),  à  la  demande  du  roi 
«Childebert,  défendent  à  toute  sorte  de  personnes,  de  quel- 
«  ques  condition  et  dignité  quelles  soient,  de  toucher  aux  biens 
«  de  l'hôpital  de  Lyon,  sous  peine  d'être  frappées  d'anathème 
«  irrévocable ,  comme  meurtriers  des  pauvres  (2).  » 

On  sera  frappé  de  la  justesse  de  ces  réflexions ,  pour  peu  qu'on 
lise  attentivement  les  lettres  que  saint  Grégoire  écrivit  à  la  reine 
Brunehaut,  et  à  Théodoric,  son  petit- fils,  en  leur  adressant  les 
privilèges  dont  nous  parlons.  «  Afin  de  participer,  en  quelque 
«  manière,  à  vos  bonnes  œuvres,  leur  dit-il,  nous  avons  accordé 
«  auxdits  lieux  les  privilèges,  tels  que  vous  les  désiriez,  pour 
«  le  repos  et  la  sûreté  des  habitants  ;  et  nous  n'avons  pas  voulu 
«différer  d'un  seul  instant,  à  satisfaire  les  louables  désirs  de 
«  Votre  Excellence  (3).  » 

Il  résulte  clairement  de  ces  observations ,  que ,  dès  le  temps       i3o. 
de  saint  Grégoire,  les  princes  français  consentaient  à  se  laisser    levée,  pr 
déposer,  en  certains  cas ,  par  l'autorité  du  Pape.  Une  pareille  Xemih\%T 
concession  peut  sans  doute  paraître  aujourd'hui  extraordinaire;  *riD™ï  f 
mais  il  est  certain,  et  reconnu  même  des  auteurs  les  plus  oppo-  décreui 

7  .  Grès 

ses  aux  maximes  du  moyen  âge  sur  ce  point,  que  l'histoire  de 
cette  période  offre  bien  d'autres  exemples  de  semblables  con- 


(1)  Note  b  sur  la  lettre  huitième. 

(2)  Concil.  Aurelian.  armi  541,  can.  15. 

(3)  «Quâ  de  re,  ut  et  nos  bonis  vestris  in  aliquo  participes  haberemur, 
«  privilégia  locis  ipsis,  pro  quiète  et  munitione  illic  degentium,  slcut  vo- 
«  ïuistis,  indulsimus ,  nec  Excellentiœ  Vestrœ  amplectenda  nobis  de~ 
«.  siderïa ,  vel  ad  modicum  differre  pertulimus.  »  S.  Greg.  Epist.  lib.  xm, 
«  p.  6  et  7. 


aïs  au 
le  saint 
oire. 


476  DEUXIÈME  PARTIE. — POUVOIR  DU   PAPE 

cessions.  On  a  vu  plus  haut(l),  que  Bossuet,  Fleury,  et  la  plu- 
part des  canonistes,  surtout  en  France,  expliquent  ainsi  la  peine 
de  déposition ,  et  les  autres  peines  temporelles  décernées  contre 
les  princes  hérétiques,  dans  le  troisième  et  le  quatrième  con- 
cile de  Latran.  La  suite  de  ces  Recherches  nous  donnera  lieu 
de  citer  plusieurs  autres  exemples  de  semblables  concessions, 
particulièrement  en  France,  sous  la  seconde  race  de  nos  rois. 

Peut-être  pourrait-on  ajouter,  que  le  consentement  de  la  reine 
Brunehaut  et  des  princes  français  à  la  clause  dont  il  s'agit,  était 
alors  très- conforme  aux  coutumes  du  royaume,  aussi  bien  qu'à 
l'ancienne  législation  des  peuples  germaniques,  qui  déclarait 
déchus  de  leurs  dignités,  les  ducs  ou  les  seigneurs  violateurs 
des  décrets  du  roi  (2).  Il  est  vrai  que  cette  disposition ,  telle 
qu'on  la  voit  aujourd'hui  dans  les  anciennes  lois  des  Francs,  ne 
regarde,  par  elle-même,  que  les  seigneurs  inférieurs  au  roi; 
mais  il  y  a  tout  lieu  de  croire ,  que  le  roi  lui-même  était  alors 
justiciable  de  l'assemblée  générale  de  la  nation,  et  encourait, 
en  cette  qualité,  la  peine  de  déposition,  par  la  violation  des  lois 
et  coutumes  de  l'État.  Il  est  du  moins  certain  que  cet  usage  était 
en  vigueur  sous  la  seconde  race  de  nos  rois,  et  que  l'histoire 
n'en  marque  point  l'origine  :  il  est  même  naturel  de  le  croire 
aussi  ancien  que  la  monarchie,  dans  le  sentiment  aujourd'hui 
généralement  admis ,  selon  lequel  la  couronne  de  France,  sous 
la  première  race  de  nos  rois,  comme  sous  la  seconde,  n'était 
pas  purement  héréditaire ,  mais  élective  parmi  les  princes  de 
la  famille  royale  (3). 
l3l.  Mais  quel  qu'ait  été ,  sur  ce  point ,  l'usage  de  la  France ,  sous 

UJ5ÏÏ3?M  ^a  Première  race  de  nos  rois,  il  est  certain  que,  sous  les  suc- 
ment  regardé  cesseurs  de  Charlemaene ,  le  monarque  était  généralement  re- 

comme  °        '  *  ° 

justiciable  du  gardé  comme  justiciable  du  concile,  qui  pouvait  déposer,  au 

concile,  .  x 

sousiadeuxiè-  nom  de  Dieu,  un  prince  indigne  du  trône,  comme  le  monarque 

(1)  Voyez  plus  haut,  n.  90, 119,  etc. 

(2)  «  Si  quis  autem  dux  de  provinciâ  illâ,  quem  rex  ordinaverit,  tam  au- 
«  dax  aut  contumax ,  aut  levitate  stimulatus,  seu  protervus  et  elatus  ,  vel 
«  superbus  atque  rebellis  fuerit,  qui  decretum  régis  contempserit,  donatu 
«  dignatis  ipsius  ducati  careat.  •»  Lex  Bajuvariorum ,  tit.  2,  n.  9.  (Ba- 
luze,  Capitulariumï.  1,  p.  104.)— Daniel,  Hist.  de  France,  1. 11,  année  643, 
p.  109.  —  Cette  loi,  rédigée  au  ve  siècle  par  Thierri,  roi  d'Austrasie,  fut 
plusieurs  fois  renouvelée  par  les  rois  Francs  de  la  première  race. 

(3)  Ci-dessus,  chap.  1,  art.  1,  n.  23-25. 


SUR  LES  SOUVERAINS.  —  CHAPITRE  II.         477 

peut  déposer  un  magistrat  indigne  de  son  emploi  (l).  L'histoire 
nous  montre  les  princes  eux-mêmes  prenant  alors  cette  opinion 
pour  base  de  leur  conduite  (2).  C'est  ce  qu'on  vit  en  particulier, 
pendant  les  funestes  divisions  qui  s'élevèrent  entre  les  enfants 
de  Louis  le  Débonnaire,  à  l'occasion  du  partage  de  ses  États  (3). 
Un  des  principaux  moyens  que  chacun  d'eux  employa  contre 
son  rival,  fut  de  le  faire  déposer  dans  un  concile.  C'est  ainsi 
que  Lothaire  fut  déposé,  en  842,  par  le  concile  d'Aix-la-Cha- 
pelle, assemblé  contre  lui  par  ses  deux  frères,  Charles  le 
Chauve,  roi  de  France,  et  Louis,  roi  de  Bavière.  Les  évêques 
de  ce  concile,  après  avoir  prononcé  contre  Lothaire  une  sen- 
tence de  déposition ,  déclarèrent  aux  princes  ses  frères,  qu'ils  ne 
leur  permettraient  point  de  se  mettre  en  possession  de  ses  États, 
à  moins  qu'ils  ne  promissent  de  se  conduire,  dans  leur  gouver- 
nement, selon  la  loi  et  les  ordres  de  Dieu.  Nous  le "promettons , 
répondirent  les  deux  rois;  alors  le  président  de  l'assemblée  leur 
dit  au  nom  de  tous  les  prélats  :  «  Recevez  le  royaume,  par  l'au- 

(1)  M.  l'abbé  Jager,  dans  son  Introduction  à  l'histoire  de  Grégoire  VII 
(p.  28),  croit  cet  usage  fondé  sur  un  Capitulaire  de  Charlemagne,  dont  nous 
avons  parlé  dans  le  chapitre  précédent  (p.  361),  qui  soumet  tous  les  sujets  de 
son  empire,  même  ses  propres  fils,  au  jugement  des  évêques,  en  tout  ce  qui 
concerne  les  causes  de  Dieu  et  les  intérêts  des  Églises.  Nous  ne  voyons 
rien,  dans  ce  Capitulaire ,  qui  autorise  à  le  regarder  comme  le  fondement 
de  l'usage  dont  ii  s'agit;  car:  1°  ce  Capitulaire  ne  soumet  les  sujets  de 
l'empire  au  jugement  des  évêques,  que  dans  les  matières  spirituelles  et 
ecclésiastiques ,  tandis  que,  sous  les  successeurs  de  Charlemagne,  le  roi 
était  regardé  comme  justiciable  du  concile,  en  [matière  même  temporelle. 
2°  Ce  Capitulaire  prive  de  leur  dignité  les  sujets  et  les  enfants  mêmes  du  roi 
qui  refusent  d'obéir  aux  évêques  ;  mais  il  n'étend  pas  celte  disposition  au  roi 
lui-même;  du  moins  on  ne  voit  rien  dans  ce  Capitulaire ,  qui  autorise  cette 
extension.  Nous  croyons  donc  qu'il  faut  chercher  un  autre  fondement  à  cet 
usage,  soit  qu'il  n'ait  été  introduit  que  depuis  Charlemagne,  soit  qu'il  re- 
monte à  une  époque  plus  ancienne ,  comme  on  peut  le  conclure,  avec  beau- 
coup de  vraisemblance,  des  réflexions  que  nous  venons  de  faire  sur  quelques 
lettres  de  saint  Grégoire. 

(2)  Fleury,  Hist.  Ecclés.,  t.  xm,  3e  Discours,  n.  10;  t.  xix,  7e  Discours, 
n.  5.  —  Hist.  de  VÉgl.  Gallic,  t.  xvn,  Discours  prélim.,  p.  xlvi.  —  Da- 
niel, Hist.  de  France ,  t.  n,  p.  335,  388 ,  393,  etc. ,  édition  du  P.  Grif/et. 
—  Velly  et  Garnier,  Hist.  de  France,  t.  n,  p.  60  et  81  ;  t.  xxi,  p.  189. — 
Moreau,  Discours  sur  l'Histoire  de  France,  1. 1,  p.  22-30.  —  Bossuet,  De- 
fens.  Declar. ,  lib.  h,  cap.  43.  — Montesquieu,  Esprit  des  Lois,  liv.  xxxi, 
chap.  23,  dernière  page. 

(3)  Nithard,  De  Dissensionibus  fdiorum  Ludovici  PU,  lib.  iv.  (Labbe, 
Concilior.  t.  vu,  p.  1782.)  —  Fleury,  Hist.  Ecclés. ,  t.  x,  liv.  xlviii,  n.  11  j 
liv.  xux,  n.  46.  —  Daniel,  ubi  suprà,  p.  335. 


me  race 
de  nos  rois. 


478  DEUXIÈME  PARTIE.  — POUVOIR  DU  PAPE 

«  torité  de  Dieu ,  et  gouvernez-le  selon  sa  divine  volonté  ;  nous 
«vous  en  avertissons,  nous  vous  y  exhortons,  nous  vous  le 
«  commandons  (J).  » 

Quelques  années  après ,  Charles  le  Chauve  ayant  été  déposé 
parles  intrigues  de  Venilon,  archevêque  de  Sens,  dans  le  con- 
cile d'Attigny  (en  857),  ne  trouva  pas  de  moyen  plus  efficace, 
pour  soutenir  ses  droits,  que  de  présenter  au  concile  de  Savon- 
nières  (en  859)  une  requête  contre  la  sentence  qui  l'avait  dé- 
pouillé de  ses  États.  Mais,  dans  cet  acte  même,  où  il  se  plaint 
hautement  de  l'injustice  de  la  sentence  portée  contre  lui  par 
Venilon,  il  reconnaît  expressément  la  compétence  du  tribunal. 
«  Personne,  dit-il,  n'a  pu  m'ôter  ma  consécration,  et  me  ren- 
te verser  du  trône,  au  moins  sans  l'avis  et  le  jugement  des  évê- 
«  ques,  par  le  ministère  desquels  j'ai  été  consacré  roi,  qui  sont 
«  appelés  les  trônes  de  Dieu,  sur  lesquels  Dieu  est  assis ,  et  par 
«lesquels  il  prononce  ses  jugements.  J'ai  toujours  été  disposé, 
«  et  je  le  suis  encore,  à  me  soumettre  à  leurs  corrections  pater- 
«  nelles,  et  aux  châtiments  qu'ils  voudraient  m'imposer  (2).  » 
i32.  Frappé  de  ces  exemples,  et  du  langage  uniforme  de  nos  an- 

e  sLa!t'es  ciens  auteurs  (3),  un  des  écrivains  modernes  qui  ont  le  mieux 
^nos'phS^  étudié,  et  traité  avec  plus  de  développement,  l'histoire  des  pre- 

(1)  «  Verumtamen  haudquaqnam  illis  hanc  licentiam  dedere  (regcndi 
«  regni),  donec  palam  illos  percontati  sunt,  utrum  illud  per  vestigia  fratris 
«  ejecti,  an  secundùm  Dei  voluntatem  regere  voluissent.  Respondentibus  au- 
«  tera,  in  quantum  nosse  ac  posse  Deus  illis  concederet,  secundùm  suam  vo- 
ce luntatem ,  se  et  suos  gubernare  et  regere  veile ,  aiunt  :  Et  auctoritate  di- 
«  vinâ,  ut  illud  suscipiatis ,  et  secundùm  Dei  voluntatem  illud  regatis , 
«  monemus,  hortamur  atque  prœcipimus.  »  Nithard,  ubi  suprà. 

(2)  «  A.  qua  consecratione ,  vel  regni  sublimitate ,  supplantari  vel  projici  à 
a  nullo  debueram,  saltem  sine  audientiâ  et  judicio  episcoporum,  quorum 
«  ministerio  in  regem  sum  consecratus,  et  qui  throni  Dei  sunt  dicti,  in 
«  quibus  Deus  sedet,  et  per  quos  sua  decernit  judicia  ;  quorum  paternis 
«  correptionibus  et  castigatoriis  judiciis  me  subdere  fui  paratus ,  et  in  prse- 
«  senti  sum  subditus.  »  Libellus  proclamationis  domini  Caroli  adversùs 
Venilonem,  n.  3.  (Labbe,  Conciliorum  t.  vin,  p.  679.)  — Daniel,  ubi 
suprà,  p.  393.  —  Bossuet,  ubi  suprà. 

(3)  On  peut  remarquer  encore ,  sur  ce  sujet ,  la  lettre  adressée  à  Charles 
le  Simple,  en  899,  par  Foulques  de  Reims,  pour  détourner  ce  prince  de  faire 
alliance  avec  les  Normands.  Le  prélat  parle,  dans  cette  lettre,  avec  un  ton 
d'autorité,  et  même  de  liberté,  qu'on  ne  peut  raisonnablement  expliquer, 
qu'en  supposant  le  prince  alors  justiciable  du  concile.  Voyez  Baronius, 
Annales,  tom.  x  ,  anno  898  ,  n.  1  et  1.  —  Fleury,  Hist.  Ecclés. ,  tom.  xi, 
liv.  liv,  n.  26.  —  Bossuet,  Defens.  Declar. ,  lib.  u,  cap.  25.  —  Histoire  de 
l'Égl.  Gall.f  tom.  vi,  p.  399. 


SUR  LES  SOUVERAINS.  —  CHAPITRE   II.  479 

miers  temps  de  la  monarchie  française,  résume  en  ces  termes  les  célèbres  huto. 

1  *  '  riens. 

principes  généralement  admis  sur  cette  matière ,  sous  la  se- 
conde race  de  nos  rois ,  et  même  au  commencement  de  la  troi- 
sième :  «Sous  la  seconde  race,  dit-il,  les  grands,  les  laïques 
«et  les  ecclésiastiques  partent  du  même  principe  ;  ils  sup- 
posent la  même  vérité,  mais  ils  en  abusent.  Le  roi,  disent  les 
«évèques,  n'a  d'autre  supérieur  que  Dieu:  il  est  le  magistrat 
«dépositaire  du  pouvoir  de  l'Éternel,  qui  seul  a  droit  de  lui 
«demander  compte  de  ses  actions;  mais  ce  juge  souverain  des 
«  rois  nous  a  établis  ses  vicaires  et  ses  représentants  ;  nous  com- 
«  posons  sa  cour,  comme  les  magistrats  qui  environnent  le  trône 
«  forment  la  cour  du  monarque  :  nous  avons  droit  de  juger  ce- 
«lui-ci,  au  nom  et  par  l'autorité  de  Dieu  même  ;  et  comme  il 
«destitue  ses  officiers,  sur  le  procès  qu'il  fait  instruire  contre 
«  eux ,  Dieu  dépose  également  le  prince  contre  lequel  nous  avons 
«prononcé,  dans  le  concile,  la  sentence  qui  le  déclare  indigne 
«du  trône (i).  » 
Il  est  vrai  que  cet  auteur,  et  quelques  autres,  tout  en  recon-  „   l33-  ., 

*  '  x  1  '  Comment  ils 

naissant  le  fait  de  la  persuasion  générale,  qui  regardait  alors  le     essayent 

1  °  J  ^  d  en  éluder  les 

roi  comme  justiciable  du  concile,  la  représentent  comme  une  conséquen- 
erreur,  introduite  et  propagée  par  la  politique  de  Pépin  et  de 
ses  successeurs ,  qui,  en  l'accréditant,  se  proposaient  de  rendre 
leur  autorité  plus  respectable  aux  yeux  des  peuples  (2).  Mais  en 
admettant  même  cette  supposition,  qu'en  pourrait-on  conclure 
contre  le  fait  de  la  persuasion  générale,  qui  est,  en  ce  moment, 
l'unique  objet  de  nos  recherches?  Il  ne  s'agit  point  ici  d'exa- 
miner l'origine  et  les  fondements  de  cette  persuasion;  nous 
réservons  cet  examen  au  chapitre  suivant;  il  nous  suffit,  en  ce 
moment,  de  montrer  que  les  papes  et  les  conciles  du  moyen 
âge ,  qui  se  sont  attribué  un  si  grand  pouvoir  sur  les  souverains, 
n'ont  l'ait  que  suivre  des  principes  alors  généralement  admis,  et 
reconnus  par  les  souverains  eux-mêmes. 
Toutefois,  pour  éclaircir,  en  passant,  le  fait  de  cette  persua- 

(1)  Moreau,«/)i  suprà,  p.  22-20. 

(2)  Mot-eau ,  ibid.  —  Fletiry,  Hist.  Ecclés. ,  t.  x,  liv.  xlix,  n.  46;  t.  xm, 
3e  Discours  ,  n.  10  ;  t.  xix ,  7e  Discours,  n.  5.  —  Daniel ,  Hist.  de  France, 
t.  n,  p.  335,  388,  393.  —  Garnier,  Hist.  de  France,  t.  xxi,  p.  189,  etc.  — 
Berthier,  Hist.  de  l'Égl.  Gall.,  tom.  xvii,  Discours  prétim.,  p.  xlv,  etc.  — 
SismonçU,  Hist.  des  Français,  t.  11,  p.  172,  etc. 


ces. 


480  DEUXIÈME   PARTIE.  —  POUVOIR   DU   PAPE 

sion  générale,  par  rapport  à  la  France  en  particulier,  il  ne  sera 
pas  inutile  d'examiner  ici  de  plus  près  l'assertion  des  auteurs  qui 
regardent  cette  persuasion  comme  une  erreur,  introduite  et 
propagée  en  France  par  la  politique  de  Pépin  et  de  ses  suc- 
cesseurs. Il  ne  faut  qu'un  peu  de  réflexion  pour  voir  combien 
cette  assertion  est  gratuite  et  invraisemblable. 
i34.  On  suppose,  en  premier  lieu,  que  la  persuasion  générale 

a  PdontSI°n  qui  regardait  alors  le  roi  comme  justiciable  du  concile,  était 
11  s  agpa" etait  une  erreur.  Mais  où  serait  ici  Y  erreur?  Serait-ce  dans  l'opinion 

u,,eerrcur*  ■  théologique  qui  attribue  à  l'Église  une  juridiction  au  moins 
indirecte  sur  les  choses  temporelles?  Nos  meilleurs  auteurs 
conviennent,  et  nous  montrerons  bientôt  avec  eux,  que  cette 
opinion  était  à  peine  connue  en  France ,  sous  les  premiers  rcis 
de  la  seconde  race,  et  que  le  principe  de  la  distinction  et  de 
l'indépendance  réciproque  des  deux  puissances  était  encore  uni- 
versellement reconnu  et  professé  à  cette  époque  (1).  Fera-t-on 
consister  Y  erreur  dans  la  fausse  politique,  qui  mettait  la  cou- 
ronne à  la  disposition  des  évêques?  Sans  doute  cette  politique 
eût  pu  être  fausse  en  d'autres  circonstances;  mais  l'était-elle 
dans  les  circonstances  où  se  trouvait  alors  la  société?  Dans  un 
temps  où  les  seigneurs  laïques  étaient,  pour  la  plupart,  si  am- 
bitieux et  si  remuants  ;  où  le  clergé  formait  le  premier  corps 
de  l'État,  et  occupait,  en  cette  qualité,  le  premier  rang  dans 
toutes  les  assemblées  politiques;  où  il  était,  de  tous  les  corps 
de  l'État ,  le  plus  éclairé,  le  plus  respecté,  le  plus  Adèle  au  roi; 
n'était-il  pas  naturel  que  les  souverains  s'efforçassent  d'accroître 
son  autorité,  pour  servir  de  contre-poids  à  celle  des  seigneurs 
laïques,  et  cherchassent,  dans  son  influence,  le  plus  ferme 
appui  qu'ils  pussent  donner  à  leur  trône?  L'erreur  des  souve- 
rains, sur  ce  point,  est  si  peu  évidente,  que  plusieurs  même 
des  auteurs  qui  attribuent  à  l'ignorance  du  moyen  âge  la  per- 
suasion générale  dont  nous  parlons ,  conviennent  que  cette  per- 
suasion a  été  très-avantageuse  à  la  société  (2).  Pour  ce  qui  re- 
garde la  France  en  particulier,  il  est  à  remarquer  que  la  plupart 
des  écrivains  qui  blâment  si  hautement  le  grand  pouvoir  des 
évêques,  sous  la  seconde  race  de  nos  rois,  ne  peuvent  s'empê- 


(1)  Ci-après,  chap.  m,  art.  1. 

(2)  Ci-après,  chap.  îv,  art.  2, 


î35. 


ses  succes- 
seurs. 


SUR   LES  SOUVERAINS.  —  CHAPITRE   II.  481 

cher  de  convenir  des  heureux  effets  qu'il  a  produits.  Le  P.  Ber- 
thier,  entre  autres,  après  avoir  représenté  ce  pouvoir  comme 
fondé  sur  une  erreur  et  une  prétention  insoutenable  du  clergé, 
ne  fait  pas  difficulté  de  reconnaître,  avec  l'abbé  Dubos,  «  que 
«  la  grande  puissance  des  ecclésiastiques,  fut  ce  qui  conserva 
«  la  monarchie ,  sous  les  derniers  rois  de  la  seconde  race.  Tandis 
*  que  les  seigneurs  laïques,  ajoute-t-il,  usurpaient  le  domaine 
«  delà  couronne,  les  évêques  et  les  abbés,  qui  voulaient,  après 
«  tout,  maintenir  la  constitution  de  l'État,  s'opposèrent,  en 
«  plusieurs  endroits,  à  ces  usurpations,  et  prirent  toujours  soin 
«  de  faire  reconnaître  un  maître  et  un  souverain  ;  ce  qui ,  peu  à 
«  peu,  rétablit  l'ordre,  et  fit  que  les  rois  de  la  troisième  race  re- 
«  couvrèrent ,  avec  le  temps ,  les  provinces ,  les  villes  et  droits 
«  dont  leurs  prédécesseurs  avaient  été  dépouillés  (l  ).  » 

On  suppose,  en  second  lieu,  que  l'opinion  générale,  qui  . 
rendait  alors  le  roi  justiciable  du  concile,  a  été  introduite  et     Pas  é{é 

introduite  par 

propagée  en  France  par  la  politique  de  Pépin  et  de  ses  suc-   ia  politique 

de  Pcpiii 

cesseurs.  Mais  rien  n'est  plus  gratuit  que  cette  supposition ,  et  et  de 
nous  ne  croyons  pas  qu'on  puisse  l'établir  par  un  seul  fait,  ou 
par  un  seul  témoignage  positif.  On  n'en  trouve  aucune  trace 
dans  l'histoire  de  Pépin  et  de  Charlemagne ;  et,  à  consulter 
les  monuments  de  l'histoire,  il  serait  difficile  de  décider  si  la 
persuasion  générale  dont  il  s'agit  fut  introduite  avant  la  mort 
de  Charlemagne,  ou  depuis  le  règne  de  ce  grand  prince;  si 
elle  fut  introduite  par  la  seule  autorité  du  monarque ,  ou  par 
l'autorité  de  quelque  assemblée  générale,  comme  on  l'avait  vu 
précédemment  en  Espagne  (2).  Aussi  les  auteurs  que  nous  com- 
battons sont-ils  très-peu  d'accord  entre  eux,  lorsqu'il  s'agit 
d'assigner  la  véritable  origine  de  cette  persuasion.  Les  uns  la 
supposent  introduite  par  Pépin  et  Charlemagne  (3)  ;  les  autres 
par  Charles  le  Chauve  (4)  ;  d'autres,  sous  Louis  le  Débonnaire, 


(1)  Berthier,  Hist.  de  V Église  Gall,  t.  xvn,  Discours prélim.,  p.  xlvj.  — 
Dubos,  Hist.  critique  de  la  Monarchie  française ,  t.  m,  p.  384  —Voyez, 
à  l'appui  de  ces  observations,  ce  qui  a  été  dit  plus  haut,  chap.  1,  art.  2. 

(2)  Il  est  certain  que ,  dès  le  vne  siècle ,  le  roi  d'Espagne  était  justiciable 
du  concile.  Voyez  ci-dessus,  chap.  1,  art.  1,  n.  29  ;  et  ci-après ,  chap.  m, 
art.  2,  n.  247. 

(3)  Moreau ,  ubi  suprà. 

(4)  Montesquieu,  Esprit  des  Lois,  liv.  xxxi,  chap.  23,  dernier  alinéa. 

31 


482  DEUXIÈME  PARTIE.  —  POUVOIR  DU  PAPE 

par  les  évêques  eux-mêmes,  dont  les  prétentions  furent  depuis 
favorisées  par  la  conduite  des  souverains  (i)  :  mais  nous  ne 
voyons  aucune  preuve,  à  l'appui  de  ces  différentes  suppositions. 
Prétendre,  comme  font  quelques-uns,  que  Pépin,  en  répandant 
cette  nouvelle  opinion ,  croyait  répare?'  le  vice  de  son  titre ,  et 
couvrir  la  tache  de  son  usurpation  (2) ,  c'est  établir  une  suppo- 
sition gratuite  en  elle-même,  par  une  autre  supposition  très- 
sujette  à  difficulté.  L'usurpation  de  Pépin  n'est  pas  un  fait  telle- 
ment incontestable,  qu'on  ne  puisse  la  révoquer  en  doute;  des 
auteurs  très-habiles  ont  même  combattu  l'hypothèse  de  cette 
usurpation,  par  des  raisons  qui  ne  sont  nullement  à  mépriser  (3). 

ARTICLE  III. 

Preuves  particulières  de  cette  persuasion ,  par  rapport  aux  souverains 
feudataires  du  saint-siège  (4). 


.36.  La  persuasion  générale  des  princes  et  des  peuples  attribuait 

au  souverain  pontife  un  pouvoir  beaucoup  plus  étendu ,  sur  les 


Droits  de  suze- 
raineté 

''     '    a  souverains  feudataires  du  saint -siège.  Il  était  généralement 


Pape    Sur        ÛUUTUam^  j^^iw,^     ww    „^v.vv    uvvyv.       «     ««"      fby 

pj£s"  recounu  <Iue  ^e  PaPe  avaiï  Ie  droit,  non-seulement  de  les 
juger  et  de  les  déposer  en  certains  cas,  mais  encore  de  dispo- 
poser  de  leurs  États  en  faveur  d'un  autre  prince  ;  et  les  sou- 
verains eux-mêmes  entretenaient  cette  persuasion  par  leur 
conduite.  L'histoire  du  moyen  âge  offre  un  grand  nombre 
de  faits  à  l'appui  de  cette  assertion  ;  nous  rappellerons  seu- 
lement ici  quelques-uns  des  plus  remarquables. 

\37-  Le  pape  Innocent  III  ayant  prononcé,  en  1211,  une  sen- 

'  teire?  tence  de  déposition  contre  Jean  sans  Terre,  roi  d'Angleterre, 
et  donné  son  royaume  à  Philippe  Auguste,  roi  de  France, 
celui-ci  ne  fit  pas  difficulté  d'accepter  cette  donation ,  et  se  dis- 
posa aussitôt  à  soutenir,  par  la  force  des  armes,  les  droits 
qu'il  tenait  uniquement  de  la  concession  du  Pape  (5). 

i38-  Les  droits  du  saint-siége  sur  la  Sicile  ne  furent  pas  moins 

Sur  la  Sicile.  °  A 

(1)  Daniel,  ubi  suprà,  p.  335,  354,  393,  et  alibi  passim. 

(2)  Moreau,  ubi  suprà,  p.  23.  —  Garnier,  Hist.  de  France ,  tom.  xxi, 
p.  189. 

(3)  Voyez  le  n.  7  des  Pièces  justificatives,  à  la  fin  de  ce  volume. 

(4)  Voyez,  dans  le  chapitre  précédent,  la  note  3  de  la  page  386. 

(5)  Fleury,  Hist.  Ecclés.,  t.  xvi,  liv.  lxxvif,  n.  5  et  23.  —  Daniel,  Hist. 
de  France,  t.  ni,  année  1211 Velly,  Hist.  de  France,  t.  m,  p.  468. 


SUR  LES   SOUVERAINS. — CHAPITRE  II.  483 

solennellement  reconnus  en  France,  sous  le  règne  de  saint 
Louis  (i).  Le  Pape  ayant  donné  le  royaume  de  Sicile  à  Char- 
les d'Anjou,  frère  du  saint  roi,  celui-ci,  pour  diverses  raisons 
politiques,  et  peut-être  aussi  par  délicatesse  de  conscience, 
parut  d'abord  craindre  de  donner  les  mains  à  cette  élection  ; 
cependant  il  y  consentit  enfin,  en  1265,  et  autorisa  même  la  le- 
vée d'un  décime  sur  le  clergé ,  pour  aider  le  comte  d'Anjou  à 
se  mettre  en  possession  du  trône  de  Sicile. 

Quelques  années  après  (en  1282),  Philippe  le  Hardi  se  montra       i39. 
beaucoup  plus  facile  à  condescendre  à  de  pareilles  offres  (2).  Le       eme°' 
pape  Martin  IV  ayant  excommunié  Pierre  ÏII ,  roi  d'Aragon ,    d  Aras°u* 
usurpateur  de  la  Sicile,  le  priva,  non-seulement  de  ce  dernier 
royaume,  mais  encore  de  l' Aragon,  qu'il  donna  à  Philippe  le 
Hardi,  pour  un  de  ses  fils.  Aussitôt  le  roi  de  France,  non  con- 
tent d'accepter  cette  donation,  se  mit  à  la  tête  d'une  armée,  pour 
faire  valoir  ses  droits. 

Enfin,  il  est  constant  que,  sous  Philippe  le  Bel,  celui  de  tous       t4o. 
nos  rois  qui  a  soutenu  avec  plus  d'éclat  l'indépendance  de  la  cou-  s"b|fqr„epa" 
ronne  de  France,  on  ne  contestait  point,  dans  ce  royaume,  les  <fc  Venise,  etc. 
droits  du  saint-siége  sur  plusieurs  autres  États  catholiques,  et 
particulièrement  sur  l'empire  (3).  Les  sentiments  de  Philippe  le 
Bel,  à  cet  égard,  étaient  si  bien  connus,  que,  dans  le  temps 
même  où  il  poursuivait  avec  plus  de  chaleur  la  mémoire  de  Bo- 
niface  VIII  (en  1311),  le  pape  Clément  V  ne  s'adressait  pas  à  lui 
avec  moins  de  confiance  qu'aux  autres  souverains  catholiques, 
pour  lui  demander  son  secours  contre  le  doge  et  la  république  de 
Venise,  dépouillés,  par  le  saint-siége,  de  leurs  droits  temporels, 
en  punition  de  leur  félonie  (4). 

(1)  Daniel,  Hist.  de  France,  t.  iv,  aunées  1264  et  1265.  Ce  fait  important 
est  reconnu  par  Velly,  Michaud,  et  plusieurs  autres  écrivains  d'ailleurs  très- 
peu  favorables  aux  prétentions  du  Pape  sur  la  Sicile.  Voyez  Velly,  Hist.  de 
France,  t.  v,  p.  328.  —  Michaud,  Hist.  des  Crois. ,  t.  v,  p.  42. 

(2)  Fleury,  Hist.  Ecclés. ,  t.  xvin  ,  liv.  lxxxviii,  n.  (0  et  19.  —  Daniel, 
Hist.  de  France,  tom.  iv,  année  1283.  —  Velly,  Hist.  de  France,  torn.  vi, 
p.  386,  etc. 

(3)  Daniel,  Hist.  de  France,  t.  v,  année  1303.  —  Velly,  Hist.  de  France, 
t.  vu ,  p.  207,  etc.  —  Hist.  de  l'Église  Gallic. ,  t.  xn ,  année  1302,  p.  325  , 
334,  etc.  —  Bossuet,  Def.  Declar.,  lib.  m,  cap.  24;  lib.  iv,  cap.  9,  vers  la 
lin. 

(4)  Fleury,  Hist.  Ecclés.,  t.  xix,  liv.  xci,  n.  33.  — Raynaldi  Annales , 
anno  1309,n.  7  et  8. 

31. 


484  DEUXIÈME  PARTIE.  —POUVOIR  DU  PAPE 

ARTICLE  IV. 

Preuves  particulières  de  cette  persuasion ,  par  rapport  à  l'empire 

d'Occident. 

141.  Indépendamment  du  pouvoir  attribué  au  saint-siége  sur  tous 
opinicm  gêné-  ^  souyerains  catholiques  de  l'Europe,  au  moyen  âge ,  la  per- 
sur  ïandctpen  suasion  générale  des  princes  et  des  peuples  attribuait  au  souve- 

particuiière  rajn  p0ntife  des  droits  particuliers  sur  l'empire  d'Occident ,  au 
rempire,  à  ré- moins  depuis  le  xe  siècle  (l).  On  regardait  alors  comme  une 
gpape.u  chose  constante,  que  l'empire  était,  du  moins  à  certains  égards, 
un  fief  du  saint-siége;  que  l'empereur  était  l'homme  du  Pape; 
que  les  électeurs  tenaient  du  saint-siége  le  pouvoir  de  choisir 
l 'empereur;  et  que  celui-ci  pouvait ,  en  certains  cas,  être  dé- 
posé par  le  Pape, 

142.  Pour  mettre  dans  tout  son  jour  la  persuasion  du  moyen  âge, 
Eni*empiiSeens  à  cet  égard ,  et  pour  éviter  toute  exagération  dans  une  matière 
ët"ommerdé  si  importante,  nous  remarquerons  d'abord  que  les  anciens  au- 
fiefdu  saint-  ^ems  qUj  ont  parlé  de  l'empire  comme  d'un  fief  du  saint-siége, 

ne  paraissent  pas  avoir  tous  entendu  ces  expressions  dans 
le  même  sens.  Plusieurs  paraissent  les  entendre  dans  le  sens 
d'un  fief  proprement  dit ,  c'est-à-dire  d'un  domaine  que  le 
propriétaire  ou  feudataire  tenait  de  la  cession  ou  de  l'in- 
vestiture d'un  seigneur  suzerain.  Mais  ce  n'est  pas  ainsi  que 
les  papes  et  les  empereurs  entendaient  la  dépendance  de  l'em- 
pire à  l'égard  du  saint-siége.  Dans  leur  sentiment ,  l'empereur 
ne  tenait  pas  proprement  du  Pape  le  domaine  ou  le  territoire 
de  l'empire,  mais  seulement  le  titre  d'empereur.  Son  do- 
maine, comme  celui  des  autres  souverains,  lui  venait  de  la  libre 
disposition  des  peuples  qui  l'avaient  choisi,  de  la  constitution 
de  l'État ,  ou  de  ses  justes  conquêtes.  Tout  le  droit  du  saint-siége 
sur  l'empire  se  réduisait  donc,  à  choisir  l'empereur  par  lui- 
même  ou  par  les  princes  électeurs,  à  lui  conférer  son  titre,  et  à 
juger  des  cas  où  il  devait  être  déposé.  Il  suffirait,  pour  établir 
cette  explication ,  de  remarquer  la  différence  qui  existait  entre 

(1)  Je  dis,  au  moins  depuis  le  xe  siècle  ;  parce  que  l'origine  de  ces  droits 
remonte ,  à  vrai  dire  ,  jusqu'au  temps  de  Charlemagne.  C'est  ce  qui  résulte 
clairement  de  plusieurs  documents  que  nous  aurons  occasion  de  citer,  soit 
dans  le  cours  de  ce  quatrième  article,  soit  dans  le  chapitre  suivant  (art.  2.) 


SUR  LES  SOUVERAINS.—  CHAPITRE  II.        485 

le  serment  de  fidélité  prêté  au  Pape  par  les  empereurs,  et 
celui  que  lui  prêtaient  les  princes  feudataires  du  saint-siége. 
Le  serment  de  ces  derniers  supposait  clairement  qu'ils  tenaient 
leurs  domaines,  de  la  cession  ou  de  l'investiture  du  Pape  ; 
tandis  que  le  serment  des  empereurs  supposait  seulement  l'obli- 
gation de  protéger  et  de  défendre  les  intérêts  du  saint-siége 
contre  ses  ennemis  (  1  ) . 

On  doit  corriger  ou  expliquer,  d'après  ces  observations,  les 
auteurs  du  moyen  âge  qui  ont  parlé  de  l'empire  comme  d'un  fief 
du  saint-siége.  Quelques-uns,  il  est  vrai,  faute  de  notions 
exactes  sur  ce  point,  ont  pu  entendre  ces  expressions,  dans  le 
sens  A\m  fief  proprement  dit;  mais  la  plupart  ne  prétendaient 
exprimer  par  ces  mots,  que  la  dépendance  particulière  de 
V  empire  à  regard  du  saint-siége  ;  dans  le  sens  où  nous  venons 
de  l'expliquer.  Dans  ce  temps,  où  l'on  n'avait  presque  pas  de 
notion  de  gouvernement  et  de  jurisprudence,  qui  ne  fût  dérivée 
du  sij  sterne  féodal ,  on  donnait  souvent  le  nom  de  fief  h  toute 
espèce  d'autorité  subordonnée  à  une  autre  (2). 

Ces  explications  étant  supposées ,  il  est  aisé  de  montrer  que 
la  dépendance  de  l'empire  à  l'égard  du  saint-siége ,  au  moins 
dans  le  sens  où  nous  venons  de  l'expliquer,  était  universelle- 
ment reconnue,  au  moins  depuis  le  xe  siècle  (3). 

Les  princes  saxons ,  de  concert  avec  plusieurs  autres  seigneurs       *&- 

*■  *■  ^  La  dcpen- 

allemands,  au  milieu  de  leurs  démêlés  avec  l'empereur  Henri  IV,       ?™<* 
s'adressent  au  Pape  comme  à  leur  unique  refuge ,  comme  à  e  vl™£T  a 
celui  qui  possède  la  principale  autorité,  pour  rétablir  l'ordre  du  connue  re~ 


H;  (l)'Nous  citerons  un  peu  plus  bas  les  propres  termes  de  ce  serment  (ci- 
après,  n.  156,  etc.).  On  verra ,  dans  le  chapitre  suivant  (art.  2 ,  n.  253),  le 
texte  du  serment  de  fidélité  prêté  au  Pape  par  Robert  Guiscard,  fondateur 
du  royaume  de  Naples,  en  1059. 

(2)  Ducange,  Glossar.  infimœ  Latin,  verbo,  Feudus —  Hallam ,  L'Eu- 
rope au  moyen  âge ,  t.  i ,  p.  225 ,  etc.  —  Lingard ,  Antiquités  de  V Église 
Anglo-Saxonne ,  p.  203.  —  Idem,  Histoire  d'Angleterre,  tom.  ni,  p.  40, 
152,  etc. 

(3)  On  trouve  plusieurs  faits  remarquables,  sur  ce  sujet,  recueillis  dans 
les  ouvrages  suivants:  Noël  Alexandre,  Dissert.  2  in  Hist.  Eccl.  sœculi  xi, 
art.  9,  versus  finem.  —  Chrét.  Loup,  Décréta  et  Canones ,  tom.  îv, 
p.  457,  etc.  —  Bossuet ,  Defens.  Declar. ,  lib.  iv,  cap.  9.  —  Jager,  Intro- 
duction à  V Histoire  de  Grégoire  VII,  p.  26 ,  etc Montagne ,  Appendix 

de  Conciliis,  p.  287,  ad  calcem  Prœlect.  theol.  de  Opère  sex  dierum, 
Parisiis,  1743,  in-12.  —  De  Maistre,  Du  Pape,  liv.  ii,  chap.  10,  p.  335,  etc. 


486  DEUXIÈME  PARTIE.  —  POUVOIR  DU  PAPE 

par  les  sei-   dans  l'empire,  troublé  par  les  excès  et  le  despotisme  de  Henri. 

allemands ,  Non  contents  de  supplier  le  Pape  de  consoler,  par  lui-même 
Gré«3ra  vu.  ou  Par  ses  ^9a^s  >  leur  malheureuse  nation  (1) ,  ils  lui  représen- 
tent que  «  V  empire  est  un  fief  de  la  ville  éternelle;....  qu'il  ne 
«  convient  pas  de  souffrir  sur  le  trône  un  si  méchant  prince;.... 
«  qu'il  est  à  propos  de  rendre  à  Rome  son  droit  d'établir  les 
«  rois;  qu'il  appartient  au  Pape  et  à  la  ville  de  Rome,  de  con- 
«  cert  avec  les  princes,  de  choisir  un  homme  digne,  par  sa  con- 
«  duite  et  sa  prudence,  d'un  rang  si  élevé  (2).  »  Ce  langage  des 
princes  allemands  suppose  évidemment,  selon  la  remarque  de 
Bossuet,  la  persuasion  générale  qui  attribuait  au  Pape  un  droit 
particulier  pour  le  choix  de  l'empereur,  et  même  le  droit  de  le 
déposer,  pour  l'infraction  des  conditions  apposées  à  son  élec- 
tion (3).  Aussi  est-il  également  certain  par  l'histoire,  que  les 
partisans  de  l'empereur,  et  l'empereur  lui-même,  ne  contes- 
taient point  ces  principes,  mais  se  bornaient  à  faire  au  Pape 
des  représentations  pour  l'adoucir,  et  pour  lui  faire  différer 
l'exécution  de  ses  projets  contre  Henri  (4). 
i44.  Plusieurs  écrivains  postérieurs  à  ces  funestes  démêlés,  four- 

nissent de  nouvelles  preuves  de  cette  persuasion  générale. 
Paul  Bernried,  qui  écrivit  la  vie  de  Grégoire  VII,  quelques 
années  après  la  mort  de  ce  pontife ,  a  soin  de  remarquer  que 
ses  défenseurs  justifiaient  sa  conduite  à  l'égard  de  Henri,  non- 
seulement  par  le  droit  alors  attribué  au  Pape  de  déposer 
les  rois,  en  certains  cas,  et  de  délier  leurs  sujets  du  serment 
de  fidélité ,  mais  encore  par  le  crime  dont  Henri  s'était  rendu 
coupable,  en  violant  les  conditions  mises  à  son  élection,  et  la 
promesse  faite  à  ses  électeurs  de  les  gouverner  avec  justice  (5). 

(1)  «  Quibus  ut,  vel  per  se,  vel  per  nuntium,  genti  penè  perditae  consola- 
«  tor  adesset ,  suppliciter  oraverunt.  »  Bruno,  De  bello  Saxonico.  (Scrip- 
fores  rerum  Germanie.,  1. 1,  p.  133.)  —  Voigt,  Hist.  de  Grégoire  VII, 
liv.  îx,  p.  405. 

(2)  Nous  avons  cité  plus  haut  (art.  1,  n.  93,  p.  434  )  le  texte  même  des 
anciens  auteurs  sur  ce  sujet. 

(3)  «  Quse  profectô  ostendunt,  his  jam  temporibus,  in  Romano  pontifice 
«  fuisse  notatum  peculiare  aliquod  jus  ad  constituendum  eu  m  regem,  qui 
«  postea  imperator  futur  us  esset ,  atque  ad  eum  postea  deponendum.» 
Bossuet,  Defens.  Declar.,  lib.  iv,  cap.  9. 

(4)  Voigt,  ibid. ,  liv.  vm,  etc.  —  Fleury,  Hist.  Ecclés . ,  t.'xm ,  liv.  lxit, 
n.  29,  36,  etc. 

(5)  «  Nemo  Romanorum  Pontificem  reges  a  regno  deponere  posse  de- 


Divers    témoi 
>  Pliages, 
à  l'a|>|>iii  de 

cette 
persuasion. 


de  Tilbur 


SUR  LES  SOUVERAINS. — CHAPITRE  II.  487 

Godeiïoy  de  Viterbe,  historien  du  xue  siècle,  met  ces  paroles  à 
la  bouche  des  papes  parlant  aux  empereurs  :  «  Nous  vous  avons 
«  donné  l'empire,  et  vous  nous  avez  donné  peu  de  chose;  sa- 
«  chez  que,  si  vous  possédez  la  dignité  d'empereur,  c'est  par 
«  notre  autorité  (1).  » 

Arnould,  évêque  de  Lisieux,  parle  ainsi  de  l'empereur,  dans 
un  discours  prononcé  au  concile  de  Tours,  en  1 163  :  «  Frédéric 
«  a  encore  une  raison  particulière  de  reconnaître  la  seigneurie 
«  de  l'Église  romaine;  et  il  ne  peut  la  méconnaître  sans  une  in- 
«  gratitude  manifeste  ;  car  il  est  certain,  d'après  les  anciennes 
«  histoires,  que  ses  prédécesseurs  n'ont  d'autre  titre  à  l'em- 
«  pire ,  que  la  grâce  de  la  sainte  Église  romaine  (2).  » 

Les  mêmes  principes  sont  formellement  adoptés,  et  développés  ms. 
plus  au  long ,  au  commencement  du  siècle  suivant ,  par  Gervais  GwîÏÏs 
de  Tilbury ,  seigneur  anglais  très-distingué,  et  non  moins  en 
faveur  auprès  de  l'empereur  Othon  IV,  qu'auprès  du  roi  d'An- 
gleterre Henri  III.  Dans  le  temps  même  des  démêlés  de  l'empe- 
reur avec  le  pape  Innocent  111,  c'est-à-dire,  vers  l'an  1211, 
Gervais  composa,  sous  le  titre  de  Récréations  impériales  (3), 

«.negabit,  quicumque  décréta  sanctissimi  papae  Gregorii  non  prosciïbenda 

«  judicabit Praeterea  liberi  liomines  Henrïcum  eo  pacto  sibi  propo- 

«  suerunt  in  regem ,  ut  electorès  suos  juste  judicare  et  regali  providentiâ 
«  gubernare  satageret;  quod  pactum  ille  postea  praevaricari  et  contemnere 

«non  cessavit Ergo,  et  absque  sedis  apostolicae  judicio,  principes 

«  eum  pro  rege  meritô  refutare  possent,  ciim  pactum  adimplere  contem- 
«  pserit,  quod  Us  pro  electione  sud  promiserat ,  quo  non  adimpleto ,  nec 
«  rex  essepoterat.  »  Paul  Bernried,  De  Rébus  gestis  Greg.  VII,  cap.  97. 
(Muratori,  Scriptores  rerum  Italicarum,  t.  m,  part.  1,  p.  342.)  — 
Hallam,  V Europe  au  moyen  dge,  t.  m,  p.  366,  note.  Remarquez  que  les 
conditions  dont  parle  ici  Bernried  étaient  mises  à  l'élection  de  l'empereur, 
non-seulement  par  les  princes  électeurs,  mais  encore  parle  Pape,  au  nom 
duquel  ils  faisaient  l'élection,  comme  on  le  verra  bientôt.  (Ci-après,  ch.  m  , 
art.  2,  §  2.) 

(1)  Imperium  dedimus,  tu  pauca  dédisse  videris  : 
Imperio  noslro ,  Cœsar  Romanus  haberis. 

Gothof.  Viterb.  Chrqn.  Ilist.  Paschalis  Papœ  II;  (apud  Pistorium,  Illust. 
Script.  German.  t.  n)  cité  par  Bossuet,  ubi  suprà. 

(2)  «  Praeterea  specialem  causam  babet  (Fridericus),  quà  sanctam  Roma- 
«  nam  Ecclesiam  dominam  recognoscere  débet  :  alioquin  manifestissimè  po- 
«  terit  reus  ingratitudinis  apparere.  Si  enim  ad  veteres  recurramus  histo- 
«  rias,  certum  erit  prœdecessores  ejus,  imperium  non  de  aliojure,  quant 
«  de  sold  sanctœ  Romance  Ecclesiœ  gratiâ ,  percepisse.  »  (Labbe,  Concil. 
tom.  x,  pag.  1415.) 

(3)  Gervasius  Tilberiensis ,  Otia  Imperialia.  (Leibniz,  Scriptores  re- 


488  DEUXIÈME  PARTIE.  —  POUVOIR  DU  PAPE 

un  ouvrage  adressé  à  l'empereur  lui-même,  et  dans  lequel  il 
suppose,  comme  un  point  de  droit  public  universellement 
reconnu,  les  droits  particuliers  du  saint-siége  sur  l'empire: 
«  Considérez,  grand  prince,  dit-il  (l),  que  le  pape  Innocent  II 

rum  Brunswic,  tom.  i,  pag.  881,  etc.)  Il  est  vraisemblable  que  le  titre,  et 
même  l'idée  de  cet  ouvrage,  furent  suggérés  à  l'auteur  par  celui  qu'un  de  ses 
compatriotes,  Jean  de  Sarisbery,  avait  publié,  quelques  années  auparavant, 
sous  le  titre  de  Polycratique,  ou  Des  Amusements  de  la  Cour  (Polycra- 
ticus,  sive  de  Nugis  Curialium).  Ces  deux  ouvrages  sont,  à  la  vérité,  très- 
différents  l'un  de  l'autre ,  pour  le  fond  et  pour  les  objets  dont  ils  traitent.  Le 
Polycratique  est  un  ouvrage  philosophique  et  moral,  sur  les  devoirs  des 
grands;  les  Récréations  impériales  sont  un  recueil  de  fragments,  sur  l'his- 
toire, la  géographie,  la  physique  et  l'histoire  naturelle.  Mais  le  but  de  ces 
deux  ouvrages  est  d'offrir  aux  gens  de  cour,  sous  une  forme  agréable  et  va- 
riée ,  des  instructions  utiles  pour  leur  conduite  particulière,  et  pour  le  bon 
gouvernement  des  États.  Il  est  à  remarquer  que  ces  deux  ouvrages,  composés 
à  peu  de  distance  l'un  de  l'autre,  pour  l'instruction  des  princes  et  des  sei- 
gneurs de  la  cour,  par  deux  auteurs  aussi  distingués  par  leurs  emplois  que 
par  leurs  talents,  supposent  également  la  persuasion  générale  du  moyen  âge, 
qui  subordonnait  la  puissance  temporelle  envers  la  spirituelle,  en  ce  sens  que 
le  souverain  peut  être  déposé,  du  moins  en  certains  cas,  par  l'autorité  [de 
l'Église  ou  du  Pape.  (Polycraticus,  lib.  iv,  cap.  1,  2,  3.  —  Otia  Imperialia, 
initio,  necnon  decisione  n,  cap.  19  :  voyez  la  note  suiv.)  Toutefois,  l'origine 
de  cette  subordination  est  expliquée  très-différemment  par  ces  deux  auteurs. 
Jean  de  Sarisbery  la  croit  fondée  sur  le  droit  divin,  dans  le  sens  où  l'ont  ex- 
pliqué depuis  les  défenseurs  de  l'opinion  théologique  du  pouvoir  direct. 
(Voyez  le  développement  de  cette  opinion  au  n.  8  des  Pièces  justificatives, 
à  la  fin  de  ce  volume.)  Gervais  de  Tilbury  établit,  dans  le  préambule  de  son 
ouvrage,  des  principes  directement  contraires  à  cette  opinion;  il  suppose  les 
deux  puissances  immédiatement  établies  de  Dieu,  et  distinguées  l'une  de 
l'autre,  par  leurs  objets  et  leurs  fonctions.  (Script.  Brunsw.  ibid.,  pag.  881- 
883)  ;  et  il  regarde  la  donation  de  Constantin ,  comme  le  véritable  fonde- 
ment du  pouvoir  extraordinaire  que  le  Pape  exerçait  alors  sur  les  souverains. 
(Ibid.,  pag.  882  et  944.)  Nous  parlerons  ailleurs  plus  en  détail  de  l'ouvrage 
de  Jean  de  Sarisbery.  (Pièces  justificatives ,  ubi  suprà.)  Leibniz,  dans  la 
Préface  du  recueil  déjà  cité  (  §  63),  donne  quelques  détails  intéressants  sur 
Gervais  de  Tilbury,  et  sur  les  Récréations  impériales. 

(1)  «  Considéra ,  princeps  sacratissime,  quod  ab  Innocentio  papa  II  sanc- 
«  tissimo  proavus  tuus  accepit  Imperium,  quod  longo  tempore  intermissum, 
«  et  post  electionem  confirmationemque  primam  relapsum,  peraeque  sanctis- 
«  simus  tibi  reddidit  Innocentius.  Utinam  innocens  Innocentio  exhibearis,  et 
«  sinceritatem  tuam,  quam  praesumo  in  te  esse,  operibus  pise  devotionis  pro- 
«  bes  tuo  consecratori  !  Nihil  enim  est  quo  juste  illum  offendas,  nec  quod 
«  tanto  merito  dignum  rependas.  Si  credis  in  aliquo  illum  minuere  velle  jus 

«  imperii ,  cédas  in  modico  ei  qui  totum  in  te  contulit  imperium 

«  Dator  effici  potes  de  donatario,  si  partem  ei  cesseris  ejus  quod,  per 
«  ipsum,  totum  accepisti.  Profecto  imperium  tuum  non  est,  sed  Christi: 
«  non  tuum,  sed  Pétri  :  non  a  te  tibi  obvenit ,  sed  a  vicario  Christi,  et 

«  successore  Pétri Nihil  amittis  quod  tuum  est,  si  dimittis  Petro 

«  quod  suum  est Beneficio  Papae,  non  suo,  Roma,  tempore  Caroli,  no- 


SUR  LES   SOUVERAINS.  —  CHAPITRE  II.  489 

«  a  donné  à  votre  bisaïeul  ce  même  empire  que  vous  tenez  du 
«  pape  Innocent  III.  Plaise  à  Dieu  que  votre  conduite  soit 
«  innocente  envers  lui  (l),  et  que  vous  prouviez  à  votre  con- 
«  sécrateur  la  droiture  de  vos  intentions ,  par  les  œuvres 
«d'une  piété  sincère!  Car  vous  n'avez  aucun  sujet  de  Fof- 
«  fenser;  et  jamais  vous  ne  reconnaîtrez  diguement  les  grâces 
«  que  vous  avez  reçues  de  lui.  Si  vous  croyez  qu'il  veuille 
«  diminuer  en  quelque  chose  les  droits  de  l'empire,  cédez 
«  quelque  chose  à  celui  de  qui  vous  tenez  tout  cet  empire..., 
«  de  simple  donataire  que  vous  étiez,  vous  pouvez  devenir  do- 
«  nateur,  en  cédant  au  Pape  une  partie  du  droit  que  vous 
«  avez  reçu  de  lui.  Assurément  V empire  n'est  pas  à  vous,  mais 
«  à  Jésus- Christ;  il  n'est  pas  à  vous,  mais  à  saint  Pierre; 
9  il  ne  vous  est  pas  venu  de  votre  droit  propre ,  mais  par  la 
«  volonté  du  vicaire  de  Jésus- Christ,  et  du  successeur  de  saint 
«  Pierre...  Vous  ne  perdez  rien  de  ce  qui  vous  appartient ,  en 
«  cédant  à  saint  Pierre  ce  qui  est  véritablement  à  lui....  C'est 
«  par  la  faveur  du  Pape,  et  non  par  sa  propre  autorité,  que  Rome 
«  arepris  au  temps  de  Charlemagne  le  titre  de  l'empire  ;  c'est  par 
«  la  faveur  du  Pape,  que  l'empire  a  été  d'abord  conféré  au  roi  des 
«  Français,  et  qu'il  est  aujourd'hui  accordé,  non  au  roi  des 
«  Français,  mais  au  roi  des  Teutons;  l'empire  n'appartient  pas 
«  à  celui  que  choisissent  les  Teutons ,  mais  à  celui  à  qui  le 
«  Pape  a  jugé  à  propos  de  le  céder.  » 
Vers  le  milieu  du  siècle  suivant,  on  trouve  les  mêmes  prin-       146. 

-,  ,       !  ,        ■%  -,       .  Ti-iw  Sentiment    de 

cipes  développes  dans  plusieurs  ouvrages ,  par  Lupold  ou  Lu-    mdoiphe, 
dolphe  de  Bébenberg,  évoque  deBamberg,  et  jurisconsulte  de  Bamberff. 
très-distingué,  à  cette  époque  (2).  Dans  son  ouvrage  Sur  le  zèle 
des  princes  allemands  pour  le  bien  de  la  religion ,  il  compte, 
parmi  les  preuves  de  ce  zèle ,  les  témoignages  de  respect  et  de 

«  men  recepit  imperii  ;  bénéficie»  Papse,  Francornm  régi  confertur  imperium  ; 
«  bénéficie*  Papae,  régi  nnne  Teutonum,  et  non  Francorum  ,  debetur  impe- 
«  rium  ;  nec  cedit  imperium  cui  Teutonia ,  sed  cui  cedendum  decrevit 
«  Papa.»  Gervasii  Tilberiensis  Otia  Irnperialia,  decisione  h,  cap.  19. 
(Leibniz,  ubi  suprà,  p.  944.) 

(1  )  Il  y  a  ici  clans  le  texte  de  Gervais  un  jeu  de  mots  difficile  à  rendre  dans 
notre  langue  :  Utinam  innocens  Innocentio  eœhibearis  ! 

(2)  On  trouve  une  notice  sur  cet  auteur,  dans  le  Recueil  de  Ludewig,  Scrip~ 
tores  rerum  Germanie,  tom.  i,  pag.  205.  Voyez  aussi  Cave,  Historia  lit- 
teraria  sœculi  xiv,  anno  1340;  et  le  Dictionnaire  de  Moreri. 


490  DEUXIÈME  PARTIE.  —  POUVOIR  DU  PAPE 

dévouement  que  les  empereurs  ont  souvent  donnés  à  l'Église 
romaine.  A  cette  occasion ,  il  rappelle  et  suppose  comme  des 
faits  constants  :  «  que,  depuis  l'élévation  de  Charlemagne  à  l'em- 
«  pire,  tous  les  empereurs  ont  reçu  de  l'Église  romaine  l'onction 
«  et  la  couronne  impériale  ;...  que  depuis  l'empereur  Othon  Ier, 
«  tous  les  empereurs  ont  prêté  serment  de  fidélité  à  cette  Église, 

«  à  l'époque  de  leur  couronnement  ; que  les  seigneurs  alle- 

«  mands,  auxquels  appartient  le  droit  de  choisir  l'empereur, 

«  ont  reçu  ce  droit  de  l'Église  romaine;  qu'ils  reconnaissent 

«  dans  le  Pape  le  droit  d'examiner  l'empereur  élu;....  et  qu'ils 

«  sont  dans  l'usage  de  lui  envoyer  le  décret  d'élection  pour  le 

«  soumettre  à  son  approbation  (l).  »  Déjà  le  même  auteur  avait 

établi  plus  au  long  ces  principes ,  dans  son  livre  Sur  les  droits 

du  roijaume  et  de  l 'empire  Germaniques ,  auquel  il  renvoie 

pour  de  plus  amples  développements  (2),  et  dans  lequel  il  établit 

de  plus  ,  que,  d'après  le  droit  et  la  coutume  ,V empereur  peut 

être  déposé  par  le  Pape,  pour  certains  crimes  énormes  et 

notoires ,  et  principalement  pour  le  crime  d'hérésie  (3). 

i47.  Les  mêmes  principes  étaient  alors  généralement  reconnus 

peîsû"Tion,  en  France,  comme  on  le  voit  par  l'histoire  des  funestes  démêlés 

longtemps^.  de  philippe  Ie  Bel  avec  Boniface  viïl ,  à  la  fin  du  xme  siècle. 

Fiance.      Quelque  peu  disposés  que  fussent  alors  les  Français  à  favoriser 
les  prétentions  du  pontife,  ils  avouaient  que  le  Pape  pouvait,  en 

(1)  «  Sic  patet  quod  Germani  principes,  quoad  unctiones  et  coronationes 
«impériales  ab  Ecclesiâ  Romanâ  percipiendas,  se  ipsi  Ecclesiae  submit- 
«  tere  primitus  inceperunt  ;...  item,  a  tempore  Othonis  primi,. ..  omnes 
«  reges  Romanorum  ,  usque  ad  praesens  tempus,  Ecclesiœ  Romance  prœ- 

«  stare  juramentum,   sub  forma  consimili,  consueverunt  ; item 

«  principes  Germanise ,    ad   quos   pertinet  jus   et   potestas   eligendi   re- 

«  gem  Romanorum,  recognoverunt  Innocentio  Papae  III, quod  jus 

«  et  auctoritas  examinandi  personam  electam  in  regem  Romanorum, 
«  ad  imperium  postmodum  promovendam ,   pertineat  ad  Ecclesiam  Ro- 

«  manam; item  principes  Germaniae,  post  electionem  régis  per  eos 

«  factam,  summispontificibus  decretum  bujusmodielectionis transmit- 

«  tere  consueverunt.  »  LupoldusRebenburgius  ,  De  Zelo  principum  Germ. 
cap.  7  ;  Argentinae,  1508  et  1609,  in-4°.  Cet  ouvrage  se  trouve  dans  le  xxvie 
tome  de  la  Bibliothèque  des  Pères. 

(2)  De  Juribus  regni  et  imperii ,  cap.  8  et  seqq.  ;  Rasilese,  1566 ,  in-8°  ; 
Argentinae,  1609. 

(3)  «  Quodam  jure  speciali  se  habet  (Papa)  intromittere  de  destitutione  seu 
«  depositione  imperatoris ,  scilicet ,  ratione  enormis  et  notorii  (delicti),  de 
«  quo  imperator  incorrigibilis  reperitur,  ut  suprà  dictum  est  in  capite  de- 
ce  cimo,in  prima  oppositione.  »  iW.,cap.  12,  versus  médium,^.  151  et  152. 


partagée  par 

les 

souverains. 


SUR  LES   SOUVERAINS.  —  CHAPITRE   II.  491 

certains  cas,  déposer  l'empereur,  comme  feudataire  du  saint- 
siège.  Voici  comment  s'exprimait,  à  ce  sujet,  nn  célèbre  docteur 
de  Paris ,  dévoué  à  Philippe  le  Bel  :  «  On  objecte  que  le  Pape 
«  dépose  l'empereur;  je  réponds  que  le  Pape  qui  faitl'empe- 
»  reur,  et  qui  en  reçoit  foi  et  hommage ,  peut  aussi  le  dépo- 
«  ser  (l).  »  Un  autre  écrivain  du  même  temps,  non  moins  zélé 
pour  la  défense  de  Philippe  le  Bel ,  explique  en  ces  termes  la 
déposition  de  Frédéric  II,  que  les  partisans  de  Boniface  VIII 
alléguaient,  pour  justiOer  sa  conduite  envers  le  roi  de  France  : 
«  Quant  à  ce  qu'on  objecte  de  l'empereur  Frédéric,  déposé  par 
«  Innocent  IV ,  j'avoue  que  cela  est  véritable  ;  je  conviens  que 
«  le  Pape  est  seigneur  temporel  de  l'empereur ,  qui  non- 
«  seulement  est  élevé  à  l'empire  par  voie  d'élection,  mais  qui 
«  est  confirmé  parle  Pape,  et  reçoit  de  lui  la  couronne  ;  mais  il 
«  n'en  est  pas  ainsi  du  roi  de  France  (2).  » 

La  persuasion  générale,  sur  ce  point,  n'était  pas  seulement       as. 
répandue  parmi  les  simples  particuliers,  mais  elle  était  partagée       si<m 
par  les  souverains  eux-mêmes.  Le  pape  Innocent  III  ayant  ex-  v     fes 
communié  et  déposé,  en  1210,  l'empereur  Othon  IV ,  Philippe- 
Auguste  ,  de  concert  avec  le  souverain  pontife ,  agit  si  fortement 
auprès  des  princes  d'Allemagne ,  qu'il  leur  persuada  d'élire  un 
autre  empereur,  qui  fut  Frédéric  II,  roi  de  Sicile  (3).  Le  même 
Frédéric  ayant  été  depuis  excommunié  et  déposé  par  le  pape 
Grégoire  IX,  en  1239,  le  roi  et  les  seigneurs  français,  quel- 

(1)  «  Quod  dicitur ,  quod  Papa  deponit  imperatorem  ;  respondeo  :  Verum 
«  est;  (Papa  deponit)  illum  quem  ipse  posuit,  quia  ab  ipso  accepitfeudum.  » 
Joannes  Parisiensis,  De  Potestate  regiâ  et  papati,  cap.  16.  (Apud  Goldas- 
tum,  Monarchia  S.  Rom.  imperii,  t.  n,  pag.  130;  necnon apud  Richerium, 
Vindiciœ  Doctorum  majorum  scholœ  Parisiensis.  Colonise,  1683  ,  in-4°; 
lib.  n,  pag.  107.) 

(2)  «  Quod  autem  dicitur  de  Friderico,  quem  deposuit  Innocentius  IV  ;  dico 
«  quod  verum  est  ;  et  de  illo  imperatore  concedo  quod  Papa  est  ejus  domî- 
a  nus  tempoî'alis,  quoniam  ille  imperator  fit  per  electionem,  et  a  Papa  con- 
«  firmationem  recipit  et  coronam  ;  sed  nihil  hoi  um  est  in  rege  Francise.  » 
Auctoranonymus,  Quœst.  de  Potestate  Papœ.  (Apud  Richerium,  ubi  suprà, 
pag.  188.)  Le  témoignage  de  cet  auteur,  et  celui  de  Jean  de  Paris,  sont  cités 
par  Bossuet,De/.  Declar.,  lib.  îv,  cap.  9,  pag.  37  et  38.  L'ouvrage  ano- 
nyme, De  Potestate  Papœ,  se  trouve  aussi  à  la  lin  de  YHist.  du  différend 
entre  Boniface  VIII et  Philippe  le  Bel.  Paris,  1655,  in-fol.;  le  texte  cité  se 

lit  pag.  678. 

(3)  Bossuet,  Abrégé  de  VHist.  de  France,  année  1206.  —Daniel,  Hist.  de 
France,  tom.  m,  année  1210,  pag.  551.  —  Fleury,  Hist.  Ecclés.,  tom.  xvi, 
liv.  lxxvh,  n.  4  et  12. 


établie 

par  le  premier 

concile 

sréiiéral  de 


492  DEUXIÈME  PARTIE.  —  POUVOIR  DU  PAPE 

que  éloignés  qu'ils  fussent  d'approuver,  en  cette  occasion ,  la 
conduite  du  Pape  envers  l'empereur,  ne  contestaient  pas  à 
l'Église  le  droit  de  déposer  celui-ci ,  en  certains  cas ,  particuliè- 
rement pour  le  crime  d'hérésie.  Nous  avons  rapporté  ailleurs 
les  propres  expressions  de  la  lettre  écrite,  sur  ce  sujet,  au  Pape 
par  le  roi  et  les  seigneurs  français  (l). 
149.  L'histoire  du  premier  concile  général  de  Lyon,  convoqué 

persuaes"on  par  le  pape  Innocent  TV ,  en  1245 ,  pour  juger  la  cause  de  Fré- 
déric II ,  suffirait  pour  établir  la  persuasion  générale  qui  exis- 
tait ,  à  cette  époque,  dans  tous  les  États  catholiques  de  l'Europe, 
Ly°n-  relativement  au  pouvoir  du  Pape  et  du  concile  sur  l'empereur  (2). 
La  cause  de  Frédéric  fut  examinée  et  discutée  dans  ce  concile , 
en  présence  des  ambassadeurs  des  princes,  et  de  ceux  même  de 
l'empereur,  sans  que  personne  songeât  à  contester  la  compé- 
tence du  tribunal.  Les  réclamations  de  quelques  ambassadeurs 
avaient  uniquement  pour  but  d'adoucir  l'esprit  du  Pape,  et  de 
l'engager  à  différer  la  sentence  jusqu'à  de  nouvelles  informa- 
tions. Le  Pape  accorda  en  effet  le  délai  demandé  par  les  am- 
bassadeurs ;  après  quoi,  jugeant  la  cause  suffisamment  instruite, 
il  prononça  contre  Frédéric  une  sentence  de  déposition,  le 
17  juillet  1245. 

Il  résulte  évidemment  de  cet  exposé ,  que  le  pouvoir  du  Pape 
et  du  concile  sur  l'empereur  était  alors  généralement  reconnu 
par  les  souverains  eux-mêmes.  Comment  supposer,  en  effet, 
qu'un  pape  aussi  éclairé  qu'Innocent  IV ,  et  un  concile  général 
composé  d'un  si  grand  nombre  de  prélats,  eussent  pu  avoir  la 
pensée  de  délibérer  sur  la  déposition  de  l'empereur,  en  présence 
des  ambassadeurs  des  princes,  et  de  ceux  même  de  Frédéric, 
si  l'usage  et  la  persuasion  universelle  ne  leur  eussent  attribué  ce 
droit?  Comment  croire  que  ce  droit,  s'il  eût  été  sujet  à  contes- 
tation ,  n'eût  pas  été  contesté  dans  le  concile  par  les  ambassa- 
deurs des  princes ,  et  surtout  par  ceux  de  l'empereur?  N'est-il 
pas  évident  que,  dans  aucun  temps,  un  tribunal  quelconque, 
n'a  pu  exercer  aussi  librement  le  droit  déjuger  un  souverain, 
sans  avoir ,  au  défaut  de  la  force  matérielle ,  un  droit  univer- 
sellement reconnu  ? 

(1)  Voyez  ci-dessus,  n.  86. 

(2)  Voyez  les  auteurs  cités  dans  la  note  1  de  la  page  425  ;  année  1245. 


SUR  LES  SOUVERAINS.  —  CHAPITRE  II.  493 

Croira-t-on  éluder  la  force  de  ce  raison nnement ,  en  disant 
que,  d'après  le  titre  même  de  la  sentence  prononcée  par  le 
pape  Innocent  IV  contre  l'empereur  Frédéric  II ,  elle  fut  rendue 
en  présence  du  saint  concile ,  mais  non  avec  son  approba- 
tion (l)?  Rien  de  plus  faible  que  cette  difficulté;  car  1°  bien 
que  les  actes  du  concile  ne  fassent  pas  une  mention  expresse  de 
l'approbation  donnée  par  les  évêques  à  la  sentence  du  Pape, 
cette  approbation  est  suffisamment  manifestée  par  les  circon- 
stances, c'est-à-dire,  parle  silence  des  prélats,  convoqués  pré- 
cisément pour  examiner  avec  le  Pape  la  cause  de  Frédéric,  et 
présents  à  tous  les  détails  de  cette  discussion ,  aussi  bien  qu'à  la 
fulmination  de  la  sentence.  Qui  ne  sait,  en  effet,  que  les  mem- 
bres d'un  tribunal  sont  toujours  censés  adhérer  à  la  sentence 
prononcée  en  leur  présence  par  le  président,  à  moins  qu'ils  ne 
manifestent  expressément  leur  opposition  ?  2°  L'adhésion  des 
évêques  à  la  sentence  du  Pape ,  dans  le  concile  de  Lyon ,  est 
positivement  exprimée  par  plusieurs  auteurs  contemporains. 
Matthieu  Paris,  entre  autres,  parlant  de  cette  sentence,  dit 
que  «le  Pape  et  les  évêques,  portant  des  cierges  allumés,  lan- 
«  cèrent  contre  l'empereur  cette  sentence  foudroyante,  qui  cou- 
«  vrit  de  confusion  ses  ambassadeurs  (2).  »  Un  autre  historien  du 
temps,  Nicolas  de  Curbio,  confesseur  d'Innocent  IV,  et  témoin 
oculaire  des  faits  qu'il  raconte,  ajoute  que  «  la  sentence  de  dépo- 
rt sition  prononcée  par  le  Pape  contre  Frédéric  fut  approuvée 
«  par  tous  les  évêques  présents  au  concile,  comme  chacun  peut 
«  s'en  convaincre  par  leurs  souscriptions,  et  par  leurs  sceaux 
«  attachés  à  cette  sentence  (3).  » 


(1)  Cette  réponse  est  plus  ou  moins  ouvertement  supposée  ou  insinuée  par 
plusieurs  auteurs  modernes.  (Voyez,  entre  autres,  Bossuet,  Defens.  Declar., 
lib.  iv,  cap.  8. —  Fleury,  Hist.  Ecclés.,  tom.  xvii ,  liv.  lxxxh,  n.  29.) 
Elle  est  solidement  réfutée  par  le  P.  Roncag'ia,  Animadvers.  in  hist.  Eccl, 
Nat.  Alex.,  à  la  suite  de  la  2e  Dissert,  du  P.  Alexandre,  sur  Y  Hist.  Eccl. 
du  xie  siècle.  (§3,  vers  la  fin.) 

(2)  k  Dominus  igitur  Papa,  et  prœlati  assistentes  concilio,  candelisac- 
«  censis,in  dictum  imperatorem  Fridericum,  quijamjam  imperator  non  est 
«  nominandus,  terribiliter,  recedentibus  et  confusis  ejus  procuratoribus,  ful- 
«  gurarunt.»  Matt.  Paris,  Hist.  Anglic,  anno  1245.  (Labbe,  Concil.  tom.  xi, 
1  part.  pag.  665.) 

(3)  «  Sententiam  depositionis  saepe  fati  Friderici  protulitsummus  pontifex 
«  in  majori  Ecclesiâ  Lugdunensi,  in  pleno  concilio,  anno  Domini  1244, 15  ca- 
«  lendas  augusti ,  pontificatûs  sui  anno  tertio  ;  quce  fuit  ab  universis 


494  DEUXIÈME  PARTIE.  —  POUVOIR   DU   PAPE 

l5o.  La  conduite  et  les  propres  aveux  des  empereurs }  siinté- 

CctteSiPoenS"a"  lusses  à  maintenir  leur  indépendance  ,  suffiraient  pour  établir 
panagée  par  ies  <jroits  particuliers  du  saint-siége  sur  l'empire  d'Occident.  Il 

les  empe~  ■*■ 

rems  eux-j  est  certain,  en  effet ,  que,  depuis  l'origine  de  cet  empire ,  aucun 


mêmes. 


des  successeurs  de  Charlemagne  n'a  pris  le  titre  et  les  insignes 
de  la  dignité  impériale,  qu'après  avoir  été  reconnu  et  couronné 
par  le  Pape,  et  lui  avoir  prêté  un  serment  de  fidélité ,  qui  ex- 
primait une  dépendance  particulière  de  l'empereur  à  l'égard  du 
saint-siége  (1). 
*5«-  L'usage  où  étaient  les  empereurs  carlovingiens,  de  ne  prendre 

.Preuves  oc 

cetie  le  titre  et  les  insignes  de  la  dignité  impériale,  qu'après  avoir 
souTïerempé-  été  reconnus  et  couronnés  par  le  Pape,  est  clairement  exprimé 
cariovmgiens.  par  l'empereur  Louis  II,  dans  une  lettre  qu'il  écrivit,  en  871, 
à  l'empereur  Basile,  qui  lui  contestait  le  titre  $  empereur  des 
Romains.  Parmi  les  raisons  que  Louis  II  emploie,  pour  se  jus- 
tifier sur  ce  point ,  il  insiste  sur  cette  circonstance  particulière 
aux  empereurs  de  la  race  de  Charlemagne,  que  «  nul  d'entre  eux 
«  n'a  porté  ce  glorieux  titre,  qu'après  avoir  reçu,  pour  cet  effet, 
«  l'onction  sainte  de  la  main  du  souverain  pontife  (2).  » 

Ce  témoignage  si  formel  nous  donne  l'explication  naturelle  de 
la  conduite  de  Charlemagne  et  de  Louis  le  Débonnaire,  qui  ne 
paraissent  pas  avoir  attendu  le  consentement  du  Pape,  pour  as- 
socier leurs  fils  à  l'empire  (3).  Le  langage  de  Louis  II,  dans  sa 
lettre  à  l'empereur  Basile,  suppose  clairement  que  ces  associa- 
tions n'étaient  qu'une  simple  désignation,  et  non  une  nomina- 
tion définitive  du  futur  empereur,  et  que  celui-ci  ne  possédait 


«  Ecclesiarum  prœlatis ,  in  eodem  concilio  residentibus ,  approbata  ; 
«  sicut  liquere  potest  omnibus,  tam prœsentibus  quàm  futuris,  per  sub- 
«  scriptiones  ipsorum,  et  eorumdem  sigilla,  pendentia  in  eâdem.  »  Nicolaus 
de  Curbio,  Vita  Innocenta  IV,  n.  19.  (Muratori,  Scrïplores  rerum  liai. 
tom.  m,  parte  1,  pag.  592.  —  Roncaglia,  ubi  suprà.) 

(1)  Cenni,  Monumenta,  etc.  tom.  n,  Dissert.  1,  n.  21-24,  40-52;  Dis- 
sert. 6,  n.  13,  etc. 

(2)  «  Francoru m  principes,  primo  reges,  deinde  verà  imper ator es  dicli 
«  sunt  ii  duntaxat  qui  à  Romano  Pontifice  ad  hoc  oleo  sancto  perfusi 
«sunt.  »  Ludovici  II  Epist.  ad  Basil.  (Baronii  Annales,  anno  871, 
n.  59.) —  Cenni,  ubi  suprà, n.  19  et  22.  —  Daniel,  Hist.  de  France,  tom  u, 
année  871,  pag.  482. 

(3)  Fleury,  Hist.  Ecclés.,  tom.  x,liv.  xuvi,  n.  7  et  27.—  Hist.  de  l'Église 
Gallicane,  tom.  v,  années  813  et  817,  pag.  201  et  252.  Pour  l'explication  de 
ces  faits,  voyez  Cenni,  ubi  suprà,  n.  23  et  24. 


SUR  LES   SOUVERAINS.  —  CHAPITRE  II.  495 

irrévocablement  son  titre ,  qu'après  avoir  été  couronné  par  le 
Pape. 

Cette  explication  est  confirmée  par  le  langage  même  de  Lo- 
thaire  Ier,  qui ,  après  avoir  été  associé  à  l'empire  par  son  père 
Louis  le  Débonnaire,  se  rendit  à  Rome,  par  ordre  de  celui-ci, 
pour  recevoir  du  pape  Pascal  1er  l'onction  impériale.  Lothaire, 
dans  la  lettre  qu'il  écrivit  à  son  père ,  pour  lui  annoncer  la  nou- 
velle de  cette  consécration,  s'exprime  ainsi  :  «  J'ai  reçu,  du  sou- 
«  verain  pontife,  devant  l'autel  et  devant  le  corps  de  saint  Pierre, 
«  prince  des  apôtres ,  avec  votre  consentement  et  conformément 
«  à  vos  désirs,  la  bénédiction ,  l'honneur  et  le  titre  oVempe- 
«  reur,  aussi  bien  que  le  diadème,  et  l'épée  pour  la  défense  de 
«  l'Église  (1).  »  Comment  Lothaire  eût-il  pu  dire  qu'il  avait  reçu 
du  souverain  pontife  le  titre  d'empereur,  si  l'acte  de  son  asso- 
ciation à  l'empire  lui  eût  conféré  ce  titre ,  d'une  manière  défi- 
nitive et  irrévocable? 

La  nécessité  de  la  consécration  pontificale ,  pour  conférer  la 
dignité  impériale,  était  si  généralement  reconnue,  sons  les  em- 
pereurs carlovingiens,  que  tous  les  prétendants  à  l'empire  s'a- 
dressaient au  Pape ,  pour  obtenir  cette  faveur,  et  que ,  dans  le 
cas  où  leurs  droits  étaient  litigieux ,  ils  faisaient  tous  leurs  ef- 
forts pour  obtenir  les  suffrages  du  souverain  pontife ,  et  recevoir 
de  lui  la  couronne  impériale,  persuadés  que  c'était  l'unique 
moyen  de  faire  reconnaître  leur  titre  par  les  autres  souverains  (2). 
L'exemple  de  Charles  le  Chauve  est  surtout  remarquable  sur  ce 
point  ;  et  il  est  impossible  de  suivre  les  détails  de  son  élection  à 
l'empire,  sans  y  trouver  une  preuve  décisive  de  l'usage  dont 
nous  parlons  (3). 

La  permanence  de  cet  usage ,  sous  les  empereurs  allemands ,    PreJJi  de 

(1)  «  Coram  sacro  altari ,  et  coram  sacro  corpore  B.  Pétri ,  principis  apo- 
«  stolorum ,  à  summo  Pontifice ,  vestro  ex  consensu  et  voluntate ,  bene- 
«  dictionent,  honorent  et  nomen  suscepi  imperialis  officii;  insuper  dia- 
«  dema  capitis ,  et  gladium  a<l  defensionem  Ecclesiœ.  »  Lothar.  I  Epist.  ad 
Ludov.  Pium.  (Mabillon,  Acta  ordinis  S.  Bened.  sœculi  iv,  pag.  513.)  — 
Cenni ,  ubi  suprà,  n.  24. 

(2)  Cenni,  ubi  suprà,  n.  22,  etc.  —  L'Art  de  vérifier  les  Dates;  Chro- 
nol.  hist.  des  Empereurs  d'Occident,  pag.  432,  etc. 

(3)  La  suite  de  nos  Recherches  nous  donnera  lieu  d'exposer  en  détail  les 
circonstances  de  cette  élection.  Voyez  plus  bas,  cliap.  111,  art.  2,  n.  260,  etc. 
Voyez  aussi  Fleury,  Hist.  Ecclés.,  tom.  xi,  livre  lu,  n.  23  et  30 —  Hist.  de 
l'Église  Gallicane,  tom.  vi?  liv.  xvn,  pag.  274  et  292. 


496  DEUXIÈME  PARTIE.  —  POUVOIR   DU   PAPE 

celte      n'est  pas  moins  incontestable  (l).  Muratori,  dans  ses  Annales 
persuasion,   d>italie%  avance  avec  confiance,  d'après  l'examen  d'une  multi- 

sous  les  enipe*  >  * 


reurs 
allemands. 


tude  de  Chartres  et  de  diplômes,  qu'on  n'y  trouve  jamais  le 
titre  ft  empereur  donué  au  roi  de  Germanie,  avant  la  cérémonie 
de  sou  couronnement  faite  par  le  Pape  (2).  Mais  on  trouve  sur- 
tout une  preuve  remarquable  de  cet  ancien  usage ,  dans  l'his- 
toire des  contestations  qui  s'élevaient  assez  souvent  entre  les 
électeurs ,  ou  entre  les  divers  prétendants  à  l'empire.  Le  Pape 
était  généralement  regardé  comme  le  juge  naturel  de  ces  con- 
testations ;  en  sorte  que  celui  qu'il  avait  reconnu  pour  empereur, 
ne  tardait  pas  à  l'être  par  les  seigneurs  allemands,  et  par  tous 
les  souverains  de  Y  Europe. 
,i33.  C'est  ce  qu'on  vit  en  particulier  sous  Grégoire  VII,  à  l'occa- 

de  Rodolphe,  sion  de  l'élection  de  Rodolphe,  faite  dans  l'assemblée  de  For- 
ea  I077'  cheim,  en  1077,  par  les  seigneurs  allemands  mécontents  de 
Henri.  Le  Pape  ayant  assemblé  un  concile  à  Rome,  en  1079, 
pour  juger  les  prétentions  des  deux  rivaux,  ceux-ci  jurèrent, 
par  la  bouche  de  leurs  ambassadeurs,  de  s'en  tenir  à  la  décision 
du  Pape,  qui  confirma,  l'année  suivante,  l'élection  de  Ro- 
dolphe (3). 
.  ,54-  Les  droits  du  Pape,  en  cette  matière,  ne  furent  pas  moins 

Election  r  ■■  \         . 

doihon  iv,  solennellement  reconnus,  en  1201,  al  occasion  de  1  élection  de 

Cil   i  ?o  I 

l'empereur  OthonlV(4).  L'Allemagne  était  alors  divisée  entre 
trois  prétendants  à  l'empire,  savoir  :  Frédéric,  roi  de  Sicile; 
Philippe,  duc  de  Souabe;  et  Othon ,  duc  de  Saxe.  Le  Pape,  sol- 
licité tout  à  la  fois  par  les  prétendants ,  par  les  seigneurs  de  leur 
parti,  et  par  les  rois  de  France  et  d'Angleterre,  se  déclara  pour 

(I)  Cenni,  ubi  suprà,  n.  43,  etc. 

(2) Muratori,  Annales  d'Italie,  années  1433,  1493,  1519,  etc.;  et  alibi 
passim.  Parmi  les  chartes  et  diplômes  dont  il  est  ici  question,  remarquez  en 
particulier  les  actes  concernant  l'élection  de  Henri  Vil,  en  1309.  Ces  actes 
sont  rapportés  par  Leibniz,  Codex  Juris  Gentium  (tom.  n,  pag.  252);  et 
par  Baluze,  Vitœ  Paparum  Aven.  (Tom.  n,  pag.  265,  etc.)  — On  peut 
voir  l'analyse  de  ces  actes  dans  Fleury,  Hist.  Ecoles. ,  tom.  xix,  liv.  xch, 
n.  31  et  35. 

(3)  Concil.  Rom.  anni  1079.  (Labbe,  Concil.  t.  x,  p.  879.) —Fleury, 
Hist.Eccl.,  t.  xiii,  liv.  lxii,  n.  42,  43,60;  liv.  lxiii  ,  n.  1.  —  D.  Ceillier, 
Hist.  des  Auteurs  Ecclés.,  t.  xx,p.  639.  — Voigt,  Hist.  de  Grég.  VII, 
liv.  x,  p.  448,  507,  525,  etc. 

(4)  Fleury,  Hist.  Ecclés.,  t.  xvi,  liv.  lxxv,  n.  3,  32,  37  ,  38,  etc.— 
Daniel,  Hist.  de  France,  t.  îv,  année  1299,  p.  197. 


SDR   LES   SOUVERAINS.  —  CHAPITRE  II.  497 

Othon ,  qui  fut  en  effet  reconnu ,  quelque  temps  après ,  par  les 
seigneurs  allemands,  et  par  tous  les  princes  de  l'Europe.  Cette 
importante  affaire  est  le  sujet  d'un  grand  nombre  de  lettres  du 
pape  Innocent  III,  qu'on  a  réunies  dans  l'édition  générale  de 
ses  lettres,  sous  le  titre  de  Registre  d'Innocent  III  sur  les  af- 
faires de  l'empire  (l).  Parmi  ces  lettres  si  importantes  pour 
l'histoire,  on  doit  surtout  remarquer  celles  du  1er  mars  1201; 
au  roi  Othon  et  aux  seigneurs  allemands,  et  une  autre  écrite, 
vers  le  même  temps,  au  duc  de  Carinthie.  La  première,  adressée 
au  roi  Othon ,  est  ainsi  terminée  :  «  Par  l'autorité  du  Dieu  tout- 
«  puissant ,  qui  nous  a  été  donnée  en  la  personne  de  saint  Pierre, 
«  nous  vous  recevons  pour  roi,  et  nous  ordonnons  qu'à  l'avenir 
«  on  vous  rende,  en  cette  qualité,  respect  et  obéissance;  et  après 
«  les  préliminaires  accoutumés ,  nous  vous  donnerons  solennel- 
lement la  couronne  impériale  (2).  »  Dans  la  lettre  adressée  aux 
seigneurs  allemands,  après  avoir  exposé  les  raisons  qui  l'ont 
engagé  à  se  prononcer  en  faveur  d'Othon,  le  Pape  enjoint  aux 
seigneurs  de  lui  rendre  le  respect  et  l'obéissance,  en  qualité  de 
roi  des  Romains  et  d'empereur  élu,  promettant  de  mettre  en 
sûreté  leur  réputation  et  leur  conscience,  touchant  les  serments 
qu'ils  pourraient  avoir  faits  auparavant  (3).  La  lettre  au  duc  de 
Carinthie  est  d'autant  plus  digne  d'attention,  qu'elle  a  été  de- 
puis insérée  dans  le  Corps  du  Droit,  parmi  les  Décrétai  es  de 


(1)  Baluze,  Epistol.  Innocenta  III  tom.  i,ad  calcem.  —  Fleury,  ubi 
suprà,  n.  32,  37  et  38.  —  D.  Ceillier,  Hist.  des  Auteurs  ecclés.,  t.  xxm , 
p.  442. 

(2)  «  Auctoritate  Dei  omnipotentis ,  nobis  in  beato  Petro  collatâ ,  te  in  re» 
«  gem  recipimus,  et  regalem  tibi  praecipimus  de  caetero  reverentiam  et  obe- 
«  dientiam  exbiberi  ;  praemissisque  omnibus  quee  de  jure  sunt  et  consuetu- 
«  dine  praemittenda ,  regiam  magnificentiam  ad  suscipiendam  Romani  im- 
«  perii  coronam  vocabimus,  et  eam  tibi,  dante  Domino ,  bumilitatis  nostrae 
«  manibus,  solemniter  conferemus.  »  Baluze,  ubi  suprà,  Epist.  32,  p.  702, 
col.  2. 

(3)  «  Monemus  igitur  universitatem  vestram,  et  exhortamur  in  Domino, 
«  et  in  remissionem  vobis  injungimus  peccatorum,  quatenus  ei  (Otlioni) 
«  de  cœtero,  sicut  régi  vestro,  in  Romanorum  imperatorem  electo,  reveren* 
«  ter  et  bumiliter  deferatis ,  regalem  ei  honorificentiam  et  obedientiam  im- 

«  pendentes Super  primis  etiam  juramentis,  illud  auctoritate  aposto- 

«  licâ  statuemus,  quod  ad  purgandam  et  famam  et  conscientiam  redundabit.  » 
Baluze,  ubi  suprà,  Epist.  33,  p.  704  et  705.  Voyez  aussi  la  lettre  29e, 
où  le  Pape  expose  les  raisons  qu'on  peut  alléguer  pour  et  contre  les  trois 
prétendants. 

32 


498  DEUXIÈME  PARTIE.  —  POUVOIR   DU   PAPE 

Grégoire  IX.  Le  Pape  y  déclare  que  les  princes  électeurs  ont 
reçu  du  saint-siége  le  droit  d'élire  l'empereur,  et  qu'en  leur 
donnant  ce  droit,  il  n'a  pas  renoncé  à  celui  de  rejeter  l'élu ,  s'il 
est  indigne  de  l'empire.  «  Nous  reconnaissons ,  dit-il,  le  pou- 
«  voir  de  choisir  pour  roi  (des  Romains)  celui  qui  doit  être  en- 
«  suite  élevé  à  l'empire,  dans  les  princes  auxquels  ce  pouvoir 
«  appartient  de  droit  et  par  l'ancienne  coutume  ;  vu  surtout  que 
«  ce  droit  leur  est  venu  du  saint-siége,  qui  a  transféré  l'empire 
«  romain,  des  Grecs  aux  Germains,  en  la  personne  de  Charle- 
«  magne.  Mais  les  -princes  doivent  aussi  reconnaître,  et  ils 
«  reconnaissent  en  effet,  que  le  droit  d'examiner  la  personne 
«  de  celui  qui  est  élu  pour  roi  (des  Romains) ,  et  qui  doit  être 
«ensuite  élevé  à  l'empire,  nous  appartient,  à  nous  qui  le  sa- 
«  crons  et  le  couronnons  (1).  »  Tout  ce  que  dit  ici  le  Pape  était 
en  effet  admis,  non-seulement  par  l'empereur  OthonlV,  mais 
encore  par  les  seigneurs  allemands ,  et  par  les  autres  souverains 
de  l'Europe,  qui  reconnurent  bientôt  après  Othon  pour  empe- 
reur, par  suite  de  l'élection  du  Pape  (2). 
i55.  L'histoire  de  l'Allemagne  offre  plusieurs  autres  exemples  de 

d%lthoatloîv  l'intervention  du  Pape  dans  l'élection  des  empereurs ,  non-seu- 
etede2Loôis  lement  à  l'occasion  des  contestations  qui  s'élevaient  entre  les 
denBi346r.e    électeurs  et  les  prétendants  à  l'empire,  mais  encore  à  l'occasion 
des  sentences  de  déposition  prononcées  par  le  souverain  pontife 
contre  quelques  empereurs.  C'est  ainsi,  comme  nous  l'avons 
déjà  remarqué,  que  Frédéric II  fut  élu  empereur  par  le  pape 

(1)  «  Unde  Mis  prineipibus  jus  et  potestatem  eligendi  regem ,  in  impera- 
«.  torem  postmodum  promovendum  ,  recognoscimus ,  ut  debemus ,  ad  quos 
a  de  jure  ac  antiquâ  consuetudine  noscitur  pertinere  ;  praesertim  cùm  ad  eos 
«  jus  et  potestas  hujusmodi  ab  apostolicâ  sede  pervenerit,  quse  Romanum 
«  imperium ,  in  personam  magnifici  Caroli,  a  Grœcis  transtulit  in  Germanos. 
«  Sed  et  principes  recognoscere  debent,  et  utique  recognoscunt ,  quod 
«  jus  et  auctoritas  examinandi  personam  eleclam  in  regem,  et  promovendam 
«  in  imperium,  ad  nos  spectat ,  qui  eam  inungimus ,  consecramus  et  corona- 
«  mus.  »  Baluze,  ubi  suprà,  Epist.  62,  p.  715.  Voyez  aussi,  dans  le  Corps 
du  Droit  canon,  la  décrétale  Venerabilem ,  parmi  les  Décrétâtes  de  Gré' 
goire  IX,  lib.  î,  tit.  6,  cap.  34.  —  Fleury,  ubi  suprà,  n.  38. 

(2)  C'est  par  erreur  que  Bossuet  (Def.  Declar.,  lib.  vi,  cap.  9,  versus  mé- 
dium), et  après  lui  M.  l'abbé  Jager  (Introduction  à  VHist.  de  Grégoire 
VII ,  p.  80),  supposent  que  la  décrétale  Venerabilem  fut  donnée  par  le 
pape  Innocent  III  en  faveur  de  Frédéric  II.  Le  contenu  de  cette  pièce,  et  des 
autres  qui  y  sont  relatives ,  montre  qu'elles  furent  données  en  faveur  d'O- 
thon  IV. 


SUR  LES  SOUVERAINS.  —  CHAPITRE  II.  499 

Innocent  III ,  et  reconnu  pour  tel  par  tous  les  souverains  de 
l'Europe,  après  la  déposition  d'Othon  IV (1).  Un  siècle  plus 
tard,  l'empereur  Louis  de  Bavière,  excommunié  et  déposé  par 
le  pape  Jean  XXII,  envoya,  à  diverses  reprises,  des  ambassadeurs 
à  Avignon,  pour  solliciter  son  absolution.  Mais  toutes  ses  dé- 
marches n'aboutirent  qu'à  le  faire  excommunier  de  nouveau 
par  le  pape  Clément  VI,  qui,  de  concert  avec  le  roi  de  France, 
fit  nommer,  en  1346,  Charles  de  Moravie,  à  la  place  de  Louis 
de  Bavière.  Il  est  à  remarquer  que,  dans  le  cours  de  ses  négo- 
ciations avec  Benoît  XII ,  successeur  immédiat  de  Jean  XXII , 
Louis  reconnaissait  expressément  le  droit  du  Pape ,  en  consen- 
tant à  être  excommunié  et  même  déposé  par  lui ,  s'il  ne  satis- 
faisait à  l'Église,  dans  le  temps  marqué  (2). 

Mais  ce  qui  n'est  pas  moins  remarquable,  à  ce  sujet,  et  ce  qui       ,56. 
suffirait  pour  établir  la  dépendance  particulière  des  empereurs    *SSm 
à  l'égard  du  saint-siége,  dans  les  temps  anciens,  c'est  que,  d'à-  prê ""JJ'1  e 
près  un  usage  constant ,  de  quelque  manière  que  l'élection  de   empereurs. 
l'empereur  eût  été  faite,  il  ne  pouvait  prendre  le  titre  et  les 
insignes  de  la  dignité  impériale  qu'après  avoir  prêté  au  Pape  un 
serment  de  fidélité,  qui  exprimait,  sinon  une  dépendance  féo- 
dale, comme  le  supposent  plusieurs  auteurs,  du  moins  un  dé- 
vouement particulier  aux  intérêts  du  saint-siége.  On  peut  s'en 
convaincre,  par  les  termes  dans  lesquels  ce  serment  était  conçu, 
et  par  la  manière  dont  les  historiens  en  parlent  (3). 

(1)  Voyez  plus  haut,  n.  148. 

(2)  «  Item  damus  dictis  procuratoribus  nostris  plenam  potestatem,  pro  prae- 
«  dictis  (sponsionibus)  adimplendis  et  observandis,  pœnas  infrà  scriptas,  vice 

«  et  nomine  nostro,  et  pro  nobis  recipiendi,  et  ad  eas  nos  obligandi  et  astrin-    - 
«  gendi;  videlicet,  quod  si,  super  praemissis,  vel  aliquo  praemissorum,  mo- 

«  lestaverimus  seu  molestari  fecerimus  Romanam  Ecclesiam, liberum 

«  sit  Romano  pontifici,  prout  sibi  expedire  videbitur  (prœmissis  tainen  ju- 
«  ridicis  monitionibus),  ad  alias  pœnas  procedere  contra  nos,  privando 
«  etiam  nos,  si  sibi  videbitur,  imperiali,  regiâ ,  et  quâlibet  aliâ  dignitate, 
«  absque  aliâ  vocatione  et  juris  solemnitate.  »  Ludov.  Bavari  ad  summum 
pontif.  Bened.  XII  supplices  litterœ.  (Baynaldi  Annales,  auno  1336, 
n.  21.)  Voyez,  pour  le  détail  de  ces  négociations  de  Louis  de  Bavière  avec 
le  saint-siége,  Raynaldi,  Annales,  anno  1336,  etc.  —  Maimbourg,  Hist.  de 
la  Décadence  de  V empire,  liv.  vi,  année  1334 ,  etc.  —  Fleury,  Hist.  EccL, 
tom.  xix  etxx;  liv.  xciv,  et  xcv,  passim.  —  Bossuet,  Defensio  Declar., 
lib.  m,  cap.  26. 

(3)  Cenni,  Monumenta  Domin.  Pontif.  t.  n,  Dissert.  1,  n.  39-48.  Cet 
auteur  suppose,  avec  quelques  autres ,  que  Charlemagne  lui-même,  dans  la 
cérémonie  de  son  couronnement,  prêta  serment  de  fidélité  au  Pape.  {Ibid.9 

32. 


500  DEUXIÈME  PARTIE,  —  POUVOIR  DU  PAPE 

i57.  Le  plus  ancien  monument  qui  en  fasse  mention,  est  le  Sacra- 

de  cersërment  mentaire  de  saint  Grégoire ,  en  usage  à  Rome  et  en  France  au 
xx«  siècle  IXe  siècle,  et  publié,  en  1748,  par  Muratori,  d'après  deux  co- 
pies qui  se  conservaient  alors  à  Rome,  dans  la  bibliothèque  Otto- 
bonienne,  et  dans  celle  du  Vatican  (1).  Il  est  marqué,  dans  ce 
Sacramentaire ,  que  le  roi  élu  pour  empereur,  étant  entré  dans 
l'église  pour  la  cérémonie  de  son  couronnement ,  prête  le  ser- 
ment suivant,  en  mettant  la  main  sur  l'Évangile  :  «  Moi,  N,  roi 
«des  Romains,  par  la  grâce  de  Dieu  futur  empereur,  promets 
«et  jure,  devant  Dieu  et  saint  Pierre,  d'être  désormais  protec- 
«  teur  et  défenseur  du  souverain  pontife  et  de  la  sainte  Église 
«romaine,  dans  toutes  ses  nécessités  et  ses  besoins,  gardant  et 
«  conservant  ses  possessions,  ses  honneurs  et  ses  droits ,  autant 
«  que  je  le  saurai  et  le  pourrai,  avec  le  secours  de  Dieu,  en  pure 
«  et  bonne  foi.  Qu'ainsi  Dieu  m'aide,  et  ces  saints  Évangiles  (2).  » 

n.  45.)  Nous  exposerons  ailleurs  les  raisons  qui  ne  nous  permettent  pas 
d'admettre  cette  supposition.  (Voyez  le  n.  6  des  Pièces  justifie,  à  la  fin  de 
ce  volume.  ) 

(1)  Sacramentar.  Gregor.  De  Coron.  Imper.  (Muratori,  Liturgia  Rom. 
vêtus;  Venetiis,  1748,  2  vol.  in-fol.) 

Muratori  établit  solidement,  à  ce  qu'il  nous  semble ,  l'ancienneté  de  ces 
exemplaires ,  par  des  raisons  tirées ,  non-seulement  de  la  forme  des  caractè- 
res, mais  encore  du  fond  des  choses.  Car,  1°  dans  l'énumération  qu'on  y 
trouve  des  fêtes  alors  en  usage,  il  n'est  fait  aucune  mention  de  celle  de 
tous  les  Saints,  qu'on  sait  avoir  été  établie  par  le  pape  Grégoire  IV,  sous 
le  règne  de  Louis  le  Débonnaire  ;  ni  des  Rogations ,  établies  à  Rome  par  le 
pape  Léon  III;  ni  de  quelques  autres  fêtes  plus  récentes;  ce  qui  suppose 
que  ces  exemplaires  ont  été  copiés  avant  l'établissement  de  ces  fêtes  ,  par 
conséquent  avant  la  mort  de  Grégoire  IV  en  844  ,  et  même  avant  celle  de 
Léon  III  en  816  ;  2°  un  de  ces  exemplaires  (celui  de  la  Bibliothèque  Ottobo- 
nienne)  est  terminé  par  divers  catalogues  de  personnes ,  soit  vivantes  ,  soit 
défuntes,  pour  lesquelles  on  devait  prier  au  saint  sacrifice  delà  messe.  Le 
premier  catalogue  de  personnes  vivantes  est  celui  des  chanoines  de  Paris,  à 
la  tête  desquels  est  nommé  l'évêque  Erchenrade ,  qu'on  sait  être  mort  vers 
l'an  857.  (Gallia  Christiana,  tom.  vu,  pag.  33.)  Cet  exemplaire  du  Sacra- 
mentaire était  donc  en  usage,  dans  l'Église  de  Paris,  vers  le  milieu  du 
ixe  siècle.  (Muratori,  ubi  suprà,  tom.  i;  Dissert,  de  rébus  Liturgicis,  cap.  6, 
pag.  72-77.) 

(2)  «  Ego  N.  rex  Romanorum,  annuente  Domino,  futurus  imperator,  pro- 
«  mitto,  spondeo,  polliceor  atque  juro,  coram  Deo,  et  beato  Petro,  me  de  cae- 
«  tero  protectorem  et  defensorem  fore  summi  pontificis,  et  sanctse  Romanac 
«Ecclesiae,  in  omnibus  necessitatibus  et  utilitatibus  suis;  custodiendo  et 
«  conservando  possessiones  ,  honores,  et  jura  ejus,  quantum  divino  fultus 
«  adjutorio  (fuero),  secundùm  scire  et  posse  meum,  rectâ  et  purâ  fide.  Sic  me 
«  Deus  adjuvet,  et  heec  sancta  Dei  Evangelia,  »  Muratori,  ubi  supràf  tom.  h, 
pag.  455 


SUR  LES  SOUVERAINS.  —  CHAPITRE  II.  501 

On  retrouve  ce  serment,  à  peu  près  dans  les  mêmes  termes, 
dans  plusieurs  autres  Sacramentaires  et  Ordres  Romains,  d'une 
date  plus  récente  (l).  Mais,  indépendamment  du  témoignage  des 
livres  liturgiques,  l'usage  de  ce  serment,  pendant  toute  la  suite 
du  moyen  âge ,  est  attesté  par  un  grand  nombre  d'autres  mo- 
numents historiques.  Nous  rapporterons  seulement  ici  quelques- 
uns  des  plus  remarquables. 

Le  pape  Jean  XII  ayant  appelé  en  Italie,  en  960,  le  roi  de  tss. 
Germanie ,  Othon  Ier,  pour  la  délivrer  de  la  tyrannie  de  Béren-  pa/ 
ger,  lui  offrit  la  couronne  impériale,  en  reconnaissance  de  ses  è^o.  " 
services  (2).  Mais  pour  mieux  assurer  l'exécution  de  ses  pro- 
messes, il  recommanda  à  ses  légats,  de  lui  faire  prêter,  avant 
son  entrée  en  Italie ,  le  serment  suivant ,  en  présence  de  la  vraie 
croix  et  des  saintes  reliques  :  «  Moi  Othon ,  roi  de  Germanie , 
«  promets  avec  serment  au  seigneur  Jean,  souverain  pontife,  au 
«  nom  du  Père,  du  Fils  et  du  Saint-Esprit,  par  ce  bois  sacré  de 
«  la  croix  et  par  les  saintes  reliques  ici  présentes,  que  si  je 
«  viens  à  Rome ,  avec  la  permission  de  Dieu ,  j'exalterai  de  tout 
«  mon  pouvoir  la  sainte  Église  romaine ,  et  vous  qui  êtes  son 
«  chef  ;  et  que  jamais  je  ne  contribuerai ,  par  ma  volonté ,  mon 
«  conseil ,  mon  consentement  ou  mes  exhortations ,  à  vous  nuire 
«  dans  votre  vie,  vos  membres,  et  votre  honneur  ;  que  je  ne  ferai 
«  dans  Rome,  sans  votre  conseil,  aucun  règlement  et  aucune 
«  ordonnance,  sur  les  choses  qui  regardent  votre  personne  ou  le 
«  peuple  romain  ;  que  je  vous  rendrai  toutes  les  terres  de  saint 
«Pierre,  qui  tomberont  en  mon  pouvoir;  enfin,  que  j'obli- 
«  gérai  celui  à  qui  je  donnerai  le  royaume  d'Italie,  à  promettre 
«  avec  serment  de  vous  aider ,  de  tout  son  pouvoir ,  à  défendre 
«  le  territoire  de  saint  Pierre.  Qu'ainsi  Dieu  me  soit  en  aide,  et 
«  ces  saints  évangiles  (3).  »  Cette  formule  a  depuis  été  insérée 

(1)  Ordo  Romanus  ad  benedicendum  Imper at.  apnd  Hittorpium,  De  Di- 
vinis  Officiis,  pag.  153.  —Idem,  apud  Mabillon,  Musœum  Italie,  toni.  h, 
pag.  216.  Voyez  quelques  autres  éditions  de  Y  Ordre  Romain,  et  du  Sacra- 
mentaire  de  saint  Grégoire,  indiquées  par  Mabillon,  ibid.,  Commentarius 
prœvius,  §  1  ;  et  par  Muratori,  ubi  suprà,  tom.  î ,  Dissert,  de  rébus  LU 
turg-,  cap.  6. 

(2)  Baronii  Annales,  tom.  x,  anno  960,  n.  1.  —  Fleury,  Hist.  Ecclés., 
tom.  xii,  liv.  lyi,  n.  1. 

(3)  «  Tibi  domino  Joanni  papa?,  ego  rex  01  ho,  promittere  et  jurare  facio, 
«  per  Patrem  ,  et  Filium ,  et  Spiritum  sanctum,  et  per  lignum  hoc  vivificae 


502  DEUXIÈME  PARTIE.  —  POUVOIR  DU  PAPE 

dans  le  Corps  du  Droit,  et  suivie  quelquefois,  en  de  pareilles 

circonstances,  par  les  successeurs  d'Othon,   comme  nous  le 

verrons  bientôt. 

l5g  Un  auteur  contemporain  de  l'empereur  Henri  II  rapporte, 

serment     en  ces  termes,  le  serment  de  fidélité  prêté  par  ce  prince  au 

de  1  empereur  *  •  1 

Fiem-i  h,    pape  Benoît  VIII ,  en  1014  :  «  Henri  étant  arrivé  à  l'église  de 

en  1014.         r    r  ° 

«  saint  Pierre,  où  le  Pape  l'attendait  avec  le  clergé;  le  Pape, 
«  avant  de  l'introduire ,  lui  demanda  s'il  voulait  être  fidèle  pro- 
«  tecteur  et  défenseur  de  l'Église ,  et  sincèrement  fidèle  en  tout, 
«à  lui  et  à]  ses  successeurs.  Le  roi  le  promit;  après  quoi,  le 
«  Pape  lui  donna  l'onction  et  la  couronne  royale,  ainsi  qu'à  la 
«  reine  son  épouse  (1).  » 
1G0.  H  est  à  remarquer  que  l'empereur  Henri  H  prêtait  ce  serment, 

serment  environ  soixante  ans  avant  le  pontificat  de  Grégoire  VII,  et  à 
GrïgoTre  pvn.  l'exemple  de  l'empereur  Othon  1er,  qui  en  avait  prêté  un  sem- 
blable,, plus  de  cinquante  ans  auparavant.  Grégoire  VIT  ne 
faisait  donc  que  se  conformer  à  un  usage  beaucoup  plus  ancien 
que  lui,  en  exigeant  de  l'empereur  élu  un  pareil  serment.  Voici 
le  texte  de  celui  qu'il  exigea  de  Henri  IV,  et  de  Rodolphe  : 
«  Dès  aujourd'hui  et  dans  la  suite,  je  serai  sincèrement  fidèle  au 
«  bienheureux  apôtre  saint  Pierre ,  et  à  son  vicaire  le  pape  Gré- 
«  goire,  et  j'observerai  fidèlement,  comme  un  chrétien  doit  le 
«  faire ,  tout  ce  que  le  Pape  m'ordonnera,  au  nom  de  l'obéis- 

«  crucis  et  per  lias  reliquias  sanctorum ,  quod  si ,  permittente  Domino ,  Ro- 
te mam  venero,  sanctam  Roraanam  Ecclesiam,  et  te  rectorem  ipsius  exaltabo, 
«  secundùm  posse  meiim  ;  et  numquam  vitam,  aut  membra,  et  ipsum  bono- 
<c  rem  quem  habes,  meâ  voluntate,  aut  meo  consilio,  aut  meo  consensu,  aut 
«  meâ  exhortatione  perdes;  et  in  Romanâ  urbe  nullum  placitum  aut  ordina- 
«  tionem  faciam ,  de  omnibus  quae  ad  te  aut  ad  Romanos  pertinent,  sine  tuo 
«  consilio  ;  et  quidquid  ad  nostram  potestatem  de  terra  sancti  Pétri  pervene- 
«  rit,  tibi  reddam  ;  et  cuicumque  regnum  Italicum  commisero,  jurare  faciam 
«  illum  ut  adjutor  tuî  sit,  ad  defendendam  terrain  sancti  Pétri ,  secundùm 
«  suum  posse.  Sic  me  Deus  adjuvet,  et  bcec  sancta  Dei  Evangelia.  »  Raro- 
nius,  ibid.,  n.  5.  — Corpus  Juris  canonici;  Decreti  parte  prima,  dist.  63, 
cap.  33,  Tibi  Domino. 

(ty«  Henricus. . . .  cum  dilectâ  suimet  conjuge  Cunegunde,  ad  ecclesiam 
«  sancti  Pétri,  Papa  expectante,  venit  ;  et  antequam  introduceretur,ab  eodem 
«  interrogatus,  si  fidelis  vellet  Romanae  patronus  esse  et  defensor  Ecclesise, 
«  sibi  autem  suisque  successoribus  per  omnia  fidelis  :  devotâ  professione 
«  respondit;  et  tune  ab  eodem  inunctionem  et  coronam,  cum  contectali  (id 
«  est  conjuge)  suâ,  suscepit.  »  Ditmar,  Çhronic.  lib.  vu.  (Leibniz,  Scriptor es 
rerum  Brunswic.  tom.  1,  pag.  400.  —  Raronii  Annales,  tom.  xi,  anno  1014, 
n.  1 — Fleury,  Hist.  Ecclés.,  tom.  xn,  liv.  lviii,  n.  38.) 


Adrien  IV. 


SUR  LES  SOUVERAINS.  —  CHAPITRE  II.  503 

«  sauce  qae  je  lui  dois Je  procurerai  de  tout  mon  pouvoir, 

«  avec  l'aide  de  Jésus-Christ,  l'honneur  et  les  intérêts  de  Dieu 
«  et  de  saint  Pierre  ;  et  la  première  fois  que  je  me  trouverai  en 
«  présence  du  Pape ,  je  me  reconnaîtrai  son  défenseur  et  celui 
«  de  saint  Pierre  (1).  » 
Les  termes  de  ce  serment  ont  pu  varier  avec  le  temps  ;  mais       161. 

z  .         1  ai  Discussion  à 

il  est  certain  que,  pendant  toute  la  suite  du  moyen  âge,  les  em-  ce sujet, 
pereurs  ont  continué  de  le  prêter,  à  l'époque  de  leur  couronne-  e"r[ce  iiï£ 
ment.  Radevic,  auteur  du  xne  siècle,  nous  apprend  qu'on  voyait, 
de  son  temps ,  dans  le  palais  de  Latran ,  un  tableau  représentant 
le  couronnement  de  l'empereur  Lothaire  II  (en  1133),  avec 
cette  inscription  en  vers  latins  :  «  Le  roi  s'arrête  à  la  porte ,  où 
«  il  jure  de  conserver  à  Rome  ses  privilèges;  il  se  reconnaît 
«  ensuite  Y  homme  du  Pape,  et  reçoit  de  lui  la  couronne  (2).  » 
Il  est  vrai  que  l'empereur  Frédéric  Ier,  étant  venu  à  Rome , 
en  1155,  se  montra  fort  choqué  de  cette  peinture  et  de  cette  in- 
scription, qui  semblaient  représenter  l'empire  comme  un  fief 
du  saint-siège,  et  sollicita  fortement  le  pape  Adrien  IV  de  les 
faire  effacer.  Il  ne  se  montra  pas  moins  choqué ,  peu  de  temps 
après,  de  quelques  expressions  du  même  pontife,  dans  les- 
quelles il  croyait  retrouver  la  même  prétention  (3).  Le  Pape  se 

(1)  «  Ab  hâc  horâ  et  deinceps ,  fidelis  ero ,  per  rectam  fidem,  beato  Petro 
«  apostolo,  ejusque  vicario  papse  Gregorio,  qui  nunc  in  carne  vivit;  et  quod- 
«  cumque  mihi  ipse  Papa  prseceperit,  sub  his  videlicet  verbis  :  Per  veram 
«  obedientiam,  fideliter,  sicut  oportet  christianum,  observabo  ;  ....  et  Deo 
«  sanctoque  Petro,  adjuvante  Christo,  dignum  honorent  et  utilitatemimpen- 
«  dam;  et  eo  die,  quando  illum  primitus  videro,  fideliter  per  manus  meas 
«  miles  sancti  Pétri  et  illius  efficiar.  »  On  trouve  le  texte  de  cette  formule 
parmi  les  Lettres  de  Grégoire  VII,  liv.  ix,  lettre  3.  (Labbe,  ConciL  tom.  x, 
pag.  279.) 

(2)  «  Rex  venit  ante  fores,  jurans  priùs  urbis  honores 
«  Post  Homo  fit  Papœ,  sumit  quo  dante  coronam.  » 

Radevicus,  De  Gestis  Friderici  I,  lib.  i,  cap.  10.  (Apud  Urstitium,  Ger- 
maniœ  Historici  illustres,  pag.  400;  necnon  apud  Muratori,  Rerum 
Italie.  ScriptoreSj  tom.  vi.)  — Fleur  y,  Hist.  Ecclés.,  tom.  xiv,  liv.  lxviii, 
n.  22. 

(3)  Il  suffit  de  lire  attentivement,  et  sans  préjugé,  la  lettre  du  pape 
Adrien  IV,  qui  donna  lieu  à  ces  plaintes  de  Frédéric,  pour  voir  combien  elles 
étaient  mal  fondées.  Le  Pape,  pour  engager  ce  prince  à  réprimer  plus  effica- 
cement l'impiété  dans  ses  États ,  lui  rappelait,  en  ces  termes ,  les  bienfaits 
qu'ils  avait  reçus  du  saint-siége  :  «  Vous  devez  vous  rappeler  l'accueil  favo- 
«  rable  que  la  sainte  Église  romaine  vous  fit  l'année  dernière ,  et  avec  quelle 
«  joie  elle  vous  conféra  la  couronne  impériale.  Ce  n'est  pas  que  nous  nous 


504  DEUXIÈME  PARTIE.  —  POUVOIR  DU  PAPE 

montra  fort  étonné  de  l'interprétation  qu'on  donnait  à  ses  ex- 
pressions ;  et  pour  apaiser  l'empereur,  il  déclara  qu'il  n'avait 
jamais  regardé  l'empire  comme  étant  proprement  un  fief  du 
saint-siége;  qu'il  avait  seulement  prétendu  qu'en  conférant  à 
l'empereur  la  couronne  impériale,  il  lui  avait  réellement  ac' 
cordé  un  bienfait  (l).  L'empereur  parut  satisfait  de  cette  expli- 
cation ;  mais  le  Pape,  en  s'exprimant  ainsi,  croyait  si  peu 
renoncer  à  ses  droits  sur  l'empire,  qu'il  écrivit  peu  de  temps 
après,  au  même  empereur,  des  lettres  dans  lesquelles,  après  lui 
avoir  rappelé  le  serment  de  fidélité  qu'il  avait  prêté  à  saint 
Pierre  et  au  Pape,  il  menace  de  le  déposer,  s'il  ne  renon- 
çait à  certaines  prétentions  sur  les  biens  ecclésiastiques  de  Lom- 
bardie  :  «Revenez,  lui  dit-il,  revenez  de  votre  égarement: 
«  suivez  mon  conseil  ;  car  je  crains  qu'après  avoir  obtenu  de 
«  nous  l'onction  et  la  couronne  impériale,  vous  ne  perdiez  ce 
«  qui  vous  a  été  accordé ,  en  usurpant  ce  qui  ne  vous  appar- 


at repentions  d'avoir  en  tout  rempli  vos  désirs  ;  au  contraire,  nous  nous  ré- 
«.  jouirions  d'avoir  pu  vous  accorder  encore,  s'il  était  possible,  de  plus  grands 
«  bienfaits,  en  considération  des  biens  que  vous  pouvez  procurer  à  l'Église  et 
«  à  nous.  Sed  etsi  majora  bénéficia  excellentia  tua  de  manu  nostrâ  susce- 

«  pisset,  si  fieri  posset , non  immérité  gauderemus.  »  (Adriani  IV 

Epist.  2,  ad  Frider.  Imper.  —  Labbe,  Concil.  tom.  x,  pag.  1145.)  Il 
fallait  assurément  avoir  bien  envie  de  chicaner  sur  les  mots ,  pour  supposer 
que  le  Pape  prenait  ici  le  mot  bénéficia  dans  le  sens  de  fiefs  :  c'était  une 
vraie  querelle  d'Allemand.  On  voit  avec  étonnement  cette  chicane  de  Frédéric 
renouvelée  par  plusieurs  écrivains  modernes,  particulièrement  par  Sismondi, 
Hist.  des  Républ.  Ital.,  chap.  9.  On  peut  consulter,  au  sujet  de  ces  discus- 
sions, Fleury,  Hist.  Ecclés.,  tom.  xv,  liv.  lxx,  n.  23,  25  et  30.  —  D.  Ceil- 
lier,  Hist.  des  Auteurs  ecclés.,  tom.  xxm ,  pag.  350,  etc.  —  Bossuet,  Def. 
Declar.,  lib.  ni,  cap.  18;  lib.  îv,  cap.  9.  —  Bianchi,  Delta  Potestà  délia 
Chiesa,  tom.  n,  lib.  v,  §  13. 

(1)  «  Occasione  cujusdam  verbi,  quod  est,  beneficium,  tuus  animus  (sicut 
«  dicitur)  est  commolus  :  quod  utique,  nedum  tanti  viri,  sed  nec  cujuslibet 
«  minoris  animum  meritô  commovisset.  Licèt  enim  hoc  nomen,  quod  est, 
«  beneficium ,  apud  quosdam  in  aliâ  significatione  quàm  ex  impositione  ha- 
«  beat,  assumatur  ;  tune  tamen  in  eâ  significatione  accipiendum  fuerat,  quam 
«  nos  ipsi  posuimus,  et  quam  ex  institutione  suâ  noscitur  retinere.  Hoc  enim 
«  nomen  ex  bono  et  facto,  est  editum,  et  dicitur  beneficium  apud  nos,  non 
«.feudum,  sed  bonum  factum.  In  quâ  significatione,  in  universo  sacrœ 
<c  Scripturae  corpore,  invenitur;  ubi  ex  beneficio  Dei,  non  tamquam  ex 
«.feudo,  sed  velut  ex  benedictione  et  bono  facto  ipsius,  gubernari  dicimur 
«  et  nutriri.  Et  tua  qnidem  Magnificentia  liquidé  recognoscit ,  quod  nos  ita 
«  bene  et  honorificè  imperialis  dignitatis  insigne  tuo  capiti  imposuimus,  ut 
«  bonum  factum  valeat  omnibus  judicari.  «  Adriani  IV  Epist.  4.  (Labbe, 
ubi  supràf^âg.  1147.) 


SUR  LES  SOUVERAINS.  —  CHAPITRE  II.  505 

«  tient  pas  (t).  »  Frédéric  irrité  répondit  à  cette  lettre  en  termes 
extrêmement  durs ,  et  qui  lui  auraient  probablement  attiré  une 
sentence  de  déposition,  si  Eberard,  évèque  de  Bamberg,  prélat 
distingué  par  sa  doctrine  et  ses  vertus ,  ne  se  fût  heureusement 
entremis  entre  le  Pape  et  l'empereur  pour  les  réconcilier.  Mais 
il  résulte  évidemment  de  cette  discussion  •*  1°  que  l'empereur 
Frédéric  Ier,  aussi  bien  que  ses  prédécesseurs ,  avait  prêté  au 
Pape  serment  de  fidélité,  à  l'époque  de  son  couronnement  ; 
2°  que,  dans  le  sentiment  de  l'empereur  et  du  Pape,  ce  serment 
n'exprimait  pas  proprement  une  dépendance  féodale  de  l'em- 
pereur à  l'égard  du  saint-siége ,  mais  seulement  un  dévouement 
particulier  aux  intérêts  de  l'Église  romaine  ;  3°  que  le  pape 
Adrien  IV,  quoiqu'il  ne  regardât  pas  proprement  l'empire 
comme  un  fief  du  saint-siége,  croyait,  aussi  bien  que  ses  pré- 
décesseurs ,  avoir ,  par  l'usage  et  le  droit  public  de  son  temps, 
le  pouvoir  de  déposer  l'empereur,  en  certains  cas. 

Quoi  qu'il  en  soit  de  cette  discussion  entre  le  pape  Adrien  IV       *6a. 
et  Frédéric  1er,  il  est  certain  que  les  empereurs  continuèrent     tï^T" 
depuis,  pendant  plusieurs  siècles,  de  prêter  serment  de  fidélité  ^Tveml'e- 
au  Pape,  à  l'époque  de  leur  couronnement.  On  les  vit  bien  quel-  Hen"v„  et 
quefois  élever  des  contestations  sur  le  sens  et  les  conséquences     I?  PaPe 
de  ce  serment  ;  mais  ils  ne  faisaient  aucune  difficulté  de  le  prêter, 
et  se  montraient  même  très-empressés  de  le  faire,  pour  obtenir 
le  consentement  du  Pape  à  leur  élection.  L'histoire  de  l'empereur 
Henri  Vil  offre,  à  ce  sujet,  un  exemple  remarquable  (2).  Le  pape 
Clément  V,  voulant  procurer  la  paix,  ou  du  moins  une  trêve, 
entre  ce  prince  et  le  roi  de  Naples,  en  1312,  prétendit  les  y 
obliger,  en  vertu  du  serment  de  fidélité  qu'ils  avaient  tous 
deux  prêté  au  saiut-siége.  L'empereur  refusa  absolument  d'ac- 
céder aux  désirs  du  Pape ,  soutenant  qu'il  n'était  obligé  à 
personne  par  serment  de  fidélité.    Le  Pape,  justement  sur- 
pris de  cette  prétention,  la  condamna  par  une  bulle ,  publiée 
l'année  suivante,  et  insérée  depuis  dans  le  Corps  du  Droit  (S). 

(1)  «Resipisce  ergo,  resipisce,  tibi  consulimus.  Quia  cùm  a  nobis  consecra- 
«  tionem  et  coronam  merueris,  dum  inconcessa  captas,  ne  concessa  perdas, 
«  nobilitati  tuas  timemus.  »  Adriani  IV  Epist.  6.  (Lahbe,  ibid.,  pag.  1149.) 

(2)  Fleury,  Hist.  Ecclés.,  tom.  xix,  liv.  xcr,  n.  48  ;  liv.  xcii,  n.  1  et  8.  — 
Corpus  Juris  can.;  Clementinarum,  lib.  11,  tit.  9,  De  Jurejurando. 

(3)  Voici  comment  le  Pape  s'exprime  dans  cette  bulle  :  «  Inter  cœtera,  pu- 


506  DEUXIÈME  PARTIE.  —  POUVOIR  DU  PAPE 

Il  rappelle,  dans  cette  bulle,  que  Henri,  à  l'exemple  de  ses 
prédécesseurs,  lui  a  prêté  serment  de  fidélité,  soit  avant  son 
couronnement,  soit  à  l'époque  même  de  son  couronnement  ; 
qu'avant  son  entrée  en  Italie  (en  1311  )  il  avait  d'abord  prêté 
ce  serment,  suivant  la  formule  marquée  dans  le  Décret  de 
Gratien,  et  que  nous  avons  rapportée  plus  haut  (1);  et  qu'à 
l'époque  de  son  couronnement  (en  1312)  il  l'avait  renouvelé 
suivant  la  formule  du  Pontifical  romain,  conçue  en  ces  ter- 
mes :  «  Moi  Henri ,  roi  des  Romains ,  et  par  la  permission  de 
«Dieu,  futur  empereur  (2),  promets  et  jure,  devant  Dieu  et 
«  saint  Pierre,  d'être  dorénavant  protecteur  et  défenseur  du 
«  souverain  pontife  et  de  la  sainte  Église  romaine,  dans  toutes 
«  ses  nécessités  et  ses  intérêts ,  gardant  et  conservant  ses  posses- 
«  sions,  ses  privilèges  et  ses  droits,  autant  que  Dieu  me  per- 
«  mettra  de  le  faire ,  selon  mes  connaissances  et  mon  pouvoir , 
«  en  pure  et  bonne  foi.  Qu'ainsi  Dieu  me  soit  en  aide,  et  ces 
«  saints  Évangiles.  »  Il  y  a  sans  doute  lieu  de  s'étonner,  que 
l'empereur  ne  voulût  pas  reconnaître  ici  un  véritable  serment 


«  blicè,  praesente  multitudine  hominum  copiosâ,  (Henricus)  respondit,  se  non 
«  fore  cuiquam  ad  juramentum  fidelltatis  adstrictum,  et  quod  numquam 
«  fecerit  juramentum,  propter  quod  foret  ad  juramentum  fidelitatis  alicui 
«  obligatus;  et  quod  ipse  nesciebat,  quod  antecessores  sui  Romani  imperato- 
«  res  umquam  juramentum  hujusmodi  praestitissent,  simulans  se  immemorem 
«  juramentorum,  quoe  nobis  ante  coronationem  suam  praestiterat ,  et  post 
«  coronationem  etiam  innovarat.  Nos  itaque  attendcntes  quod  hujusmodi  re- 
«  sponsio,  si  sub  dissimulatione  pertranseat ,  vel  silentio  pallietur,  posset  in 
«  magnum  et  evidens  prsejudicium  Romanae  Eeclesiae  redundare,  dignum  ad- 
«  modum  et  opportunum  fore  prospeximus,  ut  de  juramentis  hujusmodi 
«  constitutioni  praesenti  aliqua  breviter  annectamus.  »  Corpus  Juris  cano- 
nici;  ubi  suprà,  pag.  118  et  119. 

(1)  Voyez  plus  haut,  n.  158. 

(2)  «  Ego  Henricus,  Romanorum  rex,  annuente  Domino ,  futurus  impe- 
«rator,  promitto,  spondeo  et  polliceor,  atque  juro  coram  Deo  et  beato 
«  Petro,  me  de  caetero  protectorem,  procuratorem  et  defensorem  fore  summi 
«  pontificis,  et  hujus  sanctae  Romanae  Eeclesiae,  in  omnibus  necessitatibus  et 
«  utilitatibus  suis,  custodiendo  et  conservando  possessiones,  honores  et  jura 
«  ejus,  quantum  divino  sufl'ultus  adjutorio  fuero,  secundùm  scire  et  posse 
«  meum,  recta  et  purâ  fide.  Sic  me  Deus  adjuvet,  et  haec  sancta  Dei  Evange  - 
«  lia.»  Corpus  Juris ,  ubi  suprà,  p.  120.  Dans  cette  formule  de  serment, 
Henri  ne  prend  que  le  titre  de  futur  empereur,  parce  que,  d'après  l'usage 
et  la  constitution  de  l'empire ,  il  ne  pouvait  prendre  le  titre  d'empereur, 
qu'après  avoir  reçu  du  saint-siége  l'onction  et  la  couronne  impériale.  Nous 
rapporterons  ailleurs  le  texte  du  Droit  de  Souabe  sur  ce  sujet.  (Chap.  3, 
art.  2,§2,n.  269.) 


SUR  LES   SOUVERAINS. — CHAPITRE   II.  507 

de  fidélité ,  et  que  plusieurs  écrivains  modernes  aient  cru  pou- 
voir élever  des  doutes  sur  ce  point.  Mais,  tout  le  monde  con- 
vient, dit  Bossuet,  que  ce  serment  marquait  au  moins  une 
grande  soumission  (l). 

Enfin,  ce  qu'il  y  a  ici  de  plus  remarquable,  et  ce  qui  n'est       ■«• 
pas  moins  clairement  établi  par  l'histoire ,  c'est  que  les  empe-  des  empereurs 

ta  i  -i  Henri  IV 

reurs,  non  contents  de  prêter  au  Pape  le  serment  dont  nous  et 
venons  de  parler,  en  recevant  de  lui  l'onction  et  la  couronne  resUTiè  ' 
impériale,  lui  reconnaissaient  aussi  le  droit  de  les  déposer,  du  *""£ pïpï*11 
moins  en  certains  cas.  Déjà  on  a  pu  s'en  convaincre  par  les  lest£S(r- 
propres  aveux  de  l'empereur  Henri  IV  à  une  époque  où  il  était 
moins  disposé  que  jamais  à  favoriser  les  prétentions  du  Pape, 
et  plus  intéressé  à  les  contester  (2).  Environ  deux  siècles  après 
la  déposition  de  ce  prince,  Frédéric  II,  excommunié  et  déposé 
par  le  pape  Grégoire  IX,  en  1239,  ne  contesta  point  à  celui-ci 
le  droit  de  prononcer  une  pareille  sentence,  droit  qu'il  avait 
formellement  reconnu  longtemps  auparavant  (3);  mais  il  se 
plaignit  seulement  de  l'injustice  prétendue  de  cette  sentence, 
et  il  en  appela  au  futur  concile,  au  jugement  duquel  il  ne 
faisait  pas  difficulté  de  se  soumettre  d'avance  (4).  C'était  là 
sans  doute  reconnaître  assez  clairement  la  compétence  du 
concile;  mais  Frédéric  la  reconnut  dans  la  suite,  d'une  ma- 
nière plus  éclatante;  car  le  Pape  ayant  convoqué  à  Lyon 
un  concile  général,  en  1245,  pour  terminer  cette  affaire, 
l'empereur,  qui  ne  voulait  pas  y  paraître  en  personne,  y  en- 
voya des  procureurs  chargés  de  sa  défense,  entre  autres 
Thaddée  de  Suesse,  légiste  très  habile,  qui  s'acquitta  de  sa 
mission  avec  une  ardeur  et  une  vivacité  souvent  excessives. 
Mais  quel  que  fût  le  zèle  des  députés  de  Frédéric  pour  la  défense 
de  leur  maître,  ils  reconnurent  constamment  la  compétence  du 
Pape  et  du  concile  pour  juger  sa  cause.  Thaddée  seul,  dans  la 

(1)  «  Hue  accedit,  quod  jampridem  Romanis  pontificibus  ab  imperatori- 
«  bus  id  prsestitum  fuerat  juramentum,  quod  fidelitatis  fuisse  Romani  pon- 
«  tifices  postea  declaraverunt  :  summi  certè  obsequii  fuisse  nemo  dijfite- 
«  tur.  »  Bossuet,  Defens.  Declar.,  lib.  îv,  cap.  9,  versus  médium. 

(2)  Ci-dessus,  n.  85,  97  et  98. 

(3)  Greg.  IX  Epistol.  2,  ad  Stephanum  Cantuar.  archiep.  (Labbe, 
Conc.  t.  xi,  p.  313.)  — Fleury,  Hist.  Ecclés.,  t.  xvi,  liv,  lxxix,  n.  37. 

L  (4)  Fleury,  Hist.  Ecclés.,  t.  xvn,  liv.  lxxxi,  n.  9,  20,  etc.,  4G.— Michaud, 
Hist.  des  Crois.,  t.  iv,  p.  512. 


508  DEUXIÈME   PARTIE.  —  POUVOIR  DU  PAPE 

dernière  session ,  voyant  le  Pape  sur  le  point  de  prononcer  la 
sentence ,  déclara  que  si  l'on  procédait  contre  l'empereur ,  il  en 
appelait  au  Pape  et  au  futur  concile  général.  Une  pareille  dé- 
claration était  sans  doute  également  injurieuse  pour  le  souve- 
rain pontife  et  pour  le  concile  alors  assemblés  ;  mais  elle  renfer- 
mait au  fond  un  nouvel  aveu  de  la  compétence  du  Pape  et  du 
concile  général,  pour  juger  l'empereur.  Aussi  le  Pape  n'eut 
aucun  égard  à  un  appel  si  manifestement  illusoire,  et  prononça 
enfin  contre  Frédéric  la  sentence  de  déposition ,  en  présence  et 
avec  l'approbation  du  concile  (l). 
164.  Il  est  vrai  que  Frédéric,  après  avoir  si  longtemps  reconnu  la 

de  Frédéric  ii  compétence  de  ce  tribunal,  changea  bien  de  langage,  à  la  nou- 
queiqiL    velle  de  sa  condamnation  ;  car  il  adressa  aussitôt  au  roi  d'An- 

autrpointU'  ce  gleterre ,  et  à  plusieurs  autres  souverains ,  une  lettre  dans  la- 
quelle il  contestait  au  Pape  le  droit  de  juger  les  princes  en 
matière  temporelle  (2).  Mais  il  est  évident  que  Frédéric,  en  s'ex- 
primant  ainsi,  était  en  contradiction  avec  lui-même,  et  avec 
tous  les  souverains  de  l'Europe ,  qui  avaient  expressément  re- 
connu ,  dans  le  concile  de  Lyon ,  la  compétence  du  Pape  sur  le 
point  en  question  (3).  Il  est  donc  naturel  d'attribuer  cette  varia- 
tion de  Frédéric ,  à  l'agitation  extrême  que  lui  causa  la  sentence 
d'Innocent  IV,  et  qui  lui  fit  prendre  successivement  le  parti  de 
la  soumission  et  celui  de  la  résistance ,  selon  les  divers  senti- 
ments dont  il  était  agité  (4). 

Cette  dernière  observation  peut  servir  de  réponse  à  la  diffi- 
culté qu'on  pourrait  tirer  de  la  conduite  de  quelques  empe- 
reurs, qui,  dans  certains  moments  de  vivacité,  contestaient 
plus  ou  moins  ouvertement  les  droits  du  Pape  sur  l'empire. 
La  suite  des  faits  que  nous  avons  exposés  montre  que  les  empe- 
reurs ne  pouvaient  contester  ces  droits,  sans  contredire  tout  à 
la  fois  leurs  propres  aveux ,  et  les  principes  universellement  re- 
connus à  cette  époque.  Aussi  un  célèbre  écrivain  protestant  du 
dernier  siècle,  après  avoir  montré  que  la  conduite  de  Gré- 


Ci)  Voyez  plus  haut,  n.  149. 

(2)  Fleury,  ibid.,  lib.  lxxxii,  n.  30  et  31.  —  Michaud,  ibid.f  p.  514. 

(3)  Voyez  plus  haut,  n.  149. 

(4)  Michaud,  ibid.,  p.  187.  —  Velly,  Hist.  de  France,  t.  iv,  p.  328.  — 
Hist.  de  l'Église  Gallicane,  t.  xi,  liv.  xxxii,  année  1245,  p.  279. 


SUR  LES  SOUVERAINS.  —  CHAPITRE  11.  509 

goire  VII  envers  l'empereur  Henri  IV,  était  une  conséquence  né- 
cessaire des  principes  alors  généralement  admis ,  sur  les  effets 
temporels  de  l'excommunication  par  rapport  aux  souverains , 
ajoute  qu'elle  était  favorisée  par  la  persuasion  où  l'on  était, 
que  l'empire  était  un  fief  du  saint-siége  ;  persuasion  que  les 
empereurs  eux-mêmes  favorisaient ,  par  la  délicatesse  singu- 
lière qu'ils  avaient  de  ne  prendre  le  nom  d'empereur ,  qu'a- 
près avoir  été  sacrés  et  couronnés  une  seconde  fois  par  les 
souverains  pontifes  (l).  Il  y  a  sans  doute  lieu  de  s'étonner,  que 
l'auteur  attribue  à  une  délicatesse  singulière  des  empereurs, 
cette  conduite  qui  leur  était  rigoureusement  prescrite  par  l'u- 
sage et  la  constitution  de  l'empire ,  comme  on  le  verra  bien- 
tôt (2)  ;  mais  les  aveux  de  cet  auteur  n'en  sont  pas  moins  im- 
portants, pour  établir  la  persuasion  générale  des  empereurs 
eux-mêmes,  à  cette  époque ,  sur  leur  dépendance  particulière 
à  l'égard  du  saint-siége. 
Il  résulte  clairement  des  faits  exposés  daus  le  cours  de  ce  cha-  D    l65* 

l  Première    con* 

pitre,  1°  que  la  persuasion  universelle  du  moyen  âge,  qui  attri-      *&"**. 
buait  à  l'Église  et  au  souverain  pontife  un  si  grand  pouvoir  sur     cadran  •• 

i  •  -,  •.  t.  r     «  -i     '  ^     i  ....      La  persuasion 

les  souverains,  n  avait  pas  ete  introduite  par  Grégoire  VII,       dont 
comme  le  supposent  ou  l'insinuent  un  si  grand  nombre  d'au-  '  paf'été a 
teurs  modernes  (3).  On  a  vu  en  effet  que,  dans  les  principaux    ,ntr"rlru,le 
États  de  l'Europe,  et  spécialement  en  Allemagne,  cette  persua-  Grég°ire  V,I« 
sion  était  fondée  sur  des  maximes  bien  antérieures  à  Gré- 
goire VII  (4).  Il  est  vrai  que  ce  pontife  et  ses  successeurs  ont  fait 
une  application  plus  rigoureuse  de  ces  maximes,  qu'on  ne  l'avait 
fait  avant  eux  ;  mais  il  demeure  constant  que,  longtemps  avant 
Grégoire  VII ,  les  maximes  qu'il  invoquait  à  l'appui  de  sa  con- 


(1)  Pfeffel,  Nouvel  Abrégé  de  V histoire  d'Allemagne,  année  1106;  édi- 
tion in-4°,  t.  i,  p.  228  et  229. 

(2)  Voyez  plus  bas,  chap.  3,  art.  2,  §  2,  n.  267,  etc. 

(3)  Sismondi,  Hist.  des  Répub.  Ital.,  1. 1,  chap.  3,  p.  180,  etc.  —  Mi- 
chaud,  Hist.  des  Croisades,  4e  édition,  t.  i,  p.  87;  t.  iv,  p.  162,  elc;  t.  vi, 
p.  260.  —  Voigt,  Hist.  de  Grég.  VII,  2e  édition,  p.  17 1,  etc.,  605,  etc. 
Voyez  aussi  le  résumé  que  nous  avons  donné  plus  haut  (p.  330,  note  l  )  du 
système  de  M.  Guizot  sur  cette  matière. 

(4)  Remarquez  en  particulier  les  n.  97, 127,  etc.  (Ci-dessus,  pag.  439,  etc.  ; 
473,  etc.)  La  suite  de  cet  ouvrage  fournira  de  nouvelles  preuves  de  ce  fai 
important.  Voyez  plus  bas,  chap.  3,  art.  2. 


510  DEUXIÈME  PARTIE. — POUVOIR  DU  PAPE 

duite  envers  les  souverains,  étaient  admises  dans  les  principaux 

États  de  l'Europe,  et  surtout  en  Allemagne  (1). 

166.  2°  Il  résulte  également  de  toute  la  suite  des  faits  exposés  daus 

Deusé!imce°n"  ce  chapitre,  que  le  pouvoir  exercé  sur  les  souverains  par  les 

Les  papes  et  et  ies  COncîles  du  moyen  âge,  ne  peut  être  considéré 

les  conciles       if    r  j       i         "   •  i/    • 

du  moyen  âge  comme  une  usurpation  criminelle  de  la  puissance  ecclesias- 
""êtreid     tique,  sur  les  droits  des  souverains.  11  est  certain,  en  effet,  que 
ïs™l?iodn7rl  les  papes  et  les  conciles  qui  ont  exercé  ce  pouvoir,  n'ont  fait 
mmeiie.  suiVre  et  appliquer  des  maximes  alors  universellement  ad- 

mises, non -seulement  par  le  peuple  crédule  et  ignorant,  mais 
par  les  hommes  les  plus  éclairés  et  les  plus  vertueux,  et  par  les 
souverains  eux-mêmes,  si  intéressés  à  contester  ces  maximes  (2). 
En  faut-il  davantage  ,  pour  justifier  pleinement  les  papes  et  les 
conciles,  du  reproche  d'usurpation,  aux  yeux  d'un  esprit  im- 
partial? Un  pareil  reproche  ne  serait-il  pas  aussi  mal  fondé,  que 
celui  qu'on  se  permettrait  à  l'égard  d'un  juge,  qui  prend  pour 
base  de  ses  arrêts  les  principes  de  jurisprudence  universelle- 
ment reconnus  de  son  temps?  Est-ce  la  faute  du  juge ,  si  la  ju- 
risprudence qu'il  trouve  établie  est  imparfaite?  Bien  plus, 
n'est-il  pas  de  son  devoir  de  la  suivre  dans  ses  décisions,  tant 
qu'elle  n'est  pas  réformée  par  l'autorité  compétente? 
l6  Dira-t-on  que  les  papes  et  les  conciles  du  moyen  âge  ne  pou- 

Troisième  con-  vaient    sans  une  erreur  grossière ,  s'attribuer  un  pouvoir  si 

séquence  *  ■*■ 

on  ne  peut  les  prodigieux,  à  l'égard  des  souverains?  Nous  verrons  bientôt  que 

accuser  non     *  .  -,  .. 

plus  la  conduite  des  papes  et  des  conciles  ne  suppose  aucune  erreur/ 
gœssZrT  Mais,  en  supposant  même  qu'ils  se  soient  trompés,  il  est  évi- 
dent que  jamais  il  n'y  eut  d'erreur  aussi  excusable  et  aussi 
innocente  que  la  leur.  Quelle  erreur,  en  effet,  pourra  jamais 
paraître  excusable,  sinon  celle  qui  est  universellement  adoptée, 
pendant  plusieurs  siècles,  par  les  princes  et  les  peuples,  par  les 
personnages  les  plus  éclairés  et  les  plus  vertueux,  et  même  par 
les  plus  intéressés  à  contester  les  principes  généralement  admis? 
Si  l'erreur  dont  il  s'agit  était  aussi  grossière  qu'on  le  suppose, 
comment  croire  qu'elle  eût  été  si  universellement  admise  par 


(1)  Voyez,  à  l'appui  de  cette  observation,  celles  que  nous  avons  faites 
plus  haut,  n.  101,  pag.  444,  etc. 

(2)  Remarquez,  à  ce  sujet,  les  aveux  de  Bossuet,  Fleury,  Pfeffel ,  etc., 
n.  118,  etc.,  pag.  465,  etc. 


SUR  LES   SOUVERAINS.  —  CHAPITRE  II.  511 

les  souverains  eux-mêmes ,  pendant  plusieurs  siècles?  Qu'on  exa- 
gère, tant  qu'on  voudra,  l'ignorance  du  moyen  âge;  il  répu- 
gnera toujours  de  supposer  que  tous  les  souverains,  pendant 
plusieurs  siècles,  aient  assez  oublié  leurs  intérêts,  pour  recon- 
naître un  principe  subversif  de  leurs  droits  et  de  leur  autorité  ; 
qu'ils  ne  l'aient  pas  seulement  reconnu  en  spéculation,  mais 
qu'ils  en  aient  formellement  approuvé  l'application,  en  bien  des 
cas,  quoiqu'il  leur  fût  si  aisé  de  voir  qu'on  pouvait  également 
le  leur  appliquer,  en  d'autres  circonstances.  Au  reste,  l'erreur 
du  moyen  âge,  sur  ce  sujet,  en  la  supposant  réelle,  ne  sem- 
blera pas  si  grossière,  si  l'on  fait  attention  qu'elle  a  été  ad- 
mise de  bonne  foi,  jusque  dans  ces  derniers  temps,  par  de 
très-grands  hommes,  et  même  par  des  écrivains  peu  favo- 
rables d'ailleurs  à  l'autorité  des  papes  et  des  conciles.  Le  pas- 
sage suivant  de  Leibniz  suffirait  pour  établir  ce  que  nous 
avançons:  «Le  Pape,  dit  ce  grand  philosophe,  a-t-il  le 
«pouvoir  de  déposer  les  rois,  et  d'absoudre  leurs  sujets  du 
«  serment  de  fidélité?  C'est  un  point  qu'on  a  souvent  mis  en 
«  question  ;  et  les  arguments  de  Bellarmin ,  qui ,  de  la  suppo- 
rt sition  que  les  papes  ont  la  juridiction  sur  le  spirituel,  infère 
«  qu'ils  ont  une  juridiction  au  moins  indirecte  sur  le  temporel, 
«  n'ont  pas  paru  méprisables  à  Hobbes  même.  Effectivement, 
«  il  est  certain  que  celui  qui  a  reçu  une  pleine  puissance  de  Dieu, 
«  pour  procurer  le  salut  des  âmes,  a  le  pouvoir  de  réprimer  la 
«tyrannie  et  l'ambition  des  grands,  qui  font  périr  un  si  grand 
«nombre  d'âmes (i).»  La  suite  de  nos  Recherches  nous  don- 
nera lieu  de  citer  plusieurs  autres  témoignages  également  déci- 
sifs, pour  justifier  la  persuasion  du  moyen  âge  sur  ce  point  (2). 

(1)  Leibniz  De  Jure  suprematûs.  (Oper.  t.  iv,  parte  3,  p.  401.)  —L'Es- 
prit de  Leibnitz,  édition  in-12,  t.  n,  p.  22. 

(2)  Voyez  principalement  l'article  2  du  chapitre  suivant. 


512  DEUXIÈME   PARTIE.  —  POUVOIR  DU  PAPE 


CHAPITRE  III. 

Fondements  du  pouvoir  exercé  par  les  papes  et  les  conciles 
sur  les  souverains ,  au  moyen  âge. 


»68.  Avant  le  xne  siècle ,  il  ne  paraît  pas  qu'on  se  soit  beaucoup 

peu     '  occupé  de  rechercher  les  fondements  du  pouvoir  extraordinaire 
«"nTîTxiV  que  les  papes  et  les  conciles  s'attribuaient  sur  les  souverains, 
s.ecie.      Qfl  SUpp0sait  généralement  la  légitimité  de  ce  pouvoir  :  il  n'é- 
tait guère  contesté  que  par  des  ennemis  déclarés  de  l'Église  et 
du  saint- siège,  et  par  un  petit  nombre  de  particuliers,  inté- 
ressés à  soutenir  la  cause  des  souverains  qui  encouraient,  par 
leurs  désordres,  les  anathèmes  de  l'Église.  Ceux  mêmes  qui  le 
contestaient ,  ne  niaient  pas  que  l'excommunication  n'entraînât 
la  perte  de  tous  les  droits  civils  ;  et  ils  se  retranchaient  à  sou- 
tenir que  les  souverains  ne  peuvent  être  excommuniés  (l). 
Vers  le  milieu  du  xne  siècle,  quelques  écrivains  s'occupèrent 
Deux  opinions  de  rechercher  les  fondements  du  pouvoir  dont  il  s'agit;  et  faute 
pi"surPcees  '  de  réflexions  sur  ses  véritables  fondements,  ils  adoptèrent ,  sur 
poiBsièca""  ce  point ,  des  opinions  singulières ,  qui  ne  pouvaient  manquer 
d'occasionner,  avec  le  temps,  de  vives  contestations.  Jean  de 
Sarisbery ,  dans  un  ouvrage  composé  vers  la  fin  du  xne  siècle , 
donne  pour  fondement  à  ce  pouvoir,  le  droit  divin,  dans  le 
sens  où  l'ont  expliqué  depuis  les  défenseurs  de  l'opinion  théo- 
logique, qui  attribue  à  l'Église  et  au  souverain  pontife  une 
juridiction  directe  sur  les  choses  temporelles  (2).  Gervais  de 
Tilbury,  qui  écrivait  au  commencement  du  siècle  suivant,  re- 
garde la  donation  de  Constantin  comme  le  véritable  fonde- 
ment du  même  pouvoir  (3).  Ces  deux  opinions  paraissent  avoir 

(1)  Voyez  les  auteurs  cités  plus  haut,  n.  96. 

(2)  Voyez  le  développement  de  cette  opinion,  au  n.  8  des  Pièces  justificat. 
à  la  fin  de  ce  volume. 

(3)  Voyez,  dans  le  chapitre  précédent,  la  note  3  de  la  page  487.  Gervais  de 
Tilbury  n'est  pas  le  premier  qui  ait  embrassé  cette  opinion.  Quelques  auteurs 
plus  anciens  l'avaient  supposée,  en  invoquant  la  donation  de  Constantin, 
pour  établir  contre  les  Grecs  la  juridiction  spirituelle  et  temporelle  du  saint. 


SUR  LES   SOUVERAINS.  — CHANTRE    III.  513 

partagé,  pendant  assez  longtemps,  les  écrivains  du  moyen  âge. 
Depuis  la  renaissance  des  lettres,  la  dernière  opinion  ayant  été 
universellement  abandonnée,  les  auteurs  modernes  ont  proposé 
différentes  explications,  que  nous  avons  exposées  plus  haut  (l) , 
et  dont  l'examen  fait  le  sujet  de  ce  troisième  chapitre. 
Pour  éclaircir  cette  matière,  il  est  essentiel  de  distinguer  ici ,    _ ,?°' . 

°  '       Distinction 

avec  Fénelon,  le  pouvoir  de  juridiction  temporelle  d'avec  le  du  pouvoir  de 

....  .  p.  juridiction 

pouvoir  directij  (2).  Le  premier  renferme,  par  sa  nature,  le  et  au  pouvoir 
droit  de  régler  les  objets  de  l'ordre  temporel,  en  tout  ce  qui 
n'est  pas  déterminé  par  le  droit  divin,  naturel  ou  positif.  Le 
pouvoir  direct  if ',  en  cette  matière,  renferme  seulement  le  droit 
d'éclairer  et  de  diriger,  par  des  décisions  doctrinales  ou  par  de 
sages  avis ,  la  conscience  des  princes  et  des  peuples,  en  leur 
manifestant  les  obligations  que  leur  impose  le  droit  divin,  na- 
turel ou  positif,  et  particulièrement  celles  qui  résultent  du 
serment  de  fidélité.  Eu  vertu  de  ce  pouvoir,  l'Église  et  le  sou- 
verain pontife  ne  peuvent  faire  aucun  règlement,  aucune  or- 
donnance sur  les  choses  temporelles;  ils  ne  peuvent  donner  ou 
ôter  aux  souverains  leurs  droits  et  leur  autorité;  ils  peuvent 
seulement  faire  connaître  aux  princes  et  aux  peuples,  leurs 
obligatious  de  conscience  en  matière  temporelle,  comme  en 
toute  autre  matière.  L'histoire  ecclésiastique  nous  offre  des 
exemples  remarquables  de  cepouvoirdirectif,  dans  la  conduite 
de  saint  Grégoire  le  Grand,  sollicitant  de  l'empereur  Maurice 
la  révocation  dune  loi  contraire  aux  intérêts  de  la  religion  (3); 
et  dans  celle  de  saint  Ambroise,  sollicitant  de  Théodose  une 
loi  pour  suspendre  les  exécutions  de  mort  et  les  confiscations 
de  biens,  pendant  trente  jours  après  la  sentence  rendue  (4). 

Cette  distinction  étant  supposée,  il  faut  remarquer,  que  la       r7i. 
question  si  fort  agitée  entre  les  théologiens ,  dans  ces  derniers  ^SwS»' 


siège.  Voyez  les  passages  d'Énce,  évêque  de  Paris,  du  pape  Léon  IX  et  de 
saint  Pierre  Damien,  que  nous  avons  indiqués  au  n.  5  des  Pièces  justificat., 
à  la  lin  de  ce  volume. 

(1)  Nos  2-20  de  cette  seconde  partie. 

(2)  Voyez  l'exposition  du  système  de  Fénelon,  ci-dessus,  n.  8-13. 

(3)  Fleury,  Hist.  Ecclés.,t.  vin,  liv.  x\xv,  n.  31 .—  Bossnet,  Def.  Declar. t 
lib.  u,  cap.  8.  —  Sarieti  Gregorii  Yita  recens  adomata,  lin.  n,  cap.  10, 
in.  1-4.  (Operum  tom.  iv.) 

(4)  Fleury,  Hist.  Ecclés.f  tom.  îv,  liv.  xix,  n.  21— Bossuet,  Def.  Declar.  9 
lib.  n,  cap.  5. 

33 


514  DEUXIÈME  PARTIE.  —  POUVOIR  DU  PAPE 

regarde  uni-  temps ,  ne  regarde  aucunement  le  pouvoir  directifde  l'Église 
\eqpo™?rde  et  du  souverain  pontife,  en  matière  temporelle  ;  ni  leur  pouvoir 
inunt°\ne  de  juridiction  temporelle ,  dans  les  ûefs  et  les  autres  souverai- 
sxJ°\f droit  net^s  qu'ils  peuvent  avoir  acquis  par  un  titre  spécial  ;  mais 
divin.      uniquement  le  pouvoir  de  juridiction  directe  ou  indirecte  sur 
les  choses  temporelles,  en  tant  que  fondé  sur  le  droit  divin. 
Les  théologiens  même  les  plus  opposés  au  sentiment  qui  attribue 
ce  dernier  pouvoir  à  l'Église  et  au  souverain  pontife,  ne  contes- 
tent pas  les  deux  autres.  Bossuet  lui-même,  en  plusieurs  en- 
droits de  la  Défense  de  la  Déclaration ,  bien  loin  de  contester 
à  l'Église  et  au  Pape  ces  deux  sortes  de  pouvoir ,  les  favorise 
ouvertement.  Il  reconnaît  d'abord  sans  difficulté  la  juridiction 
temporelle  de  l'Église  et  du  souverain  pontife,  dans  les  fiefs  et 
les  autres  souverainetés  temporelles  qu'ils  ont  pu  acquérir  par 
un  titre  spécial  (i).  Quant  au  pouvoir  directif ,  sans  le  recon- 
naître d'une  manière  aussi  expresse,  il  en  parle  avec  une  mo- 
dération remarquable,  et  parait  même  disposé  à  l'admettre. 
C'est  ce  qu'on  voit  en  particulier  dans  le  second  livre  de  la 
Défense ,  où  il  examine  fort  au  long  ce  qu'il  faut  penser  de  la 
réponse  du  pape  Zacharie  aux  Français ,  sur  la  déposition  de 
Childeric. 
s«ntïmentde      «Quand  nous  lisions,  dit-il  (2),  que  Pépin  fut  substitué  à 

(1)  Nous  citerons  un  peu  plus  bas  plusieurs  passages  remarquables  de  la 
Défense  de  la  Déclaration,  sur  ce  point.  (Ci-après,  art.  2,  n.  281.) 

(2)  «  Cùm  audiiuus  auctoritate  Zacharise  Pipinum  Childerico  fuisse  substi- 
«  tutum,  uisi  intelligamus  consilio  id,  non  imperio  factum,  omnino  nimii, 
«  adeoque  vain  sumus Summa  est  :  deposuisse  (Zachariam),  id  est,  dépo- 
te nendum  consensisse,  suasisse,  consuluisse,  fdque  volentibus  :  jam  consi- 

.«  lium  a  Papa,  ut  a  vivo  sapiente  ac pâtre  spirituali,  exquisilum.  At  si 
«  pro  imperio  aliquid  decrevisset, numqu<xm  permissuros  fuisse  barones  regni 

«  Francise Neque  tamen  negamus  justœ  decisionis  loco  fuisse  profectum 

«  a  tantâ  sede,  ex  ipsâ  totius  gentis  consultatione,  responsum  ;  sed  aliud  est 
«  datum  ambigentibus ,  gravissimâ  etiam  auctoritate,  consilium;  aliud  pro- 

«  latum,  de  rébus  civilibus  ordinandis,  pro  potestate  decretum Non  id 

«  factum  est  ut  pontifex  regnum  adimeret  aul  daret ,  sed  ut  declararet 

«  adimendum  vel  dandum  ab  iis  quibus  id  juris  competere  judicasset Sed 

«  si  vel  maxime  adversariis  concedimus,  Francos  jurejurando  a  Zachariâ  ex- 

«  solutos,  nihil  boc  ad  propositum.  Esto  enim  Franci, tamquam  ad  eau- 

«  telam,  ut  aiunt,  et  propter  ipsam  jurisjurandi  reverentiam,  a  Zachariâ  pe- 
«  tierint  ut  declararet  illud  esse  irritum,  eâque  religione  rite  exsolutos 

«  Francos  ; quid  hoc  ad  qusestionem  nostram?  an  id  propterea  extorque- 

«  bunt,  ut  pontifex  principem  pleno  imperii  jure  gaudentem  dejicere,  aut 
«  populos  nihil  taie  cogitantes  jurejurando  solvere  possit? Nihil  est  absur- 


SUR  LES  SOUVERAINS.  —  CHAPITRE  III.  515 

«  Childeric  par  l'autorité  de  Zacharie ,  ce  serait  un  excès  maui-     Bossuet 
«  feste,  et  une  prétention  sans  fondement,  de  soutenir  que  cette  sur  ,e  p°u™ir 
«  substitution  ne  se  lit  point  par  un  simple  conseil,  mais  par 

«  un  ordre  du  souverain  pontife Zacharie  déposa  Childeric, 

«  c'est-à-dire ,  consentit  à  sa  déposition ,  l'insinua,  la  conseilla 
«  aux  Français,  qui  la  souhaitaient.  Ils  avaient  demandé  con- 
«  seil  au  Pape ,  comme  à  un  homme  sage  et  à  leur  père 
«  spirituel.  Mais  s'il  eût  prétendu  faire  un  décret  sur  cette 
«  matière,  jamais  les  barons  du  royaume  de  France  ne  l'eussent 

«  permis Toutefois,  nous  ne  nions  pas  qu'on  n'ait  regardé 

«  comme  une  juste  décision  la  réponse  du  saint-siége ,  consulté 
«  par  la  nation  française.  Mais  autre  chose  est,  un  conseil  donné 
«  par  une  autorité  très-grave,  en  réponse  à  une  consultation; 
«autre  chose,  un  décret  dressé  pour  statuer  sur  des  objets 

«civils,  en  vertu  d'un  pouvoir  naturel La  réponse  du 

«  Pape  n'avait  pas  pour  objet,  d'ôter  ou  de  donner  la  puissance 
«  royale,  mais  de  déclarer  qu'elle  devait  être  ôtée  ou  donnée, 
«  par  ceux  auxquels  le  souverain  pontife  reconnaissait  ce 

«  droit Enfin,  quand  nous  accorderions  à  nos  adversaires, 

«  que  les  Français  ont  été  déliés  de  leur  serment  par  le  pape 
«  Zacharie,  cela  ne  fait  rien  à  la  question  (agitée  entre  les  théo- 
«  logiens  français  et  étrangers).  Supposons  en  effet,  que  les 
«  Français...,  pour  plus  grande  sûreté,  et  par  respect  pour  leur 
«  serment ,  aient  prié  le  Pape  de  déclarer  ce  serment  nul ,  et 

«  les  Français  absous  de  ce  lien; qu'est-ce  que  cela  fait  à 

«  notre  question?  Nos  adversaires  prétendront-ils,  pour  cela,  que 
«  le  souverain  pontife  puisse  déposer  un  prince  jouissant  de 
«  tous  ses  droits ,  ou  absoudre  de  leur  serment  les  peuples  qui 
«  ne  songent  même  pas  à  s'en  dégager?  Rien  ne  serait  plus 
«  absurde  que  cette  prétention.  »  On  peut  voir,  dans  l'ouvrage 
même  de  Bossuet,  le  développement  de  ce  passage,  qui,  sans 
admettre  expressément  le  pouvoir  directif,  l'autorise  au  fond, 
en  termes  équivalents  (l). 

«  dius.  »  Defens.  Declar.,  part.  1,  lib.  H,  cap.  33,  34,  35.  {Œuvres, 
tom.  xxxi ,  pag.  521,  528,  530.) 

(1)  A  l'appui  des  réflexions  de  Bossuet  sur  la  déposition  de  Childeric,  on 
peut  consulter  ies  auteurs  que  nous  avons  cités  plus  haut.  (lre  partie,  chap.  2, 
n.  92.)  Sur  l'authenticité  de  la  décision  du  pape  Zacharie,  dont  il  est  ici  ques- 
tion, voyez  le  n.  7  des  Pièces  justificatives ,  à  la  tin  de  ce  volume. 

33. 


516        DEUXIÈME  PARTIE. — POUVOIR  DU  PAPE 

Ce  passage,  au  reste,  n'est  pas  le  seul  où  Bossoet  explique,  par 
le  moyen  du  pouvoir  directif,  l'influence  du  Pape  et  des  évêques 
dans  les  affaires  temporelles  du  moyen  âge  (1).  Parmi  un  grand 
nombre  d'autres,  nous  citerons  en  particulier  les  réflexions  de 
l'illustre  prélat,  sur  la  requête  présentée  par  Charles  le  Chauve 
au  concile  de  Savonières,  en  859,  et  dans  laquelle  ce  prince 
reconnaît  expressément  qu'il  peut  être  déposé  du  trône  par  le 
jugement  des  évêques  (2).  «  Ces  paroles,  dit  Bossuet,  ne  font 
«  rien  à  notre  question ,  puisque  Charles  le  Chauve  ne  se  soumet 
«  aux  évêques,  qu'en  les  considérant  comme  interprètes  de  Dieu. 
«  Car  nous  n'examinons  point  en  ce  moment ,  si  les  rois  peu- 
«  vent  descendre  du  trône  par  V autorité  des  évêques  considérés 
«  comme  interprètes  de  la  volonté  divine ,  ce  qui  toutefois  ne 
«  paraît  guère  convenable  (3)  ;  mais  nous  examinons  si  les  évêques 
«  ont  le  droit  de  détrôner  les  rois  par  voie  de  jugement  (4).  » 

Après  ces  observations  préliminaires,  il  s'agit  en  ce  moment 
d'examiner,  d'après  le  témoignage  de  l'histoire,  quel  a  été  le 
véritable  fondement  du  pouvoir  exercé  par  les  papes  et  les  con- 
ciles sur  les  souverains ,  au  moyen  âge. 
,73.  On  doit  reconnaître ,  en  premier  lieu,   que  ce  pouvoir  n'a 

L  °Pdon°nne qm  pas  eu  pour  fondement ,  l'opinion  si  longtemps  accréditée  sur 
po,mentde"  l'authenticité  de  la  prétendue  donation  de  Constantin.  11  est 

(1)  Remarquez,  en  particulier,  Defens.  Declar.,  lib.  î,  sect.  2,  cap.  33-35  ; 
lib.  in,  cap.  16,  et  alibi  passim. 

(2)  Labbe,  Concil.  tom.  vm,  pag.  672.  —  Baronii  Annales,  tom.  x, 
anno  859. 

(3)  Il  est  à  remarquer  qu'au  jugement  de  Bossuet ,  le  pouvoir  attribué  aux 
évêques  sur  les  souverains,  par  la  persuasion  générale  des  Français,  à  cette 
époque,  ne  parait  guère  convenable.  Il  est  certain,  en  effet,  que  les  incon- 
vénients d'un  si  grand  pouvoir,  attribué  aux  évêques  et  aux  seigneurs  d'une 
nation  particulière,  engagèrent  dans  la  suite  les  Français,  aussi  bien  que  les 
autres  nations  catholiques  de  l'Europe,  à  réserver  au  Pape  ou  au  concile  gé- 
néral, le  jugement  des  souverains  qui  encouraient  la  déposition.  (Voyez  ci- 
après,  art.  2,  §  1,  n.  246.) 

(4)  «  Nihil,  inquam,  ad  rem,  quôd  Carolus  Calvus  episcopis,  tamquam 
«  Deiinterpretibus,  sesubmittit;non  enim  quaerimus  utrum reges, arbitrio 
«  episcoporum,  tamquam  divini  numinis  interpretum,  abdicare  possint, 
«  quodtamen  vix  aut  ne  vix  quidem  expedit;  sed  utrum  episcopi,  judicio 
«  dato,  reges  soîio  deturbare  possint.  »  Bossuet,  Defens.  Declar.,  lib.  n, 
cap.  xLiu,  3e  alinéa. 

A  l'appui  du  pouvoir  directif  dont  nous  parlons  ici ,  on  peut  voir  encore 
Fleury,  Hist.  Ecclés.,  tom.  xiv,  liv.  lxix,  n.  60.  — Pey,  De  V Autorité  des 
deux  Puissances,  tom.  î,  pag.  317  ;  tom.  il,  pag.  401  et  402. 


SUR  LES    SOUVERAINS. — CHAPITRE   III.  517 

certain,  en  effet,  que  le  pouvoir  du  Pape  et  du  concile  sur  les  au  pouvoir 
souverains  était  déjà  universellement  reconnu  sous  Grégoire  VIT,  papes  eSur  ies 
c'est-à-dire,  à  une  époque  où  l'authenticité  de  la  donation  de  fcSSTi 
Constantin  n'était  pas ,  à  beaucoup  près ,  généralement  admise.  ÇjJJJJJJjJ  ■ 
Quelques  auteurs,  il  est  vrai,  la  citaient  avec  confiance;  mais  abandonnée. 
un  grand  nombre  d'autres  la  regardaient  comme  une  pièce 
d'une  autorité  douteuse.  On  n'en  trouve  aucune  mention  dans 
plusieurs  écrivains  du  xe  et  du  xie  siècle,  qui  ne  pouvaient 
l'ignorer,  ni  la  passer  sons  silence,  supposé  que  son  autorité 
leur  eût  paru  bien  établie.  Luitprand,  évoque  de  Crémone, 
n'en  dit  rien,  dans  un  discours  adressé,  en  968,  à  l'empereur 
grec  Nicéphore,  où  il  fait  une  longue  énumération  des  libéra- 
lités de  Constantin  envers  l'Église  romaine  (t).  L'empereur 
Henri  II  n'en  parle  pas  davantage  dans  son  diplôme ,  donné 
en  1020,  pour  confirmer  les  donations  faites  au  saint-siège 
par  Pépin,  Charlemagne,  Louis  le  Débonnaire ,  Othon  Ier 
et  Othon  II  (2).  La  donation  de  Constantin  est  également 
omise  dans  le  Décret,  ou  recueil  de  canons,  composé  au  com- 
mencement du  xie  siècle,  par  Burchard,  évêque  de  Worms. 
Enfin,  Grégoire  Vil  lui-même,  si  soigneux  de  recueillir  toutes 
les  raisons  et  les  autorités  propres  à  établir  le  pouvoir  temporel 
du  saint-siége,  n'a  jamais  invoqué  la  donation  de  Constantin,  à 
l'appui  des  droits  qu'il  croyait  avoir  sur  les  souverains  (3).  Aussi, 
l'opinion  qui  regarde  cette  pièce  apocryphe,  comme  le  fondement 
du  pouvoir  que  les  papes  et  les  conciles  du  moyen  âge  se  sont 
attribué  sur  les  souverains ,  est-elle  généralement  abandonnée 
par  les  auteurs  modernes. 

La  plupart  d'entre  eux  regardent  ce  pouvoir  comme  unique-  I74. 
ment  fondé,  dans  le  principe,  sur  le  système  théologique  du  ^3,^°" 
droit  divin,  c'est-à  dire  sur  le  système  qui  attribue  à  l'Église  fondement  à 

\  w  ce  pouvoir 

et  au  souverain  pontife  une  juridiction  au  moins  indirecte  sur    ie  système 

11  «  »      *».  7»  n        t  ihéolojjicine 

les  choses  temporelles,  d  après  l  institution  divine.  Ce  tonde-        du 

(1)  Annales  de  Baronius,  année  968,  n.  27. —  Fleury,  Hist.  Eccl., 
tom.xii,  liv.  lvi,  n.  20. 

(2)  Cenni,  Monumenta  Dominationis  Pontif.,  tom.  n,  pag.  187. — 
Baronii  Annales,  anno  1014.  —  Fleury,  Hist.  Ecclés.,  tom.  in-,  liv.  lviii, 
n.  46. 

(3)  On  peut  voir  de  plus  amples  développements  sur  ce  point,  dans  le  n.  5 
des  Pièces  justifie,  à  la  fin  de  ce  volume. 


qui 


518  DEUXIÈME   PARTIE. — POUVOIR  DU  PAPE 

droit  dmn,  ment,  légitime  selon  les  uns,  et  tout  à  fait  inadmissible  selon 
aiJ0lpiusUI  a  les  antres,  fournit  aux  premiers  le  moyen  de  justifier  la  con- 
duite des  papes  et  des  conciles  du  moyen  âge  envers  les  souve- 
rains ;  tandis  qu'il  paraît  aux  seconds  un  motif  suffisant  de  la 
blâmer,  ou  tout  au  plus  un  moyen  de  l'excuser,  eu  égard  aux 
circonstances  et  aux  idées  alors  dominantes. 

Cette  opinion  commune  des  auteurs  modernes,  paraît  être  la 
principale  source  des  difficultés  qui  se  présentent ,  au  premier 
abord,  contre  le  sentiment  qui  explique  la  conduite  des  papes 
et  des  conciles  du  moyen  âge  envers  les  souverains ,  par  les 
maximes  de  jurisprudence  ou  de  droit  public  alors  en  vi- 
gueur; et  nous  avons  tout  lieu  de  croire,  que  cette  dernière 
explication  serait  facilement  admise  aujourd'hui  par  tous  les 
hommes  instruits,  s'il  était  une  fois  prouvé,  que  l'opinion  théo- 
logique du  droit  divin  n'a  pas  servi  de  fondement  à  la  con- 
duite des  papes  et  des  conciles. 
La  discussion  Cest  ce  qui  nous  engage  à  réduire  toute  la  discussion,  dans 
réduifeTdeux  ce  troisième  chapitre,  aux  deux  propositions  suivantes  :  1°  Le 
propositions,  pouvoir  exercé  par  les  papes  et  les  conciles  sur  les  souverains , 
au  moyen  âge ,  n'a  pas  eu  pour  fondement  l'opinion  théologique 
du  droit  divin.  2°  Le  véritable  fondement  de  ce  pouvoir,  est  le 
droit  public  alors  en  vigueur.  Le  développement  de  la  première 
proposition  préparera,  pour  ainsi  dire,  les  voies  à  la  seconde, 
et  préviendra  la  plupart  des  difficultés  qu'on  pourrait  opposer  à 
notre  sentiment. 

ARTICLE  PREMIER. 

Examen  historique  du  système  qui  donne  pour  fondement  au  pouvoir  exercé 
par  les  papes  et  les  conciles  sur  les  souverains,  au  moyen  âge,  l'opinion 
théologique  du  droit  divin. 

,76.  Notre  intention,  comme  nous  l'avons  remarqué  dès  le  com- 

°ïe  systèm/6  mencement  de  cet  ouvrage ,  n'est  pas  d'y  renouveler  les  discus- 
sions théologiques ,  sur  le  droit  divin ,  relativement  à  la  distinc- 
tion et  à  l'indépendanceuéciproque  des  deux  puissances  ;  mais 
uniquement  d'examiner,  d'après  le  témoignage  de  l'histoire, 
quel  a  été  le  véritable  fondement  du  pouvoir  exercé  par  les 
papes  et  les  conciles  sur  les  souverains,  au  moyen  âge.  L'unique 


avec  l'his 
toire. 


SUR  LES   SOUVERAINS.  —  CHAPITRE  III.  519 

objet  de  ce  premier  article  est  donc  d'examiner,  s'il  est  vrai  que 
les  papes  et  les  conciles,  qui  se  sont  attribué  autrefois  un  si  grand 
pouvoir  sur  les  souverains,  se  soient  principalement  ou  même 
uniquement  fondés  sur  l'opinion  théologique  du  droit  divin, 
c'est-à-dire ,  sur  l'opinion  qui  attribue  à  l'Église  et  au  souverain 
pontife  une  juridiction  au  moins  indirecte  sur  les  choses  tem- 
porelles ,  d'après  l'institution  divine. 

L'examen  attentif  de  l'histoire  ne  permet  pas  d'admettre  ce 
sentiment,  et  fournit  même  des  preuves  solides  du  contraire.  Il 
est  impossible,  en  effet,  de  donner  pour  fondement  au  pouvoir 
dont  il  s'agit,  une  opinion  qui  n'existait  pas  encore,  ou  du 
moins  qui  avait  à  peine  quelques  partisans ,  à  l'époque  où  ce 
pouvoir  était  déjà  universellement  reconnu  ;  une  opinion  qui 
n'a  commencé  à  se  répandre  qu'assez  longtemps  après,  et  dont 
la  vérité  n'a  jamais  été  enseignée  ni  supposée ,  par  les  conciles 
ou  les  souverains  pontifes,  dans  leurs  décrets.  Or,  nous  croyons 
pouvoir  montrer  par  l'histoire,  que  l'opinion  théologique  du 
droit  divin  n'existait  pas  encore,  ou  du  moins  avait  à  peine 
quelques  partisans ,  à  l'époque  où  le  pouvoir  du  Pape  et  du 
concile  sur  les  souverains  était  déjà  universellement  reconnu. 
Bien  plus,  nous  croyons  être  en  état  de  montrer,  que  cette  opi- 
nion n'a  commencé  à  se  répandre  que  depuis  cette  époque ,  et 
même  assez  longtemps  après;  et  qu'elle  n'a  jamais  été  ensei- 
gnée ni  supposée  par  les  conciles,  ou  par  les  souverains  pon- 
tifes ,  même  dans  ceux  de  leurs  décrets  où  ils  ont  paru  porter 
plus  loin  leur  autorité  sur  les  choses  temporelles. 

Ces  assertions  surprendront  sans  doute,  au  premier  abord, 
un  certain  nombre  de  lecteurs  accoutumés  à  regarder  les  asser- 
tions contraires  comme  des  vérités  indubitables,  et  généralement 
admises.  Mais  si  l'on  examine  de  près  et  avec  impartialité  les 
monuments  de  l'histoire,  on  verra  que  le  sentiment  des  au- 
teurs que  nous  combattons  est  loin  d'être  clairement  établi  ; 
qu'ils  l'ébranlent  souvent  eux-mêmes  par  leurs  aveux  ;  enfin , 
que  ce  sentiment  est  combattu  par  des  arguments  très-plau- 
sibles, et  même  convaincants  pour  quiconque  les  examine 
sans  prévention.  Pour  mettre  ces  arguments  dans  tout  leur 
jour,  nous  rechercherons  d'abord ,  dans  un  premier  paragra- 
phe, l'origine  de  l'opinion  théologique  dont  il  s'agit;  nous  exa- 


520  DEUXIÈME   PARTIE.  —  POUVOIR  DU  PAPE 

minerons  ensuite  les  principaux  actes  et  décrets  des  papes  et  des 
conciles ,  qu'on  peut  opposer  à  notre  sentiment. 


§  Ier.  Recherches  historiques ,  sur  l'origine  de  l 'opinion  théo- 
logique  du  DROIT  DIVIN. 

uo^inion        QuelIe  <Iue  soit  l'origine   précise  de  cette  opinion,   nous 
théorique  croyons  pouvoir  avancer  avec  confiance,  l°  qu'elle  n'existait 

du. droit  divin,  -.  . 

à  peine     pas  encore,  ou  au  moins  qu'elle  avait  à  peine  quelques  partisans, 

GiTgoTrevn,  à  l'époque  où  le  pouvoir  du  Pape  et  du  concile  sur  les  souverains 

etemi,8neaprèsg."  était  déJà  universellement  reconnu;  2°  que  cette  opinion  n'a 

commencé  à  se  répandre  que  depuis  cette  époque,  et  même 

assez  longtemps  après  (l). 

I.  Pour  établir  le  premier  point,  il  suffit  de  remarquer  que 
la  persuasion  générale,  qui  attribuait  au  Pape  et  au  concile  un 
si  grand  pouvoir  sur  les  souverains,  était  déjà  établie  sous  le 
pontificat  de  Grégoire  VIT,  et  même  plus  anciennement  dans 
quelques  États,  comme  on  l'a  vu  dans  le  chapitre  précédent; 
tandis  qu'on  trouve  à  peine,  avant  cette  époque,  quelques  in- 
dices de  l'opinion  qui  attribue  à  l'Église  et  au  souverain  pontife 
une  juridiction  au  moins  indirecte  sur  les  choses  tempo- 
relies  y  d'après  l'institution  divine.  Bien  loin  que  cette  der- 


(1)  Nous  remarquerons,  en  passant,  que  la  vérité  historique  de  ces  asser- 
tions laisse  entièrement  subsister,  pour  le  fond,  la  controverse  relative  à 
l'opinion  dont  il  s'agit.  Il  est  certain,  en  effet,  que  la  nouveauté  d'une  opinion 
théologique  n'est  pas ,  par  elle-même  ,  une  raison  suffisante  de  rejeter  cette 
opinion  comme  fausse  ;  le  dogme  catholique  seul  est  immuable,  invariable, 
et  aussi  ancien  que  l'Église ,  parce  qu'il  est  essentiellement  fondé  sur  la  ré- 
vélation divine;  mais  les  systèmes  et  les  opinions  théologiques  sont  quel- 
quefois de  pures  inventions  de  l'esprit  humain ,  fondés  sur  des  conjectures 
ou  des  probabilités,  sujets  par  conséquent  à  la  variation,  à  l'incertitude  et 
à  l'erreur.  Aussi ,  voit-on  ces  systèmes  adoptés  en  certain  temps  et  en  cer- 
tains pays,  tandis  qu'ils  sont  rejetés  en  d'autres ,  et  laissés  par  l'Église  à  la 
liberté  des  écoles.  De  là  vient  que  les  meilleurs  théologiens  ne  font  aucune 
difficulté  de  proposer,  pour  l'éclaircissement  des  dogmes  catholiques,  des  ex- 
plications nouvelles  ,  et  des  sysîèmes  inconnus  à  l'antiquité.  Tout  le  monde 
convient  que  la  nouveauté  de  ces  explications  n'est  pas  un  motif  suffisant 
pour  les  rejeter,  pourvu  qu'elles  ne  soient  pas  d'ailleurs  en  opposition  avec 
le  dogme  catholique.  On  peut  voir,  à  l'appui  de  ces  rétlexions,  les  Instruct. 
Past.  de  M.  de  P?*essy,  évêque  de  Boulogne,  sur  raccord  de  la  foi  et  de 
la  raison ,  dans  les  myst.  de  la  Rel.  Remarquez ,  en  particulier,  tom.  h  , 
pag.  365.  . 


SUR  LES   SOUVERAINS.  —  CHAPITRE  III.  521 

nière  opinion  fût  alors  établie,  il  est  certain  que,  depuis  l'ori- 
gine de  l'Église  jusqu'au  xne  siècle ,  le  principe  de  la  distinction 
et  de  l'indépendance  réciproque  des  deux  puissances,  était  gé- 
néralement reconnu  et  expressément  enseigné  par  les  souverains 
pontifes  eux-mêmes  (l). 
Déjà  nous  avons  rapporté  les  témoignages  des  souverains       j78- 

.  rr  °       °  .La  doctrine 

pontiies  Gelase,  Symmaque,  et  saint  Grégoire  le  Grand,  qui        de 
expriment  avec  tant  de  précision  et  de  clarté  la  doctrine  de     "u?ïl 
l'antiquité,  sur  cette  matière  (2).  Le  sixième  concile  de  Paris     £*!•!« 
n'adopte  pas  moins  clairement  la  môme  doctrine.   «  Nous  sa-  Pp's0sca,"^e' 
«vous,  dit-il  (3),  par  la  tradition  des  Pères,  que  le  corps  en-       àaaltiai: 
«  tier  de  la  sainte  Église  est  soumis  à  deux  autorités  excellentes,        '"• 
«  savoir,  l'autorité  sacerdotale,  et  l'autorité  royale.  Gélase,  vé- 
nérable évoque  de  l'Église  romaine,  écrivant  sur  ce  sujet  à 
«  l'empereur  Anastase ,   s'exprime  ainsi  :  Ce  monde ,  auguste 
><  empereur ,   est  gouverné  par  deux  puissances ,    celle   des 
«  pontifes  et  celle  des  rois;  entre  lesquelles  celle  des  pontifes 
«  est  d'autant  plus  grande ,  qu'ils  doivent  rendre  compte  à 
«Dieu,  dans  son  jugement ,  pour  les  rois  eux-mêmes  (4). 

(1)  Ce  fait  est  généralement  reconnu  par  les  auteurs  français.  Bossuet ,  en 
particulier,  ne  fait  pas  difficulté  d'expliquer  les  plus  célèbres  auteurs  des 
douze  premiers  siècles,  dans  le  sens  modéré  du  pouvoir  directif,  ou  dans 
un  autre  sens  tout  à  fait  étranger  à  l'opinion  théologique  du  droit  divin. 
{Defens.Declar.y  lib.  il,  lib.  in;  cap.  13-18.)  Grégoire  VIT,  selon  lui,  en  s'at- 
tribuant  un  si  grand  pouvoir  sur  les  souverains ,  s'écarta  également  de  la 
doctrine  de  l'antiquité  et  du  sentiment  commun  de  ses  contemporains. 
(Ibid.,  lib.  i,  sect.  1,  cap.  7  et  8;  lib.  m,  cap.  3  ) 

(2)  Voyez  le  chap.  1  de  la  première  partie,  n.  9,  10,  15. 

(3)  «  Principaliter  itaque  totius  sanctse  Dei  Ecclesiae  corpus  in  duas  eximias 
«  personas  ,  in  sacerdotalem  videlicet  et  regalem ,  sicut  a  sanctis  Patribus 
«  traditum  accepimus,  divisum  esse  novimus.  De  quâ  re  Gelasius,  Romanse 
«  sedis  vcnerabilis  episcopus,  ad  Anastasium  imperatorem  ita  scribit  :  Duo 
«  sunt  quippe,  inquit,  imperator  auguste,  quibus  principaliter  mun- 
«  dus  hic  regitur,  auctorilas  sacrata  pontijicîim,  et  regalis  potestas  ;  in 
«  quibus  tan  ta  gravius  pondus  est  sacerdotum  quanta  eliam  pro  ipsis 
«  regibus  hominum,  in  divine  reddituri  sxint  examine  rationem.  Fulgen- 
«  tins  quoque,  in  libro  De  veritate  Prœdestinationis  et  Gratta,  ita  scribit  : 
«  Quantum  per  tin  et ,  inquit,  ad  hujus  temporis  vitamf  in  Ecclesiâ 
«  nemo  poniifice  potior  ;  et  in  sœculo  christiano ,  ïmperatore  nemo 
«  celsior  invenitur.  »  Concil.  Paris,  vi,  lib.  i,  cap.  3.  (Labbe,  Concil. 
tom.  vu,  pag.  1599.)  — C apitularium ,  lib.  v,  cap.  319.  (Baluzii,  Ca- 
pitularia,  tom.  i,  pag.  890.)  —  Fleury,  Hist.  Ecclés.,  tom.  x,  liv.  xlvii, 
n.  24.) 

(4)  S.  Gelasii  Papa?  Epistola  ad  Anastas.  Aug.  (Labbe,  Concil.  tom.  îv, 


522  DEUXIÈME  PARTIE.  —POUVOIR  DU  PAPE 

«  Saint  Fulgence ,  dans  son  traité  Sur  la  vérité  de  la  Prédesti- 
«  nation  et  de  la  Grâce,  s'exprime  ainsi  :  //  n'y  a  point  ici-bas, 
«  dans  l'Église ,  de  dignité  supérieure  à  celle  du  pontife  ;  ni 
«  dans  le  siècle  aucune  dignité  supérieure  à  celle  de  l'empe* 
«  reur  (l).  »  Il  est  à  remarquer  que  ce  canon  du  sixième  concile  de 
Paris  a  été  depuis  inséré  dans  les  Capitulaires,  qui  ont  fait,  pen- 
dant si  longtemps ,  le  fond  de  la  législation  en  France ,  en  Italie, 
et  en  Allemagne  (2)  ;  d'où  il  suit  que  la  doctrine  de  l'antiquité, 
sur  la  distinction  et  l'indépendance  réciproque  des  deux  puis- 
sances,  était  reconnue  et  professée,  dans  ces  divers  États,  au 
ixe  siècle,  et  même  longtemps  après.  Il  est  également  certain 
que  ces  principes,  sur  la  distinction  des  deux  puissances,  n'étaient 
pas  une  vaine  spéculation ,  mais  une  règle  généralement  suivie 
dans  la  pratique.  En  effet,  Hincmar  de  Reims,  qui  écrivait  au 
ixe  siècle,  nous  apprend  que,  dans  les  assemblées  mixtes, 
alors  si  fréquentes,  les  évoques,  d'après  l'ancien  usage  de  la 
nation  française,  traitaient  séparément  les  affaires  de  la  reli- 


pag.  1182.)  — Fleury,  Hist.  Ecclés.,  tom.  vu,  liv.  xxx,  n.  31.  —  Bossuet, 
Defens.  Declar.,  lib.  i,  sect.  2,  cap.  33,  etc.  —  Pey,  De  V Autorité  des  deux 
Puissances,  tom.  m,  pag.  582-584. 

Au  lieu  de  ces  paroles  de  Gelase  :  Duo  quippe  sunt,  imperator  auguste, 
quibus principaliter  rnundus  hic  regitur ;  on  lit  dans  les  Capitulaires,  et 
dans  quelques  exemplaires  du  Concile  de  Paris  :  Duœ  sunt  quippe  impé- 
ratrices augustœ,  quibus  principaliter  rnundus  hic  regitur.  Baluze,  dans 
une  note  sur  ce  passage  des  Capitulaires,  croit  pouvoir  attribuer  ce  chan- 
gement à  la  fraude  d'un  faussaire,  qui  voulait  élever  le  pouvoir  de  l'Église 
au-dessus  du  pouvoir  temporel.  (Baluze,  ibict.,  tom.  n,  pag.  1213.)  Cette  con- 
jecture nous  semble  tout  à  fait  gratuite.  Nous  ne  voyons  pas  en  quoi  la  leçon 
des  Capitulaires  est  plus  favorable  au  pouvoir  de  l'Église,  que  la  leçon  com- 
mune du  texte  de  Gélase.  La  conjecture  de  Baluze  semble  d'autant  moins 
fondée,  que  la  distinction  des  deux  puissances  est  clairement  supposée  dans 
plusieurs  endroits  des  Capitulaires.  Voyez  entre  autres  un  Capitulante  de 
l'an  800,  (Baluze,  tom.  î,  pag.  330)  Capitular.  lib.  vu,  cap.  390.  —  Ca- 
pitulai*, addilio  secunda,  cap.  28,  versus  Jinem ,  et  alibi passim.  (Ibid., 
pag.  1109,  1152,  etc.)  Au  reste,  il  est  bon  de  remarquer  que  le  canon  du 
sixième  concile  de  Paris,  inséré  depuis  dans  les  Capitulaires,  ne  rapporte 
qu/en  partie  le  texte  du  pape  Gélase,  dont  la  suite  développe  et  inculque  de 
plus  en  plus  le  principe  de  la  distinction  et  de  l'indépendance  des  deux 
puissances,  comme  Bossuet  le  prouve  solidement  dans  la  Défense  de  la 
Déclaration  {ubi  supra). 

(1)  S.  Fulg.  Rusp.  De  verit.  Prœdest.  lib.  n,  cap.  22. 

(2)  Ba\une,[Capitularia  Reg.  Franc.  Prœf.  n.  35,  etc.  —  Bernardi , 
De  V Origine  et  des  Progrès  de  la  Législation  française ,  liv.  n , 
chap.  1. 


SUR  LES   SOUVERAINS. —  CHAPITRE  III.  523 

gion ,  et  se  réunissaient  aux  seigneurs  laïques  pour  traiter  des 
affaires  temporelles  (1). 

Le  pape  Grégoire  II  s'exprime,  sur  ce  sujet,  d'une  manière  CeU*l90'clrine 
également  forte  et  précise ,  dans  ses  lettres  à  l'empereur  Léon    PJ?^88^ 
l'Isaurien ,  que  nous  avons  déjà  citées  ;  car  il  y  reconnaît  exprès-       *»éffe 
sèment,  qu'il  n'a  pas  plus  le  droit  de  s'ingérer  dans  le  gou-    ixe  siècles. 
vemement  temporel,  que  V empereur  dans  le  gouvernement 
ecclésiastique  (2).  On  retrouve  les  mêmes  principes,  et  presque 
les  mêmes  expressions,  dans  une  lettre  du  pape  Nicolas  Ier  à 
l'empereur  Michel,  en  865 ,  et  dans  celle  du  Pape  Etienne  V  à 
l'empereur  Basile,  en  885  (3).  Nous  croyons  inutile  de  rappor- 
ter le  texte  de  ces  deux  lettres,  qui  reproduit,  presque  dans  les 
mêmes  termes,  ceux  que  nous  avons  déjà  cités. 

La  même  doctrine  est  clairement  énoncée  ou  supposée  dans       t8°; 

La  même 

plusieurs  conciles  ou  assemblées  mixtes  tenus  en  Angleterre,     doctrine 
aux  vu6  et  vme  siècles.  Le  concile  de  Bécancelde,  assemblé  en      h&JL* 
694,  pour  confirmer  les  immunités  des  églises  et  des  monas-  en  Aneglleterre 
tères,  défend  aux  laïques,  et  aux  rois  eux-mêmes ,  d'intervenir,   en  EsPa&ne- 
en  aucune  manière,  dans  l'élection  des  abbés  et  des  abbesses, 
et  veut  qu'on  laisse  entièrement  à  l'évêque  la  direction  et  la 
surveillance  de  ce  choix  :  «  Car,  ajoute-t-il ,  comme  il  appartient 
«  au  roi  d'établir  des  princes ,  des  gouverneurs  et  des  ducs  sé- 
«  culiers  ;  de  même  il  appartient  à  l'évêque  de  gouverner  les 
«églises,  de  choisir  et  d'établir  des  abbés,  des  abbesses,  des 
«  prêtres  et  des  diacres  (4).  »  Le  concile  de  Calcuth,  tenu  un  siè- 
cle plus  tard  (en  782),  n'est  pas  moins  formel:  «De même, 

(1)  «  Cùm  separati  a  caeteris  essent  (optimates ,  tam  clerici  quam  laïci),  in 
«  eorum  manebat  potestate,  quando  simul,  vel  quando  separatim  résidèrent, 
«  prout  eos  tractandae  causse  qualitas  docebat,  sive  de  spiritualibus,  sive  de 
«  saecnlaribus,  seu  etiam  commixtis.  »  Hincmar,  Epistola  14  (aliàs  13),  ad 
proceres  regni,  cap.  35.  —  Thomassin,  Ancienne  et  nouvelle  Discipline, 
tom.  ii,  liv.  m,  chap.  47,  n.  1  ;  chap.  51, n.  12.—  De  Marca,  De  Concordiez, 
lib.  vi,  cap.  25,  n.  4. 

(2)  Voyez  la  première  partie  de  ces  Recherches,  chap.  1,  n.  28,  pag.  227. 
(3)Labbe,  Concil.  tom.  vin,  pag.  324,  B;  tom.  ix,pag.  366.  —  Fleury, 

Hist.  Ecclés.,  tom.  xi,  liv.  l,  n.  41,  vers  la  fin  ;  liv.  lui  ,  n.  49. 

(4)  «  Régis  saccnlaris  est,  principes,  praefectos,  seu  duces  saeculares  sta- 
«  tuere.  Metropolitani  episcopi  est,  ecclesias  Dei  regere,  gubernare,  atque  ab- 
«  bâtes,  abbatissas,  presbyteros,  diaconos  eligere,  statuere  et  sanctificare,  lir- 
«  mare  et  amovere.  »  Concilium  Becanceldense.  (Labbe ,  Concil.  tom.  vi, 
pag.  1357.)  — Fleury,  Hist.  Ecclés.,  tom.  ix,  liv.  xli,  n.  4. 


524  DEUXIÈME  PARTIE.  —  POUVOIR  DU   PAPE 

«  dit-il ,  que  la  dignité  des  rois  est  élevée  au-dessns  de  toutes  les 
«  autres  (  dans  l'ordre  temporel  ) ,  de  même  celle  des  évoques  est 
««élevée  au-dessus  de  toutes  les  autres,  en  ce  qui  regarde  le 
«  culte  de  Dieu  (1).  » 

Les  nombreux  conciles  tenus  en  Espagne  vers  le  même 
temps,  particulièrement  ceux  de  Tolède,  qui  étaient,  pour  la 
plupart,  des  états  généraux  de  la  nation,  supposent  évidem- 
ment les  mêmes  principes  ;  car  on  y  voit  les  évèques  régler 
seuls  tout  ce  qui  concerne  le  gouvernement  ecclésiastique; 
tandis  qu'ils  ne  règlent  les  objets  temporels,  que  de  concert 
avec  les  seigneurs  laïques,  du  consentement  et  même  à  la  prière 
du  roi  (2). 
181.  Nous  ne  connaissons  aucun  écrivain  de  quelque  autorité,  qui 

egé.»Vraie'ne  ait  contredit  ces  principes,  avant  le  pontificat  de  Grégoire  VII. 
mentsrous""ue  H  Y  a  même  tout  lieu  de  croire  qu'ils  étaient  encore  générale- 
Grégoire  vu.  meut  reconnus  au  temps  de  ce  pontife  :  c'est  ce  qui  résulte  assez 
:   Je        clairement  de  la  doctrine  de  saint  Pierre  Damien,  contemporain 

saint   Pierre  .    ,  , 

Damien.  et  ami  de  Grégoire  VII ,  et  l'un  des  prélats  les  plus  distingués  de 
cette  époque,  par  ses  lumières  et  sa  sainteté  (3).  Dans  la  conclu- 
sion de  sa  Dispute  synodale  contre  l'antipape  Cadaloùs(4), 

(1)  «  sicut  reges  omnibus  dignitatibus  prsesunt,  ita  et  episcopi,  in  hisquœ 
«  ad  Deum  attinent.  »  Concilium  Calchutense ,  can.  il.  (Labbe,  ibid., 
pag.  1866.)  Voyez,  à  l'appui  de  ces  principes,  Lingard,  Antiquités  de  l'Église 
Anglo-Saxonne,  chap.  5,  pag.  224,  note  2. 

(2)  «  Instituenduin  credimus  ut,  trium  dierum  spatiis  percurrentejejunio, 
«  de  mysterio  sanctae  Trinitatis,  aliisque  spiritualibus ,  sive  pro  moribus  sa- 
«  cerdotum  corrigendis ,  nullo  seecularium  assistente,  inter  eos  (sacerdotes 
«sive  episcopos)  habeatiir  collatio.  »  Concil.  Tolet.  xvn,  cap.  1.  — 
Tbomassin,  Ancienne  et  nouvelle  Discipline,  tom.  h,  liv.  m,  chap.  47  ;  et  50, 
n.  10.  —  Perez  Valiente,  Apparalus  Juris  publici  Hispanici,  tom.  n, 
cap.  6,  n.  31. 

(3)  La  doctrine  de  saint  Pierre  Damien ,  sur  ce  sujet,  est  examinée  avec 
soin  par  Bossuet,  Defensio.  Declar. ,  lib.  n,  cap.  28  et  29. 

(4)  Cadaloiis ,  évêque  de  Parme,  fut  élu  Pape,  en  1061,  sous  le  nom  d'Ho- 
norius  II ,  par  la  faction  de  l'empereur  Henri  IV.  Il  fit  différentes  tentatives 
pour  s'emparer  de  Rome;  mais  toutes  furent  inutiles,  L'affaire  des  deux 
papes  fut  discutée  dans  un  concile  tenu  à  Mantoue  (en  1064  ou  1067);  on 
y  reconnut  Alexandre  II,  pour  pape  légitime  ;  et  par  suite  de  cette  décision, 
Cadaloiis  fut  abandonné  par  les  évêques  du  parti  de  Henri.  Bientôt  après, 
Cadaloiis  mourut  misérablement  sans  avoir  voulu  renoncer  au  titre  de  pape. 
{Annales  de  Baronius,  t.  xi,  an.  1061  et  suiv.)  —  Fleury,  Hist.  Eccl. 
t.  xni,  liv.  lx,  n.  47,  etc.  ;  liv.  lxi,  n.  11.  L'ouvrage  de  saint  Pierre  Damien 
dont  il  est  ici  question,  fut  composé  à  l'occasion  d'un  concile  convoqué  à 
Osbor  en  Saxe,  par  saint  Annon,  archevêque  de  Cologne,  qui  rendit  en 


SUR  LES  SOUVERAINS. — CHAHTRE  III.  525 

adressant  tout  à  la  fois  la  parole  aux  représentants  de  l'empe- 
reur et  à  ceux  du  Pape,  il  les  exhorte,  en  ces  termes,  à  conspirer 
tous  ensemble,,  pour  l'union  du  sacerdoce  et  de  l'empire.  «  Main- 
«  tenant  donc ,  dit-il,  ô  vous,  illustres  officiers  de  la  cour  im- 
«  périale,  et  vous,  augustes  ministres  du  saint-siege ,  travaillons 
«  tous  ensemble  à  procurer  l'union  du  sacerdoce  et  de  l'empire; 
«  afin  que  le  genre  humain,  gouverné  par  ces  deux  souveraines 
«puissances,  qui  président,  l'une  au  spirituel  et  l'autre  au 

«  temporel,  ne  soit  plus  divisé  en  plusieurs  partis, 

«  comme  il  vient  de  l'être  par  Cadaloùs.  Puisque  Jésus-Christ, 
«  seul  médiateur  entre  Dieu  et  les  hommes ,  a  établi ,  par  sa 
«  divine  sagesse ,  une  sainte  société  entre  les  deux  puissances,  la 
«  sacerdotale  et  la  royale ,  il  faut  que  les  dépositaires  de  l'une  et 
«  de  l'autre  soient  si  étroitement  unis,  par  le  lien  d'une  mutuelle 
«  charité ,  qu'on  retrouve  l'empereur  dans  la  personne  du  pon- 
«  tife  romain ,  et  le  pontife  romain  dans  la  personne  de  l'empe- 
«  reur  ;  sans  préjudice  toutefois  des  prérogatives  qui  ne  peuvent 
«  appartenir  qu'au  souverain  pontife.  Il  faut  que  le  Pape,  quand 
«  il  en  sera  besoin,  réprime  les  criminels  par  la  loi  du  prince; 
«  et  que  le  prince,  de  concert  avec  les  évoques,  fasse  exécuter 
«  tout  ce  que  les  saints  canons  ont  ordonné  pour  le  salut  des  âmes; 
«  que  le  Pape ,  comme  père ,  ait  la  prééminence  due  à  ce  titre 
«  auguste;  et  que  le  prince,  comme  fils  unique  et  tendrement 
«  aimé,  repose  dans  son  sein  (1).  »  Ainsi,  dans  le  sentiment  de 

cette  occasion ,  comme  dans  plusieurs  autres ,  des  services  importants  à 
l'Église.  Il  est  probable  que  l'ouvrage  de  saint  Pierre  Damien  fut  lu  dans 
ce  concile.  Le  P.  Labbe  l'a  inséré  dans  le  t.  ix  de  sa  collection  des  Con- 
ciles. 

(1)  «  Amodo  igitur,  dilectissimi ,  illinc  regalis  aulae  consiliarii,  bine  sedis 
«  apostolicae  comministri;  utraque  pais  in  hoc  uno  studio  conspire  m  us  labo- 
«  rantes,  ut  summum  sacerdotium,  et  romanum  simul  confœderetur  im- 
«  perium;  quatenus  humanum  genus,  quod  per  nos  duos  apices  in  utraque 
«  substantiâ  regitur,  nullis  (quod  absit)  partibus,  quod  per  Cadaloùm  nu- 
«  per  factum  est,  rescindatur  ; . .  .....  et  quatenus,  ab  uno  mediatore  Dei 

«et  hominum,  haec  duo,  regnum  scilicet  et  sacerdotium,  divino  sunt 
«  conflata  mysterio  ;  ita  sublimes  istae  du;x;  personae  tantâ  sibimet  unitate 
«  jungantur,  ut  quodam  mutnœ  caritatis  glutino,  et  rex  in  Romano  pon- 
te tifice,  et  Romanus  pontifex  inveniatur  in  rege;  salvo  scilicet  suo  privile- 
«  gio  papae,  quod  nemo  prteter  eum  usurpare  permittitur.  Caeterùm  et  ipse 
«  delinquentes ,  cùm  causa  dictaverit,  forensi  lege  coerceat  ;  et  rex  cum 
«  suis  episcopis,  super  animarum  statu,  prolatà  sacrorum  canonum  auctori- 
«tate,  décernât  ;  ille,  tanquam  parens,  paterno  semper  jure  preeemirïeat  : 


182. 


526        DEUXIÈME  PARTIE.  —  POUVOIR  DU  PAPE 

saint  Pierre  Damien ,  le  genre  humain  est  gouverné  par  deux 
puissances  qui  président  également  aux  choses  humaines, 
l'une  pour  le  spirituel,  et  Vautre  pour  le  temporel:  toutes  deux 
sont  souveraines,  chacune  dans  son  ressort;  elles  doivent  s'unir 
étroitement,  comme  étant  alliées  et  amies,  mais  non  comme 
assujetties  l'une  à  l'autre,  dans  les  matières  de  leur  compétence. 
S'il  est  permis  au  prince  de  faire  des  ordonnances  qui  tendent 
au  salut  des  âmes,  ce  n'est  qu'en  faisant  exécuter  les  saints 
canons ,  de  concert  avec  les  évoques  ;  de  même ,  si  le  Pape 
réprime  les  criminels  par  des  peines  temporelles ,  ce  n'est  qu'en 
se  servant  de  la  loi  du  prince ,  et  non  en  vertu  de  la  puissance 
attachée  à  son  caractère  sacré.  D'où  l'auteur  conclut,  que  le 
Pape ,  comme  père ,  doit  avoir  seulement  la  prééminence  due 
à  ce  titre  auguste  ;  prééminence  qui  ne  suppose  aucunement 
le  droit  de  régler  les  choses  temporelles,  puisque,  dans  les  prin- 
cipes du  même  auteur ,  Dieu  a  réservé  ce  droit  à  la  puissance 
temporelle. 
Nous  n'ignorons  pas  que  plusieurs  écrivains  modernes ,  soit 
IntindSusre"  qu'ils  n'aient  pas  lait  assez  d'attention  aux  témoignages  que 
de  l'opinion  nous  venons  de  citer ,  soit  que  ces  témoignages  ne  leur  aient 
«in',  pas  semblé  décisifs,  ont  cru  voir,  à  l'époque  même  dont  nous 
avant  '  venons  de  parler  (  c'est-à-dire ,  depuis  le  vne  jusqu'au  xe  siè- 
Gregoue  .  cje  ^  ^es  iÛCiiCes  de  l'opinion  théologique  du  droit  divin.  On  a 
cité,  en  preuves  de  cette  supposition ,  1°  le  mélange  du  spirituel 
et  du  temporel,  si  ordinaire,  à  cette  époque,  dans  les  actes  de 
la  législation  ecclésiastique  et  civile  (1);  2°  les  entreprises  réci- 
proques des  deux  puissances  :  on  allègue  en  particulier,  à  l'ap- 
pui de  ce  reproche ,  l'influence  des  rois  et  des  seigneurs  français 
dans  les  élections  ecclésiastiques,  sous  la  première  race  de  nos 
rois  (2)  ;  la  déposition'  de  Vamba ,  roi  d'Espagne ,  dans  le  xne 
concile  de  Tolède,  en  681  ;  et  celle  de  Louis  le  Débonnaire,  dans 

«  iste,  velut  uuicus  ac  singularis  filius,  in  amoris  illius  amplexibus  requies- 
«  cat.  »  Saint  Pierre  Damien,  Opuscul.  4.  (Oper.  t.  m,  p.  30.)  — Voyez 
aussi  Epistol.  lib.  vu;  Epistol.  3.  (Oper.  t.  i.  )—  Fleury,  Hist.  Ecclés., 
t.  xiii,  liv.  lx,  n.  49. 

(1)  Fleury,  Hist.  EccL,  t.  xm,  3e  Discours,  n.  9  et  10  ;  t.  xix,  7e  Dis- 
cours ,  n.  5.  —  Annales  du  moyen  âge,  t.  îv,  225;  t.  v,  462-464. 

(2)  Fleury,  Hist.  EccL,  t.  xm;  3e  Discours,  n.  10.— Thomassin,  An- 
cienne et  nouvelle  Discipline,  t.  n,  liv.  m,  chap.  11,  etc.  —  DeHéricourt, 
Abrégé  du  même  ouvrage,  2e  partie,  chap.  21. 


Examen  des 
faits 


législation. 


SUR   LES  SOUVERAINS.  —  CHAPITRE    III.  527 

le  concile  de  Compiègne,  en  833(1);  3°  la  réponse'du  pape  Zacha- 
rie  aux  Français,  sur  la  déposition  de  Childeric  111  ;  4°  la  dignité 
de  consul  offerte  à  Charles  Martel  par  le  pape  Grégoire  III  ;  celle 
de  patrice  conférée  à  Pépin  par  Etienne  II  ;  et  celle  $  empe- 
reur donnée  à  Charlemagne  par  Léon  III  (2)  ;  5°  enfin ,  le  droit 
attribué  aux  évoques,  en  France,  dès  le  ixe  siècle,  de  juger 
et  môme  de  déposer  les  rois,  au  nom  et  par  l'autorité  de 
Dieu  (3). 

Mais  nous  ne  voyons  rien,  dans  tous  ces  faits,  qui  suppose  l'opi-       l83# 
nion  théologique  du  droit  divin.  Pour  ce  qui  regarde,  en  premier 
lieu,  le  mélange  du  spirituel  et  du  temporel  dans  les  actes    ;H*gué$. 

i      i       i  t     •   i      •  i  i    •  ■     -,  i  •  *     Mélange 

de  la  législation  ecclésiastique  et  civile;  il  est  vrai  que  ce  mé-  du 
lange  était  très-ordinaire ,  à  l'époque  dont  nous  parlons ,  comme  sptèmporei , u 
il  a  continué  de  l'être  pendant  toute  la  suite  du  moyen  âge.  dans(^e,saacte8 
Plusieurs  capitulaires  de  nos  rois ,  et  une  multitude  de  con- 
ciles tenus  dans  ces  temps  anciens ,  ont  également  pour  objet  le 
gouvernement  de  l'Église  et  celui  de  l'État,  le  maintien  de  l'ordre 
civil  et  celui  de  la  discipline  ecclésiastique  (4).  Mais  ce  mélange, 
singulier  au  premier  abord,  n'a  plus  rien  d'étonnant,  et  se  con- 
cilie facilement  avec  le  principe  de  la  distinction  et  de  l'indépen- 
dance réciproque  des  deux  puissances ,  lorsqu'on  fait  attention 
que  les  décrets  dont  il  s'agit  étaient  le  résultat  du  concours  et  de 
l'étroite  union  des  deux  puissances;  qu'ils  étaient  autorisés  par 
leur  consentement  exprès  ou  tacite,  et  ordinairement  publiés  dans 
ces  assemblées  mixtes,  alors  si  fréquentes,  qui  avaient  le  double 
caractère  de  conciles  et  d'assemblées  politiques ,  et  où  les  deux 
puissances  réunies  réglaient  de  concert  tout  ce  qui  regardait  le 
bien  de  l'Église  et  celui  de  l'État  (5).  Quelque  indépendantes  que 
les  deux  puissances  soient  naturellement  l'une  de  l'autre,  on 

(1)  Voyez,  pour  le  développement  de  ces  faits,  les  auteurs  cités  plus 
haut,  chap.  1,  p.  403,  note  1  ;  pag.  406,  note  2. 

(2)  Le  card.  Bellarmin  et  plusieurs  autres  défenseurs  do  l'opinion  théolo- 
gique  du  droit  divin  ,  citent  ces  faits  à  l'appui  de  leur  sentiment. 

(3)  Voyez  les  auteurs  cités  dans  le  chapitre  précédent,  p.  479,  note  2. 

(4)  Voyez  l'analyse  des  Capitulaires,  dans  YHist.  des  Auteurs  ecclés., 
par  D.  Ceillier,  tom.  xvm,  p.  380,  etc.  — On  trouve  dans  les  tomes  xix  et 
suivants,  du  même  ouvrage,  l'analyse  des  Conciles  du  moyen  âge.  Ces  ana- 
lyses sont  répandues  dans  les  tomes  ix,  x,  et  suivants,  de  YHist.  Ecclés.  de 
Fleury  ;  et  dans  les  tomes  iv,  v,  et  suivants ,  de  YHist.  de  l'Église  Galli- 
cane. 

(5)  Voyez  plus  haut ,  chap.  1,  art.  1,  n.  28,  etc. 


528  DEUXIÈME  PARTIE.  —  POUVOIR  DU  PAPE 

conçoit  qu'elles  peuvent  s'unir  pour  leur  intérêt  commun,  se 
protéger  mutuellement  comme  deux  puissances  amies,  et  se 
faire  l'une  à  l'autre  des  concessions ,  en  vertu  desquelles  cha- 
cune des  deux  puissances  pourra  faire  des  règlements  qui  ne 
seraient  pas  naturellement  de  sa  compétence.  C'est  d'après  ces 
principes,  que  les  auteurs  même  les  plus  attachés  à  la  doctrine 
de  l'indépendance  réciproque  des  deux  puissances ,  expliquent 
le  mélange  si  fréquent  du  spirituel  et  du  temporel ,  dans  les  actes 
de  la  législation  ecclésiastique  et  civile,  sous  les  empereurs 
chrétiens  (1).  Mais  il  est  aisé  de  voir  que  cette  explication  doit 
s'appliquer,  à  plus  forte  raison,  aux  actes  de  la  législation 
des  États  chrétiens  de  l'Europe  ,  au  moyen  âge,  où  l'union  des 
deux  puissances  était  beaucoup  plus  étroite  qu'elle  n'avait  ja- 
mais été  sous  les  empereurs  chrétiens.  C'est  ce  que  Fleury  lui- 
même  n'a  pu  s'empêcher  de  reconnaître,  en  plusieurs  endroits 
de  son  Histoire  Ecclésiastique  :  «  Depuis  l'établissement  de  la 
«domination  des  Barbares  en  Occident,  dit-il,  les  seigneuries 
«  temporelles  devinrent  aux  évêques  une  grande  source  de  dis- 
«  tractions.  Les  seigneurs  avaient  beaucoup  de  part  aux  affaires 
«  d'État,  qui  se  traitaient,  ou  daus  des  assemblées  générales, 
«  ou  dans  les  conseils  particuliers  des  princes;  et  les  évêques, 
«  comme  lettrés ,   y   étaient  plus  utiles   que  les  autres  sei- 

«  gneurs Ces  assemblées  étaient   essentiellement  parle- 

«  ments ,  et  conciles  par  occasion,  pour  profiter  de  la  ren- 
«  contre  de  tant  d'évêques  ensemble.  Le  principal  objet  était 
«  donc  le  temporel,  ou  les  affaires  d'Etat;  et  les  évêques  ne 
«  pouvaient  se  dispenser  d'y  prendre  part,  étant  convoqués, 
«pour  cet  effet,  comme  les  autres  seigneurs.  De  là  vint  ce 
«  mélange  du  spirituel  et  du  temporel ,  si  pernicieux  à  la  re- 

«  ligion  (2) Les  derniers  conciles  d'Espagne ,  sous  les 

«  Goths ,  dit  ailleurs  le  même  écrivain ,  et  tous  ceux  de  France 
«sous  la  seconde  race,  étaient  des  assemblées  mixtes,  où 
«  assistaient  les  grands  de  l'État  :  ainsi  il  ne  faut  pas  s'étonner,' 
«  si  les  laïques  semblent  y  ordonner  sur  le  spirituel ,  et  les 


(1)  Voyez,  à  ce  sujet ,  les  auteurs  indiqués  ci-dessus  dans  VIntrod.,  p.  66, 
note  5. 

(2)  Fleury,  Histoire  Ecoles.,  t.  xin,  3e  Discours,  n.  9.  Voyez    aussi 
t.  xix,  7e  Discours ,  n,  4, 


SUR  LES  SOUVERAINS.  —  CHAPITRE  III.  529 

«  ecclésiastiques  sur  le  temporel;  mais  ce  mélange  a  produit, 
«  dans  la  suite,  de  mauvais  effets  (1).»  Il  ne  s'agit  point  ici 
d'examiner  quels  ont  été  les  résultats  de  ce  mélange;  nous 
croyons  avoir  montré  ailleurs,  qu'il  n'a  pas  été  aussi  pernicieux 
que  Fleury  le  suppose  (2).  Il  suffit,  en  ce  moment,  de  remarquer 
que,  de  son  aveu,  les  évêques  ne  pouvaient  alors  se  dispen- 
ser de  prendre  part  aux  assemblées  politiques ,  dans  lesquelles 
se  traitaient  les  grandes  affaires  de  l'État  ;  que  leur  présence  y 
était  plus  utile  que  celle  des  autres  seigneurs  ;  et  que  le  mé- 
lange du  spirituel  et  du  temporel,  dans  leurs  décrets,  s'expli- 
que naturellement  par  le  concours  des  deux  puissances. 

2°  Leurs  entreprises  réciproques  ne  prouvent  pas  davantage  o    184. 
l'ignorance  des  vrais  principes,  sur  leurs  limites  respectives.  On  "réJ^uêT 
a  vu,  de  tout  temps,  de  semblables  entreprises,  même  dans  les  deux  f*issaa. 
siècles  les  plus  éclairés ,  et  où  les  vrais  principes  sur  la  distinc-       ces- 
tion  et  l'indépendance  réciproque  des  deux  puissances  étaient 
mieux  connus.  On  a  vu  les  premiers  empereurs  chrétiens  pu- 
blier, malgré  les  réclamations  de  l'Église,  des  règlements  sur 
les  matières  ecclésiastiques,  et  même  sur  la  doctrine,  pour  fa- 
voriser les  hérésies  (3).  On  a  vu  dans  le  dernier  siècle,  et  on  voit 
encore  de  nos  jours,  des  souverains  et  des  magistrats,  s'attribuer 
le  droit  de  régler  ce  qu'il  y  a  de  plus  spirituel  dans  la  religion. 
Les  innovations  de  Joseph  II  en  Allemagne ,  les  prétentions  des 
parlements  et  la  Constitution  civile  du  clergé  en  France,  of- 
frent, en  ce  genre,  des  exemples  assez  remarquables.  Tout  ce 
qu'on  peut  conclure  de  ces  abus,  c'est  que,  de  tout  temps,  on 
a  vu  des  souverains,  comme  desimpies  particuliers,  oublier 
dans  la  pratique  les  principes  les  mieux  établis  ;  souvent  même 
contredire,  par  leur  conduite,  les  principes  qu'ils  avaient  eux- 
mêmes  ouvertement  professés,  avant  de  lever  l'étendard  de  la 
révolte  contre  l'Église. 

Pour  ce  qui  regarde  en  particulier  la  déposition  de  Vamba , 
roi  d'Espagne,  et  celle  de  Louis  le  Débonnaire  en  France,  c'est 

(1  )  Fleury,  Nouveaux  Opuscules ,  p.  193. 

(2)  Voyez  ci-dessus,  chap.  1,  art.  2  ;  et  ci-après,  chap.  4. 

(3)  Rien  n'est  plus  célèbre,  dans  l'histoire  de  l'Église,  que  les  troubles  oc- 
casionnés par  les  édits  de  Constance  en  faveur  des  Ariens ,  par  YHénotique 
de  Zenon  en  faveur  des  Eutychiens,  YEcthèse  d'Héraclius,  et  le  Type  de  Con- 
stant en  laveur  des  Monothélites,  etc. 

34 


530  DEUXIÈME   PARTIE.  —  POUVOIR  DU   PAPE 

bien  à  tort  qu'on  les  cite,  comme  des  entreprises  de  la  puissance 
ecclésiastique  sur  la  puissance  temporelle.  Car  1°  nous  avons 
montré  ailleurs,  que  Vamba  ne  fut  point  déposé  par  le  douzième 
concile  de  Tolède,  mais  se  démit  librement  de  sa  dignité  ;  et  que  la 
déposition  de  Louis  le  Débonnaire  ne  fut  pas  proprement  dé- 
crétée par  le  concile  de  Compiègne,  qui  se  contenta  d'approu- 
ver la  déposition  déjà  opérée  par  Lothaire,  dans  l'assemblée  des 
principaux  seigneurs  de  son  armée  (  1  ) .  2°  Le  douzième  concile  de 
Tolède  auquel  on  attribue  la  déposition  de  Vamba,  et  celui  de 
Compiègne,  auquel  on  attribue  la  déposition  de  Louis  le  Débon- 
naire, n'étaient  pas  des  assemblées  purement  ecclésiastiques , 
mais  des  assemblées  mixtes  ,  qui  avaient  le  double  caractère 
de  parlement  et  de  concile,  et  dans  lesquelles  les  évêques,  en 
qualité  de  seigneurs  temporels,  pouvaient  régler  les  affaires  de 
l'État,  de  concert  avec  les  autres  seigneurs  (2).  En  supposant 
donc  que  la  conduite  des  évoques,  dans  ces  assemblées,  ait  été 
répréhensible,  on  ne  peut  les  accuser  d'avoir  usurpé  le  pouvoir 
de  régler  les  affaires  temporelles,  mais  il  faut  dire  seulement 
qu'ils  ont  abusé  d'une  autorité  dont  ils  étaient  réellement  in- 
vestis par  la  constitution  de  l'État. 
i85.  3°  La  réponse  du  pape  Zacharie  aux  Français,  sur  la  dé- 

pipT1"  position  de  Childeric  III,  ne  suppose  pas  davantage  l'opinion 
ZaFrançaisTx  théologique  du  droit  divin.  Il  résulte  clairement  du  récit  des 
surtio.we0S'  anciens  auteurs ,   selon  la  remarque  de  Bossuet  et  de   Fé- 
chiideric m.  nelon  (3),  que  le  pape  Zacharie,  en  donnant  cette  réponse, 
ne  prétendait  pas  exercer  un  acte  de  juridiction  temporelle 
sur  le  royaume  de  France ,  mais  donner  un  simple  avis  doctri- 
nal ,  sur  un  cas  de  conscience  que  les  Français  avaient  libre- 
ment porté  à  son  tribunal  (4).  Tel  est  manifestement  le  sens  de 
tous  les  anciens  annalistes  qui  ont  parlé  de  ce  fait  ;  on  ne  peut 
d'ailleurs  l'expliquer  autrement,  sans  attribuer  au  pape  Zacha- 
rie une  doctrine  diamétralement  opposée  à  celle  que  le  pape 
Grégoire  II,  à  l'exemple  de  ses  prédécesseurs,  professait  ouver- 

(1)  Ci-dessus,  chap.  i,  p.  403  et  406. 

(2)  Ci-dessus,  chap.  1,  art.  1,  n.  28,  etc. 

(3)  Nous  avons  rapporté  plus  haut  leurs  témoignages,  n.  9  et  172. 

(4)  Voyez  les  détails  que  nous  avons  donnés  à  ce  sujet  dans  la  lre  partie 
chap.  2,  n.  93. 


i86. 


SUR  LES   SOUVERAINS.  —  CHAPITRE  III.  531 

tement,   quelques   années  auparavant,  sur  la  distinction  et 
l'indépendance  réciproque  des  deux  puissances  (1). 

4°  On  ne  serait  pas  mieux  fondé  à  prétendre,  que  les  souve- 
rains pontifes  Grégoire  III,  Etienne  II  et  Léon  III,  en  donnant  4°  Les  tiu-es 
■  <~>  >  (ie  cousui  t 

aux  monarques  français  les  titres  de  consul,  de  patrice  des  <fc /»«//*«>  et 

—.  ,,  ,  ,  ,  d'empereur, 

Romains  et  a  empereur ,  aient  prétendu  agir  en  vertu  a  un  donnés  aux 
pouvoir  de  juridiction  au  moins   indirecte  sur  les  choses  France  paries 
temporelles ,  attaché,  de  droit  divin ,  à  leur  caractère  sacré.  Il  duvi^-sLie. 
est  certain,  au  contraire,  que  ces  pontifes,  en  conférant  aux  prin- 
ces français  les  titres  dont  il  est  ici  question,  n'ont  jamais  allégué 
ce  pouvoir,  mais  uniquement  celui  qu'ils  exerçaient,  de  concert 
avec  les  seigneurs  de  Rome,  au  nom  et  comme  représentants 
du  peuple  romain,  qui  leur  avait  librement  confié  ses  intérêts 
temporels  (2). 

5°  Enfin,  le  droit  attribué  aux  évoques  français,  au  ixe  siècle,       ï8_ 
de  juger  et  même  de  destituer  le  roi,  au  nom  et  par  l'auto-  5°  Le  "!  re* 
rite  de  Dieu,  est  facile  à  concilier  avec  le  principe  de  la  dis-  comn»e joui- 
tinction  et  de  1  indépendance  réciproque  des  deux  puissances ,  <fe  coneiu  en 
alors  généralement  reconnu  en  France ,  comme  dans  les  autres  au  ™àùb. 
États  de  l'Europe.  Pour  concilier  ces  deux  choses,  il  suffit  de 
remarquer  que  les  évêques,  considérés  comme  ministres  de 
Dieu,  et  comme  exerçant  un  pouvoir  purement  directij,  ju- 
gent au  nom  et  par  V autorité  de  Dieu ,  qui  les  a  établis  pour 
éclairer  et  diriger  les  peuples  dans  l'ordre  du  salut.  Rien  n'em- 
pêche d'expliquer  en  ce  sens  le  langage  des  anciens  auteurs 
qu'on  nous  oppose  ;  et  Bossuet  lui-même  ne  fait  pas  difficulté 
d'admettre  cette  explication  (3).  Elle  semblera  encore  plus  natu- 
relle, si  l'on  se  rappelle  quelle  était,  à  cette  époque,  la  consti- 
tution de  la  monarchie  française  (4).  D'après  cette  constitution , 
le  clergé,  comme  premier  corps  de  l'État,  avait  le  droit  de  pren- 
dre une  part  très-active  à  toutes  les  affaires  publiques,  même 
dans  les  assemblées  générales  de  la  nation ,  où  se  faisait  l'élec- 
tion du  souverain,  et  où  Ton  pouvait  mettre  à  son  élection  des 


(1)  Voyez  ci -dessus,  p.  523. 

2)  Voyez  les  détails  que  nous  avons  donnés  sur  ce  point,  dans  la  lre  par- 
tie de  cet  ouvrage,  chàp.  1,  n.  19,  etc.  ;  cliap.  2,  n.  90. 

(3)  Bossuet,  Defens.  Declar.,  lib.  h,  cap.  43,  cité  ci-dessus,  n.  172,  p.  516. 

(4)  Voyez  ci-dessus,  chap.  1,  art.  1. 

34. 


532  DEUXIÈME  PARTIE. — POUVOIR  DU   PAPE 

conditions ,  dont  l'infraction  l'exposait  à  la  perte  de  ses  droits. 
Il  est  aisé  de  comprendre  que,  sous  un  pareil  gouvernement, 
malgré  la  distinction  et  l'indépendance  réciproque  des  deux 
puissances,  le  jugement  des  évêques  qui  jugent  et  destituent  un 
souverain  dans  l'assemblée  générale  de  la  nation ,  peut  être  con- 
sidéré comme  le  jugement  de  Dieu.  Cette  manière  de  parler  est 
une  conséquence  naturelle  des  principes  de  la  religion,  qui  nous 
apprennent  que  tout  pouvoir  vient  de  Dieu,  et  que  l'autorité, 
en  quelque  main  qu'elle  soit,  tire  toute  sa  force  de  la  sanction 
divine.  C'est  en  vertu  de  ce  principe,  qu'un  ancien  roi  de  Juda, 
établissant  des  juges  dans  les  principales  villes  de  sa  domina- 
tion, leur  donnait  cette  admirable  instruction  :  «Prenez  bien 
«  garde  à  ce  que  vous  ferez  dans  l'exercice  de  votre  emploi; 
«  car  ce  n'est  pas  la  justice  des  hommes  que  vous  exercez,  mais 
«  celle  de  Dieu  lui-même  (1).  »  Si  l'on  peut  parler  ainsi  des  ma- 
gistrats séculiers  en  général,  à  plus  forte  raison  pouvait-on 
dire  la  même  chose  des  évêques ,  dans  un  temps  où  ils  étaient 
investis  d'un  si  grand  pouvoir  temporel ,  reconnu  par  les  sou- 
verains eux-mêmes,  et  fondé  sur  le  profond  respect  des  princes 
et  des  peuples  pour  leur  caractère  sacré. 
188  Concluons  de  ces  explications ,  et  de  tons  les  témoignages  que 

Conséquence  .  *  . 

de  ces  nous  avons  cites  pour  établir  notre  première  proposition ,  que 
e*P  louons.  j»0p£njon  théologique  du  droit  divin  n'existait  pas  encore,  ou 
du  moins  qu'elle  avait  à  peine  quelques  partisans,  avant  le 
pontificat  de  Grégoire  VII  ;  que,  par  conséquent,  elle  n'a  pu  être 
le  fondement  de  la  persuasion  générale  qui  attribuait  dès  lors 
au  Pape  et  au  concile  un  si  grand  pouvoir  sur  les  souverains. 
Bien  loin  que  ce  pouvoir  ait  eu  pour  fondement  l'opinion  théo- 
logique dont  il  s'agit,  peut-être  pourrait-on  soutenir,  avec 
beaucoup  de  vraisemblance,  que  cette  opinion  ne  s'est  insensi- 
blement répandue  depuis,  que  par  suite  de  l'établissement  de 
ce  pouvoir ,  dont  quelques  auteurs  ont  cru  trouver  le  fondement 
dans  le  droit  divin ,  comme  on  a  cru  y  trouver  le  fondement 
de  quelques  autres  privilèges  et  immunités ,  accordés  à  l'Église 
par  la  libéralité  des  princes  (2). 

(1)  «  Videte  quid  faciatis  ;  non  enim  hominis  exercetis  judicium ,  sed 
«  Dei.  »  (IT  Paralip.  xix,  6.  ) 

(2)  Plusieurs  théologiens  ont  regardé  comme  fondés  sur  le  droit  divin , 
naturel  ou  positif,  le  précepte  de  la  dime,  les  immunités  tant  réelles  que 


DUO 


SUR  LES   SOUVERAINS.  —CHAPITRE  III.  533 

11°  Mais  quoi  qu'il  en  soit  de  cette  conjecture,  nous  croyons       ,89. 
pouvoir  avancer  avec  confiance,  que  l'opinion  qui  attribue  à  t,t'Xgique 
l'Église  et  au  souverain  pou tife  une  j uridiction  au  moins  indi-    .  .d"  . 

°  1  «/  droit  divin , 

recte  sur  les  choses  temporelles ,  d'après  l 'institution  divine ,  &p««nee©ni 
non-seulement  était  à  peine  connue  au  temps  de  Grégoire  VII ,  *ue  sièdc 
mais  qu'elle  n'a  commencé  à  se  répandre,  ou  du  moins  à 
compter  un  certain  nombre  de  partisans,  que  longtemps  après 
ce  pontife.  Il  est  vrai  que,  dans  le  cours  du  siècle  suivant,  on 
vit  peu  à  peu  s'introduire  cette  opinion,  qui  a  fait,  dans  la 
suite ,  de  si  grands  progrès  (1)  ;  mais  nous  ne  voyons  pas  qu'elle 
ait  eu  d'abord  un  grand  nombre  de  partisans.  Les  plus  célèbres 
auteurs  du  xne  siècle  la  contredisent  formellement,  et  ne 
disent  rien  qui  ne  puisse  facilement  s'expliquer  dans  le  sens  du 
pouvoir  directif,  d'institution  divine,  joint  au  pouvoir  de  juri- 
diction temporelle,  d'institution  humaine,  au  sens  où  nous 
l'avons  expliqué  plus  haut  avec  Fénelon  (2).  Ils  soutiennent,  à 
la  vérité,  ou  ils  supposent,  comme  on  l'avait  toujours  fait  avant 
eux,  que  la  puissance  temporelle  est  subordonnée  à  la  spiri- 
tuelle ,  môme  de  droit  divin ,  en  ce  sens  que  la  seconde  est 
plus  excellente  que  la  première,  et  chargée  d'éclairer  et  de 
diriger  la  conscience  des  princes  et  des  peuples ,  en  matière 
temporelle ,  aussi  bien  qu'en  toute  autre  matière  (3)  ;  mais  la 
plupart  d'entre  eux  ne  supposent  aucunement,  que  cette  subor- 
dination soit  fondée  sur  le  droit  divin ,  en  ce  sens  que  l'Église 
et  le  souverain  pontife  aient  une  juridiction  directe  ou  indirecte 
sur  les  choses  temporelles ,  hors  des  fiefs  et  des  autres  souve- 
rainetés temporelles  qu'ils  peuvent  avoir  acquis  par  un  titre 
spécial.  Nous  avouerons  sans  peine  que ,  parmi  ces  anciens  au- 

personnelles  des  clercs,  et  d'autres  usages  semblables,  qui  paraissent  bien 
plutôt  fondés  sur  le  droit  positif  humain.  Voyez ,  à  ce  sujet,  Bellarmin, 
Controv.  de  Clericis;  cap.  25,  28,  29.  (Operum,  tom.  h.)  Voyez  aussi, 
dans  l' Introduction ,  les  n.  93  et  107  ;  ci-dessus,  pag.  153  et  172. 

(1)  Jean  de  Sarisbery,  évêque  de  Chartres  au  xue  siècle,  est,  à  notre  con- 
naissance ,  le  premier  auteur  qui  ait  soutenu  cette  opinion  ;  mais  il  ne  paraît 
pas  avoir  eu ,  dans  le  principe,  beaucoup  de  partisans.  Voyez  au  n.  8  des 
Pièces  justificatives ,  à  la  fin  de  ce  volume ,  quelques  détails  sur  l'origine  et 
les  progrès  de  cette  opinion. 

(2)  Ci-dessus,  n.  12,  170. 

(3)  Voyez  les  paroles  des  papes  Gélase,  Grégoire  II,  Nicolas  Ier,  Etienne  V, 
que  nous  avons  citées  plus  haut,n.  9,  etc.  de  la  première  partie,  et  179 
de  la  seconde;  pag.  200,  et  523. 


534  DEUXIÈME   PARTIE.  —  POUVOIR   DU  PAPE 

teurs,  quelques-uns  ne  s'expriment  pas  avec  toute  l'exactitude 
et  la  précision  qui  seraient  à  souhaiter,  dans  une  matière  si 
importante.  Outre  que  cette  précision  de  langage  ne  se  trouve 
guère  dans  les  auteurs  de  cette  époque,  du  moins  avant  la 
naissance  de  la  théologie  scolastique ,  ils  s'appliquaient  d'autant 
moins  à  mesurer  leurs  expressions,  qu'il  n'existait  alors  aucune 
controverse,  sur  le  fondement  du  pouvoir  que  le  Pape  et  les  con- 
ciles s'attribuaient  à  l'égard  des  souverains.  Ce  pouvoir  étant 
alors  généralement  reconnu,  à  peine  se  trouvait-il  quelques 
personnes  qui  songeassent  à  en  rechercher  les  fondements,  et  à 
distinguer,  dans  ce  pouvoir,  ce  qui  venait  du  droit  divin, 
d'avec  ce  qui  venait  du  droit  humain.  Mais  en  supposant 
même  qu'un  certain  nombre  de  personnes  n'eussent,  à  cet  égard, 
que  des  idées  confuses  et  inexactes ,  nous  croyons  pouvoir  éta- 
blir que  les  hommes  les  plus  éclairés ,  et  les  souverains  pontifes 
en  particulier,  n'attribuaient  point  alors  à  l'Église  et  au  Pape 
une  juridiction  au  moins  indirecte  sur  les  choses  temporelles , 
d'après  l'institution  divine. 

Les  bornes  qui  nous  sont  prescrites  ne  nous  permettent  pas 
d'entrer  ici  dans  l'examen  détaillé  de  tous  les  écrivains  dont 
nous  parlons  ;  il  suffit  à  notre  but  d'exposer  la  doctrine  de  Gré- 
goire VII  lui-même,  et  celle  des  plus  célèbres  auteurs  du  siècle 
suivant  (1). 
,90#  1°  Grégoire  VII ,  le  premier  à  qui  plusieurs  auteurs  modernes 

LJrégo?resvile  attribuent  l'opinion  théologique  du  droit  divin  (2),   ne  dit 
ne  suppose   rien  qu'on  ne  puisse  entendre  dans  le  sens  modéré  que  nous 

cette  opinion,  venons  d'expliquer.  Les  auteurs  qui  lui  attribuent  la  première 
opinion,  se  fondent  principalement  sur  les  sentences  d'excommu- 

(1)  Il  est  à  remarquer  que  Bossuet ,  et  la  plupart  des  auteurs  français ,  ad- 
mettent sans  difficulté  les  explications  modérées  que  nous  donnons  au  lan- 
gage des  plus  célèbres  écrivains  du  xie  et  du  xne  siècle.  (  Defens.  Declar. , 
lib.  h,  cap.  28  et  29;  lib.  m,  cap.  13-18.)  Grégoire  Vil  est  le  seul  auteur  de 
cette  époque,  dont  il  explique  les  écrits  dans  le  sens  du  pouvoir  direct  ou 
indirect ,  fondé  sur  l'institution  divine.  Mamachi ,  Bianchi ,  et  plusieurs 
défenseurs  de  cette  dernière  opinion ,  s'efforcent  inutilement,  à  ce  que  nous 
croyons,  d'attirer  à  leur  sentiment  les  auteurs  que  nous  expliquons  dans  le 
sens  du  pouvoir  directif.  (Mamachi,  Origines  et  Antiquit.  Christ.,  tom.  iv, 
p.  171,  251,  etc.) 

(2)  C'est  le  sentiment  commun  des  auteurs  français.  Voyez,  entre  autres, 
Noël  Alexandre,  Dissert.  2a  in  Hist.  Eccles.  sseouli  xi,  art.  9.  — Bossuet, 
Defens.  Declar.,  lib.  i,  sect.  1,  cap.  7. 


SUR    LES    SOUVERAINS.  —  CHAPITRE   III.  535 

nication  et  de  déposition  qu'il  prononça  contre  l'empereur 
Henri  IV ,  d'abord  en  1076 ,  puis  en  1080  ;  et  sur  ses  lettres  à 
Herman ,  évêque  de  Metz ,  en  réponse  aux  questions  que  ce 
prélat  lui  avait  adressées  à  l'occasion  de  cette  sentence  (l).  Mais 
si  l'on  examine  attentivement  et  sans  préjugé  ces  différentes 
pièces,  on  n'y  trouvera  aucune  expression  qui  ne  puisse  et 
même  qui  ne  doive  s'expliquer  dans  le  sens  modéré  dont  nous 
venons  de  parler. 

Dans  les  deux  sentences  prononcées  contre  l'empereur,  le  Pape,       i?*- 
se  fondant  sur  le  pouvoir  divin  de  lier  et  de  délier,  excom-     xp<ies  'c 
munie  ce  prince,  et  «  délie  tous  les  chrétiens  du  serment  de  fidélité  cux  sJ?le*c" 
«  qu'ils  pourraient  lui  avoir  fait,  ou  lui  faire  à  l'avenir  (2).»  Ces  potSéwSîJw 

(1)  Nous  ne  parlons  pas  ici  des  vingt-sept  maximes  ou  sentences  intitulées, 
Dictatas  Papœ,  et  attribuées  à  Grégoire  VII  par  quelques  auteurs  moder- 
nes. (Labbe,  Concil.  tom.  x  ,  pag.  110  et  111 —  Baronii  Annales,  anno 
1076  ,11.  31.  )  Outre  que  ces  maximes  sont  généralement  regardées  comme 
apocryphes,  elles  ne  renferment  rien,  sur  le  sujet  qui  nous  occupe,  qu'on  ne 
puisse  facilement  expliquer  d'après  les  observations  que  nous  allons  faire 
sur  les  écrits  authentiques  de  Grégoire  VII.  On  peut  consulter,  au  sujet  de 
ces  maximes,  Fleury,  Hist.  Eccl. ,  tom.  xiu,  liv.  lxiii  ,  n.  il.  —  Bossuet, 
Defens.  Declar.,  lib.  m,  cap.  5.  —  Christ.  Lupus,  Canones  et  Décréta, 
tom.  îv,  pag.  338,  etc.  —  Noël  Alexandre ,  Dissert.  3  in  Hist.  Eccl.  sœ- 
culi  xi.  —  D.  Ceillier,  Hist.  des  Aut.  eccl.,  tom.  xx,  pag.  659.  —  Voigt, 
Hist.  de  Grég.  Vif,  liv.  vin,  année  1076,  pag.  380. 

Nous  ne  parlons  pas  non  plus  ici  des  reproches  qu'on  a  faits  à  Gré- 
goire VU  et  ses  successeurs ,  à  l'occasion  des  droits  de  suzeraineté  qu'ils 
s'attribuaient  sur  plusieurs  États.  Il  est  évident  qu'on  ne  peut  leur  attri- 
buer, sous  ce  prétexte,  l'opinion  théologique  du  droit  divin.  Jamais  Gré- 
goire VII  et  ses  successeurs  n'ont  prétendu  que  ces  droits  fussent  fondés  sur 
l'institution  divine.  Grégoire  VII  en  particulier  ne  leur  a  jamais  donné  d'autre 
fondement,  qu'une  ancienne  coutume,  ou  des  titres  qui  se  conservaient, 
de  son  temps,  dans  les  archives  de  l'Église  romaine.  On  trouvera  de  plus  am- 
ples détails,  sur  ce  dernier  point,  dans  l'article  suivant. 

(2)  Voici  les  termes  de  la  première  sentence ,  prononcée  en  1076  :  «  Béate 

«Petre,  apostolorum  princeps; credo  quùd  mihi,  tua    gratià,  est 

«poleslas  à  Deo  data  ligandi  alque  solvendi  in  cœlo  et  in  terra.  Hàc  ita- 
«  que  liducià  fretus,  pro  Ecclesiae  tuœ  honore  et  delensione,  ex  parte  oinni- 
«  potentis  Dei  Pains,  et  Filii,  et  Spiritùs  saneti,  per  tuam  potestatem  et  aucto- 
«  ritatem,  Henrico  régi,  lilio  Henrici  iinperatoris,  qui  contra  tuam  Ecclesiam 
«  inaudita  superbià  insurrexit,  totius  regni  Teutonicorum  et  Italiai  guberna- 
«  cuia  contradico  (i.  e.  adtmo);  et  oiunes  c/irtslianos  à  vtnculo  j uramentL 
«  quod  sibifecere  veljacient,  absolvo;  et  ut  nullus  ei  .sicut  régi  serviat,  in- 
«  teruico.  »  (Labbe,  Concil.  tom.  x,  pag.  3o  j.) 

Dans  la  seconde  sentence,  prononcée  en  1080,  le  Pape  rappelle  d'abord  eu 
détail  les  principaux  excès  de  Henri;  après  quoi  il  continue  en  ces  ternies  : 
«  Quapropter,  eonhdens  de  judicio  et  misericordià  Dei,  ejusque  piissimae  111a- 

«  trissempervirginis  Mariae,  fultus  vestrâ  auctoritate  (auctoritate  scilicet 


536  DEUXIÈME  PARTIE.  —  POUVOIR  DU  PAPE 

l'empereur    paroles ,  il  faut  l'avouer,  semblent,  au  premier  abord,  supposer 

Henri  IV 

que  Grégoire  VII  regarde  le  pouvoir  divin  de  lier  et  de  délier, 
comme  Tunique  fondement  de  celui  qu'il  s'attribue  de  déposer 
l'empereur  (l).  Mais  en  examinant  la  chose  de  plus  près,  on 
verra  que  son  langage  est  susceptible  d'un  tout  autre  sens,  et 
qu'il  a  très-bien  pu  invoquer ,  en  cette  occasion ,  le  pouvoir 
divin  de  lier  et  de  délier ,  sans  le  regarder  comme  l'unique 
fondement  de  celui  qu'il  s'attribuait  de  déposer  l'empereur. 
II  suffit ,  pour  le  prouver ,  de  rappeler  ce  fait  incontestable , 
qui  résulte  évidemment  de  tous  les  monuments  de  cette  époque , 
savoir  :  que  dès  le  temps  de  Grégoire  VII,  et  même  longtemps 
auparavant,  l'empereur,  qui  persévérait  opiniâtrement  dans 
l'excommunication  pendant  une  année  entière,  sans  se  mettre 
en  devoir  de  satisfaire  à  l'Église,  était  déchu  de  sa  dignité, 
d'après  les  lois  de  V empire  (2).  Dans  un  temps  où  les  lois 
mêmes  de  l'empire  attachaient  à  l'excommunication  ce  ter- 
rible effet ,  on  conçoit  que  la  sentence  du  Pape  qui  excommu- 


«  beatorum  Pétri  et  Pauli,  quos  Gregorius  hic  alloquitur),  sœpe  nomina- 
«  tum  Henricum,  quem  regem  dicunt,  omnesque  fautores  ejus,  excommuni- 
«  cationisubjicio,  et  anathematis  vinculis  alligo;  et  iterum  regnum  Teuto- 
«  nicorum  et  Italiae,  ex  parte  Dei  omnipotentis  et  vestrâ,  interdicens  ei 
«  omnem  potestatem  et  dignitatem  illi  regiam  tollo  ;  et  ut  nullus  christia- 
«  norum  ei  sicut  régi  obediat,  interdico;  omnesque  qui  ei  juraverunt  vel 
«  jurabunt  de  regni  dominatione,  à  juramenti  promissione  absolvo.  »  (Ibid., 
pag.  384.)  —  Voyez  aussi  Fleury,  Hist.  Ecclés.,  tom.  xm,  liv.  lxii,  n.  29  j 
]iv.  lxiii,  n.  i.  —  Voigt,  Histoire  de  Grégoire  VII,  pag.  378,  525,  etc. 

On  remarque  une  légère  différence  entre  la  première  sentence,  prononcée 
en  1076 ,  et  la  seconde,  prononcée  en  1080.  Dans  la  première,  la  déposition 
est  énoncée  avant  l'excommunication;  dans  la  seconde,  au  contraire,  l'ex- 
communication est  énoncée  avant  la  déposition.  La  dernière  formule  est  sans 
doute  plus  exacte ,  puisque  Grégoire  ne  prétendait  déposer  l'empereur  que 
par  le  moyen  et  par  suite  de  l'excommunication;  mais  le  défaut  d'exactitude 
de  la  première  formule  est  d'autant  moins  important ,  que  Grégoire ,  en  la 
prononçant ,  ne  prétendait  pas  déposer  Henri  d'une  manière  définitive ,  mais 
seulement  le  menacer  de  déposition,  dans  le  cas  où  il  refuserait  opiniâtrement 
de  s'amender.  (Voyez  ci-dessus,  ebap.  h,  n.  95,  etc.) 

(1)  C'est  ce  que  supposent,  en  effet,  tous  les  auteurs  modernes  qui  attri- 
buent à  Grégoire  VII  des  prétentions  excessives ,  en  matière  temporelle. 
Voyez,  en  particulier,  Bossuet,  Defens.  Dectar.,  lib.  i,  sect.  1 ,  cap.  7; 
lib.  m ,  cap.  3,  etc.  —  Fleury,  Hist.  Ecclés.,  tom.  xm,  3e  Discours,  n.  18. 

(2)  Les  détails  que  nous  avons  donnés  dans  le  chapitre  précédent 
(n.  95,  etc.),  d'après  les  auteurs  contemporains,  sur  les  démêlés  de  Gré- 
goire VII  avec  l'empereur  Henri  IV,  établissent  clairement  ce  fait  important, 
généralement  reconnu  par  les  auteurs  modernes. 


SUR  LES   SOUVERAINS.  —  CHAPITRE  III.  537 

niait  et  déposait  l'empereur ,  était  fondée  tout  à  la  fois  sur  le 
droit  divin  et  sur  le  droit  humain.  Elle  était  fondée  sur  le 
droit  divin,  non-seulement  en  tant  qu'elle  frappait  le  prince 
d'excommunication,  mais  encore  en  tant  qu'elle  éclairait  la 
conscience  de  ses  sujets  sur  l'étendue  et  les  bornes  de  leurs 
obligations,  en  vertu  du  serment  de  fidélité  qu'ils  lui  avaient 
prêté.  Elle  était  fondée  aussi  sur  le  droit  humain,  en  tant 
qu'elle  déclarait  le  prince  déchu  de  ses  droits,  en  punition  de  sa 
persévérance  opiniâtre  dans  l'excommunication.  Pour  prononcer 
cette  déchéance,  le  Pape  n'avait  aucun  besoin  de  s'attribuer  un 
pouvoir  de  juridiction  directe  ou  indirecte  sur  les  choses  tem- 
porelles ,  d'après  l'institution  divine  ;  il  lui  suffisait  d'avoir ,  à 
cet  égard,  le  pouvoir  directif,  dans  le  sens  où  nous  l'avons 
expliqué  au  commencement  de  ce  chapitre. 

On  conçoit  également ,  d'après  cela ,  pourquoi  la  sentence  du 
Pape  ne  faisait  mention  que  du  droit  divin  ou  du  pouvoir  de 
lier  et  de  délier,  donné  par  Jésus-Christ  à  l'Église  et  au  succes- 
seur de  saint  Pierre  ;  tandis  qu'elle  ne  disait  rien  des  anciennes 
lois  de  l'empire ,  sur  lesquelles  la  sentence  était  fondée ,  en  tant 
qu'elle  déposait  l'empereur.  C'était  en  effet  sur  le  droit  divin 
qu'était  fondée  la  sentence,  considérée  dans  son  objet  principal, 
direct  et  immédiat;  puisque  la  déposition  ne  s'opérait  que  par 
le  moyen  de  l'excommunication,  dont  elle  était  une  conséquence 
naturelle,  à' après  les  lois  de  l'empire.  Dans  les  tribunaux  ecclé- 
siastiques, aussi  bien  que  dans  les  tribunaux  civils,  le  juge  ne 
se  croit  pas  toujours  obligé  d'exposer  en  détail  les  motifs  de  son 
arrêt  ;  il  se  borne  le  plus  souvent  à  exprimer  les  principaux  :  la 
suppression  des  autres  s'explique  naturellement,  lorsqu'ils  sont 
assez  connus  par  l'usage  et  la  persuasion  universelle ,  comme 
l'étaient,  à  l'époque  dont  nous  parlons,  les  lois  de  l'empire,  qui 
déclaraient  déchu  de  ses  droits  l'empereur  persévérant  opiniâ- 
trement dans  l'excommunication  pendant  un  an.  Au  reste,  ce 
que  Grégoire  VII  n'explique  pas  dans  la  sentence  même,  il  l'ex- 
plique, ou  du  moins  l'insinue  assez  clairement,  dans  la  lettre 
qu'il  écrivit  aux  seigneurs  allemands  pour  leur  en  exposer  les 
motifs.  «Touché  d'une  vive  douleur,  dit-il,  nous  avons  écrit 
«  de  nouveau  à  Henri  pour  l'exhorter  à  se  reconnaître;  et  nous 
«lui  avons  envoyé  trois  hommes  pieux,  du  nombre  de  ses 


538  DEUXIEME  PARTIE.  —  POUVOIR  DU  PAPE 

«  sujets ,  pour  l'avertir  en  secret ,  de  faire  pénitence  de  tant  de 

«  crimes,  pour  lesquels  il  méritait,  non-seulement  d'être  excom- 

«  munie,  mais  d'être  privé  de  la  dignité  royale,  selon  les  lois 

«  divines  et  humaines  (  i).  »  Il  résulte  clairement  de  ces  paroles, 

que  Grégoire  VII ,  eu  déposant  l'empereur  ne  prétendait  pas  se 

fonder  uniquement  sur  le  droit  divin ,  mais  tout  à  la  fois  sur 

les  lois  divines  et  humaines ,  comme  nous  l'avons  expliqué. 

Explication       Ses  lettres  à  Herman,  évèque  de  Metz,  ne  présentent  pas 

lettre?! Her-  une  difficulté  plus  sérieuse  (2).  Quelques  partisans  de  Henri, 

m™,      p0ur  éluder  la  sentence  prononcée  contre  lui  par  le  Pape, 

éveque  de       L  x  x  l 

Metz.  allaient  jusqu'à  prétendre  qu'un  souverain  ne  peut  être  excom- 
munié (3).  L'évêque  de  Metz,  embarrassé  de  leurs  difficultés, 
les  proposa  à  Grégoire  VII ,  qui  n'eut  pas  de  peine,  dit  Fleury, 
«  à  montrer  que  la  puissance  de  lier  et  de  délier  a  été  donnée 
«  aux  apôtres  généralement ,  sans  exception  de  personne ,  et 
«  comprend  les  princes  comme  les  autres  (4).  »  Tel  est  propre- 
ment le  sujet  des  lettres  de  Grégoire  VII  à  Herman,  et  particu- 
lièrement de  la  première  (5).  Pour  résoudre  la  question  qui  fait  le 

(1)  «  Quâdere,  gravi  dolore  percussi, misimusad  eum  très  religiosos 

«  viros,  suos  utique  fidèles,  per  quos  eum  secretô  monuimus,  ut  pœniten. 
«  tiam  ageret  de  sceleribus  suis,  quae  quidem  horrenda  dictu  sunt ,  pluribus 
«  autem  nota ,  et  in  multis  partibus  divulgata  :  propter  quae  eum  excom- 
«  municari,  non  solùm  usque  ad  dignam  satisfactionem,  sed  ab  omni  bonore 
«  regni,  absque  spe  récupérations,  debere  destitui,  divinarum,  et  humana- 
«  rum  legum  testatur  auctoritas.  »  Paul  Bernrièd,  Vitâ  Greg.  VII.  In- 
golstadii,  1610,  in-4° ,  cap.  78.  (Muratori,  Rer.  Ital.  Script,  tom.  m, 
la  parte,  pag.  337.)  Voyez  aussi  les  auteurs  cités  plus  haut,  pag.  437,  note  1. 

(2)  Grégoire  VII,  Epistolœ  ad  Herimannum  episcopum  Metensem; 
Epistol.  lib.  iv,  Epist.  2;  lib.  vin,  Epist.  21.  (Labbe,  Concil.  tom.  x, 
pag.  149  et  267.)— Fleury,  Hist.  Ecclés.,  tom.  xm,  liv.  lxii,  n.  32. — Voigt, 
Hist.  de  Grég.  VII,  liv.  vin,  pag.  390,  etc.  —  D.  Ceillier,  Hist.  des  Aut. 
ecclés.,  tom.  xx,  pag.  633,  etc. 

(3)  Voyez  la  noie  2  de  la  pag.  438. 

(4)  Fleuiy,w&i  suprà,  3e  Discours,  n.  18. 

(5)  Nous  avons  déjà  fait  remarquer  (ci-dessus ,  p.  '438  ,  note  2)  que  dans  sa 
première  lettre  à  Herman,  Grégoire  VII  se  propose  uniquement  d'examiner  la 
difficulté  de  ceux  qui  prétendaient  qu'un  roi  ne  doit  pas  être  excommunié. 
Dans  la  seconde,  outre  ce  premier  point,  qui  est  toujours  son  objet  prin- 
cipal, Grégoire  examine  de  plus  la  difficulté  de  ceux  qui  prétendaient  que  le 
Pape  ne  pouvait  délier  les  sujets  de  leur  serment  de  fidélité.  D'après  ce  dou- 
ble but  de  la  seconde  lettre,  on  ne  doit  pas  exiger  que  tous  les  raisonne- 
ments de  Grégoire  VII  s'appliquent  également  aux  deux  points;  il  suffit  que 
chacune  de  ses  preuves  s'applique  à  l'un  des  deux  ,  selon  la  judicieuse  re- 
marque du  P.  Alexandre.  (Ubi  suprà,  art.  10,  2e  alinéa.)  Faute  d'avoir  fait 
cette  observation,  Fleury  et  quelques  autres  écrivains  reprochent  assez  dure- 


SUR  LES  SOUVERAINS.  —  CHAPITRE  III.  539 

principal  sujet  de  ces  lettres,  il  cite  d'abord  l'exemple  de  Théo- 
dose et  de  quelques  autres  souverains  excommuniés;  après  quoi, 
il  montre  la  supériorité  de  la  puissance  spirituelle  sur  la  tem- 
porelle, d'après  l'institution  même  de  Jésus-Christ.  Il  prouve 
cette  supériorité,  non-seulement  par  les  paroles  du  Sauveur  qui 
donnent  à  saint  Pierre  et  à  ses  successeurs  le  pouvoir  de  lier  et 
de  délier;  mais  encore  par  la  doctrine  constante  de  la  tradition, 
qui  oblige  tous  les  fidèles,  et  les  princes  eux-mêmes,  à  respecter 
l'autorité  du  successeur  de  saint  Pierre.  Grégoire  VII  rappelle, 
à  cette  occasion ,  dans  sa  seconde  lettre  à  Herman,  la  doctrine  et 
les  propres  expressions  du  pape  Gélase ,  qui  supposent  si  claire- 
ment deux  puissances  distinctes,  et  toutes  deux  souveraines 
dans  leur  ressort  (1).  On  ne  voit  rien  ,  dans  tout  cela ,  qui  ne  se 
rapporte  directement  au  but  de  Grégoire  VII  ;  car  l'objet  prin- 
cipal qu'il  se  propose  dans  les  deux  lettres  dont  il  s'agit,  et  sur- 
tout dans  la  première ,  est  d'établir  le  pouvoir  qu'il  s'attribue 
d'excommunier  les  souverains  ;  pouvoir  qui  lui  était  contesté 
par  quelques  partisans  de  Henri ,  à  cause  des  terribles  effets  que 
l'excommunication  entraînait  alors,  d'après  la  persuasion  uni- 
verselle, et  surtout  d'après  les  lois  de  l'empire.  On  voit  aussi 
que ,  dans  ces  lettres ,  Grégoire  VII ,  loin  de  nier  le  principe 
de  la  distinction  et  de  l'indépendance  réciproque  des  deux  puis- 
sances ,  le  reconnaît  expressément  avec  le  pape  Gélase ,  dont  il 
cite  et  adopte  les  propres  expressions.  Il  soutient  seulement  que 
la  puissance  temporelle  peut  être  jugée  par  la  spirituelle ,  et 
que  les  souverains,  comme  les  simples  particuliers ,  peuvent  être 
excommuniés ,  en  punition  de  certains  crimes.  Ce  langage  sup- 
pose ,  à  la  vérité ,  le  pouvoir  directif  de  l'Église  et  du  Pape,  en 
matière  temporelle;  il  suppose  même  les  effets  temporels  que  la 
persuasion  universelle ,  et  particulièrement  le  droit  public  de 
l'empire,  attachaient  alors  à  l'excommunication  ;  mais  tout  cela 
ne  suppose  aucunenement,  que  l'Église  ou  le  Pape  aient,  de  droit 


ment  à  Grégoire  Vil  de  faire,  dans  ses  lettres  à  Herman,  des  raisonnements 
peu  concluant,  pour  établir  le  pouvoir  qu'il  s'attribuait  de  déposer  les  sou- 
verains. Tous  ces  reproches  tombent  d'eux-mêmes,  lorsqu'on  se  lait  une 
juste  idée  de  la  question  principale  que  Grégoire  VII  examine  dans  ces  lettres. 
Voyez,  à  ce  sujet,  une  note  de  M.  Jager,  dans  ÏHist.  de  Grégoire  VU, 
liv.  vui,  pag.  392. 
(1)  Voyez  plus  haut,  n.  178,  pag.  521. 


le  sentiment 

commun 
des  auteurs 
contempo- 
rains. 


540  DEUXIÈME  PARTIE.  —  POUVOIR  DU  PAPE 

divin ,  le  pouvoir  de  déposer  les  souverains ,  puisque  le  Pape , 
dans  la  lettre  même  où  il  s'attribue  sur  eux  un  si  grand  pouvoir, 
suppose  clairement,  avec  le  pape  Gélase,  le  principe  de  la  dis- 
tinction et  de  l'indépendance  réciproque  des  deux  puissances 
d'après  l'institution  divine. 
I9x3'iica  Quelque  nouvelle  et  extraordinaire  que  puisse  paraître  l'ex- 
tions  plication  que  nous  donnons  ici  au  langage  de  Grégoire  VII, 
par  elle  est  manifestement  confirmée  par  le  sentiment  des  plus  célè- 
bres docteurs  de  son  temps. ]En  effet,  en  supposant  même  que 
son  langage  eût  quelque  cbose  d'obscur  ou  d'équivoque,  il 
serait  naturel  de  l'expliquer  par  le  sentiment  commun  de  ses 
contemporains;  et  il  faudrait  les  plus  fortes  preuves,  pour  lui 
attribuer ,  en  matière  si  importante ,  une  opinion  singulière  et 
à  peine  connue  de  son  temps.  Or,  nous  avons  montré  que  l'opi- 
nion théologique  qui  attribue  à  l'Église  et  au  souverain  pon- 
tife une  juridiction  directe  ou  indirecte  sur  les  choses  tempo- 
relles, d'après  l'institution  divine,  était  à  peine  connue  avant 
le  pontificat  de  Grégoire  VII  ;  et  nous  allons  montrer  tout  à 
l'heure  qu'elle  ne  commença  que  longtemps  après  lui ,  à  compter 
un  certain  nombre  de  partisans.  Il  est  d'ailleurs  certain  que  ce 
pontife  ne  prétendait  pas  s'écarter  de  la  doctrine  généralement 
admise  de  son  temps,  ni  s'attribuer  un  nouveau  droit  sur  les 
souverains,  mais  seulement  user  de  celui  que  lui  donnait  l'opi- 
nion générale  de  ses  contemporains.  Les  auteurs  mêmes  qui 
blâment  plus  ouvertement  sa  conduite,  conviennent  expressé- 
ment de  ce  fait,  et  avouent  que  les  maximes  sur  lesquelles  il 
fondait  son  pouvoir  à  l'égard  des  souverains ,  étaient  conformes 
à  la  persuasion  générale  des  hommes  pieux  et  éclairés  (1). 
C'est  donc  sans  aucun  fondement,  et  même  contre  toute  vrai- 
semblance, qu'on  lui  attribuerait  l'opinion  théologique  du 
pouvoir  direct  ou  indirect. 
194.  2°  La  doctrine  du  B.  Ives  de  Chartres  ne  paraît  pas  diffé- 

Doctrine  du  j.  i 

b.  ives     rente  de  celle  que  nous  attribuons  à  Grégoire  VII ,  et  peut 

de  Chartres.  .  _  ^  .      ,  ,.  ,  ,    .      ,,  .  , 

même  beaucoup  servir  a  expliquer  les  véritables  sentiments  de 
ce  pontife,  auxquels  l'évèque  de  Chartres  se  montre  très-atta- 
ché (2).  En  effet,  on  a  vu  plus  haut  que  l'évèque  de  Chartres, 

(1)  Voyez  plus  liant,  chap.  2,  n.  100,  101  et  118,  pag.  443,  445  et  465. 

(2)  Bossuet,  Defens.  Declar.,  lib.  îv,  cap.  14. 


SUR   LES   SOUVERAINS.  —  CHAPITRE  III.  541 

dans  plusieurs  de  ses  écrits,  particulièrement  dans  sa  lettre  à 
Laurent,  moine  de  La  Charité,  supposait  clairement  la  disci- 
pline en  vigueur  sous  Grégoire  VII,  relativement  aux  effets 
temporels  de  l'excommunication,  même  par  rapport  aux  sou- 
verains (1)  ;  mais  il  suppose  en  même  temps  et  enseigne  expres- 
sément, que  cette  discipline  n'est  pas  fondée  sur  le  seul  droit 
divin,  mais  sur  les  lois  divines  et  humaines  tout  ensemble  (2)  : 
ce  qui  s'accorde  parfaitement  avec  l'explication  que  nous  venons 
de  donner  au  langage  de  Grégoire  VII. 

La  doctrine  du  prélat,  dans  la  cinquième  partie  de  son  Dé- 
cret, ou  recueil  de  canons,  s'explique  naturellement  dans  le 
même  sens.  L'évêque  de  Chartres  y  établit  la  supériorité  du 
pouvoir  spirituel  sur  le  temporel,  par  un  long  fragment  de  la 
seconde  lettre  de  Grégoire  Vil  à  Herman,  que  nous  venons  de 
citer,  et  dans  laquelle  on  retrouve  le  témoignage  et  les  propres 
expressions  du  pape  Gélase,  sur  la  distinction  et  l'indépendance 
réciproque  des  deux  puissances  ;  ce  qui  ne  permet  pas  de  douter 
que  l'évêque  de  Chartres  n'ait  admis ,  sur  ce  point,  les  principes 
de  l'antiquité  (3). 

Ces  observations  peuvent  servir  à  expliquer  une  lettre  du 
même  prélat  au  roi  d'Angleterre  Henri  Ier,  dans  laquelle  plu- 
sieurs écrivains  modernes  ont  cru  voir  l'opinion  théologique 
du  droit  divin  (4).  Le  prélat ,  exhortant  le  roi  d'Angleterre 
à  protéger  la  religion  et  les  églises  de  son  royaume,  lui  rap- 
pelle les  principes,  de  tout  temps  reconnus,  sur  l'union  qui 
doit  régner  entre  le  sacerdoce  et  l'empire ,  et  sur  la  subordi- 
nation de  la  puissance  temporelle  envers  la  spirituelle.  «  Les 
«choses  humaines,  dit-il,  ne  pouvant  être  bien  administrées 
«  que  par  l'union  du  sacerdoce  et  de  l'empire ,  je  conjure  Votre 
«  Excellence  de  laisser  une  entière  liberté  à  ceux  qui  annoncent 
«  dans  son  royaume  la  parole  de  Dieu ,  et  de  ne  jamais  oublier 
«  que  le  royaume  de  la  terre  est  soumis  à  celui  du  ciel ,  que  Dieu 
«  a  confié  à  l'Église  ;  car  de  même  que  le  corps  doit  être  soumis 

(1)  Voyez  plus  haut,  chap.  1  ,  n.  80,  pag.  420;  chap.  2,  n.  111, 
pag.  457,  etc. 

(2)  Ibid.,  chap.  1,  pag.  420. 

(3)  Ivonis  Decretum,  parte  5,  cap.  378. 

(4)  Mamachi,  Origines  etAntiquit.  Christianœ,  t.  iv,  pag.  251. 


542  DEUXIÈME  PARTIE.  —  POUVOIR  DU  PAPE 

«à  l'esprit,  de  même  le  pouvoir  terrestre  doit  être  soumis  à 
«l'Église  (l).  »  Le  prélat  se  borne  ici,  comme  dans  plusieurs 
autres  de  ses  lettres  (2) ,  à  établir  le  principe  de  l'union  des 
deux  puissances,  et  la  subordination  de  la  puissance  tempo- 
relle envers  la  spirituelle,  dans  le  sens  du  pouvoir  purement 
directif;  mais  il  ne  dit  pas  un  seul  mot  qui  suppose  la  juridic- 
tion directe  ou  indirecte  de  V Église  sur  les  choses  tempo- 
relles ,  d'après  l'institution  divine. 
I95.  3°  La  doctrine  de  Gratien  paraît  exactement  la  même;  et 

^Graïra?6  son  Décret,  ou  recueil  de  canons ,  malgré  les  défauts  qu'on  peut 
y  reprendre  sous  d'autres  rapports,  semble  facile  à  justifier,  sur 
le  sujet  qui  nous  occupe.  Il  est  certain,  en  effet,  qu'on  trouve, 
en  plusieurs  endroits  de  ce  recueil ,  le  principe  de  la  distinction 
et  de  l'indépendance  réciproque  des  deux  puissances ,  énoncé 
de  la  manière  la  plus  formelle,  et  expliqué  par  les  témoignages 
de  l'antiquité  les  plus  décisifs.  Nous  remarquerons  en  particulier 
ceux  du  pape  Gélase(3),  de  saint  Isidore  de  Séville(4),  et  du 
pape  Nicolas  Ier  (5),  que  Bossuet  lui-même  cite  avec  confiance, 
parmi  les  témoignages  de  la  tradition  les  plus  précis ,  en  cette 
matière  (6). 

Ce  qui  a  surtout  donné  lieu  d'attribuer  à  Gratien  d'autres 
sentiments,  c'est  l'insertion  qu'il  a  faite,  dans  la  seconde  partie 
de  son  Décret ,  d'un  fragment  de  la  lettre  déjà  citée  de  Gré- 
goire VII  à  Herman,  où  il  est  dit  que  le  pape  Zacharie  a  substi- 
tué Pépin  à  Childéric ,  roi  de  France,  et  délié  les  Français 
de  leur  serment  de  fidélité  envers  ce  dernier.  A  la  tête  de  ce 
fragment,  Gratien  a  mis  ce  titre,  qui  montre  clairement  le  but 
qu'il  se  propose  :  «  L'autorité  pontificale  délie  quelquefois  les 


(1)  «  Celsitudinem  vestram  obsecrando  monemus,  quatenus  in  regno  vo- 
«  bis  commisso  verbum  Dei  currere  permittatis,  et  regnum  terrenutn  cœ- 
«  lesti  regno,  quod  Ecclesiœ  commissum  est,  subdilum  esse  debere  semper 
«  cogitetis.  Sicut  errim  sensus  animalis  subditus  débet  esse  rationi,  ita  po- 
rt testas  lerrena  subdita  esse  débet  ecclesiastico  regimini.  »  Ives  de  Char- 
tres, Epist.  106.  (Édit.  de  Juret.  ) 

(2)  Idem,  Epistolœ  214  et  239. 

(3)  Graliani  Decretum,  prima  parte,  Dist.  96,  cap.  10. 

(4)  Ibid.,  2a  parte,  causa  23,  quœst.  5,  cap.  20. 

(5)  Ibid.,  U  parte,  Dist.  10,  cap.  8;  Dist.  96,  cap.  6. 

(6)  Bossuet,  Defensio  Declar. ,  lib.  i,  sect  2,  cap.  33,  etc.;  36 ,  et  alibi 
passim. 


SUR  LES   SOUVERAINS.  —  CHAPITRE   III.  543 

«  sujets  du  serment  de  fidélité ,  en  déposant  les  princes  de  leur 
«  dignité  (l).  » 

On  a  tout  lieu  d'être  surpris ,  que  les  auteurs  mêmes  qui  re- 
prochent si  fortement  ce  langage  à  Gratien ,  ne  fassent  aucune 
difficulté  de  l'excuser  dans  lves  de  Chartres.  Il  est  à  remarquer, 
en  effet,  que  le  passage  en  question  de  la  lettre  de  Grégoire  VII 
à  Herman,  est  inséré  textuellement  dans  le  Décret  d'ives  de 
Chartres,  comme  dans  celui  de  Gratien  (2).  La  seule  différence 
qu'on  remarque  ici  entre  les  deux  recueils,  consiste  dans  les 
titres  mis  à  la  tête  du  fragment  dont  il  s'agit.  Au  lieu  du  titre 
qu'on  lit  dans  le  Décret  de  Gratien,  lves  de  Chartres  adopte 
celui-ci  :  «  Aucune  dignité  séculière,  pas  même  celle  de  l'empe- 
«  reur,  ne  peut  égaler  celle  des  évêques  ;  »  mais  lves  de  Chartres, 
comme  Gratien,  cite  à  l'appui  de  son  titre,  le  pouvoir  exercé, 
en  certains  cas ,  par  l'Église  et  par  le  Pape ,  de  délier  les  sujets 
du  serment  de  fidélité. 

Enfin,  ce  qui  lève  entièrement  la  difficulté  qu'on  a  tirée  de 
ce  passage,  contre  la  doctrine  de  Gratien,  c'est  que  les  expres- 
sions qu'il  emploie  ici,  après  lves  de  Chartres  et  Grégoire  VIT, 
ont  été  employées,  avec  d'autres  également  fortes,  par  un  grand 
nombre  d'auteurs  plus  anciens,  dont  le  langage  a  paru  suscep- 
tible d'un  très-bon  sens,  à  ceux  mêmes  qui  le  reprochent  si  for- 
tement à  Gratien.  Nous  avons  cité  plus  haut  (3)  les  paroles  re- 
marquables de  Bossuet ,  qui  ont  pour  but  de  justifier  le  langage 
des  anciens  auteurs  suivis  par  Grégoire  VII,  lves  de  Chartres, 
et  Gratien,  relativement  à  la  décision  du  pape  Zacharie. 

Il  résulte  clairement  de  ces  explications,  que  Bossuet,  tout 
en  refusant  au  Pape  le  pouvoir  de  délier  les  sujets  du  serment 
de  fidélité,  par  un  acte  de  juridiction 'proprement  dit,  ne  pré- 

(1)  «  A  fidelitatis  etiam  juramento  Romanus  pontifex  nonnullos  absolvit, 
«  cùm  aliquos  à  sua  dignitate  deponit.  »  Ibid. ,  causa  15,  quœst.  6,  cap. 
3.  —  C'est  principalement  sur  ce  passage  que  Bossuet  et  plusieurs  autres 
théologiens  français  se  fondent  pour  attribuer  à  Gratien  l'opinion  théolo- 
gique du  droit  divin.  Defensio  Declar.,  lib.  m,  cap.  14  et  15.  —  De  Hé- 
ricourt,  Analyse  du  Décret  de  Gratien  (  page  40),  à  la  tête  des  Lois 
Ecclésiastiques  de  France.  Paris,  1771,  in-fol. 

(2)  Ivonis  Decretum,  part.  5,  cap.  378. 

(3)  Ci-dessus,  n.  172,  p.  514 — L'explication  donnée  par  Bossuet  à  ces 
anciens  auteurs,  est  généralement  adoptée  parles  auteurs  français.  Voyez, 
entre  autres ,  Dupin,  Traité  de  la  puissance  ficelés.,  1  Prop.y  p.  245,  etc. 


544  DEUXIÈME   PARTIE.  —  POUVOIR  DU  PAPE 

tend  pas  lui  contester  le  pouvoir  de  le  faire ,  par  une  décision 
doctrinale ,  ou  par  un  acte  de  simple  pouvoir  directif;  ce  qui 
suffit  évidemment  pour  justifier  le  langage  de  Gratien,  aussi 
bien  que  celui  des  anciens  auteurs ,  que  Bossuet  croit  pouvoir 
expliquer  dans  ce  sens. 
I96,  4o  uUorUes  je  Saint-Victor,  un  des  écrivains  les  plus  distin- 

Doctrine  de  °  '  x 

Hugues  gués  du  même  siècle ,  par  la  solidité  de  son  esprit  et  par  la  va- 
tor.  nete  de  ses  connaissances,  s  explique,  à  ce  sujet,  de  la  manière 
la  plus  précise.  Nous  croyons  devoir  examiner  ici  de  près  ses  vé- 
ritables sentiments,  parce  qu'on  les  a  quelquefois  dénaturés, 
pour  n'avoir  pas  assez  considéré  la  suite  et  la  liaison  de  son 
discours  (1).  Voici  comment  il  explique,  dans  son  Traité  des 
Sacrements  de  la  loi  nouvelle,  la  distinction  et  la  compétence 
des  deux  puissances  :  «L'une,  dit-il,  se  nomme  temporelle,  et 
«l'autre,  spirituelle;  toutes  deux  se  subdivisent  en  différents 
«  ordres  et  différents  degrés  ;  mais ,  de  part  et  d'autre ,  chaque 
«  degré  dépend  d'un  chef,  dont  il  dérive  comme  de  sa  source, 
«  et  auquel  il  se  rapporte  comme  à  son  principe.  Le  prince  est 
«  la  source  de  la  puissance  temporelle,  et  le  Pape,  de  la  spiri- 
tuelle. Tout  ce  qui  est  temporel,  tout  ce  qui  concerne  la  vie 
«  civile,  est  du  ressort  de  la  puissance  royale;  tout  ce  qui  est 
«  spirituel,  et  tout  ce  qui  concerne  la  vie  spirituelle,  est  du  ressort 
«  de  la  puissance  du  souverain  pontife  (2).  »  On  voit  ici  bien  clai- 
rement deux  puissances  distinctes,  toutes  deux  souveraines  dans 
leur  ressort,  et  distinguées  l'une  de  l'autre,  tant  par  les  fonc- 
tions qui  leur  sont  propres,  que  par  le  chef  dont  elles  dépendent. 
Il  est  vrai  que  l'auteur,  après  avoir  établi  ces  principes,  voulant 
montrer  la  supériorité  de  la  puissance  spirituelle  sur  la  tempo - 


(1)  Mamachi,  et  quelques  autres  défenseurs  de  l'opinion  théologique  du 
droit  divin,  ne  paraissent  pas  avoir  saisi  le  véritable  sens  de  cet  auteur.  {Ori- 
gines et  Antiquit.,  t.  iv,  p.  171  et  252.)  Bossuet  l'examine  de  plus  près,  et 
le  présente  sous  son  vrai  point  de  vue.  (Defensio  Declar.,  lib.  m,  cap.  17.) 

(2)  «  Illa  potestas  dicitur  ssecularis,  ista  spiritualis  nominatur.  In  utrâ- 
«  que  potestate  diversi  sunt  gradus,  et  ordines  potestatum ,  sub  uno  tamen 
«  utrinque  capite  distributi ,  et  velut  ab  uno  principio  deducti ,  et  ad  unum 
«  relati.  Terrena  potestas  caput  habetregem,  spiritualis  potestas  summum 
«  pontificem.  Ad  potestatem  régis  pertinent  quae  terrena  sunt,  etadterrenam 
«  vitam  iacta  omnia  ;  ad  potestatem  summi  pontificis  pertinent  quae  sunt 
«  spiritualia , et vitae  spirituali  attributa  universa.  «Hugues  de  Saint- Vic- 
tor, De  Sacram.  lib.  h,  parte  2,  cap.  4.  (Operum,  t.  m,  p.  607.) 


SUR  LES   SOUVERAINS.  —  CQAPITBE   III.  545 

relie,  enseigne  qu'il  appartient  à  la  première  d'établir  la  se- 
conde, et  de  la  juger,  si  elle  se  conduit  mal.  «  Autant  que  la  vie 
«  spirituelle  est,  dit-il,  au-dessus  delà  temporelle,  et  l'âme  au- 
«  dessus  du  corps,  autant  la  puissance  spirituelle  l'emporte  sur  la 
«  temporelle,  en  excellence  et  en  dignité;  car  c'est  à  la  puissance 
«  spirituelle  qu'il  appartient  d'établir  la  temporelle ,  et  de  la 
«juger,  si  elle  se  conduit  mal.  La  puissance  spirituelle,  au  con- 
traire, a  été,  dans  le  principe,  établie  de  Dieu,  qui  seul  la 
«juge,  si  elle  vient  à  s'égarer,  selon  qu'il  est  écrit:  L'homme 
«  spirituel  juge  de  tout ,  et  n'est  jugé  par  personne  (l).  »  Quel- 
ques écrivains  modernes  ont  cru  pouvoir  inférer  de  ce  texte,  que 
l'auteur  adoptait  au  fond  l'opinion  théologique  du  droit  divin; 
mais  la  suite  de  son  discours  ne  paraît  pas  autoriser  cette  consé- 
quence. «  Que  la  puissance  spirituelle,  dit-il,  quant  à  son  institu- 
«  tion  divine,  soit  antérieure  à  la  puissance  temporelle,  et  plus 
«  excellente  en  dignité,  c'est  ce  que  montre  clairement  l'histoire 
«  du  peuple  de  Dieu  dans  l'Ancien  Testament;  car  on  y  voit  que 
«  Dieu  établit  d'abord  le  sacerdoce ,  et  que  les  pontifes  établirent 
«  ensuite  la  puissance  royale,  par  ordre  de  Dieu.  C'est  pourquoi, 
'<  dans  l'Église  chrétienne,  ce  sont  aussi  les  pontifes  qui  consa- 
«  crent  les  rois,  qui  sanctifient  leur  puissance  par  la  bénédic- 
«  tion ,  et  la  dirigent  par  de  sages  conseils.  Si  donc,  comme 
«  le  dit  l'Apôtre,...  celui  qui  bénit  est  plus  grand  que  celui  qui 
«  est  béni ,  il  s'ensuit  évidemment,  que  la  puissance  temporelle 
«  est  inférieure  à  la  spirituelle,  de  qui  elle  reçoit  la  bénédic- 
«  tion  [2).  »  On  voit  maintenant  en  quel  sens  l'auteur  a  dit 


(1)  «  Quantô  autem  vita  spiritualis  dignior  est  qnàm  terrena,  et  spiritus 
«  quàm  corpus;  tantô  spiritualis  potestas,  terrenam  sive  saecularem  potesta- 
«  tem  honore  ac  dignitate  prœcedit.  INam  spiritualis  potestas  terrenam  po- 
«  testatem,  et  instituera  habet,  ut  sit,  et  judicare,  si  boua  non  fuerit  ;  ipsa 
«  veto  à  Deo  primùm  instituta  est  ;  et  cùm  deviat ,  à  solo  Deo  judicari  po- 
«  test,  sicut  est  scriptuin  :  Spiritualis  homo  dijudicat  omnia ,  et  ipse  a 
«  nemine  judicatur.  (1  Cor.  n,  15.)  »  Hugues  tle  Saint-Victor,  ibid. 

(2)  «  Quod  autem  spiritualis  potestas,  quantum  ad  divinam  institutionem 
«  spectat ,  et  prior  sit  tempore,  et  major  dignitate ,  in  illo  antiquo  ^eteris 
a  instrument!  populo  manifesté  declaratur,  ubi  primùm  à  Deo  sacerdotium 
a  institutnm  est,  postea  verô  per  sacerdotium  ,  jubente  Deo,  regalis  potes- 
«  tas  ordinata.  Unde  in  Ecclesiâ  adhuc  saeerdotalis  dignitas  potestatem  re- 
«  galem  consecrat ,  et  sanctificans  per  benedictionem  ,  et  tbrmans  per  insti- 
«  tutionem.  Si  ergo,  ut  dicit  apostolus,  qui  benedic'U  major  est,  et  mînor 
«  qui  benedicitur  (Hebr.  vu ,  7  )  ;  constat  absque  omni  dubitatione,  quôd 

35 


546  DEUXIÈME  PARTIE.  —  POUVOIR  DU  PAPE 

plus  haut,  qu'il  appartient  à  la  puissance  spirituelle  d'établir 
la  temporelle.  En  s'exprimant  ainsi,  il  fait  allusion  à  l'histoire 
deSaûl,  établi  roi  par  Samuel,  qui  avait  reçu  de  Dieu,  pour 
cela,  une  mission  expresse  et  extraordinaire;  mais  il  ne  prétend 
pas  exprimer  la  puissance  ordinaire  du  sacerdoce ,  dont  il  a  si 
clairement  restreint  les  fonctions  aux  objets  de  l'ordre  spirituel. 
Il  est  si  éloigné  d'attribuer  au  sacerdoce  la  puissance  ordinaire 
d'établir  les  souverains  temporels,  qu'examinant,  un  peu  plus 
bas,  comment  l'Église  possède  des  biens  temporels,  il  enseigne 
expressément ,  que  la  supériorité  de  la  puissance  spirituelle  sur 
la  temporelle  n'autorise  pas  la  première  à  envahir  les  droits  de 
la  seconde:  «La  puissance  spirituelle,  dit-il,  n'occupe  pas  le 
«premier  rang,  pour  faire  tort  à  la  temporelle,  et  envahir  ses 
«  droits;  comme  aussi  la  puissance  temporelle  se  rend  coupable, 
«toutes  les  fois  qu'elle  usurpe  ce  qui  appartient  à  la  spiri- 
«tuelle  (l).  »  Examinant  ensuite,  en  combien  de  manières  la 
justice  peut  être  administrée  par  la  puissance  séculière ,  il 
explique  ainsi  une  de  ces  manières  :  «  La  justice  ou  le  droit  se 
«déterminent  d'après  la  nature  de  la  cause;  c'est-à-dire,  que 
«  les  choses  temporelles  doivent  être  jugées  par  la  puissance  tem- 
«  porelle,  et  les  choses  ecclésiastiques  ou  spirituelles  par  la  puis- 

«  sance  spirituelle La  puissance  temporelle  a  pour  chef  le  roi 

«  ou  l'empereur,  qui  la  communiquent  aux  puissances  subor- 
«  données  des  ducs ,  des  comtes ,  des  gouverneurs,  et  des  autres 
«  magistrats  ;  tous  ces  derniers  tiennent  leur  autorité  de  la  puis- 
«  sance  souveraine  qui  les  a  élevés  au-dessus  de  ses  autres 
«sujets (2).  » 
Concluons  de  ces  explications,  que,  dans  le  sentiment  de 

«  terrena  potestas,  quse  a  spiritualibenedictionem  accipit,  jure  inferior  exi- 
«  slimetur.  »  Hugues  de  Saint-Victor,  ubi  suprà. 

(1)  «  Spiritualis  siquidcm  potestas  non  ideo  pmesidet,  utterrense,  in  suo 
«  jure,  prœjudicium  faciat  :  sicut  ipsa  potestas  terrena,  quod  spirituali  de- 
«  betur,  numquam  sine  culpâ  usurpât.  »  Hugues  de  S.  Victor,  ibid.,  cap.  7, 
pag.  068. 

(2)  «Secundiim  causam  justitia  determinatur,  ut  videlicet  negotia  saecu- 
«  laria  à  potestate  terrena ,  spiritualia  verô  et  ecclesiastica  à  spirituali  po- 
«  testate  examinentur.  Ssecularis  autem  potestas  caput  habet  regem  sive 
«  imperatorem  ,  ab  illo  per  subjectas  potestates,  et  duces,  et  comités,  et 
«  prœfectos,  et  magistratus  alios  descendens;  qui  tamen  omnes  à  prima  po- 
«  testate  auctoritatem  sumunt,  ineo  quod  subjectis  praelati  existant.  »  Ibid., 
cap.  8. 


SUR  LES   SOUVERAINS. —  CHAPITRE   III.  547 

Hugues  de  Saint-Victor,  tout  le  pouvoir  de  l'Église  sur  les  rois, 
dans  l'Église  chrétienne ,  d'après  l'institution  divine ,  se  réduit 
à  sanctifier  leur  puissance  par  sa  bénédiction,  et  à  la  diriger 
par  de  sages  conseils  :  ce  qui  ne  suppose  aucunement  \e  pou- 
voir de  juridiction  direct  ou  indirect  sur  les  choses  tempo- 
relles. 

5°  Saint  Bernard,  la  lumière  de  l'Église  de  France  et  même  DocSe  d« 
de  l'Église  universelle,  à  cette  époque,  n'avait  pas  d'autres  saiEnB^êir  ' 
sentiments  (1).  C'est  ainsi  du  moins  que  nous  croyons  pouvoir  8e"?jj£°!£"a 
expliquer,  avec  Bossuet  et  Fénelon,  quelques  endroits  de  ses  des  <*'«*&*' 
écrits,  qui  peuvent,  au  premier  abord,  sembler  favorables  à 
l'opinion  théologique  du  droit  divin ,  et  dont  quelques  parti- 
sans de  cette  opinion  ont  prétendu  tirer  avantage  (2).  Nous 
voulons  parler  surtout  de  deux  passages,  dans  lesquels  saint 
Bernard,  sons  l'allégorie  des  deux  glaives  qui  se  trouvaient 
entre  les  mains  des  apôtres,  au  temps  delà  passion  du  Sauveur, 
voit  un  emblème  des  deux  puissances  accordées  à  l'Église.  Le 
premier  de  ces  passages  se  trouve  dans  le  quatrième  livre  De  la 
Considération ,  où  le  saint  docteur  presse  le  pape  Eugène  III  de 
travailler  à  la  réforme  du  peuple  romain,  non  avec  le  glaive 
matériel,  mais  avec  le  glaive  spirituel  de  la  parole.  Il  examine, 
à  cette  occasion,  si  le  glaive  matériel  appartient  à  l'Église,  et 
en  quel  sens  on  peut  dire  qu'il  lui  appartient  :  «  Attaquez  les  Ro- 
«mains  rebelles,  dit-il,  avec  la  parole,  et  non  avec  le  fer. 
«  Pourquoi  voudriez-vous  encore  employer  le  glaive  (matériel), 
«  qu'il  vous  a  été  ordonné  de  remettre  dans  le  fourreau?  Toute- 
ce  fois,  celui  qui  nierait  que  ce  glaive  soit  à  vous,  ne  ferait  pas 
«assez  attention  aux  paroles  de  Jésus-Christ,  qui  ordonnent  à 
«  saint  Pierre  de  remettre  son  épée  dans  le  fourreau.  Ce  glaive 
«  est  donc  véritablement  à  vous,  pour  être  tiré,  à  votre  sollici- 
tation, quoique  par  une  main  différente  de  la  vôtre.  Si  ce 
«glaive  ne  vous  appartenait  en  aucune  manière,  lorsque  les 
«apôtres  dirent  à  Jésus-Christ:  Voici  deux  épées,  il  n'aurait 

(1)  Bossuet,  Defensio  Declar.,  lib.  m,  cap.  15  et  16.  —Fénelon,  De  Au- 
ctoritate  summi  Pontificis ,  cap.  27,  40  et  42,  pag.  335,  388  et  397.  — 
Fleury,  Hist.  Ecclés.,  toiu.  xiv,  liv.  lxix  ,  n.  14  et  60.  —  Pey,  De  l'Auto- 
rite  des  deux  Puissances,  tom.  1,  pag.  124. 

(2)  Bianchi,  Délia  Potesta  e  délia  Politia  délia  Chiesa,  tom.  11,  lib.  v, 
§  12.  — Mamachi,  Origines  etAntiquit.  Christ.,  tom.  iv,  pag.  251. 

35. 


548  DEUXIÈME   PARTIE. — POUVOIR  DU  PAPE 

«pas  répondu,  C'est  assez;  mais  il  aurait  dit,  C'est  trop.  Les 
«deux  glaives  appartiennent  donc  à  l'Église,  le  spirituel' et  le 
«matériel;  c'est  ta  l'Eglise  elle-même  à  tirer  le  spirituel,  par  la 
«main  du  pontife;  le  matériel  doit  être  tiré  pour  la  défense  de 
«l'Église,  par  la  main  du  soldat,  mais  à  la  sollicitation  du  pon- 
«tife,  et  d'après  l'ordre  du  prince.  Au  reste,  nous  avons  traité 
«  cette  matière  dans  un  autre  endroit  (1).  »  Ces  dernières  paroles 
font  allusion  à  une  lettre  du  saint  docteur  au  pape  Eugène, 
dans  laquelle  il  dit  absolument  la  même  chose,  sur  les  deux 
glaives  ;  ce  qui  prouve  qu'il  se  propose  le  même  but  dans  ces 
deux  passages.  Voyons  donc  dans  quel  dessein ,  et  à  quelle  oc- 
casion il  parle  des  deux  glaives,  dans  cette  lettre  au  pape  Eu- 
gène. Tl  y  entretient  le  pontife,  comme  dans  ses  livres  De  la 
Considération  (2),  d'une  grande  défaite  de  l'année  des  croisés , 
en  Palestine;  et  après  avoir  détaillé  ce  triste  événement,  il  con- 
tinue ainsi  :  «  Il  faut  maintenant  tirer  les  deux  glaives,  à  l'occa- 
«  sion  du  renouvellement  de  la  passion  de  Jésus-Christ,  et  dans 
«les  lieux  mêmes  où  elle  se  renouvelle.  Or,  n'est-ce  pas  à  vous 
«  qu'il  appartient  de  les  tirer?  Car  ces  deux  glaives  sont  à  Pierre, 
«  pour  être  tirés  toutes  les  fois  qu'il  en  est  besoin,  l'un  à  sa  sol- 
«licitation,  et  l'autre  de  sa  main....  Je  pense,  ajoute  le  saint 
«  docteur,  qu'il  est  temps ,  et  qu'il  est  nécessaire  de  les  tirer  tous 
«deux,  pour  la  défense  de  l'Église  d'Orient  (3).  »  Ces  paroles 
montrent  clairement  en  quel  sens  le  saint  docteur  assure  que 

(1)  «.  Aggredere  eos  (Romanos  contumaces) ,  sed  verbo,  non  ferro.  Quid 
«  tu  denuo  usurpare  gladium  tentes,  quem  semel  jussus  es  ponere  in  vagi- 
«  nam  ?  Quem  tamen  qui  tuum  negat,  non  satis  mihi  videtur  attendere  verbum 
«  Domini,  dicentis  sic  :  Couverte  gladium  tuum  in  vaginam.  Tuus  ergo 
«  et  ipse,  tuo  forsitan  nutu  ,  etsi  non  tuà  manu  evaginandus.  Alioquin  si 
«  nnllo  modo  ad  te  pertineret  et  is,  dicentibus  apostolis  :  Ecce  gladii  duo 
«  hic,  non  respondisset  Dominus,  Salis  est  ;  sed,  Nimis  est.  Uterque  ergo 
«  Ecclesiae,  et  spiritualis  scilicel  gladius,  et  materialis;  sed  is  quidem  pio 
«  Ecclesià,  ille  verô  et  abEcclesiâ  exerendus;  ille  sacerdotis,  is  militis  manu, 
«  sed  sanè  ad  nutum  sacerdotis ,  et  jussum  imperatoris  ;  et  de  hoc  aliàs  (egi- 
«  mus  .  »  Saint  Bernard,  De  Consider.  lib.  îv,  cap.  3.  (Operum,  t.  i,  p.  438.) 

(2)  lbid.,  lib.  n. 

(3)  «  Exerendus  nunc  uterque  gladius  in  passione  Domini,  Cbristo  denuo 
«patiente,  ubi  et  altéra  vice  passus  est.  Per  quem  autem,  nisi  per  vos? 
«  Pétri  ulerque  est  :  alter  suo  nutu  ,  alîer  sua  manu,  quoties  necesse  est, 

«  evaginandus Tempus  et  opus  esse  existimo  ainbos  educi ,  in  de- 

«  fensionem  Orientalis  Ecclesiae.»  Saint  Bernard,  jiïpist.  256 ,  ad  Euge- 
nium  pontif.  (lbid.,  pag.  257.) 


SUR  LES    SOUVERAINS. — CHAPITRE   III.  549 

le  glaive  matériel  appartient  à  l'Église;  c'est  uniquement  en 
ce  sens,  que  le  prince  doit  quelquefois  l'employer,  sous  la  direc- 
tion et  d'après  les  avis  du  pontife,  comme  il  arriva  dans  les 
croisades.  La  pensée  de  saint  Bernard  est  donc  que  le  souverain 
pontife  peut  et  doit,  en  certains  cas,  solliciter  les  princes  à  la 
guerre,  par  ses  avis  et  ses  exhortations ,  mais  que  le  prince 
seul  peut  donner  des  ordres  sur  ce  point;  d'où  il  suit  que,  dans 
le  sentiment  du  saint  docteur,  l'épée  matérielle,  qui  appartient 
proprement  au  prince  .  appartient  aussi,  en  un  sens,  au  pontife, 
parce  qu'un  prince  religieux  prendra  volontiers  les  armes,  à  la 
sollicitation  du  pontife,  pour  soutenir  la  cause  de  Dieu  et  de  ■ 
l'Église  (1).  Tout  cela  suppose  clairement  sans  doute  le  pouvoir 
directif  de  l'Eglise,  en  matière  temporelle,  mais  non  le  pou- 
voir de  juridiction ,  que  le  saint  docteur  attribue  uniquement 
au  prince,  en  lui  réservant  le  droit  de  donner  des  ordres ,  en 
cette  matière. 

Ceci  nous  fournit  l'explication  naturelle  d'un  autre  passage       t  8 
de  saint  Bernard,  qu'on  pourrait  nous  opposer  avec  quelque  E» ^:Jbsens 
apparence  de  raison,  quoique  la  plupart  des  défenseurs  du  pou-   au  i>a,,e  ie 
voir  indirect  l'aient  passé  sous  silence  (2).  Le  saint  docteur      serSe**" 
ayant  appris  le  choix  que  les  cardinaux  venaient  de  faire  du    'ojaj"lses  ct 
pape  Eugène  III,  autrefois  son  disciple  à  Clairvaux,  leur  en     eminrcs- 
témoigne  sa  surprise,  en  ces  termes  :  «  Que  le  Seigneur  vous  le 
«pardonne!  qu'avez-vous  l'ait?  Vous  avez  tiré  du  tombeau  un 
«homme  enseveli;  et  rejeté  dans  le  tumulte  des  affaires,  celui 
«  qui  ne  cherchait  qu'à  les  éviter....  N'y  avait-il  donc  personne 
«parmi  vous,  dont  la  sagesse  et  l'expérience  fussent  plus  pro- 
«  portionnées  à  une  si  haute  dignité?  Ne  semble-t-il  pas  ridi- 
«  cule  de  choisir  un  petit  homme ,  couvert  de  haillons,  pour  le 
«charger  de  présider  les  princes,  de  commander  aux  évoques, 
«  de  disposer  des  royaumes  et  des  empires  (3)?  »  Ces  paroles  ne 

(l)Fleury  adopte  sans  difficulté  cette  explication  du  texte  de  saint  Ber- 
nard, Hist.  Ecclés. ,  ubi  suprù,  n.  60,  2e  alinéa. 

(2)  S.  Bernard ,  Epistola  237,  ad  Cardinales.  Bianchi  {ubi  suprà,  n.  3) 
est,  à  notre  connaissance,  le  premier  qui  ait  essayé  de  tirer  avantage  de 
celte  lettre,  pour  établir  le  pouvoir  indirect.  L'abbé  Leroy,  prévoyant  la 
difficulté  qu'on  en  pourrait  tirer,  s'est  appliqué  à  la  résoudre,  dans  une  note 
sur  le  ebap.  15  du  troisième  livre  de  la  Défense  de  la  Déclaration.  (Voyez 
l'édition  de  1745,  et  les  éditions  postérieures.) 

(3)  «  Parcat  vobis  Deus  j  quid  fecislis  ?  sepullum  hotninem  revocastis  ad 


550  DEUXIEME  PARTIE.  —  POUVOIR   DU  PAPE 

peuvent  offrir  aucune  difficulté,  après  les  principes  exposés  plus 
au  long,  par  le  saint  docteur,  dans  les  autres  passages  que  nous 
avons  cités.  En  effet,  le  souverain  pontife ,  qui  peut,  en  un  sens, 
disposer  du  glaive  matériel,  par  ses  avis  et  ses  exhortations, 
peut,  dans  le  môme  sens,  disposer  des  roijaumes  et  des  em- 
pires, en  faisant  connaître  aux  princes  et  aux  peuples  les  obli- 
gations qui  résultent  de  leurs  serments  et  de  leurs  engagements 
réciproques.  Saint  Bernard  a  pu  s'exprimer  ainsi  avec  d'autant 
plus  de  raison,  que  la  législation  de  l'empire  et  de  plusieurs 
autres  États,  attachait  alors  à  l'excommunication  la  peine  de 
déposition.  Celte  législation  une  fois  établie,  il  s'ensuivait  na- 
turellement que  le  Pape  pouvait,  en  certains  cas,  disposer  des 
royaumes  et  des  empires,  par  le  moyen  de  l'excommunication, 
comme  nous  l'avons  expliqué  plus  haut,  à  l'occasion  de  la  sen- 
tence de  Grégoire  VII  contre  l'empereur  Henri  IV  (1). 
199-  6°  On  peut  expliquer,  au  moyen  des  mêmes  principes,  le 

Tiivers  sens  de 

vaiiégone    langage  d'un  grand  nombre  d'auteurs  du  même  temps,  qui  ont 
des  ,«* giai-.  empj0y£ ^  comme  saint  Bernard,  l'allégorie  des  deux  glaives, 
danieursau    Pour  exprimer  la  réunion  des  deux  puissances  dans  les  mains 
de  cette  épo-  jg  j'Église  et  du  souverain  pontife.  Quelques-uns,  il  est  vrai, 
ont  poussé  cette  allégorie,  jusqu'à  dire  que  les  deux  puissances 
ont  été  données  directement  à  l'Église,  qui,  ne  pouvant  em- 
ployer par  elle-même  le  glaive  matériel,  doit  le  donner  au 
prince,  pour  s'en  servir  conformément  à  l'ordre  de  Dieu,  et  qui 
peut  le  lui  ôter,  s'il  en  use  contre  cet  ordre  (2).  Mais  la  plupart 
des  auteurs  qui  ont  employé  l'allégorie  des  deux  glaives,  peuvent 
très-bien  s'expliquer  dans  le  sens  du  pouvoir  purement  directif 
de  l'Église,  en  matière  temporelle. 


«  homines;  fugitantem  curas  etturbas  curis  denuô  implicuistis ,  et  immis- 

«  cuistis  turbis Sic  non  erat  inter  vos  sapiens  et  exercitatus, 

«  cui  potiùs  ista  cunvenirent?  Ridiculum  profectô  videtur  pannosum  homun- 
«  cionem  assumi,  ad  prsesidendum  principibus,  ad  imperandum  episcopis, 
«  ad  régna  et  imperia  disponenda.  »  Saint  Bernard,  Epist.  237,  ubisuprà. 
—  Fleury,  Hist.  Ecclés.,  tom.  xiv,  liv.  lxix,  n.  8.  —  Hist.  de  l'Égl.  GalL, 
tom.  ix,  pag.  119. 

(1)  Voyez  plus  haut,  n.  191. 

(2)  Jean  de  Sarisbery,  évêque  de  Chartres  au  xne  siècle,  paraît  être  le  pre- 
mier auteur  qui  ait  soutenu  cette  opinion.  Voyez  ci-dessus  la  note  1  de  la 
page  533. 


SUR  LES  SOUVERAINS.  —CHAPITRE  III.  551 

Tel  est  en  particulier  le  sens  de  Geoffroy  de  Vendôme,  con-  200. 
temporain  d'ives  de  Chartres,  et  généralement  regardé  comme  EneHeeIssten* 
le  premier  qui  ait  employé  l'allégorie  des  deux  glaives,  pour  ■qJJJjjJJJ  Jaer 
marquer  la  distinction  des  deux  puissances  (l).  Voici  les  propres  Vendôme, 
expressions  de  cet  auteur,  dans  son  Quatrième  opuscule,  sur 
les  investitures  :«  Jésus- Christ  a  voulu,  dit-il,  que  le  glaive 
«  spirituel  et  le  glaive  matériel  fussent  employés  pour  la  dé- 
«  fense  de  l'Église.  Si  l'un  des  deux  émousse  l'autre,  c'est  contre 
«  son  intention  :  c'est  là  ce  qui  éloigne  tout  à  la  fois  la  justice  de 
«  l'État  et  la  paix  de  l'Église  :  de  là  viennent  les  scandales  et  les 
«schismes,  d'où  résulte  également  la  perte  des  âmes  et  des 
«  corps;  et  tandis  que  le  sacerdoce  et  l'empire  se  font  la  guerre, 
«  ils  sont  tous  deux  exposés  aux  plus  grands  périls  (2).  »  L'auteur, 
comme  on  voit,  se  borne  à  établir  ici  les  principes  universelle- 
ment admis,  sur  l'union  des  deux  puissances,  et  sur  la  néces- 
sité d'employer  la  puissance  même  temporelle  au  bien  de  la 
religion.  Il  est  vrai  que ,  dans  la  suite  du  même  opuscule ,  re- 
présentant les  maux  qui  résultent  de  la  division  du  sacerdoce  et 
de  l'empire,  il  compte  parmi  ces  maux  la  déposition  des  souve- 
rains excommuniés  par  l'Église  :  «  Le  roi ,  dit-il ,  est  privé  tout 
«à  la  fois  de  la  communion  ecclésiastique,  et  de  sa  dignité 
«  royale  (3).  »  Mais  ces  dernières  paroles  ne  supposent  pas  né- 
cessairement l'opinion  théologique  du  pouvoir  direct  ou  indi- 
rect; elles  supposent  uniquement,  ce  que  nous  savons  d'ail- 


(1)  Bossuet  suppose  que  saint  Bernard  est  le  premier  qui  ait  employé,  en 
cette  matière,  l'allégorie  des  deux  glaives.  (Defens.  Declar.,  lib.  i,  sect.  2, 
cap.  37,  pag.  392)  L'abbé  Leroy  a  relevé  avant  nous  cette  légère  méprise. 
(Note  sur  le  chap.  16  du  liv.  m)  Fleury  avait  déjà  remarqué,  longtemps  au- 
paravant, que  cette  allégorie  se  trouvait,  pour  la  première  l'ois,  dans  les  écrits 
de  Geoffroy  de  Vendôme.  (Fleury,  Hist.Ecclés.,  tom.xiv,pag.  301  ;tom.xvn, 
pag.  41.) 

(2)  «  Voluit  bonus  Dominus  et  magister  noster  Christus,  spiritualem  gla- 
«  dium  et  materialem  esse  in  defensione  Ecclesije.  Quôd  si  alter  ab  altero 
«  retunditur,  hoc  fit  contra  illius  voluntatem.  Hàc  occasione ,  de  regno  jus- 
te titia  tollitur,  et  pax  de  Ecclesiâ;  scandala  suscitantur  et  schismata  ;  et  fît 
«  animarum  perditio  simul  et  corporum.  Et  dum  reguum  et  sacerdotium 
«  unum  ab  altero  impugnatur,  periclitatur  utrumque.  »  Geoffroy  de  Ven- 
dôme, Opuscul.  iv.  [Biblioth.  Patrum,  tom.  xxi,  pag.  61,  2e  col.,  H.)  — 
Fleury,  ubi  supra. 

(3)  «  Rex  sacrosanctâ  communione  pariter  et  regià  dignitate  privatur.  » 
Geoffroy  de  Vendôme,  ubi  suprà* 


552  DEUXIÈME  PARTIE.  —  POUVOIR  DU  PAPE 

leurs,  que  l'usage  et  la  persuasion  universelle  attachaient  alors, 
en  certains  cas,  à  l'excommunication  la  peine  de  déposition. 
20I.  Vers  le  même  temps,  on  trouve  aussi  l'allégorie  des  deux 

glaives  employée  par  Hildebert,  évêque  du  Mans,  dans  une  lettre 
évé^u^du    écrite  du  fond  de  la  prison  où  il  était  injustement  retenu  par  le 
Mans,      comte  du  Perche.  Le  but  de  cette  lettre,  adressée  à  Serlon,  évê- 

et  la  plupart  ' 

.des        que  de  Séez,  est  de  l'engager  à  frapper  d'anathème  le  comte  du 


En  quel  sens 

P 
Hildebert, 


anciens  au- 


teurs. Perche,  pour  l'obliger  à  rendre  la  liberté  à  l'évêque  du  Mans. 
«Vous savez,  dit  ce  prélat,  qu'il  y  avait  deux  glaives  entre  les 
«  mains  des  apôtres,  au  moment  de  la  dernière  cène....  Ce  n'était 
«  pas  sans  raison  ;  car  ces  deux  glaives  se  trouvent  encore  aujour- 
«  d'hui  parmi  les  membres  du  corps  de  Jésus-Christ ,  le  roi  et  le 
«  prêtre  étant  tous  deux  membres  de  ce  divin  chef.  Vous  savez 
«  quel  est  le  glaive  du  roi,  et  quel  est  celui  du  prêtre.  Le  glaive  du 
«  roi,  ce  sont  les  peines  infligées  par  la  cour  du  prince  :  le  glaive 
«  du  prêtre,  ce  sont  les  peines  infligées  par  les  lois  ecclésiastiques. 
«  Si  le  glaive  du  roi  venait  me  délivrer,  je  n'appellerais  pas  à 
«  mon  secours  le  glaive  du  prêtre  (l).  »  Ce  passage  ne  renferme 
rien  qui  ne  se  concilie  parfaitement  avec  la  distinction  et  l'indé- 
pendance réciproque  des  deux  puissances  :  Hildebert  se  borne 
à  établir  qu'il  y  a  deux  glaives,  ou  deux  puissances  distinctes, 
que  l'une  et  l'autre  appartiennent  aux  membres  de  l'Église ,  et 
que  le  glaive  du  prince  doit,  en  certains  cas,  venir  au  secours 
de  l'Église;  mais  il  ne  dit  pas  un  seul  mot,  qui  donne  lieu  de 
supposer  qu'il  lût  imbu  de  l'opinion  théologique  du  droit  divin, 
ou  qu'il  inclinât  seulement  à  cette  opinion. 

Il  serait  aisé  de  montrer  que  la  plupart  des  auteurs  qui  ont 
employé,  en  cette  matière,  l'allégorie  des  deux  glaives,  l'ont 
entendue  dans  le  sens  modéré  que  nous  venons  d'expliquer.  Tel 
est  en  particulier  le  sens  de  cette  allégorie  dans  les  actes  émanés 

(1)  «  Duos  in  cœna  (nosti)  fuisse  glarîios  ; Apte  profectô 

«  inventus  esl  ulerque  apud  discipulos  Clnïsti,  quia  adlmc  uterque  ostendi- 
«  tur  in  membris  corpoiis  Christi.  Membrum  enim  Christi,  rex  :  membrum 
«  Christi,  sacerdos.  Scienti  Ioquor  ;  nosti  gladium  régis,  nosti  gladium  sacer- 
«  dotis.  Gladius  régis,  censura  curios  ;  gladius  sacerdolis,  ecclesiastica3  rigor 
«  disciplina?.  Hos  Evangelistam  figurasse  legisti,  dicentem  :  Domine ,  ecce 
«  gladii  duo  hic.  Si  esset  qui  in  gladio  regni  liberaiet  me,  non  peteretur  duci 
«  gladius  sacerdotii  propter  me.  »  Hildeberti  Epist.  40,  ad  Herlonem,  Sa- 
giensem  Episc.  {Biblioth.  PP.  tom.  xxi,  pag.  136.)  —  Hildeberti  Opéra; 
Epistol.  lib.  ii,  Epist.  18. 


202. 

Cet  examen  , 

quoique 

très-ulile  à 

notre  bat,  ne 


SUR  LES  SOUVERAINS.  —  CHAPITRE   III.  553 

de  l'autorité  du  saint-siége,  et  dont  nous  parlerons  bientôt  (l). 
Mais  les  exemples  que  nous  venons  de  citer  suffisent  pour  mon- 
trer avec  combien  peu  de  fondement,  Fleury  et  d'autres  écri- 
vains modernes  blâment  absolument  et  sans  aucune  exception 
l'usage  de  cette  allégorie,  dans  tous  les  auteurs  du  moyen 
âge  (2).  Fleury  devait ,  ce  semble ,  être  d'autant  plus  réservé  sur 
ce  point,  qu'en  plusieurs  endroits  de  son  Histoire ,  il  n'ose  con- 
damner l'usage  que  saint  Bernard  a  fait  de  cette  allégorie,  et 
adopte  même  assez  ouvertement  l'explication  modérée  que  nous 
avons  donnée,  avec  Bossuet,  au  texte  du  saint  docteur  (3). 

§  2.  Examen  des  principaux  actes  et  décrets  des  conciles  et 
des  souverains  pontifes ,  qu'on  allègue  en  faveur  de  l'opi- 
nion théologique  du  droit  divin. 

Ce  qui  achève  de  renverser  le  système  qui  représente  l'opi- 
nion théologique  du  droit  divin  comme  le  fondement  du  pou- 
voir exercé  par  les  papes  et  les  conciles  sur  les  souverains,  au 
moyen  âee,  c'est  que  cette  opinion  n'a  jamais  été  enseignée  ni      luiest. , 

J  O     '  J  l  °  °  pas  essentiel. 

supposée,  bien  moins  encore  définie  comme  un  article  de  foi, 
par  les  conciles,  ou  par  les  souverains  pontifes.  Déjà  nous  avons 
montré  que  le  langage  de  Grégoire  VII  peut  et  doit  même  s'en- 
tendre dans  un  tout  autre  sens.  Nous  croyons  pouvoir  expliquer 
de  même  celui  des  conciles  et  des  souverains  pontifes  postérieurs 
à  Grégoire  Vil,  même  de  ceux  qui  ont  paru  porter  plus  loin  leur 
autorité  sur  les  choses  temporelles. 

Mais  avant  d'entrer  dans  les  développements  nécessaires  pour 
établir  ce  dernier  point ,  nous  devons  remarquer  qu'il  n'est  pas 
absolument  nécessaire  à  notre  but,  et  que  notre  sentiment  serait 
suffisamment  établi  par  les  observations  précédentes,  quand 
même  nous  ne  pourrions  justifier  absolument  le  langage  de  tous 
les  conciles  et  de  tous  les  souverains  pontifes  postérieurs  à  Gré- 
goire Vil.  En  effet,  quand  on  admettrait  que  plusieurs  de  ces 
derniers  ont  insinué  ou  supposé,  dans  leurs  décrets,  l'opinion 

(1)  Voyez ,  un  peu  plus  bas,  l'examen  de  la  doctrine  d'Innocent  III  et  de 
Boni  (ace  VIII,  sur  cette  matière. 

(2)  Fleury,  Hist.  Ecclés.,  tom.  xvn,  5e  Discours,  n.  12. 

(3)  Ibid.,  tom.  xiv,  liv.  lxix,  n.  14  et  60. 


554  DEUXIÈME    PARTIE.  —  POUVOIR  DU  PAPE 

théologique  du  droit  divin ,  il  n'en  serait  pas  moins  vrai  que 
cette  opinion  était  inconnue  dans  l'Église ,  ou  du  moins  y  avait 
à  peine  quelques  partisans,  sous  le  pontificat  de  Grégoire  VIT; 
que  cette  opinion  n'a  commencé  qu'assez  longtemps  après  à  se 
répandre ,  ou  du  moins  à  compter  un  certain  nombre  de  parti- 
sans; enfin,  que  Grégoire  VII  en  particulier  ne  l'a  jamais  ensei- 
gnée ou  supposée  :  d'où  il  suit  évidemment  que  le  pouvoir  extra- 
ordinaire que  le  saint-siége  s'est  attribué,  depuis  cette  époque,  sur 
les  souverains,  n'a  pas  eu  pour  fondement  l'opinion  théologique 
du  droit  divin.  En  supposant  donc  que  les  papes  ou  les  con- 
ciles postérieurs  à  Grégoire  VII,  aient  quelquefois  insinué  ou 
supposé  cette  opinion,  tout  ce  qu'on  en  pourrait,  conclure,  c'est 
qu'ils  ont  quelquefois  partagé  l'opinion  de  leur  siècle,  sur  l'ori- 
gine et  les  fondements  du  pouvoir  extraordinaire  dont  ils  étaient 
investis;  et  que,  pour  justifier  un  pouvoir  d'ailleurs  bien  établi 
et  universellement  reconnu,  ils  ont  mis  en  avant  quelques  prin- 
cipes sujets  à  contestation.  Toutefois,  nous  croyons  pouvoir 
avancer  avec  confiance,  que  les  conciles  et  les  souverains  pon- 
tifes postérieurs  à  Grégoire  VII,  n'ont  pas  plus  enseigné  ou  sup- 
posé que  lui,  dans  leurs  décrets  et  dans  leurs  actes  solennels, 
l'opinion  théologique  du  droit  divin;  et  que  leur  langage, 
comme  le  sien,  doit  s'expliquer  dans  un  autre  sens  (l).  L'examen 
détaillé  de  tous  les  témoignages  et  de  tous  les  faits  qu'on  peut 
opposer  à  notre  sentiment,  nous  conduirait  sans  doute  beau- 
coup trop  loin  ;  il  suffit  à  notre  but,  d'examiner  ceux  qu'on  peut 
nous  opposer  avec  plus  de  vraisemblance,  et  dont  l'explication 
nous  donnera  lieu  d'exposer  les  principes  de  solution  nécessaires 
pour  l'intelligence  des  autres. 
»o3.  1°  Plusieurs  écrivains  modernes  ont  prétendu  que  le  pape 

Tendu/""  Adrien  IV,  non  content  de  s'attribuer  le  droit  de  juger  les  sou- 

(1)  Quelque  impression  que  nous  eût  faite,  dès  le  principe,  l'autorité  de 
Fénelon,  qui  explique  dans  le  sens  du  pouvoir  directif,  tous  les  décrets  des 
papes  et  des  conciles ,  sur  le  sujet  qui  nous  occupe,  cette  explication  nous 
avait  paru  d'abord  trop  sujette  à  difficulté  pour  l'adopter  absolument.  (Voyez 
la  première  édition  de  nos  Recherches,  pag.  303.)  Mais  un  examen  plus  at- 
tentif nous  a  insensiblement  amené  à  reconnaître  la  légitimité  de  cette  expli- 
cation. Nous  croyons  même  qu'on  peut  l'appliquer  à  plusieurs  anciens  théo- 
logiens ,  auxquels  on  a  trop  facilement  attribué  l'opinion  théologique  du 
droit  divin.  Voyez ,  à  ce  sujet,  le  n.  8  des  Pièces  justijicat.  à  la  fin  de  ce 
volume. 


SUR  LES   SOUVERAINS.  —  CHAPITRE  III.  555 

verains,  s'était  môme  attribué  celui  de  disposer  des  États  en  deririande, 
maître  absolu,  pour  le  plus  grand  bien  de  la  religion (t).  ^Angleterre, 
Ce  fut  eu  conséquence  de  ce  droit  prétendu ,  s'il  en  faut  croire        P"  lv 
ces  auteurs,  que  ce  pontife  donna  l'Irlande  au  roi  d'Angleterre, 
Henri II,  en  1156,  «pour  la  soumettre  aux  lois  du  christia- 
«  nisme;  à  la  charge  néanmoins  du  denier  de  saint  Pierre,  qui 
«  serait  payé,  tous  les  ans,  par  chaque  maison  (2).  » 

Mais  si  l'on  examine  attentivement  la  lettre  du  pape  Adrien  IV, 
sur  laquelle  on  se  fonde  pour  lui  attribuer  une  prétention  si 
extraordinaire,  on  verra  qu'elle  ne  dit  rien  de  semblable  (3). 
Le  Pape,  il  est  vrai,  suppose  dans  cette  lettre,  comme  une 
chose  certaine,  et  reconnue  par  le  roi  d' Angleterre  lui-même, 
«  que  l'Irlande,  et  toutes  les  îles  éclairées  de  la  lumière  de  l'Évan- 
«  gile,  sont  soumises  à  la  juridiction  de  saint  Pierre  et  de  l'Église 
«romaine  :  Ad  jus  beali  Pétri  et  sacrosanclœ  Romanœ  Eccle- 
«siœ  pertinere.  »  Mais  de  quelle  juridiction  parle  ici  le  Pape? 
Est-ce  de  la  juridiction  spirituelle ,  ou  de  la  juridiction  tem- 
porelle ?  Il  est  certain  qu'il  parle  uniquement  de  la  première  : 
il  su  lût,  pour  s'en  convaincre,  de  lire  attentivement  la  suite  de 
la  lettre.  Immédiatement  après  les  paroles  que  nous  venons  de 
citer,  il  est  dit,  que  le  roi  d'Angleterre  ayant  formé  le  dessein 
d'assujettir  V Irlande,  et  d'y  maintenir  les  droits  des  églises, 
le  Pape  loue  et  approuve  son  pieux  dessein ,  pour  le  bien  de  la 
religion  et  pour  le  salut  des  âmes;  sauf  les  droits  des  églises,  et 
le  denier  de  saint  Pierre ,  que  les  habitants  avaient  coutume 
de  payer  au  saint-siége  (4).  On  ne  voit  pas,  en  tout  cela,  un 


(1)  Bossuet,  Defensio  Declar.,  lib.  1,  cap.  2  ;  lib.  m,  cap.  18 ,  pag.  209  et 
653.  —  Fleury,  Hist.  Ecclés. ,  t.  xv,  liv.  lxx,  n.  16. 

(2)  Epist.  Adrianï  IV  ad  Henricum  II'.  (Labbe,  Concil.  tom.  x, 
pag.  1143.) 

(3)  Bianchi ,  Délia  potestae  délia  Politia  délia  Chiesa,  tom.  11,  liv.  v, 
§  14,  n.  10.  Nous  ferons  remarquer,  en  passant,  que  M.  Augustin  Thierry,  qui 
cite  textuellement  la  lettre  dont  il  s'agit,  change  tellement  l'ordre  des  phra- 
ses, qu'il  dénature  le  contexte  et  la  pensée  d'Adrien  IV.  Avec  de  pareils  bou- 
leversements, il  est  aisé  de  faire  dire  à  un  auteur  tout  le  contraire  de  ce  qu'il 
dit.  Voyez  Augustin  Thierry,  Histoire  de  la  Conquête  d' Angleterre  par 
les  Normands,  tom.  ni,  année  1156. 

(4)  «  Signijicasti  nobis,  fili  in  Christo  carissime,  te  Hiberniœ  insnlam,  ad 
«  subdendum  illum  populum  legibus,  et  vitiorum  plantaria  inde  extirpanda, 
«  velle  intraret  et  de  singulis  domibus  annuam  unius  denarii  beato  Petro 
«  velle  solvere  pensionem,  et  jura  ecclesiarum  illius  terrae  illibata  et  intégra 


556  DEUXIÈME  PARTIE.  — POUVOIR  DU  PAPE 

seul  mot,  qui  suppose  ou  autorise  le  droit  prodigieux,  de  dis- 
poser en  maître  absolu  de  l'Irlande  et  de  toutes  les  îles  éclai- 
rées de  la  lumière  de  l'Évangile.  L'unique  droit  que  le  Pape 
s'attribue  sur  l'Irlande,  est  relatif  au  denier  de  saint  Pierre, 
que  les  Irlandais  avaient  coutume  de  payer  annuellement  à 
l'Église  romaine,  avant  la  conquête  de  cette  île  par  le  roi  d'An- 
gleterre. 
204.  20  Le  troisième  et  le  quatrième  concile  de  Latran,  tenus 

Décrets  des  a 

3e  et  4e  con-  en  1 1 79  et  1 2 1 5,  décernent,  contre  les  Albigeois  et  plusieurs 

ci  les 

de  Latran,  en  autres  hérétiques  de  cette  époque,  des  peines  temporelles, 
tet^pordSs ,  parmi  lesquelles  on  remarque  même  la  perte  des  droits  civils 
amor,seS par  et  ^  dignités  temporelles,  pour  les  seigneurs  hérétiques  ou 
Pri.,ces.     fauteurs  d'hérésie  (1). 

Mais  la  difficulté  qu'on  peut  tirer  de  ces  décrets,  est  pleine- 
ment résolue  par  les  explications  que  nous  en  avons  données, 
dans  le  chapitre  précédent.  Il  résulte,  en  effet,  de  ces  explica- 
tions, que  ces  deux  conciles  ne  prétendaient  pas  décerner  les 
peines  temporelles,  de  leur  propre  autorité,  mais  du  consente- 
ment et  avec  le  secours  des  princes  chrétiens,  qui  assistaient  à 
ces  conciles,  ou  en  personne,  ou  par  leurs  ambassadeurs.  Ajou- 
tons qu'à  l'époque  où  furent  tenus  ces  conciles,  les  peines  tempo- 
relles qu'ils  décernent  contre  l'hérésie,  étaient  déjà  établies  par 
un  usage  universel,  et  appliquées  aux  souverains  eux-mêmes, 
par  la  constitution  ou  le  droit  public  de  leurs  États  (2);  en 
sorte  que  les  conciles  dont  nous  parlons,  ne  firent  que  confirmer, 
par  leur  autorité,  un  point  de  droit  déjà  établi  et  reconnu  de- 
puis longtemps  dans  l'Europe  catholique. 


«  conservare...  Nos  itaque  pium  et  laudabile  desiderium  tuum  cum  favore 
«  congruo  prosequentes ,  et  petitioni  tuse  benignum  impendentes  assensum, 
«  gratum  et  acceptum  babemus  ut,  pro  dilatandis  Ecclesiae  terminis,  pro  vi- 
te tioi'iim  restringendo  decursu  ,  pro  corrigendis  moribus ,  et  virtutibus  infe- 
«  rendis,  pro  chrislianœ  religionis  augmenta,  insulam  illam  ingrediaris,  et 
«  quod  ad  honorem  Dei  et  salutem  illius  terra?  spectaverit,  exequaiis;  et 
«  illius  terrae  populus  honorificè  te  recipiat,  et  sicut  Dominum  veneretur; 
«jure  nimirum  ecebsiastico  illibato  et  integro  permanente,  et  salvâ  beato 
«  Petto  et  sacrosanctae  Romame  Ecclesiae,  de  singulis  domibus,  annuâ  unius 
«  denatii  pensione.  Si  ergo  quod  concepisti  animo,  effectu  duxeris  corn- 
«  plendum ,  stude  gentem  illam  bonis  moribus  inibrmare ,  etc.  »  Adriani , 
Epist.  1,  ad  Henric.  II,  ubi  suprà. 

(1)  Nous  avons  cité  ailleurs  le  texte  de  ces  conciles,  chap.  2 ,  n.  88,  etc. 

(2)  On  verra,  dans  l'article  suivant,  la  preuve  de  ce  fait. 


SUR  LES   SOUVERAINS.  —  CHAPITRE  III.  557 

3°  Plusieurs  lettres  d'Innocent  TU,  dont  quelques-unes  ont       205. 

//•/11  ,  i  '    !•         Doctrine  d'In- 

ete  insérées  dans  le  Corps  du  Droit  canonique ,  ont  donne  lieu    nocem  m. 
de  lui  attribuer  l'opinion  théologique  du  droit  divin;  mais  Sen3n  soutient 
nous  croyons  avec  M.  de  xMarca,  et  avec  Bossuet  lui-même,  Jâ£'d^pôw 
que  ces  lettres  sont  susceptibles  d'un  tout  autre  sens,  et  que  le     .J,0^  8ar 
pape  Innocent  III  ne  dit  rien,   sur  cette  matière,  qui  ne  se  le  temporel. 
concilie  parfaitement  avec  le  principe  de  la  distinction  et  de 
l'indépendance  réciproque  des  deux  puissances  (l). 

La  première  lettre  dont  nous  avons  à  parler ,  contient  un  dis- 
cours prononcé  par  le  Pape,  en  plein  consistoire,  en  présence 
des  ambassadeurs  de  Philippe  de  Souabe,  alors  prétendant  à 
l'empire,  qui  les  avait  envoyés  à  Rome,  pour  soutenir  ses  pré- 
tentions contre  celles  d'Othon,  duc  de  Saxe  (2).  Le  Pape,  pour 
disposer  les  esprits  à  recevoir  sa  décision  avec  respect,  montre, 
par  plusieurs  passages  de  l'Écriture ,  la  prééminence  du  sacer- 
doce sur  la  royauté ,  et  de  la  puissance  spirituelle  sur  la  puis- 
sance temporelle.  «  Le  pouvoir  des  princes,  dit-il,  s'exerce  sur 
«la  terre,  celui  des  prêtres  dans  le  ciel;  ceux-là  ne  gouver- 
nent que  les  corps,  ceux-ci  les  âmes.  Ainsi  le  sacerdoce  est 
«  autant  au-dessus  de  la  royauté,  que  l'àme  est  au-dessus  du 

«  corps Le  pouvoir  de  chaque  prince  est  renfermé  dans  sa 

«  province ,  et  celui  de  chaque  roi  dans  son  royaume  ;  mais 
«  Pierre  les  surpasse  tous ,  par  la  plénitude  et  l'étendue  de  sa 
«  puissance ,  parce  qu'il  est  le  vicaire  de  celui  à  qui  appartient 
«  l'univers  et  tout  ce  quHl  renferme,  la  terre  et  tous  ses  ha- 
«  bitants  (3).  » 

(J)  Ni  M.  de  Marca,  ni  Bossuet,  ne  patient  de  la  première  des  trois  lettres 
dont  il  s'agit  ;  nous  l'aurions  entièrement  passée  sous  silence,  si  elle  n'eût  été 
citée  par  Fleury  avec  tant  de  confiance,  comme  favorisant  l'opinion  théo- 
logique  du  droit  divin.  M.  de  Marca  n'hésite  pas  à  justifier  la  seconde, 
quoiqu'il  ne  croie  pas  pouvoir  justifier  entièrement  la  troisième.  Bossuet 
n'examine  que  celte  dernière,  qui  offre,  à  la  vérité,  plus  de  difficulté  que  les 
antres  ;  et  il  incline  manifestement  à  l'expliquer  dans  un  sens  conforme  à  la 
doctrine  de  l'antiquité,  sur  la  distinction  et  l'indépendance  réciproque  des 
deux  puissances. 

(2)  Responsio  domini  Papœ ,  facta  nunliis  Philippi  in  consislorio. 
(Tom.  1  du  Recueil  de  Baluze,  Epistol.  Innoc.  ///,  pag.  547  et  692.)  Voyez 
ci-dessus  (chap.  2,  n.  154,  p.  496,  etc.)  quelques  détails  sur  cette  affaire. 
Voyez  aussi  Hurter,  Histoire  d'Innocent  III,  tom.  1,  pag.  286. 

(3)  «  Principibus  dalur  potestas  in  terris,  sacerdotibus  autem  potestas  tri- 
«  buitur  et  in  cœlis  ;  illis  solummodo  super  corpora ,  istis  etiam  super  ani- 


558  DEUXIEME  PARTIE POUVOIR  DU  TAPE 

Nous  avons  de  la  peine  à  comprendre ,  comment  Fleury  et 
quelques  autres  historiens  ont  pu  citer  ces  paroles  avec  tant 
de  confiance,  comme  confondant  les  deux  puissances,  et 
attribuant  au  sacerdoce  la  puissance  temporelle;  tandis  que  le 
Pape  distingue  si  clairement  les  deux  puissances,  en  disant 
que  le  pouvoir  des  princes  s'exerce  sur  la  terre  et  à  V égard 
des  corps,  et  que  celui  des  prêtres  s'exerce  dans  le  ciel  et  à 
V égard  des  âmes.  Il  est  vrai  que  le  Pape  ajoute  que  Pierre 
surpasse  tous  les  princes  et  les  rois  par  la  plénitude  et  l'é- 
tendue de  sa  puissance;  mais  il  est  évident,  par  le  contexte, 
qu'il  considère  uniquement  iciY  étendue  de  la  juridiction  spi- 
rituelle de  Pierre,  qui  s'étend  à  toutes  les  parties  du  monde. 
Fleury  n'a  pu  donner  un  autre  sens  aux  paroles  d'Innocent  III, 
qu'en  y  joignant  une  glose  tout  -à  fait  contraire  au  sens  na- 
turel du  texte  (1).  Cette  glose  est  d'autant  plus  déplacée,  que 
le  Pape  lui-même,  à  la  fin  de  son  discours,  pour  établir 
ses  droits  relativement  à  l'élection  de  l'empereur,  ne  se  fonde 
aucunement  sur  le  droit  divin,  mais  uniquement  sur  l'origine 
de  l'empire,  et  sur  l'usage  constant  où  il  est,  de  donner  à  l'em- 
pereur élu  la  couronne  impériale.  «  11  y  a  longtemps,  dit-il, 
«  qu'on  aurait  dû  recourir  au  saint-siége ,  à  qui  appartient  prin- 
«  cipalement  et  finalement,  comme  on  sait,  la  connaissance  de 
«  cette  affaire  ;  principalement ,  parce  que  c'est  lui  qui  a  trans- 
«  féré  l'empire  d'Orient  en  Occident;  finalement,  parce  que 


«  mas.  Unde  quantô  dignior  est  anima  corpore,  tantô  dignius  est  sacerdo- 

«  tium  quàm  sit  regnum Singuli  (principes),  singulas  ha- 

«  bent  provincias,  et  singuli  reges,  singula  régna  ;  sed  Petrus,  sicut  plenitu- 
«  dine,  sic  et  latitudine ,  pneeminet  universis  ;  quia  vicarius  est  ejus,  cujus 
«  est  terra  et  plenitudo  ejus,  orbis  terrarum  et  universi  qui  habitant  in 
«  eâ.  »  Baluze,  ubi  suprà,  pag.  548,  lre  col. 

(1)  Fleury,  Hist  Ecclés.,  tom.  xvi,  liv.  lxxv,  n.  32. 

Berault-Bercastel,  dans  son  Histoire  de  V Église  (liv.  xxxvm  ,  édition  de 
Toulouse,  1809,  tom.  vi,pag.  409),  reproduit  pour  le  fond,  quoique  sous  une 
forme  un  peu  différente,  cette  glose  de  Fleury.  M.  Henrion,  dans  la  nouvelle 
édition  de  l'ouvrage  de  Berault-Bercastel ,  supprime  ces  gloses ,  et  explique 
le  langage  d'Innocent  III,  par  la  jurisprudence  du  temps,  d'après  laquelle  il 
se  donne  pour  juge  compétent  et  suprême,  dans  les  questions  politiques 
du  premier  ordre.  (Édition  de  Paris,  1841,  tom.  v,  pag.  208.)  Nous  recon- 
naissons volontiers  la  réalité  de  cette  ancienne  jurisprudence;  mais  il  nous 
semble  tout  à  fait  inutile  d'y  recourir,  pour  expliquer  le  langage  d'Inno- 
cent III,  dans  le  passage  dont  il  est  ici  question. 


grands  lumi- 
naires. 


SUR  LES   SOUVERAINS. — CHAPITRE  III.  559 

«  c'est  lai  qui  donne  la  couronne  impériale  (t).  »  Ajoutons  que 
le  discours  d'Innocent  III ,  s'il  avait  quelque  chose  d'obscur  ou 
d'équivoque ,  devrait  naturellement  s'expliquer  par  la  doctrine 
qu'il  professait  expressément,  vers  le  même  temps,  dans  une 
lettre  au  comte  de  Montpellier,  où  il  reconnaît  et  marque  net- 
tement la  distinction  des  deux  puissances ,  de  l'aveu  même 
de  Fleury.  «  Nous  ne  voulons  pas ,  dit  le  Pape  dans  cette 
«  lettre  (2),  préjudicier  au  droit  d'autrui,  ni  usurper  une  puis- 
«  sance  qui  ne  nous  appartient  pas  ;  car  nous  n'ignorons  pas 
«  cette  parole  de  Jésus-Christ,  dans  l'Évangile  :  Rendez  à  César 
«  ce  qui  est  à  César,  et  à  Dieu  ce  qui  est  à  Dieu  (3).  C'est  pour- 
«  quoi  étant  prié  de  partager  un  héritage  entre  deux  frères,  il 
«  leur  fit  cette  réponse  :  Qui  m'a  établi  juge  sur  vous  (4)  ?  » 

La  seconde  lettre  d'Innocent  III  que  nous  avons  à  examiner,       206. 
fut  écrite  par  ce  pontife,  la  première  année  de  son  pontificat,    "ilmpide" 
à  l'empereur  Alexis  Comnène,  pour  l'exhorter  à  procurer  lalallX"ed"' 
réunion  des  Grecs  à  l'Église  romaine,  et  la  délivrance  de  la  terre 
sainte  (5).  L'empereur,  après  avoir  manifesté  d'abord  des  dis- 
positions favorables,  se  repentit  bientôt  de  ses  promesses;  et 
dans  une  lettre  où  il  s'efforçait  de  les  éluder,  il  allait  jusqu'à 
prétendre  que  Y  empire  était  au-dessus  du  sacerdoce.  Le  Pape, 
dans  sa  réponse,  réfute  fort  au  long  ce  paradoxe,  évidemment 
contraire  à  la  doctrine  constante  de  la  tradition  ;  et  il  conclut 
cette  discussion  en  ces  termes  :  «  Vous  deviez  savoir  d'ailleurs , 

(1)  «  Verùm  ad  apostolicam  sedem  jampridem  fuerat  recurrendum,  ad 
«  quam  negotium  istud  principaliter  et  finaliter  dignoscitur  pertinere; 
«principaliter,  quia  ipsa  transtulit  imperium  ab  Oriente  in  Occidentem; 
«finaliter,  quia  ipsa  concedit  coronam  imperii.  »  Baluze,  ubï  suprà, 
pag.  549,  lrecol. 

(2)  «  Non  quèd  alieno  jnri  praejudicare  velimus,  vel potestatem  nobis  in- 
«  debitam  usurpare  ;  cùm  non  ignoremus  Cliristum  in  Evangelio  respon- 
«  disse:  Reddite  quœ  sunt  Cœsaris  Cœsari,  et  quœ  sunt  Dei  Deo.  Propter 
«  quod  ,  postulatus  ut  haercditatem  diwderet  inter  duos,  Quis,  inquit,  con- 
«  stituit  mejudicem  super  vos  P  »  Baluze,  Epistol.  Innocent  III,  tom.  1, 
pag.  676,  lve  col.  —  Fleury,  Hist.  Ecclés.,  tom.  xvi,  liv.  lxxv,  n.  42. 

(3)  Matt.  xxii,  21. 

(4)  Luc.  xii  ,  14. 

(5)  Gesta  Innocenta  III,  n.  62  et  63.  (Baluze,  Epistol.  Innoc.  III, 
tom.  1,  pag.  28,  etc.) —  Fleury,  Hist.  Ecclés.,  tom  xvi,.4e  Discours,  n.  7, 
liv.  lxxv,  n.  14;  tom.  xvu,  5e  Discours,  n.  12.— -D.  Ceillier,  Hist.  des 
Auteurs  ecclés.,  tom.  xxm,  pag.  432.  —  DeMarca,  De  Concordiâ,  lib.  11, 
cap.  l,n.  8. 


560  DEUXIEME   PARTIE.  — POUVOIR  DU  PAPE 

que  Dieu  a  fait  deux  grands  luminaires  dans  le  ciel,  l'un  plus 
grand  pour  présider  au  jour,  l'autre  moins  grand  pour  pré- 
c  sider  à  la  nuit.  Le  ciel  figure  ici  Y  Église;  le  jour  désigne  les 
choses  spirituelles ,  et  la  nuit  les  choses  corporelles.  Dieu  a 
<  donc  mis  dans  le  ciel,  c'est-à-dire  dans  l'Église,  deux  grands 
luminaires,  c'est-à-dire   deux    grandes  dignités,   qui    sont 
l'autorité  pontificale  et,  la  puissance  royale  ;  mais  celle  qui 
préside  au  jour,  c'est-à-dire  aux  choses  spirituelles,  est  plus 
grande  que  celle  qui  préside  aux  choses  corporelles  ;  et  autant 
il  y  a  de  différence  entre  le  soleil  et  la  lune,  autant  il  y  en  a 
entre  les  pontifes  et  les  rois  (l).  »  L'unique  but  de  cette  allé- 
gorie, comme  le  montre  clairement  la  suite  du  texte,  est  de 
montrer  la  supériorité  de  la  puissance  spirituelle  sur  la  tem- 
porelle; cette  supériorité  est  telle,  selon  le  pape  Innocent  111 , 
que  la  puissance  temporelle  emprunte  son  éclat  de  la  spirituelle, 
comme  la  lune  emprunte  le  sien  du  soleil  ;  parce  que  les  princes 
reçoivent  des  évêques  les  règles  nécessaires  pour  bien  vivre  et 
bien  gouverner.  On  reconnaît  ici  la  doctrine  enseignée  long- 
temps auparavant  par  le  pape  Gélase  et  par  toute  l'antiquité, 
sur  la  supériorité  de  la  puissance  spirituelle  à  l'égard  de  la 
puissance  temporelle  ;  mais  prétendre  inférer  de  là,  comme  font 
quelques  auteurs  modernes,  que,  dans  le  sentiment  d'Inno- 
cent III ,  le  prince  tient  son  autorité  de  l'Église ,  qui  peut  la  lui 


(1)  «  Preeterea  nosse  debueras  quôd  fecii  Dens  duo  magna  luminaria 
«  infirmamentocœli,  luminare  majuset  luminare minus;  luminare  majus 
«  utprœesset  diei,  et  luminare  minus  ut  prœesset  noctï;  utrumque  ma- 
«  gniim,  sed  alterum  majus;  quia  nomine  cœli  praesignatur  Ecclesta,  juxta 
«  quod  Veritas  ait  :  Simile  est  regnum  cœlorum  homini  patrifamilias , 
«  qui  summo  mane  conduxit  operarios  in  vineam  suam.  Per  diem,  verô 
«  spiritualis  (potestas)  accipitur;  et  per  noetem,  carnalis,  secundùm  pro- 
«  pheticum  te^timonium  :  Dies  diei  éructât  verbum,  et  nox  nocti  indicat 
«.scientiam.  Ad  firmamentuin  igitur  cœli,  hoc  est,  universalis  Eeclesiae, 
«  fecit  Deus  duo  magna  luminaria,  id  est,  duas  magnas  instituit  diguitates, 
«  quœ  sunt  pontificalis  auctoritas,  et  regalis  potestas;  sed  illa  quœ  praeest 
«  diebus,  id  est,  spiritualibus,  major  est;  quae  verô  carnalibus,  minor  est  ; 
a  ut  quanta  est  inter  solem  et  lunam,  tanta  inter  pontilices  et  reges  diffe- 
k  rentia  cognofcatur. »  Décrétai,  lib.  i,  tit.  33,  cap.  6.  (Baluze,  ubi  su- 
prà ,  n.  63,  2e  col.)  Le  pape  Innocent  111  emploie  encore  cette  allégorie 
dans  quelques  autres  lettres.  Voyez,  entre  autres,  Epis  t.  lib.  i,  Ep.  401  ; 
lib.  n,  Ep.  296.  Dans  cette  dernière  lettre,  il  n'emploie  l'allégorie  des  deux 
glaives ,  que  pour  exprimer  l'union  qui  doit  régner  entre  les  deux  puis- 
sances. 


SUR  LES  SOUVERAINS.  —  CHAPITRE  III.  561 

ôter,  s'il  en  abuse  (l),  c'est  évidemment  étendre  la  comparaison 
au  delà  des  bornes  que  le  Pape  lui  donne,  d'après  le  but  et  la 
liaison  de  son  discours.  Pour  autoriser  une  pareille  extension , 
il  faudrait  montrer  que  l'allégorie  employée  par  le  Pape,  était 
alors  poussée  jusque-là  par  l'usage  ordinaire;  mais  bien  loin 
qu'on  puisse  établir  ce  dernier  point ,  il  est  certain  qu'un  auteur 
contemporain  d'Innocent  III,  Berengose,  abbé  de  Saint-Maxi- 
miu  de  Trêves ,  explique  cette  même  allégorie,  de  manière  à 
prévenir  les  conséquences  fâcheuses  qu'on  en  pourrait  tirer  con- 
tre l'autorité  des  princes  ;  car  dans  le  passage  même  où  il  repré- 
sente les  deux  puissances  comme  figurées  par  les  deux  grands 
luminaires,  il  les  suppose  toutes  deux  souveraines  dans  leur 
ressort  ;  et  il  va  jusqu'à  dire,  «  qu'il  n'est  pas  contraire  aux  prin- 
«  cipes  de  la  foi  catholique,  ni  à  ceux  de  la  doctrine  chrétienne, 
«  que,  pour  l'honneur  de  l'empire  et  du  sacerdoce,  le  roi  obéisse 
«  au  pontife,  et  le  pontife  au  roi  (2).  » 

Une  autre  lettre  d'Innocent  III,  présente,  au  premier  abord ,       2(,7 
plus  de  difficulté,  mais  paraît  au  fond  réduire  le  pouvoir  du  H ^Jf1  af ' 
Pape,  en  matière  temporelle,  au  simple  pouvoir  directif.  Voici,  tlela  p«**« cn- 
en  peu  de  mots,  l'occasion  et  le  sujet  de  cette  lettre  (3).  Jean     Auguste 
sans  Terre,  roi  d'Angleterre  et  duc  de  Normandie,  avait  assas-   e  IPK/"* 
sine  à  Rouen  (en  1202),  et  jeté  dans  la  Seine,  son  neveu  Artus, 
comte  de  Bretagne,  qui  lui  disputait  le  trône  d'Angleterre.  A  la 
nouvelle  de  ce  crime,  Philippe- Auguste,  roi  de  France,  proche 
parent  du  défunt,  et  seigneur  suzerain  du  duc  de  Normandie, 
aussi  bien  que  du  comte  de  Bretagne ,  fit  citer  Jean ,  comme 

(1)  C'est  ainsi  que  Fleury  entend  le  texte  d'Innocent  III;  et,  partant  de 
cette  explication,  il  attribue  au  pontife  un  raisonnement  absurde.  Il  suffit, 
pour  justifier  ici  le  Pape,  de  remarquer  que  l'explication  de  Fleury  est  tout  à 
fait  arbitraire  :  il  ne  l'eût  sans  doute  pas  proposée  avec  tant  de  confiance,  s'il 
eût  connu,  ou  lu  avec  plus  d'attention,  le  passage  de  M.  de  Marca ,  que  nous 
venons  de  citer,  et  dont  nous  suivons  ici  l'interprétation.  (Voyez  les  auteurs 
cités  dans  la  note  5  de  la  page  559.) 

(2)  «  Sciendum  est  quôd  nec  catholicœ  fidei,  nec  christianœ  contrarium 
«  est  legi,  si,  ad  honorem  regni  et  sacerdotii,  rex  pontifici,  et  pontifex 
«  obediat  régi.»  Berengose,  De  Mysterio  ligni  Dominï.  (Biblioth.  Patrum, 
torn.  xu,  pag.  374,  2a  col.  H.)  Ce  texte  est  cité  par  M.  de  Marca,  De  Concor- 
diâ,  ubi  suprà. 

(3)  Raynaldi  Annales,  anno  1202,  n.  25;  anno  1203,  n.  54,  etc Spon- 

dani  Annales,  anno  1202,  n.  7  et  8.  — Fleury,  Hist.  Ecclés. ,  tom.  xvi, 
liv.  lxxv,  n.  57,  etc.  —  D.  Ceillier,  Hist.  des  Auteurs  ecclés.,  tom.  xxi, 
p.  731.  —  Lingard,  Hist.  d'Angleterre,  tom.  ni,  pag.  12,  etc.  —  Hurter, 

36 


562  DEUXIÈME   TARTIt.  —POUVOIR    DU    TAPE 

son  vassal,  pour  se  justifier  là-dessus,  en  présence  des  pairs 
français.  Jean  ayant  refusé  de  comparaître,  la  cour  des  pairs  le 
déclara  coupable  de  félonie  et  de  «trahison,  et  le  condamna  en 
conséquence  à  perdre  tous  les  fiefs  qu'il  possédait  en  France , 
comme  vassal  du  roi.  En  exécution  de  cet  arrêt,  Philippe  entra 
aussitôt  en  Aquitaine,  puis  en  Normandie,  où  il  fit  la  conquête 
de  plusieurs  villes  et  forteresses  dépendantes  du  roi  d?Angle- 
terre.  Innocent  III,  affligé  de  cette  querelle,  dont  il  prévoyait 
les  suites  fâcheuses,  principalement  par  rapport  au  succès  delà 
croisade  qui  occupait  alors  toute  l'Europe,  interposa  son  autorité 
pour  apaiser  les  deux  rois,  et  leur  fit  signifier,  par  ses  légats, 
de  suspendre  les  hostilités ,  pour  assembler  les  évêques  et  les 
seigneurs  du  royaume,  et  soumettre  à  un  nouvel  examen  la 
conduite  du  roi  d'Angleterre. 
.2o8-  Une  pareille  injonction,  faite  par  le  Pape  à  deux  souverains, 

cette  conduite,  nous  paraît  aujourd'hui  bien  extraordinaire  ;  mais  elle  n'avait 

Comment         .  ,  .  .  .»#/."•« 

îe  pape  lui-  rien  d  étonnant  a  cette  époque,  ou  le  souverain  pontite  était 
se jusTiL.  investi,  par  la  confiance  de  tous  les  princes  chrétiens,  d'une  si 
grande  autorité  pour  la  direction  des  croisades,  dont  la  religion 
était  l'âme,  et  dont  le  Pape  était  le  principal  mobile  (1).  Quoi 
qu'il  en  soit,  le  roi  d'Angleterre,  qui  trouvait  son  intérêt  dans 
la  suspension  des  hostilités ,  se  montra  disposé  à  entrer  dans  les 
vues  du  Pape;  Philippe,  au  contraire,  y  témoigna  la  plus 
grande  opposition,  jusqu'à  déclarer  aux  légats,  qu'il  n'était  pas 
tenu  de  rendre  compte  au  Pape  de  ce  qui  regardait  ses  vassaux , 
et  que  les  différends  survenus  entre  les  rois  ne  le  regardaient 
pas.  Le  Pape,  informé  de  cette  réponse,  écrivit  au  roi  et  aux 
évêques  de  France  «  qu'il  ne  prétendait  troubler  ou  diminuer, 
«  en  aucune  manière,  la  juridiction  du  roi,  ni  s'attribuer,  en 
«  aucun  cas,  le  droit  de  juger  sur  un  fief  dont  le  jugement 
«  appartient  au  roi,  à  moins  d'avoir  acquis  ce  droit  par  un  pri- 
«  vilége  spécial,  ou  par  une  coutume  contraire  ;  mais  qu'il  pré- 
«  tendait  seulement  décider  sur  le  péché,  parce  qu'il  pouvait  et 
«  devait  exercer ,  à  cet  égard ,  son  autorité  sur  tous  les  fidèles 


Hist.  d'Innocent  UT,  tom.  I,  année  1203,  pag.  595,  etc.  ;  696,  etc.  —  Hist. 
de  VÉgl.  Gall.,  tom.  x,  année  1203,  pag.  250,  etc. 
(1)  Voyez  ci-dessus,  chap.  1,  n.  51,  pag.  388. 


SUil   LES   SOUVERAINS. — CHAPITRE   III.  563 

«  sans  exception  (i).  »  On  voit  que  le  Pape  ne  s'attribue  point  ici 
un  pouvoir  de  juridiction  sur  les  choses  temporelles ,  mais 
uniquement  le  pouvoir  de  décider  sur  le  péché ,  ou  le  droit  de 
diriger  la  conscience  des  princes  en  matière  temporelle,  comme 
en  toute  autre  matière  ;  ce  qui  suppose  uniquement  le  pouvoir 
directif,  au  sens  où  nous  l'avons  expliqué  au  commencement 
de  ce  chapitre  (2). 
Il  est  vrai  que  plusieurs  auteurs  modernes  ont  cru  voir ,  dans       209. 

ii  »  *  1  /  ii        Injustice  des 

les  paroles  d  Innocent  Iïl ,  la  prétention  de  s  immiscer  dans  le  reproches 
gouvernement  de  tous  les  royaumes,  sous  prétexte  des  péchés  qu  frits"'  a 
que  les  princes  y  peuvent  commettre  (3).  Ce  reproche  serait  surcesuJeU 
fondé,  s'il  était  vrai  que  le  pape  Innocent  III  se  fût  attribué  un 
pouvoir  de  juridiction  directe  ou  indirecte  sur  les  choses  tem- 
porelles; mais  il  suffit  de  lire  attentivement  la  lettre  dont  il  est 
ici  question,  pour  voir  que  le  Pape  s'y  attribue  uniquement  le 
pouvoir  directif  en  matière  temporelle,  pouvoir  dont  il  est  sans 
doute  possible  d'abuser,  mais  essentiellement  distingué  du  pou- 
voir de  juridiction ,  que  le  Pape  ne  s'attribue  en  aucune  manière. 
Ce  qui  a  surtout  donné  lieu  de  lui  attribuer  des  prétentions 
excessives,  c'est  que ,  non  content  de  donner  des  avis  paternels 
aux  rois  de  France  et  d'Angleterre,  dans  l'occasion  dont  il  s'agit, 
il  leur  avait  enjoint  formellement  de  suspendre  leurs  hostilités, 
pour  soumettre  à  un  nouvel  examen  la  conduite  du  roi  d'Angle- 
terre. Mais  quand  il  serait  vrai  qu'Innocent  III  se  fût  laissé 
d'abord  entraîner  au  delà  des  bornes ,  par  le  désir  de  procurer 
la  paix  entre  les  deux  souverains ,  qu'en  pourrait-on  conclure 


(l)«Non  enim  intendimus  judicare  de  feudo ,  cujus  ad  ipsum  [regem 
«  Galliœ)  spectat  judicium,  nisi  forte  juri  communi,  per  spéciale  privile- 
«  gium  vel  contrariam  consuetudinem ,  aliquid  sit  detractum;  sed  decer- 
«  nere  de  peccato,  cujus  ad  nos  pertinet  sine  dubitatione  censura,  quam  in 
«  quemlibet  exercere  possumus  et  debemus.  »  Décrétai.  \ib.  11,  tit.  1 ,  De 
Judiciis ,  cap.  13. 

(2)  Bossuet  incline  manifestement  à  cette  explication,  dans  la  Défense  de 
la  Déclar. ,  liv.  m,  cliap.  22.  Sisniondi  lui-même,  après  avoir  blâmé  hau- 
tement l'intervention  du  Pape  entre  les  deux  rois,  dans  l'occasion  dont  il 
s'agit,  ne  fait  aucune  difficulté  d'approuver  la  lettre  d'Innocent  III  que  nous 
venons  de  citer,  et  d'y  voir  une  réparation  suffisante  de  ce  que  ses  premières 
démarches  pouvaient  avoir  eu  d'excessif.  Sismondi,  Hist.  des  Français, 
tom.  vi,  pag.  225  et  226. 

(3)  Fleury,  ubi  suprà,  n.  60,  vers  la  fin.— Lingard,  ubi  suprà,  pag.  18  et 
40.  —  De  Marca,  De  Concordiâ,  lib.  11,  cap.  3,  n.  6,  etc.  ;  lib.  iv,  cap.  14. 

36. 


664  DEUXIÈME  PARTIE. — POUVOIR  DU  PAPE 

contre  sa  doctrine,  qui  réduit  manifestement  le  pouvoir  du 
Pape,  en  matière  temporelle,  au  simple  pouvoir  directif?  Tout 
au  plus  pourrait-on  le  taxer  d'imprudence  et  de  précipitation 
dans  sa  conduite.  Toutefois,  nous  sommes  bien  éloigné  de  croire 
qu'on  puisse  faire  ce  reproche  à  un  pontife  aussi  recommanda- 
ble  qu'Innocent  III ,  par  ses  vertus,  ses  lumières  et  sa  prudence. 
Nous  sommes  persuadé,  au  contraire,  qu'il  est  pleinement  justi- 
fié ,  sur  ce  point ,  par  les  circonstances  dans  lesquelles  il  se  trou- 
vait, et  que  nous  avons  déjà  fait  remarquer  en  plusieurs  endroits 
de  cet  ouvrage  (l).  C'est  un  fait  notoire  et  généralement  reconnu, 
qu'à  l'époque  des  croisades,  les  Papes  étaient  souvent  choisis, 
par  les  souverains  eux-mêmes ,  pour  garants  de  leurs  traités ,  et 
pour  arbitres  de  leurs  différends;  et  que,  pour  ce  qui  regardait 
en  particulier  les  guerres  saintes,  les  princes  étaient  bien  aises  de 
voir  les  souverains  pontifes  à  la  tête  de  ces  expéditions , afin  que 
tout  y  fût  conduit  avec  plus  de  concert,  et  de  respect  pour  la 
religion.  Un  tel  concours  de  circonstances  autorisait  naturelle- 
ment le  saint-siége  à  intervenir  dans  une  multitude  d'affaires 
temporelles,  avec  le  consentement  au  moins  tacite  des  souve- 
rains. Est-il  donc  étonnant  qu'en  de  pareilles  conjonctures, 
Innocent  III  ait  cru  pouvoir  prendre  le  ton  de  l'autorité ,  pour 
mettre  fin  à  de  funestes  divisions,  qui  avaient  déjà  causé,  et  ne 
pouvaient  manquer  de  causer  encore  de  si  grands  maux  à 
l'Église  et  à  l'État? 

210.  ° 

sages  remon.     c'est  ce  que  le  Pape  lui-même  fait  assez  entendre  à  Philippe, 
.iu  pape  à    dans  la  lettre  qu'il  lui  écrivit,  pour  se  plaindre  de  la  résistance  de 

Philippe-Au-  •  •  !  .  .  /.     ,     .  „    .      -, 

gûste.  ce  prince  aux  avis  que  le  souverain  pontife  lui  avait  fait  donner 
par  ses  légats.  «  Nous  avons  député  près  de  vous,  lui  dit-il, 
«  l'abbé  Casamario ,  avec  des  propositions  de  paix,  dans  l'espé- 
«  rance  que  ce  différend  se  terminerait  comme  celui  que  vous 
«  avez  eu  avec  Richard  (2).  Mais  combien  nous  avons  été  étonné 
«  de  votre  déclaration,  qui  a  pour  objet  de  restreindre  la  juri- 
«  diction  du  saint-siége,  juridiction  qui  a  été  établie,  en  matière 
«spirituelle,  pari' Homme-Dieu,  d'une  manière  si  claire  et  si 

(1)  Ci-dessus,  chap.  1,  art.  2,  n.  51,  etc. 

(2)  Innocent  III,  avait  été,  quelques  années  auparavant,  médiateur 
delà  paix  entre  Philippe-Auguste  et  Richard,  roi  d'Angleterre,  prédéces- 
seur de  Jean  sans  Terre.  Voyez  Fleury,  Hist.  EccL,  t.  xvi,  liv.  lxxv,  n.  Il . 
—  Daniel,  Hist.  de  France,  tom.  iv,  pag.  107,  etc. 


SUR  LES   SOUVERAINS.  —  CHAPITRE   III.  565 

«  étendue,  qu'il  est  impossible  de  l'augmenter,  puisque  la  plé- 
«  nitude  n'admet  pas  d'accroissement.  Vous  auriez  dû  vous  rap- 
«  peler  d'ailleurs  que  le  saiut-siége  vous  a  donné  des  conseils, 
«  comme  à  vos  prédécesseurs ,  pour  le  plus  grand  bien  ;  que  les 
«  chances  de  la  guerre  sont  douteuses  ;  que  nous  ne  deman- 
«  dons  rien  d'indigne,  rien  d'injuste.  Nous  serions  un  merce- 
«  naire  et  non  un  bon  pasteur,  si  nous  regardions  avec  indiffé- 
«  rence  les  églises  détruites,  les  serviteurs  du  Seigneur  troublés 
«  dans  leurs  fonctions ,  les  temples  ravagés ,  les  vierges  consa- 
«  crées  au  Très-Haut  déshonorées,  et  forcées  à  rentrer  dans  le 
«  monde  auquel  elles  avaient  renoncé.  L'Évangile  ordonne  de 
«  nous  entendre  avec  notre  frère,  d'écouter  les  témoins,  ou  de 
«  s'en  rapporter  à  la  décision  de  l'Église.  Le  roi  d'Angleterre, 
«  votre  frère  dans  la  foi ,  se  plaint  que  vous  péchez  contre  lui  ; 
«  il  vous  a  averti;  il  a  pris  pour  témoins  de  sa  volonté  à  réta- 
«  blir  la  paix,  un  grand  nombre  de  seigneurs;  et  voyant  ses 
«  démarches  inutiles,  il  s'est  plaint  à  l'Église.  Celle-ci  a  voulu 
«employer  l'amour  d'un  père,  et  non  la  sévérité  d'un  juge; 
«  elle  vous  a  exhorté  à  conclure  la  paix,  ou  du  moins  une  trêve. 
«Maintenant,  si  vous  refusiez  d'écouter  l'Église ,  ne  devrait-on 
«  pas  vous  regarder  comme  un  païen  et  un  publicain  ?  Ou  bien 
«  devons-nous  garder  le  silence?  Non  certainement:  nous  vous 
«avertissons  encore  une  fois;  écoutez  notre  conseil,  qui  part 
«  d'un  cœur  droit.  Nous  avons  chargé  l'archevêque  de  Bourges 
«  et  l'abbé  Casamario ,  de  juger ,  non  des  droits  de  suzerain 
«  (cet  examen  vous  appartient),  mais  de  prononcer  sur  le  pé- 
«  ché ,  dont  la  punition  est  de  notre  ressort.  Si  la  plainte  du 
«roi  Jean  était  fondée,  nous  serions  obligé  d'employer  les 
«  moyens  de  discipline  ecclésiastique,  pour  vous  faire  renoncer 
«  à  la  guerre.  Si  la  douceur  maternelle  était  méconnue,  nousau- 
«  rions  recours  à  la  sévérité  paternelle.  Advienne  ce  qui  pourra, 
«  nous  craignons  Dieu  plus  que  les  hommes  ;  nous  nous  sou- 
«  mettons  à  toutes  les  persécutions  pour  la  justice  ;  nous  ne 
«  voulons  échapper  à  aucune  calamité  aux  dépens  de  la  vérité  ; 
«  et  nous  ferons  exécuter  par  l'abbé,  ce  que  notre  devoir  et  notre 
«  charge  nous  imposent  (l).  » 

(1)  Innocent  III,  Epist.  lib.  vi,  Ep.  163.  —  Hurler,  Hist.  cl' Innocent  II I , 
toni.  i,  pag.  598. 


566  DEUXIÈME   PARTIE.  —  POUVOIR   DU   PAPE 


211 

La  conduite 


Un  pareil  langage,  dans  les  circonstances  où  se  trouvait  le 
d'innôcem iïr,  Pape,  explique  suffisamment  sa  conduite,  et  le  justifie  pleine- 
occaïion ,  jus-  ment  aux  yeux  d'un  esprit  impartial.  Aussi  a-t-ilété  justifié;  sur 
ar m. Huner.  ce  point,  de  nos  jours  même,  par  un  auteur  protestant ,  que  ses 
profondes  recherches,  sur  la  vie  et  le  siècle  de  ce  pontife ,  ont 
mis  plus  à  portée  que  personne  de  bien  apprécier  sa  conduite. 
«  Le  langage  qu'il  tient  aux  deux  rois,  dit  Hurter  (1)/  est  la 
«  ferme  expression  du  sentiment  de  ses  devoirs.  La  question  de 
«  savoir,  s'il  appartient  au  Pape  de  s'immiscer  ainsi  dans  les 
«  affaires  des  rois ,  trouve  sa  solution  dans  l'idée  que  chacun 
«  se  fait  de  la  forme  et  des  bornes  de  l'influence  d'un  empire 
«  divin  embrassant  tout  sur  la  terre.  Qui  niera  que,  si  l'on  pou- 
«  vait  reconnaître  une  influence  purement  morale,  dans  les  af- 
«  f aires  des  États,  la  cause  des  peuples  serait  mieux  servie  que 
«  par  des  conférences,  des  congrès,  des  échanges  de  notes  di- 
«  plomatiques ,  qui ,  le  plus  souvent ,  servent  d'arène  à  la  sou- 
«  plesse  d'un  esprit  fin ,  qui  croit  pouvoir  se  passer  de  tout 
«  élément  moral?  Innocent  parle  ici  comme  un  homme  qui  plane 
«  au-dessus  des  partis,  et  qui  fait  valoir  à  chacun  les  raisons 
«  qui  puissent   lui  faire  plus  clairement  comprendre  l'avan- 

«  tage  et  la  nécessité  de  la  paix Il  tenait,  avant  tout,  au 

«  maintien  de  la  paix  entre  deux  monarques ,  dont  la  puissance 
«  pouvait  contribuer  d'une  manière  efficace  à  la  délivrance  de 
«  la  terre  sainte.  Dans  ses  deux  lettres,  il  fait  ressortir  la  néces- 
«  site  de  cette  paix,  son  devoir  d'arrêter  l'effusion  du  sang  ;  et 
«  s'il  donne  à  Philippe  les  plus  grands  torts  ;  si ,  pour  ce  rao- 
«  tif,  il  s'adresse  à  lui  avec  plus  de  sévérité,  il  ne  dissimule 
«  cependant  pas  à  Jean,  qu'il  soutiendra  les  droits  de  son  adver- 
«  saire,  en  temps  et  heu.  Étranger  à  l'esprit  de  parti ,  et  ne  rece- 
«  vant  l'impulsion  que  d'après  le  jour  sous  lequel  lui  apparais- 
sent les  choses,  il  plane  au-dessus  de  la  haine  des  rois,  ne 
«  s'occupant  qu'à  la  calmer,  et  qu'à  l'éloigner  de  ceux  dont  elle 
«  pouvait  causer  la  ruine.  » 
2i2.  4°  La  sentence  de  déposition  prononcée,  en  1245,  contre 

empereur6  l'empereur  Frédéric  II,  par  le  pape  Innocent  IV,  dans  le  pre- 
"dansîe  '  niier  concile  général  de  Lyon,  s'explique  naturellement,  comme 

(l)  Hurter,  Hist.  d'Innocent  III,  tom.  1,  pag.  600,  etc. 


SUR   LES    SOUVERAINS..— CHAPITRE    III.  567 

celle  de  Grégoire  VII ,  au  moyen  du  pouvoir  àirecïif  de  l'Église  premier  cQn. 
et  du  Pape,  en  matière  temporelle  (1).  Dans  la  senlence  contre  CdeLynon.al 
Frédéric,  après  une  longue  énumératiou  de  ses  crimes ,  le  Pape 
conclut  en  ces  termes  :  «  Pour  tous  ces  excès ,  et  pour  un  grand 
«  nombre  d'autres  non  moins  horribles  ;  après  en  avoir  soigneu- 
«  sèment  délibéré  avec  nos  frères,  et  avec  le  saint  concile  ;  en 
«  vertu  du  pouvoir  de  lier  et  de  délier  que  Jésus-Christ  nous  a 
«donné  dans  la  personne  de  saint  Pierre,  tout  indigne  que 
«  nous  sommes  ;  nous  déclarons  et  dénonçons  le  susdit  empe- 
reur, qui  s'est  rendu  si  indigne  de  l'empire,  de  tout  hon- 

«  neur  et  de  toute  dignité; nous  le  déclarons,  dis-je,  et 

«  le  dénonçons,  au  nom  de  Dieu,  lié  pour  ses  péchés,  rejeté  et 
«  privé  de  tout  honneur  et  de  toute  dignité  ;  et  l'en  privons 
«  néanmoins  par  cette  sentence  ;  absolvant  pour  toujours  de 
«  leurs  serments  tous  ceux  qui  lui  ont  juré  fidélité,  etc.  (2).  » 

Tout  ce  que  nous  avons  dit  plus  haut  (3)  pour  expliquer  la  Ia  JjJ^/ 
sentence  de  Grégoire  VII  contre  l'empereur  Henri  IV,  s'applique  In*jJJJJJftv 
évidemment  à  celle  d'Innocent  IV  contre  Frédéric  II.  Le  pou-    t  contre 

1,  .  I'em|)f  rcur, 

voir  divin  de  lier  et  de  délier,  que  le  Pape  invoque  à  1  appui  de    expliquée 
sa  sentence,  est  uniquement  relatif  au  pouvoir  d'excommunier  ^lT^\n. 
les  pécheurs  obstinés,  et  au  pouvoir  directif ,  dans  le  sens  où  qne^!J[J2  de 
nous  l'avons  expliqué  au  commencement  de  ce  chapitre.  La  Grégoire  vu. 
déposition,  prononcée  dans  la  même  sentence,  n'était  qu'une 
conséquence  de  l'excommunication,  d'après  la  persuasion  alors 
universelle,  fondée  sur  les  anciennes  lois  de  V empire:  c'était 
une  simple  interprétation  du  serment  de  fidélité,  donnée  en 


(1)  Fleury,  Hist.Ecclés. ,  tom.  xvii  ,  liv.  lxxxii,  n.  29.  —  Voyez  aussi  les 
auteurs  ci  1  es  plus  haut,  chap.  2,  pag.  425,  note  1 . 

(2)  «  Nositaque,  super  prœmissis  et  compluribus  aliis  ejus  nefandis  ex- 
«  eessibus,  cum  fratribus  nosttïs  et  sacro  coneilio  deliberatione  praehabità 
«  diligenti,  cùm  Jesu  Christi  \ices  immeriti  teneamus  in  terris,  nobisque 
«  in  beati  Pétri  apostoli  personà  sit  dictum  :  Quodcumque  ligaveris  super 
«  terram,  etc.,  memoratum  principe»),  qui  sese  imperio  et  regnis,  omnique 
«  honore  ac  dignitate  reddidittam  indignum,  quique,  propter  suas  impieta- 
«  tey,  a  Deo  ne  regnet  vel  imperet  est  abjectus,  suis  ligatum  peccatis,  et 
<c  abjectum,  omnique  honore  et  dignitate  privatum  à  Domino  ostendimus, 
«  denuntiainus,  ac  nihilominus  sententiando  privamus  ;  omnes  qui  ei  jura- 
«  mento  fidelitatis  tenentur  adscripti,  à  juramento  hujusinodi  perpétué 
«  absolventes.  »  Concil.  Lugd.I.  Sententia  contra  Fridericum  in  con- 
cilio lata.  (Labbe,  Concil.  tom.  xi,  parte  ta,  pag.  045.) 

(3)  Voyez  plus  haut,  n.  191,  pag.  535,  etc. 


568  DEUXIEME  PARTIE. — POUVOIR  DU  PAPE 

vertu  du  pouvoir  directif  dont  nous  venons  de  parler. 
C'est  ainsi  que  l'archevêque  de  Cambrai  explique  cette  sen- 
tence ,  dans  sa  Dissertation  sur  V Autorité  du  souverain  Pon- 
tije.  «  Les  ultramontains  répondront ,  dit-il  (1),  que  le  souve- 
«  rain  pontife  a  bien  pu  dire  :  Nous  privons,  par  cette  sentence, 
«  l'empereur  Frédéric  de  tout  honneur  et  de  toute  dignité; 
«  parce  que  les  souverains  pontifes  soutiennent,  que  le  nouvel 
«  empire  romain  des  Francs  et  des  Germains  a  été  établi  par 
«  leur  seule  autorité,  et  qu'il  est,  par  cela  même,  un  fief  du 
«  saint-siége  (2).  Ces  paroles  d'Innocent  IV  :  Nous  privons  par 
«  cette  sentence,  signifient  :  Nous  délions  tous  ceux  qui  lui 
«  sont  soumis  par  le  serment  de  fidélité.  C'est  exactement 
«  comme  s'il  disait  :  Nous  le  déclarons  indigne,  par  ses  crimes 
«  et  son  impiété,  de  commander  à  des  peuples  catholiques  : 
«  nous  déclarons  que  le  contrat  ouvertement  violé  par  l'empe- 
«  reur  ne  lie  plus  désormais  les  peuples  de  l'empire,  parce  que 
«  ces  peuples  ne  prétendent  lui  obéir,  que  sous  les  conditions  sti- 
«  pulées.  En  prononçant  cette  sentence,  Innocent  IV  exerce  le 
«  pouvoir  que  Jésus-Christ  lui  a  donné  par  ces  paroles  :  Tout 
«  ce  que  vous  lierez  sur  la  terre  sera  lié  dans  le  ciel;  il  exerce, 
«  dis-je,  ce  pouvoir  en  déclarant  Frédéric  lié  par  ses  péchés, 
«  et  les  peuples  déliés  de  leur  serment  de  fidélité.  » 
2i4.  On  demandera  peut-être  pourquoi  le  pape  Innocent  IV  ne 

PolneUfaitelIe  fait  aucune  mention  des  lois  de  l'empire,  sur  lesquelles  était 

(1)  «  Transalpini  dicturi  sunt  pontificem  ita  pronuntia visse,  sententiando 
«  privamus ,  eo  quod  pontifices  contendant  Francum  et  Germanicnm  re- 
«  cens  hoc  Romanum  imperium,  solâ  pontificiâ  auctoritate  fuisse  institu- 
«  tum  ,  atque  adeo  hoc  imperium  essefeudum  Romance  sedis.  Innocentais 
«  ait ,  sententiando  privamus ,  in  hoc  scilicet ,  quod  absolvimus  omnes 
«  qui  ei  juramento  fidelitatis  tenentur  adstricti.  Idem  est  prorsus  ac  si 
«  diceret  :  Declaramns  eum,  ob  facinora  et  impietatem,  indignum  esse  qui 
«  gentibus  calholicis  praesit  :  declaramus  contractum  ab  imperatore  palam 
a  violatum ,  jam  populos  imperii  non  adstringere  ;  quandoquidem  populi , 
«  non  nisi  pactis  conditionibus,  subesse  et  parère  volunt.  In  hoc,  Innocen- 
te tius  exercet  potestatem  à  Christo  datam  :  Quodcumque  ligaveris  super 
«  terram,  etc.;  videlicet,  ut  Fridericum  ligatum  peccatis,  et  populos  jura- 
«  mento  fidelitatis  solutos  declaret.  »  Fénelon ,  Dissert,  de  Auctorit.. 
summi  Pontifiais,  cap.  39,  p.  387. 

(2)  On  a  vu  plus  haut,  que  l'empire  n'était  pas  un  fief  du  saint-siége, 
le  sens  propre  et  rigoureux,  mais  dans  un  sens  plus  large,  qui  exprimait 
seulement  une  dépendance  particulière  de  V empire  à  l'égard  du  saint- 
siége.  Voyez  plus  haut,  chap.  2,  n.  142,  pag.  484,  etc. 


SUR  LES   SOUVERAINS.  —  CHAPITRE  III.  569 

fondée  sa  sentence  contre  l'empereur?  Nous  croyons  avoir  pré-  pas  mention 
venu  cette  difficulté ,  en  examinant  la  sentence  de  Grégoire  VII  w  **"#'«*. 
contre  l'empereur  Henri  IV.  Nous  avons  fait  remarquer  que  la  pire- 
sentence  du  Pape  ne  déposant  le  souverain  que  par  le  moyen 
de  l'excommunication ,  cette  dernière  peine  était  Y  objet  prin- 
cipal, direct  et  immédiat  delà  sentence,  et  par  conséquent 
celui  qu'il  importait  surtout  de  motiver ,  comme  étant  le  fonde- 
ment de  la  déposition  qui  en  résultait  alors ,  en  certains  cas , 
d'après  la  constitution  de  l'empire.  Nous  avons  ajouté  que,  dans 
les  tribunaux  ecclésiastiques,  aussi  bien  que  dans  les  tribunaux 
civils,  le  juge  ne  se  croit  pas  toujours  obligé  d'exposer  en  détail 
les  motifs  de  son  arrêt,  et  se  borne  le  plus  souvent  à  exprimer  les 
principaux.  Les  auteurs  français  eux-mêmes  ne  font  aucune  dif- 
ficulté d'appliquer  ce  principe  à  la  sentence  d'Innocent  IV  con- 
tre Frédéric  ;  car  ils  reconnaissent  qu'elle  était  fondée ,  en 
grande  partie,  sur  la  dépendance  particulière  de  l'empire  à 
l'égard  du  saint-siége ,  à  cette  époque ,  bien  que  le  Pape  n'en 
fasse  pas  une  mention  expresse  (1). 

5°  Parmi  les  actes  émanés  de  l'autorité  du  saint-siége  sur  le       2l5. 
sujet  qui  nous  occupe ,  le  plus  célèbre,  sans  contredit,  et  celui  ExJ™,°"  J* la 
qui  présente  au  premier  abord  plus  de  difficulté,  est  la  bulle  Bonifacevm, 

■*         x  L  *  Unamsanctam. 

de  Boniface  VIII,  Unam  sanctam,  publiée  par  ce  pontife,  au 
mois  de  novembre  1302,  à  l'occasion  des  vifs  démêlés  qu'il 
avait  alors  avec  Philippe  le  Bel  (2).  On  a  prétendu  que,  dans 
cette  constitution,  Boniface  VIII  portait  le  pouvoir  du  saint- 
siége  plus  loin  que  n'avait  fait  aucun  de  ses  prédécesseurs, 
depuis  Grégoire  VII ,  et  s'attribuait  ouvertement  le  droit  de 
disposer,  en  monarque  universel,  de  tous  les  royaumes  du 
monde  (3).  Mais  il  s'en  faut  beaucoup  que  cette  explication  de 
la  bulle  Unam  sanctam,  soit  à  l'abri  de  toute  contestation  ; 

(1)  Bossuet,  Befensio  Declar . ,  lib.  iv,  cap.  9.  —  Fleury,  ubi  suprà, 
n.  29,  vers  la  fin. 

(2)  Hist.  du  Différend  entre  Boniface  VIII  et  Philippe  le  Bel,  année 
1302.  — Raynaldiet  Sponde,  Annales,  anno  1302.  — Fleury,  Hist.Ecclés., 

tom.  xix,  liv.  xc,  n.  18 Hist.  de  l'Église  Gallic.f  tom.  xir,  année  1302, 

pag.  342 ,  etc.  —  Daniel,  Hist.  de  France,  tom.  v,  année  1302,  pag.  75. 
—  Bossuet ,  Befensio  Beclar. ,  lib.  m ,  cap.  23,  etc.  —  Fénelon ,  Be  Aucto- 
ritate  summi  Pontif.,  cap.  27.  —De  Marca,  Be  Concordid,  lib.  îv, 
cap.  16. 

(3)  Bossuet,  Fleury,  De  Marca,  ubi  suprà. 


570  DEUXIÈME   PARTIE   — POUVOIR  DU   PAPE 

Fénelon  n'hésite  pas  à  l'expliquer  dans  le  sens  du  pouvoir 
directif(i)  ;  et  nous  croyons  avec  lui,  que  tel  est  en  effet  le  sens 
naturel  de  cette  Bulle ,  aux  yeux  d'un  lecteur  non  prévenu. 
Voici  le  passage  qui  fait  tout  le  sujet  de  la  difficulté  :  «  L'Évaugile 
«  nous  apprend  qu'il  y  a  dans  l'Église .  et  que  l'Église  a  en  son 
«  pouvoir,  deux  glaives,  le  spirituel  et  le  temporel....  L'un  et 
«  l'autre  est  au  pouvoir  de  l'Église  ;  '  mais  le  premier  doit  être 
«  tiré  par  l'Église  ,  et  par  la  main  du  pontife;  le  second  ,  pour 
«  l'Église,  par  la  main  des  rois  et  des  soldats,  et  à  la  solli- 
«  citation  du  pontife.  Le  glaive  temporel  doit  être  soumis  au 
«  spirituel,  c'est-à-dire,  le  pouvoir  temporel  au  spirituel,  selon 
«  cette  parole  de  l'Apôtre  :  Il  n'y  a  pas  de  pouvoir  qui  ne 
«  vienne  de  Dieu  ;  et  tout  pouvoir  qui  vient  de  Dieu  est  bien 
«  ordonné  par  lui  (2)  :  or,  les  deux  puissances  ne  seraient  pas 
«  bien  ordonnées ,  si  le  glaive  temporel  n'était  soumis  au  spiri- 
tuel, comme  l'inférieur  au  supérieur Il  faut  reconnaître 

«  que  la  puissance  spirituelle  surpasse  autant  la  temporelle  en 
«  dignité,  que  les  choses  spirituelles  en  général  l'emportent  sur 

«  les  temporelles C'est  ce  que  prouve  clairement  l'origine 

«  même  de  la  puissance  temporelle  ;...  car,  selon  le  témoignage 
«  de  la  vérité,  il  appartient  à  la  puissance  spirituelle  d'établir 
«  la  temporelle,  et  de  la  juger,  si  elle  s'égare;  c'est  ainsi  que  se 
«  vérifie ,  par  rapport  à  l'Église  et  à  la  puissance  ecclésiastique , 
«  cet  oracle  de  Jérémie  :  Je  vous  établis  aujourd'hui  sur  les 
«  nations  et  les  royaumes  (3).  Si  donc  la  puissance  temporelle 
«  s'égare ,  elle  sera  jugée  par  la  spirituelle;  si  la  spirituelle  d'un 
«  rang  inférieur,  fait  des  fautes,  elle  sera  jugée  par  une  puis- 
«  sance  spirituelle  d'un  ordre  supérieur  ;  mais  si  la  souveraine 
«  puissance  spirituelle  fait  des  fautes,  elle  peut  être  jugée  par 
«Dieu  seul,  et  non  par  aucun  homme,  selon  cette  parole  de 
«  l'Apôtre  :  L'homme  spirituel  juge  tout ,  et  n'est  jugé  par 
«personne  (4).  Cette  souveraine  puissance  spirituelle  a  été 
«  donnée  à  saint  Pierre,  par  ces  paroles  :  Tout  ce  que  vous 
«  lierez ,   etc.   (5)  ;   celui  donc  qui    résiste  à  cette  puissance 

(1)  Fénelon,  ubi  suprà. 

(2)  Rom.  xin,  1. 

(3)  Jerem.  î,  10. 

(4)  I  Cor.  h,  15. 

(5)  Matth.  xvi,  19. 


SUR  LES   SOUVERAINS.  —  CHAPITRE  III.  571 

«ainsi  ordonnée  de  Dieu,  résiste  à  l'ordre  de  Dieu  (1).  » 

Tout  ce  qu'il  y  a  de  plus  fort  dans  ce  passage,  se  réduit  à       216. 
dire ,  que  Y  Eglise  a  en  son  pouvoir  les  deux  glaives ,  ou  les  expressions 
deux  puissances  ;  que  le  glaive  temporel  est  soumis  et  subor-  cette  buiie, 
donné  au  spirituel,  comme  l'inférieur  au  supérieur  ;  que  le  s3™rSrd, 
pouvoir  du  prince  doit  être  exercé  à  la  sollicitation  du  pon-    Hu*eàs  de 
tife;  enfin,  qu'il  appartient  à  la  puissance  spirituellë\d 'établir  saim-victor. 
la  temporelle ,  et  de  la  juger,  si  elle  s'égare.  Mais  quelque 
fortes  que  soient  ces  expressions ,  elles  n'offriront  aucune  diffi- 
culté, si  on  les  compare  avec  celles  de  saint  Bernard  et  de 
Hugues  de  Saint-Victor,  que  nous  avons  expliquées  précédem- 
ment, et  que  la  bulle  de  Boniface  VIII  reproduit  ici  presque 
mot  pour  mot.  En  effet,  le  saint  docteur  enseigne  expressément, 
en  plusieurs  de  ses  écrits,  que  «  les  deux  glaives  appartiennent; 
«  à  l'Église,  pour  être  tirés ,  toutes  les  fois  qu'il  en  est  besoin , 
«  l'un  par  la  main  du  pontife,  et  l'autre  à  sa  sollicitation  ;  »  ce 
que  Bossuet  et  Fleury  lui-môme  ne  font  pas  difficulté  d'expli- 


(1)  «  In  Ecclesiâ  ejusque  potestate  duos  esse  gladios,  spiritualem  videlicet 

«  et  temporalem,  Evangelicis  dictis  instruimur Uterque  est  in  potestate 

«  Ecclesiâ?,  spiritualis  scilicet  gladius  et  materialis  ;  sed  is  quidem  pro  Eccle- 
«  siâ,  ille  verô  ab  Ecclesiâ  exerendus  ;  ille  sacerdotis,  is  manu  regum  et  mi- 
«litum,  sed  ad  nutum  et  patientiam  sacerdotis.  Oportet  autem  gladium 
«esse  subgladio,  et  temporalem  aiictoritatem  spirituali  subjici  potestati  ; 
«  nam  cùm  dicat  apostolus  :  Non  estpotestas  nisi  àDeo;  quœ  autem  sunt, 
«  à  Deo  ordinata  sunt;  non  autem  ordinata  essent,  nisi  gladius  esset  sub 

«  gladio,  et  tamquam  inïerior  reduceretur  per  alium  in  suprema Spiri- 

«  tualem  autem  ,  et  dignitate,  et  nobilitate,  terrenam  quamlibet  prœcellere 
«  potestatem ,  oportet  tantô  clariùs  nos  fateii ,  quantô  spiritualia  temporalia 
«  antecellunt.  Quod  etiam  ex  decimarum  datione,  et  benedictione,  et  sancti- 
«  ficatione,  ex  ipsius  potestatis  acceptione,  ex  ipsarum  rerum  gubernatione, 
«  claris  oculis  intuemur.  Nain  veritate  testante,  spiritualis  poteslas  terrenam 
«  potestatem  instituere  habet,  et  judicare ,  si  bona  non  fuerit  :  sic  de  Eccle- 
«  siâ  et  ecclesiasticâ  potestate  verilîcatur  vaticinium  Jeremiœ  :  Ecce  consti- 
«  tui  te  hodie  super  gentes  et  régna,  etc.  Et  go  si  deviat  terrena  potestas, 
«judicabitur  à  potestate  spirituali;  sed  si  deviat  spiritualis  minor,  à  suo 
«  superiori  :  si  verô  suprema ,  à  solo  Deo,  non  ab  domine  poterit  judicari, 
«testante  apostolo  :  Spiritualis  homo  judicat  omnia,  ipse  autem  à  ne- 
«  mine  judicatur .  Est  autem  haee  auctoritas  (etsi  data  sit  bomini,  et  exer- 
ce ceatur  per  bominem)  non  bumana,  sed  potiùs  divina,  ore  divino  Petro 
«  data,  sibique,  suisque  successoribus ,  in  ipso  quem  confessus  fuit ,  petrâ 
«  firinata  :  dicente  Domino  ipsi  Petro  :  Quodcumque  ligaveris ,  etc.  Qui- 
«  cumque  igitur  huic potestati,  à  Deo  sic  ordiuatœ  resistit,  Dei  ordina- 
«  tioni  resistit.  »  Extravag.  Commun,  lib.  1  ;  De  Majoritate  et  Obed. , 
cap.  1.  —  Hist.  du  Différend,  etc.  ;  Preuves,  pag.  54,  etc. 


572        DEUXIÈME  PARTIE.  —  POUVOIR  DU  PAPE 

quer  dans  le  sens  du  pouvoir  directif,  en  vertu  duquel  l'Église 
et  le  Pape  peuvent  et  doivent  même,  en  certains  cas,  solliciter 
les  princes  à  la  guerre,  par  leurs  avis  et  leurs  exhortations  (l). 
Ces  autres  expressions  de  Boniface  VIII,  qu'il  appartient  à 
la  puissance  spirituelle  d'établir  la  temporelle,  et  de  la 
juger,  si  elle  s'égare,  sont  empruntées  à  Hugues  de  Saint-Victor, 
qui  ne  prétend  pas  exprimer,  par  ces  paroles,  la  puissance  ordi- 
naire du  sacerdoce,  mais  le  pouvoir  extraordinaire  que  Samuel 
avait  reçu  de  Dieu  pour  établir  la  royauté  chez  les  Hébreux  (2). 
C'est  le  sens  que  Bossuet  lui-même  donne  aux  paroles  de  Hu- 
gues de  Saint-Victor,  et  la  Glose  aux  paroles  de  Boniface  VIII  ; 
en  sorte  que  la  pensée  de  ce  pontife ,  comme  celle  de  Hugues 
de  Saint-Victor,  se  réduit  à  prouver  la  supériorité  de  la  puis- 
sance spirituelle  sur  la  temporelle ,  par  la  mission  et  le  pouvoir 
que  la  première  a  reçu  autrefois  d'établir  la  seconde.  Cette 
explication,  qui  résulte  de  la  liaison  même  du  discours ,  dans  le 
texte  de  Hugues  de  Saint-Victor,  n'en  résulte  pas  moins  dans  le 
texte  de  Boniface  VIII;  car  il  se  propose  uniquement,  dans  la 
phrase  que  nous  expliquons,  de  montrer  la  supériorité  delà 
puissance  spirituelle  sur  la  temporelle,  par  l'origine  même  de 
cette  dernière,  d'après  le  témoignage  de  la  vérité,  c'est-à- 
dire,  d'après  l'histoire  sainte,  à  laquelle  ces  paroles  font  une 
allusion  manifeste.  Ajoutons  avec  Fénelon ,  et  avec  Bossuet  lui- 
même,  que  l'Église,  en  vertu  du  simple  pouvoir  directif,  peut, 
en  un  certain  sens,  établir  Juger  et  destituer  la  puissance  tem- 
porelle ,  non  en  lui  conférant  ou  lui  ôtant  la  juridiction  civile 
et  temporelle ,  mais  en  faisant  connaître  aux  électeurs ,  comme 
une  bonne  mère,  ceux  qu'ils  doivent  choisir  pour  souverains , 
et  destituer  ou  confirmer  dans  ce  haut  rang,  comme  fit  autre- 
fois le  pape  Zacharie  à.  l'égard  des  seigneurs  français  (3). 
217.  Après  ces  observations,  fondées  sur  le  texte  même  qui  fait  le 

mnrqHabilT  sllJet  de  la  difficulté  ,  s'il  pouvait  rester  quelques  doutes  sur  le 
ceti/buiie.  véritable  sens  de  la  bulle  de  Boniface  VIII,  ils  seraient  pleine- 
ment dissipés,  à  ce  qu'il  nous  semble,  par  la  conclusion  même 

(1)  Voyez  plus  haut,  n.  197. 

(2)  Ibicl,  n.  196. 

(3)  Fénelon,  ubi  supra,  n.  213.  Voyez  les  autres  passages  de  Fénelon 
et  de  Bossuet  que  nous  avons  cités  plus  haut,  n.  10  et  I72,pag.335, 514,  etc. 


SUR  LES  SOUVERAINS.  —  CHAPITRE  III.  573 

de  cette  bulle.  11  est  certain,  en  effet,  que,  dans  cette  conclu- 
sion, le  Pape  se  borne  à  décider  ce  dogme  catholique,  de  tout 
temps  reconnu  dans  l'Église,  que  toute  créature  humaine  est 
soumise  au  Pape  (l).  Or,  est-il  croyable  que  Boniface  VIII  se 
fut  borné  à  tirer  cette  conclusion ,  des  principes  exposés  dans  sa 
bulle,  s'il  eût  prétendu  y  établir  la  juridiction  au  moins  indirecte 
de  r Eglise  et  du  Pape  sur  les  choses  temporelles  ?  Ne  devait-il 
pas  naturellement  conclure  de  ces  principes ,  que  la  puissance 
séculière  était  soumise  à  sa  juridiction ,  même  dans  l'ordre 
temporel?  Cette  conséquence  suivait  si  naturellement  des  prin- 
cipes qu'on  lui  attribue ,  que  les  auteurs  qui  entendent  ainsi  la 
bulle  de  Boniface  VIII ,  s'étonnent  de  voir  des  principes  si  hardis 
aboutir  à  une  conséquence  si  modérée  (2). 

Enfin ,  en  supposant  môme  qu'il  y  ait  quelque  chose  d'obscur      ai8# 
ou  d'équivoque  dans  cette  bulle,  il  serait  naturel  de  l'expliquer  nf0x£.,ri^de,, 
par  le  langage  du  Pape ,  dans  le  concile  même  où  fut  arrêtée  la    ,  d<?crct> 

x  <-'<-'  -«.  donnée  par 

publication  de  cet  acte.  Pour  répondre  au  reproche  que  les  Boniface  vm 
Français  lui  faisaient,  dans  ce  concile/d'avoir  prétendu  que  le 
roi  de  France  devait  reconnaître  qu'il  tenait  son  temporel 
du  Pape ,  Boniface  s'expliqua  en  ces  termes  :  «  Il  y  a  qua- 
«  rante  ans  que  nous  sommes  initié  à  la  science  du  droit  ;  et 
«  nous  savons  qu'il  y  a  deux  puissances  ordonnées  de  Dieu.  Corn- 
et ment  donc  croire  qu'une  pareille  folie  a  pu  nous  entrer  dans 
«  l'esprit?  Nous  protestons  donc  que  nous  n'avons  eu  l'intention 
«  d'usurper,  en  aucune  manière,  la  juridiction  du  roi;  mais  le 
«  roi  ne  peut  nier,  non  plus  qu'aucun  fidèle,  qu'il  ne  nous  soit 
«  soumis,  à  raison  du  péché  (3).  »  On  reconnaît  ici  la  doctrine 
d'Innocent  III,  qui  se  réduit,  comme  on  on  l'a  vu  plus  haut, 

(1)  Les  auteurs  mêmes  qui  jugent  le  plus  sévèrement  Boniface  VIII,  convien- 
nent que  la  conclusion  de  sa  bulle  se  borne  à  décider  ce  dogme  catholique. 
Voyez,  entre  autres,  Bossuet,  Defensio  Declar.,  lib.  m,  cap.  24.  —  Fleury, 
ubi  suprà. 

(2)  De  Marca,  Bossuet  et  Fleury,  ubi  suprà. 

(3)  «  Quadraginta  anni  sunt  quôd  nos  sumusexperti  in  jure  ;  et  sciraus  quôd 
«  duae  sunt  potestates  ordinatœ  à  Deo.  Quis  ergo  débet  credere  vel  potest , 
«  quôd  tanta  i'atuitas,  tanta  insipientia  sit  vel  fuerit  in  capite  nostro?  Dici- 

«  mus  quôd  in  nullo  volumus  usurpare  juiïsdictionem  régis  ; non  potest 

«  negare  rex,  seu  quicumque  alter  fidelis,  quin  sit  nobis  subjectus ,  ratione 
a  peccati.  »  Histoire  du  Différend;  Preuves,  page  77,  vers  la  fin.  —  Hist. 
de  l'Église  Gallicane,  tom.xu,  année  1302,  pag.  340.  —  Daniel,  Hist.  de 
France,  tom.  v,  aimée  1302,  pag.  75. 


574  DEUXIÈME   PARTIE. — POUVOIR   DÛ   PAPE 

à  soutenir  la  subordination  de  la  puissance  temporelle  envers  la 
spirituelle,  dans  le  sens  du  pouvoir  directif.  Bossuet  lui-même 
favorise  manifestement  cette  explication  des  paroles  d'Inno- 
cent III ,  dont  celles  de  Boniface  VIII  ne  sont  que  la  répéti- 
tion (1). 
2 19.  Concluons  de  cette  discussion ,  que  Boniface  VIII  n'avait  pas, 

neafadv°oHsTau.  sur  ce  point ,  d'autres  sentiments  que  ses  prédécesseurs  ;  que  la 
uTTthne  bulle  Unam  sanctam  en  particulier  ne  favorise  aucunement 
théologique  i'0pinion  théologique  du  droit  divin;  enfin,  que  si  Boni- 
droit divin,  face  VIII  a  laissé  échapper,  dans  la  vivacité  de  quelque  con- 
versation ,  comme  le  bruit  en  courut  dans  le  temps ,  des  expres- 
sions favorables  à  cette  opinion,  il  les  a  clairement  désavouées 
depuis,  par  une  explication  authentique  de  ses  véritables  senti- 
ments. Il  est  vrai  que  Philippe  le  Bel  se  montra  extrêmement 
choqué  de  la  doctrine  de  Boniface  VIII ,  particulièrement  de 
celle  qu'il  avait  exprimée  dans  la  bulle  Unam  sanctam;  et 
persuadé  que  cette  bulle  était  contraire  à  l'indépendance  des 
souverains,  il  mit  tout  en  œuvre  pour  en  obtenir  la  révocation. 
Mais  il  est  également  certain  que,  malgré  toutes  ses  instances, 
il  n'y  put  jamais  réussir;  tout  ce  qu'il  put  obtenir,  ce  fut  une 
déclaration  du  pape  Clément  V,  conçue  en  ces  termes  :  «  Nous 
«  voulons  et  entendons,  que  la  bulle  ou  décrétale  Unam  sanctam 
«  de  notre  prédécesseur  le  pape  Boniface  VIII ,  d'heureuse  mé- 
«  moire,  ne  porte  aucun  préjudice  au  roi  et  au  royaume  de 
«  France  ;  et  que  ledit  roi ,  aussi  bien  que  son  royaume  et  ses 
p  sujets,  ne  soient  pas  plus  sujets  à  l'Église  romaine,  qu'ils  ne 
«  l'étaient  auparavant  ;  mais  que  toutes  choses  soient  censées 
«  être  au  même  état  qu'elles  étaient  avant  ladite  bulle ,  tant 
«  à  l'égard  de  l'Église,  que  du  roi,  de  son  royaume  et  de  ses 
«  sujets  (2).  » 

(1)  Voyezplus  haut,  n.  208,  pag.  562.  M.  de  Marca  croit  voir  ici  une  diffé- 
rence entre  la  doctrine  d'Innocent  III  et  celle  de  Boniface  VIII.  (De  fioncor- 
dia,  ubi  suprà,  n.  5.)  Selon  lui,  le  pape  Innocent  III,  en  statuant  sur  la 
guerre  déclarée  par  le  roi  de  France  au  roi  d'Angleterre ,  ne  s'attribue  pas, 
comme  Boniface  VIII,  le  droit  de  juger  la  conduite  du  roi  de  France,  dans  le 
gouvernement  de  l'État.  Il  ne  faut  cependant  qu'un  peu  de  réflexion  pour 
voir  que  la  conduite  d'un  roi  qui  déclare  la  guerre  à  un  autre,  est  un 
des  actes  les  plus  importants,  relativement  au  gouvernement  de  VÉtat. 

(2)  «  Nos  régi  et  regno  (  Francorum  ) ,  per  definitionem  ac  declarationem 
«  bonse  mémorise  Bonifacii  papee  VIII,  praedecessoris  nostri,  quae  incipit 


SUR  LES   SOUVERAINS.  —  CHAPITRE  III.  575 

On  voit  assez  que  cette  déclaration  ne  renferme  rien  de  con-       220. 
traire  à  la  bulle  Unam  sanctam,  entendue  dans  le  sens  modéré  PouTé°té 
où  nous  l'avons  expliquée.  Il  est  donc  permis  de  penser  que,  si  d'abo^een,en' 
elle  fut  d'abord  entendue  dans  un  sens  si  différent.,  il  n'en  faut  daf"svourabTens 
pas  chercher  d'autre  cause,  que  les  circonstances  fâcheuses  dans  à  ce  syslèmc« 
lesquelles  cette  bulle  fut  publiée,  et  qui  la  firent  examiner  en 
France  avec  les  plus  sinistres  préventions.  Rien  n'est  si  com- 
mun, en  de  pareilles  conjonctures,  que  d'envenimer,  par  de 
malignes  interprétations,  les  paroles  les  plus  indifférentes.  C'est 
ce  qu'on  vit  alors  en  France ,  au  témoignage  des  plus  graves 
historiens (1),  et  même  de  plusieurs  écrivains  modernes,  que 
leurs  préjugés  bien  connus  contre  le  saint-siége,  et  la  sévérité 
avec  laquelle  ils  jugent  d'ailleurs  le  pape  Boniface  VIII,  n'ont 
pas  empêchés  de  reconnaître,  que  les  préventions  contre  ce  pon- 
tife étaient  alors  poussées  en  France  jusqu'à  l'excès.  Tel  est  en 
particulier  le  sentiment  de  Sismondi,  qui,  tout  en  attribuant  à 
Boniface  VIII  un  caractère  et  des  procédés  pleins  de  hauteur, 
dans  la  suite  de  ses  démêlés  avec  Philippe  le  Bel ,  accuse  ouver- 
tement ce  prince  d'avoir  encouru,  par  ses  excès,  les  justes  re- 
proches du  pontife;  et  d'avoir  entraîné,  par  son  ascendant,  le 
clergé  de  son  royaume  dans  des  démarches  contraires  à  la  li- 
berté de  l'Église.  «C'est  alors,  dit-il,  que,  pour  la  première 
«fois,  la  nation  et  le  clergé  s'ébranlèrent,  pour  défendre  les 
«  libertés  de  l'Église  Gallicane.  Avides  de  servitudes,  ilsappe- 
«lèrent  liberté,  le  droit  de  sacrifier  jusqu'à  leur  conscience  aux 
«  caprices  de  leurs  maîtres,  et  de  repousser  la  protection  qu'un 
«chef  étranger  et  indépendant  leur  offrait  contre  la  tyrannie.    \ 
«  Au  nom  de  ces  libertés  de  l'Église,  on  refusa  au  Pape  le  droit 
«  de  prendre  connaissance  des  taxes  arbitraires  que  le  roi  levait 
«  sur  son  clergé,  de  l'emprisonnement  arbitraire  de  l'évêque  de 
«  Pamiers,  de  la  saisie  arbitraire  des  revenus  ecclésiastiques  de 

«  Unam  sanctam,  millum  volumus  vel  intendimus  prœjiidicinm  generari  ; 
«  nec  quôd  per  illam  rex,  regnum  ,  et  regnicolae  praelibati,  ampliùs  Ecclesiae 
«  sint  subjecti  Romanae,  quàm  antea  existebant  ;  sed  omnia  intelligantur  in 
«  eodem  esse  statu,  quo  erant  ante  definitionem  prœfatam,  tam  quantum  ad 
«  Ecclesiam,  quam  etiàm  ad  regem,  regnum,  et  regnicolassuperiùs  nomina- 
«  tos.  »  Extravag.  Comm.  lib.  v,  tit.  De  Privilcg.,  cap.  2,  Meruit.—Hist. 
du  Différend;  Preuves,  pag.  288.— Fénelon,  ublsuprà,  pag.  333 — Bossuet, 
ubisuprà,cà\).  24,  vers  la  fin— Fleury,  Hist.  Ecclés.,  tom.  xix,liv.xci,n.2. 
(1  )  Voyez,  en  particulier,  Raynaldi  et  Sponde,  ubl  suprà. 


221. 

Uccrets  du 
saint  •  siéee 


576  DEUXIÈME    PARTIE. — POUVOIR  DU   PAPE 

«  Reims ,  de  Chartres ,  de  Laon  et  de  Poitiers  ;  on  refusa  au 
«  Pape  le  droit  de  diriger  la  conscience  du  roi,  de  lui  faire  des 
«remontrances  sur  l'administration  de  son  royaume,  et  de  le 
«  punir  par  les  censures  ou  l'excommunication,  lorsqu'il  violait 
«  ses  serments  (l).  Sans  doute  la  cour  de  Rome  avait  manifesté 
«  une  ambition  usurpatrice ,  et  les  rois  devaient  se  mettre  en 
«  garde  contre  sa  toute-puissance;  mais  il  aurait  été  trop  heureux 
«  pour  les  peuples,  que  des  souverains  despotiques  reconnussent 
«encore  au-dessus  d'eux  un  pouvoir  venu  du  ciel,  qui  les  ar- 
«  rêtait  dans  la  route  du  crime  (2).  » 

6°  Plus  d'un  siècle  après  ces  funestes  démêlés ,  on  voit  les 

souverains  pontifes  Nicolas  V,  Calixte  III ,  Sixte  IV,  Innocent  VIII 

païïàgVdes  et  Alexandre  VI  >  partager  entre  les  rois  d'Espagne  et  de  Portu- 

pay8      gai  plusieurs  îles  et  provinces  d'Afrique  et  d'Amérique ,  nouvel- 

découverts,   lement  découvertes  ;  d'où  plusieurs  écrivains  modernes  ont  pris 

occasion  d'attribuer  à  ces  pontifes ,  la  prétention  de  disposer  des 

États  en  maîtres  absolus,  pour  le  bien  de  la  religion  (3). 

Mais  si  l'on  examine  de  près  la  conduite  et  les  décrets  des 
souverains  pontifes  dont  il  est  ici  question,  on  verra  combien 
cette  accusation  est  peu  fondée  (4).  Il  est  certain,  en  effet,  que 

(1)  Lettres  du  clergé  de  France  au  Pape,  en  1302.  (Raynaldi  Annales, 
anno  1302,  §11  et  12.) 

(2)  Sismondi,  Histoire  des  Républiques  Ital.,  tom.  iv,  chap.  24,  pag. 
143,  etc.  — L'auteur  confirme  ces  observations  dans  son  Histoire  des  Fran- 
çais, où  il  expose  plus  en  détail  l'histoire  des  démêlés  de  BoniÇace  VIII  et  de 
Philippe  le  Bel.  (Tom.  îx,  chap.  20,  années  1301  et  1302.)  Il  est  à  remarquer 
que  nos  plus  graves  historiens,  malgré  tous  les  égards  et  les  ménagements 
qu'ils  ont  coutume  d'observer  envers  Philippe  le  Bel,  dans  l'histoire  de  ce 
différend,  adoptent  plus  ou  moins  ouvertement  le  jugement  de  Sismondi,  et 
conviennent  que  Philippe  le  Bel  méritait,  à  bien  des  égards ,  les  reproches 
sévères  que  lui  adressait  Boniface  VIII.  Voyez,  en  particulier,  Kossuzi,  Abrégé 
de  l'Histoire  de  France,  article  Philippe  le  Bel,  vers  la  fin-.  —  Histoire  de 
l'Église  Gallicane ,  tom.  xn,  années  1297,  1302,  etc.  Remarquez,  en  par- 
ticulier, la  pag.  574.  —  Daniel,  Hist.  de  France,  tom.  v,  pag.  124,  et  alibi 
passim.  —  Pey,  De  l'Autorité  des  deux  Puissances,  tom.  i,  pag.  165.  — 
L'Ami  de  la  Religion,  tom  cvi,  pag.  243.  —  L'Université  catholique, 
tom.  x,  pag.  233.  On  lira  aussi  avec  intérêt ,  sur  l'histoire  de  Boniface  VIII, 
la  Dissertation  lue  par  M.  Wiseman,  dans  une  séance  de  l'Académie  de  la 
Rel.  Cathol.,  à  Rome,  le  4  juin  1840.  Cette  dissertation  se  trouve  dans  le  t.  xvi 
âesDémonst.  ÉvangéL,  publiées  par  l'abbé  Migne;  Paris  1843.  (p.  591,  etc.) 

(3)  Bossuet,  Defens.  Declar.,  lib.i,  cap.  2;  lib.  m,  cap.  18,  pag.  209  et 
653.  —  Fleury,  Hist.  Ecclés.,  tom.  xxiv,  liv.  cxvn,  n.  41. 

(4)  Voyez  principalement,  sur  cette  matière,  Raynaldi,  Annal.  Eccles., 
anno  1484,  n.  82  ;  anno  1493,  n.  18,  etc. ;  anno  1494,  n.  31,  etc.  —  Bianchi, 


SUR  LES  SOUVERAINS.  —  CHAPITRE  III.  577 

leurs  décrets  n'avaient  pas  pour  objet  d'autoriser  les  rois  d'Es- 
pagne et  de  Portugal  à  conquérir  les  pays  nouvellement  décou- 
verts, mais  uniquement  de  terminer,  comme  arbitres  librement 
choisis  et  reconnus  par  les  parties  intéressées,  les  différends  éle- 
vés entre  elles,  sur  ce  sujet;  et  d'exciter  en  même  temps  les 
deux  monarques  à  procurer  la  lumière  de  l'Évangile  aux  peuples 
barbares  du  Nouveau  Monde.  C'est  ainsi  que  les  décrets  dont  il 
s'agit  sont  généralement  expliqués  par  les  historiens ,  par  ceux 
d'Espagne  et  de  Portugal  en  particulier  (l),  et  même  par  des 
écrivains  protestants,  accoutumés  à  juger  très-sévèrement  la 
conduite  des  papes  (2).  On  ne  voit  rien  dans  les  décrets  dont 


ubi  supra,  lib.  vr,  §  9. —  Bellarmin,  De  Rom.  Pontif.  lib.  v,  cap.  2,  vers  la 
fin.  —  Mamachi,  Origines  et  Antiquitates  Christianœ,  tom.  iv,  pag.  176. 

(1)  Voyez,  en  particulier,  V Histoire  d'Espagne  de  Mariana,  et  celle  de 
Ferreras,  années  1492  et  1493.  — Hist.  de  Portugal,  par  Lequien  de  la  Neu- 
ville, ibid.  —Hist.  gén.  de  Portugal, par  De  laClède,  année  1493;  édition 
de  Paris,  1828,  tom.  iv,  pag.  487. 

(2)  Grotius  incline  manifestement  à  cette  explication,  dans  plusieurs  en- 
droits de  son  traité  De  Mari  libero ,  publié  pour  la  première  fois  vers  l'an 
1609,  pour  soutenir  les  droits  que  réclamaient  alors  les  Hollandais,  de  navi- 
guer dans  certaines  îles  voisines  des  Indes  orientales;  droit  qui  leur  était 
contesté,  sous  divers  prétextes,  par  les  Espagnols  et  les  Portugais.  (On  peut 
voir  quelques  détails  intéressants  sur  cette  controverse ,  dans  la  Biographie 
universelle,  articles  Selden  et  Grotius.)  Examinant  en  particulier  le  prétexte 
que  les  Espagnols  et  les  Portugais  pouvaient  tirer  du  décret  d'Alexandre  VI, 
Grotius  y  répond  en  ces  termes  :  «  Si  Pontificis  Alexandri  sexti  divisione 
«  utentur  (Lusitani),  ante  omnia  illud  attendendum  est,  volueritne  pontifex 
«  contentiones  tantùm  Lusitanorum-et  Castellanorumdirimere;gwodpo£m£ 
«  sanè,  lit  lectus  inter  illos  arbiler,  sicut  et  ipsi  reges  jam  antè  inter  se,  eâ 
«  de  re,  fœdera  quaedam  pepigerant  ;  et  hoc  si  ita  est,  eùm  res  inter  alios 
«  acta  sit,  ad  caeteras  gentes  non  pertinebit;  an  verè  propè  singulos  mundi 
«  trientes  duobus  populis  donare  (cap.  3) Cùm  denique  jus  suum  all- 
ée ferre  alicui  Papa  minime  possit,  quae  erit  istius  facti  (scilicet,  donationis 
«pontijiciœ)  defensio,  si  tôt  populos  immerentes,  indemnatos,  innoxios,  ab 
«  eo  jure  quod  ad  ipsos  non  minus  quàm  ad  Hispanos  pertinebat,  uno  verbo 
«  voluit  excludere?  Autigitur  dicendum  est,  nullam  esse  vim  ejusmodi  pro- 
«  nuntiationis;  aut,  quod  non  minus  credibile  est,  eum  pontificis  animum 
«t  fuisse,  ut  Castellanorum  et  Lusitanorum  inter  se  certamini  intercessum 
«  voluerit,  aliorum  autem  juri  nihil  diminutum(cap.  6).  »  Cet  ouvrage  de 
Grotius,  un  des  plus  remarquables  qui  aient  paru  dans  cette  mémorable  con- 
troverse, a  été  plusieurs  fois  réimprimé,  particulièrement  en  1618,  in- 12,  et 
1633,  in-32.  (Lugd.  Batav.,  Elzevir.)  Il  a  été  joint,  en  1680,  à  l'édition 
donnée  par  Gronovius,  du  traité  de  Grotius,  De  Jure  Belli  et  Pacis  (Hagœ- 
Comitis,  in-8°);  on  le  retrouve,  depuis  cette  époque,  dans  plusieurs  autres 
éditions  du  même  traité. 

Maltebrun ,  dans  Y  Histoire  de  la  Géographie ,  qui  sert  d'introduction  à 
son  Précis  de  la  Géographie  universelle  (édition  in-8°  de  1831,  tom.  i, 

37 


578  DEUXIÈME  PARTIE.  —  POUVOIR  DU  PAPE 

nous  parlons  qui  contredise  cette  explication;  elle  est  même 

clairement  établie  par  la  bulle  d'Alexandre  VI  (  Inter  cœtera) , 

qu'on  nous  oppose  ici  avec  plus  de  confiance,  et  dont  voici 

l'analyse  exacte. 

m.  Après  avoir  donné  de  grands  éloges  au  roi  d'Espagne,  pour 

MbuSe e  a  le  zèle  qu'il  témoignait  à  procurer  la  lumière  de  l'Évangile  aux 

d'Alexandre  peup]es  barbares  du  Nouveau  Monde,  le  Pape  engage  le  mo- 

inur  cœtera.  narqUe  à  poursuivre  avec  ardeur  cette  sainte  entreprise  ;  et  pour 

l'y  exciter  plus  puissamment,  il  déclare  que,  «de  son  propre 

«  mouvement,  par  sa  pure  libéralité,  de  sa  science  certaine,  et 

«par  la  plénitude  de  sa  puissance  apostolique,  il  donne  au  roi 

«  de  Castille  et  de  Léon,  et  à  ses  successeurs,  à  perpétuité,  le 

«  domaine  et  la  juridiction  des  îles  et  de  la  terre  ferme  déjà  dé- 

«  couvertes ,  et  qu'il  pourra  encore  découvrir  »  dans  certaines 

limites  que  le  Pape  détermine  (l). 


pag.  619)  se  prononce  encore  plus  ouvertement,  pour  l'explication  donnée  par 
Grotius  au  décret  d'Alexandre  VI.  «  L'Espagne  et  le  Portugal,  dit-il,  jaloux  de 
«  leurs  découvertes  mutuelles,  demandèrent  au  Pontife  romain  une  sen- 
«  tence,  qui  partageât  entre  eux  le  monde,  en  assignant  à  l'ambition  de 
«  chacun  son  hémisphère  à  part.  »  L'auteur  avait  sans  doute  oublié  cette 
explication,  lorsqu'il  avance  dans  un  autre  endroit  du  même  ouvrage,  que 
«  le  Pape  essaya  d'abord  de  concilier  les  deux  parties,  en  traçant  d'autorité 
«  la  fameuse  ligne  de  démarcation ,  à  cent  lieues  à  l'ouest  des  îles  du  Cap- 
«  Vert.  (Ibid.,  tom  xi,  pag.  648.) 

(I)  «  Et  ut  tanti  negolii  provinciam,  apostolicse  gratiae  largitate  donati,  li- 
«  beriùs  et  audaciùs  assumatis;  motu  proprio,  non  ad  veslram  vel  alterius 
«  pro  vobis  super  hoc  nobis  oblaîas  petitionis  instantiam,  sed  de  nostrà  merâ 
«  liberahtate,  et  ex  certâ  scientià,  ac  de  apostolicœ  potestatis  plenitudine  ; 
«omnes  insulas  et  terras  firmas,  inventas  et  inveniendas,  détectas  et  dete- 
«  gendas  versus  occidentem  et  meridiem,  fabricando  et  construendo  unam 
«  lineam  à  polo  arclico,  scilicet  septentrione,  ad  polum  antarcticum,  scilicet 
«  meridiem;  sive  terrœ  firmae,  et  insulse  inventae  et  inveniendas  sint  versus 
«  Indiam,  aut  versus  aliam  quamcuiuque  partern  ;  qua;  lineadistet  à  quàlibet 
«  insularum,  quae  vulgariter  nuncupantur,  de  los  Azores  y  Cabo-Vierde  (des 
«  Açores  et  du  Cap- Vert) ,  centum  leucis  versus  occidenlem  et  meridiem  ; 
«  ita  quod  omnes  insulae  et  terne  firmae  repertae  et  reperiendae ,  détecta?  et 
«  detegendae,  a  prœfatà  lineâ  versus  occidentem  et  meridiem ,  per  alium  re- 
«  gem  aut  principem  christianum  non  fuerint  actualiter  possessae  usque  ad 
«  diem  JNativitatis  Domini  nostri  Jesu  Christi  proximè  praeteritum,  à  quo  in- 
«  cipit  annus  presens,  millesitnus  quadragentesimus  nonagesimus  tertius, 
«  quando  fuernnt  per  nuntioset  capitaneos  vestros  inventae  aliquas  praedicta- 
«*  rum  insularum  ;  auctoritate  omnipotentis  Dei ,  nobis  in  beato  Petro 
«  concesso,  ac  vicariatûs  Jesu  Christi,  quâ  fungimur  in  terris;  cum 
«  omnibus  illarum  dominiis,  civitatibus ,  castris,  locis  et  villis,  juribusque  et 
«  jurisdictionibus  ac  pertiuentiis  universis,  vobis  haeredibusque  et  succès- 


SUR  LES  SOUVERAINS.  —  CHAPITRE   III.  579 

On  peut  considérer  cette  décision  scus  deux  rapports  :  quant 
au  fond,  c'est-à-dire,  en  tant  qu'elle  détermine  les  droits  res- 
pectifs des  rois  d'Espagne  et  de  Portugal ,  sur  les  pays  dont  il 
s'agit;  et  quant  à  la  forme,  c'est-à-dire,  quant  aux  expressions 
dans  lesquelles  cette  décision  est  conçue,  et  dont  le  sens  peut 
offrir,  au  premier  abord,  quelque  chose  d'excessif.  Si  l'on  con- 
sidère cette  décision  sous  le  premier  rapport,  il  est  aisé  de  com- 
prendre que  le  Pape,  une  fois  choisi,  par  les  deux  monarques, 
pour  arbitre  de  leurs  différends,  a  pu  la  rendre,  sans  disposer 
en  maître  absolu  des  pays  qu'il  assigne  à  chacun  d'eux.  L'oc- 
casion, les  circonstances,  et  le  but  de  son  décret,  adressé,  non 
à  toute  l'Église  ni  à  tous  les  princes,  mais  au  seul  roi  d'Es- 
pagne, montrent  clairement,  qu'il  ne  prétendait  pas  agir,  en 
cela,  comme  maître  absolu  des  pays  dont  il  s'agit,  mais  uni- 
quement comme  arbitre  choisi  par  les  parties,  pour  terminer 
leurs  différends,  et  pour  fixer  leurs  droits  respectifs;  en  sorte 
que  sa  décision  ne  préjudiciait  aucunement  aux  droits  des  autres 
souverains,  sur  lesquels  il  n'était  pas  consulté,  et  qu'il  n'exa- 
mine même  pas  dans  son  décret. 

La  forme  de  cette  décision,  c'est-àdire,  les  termes  dans 
lesquels  elle  est  conçue,  sont  également  faciles  à  expliquer,  dans 
la  même  supposition.  Le  choix  que  les  deux  monarques  avaient 
fait  du  pape  Alexandre  VI,  pour  arbitre  de  leurs  ditférends, 
étant  principalement  fondé  sur  le  respect  dont  ils  faisaient  tous 
deux  profession  pour  le  caractère  sacré  du  souverain  pontife, 
celui-ci  était  autorisé,  par  cela  même,  à  donner  sa  décision,  non- 
seulement  comme  rendue  avec  une  pleine  liberté,  et  une  entière 
connaissance  de  la  cause  qui  lui  avait  été  soumise,  mais  aussi 

«  soribus  vestris  (Castellae  et  Legionis  regibus)  in  perpetuum,  tenore  prœsen- 
«  tium,  donamus,  concedimus  et  assignamus;  vosque  et  hœredes,  ac  succès- 
«  sores  praefatos,  illarum  dominos,  cum  plenâ,  libéra  et  omnimodâ  potestate, 
«  aucloritate  et  jurisdictione,  facimus ,  constituimus  et  deputamus;  decer- 
«<  nentes  niiiilominus,  per  bujusmodidonationem,  concessionemetassignatio- 
«  iiem  nostram  ,  nulli  christiano  principi,  qui  actualiter  praelatas  in^ulas  et 
«  terras  firmas  possèdent  usque  ad  dictum  diein  Nativitalis  Domini  nostri 
«  Jesu  christi,  jus  quaesitum,  sublatum  intelligi  posse,  aut  auferri  debere.  » 
Alex.  VI  Constit.  2.  {Bullar.  Rom.  tom.  i,  pag.  454.)  Cette  bulle  d'A- 
lexandre vi  a  été  insérée  dans  le  7e  livre  des  Décrétâtes,  lib.  i,  tit.  9,  De 
Jnsulis  novi  Orbis  (à  la  suite  des  Extravagantes  Communes,  dans  plu- 
sieurs éditions  du  Corpus  Juris  Canonici).  —  Voyez  aussi  Raynaldi,  ubi 
suprà,  anno  1493,  n.  19,  etc. 

37. 


580  DEUXIEME  PARTIE.  —  POUVOIR  DU  PAPE 

comme  rendue  en  vertu  de  la  puissance  apostolique ,  qui  avait 
engagé  les  deux  monarques  à  lui  déférer  le  jugement  d'une 
cause  si  importante.  Ajoutons  que  le  Pape,  en  donnant  cette 
décision ,  était  si  éloigné  de  s'attribuer  le  domaine  absolu  des 
pays  en  question,  qu'il  déclare  expressément,  et  à  plusieurs 
reprises,  dans  la  suite  de  sa  bulle,  ne  vouloir  porter  aucun  pré- 
judice aux  princes  chrétiens,  qui  auraient  pris  possession  de  ces 
îles  et  territoires  avant  le  jour  de  Noël  de  l'année  précédente, 
1492  ;  par  où  il  fait  assez  entendre ,  que  l'unique  but  de  son  dé- 
cret, est  de  prévenir  ou  de  terminer  les  différends  qui  ont  pu 
ou  qui  pourraient  encore  s'élever,  sur  ce  sujet ,  entre  les  rois 
d'Espagne  et  de  Portugal,  qui  l'avaient  librement  choisi  pour 
arbitre,  et  nullement  de  s'établir  juge  entre  eux  et  d'autres 
souverains,  qui  n'avaient  ni  demandé  ni  accepté  sa  médiation. 
«3.  Ces  observations  suffisent  assurément  pour  montrer  que  les 

Injustice  des     j  ,  ..  .  .  , 

reproches  décrets  du  saint-siege,  en  cette  matière,  ne  supposent  aucune- 
a,tSsiegeS,ant  me°t ,  dans  les  souverains  pontifes ,  la  prétention  de  disposer 
aVdTceTn  des  Étais  en  maîtres  absolus,  pour  le  bien  de  la  religion. 
Ces  décrets  fournissent  seulement  une  nouvelle  preuve  de  la  sa- 
lutaire influence  de  l'autorité  pontificale,  au  moyen  âge,  pour 
le  maintien  de  la  paix  entre  les  princes  chrétiens.  «  C'était  sans 
«doute  un  spectacle  magnifique,  dit  à  ce  sujet  le  comte  de 
«  Maistre ,  que  celui  de  deux  nations ,  consentant  à  soumettre 
«  leurs  dissensions  actuelles ,  et  même  leurs  dissensions  possi- 
bles, au  jugement  désintéressé  du  père  commun  de  tous  les  fi- 
a  dèles,  et  à  mettre  pour  toujours  l'arbitrage  le  plus  imposant  à 
«  la  place  des  guerres  interminables.  C'était  un  grand  bonheur 
«  pour  l'humanité,  que  la  puissance  pontificale  eût  encore  assez 
«  de  force  pour  obtenir  ce  grand  consentement.  Ce  noble  arbi- 
trage était  si  digne  d'un  véritable  successeur  de  saint  Pierre, 
«  que  la  bulle  Inter  cœtera  devrait  appartenir  à  un  autre  pon- 
«  tife(l).  » 
aa4.  7°  Plusieurs  décrets  des  conciles  généraux  de  Constance  et 

Dc7necUetes  de  Bâle  décernent  des  peines  temporelles  contre  les  hérétiques, 
deCe°t"dence  les  schismatiques ,  les  fauteurs  de  l'hérésie  ou  du  schisme,  jus- 
BMetièrema"  ^ua  les  priver,  en  certains  cas,  de  leurs  biens  et  de  leurs  di- 

(1)  De  Maistre,  Du  Pape,  tom.  i,  liv.  h,  chap.  14. 


sortes  de 
décrets. 


SUR  LES  SOUVERAINS.  —  CHAPITRE  III.  581 

gnités y  même  impériale  et  royale (1).  Ces  peines  sont  décer-  temporelle, 
nées,  non-seulement  contre  tous  ceux  qui  mettraient  obstacle  paîuîe"*priii. 
aux  opérations  des  conciles  dont  il  s'agit,  pour  l'extirpation  du       ces- 
schisme  qui  affligeait  alors  l'Église  (2)  ;  mais  encore  contre  les 
partisans  et  les  fauteurs  des  schismes  à  venir  (3) ,  contre  les  par- 
tisans et  les  fauteurs  des  erreurs  de  Wiclef  et  de  Jean  Hus  (4). 

(1)  On  peut  consulter,  au  sujet  de  ces  décrets,  Bossuet,  Defensio  Declar., 
lib.  iv,  cap.  10  —  Tournely,  De  Ecclesiâ,  tom.  u,  pag.  459,  etc.  —  De  la 
Hogue,  De  Ecclesiâ,  pag.  275,  etc.  —  Pey,  De  V Autorité  des  deux  Puis- 
sances, tom.  i,  pag.  106,  117,  etc.  —  Bianchi,  Délia  Potesta  e  délia Politia 
délia  Chiesa,  tom.  i,  lib.  i,  §  12  et  19. 

(2)  «  Sacrosancta  synodus  exhortatur  invictissimum  principem  Dominum 
«  Sigismundum,  Romanorum  et  Hungariae  regem,  quatenùs  placeat  patentes 
«  litteras  sub  suae  majestatis  sigillis  dare,  et  omnibus  principibus,  vassallis  et 
«  subditis  sacri  imperii,  et  praesertim  civibus  et  incolis  civitatis  Constantien- 
«  sis,  praecipere  et  mandare ,  quôd  manutenebunt  et  défendent  praedictum 
«  concilium,.. .  quamdiu  duraverit;  et  quicumque.  ..  (decretum  istud)  non 
«  observaverit,  cujuscumque  dignitatis,  status  aut  conditionis  existât. . .  eo 
«  ipso  sententiam  imperialis  banni  incurrat,  perpétué  sit  infamis,  nec  ei 
«  umquam  porta?  dignitatis  pateant,  nec  ad  aliquodofhciumpublicum  admit- 
«  tatur;  quinimmè  omnibus  (eudis,  ac  aliis  bonis  quae  à  Romano  tenet  im- 
«  perio,  sit  ipso  jure  privatus.  »  Concil.  Constant,  sess.  14  et  17.  (Labbe, 
Concil.  tom.  xn,  pag.  115  et  161.)  —  Concil.  Basil,  sess.  9.  (Ibid., 
pag.  501.) 

(3)  «  Ut  autem  metus,  seu  impressionis  molestia,  in  electione  Papae,  eô 
«  formidolosiùs  evitetur,  quo  toli  cbristianitati  lamentabiliùs  eorum  incussio 
«  perpetratur;  ultra  praedicta  duximus  specialiter  statuendum,  quôd  si  quis 
«  hujusmodi  metum  vel  impressionem  aut  violenliam  electoribus  ipsis,  aut 
«  alicui  ipsorum ,  in  electione  Papae  intulerit  seu  fecerit ,  aut  fieri  procura- 
«  verit,  aut  factum  ratum  habuerit,  aut  in  hoc  consilium  dederit  vel  favo- 
«  rem;...  cujuscumque  status,  gradûsaut  praeeminentiae  fuerit,  etiamsi  impe- 
«  riali,  regali,  pontificali,  velaliâquâvisecclesiasticâautsœculari  praefulgeat 
«  dignitate,  illas  pœnas  ipso  facto  incurrat,  quae  in  constitutione  felicis  re- 
«  cordationis  Bonifacii  papae  octavi,  quae  incipit,  Felicis,  continentur,  illis- 
«  que  effectualiter  puniatur.  »  Concil.  Constant,  sess.  39.  (pag.  240,  etc.) 

La  constitution  de  Boniface  VIII,  à  laquelle  le  concile  de  Constance  fait 
ici  allusion,  se  trouve  dans  le  Texte  des  Décrétâtes  (lib.  v,  lit.  9,  De  Pœnis, 
cap.  5.)  Elle  déclare  infâmes,  et  déchus  de  tous  leurs  droits,  et  honneurs 
même  temporels,  tous  ceux  qui  useraient  injustement  de  violence  contre 
un  cardinal.  On  peut  voir  un  extrait  et  une  explication  de  ce  décret,  dans 
l'ouvrage  de  Bossuet,  Defensio  Declar.,  lib.  iv,  cap.  20. 

(4)  «  Volumus  insuper,  ac  statu im us  et  decernimus,. . .  ut  contra  omnes 
«  et  singulos  utriusque  sexûs,  hujusmodi  errores  tenentes,  approbanles,  ac 
«  fautores  et  receptatores  eorum, cujuscumque  dignitatis,  status  vel  condi- 
«  tionis  existant,  auctoritate  nostrâ  inquirere  studeant  (episcopi  et  inquisi- 
«  tores  haereticae  pravitatis)  ;  et  eos  quos  hujusmodi  haeresis  et  erroris  labe 
«  respersos  repererint,  etiam  per  excommunicationis  pœnam,  suspensionis, 
«  interdicti,  necnon  privationis  dignitatum,  personatuum,  et  officiorum, 
«  aliorumque  beneficiorum  ecclesiasticorum ,  ac  feudorum ,  quae  à  quibus- 


582  DEUXIÈME  PARTIE.  — -  POUVOIR  DU  PAPE 

Ces  décrets  ne  peuvent  offrir  aucune  difficulté ,  après  les  ob- 
servations que  nous  avons  faites ,  sur  ceux  du  troisième  et  du 
quatrième  concile  de  Latran  (l).  Dans  les  décrets  de  Constance 
et  de  Bâle,  comme  dans  ceux  de  Latran,  les  évêques  ne  s'attri- 
buent pas  le  pouvoir  de  décerner  les  peines  temporelles,  de  leur 
propre  autorité;  ils  ne  le  font  qu'avec  le  consentement  exprès 
ou  tacite  des  princes  chrétiens ,  qui  assistaient  à  ces  conciles, 
en  personne  ou  par  leurs  ambassadeurs.  Les  conciles  de  Con- 
stance et  de  Bàle  pouvaient  d  autant  plus  facilement  présumer  le 
consentement  des  princes  chrétiens,  pour  les  décrets  dont  il 
s'agit,  qu'ils  se  bornaient  à  confirmer  et  à  renouveler  les  peines 
temporelles,  attachées  depuis  longtemps  à  l'hérésie  et  à  l'excom- 
munication, par  l'usage  et  la  législation  universelle  de  l'Europe 
catholique.  Aussi  ne  voyons-nous,  de  la  part  des  princes,  au- 
cune réclamation  contre  les  décrets  de  Constance  et  de  Bâle,  en 
matière  temporelle,  soit  pendant  la  tenue  de  ces  conciles,  soit 
depuis  leur  conclusion. 
225.  8°  Un  décret  du  concile  de  Trente,  dans  sa  vingt-cinquième 

Semblable  dé-  .  .,  ,  _  „  _     °  _       JJ 

cret  session,  décerne  des  peines  temporelles  contre  les  duellistes  et 
u  Trente!  e  leurs  fauteurs  (2).  Voici  les  termes  de  ce  décret  :  «  L'empereur, 
«  les  rois ,  les  ducs ,  les  princes ,  les  marquis ,  les  comtes ,  et  tous 
«les  seigneurs  temporels  qui  permettront  le  duel  sur  leurs 
«terres,  sont,  par  ce  seul  fait,  excommuniés,  et  privés  de  la 
«juridiction  et  du  domaine  de  la  ville,  château  ou  lieu,  dans 
«  lequel  ou  auprès  duquel  ils  auront  permis  le  duel ,  s'ils  tien- 
«  nent  ces  lieux  de  l'Église  ;  et  si  ce  sont  des  fiefs,  ils  appar- 
tiendront dès  ce  moment  aux  seigneurs  directs Quanta 

«ceux  qui  se  seront  bal  tus,  aussi  bien  que  leurs  parrains,  ils 
«encourront  à  la  fois  l'excommunication,  la  confiscation  de 
«  tous  leurs  biens,  et  l'infamie  perpétuelle  (3).  » 

«  cumque  Ecclesiis,  monasteriis,  ac  aliis  locis  ecclesiasticis  obtinent,  ac  etiam 
«  bonorum,  et  dignitatum  saecularium,  ac  gradunm  scientiarum  quarumcum- 
«  que  facultatum,  et  per  alias  pœnas,  sententias  et  censuras  ecclesiasticas, 
«  ac  vias  et  modos,  quos  ad  hoc  expedire  viderint.. .  corrigant  et  puniant.  » 
Concil.  Const.  sess.  45  ;  Bulla  Martini  V  contra  errores  Wiclcfi  et  Joan. 
Eus.  (pag.  270,  etc.) 

(1)  Ci-dessus,  chap.  2,  ri.  87,  etc.  pag.  426,  etc. 

(2)  Bossuet,  Defensio  Declar.,  lib.  iv,  cap.  11.  Voyez  aussi  les  auteurs 
cités  dans  la  note  1  de  la  page  précédente. 

(3)  «  Imperator,  reges,  duces,  principes,  marchiones,  comités,  et  alio  quo- 


SUR  LES  SOUVERAINS.  —  CHAPITRE  IH.        583 

Pour  prévenir  toutes  les  difficultés  auxquelles  ce  décret  peut 
donner  lieu,  il  suffit  de  remarquer,  1°  qu'il  ne  prive  pas  les 
princes  fauteurs  du  duel,  de  tous  leurs  domaines  et  de  toute 
leur  juridiction  temporelle,  mais  seulement  du  domaine  et  de  la 
juridiction  qu'ils  tiennent  de  l'Église.  Ce  décret  ne  suppose 
donc  pas  que  l'Église  ait,  de  droit  divin,  aucune  juridiction 
directe  ou  indirecte  sur  le  temporel  des  princes,  mais  seule- 
ment qu'elle  a  pu  acquérir,  avec  le  temps,  des  domaines  et  une 
juridiction  temporelle;  ce  qu'on  ne  peut  raisonnablement  con- 
tester. Il  faut  remarquer,  en  second  lieu,  que  les  peines  tem- 
porelles portées  indistinctement,  par  ce  décret,  contre  tous  les 
duellistes  et  leurs  parrains,  ne  sont  décernées  que  dans  la  sup- 
position du  consentement  donné  à  ce  décret  par  les  souverains. 
On  sait ,  en  effet ,  que  ce  décret ,  quoique  reconnu  dans  plusieurs 
États  catholiques,  ne  l'a  pas  été  en  France  et  dans  quelques 
autres  États,  et  que  le  saint-siége  n'a  jamais  gêné,  sur  ce  point, 
la  liberté  de  nos  rois.  Cette  conduite  du  saint-siége  montre  clai- 
rement, que  l'Église  ne  prétend  point  envahir  les  droits  des  sou- 
verains, ni  faire  des  lois,  en  matière  temporelle,  sans  leur 
consentement. 

9°  Quelques  années  avant  l'ouverture  du  concile  de  Trente,       226 
éclata  le  schisme  déplorable  qui  sépara  de  l'Église  catholique  le  du  ^écrej,sw 
royaume  d'Angleterre.   Ce  funeste  événement  donna  lieu  à      conl,e  * 

*"  les  rois  d' An- 

plllSieUrS  décrets  du  samt-siege,  qui  ont  été,  pour  les  théolo-    gieterre, 

311  xvi^  sicclfl 

giens  catholiques,  soit  en  Angleterre,  soit  au  dehors  de  ce  Principe gé»é. 
royaume,  l'occasion  de  plusieurs  controverses  très-animées,  reXapi!càtion 
sur  l'autorité  respective  des  deux  puissances.  Toutes  ces  con-  ces  £ecreUi 
troverses  eussent  été  bien  abrégées,  et  peut-être  terminées  dès 
le  principe,  si  l'on  eût  distingué  plus  soigneusement  les  pouvoirs 
que  le  saint-siége  s'attribue,   dans  ses  décrets,  en  vertu  de 
l'institution  divine ,  et  qu'on  ne  peut  contester  sans  blesser  la 


«  cumqne  nomine  domini  temporales,  qui  locum  ad  monomachiam  in  terris 
«  suis  inter  christianos  concesserint,  eo  ipso  sint  excommunicati,  ac  jurisdic- 
«  tione  et  dominio  civitatis,  castri  aut  loci,  in  quo  vel  apud  quem  du;  Hum 
«  permiserint  fieri,  quod  ab  Ecclesiâobtinent,  privati  intelligantiir .;  et,  si 
«  feudalia  sunt,  directis  dominis  statim  acquirantur.  Qui  verô .pugnaui  com- 
«  miserint,  et  qui  eorum  patrini  vocantur,  excommunicationis,  ac  omnium 
«  bonorum  proscriptionis,  ac  perpétua?  infamiae  pœnam  incurrant.  »  Concil. 
Trid.  sess.  25  ;  De  Reform.  cap.  19.  (Concil.  tom.  xiv,  pag.  916.) 


584  DEUXIÈME  PARTIE.  —  POUVOIR  DU  PAPE 

foi  catholique ,  d'avec  ceux  qu'il  possédait  autrefois  en  vertu 
d'un  droit  public  librement  établi  par  les  hommes,  et  alors 
généralement  reconnu.  Cette  distinction  suffit,  à  ce  qu'il  nous 
semble,  pour  éclaircir  la  plupart  des  difficultés  auxquelles  ces 
décrets  ont  donné  lieu.  Le  lecteur  en  jugera,  d'après  les  obser- 
vations que  nous  allons  présenter,  sur  les  plus  remarquables  de 
ces  décrets  (1). 
.  „  «7-  Le  souverain  pontife  Clément  VII ,  après  avoir  inutilement 

Bulle d  excoin-  f  L  x 

munication    employé  les  exhortations  les  plus  paternelles  et  les  plus  fortes 
déposition,  instances,  auprès  du  roi  d'Angleterre  Henri  VIII,  pour  l'obliger 
parTeCpeape  à  quitter  Anne  deBoulen,  son  épouse  adultère,  et  à  reprendre 
PHUJn1"^"I,re  Catherine,  son  épouse  légitime,  l'avait  enfin  excommunié,  en 
1534.  Bien  loin  de  se  soumettre  à  la  sentence  du  Pape,  le  roi  leva 
ouvertement  l'étendard  du  schisme,  en  renonçant  à  l'obéis- 
sance du  saint-siége ,  et  se  déclarant  lui-même  chef  suprême  de 
la  religion,  dans  ses  États.  Paul  III,  successeur  de  Clément  Vil, 
désespérant  de  la  conversion  de  ce  prince ,  résolut  de  prendre 
contre  lui  des  mesures  plus  sévères,  et  prépara  une  bulle,  dans 
laquelle  il  ne  se  bornait  pas  à  renouveler  l'excommunication 
déjà  lancée  par  Clément  VII,  mais  il  obligeait  le  roi  d'Angle- 
terre, sous  peine  d'excommunication  et  de  déposition,  à  se 
présenter  à  Rome,  en  personne  ou  par  procureur,  dans  l'espace 
de  trois  mois,  pour  soumettre  sa  cause  au  jugement  du  saint- 
siége.  Le  Pape  ajoutait,  dans  cette  bulle,  que  si  le  roi  ne  se 
rendait  pas  à  cette  injonction,  dans  le  terme  prescrit,  il  encour- 
rait ,  par  ce  seul  fait,  l'excommunication  et  la  perte  de  ses  États, 
tous  ses  sujets  seraient  déliés  de  leurs  serments  de  fidélité,  tous 
les  princes  libres  des  traités  et  des  engagements  contractés  avec 
lui,  autorisés  à  lui  déclarer  la  guerre  et  à  s'emparer  de  ses 
États  (2).  Cette  bulle,  datée  du  30  août  1535,  ne  fut  cependant 


(1)  On  peut  consulter,  à  ce  sujet,  Bossuet,  Defensio  Declar.,  lib.  iv, 
cap.  23.  —  Rianchi,  Délia  Potesta  e  délia  Politia  délia  Chiesa,  tom.  h, 
lib.  vi,  §  10,  n.  2-5.  —  Affre,  Essai  historique  sur  la  Suprématie  tempo- 
relle du  Pape,  chap.  25. 

(2)  «  Quôd  siHenricus  rex  etalii  prsedicti  (ejus  complices  et  fautores)  ,intra 
«  dictos  terminos  eis  prœfixos  non  comparuerint,  et  prœdictam  excommuni- 
«  cationis  sententiam  per  tresdies,  postlapsum  dictorum  terminorum,  animo 
«  (quodabsit)sustinuerintindurato;  censuras  ipsasaggravamus  et  successive 
«  reaggravamus,  Henricumque  regem  privationis  regni  et  dominiorum,  ettam 


SUR  LES   SOUVERAINS. — CHAPITRE  III.  585 

publiée  qu'au  mois  de  décembre  1538,  le  Pape  ayant  jugé  à 
propos  d'en  suspendre  l'exécution,  à  la  demande  de  quelques 
souverains,  qui  espéraient  encore  amener  le  roi  d'Angleterre  à 
de  meilleurs  sentiments.  Mais  les  nouveaux  excès  de  ce  prince 
convainquirent  enfin  le  Pape,  que  le  temps  était  venu  d'em- 
ployer contre  lui  les  derniers  remèdes;  et  il  fut  encouragé  dans 
cette  résolution  par  le  suffrage  de  plusieurs  souverains ,  entre 
autres  de  l'empereur  et  du  roi  de  France,  qui  lui  promirent 
d'appuyer  sa  sentence  contre  le  roi  d'Angleterre. 

Il  ne  s'agit  point  ici  d'examiner  l'opportunité  de  ce  décret,       228. 
sur  laquelle  des  écrivains  peu  favorables  au  saint- siège  n'ont  ^ôpposl"6 
pas  manqué  d'élever  des  doutes,  répétés  depuis  par  quelques  a^0unj""ent 
auteurs  mieux  intentionnés.  Il  s'agit  uniquement  de  savoir  si  le   tWoiogiqM 

du 

souverain  pontife  s'attribue  réellement,  dans  ce  décret,  le  ciroitdm,u 
pouvoir  direct  ou  indirect  de  déposer  les  souverains  et  de  dis- 
poser de  leurs  États,  en  vertu  de  l'institution  divine.  Or,  on 
ne  voit  rien,  dans  la  bulle  de  Paul  III,  qui  puisse  autoriser  cette 
supposition.  Le  Pape,  il  est  vrai,  y  invoque  le  pouvoir  divin  de 
lier  et  de  délier,  comme  le  fondementde  sa  sentence,  considérée 
dans  son  objet  direct  et  immédiat ,  qui  est  l'excommunication 
du  roi  d'Angleterre  ;  mais  il  ne  dit  pas  que  la  déposition  de 
ce  prince  soit,  de  droit  divin,  la  conséquence  de  l'ex- 
communication ;   il  suppose  uniquement  que ,  dans  les  con- 


«  eum  quàm  alios  prœdictos,  omnesetsingulas  pœnas  prœdictasincurrisse,  de- 
«  cernimus  et  declaramus  (n°7);...  IpsiusqueHenrici  régis  vassallos  et  subdi- 
«  tos  à  juramento  fidelitatis,  et  omni  erga  regem  et  alios  prsedictos  subjectione 

«  absolvimus,  ac  penitus  liberamus  (n°  10) Praeterea,  omnes  et  singulos 

«  christianos  et  principes  ,  per  viscera  misericordiae  Dei  nostri  (cujus  causa 
«  agi ui r)  hortamur  et  in  Domino  requirimus,  ne  Henrico  régi,  ejusquc  coni- 
«  plicibuset  fautoribus,  etiam  sub  praetextu  conf'œderationum  aut  obligatio- 
<(.  num  quarumcumque,  etiam  juramento  roboratarum  ,  à  quibus  eos  absol- 

«  vimus, consilium,  auxilium  vel  favorem  quomodociimque  praestent 

«  (n°  15) (Eosdem)  simiiiter  hortamur  et  requirimus,  quatenus  contra 

«  Henricum  regem,  ejusque  complices  et  fautores,  dum  in  erroribus  praedic- 
«  tis  permanserint,  armis  insurgant  ;  eosque  et  eorum  singulos  persequantur, 
«  ac  ad  unitatem  Ecclesiœ ,  et  obedientiam  sanctae  sedis  redire  cogant  et 

«  compellant; eorumque  bona  mobilia  et  immobilia,  etiam  extra  ter- 

«  ritorium  dicti  Henrici  régis  ubilibet  consistenlia ,  capiant  (  n°  16).» 
Pauli  III  Constit.  7.  {Bullar.  Rom.,  Luxemburgi,  1742,  tom.  i,  pag.  707.) 
Voyez,  au  sujet  de  ce  décret,  les  Annales  de  Sponde,  année  1535,  n.  15; 
année  1538,  n.  14.  —  Lingard,  Hïst.  d'Angleterre,  tom.  vi,  pag.  332,  etc.; 
422,  etc. 


586        DEUXIÈME  PARTIE. — POUVOIR  DU  PAPE 

jonctures  où  l'on  se  trouvait,  la  déposition  en  résultait 
naturellement  ;  ce  qui  était  en  effet  généralement  reconnu,  à 
cette  époque ,  et  regardé  comme  un  point  de  droit  public,  dans 
tous  les  États  catholiques  de  l'Europe,  et  spécialement  dans  le 
royaume  d'Angleterre  (1).  Outre  les  raisons  qui  établissaient 
alors  ce  point  de  droit  public,  par  rapport  à  tous  les  États  ca- 
tholiques de  l'Europe ,  il  était  particulièrement  fondé,  par  rap- 
port au  royaume  d'Angleterre,  sur  le  droit  de  suzeraineté  que 
plusieurs  de  ses  rois  avaient  librement  conféré  au  saint-siége 
sur  eux  et  leurs  États,  et  qui  avait  été  solennellement  reconnu, 
en  plusieurs  occasions ,  par  les  princes  étrangers  (2).  Ce  point 
de  droit  public  une  fois  supposé,  la  déposition  du  roi  d'Angle- 
terre était  une  conséquence  naturelle  de  sa  rébellion  envers 
l'Église,  et  de  sa  persévérance  opiniâtre  dans  l'hérésie  et  l'ex- 
communication -.pour  prononcer  cette  déchéance,  le  Pape  n'avait 
aucun  besoin  d'invoquer  ou  de  supposer  l'opinion  théologique 
du  pouvoir  direct  ou  indirect  ;  il  lui  suffisait  de  déclarer  le 
prince  déchu  de  sa  dignité  royale,  en  punition  de  ses  crimes. 
C'est  ainsi  que  le  pape  Paul  III  lui-même  explique  sa  bulle, 
dans  les  lettres  qu'il  écrivit  à  l'empereur  Charles  V  et  au  roi  de 
France,  pour  leur  en  donner  avis  (3).  Il  dit  expressément,  dans 
la  première  de  ces  lettres ,  que  «  le  roi  d'Angleterre  s'est  privé 
«  lui-même ,  par  ses  crimes,  de  son  royaume  et  de  sa  dignité 
«  royale;  en  sorte  qu'il  ne  reste  plus  qu'à  déclarer,  contre  lui, 
«  le  fait  de  cette  privation;  et  quoique  cette  déclaration, 
«ajoute  le  Pape,  ne  soit  pas  nécessaire,  vu  la  notoriété  du 
«fait,  nous  nous  proposons  d'y  procéder,  de  concert  avec  les 
«  cardinaux  de  la  sainte  Église  romaine  (4).  »  Le  Pape  répète  la 


(1)  On  a  vu,  dans  le  chapitre  précédent , les  preuves  de  cette  ancienne 
persuasion.  On  verra,  dans  l'article  suivant,  qu'elle  était  réellement  fondée 
sur  le  droit  public  de  tous  les  États  catholiques  de  l'Europe,  au  moyen  âge. 

(2)  Nous  avons  déjà  parlé  de  ce  droit  de  suzeraineté  dans  le  chapitre  pré- 
cédent (art.  3,  pag.  482,  etc.)  ;  on  trouvera  de  nouveaux  éclaircissements  sur 
ce  point  dans  l'article  suivant. 

(3)  Ces  Lettres  sont  citées  par  Raynaldi,  Annales,  anno  1535,  n.  11  et  13; 
et  par  Bianchi,  ubisuprà,  n.  2. 

(4)  «  Ex  quibus,  et  aliis  qua?  hoctoto  triennio  accumulavit,  scelerihus,  ut 
«  ejus  dedecora  breviter  recenseamus,  hsereticus,  schismaticus,  adulterno- 
«  torius,  homicida,  sacrilegus,  rebellis,  lœsor  majestatis,  multorumque  alio- 
«  rumque  criminum  reus  effectus  est ,  ac  se  ipse  Mo  regno,  et  regiâ  di- 


SUR  LES  SOUVERAINS.  —  CHAPITRE  III.  587 

môme  chose,  et  presque  dans  les  mêmes  termes,  dans  sa  lettre 
au  roi  de  France;  et  lui  fait  de  plus  remarquer,  que  la  décla- 
ration dont  il  s'agit  est  fondée  tout  à  la  fois  sur  les  lois  divines 
et  humaines  (1)  :  ce  qui  montre  combien  le  Pape  était  éloigné 
de  regarder  le  droit  divin,  comme  l'unique  fondement  de  la  sen- 
tence prononcée  contre  le  roi  d'Angleterre. 

\  o°  La  bulle  de  Pie  V  contre  Elisabeth  est  facile  à  expliquer,       «s- 

,  r    ^         '     La  bulle  de 

d'après  les  mêmes  principes  (2).  Le  Pape  voyant  la  reine  d'An-      Pfcv 
gleterre  obstinée  dans  le  schisme,  au  point  de  persécuter  ou-  <onbHh,'sa 
vertement  les  catholiques  de  ses  États,  de  mépriser,  à  ce  sujet,    a^pISTs 
les  avis  et  les  remontrances  des  princes  étrangers,  et  de  refuser  mécipe,pnn" 
même  d'admettre  dans  ses  États  les  ambassadeurs  du  saint- 
siége,  résolut  de  procéder  contre  elle,  comme  avait  fait  Paul  III, 
son  prédécesseur,  contre  Henri  VIII,  fondateur  du  schisme.  Il 
fut  confirmé  dans  cette  résolution,  par  les  instances  du  roi  d'Es- 
pagne, et  d'un  grand  nombre  de  catholiques  anglais,   qui 
croyaient  cette  mesure  nécessaire  au  maintien  de  la  religion 
en  Angleterre.  Il  publia  donc  contre  la  reine,  une  bulle 
datée  du  25  février  1570,  dans  laquelle,  après  avoir  fait 
l'énumération  de  ses  crimes  et  de  ses  impiétés,  il  la  déclarait  hé- 
rétique,en  vertu  de  la  puissance  apostolique;  et  de  plus  privée 
de  ses  prétendus  droits  à  la  couronne  iï  Angleterre  ;  il  délivre 

«  gnitate  privavit;  ita  ut  sola  declaratio  privationis  adversùs  eum 
«  super sit  ;  quse  tamen,  ob  notorietatem  prœmissorum ,  necessaria  non 
«  esset;  ad  quant,  unà  cum  venerabilibns  fratribus  nostris  S.  R.  E.  cardinali- 
«  buSjOmninô  procedere  intendimus.  »  Epist.  Pauli  III  ad  Carolum  Vt 
imper at.  (Raynaldi  et  Bianchi,  ubi  suprà.) 

(1)  «  Nos,  maximo  quidem  cum  dolore  animi  nostri,  sed  tamen  extremâ 
«  necessitate  compulsi ,  ad  ea  remédia,  cum  venerabilibns  fratribus  nostris 
«  S.  R.  E.  cardinalibus,  idipsum  nobis  unanimiter  suadentibus,  venire  decre- 
«  vimus,  quœjus  commune  tam  divinum,  quàm  humanum  nobis  injun- 
«  git;  ut  scilicet  eumdem  Henricum,  qui  priùs  per  rebellionem,  per  haresim, 
«  et  schisma,  aliaque  enormissima  crimina,  novissimè  autem  per  indignam 
«  csedemS.  R.  E.  cardinalis,  et  lot  aliorum  clericorum  et religiosorum,  regno 
«  se ,  ac  regiâ  dignitate  privavit ,  privatam  declaremus.  »  Epist. 
Pauli  III  ad  Franciscum  I,  Francorum  regem.  (Raynaldi  et  Bianchi,  ubi 
suprà.) 

(2)  Voyez  les  auteurs  cités  plus  haut,  pag.  584,  note  1.  Voyez  aussi  Mama- 
chi,  Origines,  etc.,  tom.  iv,  pag.  256,  note  4.  Ce  dernier  auteur,  aussi  bien 
que  Bianchi,  s'étonne  que  Bossuet,  dans  le  troisième  livre  de  la  Défense  de 
la  Déclaration  (chap.  27  et  28),  ait  entièrement  passé  sous  silence  la  bulle 
de  Pie  V  contre  Elisabeth.  Ils  n'ont  pas  fait  attention  que  Bossuet  en  parle 
dans  le  livre  suivant  (chap.  23). 


* 


588        DEUXIÈME  PARTIE.  —  POUVOIR  DU  PAPE 

en  même  temps  tousses  sujets,  et  pour  toujours,  du  serment  de 
fidélité  qu'ils  pouvaient  lui  avoir prêté (1) .  Le  langage  du  Pape, 
dans  cette  bulle ,  ne  peut  offrir  aucune  difficulté,  après  les  obser- 
vations que  nous  venons  de  faire,  sur  la  bulle  de  Paul  III  con- 
tre Henri  VIII.  Le  pape  Pie  V  déclare  d'abord,  en  vertu  de  sa 
puissance  apostolique,  que  la  reine  Elisabeth  est  hérétique  ;  ce 
qu'il  avait  incontestablement  le  droit  de  déclarer,  comme 
chef  de  l'Église.  Tirant  ensuite  les  conséquences  de  ce  fait,  il 
déclare  en  outre,  que  la  reine  est  privée  de  ses  droits  à  la  cou- 
ronne d'Angleterre ,  et  ses  sujets  déliés  de  leur  serment  de  fi- 
délité envers  elle  ;  c'était  là ,  en  effet ,  la  conséquence  de  l'hé- 
résie, d'après  la  persuasion  alors  universelle,  non-seulement 
des  catholiques  anglais,  mais  de  tous  les  peuples  catholiques  de 
l'Europe ,  qui  regardaient  cette  conséquence  comme  un  point 
de  leur  droit  public  (2).  Le  Pape  pouvait  assurément,  et  devait 
même  supposer  la  permanence  de  ce  droit,  qui  n'avait  jamais 
été  réformé  par  une  autorité  compétente,  et  dont  la  perma- 
nence était  généralement  reconnue,  à  cette  époque,  non- seule- 
ment par  les  catholiques  anglais,  mais  par  tous  ceux  des 
autres  États,  et  par  les  princes  étrangers  qui  soutenaient,  au- 
près de  la  reine,  la  cause  des  catholiques  anglais  (3). 
23o.  ii°  Mais  de  tous  les  décrets  du  saint-siége,  concernant  le 

Serments   de  <->    * 

suprématie    schisme  d'Angleterre ,  aucun  ne  donna  lieu  à  des  discussions 

et 

d'aiiégeance,  plus  longues  et  plus  animées,  que  les  brefs  de  Paul  V  contre  le 
deSecâ?hoii-  serment  d'allégeance  ou  de  fidélité,  exigé  par  le  roi  Jacques  Ier, 

(1)  «  IlliiJS  itaque  auctoritate  suffulti,  qui  nos  in  hoc  supremae  justitiae 
«  throno,  licèt  tanto  oneri  impares,  voluit  collocare;  deapostolicae  potestatis 
«  plenitudine;  declaramus  praedictam  Elisabeth  haereticam,  et  haereticorum 
«  fautricem,eiqueadh;erentesinpia3dictis,anathematisseritentiamincurrisse, 
«  esseque  à  Christi  corporis  unilate  praecisos;  quin  etiàm  ipsam  praetenso 
«  regni  praedieti  jure,  neenon  omni  et  quoeumque  dominio,  dignitate,  privi- 
«  legioque  privatam;  et  item  proceres,  subditos  et  populos  dicti  regni,  ac 
«■  caeteros  omnes  qui  illi  quomodôcumque  juraverunt,  à  juramento  hujns- 
«  modi ,  ac  omni  prorsus  domina,  fidelitatis,  et  obsequii  debito,  perpetuô 
«  absolutos,  prout  nos  illos,  praesentium  auctoritate,  absolvimus  ;etprivamus 
«  eamdem  Elisabeth  praetenso  jure  regni ,  aliisque  omnibus  supradictis.  » 
PU  V  Constit.  101,  n.  3,  4,  5.  (JBullar.  Rom.  tom.  h,  pag.324.)  — .  Sponde, 
Annales,  anno  1570,  n.  3  et  4.  —  Lingard,  Hist.  d'Angleterre,  tom.  vin, 
pag.  73,  etc.;  597,  etc. 

(2)  Voyez  la  note  1  de  la  page  586. 

(3)  On  trouvera  de  nouvelles  preuves  de  ce  fait,  dans  l'article  suivant.  Voyez 
aussi  les  auteurs  cités,  n.  9  des  Pièces  justificat.  à  la  fin  de  ce  volume. 


SUR  LES  SOUVERAINS.  —  CHAPITRE  III.  589 

en  1 606  (î).  Depuis  l'origine  du  schisme ,  le  gouvernement  avait  ques 
constamment  exigé,  d'un  certain  nombre  d'ecclésiastiques  etan§^o't"lte 
de  laïques ,  le  serment  de  suprématie ,  par  lequel  on  reconnais- 
sait «  que  la  souveraine  autorité,  tant  dans  les  choses  spirituel- 
«  les  ou  ecclésiastiques,  que  dans  les  temporelles,  appartenait 
«  au  roi  seul  ;  et  que  nul  homme,  soit  prince,  soit  prélat,  n'avait 
«  aucun  degré  de  juridiction  et  d'autorité  ecclésiastique  ou  spi- 
«  rituelle,  dans  toute  l'étendue  du  royaume  d'Angleterre  (2).  » 
Jacques  1er,  après  la  découverte  de  la  conspiration  des  pou- 
dres, jugea  nécessaire  de  prendre  de  nouvelles  mesures  contre 
un  certain  nombre  de  catholiques,  qui  regardaient  son  auto- 
rité ,  même  temporelle ,  comme  subordonnée  à  celle  du  Pape. 
Il  fit  donc  adopter,  par  les  deux  chambres,  une  nouvelle  formule 
de  serment,  que  tout  individu  soupçonné  de  catholicité  serait 
obligé  de  prêter,  sur  la  demande  des  autorités  locales.  Voici  les 
propres  termes  de  ce  serment  (3)  •.  «  Je  reconnais  sincèrement, 
«  et  déclare  en  ma  conscience,  devant  Dieu  et  devant  les 


(l)Dupin,  dans  la  quatrième  partie  de  son  Hist.  Ecclésiastique  du 
xviie  siècle  (pag.  622),  donne  la  liste  des  principaux  ouvrages  publiés  de 
part  et  d'autre,  sur  cette  controverse.  Il  faut  y  ajouter  Suarez,  Defensio  Ficlei 
Catholicœ  adversùs  Anglic.  sectœ  errores.  Colonise,  1614,  in-ibl.  —  Di- 
vers actes  de  la  Faculté  de  théologie  de  Paris,  répandus  dans  le  Recueil  inti- 
tulé :  Censures  et  Conclusions  de  la  Faculté  de  théologie  de  Paris,  tou- 
chant la  Souveraineté  des  Rois.  Paris,  1720,  in-4°.  Voyez  surtout  pag. 
186,  etc.;  393,  etc. 

On  peut  voir,  dans  les  ouvrages  suivants,  le  résumé  de  cette  discussion. 
Bossuet,  Defensio  Declar.,  lib.  îv,  cap.  23. —  Bianchi,  Délia  Potesta  délia 
Chiesa,  tom.  n,  liv.  vi,  §  11,  n.  5,  etc.  —  Sponde,  Annales,  anno  1606, 
n.  4.  —  Lingard ,  Hist.  d'Angleterre,  tom.  ix,  pag.  111-121.  —  Dupin , 
Histoire  Ecclésiastique  du  xvue  siècle,  lre  partie,  pag.  370,  etc.  —  D'A- 
vrigny,  Mémoires  pour  servir  à  VHist.  Ecclés.  du  xvir3  siècle,  tom.  î, 
22  sept.  1606  ;  26  nov.  1610;  2  juin  1614.  —  Vie  du  cardinal  Bellarmin, 
par  le  P.  Frizon,  pag.  322,  etc.  —  Hist.  Societatis  Jesu,  part.  5,  tom.  n, 
lib.  xiu,  n.  62,  147,  etc.  —  L'abbé  Goujet,  Hist.  du  Pontificat  de  Paul  V, 
tom.  i,  pag.  287,  etc.  Nous  ferons  remarquer,  en  passant,  que  ce  dernier  ou- 
vrage doit  être  lu  avec  réserve,  sur  le  point  qui  nous  occupe,  aussi  bien  que 
sur  plusieurs  autres,  à  cause  des  préjugés  bien  connus  de  l'auteur,  contre  le 
Pape  et  les  Jésuites. 

(2)  Lingard,  Hist.  d'Angleterre,  tom.  vu,  pag.  403,  481,  483  et  562.  On 
peut  voir  la  formule  entière  de  ce  serment,  dans  les  ouvrages  suivants  :  Sua- 
rez, Defensio  Fidei ,  lib.  vi,  Proœmium.  ~  Bellarmin,  Responsio  ad  Apo- 
logiam  pro  Juramento  fidelitatis;  Prœambul.  (Operum  tom.  vu, 
pag.  640.) 

(3)  Nous  citons  textuellement  la  formule  de  ce  serment,  en  supprimant 
seulement  quelques  expressions  moins  importantes.  On  peut  voir  la  formule 


590  DEUXIÈME  PARTIE.  —  POUVOIR  DU  PAPE 

«  hommes,  que  notre  souverain  maître ,  le  roi  Jacques ,  est 
«  légitime  roi  de  ce  royaume  et  de  tous  les  autres  États  qui 
«  en  dépendent;  que  le  Pape,  ni  par  lui-même,  ni  par  l'auto- 
«  rite  de  l'Église  romaine  ou  du  siège  romain,  ni  de  quelque 
«  autre  manière  que  ce  soit,  n'a  le  pouvoir  de  déposer  le  roi, 
«  de  disposer  de  son  royaume  ou  de  ses  autres  domaines,  d'au- 
«  toriser  aucun  prince  étranger  à  l'attaquer  ou  à  troubler  sa 
«  personne  ou  ses  États,  de  décharger  ses  sujets  de  leur  fidélité 

«  ou  obéissance  ; que  nonobstant  toute  déclaration  ou 

«  sentence  d'excommunication  ou  de  déposition ,  faite  ou  ac- 
«  cordée  par  le  Pape  ou  par  ses  successeurs,  ou  par  quelque 
«  autorité  que  ce  soit,  contre  le  roi  ou  ses  successeurs,  non 
«  obstant  toute  absolution  d'obéissance  donnée  à  ses  sujets, 
«  je  garderai  une  véritable  foi  et  allégeance  à  Sa  Majesté  et 

«  à  ses  successeurs Je  jure,  en  outre,  que  j'abhorre  de  tout 

«  mon  cœur,  comme  impie  et  hérétique ,  cette  doctrine  et  pro- 
«  position ,  que  les  princes  excommuniés  ou  privés  de  leurs 
«  États  par  le  Pape,  peuvent  être  déposés  ou  tués  par  leurs  su- 
«  jets ,  ou  par  quelque  autre  personne  que  ce  soit.  Je  crois  aussi, 
«  et  suis  persuadé  en  ma  conscience,  que  ni  le  Pape,  ni  aucune  au- 
«  tre  personne,  n'a  le  pou  voir  de  m'absoudrede  ce  serment  entier, 
«  on  d'aucune  de  ses  parties.  Je  reconnais  que  ce  serment  m'est 
«  légitimement  demandé,  par  une  juste  et  pleine  autorité,  et  je 
«  renonce  à  toute  dispense  contraire;  etc.  » 
,3r.  La  légitimité  de  ce  serment  devint  aussitôt  un  grand  sujet  de 

BrefronfreUlv  contestation  entre  les  catholiques  anglais;  les  uns  le  condam- 
le sJerm/annlcfal'  nèrent ,  comme  renouvelant,  sous  des  termes  équivoques,  le 
serment  de  suprématie  ;  les  autres  soutinrent  qu'on  pouvait 
prêter  sans  scrupule  le  nouveau  serment ,  persuadés  qu'il  n'ex- 
primait que  la  promesse  d'une  obéissance  politique  ou  pure- 
ment civile,  dont  il  n'est  pas  permis  à  un  sujet  de  se  dispenser, 
envers  son  légitime  souverain.  Le  pape  Paul  V,  instruit  de  ces 

entière,  dans  YHist.  d'Angleterre  de  Rapin  Thoyras,  tom.  tiu,  liv.  xviir, 
année  1606.  —  Bellarmin,  ubi  suprà,  pag.  641.  —  Suarez,  ubisuprà.  — 
Gretser,  Commentarius  exegeticus  in  Apologiam  pro  Juramento  fidelita- 
tis,  cap.  vi.  (Operum  tom.  vu,  pag.  47.)  —  Dupin,  Hist.  Ecclésiast.  du 
xx ii*  siècle,  lre  partie,  pag.  371.  —  Censures  et  Conclusions  de  la  Fa- 
culté de  théologie  de  Paris,  pag.  394.  —  L'abbé  Goujet,  ubi  suprà, 
pag.  290. 


* 


SUR  LES  SOUVERAINS. — CHAPITRE  III.  591 

contestations,  adressa  aux  catholiques  anglais  un  bref  daté  du 
22  septembre  1606,  qui  condamnait  le  serment  d'allégeance, 
comme  illégitime,  et  contenant  plusieurs  choses  manifeste- 
ment contraires  à  la  foi  et  au  salut  (l).  Mais  cette  décision  ne 
réunit  pas  les  esprits  ;  les  partisans  du  nouveau  serment  répan- 
dirent le  bruit,  que  le  bref  était  supposé,  ou  qu'il  avait  été  donné 
sur  un  faux  exposé  ;  qu'en  tout  cas ,  il  n'était  pas  obligatoire, 
et  n'exprimait  que  l'avis  particulier  du  souverain  pontife. 
Paul  V,  averti  de  ces  nouvelles  difficultés,  adressa  aux  catho- 
liques anglais  un  second  bref,  daté  du  22  septembre  1607,  par 
lequel  il  confirmait  le  premier,  et  «  obligeait  les  catholiques  an- 
«  glais  à  l'observer  exactement,  en  rejetant  toute  interprétation 
«  propre  à  les  détourner  de  cette  obéissance  (2).  » 

Il  n'entre  pas  dans  notre  plan  de  rapporter  ici  les  suites  de       a32. 
cette  décision ,  qui  devint  un  nouveau  sujet  de  discussion  entre    Kvorilênit" 
les  théologiens  catholiques,  soit  en  Angleterre,  soit  sur  le  con-  [S,^. 
tinent,  et  qui  fut  plusieurs  fois  confirmée  par  le  saint-siége,  pen-  an5jjJ3  ■ 
dant  le  cours  du  xvne  siècle  (3).  Il  suffit  à  notre  objet  de  mon- 

(1)  Rapin  Thoyras  (ubi  supra),  par  une  singulière  méprise,  attribue  ce 
bief  à  Urbain  VIII,  qui  ne  devint  pape  qu'environ  vingt-huit  ans  après.  Il 
donne  à  ce  même  bref  la  date  du  31  octobre,  au  lieu  du  22  septembre.  On 
peut  voir  le  texte  entier  de  ce  bref  dans  les  ouvrages  suivants  :  Suarez ,  ubi 
suprà,  pag.  79.  —  Bellarmin,  Responsio  ad  Apologiam  Juramenti.  (Ope- 
rum,  tom.  vu,  pag.  641.)  — D'Argentré,  Collectio  Judiciorum ,  tom.  m, 
pag.  172. 

(2)  On  trouve  ce  second  bref,  dans  les  mêmes  auteurs  que  le  pré- 
cédent. 

(3)  Une  courte  notice  sur  le  Serment  d'allégeance,  qu'on  lit  dans  le 
Recueil  déjà  cité  des  Censures  et  Conclusions  de  la  Faculté  de  théologie 
de  Paris  (pag.  393),  nous  apprend  que  ce  serment  fut  de  nouveau  condamné 
par  le  pape  Innocent  X,  en  1648.  Mais  cette  nouvelle  décision  ne  termina  pas 
la  controverse.  Plusieurs  catholiques  anglais  ayant  consulté,  à  ce  sujet,  la  Fa- 
culté de  théologie  de  Paris,  en  1680,  soixante  docteurs  signèrent  une  Réponse 
à  cette  Consultation,  par  laquelle  ils  déclarèrent  que  les  catholiques  d'An- 
gleterre pouvaient,  en  sûreté  de  conscience,  et  sans  préjudice  de  la  foi,  faire 
le  serment  en  question.  (Censures  et  Conclusions  de  la  Faculté,  etc. 
ibid.)  Bossuet  assure  que  cette  Réponse  fut  mise  à  Y  Index  à  Rome,  en 
1683.  (Bossuet,  ubi  suprà,  cap.  23,  initio.)  Toutefois,  nous  n'avons  pu 
jusqu'ici  la  trouver  dans  aucune  édition  de  Y  Index,  ni  dans  les  divers  Ap- 
pendices de  l'édition  de  1681  que  nous  avons  pu  consulter.  Peut-être  se 
trouvait-elle  dans  quelqu'un  des  Appendices  publiés  de  1681  à  1704,  qui  ont 
échappé  à  nos  recherches.  Dans  cette  supposition,  nous  serions  porté  à  croire 
que  cet  article  aura  été  rayé  de  Y  Index,  depuis  la  conclusion  des  affaires  de 
1682,  pour  ne  pas  donner  lieu  à  de  nouvelles  contestations,  sur  ces  matières 
délicates.  Quoi  qu'il  en  soit  de  cette  conjecture,  il  est  à  remarquer  que  Bos* 


592  DEUXIÈME  PARTIE.  —  POUVOIR  DU  PAPE 

trer  qu'on  ne  serait  nullement  fondé  à  invoquer  les  brefs  de 
Paul  V,  en  faveur  de  l 'opinion  théologique  du  pouvoir  direct 
ou  indirect.  En  effet,  Tunique  but  de  ces  brefs  est  de  condam- 
ner le  serment  d'allégeance ,  comme  renfermant  plusieurs 
choses  contraires  à  la  foi  et  au  salut;  or,  il  est  aisé  de  voir  que 
ce  serment,  indépendamment  de  toutes  les  controverses  théolo- 
giques sur  le  pouvoir  direct  ou  indirect ,  renfermait  plusieurs 
choses  contraires  à  la  foi  et  au  salut. 

233.  Car,  1°  il  est  évidemment  contraire  à  la  foi  et  au  salut,  d'at- 
vaiiïgZTcl ,  tribuer  la  souveraine  autorité  spirituelle  sur  une  église  parti- 
C0Iind!renb-le '  culière,  à  un  autre  qu'au  souverain  pontife,  vicaire  de  Jésus- 

dammentde  christ  et  successeur  de  saint  Pierre.  Or,  il  est  certain  que  les 

cette  7  * 

opinion:     catlioliques  anglais,  en  prêtant  le  serment  d'allégeance ,  attri- 

i°  comme  re-  ,         *  -  °         .  A  .    .  ,       . 

nouveiant  buaient  la  souveraine  autorité  spirituelle  sur  1  Eglise  d  Angle- 
sermeJ <te  m- terre ,  non  au  souverain  pontife,  mais  au  roi  d'Angleterre 

premane.  ]ui_même  .  car  jis  déclaraient  devant  Dieu ,  par  ce  serment , 
qu'ils  reconnaissaient  le  roi  Jacques  pour  leur  souverain  maître  : 
expressions  qui ,  dans  ce  serment,  ne  désignaient  pas  seulement 
la  souveraine  autorité  dans  l'ordre  civil  et  temporel ,  mais  en- 
core dans  l'ordre  spirituel  et  ecclésiastique.  Il  est  vrai  que  les 
mots  de  souverain  maître,  n'ont  pas  essentiellement  et  par 
eux-mêmes ,  cette  dernière  signification  ;  mais  ils  l'avaient  in- 
contestablement dans  l'intention  du  roi  d'Angleterre,  clairement 
manifestée ,  non-seulement  par  l'usage  et  la  conduite  journalière 
de  ce  prince  et  du  gouvernement  anglais,  à  cette  époque,  mais 
encore  par  plusieurs  autres  clauses  du  serment  d'allégeance , 
qui  attribuaient  au  roi  le  pouvoir  de  régler ,  en  matière  de  foi, 
la  croyance  des  fidèles,  par  une  juste  et  pleine  autorité^  comme 
on  va  le  voir  dans  la  suite  de  cette  discussion  (l). 

234.  2°  Il  est  manifestement  contraire  à  la  foi  et  au  salut,  depré- 
.  commo  »o.  yeDjr  je  jugement  de  l'Église,  en  condamnant  comme  impie  et 


tant 


suet  lui-même,  malgré  toutes  les  décisions  du  saint-siége  contre  le  serment 
d'allégeance,  parait  fort  indécis  sur  la  légitimité  de  ce  serment  :  d'un  côté,  il 
parle  avec  respect  de  ces  décisions  ;  d'un  autre  côté,  il  paraît  vouloir  excu- 
ser celle  des  docteurs  de  Paris.  Ce  chapitre  de  la  Défense  de  la  Déclaration 
est  vraisemblablement  un  de  ceux  qu'il  eût  modifiés  davantage,  s'il  eût  pu 
mettre  la  dernière  main  à  son  travail. 

(1)  Pour  le  développement  de  ce  raisonnement,  voyez  Suarez,  ubi  supra, 
cap.  2,  n.  2  et  3.  — •  Gretser,  ubi  suprà,  cap.  6,  pag.  49  et  50. 


Comme  ren- 
versant 


SUR   LES  SOUVERAINS.  —  CHAPITRE  III.  593 

comme  hérétique,  une  opinion  qu'elle  n'a  pas  jugé  à  propos  de  s  hérésie  nm 
condamner,  une  opinion  soutenue,  de  bonne  foi',  par  un  grand  ^1™*!™- 
nombre  de  pieux  et  savants  personnages;  or,  il  est  également  ,ar  riftiise. 
certain  que  les  catholiques  anglais  se  rendaient  coupables  de 
cet  excès,   en  faisant  le  serment  d'allégeance ,  dans  lequel 
on  condamne,  comme  impie  et  comme  hérétique,  la  doctrine 
qui  soutient  que  la  puissance  ecclésiastique  peut ,  en  certains 
cas,  déposer  les  souverains ,  particulièrement  pour  crime  d'hé- 
résie. Sans  doute,  il  était  permis  aux  Anglais,  comme  à  tous 
les  catholiques ,  de  regarder  cette  opinion  comme  douteuse  et 
même  fausse  ;  mais  la  condamner  comme  impie  et  comme  hé- 
rétique, sans  attendre  le  jugement  de  V Église,  c'est  ce  qui  pa- 
raissait outré  et  téméraire ,  selon  la  remarque  de  Bossnet  (1). 

3°  Il  est  également  contraire  à  la  foi  et  au  salut ,  de  recon-  n  \n. 
naître,  dans  un  prince  temporel,  le  pouvoir  de  décider  sur  des 
questions  de  foi,  ou  de  régler,  en  cette  matière,  la  croyance  **£&££* 
des  fidèles  :  attribuer  une  pareille  autorité  à  un  souverain  tem-  Jésus-Chris,« 

(1)  «  Et  quidem  ah  eâ  sententiâ  abhorrerez  prospectis  meliùs  rébus,  utï 
«  nos  Franci  facimus,  erat  licitum  ac  bonum;  damnare  ut  hœreticum, 
«  absque  Ecclesiœ  auclorïtate,  nimium  et  iemerarium  videbalur.  » 
Bossuet,  ubi  suprà ,  pag.  100.  —  Suarez,  ubi  suprà,  cap.  4. 

Il  paraît  que  les  docteurs  de  la  Faculté  de  Paris,  qui  justifiaient,  sur  ce 
point,  le  serment  d'allégeance,  se  fondaient  principalement  sur  la  décision 
du  concile  de  Constance,  qui  condamne  comme  hérétique  la  proposition 
suivante  :  «  Tout  tyran  peut  être  mis  à  mort  par  son  vassal  ou  sujet,  nonob- 
«  stant  tout  serment  ou  confédération  quelconque,  et  sans  attendre  la  sen- 
«  tence  ou  l'ordre  d'aucun  juge.  »  (Labbe,  Concil.  toni.  xn,  pag.  144.  — 
Fleury,  Hist.  Ecclés.,  tom.  xxi,  liv.  cm,  n.  108.  —  Hist.  de  l'Égl.  Gall., 
tom.  xvi,  pag.  14.)  Il  y  a  cependant  une  grande  différence  entre  cette  pro- 
position et  celle  que  le  serment  d'allégeance  condamne  comme  hérétique. 
La  première  autorise  tout  vassal  ou  sujet  à  mettre  à  mort  un  tyran ,  sans 
attendre  la  sentence  ou  l'ordre  d'aucun  juge;  c'est-à-dire,  qu'elle  auto- 
rise le  premier  venu  à  tuer  un  tyran,  d'autorité  privée.  La  seconde  se 
borne  à  dire,  qu'un  prince  excommunié,  ou  privé  de  ses  États  par  le 
Pape ,  peut  être  déposé  ou  tué  par  ses  sujets  ;  mais  elle  n'ajoute  pas  qu'ils 
peuvent  agir,  en  cela ,  d'autorité  privée  :  d'où  il  suit  que  la  proposition  peut 
très-bien  se  restreindre  au  cas  où  les  sujets  y  seraient  autorisés  par  une  décision 
émanée  de  l'autorité  compétente,  comme  serait,  par  exemple,  celle  du  suc- 
cesseur légitime  du  prince  déposé.  On  peut,  à  la  vérité,  sans  blesser  la  foi,  con- 
tester la  proposition  même  ainsi  expliquée  ;  mais  on  ne  peut  la  confondre  avec 
celle  que  le  concile  de  Constance  a  condamnée  comme  hérétique.  (Voyez 
Suarez,  ubi  suprà,  cap.  4 ,  n.  20.)  Il  semble  même  que  les  catholiques  an- 
glais pouvaient  absolument  la  soutenir,  à  l'époque  où  fut  établi  le  serment 
d'allégeance  ;  puisqu'ils  pouvaient  encore  supposer  la  permanence  de  l'ancien 
droit  public  de  l'Angleterre,  qui  excluait  du  trône  les  princes  hérétiques. 

38 


236. 


594  DECXIÈME   PARTIE.  —  POUVOIR   DU    PAI'E 

porel,  c'est  évidemment  renverser  la  règle  de  foi  établie  par 
Jésus-Christ ,  et  qui  consiste  dans  l'enseignement  du  corps  des 
pasteurs ,  unis  au  souverain  pontife  leur  chef.  Or,  les  catholi- 
ques anglais,  en  faisant  le  serment  d'allégeance,  se  rendaient 
évidemment  coupables  de  ce  renversement ,  puisqu'ils  recon- 
naissaient, en  termes  exprès,  que  ce  serment ,  où  l'on  statuait 
sur  des  questions  de  foi,  leur  était  demandé  légitimement,  par 
une  juste  et  pleine  autorité.  Sous  ce  rapport,  il  était  assez  clair 
que  le  serment  d'allégeance  ne  différait  point  au  fond  du 
serment  de  suprématie,  puisque,  dans  l'un  comme  dans  l'autre, 
on  attribuait  au  souverain  une  juste  et  pleine  autorité,  en  ma- 
tière de  foi  (1). 
L'opinion        nous  ne  faisons  qu'indiquer  ces  raisons ,  qui  furent  dévelop- 

théolngique  x  '  x  L 

«in.       pées  dans  le  temps,  avec  beaucoup  de  force,  par  de  savants 

droit  divin  »,,,.  ...  ,  ..       ,    _    .-, 

toujours     théologiens,  principalement  par  le  cardinal  Bellarmin  et  par 
1,b,eterrtnge  Suarez ,  dans  leurs  ouvrages  sur  cette  controverse.  Il  est  vrai 
TUS.      que  ces  auteurs  faisaient  aussi  valoir,  contre  le  serment  d'allé- 
geance, plusieurs  arguments  tirés  de  l'opinion  théologique  du 
pouvoir  indirect,  alors  généralement  admise  ;  mais  il  est  certain 
que  le  pape  Paul  V  et  ses  successeurs ,  en  condamnant  le  ser- 
ment d'allégeance,  n'ont  jamais  prétendu  obliger  les  catholi- 
ques anglais  à  soutenir  l'opinion  théologique  du  pouvoir  direct 
ou  indirect  ;  que  le  saint-siége  n'a  jamais  inquiété  ceux  d'entre 
eux  qui  révoquaient  en  doute  cette  opinion  ;  enfin,  qu'il  a  tou- 
jours laissé,  sur  ce  point,  aux  catholiques  anglais,  la  môme 
liberté  dont  jouissent  tous  les  catholiques,  par  rapport  aux  opi- 
nions théologiques  sur  lesquelles  l'Église  n'a  pas  encore  jugé  à 
propos  de  s'expliquer  (2). 
BuiJde         Nous  ne  terminerons  pas  cette  discussion  sans  parler,  en 
Sixt5evror're  peu  de  mots,  de  la  bulle  publiée  par  Sixte  V,  en  1585,  contre 
(Henîi^ivTet  *e  r°l  ^e  Navarre  (  depuis  Henri  IV  ) ,  et  le  prince  de  Condé ,  son 
proche  parent,  chefs  du  parti  calviniste  en  France  (3).  Le  pon- 

(1)  Suarez,  ubi  suprà,  cap.  5,  n.  6. 

(2)  Voyez  ci-après  les  nos  240  et  241  de  ce  premier  article;  et  le  n°  8  des 
Pièces  justificatives,  à  la  fin  de  ce  volume. 

(3)  Bossuet,  Defens.  Declar.,  lib.  ni,  cap.  28.  —  Bianchi,  Delta  Potesta 
e  delta  PoHtia  delta  Chiesa,  tom.  n ,  lib.  vi,  §  10,  n.  5 ,  etc.  —  Mamachi, 
Origines  et  Antiquit.  Christ.,  tom.  iv,  pag.  257,  note.  Pour  le  développe- 
ment des  faits,  voyez  Davila,  Hist.  des  Guerres  civiles  de  France,  tom.  n, 


SUIt  LES   SOUVERAINS.  —  CHAPITRE  III.  595 

tife,  résolu  de  protéger  la  Ligue  formée  depuis  plusieurs  années,  i„  princc 
pour  exclure  du  trône  ces  princes  hérétiques ,  publia  contre  de  Co,,de• 
eux,  au  mois  de  septembre  1585,  une  bulle  par  laquelle  il  les  dé- 
clarait déchus  de  tous  leurs  droits  et  honneurs  temporels.  Après 
un  préambule ,  dans  lequel  il  relève,  en  termes  magnifiques,  les 
prérogatives  du  saint-siége,  il  rappelle  les  variations  des  deux 
princes ,  qui,  élevés  d'abord  dans  le  calvinisme,  l'avaient  abjuré 
sous  Charles  IX,  et  l'avaient  de  nouveau  professé  publiquement, 
jusqu'à  prendre  les  armes  pour  le  soutenir.  «  En  conséquence 
«  de  ces  faits  publics  et  notoires,  ajoute  le  Pape,....  nous  pro- 
«  nonçons  et  déclarons,  en  vertu  de  la  pleine  puissance  que 
«  nous  avons  reçue  du  roi  des  rois ,  au  nom  du  Dieu  tout-puis- 
«  sant,  et  des  bienheureux  apôtres  saint  Pierre  et  saint  Paul; 
«  que  Henri,  jadis  roi  de  Navarre,  et  Henri,  prince  de  Condé, 
«  sont  hérétiques,  relaps,  chefs  et  fauteurs  des  hérétiques ,  cou- 
«pables  de  lèse-majesté  divine,  et  ennemis  de  la  foi  catho- 
dique;  qu'ils  ont  encouru,  en  conséquence,  les  censures 

«  et  les  peines  décernées  par  les  saints  canons ,  et  par  les  lois 
«  tant  générales  que  particulières,  contre  les  hérétiques  relaps 
«  et  impénitents  ;  qu'ils  sont  privés,  de  plein  droit ,  le  premier 
«  du  royaume  de  Navarre  et  de  Béarn,  et  tous  deux,  de  leurs 
«  principautés,  domaines  et  dignités;....  qu'ils  sont  inhabiles  et 
«  incapables  de  les  retenir,  ou  d'en  obtenir  désormais  de  sem- 

«  blables, spécialement  dans  le  royaume  de  France,  où  ils 

«  ont  commis  tant  d'excès  ; que  tous  leurs  vassaux  et  sujets 

«  sont  absous  pour  toujours  envers  eux,  de  leurs  serments  de 
«fidélité,  etc.  (1).  » 

année  1585,  etc.  —  Sponde,  Annales,  anno  1585,  etc.  —  Daniel,  ffist.  de 
France,  etc. 

(I)  «  Quae  omnia  cùm  manifesta ,  pu  Mica  et  notoria  sint; nos  in  ple- 

«  nitudine  potestatis,  quam  ipse  Re\  regum  et  Dominus  dominantium  licèt 
«  nobis  indignis  tribuit,  constituti;  auctoritate  Dei  omnipotent is,  ac  beato- 
«  rum  Pétri  et  Pauli  apostolorum  ejns,  et  nostrâ; pronuntiamus  et  de- 
ce  claramus,  Heniïcum  quondam  regem  ,  et  Henricum  Condensem  supradi- 
«ctos,  fuisse  et  esse  haereticos,  in  haeresim  relapsos  et  impœni tentes, 
«  baereticorum  quoque  duces,  fautores et defensores  inanifestos,  publicos  et 
«  notorios,  sicque  laesœ  majestatis  divinae  reos,  et  orthodoxae  fnlei  clnïstianae 

«  hostes; ac  proinde  eos  damnabiliter  incurrisse  in  sententias,  censu- 

«  ras  et  pœnas  saciïs  canonibus  et  constitutionibusapostolicis,  legibusque 
«  generalibus  et  paiticularibus  contentas,  ac  haereticis  relapsis  et  impœni- 
«  tentibus  débitas;  et  specialiter  eos  fuisse  et  esse  ipso  jure  privatos, 
«  Henricum  quondam  regem  videlicet ,  prsetenso  Navarraî  regno  necnon 

38. 


596  DEUXIEME  PARTIE.  —  POUVOIR  DU   PAPE 

238.  11  est  aisé  d'appliquer  à  cette  bulle  les  observations  que  nous 

^l'îjij'ï""  avons  faites  à  l'occasion  de  celles  du  pape  Paul  III  contre 

près  ics      iTeûri  vill ,  et  du  pape  Pie  V  contre  la  reine  Elisabeth.  V objet 

mêmes  prin-  »  *■     L  " 

ciPcs       direct  et  principal  que  Sixte  V  se  propose  daus  sa  bulle  contre 

que   celles   de  _.  V      ,.    _      <*  .  i  '  .  t      ^        i  ,  i  .    -, 

Paul  m  et  de  le  roi  de  Navarre  et  le  prince  de  Conde,  est  de  prononcer  et  de 
déclarer,  en  vertu  de  sa  puissance  apostolique ,  que  ces  deux 
princes  sont  hérétiques,  relaps,  et  fauteurs  de  l'hérésie,  11 
tire  ensuite  la  conséquence  de  cette  déclaration,  savoir  :  que 
ces  deux  princes  sont  privés  de  tous  leurs  droits  et  honneurs 
temporels.  Telle  était  en  effet,  à  cette  époque,  la  conséquence 
de  l'hérésie,  d'après  la  persuasion  universelle  des  catholiques 
français  et  de  tous  les  peuples  catholiques  de  l'Europe,  qui  re- 
gardaient cette  conséquence  comme  un  point  de  droit  public, 
fondé  sur  un  usage  immémorial  (l).  La  permanence  de  cet 
ancien  droit  ne  pouvait  alors  paraître  douteuse,  puisqu'il  n'a- 
vait jamais  été  changé  ou  réformé  par  l'autorité  compétente,  et 
qu'il  était  hautement  invoqué  par  les  chefs  de  la  Ligue,  dans  un 

«  BearnijaltermïïverôHenricum^ondens^principatu)';  etutrumqueeorum- 
«que  posteros,  omnibus  et  quibuscumque  aliis  principatibus,  dominiis, 

«  neenon  dignitatibus,  honoribus,  muneribus,  ac  officiis  etiam  regiis; 

«  eosdemque  propterea  seillis  reddidisse  indignos  ;  ac  fuisse  et  esse  inhabiles 
«  et  incapaces  ad illa  retinenda,  et  alia  hujusmodi  in  posterum  obtinenda;.... 
«  specialiter  in  regno  Franciae ,  in  quo  tôt  atrocia  et  nefaria  crimina  patrâ- 

«  runt; quin  etiam  proceres,  feudatarios,  vassallos,  subditos  et  popu- 

«  los, ac  caeteros  omnes  qui  illis  quomodocumque  juraverunt,  à  jura- 

«  mento  hujusmodi  perpétué  absolutos  esse,  etc.  »  Bulla  Sixti  V,  adversùs 
Henricum,  regem  Navarrœ. 

Celte  bulle,  publiée  à  Rome  en  1585  (in-8°),  est  omise  dans  le  Bul- 
laire  romain,  et  dans  la  plupart  des  recueils  historiques,  publiés  en 
France ,  sur  les  affaires  de  la  Ligue ,  depuis  la  réconciliation  de  Henri  IV 
avec  l'Eglise  romaine.  Les  Mémoires  de  la  Ligue  (tom.  i  de  l'édition 
in-8°,  pag.  236)  ne  renferment  que  la  traduction  française,  d'après  l'édi- 
tion qui  en  avait  été  donnée  en  1585  (in-8°),  sous  la  rubrique  de  Co- 
logne. On  trouve  le  texte  latin  imprimé,  d'après  l'exemplaire  de  Rome,  à 
la  suite  de  l'ouvrage  publié ,  contre  cette  bulle ,  par  le  célèbre  jurisconsulte 
Hotman,  sous  ce  titre  :  Brutum  fulmen  papœ  Sixti  V,  adversùs  Henricum 
seren.  regem  Navarrœ,  et  illustr.  Henricum  Borbonium,  principem 
Condœum.  (ln-8°,  234  pag.  sans  date  d'année.)  Il  existe  une  seconde  édition 
de  cet  ouvrage,  publiée  en  1603,  in-12,  avec  diverses  pièces  latines.  L'ou- 
vrage entier  a  paru  en  français  sous  ce  titre  :  Protestation  et  Défense  pour 
le  roi  de  Navarre1,  contre  l'injuste  et  tyrannique  bulle  de  Sixte  V,  1587, 
in-8°.  Le  texte  latin  de  la  bulle  se  trouve  aussi  dans  le  recueil  suivant  : 
Scripta  utrhisque partis;  Francofurti ,  1586  ,  in-8°.  —  Goldast,  Monar* 
chia  S.  Rom.  imperii;  Francofurti,  1614,  in-fol.,  toni.  m,  pag.  124. 

(1)  Voyez  la  note  1  de  la  page  586. 


SUR  LES  SOUVERAINS.  —  CHAPITRE  III.        597 

manifeste  appuyé  par  l'adhésion  de  presque  tous  les  princes  de 
l'Europe,  et  de  la  France  presque  entière.  Aussi  la  bulle  du  Pape, 
publiée  à  la  demande  des  chefs  de  la  Ligue,  fut-elle  répandue 
dans  le  royaume ,  par  leurs  soins ,  avec  l'autorisation  au  moins 
tacite  du  roi  Henri  III,  qui  occupait  alors  le  trône  de  France  (I). 
Peut-être  nous  opposera-t-on ,  que  l'opinion  théologique  du       239. 

_         #  titille    CXlillCfl- 

pouvoir  direct  ou  indirect  étant  alors  généralement  admise  par       tion 
les  théologiens,  principalement  en  Italie,  il  y  a  tout  lieu  de   dépendante 
croire,  que  les  souverains  pontifes  Paul  III ,  Pie  V  et  Sixte  V,  niond^pTp», 
se  fondaient  sur  cette  opinion,  pour  exercer  un  si  grand  pouvoir  doct^mpam. 
sur  les  souverains.  culiers- 

Il  est  sans  doute  naturel  de  penser,  que  les  papes  dont  il 
s'agit,  partageaient  là-dessus,  comme  docteurs  particuliers , 
l'opinion  alors  généralement  admise  par  les  théologiens  (2), 
Mais  quelle  que  fût,  à  cet  égard,  leur  opinion  particulière,  il 
est  tout  à  fait  invraisemblable  qu'ils  aient  regardé  cette  opinion 
comme  le  principal ,  et  surtout  comme  l'unique  fondement  de 
leurs  décrets,  tandis  qu'ils  avaient  un  motif  beaucoup  moins 
sujet  à  contestation ,  dans  les  lois  fondamentales  de  la  France 
et  de  l'Angleterre,  invoquées  avec  confiance  par  les  catholiques 
de  ces  deux  royaumes.  Dans  la  supposition  de  ces  lois  fonda- 
mentales ,  les  souverains  pontifes  n'avaient  aucun  besoin, 
pour  prononcer  la  déchéance  des  princes  dont  il  s'agit ,  de 
recourir  à  l'opinion  théologique  du  pouvoir  direct  ou  indirect; 
il  leur  suffisait  de  prononcer  et  de  déclarer ,  en  vertu  de  leur 
pouvoir  directif,  que  ces  princes  avaient  encouru  la  déchéance 
prononcée  contre  eux  par  la  loi  fondamentale  de  leurs  États. 
En  s'appuyant  sur  ce  pouvoir  directif,  les  souverains  pontifes 
partaient  d'un  principe  reconnu,  sans  contestation,  par  tous  les 
théologiens,  même  par  les  défenseurs  de  l'opinion  théolo- 
gique du  pouvoir  direct  ou  indirect;  tandis  que  cette  dernière 
opinion,  quoique  très-accréditée  à  cette  époque,  était  un  grand 
sujet  de  contestation  parmi  les  théologiens,  les  uns  admettant 

(1)  Voyez,  à  l'appui  de  ces  assertions,  les  auteurs  cités  plus  haut,  pag.  594, 
note  3.  Tous  ces  faits  seront  de  plus  en  plus  éclaircis  dans  l'article  suivant, 
où  nous  établirons  la  réalité  de  l'ancien  droit  jniblic  sur  lequel  se  fon- 
daient les  partisans  de  la  Ligue. 

(2)  L'opinion  du  pape  Sixte  V  en  particulier  ne  paraît  pas  douteuse.  Voyez 
le  n.  8  des  Pièces  justificatives,  à  la  fin  de  ce  volume. 


598  DEUXIEME   PARTIE.  —  POUVOIR   DU   PAPE 

le  pouvoir  direct ,  les  autres  le  pouvoir  seulement  indirect , 

d'autres  enfin  le  simple  pouvoir  directif,  très-différent  des  deux 

24o.       premiers  (t). 

Cc°e"c«amen.e     Nous  croyons  inutile  de  pousser  plus  loin  l'examen  des  dé- 

décreiCdens    crets  publiés  par  les  papes  et  les  conciles ,  sur  le  sujet  qui  nous 

papes  ni  des  0CCllpe.  Les  détails  dans  lesquels  nous  venons  d'entrer,  sont 

conciles,  r  m. 

n'autorise    plus  que  suffisants  pour  nous  autoriser  à  dire,  que  l'opinion 
système  théo-  théologique  du  pouvoir  direct  ou  indirect  n'a  jamais  été  sup- 

cHoi^Xin!  posée ,  ni  par  les  papes ,  ni  par  les  conciles ,  dans  leurs  décrets  ; 
et  que,  dans  le  temps  môme  où  cette  opinion  était  plus  ré- 
pandue, elle  est  toujours  demeurée  dans  la  classe  des  opinions 
scolastiques ,  sur  lesquelles  l'Église  et  le  saint-siége  n'ont  pas 
jugé  à  propos  de  prononcer.  Nous  pourrions  aller  plus  loin,  et 
montrer  que,  dans  ces  derniers  temps ,  le  saint-siége ,  bien  loin 
d'adopter  ou  d'autoriser  cette  opinion,  s'est  plusieurs  fois  ex- 
pliqué de  manière  à  faire  entendre  qu'il  ne  prétend  aucune- 
ment l'approuver,  ni  la  prendre  pour  base  de  sa  conduite 
envers  les  souverains  (2).  Mais  les  bornes  qui  nous  sont  pres- 
crites, nous  obligent  à  supprimer  ces  développements,  tout  à 
fait  étrangers  à  l'objet  principal  de  nos  Recherches. 

a°  jamais  ce      Nous  ferons  seulement  remarquer,  en  terminant  cet  article, 

n'aTtféîisé  que  si  l'on  ne  peut  sans  injustice  reprocher  aux  papes  et  aux 
conciles  du  moyen  âge,  d'avoir  autorisé,  par  leurs  décrets,  l'opi- 
nion théologique  du  pouvoir  direct  ou  indirect,  il  serait  encore 
plus  injuste  de  prétendre,  qu'ils  ont  érigé  cette  opinion  en 
dogme  de  foi.  Nous  pouvons  avec  confiance  défier  les  ennemis 
de  l'Église ,  d'établir  cette  prétention  par  aucun  témoignage 
authentique;  et  les  détails  dans  lesquels  nous  sommes  entré  sur 
les  principaux  décrets  des  papes  et  des  conciles,  en  cette  matière, 
montrent  clairement  la  fausseté  de  cette  supposition.  La  dépo- 
sition de  l'empereur  Henri  IV ,  et  celle  de  Frédéric  II ,  qui  sont 
les  actes  les  plus  remarquables  en  ce  genre,  sont  des  faits 
humains ,  et  non  des  décrets  de  foi.  Les  motifs  allégués  par  les 
souverains  pontifes ,  à  l'appui  de  leurs  sentences ,  sont  des  rai- 

(1)  On  peut  voir  l'exposition  de  ces  divers  sentiments,  au  n.  8  des  Pièces 
justificatives,  à  la  fin  de  ce  volume. 

(2)  Voyez  quelques  détails  importants,  sur  ce  point,  dans  le  même  numéro 
des  Pièces  justificatives. 


en 

dogme  de  foi 


** 


SUR  LES   SOUVERAINS.  —  CHAPITRE   III.  599 

sonnements  plus  ou  moins  sujets  à  contestation,  et  que  les 
papes  eux-mêmes  n'ont  jamais  donnés  comme  des  dogmes  de 
foi  (l).  La  constitution  de  Boniface  VIII,  Unam  sanctam  ,  qui 
semble  porter  plus  loin  qu'aucune  autre  le  pouvoir  du  saint-siége, 
en  matière  temporelle ,  se  borne  à  décider  un  point  qui  n'est 
contesté  par  aucun  catholique,  savoir  :  que  tous  les  hommes 
doivent  être  soumis  au  souverain  pontife,  de  nécessité  de  salut; 
mais  elle  ne  définit  point,  qu'on  doive  lui  être  soumis,  même 
sur  les  matières  temporelles  (2).  Aussi  est-il  généralement  re- 
connu, même  par  les  théologiens  ultramontains ,  que  le  senti- 
ment qui  attribue  à  l'Église  et  au  souverain  pontife  une  juridic- 
tion au  moins  indirecte  sur  les  choses  temporelles ,  n'a  jamais 
été  regardé  dans  l'Église  comme  un  dogme  de  foi ,  et  qu'il  a 
toujours  été  permis  de  disputer  là-dessus,  comme  sur  une 
simple  opinion,  abandonnée  à  la  liberté  des  écoles  (8). 

ARTICLE  II. 

Véritable  fondement  du  pouvoir  dont  il  s'agit  :  le  droit  public  du 

moyen  âge. 

Pour  l'intelligence  et  le  développement  de  l'explication  que       242. 

.  .    .      ,  .  ,  ,  ,    ,  Notions  du 

nous  donnons  ici  du  pouvoir  exerce  par  les  papes  et  les  con-  droit  pubiu  et 
ciles  sur  les  souverains,  au  moyen  âge ,  il  ne  sera  pas  inutile  de 
rappeler  d'abord,  en  peu  de  mots,  la  véritable  notion  du 
droit  public ,  et  le  sens  que  nous  attachons  à  ce  mot.  Nous 

(1)  Les  théologiens  enseignent  communément,  que  les  raisons  employées, 
même  dans  les  conciles  œcuméniques ,  pour  établir  un  dogme  de  foi  catho- 
lique, 11'apparliennent  pas  toujours  à  la  loi,  parce  que  les  conciles  ne  les 
proposent  pas  toujours  comme  telles.  Voyez  De  la  Hogue ,  De  Ecclesid, 
pag.  219.  —  S.  Pont.  Greg.  XVI,  Il  Trionfo  délia  S.  Sede  et  délia  Chiesa, 
cap.  24.  — Carrière,  De  Malrimonio,  tom.  1,  n.  582.  —  Celte  matière  est 
expliquée  plus  à  fond,  dans  l'ouvrage  de  Montagne,  De  Censuris  seu  Notis 
theologicis,  art.  1,  ad  calcem  Prœlect.  theol.  de  Opère  sex  dierum. 

(2)  «  Porro  subesse  Romano  pontilici  omnein  humanam  creaturam  decla- 
«  ramus,  dicimus,  definimus,  et  pronuntiamus  omnino  esse  de  necessitate 
a  salutis.  »  Voyez  le  texte  de  Boniface  VIII,  cité  par  Bossuet,  ubi  suprà, 
pag.  679. 

(3)  Voyez ,  à  l'appui  de  ces  observations ,  XHist.  littéraire  de  Fénelon , 
4e  partie,  art.  2,  §  1.  —  Bossuet,  Defensio  Dectar.,  lib.  1,  sect.  1,  cap.  il  ; 
lib.  111,  cap.  i,  5,  et  alibi passhn ,  pag.  43,  46,  248,  571,  589,  etc.  —  Ma- 
machi,  Origines  et  Antiquitates  Ecclesiast.  tom.  iv,  pag.  244.  —  Pey,  De 
V Autorité  des  deux  Puissances,  tom.  1,  pag.  114,  etc.  — Fleury,  llist. 
Ecclés. ,  tom.  xix,  liv.  xc,  n.  18. 


du  droit 
privé. 


600  DEUXIÈME  PARTIE.  —  POUVOIR  DU  PAPE 

ne  pouvons  mieux  l'expliquer,  qu'en  résumant,  avec  le  célèbre 
Domat,  la  doctrine  commune  des  jurisconsultes  sur  ce  point. 
«  Pour  ce  qui  regarde ,  dit-il ,  la  partie  de  l'ordre  de  la  société, 
«  qui  est  bornée  aux  personnes  unies  dans  un  État ,  sous  un 
«  même  gouvernement;  les  matières  qui  naissent  de  cet  ordre 
«  sont  de  deux  sortes ,  qu'il  est  nécessaire  de  distinguer.  La 
«  première,  est  de  celles  qui  se  rapportent  à  l'ordre  général  de 
«  l'État  :  comme  celles  qui  regardent  le  gouvernement,  l'auto- 
«  rite  des  puissances,  l'obéissance  qui  leur  est  due,  etc.  La 
«  seconde  sorte ,  est  de  celles  qui  regardent  ce  qui  se  passe  entre 
«  les  particuliers ,  leurs  divers  engagements,  soit  par  conven- 
«  tion  ou  sans  convention....  La  première  sorte  de  matières,  se 
«  rapportant  à  l'ordre  général  d'un  État,  est  l'objet  du  droit 
«  public;  et  la  seconde,  ne  regardant  que  ce  qui  se  passe  entre 
«  les  particuliers,  est  l'objet  de  cette  autre  partie  du  droit  qui 
«  est  appelée,  par  cette  raison,  droit  'privé.  Pour  les  lois  de  ces 
«  deux  espèces ,  il  y  en  a  de  deux  sortes ,  dont  on  a  l'usage 
«  dans  toutes  les  nations  du  monde.  L'une  est  de  celles  qui  sont 
«  de  droit  naturel;  et  l'autre  est  des  lois  propres  à  chaque 
«  nation ,  telles  que  sont  les  coutumes  qu'un  long  usage  a  au- 
«  torisées,  et  les  lois  que  ceux  qui  gouvernent  peuvent  éta- 
«blir(l).  »  Ainsi,  dans  le  sentiment  de  Domat,  comme  de  tous 
les  jurisconsultes,  le  droit  public  d'une  société  quelconque,  est 
celui  qui  a  pour  objet  l'ordre  général  de  cette  société ,  particu- 
lièrement son  gouvernement,  l'autorité  du  prince,  l'obéissance 
qui  lui  est  due,  etc.  Le  droit  privé  regarde  uniquement  les 
rapports  des  particuliers  entre  eux,  et  leurs  mutuelles  obli- 
gations. 
243.  L'un  et  l'antre  est  fondé  en  partie  sur  le  droit  naturel,  et  en 

etiCtre"  partie  sur  le  droit  humain  positif,  qui  se  connaît  non-seule- 
se  seâT'5  meDt  Par  les  1°™  écrites ,  mais  encore  par  les  coutumes  qu'un 
long  usage  a  autorisées.  C'est  ce  que  l'auteur  explique  ail- 
Ci)  Domat,  Droit  public;  Préface,  pag.  15  et  16.  On  peut  voir,  à  l'appui 
de  ces  notions ,  le  Traité  des  Lois  de  Suarez,  non  moins  estimé  des  juris- 
consultes que  des  théologiens,  et  généralement  regardé  comme  «le  plus 
«  clair,  le  plus  complet  et  le  plus  profond  qui  ait  été  écrit  sur  cette  matière.  » 
(  Christian,  de  Bacon,  Discours  prélim. ,  pag.  lxiv.  )  Voyez  aussi  les  Con- 
férences d'Angers ,  Traité  des  Lois.  —  Zallinger ,  Institut.  Juris  nat. 
Jib.  111,  cap.  4,  n.  211. 


SUR  LES   SOUVERAINS.  —  CHAPITRE  III.  601 

leurs,  en  ces  termes  :  «  Les  lois  ou  règles,  dit-il,  sont  de  deux 
«  sortes  :  l'une,  de  celles  qui  sont  du  droit  naturel,  et  l'autre, 
«  de  celles  qui  sont  du  droit  positif,  qu'on  appelle  autrement 
«  des  lois  humaines  et  arbitraires ,  parce  que  les  hommes  les 

«  ont  établies Les  lois  arbitraires  sont  de  deux  sortes  : 

«  l'une,  de  celles  qui,  daus  leur  origine ,  ont  été  établies,  écrites 
«  et  publiées  par  ceux  qui  en  avaient  l'autorité ,  comme  sont 
«  en  France  les  ordonnances  des  rois  ;  et  l'autre ,  de  celles  dont 
«  il  ne  parait  point  d'origine  et  de  premier  établissement,  mais 
«  qui  se  trouvent  reçues  par  l'approbation  universelle  et  l'usage 
«  immémorial  qu'en  a  fait  le  peuple  ;  et  ce  sont  ces  lois  ou  règles 
«  qu'on  appelle  Coutumes.  Les  coutumes  tirent  leur  autorité  du 
«consentement  universel  du  peuple  qui  les  a  reçues,  lorsque 
«  c'est  le  peuple  qui  a  l'autorité ,  comme  dans  les  républiques. 
«  Mais ,  dans  les  États  sujets  à  un  souverain ,  les  coutumes  ne 
«  s'établissent  ou  ne  s'affermissent  en  force  de  lois  que  de  son 
«  autorité.  Ainsi ,  en  France ,  les  rois  ont  fait  arrêter  et  rédiger 
«  par  écrit,  et  ont  confirmé  en  lois,  toutes  les  coutumes,  con- 
«  servant  aux  provinces  les  lois  qu'elles  tiennent ,  ou  de  l'ancieu 
«consentement  des  peuples  qui  les  habitaient,  ou  des  princes 
«  qui  y  gouvernaient  (l).  »  Le  môme  auteur  conclut,  un  peu 
plus  bas,  de  ces  principes,  que  «si  les  difficultés  qui  peuvent 
«  arriver  dans  l'interprétation  d'une  loi  ou  d'une  coutume  se 
«  trouvent  expliquées  par  un  ancien  usage,  qui  en  ait  fixé  le 
«  sens,  et  qui  se  trouve  confirmé  par  une  suite  perpétuelle  de 
«jugements  uniformes,  il  faut  s'en  tenir  au  sens  déclaré  par 
«  l'usage ,  qui  est  le  meilleur  interprète  des  lois  (2).  » 

Ces  notions  étant  supposées ,  il  est  aisé  de  montrer  que  le 
pouvoir  du  Pape  et  du  concile  sur  les  souverains,  au  moyen  ^  pouvoir 
âg3,  était  la  conséquence  naturelle  d'un  point  de  droit  public ,  et  du  concile 
purement  humain  et  arbitraire,  qui  faisait  alors  partie  delà    souverains. 
constitution  ou  de  la  loi  fondamentale  de  tous  les  États  catho-  moyea"  lfWi 
liques  de  l'Europe,  comme  nous  l'avons  expliqué  plus  haut,  en  sur  ,Jj°f",d,*, 
exposant  le  système  deFénelon  sur  ce  sujet  (3).  Nous  voulons       **  ' 
parler  de  la  condition  alors  mise  à  l'élection  des  souverains ,  par 

(1)  Domat,  Lois  Civiles,  Livre  prélim.,  tit.  1,  sect.  1,  n.  2,  3,  4,  10, 11. 

(2)  Ibicl.,  sect.  2,  n.  19. 

(3)  Ci-dessus,  n.  10,  etc.,  pag.  335,  etc. 


244- 


602  DEUXIÈME   PARTIE.  —  POUVOIR  DU  PAPE 

la  constitution  même  de  leurs  États  ;  condition  en  vertu  de  la- 
quelle un  souverain  notoirement  hérétique  ou  rebelle  envers 
l'Église,  encourait  la  peine  de  déposition.  Ce  point  de  droit 
public  est  clairement  établi,  soit  par  la  constitution  alors  com- 
mune à  tous  les  États  catholiques  de  V Europe ,  soit  par  la 
constitution  particulière  de  certains  États  (l). 

§  1er.  Preuves  tirées  de  la  constitution  commune  à  tous  les 
États  catholiques  de  l'Europe ,  au  moyen  âge. 

5  Pour  connaître  quelle  était,  sur  ce  point,  la  constitution  eom- 

Deux  faits im-  mune  à  tous  les  États  catholiques  de  l'Europe,  au  moyen  âge, 
à  re-       il  suffit  de  rapprocher  ces  deux  faits ,  que  nous  avons  établis 
"ce^Vt.     dans  les  chapitres  précédents. 

i°  Que,  dans  toutes  les  monarchies  du  moyen  âge,  du  moins 
pendant  les  premiers  siècles  de  cette  période,  l'autorité  du 
souverain  était  modérée  par  rassemblée  générale  delà  nation, 
qui,  d'après  la  nature  du  gouvernement  électif,  pouvait  mettre 
des  conditions  à  l'élection  du  souverain,  le  rendre  respon- 
sable de  ses  actes,  et  même  le  déposer,  en  certains  cas,  pour 
l'infraction  des  conditions  mises  à  son  élection  (2). 

(1)  On  a  vu  plus  haut,  que  le  comte  de  Maistre  croyait  le  droit  public 
dont  nous  parlons,  suffisamment  établi  par  le  seul  fait  de  V  usage  et  de  la 
persuasion  universelle  du  moyen  âge.  (Ci-dessus,  n.  14,  etc.)  Nous  avons 
nous-même  incliné  d'abord  à  cette  opinion;  (voyez  la  première  édition  de 
cet  ouvrage ,  pag.  64,  n.  33)  mais  de  nouvelles  réflexions  nous  portent  à 
croire  que  ce  fait,  considéré  isolément ,  c'est-à-dire  indépendamment  des 
circonstances  qui  l'ont  accompagné,  ne  fournit  pas  une  preuve  complète  du 
droit  publie  dont  il  est  ici  question.  Il  est  bien  vrai  que,  généralement  par- 
lant, le  seul  fait  de  V usage  et  de  la  persuasion  universelle  suffit  pour 
établir  un  point  de  droit  public ,  par  rapport  aux  souverains,  parce  qu'il 
résulte  de  ce  seul  fait  une  sorte  de  prescription ,  qui  supplée,  en  cas  de  be- 
soin, au  vice  de  la  première  possession.  (Grotius,  De  Jure  belli ,  lib.  n, 
cap.  4.  —  Puffendorf,  De  Jure  nat.  et  gent.  lib.  iv,  cap.  12,  §  8;  lib.  vu, 
cap.  7,  §  4  ;  cap.  8,  §  9)  Mais  quand  il  s'agit  d'établir  un  point  de  droit  pu- 
blic, en  faveur  de  l'Eglise  ou  du  saint-siége,  il  ne  suffit  pas,  pour  les  justifier 
aux  yeux  de  leurs  ennemis,  d'invoquer  cet  argument  de  prescription,  qui 
laisserait  subsister  l'hypothèse  ou  le  soupçon  dune  erreur,  ou  d  une  usur- 
pation primitive  ;  il  faut  montrer  de  plus  que,  dès  le  principe,  l'Église  a 
possédé  légitimement.  Or,  il  est  évident  que  ce  dernier  point  ne  peut  se  prou- 
ver complètement,  par  le  seul  fait  d'une  longue  et  paisible  possession , 
indépendamment  des  circonstances  qui  l'ont  accompagnée. 

(2)  Ci-dessus,  chap.  1 ,  n.  25. 


1 


SUR  LES    SOUVERAINS.  — CHAPITRE  III.  603 

2°  Que ,  depuis  le  xe  siècle  au  moins ,  il  fut  généralement 
reconnu ,  que  les  souverains  ne  recevaient  l'autorité  suprême 
que  sous  la  condition  expresse  de  leur  soumission  à  l'Église  et 
à  la  foi  catholique  ;  en  sorte  qu'ils  encouraient ,  par  l'hérésie  et 
l'excommunication,  la  peine  de  la  déposition  (1).  Cette  condi- 
dition,  mise  à  l'élection  des  souverains,  était  notoire,  d'après 
un  usage  et  une  persuasion  universelle,  manifestement  fondés 
sur  le  droit  public  alors  en  vigueur.  Le  fait  de  cet  usage  et  de 
cette  persuasion  universelle  ne  peut  être  révoqué  en  doute, 
après  les  preuves  que  nous  en  avons  données  dans  le  chapitre 
précédent.  Quant  au  fondement  de  cet  usage  et  de  cette  persua- 
sion, on  ne  peut,  avec  tant  soit  peu  de  vraisemblance,  en 
assigner  un  autre  que  le  droit  public  alors  en  vigueur.  On 
ne  peut,  en  effet,  contester  ce  point  de  droit  public ,  sans 
supposer  que  l'usage  et  la  persuasion  universelle  dont  il  s'agit, 
étaient  fondés  sur  une  erreur,  sinon  criminelle,  comme  le  sup- 
posent quelquefois  les  ennemis  de  l'Église,  du  moins  matérielle 
et  inuocente ,  comme  le  soutiennent  ou  l'insinuent  des  auteurs 
plus  modérés.  Mais  la  fausseté  de  cette  supposition  est  prouvée 
par  la  simple  exposition  des  faits  que  nous  avons  rapportés 
dans  le  chapitre  précédent.  Car,  l°  en  supposant  même  que  la 
conduite  des  papes  et  des  conciles  envers  les  souverains,  au 
moyen  âge,  ait  été  fondée  sur  une  erreur,  nous  avons  montré 
que  jamais  erreur  ne  fut  aussi  excusable  et  aussi  innocente  (2). 
2°  Les  auteurs  qui  supposent  la  conduite  des  papes  et  des  conciles 
envers  les  souverains,  fondée  sur  une  erreur  au  moins  innocente 
et  matérielle,  lui  donnent  pour  fondement,  ou  l'opinion  com- 
mune du  moyen  âge  sur  l'authenticité  de  la  prétendue  donation 
de  Constantin,  ou  l'opinion  théologique  qui  attribue  à  l'Église 
une  juridiction  au  moins  indirecte  sur  les  choses  temporelles; 
suppositions  dont  nous  avons  également  montré  la  fausseté  (3). 

Le  point  de  droit  public  dont  nous  parlons  étant  une  fois 
établi,  il  est  aisé  de  voir  que  la  conséquence  naturelle  delà       246. 
condition  mise  à  l'élection  des  souverains,  était  de  donner  au  Co^steuqruJ,"cses 
Pape  et  au  concile  un  très-grand  pouvoir  sur  eux,  et  même,    .  de 


ces 

elalive- 
uient  à  la 


(l)Chap.  2,  art.  1. 

(2)  Voyez  la  conclusion  du  chapitre  précédent,  ci-dessus,  n.  165,  etc. 

(3)  Ci-dessus,  n.  173,  176,  etc. 


604  DEUXIÈME  PARTIE.  —  POUVOIR  DU  PAPE 

question  pré-  en  certains  cas,  le  pouvoir  de  les  déposer.  Eu  effet,  le  Pape  et 
le  concile  étant  les  juges  naturels  de  toutes  les  questions  relatives 
à  la  foi ,  aux  mœurs ,  et  à  la  discipline  ecclésiastique ,  c'était 
à  eux  qu'il  appartenait  de  déclarer,  et  de  faire  connaître  aux 
peuples,  les  souverains  qui  étaient  tombés  dans  le  cas  de  l'hé- 
résie ou  de  l'excommunication  ;  et  ils  ne  pouvaient  faire  cette 
déclaration,  sans  signaler  ces  princes  comme  déchus  de  leurs 
droits,  d'après  l'usage  et  la  constitution  même  de  leurs  États. 
Pour  prononcer  cette  déchéance,  le  Pape  et  le  concile  n'a- 
vaient besoin  que  du  pouvoir  directif ,  dans  le  sens  où  nous 
l'avons  expliqué  au  commencement  de  ce  chapitre  (1);  pouvoir 
généralement  reconnu,  même  de  nos  jours  ;  mais  qui  l'était  sur- 
tout dans  ces  anciens  temps ,  où  le  Pape  et  le  concile  étaient 
universellement  regardés  comme  le  tribunal  suprême,  où  devait 
se  juger  la  cause  des  souverains  qui  encouraient  la  peine  de  dé- 
position. Nous  ferons  seulement  remarquer  que,  dans  le  principe, 
l'usage  et  la  constitution  des  États  ne  réservaient  point  à  l'Église 
ou  au  Pape  ce  jugement,  qui  pouvait  être  prononcé  par  l'as- 
semblée générale  de  la  nation  (2).  Mais  il  est  certain  que ,  depuis 
le  xe  siècle  au  moins  (3) ,  ce  jugement  fut  réservé  au  Pape  ou  au 
concile  général,  par  un  usage  universel,  dans  l'intérêt  même 
des  souverains  et  de  la  société  tout  entière.  Il  importait,  en 
effet,  au  bien  delà  société,  que  le  jugement  d'une  cause  si 
importante  ne  fût  pas  laissé  au  peuple,  toujours  facile  à  égarer, 
ni  à  des  seigneurs  particuliers ,  souvent  ambitieux  et  intrigants. 
Les  souverains  eux-mêmes  durent  naturellement  désirer  que  ce 
jugement  fût  réservé  au  tribunal  du  Pape  ou  du  concile  général, 
beaucoup  plus  éclairé,  plus  libre  et  plus  désintéressé  que  celui 


(1)  Ci-dessus,  n.  170,  pag.  513. 

(2)  On  verra,  dans  le  paragraphe  suivant,  que,  dès  le  vne  siècle,  le  droit 
public  du  royaume  des  Goths  excluait  du  trône  les  princes  hérétiques.  Mais 
on  ne  voit  pas  que  le  jugement  d'un  prince  hérétique  ait  été  dès  lors,  ni  même 
longtemps  après,  réservé  au  Pape  ou  au  concile  général. 

(3)  Il  est  à  remarquer  que  les  évoques  du  concile  de  Troyes,  tenu  en  867, 
écrivant  au  pape  Nicolas  Ier,  reprochent  aux  enfants  de  Louis  le  Débonnaire, 
d'avoir  privé  leur  père  de  l'empire ,  sans  l'avis  et  le  consentement  du 
pape  Grégoire.  (Labbe,  Concil.  tom.  vm,pag.  871.)  Ces  paroles  suppo- 
sent assez  clairement,  que  la  cause  d'un  souverain  qui  encourait  la  dépo- 
sition, était  dès  lors  considérée,  en  France,  comme  une  cause  majeure, 
dont  le  jugement  était  réservé  au  saint-siége. 


SUR  LES   SOUVERAINS. — CHAPITRE  III.  f>05 

du  peuple  et  des  seigneurs.  Il  fut  donc  insensiblement  établi, 
que  le  jugement  des  souverains  qui  encourraient  la  peine  de  dé- 
position ,  pour  cause  de  rébellion  contre  l'Église,  serait  réservé 
au  saint-siége  ou  au  concile  général.  Au  moyen  de  ce  tempéra- 
ment, les  princes  vicieux  demeuraient  à  couvert  contre  les 
révoltes  dont  leurs  désordres  eussent  pu  devenir  le  prétexte;  et 
cependant  ils  étaient  puissamment  excités  à  s'amender,  par  la 
crainte  de  la  terrible  sentence  que  le  Pape  et  le  concile  pouvaient 
prononcer  contre  eux. 

§  2.    Preuves    tirées    de    la   constitution   particulière    de 

certains  États. 

Indépendamment  des  raisons  tirées  de  la  constitution  corn-      2^. 
mune  à  tous  les  États  catholiques  de  V Europe ,  au  moyen  Sy^ï'îéîec. 
âge,  le  droit  public  dont  nous  parlons  est  clairement  établi  des  J:°nd.Es_ 
par  la  constitution  particulière  de  plusieurs  Étals,  à  cette      Pa$ne» 

1  x  x  au  vne  siècle, 

époque.  Le  développement  de  cette  preuve  nous  donnera  lieu 
de  remarquer  que  ce  droit  public  ne  s'établit  pas  simultané- 
ment dans  tous  les  États  catholiques  de  l'Europe,  mais  qu'il 
s'établit  successivement  dans  ces  divers  États,  depuis  le  ve  siècle 
jusqu'au  xe. 

I.  Constitution  d'Espagne.  Dès  le  vne  siècle,  on  trouve  des 
restrictions  importantes,  mises  au  pouvoir  du  roi  des  Visigoths 
d'Espagne,  dans  une  assemblée  générale  de  la  nation  (1).  Les 
cvèques  et  les  seigneurs  auxquels  appartenait  l'élection  du  roi , 
d'après  la  constitution  de  l'État,  décidèrent  d'un  commun  ac- 
cord, dans  le  sixième  concile  de  Tolède  (tenu  en  638),  a  qu'à 
«  l'avenir,  aucun  roi  ne  monterait  sur  le  trône ,  avant  d'avoir 
«promis  avec  serment,  entre  autres  conditions ,  celle  de  ne 
«  point  souffrir  d'hérétiques  dans  ses  États  (2).  »  On  voit,  par  le 
texte  et  les  circonstances  de  ce  décret ,  et  de  quelques  autres 
semblables  qu'on  remarque  dans  les  conciles  tenus  à  Tolède  vers 

(1)  Fleury,  Hist.  Ecclés.,  tom.  vm,  liv.  xxxvni,  n.  14.  —  Mariana,  Hist. 
d'Espagne,  liv.  i,  n.  32.  — Ferreras,  Hist.  d'Espagne,  tom.  n,  pag.  312. 
—  Perez  Validité,  Apparatus  Juris  publia  IJispanici ,  tom.  H,  cap.  6, 
n.  38-40;  cap.  7,  D.  17. 

(2)  Nous  avons  cité  ailleurs  ce  texte  du  concile  de  Tolède.  {Mrod.,  p.  93, 
note  4.) 


60G  DEUXIÈME   PARTIE.  —  POUVOIR  DU   TAPE 

le  même  temps,  que  le  principal  motif  de  cette  disposition  était 
d'assurer  la  tranquillité  de  l'État,  en  y  maintenant  l'unité  de 
religion.  Mais  quel  qu'ait  été  le  motif  de  ces  décrets,  il  résulte 
clairement  de  celui  que  nous  venons  de  citer,  que ,  d'après  la 
constitution  du  royaume  des  Visigoths ,  le  souverain  ne  devait 
être  élu,  que  sous  la  condition  expresse  de  maintenir  dans 
ses  États  l'unité  de  la  foi  catholique;  en  sorte  qu'un  prince  no- 
toirement hérétique,  ou  fauteur  des  hérétiques,  encourait  la 
perte  de  ses  droits,  comme  infracteur  d'une  condition  expresse 
de  son  élection,  et  pouvait,  en  conséquence,  être  déposé  par 
l'assemblée  générale  de  la  nation,  c'est-à-dire,  par  les  conciles, 
ou  assemblées  mixtes,  dans  lesquels  se  traitaient  les  grandes 
affaires  de  la  nation,  et  où  les  évêques  avaient  la  principale  au- 
torité. 
248.  Cette  condition  et  quelques  autres,  imposées  aux  rois  goths, 

Légiticetté  de  dans  les  conciles  de  cette  époque,  n'ont  rien  d'étonnant,  si  l'on 
conditions.  se  rappelle  ce  que  nous  avons  dit  plus  haut,  sur  la  nature  de  la 
monarchie  des  Goths  d'Espagne,  qui  était  élective,  et  sur  l'au- 
torité des  États  généraux,  dans  cette  espèce  de  gouvernement  (1). 
«Il  ne  faut  pas  s'étonner,  dit  à  ce  sujet  un  auteur  judicieux, 
«  que  l'on  imposât,  dans  les  conciles,  des  lois  et  des  conditions 
«nouvelles  aux  rois  goths....  Dans  ces  conciles,  tous  les  grands 
«  du  royaume  s'y  trouvaient  :  c'était  comme  une  espèce  d'États. 
«  Il  est  vrai  que  les  évêques  seuls  y  réglaient  les  affaires  ecclé- 
«siastiques;  mais,  quand  il  était  question  des  affaires  civiles, 
«  les  seigneurs  y  avaient  leurs  voix  et  leurs  suffrages,  aussi  bien 
«  que  les  prélats  (2) .  » 
24g  Au  reste,  il  est  à  remarquer  que  la  plupart  des  conditions 

de^anden  imposées  au  souverain ,  dans  les  conciles  dont  nous  venons  de 

nbiic'*  en  Pai>ler>  particulièrement  celles  de  professer  la  religion  catho- 

Espagne,    lique,  et  de  maintenir  parmi  ses  sujets  l'unité  de  religion,  ont 

dans  la  suite  1 

du  .     ete  constamment  en  usage  dans  la  monarchie  espagnole,  pen- 
moyenage.   ^j.  toute  ja  SUjte  <ju  m0yen  age  (3).  Tous  les  rois ,  dans  la  cé- 


(1)  Ci-dessus,  chap.  1,  art.  I,  n.  25. 

(2)  Note  du  P.  Charenton,  Jésuite ,  sur  YHist.  d'Espagne,  par  Mariana, 
liv.  i,  n.  32. 

(3)  Perez  Valiente,  Apparatus  Juris  publici  Hispanici ,  tom,  h,  cap.  7, 
n.  18. 


SDR  LES   SOUVERAINS.  —  CHAPITRE  III.  G07 

rémonie  de  leur  inauguration ,  faisaient  serment  d'observer  ces 
conditions.  Ce  n'est  guère  que  depuis  le  xive  siècle,  que  l'usage 
de  ce  serment  est  peu  à  peu  tombé  en  désuétude,  vraisembla- 
blement, dit  un  célèbre  jurisconsulte  espagnol,  parce  qu'il  n'é- 
tait plus  nécessaire  pour  assurer  l'attachement  des  princes  et  des 
sujets  à  l'Église  catholique  (1). 

II.  Constitution  anglaise.    L'histoire  d'Angleterre,   depuis       25o. 

I  p   roi  vf*npl!p 

le  xe  siècle,  fournit  une  preuve  remarquable  des  progrès  de  cet  '  envers 

ancien  droit  public ,  en  vertu  duquel  un  prince  rebelle  envers  TÉgnsneV,erS 

Dieu  ou  envers  l'Église,  encourait  la  perte  de  ses  droits.  Le  ^e^Vol" 

quatorzième  article  des  Lois  de  saint  Edouard,  publiées  par  d'*p^»  une 
Guillaume  le  Conquérant  et  ses  successeurs,  décide  formelle-     ^  saint 

i  •  f  v   un    i«       i  i  .•  Edouard. 

ment,  que  le  roi  qui  reluse  a  1  Eglise  le  respect  et  la  protection 
qu'il  lui  doit,  perd  le  litre  de  roi.  Voici  le  texte  de  cet  article  : 
«  Le  roi  (2) ,  qui  tient  ici-bas  la  place  du  roi  suprême,  est  établi 


(1)  Perez  Valiente,  ibid. 

(2)  «  Rex  autem,  qui  vicarius  summi  régis  est,  ad  hoc  est  constituais,  ut 
«  regnum  terrenum,  et  populum  Domini,  et  super  omnia  sanctam  veneretur 
«  Ecclesiam  ejus,  et  regat,  et  ab  injuriosisdefendat,  et  maleticos  ab  eâ  evellat 
«  et  destruat,  et  penitus  disperdat.  Quod  nisifecerit,  nec  nomen  régis  in  eo 
«  constabil;  verùm,  testante  papa  Joanne,  nomen  régis  perdit.  »  Leges 
Eduardi  régis,  art.  17  (aliàs  15)  ;  apud  Wilkins,  Leges  Anglo-Saxonicœ  ; 
Londini ,  1721,  in-fol.  Cette  édition  ,  beaucoup  plus  complète  que  toutes  les 
autres,  a  été  fidèlement  reproduite  dans  le  Recueil  de  Canciani,  Barba- 
rorum  Leges  antiquœ ;  Venetiis,  1781-1792,  5  vol.  in-fol.  (Tom.  îv, 
pag.  337.) 

On  est  étonné  de  ne  pas  retrouver  la  dernière  phrase  du  texte  que  nous 
venons  de  citer,  dans  l'édition  des  Lois  de  saint  Edouard,  qui  fait  partie 
du  Recueil  de  Houard,  Traites  sur  les  Coutumes  Anglo-Xormandcs;  Paris, 
1776,  4  vol.  in-4°.  (Voyez  le  tom.  i  de  ce  Recueil,  pag.  167.)  Cette  suppres- 
sion est  d'autant  plus  étonnante,  que  l'éditeur  n'en  donne  aucune  raison; 
qu'il  suit  d'ailleurs  exactement  le  texte  de  wilkins,  comme  il  l'annonce  lui- 
même  dans  sa  Préface  (pag.  7);  enfin,  que  le  passage  dont  il  s'agit,  se  trouve 
dans  toutes  les  éditions  que  nous  avons  pu  consulter  des  Lois  de  saint 
Edouard.  (Voyez  en  particulier,  Spelman,  Concilia,  Décréta,  Leges,  Cou- 
stituliones  orbïs  Britannici  ;  Londini,  1639,  in-fol.,  pag.  622.  —Wilkins, 
Concilia  Magnœ  Britanniœ;  Londini,  1737,  tom.  i,  pag.  312.  —  Har- 
douiu,  Concïl  tom.  vi,  pag.  988.  —  Labbe  ,  Concil.  tom.  ix  ,  pag.  1023.) 

Il  est  difficile  d'attribuer  à  une  pure  distraction  de  l'éditeur  la  suppression 
d'un  passage  si  important,  dans  le  Recueil  de  Houard.  Peut-être  celte  sup- 
pression fut-elle  exigée,  dans  le  temps,  par  les  censeurs  ;  peut-être  aussi  eut- 
elle  pour  cause,  l'embarras  que  l'édileur  éprouvait,  pour  concilier  cet  article 
des  Lois  de  saint  Edouard,  avec  les  vrais  principes  sur  l'indépendance 
réciproque  des  deux  puissances.  Son  embarras,  sur  ce  point,  devait  être 
d'autant  plus  grand,  qu'il  se  montre  fort  attaché,  dans  cet  ouvrage,  aux 


G08  DEUXIEME   PARTIE POUVOIR  DU  PArE 

«  pour  gouverner  le  royaume  terrestre  et  le  peuple  du  Seigneur, 
«  et  surtout  pour  honorer  la  sainte  Église ,  pour  la  défendre 
«contre  ses  ennemis,  pour  arracher  de  son  sein,  détruire  et 
«  perdre  entièrement  les  malfaiteurs.  S'il  ne  le  fait,  il  ne  rem- 
«  plitpasson  titre  de  roi;  mais,  comme  V atteste  le  pape  Jean, 
«il  perd  ce  titre  auguste  (l).  »  Dans  la  suite  de  cet  article,  après 
une  exposition  détaillée  des  principaux  devoirs  du  roi  envers 
ses  sujets  et  envers  l'Église,  il  est  statué  que  «le  roi,  en  sa 
«propre  personne,  mettant  la  main  sur  les  saints  Évangiles, 
«  devant  les  saintes  reliques,  en  présence  de  l'assemblée  géné- 
«  raie  du  royaume ,  des  prêtres  et  du  clergé ,  fera  serment  d'ob- 
«  server  toutes  ces  choses,  avant  d'être  couronné  par  les  arche- 
«  vêques  et  évêques  du  royaume  (2).  » 

Il  résulte  clairement  de  cet  article  des  Lois  de  saint  Edouard , 
que ,  d'après  la  constitution  ou  la  loi  fondamentale  du  royaume 


principes  alors  si  répandus  parmi  les  jurisconsultes ,  généralement  portés  à 
étendre  l'autorité  du  prince,  aux  dépens  de  celle  de  l'Église.  (Voyez,  en  par- 
ticulier, tom.  i,  pag.  49,  58,  etc.)  Mais  quelle  que  soit  la  véritable  cause  de 
la  suppression  du  passage  en  question,  on  conviendra  qu'elle  est  bien  difficile 
à  excuser. 

(1)  Les  éditeurs  des  différentes  collections  que  nous  venons  de  citer  ne 
disent  pas  quel  est  le  pape  Jean,  dont  l'article  cité  des  Lois  Anglaises  invoque 
ici  l'autorité.  Le  texte  de  cet  article  suppose  que  ce  pape  est  celui  que  Pépin  et 
les  seigneurs  français  consultèrent,  au  sujet  de  la  déposition  deChilderic, 
en  752  ;  mais  cette  supposition  renferme  un  grossier  anachronisme  ;  car  aucun 
Pape  contemporain  de  Pépin,  n'*  porté  le  nom  de  Jean  ;  et  l'on  sait  que  la  con- 
sultation relative  à  la  déposition  de  Childeric,  fut  adressée  au  pape  Zacbarie. 
Il  y  a  tout  lieu  de  croire  que  le  pape  Jean ,  dont  il  est  question  dans  l'article 
cité  des  Lois  Anglaises,  est  Jean  VIII,  à  qui  le  Décret  de  Gratien  attribue  un 
règlement  assez  semblable  à  celui  dont  il  est  ici  question.  (Decretum  Gra- 
ttant, parte  2,  causa  23,  quœst.  5,  cap.  26,  Administratores.)  Il  y  a  cepen- 
dant une  grande  différence  entre  cet  article  du  Décret  de  Gratien,  et  celui 
des  Lois  Anglaises.  Le  premier  frappe  seulement  d'excommunication  les 
princes  temporels,  qui,  après  trois  monitions  de  l'évêque,  refusent  de  remplir 
leurs  devoirs  envers  l'Église  et  envers  les  pauvres,  et  de  réprimer  les  malfai- 
teurs. Les  Lois  Anglaises  vont  plus  loin ,  et  ôtent ,  en  ce  cas,  au  souverain 
son  titre  de  roi.  Cette  différence  si  remarquable  paraît  être  une  conséquence 
de  l'usage  introduit  depuis  le  pape  Jean  VIIT,  et  reconnu  des  souverains 
eux-mêmes  depuis  le xe  siècle,  sur  les  effets  temporels  de  V excommuni- 
cation, comme  on  l'a  vu  plus  baut.  (Chap.  2,  art.  1;  chap.  3,  art.  2, 

SI.) 

P  (2)  «  Ista  verô  débet  omnia  rex  in  propriâ  personâ ,  inspectis  et  tactis  sa- 

«  crosanctis  Evangeliis,  et  super  sacras  et  sanctas  reliquias,  coram  regno  et 

«  sacerdotio  et  clero ,  jurare ,  antequam  ab  archiepiscopis  et  episcopis  regni 

«  coronetur  »  Leges  Eduardi  régis,  ubi  suprà. 


SUR  LES  SOUVERAINS.  —  CHAPITRE   IIL  609 

d'Angleterre,  dont  le  roi  jurait  l'observation  avant  de  recevoir 
la  couronne,  un  prince  rebelle  envers  Dieu  et  envers  l'Église 
pouvait  être  déposé. 

Pour  comprendre  la  force  de  ce  témoignage,  il  ne  sera  pas       ^sr. 

.,        ,,  .  .    .  _  ,  t,./%        •    /  ■  Authenticité 

inutile  a  examiner  ici,  en  peu  de  mots,  les  dilficultes  quon        de 
pourrait  opposer,  soit  à  son  authenticité,  soit  à  l'interprétation  SOne véruabie 
que  nous  lui  donnons.  sens* 

Sur  le  premier  point,  les  critiques  pensent  communément,  que 
les  lois  attribuées  à  saint  Edouard,  dans  les  différentes  collec- 
tions des  anciennes  Lois  Anglaises ,  ne  sont  pas  proprement  de 
lui ,  mais  qu'elles  ont  été  publiées  sous  son  nom  par  Guillaume 
le  Conquérant  et  ses  successeurs ,  peu  de  temps  après  la  conquête 
de  l'Angleterre  par  les  Normands.  On  peut  donc  regarder  les 
Lois  de  saint  Edouard,  comme  des  monuments  de  la  législation 
en  vigueur  sous  les  premiers  rois  anglo-normands.  L'authen- 
ticité de  ces  Lois  est  généralement  reconnue,  en  ce  sens,  par 
les  meilleurs  critiques,  et  fondée  sur  le  témoignage  uniforme 
des  manuscrits  (1). 

Quelques  lecteurs  seront  peut-être  tentés  de  croire ,  que  l'ar- 
ticle cité  de  ces  lois  doit  être  expliqué  dans  un  sens  très-différent 
de  celui  que  nous  lui  donnons,  et  qu'il  ne  signifie  pas  nécessai- 
rement ,  que  le  roi  dont  il  s'agit  perd  ses  droits  au  trône,  mais 
seulement  qu'il  mérite  de  les  perdre,  et  qu'il  est  indigne  de 
porter  le  nom  de  roi.  Cette  explication  paraît  inconciliable  avec 
le  sens  naturel  du  texte;  car  il  ne  dit  pas  seulement  que  le  roi 
dont  il  s'agit,  est  indigne  de  son  titre  et  qu'il  ne  le  remplit 
pas ,  mais ,  qu'il  le  perd  en  effet  :  ce  qui  indique  assez  claire- 
ment la  perte  de  la  dignité  royale  et  des  droits  qui  y  sont  atta- 
chés. D'ailleurs,  si  le  texte  avait  quelque  chose  d'ambigu,  il 
serait  naturel  de  l'expliquer  d'après  l'usage  et  le  droit  public  de 
l'Europe  catholique,  à  cette  époque  (2). 

III.  Constitution  particulière  de  plusieurs  États,  considérés       a5j. 
comme  fiefs  du  saint-siége.  Le  pouvoir  attribué  au  Pape  et  au  Plusv,eruiSns°u* 
concile  sur  les  souverains,  au  moyen  âge,  par  les  principes  de  Z5^^6"! 

(1)  Wilkins,  Concilia  Magnœ  Britanniœ,  tom.  i,  pag.  310.  — Canciani, 
Barbarorum  Leges,  tom.  îv,  pag.  224. 

(2)  Voyez,  à  l'appui  de  ces  observations,  YHist.  de  l'Égl.  de  M.  l'abbé 
Receveur,  tom.  v,  pag.  127. 

39 


610  DEUXIEME   PARTIE.  — POUVOIR  DU   PAPE 

saim-siege ,  droit  public  alors  communs  à  tous  les  États  catholiques  de  l'Eu- 
deSèexe  l'Ope,  était  beaucoup  plus  étendu  à  l'égard  de  plusieurs  souve- 
rains qui  avaient  librement  conféré  au  saint-siége  un  droit  de 
suzeraineté  sur  leurs  États  (l).  Rien  n'est  mieux  établi  par  l'his- 
toire, que  ces  actes  solennels,  par  lesquels  des  souverains, 
d'ailleurs  indépendants  du  saint-siége  dans  l'ordre  temporel,  se 
déclaraient  librement  ses  feudat aires ,  en  lui  faisant  hommage 
de  leurs  États.  Il  ne  s'agit  point  ici  d'examiner  quels  ont  pu  être 
les  motifs  de  ces  actes  de  dépendance,  qui  nous  semblent  au- 
jourd'hui si  extraordinaires;  on  a  vu  plus  haut  que,  dans  les 
circonstances  où  se  trouvait  alors  la  société,  ils  étaient  fondés, 
non-seulement  sur  des  motifs  de  religion,  mais  encore  sur  des 
motifs  évidents  d'intérêt  public  (2).  Mais  quelle  qu'ait  pu  être  la 
force  de  ces  motifs,  il  nous  sufût,  pour  le  moment,  d'établir  le 
fait  de  cette  dépendance,  que  la  plupart  des  princes  catholiques 
de  l'Europe  s'imposèrent  librement  à  l'égard  du  saint-siége,  de- 
puis le  xe  siècle. 
2b3  Le  premier  exemple  qu'on  en  trouve  dans  l'histoire,  est  celui 

Sei?déîuéde  ^e  RoDert  Guiscard ,  fondateur  du  royaume  de  Naples  en  1 059  (3). 
prêté  au  p^po,  Voici  la  formule  du  serment  de  fidélité  qu'il  prêta  au  Pape,  en 

par  Robert  ,,.,,.  •  i i  J«.       ■  • 

Guiscard,  en  recevant  de  lui  lmvestiture  de  ses  Etats,  et  que  Baronius  rap- 
porte dans  ses  Annales,  d'après  les  archives  du  Vatican,  où  on 
la  conservait  encore  de  son  temps.  «  Moi  Robert  (4) ,  parla  grâce 

(1)  Voyez  la  note  3  de  la  pag.  386. 

(2)  Ci-dessus,  n.  50,  pag.  387. 

(3)  Léo  Ostiensis,  Chronic.  Cassin.  lib.  m,  cap.  12,  etc.  —  Baronii  An- 
nales,  tom.  xi,  anno  1039  ,  n.  67,  etc.  —  Fleury,  ffist.  Ecclés.,  tom.  xm, 
liv.  lx,  n.  39.  —  Voigt,  Hist.  de  Grégoire  VII,  liv.  i  et  xii,  p.  19 ,  etc.  ; 
549,  etc. 

(4)  «  Ego  Robertus,  Bel  gratta  et  sancti  Pétri,  dux  Apuliœ,  et  Cala- 
«  briœ,  et  utrâque  subveniente,  futurus  Siciliae  ;  ab  hâc  horâ  et  deinceps 
«  ero  fidelis  sanctœ  Romanae  Ecclesiae,  et  tibi  domino  meo  Nicolao  papae. 
«  In  consilio  vel  in  facto,  unde  vitam  aut  membrum  perdas,  àut  captus 
«  sis  malâ  captione,  non  ero.  Consilium  quod  mihi  credideris,  et  con- 
a  tradices  ne  illud  manifestera,  non  manifestabo  ad  tuum  damnum,  me 
«  sciente.  Sa  nctae  Romanae  Ecclesiae  ubique  adjutor  ero,  ad  tenendum  et  ad 
«  acquirendum  regalia  sancti  Pétri,  ejusque  possessiones ,  pro  meo  posse, 
«  contra  omnes  hommes  ;  et  adjuvabo  te,  ut  securè  et  honorificè  teneas  pa- 
k  patum  Romanum,  terramque  sancti  Pétri ,  et  principatum  :  nec  invadere, 
«  nec  acquirere  quaeram ,  nec  etiàm  depraedari  praesumam  ,  absque  tuâ  tuo- 
k  rumque  successorum ,  qui  ad  honorera  sancti  Pétri  intraverint,  certâ  li- 
«  centiâ,  praeter  illam,  quam  tu  mihi  concèdes,  vel  tui  concessuri  suntsuc* 
«  cessores.  Pensionem  de  terra  sancti  Pétri,  quam  ego  teneo  aut  tenebo, 


% 


io59. 


SUR  LES   SOUVERAINS. — CHAPITRE   III.  611 

«  de  Dieu  et  de  saint  Pierre,  duc  de  Pouille  et  de  Calabre,  et, 
«  par  la  même  protection,  bientôt  duc  de  Sicile;  je  serai  fidèle, 
«  dès  aujourd'hui  et  dans  la  suite,  à  la  sainte  Église  romaine,  et 
«  à  vous,  mon  seigneur,  pape  Nicolas.  Je  n'aurai  part  à  aucun 
«  conseil  ni  action  contre  votre  vie,  vos  membres,  ou  votre  li- 
«  berté.  Je  ne  manifesterai  point  sciemment,  à  votre  dommage, 
«  les  desseins  que  vous  m'aurez  confiés,  et  que  vous  me  dé fen- 
«drez  de  manifester.  J'aiderai  en  tous  lieux,  et  de  tout  mon 
«pouvoir,  la  sainte  Église  romaine,  envers  et  contre  tous,  à 
«  conserver  et  acquérir  les  biens  et  les  domaines  de  saint  Pierre  ; 
«  je  vous  aiderai  à  conserver  avec  honneur  et  sûreté  la  papauté 
«romaine,  le  territoire  et  la  principauté  de  saint  Pierre;  je  ne 
«  chercherai  point  à  envahir,  acquérir,  ou  enlever,  sans  votre 
«  permission  et  celle  de  vos  successeurs  dans  la  dignité  de  saint 
«  Pierre,  d'autres  possessions  que  celles  qui  me  seront  accordées 
«par  vous  ou  par  vos  successeurs.  Je  m'efforcerai,  de  bonne 
«foi,  de  payer  annuellement  à  l'Église  romaine  la  redevance 
«  qui  a  été  statuée,  sur  la  terre  de  saint  Pierre  que  je  possède 
«  maintenant ,  ou  que  je  posséderai  dans  la  suite.  Je  remettrai 
«  entre  vos  mains  toutes  les  églises  de  mes  domaines,  avec  leurs 
«  dépendances,  et  je  les  maintiendrai  dans  la  fidélité  à  la  sainte 
«  Église  romaine.  Si  vous  ou  vos  successeurs  mourez  avant  moi, 
«j'aiderai  à  choisir  un  Pape  et  un  digne  successeur  de  saint 
«  Pierre ,  selon  les  avis  qui  me  seront  donnés  par  les  meilleurs 
«cardinaux,  clercs  et  laïques  romains.  J'observerai  de  bonne 
«foi,  envers  l'Église  romaine  et  envers  vous,  toutes  les  choses 
«  susdites  ;  et  je  garderai  la  même  fidélité  à  vos  successeurs  dans 
«  la  dignité  de  saint  Pierre,  qui  me  confirmeront  l'investiture 
«  que  vous  m'avez  accordée.  » 

«  sicut  statutum  est,  rectâ  fide  studebo  ut  illam  annualiter  Romana  habeat 
«  Ecclesia.  Omnes  quoque  Ecclesias,  quœ  in  meâ  persistunt  dominatione, 
«  cum  earum  possessionibus,  dimittam  in  tua  potestate;  et  defensor  ero 
«  illarum  ad  fidelitatem  sanctae  Romanae  Ecclesise.  Et  si  tu ,  vel  tui  suc- 
«  cessores,  ante  me  ex  hâc  vità  migraveritis,  secundùm  quod  monitus  fuero 
«  à  melioribus  cardinalibus,  clericis  Romanis  et  laïcis,  adjuvabo  ut  Papa  eli- 
«  gatur,  et  ordinetur  ad  honorem  sancti  Pétri.  Hsec  omnia  suprascripta 
«  observabo  sanctae  Romanae  Ecclesise  et  tibi,  cum  rectâ  fide,  et  hanc  fide- 
«  lilatem  observabo  tuis  snccessoribus ,  ad  honorem  sancti  Pétri  ordi- 
«  natis,  qui  mihi  iirmaverint  investituram  à  te  mihi  concessam.  Sic  me 
«  Deus  adjuvet,  et  hsec  sancta  Evangelia.  »  Baronii  Annales,  ubi  suprà, 
n.  70. 

39. 


612  DEUXIÈME  PARTIE.  — POUVOIR  DtJ  PAPE 

aS4.  Plusieurs  lettres  de  Grégoire  VII  supposent  qu'avant  son  pou- 

^Teraineté"  tificat,  le  saint-siége  avait  acquis  un  pareil  droit  de  suzeraineté 
dusaint  siège,      ,  d'autres  États;  car  en  soutenant  ses  droits  sur  l'Espagne,  la 

soit  avant  '  JT    o        > 

a?  depvîi  Hongrie  et  quelques  autres  royaumes,  il  se  fonde  principale- 
ment sur  une  ancienne  coutume,  reconnue  des  souverains 
eux-mêmes  (l).  Il  est  vrai  que  l'origine  de  cette  coutume,  et  les 
titres  des  différentes  concessions  invoquées  par  Grégoire  VII,  ne 
nous  ont  pas  été  conservés;  mais  ils  pouvaient  exister  encore, 
ou  du  moins  être  connus  avec  assurance ,  au  temps  de  ce  pon- 
tife :  la  manière  même  dont  il  s'exprime  ne  permet  pas  de  douter 
qu'ils  ne  le  fussent  ;  et  il  est  tout  à  fait  incroyable  qu'il  les  eût 
invoqués  avec  tant  de  confiance,  s'ils  n'eussent  été  regardés 
alors  comme  incontestables  (2). 

Depuis  le  pontificat  de  Grégoire  VII,  plusieurs  autres  souve- 
rains firent  hommage  de  leurs  États  au  saint-siége.  Nous  remar- 
querons en  particulier  Godefroy  de  Bouillon ,  roi  de  Jérusalem , 
en  1099  (3);  Roger,  fondateur  du  royaume  de  Sicile,  en  1130, 
et  Charles  Ier,  roi  de  Sicile,  en  1276  (4);  Pierre  II,  roi  d'Aragon, 
en  1204(5);  enfin,  les  rois  d'Angleterre,  Henri  II,  en  1172; 


(1)  «  Non  latere  vos  credimus ,  regnum  Hispaniœ,  ab  antiquo,  proprii 
«  juris  sancti  Pétri  fuisse ,  et  adhuc  (jlicet  diu  à  paganis  sit  occupatum) 
«  lege  tamen  justitiae  non  evacuatâ ,  nulli  mortalium ,  sed  soli  aposta- 
te licae  sedï,  ex  aequo  pertinere.  »  Gregorii  VII  Epist.  lib.  i,  Epist.  7. 

«  Nam,  sicut  à  majoribus  patriœ  tuœ  cognoscere  potes,  regnum  Hun- 
«  gariœ  sanclœ  Romance  Ecclesiœ  proprium  est,  à  rege  Stephano  olim 
«  beato  Petro,  cum  omni  jure  et  potestate  sua,  oblatum  et  devotè  traditum.  » 
Idem,  lib.  n,  Epist.  13,  etc.  Voyez  quelques  autres  lettres  du  même  Pape, 
citées  par  Bossuet,  Defensio  Declar.,  lib.  i,  sect.  1,  cap.  12,  13  et  14. — 
Fleury,  Hist.  Ecclés.,  tom.  xm,  liv.  lxxiii,  n.  11.  —  D.  Ceillier,  Histoire 
des  Aut.  ecctésiast.,  tom.  xx,  pag.  662.  — Voigt,  Hist.  de  Grégoire  VII, 
liv.  v,  pag.  184  ;  liv.  x,  pag.  442. 

(2)  On  doit  corriger,  d'après  ces  observations,  un  grand  nombre  d'auteurs 
modernes,  qui  reprochent  irès-du renient  à  Grégoire  VII  et  à  ses  successeurs 
leurs  prétentions  sur  l'Espagne,  la  Hongrie  et  plusieurs  autres  États.  Voyez, 
à  l'appui  de  nos  observations,  les  notes  de  M.  l'abbé  Jager  sur  Y  Histoire 
de  Grégoire  VII,  ubi  suprà. 

(3)  Fleury,  Hist.  Ecclés.,  tom.  xm,  liv.  lxiv,  n.  67;  liv.  Lxv,n.  2.  — 
Michaud,  Hist.  des  Croisades,  tom.  n,  pag.  10. 

(4)  Fleury,  Hist.  Ecclés.,  tom.  xm  et  xviii,  liv.  lviii  ,  n.  3  et  57  ; 
liv.  lxxxv,  n  35;  liv.  lxxxvii,  n.  2.  —  Daniel,  Hist.  de  France,  tom.  iv, 
année  1264. 

(5)  Fleury,  Hist.  Ecclés.,  tom.  xvi,  liv.  lxxvi,  n.  10. 


SUR  LES    SOUVERAINS. — CHAPITRE  III.  613 

Jean  sans  Terre,  en  1213  ;  et  Henri  III,  en  12 16  (1).  Tous  ces 
Etats,  et  quelques  autres  dont  nous  ne  parlons  point  ici,  étaient 
alors  universellement  regardés  comme  des  fiefs  de  l'Église  ro- 
maine; et  les  souverains  eux-mêmes  le  reconnaissaient  haute- 
ment par  leur  conduite,  comme  on  l'a  vu  dans  le  chapitre 
précédent  (2). 

Un  des  principaux  effets  de  cette  dépendance  féodale,  était  Collsî5u*ences 
de  donner  au  Pape,  sur  les  souverains  qui  s'y  étaient  soumis ,    remarqua- 
des  droits  particuliers,  et  beaucoup  plus  étendus  que  ceux  dont     droits, 
il  jouissait  à  l'égard  des  autres  souverains;  ce  n'était  plus  un 
simple  pouvoir  directif,  mais  un  vrai  pouvoir  de  juridiction 
temporelle,  et  même  une  véritable  souveraineté,  fondée  sur  la 
constitution  même  des  États,  et  sur  de  légitimes  conventions. 
D'après  les  principes  du  gouvernement  féodal,  la  révolte  du 
feudataire  contre  son  suzerain ,  faisait  encourir  au  premier  la 
perte  de  ses  droits,  qui  étaient  alors  dévolus  au  seigneur  suze- 
rain. En  vertu  de  ces  principes,  le  Pape  avait  manifestement  le 
droit  de  prononcer  la  déchéance  d'un  prince  feudataire  du 
saint-siége,  qui,  par  sa  persévérance  opiniâtre  dans  l'hérésie  ou 
dans  l'excommunication,  se  rendait  notoirement  coupable  de 
félonie  envers  son  seigneur  suzerain. 

On  doit  cependant  remarquer  que,  dans  le  temps  même  où       *m. 
la  plupart  des  souverains  de  l'Europe  se  reconnaissaient  feuda-  France eiquei. 
taires  du  saint-siége ,  le  roi  et  les  seigneurs  français  tenaient  à  amreTïonve- 
honneur  de  conserver  la  couronne  de  France  exempte  de  toute  exembiî'de 
dépendance  féodale:  et  cette  indépendance  était  hautement  re-    -  lo,'te 

1  J  '  a  dépendance 

connue  par  le  saint-siége  lui-même  (3).  Les  sentiments  des  Fran-     feodaie. 

(1)  Lingard ,  Histoire  d'Angleterre,  tom.  11 ,  année  1 176,  pag.  427,  note  ; 
tom.  m,  pag.  43  et  107. 

(2)  Ci-dessus,  n.  136,  etc. 

(3)  Le  pape  Innocent  III,  en  particulier,  reconnaît  expressément  cette  in- 
dépendance féodale  du  roi  de  France,  dans  la  Décrétale,  Per  Venerabilem, 
adressée  vers  l'an  1201  à  Guillaume,  comte  de  Montpellier,  et  depuis  insérée 
dans  le  Corps  du  Droit  canonique.  Le  Pape  établit  clairement ,  dans  cette 
lettre,  cette  différence  essentielle  entre  le  roi  de  France  et  le  comte  de  Mont- 
pellier, que  le  premier  ne  reconnaît  point  de  supérieur  dans  l'ordre  tem- 
porel, tandis  que  le  second,  comme  vassal  du  Pape,  lui  est  également  sou- 
mis  pour  le  spirituel  et  pour  le  temporel.  «  Cùm  rex  ipse  (Philippus  Fran- 
«  corum  rex)  in  spiritualibus  nobis  subjaceat,  tu  nobis  et  in  spiritualibus  et 
«  in  temporalibus  essubjectus,  cùm  partem  terrœ  ab  Ecclesià  Magalouensi 
«  possideas,  quam  ipsa  per  sedem  apostolicam  temporaliter  recognoscit 


614  DEUXIÈME   PARTIE.  —  POUVOIR  DU   PAPE 

çais,  à  cet  égard,  se  manifestèrent  avec  beaucoup  d'éclat,  à 
l'époque  de  l'élévation  de  Hugues  Capet  au  trône  de  France.  Le 
principal  motif  qu'il  fit  valoir,  pour  attacher  à  son  parti  les  sei- 
gneurs du  royaume,  fut  la  lâcheté  du  duc  de  Lorraine,  son 
compétiteur,  qui  n'avait  pas  eu  honte  de  se  reconnaître  vassal 
de  l'empereur  (i).  Plusieurs  événements  postérieurs  montrèrent 
combien  ces  sentiments  étaient  profondément  enracinés  dans  le 
cœur  des  Français.  C'est  ce  qu'on  vit  en  particulier  sous  le 
règne  de  Philippe  Auguste,  à  l'occasion  de  la  déposition  du  roi 
d'Angleterre,  Jean  sans  Terre,  en  1213  (2);  et  sous  le  règne  de 
Philippe  le  Bel,  à  l'occasion  de  ses  démêlés  avec  Boniface  VIII, 
en  1302  (3).  Cette  disposition  n'était  pas  particulière  à  la  France  : 
on  a  vu  plus  haut  qu'elle  lui  était  commune  avec  l'empire 
d'Allemagne  (4);  mais  elle  n'empêchait  pas  que,  dans  ces  deux 
États,  comme  dans  tous  les  autres,  on  ne  reconnût  d'autres 
principes,  qui  subordonnaient,  en  certains  cas,  la  puissance 
temporelle  à  la  spirituelle  (5). 
lm  drohs  du  ^  •  Les  droits  du  Pape  sur  le  nouvel  empire  d  Occident , 
Saint-siége    sans  ^re  proprement  de  la  nature  des  droits  de  suzeraineté , 

sur  1  empire  *■       * 

d'Occident   étaient  néanmoins  fort  étendus,  par  une  suite  naturelle  de  sa 


«  Insuper  cum  rexipse  superiorem  in  temporalibus  minime  recognoscat, 
«  sine  juris  alterius  laesione  in  eo  se  jurisdictioni  nostrse  subjicere  potnit  et 
«  subjecit,  in  quo  forsitan  videretur  aliquibus,  quod  per  se  ipsnm,  non  tam- 
«  quam  pater  cum  filiis,  sed  tamquam  princeps  cum  subditis,  potuerit  dispen- 
«  saie.  »  (Baluze,  Epistol.  Innocenta  III,  tom.  i,  pag.  675,  2e  col.  —  Cor- 
pus Juris  Canon.  Décrétai,  lib.  iv,  tit.  17,  cap.  13.  Sur  l'occasion  et  le 
sujet  de  cette  Décrétale ,  voyez  Fieury,  Hist.  Ecclés.,  tom.  xvi,  liv.  lxxv, 
n.  42.  —  D.  Ceillier,  Hist.  des  Auteurs  ecclés. ,  t  xxm,  pag.  441.  —  De 
Marca,  De  Concordiâ,  lib.  n,  cap.  3)  Cette  lettre  d'Innocent  III  est  d'autant 
plus  digne  d'attention,  que  le  pontife,  selon  la  remarque  de  Fieury  lui- 
même,  y  reconnaît  et  y  marque  nettement  la  distinction  des  deux  puis- 
sances. (Voyez  ci-dessus,  n.  205,  pag.  552.) 

(1)  Daniel,  Histoire  de  France,  tom.  m,  année  987,  pag.  265.  —  Velly, 
Histoire  de  France,  tom.  h,  pag.  262.  —  Histoire  de  l'Église  GalL, 
tom.  vif,  pag.  2. 

(2)  Fieury,  Hist.  Ecclés. ,  tom.  xvi,  liv.  lxxvii,  n.  60 Daniel,  Histoire 

de  France,  tom.  iv,  année  1216,  pag.  236. 

(3)  Voyez,  à  ce  sujet,  Daniel,  Hist.  de  France,  tom.  v,  année  1303.  — 
Velly,  Hist.  de  France,tom.  vu,  pag.  207,  etc.  —  Hist.  de  l'Église  GalL, 
tom.  xii,  année  1302,  pag.  325, 334,  etc.  —  Bossuet,  Defens.  Declar.,  lib.  m, 
cap.  24;  lib.  iv,  cap.  9,  versus  finem. 

(4)  Ci-dessus,  chap.  2,  art.  4,  n.  142  et  161. 

(5)  Md.,àvt.  1,2  et  4. 


SCR  LES  SOUVERAINS.  —  CHAPITRE  III.         615 

constitution  primitive ,  et  des  circonstances  qui  avaient  accom-  établis  par  ie* 
pagné  son  établissement.  Il  suffit,  pour  s'en  convaincre,  de  se 
rappeler  la  grande  part  qu'eut  le  Pape  à  l'élection  de  Charle- 
mague,  et  qu'il  continua  naturellement  d'avoir  à  l'élection  de 
ses  successeurs,  dans  la  suite  du  moyen  âge.  Nous  rappellerons 
ici,  en  peu  de  mots,  quelques  faits  propres  à  éclaircir  ce  point 
d'histoire,  si  étroitement  lié  avec  l'objet  de  nos  Recherches. 

Premier  fait.  Il  est  certain  que  Charlemagne  ne  dut  son  titre  Pren^'fait . 
d'empereur  qu'à  l'élection  du  Pape,  considéré  comme  chef  et  charlemagne 
représentant  du  peuple  romain,  qui  lui  avait  confié  ses  intérêts,  son  titre  dw 

On  ne  voit  pas,  eu  enet,  que  Charlemagne  ait  pu  acquérir  qu'à  l'éiecUon 
le  titre  d'empereur,  autrement  que  par  V élection  du  Pape,  ou  uPape* 
par  droit  de  conquête  sur  la  capitale  de  l'Italie,  et  sur  les  pro- 
vinces qui  reconnaissaient  alors  la  souveraineté  du  saint-siége. 
Nous  ne  croyons  pas  qu'on  puisse  expliquer ,  ou  qu'on  ait  jamais 
essayé  d'expliquer  autrement  l'origine  de  ce  titre.  Or,  la  der- 
nière supposition  est  évidemment  contraire  à  l'histoire.  Car, 
1°  Charlemagne  ne  pouvait  avoir  droit  de  conquête  que  sur 
les  provinces  qu'il  avait  enlevées  aux  Lombards  ;  or,  il  est  cer- 
tain que  ceux-ci  ne  furent  jamais  en  possession  de  Rome,  où 
Charlemagne  fut  reconnu  et  proclamé  empereur  (1). 

2°  11  est  également  certain  que  Pépin  et  Charlemagne,  en 
cédant  au  saint-siége  les  villes  et  territoires  du  duché  de  Rome 
et  de  l'exarchat,  conquis  sur  les  Lombards,  ne  prétendirent  s'y 
réserver  aucun  droit,  à  titre  de  conquête;  leur  intention  for- 
melle fut  toujours  d'abandonner  ces  provinces  au  saint-siége , 
et  de  reconnaître  le  Pape  seul  pour  leur  souverain  légitime. 
Nous  n'ignorons  pas  que  ce  dernier  point  est  contesté  par  plu- 
sieurs auteurs  modernes  ;  mais  nous  le  croyons  suffisamment 
établi  parle  témoignage  des  auteurs  contemporains,  particuliè- 
rement d'Éginhard  et  d'Anastase  le  Bibliothécaire,  qui  repré- 
sentent constamment  la  cession  faite  au  saint-siége,  des  provinces 
dont  il  s'agit,  non  comme  une  pure  donation,  mais  comme 
une  restitution  des  provinces  que  les  Lombards  lui  avaient  in- 
justement enlevées  (2). 

(1)  Voyez,  dans  la  première  partie  de  ces  Recherches,  la  note  3  de  la 
pag.  275. 

(2)  Voyez,  à  l'appui  de  ces  assertions ,  la  première  partie  de  ces  Recher- 


li  on. 


616  DEUXIÈME   PARTIE.  —  POUVOIR    DU   PAPE 

3°  Tous  les  monuments  de  l'histoire  nous  montrent  le  cou- 
ronnement de  Charlemagne,  en  800,  comme  la  véritable  épo- 
que de  son  élévation  à  l'empire.  Aucun  historien  ne  lui  donne 
le  titre  d'empereur  avant  cette  époque  ;  ce  prince  lui-même  ne 
le  prit  jamais  auparavant  ;  et  c'est  de  là  qu'il  date  constam- 
ment les  années  de  son  empire,  dans  tous  ses  actes  posté- 
rieurs (l).  Comment  prétendre,  après  cela,  que  Charlemagne 
dut  son  titre  d'empereur  à  la  conquête  de  Rome  et  de  l'Italie? 
Ce  grand  prince  ne  vint  point  à  Rome,  en  800,  pour  en  faire 
la  conquête  ;  il  y  vint  uniquement  à  la  prière  du  souverain 
pontife,  pour  juger,  en  qualité  de  patrice  des  Romains,  ou  de 
défenseur  du  saint-siège ,  les  séditieux  qui  avaient  osé  attenter 
à  la  vie  du  pape  Léon  lli  (2). 
259.  Second  fait.  Il  est  certain  que  le  Pape,  en  donnant  à  Char- 

Deuxiemejait  :  x.  L     ■ 

Le  Pape  ne   lemagne  le  titre  d'empereur,  ne  prétendit  pas  renoncer,  pour 

renonça  point  »_     ,  j       .-»,»,  .  '-. 

alors,  1  avenir,  a  son  droit  d  élection. 
poarà  Sm.emr'  Non-seulement  on  ne  voit  rien,  dans  l'histoire,  qui  suppose 
droiitim.ëlec  cette  renonciation  ;  mais  on  y  trouve  des  preuves  solides  du 
contraire.  Une  des  principales  se  tire  du  testament  fait  par  Char- 
lemagne dans  la  diète  de  Thionville,  en  806,  pour  le  partage 
de  ses  États  entre  ses  enfants.  Cet  acte,  que  nous  avons  déjà  cité, 
pour  montrer  que  Charlemagne,  depuis  son  élévation  à  l'em- 
pire, n'avait  aucune  souveraineté  dans  Rome,  prouve  égale- 
ment que  ce  grand  prince  ne  croyait  pas  avoir  le  droit  de 
disposer  de  son  titre  d'empereur ,  ou  de  le  transmettre  à  ses 
enfants  (3).  Il  est  certain  en  effet  que,  dans  cet  acte,  destiné  à 
prévenir  tout  sujet  de  contestation  entre  ses  trois  fils,  en  parta- 
geant entre  eux  tout  le  corps  de  son  royaume  (4),  Charlema- 
gne omet  entièrement  le  duché  de  Rome  et  l'exarchat  ;  il  ne 


ches,  n.  40 ,  46 ,  63  et  suiv.  Remarquez ,  en  particulier ,  les  passages  d'A- 
nastase  et  d'Éginhard ,  que  nous  avons  cités  en  note,  dans  ces  divers 
endroits. 

(1)  Voyez,  dans  la  première  partie  de  ces  Recherches,  la  note  1  de  la 
page  258. 

(2)  Voyez  Fleury,  Daniel,  Lebeau,  et  tous  les  historiens,  soit  anciens,  soit 
modernes,  à  l'article  du  couronnement  de  Charlemagne,  en  800. 

(3)  Voyez  la   première  partie  de  ces  Recherches,  chap.  2,   n.   70, 
pag.  281,  etc. 

(4)  Voyez  ci-dessus  la  note  1  de  la  pag.  282. 


SUR  LES   SOUVERAINS. — CHAPITRE  III.  617 

donne  à  aucun  de  ses  enfants  le  titre  d'empereur  ;  il  se  con- 
tente de  leur  ordonner,  de  prendre  tous  ensemble  le  soin  et 
la  défense  de  l'Eglise  romaine,  ainsi  qu'il  a  été  pratiqué  par 
Charles  Martel  son  aïeul,  par  son  père  Pépin  d'heureuse  mé- 
moire, et  par  lui-même  (l).  Pouvait-il  supposer  plus  clairement, 
que  le  duché  de  Rome  et  l'exarchat  ne  faisaient  point  partie  du 
corps  de  son  royaume,  et  qu'il  ne  lui  appartenait  pas  de  dis- 
poser de  son  titre  d'empereur?  S'il  eût  pu  disposer  de  ces  pro- 
vinces et  de  ce  titre,  les  aurait-il  omis  dans  un  acte  si  important, 
et  précisément  destiné  à  prévenir  tout  sujet  de  contestation  en- 
tre ses  enfants?  Par  une  semblable  omission,  bien  loin  d'at- 
teindre son  but,  qui  était  de  prévenir  toute  contestation  entre 
ses  trois  fils,  ne  leur  eût-il  pas  laissé  le  plus  grand  sujet  de 
contestation,  en  négligeant  de  disposer  du  plus  auguste  de  ses 
titres,  et  de  la  partie  de  ses  États  à  laquelle  ce  titre  semblait  par- 
ticulièrement attaché? 

On  sentira  encore  mieux  la  force  de  cet  argument,  si  l'on  re- 
marque l'embarras  qu'il  a  causé  aux  auteurs  qui  refusent  au 
Pape  le  droit  d'élection  dont  nous  parlons,  et  leurs  efforts  inu- 
tiles, pour  résoudre  la  difficulté  tirée  de  l'acte  solennel  que  nous 
venons  de  citer.  Fleury,  et  le  P.  Daniel  après  lui,  prétendent 
que  l'empereur,  dans  l'acte  dont  il  s'agit,  ne  parle  ni  de  l'em- 
pire, ni  du  duché  de  Rome  qui  y  était  attaché ,  parce  qu'il 
s'en  réservait  la  disposition  (2)  ;  supposition  évidemment  con- 
traire au  but  que  Charlemagne  se  proposait  dans  cet  acte,  comme 
nous  l'avons  déjà  fait  remarquer.  De  la  Bruère,  dans  l'His- 
toire de  Charlemagne,  convient  qu'il  est  malaisé  de  rendre 
raison  du  silence  de  Charles ,  en  cette  occasion  (3)  ;  et  il  met 
en  avant,  pour  l'expliquer,  les  conjectures  les  plus  invraisem- 
blables, savoir  :  que  les  enfants  de  Charlemagne,  pour  étouffer 
entre  eux  toute  semence  de  haine,  étaient  convenus  de  renon- 
cer au  titre  d'empereur,  ou  qu'ils  prétendaient  le  porter  tous 
les  trois.  L'auteur  lui-même  reconnaît  l'invraisemblance  de  ces 
conjectures,  et  avoue  qu'en  les  hasardant,  «  il  prétend  seule- 


(1)  Ibid.  note  3. 

(2)  Fleury,  ubi  suprà.  —  Daniel,  Hist.  de  France ,  tom.  u,  année  806, 
pag. 145. 

(3)  De  la  Bruère,  Hist.  de  Charlemagne,  tom.  n,  p.  170. 


618  DEUXIÈME  PARTIE.  —  POUVOIR  DU  PAPE 

«  ment  indiquer  et  non  résoudre  une  difficulté ,  à  laquelle  les 
«  historiens  n'ont  pas  fait  assez  d'attention  (l).  » 
260.  Troisième  fait.  Le  Pape  a  conservé  longtemps  après  l'élé- 

nTcon'eiavé  vation  de  Charlemagne  à  l'empire  le  droit  d'élire  l'empereur 

ce  di'oit  11  r\      •  1       . 

longtemps    d  Occident. 
chademagne       L'histoire  nous  montre,  en  effet,  les  papes  exerçant  constam- 
ment ce  droit,  sans  aucune  réclamation,  non-seulement  sous 
les  empereurs  carlovingiens ,  mais  encore  sous  les  premiers 
empereurs   allemands. 

1°  Sous  les  empereurs  carlovingiens,  c'est-à-dire,  depuis  l'é- 
lévation de  Charlemagne  à  l'empire,  jusqu'à  la  translation  de 
l'empire  aux  Allemands ,  en  962 ,  le  Pape  exerçait  par  lui-même 
ce  droit,  qui  fut  dévolu,  dans  la  suite,  aux  électeurs  de  l'em- 
pire (2).  Pendant  toute  la  durée  de  cette  première  époque,  on  le 
voit  choisir  l'empereur,  tantôt  dans  la  famille  de  Charlemagne, 
tantôt  hors  de  cette  famille,  selon  qu'il  le  juge  plus  convenable 
pour  le  bien  de  l'Église.  On  le  voit  même  quelquefois  laisser 
l'empire  vacant,  soit  à  cause  de  l'embarras  que  présentait  le 
choix  de  l'empereur ,  soit  par  suite  des  obstacles  que  mettaient 
à  ce  choix  les  seigneurs  de  Rome,  qui  abusaient  de  leur  pouvoir, 
pour  entraver  l'exercice  de  l'autorité  souveraine  des  papes  (3). 


{i)Ibid.,  pag.  171. 

(2)  Cenni ,  Monumenta  Domin.  Pontif. ,  tom.  11,  Dissert.  1 ,  n.  31 ,  35 
et  36;  Dissert.  6,  n.  2.  —  Pour  le  développement  des  faits  indiqués  par  cet 
auteur,  voyez  dans  Y  Art  de  vérifier  les  Dates,  la  Chronologie  historique  des 
Empereurs  d'Occident,  édition  in-fol.  de  1770,  pag.  432.  — Receveur,  Hist. 
de  l'Église,  tom.  îv,  pag.  429  et  430.  —  Bossuet,  Defens.  Declar. ,  lib.  11, 
cap.  40. 

(3)  On  a  vu  plus  haut  que,  dans  les  premiers  temps  qui  suivirent  rétablis- 
sement de  la  souveraineté  temporelle  du  saint-siége,  le  sénat  et  le  peuple  ro- 
main n'avaient  aucune  part  au  gouvernement;  le  sénat  lui-même  n'était  plus 
qu'un  corps  municipal,  semblable  à  celui  qui  existait  dans  plusieurs  autres 
villes  d'Italie,  et  dont  la  juridiction,  uniquement  relative  aux  intérêts  de  la  cité, 
ne  diminuait  en  rien  les  droits  du  souverain,  pour  le  gouvernement  de  l'État. 
(Ci-dessus,  lre  partie,  cliap.  2,  n.  68,  pag.  279.)  On  vit  cependant,  à  différentes 
époques,  les  seigneurs  de  Rome  s'attribuer  des  droits  plus  étendus,  et  en- 
traver, par  leurs  prétentions ,  l'exercice  de  l'autorité  souveraine  des  papes. 
Telle  fut  la  source  des  désordres  qui  troublèrent  l'Italie  pendant  la  première 
moitié  du  xe  siècle,  et  qui  se  renouvelèrent  encore  au  milieu  du  xne  siècle, 
sous  le  pontificat  d'Innocent  II.  Mais  ces  crises  passagères,  dont  les  gouverne- 
ments les  plus  légitimes  et  les  mieux  affermis  ne  sont  pas  toujours  exempts, 
ne  portèrent  aucune  atteinte  aux  droits  du  saint-siége,  qui  ne  tarda  pas  à  re- 
couvrer son  autorité ,  soit  par  ses  propres  forces ,  soit  avec  le  secours  de 


carlovin- 
giens. 


SUR  LES   SOUVERAINS.  — CHAPITRE   III.  619 

L'histoire  des  empereurs  carlovingiens  offre  un  grand  nom-       *&*. 

i_  '*«'•."«    *«  .-.  •  11  i        Exercice  de  ce 

nre  de  iaits  a  1  appui  de  ces  assertions;  nous  rappellerons  seule-      droit, 
ment  ici  quelques-uns  des  plus  remarquables.  Mn\J3rjTpe" 

Trois  ans  seulement  après  la  mort  de  Charles  le  Gros,  sixième 
empereur  de  la  famille  de  Charlemagne,  le  pape  Etienne  V 
lui  donna  pour  successeur  dans  la  dignité  impériale,  non 
son  neveu  Arnoul ,  qui  lui  avait  succédé  comme  roi  de  Ger- 
manie ,  mais  Gui ,  duc  de  Spolette,  qui  ne  descendait  de  Charle- 
magne que  par  les  femmes,  et  dont  le  saint-siége  espérait 
plus  de  secours  que  d'Arnoul  (i).  Par  un  semblable  motif,  le 
pape  Formose  permit ,  quelques  années  après ,  à  Gui  d'associer 
à  l'empire  son  fils  Lambert,  qui  lai  succéda  en  894  (2).  Mais 
les  espérances  que  le  saint-siége  avait  fondées  sur  la  famille  de 
Gui  ne  s'étant  pas  réalisées ,  le  pape  Formose ,  du  vivant  même 
de  Lambert,  conféra  la  dignité  impériale  à  Arnoul,  et  la  fit 
ainsi  rentrer,  pour  quelque  temps,  dans  la  famille  de  Charle- 
magne (3). 

Cette  élection  d'Arnoul  est  d'autant  plus  remarquable, 
qu'elle  paraît  être  le  premier  exemple  d'un  empereur  substitué, 
par  l'autorité  du  Pape ,  à  un  autre  encore  vivant.  Il  est  cer- 
tain en  effet  que,  dans  cette  occasion,  les  Romains  prêtèrent 
à  Arnoul  un  serment  de  fidélité ,  par  lequel  ils  renonçaient 
pour  l'avenir  à  l'obéissance  de  Lambert,  couronné  empereur 
par  le  Pape ,  quelques  années  auparavant  (4).  EnOn ,  après  la 
mort  de  Bérenger,  le  dernier  des  empereurs  carlovingiens,  les 
factions  qui  agitaient  la  ville  de  Rome  empêchèrent  le  Pape 
de  pourvoir  à  l'empire ,  qui  demeura  vacant  depuis  l'an  924 

l'empereur,  ou  de  quelque  autre  prince  étranger.  (Voyez  Cenni,  ubi  suprà , 
tom.  11,  Dissert.  1,  n.  36-39.  —  Fleury,  Hist.  Ecclés.,  tome  xiv,  liv.  lxix, 
11.  1  et  6.  —  Baronius,  Annales,  anno  1144  et  1152.) 

(1)  Fleury,  Hist.  Ecclés. ,  tom.  xi,  liv.  liv,  n.  18. 

(2)  Fleury,  ibid.  —  Pagi,  Crilica  in  Baronii  Annales,  anno  892,  11.  2  ; 
anno  894,  n.  3. 

(3)  Pagi,  ibid.,  anno  895,  n.  4  ;  anno  896,  n.  3. 

(4)  Nous  avons  rapporté  ailleurs,  en  partie ,  la  formule  de  ce  serment. 
(lre  partie,  chap.  2,  n.  77,  pag.  289.)  On  peut  voir  la  formule  entière  dans 
l'ouvrage  de  Cenni,  Monumenta,  etc.  (tom.  n,  Dissert.  1,  n.  25),  et  dans  la 
Critique  du  P.  Pagi  (année  896,  n.  3).  Voyez  aussi  les  observations  que  nous 
avons  faites  ailleurs  sur  la  déposition  de  Lambert.  (2e  partie,  chap.  2,  pag.  423, 
note  2.) 


2Ô2. 

Ce  droit  alors 


620  DEUXIÈME  PARTIE.  —  POUVOIR  DU  PAPE 

jusqu'en  962,  époque  de  sa  translation  aux  Allemands  (l). 
Avant  cette  translation,  le  droit  du  Pape,  relativement  à  l'é- 
lection de  l'empereur,  loin  d'être  contesté,  était  généralement 
générale,     reconnu,  même  par  les  souverains.  L'histoire  de  Charles  le 

meut  reconnu,  '■  x 

»»ême      chauve  en  particulier  fournit  des  preuves  décisives  de  ce  lait  (2) . 

par  les  souve-  .  .  . 

raias.  Le  pape  Adrien  II  avait  promis  a  ce  prince  de  le  reconnaître 
pour  empereur,  dans  le  cas  où  il  survivrait  à  Louis  II,  alors 
revêtu  de  cette  dignité.  «  Nous  vous  promettons ,  lui  avait- 
«  il  dit,  et  nous  vous  déclarons,  *en  vous  recommandant 
«le  plus  profond  secret,  et  sauf  la  fidélité  que  nous  devons 
«  à  notre  empereur,  que  si  vous  lui  survivez,  ainsi  que  nous, 
«  nous  ne  demanderons  et  ne  reconnaîtrons  jamais  d'autre  em- 
«  pereur  que  vous,  quand  on  nous  offrirait  des  monceaux 
«  d'or  (3).  »  Louis  II  étant  mort  deux  ans  après,  les  prétentions 
de  Charles  le  Chauve  furent  combattues  par  Louis ,  son  frère 
aîné,  roi  de  Germanie.  Charles  ne  trouva  pas  de  meilleur  moyen 
pour  soutenir  son  droit,  que  de  se  rendre  promptement  à  Rome, 
afin  d'obtenir  la  confirmation  du  pape  Jean  VIII,  qui  occupait 
alors  le  saiut-siége.  Le  roi  de  Germanie  ne  négligea  rien  pour 
empêcher  l'exécution  de  ce  dessein  ;  mais  tous  ses  efforts  furent 
inutiles:  Charles  fut  couronné  empereur  par  le  Pape,  le  jour 
de  Noël  de  l'année  875,  et  reconnu  l'année  suivante,  dans  une 
assemblée  générale  des  seigneurs  de  Lombardie ,  dont  le  décret 
fut  confirmé,  la  même  année,  par  le  concile  national  de  Pont- 
yon  (4).  Il  est  à  remarquer  que  ces  deux  assemblées,  dans  l'acte 
solennel  qu'elles  dressèrent  pour  ratifier  l'élection  de  Charles, 
motivent  cet  acte  sur  le  choix  que  le  Pape  avait  fait  de  ce  prince, 
pour  l'élever  à  la  dignité  impériale.  Voici  les  propres  expres- 

(1)  Flenry,  ubi  suprà,  n.  25. 

(2)  Fleuty,  Hist.  Ecclés.,  tom.  xi,  liv.  lu,  n.  23  et  30.  —  Hist.  de  VÉ- 
glise  Gallicane,  tom.  vi ,  liv.  xvii,  pag.  274  et  292.  —  Receveur,  Hist.  de 
l'Église ,  ubi  suprà. 

(3)  «  Integra  fide,  et  sincerâ  mente,  devotâque  voluntate,  ut  sermo  sit  se- 
«  cretior,  et  litterae  clandestine,  nullique  nisi  fidelissimis  publicandœ,  vobis 
«  confitemur  devovendo,  et  notescimus  afhrmando,  salvâ  fidelitate  impera- 
«  toris  nostri,  quia  si  superstes  ei  fuerit  vestra  nobilitas,  vitâ  nobis  comité,  si 
«  dederit  nobis  quislibet  multorum  modiorumauri  cumulum,  numquam  ac- 
«  quiescemus,  exposcemus,  aut  sponte  suscipiemus  alium  in  regnum  et  im- 
«  perium  Romanum,  nisi  teipsum.  »  Adriani  II  Epist.  34,  ad  Carolum 
Calvum.  (Labbe,  Concil.  tom.  vin,  pag.  938.) 

(4)  Labbe,  Concil.  tom.  ix,  pag.  283,  etc. 


SUR  LES   SOUVERAINS. —CHAPITRE  III.  621 

sions  de  l'acte  dressé  par  les  seigneurs  de  Lombardie  :  «  Puis- 
«  que  la  bonté  divine,  par  l'intervention  des  saints  apôtres 
«  Pierre  et  Paul ,  et  par  leur  vicaire  le  seigneur  Jean ,  souverain 
«pontife,  pape  universel,  et  notre  père  spirituel,  vous  a  déjà 
«  élevé  à  l'empire,  selon  le  jugement  du  Saint-Esprit,  pour  l'uti- 
«  lité  de  la  sainte  Église  et  de  nous  tous  ;  nous  vous  choisis- 
«  sons  unanimement  pour  le  protecteur,  le  seigneur  et  le  dé- 
«  tenseur  de  nous  tous  (l).  »  L'année  suivante,  877,  le  pape 
Jean  VIII  lui-même  conûrma  cette  élection,  dans  un  concile  tenu 
à  Rome  pour  cet  effet.  Après  un  grand  éloge  de  Charles  le 
Chauve,  le  Pape  croit  pouvoir  attribuer  son  élection  à  une 
inspiration  divine,  et  déclare  néanmoins  qu'il  l'a  faite  avec 
le  concours  du  clergé,  du  sénat  et  du  peuple  romain.  <«  Sachant, 
«  dit-il,  que  notre  prédécesseur  Nicolas  1er  avait  déjà  été  éclairé 
«  là-dessus  par  une  inspiration  céleste,  nous  avons  choisi  avec 
«  raison  le  prince  Charles  ;  nous  avons  approuvé  son  élection,  de 
«  concert  avec  nos  frères  et  coévêques,  avec  les  autres  ministres 
«  de  la  sainte  Église  romaine,  le  vénérable  sénat,  tout  le  peuple 
««romain  et  ses  magistrats;  et  nous  l'avons  élevé  solennelle- 
«  ment,  selon  l'ancienne  coutume,  à  la  dignité  impériale  (2).  » 
Il  est  à  remarquer  que  le  Pape,  en  s'attribuant  le  droit  de 
choisir  l'empereur,  ne  prétendait  pas  le  faire  en  vertu  du  seul 

(1)  «  Quia  divina  pietas  vos,  beatorum  principum  apostolorum  Pétri  etPauli 
«  interventione,  per  vicarium  ipsorum,  dominum  videlicet  Joannem,  sum- 
«  muni  pontificem  et  universalem  papam  ,  spiritualemque  patrem  vestrum, 
«  ad  profectum  sanctae  Dei  Ecclesiœ  nostrâque  omnium,  invitavit,  et  ad 
«impériale  culmen,  sancti  Spiritûs  judicio  ,  provexit;  nos  unanimiter 
«  vos  protectorem,  dominum  ,  ac  defensorem  omnium  nostrûm  eligimus.  » 
Ibhl. 

(2)  «  Et  quia  pridem  apostolicae  mémorise  decessori  nostro,!'papae  Nico- 
«  lao,  idipsum  jam  inspiratione cœlesti  revelatum  fuisse  comperimus;  elegi- 
«  mus  hune  mérité,  et  approbavimus,  unà  cum  annisu  et  voto  omnium  fra- 
«  trumet  coepiscoporum  nostrorum,  atqne  aliorum  sanctœ  Romanœ  Ecclesiae 
«  ministrorum,  amplique  senatûs,  totiusque  Romani  populi,  gentisque  to- 
«  gatre;  etsecundùm  priscam  consuetudinem  solemniter  ad  iinperii  Romani 
«  sceptra  proveximus,  et  Augustali  nomine  decoravimus.  »  Labbe,  Concil. 
ibid.,  p.  296. 

Les  éloges  que  le  Pape  donne  ici  à  Charles  le  Chauve  ne  s'accordent  guère 
avec  ce  que  disent  Fleury  et  plusieurs  autres,  d'après  les  Annales  de  Fulde, 
que  ce  prince ,  pour  assurer  son  élection ,  corrompit  le  sénat  à  force  de  pré- 
sents. Mais  on  doit  remarquer  que  les  Annales  de  Fulde  sont  très-suspectes 
sur  ce  point,  ayant  été  écrites  sous  la  domination  du  roi  de  Germanie,  en- 
nemi déclaré  de  Charles ,  comme  on  vient  de  le  voir. 


622  DEUXIÈME  PARTIE.  —  POUVOIR   DU  PAPE 

caractère  de  chef  de  l'Église,  mais  de  concert  avec  les  seigneurs 

et  le  peuple  romain,  dont  il  était  depuis  longtemps  le  chef  et  le 

représentant,  pour  l'élection  de  l'empereur,  aussi  hien  que  pour 

tout  ce  qui  regardait  le  gouvernement  temporel  de  Rome  et  de 

l'exarchat. 

263.  Quelques  auteurs  modernes  nous  opposent  ici  l'exemple  de 

commentée  charlemagne ,  de  Louis  le  Débonnaire,  et  de  Lothaire  Ier,  qui 

aveVkT'con.  ne  paraissent  pas  avoir  attendu  le  consentement  du  Pape  pour 

duiie  des    associer  leurs  fils  à  l'empire;  ce  qui  suppose  que  ces  princes  ne 

empereurs  qui  *     .  r  x  l  •*  x 

ont  associé   reconnaissaient  pas,  dans  le  Pape,  le  droit  d'élection  que  nous 

leurs  fils   à  , 

l'empire,     lui  attribuons  (1). 

Il  est  vrai  que  les  historiens  ne  font  aucune  mention  du  con- 
sentement du  Pape  à  la  conduite  de  ces  princes;  mais  le  silence 
des  historiens  ne  saurait  affaiblir  les  preuves  positives ,  qui  éta- 
blissent la  nécessité  de  ce  consentement.  En  effet,  il  résulte 
clairement  des  faits  que  nous  venons  d'exposer,  que  Charle- 
magne  n'a  dû  son  titre  &  empereur  qu'à  l'élection  du  Pape; 
qu'en  donnant  ce  titre  à  Charlemagne,  le  Pape  ne  prétendit  pas 
renoncer,  pour  l'avenir,  à  son  droit  d'élection;  que  Charle- 
magne ne  croyait  pas  pouvoir  disposer  de  son  titre  ft empereur, 
même  de  concert  avec  les  seigneurs  de  ses  États;  enfin  que, 
longtemps  encore  après  Charlemagne,  ses  successeurs  recon- 
naissaient, dans  le  Pape,  le  droit  de  choisir  l'empereur.  En 
faut-il  davantage  pour  démontrer  la  permanence  de  ce  droit, 
sous  les  empereurs  carlovingiens?  Cette  permanence  étant  une 
fois  établie  par  des  preuves  si  décisives,  ne  s'ensuit-il  pas  natu- 
rellement, que  la  conduite  de  Charlemagne,  de  Louis  le  Débon- 
naire, et  de  Lothaire  Ier,  associant  leurs  fils  à  l'empire,  ne  peut 
s'expliquer  que  par  le  consentement  exprès  ou  tacite  du  Pape  ? 
Ce  consentement  est  d'autant  plus  naturel  à  présumer,  qu'à 
l'époque  de  ces  associations,  les  princes  dont  il  s'agit  vivaient 

(t)  Cette  difficulté  est  proposée  par  Bossuet,  Velly,  et  quelques  autres 
écrivains  modernes ,  qui  ne  paraissent  pas  avoir  fait  assez  d'attention  à  la 
suite  des  faits  qui  établissent  notre  sentiment.  (  Bossuet ,  De/.  Declar., 
lib.  ii,  cap.  39.  — Velly,  Hist.  de  France,  t.  h,  p.  113.  )  Velly  surtout  pa- 
raît les  avoir  complètement  ignorés;  s'il  les  eût  connus,  il  n'eût  sans  doute 
pas  avancé  avec  tant  de  confiance,  que  l'élévation  de  Charles  le  Chauve  à 
la  dignité  impériale,  est  la  véritable  époque  de  V autorité  que  les  pon- 
tifes Romains  se  sont  ensuite  attribuée  dans  l'élection  des  empereurs  9 
et  que  cette  prétention  était  jusque-là  sans  exemple. 


SUR  LES  SOUVERAINS.  —  CHAPITRE  III.  623 

dans  une  parfaite  intelligence  avec  le  Pape.  On  sait  que  cette 
bonne  intelligence  ne  fut  jamais  troublée  sous  le  règne  de  Char- 
lemagne  ;  et  pour  ce  qui  regarde  en  particulier  Louis  le  Débon- 
naire et  Lolhaire  Ier,  il  est  certain  que,  bien  loin  de  prétendre 
associer  leurs  fils  à  l'empire,  sans  le  concours  du  Pape,  ils  en- 
voyèrent ces  jeunes  princes  à  Rome,  peu  de  temps  après  cette 
association,  pour  y  recevoir  la  couronne  et  l'onction  impériale 
de  la  main  du  souverain  pontife,  dont  ils  regardaient  eux- 
mêmes  le  concours  comme  une  condition  essentielle  de  cette 
promotion  (l). 

2°  La  translation  de  V empire  aux  Allemands,  en  962,  par    L.**4i 
l'autorité  du  pape  Jean  XII,  montre  qu'à  cette  époque ,  le  droit  transféré  des 
du  Pape,  pour  l'élection  des  empereurs,  subsistait  encore,    aux  aii«. 
quoiqu'il  fût  contrarié,  dans  son  exercice,  par  les  seigneurs  de  Sorû/d» 
Rome,   qui  avaient  usurpé  l'autorité  souveraine  dans  cette       Pape* 
ville  (2).  Déjà  le  pape  Agapet  II ,  prédécesseur  de  Jean  XII ,  pour 
mettre  fin  à  ce  désordre ,  avait  appelé  à  son  secours  Othon  Ier, 
roi  de  Germanie,  qui,  malgré  quelques  succès  en  Italie,  n'avait 
pu  pénétrer  jusqu'à  Rome;  mais  ce  prince,  appelé  de  nouveau 
en  Italie  par  Jean  XII,  la  délivra  enûn  de  la  tyrannie  de  Bé- 
rengerll,  et  s'avança  jusqu'à  Rome,  où  le  Pape  lui  donna  la 
couronne  impériale,  le  2  février  962  (3).  C'est  ainsi  que  l'empire 
d'Occident  passa  des  Français  aux  Allemands,  qui  l'ont  toujours 
possédé  depuis.  L'histoire  de  cette  translation  montre  que  l'élé- 
vation dOthon  1er  à  la  dignité  impériale,  aussi  bien  que  celle 
deCharlemagne,  s'opéra  par  l'autorité  du  Pape,  agissant  comme 
souverain  de  Rome  et  de  l'exarchat.  Il  est  certain,  en  effet,  que 
le  roi  de  Germanie,  Othon  1er,  bien  loin  de  se  regarder  comme 
souverain  de  Rome,  en  vertu  de  ses  conquêtes  en  Italie,  ne  fut 
reçu  à  Rome  par  le  pape  Jean  XII,  qu'après  avoir  promis  avec 
serment  d'y  reconnaître,  et  d'y  maintenir  de  tout  son  pouvoir, 
la  souveraineté  du  Pape  (4). 

(1)  Voyez,  à  l'appui  de  ces  faits,  les  détails  que  nous  avons  donnés  dans  le 
chapitre  précédent,  art.  4,  n.  150,  etc. 

(2)  Voyez  la  note  3  ci-dessus,  p.  618. 

(3)  Cenni,  Monumenta,  t.  n;  Dissert.  1,  n.  38-41;  Dissert.  6,  n.  3. 
— -Fleury,  Hist.  Eccl.,  t.  xii,  liv.  lvi,  n.  1.  —Receveur,  Hist.  de  VÉglisef 
tom.  v,  p.  7,  etc.  —  Bossuet,  Defens.  Declar.,  lib.  n,  cap.  40  et  41. 

(4)  Voyez  plus  haut,  chap.  2,  n.  158,  pag.  501. 


624  DEUXIÈME  PARTIE.  —  POUVOIR  DU  PAPE 

a65.  Depuis  l'élévation  d'Othon  Ier  à  la  dignité  impériale,  on  ne 

!nfl  peanpe  du  voit  pas  que  le  Pape  ait  continué  de  choisir  par  lui-même  l'em- 

dansl'^ection  pereur  d'Occident.  L'histoire  nous  montre  au  contraire  l'élec- 

l'empereur,  fjon  je  ce  prince  dévolue,  depuis  la  fin  du  xe  siècle,  à  la  diète 

depuis  cette  L  '         *■  * 

époque,  germanique,  et  plus  tard  (vers  le  milieu  du  xm  siècle),  aux 
princes  électeurs,  qui  ont  conservé  jusqu'à  nos  jours  ce  droit 
d'élection  (l).  Toutefois  il  est  certain  que  le  Pape,  sans  choisir 
l'empereur  par  lui-même,  continua  d'avoir  une  très-grande 
part  à  ce  choix.  Radulphe  Glaber,  moine  de  Cluny,  qui  écrivait 
au  milieu  du  xie  siècle,  parle  de  cet  usage  comme  d'un  fait  uni- 
versellement reconnu.  «Il  paraît  très-raisonnable,  dit-il,  et 
«  très-bien  établi  pour  le  maintien  de  la  paix,  qu'aucun  prince 
«  ne  prenne  le  titre  à' empereur,  sinon  celui  que  le  Pape  aura 
«  choisi  pour  son  mérite,  et  à  qui  il  aura  donné  la  marque  de 
«  cette  dignité  (2).  » 

Non-seulement  le  Pape  conservait  alors  une  très-grande  part 
à  l'élection  de  l'empereur  ;  mais  tout  porte  à  croire  que  le  nou- 
veau mode  d'élection  introduit  depuis  le  xe  siècle,  ne  s'est  établi 
qu'avec  l'autorisation  du  saint-siége.  Telle  était  la  persuasion 


(1)  Nous  n'entrons  point  ici  dans  l'examen  de  la  question  si  obscure  de 
l'origine  des  électeurs  de  l'empire.  Cet  examen ,  qui  nous  conduirait  beau- 
coup trop  loin,  n'est  pas  nécessaire  à  l'éclaircissement  de  l'objet  principal  de 
nos  Recherches.  Nous  ferons  seulement  remarquer,  en  passant ,  que  les  dé- 
tails contenus  dans  ce  chapitre ,  sur  l'origine  du  nouvel  empire  d'Occident, 
peuvent  beaucoup  servir  à  l'éclaircissement  de  cette  question ,  et  à  corriger 
plusieurs  auteurs  modernes  qui  s'en  sont  occupés.  Voyez  principalement , 
sur  ce  sujet,  Cenni,  Monumenta,  t.  h;  Dissert.  6,  n.  1,  3-15.  Voyez 
aussi  la  lre  Dissert.,  n.  44,  etc.  —  Leibniz,  Dissert,  i,  De  actorum  public, 
usu,  n.  18  et  19  ;  Dissert.  2,  n.  25  et  26.  Ces  Dissertations ,  qui  serven 
de  Préfaces  aux  tomes  i  et  n  du  Code  Diplomatique  du  même  auteur, 
ont  été  reproduites  dans  le  tome  îv  de  ses  Œuvres,  3e  partie,  p.  287,  etc.  — 
Bossuet,  Defens.  Declar. ,  lib.  n,  cap.  40  et  41.  —  Baronius,  Annal.  Eccles., 
t.  x,  anno  996,  n.  38-71.  — Pagi,  Critica  in  Annales  Baronii,  t.  iv,  anno 
996,  n.  10,  17  ;  anno  1024,  n.  5  et  6. 

(2)  «  lllud  nimirum  condecens  ac  perhonestum  videtur,  atque  ad  pacis 
«.  tutelam  optimum  decretum ,  scilicet  :  ut  ne  quisquam  audacter  imperii 
«  Romani  sceptrum  prseposterus  gestare  princeps  appetat,  seu  imperator 
«  dici  aut  esse  valeat,  nisi  quem  papa  sedis  Romanee,  morum  probitate  dele- 
«  geritaptum  reipublicse,  eique  commiserit  insigne  impériale.  »  Rad.  Gla- 
ber, Hist.  lib.  i,  versus  finem.  {Recueil des  Hist.  de  France,  par  Du- 
chesne,  tom.  iv.)  —Baronius,  Annales,  t.  xi,  anno  1013,  n.  5.  —  Fleury, 
Hist.  Eccl.,  tom.  xn,  lib.  lviii,  n.  38.  — D.  Ceillier,  Hist.  des  Auteurs 
ecclés.,  t.  xx,  p.  240. 


SUR   LES   SOUVEKÀINS CHAPITRE   III.  625 

générale  du  moyen  âge,  comme  on  l'a  vu  plus  haut(l);  et  le 
pape  Innocent  III ,  dans  une  lettre  adressée  aux  princes  alle- 
mands, au  commencement  du  xme  siècle,  suppose  cette  origine 
des  électeurs,  comme  un  fait  constant,  et  reconnu  des  électeurs 
eux-mêmes  (2).  Cette  supposition  est  d'ailleurs  confirmée  par 
l'usage  constamment  observé  pendant  toute  la  suite  du  moyen 
âge,  que  le  roi  de  Germanie,  élu  par  les  princes  allemands,  ne 
prît,  en  vertu  de  cette  élection ,  que  le  titre  de  roi  des  Romains , 
et  non  celui  à! empereur,  jusqu'à  ce  qu'il  eût  été  reconnu  et 
couronné  à  Rome  par  le  Pape  (3). 

La  conséquence  naturelle  de  tous  ces  faits,  est  que  le  Pape,  en  266. 
donnant  à  Charlemagne  le  titre  à? empereur,  n'avait  pas  pré-  ,0'deqceence 
tendu  renoncer,  pour  l'avenir,  à  son  droit  d'élection  ;  qu'il  a  inodieiodn'dec" 
conservé  longtemps  l'exercice  de  ce  droit;  et  qu'en  cessant  de 
l'exercer  par  lui-même,  il  a  toujours  continué  d'avoir  une  très- 
grande  part  à  l'élection.  Or,  il  est  aisé  de  voir,  que  cette  in- 
fluence du  Pape  dans  l'élection  de  l'empereur,  lui  donnait  na- 
turellement le  droit  d'imposer  certaines  conditions  à  l'empereur 
élu ,  et  par  conséquent  de  le  déposer,  dans  le  cas  où  il  les  vio- 
lerait (4).  Toutefois,  nous  ne  prétendons  pas  conclure  de  là, 
que  l'empire  fût  proprement,  dans  son  origine,  un  fief  du 
saint-siège.  Il  est  certain,  en  effet,  que  le  pape  Léon  III,  en 
donnant  à  Charlemagne  la  couronne  impériale,  ne  lui  donna 
aucun  nouveau  territoire  :  il  lui  conféra  seulement  un  titre  ho- 
norable ,  pour  récompenser  et  exciter  de  plus  en  plus  son  zèle  à 
protéger  et  à  défendre  les  intérêts  du  saint-siége.  Telle  a  été  con- 
stamment l'unique  vue  des  successeurs  de  Léon  III,  en  conférant 
la  couronne  impériale  aux  successeurs  de  Charlemagne.  Léser- 
ai) Voyez  plus  haut,  chap.  11,  art.  4,  p.  484,  etc.  Voyez  aussi  Maim  bourg, 
Hist.  de  la  Décadence  de  V Empire,  p.  110,  etc. 

(2)  Innoc.  III,  Epistol.  ad  Bertholdum  Zaringiœ  ducem ,  initio  sœ- 
culi  xiu.  (Baluze,  Epistol.  Innoc.  III,  1. 1,  p.  715.)  Nous  avons  cité  le  texte 
de  cette  lettre  dans  le  chapitre  précédent,  n.  154 ,  pag.  497. 

(3)  Voyez  plus  haut,  chap.  11,  art.  4,  n.  150,  etc.  C'est  par  une  suite  de  cet 
ancien  usage,  que  dans  ces  derniers  temps,  et  de  nos  jours  même,  depuis 
que  les  empereurs  d'Allemagne  ont  cessé  d'aller  se  faire  sacrer  et  couronner 
à  Rome ,  le  Pape  ne  leur  donne  pas  absolument  le  titre  d' 'empereur,  mais 
seulement  celui  ^empereur  élu.  C'est  ce  qu'on  remarque  en  particulier, 
dans  deux  brefs  de  Pie  VI,  aux  empereurs  Léopold  H  et  François  IL  (Collect. 
des  Brefs  de  Pie  VI;  Paris,  1798;  pag.  557  et  561.) 

(4)  Voyez  plus  haut,  chap.  1,  art.  1,  n.  25. 

40 


626  DEUXIEME   PARTIE.  —  POUVOIR  DU  PAPE 

ment  de  fidélité  qu'ils  ont  exigé  d'eux,  à  cette  occasion,  ne  suppose 
aucunement  que  les  empereurs  tinssent  leurs  domaines  du  saint- 
siége;  il  suppose  seulement  l'obligation  de  le  défendre  contre  ses 
ennemis  ;  et  les  papes,  en  s'atlribuant,  comme  ils  faisaient,  le  droit 
de  choisir  l'empereur,  et  même  de  le  déposer  en  certains  cas,  ne 
se  regardaient  pas  proprement  comme  seigneurs  suzerains  de 
ses  domaines,  mais  seulement  comme  juges  de  sa  conduite  et  de 
ses  droits,  d'après  l'usage  et  la  constitution  de  l'empire. 

267.  Quatrième  fait.  Les  plus  anciens  monuments  du  Droit  ger- 

Onatrième  ,  ,       1  . 

/ait:       manique  établissent  ou  supposent  clairement  la  dépendance 
es  pap?   "  particulière  de  l'empereur  à  l'égard  du  Pape,  et  les  droits  du 
sm  établis™'  souverain  pontife ,  relativement  à  l'élection  de  l'empereur,  et 
]YM  Drou™  m&me  à  sa  déposition  en  certains  cas. 

germanique.  \\  suffit,  pour  s'en  convaincre,  de  parcourir  le  Droit  de 
Saxe  et  le  Droit  de  Souabe,  compilés  au  xme  siècle,  d'après  les 
anciennes  coutumes  de  Vempire{\),  et  longtemps  en  vigueur 
en  Allemagne  depuis  cette  époque.  Les  plus  savants  juriscon- 
sultes allemands  du  dernier  siècle,  et  même  de  nos  jours,  re- 
gardent comme  certain,  que  ces  deux  codes  ont  été  d'une  grande 
autorité  en  Allemagne ,  dans  les  jugements,  depuis  le  xme  siècle 
jusqu'au  xvie,  comme  renfermant  les  lois  et  les  coutumes  du 
temps  (2).  Ils  ajoutent  que  ce  sont  moins  deux  codes  différents, 
que  deux  rédactions  d'un  même  code ,  l'une  faite  par  un  Saxon, 
et  l'autre  par  un  habitant  de  la  Souabe.  Nous  rapporterons 
seulement  ici,  sur  le  sujet  qui  nous  occupe,  les  principaux  ar- 
ticles du  Droit  de  Souabe ,  parce  qu'il  entre  dans  un  plus  grand 
développement  que  celui  de  Saxe. 

268.  11  est  expressément  statué,  dans  le  préambule  de  ce  code, 
subord.nanon  que  i>empereur^  aussi  bien  que  tous  les  autres  princes  et  magis- 
puiss0rdieem  trats  séculiers,  doit  employer  son  pouvoir  à  faire  rendre  au  Pape 
enveïu  !" spi  l'obéissance  qui  lui  est  due.  Voici  les  propres  expressions  de  ce 
selon  ce  Droit,  préambule  (3)  :  «  L'épée  du  jugement  ecclésiastique  a  été  donnée 

(1)  Voyez  le  préambule  du  Droit  de  Souabe,  que  nous  avons  cité  plus 
haut,  chap.  i,  art.  3,  pag.  418,  note  3. 

(*>)  Senckenberg ,  dans  sa  Préface  du  Droit  de  Souabe  (§  20),  dit  que  ce 
point  n'est  plus  contesté  aujourd'hui.  C'est  aussi  le  sentiment  d'Eichorn, 
dans  son  Histoire  de  V Empire  et  du  Droit  germanique,  3e  édit.,  tom.  n, 
pag.  276,  etc. 

(3)  «  Ensis  ecclesiasticus  Papae  ipsi  est  concessus,  ut  debito  tempore  ju- 
«  dieet,  sedens  super  equum  candidum  ;  et  imperator  débet  Papee  stapiam 


SUR  LES   SOUVERAINS.  —  CHAPITRE   III.  627 

«  au  Pape,  afin  qu'il  prononce  ses  jugements,  au  temps  conve- 
«  nable,  assis  sur  un  cheval  blanc  (en  signe  de  sa  prééminence). 
«  L'empereur  doit  alors  tenir  l'étrier  au  Pape ,  afin  que  la  selle 
«  ne  bouge  pas  (l).  Cela  signifie  que  si  quelqu'un  résiste  au  Pape, 
«  et  que  celui-ci  ne  puisse  le  contraindre  à  l'obéissance  par  le 
«jugement  ecclésiastique,  l'empereur,  ainsi  que  les  autres 
«  princes  et  juges  séculiers ,  doivent  l'y  contraindre  par  la 
«  proscription  (civile).  » 

«tenere,  ne  ephippium  loco  moveatur.  Hoc  ipso  indicatur  quod  omnem 
«  eum  quicumque  Papse  resistit,  quemque  ipse  judicio  ecclesiastico  cogère 
«  non  valet  ad  obediendum,  debeat  imperator,  et  alii  sœculares  principes 
«  et  judices ,  cogère  per  proscriptionem.  »  Juris  Alamannici  seu  Suevici 
prcefamen,  n.  21-24.  (Senckenbet  g ,  ubisuprà,  pag.  6,  etc.) 

On  remarque  ici  une  différence  importante  entre  le  texte  du  Droit  de 
Souabe  et  celui  du  Droit  de  Saxe.  Voici  ce  qu'on  lit  dans  le  premier  :  «  Dieu, 
«  qui  est  le  prince  de  la  paix ,  a  laissé ,  en  montant  au  ciel ,  deux  épées  sur  la 
«  terre,  pour  la  défense  de  la  chrétienté.  Il  les  a  confiées  toutes  deux  à  saint 
«  Pierre  f  l'une  pour  le  jugement  temporel ,  l'autre  pour  le  jugement  ecclé- 
«  siastique.....  Le  Pape  donne  à  l'empereur  l'épée  du  jugement  séculier; 
«  l'épée  du  jugement  ecclésiastique  a  été  donnée  au  Pape,  etc.»  Le  Droit  de 
Saxe  est  conçu  en  termes  bien  différents  :  «  Dieu,  dit-fl,  a  laissé  deux  épées 
«  sur  la  terre  pour  protéger  la  chrétienté:  au  Pape,  l'épée  spirituelle;  à 
a  l'empereur,  Vépée  temporelle.  Il  est  aussi  permis  au  Pape  de  monter,  au 
«  temps  déterminé,  sur  un  cheval  blanc  ;  et  l'empereur  doit  lui  tenir  l'étrier, 
«  afin  que  la  selle  ne  bouge  pas  :  cela  signifie  que ,  etc.  »  (Specul.  Saxon. 
lib.  i ,  art.  1.)  Ce  dernier  texte  suppose  clairement  deux  puissances  distinc- 
tes, et  immédiatement  établies  de  Dieu.  Le  Droit  de  Souabe,  au  contraire, 
paraît  les  confondre,  en  supposant  que  Jésus-Christ  les  ait  données  toutes  deux 
immédiatement  à  saint  Pierre,  chargé  de  transmettre  la  puissance  tempo- 
relle aux  princes  séculiers.  Nous  avons  déjà  remarqué  que  cette  opinion 
n'avait  commencé  à  paraître  que  depuis  le  xne  siècle.  (Ci-dessus,  n.  189, 
pag.  533,  texte  et  notes.)  Mais  la  diversité  même  des  textes  que  nous  venons 
de  citer,  montre,  1°  que  cette  opinion  n'était  pas  universellement  admise 
au  xme  siècle  ;  2°  que  ceux  mêmes  qui  ne  l'admettaient  pas ,  ne  laissaient 
pas  de  reconnaître  la  subordination  de  la  puissance  temporelle  envers  la 
spirituelle,  et  le  pouvoir  qu'avait  le  Pape  de  déposer  l'empereur,  en  cer- 
tains cas  :  nous  ne  voyons  en  effet,  sur  ces  deux  points,  aucune  différence 
entre  le  Droit  de  Saxe  et  le  Droit  de  Souabe. 

(1)  L'usage  où  étaient  autrefois  les  empereurs,  de  remplir  auprès  du  Pape 
la  fonction  à'écuyer,  particulièrement  à  l'époque  de  leur  couronnement, 
était  bien  antérieur  à  la  rédaction  du  Droit  de  Souabe  et  du  Droit  Saxon. 
Environ  un  siècle  auparavant  (en  1155) ,  l'empereur  Frédéric  1er  {Barbe- 
rousse),  ayant  fait  difficulté  de  se  conformer  à  cet  usage,  qu'il  ne  croyait 
pas  suffisamment  établi,  ne  balança  plus  à  le  faire,  lorsqu'on  lui  eut  montré 
que  cet  usage  était  fondé  sur  d'anciens  monuments,  et  sur  le  témoignage 
de  plusieurs  seigneurs,  qui  avaient  assisté  (en  1133)  à  l'entrevue  de  l'em- 
pereur Lothaire  II  et  du  pape  Innocent  II.  (Muratori,  Antiquit.  Italicœ 
medii œvi,  tom.  i, dissert.  4 — Fleury,  Hist.  E ce lés.,  tom.  xv,  liv.  lxx,  n.  5.) 

40. 


628  DEUXIEME   PARTIE.  —  POUVOIR  DU   PAPE 

269.  Plusieurs  articles  du  même  code  entrent,  sur  ce  sujet,  dans 

deTÏlT  11U  détail  remarquable.  Voici  les  principales  dispositions  rela- 

sur  réieelion  tives  ^  l'élection  de  l'empereur  :  «  Le  choix  du  roi  [des Romains) 

l'empereur.  « appar lient  aux  Germains....  //  reçoit  le  pouvoir  et  le  nom 

«  de  roi,  lorsqu'il  est  consacré  (couronné) ,  et  placé  sur  le  trône 

«  à  Aix-la-Chapelle ,  du  consentement  de  ceux  qui  l'ont  choisi  ; 

«  mais  quand  le  Pape  l'a  consacré  (et  couronné) ,  alors  il  reçoit 

«  la  pleine  puissance  de  V  empire,  et  le  nom  d'empereur  (\).... 

«  Les  princes  (électeurs)  ne  doivent  pas  élever  à  la  dignité  royale, 

«un  homme  difforme,  lépreux,  excommunié,  proscrit,  ou 

«  hérétique.  S'ils  choisissent  un  roi  qui  ait  quelqu'un  de  ces 

«  défauts,  les  autres  princes  (de  l'empire)  ont  droit  de  le  rejeter, 

«  dans  le  lieu  où  s'assemble  la  cour  impériale,  pourvu  que  le 

«  prince  élu  soit  convaincu,  comme  cela  doit  être,  d'un  seul  de 

«  ces  défauts  (2) .  » 

a7o.  Le  chapitre  29e  détermine  les  cas  où  l'empereur  peut  être 

excommunié.  «Le  Pape  seul  peut  bannir  (c'est-à-dire  excom- 

Fôîii'em^  '  «munier)  l'empereur;   cependant  il  ne  le  peut  que  pour  ces 

leur  peut  eue  ((  lrojs  causes  .  ['une   s[  l'empereur  doutait  de  la  foi  catholique  ; 

excommunie  , 

par  îe  Pape.  «  l'autre,  s'il  quittait  son  épouse  légitime  ;  la  troisième ,  s'il  dé- 
«  truisait  les  églises  (ou  d'autres  lieux  saints).  Le  Pape  a  ce  droit 

Cet  usage  paraît  même  remonter  beaucoup  plus  haut;  car  il  en  est  fait 
une  mention  expresse  dans  plusieurs  exemplaires  du  Sacramentaire  de  saint 
Grégoire,  en  usage  à  Rome  et  en  France  au  ixe  siècle.  (Sacram.  Greg.  De 
Coronatione  imper,  in  Liturgia  Rom.  vet.  à  Muratori  édita,  Venetiis,  1748, 
2  vol.  in-fol. ,  tom.  n,  pag.  464.)  Nous  avons  indiqué  ailleurs  (pga.  499, 
note  3),  les  principales  raisons  qui  établissent  l'antiquité  de  ces  exemplaires 
du  Sacramentaire  de  saint  Grégoire.  Mais,  quoi  qu'il  en  soit  de  ce  point 
de  critique,  il  est  certain  que  les  empereurs ,  en  donnant  au  souverain  pon- 
tife le  témoignage  de  respect  dont  il  est  ici  question ,  imitaient  l'exemple  de 
Pépin  le  Bref,  qui  s'était  fait  un  honneur  de  remplir  la  fonction  d'écuyer 
auprès  du  pape  Etienne  II,  en  754.  (Anastas.  Bibliothec.  Vita  Stephanill. 
—  Fleury,  Hist.  Ecclés. ,  tom.  ix,  liv.  xliii,  n.  11.) 

(1)  «Germani  ç\\g\miregem  {Romanorum) Quandoipse  consecratur 

«  (et  coronatur),  et  collocatur  in  solio  Aquisgranensi,  ex  eorum  voluntate  qui 
«  ipsum  elegere,  tune  accipit  potestatem  et  nomen  Régis.  Quando  autem 
«.  Papa  eum consecravit  {coronavitque) ,  tune  plenariam  habet  imperii 
«  potestatem,  et  nomen  Imperatoris.»  Juris  Alamannici  cap.  18,  n.  1,  2, 3. 

(2)  «  Membris  capti,  item  leprosi,  et  qui  sunt  vel  excommunicati ,  vel 
«.proscripti  et  hœretici, non  debent  eligi  ( in  regem  Romanorum)  à  princi- 
a  pibus  (electoribus).  Quod  si  autem  eligunt  talem  aliquem,  reliqui  principes 
«eum  jure  rejiciunt  in  illo  loco,  quo  curia  imperialis  est  convocata,  si 
«  electus  de  unico  horum  defectuum  est  convictus,  uti  juris  est.»  Juris 
Alamannici  cap.  22,  n.  8  et  9. 


Trois  cas  dé 
terminés 


SUR  LES   SOUVERAINS.  —  CHAPITRE   III.  629 

«  sur  l'empereur,  après  son  couronnement.  Si ,  avant  cette  cé- 
rémonie, l'empereur  se  conduit  d'une  manière  répréhensible 
«  envers  un  évêque  ou  quelque  autre  personne ,  la  plainte  doit 
«  être  portée  d'abord  au  comte  palatin  du  Rhin  (l) ,  qui  la  por- 
tera lui-même  à  son  archevêque;  alors  celui-ci  peut  bannir 
«  (ou  excommunier)  le  roi  (2).  » 

Pour  bien  comprendre  le  sens  et  les  conséquences  de  cet  ar-  Cons7quenCes 
ticle,  il  faut  remarquer,  en  premier  lieu ,  que  le  Droit  de  Souabe     de  cc,,e 
distingue,  en  plusieurs  endroits,  deux  sortes  de  bans,  savoir:       ^ 

>i»i     «après  les  an- 

le  ban  ecclésiastique  ou  l'excommunication ,  qui  prive  le  ddcle  ciennçs 
des  biens  spirituels,  et  le  ban  séculier  ou  la  proscription ,  qui  Pire. 
entraîne  la  perte  des  droits  civils  (3).  Le  ban  dont  il  est  question 
dans  le  chapitre  29e,  étant  prononcé  par  un  évêque  ou  par  le 
Pape  lui-même,  est  proprement  le  ban  ecclésiastique  ou  r ex- 
communication.  Mais  il  faut  remarquer,  en  second  lieu,  que, 
d'après  le  droit  alors  en  vigueur  dans  tous  les  États  catholiques 
de  l'Europe,  et  spécialement  en  Allemagne,  l'excommunication 
entraînait  régulièrement,  au  bout  d'un  certain  temps,  la  pro- 
scription civile;  comme  celle-ci  entraînait  régulièrement,  au 
bout  d'un  certain  temps,  l'excommunication.  Nous  avons  rap- 
porté plus  haut  les  principales  dispositions  du  Droit  de  Souabe 
sur  ce  point  (4).  Nous  avons  fait  remarquer,  à  cette  occasion,  que 
l'intervalle  de  temps  nécessaire  pour  donner  à  l'excommunica- 
tion ses  effets  temporels ,  n'était  pas  le  même  pour  les  princes  et 
pour  les  particuliers.  D'après  le  Droit  de  Souabe,  cet  intervalle 
de  temps  était,  pour  ceux-ci,  de  six  semaines  ;  mais,  d'après  les 
anciennes  coutumes  de  l'empire,  ce  temps  était,  pour  l'empe- 

(1)  D'après  le  chap.  21  du  Droit  de  Souabe,  le  comte  Palatin  du  Rhin 
était  le  juge  ordinaire  de  V empereur . 

(2)  «  Imperatorem  in  bannum  declarare  nemo  potest ,  nisi  Papa.  Hoc  ta- 
«  men  )  non  facere  débet ,  nisi  oh  très  causas.  Una  est  si  imperator  de  fidei 
«  orthodoxia  dubitaret.  Altéra  est  si  ab  uxore  diverteret.  Tertia  est  si  Eccle- 
«  sias  (  aut  alia  loca  pia)  destrueret.  Hoc  juris  obtinet  circa  imperatorem  , 
«  quando  coronatus  est.  At  si  antea  (quàm  coronatus  est)  contra  episcopum 
«  aliquem  aut  alium ,  aliquid  (  querelâ  dignum  )  agit ,  tuni  primo  loco  que- 
«  rela  illa  ad  comitem  Palatiuum  débet  deferri,  qui  inde  archiepiscopo 
«  suo  rem  defert  ;  qui  (  arebiepiscopus  )  potest  ipsum  in  bannum  declarare.  » 
Juris  Alamannici  seu  Suevici,  cap.  29. 

(3)  /fad.,cap.  1,  2  et  127. 

(4)  Juris  Alam.  cap.  1  et  3.  Voyez  plus  baut,  ebap.  1,  art.  3,  n.  78, 
pag.  418,  etc. 


630  DEUXIEME  PARTIE.  —  POUVOIR  DU  PAPE 

reur,  d'une  année  entière.  Telle  était  déjà  la  loi  ou  la  coutume, 
longtemps  avant  la  rédaction  du  Droit  de  Souabe ,  au  témoi- 
gnage des  auteurs  contemporains  de  Grégoire  VII  (l).  Le  lan- 
gage de  ces  auteurs,  confirmé  par  les  propres  aveux  des  empe- 
reurs ,  nous  autorise  à  dire ,  avec  un  célèbre  critique  du 
xvne  siècle,  que  la  peine  de  la  déposition,  pour  un  empereur 
qui  persévérait  une  année  entière  dans  l'excommunication,  était 
fondée  sur  une  ancienne  loi  de  l'empire,  quoique  nous  ne 
puissions  en  assigner  l'origine  précise  (2). 
27.2.  Le  chapitre  35 1  dix  Droit  de  Souabe y  qui  traite  des  héré- 

déposiiion    tiques,  renferme  les  dispositions  suivantes (3) -.  «Tout  prince 
priesmêm£ar  «laïque  qui  ne  punit  point  les  hérétiques,  mais  les  défend  et  les 
^'prî^ces6 'es  «protège,  doit  être  excommunié  par  le  juge  ecclésiastique;  et 
hérétiques.    «  s>ji  ne  s> amende  point  dans  l'année ,  l'évêque  qui  l'avait  ex- 
ce  communié  doit  le  dénoncer  au  Pape,  et  exposer  en  même  temps 
«  à  celui-ci,  pendant  combien  de  temps  le  coupable  est  demeuré 
«  dans  l'excommunication  lancée  contre  lui ,  en  punition  de  son 
«crime.  Après  cela,  le  Pape  doit  priver  le  prince  de  son 
«  emploi  et  de  tous  ses  honneurs.  C'est  ainsi  qu'il  faut  juger  les 
«grands,  aussi  bien  que  les  pauvres.  Aussi  lisons-nous  que  le 
«pape  Innocent  III  a  déposé  de  l'empire  l'empereur  Othon  IV 
«  pour  d'autres  crimes.  C'est  avec  raison  que  les  pontifes  agissent 
«  ainsi  ;  car  Dieu  dit  à  Jérémie  :  Je  vous  ai  établi  pour  juger 
«  tous  les  hommes  et  tous  les  royaumes.  » 

(1)  Voyez  les  auteurs  cités  plus  haut,  ch.  2,  n.  96  et  97. 

(2)  «  Istà  lege  (  depositione  scilicet  imperatoris  excommunicati  ) ,  licet 
«  proprium  ejus  fontem  nequeam  producere,  vivebat  olim  Romanum  (id 
«  est,  Romano-Germanum)  imperium  :  ideoque  Romani  pontifices,  ante- 
«  quara  ad  augusti  principis  procédèrent  exauctorationem ,  excommunica- 
«tionem  praemittebant.  »  Christ.  Lupus,  Décréta  et  Canones,  tom.  iv, 
Scholia  in  Gregorii  VII  Dictatus,  can.  12,  pag.  457. 

(3)  «  Quicumque  principum  laïcorum  haereticos  non  punit,  sed  ipsos  de- 
«  fendit  et  fovet,  hune  judicium  ecclesiasticum  débet  excommunicare  ;  et  si 
«  intra  integrum  annum  non  resipiscit,  episcopus  qui  ipsum  excommunica- 
«  verat,  Papœ  denuntiare  débet  ipsius  crimen,  et  simul  exponere  per  quan- 
«  tum  temporis  ille,  ob  crimen  suum ,  sit  in  statu  excommunicatorum.  Hoc 
«  facto,  Papa  débet  illumprivare  munere  principis,  et  omnibus  hono- 
«  ribus  suis.  Ita  judicandum  est ,  tam  de  magnatibus  quàm  de  pauperibus. 
«  Nos  etiam  legimus  quod  papa  Innocentius  deposuerit  imperatorera  Otho- 
«  nem  ab  imperio,  ob  alia  crimina.  Id  pontifices  jure  faciunt  :  Deus  enim 
«  dixit  Jeremiae  s  Ego  tejudicem  constitui  omni  homini  et  omni  regno.  » 
Juris  Alamannici  seu  Suevici  cap.  351. 


SUR   LES   SOUVERAINS.  —  CHAPITRE  III.  631 

Il  résulte  clairement  de  ces  divers  passages  de  l'ancien  Droit       a73. 
germanique ,  que  la  sentence  du  Pape  qui  déposait  l'empereur,    °nXqce"ce 
ne  le  privait  pas  seulement  du  titre  d'empereur,  mais  de  tous  d,si,os,t,ons- 
ses  emplois,  et  de  tous  ses  honneurs,  et  par  conséquent  du 
titre  et  des  droits  de  roi  de  Germanie;  en  sorte  que  les  élec- 
teurs étaient  autorisés,  par  cette  sentence,  à  élire  un  autre  roi, 
qui  devait  ensuite  s'adresser  au  Pape,  pour  obtenir  le  titre  d'em- 
pereur avec  la  couronne  impériale.  Ces  dispositions  du  Droit 
germanique,  au  moyen  âge,  étonneront  sans  doute  aujour- 
d'hui bien  des  lecteurs  ;  et  il  est  à  regretter  que  la  plupart  des 
auteurs  modernes,  qui  ont  écrit  sur  l'histoire  de  cette  époque, 
aient  ignoré  cette  ancienne  jurisprudence,  qui  répand  un  si 
grand  jour  sur  l'histoire  des  fâcheux  démêlés  qui  ont  si  long- 
temps divisé  le  sacerdoce  et  l'empire. 

§  3.  Examen  des  principales  difficultés  qu'on  peut  opposer 

à  notre  sentiment, 

La  simple  exposition  de  nos  preuves  renferme,  à  ce  qu'il       274. 
nous  semble,  la  solution  des  difficultés  qu'on  pourrait  opposer    '"2w. 
à  notre  sentiment,  et  qu'on  nous  a  en  effet  opposées  dans  quel-     Pv"nVd? dl" 
ques  écrits  périodiques ,  où  l'on  a  rendu  compte  de  la  première  j^f^  *]j 
édition  de  cet  ouvrage  (  1  ) .  1>ai;  !f.s  »>aPes  • 

°     v    '  i  1  appui 

La  principale,  et  celle  qui  paraît,  au  premier  abord,  plus  spé-  de  »«««  sen- 
cieuse,  se  tire  du  langage  ordinaire  des  souverains  pontifes,  de  déposition. 
qui,  dans  les  sentences  de  déposition  qu'ils  prononcent  contre 
les  princes,  se  fondent  sur  le  pouvoir  divin  de  lier  et  de  délier, 
sans  faire  aucune  mention  du  droit  public  dont  nous  parlons; 
ce  qui  paraît  supposer  qu'ils  regardent  le  droit  divin  comme 
l'unique  fondement  du  pouvoir  qu'ils  s'attribuent  de  déposer  les 
souverains. 

Les  observations  que  nous  avons  faites  sur  la  sentence  de 
Grégoire  VII  contre  l'empereur  Henri  IV,  et  sur  la  sentence 
d'Innocent  IV  contre  Frédéric  II,  résolvent  pleinement  cette 
difficulté (2).  Il  résulte  en  effet  de  ces  observations:  t°  que 

(\)' Journal  des  Débats,  29  septembre  1839.—  Revue  ecclésiastique, 
janvier  1840.  —  Le  Semeur,  8  sept.  1841. 
(2)  Voyez  ci-dessus,  n.  191  et  213,  pag,  535  et  567. 


632  DEUXIÈME   PARTIE.  —  POUVOIR  DU  PAPE 

Grégoire  VII,  le  premier  qui  ait  prononcé  une  sentence  de 
déposition  contre  un  souverain,  ne  prétendait  pas  se  fonder 
uniquement  sur  le  droit  divin,  mais  sur  les  lois  divines  et  hu- 
maines tout  ensemble  (1);  2°  que  dans  le  sentiment  de  Gré- 
goire VII  et  de  ses  successeurs,  comme  de  tons  leurs  contem- 
porains, la  déposition  d'un  prince  excommunié  n'était  pas  une 
conséquence  nécessaire  de  l'excommunication,  et  ne  résultait 
pas  du  seul  pouvoir  divin  de  lier  et  de  délier,  mais  d'une  dis- 
position particulière  des  lois  humaines,  et  principalement  des 
anciennes  lois  de  V empire,  qui  déclaraient  déchu  du  trône  le 
prince  opiniâtre  dans  l'excommunication  pendant  une  année 
entière. 

Ces  faits  importants  une  fois  établis,  il  est  aisé  de  comprendre 
que  les  souverains  pontifes  ont  très-bien  pu  invoquer,  à  l'appui 
de  leurs  sentences  d'excommuuication  et  de  déposition  contre 
des  princes,  le  pouvoir  divin  de  lier  et  de  délier,  quoiqu'ils  ne 
le  regardassent  pas  comme  l'unique  fondement  du  pouvoir  qu'ils 
s'attribuaient  de  déposer  les  princes.  On  conçoit,  en  effet,  que, 
dans  un  temps  où  le  droit  public  attachait  à  l'excommunication 
et  à  l'hérésie  la  peine  de  déposition,  la  sentence  de  déposition 
prononcée  par  le  Pape  contre  un  prince  hérétique  ou  excommu- 
nié ,  était  fondée  tout  à  la  fois  sur  le  droit  divin  et  sur  le  droit 
humain.  Elle  était  fondée  sur  le  droit  divin ,  non-seulement  en 
tant  qu'elle  déclarait  le  prince  hérétique  ou  excommunié  ;  mais 
encore  en  tant  qu'elle  éclairait  la  conscience  de  ses  sujets,  sur 
l'étendue  et  les  bornes  de  leurs  obligations ,  en  vertu  du  serment 
de  fidélité  qu'ils  lui  avaient  prêté.  Elle  était  fondée  aussi  sur  le 
droit  humain,  en  tant  qu'elle  déclarait  le  prince  déchu  de  ses 
droits ,  en  punition  de  sa  persévérance  opiniâtre  dans  l'hérésie 
ou  dans  l'excommunication.  On  conçoit  également  pourquoi  la 
sentence  du  Pape  ne  faisait  mention  que  du  pouvoir  divin  de 
lier  et  de  délier;  c'était  en  effet  sur  le  droit  divin  qu'était 
fondée  la  sentence,  considérée  dans  son  objet  principal ,  direct 
et  immédiat;  puisque  la  déposition  ne  s'opérait  que  par  le 
moyen  de  l'excommunication,  dont  elle  était,  en  certains  cas, 


(1)  Voyez  la  lettre  de  Grégoire  Vil  aux  seigneurs  allemands ,  que  nous 
avons  citée  plus  haut,  n.  191,  pag.  538. 


SDR  LES   SOUVERAINS.  —  CHAPITRE  III.  633 

une  conséquence  naturelle,  d'après  le  droit  public  alors  en 
vigueur. 

Une  autre  difficulté,  qu'on  a  présentée  avec  beaucoup  de       175. 
confiance,  dans  les  écrits  périodiques  déjà  cités,  se  tire  de  l'op-    "jXi.- 
position  prétendue  entre  l'esprit  de  l'Évangile  et  le  prodigieux  vrÂlndul°^n. 
pouvoir  que  les  maximes  du  moyen  âge  attribuaient  à  l'Église    tre  jeps,,rit 
et  au  Pape,  en  matière  temporelle.  Une  coutume  et  des  maximes  l'Évangiieet 

L  L  f  le  pouvoir 

contraires  à  l'esprit  et  aux  maximes  de  l'Évangile  ne  peuvent    iemPor«i 

-,  »  .  ,       du  Pape,  au 

jamais  avoir  force  de  loi,  ni  par  conséquent  former  un  point  de  moyeu  âge. 
droit  public.  Or  on  a  prétendu  que  la  coutume  et  les  maximes 
du  moyen  âge,  qui  attribuaient  au  Pape  et  au  concile  un  si  grand 
pouvoir  sur  les  souverains,  étaient  contraires  à  l'esprit  et  aux 
maximes  de  l'Évangile.  «S'il  y  a  un  contraste  extraordinaire, 
«dit-on,  n'est-ce  pas  celui  de  cette  Église,  qui,  prêchant  un 
«  Évangile  de  pauvreté  et  de  simplicité,  n'en  étalait  pas  moins 
«  tout  le  faste  de  la  richesse  et  de  la  puissance  (t  )  ?  »  Bien  plus, 
on  a  prétendu  que  la  coutume  et  les  maximes  dont  il  s'agit, 
étaient  «  incompatibles  avec  les  devoirs  et  les  obligations  reli- 
«  gieuses  imposées  aux  évêques,....  et  surtout  avec  les  carac- 
«  tères  et  les  devoirs  de  la  papauté;....  enfin,  que  l'alliance  de 
«l'autorité  coactive  et  de  l'autorité  spirituelle  répugnait  à  la 
«nature  du  christianisme,  et  qu'elle  était  contraire  à  son 
«  esprit  (2) .  » 

Réponse.  Nous  avons  de  la  peine  à  comprendre  que  cette       2?6 
difficulté  ait  pu  être  sérieusement  opposée  à  notre  sentiment,  J^1^™^ 
du  moins  par  des  écrivains  catholiques  (3)  ;  et  nous  sommes  .      Pa*   , 

4  *  *    '  incompatible  , 

très-persuadé  que  ceux  qui  l'ont  proposée  avec  tant  de  con-       par 

,     .  ,  .  sa  nature, avec 

fiance,  iront  pas  aperçu  les  conséquences  évidemment  insoute-  ie  spirituel, 
nables,  qui  suivraient  des  principes  sur  lesquels  repose  cette 
difficulté. 

En  effet,  l'incompatibilité  prétendue  du  pouvoir  temporel 
avec  le  spirituel,  dans  la  personne  des  ministres  sacrés,  ne 

(1)  Journal  des  Débats ,  ubi  suprà,  p.  4,  2e  col. 

(2)  Revue  Ecclés. ,  ubi  suprà,  p.  228-230. 

(3)  Nous  avons  déjà  fait  remarquer  que  cette  difficulté  avait  été  proposée 
par  Calvin  et  par  quelques  autres  hérétiques  plus  anciens,  contre  le  pouvoir 
temporel  du  clergé  en  général,  et  contre  la  souveraineté  temporelle  du  saint- 
siége  en  particulier.  Voyez  la  première  partie  de  cet  ouvrage,  chap.  il,  art  2, 
p.  308,  note  1.  —Voyez  aussi  la  seconde  partie,  n.  5,  pag.  329,  etc. 


634  DEUXIÈME  PARTIE. — POUVOIR  DU  PAPE 

pourrait  être  fondée  que  sur  la  nature  même  du  saint  minis- 
tère, ou  sur  une  libre  institution  de  Dieu;  mais  il  ne  faut  qu'un 
peu  de  réflexion,  pour  voir  clairement  la  fausseté  de  ces  deux 
suppositions (1).  Prétendre,  en  premier  lieu,  que  le  ministère 
sacré  est,  par  sa  nature ,  incompatible  avec  le  pouvoir  tempo- 
rel; c'est  contredire  ouvertement  les  livres  saints,  qui  nous 
montrent  le  pouvoir  temporel  réuni  au  spirituel ,  dans  les  plus 
saints  personnages  de  l'ancienne  loi.  Melchisédech,  Abraham, 
Isaac,  Jacob,  Moïse,  et  plusieurs  autres  saints  personnages , 
étaient  tout  à  la  fois  rois  et  pontifes,  princes  et  prophètes. 
Moïse,  comme  prêtre,  offre  à  Dieu  de  l'encens  et  des  victimes, 
consacre  l'autel  et  le  tabernacle,  et  confère  à  son  frère  Aaron  la 
dignité  sacerdotale  (2);  comme  prince  et  gouverneur  temporel, 
il  donne  des  lois  au  peuple  de  Dieu,  administre  la  justice, 
exerce  le  droit  de  vie  et  de  mort ,  et  tous  les  autres  droits  atta- 
chés à  la  souveraineté  temporelle  (3 j.  Le  grand  prêtre  Héli  joi- 
gnit, pendant  quarante  ans,  au  caractère  de  pontife,  celui  de 
juge  d'Israël  (4).  Judas  Machabée,  Jonathas,  Simon,  et  leurs 
successeurs,  jusqu'à  Hérode,  étaient  tout  à  la  fois  pontifes  et 
chefs  politiques  du  peuple  juif  (5).  Bien  plus,  cette  union  de 
l'autorité  spirituelle  et  temporelle,  dans  la  personne  du  grand 
prêtre  des  Juifs,  était  constante  et  habituelle  ,  d'après  l'institu- 
tion de  Dieu  lui-même.  Il  est  certain,  en  effet,  que  le  grand 
prêtre  avait  un  pouvoir  très-étendu  pour  l'administration  de  la 
justice,  et  que  la  plupart  des  procès  étaient  jugés,  en  dernier 
ressort,  à  son  tribunal  (6).  Il  résulte  évidemment  de  ces  exem- 
ples, que  le  pouvoir  temporel  n'est  pas  essentiellement,  et  par  sa 
nature ,  incompatible  avec  le  caractère  et  la  perfection  des  mi- 
nistres sacrés. 
cette7iLm.      Dira-t-on  que  cette  incompatibilité,  quoiqu'elle  ne  soit  pas 


(1)  Rellarmin,  De  Rom.  Pontif.  lib.  v,  cap.  9  et  10.  —  Recueil  de  Piè- 
ces d'Hist.  et  de  Litt.  (par  l'abbé  Granet  et  le  P.  Desmolets  ),  1. 1;  Dissert, 
sur  la  grandeur  temp.  de  l'Église.  —  Carrière,  Prœl.  De  Just.  et  Jure, 
t.  1,  n.  94,  p.  132,  etc. 

(2)  Exod.  xl,  Levit.  vin. 

(3)  Exod.  xviii  et  xxxi. 

(4)  I  Reg.  i  et  iv. 

(5)  I  et  II  Machab.  —  Joseph,  Hist.  des  Juifs,  liv.  xii,  etc. 

(6)  Deutéron.  xvn. 


SUR  LES  SOUVERAINS.  —  CHAPITRE  III.  035 

fondée  sur  la  nature  des  choses,  a  été  établie  dans  la  loi  nou-    MtibOM 
vclle,  par  la  libre  volonté  de  son  divin  auteur?  Celte  seconde      éfiSuf* 
supposition  n'est  pas  moins  insoutenable  que  la  première.  Car,  JJjJiï  '°Lr 
1°  en  quel  endroit  de  l'Évangile  a-t-on  vu,  que  Jésus-Christ  ait  ****&& 
interdit  a  J  Église  et  h  ses  ministres,  de  posséder  des  richesses, 
et  (l'exercer  un  pouvoir  temporel''  Sans  doute  il  ne  leur  a  pas 
donné  lui-même  ces  richesses  et  ce  pouvoir:  il  a  déclaré  à  ses 
apôtres  que  son  royaume  n'était  pas  de  ce  monde;  et  il  n'a 
laissé  à  son  Église  d'autre  juridiction  que  celle  qui  a  pour  but 
de  gouverner  les  hommes  dans  Tordre  du  salut  éternel.  Mais 
où  a-t-on  vu  qu'il  ait  défendu  a  ses  ministres,  d'acquérir  ou  de 
possède/  des  richesses  et  un  pouvoir  temporel ,  en  vertu  de  titres 
d'ailleurs  légitimes  par  eux-mêmes ,  et  reconnus  pour  tels  dans 
la  société?  Où  a-t-on  vu  qu'il  les  ait  rendus  incapables  d'accepter 
les  richesses  et  l'autorité  qu'on  pourrait  leur  offrir,  et  qui  pour- 
raient leur  être  conférées  par  la  libre  disposition  des  princes  et 
des  peuples?  De  pareilles  suppositions  sont  trop  visiblement 
gratuites,  pour  qu'un  homme  instruit  puisse  les  soutenir  sé- 
rieusement. 

"/'  S  il  pouvait  y  avoir  quelque  doute  à  cet  égard,  il  serait       ?:8 
naturel  de  Téelaircir  par  la  croyance  et  la  pratique  constante     pr»***— 
de  J'Kglise,  depuis  son  origine.  Or,  la  plus  légère connaissanee  de  n^ii*",*»™* 
1  histoire  suffit  pour  savoir  que  l'Église  a  toujours  cru  ses  mi-      po' 
nistres  capables  d'acquérir  et  de  posséder  des  richesses  et  -une 
juridiction  temporelle.  Qui  ne  sait,  en  effet,  que,  depuis  la  con- 
version de  Constantin,  les  richesses  et  la  juridiction  temporelle 
de  J  J  dise  se  sont  accrues ,  de  jour  en  jour,  par  la  faveur  et  les 
libéralités  de  ce  grand  prince,  de  ses  plus  illustres  successeurs, 
et  de  presque  tous  les  princes  chrétiens?  Qui  ne  sait  que  les  plus 
saints  pontifes,  depuis  Constantin,  saint  Léon  entre  autres, 
saint  Grégoire  le  Grand,  saint  Jean  l'Aumônier,  et  une  foule 
d'autres,  ont  possédé,  comme  évoques ,  ou  comme  chefs  de  l'É- 
glise, de  très-grandes  richesses,  une  juridiction  temporelle  très- 
étendue,  souvent  même  des  seigneuries  considérables,  et  de  véri- 
tables souverainetés  temporelles,  dont  plusieurs  existent  encore? 
Qui  ne  sait  enfin  que  l'Église,  bien  loin  de  blâmer  ces  richesses, 
cette  juridiction,  ces  seigneuries  et  ces  souverainetés  tempo- 
relles, les  a  souvent  maintenues  par  ses  décrets,  contre  les  inva- 


636  DEUXIÈME  PARTIE.  —  POUVOIR  DU  PAPE 

sions  de  la  puissance  temporelle,  jusqu'à  frapper  d'anathème, 
dans  plusieurs  conciles ,  la  doctrine  des  hérétiques  qui  ont  osé 
attaquer,  à  cet  égard ,  le  droit  des  ministres  sacrés,  et  les  laïques 
même  constitués  en  dignité,  qui  dépouilleraient  injustement 
l'Église  de  ses  biens^  de  sa  juridiction  et  de  ses  droits  tempo- 
rels (1)?  En  faut-il  davantage  pour  établir,  aux  yeux  d'un  vrai 
chrétien,  et  surtout  aux  yeux  d'un  catholique,  la  compatibilité 
du  ministère  sacré  avec  les  richesses,  la  juridiction  et  même  la 
souveraineté  temporelle? 
a79-  3°  La  raison  seule  suffit  pour  justifier,  sur  ce  point,  la  croyance 

e  eCtPccttêqu  et  la  pratique  de  l'Église.  En  effet,  les  adversaires  que  nous 
croyance  jus-  comkattons  ici ,  ne  contestent  pas  les  grands  avantages  que  la 
par  îa  raison.  soc[^  a  retirés  du  pouvoir  temporel  que  la  coutume  et  les 
maximes  du  moyen  âge  attribuaient  à  l'Église  et  au  souverain 
pontife.  On  convient  même  généralement,  que  ce  pouvoir  a  eu, 
politiquement  parlant,  plus  d'avantages  que  d'inconvénients  (2). 
«  S'il  n'est  question,  dit  un  de  nos  adversaires,  de  juger  l'É- 
«  glise  que  comme  une  institution  politique,  et  les  papes  que 
«  comme  souverains ,  ou  même  que  comme  chefs  d'une  religion 
«  excellente,  mais  humaine;  je  reconnaîtrai  de  bon  cœur  que 
«  la  grande  puissance  de  l'Église  et  des  papes ,  au  moyen  âge,  a 
«été,  politiquement  parlant,  plutôt  un  bien  qu'un  mal.  J'ai 
«  peine  à  croire,  je  le  confesse,  qu'un  peu  d'orgueil  et  d'arabi- 
«  tion  n'ait  pas  poussé  le  zèle  de  ces  fiers  pontifes  ;  j'avoue  ce- 
«  pendant  que,  parmi  les  princes  qu'ils  déposèrent,  beaucoup 
«  l'avaient  mérité  par  leurs  crimes  (3).  Je  sais  que  le  clergé 
«  ayant  les  lumières,  il  était  naturel  qu'il  eût  le  pouvoir.  J'ad- 
«  mire  cet  ascendant  de  la  foi,  qui  soumettait  à  un  faible  prêtre 
«  les  rois  et  les  peuples.  La  monarchie  des  papes  est  le  miracle 
«  de  la  puissance  morale.  »I1  est  difficile  de  comprendre  comment, 
après  de  pareils  aveux,  on  a  pu  représenter  le  pouvoir  temporel 


(1)  Concilium  Constantiense,  anno  1415,  sess.  8.  (Labbe,  Concil.  t.  xn, 
p.  46.) —  Concilium  Trid.,  sess.  22  ;  cap.  1 1  de  Reform.  Voyez  aussi  les  au- 
teurs cités  plus  haut,  p.  634,  note  1. 

(2)  Revue  Ecclés.,  ubi  supra,  p. 228.  — Journal  des  Débats,  ubi  supra, 
p.  4,  2e  col.  —  Le  Semeur,  ubi  suprà,  p.  284,  lre  col. 

(3)  L'auteur  de  ces  réflexions  semble  croire  qu'il  y  a  eu  beaucoup  de 
princes  déposés  par  les  papes.  Nous  verrons  un  peu  plus  bas  ce  qu'il  faut 
penser  de  cette  supposition.  (Ci-après,  chap.  4,  art.  1,  §  2.) 


SUR  LES   SOUVERAINS.  —  CHAPITRE  III.  637 

de  l'Église  et  du  Pape,  au  moyen  âge,  comme  contraire  à  l'es- 
prit de  l'Évangile.  Qu'y  a-t-il,  en  effet,  de  plus  conforme  à  cet 
esprit ,  que  l'exercice  d'un  pouvoir  si  utile  au  bien  de  la  société , 
dans  les  circonstances  où  elle  se  trouvait?  Ce  pouvoir  sans  doute 
a  pu  avoir  des  inconvénients,  comme  toutes  les  institutions  hu- 
maines (l);  mais  s'il  a  eu ,  comme  on  le  reconnaît ,  plus  d'avan- 
tages que  d'inconvénients,  il  a  donc  été  véritablement  utile  ; 
l'Église  et  le  Pape  ont  donc  rendu  un  véritable  service  à  la  so- 
ciété, en  l'exerçant;  et  bien  loin  qu'on  puisse  les  blâmer  de 
l'avoir  accepté,  le  zèle  qu'ils  devaient  avoir  pour  le  bien  de  la 
société  demandait  qu'ils  l'acceptassent. 

Quoique  ces  réflexions  soient  bien  suffisantes  pour  détruire  la      *8°- 

.,.,.„       ,    ,  ,  Conséquences 

ditnculte  quon  nous  oppose,  nous  remarquerons  encore,  que     intimis- 
tes principes  sur  lesquels  repose  cette  difficulté ,  conduisent  né- s'  esnion  °F 
cessairement  à  des  conséquences  qu'un  vrai  catholique  ne  sau-    contra,re- 
rait  admettre.  Il  résulterait  en  effet  de  ces  principes,  non-seule- 
ment que  le  saint-siége  n'a  pu  légitimement  exercer  le  pouvoir 
extraordinaire  que  les  maximes  du  moyen  âge  lui  attribuaient 
sur  les  princes  catholiques,  mais  encore  qu'il  n'a  pu  légitime- 
ment acquérir  la  souveraineté  temporelle  dont  nous  le  voyons 
investi  depuis  le  vme  siècle  ;  bien  plus,  que  les  richesses  et  le 
pouvoir  temporel  dont  le  clergé  a  joui  dans  tous  les  États  catho- 
liques, depuis  la  conversion  de  Constantin,  sont  contraires  à 
l'esprit  et  aux  maximes  de  l'Évangile.  Nous  ne  croyons  pas 
qu'on  puisse  admettre  ces  conséquences,  sans  renouveler  la 
doctrine  de  Wiclef,  solennellement  condamnée  par  le  concile 
de  Constance,  en  1415  (2). 

(1)  On  verra,  dans  le  chapitre  suivant,  que  les  inconvénients  du  pouvoir 
dont  nous  parlons ,  ont  été  visiblement  exagérés  par  une  foule  d'auteurs 
modernes. 

(2)  Parmi  les  erreurs  de  Wiclef,  condamnées  dans  la  huitième  session  du 
concile  de  Constance ,  on  remarque  les  propositions  suivantes  : 

10.  Contra  Scripturam  sacram  est,  quod  viri  ecclesiastici  habeant 
possessiones. 

32.  Ditare  clerum,  est  contra  regulam  Christi. 

33.  Silvester  papa,  et  Constantinus  imper ator  errârunt,  Ecclesiam 
dotando. 

36.  Papa,  cum  omnibus  clericis  suis  possessionem  habentibus,  sunt 
hœretici,  eo  qabd  possessiones  habent  ;  et  consentientes  eis ,  omnes  vi- 
delicet  domini  sœculares,  et  cœieri  laïci. 

39.  Jmperator  et  domini  sœculares  sunt  seducti  à  diabolo,  ut  Eccle> 


de  Bossuet. 


638  DEUXIÈME  PÀKT1E. —  POUVOIR  DU  PAPE 

§  4.  Confirmation  de  notre  sentiment,  par  de  graves  auto- 
rités, et  par  la  constitution  de  plusieurs  États  modernes. 

«•* 
?.8i.  Après  avoir  établi  notre  sentiment  par  le  témoignage  de  l'his- 

^vequabîè"ar"  toire ,  il  ne  sera  pas  inutile  de  le  confirmer  par  quelques  auto- 
rités remarquables,  et  par  la  constitution  même  de  plusieurs 
États  modernes. 

I.  Parmi  les  auteurs  favorables  à  notre  sentiment,  nous 
croyons  pouvoir  citer  avec  confiance  le  grand  évêque  de  Meaux. 
Il  est  certain  en  effet  que ,  sans  adopter  notre  explication  dans 
toute  son  étendue,  Bossuet  la  favorise  manifestement,  en  plu- 
sieurs endroits  de  sa  Défense  de  la  Déclaration  de  1682,  c'est-à- 
dire,  dans  celui  même  de  ses  ouvrages,  où  il  s'élève  plus  forte- 
ment contre  la  conduite  de  Grégoire  VII ,  et  des  autres  pontifes 
qui  se  sont  attribué  le  pouvoir  de  déposer  les  souverains.  Déjà 
nous  avons  eu  occasion  de  voir  combien  il  se  montre  favo- 
rable au  pouvoir  directifàe  l'Église  et  du  Pape,  en  cette  ma- 
tière (l).  Mais  il  va  beaucoup  plus  loin  dans  quelques  endroits 
du  même  ouvrage,  où  il  ne  fait  pas  difficulté  de  reconnaître  le 
consentement  que  les  princes  ont  donné  autrefois  aux  décrets  des 
conciles ,  qui  déclarent  les  hérétiques  déchus  de  leurs  dignités 
et  de  tous  leurs  droits  temporels  (2).  Il  reconnaît  également  les 
droits  de  suzeraineté  que  le  saint-siége  a  possédés  autrefois  sur 
plusieurs  États  de  l'Europe  ;  et  il  n'est  pas  éloigné  de  penser  que 
le  Pape  avait,  sur  l'empire  d'Allemagne,  un  droit  égal,  ou  même 
supérieur  à  celui-là.  «  Nous  savons  assez,  dit-il  (3),  que  les  sou- 

siam  dotarent  bonis  temporalibus.  Labbe,  Concil.  tom.  xn,p.  46,  etc. 
—  Fleury,  Hist.  Ecclés.\  tom.  xxi,  liv.  103,  n.  28. 

(1)  Voyez  ci-dessus,  n.  172,  pag.  514,  etc. 

(2)  Ci-dessus,  chap.  2,  n.  118,  pag.  465,  etc. 

(3)  «  Nos  enim  satis  scimus,  Romanis  pontificibus  et sacerdotali  ordini, 
«  regum  concessione ,  ac  légitima  possessione ,  bona  quœsita,  jura ,  im- 
«  perla  ita  haberi  ac  possideri ,  uti  quœ  inter  hommes  optimojure  ha- 

«  bentur  ac  possidentur Ac  si  contendant  Romanis  pontificibus , 

«  quale  in  utrâque  Siciliâ  aut  in  Sardiniâ,  aliisque  forte  regnis,  taie 
«  sibi ,  aut  majus  etiam ,  aut  aliquatenus  simile,  usu,  consuetudine, 
«  possessione  légitima,  inlmperio  Romano-Germanico  ordinando,  quœ- 
«  situm  esse  jus  ;  illud  Germani  et  quorum  interest  omnes,  et  juris  civilis 
«  interprètes  quœrant,  et  décidant  utcumque  libuerit  :  nihil  hoec  ad  nos  per- 
ce tinent,  neque  ullam,  eâ  de  re,  qusestionem  movet  clerus  Gallicanus;  id 
«  enim  tantùm  déclarât,  reges  et  principes  in  temporalibus  nulli  eccle- 


SUR  LES  SOUVERAINS.  —  CHAPITRE  III.  639 

«  verains  pontifes  et  tout  l'ordre  ecclésiastique  tiennent  de  la 
«  concession  des  princes,  et  d'une  longue  possession,  des  biens, 
«  des  droits  et  des  souverainetés  aussi  légitimement  acquis  que 
«  les  propriétés  les  plus  inviolables  parmi  les  hommes....  Bien 
«  plus ,  si  l'on  soutient  que  les  souverains  pontifes  ont  acquis 
«  sur  l'Empire  Romain-germanique,  par  l'usage,  la  coutume, 
«  ou  une  possession  légitime ,  un  droit  égal ,  ou  même  supé- 
«  rieur,  ou  semblable  en  quelque  manière  à  celui  qu'ils  avaient 
«  acquis  sur  les  Deux-Siciles ,  la  Sardaigne,  et  peut-être  encore 
«  sur  d'autres  royaumes;  nous  laissons  l'examen  et  la  décision 
«  de  ce  point  aux  Allemands  et  à  tous  ceux  qu'il  intéresse,  et 
«  aux  interprètes  du  droit  civil.  Quant  à  nous,  cette  question 
«  nous  est  tout  à  fait  étrangère,  et  le  clergé  de  France  ne  la  tou- 
«  che  aucunement  :  car  il  se  borne  à  déclarer  que  les  rois  et 
«  les  princes  ne  sont  soumis  à  aucune  puissance  ecclésiastique 
«  dans  l'ordre  temporel,  par  l'ordre  de  Dieu  ;  qu'ils  ne  peu- 
«  vent  être  déposés  ni  directement  ni  indirectement  en  vertu 
«  du  pouvoir  des  clefs  de  l'Église;  enfin,  que  leurs  sujets  ne 
«  peuvent  être  déliés,  en  vertu  de  ce  pouvoir ,  de  la  foi,  de 
«l'obéissance,  et  du  serment  de  fidélité  qui  les  attachent 
«  à  leur  prince.  » 

Dans  la  suite  du  même  ouvrage,  Bossuet  explique,  d'après 
les  mêmes  principes,  les  droits  que  le  saint-siége  s'attribuait  sur 
l'empire  d'Allemagne,  sur  l'Angleterre,  et  sur  plusieurs  autres 
États.  Voici  comment  il  s'exprime,  sur  ce  sujet,  à  l'occasion 
des  démêlés  de  Philippe  le  Bel  avec  Boniface  VIII  (1)  :  «  Tandis 
«  que  l'Allemagne,  l'Angleterre  et  d'autres  pays  s'étaient  soumis 
«  au  Pape  pour  le  temporel,  les  Français  croyaient  que  la  di- 

«  siasticœ  potes tati ,  Dei  ordinatione ,  subjici,  neque  auctoritate  cla* 
«  vium  Ecclesiœ  directèvel  indirecte  deponi,  aut  illorum subditos  àfide 
«  atque  obedientiâ,  ac  prœstito  Jidelitatis  sacramento  solvi  posse.  «  Def. 
Decl.,  lib.  i,  sect.  J,  cap.  16,  p.  272,  273. 

(1)  «  Hue  accedit  quod ,  cùm  Germani,  Angli  aliique,  in  temporalibus 
«  colla  subdidissent ,  Franci  existimabant  super  alia  régna  hujusce  regni 
«  dignitatem  ac  libertatem,  à  regibus  ac  majoribus  suis,  fuisse  def'ensam: 
«  quippe  qui,  christianissimi  pariterque  fortissimi,  in  spiritualibus  quidem 
«  Romano  pontifici  maxime  omnium  paruerant ,  in  temporalibus  verô  mi- 
«  nimè  omnium  huic  potestati  se  obnoxios  fecerant.  »  {Def.  Declar.,  part. 
1,  lib.  ni,  cap.  24,  p.  682.  )  Voyez,  dans  le  même  ouvrage,  le  neuvième 
chapitre  du  livre  iv.  On  a  vu  plus  haut  (n.  256,  pag.  613)  les  raisons  qui 
ont  tait  dire  à  Bossuet  que  la  France  avait  conservé  son  indépendance. 


640  DEUXIEME   PARTIE,  —  POUVOIR   DU   PAPE 

«  gnité  et  la  liberté  du  royaume  de  France  avaient  été  mainte- 
«  nues  par  nos  rois ,  au-dessus  de  celles  des  autres  royaumes. 
«Également  chrétiens  et  puissants,  les  rois  de  France  étaient 
«  plus  soumis  que  personne  au  souverain  pontife  dans  les  choses 
«  spirituelles;  mais  à  l'égard  du  temporel,  ils  ne  s'étaient  aucu- 
«  nemeut  soumis  à  son  autorité.  » 
On  doit  conclure  de  ces  divers  passages ,  que  Bossuet  n'est 
correctifs  né-  pas ,  dans  le  fond,  si  éloigné  qu'on  pourrait  le  croire,  du  senti- 
ceSà  iâe  ment  qui  explique,  par  le  droit  public  du  moyen  âge,  la  con- 
DpêSaïatioZ  duite  des  souverains  pontifes  qui  ont  autrefois  déposé  des  prin- 
daSveux"s  ces  temporels.  Il  ne  s'agit  pas  ici  d'examiner  comment  Bossuet 
a  pu  concilier,  avec  des  opinions  si  modérées ,  la  sévérité  avec 
laquelle  il  blâme,  dans  le  cours  du  même  ouvrage,  la  conduite 
des  souverains  pontifes  dont  nous  parlons  (ï).  11  sufût  à  notre 
but,  d'avoir  montré  combien  l'évêque  de  Meaux ,  malgré  son 
opposition  si  connue  aux  principes  ultramontains,  se  montre  fa- 
vorable aux  explications  les  plus  propres  à  justifier,  pour  le  fond, 
la  conduite  de  ces  pontifes.  Nous  ferons  remarquer  seulement 
que  la  sévérité  avec  laquelle  il  s'exprime,  sur  ce  sujet,  en  plu- 
sieurs endroits  du  môme  ouvrage,  tient  vraisemblablement  aux 
circonstances  fâcheuses  dans  lesquelles  cet  ouvrage  fut  composé, 
et  qui  durent  naturellement  communiquer  à  son  style,  du 
moins  dans  le  premier  travail  de  la  rédaction,  une  certaine 
empreinte  d'amertume  et  de  vivacité.  Bossuet  lui-même  paraît 
l'avoir  senti  ;  on  sait  en  effet  que ,  pendant  les  dernières  années 
de  sa  vie,  il  s'appliqua  avec  ardeur,  et  à  diverses  reprises,  à 
revoir  cet  ouvrage ,  dans  le  dessein  d'en  adoucir  la  forme ,  et 
d'en  faire  disparaître  tout  ce  qui  pouvait  blesser  les  égards  et 
les  ménagements  dus  au  saint-siége.  Il  est  également  certain 
que,  malgré  les  corrections  et  les  adoucissements  qu'il  avait  cru 
devoir  faire  à  son  premier  travail,  il  ne  jugea  pas  à  propos  de 
le  publier;  il  désirait  même  qu'il  ne  vît  pas  le  jour,  dans  la 
crainte  que  cette  publication  ne  réveillât  de  fâcheuses  contesta- 
tions, et  ne  lui  attirât  à  lui-même  les  anathèmes  du  saint- 
siége  (2). 

(1)  Bossuet,  Defens.  Declar.,  lib.  ï,  sect.  1,  cap.  7  ;  lib.  m,  cap.  2,  9,  10, 
et  alibi  passim. 

(2)  Hist.  de  Bossuet,  t.  n,  liv.  vi;  Pièces  justifie,  n.  1,  pages  393,  394, 


SUR   LES   SOUVERAINS.  — CHAPITRE   III.  641 

Mais  quelque  favorable  que  soit  l'évoque  de  Meaux,  au  senti-  Senli^nt  de 
ment  qui  explique  et  justifie  par  le  droit  public  du  moyen  âge  «'ancienne 
la  conduite  des  papes  et  des  conciles  de  cette  époque  à  l'égard  '  vain. 
des  souverains,  il  est  certain  que  ce  sentiment  a  été  adopté 
beaucoup  plus  ouvertement  pendant  le  dernier  siècle,  et  de 
nos  jours  encore,  par  de  savants  auteurs.  Déjà  nous  avons  cité, 
à  l'appui  de  cette  explication,  l'autorité  de  Fénelon  et  celle  du 
comte  de  Maistre  (1).  Nous  pouvons  ajouter  à  ces  graves  auto- 
rités, celle  de  l'ancienne  Faculté  de  théologie  de  Louvain,  dont 
le  sentiment ,  sur  la  question  présente,  nous  est  connu  parle 
témoignage  de  M.  Van-Gils,  un  de  ses  membres  les  plus  dis- 
tingués. Dans  sa  Lettre  sur  les  sentiments  de  l'ancienne  Faculté 
de  théologie  de  Louvain,  par  rapport  à  la  Déclaration  gal- 
licane de  1682  (2) ,  M.  Van-Gils  atteste  que  le  sentiment  de  Fé- 
neion sur  le  droit  public  du  mot/en  âge,  relativement  à 
la  déposition  des  souverains ,  était  généralement  adopté  par 
les  docteurs  de  la  Faculté  de  Louvain,  à  l'époque  de  sa 
destruction,  en  1788.  «  Je  déclare,  dit-il,  que  de  mon  temps 
«  (et  j'ai  passé  une  bonne  partie  de  ma  vie  à  Louvain),  je  n'ai 
«  jamais  entendu  traiter,  dans  les  actes  publics,  soit  des  leçons, 
«  soit  des  disputes  en  théologie ,  l'objet  de  la  première  proposi- 
«  tion  de  la  Déclaration  de  1 682.  On  ne  le  regardait  pas  comme 
«  un  objet  de  la  science  proprement  théologique,  mais  plutôt 
«  comme  faisant  partie  du  droit  public;  et  en  conversation, 
«  quand  on  parlait  en  particulier ,  on  souleuait  ordinairement 
«l'opinion  deF'énelon,  connue  seulement  ici  depuis  l'édition 
«  complète  de  ses  OEuvres  (3).  Cette  opinion  dit,  que,  depuis  la 
«  conversion  universelle  de  toute  l'Europe  dans  l'union  catho- 
dique..., les  constitutions  ou  les  lois  constitutives  de  tous  ces 

418,  419,  etc.  —  Nouveaux  Opuscules  de  Fleury,  2e  édition,  p.  295,  etc. 
Note  de  V éditeur. 

(1)  ci-dessus,  n.  8,  etc.,  p.  333,  etc. 

(2)  Cette  lettre,  adressée  en  1826  par  M.  Van-Gils,  alors  président  du  sé- 
minaire de  Bois-le-Duc,  à  un  ecclésiastique  de  Paris,  a  été  imprimée  à  Lou- 
vain, en  1835  (14  pages  in-8°),  sur  une  copie  communiquée  a  l'éditeur 
par  M.  Van-Gils  lui-même;  celui-ci  était  mort,  l'année  précédente,  au  sémi- 
naire de  BoL-le-Duc  On  trouve  une  courte  notice  sur  cet  estimable  ecclé- 
siastique ,  dans  Y  Ami  de  la  Religion,  t.  lxxx,  p.  489. 

(3)  L'auteur  parle  ici  de  la  Dissertation  sur  l'Autorité  du  souverain 
Pontife,  publiée  pour  la  première  fois  en  1820,  dans  le  tom.  u  des  Œuvres 
de  Fénelom 

41 


642  DEUXIÈME   PARTIE. — POUVOIR    DU   PAPE 

«peuples,  si  profondément  attachés  à  la  religion  catholique, 
«  étaient,  pour  ainsi  dire,  enracinées  dans  la  loi  catholique  et 
«  dans  ses  lois,  comme  le  seul  fondement  de  la  fidélité  du  sou- 
«  verain  et  des  sujets  ;  que,  constitutionnellement,  le  souverain 
«  ou  le  pouvoir  législatif,  et  les  lois  mêmes,  devaient  être  ca- 
«  tholiques  ;  en  sorte  que  le  législateur,  en  cessant  d'être  catho- 
«  lique,  et  membre  reconnu  de  l'Église  catholique ,  cessait  d'être 
«  souverain  légitime,  et  les  lois  contraires  aux  lois  catholiques 
«  cessaient  d'être  lois.  Et  à  qui  le  droit  de  déclarer  la  catholicité 
«  de  tel  souverain  et  de  telles  lois ,  sinon  au  chef  suprême  de 
«  l'Église?  Même  il  en  parait  suivre,  que  tout  citoyen  ou  sujet , 
«  en  cessant  d'être  catholique,  cessait  d'être  citoyen,  et  se  con- 
«  stituait  jélon  ou  rebelle  à  la  loi  fondamentale ,  et  se  soumettait 
«  aux  peines  de  félonie  (l)....  Il  est  vrai  peut-être  que  ces  lois  ne 
«  se  trouvaient  pas  écrites  dans  les  Codes  nationaux  (quin'exis- 
«  taient  pas  même  en  bien  des  pays  )  (2)  ;  mais  elles  n'en  étaient 
«pas  moins  gravées,  comme  beaucoup  d'autres,  dans  tous  les 
«  cœurs,  tant  des  souverains  eux-mêmes  que  de  leurs  sujets  (3).  » 

(1)  Cette  conjecture  de  l'auteur  est  très-conforme  à  la  vérité.  Il  est  cer- 
tain que,  d'après  la  jurisprudence  de  tous  les  États  catholiques  au  moyen 
âge,  les  hérétiques  notoires  étaient  privés  des  droits  civils.  On  a  vu  plus 
haut,  que  cette  jurisprudence  était  alors  commune  à  tons  les  États  catholi- 
ques de  l'Europe ,  et  qu  elle  avait  même  sa  source  dans  le  Droit  romain. 
(Ci-dessus,  Introd.  h.  67,  pag.  91,  etc.  ) 

(2)  On  a  vu  plus  haut  que  ces  lois  se  trouvaient  écrites  dans  les  Codes 
nationaux  de  l'Espagne,  de  l' Angleterre  et  de  l'Empire  germanique.  (Ci- 
dessus,  §  2,  pag.  605.  ) 

(3)  Lettre  de  M.  Van-Gils,  pag.  6  et  7.  Le  sentiment  que  l'auteur  attri- 
bue ici  aux  docteurs  de  Louvain  semble,  au  premier  abord ,  bien  différent 
de  celui  qu'on  trouve  exprimé  dans  une  Réponse  de  la  Faculté  de  théolo- 
gie de  cette  ville,  aux  demandes  que  M.  Pitt  lui  avait  adressées,  en  1788,  sur 
l'indépendance  de  la  couronne  d'Angleterre  à  l'égard  du  saint-siége.  (On  peut 
voir  cette  Réponse  dans  les  Mémoires  sur  les  catholiques  anglais ,  par  But- 
ler; Londres,  1816,  in-lol.  Elle  a  été  reproduite  parmi  les  Pièces  justifica- 
tives des  ouvrages  suivants  :  Lettre  de  monseigneur  l'évêque  de  Chartres 
à  un  de  ses  diocésains.  Paris,  1826 ,  in-8°.  —  Antidote  contre  les  Aphoris- 
mes  de  M.  de  Lamennais,  par  M.  Boyer  ;  Paris,  1826,  in-8°.  —  Affre,  Es- 
sai hist.  sur  la suprém.  temp.  du  Pape;  Amiens,  1829,  in-8°.  )  Mais  on 
doit  remarquer  d'abord,  que  cette  Réponse  n'est  pas  de  l'ancienne  et  vérita- 
ble Faculté  de  Louvain;  elle  est  de  quelques  professeurs  du  séminaire  gé- 
néral ,  qui  fut  alors  établi  dans  cette  ville  par  Joseph  II,  et  qui  s'attribua, 
contre  toute  espèce  de  droit,  le  titre  et  les  prérogatives  de  l'ancienne  Fa- 
culté. En  effet,  cette  Réponse  est  datée  du  18  novembre  1788  :  or,  il  est 
certain  qu'à  cette  époque,  la  véritable  Faculté  de  Louvain  ne„pouvait  ré- 
pondre aux  questions  de  M.  Pitt,  la  plupart  de  ses  membres  ayant  été 


ce  tle 
explication. 


SUR  LES  SOUVERAINS.  — CHAPITRE  III.        643 

Plusieurs  écrivains  catholiques  ont  ouvertement  adopté  ou       284. 
favorisé  ce  sentiment,  dans  ces  derniers  temps;  nous  croyons  généïakTi 
môme  pouvoir  avancer  avec  confiance,  qu'il  existe  aujourd'hui,  àTiXa»» 
parmi  les  hommes  instruits,  une  disposition  générale  à  embras- 
ser cette  explication ,  et  à  réhabiliter  ainsi  la  mémoire  des  papes 
et  des  conciles  du  moyen  âge,  trop  longtemps  attaqués,  sur  ce 
point,  par  de  si  odieuses  déclamations.  Il  suffirait  peut-être,  pour 
établir  ce  que  nous  avançons,  de  rappeler  ici  les  détails  que 
nous  avons  donnés,    dans  la  Préface  de    cet  ouvrage,    sur 
l'accueil  favorable  que  sa  première  édition  a  obtenu  en  France 
et  hors  de  France.  Mais  pour  mettre  notre  assertion  dans  un 
plus  grand  jour,  nous  rassemblerons  ici  quelques  témoignages, 
choisis  parmi  un  grand  nombre  d'autres,  que  les  bornes  de 
cet  ouvrage  ne  nous  permettent  pas  de  rapporter ,  et  qu'il  nous 
suffira  d'indiquer  en  note. 

Un  des  plus  remarquables,  sans  contredit,  est  celui  du  sa- 
vant professeur  de  Munich,  Mœhler,  si  connu  par  ses  ouvrages 
de  controverse.  «  Il  est  vrai ,  dit-il,  que  l'autorité  des  papes  ne 
«  comprend  que  les  choses  spirituelles.  Si,  dans  le  moyen  âge, 
«  ils  dépassèrent  cette  limite,  la  raison  en  est  dans  toute  cette 
«époque.  Outre  leurs  droits  essentiels,  ils  acquirent  encore , 
«  par  la  force  des  circonstances,  des  droits  accessoires,  et  sujets 
«  à  beaucoup  de  modifications;  en  sorte  que  cette  partie  de  leur 
«  autorité  semble  varier  avec  les  temps  (1).  »  C'est  d'après  ce  prin- 
cipe, que  la  conduite  des  papes  et  des  conciles  du  moyen  âge 
envers  les  souverains,  est  expliquée  dans  la  nouvelle  Histoire 
de  V Église,  publiée  par  M.  l'abbé  Receveur,  professeur  dethéo- 

baunis  ou  disperses  l'année  précédente,  en  punition  de  leur  attachement  à 
la  doctrine  catholique,  et  de  leur  opposition  aux  nouveautés  de  Joseph  II. 
(Voyez  la  Lettre  de  M.  Van-Gils ,  p.  5.  —  Mémoires  pour  servir  à  VHist. 
Ecclés.  du  xvuie  siècle,  tom.  ni,  pag.  125,  161,  etc.  —  Synopsis  Monu- 
merttorum  Ecclesiœ  Mechiin.  loin,  in,  pag.  1099.)  D'ailleurs  la  Réponse 
adressée  à  M.  Pitt  est  signée  De  Manière,  doyen;  or,  il  est  certain  que  cet  ec- 
clésiastique n'était  pas  doy^n  de  l'ancienne  et  véritable  Faculté  de  Louvain, 
mais  un  des  membres  de  la  nouvelle  Faculté  établie  par  Joseph  II,  et  dont 
l'enseignement  fut  signalé  ,  en  1788  ,  comme  dangereux  et  inexact ,  par  le 
cardinal  de  Frankenberg  ,  archevêque  de  Matines.  Au  reste,  si  l'on  examine 
attentivement  la  Réponse  dont  nous  parlons,  on  verra  qu'elle  ne  considère 
point  la  question  de  l'indépendance  de  la  couronne  d'Angleterre,  d'après  le 
droit  pubtic  du  moyen  âge ,  mais  d'après  le  droit  divin,  et  d'après  le  droit 
public  du  xvme  siècle. 

(1)  Mœhler,  La  Symbolique,  tom.  n,  liv.  i,  chap.  5,  §  43,  pag.  86. 

4i. 


644        DEUXIÈME  PARTIE.  — POUVOIR  DU  PAPE 

iogie  morale,  en  Sorbonne,  et  dans  nn  grand  nombre  d'autres 
ouvrages  plus  ou  moins  célèbres,  parles  talents  et  la  réputation 
de  leurs  auteurs  (l). 

285.  Mais  ce  que  uons  devons  surtout  remarquer,  c'est  que  plu- 

JfejSA  sieurs  écrivains  protestants,  malgré  les  fâcheux  préjugés  dont  ils 

,ion'       sont  imbus  contre  le  saint-siége  et  contre  l'Église  catholique ,  ne 

même  parmi  ^  J 

»«       font  pas  difficulté  d'expliquer,  d'après  le  même  principe,  le 

protestants  :  .  ..  -i  i 

témoignages  pouvoir  extraordinaire  que  les  papes  et  les  conciles  du  moyen 
etd'Eichoni.  âge  se  sont  attribué,  à  l'égard  des  souverains.  Tel  parait  être 
le  sentiment  de  Leibniz,  en  divers  endroits  de  ses  ouvrages 
que  nous  avons  déjà  cités  (2).  Un  écrivain  récent,  également  at- 
taché à  la  religion  protestante,  et  justement  célèbre  par  ses 
recherches  sur  l'histoire  de  l'empire  et  du  droit  germanique, 
s'exprime,  à  ce  sujet,  d'une  manière  encore  plus  formelle  et 
plus  favorable  au  saint-siége.  Frédéric  Eichorn,  fils  du  célèbre 
commentateur  de  la  Bible,  et  professeur  d'histoire  à  l'Université 
deGottingue,  a  publié,  en  1821,  la  troisième  édition  de  son  His- 
toire de  l'Empire  et  du  Droit  germanique ,  où  il  résume,  en  ces 
termes,  le  système  du  droit  public  de  l' Europe ,  au  moyen  âge: 
«  La  chrétienté,  qui,  d'après  la  destination  divine  de  l'Église,  em- 
«  brasse  tous  les  peuples  de  la  terre,  forme  un  tout,  dont  le  bien- 
«  être  est  confié  à  la  garde  du  pouvoir  que  Dieu  lui-même  a 
«  commis  à  certaines  personnes.  Le  pouvoir  est  de  deux  sortes, 
«  spirituel  et  temporel.  L'un  et  Vautre  est  confié  au  Pape,  en 

(1)  Receveur,  Hist.  de  l'Égl.,  tom.  v,  pag.  127,  141,  161,  198,  203,409, 
591,  etc.  Nous  avons  remarque  ailleurs  (ci-dessus,  pag.  344,  note  1)  que 
M.  Henrion,  dans  la  nouvelle  édition  de  VHist.  de  l  Église  de  Berault-Bercas- 
tel,  adopte  au  fond  cette  explication ,  mais  sans  exclure  absolument  le  sys- 
tème théologique  du  droit  divin,  qu'il  favorise  assez  ouvertement  eu  plusieurs 
endroits  de  cet  ouvrage.  L'explication  adoptée  par  M.  Receveur  l'avait  été 
longtemps  auparavant  par  Feller,  Diction.  Historique,  art.  Grégoire  VII 
et  IX,  Martin  IV,  Frédéric  Ie1  et  II,  etc.  —  Catéchisme  Philos.,  n.  510, 
avant-dernière  note.— Milner,  Excellence  de  la  Rel.  calhol.,  tom.  n,  pag.  580. 

—  Mœhler,  Manuel  d'hist.  du  moyen  âge,  chap.  8,  §  2,  pag.  418.  Voyez  le 
compte  rendu  de  ce  dernier  ouvrage  dans  Y  Ami  de  la  Religion,  tom.  xcvii, 
pag.  2S9.  Remarquez  en  particulier  la  pige  292,  où  le  rédacteur  indique 
plusieurs  correctifs  nécessaires  au  passage  que  nous  venons  de  citer.  —  De 
Montalembert,  Hist.  de  sainte  Elisabeth,  Introduction,  pag.  21,  2G,  etc. 

—  De  Falloux,  Hist.  de  S.  Pie  V,  Préface,  pag.  8,  etc.  —  De  Chateau- 
briand, Études  historiques,  préface,  pag.  1 17.  —  Artaud  de  Montor,  Consid. 
Histor.,  p.  75,  227,  etc.  —  Journal  des  .Savants,  ann.  1841,  p.  469,  etc. 

(2)  Voyez  ci-dessus,  chap.  2,  n.  124,  pag.  470,  etc. 


SUR  LES   SOUVERAINS.  —  CHAPITRE   III.  645 

«  sa  qualité  de  vicaire  de  Jésus-Christ  et  de  chef  visible  de  la 
«chrétienté  (l);  c'est  de  lui,  et  par  conséquent  dans  sa  dé- 
«  pendance  et  sous  sa  surveillance,  que  l'empereur,  en  qualité 
«  de  chef  visible  de  la  chrétienté,  pour  les  affaires  du  siècle,  et 
«  que  tous  les  princes  en  général ,  tiennent  le  pouvoir  tempo- 
«  rel  (2).  Les  deux  pouvoirs  doivent  se  prêter  un  mutuel  ap- 
«<  pui  (3).  Tout  pouvoir  vient  donc  de  Dieu ,  vu  que  l'État  est 
«  d'institution  divine  ;  mais  le  pouvoir  spirituel  n'appartient 
«qu'au  Pape,  qui  en  communique  une  partie  aux  évêques, 

«comme  à  ses  aides  (adjutores),  pour  l'exercer  sous  lui 

«  V Église  et  l'État  ne  forment  qu'une  seule  société  chré- 
«tienne,  quoique  extérieurement  ils  paraissent  être  deux  so- 
«  ciétés  séparées,  et  puissent,  en  cette  qualité,  régler  leurs  rap- 
«  ports  réciproques,  par  des  contrats.  Pour  l'exercice  du  pouvoir 
«  tant  spirituel  que  temporel ,  il  est  nécessaire  qu'il  soit  en  partie 
«  confié  (inféodé )  à  d'autres,  dont  la  soumission  envers  celui 
«  dont  ils  tiennent  leurs  droits,  est  exprimée  par  la  promesse 
«  expresse  d'une  fidélité  particulière  (4).  »  A  l'appui  de  cet  ex- 
posé, l'auteur  cite  plusieurs  passages  de  l'ancien  Droit  Germa- 
nique que  nous  venons  d'indiquer  en  note,  et  que  nous  avons 
rapportés  ailleurs  plus  au  long  (5). 


(1)  A  l'appui  de  cette  assertion,  Eichorn  cite  en  note  les  passages  du 
Droit  de  Saxe  et  du  Droit  de  Souabe  que  nous  avons  rapportés  ci-dessus 
(n.  267,  etc.)  Il  ajoute  que  le  droit  public  du  temps  était  ainsi  entendu, 
non-seulement  par  la  cour  pontificale,  mais  encore  par  l'opinion  universelle  ; 
et  que  le  sentiment  de  la  cour  pontiticale,  sur  ce  point,  est  développé  par 
Gervais  de  Tilbury ,  seigneur  de  la  cour  d'Othon  IV,  dans  les  Prolégomènes 
de  son  ouvrage  intitulé  :  Otia  Imperialia.  Nous  avons  exposé  ailleurs  le 
sentiment  de  ce  dernier  auteur  (  ci-dessus ,  chap.  n,  n.  145). 

(2)  Ici  Eichorn  observe  en  note,  que  «  le  pouvoir  des  princes  est  une 
«  émanation  de  celui  de  l'empereur.  »  Cette  opinion  de  plusieurs  juriscon- 
sultes allemands  est  loin  d'être  incontestable. 

(3)  A  l'appui  de  cette  assertion ,  Eichorn  cite  en  note  les  dispositions 
du  Droit  de  Souabe  sur  les  effets  temporels  de  l'excommunication  que 
nous  avons  rapportées  ailleurs.  (Ci-dessus,  chap.  1,  n.  78.  ) 

(4)  Eichorn ,  Hist.  de  V Empire  et  du  Droit  Germanique ,  3e  édition, 
tom.  n,  p.  376.  Ce  passage  remarquable  a  été  cité  textuellement  par  M.  Wi- 
seman,  dans  le  n.  2  des  Annales  des  Sciences  Religieuses,  que  nous  avons 
cité  plus  haut  (chap.  1,  p.  350,  note  1  ).  On  en  trouve  aussi  le  résumé  dans 
le  Manuel  d'Hist.  du  moyen  âge,  par  Mœhler,  pag.  418. 

(5)  Depuis  la  première  édition  de  notre  ouvrage,  nous  avons  appris  que 
M.  Eichorn  avait  publié  ,  en  1835,  une  quatrième  édition  de  son  Histoire, 
dans  laquelle  il  modifie  beaucoup  le  passage  que  nous  venons  de  citer, 


646  DEUXIÈME  PARTIE.  —  POUVOIR  DU  PAPE 

Nous  n'oserions  assurer  que  ce  système  du  droit  public ,  tel 
que  l'expose  le  savant  auteur,  dans  le  passage  que  nous  venons 
de  citer,  ait  été  aussi  généralement  admis  qu'il  le  suppose,  soit 
au  temps  de  Grégoire  VIT,  soit  à  une  époque  plus  récente.  Il  est 
certain  que,  sous  Grégoire  VII,  le  roi  d'Angleterre  ne  recon- 
naissait pas  encore,  comme  il  fit  depuis  (sous  Henri  II  et  ses 
successeurs),  la  suzeraineté  du  saint-siége  (l).  Il  paraît  égale- 
ment certain  que  cette  suzeraineté,  dans  le  temps  même  où  elle 
était  reconnue  par  un  grand  nombre  de  souverains  de  l'Europe, 
n'était  pas  reconnue  par  le  roi  de  France ,  et  que  la  dépendance 
de  l'empire  à  l'égard  du  Pape  n'était  pas  proprement  une  dé- 
pendance  féodale  (2). 
a86-    a       Mais,  quoi  qu'il  en  soit  des  exceptions  auxquelles  ce  droit  pu- 

Importance  de  L  A  , 

ces  aveux,  blic  a  pu  être  sujet,  il  faut  convenir  que  le  langage  des  écri- 
vains protestants  que  nous  venons  de  citer,  est  une  des  plus 
fortes  leçons  qu'on  puisse  donner  à  un  grand  nombre  d'écri- 
vains catholiques,  qui  ne  traitent  presque  jamais  les  questions 
délicates  dont  nous  parlons,  sans  y  mêler  les  traits  les  plus  inju- 
rieux au  saint-siége  et  à  l'Église  elle-même.  C'est  la  remarque  du 
judicieux  éditeur  des  Pensées  de  Leibniz,  dans  une  note  sur 
les  passages  de  cet  auteur  que  nous  avons  cités  plus  haut.  «  Le 
«fondement,  dit-il,  que  Leibniz  assigne  à  l'autorité  que  les 
«  papes  ont  préteudue  sur  le  temporel  des  rois,  est  plus  impo- 

et  ne  se  prononce  pas,  à  beaucoup  près,  aussi  fortement,  en  faveur  du  droit 
public  dont  il  est  ici  question.  Le  ton  d'hésitation  et  même  d'embarras,  avec 
lequel  il  s'exprime  là-dessus  dans  sa  quatrième  édition  ,  nous  a  fait  balancer 
d'abord  à  conserver  la  citation  de  la  troisième  ;  toutefois ,  en  examinant  la 
chose  de  plus  près  ,  nous  avons  cru  devoir  conserver  ceite  citation,  parce 
qu'elle  n'exprime  pas  seulement  l'opinion  que  M.  Eichorn  a  longtemps 
suivie,  mais  encore  le  sentiment  de  plusieurs  savants,  même  protestants, 
qui  ont  accueilli  avec  les  plus  grands  éloges  la  troisième  édition  de  son  His- 
toire. Nous  sommes  persuadé  d'ailleurs,  que  les  lecteurs  instruits ,  qui  exa- 
mineront de  près  les  passages  du  Droit  de  Saxe  et  du  Droit  de  Sonabe  ci- 
tés par  M.  Eichorn  ,  à  l'appui  du  texte  de  sa  troisième  édition,  trouveront, 
dans  ce  dernier  texte,  la  véritable  et  iidèle  exposition  de  l'ancien  Droit  Ger- 
manique. 

(1)  Baronii  Annales,  anno  1079,  n.  25.  — -  Lingard,  Hist.  d'Angleterre, 
tom.  ii,  pag.  120. 

(2)  Voyez  plus  haut,  chap.  2,  n.  142  ;  chap.  3,  n.  256.  Peut-être  l'auteur, 
en  admettant  le  principe  général,  le  croit  il  sujet  à  quelques  exceptions. 
C'est  ainsi  du  moins  que  l'entend  M.  Wiseman  (ubi  suprà);  car  il  re- 
marque qu'au  temps  de  Grégoire  VII,  le  roi  d'Angleterre  ne  reconnaissait 
pas  la  suzeraineté  du  saint-siége. 


SUR   LES   SOUVERAINS.  —  CHAPITRE   III.  647 

«  sant  et  plus  coloré  que  celui  que  les  ultramontains  lui  don- 
«  nent.  Le  respect  avec  lequel  ce  grand  homme,  tout  protestant 
«  qu'il  était,  a  toujours  parlé  des  évoques  de  Home,  et  le  soin 
«  qu'il  a  pris  de  les  disculper,  sont  une  leçon  à  quelques  catho- 
«  liques,  qui  s'appliquent  au  contraire  à  charger  ce  qu'il  y  a  eu 
«  d'odieux  dans  la  conduite  ou  les  entreprises  des  papes ,  et  qui 
«  oublient,  en  s'expliquant  sur  cette  matière,  toutes  les  règles 
«  de  cette  décence  et  de  cette  modération  dont  on  ne  doit  ja- 
»  mais  s'écarter,  môme  lorsqu'on  défend  la  vérité  la  plus  im- 
«  portante  (t).  » 

II.  Nous  étonnerons  sans  doute  bien  des  lecteurs,  en  ajoutant       2s7. 
que  notre  sentiment  sur  le  droit  public  du  moyen  âge,  relati-  Led™Tnm.t/c 
vement  à  la  déposition  des  souverains ,  est  confirmé  par  la  Parlo^umaiu- 
constitution  même  de  plusieurs  États  modernes.  Toutefois,  il  Par  la  cons,i- 
est  certain  que ,  depuis  la  fln  du  xve  siècle ,  époque  à  laquelle  d«  pleurs 
on  place  communément  la  fin  du  moyen  âge  (2),  on  trouve    modernes. 
dans  la  constitution ,  ou  la  loi  jondamen taie  des  principaux 
États  de  l'Europe ,  et  même  de  plusieurs  États  protestants,  des 
vestiges  manifestes  de  l'ancien  droit  public  dont  nous  parlons. 
Les  détails  que  nous  allons  présenter  sur  cette  matière,  en  même 
temps  qu'ils  serviront  à  confirmer  notre  sentiment,  feront 
connaître  quelle  a  été  la  durée  de  cet  ancien  droit ,  et  l'épo- 
que de  sa  décadence. 

Pour  parler  dabord  des  États  catholiques ,  il  est  certain  qu'au       288. 
xvie  siècle,  l'empereur  d'Allemagne  était  encore  é\nsous  la  con-  Preuve^  <Je  ce 
dition  expresse,  de  défendre  la  république  chrétienne  et  le  sou-  relativement 
verain  pontife  3  et  d'être  son  protecteur.  Tel  est  le  premier  d'Allemagne 
article  delà  Capitulation  impériale ,  signée  par  Charles-Quint, 
à  l'époque  de  son  élection,  en  1519  (3),  et  dont  l'abbé  Lenglet- 
Dufresnoy  expose  en  ces  termes  le  but  et  l'occasion  :  «  La  juste 
«  appréhension,  dit-il  (4),  qu'eurent  les  électeurs  de  se  voir  as- 

(1)  Pensées  de  Leibniz  sur  la  Religion  et  la  Morale  (  recueillies  par 
M.  Émery,  supérieur  général  de  la  compagnie  de  Saint-Sulpice  ).  Paris,  1803, 
2  vol.  in-8° ,  t.  ii,  p.  400. 

(2)  Voyez  à  ce  sujet  la  Préface  de  cet  ouvrage,  p.  j,  note.  1 . 

(3)  Le  texte  de  cette  Capitulation  se  trouve  dans  le  Corps  Diplom. 
universel  de  Jean  Dumont,  t.  iv,  lre  partie,  p.  298,  etc. 

(4)  Méthode  pour  étudier  V  Histoire,  par  Lenglet-Duiresnoy,  4e  partie, 
chap.  5,  art.  1  (  t.  vi  de  l'édition  in-12,  p.  333).  Voyez  aussi  le  Dictionnaire 
de  Moreri,  article  Capitulation.  —Annales  Raynaldi,  anno  1519,  n.  27. 


648  DEUXIÈME  PARTIE.  —  POUVOIR  DU  PAPE 

<'  servis  avec  les  autres  princes  et  États  de  l'empire ,  après  avoir 
«  une  fois  remis  à  un  seigneur  puissant  les  rênes  de  l'empire, 
«  leur  fit  penser  à  donner  des  bornes  à  l'autorité  de  celui  qu'ils 
«  choisiraient  pour  être  leur  chef,  lis  renouvelèrent  donc  l'an- 
«  cien  usage  des  Capitulations ,  qu'on  fait  descendre  de  la  fa- 
«  meuse  convention  de  Coblentz,  de  l'an  860,  par  laquelle  Louis 
«  le  Germanique  promit  de  ne  rien  décerner,  dans  les  matières 
«  importantes  qui  regardaient  ses  États  ecclésiastiques  et  sécu- 
«  liers,  sans  leur  conseil  et  leur  consentement.  Ils  dressèrent 
«  donc  ces  conventions  si  connues  sous  le  nom  de  Capitulations 
«  impériales.  C'est,  comme  l'a  fort  exactement  marqué  l'ingé- 
«  nieux  et  solide  auteur  des  Lettres  Suisses  (I),  c'est  un  traité 
«composé  de  plusieurs  articles,  une  espèce  de  contrat  que  les 
«  électeurs  font  avec  celui  qu'ils  veulent  mettre  sur  le  trône 
«  impérial.  //  s'oblige  par  serment  à  l'observation  de  tous  les 
«articles  de  ce  contrat.  Par  leur  inobservation,  il  délie  ses 
«  sujets  du  serment  réciproque  :  il  perd  tous  les  droits  qu'il  a 
«  sur  l'empire,  puisque  l'empire  ne  lui  a  été  confié,  qu'à  condi- 
«  tion  qu'il  observera  ces  articles  (2)....  C'est  particulièrement 
«à l'élection  de  Charles-Quint,  que  le  renouvellement  de  ces 
«  Capitulations  s'est  établi  sous  la  forme  d'un  contrat  écrit. 
«  Ce  prince  était  déjà  très-redoutable  par  la  couronne  d'Espa- 
«  gne  qu'il  avait  sur  la  tète.  C'est  ce  qui  fit  que  Frédéric,  élec- 
«  teur  de  Saxe,  ayant  refusé  l'empire,  ne  proposa  Charles-Quint, 
«  qu'à  condition  qu'on  bornerait  son  pouvoir  par  une  Capitu- 
«  lation  qui  pût  mettre  en  sûreté  la  liberté  de  la  nation;  et  ce 
«  louable  usage  s'est  heureusement  perpétué  à  l'élection  de  cha- 
«  que  empereur.  Voici  quelles  sont  à  peu  près  les  conditions  du 
«  contrat  :  1°  de  défendre  la  république  chrétienne  et  le  sou- 
«  verain  pontife,  et  d'être  son  protecteur;  2°  de  rendre  la  jus- 
«  tice  et  de  donner  la  paix,  etc.,  etc.  » 


(1)  Il  s'agit  ici  des  lettres  anonymes  publiées,  en  1703  et  1704,  par  Jean 
de  la  Chapelle,  sous  ce  titre  :  Lettres,  Mémoires  et  Actes  concernant  la 
guerre  présente  (la  guerre  de  la  succession  d'Espagne);  Bâle,  1703  et 
1704,  huit  vol.  in-12.  Le  passage  cité  par  Lenglet-Dufresnoy,  et  que  nous 
avons  souligné,  est  tiré  de  la  seizième  lettre ,  t.  m,  p.  146,  etc.  Voyez  aussi 
la  treizième  lettre,  ibid.,  p.  34. 

(2)  La  suite  de  ce  passage  des  Lettres  Suisses,  dont  nous  indiquons  la 
suppression  par  des  points ,  a  été  citée  plus  haut,  chap.  1,  art.  1,  n.  25. 


SUR  LES   SOUVERAINS.  —  CHAPITRE  III.  649 

Au  milieu  des  terribles  agitations  causées  en  Angleterre  par  le    _  a89- 

°  cm.  Royaume 

schisme  d'Henri  VIII,  au  xvie  siècle,  les  catholiques  anglais  d'Angleterre, 
iuvoquaient  avec  confiance,  contre  la  reine  Elisabeth,  Y  an- 
cienne jurisprudence  des  États  catholiques  de  l'Europe,  et 
spécialement  celle  de  l'Angleterre,  qui  excluait  du  trône  les 
princes  hérétiques.  Ce  motif  est  présenté  avec  beaucoup  de  force, 
dans  plusieurs  ouvrages,  publiés  à  cette  époque  par  des  catho- 
liques anglais,  et  dont  la  publication  produisit  une  grande  sen- 
sation, en  Angleterre  etsnr  le  continent  (1  ).  Il  est  vrai  que  ces  au- 
teurs combattent  aussi  les  droits  d'Elisabeth ,  par  des  arguments 
tirés  de  l'opinion  théologique,  alors  si  accréditée,  qui  attribue 
à  l'Église  et  au  souverain  pontife  une  juridiction  au  moins 
indirecte  sur  les  choses  temporelles ,  en  vertu  de  V institution 
divine.  Mais  en  lisant  attentivement  leurs  ouvrages,  il  est  aisé 
de  voir  qu'ils  ne  prétendent  pas  se  fonder  uniquement  sur  cette 
opinion,  et  qu'ils  invoquent  tout  à  la  fois,  contre  Elisabeth,  les 
lois  divines  et  humaines ,  particulièrement  les  anciennes  lois 
de  V Angleterre,  qui  excluent  du  trône  les  hérétiques,  et  la 
condition  expresse  de  catholicisme ,  mise  à  V élection  de  tous 
les  souverains  catholiques  de  l'Europe,  depuis  le  \f  siècle. 
Il  faut  avouer  aussi  que  tous  les  catholiques  anglais  ne  s'accor- 
daient pas  à  reconnaître  la  force  de  ces  raisons  ;  mais  elle  n'était 
guère  contestée  que  par  de  mauvais  catholiques,  attachés  au 
parti  de  la  reine  par  des  motifs  de  crainte  ou  d'intérêt  person- 
nel. La  plupart  de  ceux  qui  demeuraient  fidèles  à  la  religion  de 
leurs  pères,  regardaient  Elisabeth  comme  déchue  de  tous  ses 
droits  à  la  couronne  d'Angleterre,  d'après  la  loi  fondamentale 
du  royaume;  et  ils  étaient  soutenus  dans  leur  persuasion,  par  le 
souverain  pontife,  et  par  plusieurs  autres  souverains  de  l'Eu- 
rope. On  sait,  en  effet,  que  la  bulle  de  Pie  V,  qui  déclarait  nuls 
tous  les  droits  d'Elisabeth  au  trône  d'Angleterre,  fut  publiée, 
non-seulement  à  la  demande  d'un  grand  nombre  de  catholiques 
anglais,  mais  encore  à  l'instigation  du  roi  d'Espagne;  et  on  ne 
voit  pas  que  les  autres  souverains  aient  regardé  cette  bulle , 
comme  une  atteinte  portée  à  la  majesté  royale,  dans  la  personne 


(1)  Voyez  les  ouvrages  de  Allen  et  de  Doleman ,  indiqués  ci-après ,  n.  9 
des  Pièces  justificatives ,  à  la  fin  de  ce  volume,  pag.  752. 


650        DEUXIÈME  PARTIE.  — POUVOIR  DU  PAPE 

d'Elisabeth  (t).  Ce  qu'il  y  a  surtout  ici  de  remarquable,  c'est 
que  la  reine  Elisabeth,  et  la  reine  Marie  Stuart,  qui  prétendaient 
également  à  la  couronne  d'Angleterre,  attachaient  une  égale 
importance  à  soutenir  leurs  droits  par  le  suffrage  du  Pape  (2). 
Elisabeth,  quoiqu'elle  affectât  de  ridiculiser  la  seutence  pontifi- 
cale, qui  déclarait  la  nullité  de  ses  droits,  y  trouvait  une  source 
d'inquiétudes.  Aussi  ne  négligea  t-elle  rien  pour  obtenir  la  ré- 
vocation de  cette  sentence,  jusqu'à  employer,  pour  cet  effet, 
l'entremise  de  l'empereur  Maximilien  II.  «  Le  Pape  (Pie  V) ,  dit 
«  le  docteur  Lingard,  répondit  à  la  requête  de  ce  prince,  en  de- 
«  mandant  si  Elisabeth  regardait  la  sentence  comme  valable  ou 
«  non.  Dans  le  premier  cas,  pourquoi  ne  cherchait-elle  pas  à  se 
«réconcilier  avec  le  saint-siége?  Dans  le  second,  pourquoi  dé- 
«  sirait-elle  qu'on  la  révoquât  (3)?  »  Pour  ce  qui  regarde  la  reine 
Marie  Stuart,  il  est  certain  que,  sur  le  point  de  mourir,  elle 
écrivit  au  pape  Sixte  V,  en  date  du  23  novembre  1586,  une 
lettre  dans  laquelle,  après  lui  avoir  témoigné  son  attachement 
à  la  foi  catholique,  elle  remet  tous  ses  droits  à  la  disposition 
du  Pape  et  du  roi  d'Espagne.  Dans  cette  lettre  si  remarquable, 
dit  le  même  historien  que  nous  venons  de  citer,  «  elle  recom- 
«  mande  au  pontife  la  conversion  de  son  fils  à  la  religion  catho- 
dique; et,  à  cet  effet,  elle  le  prie  d'employer  la  coopération 
«  du  roi  d'Espagne  (Philippe  II) ,  le  seul  prince  qui  l'ait  réelle- 
«  ment  secourue  pendant  sa  captivité.  Si  Jacques  continue  à  ne 
«  vouloir  pas  se  convertir,  elle  met  tous  ses  droits  à  la  cou- 
«  ronne  d'Angleterre  à  la  disposition  du  Pape  et  de  ce  mo- 
«  narque.  Mais  s'il  vient  à  se  convertir....,  elle  souhaite,  comme 
«  la  dernière  satisfaction  qu'elle  puisse  désirer  sur  la  terre ,  qu'il 
«  épouse  l'infante  d'Espagne  (4).  » 
29o.  Vers  le  même  temps,  l'histoire  d'Espagne  fournit  un  exemple 

ssSret   remarquable,  du  maintien  de  l'ancienne  jurisprudence  de  ce 
royaume,  qui  excluait  du  trône  les  princes  hérétiques.  Le  roi 

(1)  Sponde,  Annales;  anno  1569,  n.  8  et  9.  —  Bzovius,  anno  1569,  n.  30  ; 
anuo  1570,  n.  i3,  etc.  —  Bianchi,  Délia  Potesla  e  délia  Politia  delta  Câie- 
sa,  tom.  11,  lib.  vi,  §  10,  n.  4.  — Lingard,  Hist.  d' Angleterre ,  tom.  vin, 
pag.  73,  etc. 

(2)  Lingard,  ibid.t  pag.  77,  609,  etc. 

(3)  lbid.t  pag.  78. 

(4)  Ibid.,  pag.  609,  etc. 


SUR  LES   SOUVERAINS.  —  CHAPITRE  III.  651 

Philippe  II  faisant  cession  de  la  Belgique,  en  1598,  à  sa  fille 
Isabelle,  et  à  son  futur  mari,  Albert  d'Autriche,  entre  autres 
conditions  de  cette  cession ,  y  mit  celle  qui  suit  :  «  Item,,  à  con- 
«dition,  et  autrement  non  (pour  être  icelle  la  principale,  et 
«  de  plus  grande  obligation  sur  toutes  les  autres) ,  que  tous  les 
«  enfants  et  descendants  desdits  mariants,  imitant  la  piété  et  re- 
«  ligion  qui  luit  en  eux,  devront  vivre  et  mourir  en  notre  sainte 
«foi  catholique,  comme  la  tient  et  enseigne  la  sainte  Église  ro- 
«maine;  et  avant  de  prendre  possession  desdits  Pays-Bas,  en 
«  auront  à  prêter  le  serment,  en  la  forme  qui  se  trouve  couchée 
«  après  cet  article.  Et  au  cas  (ce  que  Dieu  ne  veuille)  qu'aucun 
«desdits  descendants  se  dévoyât  de  notre  sainte  foi,  et  tombât 
«  en  quelque  hérésie,  après  que  notre  saint  Père  le  Pape  l'aurait 
«  déclaré  pour  tel,  soit  privé  de  l'administration,  possession  et 
«propriété  desdites  provinces,  et  que  les  sujets  et  vassaux  d'i- 
«  celles  ne  lui  obéissent  plus;  ains  qu'ils  admettent  et  reçoivent 
«le  plus  proche  catholique,  suivant  en  degré,  qui,  au  cas  du 
«  trépas  de  tel  fourvoyé  de  la  foi,  lui  devrait  succéder;  et  sera 
«  tel  hérétique  réputé  comme  si  réellement  il  fût  décédé  de  mort 
«naturelle  (l).»  Cette  disposition  si  remarquable  était  con- 
forme à  l'ancienne  Constitution  d'Espagne,  qui  s'est  conservée 
jusqu'à  nos  jours  dans  ce  royaume,  et  que  la  Constitution  de 
1808  renouvelle  en  ces  termes  :  «  La  religion  catholique ,  apos- 
«  tolique  et  romaine  est  en  Espagne,  et  dans  toutes  les  posses- 
«  sions  espagnoles,  la  religion  du  roi  et  de  la  nation;  aucune 
«  autre  n'est  permise  (2).  » 

La  Constitution  sicilienne,  qui  s'est  maintenue  jusque  dans 
ces  derniers  temps,  est  encore  plus  expresse  sur  ce  point.  Le 
titre  111  de  cette  constitution  est  conçu  en  ces  termes  :  «  Le  roi 
«doit  professer  la  religion  catholique;  s'il  professe  un  autre 
a  culte ,  il  est,  par  là  même,  déchu  du  trône  de  Sicile  (3).  » 


(1)  Cet  acte  se  trouve  dans  le  Corps  universel  Diplomatique  de  Jean 
Dumont,  sous  la  date  du  6  mai  1508  (t.  v,  l'e  partie,  p.  574).  —  Voyez,  au 
sujet  de  cet  .cte,  Spondani  Annales,  anno  1598  ,  n.  15.  —  Synopsis  Monu- 
mentorum  Ecclesiœ  Mechl in.  tom.  in,  pag.   1041. 

(2)  Dul'au  et  Guadet,  Collection  des  Constitutions ,  tom.  v,  pag.  65 
et  86. 

(3)  Ibid.y  tom.  iv,  pag.  464. 


652  DEUXIÈME  PARTIE.  —  POUVOIR  DU  PAPE 

a9i.  Telle  était  aussi  l'ancienne  constitution  du  royaume  de  Po- 

logne, où  elle  était  encore  en  vigueur  dans  le  dernier  siècle. 
Frédéric-Auguste  Ier,  qui  monta  sur  le  trône  de  Pologne  en 
1697,  n'avait  pu  être  élu,  qu'en  renonçant  au  luthéranisme. 
«Il  avait  même  eu  peine,  dit  un  historien  récent,  malgré  ce 
«changement,  à  l'emporter  sur  son  compétiteur,  le  prince  de 
«  Conti,  à  qui  sa  réputation,  et  les  insinuations  de  l'abbé  de  Po- 
«  lignac ,  ambassadeur  de  France  à  Varsovie ,  avaient  formé  un 
«parti  puissant.  Auguste  avait  eu  recours  à  d'excessives  libéra- 
«  lités,  et  même  aux  armes,  pour  faire  prévaloir  ses  intérêts  dans 
«  la  diète.  Il  s'était  appuyé  du  nonce  du  Pape,  qui  avait  certifié 
«  la  vérité  de  sa  conversion  (l  ).  » 

L'ancien  droit  public  de  la  Pologne,  sur  ce  point,  fut  ex- 
pressément renouvelé,  en  1768,  par  la  diète  polonaise,  en  ces 
termes  :«  Aucun  prince  ne  pourra  aspirer  au  trône,  s'il  n'est 
«catholique;  ni  aucune  princesse  être  couronnée  reine,  si  elle 
«  ne  professe  la  religion  romaine  ;  ceux  qui  changeront  de  reli- 
«gion,  seront  punis  du  bannissement  (2).  »  Il  est  à  remarquer 
que  cet  article  fait  partie  d'un  traité,  adopté  par  la  diète  polo- 
naise, sous  l'influence  de  l'impératrice  Catherine  II,  et  dans 
lequel  on  accorda  aux  protestants  des  droits  que  l'ancienne  ju- 
risprudence du  royaume  de  Pologne  avait  constamment  refusés 
aux  hérétiques  (3). 

292-  Personne  n'ignore  les  troubles  occasionnés  en  France ,  à  la  fin 

Royaume  Je     ,  p     „      y  .       ..  v    ..  ,      .      ..  . 

France:  but  du  xvi  siècle ,  par  le  danger  ou  1  on  était  de  voir  monter  sur  le 
èa  h  Ligue,  trône  un  prince  hérétique.  Il  n'entre  pas  dans  notre  plan  de 
HenTm.  rapporter  ici  l'origine  et  les  progrès  de  la  Ligue  formée,  à  cette 
époque,  pour  éloigner  du  trône  le  roi  de  Navarre  (depuis 
Henri  IV),  qui  professait  la  religion  protestante.  Il  suffit  de  rap- 
peler, que  le  principal  motif  de  cette  association ,  celui  qui  fut 
constamment  placé  à  la  tète  de  tous  les  autres,  par  les  partisans 
de  la  Ligue,  était  l'ancien  usage,  et  la  loi  fondamentale  du 
royaume ,  qui  obligeaient  le  souverain  à  professer  la  religion 

(1)  Mémoires  pour  servir  à  V Histoire  Ecclés.  du  xvme  siècle,  tom.  i,  In- 
troduction, pag.  clx.  —  Lenglet-Dufresnoy,  Méthode  pour  étudier  l'His- 
toire, tom.  vin,  pag.  346. 

(2)  Dufau,  Collection  des  Constitutions,  tom.  iv,  pag.  34  et  35. 

(3)  Mémoires  pour  servir  à  V Histoire  Ecclésiastique  du  xvine  siècle , 
tom.  il,  année  1767,  13  octobre. 


SUR  LES  SOUVERAINS.  —  CHAPITRE  III.  653 

catholique,  et  le  danger  évident  auquel  serait  exposée  cette  re- 
ligion ,  sous  un  prince  hérétique. 

Nous  pourrions  citer,  à  l'appui  de  ce  fait,  une  foule  d'écrits  293. 
et  de  mémoires  publiés,  dans  le  temps,  par  les  plus  célèbres  li-  Zl%L. e 
gueurs  (1).  Mais  il  suffit  de  rappeler  ici  le  Manifeste,  publié,  en 
1585,  par  le  cardinal  de  Bourbon,  de  concert  avec  plusieurs 
princes  du  sang,  cardinaux,  prélats  et  autres  personnages  dis- 
tingués, dans  tous  les  ordres  de  l'État  (2).  Les  auteurs  de  ce 
Manifeste  donnent  pour  premier  motif  de  leur  association,  le 
danger  de  voir  monter  sur  le  trône  un  prince  hérétique ,  et 
la  condition  de  catholicisme,  mise  au  serment  de  fidélité  que  les  . 
Français  prêtent  à  leur  roi  ;  condition  si  rigoureuse,  que  ceux-ci 
ne  prêtent  leur  serment,  qu'en  vertu  de  celui  que  fait  le  roi 
lui-même,  de  conserver  la  religion  catholique,  apostolique 
et  romaine.  «On  sent,  est-il  dit  dans  ce  Manifeste ,  qu'il  ne 
«  pourrait  arriver  de  plus  grand  malheur,  que  de  voir  monter 
«  sur  le  trône  un  prince  hérétique ,  attendu  que  les  peuples  ne 
«  sont  point  obligés  de  reconnaître  ni  de  souffrir  l'autorité  d'un 
«souverain  qui  a  abandonné  la  foi  chrétienne  et  catholique, 
«  puisque  le  premier  serment  que  font  les  rois,  est  de  conserver 
«  la  religion  catholique,  apostolique  et  romaine,  et  que  c'est  en 
«  vertu  de  ce  serment  que  leurs  sujets  leur  prêtent  celui  de  fi- 
«  délité.  »  On  sait  que  ce  Manifeste ,  publié  d'abord  au  nom  d'un 
certain  nombre  de  princes  et  de  seigneurs  des  plus  distingués 
du  royaume,  fut  depuis  appuyé  de  presque  tous  les  princes  de 


(1)  Voyez,  en  particulier,  les  ouvrages  de  Guillaume  Rose,  évêque  de  Sen- 
lis;  de  Jean  Boucher,  curé  de  Saint-Benoît  ;  et  de  Louis  d'Orléans,  avocat  au 
parlement  de  Paris,  que  nous  indiquons  dans  le  n.  9  des  Pièces  justifica- 
tives ,  à  la  fin  de  ce  volume.  On  peut  consulter  aussi,  à  l'appui  de  ce 
fait ,  un  grand  nombre  d'autre  écrits ,  dans  les  Mémoires  de  la  Ligue,  pu- 
bliés à  cette  époque,  par  Simon  Goulart,  sous  le  nom  de  Samuel  du  Lys 
(Genève,  1G02,  6  vol.  in-8°),  et  reproduits  avec  des  notes  historiques  et 
critiques,  par  l'abbé  Goujet  (Paris,  1758,  6  vol.  in-4°),  sous  la  rubrique 
d'Amsterdam. 

(2)  Ce  Manifeste  parut  au  mois  de  mars  1585,  sous  ce  titre  :  Déclaration 
des  causes  qui  ont  mû  le  cardinal  de  Bourbon,  et  les  pairs,  seigneurs, 
villes  et  communautés  catholiques  de  ce  royaume ,  de  s'opposer  à  ceux 
qui  veulent  subvertir  la  religion  de  l'État;  Reims,  1585,  in-8°.  Cette  Dé- 
claration se  trouve  aussi  dans  les  ouvrages  suivants  :  tom.  1  des  Mémoires 
de  la  Ligue,  déjà  cités  dans  la  note  précédente.  —  Histoire  des  Guerres 
civiles  de  France,  par  Davila;  Paris,  1757,  tom.  11,  pag.  139, 


654  DEUXIÈME   PARTIE.  —  POUVOIR  DU    PAPE 

l'Europe,  le  Pape  à  leur  tête,  et  obtint  successivement  l'adhé- 
sion de  la  France  presque  entière  (i). 
Résumas  de  Un  des  principaux  résultats  de  cet  acte,  soutenu  par  tous  les 
cet  acte,  efforts  de  la  Ligue ,  fut  V Édit  d'union ,  publié  par  le  roi  Henri  III, 
au  mois  de  juillet  1588,  et  déclaré  à  jamais  loi  fondamentale 
du  royaume ,  dans  les  étais  généraux  de  Blois ,  au  mois  d'oc- 
tobre suivant.  Les  premiers  articles  de  cet  édit  portent  :  1°  que 
le  roi  fera  serment  d'employer  jusqu'à  sa  propre  vie,  pour  ex- 
terminer l'hérésie  dans  son  royaume,  et  de  ne  faire  jamais  ni 
paix  ni  trêve  avec  les  hérétiques,  ni  aucun  édit  en  leur  faveur. 
2°  Que  tous  ses  sujets,  de  quelque  qualité  qu'ils  soient,  feront 
le  même  serment.  3°  Que  le  roi  ne  favorisera  et  n'avancera 
aucun  hérétique,  et  que  tous  ses  sujets  jureront  de  ne  recevoir 
pour  roi,  après  son  décès,  aucun  prince  hérétique,  ni  fauteur 
d'hérétiques.  4°  Que  les  charges,  soit  militaires,  soit  de  fi- 
nance, soit  de  judicature,  ne  seront  données  qu'à  des  catho- 
liques (2). 
'295.  Conformément  à  ces  dispositions ,  le  roi  de  Navarre  (  Henri  IV  ) 

de  He^riTv  :  ne  fut  reconnu  roi  de  France,  après  la  mort  de  Henri  III 
Na^es1,  et  sa  ( en  1589),  qu'après  s'être  engagé  avec  serment,  à  maintenir  la 
religion  catholique  dans  le  royaume,  et  à  exécuter  l'offre  qu'il 
avait  déjà  faite  plusieurs  fois,  de  s'en  rapporter,  sur  l'article  de 
la  religion,  à  un  concile  général  ou  national,  qui  serait  assem- 
blé, s'il  était  possible,  dans  six  mois (3).  Sa  conversion,  qui 
eut  lieu  quelque  temps  après  (en  1593),  termina  ces  longues 
discussions,  aussi  bien  que  les  troubles  dont  elles  avaient  été  l'oc- 
casion ou  le  prétexte  ;  toutefois ,  elle  ne  l'empêcha  pas  de  faire 
aux  protestants  des  concessions  importantes,  qu'il  eût  été  bien 

(1)  Voyez  les  Annales  de  Sponde,  année  1585  et  suiv.  — Davila,  Hist.  des 
Guerres  civiles,  tom.  h,  année  1585,  etc.  —  Anquetil,  Esprit  de  la  Ligue, 
année  1585,  etc.  —  Daniel,  Hïst.  de  France,  tom.  xi,  pag.  184,  etc.  —  De 
Pérétixe,  Hist.  de  Henri  IV,  tom.  i,  pag.  72  et  142.  —  Ferrand,  Esprit  de 
l'Histoire,  tom.  ni,  lettres  68  et  69 —  De  Saint-Victor,  Tableau  historique 
et  pittoresque  de  Paris,  tom.  in,  lre  partie,  pag.  323.  —  Clansel  de  Cous- 
set  gués,  Du  Sacre  des  Rois  de  France,  chai).  26>  Pag-  350,  etc. 

(2)  Collection  des  Procès-Verbaux  des  Assemblées  génér :  du  Clergé 
de  France,  tom.  i,  pag.  47  2,  etc.  —  Davila,  ubi  supra,  pag.  357  et  37 1. 
—  Daniel,  ubi  suprà,  pag.  318  et  338.  —  Anquetil,  Esprit  de  ta  Ligue, 
tom.  iii,  pag.  32  et  39. 

(3)  Outre  les  auteurs  déjà  cités,  voyez  De  Thou,  Hist.  Univ.,  liv.  xcvn.— 
Clausel  de  Coussergues,  ubi  suprà,  chap.  27. 


revocation. 


SUR  LES  SOUVERAINS.  —  CHAPITRE  III.  655 

difficile  de  ne  pas  leur  faire,  dans  les  circonstances  où  l'on  se 
trouvait.  Toi  fut  l'objet  du  célèbre  Édit  de  Nantes ,  du  mois 
d'avril  1598,  qui  accordait  aux  protestants  l'exercice  public  de 
leur  religion,  dans  certains  lieux  déterminés  par  l'édit;  le  droit 
d'aspirer  à  toutes  les  charges,  des  chambres  mi  parties  dans 
quelques  parlements,  et  beaucoup  d'autres  privilèges;  à  condi- 
tion néanmoins ,  qu'ils  renonceraient  de  bonne  foi  à  toutes  les 
pratiques,  ligues  et  intelligences  avec  les  ennemis  de  l'État  (l). 
Toutes  ces  concessions,  extorquées  au  monarque  par  les  instances 
d'un  parti  qu'il  importait  de  ménager,  tendaient  manifestement 
à  entretenir  dans  le  royaume,  sur  l'article  de  la  religion,  des 
divisions  dont  on  n'avait  que  trop  éprouvé  les  funestes  effets 
sous  les  règnes  précédents;  aussi  furent-elles  successivement  res- 
treintes, sous  Louis  XIII  et  Louis  XIV,  à  mesure  que  les  cir- 
constances le  permirent;  enfin,  elles  furent  entièrement  annu- 
lées, en  1685,  par  Y  Édit  de  révocation ,  qui  remettait  les  choses 
sur  le  pied  où  elles  étaient  avant  Y  Édit  de  Nantes  (2).  En  vertu 
de  cette  révocation,  la  religion  catholique  redevint,  comme 
autrefois,  la  religion  de  l'État;  et  l'exercice  de  toute  autre 
religion  fut  interdit  dans  le  royaume  (3).  Telle  était  encore, 
pendant  le  dernier  siècle,  la  Constitution  de  la  France ,  jus- 
qu'au moment  où  Louis  XVI  crut  devoir  renouveler,  en  faveur 
des  protestants  (en  1787  et  1789),  la  plupart  des  dispositions 
de  Y  Édit  de  Nantes  (4). 

L'histoire  même  des  principaux  États  protestants  de  l'Eu-       2g6 
rope ,  depuis  l'origine  de  la  Réforme,  offre,  à  ce  sujet ,  plusieurs  y"*"*? d* 


(1)  On  peut  voir  le  texte  de  cet  Édit,  à  la  fin  du  tom.  i  de  Y  Histoire  de 
V Édit  de  Nantes  (par  Élie  Benoît,  ministre  à  Delft);  Delft,  1693-1696, 5  vol. 
in-4°.  Pour  de  plus  amples  détails  sur  cet  édit,  voyez  Daniel,  Histoire  de 
France,  tom.  xu,  année  1 598.  — Essai  historique  sur  l'Influence  de  la 
Religion  pendant  le  xvue  siècle,  tom.  î,  pag.  44  et  101 . 

(2)  Le  texte  de  Y  Édit  de  révocation  se  trouve  dans  le  tom.  v  de  l'ouvrage 
déjà  cité  du  ministre  Benoît.  Voyez,  au  sujet  de  cet  édit,  D'Avrigny,  Mé- 
moires Chronologiques,  tom.  ni,  juillet,  1685.  —  Histoire  de  Bossuet,  par 
le  cardinal  de  Bausset ,  tom.  iv,  liv.  xi,  n.  15,  etc.  —  Essai  historique 
sur  l'Influence  de  la  Religion  pendant  le  xvue  siècle,  tom.  h,  pag.  235, 
270,  etc. 

(3)  Du  fan  et  Guadet,  Collection  des  Constitutions,  tom.  ï,  pag.  79. 

(4)  Mémoires  pour  servir  à  l'Histoire  Ecclés.  pendant  le  xvme  siècle, 
tom.  m,  24  nov.  1787.  —Les  Dernières  années  de  Louis  XVI,  par  M.  Hue, 
pag.  504-506. 


656  DEUXIEME   PARTIE.  —  POUVOIR  DU  PAPE 

droit  public  faits  remarquables.  Il  est  certain,  en  effet,  que  le  motif  du 
du .      maintien  de  la  religion  dominante,  qui,  dans  tous  les  États  ca- 

moyen   âge,  o  »     \       » 

da.IIS       tholiques  de  l'Europe,  a  l'ait  autrefois  exclure  du  trône  les  béré- 

plusipurs  J  x 

États  proies-  tiques,  en  a  fait  depuis  exclure  les  catholiques,  dans  plusieurs 
particulière-  États  protestants.  Un  bill  du  parlement  d'Angleterre,  sous 
Angleterre.  Guillaume  III ,  en  1688,  fixe,  à  perpétuité,  la  couronne  dans 
la  famille  de  ce  prince  ,  et  à  son  défaut ,  dans  celle  de  la  prin- 
cesse de  Danemark  (Anne),  à  l'exclusion  de  Jacques  II  et  de 
sa  famille.  Le  même  acte  exclut,  à  perpétuité,  du  trône  les  ca- 
tholiques, ou  époux  de  catholiques  (1).  Un  bill  postérieur, 
adopté  en  1701,  confirme  ces  dispositions,  et  admet  au  trône 
la  princesse  Sophie  de  Hanovre,  petite-fille  de  Jacques  Ier,  au 
défaut  de  la  princesse  de  Danemark  (2).  Ce  fut  en  vertu  de 
ces  statuts ,  que  la  princesse  de  Danemark ,  Anne ,  fut  procla- 
mée reine,  en  1702,  et  que  Georges  de  Hanovre  fut  reconnu 
roi,  en  1714,  au  préjudice  de  Jacques  III.  Ces  anciens  statuts 
ont  été  renouvelés  de  nos  jours  (en  1805)  dans  une  séance  du 
parlement,  où  il  fut  expressément  décidé,  que  si  un  roi  d'An- 
gleterre embrassait  la  religion  catholique ,  Userait,  par  le 
fait  même ,  privé  de  la  couronne  (3). 
297.  Le  même  usage  s'est  établi  en  Suède,  depuis  que  le  protes- 

S"è  wégef  °r  tantisme  y  est  devenu  la  religion  dominante.  Ce  fut  en  vertu 
de  ce  principe,  que  Charles  IX  détrôna,  en  1604,  son  neveu 
Sigismond  III ,  et  se  fit  mettre  la  couronne  sur  la  tête  (4).  Ce 
principe  fut  solennellement  renouvelé,  en  1720,  par  les  États 
du  royaume,  à  l'occasion  du  couronnement  de  la  reine  Ulrique 
Éléonore ,  et  de  son  époux  Frédéric  de  Hesse-Cassel  :  celui-ci  ne 
fut  associé  au  trône,  que  sous  la  condition  expresse  qu'il  s'en- 
gagerait à  embrasser  la  religion  luthérienne,  seule  dominante 
dans  le  royaume,  promettrait  de  la  maintenir,  et  de  faire  exé- 


(1)  Dufau,  Collection  des  Constitutions,  tom.  i,  pag.  387,  etc. 

(2)  Ibid.,  pag.  396,  etc.  Voyez  aussi  Mémoires  pour  servir  à  l'Histoire 
Ecclésiastique  du  xv rme  siècle,  tom.  i,  Introduction,  \)&g.  clxxxiv,  pag. 
5,  etc  ;  135,  etc. —  Diction,  de  Moréri,  article  Angleterre,  pag.  59,  lre 
col.  —  Lenglet-Dufresnoy,  ubi  suprà,  pag.  158. 

(3)  Parliamentary  Debales ,  tom.  îv  ;  London  ,  1805  ,  in-8°,  page  677, 
Cité  par  le  comte  de  Maistre,  Du  Pape,  tom.  h,  Conclusion,  pag.  251. 

(4)  Diction,  de  Moréri,  articles  Suède  et  Sigismond  III.  —  Lenglet-Du- 
fresnoy, ubi  suprà,  pag.  260. 


SUR  LES    SOUVERAINS.  —  CHAPITRE   III.  657 

cuter  les  lois  qui  la  concernent  (l)  ;  tel  est  encore  aujourd'hui 
le  droit  public  de  la  Suède,  d'après  la  constitution  dressée, 
en  1809,  par  les  États  de  ce  royaume ,  et  publiée,  la  même 
année,  par  le  roi  Charles  XIII.  Il  y  est  dit  expressément  que 
«  le  roi  doit  faire  profession ,  ainsi  que  tous  les  fonctionnaires 
«  publics,  de  la  religion  évangélique  (luthérienne)  (2).  »  Tel  est 
aussi  le  droit  public  de  la  Norwége ,  d'après  la  constitution 
de  1814  (3). 

Mais  ce  qui  distingue  surtout  le  droit  public  des  États  protes-       298. 
tants,  d'avec  celui  des  États  catholiques  du  moyen  âge,  c'est  emrJ^Xoit 
que  ce  dernier  avait  pour  fondement  l'attachement  sincère  des  ^"ces^taV 
peuples  à  la  religion  de  leurs  pères,  et  le  désir  de  la  maintenir     et^lui 
contre  toutes  les  innovations  du  schisme  et  de  l'hérésie  ;  tandis  m°yen  âee- 


(1)  Diction,  de  Moréri,  articles  Ulrique  Éléonore,  et  Frédéric  de  Hesse- 
Cassel.  —  Lenglet-Dufresnoy,  ubi  suprà,  pag.  220  et  237. 

(2)  Dufau,  Collection  des  Cons limitions,  tom.  m,  pag.  306.  Conformé- 
ment à  cet  article  de  la  Constitution  suédoise,  le  général  Bernadotte,  maré- 
chal de  l'empire  français,  et  prince  de  Ponte-Corvo,  ayant  été  choisi,  en  1810, 
par  les  Étals  de  Suède,  et  adopté  par  le  roi  Charles  XIII ,  pour  héritier  pré- 
somptif de  la  couronne  suédoise,  n'obtint  cette  faveur,  qu'en  abjurant  la  reli- 
gion catholique,  pour  professer  le  luthéranisme.  (Voyez,  au  sujet  de  cette 
révolution ,  la  biographie  universelle ,  articles  Charles  XIII  et  Gus- 
tave IV,  rois  de  Suède,  tom.  l\  et  lxvi.  —  Maltebrun,  Précis  de  la  Géog. 
univers.,  tom  îv,  pag.  383;  édition  de  1832.)  Cette  apostasie,  qui  lui  fit  peu 
d'honneur,  même  dans  l'esprit  des  hommes  peu  religieux,  fut  surtout  haute- 
ment blâmée  par  Napoléon.  Ce  fut  à  cette  occasion  que  l'empereur  eut,  avec 
madame  de  Montesquiou,  alors  gouvernante  du  roi  de  Rome,  un  curieux  en- 
tretien, qu'elle  a  depuis  raconté  elle-même  à  plusieurs  personnes,  et  particu- 
lièrement à  M.  l'abbé  Dassance,  qui  le  rapporte,  en  ces  termes,  dans  Y  Ami 
de  la  Religion  (tom.  cx\i,  pag.  515)  :  «  Voilà  Bernadotte  roi,  dit  Napoléon; 
«  quelle  gloire  pour  lui  !  —  Oui,  sire;  mais  il  y  a  un  vilain  revers  de  médaille  ; 
«  pour  un  trône,  il  a  abdiqué  la  foi  de  ses  pères.  —  Oui,  c'est  très-vilain;  et 
«  moi,  qu'on  croit  si  ambitieux,  je  n'aurais  jamais  quitté  ma  religion  pour 
«  toutes  les  couronnes  de  la  terre.  »  Un  pareil  langage  a  sans  doute  quelque 
chose  d'étonnant,  dans  la  bouche  de  Napoléon  ,  qui,  peu  d'années  aupara- 
vant, avait  paru  disposé  à  professer  le  mahométisme ,  pour  établir  sa  puis- 
sance en  Egypte.  Mais  tout  porte  à  croire  que  l'ambition  qui  le  dominait,  lui 
fit  alors  dissimuler  la  loi  qu'il  conservait  intérieurement.  Plusieurs  circon- 
stances de  sa  vie  publique  et  privée,  et  surtout  les  détails  qu'on  nous  a 
conservés  sur  sa  fin  chrétienne  ,  semblent  prouver  qu'il  n'oublia  jamais  en- 
tièrement les  principes  de  la  religion  catholique,  dans  lesquels  il  avait  été 
élevé.  (Voyez,  à  ce  sujet,  Y  Ami  de  la  Religion,  ibid.—Supplém.  de  la  Bio- 
graphie universelle,  article  Napoléon.  Cet  article,  qui  a  pour  auteur 
M.  Michaud  jeune,  a  été  publié  séparément,  sous  ce  titre  :  Vie  publique  et 
privée  de  Napoléon;  Paris,  1844,  in-8°.) 

(3)  Dufau,  ubi  suprà,  pag.  322. 

42 


658  DEUXIEME   PARTIE.  —  POUVOIR  DU   PAPE 

que  le  droit  public  des  États  protestants  est  principalement 
fondé  sur  la  haine  de  l'Église  catholique,  et  sur  un  attachement 
purement  politique  à  la  religion  établie.  Ces  dispositions  se  sont 
manifestées  surtout  en  Suède  et  en  Angleterre,  dans  plusieurs 
occasions  remarquables.  Avant  le  règne  de  Charles  XI,  roi  de 
Suède,  la  religion  luthérienne  était  la  seule  dont  l'exercice 
public  fût  permis  dans  ce  royaume.  Ce  prince  publia,  en  1687, 
une  déclaration  par  laquelle ,  «  il  défendait  à  ses  sujets,  sous 
«  des  peines  très-sévères,  tout  exercice  public  ou  particulier  de 
«la  religion  catholique  et  du  calvinisme,  voulant  même  que 
«  leurs  enfants  fussent  élevés  selon  la  doctrine  de  la  confession 
«  d'Augsbourg.  Il  révoqua,  quelque  temps  après,  cet  acte,  en 
«  faveur  des  calvinistes  ;  mais  il  le  confirma  à  l'égard  des  catho- 
«  liques,  dont  il  voulut  absolument  bannir  la  créance  de  ses 
«  États,  par  des  motifs  de  jalousie  et  d'intérêt  (l).  » 

Dans  la  séance  du  parlement  d'Angleterre,  du  23  mars  1701, 
la  princesse  Sophie,  petite-fille  de  Jacques  1er,  fut  déclarée  la 
première  dans  la  succession  à  la  couronne  d'Angleterre,  après  la 
mort  du  roi  Guillaume,  delà  princesse  de  Danemark  (Anne) 
et  de  leurs  enfants;  or,  cette  princesse  Sophie  n'était  point  de  la 
communion  anglicane;  mais  elle  professait  le  luthéranisme, 
aussi  bien  que  son  fils ,  Georges  de  tërunswick-Hanovre.  On 
supposa  que  l'un  et  l'autre  ne  feraient  aucune  difficulté  de 
s'unir  à  l'Église  établie ,  dans  le  cas  où  ils  monteraient  sur  le 
trône  d'Angleterre  (2). 

Cette  manière  politique  de  traiter  la  religion  peut  bien  trou- 
ver grâce  aux  yeux  delà  prétendue  philosophie,  qui  regarde 
toutes  les  religions  avec  une  égale  indifférence;  mais  elle  ne 
saurait  obtenir  l'approbation  d'un  chrétien  sincère;  et  il  est 
bien  étonnant,  que  des  écrivains  qui  pardonnent  si  aisément 
cette  politique  profane  aux  gouvernements  modernes,  se  per- 
mettent si  souvent  les  plus  odieuses  déclamations  contre  la  po- 
litique éminemment  religieuse  du  moyen  âge  :  comme  si  le 
maintien  de  la  véritable  religion  était  moins  important  pour 
le  bien  de  la  société,  que  celui  d'une  religion  nouvelle,  unique- 

(1)  Lenglet-Dufresnoy,  ibid.,  pag.  237. 

(2;  Moréiï,  article  Angle/erre,  pag.  59  et  60.  —  Mémoires  pour  servir  à 
l'Histoire  Eccl.  du  xviii6  siècle,  tom.  i,  pag.  5. 


SUR  LES    SOUVERAINS. — CHAPITRE   IV.  659 

ment  fondée  sur  l'esprit  de  révolte  et  d'insubordination,  qui 
fait  le  caractère  distinctif  de  toutes  les  sectes  étrangères  à  la  vé- 
ritable Église. 


CHAPITRE  IV. 

Résultats  du  pouvoir  exercé  par  les  papes  et  les  conciles  sur 
les  souverains  y  au  moyen  âge. 

On  a  beaucoup  parlé,  dans  ces  derniers  temps,  des  inconvé-       299. 
nienls  de  cette  prodigieuse  autorité  que  les  maximes  du  moyen  °  ietdeetpan 
âge  attribuaient  à  l'Église  et  au  souverain  pontife ,  dans  l'ordre  ce  chaP,tre- 
temporel.  On  a  prétendu   que  ces  maximes  avaient  été  une 
source  féconde  de  désordres;  qu'elles  avaient  favorisé  l'ambi- 
tion et  les  prétentions  excessives  des  papes,  affaibli  parmi  les 
peuples  le  respect  dû  aux   souverains,    et  occasionné  entre 
les  deux  puissances  cette  lutte  violente  et  opiniâtre,  dont  les 
suites  ont  été  si  funestes  au  bien  de  la  religion  et  au  repos 
des  États  (t). 

Nous  sommes  bien  éloigné  de  prétendre ,  que  les  maximes 
dont  il  s'agit  n'aient  eu  aucun  inconvénient.  Tel  est ,  ici-bas,  le 
sort  des  meilleures  institutions,  qu'elles  deviennent  l'occasion  ou 
le  prétexte  de  bien  des  abus.  Mais  nous  croyons  pouvoir  avancer 
avec  confiance  :  l°  que  ceux  dont  il  est  ici  question ,  ont  été  vi- 
siblement exagérés,  par  un  grand  nombre  d'auteurs  modernes; 
2°qu'ilsont  été  bien  compensés,  par  les  avantages  que  la  religion 
et  la  société  ont  retirés  du  pouvoir  extraordinaire,  dont  les 
papes  et  les  conciles  ont  été  si  longtemps  investis.  Le  dévelop- 
pement de  ces  deux  propositions  mettra  leur  vérité  dans  tout 
son  jour  (2). 

(1)  UFfist.  Ecclés.  de  Fleury  a  beaucoup  contribué  à  répandre  ces  pré- 
jugés, surtout  parmi  les  magistrats,  qui  invoquent  souvent  son  autorité  sur 
ce  point.  Voyez,  Fleury,  Hist.  Ecclés.,  tom.  xiu,  3e  Discours,  n.  9,  10  et  18; 
tom.  xvn,  5e  Discours,  n.  12;  tom.  xi\,  7e  Discours,  u.  5,  et  alibi  passim. — 
De  Héricourt,  Lois  Ecclés.  de  France,  4  e  partie;  édit.  de  1771,  pag.  185,  etc. 
—  Ferrand,  Esprit  de  V histoire,''  lettres  35,  41 ,  42,  etc.  —  Annales  du 
moyen  âge,  tom.  îv,  pag.  225; tom.  v,  pag.  402-464,  et  alibi  passim. 

(2)  Pour  le  développaient  de  ces  deux  points,  voyez  principalement  l'ou- 
vrage du  comte  de  Maistre,  Du  Pape,  2e  et  3e  parties. 

42, 


660 


DEUXIEME   PARTIE.  —  POUVOIR   DU   PAPE 


ARTICLE  Ier. 

Inconvénients  prétendus  de  ce  pouvoir. 

3oo.  L'ambition  et  les  prétentions  excessives  des  papes,  l'avilisse- 

TwHLSL""a  ment  de  la  souveraineté  dans  l'esprit  des  peuples,  les  guerres 

inCu'Jnniu",s  produites  par  le  choc  des  deux  puissances  :  tels  sont  les  fâcheux 

attribue,     résultats  qu'on   a  attribués,  dans  ces  derniers  temps,  aux 

maximes  du  moyen  âge,  sur  la  subordination  de  la  puissance 

temporelle  envers  la  spirituelle.  Mais  il  est  aisé  de  montrer  que 

ces  inconvénients  ont  été  prodigieusement  exagérés  par  un  grand 

nombre  d'auteurs  modernes. 


§1 


er 


De  l'ambition  et  des  prétentions  excessives  qu'on  a 
reprochées  aux  papes  du  moyen  âge. 


3ot. 

Injustice 

de 

ce  reproche. 


Modération 
des  papes, 
considérés 

comme 
souverains. 


Pour  répondre  aux  reproches  qu'on  a  faits,  sur  ce  point,  aux 
papes  du  moyen  âge,  il  su  fût  de  rappeler  un  fait  extrêmement 
remarquable,  et  trop  peu  remarqué  jusqu'ici  :  cestque,  depuis 
l'établissement  de  leur  souveraineté  temporelle  jusqu'à  nos 
jours,  c'est-à-dire,  pendant  une  durée  de  plus  de  mille  ans,  jamais 
ils  n'ont  fait  servir  à  l'agrandissement  de  leurs  États ,  le  grand 
pouvoir  dont  ils  était  investis,  soit  comme  simples  souverains, 
soit  comme  arbitres  des  princes ,  et  comme  seigneurs  suzerains 
de  plusieurs  États  de  l'Europe  (l). 

1°  Considérés  d'abord  comme  simples  souverains,  les  papes 
offrent  un  exemple  remarquable,  et  peut-être  unique,  de  modé- 
ration, dans  l'exercice  de  la  souveraineté  (2).  Depuis  plus  de  mille 
ans  qu'ils  la  possèdent,  on  ne  voit  point  en  eux  cette  tendance 
naturelle  à  s'agrandir,  qui  forme,  en  quelque  sorte,  le  caractère 
distinctif  de  toute  souveraineté.  Qu'on  suive  attentivement  leur 
histoire  :  on  ne  trouvera,  dans  aucune  dynastie,  plus  de  respect 
pour  le  territoire  d'autrui,  et  moins  d'envie  d'augmenter  le  sien. 
Jamais  les  souverains  pontifes  n'ont  essayé  de  profiter  des  con- 
jonctures favorables,  pour  étendre  leurs  États.  Jamais  ils  n'ont 

(1)  De  Maistre,  DiiPape,\iY.  h,  chap.  6,  pag.  241-244.  —  Michaud,  Hist 
des  Croisades ,  tom.  vi,  pag.  231. 

(2)  De  Maistre,  ubi  suprà,  chap.  6,  pag.  243,  etc. 


SUR  LES   SOUVERAINS. —  CHAPITRE   IV.  061 

possédé,  ils  ne  possèdent  encore  aujourd'hui,  que  ce  qui  leur 
a  été  librement  donné,  dans  l'origine,  par  la  piété  des  princes 
et  des  peuples  (1).  Jules  II  est  peut-être  le  seul  pape  qui  ait 
acquis  un  territoire ,  par  les  règles  ordinaires  du  droit  public , 
en  vertu  d'un  traité  qui  terminait  une  guerre  (2).  C'est  ainsi 
qu'il  se  ût  céder,  par  la  république  de  Venise,  le  duché  de 
Parme ,  qu'il  croyait  usurpé  sur  le  saint-siége  par  cette  répu- 
blique. Maiscette  acquisition ,  quoique  facile  à  justifier,  semblait 
peu  convenable  au  caractère  pontifical  :  elle  échappa  bientôt  au 
saint-siége.  «A  lui  seul,  dit  le  comte  de  Maistre,  est  réservé 
«  l'honneur  de  ne  posséder  aujourd'hui,  que  ce  qu'il  possédait 
«  il  y  a  dix  siècles.  On  ne  trouve  ici,  ni  traités,  ni  combats,  ni 
«  intrigues,  ni  usurpations;  en  remontant,  on  arrive  toujours 
«  à  une  donation.  Pépin,  Charlemagne,  Louis,  Lothaire, 
«  Henri,  Othon,  la  comtesse  Mathilde,  formèrent  cet  État  tem- 
«  porel  des  papes,  si  précieux  pour  le  christianisme.  Mais  la 
«  force  des  choses  Favait  commencé  \  et  cette  opération  cachée 
«  est  un  des  spectacles  les  plus  curieux  de  l'histoire  (3).  » 

2°  Considérés  comme  arbitres  des  princes,  et  comme  seigneurs       3o3 
suzerains  de  plusieurs  États  de  l'Europe,  les  papes  offrent  un 
exemple  de  modération  encore  plus  étonnant.  S'ils  eussent  été 
dominés ,  comme  on  Ta  souvent  prétendu ,  par  des  vues  ambi-    p-w«j,  et 

seigneurs  suze* 

tieuses,  il  était  naturel  qu'ils  profitassent,  pour  leur  propre  agran-  »*«». 
dissement,  de  ce  pouvoir  prodigieux  que  leur  attribuaient  les 
maximes  du  temps.  Cependant  jamais  ils  ne  l'ont  fait  :  jamais  ils 
n'ont  essayé  de  retenir  pour  eux  une  partie  des  États  dont 
ils  disposaient  comme  seigneurs  suzerains,  et  dont  ils  dépouil- 
laient les  princes,  en  punition  de  leurs  désordres  ou  de  leur 
félonie.  Jamais  ils  n'ont  disposé  des  fiefs  du  saint-siége ,  qu'en 

(1)  On  lit  dans  Y  Esprit  de  l'Histoire,  par  M.  Ferrand  (tom.  h,  lettre  40, 
pag.  406  ) ,  que  «  les  papes  ont  quelquefois  profité  de  leur  puissance  tempo- 
ce  relie,  pour  augmenter  leurs  propriétés.  »  C'est  là,  selon  la  remarque  de 
M.  de  Maistre,  une  assertion  gratuite  ,  et  entièrement  destituée  de  preuves. 
«  J'attends,  dit-il ,  qu'on  m'explique  quand  et  comment  les  papes  ont  em- 
«  ployé  leur  puissance  spirituelle,  ou  leurs  moyens  politiques,  pour  étendre 
«  leurs  États  aux  dépens  d'un  propriétaire  légitime.  »  De  Maistre,  ubi  suprà, 
pag.  242. 

(2)  Raynaldi  Annales,  anno  1509.  —  Hist.  de  la  ligue  de  Cambrai, 
par  l'abbé  Dubos.  —  Daniel,  Hist.  de  France,  année  1508.  — -  De  Maistre, 
ubi  suprà,  chap.  6,  pag.  243,  244,  259-266. 

(3)  De  Maistre,  ibid.t  pag.  245. 


Leur  modéra- 
tion, comme 
arbitres 
des 


662  DEUXIÈME   PARITE POUVOIR  DU   TAPE 

faveur  des  princes  étrangers,  et  de  la  manière  qu'ils  croyaient 
la  plus  convenable  au  bien  de  la  religion,  et  à  la  tranquillité  des 
États.  C'est  ainsi  que  Grégoire  VII  et  Innocent  III ,  usèrent  des 
droits  de  suzeraineté  que  le  saint-siége  s'attribuait  sur  l'Es- 
pagne :  ils  donnèrent  au  premier  occupant  les  parties  de  ce 
royaume  qu'il  pourrait  conquérir  sur  les  Sarrasins,  ennemis 
déclarés  du  nom  chrétien  (i).  C'est  ainsi  que  Clément  IV  et  ses 
successeurs,  en  disposant  du  royaume  des  Deux-Siciles,  qui 
était  regardé  comme  un  fief  du  saint-siége,  imposèrent  aux 
princes  qu'ils  en  gratifièrent ,  les  conditions  les  plus  propres  à 
maintenir  tout  à  la  fois  la  liberté  du  saint-siége  et  celle  de 
l'Italie  (2).  Il  est  vrai  que  les  papes,  en  disposant  de  ces  États 
comme  seigneurs  suzerains ,  exigeaient,  selon  l'usage  du  temps, 
certains  hommages  et  certaines  redevances,  en  reconnaissance 
de  leur  droit,  et  de  la  libéralité  dont  ils  avaient  usé  envers 
leurs  feudataires;  mais  il  est  toujours  vrai  que,  dans  le  temps 
même  de  leur  plus  grande  influence,  ils  n'ont  jamais  cherché 
ni  saisi  l'occasion  d'augmenter  leurs  États,  comme  il  était  si  aisé, 
et  même  si  naturel  de  le  faire. 
304.  Toute  leur  ambition,  ou  plutôt  leur  politique,  se  bornait  càmain- 

'etdel  l  tenir laliberté  de  Romeetde  l'Italie,  contre  tesempereurs  d'Alle- 
îeur  poiu.que.  magûeî  qUj  renouvelaient  souvent,  à  cet  égard,  les  plus  injustes 
prétentions  (3).  «  Il  me  paraît  sensible,  dit  Voltairelui-même,  que 
«  le  vrai  fond  de  la  querelle  (entre  les  papes  et  les  empereurs) 
«  était  que  les  papes  et  les  Romains  ne  voulaient  point  d'empe- 
«  reur  à  Rome  (4),  «  c'est-à-dire,  ajoute  le  comte  de  Maistre, 
qu'ils  ne  voulaient  point  de  maîtres  chez  eux  (5).  «  Il  paraît 
«  évident,  continue  Voltaire,  que  le  grand  dessein  de  Frédéric  II 
«  était  d'établir  en  Italie  le  trône  des  nouveaux  césars  ;  et  il  est 
«  bien  sûr  au  moins  qu'il  voulait  régner  sur  l'Italie ,  sans 
«  bornes  et  sans  partage.  C'est  le  nœud  secret  de  toutes  les 


(1)  Voigt,  Hist.  de  GrégoireVII,  liv.  v,  pag.  184,  etc., 273.—  Innocen- 
ta III  Epistol.  lib.  15,  Epistol.  24.  (Baluze,  tom.  h,  pag.  609.  —  Baro- 
nii,  Annales,  tom.  xn,  anno  1179,  n.  17.)— Hist.  d'Innocent  III,  par  Hur- 
ter,  tom.  n,  années  1211,  1212,  etc. 

(2)  Voyez  les  auteurs  cités  plus  haut,  pag.  483,  note  1. 

(3)  De  Maistre,  Du  Pape,  liv.  n,  cliap.  7,  art.  3.; 

(4)  Voltaire,  Essai  sur  VHist.  gén.,  tom.  i,  chap.  46. 

(5)  De  Maistre,  ubi  suprà,  pag.  298. 


SUR   LES    SOUVERAINS. — CHAPITRE   IV.  663 

«  querelles  qu'il  eut  avec  les  papes;  il  employa  tour  à  tour  la 
«  souplesse  et  la  violence;  et  le  saint-siége  le  combattit  avec  les 
«  mêmes  armes.  Les  Guelfes,  ces  partisans  de  la  papauté,  et 
«  encore  plus  de  la  liberté,  balancèrent  toujours  le  pouvoir 
«  des  Gibelins,  partisans  de  l'empire.  Les  divisions  entre  Fré- 
«  déric  et  le  saint-siége  n'eurent  jamais  la  religion  pour 
«  objet  (  I  ).  » 

Concluons  de  ces  précieux  aveux ,  que  les  papes ,  en  travail-       3o5. 

,  ,  t  .  .  .      ,      ...  ,  '  ,        Combien  elle 

lant  de  tout  leur  pouvoir,  à  maintenir  la  liberté  de  Rome  et  de  était 
l'Italie,  non-seulement  ne  méritaient  aucun  reproche,  mais  ne  nreprot  a 
faisaient  que  remplir  leur  devoir,  soit  comme  souverains  tem- 
porels, soit  comme  chefs  de  l'Église.  Qui  ne  sait,  en  effet,  que 
le  premier  devoir  d'un  souverain  temporel ,  est  de  maintenir 
son  indépendance  contre  les  prétentions  injustes  des  puissances 
étrangères?  «  Le  plus  grand  malheur,  pour  l'homme  politique 
«  (à  plus  forte  raison  pour  le  chef  d'un  État  quelconque),  dit  le 
«  comte  de  Maistre,  c'est  d'obéir  à  une  puissance  étrangère  : 
«  aucune  humiliation,  aucun  tourment  de  cœur  ne  peut  être 
«  comparé  à  celui-là  (2).  »  Qu'on  juge,  d'après  ces  principes,  la 
conduite  des  papes  du  moyen  âge.  «  Il  n'y  a  point  de  Pape, 
«  c'est  encore  l'aveu  exprès  d'un  censeur  sévère  xlu  saint-siége, 
«  il  n'y  a  point  de  Pape  qui  ne  doive  craindre,  en  Italie,  l'agran- 
«  dissement  des  empereurs.  Les  anciennes  prétentions...  seront 
«  bonnes,  le  jour  où  on  les  fera  valoir  avec  avantage  (3).  Donc , 
«  reprend  le  comte  de  Maistre,  il  n'y  a  point  de  Pape  qui  ne 
«  dût  s'y  opposer.  Où  est  la  charte  qui  avait  donné  l'Italie  aux 
«  empereurs  allemands?  Où  a-t-on  pris  que  le  Pape  ne  doive 
«  point  agir  comme  prince  temporel  ;  qu'il  doive  être  purement 
«  passif,  se  laisser  battre ,  dépouiller,  etc?  Jamais  on  ne  prou- 
«  vera  cela  (4).  » 

En  faut-il  davantage,  non-seulement  pour  justifier  la  con-       3o6. 

i'..       -i  -,  A  i  •  Combien  elle 

duite  des  papes  du  moyen  âge  envers  les  empereurs,  mais  en-        est 
core  pour  mettre  ces  courageux  pontifes  au  rang  des  souverains 
les  plus  justement  chers  au  pays  qu'ils  ont  gouverné?  «Tous 

(1)  Voltaire,  Essai  sur  l'Eut,  gén.,  tom.  il,  eliap.  52,  p.  98. 

(2)  De  Maistre,  ubi  supra,  p.  307. 

(3)  Ferrand,  Esprit  de  V Histoire,  tom.  m,  lettre  62,  p.  230. 

(4)  De  Maistre,  ubi  suprà ,  p.  305. 


digne  d'elo- 
ges. 


664  DEUXIÈME  PA11T1E.  —  POUVOIR  ])U   PAPE 

«  les  peuples,  dit  à  ce  sujet  le  comte  de  Maistre,  sont  convenus 
«de  placer  au  premier  rang  des  grands  hommes,  ces  fortunés 
«citoyens  qui  eurent  l'honneur  d'arracher  leur  pays  au  joug 
«  étranger.  Héros,  s'ils  ont  réussi ,  ou  martyrs,  s'ils  ont  échoué, 
«  leurs  noms  traverseront  les  siècles.  La  stupidité  moderne  vou- 
«  drait  seulement  excepter  les  papes  de  cette  apothéose  univer- 
«  selle,  et  les  priver  de  l'immortelle  gloire  qui  leur  est  due, 
«comme  princes  temporels,  pour  avoir  travaillé  sans  relâche  à 
«  l'affranchissement  de  leur  patrie  (1).  » 

Si  nous  considérons  les  papes  comme  chefs  de  V Église,  leur 
application  à  maintenir  la  liberté  de  Rome  et  de  l'Italie  est  en- 
core plus  facile  à  justifier.  Qui  ne  voit,  en  effet,  combien  le  main- 
tien de  cette  liberté  est  important ,  et  même  essentiel  au  bien 
de  la  religion?  Les  auteurs  les  plus  opposés  aux  maximes  du 
moyen  âge,  sur  le  pouvoir  temporel  de  l'Église  et  du  Pape,  con- 
viennent généralement,  que  la  souveraineté  temporelle  du  saint- 
siège  était  convenable  et  même  nécessaire  au  bon  gouverne- 
ment de  l'Église  (2).  Or,  il  est  évident  que  les  mêmes  raisons  qui 
avaient  rendu  nécessaire,  dans  le  principe,  la  souveraineté 
temporelle  du  saint-siége ,  demandaient  aussi  qu'elle  fût  main- 
tenue, principalement  au  milieu  des  désordres  et  de  l'anarchie 
du  moyen  âge.  Il  est  également  évident  que  le  maintien  de  cette 
souveraineté,  si  essentielle  au  bien  de  la  religion,  était  incom- 
patible avec  l'asservissement  de  Rome  et  de  l'Italie,  et  qu'elle 
eût  été  réduite  à  un  vain  nom,  sous  le  joug  des  empereurs 
d'Allemagne,  ou  de  tout  autre  souverain.  On  peut  en  juger  par 
les  désordres  qui  affligèrent  l'Église  au  xe  siècle,  et  qui  eurent 
évidemment  pour  cause  principale  la  domination  des  empereurs 
en  Italie.  «  Dans  ces  temps  malheureux ,  dit  Voltaire ,  la  papauté 
«  était  à  l'encan ,  ainsi  que  presque  tous  les  évêchés  :  si  cette  au- 
«  torité  des  empereurs  avait  duré,  les  papes  n'eussent  été  que 
«  leurs  chapelains,  et  l'Italie  eût  été  esclave  (3).  » 
. .  3°7-  A  ces  observations  si  décisives,  qu'oppose- t-on?  Des  asser- 

Vaines    decla-  *■ 


(1)  De  Maistre,  ibïd.,  p.  308. 

(2)  Voyez  les  témoignages  <le  Bossuet,  Fleury,  etc.,  que  nous  avons  cités 
ailleurs  sur  ce  sujet.  (Ci-dessus,  lre  partie,  n.  97,  etc.)  On  peut  y  ajouter 
celui  de  Ferrand,  Esprit  de  l'Histoire,  tom.  n,  lettre  28,  p.  221,  note. 

(3)  Voltaire,  Essai  sur  l'flist.  gén.,  tom.  i,  chap.  38,  pag.  529-531. 


SUa  LES   SOUVERAINS.  —  CHAPITRE   IV.  665 

lions  en  l'air,  uniquement  fondées  sur  quelques  faits  mal  in-     mations, 
terprétés  par  les  préjugés  on  la  malignité.  ce  sujet. 

«  Le  délire  de  la  toute-puissance  temporelle  des  papes,  dit  un 
«  célèbre  magistrat  de  nos  jours,  inonda  l'Europe  de  sang  et  de 
«  fanatisme  (  pendant  quatre  ou  cinq  siècles)  (1  ).  »  Nous  verrons 
plus  bas,  à  qui  l'on  doit  attribuer  les  guerres  et  les  calamités  oc- 
casionnées, au  moyen  âge,  par  la  lutté  des  deux  puissances;  et 
si  l'on  ne  doit  pas  plutôt  les  imputer  à  la  conduite  scandaleuse 
des  princes,  qu'à  la  juste  sévérité  des  pontifes.  Mais,  pour  nous 
renfermer  ici  dans  la  question  qui  fait  le  sujet  de  ce  paragraphe, 
où  a-t-on  vu  que  les  papes  aient  jamais  prétendu  la  toute- 
puissance  temporelle,  et  poussé  cette  prétention  jusqu'au  dé- 
lire ?  Jamais  les  souverains  pontifes  n'ont  prétendu  avoir  d'autre 
propriété  ni  d'autre  souveraineté ,  que  celle  de  leurs  États: 
jamais  ils  n'ont  prétendu  accroître  leurs  domaines  temporels  au 
préjudice  des  princes  étrangers,  ni  gêner  ceux-ci  dans  l'exercice 
légitime  de  leur  souveraineté;  en  un  mot,  jamais  ils  n'ont  pré- 
tendu autre  chose,  que  le  droit  de  juger  les  souverains,  d'après 
les  maximes  de  droit  public  alors  universellement  admises. 
C'était  là  sans  doute  un  pouvoir  très-étendu;   mais  enfin  ce 
n'était  pas  la  toute -puissance  temporelle,   poussée  jusqu'au 
délire;  c'était  uniquement  le  pouvoir  de  juger  selon  les  luis 
existantes;  c'était  plutôt,  à  vrai  dire,  un  pouvoir  spirituel 
qu'un  pouvoir  temporel,  puisqu'il  se  réduisait  à  frapper  d'ex- 
communication les  princes  coupables  de  certains  crimes  no- 
toires et  scandaleux,  et  à  faire  l'application  des  principes  de 
droit  public  alors  en  vigueur,  sur  les  effets  temporels  de  l'ex- 
communication. Que  l'exercice  de  ce  pouvoir  ait  eu,  en  certains 
cas,  de  fâcheuses  conséquences,  que  l'application  en  ait  été 
quelquefois  difficile  et  même  dangereuse,  on  ne  peut  le  nier; 
mais  combien  de  principes  inconteslables  sont  sujets,  dans  la 
pratique ,  aux  mêmes  inconvénients ,  surtout  en  matière  de  droit 
public ,  sans  qu'on  puisse ,  sous  ce  prétexte ,  en  contester  la 
légitimité  ! 

(1)  Ferrand,  dans  Y  Esprit  de  V  Histoire,  fait  durer  les  funestes  divisions 
du  sacerdoce  et  de  l'empire ,  tantôt  quatre  ou  cinq  siècles ,  tantôt  près  de 
quatre  siècles.  (T.  n,  lettre  28,  pas.  221  et  222,  note;  lettre  41,  p.  413,  etc.) 
Voyez  la  réfutation  de  ces  assertions,  dans  l'ouvrage  déjà  cité  du  comte  de 
Maislre,  ibid.,  cliap.  8,  pag.  310-315. 


666 


DEUXIEME   PARTIE.  —  POUVOIR  DU   PAPE 


§  2.  Sur  l'avilissement  prétendu  de  la  souveraineté,  dans 

l'esprit  des  peuples. 


3o8.  La  plupart  des  auteurs  qui  ne  voient,  dans  l'autorité  prodi- 

P,^ndtssf  §ieilse  des  papes  du  moyen  âge,  que  le  résultat  de  leur  ambi- 
sur.  tion  et  de  leurs  prétentions  excessives,  y  voient  aussi,  par  une 
conséquence  naturelle,  l'avilissement  de  la  souveraineté,  dans 
l'esprit  des  peuples.  On  croirait,  à  les  entendre,  que  le  Pape 
était  alors  le  monarque  universel ,  devant  qui  tous  les  autres 
disparaissaient,  ou  du  moins  n'existaient  plus  que  par  tolé- 
rance, et  ne  possédaient  plus  qu'une  autorité  précaire,  dont  ils 
pouvaient,  à  chaque  instant,  être  dépouillés  par  une  sentence 
du  Pape.  Aussi  les  auteurs  dont  nous  parlons  ne  peuvent-ils 
rappeler,  sans  un  vif  sentiment  de  compassion ,  et  presque  d'in- 
dignation, r humiliation  des  souverains  anathématisés  par 
le  saint-siége,  et  la  bassesse  avec  laquelle  ils  subissaient  le  joug 
qui  leur  était  imposé  (!)-.  1 

Pour  détruire  ces  préjugés  si  injurieux  au  saint-siége,  il  suffit 
d'examiner  de  près  la  théorie  politique  du  moyen  âge  sur  l'au- 
torité des  princes,  et  l'application  que  les  papes  en  ont  faite, 
dans  leur  conduite  à  l'égard  des  souverains  (2). 

I.  D'après  les  principes  alors  généralement  admis,  l'autorité 
des  princes  vient  de  Dieu  lui-même ,  qui  la  leur  confie ,  pour 
Vemployer  au  bien  de  la  religion.  Ils  n'ont  d'autre  supérieur 
que  Dieu,  qui  seul  peut  leur  demander  compte  de  leurs  ac- 
tions, par  l'organe  du  Pape  et  des  évéqnes,  ses  ministres  et 
ses  représentants.  Il  n'appartient  donc  pas  au  peuple  de  ju- 
ger, bien  moins  encore  de  destituer  le  souverain;  mais  celui- 
ci,  par  sa  désobéissance  envers  Dieu  et  envers  l'Eglise,  en- 
court la  privation  de  ses  droits;  et  il  appartient  au  Pape, 
vicaire  de  Jésus-  Christ  sur  la  terre ,  ou  au  concile  général 
représentant  l'Église  universelle,  de  prononcer  contre  lui 
une  sentence  de  déposition  (3). 


3o9. 

La  théorie 

politique 

du 

moyen  âge, 

comparée 

avec 

les  théories 

modernes. 


(1)  Voyez  les  auteurs  cités  plus  haut,  pag.   659,  note  1,  principalement 
Hallam,  pag.  345,  etc.,  367,  etc. 

(2)  De  Maistte,  Du  Pape,  liv.  n,  chap.  2-6,  et  chap.  11. 

(3)  Voyez  plus  haut,  n.  26,  120, 131,  244,  285,  etc.  —  De  Maistre,  ubi 
suprà,  chap.  3. 


SUR  LES   SOUVERAINS. — CHAPITRE   IV.  667 

Si  l'on  compare  de  bonne  foi  cette  théorie  avec  toutes  celles 
qui  ont  jamais  été  imnginées  en  cette  matière,  peut-être  con- 
viendra-t-on  qu'il  serait  difficile  d'en  trouver  une  qui  fût  tout 
à  la  fois  aussi  propre  à  maintenir  l'autorité  des  princes,  et  à  la 
restreindre,  autant  qu'il  est  poshible,  dans  de  justes  bornes. 
C'est  là,  comme  on  sait,  le  grand  problème  de  la  politique, 
dont  la  solution  a  tant  exercé  les  législateurs  et  les  philosophes 
anciens  et  modernes  :  Comment  prévenir  le  despotisme  du  sou- 
verain, en  lui  conservant  l'autorité  dont  il  a  besoin  pour 
bien  gouverner?  ou,  en  d'autres  termes  :  Comment  restreindre 
le  pouvoir  souverain  dans  de  justes  bornes,  sans  le  détruire? 
Pour  résoudre  ce  grand  problème,  on  a  eu  recours,  surtout 
dans  ces  derniers  temps,  à  des  Constitutions  ou  Lois  fonda- 
mentales, qui  déterminent  les  droits  respectifs  du  souverain  et 
des  principaux  ordres  de  l'État.  Mais  il  est  aisé  de  voir  l'inutilité 
de  ce  moyen ,  pour  atteindre  le  but  qu'on  se  propose.  «  On  a  bien- 
«  tôt  dit,  selon  la  judicieuse  remarque  du  comte  de  Maistre,  II 
«faut  des  lois fondamentales  ;  Il  faut  une  constitution.  Mais  qui 
«les  établira,  ces  lois  fondamentales ,  et  qui  les  fera  exécuter? 
«Le  corps  ou  l'individu  qui  en  aurait  la  force,  serait  souve- 
«  rain ,  puisqu'il  serait  plus  fort  que  le  souverain  ;  de  sorte  que, 
«  par  l'acte  même  de  l'établissement,  il  le  détrônerait.  Si  la  loi 
«  constitutionnelle  est  une  concession  du  souverain,  la  question 
«  recommence.  Qui  empêchera  un  de  ses  successeurs  delà  vio- 
«  1er?  Il  faut  que  le  droit  de  résistance  soit  attribué  à  un  corps 
«  ou  à  un  individu;  autrement,  il  ne  peut  être  exercé  que  par 
«  la  révolte,  remède  terrible,  pire  que  tons  les  maux.  D'ailleurs, 
«  on  ne  voit  pas  que  les  nombreuses  tentatives,  faites  pour  res- 
«  treindre  le  pouvoir  souverain,  aient  jamais  réussi  d'une  raa- 
«  nière  propre  à  donner  l'envie  de  les  imiter  (i).  » 

Frappés  de  l'insuffisance  des  Constitutions  ou  Lois  fonda-       3IQ. 
mentales,  pour  prévenir  les  abus  de  la  souveraineté  indivi-  sysXè™e  de 
duelle,  certains  politiques  ont  imaginé  le  système  de  la  souve- 
raineté du  peuple.  Ils  ont  prétendu  que  tout  pouvoir  émane 
essentiellement  du  peuple;  que  le  prince  qui  exerce  l'autorité 
suprême,  n'est  au  fond  que  le  mandataire  du  peuple  ;  quecelui- 

(1)  De  Maistre,  ibid.,  p.  216. 


souveraineté 
du  peuple. 


668  DEUXIEME   PARTIE. — POUVOIR  DU   PAPE 

ci  peut  toujours  demander  au  souverain,  compte  de  ses  actes, 
lui  résister  ouvertement,  et  même  le  destituer,  dans  le  cas  d'une 
tyrannie  manifeste.  Tel  est  au  fond  le  système  de  Jurieu  et  de 
plusieurs  autres  écrivains  protestants,  dont  les  principes,  sur 
ce  point,  ont  élé  hautement  proclamés  par  la  philosophie  mo- 
derne. «  De  quelque  manière  que  le  prince  soit  revêtu  de  son 
autorité,  dit  un  célèbre  partisan  de  ce  système,  il  la  tient 
toujours  uniquement  du  peuple  ;  et  le  peuple  ne  dépend  jamais 
d'aucun  homme  mortel ,  qu'en  vertu  de  son  propre  consen- 
tement (l) Du  peuple  dépendent  le  bien-être,  la  sécurité, 

et  la  permanence  de  tout  gouvernement  légal.  Dans  le  peuple 
doit  résider  nécessairement  l'essence  de  tout  pouvoir;  et  tous 
ceux  dont  les  connaissances  ou  la  capacité  ont  engagé  le  peu- 
ple à  leur  accorder  une  confiance  quelquefois  sage  et  quelque- 
fois imprudente,  sont  responsables  envers  lui,  de  l'usage  qu'ils 
ont  fait  du  pouvoir  qui  leur  a  été  confié  pour  un  temps  (2).  » 
Conséquemment  à  ces  principes,  un  partisan  de  ces  nouvelles 
théories  appelle  le  système  catholique  de  la  non-résistance ,  une 
doctrine  détestable.  Il  avance  que  l'homme,  lorsqu'il  s'agit  de 
résister  à  la  souveraineté,  doit  se  déterminer  par  les  sentiments 
intérieurs  d'un  certain  instinct  moral,  dont  il  a  la  conscience 
en  lui-même,  et  qu'on  a  tort  de  confondre  avec  la  chaleur  du 
sang  et  des  esprits  vitaux  (3).  Il  reproche  à  son  fameux  com- 
patriote, le  docteur  Barkeley,.  d'avoir  méconnu  cette  puissance 
intérieure ,  et  d'avoir  cru  que  Vhomme ,  en  sa  qualité  d'être 
raisonnable ,  doit  se  laisser  diriger  par  les  préceptes  d'une 
sage  et  impartiale  raison  (4). 
3„.  Il  est  aisé  de  voir  que  ce  système ,  sous  prétexte  de  prévenir 

les  abus  de  la  souveraineté,  la  détruit  absolument ,  et  ouvre  la 
porte  à  tous  les  désordres  de  l'anarchie.  «  J'admire  fort  ces  belles 
«  maximes,  dit  le  comte  de  Maistre;  mais  elles  ont  le  défaut  de 

(1)  Noodt,  Sur  le  Pouvoir  des  souverains,  dans  le  Recueil  de  Discours 
sur  divers  sujets,  traduits  ou  composés  par  Barbey  rac,  tom.  i,  p.  41. 

(2)  Opinion  du  chevalier  William  Jones,  dans  le  recueil  intitulé:  Mémoirs 
of  the  lifeofsirWilliam  Jones  London,  1806,  in-4°,  pag.  200.  Nous  citons 
cet  ouvrage,  comme  le  précédent,  d'après  le  comte  de  Maistre,  ubi  suprà , 
p.  239. 

(3)  Beattie ,  On  Truth ,  2  part.,  chap.  12 ,  p.  408.—  Cité  par  le  comte  de 
Maistre,  ibid.,\>.  219. 

(4)  Ibid. 


Graves  incon 

vénients 

de 

ce  système 


SUR  LES  SOUVERAINS.  —  CHAPITRE  IV.         669 

«  ne  fournir  aucune  lumière  à  l'esprit  pour  se  décider  dans  les 
«  occasions  difficiles ,  où  les  théories  sont  absolument  inutiles. 
«  Lorsqu'on  a  décidé  (  je  l'accorde  par  supposition  )  qu'on  a 
«  droit  de  résistera  la  puissance  souveraine,  et  de  la  faire  ren- 
«  trer  dans  ses  limites,  on  n'a  rien  fait  encore,  puisqu'il  reste  à 
«  savoir,  quand  on  peut  exercer  ce  droit,  et  quels  hommes  ont 
«  celai  de  l'exercer.  Les  plus  ardents  fauteurs  du  droit  de  résis- 
«  tance  conviennent  (et  qui  pourrait  en  douter?)  qu'il  ne  sau- 
«  rait  être  justifié  que  par  la  tyrannie.  Mais  qu'est-ce  que  la 
«  tyrannie?  Un  seul  acte,  s'il  est  atroce,  peut-il  porter  ce  nom? 
«  S'il  en  faut  plus  d'un,  combien  en  faut-il ,  et  de  quel  genre? 
«  Quel  pouvoir ,  dans  l'État,  a  droit  de  décider  que  le  cas  de  ré- 
«  sistance  est  arrivé?  Si  le  tribunal  préexiste,  il  était  donc  déjà 
«  portion  de  la  souveraineté  ;  et  en  agissant  sur  l'autre  portion, 
«  il  l'anéantit;  s'il  ne  préexiste  pas,  par  quelle  autorité  ce  tri- 
«  bunal  sera-t-il  établi?  Peut-on  d'ailleurs  exercer  un  droit, 
«  même  juste ,  même  incontestable,  sans  mettre  dans  la  balance 
«les  inconvénients  qui  peuvent  en  résulter?  L'histoire  n'a 
«  qu'un  cri  pour  nous  apprendre  que  les  révolutions  commen- 
«  cées  par  les  hommes  les  plus  sages,  sont  toujours  terminées 
«  par  les  fous  ;  que  les  auteurs  en  sont  toujours  les  victimes;  et 
«  que  les  efforts  des  peuples,  pour  créer  ou  accroître  leur  liberté, 
«  finissent  presque  toujours  par  leur  donner  des  fers.  On  ne  voit 
«  qu'abîmes  de  tous  côtés.  Mais,  dira-t-on,  voulez-vous  donc  dé- 

«  museler  le  tigre,  et  vous  réduire  à  l'obéissance  passive? 

«  Je  n'ai  jamais  dit  que  le  pouvoir  absolu  n'entraîne  de  grands 
«  inconvénients,  sous  quelque  forme  qu'il  existe  dans  le  monde. 
«  Je  le  reconnais  au  contraire  expressément,  et  ne  pense  nulle- 
«  ment  à  les  atténuer  ;  je  dis  seulement  qu'on  se  trouve  placé 
«  entre  deux  abîmes  (l).  » 

(1)  De  Maistre,  ibid. ,  p.  219-221.  On  peut  consulter,  sur  ce  sujet,  pour 
de  plus  amples  développements,  Bossuet ,  Cinquième  Avertissement, 
n.  31,  etc. ,  55  ,  etc.  —  Pey,  De  V Autorité  des  deux  Puissances ,  tom.  1, 
2e  partie,  chap.  4.— Duvoisin,  Défense  de  l'Ordre  social,  chap.  4. — Boyer, 
Défense  de  V Ordre  social,  tom.  h. 

Nous  ne  parlons  pas  ici  d'une  autre  théorie  de  gouvernement ,  qui  concen- 
tre tous  les  pouvoirs  spirituels  et  temporels  dans  les  mains  du  prince , 
en  l'établissant  chef  de  l'État ,  sous  le  double  rapport  religieux  et  poli- 
tique. Cette  théorie,  qui  sert  de  base  à  la  Constitution,  en  Russie,  en 
Angleterre,  et  dans  plusieurs  États  protestants,  est  fondée  elle-même, 


670  DEUXIÈME   PARTIE.  — POUVOIR  DU  PAPE 

3i2.  On  doit  conclure  de  ces  observations,  que  les  théories  imagi- 

théories  nées,  dans  ces  derniers  temps,  pour  résoudre  le  grand  problème 
^Luïs!'  de  la  politique,  sont,  ou  inutiles  au  but  qu'on  se  propose, 
pidnes  ou  pleines  de  dangers  dans  la  pratique.  Qu'on  juge,  d'après 
de  dangers.  ceia f  sj  ja  théorie  d a  moyen  âge  est  aussi  absurde  qu'on  l'a 
quelquefois  prétendu,  ou  plutôt,  s'il  est  possible  d'en  imaginer 
une  plus  propre  à  résoudre  le  grand  problème  dont  il  s'agit,  et 
à  réprimer,  autant  qu'il  est  possible,  les  abus  de  la  souverai- 
neté, sans  affaiblir  le  respect  qui  lui  est  dû.  D'un  côté,  cette 
théorie  imprime ,  en  quelque  sorte ,  sur  le  front  des  souverains, 
un  caractère  sacré,  en  établissant  comme  un  principe  incontes- 
table, qu'ils  tiennent  leur  autorité  de  Dieu,  dont  ils  sont  les  ima- 
ges et  les  représentants  sur  la  terre.  D'un  autre  côté,  elle  rend 
les  souverains  responsables  de  leur  conduite,  au  tribunal  le  plus 
auguste  et  le  plus  respectable  qui  existe  sur  la  terre,  au  tribunal  de 
l'Église  ou  du  Pape,  établi  par  l'autorité  de  Dieu  lui-même,  à  qui 
les  princes,  comme  le  reste  des  hommes,  doivent  compte  de  leurs 
actions.  En  conséquence  de  ces  principes,  elle  oblige  les  peuples 
à  regarder  la  personne  du  souverain  comme  inviolable,  et  à 
rendre  constamment  aux  princes,  même  les  plus  odieux  et  les 
plus  criminels,  l'obéissance  et  le  respect  dus  à  leur  caractère  sa- 
cré, jusqu'à  ce  qu'ils  aient  été  jugés  et  destitués  par  l'autorité 
suprême  de  l'Église  ou  du  Pape. 

selon  ses  principaux  défenseurs,  sur  le  système  de  la  souveraineté  du 
peuple,  c'èst-à-dire,  sur  le  système  qui  fait  émaner  du  peuple  tous  les  pou- 
voirs existants  dans  la  société.  (  Voyez ,  à  ce  sujet ,  l'ouvrage  de  l'abbé  Pey, 
De  C  Autorité  des  deux  Puissances,  tom.  n,  p.  2,  etc.)  Il  est  aisé  devoirque 
cette  théorie  est  sujette  à  tous  les  inconvénients  que  nous  venons  de  signaler 
dans  les  autres:  elle  a  surtout  celui  de  favoriser,  plus  qu'aucune  autre,  le  des- 
potisme du  prince  et  l'oppression  du  peuple.  M.  Burter l'apprécie  très-bien,  en 
peu  de  mots,  dans  une  Note  sur  la  conclusion  de  Y  Histoire  d'Innocent  III, 
où  il  réfute  les  reproches  fails  à  ce  pontife  par  l'auteur  anonyme  iVm\e 
brochure  intitulée  :  Origine,  progrès  et  limites  de  la  puissance  des  Papes. 
{Paris  ,  1821,  in-8°.)  «  Le  pontificat  d'Innocent  III,  dit  cet  auteur  (p.  96), 
«  mérite  d'être  étudié  par  les  princes  et  par  les  hommes  d'État,  pour  appren- 
«  die  combien  il  est  dangereux  d'unir  le  pouvoir  civil  aux  fonctions  reli- 
«  gieuses,  et  comment  les  chefs  de  la  religion,  qui  sont  des  hommes,  sont 
«  tentés  d'étendre  ces  pouvoirs  et  de  les  dénaturer,  pour  peu  (pie  les  cir- 
«  constances  favorisent  leur  ambition.  »  La  réponse  de  M.  Hurter,  à  cette 
observation,  est  aussi  courte  que  péremptoire  :  «  Nous  demanderons  à  l'au- 
«  teur  de  cette  brochure,  dit-il,  s'il  n'est  pas  dangereux  d'unir  les  fonctions 
«  ecclésiastiques  aux  fonctions  civiles  ,  et  si  les  rois  sont  des  anges.  ■» 
{Hist.  d'Innocent  III,  tom.  n,  p.  8*7,  note  3.) 


SUR  LES  SOUVERAINS.  —  CHAPITRE  IV.         671 

Ne  serait-il  pas  permis  dépenser,  que,  de  toutes  les  théories       3i3. 
imaginées  pour  mettre  des  bornes  à  la  puissance  souveraine,  LmoyenTge,u 
celle-ci  n'est  pas  seulement  la  plus  raisonnable,  mais  encore  la    bea,j^uP 
moins  sujette  à  inconvénient?  On  a  vu  plus  haut  que  Leibniz  raisonnable, 
ne  balançait  pas  à  le  croire,  et  qu'il  regrettait,  sur  ce  point,  l'u- 
sage et  la  pratique  du  moyen  âge(l).  Bossuet,  sans  adopter,  à 
cet  égard,  toutes  les  idées  de  Leibniz,  les  confirme,  du  moins 
en  partie,  dans  la  Défense  de  V Histoire  des  variations,  où  il 
ne  l'ait  pas  difficulté  de  dire,  que,  «  s'il  fallait  comparer  les  deux 
«  sentiments,  celui  qui  soumet  le  temporel  des  souverains  au 
«  Pape,  et  celui  qui  le  soumet  au  peuple,  ce  dernier  parti,  où 
«  la  fureur,  le  caprice,  l'ignorance  et  l'emportement  dominent 
«  le  plus,  serait  le  plus  à  craindre  (2).  » 

Le  comte  de  Maistre  adopte  pleinement  cet  avis,  et  le  déve- 
loppe d'une  manière  pleine  de  force  et  d'intérêt.  «  Cessons  de 
«  divaguer,  dit-il,  et  prenons  enfin  notre  parti  de  bonne  foi , 
«  sur  la  grande  question  de  l'obéissance  passive,  ou  de  la  non-ré- 
«  sistance.  Veut-on  poser  en  principe,  que,  pour  aucune  raison 
«  imaginable ,  il  n'est  permis  de  résister  à  l'autorité  ;  qu'il  faut 
«  remercier  Dieu  des  bons  princes,  et  souffrir  patiemment  les 
«  mauvais,  en  attendant  que  le  grand  réparateur  des  torts,  le 
«  temps,  en  fasse  justice;  qu'il  y  a  toujours  plus  de  danger  à 
«résister  qu'à  souffrir,  etc.?  J'y  consens,  et  je  suis  prêt  à  le 
«  signer  pour  l'avenir.  Mais  s'il  fallait  absolument  en  venir  à 
«  poser  des  bornes  légales  à  la  puissance  souveraine,  j'opine- 
«  rais  de  tout  mon  cœur,  pour  que  les  intérêts  de  l'humanité 

«  fussent  confiés  au  souverain  pontife La  puissance 

«  pontificale  est,  par  essence,  la  moins  sujette  aux  caprices  de 
«  la  politique.  Celui  qui  l'exerce  est  toujours  vieux,  célibataire 
«  et  prêtre,  ce  qui  exclut  les  quatre-vingt-dix-neuf  centièmes 
«  des  erreurs  et  des  passions  qui  troublent  les  États.  Enfin, 
«  comme  il  est  éloigné ,  que  sa  puissance  est  d'une  autre  nature 
«  que  celle  des  souverains  temporels,  et  qu'il  ne  demande  ja- 

(1)  Voyez  ci-dessns,  chap.  2,  n.  124,  p.  470,  etc. 

(2)  Bossuet ,  Défense  de  V  Histoire  des  variations ,  n.  55.  (Tom.  xxi  des 
Œuvres,  p.  008.)  On  trouve  uu  beau  développement  de  ces  réflexions,  dans 
le  Panégyrique  de  saint  Louis,  par  M.  Frayssinous  (Discours  inédits, 
pag.  499)  ;  et  dans  l'ouvrage  du  même  auteur,  Les  vrais  Principes  de  l'É- 
glise Gall.  (2e  éditiont  pag.  68.) 


672 


DEUXIEME   PARTIE.  —  POUVOIR   DU   PAPE 


3.4. 
[  Elle  ne  con- 
vient pas 

à  tons 

les  temps  , 

ni 

à  tous 

les   Ktais 

de 
la  société. 


«  mais  rien  pour  lui ,  on  pourrait  croire  assez  légitimement,  que 
«  si  tous  les  inconvénients  ne  sont  pas  levés,  ce  qui  est  impos- 
«  sible ,  il  en  resterait  du  moins  aussi  peu  qu'il  est  permis  de 
«  l'espérer,  la  nature  humaine  étant  donnée;  ce  qui  est  pour 
«  tout  homme  sensé  le  point  de  perfection.  Il  paraît  donc  que, 
«pour  retenir  les  souverainetés  dans  leurs  bornes  légitimes, 
«  c'est-à-dire,  pour  empêcher  de  violer  les  lois  fondamentales  de 
«  l'État,  dont  la  religion  est  la  première ,  l'intervention ,  plus  ou 
«  moins  puissante ,  plus  ou  moins  active  de  la  suprématie  spiri- 
tuelle, serait  un  moyen  pour  le  moins  aussi  plausible  que  tout 
«  autre.  On  pourrait  aller  plus  loin,  et  soutenir,  avec  une  égale  as- 
«  surance,  que  ce  moyen  serait  encore  le  plus  agréable,  ou  le  moins 
«  choquant  pour  les  souverains.  Si  le  prince  est  libre  d'accepter 
«ou  de  refuser  des  entraves,  certainement  il  n'en  acceptera 
«  point  ;  car,  ni  le  pouvoir,  ni  la  liberté  n'ont  jamais  su  dire  : 
«  C'est  assez.  Mais  à  supposer  que  la  souveraineté  se  vît  irrémis- 
«  siblement  forcée  à  recevoir  un  frein,  et  qu'il  ne  s'agit  plus  que 
«  de  le  choisir,  je  ne  serais  point  étonné  qu'elle  préférât  le  Pape 
«  à  un  sénat  colégislatif,  à  une  assemblée  nationale,  etc.;  car 
«  les  souverains  pontifes  demandent  peu  aux  princes,  et  les  énor- 
«  mités  seules  attireraient  leur  animadversion  (1).  » 

Quelque  justes  et  bien  fondées  que  nous  semblent  ces  .obser- 
vations, nous  sommes  bien  éloigné  d'en  conclure,  que  la  théorie 
politique  du  moyen  âge  soit  également  applicable  à  tous  les 
temps  et  à  tous  les  États  de  la  société.  Nous  sommes  persuadé 
au  contraire,  que  cette  théorie,  utile  à  une  époque  de  foi  et  de 
simplicité ,  où  la  religion  est  généralement  respectée  des  princes 
et  des  peuples,  serait  inutile  et  impraticable,  à  une  époque  où  la 
religion  a  généralement  perdu  son  ascendant  sur  la  plus  grande 
partie  de  la  société.  Mais  il  résulte  du  moins  des  observations  pré- 
cédentes, que  cette  théorie,  qui  paraît  aujourd'hui  si  étrange,  eu 
égard  à  nos  préjugés  et  à  nos  mœurs,  n'est  pas  aussi  déraisonnable 
en  elle-même  qu'on  l'a  quelquefois  supposé  ;  et  que,  vu  l'état  de 


(1)  De  Maistre,  Du  Pape,  liv.  11,  chap.  4.  La  crainte  de  multiplier  les  ci- 
tations, nous  oblige  de  renvoyer  le  lecteur  à  l'ouvrage  même,  pour  les  au- 
tres développements  que  le  comte  de  Maistre  donne  à  ces  importantes  ré- 
flexions. Voyez  en  particulier,  liv.  11,  chap.  5  et  1 1  ;  liv.  m,  chap.  4,  p.  115- 
118,  et  alibi  passim 


SUR  LES    SOUVERAINS.  —  CHAPITRE   IV.  673 

la  société  au  moyen  âge ,  elle  était  moins  sujette  à  inconvénients 
que  les  théories  modernes  les  plus  vantées. 

II.  Après  avoir  examiné  la  théorie  politique  du  moyen  âge  3.5. 
en  elle-même,  si  l'on  considère  l'application  que  les  papes  en  P1'  l^om 
ont  faite,  on  verra  de  plus  en  plus,  combien  les  inconvénients  ^fjj^ 
de  cette  théorie  ont  été  exagérés  par  une  foule  d'auteurs  mo- 
dernes. On  croirait,  à  les  entendre,  que  les  papes  n'étaient  oc- 
cupés qu'à  juger  et  destituer  des  souverains ,  et  souvent  sons  les 
plus  légers  prétextes  (1).  L'histoire  prouve,  au  contraire,  que  la 
sévérité  des  papes  ne  s'est  exercée  que  contre  un  petit  nombre 
de  princes ,  et  toujours  dans  l'intérêt  manifeste  de  la  religion  et 
de  la  société.  «  En  réfléchissant  sur  cet  objet,  dit  le  comte  de 
«  Maistre,  nous  sommes  sujets  à  une  grande  illusion.  Trompés 
«  par  les  criailleries  philosophiques,  nous  croyons  que  les  papes 
«  passaient  leur  temps  a  déposer  les  rois  ;  et  parce  que  ces  laits 
«  se  touchent  dans  les  brochures  in-douze  que  nous  lisons,  nous 
«  croyons  qu'ils  se  sont  touchés  de  même  dans  la  durée.  Com- 
«  bien  compte-t-on  de  souverains  héréditaires  ,  effectivement 
«  déposés  par  les  papes?  Tout  se  réduisait  à  des  menaces  et  à  des 
«transactions.  Quant  aux  princes  électifs,  c'étaient  des  créa- 
«  tures  humaines,  qu'on  pouvait  bien  défaire,  puisqu'on  les  avait 
«  faites;  et  cependant,  tout  se  réduit  encore  à  deux  ou  trois 
«princes  forcenés,  qui,  pour  le  bonheur  du  genre  humain, 
«  trouvèrent  un  frein  (faible  même  et  très-insuffisant)  dans  la 
«  puissance  spirituelle  des  papes.  Au  reste,  tout  se  passait  à 
«  l'ordinaire  dans  le  monde  politique.  Chaque  roi  était  tran- 
«  quille  chez  lui ,  de  la  part  de  l'Église  ;  les  papes  ne  pensaient 
«  point  à  se  mêler  de  leur  administration  ;  et  jusqu'à  ce  qu'il 
«  leur  prit  fantaisie  de  dépouiller  le  sacerdoce ,  de  renvoyer 
«  leurs  femmes ,  ou  d'en  avoir  deux  à  la  fois ,  ils  n'avaient 

«  rien  à  craindre  de  ce  côté A-t-on  observé,  dit  ailleurs 

«  le  même  écrivain ,  que  le  choc  des  deux  puissances ,  qu'on 
«  nomme  si  mal  à  propos  la  guerre  de  Y  empire  et  du  sacerdoce, 
«  n'a  jamais  franchi  les  bornes  de  l'Italie  et  de  l'Allemagne,  du 
«  moins  quant  à  ses  grands  effets,  je  veux  dire,  le  renversement 
«  et  le  changement  des  souverainetés?  Plusieurs  princes,  sans 

(1)  Voyez  les  auteurs  cités  plus  haut,  pag.  659,  note  1. 

43 


674  DEUXIÈME  PARTIE.  —  POUVOIR  DU  PAPE 

«doute,  furent  excommuniés  jadis;  mais  quels  étaient,  en 
«effet,  les  résultats  de  ces  grands  jugements?  Le  souverain 
«  entendait  raison ,  ou  avait  l'air  de  l'entendre  :  il  s'abstenait, 
«  pour  le  moment,  d'une  guerre  criminelle  ;  il  renvoyait  sa  maî- 
«  tresse,  pour  la  forme  ;  quelquefois  cependant  la  femme  repre- 
«  nait  ses  droits.  Des  puissances  amies,  des  personnages  impor- 
«  tants  et  modérés  s'interposaient;  et  le  Pape,  à  son  tour, 
«  s'il  avait  été  ou  trop  sévère  ou  trop  hâtif,  prêtait  l'oreille 
«  aux  remontrances  de  la  sagesse.  Où  sont  les  rois  de  France, 
«  d'Espagne,  d'Angleterre,  de  Suède,  de  Danemark,  déposés 
«  ejficacement  par  les  papes?  Tout  se  réduit  à  des  menaces  et 
«  à  des  traités  ;  et  il  serait  aisé  de  citer  des  exemples ,  où  les 
«  souverains  pontifes  furent  les  dupes  de  leur  condescendance. 
«  La  véritable  lutte  eut  toujours  lieu  en  Italie  et  en  Allemagne. 
«Pourquoi?  Parce  que  les  circonstances  politiques  firent  tout , 
«  et  que  la  religion  n'y  entrait  pour  rien  (l).  » 
3,6.  On  sera  de  plus  en  plus  frappé  de  la  justesse  de  ces  réflexions, 

cautère  gj  ym  examme  je  pres  le  caractère  et  la  conduite  des  souve- 
prino2sdë"  rams  contre  lesquels  le  saint- siège  a  fait  usage  du  pouvoir  ex- 
traordinaire, que  lui  attribuaient  les  maximes  du  moyen  âge. 
C'étaient  des  princes  coupables  des  excès  les  plus  notoires,  et 
les  plus  funestes  au  bien  de  la  religion  et  des  États  ;  c'étaient 
des  princes  concubinaires,  simoniaques,  parjures,  fauteurs  du 
schisme  ou  de  l'hérésie,  oppresseurs  des  peuples,  et  persévérant 
opiniâtrement  dans  leurs  désordres,  malgré  les  avis  et  les  re- 
montrances réitérées  du  souverain  pontife.  Tel  est  le  caractère  que 
tous  les  historiens  s'accordent  à  tracer  de  l'empereur  Henri  IV, 
déposé  par  Grégoire  Vil  ;  de  l'empereur  Frédéric  II,  déposé  par 
Innocent  IV;  et  de  la  plupart  des  autres  souverains  qui  ont  été 
l'objet  dépareilles  sentences. 
3r7.  Qu'on  se  rappelle ,  en  particulier ,  le  caractère  de  l'empereur 

<ardeC'e  Henri  IV,  tel  que  l'ont  dépeint,  d'après  les  auteurs  du  temps, 
iwiTv.r  les  écrivains  modernes  les  moins  suspects  de  partialité  envers 
le  saint-siége.  «  Le  roi  d'Allemagne,  dit  Fleury,  était  déjà,  à 
«l'âge  de  dix-huit  ans,  un  des  plus  méchants  de  tous  les 
«hommes.  Il  avait  deux  ou  trois  concubines  à  la  fois;  et  de 

(1)  De  Maistre,  du  Pape,  liv.  h,  chap.  2,  5  et  11,  pag.  218,  238-240,  353. 


]' 


SDR   LES   SOUVERAINS.  — CHAPITRE  IV.  675 

«plus,  quand  il  entendait  parler  de  la  beauté  de  quelque  fille 
«  ou  de  quelque  jeune  femme ,  si  on  ne  pouvait  la  séduire ,  il  se 
«  la  faisait  amener  par  violence.  Quelquefois  il  allait  lui-même 
«  les  chercher  la  nuit;  et  il  exposa  sa  vie  en  de  telles  occasions. .. 
«  Ces  crimes  l'engagèrent  à  plusieurs  homicides,  pour  se  défaire 
«  des  maris  dont  les  femmes  lui  plaisaient.  Il  devint  cruel ,  même 
«à  ses  plus  confidents.  Les  complices  de  ses  crimes  lui  deve- 
naient suspects;  et  il  suffisait,  pour  les  perdre,  qu'ils  témoi- 
«  gnassent,  d'une  parole  ou  d'un  geste,  désapprouver  ses  des- 
«  seins.. . .  Il  donnait  les  évêchés  à  ceux  qui  lui  donnaient  le  plus 
«  d'argent,  ou  qui  savaient  le  mieux  flatter  ses  vices;  et,  après 
«  avoir  ainsi  vendu  un  évêché,  si  un  autre  lui  en  donnait  plus, 
«  ou  louait  plus  ses  crimes,  il  faisait  déposer  le  premier  comme 
«simoniaque,  et  ordonner  l'autre  à  sa  place;  d'où  il  arrivait 
«  que  plusieurs  villes  avaient  deux  évêques  à  la  fois,  tous  deux 
«  indignes  (1).  »  Faut-il  s'étonner  que  de  pareils  excès  aient  en- 
flammé le  zèle  de  Grégoire  VII ,  et  qu'il  se  soit  armé  d'une  juste 
sévérité  contre  Henri,  après  avoir  inutilement  épuisé  tous  les 
moyens  de  douceur  pour  le  ramener  de  ses  désordres?  Et,  bien 
loin  de  mériter  les  reproches  injurieux  qu'on  lui  a  souvent  pro- 
digués à  cette  occasion,  n'est-il  pas  évident,  qu'en  procédant 
comme  il  fit  contre  l'empereur,  il  ne  fit  que  remplir  un  devoir 
de  conscience? 

C'est  ainsi  qu'il  se  justifie  lui-même,  dans  plusieurs  de  ses  3l8. 
lettres,  et  particulièrement  dans  celle  qu'il  écrivit  à  l'arche- 
vêque de  Mayence,  qui  lui  avait  représenté  les  dangers  auxquels  se>siitie, 
il  s'exposait  par  une  trop  grande  sévérité  :  «  Vous  m'apporlez  «  point. 
«  dans  vos  lettres ,  lui  dit-il ,  bien  des  raisons  qui  peuvent  pa- 
«  raître  de  quelque  valeur  au  jugement  des  hommes,  et  qui  ne 
«  me  sembleraient  pas  à  mépriser,  si  elles  pouvaient  m'excuser 
«  au  jugemeut  de  Dieu....  Mais  si  nous  considérons  combien  les 
«jugements  de  Dieu  sont  différents  de  ceux  des  hommes,  nous 
«  ne  trouvons  presque  rien  qui  puisse  nous  excuser  de  négliger 
«  le  salut  des  âmes,  sous  prétexte  des  dangers  qui  nous  mena- 
«  cent....  Carie  mercenaire  diffère  du  pasteur  en  ce  que  le  pre- 
«  mier,  aux  approches  du  loup,  craint  plus  pour  lui-même  que 

(1)  Fleury,  Hist.  Ecclés.,  t.  xm,  liv.  lxi,  n.  31.  —  Voyez  aussi  les  au- 
teurs cités  plus  haut,  pag.  372,  note  1. 

43. 


Comment 
Grégoire  VII 


676 


DEUXIÈME   PARTIE.  —  POUVOIR   DU   PAPE 


3ig. 
Les   succes- 
seurs de 
Grégoire  VII 

également 

faciles 
à  justifier. 


«  pour  ses  brebis,  et  s'embarrassant  peu  de  la  dispersion  et  du 
«  massacre  de  son  troupeau,  l'abandonne  et  s'eufuit;  tandis  que 
«  le  pasteur  qui  aime  ses  brebis,  ne  les  abandonne  pas  à  Fap- 
«  proche  du  danger,  et  ne  balance  pas  à  exposer  sa  vie  pour 
«  elles. ...  Si  nous  gardons  le  silence  en  voyant  pécher  nos  frères, 
«  et  si,  les  voyant  errer,  nous  ne  tâchons  de  les  ramener,  par 
«  nos  avis,  dans  le  bon  chemin,  ne  péchons-nous  pas  nous-mê- 
«mes,  et  n'imitons-nous  pas  leurs  égarements?  Ne  sommes-nous 
«  pas  coupables  des  fautes  que  nous  négligeons  de  corriger  (1)?  » 
Les  détails  que  nous  donnerons  dans  le  paragraphe  suivant, 
sur  la  conduite  des  successeurs  de  Grégoire  VII,  qui  ont  imité  sa 
fermeté  à  l'égard  des  souverains ,  montreront  également  l'in- 
justice des  reproches  qu'on  leur  a  faits  à  ce  sujet.  Nous  remar- 
querons seulementici,  qu'au  jugement  d'un  célèbre  jurisconsulte 
protestant  du  dernier  siècle,  on  peut  les  justifier  tous  par  de 
semblables  motifs.  «  On  peut  assurer  à  bon  droit,  dit  Sencken- 
«  berg,  qu'il  n'y  a  pas,  dans  l'histoire,  un  seul  exemple  d'un 
«  Pape  qui  ait  procédé  contre  les  souverains  qui,  se  contenant 
«  dans  leurs  droits,  ne  songeaient  point  à  les  outre  passer  (2).  » 
Peut-on  blâmer  les  papes  d'avoir  attaqué  avec  vigueur  de  sem- 
blables désordres,  et  d'avoir  fait  usage,  pour  cela,  du  pouvoir 
que  leur  attribuaient  les  maximes  et  le  droit  public  de  leur 
siècle?  Ne  doit-on  pas  plutôt  admirer  leur  courage  et  leur  fer- 
meté inébranlables,  dans  cette  lutte  qu'ils  ont  si  longtemps  sou- 
tenue, pour  l'intérêt  de  la  religion  et  de  la  société? 


(1)  Greg.  VII  Epis  toi  lib.  m ,  Epist.  4. 

(2)  «  Jure  aflirmari  poterit,  ne  exemplum  quidem  esse,  in  omni  rerum 
«  memoriâ,  ubi  pontifex  processerit  ad  versus  eos  qui ,  juribus  suis  intenti, 
«  ultra  limites  vagari  in  animumnon  induxerunt  suum.  »  Senckenberg,  Me- 
«  thodus  Jurisprud.  additione  4,  de  Libert.  Ecclesiœ  German.,  §  3.  — 
Voyez,  à  l'appui  de  ces  réflexions,  De  Montalembert,  Hist.  de  sainte  Elisa- 
beth de  Hongrie ,  Introd. ,  p.  xxxvj ,  etc.  Voyez  aussi  les  détails  que  nous 
avons  donnés  ailleurs,  sur  la  conduite  de  Philippe  Ier,  roi  de  France,  de  Fré- 
déric Barberousse,  empereur  d'Allemagne ,  et  de  quelques  autres  souve- 
rains. Ci-dessus,  chap.  1,  n.  35;  cliap.  2,  n.  108,  etc.  Nous  reviendrons 
sur  ce  sujet,  dans  le  paragraphe  suivant. 


sur 
ce  sujet. 


SUR  LES   SOUVERAINS.  —CHAPITRE  IV.  677 

5  3.  Sur  les  prétendues  guerres  produites  par  le  choc  des 

deux  puissances  (1). 

Tout  ce  qu'on  peut  dire  de  plus  odieux  contre  le  pouvoir  tem-  320. 
porel  des  papes  du  moyen  âge,  et  contre  l'usage  qu'ils  en  ont  ^KîSJj^- 
fait,  se  trouve  réuni  dans  ces  deux  lignes,  sorties  de  la  plume 
d'un  magistrat  français,  entraîne,  sans  le  vouloir,  par  les  pré- 
jugés dominants  de  la  magistrature  dans  le  dernier  siècle  : 
«  Le  délire  de  la  toute-puissance  temporelle  des  papes  inonda 
«  l'Europe  de  sang  et  de  fanatisme  (  pendant  quatre  ou  cinq 
«siècles)  (2).  » 

Nous  avons  montré  plus  haut  que  les  papes  n'ont  jamais  pré- 
tendu la  toute-puissance  temporelle  (3),  et  que  celle  qu'ils  ont 
exercée  n'était  pas  en  eux  l'effet  du  délire ,  mais  l'application 
du  droit  public  alors  en  vigueur,  et  le  résultat  d'une  théorie 
politique ,  beaucoup  plus  sage  et  plus  avantageuse  à  la  société, 
que  toutes  les  théories  modernes  (4).  Il  nous  reste  à  examiner, 
s'il  est  vrai  que  le  pouvoir  temporel  des  papes,  au  moyen  âge , 
ait  inondé  l'Europe  de  sang  et  de  fanatisme ,  pendant  près 
de  quatre  siècles. 

Nous  conviendrons  sans  peine  que  ce  pouvoir,  quelque  légi- 
time et  avantageux  qu'il  fût  en  lui-même ,  a  pu  donner  lieu  à 
de  fâcheuses  discussions  entre  les  deux  puissances.  Les  plus  utiles 
institutions,  les  plus  sages  lois,  les  droits  les  mieux  établis, 
peuvent  occasionner,  et  occasionnent  en  effet  tous  les  jours,  de 
semblables  inconvénients,  par  une  suite  inévitable  des  passions 
et  de  la  malice  des  hommes.  Pour  ce  qui  regarde  en  particulier 
le  pouvoir  temporel  des  papes,  au  moyen  âge,  il  était  inévitable 
qu'il  troublât  quelquefois  la  paix  et  l'harmonie  des  deux  puis- 
sances. 11  eût  été  bien  étonnant,  que  les  souverains  excommu- 
niés et  déposés  par  le  Pape,  ne  cherchassent  point  à  soutenir 
leurs  droits  ou  leurs  prétentions.  La  résistance  d'un  criminel  au 
jugement  qui  le  flétrit,  s'explique  naturellement  par  les  motifs 

(1)  De  Maistre,  Du  Pape,  liv.  h,  chap.  12. 

(2)  Ferrand,  Esprit  de  l'Histoire,  tom.  h,  lettres  28  et  41 ,  p.  221,  222 
et  413. 

(3)  Ci-dessus ,  §  1er. 

(4)  Ibid.,  §  2. 


32T. 

Véritables 

causes 
de    la    lutte 

des 
deux  puis- 
sances. 


678  DEUXIÈME   PARTIE.  —  POUVOIR  DU  PAPE 

d'intérêt  qui  le  conduisent,  et  ne  prouve  rien  contre  la  sagesse 
des  lois,  ou  contre  la  prudence  du  juge  qui  les  applique. 

Mais  si  le  pouvoir  temporel  du  Pape,  au  moyen  âge,  a  pu 
occasionner  de  fâcheuses  discussions  entre  les  deux  puissances, 
peut-on  dire  avec  vérité ,  ou  avec  tant  soit  peu  de  vraisemblance, 
qu'il  a  inondé  l'Europe  de  sang ,  pendant  quatre  ou  cinq 
siècles?  Rien  de  plus  visiblement  exagéré  que  cette  assertion; 
la  lecture  attentive  de  l'histoire  montre  clairement,  que  les  pré- 
tendues guerres  occasionnées  par  le  choc  des  deux  puissances, 
n'ont  eu  ni  la  cause,  ni  la  durée,  ni  Y  universalité  qu'on  leur 
attribue. 

1°  On  suppose  que  les  guerres  dont  il  s'agit,  ont  eu  pour  cause 
le  pouvoir  temporel  du  Pape,  et  l'usage  qu'il  en  a  fait  contre  les 
empereurs.  Il  est  certain,  au  contraire,  que  la  plupart  de  ces 
guerres  ont  eu  des  causes  tout  à  fait  différentes.  Tantôt  c'étaient 
les  prétentions  excessives  des  empereurs;  tantôt  leurs  désordres 
notoires;  tantôt  leur  obstination  à  soutenir  un  antipape;  tantôt 
les  dissensions  politiques  entre  les  princes,  et  particulièrement 
entre  les  électeurs  de  l'empire.  Les  bornes  qui  nous  sont  pres- 
crites ne  nous  permettent  pas  de  rappeler  en  détail  tous  les 
événements  dont  il  est  ici  question;  il  nous  suffira  de  rappeler 
quelques-uns  des  plus  remarquables ,  principalement  ceux  qui 
se  rapportent  aux  règnes  des  empereurs  Henri  IV  et  Frédéric  II, 
dans  lesquels  on  a  cru  trouver  plus  de  fondement  à  la  difficulté 
que  nous  examinons  en  ce  moment  (1). 

Si  l'on  remonte  à  l'origine  des  troubles  de  l'empire,  sous 
l'empereur  Henri  IV,  on  verra  que  la  première  cause  de  ces 
troubles  fut  la  conduite  inouïe  et  sacrilège  de  ce  prince,  qui, 
Grégoire  vu.  malgré  les  avertissements  réitérés  de  Grégoire  VIL,  persistait 
opiniâtrement  dans  les  désordres  les  plus  scandaleux ,  et  foulait 
ouvertement  aux  pieds  les  droits  de  l'humanité,  comme  ceux  de 
l'Église  (2).  Bien  loin  de  se  rendre  aux  avis  et  aux  exhortations 
du  pontife,  Henri  multiplie  chaque  jour  ses  excès,  et  porte  sans 

(1)  De  Maistre,  ubi  suprà,  chap.  12  et  13.  —  Maimbonrg,  Hist.  de  la 
décadence  de  l'Empire  de  Charlemagne. 

(2)Fleury,  Hist.  Ecclés.,  tom.  xm ,  liv.  lxii,  n.  11,  25,  28.  — Voigt, 
Hist.  de  Grégoire  VII,  liv.  vu  et  vin.  Voyez  aussi  Y  Introduction  de  cette 
Histoire ,  par  M.  Jager ,  pag.  xxhi  ,  etc.  —  Maimbourg ,  ubi  suprà ,  année 
1075,  etc. 


322. 

Excès    de 

Henri    IV; 

modération 

de 


SUR  LES   SOUVERAINS.  —  CHANTRE  IV.  679 

cesse  de  nouvelles  attaques  à  la  religion  et  aux  mœurs;  il  s'é- 
tablit,  dans  ses  États,  arbitre  souverain    des  dignités  ec- 
clésiastiques, les  conférant,  selon  ses  caprices  et  ses  intérêts, 
aux  sujets  les  plus  indignes.  Menacé  d'excommunication,  en 
punition  de  tant  d'excès,  il  méprise  les  censures  de  l'Église;  et 
oubliant  toute  mesure,  il  adresse  au  pontife  les  lettres  les  plus 
insultantes  ;  il  ose  môme  le  faire  déposer  dans  un  conciliabule 
assemblé  à  Worms(l).  Alors  enfin  Grégoire  VII,  usant  du  pou- 
voir que  lui  donnait  le  droit  public  de  son  temps,  sur  les  sou- 
verains rebelles  à  l'Église,  et  particulièrement  sur  le  roi  de 
Germanie,  publie,  contre  ce  prince  incorrigible,  une  sentence 
d'excommunication  et  de  déposition,  et  déclare  en  conséquence 
ses  sujets  déliés  à  son  égard  du  serment  de  fidélité.  Toutefois, 
il  ne  donne  pas  d'abord  cette  sentence  comme  définitive  ;  car, 
dans  une  lettre  écrite  sur  ce  sujet  aux  seigneurs  allemands,  il 
se  contente  de  les  exhorter  à  élire  un  autre  empereur,  supposé 
que  Henri  persiste  dans  ses  mauvaises  dispositions  (2).  L'opi- 
niâtreté de  ce  prince,  et  les  sujets  de  mécontentement  qu'il 
donnait  depuis  longtemps  aux  seigneurs  allemands,  engagèrent 
en  effet  ceux-ci  à  faire  choix  de  Rodolphe,  duc  de  Souabe,  dont 
l'élection  fut  le  signal  de  la  guerre  entre  les  deux  prétendants. 

Quelle  fut  donc,  en  cette  occasion,  la  véritable  cause  delà       3*3. 
guerre?  Il  serait  aussi  injuste  de  l'attribuer  à  Grégoire  VII ,  que  niable  mum' 
de  rendre  un  juge  responsable  des  excès  auxquels  se  porte  un    iagUme. 
criminel  justement  condamné.   Ce  fut  évidemment  le  prince 
qui  provoqua  la  sévérité  du  Pape  :  celui-ci  n'employa  d'abord 
contre  Henri  que  les  armes  spirituelles;  ce  ne  fut  qu'à  l'extrémité 
qu'il  en  vint  à  la  peine  de  déposition  ;  encore  ne  le  fit-il  que 
par  manière  de  simple  menace,  et  en  se  montrant  disposé  à 
révoquer  la  sentence,  dans  le  cas  où  Henri  s'amenderait.  Bien 
plus,  il  laissait  le  jugement  de  ses  dispositions  aux  électeurs, 
qui,  d'après  la  constitution  de  l'empire,  pouvaient  juger  l'em- 
pereur, conjointement  avec  le  Pape.  «  Nul  doute,  dit  à  ce  sujet 
«  le  comte  de  Maistre,  sur  la  vérité  de  cette  proposition  (c'est- 
«  à- dire,  sur  le  droit  qu'avaient  les  électeurs  de  déposer  l'empe- 


(1)  Voigt,  ubi  suprà,  pag.  364,  etc. 

(2)  Fleur  y,  ibid.,  n.  33.  —Voigt,  ibid.,  liv.  ix,  pag.  406. 


680  DEUXIEME  PARTIE.  —  POUVOIR  DU  TAPE 

o  reur).  Il  ne  faut  point  confondre  les  électeurs  modernes,  purs 
«  titulaires  sans  autorité,  nommant,  pour  la  forme,  un  prince 
«  héréditaire  dans  le  fait;  il  ne  faut  point,  dis-je,  les  confondre 
«  avec  les  électeurs  primitifs ,  véritables  électeurs ,  dans  toute 
«  la  force  du  terme,  qui  avaient  incontestablement  le  droit  de 
«  demander  à  leur  créature  compte  de  sa  conduite  politique!... 
d  Le  Pape,  au  reste,  dans  tout  ce  qu'on  vient  de  voir,  ne  trou- 
if  blait  point  le  droit  public  de  l'empire  :  il  ordonnait  aux  élec- 
«  teurs  de  délibérer  et  d'élire  ;  il  leur  ordonnait  de  prendre  les 
«  mesures  convenables,  pour  étouffer  tous  les  différends.  C'est 
«  tout  ce  qu'il  devait  faire.  On  a  bientôt  prononcé  les  mots  faire 
«  et  défaire  les  empereurs;  mais  rien  n'est  moins  exact;  car  le 
«  prince  excommunié  était  bien  le  maître  de  se  réconcilier  (l).  » 
La  suite  de  l'histoire  nous  montre  les  démêlés  des  papes  avec 

Excès  non    jes  empereurs ,  et  les  guerres  qui  en  furent  la  suite,  occasion- 
moins  visibles  L  m    " 

des       nés,  dans  le  principe,  par  les  prétentions  injustes,  et  souvent 

empereurs  «  .  ,.  -,  T  ,       .    .  , 

déposés  de-  schismatiques ,  des  empereurs.  L  origine  de  ces  guerres,  sous 
Pu.sHenniv.  p^éric  Barberousse,  fut  l'obstination  de  ce  prince  à  protéger 
un  antipape  (2);  sous  Othon  IV,  l'usurpation  qu'il  fit  des  terres 
du  Pape,  et  de  celles  du  roi  de  Sicile,  allié  et  vassal  du  saint- 
siége  (3)  ;  sous  Frédéric  II,  le  parjure  et  l'impiété  de  ce  prince, 
qui,  après  s'être  engagé  par  serment,  et  sous  peine  d'excom- 
munication ,  à  porter  ses  armes  en  Palestine,  au  lieu  de  remplir 
ses  engagements,  ne  pensait  qu'à  grossir  son  trésor,  aux  dépens 
mêmes  de  l'Église,  pour  opprimer  la  Lombardie  (4).   «  On  a  ac- 
«  cusé  Grégoire  IX,  dit  le  comte  de  Maistre  (5) ,  de  s'être  laissé 
«emporter  par  la  colère,  et  d'avoir  mis  trop  de  précipitation 
«  dans  sa  conduite  envers  Frédéric.  Muratori  a  dit  d'une  ma- 
«nière;  à  Rome,  on  a  dit  d'une  autre  ;  cette  discussion,  qui 

(t)  De  Maistre,  Du  Pape,  liv.  h,  chap.  12,  pag.  357.  Remarquez  aussi, 
dans  le  même  ouvrage  la  note  2  de  la  page  372,  et  la  note  1  de  la  page  376. 

(2)  Fleury,  Hist.  Ecclés.,  tom.  xv,  liv.  lxx,  n.  39,  etc.  —  Pfeffel,  Abrégé 
de  l'Hist.  d'Allemagne,  année  1162.  —  Maimbourg,  ubi  suprà,  année 
1159. 

(3)  Fleury  ,  ibid.,  tom.  xvi,  liv.  lxxvi,  n.  51;  liv.  lxxvii,  n.  4. —  Pfeffel, 
ibid.,  année  1210.  —  Maimbourg,  ubi  suprà,  année  1209,  etc. 

(4)  Fleury,  ibid. ,  tom.  xvi ,  liv.  lxxviii,  n.  41,  58,  etc.;  liv.  lxxix, 
n.  37,  etc.  —  Michaud,  Hist.  des  Croisades,  tom.  îv,  pag.  2,  etc.  —  Mi- 
chelet,  Hist.  de  France,  tom.  n,  pag.  555,  etc. 

(5)  De  Maistre ,  ibid. ,  pag.  366. 


SUR  LES   SOUVERAINS.  —  CHAPITRE    IV.  681 

«  exigeait  beaucoup  de  temps  et  de  peine,  est  étrangère  à  un 
«  ouvrage  où  il  ne  s'agit  pas  du  tout  de  savoir,  si  les  papes  n'ont 
«  jamais  eu  des  torts.  Supposons,  si  l'on  veut,  que  Grégoire  IX 
«  se  soit  montré  trop  inflexible;  que  dirons-nous  d'Innocent  IV, 
«  qui  avait  été  l'ami  de  Frédéric  avant  d'occuper  le  saint-siége, 
«  et  qui  n'oublia  rien  pour  rétablir  la  paix?  Il  ne  fut  pas  plus 
«  heureux  que  Grégoire  ;  et  il  finit  par  déposer  solennellement 
«  l'empereur,  dans  le  concile  général  de  Lyon,  en  1245,  »  pour 
les  crimes  de  parjure,  de  sacrilège,  d'hérésie  et  de  félonie,  ju- 
ridiquement prouvés  et  reconnus  dans  le  même  concile  (1). 

Ce  fut  à  l'occasion  des  démêlés  de  Frédéric  II  avec  les  papes  origine5  pure- 
Grégoire  IX  et  Innocent  IV,  que  se  formèrent  en  Italie  les       ^fqlue 
fameux  partis  des  Guelfes  et  des  Gibelins,  qui  causèrent  tant  des  factions 

r  "*  '     *  des   Guelfes 

de  troubles  et  de  désordres  dans  ce  pays ,  pendant  près  de  deux        et 
siècles,  les  uns  (les  Gibelins)  soutenant  avec  ardeur  la  cause 
des  empereurs,  et  les  autres  (les  Guelfes)  celle  des  papes  (2). 
Mais  la  religion  n'entrait  pour  rien  dans  leurs  différends ,  dont 
l'unique  et  véritable  cause  était  dans  les  sentiments  de  haine, 
de  jalousie  et  d'ambition,  qui  divisaient  alors  toutes  les  villes 
d'Italie.  «  Il  ne  faut  pas  croire ,  dit  à  ce  sujet  le  P.  Maimbourg , 
«  que  ces  deux  factions,  dont  l'une  était  pour  les  papes,  et  l'autre 
«  pour  les  empereurs ,  se  fissent  la  guerre  pour  la  religion.  Les 
«  uns  et  les  autres  faisaient  profession  d'être  catholiques;  ce 
«  n'était  que  la  haine  et  l'ambition  qui  les  armaient  les  uns 
«  contre  les  autres,  pour  s'entre-détruire ,  et  pour  établir  leur 
«  puissance  dans  les  provinces  dont  ils  auraient  chassé  leurs 
«  ennemis.  Il  y  avait  seulement  cette  différence  entre  eux,  que 
«  les  Gibelins  reconnaissaient  les  empereurs  pour  leurs  souve- 
«  rains,  et  tenaient  de  l'empire  ce  qu'ils  occupaient  :  au  con- 
traire, les  Guelfes  s'étant  détachés  de  l'empire,  qu'ils  ne 
«  voulaient  pas  reconnaître,  se  tenaient  toujours  du  côté  des 
«  papes,  contre  les  empereurs  (3).  «  On  a  vu  plus  haut,  que  Vol- 


(1)  Voyez,  pour  le  développement  de  ces  faits,  les  auteurs  cités  plus 
haut,  chap.  2,  n.  149,  p.  492,  etc. 

(2)  Sur  l'origine  et  l'histoire  des  Guelfes  et  des  Gibelins ,  voyez  Maim- 
bourg, ubi  suprà,  pag.  434,  494,  511,  546,  etc.  —  Piefïel,  Abrégé  de  VHïst. 
d'Allemagne,  années  1 139  et  1310.  —  De  Maistre,  ibid.,  chap.  7,  pag.  304. 

(3)  Maimbourg,  ubi  suprà,  p.  546.  —  PfefTel,  ibid..,  année  1310.— De 
Maistre,  ibid.,  p.  373-375. 


682 


DEUXIEME  PARTIE.  ^—  POUVOIR  DU  PAPE 


3z6. 
La  guerre  n'é- 
tait pas 
proprement 
entre 
les  deux 
puissances  , 
mais  entre 
l'Allemagne  et 
l'Italie. 


327. 
Exagérations 

sur  la 
durée  de  cette 

guerre  : 
sa  prétendue 
universalité. 


taire  lui-même  n'avait  pu  s'empêcher  de  reconnaître  la  justesse 
de  ces  réflexions  (1). 

Nous  ne  pousserons  pas  plus  loin  l'examen  des  faits  qu'on 
nous  oppose  :  nous  en  avous  dit  assez  pour  montrer  à  un  lec- 
teur judicieux  la  vérité  de  ces  observations  du  comte  de  Maistre: 
Il  est  faux  qu'il  y  ait  eu  (dans  ces  temps  malheureux)  une 
guerre  proprement  dite  entre  V empire  et  le  sacerdoce.  On  ne 
cesse  de  le  répéter,  pour  rendre  le  sacerdoce  responsable  de 
tout  le  sang  versé  pendant  cette  grande  lutte  ;  mais,  clans  le 
vrai,  ce  fut  une  guerre  entre  l'Allemagne  et  l'Italie,  entre 
l'usurpation  et  la  liberté ,  entre  le  maître  qui  apporte  des 
chaînes  et  l'esclave  qui  les  repousse  ;  guerre  dans  laquelle  les 
papes  firent  leur  devoir  de  princes  italiens  et  de  politiques 
sages,  en  prenant  parti  pour  l'Italie,  puisqu'ils  ne  pouvaient  ni 
favoriser  les  empereurs  sans  se  déshonorer ,  ni  essayer  même 

la  neutralité  sans  se  perdre Userait  bien  difficile,  pour  ne 

pas  dire  impossible,  d'assigner,  dans  l'histoire  de  ces  temps 
malheureux ,  une  seule  guerre  directement  et  exclusivement 
produite  par  une  excommunication.  Ce  mal  venait  le  plus 
souvent  s'ajouter  à  un  autre,  lorsque,  au  milieu  d'une  guerre 
allumée  déjà  par  la  politique,  les  papes  se  croyaient,  par  quel- 
ques raisons,  obligés  de  sévir.  L'époque  de  Henri  IV  et  celle  de 
Frédéric  II,  sont  les  deux  où  l'on  pourrait  dire  avec  plus  de 
fondement,    que  l'excommunication  enfanta  la  guerre;   et 
cependant  encore,  que  de  circonstances  atténuantes,  tirées 
ou  de  l'inévitable  force  des  circonstances,  ou  des  plus  insup- 
portables provocations,  ou    de  l'indispensable  nécessité  de 
défendre  l'Église,  ou  des  précautions  dont  les  papes  s'en- 
vironnaient pour  diminuer  le  mal  (2).  » 
2°  Aux  exagérations  manifestes  que  nous  venons  de  signaler, 
il  faut  ajouter  celles  qui  regardent  la  durée  et  Yuniversalité  des 
prétendues  guerres  occasionnées  par  le  choc  des  deux  puis- 
sances. Il  est  certain,  comme  on  vient  de  le  voir,   que  ces 
guerres,   bien  loin  de  s'étendre  à  l'Europe  entière,  étaient 
presque  toujours  concentrées  en  Allemagne  et  en  Italie.  Il  est 
également  certain  que  le  commencement  des  grandes  divisions 


(1)  Voyez  plus  haut,  n.  304. 

(2)  De  Maistre,  ibid.,  p.  303 et 375. 


SUR  LES   SOUVERAINS.  —  CHAPITRE  IV.  683 

entre  le  sacerdoce  et  l'empire  ne  peut  être  placé  plus  haut  que 
l'année  1076,  époque  de  l'excommunication  de  l'empereur 
Henri  IV,  et  que  la  fin  de  ces  divisions  ne  peut  être  fixée  plus  tard 
que  l'époque  de  la  bulle  d'or,  publiée  par  l'empereur  Charles  IV, 
en  1356  (l)  ;  ce  qui  réduit  la  durée  de  ces  funestes  divisions  à 
moins  de  trois  siècles ,  au  lieu  de  quatre  ou  cinq  qu'on  leur  a 
quelquefois  donnés  (2).  «  Qu'on  retranche  d'ailleurs  de  cette 
«  période,  les  temps  où  les  papes  et  les  empereurs  vécurent  en 
«bonne  intelligence;  ceux  où  les  querelles  demeurèrent  de 
«  simples  querelles;  ceux  où  l'empire  se  trouvait  dépourvu  de 
«  chefs ,  dans  les  interrègnes  qui  ne  furent  ni  courts  ni  rares 
«  pendant  cette  époque;  ceux  où  les  excommunications  n'eurent 
«  aucune  suite  politique  ;  ceux  où  le  schisme  de  l'empire  n'ayant 
«  pris  son  origine  que  dans  la  volonté  des  électeurs ,  sans 
«  aucune  participation  de  la  puissance  spirituelle,  les  guerres 
«  lui  demeuraient  parfaitement  étrangères;  ceux  enfin  où  n'ayant 
«  pu  se  dispenser  de  résister ,  les  papes  ne  répondaient  plus  de 
«  rien ,  nulle  puissance  ne  devant  répondre  des  suites  coupables 
«  d'un  acte  légitime  ;  et  l'on  verra  à  quoi  se  réduisent  ces 
«  quatre  siècles  de  sang  et  de  fanatisme (  imperturbablement 
«  cités  à  la  charge  des  souverains  pontifes  (3).  » 

ARTICLE  II. 

Avantages  réels  de  ce  pouvoir. 

L'examen  que  nous  venons  de  faire  des  prétendus  inconvé-       328. 
nients  de  ce  pouvoir,  montre  suffisamment  à  un  lecteur  attentif  e«'dn?ts  T* 
les  grands  avantages  que  la  religion  et  la  société  en  ont  reti-  iroi**™cl' 
rés.  Toutefois,  il  ne  sera  pas  inutile  de  les  résumer  ici  en  peu 
de  mots,  pour  faciliter  au  lecteur  la  comparaison  de  ces  grands 
avantages,  avec  les  prétendus  inconvénients  qu'on  leur  a  sou- 
vent opposés.  Il  suffit,  en  effet,  de  jeter  un  coup  d'oeil  sur  l'his- 
toire du  moyen  âge,  pour  se  convaincre  que  le  pouvoir  du  Pape 
et  des  conciles  sur  les  souverains,  était  alors  le  principal  moyen 

(1)  Voyez,  au  sujet  de  cette  bulle,  Maimbourg,  ubi  suprà,  année  1 356.  — 
Pfeffel,  ibid.—  Lenglet-Dufïesnoy ,  Méthode  pour  étudier  l'Histoire ,  édi- 
tion in-12,  tom.  vi,  nag.  329.  —Diction,  de  Moréri,  article  Bulle  d'or. 

(2)  Voyez  la  note  1  de  la  page  665. 

(3)  De  Maistre,  ubi  suprà,  pages  376  et  377. 


684  DEUXIÈME  PARTIE.  —  POUVOIR  DU  PÀFE 

employé  par  la  Providence,  pour  le  maintien  de  la  religion, 
des  mœurs ,  et  de  la  tranquillité  publique. 

§  Ier.   Avantages    de   ce  'pouvoir  pour  le  maintien  de  la 

RELIGION. 


329.  Ce  premier  avantage  se  manifeste  surtout  dans  la  querelle  des 

Notions  fon-      .  »  •_»  n  .  *i         i  • 

damentaies   investitures ,  qui  a  fourni  aux  papes  et  aux  conciles  le  pnn- 


sur  les 
investitures. 


cipal  motif  de  leur  sévérité  à  l'égard  des  souverains. 

Pour  l'intelligence  de  ce  premier  point ,  il  est  nécessaire  de 
donner  ici  quelques  notions  sur  Yinvestiture  en  général,  et 
principalement  sur  les  investitures  ecclésiastiques  (1). 

V investiture  en  général,  dans  le  style  des  auteurs  du  moyen 
âge,  est  la  tradition  ou  la  mise  en  possession  d'un  fief  ou  d'un 
bien-fonds ,  donné  par  un  seigneur  suzerain  à  son  vassal. 
Cette  tradition  se  faisait  communément  par  quelque  action  sym- 
bolique ,  qui  exprimait  la  cession  faite  du  fief  ou  du  bien-fonds 
au  nouveau  propriétaire;  par  exemple,  par  la  présentation 
d'une  pierre,  d'une  branche  d'arbre,  d'un  morceau  de  gazon, 
ou  de  tout  autre  objet  dont  l'usage  avait  été  introduit  par  le 
caprice  des  coutumes  locales. 

Depuis  que  les  princes  eurent  doté  les  évcchés  et  les  abbayes, 
en  leur  assignant  des  fiefs  ou  des  biens-fonds,  ils  réclamèrent 
naturellement  le  droit  d'investir  les  prélats  du  temporel  de  leurs 
évêchés  ou  de  leurs  abbayes,  comme  ils  avaient  coutume  d'en 
investir  auparavant  les  seigneurs  laïques.  Les  fiefs  ecclésiasti- 
ques suivirent,  à  cet  égard,  la  loi  des  fiefs  séculiers;  en  sorte 
que  les  évoques  et  les  abbés ,  comme  les  autres  seigneurs  tem- 
porels, ne  pouvaient  entrer  en  possession  de  leurs  fiefs,  qu'a- 
près avoir  reçu  Yinvestiture  du  prince.  Cette  investiture  se  fai- 
sait, pour  les  prélats,  par  la  tradition  de  l'anneau  et  de  la 
crosse,  emblèmes  naturels  de  la  juridiction  épiscopale.  Pour 
cet  effet,  aussitôt  qu'une  église  ou  une  abbaye  devenait  va- 
cante, l'anneau  et  la  crosse  étaient  portés  au  prince  par  une  dé- 
putation  du  chapitre  ou  de  la  communauté  ;  et  le  prince  les 
remettait  à  celui  qu'il  avait  choisi ,  avec  une  lettre  qui  ordon- 

(1)  Ducange,  Glossarium  mediœ  et  infimes  Latinit.  verbo  Investitura. 


SUR  LES   SOUVERAINS.  —  CHAPITRE   IV.  685 

riait  aux  officiers  laïques  de  le  maintenir  dans  la  possession  des 
terres  appartenant  à  l'église  ou  à  l'abbaye. 

Cette  cérémonie,  en  elle-même,  n'avait  rien  que  de  légitime,  330. 
en  bornant  son  effet  à  la  collation  du  temporel  attaché  aux  di-  "qiêreiJ  a 
gnités  ecclésiastiques  ;  mais  elle  pouvait  donner  lieu  à  un  grand  im>^^BFeSi 
abus,  qui  ne  tarda  pas,  en  effet,  à  s'introduire  en  Allemagne. 
L'anneau  et  la  crosse  étant  des  symboles  naturels  de  l'autorité 
spirituelle,  les  princes  abusèrent  du  droit  d'investiture,  pour 
s'arroger  celui  de  conférer  la  juridiction  spirituelle  :  ils  préten- 
dirent disposer  en  maîtres  souverains,  des  évêchés  et  des  ab- 
bayes, comme  des  dignités  séculières,  et  les  distribuer  à  prix 
d'argent,  au  grand  détriment  des  droits  et  de  la  discipline  de 
l'Église.  Telle  fut  l'origine  de  la  querelle  des  investitures. 
L'Église  les  avait  tolérées,  tant  qu'elles  n'avaient  pas  gêné  la 
liberté  des  élections;  mais  elle  réclama  hautement,  d'abord  par 
l'organe  des  souverains  pontifes,  ensuite  par  l'organe  même  des 
conciles  œcuméniques,  depuis  qu'on  les  eut  fait  servir  de  pré- 
texte à  une  usurpation  manifeste  des  droits  qu'elle  a  reçus  de 
Jésus-Christ,  pour  le  libre  choix  de  ses  ministres  (1). 

Pour  éclaircir  davantage  cette  matière,  il  faut  encore  distin-  La  cérémonie 
guer  ici  la  cérémonie  de  Y  investiture,  d'avec  celles  de  Yhom-  viwesutun, 
mage  et  du  serment  de  fidélité  (2).  V  investiture  était,  comme    ^32! 
on  l'a  vu ,  la  tradition  ou  la  mise  en  possession  d'un  fief,  donné  de  l'^™^» 
par  le  seigneur  à  son  vassal.  V hommage ,  qui  précédait  or-      «/«•*«/ 
dinairement  Y  investiture ,  était  une  profession  extérieure  de  la 
soumission  et  du  dévouement  du  vassal  envers  son  seigneur. 
Pour  faire  cette  profession,  le  vassal,  à  genoux,  tête  nue,  les 
mains  placées  dans  celles  de  son  seigneur,  promettait  de  le  ser- 
vir loyalement  et  fidèlement,  en  considération  du  fief  qu'il 

(1)  Voyez  YIntrod.  de  M.  Jager,  à  VHistoire  de  Grégoire  VII,  p.  vi,  etc. 
—  Pey,  De  l'Autorité  des  deux  Puissances,  tom.  111,  p.  136.  —  Montagne, 
Appendix  de  Concil.;  ad  calcem  Prœlect.  Theol.  de  Opère  sex  die- 
rumy  pag.  279,  etc.  —  De  la  Hogue,  De  Ecclesid,  pag.  455.  —  Noël  Alexan- 
dre, Dissert.  4  in  Hist.  Eccles.  sœculorum  xi  et  xn.  La  lecture  de  ces 
auteurs  peut  servir  de  correctif  à  un  grand  nombre  d'autres,  qui  ont  traité 
cette  matière  avec  autant  de  légèreté  que  d'inexactitude.  M.  Nettement,  dans 
la  Vie  de  Suger,  d'ailleurs  aussi  exacte  qu'intéressante,  ne  s'est  pas  tenu  assez 
en  garde  contre  les  fausses  idées  de  ces  derniers.  !(p.  25,  47,  etc.  Voyez  le 
compte  rendu  de  cet  ouvrage  dans  Y  Ami  de  la  Religion,  t  cxiv,  p.  513,  etc.), 

(2)  Ducange,  Glossar.  inf.  Latin.,  verbis  Hominium  et  Juramenlum. 


686  DEUXIÈME  PARTIE.  —  POUVOIR  DU  PAPE 

tenait  de  lui.  M  hommage  était  ordinairement  suivi  du  serment 
de  fidélité;  mais  cette  dernière  cérémonie  n'était  pas  nécessai- 
rement personnelle,  comme  celle  de  Y  hommage:  celui-ci  était 
fait  par  le  vassal  en  personne,  tandis  que  \e  serment  de  fidé- 
lité pouvait  être  fait  par  procureur, 
obje^de  la  Ces  notions  étant  supposées ,  il  est  important  de  remarquer 
contestation  que  |a  controverse  relative  aux  investitures  ecclésiastiques,  était 

sur  les         '  •*  ' 

investitures;  tout  à  fait  différente  de  celle  qui  regardait  Y  hommage  et  le 

importance  ,    .  . 

de  serment  de  fidélité.  11  y  eut,  à  la  vente,  depuis  le  pontificat 
^  equeaion.  ^  Grégoire  VII ,  des  contestations  assez  vives,  entre  les  deux 
puissances,  sur  ces  deux  dernières  cérémonies,  aussi  bien  que 
sur  la  première  ;  mais  le  principal  sujet  de  contestation  fut  tou- 
jours sur  les  investitures ,  constamment  blâmées,  même  parles 
papes  et  les  conciles,  qui  croyaient  devoir  tolérer,  par  une  sage 
condescendance,  la  cérémonie  de  Y  hommage  et  celle  du  ser- 
ment de  fidélité  (l). 

On  voit,  d'après  cela,  quelle  était  l'importance  de  la  ques- 
tion des  investitures,  si  longtemps  agitée  entre  les  deux  puis- 
sances, avec  une  chaleur  que  nous  avons  aujourd'hui  tant  de 
peine  à  comprendre.  L'objet  de  cette  question  n'était  pas  une 
cérémonie  indifférente,  comme  le  supposent,  à  la  suite  de 
Voltaire ,  des  écrivains  légers  et  superficiels  (2).  11  faudrait 
ignorer  complètement  l'histoire  de  cette  controverse,  pour  en 
avoir  une  pareille  idée  (3).  Il  résulte,  au  contraire,  de  tous  les 
détails  de  cette  histoire,  que  jamais  aucune  controverse  ne  fut 
d'un  plus  grand  intérêt,  dans  l'ordre  de  la  religion.  «  Les  empe- 
«  reurs,  dit  Bossuet,  abusaient  de  l'usage  des  investitures  pour 
«vendre  les  évêchés,  et  réduire  l'Église  de  Jésus-Christ  à  une 
«  éternelle  servitude  (4).  »  Il  ne  s'agissait  donc  ici  de  rien  moins, 

(1)  Natal.  Alex.,  Hist.  Eccl.  sœc.  xi  et  xii,  cap.  7,  art.  5,  n.  6.  Remar- 
quez les  notes  du  P.  Alex,  et  du  P.  Mansi,  à  la  suite  de  ce  chapitre. 

(2)  Vollaire,  Essai  sur  VHist.  Qén.,\Q\\\.  i,  chap.  46. 

(3)  Les  plus  vives  contestations,  sur  cette  matière,  eurent  lieu  entre  l'em- 
pereur Henri  V,  et  les  papes  Pascal  II  et  Callixte  II.  On  peut  en  voir  le  récit 
dans  les  Histoires  de  Fleury,  Bérault-Bercasteî,  Maimbourg,  etc.  Remarquez 
en  particulier  l'accord  définitif  qui  fut  conclu,  en  1122,  entre  l'empereur 
Henri  V  et  le  pape  Callixte  II,  et  qui  termina  toutes  les  contestations.  Le 
texte  seul  de  cet  accord  suffirait  pour  montrer  tout  à  la  fois  l'objet  et  l'im- 
portance de  cette  discussion.  On  peut  voir  ce  texte  dans  la  Collection  des 
Conciles  du  P.  Labbe,  tom.  x,  pag.  901. 

(4)  Bossuet,  Defens.  Declar.t  Ub.  m,  cap.  12,  inilio. 


SUR  LES  SOUVERAINS.  —  CHAPITRE  IV.  687 

que  de  la  liberté  essentielle  à  l'Église  dans  son  gouvernement, 
et  particulièrement  dans  le  choix  de  ses  ministres;  il  s'agissait 
de  la  religion  tout  entière,  dont  le  sort  dépend  principalement 
de  ce  choix  ;  d'où  il  suit  que  les  papes,  en  sauvant  les  droits  de 
l'Église,  dans  la  querelle  des  investitures ,  ont  sauvé  la  reli- 
gion elle-même,  comme  ils  l'eussent  infailliblement  perdue, 
en  fléchissant  sur  un  point  si  essentiel.  «  Certes,  dit  à  ce  sujet  le 
«  comte  de  Maistre,  ce  n'était  pas  une  vaine  querelle  que  celle 
«  des  investitures.  Le  pouvoir  temporel  menaçait  ouvertement 
«  d'éteindre  la  suprématie  ecclésiastique.  L'esprit  féodal  qui  do- 
«  minait  alors,  allait  faire  de  l'Église,  en  Allemagne  et  en  Ita- 

«  lie,  un  grand  fief  relevant  de  l'empereur Ce  prince 

«  vendait  publiquement  les  bénéfices  ecclésiastiques  ;  les  prêtres 
«  portaient  les  armes;  un  concubinage  scandaleux  souillait 
«  l'ordre  sacerdotal  ;  il  ne  fallait  plus  qu'une  mauvaise  tête,,  pour 
«  anéantir  le  sacerdoce ,  en  proposant  le  mariage  des  prêtres 
«  comme  un  remède  à  de  plus  grands  maux.  Le  saint-siége  seul 
«  put  s'opposer  au  torrent,  et  mettre  au  moins  l'Église  en  état 
«  d'atteindre,  sans  une  subversion  totale,  la  réforme  qui  devait 

«s'opérer  dans  les  siècles  suivants Les  papes  ne  dispu- 

«  taient  point  aux  empereurs  Y  investiture  par  le  sceptre;  mais 
«  seulement  l'investiture  par  la  crosse  et  l'anneau.  Ce  n'était 
«  rien,  dira-t-on.  Au  contraire,  c'était  tout;  et  comment  se  se- 
«  rait-on  si  fort  échauffé  de  part  et  d'autre ,  si  la  question  n'avait 
«  pas  été  importante?  Les  papes  ne  disputaient  pas  même  sur 
«  les  élections,  comme  Maimbourg  le  prouve  par  l'exemple  de 
«  Suger  (1).  Ils  consentaient  de  plus  à  X investiture  par  le  scep- 
«  tre;  c'est-à-dire,  qu'ils  ne  s'opposaient  point  à  ce  que  les 
«  prélats,  considérés  comme  vassaux,  reçussent  de  leur  seigneur 
«  suzerain ,  par  X investiture  féodale ,  ce  mère  et  mixte  em- 
«  pire  (2)  (pour  parler  le  langage  féodal),  véritable  essence  du 
«  fief ,  qui  suppose,  de  la  part  du  seigneur  féodal,  une  partici- 
«pationà  la  souveraineté,  payée  envers  le  seigneur  suzerain 
«  qui  en  est  la  source ,  par  la  dépendance  politique  et  la  loi  mi- 

(1)  Maimbourg,  Hist.  de  la  Décad.  de  V Empire,  année  1121. 

(2)  Merum  et  mixtum  impcrium.  Ces  mots  désignent  communément, 
dans  le  langage  féodal,  la  juridiction  seigneuriale  complète,  en  tant 
qu'elle  renferme  la  justice  haute  et  basse,  civile  et  criminelle.  Voyez 
Ducange,  Glossarium  infimœ  Latin*,  verbo  Imperium. 


688  DEUXIÈME   PARTIE.  —  POUVOIR  DU  PAPE 

«  litaire.  Mais  ils  ne  voulaient  point  d'investiture  par  la  crosse 
«et par  l'anneau;  de  peur  que  le  souverain  temporel,  en  se 
«  servant  de  ces  deux  signes  religieux,  pour  la  cérémonie  de  l'in- 
«  vestiture,  n'eût  l'air  de  conférer  lui-même  le  titre  et  lajuri- 
«  diction  spirituels ,  en  changeant  ainsi  le  bénéfice  en  fiej;  et 
«  sur  ce  point ,  l'empereur  se  vit ,  à  la  fin ,  obligé  de  céder  (l). 

« En  un  mot,  c'en  était  fait  de  l'Église,  humainement 

«  parlant;  elle  n'avait  plus  de  forme,  plus  de  police,  et  bientôt 
«  plus  de  nom,  sans  l'intervention  extraordinaire  des  papes,  qui 
«  se  substituèrent  à  des  autorités  égarées  ou  corrompues ,  et 
«  gouvernèrent  d'une  manière  plus  immédiate  pour  rétablir 
«l'ordre  (2).  » 

333.  Tel  est  le  jugement  porté  de  la  controverse  des  investitures, 
Ctlncë,nïe-  non-seulement  par  des  écrivains  catholiques,  mais  par  desau- 
counue  par  teurs  protestants ,  que  de  profondes  études  ont  conduits  à  juger 

des     écrivains  *  '    *  *  o     o 

protestants,  les  papes  du  moyen  âge  avec  une  modération  qu'on  re- 
grette de  ne  pas  trouver  dans  certains  auteurs  catholiques. 
Déjà  nous  avons  cité  là-dessus  le  témoignage  de  Voigt,  dans 
Y  Histoire  de  Grégoire  17/(8').  Celui  de  Hurter,  dans  Y  His- 
toire d'Innocent  III ,  n'est  pas  moins  remarquable.  «  Cest  dans 
«  les  premières  luttes  des  papes,  dit-il ,  pour  conserver  leur  in- 
«  pendance,  dans  tout  ce  qui  concerne  le  gouvernement  de 
«l'Église,  que  le  christianisme  trouva  un  préservatif  contre 
<-  l'asservissement  de  la  puissance  temporelle ,  et  le  moyen  de 
«  n'être  pas  réduit  à  devenir  simple  constitution  de  l'État, 
«  comme  la  religion  chez  les  païens  (4).  » 

§  2.  Avantages  de  ce  pouvoir ,  pour  le  maintien  des  mœurs. 

334.  Ce  n'était  pas  seulement  en  maintenant  l'indépendance  de 

Ce  pouvoir      ,,  •     ,.  ,  ,.  -11  •  ,  n 

principale.  FEglise  contre  les  usurpations  de  la  puissance  temporelle,  que 
empk^fpour  le  pouvoir  temporel  des  papes  rendait  les  plus  grands  services 
ia  rilicèncnee,des  à  la  religion  ;  c'était  encore  en  travaillant  au  maintien  des 

princes.     mœurs  publiques ,  et  surtout  à  la  sainteté  du  mariage,  si  sou- 

(1)  Maimbourg ,  ubi  supra. 

(2)  De  Maistre,  Du  Pape,  liv.  h,  chap.  7,  p.  285-297,  passim. 

(3)  Voigt,  ffist.  de  Grég.  VII,  liv.  iv,  v,  p.  133,  etc.  177,  etc.  Con- 
clusion ,  p.  605,  etc. 

(4)  Hurter,  Hist.  d'Innocent  III,  tom.  i,  p.  123. 


SUR  LES   SOUVERAINS.  —  CHAPITRE   IV.  689 

vent  et  si  ouvertement  violées  par  l'incontinence  des  souve- 
rains (l).  Un  grand  adversaire  des  papes,  qui  ne  laisse  échapper 
aucune  occasion  de  se  plaindre  du  prétendu  scandale  des  excom- 
munications, fait  observer  que  c'étaient  toujours  des  mariages 
faits  ou  rompus ,  qui  ajoutaient  ce  nouveau  scandale  au  pre- 
mier (2).  Il  est  certain ,  en  effet ,  que  les  souverains  pontifes  em- 
ployèrent principalement  l'excommunication  et  ses  terribles  ef- 
fets, pour  réprimer  la  licence  des  princes.  Onconnaît,  à  cet  égard, 
la  juste  sévérité  du  saint-siége  contre  Lothairele  Jeune,  roi  de 
Lorraine,  contre  les  rois  de  France  Robert,  Philippe  Ier,  Phi- 
lippe II,  et  plusieurs  autres  souverains.  Or,  il  ne  faut  qu'un  peu 
de  réflexion  pour  comprendre  les  services  importants  que  les 
papes  ont  rendus  à  la  religion  et  à  la  société,  par  leur  inflexible 
fermeté,  sur  ce  point.  «Jamais,  dit  le  comte  de  Maistre,  les 
«papes  et  l'Église,  en  général,  ne  rendirent  de  service  plus 
«  signalé  au  monde,  que  celui  de  réprimer  chez  les  princes,  par 
«  l'autorité  des  censures  ecclésiastiques,  les  accès  d'une  passion 
«  terrible ,  même  chez  les  hommes  doux ,  mais  qui  n'a  plus 
«  de  nom  chez  les  hommes  violents ,  et  qui  se  jouera 
«  constamment  des  plus  saintes  lois  du  mariage,  partout  où 
«  elle  sera  à  l'aise.  L'amour ,  lorsqu'il  n'est  pas  apprivoisé ,  jus- 
«  qu'à  un  certain  point,  par  une  extrême  civilisation,  est  un  ani- 
«  mal  féroce,  capable  des  plus  horribles  excès.  Si  l'on  ne  veut 
«  pas  qu'il  dévore  tout ,  il  faut  qu'il  soit  enchaîné  ;  et  il  ne 
«  peut  l'être  que  par  la  terreur.  Mais  que  fera-t-on  craindre  à 
«  celui  qui  ne  craint  rien  sur  la  terre?  La  sainteté  des  mariages, 
«  base  sacrée  du  bonheur  public,  est  surtout  de  la  plus  haute 
«importance  dans  les  familles  royales,  où  les  désordres  d'un 
«certain  genre  ont  des  suites  incalculables,  dont  on  est  bien 
«  éloigné  de  se  douter.  Si,  dans  la  jeunesse  des  nations  sep- 
«  tentrionales ,  les  papes  n'avaient  pas  eu  le  moyen  d'épouvan- 
«  ter  les  passions  souveraines ,  les  princes ,  de  caprices  en  capri- 


(1)  De  Maistre,  Du  Pape,  liv.  n,  chap.  7,  art.  1. 

(2)  Ferrand,  L'Esprit  de  l'Histoire,  tom.  n,  lettre  47  ,  pag.  485. 

Le  comte  de  Maistre  fait  observer  avec  raison  ,  que  M.  Ferrand  pssocie, 
en  cet  endroit,  les  idées  les  plus  incohérentes.  Selon  lui ,  «  un  adultère  pu- 
«  blic  est  un  scandale  ;  et  l'acte  destiné  à  le  réprimer  est  un  scandale 
«  aussi.  Jamais  deux  choses  plus  différentes  ne  portèrent  le  même  nom.  » 
(De  Maistre ,  ubi  suprà,  art.  i ,  pag.  270. ) 

44 


690        DEUXIÈME  PARTIE. — POUVOIR  DU  PAPE 

«  ces  et  d'abus  en  abus ,  auraient  fini  par  établir  en  loi  le 
«  divorce,  et  peut-être  la  polygamie  ;  et  ce  désordre  se  répétant, 
«  comme  il  arrive  toujours,  jusque  dans  les  dernières  classes 
«  de  la  société,  aucun  œil  ne  saurait  plus  apercevoir  les  bornes 
«  où  se  serait  arrêté  un  tel  débordement  (1).  » 
335.  A  l'appui  de  ces  réflexions,  nous  citerons  celles  de  Hurter , 

m  Hurier,  !ur  dans  V  Histoire  d'Innocent  III:  «  La  légèreté  avec  laquelle  tant 
ce  pomt.    a  ^  gran(js  Seigueurs  contractaient  mariage,  doit  nous  faire 
«  apprécier  une  autorité,  qui,  si  elle  ne  pouvait  empêcher  le  liber- 
«  tinage  de  briser  un  lien  sacré,  savait  du  moins,  quand  des 
«  plaintes  lui  arrivaient ,  accorder  une  protection  énergique  aux 
«  victimes,  et  rappeler  aux  princes  qu'ils  devaient  le  bon  exemple 
«  à  leurs  sujets  (2).  »  C'est  d'après  ce  principe,  que  le  même  auteur 
justifie  la  fermeté  d'Innocent  III  à  soutenir  les  lois  sacrées  du 
mariage,  contre  l'incontinence  de  Philippe-Auguste.  Les  réflexions 
de  Hurter,  sur  ce  sujet,  sont  d'autant  plus  dignes  d'attention, 
qu'elles  sont  également  applicables  à  tous  les  papes  qui  ont 
déployé,  en  de  semblables  occasions,  la  même  fermeté.  «  Il  ne 
«  s'agissait  ici,  dit-il,  ni  de  possessions,  ni  de  droits  contestés 
«  du  saint-siége,  mais  bien  de  cette  grande  question  :  Le  sou- 
«  verain  est-il  soumis  aux  lois  du  christianisme,  qui  doivent 
«  régler  les  relations  humaines?  Nous  disons  d'abord,  que  si  ces 
«  lois  étaient  appliquées,  à  cette  époque,  d'une  autre  manière, 
«  et  peut-être  plus  sévèrement  que  de  nos  jours,  on  ne  peut  en 
«  faire  un  prétexte  pour  blâmer  la  conduite  du  Pape  dans  cette 
«  circonstance.  Ici  le  Pape  se  trouvait  vis-à-vis ,  non  du  prince, 
«  mais  du  chrétien.  Il  ne  le  combattait  point  comme  prince  tem- 
'<.  porel,  mais  comme  premier  gardien  des  préceptes  que  Dieu 
«  avait  donnés  aux  hommes.  Il  s'agissait  de  décider  ce  qui  l'em- 
«  porterait,  ou  la  volonté  du  prince,  ou  la  force  regardée  (alors 
«du  moins)  comme  constituant  l'unité  chrétienne;  ou  bien  si, 
«devant  celle-ci,  la  puissance  temporelle  devait  s'abaisser  et 
«  disparaître?  La  conduite  d'Innocent ,  dans  l'affaire  du  divorce, 
«  prouve  qu'il  n'a  été  guidé  que  par  la  juste  application  de  ses 
«devoirs  et  de  ceux  des  princes,  et  qu'animé  d'un  zèle  tout 
«  apostolique  ,  il  ne  se  laissa  influencer  par  aucune  considération 

(1)  De  Maistre,  ubi  suprà,  pag.  270. 

(2)  Hurter,  Hist.  d'Innocent  III,  tom.  ir,  pag.  802. 


SUR  LES    SOUVERAINS.  —  CHAPITRE    IV.  691 

«  humaine.  Il  ne  voulut  jamais  sacrifier  l'importance  morale 
«de  sa  dignité,  pour  se  procurer  un  puissant  appui  dans  les 
«troubles  d'Italie,  ou  un  allié  dans  les  dissensions  de  l'Alle- 
«  magne,  et  pour  obtenir  du  roi,  par  son  silence  et  sa  condes- 
«  cendance ,  des  secours  pour  les  croisades.  Il  ne  craignit  pas 
«  d'augmenter  par  sa  fermeté  le  nombre  de  ses  ennemis ,  et  celui 
«  des  affaires  difficiles  pour  lesaint-siége.  En  faisant  moins,  ou 
«  en  agissant  avec  plus  d'indulgence,  il  eût  fait  violence  à  son 
«  être  moral ,  et  se  fût  préparé  les  chagrins  les  plus  amers  que 
«  puisse  éprouver  un  homme  pénétré  d'une  conviction  profonde, 
«  et  agissant  contradictoirementàscs  principes.  Le  blâmer  dans 
«  cette  circonstance,  serait  dangereux  dans  tous  les  temps, 
«  parce  que  ce  serait  détruire  les  limites  entre  la  puissance  et  le 
«devoir,  et  affranchir  Thomme  de  toute  obligation  morale. 
«  Que  de  malheurs  eussent  été  épargnés  à  la  France  et  à  l'Eu- 
«  rope ,  si ,  sous  le  règne  de  Louis  "XV ,  un  Innocent  eût  été  assis 
«  sur  le  trône  pontifical!  Il  était  de  son  devoir  d'être  le  pasteur 
«  des  rois,  et  par  là  le  sauveur  des  peuples  (1).  » 

§  3.  Avantages  de  ce  pouvoir ,  pour  le  maintien  de  la 
tranquillité  publique. 

Ce  dernier  résultat  est  suffisamment  établi  par  les  développe-       336. 
ments  que  nous  avons  donnés,   dans  l'article  précédent,  sur  Cesreconnufs 
les  avantages  du  pouvoir  dont  nous  parlons,  pour  concilier,  pïJjfi0™" 
autant  qu'il  est  possible,  l'autorité  des  souverains  avec  la  liberté    suspsts; 

*  r  »  avenx  de  Vol- 

des  peuples,  et  prévenir  tout  à  la  fois  les  désordres  de  l'anarchie  tai™- 
et  ceux  du  despotisme.  Nous  ajouterons  seulement  ici  que  ce 
précieux  résultat,  qui  suffirait  seul  pour  justifier  la  théorie 
politique  du  moyen  âge ,  est  généralement  reconnu  de  nos  jours, 
par  les  auteurs  même  les  moins  suspects  de  partialité  en  faveur 
de  l'Église  et  du  saint-siége.  «L'intérêt  du  genre  humain,  dit 
«  Voltaire,  demande  un  frein  qui  retienne  les  souverains  et  qui 
«  mette  à  couvert  la  vie  des  peuples  :  ce  frein  de  la  religion  au- 
«  rait  pu  être,  par  une  convention  universelle,  dans  les  mains 

(1)  Hurter,  Hist.  d'Innocent  III,  tom.  1,  année  1198 ,  pag.  199.  Voyez 
aussi,  dans  Y  Introduction  du  même  ouvrage  (pag.  xxxv),  les  réflexions  de 
M.  Dutheil  sur  ce  sujet. 

44, 


692  DEUXIEME   PARTIE. — POUVOIR  DU   PAPE 

«  des  papes.  Ces  premiers  pontifes,  en  ne  se  mêlant  des  querelles 
«  temporelles  que  pour  les  apaiser,  en  avertissant  les  rois  et  les 
«  peuples  de  leurs  devoirs,  en  reprenant  leurs  crimes,  en  réser- 
«  vant  les  excommunications  pour  les  grands  attentats,  auraient 
«  toujours  été  regardés  comme  des  images  de  Dieu  sur  la 
«  terre  (1)  »  «  Je  ne  crois  pas,  dit  le  comte  de  Maistre,  que 

«jamais  on  ait  mieux  raisonné  en  faveur  des  papes Ce  frein 

«  si  nécessaire  aux  peuples,  se  trouva,  et  ne  pouvait  se  trouver 

«  que  dans  l'autorité  des  papes Il  s'y  trouva,  non  par  une 

«  convention  expresse  des  peuples,  qui  est  impossible ,  mais  par 
«  une  convention  tacite  et  universelle,  avouée  par  les  princes 
«  comme  par  les  sujets,  et  qui  a  produit  des  avantages  incal- 
«  culables  (2).  » 
337  Ces  grands  avantages  sont  expressément  reconnus  par  un  des 

m.  Fen-and.  écrivains  de  nos  jours,  qui  ont  censuré  avec  le  plus  d'amertume 
la  conduite  des  papes  du  moyen  âge  à  l'égard  des  souverains. 
«  Dans  le  temps  des  croisades,  dit  M.  Ferrand,  leur  puissance 
«  était  grande;  et  dans  ce  temps,  leurs  anathèmes,  leurs  inter- 
«  dits  étaient  respectés,  étaient  redoutés.  Celui  qui  aurait  été 
«peut-être,  par  inclination,  disposé  à  troubler  les  États  d'un 
«  souverain  occupé  dans  une  croisade,  savait  qu'il  s'exposait 
«  à  une  excommunication  qui  pouvait  lui  faire  perdre  les  siens. 
«  Cette  idée  d'ailleurs  était  généralement  répandue  et  adoptée; 
«  et  il  n'aurait  pas  trouvé  de  coopérateurs ,  parmi  ceux  mêmes 
«  qui,  dans  un  autre  temps,  auraient  secondé  ses  projets  (3).  » 
338.  Un  auteur  protestant  du  dernier  siècle  s'exprime  encore  plus 

ve"cXurs      fortement,  sur  ce  point,  dans  un  ouvrage  qui  lui  a  mérité  un 

fi^AnSuoii'.  rang  distingué  parmi  les  historiens  et  les  publicistes  :  «  Dans  le 
«moyen  âge,  dit  M.  Ancillon,  où  il  n'y  avait  point  d'ordre 
«  social,  la  papauté  seule  sauva  peut-être  l'Europe  d'une  entière 
«  barbarie.  Elle  créa  des  rapports  entre  les  nations  les  plus  éloi- 
«  gnées  ;  elle  fut  un  centre  commun ,  un  point  de  ralliement 

«  pour  les  États  isolés Ce  fut  un  tribunal  suprême,  élevé  au 

«  milieu  de  l'anarchie  universelle,  et  dont  les  arrêts  furent 
«  quelquefois  aussi  respectables  que  respectés  :  elle  prévint  et 

(1)  Voltaire,  Essai  sur  VHïst.  gén.,  tom.  n,  chap.  60. 

(2)  De  Maistre,  Du  Pape,  liv.  h,  chap.  9,  pag.  323. 

(3)  Ferrand,  Esprit  de  VHist.,  tom.  n,  lettre  47,  pag.  494.  a 


SIM  LES   SOUVERAINS.  —  CHAPITRE   IV.  693 

«  arrêta  le  despotisme  des  empereurs,  remplaça  le  défaut  d'équi- 
«  libre,  et  diminua  les  inconvénients  du  régime  Féodal (1). 

«  Le  pouvoir  papal ,  dit  un  écrivain  plus  récent,  de  la  môme  339. 
«  communion,  en  disposant  des  couronnes ,  empêchait  le  despo- 
«  tisme  de  devenir  atroce  ;  aussi ,  dans  ces  temps  de  ténèbres ,  ne 
«  voyons-nous  aucun  exemple  de  tyrannie  comparable  à  celle  de 
«  Domitien  à  Rome.  Un  Tibère  était  impossible  ;  Rome  l'eût 
«  écrasé.  Les  grands  despotismes  arrivent,  quand  les  rois  se  per- 
«  suadent  qu'il  n'y  a  rien  au-dessus  d'eux;  c'est  alors  que  l'ivresse 
«  d'un  pouvoir  illimité  enfante  les  plus  atroces  forfaits  (2).  » 

Ces  avantages  incontestables  du  pouvoir  temporel  des  papes,  Les  ?,i°onvé- 
au  moyen  âge,  nous  autorisent  sans"  doute  à  conclure,  que,  poli-      nienls . 
tiquement  parlant,  les  inconvénients  qui  ont  pu  résulter  de  ce  dont  >'.  s'asu  » 
pouvoir  ont  été  bien  compensés  par  ses  avantages,  et  qu'il  a    compensés 
été,  par  conséquent,  beaucoup  plus  utile  que  nuisible  à  la  société,    avantages. 
M.  Raoul  Rochette,  un  des  membres  les  plus  distingués  de 
Y  Académie  des  inscriptions  et  belles-lettres,  a  été  conduit  aussi 
bien  que  nous  à  cette  conclusion ,  par  une  étude  sérieuse  et 
impartiale  de  l'histoire  du  moyen  âge.  Le  ton  de  sagesse  et  de 
modération  avec  lequel  il  s'exprime  sur  ce  sujet ,  devrait  sans 
doute  inspirer  la  même  réserve  à  tant  d'écrivains  de  nos  jours, 
qui,  avec  beaucoup  moins  de  connaissances  et  d'érudition,  se 
permettent  des  jugements  si  hardis  et  si  tranchants  sur  la  con- 
duite des  papes  et  des  conciles  du  moyen  âge.  «  C'est  un  fait , 
«  dit-il,  qui  résultera  de  mes  recherches,  et  que  je  crois  pouvoir 
«  proclamer  d'avance  hautement,  que,  pendant  la  longue  durée 
«  du  moyen  âge,  l'influence  des  papes  fut  généralement  plus 
«utile  que  funeste  à  l'Europe,  et  que,   tout  pesé  dans  .une 
«  exacte  balance ,  la  société  dut  plus  de  vertus  et  de  bienfaits 
«à la  puissance  pontificale,  qu'elle  n'en  reçut  de  vices  et  de 
«  malheurs.  Mais  afin  de  rendre  cette  proposition  vraisemblable, 


(1)  Ancillon,  Tableau  des  Révolutions  du  système  politique  de  l'Eu- 
rope, tom.  i,  Introduction,  pag.  133  et  157. 

(2)  Coquerel,  Essai  sur  l'Histoire  du  Christianisme,  pag.  75.  Pour  ne  pas 
multiplier  inutilement  les  citations,  comme  il  serait  si  aisé  de  le  faire,  nous 
nous  bornerons  à  indiquer,  sur  ce  sujet,  un  article  remarquable  du  Quaterly 
Review  ,  l'un  des  recueils  protestants  les  plus  considérables  et  les  plus  in- 
fluents de  l'Angleterre  ;  cet  article  est  cité  en  partie,  dans  la  Vie  de  la  Reine 
Blanche,  par  M.  Nisard,  pag.  276. 


694  DEUXIÈME  PARTIE. — POUVOIR  DU  PAPE 

«  même  aux  esprits  les  plus  prévenus  Je  me  hâte  d'ajouter  qu'il 
«  fallait  un  état  de  civilisation ,  ou  si  l'on  veut  de  barbarie , 
«  précisément  semblable  à  celui  du  moyen  âge ,  pour  que  l'au- 
«  torité  des  papes  obtînt  des  résultats  aussi  favorables  (l).  » 
341.  Nous  ne  pousserons  pas  plus  loin  le  détail  des  services  im- 

erdùseà  L6"  menses  que  le  pouvoir  temporel  de  l'Église  et  du  Pape  a  rendus 
S0CiepaPPe" les  à  la  religion  et  à  la  société,  pendant  tonte  la  suite  du  moyen 
âge  (2).  Les  développements  que  nous  avons  donnés  sont  plus 
que  suffisants,  pour  mettre  un  lecteur  judicieux  et  impartial  en 
état  de  former  son  opinion  sur  ce  point,  et  pour  lui  faire 
sentir  la  justesse  de  ces  réflexions,  par  lesquelles  le  comte  de 
Maistre  termine  la  troisième  partie  de  l'intéressant  ouvrage 
qui  nous  a  fourni  une  grande  partie  de  nos  développements. 
«  Les  fautes  des  papes,  infiniment  exagérées,  ou  mal  représen- 
te tées,  et  qui  ont  tourné,  en  général,  au  profit  des  hommes, 
«  ne  sont  d'ailleurs  que  l'alliage  humain ,  inséparable  de  toute 
«  mixtion  temporelle  ;  et  quand  on  a  tout  bien  examiné  et  pesé 
«  dans  les  balances  de  la  plus  froide  et  de  la  plus  impartiale  phi- 
«  losophie,  il  reste  démontré,  que  les  papes  furent  les  institu- 
«  teurs ,  les  tuteurs,  les  sauveurs,  et  les  véritables  génies  con- 

«  stituants  de  V Europe  (3) Il  ne  s'agît  pas,  au  reste,  de 

«  savoir  si  les  papes  ont  été  des  hommes,  et  s'ils  ne  se  sont  ja- 

(1)  Raoul  Rochette,  Discours  sur  les  heureux  effets  de  la  Puissance 
pontificale,  au  moyen  âge;  Paris,  1818,  in-8°,  pag.  10.  Remarquez  aussi  les 
pag.  15 ,  28-80.  Voyez  le  compte  rendu  de  ce  Discours,  dans  l'Ami  de  la  Re- 
ligion, tom.  xv,  pag.  273. 

(2)  Il  serait  aisé  de  multiplier  bien  davantage  les  citations  sur  cette  ma- 
tière. Indépendamment  de  celles  qu'on  a  déjà  vues  dans  le  cours  de  cet  ou- 
vrage (n.  17,  49,  124,  etc.),  nous  indiquerons  encore  les  auteurs  suivants  : 
Entretiens  sur  la  Réunion  des  différentes  Communions  chrétiennes ,  par 
le  baron  de  Starck,  pag.  296,  etc.  —  Feller,  Catéchisme  Philos.,  n.  510.  — 
Pluquet,  Diction,  des  Hérésies,  Discours  prélim.  xie  etxir3  siècles,  pag. 
232,  241,  etc.  —  Rernardi,  De  l'Origine  et  des  Progrès  de  la  Législation 
française,  iiv.  v,  chap.  3.  —  Frayssinous,  Les  vrais  Principes  de  l'Église 

Gallicane,  2e  édition,  pag.  64,  etc.  —  Jondot,  Tableau  historique  des  Na- 
tions, tom.  m,  pag.  396,  etc.  —  De  Saint- Victor,  Tableau  htstor.  et  pit- 
toresque de  Paris,  édition  in-8°,  tom.  11,  pag.  593-597.  —  Chateaubriand, 
Génie  du  Christianisme ,  4e  partie,  chap.  H.  —  Jager,  Introd.  à  V Hist. 
de  Grégoire  VIT,  pig.  xxxvm,  etc. —  Lefranc,  Hist.  du  Moyen  âge,  Iiv.  iv, 
chap.  6,  §  1,  vers  la  fin.  —  De  Montalembert,  Hist.  de  sainte  Elisabeth  de 
Hongrie,  Introduction,  pag.  xix-xxxv. — De  Falloux,  Vie  du  Pape  S.  Pie  V, 
Préface. 

(3)  De  Maistre,  Du  Pape,  Iiv.  m,  Conclusion,  pag.  154,  etc. 


SUR  LES  SOUVERAINS.  —  CHAPITRE   IV.  695 

«  mais  trompés  ;  mais  s'il  y  a  eu,  compensation  faite,  sur  le 
«  trône  qu'ils  ont  occupé,  plus  de  sagesse,  plus  de  science  et 
«  plus  de  vertu,  que  sur  tout  autre;  or,  sur  ce  point,  le  doute 
«  même  n'est  pas  permis  (1).  » 

CONCLUSION 

ET   RÉSUMÉ  DÉ  LA  SECONDE  PARTIE. 

On  voit  maintenant  ce  qu'il  faut  penser  des  déclamations  si       342. 
ordinaires  parmi  les  auteurs  modernes ,  contre  les  papes  et  les  déclamations 
conciles,  à  l'occasion  du  pouvoir  qu'ils  se  sont  autrefois  at-  lescoaneret 
tribué  sur  les  princes,  dans  l'ordre  temporel.  La  plupart  de  ces    '«conciles 
déclamations  supposent,  ou  que  les  papes  et  les  conciles  n'avaient  moyen  âge. 
alors  aucun  droit  de  juger  les  souverains  en  matière  temporelle; 
ou  que  ce  droit  n'avait  pas  eu,  dans  le  principe,  un  fondement 
légitime  ;  ou  que  l'exercice  de  ce  droit  a  été  funeste  à  la  société. 
Tl  est  certain ,  au  contraire,  et  solidement  prouvé  par  l'histoire, 
que  le  droit  de  juger  les  souverains,  en  matière  temporelle, 
était  alors  conféré  au  Pape  et  à  l'Église ,  par  des  maximes  de 
droit  public  universellement  reconnues;  que  ce  droit  avait  eu, 
dès  le  principe,  les  fondements  les  plus  légitimes;  enfin  que 
l'exercice  de  ce  droit,  malgré  les  inconvénients  qui  ont  pu 
quelquefois  en  résulter ,  a  été  généralement  avantageux  à  la 
société. 

Il  ne  s'agit  pas  ici  d'examiner  les  causes  qui  ont  insensible- 
ment ébranlé,  affaibli,  et  même  entièrement  anéanti  cette  pro- 
digieuse autorité,  dont  l'Église  et  son  chef  visible  ont  été  si 
longtemps  investis  ;  à  plus  forte  raison  ne  s'agit-il  point  d'ap- 
pliquer à  l'état  présent  de  la  société,  cette  ancienne  jurispru- 
dence, tombée  depuis  longtemps  en  désuétude,  et  repoussée  au- 
jourd'hui plus  que  jamais,  par  l'esprit  du  siècle.  Il  s'agit 
uniquement  de  savoir,  ce  qu'il  faut  penser  de  la  sévérité  avec 
laquelle  on  a  si  souvent  jugé,  dans  ces  derniers  temps,  la  con- 
duite des  papes  et  des  conciles  du  moyen  âge  à  l'égard  des 
souverains ,  et  s'il  est  possible  de  l'expliquer ,  et  même  de  la 


(2)  De  Maistre,  ibid.  liv.  11,  chap.  9,  pag.  332. 


696  DEUXIÈME    PARTIE. — POUVOIR   DU    PAPE 

justifier,  par  les  maximes  de  droit  public  alors  en  vigueur. 
Il  résulte  clairement  de  nos  Recherches ,  que  cette  explication, 
adoptée  avant  nous  par  de  savants  auteurs ,  est  solidement  éta- 
blie par  l'histoire;  en  sorte  qu'on  doit  la  regarder  comme  ap- 
puyée tout  à  la  fois  sur  de  solides  raisons,  et  sur  de  graves  au- 
torités. Sans  doute,  quelque  bien  fondée  qu'elle  soit,  elle  ne 
peut  autoriser  le  sentiment  des  théologiens  qui  ont  cru  pouvoir 
expliquer  et  justifier  ,  par  le  seul  droit  divin ,  la  conduite  des 
papes  et  des  conciles  qui  ont  autrefois  déposé  des  princes  tem- 
porels; mais  on  doit  reconnaître  aussi  que  notre  explication, 
quand  même  elle  ne  serait  fondée  que  sur  des  raisons  plausibles 
et  vraisemblables ,  à  plus  forte  raison  en  la  supposant  fondée 
sur  de  solides  raisons,  fournil  une  réponse  péremptoire  à  une 
foule  de  déclamations  odieuses ,  et  mille  fois  répétées,  contre  les 
papes  et  les  conciles  du  moyen  âge. 
343.  Les  développements  que  nous  avons  présentés,  sur  cette ma- 

Pourquoi  ces       . ,  ,  .  , 

déclamations  tiere,  peuvent  également  servir  à  expliquer,  comment  des  decla- 

si  fadiement  mations  si  injustes  et  si  mal  fondées  ont  pu  être  si  facilement 

pa/dT^cri.  adoptées,  non-seulement  par  des  ennemis  déclarés  de  l'Église  et 

.va]ins      du  saint-siége ,  mais  encore  par  un  certain  nombre  d'écrivains 

catholiques.  . 

religieux,  et  sincèrement  attachés  à  l'Église  catholique  et  au 
saint-siége.  Le  pouvoir  exercé  par  les  papes  et  les  conciles  sur 
les  souverains ,  au  moyen  âge ,  quoique  généralement  regardé 
comme  légitime  par  les  contemporains,  ne  pouvait  manquer 
d'être  blâmé ,  avec  plus  ou  moins  d'amertume ,  par  un  petit 
nombre  de  personnes  intéressées  à  soutenir  la  cause  des  princes 
qui  avaient  encouru  les  anathèmes  de  l'Église.  Ces  réclamations, 
d'abord  peu  nombreuses,  et  presque  étouffées  par  l'opinion  gé- 
nérale, furent  depuis  reproduites,  à  diverses  époques,  par  des 
hommes  passionnés,  qui  avaient  un  intérêt  manifeste  à  combat- 
tre le  saint-siége ,  et  à  flétrir  la  mémoire  de  ses  plus  illustres 
pontifes.  Delà  les  déclamations  violentes  d'une  foule  d'écrivains 
protestants  et  incrédules ,  contre  les  papes  et  les  conciles  du 
moyen  âge  ;  déclamations  répétées,  avec  plus  ou  moins  de  légè- 
reté, par  des  catholiques  peu  instruits,  quelquefois  même  par 
des  écrivains  recommandables,  à  certaines  époques  où  les  meil- 
leurs esprits  sont  entraînés,  sans  le  vouloir,  par  le  mouvement 
de  leur  siècle,  ou  par  de  funestes  préjugés.  C'est  ce  qu'on  vit 


SUR   LES   SOUVERAINS.  —  CHAPITRE   IV.  697 

particulièrement  en  France,  pendant  les  contestations  si  longues 
et  si  animées,  qui  s'élevèrent,  à  la  fin  du  xme  siècle,  entre  Boni- 
face  VIII  et  Philippe  le  Bel,  et  à  la  finduxvne,  entre  Louis  XIV  et 
Innocent  XI.  Les  auteurs  même  les  plus  favorables  à  la  France, 
conviennent  que   le  gouvernement  était   alors  extrêmement 
aigri  contre  la  cour  de  Rome  ;  que  plusieurs  prélats  d'un  grand 
crédit  partageaient  cette  fâcheuse  disposition  ;  et  que  l'autorité 
de  ces  prélats,  jointe  à  l'ascendant  du  roi  et  de  ses  ministres, 
répandait  de  tous  côtés,  contre  le  saint-siége,  un  esprit  d'oppo- 
sition, et  même  d'exaspération,  dont  les  personnes  sages  et  pré- 
voyantes ne  pouvaient  s'empêcher  de  craindre  les  suites  (l).  On 
remarque  des  traces  sensibles  de  ce  mouvement  général  et  de 
cette  dangereuse  impulsion,  dans  les  écrits  mêmes  de  plusieurs 
auteurs  aussi  distingués  par  la  solidité  de  leur  esprit  que  par  leur 
attachement  à  l'Église  et  au  saint-siége.  Nous  citerons,  en  parti- 
culier,  la  Défense  de  la  Déclaration  de  1682,  par  Bossuet, 
les  Discours  et  Y  Histoire  Ecclésiastique  de  Fleury  (2).  On  sait 
avec  quelle  sévérité  les  papes  du  moyen  cage,  principalement 
Grégoire  VII  et  ses  successeurs,  sont  jugés  par  ces  écrivains  cé- 
lèbres, dont  l'autorité  en  a  depuis  entraîné  tant  d'autres;  mais 
les  circonstances  mêmes  dans  lesquelles  ils  ont  composé  leurs 
ouvrages,  nous  avertissent  assez,  qu'en  suivant  des  guides  d'ail- 
leurs si  estimables  et  si  éclairés,  on  doit  se  tenir  en  garde  contre 
l'influence  fâcheuse  que  ces  circonstances  ont  du  naturellement 
avoir  sur  leurs  jugements  et  sur  leurs  opiuions. 


(i)  Voyez  les  observations  que  nous  avons  faites  plus  haut  (n.  220),  sur  les 
démêlés  de  Boniface  VIII  et  de  Philippe  le  Bel.  Pour  ce  qui  regarde  les 
contestations  relatives  à  X affaire  de  la  régale,  sous  le  règne  de  Louis  XIV, 
voyez  X Histoire  de  Bossuet,  tom.  n,  liv.  vi,  n.  6,  pag.  124,  etc.  —  Nou- 
veaux Opuscules  de  Fleury,  2e  édition,  pag.  208,  etc.  —  L'Ami  de  la  Re- 
ligion, tom.  xxvi,  pag.  33,  etc.  —  D'Avriguy,  Mémoires  chronol.  et  dogm., 
tom.  m,  années  1681  et  1682. 

(2)  Histoire  de  Bossuet,  Pièces  justificatives  du  liv.  vi,  n.  1.  Remar- 
quez, en  particulier,  les  pag.  393  ,  394,  418,  419,  etc.  Remarquez  aussi  les 
passages  suivants  de  la  Défense  de  la  Déclaration,  lib.  i,  sect.  1,  cap.  7; 
lib.  m,  cap. '2,  9,  10,  et  alibi  passim.  —  Sur  les  Discours  et  l'Histoire  Ec- 
clésiastique de  Fleury,  voyez  Y  Ami  de  la  Religion,  tom  xxn,  pag.  241, 
353 ,  etc.  —  Marchetti ,  Critique  de  l'Histoire  Ecclésiastique  de  Fleury, 
2  vol.  in-8°.  —  Muzzarelli,  Remarques  sur  l'Histoire  Ecclésiastique  de 
Fleury. 


PIÈCES  JUSTIFICATIVES. 


I.  — Page  56. 
Sur  la  conduite  de  Constantin  ,  et  des  empereurs  sesjils,  à  , 
regard  de  l'idolâtrie. 

Jl  y  a ,  sur  ce  point ,  deux  faits  également  attestés  par  les  auteurs 
contemporains,  et  qui  semblent,  au  premier  abord,  difficiles  à  con- 
cilier. D'un  côté ,  Eusèbe ,  et  après  lui  les  plus  anciens  auteurs  ecclé- 
siastiques ,  disent  expressément  que  Constantin  fit  fermer  les  temples 
des  faux  dieux ,  et  défendit  à  tous  ses  sujets  de  leur  offrir  des  sacri- 
fices (1).  D'un  autre  côté,  Libanius  ne  dit  pas  moins  clairement,  que, 

(r)  Eusèbe,  Vita  Const.  lib.  n,  cap.  45;  lib.   iv,  cap.  23  et  25.  —  Théodoret, 

Hist.  Eccl.  lib.  v,  cap.  21 Sozoraène,  Hist.  lib.  111 ,  cap.  17.  —  Orose,    Hist. 

lib.  vu,  cap.  28.  (Tome  vi  de  la  Bibliothèque  des  Pères,  p.  442.) 

M   de  la  Bastie,  dans  son  quatrième  Mémoire  sur  le  Pontificat  des  empereurs 
romains ,  explique  dans  un  tout  autre  sens  le  premier  passage  d'Eusèbe  que  nous  ve- 
nons de  citer.  11  pense  que  la  loi  dont  parle  Eusèbe,  en  cet  endroit,  ne  défendait  pas 
absolument  l'exercice   de  l'idolâtrie,   mais  seulement  ce  qu'il  y  avait  de  plus  abo- 
minable dans  le  culte  des  idoles.   (  Mém.  de  V  Acad.  des  inscript. t  tome  xxu  de 
l'édition  in-12  ,  page  378,  etc.  ;  tome  xv  de  l'édition  in-40)  M.  Beugnot  a  suivi  cette 
interprétation  ,  dans  son   Histoire  de  la  Destruction  du  Paganisme  en   Occident. 
(Tome  1,  page  100.)  En  supposant  la  vérité  de  cette  explication,  le  passage  dont  il 
s'agit  serait  une  simple  allusion  aux  deux  lois  publiées  par  Constantin,  en  3 19,  contre 
la  divination  secrète  ,  comme  on  l'a  vu  plus  haut.  {Tntrod. ,  n.  3g.  )  Mais  cette  expli- 
cation, tout  à  t'ait  inconnue  avant  M.  de  la  Bastie,  est  généralement  rejetée  par  les  criti- 
ques; (Voyez  les  principales  éditions  d'Eusèbe,  particulièrement  celle  d'Heinichen,  Li- 
psiœ,  i83o,  in-8°,  page  1 15;)  etilneparaîtpasque  le  texte  d'Eusèbe  en  soit  susceptible. 
Voici  les  paroles  de  cet  auteur  :  «  Dans  la  suite,  on  publia  deux  lois  en  même  temps; 
«  la  première  défendait  les  abominations  de  V idolâtrie  (rà  pvucrapà  ttjç  etôwXoXa- 
«  xpetaç),  qui  s'exerçaient  auparavant,  soit  à  la  ville,  soit  à  la  campagne.  »   Selon 
M.  de  la  Bastie  et  M.  Beugnot,  ces  paroles  d'Eusèbe,  rà  jxucrapà  rPjç  EtôcoXoXaTpeiaç, 
ne  doivent  pas  s'entendre  dans  un  sens  absolu,  de  X1  abominable  idolâtrie     mais  dans 
un  sens  plus  restreint,   de  ce  qu'il  j  avait  de  plus  abominable  dans  le  culte  des 
idoles  :  ce  qui  désigne  seulement  les  pratiques  de  la  divination  secrète.   Nous  ne 
croyons  pas  que  cette  explication  puisse  être  admise  par  un  helléniste  exercé.  Nous 
pensons  que,  d'après  les  règles  de  la  syntaxe  généralement  reconnues,  la  tournure  em- 
ployée par  Eusèbe  doit  s'expliquer  dans  le  sens  absolu  {l'abominable  idolâtrie)  ;  et 
que   si  Eusèbe  eût  voulu  restreindre  la  défense  aux  actes  les  plus  abominables  de 
l'idolâtrie,  il  n'eût  pas  dit  :  Ta  [uxiapà  xrfi  eïôcoXoXaTçeîaç,  mais  xà  (j.uaaptoT£pa  ou 
{xuaapcoxaxa  ttjç  eïôwXoXaTpeia;.  C'est  le  sentiment  d'un  très-habile  helléniste,  que 
nous  avons  consulté  sur  ce  passage;  sentiment  tout  à  fait  conforme  aux  principes 
établis  sur  ce  point  dans  la  Grammaire  grecque  de  Mathiae.  (Paris,  i83 1-1842.  4  vol. 


700  PIÈCES   JUSTIFICATIVES. 

pendant  toute  la  durée  du  règne  de  Constantin ,  les  païens  conservè- 
rent l'usage  de  leurs  temples ,  et  le  libre  exercice  de  leur  culte  (l). 

La  difficulté  de  concilier  ces  différentes  assertions  a  beaucoup 
exercé  les  critiques  modernes.  Les  uns  ont  tllenent  soutenu  le 
récit  d'Eusèbe,  qu'ils  ont  accusé  de  fausseté  l'assertion  de  Liba- 
nius  (2).  Les  autres ,  préférant  le  récit  de  Libanius ,  ont  abandonné 
celui  d'Eusèbe  et  des  anciens  auteurs  ecclésiastiques  qui  l'ont  suivi  (3). 
D'autres  ont  cru  pouvoir  concilier  tous  ces  auteurs ,  soit  en  adou- 
cissant le  sens  des  expressions  d'Eusèbe  (4) ,  soit  en  supposant  que 
les  lois  prohibitives  de  Constantin  contre  l'idolâtrie  en  général  n'ont 
pas  été  publiées  indistinctement  dans  toutes  les  parties  de  l'empire,  ou 
du  moins  qu'elles  n'ont  pas  été  rigoureusement  exécutées  en  certains 
endroits,  et  surtout  à  Rome,  où  il  eût  été  plus  difficile  d'en  presser 
l'exécution  (5). 

Ce  dernier  sentiment  nous  paraît  être  le  plus  propre  à  lever  la 
difficulté  dont  il  s'agit.  Pour  le  mettre  dans  tout  son  jour,  nous 
croyons  pouvoir  établir  les  trois  assertions  suivantes ,  qui  renfer- 
ment, à  ce  qu'il  nous  semble,  l'éclaircissement  de  toutes  les  diffi- 
cultés qu'on  peut  proposer  sur  cette  matière. 

I.  Il  est  certain  que  l'exercice  public  de  l'idolâtrie  a  été  toléré 
par  Constantin ,  soit  en  Orient ,  soit  en  Occident ,  longtemps  après 
sa  conversion.  Ce  premier  point,  généralement  reconnu  ,  est  d'ail- 
leurs clairement  établi,  1°  par  le  témoignage  unanime  des  auteurs, 
soit  chrétiens,  soit  païens,  contemporains  de  Constantin  (6);  2°  par 
le  texte  des  lois  publiées,  en3i9,  contre  la  divination  secrète  (7); 
3°  par  plusieurs  inscriptions  de  cette  époque ,  qui  supposent  des 
temples,  des  statues,  et  des  autels  érigés  en  l'honneur  des  faux 
dieux,  depuis  la  conversion  de  Constantin (8). 

in-8°.  Voyez  le  tome  ir,  §  320  et  44^.)  A.u  reste,  le  passage  d'Eusèbe ,  dont  il  est  ici 
question,  n'est  pas  le  seul  qui  attribue  à  Constantin  une  prohibition  générale  de  l'ido- 
lâtrie ;  nous  en  avons  cité  deux  autres ,  dont  le  sens  n'est  pas  contesté, 
(x)  Voyez  ci-dessus,  Introd.  p.  56,  note  3. 

(2)  Godei'roy,  Comment,  in  Cod.  Theodos.  lib.  xvi,  til.  10,  n.  3. 

(3)  Quatrième  Mémoire  de  M.  de  la  Bastie,  p.  378,  etc.  —  Beugnot,  Hist.  de  la 
Destruction  du  Paganisme  en  Occident,  tom.  1,  p.  98,  ior,  etc. 

(4)  H.  de  Valois,  Notes  sur  les  divers  passages  d'Eusèbe  que  nous  avons  cités. 

(5)  Tillemont,  Hist.  des  Empereurs,  tom.  iv,  p.  2o3. —  Lebeau,  Hist.  du  Bas- 
Empire,  tom.  1,  liv.  iv,  n.  9. 

(6)  Eusèbe,  Vita  Const.  lib.  ir,  cap.  56.  —  Idem,  Oratio  ad  cœlum  SS.  cap.  11. 
Voyez  aussi  les  témoignages  de  Libanius  que  nous  avons  cités  dans  V Introd.,  p.  56, 
note  3. 

(7)  Cod.  Thêodos.  lib.  ix,  tit.  16,  n.  1  et  2.  On  a  vu  ailleurs  le  texte  de  ces  lois 
(ci-dessus,  p.  55,  notes  1  et  2). 

(8)  Beugnot,  ubi  supra,  p.  106,  etc. 


PIÈCES   JUSTIFICATIVES.  701 

il.  Quoiqu'il  en  soit  de  la  question  de  savoir  si  Constantin  a  ja- 
mais publié  une  loi,  pour  défendre  à  tous  ses  sujets  l'exercice  de  li- 
dolâlrie,  il  est  de  Tait  que  cet  exercice  a  continué,  du  moins  en  cer- 
taines parties  de  l'empire,  et  surtout  à  Rome,  pendant  toute  la 
durée  du  règne  de  ce  prince.  Le  témoignage  de  Libanius(l)  ne 
permet  pas  de  douter  de  ce  fait,  d'ailleurs  confirmé  par  le  témoi- 
gnage unanimedesauteurs  ecclésiastiques,  qui  regardent  l'empereur 
Constance  comme  le  premier  qui  ait  fait  enlever  du  sénat  X autel  de 
la  Victoire  (2). 

HT.  Il  y  a  tout  lieu  de  croire  que  Constantin  a  publié,  dans  les 
derniers  temps  de  sa  vie ,  une  loi  pour  défendre  à  tous  ses  sujets 
l'exercice  de  l'idolâtrie. 

Cette  dernière  assertion ,  la  seule  qui  puisse  offrir  quelque  diffi- 
culté, paraît  établie  par  des  témoignages  positifs,  auxquels  nous  ne 
croyons  pas  qu'on  puisse  opposer  rien  de  solide.  1°  Le  langage 
d'Eusèbe,  sur  ce  point,  est  si  clair,  qu'il  ne  paraît  susceptible  d'au- 
cun adoucissement.  Il  dit  et  répète,  en  plusieurs  endroits  de  la  fie 
de  Constantin,  que  ce  prince  défendit  à  tous  ses  sujets,  dans 
toutes  les  parties  de  l'empire  romain,  d'entrer  dans  les  temples 
des  faux  dieux ,  de  leur  élever  des  statues,  et  de  leur  offrir  des 
sacrifices  (3).  Les  plus  anciens  auteurs  ecclésiastiques  ont  aussi  parlé 
de  cette  prohibition  générale,  comme  d'un  fait  incontestable  (4);  et 
on  ne  voit  pas  que  ce  fait  soit  contredit,  par  aucun  témoignage  po- 
sitif. Le  langage  de  Libanius  prouve  bien  que,  malgré  cette  prohi- 
bition générale,  l'exercice  du  paganisme  continua  d'être  toléré,  du 
moins  en  certaines  parties  de  l'empire;  mais  celte  tolérance  n'est 
pas  incompatible  avec  le  fait  de  la  prohibition  générale;  car  on  peut 
très-bien  supposer,  que  la  loi  qui  renfermait  cette  prohibition,  ne 
fut  publiée  que  dans  certaines  parties  de  l'empire ,  où  l'exécution 
offrait  moins  de  difficultés.  Il  est  certain,  d'ailleurs,  qu'on  trouve 
dans  la  législation  romaine,  à  cette  époque,  plusieurs  autres  lois  qu'on 
pouvait  regarder  comme  de  simples  témoignages  des  sentiments  qui 
animaient  le  chef  de  l'État  ;  l'exécution  de  ces  lois  étant  abandonnée 
à  la  prudence  ou  à  la  bonne  volonté  des  autorités  locales  (5).  Pour  ce 

(i)  Voyez  ci-dessus  la  note  3  de  tapage  56. 

(2)  Voyez  ci-dessus,  p.  67. 

(3)  Eusèbe,  Vita  Const.  lib.  iv,  cap.  23  et  25. 

(4)  Voyez  les  ouvrages  de  Théodoret,  d'Orose  et  de  Sozoraène,  que  nous  avons 
cités  plus  haut  (p.  699,  note  1). 

(5)  Voyez  Beugnot,  ubi  supra,  p.  i38  et  142.  M.  Beugnot  cite,  à  l'appui  de  cette 
assertion,  les  lois  publiées  par  Constantin  et  Constance  contre  la  divination.  Ces  lois, 
en  effet,  étaient  si  mal  exécutées,  qu'il  fallut  souvent  les  renouveler.  On  peut  citer 
encore  les  édits  de  persécution,  publiés  par  les  empereurs  païens  contre  le  ebristia- 


702  PIÈCES   JUSTIFICATIVES. 

qui  regarde  en  particulier  les  lois  publiées  par  les  premiers  empe- 
reurs chrétiens  contre  l'idolâtrie,  il  est  certain  que  la  prudence  ne 
permettait  pas  toujours  d'en  presser  rigoureusement  l'exécution, 
surtout  à  Rome,  où  l'ancien  culte  avait  encore,  dans  le  sénat  et  dans 
plusieurs  familles  distinguées,  un  certain  nombre  de  partisans  qu'il 
importait  de  ménager  (1).  C'est  ce  qu'on  vit  même  sous  le  règne  de 
Théodose  le  Grand,  qui  publia  des  lois  si  sévères,  pour  interdire  à 
tous  ses  sujets  l'entrée  des  temples,  l'immolation  des  victimes,  et 
tous  les  actes  du  culte  païen.  Il  est  certain ,  et  généralement  re- 
connu ,  que  ,  malgré  cette  prohibition  expresse,  l'exercice  de  l'ido- 
lâtrie fut  encore  toléré  à  Rome  pendant  quelque  temps  (2). 

2°  Quoique  le  témoignage  d'Eusèbe  et  des  anciens  auteurs  ecclé- 
siastiques semble  bien  suffisant  pour  établir  le  fait  en  question, 
nous  croyons  qu'on  peut  le  confirmer  par  le  texte  de  la  loi  publiée, 
en  341,  par  l'empereur  Constance,  et  que  nous  avons  citée  plus 
baut(3).  L'empereur  s'autorise  de  l'exemple  de  Constantin,  pour 
défen  ire  absolument  toute  superstition ,  et  toute  espèce  de  sacri- 
fice. S'il  y  avait  dans  son  langage  quelque  chose  d'obscur  ou  d'équi- 
voque, il  serait  suffisamment  éclairci  par  une  loi  publiée  peu  de 
temps  après  par  Constant ,  pour  empêcher  de  démolir  les  temples 
situés  hors  des  murs  de  Rome.  L'empereur  suppose  clairement  dans 
cette  loi,  que  toutes  les  superstitions  païennes  sont  interdites  (4). 


nisme.  Quelque  sévères  que  fussent  ces  édits,  ils  n'étaient  pas  exécutés  avec  la  même 
rigueur  dans  toutes  les  parties  de  l'Empire;  quelquefois  même  ils  tombaient  presque 
généralement  eu  désuétude,  en  sorte  qu'il  fallait  de  nouveaux  édits  pour  renouveler 
la  persécution.  «  C'est  par  ces  renouvellements  de  violence,  selon  la  remarque  de 
«  Bossuet,  que  les  historiens  ecclésiastiques  comptent  dix  persécutions,  sous  dix  em- 
«  pereurs.  »  Bossuet,  ffist.  Univ.,  ire  partie  ;  an  de  J.  C.  95.  (OEuvres  de  Bossuet, 
tom.  xxxv,  p.  102.  ) 

(i)  Beugnot,  ubi  supra,  pag.  97,  i5l,  411»  e^c- 

(2)  Voyez  ci-dessus,  pag.  63,  etc. 

(3)  Ci-dessus,  pag.  57,  note  1. 

(4)  Ibid.  11  est  à  remarquer  que  les  empereurs  chrétiens,  même  les  plus  zélés  pour 
la  religion  chrétienne,  ne  jugeaient  pas  toujours  convenable  de  démolir  les  temples  du 
paganisme;  souvent  ils  croyaient  devoir  les  conserver,  soit  pour  les  consacrer  au 
culte  du  vrai  Dieu,  soit  pour  servir  d'ornement  aux  villes,  soit  pour  d'autres  motifs 
d'intérêt  public.  (Voyez,  à  ce  sujet,  le  Commentaire  de  Godefroy  sur  le  Code  Théo- 
dosien ,  tom.  1,  p.  xxiij ,  lib.  xv,  tit.  1,  n.  36;  lib.  xvi ,  tit.  10,  n.  3  et  25.)  Les 
saints  Docteurs  eux-mêmes  pensaient  que,  lorsque  ces  édifices  n'étaient  plus  pour  le 
peuple  une  occasion  d'idolâtrie,  il  ne  fallait  pas  les  détruire,  mais  les  purifier  et  les 
consacrer  au  culledu  vrai  Dieu.  (S.  Gieg.  Naz.  Epigram.  226. — S.  Augustin,  Epist.  4.7, 
ad  Publicolam)  Oper.  tom.  11.  —  S.  Greg.  Magn.  Epistol,  lib.  11,  Ep.  76,  alias  7  r. 
Oper.  tom.  11.  )  On  peut  voir,  dans  ÏHist.  de  la  Destruction  du  Pagan.  en  Occi- 
dent, par  Beugnot  (tom.  1,  p.  25g;  11,  x34,  etc.),  une  assez  longue  liste  des  temples 
ou  oratoires  qu'on  voyait  à  Rome ,  sous  Yalentinieu  1er  et   Honorius.  Mais  l'auteur 


PIÈCES   JUSTIFICATIVES.  703 

Quelques  ailleurs  modernes  prétendent  que  ces  deux  lois  ne  con- 
damnent pas  indistinctement  toutes  les  cérémonies  païennes,  mais 
uniquement  celles  de  la  divination  secrète,  désignées  par  le  mot 
superstition ,  qui  se  prend  toujours  en  mauvaise  part,  c'est-à-dire, 
pour  des  pratiques  ou  des  cérémonies  non  autorisées  (1).  Mais  cette 
explication ,  imaginée  par  quelques  auteurs  modernes ,  qui  en  avaient 
absolument  besoin  pour  défendre  leur  système  (2) ,  paraît  évidem- 
ment contraire  au  sens  propre  et  naturel  du  mot  superstition,  dans 
la  loi  dont  il  s'agit.  Il  est  certain,  en  effet,  que,  dans  le  langage 
des  empereurs  chrétiens,  comme  dans  celui  de  tous  les  auteurs  ec- 
clésiastiques, le  mot  superstition  désigne  indistinctement  toutes  les 
cérémonies  païennes.  Parmi  tant  de  citations  que  nous  pourrions 
faire  à  l'appui  de  cette  assertion ,  il  nous  suffira  d'indiquer  la  pre- 
mière loi  de  Constantin  contre  la  divination  secrète;  l'empereur  y 
dit  expressément,  que  ceux  qui  veulent  suivre  leur  superstition , 
peuvent  le  faire  en  public  (3).  Il  est  évident  que,  dans  ce  pas- 
sage, le  mot  superstition  ne  désigne  pas  seulement  les  cérémonies 
de  la  divination  secrète,  mais  toutes  les  cérémonies  païennes  en 
général. 

On  peut  juger,  d'après  ces  observations,  avec  combien  peu  de 
fondement  M.  Beugnot,  dans  son  Histoire  de  la  destruction  du  Pa- 
ganisme en  Occident  (4),  reproche  si  durement  à  Eusèbe  et  à  tous 
les  anciens  auteurs  ecclésiastiques,  d'avoir  attribué  à  Constantin 
une  prohibition  générale  de  l'idolâtrie.  Il  était  sans  doute  permis  à 
M.  Beugnot  de  proposer  ses  difficultés  sur  ce  point,  comme  avaient 
fait  avant  lui  quelques  critiques;  mais  lui  convenait-il  de  prendre  un 
ton  si  décisif  et  si  tranchant,  sur  une  question  qui  leur  a  paru  jus- 
qu'à présent,  et  qui  leur  paraît  encore  aujourd'hui  si  douteuse  (5)? 
Il  eût  évité  cet  excès ,  et  bien  d'autres  éearls  qu'on  lui  a  justement 
reprochés,  s'il  n'eût  pris  pour  base  de  son  travail  un  principe  égale- 
ment contraire  à  la  saine  critique,  et  à  l'exemple  des  plus  sages  his- 


avance  bien  gratuitement,  que,  sous  Valentinien  1er,  la  majeure  partie  des  édifices 
païens  de  Rome  étaient  encore  employés  aux  cérémonies  de  l'ancien  culte.  (T.  i, 
pag.  268.) 

(1)  Quatrième  Mémoire  de  M.  de  la  Bastie,  p.  383. — Beugnot,  ubi  supra,  p,  100, 
i38„ i3g. 

(2)  M.  de  la  Bastie  est  le  premier,  à  notre  connaissance,  qui  ait  mis  en  avant  cette 
explication. 

(3)  Cod.  Theodos.  lib.  ix,  tit.  16,  n.  1.  Nous  avons  cité  ailleurs  le  texte  de  cette 
loi  (ci-dessus,  pag.  55,  note  1  ). 

(4)  Beugnot,  ubi  supra,  pag.  98,  io5,  107,  etc. 

(5)  Heinichen,  Notes  sur  Eusèbe,  Fit,  Constant,  lib.  il,  cap.  45.  Lipsiœ,  i83o, 
in-8°,  pag.  n5. 


704  PIECES   JUSTIFICATIVES. 

toriens,  savoir  :  que  pour  bien  écrire  l'histoire  de  la  chute  du  pa- 
ganisme, il  faut  se  délier  des  auteurs  chrétiens,  et  s'attacher 
principalement  aux  écrits  de  leurs  adversaires  ;  et  cela ,  sous  pré- 
texte qu'on  trouve  dans  les  premiers  trop  de  préventions ,  de 
préjugés  y  et  de  haines  (1)  :  comme  si  les  auteurs  païens  n'étaient 
pas  bien  plus  justement  suspects,  à  cet  égard,  que  les  chrétiens, 
aux  yeux  d'un  esprit  droit  et  impartial  (2).  («Pour  réfuter  cette 
«étrange  assertion,  dit  un  critique  judicieux ,  il  n'est  pas  nécessaire 
«  d'établir  un  long  parallèle  entre  les  historiens  des  deux  religions. 
«  Lisez  le  plus  grave ,  et  en  apparence  le  plus  impartial  des  hislo- 
«  riens  païens  ;  et  voyez  s'il  existe  ,  dans  les  récits  d'Eusèbe,  de 
«  Socrate,  de  Sozoniène,  une  seule  prévention  contre  le  paganisme, 
«  comparable  à  celle  qu'exprime  Tacite  contre  les  chrétiens.  Il  croit 
«aux  bruits  populaires,  aux  calomnies  les  plus  absurdes,  jugées 
«  telles  par  M.  Beugnol  lui-même,  et  par  tout  homme  de  bon  sens. 
«Les  historiens  chrétiens  ont-ils  reproché  au  paganisme,  et  parti- 
«  culièrement  à  ses  mystères ,  une  seule  turpitude,  dont  l'existence 
«  ne  soit  prouvée  par  les  monuments  dune  origine  païenne?  Nous 
«nous  en  rapportons  là-dessus  à  M.  Beugnot  lui-même,  et  aux 
«poètes,  aux  orateurs,  aux  historiens  de  l'antiquité.  Où  sont  donc 
«  les  préventions  dont  il  parle?  Où  sont  les  haines  qu'il  reproche 

«  aux  chrétiens? M.  iieugnot  croit  qu'à  l'époque  de  la  lutte  du 

«  paganisme ,  il  était  permis  de  lui  vouer  quelque  chose  de  plus  que 
«  de  l'inimitié.  Hé  bien,  cette  inimitié,  comme  le  prouve  l'histoire, 
«  les  chrétiens  ne  se  la  sont  jamais  permise ,  du  moins  contre  les 
«  individus  ;  et  ils  ont  poussé  aussi  loin  que  possible  la  tolérance 
«  pour  les  erreurs,  dans  le  temps  même  où  ils  défendaient  des  vé- 
«  rites  si  propres  à  enflammer  leur  zèle.  Pourquoi  supposer  que  de 
«  tels  hommes  ont  été  des  historiens  passionnés?  Pourquoi  supposer 
«  au  contraire  que  ceux  qui  appartiennent  à  un  culte,  dont  les  sec- 
«tateurs  furent,  pendant  trois  siècles,  si  atroces  contre  les  chré- 
«  tiens,  et  depuis  encore  si  obstinés  (dans  leurs  erreurs),  sont  des 
«  organes  de  la  vérité,  plus  fidèles  et  plus  dignes  de  confiance?  Nous 
«ne  pouvons  en  vérité,  avec  la  meilleure  volonté  du  monde,  con- 
«  cilier,  sur  ce  point,  les  assertions  de  l'auteur  entre  elles ,  ni  avec 
«  des  faits  qu'il  n'essaye  pas  de  contester  (3).  » 

(i)  Beugnot,  ubi  supra,  pag.  4> 

(2)  Voyez  le  compte-rendu  de  l'ouvrage  de  M.  Beugnot,  en  i835,  dans  l'Ami 
delà  Religion  (tom.  i.xxxvii  ,  pag.  257,  3o5,  385,  465  et  5g3);  et  en  i836, 
dans  les  Annales  de  Philos,  chrét.  (tom.  xn,  pag.  7,  etc.).  Le  jugement  porté,  dans 
ces  deux  recueils,  sur  l'ouvrage  de  M.  Beugnot,  a  été  confirmé  depuis  par  un  décret 
de  la  congrégation  de  Y  Index,  du  4  juillet  1837. 

(3)  L'Ami  de  la  Rel.,  ibid,,  pag.  258  et  260. 


PIÈCES  JUSTIFICATIVES.  705 

IL—  Page  107,  etc. 
Sur  la  valeur  des  offrandes  faites ,  par  Constantin ,  aux  princi- 
pales églises  de  Rome  et  des  environs. 

La  difficulté  d'établir  sur  des  bases  parfaitement  exactes  les  éva- 
luations dont  il  s'agit,  et  le  partage  qui  existe,  sur  ce  point,  entre  les 
savants,  nous  obligent  à  nous  contenter  ici,  à  leur  exemple,  d'éva- 
luations et  de  calculs  approximatifs.  Toutefois,  la  lecture  et  la  com- 
paraison attentive  des  auteurs  qui  ont  traité  avant  nous  cette  ma- 
tière ,  nous  ont  donné  lieu  de  corriger,  sur  quelques  points ,  les 
bases  adoptées  par  Fieury  et  plusieurs  autres  qui  l'ont  suivi,  et 
d'arriver,  sinon  à  l'évaluation  exacte  et  rigoureuse  des  sommes  en 
question ,  du  moins  à  une  évaluation  beaucoup  plus  vraisemblable 
et  mieux  fondée  (1). 

Nous  supposons,  avec  les  auteurs  qui  ont  le  plus  approfondi  cette 
matière  :  1°  que ,  sous  Constantin  et  ses  successeurs,  la  livre  ro- 
maine se  divisait  en  12  onces  ;  2°  que  ces  12  onces  n'étaient  pas  tout 
à  fait  égales  à  celles  de  notre  poids  de  marc ,  et  valaient  tout  au 
plus  11  de  ces  dernières  (2);  3°  qu'on  taillait  alors  dans  la  livre  d'or 
72  sous  ou  besants  d'or  ;  4°  que  d'après  les  renseignements  pris  à 
l'hôtel  des  monnaies  de  Paris,  au  mois  d'août  1833,  le  prix  actuel 
du  kilogramme  d'or  (in,  est  de  3434  fr.  44  cent.;  et  celui  du  kilo- 
gramme d'argent  fin,  de  218  fr.  88  cent.;  ce  qui  porte  le  prix  actuel 
du  marc  d'or  à  840  fr.  60  cent. ,  et  le  prix  du  marc  d'argent  à 
53  fr.  57 cent.  (3);  5°  que,  d'après  ces  principes,  Te  sou  d'or,  sous 

(î)  Les  principaux  auteurs  à  consulter,  sur  cette  matière,  sont  :  Ducange,  Glossarium 
infimœ  Latinit ,  verbis  Libra,  UnciaiSolidus,  etc Leblanc,  Traité  hist  des  Mon- 
naies de  France  ;  Paris,  1690,  iu-40 — Paucton,  Métrologie;  Paris,  1780,  in-40. — 
Letronne  ,  Considér.  génér.  sur  l'évaluation  des  Monnaies  grecques  et  romaines; 
Paris,  1817,  in-40. — Idem,  Eclaircissements  hist.  faisant  suite  aux  OEuvres  de  Roi- 
lin  ;  Paris,  1825  ,  in-8°,  pag.  1  ,  etc.  —  Naudet ,  Des  changements  opérés  dans 
l'administration  de  l'Empire,  tom.  H,  pag.  3i9,  etc. 

Dans  le  détail  de  nos  évaluations,  nous  suivons  généralement  les  calculs  de  Paucton , 
dont  l'ouvrage  est  beaucoup  plus  complet  que  les  autres,  et  renferme  des  documents 
relatifs  à  tous  les  temps  et  à  tous  les  pays.  Pour  ce  qui  regarde  en  particulier  l'évalua- 
tion des  monnaies  grecques  et  romaines,  ses  calculs  diffèrent  peu  de  ceux  de  M.  Le- 
tronne. 

(2)  Selon  Paucton,  les  12  onces  romaines  valaient  10  onces  23/24  de  notre  poids 
de  marc  ;  selon  M.  Letronne,  elles  ne  valaient  que  10  onces  3/4;  selon  Leblanc, 
10  onces  2/3.  Pour  faciliter  le  calcul,  sans  entrer  dans  une  discussic-n  épineuse  et  peu 
utile,  nous  supposons  simplement  que  les  12  onces  romaines  valaient  environ  n  de 
nos  onces.  Tous  nos  calculs  sont  fondés  sur  cette  supposition. 

(3)  Nous  prenons  pour  base  de  nos  évaluations,  le  prix  de  l'or  et  de  l'argent  fins, 
soit  qu'il  s'agisse  d'évaluer  d'anciennes  monnaies,  ou  d'autres  objets  d'art,  en  or  et  en 
argent.  Toutefois,  il  est  certain  que  le  métal  employé  pour  la  fabrication  des  monnaies, 

45 


706  PIÈCES  JUSTIFICATIVES. 

Constantin  et  ses  successeurs,  valait  environ  16  fr.  cle  notre  mon- 
naie actuelle. 

Telles  sont  les  bases  du  calcul  d'après  lequel  nous  avons  évalué 
les  différentes  sommes  dont  parle  Anastase,  dans  le  f!exte  que  nous 
expliquons.  En  effectuant  le  calcul  d'après  ces  principes,  on  trou- 
vera, 1°  que  les  seuls  ornements  d'or  et  d'argent  offerts  par  Con- 
stantin à  l'église  et  au  baptistère  de  Latran,  formaient  environ 
942  marcs  d'or,  et  17,796  marcs  d'argent;  2°  que  tous  ces  orne- 
ments réunis  reviennent  à  plus  de  1,700,000  francs  de  notre  mon- 
naie, sans  les  façons;  3°  que  les  biens-fonds  donnés  à  la  même  ba- 
silique lui  procuraient  un  revenu  annuel  d'environ 233,664  francs; 
4°  enfin ,  que  les  biens-fonds  donnés  aux  autres  églises  de  Rome , 
leur  rapportaient  annuellement  environ  262,016  francs. 

En  comparant  ce  calcul  avec  celui  de  Fleury,  on  trouve  entre  l'un 
et  l'autre  une  différence  considérable  (1).  D'après  le  calcul  de  cet 
auteur,  il  faudrait  diminuer  environ  d'un  quart,  la  valeur  des  orne- 
ments d'or  et  d'argent  donnés  à  l'église  et  au  baptistère  de  Latrar;  ; 
et  il  faudrait  diminuer  de  moitié,  la  valeur  du  revenu  annuel  assigné 
en  biens- fonds  à  cette  église ,  et  à  toutes  les  autres  dont  nous  venons 
de  parler. 

Cette  différence  entre  les  évaluations  de  Fleury  et  les  nôtres,  a 
tout  à  la  fois  pour  principes,  l'opposition  qui  se  trouve  entre  les  dif- 
férentes éditions  du  texte  d' Anastase,  et  les  bases  fautives  d'après  les- 
quelles Fleury  paraît  avoir  fait  ses  calculs.  Nous  avons  déjà  fait  re- 
marquer qu'il  avait  suivi  l'édition  d' Anastase  donnée  par  le  Pf  Labbe, 
qui  diffère,  sur  plusieurs  points,  des  éditions  plus  correctes  de 
Bianchini  et  de  Muratori.  De  plus,  Fleury  a  pris  pour  bases  de  son 
calcul,  des  suppositions  que  nous  ne  pouvons  admettre,  soit  parce 
qu'elles  n'étaient  pas  exactes  dans  le  temps  même  où  il  écrivait, 
soit  parce  que  le  prix  de  l'or  et  de  l'argent  est  aujourd'hui  très- 
différent  de  ce  qu'il  était  à  cette  époque. 

et  à  plus  forte  raison  celui  qu'on  emploie  pour  la  confection  des  divers  objets  d'art, 
n'a  pas  toujours  le  même  degré  de  finesse,  et  contient  toujours  plus  ou  moins  d'alliage. 
Mais  l'impossibilité  de  déterminer  la  quantité  de  l'alliage,  dans  les  métaux  employés  à 
diverses  époques,  soit  pour  la  fabrication  des  monnaies,  soit  pour  la  confection  des 
objets  d'art,  nous  oblige  à  faire  abstraction  de  cette  circonstance,  et  à  prendre  le  prix  ac- 
tuel de  l'or  fin,  pour  base  de  tous  nos  calculs.  Cette  abstraction  a  peu  d'importance,  dans 
l'évaluation  des  anciennes  monnaies,  qui  étaient  à  peu  près  au  même  titre  que  celles 
des  temps  modernes.  Elle  a  sans  doute  plus  d'importance,  dans  l'évaluation  des  objets 
d'art,  où  la  quantité  de  l'alliage  est  tout  à  la  fois  plus  considérable  et  plus  variable; 
mais  l'erreur  de  nos  calculs,  dans  ce  dernier  cas,  relativement  à  l'évaluation  de  l'or  et 
de  l'argent ,  est  à  peu  près  compensée  par  le  prix  des  façons,  que  nous  négligerons 
absolument. 

(i)  Fleury,  Mœurs  des  Israël.,  n.  5o. —  Hist.  Ecclés.,  tom.  m,  liv.  xi,  n.  36. 


PIÈCES  JUSTIFICATIVES.  707 

En  effet,  Fleury  suppose,  1°  que  la  livre  romaine  valait  12  onces 
de  notre  poids  de  marc;  2°  que  le  marc  d'or  fin  valait  eu  France, 
à  la  lin  du  xvne  siècle,  450  livres  tournois;  et  le  marc  d'argent 
30  livres;  3°  enfin,  que  le  sou  d'or,  sous  Constantin  et  ses  succes- 
seurs, valait  8  liv.  5  sous  de  notre  monnaie.  A  l'appui  de  ces  sup- 
positions, Fleury  indique  l'ouvrage  déjà  cité  de  Leblanc.  Toutefois, 
il  est  à  remarquer  que  Fleury  ne  suit  même  pas  exactement  les 
principes  de  cet  auteur  ;  nous  ignorons  si  c'est  à  dessein  ou  par 
distraction  qu'il  s'en  écarte  en  plusieurs  points.  Leblanc  suppose, 
1°  que  les  12  onces  de  la  livre  romaine  n'étaient  pas  égales  à  celles 
de  notre  poids  de  marc,  et  n'en  valaient  guère  que  10  onces 
deux  tiers  (1);  2°  que  le  marc  d'or  fin  valait,  en  1689,  447  livres, 
7  sous,  2  deniers  tournois;  et  le  marc  d'argent  lin,  29  livres, 
7  sous  (2);  3°  que  le  sou  d'or,  sous  Constantin  et  ses  successeurs, 
valait  8  livres,  7  sous,  10  deniers  tournois  (3).  Suivant  ces  dernières 
évaluations,  il  faudrait  diminuer  un  peu  la  valeur  des  différentes 
sommes  adoptées  par  Fleury,  dans  l'explication  du  texte  d'Anastase. 

Il  résulte  de  cet  exposé,  qu'une  des  principales  causes  de  la  diffé- 
rence qui  se  trouve  entre  les  évaluations  de  Fleury  et  les  nôtres ,  ce 
sont  les  variations  que  le  prix  de  l'or  et  de  l'argent  a  subies,  depuis 
la  fin  du  xvne  siècle.  Plusieurs  auteurs  ont  expliqué  les  causes  de 
ces  variations  si  fréquentes,  en  France  comme  ailleurs,  aux  diffé- 
rentes époques  de  notre  histoire ,  et  si  importantes  à  remarquer, 
pour  concilier  ou  expliquer  les  auteurs  qui  ont  essayé,  à  diverses 
époques,  d'évaluer  les  anciennes  monnaies,  en  les  comparant  avec 
les  nouvelles.  On  peut  consulter,  sur  cette  matière,  le  Traité  his- 
torique des  Monnaies  de  France,  par  Leblanc  (Paris,  1690,  in-4°). 
On  trouve,  à  la  fin  de  cet  ouvrage,  un  tableau  détaillé  des  varia- 
tions dont  il  s'agit,  depuis  l'an  1113  jusqu'en  1689.  Ce  tableau  est 
continué  jusqu'en  1726,  à  la  fin  de  l'ouvrage  de  Abot  de  Bazinghen, 
Traité  des  Monnaies  (Paris,  1764,  2  vol.  in-4°).  Pour  les  temps 
postérieurs ,  on  peut  consulter  la  Métrologie  de  Paucton  (pages  333, 
717,  939),  et  le  Dictionnaire  des  arbitrages y  par  Corbaux(2  vol. 
in-4°,  tome  i ,  page  47  ,  etc.).  11  résulte  des  renseignements  puisés 
dans  ces  divers  ouvrages,  que  le  marc  d'or  fin  valait,  en  1689, 
447 livres,  7  sous,  2 deniers  tournois  ;  en  1692,  450  livres;  en  1720, 
600  livres;  en  1726,  740  livres;  en  1780,  793  livres,  10  sous;  en 
1802,  828 livres,  12 sous.  Le  marc  d'argent  fin  valait,  en  1689, 

« 

(i)  Leblanc,  Traité  des  Monnaies,  pag.  3. 

(2)  Voyez  le  tableau  qui  termine  l'ouvrage  déjà  cité  de  Leblanc. 

(3)  Leblanc,  ibid.,  pag.  6. 

45. 


708  PIÈCES  JUSTIFICATIVES. 

29  livres,  7  sous;  en  1706,  36  livres;  en  1709,  40  livres;  en  1720, 
60  livres;  en  1726,  51  livres,  3  sous;  en  1780,  54  livres,  17  sous; 
en  1802,  53  livres,  9  sous. 


III.  — Page  123. 

Sur  les  8,000  livres  d'or  trouvées,  par  saint  Jean  V Aumônier, 
dans  le  trésor  de  son  église. 

Ce  fait  est  consigné  dans  le  testament  de  saint  Jean  l'Aumônier, 
rapporté  dans  sa  Vie  écrite  par  Léonce ,  auteur  contemporain ,  et 
par  Siméon  Métaphraste ,  qui  écrivait  environ  trois  siècles  plus 
tard  (1).  Le  texte  de  Léonce  porte,  que  le  saint  patriarche  remercie 
Dieu,  de  ce  qu'au  moment  de  sa  mort,  il  ne  lui  reste  plus  que  le 
tiers  d'un  sou  aVor  [unus  tremissis)  ;  tandis  qu'à  son  avènement  au 
siège  patriarcal ,  il  avait  trouvé ,  dans  le  trésor  de  son  église ,  environ 
quatre-vingts  centenaires  d'or  {circiter  octoginta  centenaria 
auri).  Au  lieu  de  ces  dernières  paroles ,  le  texte  de  Métaphraste 
porte  :  circiter  octo  millia  librarum  auri  ;  ce  qui  suppose  claire- 
ment que  le  centenaire  d'or,  dont  parle  Léonce ,  signiQe  cent  livres 
d'or.  Baronius ,  dans  ses  Annales  ,  a  suivi  cette  interprétation  (2). 
11  paraît  en  effet  que  ces  mots,  centenarium  auri  (xevxyjvapiov  xpudou), 
dans  les  auteurs  grecs  et  latins  du  moyen  âge,  signifient  constam- 
ment cent  livres  pesant  d'or  (3). 

En  prenant  pour  bases,  l'estimation  de  la  livre  romaine  adoptée 
par  Paucton,  et  le  prix  actuel  du  marc  d'or  (4) ,  les  8,000  livres  d'or 
dont  il  est  ici  question  équivalent  à  peu  près  à  1 1 ,000  marcs  d'or, 
c'est-à-dire,  à  9,246,600  francs  de  notre  monnaie;  somme  vraiment 
énorme ,  et  qui  paraît  avoir  donné  lieu  à  quelques  auteurs  mo- 
dernes de  soupçonner  une  faute  dans  le  texte  de  Léonce ,  ou  dans 
l'interprétation  que  lui  donne  Métaphraste.  Toutefois ,  quelque  éton- 
nante que  soit  la  somme  dont  parlent  ces  deux  historiens,  elle  ne 
paraîtra  pas  incroyable ,  si  l'on  se  rappelle  les  détails  que  Thistoire 
profane  nous  a  conservés ,  sur  les  richesses  prodigieuses  de  plusieurs 
anciens  temples ,  consacrés  à  de  célèbres  divinités.  Le  trésor  du 
temple  d'Apollon ,  à  Delphes ,  malgré  les  différents  pillages  qu'il 
avait  soufferts  avant  le  règne  de  Philippe,  roi  de  Macédoine,  possé- 

(i)  Bollandus,  Mens.  Januar.  tom.  n,  pag.  5i5  et  52g.  ] 

(2)  Baronius,  Annales,  anno  620,  n.  8. 

(3)  Ducange,  Glossarium  injitnœ  Grœcitatis,  verbo  Kevr^vapiov.  —  Gl^ssarium 
injlmœ  Latin.,  verbo  Centenarium.  —  Jac.  Godefroy,  Comment,  in  Cod.  Theodos. 
lib.  xvi,  tit.  23,  n.  2. 

(4)  Voyez  ci-dessus  le  n°  H  des  Pièces  justificatives,  pag.  705. 


P1KCES  JUSTIFICATIVES.  709 

dait  encore ,  à  l'époque  de  la  guerre  sacrée ,  entreprise  par  ce  prince 
contre  les  Phocéens  (environ  350  ans  avant  Jésus-Christ)  une  quan- 
tité d'or  équivalente  à  plus  de  58  millions  de  notre  monnaie  (1).  Les 
seuls  ornements  d'or  du  temple  de  Jupiter  Capitolin ,  à  Rome ,  sous 
Domitien,  valaient,  au  témoignage  de  Plutarque,  plus  de  12,000  ta- 
lents, c'est-à-dire,  plus  de  60  millions  de  notre  monnaie  (2).  Le 
trésor  du  temple' de  Bélus,  à  Babylone,  n'était  guère  moins  consi- 
dérable, au  témoignage  d'Hérodote  et  de  Diodore  de  Sicile  (3).  La 
haute  idée  que  les  anciens  auteurs  nous  donnent  de  la  magnificence 
de  plusieurs  autres  temples  célèbres  de  la  Grèce,  de  l'Asie,  et  des 
principales  villes  de  l'Italie ,  nous  autorise  à  penser  qu'ils  possé- 
daient aussi  des  richesses  comparables  à  celles  des  fameux  temples 
dont  nous  venons  de  parler  (4).  Toutes  ces  richesses  étaient  bien 
surpassées  par  celles  du  temple  de  Jérusalem  (5).  Une  vigne  d'or, 
qui  en  ornait  les  colonnes  et  les  murs  intérieurs ,  et  qui  fut  enlevée 
par  Pompée,  60  ans  avant  Jésus-Christ,  valait  à  elle  seule  dix  mille 
talents,  c'est-à-dire,  environ  6,000,000  de  notre  monnaie.  Les  trésors 
enlevés  clans  le  temple ,  quelques  années  après ,  par  Crassus ,  surpas- 
saient la  valeur  de  10,000  talenls,  c'est-à-dire,  environ  60,000,000. 
Malgré  ces  pertes  et  plusieurs  autres ,  le  temple  possédait  encore ,  à 
l'époque  de  sa  destruction,  une  si  grande  quantité  d'or,  que,  par 

(i)  Voyez  ci-dessus,  pag.  io  de  l' Introduction. 

(2)  Plutarque,  Vie  de  Publicola  (pag.  io5  de  l'édition  in-fol.  des  OEuvres  de 
Plutarque  ;  Paris,  1624).  Le  P.  Brotier,  dans  ses  Notes  sur  Tacite  (Hist.,  lib.  îv, 
cap.  53),  évalue  ces  12,000  talents,  à  65, 362, 5oo  livres  tournois.  Il  faut  porter  cette 
somme  à  72  millions,  si  l'on  adopte  le  calcul  de  Paucton,  qui  donne  au  talent  attique 
la  valeur  de  6,000  dragmes  ou  6,000  livres  tournois.  ( Paucton,  Métrologie,  pag.  3i8, 
366et758.) 

(3)  Hérodote,  Hisi.  lib.  ï,  cap.  181.  —  Diod.  de  Sicile,  Hist.,  lib.  îr,  n.  g.  Selon 
ces  auteurs,  les  richesses  du  temple  de  Bélus  valaient  6, 3oo  talents  babyloniens.  En 
supposaut,  avec  Paucton,  que  le  talent  babylonien  valait  7,5oo  dragmes  attiques,  ou 
7,5oo  livres  tournois,  les  6,3oo  talents  babyloniens  valaient  47>25o, 000  francs  de 
notre  monnaie.  (Paucton,  Métrologie,  pag.  320  et  35g.) 

Rollin,  dans  son  Hist.  Ane.  (tom.  ir,  liv.  m,  ch.  r,  §  2),  porte  cette  valeur  à  la 
somme  exorbitante  de  225,5oo,ooo  livres  tournois  ;  le  P.  Brotier,  dans  ses  Notes  sur 
Tacite  (édition  in-4°,  tom.  iv,  pag.  5i7),  à  400,000,000;  M.  Letronne,  dans  ses 
Notes  sur  le  passage  déjà  cité  de  Rollin  ,  à  662,000,000.  Il  serait  trop  long,  et  assez 
peu  utile,  d'examiner  en  détail  les  bases  de  ces  divers  calculs,  dont  les  résultats,  selon 
la  remarque  de  M.  Letronne,  sont  tout  à  fait  incroyables.  M.  Raoul  Rochette,  dans  son 
Cours  d'Archéologie  de  i835,  adopte  la  somme  de  64,000,000  (Annales  de  Philos, 
chrét.,  tom.  xr,  p.  i44)- 

(4)  Le  P.  Brotier  a  recueilli,  sur  ce  point,  des  documents  curieux,  dans  ses  Notes 
sur  Tacite.  (Édition  in-40,  tom.  iv,  pag.  476,  5r4,  etc.)  Mais  quelqus-unes  de  ces 
évaluations  ont  besoin  d'être  vérifiées ,  particulièrement  celles  qui  regardent  les  ri- 
chesses du  temple  de  Bélus. 

(5)  Brotier,  Notes  sur  Tacite,  tom.  iv  de  l'édition  in-40,  Pag'  549,  ^55,  etc. 


710  PIÈCES  JUSTIFICATIVES. 

suite  du  pillage  qui  en  fut  fait  par  les  Romains ,  le  prix  de  l'or  et 
des  denrées  diminua  de  moitié  clans  toute  la  Syrie  (1).  E<t-il 
étonnant ,  après  cela ,  que  la  première  église  patriarcale  de  l'O- 
rient  ait  possédé ,  au  vue  siècle ,  une  quantité  d'or  six  fois  moins 
considérable  que  celle  du  temple  de  Delphes,  et  sept  ou  huit  fois 
moins  que  celle  du  temple  de  Jupiter  Capitolin?  Cette  supposition 
pourrait  paraître  invraisemblable ,  si  le  récit  de  Léonce  et  de  Mé- 
\  taphraste  nous  obligeait  de  croire,  que  la  somme  dont  il  est  ici  ques- 
tion consistât  uniquement  en  espèces  ;  mais  on  peut  très-bien  sup- 
poser qu'elle  consistait  principalement  en  vases  sacrés,  ustensiles, 
et  autres  objets  précieux ,  qui  se  conservaient  ordinairement  dans 
le  trésor  des  églises.  Les  autres  détails  que  l'histoire  de  cette  époque 
nous  a  conservés  sur  les  richesses  des  églises  de  Rome  et  d'Alexan- 
drie, viennent  à  l'appui  de  ces  réflexions  (2).  La  grande  autorité 
dont  jouissaient  alors  ces  deux  Églises,  l'étendue  de  leur  juridiction, 
les  revenus  considérables  qu'elles  possédaient  depuis  plusieurs  siècles, 
leurs  aumônes  prodigieuses,  tout  concourt  à  éloigner  le  soupçon  d'er- 
reur ou  d'exagération,  dans  les  textes  de  Léonce  et  deMétaphraste. 
Ces  considérations  acquièrent  un  nouveau  poids,  lorsqu'on  exa- 
mine de  près  les  conjectures  des  savants  qui  ont  essayé  de  corriger 
le  texte  des  anciens  auteurs ,  sur  le  point  dont  il  s'agit.  Fleury, 
D.  Ceillier,  Berault- Bercastel,  et  quelques  autres,  au  lieu  de 
8,000  livres  d'or,  supposent  qu'il  n'est  ici  question  que  de  4,000  li- 
vres (3)  ;  mais  ils  n'apportent  aucune  raison  de  cette  réduction  ;  et 
nous  ne  voyons  pas  sur  quoi  elle  peut  être  fondée  ;  car  elle  contre- 
dit manifestement  le  texte  des  deux  auteurs  qu'il  s'agit  d'expli- 
quer. Alban  Butler  suppose  qu'il  ne  s'agit  pas  ici  de  8,000  livres 
d'or,  mais  de  8,000  pièces  d'or  (4).  Cette  supposition  paraît  aussi 
arbitraire  et  aussi  peu  fondée  que  la  précédente.  Il  est  vrai  que , 
plusieurs  siècles  avant  saint  Jean  l'Aumônier,  c'est-à-dire ,  sous  le 
règne  d'Héliogabale ,  il  existait,  dans  l'empire  romain,  une  monnaie 
d'or,  nommée  centenarius  aureus,  équivalente  à  cent  sous  d'or  (5). 
Mais  l'historien  Lampride ,  qui  parle  de  cette  monnaie ,  dit  expres- 

(i)  Joseph,  De  Bello  Jud.  lib.  v,  cap.  5;  lib.  vr,  cap.  i3. 

(2)  Voyez  les  détails  que  nous  avons  donnés,  sur  ce  sujet,  dans  VIntrod.  de  cet 
ouvrage  (art.  2,  §  3,  pag.  106,  etc.).  On  trouve  de  semblables  détails,  dans  les  Fies 
des  Papes  postérieurs  à  saint  Silvestre. 

(3)  Fleury,  Hisl.  Eccl.y  torn.  vin,  liv.  xxxvri ,  n,  ï2.  —  D.  Ceillier,  Hist.  des 
Auteurs  eccl.,  tora.  xvn,  pag.  608. —  Berault-Bercastel,  Hist.  de  l'Egl-,  tora.  nr, 
liv.  xxi. 

(4)  Alban  Butler,  Vie  des  Pères,  etc.,  3o  janvier,  pag.  541. 

(5)  Lampride,  Pita  Alex.  Sev.  cap.  3g.  (Tom.  Ier  du  recueil  intitulé  :  Hist.  Au~ 
gustœ  Script,  Lugd.  Batav.  1661,  in-8°.) 


PIÈCES  JUSTIFICATIVES.  711 

sèment  qu'elle  fut  détruite  par  Alexandre  Sévère ,  et  que  ce  prince 
défendit  absolument  d'en  faire  usage  à  l'avenir.  En  effet,  depuis  le 
règne  de  ce  prince,  on  ne  !rouve  plus  dan;  l'histoire  aucune  men- 
tion de  cette  ancienne  monnaie;  et  les  savants  s'accordent  à  recon- 
naître que,  dans  les  auteurs  grecs  et  latins  du  moyen  âge,  le  cente- 
naire d'or  signifie  toujours  cent  livres  pesant  d'or,  comme  l'a  en- 
tendu Métaphraste,  dans  l'explication  du  texte  de  Léonce  (1). 

Peut-être  quelques  lecteurs  seront  tentés  de  réduire  la  valeur  des 
8,000  livres  d'or  dont  il  est  ici  question,  en  supposant  que,  dans 
les  textes  de  Léonce  et  de  Métaphraste ,  il  ne  s'agit  pas  de  la  livre 
romaine,  composée  de  12  onces,  niais  de  la  livre  égyptienne,  qui 
ne  contenait  que  8  onces  romaines,  c'est-à-dire,  environ  7  onces 
un  tiers  de  notre  poids  de  marc.  11  paraît  en  effet  que  telle  était, 
(ians  les  premiers  temps  de  l'empire  romain ,  la  différence  entre  la 
livre  romaine  et  la  livre  égyptienne  (2).  Mais  il  ne  paraît  pas  que 
cette  différence  ait  eu  lieu  depuis  le  règne  de  Constantin  ;  du  moins 
nous  ne  connaissons  aucun  au'eur  qui  l'ait  supposé,  ou  qui  ait  eu 
recours  à  cette  supposition  pour  résoudre  la  difficulté  qui  nous  oc- 
cupe. Les  savants  supposent  même  communément  que  la  livre-poids 
dont  il  est  question  dans  les  auteurs  grecs  et  latins  du  moyen  âge , 
est  toujours  la  livre  romaine.  Tel  est  aussi  le  sentiment  d'un  savant 
académicien  que  nous  avons  consulté  sur  la  difficulté  présente. 

IV.— Page  127. 

Sur  la  valeur  des  trois  talents  et  demi  d'or  de  revenu  annuel, 
enlevés  à  l'Église  romaine  par  Léon  l'Isaurien. 

Pour  déterminer  la  valeur  des  trois  talents  et  demi  d'or  dont 
parle  ici  Théophane ,  il  faut  remarquer  : 

1°  Que  dans  le  style  des  auteurs  grecs  du  moyen  âge ,  le  mot 
talent  se  prend  tantôt  pour  cent  livres  d'or  (3);  tantôt  pour  une 
livre  d'or,  comme  Ducange  le  remarque  dans  une  note  sur  VA- 
lexiade  d'Anne  Gomnène  (pag.400);  tantôt  pour  une  pièce  d'or 
nommée  sou,  solide  ou  besant  (4).  On  peut  voir,  à  l'appui  de  ces 
différentes  significations,  l'article  to&ocvtov,  dans  le  Lexicon  inftmœ 
Grœcitatis  de  Ducange,  et  la  Dissertation  du  même  auteur,  sur  les 

(i)  Voyez  les  notes  de  Casaubon,  Sauraaise,  etc.  sur  le  passage  de  Lampride  que 
nous  venons  d'indiquer. 

(?.)  Pauctoo,  Métrologie,  pag.  276  et  3o3. 

(3)  Théophane,  Chronngr.  anno  9  Niceph. ,  pag.  4i4- 

(4)  Iùid.,  anno  1  Michael.  Curopal. 


712  PIÈCES  JUSTIFICATIVES. 

monnaies  du  moyen  âge  (n°  81),  à  la  suite  de  son  Glossaire  de 
la  basse  Latinité. 

2°  On  a  vu  plus  haut  (1)  que  la  livre  d'or ,  sous  Constantin  et  ses 
successeurs,  se  divisait  en  12  onces,  qui  en  valaient  à  peu  près 
11  de  notre  poids  de  marc.  Nous  avons  fait  remarquer  au  même 
endroit,  qu'on  taillait  alors ,  dans  la  livre  d'or ,  72  sous  ou  besants 
d'or.  La  livre  d'or  valait  donc  environ  1 155fr.  80  c.  de  notre  monnaie; 
et  le  sou  d'or  environ  16  fr.  ;  en  supposant ,  comme  nous  avons  fait 
au  même  endroit,  que  le  marc  d'or  fin  vaut  aujourd'hui  840  fr.  60  c. 

3°  Il  est  tout  à  fait  invraisemb!e,  que  Théophane ,  dans  le  passage 
dont  il  s'agit ,  ait  pris  le  mot  talent  pour  une  livre  d'or ,  et  bien 
moins  encore,  pour  un  sou  d'or.  Comment  croire  en  effet,  que  les 
patrimoines  de  l'Eglise  romaine,  en  Sicile  et  en  Calabre,  déjà  si  con- 
sidérables au  temps  de  saint  Grégoire  le  Grand,  n'aient  rapporté  au 
saint-siége ,  un  siècle  plus  tard ,  que  trois  livres  et  demi  d'or ,  c'est- 
à-dire  environ  4045  fr.  ?  Aussi  nous  ne  connaissons  aucun  auteur 
qui  ait  ainsi  entendu  le  mot  talent ,  dans  le  passage  de  Théophane 
que  nous  expliquons. 

4°  Il  y  a  donc  tout  lieu  de  croire,  que  Théophane  prend  ici  le  mot 
talent  pour  cent  livres  d'or ,  et  que  les  trois  talents  et  demi  d'or 
dont  il  parle,  valaient  350  livres  d'or ,  c'est-à-dire  environ  404,530  fr. 
de  notre  monnaie. 

Ce  calcul  nous  paraît  confirmé  par  celui  du  P.  Zaccaria ,  dans  sa 
dissertation  déjà  citée ,  sur  les  anciens  patrimoines  de  l'Eglise 
romaine  (2).  Selon  cet  auteur,  les  trois  talents  et  demi  d'or  dont 
parle  Théophane,  valaient,  en  1781,  35,000  pièces  d'or  ou 
sequins  romains,  c'est-à-dire,  environ  386,000  fr. ,  en  supposant 
avec  Paucton,  que  le  sequin  valait  alors  11  fr.  et  4  c.  (3). 

Il  est  à  remarquer  que  Fleury  réduit  la  valeur  de  ces  trois  talents 
et  demi  d'or,  à  224,000  livres  tournois;  et  Lebeau  à  20,200  livres 
seulement  (4).  On  a  vu  plus  haut ,  qu'au  temps  où  écrivait  Fleury, 

(r)  Pièces  justifie,  n.  II,  pag.  705. 

(2)Zaocaria,  De  rébus adHist.  elAnliquit.Eccl.  pertinentibus ,  tom.ir, Dissert.  10, 
cap.  2,  n.  9. 

Zaccaria  ne  fait  que  suivre,  sur  ce  point,  le  sentiment  adopté,  longtemps  avant  lui, 
par  de  savants  auteurs.  Voyez,  entre  autres,  Nie.  Alaraanni,  De  Parietinis  Lateranen. 
sibus,  cap.  i5  (pag.  112  de  Y  édition  de  Ro?ne,  1756,  in-40).  —  Bianchini,  Vitœ 
roman.  PonliJ'.,  tom.  ir,  pag.  3or. —  Cenni,  Monumenta  Domin.  Pontif.,  tom.  1, 
pag.  i3  ;  tom.  ir,  pag.  10.  Voyez  aussi  une  note  de  ce  dernier  auteur  sur  le  chap.  2 
de  l'ouvrage  d'Orsi,  Délia  Origine  del  dominio  e  délia  sovranita  dey  romani  Pon- 
tefici  [édition  de  Rome,  1788,  in-8°,  pag.  19). 

(3)  Paucton,  Métrologie,  pag.  865. 

(4)  Fleury,  Hist.  Eccl.  ,  tom.  ix ,  liv.  xlii  ,  n.  17. —  Lebeau,  Hist.  du  Bas- 
Empire,  tom.  xm,  liv.  lxiii,  n.  59. 


PIÈCES   JUSTIFICATIVES.  713 

le  marc  d'or  avait  «ne  valeur  moitié  moins  forte  qu'il  n'a  aujour- 
d'hui (1).  Pour  ce  qui  est  du  calcul  de  Lebeau,  nous  ne  voyons  pas 
sur  quoi  il  peut  être  fondé;  il  est  vraisemblable,  qu'au  lieu  de  20,000 
livres ,  il  faut  lire,  dans  son  texte,  200.000  livres  ,  ce  qui  revient  à 
peu  près  au  calcul  de  Fleury. 


V.— Page  197. 
Sur  la  Donation  de  Constantin  à  l'Église  romaine  (2). 

La  donation  de  Constantin ,  telle  qu'on  la  voit  aujourd'hui  dans 
les  principales  collections  des  conciles ,  est  un  acte  solennel ,  par 
lequel  ce  prince  donne  pour  toujours  au  saint-siége,  la  ville  de 
Rome,  avec  l'Italie  et  toutes  les  provinces  de  l'empire  en  Occident. 
Le  texte  latin  de  cet  acte  est  tiré  du  recueil  des  Fausses  Décrétâtes, 
communément  attribué  à  Isidore  Mercator,  et  publié  au  ixe  siècle , 
peu  après  la  mort  de  Charlemagne ,  selon  l'opinion  la  plus  com- 
mune (3).  Les  fragments  grecs  du  même  acte,  joints  au  texte  latin, 
dans  la  collection  des  conciles ,  sont  tires  du  Commentaire  sur  le 
Nomocanon  de  Photius ,  composé  vers  la  fin  du  xne  siècle,  par 
Théodore  Balsamon ,  patriarche  d' Antioche  (4). 

(i)  Pièces  justifie.  f  no  II,  pag.  705. 

(2)  On  peut  voir  cet  acte  dans  la  Collection  des  Conciles,  du  P.  Labbe ,  tom.  r, 
pag.  i53o,  etc.  Pour  l'examen  critique  de  cette  pièce,  voyez  Noël  Alexandre,  Dis- 
sert. 25,  in  Hist.  Eccl.  sœculi  ir.  —  De  Marca,  De  Concordid  sacerdoiii  et  imp.% 
lib.  ni,  cap.  12. —  Baronii  Annales,  anno  824,  n.  18,  etc.;  anno  1191,  n.  52,  etc. 
— Morin,  Hist.  de  V  Origine  et  des  Progrès  de  la  puissance  tetnp.  des  Papes,  in-fol. 
— D.  Ceillier,  Hist.  des  Auteurs  ecclésiastiques ,  torn.  iv,  pag.  177;  vin,  i45,  etc. 
— Cenni,  Monumenta  Dominationis  Pontijiciœ,  tom.  1,  pag.  3o4-3o7, —  Zaccaria, 
De  Rébus  ad  Hist.  Eccl.  pertinentibus,  tom.  11,  dissert.  10,  cap.  2,  n.  4  et  5.  — 
Tillemont,  Hist.  des  Empereurs,  tom.  iv,  pag.  142. — Fleury,  Hist,  Eccl.,  tom.  xvr 
4e  Discours,  n.  9.  —  Recueil  de  Pièces  d'histoire  et  de  littérature  (par  l'abbé 
Granet  et  le  P.  Desraolets),  tom.  n,  p.  137,  etc.  —  Billuart,  De  Jure  et  Justifia  j 
Digressio  historien,  ad  calcem  Dissertationis . 

(3)  L'édition  la  plus  complète  du  recueil  des  Fausses  Décrétâtes,  se  trouve  dans 
le  tom.  1  de  la  Collection  des  Conciles  de  Merlin  (Paris,  l524,  2  vol.  in-fol.).  Ce 
recueil  a  été  reproduit,  avec  quelques  différences,  dans  le  tome  1  de  la  Collection  des 
Conciles  de  Gabbe  (Cologne,  i55i,  3  vol.  in-fol.).  La  Donation  de  Constantin 
fait  également  partie  de  ces  deux  éditions.  Nous  ignorons  pourquoi  on  l'a  supprimée, 
dans  l'édition  des  Fausses  Décrétâtes,  publiée  depuis  sous  ce  titre  :  Epistolarum 
Décrétai,  quœ  a>etustissimis  rom.  Pontif.  tribuuntur,  examen,  adversus  Isido^ 
rum  Mercatorem ;  Genevœ,  i635,  in~4°.  On  peut  consulter,  pour  ces  détails  biblio- 
graphiques, la  Bibliothèque  choisie  de  livres  de  Droit  (n.  1664  et  1715),  à  la  suite 
des  Lettres  sur  la  profession  d'avocat,  par  Camus,  2  vol.  in-8°. 

(4)  Théod.  Balsamon,  Scholium  in  Photii  Nomocanonem,  tit.  7,  cap.  1.  (Ju- 
stell.  Biblioth.  Juris  Can.  njeteris,  tom.  n,  pag.  929.) 


714  PIÈCES  JUSTIFICATIVES. 

Depuis  l'insertion  de  cet  acte  dans  le  recueil  des  Fausses  Décré- 
tâtes ,  on  le  trouve  cité  par  un  grand  nombre  d'auteurs ,  qui  ne 
supposent  même  pas  qu'il  y  ait  aucun  doute  raisonnable  sur  son 
authenticité.  Les  premiers  qui  en  fassent  mention ,  sont  deux  auteurs 
français ,  savoir ,  Énée ,  évêque  de  Paris,  dans  un  Traité  contre  tes 
Grecs,  composé  vers  Tan  867  (1);  et  Hincmar  de  Reims ,  dans  une 
Lettre  aux  seigneurs  français,  écrite  vers  l'an  882  (2).  Ces  deux  au- 
teurs, quoiqu'ils  ne  citent  pas  textuellement  l'acte  dont  il  s'agit,  en 
supposent  clairement  l'existence;  et  le  premier  ajoute  qu'on  en  con- 
serve des  exemplaires  dans  les  bibliothèques  de  plusieurs  églises  de 
France.  Le  pape  Léon  IX  en  cite  de  longs  fragments,  dans  sa  Lettre 
à  Michel  Cerulaire,  patriarche  de  Constantinople,  en  1054,  pour 
établir,  contre  les  Grecs,  la  juridiction  spirituelle  et  temporelle  du 
saint-siége  (3).  Saint  Pierre  Damien  en  rapporte  aussi  quelques 
fragments,  dans  sa  Discussion  synodale,  composée  vers  Tan  1062  (4). 
On  en  trouve  de  plus  long  extraits,  dans  le  recueil  de  canons  com- 
posé ,  vers  le  même  temps ,  par  saint  Anselme  de  Lucques  ,  aussi 
bien  que  dans  les  Décrets  d'Yves  de  Chartres  et  de  Gratien ,  publiés 
dans  le  cours  du  siècle  suivant  (5). 

Il  y  a  cependant  lieu  de  croire  que ,  dans  le  temps  même  où  ces 
auteurs  citaient  avec  tant  de  confiance  la  donation  de  Constantin, 
son  autorité  n'était  pas  universellement  reconnue;  car  on  n'en 
trouve  aucune  mention  dans  plusieurs  écrivains  du  xe  et  duxie  siècle, 
qui  ne  pouvaient  l'ignorer ,  ni  la  passer  sous  silence ,  supposé  que 
son  autorité  leur  eut  paru  solidement  établie  (6) .  Grégoire  VII  lui- 
même  n'en  dit  rien,  dans  plusieurs  de  ses  lettres,  où  il  rassemble  avec 
soin  toutes  les  raisons  et  les  autorités  propres  à  établir  le  pouvoir 
extraordinaire  qu'il  s'attribuait  sur  les  souverains. 

Ces  notions  historiques  étant  supposées ,  il  se  présente  trois  ques- 


(i)  Énée,  Tract,  adv.  Grœcos;  qusest.  6,  n.  209  (tom.  vu  du  Spicilege  de  cl' 'A- 
chery,  édition  in-40;  tora.  1  de  l'édit.  in-fol.).  — Le  passage  que  nous  indiquons  est 
cité  en  partie  dans  VHist.  de  l'Egl.  Gallicane,  tom.  vi,  année  867,  p.  200. — Voyez 
aussi  Fleury,  Hist.  Eccl.,  tom.  xi,  liv.  li,  n.  14. 

(2)  Hincmar,  Epistola  14  ad  Proceres  regni,  de  Institutione  Carlomanni  Régis, 
n.  i3.(Operum,  tom.  11.  )  Ce  fragment  est  cité  par  le  P.  Alexandre,  ubi  supra,  art.  2. 

(3)  Leonis  IX  Epistola  ad  Michaelem  patriarcham  C.  P.,  n.  i3.  (Labbe, 
Concil.  tom.  ix,  p.  954,  etc.).  —  Fleury,  Hist.  Eccl.y  tom.  xni,  liv.  lx,  n.  2. 

(4)  S.  Pétri  Damiani  Opéra,  tom.  m,  opuscul.  4,  pag.  23.  (Labbe,  Concil.  t.  ix, 
pag.  ii56.) — Fleury,  Hist.  Eccl.,  tom.  xm,  liv.  lx,  n.  49. 

(5)  Yves  de  Chartres,  Decretum,  parte  5,  cap.  49 Gratien,  Corpus  Juris, 

distinct.  96. 

(6)  Voyez  les  détails  que  nous  avons  donnés  sur  ce  sujet,  dans  la  seconde  partie  de 
cet  ouvrage,  chap.  3,  n.  173,  pag.  Si'j. 


PIÈCES   JUSTIFICATIVES.  715 

tionsprincipales  à  examiner  sur  cet  acte  singulier  :  1° Est-il  authenti- 
que? 2°  A  quelle  époque  et  par  qui  a-t-il  été  fabriqué?  3°  Comment 
a-t-il  pu  obtenir ,  pendant  plusieurs  siècles ,  un  si  grand  crédit  ? 
Nous  allons  examiner  succinctement  chacune  de  ces  questions. 

PREMIÈRE  QUESTION. 

La  Donation  de  Constantin  est-elle  authentique  ? 

L'insertion  de  cet  acte  dans  les  Décrets  d'Yves  de  Chartres  et  de 
Gratien ,  ne  pouvait  manquer  de  lui  donner  d'abord  un  grand  crédit. 
Aussi  Je  voyons-nous  généralement  admis  comme  authentique,  de- 
puis cette  époque,  jusqu'à  la  renaissance  des  lettres ,  au  xve siècle. 
Mais  vers  le  milieu  de  ce  siècle,  plusieurs  savants  auteurs  en  recon- 
nurent la  supposition ,  et  la  prouvèrent  par  des  raisons  qui  firent 
bientôt  prévaloir  leur  sentiment  (1).  Depuis  ce  temps,  la  pré- 
tendue donation  de  Constantin  fut  généralement  regardée  comme 
apocryphe.  Sa  fausseté  est  établie,  en  effet,  de  la  manière  la  plus  déci-  « 
sive ,  non-seulement  par  le  témoignage  de  V histoire  ,  mais  encore 
par  le  silence  de  tous  les  auteurs  antérieurs  au  vme  siècle ,  et  par 
plusieurs  marques  intrinsèques  de  supposition.  Nous  avons  exposé 
ailleurs,  assez  au  long,  le  premier  de  ces  arguments  (2)  ;  il  suffira 
d'exposer  ici  les  deux  autres  en  peu  de  mots. 

I.  Le  silence  de  tous  les  auteurs  antérieurs  au  vme  siècle ,  suf- 
firait pour  démontrer  la  fausseté  de  l'acte  dont  il  s'agit.  On  ne  peut 
citer,  en  effet ,  aucun  témoignage  positif  cle  l'existence  de  cet  acte , 
avant  le  vme  siècle.  Il  n'en  est  fait,  avant  ce  temps,  aucune  mention, 
dans  les  auteurs  mêmes  qui  devaient  le  mieux  connaître ,  et  que 
l'objet  de  leurs  ouvrages  obligeait  naturellement  à  en  parler,  s'ils 
l'eussent  connu.  L'historien  Eusèbe ,  contemporain  de  Constantin, 
et  si  attentif  à  recueillir  tous  les  témoignages  du  respect  et  de 
la  générosité  de  ce  grand  prince  envers  l'Église ,  ne  dit  pas  un 
seul  mot  de  cette  prétendue  donation.  On  n'en  trouve  aucune  men- 
tion, dans  les  recueils  de  canons ,  composés  avant  les  Fausses  Décré- 
tâtes ,  et  dans  lesquels  cependant  on  remarque  des  détails  beaucoup 
moins  importants,  sur  le  pouvoir  et  les  prérogatives  du  clergé,  dans 


(i)  Les  principaux  auteurs  qui  combattirent,  à  cette  époque,  l'ancienne  opinion, 
sont  :  Laurent  Valla,  chanoine  de  Saint-Jean  de  Lalran  ;  ./Eneas  Sylvius,  qui  devint 
pape  sous  le  nom  de  Pie  II;  Jérôme  Paul,  chanoine  de  Barcelone,  et  camérier  d'A- 
lexandre VI  ;  et  le  cardinal  de  Cusa.  On  peut  voir  l'indication  détaillée  de  leurs  ou- 
vrages, dans  la  Dissertation  déjà  citée  du  P.  Alexandre,  art.  2. 

(a)  Voyez  la  première  partie  de  nos  Recherches,  chap.  x,  n.  7,  etc. 


716  Pièces  justificatives. 

l'ordre  temporel  (1).  Bien  plus ,  la  prétendue  donation  de  Constan- 
tin est  omise  par  plusieurs  auteurs  du  vnie  et  du  ixe  siècle ,  qui  ne 
pouvaient  en  ignorer  l'existence ,  et  qui  n'eussent  pas  manqué  de  la 
citer,  s'ils  l'eussent  crue  authentique.  Anastase  le  Bibliothécaire  n'en 
dit  rien  dans  la  Vie  de  saint  Silvestre,  empruntée  à  un  auteur  beau- 
coup plus  ancien,  et  dans  laquelle  on  trouve  un  détail  minutieux  des 
libéralités  de  Constantin  envers  l'Église  romaine  (2).  On  remarque 
le  même  silence,  dans  les  lettres  écrites ,  vers  l'an  865  ,  à  l'empe- 
reur Michel,  par  le  pape  Nicolas  Ier,  et  dans  lesquelles  ce  pontife 
réunit  à  dessein  tout  ce  qui  peut  relever,  aux  yeux  des  Grecs,  la 
dignité  du  saint-siége  (3). 

II.  En  examinant  de  près  l'acte  dont  il  s'agit,  on  y  trouve  plu- 
sieurs marques  intrinsèques  de  supposition.  Nous  indiquerons  seu- 
lement ici  quelques-unes  des  principales  : 

1°  La  date  de  cet  acte  est  fausse;  il  est  daté  du  troisième  des  calendes 
d'avril,  Constantin  étant  consiUpour  la  quatrième  fois  avec  Gai- 
licanus;  or,  on  sait  par  l'histoire,  que  Constantin,  consul  pour  la  qua- 
trième fois  (en  315),  eut  pour  collègue  Licinius,  et  non  Gallicanus  (4). 

2°  L'auteur  de  cet  acte  compte  cinq  églises  patriarcales ,  entre 
autres,  celle  de  Jérusalem,  qui  n'obtint  cette  dignité  qu'après  la  mort 
de  Constantin;  et  celle  de  Constantinople ,  qui  n'existait  pas  encore 
lors  de  la  date  de  cet  acte ,  c'est  à-dire  sous  le  quatrième  consulat  de 
Constantin,  en  315  (5). 

3°  A  la  tête  de  cet  acte,  on  donne  à  Constantin  les  titres  de  Fide- 
lis,  Tranquillus ,  Beneficus,  Alamannicus ,  Gothicus,  et  plusieurs 
autres ,  qu'il  n'a  jamais  pris  dans  ses  actes  authentiques.  Il  ne  se 
qualifie,  dans  ces  derniers,  que  à' Auguste,  quelquefois  de  Vain- 
queur, et  de  très-grand  Auguste.  On  lui  donne,  à  la  lin  du  même 
acte,  le  titre  de  Clarissime,  qui  ne  se  donnait  point  aux  empe- 
reurs ni  aux  princes  de  l'empire,  mais  aux  sénateurs,  aux  consu- 


(i  )  On  trouve  la  plupart  de  ces  anciens  recueils,  dans  l'ouvrage  de  Justel,  Biblioth. 
Juris  Canon,  vet.,  tora.  i. 

(2)  On  peut  voir  une  partie  de  ce  détail  dans  Flcury,  Mœurs  des  Chrél.,  n.  5o. — 
Hist.  Eccl.,  tora.  m,  liv.  xr,  n.  36. 

(3)  Epistol.  ISicolai  papœ  ad  Michael ,  imperat.  (Labbe,  Concil.  t.  vin , 
pag.  2q3  ,  326,  etc.)  On  peut  voir  l'analyse  de  ces  lettres,  dans  Fleury,  Hist. 
Eccl. ,  tom.  xi,  liv.  1. ,  n.  41.  — D.  Ceillier,  Hist.  des  Auteurs  eccl. ,  tora.  xix  , 
pag.  166,  etc. 

(4)  Voyez  la  Chronologie  des  Consuls,  dans  V  Art  de  vérifier  les  dates,  dans  le 
Dictionnaire  de  Morëri  (article  Consuls),  dans  le  Dictionnaire  historique  de 
F elle r,  etc. 

(5)  Sur  l'origine  des  patriarcats  d'Orient ,  voyez  ci-dessus  la  note  3  de  la 
page  182. 


PIÈCES  JUSTIFICATIVES.  71 1 

laires,  aux  gouverneurs  de  provinces,  et  à  quelques  autres  digni- 
taires inférieurs  (1). 

4°  On  donne  au  pape  Silveslre,  dans  le  même  acte,  les  titres  de 
Père  des  pères ,  et  de  Pape  universel,  tout  à  fait  inusités  à  celte 
époque. 

5°  Enfin ,  il  est  parlé,  dans  cet  acte,  du  baptême  de  Constantin  ; 
or,  ce  prince  n'était  pas  encore  baptisé  en  315,  même  dans  le  senti- 
ment des  auteurs  qui  pensent  qu'il  a  été  baptisé  à  Rome.  On  peut 
voir  ,  dans  les  auteurs  qui  ont  examiné  cette  pièce  plus  en  détail , 
beaucoup  d'autres  marques  intrinsèques  de  sa  fausseté  (2). 

SECONDE  QUESTION. 

A  quelle  époque ,  et  par  qui  la  Donation  de  Constantin  a-t-elle 

été  fabriquée  f 

Quelque  bien  établie  que  soit  la  fausseté  de  cet  acte ,  il  serait 
difficile  de  déterminer,  avec  précision ,  l'époque  de  sa  fabrication. 
M.  de  Marca,  Muratori ,  et  quelques  autres  savants,  pensent  qu'il  a 
été  composé  au  viue  siècle,  avant  le  règne  de  Charlemagne.  Muratori 
regarde  même  comme  assez  vraisemblable,  qu'il  a  pu  engager  Pépin 
et  Charlemagne  à  se  montrer  si  généreux  envers  le  saint-siége(3).  Le 
P.  Alexandre,  D.Ceillier,  le  P.  Zaccaria,  et  plusieurs  autres,  croient 
plus  probable ,  que  cet  acte  a  été  fabriqué  au  ixe  siècle ,  soit  par 
l'auteur  des  Fausses  Décrétâtes,  soit  par  quelque  auteur  contem- 
porain (4).  Baronius,  Binius  et  quelques  autres ,  croient  cette  pièce 
beaucoup  plus  récente  :  ils  pensent  qu'elle  a  été  fabriquée,  depuis  le 
xe  siècle,  par  quelque  auteur  grec,  en  haine  de  l'Église  romaine  (5) . 

Sans  prélendre  déterminer  l'auteur  de  cet  acte ,  ni  l'époque  pré- 
cise de  sa  fabrication ,  nous  croyons  pouvoir  établir ,  avec  beaucoup 
de  vraisemblance,  les  trois  assertions  suivantes,  qui  paraissent 
admises  par  le  plus  grand  nombre  des  savants. 

(i)  Voyez,  dans  le  Commentaire  de  Godefroy  sur  le  Code  Théodosien,  les  divers 
passages  indiqués  dans  la  Table  générale  des  matières,  au  mot  Clarissimi, 

(2)  Voyez  principalement  la  Dissertation  du  P.  Alexandre,  art.  1,  prop.  1. 

(3)  De  Marca,  De  Concordià  sacerd.  et  imp.,  lib.  111 ,  cap.  12,  n.  3  et  5. — 
—  Muratori,  Piena  Esposizione  dei  Diritti  imperiali  sopra  la  citta  di  Comachio, 
pag.  26.  Muratori  est  cité  et  suivi,  sur  ce  point,  par  Daunou.  (Essai  hist.  sur  la 
puissance  temporelle  des  Papes,  tom.  il,  p.  3g.)  Le  P.  Thomassin  (Ancienne  et 
nouvelle  Discipline,  tom.  in,  liv.  r,  chap.  29,  n.  9),  et  le  P.  Longueval,  Hist.  de 
l'Égl.  Gallicane,  année  754,  tom.  iv,  p.  376),  paraissent  incliner  à  celte  opinion. 

(4)  Noël  Alexandre,  Disserta  ubi  supra,  art.  3.  —  D.  Ceillier  et  Zaccaria,  ubi 
supra. 

(5)  Baronii  Annales ,  anno  324,  n.  18  ;  etc.  —  Notes  de  Binius  sur  la  Donation 
de  Constantin,  dans  la  collection  des  Conciles  du  P.  Labbe,  tom.  1,  p.  i539« 


718  PIÈCES  JUSTIFICATIVES. 

I.  L'opinion  qui  suppose  Vacte  dont  il  s'agit  postérieur  au 
schisme  des  Grecs ,  est  justement  abandonnée  de  tous  les  critiques 
modernes  (1). 

1°  Cette  opinion  est  clairement  démentie  par  l'histoire,  et  par  le 
fond  même  de  l'acte  que  nous  examinons.  D'abord  ,  il  est  certain 
que  cet  acte  existait  avant  le  schisme  des  Grecs,  puisqu'on  le  trouve 
cilé  par  plusieurs  écrivains  du  ixe  siècle ,  et  qu'il  fait  même  partie 
de  la  collection  des  Fausses  Décrétâtes,  publiées  certainement  avant 
le  milieu  de  ce  siècle  (2). 

2°  Les  défenseurs  de  l'opinion  que  nous  combattons  supposent 
mal  à  propos  que  cet  acte  est  contraire  à  la  primauté  du  saint-siége; 
elle  y  est  au  contraire  expressément  reconnue ,  comme  établie  par 
Jésus-Christ  lui-même,  et  comme  le  principal  motif  des  libéralités  de 
Constantin  envers  l'Église  romaine  (3). 

3°  Il  est  tout  à  fait  invraisemblable  que  les  Grecs ,  si  envenimés 
contre  l'Église  romaine  depuis  le  schisme  de  Photius ,  aient  fabriqué 
un  acte  si  favorable  au  saint-siége ,  et  qui  lui  attribue  de  si  grandes 
prérogatives ,  dans  l'ordre  spirituel  et  dans  l'ordre  temporel. 

II.  L'opinion  qui  suppose  l'acte  dont  il  s'agit ,  composé  avant 
le  ixe  siècle ,  est  tout  à  fait  gratuite  et  même  invraisemblable  (4). 

Pour  établir  cette  seconde  assertion ,  il  suffit  de  montrer  la  fai- 
blesse des  preuves  alléguées  par  les  défenseurs  de  l'opinion  contraire. 

Leur  principal  argument  se  tire  dune  lettre  écrite  à  Chat  lemagne, 
vers  l'an  777 ,  par  le  pape  Adrien  Ier ,  et  dans  laquelle  on  prétend 
que  ce  pontife  fait  allusion  à  la  donation  de  Constantin.  Pour  exciter 
le  roi  de  France  à  protéger  le  saint-siége  contre  les  Lombards,  en  les 
obligeant  à  restituer  à  l'Église  romaine  les  villes  et  territoires  qu'ils 
lui  avaient  enlevés,  le  Pape  rappelle  au  roi  l'exemple  de  Constantin, 
qui ,  «  sous  le  pontificat  de  saint  Silveslre ,  a  tant  exalté  l'Église 
«  romaine ,  et  l'a  rendue  si  puissante  en  Italie  (5).  » 

(i)  Voyez  principalement,  sur  ce  point,  De  Marca,  ubi  supra  ;  et  la  Dissertation 
du  P.  Alexandre,  art.  3. 

(2)  Voyez  les  auteurs  cités  plus  haut,  pag.  714. 

(3)  «  Justum  quippe  est,  dit  l'empereur  dans  cet  acte,  ut  ibi  lex  sancta  caput  teneat 
«  principatùs,  ubi  sancta ru?n  leguminstitutor,  Salvatomoster^  beatum  Petrum  apo- 

«  stolatûs  obtinere  prœcepit  calhedram...  Ubi  principatùs  sacerdotum,  et  christianse 
«  religionis  caput,  ab  Imperalore  cœlesti  constitutum  est ,  justum  non  est  ut  illic 
«  imperator   terrenus  habeal  potestatem.  »  Labbe,  Concil,  tom.  1,  p.  i535,  A;  et 

i538,  C. 

(4)  Voyez  les  auteurs  cités  dans  la  note  4  de  la  page  précédente;  voyez  aussi 
Cenni,  Monumenta  Dominationis  Pontijiciœ,  tom.  1,  pag.  3o4,  etc. 

(5)  «  Sicut  teraporibus  B.  Silvestri,  romani  pontificis,  à  sanctse  recordationis  piis- 
«  simo  Coustantino  magno  imperatorc,  per  ejus  largitatem,  sancta  Dei  calholica  et 
«  apostolica,  romana  ecclesia  elevata  atque  exaltata  est,  et  potestatem  in  his  Hesperiae 


PIÈCES  JUSTIFICATIVES.  719 

Il  suffit ,  à  ce  qu'il  nous  semble,  de  lire  attentivement  ce  pas- 
sage ,  pour  voir  qu'il  ne  suppose  aucunement  la  donation  de  Con- 
stantin, telle  qu'on  la  trouve  dans  le  recueil  des  Fausses  Décrétâtes, 
et  dans  les  recueils  postérieurs.  Le  Pape  se  borne  à  rappeler  dans 
sa  lettre ,  <;ue  Constantin  a  donné  à  l'Église  romaine  un  grand  pou- 
voir en  Italie.  On  sait ,  en  effet  par  l'histoire,  que  Constantin,  si 
généreux  envers  tous  les  évêques,  le  fut  surtout  envers  le  saint-siége, 
et  lui  donna  de  nombreux  patrimoines  (1).  La  vérité  de  ce  fait , 
généralement  reconnu  des  historiens ,  est  bien  suffisante  pour  expli- 
quer le  pouvoir  dont  parle  le  pape  Adrien  Ier  ;  et  c'est  bien  gratuite- 
ment qu'on  verrait,  dans  ce  pouvoir,  une  allusion  à  la  donation  exor- 
bitante qui  a  paru  depuis  dans  le  recueil  des  Fausses  Décrétâtes. 

On  peut  même  aller  plus  loin ,  et  montrer  que  cette  allusion ,  si 
gratuite  en  elle-même,  est  tout  à  fait  invraisemblable,  et  contraire 
au  texte  de  la  lettre  qu'on  nous  oppose.  En  effet ,  Constantin  déclare 
expressément ,  dans  l'acte  de  sa  prétendue  donation,  «qu'il  donne 
«  pour  toujours  au  pape  Silvestre  et  à  ses  successeurs ,  non-seule- 
«  ment  le  palais  de  Latran ,  mais  encore  la  ville  de  Rome ,  avec 
«  toutes  les  villes  et  provinces  d'Italie ,  et  des  régions  occciden- 
«  taies  (2).  »  Si  le  pape  Adrien  Ier,  en  écrivant  la  lettre  dont  il  s'agit, 
regardait  comme  authentique  cette  donation  exorbitante,  et  y  faisait 
même  allusion ,  comment  a-t-il  pu  supposer  clairement ,  dans  la 
même  lettre ,  que  tes  propriétés  du  saint-siége,  en  Italie,  lui  avaient 
été  données  successivement,  par  Constantin  et  ses  successeurs,  dont 
les  actes  de  donation  se  conservaient  alors  dans  les  archives  du 
palais  de  Latran  (3)  ?  Pour  attribuer  au  pape  Adrien  Iei  une  con- 
te partibus  largiri  dignatus  est  ;  ita  et  in  his  vcslris  felicissimis  temporibus  atque  nos- 
«  Iris,  sancta  Dei  ecclesia,  id  est,  B.  Pétri  apostoli,  germinet  atque  exultet,  et  ampliùs 
«  atque  ampliùs  exaltata  permaneat.  m  Cocl.  Carol.  Epist.  59  (aliàs49).  (Cenni,  Mo- 
numenta,  tom.  1,  pag.  3o5  et  352  .  Labbe,  Concil.  tom.  vi,  p.  1763.) 

(1)  Voyez  les  détails  que  nous  avons  donnes,  sur  ce  sujet,  dajjs  YIntrod.  de  cet  ou- 
vrage, art.  2,  n.  73,  etc. 

(2)  «  Pro  quibus  (beneficiis  a  Deo  acceptis  ) ,  dedimus  ipsis  sanctis  apostolis  ac 
«  dominis  meis  Petro  et  Paulo ,  ac  per  ipsos  beato  Silvcstro,  patri  nostro,  summoque 
«  poutificc,  et  universali  urbis  Roraae  papae,  omnibusque  ejus  successoribus  summis 
«  pontificibus,  qui  ad  mundi  usque  consummationcm  in  cathedra  beati  Pelri  sedebunt, 
«  atque  imprœsentiarum  tradimus;  primùm  quidem  impériale  palatium  nostrum 
«  Lateranense,  quod  praeter  omnia  quse  in  orbe  terrarum  sunt  palatia  in  primis  ho- 
«  noratur  atque  excellit..  .  Quin  et  Romana  um  urbem,  totamque  Italiam,  et  occi- 
«  dentalium  vegionum  provincias,  loca,  civitates,  saepejam  dicto  Silvestro,  univer- 
«  sali  papas,  tradentes  ac  cedentes,  hujus  et  successorum  ipsius  summorum  pontificum 
«  auctoritatc  ac  sententià,  divino  nostro  hoc  pragmatico  deercto,  admiuistrari  diffiui- 
«  mus,  juri  sanctse  roraanorum  Ecclesiœ  subjicienda,  et  in  co  permansura  exhibemus.  » 
Donatio  Constant.  (Labbe,  Concil.  tom  1,  p.  i53o,  etc.) 

(3)  A.  la  suite  des  paroles  que  nous  avons  citées  plus  haut  (note  5  de  la  p.  précéd.), 


120  PIÈCES  JUSTIFICATIVES. 

tradiction  si  étrange,  il  faudrait  un  témoignage  formel ,  qui  ne  se 
trouve  certainement  pas  dans  le  passage  de  sa  lettre  qu'on  nous 
oppose. 

Parmi  les  défenseurs  de  l'opinion  que  nous  combattons ,  quel- 
ques-uns se  fondent  encore,  sur  ce  que  Pépin  lui-même  paraît 
supposer  la  prétendue  donation  de  Constantin,  en  réclamant  auprès 
des  Lombards ,  comme  une  restitution  due  à  l'Église  romaine ,  les 
villes  et  territoires  qu'il  donna  depuis  au  saint-siége  (1).  Mais  il  est 
certain  que  Pépin  a  pu  réclamer  ces  provinces ,  comme  une  restitu- 
tion due  à  l'Église  romaine ,  sans  supposer  la  donation  de  Con- 
stantin. Indépendamment  de  cette  donation ,  le  Pape  pouvait  alors 
être  considéré  comme  souverain  légitime  de  ces  provinces  ,  qui  s'é- 
taient librement  soumises  à  son  autorité ,  dans  l'état  d'abandon  où 
elles  se  trouvaient.  C'est  ce  que  nous  avons  montré  ailleurs,  en 
exposant  la  suite  des  faits  relatifs  à  l'origine  de  la  souveraineté  tem- 
porelle du  saint-siége  (2). 

III.  Il  y  a  tout  lieu  de  croire,  que  l'acte  dont  il  s*  agit  ^  a  été  fa- 
briqué  au  ixe  siècle  (3). 

Cette  troisième  assertion  paraît  être  une  conséquence  naturelle 
des  précédentes.  En  effet,  il  paraît  certain,  d'un  côté,  qu'on  ne 
trouve  dans  l'histoire  aucune  mention  de  cet  acte  avant  le  ixe  siècle; 
et  de  l'autre,  il  est  constant  que  cet  acte  se  trouve  dans  le  recueil  des 
Fausses  Décrétâtes,  composé ,  selon  le  sentiment  le  plus  commun , 
au  ixe  siècle ,  quelques  années  après  la  mort  de  Charlemagne. 

Pour  ce  qui  regarde  l'auteur  de  cet  acte ,  et  les  motifs  de  sa 
fraude,  nous  ne  hasarderons  là-dessus  aucune  conjecture;  il  nous 
suffira  d'indiquer,  en  peu  de  mots,  celles  de  quelques  savants.  Les 
uns  attribuent  cette  pièce  à  l'auteur  des  Fausses  Décrétâtes  (4)  ;  les 
autres  pensent  que  celui-ci  l'a  empruntée  à  quelque  auteur  contem- 
porain (5).  Le  motif  du  faussaire  était,  selon  quelques  auteurs,  de 

le  pape  Adrien  1er  continue  ainsi  :  «  Sed  et  cuncta  alia,  quae per  diverses  imperatotes, 
«  patricios  etiam  ,  et  alios  Deum  timentesf  pro  eorura  anima?  mercede  ,  et  vcnià  déli- 
ce etorum,  in  partibus  Tuscise,  Spoleto,  seu  Benevento,  atque  Corsicâ,  simul  et  Sabinensi 
«  patrimonio,  bealo  Petro  apostolo,  sanctseque  Dei  et  apostolicœ  romanae  Ecclesise 
«  concessa  sunt,  et  per  nef'andam  gentem  Longobardorum,  per  annorum  spalia,  abstra- 
«  cta  atque  ablata  sunt,  vestris  temporibus  restituantur  ;  unde  et  plures  donationes 
«  in  sacro  nostro  scrinio  Lateranensi  reconditas  habemus ,  etc.  »  Adriani  I 
Epist,  5g.  (Cenni,  ubi  supra,  pag.   3o5  et  353.) 

(i)  Muratori,  ubi  supra. — Hist.  de  l'Egl.  Gallicane,  ubi  supra. 

(2)  Voyez  la  ire  partie  de  nos  Recherches,  n.  34,  4o,  etc. 

(3)  Voyez  les  ouvrages  déjà  cités  du  P.  Alexandre,  de  D.  Ceillicr,  de  Ceuni  et  du 
P.  Zaccaria. 

(4)  C'est  l'opinion  de  D.  Ceillier  et  de  Cenni. 

(5)  C'est  la  conjecture  du  P.  Zaccaria. 


riÈCES  JUSTIFICATIVES.  731 

combattre,  par  l'autorité  imposante  de  Constantin,  les  prétentions 
des  empereurs  grées  sur  l'Italie,  et  sur  les  autres  provinces  d'Occident 
qui  avaient  secoué  leur  joug  (1).  M.  de  Marca  suppose  même  que 
l'auteur  de  cette  fraude  l'a  mise  en  œuvre ,  de  concert  avec  le  Pape 
et  le  roi  de  France. 

On  conçoit  combien  il  est  aisé  de  multiplier  les  conjectures  sur  un 
point  si  obscur  ;  mais  on  voit  aussi  combien  toutes  ces  conjectures 
sont  arbitraires.  La  dernière  en  particulier  nous  semble  tout  à  fait  in- 
vraisemblable. Quelle  apparence,  en  effet,  que  nos  rois  aient  favorisé 
la  supposition  d'une  pièce,  qui,  donnant  au  Pape  toutes  les  provinces 
de  l'empire  en  Occident,  rendait  toutes  ces  provinces,  et  la  France 
elle-même,  tributaires  et  même  feudataires  du  saint-siège?  Quelle 
apparence  que  le  Pape  et  le  roi  de  France  aient  favorisé  la  supposi- 
tion d'un  acte  si  extraordinaire ,  pour  combattre  les  prétentions  des 
'Grecs ,  d ailleurs  si  faciles  à  renverser  (2)?  Quelle  apparence  enfin, 
qu'une  pareille  fraude  ait  été  employée  par  des  princes  tels  que 
Pépin  et  Cbarlemagne,  et  par  les  papes  contemporains,  que  l'histoire 
nous  représente  comme  des  hommes  aussi  recommandables  par  Im- 
minence de  leurs  vertus ,  que  par  la  sainteté  de  leur  caractère? 

Ces  observations  sont  plus  que  suffisantes  pour  montrer  l'invrai- 
semblance des  conjectures  dont  nous  venons  de  parler,  et  par  consé- 
quent l'injustice  de  plusieurs  écrivains  modernes ,  qui  ont  fait  de  ces 
conjectures  la  base  de  leurs  jugements  sur  la  conduite  des  papes  du 
vnic  et  du  ixe  siècle ,  tantôt  représentant  la  prétendue  donation  de 
Constantin  comme  le  premier  fondement  de  la  puissance  temporelle 
du  saint-siége  (3) ,  tantôt  accusant  ouvertement  les  papes  d'avoir 
été  eux  mêmes  les  auteurs  ou  les  fauteurs  de  cette  fraude  (4).  De 
pareilles  assertions  sont  d'autant  plus  téméraires,  que,  selon  le  senti- 
ment le  plus  commun  parmi  les  savants ,  la  prétendue  donation  de 
Constantin  a  été  fabriquée  postérieurement  au  règne  de  Cbarle- 
magne ,  et  par  conséquent  depuis  rétablissement  de  la  souveraineté 
temporelle  du  saint-siége. 

(i)  C'est  la  conjecture  de  M.  de  Marca,  et  du  P.  Zaccaria. 

(2)  Voyez  la  première  partie  de  ces  Recherches,  chap.  2,  art.  î. 

(3)  Bcrtiardi,  De  l'origine  et  des  progrès  de  la  Législation  française,  liv.  II 
chap.  7. —  Daunou,  Essai  historique,  tom.  r,  p.  14;  tom.  ir,  p.  67. 

(4)  De  Héricourt,  Lois  Ecclésiastiques  de  France f  4e  partie;  édit.  de  177I1 
p,  x8o,  note.  —  Bernardi,ui/  supra. 


40 


722  PIÈCES  JUSTIFICATIVES. 

TROISIÈME  QUESTION. 

D'où  vient  que  la  Donation  de  Constantin  a  joui,  pendant  plu- 
sieurs  siècles ,  d'mi  si  grand  crédit? 

Cet  acte  étant  manifestement  apocryphe ,  il  y  a  sans  doute  lieu 
de  s'étonner  qu'il  ait  pu  obtenir ,  pendant  plusieurs  siècles ,  un  si 
grand  crédit.  Toutefois,  l'étonnement  diminue,  lorsqu'on  se  rappelle 
le  grand  pouvoir  temporel  dont  jouissait  le,  saint-siége,  à  l'époque  de 
la  publication  de  cet  acte,  et  pendant  les  siècles  suivants.  Le  Pape 
exerçait  alors  un  pouvoir  temporel  très-étendu ,  non-seulement  en 
Italie,  mais  dans  la  plupart  des  États  catholiques  de  l'Europe,  par 
l'ascendant  que  lui  donnait,  aux  yeux  des  princes  et  des  peuples,  sa 
souveraineté  temporelle,  jointe  au  caractère  sacré  dont  il  était  revêtu. 
Ce  pouvoir  s'accrut  insensiblement,  depuis  le  ixe  siècle,  au  point  que  le 
pape  était  généralement  regardé  comme  le  juge  suprême  de  tous  les 
souverains  catholiques ,  dont  plusieurs  même  se  reconnaissaient 
feudataires  du  saint-siège.  Il  est  aisé  de  comprendre  qu'en  de  pa- 
reilles conjonctures,  et  dans  un  temps  où  la  critique  était  si  peu 
cultivée ,  la  prétendue  donation  de  Constantin  dut  naturellement 
obtenir  un  grand  crédit.  Le  souvenir  des  libéralités  de  ce  grand 
prince  envers  l'Église,  et  la  haute  idée  qu'on  avait  généralement 
de  ses  libéralités,  firent  aisément  supposer,  que  tout  le  pouvoir 
temporel  du  saint-siége  avait  pour  principe  l'acte  dont  nous  par- 
lons (1). 

Au  reste,  nous  remarquerons  ici  en  passant,  qu'on  a  beaucoup 
exagéré,  dans  ces  derniers  temps,  les  résultats  de  l'erreur  du  moyen 
âge ,  sur  ce  point.  Fleury  et  plusieurs  autres  écrivains  modernes 
supposent  que  cette  erreur  était  l'unique  fondement  de  la  donation 
faite  de  l'île  de  Corse  à  l'Église  de  Pise,  par  le  pape  Urbain  II,  en 
1092  (2);  aussi  bien  que  de  la  donation  de  l'Irlande  au  roi  d'Angle- 
terre, Henri  II,  parle  pape  Adrien  IV,  en  1156(3);  enfin,  de  la 
donation  des  îles  Canaries  ,  au  prince  Louis  d'Espagne ,  par  le  pape 
Clément  VI,  en  1344  (4).  Mais  il  s'en  faut  beaucoup  que  ces  suppo- 
sitions soient  à  l'abri  de  toute  contestation.  Nous  avons  remarqué 
ailleurs,  que  l'île  de  Corse  faisait  partie  des  États  donnés,  ou  plutôt 
restitués  au  saint-siège  par  Charlemagne  (5) ;  et  Grégoire  VII 

(i)  Voyez,  à  l'appui  de  ces  réflexions,  Thomassin,  Ane,  et  nouv.  Discipline  de 
l'Egl.y  tom.  i,  liv.  ij  chap.  5,  n.  14. 

(2)  Fleury,  Hist.  Eccl.,  tom.  xiii,  liv.  ï,xiv,  n.  8. 

(3)  Ibid.}  tom.  xv,  liv.  lxx,  n.  16. 

(4)  Ibid.y  tom.  xx,  liv.  xcv,  n.  24. 

(5)  Ci-dessus,  ire  partie,  n.  46, 


PIÈCES  JUSTIFICATIVES.  723 

suppose,  comme  un  fait  notoire ,  que  le  saint-siége  avait  conservé, 
jusqu'à  son  pontificat,  ses  anciens  droits  sur  cette  île  (1).  Nous  avons 
montré  aussi  que  le  pape  Adrien  IV  n'avait  pas  prétendu  disposer 
de  l'Irlande  en  faveur  du  roi  d'Angleterre  (2).  Quant  à  la  donation 
des  îles  Canaries  au  prince  Louis  d  Espagne,  ce  n'était  pas  une  do- 
nation proprement  dite,  mais  une  décision  arbitrale,  par  laquelle  le 
Pape  lui-même  déclare  qu'il  ne  prétend  nuire  aux  droits  antérieurs  de 
qui  que  ce  soit  (3).  Cette  décision  doit  s'expliquer  dans  le  même  sens 
que  celle  du  pape  Alexandre  VI,  relative  à  certaines  îles  et  pro- 
vinces d'Afrique  et  d'Amérique  nouvellement  découvertes  (4). 


VI.  —Page  257. 
Sur  quelques  circonstances  du  sacre  de  Charlemagne,  en  SOO. 

L'histoire  du  sacre  de  Charlemagne ,  en  800 ,  offre  quelques  dif- 
ficultés que  nous  croyons  devoir  examiner  ici  en  peu  de  mots. 

I.  La  première  a  pour  objet,  X onction  royale  donnée,  en  cette 
occasion,  à  l'un  des  fils  de  Charlemagne  y  au  rapport  d'Anastase. 
La  plupart  des  auteurs  modernes  supposent,  que  ce  fut  Pépin,  roi 
d'Italie,  et  non  Charles  ,  fils  aîné  de  Charlemagne ,  qui  reçut  alors 
l'onction  royale  des  mains  du  Pape.  Mais  le  sentiment  que  nous  sui- 
vons ,  paraît  solidement  établi  par  M.  de  Bréquigny,  dans  ses 
Recherches  historiques  sur  la  vie  de  Charles ,  fils  aîné  de  Char- 
lemagne (5).  Le  savant  académicien  s'appuie  principalement  sur 
une  lettre  d'Alcuin,  adressée  au  jeune  roi  Charles,  et  commen- 
çant ainsi  :  «  J'ai  appris  que  le  Pape,  du  consentement  du  très-ex- 
«  cellent  seigneur  David  (6),  vous  avait  conféré  le  titre  de  roi ,  en 
«  vous  mettant  sur  la  tête  la  couronne  qui  désigne  cette  dignité.  Je 
«  me  réjouis  fort  de  l'honneur  que  vous  procurent,  non-seulement 
«  ce  titre,  mais  le  pouvoir  qui  y  est  attaché  (7).  » 

Ce  passage  si  formel ,  sert  à  expliquer  ou  à  corriger  les  expres- 
sions de  quelques  anciens  auteurs,  qui  semblent  supposer  que  le 
Pape  donna  l'onction  royale  à  Pépin,  dans  l'occasion  dont  il  s'agit. 

(i)  Greg.  VII  Epistol.  lib.  v,  Ep.  4. 

(2)  Ci-dessus,  2e  partie,  chap.  3,  n.  2o3. 

(3)  Raynaldi  Annales,  anno  i344>  h.  3g,  etc. 

(4)  Ci-dessus,  2e  partie,  chap.  3,  n.  221,  etc. 

(5)  Mémoires  de  l'Académie  des  inscriptions,  édition  in-40,  lom.  xxxrx 
pag.  617,  etc. 

(6)  On  sait  que  le  nom  de  David  était  un  surnom  donné  à  Charlemagne  par  Al- 
cuiu,  qui  ne  l'appelle  jamais  autrement  dans  ses  lettres. 

(7)  Alcuini  Opéra  {lom.  il,  édition  de  Ralisbonne,  1777). 

46, 


724  PIECES  JUSTIFICATIVES. 

Cette  supposition ,  outre  qu'elle  est  détruite  par  le  passage  d' Mcuin 
que  nous  venons  de  citer,  est  d'ailleurs  invraisemblable  en  elle- 
même  ;  car  il  est  certain  que  Charlemagne  avait  déjà  fait  sacrer , 
par  le  pape  Adrien  Ier,  en  781 ,  Pépin,  roi  d'Italie,  et  Louis,  roi 
d'Aquitaine  (1);  tandis  que  Cbarles,  son  fils  aîné,  n'avait  pas, 
avant  800 ,  le  titre  de  roi ,  que  plusieurs  anciens  auteurs  lui  donnent 
depuis  cette  époque. 

On  demandera  peut-être  par  quel  motif  Charlemagne  différa  si 
longtemps  à  le  lui  donner ,  même  après  l'avoir  conféré  à  ses  deux 
autres  fils.  M.  de  Bréquigny  conjecture  avec  beaucoup  de  vrai- 
semblance ,  que  Charlemagne ,  avant  son  élévation  à  l'empire ,  ne 
trouvait  pas  convenable  de  communiquer  à  son  fils  aîné  un  titre  égal 
au  sien  ,  dans  la  partie  de  ses  États  qu'il  lui  destinait  après  sa  mort , 
et  dont  il  s'était  réservé  l'administration  immédiate.  Cette  raison  de 
convenance  tomba  d'elle-même ,  aussitôt  que  Charlemagne  eut  reçu 
le  titre  ft  empereur ,  séuprieur  à  celui  de  roi  :  il  ne  craignit  plus 
alors  de  faire  gouverner  sous  lui,  par  un  roi,  les  États  qu'il  gouver- 
nait lui-même  comme  empereur. 

II.  La  seconde  difficulté  regarde  le  serment  fait  par  Charle- 
magne ,  selon  quelques  auteurs  ,  dans  la  cérémonie  de  son  cou- 
ronnement, en  800.  Sigonius,  auteur  du  xvie  siècle,  et  après  lui 
quelques  auteurs  modernes ,  supposent  que  ce  prince  prêta,  dans 
cette  circonstance ,  au  pape  Léon  III,  le  serment  de  fidélité  que  les 
empereurs  prêtèrent  dans  la  suite,  en  pareille  occasion,  et  qu'on  lit 
en  ces  termes  dans  un  ancien  Ordre  Romain  :  «  Moi  N.  empereur, 
«  promet^, au  nom  de» Jésus-Christ ,  devant  Dieu  et  saint  Pierre,  de 
«  protéger  et  défendre  tous  les  intérêts  de  l'Église  romaine,  autant  que 
«  je  saurai  et  pourrai  le  faire,  avec  le  secours  de  Dieu  (2).  »  Fleury ,  le 
P.  Daniel,  le  P.  Longueval,  et  la  plupart  des  auteurs  modernes,  ne  font 
aucune  mention  de  ce  fait,  qui  ne  paraît  pas  suffisamment  attesté , 
et  qui  semble  même  peu  vraisemblable.  Il  est  difficile,  en  effet,  de  sup- 
poser qu'Éginhard,  Anastasele  Bibliothécaire,  et  les  autres  historiens 
du  temps,  qui  rapportent  avec  plus  de  détails  l'histoire  du  couronne- 
ment de  Charlemagne  ,  aient  omis  une  circonstance  si  importante  ; 

(ï)  Voyez  Y  Histoire  Ecclésiastique  de  Fleury,  V  Histoire  de  l'Eglise  Gall.  }  les 
Annales  du  moyen  âge,  et  tous  les  autres  historiens  de  cette  époque,  sous  la  date 
de  781. 

(2)  Ordo  Romanus  ad  benedicendum  imperatorem ;  apud  Hittorpiura,  De  di- 
vinis  Officiis  }  édition  in-fol.  de  1624*  pag-  l^-  (Bibliolh.  Patrum ,  tora.xrn.)  — 
Sigonius,  Hist.  de  regno  Italiœ,  lib.  iv,  anno  8or.  (Operurn,  tom.  11.)  —  Baronii 
Annales ,  anno  800,  n.  7.  — Cenni,  Monumenta  Domin.  Pontif. ,  tom.  11,  Dis- 
sert. 1,  n.  45.  —  Lebeau  ,  Histofle  du  Bas-Empire ,  t.  xiv,  liv.  lxvi,  n.  53.  — 
Uegewisch,  Histoire  de  Charlemagne,  pag.  345. 


PIÈCES  JUSTIFICATIVES.  725 

et  l'ancien  Ordre  Romain,  cité  par  Sigonius,  à  l'appui  de  ce  fait, 
ne  paraît  pas  avoir  assez  d'autorité  pour  l'établir.  Cet  Ordre  Ro- 
main ,  publié  pour  la  première  fois  en  1561 ,  par  Georges  Cassan- 
dre ,  et  depuis  par  Hittorpius  (  Paris  ,  1569 ,  in-fol.  ) ,  quoique  d'une 
très-haute  antiquité  dans  plusieurs  de  ses  parties ,  a  élé  augmenté, 
avec  le  temps,  de  plusieurs  pièces  beaucoup  plus  récentes  ;  en  sorte 
qu'il  est  difficile,  au  jugement  des  plus  habiles  critiques,  de  détermi- 
ner l'antiquité  de  certaines  parties,  sans  recourir  à  d'autres  témoigna- 
ges (I).  Le  Sacramentaire  de  saint  Grégoire,  en  usage  à  Rome  et 
en  France  au  ixe  siècle ,  et  que  nous  avons  cité  ailleurs  (2),  montre 
bien  que  le  serment  de  fidélité  au  Pape  a  été  fait ,  par  quelques  em- 
pereurs ,  dans  le  cours  du  ixe  siècle ,  mais  non  qu'il  a  été  fait  par 
Charlemagne  lui-même. 

]II.  Une  dernière  difficulté  regarde  le  titre  d'empereur  donné  à 
Charlemagne  par  le  pape  Léon  III.  Le  récit  uniforme  des  anciens 
auteurs,  généralement  suivis  sur  ce  point  par  les  modernes,  ne 
permet  pas  de  douter  que  le  Pape  en  donnant  ce  titre  à  Charle- 
magne, dans  la  cérémonie  de  son  couronnement,  n'ait  prétendu  lui 
conférer  un  titre  honorable,  qu'il  n'avait  pas  auparavant.  Charle- 
magne lui-même  n'en  doutait  pas,  puisqu'il  prit  constamment, 
depuis  celte  époque ,  le  titre  d'empereur  dans  ses  actes  publics ,  où 
il  ne  prenait  auparavant  que  ceux  de  roi  de  France ,  ou  de  patrice 
des  Romains. 

Cependant  un  auteur,  justement  célèbre  par  ses  recherches  sur 
l'histoire  de  France,  avance  avec  confiance,  «  que  la  dignité  impé- 
«  riale  a  été  attachée  à  la  couronne  de  France ,  depuis  Clovis  ;  que 
«  les  rois  de  la  première,  seconde  et  troisième  races,  ont  pris  le  titre 
«  ft empereurs  ;  et  que  ce  titre  leur  a  été  donné  par  leurs  sujets  et 
«  par  les  étrangers.  »  Tel  est  le  sujet  d'une  dissertation  insérée, 
par  François  Decamps,  dans  le  Mercure  du  mois  d'août  1720 
(page  50,  etc.  ).  En  parcourant  cette  dissertation  singulière,  il  nous 
a  paru  qu'elle  reposait  principalement  sur  l'équivoque  des  mots 
empereur,  consul,  et  de  quelques  autres  titres  d'honneur ,  aux- 
quels on  a  autrefois  attaché  différents  sens.  Le  nom  d'empereur 
était  primitivement  commun ,  chez  les  Romains ,  à  tous  les  généraux 
d'armée  (  du  mot  latin  imper ar e ,  qui  signifie  commander.)  Dans 
la  suite,  il  devint  un  titre  d'honneur,  que  les  soldats  ou  le  sénat 
donnaient  à  un  général  qui  s'était  signalé  par  quelque  grand  exploit. 
Plus  tard,  vers  la  fin  de  la  république,  César  fut  appelé  de  ce 


(i)  Mabillon,  Musœum  Italicum,  tora.  n  ;  PrœJ.,  pag.  g. 
(2)  Ci-dessus,  2e  partie,  chap.  2,  n.  07. 


726  PIÈCES   JUSTIFICATIVES. 

nom  par  le  peuple  romain ,  pour  marquer  le  pouvoir  extraordinaire 
qu'il  avait  dans  l'Etat,  et  qui  réunissait  tous  les  pouvoirs  attachés 
jusqu'alors  aux  différentes  magistratures  de  la  république.  C'est 
en  ce  dernier  sens  qu'Auguste  et  ses  successeurs  ont  été  nommés 
empereurs.  A  l'exemple  des  Romains ,  les  autres  peuples  ont 
donné  ce  titre,  dans  un  sens  plus  ou  moins  large,  à  leurs  sou- 
verains ;  d'où  il  est  arrivé  que  les  anciens  auteurs ,  comme  les 
modernes,  ont  quelquefois  pris  l'un  pour  l'autre,  les  mots  de  roi  et 
d'empereur ,  d'empire  et  de  royaume ,  et  d'autres  expressions 
semblables  (1).  On  conçoit,  d'après  cela,  que  les  rois  de  France 
aient  pu  être  nommés  empereurs ,  et  leur  royaume  être  nommé 
empire,  dans  un  sens  large,  avant  le  couronnement  de  Charlema- 
gne,  sans  qu'on  puisse  dire  proprement,  que  la  dignité  impériale 
était  attachée  à  leur  couronne ,  dans  le  même  sens  qu'elle  le  fut  de- 
puis le  couronnement  de  Gharlemagne ,  en  800. 

Pour  ce  qui  regarde  le  titre  de  consul,  donné  à  Clovis  par  l'empe- 
reur Anastase ,  il  est  certain  que  ce  titre  n'était  pas  inséparable  de 
celui  d'empereur,  comme  le  suppose  Fauteur  de  la  dissertation  déjà 
citée  de  François  Decamps.  Nous  avons  montré  ailleurs  (2),  que, 
sous  les  empereurs,  c'était  un  simple  titre  d'honneur,  qu'ils  don- 
naient quelquefois  à  des  personnages  distingués. 

Il  demeure  donc  prouvé  que  le  titre  d'empereur,  donné  à  Char- 
lernagne  par  le  pape  Léon III ,  était  un  titre  d'honneur,  semblable 
à  celui  des  anciens  empereurs  d'Occident.  Ce  nouveau  titre  rendait 
Gharlemagne  plus  respectable  aux  yeux  des  autres  souverains  ,  et 
surtout  aux  yeux  des  Romains  ;  ii  lui  donnait  même  une  autorité 
particulière ,  dans  le  gouvernement  de  Rome  et  de  l'exarchat.  On  a 
vu  ailleurs  quelle  était  la  nature  et  l'étendue  de  cette  autorité  (3). 


VII.  —  Page  316. 

Sur  l'élévation  de  Pépin  au  trône  de  France,  et  sur  l'usurpation 
communément  reprochée  à  ce  prince. 

Il  se  présente  ici  deux  questions  principales  à  examiner  :  1°  la 
décision  attribuée  au  pape  Zacharie,  sur  l'élévation  dePepin  au  trône 
de  France,  est-elle  authentique?  2°  Que  penser  du  reproche  d'usur- 
pation fait  à  ce  prince  par  un  si  grand  nombre  d'ailleurs  modernes? 

(i)  Voyez  les  articles  Empereur  et  Imperator  dans  les  ouvrages  suivants  :  Robert 
Estienne ,  Thésaurus  linguœ  Latinœ  ;  Ducange,  Glossarium  mediœ  et  injimœ  La- 
tinit,  ;  Facciolati ,  Lexicon  ;  Moreri ,  Diction.  Hist.  Voyez  aussi  Crevier,  Hist, 
Rom.,  tora.  xcv,  pag.  335. 

(2)  Ci-dessus,  pag.  232,  note  1. 

(3)  Ci-dessus,  irc  partie,  chap.  2?  art;  1. 


PIÊCTSS   JUSTIFICATfréfc  ?2T 

PREMIÈRE   QUESTION, 

V authenticité  de  la  décision  du  pape  Zacharie  a  été  fort  con- 
testée ,  à  la  fin  du  xvne  siècle ,  par  les  PP.  Lecointe  et  Noël  Alexan- 
dre (1).  Cette  décision,  selon  eux,  n'est  rapportée  que  dans  des 
chroniques  sans  autorité ,  et  dont  les  plus  anciennes  ont  été  suppo- 
sées ou  altérées  par  des  faussaires ,  dévoués  à  la  dynastie  carlovin- 
gienne. 

Cette  opinion,  combattue,  dès  son  origine,  par  les  PP.  Pagi  et 
Mabillon,  a  trouvé  peu  de  partisans  (2).  Un  écrivain  récent  l'a  re- 
nouvelée ,  dans  une  dissertation  qui  a  pour  titre  :  Pépin  le  Bref  et 
le  pape  Zacharie ,  ou  preuve  de  la  fidélité  des  Français  à  leurs 
rois  légitimes ,  lors  du  passage  de  la  première  à  la  seconde  dy- 
nastie 3  par  M.  Aimé  Guillon.  (Paris,  1817,  in-8o.  )  Mais  il  ne  pa- 
rait pas  que  cette  dissertation  ait  fait  beaucoup  d'impression  sur  les 
savants  (3)  ;  du  moins  nous  ne  connaissons  aucun  écrivain  distingué, 
qui  ait  adopté,  de  nos  jours,  l'opinion  soutenue  par  l'auteur  de  cette 
dissertation.  Nous  trouvons  même ,  depuis  la  publication  de  cet 
opuscule,  l'authenticité  du  fait  eu  question,  clairement  supposée  par 
les  auteurs  qui  ont  traité  avec  plus  de  soin  et  de  développement  l'his- 
toire du  moyen  âge,  et  celle  de  France  en  particulier  (4). 

(i)  Lecointe,  Annales  ccclesiastici  Franconim ,  tora.  y,  ann.  752.  —  Noël 
Alex. ,  Hist.  Eccles.,  Dissert,  2  in  sœculum  octavum.  — Tournely  (De  Ecclesid, 
tom.  11,  pag.  402,  etc.)  incline  au  sentiment  de  ces  auteurs,  sans  l'adopter  cependant 
ouvertement. 

(2)  Pagi,  Critica  in  Annales  Bar onii ,  ann.  "j5t  et  752 Mabillon,  Annales 

Benedictini,  tom.  11,  lib.  xxri,  n.  43  et  55.  On  peut  voir,  à  l'appui  du  sentiment  de 
ces  auteurs,  une  dissertation  particulière,  dans  le  tome  1  du  Recueil  de  piècéè 
d'histoire  et  de  littérat.  (par  l'abbé  Granet  et  le  P.  Desmolets)  ;  Paris,  173 1/4  vol. 
in-12.  —  Mamachi  Anliquitates  Christ. y  tom.  iv,  pag.  224,  etc.  — Notes  des  PP. 
Roncaglia  et  Mansi,  à  la  suite  de  la  Dissert,  déjà  citée  du  P.  Alexandre. 

(3)  Nous  avons  appris,  par  une  voie  très-sûre,  que  l'auteur  de  la  Dissertation,  dans 
un  temps  où  il  aspirait  au  fauteuil  académique,  avait  offert  cet  opuscule,  comme  \\n 
titre  de  recommandation,  à  l'un  des  membres  de  Y  Institut  les  plus  influents.  L'Acadé- 
mie, après  avoir  lu  cette  dissertation,  loin  d'y  trouver  un  titre  de  recommandation 
pour  l'auteur,  la  regarda  comme  un  titre  d'exclusion.  Il  paraît  que  le  principal  motif 
de  ce  jugement,  était  la  critique  outrée  ,  minutieuse  et  passionnée,  dont  l'auteur  fait 
preuve  dans  cet  écrit,  aussi  bien  que  dans  quelques  autres.  Voyez  en  parti- 
culier le  compte  rendu  de  son  Histoire  de  l'Eglise  pendant  le  xvine  siècle  ,  dans 
Y  Ami  de  la  Rel. ,  t.  xxxvi,  pag.  385;  t.  xxxvri,  p.  81,  321,  4X$J  t.  xxxviii, 
p.  49,  209,  4i3.  —  OEuvr.  de  Fénelon  ;  Notice  bihliogr.y  tom  xx ,  pag.  lv,  etc. 
L'abbé  Guillon  est  mort  au  mois  de  février  1842,  âgé  de  quatre-vingt-quatre  ans. 

(4)  Voyez  en  particulier  Micbaud,  Hist.  des  Croisades  f  tom.  îv,  pag.  462.  ■ —  Sis- 
mondi,  Hist.  des  Français ,  tom.  11,  pag.  iG5.  —  Idem  ,  Hist.  des  Républ.  Ital. 
tom.  I,  chap.  3,  pag.  i32.  —  Annales  du,  moyen  dge,  tom.  vi,  liv.  23,  année  75i . 
*—  Chateaubriand,  Etudes  Historiques,  tora;  ni;  Analyse  raisonnée  de  l'ffist.  d$ 


728  PIÈCES  JUSTIFICATIVES. 

Nous  croyons  avec  ces  auteurs,  et  avec  le  plus  grand  nombre  des 
critiques  modernes ,  que  ce  fait  est  appuyé  sur  une  tradition  histo- 
rique du  plus  grand  poids ,  et  dont  l'autorité  ne  peut  être  contestée 
que  par  une  critique  outrée.  En  effet,  il  serait  difficile  de  trouver, 
dans  Thistuire  de  cette  époque ,  un  fait  appuyé  sur  une  tradition 
aussi  ancienne  et  aussi  universelle.  Pour  ne  parler  ici  que  des  té- 
moignages les  plus  anciens ,  on  trouve  ce  fait  rapporté  par  le  conti- 
nuateur de  Frédégaire,  contemporain  de  Pépin  (1);  par  l'auteur 
anonyme  d'une  note  jointe,  en  767,  au  livre  de  saint  Grégoire  de 
Tours  De  Gloria  Confessorum  (2)  ;  par  Éginhard  ou  l'auteur  des 
Annales  qui  portent  son  nom  (3)  ;  et  par  une  multitude  d'annalistes 
postérieurs  (4J.  On  ne  peut  ouvrir  les  différentes  collections  des 
Historiens  de  France,  sans  y  rencontrer  une  foule  de  témoignages,  à 
l'appui  de  cette  tradition.  Ces  témoignages  remontent  jusqu'au  temps 
de  Gharlemagne  et  de  Pépin ,  et  forment  une  tradition  non  inter- 
rompue, depuis  le  milieu  du  vine  siècle  jusqu'à  la  fin  du  xviie,  où 
quelques  écrivains  ont  commencé  à  la  combattre.  Comment  peut-on 
raisonnablement  contester  l'autorité  d'une  tradition  si  ancienne  et 
si  universelle,  sur  un  fait  de  cette  importance  ?  Peut-on  la  contester, 
sans  ébranler  la  certitude  des  faits  les  plus  généralement  admis ,  à 
cette  époque  de  notre  histoire?  „ 

Qu'oppose-t-on  d'ailleurs  à  cette  tradition  si  imposante?  On  con- 
teste l'authenticité  de  quelques-uns  des  anciens  témoignages  que 
nous  venons  de  citer.  Mais  au  fond ,  l'examen  détaillé  de  ces  témoi- 
gnages n'est  pas  nécessaire  pour  établir  notre  sentiment.  En  effet, 
outre  que  l'authenticité  de  ces  témoignages  est  reconnue  par  le  plus 

France,  2e  race,  pag.  i.  —  De  Peyronnet,  Hist.  des  Francs ,  tora.  il,  liv.  xn  , 
chap.  8.  —  M.  Receveur,  dans  son  Hist.  de  l'Église  (tora.  iv,  pag.  80 ,  note),  ne 
rejette  pas  absolument  le  fait  dont  il  s'agit;  il  se  borne  à  le  présenter  comme  dou- 
teux. Les  raisons  qu'il  expose,  à  l'appui  de  son  opinion,  nous  semblent  bien  affaiblies, 
par  les  observations  générales  que  nous  allons  présenter  à  l'appui  du  sentiment 
commun. 

(1)  Fredegarii  continuât™,  anno  752.  Cette  continuation  se  trouve  à  la  suite  de 
VHist.  des  Francs,  par  saint  Grégoire  de  Tours,  édition  de  D.  Ruinart. 

(2)  Opéra  S.  Greg.  Turonensis ,  ad  calcera  libri  De  Gloria  Confessorum.  Le 
manuscrit  de  cet  ouvrage,  dans  lequel  se  trouve  la  note  dont  nous  parlons,  se  con- 
servait autrefois  dans  l'abbaye  de  Saint-Denis.  Il  fut  communiqué  aux  PP.  Hensche- 
nius  et  Papebroch,  éditeurs  des  Acta  Sanctorum ,  qui  l'insérèrent  dans  le  2e  volume 
du  mois  de  mars.  Le  P.  Mabillon  l'a  aussi  inséré  dans  son  grand  ouvrage  :  De  Re  di~ 
plomaticâ ,  pag.  384. 

(3)  Eginhard,  Annales,  anno  750. 

(4)  On  peut  voir  le  recueil  de  ces  témoignages,  dans  les  ouvrages  de  Serarius, 
Dupin  et  Bossuet,  que  nous  avons  cités  plus  haut  (tre  partie,  chap.  2,  p.  3i5,  note  1). 
On  en  trouve  un  beaucoupfplus  grand  nombre,  dans  les  Recueils  des  Historiens  de 
France  de  Duchesne  et  de  D.  Bouquet. 


PIÈCES   JUSTIFICATIVES.  .  729 

grand  nombre  des  critiques ,  même  depuis  l'origine  de  celte  discus- 
sion, il  faut  remarquer,  1°  que  la  tradition  dont  il  s'agit ,  de  l'aveu 
même  de  la  plupart  de  ceux  qui  en  contestent  l'autorité  ,  remonte 
au  moins  jusqu'au  temps  de  Charlemagne  (1)  :  2<>  que  cette  tradition 
si  ancienne  n'est  combattue  par  aucun  témoignage  positif,  depuis 
son  origine  jusqu'à  la  fin  du  xviie  siècle  :  3°  que  les  auteurs  auxquels 
on  attribue  d'avoir  supposé  ce  fait ,  pour  flatler  les  successeurs  de 
Pépin,  n'avaient  aucun  intérêt  à  l'inventer;  puisqu'ils  pouvaient 
citer  avec  confiance,  en  faveur  de  ce  prince  et  de  sa  dynastie,  un 
autre  fait  du  même  genre  ,  et  absolument  incontestable ,  savoir ,  le 
sacre  de  Pépin  par  le  pape  Élienne  II. 

Ces  raisons  suffisent,  à  ce  qu'il  nous  semble,  pour  justifier  l'as- 
sertion d'un  célèbre  historien  de  nos  jours,  qui ,  parlant  de  la  déci- 
sion dont  il  s'agit,  la  regarde  comme  un  fait  historique  des  mieux 
attestés.  «  Aucun  point  d'histoire,  dit  le  docteur  Ringard,  n'est 
«  peut-être  mieux  attesté ,  que  la  part  que  le  pontife  (Zacharie),  et 
«  son  légat  (saint  Boniface)  eurent  dans  cette  affaire  (2)   » 

SECONDE  QUESTION. 

Pour  ce  qui  regarde  V usurpation  communément  attribuée  à 
Pépin ,  il  s'en  faut  baucoup  qu'elle  soit  incontestable  ;  et  sans  préten- 
dre établir  directement  le  contraire,  par  des  preuves  positives  ,  nous 
croyons  du  moins  pouvoir  avancer,  que  l'hypothèse  de  cette  usur- 
pation est  tout  à  la  fois  invraisemblable  en  elle-même ,  et  destituée 
de  preuves  solides. 

Avant  d'exposer  les  raisons  qui  nous  semblent  propres  à  établir  ces 
deux  points ,  nous  ne  dissimulerons  pas  que  nous  avons  longtemps 
balancé  à  combattre ,  sur  ce  sujet ,  l'opinion  commune  des  auteurs 
modernes.  Le  nombre  et  l'autorité  de  ceux  qui  la  soutiennent,  nous 
semblaient  former  un  préjugé  légitime  et  presque  décisif  en  sa  faveur. 
Il  nous  paraissait  peu  vraisemblable  que  cette  opinion ,  si  elle  n'eût 
été  solidement  établie ,  eût  pu  obtenir  les  suffrages  d'un  si  grand 
nombre  d'auteurs  judicieux  ;  et  malgré  les  difficultés  qu'elle  nous 
présentait,  nous  aimions  à  supposer,  qu'un  examen  plus  approfondi 
nous  obligerait  à  l'admettre,  au  moins  comme  fondée  sur  de  très- 
fortes  présomptions.  C'est  dans  cttte  disposition  que  nous  l'avons 
examinée;  et  cet  examen,  loin  de  la  rendre  plausible  à  nos  yeux, 

(i)  M.  Guillon  seul  place  l'origine  de  cette  tradition  au  commencement  du  Xe  siè- 
cle, parce  qu'il  nie  l'authenticité  de  tous  les  témoignages  plus  anciens:  sa  critique, 
sur  ce  point,  paraît  manifestement  outrée. 

(2)  Lingard,  Antiquités  de  l'Eglise  Anglo-Saxonne,  chap.  i3,  pag,  544*  j 


730  PIÈGES  JUSTIFICATIVE?. 

nous  y  a  fait  trouver  de  nouvelles  et  déplus  grandes  difficultés.  Nous 
les  exposerons  ici  avec  d'autant  plus  de  confiance,  que  de  savants 
auteurs  en  ont  été  frappés  avant  nous,  et  lès  ont  déjà  proposées  dans 
des  ouvrages  peu  connus ,  auxquels  nous  ne  croyons  pas  qu'on  ait 
rien  opposé  de  solide,  ni  même  qu'on  ait  essayé  de  répondre  avec 
quelque  développement  (1). 

I.  L'usurpation  communément  reprochée  à  Pépin  est  invf  assem- 
blable en  elle-même;  elle  paraît  inconciliable  avec  l'idée  que  tous 
les  historiens  nous  donnent  de  ce  grand  prince,  avec  le  caractère 
des  principaux  personnages  qui  concoururent  à  son  élévation,  enfin 
avec  la  soumission  que  les  seigneurs  français  lui  témoignèrent  con- 
stamment, pendant  tout  !e  cours  de  son  règne. 

1°  En  effet,  les  historiens  mêmes  qui  attribuent  à  Pépin  le  crime 
de  l'usurpation ,  ne  peuvent  s'empêcher  de  reconnaître  en  lui  l'as- 
semblage des  vertus  et  des  qualités  qui  font  un  excellent  prince. 
«  Ce  fut  ,  dit  le  P.  Longueval,  un  prince  en  qui  tout  fut  grand ,  ex- 
ce  cepté  la  taille,  qui  le  fit  surnommer  le  Bref.  Né  sujet,  ii  se  montra, 
«  par  ses  grandes  qualités,  si  digne  du  trône,  où  il  trouva  le  moyen 
«  de  s'élever  au  préjudice  des  héritiers  légitimes ,  que  son  ambition 
«  n'excita  pas  même  la  jalousie  des  grands.  Il  sut,  en  effet ,  si  bien 
«  allier ,  dans  la  suite ,  les  vertus  chrétiennes  et  civiles  avec  les  ver- 
«  tus  militaires  ,  qu'il  fut  toujours  l'amour  de  ses  peuples,  le  défen- 
«  seur  de  la  foi,  et  la  terreur  des  ennemis  de  l'État  et  de  l'Église. 
«  Fils  et  petit-fils  de  héros  ,  il  eut  encore  le  bonheur  singulier  d'être 
«  père  d'un  héros,  qui  surpassa  la  gloire  de  tant  d'illustres  ancêtres. 
«  On  ne  peut  rien  ajouter  aux  glorieux  titres  que  les  papes  lui  ont 
«  donnés ,  de  nouveau  Moïse ,  de  libérateur  de  l'Église,  de  roi 
«  très- chrétien ,  du  plus  grand  des  rois ,  sinon  qu'il  les  mérita, 
«à  quelques  faiblesses  près  (2).  »  L'opinion  de  nos  meilleurs  his- 
toriens s'accorde  parfaitement,  sur  ce  point,  avec  celle  du  P.  Lon- 

(i)  L'opinion  qui  suppose  Pépin  usurpateur  de  la  couronne  de  France,  a  été  com- 
battue, avec  beaucoup  de  force,  par  Serarius  ,  dans  son  ouvrage  intitulé  :  Rerum 
Mogunûiriensium  libri  quinque  ;  Moguntiœ  ,  1604,  in«4°  ;  Francofurti ,  1722, 
in-fol.  Voyez  surtout  la  note  40  sur  le  troisième  livre  de  cet  ouvrage.  Alban  Butler, 
ou  son  traducteur,  dans  une  note  sur  la  a>ie  de  saint  Boni/ace  y  indique  cet  ou- 
vrage de  Serarius  ,  comme  ayant  fort  bien  éclairci  ce  qui  concerne  l'élection  de 
Pépin.  (  Fies  des  Pères,  etc.,  tom.  v,  5e  jour  de  juin.)  A  l'appui  de  l'opinion  de  Se- 
rarius ,  on  peut  consulter  encore  les  ouvrages  suivants  :  Notice  généalogique  et 
historique  sur  la  maison  de  France.  Paris,  1816,  in- 12.  —  Gaillard,  Hist.  de 
Charlemagney  tom.  1,  pag.  194,  258,  etc.  —  Clausel  de  Coussergues,  Du  Sacre  des 
rois  de  France,  chap.  4.  —  De  Saint-Victor,  Tableau  historique  et  pitt.  de  Paris, 

tom.  1,  pag.  69,  etc Mœller,  Manuel  d'histoire  du  moyen  âge ,  chap.  vu,  §  1 , 

vers  la  fin. 

(2)  Hist.  de  l'Église  Gallicane,  tom.  i.v,  année  768,  pag.  452» 


PIÈCES  JUSTIFICATIVES.  fff 

guevâl  (1).  Mais,  de  bonne  foi,  un  pareil  caractère  peut-il  être 
celui  d'un  usurpateur,  d'un  homme  capable,  comme  on  le  sup- 
pose, de  faire  jouer  tous  les  ressorts  de  la  religion  et  de  la  plus 
adroite  politique  ,  pour  couvrir,  aux  yeux  des  peuples,  le  vice  de 
ton  usurpation?  Peut-on,  sans  une  contradiction  manifeste,  attri- 
buer à  un  même  homme  la  plus  haute  vertu  et  les  plus  odieuses 
manœuvres  de  l'ambition?  Nous  croyons  qu'on  sera  de  plus  eii  plus 
frappé  de  cette  contradiction,  à  mesure  qu'on  examinera  de  plus  près 
toute  la  suite  de  l'histoire  de  Pépin,  dans  les  auteurs  mêmes  qui  le 
supposent  coupable  d'usurpation. 

20  Le  caractère  des  principaux  personnages  qui  concoururent  à 
son  élévation ,  semble  également  inconciliable  avec  l'hypothèse  de 
son  usurpation  En  effet ,  les  défenseurs  de  cette  hypothèse  font  in- 
tervenir dans  cette  affaire  les  personnages  les  plus  respectables  :  le 
pape  Zacharie,  que  tous  les  historiens  représentent  comme  un  pon- 
tife d'une  éminente  vertu;  Fulrade,  abbé  de  S«int-Denis,  un  des 
plus  grands  dignitaires  ecclésiastiques  de  France  ;  saint  Burehard  , 
évêque  de  Wurtzbourg ,  disciple  de  saint  Boniface  ;  saint  Boniface 
lui-même,  apôtre  de  l'Allemagne,  qui,  d'après  la  décision  de  Zacha- 
rie ,  donna  l'onction  royale  à  Pépin.  Or,  comment  supposer  que 
tant  de  personnes  distinguées  par  leurs  vertus  et  leur  caractère,  se 
soient  entendues  pour  favoriser  l'usurpation  de  Pépin  ;  Fuirade  et 
saint  Burchard ,  en  plaidant  auprès  du  saint-siége  la  cause  de  l'usur- 
pateur ;  Zacharie  en  sanctionnant  l'usurpation  par  son  jugement;  et 
saint  Boniface  en  y  mettant  le  sceau  de  la  religion  par  la  cérémonie 
du  sacre?  Il  faut  avouer  que  de  pareilles  suppositions  sont  coutrai- 
res  à  toutes  les  vraisemblances  (2). 

3°  Enfin ,  ce  qui  nous  montre  de  plus  en  plus  l'invraisemblance 
du  reproche  d'usurpation  fait  à  Pépin,  c'est  le  respect  et  la  soumis- 
sion que  les  seigneurs  et  le  peuple  français  lui  témoignèrent  con- 
stamment ,  pendant  tout  le  cours  de  son  règne.  En  effet,  les  auteurs 
mêmes  qui  le  supposent  coupable  d'usurpation,  sont  obligés  de  re- 
connaître, que  sa  conduite  ri 'excita  pas  même  la  jalousie  des 
grands,  et  qu'on  ne  vit  dans  tout  son  règne  ni  soulèvement  ni 
faction  contre  son  autorité  (3).  Or,  est-il  croyable  que  Pépin  eût 


(1)  Fleury  et  Bérault-Bercastel,  dans  leurs  Histoires  de  l'Église;  le  P.  Daniel, 
dans  son  Histoire  de  France  ;  et  avec  eux  la  plupart  des  historiens,  soit  français, 
soit  étrangers,  font  les  mêmes  éloges  de  Pépin. 

(2)  11  faut  corriger,  d'après  ces  observations,  quelques  endroits  de  Y  Histoire  de 
Charlemagne  par  La  Bruère,  où  l'auteur  attribue  à  saint  Boniface  une  conduite  peu 
digne  d'un  saint,  et  surtout  d'un  apôtre.  (Tom.  i,  pag.  24,  etc.,  32.) 

(3)  Voyez  le  P.  Longueval,  Hist.  de  l'Egl.  Gall.,  ubi  supra.  —  Daniel,  Hist.  dé 


732  PIÈCES   JUSTIFICATIVES. 

obtenu  si  promptement  et  si  constamment  le  respect  et  la  soumis- 
sion dt  s  seigneurs  et  du  peuple  français ,  s'il  eût  été  coupable  d'u- 
surpation ?  Une  pareille  révolution  peut-elle  s'opérer  aussi  tranquil- 
lement? Et  si  jamais  elle  a  dû  exciter  des  soulèvements  et  des 
factions ,  n'est-ce  pas  surtout  à  l'époque  dont  nous  parlons ,  et  où 
l'on  sait  que  les  seigneurs  étaient  généralement  si  remuants  et  si 
difficiles  à  contenir  ? 

II.  L'usurpation  de  Pépin ,  si  peu  vraisemblable  en  elle-même,  est 
d'ailleurs  destituée  de  preuves  solides.  Toutes  celles  qu'on  apporte 
se  tirent ,  ou  de  l'ancienne  constitution  de  la  monarchie  française , 
ou  du  témoignage  de  quelques  anciens  auteurs,  ou  de  quelques  cir- 
constances de  la  conduite  de  Pépin  et  des  seigneurs  français.  Mas 
il  est  aisé  de  montrer  la  faiblesse  de  ces  différentes  preuves. 

lo  Si  l'on  examine  l'hypothèse  de  l'usurpation  de  Pépin,  d'après 
l'ancienne  constitution  de  la  monarchie  française,  elle  paraîtra  tout  à 
fait  gratuite.  En  effet,  pour  établir  cette  hypothèse,  il  faudrait  mon- 
trer que,  d'après  la  constitution  alors  en  vigueur,  les  seigneurs  fran- 
çais n'ont  eu  le  droit,  ni  de  déposer  Childeric  III,  ni  d'élire  Pépin  à 
sa  place.  Or,  il  s'en  faut  beaucoup  que  ces  deux  points  soient  claire- 
ment prouvés.  Pour  ce  qui  regarde,  en  premier  lieu,  la  déposition  de 
Childeric,  il  est  certain  que,  selon  l'opinion  la  plus  commune  parmi 
les  auteurs  modernes,  la  couronne  de  France  était  élective,  au 
moins  dans  la  famille  régnante ,  sous  la  première  et  la  seconde  race 
de  nos  rois  (l)  ;  et  que  l'autorité  royale  était  alors  en  France,  comme 

France ,  tom.  n,  règne  de  Pépin,  pag.  267.  — -  Velly,  Hist.  de  France ,  tom.  1 , 
pag.  378. 

iM.  Guillon  ,  dans  sa  Dissertation  déjà  citée  (pag.  91,  etc.),  suppose,  avec 
les  auteurs  de  VHist,  de  Languedoc  (  D.  Vaissette  et  D.  Devic  ) ,  que  la  révolte  de 
Gaifre,  duc  d'Aquitaine,  qui  donna  tant  d'exercice  à  Pépin,  avait  pour  motif  l'opposi- 
tion du  duc  à  l'usurpation  de  ce  prince.  Mais  il  s'en  faut  beaucoup  que  ce  point 
soit  à  i'abri  de  toute  contestation.  Il  est  certain,  au  contraire,  selon  la  remarque  de 
LaBruère,  que  tous  les  anciens  historiens  parlent  de  Gaifre,  comme  d'un  vassal  rebelle, 
et  justement  dépossédé  par  Pépin.  (La  Bruère,  Hist.  de  Charlemagne,  tom.  1,  p.  54.) 
Au  reste,  la  révolte  particulière  du  duc  d'Aquitaine  n'empêche  pas  la  vérité  du  fait 
avancé  par  les  auteurs  que  nous  avons  cités,  sur  le  respect  et  la  soumission  générale 
des  seigneurs  français  à  l'égard  de  Pépin  :  l'opposition  d'un  seul  ne  peut  eontre-ba- 
lancer  la  soumission  de  tous  les  autres. 

(1)  L'abbé  de  Vertot  adopte  et  prouve  ce  sentiment,  dans  une  Dissertation  qui  se 
trouve  parmi  les  Mèm.  de  l'Acad.  des  inscrip.  (  T.  vi  de  l'édition  in-X2,  et  t.  iv  de 
l'édition  in-4°«)  L'opinion  de  Vertot  paraît  communément  admise  par  les  auteurs  qui 
ont  écrit  depuis,  sur  cette  matière.  Voyez,  entre  autres,  De  Saint-Victor,  Tableau 
hist,  et  pitt.  de  Paris ,  tom.  1,  pag.  62-71.  — Hallam,  L'Europe  au  moyen  âge , 
tom.  1,  pag.  175,  180,284.—  Velly,  Hist.  de  France,  tom.  1,  pag.  7.5.  —  Gaillard, 
Hist.  de  Charlemagne ,  tom.  1,  pag.  i5i,  167,  184,  189,  258,  et  alibi  passim.  — 
Notice  généalog.  et  Hist.  sur  la  maison  de  France ,  §3.  —  Clausel,  Du  Sacre  des 
rois  de  France,  chap.  iv;  et  §  3  des  observations  placées  à  la  suite  de  l'ouvrage.  — 


PIECES  JUSTIFICATIVES.  733 

dans  tous  les  royaumes  électifs ,  très-limitée  par  l'assembk'e  géné- 
rale de  la  nation  ;  en  sorte  qu'il  serait  très-difficile ,  peut-être  même 
impossible,  de  déterminer  aujourd'hui,  avec  précision,  les  droits  de 
cette  assemblée  (1).  Par  une  suite  nécessaire  de  l'obscurité  dont  cette 
dernière  question  est  enveloppée,  il  est  impossible  aujourd'hui  de  sa- 
voir, quelles  étaient  alors  les  conditions  mises  à  l'élection  du  souverain 
par  l'assemblée  générale  de  la  nation,  et  dans  quels  cas  cette  assem- 
blée avait  ou  croyait  avoir  le  droit  de  déposer  le  souverain,  pour  en 
choisir  un  autre.  Toutefois,  on  peut  avancer  avec  confiance,  qu'à 
l'époque  de  i'élévation  de  Pépin,  les  Français  étaient  généralement 
persuadés,  qu'un  prince  inutile  à  la  nation  ne  pouvait  conserver  le 
titre  de  roi,  et  que  le  prince  qui  portait  alors  ce  titre  était  devenu 
complètement  inutile.  Tous  nos  anciens  annalistes  supposent  plus 
ou  moins  clairement  cette  persuasion  générale,  et  représentent  V inu- 
tilité o\x  Yincapacité  de  ChildericIH,  comme  la  véritable  cause  de 
sa  déposition  (2).  Il  est  vrai  que  cette  opinion  ne  paraissait  pas  éta- 
blie assez  clairement,  pour  dissiper  tous  les  scrupules  sur  le  serment 
de  fidélité  fait  à  Childeric  ;  mais  elle  paraissait  assez   bien  fondée , 
pour  engager  les  seigneurs  français  à  désirer,  et  à  demander  au  Pape 
une  décision  qui  prit  les  rassurer  pleinement  sur  ce  point.  Ces  obser- 
vations suffisent,  à  ce  qu'il  nous  semble,  pour  montrer  que  la  con- 
duite des  seigneurs  français  envers  Childeric  lit ,  n'est  p.is,  au 
fond,  si  étrange  qu'elle  le  paraît  au  premier  abord.  Aussi  a-t-elle 
été  justifiée,  même  d  ms   ces  de  niers  temps ,    par  des  auteurs 
aussi  versés  dans  la  connaissance  de  notre  histoire,  que  fermement 
attachés  aux  principes  conservateurs  de  la  société  et  du  gouverne- 
ment. Tel  est,  en  particulier,  le  sentiment  de  Bossuet  (3).  Selon  lui, 
l'autorité  excessive  que  le  corps  de  la  nation  avait  donnée  aux  mai- 
res du  palais  P  depuis  le  règne  de  Dagobert  1er,  affaiblit  à  un  tel 
point  la  puissance  royale,  qu'insensiblement  elle  fut  léduite  à  un 
vain  titre ,  tt  que,  dans  la  redite,  la  puissance  souveraine  se  trouva 
tout  entière  entre  les  mains  des  maires.  «  On  en  fit  des  officiers 
«  ordinaires  et  perpétuels ,  à  qui  on  donna  un  pouvoir  absolu  de 

Chateaubriand,  Etudes  historiques,  Préface,  pag.  cxvi  de  la  ire  édition,  et  g3  de 
la  2e.  —  Voyez  aussi  ,  dans  le  troisième  tome  de  ce  dernier  ouvrage ,  Y  Analyse  rai' 
sonnée  de  l'Histoire  de  France ,  ire  race,  pag.  5,  7,  etc.;  ste  race,  pag.  1, 
—  Mœller,  Manuel  d'Hist.  du  moyen  âge,  chap.  îv,  §  6. 

(1)  Annales  du  Moyen  âge,  tom.  nr,  liv.  11,  premières  pages. 

(2)  Voyez  les  témoignages  de  nos  anciens  annalistes  ,  cités  par  Bossuet  et  par 
les  auteurs  que  nous  avons  indiqués  dans  la  première  partie  de  ces  Recherches  t 
pag.  3i5,  note  1. 

(3)  Bossuet,  Defens.  Declar. ,  lib.  it ,  cap.  34-  Voyez  aussi  les  auteurs  cités  plus 
haut,  à  l'appui  du  sentiment  de  Bossuet  (pag.  317,  note  1). 


734  PIÈCES  JUSTIFICATIVES. 

«  décider  toutes  les  affaires ,  et  de  commander  les  armées.  Les  rois 
«  ne  se  réservèrent  pis  même  le  droit  de  nommer  cet  officier  :  les 
«  grands  du  royaume  le  choisissaient  ;  et  dès  qu'il  était  en  place,  il 
«  décidait  de  tout  sans  consulter  le  roi(l).  »  Les  seigneurs  français, 
frappés  enfin  d'un  si  grand  défaut  dans  la  constitution  de  l'État,  et 
des  inconvénients  qui  devaient  naturellement  résulter,  avec  le 
temps ,  d'un  pareil  état  de  choses,  n'y  trouvèrent  pas  d'autre  re- 
mède, que  d'ôter  le  titre  de  roi  à  celui  qui  le  portait  inutilement, 
et  de  le  donner  à  celui  qui  possédait  déjà ,  du  consentement  de  la 
nation ,  la  puissance  royale.  Il  semble,  en  effet,  que  c'était  là  l'uni- 
que moyen  de  remédier  à  l'inconvénient  qu'avait  insensiblement 
amené  le  vice  de  la  constitution ,  et  de  prévenir  les  désordres  de 
l'anarchie,  qui  ne  pouvaient  manquer  tôt  ou  tard  d'en  résulter.  Il 
était  assez  évident  que  le  royaume  ne  pouvait  longtemps  subsister 
sous  deux  chefs  différents,  qui  paraissaient  devoir  également  s'attri- 
buer l'autorité  souveraine ,  en  se  fondant  sur  des  titres  également 
plausibles  (2). 

En  second  lieu ,  supposé  que  les  seigneurs  français  aient  eu  le 
droit  de  déposer  Childeric,  l'élection  qu'ils  firent  ensuite  de  Pépin , 

(i)  Bossuet,  ibid.,  pag.  523. 

(2)  La  conduite  des  seigneurs  français  serait  encore  plus  facile  à  justifier,  s'il  était 
vrai,  comme  le  prétendent  quelques  auteurs,  que  Childeric,  touché  du  désir  de  se 
donner  entièrement  à  Dieu,  abdiqua  de  son  plein  gvé,  avec  le  consentement  des 
seigneurs.  (Jean  de  Paris,  Tract,  de  Potestate  regid  et papali,  cap.  14  et  i5  :  apud 
Richerium  ,  Vindiciœ  doctrinœ  majorant  scholœ  Paris.,  lib.  n,  pag.  104  et  108.  ) 
Par  cette  abdication  volontaire,  les  Français  rentraient  naturellement  dans  le  droit 
de  choisir  un  autre  roi.  Mais  cette  manière  de  justifier  l'élection  de  Peuin  est  difficile 
à  soutenir  :  i°  parce  que  l'abdication  de  Childeric  ne  parait  pas  suffisamment  établie. 
Le  récit  uniforme  des  anciens  annalistes,  suivi  en  ce  point  par  le  plus  grand  nombre 
des  historiens  modernes,  suppose  que  Childeric  fut  relégué  dans  un  monastère  par 
l'autorité  de  Pépin  et  des  seigneurs ,  et  non  par  son  libre  choix.  20  En  supposant 
même  que  Childeric  eût  abdiqué,  il  était  bien  difficile  que  son  abdication  parût  vo- 
lontaire, dans  les  circonstances  où  il  la  fit.  Au  reste,  il  est  à  remarquer  que  celte  ma- 
nière de  justifier  l'élection  de  Pépin  ,  serait  encore  plus  sujette  à  difficulté  ,  dans  le 
sentiment  des  auteurs  qui  supposent  la  couronne  de  France  purement  héréditaire, 
sous  la  première  race  de  nos  rois.  En  effet,  la  Chronique  de  Fontenelle ,  suivie  sur 
ce  point  par  le  plus  grand  nombre  des  historiens,  nous  apprend  que  Childeric  III 
laissa  un  fils,  qui  vécut  et  mourut  dans  ce  monastère,  (Hist.  de  l'Église  Gall.,  t.  iv, 
année  752,  pag.  354.  —  Daniel,  Hist.  de  France,  année  75o.)  Il  paraît  d'ailleurs, 
qu'indépendamment  de  ce  fils  de  Childeric  III,  il  exista  encore,  longtemps  après 
l'élection  de  Pépin,  d'autres  princes  du  sang  royal  des  Mérovingiens.  Plusieurs  ducs 
de  Gascogne,  issus  de  cette  famille,  donnèrent  beaucoup  d'exercice  à  Pépin,  à  Char- 
lemagne  et  à  Louis  le  Débonnaire.  (D.  Vaissette,  Hist.  du  Languedoc,  t.  1,  p.  4*3. 

L'Art  de  vérifier  les  dates  ;  Chronologie  hist.  des  rois  de  Toulouse  et  des  ducs 

de  Gascogne.  —  Annales  du  moyen  âge ,  tom.  vin,  liv.  xxix ,  pag.  33  r.  — 
Frantin,  Louis  le  Pieux  et  son  siècle,  tom.  1,  années  816  et  819,  pag.  38,  io3,  etc. 
—  De  La  Bruère,  Hist.  de  Charlemagne,  tom.  1,  pag,  53,  note.  ) 


PIÈCES  JUSTIFICATIVES.  ¥35 

ne  saurait  être  démontrée  contraire  à  la  constitution  alors  en  vi- 
gueur. En  effet,  nous  avons  déjà  fait  remarquer  que,  selon  l'opinion 
la  plus  commune  et  la  plus  probable ,  la  couronne  de  France  était 
alors  élective,  au  moins  dans  la  famille  régnante  (1)  ;  or,  d'habiles 
critiques  ont  pensé  que  Pépin  était  du  sang  royal  des  Mérovin- 
giens (2).  De  nos  jours  même,  cette  opinion  a  paru  plausible  à  quel- 
ques savants,  parmi  lesquels  on  remarque  surtout  D.  de  Bévy,  an- 
cien Bénédictin ,  et  historiographe  de  France  (3).  Voici  comment  ces 
auteurs  établissent  la  filiation  des  princes  français,  depuis  Mérovée 
jusqu'à  Pépin  et  Hugues  Capet:  Sigebert,  roi  des  Ripuaires,  frère 
de  Childericlcr;  Clodéric,  tué  par  Clovis  ;  Mundéric,  roi  en  Au- 
vergne; Bodégesile,  roi  en  Austrasie;  S.  Arnould;  Ansigise,  maire 
du  palais  de  Sigebert;  Pépin  d'Héristal.  Ce  Pépin  eut  deux  fils, 
Charles-Martel,  tige  des  Carlovingiens  ,  et  Childebrand,  lige  des 
Capétiens,  issus  de  deux  femmes  différentes  de  Pépin,  mais  qui 
furent  toutes  deux  successivement  légitimes  (4).  Childebrand,  mort 
en  753,  eut  pour  descendants  Nivelon,  Théodebert,  Robert  le  Fort , 
Robert  Ier,  roi  de  France,  Hugues  le  Grand,  et  Hugues  Capet.  Plu- 
sieurs savants,  il  faut  l'avouer,  regardent  ce  système  comme  sujet  à 
de  grandes  difficultés  ;  mais  ceux  mêmes  qui  ne  l'admettent  pas ,  ne 
croient  pas  qu'on  puisse  le  réfuter  par  des  preuves  décisives  (5). 

2°  L'usurpation  de  Pépin  ne  semble  pas  mieux  établie  par  le  té- 
moignage des  anciens  auteurs.  La  plupart  d'entre  eux  supposent  que 


(t)  Voyez  la  note  i  de  la  page  732,  ci-dessus. 

(2)  TJn  des  principaux  défenseurs  de  cette  opinion  est  l'abbé  Fr.  Docarops,  auteur 
de  plusieurs  dissertations  curieuses  ,  sur  l'histoire  de  France,  dont  on  peut  voir  la 
liste  dans  le  tome  v  de  la  Biblioth.  hist.  de  la  France  ,  par  le  P.  Lelong.  (  Table 
des  auteurs ,  art.  Decamps.  )  Voyez  en  particulier  sa  Dissertation  sur  la  noblesse 
de  la  race  royale  des  Français  ;  dans  le  Mercure  de  France  ,  juillet ,  1720.  L'au- 
teur de  cette  Dissertation  regarde  comme  certaine  l'origine  commune  des  trois  races 
de  nos  rois  (pag.  i3)  ,  et  il  établit  la  même  chose,  avec  plus  de  développement,  dans 
une  dissertation  manuscrite,  citée  parle  P.  Lelong  (ubi  supra). 

(3)  Unique  origine  des  rois  de  France,  par  M.  J.  C.  de  Bévy;  Paris,  1814, 
32  pages  in-8°.  —  Notice  généal.  et  hist.  sur  la  maison  de  France,  §  1  et  2.  — 
Voyez  le  compte  rendu  de  ce  dernier  ouvrage  dans  Y  Ami  de  la  Religion  et  du  roi, 
tom.  vnr,  pag.  273. 

(4)  Plusieurs  écrivains  modernes  ont  révoqué  en  doute  la  légitimité  du  mariage  de 
Pépin  d'Héristal  avec  Alpaïde,  mère  de  Charles-Martel.  Mais  la  légitimité  de  ce  ma- 
riage est  soutenue,  avec  beaucoup  de  vraisemblance,  par  de  graves  auteurs.  Outre 
ceux  que  nous  avons  cités  dans  la  note  précédente,  voyez  dans  les  Mémoires  de 
l'Acad.  de  Bruxelles  (loin,  m,  pag.  3i8-32o),  un  Mémoire  de  M.  Dewez,  pour 
servir  h  l'histoire  d' Alpaïde. 

(5)  Telle  paraît  être  l'opinion  du  P.  Daniel,  dans  l'Histoire  de  Hugues-Capet;  et  du 
P.  Griffet,  dans  ses  observations  sur  cette  histoire.  (Hist,  de  France,  t,  m,  p.  2647 
295,  etc.) 


736  PIÈCES  JUSTIFICATIVES. 

l'élévation  de  ce  prince  au  trône  de  France  fut  opérée  par  le  consen- 
tement des  seigneurs  français,  joint  à  la  décision  du  pape  Zacharie, 
qu'ils  crurent  devoir  consulter  à  ce  sujet  (1).  Bien  loin  de  blâmer 
celte  décision,  ils  donnent  généralement  les  plus  grands  éloges  à 
Pépin  et  à  Zacharie  ;  ils  ne  disent  pas  un  seul  mot  qui  puisse  faire 
soupçonner  Pépin  d'usurpation  ;  et  ils  ne  supposent  même  pas  qu'on 
lui  ait  jamais  reproché  ce  crime.  Théophane  seul,  parmi  les  auteurs 
anciens ,  prétend  que  Pépin  reçut  du  pape  Etienne  II  Y  absolution 
du  parjure,  ou  de  la  félonie  dont  il  s'était  rendu  coupable  envers 
son  légitime  souverain  (2).  Mais  le  seul  témoignage  de  cet  auteur, 
généralement  peu  instruit  des  faits  relatifs  à  l'histoire  de  France, 
ne  peut  con're-balancer  le  témoignage  de  tant  d'autres,  beaucoup 
plus  à  portée  que  lui,  de  connaître  la  vérité,  sur  le  point  dont  il  s'a- 
git (3).  Aussi  a  t-il  été  généralement  abandonné,  sur  ce  point,  jus- 
qu'au xvie  siècle.  Calvin,  lllyricus,  et  quelques  autres  disciples  de 
la  Réforme,  sont  les  premiers  qui  aient  osé  flétrir,  à  ce  sujet,  la  mé- 

(i)  Serarius,  ubi  supra,  noies  40  et  43. 

(a)  «  Pippinus  primus  extitit,  qui,  regio  non  oriundus  sanguine,  imperiura  in  gen- 
«  tem  illara  (Francorura)  obtinuit;  ipse  Slephanus  eum  a  perjurio  in  regem  admisso 
«  absolvit.  »  Theophanis  Chronographia  ,  anno  8  Leonis,  pag.  337  et  338.  Ce 
passage  de  Théophane  se  trouve  aussi  dans  Y  Histoire  Ecclésiastique  d'Anastase  le 
Bibliothécaire,  et  dans  la  continuation  de  V Histoire  mélangée  de  Paul  Diacre.  Mais 
ces  deux  ouvrages  ne  sont,  pour  l'époque  dont  il  s'agit,  qu'une  simple  traduction  de 
Théophane;  et  on  ne  saurait  prouver  que  les  traducteurs  aient  adopté  ,  sur  le  point 
qui  nous  occupe  ,  l'opinion  de  leur  auteur.  Quelques  écrivains  modernes  ont  cru  pou- 
voir citer  aussi,  à  l'appui  du  témoignage  de  Théophane,  celui  d'Anastase  le  Bibliothé- 
caire ,  dans  la  Vie  d 'Etienne  II ;  mais  il  est  certain  qu'on  ne  peut  se  prévaloir  de 
ce  dernier  témoignage;  et,  pour  peu  qu'on  l'examine  attentivement,  on  verra  que  le 
sens  en  est  très-différent  de  celui  de  Théophane.  Après  avoir  rapporté  le  sacre 
de  Pépin,  et  la  guérison  miraculeuse  du  Pape,  à  la  suite  d'une  maladie  dont  il  avait 
été  attaqué,  pendant  son  séjour  à  Saint-Denis,  Anaslase  ajoute  ce  qui  suit:  «  Pippinus 
«  verô  rex,  cum  admonitione,  gratià  et  orationc  ipsius  venerabilis  pontificis  absolutusf 
«  in  loco  qui  Carisiacus  appellatur  pergens,  etc.  »  (Labbe,  Concil.  t.  vr,  p.  1624,  E.) 
Il  ne  faut  qu'un  peu  d'attention  ,  pour  voir  qu'il  ne  peut  être  ici  question  de  l'absolu- 
tion donnée  à  Pépin  du  crime  de  félonie.  En  effet,  Anastase  parle  ici  d'un  fait  posté- 
rieur à  la  cérémonie  du  sacre  de  Pépin  et  de  ses  enfants,  qu'il  a  rapporté  plus  haut  ; 
or,  il  est  tout  à  fait  incroyable  que  le  Pape,  s'il  eût  jugé  nécessaire  d'absoudre 
Pepiu  du  crime  de  félonie,  ne  lui  eût  donné  celle  absolution  qu'après  le  sacre.  Aussi 
le  passage  d'Anastase  est-il  entendu  dans  un  sens  bien  différent  par  Baronius  et  la 
plupart  des  critiques.  (Baronii  Annales,  tom.  ix,  anno  754,  n.  6.)  Ils  enten- 
dent ici  le  mot  absolveret  dans  le  sens  de  dimittere,  que  lui  donnent  très-souvent  les 
écrivains  du  moyen  âge  ,  et  Anastase  lui-même,  dans  plusieurs  autres  passages  des 
Vies  des  Papes,  particulièrement  dans  un  passage  de  la  Vie  du  pape  Etienne  II. 
(Ducange,  Glossarium  injimœ  Latinitatis,  verbo  Absolvere,  —  Anaslase,  Vita  Ste- 
phani  II,  ubi  supra,  pag.  1623,  E.) 

(3)  Voyez,  dans  la  première  partie  de  nos  Recherches  (chap.  1,  n.  27),  les  ob« 
servatioos  que  nous  avons  faites  sur  l'autorité  de  Théophane,  en  cette  matière, 


PIÈCES  JUSTIFICATIVES.  737 

moire  de  Pépin  et  de  Charlemagne ,  dont  ils  parlent  avec  un  sou- 
verain mépris ,  ne  pouvant  leur  pardonner  de  s'être  montrés  si  gé- 
néreux envers  le  saint-siége.  Ce  langage  n'a  rien  d'étonnant  dans  la 
bouche  des  nouveaux  réformateurs;  mais  ce  qui  est  vraiment  éton- 
nant, c'est  qu'une  opinion  si  suspecte  par  sa  nouveauté,  et  parle 
caractère  de  ses  premiers  défenseurs,  ait  pu  trouver  un  si  grand 
nombre  de  partisans  parmi  les  auteurs  catholiques  (1). 

3°  Enfin ,  les  circonstances  particulières  de  la  conduite  de  Pépin 
et  des  seigneurs  français,  qu'on  invoque  à  l'appui  de  l'usurpation 
de  ce  prince,  ne  fournissent  pas  un  argument  plus  solide.  On  ob- 
jecte, en  premier  lieu,  la  violence  dont  il  paraît  avoir  usé  envers 
Childeric,  en  le  faisant  raser  et  enfermer  dans  un  monastère,  pour 
le  reste  de  ses  jours.  Sans  doute ,  si  l'élection  de  Pépin  é  ait  illégi- 
time, sa  conduite  envers  Childeric  serait  inexcusable  :  ce  serait  un 
véritable  attentat  contre  la  majesté  royale.  Mais  si  l'élection  de  Pépin 
était  légitime,  comme  il  est  permis  de  le  croire,  sa  conduite  envers 
le  roi  déposé  est  un  trait  de  prudence  ;  c'était  une  mesure  nécessitée 
par  les  circonstances,  pour  le  repos  de  la  France,  et  pour  prévenir 
les  troubles  que  les  mécontents  ne  manquent  jamais  d'exciter,  en  de 
pareilles  occasions. 

Mais ,  dira  t-on  ,  si  les. .seigneurs  avaient  le  droit  ele  déposer  Chil- 
deric, et  de  lui  substituer  Pépin,  pourquoi  consulter  le  pape  Za- 
charie,  à  ce  sujet?  N'ont-ils  pas  trahi,  par  celte  conduite,  les  justes 
reproches  de  leur  conscience? 

Cette  conduite  des  seigneurs  français  montre  sans  doute  qu'ils 
trouvaient  de  la  difficulté  dans  la  question  sur  laquelle  ils  consul- 
taient le  Pape.  Mais  leur  embarras  sur  une  question  si  grave  n'a 
rien  d'étonnant ,  dans  la  supposition  même  du  droit  qu'ils  avaient 
de  !a  résoudre.  Le  cas  de  conscience  dont  il  s'agissait  était  nouveau, 
singulier,  d'une  très-grande  importance ,  et  par  conséquent  ele  na- 
ture à  demander  de  grandes  lumières  et  un  mûr  examen.  L'em- 
barras qu'on  éprouve  pour  résoudre  une  question  de  cette  nature, 
ne  suppose  pas  qu'on  veuille  la  décider  contre  les  lumières  de  sa 
conscience;  il  peut  très-bien  provenir  de  la  difficulté  qu'on  éprouve 
à  prendre  parti  sur  une  question  délicate.  Ajoutons  que,  dans  le  cas 
dont  il  s'agit,  la  bonne  foi  des  seigneurs  français  est  d'autant  moins 
suspecte,  qu'avant  de  procéder  à  la  déposition  de  Childeric,  ils 
voulurent  avoir  la  déci  ion  du  tribunal  le  plus  respectable  qu'ils 
pussent  interroger,  et  d'un  pontife  à  l'a  vertu  duquel  tous  les  histo- 
riens rendent  hommage. 

(i)  Voyez,  à  l'appui  de  ces  observations,  celles  que  nous  avons  faites  ci-dessus, 
pag,  3  io,  texte  et  notes, 

47 


7§8  PIÈCES  JUSTIFICATIVES. 

On  objecte  enfin,  que  Pépin  lui-même,  malgré  la  décision  de  Za- 
charie,  continua  de  regarder  son  autorité  comme  douteuse,  puis- 
qu'il voulut  être  de  nouveau  sacré  par  Etienne  II ,  en  754 ,  après 
la  mort  de  ChildericIII. 

Cette  difficulté  ne  semble  pas  plus  solide  que  les  précédentes.  Car, 
en  supposant  même ,  avec  la  plupart  des  historiens ,  que  Pépin  eût 
déjà  été  sacré  par  saint  Boniface,  il  n'est  pas  étonnant  qu'il  ait  sou- 
haité de  l'être  de  nouveau  par  le  Pape ,  pour  rendre  son  autorité  plus 
vénérable  aux  yeux  des  Français ,  et  pour  confirmer,  par  un  acte 
solennel,  après  la  mort  de  Childeric,la  décision  déjà  donnée  par 
Zach  irie,  du  vivant  de  ce  prince.  Il  n'est  pas  sans  exemple,  qu'un  roi 
légitime  ait  été  sacré  plusieurs  fois  :  l'Ecriture  sainte  en  offre  des 
exemples  célèbres,  dans  la  personne  de  Saiil  et  de  David  ;  et  notre  his- 
toire rapporte  la  même  chose  de  Charlemagne  et  de  ses  enfants  (1). 

Nous  répétons  volontiers,  en  terminant  cette  discussion ,  que  nous 
ne  prétendons  pas  donner  ici  des  preuves  directes  et  positives  de  la 
légitimité  de  Pépin;  nous  croyons  seulement  pouvoir  conclure  de 
nos  preuves,  que  l'hypothèse  de  son  usurpation  n'est  pas,  à  beaucoup 
près ,  aussi  incontestable  que  le  supposent  communément  les  auteurs 
modernes  ;  et  qu'un  historien  grave  ne  doit  pas  la  supposer  sans 
preuve,  comme  un  point  de  fait  à  l'abri  de  toute  discussion. 


VIII.  — Pages  328,  448,  512  et  53S. 

Origine ,  progrès,  et  vicissitudes  de  l'opinion  qui  attribue  à 
l'Église  et  au  souverain  pontife  un  pouvoir  de  juridiction 
direct  ou  indirect  sur  les  choses  temporelles ,  en  vertu  de 
linstitution  divine. 

Nous  croyons  avoir  montré  clairement ,  dans  la  seconde  partie  de 
cet  ouvrage ,  1°  que  l'opinion  qui  attribue  à  l'Eglise  et  au  souverain 
pontife  un  pouvoir  de  juridiction  direct  ou  indirect  sur  les  choses 
temporelles  y  d'après  l'institution  divine ,  n'existait  pas  encore , 
ou  du  moins  avait  à  peine  quelques  partisans ,  avant  le  pontificat  de 
Grégoire  VII  ;  2°  qu'elle  n'a  commencé  à  se  répandre  qu'assez 
longtemps  après;  3°  enfin ,  qu'elle  n'a  jamais  été  enseignée  ni  sup- 
posée par  les  conciles  ou  par  les  souverains  pontifes,  même  dans 
ceux  de  leurs  décrets  où  ils  ont  paru  porter  plus  loin  leur  autorité 
sur  les  choses  temporelles  (2) . 

(i)  Clausel,  Du  Sacre  des  rois  de  France,  2  e  édition;  Paris,  1825,  in-8°,  chap.  4 

et  5. 

(a)  Pour  le  développement  de  ees  trois  points,  voyez  le  chap.  3  de  Jâ  2e  partie  ; 


PIÈCES  JUSTIFICATIVES.  739 

Le  développement  de  ces  trois  points  suffit  au  but  principal  de 
notre  ouvrage ,  qui  est  de  montrer  que  le  pouvoir  exercé  par  les 
papes  et  les  conciles  sur  les  souverains,  au  moyen  âge,  n'a  pas  eu 
pour  fondement  l'opinion  théologique  du  droit  divin,  mais  le  droit 
public  alors  en  vigueur  dans  l'Europe  catholique. 

Toutefois,  pour  éclaircir  de  plus  en  plus  cette  matière,  il  ne  sera 
pas  inutile  d'exposer  ici,  en  peu  de  mots,  l'origine,  les  progrès,  et 
les  vicissitudes  du  sentiment  qui  attribue  à  l'Eglise  et  au  souverain 
pontife  une  juridiction  directe  ou  indirecte  sur  les  choses  tem- 
porelles, en  vertu  de  l institution  divine. 

Parmi  les  défenseurs  de  ce  sentiment ,  les  uns  attribuent  à  l'Eglise 
et  au  souverain  pontife  un  pouvoir  de  juridiction  directe,  et  les 
autres  un  pouvoir  de  juridiction  seulement  indirecte,  sur  les 
choses  temporelles  (1). 

I.  Les  défenseurs  de  la  première  opinion  soutiennent;  que  l'Eglise 
et  le  souverain  ponlife  ont  reçu  immédiatement  de  Dieu  un  plein 
pouvoir  de  gouverner  le  monde,  tant  pour  le  spirituel  que  pour  le 
temporel  ;  de  telle  sorte  néanmoins  ,  qu'ils  doivent  exercer  par  eux- 
mêmes  le  pouvoir  spirituel ,  et  confier  aux  princes  séculiers  le  pou- 
voir temporel;  d'où  il  suit,  dans  le  sentiment  de  ces  auteurs,  que 
le  prince  temporel  n'est  que  le  ministre  de  l'Église,  dont  il  reçoit 
immédiatement  son  pouvoir,  et  que  l'Église,  qui  le  lui  a  confié 
pour  en  user  conformément  à  l'ordre  de  Dieu ,  peut  le  lui  ôter, 
s'il  en  use  contre  cet  ordre. 

Nous  ne  connaissons  aucun  écrivain  de  quelque  réputation,  qui 
ait  enseigné  ou  supposé  cette  opinion  avant  le  xue  siècle;  mais 
nous  croyons  qu'on  peut  en  placer  l'origine  à  cette  époque.  Le  pre- 
mier qui  l'ait  soutenue ,  à  notre  connaissance ,  est  Jean  de  Sarisbery, 
d'abord  chancelier  de  l'archevêque  de  Cantorbéry,  et  depuis  évêque 
de  Chartres,  auteur  de  l'ouvrage  intitulé  :  Polycraticus ,  sive 
de  nugis  curialium  (Polycratique ,  ou  des  amusements  de  la 
cour)  (2).  Cet  ouvrage ,  adressé ,  en  1 159,  à  Thomas  Becket ,  alors 

art.  i.  Nous  avons  fait  remarquer,  au  même  endroit  (pag.  5io,  note  i),  que  la  vérité 
historique  de  ces  trois  points,  laisse  entièrement  subsister  la  controverse  relative  à  l'o- 
pinion dont  il  s'agit. 

(i)  Voyez  les  auteurs  cités  plus  haut,  p.  327,  note  1,  principalement  le  cardinal 
Bellarmin. 

(2)  Cet  ouvrage,  plusieurs  fois  imprimé  séparément,  a  été  reproduit  dans  le 
tom.  xxni  de  la  Bibliothèque  des  Pères,  publiée  à  Lyon,  en  1677.  On  en  trouve 
l'analyse  dans  Fleury,  Hist.  Eccl.,  tom.  xv,  liv.  lxx,  n.  35. —  D.  Ceillicr,  Hist.  des 
Auteurs  eccl,}  tom.  xxrn,  p.  272.  — Hist.  Litt.  de  la  France,  tom.xiv,  p.  98,  etc. 
,— Hist.  de  l'Egl.  Gall.,  tom.  x,  p.  46,  etc.  Voyez  aussi  quelques  notions  sur  cet 
puvrage,  ci-dessus,  pag.  487,  note  3, 

47. 


740  PIÈCES   JUSTIFICATIVES. 

chancelier  d'Angleterre,  et  depuis  archevêque  de  Cantorbéry,  est 
divisé  en  huit  livres,  qui,  sous  une  forme  agréable  et  très- variée, 
offrent  un  recueil  précieux  d'instructions  philosophiques  et  morales 
sur  les  devoirs  des  grands.  Dans  le  quatrième  livre,  l'auteur  expose 
et  soutient  ouvertement  l'opinion  théologique  du  pouvoir  direct, 
dans  le  sens  où  nous  venons  de  l'expliquer  (1). 

(i)  «  Est  ergo,  ut  eum  plerique  definiunt,  princeps  potestas  publica,  et  in  terris  quae- 
«  dam  divinœ  majestatis  imago...  Omnis  enim  potestas  à  Domino  Deo  est,  et  cum  illo 
«  fuit  semper,  et  est  ante  aevum.  Quod  igitur  princeps  potest,  ita  à  Deo  est,  ut  po- 
«  testas  à  Domino  non  recédât;  sed  câ  utitur  per  suppositam  manum,  in  omnibus 
c<  doctrinam  faciens  clementiae,  aut  justitise  suse.  Qui  ergo  resistit  potestati,  Deiordi- 
v  nationi  résistif,  pênes  quem  est  auctoritas  conferendi  eam,  et  cùm  vult,  auferendi 
et  et  minuendi  cara...  Hune  ergo  gladium  de  manu  Ecclesiœ  accipit  princeps ,  cùm 
«  ipsa  tameu  gladium  sanguinis  omnino  non  habeat.  Habet  tamen  et  istum  ;  sed  eo 
«  utitur  per  principis  manum }  cui  coercendorum  corporum  contulit  potestatem,  spiri- 
«  tualiura  sibiin  pontificibus  auetorilate  reservatâ.  Est  ergo  princeps  sacerdotii  qui- 
«  dern  minister,  et  qui  sacrorum  officiorum  illam  partem  exercet,  qua?  sacerdotii 
«  manibus  videtur  indigna...  Profeetô,  ut  Doctoris  gentium  testimonio  utar,  major  est 
«  gui  benedicit,  quant  qui  benedicitur;  et  pênes  quem  est  conferendae  dignitutis 
«  auctoritas,  eum  cui  dignitas  ipsa  confertur,  honoris  privilegio  antecedit.  Porrô  de 
«  ratione  juris,  ejus  est  nolle,  cujus  estvelle;  et  ejus  est  auferre,  qui  de  jure  conferre 
«  potest.  Nonne  Samuel  in  Saulem,  ex  causa  inobedienliae ,  depositionis  sententiam 
«  tulit,  et  ei,  in  regni  apieem,  humilem  filium  Isaï  subrogavit  ?  »  Polycraticus, 
lib.  iv,  cap.  i  et  3.  (  Biblioth.  Palrum.,  tom.  xxm,  p.  294,  etc.  ) 

Plusieurs  écrivains  modernes  ont  aussi  attribue  à  Jean  de  Sarisbery  la  doctrine 
du  tyrannicide,  qui  permet  à  tout  particulier  d'ôter,  de  son  autorité  privée,  la  vie 
aux  tyrans.  (Voyez  les  auteurs  cités  dans  la  note  précédente.)  L'auteur  de  V Histoire 
Littéraire  de  la  France,  en  particulier,  reproche  très-durement  celte  doctrine  à  Jean 
de  Sarisbery  ;  mais  nous  ne  croyons  pas  que  ce  reproche  soit  fondé.  L'évêque  de  Char- 
tres dit,  à  la  vérité,  qu'il  est  permis  de  tuer  un  tyran  public,  c'est-à-dire,  celui  qui 
usurpe  manifestement  la  puissance  suprême;  mais  il  suppose  clairement  qu'on  ne  peut 
le  tuer  qu'au  nom  de  la  puissance  publique.  «  Aliter  cum  amico,  dit-il,  aliter  viven- 
«  dum  est  cum  tyranno.  Amico  utique  adulari  non  licet;  sed  aures  tyranni  mulccre 
«  licitum  est.  Ei  namque  licet  adulari,  quem  licet  occidere;  porrô  tyrannum  occidere, 
«  non  modo  licitum  est,  sed  aequum  et  justum  ;  qui  enim  gladium  accipit ,  gladio 
«  dignus  est  interire.  Sed  accipere  intelligitur,  qui  eum  propriâ  temeritate  usurpât, 
«  non  quiutcndi  eo,  à  Domino  accipit  potestatem.  Utique  qui  à  Deo  potestatem  ac- 
te cipit,  legibus  servit,  et  justiliae  et  juris  famulus  est.  Qui  verô  eam  usurpât,  jura 
«  deprimit,  et  voluntati  suse  leges  submittit.  In  eum  ergo  merilô  armantur  jura,  qui 
«  leges  exarmat;  et  publica  potestas  ssevit  in  eum,  qui  evacuare  nititur  publicam 
«  manum.  »  Ibid.,  lib.  m,  cap.  i5. 

Cette  explication  lève  toutes  les  difficultés  que  peuvent  offrir,  au  premier  abord, 
plusieurs  passages  qu'on  lit  sur  le  même  sujet,  dans  la  suite  de  l'ouvrage  (lib.  vrn , 
cap.  18  et  seq.),  et  particulièrement  dans  le  chap.  20  du  vine  livre,  où  on  lit  ces 
paroles :«  Auctoritatedivinœ  pagina?,  licitum  et  gloriosum  est,  publicos  tyrannos  occL 
«  dere;  si  tamen  fidelitate  non  sit  tyranno  obnoxius  inlerfector,  aut  honestatem  non 
«  amittat...  Hoc  tamen  cavendum  docent  historiœ  (sacrse),  ne  quis  illins  moliatur  inter- 
«  itum,  cui  fidei  aut  sacramenti  rcligione  tenetur  astrictus. . .  Sed  nec  veneni,  licet 
«  videam  ab  infidelibus  aliquando  usurpatum,  ullo  umquam  jure  indultam  lego 
*<  licentiam.  Non  quôd  tyrannos  de  medio  tollendos  non  esse  credam  j  sed  sine  reli-> 


PIÈCES   JUSTIFICATIVES.  741 

Il  ne  paraît  pas  que  celte  opinion  ait  eu  d'abord  un  grand  nombre 
de  partisans ,  du  moins  parmi  les  écrivains  du  xue  et  du  xnic  siècle. 
Les  plus  célèbres  auteurs  de  cette  époque  n'attribuent  à  l'Église ,  en 
matière  temporelle,  que  le  pouvoir  directif,  c'est-à-dire,  le  pou- 
voir d'éclairer  et  de  diriger  la  conscience  des  fidèles,  relativement 
aux  obligations  qui  résultent  de  leur  serment  de  fidélité  envers 
les  souverains  (1)  ;  quelques-uns  seulement  ajoutent  à  ce  pouvoir 
directif  un  pouvoir  de  juridiction  temporelle  sur  les  princes  ca- 
tholiques de  l'Occident,  en  vertu  de  la  donation  de  Constantin  (2) . 
Toutefois ,  il  est  certain  que  l'opinion  de  Jean  Sarisbery,  à  peine 
remarquée  de  son  temps,  acquit  dans  la  suite  un  certain  nombre  de 
partisans.  Saint  Thomas  de  Cantorbéry,  très-etroitement  lié  avec 
l'auteur,  qui  lui  avait  même  dédié  l'ouvrage  dont  nous  venons  de 
parler,  paraît  adopter  son  opinion,  sur  le  pouvoir  temporel  de 
l'Église  (3).  Le  rédacteur  du  Droit  de  Souabe,  au  xme  siècle,  en- 

«  gionis,  honestatisque  dispendio.  »  Il  est  à  remarquer  que,  dans  ce  dernier  passage, 
comme  dans  celui  que  nous  avons  cité  auparavant,  l'auteur  n'autorise  les  particuliers 
à  tuer  un  tyran,  que  dans  le  cas  ou  la  loi.  le  permet.  Car  s'il  défend  l'usage  du  poison 
à  l'égard  d'un  tyran  ,  c'est  uniquement  par  la  raison  ,  que  ce  moyen  n'est  permis  par 
aucune  loi. 

(i)  Pour  l'explication  des  plus  célèbres  auteurs  du  xne  et  du  XIII*  siècle,  sur  ce 
point,   voyez  le  chap.  3  de  cette  seconde  partie,  art.  r,  n.  igo,  etc. 

(2)  Cette  opinion  est  suivie  par  Gervais  de  Tilbury,  qui  paraît  l'avoir  puisée  dans 
quelques  auteurs  plus  anciens.  Voyez  plus  baut,  chap.  2,  art.  4>  P-  4^7»  note  3; 
chap.  3,  p.  5 12,  texte  et  note. 

(3)  «  Ecclesia  Dei  in  duobus  constat  ordinibus,  clero  et  populo.  In  clero  sunt 
«  apostoli,  apostolici  viri,  episcopi,  et  caeteri  doctores  Ecclesiae,  quibus  commissa  est 
«  cura  et  regniun  ipsius  Ecclesiae;  qui  tractare  habent  negotia  ecclesiastica,  ut  lotum 
«  reducatur  ad  salutem  animarum.  Unde  etPetro  dictum  est,  et  in  Petro  aliis  Ecclesiae 
«  Dei  rectorihu's,  non  regibus,  non  principibus  :  Tu  es  Pelrus,  et  super  hanc  petram 
«  œdijicabo  Ecclesiam  meam  ,  et  portas  inferi  non  prœvalebunt  adversiis  eatn.  In 
«  populo  sunt  reges,  principes,  duces,  comités,  et  alise  potestates,  qui  saecularia  ha- 
«  bent  tractare  negotia  ,  ut  totum  redueant  ad  pacem  et  unitalem  Ecclesiae.  Et  quia 
«  certum  est,  reges  potestatem  suant  accipere  ab  Ecclesid ,  non  ipsam  ab  illis , 
«  sed  a  Christo  y  ut  salvâ  pace  vestrâ  loquar,  non  habetis  episcopis  praecipere,  ab- 
«  solvere  aliquetn,  vel  excommunicare,  traheré  clericos  ad  saecularia  examina,  judi- 
«  care  de  Ecclcsiis  vel  decimis,  interdieere  episcopis  ne  tractent  causas  de  transgres- 
«  sione  fidei  vel  juramenti,  et  mulla  in  hune  modum,  quae  scripta  sunt  inter  Cousue- 
«  tudines  westras,  quas  dicitis  avitas.  »  S.  Thomas  Cantuar,  Epist,  lib.  1,  Epist.  64, 
ad  regem  IJenr.  II.   (Édition  in-40,  de  Bruxelles,  tom.  1,  pag.  94.  ) 

«Ad  sacerdotes  suos  voluit  Deus  quae  Ecclesiae  suae  sunt  disponenda  pertinere, 
«  non  ad  polestates  saeculi;  quas,  si  fidèles  sint ,  Ecclesiae  suae  sacerdolibus  voluit 
«  esse  subjectas.  Non  vobis  igilur  vindicelis  jus  alienum  ,  et  ministerium  quod  alteri 
«  deputatura  est;  neque  contra  cum  contendatis,  à  quo  omnia  sunt  constituta;  nec 
«  contra  illius  bénéficia  pugnare  videamini ,  à  quo  vestrara  consecuti  estis  potesta- 
«  tem.  »  Ibid.,  Epist.  65,  ad  eumdem,  pag.  99.  Remarquez  aussi  la  lettre  108e,  adres- 
sée à  Gilbert,  évêque  de  Londres.  (Ibid.,  pag.  169.)  —  D.  Ceillier,  Hist.  des  Au- 
teurs eccl.,  tom.  xxiii,  pag.  262. 


742 


PIECES   JUSTIFICATIVES. 


seigne  beaucoup  plus  clairement  la  même  opinion  (1).  Le  cardinal 
Bellarmin  l'attribue  encore  à  quelques  écrivains  plus  îécents,  par- 
ticulièrement au  cardinal  d'Ostie,  Henri  de  Suze.  Ce  dernier  au- 
teur va  jusqu'à  prélendre  ,  que  «depuis  la  venue  de  Jésus-Christ, 
«  tout  le  domaine  des  princes  infidèles  a  été  transféré  à  l'Église,  et 
«  réside  dans  le  souverain  pontife,  comme  vicaire  de  Jésus-Christ, 
«le  roi  des  rois;  d'où  il  conclut  que  le  Pape  peut  donner,  de  sa 
«  propre  autorité ,  les  royaumes  des  princes  infidèles ,  à  celui  des  fi- 
«  dèles  qu'il  juge  à  propos  de  choisir  (2).  » 

On  s'étonne  aujourd'hui  qu'une  opinion  si  dangereuse ,  et  si  con- 
traire aux  droits  des  souverains ,  ait  à  peine  excité ,  dans  le  prin- 
cipe, quelques  réclamations ,  soit  de  la  part  des  docteurs ,  soit  de  la 
part  des  princes  eux-mêmes,  si  intéressés  à  la  combai  Ire  (3).  Mais 
l'étonnement  diminue,  lorsqu'on  fait  attention  que  cette  opinion 
n'eut,  pendant  assez  longtemps,  qu'un  très-petit  nombre  de  parti- 
sans, et  qu'à  l'époque  où  elle  parut,  le  pouvoir  de  l'Église  et  du 
Pape  sur  les  souverains  était  depuis  longtemps  reconnu,  et  fondé 
sur  la  constitution  ou  le  droit  public  des  principaux  États  de  l'Eu- 
rope catholique.  Eu  de  pareilles  conjonctures,  on  conçoit  que  l'opi- 
nion théologique  du  pouvoir  direct  était  une  pure  spéculation ,  aussi 
indifférente  pour  la  pratique  que  celle  qui  expliquait  le  pouvoir 
temporel  du  Pape  par  la  prétendue  donation  de  Constantin.  Mais , 

(i)  Voyez  le  chap.  3  de  cette  2  e  partie,  art.  2,  pag.  626,  note  3. 

(2)  «  Credimus  tamen,  imô  scimus',  quo-d  Papa  est  generalis  vicarius  Jesu  Christî 
«  salvatoris,  et  ideo  potestatem  habet,  non  solura  super  christianos,  sed  et  super 
«  omnes  infidèles,  eùm  Christus  plenariam  receperit  potestatem. 

« Quando  autem  Papa  illis  qui  vadunt  ad  defendendara ,  et  recuperan- 

«  dam  terrain  sanctam,  dat  indulgentias,  et  infidelibus  terram  possidentibus  bellum 
«  indicil;  licite  f'acit  Papa,  et  justam  causam  habet;  cùm  illa  (terra)  consecrata  sit 
«  nativitate ,  conversatione  et  morte  Jesu  Christi ,  et  in  quâ  (terra)  non  colitur  Chris- 
«  tus  sed  Machometus.  Unde  et  quamvis  infidèles  ipsara  possideant ,  juste  tamen 
«  exinde  expelluntur,  ut  incolatur  à  Christianis,  et  ad  ipsorum  dominium  revocetur  ; 
«  nam  et  praedicatione  apostolorum,  et  justo  bello  victa  fuit,  et  acquisita  ab  impera- 
«  tore  romano,  post  mortem  Christi  ;  et  ideo  Papa,  ratione  imperii  romani  quod  obtinct, 
«  potest  et  débet  ipsarn  ad  suam  jurisdictionem  revocare;  quia  injuste  ab  illis  qui  de 
«  jure  hoc  non  poterant  facere,  noscilur  spoliatus;  et  hœc  ratio  sufficit  in  omnibus 
«  aliis  terris,  in  quibus  nonnumquam  imperatores  romani  jurisdictionem  habuerunt: 
« Mihi  tamen  videtur,  quôd  in  adventu  Christi,  omnis  honor,  et  omnes  prin- 
ce cipatus,  et  omne  dominium  et  jurisdictio  de  jure  et  ex  causa  justâ,  et  per  illum  qui 
«  supremam  manum  habet ,  nec  errare  potest ,  omni  infideli  subtracta  fuerit,  et  ad 
«  fidèles  translata.  »  Hostiensis,  Ccmmentaria  in  libros  Décret.,  lib.  m  ,  tit.  34- 
De  Voio  et  voti  Redemptione ,  cap.  8,  n.  26  et  27.  (  Édition  de  Venise,  i58i  , 
tom.  ni,  pag.  128,  verso.)  —  Mamachi  'ubi  supra,  pag.  175,  note),  cite  ce  passage 
comme  tiré  de  la  Somme  du  même  auteur,  sur  les  Décrétales  :  c'est  une  méprise. 

(3)  L'auteur  de  V Histoire  de  l'Église  Gallicane  en  particulier,  témoigne,  à  ce 
sujet,  un  grand  étonnement.  (  Ubi  supra ,  page  48.) 


PIÈCES  JUSTIFICATIVES.  740 

depuis  que  les  souverains ,  après  avoir  si  longtemps  reconnu  et  fa- 
vorisé le  pouvoir  temporel  du  clergé ,  eurent  manifesté  assez  ou- 
vertement le  dessein  de  le  restreindre ,  ce  qui  arriva  surtout  depuis 
le  xnie  siècle,  dans  les  principaux  États  de  l'Europe  (1  ) ,  l'opinion 
qui  attribuait  à  l'Église  et  au  souverain  pontife  une  juridiction 
directe  sur  les  choses  temporelles ,  en  vertu  de  l'institution  di- 
vine, acquit  une  nouvelle  importance ,  et  dut  naturellement  occa- 
sionner de  vives  discussions.  De  là  les  efforts  des  plus  célèbres 
théologiens ,  depuis  cette  époque ,  pour  modifier  ou  corriger  ce  qu'il 
y  avait  d'excessif  dans  l'opinion  théologique  du  pouvoir  direct  ;  et 
telle  paraît  être  la  véritable  origine  de  l'opinion  du  pouvoir  in- 
direct ,  dont  nous  avons  maintenant  à  parler. 

II.  Dans  ce  dernier  sentiment,  l'Eglise  et  le  souverain  pontife 
n'ont  reçu  directement  et  immédiatement  de  Dieu  aucun  pouvoir 
sur  les  choses  temporelles,  mais  uniquement  sur  les  spirituelles. 
Toutefois,  le  pouvoir  qu'ils  ont  de  régler  le  spirituel,  renferme  indi- 
rectement, et  par  voie  de  conséquence,  le  pouvoir  de  régler  même 
les  choses  temporelles,  lorsque  le  plus  grand  bien  de  la  religion 
l'exige.  En  vertu  de  ce  pouvoir  indirect,  le  souverain  pontife,  en 
tant  que  vicaire  de  Jésus-Christ ,  ne  peut  ordinairement ,  c'est-à- 
dire  ,  comme  juge  ordinaire ,  ni  déposer  les  princes ,  ni  faire  aucun 
règlement  sur  les  choses  temporelles  ;  mais  il  le  peut ,  en  certains 
cas  extraordinaires ,  lorsque  cela  est  nécessaire  pour  le  salut  des 
âmes,  dont  il  est  immédiatement  chargé  (2). 

Le  cardinal  Bellarmin,  qu'on  peut  regarder,  sinon  comme  l'auteur 
de  cette  explication  ,  du  moins  comme  son  principal  défenseur  (3) , 

(i)  L'histoire  des  principaux  États  de  l'Europe,  depuis  le  xme  siècle,  offre  des 
preuves  sensibles  de  la  tendance  générale  des  gouvernements  modernes,  à  res- 
treindre le  pouvoir  temporel  du  clergé.  C'est  ce  qu'on  remarque  particulièrement 
en  Angleterre,  sous  le  règne  de  Henri  II;  en  France,  sous  le  règne  de  saint  Louis, 
et  plus  sensiblement  encore  sous  Philippe  le  Bel ,  et  sous  Philippe  de  Valois.  A  me- 
sure qu'on  avance  dans  les  temps  modernes,  cette  tendance  devient  de  jour  en  jour 
plus  forte,  et  donne  lieu  à  de  plus  vives  discussions  entre  les  deux  puissances;  en  sorte 
que  la  paix  ne  semble  désormais  pouvoir  subsister  entre  elles,  que  par  la  distinction 
exacte  de  leurs  droits  respectifs. 

(2)  Voyez  le  développement  que  nous  avons  donné  de  cette  opinion,  dans  la  se- 
conde partie  de  cet  ouvrage,  n°  4  (ci-dessus,  page  327). 

(3)  Le  cardinal  Bellarmin  paraît  être  le  véritable  auteur  de  cette  opinion ,  qui  a 
prévalu  depuis  sur  celle  du  pouvoir  direct ,  généralement  admise  avant  lui  par  les 
théologiens  scolastiques.  (Voyez  Tournely,  De  Ecclesid,  tom.  ir,  page  320.  —  De 
la  Hogue,  De  Ecclesid,  page  246 Feller,  Dict,  Hist.,  article  Bellarmin.  )  L'opi- 
nion du  savant  cardinal  parut  même,  dans  le  principe  ,  si  singulière  à  plusieurs  théo- 
logiens ,  et  particulièrement  au  pape  Sixte  V,  que  ce  pontife,  malgré  son  estime  pour 
l'auteur,  crut  devoir  mettre  à  Vlndex  l'ouvrage  où  elle  était  soutenue.  La  nouvelle 
édition  de  Vlndex ,  dans  laquelle  cet  ouvrage  était  proscrit }  était  sur  le  point  de 


744  PIÈCES  JUSTIFICATIVES. 

cite,  à  l'appui  de  son  opinion,  un  assez  grand  nombre  d'auteurs  plus 
anciens,  tels  que  Hugues  de  Saint-Victor,  saint  Bernard,  Alexandre 
de  Aies,  saint  Bonaventure  ,  saint  Thomas  d'Aquin,  etc.  (1).  Mais 
il  s'en  faut  beaucoup  que  ces  auteurs  soient  aussi  favorables  à  l'opi- 
nion du  pouvoir  indirect,  qu'ils  le  paraissent  au  premier  abord  , 
et  que  le  cardinal  Bellarmin  le  suppose.  Les  uns  se  bornent  à  sou- 
tenir le  pouvoir  directif  de  l'Eglise  et  du  Pape ,  au  sens  où  nous 
l'avons  expliqué  avec  Fénelon  ;  tel  est,  en  particulier  le  sens  de 
Hugues  de  Saint- Victor  et  de  saint  Bernard  (2) ,  auxquels  on  peut 
ajouter  Alexandre  de  Aies,  saint  Bonaventure,  Jean  de  Paris, 
Gerson,  etc.  (3).  Les  autres  soutiennent  assez  clairement  l'opinion 
du  pouvoir  direct,  et  ne  peuvent  que  très-difiïcilement  être  ex- 
pliqués dans  un  autre  sens;  tel  paraîi  être  le  sentiment  de  saint 
Thomas  d'Aquin,  d'Augustin  Trionfe,  d'Alvare  Pelage,  etc.  (4). 
Il  est  vrai  que  ces  auteurs ,  pour  adoucir  ce  qu'il  y  a  d'excessif 
dans  l'opinion  du  pouvoir  direct ,  semblent  quelquefois  le  réduire 
au  pouvoir  indirect ,  mais  ils  posent  tous  en  principe,  que  le  Pape 
a  reçu  immédiatement  de  Dieu  le  pouvoir  temporel  aussi  bien  que 
le  pouvoir  spirituel ,  ce  qui  est  au  fond  l'opinion  du  pouvoir  di- 
rect (5).  Aussi  la  difficulté  de  concilier  les  différentes  explications 
de  ces  auteurs,  a-t-elle  donné  lieu  au  cardinal  Bellarmin  lui-même, 

paraître,  à  l'époque  de  la  mort  du  pape  Sixte  V;  mais  son  successeur,  Urbain  VII, 
ue  jugea  pas  à  propos  de  flétrir  un  ouvrage  d'ailleurs  si  utile,  et  un  auteur  qui 
avait  rendu  (Je  si  grands  services  à  la  religion  ;  il  fit  donc  rayer  de  Y  Index  l'ouvrage 
du  cardinal.  Vovez  à  ce  sujet  Sacchini,  Hist.  societatis  Jesu  t  parte  quinta , 
tora.  I,  pag.  499. —  Vita  Roherti  Bellarmini ,  auct.  Fuligato ,  lib.  ir,  cap.  7, 
pag.  7  et  8.  —  Fie  du  card.  Bellarmin }  par  le  P.  Frizon,  liv.  11,  page  116. 
—  D'Avrigny,  Mém.  pour  servir  a  V Hist.  ecclés.   du  xvne  siècle.  Mov.  161  o. 

(r)  Les  témoignages  de  ces  auteurs  sont  rapportés  plus  au  long  par  le  P.  Ronca- 
glia ,  Animadversiones  in  Nat.  Alex.  Dissert.  1  ad  Hist.  Eccl.  sœculi  xi ,  §  4- 

(2)  Voyez  le  chap.  nr  de  cette  seconde  partie,  n.  196,  etc. 

(3)  Voyez  les  ouvrages  de  ces  auteurs,  cités  par  Bellarmin,  ubi  supra,  cap.  1  et  5. 
Alexandre  de  Aies  adopte  expressément ,  sur  ce  point,  la  doctrine  de  Hugues  de 
Saint-Victor,  dont  il  cite  les  propres  expressions.  (Alex.  Alensis,  Sumrna  Theol. , 
tertia parte,  quaestio  4o,membro  5. — Fleury,  Hist.  Ecoles.,  tora.xvn,  liv.  lxxxit, 
n°  i5.)  La  doctrine  de  S.  Bonaventure  s'explique  naturellement  dans  le  sens  du 
pouvoir  purement  directif.  (  S.  Bonav.,  De  Hierarcliid  eccles.  lib.  1 ,  cap.  ultimo  , 
in  fine;  lib.  11,  cap.  1  ,  in  fine.) 

Il  faut  en  dire  autant  de  Jean  de  Paris,  célèbre  Dominicain,  qui  prit  la  défense 
de  Philippe  le  Bel  contre  Boniface  VIII  ,  dans  son  traité  De  Potestate  Regid  et 
Papali.  (Voy.  les  passages  de  cet  auteur,  cités  par  Mamachi ,  ubi  supra,  pag.  i55, 
173  et  i83,  texte  et  notes.)  Gerson  est  explique  dans  le  même  sens  par  Fénelon, 
(  De  Auct.  summi  Pontife  cap.  27;  OEuvres  de  Fénelon,  tom.  11.) 

(4)  Voyez  les  ouvrages  de  ces  auteurs,  cités  par  Bellarmin,  ubi  supra,  cap.  1  et  5. 

(5)  Remarquez  en  particulier  la  doctrine  de  S.  Thomas,  dans  son  Commentaire 
sur  le  livre  des  Sentences,  où  il  enseigne  expressément  que ,  d'après  l'institu- 
tion de  Dieu  lui-même,  qui  est  le  Roi  des  Rois,  le  Pape  possède  le  plus  hau 


PIÈCES   JUSTIFICATIVES.  745 

d'en  citer  quelques-uns  ,  tantôt  comme  défenseurs  du  pouvoir  di- 
rect, tantôt  seulement  comme  défenseurs  du  pouvoir  indirect  (1). 
Quoi  qu'il  en  soit  de  l'opinion  de  ces  anciens  auteurs,  il  est  certain 
que  l'explication  du  cardinal  Bellarmin  a  été  généralement  adoptée 
depuis,  par  les  théologiens  ultramontains  (2).  Cependant,  les  diffi- 
cultés qu'on  leur  a  opposées,  en  ont  engagé  plusieurs  à  modifier 
encore  leur  opinion  d'une  manière  qui  semble  restreindre,  dans  des 
bornes  beaucoup  plus  étroites,  le  pouvoir  de  l'Église  et  du  Pape, 
en  matière  temporelle,  en  réduisant  ce  pouvoir  à  la  simple  décision 
oVun  cas  de  conscience,  relativement  aux  effets  du  serment  de  fi- 
délité qui  attache  les  sujets  à  leur  souverain.  Selon  cette  dernière 
explication ,  il  n'appartient  pas  proprement  à  l'Église  ni  au  Pape  de 
déposer  un  souverain,  ou  de  délier  ses  sujets  du  serment  de  fi- 
délité; mais  ils  peuvent  au  moins  déclarer  ou  décider  les  cas  où 
il  est  déchu  du  trône,  à  raison  de  quelque  délit  contraire  à  la  reli- 
gion, et  où  ses  sujets  sont ,  en  conséquence ,  déliés  du  serment  de 
fidélité  qu'ils  lui  avaient  fait.  Les  défenseurs  de  ce  sentiment  font 
observer,  que  le  serment  de  fidélité  n'est  pas  indissoluble  de  sa  na- 
ture ;  qu'il  peut  exister  des  cas  où  il  doit  être  dissous  ou  déclaré 
tel;  et  qu'en  le  supposant  même  indissoluble,  il  peut  se  présenter 
des  cas  où  il  s'élève  des  doutes  légitimes  sur  sa  validité,  et  où  il 
soit  nécessaire  d'avoir  une  décision  propre  à  tranquilliser  les  con- 
sciences. Us  ajoutent  qu'il  appartient  à  l'Église  et  au  souverain 
pontife,  à  raison  de  leur  autorité  spirituelle,  de  décider  ces  cas  de 
conscience ,  c'est-à-dire,  de  dissoudre  le  serment  de  fidélité ,  ou  du 

degré  de  l'une  et  de  l'autre  puissance ,  savoir  ,  de  la  puissance  spirituelle  et  de 
la  puissance  temporelle.  «  Potestati  spirituali  etiam  ssecularis  potestas  conjungitur 
«  in  Papa,  qui  utriusque  potestatis  apicem  tenet ,  scilicet  spiritualis  et  ssecularis  ; 
a  et  hoc,  illo  disponeute  qui  est  sacerdos  et  rex  in  œternum,  Rex  regum  et  Domi- 
a  nus  dominantiurn.  »  S.  Thomas,  Comment,  in  secundum  lib.  Sentent.  Dist.  44» 
quaest.  2,  art.  3,  in  fine.  Le  P.  Alexandre  (Dissert,  l'in  Uist.  Eccl.  sœculi  xi,  artt. 
io,  n°  12),  fait,  à  ce  qu'il  nous  semble,  d'inutiles  efforts,  pour  expliquer  ce  passage 
dans  un  autre  sens. 

(1)  Bellarmin,  ubi  supra ,  cap.  1  et  5.  Dans  le  chap.  Ier,  l'auteur  attribue  for- 
mellement l'opinion  du  pouvoir  direct,  à  Augustin  Trionfc  et  à  Alvare  Pelage  ; 
tandis  que  dans  le  chapitre  5e,  il  réduit  la  doctrine  de  ces  auteurs,  au  sens  du 
pouvoir  indirect.  Il  est  aisé  de  remarquer,  que  le  savant  cardinal  éprouvait  le 
même  embarras,  par  rapporta  la  doctrine  de  S.Thomas  d'Aquin,  et  de  plusieurs 
autres  anciens  théologiens. 

(2)  Voyez  les  auteurs  cités  dans  la  seconde  partie  de  nos  Recherches ,  page  327, 
note  1.  Remarquez  cependant  que  l'abbé  de  la  Mcnnais ,  dans  les  ouvrages  que 
nous  avons  cités  en  cet  endroit,  ne  se  borne  p.is  à  soutenir  l'opinion  théologique 
du  pouvoir  indirect ,  mais  qu'il  renouvelle  expressément  celle  du  pouvoir  direct. 
Voyez  les  passages  de  cet  auteur,  que  nous  avons  rapportés  dans  XHist.  litt.  de  Fé- 
nelon,  ive  partie,  n°  74, 


746  PIÈCES  JUSTIFICATIVES. 

moins  de  le  déclarer  dissous,  et  d'en  prononcer  la  nullité.  C'est  à 
quoi  se  réduit ,  seion  eux  ,  le  pouvoir  indirect,  soutenu  par  Bellar- 
min  et  plusieurs  autres  théologiens  (1). 

Il  faut  avouer  que  cette  explication  se  rapproche  beaucoup  de 
celle  de  Fénelon ,  qui  réduit  le  pouvoir  de  l'Église  et  du  Pape ,  en 
matière  temporelle,  au  simple  pouvoir  directif{2).  Toutefois,  le  dé- 
veloppement donné  à  ces  deux  opinions  par  leurs  principaux  dé- 
fenseurs ,  ne  permet  pas  de  les  confondre.  Car  1°  la  plupart  des  dé- 
fenseurs de  la  première  ne  paraissent  nullement  disposés  à  abandonner 
le  sentiment  du  cardinal  Bellarmin  et  des  auteurs  qui  l'ont  suivi  : 
non-seulement  ils  le  citent  avec  confiance,  comme  le  principal 
défenseur  des  vrais  principes  sur  cette  matière  ;  mais  dans  le 
développement  de  leur  opinion,  ils  attribuent  clairement  à  l'Église 
et  au  souverain  pontife,  un  véritable  pouvoir  de  juridiction  sur  les 
choses  temporelles  ;  en  sorte  qu'ils  renouvellent  au  fond  le  senti- 
ment qu'ils  paraissent,  en  certains  moments,  vouloir  abandon- 
ner (3).  2o  Les  défenseurs  de  la  première  opinion  supposent  com- 
munément que ,  chez  un  peuple  catholique ,  la  profession  et  le 
maintien  du  catholicisme  sont,  de  droit  naturel  y  une  condition 
essentielle  de  l'élection  du  souverain,  et  du  serment  de  fidélité 
que  lui  font  ses  sujets  ;  d'où  ils  concluent  que  la  déposition  d'un 
prince  hérétique  ou  fauteur  d'hérésie,  à  plus  forte  raison  celle  d'un 
prince  infidèle,  est  de  droit  naturel,  et  que  l'Église  ou  le  sou- 
verain pontife  peuvent  alors  déclarer  ses  sujets  déliés  du  serment  de 
fidélité.  En  conséquence  de  ces  principes,  ils  soutiennent,  avecsaint 
Thomas  et  avec  le  cardinal  Bellarmin  (4) ,  que  l'Église  et  le  Pape 
eussent  pu  déclarer  les  empereurs  païens,  et  Julien  en  particulier, 
déchus  de  l'empire  ,  et  leurs  sujets  déliés  de  toute  obligation  envers 

(i)  C'est  en  ce  sens,  que  le  cardinal  Duperron  soutient  l'opinion  du  pouvoir 
indirect,  dans  la  célèbre  harangue  prononcée  à  la  chambre  du  tiers  état,  pendant 
les  Etals  généraux  de  1614.  (OEuvres  du  card.  Duperron,  p.  5Q3,  etc.)  Voyez,  au 
sujet  de  cette  harangue,  la  Collection  des  procès-verbaux  des  assemblées  du 
Clergé,  tomeir,  page  173,  etc. — D'Avrigny,  Mémoires  pour  l'Hist.Eccl.  du 
XVIIe  siècle ,  tome  1,  27  oct.  1614. 

Pour  le  développement  de  l'opinion  soutenue  par  le  card.  Duperron,  on  peut  con- 
sulter aussi  les  ouvrages  de  Roncaglia ,  de  Bianchi  et  de  Mamachi ,  que  nous  avons 
cités  plus  haut,  page  327,  note  1.  —  Lettres  sur  les  quatre  Articles  de  1682  (par 

le  card.  Lilta),   lettre  9e Muzzarelli ,  Il  buon  uso  délia  Logica.   Opuscul.  21, 

Greg.  VII,  parte  seconda,  pag.  48,  etc.  de  la  traduction  française.  —  Rohrba- 
cher,  Des  rapports  directs  entre  les  deux  Puissances.  Paris,  i838;  2  vol.  in-8°. 

(2)  Voyez  l'exposition  de  cette  dernière  explication,  2e  part.,  n.  8,  etc. 

(3)  Voyez  les  auteurs  cités  dans  la  note  1  de  cette  page.  Remarquez  en  parti- 
culier Mamachi,  pages  181,  1 85,  202,  etc. 

(4)  S.  Thomas,  2.  2.  qusest.  12,  art.  2,  ad  priraum.  —  Bellarmin ,  ubi  supra , 
cap.  vu,  tertia  ratio. 


PIÈCES  JUSTIFICATIVES.  747 

enx ,  si  la  prudence  eût  alors  permis  de  donner  cette  décision  ;  ils 
expliquent  de  même  la  conduite  des  souverains  pontifes  Grégoire  III, 
Etienne  II  et  Léon  III,  dépouillant  de  plusieurs  provinces  d'Italie  et 
de  l'empire  d'Occident  les  empereurs  de  Constantinople ,  devenus 
hérétiques  ou  fauteurs  d'hérésies  (1).  Fénelon  et  les  défenseurs  du 
pouvoir  directif,  son!  très-éloignés  d'admettre  ces  conséquences,  et 
les  principes  d'où  elles  découlent.  Ils  regardent  la  condition  de  ca- 
tholicisme, mise  à  l'élection  des  souverains,  au  moyen  âge,  non 
comme  un  point  de  droit  naturel,  mais  comme  un  point  de  droit  po- 
sitif-humain, alors  établi  par  la  constitution  des  États  catholiques  de 
l'Europe.  Tel  est  évidemment  le  sentiment  de  Fénelon,  dans  sa  Disser- 
tation sur  V  Autorité  du  souverain  Pontife  (2).  Sa  doctrine  est  déplus 
en  plus  expliquée  dans  X Essai  sur  le  gouvernement  civil,  composé 
par  le  chevalier  de  Ramsay,  d'après  les  principes  de  l'archevêque  de 
Cambrai.  Rien  n'est  plus  souvent  et  plus  fortement  inculqué,  dans 
cet  ouvrage,  que  la  nécessité  d'obéir  aux  plus  méchants  princes,  et  de 
respecter  même  en  eux  l'autorité  de  Dieu.  L'auteur  va  jusqu'à  trai- 
ter de  faux  dévots  ceux  qui  osent  faire  de  îa  religion  un  prétexte  de 
révolte.  «  Onne  prétend  pas,  dit-il  (3)  Justifier  la  conduite  inhumaine 
«  et  barbare  des  souverains  qui  foulent  le  peuple ,  en  levant  des  im- 
«  pois  exorbitants....  Je  soutiens  seulement  que,  si  Ton  ne  peut 
«  pas  arrêter  leurs  excès  par  des  voies  légitimes ,  et  compatibles 
«  avec  Tordre  et  la  subordination ,  il  faut  les  souffrir  avec  patience.. . 
«  Rien  n'est  plus  affreux  que  la  tyrannie ,  quand  on  n'envisage 
«  que  les  tyrans  ;  mais  cette  difformité  disparait ,  quand  on  regarde 
«  la  suprême  Providence ,  qui  se  sert  de  leurs  désordres  passagers 
«  pour  accomplir  son  ordre  éternel.  Ce  serait  donc  se  révolter 
«  contre  Dieu  même,  que  de  se  révolter  contre  les  puissances 
«  qu'il  a  établies,  quand  même  elles  abusent  de  leur  autorité. 
«  Cette  réflexion  nous  mène  naturellement  à  considérer  si  la  reli- 
«  gion  peut  être  un  prétexte  de  révolte.  Les  faux  dévots  de  toutes 
«  les  religions  et  de  toutes  les  sectes  crient  tous ,  d'une  voix  com- 
«  mune  :  Religio  sancta ,  summum  jus.  Cette  opinion  vient  d'une 
«  fausse  idée  de  la  religion.  »  Dans  un  autre  endroit,  l'auteur  s'atta- 
che à  prouver  que,  dans  le  cas  même  où  le  prince  ordonne  quel- 

(i)  Bianchi,   Délia  Potesta  e  délia  Politia  délia  Chiesa ,  tora.  r,  lib.  3,  §  8. 
—  Maraachi,    Origines  et  Antiquit.   Christ.,   tom.    iv,  page  202. — ■■  Muzzarelli , 

Grég.  Fil,  page  61,  etc Rohrbacher,  Des  rapports  entre  les  deux  Puissances, 

tom.  i,  chap.  11,  12,  17,  19,  21,  etc. 

(2)  Voyez  l'exposition  que  nous  avons  faite  plus  haut  du  sentiment  de  Fénelon 
(11e  partie,  n°  8,  etc.) 

(3)  Essai  sur  le  Gouv.  civil ,  chap.  x,  page  3^6. 


748  PIÈCES  JUSTIFICATIVES. 

que  chose  contre  la  loi  divine  ou  la  loi  naturelle ,  jamais  on  ne  peut 
lui  opposer  une  résistance  active,  en  se  révoltant  contre  lui; 
mais  on  doit  se  borner  à  la  résistance  passive ,  qui  consiste  sim- 
plement à  ne  pas  faire  ce  qu'il  ordonne.  «  Tels  sont,  dit-il  (l) ,  les 
«  sentiments  de  tous  les  grands  hommes  de  l'ancienne  et  de  la 
«  nouvelle  loi;  telle  a  été  la  doctrine  des  prophètes  ei  des  apôres  ; 
«  telle  fut  enfin  la  conduite  de  tous  les  héros  du  christianisme, 
«  dans  les  premiers  siècles.  Durant  sept  cents  ans  après  Jésus- 
«  Christ,  on  ne  voit  tas  un  seul  exemple  de  révolte  contre  les 
«  empereurs,  sous  prétexte  de  religion.  » 

On  voit  assez,  par  ces  explications,  la  différence  essentielle  qui 
existe  entre  le  pouvoir  directif  admis  par  Fénelon,  et  le  pouvoir 
indirect,  au  sens  où  les  théologiens  ultramontains  l'ont  expliqué 
dans  ces  derniers  temps  (2).  Toutefois,  nous  sommes  très-porté  à 
croire,  que  plusieurs  d'entre  eux  eussent  volontiers  admis  l'opinion 
de  Fénelon,  s'ils  l'eussent  connue  (3)  ;  qu'il  existe  aujourd'hui,  parmi 
les  Ihéologiens  étrangers,  une  tendance  particulière  à  l'embrasser  (4)  ; 
enfin,  que  les  défenseurs  du  pouvoir  direct  ou  indirect,  n'ont  été 
entraînés  dans  cette  opinion,  que  par  la  difficulté  d'expliquer  ou  de 
justifier  autrement  la  conduite  des  papes  du  moyen  âge  envers  les 
souverains  (5).  Si  nos  conjectures,  à  cet  égard,  sont  bien  fondées , 
ne  pourrait-on  pas  en  conclure,  avec  assez  de  vraisemblance,  que 
l'opinion  de  Fénelon,  à  mesure  qu'elle  se  répandra ,  fera  de  plus  en 
plus  tomber  dans  l'oubli,  l'ancienne  opinion  du  pouvoir  direct  ou 
indirect  ? 

La  conduite  et  le  langage  même  du  saint-siége  dans  ces  derniers 
temps,  semblent  venir  à  l'appui  de  ces  conjectures.  Plusieurs  pièces 

(i)  Ibid. ,  chap.  18,  page  464. 

(2)  Tout  ceci  peut  servir  à  expliquer  ce  que  nous  avons  dit  sur  le  même  sujet 
dans  VHist.  litt.  de  Fénelon,  ive  partie,  n°  79,  etc. 

(3)  Le  card.  Litta  en  particulier,  dans  sa  lettre  déjà  citée,  semble  peu  éloigné 
de  cette  opinion. 

(4)  L'accueil  fait  à  la  première  édition  de  nos  Recherches ,  dans  les  pays  étran- 
gers, et  à  Rome  même,  aussi  bien  qu'en  France,  paraît  autoriser  cette  con- 
jecture. 

(5)  Le  cardinal  Bellarmin  en  particulier,  nous  paraît  avoir  été  entraîné  dans  l'opi- 
nion du  pouvoir  indirect,  par  le  désir  de  justifier  les  papes  et  le  clergé  du  moyen 
âge,  contre  les  attaques  des  protestants  et  des  hérétiques  plus  anciens,  qui  allaient 
jusqu'à  prétendre  que  le  souverain  pontife  n'avait,  de  droit  divin ,  aucune  autorité 
sur  les  princes  séculiers,  et  que  le  Pape,  aussi  bien  que  les  évèques,  n'avaient  pu 
légitimement  acquérir  aucun  domaine  temporel.  En  soutenant  l'opinion  du  pouvoir 
indirect,  le  savant  cardinal  crut  tenir  le  juste  milieu  entre  les  excès  de  l'hérésie,  et 
l'opinion  du  pouvoir  direct ,  qu'il  regardait  comme  visiblement  exagérée.  Voyez  Bel- 
larmin, ubi  supra,  cap.  1. 


PIECES   JUSTIFICATIVES.  749 

officielles,  d'une  authenticité  incontestable,  montrent  clairement 
combien  le  saint-siége  est  aujourd'hui  éloigné  de  soutenir  l'opinion 
théologique  dont  nous  parlons.  Bic  n  plus,  il  y  professe  ouvertement, 
sur  la  distinction  des  deux  puissances,  et  sur  l'indépendance  des 
princes,  dans  Tordre  temporel,  des  principes  très-difficiles  à  concilier 
avec  l'opinion  théulogique  du  pouvoir  direct  ou  indirect.  On  peut 
voir  en  particulier,  à  l'appui  de  cette  assertion,  plusieurs  Brefs 
de  Pie  VI,  relatifs  à  la  révolution  française  (1)  ;  la  Lettre  du  car- 
dinal Anlonelli,  préfet  de  la  Propagande ,  aux  archevêques  d'Ir- 
lande, en  date  du  23  juin  179 1  (2)  ;  la  Lettre  encyclique  de  N.  S.  P.  le 
pape  Grégoire  XVI  à  tous  les  patriarches,  primats,  archevêques 
et  évéques,  du  15  août  1832  (3)  ;  Y  Exposition  du  droit  et  du  fait  en 
réponse  à  la  Déclaration  du  gouvernement  prussien ,  du  31  dé- 
cembre 1838  (4);  enfin,  Y  Allocution  de  N.  S.  P.  le  pape  Gré- 
goire XVI ,  prononcée  dans  le  consistoire  secret  du  8  juillet 
1839  (5).  Il  suffit,  à  ce  qu'il  nous  semble,  de  lire  attentivement  ces 
différentes  pièces  ,  pour  être  convaincu  que  le  saint-siége,  bien  loin 
de  favoriser  aujourd'hui  Y  opinion  théologique  du  pouvoir  direct  ou 
indirect ,  saisit  volontiers  les  occasions  qui  se  présentent,  de  mon- 
trer le  peu  d'importance  qu'il  attache  à  celte  opinion,  et  de  professer 
hautement  les  principes  qui  la  combattent,  ou  du  m  ins  qui  se  con- 
cilient plu^  difficilement  avec  elle.  Aussi,  plusieurs  éerivains judi- 
cieux ont-ils  cru  pouvoir  conclure  des  divers  documents  que  nous 
venons  de  citer,  que  l'opinion  théologique  dont  nous  parlons,  e^t  au- 
jourd  nui  surarmée,  même  au  delà  des  monts  {6). 

11  est  vrai  qu'un  écrivain  de  nos  jours  n'a  pas  craint  de  reprocher 
à  la  cour  de  Rome ,  et  particulièrement  à  Fie  VII,  leur  attachement 
à  ce  système,  jusqu'à  le  prendre  pour  base  des  instructions  secrètes, 
données  pendant  1804  et  1805  au  prélat  Delà  Genga  (depuis 
Léon  XII  ),  qui  fut  alors  envoyé,  en  qualité  de  nonce  extraordinaire, 
auprès  de  la  diète  de  Ralisbonne,  pour  ménager  un  accommodement 
entre  le  saint-siége  et  la  cour  d'Autriche  (7). 

(i)  Brefs  de  Pie  VI ;  édition  de  Paris,  1798,  in-8°,  tome  1,  pages  121,  i3r, 
271,  etc. 

(2)  Cette  lettre  est  rapportée  dans  l'Ami  de  la  Religion,  tome  xvm,  p.  108,  etc. 

(3)  Ibid.,  lorae  lxxiii  ,  pages  209,  241,  etc. 

(4)  Ibid.,  tome  ci,  page  193,  etc. 

(5)  Ibid.,  tome  en,  page  i^5,  etc. 

(6)  Voyez  les  auteurs  cités  plus  haut,  page  329,  note  2.  Voyez  aussi  les  Pièces 
justificatives  de  l'ouvrage  de  M.  l'abbé  Àfïrc,  Essai  hist.  sur  la  Suprématie  tempo- 
relle de  l'Eglise  et  du  Pape ,  page  5o4,  etc. 

(7)  Daunou,  Essai  hist.  sur  la  Puiss.  temp.  des  Papes ,  édit.  de  18 18,  t.  n,  p 
3i8-32i,  Ce  reproche  a  été,  depuis,  répété  avec  confiance  sur  la  seule  autorité  de 


750  PIÈCES   JUSTIFICATIVES. 

Mais,  outre  que  le  témoignage  de  cet  auteur  est  naturellement 
suspect,  à  raison  de  la  haine  violente  et  passionnée  qu'il  manifeste 
contre  le  saint-siége,  dans  toute  la  suite  de  son  ouvrage  (1),  on  doit 
remarquer  qu'il  ne  cite  aucune  pièce  ni  aucun  témoignage  digne  de 
foi,  à  l'appui  du  reproche  dont  il  s'agit.  Il  ne  fait  connaître  ni  l'au- 
teur des  documents  qu'il  cite,  ni  en  quel  lieu  on  peut  les  voir,  et  en 
vérifier  l'authenticité.  Aussi  a-t-elle  été  révoquée  en  doute  par  des 
écrivains  judicieux,  et  spécialement  par  M.  Picot,  qui  s'en  est  plu- 
sieurs fois  expliqué  dans  VAmi  de  la  Religion  (2).  Tous  ces  doutes 
sont  confirmés  par  un  bref  du  31  août  1806  ,  adressé  au  cardinal 
Caprara  ,  et  dans  lequel  le  Pape  désavoue  expressément  «  certaines 
<•  lettres  que  l'empereur  (Napoléon)  disait  lui  avoir  été  transmises 
«  de  Vienne  ,  et  dans  lesquelles  on  parlait  avec  peu  de  respect  de  Sa 
«  Majesté.  Nous  vous  répétons,  ajoute  le  saint  Père,  ce  que  nous 
(i  vous  avons  fait  écrire  par  notre  secrétaire  d'État,  la  première  fois 
«  que  nous  entendîmes  parler  de  cela ,  c'est-à-dire,  que  la  chose  est 
«  absolument  fausse  :  nous  le  disons  avec  franchise,  et  sans  peur 
«  d'être  démenti.  Sa  Majesté  ayant  les  originaux  entre  ses  mains  , 
«  elle  peut  nous  confondre  quand  elle  le  voudra.  Que  quelque  indi- 
ce vidu,  de  quelque  condition  qu'il  soit,  ait  écrit  des  choses  si  impru- 
«  dentés  ;  si  fausses  et  si  répréhensibles  ;  nous  l'ignorons  et  ne  pouvons 
«  en  être  responsables.  Ce  que  nous  assurons  hardiment,  c'est  que 
«  ces  lettres  ne  sont  pas  de  nous ,  ni  de  notre  ministère  :  ce  serait 

Daunou,  par  quelques  écrivains,  que  leurs  préjugés  bien  connus  contre  le  saint-siége 
portaient  naturellement  à  accueillir  et  à  publier  les  anecdotes  propres  à  diminuer  son 
autorité.  (Voyez  V  Ami  de  la  Religion,  t.  xvnr,  p.  200.)  Grégoire,  Tabaraud,  Silvy, 
et  d'autres  écrivains  du  même  parti ,  se  sont  emparés  précipitamment  d'un  si  beau 
texte  de  déclamations.  Ou  le  retrouve  aussi  dans  un  ouvrage  anonyme,  publié  en 
182  r,  sous  ce  titre  :  Origine,  progrès  et  limites  delà  Puissance  des  Papes  (in-8°, 
page  229).  Cet  ouvrage,  comme  celui  de  Daunou,  porte  le  cachet  d'une  haine 
violente  contre  le  saint-siége  ;  et  les  rapports  qui  existent  entre  ces  deux  ouvrages, 
donnent  lieu  de  soupçonner  qu'ils  sont  sortis  de  la  même  plume.  Quoi  qu'il  en  soit  de 
cette  conjecture,  les  déclamations  de  Daunou,  sur  ce  sujet,  ont  trouvé  récem- 
ment un  écho  dans  le  consistoire  protestant  de  l'église  wallonne  à  Leewarden  en 
Hollande.  (Voyez  à  ce  sujet  V Ami  de  la  Religion,  tome  ex,  pag.  25i,  298  et  426.) 
Sur  l'occasion  et  les  détails  de  la  mission  du  card.  Délia  Genga,  auprès  de  la 
diète  de  Ratisbonne,  en  1804,  voyez  les  Mém.  pour  servir  a  VHist.  eccl.  du 
xvine  siècle,  par  M.  Picot,  tome  m,  page  441,  etc. —  Henrion,  Hist.  de  l'Église, 
tome  xii,  pages  296  et  3i5.  —  Artaud,  Hist.  de  Pie   ni,   tome  Ier,  chap.    3i; 

tome   n,  chap.    5,  page  53,   édit.  in-8° Hist.  de  Léon  XIIy  tome   1,  chap.  1, 

page  8,  etc.  —  V Ami  de  la  Religion,  tome  v,  page  254,  etc« 

(1)  Voyez  le  compte -rendu  de  cet  ouvrage,  dans  VAmi  de  la  Religion, 
tome  xxviir,  pages  1,  193,  369.  Voyez  aussi  la  Notice  sur  l'auteur,  tome  cv, 
page  602;  et  tome  ex,  page  33. 

(2)  L'Ami  de  la  Religion ,  tome§  xvni,  page  196;  xix,  p.  357  J  XXI  t  P»  IJ6, 


PIÈCES   JUSTIFICATIVES.  j&i 

«  Tunique  reproche  qu'on  pourrait  nous  faire,  si  cela  était  (1).  » 
Quoique  ces  observations  soient  plus  que  suffisantes,  pour  montrer 
le  peu  de  confiance  que  méritent  les  pièces  clandestines  dont  nous 
venons  de  parler,  nous  pouvons  citer  encore,  à  l'appui  de  ces  observa- 
tions, le  témoignage  de  M.   Artaud  de  Monlor,  plus  à  portée  que 
personne  d'apprécier  la  valeur  de  ces  pièces  (2).  Il  ne  balance  pas  à 
les  regarder  comme  indignes  de  toute  confiance,  et  comme  fabri- 
quées, ou  du  moins  falsifiées  ,  par  des  particuliers  sans  autorité.  Il 
ajoute  que  le  caractère  bien  connu  du  pape  Pie  Vil ,  du  cardinal 
Consalvi,  du  prélat  Délia  Genga  ,  et  de  tous  les  agents  du  gouver- 
nement pontifical  à  cette  époque ,  ne  permet  pas  de  leur  attribuer  les 
instructions  secrètes  citées  par  M.   Daunou.  Ces  prétendues  in- 
structions ,  supposé  qu'elles  n'aient  pas  été  fabriquées   par   un 
ennemi  du  saint-siége,  sont  vraisemblablement  l'ouvrage  de  quel- 
que personnage  exalté,  qui  pouvait  être  en  correspondance  avec 
le  prélat  Délia  Genga ,  et  dont  les  opinions  ou  les  prétentions  ne 
peuvent  être   mises  sur   le  compte  du  Pape,  ou    des  principaux 
agents  de  son  gouvernement.  M.  Artaud  ,  qui  a  vu  les  choses  de 
près  ,  assure  qu'il  y  avait  alors  à  Rome  un  parti  assez  nombreux  de 
ces  hommes  exaltés  comme  il  s'en  trouve  toujours  dans  les  temps  de 
crise,  et  qui  ne  sont  pas  un  petit  embarras  pour  les  gouvernements. 
Indignés  des  prétentions  ambitieuses  de  Buonaparte ,  et  des  vexa- 
tions qu'il  commençait  à  exercer  contre  le  saint-siége ,  ces  hommes 
ardents  auraient  voulu  que  le  pape  Pie  VII  employât,  contre  le  nou- 
veau persécuteur  de  l'Église,  des  mesures  semblables  à  celles  que  les 
papes  Grégoire  VII,  Innocent  IV,  et  quelques  autres  pontifes  , 
avaient  employées  autrefois  contre  des  princes  coupables  de  pareils 
excès.  On  conçoit  que  le  prélat  Délia  Genga  pouvait  être  en  corres- 
pondance avec  quelques  particuliers  de  ce  caractère ,  quoiqu'il  ne 
partageât  aucunement  leurs  opinions  exagérées. 

(r)  L'Ami  de  la  Religion  ,  tome  xxr ,  page  116. 

(■2)  M.  Artaud  de  Monrol  fut  envoyé  à  Rome,  par  le  gouvernement  français, 
comme  secrétaire  de  légation,  d'abord  en  1801,  à  l'époque  des  négociations  relati- 
ves au  Concordat,  puis  en  1804,  après  la  mort  de  M.  Gandolphe  ,  qui,  depuis 
quelques  mois  seulement,  avait  succédé  à  M.  de  Chateaubriand,  dans  cette  place.  On 
peut  voir  dans  X Histoire  de  Pie  Fil  (tome  1,  chap.  3i;  tome  ir,  chap.  5),  et  dans 
celle  de  Léon  XII (tome  1,  chap.  1),  les  détails  donnés  par  M.  Artaud,  sur 
l'étal  déplorable  des  églises  d'Allemagne,  au  commencement  du  xixe  siècle,  et  sur  la 
mission  extraordinaire  donnée  par  Pie  VII  au  prélat  Délia  Genga  (depuis  Léon  XII), 
pour  ménager  un  accommodement,  à  ce  sujet ,  avec  la  cour  d'Autriche. 


752  PIECES  JUSTIFICATIVES. 

IX.  Pag.  332 ,  588,  649,  653. 

Ouvrages  à  consulter,  sur  les  controverses  relatives  aux  droits 
d'Elisabeth  à  la  couronne  d*  Angleterre ,  et  du  roi  de  Navarre, 
{depuis  Henri  IF)  à  la  couronne  de  France. 

I.  Sur  la  première  de  ces  controverses  ,  voyez  principalement  les 
ouvrages  suivants  : 

Allen  ,  Ad  Persecutores  Anglos  pro  catholicis  vera,  sincera  et 
modesta  Responsio ;  1584,  i«-8°,cap.  4  et  5,  pages  112,  143,  etc., 
de  rédition  latine.  —  Idem,  Exhortatio  ad  nobiles  etpopulum  An- 
glise;  1588.  —  Doieman,  Conférence  sur  la  succession  prochaine 
de  la  couronne  d Angleterre  ;  1593  ,  in-8°  ;  2e  partie  ,  chap.  7, 
page  116.  On  peut  voir,  au  sujet  de  ces  ouvrages,  Lingard,  IJist. 
d'Angleterre,  tout,  vm,  p.  384,  462  et  611 . 

II.  Sur  la  controverse  relative  aux  droits  du  roi  de  Navarre 
(Henri  IV)  a  la  couronne  de  France,  voyez  les  ouvrages  suivants  : 

De  justa  Reipublicx  christianœ  in  Reges  impios  et  hœreticos 
auctoritate.  Parisiis,  1590,  in-8° ,  cap.  2,  7  et  8.  La  première  édi- 
tion de  cet  ouvrage  est  anonyme  ;  la  deuxième  ,  publiée  sous  la  ru- 
brique d'Anvers,  1592,  porte  le  nom  de  Guillaume  Rose ,  évéque  de 
Seuils,  à  qui  l'ouvrage  est  communément  attribué.  —  Jean  Boucher, 
De  justa  Henrici  III  abdicatione  e  Francorum  regno.  Parisiis, 
1589,  i?i-8°,  Lugduni,  1591,  in-8°;  lib.  I,  cap.  22,  lib.  II,  cap.  15,  etc. 
—  Réponse  des  vrais  catholiques  français,  à  V avertissement  des 
catholiques  anglais,  pour  l'exclusion  du  roi  de  Navarre,  de  la 
couronne  de  France  (par  Louis  d'Orléans  ,  avocat  au  parlement  de 
Paris).  1588,  i?i-S°  ;  IVe  partie ,  page  147,  etc. ,  528 ,  etc. 

Ces  ouvrages,  dont  nous  avons  exposé  ailleurs  l'occasion  et  le 
sujet  (ci-dessus,  chap.  3,  nos  289  et  292),  sont  les  plus  impor- 
tants qui  aient  paru  ,  dans  le  temps,  contre  les  droits  d'Elisabeth 
à  la  couronne  d'Angleterre,  et  contre  ceux  du  roi  de  Navarre  (depuis 
Henri  IV),  à  la  couronne  de  France.  Tous  invoquent  également, 
contre  les  souverains  dont  il  s'agit,  l'ancienne  jurisprudence  des 
États  catholiques  de  l'Europe,  particulièrement  celle  de  la  France  et 
de  l'Angleterre,  qui  exclut  du  trône  les  hérétiques.  Il  y  a  du  reste 
une  grande  différence  de  principes,  entre  ces  ouvrages.  Indépendam- 
ment du  droit  positif-humain ,  les  auteurs  anglais  invoquent  aussi 
contre  Elisabeth  le  droit  divin,  mais  seulement  clans  le  sens  des  théo- 
logiens qui  attribuent  à  l'Église  et  au  souverain  pontife  unej  uridiefiofa 
indirecte  sur  les  choses  temporelles.  Les  auteurs  français,  princi- 
palement Guillaume  Rose  et  Jean  Boucher,  vont  beauroup  plus  loin, 


PIÈCES   JUSTIFICATIVES.  753 

et  ajoutent  à  cette  opinion  théologique,  les  principes  les  plus  dange- 
reux, sur  le  droit  prétendu  que  la  société  possède  essentiellement , 
de  destituer  et  de  mettre  à  mort  les  tyrans.  On  est  étonné  de  voir 
la  confiance  et  la  hardiesse  avec  laquelle  ces  deux  auteurs,  et  surtout 
le  second  ,  soutiennent  une  si  funeste  doctrine,  et  les  conséquences 
qu'ils  en  tirent,  pour  autoriser  même  les  simples  particuliers,  à  tuer 
un  prince  notoirement  hérétique  ou  excommunié.  Anquetil ,  dans 
Y  Esprit  de  la  Ligue  (tom.  I,  page  xxx),  signale  sans  doute  ces 
défauts  si  graves  ;  toutefois  ,  il  nous  paraît  faire  un  éloge  exagéré 
de  l'ouvrage  de  Rose ,  en  le  représentant,  dans  le  genre  polémique, 
comme  l'ouvrage  d'un  homme  de  génie.  Il  eût  dû  au  moins  ajou- 
ter, d'un  génie  turbulent  et  révolutionnaire,  toujours  blâmable  aux 
yeux  d'un  homme  sage ,  mais  peu  digne  surtout  d'un  évêque , 
obligé  par  état  à  combattre  et  à  modérer  les  passions  violentes  qui 
tendent  au  bouleversement  de  la  société.  Au  reste,  quelque  dange- 
reux que  soient  les  principes  soutenus,  à  cette  époque,  par  cet  auteur 
et  par  plusieurs  autres  écrivains  catholiques,  l'étonnement  qu'ils 
inspirent  diminue,  lorsqu'on  se  souvient  que  les  protestants,  contre 
lesquels  ces  auteurs  dirigeaient  principalement  leurs  ouvrages ,  ad- 
mettaient ,  sur  cette  matière,  des  principes  encore  plus  dangereux, 
en  abandonnant  au  peuple  le  jugement  des  cas  de  destitution ,  qui , 
dans  le  sentiment  des  auteurs  catholiques,  est  réservé  à  l'Eglise  et 
au  souverain  pontife.  Guillaume  Rose  {ubisuprà,  cap.  10)  n'ou- 
blie pas  de  faire  remarquer  celte  différence  essentielle  entre  ses  prin- 
cipes et  ceux  de  ses  adversaires,  La  doctrine  des  protestants,  sur 
cette  matière,  est  exposée  et  discutée  avec  soin  par  Bossuet.  Voyez 
le  Cinquième  Avertissement  aux  Protestants ,  et  la  Défense  de 
V Histoire  des  variations.  (OEuvres  de  Bossuet ,  tome  xxi.) 


PIN. 


48 


TABLE  DES  MATIERES. 


Nota.  1°  Les  chijjres  romains ,  qu'on  reneontre  quelquefois  dans  cette  Table , 
indiquent  les  pages  de  la  Préface;  les  chiffres  arabes  se  rapportent  au  corps  de 
l'ouvrage. 

2°  Les  passages  auxquels  on  renvoie,  ne  sont  pas  toujours  dans  le  corps  de 
l'ouvrage  ;  ils  sont  quelquefois  dans  les  Notes. 

3°  Quelques  articles  de  cette  Table  étant  un  peu  longs,  nous  les  avons  partagés 
en  plusieurs  numéros  ou  alinéa  ,  selon  la  diversité  des  matières,  pour  faciliter  les 
recherches.  (Voyez,  entre  autres,  les  articles  Église,  Empereur,  Pape,  Purs- 

SANCES.) 

4°  Pour  ne  pas  répéter  inutilement  les  détails  de  la  Table  des  chapitres,  placée 
au  commencement  de  ce  volume ,  nous  y  renvoyons  quelquefois  dans  la  Table  al- 
phabétique. (Voyez,  en  particulier,  l'article  Pape.)  Le  lecteur  suppléera  facilement 
de  lui-même  à  cette  indication,  dans  un  grand  nombre  d'autres  articles. 


ABLAVE,  gouverneur  d'Afrique.  (Voyez  Constantin.) 

ADORATION  rendue  à  Charlemagne ,  dans  la  cérémonie  de  son  couronne- 
ment, par  le  pape  Léon  III,  256,  257.  —  Le  Pape  ne  reconnut  point  alors 
la  souveraineté  de  Charlemagne  dans  Rome,  297,  etc. 

ADRIEN  1er,  pape,  se  regarde  comme  souverain  de  Rome  et  de  l'Exarchat,  250. 
— 11  implore  le  secours  de  Charlemagne  contre  l'empereur  de  Constanti- 
nople,  ibid.  —  Il  implore  la  même  protection  contre  les  Lombards,  252. 
—  Les  habitants  de  Spolette  et  de  Riéti  se  donnent  au  saint-siége,  sous  son 
pontificat,  253.  — Il  réclame  auprès  de  l'empereur  de  Constanlinonle  les 
patrimoines  du  saint-siége,  situés  en  Grèce  et  en  Orient,  255.  —  Il  n'a 
pas  cité,  comme  authentique,  la  Donation  de  Constantin ,  718,  etc. 

ADRIEN  II ,  pape.  Sa  conduite  politique  trop  facilement  blâmée  par  quel- 
ques auteurs  modernes,  367,  467,  note.  —  Il  promet  l'empire  à  Charles 
le  Chauve,  467,  495,  620. 

ADRIEN  IV,  pape.  Ses  démêlés  avec  l'empereur  Frédéric  1er,  sur  la  dépen- 
dance de  l'Empire  à  l'égard  du  saint-siége,  503,  etc.  —  Est-il  vrai  qu'il  ait 
prétendu  donner  l'Irlande  au  roi  d'Angleterre  Henri  II  ?  554,  etc. 

ATGNAN  (saint) ,  évêque  d'Orléans ,  sauve  sa  ville  épiscopale,  par  sa  média- 
tion auprès  d'Attila ,  42. 

ALARIC II,  roi  des  Visigoths,  publie  dans  ses  États  un  Abrégé  des  lois  ro- 
maines, 92.  — Cet  abrégé  se  répand  en  Occident  sous  le  nom  de  Loi 
Romaine  et  de  Code  Théodosien,  ibid. — On  y  retrouve  toutes  les  disposi- 
tions du  droit  romain  contre  les  hérétiques ,  ibid. 

ALBIGEOIS.  Lois  publiées  contre  ces  hérétiques  par  le  me  et  le  ive  concile  de 
Latran,  426,  etc.—  Confirmation  de  ces  lois,  par  l'autorité  de  Frédéric  II 
et  de  saint  Louis,  431. 

ALEXANDRE  III,  pape,  excommunie  et  dépose  l'empereur  Frédéric  Barbe- 
rousse,  445,  etc.  ;  463,  etc.  (Voyez  Frédéric  Barberousse,  et  Jean  de 
Sarisbéry.) 

ALEXANDRE  VI,  pape.  Examen  de  sa  bulle,  Inter  cœtera,  qui  partage 
entre  les  rois  d'Espagne  et  de  Portugal  quelques  pays  nouvellement  déeoii» 

48. 


756  TABLE  DES  MATIERES. 

verts,  578,  etc.  —  Cette  bulle  ne  suppose  pas  l'opinion  théologique  du 

pouvoir  direct  de  l'Église  sur  les  choses  temporelles,  579 Injustice  des 

reproches  faits  au  saint-siége  à  l'occasion  de  ce  décret  et  de  quelques 
autres  semblables,  579  et  580.  —  Ce  décret  expliqué  et  justifié  par  Gro- 
tius,  577,  note.  —  Mallebrun  peu  d'accord  avec  lui-même,  dans  l'explica- 
tion de  ce  décret,  ibid. 

ALEXANDRE  (  le  P.  Noël  ) ,  docteur  de  Sorbonne.  Sa  méprise  au  sujet  des 
lettres  de  Grégoire  VII  à  Herman  ,  sur  l'excommunication  du  roi  de  Ger- 
manie (Henri  IV),  438,  note.  —  Autre  méprise,  relativement  à  une  lettre 
de  Grégoire  VII,  concernant  l'élection  de  Rodolphe,  444,  note. 

ALEXANDRIE  (Église  d').  Libéralités  de  Constantin  envers  cette  Église,  105. 

—  Ses  richesses  et  ses  revenus,  au  vne  siècle,  123,  etc.  (Voyez  Jean  l'au- 
monier.)  —  Pouvoir  temporel  du  patriarche  d'Alexandrie,  depuis  le  ive 
siècle,  182,  etc.  (Voyez  Patriarches.) 

ALLÉGORIE  des  deux  glaives.  (Voyez  Glaives.) 
ALLEMAGNE  (empire  d'  ).  (Voyez  Droit  germanique,  Empire.) 
AMRROISE  (saint)  est  choisi  par  l'impératrice  Justine,  pour  négocier  auprès 
du  tyran  Maxime  les  intérêts  de  l'Empire,  41.  —  Il  combat  la  requête  de 
Symmaque,  pour  le  rétablissement  de  Y  autel  de  la  Victoire,  60,  61.  — 
Il  avance  comme  un  fait  notoire,  qu'alors  la  majorité  du  sénat  était 
chrétienne,  60,  note. — Erreur  de  M.  Bengnot  sur  ce  point,  ibid. — S.  Am- 
broise  blâme  la  conduite  de  Valentinien  1er  à  l'égard  du  clergé,  116,  note. 

—  Sa  doctrine  sur  l'obligation  de  payer  les  impôts  ,  exigés  même  sur  les 
terres  de  l'Église,  151,  152.  —  Injuste  reproche  de  cupidité,  fait  au  saint 
docteur,  par  M.  Beugnot,  139,  note. 

AMMIEN  MARCELLIN,  auteur  païen  du  ive  siècle,  accuse  à  tort  le  souve- 
rain pontife,  de  luxe  et  de  mondanité,  139,  140. 

ANASTASE,  empereur,  est  menacé  de  perdre  l'empire ,  par  suite  de  la  pro- 
tection qu'il  accordait  aux  Eutychiens ,  187,  189,  etc.;  203. 

ANASTASE  le  Bibliothécaire.  Diverses  éditions  de  ses  Vies  des  Papes,  105, 
note. —  Détails  que  l'auteur  y  donne  sur  les  libéralités  de  Constantin  en- 
vers l'Église  romaine,  105-110.  —  Autorité  de  son  récit  à  cet  égard,  1 10, 
texte  et  note. — Récit  qu'il  fait  de  la  révolution  arrivée  en  Italie  sous  Gré- 
goire II,  215,  etc.  —  Ce  récit  d'accord  avec  celui  de  Paul  Diacre,  221. 
(Voyez  Grégoire  II.) 

ANCILLON,  auteur  protestant,  reconnaît  les  grands  avantages  que  la  société 
a  retirés  du  pouvoir  temporel  des  Papes,  au  moyen  âge,  692. 

ANGLETERRE  (royaume  d').  Sa  monarchie  élective  sous  les  rois  Anglo- 
Saxons,  355.  — Sa  législation,  au  moyen  âge,  sur  les  effets  temporels  de 
l'excommunication,  414,  415,  419,  etc. —  Ces  effets  de  l'excommunication, 
reconnus  en  Angleterre,  même  par  rapport  aux  souverains,  446,  etc.  (Voyez 
Henri  II.)  —  Loi  de  S.  Edouard,  qui  déclare  privé  de  son  titre  de  roi,  le 
monarque  rebelle  envers  Dieu  et  envers  l'Église ,  607.  —  Authenticité  de 
cette  loi  ;  son  véritable  sens,  609.  —  Permanence  de  cet  ancien  droit ,  à 
l'époque  du  schisme  de  l'Angleterre,  586,  etc.;  649,  etc.;  752. — Vestiges 
de  cet  ancien  droit,  dans  la  constitution  moderne  de  l'Angleterre,  656,  658. 

—  Le  royaume  d'Angleterre,  longtemps  regardé  au  moyen  âge  comme  un 
fief  du  saint-siége,  482.  —  Explication  des  décrets  du  saint-siége  contre 
Henri  VIII  et  contre  Elisabeth ,  583,  etc.  (Voyez  Paul  111,  et  Pie  V.) 

ANGLO-SAXONS.  (Voyez  Angleterre.) 

ANSELME  (saint),  archevêque  de  Cantorbéry.  Portrait  qu'il  fait  du  roi  de 
Germanie  (Henri  IV),  372. 


TABLE  DES  MATIÈRES.  T57 

APOSTATS.  Disposition  du  droit  romain  contre  eux,  91. — Ces  dispositions 
insérées,  pour  le  fond,  dans  la  législation  de  tous  les  États  chrétiens  de 
l'Europe,  au  moyen  âge,  396. 

ARAGON  (le  royaume  d'),  autrefois  regardé  comme  fief  du  saint-siége,  483. 
—  Le  pape  Martin  IV  donne  ce  royaume  à  Philippe  le  Hardi,  ibid. 

ARAGON  (Nicolas-Roselli ,  cardinal  d').  Voyez  Roselli. 

ARIENS.  Protégés  par  Constantin,  Constance  et  quelques  autres  empereurs ,' 
95  et  96. 

AR1STOTE.  Ses  principes  sur  l'union  de  la  Religion  et  de  l'État,  3,  4. 

ARLES  (second  concile  d').  Ses  dispositions  sur  les  effets  temporels  de  la  pé- 
nitence publique,  400. 

ARNOBE  montre  aux  païens  la  vérité  de  la  religion  chrétienne,  par  le  seul 
fait  de  son  établissement,  48. 

ARNOUL,  empereur,  est  couronné  par  le  pape  Formose  en  896,  423,  note  ; 
619.  —  Les  Romains  lui  prêtent  serment  de  fidélité,  289,  619. 

ARNOUL,  évêque  de  Lisieux  au  xue  siècle,  suppose,  comme  un  point  de 
droit  public  universellement  reconnu,  les  droits  particuliers  du  Pape  sur 
l'Empire,  487. 

ARTAUD  DE  MONTOR  (M.  le  chevalier),  secrétaire  de  légation  à  Rome,  sous 
Pie  Vil,  751,  note. — Détails  intéressants,  dans  son  Histoire  de  Pie  VII, 
sur  quelques  entretiens  de  l'abbé  Émery  avec  l'empereur  Napoléon,  255, 
323  et  324.  —  il  regarde  comme  fausses  les  prétendues^  Instructions 
secrètes  adressées  par  le  pape  Pie  VII  à  son  nonce  de  Vienne ,  en 
1805,  etc.,  751. 

ASILE.  En  quoi  consiste  le  droit  d'asile,  155. —  Origine  de  ce  droit,  155,  etc. 

—  Il  est  maintenu  par  les  empereurs  chrétiens  avec  de  sages  restrictions , 
156. —  Zèle  du  clergé  pour  le  maintien  de  ce  droit ,  157,  etc.  —  Avantages 
de  ce  droit,  renfermé  dans  de  justes  bornes ,  160,  etc. — Sage  conduite  de 
l'Église  à  cet  égard,  162. 

ASSEMBLÉES  MIXTES.  (Voyez  Conciles.) 

ASTOLPHE,  roi  des  Lombards ,  assiège  Rome  sons  le  pontificat  d'Etienne  II, 
236.  (Voyez  Etienne  II.)  —  Pépin  l'obligea  lever  le  siège,  et  à  restituer  à 
l'Église  romaine  les  villes  et  territoires  qu'il  lui  avait  enlevés,  239. —  As- 
tolphe  assiège  Rome  pour  la  seconde  fois,  240.  — Pépin  l'oblige  à  lever  le 
siège ,  et  lui  impose  des  conditions  plus  rigoureuses,  243.  —  Astolphe  est 
obligé  de  ratifier  la  Donation  de  Pépin  à  l'Église  romaine ,  ibid.  (Voyez 
Donation  de  Pépin.) 

ATHÉNIENS.  Leur  respect  pour  la  religion  ,11,  etc.  (Voyez  Religion.) 

AUGUSTE ,  empereur,  renouvelle  les  anciennes  lois  romaines  contre  .les 
cultes  étrangers,  25.  (Voyez  Mécène.) 

AUGUSTIN  (saint)  institue,  en  Occident,  des  communautés  purement 
ecclésiastiques ,  39.  —  Propagation  et  résultats  de  cette  institution,  39, 
40.  — Ses  principes  sur  la  libéralité  des  fidèles  envers  l'Église,  120-123. — 
Sur  la  modération  que  la  justice  humaine  doit  apporter  dans  le  châtiment 
des  criminels,  158,  173.  —  Sur  le  droit  qu'a  le  peuple,  en  certains  cas, 
de  se  soumettre  à  un  nouveau  souverain,  233.  (Voyez  Publicistes.) 

AUTEL  DE  LA  VICTOIRE,  enlevé  du  sénat,  par  ordre  de  Constance,  57, 
58.  —  Rétabli  par  Julien,  59.  —  Enlevé  de  nouveau  par  Gratien ,  ibid.  — 
Requête  de  Symmaque  pour  le  rétablissement  de  cet  autel ,  57,  58,  59,  etc. 

—  Cette  requête  est  combattue  par  S.  Ambroise ,  60,  61 .  —  Les  empereurs 
Gratien  etValentinien  II  n'ont  aucun  égard  à  cette  requête,  ibid.  —  Leur 
fermeté,  sur  ce  point,  est  imitée  par  Théodose,  64. 


758  TABLE   DES   MATIÈRES. 

BALE  (concile  de).  Ses  décrets  en  matière  temporelle  autorisés  par  le  con- 
sentement des  princes ,  580,  etc. 

BARCELONE  (conciles  de).  Dispositions  du  Ier  concile  de  Barcelone  (en  540) 
sur  les  effets  temporels  de  la  pénitence  publique ,  401 .  Dispositions  du 
IIe  concile  (en  599)  sur  le  même  sujet,  ibid. 

BARONIUS  ,  cardinal .  Assertion  inexacte  de  cet  auteur  sur  l'état  des  immu- 
nités ecclésiastiques  sous  les  empereurs  chrétiens,  152, 153.  —  Cette  as- 
sertion durement  relevée  per  Bingbam  ,  ibid.,  note. 

BASILIQUE  CONSTANTINIENNE.  Son  origine,  106,  note.  —  Ornements  dont 
elle  fut  enrichie  par  Constantin,  106,  etc. 

BÉCANCELDE  (concile  de)  en  Angleterre,  en  694.  Sa  doctrine  sur  la  distinc- 
tion des  deux  puissances,  523. 

BELLARMIN,  cardinal,  exagère  la  sévérité  du  droit  romain  contre  les  hé- 
rétiques, 75,  note.  —  Son  sentiment  sur  l'origine  des  immunités  ecclé- 
siastiques, 154.  —  Il  paraît  être  l'auteur,  ou  du  moins  le  principal  dé- 
fenseur de  l'opinion  théologique  du  pouvoir  indirect  de  l'Eglise  sur  les 
choses  temporelles,  328,  note;  743,  lk%,  texte  et  notes.  (Voyez  Puis- 
sances.) —  Son  traité  De  Romano  Pontifice ,  mis  à  l'Index  par  le  pape 
Sixte  V,  en  est  retiré  par  le  pape  Urbain  VII,  743 ,  note. 

BÉLUS.  Richesses  de  son  temple  à  Babylone,  709. 

BËNÉVENT  (duché  de).  Les  habitants  de  ce  duché  manifestent  l'intention  de 
se  mettre  sous  la  protection  du  roi  de  France ,  par  l'entremise  du  pape 
Etienne  II, 254 ,  note.  —  Comment  Charlemagne  a  pu  disposer  de  ce  du- 
ché, avant  d'en  avoir  fait  la  conquête,  253. 

BERNADOTTE,  d'abord  maréchal  de  France,  puis  roi  de  Suède.  (Voyez 
Suède.) 

BERNARD  (saint).  Sa  doctrine  sur  le  pouvoir  de  l'Église  dans  l'ordre  tem- 
porel, 547,  elc.  —  Bossuet  et  Fleury  l'expliquent  dans  le  sens  modéré  du 
pouvoir  directif,  571  et  572.  —  En  quel  sens  il  emploie  V allégorie  des 
deux  glaives,  547 — Bossuet  suppose  à  tort  que  S.  Bernard  est  le  premier 
qui  l'ait  employée,  551 ,  note.  —  En  quel  sens  il  attribue  au  Pape  le  droit 
de  disposer  des  royaumes  et  des  empires,  549,  etc. 

BERNARDI,  académicien.  Comment  il  explique  l'origine  et  les  progrès  du 
pouvoir  temporel  du  clergé,  au  moyen  âge,  394. 

BERNE IED  (  Paul  ) ,  auteur  contemporain  de  Grégoire  VII,  suppose,  comme 
un  point  de  droit  public  universellement  reconnu ,  le  droit  qu'avait  alors 
le  Pape,  de  déposer  les  souverains ,  en  certains  cas,  486.  —  Il  suppose 
également  que  l'empereur  qui  persévérait  opiniâtrement  dans  l'excommu- 
nication ,  pendant  une  année  entière,  encourait  la  peine  de  déposition, 
440,  note. 

BERTHIER  (le  P.),  Jésuite.  Son  sentiment  sur  les  grands  avantages  du  pou- 
voir temporel  du  clergé,  en  France,  sous  la  seconde  et  la  troisième  race 
de  nos  rois,  481. 

BESANT  d'or.  (Voyez  Monnaies.) 

BEUGNOT  (M.),  auteur  de  Y  Histoire  de  la  destruction  dupaganisme  en  Oc- 
cident. —  Esprit  de  son  ouvrage,  703, 704.  —  Assertions  hasardées  de  l'au- 
teur sur  le  souverain  pontificat  des  empereurs  chrétiens,  23,  note. 
(Voyez  Empereurs  romains,  Souverain  pontife.)—  Injustice  des  reproches 
qu'il  fait  à  Eusèbe,  à  l'occasion  d'une  loi  de  Constantin  contre  l'idolâtrie, 
703.  —Ses  erreurs  sur  l'état  du  christianisme  dans  l'empire,  sous  Constantin 
et  ses  successeurs ,  49  et  60 ,  notes.  —  Il  assure ,  bien  à  tort ,  qu'à  l'époque 
de  la  requête  de  Symmaque,  la  majorité  du  sénat  était  encore  païenne, 


TABLE   DES  MATIÈRES.  760 

60,  note.  (Voyez  Ambroise.) — Injuste  reproche  de  cupidité  qu'il  fait  au 
clergé  du  ive  siècle,  et  particulièrement  à  saint  Ambroise,  139,  note. 

BIENS  ECCLÉSIASTIQUES.  Leur  origine ,  dans  l'usage  ,  et  les  maximes  de 
l'antiquité  sur  l'union  de  la  Religion  et  de  l'État,  2,6,  8 ,  etc.  ;  29,  30.  — 
Erreur  de  ceux  qui  refusent  à  l'Église  et  à  ses  ministres  le  droit  d'acquérir 
et  de  posséder  des  biens  temporels ,  308,  note.—  Principes  et  pratique  de  l'É- 
glise primitive  sur  ce  sujet,  98,  etc.  —  Richesses  de  quelques  Églises  pen- 
dant les  persécutions ,  101 .  —  Richesses  de  l'Église  romaine  en  particulier, 
102.  —  L'administration  des  biens  ecclésiastiques,  alors  abandonnée  aux 
évêques ,  35.  —  Accroissement  des  biens  ecclésiastiques ,  depuis  la  conver- 
sion de  Constantin ,  103,  etc. —  Libéralités  de  ce  prince  envers  l'Église 
romaine ,  ibid.  —  Sources  de  ces  libéralités  dans  les  immenses  revenus  de 
l'empire,  111-114.—  Autres  sources  de  richesses  pour  l'Église  :  restitu- 
tions; libéralités  des  fidèles  encouragées  par  les  lois,  114,  etc.  —  Dîmes, 
prémices,  donations  entre  vifs  et  par  testament,  118,  etc.  —  La  libéralité 
des  fidèles  excitée  par  les  exhortation  des  saints  docteurs,  119,  120,  etc. 
—  Ils  blâment  cependant  les  donations  excessives  ou  indiscrètes,  122.  — 
Richesses  des  Églises  patriarcales,  depuis  le  ive  siècle,  123.  — Richesses 
de  l'Église  romaine  en  particulier,  124. —  Ses  patrimoines,  125,  etc. — 
Précieux  résultats  des  richesses  du  clergé,  pour  le  bien  de  la  société,  128- 
134,  137,  etc.—  Libéralités  immenses  de  l'Église  romaine,  134,  etc. — 
Injustice  des  invectives  contre  le  clergé  sur  ce  sujet,  138-142. 

B1NGHAM ,  auteur  anglais  de  l'ouvrage  intitulé  :  Origines  et  antiquitates 
ecclesiasticœ .  —  Il  attaque  sans  raison  le  récit  d'Anastase ,  sur  les  libéra- 
lités de  Constantin  envers  l'Église  romairfe  ,110,  note.  —  Il  traite  avec  soin 
la  matière  des  immunités  ecclésiastiques  sous  les  empereurs  chrétiens , 
144 ,  note.  —  Il  relève  durement  une  erreur  de  Baronius  sur  cette  matière, 
153,  note. 

BLASPHÈME.  Origine  des  peines  temporelles  qui  lui  étaient  infligées  par  la 
législation  de  tous  les  États  chrétiens,  au  moyen  âge,  396. 

BONIFACE  VIII ,  pape.  Examen  de  la  bulle  de  ce  Pape,  TJnam  sanctam, 
569,  etc.  —  Les  plus  fortes  expressions  de  cette  bulle  sont  empruntées  à 
saint  Bernard  et  à  Hugues  de  Saint-Victor,  571 ,  etc.  (Voyez  ces  deux 
articles.)  — Conclusion  remarquable  de  cette  bulle,  572,  599.  —  Expli- 
cation modérée  de  ce  décret,  donnée  par  Boniface  V1I1  lui-même,  573. — 
Sa  doctrine  ne  favorise  aucunement  le  système  théologique  du  droit  divin 
sur  le  pouvoir  temporel  de  l'Église,  574.  —  Pourquoi  elle  a  été  d'abord 
expliquée  dans  un  sens  favorable  à  ce  système,  574-576,  texte  et  notes; 
697 Sa  bulle  n'a  pas  été  révoquée  par  le  pape  Clément  V,  574. 

BOSSUET.  Ses  principes  sur  l'union  de  la  Religion  et  de  l'État,  19,  note.  — 
Il  admire  la  puissance  divine  dans  l'établissement  et  la  conservation  de  la 
religion  chrétienne,  50,95-97.  —  Il  admire  la  Providence  divine  dans 
l'établissement  de  la  souveraineté  temporelle  du  saint-siége,  321. — Il 
justifie  la  révolution  arrivée  en  Italie ,  sous  Grégoire  II  et  ses  successeurs, 
233  et  234.  (Voyez  Grégoire  II  et  Publicistes.) —  Il  ne  paraît  pas  avoir  exa- 
miné avec  soin  les  questions  relatives  à  l'origine  de  la  souveraineté  tem 
porelle  du  saint-siége,  266,  note. —  Il  suppose  sans  preuve  que  Charle- 
magne  était  souverain  de  Rome,  par  droit  de  conquête,  275,  note — Il 
est  regardé  avec  raison  comme  le  principal  défenseur  des  maximes  galli- 
canes, 331 ,  note.  —  Il  regarde  le  système  de  la  souveraineté  du  peuple, 
soutenu  par  les  protestants ,  comme  plus  dangereux  que  celui  des  ultra- 
montains,  671. 


760  TABLE  DES  MATIÈRES. 

D'où  vient  la  sévérité  avec  laquelle  il  blâme  quelquefois  la  conduite  des 
souverains  pontifes,  dans  sa  Défense  de  la  Déclaration ,  640,  697.  —Il 
admet  au  fond  \e,  pouvoir  directifde  l'Église  et  du  Pape  en  matière  tem- 
porelle, 514,  etc.  —  Il  ne  rejette  pas  le  sentiment  qui  explique  la  conduite 
des  Papes  envers  les  souverains,  au  moyen  âge,  par  le  droit  public  alors 
en  vigueur,  333. —  Il  reconnaît  expressément  les  droits  de  suzeraineté 
du  saint-siége  sur  plusieurs  États,  639.  —  Il  ne  nie  pas  que  le  Pape  n'ait 

1  eu  quelque  droit  semblable  sur  l'empire  romain-germanique,  ibid. —  Il 
reconnaît  la  persuasion  générale  du  moyen  âge ,  sur  les  effets  temporels  de 
l'excommunication  par  rapport  aux  souverains ,  465.  —  Il  paraît  cependant 
peu  d'accord  avec  lui-même  sur  ce  point,  445.  —  Il  ne  paraît  pas  avoir 
saisi  le  véritable  sens  des  lettres  de  Grégoire  VII  à  Herman,  sur  l'excom- 
munication du  roi  de  Germanie  (Henri  IV) ,  438,  note. —  Il  suppose  à  tort 
que  plusieurs  souverains  excommuniés  et  déposés  par  le  Pape  n'ont  rien 
perdu  de  leur  autorité,  460  et  465.  —  il  reconnaît  le  concours  des  souve- 
rains, dans  l'établissement  des  effets  temporels  de  l'excommunication  au 

i  moyen  âge  ,412.  —  Il  explique ,  d'après  ce  principe ,  les  peines  temporelles 
décernées  contre  les  hérétiques  par  le  IIIe  et  le  IVe  concile  de  Latran , 

.  430,  465,  476.  —  Il  regarde  comme  un  fait  incontestable  le  consentement 
que  donnaient  les  souverains  à  la  grande  influence  du  Pape  dans  les  af- 
faires politiques  de  l'Europe  à  l'époque  des  Croisades,  389. 

Comment  il  explique  l'origine  et  les  progrès  du  pouvoir  temporel  du 
clergé  au  moyen  âge ,  392 ,  etc.  —  Jugement  qu'il  porte  sur  les  démêlés  du 
roi  d'Angleterre ,  Henri  II ,  avec  S.  Thomas  de  Cantorbéry,  449.  —  Il  sup- 
pose à  tort  que  saint  Bernard  a  employé  le  premier  X allégorie  des  deux 
glaives,  551,  note.  (Voyez  Glaives.)  —  Son  langage  embarrassé  sur  la  lé- 
gitimité du  serment  d'allégeance ,  591,  note.  (Voyez  Serment  d'al- 
légeance. ) 

BOURSE  (  Follis).  Divers  sens  de  ce  mot  sous  Constantin  et  ses  successeurs , 
10b,  note. 

BRUNEHAUT,  reine  de  France.  Privilèges  accordés  par  S.  Grégoire  le  Grand 
aux  monastères  et  à  l'hôpital  d'Autun  sur  la  demande  de  cette  reine  et  de 
'  Théodoric  son  petit-fils,  473,  etc.  (Voyez  S.  Grégoire  le  Grand.) 

BULLES  des  Papes.  (Voyez  Alexandre  VI,  Boniface  VIII ,  Paul  III ,  Pie  V, 
Sixte  V.) 

BURKE  (Edmond),  auteur  anglais  du  dernier  siècle,  a  bien  compris  et  ex- 
primé la  position  du  Pape  à  l'égard  des  autres  souverains,  366. 

CALCUTH  (concile  de)  en  Angleterre ,  en  787,  était  une  assemblée  mixte  , 
365 — Ses  dispositions  sur  l'élection  du  roi,  ibid. —  Sa  doctrine  sur  la 
distinction  des  deux  puissances ,  523,  etc. 

CALVIN.  Ses  principes  et  ceux  des  premiers  réformateurs  sur  l'incompati- 
bilité du  pouvoir  temporel  avec  le  spirituel,  dans  la  personne  des  ministres 
sacrés,  308  et  633,  notes.  (Voyez  Protestants.) 

CAPITULAIRES  des  rois  francs. —  Ils  étaient  publiés  par  l'autorité  des  deux 
puissances,  360,  etc.  ;  406,  522.  —  Ils  proclament  les  principes  du  pape 
Gélase  et  de  toute  l'antiquité  sur  la  distinction  et  l'indépendance  réci- 
proque des  deux  puissances ,  200,  521,  etc. ,  texte  et  notes. — Étroite 
union  qu'ils  établissent  entre  la  Religion  et  l'État ,  360,  etc.  ;  477,  note. 
—  Leurs  dispositions  sur  les  effets  temporels  de  la  pénitence  publique, 
404,  etc.  —  Leurs  dispositions  sur  les  effets  temporels  de  l'excommuni- 
cation, 414. 

CAPITULATION  IMPÉRIALE.  Ce  qu'on  entend  par  ces  mots,  359,  647,  etc. 


TABLE   DES  MATIÈRES.  761 

.—  Effets de  ses  sortes  de 'conventions,  ibid. ;  648.  (Voyez  Conditions,  et 
Charles  V.) 

CAPTIFS.  Heureuse  influence  du  christianisme  sur  le  sort  des  captifs ,  132. 

CENTENAIRE  D'OR.  (Voyez  Monnaies  et  Poids.) 

CÉRÉMONIES  ÉGYPTIENNES  et  JUDAÏQUES,  proscrites  sous  Auguste  et 
Tibère,  25',  26.  (Voyez  Religion.) 

CÉSAR  (Jules) ,  en  qualité  de  souverain  pontife ,  reforme  le  calendrier,  21 . 

CHARLEMAGNE.  Le  pape  Adrien  Ier  implore  son  secours  contre  les  Lom- 
bards, 252.  — Charlemagne  se  rend  au  désir  du  Pape,  ibid.  —  Il  détruit  lo 
royaume  des  Lombards,  ibid.  —  Il  confirme  et  augmente  la  donation  de 
Pépin,  ibid.  (Voyez  Donation  de  Charlemagne.)  —  Le  pape  Léon  III 
implore  sa  protection  contre  les  conspirateurs,  256.  —  Il  reçoit  du  pape 
Léon  III  la  couronne  impériale,  256 ,  etc.  (Voyez  Léon  III  )  —  Dissimula- 
tion attribuée  en  cette  occasion  à  Charlemagne,  par  quelques  auteurs  mo- 
dernes, 257,  note.  — Éclaircissements  sur  quelques  circonstances  de  son 
sacre,  723.  —  Étendue  et  limites  de  son  empire,  260,  note.  —  Ses  titres 
de  Patrice  et  à' Empereur  ne  lui  donnaient  pas  la  souveraineté  de  Rome, 
276,  etc.;  280,  etc.;  297,  etc.  (Voyez  Patrice,  Empereur.)  —  Il  n'était 
pas  souverain  de  Rome  par  droit  de  conquête,  275,  615,  616.  —  Il  ne  dut 
son  titre  (Y Empereur  qu'à  l'élection  du  Pape,  615,  etc —  Son  testament 
dressé,  en  806,  dans  la  diète  de  Thionville,  281,  616,  etc.  —Conséquences 
de  cet  acte  relativement  à  la  souveraineté  de  Rome ,  à  cette  époque,  ibid. 

—  Autres  conséquences  de  cet  acte  relativement  au  droit  qu'avait  le  Pape 
de  choisir  l'empereur  d'Occident,  616,  etc.  —  Autre  testament  de  Charle- 
magne en  811,  301,  etc.  — Cet  acte  ne  suppose  pas  la  souveraineté  de 
Charlemagne  dans  Rome  ,  ibid.  Monnaies  frappées  à  Rome  sous  son 
règne,  258,305,  etc.  —  Elles  ne  supposent  pas  qu'il  fût  souverain  dans 
cette  ville,  305,  etc.  —  Sa  politique  et  celle  de  ses  successeurs  dans  l'éta- 
blissement des  seigneuries  ecclésiastiques  ,  385.  —  Il  associe  à  l'empire 
son  fils,  Louis  le  Débonnaire ,  avec  le  consentement  du  Pape,  494,  622. — 
Ses  Capitulaires.  (Voyez  ce  mot.) 

CHARLES  D'ANJOU,  frère  de  S.  Louis,  accepte  le  royaume  de  Sicile  qui  lui 
était  offert  par  le  Pape ,  483. 

CHARLES  LE  CHAUVE,  empereur.  Le  pape  Adrien  II  lui  promet  l'em- 
pire, 467,  495,  620.—  Il  est  couronné  empereur  par  le  pape  Jean  VIII, 
et  reconnu  par  les  seigneurs  de  Lombardie,  495,  620,  etc.  —  Sa  requête 
au  concile  de  Savonières  en  859,  466,  478,  516. 

CHARLES  LE  SIMPLE,  roi  de  France.  Lettre  que  lui  écrit  Foulques  de  Reims, 
pour  le  détourner  de  faire  alliance  avec  les  Normands,  478,  note. 

CHARLES  MARTEL  est  appelé  au  secours  de  l'Italie  par  Grégoire  III,  230. 
(Voyez  Grégoire  III.) 

CHARLES  V  (empereur).  Capitulation  impériale  que  les  électeurs  lui  font 
signer,  à  l'époque  de  son  élection,  359,  647,  etc.  (Voyez  Capitulation  , 
Conditions.) 

CHEVELURE.  L'usage  des  Lombards,  sur  ce  point,  différent  de  celui  des  Ro- 
mains et  des  Grecs,  253  et  254,  note.  —  Espèce  de  tonsure  en  usage 
chez  les  Francs  et  les  Lombards,  comme  signe  d'alliance  et  d'adoption,  ibid. 

—  La  longue  chevelure,  marque  distinctive  des  princes  de  la  maison 
royale,  chez  les  Francs,  413,  texte  et  note. 

CH1LDEBERT  II,  roi  de  France.  Constitution  de  ce  prince,  qui  attache  à 

l'excommunication  la  perte  des  droits  civils,  413. 
CHILDÉR1C  III,  est  déposé  et  renfermé  dans  un  monastère,  215.  (Voyez 


762  TABLE  DES   MATIÈRES. 

Pépin  le  Bref  et  Zacharie.  )  —  Est-il  vrai  qu'il  ait  abdiqué  de  son  plein 
gré?  734,  note. 

CHRISTIANISME.  (Voyez  Religion  chrétienne.) 

CICÉRON.  Ses  principes  sur  l'union  de  la  Religion  et  de  l'État,  5.  —  Ses 
doutes  sur  l'immortalité  de  l'âme,  19. 

CLÉMENT  V,  pape.  Ses  démêlés  avec  l'empereur  Henri  VII,  sur  la  dépen- 
dance de  l'Empire  à  l'égard  du  Pape,  505,  etc.  — Il  n'a  pas  révoqué  la 
bulle  de  Boniface  VIII,  Unam  sanctam,  574. 

CLÉMENT  VI,  pape,  confirme  la  sentence  d'excommunication  et  de  dé- 
position, portée  par  Jean  XXII,  contre  Louis  de  Bavière,  499. 

CLÉMENT  VII,  pape,  excommunie  le  roi  d'Angleterre  Henri  VIII,  584. 

CLERGÉ".  Ses  vertus  éminentes!  pendant  les  persécutions,  31,  etc.  —  Com- 
bien il  était  respecté  des  fidèles,  et  même  des  païens ,  38. —  Permanence 
de  ses  vertus  depuis  la  conversion  de  Constantin,  38,  etc.  —  Aveux  re- 
marquables de  Julien  ,  sur  ce  point,  40. 

Biens  et  richesses  du  clergé  sous  les  empereurs  chrétiens,  98,  etc. 
(  Voy.  Biens  Ecclés.  )  —  Le  pouvoir  temporel  du  clergé  n'est  pas  incom- 
patible avec  le  caractère  et  les  fonctions  des  ministres  sacrés,  307  et 
308,  texte  et  notes.  —  Origine  de  ce  pouvoir,  dans  l'usage  et  les  maximes 
de  l'antiquité,  sur  l'union  de  la  Religion  et  de  l'État,  29,  30,  191.  (Voyez 
Religion.  )  —  Nouveaux  motifs  de  ce  pouvoir,  dans  les  services  rendus  à 
l'État  par  le  clergé ,  soit  avant,  soit  depuis  la  conversion  de  Constantin  , 
30,  42,  elc,  191,  392.  — Ses  immunités,  et  s&  juridiction  ,  dans  l'or- 
dre temporel ,  sous  les  empereurs  chrétiens,  166,  etc.  (Voyez  Immunités, 
Juridiction.  )  — Son  influence  dans  l'administration  civile,  176,  etc.  — 
Attributions  des  évêques  en  général  ,  ibid.  —  Ces  attributions  beaucoup 
plus  étendues  en  Occident,  sous  la  monarchie  des  Lombards ,  180,  etc. 

—  Ils  sont  chargés,  depuis  ce  temps,  de  la  défense  des  villes,  181.  —  Attri- 
butions des  patriarches ,  depuis  le  ive  siècle,  181 ,  etc. 

Influence  du  clergé  dans  les  affaires  publiques,  d'après  la  nature  même 
des  gouvernements  du  moyen  âge,  360,  etc.  —  Cette  influence  réclamée 
alors  par  l'intérêt  général  de  la  société,  373,  etc.;  384,  392,  etc.  ;  480,  etc. 

—  Tendance  des  gouvernements  modernes  à  restreindre  le  pouvoir  et 
l'influence  du  clergé,  vu,  743,  texte  et  note. 

CODE  CAROLIN.  Objet  de  ce  recueil;  ses  principales  éditions ,  231,  note. 

CODE  JUST1NIEN.   (  Voyez  Droit  romain.  ) 

CODE  THÉODOSIEN.  (Voyez  Alaric  II,  et  Droit  romain.) 

COMMUNAUTÉS  ECCLÉSIASTIQUES.  Leur  origine,  en  Orient  et  en  Occi- 
dent, 38.  —  Leur  propagation,  en  France  et  en  Espagne,  depuis  le  ive 
siècle,  39.  (Voyez  saint  Augustin  et  saint  Eusère  de  Verceil.  ) 

COMMUNES  ou  RÉPUBLIQUES  au  moyen  âge,  279,  note. 

COMP1ÈGNE  (  concile  de  ),  en  833.  La  cause  de  Louis  le  Débonnaire  y  est 
examinée,  406.  —  Ce  concile  n'a  pas  proprement  déposé  l'empereur,  ibid., 
texte  et  note. 

CONCILES.  Principes  pour  l'explication  de  leurs  décrets  en  matière  tempo- 
relle, sous  les  empereurs  chrétiens  ,  171  —  Plusieurs  conciles  du  moyen 
âge  étaient  des  assemblées  mixtes,  ecclésiastiques  et  civiles  tout  en- 
semble ,  360,  363,  364,  522,  etc.  ;  527,  texte  et  notes.  —  Ils  n'ont  jamais 
enseigné  ni  supposé  l'opinion  théologique  du  droit  divin  ,  sur  le  pou- 
voir temporel  de  l'Église,  519,  etc.  (Voyez  Église,  Puissances.  )  —  Les 
quatre  premiers  conciles  généraux ,  confirmés  par  l'autorité  des  empe- 
reurs ,  65.  —  Ces  quatre  conciles  placés,  par  Justinien,  parmi  les  lois  de 


TABLE   DES   MATLEBES.  76$ 

l'empire,  ibid.  — Conciles  de  Latran,  de  Tolède,  de  Lyon  ,  de  Bâle, 
de  Constance,  etc.  (Voyez  ces  derniers  mots  ). 
CONDITIONS  mises  à  l'élection  des  souverains ,  dans  les  monarchies  élec- 
tives, 335 ,  note  ;  342.  —  Légitimité  de  ces  conditions  ,  ibid.  ;  358 ,  etc.; 
606.  —  Effets  de  ces  conditions,  ibid.  —  Conditions  mises  à  l'élection 
des  rois  d'Espagne,  au  vne  siècle,  93,  605,  etc.  (Voyez  Serment  de  ca- 
tholicisme.) —  Conditions  mises  à  l'élection  du  roi  en  France,  sous  la  pre- 
mière race,  733.  —  Conditions  mises  à  l'élection  de  l'empereur  d'Occi- 
dent, 486,  647,  etc.  —  Condition  de  catholicisme  mise  à  l'élection  des 
souverains  au  moyen  âge,   335,   etc.;  342,  360,  603,  etc.;  649,  747. 

—  Cette  condition  encore  imposée  à  l'empereur ,  au  xvie  siècle,  647  ,  etc. 
— Conséquence  de  ces  conditions,  relativement  à  la  déposition  des  sou- 
verains, 190,  603,  etc. 

CONSTANCE  (concile  de).  Ses  décrets  en  matière  temporelle,  autorisés 
par  le  consentement  des  princes,  580,  etc.  —  Il  condamne  la  doctrine  du 
tyrannicide,  593,  note.  (Voyez  Tyrannicioe.  ) 

CONSTANCE  et  CONSTANT,  fils  de  Constantin,  imitent  sa  conduite  modérée, 
à  l'égard  des  païens,  56.  — Ils  interdisent  tout  exercice  de  l'idolâtrie, 
57,  702 L'empereur  Constance  fait  enlever  du  sénat  Vautel  de  la  Vic- 
toire, 57.  — Ses  lois  contre  les  Juifs,  81.  —  Il  protège  l'arianisme,  95. 

CONSTANTIN  le  Grand.  Il  divise  les  provinces  de  l'empire  en  quatre  pré- 
fectures, 44,  note.  —  Il  restreint  les  attributions  des  préfets  duprétoire, 
ibid. — Sincérité  de  sa  conversion  au  christianisme,  49.  — Ses  premiers 
édits  en  faveur  de  la  religion  chrétienne,  51.  —  Son  application  à  décré- 
diter l'idolâtrie,  53. — Ses  édits  contre  la  divination  secrète,  55 — Sa 
conduite  modérée  à  l'égard  des  païens,  56.  —  Il  publie ,  vers  la  fin  de  sa 
vie,  une  loi  qui  ordonne  de  fermer  tous  les  temples,  et  de  cesser  tout 
exercice  de  l'idolâtrie,  56,  57,  701,  etc.  —  Il  tolère  cependant  l'exercice  pu- 
blic de  l'idolâtrie,  pendant  toute  la  durée  de  son  règne,  55,  56,  700,  701. 
Il  confirme  le  concile  de  Nicée,  65.  —  En  quel  sens  il  se  disait  Yévêque 
du  dehors,  73.  —  Il  est  séduit  par  les  Ariens  vers  la  lin  de  sa  vie,  95.  — 
Il  applique  à  la  religion  chrétienne  et  à  ses  ministres  ,  les  honneurs  et  les 
prérogatives  dont  jouissait  autrefois  la  religion  païenne,  29,  30,  115, 
texte  et  note.  —  Sa  lettre  à  Ablave,  gouverneur  d'Afrique,  sur  les  raisons 
qui  l'obligent  à  protéger  la  religion  chrétienne,  68.  —  Sa  lettre  à  Anulin  , 
sur  le  môme  sujet,  143.  — Ses  lois  en  faveur  de  la  religion  chrétienne, 
51,  etc.  ;  66,  102,  115.  — Ses  lois  contre  les  Juifs,  80.  — Il  accorde  à  leurs 
chefs  certaines  immunités,  82.  —  Ses  lois  contre  les  hérétiques  ,  83,  84. 
Libéralités  de  ce  prince  envers  les  églises,  103,  etc.— Ses  libéralités  envers 
l'Église  romaine  en  particulier,  105,  705,  etc.  — Sources  de  ces  libéralités , 
111,  etc.  — Ses  lois  en  faveur  des  affranchissements,  133.  —  Ses  principes 
sur  l'importance  des  immunités  ecclésiastiques ,  165,  etc.  —  Étendue  de 
la  juridiction  ecclésiastique,  sous  son  règne,  166,  etc.  —  Loi  adressée  à 
Ablave  sur  ce  sujet,  167.  —  Cette  loi  est-elle  authentique?  ibid.  —  Sa  do- 
nation  prétendue  à  l'Église  romaine.  (Voyez  Donation  nE  Constantin.) 

CONSTANTIN  Copronijme  vit  en  bonne  intelligence  avec  le  pape  Zacharie, 
234,  etc.  —  Il  donne  de  nouveaux  patrimoines  à  l'Église  romaine,  235. 

CONSTANTINOPLE.  Constantin  en  bannit  absolument  l'exercice  de  l'idolâ- 
trie ,  54.  —  Ses  nombreux  hôpitaux ,  sous  les  empereurs  chrétiens,  132. 

—  Ses  immunités  particulières,  150. 

CONSTITUTION  des  gouvernements  du  moyen  âge.  (Voyez  Gouverne- 
ment.) 


764  TABLE  DES  MATIÈRES. 

CONSUL ,  CONSULAT.  En  quoi  consistait  cette  dignité  dans  le  Bas-Empire, 
232,  note — Sens  de  ce  titre ,  donné  à  Clovis  par  l'empereur  Anastase, 
726. — Nature  du  consulat  offert  à  Charles  Martel  par  le  pape  Gré- 
goire III,  232,  note. 

CONTINENCE  des  clercs.  Discipline  de  l'Église  primitive  sur  ce  point , 
34,  35. 

CONTRIBUTIONS.  (  Voyez  Immunités.  ) 

COQUEREL,  auteur  protestant,  reconnaît  les  grands  avantages  que  la  so- 
ciété a  retirés  du  pouvoir  temporel  des  Papes ,  au  moyen  âge,  693. 

CORSE  (île  de).  Comment  Charlemagne  a  pu  disposer  de  cette  île  avant 
d'en  être  le  maître,  2 

CROISADES.  Leur  apologie,  388  et  389,  note.  —  Elles  augmentent  l'in- 
fluence du  Pape  dans  les  affaires  politiques  de  l'Europe  ,  388,  etc.  ;  564. 
—  Services  rendus  à  l'Europe  par  les  Papes  à  l'époque  des  croisades, 
388,395,566,692. 

CULTE.  (  Voyez  Religion.  ) 

CYRILLE  (saint) ,  patriarche  d'Alexandrie.  Son  pouvoir  temporel  ,182.  — 
Usage  qu'il  fait  de  ce  pouvoir  contre  les  hérétiques  et  contre  les  Juifs, 
183,  etc.  (  Voy.  Paraiiolains.  ) 

DALMAT1E  (royaume  de).  Fief  du  saint-siége  sous  Grégoire  VII,  387 

Origine  de  cette  dépendance  féodale,  ibid. ,  note. 

DANIEL  (le  P.),  Jésuite,  adopte  quelquefois  trop  légèrement  les  jugements 
sévères  de  quelques  auteurs  modernes,  contre  la  conduite  des  Papes  du 
moyen  âge,  vu,  367,  note.  — Sa  méprise ,  relativement  à  la  conduite  de 
Lothaire  Ier  à  Rome,  en  82  4,  304,  note. 

DAUNOU,  auteur  de  f  Essai  historique  sur  la  puissance  temporelle  des 
Papes.  —  Esprit  de  cet  ouvrage ,  750 ,  texte  et  notes —  Aveux  remar- 
quables de  l'auteur ,  sur  l'origine  de  la  souveraineté  temporelle  du  saint- 
siége,  319.  —  Il  est  peu  d'accord  avec  lui-même,  dans  ses  jugements  sur 
les  Papes  du  vnie  siècle,  274.  — Ses  malignes  imputations  contre  le  saint- 
siége  ,  et  particulièrement  contre  le  pape  Pie  VII,  749,  etc. 

DECAMPS  (François),  auteur  de  plusieurs  Dissertations  curieuses  sur  l'his- 
toire de  France,  735,  note.  —  Son  opinion  singulière  sur  le  titre  d'em- 
pereur donné  à  Charlemagne  par  le  pape  Léon  III,  725.  —  Il  admet  l'o- 
rigine commune  des  trois  races  de  nos  rois,  735,  note. 

DÉCRÉTALES.  Époque  présumée  de  la  publication  des  fausses  Décrétales, 
713,  717,  720. — Leurs  principales  éditions ,  713,  note. 

DÉFENSEUR.  Différents  sens  de  ce  mot  dans  les  auteurs  ecclésiastiques , 
152,  177,  notes;  276,  etc.  (  Voy.  Patrice.  ) 

DE  GÉRANDO.  Ses  erreurs  concernant  l'origine  des  hôpitaux,  et  l'influence 
de  la  religion  chrétienne  dans  leur  établissement ,  129,  note. 

DÉLITS  contre  la  religion,  sévèrement  punis,  de  tout  temps,  chez  les 
peuples  anciens ,  4,6,9,  12 ,  etc.  ;  24  ,  etc.  —  Raisons  de  cette  sévérité , 
1,  2,67-69.  —  Cette  sévérité  approuvée  par  les  plus  célèbres  publicistes 
anciens  et  modernes,  4,  25,  69,  70,  71  —  Peines  temporelles,  décernées 
par  les  empereurs  chrétiens,  contre  les  transgresseurs  des  lois  de  l'Église, 
67. — Motifs  de  ces  édits,  67-71,  87,  90— Modération  à  observer  dans 
l'application  des  lois  pénales  en  cette  matière,  74-76,  157,  etc.  —  La  sévé- 
rité du  droit  romain,  sur  ce  point,  non  approuvée  par  l'Église,  77.  —  Rai- 
sons de  cette  sévérité,  77,  78.  —Elle  était  bien  adoucie  dans  la  pratique, 
78,  79.  —  Peines  temporelles  infligées  par  les  tribunaux  ecclésiastiques, 


TABLE  DES  MATIÈRES.  765 

sous  les  empereurs  chrétiens,  173.  —  La  sanction  des  peines  temporelles, 
ajoutée  aux  lois  divines  et  ecclésiastiques ,  dans  les  anciens  gouverne- 
ments, était  une  conséquence  naturelle  de  l'union  des  deux  puissances, 
46,  etc.;  67,  etc.;  395,  etc.  (Voyez  Excommunication  ,  Hérésie  ,  Puis- 
sances, Religion.  ) 

DELPHI  S.  Richesses  prodigieuses  de  son  temple  ,9,  10,  708,  709. 

DE  MAISTRE  (  le  comte  ).  Ses  principes  sur  l'usage  de  la  puissance  tempo- 
relle en  matière  de  religion,  70,  71,  78.  — Sur  l'ancien  usage  de  brûler 
les  hérétiques,  ibid.  — Comment  l'auteur  explique  la  conduite  des  souve- 
rains pontifes  qui  ont  autrefois  déposé  des  princes  temporels  ,  339,  etc. 

—  En  quoi  son  sentiment  diffère  de  celui  de  Fénelon  ,  343.  (  Voyez  Droit 
public,  Fénelon.  ) — Difficultés  que  présentent  quelques-unes  de  ses  preu- 
ves, 344  et  602,  note.  —  Il  explique  et  justifie  les  principes  et  la  conduite 
des  Papes,  au  moyen  âge,  dans  leurs  démêlés  avec  les  empereurs  d'Al- 
lemagne, 662 ,  etc.  ;  680,  etc.  —  Il  préfère  la  théorie  politique  du  moyen 
âge  à  toutes  les  théories  modernes,  667,  etc.  —  Il  justifie  l'application 
que  les  Papes  en  ont  faite ,  673,  679,  689,  etc.  —Comment  il  explique  les 
décrets  du  saint-siége ,  qui  partagent  entre  les  rois  d'Espagne  et  de  Por- 
tugal, des  pays  nouvellement  découverts,  580. 

DENIER  ROxMAIN.  (  Voyez  Monnaies.  ) 

DÉPOSITION  DES  PRINCES.  (Voyez  Conditions,  Excommunication,  Hé- 
résie ,  Serment.  ) 

DIACONIE.  Divers  sens  de  ce  mot,  dans  les  auteurs  ecclésiastiques,  136, 174, 
note.  . 

DICTATUS  PAP£.  Ces  maximes  sont-elles  de  Grégoire  VII?  535,  note.  — 
Leur  explication ,  ibid. 

DIDIER,  roi  des  Lombards,  se  ligue  avec  l'empereur  de  Constantinople 
contre  le  pape  Paul  Ie1',  248.  —  Charlemagne  l'oblige  à  quitter  sa  cou- 
ronne, et  à  se  retirer  dans  un  monastère ,  252. 

DIMES,  OFFRANDES  et  PRÉMICES.  Leur  origine  dans  l'usage  et  les 
maximes  de  l'antiquité,  môme  païenne,  7,8,  12,  100. — Leur  établis- 
sement dans  l'Église  primitive,  100,  118,  etc. — En  quel  sens  elles  sont 
de  droit  naturel ,  et  en  quel  sens  de  droit  positif,  101 ,  note. 

D10SCORE,  patriarche  d'Alexandrie.  Son  pouvoir  temporel;  usage  qu'il  en 
fait,  185,  etc. 

DIPLOMES  de  Louis  le  Débonnaire,  d'OraoN  1er,  et  de  Henri  II,  en  faveur 
de  l'Église  romaine.  (Voyez  Henri  II,  Louis,  Othon.  ) 

DISPENSE  DU  SERMENT    (  Voyez  Serment.  ) 

DIVINATION  SECRÈTE,  défendue  par  les  lois  de  Romulus,  14.  — Cette  dé- 
fense  renouvelée  par  Constantin  et  ses  successeurs,  55,  etc. 

DOGME.  Différence  entre  un  dogme  catholique  et  une  pure  opinion ,  331, 
520,  etc.  —  La  nouveauté  d'une  opinion  ne  suffit  pas  pour  la  rejeter,  ibid. 

—  Application  de  ces  principes  à  la  controverse  relative  au  pouvoir  de 
l'Église  et  du  Pape  sur  les  choses  temporelles ,  ibid.,  553,  593 ,  598,  etc. 

—  Les  raisons  apportées  à  l'appui  d'un  dogme,  n'appartiennent  pas  tou- 
jours à  la  foi ,  599,  note. 

DOMAT.  Ses  principes  sur  l'usage  de  la  puissance  temporelle  en  matière  de 

religion  ,69 Notions  qu'il  donne  du  droit  public  et  du  droit  privé, 

600,  etc. 

DONATION.  —  I.  Donation  de  Constantin.  Anciens  auteurs  qui  l'ont 
citée,  197,  713,  etc.— Sa  fausseté,  198,  715,  etc.— A  quelle  époque, 
et  par  qui  elle  a  été  fabriquée,  717,  etc.  — D'où  vient  qu'elle  a  joui, 


766  TABLE   DES   MATIÈRES. 

pendant  plusieurs  siècles,  d'un  si  grand  crédit,  722.  —  Les  résultats  de 
l'erreur  du  moyen  âge,  sur  ce  point,  exagérés  par  plusieurs  auteurs 
modernes ,  ibid.  —  Cette  donation  est ,  selon  quelques  anciens  au- 
teurs ,  le  premier  fondement  de  la  puissance  temporelle  du  saint-siége , 
512  et  741,  texte  et  notes.  —  Fausseté  de  cette  opinion,  308,  517,  718- 
721.  —  Conjectures  malignes  et  invraisemblables  de  quelques  auteurs  mo- 
dernes, sur  l'origine  de  cet  acte,  721. 

II.  Donation  de  Pépin  à  l'Église  romaine,  237,  etc.  ;  243,  etc.  —  Authenticité 
de  cet  acte,  244,  note.  — Cette  donation  est  ratifiée  par  Astolplie,  roi  des 
Lombards,  243,  etc.,  texte  et  note.  —  Cette  donation  était  au  fond  une 
véritable  restitution ,  240,  245,  615.  —  Objet  de  cette  donation  :  villes 
et  territoires  qu'elle  renfermait,  245.  —  Réclamations  inutiles  de  l'em- 
pereur contre  cet  acte,  246.  —  Résultat  de  cette  donation,  relativement 
à  la  souveraineté  temporelle  du  saint-siége,  247,  272,  etc.  — Elle  est  con- 
firmée et  augmentée  par  Charlemagne ,  252.  —Légitimité  des  donations 
de  Pépin  et  de  Charlemagne,  311,  318. 

III.  Donation  de  Charlemagne  à  l'Eglise  romaine,  252.  —  Son  authen- 
ticité, 253,  254. — Elle  confirme  et  augmente  la  donation  de  pépin,  252. 
—  Comment  Charlemagne  a  pu  faire  entrer  dans  cette  donation,  des 
villes  et  territoires  dont  il  n'était  pas  encore  maître,  253.—  Cette  dona- 
tion, comme  celle  de  Pépin,  était  au  fond  une  véritable  restitution,  254, 
615. — Possessions  du  saint-siége  avant  les  donations  de  Pépin  et  de  Char- 
lemagne ,  255,  note.  (  Voyez  Patrimoines.  ) 

IV.  Donation  de  la  comtesse  M althilde  au  saint-siége,  261. 
DRAGME.   (Voyez  Monnaies.  ) 

DROIT  D'ASILE.  (Voyez  Asile.  ) 

DROIT  DE  SAXE.  (  Voyez  Droit  germanique.  ) 

DROIT  DE  SOUARE.  (Voyez  Droit  germanique.  ) 

DROIT  GERMANIQUE,  rédigé  au  xme  siècle ,  d'après  les  anciennes  Cou- 
tumes de  V Empire,  418,  note;  626.  — Deux  rédactions  différentes  de  ce 
droit,  626.  —  Différence  entre  les  deux  rédactions  relativement ,  au  pou- 
voir de  l'Église  et  du  Pape  sur  le  temporel,  627,  note;  741,  etc.—  Subor- 
dination de  la  puissance  temporelle  envers  la  spirituelle,  dans  l'un  et 
l'autre  texte  de  ce  droit,  626,  etc.  ;  645.  —  Dispositions  de  ce  droit ,  re- 
lativement aux  effets  temporels  de  l'hérésie  et  de  l'excommunication , 
418,  etc.  ;  437-442.  —  Ses  dispositions,  relativement  à  l'élection  de  l'em- 
pereur, 628.  — Trois  cas  déterminés  par  ce  droit,  où  l'Empereur  peut 
être  excommunié  par  le  Pape,  ibid.  —  Conséquences  de  cette  excom- 
munication, d'après  les  anciennes  lois  de  l'empire,  629.  — La  peine  de  dé- 
position prononcée  par  les  mêmes  lois,  contre  les  princes  hérétiques ,  630. 

DROIT  PUBLIC.  Ce  qu'on  entend  par  droit  public  et  par  droit  privé  , 
599,  600 Comment  l'un  et  l'autre  se  connaissent,  600,  etc.  — Expo- 
sition du  sentiment  qui  explique,  par  le  droit  public  du  moyen  âge,  la 

conduite  des  Papes  qui  ont  autrefois  déposé  des  souverains,  335,  etc. 

Preuves  de  ce  sentiment ,  518,  601 ,  etc.  (  Voyez  Conditions  ,  Serment.  ) 
Il  peut  absolument  se  concilier  avec  le  système  théologique  du  droit  divin, 
340,  note.  —  Examen  des  principales  difficultés  qu'on  peut  opposer  à  ce 
sentiment ,  631,  etc.  — Pourquoi  les  Papes  invoquent ,  à  l'appui  de  leurs 
sentences  de  déposition,  le  pouvoir  divin  de  lier  et  de  délier,  338,  535, 
567, 631,  etc. — Pourquoi  ils  ne  font  aucune  mention  du  droit  public,  dans 
ces  mêmes  sentences,  631.  —  Ce  droit  public  est-il  en  opposition  avec 
l'esprit  de  l'Évangile?  633,  etc.  —Disposition  générale,  de  nos  jours,  à  re- 


TABLE  DES   MATIÈRES.  767 

connaître  ce  droit  public ,  xi ,  etc. ,  texte  et  notes;  643 ,  etc.  —Le  droit 
public  du  moyen  âge,  sur  ce  point,  maintenu  par  la  constitution  de 
plusieurs  États  modernes ,  647,  etc.  —  Vestiges  de  cet  ancien  droit ,  dans 
la  constitution  de  plusieurs  États  protestants,  656,  etc.  —  Différence 

entre  le  droit  moderne  de  ces  États  et  celui  du  moyen  âge ,  657,  etc. 

Conséquences  de  ce  droit  public ,  contre  les  déclamations  d'une  foule 
d'auteurs  modernes  sur  la  conduite  des  papes  et  des  conciles  du  moyen 
âge ,  695.  —  Pourquoi  ces  déclamations  ont  été  si  facilement  répétées  par 
des  écrivains  catholiques,  496. 

DROIT  ROMAIN.  Dispositions  remarquables  de  l'ancien  droit  romain,  sur 
la  religion,  avant  l'établissement  du  christianisme,  13-26.  — Ses  princi- 
pales dispositions  en  faveur  de  la  religion  chrétienne,  depuis  la  conversion 
de  Constantin ,  51 ,  etc.  (  Voyez  Constantin  ,  Constance  et  leurs  succes- 
seurs. )  — Dispositions  sévères  de  ce  droit  contre  les  délits  de  l'impiété. 
(Voyez  Délits.) — Lois  contre  les  Juifs ,  80-83.  (Voyez  Juifs.  )  —  Lois 
contre  les  hérétiques  et  les  apostats,  82-91.  —Le  droit  romain ,  suivi , 
sur  ce  point,  dans  tous  les  États  chrétiens  ,  au  moyen  âge ,  91-95.  — Ses 
principales  dispositions  relativement  aux.  immunités  et  à  la  juridiction 
ecclésiastiques,  144,  etc.  ;  166,  etc.  —  Attributions  du  clergé  dans  l'ad- 
ministration civile,  d'après  ce  droit,  45,  176,  etc.  (  Voyez  Immunités,  Ju- 
ridiction. ) 

DUBOS  (l'abbé).  Son  sentiment  sur  les  grands  avantages  du  pouvoir  tem- 
porel du  clergé,  en  France,  sous  la  seconde  et  la  troisième  race  de  nos 
rois,  481. 

DUCHÉ  DE  ROME.  (Voyez  Rome.) 

DUPIN  (Ellies),  docteur  de  Sorbonne.  Son  Traité  historique  des  ex- 
communications, 411,  note.  — Hardiesse  et  témérité  de  cet  auteur,  ibid. 

DUPUY,  auteur  du  Traité  de  la  juridiction  criminelle.  —  Aveux  remar- 
quables de  cet  auteur  sur  l'origine  dn  pouvoir  temporel  du  clergé,  43. 

ÉDIT  DE  NANTES.  Henri  IV,  par  cet  édit,  accorde  aux  protestants  l'exer- 
cice public  de  leur  religion,  655.  Il  est  révoqué  par  Louis  XIV,  et  remis  en 

vigueur  par  Louis  XVI ,  655. 
EDOUARD  (saint),  roi  d'Angleterre.  Loi  de  ce  prince,  qui  déclare  privé  de 
son  titre  de  roi,  le  monarque  rebelle  envers  Dieu  et  envers  l'Église, 
607,  etc. — Authenticité  de  cette  loi;  son  véritable  sens ,  609.  — Alté- 
ration du  texte  de  celte  loi  dans  l'édition  de  Houard ,  607  ,  note. 
ÉGLISE.  Merveille  de  sa  conservation,  95-97.  — Nature  et  esprit  de  son  gou- 
vernement, 33,  34,  37.  —  Il  n'était  pas  démocratique  dans  les  premiers 
temps  ;  erreurs  de  Mosheim  et  de  M .  Guizot  sur  ce  point,  33,  note. — L'Église 
seule  peut  régler  les  objets  de  l'ordre  spirituel ,  72*74.  — Les  princes  ne 
peuvent  rien  statuer  sur  ces  objets,  sinon  pour  appuyer  les  lois  de  l'É- 
glise ,  66,  note  ;  73.  (  Voyez  Puissances.  )  —  Lois  de  l'Église,  confirmées 
par  les  édits  des  empereurs  chrétiens ,  64,  etc. — Soumission  de  l'Église 
aux  lois  même  les  moins  favorables  à  ses  immunités,  150,  etc.  —  Elle 
n'a  pas  approuvé  certaines  dispositions  sévères  du  droit  romain  contre 
les  hérétiques,  77. 

Pouvoir  directif  de  l'Église  et  du  Pape  sur  les  choses  temporelles , 
336,  etc.  ;  513,  etc.  ;  533,  etc.  —  En  quoi  il  diffère  du  pouvoir  de  juri- 
diction, admis  par  les  défenseurs  de  l'opinion  théologique  du  droit  di- 
vin) ibid.,  338,  746.  —  Le  pouvoir  directif  est  admis  sans  difficulté, 
même  par  les  théologiens  opposés  à  l'opinion  du  droit  divin,  338 ,  note; 
514,  etc.  —  Les  conciles  et  les  Papes  n'ont  jamais  enseigné  ou  supposé, 


768  TABLE  DES   MATIÈRES. 

dans  leurs  décrets ,  l'opinion  théologique  du  droit  divin,  519,  etc.; 
553,  etc.  ;  5S8,  etc.  (Voyez  Puissances.  ) 
ÉGLISE  ROMAINE.  Ses  richesses  pendant  les  persécutions,  102.  —  Libéra- 
lités de  Constantin  envers  cette  Église,  105,  etc.  — Accroissement  des  ri- 
chesses de  l'Église  romaine,  sous  les  empereurs  chrétiens,  124.—  Ses  pa- 
trimoines, 125,  etc.  —  Ses  immenses  libéralités,  134,  etc.;  195.  (Voyez 
Patrimoines  ,  Pape.  ) 
ÉGYPTIENS.  Leur  respect  pour  la  religion,  7.  (Voyez  Religion.  ) 
E1CHORN  (Frédéric),  professeur  d'histoire  à  l'université  de  Gottingue.  Il 
explique  la  conduite  des  Papes  envers  les  souverains,  au  moyen  âge ,  par  le 
droit  public  alors  en  vigueur,  644,  etc.  —  Ses  variations  sur  ce  point, 
645  et  646,  note. 
ÉLECTEURS  DE  L'EMPIRE.  Leur  origine,  624,  texte  et  note.  —  Leur  in- 
stitution n'empêche  pas  le  Pape  de  conserver  une  grande  part  à  l'élection 
de  l'empereur,  pendant  toute  la  suite  du  moyen  âge,  624,  etc.  (Voyez  Em- 
pire ,  Pape.  ) 
ÉLECTIONS.  Comment  se  faisait  celle  des  évêques  pendant  les  premiers 
siècles  de  l'Église,  33. — Erreurs  de  Mosheim  et  de  M.  Guizot  sur  ce  point, 
ibid.,  note.  — Comment  se  faisait  l'élection  des  clercs  ,  33.  —  Influence 
du  patriarche  de  Constantinople  dans  l'élection  de  l'empereur  depuis  le 
ve  siècle,  187,  etc.  —  Serment  exigé  de  l'empereur  élu ,  ibid. 
ÉLÉONORE,  reine  d'Angleterre,  écrit  au  pape  Célestin  III,  pour  obtenir  la 
délivrance  de  son  fils  Richard  Ier,  451 ,  468.  —  Importance  de  cette  lettre, 
pour  établir  la  persuasion  alors  établie  en  Angleterre,  sur  les  effets  tem- 
porels de  l'excommunication,  par  rapport  aux  souverains,  ibid. 
ELISABETH,  reine  d'Angleterre,  est  excommuniée  et  déposée  par  le  pape 
Pie  V,  587,  etc.  (Voyez  Pie  V.)  —  Ses  efforts  pour  obtenir  la  révocation  de 
cette  sentence,  650.  —  Les  catholiques  anglais  invoquent ,  à  l'appui  de 
cette  sentence ,  l'ancienne  jurisprudence  de  ce  royaume,  qui  excluait  du 
trône  les  princes  hérétiques,  649,  752. —  Ouvrages  à  consulter  sur  la  con- 
troverse relative  aux  droits  d'Elisabeth  à  la  couronne  d'Angleterre,  752. 
ÉMERY  (l'abbé),  supérieur-général  de  la  compagnie  de  Sainl-Sulpice,  combat 
les  prétentions  de  Napoléon  sur  les  États  du  saint-siége ,  255,  note.  —  Il 
lui  fait  sentir  l'importance  de  la  souveraineté  temporelle  du  saint-siége , 
323-324.—  Il  admire  la  modération  avec  laquelle  Leibniz  juge  la  con- 
duite des  Papes  au  moyen  âge,  à  regard  des  souverains,  646. 
EMPEREURS.— I.  Empereurs  romains. —  Auguste  et  ses  successeurs  joignent 
le  titre  de  souverain  pontife  à  la  dignité  impériale,  22.  —  Constantin  et 
ses  successeurs,  jusqu'à  Gratien,  conservent  ce  titre,  sans  en  exercer  les 
fonctions,  22-23. — Conduite  modérée  des  premiers  empereurs  chrétiens  à 
l'égard  des  païens,  56,  etc.  —  Ils  confirment ,  par  leurs  édits ,  les  lois  de 
l'Église,  64,  etc.  —  Plusieurs  d'entre  eux  protègent  les  hérétiques ,  95.  — 
Ils  appliquent  à  la  religion  chrétienne  et  à  ses  ministres  les  honneurs  et 
prérogatives  autrefois  accordés  à  la  religion  païenne ,  29-30 ,115,  texte 
et  note.  —  Accroissements  qu'ils  donnent  au  pouvoir  temporel  des  Papes, 
depuis  le  ive  siècle.  (Voyez  Pape.)  —  Influence  du  patriarche  de  Constan- 
tinople dans  l'élection  de  l'empereur,  depuis  le  ve  siècle,  187,  etc. — 
Serment  exigé  de  l'empereur  élu ,  ibid-  —  Conduite  imprudente  des  em- 
pereurs de  Constantinople  à  l'égard  de  l'Italie  et  du  saint-siége ,   au 
Yine  siècle,  212. —  Résultats  de  cette  conduite:  révolution  en  Italie 
sous  Grégoire  II,  213,  etc. — Divers  sentiments  sur  l'époque  à  laquelle 
l'autorité  de  l'empereur  fut  anéantie  à  Rome  et  dans  l'Exarchat ,  261 , 


TABLE  DES  MATIERES.  769 

263 ,  etc.  —  D'où  vient  l'obscurité  de  cette  question,  262.  —  L'autorité 
de  l'empereur  définitivement  anéantie  dans  le  duché  de  Rome  et  dans 
l'Exarchat ,  depuis  la  Donation  de  Pépin,  271-272,  etc.  ;  291 ,  etc.  (  Voyez 
Pape.)  —  Réclamations  et  efforts  inutiles  de  l'empereur  de  Constantinople 
contre  cette  donation,  246 ,  248.  (  Voyez  Donation  de  Pépin.  ) 

II.  Empereuhs  d'Occident.  Sens  et  importance  du  titre  tf  empereur , 
donné  à  Charlemagne  par  le  pape  Léon  III,  282,  289,  725,  etc. —  En  quel 
sens  les  rois  de  France,  et  quelques  autres  princes,  ont  porté  ce  titre 
avant  Charlemagne,  ibid.  —  Ce  titre  ne  donnait  point  à  Charlemagne,  ni  à 
ses  successeurs,  la  souveraineté  de  Rome,  280,  etc.  ;  297,  etc.  —  Préten- 
tions des  empereurs  sur  l'Italie,  662.  —  Condition  imposée  aux  empe- 
pereurs  dans  leur  élection  ,  486,  647,  etc.  (  Voyez  Conditions.)  —  D'après 
l'usage  et  le  droit  public  de  l'empire,  l'empereur  élu  ne  prenait  ce  titre 
qu'après  avoir  été  couronné  par  le  Pape,  434,  note;  496,506,  note; 
624,  etc. —  Ancien  usage  des  empereurs,  de  remplir  auprès  du  Pape  les 
fonctions  d'ccuyer,  627,  texte  et  note. 
EMPIRE  ROMAIN.  Sa  déplorable  situation  sous  les  premiers  empereurs 
chrétiens,  31,  68.  —  Puissantes  ressources  que  lui  offrait  la  religion  chré- 
tienne ,  ibid.  — Elle  le  soutient  contre  les  ennemis  du  dehors,  41,  etc. 

—  Ses  immenses  revenus,  avant  le  règne  de  Constantin,  111,  etc 

Étrange  abus  qu'en  faisaient  plusieurs  empereurs  païens,  ibid.  —  Louable 
usage  qu'en  fit  Constantin,  ibid. 

Sftuation  déplorable  de  l'empire,  en  Occident,  depuis  le  ive  siècle,  194, 
203. —  Cette  situation  s'aggrave  de  plus  en  plus,  depuis  l'établissement  de 
la  monarchie  des  Lombards,  204,  etc.— V empire  d'Occident  est  renouvelé 
par  le  pape  Léon  111,  dans  la  personne  de  Charlemagne,  en  800  ;  256,  etc. 

—  Par  ce  renouvellement ,  l'empire  ne  fut  pas  proprement  transféré  des 
Grecs  aux  Français ,  281 ,  note. 

Le  nouvel  empire  d'Occident,  électif  dès  le  principe,  et  jusqu'à  nos 
jours,  355,  615,  etc. —  Conditions  mises  à  l'élection  de  l'empereur,  486. 
(Voyez  Conditions.)  —  Droits  du  Pape  relativement  à  cette  élection,  434. 
(Voyez  Pape.)  —  L'empire  est  transféré  des  Français  aux  Allemands  par 
l'autorité  du  Pape  ,  623  ,  etc.  —  Persuasion  générale,  au  moyen  âge,  sur 

la  dépendance  particulière  de  l'empire  à  l'égard  du  Pape,  484,  etc. 

Cette  persuasion  partagée  par  les  souverains ,  et  par  les  empereurs  eux- 
mêmes  ,  491,  etc.  ;  494,  etc.  ;  507,  etc.  —  Variations  de  quelques  empe- 
reurs à  ce  sujet ,  508-509.  —  Cette  persuasion  n'a  pas  été  introduite  par 
Grégoire  VII,  509  — Fondements  de  cette  persuasion,  614,  etc.  —  En  quel 
sens  l'empire  était  autrefois  regardé  comme  un  fief  du  saint-siége,  434, 
484,  etc.  ;  625,  etc. — Discussion  à  ce  sujet,  entre  Frédéric  Ier  et  Adrien  IV, 
503,  etc.  (Voyez  Droit  germanique,  Électeurs.) 

ERVIGE.  (Voyez  Vamba.) 

ESCLAVAGE.  Heureuse  influence  du  christianisme  sur  le  sort  des  esclaves , 
129,  132-134.  —  Nombreux  exemples  d'affranchissements,  depuis  la  con- 
version de  Constantin,  133-134. 

ESPAGNE  (royaume  d').  Sa  monarchie  élective  sous  les  rois  goths,  354.— 
Sagesse  de  ses  lois,  379.  —  Leurs  dispositions  sévères  contre  l'hérésie, 
93-94.  —  Condition  de  catholicisme,  mise  à  l'élection  du  roi,  93, 
605,  etc.  —  Cette  condition  maintenue  en  Espagne  jusqu'à  nos  jours, 
650,  etc.  (Voyez  Philippe  II.)  —  Les  rois  d'Espagne  et  de  Portugal  choi- 
sissent le  Pape  pour  arbitre  de  leurs  différends  sur  des  pays  nouvellement 
découverts,  576,  etc.  (Voyez  Alexandre  VI.) 

49 


770  TABLE   DES   MATIÈRES. 

ÉTAT.  Son  étroite  union  avec  la  Religion.  (Voyez  Religion  ,  Gouvernement.) 

ETIENNE  II,  pape,  implore  la  protection  de  Pépin  contre  les  Lombards, 
236,  etc.  (Voyez  Pépin  le  Bref.)  —  Il  donne  à  Pépin  et  à  ses  enfants  le 
titre  de  Patrices  des  Romains ,  238.  (Voyez  Patrice.  )  —  il  réclame  une 
seconde  fois  le  secours  de  Pépin  contre  les  Lombards,  240,  etc.—  Lettres 
pressantes  qu'il  lui  écrit  à  ce  sujet  :  injuste  critique  de  ces  lettres  par 
quelques  auteurs  modernes,  ibid—  Etienne  II  se  regarde  comme  souve- 
rain de  Rome  depuis  la  donation  de  Pépin  ,  247,  etc.  (Voyez  Donation.) 
—  Sa  conduite  ne  suppose  pas  l'opinion  théologique  du  droit  divin,  sur 
le  pouvoir  de  l'Église  dans  l'ordre  temporel,  312,  531. 

ETIENNE  V,  pape.  Ses  principes  sur  la  distinction  et  l'indépendance  ré- 
ciproque des  deux  puissances,  523.  —  Il  donne  l'empire  à  Gui ,  duc  de 
Spolette,6l9. 

EUPHÉMIUS,  patriarche  de  Constantinopleau  ve  siècle,  exige  de  l'empereur 
Anastase  le  serment  de  conserver  la  foi  catholique,  187,  etc.  (Voyez  Ser- 
ment. ) 

EUSÈBE  (  l'historien  )  attribue  à  Constantin  une  loi  qui  ordonnait  de  fer- 
mer tons  les  temples,  et  défendait  absolument  l'exercice  de  l'idolâtrie,  56, 
699.  —  Difficulté  de  le  concilier  sur  ce  point  avec  Libanius,  ibid.  ,  texte 
et  notes.  —  Moyens  de  concilier  ces  deux  auteurs,  700,  etc.  —  Injustice 
des  reproches  faits  à  Eusèbe,  sur  ce  point,  par  M.  Beugnot ,  703. 

EUSÈBE  DE  VERCEIL  (  saint)  introduit  en  Occident  l'usage  de  joindre  aux 
observances  de  la  vie  cléricale  celles  de  la  vie  monastique,  38,  39,  texte 
et  notes. 

EUTYCHIENS.  Protégés  par  Justinien  et  quelques  autres  empereurs,  95,  96. 

ÉVÊQUES.  Origine  de  leurs  prérogatives  et  de  leur  pouvoir  temporel,  sous 
les  empereurs  chrétiens.  (Voyez  Clergé,  Religion.) — Comment  ils  étaient 
choisis  pendant  les  premiers  siècles,  33. — Leurs  vertus  éminentes,  32,  etc. 
— Leur  gouvernement  paternel,  33,  etc. — Leur  esprit  de  pauvreté,  35,  etc. 

Leur  dévouement  au  service  de  l'Église,  36.  —  Souvent  tirés  de  l'état 

monastique,  depuis  la  conversion  de  Constantin,  38.  —  Plusieurs  con- 
servent, dans  l'épiscopat,  l'usage  et  les  pratiques  de  la  vie  commune,  38. 
— Leur  influence  souvent  utile  aux  villes  et  aux  provinces  attaquées  par  les 
Barbares,  42.  —  D'abord  simples  arbitres  des  différends  pendant  les  per- 
sécutions, 163.  —  Raisons  de  maintenir  cet  arbitrage  sous  les  empereurs 

chrétiens,  163,  etc Étendue  de  leur  juridiction,  en  matière  temporelle, 

sous  Constantin  et  ses  successeurs,  147,  162,  etc.  (Voyez  Juridiction  ec- 
clésiastique.)—  Ils  deviennent  alors  de  véritables  juges,  167,  168.  — Sur- 
croît d'embarras  occasionné  aux  évêques  par  cette  juridiction,  174,  etc. 
—  Leur  influence  dans  l'administration  civile,  176,  etc;  393,  note.  —  En 
quel  sens  le  prince  est  nommé  Yévêque  du  dehors ,  73.  (  Voyez  Puis- 
sances. ) 

EXARCHAT ,  EXARQUE.  Divers  sens  de  ces  deux  mots  dans  les  anciens 
auteurs,  205,  note;  262,  note. — Exarques  ecclésiastiques,  205,  note. — 
Exarques  civils ,  ibid.  —  Établissement  de  l'exarchat  de  Ravenne,  ibid. 

Sa  position  géographique  et  son  étendue ,  ibid.  —  Provinces  soumises  à 

la  juridiction  de  l'exarque  de  Ravenne,  ibid.  —  Son  autorité  dans  ces  pro- 
vinces, ibid.  —  Extinction  de  l'exarchat  de  Ravenne,  205  et  236. 
EXCOMMUNICATION.  En  quoi  elle  consiste,  410,  note.  —  Un  souverain 
peut  être  excommunié  comme  un  simple  particulier,  438,  467,  468.  —  Ef- 
fets temporels  de  l'excommunication,  dès  l'origine  du  christianisme, 
410,  etc.  —  Extension  de  ces  effets,  depuis  le  vie  siècle,  335,  413,  etc.  — 


TABLE  DES  MATIÈRES.  771 

Concours  des  souverains  dans  l'établissement  de  cette  discipline ,  394  , 
412,  415,  etc.  —  Circonstances  favorables  à  l'établissement  de  celte  dis- 
cipline, 422. —  Cette  discipline  reconnue,  en  Fiance  comme  ailleurs,  par 
les  hommes  pieux  et  éclairés,  418, 420,  443,  etc.  —  Pourquoi  les  excom- 
munications devinrent  si  fréquentes',  et  leurs  effets  temporels  si  étendus , 
dans  la  suite  du  moyen  âge,  394, 412.— Rigueur  de  la  discipline  sur  ce  point 
avant  Grégoire  VII,  410.— Cette  rigueur  tempérée  par  ce  pontife,  417. 

La  privation  de  toute  dignité,  même  temporelle,  attachée  k  l'excom- 
munication, par  l'usage  et  la  persuasion  universelle,  dans  tous  les  États 
chrétiens  de  l'Europe,  pendant  toute  la  suite  du  moyen  âge,  418,  etc.; 
432,  etc.  —  Cet  effet  de  l'excommunication  ,  reconnu  en  France  comme 
ailleurs,  sous  la  seconde  race  de  nos  rois,  et  au  commencement  de  la 
troisième,  452,  etc.  — Dispositions  du  droit  germanique  sur  ce  point, 
628,  etc. — Aveux  remarquables  de  plusieurs  auteurs  modernes,  sur  le  fait 
de  cette  persuasion  générale,  465,  etc.  (Voyez  Bossuet ,  Fleury,Lin- 
gard,  etc.)  —  Examen  de  quelques  difficultés  sur  ce  point,  tirées  de  la 
conduite  de  plusieurs  souverains,  460,  etc.  (Voyez  Frédéric  II,  Henri  IV, 
roi  de  Germanie,  etc.) 

FACULTÉ  DE  LOUVAIN.  Distinction  de  l'ancienne  d'avec  la  nouvelle,  642, 
note.  —  L'ancienne  adoptait  le  sentiment  de  Fénelon ,  sur  le  droit  public 
du  moyen  âge,  relativement  à  la  déposition  des  souverains,  641 ,  etc.  — 
La  nouvelle  ne  dit  rien  de  contraire  à  ce  sentiment,  dans  sa  réponse  aux 
demandes  de  Pitt,  en  1788,  642,  note. 

FÉNELON.  Ses  principes  sur  l'indépendance  de  l'Église  à  l'égard  des  princes, 
en  matière  spirituelle ,  73.  —  Comment  il  explique  la  conduite  des  sou- 
verains Pontifes  qui  ont  autrefois  déposé  des  princes  temporels,  333  ,  etc. 
—  Comment  il  explique  en  particulier  la  sentence  d'Innocent  IV  contre 
Frédéric  II,  568.  —En  quoi  ce  sentiment  diffère  de  celui  du  comte  De 
Maistre,  339,  etc.  (Voyez  De  Maistre,  Droit  publia.)  —  Différence  entre 
le  sentiment  de  Fénelon ,  sur  cette  matière,  et  le  système  théologique  du 
droit  divin ,  338,  746,  etc. 

FERRAND,  auteur  de  Y  Esprit  de  l'histoire.  —  Esprit  de  cet  ouvrage,  ix, 
texte  et  note;  689,  692.— -Il  est  souvent  entraîné  par  l'autorité  de  Fleury, 
243  et  659,  note.  —  Il  reconnaît  la  persuasion  générale  du  moyen  âge  sur 
les  effets  temporels  de  l'excommunication ,  par  rapport  aux  souverains, 
469.  —  Il  reconnaît  les  grands  avantages  du  pouvoir  temporel  des  Papes  à 
l'époque  des  croisades,  692.  — Prétentions  excessives  qu'il  attribue  aux 
Papes  du  moyen  âge,  661 ,  note;  665,  etc.  —  Il  est  peu  d'accord  avec  lui- 
même,  dans  les  reproches  qu'il  fait  à  ces  pontifes,  689,  —  Ses  exagé- 
rations sur  la  durée  de  la  lutte  des  deux  puissances  au  moyen  âge,  665, 
note  ;  682  ,  etc. 

FIEFS  DU  SAINT-SIÈGE.  (Voyez  Suzeraineté.) 

FLEURY  (l'abbé).  Observation  générale  sur  l'esprit  de  son  Histoire  Ecclé- 
siastique, xxij.  — D'où  vient  la  sévérité  de  ses  jugements  sur  la  con- 
duite et  la  doctrine  des  Papes  au  moyen  âge,  697.  —  Influence  de  ses 
jugements  sur  une  foule  d'auteurs  modernes.  242,213,  659,  notes.— Exa- 
men de  l'évaluation  qu'il  fait  des  offrandes  de  Constantin  à  lËglise  ro- 
maine et  à  quelques  autres,  705,  etc.  —  Évaluation  des  8,000  livres  d'or, 
trouvées  par  saint  Jean  l'Aumônier,  dans  le  trésor  de  son  église,  710. 

Il  reconnaît  qu'on  a  beaucoup  trop  exagéré  lesabns  et  les  désordres  du 
moyen  âge,  376.—  Il  est  peu  d'accord  avec  lui-même,  dans  ses  jugements 

49, 


772  TABLE   DES   MATIÈRES. 

sur  l'influence  politique  du  clergé  au  moyen  âge,  364,  467,  texte  et  notes. 

Il  reconnaît  l'étroite  union  des  deux  puissances,  dans  les  gouvernements 

du  moyen  âge,  528. — Il  attribue,  à  tort,  la  déposition  de  Vamba  au  xue  con- 
cile de  Tolède,  403,  noie.  —  Comment  il  explique  les  peines  temporelles 
décernées  contre  les  hérétiques  ,  par  le  iue  et  le  ive  concile  de  Latran, 
430,  476.  —  C'est  à  tort  qu'il  blâme  absolument  l'usage  que  les  auteurs  du 
moyen  âge  ont  fait  de  Y  allégorie  des  deux  glaives,  553.  (Voyez  Glaives.) 

Explication  et  glose  arbitraires  des  paroles  d'Innocent  III  sur  l'autorité 

respective  des  deux  puissances,  558  et  561 ,  texte  et  notes. 

Son  erreur  sur  les  effets  temporels  de  la  pénitence  publique  au  ve  siècle, 
400,  texte  et  note.  — Il  reconnaît  la  persuasion  générale  du  moyen  âge, 
sur  les  effets  temporels  de  l'excommunication ,  par  rapport  aux  souve- 
rains ,  466 ,  etc.  —  Il  regarde  comme  un  point  de  doctrine  incontestable, 
qu'un  souverain  peut  être  excommunié ,  aussi  bien  qu'un  simple  particu- 
lier, 467,  468.  —  Il  paraît  cependant  peu  d'accord  avec  lui-même  sur  ce 
point ,  445.  —  Il  supposée  tort,  que  plusieurs  souverains  excommuniés 
et  déposés  par  le  Pape  n'ont  rien  perdu  de  leur  autorité,  460  et  465.  — 
Les  raisonnements  de  Grégoire  Vil,  dans  ses  lettres  à  Herman ,  évêque  de 
Metz  sont-ils  aussi  peu  concluants  qu'il  le  suppose^?  538-539 ,  note. 

Il  admire  la  Providence  divine  dans  l'établissement  de  la  souveraineté 
temporelle  du  saint-siége,  321. —  Il  exagère  les  résultats  de  l'erreur  du 
moyen  âge,  sur  l'authenticité  de  la  donation  de  Constantin,  722.  —  Il 
critique  mal  à  propos  une  lettre  du  pape  Etienne  II  à  Pépin  le  Bref,  242. 

H  blâme  à  tort  la  conduite  et  le  langage  du  pape  Paul  1er ,  à  l'égard  de 

l'empereur  de  Constantinople ,  249  ,  noie Il  suppose  sans  preuve  que 

Charlemagne  était  souverain  de  Rome,  par  droit  de  conquête,  275,  note. 
Sa  méprise  relativement  au  diplôme  de  Louis  le  Débonnaire  en  fa- 
veur du  saint-siége,  285.  —  Autre  méprise,  relativement  à  la  conduite  de 
Lothaire  1er  à  Rome,  en  824 ;  304,  note. 

FOI.  Elle  doit  être  libre;  et  sa  profession  ne  doit  jamais  être  extorquée  par 
la  violence,  74,  75.  (Voyez  Dogme.) 

FOLLIS.  (Voyez  Bourse.) 

FORMOSE,  pape.  Il  permet  à  l'empereur  Gui,  d'associer  à  l'empire  Lam- 
bert son  fils,  619.  —  Il  substitue  Arnoul  à  Lambert,  du  vivant  même 
de  ce  dernier,  423,  note;  619. 

FOULQUES  de  Reims.  Lettre  qu'il  écrit  à  Charles  le  Simple,  pour  le  dé- 
tourner de  faire  alliance  avec  les  Normands,  478  ,  note. 

FRANCE  (royaume  de).  —  Origine  commune  des  trois  races  de  nos  rois, 
selon  plusieurs  critiques,  735,  texte  et  note.  —  Ancienne  constitution 
du  royaume,  732,  etc.  *-  La  monarchie  élective  ,  sous  la  première  et  la 
seconde  race  de  nos  rois ,  355 ,  etc.  ;  476,  732,  etc.  —  L'autorité  du  roi , 
modérée  par  celle  de  l'assemblée  générale ,  ibid.  —  Condition  mise  à 
l'élection  du  roi ,  sous  la  première  race  ,  733.  (Voyez  Maiius.  ) 

Persuasion  générale  dans  ce  royaume ,  depuis  le  vie  siècle  ,  sur  la  sub- 
ordination du  pouvoir  temporel  envers  le  spirituel ,  473,  etc.  —  Le  mo- 
narque généralement  regardé  comme  justiciable  du  concile,  sous  la  se- 
conde race  de  nos  rois,  476,  etc.  ;  531 ,  etc.  —  Cette  persuasion  n'était 
point  une  erreur,  accréditée  par  la  politique  de  Pépin  et  de  ses  succes- 
seurs 479 ,  etc.  — -  Elle  ne  suppose  pas  non  plus  l'opinion  théologique 
du  droit  divin,  sur  le  pouvoir  de  l'Eglise  dans  l'ordre  temporel ,  531 , 
etc  __  L'usage  de  la  France ,  au  moyen  âge,  conforme  à  celui  des  autres 
Etats  de  l'Europe,  relativement  aux  effets  temporels  de  l'hérésie  et  de 


TABLE    DES   MATIÈRES.  773 

l'excommunication  ,  420,  etc.;  431  et  432,  texte  et  notes.  —  Persuasion 
générale ,  en  France  comme  ailleurs ,  sur  la  déposition  des  princes  héré- 
tiques ou  excommuniés,  425,  etc.  —Permanence  de  cette  ancienne  per- 
suasion, à  l'époque  de  la  Ligue,  596,  652,  752.  —  Les  droits  de  suzerai- 
neté du  Pape  sur  plusieurs  États,  et  ses  droits  particuliers  sur  l'empire , 
reconnus  en  France ,  sous  Philippe  le  Bel ,  483,  490.  —  Le  roi  de  Fiance 
exempt  de  toute  dépendance  féodale,  613,  etc. 

FRANTIN ,  auteur  des  Annales  du  moyen  âge.  Observations  générales 
sur  l'esprit  de  cet  ouvrage,  xxij.  —  L'auteur  adopte  trop  légèrement 
les  jugements  sévères  de  plusieurs  auteurs  modernes,  sur  la  conduite 
des  Papes  du  viue  siècle,  à  l'égard  des  empereurs  de  Constantinople , 
310.—  Il  semble  peu  d'accord  avec  lui-même,  dans  le  jugement  qu'il 
porle  sur  la  conduite  du  pape  Grégoire  II  et  de  ses  successeurs,  224,  note; 
274,  note. 

FRÉDÉRIC  Ier  (  barberousse  ),  empereur,  remplit  la  fonction  d'écuyer  au- 
près du  pape  Adrien  IV,  627 ,  note.  —  Ses  démêlés  avec  le  même  Pape, 
sur  la  dépendance  de  l'empereur  à  l'égard  du  saint-siége,  503,  etc.  — Ses 
prétentions  à  la  souveraineté  de  Rome  et  de  l'Italie,  268,  texte  et  note; 
662,  etc.  —  Il  est  excommunié  et  déposé  par  le  pape  Alexandre  III,  445, 
etc.  —  Légitimité  de  cette  sentence ,  ibid.,  4G0  ,  463  ,  680.  —  Il  demande 
et  obtient  son  absolution,  464.— Anecdote  fabuleuse  sur  l'histoire  de  cette 
réconciliation,  ibid,  note. 

FRÉDÉRIC  IT,  empereur,  il  est  élu,  en  1210,  parle  pape  Innocent III,  après 
la  déposition  d'Othon  IV ,  491,  498,  etc.  —  Il  confirme  les  décrets  publiés 
contre  les  hérétiques,  par  le  111e  et  le  ive  concile  de  Latran ,  431.  (Voyez 
Latran.)  —Ses  excès,  680  et  681.  —  Ses  prétentions  sur  l'Italie,  662  , 
etc.  —  Il  est  déposé  en  1239,  par  le  pape  Grégoire  IX  ,491,  507 ,  etc.  — 
Lettre  de  saint  Louis  et  des  seigneurs  français  au  Pape ,  à  l'occasion  de 
cette  déposition,  425.  —  L'empereur  est  déposé  par  le  pape  Innocent  IV, 
dans  le  Ier  concile  général  de  Lyon ,  492,  etc.  —  Il  reconnaît  le  droit  du 
Pape,  à  cet  égard,  507.  —  Ses  variations  sur  ce  point,  508. 

GARNIER ,  continuateur  de  Velly.  (  Voyez  Vllly.  ) 

GÉLASE  (saint) ,  pape.  Sa  doctrine  sur  la  distinction  et  l'indépendance  des 
deux  puissances ,  199,  etc.  ;  52  t.  — Cette  doctrine  également  contraire 
au  système  du  pouvoir  direct ,  et  à  celui  du  pouvoir  indirect  de  l'Église 
sur  les  choses  temporelles ,  201 ,  texte  et  note. 

GERMAIN  D'AUXERRE  (saint).  (Voyez  saint  Loup  be  Troyes.) 

GERVAIS  DE  TILBURY ,  seigneur  anglais  de  la  cour  d'Othon  IV.  Ses  Ré- 
créations impériales,  487  et  488 ,  note.  —  Il  suppose',  comme  un  point 
ôeldroit  public  universellement  reconnu  ,  les  droits  particuliers  du  saint- 
siége  sur  l'empire,  487,  etc.  — il  regarde  la  donation  de  Constantin 
comme  le  titre  primitif  de  ces  droits,  488,  512  et  741,  texte  et  notes. 
(Voyez  Donation  de  Constantin.) 

GIBBON ,  historien  anglais.  Injustes  reproches  qu'il  fait  à  saint  Grégoire 
le  Grand,  206,  note.  —  Ses  contradictions,  relativement  à  la  conduite  des 
Papes  du  vme  siècle  envers  les  empereurs  de  Constantinople,  315,  note. 
—  Autres  contradictions,  au  sujet  d'une  lettre  du  pape  Etienne  II  à  Pépin 
le  Bref,  242,  note.  — Ses  idées  peu  exactes  sur  l'origine  de  la  souverai- 
neté temporelle  du  saint-siége ,  et  sur  la  souveraineté  de  Rome  depuis 
l'élévation  de  Charlemagne  à  l'empire ,  264  et  265 ,  note. 

GIBELINS.  (Voyez  Guelfe».  ) 


774  TABLE   DES    MATIÈRES. 

GLAIVES  (allégorie  des  deux).  Divers  sens  de  cette  allégorie,  dans  les  au- 
teurs qui  l'ont  employée,  451 ,  550.  —En  quel  sens  elle  est  employée 

par  Geoffroy  de  Vendôme ,  551.  — par  Hildebert ,  évêque  du  Mans , 

55!?.  — par  saint  Bernard,  547.  — par  le  pape  Innocent  III, 

560,  note.  —  C'est  à  tort  que  plusieurs'écrivains  modernes  blâment  absolu- 
ment l'usage  que  les  auteurs  du  moyen  âge  ont  fait  de  cette  allégorie ,  553. 

GODEFROY  DE  VITERBE,  auteur  du  xue  siècle,  suppose  comme  un  point 
de  droit  public  universellement  reconnu ,  les  droits  particuliers  du  Pape 
sur  l'empire,  487. 

GOTHS.  Leur  accommodement  avec  l'empereur  Jules  Népos,  par  l'entremise 
des  évêques,  42.  (Voyez  Espagne.) 

GOUVERNEMENT.  Son  étroite  union  avec  la  religion,  chez  tous  les  peuples 
anciens.  (Voyez  Religion.)  —  Nature  des  gouvernements  du  moyen  âge, 
354,  etc.;  602  —  La  plupart  des  monarchies  alors  électives,  ibid.  — 
L'autorité  du  roi ,  modérée  par  celle  de  l'assemblée  générale,  358 ,  etc. 

—  Autorité  de  cette  assemblée ,  ibid.  —  Elle  pouvait  mettre  des  condi- 
tions à  l'élection  du  souverain,  ibid.  (Voyez  Conditions,  Serment.)  — 
Étroite  union  des  deux  puissances  dans  tous  les  États  chrétiens  de  l'Eu- 
rope ,  au  moyen  âge ,  360 ,  etc.  —  Influence  du  clergé  dans  les  affaires 
publiques  par  suite  de  cette  union ,  364 ,  texte  et  note.  — Il  était  généra- 
lement regardé  comme  le  premier  corps  de  l'État,  363.  —  Influence  du 
Pape  par  suite  des  mêmes  circonstances,  365 —  Les  lois  divines  et  ecclé- 
siastiques sanctionnées  de  peines  temporelles,  par  suite  des  mêmes  cir- 
constances, 395,  etc.  —  La  théorie  politique  du  moyen  âge  comparée 
avec  les  théories  modernes  ,  666,  etc.;  670 ,  etc.  —  Application  que  les 
Papes  en  ont  faite ,  673  ,  etc.  —  Tendance  des  gouvernements  modernes 
à  restreindre  le  pouvoir  temporel  du  clergé,  743,  texte  et  note. 

GRATIEN,  empereur,  refuse,  le  titre  et  la  robe  de  souverain  pontife,  22. 

—  Il  dépouille  les  temples  de  leurs  biens,  24.  —  Il  fait  enlever  du  sénat 
Yautelde  la  Victoire,  59.  —  Il  n'a  point  d'égard  aux  réclamations  des 
sénateurs  païens  sur  ce  point,  60 ,  61.  —  Il  tolère  cependant  l'exercice  de 
l'idolâtrie,  61,  62. 

GRATIEN ,  canoniste  de  xne  siècle.  Son  Décret  ne  renferme  rien  qui  ne  se 
concilie  avec  le  principe  de  la  distinction  et  de  l'indépendance  réciproque 
des  deux  puissances ,  542 ,  etc. 
GRECS  ANCIENS.  Leur  respect  pour  la  religion  ,  8,  etc.  (Voyez  Religion.) 
GRÉGOIRE  LE  GRAND  (saint).  Son  caractère ,  206 ,  texte  et  note.  — Nom- 
breux patrimoines  de  l'Église  romaine,  sous  son  pontificat,  126.  — 
Saint  usage  qu'il  en  faisait,  135-137.  —  Son  zèle  pour  l'affranchissement 
des  esclaves,  134.  —  Ses  principes  sur  la  soumission  due  à  la  puissance 
temporelle ,  209  ,  etc.  —  Sa  doctrine  sur  l'obligation  de  payer  les  impôts 
exigés  même  sur  les  terres  de  l'Église  ,152,  153.  —  Clause  remarquable 
des  privilèges  qu'il  accorde  aux  monastères  et  à  l'hôpital  d'Autun,  473,  etc. 

—  Authenticité  de  cette  clause ,  474.  —  Diverses  explications  qu'en  don- 
nent les  critiques ,  ibid.  —  La  difficulté  levée  par  le  consentement  des 
princes  français  à  cette  clause,  475.  —  Son  pouvoir  temporel ,  206  ,  etc. 
— ■  Embarras  et  difficultés  de  sa  position  :  sa  prudence ,  208 ,  etc. 

GRÉGOIRE  II ,  pape.  Révolution  en  Italie  sous  son  pontificat  ;  ses  vérita- 
bles causes ,  2i4,  etc.  —  Opposition  entre  les  auteurs  latins  et  les  grecs, 
sur  ce  point,  220 ,  222.  —  Cette  opposition  facile  à  expliquer ,  222.  — 
Importance  d'examinerTautorité  des  historiens  grecs  à  ce  sujet,  221.  — 
L'autorité  de  ces  derniers  n'est  pas  ici  d'un  grand  poids,  224.  —  Leur 


TABLE   DES   MATIÈRES.  775 

récit  en  opposition  avec  le  caractère  et  les  principes  de  Grégoire  II,  225  , 
etc.  — Principes  de  ce  pontife,  sur  la  soumission  due  à  la  puissance  tem- 
porelle, ibid.,  et  523.  —  Sa  conduite  envers  l'empereur  de  Gonstantinople, 
approuvée  par  les  auteurs  modernes  les  moins  suspects ,  228.  —  Son 
pontificat,  véritable  époque  du  commencement  de  la  souveraineté  tem- 
porelle du  saint-siége,  269,  etc. 
GRÉGOIRE  111 ,  pape,  imite  la  conduite  prudente  et  modérée  de  Grégoire  II, 
envers  les  empereurs  de  Constantinople ,  229.  —  Il  appelle  Charles  Mar- 
tel au  secours  de  l'Italie ,  et  lui  offre  le  titre  de  consul ,  230,  232,  noie. 

—  Cette  démarche   facile   à  justifier,  d'après  les  circonstances,  232. 

—  Elle  ne  suppose  pas  l'opinion  théologique  du  droit  divin,  sur  le  pou- 
voir de  l'Église  dans  l'ordre  temporel,  312  ,  531. 

GRÉGOIRE  IV,  pape.  Sa  conduite  politique,  trop  légèrement  blâmée  par  un 
grand  nombre  d'auteurs  modernes ,  367 ,  604 ,  note. 

GRÉGOIRE  VII ,  pape.  Désordres  de  la  société  au  temps  de  ce  pontife ,  369 , 
etc.  —  Ses  efforts  pour  le  maintien  de  la  pénitence  publique  et  de  ses 
effets  temporels,  408.  —  Il  adoucit  la  ligueur  de  la  discipline  établie 
avant  lui,  sur  les  effets  temporels  de  l'excommunication ,  416,  etc.  —  Sa 
conduite  à  l'égard  de  Henri  IV,  roi  de  Germanie,  433,  etc.  (Voyez  Hen- 
ri iv.)  —  Cette  conduite  facile  à  justifier,  675,  678,  etc.  —  Ses  lettres 
à  Herman  ,  évoque  de  Metz,  à  l'occasion  de  l'excommunication  de  Henri,1, 
438.       Serment  de  fidélité  qu'il  exige  de  Henri  IV  et  de  Rodolphe ,  502. 

—  Il  menace  d'excommunication  le  roi  de  France ,  Philippe  1er ,  453,  etc. 

—  Ses  remontrances  à  Vezelin ,  chef  d'un  parti  de  révoltés  contre  le  roi 
de  Dalmatie,  386  ,  etc. 

Il  n'a  fait  que  suivre  ,  dans  sa  conduite  à  l'égard  des  princes,  les  maxi- 
mes déjà  reconnues  avant  lui ,  467,  note  ;  486,  509.  —  Il  ne  prétendait 
pas  fonder  uniquement  sur  le  droit  divin ,  le  pouvoir  qu'il  s'attribuait 
sur  les  souverains,  437j,  536 ,  612.  —  Son  langage  ne  suppose  même  pas 
l'opinion  théologique  du  droit  divin,  534,  etc.  —  Pourquoi  les  deux 
sentences  de  déposition  prononcées  contre  Henri  ne  font  aucune  mention 
des  lois  de  l'wnpïre ,  537.  —  Les  maximes  intitulées  Dictatus  Papœ , 
sont-elles  de  Grégoire  Vil?  535,  note.  —Quel  en  est  le  sens,  ibid.  — 
Grégoire  VII  n'a  pas  admis  la  donation  de  Constantin,  517,  714.  —  In- 
justice des  reproches  qu'on  lui  a  faits,  à  l'occasion  des  droits  de  suzerai- 
neté qu'il  s'attribuait  sur  plusieurs  États,  531 ,  note;  612. 

GRÉGOIRE  IX ,  pape  ,  excommunie  et  dépose  l'empereur  Frédéric  II ,  491 , 
507,  etc.  (Voyez  Frédéric  IL) 

GROT1US.  Ses  principes  sur  l'usage  de  la  puissance  temporelle  en  matière 

de  religion  ,  69 Sur  le  droit  qu'a  le  peuple,  en  certains  cas,  de  se 

choisir  un  nouveau  souverain,  233.  (Voyez  Publicistes.)  —  Comment  il 
explique  la  bulle  d'Alexandre  VI ,  Jnter  cœtera,  577,  note.  (Voyez 
Alexandre  VI.) 

GUELFES  et  GIBELINS.  Origine  purement  politique  de  ces  factions,  663, 
681,  etc.  —  La  religion  n'entrait  pour  rien  dans  leurs  différends ,  ibid. 

GUERRES  SACRÉES  chez  les  Grecs.  Quelle  en  fut  l'occasion,  9.  (Voyez 
Delphes.  ) 

GUI,  duc  de  Spolette  ,  est  élevé  à  l'empire  par  le  pape  Etienne  V ,  619.  — 
Il  associe  à  l'empire  son  fils  Lambert,  ibid. 

GUILLAUME  de  Malmesbury ,  auteur  anglais  du  xive  siècle.  Témoignage 
remarquable  de  cet  auteur,  sur  la  politique  de  Charlemagne ,  dans  l'éta- 
blissement des  seigneuries  ecclésiastiques ,  385,  note. 


776  TABLE  DES  MATIÈRES. 

GUILLON  (Aimé) ,  auteur  d'une  dissertation  ,  dans  laquelle  il  essaye  de 
prouver  l'usurpation  de  Pépin,  727.  —  Critique  outrée  de  cet  auteur, 
ibid.,  note;  729,  note. 
GU1SCARD  (Robert),  fondateur  du  royaume  de  Naples.  (Voyez  Robert) 
GUI ZOT ,  écrivain  protestant,  auteur  de  divers  ouvrages  historiques. — 
Ses  erreurs  sur  le  mode  d'élection  des  évêques,  pendant  les  premiers 
«iècles ,  33,  note.  —  Ses  aveux  remarquables  sur  l'origine  du  pouvoir  tem- 
porel du  clergé,  45.  —  Aveux  également  remarquables  sur  l'influence 
salutaire  de  l'Église  et  du  clergé  dans  la  civilisation  européenne ,  378  ,  etc. 

—  Son  opinion  singulière  sur  la  nature  de  la  souveraineté  temporelle  du 
saint-siége,  depuis  les  donations  de  Pépin  et  de  Charlemagne,  267  , 
note.  —  Son  système  sur  l'origine  du  pouvoir  temporel  de  l'Église  et  du 
Pape,  au  moyen  âge,  330,  note.  —  Il  regarde  comme  un  fait  incontes- 
table ,  le  mélange  d'élection  et  d'hérédité  dans  le  premier  âge  des  mo- 
narchies modernes,  particulièrement  chez  les  Francs,  355,  etc. 

HALLAM ,  auteur  anglais  de  l'ouvrage  intitulé  :  L'Europe  au  moyen  âge. 

—  Esprit  de  cet  ouvrage,  xxiij,  1 16,  note  ;  138 ,  etc.  —  Ses  invectives  in- 
justes contre  le  clergé  du  ive  siècle,  116  ,  138  —  Injustes  reproches  qu'il 
fait  à  saint  Grégoire  le  Grand ,  206,  note.  —  Ses  aveux  remarquables  sur 
les  lumières  et  les  vertus  du  clergé ,  au  moyen  âge,  particulièrement  dans 
les  monastères,  376 ,  etc. 

HÉBREUX.  (Voyez  Movse.) 

HENRI  II ,  empereur,  prête  serment  de  fidélité  au  Pape ,  502.  —  Son  di- 
plôme en  faveur  de  l'Église  romaine,  287.  (Voyez  Louis  le  Débonnaire.  ) 

HENRI  IV,  roi  de  Germanie.  Caractère  de  ce  prince  ;  désordres  de  sa  con- 
duite, 372,  433,  674,  etc.;  678,  etc.  —  Il  n'était  pas  proprement  em- 
pereur, 434,  note;  496,  506,  624,  etc.  —  Il  est  menacé  d'excommunica- 
tion par  Grégoire  Vil  ;  sa  réponse  insultante  à  cette  menace ,  435.  —  Il  est 
excommunié  et  déposé  par  le  Pape ,  436  ,  etc.  —  Cette  première  sentence 
de  déposition  n'était  pas  définitive,  ibid.  —  Elle  n'était  pas  uniquement 
fondée  sur  le  droit  divin,  437.  —  Elle  ne  suppose  même  pas]  l'opinion 
théologique  du  droit  divin,  535,  etc.  —  Henri  sollicite  et  obtient  son  abso- 
lution, 439,  etc. — Ses  nouveaux  excès,  441. —Il  est  excommunié  derechef 
et  définitivement  déposé,  ibid.  —  Ses  partisans  méprisent  cette  sentence , 
442,  etc.  «—  Étonnement  qu'elle  cause  dans  le  monde ,  444.  —  Aveu  re- 
marquable des  seigneurs  allemands,  sur  le  pouvoir  du  Pape  en  cette  ma- 
tière, 434,  486.  —  Aveu  remarquable  de  Henri,  sur  la  déposition  d'un 
prince  hérétique,  424,  435  ,  etc.  ;  507.  (Voyez  Droit  germanique.) 

HENRI  V,  empereur.  Ses  contestations  avec  les  papes  Pascal  II  et  Callixte  II 
au  sujet  des  investitures,  686  ,  note.  (  Voyez  Investitures.  ) 

HENRI  Vil,  empereur.  Ses  discussions  avec  le  pape  Clément  V,  sur  la  dépen- 
dance de  l'empereur  à  l'égard  du  Pape ,  505,  etc. 

HENRI  IV,  roi  de  France.  —  Ligue  formée  sous  Henri  III  pour  [exclure  du 
trône  le  roi  de  Navarre  (  Henri  IV) ,  653,  etc.  (Voyez  Ligue.)  —  Henri  IV 
excommunié  et  déposé  par  le  pape  Sixte  V,  594,  etc.  (Voyez  Sixte  V.)  — 
Les  catholiques  invoquent  contre  Henri  IV  l'ancienne  jurisprudence  du 
royaume,  qui  excluait  du  trône  les  princes  hérétiques ,  652,  etc.  ;  752.  — 
Ouvrages  à  consulter,  sur  la  controverse  relative  aux  droits  du  roi  de  Na- 
varre (  depuis  Henri  IV  )  à  la  couronne  de  France ,  752  et  753.  —  La  con- 
version de  Henri  IV  met  fin  à  cette  controverse,  654.  —  Il  publie  YÉdit  de 
gantes,  qui  accorde  aux  protestants  l'exercice  public  de  leur  religion,i&td. 


TABLE  DES  MATIÈRES.  777 

HENRI  II,  roi  d'Angleterre.  —  Est-il  vrai  que  le  pape  Adrien  IV  ait  préten- 
du lui  donner  l'Irlande?  554,  etc.  —  Ses  démêlés  avec  saint  Thomas  de 
Cantorbéry ,  448  ,  etc.  —  Jean  de  Sarisbéry  souhaite  que  le  Pape  use,  en 
cette  occasion ,  de  la  même  rigueur  envers  le  roi  d'Angleterre ,  qu'envers 
l'empereur  Frédéric  Ier,  446  ,  etc.  -  La  persuasion  alors  existante  en  An- 
gleterre, sur  les  effets  temporels  de  l'excommunication  par  rapport  aux 
souverains,  est  établie  par  cette  discussion  ,  ibid.  —  Jugement  de  Bos- 
suet  sur  cette  affaire,  449.  —  Henri  II  associe  son  fils  au  trône,  450,  note. 

HENRI  VIII,  roi  d'Angleterre,  est  excommunié  et  déposé  par  le  pape 
Paul  m,  584,  etc.  (Voyez  Paul  III.) 

HENRION  (  le  baron  )  adopte  au  fond  le  système  du  comte  de  Maistre ,  sur 
le  pouvoir  temporel  de  l'Église  et  du  Pape  ,  au  moyen  âge,  344,  558  et 
644,  note. 

HÉRÉSIE.  Importance  de  la  réprimer  dès  sa  naissance,  76.  —  Principes  sur 
la  nécessité  de  la  réprimer,  même  par  des  peines  temporelles.  (Voyez Dé- 
lits, Religion.) — Constitutions  impériales  contre  les  hérétiques,  83,  etc.  ; 
93,  etc.  — Les  hérétiques  incapables  de  tout  emploi  et  de  tout  droit 
civil,  d'après  ces  constitutions,  87,  etc.  ;  90  ,  188.  —  Motifs  de  ces  cons- 
titutions ,  69,  79, 87,  90.  —  Le  droit  romain,  suivi  sur  ce  point  dans  tous 
les  États  chrétiens  de  l'Europe,  au  moyen  âge,  91-95,  396,  542.  —  Er- 
reur de  quelques  écrivains  modernes  à  ce  sujet,  91.  —  Décrets  des  me  et 
ive  conciles  de  Latran  sur  ce  point ,  94 ,  426 ,  etc.  —  Les  peines  tempo- 
relles décernées  par  les  Papes  contre  les  hérétiques ,  autrefois  d'usage  en 
France  comme  ailleurs  ,  431 ,  note. 

Principes  sur  la  déposition  des  princes  hérétiques,  189,  etc.  — Diffé- 
rence essentielle  entre  la  constitution  de  l'empire  romain  et  celle  des  au- 
tres monarchies  du  moyen  âge  sur  ce  point,  190.  —  Persuasion  générale, 
au  moyen  âge,  sur  la  déposition  des  princes  hérétiques,  424 ,  etc.  — 
Cette  persuasion  établie  en  France  comme  ailleurs,  425,  etc.  —  Disposi- 
tions du  droit  germanique ,  sur  ce  point,  630,  etc. 

HERMAN  ,  évêque  de  Metz  Lettres  que  lui  écrit  Grégoire  VII ,  à  l'occasion 
de  l'excommunication  de  Henri  IV,  roi  de  Germanie,  438,  538,  etc.  — 
Méprise  de  Bossuet  et  du  P.  Alexandre,  au  sujet  de  ces  lettres,  438, 
note.  —  Elles  ne  supposent  pas  l'opinion  théoîogique  du  droit  divin,  538, 
etc.  — Les  raisonnements  de  Grégoire  VII,  dans  ses  lettres,  sont-ils 
aussi  peu  concluants  que  le  suppose  Fleury?  538  et  539,  note. 

HINCMAR  de  Reims.  Idée  qu'il  donne  des  conciles  ou  assemblées  mixtes , 
alors  si  fréquentes,  522.  (Voyez  Conciles.  ) 

HONORIUS  ,  empereur.  Ses  lois  en  faveur  de  la  religion  chrétienne,  53.  — 
Ses  lois  contre  les  hérétiques,  79,  87,  etc.  — Son  règne  paraît  être  l'épo- 
que d'un  accroissement  considérable  dans  le  pouvoir  temporel  du  Pape  , 
183, 198,  etc. 

HOPITAUX.  Ils  doivent  leur  origine  à  la  charité  chrétienne,  130,  etc.  — 
Erreurs  de  M.  de  Gérando  sur  ce  point,  129,  note.  —  Progrès  de  ces 
établissements  ,  depuis  le  ive  siècle,  131 ,  etc.  ;  136.  — Erreur  de  quel- 
ques écrivains,  qui  en  rapportent  l'origine  à  l'époque  des  croisades , 
132,  note. 

HUGUES  DE  SAINT-VICTOR.  Sa  doctrine  sur  la  distinction  et  la  compé- 
tence des  deux  puissances,  544,  etc.  —  Il  n'attribue  point  à  l'Église, 
d'après  l'institution  divine,  un  pouvoir  de  juridiction  directe  ou  indi- 
recte sur  les  choses  temporelles  f  545,  etc.  —  Bossuet  l'explique  dans  un 
tout  autre  sens,  572. 


778  TABLE   DES  MATIÈRES. 

HURTER,  auteur  de  l' Histoire d 'Innocent  III.  Esprit  de  cet  ouvrage,  xxij , 
et  323,  notes.  —  Sentiments  de  cet  auteur  sur  l'importance  de  la  souverai- 
neté temporelle  du  saint-siége,  322.  —  Il  explique  et  justifie  la  conduite 
d'Innocent  III  à  l'égard  des  souverains,  348,  566 ,  670,  note;  690.  —  il 
reconnaît  les  grands  services  rendus  à  la  société,  par  les  Papes,  à  l'époque 
des  croisades ,  395 ,  690. 

IDOLATRIE.  Le  triomphe  du  christianisme  sur  elle  était  assuré  avant  la 
conversion  de  Constantin,. 46-51.  — Erreurs  de. M.  Beugnot sur  ce  point, 
49,  note.  —  Application  de  Constantin  à  décréditer  l'idolâtrie,  53.  — 
Il  interdit  absolument  la  divination  secrète,  55.  —  Il  tolère  cependant 
l'exercice  public  de  l'idolâtrie,  55,  56,  700,  701.  —Sa  prudence  est  imi- 
tée, en  ce  point,  par  ses  successeurs*,  56  ,  etc. 

IMMUNITÉS  du  clergé.  ,Leur  origine  dans  l'usage  et  les  maximes  de  l'anti- 
quité, 6,  8,  12,  20,  etc.;  29,  30,  142,  etc.  —  Leurs  motifs,  143,  164, 
etc.  —  Immunités  personnelles  du  clergé,  sous  les  empereurs  chrétiens, 
144,  etc.  —  Immunités  réelles ,  148,  etc.  (Voyez  Asile.)  —  Les  immu- 
nités ecclésiastiques,  restreintes  par  Constantin  au  clergé  catholique,  84. 

—  Cette  matière  traitée  avec  soin  par  Bingham ,  144 ,  note.  —  Variations 
des  immunités  ecclésiastiques,  sous  les  empereurs  chrétiens,  144,  etc.  ; 
153.  — Immunités  particulières  de  quelques  Églises,  149,  etc.  —  Sou- 
mission de  l'Église  aux  lois  môme  les  moins  favorables ,  en  cette  matière, 
150 ,  etc.  —  La  question  théologique  de  l'origine  des  immunités  ecclésias- 
tiques, éclaircie  par  les  faits,  154,  etc.;  172,  note.  —  Discussions  en 
Angleterre  sur  ce  point,  au  xne  siècle,  448.  (Voyez  Heniu  II.) 

IMPOTS.  (Voyez  Immunités) 

INNOCENT  ITI,  pape,  reconnaît  et  marque  nettement  la  distinction  des 
deux  puissances ,  559.  —  Il  ne  s'est  Jpas  attribué  un  pouvoir  de  juridic- 
tion directe  ou  indirecte  sur  les  choses  temporelles ,  557  ,  etc.  —  Il  ne 
s'attribue,  en  matière  temporelle,  que  le pouvoir'jdirectif ',  au  sens  où 
l'explique  Fénelon  ,  561 ,  etc.  —  En  quel  sens  il  soutient  la  prééminence 
du  pouvoir  spirituel  sur  le  temporel,  557,  etc.  —  En  quel  sens  il  emploie 
Y  allégorie  des  deux  grands  luminaires ,  559,  etc.  — En  quel  sens  il  em- 
ploie Yallégorie  des' deux  glaives,  560,  note.  —  Il  négocie  la  paix  entre 
Philippe-Auguste  et  Richard,  roi  d'Angleterre,  564,  noie.  —  Il  s'établit  arbi- 
tre (en  1202)  entre  Philippe- Auguste  et  Jean  sans  Terre,  à  l'occasion  de 
l'assassinat  d'Artus,  comte  de  Bretagne,  561.  —  Raisons  de  cette  conduite, 
562.  —  Injustes  reproches  qu'on  lui  a  faits  sur  ce  sujet,  563,  etc.  —  Sa  con- 
duite justifiée  par  M.  Hurter,  566.  —  Il  reconnaît  expressément  l'indépen- 
dance féodale  du  roi  de  France,  à  l'égard  du  saint-siége,  613,  texte  et  note. 

—  Il  dépose  Jean  sans  Terre,  et  donne  son  royaume  à  Philippe-Auguste, 
482.  —  Il  choisit  (en  1201)  l'empereur  Othon  IV,  496 ,  etc.  —  Il  soutient 
cette  élection  contre  les  autres  prétendants  à  l'empire,  ibid.  —  Il  dépose 
ce  prince  (en  1210),  et  lui  donne  pour  successeur  Frédéric II,  491,498, 
etc.  — Il  suppose,  comme  un  fait  constant,  que  les  princes  électeurs 
tiennent  du  Pape  le  droit  de  choisir  l'empereur,  498  et  625. 

INNOCENT  IV,  pape,  dépose  l'empereur  Frédéric  II,  dans  le  ier  concile  gé- 
néral de  Lyon ,  492 ,  etc.  —  La  sentence  de  déposition  est  approuvée  par 
le  concile ,  493.  —  Cette  sentence  ne  suppose  pas  l'opinion  théologique 
du  droit  divin ,  567  ,  etc.  —  Pourquoi  elle  ne  fait  pas  mention  des  lois 
de  V empire ,  569. 

INQUISITION  [établie  contre  les  hérétiques  [par  Constantin ,  84.  —  Elle  est 


TABLE   DES  MATIÈRES.  779 

renouvelée  par  Théodose  le  Grand  ,  86.  —Elle  est  établie  en  France',  par 
le  pape  Alexandre  IV,  à  la  demande  de  saint  Louis,  431.  —  Principes 
fondamentaux,  sur  la  recherche  et  la  punition  des  hérétiques.  (Voyez  Dé- 
lits, Religion.  ) 

INVESTITURES.  Notion  de  Yinvestiture  en  général,  et  des  investitures 
ecclésiastiques  en  particulier ,  684.  —  La  cérémonie  de  Yinvestiture , 
différente  de  celles  de  l'hommage  et  du  serment  de  fidélité,  685.  —  Ori- 
gine de  la  querelle  des  investitures ,  ibid.  —  Son  objet  et  son  importance, 
686,  etc. 

ITALIE.  Puissantes  ressources  que  lui  offrent,  dans  la  décadence  de  l'empire 
romain  ,  la  sagesse  et  la  vertu  des  Papes,  195 ,  204 ,  etc.  ;  211 ,  etc.  — 
Révolution  en  Italie,  sous  Grégoire  II;  ses  véritables  causes,  214,  etc. 
(  Voyez  Grégoire  II.  )  —  Progrès  de  cette  révolution ,  sous  Grégoire  III , 

231 ,  etc.  — Cette  révolution  facile  à  justifier,  eu  égard  aux  circonstances, 

232 ,  etc.  —  Régime  municipal  des  principales  villes  d'Italie ,  à  cette 
époque ,  et  longtemps  après,  279,  note. 

IVES  DE  CHARTRES  (le  bienheureux  ).  Sa  doctrine  sur  les  effets  temporels 
de  l'excommunication,  420,  540,  etc.  —Il  regarde  ces  effets  comme 
fondés  tout  à  la  fois  sur  les  lois  divines  et  humaines ,  ibid.  —  Applica- 
tion qu'il  fait  de  cette  doctrine  aux  souverains,  421 ,  457,  etc.  —  Il  ne 
soutient  pas  l'opinion'théologique  du  droit  divin,  sur  le  pouvoir  de  l'Église 
dans  l'ordre  temporel  ,541. 

JACQUES  DE  NtSIBE  (saint) sauve  sa  ville  épiscopale ,  attaquée  par  les 
Perses,  41.  — Sa  sollicitude  paternelle  pour  le  bien  de  son  troupeau, 
176. 

JEAN  VII ,  pape.  Les  Lombards  lui  restituent  le  pays  des  Alpes  Cottiennes, 
127. 

JEAN  XII ,  pape,  transfère  l'empire  des  Français  aux  Allemands,  en  962 , 
623.  (Voyez  Othon  1er.) 

JEAN  XXII ,  pape ,  dépose  l'empereur  Louis  de  Bavière,  499.  (Voyez  Louis 
de  Bavilre.) 

JEAN  CHRYSOSTOME  (saint).  Ses  principes  sur  l'usage  de  la  puissance 
temporelle  ,  en  matière  de  religion ,  7«4 ,  75.  —  Sa  réponse  aux  invectives 
de  quelques  laïques  ,  contre  le  luxe  et  la  mondanité  du  clergé,  140-142. 

JEAN  DE  SARISBERY  ,  évêque  de  Chartres  au  xuc  siècle  ;  objet  de  son  ou- 
vrage ,  intitulé  Polycratique  ,  488 ,  note.  —  Il  soutient  l'opinion  théolo- 
gique du  pouvoir  direct  de  l'Église  sur  les  choses  temporelles,  448,  488, 
512 ,  533 ,  739 ,  etc.  —  Son  opinion  a  peu  de  partisans  parmi  les  écrivains 
des  xue  et  xiue  siècles,  533  ,  etc.  ;  741 ,  etc.  —  Il  ne  paraît  pas  avoir  en- 
seigné la  doctrine  du  tyrannicide ,  740  ,  note.  —  Il  approuve  hautement 
la  sentence  d'excommunication  et  de  déposition,  lancée  par  le  pape  Alexan- 
dre IH  ,  contre  Frédéric  Barberousse ,  446 ,  etc.  —  Il  souhaite  que  le 
Pape  use  de  la  même  rigueur  contre  le  roi  d'Angleterre ,  Henri  II ,  ibid. 
—  Son  langage  suppose  clairement  la  persuasion  générale  qui  existait,  à 
cette  époque,  sur  les  effets  temporels  de  l'excommunication  par  rapport 
aux  souverains,  ibid.  et  463. 

JEAN  L'AUMONIER  (saint).  Ses  immenses  libéralités ,  123,  124.  —  Éva- 
luation des  8,000  livres  d'or  qu'il  trouva  dans  le  trésor  de  son  église,  à 
son  avènement  au  siège  patriarcal,  123,  708,  etc.  —  Son  pouvoir  tem- 
porel, 186. 

JEAN  SANS  TERRE ,  roi  d'Angleterre,  -*  Ses  démêlés  avec  Philippe-Au- 


780  TABLE    DES   MATIÈRES. 

guste  (en  1202),  à  l'occasion  de  l'assassinat d'Artus,  comte  de  Bretagne, 
561 ,  etc.  (Voyez  Innocent  III.)  —  Il  est  déposé  (en  1211)  par  le  pape 
Innocent  III,  qui  donne  son  royaume  à  Philippe-Auguste,  459 ,  468,  482. 

JÉRÔME  (saint).  Ses  principes  sur  l'usage  de  la  puissance  temporelle,  en 
matière  de  religion,  76. 

JÉRUSALEM.  Richesses  de  son  temple,  depuis  Pompée  jusqu'à  la  ruine  de 
cette  ville,  709 ,710.  —  Richesses  et  revenus  de  l'Église  de  Jérusalem ,  à 
la  fin  du  ive  siècle,  123. 

JOVIEN  (  l'empereur).  Sa  conduite  modérée  à  l'égard  des  païens,  58. 

JUIFS.  Lois  publiées  contre  eux  par  Tibère ,  26. — Dispositions  du  droit 
romain  à  leur  égard,  80-83.  -—Sévérité  de  ces  dispositions,  80,  81.  — 
Raisons  de  cette  sévérité,  82.  —  Les  Juifs  mêmes  l'avaient  provoquée, 
ibid.  —  Le  zèle  indiscret  de  quelques  chrétiens  contre  les  Juifs,  réprimé 
par  les  empereurs,  83.  —  Les  Juifs  sont  chassés  d'Alexandrie  par  saint 
Cyrille,  184. 

JULES  NEPOS,  empereur,  négocie  un  accommodement  avec  les  Goths  par 
l'entremise  des  évêques,  42. 

JULES  II,  pape.  Ses  démêlés  avec  la  république  de  Venise ,  661.  (Voyez 
Venise.) 

JULIEN  ,  empereur ,  propose  pour  modèle  aux  prêtres  du  paganisme  les 
vertus  éminenles  du  clergé  chrétien,  40.  —  Il  admire  en  particulier  la 
charité  des  chrétiens  envers  les  pauvres  ,130.  —  Il  essaye  en  vain  de  l'i- 
miter, par  l'établissement  des  hôpitaux,  131. 

JUPITER  CAPITOLIN.  Richesses  de  son  temple  sous  Domitien,  709. 

JURIDICTION  ECCLÉSIASTIQUE.  Son  origine  dans  l'usage  et  les  maximes 
de  l'antiquité,  3 ,  5  ,  6,8,  11,  21 ,  29 ,  30.  —  État  de  la  juridiction  ec- 
clésiastique, en  matière  temporelle,  sous  les  empereurs  chrétiens,  147, 
162,  etc.  —  Cette  juridiction  plus  ou  moins  restreinte  sous  les  succes- 
seurs de  Constantin',  168.  —  Cette  juridiction  beaucoup  plus  étendue  à 
l'égard  des  clercs,  169. — Dispositions  du  Code  Justinien  sur  ce  point,  170. 

—  Juridiction  de  l'Église  et  du  Pape  sur  les  choses  temporelles.  (Voyez 
Église,  Pape,  Puissances.) 

JUR1EU.  Système  de  la  souveraineteVlu  peuple  soutenu  par  cet  auteur,  668. 

—  Graves  inconvénients  de  ce  système,  668  ,  etc.  (Voyez  Peuple.) 
JUSTINE,  impératrice,  choisit  saint  Ambroise  pour  négocier,  auprès  du 

tyran  Maxime ,  les  intérêts  de  l'empire  ,41. 
JUSTINIEN  1er,  empereur,  place  les  quatre  premiers  conciles  généraux  par- 
mi les  lois  de  l'empire,  65.  —  Ses  principes  sur  la  distinction  et  l'indé- 
pendance réciproque  des  deux  puissances  ,72.  —  Ses  lois  en  faveur  de  la 
religion  chrétienne,  65  et  66.  —  Ses  lois  contre  les  hérétiques ,  89  ,  etc. 

—  Ses  lois  en  faveur  des  hôpitaux ,  132.  —  Étendue  qu'il  donne  au  pou- 
voir temporel  des  évêques ,  178.  —  Pouvoir  extraordinaire  qu'il  donne  au 
patriarche  d'Alexandrie ,  186. 

LAMBERT,  empereur,  succède,  en  894  ,  à  Gui  son  père,  619.  —  Il  est 
remplacé,  de  son  vivant ,  par  Arnoul ,  423 ,  note  ;  619.  (Voyez  Arnoul.) 

LAMBERT  DE  SCHAFNABOURG ,  auteur  contemporain  de  Grégoire  VII, 
suppose ,  comme  un  point  de  droit  public  universellement  reconnu,  que 
l'empereur  qui  persévère  opiniâtrement  dans  l'excommunication,  pen- 
dant une  année  entière,  encourt  la  peine  de  déposition,  440  et  441,  notes. 

LATRAN  (palais  de)  donné  par  Constantin  au  pape  Miltiade,  106,  note.  -~ 


TABLE   DES  MATIERES.  781 

Mosaïque  de  ce  palais ,  diversement  expliquée  par  les  critiques,  9.91  et 
293. 

LATRAN  (conciles  de).  — Le  ine  et  le  ive,  considérés  par  plusieurs  auteurs 
comme  des  diètes  générales,  ou  des  états  généraux  de  l'Europe,  430. 
—  Principes  établis  dans  le  uie  concile ,  sur  la  distinction  et  la  compé- 
tence des  deux  puissances,  426.  — Peines  temporelles  décernées  contre 
les  hérétiques  dans  le  me  et  le  ive,  94,  426 ,  etc.  —  Concours  des  deux 
puissances  dans  la  publication  de  ces  décrets,  426,  430,  556.  —  Confirma- 
tion de  ces  décrets  par  les  ordonnances  des  princes,  431,  etc. 

LEBEAU ,  auteur  de  Y  Histoire  du  Bas-Empire.  —  Observations  générales 
sur  l'esprit  de  cet  ouvrage,  xxij.  —  Il  loue  hautement  la  conduite  de 
Grégoire  II  envers  Léon  l'Isaurien,  228.  (Voyez  Grégoire  II.) —  il  est 
peu  d'accord  avec  lui-même,  dans  les  reproches  qu'il  fait  aux  successeurs 
de  Grégoire  II,  274,  310,  314.  —  Injustes  reproches  qu'il  fait  au  pape 
Zacharie,  à  l'occasion  de  sa  réponse  à  la  consultation  des  Fiançais,  sur  la 
déposition  de  Childéric  111 ,  31C. 

LEBLANC  ,  auteur  du  Traité  des  Monnaies  de  France.  —  Il  attribue  aux 
rois  de  France  le  haut  domaine ,  ou  la  souveraineté  des  États  du  saint- 
siége,  depuis  la  donation  de  Pépin,  267.  —  Grand  nombre  d'auteurs 
entraînés  par  son  autorité  dans  la  même  opinion,  ibid —  Réfutation  de 
cette  opinion ,  272  ,  etc.  —  Examen  de  l'argument  tiré  des  monnaies 
frappées  à  Rome  sous  Charlemagne  et  ses  successeurs,  305  ,  etc. 

LÉGISLATEURS  ANCIENS.  Leur  sentiment  unanime,  sur  l'étroite  union  de 
la  Religion  et  de  l'État,  3,  68.  (Voyez  Moyse  ,  Romulus.) 

LÉGISLATION.  (Voyez  Droit  romain,  Lois.)  —  Législation  mosaïque. 
(Voyez  Moyse.) 

LEIBNIZ.  Ses  principes  sur  la  réalité  et  les  avantages  des  maximes  du 
moyen  âge,  qui  donnaient  au  Pape  une  si  grande  autorité  sur  les  souve- 
rains ,  470,  etc.  —  Conformité  de  ces  principes  avec  ceux  de  Fénelon , 
334,  note.  —  Il  n'ose  condamner  absolument  l'opinion  théologique  du 
pouvoir  indirect,  dans  le  sens  où  l'explique  le  cardinal  Bellarmin ,  340, 
note;  511.  —  Importance  de  ces  aveux,  646. 

LÉON  LE  GRAND  (saint)  sauve  deux  fois  la  ville  de  Rome,  par  sa  média- 
tion auprès  des  rois  barbares  ,  Attila  et  Genséric,  42,  203.  —  Ses  princi- 
pes sur  l'usage  de  la  puissance  temporelle,  en  matière  de  leligion,  76.  — 
Sa  doctrine  sur  les  effets  temporels  de  la  pénitence  publique,  399.  — 
Sa  doctrine  sur  la  distinction  et  la  compétence  des  deux  puissances,  426. 

LÉON  III,  pape,  implore  la  protection  de  Charlemagne  contre  les  conspi- 
rateurs, 256.  — Il  donne  à  ce  prince  la  couronne  impériale,  ibid.  —  Cette 
conduite  du  Pape,  facile  à  justifier,  eu  égard  aux  circonstances,  258.  — 
Elle  ne  suppose  aucunement  que  le  pape  Léon  III  se  soit  attribué  ,  de 
droit  divin,  un  pouvoir  de  juridiction  au  moins  indirecte  sur  les  cho- 
ses temporelles,  259,  note;  312,  531.  —  Il  rend  à  Charlemagne,  dans  la 
cérémonie  de  son  couronnement,  l'hommage  extérieur  AeY  adoration,  256. 
(Voyez  Adoration.)  —  Ses  lettres  à  Charlemagne ,  depuis  cette  époque, 
supposent  l'indépendance  de  la  souveraineté  temporelle  du  saint-siége ,  à 
l'égard  de  l'empereur,  282.  —  La  même  indépendance  est  établie  par  un 
diplôme,  émané  tout  à  la  fois  du  Pape  et  de  l'empereur,  283. 

LÉON  L'ISAURIEN  ,  empereur,  soulève  contre  lui  l'Italie  par  sa  conduite 
imprudente,  214-220.  —  Lettres  que  Grégoire  II  lui  écrit  à  cette  occa- 
sion, 225,  etc.  (Voyez  Grégoire  IL  ) — Nouveaux  excès  de  Léon,  sous 
Grégoire  III,  230.  (Voyez  Grégoire  III.)  — Il  saisit  les  patrimoines  d« 


I 


782  TABLE  DES  MATIÈRES. 

l'Église  romaine,  en  Sicile  et  en  Calabre,  127, 230 — Valeur  de  ces  patri- 
moines, 127,  711,  etc. 

LIBANIUS  reconnaît  la  conduite  modérée  de  Constantin  à  l'égard  des  païens, 
56,  note;  700,  701. 

LIBERTÉS  DE  L'ÉGLISE  GALLICANE.  —  Bossuet  généralement  regardé 
comme  le  principal  défenseur  des  maximes  qui  leur  servent  de  fonde- 
ment, 331.  —  Abus  qu'on  fil  en  France  de  ces  libertés,  sous  Philippe  le 
Bel,  au  jugement  de  Sismondi  et  de  nos  plus  graves  historiens,  575. 

LIGUE  en  France  sous  Henri  III.  Motifs  et  but  de  cette  association,  652.  — 
Manifeste  de  la  Ligue,  653. — Résultats  de  cet  acte,  654.  — Dangereux 
principes  soutenus  à  cette  époque  par  de  célèbres  ligueurs,  753.  (Voyez 
Henri  IV,  roi  de  France.  ) 

LIVRE  ROMAINE.  (Voyez  Poids  et  mesures.) 

LINGARD ,  historien  anglais.  —  Sages  principes  de  cet  auteur  sur  le  moyen 
de  bien  juger  nos  ancêtres  et  leurs  institutions,  352.  — Il  regarde  la  ré- 
ponse du  pape  Zacharie  aux  Français,  sur  l'élévation  de  Pépin,  comme 
un  fait  historique  des  mieux  attestés,  729. — Comment  il  explique  la 
conduite  des  Papes  du  moyen  âge  à  l'égard  des  souverains,  468.  —  Il  re- 
connaît le  fait  de  la  persuasion  générale  du  moyen  âge ,  sur  les  effets 
temporels  de  l'excommunication,  par  rapport  aux  souverains,  468. 

LOIS  DES  XII  TABLES.  Ce  qu'elles  renferment  de  remarquable  sur  la  reli- 
gion ,  16. 

LOIS  DES  VISIGOTHS.  Leur  sagesse ,  379.  —  Leurs  dispositions  sévères 
contre  les  hérétiques ,  94.  (Voyez  Espagne.) 

LOMBARDS.  — L'établissement  de  leur  monarchie  en  Italie,  au  vie  siècle, 
favorise  le  pouvoir  temporel  des  Papes ,  204,  etc.  —  Leurs  attaques  réi- 
térées contre  l'Italie  et  contre  le  saint-siége,  204,  etc.;  215,  etc.;  230,  etc.; 
236,  etc.  —Ils  restituent  au  pape  Jean  VII  les  patrimoines  qu'ils  avaient 
enlevés  à  l'Église  romaine,  127. — Us  restituent  au  pape  Zacharie  plu- 
sieurs villes  et  territoires  de  l'Exarchat,  234,  235.  (Voyez  Astolphe,  Di- 
dier.)—  Leur  monarchie  est  détruite  par  Charlemagne,  251,  252. 

LOTHAIRE  Ier,  empereur.  Envoyé  à  Rome,  en  824,  par  son  père  (Louis  le 
Débonnaire) ,  il  n'y  fait  aucun  acte  d'autorité,  que  sous  le  bon  plaisir 
du  Pape,  287  et  288,  note;  304,  etc.  —  Méprise  de  Fleury  et  de  quelques 
autres  écrivains  modernes  à  ce  sujet,  304,  note.  —  Sa  révolte  contre 

l'empereur  son  père,  406 Il  associe  à  l'empire  son  fils  Louis,  avec  le 

consentement  du  Pape,  622.  —  Il  envoie  son  fils  à  Rome,  en  844,  288. 
(Voyez  Louis  IL  ) 

LOTHAIRE  LE  JEUNE,  roi  de  Lorraine,  fils  de  l'empereur  Lothaire  Ier,  est 
menacé  d'excommunication  par  le  pape  Nicolas  Ier,  à  l'occasion  de  son 
mariage  adultère  avec  Valdrade,  452. 

LOUIS  LE  DÉBONNAIRE,  empereur.  Son  diplôme  pour  confirmer  le* 
donations  de  Pépin  et  de  Charlemagne  à  l'Église  romaine ,  284. — Au- 
thenticité de  cet  acte,  286,  texte  et  note.  — Conséquence  de  ce  diplôme, 

relativement  à  la  souveraineté  de  Rome ,  à  cette  époque ,  284 Méprise 

de  Fleury  et  de  quelques  autres  à  ce  sujet,  285.  —  Louis  le  Débonnaire 
associe  à  l'empire  son  fils  Lothaire  Ier,  avec  le  consentement  du  Pape , 
495  et  622.  —  Il  l'envoie  à  Rome,  en  824,  pour  recevoir  du  Pape  l'onction 
impériale,  304.  —  Sa  pénitence  publique  et  sa  déposition ,  334,  406. — 
Il  n'a  pas  été  proprement  déposé  par  le  concile  de  Compiègne,  334,  note; 
406,  texte  et  note;  530. 

LOUIS  II ,  empereur,  fils  de  Lothaire  Ier,  est  envoyé  en  Italie  par  son  père , 


TABLE   DES  MATIÈRES.  783 

288.  —  Assurance  qu'il  donne  au  Pape,  de  ses  droites  intentions,  avant 
d'être  admis  dans  l'église  de  Saint-Pierre ,  ibid.  — Sa  lettre  à  l'empereur 
Basile,  qui  lui  contestait  le  titre  d'empereur  des  Romains,  494. 

LOUIS  DE  BAVIÈRE,  empereur,  est  déposé  par  le  pape  Jean  XXII,  499. — 
Il  reconnaît  expressément  le  droit  du  Pape  à  cet  égard,  ibid. 

LOUIS  IX  (saint) ,  roi  de  Fiance.  Législation  en  vigueur  sous  son  règne , 
relativement  aux  effets  temporels  de  l'hérésie  et  de  l'excommunication, 
421,  425,  43t.  —  Il  obtient  du  pape  Alexandre  IV  l'établissement  de  l'in- 
quisition en  France,  431.  —  Il  autorise  son  frère,  Charles  d'Anjou,  à 
accepter  le  royaume  de  Sicile  qui  lui  était  offert  par  le  Pape ,  483. 

LOUP  (saint) ,  évêque  de  Troyes,  sauve  sa  ville  épiscopale  par  sa  médiation 
auprès  d'Attila,  42.  —  Saint  Loup  de  Troyes  et  saint  Germain  d'Auxerre 
sauvent  la  Grande-Bretagne  de  l'invasion  des  Saxons  et  des  Pietés ,  ibid. 

LUDOLPHE  ou  LUPOLD ,  évêque  de  Bamberg,  au  xuie  siècle,  suppose 
comme  un  point  de  droit  public  universellement  reconnu,  les  droits 
particuliers  du  Pape  sur  l'empire,  489  et  490. 

LYON  (ier  concile  général  de).  Quelle  part  il  a  eue  à  la  déposition  de  l'em- 
pereur Frédéric  II,  492,  etc.  (Voyez  Innocent  IV.) 

MACHIAVEL.  Ses  principes  sur  l'union  de  la  Religion  et  de  l'État ,  19,  note. 

MAIRES  DU  PALAIS.  Leur  excessive  autorité  sous  la  première  race  de  nos 
rois ,  733.  —  Résultats  de  ce  désordre  ,  734. 

MALTEBRUN,  géographe  célèbre,  peu  d'accord  avec  lui-même,  dans  l'ex- 
plication de  la  bulle  d'Alexandre  VI,  Inter  cœtera ,  577  et  57 8,  note. 
(Voyez  Alexandre  VI.) 

MARC1EN,  empereur,  confirme  le  concile  de  Calcédoine,  65.  — Ses  lois 
contre  les  hérétiques,  75,  note;  88,  etc.  — Ses  lois  concernant  les  dona- 
tions faites  à  l'Église,  aux  clercs  et  aux  moines,  117.  —  Il  confirme  les 
pieuses  libéralités  de  l'impératrice  Pulchérie,  son  épouse,  120. 

MARIE  STUART,  reine  d'Ecosse,  invoque  le  suffrage  du  Pape  à  l'appui  de 
ses  droits,  650.  —  Elle  remet  ses  droits  à  la  disposition  du  Pape  et  du  roi 
d'Espagne,  ibid. 

MARTIN  IV,  pape ,  donne  le  royaume  d'Aragon  à  Philippe  le  Hardi ,  pour 
un  de  ses  fils,  483. 

MARTIN  V,  pape,  adoucit  la  discipline  du  moyen  âge,  relativement  aux 
effets  de  l'excommunication,  417. 

MATHILDE  (la  comtesse)  donne  ses  États  au  saint-siége,  261. 

MAURICE,  empereur.  Remontrances  que  saint  Grégoire  lui  adresse,  à  l'oc- 
casion d'une  loi  sur  la  milice,  209. 

MÉCÈNE.  Sages  avis  qu'il  donne  à  Auguste  sur  la  nécessité  de  punir  les 
délits  contre  la  religion ,  25.  (Voyez  Auguste.) 

MÉDIMNE  ATTIQUE.  (Voyez  Poids.) 

MESURES  ANCIENNES.  (Voyez  Poids,  Monnaies.) 

MICHAUD,  auteur  de  Y  Histoire  des  Croisades.  —  Observations  générales 
sur  l'esprit  de  cet  ouvrage,  xxij ,  345,  note.  — Comment  l'auteur  ex- 
plique la  conduite  des  souverains  pontifes,  qui  ont  autrefois  déposé 
des  princes  temporels,  344,  etc.  —  L'auteur  n'a  pas,  sur  ce  point,  des 
idées  bien  arrêtées ,  345,  note.  —  Il  adopte  beaucoup  trop  légèrement  les 
jugements  sévères  de  plusieurs  écrivains  modernes ,  contre  Grégoire  VII 
et  quelques  autres  pontifes,  ibid.  —  Il  reconnaît  la  persuasion  générale 
du  moyen  âge,  sur  les  effets  temporels  de  l'excommunication ,  par  rap- 
port aux  souverains ,  469. 


784  TABLE   DES  MATIÈRES. 

MOEHLER ,  professeur  de  théologie  à  Munich.  —  Comment  il  explique  la 
conduite  des  Papes  à  l'égard  des  souverains,  au  moyen  âge,  643. 

MOINES.  (Voyez  Monastères.) 

MONARCHIES  DU  MOYEN  AGE.  (Voyez  Gouvernement.) 

MONASTÈRES.  Les  évêques  souvent  tirés  des  monastères,  depuis  la  conver- 
sion de  Constantin  ,  38.  —  Lumières  et  vertus  qui  brillaient  dans  les  mo- 
nastères au  moyen  âge,  373,  etc.  —  Aveux  remarquables  de  plusieurs 
auteurs  non  suspects  sur  ce  point ,  376,  etc.  —  Sur  l'ancien  usage  d'offrir 
les  enfants  à  Dieu,  dans  le  clergé  et  dans  les  monastères,  374,  note.— 
Plusieurs  princes  du  sang  royal  de  France,  éievés  dans  les  monastères, 
375,  note. 

MONNAIES.  Comparaison  des  anciennes  avec  les  modernes;  auteurs  à 
consulter  sur  ce  point,  705,  note.  —  Valeur  du  denier  ou  de  la  dragme, 
sous  l'empire,  104  et  tl2,  ??oife.s.  —  Valeur  du  sesterce,  112.  —  Valeur 
du  sou  ou  besant  d'or,  705.  — Valeur  du  centenaire  d'or,  710,  71 1. 

Monnaies  frappées  à  Rome  sous  Charlemagne,  258,  305,  etc.  —  Elles  ne 
supposent  pas  qu'il  fût  souverain  dans  cette  ville,  305  ,  etc.  —  Le  droit 
de  battre  monnaie,  exercé,  au  moyen  âge,  par  un  grand  nombre  d'égli- 
ses, d'abbayes,  et  de  seigneurs  particuliers,  306. 

MONTESQUIEU.  Ses  principes  sur  l'union  de  la  Religion  et  de  l'État ,  19, 
note.  —  Sur  l'usage  delà  puissance  temporelle  en  matière  de  religion, 
69,70.  —  Sur  le  droit  d'asile,  161. — Sur  l'origine  des  seigneuries  ec- 
clésiastiques, 385. 

MOREAU,  historiographe  de  France.  Il  regarde  comme  un  fait  incontes- 
table, que  le  monarque  était  généralement  regardé  comme  justiciable 
du  concile,  sous  la  seconde  race  de  nos  rois,  479.  —  Il  regarde  à  tort 
cette  persuasion  comme  une  erreur  introduite  par  la  politique  de  Pépin, 
ibid. 

MOSHEIM.  Ses  erreurs  sur  le  gouvernement  de  l'Église  et  sur  l'élection  des 
évêques  dans  les  premiers  siècles,  33,  note. 

MOYEN  AGE.  Ce  qu'on  entend  communément  par  ces  mots,  v.  — Tableau 
de  la  société  au  moyen  âge,  367,  etc.  —  Ignorance  et  barbarie  de  cette 
époque,  368.  —  Désordres  de  la  société  au  temps  de  Grégoire  VII,  369.  — 
Ces  désordres  souvent  fomentés  par  l'exemple  des  princes,  370.  —  Le  res- 
pect pour  la  religion  toujours  subsistant  au  milieu  de  ces  désordres,  372. 
—  Le  clergé  toujours  distingué  par  ses  lumières  et  ses  vertus,  surtout 
dans  les  monastères,  373,  etc.  —  Les  désordres  de  cette  époque,  souvent 
exagérés  par  les  auteurs  modernes,  376,  etc.  —  Action  salutaire  de  l'Égli- 
se pour  l'amélioration  sociale,  377,  etc. — Théorie  politique  du  moyen 
âge ,  666,  etc.  (Voyez  Gouvernement.) 

MOYSE.  Étroite  union  qu'il  établit  entre  la  Religion  et  l'État,  6. 

MURATORI.  Ses  idées  peu  exactes  sur  l'origine  et  la  nature  de  la  souve- 
raineté temporelle  du  saint-siége,  267  et  311,  notes. — Son  opinion  sin- 
gulière sur  la  légitimité  des  donations  de  Pépin  et  de  Charlemagne  au 
saint-siége,  311,  note.  —  Il  justifie  cependant  la  souveraineté  temporelle 
du  saint-siége ,  par  un  titre  de  prescription  incontestable,  311. 

NAPLES  (royaume de).  (Voyez  Rorekt  Guiscard.) 

NAPOLÉON,  empereur.  Ses  prétentions  sur  les  États  du  saint-siége,  com- 
battues par  M.  Emery,  255,  note;  323,  etc.  (Voyez  Emery.)  —  Il  blâme 
hautement  l'apostasie  deBernadotte,  657,  note.  (Voyez  Suède.) 

NICOLAS  1er ,  pape.  Sa  conduite  politique  trop  facilement  blâmée  par  un 
grand  nombre  d'auteurs  modernes,  367.  — Adoucissements  qu'il  apporte 


TABLE   DES  MATIÈRES.  785 

aux  effets  temporels  de  la  pénitence  publique,  407,  etc.  —  Il  menace 
d'excommunication  Lothaire  le  Jeune,  roi  de  Lorraine,  à  l'occasion  de 
son  mariage  adultère  avec  "Valdrade,  452.  —  Ses  principes  sur  la  distinc- 
tion et  l'indépendance  réciproque  des  deux  puissances,  523. 
NUMA.  (Voyez  Romulus.) 

OFFRANDES.  (Voyez  Dîmes,  Biens  ecclésiastiques.) 

ONCE  ROMAINE.  (Voyez  Poids.) 

OPINION  THÉOLOGIQUE.  (Voyez  Dogme.) 

ORDRE  ROMAIN,  publié  par  Hiltorpius,  en  1561  :  son  antiquité,  724  et 
725 Quelques  autres  éditions  de  ce  recueil,  501,  texte  et  note. 

ORLÉANS  (la  ville  d')  sauvée  par  la  médiation  de  saint  Aignan,  son  évoque, 
42.  —  Dispositions  du  me  concile  d'Orléans  (en  538)  sur  les  effets  tempo- 
rels de  la  pénitence  publique,  401. 

OSTIE  (Henri  de  Suze,  cardinal  d') ,  souvent  désigné  sous  le  nom  d'Ostiensis. 
(Voyez  Suze.) 

OTHON  Ie',  empereur,  est  élevé  à  l'empire  par  le  pape  Jean  XII,  623.  —  Il 
prête  serment  de  fidélité  a  ce  pontife;  formule  de  ce  serment,  501,  623. 
—  Son  diplôme  en  faveur  de  l'Église  romaine,  287.  (Voyez  Louis  le 

DÉBONNAIRE.) 

OTHON  IV,  empereur,  est  élu,  en  1201,  par  le  pape  Innocent  III,  496,  etc.— 
Il  est  déposé  en  1210  parle  même  pontife,  491,  498,  etc.  — Motifs  de  cette 
sentence,  680.  —  Sentiment  de  Gervais  de  Tilbury  sur  cette  déposition , 
487,  etc.  (Voyez  Gervais.) 

OTHON,  évêque  de  Frisingue.  Ëtonnement  que  lui  cause  la  sentence  de 
Grégoire  VII  contre  le  roi  de  Germanie  (Henri  IV) ,  444,  etc. 

PAPE.  Sa  primauté  reconnue  et  confirmée  par  les  constitutions  impériales ,  65, 
texte  et  notes.  —  Son  pouvoir  temporel,  peu  différent  de  celui  des  autres 
évêques,  avant  la  fin  du  ive  siècle,  197.  — Accroissement  de  son  pouvoir 
sous  Honorius,  183,  198. — Cet  accroissement  autorisé  par  l'empereur, 
199,  etc.  —  Motifs  de  la  générosité  des  empereurs  envers  le  saint-siége , 
203,  etc.  —  Ces  motifs  acquièrent  une  nouvelle  force,  depuis  l'établisse- 
ment de  la  monarchie  des  Lombards ,  .204,  etc. 

Circonstances  qui  ont  préparé  de  loin  la  souveraineté  temporelle  du 
saint-siége,  193,  etc.  —  Accroissement  du  pouvoir  temporel  des  Papes  au 
vme  siècle,  par  suite  de  l'imprudence  des  empereurs,  212,  etc.  —  Révo- 
lution en  Italie,  sous  Grégoire  II,  214,  etc.  —  Résultats  de  cette  révolu- 
tion relativement  à  la  souveraineté  temporelle  du  saint-siége,  214,  etc.; 

243,  etc.  ;  269,  etc Cette  souveraineté  n'était  que  provisoire,  avant  la 

donation  de  Pépin,  270,  271.  — Elle  devient  définitive,  par  suite  de 
cette  donation,  247,  etc.;  272,  etc. ->- Elle  est  étendue  et  consolidée  par 
Charlemagne,  251.  —  Ses  accroissements  sous  les  successeurs  de  Char- 
lemagne ,  260. 

Questions  à  éclaircir  sur  la  nature  et  l'étendue  de  l'autorité  temporelle 
des  Papes ,  depuis  le  ve  siècle,  261 .  —  D'où  vient  l'obscurité  de  ces  ques- 
tions, 262.  —  Divers  sentiments  sur  l'époque  à  laquelle  on  doit  placer 
l'origine  de  la  souveraineté  temporelle  du  saint-siége,  263,  etc.  — Nature 
et  étendue  de  cette  souveraineté,  dans  le  duché  de  Rome  et  dans  l'Exar- 
chat, depuis  le  pontificat  de  Grégoire  II,  269,  etc.  —  Cette  souveraineté 
était  également  indépendante  de  l'empereur  de  Constantinople  et  du  roi 
de  France,  soit  avant,  soit  depuis  l'élévation  de  Charlemagne  à  l'empire, 

50 


786  TABLE   DES  MATIÈRES. 

272,  etc.;  615.  —  Elle  était  également  indépendante,  à  l'égard  des  succes- 
seurs de  Charlemagne ,  284,  etc. 

Fondements  et  titres  primitifs  de  cette  souveraineté,  307,  etc.  —  Di- 
vers sentiments  sur  ce  point,  309,  etc. — Cette  souveraineté  ne  doit 
point  son  origine  à  l'opinion  théologique  du  droit  divin,  sur  le  pouvoir 
de  l'Église  et  du  Pape  dans  l'ordre  temporel,  312,  elc — Elle  ne  doit 
pas  son  origine  à  l'ambition  ni  aux  intrigues  des  Papes  du  vme  siècle , 
310,  313,  etc.  —  Elle  a  été  fondée,  dès  le  principe,  sur  les  titres  les  plus 
légitimes,  318,  etc.;  392.  —L'établissement  de  cette  souveraineté,  effet 
marqué  de  la  providence  de  Dieu  sur  l'Église,  320,  664.  —  Sentiments  de 
Bossuet  et  de  Fleury  sur  ce  point,  321,  392.  —  Aveux  remarquables 
d'écrivains  protestants  sur  le  même  sujet,  322.  — Expérience  récente  à 
l'appui  de  ces  observations,  323. 

Avec  quelle  modération  les  Papes  ont  généralement  exercé  leur  souve- 
raineté ,  660.  —  Ambition  et  prétentions  excessives  qu'on  leur  a  repro- 
chées; injustice  de  ce  reproche,  660,  etc.  —  Objet  et  but  de  leur  poli- 
tique, 662.  —  Combien  elle  est  digne  d'éloges,  663,  etc Vaines  décla- 
mations de  quelques  auteurs  modernes  sur  ce  point,  665. 

Pouvoir  du  Pape  sur  les  souverains  au  moyen  âge ,  326,  etc., —  Idée  gé- 
nérale de  ce  pouvoir,  ibid.  — Divers  systèmes  pour  l'expliquer,  327,  etc.; 
512,  517,  etc.  — Sijslèmes  théologiques  ,  ibid.  —  Systèmes  historiques, 
332,  etc.  —  Les  maximes  du  moyen  âge  sur  ce  point  n'ont  pas  été  intro- 
duites par  Grégoire VII,  434,  467,  note;  486,  509.  —  Les  Papes  et  les 
conciles  ne  peuvent  être  ici  accusés  d'une  usurpation  criminelle ,  ni 
d'une  erreur  grossière ,  510,  etc.  — Toute  la  discussion  sur  ce  sujet  ré- 
duite à  quatre  points  principaux ,  350.  —  1°  Circonstances  qui  ont  amené 
ou  favorisé  ce  pouvoir,  352,  etc.  (impartie,  chap.  Ier.)  —  2°  Persuasion 
générale  des  princes  et  des  peuples  sur  la  réalité  de  ce  pouvoir,  423,  etc. 
(Ibid.,  chap.  II.)  —  3°  Fondements  de  ce  pouvoir,  518,  etc.;  599,  etc. 
(Ibid.,  chap.  III.)  —  4°  Ses  résultats  pour  le  bien  de  la  religion  et  de  la 
société,  659,  etc.  (Ibid.,  chap.  IV.) 

Droits  de  suzeraineté  du  saint-siége  sur  plusieurs  États.  (Voyez  Su- 
zeraineté.)—  Ses  droits  particuliers  sur  l'empire  d'Occident,  614,  etc. 
(Voyez  Empire.)  — Charlemagne  ne  dut  son  titre  d'empereur  qu'à  l'élec- 
tion du  Pape ,  615,  etc.  —  Le  Pape  ne  renonça  point  alors,  pour  l'avenir, 
à  son  droit  d'élection  ,616,  etc.  —  Il  a  conservé  ce  droit  longtemps  après 
Charlemagne,  618,  etc.  —  Comment  ce  droit  se  concilie  avec  la  conduite 
des  empereurs  qui  ont  associé  leurs  fils  à  l'empire,  622.  —  Ce  droit  est 
établi  par  l'ancienne  jurisprudence  de  l'empire,  626,  etc.  (Voyez  Droit 
germanique.)  —  Conséquences  de  ce  droit  d'élection,  625,  etc. 

Influence  du  Pape  dans  les  affaires  politiques  des  divers  États  de  l'Eu- 
rope au  moyen  âge,  365,  etc.  —  Raisons  de  cette  influence ,  ibid.  —  Er- 
reurs de  plusieurs  écrivains  modernes  sur  ce  point,  367.  —  Cette  in- 
fluence était  réclamée  alors  par  l'intérêt  général  de  la  société,  386,  etc.; 
395, 684,  etc.  —  Accroissement  de  cette  influence  à  l'époque  des  croisades, 
388,  etc.;  395.  —  Le  Pape  choisi  par  les  rois  d'Espagne  et  de  Portugal  pour 
arbitre  de  leurs  différends  sur  les  pays  nouvellement  découverts, 
576,  etc.  (Voyez  Alexandre  VI.) 

PARABOLAINS  d'Alexandrie.  But  de  leur  institution,  184 Saint  Cyrille 

les  emploie  à  soutenir  son  pouvoir  temporel ,  ibid.  —  Discussions  à  ce 
sujet  entre  le  patriarche  et  le  gouverneur  d'Alexandrie,  ibid. 


TABLE  DES  MATIÈRES.  787 

PARIS  (vie  concile  de).  Sa  doctrine  sur  la  distinction"  et  l'indépendance  ré- 
ciproque des  deux  puissances,  521. 

PATRIARCATS,  PATRIARCHES.  Origine  des  patriarcats,  182,  note.— 
Attributions  des  patriarches,  dans  l'ordre  temporel,  depuis  le  rve  siècle, 
181,  etc.  —Usage  que  saint  Cyrille  fait  de  son  pouvoir  temporel,  183,  etc. 

—  Usage  qu'en  fait  Dioscore ,  185. — Pouvoir  extraordinaire  donné  par 
Justinien  au  patriarche  d'Alexandrie,  186.  —  Pouvoir  temporel  de  saint 
Jean  l'Aumônier,  ibid.—*  Influence  du  patriarche  de  Constantinople  dans 
l'élection  de  l'empereur,  depuis  le  ve  siècle,  187,  etc.  —  Serment  exigé  de 
l'empereur  élu,  ibid. —  Les  patriarches,  depuis  Justinien,  chargés  de  la 
publication  des  constitutions  impériales  sur  des  matières  ecclésiastiques, 
quelquefois  même  sur  des  matières  civiles,  180. 

PATRICE,  PATRICIAT.  En  quoi  consistait  cette  dignité  dans  le  Bas-Empire, 
238,  note.  —  Deux  sortes  de  patrices,  ibid.  — Nature  du  patriciat  de 
Pépin  et  de  Charlemagne,  239,  note.  — Ce  patriciat  ne  leur  donnait  point 
la  souveraineté  de  Rome,  ibid.,  259,  note;  276,  etc.;  293,  etc.;  616. 
(Voyez  Pépin,  Charlemagne.)  —  Le  titre  de  patrice  alors  commun  au 
Pape  et  au  roi  de  Fiance,  295  et  296,  note — En  quel  sens  on  peut  dire 
que  ce  titre  avait  été  accordé  au  Pape  par  le  roi  de  France ,   296,  note. 

PATRIMOINES  DE  L'ÉGLISE.  Ce  qu'on  entendait  autrefois  par  ces  mots, 

195,  note.  —  Patrimoines  de  l'Église  romaine,   125,  etc Saint  usage 

qu'elle  en  faisait,  134,  195. — Quelques-uns  de  ces  patrimoines  étaient 
de  véritables  seigneuries,  125.  —  Origine  de  ceux  de  Sicile  et  de  Calabre , 
128,  texte  et  note.  —  Leur  valeur,  127.  — Ils  sont  saisis  par  Léon  l'isau- 
rien ,  ibid.  —  Patrimoines  enlevés ,  puis  restitués  par  les  Lombards,  ibid 

—  Nouveaux  patrimoines  donnés  à  l'Église  romaine  par  l'empereur  Con- 
stantin Copronyme,  235.  —  Patrimoines  réclamés  auprès  de  l'empereur 
de  Constantinople  par  le  pape  Adrien  1er,  255. 

PAUL  Ier,  pape ,  successeur  d'Etienne  II ,  se  regarde  comme  souverain  de 
Rome  et  de  l'Exarchat,  248. 

PAUL  III,  pape.  Sa  bulle  d'excommunication  et  de  déposition  contre  Hen- 
ri VIII,  584,  etc.  —  Cette  bulle  ne  suppose  pas  l'opinion  théologique  du 
droit  divin,  sur  le  pouvoir  de  l'Église  en  matière  temporelle,  585,  etc. 
— Ses  lettres  à  l'empereur  et  au  roi  de  France,  pour  leur  donner  avis  de 
cette  bulle,  586. 

PAUL  V,  pape.  Ses  brefs  contre  le  serment  d'allégeance,  590,  etc.  (Voyez 
Serment.)  —  Ces  brefs  ne  supposent  pas  l'opinion  théologique  du  droit 
divin,  sur  le  pouvoir  de  l'Église  en  matière  temporelle,  591,  etc. — 
Raisons  de  condamner  le  serment  d'allégeance ,  indépendamment  de 
cette  opinion ,  592,  etc. 

PAUL ,  diacre  d'Aquilée ,  au  vme  siècle.  Récit  qu'il  fait  de  la  révolution 
arrivée  en  Italie,  sous  Grégoire  II,  215.  —  Ce  récit  d'accord  avec  celui 
d'Anastase  le  Bibliothécaire,  221.  (Voyez  Grégoire  II.) 

PEINES.  (Voyez  Délits.) 

PÉNITENCE  PUBLIQUE.  Ancienne  discipline  de  l'Église  sur  ce  point,  397. 
— Effets  temporels  de  la  pénitence  publique,  en  Occident ,  depuis  le  ive  siè- 
cle, 398,  etc.  —  Ces  effets  attachés  à  la  pénitence  publique,  même  faite 
par  pure  dévotion ,  402,  etc.  —  Cet  usage  autorisé  par  les  deux  puis- 
sances dans  le  royaume  des  Goths,404.  —  Décadence  de  la  pénitence 
publique,  du  vne  au  xne  siècle,  ibid.  — Ses  effets  temporels  maintenus 
en  France  et  ailleurs  par  l'autorité  des  deux  puissances,  405,  etc.  -•  Cet 
usage  tombe  peu  à  peu  en  désuétude,  depuis  le  ixe  siècle,  407. —  Ce 

50. 


788  TABLE  DES  MATIÈRES. 

usage  n'était  fondé ,  ni  sur  le  droit  divin ,  ni  sur  la  seule  autorité  de 
l'Église,  409  et  410,  texte  et  notes. 
PENTAPOLE.  Sa  position  géographique  et  son  étendue ,  sous  la  monarchie 

♦  des  Lombards ,  205,  note. 
PEPIN  LE  BREF,  roi  de  France.  Était-il  du  sang  royal  des  Mérovingiens  ? 
735. — Consultation  adressée  par  ce  prince  et  par  les  seigneurs  français 
au  pape  Zacharie,  sur  la  déposition  de  Childéric  III  ,315,  727,  etc.  (Voyez 
Zacharie.)  —  Examen  du  reproche  d'usurpation,  fait  à  Pépin  par  un  grand 
nombre  d'auteurs  modernes,  316,  etc.;  729,  etc. — Caractère  de  ce 
prince,  730.  —  Caractère  des  principaux  personnages  qui  concoururent 
à  son  élévation ,  731.  — Respectc  et  soumission  que  lui  témoignèrent  con- 
stamment les  seigneurs  et  le  peuple  français ,  ibid.  —  L'hypothèse  de  son 
usurpation  est  invraisemblable,  730,  etc.  —  Elle  est  destituée  de  preuves 
solides,  482,732,  etc.  (Voyez  France.)  —  Calvin  et  les  premiers  réfor- 
mateurs ont  flétri  les  premiers  sa  mémoire ,  en  lui  attribuant  le  crime 
d'usurpation,  736 —  Est-il  vrai  qu'il  ait  reçu  du  pape  Etienne  II  l'abso- 
lution de  ce  crime  ?  736,  texte  et  note .  —  Sa  conduite  envers  Childéric  III 
est-elle  excusable?  737.  —  Il  est  sacré  de  nouveau  par  le  pape  Etienne  II , 
738. 

Le  pape  Etienne  II  implore  sa  protection  contre  les  Lombards,  236,  etc. 
—  Pépin  répond  aux  désirs  du  Pape;  sa  première  expédition  en  Italie, 
237.  —  Sa  première  donation  à  l'Église  romaine,  237,  etc.  —  Il  reçoit  du 
pape  Etienne  II  le  titre  de  patrice,  238.  (Voyez  Patrice.)  —  Il  réclame 
auprès  des  Lombards,  comme  une  restitution  due  à  l'Église  romaine,  les 
villes  et  territoires  de  l'Exarchat  dont  ils  s'étaient  emparés,  239,  etc.; 
245,  720.  —  Sa  seconde  expédition  en  Italie;  il  confirme  sa  première  do- 
nation à  l'Église  romaine,  243,  etc — En  quel  sens  la  donation  de 
Pépin  était  une  restitution,  245,  etc.;  720.— Il  n'a  pas  admis  comme 
authentique  la  donation  de  Constantin,  720.  —  Il  remplit  la  fonction 
à'écuijer  auprès  du  pape  Etienne  II,  628,  note.  — Il  ne  s'est  jamais  attri- 
bué la  souveraineté  dans  l'Exarchat,  ni  dans  le  duché  de  Rome,  272,  etc.; 
293,  etc. 

L'influence  du  clergé  dans  les  affaires  politiques,  en  France,  ne  fut 
point  une  innovation  de  Pépin,  364  et  365,  note.  — Erreur  de  Sismondi 
sur  ce  point ,  ibid. 

PEUPLE  (souveraineté  du).  Exposition  de  ce  système,  667. — Ses  graves 
inconvénients,  668,  753. -—Il  est  plus  dangereux  que  le  système  théo- 
logique qui  attribue  au  Pape  ,  de  droit  divin ,  un  pouvoir  de  juridiction 
directe  ou  indirecte  sur  les  souverains,  671.  —  li  n'est  pas  le  principe 
fondamental  de  la  monarchie  mixte,  358,  note.  — Il  sert  de  base  à  la 
constitution  présente  de  la  Russie  et  de  plusieurs  autres  États,  669  et 
670,  note. 

PFEFFEL,  auteur  protestant.  Il  reconnaît  la  persuasion  générale  du  moyen 
âge,  sur  les  effets  temporels  de  l'excommunication,  par  rapport  aux  sou- 
verains, 472.  —  Il  reconnaît  également  cette  persuasion,  sur  la  dépendance 
particulière  de  l'empire  à  l'égard  du  Pape,  509. —  Il  est  peu  d'accord 
avec  lui-même  en  cette  matière,  ibid. 

PHILIPPE  1er,  roi  de  France.  Désordres  de  sa  conduite,  371,  372,  453,  texte 
et  notes,  —Il  est  menacé  d'excommunication  par  Grégoire  VII,  453,  etc. 
— Il  est  excommunié  et  déposé  par  Urbain  II  dans  le  concile  deClermont, 
455,  etc.  —  Ce  fait  est  contesté  mal  à  propos,  par  Bossuet  et  quelques 
antres  écrivains  modernes,  456.'— L'usage  et  la  persuasion  générale  du 


TABLÉ  DES   MATIÈRES.  789 

moyen  âge,  sur  les  effets  de  l'excommunication,  par  rapport  aux  souve- 
rains, sont  établis  par  les  circonstances  de  ce  fait,  456,  etc.;  460,  etc. 
(Voyez  Ives  de  Chartres.) 

PHILIPPE  II  (Auguste) ,  roi  de  France— Ses  démêlés  avec  Jean  sans  Terre, 
(en  1202),  à  l'occasion  de  l'assassinat  d'Artus,  comte  de  Bretagne ,  561,  etc. 
(Voyez  Innocent III.)  —  Il  accepte  (en  1211)  le  royaume  d'Angleterre, 
pour  un  de  ses  fils,  après  la  déposition  de  Jean  sans  Terre,  459  et  482. 

PHILIPPE  III  (le  Hardi) ,  roi  de  France ,  accepte  le  royaume  d'Aragon  qui 
lui  était  offert  par  le  Pape,  pour  un  de  ses  fils,  483. 

PHILIPPE  IV  (le Bel),  roi  de  France.  Démêlés  de  ce  prince  avec  Boni- 
face  VIII,  569,  etc.  (Voyez  Boniface  VIII.)  —  Fâcheuses  préventions  qui 
existaient  alors  en  France  contre  le  Pape,  574,  etc.;  697 — Jugement  de 
Sismondi  sur  cette  affaire,  ibid. — Les  droits  de  suzeraineté  du  Pape 
sur  plusieurs  États  et  ses  droits  particuliers  sur  l'empire,  alors  reconnus 
en  France ,  483,  490,  etc. 

PHILIPPE  II,  roi  d'Espagne,  cède  la  Belgique  à  sa  fille  Isabelle  et  à  son 
futur  mari ,  Albert  d'Autriche ,  651 .  —  Conditions  remarquables  de  cette 
cession,  ibid.  (Voyez  Espagne.) 

PHILOSOPHES.  Sentiment  des  plus  célèbres  philosophes,  anciens  et  mo- 
dernes, sur  l'étroite  union  de  la  Religion  et  de  l'État,  3,  19,  note.  (Voyez 
Publicistes.) 

PIE  V,  pape.  Sa  bulle  d'excommunication  et  de  déposition  contre  Elisabeth, 
reine  d'Angleterre,  587,  etc.;  649,  etc.  —  Cette  bulle  ne  suppose  pas  l'o- 
pinion théologique  du  droit  divin,  sur  le  pouvoir  de  l'Église  en  matière 
temporelle,  ibid.  (Voyez  Elisabeth.) 

PIE  VII,  pape.  Instructions  secrètes ,  faussement  attribuées  à  ce  pontife, 
en  faveur  de  l'opinion  théologique  du  pouvoir  indirect  de  l'Église  sur  les 
choses  temporelles,  749,  etc.  —Témoignage  de  M.  le  chevalier  Artaud  de 
Montor,  sur  la  fausseté  de  ces  pièces,  751. 

PIERRE  DAMIEN  (saint),  cardinal,  contemporain  et  ami  de  Grégoire  VII. 
Tableau  qu'il  fait  des  désordres  de  la  société  à  cette  époque,  369,  etc.  — 
Sa  doctrine  sur  la  distinction  et  l'indépendance  réciproque  des  deux 
puissances,  524,  etc. 

PIERRE  DE  BLOIS  écrit  au  pape  Célestin  III ,  au  nom  de  la  reine  d'Angle- 
terre, Éléonore,  451.  (Voyez  Éléonore.) 

PIERRE  III ,  roi  d'Aragon ,  est  privé  de  son  royaume  par  le  pape  Martin  IV, 
483. 

PLATON.  Ses  principes  sur  l'union  de  la  Religion  et  de  l'État,  3,  4. 

POIDS  ET  MESURES.  Leurs  types  conservés  autrefois  dans  les  temples, 
comme  des  choses  sacrées  et  inviolables,  179. —  Justinien  charge  les 
évêques  de  veiller  à  leur  conservation ,  ibid. 

Poids  et  mesures  des  anciens ,  comparés  avec  les  modernes  ;  auteurs  à 
consulter  sur  ce  point,  705,  note.  —  Valeur  delà  livre  romaine,  63  et 
87,  notes;  705,  etc. — Valeur  de  Yonce,  705. —  Valeur  du  talent  at- 
tique,  10,  texte  et  note.  —  Divers  sens  du  mot  talent,  dans  les  auteurs 

du  moyen  âge,  711,  etc. — Valeur  du  médimne  attique,  107,  note 

Valeur  du  centenaire  d'or,  711. 

POLOGNE  (royaume  de).  Condition  de  catholicisme,  imposée  aux  souve- 
rains par  la  constitution  de  ce  royaume,  652. 

PONTIFES.  (Voyez  Prêtres  ,  Souverain  pontife.) 

PORTUGAL.  Les  rois  de  Portugal  et  d'Espagne  choisissent  le  saint-siége  pour 


790  TABLE   DES   MATIÈRES. 

arbitre  de  leurs  différends  sur  les  pays  nouvellement  découverts,  576,  etc. 
(Voyez  Alexandre  VI.) 

POUVOIR  DE  L'ÉGLISE  ET  DU  PAPE,  sur  les  choses  temporelles.  (Voyez 
Église,  Pape,  Puissances.) 

POUVOIR  TEMPOREL  DU  CLERGÉ.  (Voyez  Clergé.) 

PRÉFECTURE,  PRÉFET  DU  PRÉTOIRE.  Ses  attributions  avant  Constantin, 
44,  note.  —  Elles  sont  restreintes  par  ce  prince,  ibid.  —  Il  divise  tout 
l'empire  en  quatre  préfectures,  ibid. 

PRÉMICES.  (Voyez  Dîme.) 

PRÊTRES.  Honneurs  et  prérogatives  dont  ils  jouissaient  chez  les  peuples  an- 
ciens, 2,  etc.  — Privilèges  des  prêtres  païens ,  maintenus  sous  Constantin 
et  ses  successeurs,  23.  —  Honneurs  et  privilèges  des  prêtres  païens,  ap- 
pliqués aux  ministres  de  la  religion  chrétienne,  sous  les  empereurs  chré- 
tiens, 29,  30,  etc.  (Voyez  Clergé,  Religion.) 

PRIMAUTÉ  DU  SAINT-SIÈGE.  (Voyez  Pape.) 

PRINCES.  (Voyez  Puissances.) 

PROFESSION  DE  FOI.  (Voyez  Dogme,  Foi.) 

PROTESTANTS.  Principes  de  Calvin  et  des  premiers  réformateurs,  sur  l'in- 
compatibilité du  pouvoir  temporel  avec  le  spirituel,  dans  la  personne  des 
ministres  sacrés,  308,  note;  633,  note.  —  Réfutation  de  ces  princi- 
pes, 633  ,  etc.  —  Déclamations  des  premiers  réformateurs  contre  l'Église 
et  le  saint-siége,  par  suite  de  ces  principes,  310,  329.  —  Leurs  déclama- 
tions contre  Pépin  et  Charlemagne,  par  suite  des  mêmes  principes,  736. 

—  Ces  déclamations  trop  facilement  répétées  par  un  certain  nombre  d'au- 
teurs catholiques,  310. —  Les  protestants  modernes  généralement  éloignés 
de  l'exagération  des  anciens  sur  ce  sujet,  ibid. ,  note;  329  et  330,  350, 
texte  et  notes,  (Voyez  Eichorn,  Hurter,  Leibniz,  Voigt,  etc.)  —  Auteurs 
protestants  modernes,  qui  expliquent  la  conduite  des  Papes  envers  les 
souverains,  au  moyen  âge,  par  le  droit  public  alors  en  vigueur,  644,  etc. 

—  importance  de  ces  aveux,  646. 

PRUDENCE,  poëte  chrétien  du  ive  siècle,  suppose,  comme  un  fait  notoire, 
qu'à  l'époque  de  la  requête  deSymmaque,  la  majorité  du  sénat  était 
encore  païenne,  60,  note.  —  Erreur  de  M.  Beugnot  sur  ce  point,  ibid. 

PUBL1CISTES.  Sentiment  des  plus  célèbres  publicistes  anciens  et  modernes, 
sur  l'étroite  union  de  la  Religion  et  de  l'État,  3,  19,  note;  69,  etc.  — 
Leurs  principes  sur  le  droit  qu'a  le  peuple,  en  certains  cas ,  de  se  choisir 
un  nouveau  souverain,  233.  (Voyez  Aristote,  Bossuet,  Cicéron,  Grotius, 
Machiavel,  Montesquieu,  Platon,  Puffendorf.) 

PUFFENDORF.  Ses  principes  sur  le  droit  qu'a  le  peuple,  en  certains  cas, 
de  se  choisir  un  nouveau  souverain,  233.  (Voyez  Publicistes.) 

PUISSANCES.  Distinction  et  indépendance  réciproque  des  deux  puissances , 
72-74,  331.  —  Doctrine  de  l'antiquité  sur  ce  point,  199,  202,  209,  312, 
521.  —  Cette  doctrine  souvent  reconnue  par  les  empereurs  chrétiens,  72. 
—  En  quel  sens  Constantin  se  disait  Vévêque  du  dehors ,  73.  —  La  dis- 
tinction et  l'indépendance  réciproque  des  deux  puissances,  proclamée  dans 
les  Capitulaires ,  521.  —  Cette  doctrine  généralement  reconnue  sous 
Grégoire  VII,  524,  etc.  —  La  même  doctrine  exprimée  dans  le  me  concile 
général  de  Latran,  426.— Cette  doctrine  enseignée  par  le  pape  Innocent  III, 
559.  —  Les  entreprises  réciproques  des  deux  puissances  ne  prouvent  pas 
l'ignorance  des  vrais  principes  sur  leurs  limites  respectives,  529  ,  etc.  — 
En  quel  sens  le  pouvoir  spirituel  est  supérieur  au  temporel,  201 ,  533, 
557,  etc. 


TABLE   DES  MATIÈRES.  791 

Ces  deux  pouvoirs  ne  sont  pas  incompatibles  par  leur  nature,  307, 308, 
633,  etc.  —  Nécessité  de  leur  union,  67,  etc.;  528.  (Voyez  Gouverne- 
ment, Religion.)  —  Le  mélange  du  spirituel  et  du  temporel,  dans  les  actes 
de  la  législation ,  tant  ecclésiastique  que  civile ,  suite  naturelle  de  cette 
union,  66,  note;  171,  etc.  ;  527,  etc.  —  Les  lois  divines  et  ecclésiastiques 
sanctionnées  de  peines  temporelles ,  par  suite  de  cette  union,  67,  etc.; 
395,  etc.  —  Principes  sur  l'usage  de  la  puissance  temporelle  en  matière 
de  religion.  (Voyez  Délits  ^Gouvernement.) 

Origine ,  progrès  et  vicissitudes  de  l'opinion  théologique  qui  attribue  à 
l'Église  et  au  Pape,  de  droit  divin,  un  pouvoir  de  juridiction  direct  ou 
indirect  sur  les  choses  temporelles,  327,  etc.;  520,  etc.;  738,  etc.  — 
Cette  opinion  était  à  peine  connue  avant  Grégoire  VII,  519,  etc. —  Elle  n'a 
commencé  à  se  répandre  qu'assez  longtemps  après,  533 ,  etc.  —  Elle  n'a 
jamais  été  autorisée  par  aucune  définition  ou  décret  de  foi,  331,  553, 
598,  etc.  (Voyez  Dogme.)  —  Opinion  du  pouvoir  direct,  739,  etc.  —  D'où 
vient  qu'elle  a  excité,  dans  le  principe,  si  peu  de  réclamations,  742.  —  Opi- 
nion du  pouvoir  indirect,  327,  etc.  ;  743 ,  etc.  — Modifications  apportées 
par  quelques  auteurs  à  cette  dernière  opinion,  745. — En  quoi  elle  diffère  de 
celle  de  Fénelon,  746 ,  etc.  —  Opposition  des  protestants  pour  le  système 
théologique  <lu  droit  divin,  329.  —  Opposition  plus  modérée  de  plusieurs 
écrivains  catholiques,  330,  etc.  —  Déclin  de  l'opinion  théologique  du 
droit  divin  ,  748,  etc.  —  Le  saint-siége y  attache  peu  d'importance,  329 , 
597,  748 ,  etc.  —  Observations  sur  quelques  arguments  allégués  en  fa- 
veur de  cette  opinion,  201,  221 ,  etc.  ;  534,  etc.  ;  553,  etc.  (Voyez  Église.) 

Lutte  des  deux  puissances  au  moyen  âge;  son  véritable  objet,  xvj , 
662,  etc.  ;  682.  —  Erreurs  manifestes  de  quelques  auteurs  sur  la  cause  de 
cette  lutte,  678  ,  etc.  —  Sur  sa  durée,  665  ,  note;  682,  etc.  — Sur  Vuni* 
versalité  des  guerres  qui  en  furent  la  suite,  682. 
PULCHÉRIE,  impératrice.  Ses  libéralités  envers  les  pauvres  et  les  égli- 
ses, 120. 

RAOUL  ROCHE'iTE ,  membre  de  l'Académie  des  Inscriptions.  —  Sagesse  et 
modération  de  ses  jugements ,  dans  son  Discours  sur  les  heureux  effets 
de  la  puissance  pontificale ,  au  moyen  âge,  693. 

RAVENNE,  capitale  de  l'exarchat  de  ce  nom.  (Voyez  Exarchat.)  —  En  quel 
sens  Ravenne  est  comptée  parmi  les  métropoles  du  royaume  de  Charle- 
magne,  dans  son  testament  dressé  en  811,  301,  etc.  — Méprise  de  Mar- 
chettisur  ce  point,  301,  note. 

RECEVEUR  (M.  l'abbé),  professeur  de  théologie  morale  en  Sorbonne.  Sa 
nouvelle  Histoire  de  l'Eglise  peut  servir  de  correctif  à  une  foule  d'ou- 
vrages modernes  sur  le  même  sujet,  ix  et  433,  notes-.— - -L'auteur  explique, 
par  le  droit  public  du  moyen  âge,  la  conduite  des  Papes  et  des  conciles 
à  l'égard  des  souverains,  643,  etc. 

REIMS  (concile  de).  Adoucissements  apportés  aux  effets  temporels  de  la 
pénitence  publique,  par  un  concile  tenu  à  Reims  en  924,  408. 

RELIGIEUX.  (Voyez  Monastères.) 

RELIGION.  —  I.  Religion  en  général.  —  Elle  a  été  regardée,  de  tout  temps, 
comme  la  base  de  l'ordre  public,  1,  etc.  ;  67,  etc.  —  Honneurs  accordés 
à  la  religion  et  à  ses  ministres,  chez  tous  les  peuples  anciens,  2  ,  etc.  — 
Chez  les  Hébreux ,  6.  —  Chez  les  Égyptiens  ,7—  Chez  les  Grecs  en  géné- 
ral, 8 —  Chez  les  Athéniens,  11.  — Chez  les  anciens  Romains,  13-23.  — 


792  TABLE  DES  MATIÈRES. 

Permanence  de  ces  honneurs,  dans  la  décadence  delà  république  et  sous 
les  empereurs  païens,  17-23. 

Religions  étrangères,  prohibées  chez  les  peuples  anciens,  4, 5, 12,  13,  14, 
24-26.  — Application  de  cette  loi  aux  cérémonies  égyptiennes  et  judaï- 
ques sous  Auguste  et  Tibère,  25,  26.  Cette  prohibition  sert  de  prétexte 
aux  païens  pour  persécuter  les  chrétiens,  26-29. 

II.  Étroite  union  de  la  religion  et  de  l'État.  —  Principes  de  tous  les 
anciens  gouvernements  sur  ce  point,  67-69.  —  Ces  principes  reconnus 
par  les  plus  célèbres  publicistes  anciens  et  modernes,  4,  25,  69-71.  — 
L'application  de  ces  principes  souvent  difficile,  71.  —  Règles  à  suivre  en 
cette  matière,  72-76.  —  Étroite  union  de  la  religion  et  du  gouvernement 
sous  les  empereurs]chrétiens,  29, 30,  45,  etc.  ;  64,[etc— Cette  union  encore 
plus  étroite  dans  les  gouvernements  du  moyen  âge,  360 ,  etc.  ;  528.  —  Les 
lois  divines  et  ecclésiastiques  sanctionnées  de  peines  temporelles  par  suite 
de  cette  union,  46,  etc.;  67,  etc.  ;  396,  etc.  (Voyez  Délits,  Gouverne- 
ment, Puissances.) 

III.  Religion  chrétienne.  —  Merveille  de  son  établissement,  46-49-  — 
Son  état  et  ses  progrès  dans  l'empire  avant  Constantin ,  ibid.  —  Le  triom- 
phe du  christianisme  sur  l'idolâtrie  était  assuré  avant  la  conversion  de 
Constantin,  50.  —  Erreurs  de  M.  Beugnot  sur  ce  point,  49,  note.  —  Insuf- 
fisance de  la  protection  des  princes  pour  soutenir  la  religion,  95.  —  Mer- 
veille de  sa  conservation,  depuis  la  conversion  de  Constantin,  95-97.  — 
Origine  des  faveurs  qui  lui  ont  été  accordées  par  Constantin  et  ses  succes- 
seurs, 30,  etc. —  Puissantes  ressources  qu'elle  offrait  à  l'empire  sous 
les  premiers  empereurs  chrétiens,  31 ,  etc.  —  Elle  soutient  l'empire  contre 
les  ennemis  du  dehors,  41,  etc.  —  Elle  est  généralement  respectée  au 
milieu  des  désordres  du  moyen  âge,  372.  —  Puissantes  ressources  qu'elle 
offrait  à  la  société  contre  ces  désordres,  373  ,  etc. 

RÉPUBLIQUE  ROMAINE.  (Voyez  Rome,  Sénat.) 

RÉPUBLIQUES  ou  Communes  au  moyen  âge,  279,  note. 

RICHARD  Ier,  roi  d'Angleterre.  (Voyez  Éléonore.) 

RICHESSES  DU  CLERGÉ.  (Voyez  Biens  ecclésastiques.) 

ROBERT  GU1SCARD,  fondateur  du  royaume  de  Naples,  en  1059,  feudataii  e 
du  saint-siége,  610,  etc.  — Texte  du  serment  féodal  qu'il  prête  au 
Pape,  ibid.  % 

RODOLPHE,  duc  de  Souabe,  est  élu  empereur,  en  1077,  après  la  déposition 
du  roi  de  Germanie  (Henri  IV),  496. 

ROMAINS.  Respect  des  anciens  Romains  pour  la  religion ,  13,  etc.  (Voyez 
Religion.  )  —  Contradiction  entre  leurs  principes  et  leur  conduite ,  sur  ce 
point,  dans  la  décadence  de  la  république,  17-20. 

ROME,  et  plusieurs  autres  villes  de  l'empire,  sauvées  par  l'influence  des  évo- 
ques sur  les  ennemis  de  l'empire,  42.  —  Étendue  et  limites  du  duché  de 
Rome,  sous  la  monarchie  des  Lombards,  205,  note. — En  quel  sens  les  villes 
et  provinces  d'Italie  soumises  au  saint-siége,  depuis  le  pontificat  de  Gré- 
goire Il ,  sont  appelées  république  romaine ,  235,  note.  —  Contestations 
sur  la  souveraineté  de  Rome  et  de  l'Exarchat,  depuis  le  pontificat  de  Gré- 
goire II,  263,  etc.  (Voyez  Charlemagne,  Pape,  Patrice,  Pépin.) — En  quel 
sens  Rome  est  comptée  parmi  les  métropoles  du  royaume  de  Charlema- 
gne ,  dans  son  testament  dressé  en  81 1 ,  301,  etc.  —  Méprise  de  Marchetti 
sur  ce  point,  301,  note.  —  Régime  municipal  de  Rome  et  de  plusieurs 
autres  villes  d'Italie ,  à  cette  époque  et  longtemps  après ,  279 ,  note. 

ROMULUS.  Ses  lois  et  celles  de  Numa  en  faveur  de  la  religion,  3,  13,  etc.  — 


TABLE  DES  MATIÈRES.  793 

Elles  paraissent  empruntées  aux  Grecs  et  à  d'autres  peuples  orientaux,  16. 
—  Elles  interdisent  les  sacrifices  et  les  cérémonies  nocturnes,  14. 
ROSELLI  (Nicolas),  cardinal  d'Aragon,  auteur  du  xive  siècle,  suppose, 
comme  un  point  de  droit  public  universellement  reconnu ,  que  l'empe- 
reur qui  persévère  opiniâtrement  dans  l'excommunication  pendant  une 
année  entière,  encourt  la  peine  de  déposition ,  437,  note. 

SACRAMENTAIRE  DE  SAINT  GRÉGOIRE.  Exemplaires  de  cet  ouvrage  en 
usage  en  France  au  ixe  siècle,  500,  725.  —  Leur  ancienneté,  500  et  628 , 
notes. 

SACRIFICES  NOCTURNES.  (Voyez  Divination  secrète.) 

SACRILÈGE.  Dispositions  du  droit  romain  sur  ce  point,  91. 

SAINT-SIEGE.  (Voyez  Pape.) 

SARISBERY  (Jean  de).  (Voyez  Jean.) 

SAVONNIÈRES  (concile  de).  (Voyez  Charles  le  Chauve.) 

SEIGNEURIES  ECCLÉSIASTIQUES.  Seigneuries  de  l'Église  romaine,  sous  le 
pontificat  de  saint  Grégoire  et  depuis,  126,  etc.  —  Origine  des  Seigneuries 
ecclésiastiques  dans  tous  les  États  chrétiens  de  l'Europe  au  moyen  âge , 
385. 

SÉNAT  ET  PEUPLE  ROMAIN.  Us  se  regardent  comme  sujets  du  Pape  de- 
puis la  donation  de  Pépin,  249.  —  Us  n'avaient  aucune  part  à  la  souve- 
raineté de  Rome  depuis  cette  époque,  279,  618,  etc.  —  Le  sénat  n'était 
plus  alors  qu'un  corps  municipal,  semblable  à  celui  qui  existait  dans 
plusieurs  villes  d'Italie,  ibid.,  texte  et  notes. 

SENCKENBERG,  auteur  protestant  et  célèbre  jurisconsulte  du  dernier  siècle, 
regarde  comme  un  point  à  l'abri  de  toute  contestation  l'autorité  des  deux 
compilations  du  droit  germanique,  composées  au  xuie  siècle,  626,  texte 
et  notes.— Aveu  remarquable  de  cet  auteur,  sur  l'application  que  les  Papes 
du  moyen  âge  ont  faite  aux  souverains,  des  principes  de  droit  public 
alors  généralement  reconnus,  676. 

SERG1US  IT ,  pape.  Le  prince  Louis,  fils  de  Lothaire  1er,  est  envoyé  à  Rome , 
par  son  père,  sous  le  pontificat  de  Sergius  II ,  288.  —  Assurance  que  ce 
pontife  exige  du  jeune  prince ,  avant  de  l'admettre  dans  l'Église  de  Saint- 
Pierre,  ibid.  —  Il  ne  permet  pas  aux  Romains  de  lui  prêter  serment  de 
fidélité,  ibid. 

SERMENT.  En  quel  sens  l'Église  et  le  Pape  peuvent  en  dispenser,  338  et  339, 
texte  et  notes  ;  745.  —  La  sentence  du  Pape,  qui  a  quelquefois  dispensé 
les  sujets  de  leur  serment  de  fidélité,  était  fondée  tout  à  la  fois  sur  le  droit 
divin  et  sur  le  droit  humain,  338  et  339,  texte  et  note.  —  Cette  sen- 
tence était-elle  un  acte  de  juridiction?  ibid. 

Serment  de  catholicisme,  exigé  des  magistrats  par  Justinien,  90. — Sem- 
blable serment  prêté  par  les  empereurs  romains,  depuis  la  fin  du  ve  siècle, 
187. — semblable  serment,  exigé  des  rois  goths  en  Espagne,  93 — Consé- 
quences de  ce  serment,  relativement  à  la  déposition  d'un  prince  hérétique, 
189,  etc. 

Serment  de  fidélité,  prêté  par  les  Romains  au  roi  de  France,  comme 
patrice  des  Romains,  293,  etc.  ;  303  —Ce  serment  ne  prouve  pas  que  le 
roi  de  France  eût  la  souveraineté  dans  Rome ,  294 ,  303.  —  Avant  l'éléva- 
tion de  Charlemagne  à  l'empire ,  les  Romains  prêtaient  également  ser- 
ment de  fidélité  au  Pape  et  au  roi  de  France,  295. 
Serment  de  fidélité  ,  prêté  par  les  Romains  aux  empereurs  carlovin- 


794  TABLE   DES   MATIÈRES. 

giens ,  287,  etc.  ;  619.  —  Conséquences  de  ce  serment ,  relativement  à  la 
souveraineté  de  Rome  à  cette  époque ,  ibid. 

Serment  de  fidélité,  prêté  au  Pape  par  les  empereurs Ce  serment 

ne  paraît  pas  avoir  été  prêté  par  Charlemagne  dans  la  cérémonie  de  son 
couronnement,  499,  note  ;  724.  —  Ce  serment  a  été  prêté  dès  le  ixe  siècle, 
et  pendant  les  siècles  suivants,  par  les  successeurs  de  Charlemagne, 
499,  etc.  ;  725. — Ancienne  formule  de  ce  serment,  724. — Ses  différentes 
formules  depuis  leixe  siècle,  500,  etc — Formule  dressée  par  Grégoire  VII, 
502.  —  Formule  en  usage  auxie  siècle,  d'après  le  Pontifical  romain,  506. 

—  Sens  et  conséquences  de  ce  serment,  499,  etc.  ;  507. —  Différence  entre 
le  serment  de  fidélité  prêté  au  Pape  par  les  empereurs,  et  celui  que  lui 
prêtaient  les  princes  feudataires  du  saint-siége,  485,  500,  610,  etc. 

Serment  de  suprématie  exigé  des  catholiques  anglais,  depuis  le  schisme 
de  Henri  VIII ,  589.  —  Serment  d'allégeance  exigé  par  le  roi  Jacques  Ier 
et  ses  successeurs,  589,  etc.  —  Ce  serment  est  condamné  par  Paul  V,  590. 
(Voyez  Paul  V.  )  —  Cette  décision  est  confirmée  par  le  pape  Innocent  X , 
591,  note.  — Soixante  docteurs  de  Sorbonne  donnent  une  autre  décision, 
qui  est  mise  à  Y  Index,  ibid. ,  et  593,  note.  —  Embarras  de  Bossuet  sur 
cette  question  ,591,  note.  —  Ouvrages  à  consulter  sur  cette  controverse , 
589,  note. 

SESTERCES.  (Voyez  xMonnaies.) 

SICILE.  Origine  des  droits  du  saint-siége  sur  la  Sicile,  230,  286,  texte  et 
notes. — La  Sicile  autrefois  regardée  comme  un  fief  du  saint-siége,  482. — 
Le  Pape  donne  ce  royaume  à  Charles  d'Anjou  ,  frère  de  saint  Louis,  483. 

—  Condition  de  catholicisme  imposée ,  de  nos  jours ,  au  roi  par  la  con- 
stitution sicilienne,  651. 

SISMONDI ,  historien  protestant.  Esprit  de  ses  ouvrages  historiques, 
xxiij.  —  Il  est  peu  d'accord  avec  lui-même  dans  ses  jugements  sur  les 
Papes  du  vme  siècle,  274  et  314.  —  Il  regarde  mal  à  propos,  comme  une 
innovation  de  Pépin,  l'influence  politique  du  clergé  en  France,  364,  note. 

—  Son  opinion  sur  l'intervention  du  pape  Innocent  III  entre  Philippe- 
Auguste  et  Jean  sans  Terre,  à  l'occasion  de  l'assassinat  d'Artus,  comte  de 
Bretagne ,  563  ,  note.  —  Jugement  qu'il  porte  sur  les  démêlés  de  Philippe 
le  Bel  avec  Boniface  VIII,  575.  —  Ce  jugement  adopté  plus  ou  moins  ou- 
vertement par  nos  plus  graves  historiens,  576,  note. 

SIXTE  V,  pape,  paraît  admettre,  comme  docteur  particulier,  l'opinion 
théologique  du  pouvoir  direct  de  l'Église  sur  les  choses  temporelles,  597 
et  743,  note.  —  Il  met  à  l'Index  l'ouvrage  de  Bellarmin,  De  Romano  Pon- 
tifice,  743  ,  note.  —  Cet  article  de  X Index  est  supprimé  par  le  pape  Ur- 
bain VII,  ibid.  —  Bulle  de  Sixte  V  contre  le  roi  de  Navarre  (Henri  IV)  et  le 
prince  de  Condé ,  594 ,  etc.  —  Cette  bulle  ne  suppose  pas  l'opinion  théolo- 
gique du  droit  divin ,  sur  le  pouvoir  de  l'Église  en  matière  temporelle , 
596,  etc. 

SOCIÉTÉ.  La  religion  base  nécessaire  de  la  société,  1,  etc.  (Voyez  Religion.) 
V_  État  de  la  société  dans  l'empire,  sous  les  premiers  empereurs  chrétiens, 
30 ,  etc.  (Voyez  Empire.)  —  État  de  la  société  au  moyen  âge,  367.  (Voyez 
Moyen  âge.) 

SOU.  (Voyez  Monnaies.  ) 

SOUVERAIN  PONTIFE.  Honneurs  et  prérogatives  dont  il  jouissait  chez  les 
anciens  Hébreux ,  7.  — Ses  prérogatives  chez  les  anciens  Romains,  21  — 
L'empereur  Auguste  et  ses  successeurs  joignent  ce  titre  à  la  dignité  impé- 


TABLE   DES   MATIÈRES.  795 

riale ,  22.  —  Les  empereurs  chrétiens  conservent  ce  titre  jusqu'à  Gratien , 
sans  en  exercer  les  fonctions,  22,  23.  (Voyez  Pape.) 

SOUVERAINETÉ.  — Souveraineté  du  peuple.  (Voyez  Peuple.)  —  Souve- 
raineté de  Rome.  Importance  de  cette  question  dans  l'histoire  du  moyen 
âge,  xvj,  268.  (Voyez  Empereur,  Pape,  Patrice.)  —  Souveraineté  tempo- 
relle du  saint-siége.  (  Voyez  Pape.  ) 

SOUVERAINS.  (Voyez  Puissances.) 

SPOLETTE  (duché  de).  Les  habitants  de  ce  duché  manifestent  l'intention  de 
se  mettre  sous  la  protection  du  roi  de  France  par  l'entremise  du  pape 
Etienne  II ,  254  ,  note.  —  Ils  se  donnent  au  saint-siége  sous  le  pontificat 
d'Adrien  1er,  253 ,  note.  —  A  quel  titre  Charlemagne  et  ses  successeurs 
conservent  la  souveraineté  de  ce  duché,  262,  note;  287. 

STUART.  (Voyez  Marie  Stuart.) 

SUÈDE  (royaume  de).  Vestiges  du  droit  public  du  moyen  âge,  relativement  à 
la  déposition  des  souverains,  dans  la  constitution  moderne  de  ce  royaume, 
656,  658.  —  Apostasie  du  maréchal  Bernadotte,  conformément  à  cet  ar- 
ticle de  la  constitution  suédoise,  657,  note. 

SUZE  (Henri  de),  cardinal  d'Ostie,  soutient  l'opinion  théologique  du  pouvoir 
direct  de  l'Église  sur  les  choses  temporelles,  742. 

SUZERAIN  (seigneur);  SUZERAINETÉ  (droit  de).  —Ce  qu'on  entend  par 
ces  mots ,  386 ,  note.  —  Droits  de  suzeraineté  du  saint-siége  sur  plusieurs 
États,  au  moyen  âge,  386,  etc.;  482,  etc.  ;  609,  etc.  —  Origine  de  ces 
droits,  386,  etc.  ;  535,  note.  — Conséquences  de  ces  droits,  d'après  l'usage 
et  la  persuasion  universelle  du  moyen  âge,  482,  etc.  ;  610,  etc.  (Voyez  An- 
gleterre ,  Sicile  ,  Venise  ,  etc.  )  —  Avec  quelle  modération  les  Papes  ont 
usé  de  ces  droits ,  661 ,  etc.  —  En  quel  sens  l'empire  était  fief  du  saint- 
siége,  434,  484 ,  etc.  ;  568,  notes.  —  Discussion ,  à  ce  sujet,  entre  Frédé- 
ric Ier  et  Adrien  IV,  503,  etc.  —  Le  roi  de  France,  et  quelques  autres  sou- 
verains, exempts  de  toute  dépendance  féodale,  613,  etc.;  646. 

SYMMAQUE,  pape.  Sa  conduite  envers  l'empereur  Anastase,  protecteur  des 
Eutychiens,  190.  —  Sa  doctrine  sur  la  distinction  et  l'indépendance  réci- 
proque des  deux  puissances,  202. 

SYMMAQUE,  sénateur  romain  au  ive  siècle.  Sa  Requête  aux  empereurs  Gra- 
tien et  Valentinien  II  pour  le  rétablissement  de  Y  autel  de  la  Victoire, 
57,  note;  59-61.  —  Celte  Requête  est  combattue  par  saint  Ambroise,  60, 
61  .—Les  empereurs  n'y  ont  aucun  égard,  61 .—•  Syrnmaque  exilé  de  Rome, 
par  Théodose,  en  punition  de  son  obstination,  ibid. 

TABLES.  (Voyez  Lois  des  XII  Tables.) 

TALENT.  (Voyez  Poids.) 

TEMPLES.  Richesses  prodigieuses  de  plusieurs  anciens  temples ,  708 ,  etc. 
(Voyez  Bélus,  Delphes,  Jérusalem,  Jupiter  Capitolin.)  —  Les  temples  du 
paganisme  souvent  conservés  par  les  empereurs  chrétiens,  57,  702,  texte 
et  notes.  —  Sentiment  des  saints  docteurs  sur  ce  point,  702,  note. 

TERTULL1EN.  Progrès  étonnants  du  christianisme,  de  son  temps,  47. — Ses 
remontrances  aux  empereurs  païens,  sur  l'injustice  des  édits  de  persécu- 
tion publiés  contre  les  chrétiens,  26-29. 

THÉMIST1US ,  philosophe  païen ,  loue  hautement  la  conduite  modérée  de 
Jovien  ,  à  l'égard  des  païens,  58. 

THÉODOSE  le  Grand  tolère  d'abord  l'exercice  de  l'idolâtrie,  61,  62.  —  Il 
donne  les  derniers  coups  au  paganisme  dans  l'empire,  24,  62 ,  etc.  —  Il 
presse  moins  vivement  à  Rome  l'exécution  de  ses  édits,  64 ,  702.  —  Il  les 


796  TABLE  DES  MATIÈRES. 

«  fait  exécuter,  même  à  Rome,  à  la  fin  de  sa  vie,  64.  —  11  confirme  le  ier 
concile  général  de  Constantinople,65.  —Ses  lois  contre  les  hérétiques,  75, 
note  ;  84,  etc.  —  Sa  modération  dans  l'application  de  ces  lois,  79.  —  Ses 
lois  contre  les  Juifs,  81.  —  Ses  lois  concernant  les  donations  faites  à  l'É- 
glise et  aux  clercs,  117.  — Il  confirme  le  droit  d'asile,  157. 

THÉODOSE  LE  JEUNE  confirme  le  concile  général  d'Ëphèse,  65.  —  Ses  lois 
en  faveur  de  la  religion  chrétienne,  65.  —  Ses  lois  contre  les  Juifs,  81,  82. 
—  Ses  lois  contre  les  hérétiques ,  87,  etc.  —  Ses  lois  contre  les  apostats, 
91.  —  Ses  lois  concernant  les  biens  ecclésiastiques,  118. 

THÉOPHANE ,  auteur  grec  du  vme  siècle.  Récit  qu'il  fait  de  la  révolution 
arrivée  en  Italie  sous  Grégoire  II,  220.  — Ce  récit  suivi  par  les  auteurs 
grecs  plus  récents,  ibid.  —  Opposition  de  ce  récit  avec  celui  des  Latins, 
ibid.  (Voyez  Grégoire  II.  )  —  Faible  autorité  des  historiens  grecs  sur  ce 
point ,  224 —  Absolution  du  crime  d'usurpation ,  donnée  à  Pépin  ,  selon 
Théophane,  par  le  pape  Etienne  II,  736. 

THÉOPHILE,  patriarche  d'Alexandrie.  Son  pouvoir  temporel,  182,  note; 
183. 

THOMAS  D'AQUIN  (saint)  paraît  adopter  l'opinion  théologique  An  pouvoir 
direct  de  l'Église  sur  les  choses  temporelles,  744  et  745,  notes. 

THOMAS  DE  CANTORRÉRY  (saint)  paraît  adopter  l'opinion  théologique  du 
pouvoir  direct  de  l'Église  sur  les  choses  temporelles,  741.  —  Ses  démêlés 
avec  Henri  II,  roi  d'Angleterre,  448,  etc.  (Voyez  Henri  II.) 

TBOMASSIN  (le  P.)  exagère  le  pouvoir  temporel  des  évêques  et  des  patriar- 
ches sous  Constantin ,  176  et  182 ,  notes. 

TIRÈRE,  empereur,  renouvelle  les  anciennes  lois  romaines  contre  les  cultes 
étrangers,  26. 

TILLEMONT  (le  Nain  de)  obscurcit  les  vrais  principes  sur  l'usage  de  la  puis- 
sance temporelle  en  matière  de  religion,  24  et  71,  notes.  — Il  établit  soli- 
dement l'authenticité  de  la  loi  de  Constantin  à  Ablave,  sur  la  juridiction 
ecclésiastique,  167,  note.  (Voyez  Constantin.) 

TOLÈDE  (  conciles  de  )  aux  vne  et  vme  siècles.  —  Ces  conciles  étaient  des 
assemblées  mixtes,  365,  524.  —  Leurs  dispositions  sur  les  effets  tempo- 
rels de  la  pénitence  publique],  401-404.  —  Dispositions  du  vie  concile 
contre  les  hérétiques,  93.  —  Dispositions  du  vue  concile,  sur  l'élection  du 
roi ,  365.  —  La  déposition  de  Vamba ,  roi  des  Visigoths ,  ne  doit  pas  être 
attribuée  au  xne  concile  de  Tolède,  403,  note;  530. 

TONSURE  des  Lombards  et  des  Francs.  (Voyez  Chevelure.) 

TOSCANE.  Charlemagne  et  ses  successeurs  conservent  assez  longtemps  la 
souveraineté  de  la  Toscane  royale ,  sauf  le  tribut  annuel  que  cette  pro- 
vince devait  au  saint-siége,  262  et  287,  notes. 

TRENTE  (concile  de).  Son  décret  contre  les  duellistes  et  leurs  fauteurs,  ne 
suppose  pas  l'opinion  théologique  du  droit  divin  sur  le  pouvoir  de  l'Église 
en  matière  temporelle,  582  et  583. 

TROYES.  Cette  ville  sauvée  par  la  médiation  de  saint  Loup,  son  évêque,  42. 

TYRANNICIDE  (doctrine  du).  Il  ne  paraît  pas  que  Jean  de Sarisbéry  l'ait 
soutenue,  740,  note.  —  Cette  doctrine  est  condamnée  par  le  concile  de 
Constance,  593,  note.  —  Différence  entre  cette  doctrine  et  celle  que  le 
serment  d'allégeance  condamnait  comme  hérétique ,  ibid.  (Voyez  Ser- 
ment d'allégeance.  )  —  Principes  dangereux  soutenus ,  en  cette  matière , 
par  de  célèbres  ligueurs,  752  et  753.  —  Principes  encore  plus  dangereux , 
soutenus,  sur  cette  matière ,  par  les  auteurs  protestants,  753, 


TABLE  DES  MATIÈRES.  797 

UNION  DES  DEUX  PUISSANCES.  (Voyez  Gouvernement ,  Puissances,  Re- 
ligion. ) 

URBAIN  II ,  pape ,  excommunie  et  dépose  le  roi  de  France ,  Philippe  Ier, 
dans  le  concile  de  Clermont,  455,  etc.  (Voyez  Philippe  1er.) 

URBAIN  VII ,  pape  ,  raye  de  Y  Index  l'ouvrage  du  cardinal  Bellarmin  ,  De 
Romano  Pontifice,  743,  note. 

VALDRADE.  (  Voyez  Lothaire  le  Jeune.) 

VALENTINIEN  1er,  empereur,  conserve  et  augmente  les  privilèges  des  prêtres 
païens,  23,  24,  71,  note.  —  Il  laisse  subsister  X autel  de  la  Victoire,  ré- 
tabli par  Julien,  59.  —  Ses  lois  en  faveur  de  la  religion  chrétienne,  66.  — 
Il  restreint  les  immunités  et  les  privilèges  du  clergé,  82  ,  116  ,  138.  —  Il 
loue  hautement  la  soumission  des  évêques  à  ce  sujet,  151. 

VALENTINIEN  II ,  empereur,  refuse  aux  sénateurs  païens  le  rétablissement 
de  Y  autel  de  la  Victoire,  61.  —  Il  tolère  cependant  l'exercice  de  l'idolâ- 
trie, 61,  62.  —  Ses  lois  contre  les  hérétiques,  75  ,  note.  —  Ses  lois  contre 
les  Juifs ,  81.  —  Il  révoque  les  immunités  accordées  aux  Juifs  par  Cons- 
tantin, 82. 

VALENTINIEN  III  ,  empereur.  Ses  lois  en  faveur  de  la  religion  chrétienne, 
65.  — Ses  lois  contre  les  apostats,  91. 

VAMBA,  roi  des  Visigoths,  est  dépouillé  du  trône  par  les  intrigues  d'Ervige, 
son  successeur,  402 ,  etc.  (  Voyez  Tolède.) 

VAN-ESPEN,  docteur  de  Louvain  et  canonisle  célèbre.  Son  Traité  des  Cen- 
sures ecclésiastiques,  411,  note.  —  Hardiesse  et  témérité  de  cet  auteur, 
ibid. 

VAN-G1LS,  docteur  de  Louvain.  Sa  Lettre  sur  les  sentiments  de  V an- 
cienne Faculté  de  Louvain ,  par  rapport  à  la  Déclaration  gallicane, 
641,  etc.  (Voyez  Faculté  de  Louvain.) 

VELLY,  auteur  de  Y  Histoire  de  France,  continuée  par  Garnier.  —  Esprit 
de  cet  ouvrage,  xxij.  — Assertion  inexacte  de  Velly  sur  les  droits  du 
Pape,  relativement  à  l'élection  de  l'empereur,  622,  note. —  Velly  peu 
d'accord  avec  lui-même,  dans  ses  jugements  sur  la  conduite  des  Papes  du 
vme  siècle  ,  à  l'égard  des  empereurs  de  Constantinople,  310.  —  Comment 
le  continuateur  de  Velly  (Garnier)  explique  l'origine  et  les  progrès  du 
pouvoir  temporel  du  clergé  au  moyen  âge,  415. 

VENISE  (la  république  de),  autrefois  regardée  comme  \m fief  du  saint-siége, 
483.  —  Démêlés  du  pape  Jules  II  avec  cette  république,  661. 

VERTOT,  auteur  de  plusieurs  ouvrages  historiques.  —  Esprit  de  son  ou- 
vrage intitulé  :  Origine  de  la  Grandeur  de  la  cour  de  Home,  xxij,  196. 
—  Il  adopte  trop  légèrement  les  jugements  sévères  de  certains  auteurs 
modernes,  sur  la  conduite  des  Papes  du  vme  siècle,  à  l'égard  des  empe- 
reurs de  Constantinople,  310.  — 11  est  peu  d'accord  avec  lui-même,  dans 
les  divers  jugements  qu'il  porte  de  ces  pontifes,  ibid.  —  Il  combat  solide- 
ment les  auteurs  qui  supposent  la  couronne  de  France  héréditaire  avant 
le  règne  de  Pépin,  732,  note. 

VICTOIRE.  (  voyez  Autel  de  la  Victoire.) 

VISIGOTHS  (Voyez  Espagne,  Lois  des  Visigoths.) 

VOIGT,  écrivain  protestant,  auteur  de  Y  Histoire  de  Grégoire  VII.  — Es- 
prit de  cet  ouvrage,  347,  note.  — -  Comment  l'auteur  explique  la  conduite 
de  Grégoire  VII  envers  le  roi  de  Germanie  (Henri  IV) ,  346,  etc. 

VOLTAIRE.  —  Aveux  remarquables  de  cet  auteur,  sur  l'importance  de  la 
souveraineté  temporelle  du  saint-siége ,  320 ,  664.  —  Sur  les  avantages  du 


798  TABLE   DES   MATIÈRES. 

pouvoir  temporel  'des  Papes  au  moyen  âge ,  691.  —  Sur  l'utilité  des  or- 
dres monastiques ,  382 ,  etc.  —  Sur  le  véritable  objet  de  la  lutte  dés  deux 
puissances  au  moyen  âge,  xvj,  662.  —  Il  reconnaît  la  persuasion  générale 
du  moyen  âge,  sur  les  effets  temporels  de  l'excommunication,  par  rap- 
port aux  souverains,  472. 

WICLEF.  Ses  principes  sur  la  propriété  des  biens  ecclésiastiques,  condamnés 
par  le  concile  de  Constance ,  637,  etc. 

YVES  DE  CHARTRES.  (Voyez  Ives.  ) 

ZACHARIE,  pape.  Son  caractère  et  ses  vertus,  317.  —  Sa  bonne  intelligence 
avec  l'empereur  de  Constantinople,  234  ,  etc.  —  Ce  prince  lui  donne  de 
nouveaux  patrimoines  en  Italie,  235.  —  Les  Lombards  lui  restituent 
plusieurs  villes  et  territoires  de  l'Exarchat,  234,  235.  —  Sa  réponse  aux 
seigneurs  français,  sur  l'élévation  de  Pépin  au  trône,  315.  — Authenticité 
de  cette  réponse  ,727,  etc.  —  Injustice  des  reproches  fails  à  ce  pontife ,  a 
l'occasion  de  cette  réponse,  316  ,  etc.  —  Cette  réponse  n'était  point  un 
acte  de  juridiction  sur  le  temporel ,  318 ,  334 ,  515  ,  530.  —  Elle  ne  sup- 
pose pas  l'opinion  théologique  du  droit  divin ,  sur  le  pouvoir  de  l'Église 
en  matière  temporelle,  312. 

ZOSIME,  historien  païen.  Ce  qu'il  pense  de  la  conduite  de  Théodose,  à  l'é- 
gard de  l'idolâtrie,  64. 


FIN    DE   LA    TABLE  DES  MATIERES. 


ADDITIONS  ET  CORRECTIONS. 


Pag.  263,  note  lrc,  dernière  ligne,  ajoutez  :  tome  v,  435,  444,  449. 

268,  note  lre,  dernière  ligne,  ajoutez:  Receveur,  Hist.  de  l'Église, 
tomcv,  p.  435,  444,  449. 

352,  marge,  n°  21 ,  au  lieu  du  mot  intentions ,  lisez  :  institutions. 

376,  note  3e,  au  lieu  de  379,  lisez  :  373. 

388  ,  note  tre,  ajoutez  :  Receveur,  Hist.  de  V  Église,  tome  v,  p.  409. 

412,  note  lre,  ligne  2e,  au  lieu  de  335,  lisez  :  385. 

443,  dans  le  texte  deBossuet,  cite  au  bas  de  cette  page ,  au  lieu  de  ces 
mots ,  à  l'obéissance  de  l'Empereur,  lisez  :  à  l'obéissance  du 
Roi  de  Germanie.  Cette  correction  est  une  conséquence  natu- 
relle de  l'observation  que  nous  avons  faite  dans  les  notes  des 
pages  434  et  506 ,  sur  le  titre  d: Empereur ,  donné  au  Roi  de 
Germanie  seulement  après  qu'il  avait  été  couronné  par  le  Pape. 

477,  note  2e,  ajoutez  :  Receveur,  Hist.  de  l'Église,  tome  iv,  p.  402, 
436,467. 

559,  note  2e,  ajoutez  :  cette  lettre  d'Innocent  III  a  été  depuis  insérée 
dans  le  Corps  du  Droit.  C'est  la  décrétale  Per  venerabilem , 
dont  nous  parlons  plus  bas  ,  pag.  613  et  614. 

580  ,  note  lre.  Ce  serait  peut-être  ici  le  lieu  de  remarquer,  en  passant , 
que  les  désordres  du  pape  Alexandre  VI  ont  été  prodigieusement 
exagérés,  par  des  écrivains  passionnés  et  très-suspects.  Voyez, 
à  ce  sujet,  Y  Hist.  de  Léon  X,  par  M.  Audin,  tome  i,  et  Introd. 
L'Ami  de  la  Rel.,  tome  cxxn,  p.  292. 

614 ,  notes ,  ligne  12e,  au  lieu  de  552 ,  lisez  ;  559. 
625,  note  2e,  ligne  3e,  au  lieu  de  497 ,  lisez  :  498. 
661 ,  note  2e,  ajoutez  :  Audin,  Hist.  de  Léon  X,  tome  i ,  Introd.,  et 

L'Ami  de  la  Rel.,  tome  cxxn,  page  305 ,  etc. 
743,  note  lie,  ajoutez:  On  se  confirmera  de  plus  en  plus  dans  cette 
pensée,  en  lisant  attentivement  l'important  ouvrage  publié  ré- 
cemment par  le  vénérable  archevêque  de  Cologne  (Clem.  Aug. 
de  Vischering),  De  la  Paix  entre  l'Église  et  les  États.  Paris , 

1844,  in-8°.  —  Voyez  aussi  les  pièces  indiquées  ci-dessus, 
pag.  749. 


BRIGHAM  YOUNG  UNIVERSITY 


3  1197  21083  9277 


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