POUVOIR DU PAPE
AU MOYEN AGE.
PARIS.— -TYPOGRAPHIE DE FI RM IN U1DOT FRÈRES, RUE JACOB, 56.
POUVOIR DU PAPE
AU MOYEN AGE,
ou
RECHERCHES HISTORIQUES
SUR
L'ORIGINE DE LA SOUVERAINETÉ TEMPORELLE DO SAINT-SIEGE,
ET SUR LE DROIT PUBLIC DU MOYEN AGE
RELATIVEMENT A LA DÉPOSITION DES SOUVERAINS;
mici.nK.Es d'oui
INTRODUCTION
Sur les honneurs et les prérogatives temporelles, accordées à la Religion et à ses Ministres,
chez les anciens peuples, particulièrement sous les premiers Empereurs chrétiens.
PAR M. ***
DIRECTEUR AU SÉMINAIRE DE SAINT-SULPICE.
NOUVELLE EDITION,
CONSIDÉRABLEMENT AUGMENTEE.
LIBRAIRIE CLASSIQUE DE PERISSE FRÈRES,
PARIS,
8 , RUE DU POT-DE-FER-SAINT-SULPICE. [
LYON,
33, GRANDE RUE MERCIÈRE.
1845,
r / ( :
THE LWRART
BRIGHAM Y( ; NG UNI 1 1 .RSWt
PROVO, UT AH
PREFACE.
Le pouvoir temporel de l'Église et du souverain
Pontife, au moyen âge, et l'influence de ce pouvoir
sur les affaires politiques, pendant plusieurs siècles,
offrent sans contredit un des phénomènes histo-
riques les plus étonnants, et les plus dignes d'oc-
cuper les méditations d'un esprit attentif (i).
k peine sortie des persécutions que le monde
lui avait constamment suscitées pendant trois siè-
(i) Il ne sera peut-être pas inutile de rappeler ici ce qu'on
entend communément par le moyen âge. On peut dire, en géné-
ral , que cette partie de l'histoire embrasse tout le temps écoulé
depuis l'établissement des Barbares dans les provinces de l'em-
pire romain, en Occident, au ve siècle, jusqu'à la renaissance
des lettres, au xve; ce qui donne au moyen âge une durée d'en-
viron dix siècles. Pour en fixer les limites avec plus de précision,
un écrivain récent, qui a particulièrement étudié cette matière
(quoique sous l'influence de fâcheux préjugés), place le com-
mencement du moyen âge à l'établissement des Francs dans les
Gaules, sous Clovis, en 496, et le termine à l'expédition de
Charles VIII contre Naples, en i494« (Hallam, L'Europe au
moyen âge, tome 1, Préface, page iv; tome iv, page 79. — -
Voyez le compte rendu de cet ouvrage, par M. Raoul Ro-
chette, dans le Journal des Savants , décembre 1821.) Suivant
cette division, Y histoire du Bas-Empire , au moins depuis le
Ve siècle, appartient proprement à V histoire du moyen âge; ce-
pendant, un usage constant rattache a.Y histoire ancienne celle
du Bas-Empire, jusqu'à la chute de l'empire d'Occident, à la
fin du ve siècle.
Vj PREFACE.
cles, l'Église se voit comblée d'honneurs, de ri-
chesses et de privilèges. Constantin et ses plus il-
lustres successeurs, non contents de la soutenir
par leurs édits, relèvent son autorité spirituelle
par l'éclat du pouvoir temporel, jusqu'à faire en-
trer les évêques en participation de l'administration
civile, et à se décharger sur eux du soin des objets
les plus importants à l'ordre public et au bien de la
société. La générosité des empereurs chrétiens est
encore surpassée par les souverains des nouvelles
monarchies qui s'élèvent sur les débris de l'empire
romain , depuis le ive siècle. Dans ces nouveaux
Etats, le clergé voit chaque jour augmenter son
pouvoir et ses prérogatives dans l'ordre temporel.
Appelé, dans la personne de ses principaux mem-
bres, au conseil des princes et a toutes les assemblées
politiques, il [y occupe le premier rang, il exerce
son influence dans toutes les parties du gouverne-
ment civil, dans l'élection même et la déposition
des princes; et pendant plusieurs siècles, l'union
de la puissance spirituelle avec la puissance tem-
porelle est si étroite, qu'elles semblent se confon-
dre en une seule, pour le gouvernement de l'Église
et de l'État.
A mesure que le pouvoir temporel du clergé
s'établit et s'accroit dans les divers États de l'Eu-
rope, celui du saint-siége s'étend et se consolide
en Italie, où le profond respect des peuples pour
la religion, joint aux affaiblissements successifs de
la puissance impériale, amène insensiblement la
souveraineté temporelle des Papes. Bientôt l'in-
fluence de cette nouvelle souveraineté se fait sen-
PilÉFÀCE. Vij
tir au loin. Au milieu des désordres et de l'anarchie
du moyen âge, elle établit de nouveaux rapports
entre les nations les plus éloignées, et même les
plus opposées entre elles, à raison de leur intérêt
et de leur caractère : elle devient pour toute la so-
ciété comme un centre commun et un point de ral-
liement; bien plus, elle devient un tribunal suprême,
où se jugent en dernier ressort les différends entre
les souverains, et dont les arrêts sont également
respectés des princes et des peuples.
Par une révolution non moins étonnante, le pou-
voir temporel du clergé, après avoir exercé, pen-
dant plusieurs siècles, une si grande influence dans
tous les États de l'Europe, s'affaiblit et se perd in-
sensiblement. Les princes et les peuples, après l'a-
voir si longtemps regardé comme leur plus puis-
sante ressource et leur plus ferme appui, ne l'en-
visagent plus qu'avec une sorte de jalousie et de
défiance; ils concourent à l'envi à le restreindre,
et même à le détruire. Enfin, telle est aujourd'hui
la disposition générale des esprits, que la plupart
ne peuvent considérer sans étonnement, et presque
sans scandale, un ordre de choses qui semblait au-
trefois si naturel; souvent même on en vient jus-
qu'à reprocher au clergé son ancienne autorité,
comme une espèce d'usurpation et de révolte con-
tre le pouvoir légitime des princes temporels.
L'examen de ce reproche et de l'étonnante ré-
volution qui a donné lieu de le faire au clergé, est
assurément un des sujets les plus intéressants ,
pon-seulement dans l'ordre de la religion , mais
pous le rapport même historique et purement phi*
yiij PUE FACE.
losopbique. Dans l'ordre de la religion, quel sujet
plus digne de réflexion, que celui qui touche de si
près l'honneur du clergé et d'une longue suite de
pontifes? Sous le rapport historique, et même pu-
rement philosophique, quel spectacle plus intéres-
sant, que celui de l'origine et des vicissitudes d'un
pouvoir, qui, après avoir été pendant si longtemps
un des principaux mobiles de tous les événements
politiques, a perdu insensiblement toute son in-
fluence, jusqu'à tomber enfin dans cette espèce
d'oubli et d'anéantissement où nous le voyons au-
jourd'hui?
Mais quelque intéressant que soit par lui-même
un pareil sujet, il est aisé de comprendre combien
les préjugés et les passions ont dû influer sur la
manière de l'envisager, depuis que la différence
des temps, et surtout la décadence de la religion
et des mœurs, ont exposé un si grand nombre d'é-
crivains à juger l'histoire du moyen âge d'après les
opinions et les théories modernes, plutôt que d'a-
près la connaissance et l'examen attentif des faits.
Telle est sans doute la principale cause des juge-
ments si différents qu'on a portés, dans ces der-
niers temps, sur une matière si délicate. D'un côté,
le désir d'excuser et de justifier des hommes res-
pectables par leurs vertus et leur caractère, a fait
imaginer des systèmes aussi dangereux qu'exagé-
rés, sur les% droits de la puissance ecclésiastique
.dans l'ordre temporel (i). D'un autre côté, l'exagé-
(i) On peut voir l'exposition de ces systèmes, au n° vm des
Pièces justificatives s à la fin de ce volume.
PRÉFACE. ix
ration de ces systèmes, jointe aux abus qu'on a cru
voir dans l'exercice du pouvoir temporel du clergé,
pendant les siècles du moyen âge, a donné lieu aux
plus scandaleuses déclamations contre l'Église et
contre son chef visible. Les reproches d'ignorance,
d'ambition et de fanatisme, ont été mille fois répé-
tés, à cette occasion, contre des hommes dont les
lumières et les vertus avaient fait l'admiration et
le bonheur de leurs contemporains. Ces reproches
si odieux ne sont pas seulement à la bouche des
hérétiques et des impies; on est surpris et affligé
de les retrouver, ou du moins de les voir confirmés
d'une manière plus ou moins expresse, dans les
écrits d'une foule d'auteurs d'ailleurs estimables,
et sincèrement attachés à la religion (i). Enfin, ce
(i) Nous citerons, en particulier, V Histoire Ecclésiastique de
Fleury, celle de Berault-Bercastel ; YHistoire de France de
Velly, et celle même du P. Daniel; YHistoire de la Décadence
de l'Empire après C/iarlemag/ie, parle P. Maimbourg; YHistoire
des Croisades, par Michaud ; L'Esprit de l'histoire, par Fer-
rand, etc. Tous ces ouvrages, et une infinité d'autres, malgré
les principes religieux dont leurs auteurs font profession, lais-
sent dans l'esprit des lecteurs, les plus fâcheuses impressions
contre les Papes et le clergé du moyen âge. La suite de nos re-
cherches nous donnera lieu de signaler les principaux écarts
de ces auteurs, et d'un grand nombre d'autres, sur cette ma-
tière. UHistoire de l'Église, publiée récemment par M. l'abbé
Receveur, paraît très-propre à leur servir de correctif. Aussi
aurons-nous souvent occasion de la citer, dans le cours de cet
ouvrage, à l'appui de nos sentiments , principalement sur l'ori-
gine de la souveraineté temporelle du saint-siége, et sur le
droit public du moyen âge, relativement à la déposition des
souverains. (ire partie, page 263; 2e partie, page 644, et alibi
passim,)
1 PAÉFAGE.
qui est encore plus déplorable, l'histoire du moyen
âge est tellement obscurcie, à cet égard, par les pré-
ventions les plus opposées, que des écrivains ju-
dicieux ont presque désespéré de la voir jamais
débrouiller: « Sujet si remarquable, dit un savant
« académicien de nos jours; sujet défiguré par tant
« de préventions contraires; sujet enfin dont il
« n'existe pas encore, et dont nous attendrons peut-
« être longtemps une histoire complète et impar-
te tiale (i). »
En attendant la publication d'un ouvrage qui
éclaircisse entièrement cette matière, il nous a sem-
blé utile d'y préluder par quelques Recherches his-
toriques sur l'origine de la souveraineté temporelle
du saint-siège i et sur le pouvoir du Pape, au moyen
âge, relativement à la déposition des souverains. On
sait, en effet, que ces deux points sont le princi-
pal sujet des difficultés que présente l'histoire du
moyen âge; d'où il suit que leur éclaircissement ne
peut manquer de répandre beaucoup de jour sur
les principaux événements de cette époque, et par-
ticulièrement sur les questions relatives à la lutte
de la puissance pontificale et de la puissance impé-
riale, depuis le xe siècle.
Le premier essai de ces Recherches a paru en 1 83o,
dans la Revue de quelques ouvrages de Fénelon, des-
tinée à servir de supplément aux avertissements
placés en tête des différentes classes de ses OEu~
(i) Journal des Savants, décembre 1821, page 737; article
de M. Raoul Rochette, sur l'ouvrage de lïallam intitulé ;
JJ Europe au moyen âge , 4 vol. iu-8°T
PRÉFACE. XJ
vres (i). L'exposition que nous avions faite, dans
le second article de cet ouvrage (2), des sentiments
de Bossuet et de Fénelon, sur l'autorité du souverain
Pontife dans l'ordre temporel, nous conduisit na-
turellement à quelques recherches sur les Maximes
de droit public, au moyen desquelles Fénelon croit
pouvoir expliquer la conduite des souverains Pon-
tifes, qui ont autrefois déposé des princes tempo-
rels. Nous regrettions alors que notre plan ne nous
permît pas de nous étendre davantage sur ce point;
et nous avions tout lieu de croire, que des recher-
ches plus étendues confirmeraient de plus en plus
le sentiment de l'archevêque de Cambrai. Nous
n'avons pas été trompé dans notre attente; et les
nouvelles recherches auxquelles nous nous sommes
livré, depuis cette époque, nous ont fourni des
preuves aussi nombreuses que frappantes du droit
public dont il s'agit. Tel fut du moins le sentiment
unanime des personnes éclairées, auxquelles nous
avions soumis le travail beaucoup plus étendu que
nous publiâmes en i83g, sous le titre de Pouvoir
du Pape sur les souverains, au moyen âge (3) ; et nous
pouvons citer aujourd'hui, à l'appui de ce premier
(1) Cette Revue , qui fut alors publiée séparément (212 pag.
in-8°), fut insérée en même temps dans le dernier tome des
Œuvres de Fénelon, qui a pour titre : Table des Œuvres de Fé-
nelon, précédées d'une Revue de ses ouvrages; Paris, i83o, in-8°.
(2) Ibid., n° 84, etc.
(3) Cet ouvrage, qui parut alors séparément (Paris et Lyon,
//2-8°), a été reproduit, en forme ^appendice, à la suite de
YHist. Utt. de Fénelon, publiée en 1842 [Paris et Lyon, grand
*>?-80), pour servir de complément à son Histoire^ et aux cltffé-
rentes éditions de ses OEuvrçs^
Xij PRÉFACE.
jugement, l'accueil favorable que notre ouvrage a
depuis obtenu, soit en France, soit hors de France.
Indépendamment de plusieurs écrits périodiques,
justement estimés pour la solidité des principes
dont les rédacteurs font profession (i), plusieurs
écrivains distingués ont parlé , avec une extrême
bienveillance, de la première édition de notre ou-
vrage. Parmi ces derniers, nous remarquerons en
particulier M. l'abbé Jager, professeur d'histoire
ecclésiastique en Sorbonne, et M. l'abbé Palma,
professeur d'histoire ecclésiastique au séminaire
Romain, et au collège de la Propagande. Ces deux
savants professeurs, que l'objet ordinaire de leurs
études met plus à portée que personne d'apprécier
notre ouvrage, lui ont rendu le plus honorable té-
moignage : le premier, dans ses Introductions aux
Histoires de Grégoire VII et d'Innocent III (2) ; le
(1) Voyez le compte rendu de notre de première édition
dans L'Ami de la Religion, tome en, page 419; tome cm,
pages i/i5, 257, 370, 387; tome cv, page 369. —L'Université
catholique; septembre, 1840, page 1Z0. — Bulletin catholique
de bibliographie ; avril , mai, 1840; page 112. — - Journal des
villes et des campagnes; 21 novembre, 1842. — L'Union ca-
tholique; 22 janvier 1843. — Annales de Philosophie chré-
tienne; mai i843. — L' Université catholique; novembre, 184 3.
— Bibliographie catholique; tome m, page 293; tome iv,
page i55 et 168. — Plusieurs journaux étrangers ont aussi parlé
avec éloges, de cette première édition. Nous remarquerons
entre autres le Cattolico , revue italienne qui paraît à Lugano,
en Suisse; les Mémoires de Modène ; et les Annales des sciences
religieuses, publiées à Rome par M. l'abbé de Luca.
(2) Voigt, Histoire de Grégoire VII, traduite de l'allemand
par M. Vabbé Jager; Paris, i838, 2 vol. in-8° ; et 1842 , in-8°.
— Hurter, Histoire d'Innocent III , traduite de l'allemand par
MM, l'abbé Jager et Th. Fiai; Paris, 1840, 2 vol. in-8°.
PRÉFACE. Xiij
second , dans ses Leçons d'Histoire ecclésiastique ,
récemment publiées à Rome (i), où il jouit depuis
longtemps de la considération universelle , que
l'étendue de ses lumières, et la profondeur de ses
études ont seules pu lui mériter, au centre même
de la catholicité, au sein de l'Église mère et maî-
tresse de toutes les autres (2).
De pareils encouragements, donnés à la première
édition de notre ouvrage, étaient pour nous un
puissant motif d'apporter tous nos soins à complé-
ter et perfectionner notre travail. Nous n'avons
donc rien négligé pour le rendre de plus en plus
(1) Prœlect. Histor. Eccles. tom. m (Romœ y 1840 et 1842,
in-8°), iâ part., pag. 7; 2à part., pag. 5 et 89.
(2) La première édition de notre ouvrage a été citée, avec
une égale bienveillance, dans les ouvrages suivants : Boyer, Dé-
fense de l'Egl. cathol. contre V hérésie constit. Paris, 1840, in-8°
(page i5). — Dumont, Hist. Rom. 2 e édition, Paris, 1840,
3 vol. in-8° (tome m, pages 524 et 649). — Th. Nisard, Hist. de
Charlemagne ; Paris, 1843, in-12 (pages 4o8 , 443, etc.) —
Pardessus, Note sur l'ouvrage de Bréquigny, Diplomata et alia
monumenta ad res Francicas spectantia (tome 1, page 282). —
Artaud de Montor, Considérations hist. sur les Papes qui ont
porté le nom de Grégoire, pages 75, 227, etc.
Parmi les auteurs étrangers qui ont fait une mention hono-
rable de notre ouvrage, nous citerons encore monseigneur Ca-
dolini, archevêque d'Édesse, secrétaire de la Propagande, à
Rome. Voyez son Discours lu à V Académie de la Rel. cathol. à
Rome, le 17 septembre 1840. Ce discours a été reproduit, pres-
que en entier, dans L'Ami de la Religion, tome ex, page 352, etc.
(Remarquez en particulier la page 373.) — Voyez aussi le Cours
d'Histoire de M. César Cantù , accueilli en Italie avec de si
grands applaudissements, et dont la traduction française s'im-
prime en ce moment. Storia univ. scritta da C. Cantù, vol. ix,
pag. 352 ; Torino, 1842.
Xiv PRÉFACE.
digne des suffrages du public. Nous avons réclamé
avec empressement les observations des personnes
instruites, et nous avons profité de leurs avis, pour
corriger et améliorer notre ouvrage, tant pour le
fond que pour la forme. On trouvera, sous ces deux
rapports, des différences notables entre la première
et la seconde édition, comme on peut s'en con-
vaincre par un simple coup d'oeil sur l'ordre et le
plan que nous avons suivis dans celle-ci.
Pour mieux éclaircir l'objet de nos recherches, et
pour montrer la véritable origine du pouvoir tem-
porel dont le saint-siége a été investi, depuis la chute
de l'empire romain , il nous a paru nécessaire de
remonter beaucoup plus haut dans l'histoire. Rien
n'est si commun , parmi les écrivains modernes ,
que d'attribuer à l'ignorance et à la superstition du
moyen âge, les honneurs et les prérogatives tem-
porelles dont le clergé en général, et le souverain
Pontife en particulier, furent investis, à cette épo-
que, dans toutes les parties de la chrétienté. Il est
certain, au contraire, que cet ordre de choses, qui
nous étonne aujourd'hui, était une conséquence
naturelle de l'usage et des maximes de l'antiquité,
même profane, sur les honneurs et les prérogatives
dus à la religion et à ses ministres. C'est ce que nous
établissons d'abord dans une Introduction, qui pa-
raît ici pour la première fois, et dans laquelle nous
rappelons les honneurs et les prérogatives temporel-
les, accordés à la religion et à ses ministres chez les
peuples anciens, particulièrement sous les premiers
empereurs chrétiens. Le développement de cette
matière nous conduit naturellement à combattre,
PBÉFACE. XV
par la tradition et la pratique même des premiers
siècles de l'Église, le paradoxe soutenu, de nos
jours, par quelques esprits exaltés, qui représentent
la séparation totale de V Eglise et de l'Etat, comme
essentielle au bien de la religion (i); paradoxe jus-
tement condamné par M . S. P. le Pape Grégoire XVI,
dans sa Lettre encyclique du 1 5 août j 83s , où il
s'exprime ainsi : « Nous n'aurions rien d'heureux à
« présager pour la religion et le gouvernement, des
« vœux de ceux qui veulent que l'Église soit séparée
« de l'État, et que la concorde mutuelle de l'empire
« avec le sacerdoce soit rompue; car il est certain que
« les partisans d'une liberté effrénée redoutent singu-
« lièrement cette concorde, qui fut toujours si favo-
« rable et si salutaire aux intérêts delà religion (2).»
(1) Ce paradoxe est un de ceux que le journal de L'Jvenir a
soutenus avec plus de confiance et d opiniâtreté. (Voy. les pro-
positions 5i et 53 de la Censure de divers écrits de M. de la
Mennais et de ses disciples, dressée, en i832, par plusieurs
évêques de France.)
(2) « Neque laetiora Religioni et Principatui ominari posse-
« mus, ex eorum votis qui Ecclesiam a regno separari, mu-
« tuamque imperii cum sacerdotio concordiam abrumpi dis—
« cupiunt. Constat quippe pertimesci ab impudentissimse
« libertatis amatoribus concordiam illam, quae semper rei sacrse
« et civili fausta extitit ac salutaris. » Greg, Papœ XVI Epist,
Encycl. iôaug. i832.
A l'appui de ce jugement, voyez les Conférences de M. Frays-
sinoùs sur les Principes religieux , fondements de la morale et
delà société; et sur V Union réciproque de la religion et de la
société (tomes 1 et ni des Conf). Voyez aussi l'examen d'une
opinion (de M. de la Mennais), sur les traitements ecclésias-
tiques, par un prêtre du diocèse de Paris (l'abbé Delacouture)*
Paris, i83o, 46 pages in-8°. — Boyer, Défense de l'ordre so-
cial; tome 1, page 173, etc.; tome 11, page 410, etc,
xVj PREFACE.
Ces premières notions étant supposées, l'objet
de nos recherches se divise naturellement en deux
parties, dont la première concerne l'origine et les
fondements de la souveraineté temporelle du saint-
siége; et la seconde, le pouvoir du Pape sur les
souverains, au moyen âge.
Dans la première, qui paraît aussi pour la pre-
mière fois, nous recherchons, non-seulement l'épo-
que précise à laquelle on doit placer l'origine de
la souveraineté temporelle du saint-siége, mais en-
core la nature de cette souveraineté , et les titres
qui en établissent la légitimité. L'examen de ces
questions, outre qu'il entrait naturellement dans
notre plan, nous a paru très -important, soit
pour venger la mémoire des Papes du vme siè-
cle, contre les attaques de plusieurs écrivains mo-
dernes; soit pour mettre dans tout son jour une
des principales causes de l'influence des Papes dans
les affaires générales de l'Europe, au moyen âge,
soit enfin pour mettre le lecteur à portée de ju-
ger les principaux événements relatifs à la lutte
des deux puissances, à cette époque. Il est certain,
en effet, que la question de la souveraineté de Rome
était le principal sujet de contestation entre les
Papes et les empereurs, principalement depuis Fré-
déric Barberousse, qui soutint avec tant de hau-
teur et de violence ses prétentions, à cet égard (i).
C'est ce que Voltaire lui-même n'a pu s'empêcher
de reconnaître, « 11 me paraît sensible, dit-il, que
« le vrai fond de la querelle (entre les Papes et les
« empereurs) était que les Papes et les Romains ne
(i) Voyez, ci-après, la note première de la page 268,
préface. xyij
« voulaient point d'empereur à Rome (i), » é est-à-
dire, ajoute le comte de Maistre, qiiils ne voulaient
point de maîtres chez eux (2).
Dans la seconde partie, la seule qui ait paru
en 1839, nous examinons en vertu de quel droit
les souverains Pontifes ont déposé autrefois des
princes temporels; et parmi les différentes expli-
cations qu'on a données de leur conduite, nous
nous attachons à établir le sentiment de Fénelon
et de plusieurs autres écrivains modernes, qui
l'expliquent et la justifient par les maximes de
droit public , alors généralement admises. Ici
nous reproduisons, pour le fond, la première
édition de nos Recherches, mais avec plusieurs
additions et modifications très-importantes. JNous
ferons remarquer en particulier, dans le chapitre
premier de cette seconde partie, les détails relatifs
aux effets temporels de la pénitence publique, qui ont
préparé la voie à ceux de Y excommunication. On
trouvera des additions beaucoup plus considérables,
dans le troisième et le quatrième chapitre, dont les
développements sont presque entièrement neufs,
et mettent dans un plus grand jour les principes
que nous avions exposés trop brièvement, dans la
première édition. Parmi ces développements, le lec-
teur verra sans doute avec intérêt, l'examen des dif-
ficultés qui nous ont été proposées dans quelques
écrits périodiques, dont les rédacteurs, malgré la
bienveillance avec laquelle ils se sont exprimés sur
notre ouvrage, ont paru peu frappés de quelques-
(1) Voltaire, Essai sur l'Histoire générale ; tome ier, chap. 46.
(a) De Maistre, Du Pape; liv, 11, chap. 7 j art. 3, pag, 398,
b
XVÎij PRÉFACE.
unes de nos preuves, et même peu disposés à em-
brasser notre sentiment (i). Nous espérons que les
lecteurs instruits seront satisfaits de nos réponses
à ces difficultés, et qu'après avoir suivi les détails
de cette discussion, ils en concluront avec nous,
que le sentiment de Fénelon , sur le droit public du
moyen âge, relativement à la déposition des sou-
verains, est en harmonie parfaite avec les faits ; et
qu'il fournit, en quelque sorte, la clef de l'histoire
du moyen âge, et d'une multitude d'événements
qu'on a trop souvent présentés sous des couleurs
très-odieuses, pour ne les avoir pas envisagés sous
leur véritable point de vue.
(i) Les écrits périodiques dont nous parlons ici, sont le Jour-
nal des Débats, du 29 septembre 1 8^9; la Revue Ecclésiastique ,
du mois de janvier 1840; et Le Semeur, du 8 septembre 1841.
— Toutes les difficultés qui nous ont été opposées par les ré-
dacteurs de ces divers articles, peuvent se réduire à trois prin-
cipales. La première conteste le fait de la persuasion générale
du moyen âge, sur la subordination de la puissance temporelle
envers la spirituelle. La seconde soutient que cette persuasion
était fondée sur une erreur, c'est-à-dire , sur l'opinion théolo-
gique qui attribue à l'Eglise et au souverain Pontife une juri-
diction au moins indirecte sur les choses temporelles; d'où l'on
conclut que l'Église ni le souverain Pontife ne pouvaient avoir
un droit réel sur la puissance temporelle, mais seulement un
droit putatif ou apparent, qui laissait subsister l'usurpation
matérielle. La troisième se tire de l'incompatibilité prétendue
du pouvoir temporel avec le spirituel , dans les ministres sacrés
delà loi nouvelle, et de l'opposition prétendue entre l'esprit
de l'Évangile et le prodigieux pouvoir que leur attribuaient
les maximes du moyen âge. Nous croyons avoir pleinement ré-
solu la première de ces difficultés dans le chapitre 11 de la se-
conde partie de cette nouvelle édition; et les deux autres, dans
le chapitre m. (Remarquez, en particulier, les nos 274 et suiv.)
PRÉFACE. Xix
Indépendamment des notes critiques et explica-
tives, que nous avons souvent mises au bas des pa-
ges, nous avons renvoyé à la fin du volume, sous le
titre de Pièces justificatives , l'éclaircissement de
quelques difficultés particulières, dont la discussion
eût trop longtemps suspendu la marche de l'ou-
vrage. Parmi ces différentes pièces, on lira surtout
avec intérêt celles que nous avons placées sous les
numéros vu et vin. Le premier a pour objet l'éléva-
tion de Pépin au trône de France, et l'usurpation
communément reprochée à ce prince ; le second ren-
ferme l'exposition abrégée de l'origine, des progrès
et des vicissitudes de l'opinion qui attribue à l'E-
glise et au souverain Pontife, un -pouvoir de juridic-
tion direct ou indirect sur les choses temporelles, en
vertu de l'institution divine. Ce dernier éclaircisse-
ment serait sans doute susceptible d'un grand déve-
loppement, surtout en ce qui concerne l'exposition
des sentiments des divers auteurs que nous citons;
mais nous ne pouvions nous étendre davantage,
sans sortir des bornes qui nous étaient prescrites;
et quelque abrégé que soit notre travail, nous espé-
rons qu'il ne sera pas lu sans intérêt, sous le dou-
ble rapport de l'histoire et de la controverse.
On voit assez, par le plan et par le titre même
de cet ouvrage, que notre intention n'est pas d'y
renouveler les discussions théologiques sur le droit
divin y relativement à la distinction et à l'indépen-
dance réciproque des deux puissances. Il est vrai
que la seule exposition des faits qui se rattachent à
notre plan, peut beaucoup servir à l'éclaircissement
des questions agitées, sur ce sujet, avec tant d'éclat,
à.
XX PRÉFACE.
dans ces derniers temps. Dans cette discussion
comme dans un grand nombres d'autres, plusieurs
faits importants, faute d'avoir été soigneusement
examinés, avec les circonstances qui les modifient,
paraissent avoir été invoqués à tort, par les défen-
seurs des différentes opinions; de graves autorités
ont été citées, avec une égale confiance, en faveur
des opinions les plus opposées : d'où il suit que
Fexamen attentif de l'histoire, et du véritable sens
des témoignages allégués de part et d'autre, est
un des principaux moyens d'éclaircir les questions
dont il s'agit. Mais ce résultat de nos recherches
est, à vrai dire, étranger à l'objet purement his-
torique de cet ouvrage : l'unique but que nous
nous y proposons, est de prévenir ou de corriger,
par la seule exposition des faits, les fâcheuses im-
pressions que produit, sur une multitude d'esprits
légers ou préoccupés, l'étude de l'histoire du moyen
âge, principalement en ce qui regarde le pouvoir
temporel du saint-siége, à cette époque, et l'usage
que plusieurs Papes en ont fait, à l'occasion de
leurs démêlés avec les souverains.
Bien loin de vouloir renouveler les discussions
théologiques, sur cette matière, nous évitons avec
soin, dans le développement de notre plan et des
faits qui s'y rattachent, tout ce qui pourrait blesser
les défenseurs des différentes opinions. Nous lais-
sons au lecteur impartial le soin de tirer lui-même
les conséquences qui peuvent résulter de notre ex-
posé , contre les sentiments de quelques théolo-
giens, ou du moins contre les raisons qu'ils ont
quelquefois invoquées à l'appui de leurs opinions.
PRÉFACE. XXJ
Pour mieux éclaircir les principaux faits dont
nous avons occasion de parler, et pour ne pas nous
exposer à les dénaturer, ou à les présenter sous un
faux jour, nous nous sommes fait une loi de n'en
avancer aucun, qui ne soit fondé sur le témoignage
des auteurs contemporains, ou les plus voisins de
l'époque à laquelle ils se rapportent. Les bornes qui
noussontprescritesne nous permettentpas toujours
de citer au long le texte même de ces auteurs; nous
nous coutentons le plus souvent d'en rapporter la
substance, en conservant, autant qu'il est possible,
leurs propres expressions. Mais pour suppléer à
notre brièveté, nous indiquons fidèlement en note
les principaux endroits des ouvrages sur lesquels
nous nous appuyons, après les avoir soigneusement
vérifiés. Nous citons même textuellement ceux qui
semblent plus importants pour éclaircir l'objet de
nos recherches, ou pour corriger des erreurs accré-
ditées parmi des auteurs modernes. Pour ce qui
regarde en particulier les textes d'auteurs grecs,
comme ils ne sont compris aujourd'hui que par un
petit nombre de lecteurs, nous nous bornons pres-
que toujours à les citer en latin, d'après quelque
traduction généralement estimée. Nous supprimons
même cette traduction latine, lorsque le texte ori-
ginal est suffisamment représenté dans le nôtre.
Quelque suffisants que soient les anciens témoi-
gnages, pour établir la vérité de notre exposé, nous
avons cru devoir confirmer les faits les plus im-
portants, aussi bien que leurs conséquences les plus
remarquables, par le témoignage des auteurs mo-
dernes , les moins suspects de partialité en faveyr
XXÏJ HiÉFACE.
du clergé. Il est curieux, en effet, de voir les prin-
cipaux faits qui établissent la légitimité du pouvoir
temporel de l'Église et du souverain Pontife, au
moyen âge , confirmés par les propres aveux des
auteurs les plus opposés aux principes ultramon-
tains, souvent même par des écrivains hétérodoxes,
imbus des plus funestes préjugés contre le sain t-
siége et l'Eglise catholique. Parmi les auteurs de la
première classe, on conviendra sans doute que
nous pouvons citer avec confiance : Bossuet, De-
fensio Declarationis ; Fleury, Histoire Ecclésiastique
et Institutions au Droit canonique; Velly et ses con-
tinuateurs, Histoire de France; Lebeau, Histoire
du Bas- Empire; Vertot, Origine de la grandeur de
la cour de Rome ; Gaillard, Histoire de Charlemagne ;
Bernardi, De V origine et des progrès de la législation
française; Ferra nd, V Es prit de l'Histoire; Michaud,
Histoire des Croisades; Frantin, Annales du moyen
âge, etc. Tous ces auteurs, et même ceux d'entre
eux qui font plus ouvertement profession de res-
pecter le saint-siége et l'Eglise catholique, s'expri-
ment en général avec beaucoup de liberté, quel-
ques-uns même avec peu de mesure, sur le sujet
qui nous occupe. Parmi les écrivains hétérodoxes,
nous aurons souvent occasion de citer, à l'appui
des faits les plus importants pour la justification
du clergé et des Papes du moyen âge , plusieurs
célèbres auteurs protestants, tels que Leibniz,
Pfeffel, Gibbon, Hegewisch, Voigt, Hurter (i), Ei-
(i) U Histoire d'Innocent III, écrite par M. Hurter, long-
temps avant sa conversion à l'Église catholique, porte, en bien
des endroits, l'empreinte des préjugés dont l'auteur n'avait en-
PRÉFACE. XXÎjj
chorn , Hallam , Sismondi, etc. Les deux derniers,
en particulier, sont d'autant moins suspects, lors-
qu'ils nous sont favorables, qu'ils se montrent habi-
tuellement remplis des plus odieux préjugés contre
l'Eglise catholique, et surtout contre le sain t-siége.
Enfin, pour compléter notre travail, et pour don-
ner au lecteur une plus grande facilité de retrouver
les éclaircissements relatifs à certains faits ou à
certains personnages plus importants, nous avons
ajouté, à la Table des chapitres , une Table al-
phabétique des principaux faits et des princi-
paux personnages , dont il est fait mention dans
le cours de notre ouvrage. D'après le but que nous
nous sommes proposé, dans la rédaction de cette
dernière Table, il nous a paru inutile d'y rappeler
en détail les sujets que le lecteur peut aisément
retrouver, par un simple coup d'œil sur la Table
des chapitres. Mais nous avons soigneusement indi-
qué les personnages anciens et modernes, tels que
les souverains Pontifes, les princes, les auteurs cé-
lèbres, dont la conduite ou les écrits offrent un
plus grand intérêt, ou présentent quelques diffi-
cultés particulières (i).
core pu se dépouiller. (Voyez ci-après la note 3 de la page 323.)
Toutefois, la droiture et la franchise qu'il montre constamment
dans son ouvrage, donnaient lieu d'espérer, que ses préjugés
ne tarderaient pas à se dissiper. Ces espérances viennent de se
réaliser: l'impression de notre ouvrage était presque terminée,
lorsque nous avons appris l'heureuse nouvelle de la conversion
de M. Hurter. (Voy. L'Ami de la Religion, tome cxxi, page 668 ;
tome cxxn , pages 1 i , 248 , 465 , etc.)
(1) Cette observation s'applique en particulier aux artiles,
Empire, Excommunication, Hérésie, Pénitence publique, Pape, etc.
XXÎV PRÉFACE.
Malgré tous nos efforts pour éclaircir l'objet de
nos Recherches, nous sommes bien éloigné de
croire qu'il ne soit susceptible d'un plus parfait
éclaircissement. Nous sommes persuadé, au con-
traire, que des recherches plus étendues et plus
profondes répandraient encore un plus grand jour
sur cette matière. Mais quelque imparfait que
puisse être notre travail, nous serons au comble de
nos vœux, si, par ce faible essai, nous donnons
lieu à des recherches plus complètes et plus satis-
faisantes, sur un sujet si intéressant par lui-même,
si peu approfondi jusqu'à présent, et dont l'éclair-
cissement devient, de jour en jour, plus important,
depuis que l'étude de l'histoire du moyen âge, au-
trefois réservée à un petit nombre d'hommes d'un
esprit mûr et d'une solide instruction, occupe une
place si considérable, dans l'éducation de la jeu-
nesse, et dans les cours publics de nos académies.
TABLE DES CHAPITRES.
Pag.
Préface .- v
INTRODUCTION.
Des Honneurs et des Prérogatives temporelles accordés à la Religion
et à ses Ministres chez les peuples anciens , particulièrement sous
les premiers empereurs chrétiens f
1. Plan de cette introduction ib.
Article Ier. — Des Honneurs et des Prérogatives temporelles ac-
cordés à la Religion et à ses Ministres chez les peuples anciens,
particulièrement chez les Romains , avant la conversion de Con-
stantin ib.
2. La religion de tout temps regardée comme la base de l'ordre
public ib.
3. Honneurs accordés, en conséquence, à la religion et à ses mi-
nistres 2
4. Sentiments des anciens législateurs sur ce point 3
5. Doctrine des plus célèbres philosophes ib.
6. Étroite union de la religion et du gouvernement , sous la lé-
gislation mosaïque 6
7. La même union chez les Égyptiens 7
8. Lois et coutumes de la Grèce, sur ce point 8
9. Lois et coutumes des Athéniens 11
10. Lois de Romulus et de Numa 13
11. Lois des Douze Tables 16
1 2. Permanence de ces anciennes lois , dans la décadence de la
république 17
13. Privilèges accordés aux ministres de la religion 20
14. Le titre de souverain pontife donné aux premiers empereurs
chrétiens 22
15. Privilèges des prêtres païens maintenus sous Constantin et
ses successeurs 23
16. Prohibition des cultes étrangers chez les anciens Romains. 24
17. Celte prohibition maintenue par Auguste et Tibère. ... 25
18. Elle sert de prétexte aux païens, pour persécuter les chré-
tiens 26
19. Injustice de ce prétexte ib.
20. Cette injustice souvent reconnue par les païens 28
21. Conséquence naturelle de tous ces faits. Étroite union de
la religion et de l'État, sous les empereurs chrétiens. ... 29
Article II. — Des Honneurs et des Prérogatives temporelles accor-
dés à la Religion et à ses Ministres , sous les premiers empereurs
chrétiens. . # . „ , t ..»..,.. * 30
XX Vj TABLE DES CHAPITRES.
Pag.
22. Origine des faveurs accordées à la religion chrétienne , par
Constantin et ses successeurs 30
§ Ier. Situation déplorable de l'empire sous les premiers empereurs
chrétiens ; puissantes ressources que lui offraient la Religion et ses
Ministres 31
23. Germes de dissolution dans l'empire longtemps avant Con-
stantin ib.
24. Puissanles ressources que lui offrait la religion chrétienne. ib.
25. Vertus éminentes du clergé, et surtout des évêques .... 32
26. Combien ils étaient respectés par les fidèles et par les païens
eux-mêmes 36
27. Permanence de ces vertus dans le clergé, depuis la conver-
sion de Constantin 38
28. Aveux remarquables de Julien sur ce point 40
29. L'empire soutenu par le christianisme contre les ennemis du
dehors 41
30. Rome et plusieurs aulres villes sauvées par l'influence des
évêques 42
31. Le pouvoir temporel du clergé, conséquence naturelle de
tous ces faits ib.
32. Cette conséquence reconnue par des auteurs non suspects.
Aveux de Dupuy . . . • 43
33. Aveux de M. Guizot 45
& IL Confirmation des lois divines et ecclésiastiques par l'autorité
des empereurs chrétiens. Origine des peines temporelles contre
l'idolâtrie, le judaïsme, l'hérésie, et les autres délits de l'impiété. 46
34. Etat et progrès du christianisme dans l'empire, avant Con-
stantin ib.
35. Accord des auteurs païens avec les chrétiens, sur ce point. 48
36. Le triomphe du christianisme sur l'idolâtrie assuré avant la
conversion de Constantin 50
37. Premiers édits de Constantin en faveur de la religion chré-
tienne 51
38. Son application à décréditer l'idolâtrie 53
39. Ses édits contre la divination secrète 55
40. Sa conduite modérée envers les païens 56
41. Sa prudence imitée en ce point par Constance et Constant. ib.
42. Modération de Jovien 58
43. L'autel de la Victoire , tantôt enlevé du Sénat , tantôt réta-
bli, selon les conjonctures 59
44. Derniers coups portés à l'idolâtrie par Théodose 61
45. Confirmation des lois de l'Église, par les édits des empe-
reurs 64
46. Peines temporelles contre les transgresseurs de ces lois . . 67
47. Principes des anciens gouvernements dans leurs rapports
avec la religion . ib.
48. Les édits des empereurs chrétiens en faveur de la religion,
fondés sur ces principes . 68
49. Ces principes reconnus par les plus célèbres publicistes mo-
dernes 69
50. L'application de ces principes, souvent difficile 71
51. Première règle. L'Église seule peut régler les objets de l'or-
dre spirituel ....... 72
52. Eu quel sens le prince est nommé Yévêfjuë du dehors ... 73
TABLE DBS CHAPITRES. IXVij
Pag.
53. Deuxième règle. Ne jamais extorquer par la violence une
profession de foi 74
54. Troisième régie. Ne jamais infliger la peine de mort pour le
seul fait de la croyance ib.
55. Quatrième règle. S'opposer fortement à l'hérésie naissante. . 76
56. Dispositions sévères du droit romain , sur ce point, non ap-
prouvées par l'Église 77
57- Rigueur ordinaire des lois. pénales, à cette époque .... ib.
58. Adoucissements dans la pratique. . 78
1° Lois contre les Juifs 80
59. Sévérité de ces lois . ib.
60. Raisons de celte sévérité 82
II0 Lois contre les hérétiques et les apostats 83
61. Lois de Constantin ib.
62. Lois de Théodose le Grand. Origine de Y inquisition ... 84
63. Lois d'Honorius et de Théodose le Jeune; les hérétiques in-
capables de tout emploi civil 87
64. Lois de Marcien, confirmant et renouvelant les précédentes. 88
65. Lois semblables de Justinien , dans son Code et ses Novelles. 89
66. Dispositions particulières contre les sacrilèges et les apostats. 91
67. Le droit romain suivi, sur ce point, dans tous les États
chrétiens de l'Europe , au moyen âge ib.
68. La protection des princes insuffisante pour soutenir l'Église;
nécessité de l'assistance divine 95
§ III. Biens et richesses du clergé pendant les premiers siècles de
l'Église, particulièrement sous les empereurs chrétiens: saint
usage qu'il en faisait 98
69. Principes de l'Église primitive sur le renoncement aux biens
de la terre ib.
70. La pratique conforme à ces principes 99
71. Richesses de quelques églises pendant les persécutions. . . 101
72. Accroissement des biens ecclésiastiques depuis la conversion
de Constantin 103
73. Ses libéralités envers l'Église romaine 105
74. Sources de ces libéralités. Immenses revenus de l'empire. . 111
75. Autres sources de richesses pour l'Église : restitutions; libé-
ralités des fidèles, etc % 114
76. Dîmes, prémices, donations entre-vifs et par testament . . 118
77. La libéralité des fidèles excitée par les exhortations des saints
docteurs.. 120
78. Ils blâment les donations excessives ou indiscrètes .... 122
79. Richesses des églises patriarcales 123
80. Richesses de l'Église romaine : ses nombreux patrimoines. . 124
81. Précieux résultats des richesses du clergé, pour le bien de la
société 128
82. Établissements charitables : hôpitaux 130
83. Rachat des captifs; affranchissement des esclaves 132
84. Libéralités immenses de l'Église romaine 134
85. L'accroissement des biens ecclésiastiques , généralement avan-
tageux à la société 137
86. Injustice des invectives contre le clergé, sur ce sujet ... 138
... 87. Réponse de saint Jean Chrysostome à ces invectives. . . . 140
§ IV. Immunités ecclésiastiques, sous les empereurs chrétiens; droit
d'asile t ... t 142
XXViij TABLE DES CHAPITRES.
Pag.
88. Origine des immunités ecclésiastiques 142
89. Immunités personnelles 144
90. Immunités réelles . 148
91. L'Église toujours soumise aux lois , même les moins favorables
en celte matière 150
92. Erreur de Baronius sur ce sujet 153
93. La question théologique de X origine des immunités éclaircie
par les faits ib.
94. Droit d' asile ; son origine 155
95. Il est maintenu par les empereurs, avec de sages restrictions. 156
96. Zèle du clergé pour le maintien de ce droit 157
97. Avantages de ce droit, renfermé dans de justes bornes. . . 160
§ V. Pouvoir judiciaire des évêques, en matière temporelle, sous les
empereurs chrétiens 162
98. Origine de la juridiction ecclésiastique , en matière temporelle. ib.
99. Les évêques arbitres des différends dès le temps des persé-
cutions 163
100. Raisons de maintenir cet usage, depuis la conversion de
Constantin ib.
101. Raisons encore plus fortes, pour exempter le clergé de la
juridiction séculière 164
102. Constantin et ses successeurs, frappés de ces raisons. . . 165
103. Pouvoir judiciaire des évêques en matière temporelle, sous
Constantin 166
104. Ce pouvoir plus ou moins restreint, sous les successeurs de
ce prince 168
105. Ce pouvoir beaucoup plus étendu à l'égard des clercs. . . 169
106. Dispositions du Code Jusiinien, sur ce point 170
107. Règlements de plusieurs conciles, expliqués d'après ces dis*
positions 171
108. Peines temporelles infligées aux coupables, par les tribu-
naux ecclésiastiques 173
109. Surcroît d'embarras occasionné aux évêques, par cette ju-
ridiction temporelle 174
§ VI. Influence du clergé dans l'administration civile, sous les empe-
reurs chrétiens 176
110. Jusqu'où s'étendait cette influence , d'après le droit romain. ib.
111. Attributions des évêques en général ib.
112. Ces attributions beaucoup plus étendues en Occident, sous
la monarchie des Lombards 180
113. Attributions des patriarches, depuis la fin du ive siècle. . 181
114. Usage que saint Cyrille d'Alexandrie fait de son pouvoir
temporel " 183
115. Usage qu'en fait Dioscore. , 185
116. Pouvoir extraordinaire donné par Justinien au patriarche
d'Alexandrie 186
117. Pouvoir temporel de saint Jean l'Aumônier ib.
118. Influence du patriarche de Constantinople dans l'élection
de l'empereur. Serment exigé de l'élu 187
119. Raisons d'exiger ce serment 188
120. Conséquences de ce serment, relativement à la déposition
d'un empereur hérétique 189
121. Conséquences remarquables des faits exposés dans cette
Introduction. .,....,,. t t r . , t 19J
TABLE DES CHAPITRES. XXIX
PREMIÈRE PARTIE.
ORIGINE ET FONDEMENTS DE LA SOUVERAINETE TEMPORELLE DU SAINT-SIEGE.
1. Circonstances qui ont préparé de loin la souveraineté tem-
porelle du saint-siége 193
2. Situation déplorable de l'empire en Occident, depuis le
ive siècle 194
3. Puissantes ressources pour l'Italie , dans la sagesse et la vertu
des Papes . 195
4. Objet et plan de cette première partie 196
CHAPITRE PREMIER.
Exposition des faits relatifs au pouvoir temporel des Papes en Italie,
depuis la conversion de Constantin jusqu'à l'élévation de Charle-
magne à l'empire , . 197
5. Pouvoir temporel du Pape avant la fin du ive siècle ib.
6. Donation prétendue de Constantin ib.
7. Sa fausseté prouvée par l'histoire 198
8. Accroissement du pouvoir temporel du Pape, sous Honorius. . ib.
9. Cet accroissement autorisé par l'empereur : doctrine du pape
Gélase sur la distinction des deux puissances 199
10. Cette doctrine inculquée par le pape Symmaque 202
11. Motifs de la générosité des empereurs envers le saint-siége. . 203
12. Ces motifs encore plus puissants, sous la monarchie des
Lombards 204
13. Pouvoir temporel de saint Grégoire le Grand 206
14. Embarras et difficultés de sa position : sa prudence 208
15. Ses principes et sa conduite, relativement à la soumission
due à l'empereur 209
1 6. Ses exemples sur ce point imités par ses successeurs 211
17. Conduite imprudente des empereurs à l'égard de l'Italie et
du saint-siége 212
18. L'autorité du Pape s'accroît par suite de cette imprudence. . 213
19. Révolution en Italie, sous le pontificat de Grégoire II ; ses
véritables causes 214
20. Le récit de Paul Diacre, sur ce point, confirmé par celui
d'Anastase 215
21. Conséquences remarquables du récit de ces auteurs 219
22. Opposition de ce récit avec celui des historiens grecs. . . . 220
23. Importance d'examiner l'autorité des historiens grecs, sur ce
point 221
24. Accord de Paul Diacre avec Anastase le Bibliothécaire. . . ib.
25. Impossibilité de concilier ici les historiens grecs avec les
latins 223
26. L'opposition de ces auteurs, facile à expliquer ib.
27. Le récit des auteurs grecs n'est pas ici d'un grand poids. . . 224
28. Il est en opposition avec le caractère et les principes de
Grégoire II 225
29. La conduite de ce pontife approuvée par les auteurs mo-
dernes les moins suspects 228
30. Sa modération imitée par Grégoire III 229
31 . Léon l'Isaurien indispose de plus en plus l'Italie par ses excès. 230
XtX • TABLE DES CHAPITRES.
Pag.
32. Grégoire III appelle Charles Martel au secours de l'Italie. . 230
33. Cette démarche facile à justifier d'après les circonstances. . 232
34. Bonne intelligence du Pape et de l'empereur, sous le ponti-
fical de Zacharie .* * * * ^^
35. Le pape Etienne II implore la protection de Pépin contre
les Lombards .•*',•..'*' ^^
36. Dispositions favorables de Pépin; sa première expédition en
Italie. . • • 237
37. Rome assiégée de nouveau par les Lombards; lettres pres-
santes du pape Etienne II à Pépin 240
38. Le langage du Pape dans ces lettres, critiqué sans raison par
quelques auteurs modernes 241
39. Seconde expédition de Pépin en Italie; donation faite au
saint-siége par Astolphe et Pépin . . 243
40. Ces deux princes ne prétendent pas faire au saint-siége une
pure donation, mais une restitution 245
41. Réclamations inutiles de l'empereur contre cet acte .... 246
42. Le Pape, depuis cette époque, se regarde comme souverain
de Rome et de l'exarchat 247
43. Cette persuasion partagée par le sénat et le peuple romain,
et par le roi de France 249
44. Conduite du pape Adrien 1er, en conséquence de cette per-
suasion 250
45. La souveraineté temporelle du saint-siége étendue et conso-
lidée par Charlemagne 251
46. Éclaircissement de quelques difficultés sur ce sujet .... 252
47. Charlemagne reçoit du pape Léon III la couronne impé-
riale. .....' 256
48. La conduite du Pape, en celte occasion, facile à justifier. . 258
49. Accroissement de la puissance temporelle du saint-siége,
sous les successeurs de Charlemagne 260
CHAPITRE II.
Examen critique des principales questions agitées entre les auteurs
modernes, sur l'origine et les fondements de la souveraineté tem-
porelle du saint-siége 261
50. Questions à éclaircir dans ce chapitre ib.
51. D'où viennent ici les difficultés 262
52. Plan de celte discussion ib.
Article Ier. — A quelle époque doit-on placer l'origine de la souve-
raineté temporelle du saint-siége? 263
53. Sentiment commun des auteurs étrangers ib.
54. Etat de la question : trois sentiments principaux à examiner. ib.
55. Premier sentiment : La souveraineté de l'empereur d'Orient
'anéantie à Rome et dans l'exarchat en 754. ........ 265
56. Deuxième sentiment : Cette souveraineté maintenue jusqu'à
la fin du vme siècle 266
57. Troisième sentiment : Cette souveraineté anéantie d'abord
dans l'exarchat , en 754, et plus lard dans le duché de Rome. ib.
58. Importance de la question présente : la solution réduite à
cinq propositions : . . . . 268
I*. L'origine de la souveraineté temporelle du saint-siége ne peut être
placée avant le pontificat de Grégoire IL . . , 269
TABLE DES CHAPITRES. XXXJ
Pag,
59. Première proposition : La souveraineté temporelle du saint-
siège ne remonte pas au delà de Grégoire II 269
11° Le pontificat de Grégoire II doit être considéré comme la véritable
époque du. commencement delà souveraineté temporelle dusaint-
siége, dans le duché de Rome et dans l'exarchat ib.
60. Deuxième proposition : Le pontificat de Grégoire II est l'é-
poque véritable de son commencement ib.
111° Avant la donation de Pépin, en 754, quelque étendu que fût le
S ouvoir temporel des souverains Pontifes dans le duché de Rome et
ans l'exarchat, il ne parait pas qu'ils aient prétendu renoncer,
d'une manière définitive et irrévocable, à la domination de l'empe-
reur de Constantiuople 271
61. Troisième proposition : Av ant la donation de Pépin, cette
souveraineté n'était que provisoire ib.
IV0 Depuis la donation de Pépin, en 754, jusqu'à l'élévation de Char-
temagne à l'empire, le Pape seul avait la souveraineté proprement
dite, soit dans l'exarchat, soit dans le duché de Rome 272
62. Quatrième proposition : Depuis la donation de Pépin, cette
souveraineté fut définitive ib.
63. Cette proposition établie, relativement à l'exarchat , par la
donation de Pépin ib.
64. Confirmation de cette preuve par la conduite des Papes. . . 273
65. Preuves de la quatrième proposition , par rapport au duché
de Rome 274
66. Le roi de France, comme patrice des Romains, n'avait point
la souveraineté de Rome 276
67. La souveraineté du Pape, aussi absolue dans le duché de
Rome que dans l'exarchat 278
68. Le sénat et le peuple romain n'y avaient aucune part '. . . 279
Y0 Depuis l'élévation de Charlemagne à l'empire, le Pape continua
de posséder seul la souveraineté proprement dite dans le duché de
Rome (et à plus forte raison dans l'exarchat), tant sous les empe-
reurs carlovingiens que sous les empereurs allemands 280
69. Cinquième proposition : Le Pape conserve la souveraineté de
Rome et de l'exarchat, depuis l'élévation de Charlemagne à
l'empire ib.
70. L'indépendance du Pape à l'égard de Charlemagne, prouvée
par le testament de ce. prince, en 806 281
71. Lettres de Léon III, à l'appui de cette preuve 282
72. La même preuve confirmée par un acte émané tout à la fois
du Pape et de l'empereur 283
73. L'indépendance du Pape à l'égard des successeurs de Charle-
magne prouvée par le diplôme de Louis le Débonnaire. . . . 284
74. Méprise de Fleury et de quelques autres, au sujet de ce
diplôme 285
75. Authenticité de cet acte 286
76. La preuve tirée de ce diplôme, confirmée par ceux d'OthonIeV
et de Henri II ib.
77. L'indépendance du Pape à l'égard des empereurs, prouvée
par le serment de fidélité que les Romains leur prêtaient. . . 287
78. Explication du titre d'empereur donné à Charlemagne par le
pape Léon III 289
79. Raisons d'attribuer à l'empereur de Constantinople la sou-
veraineté de Rome et de l'exarchat jusqu'à la fin du vine siècle. 29 1
XXXij TABLE DES CHAPITRES.
Pag.
80. Faiblesse de ces raisons » 292
81. Raisons d'attribuer cette souveraineté au roi de France,
avant la fin du vme siècle 293
82. Faiblesse de ces raisons 294
83. Raisons d'attribuer à Charlemagne la souveraineté de Rome,
depuis son élévation à l'empire. Première raison, tirée de
l'adoration de ce prince, par LéonlII 297
84. Deuxième raison, tirée du testament de Charlemagne, en 8 11. 301
85. Troisième raison. Les actes d'autorité exercés dans Rome par
Charlemagne et ses successeurs 302
86. Quatrième raison. Les monnaies frappées dans Rome, sous
Charlemagne et ses successeurs 305
Article IL — Quels sont les fondements et les titres primitifs de la
souveraineté temporelle du sainl-siége 307
87. État de la question. Principes fondamentaux en cette matière. ib.
88. Divers sentiments à examiner 309
89. La question résolue par les faits déjà exposés. La solution
réduite à trois propositions 311
1° La souveraineté temporelle du saint-siége ne doit point son origine
à l'opinion théologique qui allribue à l'Église ou au souverain
Pontife, LE DROIT DE DISPOSER DU TEMPOREL DES PRINCES, POUR LE
I»LUS GRAND BIEN DE LA RELIGION 312
90. Première proposition. La souveraineté temporelle du saint-
siége ne doit point son origine à l'opinion théologique du
droit divin. t ib.
II« La souveraineté temporelle du saint-siége ne doit point son ori-
gine à l'ambition ou aux intrigues politiques des Papes du viue siècle. 313
91. Deuxième proposition. Elle ne doit point son origine à l'am-
bition ou aux intrigues des Papes du viue siècle ib.
92. Difficultés contre cette proposition, tirées de la réponse du
pape Zacharie aux Français 315
93. Injustice des reproches faits à ce pontife : sa décision consi-
dérée en elle-même 316
94. Son caractère et ses vertus 317
95. Sa décision n'était point un acte de juridiction sur le tem-
porel 318
IIP* La souveraineté temporelle du saint-siége a été fondée, dès son
origine, sur les titres les plus légitimes ib.
96. Troisième proposition. La souveraineté temporelle du saint-
siége fondée sur les titres les plus légitimes ib.
97. L'établissement de cette souveraineté, effet marqué de la
providence de Dieu sur l'Église 320
98. Sentiment de Bossuet sur ce point 321
99. Aveux remarquables d'écrivains protestants 322
100. Expérience récente, à l'appui de ces observations : sages
remontrances de M. Émery à l'empereur Napoléon .... 323
DEUXIÈME PARTIE.
POUVOIR DU PAPE SUR LES SOUVERAINS, AU MOYEN AGE.
1. Idée générale de ce pouvoir. ,....«. 326
2. Divers systèmes pour l'expliquer * 327
TAULE DES CHAPITRES. XXXllj
Pa?.
3. 1° Systèmes théologiques : leur variété 327
4. Système du droit divin ib.
5. Opposition générale des protestants pour ce système. . . . 329
6. Opposition plus modérée de plusieurs écrivains catholiques. 330
7. 2° Systèmes historiques, peu accrédités avant le xvin* siècle. 332
8. Sentiment de Fénelon . . 333
9. Comment il explique la déposition de Childéric, et celle de
Louis le Débonnaire 334
10. Maximes et usages du moyen âge, sur la déposition des
princes ib.
11. Pouvoir directifde l'Église et du Pape sur les souverains. . 336
12. La conduite des Papes envers les souverains au moyen âge,
expliquée par le droit public de cette époque 337
13. Le sentiment de Fénelon, modifié par celui du comte de
Maistre 339
14. Comment le comte de Maistre établit le droit public dont il
s'agit 341
15. Condition alors mise, selon lui, à l'élection des souverains. 342
16. En quoi le sentiment du comte de Maistre diffère de celui de
Fénelon 343
17. Sentiment de Michaud : la conduite des Papes envers les
souverains, au moyen âge , justifiée par la nécessité des con-
jonctures 344
18. Plusieurs écrivains protestants favorables à ce sentiment. Té-
moignage de Voigt 346
19. Ce sentiment admis, au fond, par Hurler 348
20. Plan de celle seconde partie : toute la discussion réduite à
quatre propositions 350
CHAPITRE PREMIER.
Des principales circonstances qui ont amené ou favorisé le pouvoir ex-
traordinaire des Papes et des conciles sur les souverains , au moyen
âge 352
21. Comment juger avec impartialité nos ancêtres et leurs in-
stitutions ib.
22. Le pouvoir des Papes et des conciles, sur les souverains au
moyen âge, examiné d'après cette règle 353
Article Ier. — Nature des gouvernements du moyen âgo .... 354
23. La plupart des monarchies , alors électives ib.
24. Sentiment de M. Guizot sur ce point 355
25. L'autorité du souverain modérée par l'assemblée générale de
la nation 357
26. Étroite union de la religion et du gouvernement, dans ces
monarchies 360
27. Union des deux puissances 361
28. Cette union alors plus étroite que sous les premiers empereurs
chrétiens 363
29. Influence du clergé dans les affaires publiques, par suite de
cette union 364
30. L'influence du Pape , suite naturelle des mêmes circon-
stances 365
31. Erreurs de plusieurs écrivains modernes, sur ce point. . . 367
C
XXXiV TABLE DES CHAP1TBES.
Article II. — État de la société au moyen âge : ressources que lui
offraient la religion et le clergé 367
32. Tableau de la société, au moyen âge ib.
33. Ignorance et barbarie de cette époque 368
34. Désordres de la société , au temps de Grégoire VII .... 369
35. Ces désordres souvent fomentés par les exemples des princes. 370
36. Le respect pour la religion , toujours subsistant au milieu de
ces désordres 372
37. Le clergé toujours distingué par ses lumières et ses vertus ,
surtout dans les monastères 373
38. Spectacle édifiant des principaux ordres monastiques. ... 375
39. Les désordres du moyen âge, souvent exagérés par les au-
teurs modernes 376
40. Ce fait important, reconnu par des auteurs non suspects. . ib.
41. Aveux remarquables de Hallam , sur ce sujet. ib.
42. Services rendus à la société, parles ordres monastiques , se-
lon cet auteur 377
43. Aveux de M. Guizot. Influence du clergé sur la civilisation
européenne 378
44. Action salutaire de l'Église , pour l'amélioration sociale . . 380
45. Aveux de Voltaire. Utilité des ordres monastiques .... 382
46. Injustes déclamations de certains auteurs , sur ce point . . 383
47. Première conséquence des faits précédents : L'influence du
clergé, dans l'ordre temporel, au moyen âge 384
48. Deuxième conséquence : Origine des seigneuries ecclésias-
tiques 385
49. Troisième conséquence : L'influence du Pape dans le gouver-
nement des États 386
50. Quatrième conséquence : Droit de suzeraineté du saint-siége,
sur plusieurs États 387
51. L'influence du Pape, plus fréquente et plus étendue, à l'é-
poque des croisades . 388
52. Exemples remarquables de cette influence 390
53. Nécessité de l'influence du clergé dans l'ordre temporel , au
moyen âge , reconnue par des auteurs non suspects 392
54. Témoignage de Bossuet. ib.
55. Témoignage de Bernardi. 394
56. Aveux de Hurter ib.
57. Plusieurs écrivains modernes, peu d'accord avec eux-mêmes,
sur ce point 395
Article III. — Jurisprudence du moyen âge , sur les effets tempo-
rels de la pénitence publique et de l'excommunication , par rapport
aux simples particuliers. ib.
58. Origine de celte jurisprudence ib.
§ Ie*. Effets temporels de la pénitence publique 397
59. Ancienne discipline de l'Église, sur la pénitence publique. ib.
60. Effets temporels de la pénitence publique, en Occident, du '
ive au vnre siècle 398
61. Témoignage remarquable de saint Léon, sur ce point. . , 399
62. Canons de divers conciles, sur le même sujet 400
63. Les effets dont il s'agit, attachés à la pénitence publique,
même faite par pure dévotion 402
64. Cet usage autorisé par les deux puissances , dans le royaume
des Goths 404
TABLE DES CHAPITRES. XXXV
Pag.
65. Décadence de la pénitence publique, du vne au xne siècle. 404
66. Ses effets temporels, maintenus en France et ailleurs, par
l'autorité des deux puissances 405
67. L'usage de celte époque, manifesté par l'histoire de Louis le
Débonnaire 406
68. Cet usage tombe peu à peu en désuétude , depuis le ixe
siècle , 407
69. Cet usage n'était pas fondé sur le droit divin, ni sur la seule
autorité de l'Église 408
§ II. Effets temporels de l'excommunication 410
70. Effets temporels de l'excommunication , dès l'origine du
christianisme ib.
71. Pourquoi les censures ecclésiastiques devinrent dans la suite
si fréquentes, et leurs effets temporels si étendus 412
72. Exemples remarquables, sur ce point, en France, depuis le
vie siècle . . 413
73. Le même usage s'établit insensiblement dans les autres États
de l'Europe 414
74. Concours des souverains, dans l'établissement de cette dis-
cipline 415
75. Rigueur de cette discipline, avant Grégoire VII. .... 416
76. Cette rigueur tempérée par Grégoire VII 417
77. La privation de toute dignité, même temporelle, attachée à
l'excommunication 418
78. Cette discipline longtemps autorisée par le droit commun de
l'Europe. Droit germanique ib.
79. Lois anglaises 419
80. L'ancien usage de la France, conforme, sur ce point, à ce-
lui des autres États s> 420
81. Cette législation en vigueur sous le règne de saint Louis. . 421
82. Circonstances favorables à l'établissement de cette disci-
pline 422
CHAPITRE II.
Persuasion générale des princes et des peuples , sur la réalité du pou-
voir que les Papes et les conciles du moyen âge se sont attribué à
l'égard des souverains 423
83. Cette persuasion générale est un fait incontestable. . . . ib.
84. Preuves de ce fait. Plan de ce chapitre. ........ ib.
Article Ier. — Preuves de cette persuasion , par rapport aux sou-
verains catholiques de l'Europe en général 424
85. La déposition encourue par les princes hérétiques, d'après
la persuasion générale. ib.
86. Cette persuasion établie en France, sous le règne de saint
Louis _ 425
87. Conciles généraux et particuliers, à l'appui de cette per-
suasion 426
88. Décrets du troisième concile général de Latran ib.
89. Décrets du quatrième concile général de Latran 428
90. Concours des deux puissances, dans la publication de ces
décrets. , 430
91. Confirmation de ces décrets par les ordonnances des princes,
et par divers conciles ou assemblées mixtes 431
C.
XXXVJ TABLE DES CHAPITRES.
Pag.
92. Persuasion générale, sur les effets temporels de l'excommu-
nication, par rapport aux princes 432
93. Cette persuasion prouvée par l'histoire de l'empereur
Henri IV. Caractère et excès de ce prince ........ 433
94. Il est menacé d'excommunication par le Pape : sa réponse
insultante à cette menace 435
95. Il est excommunié et déposé par le Pape : légitimité de cette
sentence 436
96. Résultats de cette sentence 437
97. L'empereur sollicite et obtient son absolution : ses nouveaux
excès 439
98. Conséquence de tous ces faits, relativement à la persuasion
générale dont il s'agit 441
99. Faiblesse des difficultés contre le fait de cette persuasion. . 442
100. La sentence du Pape méprisée par les partisans de Henri. 443
101. Étonnement causé dans le monde par cette sentence . . 444
102. Effets temporels de l'excommunication , par rapport aux
princes, reconnus en Angleterre, au xne siècle 445
103. Démêlés de Henri II avec saint Thomas de Cantorbéry. . 448
104. Jugement de Bossuet sur cette discussion 449
105. La persuasion dont il s'agit , établie par cette discussion. . ib.
106. La même persuasion, établie par l'histoire de Richard Ier. 451
107. Preuve de cette persuasion en France, sous la deuxième
race de nos rois 452
108. Preuve de cette persuasion sous la troisième race : Phi-
lippe Ier menacé d'excommunication par Grégoire VII. . . . 453
109. Ce prince est excommunié par le pape Urbain II ... . 455
110. Effets de cette excommunication, selon les auteurs du
temps 456
111. Ces effets reconnus par Ivcs de Chartres. ....... 457
112. Faiblesse des difficultés contre ce témoignage. ..... 458
113. Permanence de la persuasion dont il s'agit, depuis le règne
de Philippe 1er *. • ■ • 459
114. Difficulté contre cette persuasion , tirée de la conduite de
quelques souverains 460
115. Cette difficulté résolue par quelques observations géné-
rales • ib.
116. Réponse à l'exemple de Philippe Ier « 462
117. Réponse à l'exemple de Frédéric Barberousse. ...... 463
118. La persuasion générale dont il s'agit, reconnue par Bos-
suet 465
119. Aveux de Fleury, sur le même sujet .... v ... . 466
120. Sentiment du docteur Lingard 468
121. Sentiment de Michaud 469
122. Sentiment de Ferrand , ib.
123. Aveux remarquables d'auteurs protestants 470
124. Leibniz ib.
125. Pfeffel 472
126. Aveux de Voltaire ib.
Article IL — Preuves particulières de cette persuasion, par rapport
à la France 473
127. Témoignage remarquable de saint Grégoire, sur ce sujet. ib.
128. Authenticité de ce témoignage 474
129. Diverses explications, proposées par les critiques .... ib.
TABLE DES CHAPITRES. XXXVlj
l'a g •
130. La difficulté levée, par le consentement des princes français
au décret de saint Grégoire 475
131. Le monarque généralement regardé comme justiciable du
concile, sous la deuxième race de nos rois 476
132. Ce fait expressément reconnu par nos plvjs célèbres histo-
riens . i 478
133. Comment ils essayent d'en éluder les conséquences. . . . 479
134. La persuasion dont il s'agit n'était pas une erreur .... 480
1 35. Elle n'avait pas été introduite par la politique de Pépin et
de ses successeurs 481
Article III. — Preuves particulières de cette persuasion , par rap-
port aux souverains feudalaires du saint-siége 482
136. Droits de suzeraineté attribués au Pape sur plusieurs
Étals ib.
137. Sur l'Angleterre ib.
138. Sur la Sicile ib.
139. Sur le royaume d'Aragon 483
140. Sur la république de Venise, etc ib.
Article IV. — Preuves particulières de cette persuasion, par rapport
à l'empire d'Occident. . 484
141. Opinion générale, sur la dépendance particulière de l'em-
pire , à l'égard du Pape ib.
142. En quel sens l'empire était regardé comme fief du saint-
siége ib.
143. La dépendance de l'empire à l'égard du Pape, reconnue
par les seigneurs allemands , sous Grégoire VII 485
144. Divers témoignages , à l'appui de cette persuasion .... 486
145. Sentiment de Gervais de Tilbury 487
146. Sentiment de Ludolphe, évoque de Bamberg 489
147. La même persuasion, longtemps établie en France. . . . 490
148. Cette persuasion partagée par les souverains 491
149. La même persuasion établie par le premier concile général
de Lyon 492
150. Cette persuasion partagée par les empereurs eux-mêmes. 494
151. Preuves de cette persuasion, sous les empereurs earlovin-
giens ib.
152. Preuves de cette persuasion, sous les empereurs alle-
mands # 495
153. Élection de Rodolphe, en 1077 496
154. Élection d'Othon IV, en 1201 ' ib.
155. Déposition d'Othon IV en 121 1 , et de Louis de Bavière en
1346 498
156. Serment de fidélité prêté au Pape par les empereurs. . . 499
157. Formule de ce serment au ixe siècle 500
158. Serment prêté par Othon Ier, en 960 501
159. Serment de l'empereur Henri II, en 1014 502
160. Formule de serment dressée par Grégoire VII ib.
161. Discussion à ce sujet, entre Frédéric Ier et Adrien IV. . 503
162. Discussion sur le même sujet, entre l'empereur Henri VII
et le pape Clément V 505
163. Aveux des empereurs Henri IV et Frédéric II sur le droit
qu'avait le Pape de les déposer 507
164. Variations de Frédéric II et de quelqnes autres, sur ce
point 508
XXXViij TABLE DES CHAPITBES.
Pag.
165. Première conséquence des faits précédents : La persuasion
dont il s'agit , n'a pas été introduite par Grégoire VII. . . . 509
166. Deuxième conséquence : Les Papes et les conciles du moyen
âge ne peuvent être ici accusés d'une usurpation criminelle . . 510
167. Troisième conséquence ; On ne peut les accuser non plus
d'une erreur grossière ib.
CHAPITRE III.
Fondements du pouvoir exercé par les Papes et les conciles sur les sou-
verains, au moyen âge . 512
168. Cette question, peu examinée avant le xne siècle ib.
169. Deux opinions principales , sur ce point, au- xne siècle , . ib.
170. Distinction au pouvoir de juridiction et du pouvoir directif . 513
171. La question présente regarde uniquement le pouvoir de ju-
ridiction, en tant que fondé sur le droit divin. ...... ib.
172. Sentiment de Bossuet, sur le pouvoir directif. 514
173. L'opinion qui donne pour fondement au pouvoir des Pa-
pes sur les souverains, la donation de Constantin , justement
abandonnée 516
174. L'opinion qui donne pour fondement à ce pouvoir le sys-
tème théologique du droit divin , aujourd'hui la plus commune. 517
175. La discussion présente réduite à deux propositions. . . . 518
Article Ier. — Examen historique du système qui donne pour fonde-
ment au pouvoir exercé par les Papes et les conciles sur les sou-
verains, au moyen âge, l'opinion théologique du droit divin. . . ib.
176. Opposition de ce système avec l'histoire ib.
§ Ier. Recherches historiques , sur l'origine de l'opinion théologique
du droit divin 520
177. L'opinion théologique du droit divin, à peine connue sous
Grégoire VII, et même longtemps après ib.
178. La doctrine de l'antiquité, sur la distinction des deux puis-
sances, proclamée dans les capitulaires 521
179. Cette doctrine professée par le saint-siége aux vme et ixe
siècles 523
180. La même doctrine alors professée en Angleterre et en Es-
pagne ib.
181. Cette doctrine généralement reconnue sous Grégoire VII.
Témoignage de saint Pierre Damien 524
182. Indices prétendus de l'opinion théologique du droit divin,
avant Grégoire VII . 526
183. Examen des faits allégués. 1° Mélange du spirituel et du
temporel, dans les actes de la législation 527
184. 2° Entreprises réciproques des deux puissances 529
185. 3° Réponse du pape Zacharie aux Français, sur la dépo-
sition de Childéric III " 530
186. 4° Les titres de consul, de patrice et ai empereur , donnés
aux rois de France par les Papes du vme siècle. 531
187. 5° Le roi regardé comme justiciable du concile en France ,
au ixe siècle ib.
188. Conséquence de ces explications , . 532
189. L'opinion théologique du droit divin, à peine connue avant
le xir9^ siècle .... 533
190. Le langage de Grégoire VII ne suppose pa.s cette opinion. 534
TABLE DES CHAPITRES. XXXix
Pag\
191. Explication des deux sentences de déposition, portées con-
tre l'empereur Henri IV 535
192. Explication des lettres à Herman, évêque de Metz. . . . 538
193. Ces explications confirmées par le sentiment commun des
auteurs contemporains , 540
194. Doctrine du B. Ives de Chartres ib.
195. Doctrine de Gratien. . „ . 542
196. Doctrine de Hugues de Saint- Victor 544
197. Doctrine de saint Bernard. En quel sens il emploie ¥ allégo-
rie des deux glaives: . 547
198. En quel sens il attribue au Pape le droit de disposer des
royaumes et des empires 549
199. Divers sens de Y allégorie des deux glaives, dans les au-
teurs de cette époque. 550
200. En quel sens elle est employée par Geoffroy de Vendôme. 551
201. En quel sens par Hildebert, évêque du Mans, et la plu-
part des anciens auteurs 552
§ II. Examen des principaux actes et décrets des conciles et des sou-
verains Pontifes, qu'on allègue en faveur de l'opinion théologique
du droit divin 553
202. Cet examen , quoique très-utile à notre but, ne lui est pas
essentiel <• ib.
203. Donation prétendue de l'Irlande, faite au roi d'Angleterre,
par Adrien IV . 554
204. Décrets des 111e et ive conciles de Latran, en matières tempo-
relles, autorisés par les princes. 556
205. Doctrine d'Innocent III. En quel sens il soutient la préémi-
nence du pouvoir spirituel sur le temporel 557
206. En quel sens il emploie l'allégorie des deux grands lumi-
naires , 559
207. Il s'établit arbitre de la paix, entre Philippe- Auguste et
Jean sans Terre 561
208. Raisons de cette conduite. Comment le Pape lui-même se
justifie 562
209. Injustice des reproches qu'on lui a faits sur ce sujet. . . . 563
210. Sages remontrances du Pape à Philippe-Auguste 564
211. La conduite d'Innocent III, en cette occasion, justifiée par
M. Hurter 566
212. Déposition de l'empereur Frédéric II, dans le premier con-
cile général de Lyon ib.
213. La sentence du pape Innocent IV contre l'empereur, expli-
quée d'après les mêmes principes que celle de Grégoire VII. 567
214. Pourquoi elle ne fait pas mention des lois de l'empire. . . 568
215. Examen de la bulle de Boniface VIII, Unam sanctam. . . 569
216. Les plus fortes expressions de cette bulle, empruntées à
saint Bernard, et à Hugues de Saint-Victor 571
217. Conclusion remarquable de cette bulle 572
218. Explication \ modérée de ce décret, donnée par Boni-
face VIII lui-même 573
219. Sa doctrine ne favorise aucunement le système théologique
du droit divin 574
220. Pourquoi elle a été d'abord enlendue dans un sens favora-
ble à ce système 575
Xl TABLE DES CHAPITRES.
221. Décrets du saint-siége pour le partage des pays nouvelle-
ment découverts 570
222. Examen de la bulle d'Alexandre VI, Inter cœtera. . . 578
223. Injustice des reproches faits au saint-siége , à l'occasion de
ces sortes de décrets 580
224. Décrets des conciles de Constance et de Bâle, en matière
> temporelle , autorisés par les princes. . . „ . . ib.
225. Semblable décret du concile de Trente 582
226. Décrets du saint-siége, contre les rois d'Angleterre au xvie
siècle. Principe général pour l'explication de ces décrets. . . 583
227. Bulle d'excommunication et de déposition, lancée par le
pape Paul III contre Henri VIII* 584
228. Ce décret ne suppose aucunement l'opinion théologique du
droit divin 585
229. La bulle de Pie V contre Elisabeth , expliquée d'après les
mêmes principes 587
230. Serments de suprématie et d'allégeance, exigés des catho-
liques anglais, à cette époque 588
231. Bref de Paul V contre le serment d'allégeance 590
232. Ces brefs ne favorisent aucunement l'opinion théologique
du droit divin 591
233. Le serment d'allégeance, condamnable indépendamment
de cette opinion : 1° comme renouvelant le serment de supré-
matie. . . . • 592
234. 2° Comme notant d'hérésie une doctrine non condamnée
par l'Église ib.
235. 3° Comme renversant la règle de foi établie par Jésus-
Christ -. . . . 593
236. L'opinion théologique du droit divin, toujours libre en
Angleterre comme ailleurs. . . 594
237. Bulle de Sixte V contre le roi de Navarre (Henri IV) et le
prince de Condé ib.
238. Cette bulle expliquée d'après les mêmes principes que celles
de Paul III et de Pie V 596
239. Celte explication tout à fait indépendante de l'opinion des
Papes, comme docteurs particuliers 597
240. Conclusion de cet examen. 1° Aucun décret des Papes ni
des conciles , n'autorise le système théologique du droit divin. 598
241. 2° Jamais ce système n'a été érigé en dogme de foi. . . ib.
Article II. — Véritable fondement du pouvoir dont il s'agit: le droit
public du moyen âge 599
242. Notions du droit public et du droit privé ib.
243. Comment l'un et l'autre se connaissent 600
244. Le pouvoir du Pape et du concile sur les souverains, au
moyen âge, fondé sur le droit public du temps 601
§ Ier. Preuves tirées de la constitution commune à tous les États ca-
tholiques de l'Europe, au moyen âge 602
245. Deux faits importants à remarquer, sur ce sujet. .... ib.
246. Conséquences naturelles de ces faits, relativement à la
question présente 603
§ II. Preuves tirées de la constitution particulière de certains Étals. 605
247. Conditions mises à l'élection des rois d'Espagne, au
vne siècle ib.
248. Légitimité de ces conditions 606
TABLE DES CHAPITRES. xlj
Pag.
249. Permanence dccet ancien droit public en Espagne, dans la
suite du moyen âge 606
250. Le roi rebelle envers Dieu et envers l'Église, privé de son
titre de roi , d'après une loi de saint Edouard 607
251. Autbenticilé de cette loi; son véritable sens 609
252. Plusieurs souverains se déclarent feudataires du saint-siége ,
depuis le xe siècle ib.
253. Serment de fidélité prêté au Pape, par Robert Guiscard,
en 1059 610
254. Droits de suzeraineté du saint-siége, soit avant, soit depuis
Grégoire VII 612
255. Conséquences remarquables de ces droits 613
256. Le roi de France et quelques autres souverains, exempts
de toute dépendance féodale ib.
251 '. Les droits du saint-siége sur l'empire d'Occident établis par
les faits 614
258. Premier fait : Charlemagne ne dut son titre d'empereur qu'à
l'élection du Pape 615
259. Deuxième fait : Le Pape ne renonça point alors, pour l'a-
venir, à son droit d'élecliou 616
260. Troisième fait : Il a conservé ce droit longtemps après
Charlemagne 618
261. Exercice de ce droit, sous les empereurs carlovingiens. . . 619
262. Ce droit alors généralement reconnu, même par les sou-
verains 620
263. Comment ce droit se concilie avec la conduite des empe-
reurs qui ont associé leurs fils à l'empire 622
264. L'empire transféré des Français aux Allemands, par l'auto-
rité du Pape 623
265. Influence du Pape dans l'élection de l'empereur, depuis
cette époque 624
266. Conséquence de ce mode d'élection 625
267. Quatrième fait : Les droits du Pape sur l'empire, établis
par l'ancien droit germanique 626
268. Subordination de la puissance temporelle envers la spiri-
tuelle, selon ce droit ib.
269. Dispositions de ce droit, sur l'élection de l'empereur. . . 628
270. Trois cas déterminés par ce droit, où l'empereur peut être
excommunié par le Pape ib.
Ili. Conséquences de cette excommunication, d'après les an-
ciennes lois de l'empire 629
272. La peine de déposition prononcée par les mêmes lois,
contre les princes hérétiques 630
273. Conséquences de ces dispositions 631
§ III. Examen des principales difficultés qu'on peut opposer à notre
sentiment ib.
274. Première difficulté : Le pouvoir divin de lier et de délier,
invoqué par les Papes, à l'appui de leurs sentences de dé-
position ib.
275. Deuxième difficulté : Opposition prétendue entre l'esprit de
l'Évangile et le pouvoir temporel du Pape, au moyen âge. . . 633
276. Le pouvoir temporel n'est pas incompatible, par sa nature,
avec le spirituel ib.
Xlij TABLE DES CHAriTRES.
Pag.
277. Cette incompatibilité n'a pas été établie dans la loi nou-
velle, par Jésus-Christ. 634
278. Croyance et pratique constante de l'Église, sur ce point. . 635
279. Cette pratique et cette croyance justifiées par la raison. . . 636
280. Conséquences inadmissibles de l'opinion conlraire . . . . 637
§ IV. Confirmation de notre sentiment, par de graves autorités, et
par la constitution de plusieurs Étais modernes 638
281. Aveux remarquables de Bossuet ib.
282. Correctifs nécessaires à la Défense de la Déclaration,
d'après ces aveux 640
283. Sentiment de l'ancienne faculté de Louvain. 641
284. Disposition générale de nos jours, à embrasser cette ex-
plication 643
285. Preuves de cette disposition, même parmi les protestants:
témoignages de Leibniz et d'Eichorn. 644
286. Importance de ces aveux 646
287. Le droit public dont nous parlons, maintenu par la consti-
tution de plusieurs États modernes. 647
288. Preuves de ce point, relativement à l'empire d'Allemagne. ib.
289. Royaume d'Angleterre 649
290. Espagne et Sicile 650
291. Pologne 652
292. Royaume de France : but et motif de la Ligue, sous
Henri III ib.
293. Manifeste de la Ligue ' 653
294. Résultats de cet acte. . 654
295. Conversion de Henri IV : édit de Nantes, et sa révocation. ib.
296. Vestiges de l'ancien droit public du moyen âge, dans plu-
sieurs États protestants , particulièrement en Angleterre . . . 655
297. Suède et Norwége 656
298. Différence entre le droit moderne de ces États, et. celui du
moyen âge 657
CHAPITRE IV.
Résultats du pouvoir exercé par les Papes et les conciles sur les
souverains , au moyen âge 659
299. Objet et plan de ce chapitre ib.
Article Ier. — Inconvénients prétendus de ce pouvoir 660
300. Trois principaux inconvénients qu'on lui attribue. . . . ib.
§ Ier. De l'ambition et des prétentions excessives qu'on a reprochées
aux Papes du moyen âge ib.
301. Injustice de ce reproche ib.
302. Modération des Papes, considérés comme souverains . . . ib.
303. Leur modération, comme arbitres des princes , et seigneurs
suzerains 661
304. Objet et but de leur politique 662
305. Combien elle était irréprochable 663
306. Combien elle est digne d'éloges ib.
307. Vaines déclamations, sur ce sujet 664
§ II. Sur l'avilissement prétendu de la souveraineté , dans l'esprit des
peuples.. . . 666
308. Préjugés répandus sur ce point ib.
TABLE DES CHAPITRES. xliij
Pag.
309. La théorie politique du moyen âge, comparée avec les
théories modernes 666
310. Système de la souveraineté du peuple 667
311. Graves inconvénients de ce système 668
312. Toutes les théories modernes, inutiles ou pleines de
dangers. 670
313. La théorie du moyen âge, beaucoup plus raisonnable. . 671
314. Elle ne convient pas à tous les temps, ni à tous les États
de la société 672
315. Applications que les Papes en ont faite 673
316. Caractère des princes déposés 674
317. Caractère de l'empereur Henri IV ib.
318. Comment Grégoire VII se justifie sur ce point 675
319. Les successeurs de Grégoire VII, également faciles à justi-
fier 676
§ III. Sur les prétendues guerres produites par le choc des deux
puissances 677
320. Exagérations visibles, sur ce sujet ib.
321. Véritables causes de la lutte des deux puissances. . - . 678
322. Excès de Henri IV; modération de Grégoire VII. . . . ib.
323. Henri IV, véritable cause de la guerre 679
324. Excès non moins visibles des empereurs déposés depuis
Henri IV 680
325. Origine purement politique des factions des Guelfes et des
Gibelins . . 681
326. La guerre n'était pas proprement entre les deux puis-
sances, mais entre l'Allemagne et l'Italie 682
327. Exagérations sur la durée de celte guerre : sa prétendue
universalité ib.
Article IL — Avantages réels de ce pouvoir 683
328. Ces avantages réduits à trois principaux ib.
§ Ier. Avantages de ce pouvoir four le maintien de la religion. 684
329. Notions fondamentales sur les investitures ib.
330. Origine de la querelle des investitures 685
331. La cérémonie de V investiture, différente de celles del 'hom-
mage, et du serment de fidélité ib.
332. Objet de la contestation sur les investitures ; importance de
cette question 686
333. Cette importance, reconnue par des écrivains protestants. 688
§11. Avantages de ce pouvoir, pour le maintien des mœurs ib.
334. Ce pouvoir principalement employé pour réprimer la li-
cence des princes ib.
335. Aveux de M. Hurter, sur ce point • . . . . 690
§ III. Avantages de ce pouvoir, pour le maintien de la tranquillité
publique 691
336. Ces avantages reconnus par des auteurs non suspects :
aveux de Voltaire ib.
337. Aveux de M. Ferrand 692
338. Aveux d'auteurs protestants ; M. Ancillon ib.
339. M. Coquerel 693
340. Les inconvénients du pouvoir dont il s'agit, bien com-
pensés par ses avantages ib.
341. Services rendus à la société par les Papes. ..*... 694
Xliv TABLE DES CUANTUES.
Pag.
CONCLUSION ET RESUME DE LA. SECONDE TARTIE.
342. Injustice des déclamations contre les Papes et les conciles
du moyen âge • 695
343. Pourquoi ces déclamations ont été si facilement adoptées
par des écrivains catholiques 696
PIÈCES JUSTIFICATIVES.
I.— Sur la conduite de Constantin, et des empereurs sesfds, à
l'égard de l'idolâtrie 699
II, — Sur la valeur des offrandes faites, par Constantin, aux princi-
pales églises de Rome et des environs 705
III. — Sur les 8,000 livres d'or trouvées, par saint Jean l'Aumônier,
dans le trésor de son église 708
IV. — Sur la valeur des trois talents et demi d'or de revenu annuel,
enlevés à l'Église romaine par Léon l'Isaurien 711
V. — Sur la Donation de Constantin à l'Église romaine 713
Première question. — La Donation de Constantin est-elle authen-
tique? 715
Seconde question. — A quelle époque, et par qui la Donation de
Constantin a-t-elle été fabriquée? , 717
Troisième question. — D'où vient que la Donation de Constantin a
joui, pendant plusieurs siècles, d'un si grand crédit? 722
VI. — Sur quelques circonstances du sacre de Charlemagne , en S00. 723
VIL — Sur l'élévatioif de Pépin au trône de France , et sur l'usurpa-
tion communément reprochée à ce prince ^ . . . . 726
Première question 727
Seconde question 729
VIII. — Origine, progrès, et vicissitudes de l'opinion qui attribue à
l'Église et au souverain Pontife un pouvoir de juridiction direct ou
indirect sur les choses temporelles, en vertu de l'institution divine. 738
IX. — Ouvrages à consulter, sur les controverses relatives aux droits
d'Elisabeth à la couronne d'Angleterre, et du roi de Navarre (de-
puis Henri IV) à la couronne de France. . . . * 752
FIN DE LA TABLE DES CHAPITRES.
INTRODUCTION.
Des Honneurs et des Prérogatives temporelles accordés à
la Religion et à ses Ministres chez les peuples anciens,
particulièrement sous les premiers Empereurs chrétiens.
t.
Plan de cette
L'objet de cette Introduction, et Tordre des faits que nous
devons y exposer, nous invitent naturellement à la diviser introduction.
en deux articles , dont le premier contiendra le récit abrégé
des faits antérieurs à la conversion de Constantin , et le se-
cond les faits postérieurs à ce grand événement.
ARTICLE Ier.
Des Honneurs et des Prérogatives temporelles accordés à la Religion et
à ses Ministres chez les peuples anciens, particulièrement chez les Ro-
mains, avant la conversion de Constantin (1).
Dès l'origine de la société , la religion fut généralement 2.
regardée comme le principal soutien des lois et du gouver- |0"t teïpl e
nement, comme la base nécessaire de la morale, sans laquelle 'Te'iabase""
les plus sages lois et les meilleurs gouvernements ne servent de l bit? pu-
de rien. L'expérience apprit de bonne heure aux princes et
aux peuples, que les attaques livrées à la religion étaient de
véritables attentats contre l'ordre public ; qu'un homme ca-
(1) On trouve dans Y Histoire de l'Académie des inscriptions et belles-
lettres plusieurs mémoires intéressants sur cette matière. Voyez en particu-
lier l'extrait de deux mémoires de Burigny, Sur les Honneurs et les Préro-
gatives accordés aux prêtres dans les religions profanes ( édit. in-4°,
t. xxxi, p. 108); et l'extrait d'un autre mémoire du même auteur, Sur le
respect des anciens Romains pour la religion (t. xxxiv, p. 1 10) Voyez
aussi Petit-Pied , Traité du Droit et des Prérogatives des ecclésiastiques,
lre partie. Paris, 1705, in-4°.
1
2 INTRODUCTION.
pable de braver la Divinité ne pouvait être retenu par aucune
loi ; que son exemple était un encouragement au désordre et
à la révolte contre l'autorité la plus légitime ; en un mot, que,
par le scandale de son impiété, il devenait le fléau et la peste
de la société. Pénétrés de ces grands principes, les gouver-
nements comprirent qu'ils devaient tout faire pour la religion,
qui fait tout pour eux ; qu'ils devaient se regarder comme les
lieutenants visibles de la Divinité , pour lui procurer les
hommages de la société qui leur était soumise ; que c'était
par conséquent pour eux une obligation rigoureuse de faire
fleurir la religion , d'honorer la Divinité dans la personne de
ses ministres, et de réprimer, par des lois sévères, les attentats
publics de Pimpiété.
3. Telle fut la source des honneurs et des prérogatives accor-
Honneurs ac- ,,,,,. . , . . . , ,
cordés, en des a la religion et a ses ministres, chez tous les peuples
conséquence , ..,,,,. • i* i • i
à la religion de 1 antiquité ; de la vinrent en particulier les richesses con-
et a ses
ministres, sidérables dont l'histoire nous montre le sacerdoce partout
environné. Chez les peuples les plus sages et les plus civilisés,
comme chez les plus barbares et les plus grossiers, rien ne
parut plus naturel et plus convenable que d'honorer, par de
riches offrandes , la Divinité dans la personne de ses minis-
tres. Cette libéralité fut généralement regardée, non-seulement
comme' un témoignage d'honneur et de respect pour le ca-
ractère auguste dont les ministres sacrés sont revêtus , mais
comme un juste dédommagement des professions lucratives
auxquelles ils sont presque toujours obligés de renoncer,
pour vaquer librement aux fonctions de leur ministère. On
pensa qu'il était de l'équité naturelle que tout homme dont
la vie est dévouée au service public , fût soutenu aux dépens
du public; et que les ministres de la religion en particulier,
consacrés par état aux fonctions les plus importantes pour le
bien de la société , pussent réclamer avec justice des secours
suffisants pour les mettre à l'abri des inquiétudes de l'indi-
gence, et pour exercer avec dignité le plus auguste des mi-
nistères. Parmi tous les témoignages et les faits que nous
INTRODUCTION. 3
offre l'histoire ancienne, à l'appui de ces assertions, il suffira
de rappeler ici quelques-uns des plus remarquables.
Personne n'ignore l'importance que les plus célèbres légis- Sent>ntsdcs
lateurs de l'antiquité, même profane, ont attachée au maintien .anciens ié-
T ' r ' gislateurs sur
de la religion et du culte divin. Lycurgue, Dracon, Solon, en ce Poim.
formant les premières et les plus florissantes républiques de la
Grèce, firent de la religion la base de leurs institutions (\ ); Ro-
mulus et Numa suivirent la même règle, en donnant des lois à
leur État naissant (2). Zaleucus etCharondas, à une époque
plus récente , imitèrent ces grands exemples , et mirent à la
tête de leurs codes une suite de maximes qu'on peut regar-
der comme les fondements de la religion et de la morale (5).
La doctrine des plus célèbres philosophes était conforme 5- ,
1 * x Doctrine des
aux principes de ces illustres législateurs. Àristote et Platon, i)Ius céièbfes
. . il i i philosophes.
quelque opposés qu'ils soient sur d autres objets, s'accordent
à représenter la religion comme la base nécessaire de la poli-
tique, comme la principale source du bonheur et de la tran-
quillité des États ; et ils concluent de ces grands principes ,
que le soin du culte divin est le premier objet de la sollicitude
d'un sage gouvernement (4). Le respect dû à la Divinité de-
mande, selon eux, que ses ministres jouissent dans l'État
d'une grande considération , et que les prêtres soient habi-
tuellement choisis parmi les premières classes des citoyens (5).
(1) Voyage d'Anacharsis, t. n, chap. 21; t. iv, chap. 44 ; t. v, chap. 67,
p. 481.
(2) Voyez les Mémoires de Burigny cités plus haut, page 1, note 1. Voyez
aussi Terrasson, Histoire de la Jurisprudence romaine, lre partie, § 2.
(3) Voyage d'Anacharsis, t. v, chap. 62, vers la fin.
(4) «Quàm multae autem sint res sine quibus civitas esse nequeat, viden-
« dum est... Primum igitur victus seu alimentum suppetere débet; deindè
« artes;... tertio locoarma;... deindè aliqua pecuniœ vis et copia;... quintô,
« quod etiàm primo loco ponendum est , rerum divinarum curatio ,
« quam sacerdotium appellant.» Aristote, De Republicâ, lib. vu, cap. 8.
— Platon établit ou suppose clairement le même principe en plusieurs en-
droits. Voyez en particulier De Republicâ, lib. iv, p. 391, 2e col., vers la lin.
— De Legibus, lib. iv, ix, et x, p. 535, 578, 589, etc., édition de Lyon, 1657,
in-fol. Sur la doctrine de Platon, relativement au sujet qui nous occupe,
voyez Dacier, Œuvres de Platon, 1. 1, Discours prélimin., p. 87, etc.
(5) « Nobilis quoque esse débet sacerdotum ordo; neque agricola, neque
1.
4 INTRODUCTION.
Platon ajoute qu'il ne doit pas être permis à de simples par-
ticuliers de se choisir des dieux, ni de leur décerner un culte
dans le secret de leurs maisons ; mais que chacun doit suivre
la religion de l'État, et en pratiquer publiquement les céré-
monies avec ses concitoyens ; enfin , que le gouvernement
lui-même ne doit pas s'attribuer le droit de régler ce qui
concerne la religion , mais qu'il doit se borner à faire exé-
cuter ce qui a été réglé, sur ce point, par les oracles divins (4).
Il veut, de plus, que les magistrats publient des lois sévères
contre les délits de l'impiété, principalement contre le sacri-
lège et l'athéisme , auxquels on doit, selon lui, infliger, en
certains cas, la peine de mort et la privation des honneurs de
la sépulture (2).
« illiberalis artifex sacerdos instituendus est; à civibus enimdeos coli opor-
« tet. » Aristote, De Republicâ , lib. vu, cap. 9. — Platon, dans son traité
intitulé : Politicus, sive de Regno (p. 148, 2e col.), cite et approuve fort
l'ancien usage des Égyptiens suivi dans plusieurs villes delà Grèce, et parti-
culièrement à Athènes, de confier aux principaux magistrats l'exercice du
sacerdoce. « Apud .Egyptios , dit-il , non licet regem absque sacerdotio impe-
« rare. Quin immô, si ex alio génère quispiam vi regnum usurpet, cogitur post
« regni assumptionem sacris initiari , ut rex denique sit et sacerdos. Praeterea
« in plurimis Graecorum civitatibus, apud vos praesertim, reperies praecipua
« sacra à magistratibus summis institui. »
(1) « Sacella nemo in privatâ domo habeat;cùm verô animum quis ad sa-
it crificandum induxerit, ad publica sacrificaturus accédât , et sacerdotibus
« hostias praebeat, qui curam harum rerum castissimè gerunt, quibuscum
« et ipse oret, et quicumque cum eo simul orare velit. » Plato, De Legibus,
lib. x, p. 597, lre col.
i Dans ses livres sur la République , il ajoute ce qui suit : « Quid praeterea
«restât nobis de legum constitutione (dicendum)? Nobis quidem nihil;
« Apollini auteni Delphino maxima , prœclarissima , prima instituta.
« Quaenam ista? Templorum constitutiones, et sacrificia, caeterique deorum
« et deemonum atque heroum cultus, sepulchra praeterea et funera defuncto-
« rum , et quaecumque sunt ad eos placandos ministeria subeunda. Talia pro-
« fectô neque ipsi scimus , et in ordinandà civitate nulli credemus alteri , si
« sapiemus , nullove alio utemur interprète nisi patrio ( deo ) ; hic nempè
« deus , in rébus hujusmodi , cunctis hominibus patrius interpres , in mediâ
« terra super umbilicum sedens , exponit. » Plato , De Republicâ, lib. iv,
p. 391, 2e col.
(2) « Si quis forte sacrilegium committere audeat, legem de hoc feremus,
a. quamvis onerosam nobis atque molestam... Qui deprehensus in sacrilegio
fuerit, si servus peregrinusve erit, in facie ac manibus calamitate ipsius
« litteris inustâ, verberatus prout judicibus videbitur, nudus extra fines
« pellatur ; forte enim hoc supplicio continentior factus, evadet denique me-
INTRODUCTION. 5
A la suite de ces anciens philosophes , Cicéron avance ,
comme un principe incontestable en matière de gouverne-
ment , que la religion en est le principal fondement, que les
princes et les magistrats doivent la mettre à la tête de toutes
les institutions , et être prêts à la défendre , même au péril
de leur vie (4). Ce profond respect pour la religion demande
encore, selon lui, que le gouvernement interdise absolument
l'exercice des cultes nouveaux ou étrangers, jusqu'à ce qu'ils
aient été publiquement autorisés par les lois. C'est ce qu'il
prouve par le texte même des Lois des Douze Tables (2).
Enfin, il va jusqu'à souhaiter que le gouvernement inves-
tisse le collège des pontifes du pouvoir d'établir les consuls et
les magistrats, de les destituer , et même d'abroger les lois
qui n'auraient pas leurs suffrages (5).
« lior... Si verô civis quispiam aliquid taie in deos, aut in parentes, aut in
« patriam perpetrare , et ad maximam injuriam induxisse animum depre-
« hendatur; hune judex, quia ex puero benè doctus educatusque à maximo
« scelere non abstinuit , sanari non posse existimet ; pœna huic mors malo-
« rum minimum. » Plato , De Legibus , lib. ix, p. 578, 2e col.
Dans le xe livre du même ouvrage , parlant des impies qui, par la hardiesse
de leurs discours , ébranlent parmi le peuple le respect dû à la Divinité ,
Platon ajoute ce qui suit. : « Damnatus in mediterraneis carceribus vincia-
« tur; nec ullus liber ad eum accédât, sed statu tum illi à legum custodibus
« cibum servi afferant ; vitâ denique functum extra regionis fines insepultum
« ejiciant; quem si quis liber sepelierit, à volente impietatis crimine accuse-
« tur. 5) Lib. x, p. 597, lre col.
(1) Parlant des obligations imposées aux principaux magistrats de la ré-
publique, Cicéron s'exprime ainsi : « Hujus autem dignitatis hsec fundamenta
« sunt, haec membra, quae tuenda principibus, et vel capitis periculo de*
«.fendenda sunt : religiones, auspicia, potestates magistratuum , senatûs
« auctoritas, leges, mos majorum.... Harum rerum tôt atque .tantarum esse
« defensorem et patronum, magni animi est, magni ingenii, magnseque
« constantiae. » Cicero, pro P. Sextio, n. 46.
(2) « Separatim nemo habessit deos; neve no vos, sed ne advenas, nisi pu-
ce blicè adscitos, privatim colunto. » Cicero , De Legibus, lib. h, n. 8.
(3) « Maximum autem et praestantissimum in republicâ jus est augurum,
« et cum auctoritate conjunctum. Neque verô hoc, quia sum ipse augur, ita
« sentio; sed quia sic existimare nos necesse est. Quid enim majus est , si
« de jurequaerimus, quàm posse à summis imperiis et summis potestatibus
« comitiatus et concilia, vel instituta dimittere, vel habita rescindere ? Quid
« gravius, quàm rem susceptam dirimi, si unus augur alio die dixerit ( esse
« agendam)? Quid magnificentius, quàm posse decernere ut magistratu se
« abdicent consules ? Quid religiosius, quàm cum populo, cum plèbe, agendi
« jus aut dare, aut non dare? Quid legem, si non jure rogata est, tollere?...
6 INTRODUCTION.
e. L'histoire, tant sacrée que profane, nous montre ces prin-
Etroite union . , , « • j ■ .•
de h. religion cipes constamment reconnus, et suivis, dans la pratique, par
Tiemevu!sons" tous les anciens gouvernements. La constitution politique des
moSqué!" Hébreux en particulier est remarquable sur ce point , tant à
cause de son origine divine, qu'à raison de son ancienneté et
de sa longue durée (\). D'après cette constitution, religieuse
et politique tout ensemble, Dieu lui-même était le monarque
suprême , dont les magistrats n'étaient que les ministres et
les représentants. Les lois, émanées d'une autorité si respec-
table, ne pouvaient jamais être changées : tout le devoir des
magistrats , et des rois eux-mêmes , se réduisait à les faire
observer. La transgression de ces lois était en même temps
un délit politique et un attentat contre la religion. L'idolâtrie,
surtout , était considérée comme un crime d'Etat et comme
un acte de révolte contre le souverain légitime ; aussi était-
elle punie du dernier supplice , aussi bien que la magie et
plusieurs autres pratiques superstitieuses. Par une consé-
quence naturelle de ces principes, les ministres de la religion
avaient de grands privilèges, et Dieu lui-même, comme sou-
verain temporel de la nation , leur avait attribué une partie
de ses droits politiques. De là le grand pouvoir qu'ils exer-
cèrent dans l'ordre même purement civil, et spécialement
dans l'administration de la justice (2). De là encore les ri-
chesses et les revenus attachés à leur caractère sacré. La tribu
de Lévi , destinée aux fonctions du saint ministère , n'avait
point obtenu , dans la division de la Terre-promise , un par-
tage semblable à celui des autres tribus ; mais elle n'était
pas pour cela moins riche que les autres. Outre les dîmes ,
« Nihil domi, nihil foris per magistratus gestum, sine eorum auctoritate,
« posse cuiquam probari? » Ibid^ n. 12.
(1) Guénée, Lettres de quelques Juifs, 1. 1, 2 e partie; Lettre 3e, § 1 et
2. — D. Calmet, Dictionn. de la Bible; article Prêtres.— Bible de Vence,
Dissert, sur la police des Hébreux ; à la suite de la Préface sur le livre
des Nombres. — Jahn, Archœologia , n. 215 , 219 , etc. — Bossuet , Poli-
tique sacrée, liv. vu, art. 5. — Ryan, Bienfaits du christianisme , en. vi,
n. 13.
(2) Veut, xvi, 18 ; xvn, 8, 9. — Ezech. xliv, 24.
INTRODUCTION. 7
lies prémices et les offrandes ordinaires que Dieu lui avait as-
signées, elle possédait quarante-huit villes dans les différentes
tribus, avec deux mille coudées de terre autour de chaque
ville (J ). Le grand prêtre, lors même qu'il n'était ni prince
ni juge d'Israël, était un des plus riches d'entre les Juifs; outre
les offrandes particulières que le peuple devait lui faire en cer-
taines occasions, et la part qu'il avait à tous les sacrifices, les
lévites lui donnaient encore la dîme de tout ce qu'ils rece-
vaient (2). Aussi un ancien auteur juif, parlant des revenus assi-
gnés aux prêtres par la loi de Moïse, ne fait pas difficulté d'éga-
ler la gloire et la majesté des pontifes à celles des rois (5).
En conséquence de cette union étroite que Dieu avait
établie entre la religion et l'État, les livres saints représentent
le soin du culte divin comme le premier devoir des rois et
comme le premier objet de leur sollicitude (4). David , Salo-
mon, Ezéchias, Josias, et tous les bons princes, sont princi-
palement loués pour leur zèle à faire observer la loi du Sei-
gneur, à proscrire les cultes étrangers, et à relever l'éclat du
culte divin ; tandis que la négligence sur ces divers points
est représentée comme le caractère distinctif des mauvais
princes, et comme une source de malheurs pour eux et pour
leurs sujets.
Cette union étroite de la religion et de l'État se retrouve, *•
d une manière plus ou moins sensible , chez tous les anciens *"}<>" chez •«•
Égyptiens.
peuples. Nous ne parlerons ici que des plus célèbres et des
plus policés (5).
L'Egypte en particulier offre , en ce genre , un exemple
d'autant plus digne d'attention, qu'elle est généralement re-
gardée comme la source commune où la plupart des anciens
(1) Numer. xxxv. — Josue, xxi.
(2) Numer. xvm; et alibi passim.
(3) « Ex his rébus liquet, juxta legis judicium , sacerdotes aequiparari ho-
« nore et majestate regibus. » Philo , De prœmiis et honoribus sacerdo~
tum. Oper. p. 832; édit. de 1640, in-fol.
(4) Dent, xvii, 15, etc. — Josue, i, 8, et alibi passim.
(5) Voyez les auteurs cités plus haut, p. 1, note l.
8 INTRODUCTION.
peuples ont puisé les principes des lois et du gouvernement (\ ).
Dès l'origine de cette monarchie, et plusieurs siècles encore
après son établissement, la religion y était si respectée, que les
prêtres formaient le premier ordre de l'État, jouissaient de très-
grands privilèges , et avaient une très-grande influence dans
toutes les parties de l'administration civile. Le sacerdoce était
même joint àla royauté, que l'on voulait rendre, par ce moyen,
plus auguste et plus respectable. On choisissait le plus sage
des prêtres pour le faire asseoir sur le trône ; et si un usur-
pateur venait à placer la couronne sur sa tête, on l'obligeait
à se revêtir du caractère sacerdotal , afin qu'il fût tout à la
fois le pontife et le roi de la nation (2). Les prêtres possédaient
en propre le tiers de l'Egypte, et leurs terres étaient exemptes
de toute imposition. Le prince leur donnait, pour l'ordi-
naire, beaucoup de part dans sa confiance ; et les plus distin-
gués d'entre eux étaient habituellement attachés à sa personne ,
pour l'aider de leurs conseils. Ils remplissaient les premières
charges , rendaient la justice , présidaient à la levée des im-
pôts , avaient l'inspection de la monnaie , des poids et des
mesures, exerçaient sur les rois eux-mêmes une très-grande
autorité par leur crédit et leurs lumières.
•• La législation et les coutumes de la Grèce ne sont pas
Lois et coutu- " *
mes de la moins remarquables sur ce point. Une des plus anciennes et
Grèce, sur ce * L lA
point. des plus belles institutions de ce pays était le conseil des
Amphictyons, composé d'un certain nombre de députés des
principales villes de la Grèce , et chargé de juger, avec une
autorité suprême , toutes les causes qui intéressaient le bien
général de la nation (5). Parmi les délits dont cette assemblée
(1) Goguet, Origine des lois, des sciences et des arts, lre partie, liv. i,
ch. l, art. 4.
(2) Platon, Politicus, sive de Regno, p. 148, 2e col. vers la fin. Nous avons
cité plus haut ce passage ( p. 5, note 3 ). Voyez aussi Strabon, lib. i et xvh.
— Elien , Variar. Histor. , lib. xiv, cap. 34.
(3) Goguet, Origine des lois, des sciences et des arts, 2e partie, liv. i,
ch. 4, art. 1. — Voyage d'Anacharsis , t. m, ch. 35. — Plusieurs Mémoires
de M. de Valois Sur les Amphictyons , dans YHist. de l'Acad. des inscrip-
tions et belles-lettres ; édit. in-4°, t. m et v,
INTRODUCTION, 9
avait droit de connaître , les principaux étaient ceux qui se
commettaient contre la sainteté du temple de Delphes. Tous
les amphictyons s'obligeaient, par serment, à remplir fidèle-
ment les obligations relatives au but de leur institution , et
spécialement celles qui regardaient l'honneur et le respect
dus au temple d'Apollon. On nous a conservé la formule de
ce serment, qui contient ces paroles remarquables : « Si des
« impies enlèvent les offrandes faites au temple d'Apollon ,
« nous jurons d'employer nos pieds, nos bras , nos voix , et
« toutes nos forces contre eux et leurs complices (4). » Par
suite de cet engagement , les Phocéens eurent plusieurs fois
la guerre à soutenir contre les principaux États de la Grèce ,
empressés de venger l'honneur du dieu outragé, ou colorant
de ce prétexte les entreprises de leur ambition. Telle fut, en
particulier, l'occasion de la guerre sacrée, dont Philippe sut
tirer de si grands avantages pour l'agrandissement de sa
puissance, et à la suite de laquelle l'impiété des Phocéens fut
punie parle conseil des amphictyons, avec une sévérité bien
capable de prévenir pour longtemps le retour de pareils atten-
tats (2). Indépendamment des raisons politiques et religieuses
qui pouvaient justifier cette sévérité, elle fut jugée nécessaire
pour mettre un frein à la cupidité des Phocéens , trop sou-
vent irritée parles immenses richesses du temple de Delphes,
situé sur leur territoire (5). On sait en effet que ce temple
était le plus riche de la Grèce, et plusieurs savants ont cru
pouvoir avancer , sans exagération , qu'il y avait peut-être
plus d'or et d'argent dans son trésor que dans tout le reste
de la Grèce. Quelque étonnante que soit cette assertion, elle
(1) On peut voir, dans les ouvrages que nous venons de citer, la formule
entière de ce serment, tirée de la harangue d'Eschine , Defalsâ legatione.
(2) Voyez dans les tomes vu, ix et xii de YHist. de l'Acad. des inscript.
( édit. in-4°), plusieurs Mémoires de M. de Valois sur les Guerres sacrées.
Voyez aussi le Voyage d'Anacharsis, t. v, en. 60 et 61, p. 92, 209, etc. —
Rollin, Histoire ancienne , t. vi, liv. xiv, § 2, etc.
(3) Voyez, dans l'Histoire de l'Acad. des inscriptions (t. m de l'édition
in-4°, p. 78 ), l'extrait d'un Mémoire de M. de Valois sur les Richesses du
temple de Delphes. — . Voyage d'Anacharsis} t. iij ch, 22, p. 429, etc.
1 Q INTRODUCTION
ne semblera pas incroyable, si Ton se rappelle qu'au témoi-
gnage de Diodore de Sicile, les matières d'or et d'argent dont
les Phocéens s'emparèrent à Delphes, à l'époque de la guerre
sacrée, dont nous venons de parler, furent estimées plus de
40,000 talents d'argent, c'est-à-dire, environ 58 millions de
notre monnaie (\).
Le profond respect des Grecs pour la religion attirait de
tous côtés à ses ministres de grands honneurs et des richesses
considérables (2). Aussi voit-on , dès les premiers temps, les
prêtres jouir de la considération universelle , se regarder
presque comme indépendants des rois, et exercer une grande
influence sur les affaires civiles , soit pendant la paix , soit à
la guerre (5). Le caractère des ministres sacrés fut toujours
un des plus respectables aux yeux de toute la nation , et en-
vironné d'honneurs et de privilèges capables de tenter l'am-
bition des familles les plus distinguées. Aussi une profession
abjecte excluait-elle de cette dignité. Il y avait même chez
(1) En supposant avec Paucton (Métrologie, p. 292, 318, et alibi pas-
sim), que le talent attique pesait 54,79* de notre poids de mare, et que le
marc d'argent vaut aujourd'hui 53",57 ; les 10,000 talents dont il est ici
question valent plus de 58 millionsde notre monnaie. Cette somme, qui paraît
exorbitante'au premier abord, n'a rien d'invraisemblable lorsqu'on se rappelle
les détails que l'histoire nous a conservés sur les richesses de plusieurs an-
ciens temples. Voyez, à ce sujet, le n. 3 des Pièces justificatives, à la fin de
ce volume.
(2) Voyez les Mémoires de Burigny cités plus haut, p. 1, note 1.
Éclaircissements généraux sur les familles sacerdotales de la Grèce;
Mémoires de l'Acad., t. xxui, p. 51.
(3) « Malgré le pouvoir suprême dont vous êtes revêtu , disait le devin Ti-
« résias à OEdipe , j'ai le droit de vous faire des reproches semblables à ceux
« que vous m'adressez; et je vous les ferai sans rien craindre; car ce n'est
« pas à vous que je dois obéir, mais au grand Apollon. » Sophocle, Œdipe
roi, v. 416, etc.
f Longtemps après ( environ deux cents ans avant Jésus-Christ ) , on voit à
Athènes le ministère des prêtres employé, par l'autorité publique, à entrete-
nir parmi le peuple la haine contre Philippe, roi de Macédoine.
Un décret, rendu à cette époque, sur la réquisition des orateurs publics ,
était conçu en ces termes : « Sacerdotes publiées, quotiescumque pro populo
« Atheniensi , sociisque et exercitibus et classibus eorum precarentur, toties
« detestari atque execrari Philippum, liberos ejus regnumque, terrestres
« navalesque copias, Macedonum genus omne nomenque. » Tit. Liv., Mst.9
lib. xxxi, cap. 44.
INTBODUCTION. i 1
les Grecs, aussi bien que dans plusieurs provinces de l'Asie,
des sacerdoces regardés comme des places très-importantes, à
raison des revenus et de l'autorité qui y étaient attachés.
Telle était la grande prêtrise de Paphos, dont la dignité était
si éminente, que Caton la promettait au malheureux Ptolé-
mée, comme un dédommagement du royaume de Chypre que
les Romains lui enlevaient injustement (4). La domination
même de ces derniers ne dépouilla pas le sacerdoce de la
haute considération qu'il avait toujours obtenue chez les
Grecs. On voit, par une lettre de l'empereur Julien au pontife
Théodore, que le premier pontife de chaque province avait
alors « l'intendance générale de ce qui concernait la re-
« ligion, et autorité sur tous les prêtres de son district, avec
« pouvoir de traiter chacun d'eux selon son mérite (2) ; »
ce qui renfermait le pouvoir d'infliger des peines temporelles
à ceux qui s'acquitteraient mal de leurs fonctions, ou qui se
rendraient coupables de certains délits, dont la connaissance
appartenait au collège des pontifes.
Les peuples les plus policés de la Grèce n'avaient point, , . 9-
r r r i i ' Lois et coutu-
à cet égard, d'autres usages que le reste de la nation. Chez mes des
les Athéniens en particulier, la religion et ses ministres jouis-
saient des plus grands honneurs (5). Plusieurs sacerdoces
étaient attachés à des maisons anciennes et puissantes, où
ils se transmettaient de père en fils, comme une des préroga-
tives les plus honorables pour leur famille. Outre les biens-
(1) « Per Canidium amicum, quem praemisit in Cyprum, egit cum
« Ptolemseo ut sine certamine cederet, ostensâ spe neque inopem neque ab-
« jectum ipsum Yicturum ; sacerdotium enim ei Veneris Paphiœ populum
« daturum. » Plutarque, Vie de Caton, n. 10. ( Œuvres de Plutarque ;
édition d'Anvers , 1620; in-fol., t. i, p. 776. ) — Crevier, Hist. Rom., t. xii,
p. 209.
(2) Juliani Epistola 63 ad Theodorum pontif. Juliani Operum, p. 452,
in-fol. — On trouve la traduction de cette lettre à la suite de Y Histoire de
l'empereur Jovien, par Labletterie, p. 402.
(3) Voyage d'Anacharsis, t. », ch. 21. — Mémoire où Von examine
plusieurs question < générales concernant les ministres des dieux à
Athènes, par M. de Bougainville , t. xvm de Y Histoire de VAcad. des ins-
cript, et belles-lettres ; édition in-4°. — Mémoire sur les Parasites, par
M. Lebeau le cadet. Ibid., t. xxxi, p. 51.
12 INTRODUCTION.
fonds assignés à l'entretien de la plupart des temples , on
consacrait habituellement aux dieux la dime des dépouilles
enlevées à l'ennemi, et une partie considérable des amen-
des et des confiscations. Il y avait de plus, dans chaque
temple , deux officiers , connus sous le nom de Parasites ,
qui avaient droit d'exiger une redevance annuelle sur toutes
les terres de leur district. Les Archontes, qui étaient les
magistrats suprêmes de la nation, veillaient spécialement au
maintien du culte public , et se trouvaient toujours à la tête
des cérémonies religieuses. Le second d'entre eux , nommé
Archonte Roi> était chargé de présider aux sacrifices pu-
blics , de veiller à ce qu'on y observât exactement toutes
les règles établies , et de poursuivre les délits contre la re-
ligion. Parmi ces délits, un de ceux que les lois punissaient
plus sévèrement, était1 celui des particuliers' qui, de leur
propre autorité, introduisaient dans l'État de nouveaux cul-
tes : il était défendu, sous peine de mort, d'en admettre au-
cun sans un décret de l'aréopage, sollicité par les orateurs
publics (4).
Les sages précautions de la loi et la vigilance des magis-
trats n'empêchaient pas sans doute qu'il ne se commît quel-
quefois des délits contre la religion , surtout depuis que la
décadence des mœurs eut amené , comme il arrive d'ordi-
naire', celle de l'esprit religieux. Mais les attentats publics
de l'impiété ne manquaient presque jamais d'exciter l'in-
dignation générale. Les gens sages, aussi bien que le peuple,
accusaient les auteurs de ces attentats de ne secouer le joug
(1) L'historien Josèphe, dans son Second livre contre. Apion (chap. 8),
rapporte plusieurs exemples remarquables de châtiments infligés par les
Athéniens à de célèbres personnages, accusés ou seulement soupçonnés
d'impiété ; puis il ajoute ces paroles : « Et quid mirum , si erga viros etiàm
« eximios ita se gesserint,-qui ne mulieribus quidem pepercere? Etenim sa-
« cerdotem quamdam interfecerunt , quoniam illam quidam accusaverat
« quôd deos coleret peregrinos : decreto vero illud erat apud ipsos
« prohibitum, pœnaque mortis]contra illos statuta qui deum introdU'
« cerent alienum. » Josèphe, adv. Apion. lib. n. (Édit d'Amsterdam, 1726,
in-fol, t. u, p. 491 et493.),>
INTRODUCTION. 13
de la Divinité que pour s'abandonner plus librement à leurs
passions ; le gouvernement se croyait obligé de sévir contre
eux ; et la peine de mort était le châtiment ordinaire de
ceux qui étaient convaincus d'avoir attaqué , par leurs dis-
cours ou par leur conduite, les cultes légalement établis.
Plusieurs exemples célèbres montrent que ni la faveur, ni
la dignité, ni le mérite, ni les talents les plus applaudis, ne
mettaient alors les coupables à couvert de la sévérité des
lois. Les accusations intentées au poète Eschyle et au philo-
sophe Diagoras , pour avoir révélé la doctrine secrète des
mystères ; la condamnation de Protagoras et de Prodicus ,
qui avaient parlé publiquement contre les dieux reconnus dans
l'État; les procédures dirigées contre Périclès et Anaxagore,
qui s'étaient rendus suspects d'athéisme ; la sentence de mort
prononcée contre Alcibiade, convaincu d'avoir joué les mys-
tères d'Eleusis; Socrate condamné à boire la ciguë,» parce
qu'on lui imputait de ne pas reconnaître les dieux du pays:
tous ces faits, et plusieurs autres également célèbres, mon-
trent qu'à l'époque la plus florissante des arts et des sciences
chez les Grecs, l'impiété n'était pas moins sévèrement punie
que dans les siècles de la première simplicité (4).
Les mêmes principes ont constamment servi de règle au t0.
gouvernement et à la politique des Romains (2). Nous avons Tus et d"u
déjà remarqué l'étroite union que Romulus et Numa
avaient établie entre la religion et l'État (5). Leur législa-
tion , sur ce sujet , est d'autant plus remarquable , qu'elle
suppose , sur la Divinité et sur le culte qui lui est dû , des
notions beaucoup plus parfaites qu'on ne s'attend à les trou-
ver dans un temps d'ignorance et de barbarie. Romulus
(1) Nous ne faisons qu'indiquer ces faits , dont on peut voir le dévelop-
pement dans le Voyage d'Anacharsis ; ubi suprà, p. 414, etc.
(2) Voyez les Mémoires de Burigny que nous avons cités plus haut(p. 1,
note 1 ).— Terrasson, Histoire de la Jurisprudence romaine, lre et 2e
parties. — Rollin , Traité des Études, t. iv, 3e part. ch. 2, art. 2, § 7.
(3) Sur les lois de Romulus et de Numa ^concernant la religion, voyez
principalement Denys d'Halicarn., Antiquit. rom., lib. n, cap. 7, 16, etc.
14 INTRODUCTION.
voulut que tous ses sujets adorassent les dieux dont le culte
était reçu dans l'État, et qu'on évitât, dans ce culte, les
cérémonies absurdes ou ridicules que la superstition des au-
tres peuples y avait mêlées (\). Il ordonna qu'on n'entre-
prendrait rien d'important sans avoir auparavant consulté
la volonté des dieux , par le ministère des augures et des
aruspices, dont il forma un collège à Rome (2). Il voulut
que les sacrifices et toutes les cérémonies de la religion fus-
sent célébrés pendant le jour, et défendit absolument de les
célébrer pendant la nuit, de peur qu'ils ne devinssent des
occasions de débauche et de sédition (5). Enfin, il ordonna
que le commun du peuple, et généralement ceux qui ne se-
raient pas de race noble , ne pourraient aspirer au sacer-
(1) « A Deorum cultu exorsus,... omniajuxta optimos quosque Graeco-
« rum ritus instituit. Caeterùm fabulas de ipsis àmajoribus traditas, probra
« eorum continentes ac crimina, improbas censuit, inutilesque ac indecen-
« tes, et ne probis quidem viris dignas, nedùm diis superis ; repudiatisque
« his omnibus ad benè ac praeclarè de diis sentiendum et loquendum cives
« suos induxit, nihilque eis aftingi passus est quod beatse illi naturae parùm
« essetconsentaneum... Etenimnecorruptis quidem histemporibus apudeos
« videas arreptos numine, aut furorem corybanticum,... non Bacchationes
« et secretos mysterïorum ritus , non virorum cumfœminis in templis
« pervigilia , non alia his similia prodigia ; sed omnia quae ad deos atli-
* nent, religiosiùs aguntur ac dicuntur quàm vel apud Graecos, vel apud
« Barbaros. Et quod omnium maxime miratus sum , quamvis innumerae na-
« tiones in eam urbem convenerint , quibus necesse sit deos patrios dome-
« sticoritu colère, nulla tamen peregrina sacra sunt recepta publiée,
« quod multis jàm urbibus accidit. » Denys d'Halicarnasse , ibid. , cap. 7,
n. 3. (Édition de Leipsik, 1691, in-fol., 1. 1, p. 90.)
(2) « Romulus, acceptis àdeo certis signis, advocatâ concione et indica-
« tis auspiciis, rex omnium consensu declaratur, et morem instituit in
« posterum , ne quis regnum assumeret, magistratumve iniret, nisi et deus
« idem probaret , estque hsec auspicii lex apud Romanos longé observata,
« non solum sub regibus, verùm etiàm sublatà monarchiâ, in consulum,
« imperatorum , caeterorumque magistratuum legitimorum comitiis. »
Ibid., cap. 2, n. 6. (Page 81 de l'édition de Leipsik.) — Cicéron, De Divin.
lib. i, n. 2 et 48.
(3) Voyez le passage de Denys d'Halicarnasse que nous avons cité
plus haut, note 1. — Il paraît que cette loi de Romulus, toute sage qu'elle
était , ne fut pas toujours observée dans la suite ; car il est certain qu'il fut
souvent nécessaire de la renouveler. Voyez, à ce sujet, le Code Theodos.,
lib. îx, tit. 16, n. 7 ; lib. xvi, tit. 10, n. 5. — Terrasson, ubi suprà,^. 29
et 30.
INTRODUCTION. 15
doce(I), usage observé chez les Romains comme chez les
Grecs jusqu'à la chute du paganisme (2).
Numa Pompilius perfectionna sur ce point, comme sur
plusieurs autres, la législation de son prédécesseur. Il aug-
menta le nombre des prêtres et des temples, leur accorda de
nombreuses immunités, et rendit les cérémonies de la reli-
gion plus pompeuses , afin qu'elles fissent plus d'impression
sur le peuple. Il voulut qu'on suspendît la poursuite des
procès pendant les jours de fêtes , et que les esclaves eux-
mêmes observassent exactement les solennités, en suspendant
leurs travaux ; et afin que personne n'ignorât quel jour
tombait chacune de ces fêtes, il ordonna qu'elles fussent
inscrites dans un calendrier public (5). Une autre loi de
Numa défendit de faire aucune statue ni aucune image pour
représenter la Divinité , déclarant que c'était un crime de
croire que Dieu eût la figure d'une bête , ou même d'un
homme (4). S'il est vrai, comme Plutarque l'avance, que
(1) « Neqne venalia esse voluit sacerdotia, neque sorte distribui ; sed lege
« sanxit ut è singulis curiis legerentur bini annum egressi quinquagesimum ,
« qui virtute ac génère prœcellerent cœteros , opesque haberent suffi-
« cientes, et integro essent corpore. His non ad certum tempus, sed in omnem
« vitam eum honorera concessit, immunibus propter aetatem à militiâ, et
« propter privilegium exemptis ab urbanïs molestiis. » Ibïd. , cap. 7,
n. 7, p. 92 de l'édition de Leipsik.
(2) Prudence , poète chrétien du ive siècle , fait allusion à cet ancien usage,
dans un hymne composé en l'honneur de S. Laurent, où il décrit en ces
termes les fruits de la mort du saint martyr :
« Quidquid Quiritum sueverat
« Ornare nseniasNumae,
« Christi frequentans atria,
« Hymnis résultat martyrem. »
« Ipsa et senatûs lumina ,
« Quondàm Luperci et Flamines,
« Apostolorum et martyrum
« Exosculantur limina. » ^
Prudence, Peristephanon ; hymn. Il, v. 517; Biblioth. PP., t. v,
p. 115, col. 1. — Beugnot, Hist. de la destruction du Pagan.,t. i, p. 389.
(3) « Feriisjurgia amovento , easque in famulis, operibus patratis , haben-
« to. Itaque, ut ita cadat, in annuis amfractibus descriptum esto. » (i. e.
in anni curriculis et/astis.) Cicero, DeLegibusf lib. n, n. 8.
(4) « Hic vetuit Romanis hominis vel bestiae formain tribiiere deo; neque
- fuit ulla apud eos antè vel picta vel ticta imago deij sed primos centura
tl.
Lois des Douze
16 INTRODUCTION.
Numa fut l'auteur de cette loi , il y a tout lieu de croire
qu'elle était puisée dans la législation des Juifs, ou dans
quelqu'une de ces traditions primitives que le paganisme a
bien pu obscurcir, mais qu'il n'a jamais entièrement anéan-
ties. Du moins est-il certain que la législation de Romulus et
de Numa, telle que les historiens nous l'ont transmise, a trop
de rapports avec celles des Grecs et de quelques autres peu-
ples orientaux , pour qu'on puisse s'empêcher de regarder
ces dernières comme les sources primitives de l'ancienne lé-
gislation de Rome.
Quoi qu'il en soit de cette conjecture , il est à remarquer
Tawéfc""" que la plupart des lois de Romulus et de Numa , que nous
venons de citer, se retrouvent non-seulement dans le code
Papyrien, attribué à Tarquin le Superbe (4), mais encore
dans les Lois des Douze Tables, qui ont toujours été en si
grande estime chez les Romains, et que Cicéron en particu-
lier mettait au-dessus de tout ce que les philosophes avaient
écrit de plus parfait en matière de gouvernement (2). Il ne
nous reste de ce dernier recueil que quelques fragments et
quelques notions éparses dans plusieurs anciens auteurs;
mais ces fragments suffisent pour montrer que la religion
était un des principaux objets de ce code (5). Il était divisé
« sexaginta annos templa extruxerunt et cellas diis, simulacrum per id tem-
« poris nullum habuerunt, nefas putantes augustiora exprimere humiliori-
« bus, neque aspirari aliter ad deum quàm mente posse. » Plutarque, Vie de
Numa. ( Œuvres de Plutarque; édition d'Anvers, 1620,in-fol. 1. 1, p. 65.)
(1) Terrasson, ubi suprà, § 4 et 5.
(2) « Fremant omnes licet, dicam quod sentio : Bibliothecas, mehercule,
« omnium philosophorum unus mihi videtur xn Tabularum libellus, si quis
« legum fontes et capita viderit, et auctoritatis pondère, et utilitatis ubertate
« superare. » Cicero, De Oratore, lib. i, n. 44. — Rollin, Hist. Romaine,
liv. iv, an. de R. 306 ; t. "il, édit. de 1769, p. 171, etc.
(3) Jacques Godefroy est le premier qui ait essayé de rétablir ces fragments
dans l'ordre naturel. Il a publié le résultat de son travail , sous ce titre :
Fragmenta duodecim Tabularum, 1616,in-4°. Il résulte des rechercbes
de ce savant jurisconsulte , que les huit premières tables avaient pour objet
le Droit privé ;la neuvième, le Droit public ; et la dixième, le Droit sa-
cré. La onzième et la douzième renfermaient divers suppléments aux pré-
cédentes. On trouve un recueil plus exact et plus complet de ces lois dans
l'ouvrage déjà cité de Terrasson , 2e partie ; et dans celui de Bouchaud ;
Commentaire sur la loi des Douze Tables, 1800, 2 vol. in-4°.
INTRODUCTION. 17
en trois parties, dont la première concernait le droit privé,
la seconde le droit public, et la troisième le droit sacré.
Les fragments qui nous restent de cette troisième partie
concernent principalement le serment et les sépultures, que
tous les anciens peuples regardaient , après les sacrifices ,
comme les principaux actes de la religion. II est statué, dans
cette dernière partie, que tous, à l'exemple des ancêtres,
doivent regarder le serment comme une loi inviolable , qui
nous lie également envers Dieu et envers les hommes (4);
qu'on doit bannir des funérailles le luxe , le deuil outré , et
plusieurs autres pratiques singulières, ou peu ^conformes à
l'esprit de la religion qui doit présider à ces lugubres céré-
monies (2).
Toute la suite de l'histoire montre quel était le profond ï2.
respect des anciens Romains pour la religion , et même de SS.
combien ils tenaient à honneur d'être regardés comme la u" déadcaM
nation du monde la plus religieuse. « Les Romains , dit à république.
« ce sujet Valère Maxime, ont toujours cru devoir mettre la
« religion au premier rang, et la préférer même à tout ce
€ qui pouvait intéresser davantage la gloire et la puissance
« de leur nation (5). » C'est ce qui faisait dire à Gicéron,
parlant en plein sénat, « que les Romains cédaient volontiers
« la force aux Gaulois , la ruse aux Carthaginois , le succès
« aux Grecs dans les arts ; mais qu'ils se flattaient de sur-
« passer en piété et en religion tous les autres peuples (4). »
(1) « Nullum enim vinculum ad adstringendam fidem jurejurando ma-
« jores arctius esse voluerunt. Id indicant leges in xn Tabulis, indicant sa-
« cratae, indicant fœdera, quibus etiam cum hoste devincitur fides , etc. »
Cicero, De Ofjic. , lib. m, n. 31.
(2) « Jam caetera in xu (Tabulis), minuendi sumptus lamentationesque
« funeris, translata de Solonis ferè legibus. Hoc plus , inquit, ne facito :
« rogum asciâ ne polito : mulieres gênas ne radunto, neve lessum
« (i. e. ejulationem)/Mnem ergo habento, etc. » Idem. De Legib., lib. n,
n. 23, etc.
(3) « Omnia namque post religionem ponenda semper nostra civitas
duxit; etiam in quibus summse majestatis conspici decus voluit. » Valer.
Max. De dictis factisque memorabilibus , lib. i, cap. l, n. 9.
(4) « Necrobore Gallos, nec calliditate Pœnos, nec artibus Grœcos ;
* sed pietate ac religione omnes gentes nationesque superavimus. » Ci-
Si
18 INTRODUCTION.
C'est à ce profond respect pour la religion qu'ils attri-
buaient toutes leurs victoires , et ce haut degré de puis-
sance qui les distinguait entre tous les peuples. « Je suis
« persuadé, dit le pontife Cotta dans Cicéron, que Romulus,
a par l'établissement des auspices, et Numa par celui des
« sacrifices, ont jeté les fonde nents de Rome , qui n'aurait
« pu s'élever à ce haut point de grandeur, si elle ne s'était
« attiré, par sa religion, la protection des dieux (\). » Valère
Maxime adopte expressément cette opinion, dans son ouvrage
déjà cité : « Il n'est pas étonnant, dit-il, que la bonté des
« dieux ait constamment veillé à la conservation et à l'ac-
« croissement de cet empire , qui respecte si scrupuleuse-
« ment les moindres observances de la religion, et qui a de
« tout temps observé, avec la plus exacte fidélité, leà cérémo-
« nies du culte divin (2). » Cette persuasion était si répan-
due parmi les païens , pendant les premiers siècles de l'ère
chrétienne, que le philosophe Celse prétendait relever les
dieux des Romains au-dessus de celui des Juifs, par la si-
tuation si différente de Pun et de l'autre peuple. «Les Ro-
« mains, disait-il en parlant aux Juifs, sont maîtres de toute la
« terre ; et vous , il ne vous en reste pas un pouce : vous
« êtes errants , et obligés de vous cacher, pour échapper à
« ceux qui veulent vous exterminer (5). »
Il est sans doute permis de penser que, chez les Romains
cero, De haruspic. responsis, n. 9. « si conferre volumus nostra cum
« externis , caeteris rebns aut pares , aut etiam inferiores reperiemur ; re
« ligione, id est cultu deorum, multô superiores. » De nat. Deor., lib. n
cap. 3.
(1) « Harum ego religionum (religionum scilicet populi Romani ) nul
« lam unquàm contemnendam putavi; mihique ita persuasi , Romulum au
« spiciis , Numam sacris constitutis , fundamenta jecisse nostrae civitatis
« quae nunquàm profectô , sine summâ placatione deorum immortaliura
« tanta esse potuisset. » Cicero, De nat. Deor.> lib. m, cap. 2.
(2) « Nonmirum igitur, si pro eo imperio augendo custodiendoque per-
« tinax deorum indulgentia semper excubuit, quod tam scrupulosâ cura
« parvula quoque momenta religionis examinare videtur ; quia nunquàm
« remotos ab exactissimo cultu caeremoniarum oculos habuisse nostra civi-
« tas existimanda est. » Val. Max., lib. i, cap. 1, n. 8.
(3) Origène, Adv. Celsum, lib. vin, n. 69.
INTRODUCTION. 19
comme chez les Grecs , les philosophes et tous les hommes
vraiment instruits , en témoignant extérieurement un si
profond respect pour la religion établie, étaient bien moins
inspirés par une piété sincère envers les dieux, que par une
politique intéressée à entretenir ou à ménager, sur ce point,
les opinions populaires. On doit même reconnaître que ,
dans les derniers temps de la république et sous les pre-
miers empereurs, le gouvernement, qui se montrait en géné-
ral si attaché à la religion nationale, laissait en même temps
aux particuliers une grande liberté de parler et d'écrire
contre cette religion (\). Elle était impunément insultée par
les poètes sur le théâtre, par les philosophes dans leurs
écoles, par les orateurs en plein sénat; eî Cicéron lui-même,
adressant publiquement la parole à des juges, osait parler de
l'immortalité de l'âme comme d'une vaine et fausse opi-
nion (2). C'était là sans doute une conséquence manifeste, et
(1) Voyez , à l'appui de cette assertion , le Mémoire déjà cité de Burigny,
Sur le respect des anciens Romains pour la religion ( édition in-4°,
t. xxxiv, p. 120-125 ).
Cette inconséquence qui nous étonne, se retrouve à bien d'autres épo-
ques de l'histoire , dans les temps même et chez les peuples qui se piquent
le plus de philosophie. Dans ces derniers temps encore , et même de nos
jours , c'est une maxime généralement reconnue des philosophes et des po-
litiques, que la religion est le fondement nécessaire de la société, et le plus
ferme appui de l'ordre public. Machiavel et Montesquieu ne s'expriment pas
là-dessus moins fortement que Bossuet. (Machiavel, Réflexions sur Tite-Live,
liv. Ier, chap. 2. — Montesquieu, Esprit des Lois, liv. xxiv, chap. 2, 3, etc.
— Bossuet, Politique sacrée. ) C'est sur ce principe, que tous les gouver-
nements croient devoir accorder une protection particulière à la religion
dominante, soit qu'ils la reconnaissent comme religion de l'État, ou seulement
comme la religion professée parla plus grande partie de la nation. Cependant,
qu'y a-t-il de plus ordinaire que de voir cette même religion publiquement
attaquée dans les chaires publiques d'enseignement, et jusque sur le théâ-
tre, sans que le gouvernement se mette aucunement en peine de réprimer
ce scandale?
(2) Dans son Discours pour Cluentius Avitus, Cicéron voulant prouver
que l'accusé n'est pas réellement coupable de la mort d'Oppiniacus , son en -
nemi , et qu'il n'avait même aucune raison plausible de se porter à ce crime,
s'exprime ainsi : « Nam nunc quidem, quid tandem illi (Oppiniaco) mors
« attulit? Nisi forte ineptiis ac fabulis ducimur , ut existimemus illum
« apud inferos impiorum supplicia perf'erre, ac plures illic offendisse inimi-
« cos quàm hic reliquisse ; à socrûs, ab uxorum, à fratris, à liberorum pœnis
« actum esse praecipitem in sceleratorum sedem atque regionem. Quœ sifalsa
2.
ministres de la
religion.
20 INTRODUCTION.
un des principaux résultats de la décadence des mœurs;
toutefois, il demeure constant que, chez les Romains comme
chez tous les peuples anciens, l'alliance de la religion et du
gouvernement était fondée sur la constitution même de l'É-
tat , et généralement regardée , par les philosophes et les
législateurs, comme essentielle au bien public et à l'ordre de
la société.
l3 De là vinrent en particulier les honneurs et les privilèges
^cônifraux0 accordés de tout temps, chez les Romains, aux ministres sa-
crés (\). Ils étaient exempts des fonctions curiales ou muni-
cipales, qui entraînaient avec elles des embarras ou des dé-
penses considérables (2). Les principaux d'entre eux, qu'on
appelait pontifes ou flamines, étaient dispensés du ser-
ment en justice; il était même défendu de le leur deman-
der : lorsqu'on avait besoin de leur témoignage dans une af-
faire juridique, on s'en rapportait à leur simple déposition ,
parce qu'on était persuadé que la parole d'un ministre des
dieux valait le serment des autres hommes (5).
«sm£, idquod omnes intelligunt, quid ei tandem (Oppiniaco) aliud mors
« eripuit, prseter sensum doloris? » Cicero, Orat. pro Cluentio, n. 61. On
sait que Cicéron , conformément au système de la nouvelle académie qu'il
avait embrassé , soutient souvent le pour et le contre , sur un même sujet.
C'est ce qu'il fait, en particulier, par rapport à l'immortalité de l'âme. (Le-
land, Démonst. évang., t. iv, 3e partie, chap. 4 , § 7 ; chap. 6, § 3. )
(1) Voyez l'extrait des Mémoires de Burigny cités plus haut , pag. 1 ,
note 1. — Gutherius, De veterijure pontificio, lib. i, cap. 28 ; lib. n, pas-
sim. — ( Tom. v du Recueil de Graevius, Thésaurus Antiquit. Kom., p. 56. )
(2) Le témoignage de Denys d'Halicàrnasse que nous avons cité plus haut
( page 1 », note 1 ), nous apprend que cette immunité avait été accordée aux
prêtres par Romulus. Une loi publiée par Constantin en 335, leur confirme
cette immunité dont ils avaient joui jusqu'alors. Voici le texte de cette loi :
« Quoniam Afri curiales conquesti sunt quosdam in suo corpore, postjla-
« minit honorem et sacerdotii vel magistratûs decursa insignia, praepo-
« sitos compelli tieri mansionum (i. e. annonarum ), quod in singulis curiis,
« sequentis meriti et gradûs homines implere consuêrunt, jubemus nullum
« praedictis honoribus splendentem, ad memoratum cogi obsequium , ne
« nostro fieri judicio injuria videatur. » Cod. Theod., lib. xii, tit. 1, n. 21.
L'importance de cette immunité est expliquée par Godefroy , dans le
préambule de son Commentaire sur ce xne livre.
(3) « C Valerius Flaccus, quem praesentem creaverant (aedilem curulem),
« quiajlamen Dialis erat,jurare in leges non poterat. » Tite-Live, Hist.,
lib. 31, cap. 50.
INTRODUCTION. 21
Les différents collèges des pontifes formaient, dans les
principales villes de la domination romaine, autant de tribu-
naux, où Ton jugeait , non-seulement les affaires concernant
le culte des dieux, mais encore celles qui regardaient les tes-
taments, les adoptions, l'affranchissement des esclaves, et
plusieurs autres d'une grande importance. Tous ces collèges
reconnaissaient pour chef le souverain pontife , qui était un
des hommes les plus distingués de l'État, et qui avait, sur le
corps entier des pontifes, une juridiction très-étendue, même
dans l'ordre temporel. II veillait au maintien du culte éta-
bli , et empêchait l'introduction des cultes étrangers. Il
avait la direction du calendrier ; et ce fut en qualité de
grand prêtre que Jules César réforma celui qui était alors
en usage. Il possédait aussi le livre des fastes (4), à l'exclu-
sion de toute autre personne ; ce qui lui donnait la facilité
d'avancer ou de reculer le jugement des affaires les plus im-
portantes, et souvent de traverser les desseins des principaux
magistrats de la république (2). En un mot, son pouvoir et
Plutarque , dans ses Questions ou Problèmes sur les coutumes des Ro-
mains, ne se contente pas d'énoncer le fait de cette exemption ; mais il en
expose les motifs en ces termes : « Cur flamini Diali non licet jurare ? Sive
« quia tormentum liberisest jusjurandnm, sacerdotem verô quoad animum et
« corpus, oportet torturseesse expertem; sive quia non convenit ei cui sa-
ie cra, id est, maxima credimus, in minimis fidem non adhibere ; sive quôd
« omne jusjurandum in execrationem perjurii desinit, quae quidem execra-
« tio funesta est et exitiosa; unde aliis dira imprecari sacerdotes lege pro-
« hibentur ;... sive quia perjurii discrimen omnibus commune futurum es-
te set, si nefario et perjuro supplicationum sacrorumque urbis curacommit-
« teretur. » Plutarque, Quœst. Rom. sive Problemata, n. 43. ( Œuvres de
Plutarque, édition d'Anvers, 1620, in-fol. , t. n, p. 275, C) Le texte de
Tite-Live, que nous venons de citer, ne parle que de l'exemption du Jlamine
Diale, c'est-à-dire, du grand prêtre de Jupiter. Mais les raisons de cette
exemption, exposées par Plutarque, supposent que les autres pontifes jouis-
saient du même privilège. Voyez, à l'appui de cette explication, l'ouvrage de
Hansenius , De jurejurando veterum , cap. 30. ( Tome v du Recueil de
Graevius, Thésaurus Antiquit. Rom. p. 863, etc. )
( t ) Le livre des fastes était une espèce de calendrier qui indiquait les
jours où il était permis de plaider.
(2) Censorinus, auteur du troisième siècle, parlant des défauts du calen-
drier avant Jules César, les attribue, en grande partie, au pouvoir qu'a»
vaient autrefois les pontifes de le régler, et à l'abus qu'ils faisaient souvent
de ce pouvoir, pour servir leurs intérêts particuliers : « Quod delictum ( de*
tiens.
22 INTRODUCTION.
ses privilèges étaient 6i étendus, que l'empereur Auguste et
ses successeurs, lorsqu'ils voulurent concentrer dans leur
personne toute l'autorité des principales magistratures de la
république, jugèrent important de réunir le titre de souve-
rain pontife à tous ceux qui étaient attachés à la dignité
impériale. On remarque même que, dans l'énoncé de leurs
titres, ils mettaient celui de souverain pontife à la tête de
tous les autres, même avant celui de dictateur (\).
. .. l4; C'est par une suite de cet ancien usage, qu'on voit, dans
Le titrede sou- r o ' T '
rera in pontife plusjeurs anciens monuments , le titre de souverain pon-
donne aux » ' ±
premiers em- ^re donné aux premiers empereurs chrétiens , jusqu'au
pereurscure ' * r > J i
temps de Gratien , qui le refusa formellement (2). D'ha-
biles critiques, il est vrai, ont douté que les empe-
reurs chrétiens aient jamais accepté , ou pu accepter ce
titre (5) ; mais il est constant que les païens continuèrent à
le leur donner; et il est bien difficile de croire qu'ils eussent
persisté si longtemps à donner aux empereurs chrétiens un
titre que ceux-ci n'eussent pas accepté, ni même voulu ac-
cepter, et qui leur donnait tant de moyens de ruiner peu à
« fectum scilicet calendarii ) ut corrigeretur, dit-il , pontificibus datum est
« negotium, eorumque arbitrio intercalandi ratio permissa. Sed horum ple-
« rique, ob odium vel gratiam, quô quis magistratu citiùs abiret, diutiùs-
« ve fungeretur , aut publici redemptor ex anni magnitudine in lucro dam-
« nove esset, plus minùsve ex libidine intercalando , rem sibi ad corrigen-
« dum mandatam , ultrô depravarunt ; adeoque aberratum est, ut C. Caesar,
« pontifex maximus,... quô retrô delictum corrigeret, duos menses interca-
« larios interponeret , etc. » Censorinus, De die natali, cap. 20; Ham-
« burgi, 1614, in-4°, p. 106.
(1) Gutherius , ubi suprà, lib. i, cap. 11. — Tillemont , Histoire des Em-
pereurs^, i, p. 17 — Voyez aussi, dans le recueil des Mémoires de l'A-
cadémie des inscriptions et belles-lettres, plusieurs Mémoires de M. de la
Bastie,swr le souverain pontificat des empereurs romains (t. xviu et
xxii de l'édition in-12). Ces Mémoires sont analysés par Eckhel, Doctrina
nummorum veterum, t. vin, p. 380, etc.
(2) Quatrième mémoire de M. delà Bastie, sur le souverain pontificat
des empereurs romains. — Annales de Baronius, anno 312, n. 93, etc. —
Bosius, De pontificatu max. imper. Roman. ( Dans le Recueil de Graevius,
Thesaur. Antiquit.Rom., t. v, p. 271, etc.)
(3; Tillemont, Hist. des Empereurs, t. iv, p. 139 et 635; t. v, p. 138 et
705. — Fleury, Hist.Eccl., t. iv, liv. xvii, n. 24 Pagi, Critica in Anna-
les Baronii, anno 312.
INTRODUCTION. 23
peu le paganisme, sous prétexte d'en corriger les abus. Il
semble plus naturel de dire, avec le cardinal Barohius et
quelques antres, que les raisons à* État, et l'avantage même
de la religion, concouraient à lever, sur ce point, les scru-
pules des empereurs. D'un côté, le titre de souverain
pontife leur donnait, dans l'ordre temporel , un pouvoir
dont il leur importait de n'être pas privés ; d'un autre côté,
la profession ouverte qu'ils faisaient du christianisme ne per-
mettait pas de supposer qu'en prenant ou acceptant ce titre,
ils prétendissent, en aucune manière, favoriser ou soutenir
l'idolâtrie. « S'abstenant, comme ils faisaient, de toute fonc-
« tion pontificale, contraire au christianisme, ils s'imagi-
« naient pouvoir, en conscience, garder un nom qu'ils dé-
« testaient dans le cœur, en attendant que la politique leur
« permît de le rejeter (A). »
Mais, quoi qu'il en soit du titre de souverain pontife, l5
donné aux premiers empereurs chrétiens, il est certain que P" prêtes
les prêtres païens continuèrent à jouir de leurs anciens pri- pa „,"s souT^
viléges , longtemps après la conversion de Constantin (2).
L'exemption des charges curiales en particulier leur fut
confirmée sous le règne de ce prince , par deux lois diffé-
rentes , publiées en 535 et 557 ; on remarque seulement
que la dernière de ces lois restreint aux flamines perpétuels,
cette immunité, dont jouissaient auparavant tous les flamines
sans exception (5). Valentinienler, non content de maintenir
(1) Labletterie , Vie de l'empereur Julien, liv. in, p. 232. — Idem, Vie
de l'empereur Jovien, p. 106.
M. Beugnot, dans son Histoire de la destruction du paganisme en Occi-
dent, regarde comme un fait incontestable, non-seulement que le titre de
souverain pontife a été donné à Constantin , mais que ce prince en a quel-
quefois rempli certaines fonctions , contraires à l'esprit et aux principes
du christianisme (t. i, p. 89-92). Il s'en faut beaucoup que celte assertion de
M. Beugnot soit établie par des preuves décisives. Le quatrième mémoire de
M. de la Bastie peut servir de correctif, sur ce point, à l'ouvrage de M. Beu-
gnot.
(2) Beugnot, Histoire de la destruction dupagan. en Occident, t. i,
p. 33, 234, etc., 329, etc., 353, etc.
(3) Nous avons rapporté plus baut (p. 20, note 2) la première de ces lois.
Voici le texte de la seconde : « Sacerdotes et flamines perpetuos , atque
Constantin et
ses succes-
seurs.
24 INTRODUCTION.
leurs anciens privilèges , accorda de nouvelles distinctions à
ceux qui se seraient bien acquittés de leurs fonctions ; il les
éleva à la dignité de comtes , dont les privilèges étaient fort
étendus, et qui ne s'accordait qu'aux citoyens les plus recom-
mandablespar le zèle et la probité dont ils avaient fait preuve
dans l'administration publique (\). Il paraît -que les prêtres
païens continuèrent à jouir de ces immunités jusqu'au règne
de Gratien et de Théodose , qui donnèrent les derniers coups
au paganisme dans l'empire : le premier, en dépouillant les
temples de leurs biens, et le second, en interdisant absolu-
ment l'exercice de l'idolâtrie, ou, du moins, en exécutant plus
rigoureusement les lois déjà publiées contre elle par les
premiers empereurs chrétiens.
ï6. Une conséquence également remarquable du respect des
Prohibition * a ■* ...
des cuites anciens Romains pour la religion de l'État, était la prohibi-
é (rangers chez l °
\es anciens tion générale des cultes étrangers oui n'étaient pas autorisés
Ilomains. ° u * r
par les lois (2). Les expressions de Tite-Live, à ce sujet,
sont dignes d'attention : « Les plus sages de nos pères, dit-il,
« ceux qui ont le mieux connu le droit divin et humain,
« etiam duumvirales, ab annonarum praeposituris inferioribusquemuneribus
« immunes esse praecipimus. Quod ut perpétua observatione firmetur, legem
« incisam neneis tabuîis jussimuspublicari. » Cod. 77ieod.,lib.xn,tit.v,n. 2.
(1) « Qui ad sacerdotium provinciœ et principalis ( seu primatis) ho-
« norem gradatim et per ordinem, muneribus expeditis ( non gratiâ emen-
« dicatis suffrages) et labore pervenerint, probatis aclibus, si consonaest
« civium fama, et publiée ab universo ordine comprobantur , habeantur
« immunes, otio fruituri quod continui laboris testimonio promerentur;....
« honorem ctiam eis ex comUibus addi censemus , quem hi consequi so-
« lent qui fidem diligentiamque suam in administrandis rébus publicis ad-
« probarint. » Cod. Theod., ibid., tit. i,n. 75.— Lebeau, Hist. duBas-Emp.,
t. îv, liv. xvi, n. 19. — Fleury, Hist. Eccl., t. iv, liv. xvi,n. 29.
Celte loi de Valentinien 1er, et quelques autres actes de son administra-
tion, l'ont fait soupçonner d'une espèce d'indifférence à l'égard de la religion
chrétienne. Tillemont croit pouvoir le justifier en partie; cependant il
avoue que ce prince « soit par une véritable prudence, soit par une fausse
« politique, n'a pas toujours témoigné tout le zèle qu'on eût pu attendre
« d'un confesseur ( de la foi ) qu'il avait hautement professée sous Julien. »
(Tillemont, Hist. des Emp., t. v, p. 10 et 11.)
(2) Voy. le Mémoire , déjà cité , de Burigny, sur le respect des anciens
Romains pour la religion. — Guénée, Lettres de quelques Juifs, 1. 1
2e partie , lettre 3e, § 3,
INTRODUCTION. 25
« jugeaient que rien n'était si propre à détruire la religion,
i( que de sacrifier selon des rites étrangers (\). » Le même
historien rapporte, en effet, un grand nombre de décrets
rendus sur ce sujet par le sénat, à différentes époques de la
république, et dont plusieurs ne se bornent pas à interdire
l'exercice des cultes étrangers, mais infligent des peines plus
ou moins sévères aux transgresseurs de cette défense (2.
Ce fut en vertu de ces décrets, que le préteur Cornélius
Hispalus chassa de Rome (vers l'an 645 de sa fonda-
tion) ceux qui voulaient y introduire le culte de Jupiter Sa-
basius (5), et que le sénat fit abattre dans Rome (en 704) les
temples d'Isis et de Sérapis, dont le culte n'était pas reconnu
par les lois (4).
Cette ancienne législation continua d'être en vigueur sous «f.
• 1 -il*» Celte probibi-
1 empire. Auguste la renouvela même, par le conseil de M e-.tum mainte-
cène, à l'occasion des cultes égyptiens , que l'on cherchait Augusie et
, , . . ,. . . Tibère.
alors à introduire en Italie. Nous rapporterons ici , d après
Dion Cassius, le discours de Mécène à Auguste sur ce sujet :
« Honorez vous-même les dieux, lui dit-il, selon l'usage de
« nos pères, et forcez les autres à les honorer. Haïssez ceux
« qui innovent dans la religion, et punissez-les, non-seule-
« ment à cause des dieux (car celui qui les méprise ne respecte
« rien), mais parce que ceux qui introduisent de nouveaux
« dieux engagent plusieurs personnes à suivre des lois élran-
« gères, et que de là naissent des unions par serment, des li-
ft gués, des associations, toutes choses dangereuses dans la
« monarchie. Ne souffrez point les athées ni les magi-
« ciens, etc. (5). »
(1) « Judicabant enim prudentissimi viri omnis divini humanique ju-
« ris, nihil œquè dissolvendse religioni esse, quàm ubi non patrio sed exter-
« no ritu sacrificaretur. » Tit. Liv., Hist., lin. xxxix, n. 16.
(2) Plusieurs de ces décrets sont rapportés par Burigny et Guénée, ubi
suprà.
(3) Valer. Maxim., lib. i, cap. 3, § 2. — Crevier, Hist. Rom.t liv. 27,
an de R. 613. (T. vin, in-12, p. 516.)
(4) Dion Cassius, Hist. Roman., lib. xl, n. 47. (Édition de Hambourg,
1750, 1. 1, p. 252.)
(5) Ibid.jlib. m, n. 36, p, 689.
26 iNTÉOtitJCTtON.
Auguste fut imité, en ce point, par Tibère, qui, non con
tent de proscrire les cérémonies égyptiennes, comprit dans
son décret les cérémonies judaïques, et ordonna que tous les
Juifs qui ne changeraient pas de religion dans un certain
temps , sortissent d'Italie , menaçant même de la servitude
perpétuelle ceux qui refuseraient d'obéir, Quatre mille af-
franchis furent, à cette occasion, relégués en Sardaigne, au
rapport de Tacite (\).
18. Cette ancienne aversion des Romains et de tous les an-
F!Ue sert de
prétexte aux ciens peuples pour les cultes étrangers, fut certainement Une
persécuier les des principales causes des oppositions que le christianisme
chrétiens. _ • • 1 1 j H
rencontra, dès son origine, dans toutes les parties de 1 em-
pire, et des cruelles persécutions qu'il eut à essuyer pendant
trois siècles, de la part des empereurs (2). Les plus célèbres
apologistes de la religion en ont fait la remarque (5); et les
juges eux-mêmes donnaient souvent pour motif de leurs sen-
tences contre les chrétiens, l'obstination de ces derniers à
rejeter les dieux de l'empire , pour leur en substituer un
nouveau.
19. Nous n'avons pas besoin de remarquer que ce motif ne
Injustice de . . .n j . , . • .
ce prétexte, pouvait justifier, aux yeux des païens tant soit peu équitables,
les éditsde persécution publiés contre le christianisme. Quelle
conduite, en effet, plus évidemment injuste que celle des
païens , qui rejetaient sans examen , sous prétexte de nou-
veauté , une religion fondée sur des miracles évidemment
divins, et dont la morale si pure commandait naturellement le
respecta ses plus grands ennemis; tandis qu'ils ne faisaient au-
(1) Tacite, Annal. , lib. 11, cap. 85. — Dion, Hist. Rom., lib. lit, n. 6,
p. 735 ; lib. lx, n. 6, p. 945.-- Tillemont, Hist. des Empereurs, t. 1, p. 73.
(2) Naudet, Des changements opérés dans toutes les parties de Vad-
ministration de V empire romain sous les règnes de Dioctétien, Con-
stantin, etc., 2e partie, § 12. — Fleury, Hist. Eccl., tir, liv. vm, n. 25.
(3) « Sed quoniam, cùm ad omnia occurrit veritas nostra, postremô le-
« gum obstruitur auctoiïtas adversùs eam;. .. . de legibus priùs consistam
« vobiscum, ut cum tutoribus legum. » Tertull., Apologet., § 4.
Voyez aussi Lactance, Instit., lib. 11, cap. 7 (Mblioth. PP., t. m ). —
Bossuet, Explic. de VApocal. , ch. 3, n. 4. ( Œuvres de Bossuet, t. m,
p. 185, etc.
INTRODUCTION. [27
cune difficulté de corriger tous les jours tant de lois anciennes,
et d'admettre tant de cultes nouveaux? C'est ce que Tertul-
lien représente, avec autant de force que de confiance, aux
magistrats de l'empire et au sénat romain lui-même, dans la
célèbre Apologie qu'il leur adressa, vers la fin du second siècle
de l'ère chrétienne (\). « Lorsque vous n'avez plus rien à répon-
« dreaux vérités qu'on vous oppose, leur dit-il, vous ne man-
« quez jamais de produire contre nous l'autorité de vos lois. . .
« Mais si votre loi s'est trompée, c'est qu'elle est l'ouvrage
« d'un homme. Est-il donc étonnant qu'un homme ait pu
« se tromper en faisant une loi , ou qu'il reconnaisse son
« erreur en la révoquant? Les Lacédémoniens n'ont-ils pas
« corrigé les lois de Lycurgue? Et vous-mêmes, ne vous voit-
« on pas tous les jours, éclairés par l'expérience, réformer
« les lois anciennes par des édits et des règlements nou-
« veaux (2)? Je demanderais volontiers, à ces religieux
(t observateurs des lois de leurs ancêtres, s'ils ont toujours
u eu le même respect pour ces anciennes ordonnances ; s'ils
« ne s'en sont jamais écartés ; s'ils n'ont pas effacé de leur
« mémoire celles mêmes de ces ordonnances qui étaient plus
« importantes et plus nécessaires pour le maintien des
« mœurs? Que sont devenues les lois qui réprimaient les
« dépenses superflues, l'ambition, le luxe des habits, la li-
ft cence des théâtres , les repas somptueux , le divorce , les
« superstitions vaines et déshonnêtes? Pour ce qui regarde
« en particulier le culle des dieux, combien n'avez-vous pas
« aboli de règlements sagement établis par vos pères? Les
« consuls, avec le consentement du sénat, ont banni de Rome
« et de l'Italie Bacchus avec ses mystères ; ils ont défendu
« l'entrée du Capitole , c'est-à-dire du palais des dieux , à
« Sérapis, à ïsis, à Harpocrate, à Anubis, dont ils ont même
« renversé les autels, pour prévenir les désordres occa-
« sionnés par de vaines et honteuses superstitions. Gepen-
(1) Fleury, Hist. Eccl., t. n, liv. v, n. 4, etc.
(2) Tertullien , Apologétique ,§ 4.
28 INTRODUCTION.
« dant, vous avez rétabli tous ces dieux, et vous leur avez con-
« fëré de nouveau la majesté souveraine. Où est donc votre
« religion? où est le respect que vous devez à vos ancêtres?
« Vous avez abandonné tout à la fois leur langage, leur sim-
« plicité, leur modestie, leur tempérance; vous louez sans
« cesse l'antiquité, et vous adoptez tous les jours de nouvelles
a maximes; et, tandis que vous abandonnez les plus belles
« institutions de vos pères, celles mêmes auxquelles vous
« devriez être plus fortement attachés, vous conservez celles
« que vous devriez être plus empressés de rejeter (4)
« Chaque province, chaque ville a son dieu particulier ;
« les chrétiens seuls sont privés de ce droit ; on ne les re-
« garde plus comme Romains, parce qu'ils adorent un dieu
« que les Romains ne reconnaissent point ; il est permis
« chez vous de tout adorer, excepté le dieu véritable ;
« comme si le dieu à qui tous les hommes appartiennent
« n'était pas plus qu'aucun autre le dieu de tous (2). »
A l'appui de ces réflexions, Tertullien cite l'autorité de
m«rned^ plusieurs empereurs païens, même des plus renommés pour
,m!afcns!es leur sagesse, et qui, bien loin de se croire obligés, par les
anciennes lois, à persécuter les chrétiens, prenaient ouverte-
ment leur défense, jusqu'à menacer de punir leurs persécu-
teurs. « Tibère , sous qui le nom chrétien a paru dans le
c monde, ayant été informé des merveilles que Jésus-Christ
« avait opérées en preuve de sa divinité, les fit connaître au
« sénat, en lui manifestant le désir de voir Jésus-Christ ad-
« mis au nombre des dieux. Le sénat rejeta cette proposi-
« tion; mais l'empereur demeura ferme dans sa résolution,
« et menaça de punir ceux qui accuseraient les chrétiens.
« Consultez vos registres publics ; vous y verrez que Néron
« est le premier qui ait persécuté la religion chrétienne, à
« l'époque où elle commençait à se répandre dans Rome ;
« mais nous tenons à honneur de voir un prince de ce ca-
(1) Tertullien, Apologétique, § 6.
(2) Tertullien, Idid. § 24.
INTRODUCTION. 29
« ractère à la tète de nos persécuteurs; car, quiconque le
« connaît, peut savoir qu'il n'a jamais rien condamné qui
« ne fût un très-grand bien. Domitien, digne émule deNé-
« ron pour sa cruauté, voulut d'abord imiter son exemple ;
« mais il changea bientôt de pensée , et rappela de l'exil
« ceux qu'il avait bannis. Tels ont toujours été nos persécu-
« teurs : des hommes injustes, impies, infâmes, que vous
« condamnez vous-mêmes, et dont vous tachez de réparer les
« injustices. Parmi tous les princes véritablement humains et
« religieux, nommez-en un qui ait poursuivi les chrétiens.
« Nous, au contraire, nous vous en nommerons un qui s'est
« déclaré leur protecteur. Lisez les lettres de Marc-Aurèle;
« vous y verrez que les prières des soldats chrétiens obtin-
« rent une pluie abondante qui apaisa la soif de son armée;
« et s'il ne déchargea pas ouvertement les chrétiens des
« peines portées contre eux, il le fît d'une autre manière, en
« condamnant leurs accusateurs à des peines encore plus ri-
« goureuses. Quelles sont donc ces lois, qui ne sont observées
« contre nous que par des impies, des injustes, des infâmes,
« des furieux, des fous, des insensés ; que Trajan éluda en
« partie, en défendant de rechercher les chrétiens; qui ne
« furent jamais invoquées contre nous, ni par Adrien, si ami
« des sciences; ni par Vespasien, l'exterminateur des Juifs; ni
« par Ântonin le Pieux ; ni par Marc-Aurèle ? Assurément
« des méchants, tels qu'on nous suppose, auraient dû avoir
« pour persécuteurs tous les gens de bien, et non des hommes
« coupables des mêmes désordres (\). »
Tous ces détails sur l'usage et les maximes de l'antiquité, *t. î
■ . , .,, . • j . . Conséquence
relativement a 1 étroite union qui doit exister entre la reh- naturelle
gion et l'Etat, nous ont entraîné beaucoup plus loin que faits. Étroite
nous ne l'avions d'abord pensé. Nous croyons cependant religion et de
qu'ils ne sembleront pas trop longs, eu égard au but que les empereurs
nous nous proposons dans cette Introduction, qui est de
(1) Tertullien, Âpologé(iquef § 6,
30 INTRODUCTION.
faire connaître l'origine des honneurs et des prérogatives
temporelles accordés à la religion et à ses ministres, depuis la
conversion de Constantin. Il est certain, en effet, que l'usage
et les maximes de l'antiquité suffiraient seuls pour expliquer
la conduite des princes chrétiens, à cet égard. Depuis la chute
du paganisme, il devait paraître tout naturel de transporter à
la religion chrétienne les faveurs dont la religion nationale
avait joui de tout temps chez les Romains , comme chez tous
les autres peuples du monde. L'étroite union de la religion
et de l'État, que tous les anciens législateurs avaient jugée
si importante au bien de la société, ne Tétait pas moins de-
puis l'établissement du christianisme ; nous verrons même
bientôt qu'elle devenait de jour en jour plus nécessaire, eu
égard à la situation déplorable de l'empire. Bien loin donc
de mériter aucun reproche en adoptant ce principe , les
empereurs chrétiens eussent témoigné bien peu de zèle et
de respect pour la véritable religion, en la privant des hon-
neurs et des prérogatives qu'un usage si ancien et si uni-
versel accordait à la religion de l'État.
ARTICLE IL
Des Honneurs et des Prérogatives temporelles accordés à la Religion et à ses
Ministres, sous les premiers Empereurs chrétiens.
22. La conversion éclatante de Constantin au christianisme, et
Origine des • ■■ . , . . . i 1 n • i- • i i
faveurs accor- le discrédit universel de 1 ancienne religion, dans toutes les
dées à la re- ,
Hgion chré- parties de 1 empire, ne pouvaient manquer, comme on vient
tienne, par , , , t •
Constantin et de le voir, d attirer en peu de temps a l Eglise, non-seulement
ses succès- . , . .
seurs. la protection des empereurs chrétiens, mais encore les hon-
neurs et les prérogatives temporelles dont le paganisme avait
joui constamment chez les Romains, comme chez tous les
peuples anciens. Toutefois, on ne connaîtrait qu'imparfaite-
ment l'origine et les véritables causes du pouvoir temporel
dont le clergé fut investi depuis la conversion de Constantin,
23.
Germes
de dissolution
INTRODUCTION. 31
si l'on ne se rappelait quelle était, à cette époque, la situation
déplorable de l'empire, et les puissantes ressources que lui
offraient la religion et ses ministres, contre les dangers sans
nombre qui le menaçaient. Un coup d'reil rapide sur l'état
de la société romaine, sous ce double rapport, fournira l'ex-
plication naturelle des nombreuses prérogatives que les em-
pereurs chrétiens s'empressèrent d'accorder à l'Église , et
que nous devons exposer en détail dans la suite de cette In-
troduction.
§ I,r. Situation déplorable de Vempire sous les premiers
Empereurs chrétiens; puissantes ressources que lui of-
fraient la Religion et ses Ministres.
Longtemps avant la conversion de Constantin , l'empire
romain portait dans son sein des germes de division, qui, en
l'affaiblissant de jour en jour, devaient enfin amener son en- d«»sl'emPire
J J ' longtemps
tière destruction (4). La multitude de peuples divers dont il «vantconstan.
se composait, la variété infinie de leurs coutumes et de leurs
caractères, la décadence de la discipline militaire, la corrup-
tion universelle des mœurs , tout conspirait à ébranler la
constitution de l'empire ; et les fréquentes irruptions des peu-
ples barbares ajoutaient encore au danger qui résultait de la
réunion de ces différentes causes.
Dans ces tristes conjonctures, la religion chrétienne offrait 24.
au gouvernement un des plus sûrs moyens d'affermir son ?Zu™Tcpê'
autorité, et de maintenir les peuples dans l'obéissance. La lïïigî2"âi!î
forte constitution de l'Église, la beauté de sa morale, les
vertus sublimes qu'elle inspirait à ses enfants, le renouvelle-
ment qu'elle opérait partout dans les mœurs publiques, sem-
; (i) Essai historique et critique sur la suprématie temporelle de VÉ-
glise et du Pape, par M. Afire, ch. xui. — Montesquieu, Considérations
sur les causes de la grandeur des Romains et de leur décadence , ch, 9,
10, etc. — Bossuet, Histoire universelle, 3e partie, ch. 7. — Histoire de
l'Église Gallicane , 1. 1, années 407-409. — Annales du moyen âge, t. i,
liv. h, p. 215, etc.
tienne.;
32 INTRODUCTION.
blaient naturellement l'appeler à la régénération du corps so-
cial ; elle seule pouvait donner une nouvelle vie à ce corps
épuisé, en procurant le rétablissement des mœurs, de la sub-
ordination, et de tous les liens propres à unir entre elles
les différentes parties de l'État. Les chrétiens , en même
temps qu'ils étaient les plus respectueux des hommes envers
la Divinité , se montraient les plus fidèles sujets des empe-
reurs. La soumission aux puissances du siècle était une de
leurs principales maximes et de leurs obligations les plus sa-
crées. Jamais on ne les avait vus mêlés aux séditions et aux
révoltes qui avaient si souvent ensanglanté les provinces ro-
maines, et renversé le trône impérial. L'expérience constante
et journalière montrait aux empereurs qu'ils n'auraient ja-
mais de sujets plus fidèles, de soldats plus dévoués, de ma-
gistrats plus intègres, que dans le sein du christianisme.
a5 Le clergé surtout se distinguait par des vertus bien supérieu-
Velnenter res atout ce que les siècles précédents gavaient vu de plus par-
dUsurtout et fait? et à tout ce (\ue ^e christianisme lui-même offrait de plus
desevêques. admirai)ie dans les autres classes de la société (i). Rien de
plus touchant que le tableau des vertus du clergé, et parti-
culièrement des évêques , pendant les premiers siècles de
l'Église. «Les plus vertueux de nos anciens, dit Ter-
« tullien dans son Apologétique , président à nos assem-
«blées; et l'on arrive à cet honneur, non par argent,
« mais par les témoignages de l'Église ; car les choses sain-
« tes ne s'achètent point (2). n
Aussi, la plupart des évêques dont l'histoire fait men-
tion, dans ces premiers temps , étaient des hommes d'une
éminente sainteté, qui prêchaient la perfection évangélique,
bien plus par leurs exemples que par leurs discours. Us
(1) Fleury , Mœurs des Chrétiens, n. 32, 48 et 49. — Le même auteur
confirme tout ce qu'il dit en cet endroit , dans le tome vm de son Histoire
Ecoles., 2 e Discours, n. 4, etc.
(2) « Président probati quique seniores, honorem istum non pretio sed
« testimonio adepti ; neque enim pretio ulla res Dei constat. » Tertullien ,
Apologet., cap. 39. Origène dit la même chose , en d'autres termes, dans ses
Livres contre Celse, liv. vm, n. 75, (Oper., 1. 1, p. 798.)
INTRODUCTION. 33
étaient assistés , dans l'exercice de leurs fonctions, par des
prêtres et des ministres de différents ordres, dignes d'être
proposés pour modèles à l'assemblée des fidèles , et choisis
parmi les plus vertueux d'entre eux , souvent même parmi
les confesseurs qui avaient montré plus de constance dans les
persécutions (i). L'évêque faisait ce choix en présence du
peuple , souvent même à sa prière , et après avoir examiné
les candidats avec les prêtres les plus habiles, pour s'assurer
qu'ils avaient les qualités requises. L'évêque lui-même était
choisi , en présence du peuple et avec son suffrage , par les
évêques de la province , assemblés pour cet effet dans l'é-
glise vacante (2). La principale autorité, dans cette élection,
appartenait sans doute aux évêques ; toutefois la présence et
les suffrages du peuple étaient jugés nécessaires , afin que,
ous étant persuadés du mérite de l'élu , lui obéissent plus
volontiers (5).
Les clercs choisis pour le service d'une église , y vivaient
dans une entière dépendance de l'évêque , comme des dis-
ciples qu'il avait soin d'instruire, de former, et d'élever par
(1) Saint Cyprien , Epist. 29, 38, etc.
(2) Thomassin, Ancienne et nouvelle Discipline, t. h, liv. h, ch. 1-8. —
De Héricourt, Abrégé du même ouvrage, 2e partie, ch. 11. — Van-Espen,
Jus. Eccl. univ., part. 1, tit. xm, cap. 1.
(3) Mosheim et plusieurs autres écrivains protestants ont prétendu que,
dans les premiers temps de l'Église , son gouvernement était purement démo-
cratique , que toute l'autorité était alors entre les mains du peuple, qui avait
seul le droit de faire des lois, et d'instituer ses chefs pour exercer l'autorité
en son nom. (Mosheim, Hist. Eccl. ier siècle, 2e partie, ch. 2, § 6. ) Confor-
mément à ces principes, Jurieu prétend que l'élection du peuple etst seule
essentielle à V établissement des pasteurs. ( Syst. de l'Église, p. 578.)
Rien de plus contraire que ces prétentions à la doctrine et à la pratique
constante de l'Église. Dans les premiers siècles mêmes, où le peuple avait une
plus grande part à l'élection, la principale autorité résidait toujours dans
les évêques de la province; le suffrage du peuple était un simple vœu , sub-
ordonné au jugement des évêques, qui faisaient proprement l'élection. C'est
ce qui résulte clairement des faits recueillis, sur ce sujet, par les auteurs
que nous avons cités dans la note précédente. ( Voyez aussi Fénelon, Traité
du ministère des Pasteurs, ch. 14 et 15. — Bergier, Dict. Théol., art. Hié-
rarchie. — Pey, De l'autorité des deux Puissances, t. n, p. 2, etc.) On
peut juger, d'après cela, combien est inexacte et peu fondée cette assertion
de M. Guizot, que les évêques ont été longtemps choisis par leurs subor-
donnés. (Hist. générale de lacivilis.en Europe, 5e leçon, p. 147-149.)
34 INTRODUCTION.
degrés aux différentes fonctions, selon leurs talents et leurs
mérites (4). Mais cette grande autoriié des évêques sur le
clergé n'était point une domination despotique : c'était un
gouvernement paternel, et remarquable par l'esprit de dou-
ceur et de charité qui en était l'àme (2). L'évêque ne faisait
rien d'important sans le conseil des principaux membres
de son clergé, et surtout des prêtres, qui étaient comme le
sénat de l'Église. Il donnait même à quelques-uns des plus
anciens et des plus respectables une espèce d'autorité sur
lui , en les chargeant de surveiller en tout temps sa con-
duite et ses mœurs.
Un grand nombre de clercs menaient une vie très-morti-
fiée, n'usant que de légumes, jeûnant très-souvent, et pra-
tiquant les autres austérités de la vie ascétique, autant que
les fonctions du saint ministère le leur permettaient. La
continence surtout était fort recommandée aux évêques, aux
prêtres et aux diacres (5). Il est vrai que, dans les premiers
temps, on élevait souvent à ces ordres des personnes ma-
riées. Gomment, en effet, aurait-on trouvé, parmi les juifs
et les païens convertis , des hommes qui eussent gardé la
continence jusqu'à un âge mûr? Mais celui qui était élevé à
l'épiscopat s'engageait, pour l'avenir, à la continence perpé-
tuelle. Cette discipline s'étendait même, dans la plus grande
(1) « Si quis presbyter, aut diaconus, aut alius è clericorum catalogo, re-
« lictâ parœciâ sua, ad aliam abierit, et cùm migraverit penitùs, in aliâ pa-
« rœciâ praeter episcopi sui vohintatem manserit; hune jubemus non ampliùs
« saeris ininistrare, pnesertim si episcopo ad reditum hortanti non obtempe-
« ravit; illic tanien veluti laieus communicet. Sin verô episcopus apud
« quem versantur, pro nihilo ducens adversùm eos decretam eessationem à
« ministerio, receperit eos tamquàm clericos, segregetur ut magister inter-
« turbati ordinis. » Canon. Apost. 15 et 16. Voyez, à ce sujet, Thomassin,
Ancienne et nouvelle Discipline, t. u, liv. i, chap. 1 et 2. — De Héricourt ,
ïbïd.y 2e partie, ch. 1.
(2) Saint Cyprien, Epistol. 5, 14, 29, 56, etc. — Origène, In Matth.
xx, 25. {Oper.y t. m, p. 722 et 878.)
(3) Thomassin, Ancienne et nouvelle Discipline, 1. 1, liv. h, ch. 60 et 61.
— De Héricourt, Abrégé du même ouvrage, lre partie, ch. 16. — Noël
Alexandre, Dissert. 19 in Hist. Eccles. sœc. iv. — Jager, Le Célibat ecclés.
dans ses rapports relig. et polit., 2e édit, Paris, 1836, in-8°. — Collet, De
Ordine fi. u, cap. 9.
INTBODUCTION. 35
partie de l'Église , aux prêtres et aux diacres , auxquels il
était défendu de se marier après l'ordination (4). Ce fut
pour maintenir plus sûrement l'observation de cette disci-
pline, qu'on défendit d'abord aux clercs qui n'étaient point
mariés , toute habitation avec d'autres femmes que leurs
proches parentes : ce que le concile de Nicée réduisit, dans
la suite, aux sœurs, aux mères et aux tantes (2).
Les évêques, aussi bien que leurs clercs, vivaient pauvre-
ment , ou du moins avec la simplicité ordinaire aux per-
sonnes de condition médiocre (5). Plusieurs avaient distri-
bué aux pauvres leur patrimoine , avant d'être élevés aux
saints ordres. D'autres continuaient , après l'ordination , à
vivre du travail de leurs mains, afin d'être moins à charge à
l'Église, et plus en état de soulager les pauvres.
Tous les revenus de l'Église étaient administrés par l'é-
vêque : il en avait la souveraine disposition ; et on ne
craignait pas qu'il en abusât ; le moindre soupçon contre sa
probité eût empêché de lui confier le gouvernement des
âmes , qu'on jugeait infiniment plus précieux que tous les
trésors. C'était donc à lui que s'adressaient tous ceux qui
avaient besoin de secours : il était le père des pauvres, et
le refuge de tous les misérables (4).
A toutes ces vertus, qui rendaient le clergé si respectable
(1) « Placuit in totum prohiberi episcopis, presbyteris et diaconibus, vel
« omnibus clericis positis in niinisterio, abstinere se à conjugibus suis , et
« non generare filios; quicumque verô fecerit, ab honore clericatûs exter-
« minetur. » Concil. Eliberit. anni 301 ; can. 33. (Labbe, Concil., t. i,
p. 974.) — Voyez encore, à ce sujet, le Concile d'Ancyre., en 314, can. 9.
(Ibid., p. 1467.) — Epist. 1 Siricii papœ ad Himerium Tarraconensem
(anno 385), cap. 7. (Ibid., t.u, p. 1019.)
(2) « Vetuit omninô magna synodus, ne liceat episcopo, nec presbytero ,
« nec diacono, nec ulli penitùseorum qui sunt in clero, introductam habere
« mulierem , prœterquàm utique matrem, vel sororem , vel amitam , vel eas
« solas personas, quoeomnem suspicionem efïugiunt.-» Concil. Nie, can. 3.
(Labbe, Concil. , t. n, p. 30.)
(3) Thomassin , Ancienne et nouvelle Discipline, t. m, liv. iu,passim.
De Eéncourt, ibid., 3e partie, ch. 15, etc.
(4) Saint Cypiïen, Epist. 2, 34, etc. — Canon. Apost. 39, 41, 59, etc. —
Thomassin , ubi supra.
3,
36 INTRODUCTION.
aux yeux des peuples , les évêques et les ministres infé-
rieurs joignaient une application constante au service de
l'Église. L'évêque présidait assidûment aux prières publi-
ques, et à tous les exercices du culte divin. Ses occupations
les plus ordinaires , comme celles des autres ministres sa-
crés, étaient l'instruction des fidèles et des catéchumènes, la
visite des malades et des pénitents, la réconciliation des enne-
mis. Il accordait tous les différends ; car on ne souffrait pas
que les chrétiens plaidassent devant les tribunaux des
païens; et les fidèles eux-mêmes préféraient au jugement
des magistrats séculiers , presque tous idolâtres et ennemis
des chrétiens , l'arbitrage pacifique et désintéressé des évê-
ques^).
26. Qu'on juge, d'après cela, de l'affection et du respect que les
étaient 'rTspec- fidèles portaient à leurs pasteurs ! « On remarque de saint
fidèief" par « Polycarpe , dit Fleury (2) , que c'était à qui le déchausse-
eux -Têmes. « rait le premier. Il était ordinaire de se prosterner devant
« les prêtres en les abordant , et de leur baiser les pieds
« en attendant leur bénédiction. On s'estimait heureux de
« loger même un diacre ou de l'avoir à sa table. On n'entre-
« prenait aucune affaire importante sans le conseil du pas-
« teur, qui était l'unique directeur de tout son troupeau.
« On le regardait comme l'homme de Dieu , comme celui
« qui tenait la place de Jésus-Christ C'étaient ce respect
« et cet amour filial qui faisaient tout le pouvoir des pasteurs ;
« car ils n'avaient , pour se faire obéir, que la voie de la
« persuasion et les peines spirituelles. Ils ne pouvaient user
« d'aucune autre contrainte que d'intimider les consciences;
« et ceux qui étaient assez impies pour mépriser leurs cen-
« sures , n'en souffraient aucune peine temporelle. »
Aussi les païens eux-mêmes ne pouvaient s'empêcher de
respecter le caractère et la vertu des ministres de la reli-
(1) Thomassin, Ancienne et nouvelle Discipline, 1. 11, liv. m,ch. 10i,etc.
— De Héricourt , Abrégé du même ouvrage, 2e partie , ch. 29.
(2) Fleury, Mœurs des Chrétiens, n.32.
INTRODUCTION. 37
gion chrétienne. L'empereur Alexandre Sévère proposait
l'exemple des chrétiens , pour montrer avec quel soin les
officiers publics devaient être choisis (4). Origène, dans ses
Livres contre Celse , composés au troisième siècle , sup-
pose , comme un fait constant, et reconnu des païens eux-
mêmes, que la conduite des chrétiens les plus imparfaits est
bien supérieure à celle des païens , et que la vertu des
évêques et des prêtres les moins parfaits l'emporte beaucoup
sur celle des magistrats civils. « Les assemblées des chré-
« tiens, dit-il, comparées aux assemblées populaires des villes
« qu'ils habitent , ressemblent aux astres qui éclairent le
« monde. Car, qui ne confessera que la partie même la plus
« imparfaite de nos assemblées est beaucoup meilleure que
« les assemblées populaires Si l'on compare le sénat de
« l'Église chrétienne avec celui de chaque ville, on trouvera
« que, parmi les sénateurs de l'Église (2), il y en a qui
« mériteraient de gouverner une ville habitée par des êtres
« divins, s'il y en avait une pareille dans le monde; tan-
« dis que les autres n'ont rien, dans leurs mœurs, qui les
« rende dignes du haut rang qu'ils occupent. En compa-
ct rant aussi le pontife de chaque église avec le premier
« magistrat de la ville, on verra que, parmi les chefs et
« les gouverneurs de l'Église de Dieu, ceux mêmes qui se
« distinguent le moins par leur vertu, l'emportent encore,
« à cet égard, sur les chefs et les gouverneurs des villes (5). »
(1) « Ubi aliquos voluisset, vel rectores provinciis dare, vel praepositos fa-
« cere, vel procuratores ordinare, nominaeorum coràm proponebat, hor-
« tans populum ut si quis quid baberet criminis , probaret manifestis rébus;
« si non probasset, subiret pœnam capitis. Dicebatque grave esse, cùm id
« christiani et Judœi facerentin prsedicandis sacerdotibus qui ordinandi sunt,
« non fieri in provinciarum rectoribus, quibus fortunae hominum commit-
« tuntur et capita. » Lampride, Vita Alex. Sever. {Historiée Augustœ scrip-
tores, 1. 1, p. 997 ; Lugd. Batav. 1671 , in-8°.) — Baronii Annales , anno
224, n. 3.
(2) Les sénateurs de l'Église désignent, en cet endroit, les évêques, les
prêtres et les diacres. On sait en effet que ces derniers participaient alors au
gouvernement de l'Église , sous la direction de l'évéque , son chef principal.
Voyez la note du père Delarue, éditeur d'Origène, sur ce passage.
(3) Origène, Lib. m contra Celsum, n. 30. (Oper.[, 1. 1, p. 466.)
38 INTRODUCTION.
Il est à remarquer qu'Origène s'exprime ainsi dans un ou-
vrage où il dispute contre les païens , auxquels il se fût
rendu manifestement ridicule , si le fait qu'il avance n'eût
été d'une évidence notoire (-1).
27. Depuis le temps des persécutions, et longtemps après la
Permanence , _ , , , , ,
de es vertus conversion de Constantin, le cierge, et les eveques surtout, se
clergé, depuis montraient généralement dignes des mêmes éloges (2). L'u-
■ion de con- sage se conserva longtemps de choisir les évêques par les
suffrages du clergé et du peuple, parmi les chrétiens les plus
distingués par leurs vertus (5). Plusieurs étaient tirés de l'é-
tat monastique, dont ils conservaient les pratiques dans l'é-
piscopat , continuant de vivre en commun avec un certain
nombre de moines qu'ils réunissaient auprès d'eux (4). On
en trouve surtout de nombreux exemples en Orient , d'où
cet usage passa en Occident, vers le milieu du quatrième
siècle, par les soins de saint Eusèbe de Verceil (5). Depuis
cette époque, les évêques mêmes qui n'avaieni pas été tirés
de l'état monastique menaient ordinairement avec leurs
clercs la vie commune, à l'exemple des fidèles de Jérusa-
lem, ne possédant rien en propre, ne subsistant que dëceq^uè
l'Eglise leur fournissait , travaillant même quelquefois de
leurs mains, pour être moins à charge à l'Église, et plus en état
de soulager les pauvres. Saint Augustin, qui paraît être, en Oc-
(1) Origène lui-même nous apprend, dans le Préambule de cet ouvrage
( n. 6), qu'il ne le destine point aux fidèles affermis dans la foi , mais à l'ins-
truction des païens, et des fidèles peu affermis.
(2) Fleury, Mœurs des Chrét., n. 48 et 49. — Hist. Ecclésiast.yt. vm,
2e Discours, n. 4.
(3) Thomassin, Ancienne et nouvelle Discipline, t. 11, Hv. 11, çh. 9, etc.
— De Héricourt, Abrégé du même ouvrage, 2e partie, ch. 12.
(4) Thomassin, Ancienne et nouvelle Discipline, 1. 1, liv. m, ch. 2, 3, 4,
7, 13, etc. — De Héricourt, ibid. lre partie, ch. 22-25.— Theiner, Hist. des
instit. ecclés., 1. 1, lre période.
(5) « In Vercellensi Ecclesiâ , duo pariter exigi videntur ab episcopo ( in
« sacerdotibus ordinandis) , monasterii continentia, et disciplina Eccle-
« siœ; haec enim primus, in Occidentis parlibus, diversa inter se Eusebius
« sanctae mémorise conjunxit; ut et in civitate positus instituta monacho-
« rum teneret, et Ecclesiam regeret jejunii sobrietate. » Saint Ambroise f
Epist. 63,n. 66. (Oper.,t. n, p. 1038.) — Fleury, ffist,Eccl., t. m, liv. xm,
n. 14.
INTRODUCTION. 39
cident, l'instituteur de ces communautés purement ecclésias-
tiques^), eut bien'ôt un grand nombre d'imitateurs, par-
ticulièrement en France et en Espagne, où plusieurs conciles
publièrent des règlements, pour conserver et pour étendre
une pratique si favorable au maintien de l'esprit et des
mœurs ecclésiastiques (2). Les vies de saint Eusèbe de Vef-
ceil, de saint Augustin, de saint Martin évêque de Tours, de
saint Hilaire d'Arles, de saint Grégoire le Grand, et de plu-
sieurs autres saints évêques, fournissent, à cet égard, des dé-
tails aussi édifiants en eux-mêmes, qu'ils sont honorables pour
le clergé des principales églises d'Occident, à cette époque.
Mais pour avoir une idée du beau spectacle qu'offraient
alors les vertus du clergé, il suffit de lire ce qu'en a écrit
saint Augustin, dans son livre Des Mœurs de l'Église catholi-
que, où il compare les mœurs de cette Église avec celles des
Manichéens. Après avoir fait le tableau des vertus qui brillaient
alors parmi les solitaires et les religieux, il décrit, en ces ter-
mes, les exemples non moins admirables que donnaient
les différents ordres du clergé : « Il ne faut pas croire,
« dit-il (5) , que la sainteté de l'Église catholique soit ren-
(1) Il paraît que les communautés ecclésiastiques, avant saint Augustin,
joignaient aux observances de la vie cléricale celles de l'état monastique:
les membres de ces communautés étaient tout à la fois clercs et moines. Les
seules observances de la vie cléricale furent conservées par saint Augustin,
dans la communauté de clercs qu'il établit auprès de lui, depuis son élévation
à l'épiscopat. Voyez, à ce sujet, Thomassin et de Héricourt, ubi suprà. —
Tillemont, Mémoires pour servir à l'Histoire Ecclés., t. xm, p. 226, etc.,
844, etc. _ - D. Ceiilier, Hist. des Aut. ecclés. , t. xi, p. 23. — Helyot, Hist.
des Ordres monast., t. h, ch. 1 et 2.
(2) Voyez les auteurs cités plus haut , note 4 de la page 38.
(3) « Non ita sese angustè babent Ecdesiae catholicse mores optimi , ut
« eorum tantùm vita quos commemoravi (anachoretas nempe et cœnobi-
« tas) arbitrer esse laudandos. Quàm enim niultos episcopos, optimosviros
« sanctissimosque cognovi, quàm multos presbytères, quàm multos diaconos,
« et cujuscemodi mitiistros divinorum sacramentorum, quorum virtus eô
« mihi mirabilior, et majore praedicationedignior videtur, quô difficilius est
« eaminmultiplicibominum génère, etinistà vira turbulentioreservare! Non
« enim sanatis magis quàm sanandis hominibus prœsunt. Perpetienda sunt
« vitia mnltitudinis ut curentur, et priùs toleranda quam sedanda pestilen-
« tia. Difticiilimum est hic tenere optimum vitœ modum, et animum paca-
« tum atque tranquillum. Quippe, ut breviter explicem, hi (anachoretœ
40 INTRODUCTION.
« fermée dans la classe des solitaires et des religieux. Com-
« bien , en effet , ai-je connu d'excellents et de saints évê-
« ques, de prêtres, de diacres, et d'autres minisires sacrés,
« dont la vertu me paraît d'autant plus admirable et d'au-
« tant plus digne d'éloges, qu'il est plus difficile de la con-
« server dans le commerce du monde , et parmi les agita-
« tions de la vie commune. Car ce ne sont pas des hommes
« sains , mais des malades qu'ils ont à gouverner ; ils sont
« obligés de souffrir les vices de la multitude pour y remé-
« dier, ef de tolérer le mal avant de le détruire. C'est dans
« une pareille situation surtout, qu'il est difficile de demeu-
« rer ferme dans la vertu , dans la paix et le calme de Pes-
« prit; car, pour tout dire en up mot, les ecclésiastiques sont
« dans un lieu plein d'écueils pour la vertu, et les solitaires,
« dans le séjour même de la vertu. »
28. Aussi les païens eux-mêmes étaient-ils frappés du touchant
quabiesde spectacle que donnait au monde cette admirable discipline,
Julien sur ce. j • 1 •• 11 »• • 1 r •
point. qui rendait les ministres de la religion chrétienne si respec-
tables aux yeux des fidèles (4). C'est ce qu'on voit en par-
ticulier par une lettre de Julien l'Apostat à Arsace, pontife
de Galatie, vers l'an 562. Après avoir tracé les principales
règles de conduite que doivent suivre les ministres de la
religion païenne , et qui sont manifestement empruntées à
l'Eglise chrétienne, l'empereur fait assez connaître combien
il est piqué de voir les prêtres du paganisme surpassés, en
ce point , comme en plusieurs autres , par ceux de la reli-
gion chrétienne. «Ne souffrons pas, dit-il, que ces nou-
u veaux venus nous enlèvent notre gloire, et qu'en imitant
« des vertus dont nous avons parmi nous l'original et le mo-
« dèle , ils couvrent d'opprobre notre négligence et notre
« inhumanité ; ou plutôt ne trahissons pas nous-mêmes no-
« videlicet etcœnobitœ ) agunt ubi vivere discitur, illi ubi vivitur. » S. Au-
gustin, Demoribus Ecclesiœ catholicœ, lib. i, cap. 32. (Oper. ,t.i, p. 711.)
(1) S. Greg. Naz. Oralio 4 (aliàs 3a) adversùs Julianùm, n. 3. (p. 138,
édit. Bened.) — Sozomène, Hist. Ecoles., lib. v, cap. 16. — Labletterie , Vie
de Julien, p. 266, etc.
INTRODUCTION. 41
« tre religion: ne déshonorons pas le culte des dieux." Si
« j'apprends que vous remplissiez tous ces devoirs , je serai
« comblé de joie (I). »
L'admiration et le respect qu'inspirait, même aux plus *9.
grands ennemis du christianisme, le spectacle de tant de soutenu par u>
,., christianisme
vertus, montraient assez au gouvernement tout ce qu il pou- contre les
i 1 n* n îi i» « iJ • • l ennemis du
vait espérer de 1 influence de la religion et de ses ministres, dehors,
pour le renouvellement de la société, et pour le maintien de
l'ordre public. Mais ce n'était pas seulement contre les causes
intérieures de dissolution que le christianisme fortifiait le
gouvernement : cette nouvelle religion semblait également
propre à défendre l'empire contre les ennemis du dehors.
Au milieu des incursions continuelles des peuples barbares,
l'autorité des évêques était souvent le plus ferme rempart des
villes et des provinces (2) . Le caractère auguste dont ils étaient
revêtus, la sainteté de leur vie, leur habileté dans les affaires,
leur tendre affection pour le peuple confié à leurs soins, leur
attiraient l'estime et la considération même des Barbares ,
qui souvent ne pouvaient résister à l'ascendant et à la média-
tion de ces hommes si recommandables. Dès l'an 550 , la
ville de Nisibe , qui était la principale barrière de l'empire
contre les Perses, fut sauvée de leurs attaques par la prudence
et la sainteté de saint Jacques, son évêque (5). Quelques
années après, vers l'an 585, l'impératrice Justine, réduite à
négocier, pour les intérêts de son fils Valentinien II , avec le
tyran Maxime , ne crut pas pouvoir les déposer en de meil-
leures mains que dans celles de saint Ambroise ; et le saint
évêque s'acquitta en effet de cette commission avec tant de
succès, qu'il arrêta l'usurpateur dans sa marche, et conclut
avec lui un traité beaucoup plus favorable qu'on n'eût osé
(1) Juliani epistola ad Arsacium pontif . (Juliani Operum, p. 430.) Cette
lettre, qui nous a été conservée par Sozomène {ubi supra), a été traduite en
entier par Labletterie, Vie de Jovien, p. 468.
(2) Fleury, Mœurs des Chrétiens , n. 58. — Thomassin, Ancienne et
nouv. Discipl., t. m, liv. i, chap. 26, n. 14, 17,19, 21 ; chap. 27, n. 6-9.
(3) Théodoret, Hist. Eccl., lib. n, chap. 26. — Philostorge, Hist. Eccl.,
lib. m, n. 23. —Fleury, Hist. Ecclés.,t. m, liv. 13, n. 2.
42 INTRODUCTION.
l'espérer dans les conjonctures difficiles où l'on se trou-
vait (1).
* 3o , Ces exemples remarquables de la salutaire influence des
Rome et plu» r s
sieurs autres évêques , se renouvelèrent plus souvent encore dans le siècle
villes sauvées ■ * l
pa. •l'influence suivant, à mesure que les irruptions des Barbares devinrent
des eveques. ' * *
plus fréquentes. Deux fois la ville de Rome échappa aux plus
horribles calamités, par la médiation du pape saint Léon au-
près des rois barbares Genséric et Attila (2). Vers le même
temps, la France trouva, dans le zèle actif et dans l'inépuisable
charité de ses prélats , sa plus puissante ressource contre les
fléaux de la guerre (5). La ville de Troyes, en particulier,
dut son salut à la médiation de saint Loup, son évêque, auprès
du fier Attila, qui se laissa également fléchir par les prières
de saint Aignan , en faveur de la ville d'Orléans (4). L'empe-
reur Jules Népos, voulant négocier un accord avec les Goths,
en 474 , ne trouva pas de plus utiles médiateurs auprès d'eux
que les évêques, par l'entremise desquels il obtint en effet
l'accommodement qu'il désirait (5). Quelques années aupara-
vant, saint Germain d'Auxerre et saint Loup de Troyes,
envoyés dans la Grande-Bretagne pour combattre l'hérésie
des Pélagiens, avaient sauvé cette province de l'invasion des
Saxons et des Pietés (6).
_ 3l- . De pareils services, rendus à l'État par le clerpé dans toutes
Le pouvoir * ' r o
le,cie°r-eél du ^es Parues ^e l'empire , les grands exemples de vertu et de
c°natreeiieCe délité surtout qu'il offrait généralement aux peuples, l'ascen-
de tous ces dant extraordinaire de ses exemples et de sa doctrine sur les
faits. *
mœurs publiques , les heureux effets que le gouvernement
(1) Fleury, Hist. Ecclés., t. iv, liv. xvm, n. 28.
(2) Fleury, ibid., t. vi, liv. 28, n. 39 et 55— Tillemont, Mém. sur VHist.
Ecclés., t. xv, p. 750, 779, etc.
(3) Fleury, ibid., t. vi, liv. xxix, n. 36, etc.
(4) Fleury, ibid., liv. 27, n .50.
(5) Sidon. Apollin. Epistol., lib. vu. Epistola 6, ad Basil. (T. vi. Bi-
blioth. Patrurn, p. Il 10.)— Hist. de V Église Gallicane, t. n, liv. iv, an-
née 474.
(6) Fleury, Hist. Ecclés., t. vi, liv. x\v, n. 18. — lÀv.ga\à,Hist. d'Angle-
terre, 1. 1, chap. 1, p. 96.
INTRODUCTION. 4$
pouvait espérer de son concours pour le soutien et la défense
de l'empire , expliquent naturellement les rapides accroisse-
ments du pouvoir temporel de l'Église, sous les empereurs
chrétiens. Les motifs qui avaient engagé Constantin à jeter les
fondements de ce pouvoir, devinrent de jour en jour plus
pressants, à mesure que l'empire approcha de sa ruine,
et que les causes de sa destruction devinrent plus actives. Plus
le pouvoir politique s'affaiblissait , plus il sentait le besoin
d'appeler à son secours l'influence de la religion et de ses
ministres, pour retenir les peuples dans le devoir, et pour em-
pêcher, ou du moins retarder la dissolution totale de l'empire.
Aussi la plupart des empereurs chrétiens , et ceux mêmes
qui possédaient, dans le plus haut degré, Part du gouverne-
ment , loin de chercher à diminuer le pouvoir temporel du
clergé, s'appliquaient-ils à l'accroître ; et ils le portèrent enfin
à un tel point, que les évêques, sans avoir aucun titre poli-
tique, sans appartenir proprement à la constitution de l'État,
en étaient en quelque sorte le premier corps , par leur in-
fluence et par l-'autorité qu'ils exerçaient dans toutes les par-
ties de l'administration civile.
La suite de cette Introduction offrira un grand nombre de 32.
faits à l'appui de ces observations. Nous remarquerons seu- quence
, . * , ,, P . j • « ! . reconnue par
lement ici qu elles ont trappe depuis longtemps, et de nos jours dos auteurs
. , ,, , . . ., ... p ,. non suspects.
même, un grand nombre d écrivains d ailleurs peu favorables Aveux de
i 1 1 1 « n ■ • Dupuy.
au pouvoir temporel du cierge , et surtout a I extension pro-
digieuse que ce pouvoir a prise dans la suite du moyen âge.
Malgré leurs préjugés bien connus à cet égard , ils ne font
pas difficulté de reconnaître , dans les circonstances dont
nous venons de parler, l'origine de ce pouvoir. « Comme les
« évêques, dit le célèbre Dupuy (4), s'étaient rendus re-
(1) Dupuy, Traité de la Juridiction criminelle, ire partie, chap. 4, p. 9.
Voyez aussi le chap. 8, p. 19. — Cet ouvrage se trouve à la suite du 1. 1
des Libertés de l'Église Gallicane; édition de 1731. A l'appui de ce témoi-
gnage de Dupuy, voyez Fleury, Institution au Droit ecclés., 1. 11, 3e partie,
chap. 1, p. 5. Voyez aussi son 7e Discours sur VHist . Ecclés., n. 4, der-
nière page (t. xix de VHist. Ecclés.) — Bossuet, Defens. Declar., lib. 11 ,
cap. 36. ,
44 INTRODUCTION.
« commandables par leur zèle, leur justice, et leur fidélité à
« l'empire , les empereurs leur commirent beaucoup d'af-
« faires temporelles : premièrement, le jugement des procès,
« même entre les laïques qui voudraient les prendre pour
« arbitres ; ensuite , ils leur donnèrent le soin de toutes les
« affaires et de tous les règlements , dont l'exécution pou-
« vait être appuyée par des hommes de piété et d'autorité,
« particulièrement de ceux qui regardaient le soulagement
« des affligés, comme des veuves, des orphelins, des es-
« claves, etc. , et de punir tous ceux qui violaient ces réglé-
es ments. Les évêques étaient associés, pour ces affaires, avec
« les magistrats. Dans la suite des temps , les empereurs
« ayant reconnu la fidélité des évêques et leur zèle pour
« l'empire , particulièrement dans les guerres contre les
« peuples hérétiques, comme les Goths, les Vandales, etc.,
« ils leur commirent le soin des villes , pour les garder
« contre les ennemis (4), et pour faire punir ceux qui man-
« queraient de fidélité à leur prince. Enfin , ils donnèrent
« aux patriarches, et principalement au Pape , la même au-
« torité qu'avait le préfet du prétoire (2), pour faire exécuter
« les lois et pour punir ceux qui y contrevenaient, et leur
(1) Nous rapporterons ailleurs plusieurs faits remarquables à l'appui de
cette assertion. Voyez le chap. 1 de la première partie , n. 13.
(2) Sous Constantin et ses successeurs , toutes les provinces de l'empire
étaient divisées en quatre préfectures : celles d'Orient, d'Illyrie, d'Italie et
des Gaules. La charge de préfet du prétoire était une des plus considérables
de l'empire, quoique Constantin en eût beaucoup restreint les attributions.
Avant lui, le préfet du prétoire réunissait l'intendance générale des finan-
ces à la juridiction supérieure , tant civile que militaire. Les inconvénients
de cette grande autorité engagèrent Constantin à la réduire à une adminis-
tration purement civile, dont il retrancha même quelques branches; en
sorte que ]e& préfets du prétoire ne conservèrent de leurs attributions que
l'administration supérieure des finances et de la justice civile , sans aucune
juridiclion sur la milice. Voyez Tillemont, Hist. des Empereurs , t. îv,
p. 284. — Notifia dignitatum Codicis Theodosiani. (Ad calcem ejusdem
Codicis; Lipsiœ, 1743, in-fol., t. vi, part. 2, p. 1, etc.)— Lebeau, Histoire du
Bas-Empire, t. t, liv. v, n. 9, etc. — Naudet, Considérations sur les chan-
gements opérés dans l'administration de V empire, t. n, 3e partie, chap. 7,
p. 255-259.
INTRODUCTION. 45
« attribuèrent le jugement des causes criminelles des laï-
« ques. »
La doctrine et les aveux de M. Guizot, sur ce sujet, ne , 33- ,
' J ' A.veux de
sont pas moins remarquables. (\). Quelque opposé qu'il soit M- ^uizot«
à l'influence prodigieuse , et même excessive , selon lui , que
l'Eglise a exercée au moyen âge sur la société européenne,
dans l'ordre politique, il ne fait pas difficulté de reconnaître
qu'elle a exercé une influence très-grande et très-salutaire
dans l'ordre moral et intellectuel, tant par ses doctrines que •
par sa discipline et par sa forte constitution. « Depuis le
« cinquième siècle, dit-il (2), le clergé chrétien avait un
« puissant moyen d'influence . Les évêques et les clercs étaient
« devenus les premiers magistrats municipaux. Il ne restait,
« à proprement parler, de l'empire romain, que le régime
« municipal ; il était arrivé, par les vexations du despotisme
« et la ruine des villes, que les curiales, ou membres des
« corps municipaux , étaient tombés dans le découragement
« et l'apathie. Les évêques , au contraire , et le corps des
« prêtres , pleins de vie et de zèle , s'offraient naturellement
« à tout surveiller, à tout diriger. On aurait tort de le leur
« reprocher, de les taxer d'usurpation ; ainsi le voulait le
« cours naturel des choses : le clergé seul était moralement
« fort et animé; il devint partout puissant; c'est la loi de
« V univers.
« Cette révolution est empreinte dans toute la législation
« des empereurs à cette époque. Si vous ouvrez le Code Théo-
« dosien ou le Code Justinien, vous y trouverez un grand
« nombre de dispositions , qui remettent les affaires munici-
« pales au clergé et aux évêques (5) Aussi l'Église chré-
« tienne a-t-elle puissamment contribué , dès cette époque, •.
(t) Guizot, Hist.gén.dela civilisation en Europe, 3e édition. Paris, 1840,
in-8°, 2r leçon.
(2) Ibid., p. 55-58.
(3) A l'appui de cette assertion, M. Guizot cite en particulier le Code Jus-
tinien, lib. i, tit. 4. De episcopali audientiâ, n. 26 et 30; tit. 55. De Defen-
soribus, n. 8. Le développement des paragraphes suivants montrera qu'il eût
pu multiplier bien davantage les citations sur cette matière.
46 INTRODUCTION.
« au caractère et au développement de la civilisation moderne.
« Essayons de résumer les éléments qu'elle y a dès lors in-
« troduits.
« Et d'abord, ce fut un immense avantage que la présence
« d'une influence morale, d'une force morale, d'une force
« qui reposait uniquement sur les convictions , les croyances
« et les sentiments moraux, au milieu de ce déluge de force
« matérielle qui vint fondre , à cette époque , sur la société.
« Si l'Église chrétienne n'avait pas existé, le monde entier
« aurait été livré à la pure force matérielle. L'Église exer-
« çait seule un pouvoir moral. Elle faisait plus : elle entre-
« tenait , elle répandait l'idée d'une règle , d'une loi supé-
« Heure à toutes les lois humaines ; elle professait cette
« croyance fondamentale pour le salut de l'humanité , qu'il
« y a , au-dessus de toutes les lois humaines , une loi appelée ,
« selon les temps et les mœurs , tantôt la raison , tantôt le
« droit divin, mais qui, toujours et partout, est la même loi
« sous des noms divers. »
§ II. Confirmation des lois divines et ecclésiastiques par
l'autorité des Empereurs chrétiens. Origine des peines
temporelles contre l'idolâtrie , le judaïsme , l'hérésie , et
les autres délits de l'impiété.
Avant de présenter le tableau des nombreuses constitutions
Êtatetpro- pU[)ljées par les empereurs chrétiens, en faveur de la
christianisme j.eiipi0n, il ne sera pas inutile de rappeler quel était l'état du
l'emphe, christianisme dans l'empire, à l'époque de la conversion de
avant * * *
Constantin. constantin. Malgré les violentes persécutions dont il avait été
l'objet pendant trois siècles, il formait déjà depuis longtemps
une société aussi nombreuse que fortement constituée (\).
Dès le commencement du troisième siècle, Tertullien avançait
(1) Voyez, à ce sujet, Bullet, ffist. de l'établiss. du Christian. , in-8°.
De la Luzerne, Dissert, sur la vérité de la rel., t. iv, 3e Dissert. —
Frayssinous, Conférences sur l'établiss. du Christian.
INTRODUCTION. 47
avec confiance, dans son livre contre les Juifs, que le
royaume de Jésus-Christ était plus étendu que les em-
pires de Nabuchodonosor , d'Alexandre et des Romains
eux-mêmes (i). La manière dont il s'explique là-dessus
dans son Apologétique est encore plus remarquable.
« Nous ne sommes que d'hier, dit-il (2), et nous rem-
« plissons tout votre empire , vos villes , vos îles , vos châ-
« teaux, vos bourgades, vos camps, vos tribus, vos décuries,
« vos palais, votre sénat , vos places publiques ; nous ne vous
« laissons que vos temples. Nous pourrions vous combattre,
« même sans armes et sans révolte , en nous retirant seule-
« ment de votre empire. Étant aussi multipliés que nous le
« sommes, si. nous voulions seulement nous retirer dans
« quelque pays éloigné, vous seriez confondus de la perte
« d'un si grand nombre de citoyens ; leur seul éloignement
« vous punirait; vous seriez effrayés de votre solitude, du
« silence universel et de la stupeur où votre empire serait
« comme enseveli; vous chercheriez à qui commander; il
« vous resterait plus d'ennemis que de citoyens ; car le
(1) Tertullien fait ici remarquer aux Juifs la grande différence qui existe
entre ces grands empires et celui de Jésus-Christ : les premiers n'ont pu s'é-
tendre au delà de certaines limites, au lieu que celui de Jesus-chi ist s'étend
chez toutes les nations. «Nabuchodonosor cum suis regulis ab Indià usque
« itthiopiam habuit regni sui terminos ; Alexander Macedo nunquàm Asiam
« universam et caeteras regiones , postquàm devicerat, tenuit , Quid de
« Romanis dicam , qui de legionum suarum praesidiis imperium suum mu-
« niunt, nec trans istas gentes porrigere vires regni sui possunt? Christi
« autem regnum ubique porrigitur, ubique creditur, ab omnibus genti-
« bus suprà enumeratis (scilicet, barbaris etiam et ignotïs) cotitur,
« ubique régnât , ubique adoratur, omnibus ubique tribuitur œquali-
« ter. » Tertull. Lib. adv. Jud., cap. 7.
(2) « Hesterni sumus, et vestra omnia implevimus, urbes, insulas, cas-
« tella, municipia, conciliabula, castra ipsa, tribus, decurias, palatium,
« senatum, forum ; sola vobis relinquimus templa.... Potuimus, et inermes
« nec rebelles, sed tantummodô discordes, solius divortii invidiâ, adversùs
« vos dimicasse. Si enim tanta vis hominum in aliquem orbis remoti sinum
« abrupissemus à vobis, suffudisset utique dominationem vestram tôt qua-
« liumcumque amissio civium, imô eliain et ipsà destitutione punîsset;
« procul dubio expavissetis ad solitudinem vestram, ad silentium rerum, et
« stuporem quemdam quasi mortui orbis ; quœsissetis quibus imperaretis ;
« plures hostes quàm cives vobis remansissent; nunc enim pauciores hostes
« habetis prœ multitudine christianorum. » Idem,Apologet.f cap. 37.
48 INTRODUCTION.
« nombre de vos ennemis est aujourd'hui surpassé par la
« multitude des chrétiens. »
A la fin du même siècle, Arnobe, non content de con-
firmer , sur ce point , le langage de Tertullien , donne aux
païens cette diffusion si prompte et si universelle du christia-
nisme comme une preuve sensible de la vérité de cette
religion. « Si, comme vous le prétendez, leur dit-il (4),
« l'histoire des faits évangéliques n'est pas véritable , com-
« ment a-t-il pu se faire qu'en si peu de temps le monde
« entier se soit trouvé rempli de cette religion ? Comment
« des nations de pays si éloignés , de climats si différents ,
« ont-elles pu se réunir dans un seul esprit?... N'est-ce pas,
« à vos yeux , un motif suffisant pour vous convaincre , de
« voir, dans un temps aussi court, nos dogmes répandus sur
« toute la terre ; de voir qu'il n'y a aucune nation si barbare
« et si étrangère à toute civilisation , qui , changée par Fa*
« mour de Jésus-Christ, n'ait adouci la rudesse de ses mœurs,
« et qui, dépouillant sa férocité, n'ait pris des sentiments
« plus humains? »
35. Ces témoignages, si décisifs par eux-mêmes, sont d'ailleurs
auteurs païens confirmés par l'histoire profane, qui nous montre, à cette
avec les . . pp , , x • j
chrétiens , sur époque, les païens enrayes des progrès toujours croissants du
christianisme , de la décadence universelle de leur culte, et
de la multitude immense de chrétiens qu'il faudrait immoler;
si l'on voulait exécuter à la lettre les édits publiés contre
eux (2). Cette prodigieuse diffusion du christianisme, à la fin
(1) « Quôd si falsa, ut dicitis, historia illa rerum est, unde tarn brevi tem-
« pore totus mundus illâ religione completus est? Aut in unam coïre qui po-
« tuerunt mentem gentes regionibus disjunctae, ventis, cœlique convexioni-
« bus dissitae? Nonne vel hsec saltem fidem vobis faciunt argumenta
« credendi , quôd jam per omnes terras, in tam brevi temporis spatio, im-
« mensi nominis hujus (scilicet, nominis christianï) sacramenta diffusa sunt ?
« Quôdnulla jam natio est tam barbari moris, et mansuetudinem nesciens,
« quae non, ejus amore versa, molliverit asperitatem suam, et in placidos
« sensus, assumptâ tranquillitate, migra verit ? » Arnobe, Adv. Gentes, lib. i,
cap. 55 ; lib. n, cap. 5. (Biblioth. P P., t. m, p. 438, 2e col. 446, 2e col.)
(2) Pliniï Epistol., lib. 10,epist. 97 et 98. — Lampride, Vita Alex.
Sev., cap. 43. — Lactance, De mort. Persec, cap. 11. Eusèbe, Hist. Eccl.f
INTRODUCTION. 49
du troisième siècle, est si incontestable, qu'elle est générale-
ment reconnue, même dans ces derniers temps, par les plus
grands ennemis de la religion. La plupart des incrédules
modernes prétendent que la conversion de Constantin ne fut
point l'effet de la conviction , mais une mesure dictée par la
politique , pour mettre les chrétiens dans son parti (4). Nous
sommes bien éloignés d'admettre la vérité de cette inculpa-
tion , que nous croyons contraire à tous les monuments de
l'histoire (2) ; mais ceux qui la soutiennent reconnaissent, par
cela même, le fait important que nous voulons établir ici,
savoir, qu'avant la conversion de Constantin, le christianisme
formait déjà, dans l'empire, un corps assez nombreux et
assez puissant pour que Pempereur eût le plus grand intérêt
à se l'attacher, et pour qu'il pût se déclarer ouvertement en
faveur du christianisme, sans avoir rien à craindre de la part
des païens. Il est visible, en effet, que, dans la supposition
contraire , la politique de Constantin eût été la plus fausse et
la plus maladroite qu'on pût imaginer (5).
lib. vin, cap. 14 ; lib. ix, cap. 7 et 9. Ces témoignages et plusieurs autres
sont cités par l'abbé Bullet, et par le card. de la Luzerne ; ubi suprà.
(1) Voltaire, Dict. Philos. , articles Christianisme , Julien , etc. — Ta-
bleau des saints ( par le B. d'Holbach ) , 2e partie , chap. 7, p. 90. — De la
Félicité publique , par Chastellux, 1. 1, sect. 2, chap. 4.
(2) Voyez, sur ce point, Bergier, Traité de la Religion , t. ix , p. 552. —
Labletterie, Vie de Jovien, p. 257, etc — Duvoisin, Dissert, sur la vision
de Constantin, 2e partie, § 14 et 15.
(3) Nous croyons pouvoir conclure de ces observations , qu'à l'époque
de la conversion de Constantin , et même assez longtemps auparavant , les
chrétiens formaient , dans l'empire , une multitude au moins égale à celle
des païens. Le témoignage de Tertullien, et' les autres que nous gavons
cités, établissent clairement ce fait aux yeux d'un esprit impartial. Le card.
de la Luzerne soutient même , avec beaucoup de vraisemblance , qu'à l'é-
poque de la conversion de Constantin , le nombre des chrétiens excédait
celui des païens, (De la Luz., ubi suprà, n. 19-25.) Quoi qu'il en soit de cette
dernière assertion , nous croyons du moins pouvoir avancer avec confiance
qu'on doit regarder comme entièrement destituée de preuves, ou plutôt
comme évidemment contraire aux monuments de l'histoire , la supposition
de quelques auteurs modernes, qui réduisent le nombre des chrétiens dans
l'empire, sous Constantin, au cinquième, au douzième, et même au vingtième
de la population. M. Beugnot, dans son Hist. de la décacl. dupagan. en
Occident, va jusqu'à prétendre qu'environ soixante ans plus tard, sous le
règne de Valentinien Ier, tous les chrétiens répandus dans l'empire ne for-
50 INTRODUCTION.
36. Concluons de ces observations, qu'on ne peut, sans contre-
Le triomphe ^.^ ouvertement les monuments de l'histoire, attribuer à la
chnstmnsme protection jes empereurs chrétiens et à leurs constitutions
astùtfavànt en faveur de la religion chréiienne, le triomphe du christia-
ia conversion nigme sur l'idolâtrie (\). Ce triomphe était évidemment assuré
constantm. ^^ ja conversion de Constantin; et ce prince, bien loin
d'avoir donné, sur ce point, le mouvement à la société, n'a
fait que suivre l'impulsion générale qui entraînait déjà, de-
puis longtemps, les peuples vers le christianisme, dans toutes
les parties de l'empire. Sans doute l'exemple de Constantin ,
soutenu par ses édits et par ceux de ses successeurs, a pu
favoriser les progrès du christianisme et hâter la ruine de
l'idolâtrie; mais il demeure constant que le triomphe de la
religion chrétienne sur le paganisme était assuré avant la
conversion de Constantin , et que la toute-puissance divine
s'était clairement manifestée dans l'établissement de l'Église
chrétienne, avant d'appeler les princes de la terre à la soutenir
par leur protection et leurs édits. « Dieu, dit Bossuet, qui
« sait que les plus fortes vertus naissent parmi les souffrances,
« a fondé son Église- par le martyre , et l'a tenue , durant
« trois cents ans, dans cet état, sans qu'elle eût un seul moment
« pour se reposer. Après qu'il eut fait voir, par une si longue
« expérience, qu'il n'avait pas besoin du secours humain, ni
« des puissances de la terre, pour établir son Église, il y appela
« enfin les empereurs, et fit du grand Constantin unprotec-
maientguère qu'un vingtième de la population. (Liv. ix, chap. 13, et alibi
passim. ) Ses conjectures , à cet égard , n'ont d'autre fondement que des do-
cuments isolés , relatifs à quelques villes ou à quelques provinces particu-
lières et qui ne peuvent servir de base pour évaluer exactement, ni même
d'une manière approximative, le nombre des chrétiens dans le reste de
l'empire. Il faut avouer seulement que , malgré les progrès immenses du
christianisme avant la conversion de Constantin , les païens formèrent en-
core longtemps après un parti considérable, surtout en Occident, et particu-
lièrement à Rome, où un certain nombre de sénateurs persistèrent long-
temps à soutenir l'idolâtrie. On peut voir, à l'appui de ces réflexions ,
Yhist. de V Église de M. Receveur, t. m, p. 38 , note. Voyez aussi quelques
autres observations sur l'ouvrage de M. Beugnot, dans le n. 1 des Pièces
justificat. à la fin de ce volume.
(1) De la Luzerne, ubi supràt n. 114, etc.
INTRODUCTION. 51
« teur déclaré du christianisme (\) C'était le conseil de
« Dieu et la destinée de la vérité , si je puis parler de la
« sorte, qu'elle fût entièrement établie malgré les rois de la
« terre, et que, dans la suite des temps, elle les eût première-
« ment pour disciples, et après pour défenseurs. Il ne les a
« point appelés quand il a bâti son Église. Quand il a eu
« fondé immuablement et élevé jusqu'au comble ce grand
« édifice, il lui a plu alors de les appeler : Et nunc reges :
« Venez rois maintenant (2). Il les a donc appelés, non par
« nécessité, mais par grâce. Donc l'établissement de la vérité
« ne dépend point de leur assistance , et l'empire de la vérité
« ne relève point de leur sceptre. Si Jésus-Christ les a éta-
« blis défenseurs de son Évangile , il Fa fait par honneur
« et non par besoin; c'est pour honorer leur autorité et
« pour consacrer leur puissance. Cependant sa vérité sainte
« se soutient toujours d'elle-même et conserve son indé-
« pendance (5). »
Après ces observations, qui nous ont paru importantes pour
maintenir, contre les assertions de quelques écrivains mo-
dernes, le fait miraculeux de l'établissement du christianisme,
nous allons exposer en détail les principales dispositions du
Droit romain en faveur de la religion , depuis la conversion
de Constantin (4).
Le premier fruit et le principal résultat de cette conver- Premiers
r Af . L m edits tle Con-
sion fut d'assurer aux chrétiens une pleine et entière liberté »tanti*en
... .. . faveur de l.i
de s'assembler, de bâtir des églises, et de pratiquer tous les "1>p»» ii»é-
" r -1 tienne.
exercices de leur religion. Tel fut 1 objet des édits publiés
p (1) Bossuet, Hist. univers. , ne partie, chap. 20. (T. xxxv des Œuvres,
p. 311.)
(2) PS. H, 10.
(3) Bossuet, Sermon sur la divinité de la rel.t 1er point. (T. xi des Œu-
vres, p. 277.)
(4) On peut voir l'analyse du Droit romain, sur cette matière, dans les
ouvrages suivants : Hist. des Auteurs ecclés., par D. Ceillier, t. iv, chap. 5,
art. 4; t. vin, chap. 15; t. xvi , chap. 20. — Domat , Droit public, liv. i,
titre 19. — Fleury, Hist. Ecclés., t. m, etc., passim. Nous indiquerons plus
bas les principaux endroits à consulter dans ce dernier auteur.
4.
52 INTBODUCTION.
en 542 et 545 , par Constantin et Licinius(4). Le premier
de ces édits , qui était adressé au préfet du prétoire , au té-
moignage d'Eusèbe, n'est pas venu jusqu'à nous; mais le
même historien nous a conservé le second , dont nous rap-
porterons ici les principales dispositions. « Ayant considéré
« depuis longtemps qu'on ne doit refuser à personne la li-
ft berté sur le choix de sa religion, nous avons déjà ordonné
« qu'on permît aux chrétiens , comme à tous les autres , le
« libre exercice de la leur. Mais parce que, dans le rescrit
« qui leur accorde cette liberté , il y a des clauses qui don-
« nent lieu à des contestations , quelques-uns se sont crus
« dispensés de l'observer. C'est pourquoi, nous étant heu-
n reusement assemblés à Milan , moi Constantin Auguste ,
« et moi Licinius Auguste, et traitant de tout ce qui regarde
« la sûreté et l'utilité publiques, nous avons cru qu'un de
« nos premiers soins devait être de régler ce qui regarde le
« culte de la Divinité, et de donner aux chrétiens et à tous
« les autres la liberté de suivre telle religion que chacun
« voudrait, afin d'attirer la faveur du ciel sur nous et sur
it nos sujets C'est pourquoi vous devez savoir (conti-
« nuent les deux empereurs , parlant aux officiers auxquels
« l'édit est adressé) que , nonobstant toutes les clauses des
« lettres qui vous ont été adressées touchant les chrétiens, il
« nous a plu d'ordonner purement et simplement, que tous
« ceux qui veulent observer la religion chrétienne, le fassent
« sans être inquiétés et molestés en aucune manière. C'est ce
a que nous avons cru devoir vous déclarer nettement, afin
« que vous sachiez que nous avons donné aux chrétiens la
<r faculté libre et absolue d'observer leur religion ; laissant
« néanmoins à tous les autres la même liberté , pour main-
« tenir la tranquillité de notre règne. » La suite de cet édit
ordonne de restituer aux chrétiens toutes les églises et les
autres lieux où ils avaient coutume de s'assembler, ainsi
(1) Eusèb. , Hist. Ecoles., lib. ix, cap. 9 ; lib. x , cap. 5. — Fleury, Hist.
Ecclés., t. ii, liv. ix, n. 46. — Hist. de l'Église Gallicane, 1. 1, p. 171, etc.
INTRODUCTION. 53
que les biens-fonds appartenant aux églises, soit qu'ils
aient été acquis par le fisc , ou par des particuliers ; laissant
toutefois à ces derniers le droit de s'adresser au vicaire de la
province, pour obtenir les indemnités convenables.
A ces premiers édits, Constantin et ses successeurs en
ajoutèrent dans la suite plusieurs autres, pour assurer déplus
en plus aux chrétiens le libre exercice de leur culte, et pour les
protéger contre les persécutions et les violences de leurs enne-
mis. D'après une loi de Constantin, publiée en 522, ceux
qui usaient de quelque violence cotttre les chrétiens , au su-
jet de la religion , devaient être condamnés à la flagellation
s'ils étaient esclaves , et à de grosses amendes s'ils étaient
d'une condition plus relevée (4). Honorius condamna même
à la peine capitale, quiconque serait convaincu d'avoir in-
sulté un prêtre dans l'église . attaqué les lieux saints , ou
troublé par quelque autre violence le service divin (2).
Pour favoriser d'une manière encore plus efficace la propa- 3s.
,, . t , . . , . Son applica-
gation et 1 exercice public du christianisme, les premiers em- tion à décré-
i » i« « J » t !• i éditer l'ido-
pereurs chrétiens s appliquèrent constamment a decrediter les îàtr.e.
superstitions païennes , et à restreindre peu à peu l'exercice
de l'idolâtrie , en attendant que les circonstances permissent
de l'abolir entièrement. Constantin en particulier, pendant
toute la durée de son règne , ne cessa de travailler par des
(i) « Quoniam comperimus quosdam ecclesiasticos , et caeteros catholicœ
« sectae (i. e. societati) servientes, à diversarum religionum hominibus
« (scilicet , paganis) ad lustrorum sacrificia celebranda compelli ; hâc san-
« ctione sancimus, si quis ad ritum aliénas superstitionis cogendos esse cre-
« diderit eos qui sanctissimae legi serviunt, si conditio patiatur, publiée
« fustibus verberetur; si verô honoris ratio talem ab eo repellat injuriam,
« condemnationem sustineat damni gravissimi (i. e. mulclœ pecuniariœ) ,
« quod rébus publicis vindicabitur (i. e. de civitatis reditibus exsolve-
« tur). » Cod. Theodos.y lib. xvi, tit. 2, n. 5.
(2) « si quis in hocgenus sacrilegii proruperit, ut in ecclesias catholicas
« irruens, sacerdotibus et ministris, vel ipsi cultui locoque aliquid importet
« injuriae;.... deferatur in notitiam potestatum;.... atque ita provincial
« moderator sacerdotum et catholicse ecclesiae ministrorum , loci quoque
« ipsius, et divini cultûs injuriam, capitali in convictos sive confessos reos
« sententiâ noverit vindicandam. *> Ibid., n. 31,— .Fleury, Hist. Ecclés,,
t, v, liv, xx, n. 28.
54 INTRODUCTION.
moyens indirects , mais très-efficaces , à ja ruine du culte
païen (\). Jl témoignait, en toute occasion, son admiration et
sa haute estime pour la religion chrétienne, et le désir qu'il
avait de voir tous ses sujets réunis sous l'étendard de cette
religion divine. Il répandait avec profusion ses dons et ses
faveurs sur les chrétiens : il avait toujours auprès de lui des
évêques et des prêtres distingués par leurs vertus et leur
mérite ; il en composait son conseil et son cortège habituel ,
les admettait à sa table et à sa confidence intime, et les ho-
norait même au-dessus d# tous ses autres confidents. Il choi-
sissait ordinairement parmi les chrétiens les magistrats et les
gouverneurs de province ; et il défendait à ceux qui étaient
encore païens de sacrifier aux faux dieux. Il n'oubliait rien
pour décréditer dans l'esprit des peuples les anciennes super-
stitions, abattant un autel, renversant une idole, partout où il
le pouvait faire sans occasionner du tumulte ; dépouillant les
temples du paganisme , enlevant leurs portes ou leurs toits ,
pour les exposer à une ruine prochaine ; transportant sur les
places publiques les statues des plus fameuses divinités, pour
les exposer au mépris du peuple, ou pour les faire servir
d'ornements profanes. Ayant fait de Gonstantinople la capi-
tale de son empire , il bannit absolument de cette ville le
culte des idoles et toutes les superstitions païennes ; il n'y
laissa aucun temple qui ne fût consacré au culte du vrai
Dieu, et ne conserva les idoles que dans quelque lieux pro-
fanes, pour servir d'ornements, et transmettre ainsi à la pos-
térité ces monuments de l'ancien aveuglement des hommes.
Ces différentes mesures, jointes aux prédications d'une
multitude de saints évêques et de zélés missionnaires], dans
(1) Eusèb. , Vita Constantini,\ïb. h, cap. 44, 47, etc. ; lib. m, cap. 48 ,
54, etc. — Idem, De laudibus Constantini, cap. 8. — Fleury, Hist.Ecclés.,
t. m, liv. xi, ii. 33 et 45. — Lebeau , Hist. du Bas-Empire, t. i, îiv. h,
n. 27, et liv. iv, n. 5. — Hist. de l'Église Gallicane, 1. 1, p. 131, etc. —
Tillemont, Hist. des Empereurs, t. iv, p. 200-211. — Naudet, Des change-'
ments opérés dans l'administration de l'empire, t. n, 3e partie, chap. 2 et
3, art. ij et alibi passim.
INTRODUCTION. 55
toutes les parties de l'empire, firent insensiblement tomber
le paganisme dans un tel discrédit, qu'une foule de païens
conçurent de la honte et du mépris pour leurs anciennes
superstitions.
Constantin , profitant de cette heureuse révolution opérée 39.
il, «il i 11 i '• « Ses édits
dans 1 esprit public , publia , dès 1 an 54 9 , une loi qui , sans contre ia dm-
j. il î iv i i a • i • • nation se-
înterdire absolument 1 exercice de lidolatrie , le restreignait «è».
beaucoup, en proscrivant, sous des peines très-sévères, les
pratiques de la magie ou de la divination secrète, qui pou-
vaient favoriser la débauche et le libertinage, ou servir de
prétexte à des assemblées suspectes (4). Il paraît même que
les païens, intimidés par cette loi, la première que Constantin
eût faite contre leur culte, craignirent, pendant quelque
temps , d'élever des statues à leurs divinités , de leur offrir
des sacrifices, et d'exercer même en public les pratiques de
la divination. Mais l'empereur ne fit pas difficulté de les ras-
surer par une loi publiée la même année que celle dont nous
venons de parler, et qui leur assure le libre exercice de leur
culte, dans les temples et les autres lieux publics. «Que
« ceux, dit-il, qui tiennent encore à l'ancien culte, se ren-
(( dent aux autels et aux temples publics, pour y célébrer
« les cérémonies auxquelles ils sont accoutumés; car nous
« n'empêchons personne de se livrer, en plein jour, aux pra-
« tiques autorisées par l'ancienne coutume (2). » Cette loi
(1) «Niillus haruspex limen alterius accédât; sed hujusmodi hominum,
« quamvis vêtus, amicitia repellelur Superstitioni enim suas servire
« cupientes poterunt publiée ritum propriwn exercere. » Cod. Theod. ,
lib. ix, tit. xvi, n. 1. — D. Ceillier, Hist. des Auteurs ecelés., t. iv, p. 132.,
Pour comprendre la nature et le caractère des pratiques supertitieuses que
Constantin proscrivait par cette loi , voyez les Notes de Godefroy sur ce
passage. — Dissert, de M. Bonamy, Sur le rapport de la magie avec la
théologie païenne. {Mém. de l'Acad. des inscript., t. vu de l'édition in-4°,
p. 25; t. iv de VHist.de l'Acad., édition in-12, p. 34.) — Receveur, Hist. de
rÉglisett. n, p. 5. — Beugnot, Hist. de la destruct- dupagan.f 1. 1, p. 79, etc.
(2) « Haruspices et sacerdotes, et eos qui hnic ritui assolent ministrare ,
« ad privalam domum prohibemus accedere, vel sub praetextu amicitiae
« limen alterius ingredi, pœnâ contra eos proposità, si contempserint legem.
« Qui verô id vobis existimatis conducere, adite aras publicas atque delu-
« bra, et consuetudinis vestrae celebrate solemnia; nec enim prohibemus
56 INTRODUCTION.
fut confirmée , peu de temps après , par une lettre adressée
aux habitants des provinces de l'Orient, et dans laquelle
Constantin, exhortant ouvertement tous ses sujets à embras-
ser le christianisme , déclare toutefois qu'il ne prétend pas
inquiéter ceux qui demeurent attachés à l'ancien culte , et
qu'il laisse à chacun pleine liberté de faire, à cet égard , ce
qu'il juge à propos (4).
40. Telle fut la conduite modérée de Constantin pendant toute
modérée la durée de son règne. Il y a sans doute lieu de croire que,
e,pa7eLes vers la fin de sa vie, il publia une loi qui ordonnait de fer-
mer les temples des faux dieux , et défendait généralement à
tous ses sujets l'exercice de l'idolâtrie (2). Mais, soit que cette
loi n'ait été publiée qu'en Orient, soit que l'empereur n'ait
pas jugé à propos d'en presser l'exécution en Occident, et
surtout à Rome , où l'idolâtrie avait encore dans le sénat et
dans plusieurs familles distinguées des partisans qu'il impor-
tait de ménager; il est certain que, jusqu'à la fin de son
règne , les païens conservèrent le libre exercice de leur
culte (5).
41. Les empereurs Constance et Constant , fils et successeurs
Sa prudence , _, . . . ,
imitée de Constantin , imitèrent en ce point sa prudence. Ils con-
« prœteritœ usurpationis ( seu consuetudinis ) officia lïberâ luce tra-
« ctari. » Cod. Theod., ibid., n. 2.
(1) « Nemo alteri molestiam facessat ; qnod cuique libitum fuerit, id agat.
« lllud tamen , apud eos qui rectè sentiunt, fixum ratumque esse oportet,
« solos illossanctècastèque victuros, quostu ipse {omniumDomine et sancte
« Deus) ad hoc vocavisti , ut sacrosanctis tuis legibus acquiesçant. » Eusèbe,
Vita Constant., lib. 11, cap. 56.
(2) Eusèbe, Vita Const., lib. 11, cap. 45; lib. iv, cap. 23 et 25. — Théo-
doret , Hist. Eccl., lib. v, cap. 21. — Sozomène, Hist., lib. m. cap. 17. —
Orose, Hist., lib. vu. cap. 28. (T. vi de la Biblioth. des Pères, p. 442.)
Voyez, à ce sujet, le n. 1 des Pièces justijicat. à la fin de ce volume.
(3) Libanius le dit expressément , dans son Discours pour la conserva-
tion des temples des Gentils, où il s'exprime ainsi, au sujet de la conduite
de Constantin à l'égard de l'idolâtrie : « Sacris pecuniis usus est, nihil verà de
« cultu solemni immutavit. Penuria quidem in templis erat; omnia autem
« alia impleta videre erat. » Oratio pro templis Gentil, non exscinden-
dis , § 3 et 9. Ce discours a été publié , pour la première fois, par Jac. Gode-
froy; Genève, 1634, in-4°. Le passage que nous citons est rapporté parle
même Godefroy, Comment, in Cod. Theodos,, lib. xvi, tit. x, 11, 3.
INTRODUCTION. 5t
tinuèrent, à la vérité, de combattre le paganisme, par tous en «point
i ,,. ■ ,■ .,,,. , . M , par Constance
les moyens qu il avait déjà employés avec tant de succès, et constant.
et que les progrès toujours croissants du christianisme ren-
daient de jour en jour plus efficaces. Il paraît même que ,
non contents de renouveler les édits de Constantin^contre la
■
divination secrète, ils en publièrent un autre, pour défendre
tout exercice de l'idolâtrie (i ). Par une conséquence natu-
relle de cette prohibition, l'empereur Constance, devenu seul
maître de l'empire, fit enlever du sénat (en, 557) V autel de
la Victoire, sur lequel on avait coutume de brûler de l'encens
au commencement de chaque séance, en présence même
des sénateurs chrétiens , que l'on avait contraints jusque-là
d'assister à cette cérémonie païenne (2). Toutefois , il est
certain que les païens continuèrent, sous le règne de Con-
stance, d'exercer librement leur culte, du moins en Occident.
(1) Voici le texte de la loi publiée par l'empereur Constance , en 341:
« Cesset superstitio : sacrificiorum aboleatur insania; nam quicumque
« contra legem divi principis, parentis nostri , et hanc nostrœ mansuetudinis
« jussionem, ausus fuerit sacrificia celebrare, competens in eum vindicta, et
« prœsens sententia exeratur. » Cod. Theodos. , lib. xvi, tit. x, n. 2. Cette
loi fut confirmée, peu de temps après, par celle de l'empereur Constance,
qui défendait de démolir les temples situés hors des murs de Rome :
« Quamquàm omnis superstitio eruenda sit , est-il dit dans cette loi , ta-
ct men volumus ut sedes templorum quae extra muros sunt positae , intactae
« incorruptseque consistant.» Ibid., n. 3. — Il est à remarquer que ces
deux lois , en tant que prohibitives de l'idolâtrie , sont un simple renouvel-
lement de celles de Constantin , comme l'empereur Constance le dit expres-
sément dans la première. On trouve , dans le même titre du Code Théodo-
sien, deux autres lois de l'empereur Constance , dont l'une ordonne que les
temples des idoles soient fermés , et l'autre défend les sacrifices sous peine
de mort. (Ibid. , n. 4 et 6. ),Mais la date de ces lois paraît fautive ; ce qui a
donné lieu de contester leur authenticité. Voyez le 4e Mémoire de M. de la
Baslie, sur le pontificat des empereurs païens. (Mém. de l'Acad. des in-
scrip., t. xv de l'édition in-4°; t. xvn de l'édition in-12, p. 385.) — Beugnot,
ubi suprà, 1. 1, p. 141, etc.
(2) C'est ce que suppose clairement Symmaque, en plusieurs endroits de
sa Requête à Valentinien II , pour le rétablissement de V autel de la Vic-
toire. Relatio Symmachi , n. 5 et 7. Cette Requête se trouve dans le re-
cueil des Zèbres de Symmaque (lib. x, ep. 54); et parmi les Lettres de
saint Ambroise, à la suite de la 17e lettre , adressée à Valentinien II , sur le
même sujet. (Opcrum, t. n.) Elle est traduite en français, dans l'ouvrage déjà
cité de Beugnot, ubi suprà, p. 417 ; mais nous verrons bientôt que sa tra-
duction manque d'exactitude, même sur des points très-importants. (Voyez
ci-après, n. 43, note 1, pag. 60.)
58 INTRODUCTION.
On trouve un témoignage irrécusable de ce fait, dans la Re-
quête adressée à Valentinien II par Symmaque (en 584),
pour le rétablissement de l'autel de la Victoire. L'orateur y
blâme hautement l'empereur Constance d'avoir fait enlever
cet autel du lieu où le sénat tenait ses séances ; mais il assure
en même temps que ce « prince n'enleva aux Vestales aucun
« de leurs privilèges, donna les sacerdoces aux nobles, ne
« refusa point aux Romains les sommes nécessaires à la cé-
« lébration de leurs cérémonies religieuses;... et que, quoi-
« qu'il professât lui-même une autre religion, il conserva
« néanmoins celles de l'empire ; à chacun ses coutumes , à
« chacun ses rites (4). »
Ce fait est d'ailleurs confirmé par plusieurs inscriptions
qu'on lit encore aujourd'hui sur des monuments élevés en
Italie et même à Rome, sous le règne de Constance, et qui
font une mention expresse d'autels et de statues élevés, à cette
époque, en l'honneur des faux dieux (2).
Modération de L'exécution des édits publiés contre l'idolâtrie par Con-
jovien. stantin et les princes ses fils, ayant été suspendue sous Julien
l'Apostat, fut remise en vigueur par ses successeurs; toute-
fois, il est à remarquer que ceux-ci , à l'exemple des pre-
miers empereurs chrétiens, allièrent si bien, dans la prati-
que, la fermeté à la douceur, que l'exécution de leurs édits
contre le paganisme n'excita ancun trouble dans l'empire.
Themistius , philosophe païen , et l'un des plus illustres ma-
gistrats de son siècle , loue hautement la modération de Jo-
vien, en cetie matière. « Vous avez compris, lui dit-il, qu'il
« est des choses auxquelles le souverain ne peut contraindre
« ses sujets. De ce nombre sont principalement la religion et
(1) « Nil ille (Constantius) decerpsit sacrorum virginum privilegiis ; replè-
te vit nobilibus sacerdotia ; Romanis caeremoniis non negavit impensas;
« cùmque alias religiones ipse sequeretur, has servavit imperio; suus
« enim cuique mos, suus cuique ritus est. » Relatio Symmachi, n. 8.
(2) On trouve quelques inscriptions de ce genre dans l'ouvrage de Beu-
gnot, ubi suprà, p. 153, etc. Toutefois, plusieurs de celles qu'il cite pa-
raissent peu concluantes.
INTRODUCTION. 59
« la piété envers les dieux Aussi, loin d'user de vio-
« lence, vous avez fait une loi qui permet à chacun de ren-
« dre à la Divinité le culte qu'il jugera le meilleur. Image
« de l'Être suprême, vous imitez sa conduite : il a mis dans
« le cœur de l'homme un penchant naturel qui le porte à
« la religion ; mais il ne force point dans le choix (\). »
Les successeurs de Jovien suivirent les mêmes principes : 43.
i i ; vi r i i- • l i . L'autel de la
et quelque attaches qu ils tussent a la religion chrétienne , victoire ,
i oo iv i i • i » tantôt enlevé
tous leurs etlorts contre 1 idolâtrie se bornèrent a en res- du sénat,
. j i î i i, i tantôt rétabli,
tremdre de plus en plus 1 exercice autant que les circon- (selon les
• . ^ 0 . . -, , , . conjonctures,
stances le permettaient. On peut se taire une idée des prin-
cipes qui dirigeaient habituellement leur politique , en cette
matière, par la conduite qu'ils tinrent à l'égard de l'autel de
la Yictoire, dont l'histoire est, pour ainsi dire, celle des vi-
cissitudes du paganisme en Occident, depuis le règne de
Constantin (2). Cet autel, enlevé pour la première fois par
Constance en 557, avait été rétabli par Julien l'Apostat.
Valentinien Ier le laissa subsister, par ménagement pour les
sénateurs païens , et par suite de l'entière liberté qu'il
croyait devoir laisser en général à tous ses sujets sur l'ar-
ticle de la religion (5). Gratien non-seulement le fit enlever
(en 582) , mais il saisit en même temps , et attribua au fisc
les revenus destinés à l'entretien des pontifes et aux dépenses
de l'ancien culte (4) . Les sénateurs païens , vivement affli-
gés de cette ordonnance, résolurent d'adresser à l'empereur
des remontrances, et lui députèrent, pour cet effet, Symma-
(t) Themistii Or. V. (Inter ejusdem Orat. Paris. 1684, in-fol. p. 68, etc.)
— Labletterie, Hist. de]Jovien, p. 102. — Beugnot, ubi suprà,j). 226, etc.
(2) Hist. des Auteurs ecclés. par D. Ceillier, t. vu, p. 337, 339, 340,
522-527 ; t. xvm , p. 74-76 — Beugnot , Hist. de la destr. du pagan. en
Occident, i. i, p. 410, etc.
(3) Fleury, Hist. Eccl., t. iv, liv. xvi, n. 29. — Tillemont, Hist. des Em-
pereurs, t. v, p. 8, etc. — Lebeau, Hist. du Bas-Emp., t. iv, liv. xvi, n. 19.
Voyez les observations que nous avons faites sur ce sujet ci-dessus, p. 24 ,
note 1 .
(4) Fleury, ibid. , liv. xvm, n. 31. — Beugnot , Hist. de la destruction
du pagan., 1. 1, p. 353, etc.
60 INTRODUCTION.
que, l'un des membres les plus distingués de leur compagnie,
et qui passait pour le plus habile orateur de son temps. De
leur côté, les sénateurs chrétiens, qui formaient alors la ma-
jorité du sénat (\ ) , présentèrent aussi une requête , par la-
(1) Saint Ambroise, et après lui la plupart des auteurs modernes, disent
expressément, qu'à l'époque dont il s'agit, la majorité du sénat était chré-
tienne. (Saint Ambroise, Epist. 17, n. 9 et 10. Operum, t. n, p. 825. —
D. Ceillier, ubi suprà, t. vu. — Baronius, Annales, anno 384, n. 9» — Flé-
chier, Hist. de Théodose, liv. ni, n. 30. — Lebeau, Hist. du Bas-Empire ,
t. v, liv. xxn, n. 27. — De la Luzerne, ubi suprà, n. 76.) M. Beugnot sup-
pose le contraire ( ubi suprà, p. 412 , etc. ) ; mais il ne paraît pas avoir saisi
le sens du texte de saint Ambroise , dont il donne une version peu exacte
(p. 426). Nous rapporterons ici les propres expressions du saint docteur.
Après avoir observé que les chrétiens se croiraient avec raison persécutés ,
si on les forçait de prendre part aux délibérations du sénat, dans un lieu
où ils seraient obligés d'assister aux sacrifices , et de prêter serment de fidé-
lité à l'empereur devant l'autel d'une idole , saint Ambroise ajoute que « les
« païens eux-mêmes sont persuadés que l'autel de la Victoire a été placé
« dans le sénat , afin que le serment prêté devant cet autel servît de base à
« toutes les délibérations , quoique les chrétiens fissent alors la plus
« grande partie-du sénat. Propterea enim interpretantur ( Gentiles)
« aram locatam, ut ejus sacramento, ut ipsi putant, unusquisque con-
« ventus consuleret in médium, cùm majore j\m curia christianorum nu-
« mero sit referta (n. 9 ) Tous les évêques, dit encore le saint docteur,
« se joindraient à moi pour vous conjurer de ne point autoriser une pareille
« impiété, si la nouvelle qui attribue cette incroyable mesure à votre con-
« seil, ou au sénat lui-même, eût été moins subite. Mais à Dieu ne plaise que
« le sénat ait fait une pareille demande : elle est uniquement l'ouvrage
« d'un petit nombre de païens qui abusent du nom de cette compagnie.
« Âbsit ut hoc senatus petisse dicatur; pauci Gentiles communi utuntur
« nomine. En effet , il y a déjà environ deux ans , les païens ayant fait une
« semblable tentative , le saint pape Daniase m'envoya une requête dressée
«par les sénateurs chrétiens, en nombre innombrable (libellum chri-
« stiani senatores dederunt, et quidem innumeri ) , dans laquelle ils décla-
raient qu'ils n'avaient rien*demandé de semblable, et qu'il ne convenait
« point de consentir à la demande des païens. Ils déclarèrent, même en pu-
« blic et en particulier, que si elle obtenait son effet , ils ne paraîtraient plus
« au sénat (n. 10). » Le langage de saint Ambroise, sur ce point, est con-
firmé par celui de Prudence , poëte contemporain , qui , dans ses Livres
contre Symmaque, avance, comme un fait notoire, que le sénat et le peuple
romain sont chrétiens, que Rome entière est chrétienne, et que, dans le sénat
en particulier, on trouve à peine quelques païens obstinément attachés à
un culte vieilli, et fermant opiniâtrement les yeux à la lumière.
« Respice ad illustrem, lux est ubi publica, cellam (i. e. curiam) ;
a Vix pauca invenies genlilibus obsita nugis
« Ingénia, cbtritos aegrè retinentia cultus ;
« Et quibus exactas placeat servare tenebras,
« Splendentemque die medio non cernere solem. »
(Prudence, Contra Symm., lib. i, v. 570, etc. Édition de Rome, 1789, in-4%
INTRODUCTION. 61
quelle ils désavouaient celle des païens ; ils protestèrent
même ouvertement , en public et en particulier, qu'ils ne
viendraient plus au sénat, si l'empereur accordait aux païens
ce qu'ils demandaient. Le pape Damase fît passer la requête
des sénateurs chrétiens à saint Ambroise , qui la remit lui-
même à Gratien. Elle fit sur ce prince l'impression qu'on
devait attendre ; en sorte que les sénateurs païens s'étant
présentés pour avoir audience , Gratien ne voulut pas même
les recevoir.
Deux ans après, c'est-à-dire, en 384, Gratien étant mort,
Symmaque, devenu préfet de Rome, présenta sa requête à Va-
lentinien II, frère de Gratien ; mais cette nouvelle démarche
n'eut pas plus de succès que la première. Valentinien com-
muniqua la requête de Symmaque à saint Ambroise , qui la
réfuta dans deux lettres adressées à l'empereur lui-même (4).
Ces lettres furent lues dans le conseil, en présence des comtes
Bauton et Rumoride, tous deux maîtres de la milice, qui,
malgré leurs dispositions bien connues en faveur des séna-
teurs païens, souscrivirent eux-mêmes à la décision rendue
par l'empereur contre la requête de ces derniers. Les païens
ne se rebutèrent pas pour cela : ils firent, en 588, une der-
nière tentative auprès de Théodose, vraisemblablement en-
core par l'organe de Symmaque (2). L'empereur, non-seule-
ment n'accorda rien de ce qu'on lui demandait; mais, pour
punir Symmaque de son obstination, il le fit enlever, et con-
duire à cent milles de Rome, d'où il le rappela cependant peu
de temps après , croyant cette punition suffisante pour ré-
duire désormais au silence le principal défenseur du paga-
nisme.
Mais, quelle que fût la fermeté de Gratien, de Valentinien 44
et de Théodose, contre la prétention des sénateurs païens, ils couDesr"î,r"s à
crovaient du reste devoir tolérer encore l'exercice de l'ido- n,ï!?lâtre
J par Tbeodose.
t. H, p. 749. — Apud Biblioth. PP., t. v, p. 1046.)
(1) Saint Ambroise, Epist. 17 et 18; Oper, t. h.
(2) Fleury, Hist. Eccl.y t. iv, liv. jxtl, n. 15
62 INTRODUCTION.
latrie, du moins en Occident. Saint Ambroise le suppose
clairement, dans sa première lettre à Valentinien contre la
requête de Symmaque : « Le zèle que les païens témoignent
« pour leur fausse religion, dit— ii à ce prince, vous apprend
« celui que vous devez avoir pour la véritable foi Ce
« n'est pas faire injure à un homme, que de lui préférer
« Dieu. Les païens sont bien maîtres de garder leurs opi-
« nions particulières; car vous ne contraignez personne à
« adorer ce qu'il ne veut pas. Mais conservez aussi pour
« vous la même liberté; et que personne ne se plaigne de
« ne pas vous extorquer une concession qu'il ne voudrait
« pas vous faire , dans le cas où vous prétendriez l'exi-
« ger (\). »
Il était réservé à Théodose de porter les derniers coups à
l'idolâtrie dans l'empire; et le discrédit universel où elle
était enfin tombée, permit à ce grand prince d'en interdire
absolument l'exercice, ou du moins, de faire exécuter plus
rigoureusement qu'on n'avait fait avant lui les édits publiés ,
sur ce sujet, par ses prédécesseurs (2). La douzième année de
son règne (en 594), trois ans après la dernière requête des
sénateurs païens, il défendit généralement à tous ses sujets de
sacrifier aux idoles, et d'entrer même dans leurs temples pour
y exercer aucun acte du culte païen ; les transgresseurs de
(1) A l'occasion du zèle des païens pour la défense de leurs faux cultes , le
saint docteur parle ainsi à Valentinien : « Sed proprio studio (superstitionis
« suce conservandœ) docere et admonere te débet ( Gentilis ) quemadmo-
« dùm verae fidei studere debeas , quando ille tanto raotu veri vana defen-
« dit.... Nullius injuria est, cui Deus omnipotens antefertur. Habet ille
« (Gentilis) sententiam suam. Invitum non cogitis colère quod nolit; hoc
« idem vobis liceat, imperator ; et unusquisque patienter ferat, si non extor-
« queat imperatori, quod molesté fèrret, si ei extorquere cuperet imperator.))
Saint Ambroise, Epist. 17, n. 6 et 7. — Fleury, Hist. Eccl., t. iv, liv. xvm,
n. 32. — Beugnot, ubi suprà, p. 426.
(2) Les principaux édits de Théodose, sur cette matière , sont rapportés
par Fleury, qui n'en observe pas assez l'ordre chronologique. ( Hist. Eccl.,
t. iv, liv. xvm, n. 9 et 38; liv. xix, n. 15, 32, 34, 50.) On peut le rectifier
d'après le Commentaire de Godefroy sur le Code Théodosïen. — Voyez
aussi D. Ceillier, Hi* t. des Aut. eccl. , t. vin , p. 611, etc. — Beugnot, ubi
suprà, p. 358,.etc.j
INTRODUCTION. 63
cette loi, sans excepter les magistrats et les gouverneurs de
provinces , sont condamnés à une amende de quinze livres
d'or (4). L'année suivante, une autre loi défendit l'immola-
tion des victimes, sous peine de mort, et tous les autres actes
d'idolâtrie, sous peine de confiscation des lieux où ils auraient
été commis (2).
L'exécution de ces édits souffrit peu de difficultés en
Orient, où le paganisme comptait à peine quelques partisans
dans les hautes classes de la société. Il n'en fut pas de même
en Italie, et surtout à Rome, où un certain nombre de séna-
teurs , attachés à l'ancien culte, redoublaient de zèle pour
ses intérêts, à mesure qu'ils voyaient diminuer le nombre de
ses partisans (5). Théodose crut donc qu'il était de la pru-
dence de presser moins vivement à Rome l'exécution de ses
(1) «Nemo se hostiis polluât; nemo insontem victimam csedatj nemo
ce delubra adeat, templa perlustret, et mortali opère formata simulacra sus-
« piciat (i. e. veneratione prosequatur) ; ne divinis atque bumanis sanctio-
« nibus reus liât. Judices quoque hanc formani contineant ( i. e. liane legem
« injudiciis observent), ut si quis, profano ritui deditus, templum uspiarn,
«■ vel in itinere, vel in tube adoraturus intraverrt, quindecim pondo auri ipse
« protinùs inferre cogatur. » (Cod. Theodos. , lib. xvi, tit. x, n. 10.)
« isulli sacrificandi tribuutur potestas; nemo templa circumeat (reli-
« gioso eultu) ; nemo delubra suspiciat; interclusos sibi , nostrae legis obsta-
« culo, profanos aditus recognoscant ; adeo ut si quis vel de diis aliquid
« contra vetitum sacrisque molietur, nullis exuendum se indulgentiis reco-
« gnoscat. Judex quoque (i. e. consulares etprœsïdes, juxta Gothofredi
« interpretationem) , si quis , teinpore administrationis suae, fretus privilegio
«potestatis, polluta loca sacrilegus temerator intraverit, quindecim auri
« pondo, ofiicium verô ejus(i. e. o/Jiciales) , nisi collatis viribus obviàrit,
« parem summam serario nostro inferre cogatur. » (Ibid., n. 11.)
En supposant , avecPaucton, que la livre romaine valait alors 10 onces
23724 de notre poids de marc , et que le marc d'or vaut aujourd'bui 840 fr.
60 cent., les 15 livres d'or dont il est ici question valaient environ 17,250 fr.
de notre monnaie. (Paucton, Métrologie, p. 29l et 305.) Voyez à l'appui de
ce calcul, le n. 2 des Pièces jus tificat. à la fin de ce volume.
(2) « Quôd si quispiam immolare hostiam sacriheaturus audebit , aut spi-
« rantia exta consulere ; ad exemplum , maj esta-Us reus ( i. e. velut maje-
« statis reus ) , licità cunctis accusatione delatus , excipiat sententiam com-
« petentem , etiamsi nihil contra salutem principum aut de salute
« quœsierit Si quis verô mortali opère facta, et aevum (i. e. interitum )
« passura simulacra imposito tliure venerabitur; is, ut potè violatœ reli-
« gionis rais , eâ domo seu possessione mulctabitur, in quâ eurn gentilitiâ
« constiterit superstilione famulatum. » Ibid., n. 12.
(3) Beugnot, ubl suprà, p. 411, etc. p. 489, etc.
64 INTRODUCTION.
lois contre le paganisme, et de fermer d'abord les yeux sur
quelques infractions particulières, pour ne pas donner lieu à
des troubles funestes à Tordre public. Mais après la défaite
d'Eugène (en 594), il fît venir tous les sénateurs encore atta-
chés au culte païen, et qui avaient profité du triomphe mo-
mentané de l'usurpateur, pour obtenir le rétablissement de
l'autel de la Victoire. Il leur fit un discours très-pressant ,
pour les exhorter à quitter leurs anciennes superstitions, et à
embrasser la foi chrétienne. Pas un, s'il en faut croire Zo-
zime, ne voulut se rendre aux exhortations de l'empereur ;
tous répondirent qu'ils ne pouvaient renoncer aux cérémo-
nies avec lesquelles Rome avait été fondée, et subsistait depuis
4200 ans; ils ajoutèrent que, s'ils consentaient à ce change-
ment, ils ne savaient ce qui en arriverait. Alors Théodose
leur déclara que le trésor public était trop chargé pour four-
nir à la dépense des sacrifices et des autres cérémonies
païennes, et que cet argent serait beaucoup mieux employé à
l'entretien de ses troupes. Les sénateurs eurent beau remon-
trer que les cérémonies ne pouvaient se faire légitimement et
selon l'ordre , si la dépense n'était supportée par l'État , ils
ne purent rien obtenir. Ainsi les sacrifices cessèrent ; les
cérémonies païennes furent négligées ; on chassa les prêtres
et les prêtresses des idoles , et tous les temples consacrés à
leur culte furent abandonnés. L'historien Zozime, qui nous
apprend ces détails, déplore cet événement comme la véritable
cause de la ruine de l'empire (\).
45. A mesure que le christianisme s'étendait et se fortifiait sur
Confirmation i • 1 • i . • ,
des lois les ruines au paganisme, les empereurs ne se contentaient
P*ar le? édita pas de protéger l'exercice public de la religion chrétienne;
empereurs, mais ils confirmaient par leurs édits les lois de l'Église ,
(1) Zozime, Hist. ,lib. iv, p.797;liv.v,p. 814.— Prudence, lib. i contraSyin-
machum. — Tillemont, Hist. desEmp., t. v, p. 387. — Fleury, Hist. Eccl.f
t. iv, liv. xix, n. 50. — D. Ceillier, Hist. des Aut. eccl., t. vin, p. 630. On
trouve, dans le t. n de l'ouvrage déjà cité de M. Beugnot , des détails intéres-
sants sur la décadence du paganisme, en Occident , depuis le règne de Théo-
dose. Nous supprimons ces détails, qui n'entrent pas dans notre plan, ;&&&£i
INTRODUCTION. 65
tant sur le dogme que sur les mœurs et la discipline. C'est
ainsi que le concile général de Nicée fut confirmé par l'au-
torité de Constantin , celui de Constantinople par Théodose
le Grand, celui d'Éphèsepar Théodose le Jeune, et celui de
Calcédoine par Marcien (A). Ces quatre conciles furent même
placés, par Justinien, parmi les lois de l'empire (2). D'autres
édits confirmèrent en particulier certains points de dogme,
de morale ou de discipline , tels que la primauté du
saint-siége (5) , la sanctification des dimanches et des fê-
(1) Fleury, Hist. Ecclés., t. m, liv. xi, n. 24; t. iv, liv. xvm, n. 9; t. vi,
liv. xxvii, n . 4 1 ; liv. xxvm, n. 34.
(2) « Sancimus igitur vicem legum obtinere sanctas ecclesiasticas re-
«.gulas, quœ à sanctis quatuor conciliis expositœ sunt autfirmatœ,
« hoc est, in Nicaenâ trecentorum decem et octo, et in Constantinopolitanâ
« sanctorum centura quinquaginta patrum, et in Epliesinâ prima, in quâ
« Nestorius est damnatus, et in Chalcedonià, in quâ Eutyches cum Nestorio
« anathematizatus est. Praedictarum enim quatuor synodorum dogmata
« sicut sanctas Scripturas accipimus, et régulas sicut leges observamus. »
Justiniani novella 131, cap. 1 (ad calcem Cod. Justin.). Voyez aussi le
Cod. Justin. y lib.i, tit. i, n. 7 et 8. — Fleury, ibid., t. vu, liv. xxxm, n. 5.
— Lebeau , Hist. du Bas-Empire, t. ix, Hv.xli, n. 16.
(3) Une constitution publiée en 445 , à la requête du pape saint Léon
[Epist. X), par les empereurs Théodose le Jeune et Yalentinien III, nous offre
un témoignage remarquable de la piété de ces deux princes, et de la foi pu-
blique de cette époque sur la primauté du saint-siége. « Certum est et nobis
etimperio nostrounicum esse praesidium in supernae divinitatis favore, ad
« quem promerendum praecipuè christiana fides et veneranda nobis religio
« suffragatur. Cùm igitur sedis apostolicae primatum, sancti Pétri meritum ,
« qui princeps est episcopalis coronae (i. e. episcopalis dignitatis), etRo-
« manœ dignitas civitatis , sacra? etiàm synodi (Nicœnœ scilicet) firmaret
« auctoritas, ne qnid praeter auctoritatem sedis istius inlicitum praesumptio
« attentare nitatur ; tune enim demùm Ecclesiarum pax ubique servabitur,
« si rectorem suum (agnoscat universitas {fidelium Verùm ne levis
* saltem inter ecclesias turba nascatur, vel in aliquo minui religionis disci-
« plina videatur, hoc perenni sanctione decernimus, ne quid tam episcopis
c« Gallicanis quàm aliarum provinciarum contra consuetudinem veterem li-
« ceat, sine viri venerabilis Papœ Urbis aeternae auctoritate tentare; sed illis
« omnibusque pro lege sit, quidquid sanxit vel sanxerit apostolicae sedis auc-
« toritas; ita ut quisquis episcoporum ad judicium Romani antistitis evocatus
« venire neglexerit, per moderatorem ejusdem provinciae adesse cogatur, per
« omnia servatis quœ divi parentes nostri Romanae Ecclesiae detulerunt. »
Novell, lib. i, nov. 24 (ad calcem Cod. Theod.). L'occasion de cette cons-
titution est exposée par Fleury, Hist. Ecclés., t.vi, liv. 27, n. 5. — Hist.
de V Église Gall., t.n, année 445, p. 32, etc.
Cette constitution fut depuis renouvelée par Justinien dans son Code et
ses Novelles. « Sancimus , dit-il , secundùm eamm (praedictarum) synodo-
5
66 INTRODUCTION.
tes (\ ), le célibat des clercs et des vierges (2), les canons concer-
nant l'élection des évêques , la résidence , la simonie (5), et
les peines canoniques décernées par l'Église contre les trans-
gressées de ses lois (4) ; en sorte qu'avec le temps , il n'y
eut presque pas un article important de la doctrine et de la
discipline de l'Église , qui ne fût confirmé par les constitu-
tions impériales (5).
« rum definitiones, sanctissimum senioris Romae Papam, primum esse om-
et nium sacerdotum. » Justiniani Nov. 131, cap. 2. — Cod. Justin., lib.i,
tit. i, n. 8. — Fleury, Hist. Eccl., t. vu, liv. xxxm, n. 5.
(1) « Omnes judices , urbanaeque plèbes, et cunctarum artium officia, ve-
« nerabili die solis (i. e. dominico die ) quiescant. Ruri tamen positi agrorum
« culturae libéré inserviant ; quoniam fréquenter evenit ut non aptiùs alio
« diefrumenta sulcis, aut vineoe scrobibus mandentur; ne occasione mo-
« menti pereat commoditas cœlesti provisione concessa. Cod. Justin. ,
lib. m, tit. xn, n. 3 — Fleury, ibid., t. ni, liv. x, n. 27 ; t. iv, liv. xvi, n. 1;
t. v, liv. xxiv, n. 30 ; t. vi, liv. xxix, n. 30; et alibi passim.
(2) Une constitution, publiée par Constantin, en 320, abolit les anciennes
lois qui imposaient des peines au célibat. « Qui jure veteri cœlibes habe-
« bantur, imminentibus legum terroribus ( i. e. pœnis) liberentur; atque
« ita vivant ac si numéro maritorum, matrimonii fœdere fulcirentur ; sitque
« omnibus aequa conditio capessendi (i. e capiendi ex testamentis) quod
« quisque mereatur (i. e. de successione vel testamento lucrabitur). »
Cod. Theodos., lib. vi, tit. xvi, n. 1. — Fleury, Hist. Eccl., t. m, liv. x,
n. 27.
Valentinien 1er alla plus loin , et déclara exemptes de la capitation les
vierges et les veuves : « In virginitate perpétua viventes, et eam viduam de
« quâ ipsa maturitas setatis pollicetur nulli jam eam esse nupturam, à pie-
« beia3 capitationis injuria vindicandas esse decernimus. » Cod. Theodos.,
lib. xiii, tit. x, n. 4. — Fleury, ibid., t. îv, liv. xvi, n. 1.
(3) Cod. Justin., lib. i, tit. m, n. 31, 42 et 43. — Justiniani Novel-
lœ 123 et 137 (ad calcem Cod. Justin.). — Nous supprimons , pour abréger,
le texte de ces lois ; on peut en voir le résumé dans Fleury, ibid., t. vi,
liv. xxix, n. 30; t. vu, liv. xxxii, n. 11 ; liv. xxxm, n. 5.
(4) Cod. Theodos., lib. xvi, tit. h, n. 27 Justiniani Novella vi>
cap. 1, § 10. — Novella cxxm, cap. 20 (ad calcem Cod. Justin.).
(5) On peut voir l'indication et l'analyse de ces constitutions dans les au-
teurs cités plus haut (p. 51 , note 4 ).
Plusieurs de ces constitutions renferment des règlements sur des objets
purement spirituels qui ne sont aucunement du ressort de la puissance
temporelle. Telles sont en particulier celles que nous avons citées dans la
note précédente, et dont les règlements sont sanctionnés par des peines ca-
noniques. Mais il est certain que les empereurs, en publiant ces sortes de
règlements , ne faisaient que confirmer la discipline alors en vigueur ; autre-
ment ils eussent ouvertement contredit les principes dont ils faisaient eux-
mêmes profession, sur l'indépendance de l'Église en matière spirituelle,
comme on le verra bientôt ( ci-après, p. 72, n. 51 ). On peut voir, à l'appui
INTRODUCTION. 6T
Pour mieux assurer l'observation de leurs édits eu faveur . 46.
Peines tempo-
de la religion , les empereurs chrétiens y ajoutèrent souvent «hm
a > l J J contre les
la sanction des peines temporelles contre les transgresseurs tranigw*.
de ces lois. Telle est l'origine des peines temporelles dont de ces lois.
les attentats publics de l'hérésie et de l'impiété ont été si
longtemps punis dans tous les Etats chrétiens, et que l'esprit
philosophique des derniers siècles a souvent critiquées avec
tant d'amertume. L'importance de cette matière nous engage
à entrer ici dans quelques détails sur les principales disposi-
tions du droit romain, soit à l'égard des Juifs, soit à l'égard
des hérétiques et des apostats. Mais avant d'exposer cette
ancienne jurisprudence, si contraire à l'usage et aux préjugés
de notre siècle , il importe de se transporter au temps et aux
circonstances où elle a été établie , et de se faire une juste
idée des principes d'après lesquels se conduisaient alors les
gouvernements, dans leurs rapports avec la religion.
Depuis que l'indifférence absolue sur cet objet est devenue 47.
l'opinion dominante et presque universelle, il est bien diffî- aiSTgo"
cile , et même impossible à certains esprits, de juger avec yeTa^n
impartialité la conduite d'un gouvernement aux yeux duquel ,eursa™PPorls
cette indifférence est tout à la fois le plus grand des mal- larel,810n*
heurs et le plus grand des crimes. A entendre une multitude
de philosophes et de politiques modernes , la religion est
comme étrangère à la société ; la liberté des cultes est pour
tous les peuples, comme pour chaque particulier, un droit
naturel et inaliénable ; tous les soins du gouvernement doi-
vent se borner à procurer le bonheur temporel de ses sujets;
de ces observations , les Commentaires de Godefroy sur le Code Théodo-
sien, et l'ouvrage des frères Pithou, Observationes ad Codicem et Novel-
las Justiniani. (Paris, 1689, in-fol. ) Ces auteurs indiquent en détail les
canons des conciles , et les autres monuments de la discipline ecclésiastique,
d'où les empereurs chrétiens ont tiré leurs constitutions sur des objets spi-
rituels. Voyez aussi, sur ce point, Bossuel, Defensio Declar., lib. iv, cap. 5.
— Fleury, Hist. Eccl.,i. xix, 7e Discours, n. 4. — Pierre Lemerre, Mé-
moires du Clergé, t. vu, p. 397.— Domat, Traité des Lois, ch. 10, n. 1 1, etc.
— Idem , Droit public, liv. 1, tit. xix. — Pey, De l'autorité des deux
Puissances , t. iv,ch. 3, § 2.
5.
6S INTRODUCTION.
et il ne doit s'occuper de la religion, que pour laisser à cha-
cun la plus entière liberté de dire et de faire à cet égard tout
ce qui lui plaît (\). Les anciens législateurs, même païens,
avaient, sur ce point, des idées bien différentes, et diamétrale-
ment opposées à celles de la philosophie moderne (2). A leurs
yeux , la religion était le premier bien , comme le premier
besoin de l'homme et de la société; et les délits de l'impiété
n'étaient pas moins contraires au bonheur et à la tranquillité
des États, qu'injurieux à la majesté divine ; d'où ils concluaient
qu'un des principaux devoirs du souverain était de réprimer,
par des peines sévères , ces sortes de délits , aussi bien que
les aufres attentats contraires à l'ordre public.
Ces principes , comme nous l'avons déjà remarqué (5) ,
tiraient une nouvelle force de la situation déplorable de l'em-
pire, sous les premiers empereurs chrétiens. Jamais la société
n'avait été en proie à des causes plus actives de dissolu-
tion; jamais, par conséquent, il n'avait été plus nécessaire
d'y maintenir l'influence de la religion , qui lui offrait de si
puissantes ressources contre tous les principes de destruction
qu'elle portait dans son sein.
4«. Tels furent les véritables motifs des constitutions publiées
Les édils des f 1 t • p i ■ i« • /-,
empereurs par les empereurs chrétiens en faveur de la religion. Ces
chrétiens en , i r\ • \
faveur motifs sont exposes par Constantin, avec autant de lorce que
de la religion, . . . . 1 . ,. w ■ « i »"i i
fondés sur de précision , dans une lettre écrite, en 544, a Ablave, vi-
ces princi pcs.
caire ou gouverneur d'Afrique, au sujet du concile d'Arles,
qui fut alors assemblé contre les Donatistes. « Comme je sais,
« dit l'empereur, que vous servez et que vous adorez, aussi
« bien que moi , le Dieu suprême , je vous avoue que je ne
(1) Bélisaire, ch. 15. — Emile, t. m, p. 184, etc. — Raynal, Histoire
philos, et polit. y etc., t. x, p. 14, et alibi passim. Les vrais principes, sur
cette matière, sont exposés et solidement établis dans les Censures publiées
par la faculté de théologie de Paris, contre ces trois ouvrages. Voyez en par-
ticulier la Conclusion de la Censure de Bélisaire, et le Mandement publié
en 1767 contre le même ouvrage, par M. de Beau mont, archevêque de Paris.
(2) Voyez les détails que nous avons donnés, sur ce sujet, dans l'ar-
ticle 1er de cette Introduction; ci-dessus, p. 1, n. 2, etc.
(3) Voyez ci-dessus, p. 41, n. 29, etc.
INTRODUCTION. 69
« crois pas qu'il nous soit permis de tolérer ces divisions et
« ces disputes, qui peuvent attirer la colère de Dieu , non-
« seulement sur mes sujets, mais encore sur moi-même, que
« sa divine bonté a chargé du soin et de la conduite de
« toutes les choses de la terre. Mais j'ai tout lieu d'attendre
« de sa bonté , avec une entière confiance , toutes sortes de
« prospérités, lorsque je verrai tous mes sujets honorer,
« comme ils doivent, la religion catholique, et rendre à Dieu
« leurs hommages, dans une fraternelle union et une parfaite
« concorde (4). » Les successeurs de Constantin rappellent
souvent ces motifs, dans leurs édits contre les hérétiques.
C'est ce qu'on remarque en particulier dans une constitution
de Théodose le Jeune contre les Donatistes et les Manichéens,
et dans une autre de Justinien contre tous les hérétiques
sans distinction. Les empereurs donnent pour motifs de ces
* édits, que quiconque viole la religion établie de Dieu, pèche
contre l'ordre public; et que les crimes qui attaquent la
majesté divine sont infiniment plus graves que ceux qui
attaquent la majesté des princes de la terre (2).
Il est à remarquer que ces maximes de l'antiquité, sur la 49.
1 • t 1 1 1 l • 111 ^es principes
nécessite de réprimer par des peines temporelles les attentats reconnus
de l'impiété , sont également admises par les plus célèbres célèbres
11.. i . ~ . _. publicistesmo-
publicistes modernes , même protestants. Grotius , Domat , demes.
Montesquieu lui-même , établissent, comme un principe in-
contestable , que la puissance temporelle doit réprimer, de
tout son pouvoir, les délits contraires à la religion, parce
qu'ils sont de la nature de ceux qui troublent tout à la fois
l'ordre public et la sûreté des particuliers (5). « Maximes très-
(1) Conslanlini epistol. ad Ablavium. (Labbe, Concil, t. i,p. 1422.)
— Fieury, Hist. Ecclés., t. m, liv. x, n. 14.
(2) Cod. Justin. y lib. 1, tii v, n. 5 et 19. Nous citerons un peu plus bas le
texte de ces lois (ci-après, n. 63, etc. ). — On trouve des extraits plus
étendus des constitutions impériales, sur ce sujet, daus le Droit public
de Domat, liv. 1, tit. xix.
(3) Grotius, De jure belli et pacis, lib. n, cap. 20, n. 51. — Domat,
Droit public, liv. j, tit. xix. — Montesquieu, Esprit des Lois, liv. xii,
ch. 4 et 5; liv. xxv, ch. 10. On peut aussi consulter avec fruit, sur cette
70 INTRODUCTION.
« importantes, dit Montesquieu : il faut être circonspect
« dans la poursuite de la magie et de l'hérésie Je ne dis
« point qu'il ne faille pas punir l'hérésie ; je dis qu'il faut être
« très-circonspect à la punir (\) Voici le principe fonda-
it mental des lois politiques : En fait de religion , quand on
« est maître de recevoir, dans un État, une nouvelle reli-
« gion ( c'est-à-dire , comme l'auteur l'explique , une fausse
« religion), ou de ne pas la recevoir, il ne faut pas l'établir ;
« quand elle est établie , il faut la tolérer (2). »
Nous ajouterons à ces témoignages celui d'un publiciste de
nos jours, à qui on ne peut refuser des vues très-étendues,
en matière de gouvernement. Voici comment s'exprime le
comte de Maistre , au sujet de la peine du feu , décernée
autrefois contre les hérétiques opiniâtres, par un usage uni-
versel. « Sans remonter aux lois romaines qui sanctionnèrent
« cette peine , toutes les nations l'ont prononcée contre ces
« grands crimes qui violent les lois les plus sacrées. Dans
« toute l'Europe , on a brûlé le sacrilège , le parricide , sur-
« tout Je criminel de lèse-majesté ; et comme ce dernier
« crime se divisait, dans les principes de jurisprudence cri-
« minelle , en lèse-majesté divine et humaine , on regardait
« tout crime , du moins tout crime énorme commis contre
« la religion, comme un délit de lèse-majesté divine,
« qui ne pouvait conséquemment être puni moins sévère-
« ment que l'autre. De là l'usage universel de brûler
« les hérésiarques et les hérétiques obstinés Je crois
« devoir ajouter que l'hérésiarque , l'hérétique obstiné
« et le propagateur de l'hérésie, doivent être rangés in-
matière, les ouvrages suivants : Pey, De l 'autorité des deux Puissances ,
t. iv, 4e partie, ch. 1 et 2. — De Maistre , Lettres à un gentilhomme russe,
sur l'Inquisition espagnole, in-8°. — Frayssinous, Conférences sur les
principes religieux, fondements de la morale et de la société; sur la
tolérance; et sur l'union réciproque de la religion et de la société, 1. 1
et m de l'édition in-8°.
(1) Montesquieu, Esprit des Lois, iiv. xn, ch. 5.
(2) ïbid. Iiv. xxv, ch. 10. Pour l'explication de ce passage, voyez la
Défense de l'Esprit des Lois , 2e partie, article Tolérance.
INTRODUCTION. 71 J
fi contestablement au rang des plus grands criminels. Ce
« qui nous trompe sur ce point, c'est que nous ne pouvons
« nous empêcher d'en juger d'après l'indifférence de notre
« siècle en matière de religion ; tandis qne nous devrions
« prendre pour mesure le zèle antique , qu'on est bien le
« maître d'appeler fanatisme, le mot ne faisant rien à la
« chose. Le sophiste moderne, qui disserte à l'aise dans son
« cabinet, ne s'embarrasse guère que les arguments de Luther
« aient produit la guerre de trente ans ; mais les anciens lé-
« gislateurs , sachant tout ce que ces funestes doctrines pou-
« vaient coûter aux hommes, punissaient très-justement du
« dernier supplice un crime capable d'ébranler la société
« jusque dans ses bases, et de la baigner dans le sang (4). »
Il résulte clairement de ces observations que , dans les , 5o- .
x L application
principes de l'antiquité, reconnus même par les plus célèbres de ces Prin-
17 r * l L cipes, souvent
publicistes modernes , l'usage modéré des peines temporelles difficile.
contre l'hérésie et les autres délits de l'impiété, est également
important pour le bien delà religion et pour le repos de la
société. Il est vrai qu'en cette matière, comme en toute autre,
l'application du principe offre souvent de grandes difficultés,
parce qu'elle dépend d'une foule de circonstances qui doivent
la modifier. Le souverain peut donc pécher, à cet égard, par
un excès de douceur ou de sévérité ; mais la difficulté d'ap-
pliquer un principe, d'ailleurs bien établi, ne saurait en obs-
curcir la vérité (2).
Au reste , quelque difficile que soit en bien des cas cette
application, l'enseignement de l'Église et la pratique des pre-
miers empereurs chrétiens, du moins de ceux dont l'Eglise
a loué la sagesse et la piété, nous font connaître les principales
règles à suivre, sur ce point.
(1) De Maistre, Lettres sur V Inquisition espagnole, 2e lettre, p. 53, etc.
(2) Ces observations peuvent servir à corriger celles de Tillemont, sur ce
sujet, à l'occasion de la conduite de Valentinien 1er, à qui l'on a reproché
avec raison une espèce d'indifférence à l'égard de la religion. Pour justifier,
du moins en pai lie, la conduite de Valentinien, Tillemont obscurcit, à ce qu'il
nous semble, les vrais principes sur cette matière. (Tillemont, Hist. des
Emp., t. v, p.10.) (V. les passages de Tillemont indiqués ci-dessus p. 24, note 1).
72 INTRODUCTION.
5r. \° La première et la plus importante est, qu'il appartient
PrîhgT à l'Église seule de régler les objets de l'ordre spirituel, tels
^eïrégkr* que le dogme, la morale, la discipline ecclésiastique, etgéné-
lesrordre e ralenient tout ce qui concerne le gouvernement des fidèles
spirituel, ^ans l'ordre de la religion et du salut éternel (4). Tout
l'exercice de la puissance temporelle, en cette matière, doit
se borner à protéger l'Église, c'est-à-dire, à soutenir ses déci-
sions, sans jamais les prévenir, les étendre ou les corriger en
aucune manière. Ce principe, souvent inculqué par les con-
ciles et les saints docteurs, comme appartenant à la consti-
tution divine de l'Église , était également reconnu par les
empereurs chrétiens, qui le proclamèrent souvent dans leurs
édits (2), et le respectèrent toujours dans la pratique, tant
qu'ils ne se laissèrent pas égarer par les suggestions de l'hé-
résie, ou par de perfides conseils. Rien de plus exact et de
plus précis que le langage de l'empereur Justinien, sur ce
sujet, dans une de ses Novelles : « Dieu, dit-il, a confié aux
« hommes le sacerdoce et Pempire ; le sacerdoce pour ad-
« ministrer les choses divines, et l'empire pour présider aux
« choses humaines : l'un et l'autre procèdent du mêmeprin-
« cipe; » d'où l'empereur conclut, un peu plus bas, qu'il
ne prétend pas régler par lui-même les affaires ecclésiasti-
ques, mais confirmer seulement les règles de l'Église et les
canons des conciles (5).
(1) Pour le développement de ce principe, voyez l'ouvrage de l'abbé Pey :
De l'autorité des deux Puissances, t. h, 3e partie, cli. 1, § 1 ; t. in, ch. 4,
§ 5 et 6; ch. 5, § 1 ; t. iv, ch. 3.
(2) Plusieurs de ces édits sont textuellement cités par l'abbé Pey , ubi
supràyi. h, p. 43, etc.
(3) « Maxima quidem in liominibus sunt dona Dei, à supernâ collata cle*
« mentiâ, sacerdotium et imperium ; et illud quidem divinis ministrans; hoc
« autem humanis praesidens, ac diligentiam exhibens. Ex uno eodemque
« principio ut raque procedentiahumanamexornant vitam Bene autem
« omnia geruntur et competenter, si rei principium fiât decens et amabile
« Deo. Hoc autem futurum esse credimus , si sacrarum regularum observa-
« tio custodiatur, quam justi , et laudandi , et adorandi inspectores et minis-
« tri Dei verbi tradiderunt apostoli , et sancti patres custodierunt et expla-
« naverunt. » Justmiani Novella vi, Prcef. (ad calcem Cod. Justin.).
INTRODUCTION. 73
C'est d'après ce principe qu'il faut expliquer le titre d'ave- s2.
1 L l * L x . .En quel sens
que extérieur, dont le premier empereur chrétien se glori- ie prince est
„ . 'il* nommé
fiait quelquefois en présence des évêques. « Dieu, leur ai- i*ev«v«« «*« <*••
■ . . hors.
« sait-il, vous a établis évêques pour le dedans, et moi pour le
« dehors (4); » par où il faisait entendre que, comme le de-
voir des évêques est d'enseigner et de conduire le peuple fidèle
dans l'ordre du salut, celui des princes est de soutenir leurs
décisions et leurs ordonnances, en leur procurant le respect
qui leur est dû. Tel est le véritable sens de ce mot de Cons-
tantin, dont les princes ont quelquefois abusé pour opprimer
l'Église , mais qui , étant bien entendu , et expliqué par la
conduite de Constantin lui-même, leur offre une des plus
fortes leçons sur l'indépendance de l'Église dans l'ordre spi-
rituel, et sur la protection qu'ils doivent à ses ordonnances
et à ses décisions en cette matière. « Il est vrai, dit à ce sujet
« un de nos plus illustres prélats (2), que le prince pieux et zélé
« est nommé Vêvêque du dehors, et le protecteur des canons;
« expressions que nous répéterons sans cesse avec joie, dans
« le sens modéré des anciens qui s'en sont servis. Mais Vé-
« vêque du dehors ne doit jamais entreprendre la fonction
« de celui du dedans. Il se tient, le glaive en main, à la
« porte du sanctuaire ; mais il prend garde de n'y entrer pas.
« En même temps qu'il protège, il obéit; il protège les dé-
« cisions, mais il n'en fait aucune. Voici les deux fonctions
« auxquelles il se borne : la première, est de maintenir l'É-
« glise en pleine liberté contre tous ses ennemis du dehors,
« afin qu'elle puisse au dedans, sans aucune gêne, prononcer,
« décider, approuver, corriger, enfin abattre toute hauteur
« qui s'élève contre la science de Dieu; la seconde, est d'ap-
« puyer ces mêmes décisions, dès qu'elles sont faites, sans se
« permettre jamais, sous aucun prétexte, de les interpréter.
« Cette protection des canons se tourne donc uniquement
(1) Eusèbe, De Vitâ Constantini, lib. iv, cap. 24.
(2) Fénelon, Discours prononcé au sacre de l'électeur de Cologne,
1er point. (T. w\\ des Œuvres de Fénelon, p. 147.)
74 INTRODUCTION.
« contre les ennemis de l'Eglise, c'est-à-dire, contre les no-
s vateurs, contre les esprits indociles et contagieux, contre
« tous ceux qui refusent la correction. A Dieu ne plaise
« que le protecteur gouverne, ni prévienne jamais en rien
« ce que l'Église réglera! Il attend, il écoute humblement, il
« croit sans hésiter, il obéit lui-même, et fait autant obéir
« par l'autorité de son exemple, que par la jouissance qu'il
« tient dans ses mains. Mais enfin le protecteur de la liberté
« ne la diminue jamais ; sa protection ne serait plus un se-
« cours , mais un joug déguisé , s'il voulait déterminer
« l'Église, au lieu de se laisser déterminer par elle. »
53. i 2° Il résulte également de la doctrine et de la pratique des
%lg!Leme premiers siècles de l'Église, que l'usage de la puissance tem-
Ne l'amais ex. , , ,., j i. « j • , • • n • ■> %
torquer par porelle, en matière de religion, ne doit jamais aller jusqu a
la violence . "i • 1 f • J C ' i e
une profession extorquer par la violence une protession de toi ou un desaveu
de l'erreur. « Il n'est pas permis aux chrétiens, dit saint Jean
« Chrysostome, de combattre l'erreur par la violence et la con-
« trainte, mais seulement par la raison et la douceur. C'est pour
« cela que nul des empereurs chrétiens n'a publié contre le
« paganisme, des édits semblables à ceux que les empereurs
« païens ont publiés contre les chrétiens (-1). » L'unique objet
des édits, même les plus sévères, doit être de punir les at-
tentats extérieurs de l'impiété; d'empêcher, autant que les
circonstances le permettent, la profession extérieure des
fausses religions; d'ôter à ceux qui en font profession cer-
tains honneurs et certains avantages qui dépendent de la libre
disposition des lois, afin d'engager ainsi les hérétiques à ren-
trer en eux-mêmes, et à faire de'scrieuses réflexions qui les
disposent à reconnaître leurs erreurs.
„ H:> 5° Il serait encore plus contraire à l'esprit de la religion ,
Troisième *■ * o 7
„ .rèzle: . d'infliger aux sectateurs d'une fausse religion la peine de
Ne jamais in- ° ** *
#fligeria m0rt, pour le seul fait de leur croyance. C'est ce que saint
peine de mort ' L ' " *
pour le seul jean Chrysostome suppose comme un principe incontestable,
la croyance.
(1) Saint Jean Chrys. Lib. in S. Babylam, contra Gentiles, n. 3. (Oper.
t. H, p. 540.)
INTRODUCTION. 75
dans son commentaire sur le passage de saint Matthieu, où le
père de famille défend à ses serviteurs d'arracher l'ivraie,
de peur qu'en même temps ils ne déracinent le bon grain.
« Dieu, dit-il, parle ainsi à ses serviteurs, pour empêcher les
* guerres et les meurtres ; car il ne faut pas mettre à mort
« les hérétiques; outre que ce serait exciter dans le monde
« une guerre interminable , il y en a beaucoup qui, en
«quittant l'hérésie, d'ivraie qu'ils étaient, pourraient de«»
« venir bon grain Dieu donc n'empêche pas de rèpri-
« mer les hérétiques, de leur fermer la bouche, de leur ôter
« la liberté de parler, de dissoudre leurs assemblées, de
« rompre toute alliance avec eux ; il défend seulement de
« répandre leur sang (\). » Il est vrai que les constitutions
impériales décernent, en certain cas, ce châtiment contre les
hérétiques, les juifs et les païens ; mais elles ne le décernent
jamais pour le seul fait de l'erreur : c'est toujours pour
quelque autre délit contraire à la tranquillité publique , et
ordinairement puni de mort par les lois romaines; par
exemple, pour l'obstination des hérétiques à demeurer ou
à s'assembler dans les lieux qui leur sont interdits, ou à
prêcher leur doctrine, malgré les défenses réitérées qu'on
leur avait faites (2).
(t) Idem, Homil. 46 in Matth., n. 1 et 2. (Oper. t. vu, p. 482.)
(2) Le cardinal Bellarmin (Controv. de Laïcis, cap. 21 , prob. 2° et 4°.
Operum t. n ) suppose que les empereurs Valentinien III et Marcien
décernèrent généralement la peine de mort contre les hérétiques qui
s'efforceraient de répandre leurs erreurs. Il y a dans cette assertion
plusieurs inexactitudes. 1° La loi citée par Bellarmin n'est pas de Marcien ,
mais des empereurs Valentinien II et Théodose le Grand. ( Cod. Theodos.,
lib. xvi, tit. 5, n. 18. ) 2° Cette loi n'ordonne pas de mettre à mort tous les
hérétiques sans distinction, mais seulement les Manichéens, qui, malgré
l'injonction formelle de la loi , refuseraient de sortir de Rome. Une autre
loi de Marcien contre les Eutychiens, que nous citerons un peu plus bas
( n. 64 ), ne décerne pas la peine de mort contre tous ces hérétiques sans
distinction , mais seulement contre ceux qui, malgré les défenses réitérées,
s'obstineraient à prêcher l'hérésie , et à répandre ainsi dans l'État des se-
mences de révolte et d'insubordination. Aussi Jacques Godelroy , dans
son Commentaire si estimé sur le Code Théodosien, a-t-il soin de remar-
quer que les empereurs chrétiens n'ont jamais décerné la peine capitale con-
76 INTRODUCTION.
55. 4° Le prince doit, en général, user d'une plus grande sé-
règie"16 vérité envers une hérésie naissante , qu'envers celle qu'il
°tem?ntr à" trouve déjà établie dans ses Etats ; parce qu'il est tout à la
es?nte"as fois plus sûr et plus facile d'arrêter le mal dans le principe,
que de le réprimer lorsqu'il a déjà fait de grands progrès.
Saint Jérôme établit, en peu de mots, ce principe , par une
observation décisive, dans son commentaire sur ces paroles
de saint Paul aux Galates : Un peu de levain corrompt tonte
la masse. « Il faut, dit-il, éteindre l'étincelle aussitôt qu'on
« l'aperçoit, séparer le levain de toute la masse voisine,
« couper les chairs corrompues , et chasser de la bergerie
« un animal empesté, de peur d'exposer la maison tout en-
« tière à l'incendie , la masse entière à la corruption , le
« corps entier à la pourriture, et le troupeau entier à la
« destruction. Arius, dans Alexandrie, ajoute le saint doc-
« teur, n'était qu'une faible étincelle; mais parce qu'on
« ne l'a pas promptement étouffée , sa flamme a porté le
« ravage dans Je monde entier (4). » Ce fut en vertu de ce
principe, que saint Léon le Grand, élevé sur le saint-siége
quelques années après la mort de saint Jérôme , ne se con-
tenta pas d'employer les exhortations et les peines ecclésias-
tiques, pour ramener à l'Église les Manichéens découverts à
Rome de son temps, mais livra les plus opiniâtres aux juges
séculiers, de peur que la contagion de l'hérésie, dit-il,
ne gagnât insensiblement le reste du troupeau (2).
tre les hérétiques, pour le seul fait de la religion. (Jac. Godefr. Comment,
in Cod. Theodos., lib. xvi, fit. 5, n. 9, 34, et alibi passim. Voyez aussi
Bingham, Origines sive antiquit. eccles., tom. vu, lib/xvi, cap. 2, § 4.)
(1) « Scintilla, statim ut apparuerit, extinguenda est; et fermentum à mas-
« sse viciniâ semovendnm ; secandae putridae carnes ; et scabiosum animal
« à caulis ovium repellendum ; ne tota domus , massa, corpus et pecora, ar-
« deat, corrumpatur, putrescat , intereat. Arius una scintilla fuit ; sed quia
« non statim oppressa est, totum orbem ejus flammâ populata est. » Sancti
Hieron. Comment, in Epist ad Gai. , cap. 5. (Oper. t. iv, parte 1,
p. 291.)
(2) « Aliquanti verô ( Manichœi) qui ita se demerserunt (in impietatis
« voraginem ), ut nullo lus auxilii possit î emedio subveniri , subditi legibus,
« secundum christianorum principum constituta , ne sanctum gregem suâ
« contagione polluèrent, per publicos judices perpetuo sunt exilio relegali. »
INÏRODtiCTÎOtf. Ht
Quelque importantes que soient ces observations pour 56.
'O il •• «in i»»i Dispositions
justifier, aux yeux cl un esprit impartial, I usage modère de sévères du
■ . ,, ,. . droit romain,
la puissance temporelle en matière de religion , nous ne pré- sur ce
î ,. . , j. point, non ap-
tendons pas approuver indistinctement toutes les disposi- prouvées
j 7 . . * Par l'Église.
tions du droit romain sur cette matière ; nous avouerons
même que la sévérité de quelques-unes de ces dispositions
semble difficile à justifier. Mais pour prévenir les difficultés
qu'elles peuvent offrir, on doit remarquer, 4° que l'Église ne
lésa jamais approuvées. Il est vrai qu'elle approuvait en gé-
néral le zèle des empereurs chrétiens pour le maintien de la
religion, et pour la répression de l'hérésie ; mais on ne voit
pas qu'elle ait jamais approuvé en particulier les dispositions
sévères qu'on remarque dans quelques-unes de leurs cons-
titutions, et surtout la peine de mort décernée, en certains
cas, contre les attentats publics de l'impiété. Il est certain,
au contraire , qu'elle inspirait habituellement aux princes et
aux magistrats , par l'organe des évêques et des saints doc-
teurs, une grande modération dans l'application des lois por-
tées contre les hérétiques, et qu'elle blâmait hautement ceux
de ses ministres qui pressaient avec rigueur l'observation
de ces lois (\).
Remarquons, en second lieu , que , pour bien apprécier s7.
♦ ,. ... i -i • • • ii Rigueur ordi-
certaines dispositions du droit romain qui nous semblent naire ^es
Di • » , m #> \ i« i l°'s pénales, à
aujourd nui trop sévères, il laut se transporter a 1 époque cette époque.
où elles ont été établies , c'est-à-dire, à une époque où les
lois pénales étaient généralement beaucoup plus sévères
qu'elles ne l'ont été, depuis que le christianisme eut apporté
de si grands adoucissements dans les mœurs publiques et pri-
vées (2). Doit-on s'étonner en effet que le droit romain,
S. Leonis Ep\st. 8 (alias 2). — Fleury, Hist. Eccl, t. Vf, liv. xxvi, n. 57.
(1) Thomassin, Traité des édits , 1. 1, cliap. 30, etc. Remarquez en parti-
culier les détails relatifs à la conduite des saints docteurs envers les héréti-
ques de leur temps, par exemple, de saint Augustin envers les Donatistes,
de saint Ambroise et de saint Martin envers les Priscillianistes , etc.
(2) Ryan , Bienfaits du Christian. , chap. 5, § 5 — De Vouglans, Lois
crimin. de France, liv. n, tit. 3, 4, et alibi passim.
78 INTRODUCTION.
dans ses dispositions contre l'hérésie et les autres délits de
l'impiété, ait conservé quelque chose de la rigueur alors em-
preinte dans toutes les parties de la législation? Bien plus, n'é-
tait-il pas naturel que les empereurs chrétiens appliquassent
aux délits qui attaquaient la religion chrétienne les peines
constamment décernées jusqu'alors contre les attentats pu-
blics de l'impiété? « Il y a dans tous les siècles, dit à ce su-
« jet le comte de Maistre, certaines idées générales qui en-
« traînent les hommes, et qui ne sont jamais mises en
« question. Il faut les reprocher au genre humain , ou ne
« les reprocher à personne (\). »
58. Ajoutons que la sévérité des constitutions impériales sur
menîTdans la le sujet qui nous occupe était bien adoucie, dans la prati-
piaïque. ^^ p^ j>eSpr-t fiQ moc[ératH)n et de douceur qui présidait
ordinairement à leur exécution. On a vu plus haut avec
quelle sage lenteur Constantin et ses successeurs avaient
procédé, dans leurs édits contre l'idolâtrie , laissant d'abord
aux païens le libre exercice de leur culte, le restreignant en-
suite peu à peu à mesure que les circonstances le permet-
taient, et ne lui portant les derniers coups que dans un temps
où ils pouvaient le faire sans blesser l'opinion publique, et
sans occasionner aucun trouble dans l'État. On remarque
généralement la même prudence dans la conduite des em-
pereurs chrétiens à l'égard des hérétiques (2). Pour peu qu'on
examine de près la suite et l'objet des constitutions impé-
riales sur ce point, on verra qu'elles étaient plus ou moins
sévères, selon les différentes circonstances des temps et des
lieux ; et la modération dont on usait dans leur exécution
montrait clairement que le prince se proposait bien moins de
punir les sectaires, que d'empêcher la propagation de leur
doctrine, et de les obliger, par de salutaires mesures, à ren-
trer en eux-mêmes et à reconnaître leurs erreurs. C'est la
(1) De Maistre, Lettres sur V Inquisition espagnole, 2e lettre, p 53.
(2) Tkomassin, Traité des édits, 1. 1, chap. 32 et suiv. — Bossuet, Poli-
tique sacrée, liv. vu, art. 3, prop. 10-
INTRODUCTION. 79
réflexion de Sozomène , à l'occasion des lois publiées contre
les hérétiques par Théodose le Grand : « Ce prince, dit-il,
« publiait contre eux des lois sévères ; mais il ne les exécu-
« tait pas. Son dessein n'était pas de punir les hérétiques,
« mais de les ramener à la véritable foi par la crainte des
« châtiments; et il donnait de grandes louanges à ceux qui se
« convertissaient de bon gré (4). » Cette modération, inspirée
aux empereurs par les évêques eux-mêmes (2) , est d'au-
tant plus remarquable , que les hérétiques en abusaient sou-
vent pour se porter à de nouveaux excès contre les catho-
liques. C'est ce que suppose clairement saint Augustin dans
plusieurs de ses lettres (5) ; et tel fut souvent le motif qui
obligea les empereurs à renouveler les anciennes lois, que leur
indulgence avait laissées tomber en désuétude (4). Tel fut en
particulier le motif qui obligea Honorius à renouveler les
lois portées par ses prédécesseurs contre les différentes sectes
ennemies de l'Église catholique. « De peur, dit-il, que les
« Donatistes et les autres sectes hérétiques, aussi bien que
« les Juifs et les païens , ne regardent les anciennes lois
« comme tombées en désuétude , nous enjoignons à tous les
« juges de s'y conformer exactement, et d'exécuter, sansba-
« lancer, tout ce qui a été décrété contre ces différentes
« sectes (5). »
Après ces observations, qui nous ont paru nécessaires pour
prévenir les difficultés que présente une matière si délicate,
(1) Sozomène, Hist. Kcch, lib. vu, cap. 12. — Tillemont, Hist. des Em-
pereurs, t. v, p. 399.
(?) Voyez la note 1 de la page 77.
(3) Saint Augustin, E-pist. 100, ad fionatum, n. 2. — Epist. 133, ad
Marcelliniim, n. 1. (Operum t. n.) La première de ces lettres est citée par
Fleury, Hist. Eccl., t. v, liv. xxn, n. 18.
(4) Thomassin, Traité des édits, 1. 1, chap. 33, n. 1 , et alibi passim.
(5) « Ne Donatistae, vel caeterorum vanitas haereticorum, aliorumque er-
« ror quibus catholicae communionis cultus non potest persuadeii, Judœi at-
« que Gentiles (quos vulgô Paganos appellant) , arbitrentur leguni antè
« adversùm se datai uni constituta tepuissc; noverint judices universi prae-
« ceptis eorum fideli devotione parendum, et inter prsecipua, quidquid ad-
« versus eos decrevimus, non ambigant exequendum. » Cod. Theod. lib.
xvi, tit. 5, n. 46.
80 INTRODUCTION.
nous allons exposer en peu de mots Ses principales dispositions
du droit romain, à l'égard des Juifs, des hérétiques, des
sacrilèges et des apostats; dispositions d'autant plus remar-
quables, que, sur ce point comme sur plusieurs autres, le
droit romain a servi de modèle à celui de tous les États
chrétiens de l'Europe au moyen âge (\).
1° Lois contre les Juifs.
5 La première loi de Constantin contre les Juifs fut provo-
sévérité qU£e par jes violences et les excès manifestes dont plusieurs
de ces lois. i r x
d'entre eux s'étaient rendus coupables. Environ deux ans
après la conversion de ce prince, un certain nombre de Juifs
ayant osé insulter publiquement les chrétiens, jusqu'à leur
jeter des pierres, l'empereur déclara, par un édit, que si quel-
qu'un d'entre les Juifs se permettait à l'avenir de pareils excès,
il serait brûlé avec tous ses complices. Il défend, par la même
loi, à tous ceux d'une autre religion, d'embrasser le judaïsme,
qu'il représente comme une secte d'hommes turbulents,
animés d'une haine violente et irréconciliable contre le
christianisme (2). Dans cette vue, Constantin défendit encore
aux Juifs de circoncire ceux de leurs esclaves qui ne seraient
pas de leur religion ; les transgresseurs de cette loi sont con-
damnés à perdre leurs esclaves (5).
(1) Voyez les auteurs cités plus haut, p. 51, note 4. Voyez aussi Tho-
massin, Traité des édits, t. 1, chap. 30, etc. ; t. n, chap. 9.
(2) « Judaeis et majoribus eorum et patriarchis voluimus intimai i , quôd
« si qui, post hanc legem, aliquem qui eorum feralem fugerit sectam, et ad
« Dei cultum respexerit, saxis aut alio furoris génère ( quod nunc fieri co-
te gnovimus) ausus fuerit ademptare ( i. e. impetere), mox flammis deden-
« dus est, et cum omnibus suisparticipibus concremandus. Si quis verô ex
« populo ad eorum nefariam sectam accesserit, et conciliabulis eorum se
« applicaverit, cum ipsis méritas pœnas (arbitrio nempe judicis ) susti-
« nebit. » Cod. Theod., lib. xvi, tit. 8, n. 1. — Fleury, Hist. JEccl., t. m,
liv. x, n. 20.
(3) « Si quis Judseorum christianum mancipium, vel cujuslibet alterius
« sectee, mercatus circumeiderit, minime in servitute retineat circumeisum ;
« sed libertatis privilegiis, qui hoc sustinuerit, potiatur. » Cod. Theod.,
ibid., tit. 9, n. 1. — Fleury, ibid., liv. xi,n. 59.
INTRODUCTION. 81
Cette malheureuse nation ne fut pas traitée plus favorable-
ment sous les successeurs de Constantin ; car ils défendirent aux
Juifs, sous des peines très-sévères, de contracter mariage avec
des chrétiens, d'acheter et de circoncire des esclaves d'une
autre nation et d'une autre religion, et surtout des esclaves
chrétiens. Une loi de l'empereur Constance veut que l'a-
cheteur soit puni, dans ce dernier cas, non-seulement par
la perte de ses esclaves, mais par la confiscation de tous ses
biens; il doit même être puni de mort, s'il a osé circon-
cire ses esclaves (]). Une autre loi du même prince condam-
nait aussi à mort le Juif qui aurait épousé une femme chré-
tienne (2); mais la sévérité de cette loi fut adoucie par
Théodose, qui ordonna seulement que ces sortes de mariages
fussent punis comme de véritables adultères, et que toute
personne fût reçue à les dénoncer (5). Plusieurs édits posté-
rieurs défendirent encore aux Juifs d'exercer aucun emploi
civil, de témoigner en juslice contre des chrétiens, de bâtir
aucune synagogue nouvelle, et de pervertir aucun chrétien (4).
Ce dernier point est défendu par Théodose le Jeune, sous
(1) « Si aliquis Judseorum mancipium sectae alterius seu nationis crediderit
« comparandum , mancipium fisco protinùs vindicetur. Si verô emptum cii-
« cumciderit , non solum mancipii damno mulctetur , verùm etiam capitali
« sententiâ prematur. Quôd si venerandee fidei conscia mancipia Judœus
« mercari non dubitet , omnia quœ apud eum reperiuntur protinùs auferan-
«tur; nec interponatur quicquam morœ, quin eorum hominum qui chri-
« stiani^sunt possessione careant. » Cod. Theod., lib. xvi, tit. 9, n. 2.
Cette loi fut renouvelée (en 384) par les empereurs Valentinien II, Théo-
dose et Arcade, en ces termes : « Ne quis omninè Judaeorum christianum
a comparet servum... Quôd si factum publica indago compercrit , et servi
« abstrahi debent , et taies domini congruae atque aptse facinori pœnœ sub-
« jaceant; addito eo, ut si qui apud Judseos adhuc christiani servi... reperti
« fuerint , soluto per cln istianos competenti pretio, ab indigna servitute redi-
« mantur. » Ibid. , lib. m, tit. 1, n. 5.
(2) « Illud in reliquum observari (placet) , ne christianas mulieres (Judoei)
« suis jungant flagitiis ; vel , si hoc fecerint, capitali periculo subjugentur. »
Ibid. , lib. xvi, tit. 8, n. 6.
(3) « Ne quis christianam mulierem in matrimonium Judaeus accipiat, ne-
« que Judœam christianus conjugio sortiatur ; nam si quis aliquid hujusmodi
« admiserit, adulterii vicem commissi hujus crimen obtinebit ; libertate in
« accusandum publicis quoque vocibus relaxatâ. » Ibid., lib. m, tit. 7, n. 2.
(4) On peut voir le recueil de ces édits dans le Cod. Justin., lib. i, tit. 5,
n. 21 ; tit. 9, n. 16, etc. — Fleury, Hist. EccL, t. vi, liv. xxvi, n. 41.
82 INTRODUCTION.
peine de confiscation des biens et d'exil perpétuel pour les
transgresseurs (\).
60. Quelques-unes de ces dispositions peuvent sans doute pa-
cette Sévérité, raître sévères; mais on doit remarquer, \° que les Juifs y
donnaient souvent lieu par de nouveaux excès , non moins
contraires à la tranquillité publique qu'à l'honneur de la re-
ligion chrétienne. La haine invétérée dont ils étaient animés
contre le christianisme se manifestait, en toute occasion,
tantôt par les violences et les cruautés qu'ils exerçaient en-
vers les chrétiens, tantôt par les persécutions qu'ils leur sus-
citaient de la part des païens, souvent même par les révoltes
et les séditions qu'ils excitaient dans les différentes parties de
l'empire (2).
2° Les Juifs étaient d'autant moins fondés à se plaindre
des édits publiés contre eux, que les empereurs avaient d'a-
bord usé envers eux d'une grande modération. Malgré les
excès dont ils s'étaient rendus coupables sous le règne de
Constantin, ce prince avait accordé à leurs chefs, et à tous les
ministres des synagogues , l'exemption de toutes les charges
personnelles et civiles qui les eussent empêchés de vaquer li-
brement à leurs fonctions (5). Ils jouirent, en effet, de cette
exemption jusqu'au temps de Valentinien II, qui la révoqua
en 585 , ne jugeant pas convenable de laisser aux chefs de
la religion juive une exemption dont les ministres de la
religion chrétienne avaient été dépouillés par Valenti-
nienler(4).
(1) « Judaei et bonorura proscriptione , et perpetuo exilio damnabuntur,
« si nostrae fidei hominem circumcidisse eos, vel circumcidendum mandasse
« constiterit. » Cod. Justin., lib. 1, lit. 9, n. 16.
(2) Fleury, Hist. Eccl., t. m, liv.xn, n. 28; liv. xm, n. 15; t. v, liv. xxm,
n. 25.
(3) « Hiereos, et archisynagogos , et patres synagogarum , et caeteros qui
« synagogis deserviunt, ab omni corporali munere liberos esse précipi-
te mus. » Cod. Theod., lib. xvi, tit. 8, n. 4. — Fleury, Hist. Eccl., %. m,
liv. xi, n. 46.
(4) « Jussio qnâ sibi Jndaere legis homines blandiuntur, per quam eis cu-
« rialium munerum datur immunitas , rescindatur ; cùm oe clerieis quidem
« liberum ait, priùs se divinis ministeriis mancipare, quàm patriae débita
INTRODUCTION. 83
5° Enfin, il est également à remarquer que les empereurs
chrétiens, tout en publiant des lois sévères contre les Juifs,
condamnaient hautement, et réprimaient avec sévérité les
violences arbitraires qu'un zèle indiscret inspirait quelquefois
contre eux à leurs ennemis. Plusieurs constitutions impériales
ont pour objet de prévenir ces violences, et menacent d'un
châtiment sévère les chrétiens, qui, sous prétexte de religion,
se permettraient d'abattre ou de piller les synagogues , ou
d'empêcher, de quelque autre manière, les assemblées des
Juifs (\),
II0 Lois contre les hérétiques et les apostats.
Les mêmes considérations qui obligeaient les empereurs 6r.
chrétiens à publier contre les Juifs des édits si sévères, les de Constantin.
obligèrent souvent à en publier de semblables contre les
hérétiques. Les premiers édits, en ce genre, furent publiés
par Constantin, vers l'an 54 6, contre les Donatistes, qui
troublaient alors l'Église d'Afrique par toutes sortes de vio-
lences et de brigandages. L'empereur, ayant inutilement em-
ployé tous les moyens de douceur et de conciliation pour les
ramener à la foi catholique, rendit enfin une loi par la-
quelle il leur ôtait leurs églises, et confisquait leurs biens avec
les lieux où ils avaient coutume de s'assembler; il bannit
même quelques-uns d'entre eux, qui se montraient plus opi-
niâtres et plus séditieux (2).
« universa persolvant. » Ibid.y lib. xn, tit. i, n. 99. Voyez aussi lib. xvi,
tit. 2,n. 21.
(1) « Judaeorum sectam nullâ lege prohibitam satis constat. Unde graviter
« commovemur, interdictos quibusdam locis eorum fuisse convenais. Sub-
(c limis igitur magnitudo tua , bàc jussione susceptâ , nimietatem eorum
« qui sui) christianae religionis nomine inlicita quœque prœsumunt, et de-
« slruere synagogas atque expoliare conantur , congruà severitate cohi-
« bebit. » Cod. Theod., lib. xvi, tit. 8r n. 9. Voyez aussi les n. 21, 25, etc.
(2) Saint Augustin, Epist. 88, ad Januar., ». 3. — Epist. 93, ad Vin-
centium. (Oper. t. u, p. 214 et 236.) — Idem, Contra Litt. PetiL, lib. n,
n. 205. {Oper. t. ix, p. 278.)— S. Optât, Deschism. Donat., lib. n,p. 47 (édi-
tion de Paris , 1679, infol. — Biblioth. Pair. t. iv, p. 349, ire col.) —
6.
S 4 INTRODUCTION*
Quelques années après, c'est-à-dire en 525, Arius ayant été
condamné dans le concile de Nicée , Constantin publia aus-
sitôt plusieurs édits , par lesquels il le notait d'infamie, le
condamnait à l'exil avec les évêques de son parti, et ordon-
nait de brûler ses écrits, obligeant ses partisans à les livrer,
et menaçant de mort ceux qui refuseraient d'obéir. Il con-
damna aussi les particuliers qui persévéreraient dans l'erreur,
à payer, outre leur capitation, celle de dix autres person-
nes (4). L'année suivante, un nouvel édit restreignit aux
catholiques les immunités accordées aux clercs, ordonnant
que les hérétiques et les sçhismatiques, au lieu d'être dé-
chargés, fussent plus grevés que les autres (2). L'empereur
exceptait cependant de cette loi les Novatiens, qu'il ne regar-
dait pas encore, à ce qu'il paraît, comme absolument con-
damnés (5) ; mais ayanl, dans la suite, mieux connu cette
secte, il lui défendit, aussi bien qu'à celles des Valentiniens,
des Marcionites, et à toutes les autres, de tenir des assem-
blées, soit publiques, soit particulières, voulant que leurs
églises fussent données aux catholiques , que les autres lieux
de leurs assemblées fussent confisqués , et que leurs livres
fussent recherchés avec soin pour être détruits (4).
62. Tous ces édits de Constantin furent depuis renouvelés par
de Théociose ses successeurs, et appliqués, avec plus ou moins de rigueur,
origine" de aux différentes sectes hérétiques. Théodose le Grand, par un
édit du mois de janvier 584, ôte aux hérétiques toutes les
Fleury, Hist. Eccl, t. m, liv. x, n. 19.—Thomassin, Traité des édits, 1. 1,
cbap. 11.
(1) Socrate, Hist. Ecoles., lib. 1, cap. 9 , p. 62, etc. — Sozomène, Hist.
Ecoles., Mb. 1, cap. 20, etc.— Fleury, ibid., liv. xi, 11. 24.
(2) « Privilégia quae co-ntemplatione ( seu intuitu ) religionis indulta sunt,
«. catholicae tantùm legis observatoribus prodesse oportet. Haereticos autem
« atque scbismaticos , non tantùm ab bis privilegiis alienos esse volumus,
« sed etiàm diversis muneribus constringi etsubjici. » Cod. Theod., lib.xvi,
tit. v, n. 1. — Fleury, ibid., liv. xi, n# 31.
(3) Cod. Theod., ibid., n. 2. — Fleury, ibid. — Tbomassin, Traité des
édits, t. 1, ch. 30, n. 67, etc.
(4) Eusèbe, Vita Const., lib. m, cap. 63-66. — Fleury, ibid., n. 46. —
Lebeau , Hist. du Bas-Empire, t. 1, liv. v, n. 56.
INTRODUCTION. 85
églises, et casse tous les rescrils contraires qu'ils auraient pu
obtenir par surprise (4). Il condamne nommément, dans cet
édit, les Photiniens, les Ariens et les Eunomiens; il recom-
mande la foi de Nicée, et défend toutes les assemblées des
hérétiques dans l'enceinte des villes; ajoutant que, s'ils veu-
lent faire du bruit, ils seront même chassés des villes. La
même année , il publia une loi beaucoup plus sévère conlre
les Manichéens , les déclarant infâmes , les privant absolu-
ment du droit de tester, ou même de succéder aux biens
paternels et maternels ; voulant que tous ces biens soient
confisqués, excepté à l'égard des enfants, qui pourront héri-
ter du bien de leurs pères et mères, s'ils embrassent une re-
ligion plus sainte (2). Une autre loi de Théodose traite en-
core plus rigoureusement ceux d'entre les Manichéens qui,
pour mieux se déguiser, prenaient les noms d Encratides ,
de Saccophores et d'Hydroparastates ; car elle veut qu'on
les punisse du dernier supplice (5). Pour assurer l'exécution
(1) « Nullus hsereticis mysteriorum locus, nulla ad exercendam animi
« obstinations dementiam pateat occasio. Sciant omnes, etiamsi quid spe-
« ciali quolibet rescripto, per fraudem elicito , ab hujusmodi hominum ge-
« nere impetratum est, non valere Ab omnium submoti ecclesiarum
« limine penitùs arceantur, cùm omnes haereticos illicitas agere intra oppida
« congregationes vetemus; ac si quid eruptio factiosa tentaverit, ab ipsis
« eliam urbium mœnibus , exterminato furore , propelli jubemus. » Cod.
Theod., lib. xvi, tit. v, n. 6. — Fleury, Hist. eccl., t. iv, liv. xvm, n. 9.
(2) « Si qui, Manichaeus Manichaeave , in quamlibet personam condito
« testamento, vel cujuslibet liberalitatis atque specie donationis, transmisit
« proprias facultates ; vel quisquam ex his aditae per quamlibet successionis
« lormam collatione ditatus est; quoniam iisdem , sub perpétua justae infa-
« miae nota , testandi ac vivendi jure Romano omnem protinùs eripimus fa-
ce cultatem , neque eos aut relinquenda.1 aut capiendae alicujus haeredifatis
« habere sinirnus potestatem; totum fisci nostris viribus societur His
« tantùm iiliis paternorum vel maternorum bonorum successio deferatur ,
<c qui, licet ex Manichœis orti, sensu tamen et affectu proprise salutis admo-
« niti, ab ejusdem vitae professionisque collegiis, purà semet dediti religione,
« dimoverint. » Cod. Theod., lib. xvi, tit. v, n. 7. _ Fleury, ubï suprà.
(3) « Quos Encratitas prodigali appellatione cognominant, cum Sacco-
« piloris sive Hydroparastalis ,. .. summo supplicio, et inexpiabili pœnâ
« jubemus affligi. . . Sublimitas itaque tua del Inquisitores, aperiat forum,
« indices denuntiatoresque, sine invidiâ delationis (i. e. absque metu déla-
is tionis) , accipiat; nemo praescriptione communi exordium accusationis
« hujus infringat. » lbid., n. 9. — Fleury, ubï suprà.
86 INTRODUCTION.
de cette loi , l'empereur ordonne au préfet du prétoire
d'établir des Inquisiteurs, chargés de rechercher les héréti-
ques, et d'informer contre eux. C'est la première fois qu'on
trouve dans les lois le nom d'inquisiteur contre les héréti-
ques ; mais Vinquisition dont il s'agit ici n'était pas nouvelle;
car nous avons déjà vu Constantin en ordonner une sem-
blable contre les Ariens et d'autres hérétiques de son
temps (4 ) . Ces mesures sévères étaient provoquées par la doc-
trine abominable des Manichéens, qui avait excité, dès l'ori-
gine de leur secte, la sévérité de empereurs païens (2). Il est
certain, en effet, que les erreurs de cette secte n'attaquaient
pas seulement le dogme catholique , mais les fondements de
la morale, et tendaient à multiplier de jour en jour, dans la
société, les plus grands excès de corruption et de scéléra-
tesse (5).
Plusieurs autres lois de Théodose défendent aux héré-
tiques de s'assembler , soit à la ville , soit à la campagne ,
et de faire des ordinations d'évêques (4). L'empereur or-
donne que les maisons où ils se seront assemblés soient
(1) Voyez les notes i et 4 de la page 84.
(2) Yoyez, à ce sujet, Fleury, Hist. Eccl., t. h, liv. vin, n. 25. — Tho-
massin, Traité des édits , etc., 1. 1, ch. 3, n. 12.
(3) Saint Augustin, De moribus Manichœorum, passim. (Operum, t. î.)
— Tillemont, Mémoires pour VHist. Ecclés.,\. xm, art. 15, etc. — Bossuet,
Hist. des variations , liv. xi, n. 7, etc.
(4) « Vitiorum institutio (seu schola), Deoatque hominibusexosa, euno-
« mianascilicet, ariana, macedoniana , apollinariana , coeterarumque secta-
« ruin quas verre religionis fides sincera condemnat , neqne publicis , neque
« privatis aditionibus (i. e. conventibus), in tra urbium atque agrorum ac
« villarum loca, aut colligendarum congregationum , aut constituendarum
« ecclesiarum copiam praesumat;... neque ullas creandorum sacerdotum
« usurpet atque habeat ordinationes. Esedem quoque domus, seu in urbibus,
« seu in agris , in quibus passim turbse professorum (i. e. hœresim profi-
« tentium) ac ministrorum talium colligentur, fisci nostri dominio juiique
« subdantur; ita ut hi qui vel doctrinam vel mysteiia conventionum talium
« exercere consueverunt,. . .. expellantur à cœtibus, et ad proprias unde
« oriundi sunt terras redire jubeantur. Quodsi negligenliùs eaquae serenitas
« nostra constituit impleantur, oflicia ( i. e. officiâtes) provincialium judi-
« cum, et principales urbium, in quibus coitio vetilae congregationis reperta
« monstrabitur , sententiae damnationique subdantur. » Cod. Theodos.,
lib. xvi, tit. v, n. 12 — Fleury, ibid. , t. iv, liv. xvm, n. 27 ; liv. xix, n. 34.
ose
INTRODUCTION. 87
confisquées, et que leurs docteurs ou ministres publics
soient chassés, et renvoyés au lieu de leur origine; mena-
çant même de punir les magistrats qui négligeraient de
veiller à l'exécution de cette loi. Enfin , une constitution du
mois de juin 592 , condamne à une amende de dix livres
d'or par tête, les hérétiques qui auraient donné ou reçu l'or-
dination , voulant que le lieu où elle se serait faite soit con-
fisqué; toutefois, si le propriétaire a ignoré cette cérémonie
sacrilège, le locataire seul doit être puni de la flagellation
et de l'exil, s'il est de condition servile, et d'une amende de
dix livres d'or, s'il est de condition libre (\).
Plusieurs constitutions des empereurs Honorius et Théo- **■
dose le Jeune , déclarent les hérétiques en général , spécia- ^j™"^*
lement les Donatistes et les Manichéens, incapables de . le.Jeu".e}
; r Les hereliques
tout emploi et de tout droit civil , et sujets à toutes les . iiicaPables .
r ' J de tout emploi
peines portées par les constitutions précédentes (2). Une civil-
des plus remarquables est ceile qui fut publiée vers
l'an 407 , par Théodose le Jeune. « Nous punissons , dit-il ,
« les Manichéens et les Donatistes de l'un et de l'autre sexe ,
« comme le mérite leur impiété. Ainsi, nous ne voulons
« pas qu'ils jouissent des droits que la coutume et les lois
« donnent au reste des hommes. Nous voulons qu'on
« les traite en criminels publics, et que tous leurs biens
« soient confisqués ; parce que quiconque viole la reli-
(( gion établie de Dieu, pèche contre l'ordre public,
« De plus , nous ôtons à tous ceux qui seront convaincus
(1) « In hœreticis erroribus, quoscumque constiterit vel ordinasse cleri-
« cos, vel suscepisse officium elericorum, dénis libris auri viritim muletan-
« dos esse censemus; locum sanè in quo vetita lentantur, si connivenlia
« domini patuerit, lisci nostri viribus aggregari. Qnôd si id possessorem
«ignorasse constiterit, conductorem ejus lundi , si ingenuus est, decem
« auri libras fisco nostro inferre praecipimus; si servili ibece descendens ,
« csesus fustibns, deportatione damnabitur. •» Cod. Theod., ibid., n. 21. Les
dix livres d'or, dont il est ici question, valent environ 11,500 francs de
notre monnaie, en supposant les principes établis par Paneton, pour l'éva-
luation des anciennes monnaies. ( Voyez ci-dessus la note 1 de la page 63.)
(2) Cod. Theod., ibid., n. 42, etc. — Fleury, Hist. Ecoles., t. v, liv. xxii,
n. 8, 15, 18, 26, 27 ; liv. xxiv, n. 54.
88 INTRODUCTION.
« de ces hérésies , la faculté de donner, d'acheter , de vendre
« et de faire aucun autre contrat Nous voulons aussi
« qu'on regarde comme nulle leur dernière volonté , en
« quelque manière qu'ils l'aient déclarée , soit par testa-
« ment, soit par codicille, soit par lettre ou autrement; et
« que leurs enfants ne puissent se porter pour leurs héri-
« tiers, s'ils ne renoncent à l'impiété de leurs pères (\). »
Une autre loi du même empereur ordonne que les Ma-
nichéens soient chassés des villes , et punis du dernier
supplice , comme coupables des derniers excès de scéléra-
tesse (2).
64. L'empereur Marcien , successeur de Théodose le Jeune ,
Lois , t î î -n L •
de Marcien, ne se montra pas moins sévère a regard des Eutychiens,
Confirmant et j . , .. _
renouvelant depuis qu ils eurent ete condamnes par le concile de Cal-
cédente». cédoine (5). Par un premier édit , publié au mois de fé-
vrier 452 , il leur défendit de disputer publiquement sur la
religion , sous peine, pour les clercs, de déposition ; pour les
magistrats civils , de privation de leurs charges ; et pour
les simples particuliers , d'être chassés de Constantinople ,
et punis selon leurs mérites. Ce premier édit ne suffisant
pas pour arrêter certains esprits inquiets et turbulents ,
le même prince en publia , quelques mois après , un autre
(1) « Manichaeos, seu Manichseas, vel Donatistas, mérita severitate perse-
« quimur. Huic ergo hominum generi nihil ex moribus, nihil ex legibus sit
« commune cum cseteris. Ac primum quidem volumus esse publicum cri-
« men; quia quod in religionem divinam committitur, in omnium fertur
« injuriant; quos bonorum etiam omnium publicatione persequimur
« Praeterea, non donandi, non emendi, non vendendi, non postremô con-
« trahendi, cuiquam convicto relinquimus facultatem Ergo et suprema
« illius scriptura irrita sit , sive testamento , sive codicillo , sive epistolâ, sive
« quolibet alio génère reliquerit voluntatem , qui Manichaeus fuisse convin-
« citur; sed nec filios hasredes eis existere aut adiré permittimus, nisi à pa-
« ternâ pravitate discesserint. » Cod. Justin., lib. i, tit. v, n. 4.
(2) « Ariani, Macedoniani,... et qui ad imamusque scelerum nequitiam
«■ pervenerunt Manichœi, nusquàm in Romanum locum conveniendi mo-
« randique babeant facultatem; Manichaeis etiam de civitatibus pellendis, et
« ultimo supplicio tradendis; quoniam his nihil relinquendum loci est, in
« quo ipsis etiam elementis fiât injuria. » Cod. Justin., lib. i, tit. v, n. 5. —
Fleury, Hist. Ecoles., t. v, liv. xxiv, n. 54.
(3) Fleury, Hist. Eccles., t. vi, liv. xxvm, n. 34.
INTRODUCTION. 89
beaucoup plus sévère , qui défendait aux Eutychiens d'or-
donner des évêques, des prêtres ou d'autres clercs, sous
peine de bannissement et de confiscation pour ceux qui au-
raient fait ou reçu l'ordination (4). Le même édit leur dé-
fend de s'assembler ou de bâtir des monastères , sous peine
de confiscation des lieux , et de diverses punitions pour les
propriétaires ou locataires. Enfin, il est encore défendu
aux Eulychiens , par cet édit, de rien recevoir par testa-
ment , d'exercer aucun emploi public , de demeurer à
Constantinople ou dans aucune métropole ; les clercs et les
moines du monastère d'Eutychès doivent être chassés du
territoire de l'empire ; les livres de la secte doivent être
brûlés ; les prédicateurs de sa doctrine , punis du dernier
supplice, comme perturbateurs de l'État; et leurs disciples,
condamnés à une amende de dix livres d'or.
Justinien, non content d'insérer dans son Code ces diffé- 65.
rentes constitutions , en publia de nouvelles , pour expli- Mes de
o î • tvt i »•» Justinien, dans
qner et confirmer les anciennes. Nous avons déjà remarque son code et t
il J J *-• r i «i i ..ses Novelles.
celle du mois de mars 54 1 , qui place les quatre conciles
généraux parmi les lois de V empire (2). Par une consé-
quence naturelle de ce principe , plusieurs autres constitu-
tions infligent des peines sévères à tous les hérétiques sans
exception , comme transgresseurs des lois de l'État. Nous
remarquerons en particulier une loi de Justinien, conçue en
(1) « Nulli Eutychiani vel Apollinaristœ publiée vel privalim convocandi
« cœtus, vel cireulos contrahendi, et de errore haeretico disputandi, ac per-
te versitatem facinorosi dogmatis asserendi tribuatur facilitas. Nulli etiam
«. contra venerabilem Chalcedonensem synodum liceat aliquid vel dictare
« vel scribere, vel edere atque emittere, aut aliorum dicta vel scripta super
« eâdem re proferre. Nemo hujusmodi habere libros, et sacrilega scriptorum
« audeat monumenta servare. Quôd si qui in his criminibus fuerint depre-
« hensi , perpétua deportatione damnentur. Eos verô qui , discendi studio
« adierint de infaustâ haeresi disputantes, decem librorum auri, quae fisco
«■ nostro inferendae sunt, jubemus subire dispendium. Ultimo etiam suppli-
« cio coerceantur, qui illicita docere tenta verint. » Cod. Justin., lib. i
tit. v, n. 8. — Concil. Chalcedon., part, m, n. 12. (Labbe, Concil. t r/
p. 868.)
(2) Yoyez ci-dessus, p. 65, note 2.
90 INTRODUCTION.
ces termes : « Nous déclarons infâmes à perpétuité , déchus
« de leurs droits, et condamnés au bannissement , tous les
« hérétiques des deux sexes , de quelque nom qu'ils soient ;
« voulant que leurs biens soient confisqués sans espérance
« de retour , et sans que leurs enfants puissent prétendre à
« leur succession ; parce que les crimes qui attaquent la
« majesté divine sont infiniment plus graves que ceux
(( qui attaquent la majesté des princes de la terre. Quant
« à ceux qui seront notablement suspects d'hérésie, s'ils ne
« démontrent leur innocence par des témoignages convena-
it blés , après en avoir reçu l'ordre de l'Eglise , qu'ils soient
« aussi regardés comme infâmes, et condamnés au bannisse-
« nient (4). » En conséquence de ces différentes lois , Jus-
tinien ordonne , dans une de ses Novel les , qu'à l'avenir,
tous les gouverneurs de province , avant d'entrer dans l'exer-
cice de leurs charges, prêteront à l'empereur un serment de
fidélité, dans lequel ils déclareront expressément, qu'ils
sont en communion avec V Église catholique, promettront
de ne jamais rien faire contre elle, et de réprimer de tout
leur pouvoir les entreprises de ses ennemis (2). Ce fut
aussi en conséquence de ces lois, que Justinien donna au
patriarche d'Alexandrie, vers l'an 540, une pleine autorité
sur les ducs et les tribuns de l'Egypte , pour éloigner de ces
(1) « Omnes bœreticos utriusque sexûs, quocumque nomine censeantur,
« perpétua damnamus infamià , diffidamus atque bannimus : censentes ut
« omnia bona talium confiscentur, nec ad eos ulteriùs reverlantur : ita quod
« filii eorum ad successionem eorum pervenire non possint ; ciim longé gra-
« vins sit œternam quàm temporalem offendere majestatem. Qui autem
« inventi fuerint solàsuspicione uotabiles, nisi, ad mandatum Ecclesiaajuxta
« considerationem suspicionis , qualitatemque personse , propriam innocen-
« tiam congruâ purgatione monstraverint , tanquàm infâmes et bauniti ab
« omnibus babeantur. » Codex Justin. , lib. i, tit. v, n. 19. Pour l'explica-
tion des mots diffidamus et bannimus, voyez le Glossaire de Ducange.
(2) «juroego, per Deum omnipotentem, et Fiiiumejus unigenitiim Dominum
« nostrum Jesum Christum, et Spiritum sanctum, et per sanctam gloriosam
« Dei genitricem , et semper virginem Mariam, etc. . . Communicator sum
«■ sanctissimee Dei catbolicœ et apostolicae Ecclesiae; etnullo modo vel tem-
« pore adversabor ei; nec alium quemcumque permitto ( ei adversari),
« quantum possibilitatem babeo; etc. » Justiniani Nov. 8 (ad calcem Cod.
Justin.)j
INTRODUCTION. 91
emplois les hérétiques , et mettre à leur place des catho-
liques (4).
Les dispositions du droit romain n'étaient pas moins 66.
. . T , Dispositions
sévères contre les sacrilèges et les apostats. JNous n en- particulières
trerons point ici dans le détail des lois publiées contre 5J/77^cûes
eux ; elles ne font guère que leur appliquer les peines dé- aP0S
cernées contre les hérétiques (2). Nous remarquerons seu-
lement que les lois étaient beaucoup plus sévères à l'égard
de ceux qui usaient de séduction ou de violence pour en-
traîner les fidèles dans l'apostasie. Une constitution publiée
en 455., par les empereurs Théodose le Jeune et Valenti-
nien III , décerne contre ce crime la peine capitale (5).
Tous ces détails peuvent servir à corriger ces assertions 67>
échappées à la plume de quelques écrivains modernes : romeainrs0i,';vi,
« Que les princes chrétiens , et surtout l'Eglise, ont eu surCdans'nl'
« pour règle constante , de n'employer que les armes de la 'X&iens'de*
« persuasion, contre l'erreur qui n'emploie que celles du rai- alll^oJei^ge.
« sonnement; que la secte des Priscillianistes est la pre-
« mière contre laquelle le bras séculier se soit armé du
« glaive ; que, depuis le milieu du cinquième siècle , il
« n'est plus question des lois impériales, en Occident, con-
« tre les hérétiques (4). » Il résulte au contraire des témoi-
gnages et des faits que nous avons cités : \° que, depuis la
conversion de Constantin, les peines temporelles ont été
employées, par les empereurs chrétiens, contre tous les
hérétiques sans exception , quoiqu'on ait toujours traité
(1) « Accepit (patriarcha Alexandrinus ) ab imperatore potestatem super
« ordinationem ducum et tribunorum, ut removeret haîreticos, et pro eis
« orthodoxos ordinaret. » Liberati Breviarium., cap. 23. (Labbe, Concilio-
rum t. v, p. 777.) — Fleury, Hist. Ecclésiast., t. vu, liv. xxxm, n. t.
(2) Cod. Justin., lib. i, tit. vu. — Digest., lib. xlviii, tit. xm. — Fleury,
Hist. Eccl., t. iv, liv. xvm, n. 27 ; liv. xix, n. 32.
(3) «Eum qui servum sive ingenuum invitum, seu suasione plectendâ (i. e.
« culpabili et punie rida ) ex cultuchristianae religionis in neiandam sectam
« ritumve transduxefit, cum dispendio fortunarum capite puniendum esse
« censemus. » Cod. Justin., ibid., n. 5.
(4) Bergier, Dict. Theol., article Hérétique (édit. de 1816), p. 14 et 15. —
Duvoisin, Essai sur la tolérance, p. 357. — Affre, Essai historique,
p. 370 et 372.
92 INTRODUCTION.
avec beaucoup plus de sévérité les hérétiques séditieux et
turbulents , particulièrement les Donatistes et les Mani-
chéens ; 2° que depuis le milieu du ve siècle, et même
longtemps après , les lois impériales contre les hérétiques
ne furent pas moins en vigueur en Occident qu'en Orient.
En effet , la plupart des lois que nous avons citées, sur cette
matière, font partie du Code Théodosien, publié en 458,
par Théodose le Jeune ; or, il est certain et généralement
reconnu que ce Code, qui était en vigueur dans toutes
les provinces de l'empire d'Occident où les peuples bar-
bares s'établirent depuis le milieu du ve siècle , continua d'y
être observé, du moins par les anciens habitants, longtemps
après ces établissements. Les nouveaux souverains en per-
mirent généralement l'usage aux peuples conquis (4) ; ce
fut même dans cette vue qu'Alaric II , roi des Visigoths ,
publia, en 506, avec le consentement des évêques et des
seigneurs de ses Etats , un abrégé des lois romaines , qui
fut presque aussitôt adopté dans la plupart des nouvelles
monarchies, et dans lequel on retrouve toutes les dispositions
du Code Thêodosien contre les hérétiques (2). Ces disposi-
tions furent même étendues, dans la suite, à tous les sujets
des nouvelles monarchies , sans distinction de Romains et
(1) Thomassin, Traité des édits,t. i, ch. 30, n. 2 et 3. — Jacques Gc~
defroy, Prolegom. ad Cod. Theodos., cap. 3. — Terrasson, Hist. delà Ju-
risprudence Rom. , 3e partie, § 8 ; 4e partie, § 1. — Canciani, Barbarorum
Leges antiquœ, t. i, Prœf., p. 13, : iv, Prœf. in codicem Legis Roma-
nce , et in Wisigoihorum leges. — Heineccius , De origine et progressu
Juris Germ., lib. n, cap. 1. — Savigny, Hist. du Droit Rom., 1. 1, ch. 3
et suiv.
(2) Il semble étonnant, au premier abord, qu'Alaric II, qui était arien
avec tout son peuple, ait donné force de loi aux constitutions impériales qui
défendaient, sous des peines sévères, la profession de l'arianisme, comme de
toutes les autres hérésies. On ne peut cependant douter de ce fait, clairement
établi par le texte même du Code des Lois romaines, publié par Alaiic.
( Cod. Theodos. lib. xvi, tit. v, n. 6, 8, 1 1, etc.) Cette conduite paraîtra moins
étonnante, si l'on se rappelle qu'à l'époque où ce prince publia son code, il
ne prétendait pas l'imposer aux Visigoths, mais seulement le reconnaître
comme la loi romaine , d'après laquelle se gouvernaient les anciens habi-
tants des provinces qu'il avait conquises,
introduction. '93
de Barbares. Dans tous ces États, l'hérésie fut générale-
ment regardée comme un délit aussi contraire à l'ordre
public et au bien de la société, qu'à l'honneur de Dieu et
de la religion. Elle était réprimée avec tant de sévérité, que,
pendant plusieurs siècles , ses partisans ou ses fauteurs
n'osaient se montrer , et qu'à peine en trouve-t-on quelques
exemples en Angleterre , en France et en Espagne , depuis
la conversion de ces royaumes à la foi catholique , jusqu'à
la fin du ixe siècle (\ ). Un hérétique opiniâtre , aussitôt
qu'il était découvert, était poursuivi par l'autorité des deux
puissances, et retranché de la société, comme un membre
gangrené ; l'exil ou la prison perpétuelle était la peine or-
dinaire de son impiété. Ainsi furent traités , en France ,
vers l'an 659, un hérétique monothélite, et quelques au-
tres novateurs qui cherchaient à pervertir le peuple (2).
Les mêmes moyens avaient été employés en Angleterre ,
vers le milieu du ve siècle , pour y extirper les restes du
pélagianisme (5). Les précautions, à cet égard, n'étaient
pas moins grandes en Espagne , comme on le voit en par-
ticulier par le troisième canon du sixième concile de To-
lède , qui oblige le souverain à promettre avec serment,
entre autres conditions, dans la cérémonie même de son élec-
tion, de ne point souffrir d'hérétiques dans ses États (4).
(1) Thomassin, Traité des édits , 1. 1, ch. 57, n. 2 ; t. n, ch. 13, n. 1, etc.
— Lingard, Antiquités de l'Église Anglo-saxonne , ch. vi, p. 226. —Daniel,
Hist. de France, t. iv, p. 153.
(2) Fleury, Hist. Eccl., t. vin, liv. xxxvn, n. 40. —Hist. de l'Église Gal-
licane , t. m, année 639.
(3) Bède, Hist. Ecclés., lib. i, cap. 21. — Fleury, ibid., t. vi, liv. xxvu,
n. 7.
(4) « Quisqnis succedentium temporum regni sortitus fuerit apicem, non
« antè conscendat regiam sedem, quàm, inter indiqua conditionum sacra-
« menta, pollicitus fuerit, non permissurum eos (subditos) violare fidem
« (catholicam).» Concilium Toletanum vi, cap. 3. (Labbe, Conciliorum
tom. v.)
Au lieu de ces mots : inter reliqua conditionum sacramenta, pollicitus
fuerit, une autre leçon porte : inter reliquas conditiones, sacramtnto
pollicitus fuerit; ce qui offre absolument le môme sens. Ce décret du sixième
concile de Tolède fut renouvelé dans le huitième, tenu en 653, et qui entre
94 INTRODUCTION.
La loi des Visigoths , alors en vigueur en Espagne , entre ,
à ce sujet , dans un détail remarquable : on y défend ex-
pressément, à toutes sortes de personnes, de rien avancer
contre la foi catholique et les définitions des anciens Pè-
res; tous les violateurs de cette loi, clercs ou laïques, sont
dépouillés à perpétuité de leur état, de leurs dignités et
de leurs biens ; et s'ils refusent opiniâtrement de se con-
vertir, ils sont de plus condamnés à un exil perpétuel (\).
La législation de tous les États chrétiens de l'Europe , au
moyen âge, offre de semblables dispositions, comme on
peut s en convaincre , soil par le texte même des lois alors
en vigueur, soit par les témoignages de plusieurs conciles,
tant généraux que particuliers , dont les décrets , sur cette
matière , ont été publiés en présence et avec le consentement
exprès ou tacite des princes (2). Les décrets du troisième
et du quatrième concile de Latran , que nous aurons bien-
tôt occasion de citer, fournissent, à cet égard, un témoi-
dans un plus grand détail, sur les conditions dont le roi doit jurer l'observa-
tion, dans la cérémonie de son inauguration. (Concil. Tolet. vin, can. 10.)
(1) «Nullus itaque cujuslibet gentis aut generis homo , contra sacram
« et singulariter unain catholicae veriiatis iîdem, quascumque noxias disputa-
cc tiones, eamdem iidem impugnans , palàm pertinaciter aut constanter vel
« proférât, vel proferre çilenter (i. e. clam) attentet Nullus antiquorum
« Patron»; impugnationibus suis, sacras definitiones iirumpat Nàm quae-
« cumque persona in cunctis istis vetitis extiterit deprehensa, ex quâ-
« cumque religionis potestate.vel ordine fuerit, amisso loci et dignitatis or-
« dine, perpetuo reatu eiït obnoxius, rerum etiam cunctarum amissione
« mulctatus. Si verè ex laïcis extiterit, bonore solutus et loco, omni rerum
« erit possessione nudatus ; ita ut omnis transgressor sanctionis istius, aut
« œterno exilio mancipatus intereat, aut divinà miseratione respeclus, à prse-
« varicatione convertatur et vivat. » Lex Wisigothorum , lib. xn, tit. 2,
n° 2. On trouve la Loi des Visigoths dans le tome iv du Recueil des His-
toriens de France, publié par D. Bouquet; et dans le tome îv du recueil
publié par le P. Canciani, sous ce titre : Barbarorum Leges antiquœ. Ve-
netiis, 5 vol. in-fol.
(2) Décrétai, lib. v, tit. vu. On peut voir l'analyse de ce titre des Décré-
tâtes, dans les Lois Ecclésiastiques de France, par de Héricourt, page 148.
— Pour le développement de la discipline du moyen âge, sur ce point, voyez
Alph. de Castro, De justâ hœreticorum punitione, lib. u, cap. 5-13. —
Van-Espen, Jus Ecclesiast. univ., tom. u, part, ni, tit. iv, cap. 2, n° 41, etc.
— Bossuet, Defensio Declar., lib. iv, cap. 3. — De Héricourt, Lois Eccïés.
de France, lre partie, chap. xxiv.
INTRODUCTION. 95
gnage décisif, et qui nous dispense de multiplier les cita-
tions du même genre, comme il serait aisé de le faire (1).
En terminant cet exposé de la législation romaine en es.
faveur de la religion chrétienne, depuis la conversion de des princes
„ ... . , | i insuffisante
Constantin, il ne sera pas inutile de remarquer, que la pour soutenu-
protection généralement accordée à l'Église , depuis cette nécessité âe
, . . , , . . . - l'assistance
époque, par les princes chrétiens, ne lui a pas rendu moins divine.-
nécessaire l'assistance divine, qui seule avait pu la soute-
nir pendant trois siècles de persécutions. On se tromperait,
en effet,, si l'on attribuait à la protection des princes, et à
leurs édits en faveur de la religion chrétienne , la conser-
vation de l'Église, depuis la conversion de Constantin. 11
est vrai que cette protection fut souvent avantageuse à l'É-
glise, en la soutenant contre les attaques de l'hérésie, du
schisme et de l'impiété , quelquefois même en favorisant son
établissement chez les nations infidèles. Toutefois, il est cer-
tain qu'elle eut souvent à souffrir, de la part des princes
hérétiques ou fauteurs de l'hérésie, qui, poussés par un
zèle aveugle, tournèrent contre l'Église elle-même les lois
publiées d'abord pour sa défense. C'est ce qu'on vit en
particulier à l'occasion des hérésies d'Arius, d'Eutychès,
et de plusieurs autres, qui causèrent de si grands troubles
dans l'empire. Constantin lui-même , qui s'était d'abord si
hautement déclaré contre l'arianisme , condamné par le con-
cile de Nicée, se laissa séduire par les Ariens, vers la fin
de sa vie, au point de consentir à la condamnation et à
l'exil de saint Athanase (2). Constance son fils, s'étant laissé
entraîner dans le même parti , le protégea ouvertement par
ses édits et par ses violences contre les catholiques (5).
VHènotique de Zenon en faveur des Eutychiens (4), YEc-
these d'Héraclius et le Type de Constant en faveur du
(1) Voyez ci-après, 2e partie, chap. 2, art. 1, n. 87, etc.
(2) Fleury, Hist. Ecclés.; tome m, liv. xi, n. 55, etc.
(3) Fleury, ibid., liv. xm et xiv.
(4) Fleury, ibid., tome vi, liv. xxix, n. 53, etc.
96 INTRODUCTION,
monothélisme (4) , l'édit de Justinien en faveur de la secte
des Incorruptibles, rejeton de celle des Eutychiens (2), et
plusieurs autres faits également célèbres dans l'histoire,
montrent combien l'Église eut souvent à se plaindre , même
des princes dont elle devait naturellement attendre plus de
protection.
A la persécution du schisme et de l'hérésie, se joignit
encore plus souvent celle des vices et des scandales, qui
amenèrent, à diverses époques , de funestes relâchements
dans les mœurs et la discipline ; en sorte que , depuis la
conversion de Constantin comme auparavant, l'Église n'a
cessé d'être en butte à des attaques qui devaient naturelle-
ment la détruire , si elle n'eût été conservée par la puis-
sance divine. Née au milieu des miracles, elle s'est soutenue
par un miracle continuel , et il a fallu que Dieu la fît triom-
pher de tous les obstacles que le monde n'a cessé d'opposer
à sa conservation. «A peine, dit Bossuet, commençait-elle
«à respirer par la paix que lui donna Constantin; et voilà
« qu'Arius, ce malheureux prêtre, lui suscite de plus grands
« troubles qu'elle n'en avait jamais souffert. Constance, fils de
« Constantin, séduit par les Ariens, dont il autorise le dogme,
« tourmente les catholiques par toute la terre ; nouveau
« persécuteur du christianisme, et d'autant plus redoutable,
« que, sous le nom de Jésus-Christ, il fait la guerre à
«Jésus-Christ même. Pour comble de malheurs, l'Église,
« ainsi divisée , tombe entre les mains de Julien l'Apostat ,
« qui met tout en œuvre pour détruire le christianisme , et
« n'en trouve point de meilleur moyen que de fomenter les
« factions dont il était déchiré. Après lui vient un Valens,
« autant attaché aux Ariens que Constance , mais plus
« violent. D'autres empereurs protègent d'autres hérésies
« avec une pareille fureur. L'Église apprend par tant d'ex-
(1) Fleury, Hist. Eccl, tome vin, liv. xxxviii, n. 21, etc., et 45, etc.
(2) Fleury, ibid., tome vu, liv. xxxiv, n. 8 et 9.
INTRODUCTION. 97
« périences, qu'elle n'a pas moins à souffrir, sous les em-
« pereurs chrétiens, qu'elle n'avait souffert sous les empe-
« reurs infidèles ; et qu'elle doit verser du sang pour
«défendre, non-seulement tout le corps de sa doctrine,
« mais encore chaque article particulier. En effet, il n'y en a
« aucun qu'elle n'ait vu attaqué par ses enfants. Mille
« sectes et mille hérésies sorties de son sein se sont élevées
« contre elle. Mais si elle les a vues s'élever, selon les pré-
« dictions de Jésus-Christ, elle les a vues tomber toutes,
« selon ses promesses , quoique souvent soutenues par les
« empereurs et par les rois. Ses véritables enfants ont été,
« comme dit saint Paul , reconnus par cette épreuve : la
« vérité n'a fait que se fortifier quand elle a été contestée;
« et l'Église est demeurée inébranlable (\) C'est ce qui
« paraît dans toute la suite de son histoire; Le monde a
« menacé, la vérité est demeurée ferme : il a usé de tours sub-
it tils et de flatteries, la vérité est demeurée droite. Les héré-
« tiques ont brouillé, la vérité est demeurée pure. Les schismes
* ont déchiré le corps de l'Eglise, la vérité est demeurée
«entière. Plusieurs ont été séduits; les faibles ont été
« troublés; les forts mêmes ont été émus; un Osius, un
« Origène , un Tertullien , tant d'autres qui paraissaient l'ap-
« pui de l'Église , sont tombés avec grand scandale : la
« vérité est demeurée toujours immobile. Qu'y a-t-il donc
« de plus souverain et de plus indépendant que la vérité ,
« qui persiste toujours immuable , malgré les menaces et les
« caresses , malgré les présents et les proscriptions , malgré
« les schismes et les hérésies, malgré toutes les tentations et
« tous les scandales, enfin, au milieu de la défection de
« ses enfants infidèles, et dans la chute funeste de ceux-là
« même qui semblaient être ses colonnes (2) ?
(1) Bossuet, Hist. univ., 2e partie, chap. 21. (Tomexxxv des Œuvres,
pag.312.)
(2) Bossuet, Sermon sur la Divin, de la Relig., 1er point. (Tome xides
Œuvres, page 278.) On peut voir, à l'appui de ces réflexions, la Préface et
7
98 INTRODUCTION.
§ III. Biens et richesses du clergé pendant les premiers
siècles de l'Église, particulièrement sous les empe-
reurs chrétiens : saint usage qu'il en faisait (\).
„ 6 II faudrait être tout à fait étranger à l'histoire du premier
rÉPiîislperifni &8e ^e l'Église, pour ignorer le parfait détachement qu'elle
tivesurie inspirait généralement à ses enfants pour les richesses et les
renoncement lu i
aux biens grandeurs temporelles (2). Disciples d'un Dieu pauvre et
humilié , qui a constamment prêché , par ses discours et
par ses exemples , la fuite des honneurs , des richesses et
des plaisirs , les premiers chrétiens étaient généralement
ennemis du luxe et de l'éclat; ils n'estimaient d'autres biens
que la vertu et la piété ; ils mettaient leur perfection et leur
sûreté à vivre ignorés du monde et à l'ignorer ; bien plus ,
ils regardaient les honneurs et les biens de la terre comme
des obstacles à l'esprit de détachement dont ils faisaient hau-
tement profession (5).
la Conclusion de YEist. de l'Église, par Lhomond. — Feller, Catéch. Phi-
los., t m, n. 139. — Massillon, Sermon sur la vérité de la Rel. 1^ point.
(1er Jeudi du Carême.)
(1) Thomassin, Ancienne et nouvelle Discipline, t. m, liv. t chap. 1,
2, 3, 12. — De Héricourt, Abrégé du même ouvrage, 3e partie, chap. I.
— Noël Alexandre, Hist. Eccl. sœc. iv, cap. 5, art. 11 ; sœc. v, cap. 6,
art. 5; sœc. vi, cap. 6, art. 6. — De Héricourt, Lois Ecclés. de France;
Dissert, prélim. de la 2e et de la 4e parties. — Mnzzarelli, Dissertation sur
les richesses du clergé. — *Le même, Dissert, de origine et usu oblatio-
num, primitiarum et decimarum, in-12. — Dissert, sur la grandeur tem-
porelle de l'Église, dans le 1. 1 du Recueil de pièces d'histoire et de littéra-
ture (par l'abbé Granet et le père Desmolets ), Paris , 1731 , 4 vol. in-12.
— Bingham, Origines et antiquit. ecclesiasticœ , tom. h, lib. v, cap. 4. —
Mamachi , Del diritto lïbero delta Chiesa di acquistare e di possidere
béni temporali, si mobili che stabili, 5 vol. in-8°, Roma, 1769-70. —
Fleury, Mœurs des Chrétiens, n. 14 et 28. — Petit-Pied, Traité des droits
et des prérogatives des ecclés., lre partie — Bellarmin, De membris Ec-
clesice, lib. i, cap. 26. — Bonnaud, Réclamation pour l Église Gallicane,
contre l'invasion des biens ecclés., Paris, 1792, in-8°, p. 17-55. — Car-
rière, De Justitiâ et Jure, t. i, p. 137, etc.
(2) Duguet, Conférences ecclés., 30e dissertation. — Fleury, Mœurs des
Chrétiens, n. 11.
(3) Matth. v, 3 ; vi, 34 ; xix, 21 ; et alibi passim. — Act. h , 44, 45 ; iv,
34, 35. — Tertullien, De Pallio, cap. 5. — Saint Cyprien, Epist. 1, ad Do-
natum, (éditionde Rigault, p. 6.)— Origène, Contra celsum, lib. 8, n. 75.
{Operumt- i» p.« 798.)
INTRODUCTION. 99
Toutefois , quelque soigneuse que fût l'Église d'inspirer à
tous les fidèles cet esprit de détachement, il est certain qu'elle
ne regardait pas le renoncement extérieur et effectif aux biens
du monde comme absolument nécessaire à la perfection, même
par rapport aux ministres sacrés. Il suffirait , pour s'en con-
vaincre, de jeter les yeux sur les saints livres, que l'Église, dès
son origine, donnait aux fidèles comme la règle infaillible de
leur croyance et de leur conduite. Bien loin de représenter les
richesses comme incompatibles, par elles-mêmes, avec le ca-
ractère et la perfection des ministres sacrés, tous les livres
de l'Ancien Testament supposent le caractère et la perfec-
tion de ces derniers compatibles avec les plus grandes ri-
chesses. Melchisédech , Abraham, Isaac, Jacob, Moïse, et
plusieurs autres saints personnages, que l'Écriture nous pro-
pose comme des modèles achevés de perfection, étaient tout
à la fois rois et prêtres, princes et prophètes. Bien plus,
cette union des richesses avec le caractère des ministres sa-
crés, était constante et habituelle , sous la loi de Moïse, par
l'institution de Dieu lui-même , comme nous l'avons déjà
remarqué (\).
La pratique même des premiers siècles montre claire- » i°\
1 1 , l La pratique
ment que l'Eglise ne croyait pas les richesses inconipa- conformea.ee»
* u « * r principes.
tibles par elles-mêmes avec le caractère et la perfection des
ministres de la loi nouvelle. Un des plus touchants specta-
cles que nous offre l'Eglise naissante , est celui des pre-
miers fidèles , vendant leurs biens , et en abandonnant le
prix aux apôtres , sans leur en prescrire l'emploi (2) ; en
sorte qu'on vit dès lors la première de toutes les Églises ,
gouvernée par les apôtres eux-mêmes, et qui devait servir
de modèle à toutes les autres, posséder un fonds de richesses
considérables , destiné à l'entretien des pasteurs et du peu-
ple fidèle.
Dans les Eglises où cette communauté de biens n'était
(1) Ci-dessus, p. 6, n. 6.
(2) Act. Il, 44, 45; iv, 34, etc.
7.
1 00 - INTRODUCTION.
pas établie , les mêmes principes de religion et d'équité
naturelle , qui avaient attiré de si grandes richesses aux
ministres sacrés chez tous les anciens peuples, ne tardè-
rent pas à procurer de pareils avantages aux ministres de la
religion chrétienne. Telle est la véritable origine des dîmes,
des prémices, des offrandes, des quêtes ordinaires et ex-
traordinaires, que nous voyons en usage dès le temps des
apôtres , et au moyen desquelles plusieurs Eglises particu-
lières étaient en état de procurer des secours abondants, non-
seulement aux pauvres de leur territoire, mais encore aux
Églises étrangères qui éprouvaient de plus grands be-
soins (\). Saint Justin et Tertullien parlent des quêtes qui
se faisaient régulièrement, tous les dimanches, dans l'as-
semblée des fidèles, et qui donnaient aux païens eux-mê-
mes la plus haute idée de la charité des chrétiens (2).
Les Canons Apostoliques distinguent deux sortes d'offran-
des alors en usage : les unes en blé , raisin , huile et en-
cens, se faisaient à l'autel ; les autres , composées de lait, de
légumes et d'animaux , se portaient à la maison de l'évêque,
qui devait en faire part aux diacres et aux autres clercs (5).
Saint Irénée, saint Cyprien, et tous les auteurs ecclésiasti-
ques de cette époque, insistent fortement sur l'obligation
de faire à l'Église ces sortes d'offrandes , non-seulement par
un motif de charité et de compassion pour les pauvres ,
mais par un motif de justice envers les ministres sacrés , qui
se dévouent au service des saints autels (4).
(1) Act. xi, 29; 1 Cor. xvi, 1. 2 Cor. tiii et ix. Gai. vi, 6; et alibi
passim.
(2) Saint Justin, Apologia i (aliàs n ) ; vers la fin. — Tertullien , Apo-
loget., cap. 39. Nous croyons inutile de citer le texte même de ces auteurs,
et des autres que nous allons indiquer sur le même sujet. On peut voir le
recueil de ces textes dans les ouvrages de Thomassin et de Muzzarclli que
nous avons cités plus haut (page 98, note lre).
(3) Can. Apost. 3, 4, 5.
(4) Saint Irénée, Adv. Hœres., lib. iv, cap. 34. — Saint Cyprien, Epist.
lib. i, ep. 9. — Idem, De unitate Eccl. ; versus finem. — Constit. Apost.
lib. n, cap. 25 et 35 ; lib. vu, cap. 29. — Origène, Homil. xi in Numéros.
{Operum t. n.) — Fleury, Hist. Ecoles., tom. n, liv. ix, n. 19.
INTRODUCTION. 1 01
Au moyen de ces différentes contributions , chaque Eglise 71-
. u • Richesses
faisait un fonds plus ou moins considérable , pour la subsis- de
1 quelques
tance des pauvres , pour l'entretien des clercs , et pour les Église»
, . pendant les
antres dépenses relatives au culte divin. L'histoire de la per- persécutions,
sédition excitée en Afrique par Maximien Hercule , en 505,
peut donner une idée de la richesse des Églises à cette épo-
que. Les actes de cette persécution nous apprennent que
Paul , évoque de Cirthe en Numidie , remit entre les mains
des magistrats de cette ville deux calices d'or , six calices
d'argent, six burettes d'argent , une aiguière d'argent (4),
Pour l'intelligence de la doctrine des saints docteurs, sur cette matière ,
il est important de remarquer que le précepte de l'ancienne loi qui ordon-
nait de payer aux prêtres les dîmes et les prémices, appartenait en partie
au droit naturel et en partie au droit positif. Il appartenait au droit
naturel , en tant qu'il prescrivait au peuple de pourvoir à l'entretien des
ministres sacrés ; mais il appartenait au droit positif , en tant qu'il dé-
terminait la manière de remplir cette obligation naturelle. Sous ce dernier
rapport seulement, le précepte de l'ancienne loi est abrogé dans le Nouveau
Testament ; mais sous le premier rapport il oblige encore les chrétiens.
De là vient que les saints docteurs parlent du précepte de la dîme , tantôt
comme d'un précepte aboli dans le Nouveau Testament, tantôt comme d'un
précepte encore en vigueur. Saint Ëpiphane (/Tœrcs. vm, cap. 6), et
saint Jean Chrysostome (Ho%il. lxxiv in Math.) parlent dans le pre-
mier sens ; Origène (Homil. xi in Numer. ) et quelques autres parlent
dans le second , que saint Jean Chrysostome lui-même suppose en quel-
ques endroits de ses écrits ( Orat. v adv. Jud. ). On peut consulter là-des-
sus, saint Thomas. 2. 2. quœst. 8t>, art. 4 ; quœst. 87, art. 1. — Thomassin,
Ancienne et nouvelle Discipline, t. in, liv. i, chap. 9, n. 13. — Van-Espen,
Jus. Eccles. univer., parte 2, tit. 33, n. 1, etc. — Bellarmin, bon-
trov. de Clericis., cap. 25. — Muzzarelli, Dissert, de origine et usu obla-
tionum primitiarum et decinxarum. — Cotelier, note sur les Constitu-
tions Apostoliques, lih. n, cap. 35. — Le père Delarue, Bénédictin, dans
son édition d'Origène ( ubi suprà), a reproduit textuellement cette note de
Cotelier , dont nous donnons ici la substance. Elle peut servir à corriger
quelques assertions exagérées de l'abbé Bonnaud, sur cette matière , dans
son ouvrage intitulé : Réclamation pour V Église Gallicane , contre l'in-
vasion des biens ecclésiastiques et V abolition de la dîme , Paris, 1792,
in-8°, p. 100-163.
(1) Le mot cucumellum , qu'on lit ici dans le texte, signifie proprement
un vase en forme de concombre ou de coloquinte (cucumis colocynthis ),
ce qui désigne assez clairement une aiguière. On sait, en effet, que \ ai-
guière était dès lors en usage dans les cérémonies du culte chrétien, comme
elle l'avait été dans celles du culte païen. Nous sommes étonné que Fleury
ait rendu ce mot par celui de chaudron, dans le passage que nous expli-
quons ici.
102 INTRODUCTION.
sept lampes du même métal , et plusieurs autres meubles
précieux, destinés au service de l'Église (4).
Outre les oblations volontaires , en argent , en denrées et
autres objets mobiliers , l'Église possédait encore des biens-
fonds, dans le temps même des persécutions. Les empe-
reurs païens le souffraient pour l'ordinaire, et protégeaient
même quelquefois ces propriétés, contre l'injustice et la
violence des usurpateurs (2). Les dernières persécutions
ayant souvent donné lieu à ces sortes de violences, Cons-
tantin 6t rebâtir magnifiquement les églises que la fureur
des païens avait détruites , et ordonna de restituer au clergé
les maisons , les possessions , les champs , les jardins et
autres biens dont il avait été injustement dépouillé (5).
Parmi toutes les églises du monde, celle de Rome était
une des plus riches , et en même temps des plus célèbres
par ses libéralités (4). Longtemps avant Constantin , elle
était en état de fournir à l'entretien d'un grand nombre de
clercs, de veuves, de vierges et de pauvres. Elle envoyait
(1) Les actes qui nous apprennent ces détails se trouvent dans les An-
nales de Baronius (anno 303, n. 6, etc. ) , et dans le t. n des Miscellanea
de Baluze. — Voyez aussi Fleury, Hist. Eccl., t. h, liv. vin, n. 40.
(2) Lampride , dans la Vie d'Alexandre Sévère, cite un exemple remar-
quable de cette conduite modérée de quelques empereurs païens : « Cùm
« christiani quemdam locum qui publicus fuerat occupassent, contra popi-
« nariidicerentsibi eum deberi, rescripsit (imperator) melius esse ^que-
ce modôcumque illic Deus colatur , quàm popinariis dedatur. » Lampride,
Vita Alex. Sev. (Hist. Aug.scrip.; Lugd.fiatav., 1671, in-8°, tom. i,
p. 1003.)
Eusèbe, dans son Histoire Ecclés., cite plusieurs autres faits du même
genre, à l'appui de notre assertion. Voyez en particulier, lib. vu, cap. 30.
— Fleury, Hist. Eccl., t. n, liv. vin, n. 8.
(3) « Omnia ergo quae ad ecclesias rectè visa fuerint pertinere , sive do-
« mus acpossessio sit, sive agrï, sive horti, seu quaecumquealia, nullojure
« quod ad dominium pertinet imminuto , sed salvis omnibus atque integris
« manentibus, restitui jubemus. » Eusèbe, Vita Constant., Mb. n, cap. 39.
Voyez aussi les chap. 21, 36 et 41 du même livre. — Idem , Hist. Eccl., lib.
vni, cap. 1 et 2 ; lib. x, cap. 5, etc. — Fleury, Hist. Eccl., tom. h, liv. îx,
n. 46; t. m, liv. x,n. 2 et 40.
(4) Outre les auteurs cités plus haut (p. 98, note 1), voyez Alban
Butler, Vie des Pères, 10 août. — Fleury, Hist. Eccl., t. n, liv. 7, n. 39.
— Saint Ambroise, De Officiis, lib. n, cap. 28. — Prudence, Hymn. 2 de
Coronâ.
INTRODUCTION. 103
même des secours abondants aux fidèles des provinces les
plus éloignées , jusqu'en Syrie et en Arabie (\). Elle avait
aussi des ornements et des vases fort riches , pour la célé-
bration des saints mystères , des calices d'or et d'argent
relevés en bosse , et garnis de diamants; enfin, des riches-
ses assez considérables , pour tenter la cupidité des persé-
cuteurs, comme on le voit en particulier par l'histoire du
martyre de saint Laurent (2).
Il résulte évidemment de tous ces faits , que , dans ces
premiers temps , où l'Eglise était généralement pauvre , et
du vivant même des apôtres, quelques églises particu-
lières possédaient beaucoup plus de biens qu'il ne leur en
fallait pour satisfaire à leurs propres besoins ; qu'elles étaient
assez riches, non-seulement pour entretenir un grand nom-
bre de ministres sacrés , mais encore pour célébrer avec
pompe le culte divin , pour faire des aumônes abondantes,
et pour venir au secours des églises lointaines, qui avaient
par elles-mêmes moins de ressources.
Mais l'accroissement des biens ecclésiastiques, dans tou- 7».
.1 *• - ï u-A f 1 h î Accroissement
tes les parties de 1 Eglise, devait naturellement être un des des biens
, , j , , ~ . , . ecclésiastiques
premiers résultats de la conversion de Constantin , et de la depuis ia
,.,, , , , p ' ,. , . T„ . . conversion d«
liberté accordée a 1 Eglise par ce grand prince. L histoire Constantin.
nous apprend en effet que sa munificence ne se montra nulle
part avec tant d'éclat, que dans ses libéralités envers l'E-
glise. On ne peut lire sans étonnement les détails que nous
ont transmis, à ce sujet, les auteurs contemporains, et parti-
culièrement Eusèbe, le plus ancien de tous, et le plus à
portée de connaître les faits qu'il rapporte. Dans toutes les
parties de l'empire , principalement à Rome , à Constan-
tinople , à Jérusalem , et dans tous les lieux saints de la
Palestine, Constantin fit bâtir des églises magnifiques,
et leur assigna des revenus considérables , n'épargnant rien,
soit pour la beaulé des édifices, soit pour la richesse des
(1) Eusèbe, Hist. Eccl., Iib. iv, cap. 23; lib. vu, cap. 5.
(2) Voyez la note 4 de la page précédente.
104 INTRODUCTION.
ornements et des vases sacrés, soit pour l'entretien du
clergé , et pour le soutien des différentes œuvres de charité
que le zèle des pasteurs et la piété des fidèles leur faisaient
entreprendre (1). L'année même où il publia, de concert
avec Licinius, l'édit qui autorisait l'exercice public de la
religion chrétienne , il résolut de faire des largesses considé-
rables aux églises. On peut en juger par la lettre qu'il
écrivit en particulier à Cécilien , évêque de Carthage , et
dont voici la teneur (2) : « Ayant résolu de donner quel-
« que chose pour l'entretien des ministres de la religion
« catholique, dans toutes les provinces d'Afrique, de Nu-
« midie et de Mauritanie , j'ai écrit à Ursus , trésorier
« général d'Afrique , et je lui ai donné ordre de vous faire
« compter trois mille bourses (5). Quand vous aurez reçu
(1) Eusèbe, Hist. Eccl., lib. x ; cap. 6. — Idem, Vita Constantini ,
lib. i, cap. 43; lib. m/cap. 26, 41, 50; lib. iv, cap. 58; et alibi passim.
Voyez aussi Joan. Ciampini, De sacris œdificiis'à Constantino Magno con-
structis; Romœ, 1693, in-fol.
(2) Eusèbe*, Hist. Ecclés., lib. x, cap. 6. — Fleury, Hist. Ecclés. t t. m,
lib. 10, n. 2.
(3) Il serait difficile, et peut-être impossible, de déterminer aujourd'hui la
valeur des trois mille bourses ( cpoXXetç ) dont il est ici question. Voici ce
que nous croyons pouvoir établir de plus vraisemblable sur cette matière,
qui a beaucoup exercé les savants.
Sous Constantin et ses successeurs, le mot follis désignait trois sortes de
monnaies , ou de valeurs, savoir : 1° une monnaie de cuivre, autrement ap-
pelée nummus ou tetrassarion, valant 4 assarions, c'est-à-dire, selon Pauc-
ton, environ 1 sou et demi de notre monnaie; 2° le follis militaire , c'est-à-
dire une bourse contenant 175 deniers; 3° enfin le balantion, autre espèce
de bourse, contenant 250 deniers.
On convient généralement que le follis dont il est question dans la lettre
de Constantin, n'est pas le tetrassarion ; une si petite valeur eût été mani-
festement insuffisante pour remplir le but que l'empereur se proposait dans
cette lettre. Il n'est guère plus vraisemblable qu'il ait voulu parler du fol-
lis militaire, dans une lettre adressée à un évêque, sur un objet d'admi-
nistration civile. Le follis dont il est ici question est donc vraisemblable-
ment le balantion, valant 250 deniers. Ainsi l'entendent Fleury (Hist. Eccl.,
t. m, liv. x, n. 2 ), D. Ceillier ( Hist. des Auteurs eccl., t. iv, p. 151 ), et la
plupart des critiques.
En supposant avec Paucton que le denier, sous Constantin et ses succes-
seurs , valait environ quinze sous 1/2 de notre monnaie, le follis dont il est
ici question valait environ 195 livres tournois ; et les 3,000 bourses, 585,000
livres tournois. Fleury et D. Ceillier, attribuant au denier une valeur beau-
coup moins considérable, réduisent la somme des trois mille bourses à
INTRODUCTION. 105
(i cette somme ; faites-la distribuer à tous ceux que j'ai dit,
« suivant l'état qu'Osius vous a envoyé. Si vous trouvez
« qu'il manque quelque chose pour accomplir mon in-
« tention , vous ne devez point faire difficulté de le de-
« mander à Héraclidas , intendant de mon domaine ; car je
« lui ai donné ordre de vous compter sans délai tout l'argent
« que vous lui demanderiez. »
L'histoire de cette époque nous offre plusieurs traits éga-
lement remarquables de la libéralité de Constantin envers
les églises. Saint Àthanase nous apprend que ce prince avait
ordonné aux magistrats de l'Egypte , de fournir annuelle-
ment au patriarche d'Alexandrie une quantité considéra-
ble de froment , pour le soulagement des veuves d'Egypte
et de Libye (4). Théodoret ajoute que le même prince
donna à toutes les églises une certaine quantité de mesures
de froment, pour l'entretien du clergé, des veuves, des
vierges et des pauvres ; que Julien l'Apostat ayant révoqué
ce don , son successeur , qui ne pouvait le rétablir en en-
tier, en rendit d'abord le tiers ; et que, par ce tiers, dont les
églises jouissaient encore au temps de Théodoret , on pou-
vait juger de l'incroyable libéralité de Constantin (2).
Anastase le Bibliothécaire, dans les Vies des Papes, qu'il a 73.
i i»i p#»i i) v i i« j n-ri i* Ses libéralités
publiées au ixe siècle, a après les archives de 1 Eglise ro- envers
maine , fait un dénombrement bien plus étonnant des of- LSë/
fraudes faites, par ce grand prince, aux églises de cette ville,
et à quelques autres églises d'Italie (5). « Sous le pontificat
300,000 livres tournois. Voyez Paneton , Métrologie , p. 424 et 765. — Du-
cange, Dissert, de Nummis imperii C. P. n. 90, etc. ; à la suite du Glos-
sarium infîmœ Latinitatis. — Pétau, Dissert, de Folle (à la suite des Œu~
vres de saint Épiphane).
(1) Saint Athanase, Apologia defugâ, n. i8.— Epist. ad Solitar., n. 31 ;
(Operumi. i, parte 1.)
(2) Théodoret, Hist. Eccl., lib. i, cap. 11; lib. iv, cap. 4. — Sozomène,
Hist., lib. i, cap. 8; lib. v, cap. 5.
(3) Anastase, Vita S. Silveslri. — Fleury, Mœurs des Chrétiens, n. 50.
— Hist. Ecclés., t. m, liv. xi, n. 36.
Fleury suit ici l'édition d'Anastase, qui se trouve dans la collection des
Conciles du père Labbe (t. i, p. 1409). Mais il est bon de remarquer que,
106 INTRODUCTION.
« de saint Silvestre, dit-il, Constantin éleva dans Rome, et
« dans plusieurs autres villes d'Italie , un grand nombre de
« basiliques , et les décora magnifiquement. Voici les prin-
« cipaux ornements dont il enrichit la Basilique Constan-
« tinienne (\ ) :
« \° Un baldaquin d'argent (2) , sur le devant duquel on
« voit une statue du Sauveur assis dans un siège , haute
« de cinq pieds (5), et pesant cent vingt livres. On y voit
« aussi les douze apôtres , avec des couronnes sur la tête en
« argent très-pur , chacune de cinq pieds , et pesant qua-
« tre-vingt-dix livres. Par-derrière, est une autre statue
« du Sauveur, assis sur un trône , et regardant Vabside (4).
depuis cette édition , il en a paru d'autres plus correctes et plus estimées.
Nous citerons, entre autres, celle de Bianchini (Romœ, 1718, 4 vol. in-fol.),
et celle de Muratori , dans le t. m du Rerum Italicarum scriptores ( Me-
diolani, 1723, in-fol. ). Nous avons corrigé , en quelques endroits , le texte
du père Labbe, d'après ces dernières éditions.
(1) La Basilique Constantinienne , qui porte aujourd'hui le nom de
Saint- Jean-de-Latran , était située auprès du palais de Latran, ancienne
résidence des empereurs , que Constantin donna au pape Miltiade et à ses
successeurs. Il paraît que ce palais, avec ses dépendances, fut le premier pa-
trimoine du saint-siége. Baronii Annales , anno 312, n. 80, etc. — Lebeau,
Hist. du Bas- Empire , t. i, liv. n, n. 29. — Ciampini, De sacris œdificiis
a Constantino constructis, Romœ, 1693, in-fol.
(2) Le texte d'Anastase porte f as tiyium. Il serait difficile de déterminer
le sens précis de ce mot , que Ducange lui-même n'a pas cru pouvoir déter-
miner. ( Lexicon infimœ Latinit., article Fastigium. ) Fleury croit qu'il
s'agit d'un tabernacle (Mœurs des Chrétiens, n. 50). Mais la description
que l'ait Anastase de l'ornement dont il s'agit, le poids qu'il lui attribue, les
dimensions qu'il lui suppose , nous portent à croire qu'il s'agit plutôt d'un
baldaquin, placé au fond du chœur, ou au-dessus du maître-autel. Tel est
en effet le sens que plusieurs savants auteurs donnent ici au mot fastigium
(voyez, entre autres, Macii, Hierolexicon, seu Dictionarium sacrum ;
verbo Fastigium) ; et cette explication a été insérée dans ie Dictionnaire de
Ducange par ses nouveaux éditeurs (édition de 1733). Quoi qu'il en soit de
cette explication , Anastase nous apprend, dans la Vie du pape Sixte III, que
l'ornement dont il est ici question, ayant été enlevé par les Barbares dans le
siècle suivant, fut rétabli par Valentinien III, à la prière de ce pontife.
(Labbe, Concil., t. m, p. 1258.) Toutefois, il paraît, d'après le récit du même
auteur, que l'ornement autrefois donné par Constaniin ne fut pas rétabli
dans sa première magnificence; car le fastigium donné par Valentinien III
ne pesait que 1610 livres, tandis que celui de Constantin pesait 2025 livres.
(3) Le pied romain valait environ 11 pouces 1/2 de notre pied de roi.
Voyez Paucton, Métrologie, p. 129 et 758.
(4) Le mot abside se prend en divers sens dans les auteurs du moyen âge.
INTRODUCTION. 107
« Cette statue, haute de cinq pieds, est du poids de cent
« quarante livres. Auprès d'elle , sont quatre anges d'ar-
« gent , hauts de cinq pieds , et pesant chacun cent cin-
« quante livres. Le baldaquin entier pèse deux mille vingt-
« cinq livres (4).
« 2° Un lustre d'or très-pur , orné de quinze dauphins,
« et pesant vingt-cinq livres , avec la chaîne qui le tient
« suspendu sous le baldaquin.
« 3° Quatre candélabres , en forme de couronnes , d'or
« très-pur , ornés de vingt dauphins , et pesant quinze li-
ce vres chacun.
« h° La voûte de la basilique, dorée dans toute sa fon-
ce gueur , qui est de cinq cents pieds.
« 5° Sept autels d'argent , pesant chacun deux cents li-
vres.
« 6° Sept patènes d'or, de trente livres chacune.
« 7° Seize patènes d'argent , de trente livres chacune.
« 8° Sept coupes d'or très-pur, de dix livres chacune.
« 9° Une autre coupe de métal , parsemée d'or, ornée de
« corail, d'émeraudes, et d'hyacinthes, et pesant vingt livres
« trois onces.
« A0° Vingt coupes d'argent de quinze livres chacune.
« \\° Deux vases sacrés d'or très-pur, de cinquante li-
ce vres chacun, et contenant chacun trois médimnes (2).
« 42° Vingt autres vases sacrés en argent, pesant cha-
« cun dix livres, et contenant chacun un médimne.
Il signifie généralement, en matière d'architecture, un cintre ou une voûte;
et il désigne, tantôt la voûte d'une église, tantôt le fond du chœur terminé
en demi-cercle, tantôt le siège de l'évêque placé en cet endroit. Il serait
difficile de dire le sens précis de ce mot, dans le texte d'Anastase : il serait
également difficile de déterminer la position respective des deux statues du
Sauveur dont il est ici question. On peut supposer que la première était
placée sous le baldaquin et adossée au mur; la seconde, au-dessus et sur le
derrière du baldaquin. Cette dernière pouvait regarder la voûte de l'église.
(1) Pour l'évaluation des différentes sommes dont parle ici Anastase, voyez
la note 2 parmi les Pièces justificatives, à la tin de ce volume.
(2) Il s'agit vraisemblablement ici du médimne attique, qui valait, selon
Paucton, six boisseaux attiques, et trois boisseaux et demi de Paris, ou
quarante-six pintes et demie. Voyez Paucton, ibid., p. 239, 263 et 757.
108 INTRODUCTION.
« 45° Quarante calices d'or] très-pur , d'une livre cha-
« cun.
« \à° Cinquante calices d'argent, de deux livres cha-
« cun.
« 4 5° Un lustre ou candélabre d'or très-pur, placé de-
« vant l'autel, orné de quatre-vingts dauphins, et pesant
« trente livres.
« 4 6° Un lustre ou candélabre d'argent, orné de vingt
« dauphins , et pesant cinquante livres.
« 47° Quarante-cinq lustres ou candélabres d'argent,
« placés dans la nef, et pesant chacun trente livres.
« ^8° Du côté droit de la basilique, quarante lustres ou
« candélabres d'argent , de vingt livres chacun.
« J9° Du côté gauche de la basilique , vingt-cinq lustres
« ou candélabres d'argent, de vingt livres chacun.
« 20° Cinquante autres lustres ou candélabres d'argent,
« placés dans la nef, et pesant chacun vingt livres.
« 21° Trois urnes d'argent très-pur, pesant chacune trois
« cents livres, et contenant chacune dix médimnes.
« 22° Deux encensoirs d'or très-pur, pesant chacun trente
« livres.
« Voici les principaux ornements du baptistère :
« 25° Une cuve de porphyre , couverte en dedans et en
« dehors d'une lame d'argent très-pur, du poids de trois
« mille huit livres.
« 24° Au milieu de la cuve, une colonne de porphyre,
« portant une lampe d'or très-pur, du poids de cinquante
« livres.
« 25° Sur le bord de la cuve , un agneau d'or très-pur,
« versant de l'eau , et pesant trente livres.
« 26° A droite de l'agneau , une statue du Sauveur , en
« argent très-pur, haute de cinq pieds, et pesant cent
<( soixante et dix livres.
« 27° A gauche de l'agneau , une statue de saint Jean-
« Baptiste en argent , tenant à la main une inscription ainsi
. INTRODUCTION. 109
« conçue : Voici V Agneau de Dieu , voici celui qui efface
« les péchés du monde. Cette statue , haute de cinq pieds,
« pèse cent livres.
« 28° Sept cerfs d'argent, versant de l'eau, et pesant
« chacun quatre-vingts livres (I).
« 29° Un encensoir d'or très-pur , du poids de dix li-
« vres, orné de quarante-deux pierres précieuses d'éme-
« raude ou d'hyacinthe. »
En réunissant tous les ornements d'or et d'argent dont
Anastase fait ici Pénumération, on voit qu'ils montaient à
six cent quatre-vingt-cinq livres d'or, et à douze mille
neuf cent quarante-trois livres d'argent, ce qui revient à
plus de \ ,700,000 fr. de notre monnaie, sans les façons (2).
Encore ne comprenons-nous pas, dans cette somme, l'or em-
ployé pour dorer la voûte de la basilique , longue de cinq
cents pieds.
Constantin assura de plus, à la même basilique et à son
baptistère, des revenus considérables en biens-fonds, situés
soit cà Rome et aux environs , soit en plusieurs provinces
éloignées (5). Tous ces biens-fonds, dont Anastase fait
l'énumération , procuraient à la basilique un revenu de
44,604 sous d'or, c'est-à-dire, environ 255,664 francs de
notre monnaie. L'empereur y ajouta une redevance annuelle
de 450 livres d'aromates, pour le service divin.
Outre ces offrandes, faites à la Basilique Constantinienne,
(1) Les cerfs placés dans le baptistère étaient un symbole du désir ardent
que les catéchumènes doivent apporter au sacrement de la régénération.
Cette expression symbolique est fondée sur ces paroles du Psaume 41 :
Quemadmodum desiderat cervus ad fontes aquariun, iia desiderat
anima mea ad te, Deus.
Fleury suppose, d'après le texte du P. Labbe, que chacun des cerfs dont
il est ici parlé pesait 800 livres. La leçon du P. Labbe paraît être une faute
d'impression; car elle ne se trouve dans aucun des manuscrits consultés par
Bianchini et Muratori.
(2) Voyez, à l'appui de ce calcul, la note 2 parmi les Pièces justificatives t
à la fin de ce volume.
(3) Voyez, sur cette matière, la xe Dissertation du P. Zaccaria, dans son
recueil intitulé : De Rébus ad hist. et antiquit. Eccl. pertineniibus (Fulgi-
niœ, 1781), t. H, p. 75, etc.
110 INTRODUCTION.
le même prince fit encore des dons considérables aux églises
de Rome qu'il avait bâties ou réparées, principalement à cel-
les de Saint-Pierre, de Saint-Paul, de Sainte-Croix de Jérusa-
lem , de Sainte-Agnès , de Saint-Laurent , de Saint-Pierre et
de Saint-Marcellin. Il ne se montra pas moins magnifique en-
vers une autre église de Rome, bâtie par saint Silvestre, et en-
vers les églises qu'il avait fait construire lui-même à Ostie, à
Albano, à Capoue et à Naples. Tous les ornements d'or et
d'argent donnés à ces différentes églises , formaient environ
les deux tiers de la somme des ornements donnés à la Ba-
silique Constantinienne . L'empereur assigna aussi à ces égli-
ses des biens-fonds considérables , situés soit à Rome et en
Italie , soit dans les provinces les plus éloignées , en Afrique,
en Asie , et jusque dans les provinces de l'Euphrate. Le re-
venu annuel des biens-fonds appartenant aux seules églises de
Rome, sans y comprendre celui de la Basilique Constanti-
nienne, s'élevait à 4 6,576 sous d'or, valant environ
262,016 francs de notre monnaie.
Tout ce détail a quelque chose de si prodigieux , qu'il a
donné lieu à quelques savants modernes, de soupçonner que
l'ancien auteur dont Anastase adopte ici le récit , avait attri-
bué à Constantin les offrandes faites à l'Église par ses
successeurs (4). Cette conjecture, selon la remarque de
Fleury , pourrait absolument être admise pour ce qui re-
garde les offrandes en or et en argent; mais il serait bien
difficile de l'admettre pour les biens-fonds, dont les titres
devaient s'être beaucoup mieux conservés (2).
(1) Fleury, Hist. Eccl, t. in, liv. ir, n.!36.— Mœurs des Chrétiens, n. SO.
(2) Faute d'avoir fait cette réflexion, Bingham va jusqu'à regarder comme
fabuleux tout ce récit d'Anastase , sous prétexte qu'il paraît être tiré d'un
opuscule faussement attribué au pape Damase (Bingham, Origines et anti-
quitates eccles. , t. m , lib. vm, cap. 7, § 5 ) ; mais cette supposition paraît tout
à fait insoutenable. Quelque soit l'ancien auteur auquel Anastase a emprunté
cette partie de son récit , on ne peut raisonnablement en contester la vérité ,
sur des objets que cet auteur décrit comme subsistant encore de son temps.
Aussi, l'opinion de Bingham, sur ce point, est-elle généralement abandonnée
des savants. Voyez ,' sur l'autorité de l'ouvrage d'Anastase , la Préface de
INTRODUCTION. 111
Au reste, quelque étonnant que soit le détail des libéra- 74.
'. • h Sources deces
lités qu Anastase attribue ici à Constantin, elles ne paraîtront libéralités.
.ié», . ,, , , i . Immenses re-
pas incroyables , si 1 on considère les sommes énormes dont venus
i- p i niS î- .de l'empire.
ce prince pouvait disposer en laveur de 1 Lglise , sans nuire
aucunement à l'État , et sans imposer à ses sujets aucune
charge nouvelle. Pour s'en former une idée , il suffit de re-
marquer quels étaient, à cette époque, les immenses revenus
de l'empire, et l'usage que les prédécesseurs de Constantin
avaient coutume d'en faire (1). On peut juger de l'un et de
l'autre par les dépenses excessives que les empereurs
païens avaient coutume de faire, non-seulement pour les
frais nécessaires du gouvernement , mais encore pour s'at-
tacher, à force de libéralités , le peuple et les soldats. « De-
« puis les guerres civiles , dit à ce sujet un écrivain ré-
« cent (2), l'ambition n'eut plus de frein , la corruption plus
« de retenue, la prodigalité plus de mesure. Une fois qu'on
« parvint à détacher le peuple romain du parti de la répu-
« blique , et à débaucher les armées par l'espoir du gain , la
« concurrence pour l'empire ne fut qu'une vente aux en-
« chères ; les généraux, pour régner sur le monde , en pro-
« mettaient la dépouille aux soldats et au peuple
« César donna quelquefois des métairies à ses soldats (5).
«Octave, dans les champs de Fhilippes, avait promis
« 5,000 drachmes par tête à tous les soldats romains ; et il
« y avait vingt-huit légions (4). Plus de cent soixante-dix
Bianchini. Cette Préface se trouve aussi dans le volume déjà cité de Mura-
tori. D. Ceillier en donne le résumé, dans le tome xixde i'Hist. des Auteurs
sacrés et ecclés.<, p. 419, etc.
(1) Naudet, Des Changements opérés dans l'administration de l'em-
pire romain sous Dioctétien , Constantin, etc., t. i, impartie, chap. i,
art. 2 et 3.
(2) Ibid. p. 177.
(3) Suétone, De XII Cœsaribus, lib. i. (P. 40 de ['édition de Leyde, 1662,
in-8°.)
(4) Appien, De Bello civili, lib. iv. — Juste Lipse, De Magnitud. Rom.t
lib. n, cap. 13. (T. m des Œuvres de Juste Lipse; édition d'Anvers, 1637 ,
4 v. in-fol.)
112 INTRODUCTION.
« mille hommes reçurent donc chacun environ 5,920
« francs de notre monnaie (1).
« Caliguîa , Néron , Didius Julien , Commode , et tous les
« tyrans qui voulaient gagner le cœur de la populace et des
«troupes, augmentèrent encore l'avidité et la corruption
« par leurs folies. Commode avait donné au peuple , en une
« seule fois, 725 deniers par tête, ou 2,900 sesterces, c'est-
« à-dire environ 568 francs de notre monnaie (2). Au temps
« d'Auguste, on comptait trois cent vingt mille citoyens nour-
« ris aux dépens du trésor public (5). Sévère se vanta d'a-
« voir surpassé les libéralités de tous les empereurs. Cara-
« calla dissipa, en trois jours, le trésor amassé par son père
« pendant dix-huit ans. On peut voir de plus amples dé-
« tails sur ces excessives profusions , dans l'ouvrage de Juste
« Lipse Sur la Grandeur des Romains (4). Les bons empe-
« pereurs étaient entraînés par l'usage, qui avait fait de la
« dissipation des deniers publics une nécessité. Depuis le
« règne de Claude, l'avènement d'un prince, une naissance,
« une adoption dans la famille impériale , les Décennales ,
« ou renouvellements de règne , qui se célébraient tous les
« dix ans, les victoires, les retours du prince dans la capi-
« taie , et d'autres circonstances qui se réitéraient plus ou
« moins souvent , étaient autant d'occasions où l'on ne pou-
« vait se dispenser de faire des largesses au peuple et aux
<r soldats, sans s'attirer leur haine, et sans exposer l'État à une
v révolution. »
(i) La valeur des 5,000 drachmes s'élève môme à 4,500"", en supposant,
avec Paucton, que la drachme, ou le denier romain, valait, à cette époque,
18 sous de notre monnaie (Paucton, Métrologie, p. 764.)
(2) Lampride, Viia Commodi (apud Hist. Aug. script., t. i, p. 519). Selon
Paucton, le denier romain , qui valait environ 18 sous de notre monnaie,
avant le règne de Claude ou de Néron, n'en valait plus que 16, depuis Néron
jusqu'à Constantin (Paucton , ibid., p. 764 et 765. ) Dans cette supposition,
les 725 deniers dont il est ici question valaient environ 580 <+ de notre mon-
naie.
(3) Juste Lipse, De Magnitudine Romand, lib. m, cap. 3. (T. m des Œu-
vres de Juste Lipse, p. 424, ire col.)
(4) Juste Lipse, ibid.., lib. n, cap. 12, 13, 14.
INTRODUCTION. 113
Ce que les auteurs du temps rapportent en particulier de
la magnificence, ou plutôt de la prodigalité, même des meil-
leurs empereurs , en fêtes , en festins et en spectacles , n'est
pas moins étonnant. «Auguste, dit l'auteur déjà cité (4),
« déclara lui-même, qu'il avait célébré vingt-quatre fois en
« son nom, et vingt-trois fois pour des magistrats absents ou
« pauvres, des jeux publics (2). Ce que Suétone, Dion Cassius
« et les écrivains de l'Histoire des Empereurs rapportent
« de la magnificence et des profusions de Caligula, de Néron,
« de Commode, d'Héliogabale, et des autres qui leur res-
« semblaient , est à peine croyable. Tous les jours de leurs
« règnes étaient partagés entre les cruautés et les fêtes. Des
« théâtres immenses , revêtus d'or et couverts de voiles de
« pourpre ; des multitudes de bêtes féroces, égorgées dans
« l'arène avec des traits et des lances garnis d'argent; desre-
« présentations de batailles navales, données sur des lacs rem-
« plis devin ; des loteries pour lesquelles on jetait au peuple
« des billets qu'il allait échanger aussitôt, l'un pour un cheval,
« l'autre pour un vase d'or, ou pour un habit précieux , ou
« pour une maison ; des tables somptueusement servies dans
« toutes les rues; enfin, tout ce que les caprices de l'oisiveté,
« l'insolence d'une richesse démesurée , les folies de la dissi-
« pation, le mépris de toute pudeur et de toute humanité,
« peuvent suggérer d'inventions extravagantes et bizarres,
« pour amuser un peuple sanguinaire-«et frivole , fut épuisé
« à Rome. Tous les jours, l'existence des provinces était sacri-
« fiée aux plaisirs de cette ville. Les abus étaient devenus des
« lois , et les excès des besoins. Qu'on lise dans Dion , dans
« Jules Capitolin, les énormes dépenses de Titus et de Marc-
« Aurèle, pour des jeux prolongés pendant des mois entiers;
« on jugera des mœurs du peuple romain , lorsque de tels
« princes étaient obligés de lui prodiguer de tels amuse-
(1) Naudet, ibid., p. 178 et 179.
(2) Suétone, De duodecim Cœsaribus , lib. n. (P. 225 de l'édition de Leyde,
in-8°.)
8
114 INTRODUCTION.
« ments ; on se fera , si l'on peut , une idée des profusions
« des empereurs , qui ne se croyaient maîtres du monde
« que pour satisfaire tous leurs désirs , et dissiper en folles
« dépenses les trésors arrachés aux nations. »
On voit, par ces détails, combien il était facile à Cons-
tantin et à ses successeurs de se montrer magnifiques envers
l'Eglise et ses ministres, sans imposer à leurs sujels aucune
charge nouvelle , et même en diminuant les anciennes . Les
réformes opérées dans le gouvernement par Dioclétien et Cons-
tantin, et bien plus encore les idées d'ordre et de convenance,
répandues par le christianisme dans toutes les parties de l'em-
pire, amenèrent insensiblement la diminution des abus dont
nous venons de parler, et permirent aux empereurs chrétiens
d'employer à des objets plus utiles les sommes immenses que
leurs prédécesseurs employaient à des profusions ridicules.
L'application faite aux églises de cette partie des revenus de
l'État était d'autant plus convenable , que , sans exiger au-
cune augmentation des charges publiques, elle tournait tout
à la fois au soulagement des pauvres et au soutien d'une
religion , qui, par son influence sur les mœurs publiques,
semblait destinée à régénérer la société tout entière.
75. Remarquons encore que les revenus de l'empire n'étaient
Autres sour- . _ ,
ces de pas , à beaucoup près , 1 unique source des libéralités de
richesses pour . , .
rÉgiise : Constantin envers 1 Eglise M). Il trouvait des ressources peut-
restitutions*, 111 ■
libéralités des être encore plus abondantes , soit dans les biens injuste-
fidèles etc.
ment confisqués pendant le temps des persécutions, et dont
les héritiers ne se trouvaient pas (2) ; soit dans les trésors
et les revenus des temples d'idoles , dont plusieurs possé-
daient d'immenses richesses (5) ; soit enfin dans les sommes
(1) Bingham, Origines sive Antiquitates eccl., 1. 11, lib. v, cap. 4.
Fleury, Mœurs des Chrétiens, n. 60. — Fleury, Hist. Eccl., t. m, liv. x,
n. 40; liv. xi, n. 36.
(2) Eusèbe, Vita Const., lib. 11, cap. 36.
(3) Voyez les détails que nous avons donnés sur ce sujet dans l'article 1er
de cette Introd. ( p. 10 ), et dans le n. 3 des Pièces justifie., à la fin de ce
volume.
INTRODUCTION. 115
considérables qui étaient auparavant destinées aux sacrifi-
ces , aux jeux et aux différentes cérémonies du culte
païen (I). Aussi est-il constant, par l'histoire , que les libé-
ralités de Constantin envers les églises , non-seulement ne
donnèrent lieu à aucune augmentation des charges publi-
ques, mais qu'elles n'empêchèrent pas ce prince de publier
des règlements très-agréables aux peuples , soit pour la di-
minution des impôts, soit pour mettre un frein à la rigueur
et à l'avidité des percepteurs (2).
Non contents de leurs propres libéralités , les empereurs
chrétiens encourageaient, parleurs édits, celles des simples
particuliers (5). Les lois romaines permettaient générale-
ment à ces derniers de disposer de leurs biens en faveur des
établissements publics et des communautés légalement au-
torisées (A). En vertu de ce principe , la loi avait reconnu,
de tout temps, les donations faites entre-vifs ou par testa-
ment aux temples et aux ministres des faux dieux (5). Il
était donc bien naturel que Constantin fît jouir l'Église et
ses ministres du même avantage. Aussi ne balança-t-il pas à
le faire par une loi qui autorisait, de la manière la plus for-
melle, tous les legs pieux en faveur de l'Église (6). Valenti-
(1) On a vu plus haut, que Gratien et Théodose avaient saisi et attribué
au fisc les revenus destinés à l'entretien des pontifes et du culte païen.
Ci-dessus, n. 43, 44, etc. — Voyez aussi Bingham, ubi suprà, § 10.
(2) Naudet , Des Changements opérés dans V administration de l'em-
pire, t. n, p. 207, 236, etc.
(3) Thomassin, Ancienne et nouv. Discipline , t. m, liv. i, chap. 18. —
De Héricourt, Abrégé du même ouvrage, 3e partie, chap. 2. — Idem, Lois
Eccl. de France, 4e part., p. 182, etc. — Bingham, Origines sive Antiquita-
tes eccl., t. ii, lib. v, cap. 4, § 5, etc.
(4) Digest., lib. xxx, tit. 1, n. 117 et 122; lib. xxxiv, tit. 5, n. 20. —
Domat, Lois civiles, 2e partie, liv. iv, tit. 2, sect. 2, n. 13.
(5) Digest., lib. xxxm, lit. 1, n. 20.
(6) Cette loi de Constantin se trouve dans le Code Théodosien (lib. xvi,
tit. 1, n. 4) et dans le Code Justinien (lib. i, tit. 2, n. 1), sauf quelques lé-
gères variantes, qui ne changent rien au fond de la loi. Voici le texte du
Code Justinien, qui semble plus clair et plus exact : «Habeat unusquisque
« licentiam sanctissimo, catholico, venerabilique concilio (i. e. sanctissimœ
« Ecclesiœ catholicœ) decedens bonorum quod optaverit relinquere; et
« non sint cassa judicia ejus. Nihil enim est quod magis hominibus debea-
8.
116 INTRODUCTION.
nien 1er restreignit, il est vrai, cette permission, en défen-
dant généralement aux clercs et à tous ceux qui faisaient
profession de continence, de rien recevoir des vierges et
des veuves , soit par donation entre-vifs , soit par testa-
ment (4) ; mais il y a tout lieu de croire que cette loi , bien
loin de porter aucun préjudice à l'Église, lui fut très-avan-
tageuse, en arrêtant le tort que lui faisait l'avarice de cer-
tains clercs, qui, par de honteux artifices, faisaient tourner à
leur avantage particulier les pieuses libéralités que les dames
romaines destinaient à l'Église (2). De semblables motifs
« tur, quàm ut supremse voluntatis, postquàm jam aliud velle non possunt,
« liber sit stylus. »
(î) « Ecclesiastici, aut ex ecclesiasticis (nati),ve\ qui continentium sevo-
« lu nt nomine nuncupari, viduarum ac pupillarum domos non adeant....
« Censemus etiam ut memorati (i. e. jam dictœ personœ) nihil de ejus mu-
« liens (viduœ scilicet, aut pupillœ) qui seprivatim, sub praetextu religio-
« nis, adjunxerint, liberalitate quâcumque, vel extremojudicio(i. e. ultime,
« voluntate) possint adipisci ; etomne in tantum ineflicax sit quod alicui
« horum ab bis fuerit derelictum , ut nec per subjeetam peisonam valeant
« aliquid, vel donatione, vel testamento, accipere.» Cod. Theodos., lib.xvi,
tit. 2, n. 20. — Fleury, Hist. Eccl. t. iv, liv. 16, n. 41 — D. Ceillier, Hist.
des Aut. eccl. , t. vin, p. 596.
Cette loi de Valentiuien Ier avait sans doute pour but de prévenir l'in-
discrétion ou la cupidité de certains clercs, qui pouvaient abuser de leur as-
cendant sur les vierges et les veuves, pour en obtenir des donations entre-
vifs ou par testaments. Toutefois saint Ambroise, parlant de cette loi, s'é-
tonne, avec raison, que le législateur pousse les précautions plus loin, en cette
matière, à l'égard du clergé chrétien qu'à l'égard des ministres du culte
païen. (Saint Ambroise, Epistol. xvm, ad Valentin. II, n. 12 — Fleury,
Hist. Eccl., t. iv, liv. xvm, n. 32.) Il était en effet assez peu convenable
que, sous un empereur chrétien, les ministres des faux dieux fussent
plus privilégiés, sur le point dont il s'agit, que les ministres de la véritable
religion. Aussi, la loi de Valentinien Ier fut-elle bientôt modifiée, et même en-
tièrement révoquée par ses successeurs, comme on va le voir un peu plus bas.
Un écrivain moderne , qui ne néglige aucune occasion d'invectiver contre
l'Église catholique, conclut de cette loi de Valentinien 1er, que la cupidité était
alors un vice presque caractéristique du clergé. ( Hallam, L'Europe au
moyen âge, t. m, p. 294.) Avec un semblable raisonnement, on pourrait
conclure, des différentes lois publiées par Valentinien et d'autres empereurs,
contre certains désordres propres à la magistrature, à l'état militaire ou à
d'autres états , que ces désordres étaient alors presque caractéristiques de
ces étals. Au reste, la suite des faits montrera de plus en plus l'injustice de
l'assertion de l'auteur anglais que nous venons de citer.
(2) Cette conjecture semble fondée sur ces paroles de saint Jérôme, dans
sa lettre à Népotien : « Non de lege conqueror, sed doleo cur meruerimus
INTRODUCTION. 117
paraissent avoir donné lieu à la loi de Théodose le Grand,
qui défend aux diaconesses de disposer, par testament , en
faveur de l'Église, des clercs ou des pauvres (\). On crai-
gnait sans doute que certains clercs , soit par esprit de cupi-
dité , soit par un zèle mal entendu pour le soulagement des
pauvres et des églises, n'usassent de captation, pour obtenir
des legs en faveur de l'Église, ou pour leur propre avantage.
Toutefois, une autre loi du même prince et de la même
année, corrige la sévérité de la première, en autorisant les
diaconesses à donner à l'Église , par donation entre-vifs ,
leurs esclaves, leurs biens meubles, et même , à ce qu'il pa-
raît, leurs biens-fonds (2). Enfin, l'empereur Marcien, ex-
pliquant ou modifiant les lois précédentes, permit générale-
ment aux veuves , aux vierges , et à toutes les personnes
consacrées à Dieu , de laisser leurs biens , par testament , à
l'Église, aux clercs et aux moines (5). Vers le même temps ,
«banc legem. Cauterium bonum est; sed quô mihi vulnus, ut indigeam
« cauterio?.... SU hœres, sed mater fdiorum , idest gregis sui, Ecclesia
« quae illos genuit, nutrivit et pavit; quid nos inserimus inter matrem et
« liberos? » S. Hieron. Epist. ad Nepotian. (Oper. t. iv, part. 2, p. 260.)
(1) «Si quando diem obierit (diaconissa), nullam Ecclesiam, nullum
« clericum, nullum pauperem scribat hseredes; careat namque viribus ne-
« cesse est, si quid contra vetitum, circa personas specialiter comprehensas
«(i. e. mode designatas) fuerit à moriente confectum. » Çod. Theod.,
lib. xvi, tit. 2, n.*27. — Fleury, Hist. Eccl., t. îv, liv. xcix, n. 24.
(2) «Legem quae diaconissis vel viduis nuper est promulgata, ne quis
« videlicet elericus , neve sub Ecclesiœ nomine , mancipia , supellecti-
« lem, prœdia (velut infirmi sexûs dispoliator ) invaderet, et remotis
« affinibus\ac propinquis, ipse, sub prœtextu catholicœ disciplinée, se
« ageret vivenlis hœredem, eatenùs animadvertat esse revocatam, ut de
« omnium chartis, si jam nota est,auferatur ; neque quisquam, aut litigator
« eâ sibi utendum, aut judex noveiit exequendum. » Cod. Theod., lib. xvr,
tit. 2, n. 28. Il y a ici quelques doutes sur l'article des biens-fonds. Le texte
de la loi, au lieu de prœdia, porte prœdam, leçon que plusieurs critiques
soutiennent véritable. — Flécnier, dans Y Hist. de Théodose , liv. iv, n. 17,
ne paraît pas avoir saisi le sens de cette loi : il faut le corriger d'après le
Commentaire de Godefroij sur cet article du Code Théodosien.
(3) Cette constitution de Marcien est la sixième de ses Novelïes, dans le
Recueil des Constitutions impériales, placées à la suite du Code Théodos. (Le-
gum Novell, iib. m, tit. 6. ) Elle fut depuis insérée dans le Code Justinien,
en ces termes : « Generalilege sancimus, sive vidua,sive diaconissa, vel virgo
« Deo dicata, vel sanctimonialis mulier, sivequocumque alio nomine religiosi
« honoris vel dignitatis fœmina nuncupata , vel testamento, vel codicillo
118 INTRODUCTION.
Pempereur Théodose le Jeune publia un édit également fa-
vorable au clergé, en attribuant aux églises et aux monastè-
res les biens des religieux et des clercs morts sans testament,
et sans laisser de proches parents (4). Cette disposition ne
faisait qu'étendre à l'Église une faveur dont jouissaient alors
plusieurs autres corporations, qui, d'après les lois, héritaient,
en pareil cas, de leurs membres défunts (2).
76- La piété des fidèles, secondée par les exemples et par les
Dîmes, pré- , , .
mices, <iona- édits des empereurs , augmentait de jour en jour les riches-
tions entre- l ' ° J J
vifs et ses du clergé, dans toutes les parties de l'empire. Quoique
par testament. ,,',, i p • • i
1 Eglise n eût fait, avant le vie siècle, aucun précepte formel,
pour obliger les fidèles à payer au clergé la dime et les pré-
mices de leurs biens, la plupart d'entre eux continuaient de
faire volontairement ces sortes d'offrandes, selon l'usage
établi dès le temps des persécutions (5). Les saints docteurs
insistaient souvent, dans leurs écrits et dans leurs exhorta-
tions publiques, sur les motifs de charité, et même de jus-
tice , qui devaient engager les fidèles à cette pratique (4).
Saint Jérôme, entre autres, expliquant ces paroles du Sau-
veur : Rendez à César ce qui appartient à César, et à
Dieu ce qui appartient à Dieu, dit expressément que ce
« suo (quod tamen aliâ omni jnris ratione munitum sit), Ecclesise, vel mar-
«tyrio (i. e. templo martyribus dicato), vel clero, vel monachio (i. e.
«. cœtui monachorum), vel paùperibus, aliquid vel ex integro vel ex parte,
« in quâcumque re vel specie , crediderit relinquendum , id modis omnibus
« ratum firmumque consistât ; sive hoc institutione , sive substitutione , seu
« legato aut fidei commisso per universitatem , seu speciali ; sive scriplâ
« sive non scriptâ voluntate fuit derelictum; omni in posterum, in hujus-
« cemodi negotiis, ambiguitate submotâ.» Cod. Justin., lib. i, tit. 2, n. 13.
(1) « si quis episcopus, aut presbyter, aut diaconus, aut diaconissa, aut
« subdiaconus, vel cujuslibet alterius loci (seu ordinïs) eleriens, aut mona-
« chus, aut mulier solitariae vitœ dedila. nullo condito testamento decesserit
« nec ei parentes utriusque sexûs , vel liberi, vel si qui agnationis cognatio-
« nisque jure junguntur, vel uxor extiterit, bona quae ad eum pertinuerint
« sacrosancta3 Ecclesise , vel monasterio cui 1 uerat destinatus , omnifariàm
« socientur. » Cod. Theodos., lib. v, tit. 3, n. 1.
(2) Godefroy, Comment, ad Cod. Theod. ,\ib. v, tit. 2, n. 1.
(3) Thomassin, Ancienne et nouv. Discipline, t. ni. liv. i, chap. 4 et
suiv. — De Héricourt, Abrégé du même ouvrage, 3e partie, chap. 1 et suiv.
— Van-Espen, Jus Eccl. univ., t. i, part. 2, tit. 33, chap. 1.
(4) Voyez, à ce sujet, la note 4 de la page 100.
INTRODUCTION. 119
qui appartient à Dieu, ce sont les dîmes, les prémices, et
les autres sortes d'offrandes en usage dans l'Eglise (1). On re-
marque la même interprétation des paroles du Sauveur,
dans un sermon attribué à saint Augustin, mais qui paraît
être plutôt de saint Césaire, ou de quelque auteur contempo-
rain de ce dernier (2). On ne peut douter de l'efficacité de
ces exhortations, à l'égard du plus grand nombre des fidè-
les ; Cassien suppose même que, de son temps, il n'y avait
pas moins d'empressement , parmi eux , pour offrir les
dîmes et les prémices aux monastères, que pour les offrir
à l'Église (5). Il y a tout lieu de croire que cette coutume
universelle de payer la dîme au clergé , donna lieu au pré-
cepte qu'on trouve généralement établi, à ce sujet, dans l'É-
glise latine , depuis le cinquième siècle (4).
Indépendamment de ces sortes d'offrandes , l'Église
voyait chaque jour augmenter ses revenus, depuis la con-
version de Constantin , par de nouvelles donations de biens-
fonds. Un grand nombre de personnes riches , et de la pre-
mière qualité , renonçaient à leur patrimoine , en faveur
de l'Eglise ou des monastères, au moment de leur conver-
sion, de leur eutrée dans la cléricature, ou dans l'état
monastique (5). D'autres se dépouillaient seulement en
partie pendant leur vie , et faisaient leur testament en fa-
veur de l'Église, ou de pieux établissements. Les évêques
surtout, et les autres ministres sacrés, se faisaient presque
toujours un devoir de disposer ainsi , non-seulement des
(1) « Eeddite quœ sunt Cœsaris Çœsari , id est, nummnm, tribntum
« et pecuniam ; et quœ sunt Dei Deo, décimas, primitias, et oblationes ac
« victimas sentiamus. » S. Hieron., Comment, in Matth., cap. 22. (Ope-
rum, t. iv, p. 105.)
(2) « Eeddite quœ sunt Cœsaris Cœsari , et quœ sunt Dei Deo. Majo-
« res nostri ideo copiis omnibus abundabant, quia Deo décimas dabant, et
« censum Csesari reddebant. » Saint Augustin, Operum, t. v; Append.,
« Serm. 86 ( aliùs 48 inter Quinquaginta) , n. 3.
(3) Cassiani Collât. 14, 21, etc.
(4) Voyez les auteurs cités dans la note 3 de la page précédente.
(5) Thomassin, ibid., liv. m, chap. 2 et 3.— De Héricourt, ibid.f 3e part,
chap. 15, n. 2.
120 INTRODUCTION.
biens qu'ils avaient pu acquérir au service de l'Église, mais
encore de leur patrimoine , lorsqu'ils n'avaient pas de pro-
ches parents (\). L'histoire de cette époque nous offre un
grand nombre de faits à l'appui de ces assertions : nous rap-
porterons seulement ici quelques-uns des plus remarquables.
L'impératrice Pulchérie , épouse de Marcien , non con-
tente d'avoir bâti et richement doté un grand nombre d'é-
glises , laissa , par son testament , à l'Église et aux pauvres ,
tous ses biens, qui ne pouvaient manquer d'être considé-
rables , après la faveur et l'autorité dont elle avait joui si
longtemps; et l'empereur Marcien ne fit aucune difficulté de
confirmer ces pieuses dispositions (2). Saint Ambroise', lors
de son élévation sur le siège de Milan, prit la résolution de se
dépouiller de tout, pour imiter la pauvreté de Jésus-Christ.
Dans cette vue, il distribua tout son argent à l'Église et aux
pauvres , et donna de plus à l'Église tous ses biens-fonds ,
dont il réserva seulement l'usufruit à sa sœur Marcel-
line (5). Saint Grégoire de Nazianze déclare, dans son tes-
tament, qu'il lègue tout son bien à l'Eglise, pour l'entretien
des pauvres du lieu (4). Saint Cyrille, patriarche d'Alexan-
drie, laissa, par son testament, une partie considérable de
ses biens à son successeur, en lui recommandant seulement
d'avoir soin de ses neveux (5).
La libérai* é ^e langage et les exhortations des saints docteurs , à cette
des fidèles ex- époque, suffiraient pour nous donner une grande idée de
(1) Thomassin, ibid., liv. h, chap. 38, etc. — DeHéricourt, ibid., chap. 13,
n. 1. Le P. Thomassin rapporte textuellement la plupart des témoignages
que nous allons citer en note, à l'appui des principaux faits qui établissent
notre assertion. Nous nous bornerons , pour abréger, à citer quelques textes
plus remarquables.
(2) Sozomen. Hist. Eccl., Mb. îx, chap. l.— . Theodor. Lect. Fragm. hist.f
lib. i, p. 552 (à la suite des Histoires deSozomène et de Socrate. )— Fleury,
Hist. Eccl., t. vi, liv. xxvhi, n. 42.
(3) Vita S. Ambros. à Pauline- ejus notario scripta , n. 3S (à la suite
des Œuvres de S. Ambroise). — Fleury, Hist. Eccl., t. iv, liv. xvii, n. 21.
(4) S. Greg. Oper. 1. 1, p. 924-928. — D. Ceillier, Hist. des Auteurs eccl.,
t. vu, p. 22.
(5) Concil. Chalced. act. 3, cap. 5. (Concil. t. îv, p. 405.)
INTRODUCTION. 121
la libéralité ordinaire des fidèles, et surtout des ministres citée par les
sacrés, envers les pauvres et envers l'Église. Salvien bldme des saims'doe-
hautement , en plusieurs endroits de ses ouvrages, la con-
duite des diacres, des prêtres, et surtout des évoques, qui,
n'ayant point d'enfants ou de proches parents, laissent leur
bien à des étrangers, plutôt que de le donner aux pauvres,
à l'Église, et à Dieu lui-même (4). Il blâme également les
vierges et les veuves, qui, n'ayant pas de proches parents, ne
laissent pas à l'Église une bonne partie de leurs biens. Il
exhorte même les personnes du monde qui ont des enfants à
faire de semblables dispositions, pour témoigner leur atta-
chement à la mère commune de tous les fidèles (2). Saint
Augustin recommande aussi aux riches qui ont plusieurs
enfants , de leur adjoindre Jésus-Christ , dans la per-
sonne des pauvres, en donnant à ceux-ci une portion égale
à celle qu'ils donnent à chacun de leurs enfants. « Si un
« père, dit-il, n'a qu'un enfant, qu'il regarde Jésus-Christ
« comme le second ; s'il en a deux, qu'il regarde Jésus-Christ
« comme le troisième ; s'il en a dix , qu'il regarde Jésus-
« Christ comme le onzième (5). » Il invite ailleurs ceux qui
perdent quelqu'un de leurs enfants, à donner aux pauvres la
portion de leur bien qu'ils destinaient à cet enfant (4). Saint
Jérôme adresse la même exhortation à un père riche et
puissant, qui avait perdu, en peu de jours, deux de ses filles :
(1) Salvien, Epist. adSalonium. (Biblioth. Patrum,t vm,p.38l,F.)
(2) Salv. Ad Eccl. cath. lib. ui,passim. Voyez surtout p. 394 , C.
(3) «Plané faciat quod sœpe hortatus sum; unum filium habet, putet
« Christum alterum ; duos habet , putet Christum tertium ; deeem habet,
« Christum undecimum faciat.» Saint Augustin , Serm. de diversis 355,
« (al. 49). (Operum, t. v.)
(4) « vivit filius tuus (scilicet, in altéra vitâ); interroga fidem tuam.
« Si ergo vivit filius tuus, quare iuvaditur pars ejus à fratribus ejus? Sed
« dices : Numquid rediturus est, et possessurus? Miltantur ergo illi quô
« prsocessit ille (scilicet, ad cœlum, mediante eleemosynâ). Ad rem suam
« venire non potest ; res ejus ad eum ire potest (ope eleemosynœ). Si in palatio
« militaret filius tuus, et amicus imperatoris lieret, et diceret tibi : Vende ibi
« partem meam, et mitte mini ; numquid haberes quod responderes? Modo
« cum imperatore omnium imperatorum, et cum rege regum est; mittô
« illi, etc. » Saint Augustin, Serm. 86 (aliàs 43), n. 10.
122 INTRODUCTION.
« Au lieu, dit-il, d'enrichir leur sœur du bien que vous
« leur destiniez, employez-le à effacer vos péchés, et à nour-
« rir les pauvres (4). »
78. Cependant , quelque pressantes que fussent , en ce genre,
Ils blâment . ., ... •>•!
les donations les exhortations des saints docteurs, on doit remarquer qu ils
excessives
ou indiscrètes, désapprouvaient et refusaient même les aumônes excessives
et indiscrètes, qui tournaient au détriment des familles , et
qui eussent excité leurs justes réclamations (2). Un homme
riche de Carthage, qui n'avait point d'enfants, et qui n'es-
pérait plus en avoir , avait donné tous ses biens à l'Église ,
ne s'en réservant que l'usufruit. Le donateur ayant eu de-
puis des enfants, Aurèle, évêque de Carthage, sans atten-
dre qu'on le lui demandât, rendit à ce donateur tout ce que
l'Église avait reçu de lui (5). Saint Augustin , qui rapporte
ce trait avec de grands éloges , montra , en plusieurs occa-
sions , le même désintéressement. Il refusait absolument les
héritages qui venaient plutôt de la colère d'un père contre
- ses enfants , que d'un sentiment de compassion envers les
pauvres; et il blâmait hautement les parents, qui, par une
charité mal entendue , dépouillaient entièrement leurs en-
(1) « Bona liberis pares, quae te ad Dominum praecesserunt; ut partes ea-
« rum non in divitias sororis proflciant, sed in redemptionem animas tuas,
« atquc alimenta miserorum. Haec monilia filiae tuae à te expetunt ; Iris
« gemmis ornari capita sua volunt. Quod periturum erat in serico, tili-
« bus pauperum tunicis servetur. Repetunt à te partes suas : junctae sponso,
« nolunt videri pauperes et ignobiles : propria ornamenta desiderant. » S. Hie-
ron. Epist. adJulian, 92 (aliàs 34). (Oper. tom. îv, parte 2% pag. 752.)
(2) Ce point est solidement établi par le P. Thomassin, Ancienne et nouv.
Discipline, tome m, liv. ier, chap. 17; chap. 20, n. 7. Nous croyons cependant
que l'auteur attribue sans fondement à Salvien d'autres sentiments sur cette
matière. Remarquez surtout le passage de Salvien que nous avons cité plus
haut, note 2 de la page précédente.
(3) « Quicumque vult, exhœredato filio,haeredem f'acereEcclesiam, quaerat
« alterum qui suscipiat, nonAugustinum : imô, Deo propitio, neminem in-
« veniat. Quàm laudabile factum sancti et venerandi episcopi Aurelii Car-
te thaginensis! Quomodô implevit eos omnes qui sciunt, laudibus Dei! Qui-
« dam enim, cùm iilios non habei et, neque speraret, res suas omnes, retento
« sibi usufructu, donavit Ecclesiae. Nati sunt ei filii; reddidit ei episcopus,
<( nec opinanti , quœ ille donaverat. In potestate habebat episcopus non red-
« dere , sed jure fori , non jure poli. » S. August. Serm. 355 (aliàs 49 de
diversis) n. 4.
INTRODUCTION. 123
fants et leurs proches parents, ou ne leur laissaient pas
une fortune convenable, eu égard à leur état. « Quiconque ,
« disait-il , veut déshériter son fils pour enrichir l'Église ,
« qu'il cherche un autre qu'Augustin pour accepter sa
« donation; ou plutôt, plaise à Dieu qu'il ne trouve per-
« sonne qui la reçoive (\)\ » Saint Jérôme, saint Ambroise,
saint Fulgence , et plusieurs autres saints docteurs , témoi-
gnent, par leur conduite et par leurs discours, le même es-
prit de modération et de désintéressement (2).
L'accroissement des richesses du clergé se faisait surtout 79.
,. . . . Richesses des
remarquer dans les églises patriarcales. Saint Jérôme , dans églises
patriarcales.
une lettre écrite à Pammachius , vers 1 an 400 , suppose
que l'Église de Jérusalem possédait alors des richesses et
des revenus considérables , par suite du nombreux con-
cours de pèlerins qui s'y rendaient continuellement , de
toutes les parties du monde (5). Les libéralités de saint
Jean l'Aumônier, patriarche d'Alexandrie , au vne siècle ,
et tous les détails de son administration , supposent égale-
ment que son Église avait alors des ressources immenses,
pour le soulagement des pauvres (4). A son avènement au
trône patriarcal , il trouva dans le trésor de son Église ,
huit mille livres d'or, qu'il s'empressa d'employer en
bonnes œuvres (5). Il se fit remettre, à la même époque,
(1) S. August, ibid.
(2) S. Hieron. Marcellœ epitaphium, seu Epist. 96, adPrincipiam. (Ope-
rum, tom. iv, parte 2, pag. 780.) — S. Ambros. Expos, in Lucam,\\b. vm,
n. 77 ( Oper. tom. 1 ). — Vita S. Fulgentii, per Ferrandum Diac, cap. 7,
(parmi les Œuvres de S. Fulgence). Tous ces témoignages sont cités par
le P. Thomassin, ubi suprà, chap. 17, n. 7.
(3) Saint Jérôme, dans une lettre à Pammachius, contre les erreurs de Jean,
évèque de Jérusalem, apostrophe ainsi ce prélat: «Tu, qui sumptibus abun*
« dans, et totius orbis religio, lucrum tuum est. » S. Hieron. Epist. 38
(aliàs 61), ad Pammachium. {Oper. tom. iv, 2e parte, pag. 314.)
Le P. Martianay, dans une note sur ce passage, fait la réflexion suivante:
« Vides locupletatos, tempore Hieronymi, sacerdotes, ex christianorum obla-
« tionibus, qui, religionis causa, Jerosolymam pergebant. » Ibid.
(4) Vita S. Joan., per Leontium. (Apud Boll., tom. uJanuar., pag 500.)
— Fleury, Hist. Eccl., tom. vm, liv. xxxvii, n. 11 et 12. — Thomassin, An-
cienne et nouvelle Discipline, tom. m, liv. m, chap. 30 ; chap. 18, n. 5.
(5) Voyez la note 3, parmi les Pièces justificatives» à la fin de ce vol.
1 24 INTRODUCTION.
un rôle des pauvres de sa ville épiscopale : il s'en trouva
plus de sept mille cinq cents, auxquels il fournissait cha-
que jour leur nourriture. Indépendamment de ces aumônes
journalières, le saint patriarche établit, en divers endroits
de son diocèse, des hôpitaux pour les étrangers, les vieil-
lards et les malades; et rien n'était épargné pour le sou-
agement des malheureux qu'on y recevait en foule. Sa
charité ne s'exerçait pas seulement sur les pauvres de son
diocèse et de sa province; elle fournissait encore aux be-
soins d'une multitude d'églises et de malheureux, en
Egypte et en Orient. Enfin , on peut juger par un seul trait
des richesses de l'Église d'Alexandrie à cette époque : elle
perdit , en un seul jour , sous le pontificat de saint Jean
l'Aumônier, treize vaisseaux de transport, qui portaient
chacun environ dix mille boisseaux de blé.
„. *°- , Toutes ces richesses étaient bien surpassées par celles de
Richesses de ri
l'Église romaine , que tous les fidèles du monde chrétien
vénéraient comme le centre de la catholicité. La plupart
des peuples éclairés des lumières de la foi , en étaient rede-
vables au zèle de cette Église, et des missionnaires qu'elle
leur avait envoyés ; ils conservaient avec reconnaissance le
souvenir d'un si grand bienfait , et regardaient le respect
pour le saint-siége comme le caractère distinctif d'un vrai
chrétien. Ce sentiment héréditaire parmi tous les enfants de
l'Église catholique se ranimait souvent dans les cœurs, à la
nouvelle des calamités que l'inondation des Barbares atti-
raient au saint-siége , et aux peuples d'Italie qui s'étaient
placés sous sa protection. Dans toutes les parties du monde
chrétien, les fidèles trouvaient honteux que le chef de la
religion , et le vicaire de Jésus-Christ sur la terre, fût exposé
aux incommodités du besoin, ou gêné dans son administra-
tion spirituelle , par les énormes sacrifices qu'il était obligé de
faire pour le salut du peuple confié à ses soins. Dans cette
vue , les princes et les peuples s'empressaient de manifester,
par de riches offrandes , leur profond respect pour le suc-
l'Eglise
romaine: ses
nombreux
patrimoines.
INTRODUCTION. 125
cesseur de saint Pierre , et de contribuer de leurs biens au
soutien et au gouvernement de l'Église universelle. De
là vinrent les grandes richesses du saint-siége, depuis la
conversion de Constantin. Dès la fin .du ive siècle, elles
étaient déjà si considérables, que Prétextât, sénateur ro-
main , étant désigné consul de Rome , disait agréablement
au pape Damase : Faites-moi évêque de Rome , et à Vins-
tant je me fais chrétien (A).
Mais rien ne donne une plus haute idée des richesses de
cette Église, depuis le ive siècle, que le nombre et l'étendue
de ses patrimoines , c'est-à-dire, des biens-fonds qu'elle
possédait dans toutes les parties du monde chrétien (2).
Les détails que nous avons donnés plus haut, d'après
Anastase le Bibliothécaire, sur la libéralité de Constantin
envers l'Église romaine , ne permettent guère de douter
qu'elle ne possédât , dès le temps de ce prince , un grand
nombre de biens-fonds en différentes provinces de l'em-
pire. En supposant même, ce qui n'est guère vraisembla-
ble, que l'ancien biographe , suivi sur ce point par Anas-
tase, ait pu se tromper sur la véritable origine de ces
patrimoines, il fallait du moins qu'à l'époque où cet au-
teur écrivait, ils appartinssent déjà depuis très-longtemps
à l'Église romaine, pour qu'on lût alors généralement
persuadé qu'elle les avait reçus de Constantin.
Quoi qu'il en soit de cette dernière question , les monu-
ments qui nous restent de l'histoire des Papes , depuis le
milieu du ive siècle , nous montrent le nombre des patri-
moines de l'Église romaine s'augmentant de jour en jour
(1) « Miserabilis Prœtextatus, qui designatus consul est mortuus, homo
« sacrilegus, idoloium cultor, solebat ludens beato papœ Damaso dicere :
« Facite me Romance urbis episcopum, et ero protinùs christianus. »
S. Hieron., Epis t. 38 (aliàs Gl), ad PammacMum. (Oper. tom. îv,
parte 2,pag. 310.)
(2) On peut consulter, sur cette matière, ladixième Dissertation du P. Zac-
caria, dans le tome n, page 68, du recueil intitulé : De rébus ad Hist. et
Antiquit. Ecoles, pertïnentibus Dissertationes. Fulginiœ, 1781, 2 vol.
in-4°.
126 INTRODUCTION.
par les libéralités des princes et des peuples. « Toutes les
« vies des Papes, ditFleury, depuis saint Silvestre , et le
«commencement du ive siècle jusques à la fin du ixe,
« sont pleines des présents faits aux églises de Rome par
« les papes, par les empereurs et par quelques particuliers;
« et ces présents ne sont pas seulement des vases d'or et
« d'argent , mais des maisons dans Rome, et des terres à
« la campagne , non-seulement en Italie , mais en diverses
« provinces de l'empire (1).» Il serait aisé de montrer,
par une multitude de témoignages , la vérité de cette
assertion. Il nous suffira de rappeler à ce sujet quelques
faits plus remarquables, et tirés des monuments les plus
authentiques.
On voit, par les lettres de saint Grégoire le Grand, que ,
de son temps , l'Église romaine avait des patrimoines consi-
dérables , non-seulement en plusieurs endroits de l'Italie ,
mais en Dalmatie , en Sicile , en Sardaigne , en Corse , en
Espagne, dans les Gaules , en Afrique , et en plusieurs au-
tres provinces (2). Parmi ces patrimoines, les uns étaient
des biens-fonds , dont l'Église romaine percevait le revenu ;
d'autres étaient de véritable seigneuries , qui embrassaient
quelquefois des villes et des provinces entières, et dans les-
quelles le Pape exerçait, par le moyen de ses officiers,
tous les droits d'un seigneur temporel (5). Le nombre de
(i) Fleury, Mœurs des Chrétiens, n. 50. — Zaccaria, ubi suprà, cap. 2
et seqq. — Hallam, Y Europe au moyen âge, tome m, page 296
(2) S. Gregorii Vita,per Joann. Diac., lib. n, cap. 53, 55, etc. — Ejus-
dem Vita recens adornata ( auctore D. de Sainte-Marthe) , lib. m, cap. 9,
n. 6. ( Oper. tom. îv.) — Fleury, Hist. Ecclés., tom. vin, liv. xxxv, n. 15
et 45. — Zaccaria, ubi suprà, cap. 3. — Hist. de l'Égl. Gall., tome ni,
page 311.
(3) Zaccaria, ubi suprà, cap. 1. — Saint Grégoire, Epist. lib. i;
Epist. 44 et 75; lib. ix; Epist. 19, 99, 100, etc. Le P. Denys de
Sainte-Marthe, dans la Vie de saint Grégoire {ubi suprà), le P. Thomas-
sin (Ancienne et nouvelle Discipline, tome m. liv. i, chap. 27, n. 7); le
P. Zaccaria (ubi suprà, cap. 3, n. 13), et plusieurs autres savants, sont
portés à croire qu'au temps de saint Grégoire , l'Église romaine avait la
seigneurie des villes de Naples et de Népi, où elle exerçait un grand
pouvoir temporel ; mais ce n'est là qu'une conjecture, de l'aveu de ces au-
INTRODUCTION. 127
ces patrimoines s'accrut beaucoup dans la suite, par les
donations successives de plusieurs souverains, et des empe-
reurs eux-mêmes (>!). Des monuments authentiques nous
apprennent qu'avant la fin du vu6 siècle, l'Église romaine
comptait, parmi ces patrimoines, le pays des Alpes Cottien-
nes, comprenant la ville de Gênes et toutes les côtes voi-
sines, jusqu'aux frontières des Gaules. Les Lombards ayant
usurpé ce pays , vers la fin du même siècle , le restituèrent
au pape Jean VII (vers l'an 708), comme une ancienne
propriété de l'Église romaine (2). Les patrimoines de cette
Église en Sicile et en Calabre , confisqués vers le même
temps , par l'empereur Léon l'Isaurien , étaient si considéra-
bles , qu'elle en retirait un revenu annuel de trois talents et
demi d'or, c'est-à-dire plus de 400,000 francs de notre
monnaie, selon l'estimation la plus vraisemblable (5). Cette
valeur peut sans doute paraître exorbitante au premier
teurs. On peut supposer, en effet, que le Pape, en exerçant le pouvoir tem-
porel dans ces deux villes, comme dans plusieurs autres villes et provinces
de l'Italie, u'agissait alors qu'au nom et comme représentant de l'empereur.
Les détails que nous donnerons, dans la première partie de cet ouvrage, sur
le pouvoir temporel exercé par saint Grégoire , mettront cette observation
dans un nouveau jour.
(l)Thomassin, Ane. et nouv. Discipline, tom. m, liv. i, ehap. 27, n. 8
et 17. — Zaccaria, ubi suprà, cap. 4.
(2) Voici les propres expressions de Bède, sur ce sujet, dans sa Chronique,
sous l'année 708: « Aripertus, rex. Longohardoruni,multas cohortes, et pa-
rt trimonia Alpium Cottiarum, quœ quondam ad jus pertinebant aposto-
« licœ sedis, sed à Longobardis multo tempore fuerant ablata, restitua juri
« ejusdem sedis; et liane donationem, aureis scriptam litteris, Romam di-
re rexit. » (Tome m des Œuvres de Bède, édition de Cologne, 8 vol.
in-fol.)
Le même fait est rapporté, presque dans les mêmes termes, par Paul
Diacre, dans son Hist. des Lombards, liv. vj, cap. 28. (Tome xm de la Bi-
blioth. des Pères.) Voyez aussi Baronius, Annales, an. 704, n. 1. — Fleury,
Hist. Eccl., tom. ix, liv. xli, n. 13. — Zaccaria, ibid., cap. 3, n. 22-28.
(3) Ce fait est rapporté, en ces termes, dans la Chronique de Théophane,
à l'article de Léon l'Isaurien : « Patrimonia Calabriae et Sieiliae, quse dicuntur
« sanctorum etcorypliaeorumapostolorum qui in veteri Româ coluntur, tria
« nimirum cum medio auri talenta, eorum ecclesiis ab antiquo assignata
« et pensa, in publicum aerarium conferri jussit. » Theophanes, Chronogra-
phia. Parisiis, 1655, in-fol., pag. 344.— Sur la valeur des trois talents et demi
d'or dont il est question ici, voyez la note 4 parmi les Pièces justificatives ,
à la fin de ce volume.
128 INTRODUCTION.
abord ; toutefois , elle ne semblera pas incroyable , si l'on
fait attention que, selon une opinion très-commune et très-
probable , la plus grande partie des patrimoines de l'Église
romaine en Sicile et en Calabre, lui avait été donnée par les
empereurs , depuis Théodose le Grand, en échange de ceux
qu'elle possédait dans plusieurs provinces de l'Orient, et dont
il lui eut été difficile de percevoir les revenus , à cause des
fréquentes irruptions des Barbares dans ces provinces (4).
8t- , Cet accroissement continuel des biens ecclésiastiques , sous
Précieux rc- t x '
suitais les empereurs chrétiens , depuis le iv siècle jusqu'au vme ,
des richesses L x J *
du cierge montre assez quelle était à cette époque, la libéralité des
pour * , ,
le bien de la princes et des peuples envers l'Eglise. Mais ce qui n'est pas
moins certain ni moins remarquable, c'est que les ecclé-
siastiques et les religieux se montraient généralement dignes
de cette libéralité, souvent même l'excitaient, sans le vou-
loir , par le saint usage qu'ils en faisaient. L'accroissement
de leurs biens temporels tournait généralement au profit
des pauvres, et au soulagement de toutes les misères de
l'humanité. On peut même avancer avec confiance, que ce
précieux résultat des richesses du clergé fut un des prin-
cipaux effets de l'influence du christianisme sur la société ,
et spécialement sur la classe des pauvres , de tout temps la
plus nombreuse, mais si universellement négligée parmi
les païens (2). L'Église chrétienne, dès son origine, parut
(1) Zaccaria, ubi suprà, cap. 2, n. 9. — Orsi, Délia origine del dominio
e délia sovranïta de' Romani Pontefici. In Roma, 1788, cap. 2. La con-
jecture de ces auteurs semble fondée sur le témoignage même de Théophane,
qui suppose qu'à l'époque où Léon l'isaurien saisit le revenu des patrimoines
de Sicile et de Calabre, ces provinces étaient depuis longtemps obligées de
le payer au saint-siége. Il est bien difficile de croire que les seuls patrimoines
de Sicile et de Calabre eussent été depuis longtemps si considérables, s'ils
n'eussent été donnés au saint-siége en échange de plusieurs autres, situés
dans des provinces plus éloignées.
(2) Fleury, Mœurs des Chrétiens, n. 51. — Ryan, Bienfaits de la Re-
ligion chrét., chap. 3, n. 29, etc. — Thomassin, Ancienne et nouvelle Dis-
cipline, tom. ni, liv. 4 , chap. 47, etc. — De Héricourt, Abrégé du même
ouvrage, troisième partie, chap. 19, n. 2. — Bergier, Diction. Théol., article
Hôpitaux. — Naudet, Des Changements opérés dans l'administration de
l'empire, tom. i, page 118. On trouve aussi quelques détails intéressants sur-
ce sujet dans l'ouvrage de M. de Gérando, intitulé : De la Bien/aisance pu-
INTRODUCTION. 129
suscitée de Dieu, pour réveiller, à cet égard , les sentiments
de l'humanité , et pour inspirer à tous les hommes un
esprit de commisération , auquel ils avaient paru jusqu'alors
tout à fait étrangers. Celait pour les païens un spectacle
tout nouveau. A la vue de la tendre charité qui unissait tous
les fidèles entre eux, ils s'écriaient avec étonnement, au
rapport de Tertullien : Voyez comme ils s'aiment les uns
les autres (\). L'empereur Julien lui-même, cet ennemi
blique. (Tome îv, 3e partie, pages 271, etc., 459, etc.) Toutefois, l'auteur ne
paraît pas exact dans le jugement qu'il porte sur les services que la religion
chrétienne a rendus à la société, par l'établissement des hôpitaux. Il recon-
naît, à la vérité, qu'on ne trouve rien de semblable dans l'antiquité, avant
le ive siècle de notre ère; et il pense que le christianisme a créé ce nou-
veau genre d'établissements, précisément à l'époque où le besoin commençait
à s'en faire sentir. Mais il soutient en même temps que les peuples anciens
n'éprouvaient pas ce besoin; que les usages et les mœurs antiques te préve-
naient par trois sortes d'institutions; savoir : l' hospitalité, les infirmeries
domestiques, et l'esclavage, qui mettait à la charge du maître l'entretien du
serviteur. (Pages 271, etc., 460, etc.) La plus légère connaissance de l'histoire
suffit, à ce qu'il nous semble, pour montrer combien ces assertions sont peu fon-
dées. Il est certain, en effet, 1° que l'usage ôeY hospitalité primitive s'affaiblit
peu à peu, et disparut même presque entièrement chez les peuples anciens,
particulièrement chez les Grecs et les Romains, à mesure qu'ils s'éloignèrent
de leur première simplicité ; ce qui arriva certainement longtemps avant la
naissance du christianisme ; 2° les infirmeries domestiques n'appartenaient
pas, comme le suppose M. de Gérando, à la constitution de la famille chez les
peuples anciens; elles n'existaient que dans quelques familles riches, et seu-
lement pour leur utilité particulière; 3° quant aux esclaves, on sait qu'ils
étaient généralement traités avec une dureté excessive, particulièrement chez
les Grecs et les Romains, lors de l'avènement de Jésus-Christ, et même long-
temps auparavant. (Voyez à ce sujet un Mémoire de M. Bonamy, Sur les
Esclaves romains, dans les Mém. de l'Acad. des inscript., tome xxxv de
l'édition in-4°, page 328; tome lxiii de l'édition in-12, page 102.— Voyage
d'Anacharsis, tome u, page 108, etc.; tome iv, page 105, etc. — Leland,
Démonst. Évang., tome m, pag. I00,etc, 135, etc.) M. de Gérando lui-même
cite, à cet égard, des laits qui auraient dû lui faire modifier beaucoup ses
assertions (Remarquez en particulier les pages 468, etc.) Au reste, il semble
reconnaître lui-même l'insuffisance de ses preuves, en avouant que « les di-
« vers établissements de bienfaisance qu'on trouve chez les peuples anciens,
« ne répondaient que d'une manière imparfaite aux nécessités du malheur,
« dans l'état de la société, telle qu'elle existait alors » (page 277). M. de Gé-
rando eût sans doute évité cette espèce de contradiction, s'il eût étudié plus
attentivement, sur cette matière, les auteurs que nous indiquons au com-
mencement de cette note.
(1) « Sed ejusmodi vel maxime dilectionis (mutuœ) operatio, notamnobis
« inurit pênes quosdam. Vide, inquiunt, ut invicem se diligant; ipsi enim
« invicem oderunt. Et, ut pro alterutro mori sintparati; ipsi enim ad
130 INTRODUCTION.
déclaré du christianisme , rougissait en comparant , sous
ce rapport, les païens avec les chrétiens; c'est ce qu'on
voit en particulier par sa lettre à Arsace , pontife de Galatie ,
dans laquelle il l'exhorle à établir des hôpitaux pour le
soulagement des pauvres, à l'exemple des chrétiens, qui,
a outre leurs pauvres, dit-il , nourrissent encore les nôtres,
« que nous laissons manquer de tout (4). »
82. En effet, la charité compatissante et universelle du clergé
mentschari- et des fidèles ne se manifestait pas seulement par des au-
hôpitaux. mônes passagères et habituelles , mais encore par l'éta
blissement d'un grand nombre d'asiles publics destinés au
soulagement de toutes les misères de l'humanité. Les
Grecs et les Romains, si distingués entre tous les peu-
ples par leur civilisation , leur politique , leurs succès
dans les arts et les sciences, ignoraient ou négligeaient abso-
lument cet admirable moyen de soulager les misères et les
infirmités humaines. Toute leur politique en ce genre, selon
la remarque de Fleury (2), se bornait à bannir la fainéan-
tise et les mendiants valides, tout au plus à quelques mesures
passagères , pour les soulager dans certains temps de cala-
mité. On ne voit point chez eux d'ordre public et habituel
pour prendre soin des misérables qui ne peuvent rendre
aucun service à la société : on n'y voit aucun de ces établis-
sements charitables , que le christianisme a rendus si com-
muns dans la plupart des pays où il s'est établi , et dont il
paraît avoir donné au monde la première idée. Les anciens
auteurs , qui ont décrit plus en détail les monuments de
Rome , de Gonstantinople , et des autres villes célèbres de
l'antiquité, font bien mention des palais, des bains, des théâ-
tres, des temples, des ports, des greniers publics, des pri-
sons, et d'autres édifices d'utilité publique; mais ils ne par-
« occidendum alterutrum paratiores. » Tertullien, Apologetic, cap. 39.
(1) Julien, Epist. 49, ad Arsacium Pontif. (Juliani Oper. pag. 430
de l'édition in-fol.) Cette lettre se trouve à la suite de la Vie de l'empereur
Jovien, par Labletterie, pag. 468, etc.
(2) Fleury, Mœurs des Chrét., n. 51.
INTBODUCTION. 131
lent d'aucun établissement destiné à recevoir les malades et
les infortunés (1). F.es premiers hôpitaux dont il soit parlé
dans l'histoire, sont dus à la charité des chrétiens. Saint
Grégoire de Nazianze, dans son Discours contre Julien ,
composé en 565, suppose qu'ils avaient déjà formé un grand
nombre de ces pieux asiles, avant le règne de ce prince,
qui essaya inutilement d'en former de semblables (2). Depuis
celte époque, on vit ce nouveau genre d'établissements
se multiplier avec rapidité dans toutes les parties de l'em-
pire , et dans tous les lieux où pénétra le christianisme.
Saint Basile fit bâtir, dans sa ville épiscopaie , un hôpital
pour les pauvres, vers l'an 572, et parvint même depuis à
en faire construire dans plusieurs autres villes ou bourgades
de son diocèse (5). Quelques années après, saint Pamniaque
en établissait un à Porto, près de Rome, pour les étrangers,
et un autre à Rome, de concert avec une dame romaine,
nommée Fabiola, qui s'y consacra elle-même, avec la plus
tendre charité, au service des malades (4). Vers le même
temps, saint Augustin fit construire à Hîppone un hospice
pour les étrangers (5), et saint Gallican un autre à Ostie (6).
(1) Les infirmeries {valetudinaria) dont il est question dans Sénôqne, Co-
lumelle, et quelques autres anciens auteurs, n'étaient point des établisse-
ments publics, mais des appartements placés dans l'intérieur ou dans le voi-
sinage de la maison des grands, pour ceux de leurs serviteurs qui y étaient
attachés. Voyez les notes de Juste Lipse sur Séuèque, De Ira, lib. i, cap 16;
et Epist. 11 . — Columelle, De re Rusticâ, lib. xi, cap. 1. — Ryan, Bien-
faits du Christ. y chap. 3, n. 31.
(2) « Diversoria et hospitales domos, monasteria item et virginuni cœ-
« nobia eediiicare statnebat, simùlque et benignitatem erga pauperes ad*
« jnngere, cùm in aliis rébus, tum in commendatitiis epistolis sitam, quibus
« eos qui inopiâpremuntur, ex gente ad gentem transmittiinus; quse vide-
« licet ille in nostris rébus praesertim admiratus fuerat Illius autem co-
te natus inanis et irritus fuit, etc. » Saint Greg. de Naz., Orat. 1, contra
Julian , n. 111 et 112. (Edit. Benedict., tom. 1, pag. 138.)
(3) Saint Basile, Epist. 94, 142, 143, 176, etc. (Oper. tom. ni.) — Saint
Greg. de Naz., Orat. 43 (aliàs 20); n. 63. (Oper. tom. i, pag. 817.)
(4) Saint Jérôme, Epist. 54 ad Pammach., pag. 586; Epist. 84, ad
Oceanum. (Operum, tom. iv,pag. 662.)
(5) Saint Augustin, Serm. 356, n. iO. (Operum, tom. v.)
(6) Baronius, Martyrol., 25 juin.
9.
132 IftTaODtJCTION.
Plusieurs constitutions de l'empereur Justinien supposent
qu'il y avait, de son temps, un grand nombre d'hôpitaux éta-
blis dans les différentes parties de l'empire, et accordent de
grands privilèges à ces précieux établissements (4).
Ducange, dans la description des monuments élevés à
Constantinople sous les empereurs chrétiens, y compte jusqu'à
trente-cinq maisons de charité, destinées au soulagement de
différentes sortes de pauvres (2). La plupart de ces maisons
étaient désignées par des noms qui annonçaient leur destina-
tion. On appelait Brepholrophium , l'hôpital destiné à re-
cevoir les petits enfants à la mamelle ; Orphanotrophium,
l'hospice des orphelins; Nosocomium, celui des malades;
Xenodochium, celui des étrangers ou des passants; Geronto-
comium, celui des vieillards ; Ptochotrophium, celui où l'on
recevait généralement toutes sortes de pauvres. Ces établisse-
ments étaient, pour l'ordinaire, placés sous la surveillance
de l'évêque, qui chargeait un prêtre de le représenter dans
cette fonction , et qui n'épargnait rien pour procurer aux
pauvres et aux malades toutes sortes de soulagements (5).
83 Les évêques avaient aussi grand soin de la sépulture des
Bachatdes , . .. . , , •
captifs : pauvres, et du rachat des captits qui avaient ete pris par les
affranchisse- _, .... iii»i i
ment Barbares, comme il arrivait souvent dans la décadence de
des esclaves. „ . . .
J empire. Ils vendaient jusqu aux vases sacres pour ces sortes
d'aumônes. C'est ce que fit en particulier saint Àmbroise,
pour le rachat des captifs enlevés par les Goths, sous l'empire
de Valens et de Gratien (4) . Vers le même temps, saint Exu-
père de Toulouse se réduisit par là à une telle pauvreté, qu'il
(1) Cod. Justin. y lib. i, tit. n, n. 19 et 22, et alibi passim?
(2) Ducange, Hist. Byzant. parte 2e, Descript. Constantinopoleos
Christianœ, lib. rv, § 9 (page 113 de l'édit. de Venise).
(3) Saint Ëpiphane, Hœresi, 75, n. 1. On doit corriger, d'après ces détails,
cette assertion singulière de quelques auteurs modernes, qui rapportent à l'é-
poque des premières croisades l'origine des hôpitaux. Voyez Peyrilhe, Hist.
de la Chirurgie, liv. v, pag. 421. — Choiseul-Daillecourt, Influence des
Croisades, page 203.
(4) Saint Ambroise, De Offic.,\\b. n, cap. 11 et 28.— Fleury, liv. 17, n. 39.
INTRODUCTION. 133
était obligé de déposer le corps de Notre-Seigneur dans une
corbeille d'osier, et le précieux sang dans un calice de
verre (1).
Un autre exercice de charité, singulièrement estimé dans
l'Église, et dont le clergé surtout donnait l'exemple, c'était le
rachat et l'affranchissement des esclaves, principalement de
ceux qui étaient chrétiens, et qui appartenaient à des maîtres
juifs ou païens. Dès l'origine du christianisme , cet acte de
charité avait été considéré comme un des plus excellents, et
des plus conformes à l'esprit de la religion. Ce fut pour en
favoriser l'exercice, que Constantin permit d'abord, en 524 ,
de faire les affranchissements dans l'Eglise, en sorte que la
seule présence du clergé et du peuple fidèle tint lieu de toutes
les formalités auparavant requises pour leur validité. Bien
plus, il permit généralement aux clercs d'affranchir leurs
esclaves, même en particulier, sans aucun acte public, et
par une simple manifestation de leur volonté (2) ; et, quoi-
qu'il eût généralement défendu d'exercer le dimanche aucun
acte judiciaire, il excepta formellement de cette défense les
affranchissements, les considérant comme acte de piété très-
convenable en ce saint jour (5). Depuis cette époque, les af-
(1) Saint Jérôme, Epist. 95, ad Rusticum Monach. ( Operum tom. iv,
pag. 778.)
(2) « Qui religiosâ mente, in Ecclesiae gremio, servulis suis meritam con-
« cessent libertatem, eamdem eodem jure douasse videatur, quo civitas
« Romana solemuitatibus decursis dari consuevit ; sed hoc duntaxat iis qui
« sub aspectu antistitum dederint, placuit relaxari. Clericis autem ampliùs
« concedimus, ut, cùm suis famulis tribuunt libertatem, non solùm in con-
« spectu Ecclesiae ac religiosi populi plénum fructum libertatis concessisse
« dicauiur (i. e. censeanlur), verùm etiam, cùm postremo judicio liberta-
« tes dederint, seu quibuscumque verbis dari praeceperint; itaut, ex die
« publicalae voluntatis, sine aliquo juris teste vel interprète, competat di-
« recta (i. e. intégra etplena) libellas. » Cod. Theod., lib. iv, tit. \n, n. 1.
— D. Ceillier, Hist. des Aut. eccl., tome îv, page 171. — Voyez à ce sujet un
Mémoire, de fiouchaud, parmi les Mémoires de l'Académie des Inscript.,
édition in-4°, tome xl, page 119.
(3) « Sicut indignissimnm videbatur ( vigente paganismo ) diem solis ,
« veneralione suî celebrem, altercantibus jurgiis, et noxiis partium conten-
« tionibus occupari; ita gratum ac jueundum est, eo die quae sunt maxime
« votiva (i. e. quœ votis maxime expetuntur) compleri. Atque ideo eman-
merises de
l'Église
romaine.
134 INTRODUCTION.
franchissements devinrent de jour en jour plus fréquents. Les
ecclésiastiques , et surtout les évêques , non contents de re-
commander la compassion envers les esclaves, affranchirent
ordinairement un grand nombre de ceux qui leur apparte-
naient. Saint Grégoire le Grand renouvela souvent cet
exemple de charité , et ne négligea aucune occasion d'en
inspirer la pratique au* évêques, et même généralement à
\ tous les fidèles (\). Les principes et les exemples des premiers
siècles sur ce point, généralement suivis, même chez les na-
tions les plus barbares, à mesure qu'elles se soumirent au
christianisme, amenèrent insensiblement l'abolition de l'es-
clavage dans toute l'Europe chrétienne (2).
Libéralités im- L'Église romaine surtout multipliait ses aumônes et ses
libéralités , à mesure qu'elle voyait augmenter ses revenus.
Depuis le temps des persécutions , l'histoire nous montre les
souverains pontifes , constamment appliqués a faire tourner
au soulagement des pauvres et à l'entretien des églises, les
riches offrandes que leur attirait, de tous côtés, la piété des
princes et des peuples. C'est ce que saint Jérôme rapporte en
particulier du pape Anastase Ier, qu'il nomme, à cette occa-
sion, un homme d'une très-riche pauvreté, et d'une sollici-
tude vraiment apostolique (5). Saint Léon le Grand consa-
crait, avec une générosité sans bornes, les revenus du
saint-siége , à réparer les calamités que l'Italie avait alors à
souffrir de l'irruption des Vandales, et spécialement à ré-
tablir les églises de Rome qu'ils avaient détruites ou pil-
lées (4). Le pape Gélase 1er se réduisit volontairement à la
« cipandi et manumittendi, die festo, cuncti licentiam habeant, et super his
« rébus actus non probibeantur. » Ibid., lib. h, tit. vin, n. 1.
(1) Joan. Diac. VitaS. Greg., lib. iv, cap. 44.— S. Greg. Epistol. lib. \i;
Epist. 32 et 33, et alibi passim.
(2) Ryan, Bienfaits du Christianisme, chap. 3, n. 32. — L'Ami de la
Religion, tome lxxxviii, page 17. — Bibliographie Catholique, Ve année,
page 221. — De Maistre, Du Pape, tome n, liv. m, chap. 2.
(3) « Vir ditissimse paupertatis, et apostoliese sollicitudinis. » S. Hieron.
Epist. 97, ad Demetriad. (Oper. tom. iv, parte 2, pag. 793.)
(4) « Hic renovavit, post cladein Vandalicam, omnia ministeria (i. e. orna-
« menta sive utensilia) argentea, peromnes titulos (Ecclesiarum Romanae
INTRODUCTION. 1 ^
pauvreté, pour nourrir une multitude de malheureux (\).
Le pontificat de saint Grégoire surtout mérite d'être cité
comme un des plus parfaits modèles de la charité pasto-
rale (2). Ce grand pape était saintement prodigue des biens
de l'Église, pour le soulagement des pauvres, non-seulement
à Rome et en Italie, mais dans toutes les parties de la chré-
tienté. Le recueil de ses lettres est plein de celles qu'il écri-
vait aux administrateurs ou recteurs des patrimoines de
l'Église romaine, situés en divers pays, pour exciter de plus
en plus leur charité! envers les monastères, les orphelins, les
veuves, les pauvres de toute espèce , et surtout les pauvres
honteux. Pour animer ses inférieurs par son exemple, il fai-
sait lui-même journellement à Rome des aumônes abondantes,
qu'il redoublait encore en certains temps de l'année, le pre-
mier jour de chaque mois, aux approches des grandes solen-
nités, et surtout au milieu des calamités que les incursions
des Barbares attiraient alors si fréquemnient sur l'Italie et sur
les autres provinces de l'empire, en Occident. Parmi les pau-
vres qu'il soulageait à Rome, il nous apprend lui-même qu'il y
avait trois mille religieuses, auxquelles il donnait chaque année
quatre-vingts livres d'or, c'est-à-dire, environ 92,460 francs
de notre monnaie (5). On voyait encore, au ixe siècle, dans
« urbis) Renovavit Basilicam beati Pétri apostoli, et fecit ibi cameram
« (i. e. fornicem) quam et ornavit; et beati Pauli Basilicam post ignem divi-
« num renovavit ; fecit et cameram in eâdem similiter, et in Basilicâ Constan-
te tiniauâ, etc. » Anastas. Biblioth. VitaS- Leonis. — Labbe, Concil., tom.m,
pag. 1290.
(1) Ce fait est consigné, par Denys le Petit, dans une Préface qu'il mit à la
tête de son Code de Canons, en l'adressant à Julien, prêtre du titre de sainte
Anastasie. L'auteur de cette Préface y fait un grand éloge du pape Gélase,
et surtout de sa charité envers les pauvres : « Tantà misericordiâ, cum
« animi alacritate, clarescebat, ut omnes ferè pauperes satians, inops ipse
« moreretur. » Dionys. Exig. Prœf. in Can. (Labb. Concilior. tom. i,
pag. 4.)
(2) Joan. Diac, VitaS. Greg., lib. h, n. 24, etc., 51, etc.— S. Greg. Vita
recens adornaia, lib. u, cap. 3, n. 5; lib. m, cap. 9, n. 2, etc. (Tonieiv des
Œuvres de saint Grégoire.) — Thomassin, Ancienne et nouvelle Disci-
pline, tome m, liv. m, ebap. 29, n. 14, etc. — Fleury, Hist. EccL, tome vm,
liv. 35, n. 16.
(3) Voici les propres expressions de saint Grégoire, dans une lettre à la
136 INTRODUCTION.
le palais de Latran, un registre des pauvres de tout âge et
de tout sexe, que le saint pape soulageait habituellement
à Rome, en Italie, et dans les villes d'outre-mer, et des au-
mônes réglées qu'il leur faisait. Le nombre de ces pauvres
était si prodigieux, que l'auteur qui en parle n'ose le marquer
en détail, dans la crainte de fatiguer son lecteur (4). Long-
temps avant saint Grégoire, il y avait, dans tous les lieux où
l'Eglise romaine avait des patrimoines, un hôpital pour les
pauvres, nommé Diaconic, parce qu'il était ordinairement
administré par un diacre. Non content de maintenir cette
charitable institution, saint Grégoire mandait souvent aux
recteurs des patrimoines du saint-siége, d'employer tous les
revenus qu'ils en tiraient, à soulager les pauvres du pays; et
il déclare nettement, dans une de ses lettres, que s'il envoie
des clercs pour gouverner ces patrimoines, c'est bien moins
pour en éviter la dissipation, que pour les faire tourner, par
une sage administration, au profit d'un plus grand nombre
de malheureux (2).
Ce n'était pas seulement envers les pauvres, qu'il se mon-
trait si prodigue des biens de l'Église. Nous le verrons
princesse Théoctiste, sœur de l'empereur Maurice, qui lui avait envoyé
trente livres d'or (environ 34,560 francs de notre monnaie) pour le ra-
diât des captifs, et pour le soulagement des pauvres. « Medietatem pe-
« cuniee quam transmisistis, in eorum (captivorum) redemptionein trans-
« misi. De medietate verô ancillis Dei , quas vos Groecâ lingnâ monaslrias
« (latine sanctimoniales) dicitis, lectisternia emere disposui, quia in lectis
« suis gravi nuditate, in hujus hiemis vehementissimo f'rigore, laborant. Quae
« in hâc orbe multae sunt ; nam juxta notitiam quâ dispensantur, tria millia
« reperiuntur; et quidem de sancti Petti apostolorum principis rébus, octo-
« gïnta annuas libras accipiunt. Sed ad tantam multitudinem isla quid
« sunt, maxime in hâc urbe, ubi omnia gravi pretio emuntur? » S. Greg.
Epistol. lib. vu, Epist. 26.{Oper. tom. u, pag. 872.) Pour l'estimation des
quatre-vingts livres d'or, voyez la note 2, parmi les Pièces justificatives, à
la fin de ce volume.
(1) Joan. Diac. Vita S. Greg., lib. n, n. 30.
(2) « Non solùm frequentibus praeceptionibus, sed etiam prsesentem te sœ-
«. piùs monuisse me memini, ut illic vice nostrâ, non tantùm pro utilita-
« tïbus ccclesiasticis , quantum pro sùblevandis pauperum necessitati-
« bus, fùngereris, et eos magis à cujuslibet oppressionibus vindicares. »
S. Greg. Epistol. lib. i, Epist. 55. (Oper. tom. h, pag. 547.)
INTRODUCTION. 137
bientôt les employer, avec la même libéralité, pour la défense
de l'empire, alors si fortement attaqué en Italie par les
Lombards ; et nous verrons sa générosité, sur ce point, ser-
vir de règle et de modèle à tous ses successeurs, pendant
toute la durée de l'empire romain en Occident.
En présentant ce tableau des vertus et de la charité du , 8r>-
1 L accroisse-
clergé à l'époque dont nous parlons , nous sommes bien !nent de*
éloigné de croire qu'il n'y eût alors aucun abus dans Fu- sîas,tifiues • s*'
" i J neralement
sage et l'administration des biens ecclésiastiques, ou que avantageux à
" J J la société.
tous les membres du clergé se rendissent également re-
commandables par leur désintéressement et leur générosité.
Il faudrait être aussi étranger à la connaissance de l'homme
qu'à celle de l'histoire, pour ignorer que les siècles mêmes
les plus féconds en vertus , ont à gémir sur bien des désor-
dres. Tant qu'une société sera composée d'hommes et non
pas d'anges , on pourra bien désirer , mais non espérer la
fidélité constante de tous ses membres aux règles sévères du
détachement et de l'abnégation évangéliques. Il était donc
impossible que l'accroissement des richesses de l'Église ne
fût, pour quelques-uns de ses ministres, une occasion de
luxe et de relâchement ; et nous avouerons sans peine que
l'histoire même des beaux siècles dont nous venons de par-
ler offre plusieurs exemples de cet abus. Mais quelque réels
qu'aient pu être ces abus , trop souvent exagérés par la ma-
lignité des ennemis de la religion , il est constant que les
écarts de quelques particuliers ne sauraient diminuer, aux
yeux d'un esprit droit et impartial , l'éclat des vertus géné-
ralement pratiquées dans le corps dont ils étaient membres.
Pour peu qu'on lise attentivement l'histoire de l'époque dont
nous parlons, on ne peut s'empêcher de reconnaître que le
clergé se rendait alors généralement recommandable par sa
charité , comme par toutes les autres vertus propres à son
état; que l'accroissement de ses richesses fut, pour la so-
ciété tout entière, et spécialement pour toutes les classes
de malheureux , une source féconde d'institutions utiles , et
138 INTRODUCTION.
de ressources jusqu'alors inconnues ; enfin , que l'Église, loin
de favoriser dans ses ministres le goût du luxe et des super-
fluités que les grandes richesses entraînent naturellement
après elles, le combattit efficacement par de sages règle-
ments, et par l'exemple d'une multitude de saints pasteurs ;
en sorte que, malgré les abus particuliers qu'elle n'a pu
empêcher, ou qu'elle a été obligée de tolérer, l'accroisse-
ment de ses richesses n'a pas été moins avantageux à la société,
qu'honorable aux sentiments religieux qui avaient engagé
les princes et les peuples à se montrer si généreux envers
le clergé.
injustfce des ^n Peut juSer> Par ces observations, combien sont injustes,
'"cmitir* et déplacées , les invectives de quelques auteurs modernes
le eeesujét.sm contre le clergé des plus beaux siècles de l'Église , à l'oc-
casion du rapide accroissement des biens ecclésiastiques,
depuis la conversion de Constantin. « Dans cette transition
« rapide , d'un état de misère et de persécution au faîte de
« la prospérité , dit un de ces auteurs, l'Église dégénéra bien-
ce tôt de sa pureté primitive , et perdit ses titres au respect
« des siècles futurs, dans la même proportion qu'elle ac-
u quérait l'aveugle vénération du sien. La cupidité surtout
« devint un vice caractéristique du clergé (4). » Des accu-
sations si odieuses , dirigées contre le corps entier du clergé,
à l'époque dont il s'agit , sont en opposition manifeste avec
l'histoire, qui nous montre, au contraire, le clergé alors
généralement digne de la libéralité des princes et des peu-
ples, par la pratique de toutes les vertus chrétiennes, et
surtout par une tendre et inépuisable charité envers les
pauvres. La loi de Valentinien 1er que nous avons citée
plus haut (2) , et que l'auteur invoque à l'appui de ses as-
sertions, suppose bien qu'un certain nombre de clercs
étaient alors suspects, peut-être même coupables d'avarice
et de cupidité. Mais prétendre que ces vices dominaient
(1) Hallam , L'Europe au moyen âge, t. in, p. 294.
(2) Ci-dessus, n. 75, pag. 116.
INTRODUCTION. 139
alors dans le clergé , et formaient son caractère distinctif ,
c'est une supposition , non-seulement gratuite, mais claire-
ment démentie par l'histoire. Aussi , l'auteur que nous ve-
nons de citer n'a pu s'exprimer ainsi sans contredire le
témoignage universel des plus savants auteurs , même de sa
communion (4).
Au reste, ce n'est pas d'aujourd'hui que les biens du
clergé lui ont altiré les reproches et la jalousie de ses en-
nemis, et que la conduite irrégulière d'un petit nombre
d'ecclésiastiques a donné lieu aux langues médisantes de dé-
clamer contre le corps entier dont ils étaient membres. Dans
le temps même dont nous parlons, il se trouvait non- seulement
parmi les païens, mais quelquefois parmi les chrétiens, des
esprits critiques et malins qui jugeaient le clergé avec une
excessive sévérité , et qui , sous le prétexte de le rappeler
à la perfection de son état, lui reprochaient hautement ses
richesses , et l'abus qu'il en faisait pour se procurer les dou-
ceurs et les commodités de la vie. C'est ainsi qu'Ammien
Marcellin , auteur païen et très-opposé au christianisme,
affecte de relever la différence qui se trouvait dès la
fin du ive siècle , entre le Pape et les évêques des provin-
ces, sous le rapport de l'aisance et des richesses (2);
(1) Ryan , Bienfaits du Christianisme, chap. 3, n. 29, etc. Cet auteur
en cite plusieurs autres, appartenant comme lui à l'Église anglicane.
M. Beugnot, dans son Hist. de la destruction du pagan. en Occident,
est sans doute bien éloigné d'adopter les odieuses déclamations de Hallam,
sur cette matière. Toutefois, on peut lui reprocher de les favoriser, par l'i-
dée peu avantageuse qu'il donne en général des dispositions du clergé, à
cette époque , et même des dispositions de saint Ambroise , qu'il repré-
sente comme dominé par un esprit de cupidité , assez mal dissimulé dans
ses protestations apparentes de désintéressement. (T. i, p. 429 et 430 ; texte
et note. ) Ce jugement, comme bien d'autres , est une suite de ce fâcheux
préjugé, sous l'influence duquel M. Beugnot a composé son ouvrage, que,
pour bien écrire l'histoire de la chute du paganisme , il faut se défier des
auteurs chrétiens , et s'attacher principalement aux écrits de leurs adver-
saires ( ibid. p. 4). Voyez les observations que nous avons faites, à ce su-
jet , n. l des Pièces justifie., à la fin de ce volume.
(2) Ce passage d'Ammien Marcellin est relatif aux troubles occasionnés
dans Rome par l'anti-pape Ursin , qui ne pouvait souffrir que le pape Da-
mase lui eût été préféré, pour succéder au pape Libère (en 366). Ammien
140 INTRODUCTION.
« comme s'il y eût eu de quoi s'étonner , selon la remarque
« de Fleury, que l'évêque de la capitale du monde eût
« une voiture , pour aller dans les différents quartiers d'une
«si grande ville, qu'il fût bien vêtu, et qu'il tînt une
« bonne table, où il pût recevoir tout ce qu'il y avait de
« plus grand dans l'empire (A). »
*?• Mais il est curieux surtout d'entendre saint Jean Chrvso-
Reponse J
de saint je;.n stome , prendre la défense de son clergé , contre les repro-
Chrysostome 7 * u / i
à ces cnes qUe ses richesses lui attiraient de la part d'un certain
invectives. * l
nombre de laïques (2). La réponse du saint docteur est
d'autant plus remarquable, que personne n'a combattu d'ail-
leurs avec tant de force le luxe et la mondanité des clercs;
et qu'en justifiant, sur ce point, le clergé de Constantinople,
il justifie à plus forte raison celui des autres villes de l'em-
pire, beaucoup moins exposé et moins sujet que celui de
la capitale, à prendre le goût du luxe et des superfluités.
Saint Jean Chrysostome remarque d'abord, que ceux qui
font au clergé un crime de ses richesses , se mettent , par là,
bien au-dessous des Juifs, qui ne se conduisaient pas ainsi
envers les prêtres de l'ancienne loi, auxquels ils payaient si
exactement les dîmes , les prémices, et plusieurs autres sor-
Marcellin attribue les prétentions opposées des deux partis, an désir qu'ils
avaient tous deux de jouir des grandes richesses attachées dès lors au sou-
verain pontificat : « Neque ego abnuo. dit-il, ostentationem rerum consi-
« derans urbanarum , hujus rei cnpidos, ob impetrandum id quod appe-
« tunt, omni contentione laterum jurgari debere; cùm id adepti , futuri
« sint ila securi , ut ditentur oblationibus matronarnm , procedanlqne ve-
« hiculis insidentes , cireumspectè vestiti , epulas curantes profusas , adeo
« ut eorum convivia regales superent inensas. Qui esse poterant beati re-
« verâ, si, magnitudine urbis despectâ, quam vitiis opponunt, ad imitatio-
« nem quorumdam provincialium viverent, quos tenuitas edendi potandi-
« que parcissimè, vilitas etiam indumentorum, et supercilia humum spe-
« ctantia, perpetuo numini , verisque ejus cultoribus , ut puros commen-
te dant et verecundos. » Ammien Marcel lia , Histor. lib. xxvn , cap 3 ( p.
481 de l'édition de Paris, 1681, in-fol. ). — Fleury , Hist. Eccl., t. iv, liv.
xvi, n. 8 — Mœurs des Chrétiens, n. 49.
(1) Mœurs des Chrétiens , n. 49, vers la fin. Voyez, à l'appui de ces ré-
flexions, les Annales de Baronius , année 367, n. 8, etc.
(2) Saint Jean Chrysost., Homil. IX in EpistoL ad Philipp. , n. 4 et 5.
— Idem, Homil. I inEpïst. ad Titum, n. 4. (Operum t. xi.) — Thomas-
sin, Ane. et nouv. DiscipL, t. m, liv. 3, chap. 36, n. 13, etc.
iNTftOtoJCTIOtf. 141
tes de redevances. Il représente ensuite aux accusateurs du
clergé, que, vivant pour la plupart au milieu des richesses et
de l'abondance , ils ont bien mauvaise grâce à lui repro-
cher le luxe et les délices dont il est généralement fort éloi-
gné ; qu'ils appellent richesses et abondance, dans un prêtre,
ce qui n'est au fond qu'une simple bienséance , comme d'être
proprement vêtu, de se nourrir convenablement, d'avoir
un domestique pour le servir; que la richesse des ecclésias-
tiques consiste à savoir se contenter de peu; tandis que les
laïques, pour l'ordinaire, se trouvent pauvres, même au
sein de l'abondance. Si vous avez donné à un clerc ce qu'il
possède , continue le saint docteur , pourquoi lui en faites-
vous un crime? Il valait mieux ne lui rien donner, que de
lui reprocher ainsi vos dons. Mais si c'est un autre qui lui
a donné ce qu'il a , vous êtes encore plus coupable de blâ-
mer les bienfaits d'autrui; et vos reproches sont d'autant
plus mal fondés , que celui qu'ils attaquent a librement re-
noncé à toutes les professions lucratives , pour se consacrer
au service de Dieu et de l'Église. « Que gagne-t-il en effet
« dans l'exercice de ses fonctions? Le voyez-vous porter
« des habits de soie, se faire accompagner en public d'une
« multitude de valets, aller à cheval, bâtir une maison
« lorsqu'il en a une qui sufOt pour le loger? S'il fait tout
« cela, je le blâme aussi bien que vous ; et loin de l'excuser,
«je le crois indigne du sacerdoce; comment, en effet,
« pourra-t-il exhorter les autres au mépris des superfluilés,
« s'il ne peut apprendre à s'en passer lui-même? Mais
« si vous lui faites un crime de ne pas manquer du
« nécessaire, vous voulez donc l'obliger à mendier? De
« bonne foi , n'en auriez-vous pas honte , vous qui êtes son
« disciple? Certes, si votre père selon la chair était
«réduit à cette extrémité, vous le regarderiez comme
« un déshonneur pour vous; et si votre père spirituel
« était dans le même cas vous n'en rougiriez pas (\)? »
(t) Saint Jean Chrys., Homil. IX in Epist. ad Philipp., n. 4.
142 INTRODUCTION.
Les accusateurs du clergé prétendaient encore que l'esprit
de l'Évangile oblige tous les ecclésiastiques à une entière
pauvreté. Le saint docteur répond qu'il ne faut pas être si
aveugle sur ses propres défauts, et si clairvoyant pour ceux
des autres; que l'exhortation de saint Paul, de se contenter
des aliments et des vêtements nécessaires (i) , ne s'adresse
pas seulement aux clercs, mais à tous les fidèles ; que les uns
et les autres peuvent posséder sans attache les biens de
ce monde; que les apôtres eux-mêmes ont ainsi entendu
l'esprit de l'Évangile; et que saint Paul en particulier ne
faisait aucune difficulté d'exercer un métier lucratif, pour se
procurer un entretien convenable (2). A l'appui de ces ré-
flexions , saint Jean Chrysostome ajoute , dans un autre en-
droit, que les apôtres eux-mêmes étaient servis et soulagés
dans leurs besoins par des personnes de la plus haute qualité,
de l'un et de l'autre sexe, qui tenaient à honneur d'ex-
poser leur vie pour la défense des ministres de Jésus-Christ;
d'où il conclut que, si les délices et les superfluités sont
blâmables dans un prêtre, il est juste aussi de lui permettre
un soin raisonnable et modéré de son corps , afin qu'il
puisse supporter le travail de son ministère, les voyages, les
visites pastorales, et tant d'autres fonctions également pé-
nibles et indispensables (5).
§ IV. Immunités ecclésiastiques, sous les empereurs
chrétiens; droit d'asile (4).
88. Parmi les avantages temporels que l'Église retira de la
protection des empereurs chrétiens , on doit surtout remar-
quer les privilèges honorifiques ou utiles, qu'on a depuis
nommés immunités. On en trouve l'origine dans une lettre
(1) I Tim. vi, 8.
(2) Saint Jean Chrys., Homil. IX in Epist. ad Philipp., n. 5.
(3) Idem, Homil. I in Epist. ad TU., n. 4.
(4) Cod. Theodos. avec les Commentaires de Godefroy, lib. xi, lit. 16;
lib. xvi, tit 2, etc. — Cod. Justin., lib. i, tit. 2, 3, 4, 11-14; et alibi pas-
sim. — Thomassin, Ancienne et nouvelle Discipline, t. m, liv. i, chap, 33
Origine des
immunités
ecclésiastiques.
INTRODUCTION. 143
adressée par Constantin, dès l'an 515, au proconsul d'A-
frique Anulin. « Gomme il est constant, dit ce grand
« prince , que le mépris de la religion chrétienne , qui ho-
« nore Dieu d'une manière si parfaite, a causé les plus
« grands maux à l'empire; tandis que la fidélité à l'ém-
et brasser et à la pratiquer est, par la bonté divine, une
« source de prospérité pour l'État comme pour les parti-
« culiers; j'ai résolu de récompenser ceux qui se consacrent
« au soutien de cette auguste religion , par la sainteté de
« leur vie, et par l'assiduité de leur ministère. C'est pour-
« quoi je veux que tous ceux que l'on appelle clercs, et qui
« sont attachés au service de cette religion , dans l'Église
« catholique dont Cécilien est pasteur (4), et dans l'étendue
« de la province qui vous est confiée, soient exempts de
« toutes les charges publiques ; de peur que, par une erreur
« funeste, ou par une entreprise sacrilège , on ne les dé-
« tourne du culte divin; et afin qu'ils puissent, en toute
« liberté, se consacrer aux fonctions de leur ministère ; car
« je suis persuadé que les hommages qu'ils rendront , par
« ce moyen , à la divine majesté , procureront à l'empire
« les plus grands avantages (2). »
Animés par l'exemple de Constantin , et guidés par le
même esprit de religion, ses successeurs confirmèrent, et
souvent même augmentèrent les immunités qu'il avait ac-
et 34. — De Hériconrt, Abrégé du même ouvrage , 3e partie, chap. 7. —
Bingham , Origines et antiquitates ecclesiasticœ, t. h, lib. v, cap. 2 et 3.
Noël Alexandre, Hist. Eccles. sœculi iv, cap. 5, art. 12 ; Hist. sœculi
v, cap. 6, art. 6 ; Hist. sœc. vi, cap. 6, ait. 7. — Naudet , Des Change-
ments opérés dans l'administration de l'Empire, t if, chap. 2, p. 40, etc.
— Dupuy , Traité de la Jurisp. crimin.,1™ partie, chap. 2,8, etc. ( à la
suite du Traité des libertés de l'Église gallicane). — Bergier, Diction.
Théol., art. Immunités.
(1) Cécilien était alors évêque de Carthage, et en cette qualité métropoli-
tain de la Province d'Afrique, c'est-à-dire, de l'Afrique occidentale. Voyez,
à ce sujet, Baudrand, Geogr. Sacra, lib. iv, pag. 79.— Apparatus Concil.
Append. Geogr. episc, cap. 12.
(2) Euseb., Hist. Eccles., lib. x, cap. 7.— Fleury, Hist.:Eccl., t. m, liv. x,
n. 2. — D. Ceillier, Hist. des Auteurs eccles., 1. 1?, p. 150 et 170. — Corn-
ment, de Godefroy sur le Cod. Theodos., lib. xvi, tit. 2, n. 1.
144 INTRODUCTION.
cordées à l'Église. Quelquefois cependant ils crurent devoir
les restreindre , soit à raison des besoins de l'Etat, soit pour
d'autres considérations d'intérêt public. Nous n'entrepren-
drons pas d'exposer ici en détail les vicissitudes du droit
romain sur cette matière , dont l'entier éclaircissement pré-
sente quelques difficultés , qui ont beaucoup exercé les sa-
vants (4). Il suffit à notre objet de montrer, dans le droit
romain, l'origine des immunités ecclésiastiques , auxquelles
la libéralité des princes chrétiens a donné, dans la suite, une
si grande étendue. Nous nous bornerons donc à indiquer, en
peu de mots, les principales immunités, soit personnelles,
soit réelles, du clergé, sous les empereurs chrétiens (2).
89- 4° Les immunités personnelles dont jouissait alors le
Immunités ■*■ J
personnelles, clergé, peuvent se rapporter à quatre principaux chefs :
4° L' exemption des fonctions curiales ou municipales (5).
La lettre déjà citée de Constantin au proconsul d'Afrique
Anulin, montre l'origine et les principaux motifs de cette
immunité, qui fut depuis expliquée et confirmée dans un
grand nombre d'édits, par Constantin et ses successeurs.
(1) Cette matière paraît traitée avec beaucoup de soin et de solidité par
Bingham,w&i suprà. Cet auteur peut servir à corriger, sur quelques points,
le P. Thomassin (ubi suprà), et même le savant Commentaire de Gode-
froy sur le Code Théodosien.
(2) On appelle immunités personnelles , celles qui regardent directement
les personnes; et immunités réelles, celles qui regardent directement les
biens.
(3) Dans l'année même qui suivit sa conversion au christianisme , Con-
stantin rendit une loi qui suppose l'immunité dont il est ici question, déjà
établie par l'autorité de l'empereur. Voici le texte de cette loi , adressée à
un gouverneur de province : « Hœreticornm factione comperimus Ecclesiae
« catholicae clericos ita vexari, ut nominationibus (ad publica munera)
« seu susceptionibus aliquibus (eorumdem munerum) quas publicus
« mos exposcit , contra indulta sibi privilégia prœgraventur. Ideoque
« placet, si quem tua Gravitas invenerit ita vexatum , eideni alium sub-
« rogari , et deinceps à supradictae religionis hominibus (cleficis nempe)
« hujusmodi injurias prohiber*!. » Cod. Theod., Mb. xvi, tit. 2, n. 1.
Cette loi fut confirmée, l'an 319, par une autre loi de Constantin, con-
çue en ces termes : « Qui divino cultui ministeria religionis impendunt
h (id est, hi qui clerici appellantur), ab omnibus omninô muneribus excu-
« senlur; ne sacrilego livore quorumdam, à divinis obsequiis avocentur. »
Ibid., n. 2. Voyez sur le même sujet, les n. 7, 9, 11, 16, 24, etc., du même
titre. — Fleur y, Hist> Eccl., t. m, liv. x, n. 2 et 40; liv. xi, n. 46.
INTRODUCTION. 145
Cette exemption, dont jouissaient depuis longtemps les
pontifes païens, était alors très-recherchée , même par les
personnes d'un rang et d'une fortune distingués , à cause
des embarras et des dépenses qu'entraînaient un grand
nombre de fonctions curiales ou municipales. Ces embarras
et ces dépenses étaient si Considérables, que ceux qui étaient
choisis par les villes ou par le prince pour remplir ces fonc-
tions , mettaient souvent en œuvre toutes sortes de moyens
pour les éviter (\).
2° L'exemption des servitudes personnelles , principale-
ment de celles qu'on appelait fonctions viles ou sordides ,
et dont les personnes distinguées dans l'État , par leur rang
ou leur naissance, étaient ordinairement exemptes (2). Telles
étaient certaines corvées, généralement imposées aux parti-
culiers pour le service de l'État, par exemple, pour l'en-
tretien des chemins publics , le service des postes , le loge-
gement des troupes ou des officiers du prince dans leurs
voyages , etc. Plusieurs de ces corvées supposaient , dans
(l)Godefroy, Comment, sur le Code Théodos., Iiv. xn. Préambule du
titre 1.— Beugnot, Hist. de la destruction du Pagan. en Occident, t. i,
p. 77, 78, 93.
(2) On trouve dans le Code Théodosien plusieurs constitutions de l'em-
pereur Constance sur ce sujet. Nous citerons seulement quelques-unes des
plus remarquables. La première , adressée à tous les clercs , est conçue en
ces termes : « Juxta sanctionem (seu legem) quam dudum meruisse per»
« liibemini , et vos et mancipia vestra nullus novis collationibus obligabit ;
« sed vacatione gaudebitis. Prseterea neque bospites suscipietis; et si qui
«de vobis, alimonise causa , negotiationem exercere volunt, immunitate
« potientur. •» Cod. Theod. lib. xvi, tit. 2, n. 8.
Cette immunité fut étendue et confirmée par une constitution postérieure
des empereurs Constance et Constant, adressée à tous les évêques de leur
territoire , et conçue en ces termes : « Ut Ecclesiarum cœtus concursu po-
« pulorum frequentetur, clericis ac juvenibus (i. e. clericorum ministris)
« praebeatur immunitas; repellaturque ab bis exactio munerum sordido-
« rum; negotiatorum dispendiis minime obligentur, cùm certum sit quae-
« stus quos ex tabernaculis atque ergasteriis colligunt , pauperibus profu-
« turos. Ab hominibus etiam eorum qui inercimoniis student, cuncta di-
« spendia (amovenda) esse sancimus. Parangariarum quoque (seu cursus
«. publici) parili modo cesset exactio. Quod et eonjugibus , et liberis
«c eorum, et ministeriis, maribus pariter et fœminis, indulgemus; quos à
« censibus etiam jubemus perseverare immunes. » Ibid., n. 10. Voyez, pour
un plus ample développement, lib. xi, tit. 16, n. 15, 18, 21, 22.
10
146 INTRODUCTION.
ceux qui les exerçaient par eux-mêmes, l'exercice de quelque
métier ou art mécanique , ordinairement réservé aux per-
sonnes de basse condition.
5° L'exemption de la capitation ou des impôts person-
nels (\). Cette immunité, accordée d'abord à l'Église
romaine par Constantin , fut depuis étendue à tout le clergé
catholique, par ce prince et par ses successeurs. Valentinien Ier
l'étendit même aux vierges, aux veuves et aux diaconesses (2).
Ce qui semble plus étonnant au premier abord , c'est que
cette exemption s'appliquait même aux clercs qui faisaient
le négoce , à leurs femmes , à leurs enfants et à leurs servi-
teurs (5). Voici quelle fut l'occasion et le motif de cette
disposition. Il est certain que l'Église permettait alors aux
clercs de se procurer , par le travail ou le négoce , les
moyens de subsister honnêtement, et de faire des aumônes plus
abondantes (A). Ce fut pour entrer dans ces vues de l'Église,
que les premiers empereurs chrétiens accordèrent aux clercs
l'immunité dont il s'agit. Toutefois , pour prévenir les abus
qu'elle pouvait occasionner , l'empereur Constance déclara
qu'elle regardait uniquement les clercs qui se bornaient à
un petit trafic , et non ceux qui seraient inscrits sur le rôle
(i) Cod. Theodos. lib. xvi, t. 2. Outre le n. 10, que nous avons cité dans
la note précédente, voyez aussi les n. 13 et 14. Nous supposons ici, selon le
sentiment commun, l'existence de la capitation ou de Yimpôt personnel ,
sous Constantin et ses successeurs. Godefroy, dans son Commentaire sur
le Code Théodosien, a fortement combattu cette opinion ; mais il a été
généralement abandonné des savants, sur ce point. Bingham , entre autres ,
nous paraît l'avoir solidement réfuté. ( Bingham, ubi supra ; cap. 3, § 1.
Voyez aussi Naudet,;wôi supra , 1. 1, p. 345, etc. ; t. n , p. 322.
(2) « In virginitate perpétua viventes, et eam viduam de quâ ipsa matu-
« ritas pollicetur nulli jam eam esse nupturam, à plebeise capitationis inju-
« riâ vindicandos esse decernimus; item pupillos in virili sexu, usque ad
« viginti annos , ab istiusmodi functione immunes esse debere; mulieres au-
« tem, donec virum unaquaeque sortitur. » Cod. Theod. lib. xm,tit. 10,
n- 4. Voyez aussi le n. 6 du même titre. — Fleury, Hist. Eccles., t. iv,
liv. xvi, n. 1.
(3) Cod. Theodos. lib. xvi, tit. 2,n. 8, 10 et 14. Nous avons cité les n. 8
et 10 dans la note 2 de la page précédente.
(4) Thomassin, Ancienne etnouv. Discipline, t. m, liv. m, chap. 17
et 18. — De Héricourt, Abrégé du même ouvrage , 3e partie, chap. 17.
INTRODUCTION. 147
des principaux négociants (4). Cette exemption, même ainsi
restreinte , fut enGn supprimée par Valentinien ÏII , à une
époque où l'accroissement des biens ecclésiastiques rendait
le commerce beaucoup moins nécessaire aux clercs , et où
l'Église elle-même crut devoir le leur interdire , à cause des
abus qu'il pouvait entraîner (2).
4° Enfin , une des principales immunités du clergé , sous
les empereurs chrétiens, était l'exemption de la juridiction
séculière. Nous en parlerons plus en détail dans le paragraphe
suivant , où nous examinerons quelle était , à cette époque ,
la juridiction ou le pouvoir judiciaire des évêques, en ma-
tière temporelle.
L'importance et l'étendue de ces immunités ne tarda pas
à donner lieu à quelques abus , que les empereurs se hâtè-
rent de réprimer par leurs édits. On voyait quelquefois des
particuliers entrer dans le clergé, sans autre motif que celui
de jouir des immunités ecclésiastiques, et surtout pour éviter
les fonctions municipales, auxquelles ils étaient sujets par
leur naissance ou leur fortune. Pour arrêter ce désordre ,
Constantin défendit d'ordonner un plus grand nombre de
clercs qu'il n'en fallait pour le service de l'Église , et de les
choisir parmi ceux que leur naissance ou leur fortune rendait
sujets aux charges publiques ; car il est juste , dit la loi ,
que les riches portent les charges du siècle , et que les pau-
vres soient entretenus par les biens des Églises (5). Cette
(1) «Clerici...itaà sordidis muneribus debent immunes, atque à collatione
« praestari (i. e. à tributo negotiatoribus imposito ), si exiguis admodum
« mercimoniis tenuem sibi victum vestitumque conquirent. Reliquiautem,
« quorum nomina negotiatorum matricula comprehendit, eo tempore quo
« collatio celebrata est (seu instituta est ), negotiatorum munia et pensi-
« tationes agnoscant ; quippe postmodum clericorum se cœtibus aggrega-
« runt. » Cod. Theodos. fit», xvi, tit. 2, ri. 15.
(2) « Jubemus ut clerici nihii prorsus negotiationis exerceant; si ve-
« lint negotiari , sciant se judicibus subditos, clericorum privilegio non
« muniri. » Valentiniani Novella 2, versus médium. (Ad calcem- Codicis
Theodos. édition deRitter,t. vi, p. 417.) — Thomassin, Ancienne et
nouv. Discipline, t. ni, liv. i, chap. 33, n. 5, etc.; chap. 34, n. 4.
(3) Cod. Theodos. lib. xvi, tit. 2, n. 3 et 6. « Opulentos enim, dit cette
« dernière loi , soeculi subire nécessitâtes oportet , pauperes Ecclesiarum
10,
148 INTRODUCTION.
Joi fut cependant modifiée , dans la suite , par l'empereur
Constance, en faveur des évêques , et même généralement
en faveur des clercs appelés au service de l'Eglise avec le
consentement du conseil municipal , et par le suffrage uni-
versel du peuple, qui avait alors une grande influence dans
l'élection des ministres sacrés (4).
. 9°- II. Les immunités réelles du clerffé subirent beaucoup
Immunités *J i
réelles. pjus fte variations que ses immunités personnelles , sous les
empereurs chrétiens. Constantin^exempta d'abord des con-
tributions publiques toutes les propriétés de l'Église (2).
Mais celte exemption ne dura pas longtemps ; et tout porte
à croire qu'elle n'eut , dans le principe , d'autre motif que
la pauvreté des Églises. L'accroissement que leurs biens
avaient pris insensiblement sous le règne de Constantin ,
engagea l'empereur Constance , son successeur , à révoquer
cette exemption , et k soumettre aux contributions réelles
les biens de l'Église comme ceux des particuliers (5). Celte
« divitiis sustentai! » — Fleury; Hist. Ecclés., tom. m, liv. xi, n. 31. —
D. Ceillier, Hist. des Auteurs ecclés., t. iv, p. 175. — Thomassin, Ancienne
et nouv. Discipline, t. i, liv. m, chap. 61.
(1) « Solum episcopum facultates suas curiœ, sicut antè fuerat constitu-
« tum, nullus adigat mancipare ; sed antîstes maneat, nec faciat substantiae
« cessionem. Sanè si qui ad presbyterorum gradus, diaconorum etiam seu
« subdiaconorum , caeterorumque ( clericorum gradus) pervenerint , assi-
« stente curiâ, ac sub obtutibus judicis promente consensum ( cùm eorum
« vitam insignem atque innocentem esse omni probitate consliterit ) babere
« débet (eorum unusquisque) patrimonium probabilis instituti (i. e.patri-
« monium légitimé acquisitum), ut retineat proprias facultates ; maxime
« si totius populi vocibus expetatur. >» Cod. Theodos. lib. xn, fit. 1,
n. 49, etc. Voyez aussi le Commentaire de Godefroy sur cette partie du
Code Théodosien.
(2) « Preeter privatas res nostras , et Ecclesias catholicas , et domum
« clarissimse memoria3 Eusebii ex consule et ex magistro equitum et pedi-
«tum, et Arsacis régis Armeniorum {utpote, ab antique, Romanorum
«fœderati et amici), nemo ex nostrâ jussione prseeipuis (i. e. immunibus)
« emolumentis familiaris juvetur substantiae. » Cod. Theodos. lib. xi, tit. 1,
n. 1. Voyez, pour l'explication de cette loi, le Commentaire de Godefroy ;
et Bingham, ubi suprà, cap. 3, § 3.
(3) « In Ariminensi synodo , super Ecclesiarum et clericorum privilegiis
« tractatu habito , usque eô dispositio progressa est , ut juga (i. e. prœdia)
« quœ videntur ad Ecclesiam pertinere , à publicd functione cessarent
« (i. e. inmunia esssent); quod nostra videtur dudum sanctio repulisse
« De his sanè clericis qui praedia possident, sublimis auctoritas tua, non so-
INTRODUCTION. 149
disposition fut toujours maintenue dans la suite , du moins
quant aux contrïbu lions ordinaires. Toutefois, l'empereur
Honorius rétablit ou confirma les immunités réelles du
clergé , quant aux contributions et aux charges sor-
dides (4); et cette disposition fut adoptée par Justinien ,
dans ses Novelles , où il marque , dans un grand détail ,
quelles sont les charges extraordinaires et sordides dont les
biens du clergé sont exempts (2).
Indépendamment des immunités réelles et personnelles
dont jouissait le clergé, dans touies les parties de l'empire ,
quelques Églises particulières avaient obtenu , à raison de
leur dignité ou de leurs besoins , des immunités beaucoup
plus étendues. L'empereur Théodose le Grand, pour honorer
les lieux saints de la Palestine, voulut que les laïques mêmes
préposés à la garde de ces saints lieux , fussent exempts ,
comme les clercs, des contributions personnelles (5). Quelques
« lùm eos aliéna juga nequaquam statuet excusare (i. e. immunia facere) ;
« sed etiam pro his quae ipsi possident , eosdem ad pensitanda liscalia per-
ce urgeri. » Cod. Theodos. lib. xvi, tit. 2, n. 15.
(1) «Placet, rationabilis concilii (verisimiliter Africanï) tenore perpenso,
« districtâ moderatione prœscribere , à quibus specialiter necessitatibus ec-
« clesiae urbium singularum habeantur immunes. Prima quippe illins usu'rpa-
« tionis contumelia depellenda est, ne praedia usibus cœlestium secretorum
« (i. e. mysteriorum) dicata, sordidorum munerumfœce vexentur; nullâ
« jugatione (i. e. mensurâ pensilationis) quae talium privilegiorum sorte
« gratulatur, muniendi itineris constringat injuria; nihil extraor dinar ium
« ab bac (jw#a#ofte)]superindictitiumve flagitetur; nulla pontium instau-
« ratio ; nulla translationum sollicitudo gignatur; non aurum caeteraque
« lalia {ad luslralem collationempertinentia, sivè adeensumnegotiatori-
« bus impositum) poscantur. Postremô nihil praeter canonicam illationem
« (i. e. ordinarium tributum) quod adventitiœ necessitatis sarcina repen-
« tina depoposcerit, ejus ïunctionibus adscribatur. Si quis contra venerit,
« post débitas ultionis acrimoniam , quœ erga sacrilegos jure promenda est ,
« exilio perpetuae deportationis uratur. » Cod. Theodos. ibid., n. 40. —
Fleury, His t. Ecclés., t. v, liv. xxm, n. 4.
(2) Justiniani Novellœ 37, 43, 131, etc.
(3) « Universos quos constiterit custodes ecclesiarum esse vel sanctorum
« locorum, ac religiosis obsequiis deservite, nullius attentationis (i. e. one~
« m, seu muneris personalis) molestiam sustinere decernimus. Quis enim
« capite censos patiatur esse devinctos, quos necessario intelligit suprà me-
<c morato obsequio mancipatos? » Cod. Theodos. lib. xvi, tit. 2, n. 26. —
Fleury, Hist. Ecclés., t. iv, liv. xvm, n. 9 — Bingham, ubi suprà, lib. m,
cap. 13, § 2.
Il paraît, d'après cette loi de Théodose, qu'il y avait alors un certain
150 INTRODUCTION.
années après . les empereurs Honorius et Tbéodose le Jeune
exemptèrent de tout impôt réel les Églises de Thessalonique,
de Constantinople et d'Alexandrie , à condition cependant
qu'elles ne profiteraient point de cette faveur pour prendre
sous leur protection les biens des particuliers, soit clercs,
soit laïques , et les faire ainsi participer à la même exemp-
tion , au détriment de l'État (4). Justinien accorda , dans la
suite , une nouvelle exemption du même genre à l'Église de
Constantinople , en considération des dépenses qu'elle était
dans F usage de faire, pour la sépulture gratuite d'un grand
nombre de pauvres (2). Nous ne voyons pas que l'Église
romaine ait alors obtenu de semblables exemptions. Il y a
tout lieu de croire que les grandes richesses dont elle jouis-
sait , par suite des libéralités de Constantin et de ses succes-
seurs, ôtaient aux empereurs l'idée de lui accorder, relative-
ment aux contributions publiques , d'autres immunités que
celles dont jouissaient généralement toutes les Églises de
l'empire.
Mais ce qu'il importe surtout de remarquer ici , c'est
qu'au milieu des fréquentes variations que subirent les
m.se aux jmmunu^s ecclésiastiques , sous les empereurs chrétiens ,
nombre de Gardiens établis dans les lieux saints de la Palestine, soit pour
veiller à la garde de ces saints lieux, soit pour maintenir l'ordre parmi le
grand concours de pèlerins que la dévotion y attirait habituellement. On
trouve des détails intéressants, sur ces anciens pèlerinages, dans Gretser, De
Cruce, 1. 1, lib. i, cap. 73 et 76. Voyez aussi Michaud, Hist. des Croisades,
4e édition, 1. 1, p. 11, etc., 546, etc.
(1) L'exemption dont il s'agit fut accordée à l'Église de Thessalonique,
par une loi de l'an 424, qui déterminait la quotité des impôts pour la Macé-
doine, dont Thessalonique était la ville capitale. L'exemption accordée à cette
ville est conçue en ces termes : « Sacrosancta Thessalonicensis Ecclesia civi-
« tatis excepta ; ita tamen ut apertè sciât propriae tantùmmodô capitationis
« modum beneficio mei numinis sublevandum; nec externorum (seu extra-
it neorum ) gravamine tributorum rempublicam ecclesiastici nominis
« abusione lœdendam. » Cod. Theodos. lib. xi, tit. i, n. 33. Une semblable
exemption avait été accordée, quelques années auparavant (en 415), aux
églises de Constantinople et d'Alexandrie, par une loi d'Honorius et de Théo-
dose le Jeune, dont nous croyons inutile de rapporter les propres expressions.
Cod. Theod. ibid., tit. xxiv, n. 6. — ■ Bingham, ubi suprà, lib. v, cap. 3,
§3.
(2) Justiniani Novella 43, cap. 1.
9*>
L'Eglise tou-
jours
soumise aux
cette matière.
INTRODUCTION. J51
l'Église ne faisait aucune difficulté de se soumettre en cette même les
. ..... ■ r moins favora-
matière , aux lois mêmes qui lui étaient moins tavora- biesen
blés. C'est ce qu'on vit en particulier depuis la loi de
l'empereur Constance , qui avait révoqué les immunités
réelles accordées au clergé par Constantin. Les évêques ,
loin de réclamer contre cette restriction, regardaient comme
un devoir de conscience, de se soumettre, sur ce point comme
sur tous les autres, aux ordonnances des princes, dans l'ordre
temporel. C'est le témoignage que leur rend Valentinien Ier,
dans sa lettre aux évêques d'Asie , pour la confirmation du
concile d'IIlyrie. Entre autres éloges qu'il fait des évêques
catholiques, il les loue de ce qu ils ne sont pas moins fidèles
aux lois des princes temporels qu'à celles de Dieu lui-
même , et de ce qu'ils payent exactement les tributs établis
par les lois (4). Saint Ambroise reconnaît expressément la
même chose , dans son Discours contre Auxence , où il ré-
clame avec tant de fermeté contre les instances de Valentinien
le Jeune, qui demandait une Église pour les Ariens. Le saint
docteur , pour montrer que son refus n'a d'autre motif que
l'intérêt de la foi , déclare qu'en toute autre matière , il fait
profession , avec toute l'Église , d'obéir aux ordres des em-
pereurs , et qu'il se croit particulièrement obligé à payer les
impôts qu'ils ont coutume de lever sur les terres de l'Église.
« Si l'empereur , dit-il , demande un tribut , nous ne le
« refusons pas : les terres de l'Église le payent Nous
« donnons à César ce qui est à César , et à Dieu ce qui est
« à Dieu. Le tribut appartient à César, on le lui paye ;
« mais l'Église appartient à Dieu , elle ne peut être donnée
« à César (2) . »
Faute d'avoir fait attention à la dernière partie de ce texte,
(1) Theodoret, Hist. Eccles., lib. iv, cap. 8.
(2) « Si tributum petit (imperator), non negamus : agri Ecclesise solvunt
é « tributum Solvimus quœ sunt Cœsaris Cœsari, et quœ sunt Dei Deo.
« Tributum Cœsaris est, non negatur; ecclesia Dei est, Csesari utique non
« débet addici. » S. Ambroise, Serm. contra Auxentium, n. 33 et 35. (Ad
calcem Epistol. 21, Operum tom. n.)
152 INTRODUCTION.
que nous avons soulignée, le cardinal Baronius , et après lui
un certain nombre de théologiens et de canonistes, pensent
que saint Ambroise ne parle pas ici d'une obligation rigou-
reuse, mais d'une obligation de simple convenance, fondée
sur la douceur chrétienne , qui prescrit, en certains cas,
aux fidèles, de se laisser dépouiller injustement, plutôt que
de contester (1). Mais il suffit de lire attentivement et sans
préjugé les paroles de saint Ambroise, pour voir qu'il parle
ici d'une obligation rigoureuse, fondée sur le précepte de
Notre-Seigneur : Rendez à César ce qui appartient à César,
et à Dieu ce qui appartient à Dieu (2).
Saint Grégoire le Grand témoigne les mêmes sentiments,
dans plusieurs de ses lettres (5). Quelque zélé qu'il fût pour
les immunités accordées par les princes à l'Eglise et à ses
ministres, il suppose et reconnaît souvent l'obligation de
payer les tributs, qui, d'après les constitutions impériales, se
levaient alors sur les terres de l'Église. Dans une de ses let-
tres au défenseur de Sardaigne (4) , il lui recommande de
(1) Baronius, Annales, tom. iv, anno 387, n. il, etc.
(2) Matth. xxu, 21. Le passage de saint Ambroise, que nous venons de
citer, semble, au premier abord, difficile à concilier avec le langage qu'il
tient dans une de ses lettres , à l'occasion du tribut payé par Notre-Sei-
gneur. (Matth. xvii , 26.) Saint Ambroise, expliquant ce passage de l'Évan-
gile, paraît croire que Jésus-Christ et ses apôtres étaient naturellement
exempts de l'obligation de payer les impôts, et ne les payaient que par con-
descendance, pour ne pas scandaliser les Juifs. (S. Ambroise, Epïst. 7, n. 17
et 1 8, Operum, tom. n.) Mais si l'on examine attentivement l'objet et la suite
de cette lettre, on verra que l'exemption dont parle ici le saint docteur, en
tant qu'elle s'applique aux apôtres et aux ministres sacrés en général, doit
se prendre pour une exemption de pure convenance, très-compatible avec
Yobligaiion rigoureuse que le saint docteur reconnaît ailleurs si claire-
ment dans son Discours contre Auxence , et qu'il prouve par le sens
littéral de ces paroles du Sauveur : Rendez à César ce qui est à
César.
La difficulté de concilier ces deux passages a donné lieu au P. Thomassin de
s'exprimer là-dessus d'une manière si embarrassée, qu'elle permet à peine de
comprendre quels sentiments il attribue à saint Ambroise sur l'obligation
imposée aux clercs de payer les impôts. (Thomassin, Ancienne et nouvelle
Discipline, t. m, liv. i, chap. 33, n. 10, etc.)
(3) Thomassin, ibid., chap. 34, n. 10, etc.
(4) On donnait alors le nom de défenseurs, aux administrateurs des patri-
moines de l'Église romaine, situés en divers pays. Voyez Zaccaria, De rébus
INTRODUCTION. 153
faire bien cultiver les terres de V Église , afin qu' elles soient
en état de payer les impôts (\). Ailleurs, il oblige des reli-
gieux de Palerme à payer les impôts qu'on exigeait d'eux ,
d'après les lois alors en vigueur (2).
Tous ces détails sur l'origine et les vicissitudes des inimu- Erreur9^e Ba.
nités ecclésiastiques, sous les empereurs chrétiens , peuvent sJ°cne'g;i-et#
servir à corriger une erreur assez grave de Baronius , sur
cette matière. Cet auteur avance avec confiance, que, depuis
la conversion de Constantin , aucun empereur n'a exigé les
impôts du clergé , excepté Julien l'Apostat, Valens , attaché
à la secte des Ariens, et Valentinien le Jeune, dominé par
l'impératrice Justine, qui était dévouée au même parti (5).
Il résulte, au contraire, des témoignages et des faits que
nous venons de rapporter , que tous les empereurs chrétiens,
depuis Constantin jusqu'à Justinien; ont exigé du clergé des
contributions plus ou moins fortes ; que les empereurs même
les plus religieux, tels que Gratien et Théodose le Grand,
suivirent , à cet égard , l'usage établi par leurs prédéces-
seurs ; et que les saints docteurs , loin de réclamer contre
cet usage , se croyaient obligés , en conscience , à y confor-
mer leur conduite.
Nous remarquerons aussi, en passant l'importance de ces 9*
. , La question
faits , pour éclaircir la question agitée entre les théologiens tbéoi«gis«o
de
ad Hist. et Àntiquit. Ecclesiœ perlinentibus, tom. h, Dissert. 10, cap. 5,
§ 2.— Ducange, Glossarhtm infimœ Latin., verbo Defensor. —S. Greg.
Epistol. lib. v, Epist. 29,
(1) « Ut possessiones Ecclesiae ad tributa sua solvenda idoneae exis-
« tant. » S. Greg. Epistol. lib. îx, Epist. 64.
(2) Voici ce que saint Grégoire écrit sur ce sujet à Zittanus, maître de la mi-
lice de PaIerme4-« Epist olasvestras,Gra3Co sermone dictatas, meindico susce-
« pisse, in quibus dicitis quod quaedam religiosa loca responsum (i. e. satis-
« factionemseusolutionem) juripublico, de rebusei competentibus, reddere
« contemnant. Quae res me omninô coutristavit Proinde Fautino defen-
« sori quœ scripserim Gloriae vestrœ transmisi, ut ipse religiosos quosque in
« Panormitanis partibus apud electos judices venire compellat, et suorum
« actuum rationem reddant. » S. Greg. Epistol. lib. x, Epist. 27.
(3) Baronius, Annal, tom. iv, anno 387, n. 11 et 14. Cette erreur de Baro-
nius est relevée avec beaucoup de dureté par Bingbam, ubi supra, lib. v,
cap. 3, § 1 et 4, pag. 227 et 236.
154 INTRODUCTION.
voriginedes et les canonistes, sur l'origine des immunités ecclësiasti-
immumtes
les faits.
éciairciepar ques (J). Le sentiment commun des théologiens est, qu'elles
sont uniquement fondées sur le droit positif-humain; les
canonistes , au contraire , pensent communément qu'elles
sont fondées sur le droit divin , naturel et positif. Entre
ces deux sentiments , le cardinal Bellarmin croit pouvoir
établir une opinion mitoyenne , qui lui semble propre à les
concilier. Selon cet habile controversiste , les immunités
ecclésiastiques ne sont pas de droit divin, en ce sens qu'elles
soient fondées sur un précepte divin proprement dit, et
formellement exprimé dans V Écriture , mais uniquement
en ce sens qu'elles se déduisent , par une conséquence natu-
relle , de certains exemples de l'Écriture , tels que celui du
patriarche Joseph , qui exempta de toute contribution les
prêtres égyptiens (2) . et celui du roi de Perse Artaxerce ,
qui accorda la même exemption aux prêtres israélites (5).
Selon le même auteur , les immunités ecclésiastiques ne sont
pas de droit naturel , en ce sens qu'elles appartiennent aux
premiers principes, ou aux conséquences prochaines et né-
cessaires du droit naturel , mais uniquement en ce sens
qu'elles sont tout à fait convenables et conformes à l'équité
naturelle; ce ne sont point, ajoute-t-il , des conséquences
évidentes et absolument nécessaires du droit naturel , mais
des conséquences obscures et éloignées, qui ont besoin d'être
déterminées par les lois humaines; et elles sont en effet
déterminées , pour le fond , par le droit des gens , ou par
le consentement unanime de tous les peuples, qui ont tou-
jours accordé aux ministres sacrés des immunités plus
ou moins étendues.
Il n'entre pas dans notre plan d'examiner jusqu'à quel
point ces explications sont propres à concilier les divers sen-
timents des théologiens et des canonistes sur cette matière ;
(1) Bellarmin, Controv. de Clericis, cap. 28 et 29. (Operumt tom. n.)
(2) Gènes, xlvii, 22.
(3) I Esdr. vu, 24.
INTRODUCTION. 155
mais il résulte assez clairement , des faits que nous avons
rapportés , qu'on ne peut regarder les immunités ecclésias-
tiques comme fondées sur le droit divin proprement dit , et
qu'elles sont uniquement fondées sur le droit positif-hu-
main , au moins dans le sens où l'explique le cardinal Bel-
larmin. En effet , il est certain que ces immunités ont subi ,
sous les empereurs chrétiens , de nombreuses variations ;
que l'Église ne faisait aucune difficulté de se soumettre aux
différentes lois des empereurs sur cette matière , lors même
qu'elles lui étaient moins favorables ; et que, loin de réclamer
contre les lois qui restreignaient ses immunités, elle regar-
dait comme une obligation rigoureuse de se soumettre, sur
ce point, comme sur tous les autres, aux ordonnances des
princes, dans l'ordre temporel. Or, il est aisé de voir com-
bien tous ces faits seraient difficiles à concilier avec le senti-
ment qui représente les immunités ecclésiastiques comme
appartenant au droit naturel ou divin proprement dit , que
toutes les puissances de la terre sont obligées de respecter ,
loin d'y pouvoir jamais déroger. On voit , au contraire ,
combien les mêmes faits sont faciles à concilier avec le sen-
timent qui regarde les immunités ecclésiastiques comme
fondées uniquement sur le droit positif '. dans le sens où
l'explique le cardinal Bellarmin (4).
III. On peut rapporter aux immunités réelles du clergé , 94.
sous les- empereurs chrétiens, le dr oit d'asile, c'est-à-dire, son origine.'
le droit accordé aux accusés qui se réfugient dans l'Église ,
ou dans quelque autre lieu saint , de ne pouvoir y être pour-
suivis, du moins pendant un certain temps, et par certaines
personnes (2). L'origine et la nature de ce droit sont très-
Ci) On peut voir, à l'appui de ces observations, Pey, De V Autorité des
deux Puissances, 3e partie, chap. 3, § 7, tome m, pages 138, 525; et alibi
passim.
Les mêmes observations peuvent servir à corriger quelques assertions exa-
gérées de l'abbé Bonnaud, sur cette matière, dans son ouvrage intitulé :
Réclamations pour l'Église Gallicane , pages 308 - 347 ; et alibi
passim.
(2) Cod. Theod. lib. ix, tit. xlv. — Cod. Justin, lib. 1, tit. xii, — Tho-
156 INTRODUCTION.
bien expliquées dans un Mémoire sur ce sujet, lu, en \7\\ ,
à l'Académie des inscriptions , parFr. Simon, l'un des aca-
démiciens les plus distingués de cette époque. « Dès que les
« hommes, dit-il (4), ont commencé à invoquer l'Auteur
« de la nature, qu'ils lui ont élevé des autels et offert des
« sacrifices , pour le reconnaître comme l'arbitre souverain
« de leur sort et implorer son assistance; ils l'ont regardé
« comme présent, d'une manière particulière, dans les lieux
« où l'on célébrait ses mystères , et ont appréhendé d'y pa-
« raître inflexibles pour les autres , lorsqu'ils tachaient de le
« fléchir pour eux-mêmes. Cette crainte respectueuse les
« disposa à traiter favorablement ceux qui venaient s'y ré-
« fugier , et à empêcher qu'on ne leur fit violence. C'est en
« quoi consiste proprement le droit d'asile , » comme l'au-
teur du Mémoire l'établit solidement par l'histoire des Asiles
chez les peuples anciens. Il résulte clairement , des détails de
cette histoire , que le droit d'asile n'a pas été établi pour
mettre les criminels à l'abri des poursuites de la justice, mais
pour ouvrir aux innocents un lieu de refuge, pour mettre les
accusés à couvert de la violence et des voies de faits, et pour
laisser aux juges le temps d'examiner mûrement les délits,
avant de leur infliger la peine convenable.
95. Tels furent aussi les motifs qui engagèrent les empereurs
epà"Ts chrétiens à transporter aux églises le droit d'asile, dont
""avec, ' jouissaient auparavant les temples et quelques antres lieux
trictioM. consacrés au culte des divinités païennes. Il serait difficile de
dire si ce droit fut attribué d'abord aux églises par une loi
expresse , ou s'il fut simplement regardé comme une consé-
massin, Ancienne et nouvelle Discipline, tome n, liv. ni, chap. 95-101. —
De Héricourt, Abrégé du même ouvrage, 2e partie, chap. 28, § 2. — Bin-
gham, Origines et Antiq. eccles., tome m, lib. vin, cap. 11. — Bergier,
Dict. Théol.f art. Asiles. — Van-Espen, Dissertatio de immunitate locali,
seu de asylo templorwn. (Operum tom. n ; ad calcem.)
(1) Mémoire sur les Asiles, dans Y Histoire de l'Académie des inscript.,
édition in-12, tom. n, page 52. L'auteur de ce mémoire est Fr. Simon,
conservateur des médailles du cabinet du Roi, mort en 1719, à l'âge de
soixante-cinq ans.
INTRODUCTION. iôj
quence naturelle du droit dont les temples du paganisme
avaient joui dans toute l'antiquité. Cette dernière supposi-
tion , généralement admise des savants , semble confirmée
par la plus ancienne des constitutions impériales sur ce sujet,
qui est de l'empereur Théodose le Grand (4). Il est cà re-
marquer , en effet , que cette constitution , aussi bien que
toutes les autres plus récentes, n'établit point le droit d'asile,
mais le suppose déjà établi , et se borne à y mettre de sages
restrictions , pour prévenir les abus auxquels il pouvait
donner lieu , et pour empêcher qu'il ne tournât au détriment
de l'ordre public, en assurant l'impunité aux criminels.
C'est dans cette vue que les empereurs ordonnèrent de sai-
sir , même dans l'Église , les débiteurs publics , les homi-
cides, les adultères, les ravisseurs, et d'autres criminels
notoires , dont il importait à l'ordre public de ne pas différer
le châtiment (2).
Le droit d'asile , renfermé dans de justes bornes , était 9e.
trop conforme aux principes de la douceur et de la charité pomie 8
chrétienne, pour que le clergé ne s'y montrât pas très-attaché. "^ droit. e
Aussi voyons-nous les évêques et les conciles témoigner , en
général , beaucoup de zèle pour la conservation de ce droit ,
et l'invoquer presque toujours avec succès , tantôt pour dé-
fendre les innocents injustement persécutés, tantôt pour
implorer la grâce des criminels qui se réfugiaient dans l'É-
glise, ou du moins pour obtenir l'adoucissement de la peine
qu'ils avaient encourue , mais surtout pour empêcher que la
rigueur delà justice humaine ne les privât, comme il arri-
(1) « Publicos debitores (i. e. tributorum debitores) f siconfugiendum
« ad ecclesias crediderint, aut illico ex trahi de latebris oportebit, aut pro
« bis ipsos qui eos occultare probantur, episcopos exigi (i. e. ad solvendum
« compelli.) Sciât igitur prœcellensauctoritastua, neminem debitorum (pu-
« blicorum) posthac à clericis defendendum ; aut per eos ejus quem defen-
« dendum esse crediderint debitum esse solvendum. » Cod. Theod. lib. ix,
Ut 45, n. i.
(2) Cod. Theodos. et Cod. Justin, ubi suprà. — Tables de YHist.
Eccl. de Fleury , et de YHist. des Auteurs ecclés. de D. Ceillier ; art.
Asiles.
158 INTRODUCTION.
vait quelquefois , des secours spirituels que la religion offre
toujours aux pécheurs , et dont les plus grands criminels ont
encore plus besoin que les autres (\). Tels étaient les vérita-
bles motifs du zèle que témoignaient habituellement les évê-
ques et les conciles, pour le maintien du droit d'asile. Sans
doute, ils n'ignoraient pas l'autorité donnée aux magistrats,
pour la répression et le châtiment des crimes qui attaquent
Tordre public, ou les droits des particuliers ; et, loin de dési-
rer que ces crimes demeurassent impunis, ils reconnaissaient
hautement la nécessité d'user, en certains cas, de sévérité à
l'égard des criminels (2) ; mais ils souhaitaient que la fermeté
des magistrats , comme celle du gouvernement, fût tempérée
par la clémence, et qu'en punissant le péché, on ne négli-
geât rien pour sauver le pécheur , afin que le châtiment tem-
porel des coupables pût contribuer à leur salut éternel. C'est
ce que saint Augustin explique admirablement, dans une
lettre à Macédonius, vicaire d'Afrique, où il traite à fond
cette matière (5). «Voulez-vous savoir , dit le saint docteur,
« pourquoi nous intercédons, autant que nous le pouvons,
« pour tous les criminels? C'est que tout péché paraît par-
« donnable, lorsque le coupable promet de s'amender. C'est
« votre maxime, et c'est aussi la nôtre. Nous sommes donc
« bien éloignés d'approuver le péché, puisque nous voulons
« qu'on s'en corrige; et si nous demandons qu'il demeure
« impuni, ce n'est pas qu'il nous plaise; mais c'est qu'en
« même temps que nous détestons le crime , nous avons pitié
« du criminel; et que plus nous avons d'horreur du mal,
(1) Thomassin, ubi suprà. Les vies de S. Augustin, de S. Basile et de
S. Jean Chrysostome offrent plusieurs exemples remarquables de cette
charitable intervention des prélats , en faveur des innocents et des crimi-
nels. Voyez Fleury et D. Ceillier, ubi suprà.
(2) voyez les réflexions que nous avons faites plus haut (n. 47 et suiv.,
page 67, etc. ) sur l'usage modéré des peines temporelles contre l'hérésie et
les autres délits publics de l'impiété.
(3) S. Augustin, Epist. 153 (allas 54) ad Macedonium. On peut voir
l'analyse de cette lettre dans Fleury, Hist. EccL, t. v, liv. xxn, n. 52. — D.
Ceillier, Hist. des Auteurs ecclés., t. xi, p. 245, etc. —Thomassin, ubi
suprà , chap. 95, n. 2, etc.
INTRODUCTION. 159
« plus nous craignons que celui qui l'a commis ne meure,
«sans avoir eu le temps de s'amender L'amour que
« nous avons pour les hommes nous oblige donc d'intercéder
« pour les criminels , de peur que, du supplice qui finit avec
« leur vie , ils ne tombent dans un supplice qui ne finira
« jamais. Vous ne devez point douter que la religion n'auto-
« rise cette pratique, puisque Dieu même, en qui il n'y a
« point d'injustice, ce Dieu dont la puissance est sans bornes,
« qui voit non-seulement ce que chacun est , mais ce qu'il
« doit être dans la suite , ne laisse pas néanmoins,
« comme dit l'Évangile , de faire lever son soleil sur les mé-
« chants, et de faire tomber la pluie sur les impies, aussi
« bien que sur les justes Que si parmi ces méchants
« qu'il épargne, et à qui il laisse la santé et la vie , il y en
« a plusieurs dont il prévoit bien qu'ils ne feront jamais
« pénitence , et qu'il ne laisse pas de souffrir avec la même
« patience que les autres, à combien plus forte raison devons-
« nous être touchés de compassion pour ceux qui promettent
« de s'amender, puisque, encore que nous ne sachions pas
« s'ils seront fidèles à leurs promesses, nous devons toujours
« en bien espérer Il est vrai qu'on emploie très-utile-
« ment la terreur des lois , pour réprimer l'audace et la li-
« cence des méchants : cette sévérité est utile, non-seulement
« aux bons , qui , par ce moyen , vivent en sûreté parmi les
« méchants , mais aux méchants eux-mêmes , qui , parmi les
« justes châtiments qu'on leur inflige, peuvent invoquer Dieu,
« et se convertir, Cependant, les intercessions des évêquesne
« sont point contraires à l'ordre établi parmi les hommes : elles
« ne subsistent même que sur cet ordre ; et la grâce que Fin-
« tercesseur obtient pour le coupable est d'autant plus
« grande, que le supplice lui était plus justement dû
« Il peut arriver , sans doute , que la grâce accordée à un
« criminel qui allait être condamné ait des suites toutes
« contraires à ce que nous prétendions. Il peut arriver que
« celui-là même à qui nous aurons sauvé la vie par nos inter-
160 INTRODUCTION.
« cessions , l'ôte ensuite à plusieurs , et que son audace ,
« augmentée par l'impunité , abuse de l'indulgence qu'on
« aura eue pour lui ; ou que, s'il en profite pour se corriger,
« l'espérance d'une semblable impunité en perde quelques
« autres, et les jette dans de semblables désordres, ou même
« dans de plus grands. Ces maux, qui peuvent résulter de
« nos intercessions , ne doivent pas nous être imputés : on
«. ne doit mettre sur notre compte que le bien que nous
« avons en vue, et que nous tachons de procurer; car nous
\ « n'intercédons pour les coupables que dans le dessein de
« rendre la religion aimable par des exemples de douceur ,
« afin que ceux que nous délivrons de la mort temporelle
« vivent de telle sorte , qu'ils ne tombent pas dans la mort
« éternelle , dont personne ne saurait les délivrer. »
97 . On voit assez , par ces observations , ce qu'il faut penser
VcendS, e de l'opinion de quelques auteurs modernes, qui représentent
reiderjusteSans le droit d'asile comme un fruit de l'ignorance et de la
superstition, comme un abus du pouvoir ecclésiastique,
enfin comme n'étant propre qu'à favoriser les criminels, en
leur assurant l'impunité. On eût évité, sur ce sujet, bien
des déclamations , si l'on eût fait attention que le droit d'a-
sile remonte à l'origine même de la société; qu'il a été
admis , avec plus ou moins d'étendue , par tous les anciens
législateurs , et chez les peuples même les plus civilisés; que
Dieu lui-même l'avait autorisé , quoique avec de sages res-
trictions , dans la loi de Moïse (4); qu'à l'époque de l'éta-
blissement du christianisme , il était naturel d'appliquer aux
Églises ce droit fondé sur un usage si ancien et si universel;
enfin, que ce droit, renfermé dans de justes bornes , tend ,
par sa nature, à entretenir parmi les peuples un profond
respect pour le lieu saint et pour la Divinité même , et à
prévenir une multitude d'excès également funestes à l'ordre
public et à la sûreté des particuliers (2). Sans doute on peut
(1) Numer. xxxv. *-*•*«-
(2) il faut corriger d'après ces observations, les Annales du moyen
INTRODUCTION. 161
abuser de ce droit comme on abuse tous les jours des insti-
tutions même les plus utiles et les plus légitimes ; mais les
abus ne doivent pas nous empêcher de reconnaître les grands
avantages qui résultent de ce droit. Dans l'enfance de la
société surtout , et généralement chez tous les peuples peu
avancés dans la civilisation , rien n'est plus avantageux que
le droit d'asile, pour suppléer au défaut des lois et du gou-
vernement ; pour arrêter la violence des particuliers, qui
s'imaginent communément avoir le droit de se faire justice
par eux-mêmes; enfin, pour prévenir ou modérer les pre-
miers mouvements d'une vengeance souvent injuste, et tou-
jours dangereuse (4). Montesquieu lui-même, frappé de
ces considérations, n'a pu s'empêcher d'admirer, sur ce
point, la sagesse des lois de Moïse, et d'approuver géné-
ralement le droit d'asile, pourvu qu'on y mette les restric-
tions nécessaires pour en prévenir les abus. « Comme la
« Divinité, dit-il (2) , est le refuge des malheureux, et qu'il
« n'y a pas de gens plus malheureux que les criminels , on a
« été naturellement porté à penser que les temples étaient
« un asile pour eux; et celte idée parut encore plus natu-
« relie chez les Grecs, où les meurtriers, chassés de leur
« ville et de la présence des hommes , semblaient n'avoir
« plus de maisons que les temples , ni d'autres protecteurs
« que les dieux. Ceci ne regarda d'abord que les homicides in-
« volontaires ; mais lorsqu'on y comprit les grands criminels,
« on tomba dans une contradiction grossière : s'ils avaient
« offensé les hommes, ils avaient, à plus forte raison, of-
« fensé les dieux Les lois de Moïse furent très-sages.
« Les homicides involontaires étaient innocents; mais ils
dge, t. vu, p. 337, etc. — Hegewisch, Hist. de Charlemagne, pag. 176, etc.
— Gaillard, Hist. de Charlemagne , t. h, p. 105, etc. — De Pouilly,
Dissert, sur l'origine et les progrès de la Jurid. ecclés. ( Mém. de
l'Acad. des inscrip., tom. xxxix, in«4°, p. 576, etc.)
(1) Voyez, à l'appui de ces observations , Bernardi , De V Origine et des
Progrès de la Législation française, liv. i, chap. il, p. 76. — Lingard,
Antiquités de V Église Anglo-saxonne, chap. 3, p. 116, etc.
(2) Montesquieu , Esprit des Lois, liv. xxv, chap. 3, vers la fin.
11
162 INTRODUCTION.
<( devaient être ôtés de devant les yeux des parents du mort ;
u il établit donc un asile pour eux (4). Les grands criminels
« ne méritent point d'asile : ils n'en eurent pas. Les Juifs
« n'avaient qu'un tabernacle portatif, et qui changeait con-
« tinuellement de lieu ; cela excluait l'idée d'asile. Il est vrai
« qu'ils devaient avoir un temple ; mais les criminels , qui
« y seraient venus de toutes parts , auraient pu troubler le
« service divin. Si les homicides avaient été chassés hors du
« pays, comme ils le furent chez les Grecs, il eût été à
« craindre qu'ils n'adorassent des dieux étrangers. Toutes
« ces considérations firent établir des villes d'asile , où l'on
« devait rester jusqu'à la mort du souverain pontife. » La
lecture attentive de l'histoire suffit pour se convaincre que ,
dans la loi nouvelle , comme dans l'ancienne , les ministres
de la religion , et les souverains pontifes en particulier, loin
d'abuser de leur autorité, pour soutenir ou étendre impru-
demment le droit d'asile, ont de tout temps concouru avec
les princes, pour en corriger les abus, et même pour le res-
treindre de plus en plus, à mesure qu'il devenait plus abu-
sif et moins nécessaire au maintien de l'ordre public (2).
§ V. Pouvoir judiciaire des évêques , en matière tempo-
relle, sous les empereurs chrétiens (3).
98. Une des principales immunités personnelles du clergé ,
juridiction a sous les empereurs chrétiens , comme nous l'avons déjà re-
eeLemSe' marqué, était X exemption de la juridiction séculière, c'est-
temporelle.
(1) Numer., xxxv.
(2) Voyez , à l'appui de cette assertion , les auteurs que nous avons cités
plus haut, p. 155, note 2, et p. 157, note 2.
(3) Cod. Theodos. lib. xvi, tit. 2, passim. — Cod. Justin, lib. 1, tit. 4.
— Thomassin, Ancienne et nouvelle Discipline, t. 11, liv. m, chap.
101, etc. — De Héricourt, Abrégé du même ouvrage, 2e partie, chap. 29.
— Petit-Pied , Traité des Droits et des Prérogatives des ecclésiastiques.
Paris, 1705 , in-4°, lre partie, p. 62, etc. — Bingham, Origines sive anti-
quit. Eccles., t. 1, lib. 11, cap. 7 ; 1. 11, lib. v, cap. 2. — Fleury, Hist. Eccl.,
t. xix, 7e Discours, n. 4. — Dupuy , Traité de la Jurid. crimin., lre par-
tie, chap. 2, 8, etc. (à la suite du Traité des Libertés de l'Église Gall.).
INTRODUCTION. 163
à-dire, le privilège accordé aux clercs, de ne pouvoir être
traduits devant les tribunaux séculiers, et de faire juger
leurs causes, en matière même temporelle, par un tribunal
ecclésiastique. Mais le pouvoir de terminer les contestations
entre les clercs n'était qu'une partie de la juridiction tem-
porelle des évoques ; et ils étaient investis, en bien des cas,
de la même autorité par rapport aux laïques. Il est d'autant
plus important de montrer ici l'origine et les progrès de
cette juridiction temporelle du clergé, que le droit romain,
sur cette matière, a servi de modèle à celui de toutes les nou-
velles monarchies qui se sont élevées en Occident, depuis le
quatrième siècle, sur les ruines de l'empire (4).
Dès le temps des persécutions, l'usage des fidèles, fondé 99-
11 . Lesevcques
sur la doctrine et les exhortations de saint Paul (2), était de arbitres
. des différends
prendre les évêques pour arbitres de leurs différends. Le dès ie temps
caractère auguste des premiers pasteurs, joint aux vertus persécutions.
éminentes qui distinguaient alors le plus grand nombre d'entre
eux, leur attirait généralement le respect et la confiance des
peuples, et les faisait regarder comme les arbitres naturels de
toutes les contestations qui pouvaient s'élever entre les
fidèles. Leur arbitrage pacifique et désintéressé était en effet
bien préférable au jugement des magistrats séculiers, presque
tous idolâtres , pleins de préjugés , souvent même de haine
contre les chrétiens, et devant lesquels, par conséquent, les
fidèles ne pouvaient porter leurs différends sans danger pour
eux-mêmes, et sans scandale pour les païens.
Ces considérations, qui avaient naturellement introduit et ioo.
Baisons de
maintenu, pendant tout le temps des persécutions, 1 arbitrage maintenir cet
des évêques, eurent sans doute moins de force depuis la con- depuis ia
j /~i • il i pp «i î- i conversion de
version de Constantin ; elles s allaiblirent même de jour en Constantin.
jour, à mesure que le christianisme fut plus répandu et plus
(1) L'entier éclaircissement de cette matière, comme nous l'avons déjà
remarqué (ci-dessus, p. 144), présente de grandes difficultés, que notre
plan ne nous permet pas d'examiner à fond. La lecture des auteurs que
nous indiquons en note, pourra suppléer à notre brièveté.
(2) I Cor. vi.
164 ItfîRODUCTIOtf.
autorisé dans l'empire. Toutefois, l'usage de prendre les
évêques pour arbitres des différends entre les fidèles , avait
des avantages trop manifestes pour que les empereurs chré-
tiens ne cherchassent pas à le conserver. Cet usage, autorisé
par les anciennes lois de l'empire, et par la pratique des peu-
ples les plus policés (4 ) , était d'ailleurs conforme aux vues d'une
sage politique, dans l'état où se trouvait alors la société.
Outre que le jugement des évêques avait, par lui-même,
quelque chose de plus doux et de plus paisible que l'appareil
des jugements séculiers, il était ordinairement plus désinté-
ressé, et moins dispendieux pour les parties, étant rendu
par des hommes plus éminents en vertu, plus détachés du
monde, moins exposés par conséquent à la séduction des
présents, et à tant d'autres vues intéressées, qui corrompent
souvent la justice dans les tribunaux séculiers.
• .10t- Tous ces motifs, qui devaient naturellement engager les
Baisons en- ' x u u
core empereurs chrétiens à favoriser l'arbitrage des évêques,
ro,jre*e™Pter même par rapport aux simples fidèles, devaient, à plus forte
de ia juridic- raison, les engager à exempter le clergé de la juridiction
Hère. séculière. Il ne faut en effet qu'un peu de réflexion, pour être
frappé des raisons de convenance qui semblent exiger cette
immunité, et des graves inconvénients qu'entraînerait infail-
liblement, pour la religion et la société, l'assujettissement des
ministres sacrés aux tribunaux séculiers , en matière même
purement temporelle (2). Le résultat naturel de cette pra-
tique, serait d'enlever insensiblement au clergé le respect et
la considération qui lui sont absolument nécessaires pour
l'exercice de son ministère. Qu'y a-t-il en effet de plus propre
à décréditer, dans l'esprit du peuple, les ministres sacrés,
que de les voir traînés à des tribunaux séculiers, où leurs
faiblesses réelles ou apparentes seront publiées avec éclat, et
(1) Voyez les détails que nous avons donnés sur ce sujet, dans l'article 1er
de cette Introduction, p. 8, 20, etc.
(2) Voyez les observations que nous avons faites dans le § précédent, sur
Y Origine des Immunités ecclésiastiques. (Ci-dessus, p. 143, 154, etc.)
INTRODUCTION. 1G5
manifestées avec scandale? Combien de fois le corps entier
n'aura-t-il pas à souffrir, pour les écarts ou les imprudences
de quelques particuliers? combien de fois ces graves incon-
vénients ne seront-ils pas occasionnés par de pures calomnies,
et par la malignité de certains hommes toujours prêts à croire
le mal qu'on débite sur le compte du clergé, quelquefois
même poussés à Je diffamer , par un esprit de vengeance ou
d'impiété? On a vu, même dans les plus beaux siècles de
l'Eglise, des hommes de ce caractère, à qui les accusations
les plus absurdes, et les plus odieuses calomnies, ne coûtaient
rien, pour diffamer les plus saints personnages, et pour faire
retomber sur l'ordre entier du clergé la honte des accusa-
tions dirigées contre quelques particuliers. Saint Augustin,
dans plusieurs de ses écrits, se plaint hautement de ces fâ-
cheuses dispositions des ennemis de l'Église, et même d'un
certain nombre de mauvais chrétiens (l). Si de pareils in-
convénients ont pu avoir lieu dans les plus beaux temps de
l'Eglise, combien sont-ils plus à craindre à certaines époques
de relâchement et de dissolution?
Aussi est-il à remarquer que ce motif est un de ceux qui io».
P . , , ,,. . , Constantin et
ont toujours lait le plus a impression sur les empereurs ses suces-
,,. „ . . .. ...,,, seurs, frappés
chrétiens. Constantin en particulier en était si pénètre , de ces
... , .. . . . . raisons.
qu il ne négligeait rien pour assoupir et terminer sans
éclat toutes les accusations dirigées contre les ministres
de l'Église. Peu de temps avant l'ouverture du concile de
Nicée, au rapport de Théodoret (2), « quelques évêques
« voulant profiter de la présence de l'empereur dans cette
« ville, pour obtenir sa protection dans les différends qu'ils
« avaient avec leurs collègues, lui remirent des mémoires
« pour soutenir leurs accusations. Constantin reçut les mé-
« moires, les fît rouler et cacheter sans les ouvrir, et ordonna
(1) S. Augustin, Eptst. 11 (aliàs 136), ad Felicem et Hilarinum, n. 1.
— Epist. 78 (aliàs 137 ), ad Çlerum Bippon. n. 5 et 6. (Operum, t. h,
p. 181, 184, etc.)
(2) Théodoret, Hist. Eccl., lib. i, cap. lt. — Sozomène, ffist.9 lib. i,
cap. 17. — Fleury, Hist. Eccl., t. m, liv. xr, n. 8.
166 INTRODUCTION.
« qu'on les lui conservât soigneusement jusqu'à un certain
« jour; puis il s'appliqua aussitôt à réconcilier entre eux les
« prélats qui se plaignaient les uns des autres. Le jour mar-
te que étant venu, et la paix étant rétablie entre les évoques,
« il se fit apporter les mémoires, et les brûla en leur pré-
« sence, en assurant avec serment qu'il n'en avait pas lu la
« moindre partie. Il ajouta qu'il ne fallait jamais faire con-
te naître au peuple les fautes des prêtres, parce qu'elles
« étaient pour lui un sujet de scandale, et une occasion de
« se porter plus facilement au mal. On rapporte qu'il dit
« encore, dans cette occasion, que s'il voyait un évêque
« commettre une faute, il le couvrirait de son manteau, pour
« dérober au public la connaissance d'un pareil scandale. »
Pour peu qu'on examine de près l'origine et les progrès
de la juridiction ecclésiastique, sous les empereurs chrétiens,
on verra ces admirables sentiments de Constantin servir de
règle à ses successeurs, et leur dicter la plupart des consti-
tutions qu'on trouve dans le droit romain, sur cette matière.
io3. Le premier soin de Constantin fut de favoriser l'arbitrage
Pouvoir jnai- * u
c.aire des évêqnes, et de donner une nouvelle autorité à leurs ju-
des évèques en
matière gements. Dans cette vue, « il permit généralement, dit So-
sous « zomène, à ceux qui avaient des procès, de récuser les
« juges civils et d'en appeler au jugement des évêques; il
« voulut même que les sentences rendues par le tribunal
« ecclésiastique eussent plus de force que celles des juges
« séculiers; qu'elles eussent la même autorité que si elles
« eussent été rendues par l'empereur lui-même; enfin, que
« les gouverneurs de provinces et leurs officiers fussent
« obligés d'en procurer l'exécution (4). » On trouve en effet,
(1) « Fuit hoc etiam argumentum vel maximum reverentise quam pius
a princeps erga religionem gerebat. Nam et omnes ubique clericos immu-
« rittate donavit, lege hâc de re specialiter data; et litigantibus permisit ut
«ad episeoporum judicium provocarent, si magistratus civiles rejicere
« relient; eorum autem sententia rata esset, aliorumque judicum senten-
« tiis prsevaleret , perinde ac si ab imperatore ipso data fuisset ; utque res
« ab episcopis judicatas, rectores provinciarum eorumque officiales exécu-
te tioni mandarent. » Sozomène, Hist. Eccl. lib. i, cap. 9. — Fleury, JJUU
Constantin.
INTRODUCTION. 167
à la suite du Code Théodosien, une loi de Constantin, adressée
à Ablave, préfet du prétoire, et qui est, au jugement de plu-
sieurs savants, la même dont parle Sozomène. L'empereur y
ordonne « que tous ceux qui auront des procès, soit comme
« demandeurs, soit comme défendeurs, aient la liberté, soit
« au commencement, soit dans la suite de la contestation,
« soit pendant la plaidoirie, soit au moment de la conclu-
« sion, d'en appeler au jugement de l'évêque ; et cela, malgré
« l'opposition qu'une des parties pourrait former à cet ap-
« pel (i).» Il est vrai que l'authenticité de cette loi est contestée
par quelques savants(2); mais, outre que leurs difficultés ont
parujaibles au plus grand nombre des critiques, cette dis-
cussion est, au fond, peu importante, la plupart des dispo-
sitions de la loi que nous venons de citer étant clairement
exprimées dans le texte de Sozomène que nous avons rap-
porté, et dont l'authenticité est généralement reconnue (5).
Il résulte en effet de ce texte, que l'arbitrage des évêques,
qui, en matière civile, était, avant Constantin, un pur minis-
tère de charité, prit alors le caractère d'une véritable juri-
diction, émanée du souverain lui-même ; que les sentences
des évêques, qui n'avaient auparavant d'autorité que par la
Eccl., t. m, liv. x, n. 27. — Lebeau, Hist. du Bas-Empire, t. i, liv. v, h.
57. — Annales du moyen âge, t. i, liv. n, p. 260.
(1) « Quicumque litem habens , sive possessor , sive petitor erit , inter
« initia lilis, vel decursis temporum curriculis, sive cùm negotium perora-
« tur , sive cùm jam cœperit promi sententia , judieium eligit sacrosanctaj
« legis antistitis; illico sine ullà dubitatione, etiamsi alia pars refragatur,
« ad episcopum cum sermone (i. e. cum allegatïonibus ) litigantium di-
« rigatur. » Extravag. 1, (ad calcem Cod. Theodos. ).
(2) Voyez principalement le Commentaire de Godefroy sur l'Extra-
vagante que nous venons de citer.
(3) Tillemont établit solidement, à ce qu'il nous semble, l'authenticité de la
loi adressée à Ablave, contre les difficultés de Godefroy. (Hist. des Emper.,
t. iv, p. 295 et 663.) Le sentiment de Tillemont, sur ce point, est générale-
ment suivi par les auteurs plus récents. Voyez, entre autres, le P. Thomas-
sin, ubi supra, chap. 102, n. 2. — Petit-Pied, ubi suprà, p. 65. — D.
Ceillier , Histoire des Auteurs ecclés., t. iv, p. 176. — Concilia Galliœ
( édition de Paris, 1789, 1. 1, p. 755. ) Il est à remarquer que Bingham, tout
en inclinant à l'opinion de Godefroy, ne se prononce pas absolument. (Bin-
gham, Origines et Antiquit. eccles., 1. 1, lib. n, cap. 7, § 3.)
168 INTRODUCTION.
convention des parties, commencèrent alors à avoir, en vertu
de la loi, toute la force des jugements rendus par les tri-
bunaux séculiers, et même plus de force que les jugements
rendus par les juges ordinaires; enfin, que les tribunaux sé-
culiers purent dès lors être récusés par tous ceux qui avaient
des procès, et qui désiraient les soumettre au tribunal ecclé-
siastique (4).
ce potvoir " ne Para^ Pas <ïue cette juridiction accordée aux évêques
ouPmoins par Constantin ait été restreinte par ses successeurs, jusqu'à
^les'suc!0"8 *a ^n du rèSne de Théodose le Grand. La conduite des
eeSprhiSCee °e Pms samts évêques de celte époque suppose même claire-
ment, comme nous le verrons bientôt, que les évêques^con-
tinuaient alors d'exercer sans contradiction une juridiction
temporelle très-étendue. Il est vrai que, depuis Théodose le
Grand, cette juridiction fut quelquefois restreinte par les
constitutions impériales. On trouve même une loi, publiée
par les empereurs Arcade et Honorius, qui semble restrein-
dre la juridiction des évêques aux causes religieuses ou pu-
rement spirituelles (2). Mais il est également certain que ces
deux princes, soit qu'ils se fussent d'abord mal expliqués, soit
(1) On doit corriger ou expliquer, d'après ces observations, plusieurs au-
teurs modernes qui représentent les évêques, sous Constantin , comme sim-
ples arbitres des différends entre les laïques, sans juridiction proprement
dite, en matière temporelle. ( Fleury , Hist. Eccl., t. m, liv. x, n. 27 ; t. v,
liv. xx, n. 35 ; t. xix, 7e Discours, n. 2 et 4. — Idem, Instit. au Droit Eccl.,
chap. l , p. 4. Remarquez aussi la note de Boucher d'Argis sur ce passage.)
Ces auteurs n'ont pas fait attention que , depuis la loi de Constantin adres-
sée à Ablave , la même vraisemblablement dont parle Sozomène , les évê-
ques n'étaient plus seulement arbitres volontaires, librement choisis par
les parties, mais qu'ils étaient, du moins en certains cas, arbitres néces-
saires , et imposés aux parties par la loi; ce qui leur donnait une véritable
juridiction, et le caractère de véritables juges. (Voyez, à ce sujet , Devoti ,
Instit. Can. t. m, tit. 17, § 3. ) Il paraît que cet état de choses subsista
jusqu'à Honorius , qui restreignit, à certains égards, la juridiction accordée
aux évêques par Constantin , en laissant toutefois une grande autorité à
leurs sentences , comme on va le voir un peu plus bas.
(2) « Quoties de religione agitur, episcopos convenit judicare ; caeteras
« verù causas, quae ad ordinarios cognitores [seu judices) vel ad usum pu-
« blici juris (i. e.juris communis) pertinent, legibus oportet audiri. »
Cod. Theodos. lib. xvi, tit. 11 , n. 1. Voyez aussi le Commentaire de Gode-
froy sur cette loi.
io5.
INTRODUCTION. 169
qu'ils aient depuis changé de dispositions, se montrèrent dans
la suite très-favorables à la juridiction temporelle desévêques.
On trouve, en effet, dans le Code Justinien, deux constitu-
tions de ces empereurs, qui attribuent généralement aux
évêques le pouvoir de juger en dernier ressort, en matière
même temporelle, comme le préfet du prétoire (4), et de
faire exécuter leurs sentences par les officiers ordinaires de
la justice séculière. On met toutefois à ces droits deux res-
trictions importantes; savoir : \° que l'évêque ne pourra
en user que dans les causes déférées à son tribunal par le
consentement commun des deux parties; 2° qu'il ne pourra
en user que dans les causes civiles, et non dans les causes
criminelles (2).
Le pouvoir judiciaire des évêques était beaucoup plus Ce pouvoir
étendu à l'égard des clercs. Plusieurs constitutions impé- bea"cten5ulus
riales exemptent absolument ces derniers de la juridiction alec!ercs. es
séculière, non-seulement dans les causes purement ecclé-
siastiques, mais encore dans les causes purement civiles ou
pécuniaires, et même dans les causes criminelles qui n'ont
pas pour objet certains crimes énormes, tels que ceux de
lèse-majesté, de rébellion, d'homicide, et quelques autres (5).
(i) Sur la charge de préfet du prétoire, voyez ci-dessus la note 2 de
la page 44.
(2) « Si qui ex consensu apud sacrae legis antistitem litigare voluerint,
« non vetabuntur ; sed experientur illius , in avili duntaxat negotio, more
« arbitri sponte residentis, judicium. » Cod. Justin, lib. i, tit. 4, n. 7.
« Episcopale judicium ratum sit omnibus qui se audiri à sacerdotibus ele-
« gerint; eamque illorum judicationi adhibendam esse reverentiam jube-
« mus , quam vestris deferri necesse est potestatibus ( i. e. potestatibus
« prœfecti prœtorio ), à quibus non licet provocare. » Ibid., n. 8 — Fleury,
Hist. JScclés., t. v, liv. xx, n. 35.
(3) « Cod. Theod. lib. xvi, tit. 2, n. 23, 41, 47. On doit surtout remar-
quer ici la loi d'Honorius, conçue en ces termes : « Clericos non nisi apud
« episcopos accusari convenu. Igitur si episcopus, vel presbyter, diaconus,
« et quicumque inferioris loci (seu gradûs ), ehristianae legis minister, apud
« episcopum (siquidem alibi non oportet) à quâlibet personâ fuerint accu-
« sati, sive ille sublimis vir honoris, sive ullius alterius dignitatis;... no-
ce verit docenda probationibus, monstranda documentis [crimina) se debere
« inferre. » Ibid. n. 41. — Fleury, Hist. Ecoles., t. v, liv. xxm, n. 4; t. vi,
liv. xxviii, n. 54 ; liv. xxix, n. 30.
io6.
Dispositions
du Code
Justinien , sur
170 INTRODUCTION.
Toutefois, Valentinien III, expliquant ces constitutions, y ap-
porte des restrictions importantes, et qui semblent annoncer
de sa part peu de respect et de bienveillance pour le clergé.
Il déclare que l'évêque ne peut juger, même les clercs, que
de leur consentement, et en vertu d'un compromis; et il
ajoute que, dans le cas où un clerc sera en contestation avec
un laïque, celui-ci aura le droit de citer son adversaire devant
le juge séculier, soit en matière civile ou pécuniaire, soit en
matière criminelle; seulement les évèques et les prêtres au-
ront le privilège de se défendre par procureur, en matière
criminelle (<!).
Tel était à peu près l'état de la juridiction ecclésiastique
avant le règne de Justinien, qui recueillit dans son Code la
ce point, plupart des constitutions précédentes, en y ajoutant quelques
nouvelles dispositions pour fixer avec plus de précision, et
d'une manière plus favorable au clergé, les limites de la
juridiction ecclésiastique et de la juridiction séculière. Voici
(1) « De episcopali judicio diversorum ssepe causatio (i. e. mens seu opinio)
« est. Ne ulteriùs querela procédât, necesseest prosenti lege sanciri. ïtaque
« cùm inter clericos jurgium vertitur, et ipsis litigatoribus convenit, habeat
« episcopus licentiam judicandi, proeunte tamen vinculo compromissi. Quod
« et laïcis, si consentiant, auctorïtas nostra permittit. Aliter eos judices esse
« non patimur, nisi voluntas jurgantium, interposità, sicut dictum est, con-
te ditione procédât. Quoniam constat episcopos et presbyteros forum legibus
« non habere, nec de aliis causis, secundum Arcadii etHonorii Divalia consti-
« tuta , qnse Tiieodosianum corpus ostendit, praeter religionem, posse co-
te gnoscere. Si ambo ejusdem oificii litigatores nolint, vel alteruter, agant
<c publicis legibus et jure communi. Si verô petitor laïeus , seu in civili, seu
« (in) criminali causa, cujuslibet loci clericum adversarium suum, si id
« magis eligat, per auctoritatem legitimam in publico judicio respondere com-
« pellat. Quam formam, etiam circa episcoporum personam, observari opor-
« tere censemus, ( ita tamen ) ut si in hujuscemodi ordinis homines acco-
te nem provaricationis et atrocium injuriarumdirigi necesse fuerit, per pro-
« curatorem solemniter ordinatum , apud judicem publicum, inter leges et
« jura confligant.... Quod iis religionis et sacerdotii veneratione permitti-
« mus ; nam notum est procurationem in criminalibus negotiis non posse
« concedi. Sed utsit ulla discretio meritorum, episcopis et presbyteris tantùm
« id oportet impedi. » Valentiniani III Noveila 12; (ad calcem Co*
dicis Theodosiani). — Hist. de l'Église Gallicane, t. u, p. 76. — Tille-
mont, Hist. des Emp.y t. vi, p4 254. — Fleury, Hist. Eccl.,\. vi, liv. xxvin>
n. 39. — Baronius, Annales, X, vi, anno 452, n, 52.
INTRODUCTION. 171
les principales dispositions du Code Justinien, sur cette ma-
tière (4).
\° Pour ce qui regarde les causes des laïques, Justinien
adopte la loi des empereurs Arcade et Honorius, que nous
avons citée plus haut (2), et autorise de plus le recours du
juge séculier à l'évêque, toutes les fois que les parties se croi-
ront lésées par la sentence du premier.
2° En matière civile, les clercs, les moines, les vierges et
les veuves, doivent être poursuivis devant l'évêque, en pre-
mière instance ; et devant le juge séculier, seulement en cas
d'appel. En matière criminelle, ils peuvent être poursuivis
devant l'évêque ou devant le juge séculier, au choix de l'ac-
cusateur.
5° Les économes des églises , et les administrateurs des
hôpitaux, ne peuvent être poursuivis que devant l'évêque,
pour le fait de leurs charges; et, en cas d'appel, leurs causes
doivent être terminées par le métropolitain ou par le pa-
triarche.
4° Les évoques ne peuvent être poursuivis devant les
juges séculiers, pour quelque cause que ce soit, mais seule-
ment devant le métropolitain ou le patriarche, qui doivent
terminer la cause dans le concile de la province.
Ces dispositions du droit romain, généralement adoptées
depuis dans les nouvelles monarchies qui s'élevèrent en Oc- Rè^euîsde
cident sur les ruines de l'empire, fournissent l'explication conciies,exPh-
naturelle d'un grand nombre de règlements qu'on trouve ^^
dans les conciles, depuis la fin du quatrième siècle, pour dé-
fendre aux clercs, et même aux laïques, en certains cas, de
(1) Nous croyons inutile de citer textuellement ces dispositions ; il nous
a paru suffisant à notre objet, d'en donner une simple analyse. On peut
voir , pour de plus amples développements, le Code Justinien, lib. i, tit. 4,
De Episcopali audientiâ. — Jusliniani Novellœ 83, 86, 123, etc. —
Thomassin, ubi suprà, cliap. 103. — Fleury, Hist Ecclés., t. vu, liv. xxxm,
n. 6; t. xix, 7e Discours, n. 4. — D. Ceillier, Hist. des Auteurs eccl.,
t. xvi, p. 470, 473, etc.
(2) Ci-dessus, p. 169, note 2.
ces
lions.
172 . INTRODUCTION.
porter leurs causes aux tribunaux, séculiers (4). Le troisième
concile de Carthage, tenu en 597, décerne la peine de dé-
position contre les évêques, les prêtres, les diacres et les
autres clercs, qui, ayant la liberté de porter leurs causes au
tribunal ecclésiastique, les portent à un tribunal séculier. La
raison que le concile apporte de ce décret est digne d'attention :
c'est que les clercs dont il s'agit font affront à l'Église, en
soumettant à des juges séculiers des différends que Papôtre
saint Paul engage même les laïques à porter au tribunal
ecclésiastique (2). Aussi le décret du troisième concile de Car-
thage, sur ce sujet, fut-il renouvelé dans le concile œcuméni-
que de Chalcédoine, en 454 (5). Le quatrième concile de
Carthage, en 598, excommunie même les laïques qui por-
teront leurs causes à des juges hérétiques ou infidèles (4).
On trouve ces règlements confirmés ou renouvelés dans une
multitude de conciles postérieurs (5).
(1) Thomassin, ibid., chap. 102, n. 15. — Muzzarelli, Dissert, sur les Im»
munîtes ecclésiastiques, pag. 14, etc.
(2) « placuit ut quisquis episcoporum, presbyterorum et diaconorum seu
« clericorum, cùm in ecclesiâ ei crimen fuerit intentatum, vel civilis causa
« fuerit commota ; si, relicto ecclesiastico judicio, publicis judiciis purgari
« voluerit, etiamsi pro ipso fuerit prolata sententia , locum suum amittat,
« et hoc in criminali judicio ; in civili verô perdat quod evicit, si locum suum
« obtinere voluerit. Cui enim ad eligendos judices undique patet auctoritas,
« ipse se indignum fraterno consortio judicat, qui, de universâ Ecclesiâ inalè
« sentiendo, de judicio sseculari poscit auxilium ; cùm privatorum christiano-
« rum causas apostolus ad Ecclesiam deferri, atque ibi determinari praeci-
« piat. » Concil. Carthagin. m, can. 9. (Labbe, Concil. tom. n, page 1168.)
— Fleury, Hist. Ecclés., tome v, liv. 20, n. 25.
(3) « Si quis clericus habet cum clerico litem aut negotium , proprium
« episcopum ne relinquat, et ad saecularia judicia ne excurrat; sed causam
« priùs apud proprium episcopum agat ; vel de episcopi sententia, apud eos
«. quos utraque pars elegerit, judicium agitetur. Si quis autem praeter haec
« fecerit, canonicis pœnis subjiciatur. » Concil. Chalcedon. act. 15, can. 9.
(Labbe, Concil. tom. iv, page 760.) — Fleury, Hist. Eccl., tom. vi, liv. 28,
n. 29.
(4) « Catholicus qui causam suam, sive justam sive injustam, ad judicium
« alterius fîdei judicis provocat, excommunicetur. » Concil. Carthagin. iv,
can. 87. (Labbe, Concil. tom. ir, pag. 1206.)
(5) Quelques auteurs modernes ont cru pouvoir conclure de ces règlements,
que les immunités personnelles des clercs étaient fondées sur le droit di-
vin. (Voyez, entre autres, Muzzarelli, Dissert, sur les Immunités ecclés.,
page 14, etc.) Mais il est aisé de voir que cette conséquence n'est pas rigou-
reuse. On conçoit, en effet, que l'exemption de la juridiction séculière étant
INTRODUCTION. 173
Une conséquence également naturelle de la juridiction tem- 108.
porelle des évêques, était le droit d'infliger aux coupables mreiieTP°
des peines temporelles, comme la prison, la flagellation, les 'VupYbies*,*
amendes pécuniaires, la confiscation et l'exil (4). Saint Au- par nauz
gustin suppose clairement cet usage, dans une lettre adressée, "quès.
yers l'an 442, au tribun Marcellin, pour l'exhorter à ne pas
punir les Donatistes selon la sévérité des lois. Le saint docteur
souhaite « qu'on n'emploie contre eux, ni les chevalets, ni
« les ongles de fer , ni le feu , mais seulement les verges,
« qui sont une sorte de châtiment dont les pères se servent
« envers leurs enfants, les maîtres envers leurs écoliers, et
« souvent même les évêques dans leurs jugements (2). »
Le cinquième concile de Garthage, tenu en 599 ou 400, dé-
cerne, contre certains crimes, des amendes pécuniaires (5).
Le cinquième concile Romain, tenu en 503, sous le pape
une fois accordée aux clercs par les lois civiles , l'Église peut , en vertu de
cette concession, obliger ses ministres à profiter de ce privilège, fondé sur de
si fortes raisons de convenance. Cette explication des règlements ecclésiasti-
ques concernant les immunités personnelles des clercs est d'autant plus
naturelle, qu'il semble nécessaire de l'appliquer aux canons qui défendent, en
certains cas, aux laïques eux-mêmes de plaider devant des juges infidèles ou
hérétiques. Il est sans doute permis de penser que cette dernière défense n'est
pas fondée sur le droit divin, mais uniquement sur le droit civil; toutefois,
elle n'est pas exprimée en termes moins absolus, dans plusieurs anciens con-
ciles, que la défense faite aux clercs de plaider devant les tribunaux séculiers.
Rien n'empêche donc de penser que l'une et l'autre défense, est uniquement
fondée sur le 'droit civil , et sur une pure concession des princes. (Voyez
ci-dessus, page 154, etc.)
(1) Thomassin, Ancienne et nouv. Discipline, tom. h, lib. m, chap. 102,
n. 19. — - Devoti, Instit. Canon., tom. iv, lib. îv, tit. 1, n. 10.
(2) « impie, christiane judex, pii patris officium; sic succense iniqui-
« tati, ut consulere humanitati memineris Woli perdere paternam dili-
« gentiam, quam in ipsâ inquisitione (scelerum) servasti, quando tantorum
« scelerum confessionem, non extendente equuleo, non sulcantibus ungulis,
« non urentibus flammis, sed virgarum verberibus eruisti; qui modus coer-
« citionis à magistiïs artium liberalium, et ab ipsis parentibus , et sœpe
« etiam injudiciis solet ab episcopis adhiberi. » S. Augustin , Epist. 133
(aliàs 159), ad Marcellinum, n. 2. (Operum, tom. n, pag. 396.)
(3) « Et illud statuendum, ut si quis cujuslibet honoris clericus, judicio
« episcoporum, pro quocumque crimine fuerit damnatus, non liceat eum,
« sive ab Ecclesiis quibus praefuit, sive à quolibet homine defensaii; interpo-
se sitâpœnâ damni, pecuniae atque honoris, quâ nec aetatem nec^exum
« excusandum esse praecipimus. » Concil. Carthagin. v, can. 2. (Labbe,
Concil. tom. n, pag. 1215.)— Fleury, Hist. Ecclésias t. f tome \,\iv. 20,n.43.
i 74 INTRODUCTION.
Symraaque, condamne à l'exil et à la perte de tous leurs biens
les calomniateurs des évoques, conformément aux anciens
décrets des Pères (4). L'histoire ecclésiastique fournit un
grand nombre d'exemples semblables depuis le quatrième
siècle (2).
Pour l'exécution de leurs sentences, les évêques n'ayant
alors, d'après les lois, que le pouvoir judiciaire , et non le
pouvoir coactif, dans l'ordre temporel, étaient ordinairement
obligés de recourir au magistrat séculier. Cependant ils
avaient déjà, vers la fin du quatrième siècle, des prisons
pour les clercs condamnés à la réclusion (5). Il est fait
mention de ces prisons dans une constitution des empe-
reurs Arcade et Honorius, publiée en 596 ; dans les actes du
concile d'Éphèse, tenu en A3\ ; et dans une Novelle de Jus-
tinien, datée de l'an 559 (4). On verra bientôt que le sou-
verain pontife et les patriarches commencèrent, vers le même
temps, à avoir sous leurs ordres des corps d'officiers, destinés
à faire respecter leur autorité.
snrcro°îtd'em. On se figure aisément quel surcroît d'affaires et d'em-
casbnné^ûx barras devait attirer aux évêques l'exercice de leur juridic-
pu. «noir!- ti°n temporelle. L'histoire de saint Augustin , de saint
temporelle. Ambroise, de saint Grégoire de Nazianze, de saint Jean
(1) « Hi qui ad versa eis moliuntur, sicut à sanctis Patribus dudum sta-
« tutum esse, et hodie synodali et apostolicâ auctoritate firmatur, penitus
« abjiciantur , et exilio , suis omnibus sublatis , perpetuo tradantur. »
Concil. Rom. v. (Labbe, Concil. tom. iv, pag. 1366 E.) Ce décret si remar-
quable est omis par Fleury, D. Ceillier, et plusieurs autres, dans l'analyse de
ce concile de Rome.
(2) Voyez les auteurs cités à la page précédente, note 1.
(3) Ces prisons étaient nommées Decanica, ou Diaconica, parce qu'elles
étaient ordinairement placées dans le voisinage d'une Diaconie, c'est-à-dire,
d'une sacristie dont le service était confié aux diacres. Voyez Ducange,
Glossar. med. et inf. Latin, verb. Decanicum et Diaconicum. —
Bingham, Origines et Antiquitates eccl., tom. m, lib. vm, cap. 7, § 9.
— Devoti, Instit. Can., tom. m, lib. m, tit. 1, n. 21. — Godefroy, Com-
ment, in Cod. Theodos., lib. xvi, lit. 5, n. 30.
(4) Cod. Theodos. ibid.— Concil. Ephes., parte l,cap. 30, n. 3. (Labbe,
ConcU. tom. m, pag. 429.) — Justiniani Novella 79, cap. 3 (à la suite du
Code Justinien).
INTRODUCTION. 175
Chrysostome, et de plusieurs autres saints évêques, montre
qu'ils regardaient cette partie de leurs fonctions comme une
des plus importantes, pour le maintien de la paix et de l'union
parmi les fidèles, et qu'ils ne faisaient aucune difficulté de
consacrer habituellement à l'administration de la justice un
temps considérable (\). Saint Augustin en particulier se
plaint, dans plusieurs de ses ouvrages, de ce que le soin des
affaires temporelles lui ôte la liberté de vaquer aussi assi-
dûment qu'il le voudrait à l'étude et à la méditation des
livres saints (2); et, vers le même temps, Synésius, évêque de
Ptolémaïde en Libye, fatigué de ces embarras temporels,
demandait avec instance qu'il lui fût permis de donner la
démission de son siège (5). Il est vrai que, pour concilier le
soin des affaires temporelles avec les autres obligations de
leur emploi, les évêques se déchargeaient ordinairement en
partie de l'administration de la justice sur des prêtres ou des
diacres, quelquefois même sur des laïques d'une probité re-
connue (4). Toutefois, ils ne s'en déchargeaient pas telle-
ment ? qu'ils n'y conservassent une part très-active, soit en
surveillant de près leurs officiers, soit en examinant par eux-
mêmes les affaires les plus importantes. Quelque pénible que
fût pour eux ce surcroît d'occupations, ils ne balançaient pas
à sacrifier, sur ce point, leurs inclinations particulières à
l'intérêt de leur troupeau, au bien de la religion, et aux
ordonnances mêmes de l'Eglise, qui obligeaient, en certains
cas, les laïques aussi bien que les clercs à soumettre leurs
contestations au tribunal ecclésiastique.
(1) Thomassin, ubi suprà, chap. 101 et suiv. — D. Ceillier, Histoire des
Auteurs ecclésiast., tom. xiv, pag. 256.
(2) S. August., InPsalm. 118, Serm. 24, n. 3. [Operum, tom. iv.)—Idem,
De Opère Monachorum, cap. 29. (Operum, tom. vi.)— Fleury, ffist. Eccles.,
tom. v, liv. xx, n. 35.
(3) Synesii, Epist. 57, pag. 198, etc. — Fleury, Hist. Ecclés. , ibid.
liv. xxii, n. 45.
(4) Thomassin, ubi suprà. — Bingham, Origines et Antiquit. eccles.,
tom. i, lib. n, cap. 7, § 5.
176 INTRODUCTION.
§ VI. Influence du clergé dans l'administration civile, sous
les empereurs chrétiens (\).
no. Le pouvoir judiciaire dont nous venons de parler, n'était
USt"ndaitSe qu'une faible partie du pouvoir temporel des évêques, sous
Cce!d"après les empereurs chrétiens. Il suffît de parcourir les monuments
romaZ. de l'histoire , à cette époque, et particulièrement les dispo-
sitions du droit romain, concernant la juridiction épisco-
pale, pour se convaincre que les évêques avaient alors une
très-grande part à l'administration civile, et qu'ils étaient,
en quelque sorte, les hommes de confiance du gouvernement,
qui croyait devoir se décharger sur eux du soin des objets
les plus importants au bien des peuples et à l'ordre public.
On en jugera par les détails que nous allons donner sur le
pouvoir temporel dont les évêques et les patriarches étaient
alors investis , en vertu des constitutions impériales.
I. Pour ce qui regarde d'abord les évêques en général ,
dés on ne peut lire sans étonnement le détail de leurs attribu-
eyeqnérar se" tions, dans le droit romain (2).
(1) Thomassin, Ancienne et nouvelle Discipline, tome n, liv. in, chap. 103,
n. 13; tora. m, liv. i, chap. >26 et 27. — Fleury, Hist. Ecclés., tome xix,
V Discours, n. 4. — Instit. au Droit ecclés., tom. n, 3e partie, chap. 1.
(2) Cod. Theodos. lib. xvi, passim. — Cocl. Justin, lib. i. Voyez surtout
le titre 4 : De Episcopali audientiâ. — Justiniani Novellœ; passim.
Le P. Thomassin paraît croire que, dès le temps de Constantin, tous les
bons évêques étaient chargés de la meilleure partie du gouvernement
civil. (Thomassin, Ancienne et nouvelle Discipline, tom. ni, liv. i,chap. 26,
n. 19.) Cette assertion lui semble prouvée par un passage de Théodoret, qui
représente saint Jacques de Nisibe, et tous les bons évêques de ce temps,
comme les protecteurs et les défenseurs des orphelins, des veuves, et de tous les
gens misérables ou opprimés. (Théodoret, Hist. Relig. sive Solitar., cap. l.)
Mais il ne paraît pas que les évêques aient eu alors d'autre pouvoir temporel
que celui dont nous avons parlé dans le paragraphe précédent, et qui regar-
dait uniquement l'administration de la justice. Le passage de Théodoret
prouve bien la sollicitude paternelle des bons évêques pour le bien même
temporel de leur troupeau, et l'ascendant que leur donnait, sur l'esprit des
peuples, la sainteté de leur vie et de leur caractère, jointe au pouvoir ju-
diciaire dont ils étaient investis ; mais tout cela ne suppose , en aucune
manière, ce pouvoir extraordinaire que le P. Thomassin leur attribue, sur la
meilleure partie du gouvernement civil.
ii t
Attributions
INTRODUCTION. 1 77
4° Dès l'an 568, une loi des empereurs Valentinien Ier et
Valens chargea les évêques de veiller sur les marchands,
pour empêcher ou corriger leurs injustices , surtout à l'égard
des pauvres (\).
2° Une loi des empereurs Honorius et Théodose le Jeune,
publiée en 409 , et renouvelée depuis par l'empereur Ana-
stase, ordonne que les défenseurs des villes soient choisis et
institués par les évêques , dans une assemblée de clercs et de
notables (2) ; elle ajoute qu'ils ne pourront être choisis que
parmi les catholiques. Ce dernier point était une conséquence
naturelle des lois alors en vigueur, qui déclaraient les héré-
tiques incapables de tout emploi civil (5).
5° Une constitution publiée , en 428 , par les empereurs
Théodose le Jeune et Valentinien III, permet aux filles libres
(1) « Negotiatores , si qui ad domum nostram pertinent, ne modum mer-
ce candi videantur excedere, christiani (quibus verus cultus est adjuvare pau-
« pères, et positos in necessitate) provideant episcopi. » Cod. Justin, lib. i,
tit 4, n. 1.
(2) Voici le texte de la loi publiée par les empereurs Honorius et Théodose
le Jeune : « Defensores ita prsecipimus ordinarï, ut sacris orthodoxae reli-
« gionis imbuti mysteriis, reverendissimorum episcoporum, neenon clerico-
« rum, et honoratorum, ac possessorum et curialium decreto constituantur;
« de quorum ordinatione référendum est ad illusirissimam prsetorianam po-
rt testatem; ut litteris ejusdem magnificae sedis earum solideturauctoritas. »
Cod. Justin, lib. i, tit. 55, n. 8.
La loi publiée sur le même sujet par l'empereur Anastase se trouve dans
le titre 4 du même livre, n. 19.
Il y avait alors , dans les principales villes de l'empire , un défenseur
chargé , comme son nom même le fait entendre , de protéger les citoyens
contre toute espèce d'oppression, soit de la part des magistrats, soit de la
part des simples particuliers. On peut voir le détail des fonctions et des obli-
gations des défenseurs dans le Code Théodosien, lib. i, tit 11 ; le Code Jus-
tinien, lib. i, tit. 55, et les Noveiles de ce dernier empereur. (Voyez surtout
la quinzième.)
Il ne faut pas confondre ces défenseurs des villes, institués vers le mi-
lieu de ive siècle, avec les défenseurs des églises, établis un peu plus tard,
pour soutenir auprès des magistrats séculiers les intérêts de l'Église et des
pauvres. Sur l'origine etles fonctions de ces derniers, voyez le Commentaire
de Godefroy sur le Code Théodosien, lib. n, tit. 4 , n. 7 ; lib. xvi , tit. 2,
n. 38. — Thomassin , Ancienne et nouvelle Discipline, tom. i, liv. u,
chap. 97, etc. — De Héricourl, Abrégé dit même ouvrage, Ve partie,
chap. 19, § 3.— Bingham, Origines et Antiquit. ecclesiast., tom. n, lib. 3,
cap. 11.
(3) Voyez plus haut, art. 1er, page 87, etc.
12
178 INTRODUCTION.
ou esclaves, que leurs pères ou leurs maîtres voudraient
prostituer, d'implorer la protection de l'évêque pour con-
server leur innocence (4). L'empereur Léon Ier étendit, dans
la suite , cette disposition aux filles qu'on voudrait faire mon-
ter malgré elles sur le théâtre (2). Justinien , non content
de confirmer ces différentes constitutions, en les insérant dans
son Code, porta encore plus loin le pouvoir temporel des
évêques. Voici les principales dispositions qu'il ajouta , sur
ce point, à celles de ses prédécesseurs :
A0 II chargea les évêques de la protection des orphelins ,
des esclaves , des prisonniers , et généralement de toutes les
personnes faibles ou misérables , que leur âge ou leur con-
dition exposaient davantage aux vexations (5). En vertu de
cette commission, l'évêque devait intervenir, conjointement
avec les magistrats civils , dans la nomination des tuteurs et
(1) « Si lenones patres et domini suis filiabus vel ancillis peccandi ne-
« cessitatem imposuerint ; liceat filiabus et ancillis, episcoporum implorato
« suffragio, omni miseriarum necessitate absolvi. » Cod. Justin, lib. i, tit. 4.,
n. 12.
(2) « (Magistratibus oppidomm et episcopis) curas erit, ne etiam invitam
« mulierem, liberam aut ancillam, conjungi patiantur animis aùt choris (i. e.
a matrimonio jungi, aut choris prqfanis adjungï), aut aliud spectaculum
« in theatro agere invitam. » Ibid.,ïi. 14.
(3) La plupart des constitutions impériales, sur cette matière, sont
réunies dans le premier livre du Code Justinien, tit. iv, n. 22, 23, 24,
30, 33, etc. Nous remarquerons en particulier celle qui charge les évê-
ques de la surveillance des prisons : « Neminem volumus in custodiam
« conjici , absque jussu gloriosissimorum , vel illustrium , vel clarissi-
« morum magistratuum hujus felicissimae urbis ( Constantinop.) vel pro-
« vinciarum, aut defensorum civitatum. De his autem quicuraque conjecti
« aut conjiciendi sunt, Deo amabiles locorum episcopos jubemusper unam
« cujusque hebdomadee diem, eos qui in custodiâ habentur visitare,
«et diligenter inquirere causam ob quam detinentur, et sive servi sint
ce sive liberi, sive pro pecuniis, sive pro aliis criminationibus, sive pro homi-
« cidiis conjecti, illustrissimos, et spectabiles, et clarissimos magistratus
« admonere, tam eos qui sunt in bâc felicissimâ urbe, quàm qui sunt in pro-
« vinciis, ut ea exequantur circa ipsos, quse divalis nostra constitutio, ad
« illustres prsefectos eâ de re emissa, praecipit ; licentiâ data Deo carissimis
« pro tempore episcopis, si quam negligentiam admissam cognoverint ab il-
« lustrissimis, et magnificentissimis , atque clarissiniis pro tempore magis-
« tratibus, vel iis quae illis parent officiis, talem ipsorum negligentiam indi-
« candi, ut conveniens adversùs négligentes animi nostri motus insurgat. »
lbid.7 n. 22.
INTRODUCTION. 170
curateurs , veiller à la conservation de la liberté des enfants
trouvés, visiter chaque semaine les prisonniers, tant libres
qu'esclaves, s'informer du sujet de leur détention , avertir les
magistrats civils des désordres qu'ils remarquaient en cette
matière , et donner avis à l'empereur lui-même de la négli-
gence des magistrats à réprimer ces désordres.
5° D'après le Code Justinien , les évêques étaient encore
chargés de veiller à l'observation des lois de police concer-
nant les jeux de hasard , et de réprimer , de concert avec les
magistrats civils, les transgresseurs de ces lois (4).
6° Ils étaient également chargés, conjointement avec trois
notables de la ville, de l'administration de ses revenus, de
l'inspection des travaux publics , et de plusieurs autres objets
concernant les intérêts de la cité (2).
7° Une constitution de Justinien , qui fait partie des No-
velles placées à la suite de son Code, charge les évêques de
veiller à la conservation des poids et mesures (5). Pour cet
effet , l'empereur ordonne qu'on en conserve le type dans la
principale église de chaque ville. Il est à remarquer que
cette disposition était empruntée à la législation de plusieurs
anciens peuples , particulièrement à celles de Moïse , des
Égyptiens , et même des anciens Romains, qui ordonnaient
(t) « Quae de aleâ, sive (ut vocant) cottis (quâdam ludi aleatorii specie)
« ac de eorum prohibitione, à nobis sancita sunt , ea liceat Dei amicissimis
« episcopis et perscrutari, et cohibere si fiant, et flagitiosos, per clarissimos
« preesides provinciarum, et patres defensoresque civitatum, ad modestiam
« reducere. » Cod. Justin, lib. i, tit. 4, n. 25.
Il paraît que l'espèce de jeu désigné ici par le mot cotta, prend son nom
des osselets qui lui servent d'instruments, et que les Grecs modernes appel-
lent xotÇi. (Voyez le mot Cotta, dans le Dictionnaire latin de Facciolati,
édition dePadoue, 1827.) — Ducange, Glossarium mediœ et infimœ Grœ-
citatis ; verbo xotÇia.
(2) Ibid.y n. 26. Cette constitution de Justinien entre dans un détail re-
marquable sur les attributions des évêques dans l'administration des revenus
de la cité ; mais quelque intéressant que soit ce détail, sa longueur même
nous oblige à le supprimer.
(3) « Mensuras et pondéra in sanctissimâ uniuscujusque civitatis ecclesiâ
« servdLii (prœcipimus), ut secundùm ea, et gravamencollatorum, et fisca-
« lium illatio, et militares et alise expensae fiant. » Justin. Novella 128,
cap. 15.
12.
180
INTRODUCTION.
de conserver dans les temples les types des poids et me-
sures , comme des choses sacrées et inviolables (4).
8° Sous Justinien et ses successeurs, il était d'usage que
les lois concernant des matières ecclésiastiques, fussent adres-
sées par l'empereur aux patriarches , qui devaient les faire
passer aux évêques , par le canal des métropolitains (2). La
même chose avait lieu quelquefois par rapport aux lois con-
cernant des matières civiles (5). Dans l'un et l'autre cas , les
évêques étaient chargés de surveiller l'observation des lois,
et de faire connaître à l'empereur la négligence des magis-
trats à observer ses ordres , particulièrement en ce qui re-
gardait la recherche et la punition des hérétiques (4).
ji2. Les successeurs de Justinien, loin de voir avec peine cet
Ces attribu- . ., .. i j » * l • J a
tions accroissement du pouvoir temporel des eveques , lui donne-
TendTes us rent encore plus d'étendue , principalement en Italie , où la
mm la ' situation des affaires rendait le concours du clergé plus né-
(1) Exod. xxx, 13 ; Levit. xxvii, 25. — Clem. Alex., Stromat. lib. 6 ,
Fannius, De Amphorâ. — D. Calmet, Dictionnaire de la Bible, article
Poids.
(2) On en trouve un exemple remarquable, dans la sixième Novelle de Justi-
nien, qui regarde les ordinations, et l'administration temporelle des églises.
La conclusion de cet édit est conçue en ces termes : « Sanctissimi patriarchae
« uniuscujusque diœcesis haec proponant in Ecclesiis sub se constitutis, et
« manifesta faciant Deo amabilibus metropolitis , quœ à nobis constituta
« sunt. Illi quoque rursus etiam ipsi proponant ea in metropolitanâ sanctis-
« simâ Ecclesiâ, et constitutis sub se episcopis haec manifesta faciant. Illo-
« rum verô singuli in propriâ Ecclesiâ haec proponant, ut nullus nostrae rei-
« publicae ignoret quae à nobis, ad bonorem et augmentum magni Dei et
« salvatoris nostri Jesu Christi , disposita sunt. » Justinien, Novellaô;
Epilogus. — DeMarca, De Concordiâ, lib. n, cap. 11, n. 9; cap. 15,
n. 2.
(3) La huitième Novelle de Justinien , qui a pour objet l'élection et les
principaux devoirs des magistrats, fut adressée aux patriarches et aux métro-
politains, par un édit conçu en ces termes : « Traditae nobis à Deo reipublicae
« curam babentes, et in omni justiliâ vivere nostros subjectos studentes, sub-
« jectam legem conscripsimus ; quam tuae sanctitati , et per eam omnibus
« qui turc provinciae sunt, facere manifestam, bene babere putavimus. Tuae
« igitur sit reverentia? et caeteroi um (episcoporum), haec custodire; et si quid
« transcendatur à judicibus, ad nos referre; ut nihil contemnatur horum
« quae sanctè et juste à nobis sancita sunt. » Justiniani edictum (ad calcem
JVovellœ 8).
(4) Ityd. Voyez aussi le Code Justin., lib. i, tit. 5, n. J8(
INTRODUCTION. J81
cessaire au bien de l'État (4). Depuis l'établissement de la monarchie
monarchie des Lombards , qui porta un si grand coup à l'au- * Lombards.
torité des empereurs en Italie, la faiblesse toujours crois-
sante de l'empire obligea ces derniers à témoigner aux
évoques une confiance presque sans bornes, jusqu'à se
reposer sur eux de la défense des villes, dans les provinces
les plus exposées aux incursions des Barbares. Les Lettres
de saint Grégoire le Grand fournissent des preuves décisives
de ce fait, qui semblerait tout à fait incroyable, si l'on ne
savait d'ailleurs quelle était, à cette époque, la situation
déplorable de l'empire en Occident. L'empereur Maurice
comptait si bien sur le concours des évoques, pour la défense
des villes, qu'il demandait au Pape, avec de grandes instan-
ces, la déposition d'un évêque que ses infirmités empêchaient
de veiller, avec toute l'activité nécessaire, à la défense de sa
ville épiscopale. Saint Grégoire ne jugeant pas à propos de dé-
poser un évêque pour un semblable motif, lui donna cepen-
dant un coadjuteur capable de veiller à la défense de la ville,
en cas d'attaque (2). Plusieurs lettres du même pontife ont
pour objet d'exciter les évêques à remplir ce devoir avec zèle,
à veiller assidûment à la garde des murailles , à l'entretien
des places fortes , à leur approvisionnement , en un mot , à
tous les autres objets qui, dans un autre temps , eussent été
entièrement abandonnés aux soins des magistrats civils (5).
II. A mesure que les empereurs augmentaient le pouvoir u3.
temporel des évêques, il était naturel qu'ils donnassent aussi ' <ie" * s
une nouvelle étendue à celui des patriarches. L'histoire nous pa<[épn<iScs
offre, en effet , de nombreuses preuves de cet accroissement, siècle.4
depuis le ive siècle. Nous croyons d'autant plus im-
portant de recueillir les détails qu'elle nous a conservés sur
(1) Voyez plus haut, art. 2, page 42, etc.
(2) Il s'agit ici de l'évêque de la première Justinienne, dans la province
d'illyrie. S. Greg. Epistol. lib. xi , Epist. 47 {aliàs 41).
(3) S. Greg. Epistol. lib. vin, Epist. 18 {aliàs 20); lib. ix, Epist. 4 et 6
{aliàs 2 et 5) ; et alibi passim.
182 INTRODUCTION.
ce sujet , qu'ils semblent avoir échappé aux recherches d'un
grand nombre d'auteurs modernes (\).
Jusqu'à la fin du iye siècle, on ne voit pas que les
patriarches aient eu , d'après les lois ou la coutume , un
pouvoir temporel plus étendu que celui des évêques (2).
Mais le pontificat de saint Cyrille paraît être l'époque d'un
accroissement considérable dans le pouvoir temporel du pa-
triarche d'Alexandrie, et vraisemblablement des autres
patriarches (5). L'historien Socrate nous apprend, en effet,
(1) Voyez, à ce sujet, Thomamn, Ancienne et nouvelle Discipline, tom. m,
liv. i, chap. 26, n. 3, 4, etc.; chap. 27, n. 14 et 16.
(2) Le P. Thomassin suppose qu'avant le pontificat de saint Cyrille (c'est-
à-dire avant l'année 412), et même dès le temps de saint Athanase, le patriar-
che d'Alexandrie avait déjà un grand pouvoir {temporel), non-seulement
dans sa ville épiscopale, mais dans toute V Egypte. (Thomassin, ubi
suprà, chap. 26, n. 3, 9, etc.) A l'appui de cette assertion, il cite : 1° les ac-
cusations intentées à saint Athanase par les Ariens, d'avoir imposé un tribut
de linge à toute l'Egypte, et d'avoir voulu empêcher le transport de blé qui
se faisait tous les ans d'Egypte à Constantinople ; (Socrate, Hist. Ecclés.,
lib. i, cap. 27 et 35. — Fleury, Hist. Ecclés., tome m, liv. xi,passim. —
Tillemont , Mémoires sur VHist. Ecclés. tome vm ; Vie de saint Atha-
nase, pages 71, etc.) 2° la conduite de Théophile envers les moines
de Nitrie, qu'il chassa de l'Egypte , au moyen de la force armée. (Fleury,
Hist. Ecclés., tome v, liv. xxi, n. 3. — Tillemont, ibid. tome x, page
474, etc.)
Ces exemples prouvent sans doute que les patriarches avaient alors, à rai-
son de leur auguste caractère, un grand ascendant sur l'esprit des peuples ;
mais nous ne croyons pas qu'on puisse en conclure que les patriarches eus-
sent alors, d'après les lois ou la coutume, un pouvoir temporel plus étendu
que celui des évêques. La réponse même de saint Athanase aux calomnies
des Ariens, semble tout à fait inconciliable avec la supposition de ce grand
pouvoir temporel que le P. Thomassin lui attribue; car il repousse princi-
palement ces calomnies, en représentant qu'il n'est qu'un simple et pauvre
particulier (S. Athanase, Apologia contra Arianos, n. 9); ce qu'il n'eût pu
avancer avec tant soit peu de vraisemblance, s'il eût joui d'un grand pou-
voir temporel.
L'exemple de Théophile ne semble pas plus propre à établir l'opinion du
P. Thomassin. En effet, il est à remarquer que Théophile, pour chasser de
l'Église les moines de Nitrie, ne fait point usage d'un pouvoir temporel
attaché à son siège ; il se contente d'implorer le secours du gouverneur
d'Egypte, qui met des soldats à sa disposition, pour appliquer aux moines
de Nitrie les mesures de rigueur que le gouvernement avait alors coutume
d'employer généralement contre tous les hérétiques, comme nous l'avons
montré ailleurs. (Voyez plus haut, art. 2, page 84, etc.)
(3) Il y avait en Orient, au ve siècle, quatre patriarcats, ceux d'Alexan-
drie , d'Antioche , de Constantinople et de Jérusalem. Les deux premiers
INTRODUCTION. 183
que saint Cyrille porta sa puissance beaucoup plus loin que
Théophile, son prédécesseur, et que, « depuis ce temps,
« l'évêque d'Alexandrie joignit à l'autorité spirituelle le
« gouvernement des choses temporelles M). » Le même
auteur ajoute un peu plus bas que, sous le pape Gélestin,
contemporain de saint Cyrille, « l'évêque de Rome, comme
« celui d'Alexandrie, joignait depuis longtemps à l'autorité
« spirituelle une domination temporelle (2). » Ces paroles
de Socrate nous portent à croire que l'évêque de Rome fut
le premier des patriarches dont le pouvoir temporel reçut ;
vers la fin du ive siècle , un accroissement extraordi-
naire ; et que la générosité d'Honorius, empereur d'Occi-
dent, envers le souverain pontife , excita celle de Théodose
le Jeune, empereur d'Orient, envers le patriarche d'Alexan-
drie. Quoi qu'il en soit de cette conjecture, l'historien So-
crate, dans les passages mêmes que nous venons de citer, se
plaint hautement de l'usage que les évêques de Rome et
d'Alexandrie faisaient de cette nouvelle autorité, pour
empêcher les assemblées publiques des Novatiens, pour
fermer leurs églises , enlever leurs ornements et leurs vases
sacrés , et dépouiller de ses biens leur évêque Théopompe.
Ces plaintes n'ont rien d'étonnant dans la bouche de Socrate,
qu'on sait avoir été favorable aux Novatiens ; mais elles mon-
trent clairement l'étendue qu'avait alors le pouvoir tem-
porel des évêques de Rome et d'Alexandrie , et l'usage qu'ils
en faisaient pour le soutien de l'Église et pour la ruine de
l'hérésie.
Il serait difficile de dire jusqu'où s'étendait, dans ces pre- 114.
miers temps , le pouvoir temporel du patriarche d'Alexan- s. Cyrille
avaient été fondés par saint Pierre lui-même ; celui de Constantinople ne fut
érigé que "vers la fin du ive siècle, dans le concile général qu'on y célébra en
381. Enfin, celui de Jérusalem fut définitivement reconnu dans le concile de
Chalcédoine, en 451. Voyez Thomassin, Ancienne et nouvelle Discipline,
tome 1, liv. 1, chap. 7 et suiv. — De Héricourt, Abrégé du même ouvrage,
Ve partie, chap. 3.
(1) Socrate, Hist. Eccl lib. vu, cap. 7.
(2) Ibid., cap. 11.
son
'P
184 INTRODUCTION.
d'Alexandrie drie. Mais on peut assurer que, dès le temps de saint Cyrille,
on pouvoir ce pouvoir était assez grand pour exciter la jalousie du
temporel. l or J
gouverneur, qui trouvait son autorité fort diminuée par
celle du patriarche. C'est ce que l'historien Socrate nous
apprend encore , à l'occasion de la conduite de saint Cyrille
envers les Juifs , qu'il chassa d'Alexandrie , en punition des
violences auxquelles ils s'étaient portés contre les chré-
tiens (J). Le patriarche se servit, pour cette exécution,
d'un corps d'officiers nommés Parabolains, qu'il avait à sa
disposition pour soutenir sa puissance et faire respecter les
actes de son autorité (2). Ce corps d'officiers n'était, à ce
qu'il paraît , dans le principe, qu'une pieuse association des-
tinée au service des malades; mais il devint, avec le temps,
et avec le consentement des empereurs , le principal soutien
de l'autorité des patriarches d'Alexandrie. C'est ce quirésulte
clairement d'une loi de Théodose le Jeune sur cette matière,
et des détails mêmes que Socrate nous a laissés sur la con-
duite de saint Cyrille, dans l'occasion dont nous venons de
parler. En effet, Oreste , qui était alors gouverneur d'A-
lexandrie, mécontent de la rigueur dont saint Cyrille avait
usé envers les Juifs, s'en plaignit à Théodose le Jeune, qui
paraît avoir désapprouvé d'abord la conduite du patriarche ;
on croit même qu'il faut rapporter à cette époque la loi du
même empereur, qui réduit à cinq cents le nombre des Pa-
rabolains, et en ôte la nomination au patriarche (5). Toute-
fois, il est certain que l'empereur, adouci ou mieux informé
dans la suite , révoqua celte première loi par une autre , qui
porte le nombre des Parabolains jusqu'à six cents, tous à la
nomination et sous la dépendance du patriarche (4).
(1) Socrate, ffist. Eccles. lib. vu, cap. 13. — Fleury, Hist. Ecoles.,
tomev, liv. xxm, n. 25. — Thomassin , ubi suprà, chap. 26 , n. 12 et 13.
(2) Sur les Parabolains d'Alexandrie, voyez le Code Theod., lib. xvi,
tit. 2, n. 42 et 43. — Tillemont, Mémoires sur VHist. Ecclés., tome xiv,
page 277. — Fleury, ubi suprà. — Bingbam, Origines sive Antiquit.
eccles., tom. h, lib. m, cap. 9.
(3) Cocl. Theodos., ubi suprà, n. 42.
(4j « Parabolani (qui ad curanda debilium segra corpora deputantur) ,
INTRODUCTION. 185
Nous remarquerons, à ce sujet/que des auteurs estimables,
pour n'avoir pas assez observé l'origine et les progrès du
pouvoir temporel des patriarches, ont paru surpris de la
conduite de saint Cyrille , soit à l'égard des Novatiens, soit
à l'égard des Juifs (4). Mais, outre que Péminente vertu de
saint Cyrille ne permet pas de croire qu'il se soit attribué
de lui-même un si grand pouvoir, le témoignage déjà cité
de l'historien Socrate suppose clairement qu'à l'époque
dont il s'agit , l'autorité des évêques de Rome et d'Alexan-
drie avait reçu de grands accroissements , du consentement
même des empereurs.
L'histoire de Dioscore, successeur de saint Cyrille dans Il5.
le siège d'Alexandrie , offre de nouvelles preuves de ce UsagfaiT en
grand pouvoir, dont il fît un usage si déplorable , pour D,oscore•
soutenir le parti d'Eutychès(2). Parmi les différentes requêtes
présentées contre lui, dans la troisième session du concile
de Chalcédoine, en 454 , on remarque celle du diacre Ischy-
rion, du prêtre Athanase , et du laïque Sophronius, qui
accusent le patriarche d'avoir désolé les campagnes, saisi et
ruiné les maisons de ses ennemis, d'en avoir banni plusieurs,
d'avoir confisqué les biens des autres, enfin d'avoir agi
dans Alexandrie comme si elle eût été son propre domaine ,
et comme s'il y eût exercé une autorité supérieure à celle
même de l'empereur (5). Il paraît que ces accusations n'é-
« quingentos esse antè prœcepimus. Sed quia hos minus sufficere in prœ-
« senti cognovimus', pro quingentis sexcentos constitui praecipimus; ita ut,
« pro arbitrio viri reverendissimi, antistitis Alexandrinœ urbis, de lus qui
« antè fuerant, et qui pro consuetudine curandi gerunt experientiam , sex-
« centi parabolani ad ejusmodi sollicitudinem eligantur (exceptis videlicet
« honoratis et curialibus, i. e. extra horum corpus). Si quis autem ex his
« naturali sorte fuerit absumptus, alter in ejus locum, pro voluntate ejusdem
« sacerdotis (seu antistitis) subrogetur; ita ut hi sexcenti, viri reverendis-
« simi sacerdotis prseceptis ac dispositionibus obsecundent, et sub ejus cura
« consistant. » Ibid. , n. 43.
(1) Fleury, ubisuprà.— Alban Butler, Vies des Pères, 28 janvier, p. 457.
(2) Thomassin, ubi suprà, chap. 26, n. 8 et 9 — Fleury, Hist. Ecclés.,
t. vi, Hv. xxviu, n. 13.
(3) Concil. Chalcedon.y act. 3, n. 4. (Labbe, Concil. t. îv, p. 399, etc.)
— Fleury, Hist. Ecclés., t, vi, liv. xxvm, n. 7, etc.
186 INTRODUCTION.
taient pas sans fondement, puisque Dioscore, cité par le
concile pour se défendre , et ayant refusé de comparaître ,
fut condamné par contumace , et déposé pour toujours de sa
dignité. Sans doute, on né peut juger du pouvoir légitime du
patriarche d'Alexandrie, par les actes de violence auxquels
se porta Dioscore ; mais quelque abusifs que fussent ces actes,
ils supposent au moins que le patriarche avait alors à sa dis-
position de puissants moyens, pour influer dans l'administra-
tion des choses temporelles.
ne. Les monuments du vie et du vne siècle nous offrent des
Pouvoir ex*
traordinaire exemples bien plus propres à faire connaître le pouvoir
par jnstinien légitime du patriarche d'Alexandrie, et l'usage qu'en faisaient
patriarche les prélats les plus éminents en sainteté , et les plus exempts
d'Alexandrie. , i • 1 n i '«■ * >■ \
de tout soupçon de violence et d ambition (\).
Libérât, diacre de l'Église de Cartilage au vie siècle, nous
apprend que l'empereur Justinien donna au patriarche Paul,
vers Pan 540, une pleine autorité sur les ducs et les tribuns
de l'Egypte, c'est-à-dire, sur les officiers civils et militaires
de cette province , pour éloigner de ces emplois les héréti-
ques, et mettre à leur place des catholiques (2). Cette mesure
extraordinaire n'était au fond que l'application des lois sou-
vent publiées contre les hérétiques, et renouvelées par Justi-
nien lui-même (5); mais il est remarquable que l'exécution
de ces lois , pour ce qui regarde les magistrats hérétiques de
toute l'Egypte, soit confiée au patriarche d'Alexandrie.
II?> L'histoire de saint Jean l'Aumônier, qui occupa le même
PoUporeilem siège au commencement du siècle suivant , renferme des
l'Aumônier, détails aussi curieux qu'édifiants, sur l'exercice de son
pouvoir temporel (4). Il consacra les prémices de sonponti-
(1) Thomassin, Ancienne et nouvelle Discipline, t. n, liv. ni, chap. 103,
n. 10, etc.; t. ni, liv. i, chap. 27, n. 14 et 16.
(2) Voyez, ci-dessus, la note 1 de la page 91.
(3) Voyez plus haut, art. 2, p. 87, etc.
(4) S. Joannis Vita, per Leontium scripta , cap. 3, 5, 34, etc.
(Apud Bollandum, 30januarii.)— Fleury, Hist. Ecclés., t. vm,liv. xxxvii,
n. 12.
INTRODUCTION. 187
ficat par la réforme des poids et mesures , et obligea tous les
marchands à se conformer à ses règlements sur ce point ,
sous peine d'amendes et de confiscation. Il employait un
grand nombre d'officiers à surveiller la police et les mœurs
de la ville. Ces officiers étaient autorisés à emprisonner les
coupables , à saisir leurs biens , et à leur infliger d'autres
peines temporelles. Mais pour prévenir les vexations dont ils
auraient pu se rendre coupables, le saint évêque faisait placer,
tous les mercredis et les vendredis, devant la porte de l'église,
un siège où il écoutait publiquement les plaintes de tout le
monde , et faisait promptement rendre justice à chacun.
L'histoire nous a conservé peu de détails sur le pouvoir !«•.
, _T Influence du
temporel des autres patriarches. Nous croyons même peu patriarche
vraisemblable qu'ils eussent tous, dans le principe, la même Constamino-
, . te • • 1 » r P^e dans
autorité que celui d Alexandrie, qui fut toujours considère r élection de
• il ,)r, -, l'empereur.
comme le premier patriarche de 1 Orient, du moins avant serment
,,, . , . . 1 ,-. . ii«/r»«i exigé de l'élu
1 érection du patnarchat de Constantinople. JMais il est cer-
tain que , depuis la fin du ve siècle, le patriarche de la ville
impériale fut souvent appelé aux assemblées politiques,
surtout à celles où se faisait l'élection des empereurs , et qu'il
y exerçait ordinairement une grande influence (\). C'est ce
que prouve en particulier l'histoire d'Anastase, élevé au
trône impérial, en 494 , par les suffrages du sénat et de l'ar-
mée. Comme il était attaché au parti d'Eulychès, le patriar-
che Euphémius refusa constamment de lui donner la couronne
impériale , jusqu'à ce qu'il eût promis avec serment de con-
server la foi catholique , et de ne rien innover dans la reli-
gion (2). Depuis cette époque, on voit le patriarche, quel-
quefois même les évêques , appelés aux assemblées politiques,
dans plusieurs occasions importantes, principalement à celles
(1) Thomassin, Ancienne et nouvelle Discipline, t. n, liv. n, chap. 4 ,
n. 1 ; liv. m, chap. 46, n. 1-5.
(2) Evagre, Hist. Eccles. lib. m, cap. 32,— Fleury, Hist. Ecclés.,
t. vu, liv. xxx, n. 22. — Lebeau, Hist. du Bas-Empire, t. vin, liv. xxxvm.
— Bossuel, Defensio Declar., lib. n, cap. 7. — Idem , Défense de VHist.
des variations, n. 6.
Raisons d'exi
ger ce
serment
188 INTRODUCTION.
où se faisait l'élection des empereurs. Le consentement du
patriarche était regardé comme nécessaire pour leur cou-
ronnement; et il ne le donnait qu'en leur faisant jurer de
conserver la foi orthodoxe, et de maintenir la paix des Égli-
ses (\ ) .
9. Cette conduite d'Euphémius et de ses successeurs peut,
sans doute , paraître extraordinaire au premier abord ; et
peut-être bien des lecteurs trouveront-ils étonnant que ces
prélats aient fait dépendre le couronnement de l'empereur,
d'une condition tout à fait sans exemple sous les premiers
empereurs chrétiens. Mais on doit remarquer qu'au temps
où les patriarches de Constantinople commencèrent à exiger
cette condition , les circonstances étaient bien différentes de
ce qu'elles avaient été auparavant. Depuis le règne de Théo-
dose le Grand, plusieurs constitutions impériales avaient
déclaré les hérétiques incapables de tout emploi et de tout
droit civil (2). Cette disposition avait été successivement
appliquée aux différentes sectes hérétiques, et spécialement
à celle des Eutychiens , dont Anastase professait la doctrine
avant son élection à l'empire (5). Est-il étonnant que , dans
ces conjonctures, le patriarche de Constantinople, appelé par
la confiance du sénat et du peuple aux assemblées publiques
où se faisait l'élection de l'empereur, ait fait difficulté de cou-
ronner un prince hérétique? Pouvait-il se conduire autre-
ment sans compromettre tout à la fois les intérêts de la
religion et ceux de l'empire? Elever un hérétique au trône
impérial, au milieu d'une société catholique, et dans un
État où les hérétiques étaient déclarés, par les lois, incapables
de tout emploi et de tout droit civil , n'était-ce pas exposer
l'Église et l'État aux plus violentes commotions? Loin donc
que la conduite du patriarche Euphémius et de ses successeurs
(1) Voyez les auteurs cités, à ce sujet, par le P. Thomassin, ubi suprà.
(2) Voyez plus haut, article, 2, p. 87, etc.
(3) Voyez , à ce sujet , les Constitutions de l'empereur Marcien , que nous
avons citées plus haut, pages 88 et 89.
INTRODUCTION. 189
soit répréhensible en ce point , elle était pleine de sagesse et
de prudence : on doit la regarder comme une conséquence
naturelle de la législation alors en vigueur, et des me-
sures que les empereurs eux-mêmes avaient cru devoir
adopter, pour le maintien de la religion catholique dans leurs
États.
L'usage de ce serment, exigé des empereurs à l'époque " 120.
. 1 • 1 -e • 1 • 1 Conséquences
de leur élection, depuis le v siècle, a lait naître , dans la deCC
il* i i* i 1 t serment , re-
SUlte, une question de droit public du plus haut intérêt, utilement
savoir, si, en vertu de ce serment, un empereur hérétique déposition
• i 1 ,n n • • i 11 ri t d'unempereut
pouvait être déposer Sans entrer ici dans lexamen spéculant hérétique.
de cette question , qui nous jetterait dans le champ des con-
troverses théologiques , tout à fait étrangères à notre plan ,
nous ferons seulement quelques remarques historiques , très-
propres à éclaircir la question dont il s'agit , et à mettre dans
un nouveau jour la doctrine de l'antiquité sur cette matière.
\° Avant l'établissement du nouvel empire d'Occident,
sous Charlemagne , il ne paraît pas que cette importante
question ait jamais été agitée; du moins nous n'avons trouvé
jusqu'ici, dans les monuments authentiques de l'histoire,
aucun vestige d'une pareille discussion. On voit bien quel-
ques mouvements populaires s'élever contre les empereurs
hérétiques , spécialement contre Anastase et Léon l'Isaurien ;
mais le clergé est tout à fait étranger à ces mouvements , et
l'on ne voit aucune discussion sérieuse entre les docteurs ,
sur la permanence des droits d'un prince hérétique (\).
2° La conduite du clergé , et même des souverains pon-
tifes, envers les empereurs de Constantinople, depuis le
Ve siècle jusqu'au ixe, paraît toujours supposer la perma-
(1) Sur les mouvements populaires qui s'élevèrent à Constantinople con-
tre l'empereur Anastase, à l'occasion de son attachement au parti d'Euty-
chès. voyez les auteurs que nous avons cités, p. 187, note 2. Nous parlerons
ailleurs de semblables mouvements qui eurent lieu en Italie contre Léon l'I-
saurien, à l'occasion de son attachement à l'hérésie des Iconoclastes, et qui
furent apaisés par la prudence de Grégoire 11. (Voyez ci-après, lre partie,
chap. i.)
J90 INTRODUCTION.
nence des droits d'un prince même notoirement hérétique.
C'est ce qui résulte assez clairement des détails que l'his-
toire nous a conservés , sur la conduite du pape Symmaque
et du clergé de Gonstantinople envers l'empereur Ânastase*
La même chose semble résulter des détails que nous don-
nerons plus bas sur la conduite des papes du vine siècle
envers les empereurs hérétiques, et spécialement envers
Léon l'Isaurien.
5° Pour expliquer la conduite différente des souve-
rains pontifes envers les princes hérétiques , avant le
IXe siècle et depuis cette époque , il importe de remar-
quer une différence essentielle entre la constitution de l'em
pire romain et la constitution des nouvelles monarchies
qui s'élevèrent en Occident, depuis le ive siècle, sur les
ruines de cet empire. Ni l'usage , ni la constitution de l'em-
pire romain ne déclaraient déchu du trône un prince héré-
tique. Quoique les empereurs chrétiens fussent obligés, non-
seulement par une obligation naturelle, mais encore (depuis
le ve siècle) en vertu du serment de leur élection , à main-
tenir et protéger la religion catholique , il ne paraît pas que
rengagement contracté par ce serment fût alors considéré
comme une condition rigoureuse de leur élection. Cette
clause n'était point formellement stipulée à l'époque de l'é-
lection; et rien ne prouve que f usage suppléât, sur ce point,
à une stipulation formelle. Dans les nouvelles monarchies,
au contraire, ou du moins dans la plupart d'entre elles, la
profession de la foi catholique a été, pendant plusieurs
siècles , une condition rigoureuse de Vèlection du souve-
rain (4) ; cette condition était formellement stipulée, tantôt
dans les lois fondamentales de l'État, tantôt dans l'acte même
de l'élection du prince , tantôt par l'usage et la persuasion
universelle des princes et des peuples ; d'où il résultait natu-
(1) Nous verrons plus bas que cette condition a été autrefois en usage en
Espagne, en Angleterre, en Allemagne, et dans plusieurs autres États. (Voyez
ci-après, 2e partie, chap. 3.)
INTRODUCTION. 191
Tellement qu'un prince hérétique était déchu du trône, par
la constitution de l'État, et que la sentence du tribunal
ecclésiastique qui déclarait un prince hérétique , le décla-
rait, par cela même, déchu de tous ses droits. Nous
exposerons ailleurs plus en détail les principaux faits qui
établissent , à cet égard , le droit public de l'Europe au
moyen âge.
La suite des faits que nous avons exposés dans cette In- ,«.
. i , , , . . . î > Conséquences^
troauction, ne montre pas seulement 1 origine et les progrès ramar-
du pouvoir temporel de l'Eglise, sous les empereurs chré- quafaits
tiens ; mais elle montre en même temps la véritable origine exp°cette
de celui qu'elle exerça dans les différentes monarchies éle-
vées sur les débris de l'empire romain en Occident, depuis
le ive siècle. Plusieurs écrivains modernes représentent ce
pouvoir comme un effet de l'ambition et des intrigues du
clergé , secondés par l'ignorance et la superstition du moyen
âge. Il résulte, au contraire , des faits que nous avons ex-
posés :
4° Que les fondements de ce pouvoir furent jetés par
Constantin et ses successeurs, à une époque remarquable
par l'état florissant de la civilisation , des arts et des sciences.
2° Qu'en accordant au clergé un si grand pouvoir , les
empereurs chrétiens ne firent que transporter à l'Église les
honneurs et les prérogatives accordés, de tout temps, aux
ministres sacrés chez les Romains , comme chez tous les an-
ciens peuples.
5° Que cette conduite des empereurs chrétiens était aussi
conforme aux principes d'une sage politique, qu'à l'usage et
aux maximes de l'antiquité, sur l'étroite union qui doit
exister entre la religion et l'État.
4° Enfin , que le clergé , loin d'avoir ambitionné ce pou-
voir, ne l'exerçait qu'à regret; et que, parmi les évêques
surtout, ceux qui l'ont exercé avec plus d'éclat, sous les
empereurs chrétiens , sont précisément le plus à couvert du
reproche d'ambition et de cupidité.
192 INTRODUCTION.
Toutes ces conséquences seront mises dans un nouveau
jour , par les détails que nous donnerons , dans la première
partie de cet ouvrage , sur V origine de la souveraineté tem-
porelle du saint-siège.
POUVOIR DU PAPE
AU MOYEN AGE.
PREMIERE PARTIE.
ORIGINE ET FONDEMENTS DE LA SOUVERAINETÉ TEMPORELLE
DU SAINT-SIÈGE.
• &04^4SBBI
raineté tem-
porelle du
saint-sié^e.
L'établissement de la souveraineté temporelle du saint-siége t.
n'a pas été une de ces révolutions subites et imprévues, qui ^qTo'n"00*
étonnent le monde par la rapidité de leur marche. La lecture loL^sou^e-
attentive de l'histoire nous montre, au contraire, l'établissement
de cette souveraineté insensiblement amené et préparé, pour
ainsi dire, de loin , par un concours de circonstances tout à fait
indépendant de la volonté des souverains pontifes ; circonstances
dont ils eussent vainement essayé d'arrêter l'influence, et dont
ils n'eussent même pu empêcher le résultat naturel , sans com-
promettre également les intérêts de la religion et de la société.
Un aperçu rapide de ces circonstances montrera, dès ce mo-
ment, au lecteur l'importance et les difficultés du sujet que
nous devons traiter dans cette première partie.
Les détails que nous avons donnés, dans Y Introduction , sur
les honneurs et les prérogatives temporelles accordés à la reli-
gion et à ses ministres , sous les premiers empereurs chrétiens ,
font déjà connaître une partie des événements qui ont préparé
de loin la souveraineté temporelle du saint-siége. On conçoit,
en effet, que les mêmes considérations qui engageaient alors les
empereurs à donner à tous les évêques, et surtout aux patriar-
ches, une si grande influence dans les affaires civiles, les en-
gageaient naturellement à donner une autorité encore plus
13
194 SOUVERAINETE TEMPORELLE DU PAPE.
grande au saint-siége, que toutes les Églises vénéraient comme
le centre de la catholicité; il était assurément bien convenable
que ce siège, distingué entre tous les autres par ses préroga-
tives dans l'ordre spirituel, le fût également par ses prérogatives
dans l'ordre temporel.
Mais, à cette première cause du pouvoir temporel dont le
saint-siége fut investi , depuis la conversion de Constantin , il
faut en ajouter plusieurs autres, tirées de la situation déplo-
rable de l'empire, principalement en Occident, sous les suc-
cesseurs de ce grand prince , et des services importants que les
papes rendirent à l'Italie , dans les circonstances difficiles où
elle se trouvait (l).
2. Personne n'ignore, en effet, quelle fut, depuis le ive siècle,
dépiSTdela triste situation de l'empire, surtout en Occident (2). Les ir-
^mdentT rupti°ns continuelles des Barbares lui enlevèrent successive-
ie it^ècie men* ses Pms belles provinces , et attirèrent sur leurs malheu-
reux habitants les plus affreuses calamités. Les invasions se
multiplièrent à un tel point, qu'avant la fin du ve siècle, l'em-
pire était déjà presque éteint en Occident, et que Rome elle-
même, assujettie d'abord à la domination des Hérules, puis à
celle des Ostrogoths, semblait enlevée pour toujours à ses an-
ciens maîtres. Il est vrai que, sous le règne de Justinien, les
conquêtes de Bélisaire et de Narsès rétablirent, pendant quel-
ques années , la gloire de l'empire en Italie. Mais à peine ces
deux grands capitaines eurent quitté cette province, que les
Lombards l'asservirent de nouveau presque tout entière, et
fondèrent, dans sa partie supérieure, une monarchie qui fut,
pendant plus de deux siècles, une source de calamités pour les
provinces d'Italie encore soumises à la domination impériale.
Au milieu de ces calamités, sans cesse renaissantes, ces malheu-
reuses provinces étaient presque entièrement destituées du se-
(1) Parmi les auteurs français qu'on peut citer à l'appui de cet ex-
posé, voyez en particulier Bossuet , Defens. Declar., lib. u, cap. 36-39.
— Thomassin, Ancienne et nouvelle Discipline, t. m, liv. i, ch. 27, n. 6-9;
eh. 29, n. 2, etc. <— Affre, Essai historique sur la Puissance temporelle
du Pape et de l'Église , ch. 8. — Lebeau, Hist. du Bas-Empire , t. xiv,
liv. lxvi, n. 51. — Annales du moyen âge, t. iv, liv. xin, p. 40, etc. —
De Maistre, Du Pape, liv. n, ch. 6, p. 249, etc.
(2) Outre les auteurs cités dans la note précédente, voyez Bossuet, Hist.
universelle, ire partie, ne Époque.
PREMIÈRE PARTIE. 195
cours des empereurs. Ceux-ci , qui pouvaient à peine se soutenir
en Orient contre de semblables attaques , étaient presque tou-
jours obligés de refuser à l'Italie les secours qu'elle ne cessait
de réclamer. Plusieurs même, oubliant les principes et les
exemples de leurs prédécesseurs, sur la soumission due à l'Église
et au saint-siége, semblaient travailler eux-mêmes à ruiner leur
autorité en Italie, par la protection ouverte qu'ils accordaient à
l'hérésie , et par les vexations qu'ils exerçaient contre les peu-
ples, en punition de leur attachement au saint-siége et à la foi
catholique.
Dans ces tristes conjonctures, la Providence avait ménagé à 3.
l'Italie une puissante ressource, dans la sagesse et la vertu des ^^«'«JS"
papes qui occupèrent alors le saint-siége. Depuis la conversion 11'1,alie« da,,f
1 *■ * * or la sagesso et la
de Constantin jusqu'au règne de Charlemagne, ils furent près- vem«
que tous distingués par leurs lumières, leur prudence et leur
éminente sainteté. Les grandes richesses et la considération uni-
verselle dont ils jouissaient, loin d'être l'écueil de leur vertu,
ne servaient qu'à lui donner plus d'éclat. L'augmentation de
leurs patrimoines tournait constamment au profit des pauvres,
dans toutes les parties de la chrétienté (1); et l'Italie surtout
dut plus d'une fois à la prudence et à la générosité des papes, le
soulagement ou la cessation des fléaux que lui attirait sans cesse
le voisinage des Barbares.
Tous ces motifs réunis devaient naturellement lui rendre de
jour en jour plus chère et plus précieuse la protection des papes,
et donner en même temps à ceux-ci une plus grande influence
dans le gouvernement temporel ; influence d'autant plus légi-
time, qu'elle était le résultat inévitable de circonstances et
d'événements tout à fait indépendants de leur volonté. Aussi,
les auteurs même les moins favorables au saint-siége sont-ils
forcés de reconnaître, que ce concours de circonstances fut la
(1) On appelait alors patrimoines de V Église, les biens-fonds qu'elle pos-
sédait pour son entretien et pour le soulagement des pauvres. La plupart
des grandes Églises avaient des patrimoines plus ou moins considérables •
mais la plus riche, en ce genre de propriétés, était l'Église romaine. Voyez
Fleury, Mœurs des Chrétiens, n. 49, 50, 58, etc. — Hist. Ecclés.,
t. vin, liv. xxxv, n. 16. — Thomassin, Ancienne et nouvelle Discipline,
t. 111, liv. m, chap. 29. — Zaccaria, De rébus ad Hist. et Antiquit. Eccles.
pertinentibus. Fulginiœ, 1781 ; t. n, Dissertatio x.
13.
136 SOUVERAINETÉ TEMPORELLE Dtl JAJPE.
principale cause de l'accroissement prodigieux du pouvoir tem-
porel des papes, depuis le ve siècle (1). Toutefois, en s'accor-
dant avec nous sur ce point, ils ne s'accordent pas également
sur la nature du pouvoir que les papes ont exercé en Italie
avant la donation de Pépin, ni sur l'époque précise à laquelle
on doit placer l'origine de leur souveraineté temporelle, ni sur
les véritables fondements de cette souveraineté.
4. L'importance de ces questions, relativement à l'objet de nos
objet ^ei pian rec^erc^e^ ]a grande variété d'opinions qui existe sur ce
***** p^lère sujet entre les auteurs modernes, et le prétexte qu'elles ont
trop souvent fourni aux plus odieuses déclamations contre l'É-
glise et le saint-siége, nous engagent à ne rien négliger pour
éclaircir cette matière , et à la traiter avec tout le développe-
ment que nous permettent le plan et le but de notre ouvrage.
Pour cet effet, nous partagerons cette première partie en
deux chapitres. Nous exposerons, dans le premier, les princi-
paux faits relatifs au pouvoir des papes en Italie, depuis la con-
version de Constantin jusqu'à l'élévation de Charlemagne à
l'empire. Cette exposition servira de base à l'examen que nous
ferons, dans le second chapitre, des questions agitées entre les
auteurs modernes, sur l'origine et les fondements de la souve-
raineté temporelle du saint-siége.
r (1) Outre les auteurs déjà cités (p. 194, note 1), voyez Vertot, Origine
de la grandeur de la Cour de Rome, p. 10 et 1 1. — Daunou, Essai histo-
rique sur la Puissance temporelle des Papes, ch. 1.
PREMIÈRE PARTIE. — CHAPITRE I. 197
CHAPITRE PREMIER.
Exposition des faits relatifs au pouvoir temporel des Papes
en Italie, depuis la conversion de Constantin jusqu'à
V élévation de Charlemagne à l'empire.
Depuis le règne de Constantin jusqu'à celui de Théodose le s.
Grand, c'est-à-dire, jusqu'à la fin du rve siècle, nous ne porehi" p^
voyons guère de différence entre le pouvoir temporel du Pape d*™"î ^lie.
et celui des autres évoques. La générosité des empereurs envers
le saint-siége se manifestait souvent, il est vrai, par de riches
offrandes, même en biens-fonds (1) ; mais il ne paraît pas qu'elle
se soit alors manifestée en lui donnant, dans l'ordre temporel,
un pouvoir plus étendu que celui dont jouissaient généralement
les évêques et les patriarches, dans les autres parties de l'empire.
On a longtemps supposé que l'empereur Constantin , pour ho- 6.
norer le saint-siége, lui avait donné pour toujours, par un acte «îdaëdJ6"
solennel , la ville de Rome avec V Italie , et toutes les pro-
vinces de V empire en Occident^). L'acte de cette prétendue
donation, qui paraît avoir été publié, pour la première fois, au
ixe siècle, dans le recueil des fausses décrétâtes, a été cité
depuis avec confiance par un grand nombre d'auteurs , et même
généralement regardé comme authentique, depuis le xe siècle
jusqu'au xve. Mais, depuis la renaissance des lettres, plusieurs
savants en démontrèrent la supposition (3) ; et il est générale-
ment reconnu aujourd'hui, que la donation de Constantin,
telle qu'on la trouve dans le recueil des fausses décrétâtes, et
dans les principales collections des conciles, est une pièce
apocryphe.
(1) Voyez les détails que nous avons donnés sur ce sujet, dans l'Introduc-
tion de cet ouvrage, art. 2, § 3 , p. 103, etc.
r (2) On peut voir cet acte dans la Collection des Conciles du P. Labbe
(t. 11, p. 1530). Voyez aussi le n. 5 des Pièces justificatives , à la fin de
ce volume.
(3) Nous avons cité, dans les Pièces justificatives , les principaux défen-
seurs de ce sentiment. Voyez le P. Alexandre, Dissert, xxv sur VHist.
Ecclés. du ive siècle, art. 1, Prop. 1 , 2 et 3.
Constantin.
198 SOUVERAINETÉ TEMPORELLE DU PAPE.
7. Il est certain, en effet, que, du vivant de Constantin , et
Sprouvéele longtemps après sa mort, la ville de Rome, aussi bien que
par l'histoire. toutes \es provinces de l'empire en Occident, fut toujours sous
la domination des empereurs. Constantin lui-même, dans le
partage qu'il fit de l'empire entre ses enfants, assigna l'Italie,
avec l'Afrique et l'Illyrie, à Constant, le plus jeune d'entre eux,
qui en prit effectivement possession, et y exerça l'autorité sou-
veraine, sans le concours ni la participation du Pape (l). Tous
les successeurs de Constantin exercèrent la même autorité à
Rome et en Italie jusqu'au vme siècle, excepté pendant la
courte durée de la domination des Hérules et des Ostrogoths,
depuis l'an 475 jusqu'en 553 ; et l'on ne voit pas que les papes
aient jamais réclamé contre cette conduite des empereurs, ni
qu'ils se soient jamais attribué l'autorité souveraine à Rome, ou
dans le reste de l'Italie , avant le vme siècle. Il est vrai qu'ils
eurent beaucoup de part au gouvernement temporel de cette
province, depuis le ive siècle, et surtout depuis l'établissement
de la monarchie des Lombards, en 572. Mais quelque étendu
que fût, à cette époque, leur pouvoir temporel, on verra bien-
tôt qu'ils l'exerçaient toujours sous la dépendance de l'empe-
reur, et comme ses représentants en Italie. Soit qu'ils agissent
comme seigneurs temporels, dans les patrimoines du saint-
siège, soit qu'ils agissent pour l'intérêt général de l'Italie,
ils reconnaissaient toujours la souveraineté de l'empereur; ils
employaient leur autorité à maintenir la sienne , et à contenir
dans l'obéissance les peuples disposés à la révolte,
s. Le règne des empereurs Honorius et Théodose le Jeune
Accroissement -il • -t , , i -v / îj
du pouvoir peut être considère comme la première époque d un accroisse-
dup^pe^sous ment considérable dans le pouvoir temporel du Pape, aussi
Honorius. j^jj qUe ^es autres patriarches (2). L'histoire nous montre en
effet, depuis ce temps, les plus saints papes se servant de leur
autorité pour empêcher les assemblées des hérétiques, pour
fermer leurs églises, les dépouiller de leurs biens, et condamner
même à l'exil leurs principaux chefs. C'est ainsi que l'hérétique
(1) Eusèbe, Vita Constantini , lib. iv, cap. 51.— Fleury, Hist. Ecclés.,
t. m, liv. xiï, n. 1.
(2) Voyez les détails que nous avons donnés sur le pouvoir temporel des
patriarches, dans Y Introduction de cet ouvrage, art. 2 , § 6, p. 18i, etc.
PREMIÈRE PARTIE. — CHAPITRE I. 199
Célestius fut banni de l'Italie par ordre du pape saint Céles-
tin (1), et les Manichéens par les ordres des papes Gélase et
Symmaque (2). Pour l'exécution de ces mesures, il y a tout lieu
de croire que le souverain pontife, aussi bien que le patriarche
d'Alexandrie, avait à sa disposition quelques corps d'officiers (3).
Mais il fallait du moins que les magistrats civils fussent obligés
de lui prêter main -forte, pour faire respecter les actes de son
autorité ; c'est ce que suppose clairement la conduite de saint
Augustin , conjurant le pape Célestin de ne point employer la
force armée , pour rétablir dans le siège de Fussale , en Afri-
que, l'évêque Antoine, qui avait appelé au saint- siège d'une
sentence de déposition prononcée contre lui dans un concile
provincial (4),
L'histoire, qui nous a conservé ces détails , ne nous fait pas g.
connaître la date et l'origine précise des divers accroissements meut autorisé
que prit, pendant le cours du ve siècle , le pouvoir temporel du pai reurT*
saint-siége. Mais l'éminente sainteté des papes qui gouvernaient p^fcliase
alors l'Église, et les principes dont ils faisaient profession sur distinction des
la soumission due à la puissance temporelle, ne permettent pas Jeux i>uis-
de douter que le saint-siége ne fût alors autorisé par l'empereur
à exercer les actes dont nous venons de parler. Il est certain,
en effet, que la doctrine de la distinction et de l'indépendance
réciproque des deux puissances était alors ouvertement pro-
fessée par< le saint-siége, comme fondée sur l'institution di-
vine et sur la tradition constante de l'Église. On sait avec
quelle précision et quelle clarté cette doctrine est exposée par
le pape Gélase, dans une lettre à l'empereur Anastase, protec-
teur déclaré des Euty chiens. Ce passage est d'autant plus re-
(1) S. Prosper, Contra Collât., cap. 21, n. 138. (OperumS. Augustini,
tom. x. Append. p. 195.) — Fleury, Hist. Eccl., t. vi , liv. xxv, n. 2.
(2) Anastase le Bibliothéc. , Vïtœ SS. Gelasii et Symmachi. (Labbe,
Concil. t. îv, p. 1144 et 1297.) — Fleury, Hist. Ecclés., t. vu, liv. xxx,
n. 41 et 55.
(3) On a vu plus haut que le patriarche d'Alexandrie avait à sa disposi-
tion un corps d'officiers , nommés Parabolains , pour soutenir sa puis-
sance, et faire respecter les actes de son autorité. (Voyez ci-dessus YJntrod.,
art. 2,§ 6, p. 184, etc. )
(4) S. Augustin, Epistol. 209, allas 261. (Operum t. n.) — Fleury,
Hist. Ecclés. , t. v, liv. xxiv, n. 34. — Tillemont, Mémoires sur l'Hist.
Ecclés. , t. xiii , art. 315 et 316.
200 SOUVEBAINETÊ TEMPORELLE DU PAPE.
marquablë, qu'il a été adopté depuis par le sixième concile de
Paris, et inséré dans les Capitulaires , qui ont fait pendant
si longtemps le fond de la législation, en France, en Italie et
en Allemagne (1). Le Pape voulant faire comprendre à l'empe-
reur l'irrégularité de sa conduite, lui parle en ces termes:
« Ce monde, auguste empereur, est gouverné par deux puis-
« sances, celle des pontifes et celle des rois ; entre lesquelles la
« charge des prêtres est d'autant plus grande , qu'ils doivent
« rendre compte à Dieu, dans son jugement, pour l'âme des
«rois. Vous savez, mon très -cher fils, qu'encore que votre
« dignité vous élève au-dessus des autres hommes, cependant
« vous vous humiliez devant les évêques chargés de l'adminis-
« tration des choses divines; vous vous adressez à eux pour
« être conduit dans la voie du salut ; et dans tout ce qui con-
« cerne la réception et l'administration des sacrements, vous
«reconnaissez que, bien loin de pouvoir leur commander,
« vous êtes obligé de leur obéir. Vous savez, dis-je, que, sur
« tout cela, vous dépendez de leur jugement, et que vous
« n'avez pas droit de les assujettir à votre volonté. Car si les-
« ministres de la religion obéissent à vos lois , dans tout ce
« qui concerne l'ordre temporel, parce qu'ils savent que vous
« avez reçu d'en haut votre puissance , avec quelle affection,
«je vous prie, devez-vous obéir à ceux qui sont chargés de
« dispenser nos augustes mystères (2)? »
(1) Voyez à ce sujet la seconde partie de ces Recherches, ch. 3, art. 1 , n. 178.
(2) « Duo sunt , Imperator auguste , quibus principaliter mundus hic regi-
«tur, auctoritas sacra pontifîcum , et regalis potestas; in quibus tantô
« gravius est pondus sacerdotum , quantô etiam pro ipsis regibus in di-
« vino reddituri sunt examine rationem. Nosti enim, fili clementissime ,
« quôd, licèt praesideas humano generi , dignitate , rerum tamen praîsuli-
« bus divinarum devotus colla submittis, atque ab eis causas tuée salutis
« expetis ; inque sumendis cœlestibus sacramentis , eisque , ut competit ,
« disponendis , subdi te debere cognoscis, religionis ordine, potiùs quàm
« praeesse. Nosti itaque inter hœc ex illorum te pendere judicio , non illos
« ad tuam velle redigi voluntatem. Si enim, quantum ad ordinem periinet
« publicœ disciplinœ, cognoscentes imperium tïbi supernâdispositione col-
« latum, legibus tuis ipsi quoque parent religionis antistites,... quo, rogo,
« decet affectu eis obedire , qui pro erogandis venerabilibus sunt attributi
« mysteriis ? » S. Gelasti Papœ Epist. ad Anast. Aug. (Labbe, Con-
cil.) t. îv, p. 1182.) — Fleury, Hist. Ecclés., t. vu, lib. xxx, n. 31. Pour
plus ample développement de ce passage, voyez Bossuet, Defens. Declar.,
lib. 1, sect. 2a, cap. 33, etc.
PREMIÈRE PARTIE. — CHAPITRE I. 201
Il est impossible, assurément, d'exprimer en termes plus clairs
la distinction et l'indépendance réciproque des deux puissances ;
car elles sont ici représentées comme ayant, chacune en particu-
lier, leur objet propre et leurs fonctions distinctes , d'après l'in-
stitution divine ; bien plus, comme étant également souveraines,
en tout ce qui est de leur compétence, puisqu'elles sont également
soumises l'une à l'autre, en tout ce qui concerne leur autorité
respective. Comment seraient-elles véritablement souveraines ,
chacune dans son ressort, comment leurs fonctions seraient-
elles véritablement distinctes , si Tune des deux pouvait régler
les objets qui appartiennent à la juridiction de l'autre, annuler
ses actes, et même la destituer, en vertu d'une juridiction su-
périeure, directe ou indirecte? Il est vrai que, dans les prin-
cipes du pape Gélase, la puissance spirituelle est supérieure,
en un sens, à la temporelle; savoir , en ce sens que les ponti-
fes doivent rendre compte à Dieu dans son jugement pour
Vâme des rois. Mais il est clair que, dans le sentiment de ce
pontife, cette supériorité ne donne pas à la puissance spirituelle
le droit de régler les objets soumis à la juridiction de la puis-
sance temporelle, bien moins encore le droit de la destituer:
un pareil droit serait manifestement incompatible avec la dis-
tinction de deux puissances souveraines , chacune dans son
ressort. La supériorité que le pape Gélase attribue à la puissance
spirituelle se réduit donc à diriger la puissance temporelle par
de sages conseils, par des avis paternels, et s'il le faut, par
l'usage des peines spirituelles (1).
(1) Plusieurs théologiens ultramontains se servent, aussi bien que nous,
des paroles du pape Gélase , pour montrer que l'Église n'a aucun pouvoir
direct sur les choses temporelles. (Bellarmin, De Summo Pontif. lib. v,
cap. 3. — Roncaglia, Animadv. in Dissert. 2 Nat. Alex, ad Hist.
Ecoles, saec. xi , § 1 . ) Mais ils ne croient pas que ces paroles excluent
le pouvoir indirect de régler ces objets, en vertu du pouvoir qu'a l'É-
glise de faire tout ce qu'exige le plus grand bien de la religion.1 Cette expli-
cation semble manifestement contraire au texte de Gélase. Qu'importe, en
effet, que l'Église règle les choses temporelles en vertu d'un pouvoir
direct, ou en vertu d'un pouvoir indirect , si elle a réellement le pouvoir
de les régler sans le concours de la puissance temporelle, et même malgré
elle, pour le plus grand bien de la religion ? Dans l'un comme dans l'autre
cas , la distinction de deux puissances souveraines , si clairement établie
par le pape Gélase , devient inutile et chimérique. Sur la notion du pouvoir
direct et du pouvoir indirect, voyez le n. 8 des Pièces justificatives
à la fin de ce volume.
202 SOUVERAINETÉ TEMPORELLE DU PAPE.
10. L'opiniâtreté de l'empereur à soutenir l'hérésie obligea ; quel-
^ncuiquéé"6 ques années après » le pape Symmaque à lui rappeler cette doc-
psymmaque.e trine fondamentale (l). « Croyez- vous, dit-il, parce que vous
« êtes empereur, qu'il vous soit permis de mépriser le jugement
« de Dieu , et de vous élever contre la puissance de saint
« Pierre? Comparons la dignité de l'empereur avec celle
« des pontifes. Il y a entre elles autant de différence qu'il y
« en a entre un administrateur des choses de la terre et un
« administrateur des choses du ciel. Vous, prince, vous re-
« cevez du pontife le baptême et les sacrements : vous lui de-
« mandez des prières, vous souhaitez sa bénédiction, et vous
« le priez de vous accorder la pénitence ; en un mot , tandis
« que vous n'avez soin que des choses humaines , il vous dis-
« pense les biens du ciel. Sa dignité est donc au moins égale ,
« pour ne pas dire supérieure à la vôtre Vous direz peut-
« être que, suivant l'Écriture, nous devons être soumis à
« toutes les puissances (2). Sans doute, nous obéissons aux
« puissances de la terre, lorsqu'elles se tiennent à leur place,
« et qu'elles n'opposent point leur volonté à celle de Dieu. Au
« reste, si toute puissance vient de Dieu (3), celle qui est éta-
« blie pour régler les choses divines en vient à plus forte rai-
« son. Respectez Dieu en nous, et nous le respecterons en
« vous. Mais si vous n'obéissez pas à Dieu , vous ne pouvez
« user du privilège de celui dont vous méprisez les droits, ni
(1) «An, quia imperator es , divinum putas contemnendum esse judi-
« cium? ... An, quia imperator es, contra Pétri niteris potestatem? . . .
« Conferamus autem honorem imperatoris cum honore pontificis ; inter quos
« tantùm distat, quantum ille rerum humanarum curam gerit , iste divina-
« rum. Tu, imperator, à pontifice baptismum accipis, sacramenta sumis,
« orationem poscis, benedictionem speras, pœnitentiam rogas. Postremô, tu
« humana administras, ille tibi divina dispensât. Itaque, ut non dicam su-
« perior, certè sequalis lionor est. . . . Fortassis dicturus es scriptum esse,
« omni potestati nos subditos esse debere. Nos quidem potestates huma-
« nas suo loco suscipimus, donec contra Deum suas erigant volunlates.
« Ceeterùm si omnis potestas à Deo est, magis ergo quae rébus est prae-
« stitutadiviuis. Defer Deo in nobis, et nos deferemus Deo in te. Caeterùm
« si tu Deo non déferas , non potes ejus uti privilegio, cujus jura contem-
« riis. » Symmachi Papœ Apologia ad Anast. ( Labbe , Çoncil. t. iv ,
p. 1298.) — Fleury , Ibid. , n. 55. — Bossuet, Ibid., lib. h, cap. 7.
(2) Boni, xui, 1.
(3) Ibid.
PREMIÈRE PARTIE. — CHAPITRE I. 203
« exiger de nous une soumission que vous refusez à Dieu lui-
« même(l). »
On voit que le pape Symmaque, à l'exemple de Gélase,
non content de marquer avec précision la distinction des deux
puissances , par la nature des objets sur lesquels s'exerce leur
autorité, oblige les pontifes eux-mêmes, en vertu de l'institu-
tion divine , à obéir aux puissances de la terre en tout ce qui
regarde l'ordre temporel, comme les princes sont obligés
d'obéir à l'Église eu tout ce qui regarde l'ordre spirituel. Le
seul cas où il croie la désobéissance permise, c'est lorsque le
prince, excédant les bornes de son autorité, oppose sa propre
volonté à celle de Dieu. Prétendre après cela que les papes du
ve siècle se sont attribué, de leur propre mouvement, unejuri-
diction directe ou indirecte sur les choses temporelles, ne serait-
ce pas faire *une supposition évidemment gratuite, contraire
à l'histoire et à la doctrine constante des souverains pontifes?
Au reste, la générosité des empereurs envers le saint-siége, à „ -
l'époque dont nous parlons, n'a rien d'étonnant, si l'on fait at- ^.^ iaes
tention qu'ils avaient alors les plus puissants motifs de s'atta- empereurs
i . ./. i ni •!/!•/ envers le saint-
cher les souverains pontites par de nouvelles libéralités , et que siège.
ceux-ci étaient obligés, par la nécessité des circonstances, et
pour l'intérêt même de l'empire , à prendre une part très-
activeaux affaires publiques. L'Italie, continuellement harcelée
par les Barbares, n'avait pas de plus ferme rempart contre
eux que l'autorité du saint-siége. On sait que le pape saint
Léon, vers le milieu du ve siècle, sauva deux fois la ville
de Rome, par sa médiation auprès des rois barbares Attila et
Genséric (2). Le pape Agapet se chargea, dans le siècle suivant,
avec la même générosité , quoique avec moins de succès , de
négocier la paix entre Théodat, roi des Goths, et l'empereur
Justinien (3). Le pape Vigile fut plus heureux dans ses négo-
ciations auprès du même empereur, pour les intérêts de l'Italie;
(1) Ces dernières paroles paraissent faire allusion au danger qu'Anastase
avait déjà couru de perdre sa dignité , au milieu des révoltes occasionnées
par la protection qu'il donnait aux Eutychiens.
(2) Fleury, Hist. Ecclés. , t. vi, liv. 28, n. 39 et 55 — Tillemont , Mém.
sur VHist. Ecclés., t. xv, p. 750, 779, etc. — Thomassin, Ancienne et nouv.
Discipline, t. m, liv. i, chap. 26.
(3)Cassiodore, Epistol. lib. x, Epist, 19 et 20. — Lebeau, Hist. du Bas-
204 SOUVERAINETÉ TEMPORELLE DIT PAPE.
car il obtint de ce prince une constitution ou pragmatique,
dont l'objet principal était de confirmer les donations faites aux
Romains par les rois goths Athalaric et Théodat(l). Cassiodore ,
sénateur romain, fait sans doute allusion à cette grande in-
fluence du Pape sur les affaires publiques, lorsque, étant pro-
mu à la dignité de préfet du prétoire (2), en 534 , il s'adresse
au pape Jean II , pour lui demander ses prières et ses conseils,
dans l'exercice de sa nouvelle dignité. «Vous êtes, lui dit-il,
« le gardien du peuple chrétien ;... . et votre qualité de pasteur
« n'exclut pas le soin des choses temporelles; tous les intérêts
« des peuples sont en vos mains ; vous devez les défendre avec
« le zèle et l'affection d'un père (3). »
I2. Mais quelque sensible qu'eût été l'accroissement du pouvoir
encoT^L temporel du saint-siége, pendant le ve et le vie [siècle, il le
puissants.sous fut jjjgjj davantage depuis l'établissement de la monarchie des
Ja monarchie ° r
d«-s Lombards, en 572. Depuis cette nouvelle révolution, la fai-
blesse toujours croissante de r empire, et letat d abandon [ou
se trouvaient de plus en plus les provinces d'Italie encore sou-
mises à la domination impériale, rendirent de jour en jour
plus nécessaire à ces provinces l'autorité du souverain pontife (4).
Sans cesse vexées par les Lombards, elles ne cessaient d'implorer ,
mais presque toujours inutilement, le secours des empereurs,
tantôt par l'organe des papes , tantôt par l'organe des exar-
Empiref t. ix , liv. 43, n. 20 et 25. — Fleury, Hist. Ecclés., t. vu, liv. 32,
n. 53.
(1) Baronii Annales, anno 554, n. 9, etc. — Fleury, Hist. Ecclés., t. vu,
liv. 33, n. 52.
(2) Sur la charge de préfet du prétoire, voyez ci-dessus, p. 44 de Yln-
trod., note 2.
(3) « Vos enim speculatores christiano populo praesidetis; vos patris no-
« mine omnia dirigitis. Securitas ergo plebis ad vestram respicit famam, cui
« divinitus est commissa custodia. Quapropter nos decet custodire ali-
« qua, sed vos omnia. Pascitis quidem spiritualité!' commissum vobisgregem;
« tamen nec ista potestis negligere, qua? corporis videntur substantiam con-
te tinere; nam; sicut homo constat ex dualitate, ita boni patris est utroque
« refovere. » CassiQÛoreSEpistol lib.xi, Epist. 2. (Operum, 1. 1.)— Ejus-
dem Vita; parte l,n. 31 (au commencement du même tome). — Thomas-
sin, Ancienne et nouv. Discipline, t. m, liv. i, chap. 27, n. 10.
(4) Outre les auteurs cités plus haut, p. 194, note 2, voyez aussi Anna-
les du moyen âge, t. ni, p. 191-198. — Montesquieu, Considérations
sur les causes de la grandeur et de la décadence des Romains,
chap. 19, etc.
PREMIÈRE PARTIE. — CËÀi>IÏRË i . 20S
ques, qui gouvernaient alors ces provinces au nom de l'empe-
reur (l). Dans une situation si déplorable , la principale et sou-
(1) Il ne faut pas confondre les exarques civils, dont il est souvent ques-
tion dans l'histoire du Bas-Empire , avec les exarques ecclésiastiques dont
il est parlé dans l'histoire des premiers siècles. La dignité de ces derniers ré-
pondait à peu près à celle des patriarches ou des primats. (Voyez, à ce su-
jet, Thomassin, Ancienne et nouv. Discipline, t. i, liv. t, chap. 17, etc. —
De Héricourt, Abrégé du même ouvrage, lre partie, chap. 4. ) Dans l'ordre
civil, on appelait exarque, un magistrat préposé par l'empereur au gouver-
nement de certaines provinces. L'histoire fait surtout mention des exarques
d'Italie , d'Afrique et de Sicile. Mais le plus célèbre de tous est celui d'Italie,
qu'on appelle aussi quelquefois Y exarque de Ravenne, parce qu'il résidait
ordinairement dans cette dernière ville. Celui-ci avait, dans sa province, une
autorité absolue et presque sans bornes, tant pour l'administration civile,
que pour le gouvernement militaire. Il donnait lui-même le titre de duc aux
gouverneurs de Rome, de la Pentapole, de Naples, et des autres villes d'Ita-
lie encore soumises à l'empereur. Les seules marques de sa dépendance
étaient la révocabilité , et l'obligation de payer chaque année à l'empereur
une certaine somme, que celui-ci avait stipulée, en conférant à l'exarque
son emploi. Le premier exarque d'Italie fut Longin, qui y fut envoyé en 568,
par Justin II , pour défendre cette province contre les Lombards. Mais l'au-
torité des exarques fut une bien faible barrière contre les progrès de ces bar-
bares, qui ne cessèrent presque pas de ravager l'Italie, jusqu'à ce qu'elle eût
appelé les Français à son secours , par l'organe des papes. L'exarchat de Ra-
venne, après avoir duré 184 ans, fut éteint dans la personne d'Eutychius,
en 752. Son autorité fut aussitôt remplacée par celle des papes , qui, appe-
lés par le vœu et la confiance des peuples, gouvernaient déjà depuis quelques
années, avec une souveraine autorité, la plus grande partie des provinces de
l'empire en Italie. (Sur l'origine des exarques d'Italie , voyez Lebeau, Hist.
du Bas- Empire, t. xi, liv. l, n. 21; t. xm, liv. lxiv, n. 18. — S. Grégoire le
Grand , Epistol. lib. i, Epist. 33 , nota b. — Ducange, Glossarium infimœ
Latinit.fYerho'^xarchus. On trouve, dans Y Art de vérifier les dates, la
suite chronologique des exarques d'Italie. Mais tout ce qui tient à leur his-
toire est surtout traité avec soin par Beretta , De Italiâ medii œvi dissert,
chorograph., sect. 16 et 20, apud Muratori, Rerum Italie. Script., t. x.)
Pour ce qui regarde la dénomination et la position géographique des pro-
vinces soumises à la juridiction de l'exarque d'Italie , il est important de re-
marquer que le mot exarchat , depuis l'établissement du royaume des
Lombards , et pendant toute sa durée , se prend en deux sens différents dans
les anciens auteurs. Dans le sens le plus élendu, il désigne toutes les pro-
vinces d'Italie alors soumises à la domination impériale, c'est-à-dire princi-
palement, la Vénétie , une partie des côtes de la Ligurie , la partie orientale
de l'ancienne Emilie, la Flaminie, la partie occidentale de l'ancien Picénum,
et le duché de Rome. Dans un sens moins étendu , le mot & exarchat dé-
signe seulement la partie orientale de l'ancienne Emilie et la Flaminie; ce qui
répond à peu près à la Romagne actuelle. Dans ce dernier sens, Y exarchat
est distingué de la Pentapole et du Duché de Rome. La Pentapole répond à
peu près à la partie occidentale de l'ancien Picénum : c'est ce qu'on appelle
aujourd'hui le duché d'Urbin , et partie de la Marche d'Ancône. Le Duché
de Rome renferme une partie de l'Etrurie ou de la Toscane, avec la Sabine,
206 SOUVERAINETÉ TEMPORELLE DU PAPE.
vent Tunique ressource de l'Italie , était l'autorité du saint-siége,
dont la protection était nécessaire à l'exarque lui-même,
tantôt pour subvenir aux frais du gouvernement , tantôt pour
apaiser les peuples disposés à la révolte, tantôt pour négocier
avec les Barbares, qui respectaient beaucoup plus la dignité et
surtout la parole du pontife que celle de l'exarque ; en sorte que
les papes, en intervenant alors, comme ils faisaient si souvent dans
les affaires publiques, ne faisaient que céder à la nécessité absolue
des circonstances, et aux vœux réunis des princes et des peuples.
3 L'histoire du pontificat de saint Grégoire , qui concourt avec
rouvoir tem- les premiers temps de la monarchie des Lombards, fournit une
saint Grégoire multitude- de faits à l'appui de ces assertions (l). Jamais homme
n'eut plus d'éloignement que ce grand pape pour l'embarras et le
tumulte des affaires du siècle, ni plus d'attrait pour la vie de retraite
et de recueillement qu'il avait longtemps menée dans le cloître,
avant son élévation au pontificat (2). Sa répugnance pour cette
éminente dignité était si grande, qu'il employa toutes sortes de
une partie de l'Ombrie, et la Campanie'; ce qui répond à peu près à ce qu'on
appelle aujourd'hui le patrimoine de saint Pierre , avec partie de l'Ombrie et
la Campagne de Rome. Pour ces détails géographiques, voyez Beretta, ubi
suprà, sect. 16, etc.— Baudrand, Geographia ordine Utterarum disposita ;
verbis Exarchatus , Mmilia, Pentapolis, Romanus ducatus, etc.
(1) Thomassin, Ancienne et nouvelle Discipline, t. n, liv. ni, chap. 106,
n. 7; t. fii, liv. i, cliap. 27, n. 6-9 — S. Gregorii Vita recens adornata
{Operum, t. îv) , lib. n et ni, passim. Voyez surtout lib. m, cap. 9, n. 6. —
— Fleury, Hist. Ecclés., t. vm, liv. xxxv,n. 15 et 25. — Annales du moyen
âge, t. iv, liv. xni, p. 37-58. — Orsi, Délia origine delDominio et délia So-
vranita de' Romani Pontefici : prefazione.
(2) Hallam, Gibbon, et quelques autres écrivains protestants, attribuent à
saint Grégoire un esprit d'ambition et d'intrigue tout à fait indigne de son
caractère. (Hallam, l'Europe au moyen âge, t. m, p. 326-328. — Gibbon,
Hist. de la Décad. de V Empire rom., t. vm, chap. 45, p. 370.) La plus lé-
gère connaissance des écrits de saint Grégoire, de ses lettres surtout ( t. n
de ses Œuvres), et des anciens auteurs qui ont écrit sa vie, suffît pour
montrer, à un esprit non prévenu, l'injustice de ce reproche. Aussi, de cé-
lèbres écrivains protestants s'accordent-ils avec les catholiques à représenter
saint Grégoire comme un pontife aussi recommandable par l'éminence de ses
vertus que par l'étendue de ses lumières , et par la sagesse de son gouver-
nement. Tel est, en particulier, le jugement de Cave, dans son Histoire Lit-
térale. Les éloges qu'il donne aux talents et aux vertus de saint Grégoire
sont d'autant moins suspects , qu'il juge d'ailleurs ce pontife avec beaucoup
de sévérité sur quelques autres points , particulièrement à l'occasion des té-
moignages de respect qu'il crut devoir donner à l'usurpateur Phocas, et à
l'occasion de l'accusation intentée au même pontife , d'avoir voulu anéantir
tousles auteurs et les monuments de l'antiquité païenne. Sur le premier point,
voyez Alban Butler, Vie de saint Grégoire; et sur le second , les Éclaircis-
PREMIERE PARTIE. — CHAPITRE I. 207
moyens pour l'éviter, et qu'il persista constamment à la refu-
ser, jusqu'à ce que la volonté de Dieu, sur ce point, se fût mani-
festée par des miracles (1). Toutefois, il nous apprend lui-môme
que, de son temps, l'évêque de Rome était, à raison de sa
charge pastorale , tellement occupé de soins extérieurs , qu'il
y avait souvent lieu de douter s'il faisait Voffice de pasteur
ou celui de seigneur temporel (2). En effet, un souverain de
Rome et de l'Italie n'eût pas été plus accablé qu'il ne l'était des
soins du gouvernement temporel. Indépendamment de ceux
qu'il était obligé de donnera l'administration des patrimoines
et des seigneuries de l'Église romaine (3) , le voisinage des Lom-
bards, et leurs continuelles incursions dans les provinces d'Italie
encore soumises à la domination de l'empereur , lui attiraient
une multitude d'embarras, qui lui faisaient dire avec douleur,
qu' en punition de ses péchés, il avait été fait évêque , non
des Romains mais des Lombards (4). On le voit habituelle-
ment remplir les fonctions d'un seigneur temporel , et presque
d'un souverain , pour l'administration et la défense des villes
les plus exposées aux incursions des ennemis. Il envoie un gou-
verneur à Népi, avec injonction au peuple de lui obéir comme
au souverain pontife lui-même (5). Il envoie à Naples le tribun
sements donnés par M. Ëmery, dans le tome h du Christianisme de Bacon,
p. 332 et suiv.
(1) S. Gregorii Vitd recens adornata, lib. i , cap. 7 , n. 2, etc. ; lib. n,
cap. l, n. 5, etc. — Fleury, ubi suprà, n. 1.
(2) « Hoc in loco quisquis pastor dicitur, curis exterioribus graviter occu-
« patur, ita ut saepe incertum fiât, utrùm pastoris officium, an terreni pro-
« cerisagat.» S. Gregorii Epistol. lib. i, Epist. 25 (aliàs24),p. 514, c.
(Oper. t. n. ) Les derniers éditeurs de saint Grégoire (note sur la lettre 5e du
même livre, p. 491) supposent avec le P, Thomassin (ubi suprà, t. m, liv. 1,
cbap. 27, n. 6), que saint Grégoire, dans ce passage, parle des soins tempo-
rels dont tous les évêques d'Occident étaient alors chargés. Mais il paraît as-
sez 'clair que saint Grégoire ne parle ici que de l'évêque de Rome. C'est ainsi
que ce passage est entendu par Orsi {ubi suprà, note 2).
(3) Voyez les détails que nous avons donnés sur ce point, dans YIntrod.
art. n, § 3, n.80.
(4) « sicut peccata mea merebantur , non Romanorum , sed Longobardo-
« rum episcopus factus sum. » S. Gregorii Epistol. lib. i, Epistol. 31
(aliàs 30).
(5) « Leontio curam sollicitudinemque civitatis (Nepesinœ) injunximus ;
« utincunctis invigilans, quae ad utilitatem vestram vel reipublicse pertmere
« dignoscet, ipse disponat Quisquis congruœ ejus ordinationirestiterit,
« nostrœ resultare dispositioni cognoscetur. » S. Gregor. Epistol. lib. n,
Epist. 11 (a lias S).
208 SOUVERAINETÉ TËMPORËLtE DtJ PAPE.
Constance, pour commander les troupes de cette ville menacée
par les ennemis de l'empire (l). 11 excite et ranime dans plusieurs
de ses lettres la vigilance et le zèle des évoques pour la défense
des villes, pour la garde des murailles, et l'approvisionnement
des places fortes (2). Il donne des ordres, sur le même sujet,
aux officiers militaires (3) ; il traite lui-même de la paix avec
les Lombards , et il facilite le succès des négociations, tan-
tôt par ses libéralités , tantôt par ses instances réitérées auprès
des exarques, des empereurs et des Lombards eux-mêmes. En
un mot, son autorité, également respectée des princes et des
peuples , des Romains et des Barbares , est comme le centre du
gouvernement et de toutes les affaires politiques en Italie (4).
14. Les embarras et les difficultés de sa position étaient surtout
Edifficruuéset augmentés par la mauvaise volonté des exarques, qui, loin de
de tfon'05" s'U]Qir à lui pour protéger les peuples en proie à tant de cala-
sa prudence, niités , abusaient souvent de leur autorité , fpour exercer toutes
sortes de rapines et de vexations. « Je ne puis vous dire , écrit- il
« à un évêque, tout ce que nous avons ici à souffrir de la part
« de l'exarque Romanus, votre ami. Je]vous dirai, en deux mots,
« que sa méchanceté est pire pour nous que les armes des Lom-
bards; en sorte que nous préférons les ennemis qui nous
« tuent ,' aux officiers de l'empire qui nous consument par leurs
« fraudes et leurs rapines. Être en même temps chargé du soin
«des évèques, du clergé, des monastères et du peuple; être
« continuellement en garde contre les surprises des ennemis,
(1) « Devotio vestra, sicut et nunc didicimus, epistolis nostris, quibus
« magnificum virum Constantium tribunum custodiœ civitatis (Neapoli-
« tanœ ) deputaviraus prœesse , paruit , et congruam militaris devotionis
« obedientiam demonstravit. » S. Gregorii Epistol. lib. 11 , Epist% 31
(aliàs 24).
(2) Ibid., lib. vin, Epist. 18 ( aliàs 20 ) ; lib. ix , Epist. 4 et 6 ( aliàs 2
et 5 )•
(3) Ibid., lib. 11, Epist. 3 et 29.
(4) « Sicut , in Ravennse partibus , dominorum pietas apud primum exer-
« citum ltaliae sacellarium habet ( i. e. œrarii dispensatorem), qui, causis
« supervenientibus, quotidianas expensas faciat; ita et in liâc urbe, in cau-
« sis talibus, sacellarius eorum ego sum. » Ibid., lib. v, Epist. 21 (aliàs,
lib. iv, Epist. 34 ) ; paulô post médium. — S. Gregorii Vita recens ador-
nata, lib. 11, cap. vm,n. 3; lib. m, cap. 2, n. 1 , etc. ; lib. iv, cap. 1 , n. 1 ,
et alibi passim. — Lebeau, Hist. du Bas-Empire, t. xi, liv. lui, n. 47, etc.
— Fleury, Hist. Ecclés., t. vm, liv. xxxv, n. 40, etc.; liv. xxxvi, n. 4.
PREMIÈRE PARTIE. — CHAPITRE I. 209
« contre la perfidie et la malice des gouverneurs : voilà une idée
« des travaux et des sollicitudes auxquels m'expose journelle-
« ment l'exercice de mon emploi (1). » Dans une situation si
délicate et si pénible, le sage pontife se conduisait avec tant
de prudence et de désintéressement, que son autorité, loin de
nuire à celle de l'empereur en Italie, ne servait qu'à la mainte-
nir et à la faire respecter. Il était si éloigné de s'attribuer le
titre ou les droits de la souveraineté, qu'il faisait hautement
profession de suivre, en tout ce qui regardait l'ordre temporel,
les instructions et les ordres de l'empereur.
On en trouve une preuve bien remarquable, dans sa conduite l5#
envers l'empereur Maurice, à l'occasion d'une loi de ce prince, Ses Jî[isncîpes
qui excluait des monastères tous ceux qui occupaient des em- «»*»*«•.
x J L relativement a
plois civils, ou qui étaient engagés dans la milice (2). La dernière ,a soumission
i . , . , . -. , due à
partie de cette loi était, au jugement de saint Grégoire, con- l'empereur,
traire au bien de la religion, en ce qu'elle fermait, pour ainsi
dire , le chemin du ciel, à des hommes qui pouvaient avoir un
besoin pressant de la retraite, pour opérer leur salut. Toutefois,
l'empereur lui ayant adressé cette loi, selon l'usage (3), pour la
publier dans les provinces de l'Occident, le saint pape ne fit au-
cune difficulté de l'envoyer dans ces provinces, 'pour obéir aux
ordres du prince; il se contenta de lui adresser de sages remon-
trances, pour l'engager à modifier ou à retirer sa loi (4). « Étanf
« soumis à vos ordres, dit-il, j'ai envoyé votre loi dans les di-
« verses parties du monde; mais comme elle ne s'accorde pas
« avec la loi du Dieu tout-puissant, j'ai cru qu'il était de mon
« devoir de vous faire des remontrances. J'ai rempli en cela
« un double devoir : d'un côté, en obéissant à l'empereur, et de
(1) S. Grégoire, Epistol. lib. v, Epist. 42.
(2) Fleury, Hist. Ecclés., t vin, liv. xxxv, n. 31.— ■ Bossuet, Defens.
Declar., lib. n, cap. 8. — S. Gregorn, Papœ Vita recens adornata, lib.
n, cap. 10, n. 1-4.
(3) Nous avons remarqué ailleurs que l'usage des empereurs, depuis
Justinien, était d'adresser les lois concernant des matières ecclésiastiques,
aux patriarches, qui devaient les faire passer aux évêques par le canal des
métropolitains. (Voyez ci-dessus, page 180 de Y Introduction. )
(4) Il paraît, en effet, que l'empereur ne tarda pas à modifier cette loi,
d'après les représentations de saint Grégoire. S. Grégoire, Epist. lib. m,
Epistol. 65 et 66 (aliàs 62 et 65). — Fleury, Hist. Eccl. , t. vm, liv. xxxv,
n. 35 et 50.
14
210 SOUVERAINETÉ TEMPORELLE DU PAPE.
« l'autre, en lui faisant connaître mes pensées pour l'honneur
« de Dieu (t). » Saint Grégoire se fût-il exprimé de la sorte , s'il
eût cru avoir, en vertu de la loi divine , une juridiction di-
recte ou indirecte sur les choses temporelles, c'est-à-dire, s'il
eût cru avoir le droit de régler par lui-même ces sortes d'ob-
jets , pour le plus grand bien de la religion ? Avec de pareils
principes, se fût-il cru obligé en conscience d'obéir à l'empereur,
en publiant lui-même une loi qu'il jugeait contraire aux in-
térêts de la religion?
Pour éluder la force de ce raisonnement, quelques auteurs mo-
dernes ont prétendu que saint Grégoire, en promulguant la loi
dont il est ici question, la modifia , ou du moins ordonna d'en
suspendre l'exécution (2). D'autres soutiennent que V obéissance
de saint Grégoire, en cette occasion, n'était pas une obéissance
de droit, à laquelle il se crût obligé par le précepte divin, mais
une obéissance de fait , à laquelle il se détermina, contre son
inclination, daus la crainte des troubles que sa résistance eût pu
occasionner (3). Ces différentes explications paraissent égale-
ment inconciliables avec le texte de saint Grégoire. En effet, ce
texte suppose clairement que le pontife, malgré sa répugnance,
(1) « Ego quidem, jussioni subjectus, eamdem legem per diversas terra-
it rum partes transmitti feci ; et quia lex ipsa omnipotenti Deo minime
« concordat, ecce per suggestionis meao paginam serenissimis dominis min-
et tiavi. Utrobique ergo quœdebui exolvi, qui et imper atori obedientiam
« prœbui, et pro Deo quod sensi, minime tacui. » S. Grégoire, lib. m,
Epist. 65 (aliàs 62).
(2) Baronius, Annales, ad annum 593. — De Marca, DeConcordiâ,
lib. h , cap. il , n. 9. — Thomassin , Ancienne et nouvelle Discipline, 1. 1,
liv. m, chap. 61, n. 12. — Rohrbacher , Des rapports naturels entre les
deux Puissances , 1. 1, chap. 19. Les défenseurs de ce sentiment s'appuient
principalement sur une lettre de saint Grégoire à plusieurs évêques et mé-
tropolitains de l'Occident , qui apporte, en effet , quelques modifications à
la loi dont il est ici question. {Epistol. lib. vin, Epistol. 5.) Mais en
lisant attentivement cette lettre , on voit que saint Grégoire ne modifie pas
la loi, de sa propre autorité , mais au nom de l'empereur lui-même , qui
avait accordé ces modifications à la prière du pontife. C'est ainsi que la
lettre de saint Grégoire est généralement entendue par les critiques , et par-
ticulièrement par les derniers éditeurs de saint Grégoire. ( Vita sancti
Greg. recens adornata; ubi suprâ. — D. Ceillier, Hist. des Auteurs ec-
clés., t. xvn, pag. 280. )
(3) Bellarmin, De Potestate summi Pontif. adversits Barclaium ,
cap. 3 , n. 10. ( Operum, t. vu. ) — Mamachi , Origines et Antiquit. chri-
stianœ, t. îv, p. 125, texte et note.
PREMIÈRE PARTIE. — CHAPITRE ï. 211
se crut obligé en conscience de publier la loi, telle qu'il l'avait
reçue de l'empereur, par conséquent sans aucune modification,
et sans en diminuer aucunement l'autorité. Le même texte
suppose que son obéissance fut véritablement une obéissance
de droit, fondée sur le précepte naturel et divin qui oblige tous
les sujets, et les pontifes eux-mêmes, à obéir à leur souverain
légitime, en tout ce qui regarde l'ordre temporel.
Une lettre qu'il adressa, vers le même temps, à l'impératrice
Constantine, épouse de Maurice, met dans un nouveau jour ses
véritables sentiments. Il se représente, dans cette lettre, comme
un simple officier de l'empereur, chargé de veiller aux intérêts
de l'empire dans la capitale de l'Italie. « Voici vingt-sept ans,
« dit-il , que nous vivons dans cette ville , parmi les glaives des
« Lombards. Mais pour vivre avec eux, je ne puis vous dire
« quelles sommes il faut que l'Église leur paye journellement.
« Pour vous le faire entendre en peu de mots , je vous dirai
« seulement que , comme l'empereur a soin de placer dans la
« province de Ravenne, auprès de sa principale armée d'Italie,
« un trésorier chargé de subvenir aux besoins journaliers des
« troupes, de même, je suis à Rome le trésorier de l ' empereur 9
« pour subvenir aux besoins de cette ville, sans cesse attaquée
« par les Lombards (1). »
Les successeurs de ce grand pape n'héritèrent pas moins de l6.
sa générosité que de son pouvoir (2). Les mêmes circonstances Ses es^lc«fes'
qui l'avaient obligé à prendre une part si active aux affaires po- p°int; imités
litiques et au gouvernement temporel de l'Italie, y obligèrent successeurs.
également la plupart de ses successeurs; mais ils le firent, à son
exemple, avec tant de modération et de prudence, que tout
l'exercice de leur autorité semblait avoir uniquement pour but,
de soutenir et de consolider celle de l'empereur. Dans le temps
même où ils avaient contre lui de plus grands sujets de plainte,
ils employaient généreusement leur crédit et leurs trésors pour
la défense de l'empire, pour entretenir les murs et les fortiûca-
(1) S. Grégoire, Epistol., lib. v; Ëpist. 21 (aliàs, lib. tv, Epist. 34).
Nous avons cité plus haut la dernière partie de ce texte (page 22, note 4 ).
(2) Thomassin , Ancienne et nouvelle Discipline, t. m, liv. 1, chap. 27,
n. 8; chap. 29, n. 2, etc. — ■ Fleury, Mœurs des Chrétiens, n. 58, vers
la fin.
14.
212 SOUVERAINETÉ TEMPORELLE DU PAPE.
tionsde Rome, pour réparer ses aqueducs et ses établissements
publics, et surtout pour garantir l'Italie de la fureur des Lom-
bards. Aussi est-il à remarquer que les empereurs , loin de se
croire offensés par la conduite des papes, et par l'accroissement
de leur puissance temporelle, entretenaient habituellement avec
eux les relations les plus pacifiques. Cette heureuse harmonie ne
put être troublée que par l'attachement opiniâtre de quelques
empereurs au parti de l'hérésie, qui les entraîna, principalement
au vme siècle, dans les mesures les plus imprudentes, et les plus
propres à ruiner entièrement leur autorité en Italie (1).
,7. En effet, à cette époque, où ils avaient plusjbesoin que jamais
°PndLtT de ménager les peuples de cette province, que le seul amour du
des empereurs devoir pouvait maintenir dans l'obéissance , ils v ébranlaient
a I égard *■ "
de l'Italie et sans cesse leur autorité , en combattant ouvertement la religion
du saint-siége. , ..., ....
catholique, en persécutant le saint-siege, et contrariant ainsi les
peuples dans leurs plus chères affections. Par suite de ces
mauvaises dispositions, ils envoyaient en Italie, et à Rome
môme , des magistrats aussi mal disposés , souvent même des
hérétiques , que les lois alors en vigueur déclaraient incapa-
bles de tout emploi civil (2). Ces magistrats , naturellement
odieux à un peuple profondément attaché à la foi catholique,
au lieu de l'adoucir par de sages ménagements, l'irritaient sou-
vent à un tel point par leurs vexations , qu'ils le poussaient en
quelque sorte à la révolte, et lui rendaient de plus en plus
odieuse la domination de l'empereur (3). De pareilles impru-
dences accéléraient nécessairement la ruine de l'empire d'Occi-
dent, abandonné tout à la fois et persécuté par ses propres sou-
verains; et, par une conséquence naturelle, dans les circon-
stances où l'on se trouvait, elles augmentaient de jour en jour le
pouvoir des papes dans l'Italie, accoutumée depuis longtemps à
les regarder comme sa principale ressource, au milieu des cala-
mités qui la désolaient.
(1) Voyez les auteurs cités plus haut, page 194, note 1.
(2) Nous avons rapporté , dans Y Introduction, les principales disposi-
tions du droit romain à cet égard. {Introd. , art. 2, § 2, p. 87, etc.)
(3) Anastase le Bibliothéc. Vitœ SS. Pontificum Sergii, Joannis VI,
Constantini, Gregoriill, etc. ( Labbe, Concil. t. vi. ) — Baronius, An-
nales, t. vin, anno 711, n. 12. — Annales du moyen âge, t. vi, Uv. xx,
p. 80-85.
PREMIÈRE PARTIE. — CHAPITRE I. 213
Tel fut en effet le résultat de la conduite des empereurs. Dans ,g..
l'impuissance d'obtenir d'eux les secours qui lui étaient néces- LpaaUpe"1cdu
saires, l'Italie s'affectionna de plus en plus au saint-siége, et se CTOÎ]ep**£ite
montra disposée à le défendre, même par la force ouverte, con- imprudence.
tre les vexations de l'empereur et de ses officiers. La milice
d'Italie était si bien dans cette disposition, à la fin du vne
siècle, que l'empereur Justinien II, ayant voulu faire amener de
force à Constantinople le pape Sergius, pour l'obliger à sous-
crire les actes du Concile Quinisexte , elle obligea les envoyés
du prince à renoncer à leur projet (1). Elle se fût même portée
contre eux aux derniers excès, si elle n'eût été retenue par l'au-
torité du pontife, qui les prit sous sa protection (2). Jean VI,
successeur de Sergius, fut défendu de la même manière, en
701, contre l'exarque, soupçonné de vouloir user envers lui de
semblables violences (3).
Telle était , à cette époque, l'autorité du Pape, que lui seul
pouvait apaiser les émeutes , souvent occasionnées à Rome et en
Italie par les vexations de l'empereur, et lui conserver un
reste d'autorité, dans un pays qu'il était incapable de défendre.
Déjà on avait pu s'en convaincre, sous le pontificat de Ser-
gius et de Jean VI , dont l'autorité seule avait pu sauver les
envoyés de l'empereur, au milieu des séditions occasionnées
par leurs projets hostiles contre le Pape (4). On remarque un fait
du même genre sous le pontificat de Constantin , en 7 1 3 , à Poc-
(1) Le concile Quinisexte, convoqué par l'empereur Justinien II, en 692,
est ainsi nommé , parce qu'il était destiné à servir de supplément aux cin-
quième et sixième conciles généraux. On le nomme aussi Trullus, ou in
Trullo, parce qu'il se tint dans le dôme du palais, nommé en latin trullus.
Les Grecs l'ont regardé comme concile général ; mais les Latins l'ont rejeté ;
et le pape Sergius ne voulut jamais y souscrire, malgré toutes les instances
de l'empereur Justinien, déclarant qu'il aimerait mieux mourir, que de con-
sentir aux erreurs et aux nouveautés qu'on y avait établies. Il est certain
d'ailleurs qne le Pape n'avait eu aucune part à la convocation de ce concile,
et qu'il n'y avait assisté, ni en personne, ni par ses légats. Voyez D. Ceillier,
Hist. des Auteurs ecclés., t. xix, p. 785. — Fleury, Hist. Ecclés. , t. ix,
liv. xl, n. 49, etc.
(2) Anastase le Bibliothéc. , Vita Sergii, p. 1290 et 1291.— Fleury, Hist.
Ecclés., t. ix, liv. xl, n. 54. —Annales du moyen âge, ubi suprà,
p. 80, etc.
(3) Anastase, Vita JoannisVI, p. 1382. — Fleury, Hist. Ecclés., t. ix,
liv. xli, n. 5. — Annales du moyen âge, ubi suprà, p. 84.
(4) Anastase, ubi suprà.
Grégoire II;
ses véri-
tables causes
214 SOUVERAINETÉ TEMPORELLE DU PAPE.
casion du soulèvement des Romains contre l'empereur Philip-
pique, qui s'était ouvertement déclaré en faveur de l'hérésie des
Monothélites (l). Ce prince ayant envoyé à Rome le duc Pierre,
pour prendre possession du gouvernement de cette ville, le peuple
refusa de le reconnaître , et entreprit môme de le repousser à
main armée; un combat qui fut engagé , à cet effet, devant le
palais du duc , aurait eu les suites les plus graves , sij le Pape
n'eût envoyé des évoques, avec les évangiles et les croix, pour
apaiser la sédition. « Le parti du gouverneur était désespéré, et
« lui-même exposé à perdre la vie; mais les catholiques se re-
« tirèrent à l'ordre du Pape , et laissèrent ainsi leurs adver-
« saires se relever, comme s'ils eussent été victorieux (2). »
, »9« . n Ce prodigieux pouvoir du Pape se manifesta encore avec plus
en naiie, sous d'éclat , vers l'an 726, sous le pontificat de Grégoire Iï, qu'on
p de doit regarder comme la véritable époque de la grande révo-
lution, qui, en achevant de ruiner l'empire romain en Occident,
prépara les voies à la souveraineté temporelle du saint-siége.
L'importance de cette révolution demande que nous en expo-
sions ici les principales circonstances, d'après les auteurs les
plus dignes de foi (3).
La protection ouverte que l'empereur Léon l'Isaurien don-
nait à l'hérésie des Iconoclastes, et les violences auxquelles il se
(1) Anastase, Vita Constantini,\>. 1395. — Fleury, Hist. Ecclés., t. ix,
liv. xli, n. 23.
(2) « Pars Pétri ( ducis Romani) ita angustiata (erat) , ut nulla illi esset
« spes vivendi; verùm, ad pontilicis jussionem pars alia, qnaeet christiana
« vocabatur, recessit ; sicque defensoris haeretici pars valuit Pétri , ac si illa
« attrita recederet. » Anastase, ubi suprà.
(3) Parmi les auteurs anciens, voyez principalement Paul Diacre, De Ges-
tis Langobardorum , lib. vi, cap. 49. (Bibliothec. Patrum, t. xm, p.
198 , etc.) — Anastase le Bibliothécaire, Vita Gregorii II. ( Labbe, Concil.
t. vi, p. 1430, etc. )
Parmi les auteurs modernes, voyez surtout Bossuet, Defensio Declar.,
lib. 11, cap. u, etc.; 3b, etc.— Thomassin, Ancienne et nouvelle Discipline,
t. ni, liv. 1, chap. 27, n.8; chap. 29, n. 2, etc. —De Marca, De Concordiât
lib. m, cap. H. — Orsi, Délia origine delDominio de' Romani Pontejici,
cap.l, etc. — Observations sur l'Bist. de la seconde race de nos rois, par
leP. Griffet; dansle t. m de V Histoire de France du P. Daniel, p. 250, etc.
Les principaux événements relatifs à la révolution dont il s'agit, sont bien
appréciés , et présentés sous leur véritable point de vue, par Alban Butler,
dans une Note sur la Vie de Henri II, empereur (Vies des Pères, etc.,
15 juillet); et par l'abbé Pey, De l'Autorité des deuoç Puissances , t. 1,
2e partie, chap. 1, p. 106, etc.
PREMIÈRE PARTIE. — CHAPITRE I. 215
portait, par suite de cette malheureuse disposition , contre les
catholiques et contre le souverain pontife lui-même, furent, au
témoignage de ces auteurs, la véritable cause de cette révolu-
tion. Voici le récit abrégé qu'en fait Paul, diacre d'Aquilée, au
vine siècle, dans son Histoire des Lombards : « Le roi des
« Lombards, dit-il (i), assiégea Ravenne, et s'empara de la
« flotte impériale qu'il détruisit. Alors le patrice Paul envoya
« de Ravenne des émissaires, avec ordre de faire mourir le
« Pape ; mais cette conspiration échoua par la résistance
« des Lombards, qui prirent la défense du pontife, et qui
« furent secondés , en ce point , par les habitants de Spolette ,
« et par d'autres Lombards de Toscane. Ce fut dans ce même
« temps que l'empereur Léon fît brûler à Constantinople les
« les images des saints , dont il avait dépouillé les églises ; et il
« manda au Pape de faire la même chose , s'il voulait recou-
« vrer ses bonnes grâces. Mais le Pape méprisa ses ordres. Toutes
« les troupes de Ravenne et de Venise s'y opposèrent aussi una-
nimement; et si elles n'eussent été retenues par le Pape,
«elles eussent choisi un autre empereur (2). Luitprand, de
« son côté, s'empara de plusieurs villes de l'Emilie Il prit
« aussi la ville de Sutri ( en Toscane) ; mais il la rendit peu de
« temps après aux Romains. Cependant, l'empereur Léon, par
« un nouvel excès d'impiété , ordonna aux habitants de Con-
« stantinople, d'enlever en tous lieux les images du Sauveur, de
« la sainte Vierge et des saints, et de les brûler publiquement ; et
« plusieurs s'étant opposés h l'exécution de ce crime , furent tués
« ou mutilés en punition de leur résistance. Ce fut à cette occa-
« sion que Germain, patriarche de Constantinople , fut chassé
« de son siège, et remplacé par le prêtre Anastase. »
Tous les faits que l'historien des Lombards se contente d'in- 20.
diquer ici en peu de mots, sont exposés beaucoup plus en dé- Pau* Diacre,
tail par Anastase le Bibliothécaire, dans la Vie du pape Gré- *Z££m
goire H, composée au milieu du siècle suivant, d'après les d'ACnIsîase.
(1) Paul Diacre, De Gestis Langob., ubi suprà.
(2) « Omnis quoque Ravennse exercitus vel Venetiarum talibus jussis una-
« nimiter restiterunt; et nisi eos prohibuisset pontifex, imperatorem
«■ super se constituere fuissent aggressi. » Paul Diacre, De Gestis Lan~
gob.,ubi suprà.
216 SOUVERAINETÉ TEMPORELLE DU PAPE,
archives de l'Église romaine. «Le roi des Lombards, dit-il (l),
«ayant levé une nombreuse armée, s'avança vers Ravenne,
« qu'il assiégea pendant plusieurs jours; et s'en étant emparé,
« il prit aussi la flotte, avec des richesses immenses. Quelque
« temps après, le duc Basile et quelques autres officiers de l'em-
« pereur formèrent le dessein de faire mourir le Pape. Ils fu-
« rent autorisés dans ce complot par Marin , qui gouvernait
« alors le duché de Rome, et à qui l'empereur lui-même avait
« donné de pareils ordres. Mais Dieu ne permit pas qu'ils
«réussissent Paul ayant été ensuite envoyé en Italie, en
« qualité de patrice et d'exarque, les conspirateurs songèrent
« de nouveau à exécuter leur criminel dessein ; mais il fut dé-
* couvert par les Romains , qui mirent à mort deux des prin-
« cipaux conspirateurs Cependant, l'exarque Paul, d'après
« les ordres de l'empereur lui-même , cherchait à faire mourir
« le Pape , sous prétexte qu'il empêchait la levée des impôts
« dans la province (2) Il envoya même de Ravenne et de
« quelques autres villes, des émissaires qu'il avait séduits pour
« l'exécution de ce crime ; mais les Romains et les Lombards
« s'étant réunis pour la défense du pontife, empêchèrent les
« suites de ce complot. Peu de temps après, l'empereur envoya
« des ordres en Italie pour détruire en tous lieux les images
« des saints et des martyrs, menaçant de sa colère ceux qui
« refuseraient d'obéir, promettant de rendre ses bonnes grâ-
« ces au Pape, s'il acquiesçait à ses ordres , et menaçant de le
« déposer s'il résistait. Le saint pontife, ayant appris ces ordres
« impies , se prépara à résister à l'empereur comme à un en-
« nemi, rejetant ouvertement son hérésie, et écrivant de tous
« côtés aux fidèles pour les prémunir contre une pareille im-
« piété (3). Aussi, les habitants de la Pentapoleet les troupes
(1) Anastase le Bibliothécaire , Vita Gregoriill. (Labbe, Concil. t. vi,
p. 1430, etc.) — Fleury a inséré la plus grande partie de ce récit dans
son Hist. Ecclés. (t. ix, liv. xlii, n. 6); mais il en a dérangé l'ordre, nous
ignorons pour quelle raison. La suite des faits rapportés par Anastase est
mieux conservée par Lebeau , Hist. du Bas- Empire , t. xm, liv. lxiii,
n. 40, etc. Voyez aussi Annales du moyen âge, t. vi, liv. xxm, p. 384, etc.
(2) «Paulus verô exarchus, imperatoiïs jussione, eumdem pontincem
« conabatur interficere, eo quod censum in provinciâ ponere prœpedie-
« bat. » Anastase, ubi suprà, p. 1433. Nous justifierons un peu plus bas le
sens que nous donnons ici aux mots soulignés.
(3) « Respiciens ergo pius vir profanam principis jussionem, jam contra
PREMIÈRE PARTIE. — CHAPITRE I. 217
« de Venise , touchés des exhortations du Pape , refusèrent
« d'obéir aux ordres de l'empereur, déclarant que jamais ils
« ne souffriraient qu'on attentât à la vie du pontife, et qu'ils
« étaient prêts à prendre ouvertement sa défense. Us anathémati-
« sèrent en conséquence l'exarque Paul avec tous ses adhérents ;
« et, au mépris de son autorité, les peuples d'Italie se choisi-
« rent de tous côtés des chefs (l) , afin de pourvoir ainsi à leur
« liberté et à celle du Pape. Bien plus, à la nouvelle des mau-
« vais desseins de l'empereur , toute l'Italie résolut de se choisir
« un autre empereur, et de le conduire à Constantinople;
« mais le Pape, qui espérait la conversion du prince, empêcha
« V exécution de ce dessein (2) Peu de temps après , l'empe-
«reur envoya à Naples l'eunuque Eutychius, patrice, qui avait
« été autrefois exarque, lui recommandant d'exécuter les mau-
« vais desseins que l'exarque Paul et ses adhérents n'avaient pu
«accomplir; mais Dieu permit que ses projets fussent décou-
« verts; et comme il avait envoyé à Rome un agent, avec
« des ordres pour mettre à mort le pontife et les principaux de
« la ville, les Romains, qui eurent connaissance de ce cruel des-
« sein, se disposèrent à tuer l'envoyé d'Eutychius; et ils l'eussent
« fait, s'ils n'eussent été arrêtés par la défense du Pape. Us
« anathématisèrent aussi l'exarque Eutychius , s'engageant par
« serment, grands et petits, à ne jamais permettre qu'on insultât
« ou qu'on éloignât d'eux un pontife si zélé pour la foi , et à
« mourir , s'il le fallait, pour sa défense. L'exarque, de son côté,
« envoya des députés au roi et aux seigneurs lombards , pour
« imperatorem quasi contra hostem se armavit , renuens hseresim ejus, scri-
« bens ubique cavere christianos , eô quôd orta fuisset impietas talis. »
Anastase, ubi suprà, p. 1433 et 1434.
(1) « Spernentes^ ordinationem e)us,sibi omnes ubique in Italiâ duces
« elegerunt , atque sic de pontificis , deque sua immunitate cuncti stude-
« bant. » Anastase, ubi suprà, p. 1434.
On a vu plus haut que, depuis l'établissement de YexarchoA en Italie,
les principales villes encore soumises à l'empereur étaient gouvernées par
des ducs subordonnés à ïexarque (ci-dessus, p. 205, note 1). A l'époque de
la révolution dont nous parlons, ces ducs furent remplacés par d'autres, au
choix des villes qui secouèrent le joug de l'empereur. C'est le sens naturel du
texte d'Anastase.
(2) « Cognitâ verô imperatoris nequitiâ, omnis Italia consilium iniit, ut
« sibi eligerent imperatorem , et Constantinopolim ducerent; sed compes-
« cuit taie consilium Pontifex, sperans conversionem principis. » Anastase,
ubi suprà, p. 1434.
218 SOUVERAINETÉ TEMPORELLE DU PAPE.
« les engager, par la promesse de riches présents , à retirer leur
«protection au pontife. Mais les Lombards, détestant la per-
« fidie de l'exarque, contractèrent avec les Romains une étroite
« alliance , par laquelle ils s'engageaient tous ensemble à
« mourir glorieusement pour la défense du Pape, à ne jamais
« souffrir qu'on l'inquiétât, enfin à soutenir de tout leur pou-
« voir la religion chrétienne et la vraie foi. Cependant , le Pape
«redoublait ses aumônes, ses prières et ses jeûnes, comptant
« beaucoup plus sur la protection de Dieu que sur celle des
« hommes ; et en témoignant au peuple sa reconnaissance pour
« ses généreuses dispositions , il l'exhortait , par de touchants
« discours, à persévérer dans la foi et les bonnes œuvres; mais
« il l'avertissait aussi de ne pas oublier rattachement et la fi-
« délité qu'ils devaient à V empereur , adoucissant ainsi tous les
« cœurs, et les consolant au milieu de leurs continuelles dou-
« leurs (1). Vers ce même temps, les Lombards ayant surpris la
«ville de Sutri (en Toscane), le Pape, par ses lettres, ses
« instances et ses présents, obligea le roi des Lombards à resti-
« tuer cette ville , dont ce prince fit présent aux saints apôtres
« Pierre et Paul Bientôt après, le patrice Eutychius et le
« roi Luitprand formèrent une alliance criminelle, par laquelle
« ils s'engageaient à réunir leurs forces, afin que le roi pût sou-
« mettre à son obéissance les ducs de Spolette et de Bénévent,
« tandis que l'exarque se rendrait maître de Rome, et exécute-
« rait le projet qu'il avait formé depuis longtemps contre la
« personne du Pape. Le roi vint en effet à Spolette, où il reçut
« le serment de fidélité des deux ducs , avec des otages pour
« garantir ce serment. Gomme il approchait de Rome, le Pape
« en sortit pour aller au-devant de lui , et l'adoucit tellement
« par ses représentations , que le prince se prosterna à ses pieds,
« et lui promit de ne faire mal à personne. Le roi fut même si
« touché des exhortations du pontife, qu'il se dépouilla de ses
« armes, et déposa devant le corps de saint Pierre son man-
« teau , ses bracelets , son baudrier et son épée dorée , avec une
(1) « Gratias voluntati populi referens pro mentis proposito, blando om-
« nés sermone, ut bonis in Denm proficerentactibus, et in fide persistèrent,
« rogabat; sed ne désistèrent ab amore veljide Romani Imperii admo-
« nebat. Sic cunctorum corda molliebat, et dolores continuos mitigabat. »
Anastase, ubi suprà, p. 1434 et 1435.
PREMIÈRE PARTIE. — CHAPITRE I. 219
« couronne d'or et une croix d'argent. Ayant ensuite fait sa
« prière . il supplia le pontife de recevoir aussi l'exarque à la
« paix, ce qui fut fait. L'exarque étant donc entré dans Rome,
« un séducteur nommé Tibère, et surnommé Pétase, vint à
« Manture en Toscane, où il entreprit de se faire reconnaître
« empereur , et se ût même prêter serment de fidélité par les
« habitants de plusieurs villes. A cette nouvelle, l'exarque fut
«très- alarmé; mais le Pape l'encouragea, et envoya avec lui,
« contre les perturbateurs , des troupes auxquelles il adjoignit
« les principaux de son clergé. Étant arrivés à Manture, ils firent
« mourir Pétase , dont ils envoyèrent la tête à Constantinople.
« Toutefois , l'empereur ne s'apaisa pas encore à l'égard des Ro-
« mains, il continua au contraire de donner de nouvelles preuves
« de ses mauvaises dispositions contre le Pape, jusqu'à obliger les
« habitants de Constantinople, soit par séduction, soit par vio~
« lence, à enlever en tous lieux les images du Sauveur, de sa
« sainte mère et de tous les saints , et à les brûler au milieu de
« la ville. Ce fut à cette occasion que Germain , patriarche de
« Constantinople, fut chassé de son siège, et remplacé par le
« prêtre Anastase, partisan de l'empereur. »
Nous avons cru devoir citer au long ces fragments histori- 2T>
ques de Paul Diacre et d' Anastase le Bibliothécaire, non-seu- c!°!f?°6"ces
X ' rc lu 0 1 CJ 11 a •
lement parce que ces deux auteurs sont les plus estimés de tous , ^les, du
L ± x récit de ces
les anciens qui ont rapporté les faits dont il s'agit, mais encore auteurs,
parce qu'on y trouve exposées en détail, les circonstances et les
véritables causes de la révolution arrivée en Occident sous
Grégoire II. Il résulte , en effet, de ces témoignages : 1° que le
soulèvement de l'Italie contre l'empereur, à cette époque, fut
provoqué par l'imprudence et les excès de l'empereur Léon et de
ses officiers, qui, non contents de laisser l'Italie en proie à la
fureur des Lombards , lui étaient sa principale défense , en dé-
clarant ouvertement la guerre au Pape et à tous les fidèles
catholiques de cette province; 2° que le pape Grégoire II, bien
loin de favoriser le soulèvement de l'Italie contre l'empereur,
et d'en profiter pour établir sa propre domination dans cette pro-
vince, s'opposa de tout son pouvoir à la révolte, et usa de son
crédit pour conserver à l'empereur et à ses officiers un reste
d'autorité ; 3° que, malgré tous ses efforts pour maintenir en
220 SOUVERAINETÉ TEMPORELLE DU PAPE.
Italie l'autorité de l'empereur, il était réellement investi d'une
puissance presque souveraine, par la confiance des peuples, qui
le regardaient avec raison comme leur principal refuge contre
la fureur des Lombards , et contre les vexations continuelles de
l'empereur et de ses officiers.
22. Mais, après avoir exposé l'histoire de cette grande révolu-
ceS'avec6 tion, d'après les auteurs les plus exacts et les plus dignes de
des hisim-iens foi, nous ne dissimulerons pas que cette même histoire est pré-
grecs. t. seut£e sous un jour bien différent par les historiens grecs. S'il
en faut croire Théophane, auteur du vme siècle, suivi, sur ce
point, parles écrivains plus récents de la même nation, l'empe-
reur Léon s'étant déclaré, la neuvième année de son règne (en-
viron l'an 726), contre le culte des saintes images, le pape
Grégoire II, non content de lui adresser, à ce sujet, les plus
fortes représentations, défendit aux habitants de Rome et de
V Italie deluipayer lesimpôts. Voici les propres expressions de cet
auteur : «(La neuvième année de l'empereur Léon), ce prince
« impie fit ses premières tentatives contre les saintes images ,
« qu'il résolut de proscrire et d'abolir. Le pape Grégoire l'ayant
«appris, défendit à l'Italie et à Borne de lui payer les im-
«pôts, après lui avoir écrit une lettre dogmatique, pour lui
« représenter qu'il n'appartient pas au prince de statuer sur la
« foi, et de réformer l'ancienne croyance de l'Église, fondée sur
«l'enseignement des saints docteurs (l). «Quatre ans après,
selon le même auteur, l'empereur persistant opiniâtrement
dans l'hérésie, « le Pape détacha de son empire et de son
«obéissance, tant dans l'ordre civil que dans V ordre ec-
« clésiastique , la ville de Rome, l'Italie, et tout l'Occi-
« dent (2). »
(1) Théophane, Chronog raphia ; ann. Leonis Isauri 9. Parisiis, 1655,
in-fol. , p. 338. La traduction que nous donnons de ce passage est un
peu différente de celle du P. Mamachi. ( Origines et Antiquit. eccles. ,
t. iv, p. 208, note 1. ) Nous croyons que celui-ci n'a pas vérifié , ou qu'il
a mal traduit ce passage. Au reste , notre traduction s'accorde parfaitement
avec celle de Raronius (Annales, anno 726); de Rossuet ( Defens. Declar. ,
lib. ii, cap. 12 ), etc. Voyez aussi Cedrenus, Chronique; art. de Léou l'I-
saurien. — Zonaras, Annales, ibid. ( Apud Hislor. Byzantin, et apud Ra-
ronium , ibid., n. 24 et 26. )
(l) Théophane, Chronogr., ibid., p. 342 — Baronii Annales, anno
730, n. 3.
PREMIÈRE PARTIE. — CHAPITRE I. 221
Ce récit des historiens grecs est invoqué , avec une égale con- 23.
fiance , par les défenseurs de deux sentiments très-opposés , dont a'Xmi'ner
l'un est aussi peu respectueux envers le saint-siége, que l'autre v*£^e d
icns
est favorable à ses droits même les plus douteux et les plus con- srccs>. s«>- ce
1 * point.
testés. D'un côté, un certain nombre d'auteurs modernes in-
voquent ce récit, à l'appui du reproche qu'ils font à Grégoire II
et à ses successeurs, d'avoir habilement profité des circon-
stances, pour établir leur domination en Italie, aux dépens des
empereurs de Constantinople(l). D'un autre côté, plusieurs
théologiens, surtout parmi les étrangers, ont cru voir , dans ce
même récit, une preuve du sentiment qui attribue à l'Église et
au souverain pontife une juridiction au moins indirecte sur
le temporel des princes ; et, par une conséquence naturelle de
ce principe, ils ont loué le pape Grégoire II, de s'être soustrait à
la domination d'un prince hérétique, et d'avoir soulevé l'État
pour sauver la religion (2). Mais, avant de rien conclure du
récit de Théophane et des autres historiens grecs, il est juste
d'en examiner l'autorité, et de le comparer avec le récit des
Latins, qui présente les faits d'une manière si différente.
On a vu plus haut que Paul Diacre, qui écrivait un peu m-
avant Théophane, bien loin d'attribuer à Grégoire II le sou- Pau^iwe '
lèvement de l'Italie contre l'empereur, l'attribue aux troupes TBibiShT
d'Italie, tellement irritées contre ce prince, qu'elles eussent
choisi un autre empereur, si elles n'eussent été retenues par
le Pape (3). Anastase le Bibliothécaire, qui écrivait au milieu
du neuvième siècle , confirme évidemment ce récit ; car il repré-
sente le pape Grégoire II s'opposant de toutes ses forces à la
révolte de l'Italie. « Toute l'Italie, dit-il, ayant appris l'impiété
« de Léon , résolut d'élire un autre empereur, et de le mener à
« Constantinople ; mais le Pape, qui espérait la conversion de
(1) Nous examinerons , dans le chapitre suivant ( art. 2), ce qu'il faut
penser de cette accusation, intentée aux papes du vme siècle par un certain
nombre d'auteurs protestants , et trop facilement adoptée par quelques écri-
vains catholiques.
(2) Voyez, entre autres, Bellarmin, De Rom. Pontif. , lib. v, cap. 8. —
Bianchi, Délia Potesta délia Chiesa , lib. n, § 16. — Mamachi, Origin.
et Antiquit. Christian., t. iv , pag. 208 , etc. — Rohrbacher, Des Rapports
naturels entre les deux Puissances, chap. 19.
(3) Paul Diacre, De Gestis Langob., lib. vi , cap. 49 ( ci-dessus , p. 215).
cane.
222
SOUVERAINETÉ TEMPORELLE DU PAPE.
« Léon, empêcha V exécution de ce dessein; » et, sans rien né-
gliger pour maintenir les peuples d'Italie dans l'attachement à
la vraie foi, il les avertissait en même temps de ne pas oublier
rattachement et la fidélité qu'ils devaient à l'empereur (1).
Il est vrai que le môme auteur semble, au premier abord, con-
firmer le fait du refus des impots, en disant, un peu plus haut,
«que l'exarque Paul, d'après les ordres de l'empereur, cher-
ce chait à faire mourir le Pape , parce qu'il empêchait la levée
« des impots dans la province (2). » Mais, si l'on examine atten-
tivement le récit d'Anastase, on verra qu'il rapporte ici, non ce
que faisait Grégoire, mais le prétexte allégué par l'empereur et
par l'exarque pour colorer leur crime. En effet, bien loin de
croire ce prétexte fondé, Anastase lui-même représente, dans la
suite de ce passage, le pape Grégoire II s'opposant de toutes
ses forces à la révolte de l'Italie, et ne négligeant rien pour
maintenir les peuples d'Italie dans l'attachement et la fidélité
qu'ils devaient à l'empereur. Il ajoute que le Pape, ayant ap-
pris les ordres impies que l'empereur avait donnés pour le
renversement et la destruction des saintes images, se pré-
para à lui résister comme à un ennemi (3) ; mais il explique
aussitôt la nature de cette résistance, en disant que le Pape,
« non content de rejeter l'hérésie de l'empereur, écrivit de tous
« côtés aux fidèles , pour les prémunir contre cette erreur im-
« pie; » ce qui fait assez entendre que la résistance du Pape se
réduisit aux exhortations et aux avis adressés de tous côtés
aux peuples fidèles, pour les prémunir contre l'impiété de
Léon (4).
(1) Anastase le Bibliothécaire, Vita GregoriiJI. (Labbe, Concil. t. y,
p. 1434 et 1435; ci-dessus, p. 217, etc.)
(2) Anastase le Bibliothécaire, ibid. (ci-dessus, p. 216,'note 2).
(3) Voyez le texte même d'Anastase {ibid., note 3).
(4) Il ne sera pas inutile de remarquer ici que le P. Thomassin (ubi suprà,
ch. 27, n. 5 ) cite Anastase le Bibliothécaire comme favorable au récit de
Théophane; mais le savant Oratorien, par une singulière méprise, attribue
ici à Anastase un texte dont il n'est que le traducteur. Ce texte est pris de
Y Histoire Ecclésiastique d'Anastase, qui n'est qu'une simple traduction de
la Chronique de Théophane et de quelques autres. ( Voyez , à ce sujet, Bos-
suet, Defens. Declar., lib. n,cap. 17. — D. Ceillier, Hist. des Auteurs
sacrés et ecclésiast. , t. xix, p. 417. — Cave, Script, ecclesiast. Hist.
litter. sœculi octavi. ) Le P. Thomassin lui-même corrige cette méprise ,
en citant, un peu plus bas, le véritable texte d'Anastase, (Thomassin, ibid.,
ch. 27, n. 8;ch. 29, u. 2.)
PREMIÈRE PARTIE. — CHAPITRE I. 223
Pour concilier le récit des historiens grecs avec celui des la- 25.
tins, quelques auteurs modernes supposent que la révolte de ^e^ondilèï
l'Italie et le refus des impôts, doot parlent les premiers, sont icirie1^ ^scls°'
postérieurs, de quelques années, à la révolte dont parlent les avec tes latins,
seconds ; que le pape Grégoire II , dans l'espérance de ramener
l'empereur à de meilleurs sentiments, arrêta d'abord les peuples
disposés à la révolte, et qu'il les y autorisa ensuite, pour punir
le prince de son opiniâtreté (i). Mais il est aisé de voir que ces
suppositions n'ont aucun fondement dans les auteurs latins , et
qu'elles sont tout à fait inconciliables avec le récit des grecs.
Les premiers disent clairement, comme on Ta vu, que le Pape,
loin de songer à soulever l'Italie, usa de son autorité pour com-
primer la révolte. Les seconds ne distinguent point deux ré-
voltes différentes, dont la première ait été apaisée par le Pape,
et l'autre excitée ou autorisée par lui ; ils supposent, au contraire,
que le Pape ayant appris les premières tentatives de l'empereur
contre les saintes images, défendit aussitôt à Rome et à l'Italie
de luipaijer les impôts; c'est ce qui résulte clairement des ex-
pressions de Théophane que nous avons citées.
Au reste, quelque étonnante que paraisse, au premier abord, 26
l'opposition qui existe, sur ce point, entre le récit des histo- L'°ijPositi°n
riens grecs et celui des latins, elle est facile à expliquer, d'après a»le«"; fadie
les circonstances différentes dans lesquelles ils se trouvaient (2).
Les premiers voyant, d'un côté , la révolte de l'Italie occasionnée
par la conduite imprudente de Léon, et, de l'autre, la grande
influence du Pape dans les affaires publiques en Italie, durent
être naturellement portés à lui attribuer le soulèvement des
peuples ; et ce préjugé ne put que s'accréditer de plus en plus
dans la suite, par un effet naturel de la haine toujours crois-
sante des Grecs contre les Latins, surtout depuis que l'Italie eut
contracté alliance avec les Français (3). Les historiens latins, au
(1) Tel est le sentiment de Baronius ( Annales, anno 730 , n. 4 et 5 ) , et
de Mamachi {ubi suprà, p. 210, etc. ). Le Cardinal Orsi,dans sa Disserta-
tion déjà citée , convient que cette supposition de Baronius n'a aucun fon-
dement dans les anciens historiens latins, et que les Grecs ne méritent,
sur ce point y aucune croyance, ch. 1. (P. 5 et 6 ; édit. in-8°, 1688.)
(2) Orsi , ubi suprà y capit. 1 , p. 15, etc.
(3) Sur l'origine et les progrès de l'aliénation des Grecs contre les Latins,
voyez Lebeau, Hist, du Bas-Empire , t. xrv, liv. lxvi, n. 50, etc. —
224 SOUVERAINETÉ TEMPORELLE DtJ PAPE.
contraire, outre qu'ils étaient beaucoup plus à portée de con-
naître et de vérifier des faits d'une si grande importance , et
récemment arrivés dans le pays même où ils écrivaient , n'a-
vaient aucun intérêt à les déguiser ou à les altérer, dans un
temps où l'Italie n'avait plus rien à craindre ni à espérer de
l'empereur de Constantinople.
»7. Quoi qu'il en soit de ces observations, dans l'impossibilité
autels' grecs de concilier , sur le point en question , les historiens des deux
nest^pasici Datj0DS ^ nous cr0yons, avec le plus grand nombre des criti-
grand poids. gUes ^ que je r£cjt jes auteurs grecs est jcj d'une bien faible
autorité en comparaison de celui des latins, soit que l'on con-
sidère ces deux récits en eux-mêmes, soit qu'on en juge d'après
le caractère et les sentiments bien connus de Grégoire II (l).
D'abord, si l'on considère le témoignage de Théophane en lui-
même, il est aisé de se convaincre qu'il n'est pas ici d'un
grand poids. Les fréquents anachronismes de cet auteur, son
peu d'exactitude et de critique, sont généralement reconnus des
savants (2). Ces défauts se font surtout remarquer dans la partie
de son histoire qui regarde les affaires d'Occident; la diffi-
culté de connaître et de vérifier des faits arrivés dans un pays
si éloigné de celui où il écrivait, l'oblige souvent à les rappor-
ter sur des bruits populaires et sans aucun fondement. Il est
d'ailleurs naturel de penser que cet auteur, malgré sa bonne
foi , a pu être quelquefois entraîné, sans le savoir, par les pré-
jugés que les Grecs avaient déjà conçus , de son temps, contre
les Latins, et qui se manifestèrent avec tant d'éclat, peu de
temps après sa mort, à l'occasion du schisme de Photius. Ces
considérations, qui rendent très -suspect en lui-même le té-
moignage de Théophane, s'appliquent, à plus forte raison, aux
Thomassin, Ancienne et nouvelle Discipline, t. i , liv. i, ch. 10, etc. —
De Héïicourt, Abrégé du même ouvrage , lre partie , ch. 3 , n. 2.
(1) Outre les auteurs déjà cités (p. 214, note 3), voyez Launoy, Epistol.
lib. vu , Epist. 7. ( Oper. t. x .) —Natal. Alex. Hist. Eccles. sœculi vm,
Dissert. ia. L'auteur des Annales du moyen âge (t. vi, liv. xx, p. 169)
paraît d'abord incliner pour le récit des Grecs; mais il se corrige lui-même
un peu plus bas (liv. xxm , p. 390 ).
(2) Cave, Scriptorum Eccles. Hist. litter.; sœculo vm. — D. Ceillier,
Hist. des Auteurs eccles., t. xvm, p. 261 — Bossuet, Defens. Declar.,
lib. ii, cap. 12. Voyez aussi les Notes du P. Combefis sur l'ouvrage de
Théophane.
PREMIÈRE PARTIE. — CHAPITRE I. 225
historiens grecs Cedrenus et Zonare, qui l'ont suivi sur le fait
de Grégoire II. Ces auteurs, qui écrivaient au xne siècle, et
par conséquent plus de quatre cents ans après les événements
dont il s'agit, étaient encore plus exposés que ïhéophane à se
laisser entraîner par les préjugés de leur nation contre l'Église
romaine.
Ce qui rend encore plus suspect le témoignage de ces auteurs, „ . **•
c'est qu'il est manifestement en opposition avec le caractère et , silion a,vec
x » Je caractère et
les sentiments bien connus de Grégoire 11. En effet, les Lom- les principes
de
bards ayant profité des troubles occasionnés en Italie par l'im- Grégoire h.
prudence de l'empereur, pour s'emparer de l'exarchat de Ra-
venne,sous prétexte de le soustraire à la domination d'un prince
hérétique, le Pape écrivit en ces termes au doge de Venise :
« Faites en sorte que la ville de Ravenne soit rendue à l'empire,
« et remise sous l'obéissance de nos seigneurs , les illustres em-
« pereurs Léon et Constantin ; afin que, remplissant toujours
« avec zèle les devoirs que nous imposent notre sainte
« croyance, nous puissions, avec l'assistance divine, demeu-
« rer inviolablement attachés à VÉtat et aux empereurs (1). »
De bonne foi, est-ce là le langage d'un Pape disposé à secouer
le joug de l'empereur, et à soulever les peuples contre lui?
Deux autres lettres du même pontife à l'empereur Léon , res-
pirent la même soumission et le même zèle pour la défense de
l'empire (2). Ces deux lettres sont d'autant plus remarquables,
(1) « Quia, peccato faciente, Ravennatum civitas,quae caputextat omnium,
« à nec dicendâ gente Longobardorum capta est, et iilius noster eximius
« dominus exarchus apud Venetias ( ut cognovimus ) moratur ; debeat no-
« bilitas tua ei ( exarcho scilicet) adhaerere, et cum eo nostrâ vice pari-
« ter decertare , ut ad pristinum statum sanctae reipubliese , in impe-
« riali servitio dominorum filiorum nostrorum Leonis et Constantini ,
« magnorum imperatoium, ipsa revocetur Ravennatum civitas; ut zelo et
« amore sanctœ fidei nostrœ in statu reipublicœ et imperiali servitio
«firmi persistere, Domino coopérante, valeamus. » Gregorii II Epistola
ad Ursum, Vcnetiarum ducem. (Baronii Annales , t. ix, anno 726, n. 27.
Labbe, Concil. t. vi, p. 1447.) — Lebeau, Hist. du Bas-Empire , t. xm,
liv. lxiii, n. 44.
(2) Baronius, Annal., ibid., n. 28. — Labbe, Concil. t. vu, p. 10, etc.
Nous supposons, avec Baronius, Bossuet, et la plupart des critiques mo-
dernes, que ces deux lettres sont de Grégoire II, et non de Grégoire III. Le
sentiment contraire, suivi par quelques auteurs ( Fleury, Hist. E celés. ,
t. ix, liv. xlh, n. 8 et 9. — Annales du moyen âge, t. vi, liv. xxm,
p. 414), paraît solidement réfuté par plusieurs savants, cités et analysés,
15
226 SOUVERAINETÉ TEMPORELLE DU PArE.
qu'elles furent adressées à l'empereur dans un temps où il per-
sécutait l'Église avec violence, et où le Pape avait plus de faci-
lité que jamais pour lui résister, s'il eût voulu opposer à l'en-
nemi de l'Église d'autres armes que celles de la persuasion.
C'est ce que le pontife lui-même représente à l'empereur, avec
beaucoup de force , dans la première de ces lettres. « Vous
« croyez, lui dit-il, nous épouvanter en disant : J'enverrai à
« Rome briser Vimage de saint Pierre ; et je ferai enlever le
« Pape Grégoire, chargé de chaînes, comme Constant fit à
« Martin (1). Mais sachez que les papes sont les médiateurs
« et les arbitres de la paix entre l'Orient et l'Occident
« Nous ne craignons point vos menaces : à une lieue de Rome,
« vers la Campanie, nous sommes en sûreté Si vous voulez
« en faire l'expérience, vous n'avez qu'à venir ; vous trouverez
« les Occidentaux tout disposés à venger les injures que vous
« avez faites aux Orientaux L'Occident offre de donner au
« siège de saint Pierre des preuves effectives de sa foi. Si vous
« envoyez quelqu'un pour renverser l'image de saint Pierre ,
« je vous en avertis, il pourra bien y avoir du sang répandu.
« Pour moi , j'en suis innocent ; et tout le crime retombera sur
« vous (2). » Ce discours n'était point une pure ostentation dans
sur ce point, dans l'ouvrage d'Orsi {ubi suprà, cap. 1 , notes 30 et 31 ).
Au reste, on voit assez que ces deux lettres ne sont pas nécessaires pour
établir notre sentiment sur la conduite de Grégoire II. Qu'elles soient de ce
pontife ou de son successeur, on peut toujours les regarder comme un
témoignage éclatant des dispositions pacifiques du saint-siége envers l'em-
pereur de Constautinople , à une époque où le Pape avait contre lui les plus
justes sujets de plainte.
(1) il s'agit ici de l'enlèvement du Pape Martin II, exécuté, en 653, par
ordre de l'empereur Constant II , qui voulait obliger le pontife à souscrire le
Type ou l'édit publié par ce prince en faveur du monothélisme. Voyez Fleury,
Hist. Ecclés.y t. vin, liv. xxxix , n. 1 et 2.
(2) « At enim nos perterrefacis , aisque : Romam mittam , et imaginem
« sancti Pétri confringam ; sed et Gregorium illinc pontifcem vinctum
« adduci curabo, sicut Martinum Constans adduxit. Scire autem de-
« bes ac pro certo habere, pontifices qui, pro tempore, Romae extiterint ,
« conciliandœ pacis causa sedere tanquam parietem. médium Orientis et
« Occidentis, ac pacis arbitros et moderatores esse Quôd si nobis in-
« solenter insultes, et minas intentes, non est nobis necesse tecum in
« certamen descendere ; ad quatuor et viginti stadia secedet in regionem
« Campaniae Romanus pontifex Quôd si hoc velis experiri, plané
« parati sunt Occidentales ulcisci etiam Orientales., quos injuriis affecisti
« Totus Occidens sancto principi apostolorum fidei fructus offert. Quôd
PREMIÈRE PARTIE. — CHAPITRE I. 227
la bouche de Grégoire; car on a déjà vu (l), et la suite de l'his-
toire montre de plus en plus, quel était alors l'attachement des
peuples de l'Italie pour le saint-siége, et combien ils étaient
peu disposés à souffrir les violences de l'empereur et de ses
envoyés contre le Pape. Mais, quelque favorables que ces con-
jonctures fussent à Grégoire lï, s'il eût voulu opposer à l'empe-
reur la force ouverte, il se contente d'employer auprès de lui
les remontrances et les exhortations. La plus grande partie
de ses lettres est employée à établir, par de solides raisonne-
ments, le culte des saintes images; et loin de songer à di-
minuer en rien la puissance impériale, il rappelle et professe
hautement, dans ses deux lettres, les principes de l'antiquité,
sur la distinction et l'indépendance mutuelle des deux puis-
sances. « Vous savez, seigneur, dit-il, que la décision des
« dogmes de la foi n'appartient pas aux empereurs, mais aux
« évêques, qui veulent, en conséquence, les enseigner librement.
« C'est pourquoi les évêques , préposés au gouvernement de
« l'Église, ne se mêlent point des affaires publiques; que les
« empereurs donc ne se mêlent pas non plus des affaires ec-
« clésiastiques, et se bornent à celles qui leur sont confiées....
« Apprenez donc, seigneur, la différence qui se trouve entre les
« palais des princes et les églises, entre l'empire et le sacerdoce ;
« apprenez-le pour votre salut, et ne vous livrez pas opiniâtré-
« ment à la dispute Comme Vévêque n'a pas droit d'étendre
« son inspection sur le palais , et de donner les dignités
« roijales; ainsi l'empereur ne doit pas étendre la sienne sur
« les églises, ni s'ingérer de faire les élections dans le clergé, de
« consacrer ou d'administrer les sacrements, ou même d'y par-
« ticiper sans le ministère du prêtre. Il faut que chacun de nous
« demeure dans Vétat auquel Dieu l'a appelé '(2). »
« si quospiam ad evertendam jmaginem miseris sancti Pétri, vide, pro-
)> testamur libi , innocentes sumns à sanguine quem fusuri sunt ; verùm in
« cervices tuas et in caput tuum ista recident. » Gregorii Epist. J, versus
fmem. (Labbe, ubi suprà, p. 19 et 22.)
(1) Voyez plus haut, p. 213, etc.
(2) «Scis, imperator, sanctee Ecclesiae dogmata non imperatorum esse,sed
<c pontificum, qui tutô volunt dogmatizare. Idcircô Ecclesiis prœpositi sunt
« pontifices, à reipublicœ negotiis abstinentes ; et imperatores ergo simi-
« liter ab ecclesiasticis abstïneant, et quœ sibi commissa sunt capessant...
« Ecce tibi palatii et Ecclesiarum scribo discrimen , imperatorum et pontifi-
15.
228 SOUVERAINETÉ TEMPORELLE DU PAPE.
t
La conduite de Grégoire II fut toujours conforme à ces prin-
cipes ; et jusqu'à la fin de sa vie, on le vit sans cesse appliqué à
soutenir en Italie l'autorité de l'empereur. L'histoire de la ré-
volte de Pétase , que nous avons rapportée plus haut d'après
Anastase , fournit une preuve remarquable de ces disposi-
tions (1). L'usurpateur ayant gagné à son parti plusieurs villes
d'Italie, et s'y étant môme fait reconnaître empereur, l'exarque
effrayé se voyait hors d'état de lui faire la guerre. Grégoire
l'encouragea , et lui envoya même un corps de troupes , qui
triompha en peu de temps des rebelles ; en sorte que Pétase lui-
môme fut réduit à se renfermer dans une place forte, où il per-
dit la vie, avec son titre d'empereur.
29. On doit conclure de tous ces faits , que la conduite de Gré-
a °de UI e goire II , dans les circonstances difficiles où il se trouvait , offre
CpiWeCPar im parfait modèle , non-seulement de prudence et de fermeté
les auteurs p0ur [e maiiitien de la saine doctrine , mais encore du respect
modernes les x ' L
moins sus- et de la soumission que l'Église a toujours professés, même pour
les plus méchants princes, en tout ce qui concerne l'ordre tem-
porel. Aussi la conduite de ce pontife a-t-elle été généralement
louée , même par les auteurs les moins accoutumés à flatter le
saiut-siége, et qui blâment plus ouvertement la conduite des
successeurs de Grégoire II envers les empereurs de Constanti-
nople. « Dans la conjoncture la plus critique qui fut jamais, dit
« un de ces auteurs (2), lorsque, d'un côté, l'hérésie armée de la
« puissance impériale s'efforçait de s'introduire en Italie, et que,
«de l'autre, l'Italie semblait ne pouvoir repousser l'hérésie
« cum : agnosce illud, et salvare, nec contentiosus esto... Quemadmodum
« pond/ex introspiciendi in palatium pôles latem non habet, ac dignitates
« rcgias deferendi; sic neque imperator in Ecclesias introspiciendi, et
a electiones in clero peragendi, neque consecrandi , vel symbola sanctorum
« sacramentorum administrandi , sed neque participandi, absque operâ sa-
« cerdotis; sed unusquisque nostrûm, in qnâ vocatione vocatus est à
« Deo, in eâ maneat. » Gregorii Epistolœ 1 et 2. (Labbe, ïbid., pag. 18
et 26.)
(1) Voyez le texte d' Anastase, que nous avons cité plus haut, page 219. —
Baionii Annales, anno 729. — Lebeau, Hist. du Bas-Empire, tome xm,
liv. lxih, n. 48.
(2) Lebeau, Hist. du Bas-Empire, tome xm, liv. lxih, n. 54. — Voyez, à
l'appui de ces observations , Annales du moyen âge , tome vi, liv. xxm ,
pag. 391, 413, etc. — Daunou, Essai hist. sur la puissance temp. des
Papes, chap. 1, page 23, etc.
PREMIÈRE PARTIE. — CHAPITRE I. 229
« qu'en se révoltant contre sou souverain, le Pape Grégoire II
« remplit également deux devoirs qui paraissaient alors in-
« compatibles. Chef intrépide de l'Église, il s'opposa constam-
« ment à l'exécution d'un édit contraire à la pratique du chris-
« tianisme : il lit tous ses efforts pour détourner l'empereur de
« son dessein impie ; il fortifia les peuples dans la résolution de
« rejeter des ordres auxquels ils ne pouvaient obéir sans tra-
« hir leur religion ; mais en même temps, fidèle sujet du prince,
« il se tint lui-même, et maintint les peuples dans une juste
« obéissance ; il étouffa l'esprit de révolte; et, malgré les noirs
« complots que le prince même tramait contre sa vie , prélat
« vraiment apostolique, supérieur à tout sentiment de vengeance
« ainsi que de crainte , il fut assez généreux pour conserver
« au prince l'Italie prête à lui échapper. »
S'il faut en croire un certain nombre d'auteurs modernes , 30.
les successeurs de Grégoire II n'imitèrent pas sa conduite res- s\™Te%™n
pectueuse envers les empereurs de Constantinople ; et Gré- Gréeoire lIL
goire III, son successeur immédiat, ne fit pas difficulté de
renoncer ouvertement à l'obéissance qu'il devait à son sou-
verain légitime (1). Mais, si l'on examine attentivement la suite
des faits, et la difficulté des conjonctures, on verra que le
nouveau pontife ne se conduisit pas avec moins de sagesse et
de modération que son prédécesseur (2). Un des premiers
actes de son pontificat, fut d'écrire aux empereurs Léon et
Constantin Copronyme, pour les exhorter, par de sages re-
montrances, à revenir à de meilleurs sentiments sur le culte
des saintes images (3). Un concile tenu à Rome , peu de temps
(1) Lebeau, Histoire du Bas-Empire, tome xm, liv. lxiii, n. 63, page 385.
— Annales du moyen âge, tome vi, liv. xxm, page 439. — Velly, Hist. de
France, tome 1 , page 336 , etc. — Daunou , Essai historique , chap. 1
page 27. — Vertot, Origine de la grandeur de la cour de Rome, pag. 18
22, etc.
(2) Thomassin, Ancienne et nouvelle Discipline, tome 111, liv. 1, chap. 29
n. 3. — - Bossuet, Defensio Declar., lib. 11, cap. 18 et 37. — Fîeury, Hist
Ecclés., tome ix, liv. xlii, 11. 8, 17, 24 , etc. —Daniel, Histoire de
France, année 740. — Annales du moyen âge, tome vi, livre xxin
page 414, etc. — Lebeau , Histoire du Bas-Empire, tome xm, livre lxiii
n. 58, etc.
(3) « Idem sanctissimus vir {ad Leonem et Constanlinum) , ut ab hoc re-
« sipiscerent ac se removerent errore, commonitoria scripta, quemadmodum
« et sanctae memoriae decessor ipsius direxerat, misit per Georgium presbyte-
230 SOUVERAINETÉ TEMPORELLE DU PAPE.
après, par le même Pape, décida que ceux qui condamneraient
ce culte, seraient retranchés de la communion de l'Église ca-
tholique. Mais on ne voit ici, de la part du Pape, aucun acte
contraire à l'autorité des empereurs en Italie : Anastase suppose
même assez clairement que cette province n'avait pas encore
définitivement renoncé à leur obéissance ; car il rapporte qu'elle
leur adressa, en ce même temps, une requête pour le rétablis-
sement des saintes images; ce qu'elle n'eût sans doute pas
fait, si elle eût absolument et pour toujours secoué leur au-
torité.
Léon risau- Cependant l'empereur Léon , loin de céder à de si pressantes
l 'd" piuiSenSe sollicitations , redoubla de fureur contre les catholiques. Il en-
pius ntalie vova d'abord en Italie une flotte considérable , destinée à sacca-
par ses excès. *> '
ger Rome et plusieurs autres villes, en punition de leur attache-
ment au culte des saintes images. Le commandant de la flotte avait
ordre de saisir le Pape lui-même , et de le conduire , pieds et
mains liés, à Constantinople. L'exécution de ces cruels projets
ne fut empêchée que par la perte de la flotte , dispersée près de
Ravenne par une furieuse tempête. Irrité de ce contre-temps,
l'empereur se porta à de nouveaux excès contre l'Italie, et sur-
tout contre le Pape : il accabla le peuple de nouveaux impôts ,
et fit saisir les patrimoines de l'Église romaine en Sicile et en
Calabre (l). Une conduite si peu mesurée indisposa de plus en
plus l'Italie contre l'empereur , et donna, pour ainsi dire, les
derniers coups à la puissance impériale en Occident.
Gré^n'e m En ^^> dans ces tristes conjonctures, la ville de Rome était
«, afpei!e . i vivement pressée par les Lombards, et réduite aux dernières
Charles Martel r r '
au secours de extrémités par le roi Luitprand. Les Romains n'espérant plus
« rum Majore-(dem) fidei ardore permotus, synodale decretum
« decrevit, ut si quis deinceps . adversùs eamdem venerationem sa-
it crarum imaginum profanator vel blasphemus extiterit, sit ex-
« torris à corpore et sanguine Domini nostriJesu Christi, vel totius Ec-
« clesiœ unitate atque compage Post peractum igilur hoc synodale
« conslitutwn, cuncta generalitas istius provinciœ Italiœ simili-
« ter, pro erigendis imaginions, supplicationum scripta unanimiler ad
« eosdem principes direxerunt.-» Anastase le Bibliothéc., Vita Gregor. III.
(Labbe, Concil. tom. vi, pag. 1463 et 1464.)
(l)Theophane, Chronog raphia, pag. 343. On a vu plus haut que le re-
venu annuel de ces patrimoines s'élevait à trois talents et demi d'or, qui font
plus de 400,000 francs de notre monnaie. (Introd., art. h, page 127.)
PREMIÈRE PARTIE. — CHAPITRE I. 231
aucun secours de l'empereur, qui, loin de protéger Rome et
l'Italie, leur déclarait ouvertement la guerre , ne virent plus
d'autre ressource que d'implorer l'assistance des Français. Le
Pape Grégoire III écrivit, pour cet objet, plusieurs lettres très-
pressantes à Charles Martel, qui, sous le titre de maire du palais,
gouvernait alors la France, au nom du roi Thierry IV (1). Ces
premières démarches n'ayant produit aucun résultat, le Pape
envoya, en 741 , une ambassade solennelle au maire, pour lui
faire de nouvelles instances (2). Les ambassadeurs portaient avec
eux de magnifiques présents pour Charles Martel; mais ils
étaient surtout chargés de lui offrir, au nom du Pape, des
(1) Les deux lettres de Grégoire III à Charles Martel, sur ce sujet, se trouvent
dans la collection des Conciles du P. Labbe, tome vi, page 1472. Ces deux let-
tres sont les premières du recueil connu sous le nom de Code Carolin, parce
qu'il paraît avoir été formé, dans le principe, par les soins de Charlemagne.
Ce recueil contient quatre-vingt-dix-neuf lettres , adressées, pour la plupart,
aux rois de Fiance et aux Français, par le pape Grégoire III et ses succes-
seurs, de 739 à 791. Il fut publié pour la première fois à Ingolstadt, en 1613,
in-4°, par les soins de Gretser. On le trouve aussi dans le tome m du Recueil
des Historiens de France de Duchesne. (Paris, 1641 et 1644, in-fol.) Mais
la meilleure édition est celle qui se trouve dans le tome i du recueil de
Cenni, Monumenta dominationis Pontificiœ : Romœ, 1760; 2 vol. in-4°.
Les avertissements et les notes de cette édition répandent beaucoup de jour
sur l'histoire des papes du vme siècle, et sur la véritable origine de la sou-
veraineté temporelle du saint-siége. C'est d'après cette édition que nous cite-
rons désormais le Code Carolin.
Sur les deux lettres de Grégoire III à Charles Martel, voyez le tome i de ce
recueil, pag. 1, etc. — Daniel, Histoire de France, tome n, année 740. —
Hist. de l'Église GalL, tome iv, année 741. — Annales du moyen âge,
tome vi, liv. xxm, pag. 431, etc.
(2) Nos anciens annalistes ont soin de remarquer qu'on n'avait point vu,
ni ouï parler, avant cette époque, d'une pareille ambassade. (Voyez en
particulier les Annales de Metz , et le continuateur de la Chronique de
Frédégaire.) Nous rapportons textuellement ces témoignages à la page sui-
vante, note 2. Bossuet les cite dans la Défense de la Déclar., lib. h,
cap. 18. Anastasele Bibliothécaire, dans la Vie d'Etienne II, semble dire
le contraire; car il assure que ce pontife écrivit secrètement à Pépin, à
l'exemple de ses prédécesseurs , Grégoire II, Grégoire III et Zacharie,
qui s'étaient adressés à Charles Martel , pour obtenir sa protection
contre les Lombards. (Labbe, Concil. , tom. vi, pag. 1622.) On peut
cependant concilier Anastase avec les auteurs fiançais , en disant que Gré-
goire II se contenta d'écrire à Charles Martel, et que Grégoire III lui envoya
une ambassade solennelle. Au reste , il est aisé de voir que cette discussion
n'a aucune importance, relativement au sujet qui nous occupe. Les mêmes
raisons qui servent à justifier la conduite de Grégoire 111, en cette occasion ,
pourraient également servir à justifier Grégoire IL
232 SOUVERAINETÉ TEMPORELLE DU PAPE.
seigneurs et du peuple romain, la dignité de consul (t), pourvu
qu'il les assurât de sa protection. En conséquence d'un décret
adopté par les seigneurs de Rome, le Pape disait, dans sa
lettre au prince français , que le peuple romain, renonçant à
la domination de V empereur , suppliait Charles de prendre
sa défense, et avait recours à sa protection invincible (2).
' 33. Cette conduite du Pape et des seigneurs de Rome était sans
marche facile doute une démarche hardie ; mais elle est facile à justifier d'après
cripSs Tes, les principes du droit public les plus universellement reconnus (3).
circonstances.
(1) Le titre de consul, qui donnait autrefois chez les Romains une si grande
autorité à celui qui en était revêtu, n'était plus , sous les empereurs, qu'un
tifred'honneur, comme ont été depuis, parmi nous, ceux de duc, de comte, de
marquis, et plusieurs autres. Il fut même supprimé par Justinien, qui cessa,
en 541 , dénommer des consuls, comme il avait fait jusqu'alors chaque année, à
l'exemple de ses prédécesseurs. Toutefois, depuis cette époque, les empereurs
prirent encore quelquefois ce titre, et le donnèrentmême par honneur à des per-
sonnages distingués. L'histoire du vme siècle en offre de nombreux exemples.
(Anastas. Bibliothec. Vitœ Gregorii III, Zachariœ et Hadriani 1; apud
Labbe, Concil. tom. vi, pag. 1463, 1487, 1726, 1744.) On voit assez, d'après
cela, quels étaient la nature et le but du consulat offert par le Pape et les
Romains à Charles Martel. Ils ne prétendaient pas le reconnaître par là pour
leur souverain, mais seulement l'attacher à leurs intérêts par un titre ho-
norable, et l'engager plus efficacement à les protéger contre la tyrannie des
Lombards.
Nous croyons inutile d'examiner plus en détail les conjectures des savants
sur ce point. On peut consulter là-dessus Ducange, Glossariuminfimœ Lati-
nitatis, article Consul. — Pagi, Crilica in Annales Baronii, tom. m,
anno 740, n 6. — Cenni, ubï suprà, pag. 4. — Lebeau, Hist. du Bas-Em-
pire, tom. x, liv. 46, n. 41. — Daniel, Hist. de France, édition du P. Grif-
fet, tom. i, pag. 65 ; tom. n, pag. 219.
(2) « Eo tempore bis à Româ, sede sancti Pétri apostoli, beatus papa Gre-
« gorius claves venerandi sepulcri, cum vinculis sancti Pétri, et muneribus
« magnis et inlinitis, legatione, quod anlea nullis auditis aut visis tempo-
« ribus fait, memorato principi (Carolo) destinavit, eo pacto patrato, ut ad
« partes (hoc est, consueto hujns sévi stylo , à partïbus) imperatoris recede-
« ret, et Eomanum consulatùm prœfato principi Carolo sanciret. » Fre-
degarii Chronicon continuatum , n. 110. (Ad calcem Hist. Francorum
S. Greg. Turon. ; édition de D. Ruinart. — Tom. i du Recueil de Duchesne.)
Les Annales de Metz rapportent, presque dans les mêmes termes,
l'ambassade du Pape à Charles Martel ; à quoi elles ajoutent ce qui suit :
« Epistolam quoque, decreto Romanorum principum, sibi (i. e. Carolo prin-
« dpi) praedictus praesul Gregorius miserat, quod sese populus Romanus ,
« relictâ imperatoris dominatione , ad suam defensionem et invictam
« clementiam converlere voluisset. » Annal. Metenses, anno 741. (Tom. m
du Recueil de Duchesne, pag. 271.)
(3) De Marca, De Concordiâ, lib. m, cap. 11, n. 5 et 6. — Thomassin ,
Ancienne et nouv . Discipline, t. m, liv. i, chap. 27, n. 8, chap. 29, n. l,etc.
— Bossuet, Politique sacrée, liv. vi, art. 2, prop. 5. — Pey, Autorité des
PREMIÈRE TARTIE. — CHAPITRE I. 283
En effet, il est certainement permis à un peuple abandonné de
ses anciens maîtres , et injustement opprimé par ses voisins , de
se donner un chef capable de le défendre ; le droit naturel, qui
autorise , en pareil cas , un simple particulier à réclamer la
protection de ses semblables, n'y autorise pas moins un peuple
entier. « Tout le monde convient, dit Puffendorf, que les sujets
« d'un monarque, lorsqu'ils se voient sur le point de périr,
« sans avoir aucun secours à attendre de leur souverain , peu-
« vent se soumettre à un autre prince (l). » « Aucune partie de
«l'État, dit Grotius, n'a droit de se détacher du corps, à
« moins que, sans cela, elle ne soit manifestement réduite
« à périr; car tous les établissements humains semblent ren-
« fermer l'exception tacite du cas d'une extrême nécessité , qui
« ramène les choses au seul droit naturel (2). » A l'appui de ce
principe , Grotius cite un passage de saint Augustin , qui n'est
pas moius formel : «Parmi toutes les nations, dit le saint doc-
« teur , on a mieux aimé se soumettre au joug d'un vainqueur,
« que d'être exterminé en s'exposant aux derniers actes d'hos-
« tilité ; c'est comme la voix de la nature (3). »
Les auteurs même les plus opposés aux principes ultramon-
tains, ne font aucune difficulté d'appliquer ces principes d'équité
naturelle aux circonstances où se trouvait l'Italie depuis le
pontificat de Grégoire II. Il est vrai que ces auteurs ne con-
viennent entre eux, ni sur l'époque précise à laquelle s'étei-
gnit, à Rome et dans l'exarchat, le pouvoir des empereurs de
Constantinople , ni sur la pâture du pouvoir que le Pape et le
roi de France y exercèrent depuis ; mais ils conviennent ou
supposent manifestement que ces provinces, abandonnées des
empereurs, comme elles l'étaient depuis le pontificat de Gré-
goire II, avaient le droit de se soustraire à leur domination, .
pour se donner un autre chef. «Dans la chute de l'empire,
deux Puissances, tom. i, pag. 210. — Fleury, Hist. Ecclés., tom. x, liv. xlv,
n. 21. — Orsi, ubi suprà, cap. 6.
(1) Puffendorf, De Jure nat. et gent., lib. vu, cap. 7, § 4.
(2) Grotius, De Jure belli etpacis, lib. n, cap. 6, § 5.
(3) « In omnibus ferè gentibus, quodam modo vox naturae ista personuit,
« ut subjugari victoribus mallent, quihus contigit \inci, quàm ;bellicâ emni-
« fariàm vastatione deleri. » S. Augustin, De Civitate Dei, lib. xyiii, cap. 2,
n. 1. {Oper. tom. vu)
B
234 SOUVERAINETÉ TEMPORELLE DU PAPE.
« dit Rossuet, lorsque les Césars suffisaient à peine à défendre
« l'Orient, où ils s'étaient renfermés ; Rome , abandonnée, près
« de deux cents ans, à la fureur des Lombards, et contrainte
« d'implorer la protection des Français , fut obligée de s'éloigner
« des empereurs. On pâtit longtemps avant que d'en venir à
« cette extrémité ; et on n'y vint enfin que quand la capitale de
« l'empire fut regardée par ses empereurs comme un pays ex-
« posé en proie, et laissé à l'abandon (1) . «
34- Charles Martel reçut avec plaisir les propositions de Gré-
onne
intelligence goire III. Déjà même il paraissait disposé à passer en Italie,
rempe^eui-,6 lorsqu'il fut surpris par la mort , peu après le départ des am-
ponUficatede bassadeurs. La mort de l'empereur Léon et celle du Pape, qui
zacharie. arrivèrent cette même aunée 741 , engagèrent les Romains à
suspendre les négociations entamées avec la France; et la
conduite modérée du pape Zacharie, successeur de Grégoire III,
sembla rétablir un peu les affaires de l'empire en Italie (2).
Le nouveau pape ne fut pas plutôt monté sur le saint-siége,
qu'il employa tous ses soins à pacifier cette province, à obtenir
la restitution des villes et territoires de l'exarchat dont les
Lombards s'étaient emparés , à maintenir contre eux l'autorité
de l'exarque, et par conséquent celle de l'empereur, dont
l'exarque n'était que le représentant. Le succès répondit au
zèle du pontife : le roi des Lombards, touché de ses prières et
de ses remontrances, lui rendit d'abord quatre villes du duché
de Rome, et bientôt après , plusieurs autres villes et territoires
de l'exarchat (3). Toutefois, il est à remarquer que le Pape, en
sollicitant ces restitutions auprès du roi des Lombards, ne les
réclamait point au nom de l'empereur, mais en son propre
nom, et comme chef de la république romaine, c'est-à-dire,
des villes et des provinces d'Italie qui l'avaient librement choisi
(1) Bossuet, Politique sacrée, ubi suprà, pag. 274. Voyez aussi les auteurs
cités dans la note 2 de la page 232.
(2) Baronius, Annales, tom. ix, ânno 743, n. 12 , 29 et 30. — Bossuet, De-
fensio Declar., lib. n, cap. 19 — Fleury, Hist. Écclés., tom. ix, liv. xlii,
n. 31, 38 et 40- — Annales du moyen âge, tom. vi, liv. xxm, pag. 439, etc.
— Lebeau, Histoire du Bas-Empire, ton), xm, liv. 64, n. 2, etc.
(3) Anastase le Bibliothéc. , Vita Zachariœ. (Labbe, Conciliorum
tom. vi, pag. 1487 et 1489.) Voyez les détails que nous avons donnés plus
haut (page 205, note 1) sur la position géographique de Vexarchat et du
duché de Rome.
PREMIÈRE PARTIE. — CHAPITRE I. 235
pour leur chef (1). Le roi des Lombards lui-même, cédant aux
instances du Pape, accorda ces restitutions, non à l'empereur,
mais au saint-siége et à la république romaine (2); ce qui sup-
pose clairement, qu'aux yeux des peuples d'Italie, toute la force
et l'autorité du gouvernement, dans le duché de Rome et dans
l'exarchat , était alors entre les mains du Pape.
Quoi qu'il en soit de ce dernier point, il est certain que l'em-
pereur Constantin Copronyme, successeur de Léon , malgré son
attachement à l'hérésie, se montra pleinement satisfait de la
conduite du Pape, et lui donna un témoignage non équivoque
de cette satisfaction, en ajoutant aux patrimoines de l'Église
romaine, deux métairies considérables, situées dans les pro-
vinces d'Italie encore dépendantes de l'empire (3). Ce dernier
(1) Les mots de république romaine , souvent employés par Anastase et
d'autres écrivains de cette époque, pour désigner les villes et provinces d'I-
talie qui reconnaissaient alors le Pape pour leur chef, ne supposent pas que
ces villes et provinces formassent une république proprement dite. On sait,
en effet, que le mot de république, dans les écrivains du moyen âge, comme
dans les auteurs plus anciens, ne désigne pas toujours une république pro-
prement dite, mais en général, Y État, le royaume ou Vempire, selon la na-
ture des gouvernements auxquels il se rapporte. (Muratori, Antiquit. Ital.
medii œvi, ton», i, Dissert. 18, pag. 987, etc.) La lettre de Grégoire II au
doge de Venise, que nous avons citée plus haut, fournit, sur ce sujet, un
exemple remarquable. (Ci-dessus, page 225, note 1.) C'est dans cette accep-
tion générale qu'il est employé par Anastase et parles auteurs de cette époque,
lorsqu'ils parlent de la république romaine; on voit, en effet , par la suite
de l'histoire , qu'ils parlent des habitants de cette république comme des
sujets du Pape, ce qui suppose que le Pape était leur véritable souverain.
Cette observation sera mise dans tout son jour, par les détails que nous
donnerons sur les progrès dé l'autorité du Pape, depuis le pontificat de Za-
charie.
(2) Voici les propres expressions d 'Anastase, sur la restitution des quatre villes
du duché de Rome. « (Zachariae) piis eloquiis flexu#(Longobardorum rex),
« praedictas quatuor civitates eidem sancto viro, cum eorum habitatoribus,
« redonavit ; (quas) per donationis titulum, ipsi beato Petro apostolo-
« rum principi reconcessit. » Le même auteur emploie de semblables expres-
sions, en parlant de la restitution des villes et territoires de l'exarchat. « Ab
«■ eodem rege nimis honorificè susceptus (Zacharias), salutaribus monitis eum
« allocutusest, obsecrans ut ablalasRavennatnm urbes sibi redonaret.
« Qui praedictus rex, post multam duritiam inclinatus est, et duas
« partes terri toi ii Cesenee Castri adpartem reipublicœ restituit, etc., etc. »
(Labbe, Concil., ibid.)
(3) « Post haec, requirens (Constantinus princeps) missum apostolicœ
« sedis, qui ibidem (Constanlinopolim) in tempore perturbations contigerat
« advenisse, eumque repertum ad sedem absolvit (i. e. dimisit) apostolicam ;
« et juxta quod beatissimus pontifex postulaverat , donationem in scriplis
Lombards.
236 SOUVERAINETÉ TEMPORELLE DU PAPE.
fait est d'autant plus remarquable, qu'il montre clairement les
dispositions pacifiques de l'empereur envers le Pape, malgré la
grande autorité que celui-ci exerçait alors en Italie, à l'exem-
ple de ses prédécesseurs Grégoire II et Grégoire III (1).
35 Cependant, la bonne intelligence qui régnait alors entre le
Etienne h im- Pape et l'empereur, n'empêchait pas que l'autorité de ce der-
plore la pro- . , „„ ., _. _ . .. „„
tection de nier ne s allaiblit de jour en jour en Italie, par un effet naturel
pep.n contre ^s circonstances que nous avons indiquées, et surtout par
suite des vexations que les Lombards ne cessaient d'y exercer (2).
L'année même delà mort de Zacharie, c'est-à-dire, en 752,
ils s'emparèrent de l'Italie, de la Pentapole, et de l'exarchat.
L'exarque Eutychius , hors d'état de résister , s'enfuit à Naples ;
et ainsi finit l'exarchat, qui subsistait depuis cent quatre-vingt-
quatre ans. Après de pareils succès, Astolphe, roi des Lom-
bards , ne voyant plus que la ville de Rome qui pût mettre des
bornes à ses conquêtes, dirigea contre elle toutes ses forces.
Etienne II, successeur de Zacharie, ne pouvant espérer aucun
secours de l'empereur contre ces nouvelles attaques , employa
d'abord la voie des négociations auprès d'Astolphe. L'empereur,
loin de blâmer cette conduite du Pape , lui envoya des députés ,
pour l'engager à prendre en main les intérêts de l'empire , et à
sommer le roi des Lombards de restituer les provinces d'Italie
qu'il avait usurpées. Ces négociations parurent d'abord avoir
quelques succès; mais elles devinrent bientôt inutiles, par la
perfidie d'Astolphe, qui, après avoir signé un traité de paix,
revint presque aussitôt menacer Rome. Dans cette extrémité, le
« de duabus massis (i. e. fundis seu prœdiis), quse Nymphas et Normias ap«
« pellantur , juris existentes publici, eidem sanctissimo ac beatissimo Papœ
« sanctae Romanae Ecclesiae, jure perpetuo, direxit possidendas. » Anastase,
ubï suprà, pag. 1491.
(1) Nous examinerons ailleurs les reproebes qu'on a faits au pape Zacbarie,
à l'occasion de sa réponse à la consultation des Français sur la déposition de
Childéric III. (Ci-après, chap. 2, art. 2, n. 92, etc.)
(2) Anastase le Bibliothéc, Vita Stephani II. (Labbe , Concil. tom. vi,
pag. 1620, etc.) — Thomassin, Ancienne et nouvelle Discipline, tom. m,
liv. i, chap. 29, n. 6, etc. — Fleury, Hist. Ecclés., tom. ix, liv. xliii, n. 4,
9, etc. — Lebeau, Hist. du Bas-Empire, tom. xm, liv. lxiv, n. 18, etc.,
30, etc. — Daniel, Hist. de France, tome h , année 752, etc. — Annales du
moyen âgeyiom. vu, liv. xxiv. — Bossuet, Defensio Declar., lib. n, cap. 19.
— Cenni, BÏbnumenta dominationis Pontificiœ, tom. i, pag. 11, 57, etc. —
Orsi, Délia origine del Dominio, et délia Sovranita de Rom. Pontefici,
cap. 6. — Natal. Alex. Dissert. 25, in Hist. Ecoles, sœculi îv, prop. 5.
PREMIERE PARTIE CHAPITRE I. 237
Pape ayant inutilement sollicité le secours de l'empereur, ne
vit plus /T autre ressource pour lui et pour son peuple, que
ft implorer le secours du roi de France , à l'exemple de ses
prédécesseurs Grégoire II ', Grégoire III et Zacharie (1). Il
lui écrivit, pour cet effet, eu 753, une lettre très-pressante ,
par laquelle il [lui demandait tout à la fois , un asile dans ses
États, et sa protection contre les Lombards. Pépin accueillit
favorablement la demande du Pape, lui promit sa protection,
et l'invita à venir chercher en France l'asile qu'il souhaitait.
Malgré ces invitations et ces promesses, Etienne II , avant de 36.
. , f i • i w Dispositions
passer en France, voulut s arrêter a la cour du roi des Lom- favorables
bards, et faire auprès de lui un dernier effort, pour obtenir la %eEesa
restitution de Ravenne, de l'exarchat, et des autres places ^tuile? en
usurpées par les Lombards sur la république romaine (2).
Astolphe demeurant ferme dans son refus , le Pape se retira en
France, où il fut accueilli de Pépin avec les plus grandes marr
ques d'honneur et de respect. Ce prince s'engagea même solen-
nellement, dans une assemblée générale des seigneurs du
royaume, tenue à Quierzy-sur-Oise, à faire rendre au saint-
siège l'exarchat de llavenne , avec les autres villes et territoires
d'Italie usurpés par les Lombards (3). Bien plus, il dressa dès
lors un acte de donation, qui fut signé de lui et des princes ses
(1) «Tune praefatus sanctissimus vir, agnito maligni régis (Aistulphi)
« consilio, misit in regiam urbem ( Constantinopolim ) suos missos,....
« deprecans imperialem clementiam, ut, juxta quod ei ssepiùs scripserat ,
« cum exercitu ad tuendas lias Italise partes, modis omnibus adveniret, et de
« iniquitatis filii morsibus Romanam hanc urbem, vel cunctam Italise pro-
« vinciam liberaret Cernens prœterea et ab imperiati potentiâ nullum
« esse subveniendi auxilium; tunc,quemadmodum praedecessores ejus bea-
« tae mémorise, Gregorius, et Gregorius alius, et Dominus Zacharias, beatis-
« simi Pontifices, Carolo exçellentissimae mémorise régi Francorum direxe-
« runt, pelentes sibi subveniri propter oppressiones ac invasiones quas et
« ipsi, in hâc Romanorum provinciâ, à nefandâ Longobardorum gente per-
« pessi sunt; ita modo et ipse venerabilis pater ( Stephanus ) , divinâ gratiâ
« inspirante, clam per quemdam peregrinum suas misit litteras Pippino
«régi Francorum, nimio dolore buic provincial adhœrenti conscriptas. »
Anastase, ibid., p. 1621 et 1622.
(2) « Conjungente verô eo (Stephano) Papiam civitatem, et prœfato ne-
« fando régi ( Aistutpho) praesentato, plura iili tribuit munera, et nimis eum
« obsecratus est atque lacrymis piofusis eum petivit, ut Dominicas quas
« abstulerat redderet oves, et propria propriis reslïtueret. » Anastase ,
Vita Stephani II, p. 1623.
(3) Anastase, ibid., p. 1624.
238 SOUVERAINETÉ TEMPORELLE DU PAPE.
fils, et par lequel ils s'engageaient à mettre le saint-siége en
possession des mêmes villes et territoires (l). Le Pape, de son
côté, pour reconnaître et encourager de plus en plus la géné-
rosité du roi, lui donna, ainsi qu'à ses deux fils, Charles et
Carloman , le titre de patrices des Romains (2) , qu'il continua
toujours depuis de leur donner dans ses lettres, et qui subsista
dans la famille des rois francs , jusqu'au moment où Charle-
magne le changea en celui à' empereur.
(1) Anastase, dans la Vie du pape Etienne II ( ubi suprà), ne parle que
de la promesse faite par Pépin et les seigneurs français, dans l'assemblée de
Quierzy, défaire rendre au saint siège les ailles et territoires dont il s'agit ;
mais il ne parle pas de l'acte de donation des mêmes villes et territoires ,
signé dans la même assemblée, par le roi et les princes ses fils. Ce dernier fait
est rapporté par Anastase, dans la Vie du pape Adrien 1er (Ibid., p. 1738),
à l'occasion de la lecture qui fut faite à Charlemagne, en 772, de la Donation
de Pépin, qui fut suivie d'un nouvel acte de Donation pour confirmer le
premier. Le pape Etienne II lui-même suppose clairement la Donation de
Pépin, dans une lettre écrite à ce prince après l'assemblée de Quierzy, en
754 , peu de temps après la première expédition de Pépin en Italie. (Cod.
Caroh, Epist. 7, aliàs9; apud Cenni, Monument. 1. 1, p. 8t. )
(2) Il paraît , d'après les Annales de Metz ( année 754 ) , que le Pape con-
féra ce titre aux princes français, pendant son séjour en France; mais il est
certain qu'il ne leur donne ce titre dans aucune de ses lettres, avant son re-
tour en Italie. (Voyez Pagi, Critica in Annales Baronii, anno 755, n. 3. —
Cenni, ubi suprà, p. 12 et 60. )
La dignité de palrice , créée par Constantin pour rabaisser et diminuer
celle des préfets du prétoire , était une des plus considérables du Bas-Em-
pire. Elle ne conférait, par elle-même, aucune fonction particulière; mais on
la joignait souvent à d'autres dignités, telles que le consulat, la préfecture
du prétoire, etc. ; et elle donnait à celui qui en était revêtu, le droit de sié-
ger dans le conseil de l'empereur, au-dessus des préfets du prétoire. ( Le-
beau, Hist. du Bas-Empire, t. i, liv. v, n. 11. — Godefroy, Comment, sur
le Code Théodos., lib vi, tit. 6. — Naudet, Des Changements opérés dans
la constitution de l'empire, t. h, p. 76, etc.)
Il faut donc distinguer deux sortes de patrices : les uns , purement hono-
raires, jouissaient des honneurs et des prérogatives du patriciat, sans exer-
cer aucune autorité particulière, en vertu de ce titre. C'est ainsi que Adalgise,
fils de Didier, roi des Lombards, et Vitigez, roi des Goths, eurent à la cour
de Constantinople le rang et la qualité de patrices. (Hist. du Bas-Empire,
t. x, liv. xffv, n. 48. — Annales du moyen âge , t. vin, liv. xxvn, p. 39.)
C'est ainsi que Clovis reçut, en 507, le titre et les ornements de cette dignité,
qui lui fut conférée par l'empereur Anastase, en signe d'alliance et d'amitié
réciproque. (Hist. de l'Église Gallicane, t. h, année 508. — Hist. du Bas-
Empire j\. vin, liv. 39, n. 12. — Daniel, Hist. de France, 1. 1, année 507 ;
t. n, p. 219. — Pagi, Critica, anno 508. ) Une autre sorte de patriciat don-
nait à celui qui en était revêtu, le gouvernement ou la défense de quelque
province, au nom de l'empereur, qui en conservait la souveraineté propre-
ment dite. Tels étaient les patrices de Sicile, d'Afrique, de Rome, etc. Le
PREMIÈRE PARTIE. — CHAPITRE I. 239
En conséquence des promesses faites à Etienne II , et sur les
instances mêmes du pontife, Pépin envoya aussitôt à Astolphe
des ambassadeurs chargés de solliciter la restitution des villes
et territoires enlevés 'par lui ou ses prédécesseurs à l'Église
et à la république romaine (1). Sur le refus d' Astolphe, Pépin
entra en Italie, en 754, avec une nombreuse armée , tailla en
pièces celle des Lombards, et poursuivit Astolphe jusque dans
Pavie, où il le tint, pendant plusieurs jours, étroitement assiégé.
Enfin, le prince lombard, ne voyant plus de ressource, offrit
d'entrer en accommodement, et promit avec serment, de
rendre sans délai à l'Église et à la république romaine , la
ville de Ravenne , avec plusieurs autres (2) . C'est ainsi que
Pépin établit, ou plutôt reconnut et confirma la souveraineté
temporelle que le Pape exerçait déjà longtemps auparavant, en
vertu du libre choix des peuples , sur ces provinces abandon-
nées de leurs anciens et légitimes souverains. On doit remar-
titre de patrice des Romains fut toujours attaché à celui d'exarque de
Ravenne, jusqu'à l'extinction de l'exarchat, en 752 ; ce qui a donné lieu à
plusieurs historiens, soit anciens, soit modernes, de prendre l'un pour l'au-
tre les titres de patrice et d'exarque. (Anastase le Bibliothéc. , Vita
Adriani I, apud Lahhe, Concil. t. vi, p. 1736.) C'est en ce dernier seus que
Pépin et ses enfants reçurent du Pape le titre de patrices des Romains, qui
substituait le roi de France à l'exarque, pour la défense de l'Italie. Telle est
l'idée que tous les anciens auteurs nous donnent du patriciat de Pépin et
de Charlemagne. Ce n'est que dans ces derniers temps, qu'on a vu quelques
auteurs attacher à ce titre la souveraineté de Rome et de l'exarchat. On
verra, dans le chapitre suivant, combien cette supposition est peu fondée, et
même conlraire à l'histoire. On peut consulter là-dessus Ducange, Glossa-
rium infimœ Latinit., verbo Patricius. — Alamanni, De Lateranensi-
bus Parietinis, cap. 1 1. — De Marca, De Concordid, lib. i, cap. 12 ; lib ni ,
cap. 11. — Pagi, Critica in Annales Baronii , anno 740, n. 6, etc. Daniel
Hist. de France, édition du P. Griffet, t. m, p. 254, etc. — De Maistre, Du
Pape, liv. n, chap. 6, p. 257.
(1) « Porrô christianissimus Pippinus, Francorum rex , ut verè beati Pétri
« lidelis (i. e. defensor) , atque jam tanti sanctissimi pon'tificis salutiferis
« obtemperans monitis, direxit suos missos Aistulpho , nequissimo Longo-
« bardorum régi, propter pacis feedera, et prœfatœ sanctœ Dei Ecclesiœ
« ac reipublicœ restituendajura; atque bis et tertio eum deprecatus est
« et plura ei pollicitus est munera, ut tantummodo pacificè propria resti-
« tueret propriis. » Anastase, Vita S. Stephani, p. 1623.
(2) « Spopondit ipse Aistulphus cum universis suis judicibus (i. e. magna-
« tibns), subterribili et fortissimo sacramento, atque in eodem pacti fœ-
« dere per scriptam paginam aftirmavit , .se illico redditurum civitatem
a Ravennatium , cum aliis diversis civitalibus. » Anastase , ubi mprà
p. 1626. '
240 SOUVERAINETÉ TEMPORELLE DU PAPE.
quer, en effet, d'après le récit môme d' Anastase qui nous ap-
prend ces faits, que Pépin ne prétendit pas faire à l'Église et
à la république romaine une pure donation, mais leur faire
restituer ce qui leur avait été injustement enlevé par les Lom-
bards. Aussi le mot donation est-il employé indistinctement
avec celui de restitution, soit par Anastase, soit par les anciens
auteurs français qui ont écrit sur ce sujet , comme on le verra
bientôt.
A peine le roi de France eut-il quitté l'Italie, que le roi des
Lombards , au lieu d'exécuter ses promesses , recommença ses
hostilités contre les Romains, leur enleva plusieurs places, et
ravagea, de tous côtés, les environs de Rome, sans épargner
Rome assiégée même les églises(i). Dans cette nouvelle extrémité, le Pape
e «««veau ^j,^ ^ pepm plusieurs lettres très-pressantes , pour le conjurer
^ettS pVw.* de mettre enfin un terme aux calamités de la religion et des
tienne ïiT Peuples en Italie. Dans une de ces lettres, pour frapper davan-
i,eP'»- tage l'esprit des Français, et les exciter plus efficacement à le
secourir, il emploie un tour d'éloquence que la nouveauté des
circonstances pouvait sans doute inspirer à un pontife si zélé
pour le bien de la religion et pour le soulagement des peuples
confiés à ses soins. C'est au nom de saint Pierre, qu'il écrit au
roi et aux seigneurs français, mettant dans la bouche même du
prince des apôtres les plus touchantes sollicitations , pour ob-
tenir le secours que réclame la triste situation de l'Église et du
peuple romain. Nous rapporterons ici textuellement le début et
les principaux traits de cette lettre, si malignement interprétée
par quelques auteurs modernes. «Pierre, appelé à l'apostolat
« par Jésus-Christ Fils du Dieu vivant; et par moi, toute l'Église
«moderne, catholique et apostolique; à vous, très- excellents
«princes, Pépin, Charles et Carloman, rois; ainsi qu'aux évê»
«ques, abbés, ducs et comtes ; aux armées et au peuple fran-
« çais.... Moi, Pierre, apôtre de Dieu, à qui il a daigné singu-
« lièrement confier ses ouailles, et donner les clefs du ciel j je
« vous regarde, vous autres Français, comme mes enfants adop-
«tifs; et comptant sur l'amour que vous me portez, je vous
(1) Anastase, ibid. — Codex Carolinus, Epist. 7-10. (Cenni, t. i,
p. 78, etc. Labbe, Concil. t. vi, p. 1632, etc.) — Daniel, Hist. de France,
t. h, année 754. —Hist. de l'Église Gallicane, t. iv, année 754.
PREMIÈRE PARTIE. — CHAPITRE 1. 241
« exhorte et je vous conjure de délivrer ma ville de Rome, mon
«peuple, et la basilique où je repose selon la chair, des vio-
« lences que les Lombards y commettent. Car cette perfide nation
«opprime cruellement l'Église qui m'a été confiée. Mes chers
«enfants, persuadez-vous que je parais devant vous en per-
« sonne, pour vous en conjurer dans les termes les plus près-
«sants; parce qu'en effet, suivant la promesse de nôtre Ré-
« dempteur, c'est vous, peuple français, que nous considérons
« particulièrement entre toutes les nations.... La mère de Dieu ,
«toujours vierge, vous fait les mêmes instances que moi. Elle
«vous presse et vous commande, avec tous les chœurs des
« anges , tous les saints martyrs et confesseurs , d'avoir com-
« passion des maux de Rome. Défendez-la contre les Lombards,
« de peur que ces persécuteurs ne profanent mon corps qui a été
« immolé dans les tourments pour Jésus-Christ, et ne souillent
« l'église où il repose. Secourez au plus tôt mon peuple , afin que
«moi Pierre, appelé de Dieu à l'apostolat, je vous protège à
«mon tour au jour du jugement, et que je vous prépare des
« places dans le ciel.... On sait que parmi toutes les nations qui
« sont sous le ciel, c'est la nation française qui a montré le plus
« d'attachement pour moi Pierre, apôtre; c'est pour cela que je
« vous ai recommandé par mon vicaire, de délivrer l'Église que
« le Seigneur m'a confiée ; c'est moi qui vous ai secourus dans
« vos besoins, quand vous avez eu recours à moi; qui vous ai
«donné la victoire sur vos ennemis, et qui vous la donnerai
«encore dans la suite, si vous accourez au secours de ma
« ville (1). »
Pour peu qu'on se représente les fâcheuses extrémités aux- 38.
quelles le Pape et les Romains étaient réduits, à cette époque, LVa7e8dansdu
par la tyrannie des Lombards, on s'explique aisément la viva- ce*rJ^!^ •
cité du style de cette lettre , et cette fleure hardie par laquelle le sans raison
J * ° A ± par quelques
Pape met à la bouche même du prince des apôtres les exhorta- auteurs mo.
i . i-i dénies.
tions pressantes quil adresse aux Français, pour obtenir leur
secours. « Cette méthode de faire parler les morts , dit à ce sujet
« un historien célèbre, était familière aux anciens orateurs (2) ; »
(1) Cod. [Carol. Epist. 10 (aliàs 3). (Cenni, %ibï suprà, p. 98. — Labbe,
ubi suprà, p. 1639.)
(2) Gibbon, Hist. de la Décad. de l'Empire, t. ix, chap. 49, p. 306.
Après un pareil aveu, on est surpris de lire, au même endroit, que le Pape
16
242 SOUVERAINETÉ TEMPORELLE DU PAPE.
et jamais peut-être elle n'avait été employée dans une occasion
plus importante, puisqu'il ne s'agissait de rien moins que de la
délivrance du chef de l'Église, menacé par des ennemis achar-
nés à sa perte.
Conçoit-on, après cela, que des auteurs judicieux aient pu
voir dans cette lettre une supercherie ou une fiction indigne
de la gravité de celui qui l'a employée? A entendre Fleury , et
quelques auteurs qui l'ont suivi, la lettre que nous venons de
citer est pleine d'équivoques; et par un artifice sans exemple
dans toute V histoire de l'Église , les motifs de la religion y
sont employés pour une affaire oVÉtat{\)\ comme si la déli-
vrance du chef de l'Église, opprimé par Astolphe, et celle de
l'Église romaine, cruellement persécutée par les Lombards,
étaient une simple affaire d'État , et non une affaire du plus
haut intérêt pour la religion. « La défense de Rome, dit à ce
« sujet un auteur non suspect , était considérée comme une
« guerre religieuse, parce que les Lombards étaient les uns
« Ariens, les autres, attachés encore au paganisme ($).» Au reste,
ce n'est pas la seule occasion où Fleury, et après lui tant d'écri-
vains entraînés par son exemple ; faute d'avoir bien compris la
situation des papes du moyen âge, c'est-à-dire, leur double
caractère de pasteurs spirituels , et de chefs ou représentants
employa cette belle figure avec la grossièreté de V époque où il écrivait. On
ne voit pas sur quoi porte ce reproche de grossièreté, à l'occasion d'un tour
d'éloquence que l'auteur convient avoir été familier aux anciens ora-
teurs. Rien, en effet, de plus ordinaire aux orateurs, soit anciens, soit mo-
dernes, que le langage figuré qui personnifie les choses inanimées, et les morts
eux-mêmes , pour donner plus de force et de vivacité au discours. L'Écri-
ture sainte elle-même en offre une foule d'exemples. Voyez entre autres ,
Isaïe, xiv, 10; Jérém. xxxi, 15;Ézéchiel, xxxii, 21; Matth. n, 18.
(1) Fleury, Hist. Ecclés., t. ix, liv. xliii, n. 17. Ces réflexions de Fleury
ont été répétées par un certain nombre d'auteurs , entraînés sans doute par
son exemple. Voyez en particulier Muratori, Annales d'Italie, année 755. —
Lebeau, Hist. du Bas-Empire, t. vm, liv. 64, n. 28. — Annales du moyen
âge, t. vu, liv. xxiv, p. 58. — Michaud, Hist. des Croisades, t. iv,p. 462. —
De Héricourt , Lois Ecclésiastiques de France , ive partie, p. 185. — Dau-
nou, Essai hist. sur la Puissance temporelle des Papes, t. i, p. 33;
t. ii , p. 68 , etc. — Gaillard , Hist. de Charlemagne , 1. 1, p. 209. — Sis-
mondi , Hist. des Français, t. n , 2e partie, chap. 1, p. 194. Sur ce point ,
comme sur bien d'autres, YHist. de l Église de M. Receveur peut servii* de
correctif à celle de Fleury et des auteurs qui l'ont suivi. (Voyez en particu-
lier, t. iv, p. 89, etc. )
(2) Sismondi , Hist. des Républ. ltal.y 1. i, chap. 3, p. 122.
PREMIÈRE PARTIE. — CHAPITRE I. 243
de la république romaine , qui leur avait confié ses intérêts
temporels, ont attribué à une politique tout humaine des dé-
marches impérieusement exigées par l'intérêt commun de la
religion et de l'État (l).
Touché des instances du pontife, Pépin vola de nouveau à 39
1 ' r Seconde
son secours, en 755. Le seul bruit de sa marche obligea As- expédition de
tolpheà lever le siège de Rome, qui durait depuis trois mois, itai2T«w-
Arrivé en Italie, le roi de France poussa si vivement le siège au ^Tint-siège
de Pavie, qu'il réduisit encore Astolphe à lui demander la paix. ^Veplï!"
Pépin l'accorda , mais à des conditions plus dures que l'année
précédente; et pour punir Astolphe de sa perfidie, il ajouta la
ville et le territoire de Comachio aux autres villes et territoires
qu' Astolphe s'était déjà engagé, l'année précédente, à rendre au
saint-siége. Pour assurer l'exécution de ce traité , Pépin laissa
en Italie Fulrade, abbé de Saint-Denis, qui se rendit en per-
sonne dans toutes les villes cédées à l'Église romaine, et en re-
çut les clefs, qu'il vint ensuite déposer sur la confession de
saint Pierre, avec Y acte de la donation , que le roi des Lom-
bards lui -môme en faisait pour toujours au saint-siége : en sorte
que la possession des villes et territoires dont il s'agit, lui fut
alors assurée par deux actes de donation très-distincts, dont
l'un avait été dressé par Pépin , dans l'assemblée de Quierzy, en
754, et l'autre par Astolphe lui-même, à la réquisition de
Pépin, en 755 (2).
(l)Flenry, Ibid.,\iw. xlhi, n. 15, 17, 31 ; liv. xliv, n. 17 ';et alibi pas sim.
— Annales du moyen âge, Ibid-, p. 58, 72, etc. — M. Ferrand, un des écri-
vains de nos jours qui ont jugé avec plus de sévérité la conduite des papes du
moyen âge , cite fréquemment Fleury à l'appui de ses jugements, et regarde
son Hist. Ecclésiastique comme le meilleur guide à suivre, pour passer
entre les écueils que présente l'étude de l'histoire du moyen âge , relative-
ment à la puissance temporelle et spirituelle des papes. Ferrand, Esprit de
V Histoire, t. n, lettre 42, p. 429.
(2) « De quibus omnibus receptis civitatibus, donattonemin scriptis, à
« beato Petto et à sanctâ Romanâ Ecclesiâ, vel omnibus in perpetuum pontifi-
« cibus apostolicœ sedis, (Aislulphas) emisit possidendam, quœusque hac-
« tenus in archivo sanclœ Ecclesiœ recondita tenetur.. . . Prœnominatus
« autem Fulradus, venerabilis abbas, ipsas claves tam Ravennatium urbis,
« quàm diversarum civitatum ipsius Ravennatium exarchatûs, unà cum
« supra scriptâ donatione de eis à suo rege emissâ , in confessione
« beati Petii ponens, eidem apostolo et ejus vicario sanctissimo Papa?,
« atque omnibus ejus successoribus pontificibus, perenniter possidendas at-
16.
244 SOUVERAINETÉ TEMPORELLE DU PAPE.
Toutes les villes comprises dans cette dernière donation, et
dont Anastase fait rénumération , étaient au nombre de vingt-
« que disponendas tradidit. « Anastase, VitaStephanilI. (Labbe, Concil.
t. vi, p. 1627 et 1628.)
Fleury, le P. Daniel , le P. Longueval, avec la plupart des historiens mo-
dernes, supposent que' l'acte de donation dont il est ici question, et qui fut
déposé par Fulrade sur »la confession de saint Pierre, est l'acte même de la
donation de Pépin. Il paraît que c'est une méprise : le texte d' Anastase, que
nous venons de citer, dit assez clairement que l'acte dont il s'agit en cet
endroit fut dressé et signé par Astolphe, qui l'envoya à Rome pour être dé-
posé sur la confession de saint Pierre. Le texte d' Anastase suppose donc
que la possession des villes et territoires dont il est ici question fut alors as-
surée au saint-siége par deux actes de donation très-distincts, dont l'un
avait été; dressé par Pépin dans l'assemblée de Quierzy, en 754, comme on
l'a vu plus haut (page 237, etc.) ; et l'autre fut dressé par Astolphe , en 755 ,
à la réquisition de Pépin. Au reste, on ne peut douter que Pépin, qui ré-
duisit Astolphe à la nécessité de faire cet acte de donation, n'en ait lui-
même dicté ou déterminé en détail toutes les dispositions. Sous ce rapport,
\a]donation de Pépin se confond avec celle d' Astolphe ; et la seconde n'était
au fond qu'un renouvellement et une confirmation authentique de la pre-
mière.
Quelques auteurs modernes sont tombés dans une erreur beaucoup plus
grave, en élevant des doutes sur la réalité de la donation de Pépin, sous
prétexte que les dispositions qu'elle renferme ne sont mentionnées par aucun
auteur contemporain , et que l'acte lui-même ne nous est connu que par
Anastase le Bibliothécaire , dont l'ouvrage parut environ un siècle plus tard
(Voltaire , Annales de l'Empire ; Essai sur les Mœurs , et alibi passim.
— Daunou, Essai hist., 1. 1, p. 34, etc.) Les auteurs qui ont proposé cette
difficulté ignoraient sans doute que la donation de Pépin , telle que la
rapporte Anastase, est connue par des manuscrits plus anciens que lui, du
moins au jugement de plusieurs critiquas habiles, qui les ont eus sous les
yeux, et qui en citent des fragments. (Juste Fontanini , Defens. i« Dominii
temp. S. Sedis in Comachium , italicè scripta. Romœ, 1709, in-4°, p. 242
et 346. — Bianchini, Proleg. ad Anastas. de Vit is Pontifie, t. n, p. 55.)
Mais , en supposant même qu'Anastase soit le plus ancien auteur qui ait
parlé de cette donation , avec quelle apparence de raison voudrait-on ré-
cuser son témoignage sur un fait de cette nature, et à l'appui duquel il
cite avec confiance les actes qui se conservaient , de son temps, dans
les archives de V Église romaine ? ( Outre le passage d'Anastase que nous
avons cité au commencement de cette note, voyez encore celui que nous
avons indiqué plus haut, d'après la Vie d'Adrien Ier, ci-dessus, p. 238,
note l.)Il est certain d'ailleurs que ce fait est clairement supposé et con-
firmé par plusieurs actes postérieurs , spécialement par un grand nombre
de lettres d'Etienne II et de ses successeurs à Pépin et à Charlemagne. Cod.
Carol. Epist. 7, 8, 9, 15, 40, 42, 97 (aliàs4, 6, 9, 19, 26, 36, 85). (Cenni,
Monument. Domin. Pontifie, t. i, p. 81, 85, 91, 144, 228, 239, 521, etc.)
Aussi l'authenticité de la donation de Pépin est- elle généralement reconnue,
même par les auteurs les moins favorables au saint-siége ; voyez en particu-
lier Gibbon , Hist. de la Décad- de l'Empire, t. ix,chap. 49, p. 315.
— Hegcwisch, Hist. de Charlemagne, p. 128. — Guizot, Hist. de la Civilis.
en France, 27e leçon, p. 31G.
PREMIÈRE PARTIE. — CHAPITRE I. 245
deux; elles formaient la plus grande partie de l'exarchat de Ra-
venne, avec une partie delaPcntapole, ou de l'ancien Picénum.
La plupart étaient situées le long des côtes de la mer Adria-
tique, ou à peu de distance de ces côtes, dans un espace
d'environ quarante lieues, du nord-ouest au sud-est. Ainsi, tout
le pays compris dans la donation dont il s'agit, était borné, au
nord et au couchant, par le Pô et le Tanaro; au midi, par les
Apennins; et à l'orient, par la mer Adriatique. Cette donation
comprenait aussi la ville de Narni, dans l'Ombrie, qui dépen-
dait du duché de Rome, et dont les Lombards de Spolette
s'étaient emparés (1).
Ce qu'il y a de plus remarquable dans la donation de Pépin , 4o.
comme dans celle d'Astolphe, qui en fut la conséquence et la J^J1™*^
confirmation authentique, c'est que les deux monarques, en f '.endent iîas
-*• * x x * iaire au saml-
assuranl; au saint-siége les villes et territoires dont nous venons siésc ,me
,.•-.. . pure donation ,
de parler, ne prétendaient pas lui faire une pure donation , «nais une
..... 7 . / î-w-T-, restitution.
mais une restitution des provinces usurpées par les Lombards
sur r Église et la république romaine. C'est à ce titre que le
Pape et le roi de France réclamèrent constamment ces provin-
ces , et que le roi des Lombards lui-même les rendit au saint-
siège, comme il résulte du récit uniforme des plus anciens au-
teurs, soit français, soit étrangers (2). Il était en effet bien
(1) Sur ces détails géographiques, voyez ci-dessus, la note 1 de la p. 205;
voyez aussi Lecointe, Annales Ecoles. , t. v, anno 755, § 17, etc. — Anna-
les du moyen âge, tom. vu, p. 67, etc. — D. Lieble, Mémoire sur les limites
de V Empire de Charlemagne. Paris, 1764, in-12, p. 42, elc.
(2) Voyez les divers passages d'Anastase que nous avons cités plus haut
(p. 235, 237, 239).
Le langage d'Éginhard, dans ses Annales, est tout à fait conforme, sur ce
point ,'• à celui d'Anastase. «Pippinus, dit-il , invitante Romano Pontifice,
«propter ereptd Romance Ecclesiœ per regem Longobardorum dominia,
« Italiam manu valida ingreditur. » Et un peu plus bas : « Haistolphus
« Longobardorum rex , quanquam anno superiore obsides dedisset, et ad
« reddendum ea quœ Romance Ecclesiœ abslulerat , tàm se quàm opti-
«■ mates suos jurejurando obstrinxisset , etc. » Enfin, il ajoute que Pépin
s' étant fait rendre par Astolphe la ville de Ravenne, la Pentapole et tout
l'Exarchat, les livra lui-même à saint Pierre: « Redditamque sibi Ra-
« vennam, et Pentapolim , et omnem Exarchatum ad Ravennam pertinen-
ce tem, ad sanctum Petrum tradidit. » Eginhard, Annales, ann. 755 et 756.
(T. 11 du Recueil de Duchesne, p. 235, etc.)
Tous ces passages sont cités, à l'appui de notre sentiment, par le P. Tho-
massin, ubi suprà, chap. 29, n. 6, etc. — Orsi, Del Dominio , etc. , cap. Q,
vers la fin. — De Maistre, Du Pape, liv. 11, chap. 6. p. 254.
Réclamations
acte.
246 SOUVERAINETÉ TEMPORELLE DU PAPE.
naturel de regarder comme appartenant à l'Église et à la ré-
publique romaine, des provinces abandonnées depuis long-
temps de leurs anciens maîtres, et qui, dans l'extrémité où elles
étaient réduites , s'étaient librement placées sous la protection
du saint- siège (1).
Ce n'est pas que l'empereur de Constantinople ne prétendît
inutnës""" conserver ses droits sur les provinces usurpées par les Lom-
econtnreeCeetUr bards. Il envoya même des ambassadeurs à Pépin, en 755, pour
le presser de restituer à l'empire l'exarchat de Ravenne, avec
les villes et territoires qui en dépendaient (2). Mais Pépin rejeta
(1) Quelques écrivains modernes, faute d'avoir remarqué ou bien compris
en quel sens la donation de Pépin pouvait être considérée comme une res-
titution faite à l'Église romaine, ont proposé différentes explications du
mot de restitution employé, en cette occasion, par les anciens auteurs.
Le P. Longueval soupçonne que ces auteurs font allusion à la prétendue
donation de Constantin, qu'ils croyaient authentique. (Hist. de l'Église
Gallicane, tom. îv, année 754, pag. 376.) Cette conjecture suppose que l'acte
de la donation de Constantin, tel qu'on le lit aujourd'hui dans la collection
des conciles, existait dès le temps de Pépin; supposition gratuite, invrai-
semblable, et généralement abandonnée des savants, comme nous l'avons
montré ailleurs. (Voyez le n. 1 des Pièces justificatives, à la tin de ce volume.)
Le P. Alexandre, Cenni, et quelques autres, persuadés que cet acte ne parut
qu'au ix.e siècle, et par conséquent depuis les donations de Pépin et de
Charlemagne au saint-siége, sont fort embarrassés pour expliquer le mot de
restitution, que les anciens auteurs donnent à ces donations. Ils croient
pouvoir expliquer ce mot en disant, 1° qu'il ne s'applique point à toutes les
villes et provinces données au saint-siége par Pépin et Charlemagne, mais
seulement aux patrimoines du saint-siége, dont les Lombards s'étaient em-
parés ; 2° que les anciens auteurs ont pu considérer comme une restitution
faite au saint-siége, toutes les villes et provinces qui lui furent données
par nos rois , depuis la première donation que Pépin lui en avait taite dans
l'assemblée de Quierzy, en 754, avant sa première expédition en Italie. (Natal.
Alex. Dissert. 25 in Hist. sœculi iv, art. 1, prop. 6, obj. 3. —Cenni,
Monumenta Dominationis Ponlif., tom. i, pag. 76, note 5.)
Mais ces explications sont inconciliables avec le langage des anciens au-
teurs ; car, 1° il est certain qu'ils se servent du mot de restitution, non-seu-
lement en parlant des patrimoines du saint-siége, dont les Lombards s'é-
taient emparés, mais généralement en parlant de toutes les villes et territoires
donnés au saint-siége par nos rois ; 2° il est également certain qu'avant l'as-
semblée de Quierzy, tenue en 754, et par conséquent avant que Pépin eût rien
donné au saint-siége, Anastase représente la ville de Havenne et plusieurs
autres , dont les Lombards s'étaient emparés , comme appartenant à l'Église
et à la république romaine, et à ce titre devant être restituées au saint-
siége. On peut voir, à l'appui de ces assertions, les témoignages d' Anastase,
que nous avons cités plus haut (pag. 235, 237 et 239.)
(2) Anastase, Vita Stephani II, p. 1627. — Fleury, Hist. Ecclés., t. ix,
liv. xLiii, n. 18. — Annales du moyen âget t. vu, liv. xxiv, p. 64
PREMIERE PARTIE. — CHAPITRE I. 247
bien loin cette proposition , et déclara qu'il ne souffrirait jamais
que cette province fût enlevée à l'Église romaine. 11 ajouta
même avec serment, qu'il n'avait entrepris son expédition en
Italie par aucune considération humaine, mais uniquement
pour l'amour de saint Pierre , et pour obtenir le pardon de ses
péchés. Ce langage de Pépin n'était pas moins conforme aux
principes de l'équité , qu'aux sentiments d'une véritable piété.
Convenait-il en effet que ce prince entreprît une pareille expé-
dition pour l'intérêt de l'empereur, évidemment incapable de
défendre ses anciennes possessions en Italie, et qui, depuis si
longtemps, se montrait plutôt l'ennemi déclaré que le maître
de ces provinces? Çonvenait-il de rendre à un tel maître une
conquête si importante? Et pour ne pas la rendre inutile, n'é-
tait-il pas naturel de la céder à celui que l'intérêt et le vœu des
peuples conquis appelaient évidemment à les gouverner ; à celui
qui avait déjà, en quelque façon, acquis ces provinces, parle
libre choix des peuples abandonnés de leur légitime souverain,
et par la généreuse protection qu'il leur avait tant de fois don-
née, dans les circonstances les plus difficiles?
Un tel concours de circonstances autorisait de plus en plus le 4*.
pape Etienne II et ses successeurs, à se regarder comme les vé- depJs^eYte
ritables souverains de Rome et de l'exarchat. Aussi les papes, épT3er'dee re"
depuis cette époque, se conduisirent-ils en effet comme sou- co^"^ns^'
verains de ces provinces, et se crurent-ils définitivement af- 1(ome et de
i/ -t 11 > i i l'exarchat.
franchis de toute dépendance à regard des empereurs de
Constantinople (1). Le pape Etienne II, dans plusieurs lettres
écrites à Pépin, depuis l'an 754, réclame toujours sa protection,
au nom de la république et du peuple romain , dont il parle
comme de son peuple et de ses sujets , sans faire aucune men-
tion de l'empereur (2). Dans une autre lettre, il parle d'une
Cenni, Monumenta Dominationis Pontificiœ, 1. 1, p. 64.— De Maistre, Du
Pape, liv. 11, chap. G. p. 255.
(1) Alamanni, De Lateranensibus Parietinis, cap. H. — Orsi, Délia ori-
gine delDominio, etc., cap. 8. — Cenni, Monumenta Domin. Pontif.,
t. 1, p. 12, 67, 68, et alibi passim. — Vagi , Crilica in Annales Baronii,
anno 755, n. 6 ; anno 796, n. 1 1, etc. — Nat. Alex. Dissert. 25 in Hist. Eccl.
sœculi îv, art. 1, prop. 5 et 6. — Tiiomassin, Ancienne et nouv . Discipline
t. m, liv. 1, chap. 27, n. 8; chap. 29, n. 1, etc.
(2) Voyez les lettres du pape Etienne II, que nous avons citées en note,
p. 240 et 241.
248
SOUVERAINETE TEMPORELLE DU PAPE.
alliance qu'il vient de contracter avec Didier, roi des Lombards;
des restitutions que ce prince a promis de faire, non à l'em-
pereur, mais à saint Pierre, à V Église, et à la république
romaine; enfin, de la paix qu'il a promis d'observer avec le
peuple ou les sujets du Pape(l). Paul 1er, successeur d'É-
tiennell, suppose plus clairement encore, dans plusieurs de
ses lettres à Pépin, la souveraineté temporelle et indépendante
du saint-siége, dans le ducbé de Rome et dans l'exarchat (2).
Non-seulement, il parle de plusieurs villes de ces provinces,
comme lui appartenant, et comme étant soumises à sa domi-
nation (3) ; mais il se plaint hautement du dessein formé par
l'empereur, de recouvrer le duché de Rome et l'exarchat , avec
le secours de Didier, roi des Lombards; il conjure Pépin de
s'opposer, de tout son pouvoir, à l'exécution de ce projet; et à
cette occasion, il parle de l'empereur, non comme de son sou-
verain , mais comme d'un ennemi déclaré de l'Église et de la
république romaine. « Nous avons appris, dit le Pape au roi de
France, que les Grecs, ces ennemis jurés de l'Église de
Dieu , ces cruels persécuteurs de la foi orthodoxe , méditent
une expédition contre nous, et contre l'exarchat de Ravenne.
C'est pourquoi, comme après Dieu et saint Pierre, nous avons
remis toutes nos espérances en votre protection, nous avons
recours à vous, très- excellent fils : procurez, pour l'amour de
Dieu et de saint Pierre, le salut d'une province que vous avez
délivrée par vos armes. Nous l'espérons d'autant plus, que
Votre Excellence est pleinement convaincue que les Grecs ne
nous persécutent qu'en haine de la foi orthodoxe et de la tra-
dition des saints Pères, qu'ils s'efforcent de détruire (4). »
(1) « Longobardorum rex Desiderius , vir mitissimus , in praesentià ipsius
Fulradi, sub juramento pollicitus est restituendum B. Petro civitaies re-
liguas, Faventiam, Imolam et Ferrariam cum eorum finibus Etpost-
modum, per Garinodum ducem et Grimoaldum, nobis reddendum spo-
pondit civitatem Bononiam cum finibus ejus, et inpacis quiète cum
eâdem Dei Eeclesiâ et nostro populo semper mansurum prof essus est.»
Cod. Carol. Epist. 1 1 (alias 8). (Cenni , Monumenta , 1. 1, p. 109 et 110. —
Labbe, Concil. t. yi, p. 1642.)
(2) Cenni, Monumenta Dom. Pontif., t. i, p. 12, 67, 68, 122, 131, etc.
(3) Nostras civitates Nostram Seno-Galliam (in Pentapoli)
Nostrum Castrum Valentis (in Campaniâ). Cod. Carol. Epist. 38, 39,
40 (aliàs, 14, 24 et 26.) (Cenni, ibid., p. 218, etc.)
(4) Cod. Carol. Epist. 25 (aliàs 34). Voyez aussi Epist. 18 (aliàs 15).
r-REMIÈRE I»ÀRTIE. — CHAPITRE I. 249
Le sénat et le peuple romain, et le roi de France lui-même, 43.
étaient manifestement alors clans la même persuasion, relative- au^JSêHL
ment à la souveraineté temporelle du Pape dans les provinces *£*££*
dont il s'agit. Une lettre du sénat et du peuple romain, écrite à p,e romain,
° * * • et par le roi de
Pépin au commencement du pontificat de Paul 1er, nous ap- France.
prend que le roi de France, en qualité de défenseur de V Église,
leur avait écrit « pour les avertir de demeurer fermes dans la
« fidélité qu'ils devaient à saint Pierre, à la sainte Église, et au
(Cenni, ubi supra, p. 153 et 175. — Labbe, Conciliorum t. vi, p. 1676
et 1684. — Hist. de VÉglise Gallicane, t. iv, p. 421.)
Fleury, dans son Histoire Ecclésiastique (t. ix, liv. xliii, n. 31), blâme
hautement la conduite et le langage du pape Paul Ier à l'égard de l'em-
pereur de Conslantinople. Il reproche à ce pontife , comme à son prédé-
cesseur Etienne II, de confondre toujours le temporel avec le spirituel;
d'avoir fait plus de difficulté d'obéir aux Lombards, que les anciens
papes n'avaient fait d'obéir aux Hérules et aux Goths ariens , etc.
Rien n'est plus mal fondé que ces reproches. Nous avons déjà remarqué, et
il est d'ailleurs assez clair, que la délivrance du chef de l'Église et de son
peuple, opprimés parles Lombards, n'était point une affaire purement
temporelle, mais une affaire du plus haut intérêt pour la religion. (Ci-dessus,
p. 242.) Quant à l'obéissance du Pape aux Lombards , on ne voit pas à quel
titre ceux-ci eussent pu l'exiger, puisqu'ils ne furent jamais en possession de
Rome, et que leurs conquêtes en Italie, principalement dans le duché de
Rome et dans l'exarchat, étaient au fond des actes de violence et d'usurpa-
tion. Fleury surtout est d'autant moins fondé à reprocher aux papes du
vme siècle, d'avoir fait difficulté d'obéir aux Lombards , qu'il regarde l'em-
pereur de Constantinople comme étant encore, à cette époque, le vrai
souverain de Rome. ( Fleury, ubi supra. ) Au reste, il est à remarquer que
l'opinion de Fleury, sur ce dernier point, est en opposition manifeste avec les
monuments qu'il invoque. Pour prouver que le sénat et le peuple romain con-
tinuaient alors de regarder V empereur de Constantinople comme le vrai
souverain de Rome, il se fonde sur deux raisons : la première, que les let-
tres du pape Paul 1^, aussi bien que des autres, sont datées du règne
de V empereur de Constantinople ; la seconde, que le sénat et le peuple ro-
main, écrivant à Pépin , ne nomment pas le Pape leur seigneur, mais leur
pasteur et leur père spirituel. Outre que ces deux raisons ne sont pas, par
elles-mêmes, fort concluantes, elles sont uniquement fondées sur de fausses
suppositions; car, 1° la plupart des lettres du pape Paul 1er ne sont point da-
tées du règne de l'empereur de Constantinople; deux seulement, dans la
collection des Conciles (t. vi, p. 1G89 ) , portent cette date; encore est-elle
jointe, dans une des deux, à la date du règne de Pépin. (Voyez le recueil des
lettres du Pape Paul Ie'-, dans la collection des Conciles du P. Labbe, et dans
l'ouvrage de Cenni , Monumenta, 1. 1.) 2° Le sénat et le peuple romain, dans
leur lettre à Pépin, que nous citerons un peu plus bas, n'appellent pas seu-
lement le Pape leur pasteur et leur père , mais ils l'appellent aussi leur
seigneur. {Cod Carol. Epistol. 1 5 ; aliàs 36, apud Cenni , ibid., p. 143.)
Nous examinerons de plus près, dans le chapitre suivant, la question de la
souveraineté de Rome à cette époque.
250 SOUVERAINETÉ TEMPORELLE DU PAPE.
«souverain pontife Paul, leur seigneur.» Ils ajoutent que,
pour répondre à cette sage invitation, «ils demeureront con-
stamment fidèles à la sainte Église et à leur seigneur Paul,
souverain pontife et Pape universel, parce qu'ils le regardent
comme leur père et leur excellent pasteur, qui ne cesse de
travailler avec zèle pour leur salut, comme le pape Etienne,
son frère, de sainte mémoire, les protégeant et les gouvernant
comme un troupeau de brebis raisonnables , que Dieu lui a
confiées (1). » Ce langage du sénat et du peuple romain suppose
clairement que, d'après leur persuasion , l'empereur de Con-
stantinople n'était plus alors souverain de Rome et de l'exarchat,
et que ses droits, à cet égard, étaient passés entre les mains du
Pape.
44. Les lettres d'Adrien Ier fournissent un plus grand nombre
°nPape l encore de semblables témoignages (2). Il parle constamment de
conTéquence" la ville et du duché de Rome, des villes et territoires de l'exar-
nwsSoii. cnat> comme de lieux soumis à sa domination. Il parle des ha-
bitants de ces provinces comme de ses sujets (3); et il emploie,
pour exprimer cette domination temporelle, les mêmes expres-
sions dont il se sert , pour exprimer celle du roi de France sur
les pays et sur les peuples soumis à son autorité (4). Bien plus ,
il ne fait pas difficulté d'implorer le secours de Charlemagne
contre l'empereur de Constantinople , qui avait formé une al-
liance avec quelques villes d'Italie, pour s'emparer de Rome.
(1) « Prœcellentia vestra, disent le sénat et le peuple, parlant à Pépin, nos
« admonere studuit, firmosnos ac fidèles debere permanere erga B. Petrum,
« principem apostolorum , et sanctam Dei Ecclesiam , et circa beatissimum
(c et spirilalem patrem vestrum , à Deo decretum Dominum nostrum Pau-
« fem , summum Pontificem et universalem Papam Nos quidein, prse-
« cellentissime regum, firmi ac fidèles servi sanctse Dei Ecclesia3, et prsefati
« Patris vestri, Domini nostri, Pauli summi Pontifias, et universalis Pa-
« pae consistimus, quia ipse noster est pater et optimus pastor, etc. » Cod.
Carol. Epist. 15 (aliàs 36). (Cenni, ibid., p. 143.)
(2) Cenni , ubi suprà, p. 293.
(3) Hanc nostram Romanam civitatem. . . . Nostros Romanos. . . .
Civilas nostra Castelli Felicitatis (in Tusciâ ) Civitas nostra
Cenlumcellensis (in ducatu Romano. ). . Territoria nostra. . . Nostros
homines, etc. Cod. Carol. Epist. 55, 57, 63, 83, 97 (aliàs, 40, 59, 65, 84,
85).
(4) Vestros fines, . . . V estr as partes , . .. Nostras vestrasque fines, . ..
Vestros homines,... Nostros hommes, etc. Ibid., Epist. 84 et 97 (aliàs
85 et 91).
PREMIÈRE PARTIE. — CHAPITRE I. 251
« Les ducs de Spolette , de Bénévent , de Frioul et de Clusium ,
«dit le Pape au roi de France (1), ont formé contre nous le
« pernicieux dessein de se réunir prochainement aux Grecs et
« à Adalgise, fils de Didier, pour nous combattre par terre et
« par mer, s'emparer de notre ville de Rome (2) , piller les
«églises de Dieu, enlever les riches ornements de l'autel de
« saint Pierre , nous emmener nous-même en captivité ( ce
« qu'à Dieu ne plaise ! ) et rétablir malgré vous le royaume des
« Lombards. Je vous conjure donc , très-excellent roi et tres-
se cher fils , en présence du Dieu vivant et véritable , et du bien-
« heureux Pierre, prince des apôtres, de venir sans délai, et le
« plus promptement possible, à notre secours; parce que c'est à
« vous après Dieu, et par l'ordre de Dieu et de saint Pierre,
« que nous avons remis la défense de la sainte Église, de notre
«peuple romain, et de la république romaine (3). Venez donc
« promptement au séjour du prince des apôtres, de saint Pierre,
« votre protecteur, afin de réduire, par votre puissance royale,
« tous les ennemis de l'Église de Dieu, c'est-à-dire, vos ennemis
« et les nôtres, et de maintenir l'offrande que vous avez faite,
« de vos propres mains, à ce saint apôtre , pour le salut de votre
« âme. » On voit, par ces dernières expressions, et par quelques
autres de la même lettre , qu'elle est postérieure à la destruction
du royaume des Lombards, et à la donation que Charlemagne
fit alors au saint-siége, pour étendre et confirmer celle de
Pépin.
En effet, Charlemagne ne se borna pas à reconnaître et à f45.
respecter la souveraineté du Pape en Italie ; il l'étendit et la ^ïï^1."
consolida encore par ses victoires sur les Lombards , et par l'en- r.elIe îu
x > r saint-siege
tière destruction de leur monarchie, en 773. Leur opiniâtreté «tendue
,,..■; , et consolidée
à persécuter le saint-siege et à braver les armes des Français, ^ f
fut la véritable cause de cette nouvelle révolution , qui ne fut
pas moins avantageuse au roi de France qu'au saint-siége dont
il prenait si généreusement la défense. Nous rappellerons ici, en
(1) Cod. Carol. Epist. 57 (aliàs 59). (Cenni, ibid., p. 344, etc.)
(2) «Cupientes hanc nostram Romanam invadere civitatem. » Ibid.
(3)« Quoniam tuae dulcissimae Sublimitati, per Dei prseceptionem et B.
« Pétri , sanctam Dei Ecclesiam , et nostrum Jtiomanorum reipublicœ po-
« pulum, commisimus protegendum » Ibid.
Charlemagne.
252 SOUVERAINETÉ TEMPORELLE DU TAPE.
peu de mots, les principales circonstances de cet événement,
qui est tout à la fois un des plus importants du règne de Char-
lemagne , et un de ceux qui contribuèrent davantage à conso-
lider la souveraineté temporelle du saint-siége (1).
Adrien 1er, pressé plus vivement que jamais par Didier, roi
des Lombards, en 772, implora le secours du roi de France,
dont il connaissait le dévouement aux intérêts de la religion
et du souverain pontife. Charlemagne ayant inutilement em-
ployé, auprès de Didier, la voie des négociations, pour l'obli-
ger à satisfaire le Pape, passa les Alpes en 773, et l'assiégea
dans Pavie, où il s'était renfermé. Après six mois de siège,
Didier fut obligé de se rendre, et envoyé en France, dans le
monastère de Corbie, où il termina saintement ses jours. Ainsi
finit le royaume des Lombards , après avoir duré plus de deux
cents ans; et Charlemagne ajouta, depuis ce temps, au titre de
roi des Français , celui de roi des Lombards.
Pendant le siège de Pavie, ce grand prince s'étant rendu à
Rome , donna au Pape les marques les plus touchantes de res-
pect et de dévouement. Non content de confirmer la donation
de Pépin, il fit dresser, par son chapelain Etherius , l'acte d'une
donation beaucoup plus ample, par laquelle il assurait pour
toujours à l'Église romaine, l'exarchat de Ravenne, l'île de
Corse, les provinces de Parme, de Mantoue, de Venise et d'Is-
trie , avec les duchés de Spolette et de Bénévent (2). Le roi signa
de sa propre main cette donation , et la fit signer aussi par les
évèques, abbés, ducs et comtes qui l'accompagnaient; après
quoi, il la mit sur l'autel de saint Pierre, et fit serment, avec
tous les seigneurs français, de conserver au saint-siége tous les
États qui lui étaient donnés par cet acte.
Éciairdsse- ^ semble étonnant, au premier abord, que Charlemagne y
(1) Anastase, Vita Adriani. (Labbe, Concil. t. vi, p. 1725, etc.)
— Fleury, Hist. Ecclés.,i. ix, liv. xliv, n. 4, etc. — Hist. de V Église
Gallic, t. iv, année 772, etc. — Lebeau, Hist. du Bas-Empire , t. xiv,
liv. lxv, n. 21 , etc.; liv. lxvi , n. 4i), etc. — Annales du moyen âge, t. vu,
liv. xxiv, année 774. — Daniel , Hist. de France , t. n, année 772, etc.
(2) Anastase, ubi suprà,\>. 1738. Sur l'étendue des possessions du saint-
siége, à cette époque , par suite des libéralités de Pépin et de Charlemagne ,
voyez le Mémoire déjà cité de D. Lièble , sur les limites de l'empire de
Charlemagne, p. 42-46.
ce sujet.
PREMIERE PARTIE. — CHAPITRE I. 253
ait fait entrer l'île de Corse, le duché de Bénévent, et quelques mcnt de
.. , i'ii« quelques dif-
autres Tilles et territoires, sur lesquels il n avait encore aucun ficuiiéssur
droit de conquête ni de souveraineté (l). C'est ce qui a donné
lieu à quelques auteurs de révoquer en doute la donation de
Charlemagne, du moins quant à ces provinces (2). On conçoit
cependant qu'elles ont pu entrer dans l'acte dont il s'agit, en
supposant qu'elles fussent du nombre de celles qui , depuis le
pontificat de Grégoire II , s'étaient données au saint-siége , pour
obtenir sa protection , dans l'état d'abandon où elles se trou-
vaient (3). Or, il y a tout lieu de croire que telle était la situation
des villes et territoires mentionnés dans la donation de Char-
lemagne , et sur lesquels il n'avait alors aucun droit de con-
quête ni de souveraineté. Il est certain, en effet, que, depuis le
pontificat de Grégoire II, plusieurs villes et territoires d'Italie
se donnèrent successivement au saint-siége, pour obtenir sa
protection contre les Lombards. C'est ce que firent en particu-
lier les habitants de Spolette et de Riéti, sous le pontificat
d'Adrien 1er, quelque temps avant la destruction du royaume des
Lombards, peut-être même beaucoup plus anciennement (4) . On
(1) Il ne paraît pas que Charlemagne eût alors aucun droit sur l'île de
Corse; et il ne se rendit maître du duché de Bénévent que huit ou dix ans
après la destruction du royaume des Lombards. Voyez Daniel, Histoire
de France , t. n , année 774 , p. 31 ; année 788 , p. 61 , etc. — Cod. Carol.
Epist. 91 (aliàs 88). (Cenni, Monumenta , t. i, p. 486; t. n, p. 3, 60, 100.)
(2) Lebeau, Hist. du Bas-Empire , t. xiv, liv. lxv, n. 24. — Annales
du moyen âge, t. vu, liv. xxiv, p. 199. — Hegewisch, Hist. de Charle-
magne, p. 142. — Daunou, Essai histor., t. i,p.38. — Daniel, Hist.
de France , t. n, année 774.
(3) Voyez les détails que nous avons donnés sur ce sujet , ci-dessus , pag.
217, 219, 232, etc.
(4) « Spoletini et Reatini,. .. antequam Desiderius, seu Longobardorum ejus
« exercitus, ad Clusas pergerent, ad beatum Petrum confugium facien-
« tes , prœdicto sanctissimo Hadriano Papœ se tradiderunt, et in fide
« ipsius principis aposlolorum, atque prœdicti sanctissimi Pontïficïs ju-
« rantes, more Romanum tonsurati sunt (incisis nempe capillis et bar-
« bâ, in subjectionis signum)... Et confestim ipse ter beatissimus bonus
« pastor etpater, cum omnibus exultans, constituil eis ducem quem ipsipro-
«. pria voluntate sibi elegerunt , scilicet Hildeprandum nobilissimum, qui
« priùs cum reliquis ad apostolicam sedem refugium fecerat. » Anastase le
Biblioth., VitaAdriani I. (Labbe, ibid., p. 1735.)— Fleury, Hist. Ecclés.,
t. ix, liv. xuv,n. 4.
Pour l'intelligence de ce passage, il faut remarquer que la coutume des
Lombards était alors de se raser les cheveux derrière la tête, et de laisser
croître ceux de devant, aussi bien que leur barbe. Dans les alliances
254 SOUVERAINETÉ TEMPORELLE J)U PAPE.5'
peut conjecturer la même chose, avec beaucoup de vraisem-
blance, de l'île de Corse et de quelques autres villes et provinces
mentionnées par Anastase , d'après l'acte même de la donation
de Charlemagne, qu'il avaitsousles yeux(l). Cette conjecture
semble confirmée , et même solidement établie , par le langage
uniforme des anciens auteurs, soit français, soit étrangers, qui
parlent de la donation de Charlemagne , aussi bien que de celle
de Pépin, comme d'une restitution faite au saint- siège des
'provinces usurpées par les Lombards. C'est ainsi qu'en parle,
non-seulement l'historien des Papes, mais Éginhard lui-même ,
si zélé pour la gloire de Charlemagne et de Pépin, et si éloigné
par conséquent de rabaisser le mérite des donations faites au
saint-siége par ces deux grands princes (2). Le Pape Adrien 1er
qu'ils contractaient avec les Romains , ou les Grecs, ils adoptèrent l'usage
de ces peuples qui portaient les cheveux et la barbe beaucoup plus courts;
et ils regardaient cette réforme comme une marque de soumission et de
dépendance à l'égard de leurs nouveaux maîtres ou alliés. On trouve, à ce
sujet, dans les Lettres d'Adrien Fr à Charlemagne {Cod. Carol. Epist. 91,
aliàs 88; apud Cenni, i, p. 488), un exemple tout à fait semblable à celui
dont parle ici Anastase. Quelques autres faits prouvent qu'à cette époque, il
y avait , parmi les Francs et les Lombards, une sorte de [tonsure, regardée
comme un signe d'alliance ou d'adoption , par, lequel celui à qui l'on coupait
les cheveux reconnaissait l'autorité de celui qui les lui avait coupés. Voyez,
à ce sujet, Canciani, Barbarorum Leges antiquœ, t. v, p. 369, etc. — Mu-
raton, Antiquit. liai, t., h, Dissert. 23, p. 298-301. — Ducange, Glossarium
injimœ Lalinit., verbo Tonsura. — Mabillon, Prœf.in 3m sœc. Bened. ,
§ï, n. 17. — Thomassin, Ancienne et nouvelle Discipline, t. m, liv. i,
ch. 29, n. 9. — Leheau, Hist. du Bas-Empire, t. xiv, liv. lxxvi, n. 19.
Une lettre du pape Etienne II à Pépin, en 756, paraît supposer que les
duchés de Spolette et de Bénévent, soumis jusqu'alors aux rois des Lom-
bards, manifestèrent dès lors l'intention de se mettre, par l'entremise du
Pape , sous la protection du roi de France , mais que les circonstances ne
leur permirent pas d'exécuter ce projet , ou du moins que l'exécution
eut alors peu de suite. Ce qu'il y a de certain, c'est qu'on trouve encore ces
duchés soumis au roi des Lombards, sous le pontificat de Paul Ier, en 761.
Voyez, à ce sujet, Cod. Carol. Epist. 11, 18 et 25 (aliàs 8, 15 et 34).
(Cenni, Monumcnta, t. i, p. 110, 154, 176, 297, 298 et 342.)
(1) Thomassin, Ancienne et tiouv. Discipline, t. m, liv. i, chap. 29,
n. 8 et suiv. — De Maistre, Du Pape, liv. n, chap. 6, pag. 254.
(2) Charlemagne et ses envoyés , réclamant auprès de Didier les villes et
les provinces qu'il avait enlevées au saint-siége , ou différé de lui rendre ,
les réclament constamment comme une restitution due au Pape et aux
Romains. Voici les propres expressions d'Anastase, souvent répétées dans
cet article de la Vie d'Adrien Ier : « Ipsi Francorum missi, properantes cum
« apostolicae sedis missis, declinaverunt ad Desiderium ; qui et constanter
« eum deprecantes adhoi tati sunt, sicut illis à suo rege praeceptum extitit,
«ut antefatas, quas abstulerat civitates, pacificè beato Petro redderet,
PREMIÈRE PARTIE. — CHAPITRE I. 255
s'exprime de même, dans une lettre qu'il écrivit, quelques
années après, à l'empereur Constantin et à l'impératrice Irène,
pour les engager, par l'exemple de Charlemagne , à restituer au
saint-siège ses patrimoines situés en Grèce et en Orient (1).
et justitias parti Eomanorum faceret; sed minime quidquam horum
ajnid eum obtinere valuerunt , asserentem se minime quidquam reddi-
turum. . . . Sed dum in tantâ duritiâ protervus ipse permaneret rex De-
siderius , cupiens antedictus christianissimus Francorum rex pacilicè
justitias beati Pétri recipere, direxit eidem Longobardorum régi, ut
« solummodo très obsides Longobardorum judicum filios illi tradidisset,
pro istis restituendis civitalibus, etc. » Anastase , ibid., p. 1734 et
1735.
Éginhard emploie de semblables expressions dans la Fée de Charlemagne :
«Finis belli, dit -il, fuit subacta ltalia, et res à Longobardorum rege
«ereptœ, Adriano Romanse ecclesiee Rectori restitutœ. » (Tom. ir du
Recueil de Duchesne , p. 96. )
Ces passages , et quelques autres également remarquables, sont rapportés
par les auteurs que nous avons cités dans la note précédente.
(1) « Porrô et hoc vestrum à Deo coronatuin ac piisshnum poscimus iui-
« perium, ut , sicut antiquitus ab orthodoxis imperatoribus , seu à
« caeteris christianis fidelibus , oblata atque concessa sunt patrimonia beati
« Pétri , apostolorum principis , fautoris vestri , in inlegrum nobis resti-
« tuere dignemini , pro luminariorum concinnationibus , eidem Dei Eccle-
« sise atque alimoniis pauperum Sicut filius et spiritualis compater
« noster, Domiuus Carolus, rex Francorum et Longobardorum, ac patri-
« cius Romanorum, .... persua laboriosa certamina, eidem DeiEcclesiee ,
« ob nimium amorem , plura dona perpétué obtulit possidenda , tàm pro-
« vincias, quàm civitates, seu castra et caetera territoria, imô et patrimo-
« nia , quaa à pertidâ Longobardorum gente detinebaniur, brachio forti ei-
« dem Dei apostolo restituit , cujus et jure esse dignoscebantur. »
Concil. Nicœn. anno 787, act. 2. (Labbe, Concil.t. vu, p. 119.) — Fieury,
Hist. Eccl., t. îx , liv. xliv, n. 25.
La connaissance de ce point d'histoire fournit en 1810, à M. Émery, supé-
rieur du séminaire de Saint-Sulpice, un moyen facile de repousser une préten-
tion ridicule de Napoléon, qui, en sa qualité d'empereur, s'imaginait avoir le
droit d'ôter au Pape le pouvoir temporel que Charlemagne lui avait donné.
Voici comment le fait est rapporté par M. le chevalier Artaud , daus Y Hist.
de Pie VII, à l'occasion d'un entretien de Napoléon avec M. Émery, qu'il avait
mandé à Fontainebleau, au mois de novembre de l'année 1809. « Napoléon ,
« s'étant mis à parler de ses démêlés avec le Pape, déclara qu'il respectait
« sa puissance spirituelle ; mais que, quant à sa puissance temporelle , elle ne
« venait pas de Jésus-Christ, mais de Charlemague ; et que lui, qui était em-
« pereur comme Charles, voulait ôter au Pape cette puissance temporelle ,
« afin qu'il lui restât plus de temps à donner aux affaires spirituelles.
« M. Émery, attaqué sur ce terrain, objecta que Charlemagne n'avait pas
« donné au Pape toutes ses possessions temporelles , qui étaient très-
«. considérables dès le ve siècle ; et qu'au moins l'empereur ne de-
« vait pas toucher à ces premiers biens temporels. M. Émery allait conti-
« nuer ; Napoléon , qui n'était pas très-instruit de l'histoire ecclésiastique ,
« et qui paraissait ignorer ce point, ne répondit rien à cet égard; mais,
256 SOUVERAINETÉ TEMPORELLE DU PAPE.
47. Non content d'avoir solennellement reconnu la souveraineté
cï"!,7"dgune temporelle du Pape , et de l'avoir délivré de la tyrannie des
^Tcoutonne'1 Lombards, Charlemagne se montra toujours plein de zèle pour
impériale. ja g|0jre (ju saint-siége , et pour le maintien de son pouvoir
temporel, contre tons les ennemis du dedans et du dehors. Le
Pape, de son côté, ne négligea rien pour assurer de plus en
plus à l'Église et au saint-siége une si puissante protection ; et
telle fut la véritable cause de l'élévation de Charlemagne à
l'empire, en 800 (1).
Peu de temps après l'élection de Léon III , successeur d'A-
drien Ier, une horrible conjuration éclata contre le nouveau pon-
tife , par les intrigues de deux neveux d'Adrien , qui aspiraient
à la même dignité. Le Pape , échappé avec beaucoup de peine
aux violences des factieux , se retira en France auprès de Char-
lemagne, pour implorer sa protection. Ce prince accueillit le
souverain pontife avec respect , lui donna une bonne escorte
pour retourner en Italie, et s'y rendit lui-môme, en 800, pour
rétablir la paix, en jugeant les conspirateurs. Quelques jours
après la conclusion de cette affaire, le jour de Noël de la même
année, le roi étant venu à Saint-Pierre entendre la messe,
comme il était incliné devant l'autel pour faire sa prière , le
Pape lui mit sur la tête une couronne très-précieuse ; en même
temps le peuple s'écria tout d'une voix : A Charles Auguste,
couronné de Dieu, grand et pacifique empereur des Romains,
vie et victoire. Ces paroles furent répétées trois fois, avec l'in-
vocation de plusieurs saints, par toute rassemblée, qui éta-
blit ainsi Charlemagne empereur des Romains, selon la
remarque d'Anastase (2). Éginhard et quelques autres anna-
listes français ajoutent, qu'après les acclamations, le Pape ren-
dit le premier à Charlemagne l'adoration, c'est-à-dire l'hom-
« adoucissant sa voix , il passa brusquement à autre chose. » (Hist. de
Pie Vil, 2e édition, t. n,ch. 21, p. 256.)
(1) Anastase le Biblioth. , Vita Leonis III. (Labbe, Concil. t. vu,
p. 1079, etc.) — Éginhard, Annal. , anno 800.— Fleury, Hist. E celés. f
t. x , liv. xlv, n. 5 , 10 , 11,21, etc. — Daniel, Hist. de France , t. u ,
an 800. — Lebeau , Hist. du Bas-Empire , t. xiv, liv. lxvi, n. 52, etc. —
Annales du moyen âge , t. vm , année 800. — Bossuet, Defens. Declar. ,
lib. ii, cap. 37 et 38.
(2) « Et ab omnibus constitutu s estimperator Romanorum. » Anastase,
ubï suprà, p. 1082.
PREMIERE PARTIE. — CHAPITRE I. 257
mage extérieur de respect qu'on avait coutume de rendre aux
empereurs ; il lui déclara en même temps que désormais, au lieu
du titre de Patrice des Romains, qu'il avait porté jusqu'alors, on
lui donnerait ceux ft Empereur et d'Auguste (l). Le Pape donna
ensuite l'onction sainte, non-seulement au roi, mais encore à
Charles son fils aîné, qui jusque-là n'avait pas encore eu ce
titre (2).
Éginhard, secrétaire et confident de Charlemagne , ajoute à
ce récit une circonstance que plusieurs auteurs modernes ont
révoquée en doute, mais qu'il est difficile de rejeter, après le
témoignage positif d'un écrivain si respectable (3). Il suppose
que Charlemagne, en se rendant, le jour de Noël, à l'église de
Saint-Pierre, ignorait absolument le dessein du Pape; qu'au
moment où il fut salué du nom à' Empereur et à' Auguste, il
fut également étonné et affligé de cette démarche du peuple
romain ; et protesta que, s'il avait prévu la chose, il ne serait
pas venu à l'église ce jour-là , nonobstant la célébrité de la
fête. Sans doute, il est difficile de supposer que Charlemagne
ait absolument ignoré le dessein du Pape-; mais il pouvait très-
bien ignorer que le Pape fût dans la disposition de l'exécuter si
promptement, malgré les considérations qui devaient l'engager
à en différer l'exécution , soit par ménagement pour la cour de
Constantinople, soit par égard pour la répugnance que Char-
lemagne lui-même témoignait à prendre le nouveau titre qu'on
lui offrait.
Au reste, quelle qu'ait pu être d'abord la répugnance de
Charlemagne pour le titre d'Empereur, il est certain qu'il ne
tarda pas à l'accepter ; car depuis l'époque de son couronne-
(1) «Postquas laudes, ab omnibus, atque ab ipso pontifice, more anti-
ce quorum principum , adoratum , atque , omisso Patricii nomine , Impera-
« torem et Augustum appellatum fuisse ; ordinatisque rébus, Româ disces-
«. sisse. » Éginhard, Annal, anno 801. — Annal. Met. Fuld. et alii. (Recueil
de Duchesne, t. 11; Pœcueil de D. Rouquet, t. v. ) La plupart de ces témoi-
gnages sont recueillis ou indiqués par Rossuet, ubi suprà, cap. 37.
(2) Voyez !e n. 6 des Pièces justificatives , à la fin de ce volume.
(3) Fleury, le P. Daniel, le P. Longueval, et la plupart des historiens, rap-
portent cette circonstance, sur l'autorité d'Éginhard. Lebeau, Gaillard,
Hegewisch et quelques autres, attribuent ici à Charlemagne une dissimula-
tion que semble démentir le caractère de ce grand prince, et dont la sup-
position n'est fondée que sur une maligne conjecture.
17
258 SOUVERAINETÉ TEMPORELLE DU PAPE.
ment, il prit habituellement ce titre dans ses diplômes, donna
aux empereurs d'Orient le titre de frères, et joignit à la date
des années de son règne, celle des années de son empire. Enfin,
toutes les monnaies frappées à Rome depuis cette époque , por-
tent d'un côté le nom du nouvel empereur , et de l'autre le nom
ou la figure de Saint-Pierre (1).
48. La conduite du Pape, en cette occasion, peut sans doute
^Tapè1,16 paraître extraordinaire à ceux qui la considèrent indépendam-
esion"fac;ieCà ment des circonstances qui avaient depuis longtemps préparé et
justifier. même consommé la chute de l'empire romain, en Occident.
Toutefois il est certain que les auteurs contemporains la
croyaient pleinement justifiée par ce concours de circonstances.
La plupart de ces auteurs ont soin de remarquer que Charle-
magne, au moment où il reçut la couronne impériale, avait déjà
la principale autorité dans la plus grande partie des anciennes
provinces de l'empire en Occident, et particulièrement en Italie,
soit par droit de conquête, soit par le vœu légitime des peu-
ples, qui, abandonnés de leurs anciens maîtres, l'avaient déjà
choisi pour leur protecteur en lui conférant, par l'organe
du Pape, le titre de Patrice des Romains. Sans avoir le nom
à! Empereur, il en avait au fond toute l'autorité, que les em-
pereurs de Constantinople avaient insensiblement perdue , par
la faiblesse et l'imprudence de leur conduite ; ce qui fait dire à
quelques anciens annalistes, que c'était une justice de réunir ,
dans la personne du roi de France , le titre ^'Empereur à la
puissance effective de l'empire (2). La plupart des historiens
(1) Leblanc, Dissert, sur quelques monnaies de Charlemagne. Paris ,
1689, in-4°. Cette Dissertation, publiée séparément en 1689, ne fut pas
jointe au Traité des Monnaies, publié , l'année suivante , par le même au-
teur, mais seulement à l'édition de ce Traité publiée à Amsterdam,
1692, in-4°.
(2) Nous citerons seulement ici les Annales de Moissac, répétées, presque
mot pour mot , par quelques autres : « Anno 801, cùm apud Romam mora-
le retur rex Carolus , nuntii delati sunt ad eum , dicentes quôd apud Graecos
« nomen imperatoris cessasset , et fœmineum imperium apud se haberent.
«. Tune visum est ipsi apostolico Leoni , et universis sanctis patribus qui in
« ipso concilio aderant , seu reliquo christiano populo, ut ipsum Carolum,
« regem Francorum , imperatorem nominare debuissent ; quia ipsani Ro-
« mam matremimperii tenebat, ubi semper Caesares et Imperatores sedere
« soliti fuerant , seu reliquas sedes ( putà Mediolanum , Trevirim et caete-
<c ras) quas ipse in Italiâ et Galliâ, neenon in Germaniâ tenebat; quia Deus
PREMIERE PARTIE. — CHAPITRE I. 259
modernes adoptent pleinement ce jugement. « Charlemagne,
« dit Fleury, était déjà maître de la plus grande partie de
« l'Italie depuis la ruine des Lombards; et il était souverain de
« Rome en particulier (l), puisqu'on lui prêtait serment de
$
« omnipotens has omnes sedes in potestate ejus concessit ; et ne pagani in-
« sultarent christianis, iùeojustum esse videbatur, ut ipse, cum Dei adju-
« torio, et universo populo christiano pelente , ipsum nomen haberet. »
Annal. Mussiac. anno 80!. (Recueil de Duchesne,t. ni, p. 143; et Re-
cueil de Bouquet, t. v, p. 79.) Ce passage est cité par Bossuet, ubi suprà,
cap. 37, p. 543.
Quelques expressions employées ici par nos anciens annalistes, ont besoin
d'explication , et peuvent donner lieu à des observations importantes. 1° Ces
auteurs supposent que Charlemagne , avant son élévation à l'empire, avait
déjà en sa puissance la ville de Rome , capitale de l'ancien empire. Il
est vrai qu'il y exerçait une grande autorité, comme patrice des Romains ;
mais nous avons déjà remarqué, et nous montrerons ailleurs plus au long,
qu'il n'y exerçait pas proprement une puissance souveraine, et indépendante
de celle du Pape. Le titre de Patrice des Romains , donné à Pépin et à ses
enfants par Etienne II, ne conférait pas, par lui-même, une souveraineté
proprement dite, mais seulement le droit et l'obligation de gouverner, au
nom du souverain légitime, les provinces dont l'administration était confiée
au patrice. (Voyez ci-dessus, p. 238, note 1 . — Ci-après , chap. 2 , art. i ,
nos 65, 66 et 82, etc. ) C'est en ce sens qu'il faut expliquer la puissance
que nos anciens annalistes attribuent à Charlemagne dans Rome, avant son
élévation à l'empire, pour concilier leur langage avec les monuments déci-
sifs qui nous obligent à regarder le Pape comme le véritable souverain de
Rome, à cette époque.
2° Parmi les raisons qui engageaient alors les Romains à donner le titre
d: 'Empereur à Charlemagne , les mêmes auteurs font valoir celle qui se
tirait de l'honneur du peuple chrétien , ou de la nécessité de prévenir les
insultes des païens (ne pagani christianis insul tarent). Ces paroles
s'expliquent naturellement, d'après l'observation faite un peu plus haut,
que l'empire de Constat) tinople était alors gouverné par une femme : ce qui
était sans exemple , et ce que les Romains croyaient tout à fait indigne
d'eux.
3° Enfin, ce qui est surtout à remarquer, c'est que, d'après le récit de
nos anciens annalistes , aussi bien que d'après celui d'Anastase , Charle-
magne ne fut pas élu empereur par le Pape seul, comme chef de l'Église ,
mais par le Pape , comme organe et représentant du peuple romain, qui lui
avait confié ses intérêts temporels , par le Pape agissant de concert avec ce
peuple, qui soutint et appuya, par ses acclamations, le choix du pontife;
en sorte que, d'après le récit uniforme de ces auteurs, le langage et la con-
duite du Pape ne supposent aucunement qu'il se soit attribué , d'après
l'institution divine et en vertu de son caractère sacré, le pouvoir de disposer
de l'empire, pour le plus grand bien de la religion.
(1) Fleury , en adoptant ici , pour le fond, les réflexions des anciens anna-
listes français que nous venons de citer , va beaucoup plus loin qu'eux ,
en disant expressément que Charlemagne était souverain de Rome et de
V Italie depuis la ruine des Lombards. Il faut corriger cette assertion ,
d'après les observations que nous venons de faire dans la note précédente.
17,
26Ô SOUVERAINETÉ TEMPORELLE DU PAPE.
et fidélité, ef qu'il y rendait la justice par ses commissaires et
« en personne, et dans la cause du Pape même. De plus, les
« Romains avaient leurs raisons pour donner à Charles le titre
« d' Empereur : ils étaient abandonnés des Grecs, qui, depuis
« longtemps, ne leur donnaient aucun secours; et Constanti-
« nople était alors gouvernée par une femme, à qui ils croyaient
« indigne d'obéir; caria chose était sans exemple. 11 était donc
« juste de réunir le nom à? Empereur à la puissance effective;
« et l'exécution s'en fit par les mains du Pape, à qui sa dignité
« donnait à Rome le premier rang (1). » Ajoutons que les em-
pereurs de Constantinople , malgré la répugnance extrême qu'ils
témoignèrent d'abord , et qu'ils devaient naturellement éprouver
à reconnaître le nouveau titre de Charlemagne , ne tardèrent
pas à le reconnaître , dans plusieurs traités faits avec ce grand
prince, depuis son élévation à l'empire (2).
49 Cette importante révolution, qui porta, pour ainsi dire, au
Âccro i s s cm c n t
deia plus haut point la gloire de Charlemagne, n'eut pas des ré-
teinPpovdïeCdu sultats moins avantageux pour la puissance temporelle du saint-
soLTlelTc- siège, dont elle consolida la souveraineté en Italie, en lui
cSema te assuraiît de plus en plus la protection du plus puissant prince
de l'Europe (3). Nous terminons donc ici, d'après le plan de notre
ouvrage , l'exposition des faits relatifs à l'origine du pouvoir tem-
porel des papes en Italie. Nous remarquerons seulement, en finis-
sant, que l'acte solennel par lequel Charlemagne , à l'exemple
de Pépin, avait reconnu et confirmé la souveraineté temporelle
du saint-siége, fut souvent renouvelé par ses successeurs.
Les diplômes de Louis le Débonnaire en 817, d'Othon Ier en
962, et de Henri II en 1020 , dont nous parlerons plus en dé:
tail dans le chapitre suivant, sont principalement célèbres dans
l'histoire; et il est certain que, pendant plus de deux siècles
(1) Fleury, Hist. Ecclés. , t. x, liv. xlv, n. 21. Voyez aussi les auteurs
cités plus haut , p. 232, note 1 .
(2) Ëginhard, Annales,] anno 803. — Daniel, Hist. de France, années
802 et 811. — Velly, Hist. de France, 1. 1 , p. 465.
(3) Pour avoir une juste idée de la puissance de Charlemagne, il suffit de
lire le Mémoire déjà cité de D. Lieble, Sur les limites de l'empire de Char'
lemagne. (Paris, 1764, 73 pages in-12.) Ce Mémoire, aujourd'hui assez rare,
fait partie de la Collection de pièces rares, concernant l'histoire de
France, publiée par MM. Leber, Salgues et Cohen. Paris 1826-1842, 20 vol.
in-8. (Voyez le tome n de cette Collection, page 316)
PREMIÈRE PARTIE. — CHAPITRE II. 261
après Charlemagne, les empereurs, à l'époque de leur couron-
nement, avaient coutume de confirmer par un acte solennel
tout ce qui avait été fait à cet égard par leurs prédécesseurs (1).
Quelques-tfns même, à l'exemple d'Othon Ier et de Henri TI,
non contents d'assurer au saint siège ses anciennes possessions ,
y ajoutaient, à cette occasion, de nouvelles libéralités. Nous
n'entrons pas ici dans le détail des accroissements successifs
que reçurent, par ce moyen , les États du saint-siége, avant la
donation de la comtesse Mathilde, la plus considérable qui eût
été faite à l'Église depuis Charlemagne, et qui s'étendait princi-
palement dans les diocèses de Mantoue, de Reggio, de Parme
et deModène(2).
pitre.
CHAPITRE IL
Examen critique des principales questions agitées entre les
auteurs modernes , sur l'origine et les fondements de la
souveraineté temporelle du saint-siége.
Il est certain et généralement reconnu que, depuis le ve siè- 5o
cle, et surtout depuis l'établissement de la monarchie des Q»^'.™ à
L eclaircir
Lombards, en 572 , les papes eurent toujours une très-grande û*n*,™ cha.
influence dans le gouvernement temporel de Rome et de l'Italie.
Mais la nature et l'étendue de l'autorité qu'ils y exerçaient est un
grand sujet de contestation entre les auteurs modernes ; et peu
de questions historiques ont donné lieu à une aussi grande di-
versité de sentiments. Les auteurs ne s'accordent entre eux, ni
sur l'époque précise à laquelle s'éteignit l'autorité de l'empe-
(1) Cermi,' Monumenta Domin.Pontif., tome n, pag. 28, etc., 491, etc. On
trouve, dans le tome h de cet ouvrage, le texte des diplômes dont nous
venons de parler, avec des dissertations qui en établissent l'authenticité, et
qui éclaircissent les difficultés qu'ils peuvent offrir.
H (2) Cette donation eut lieu en 1077. Il serait difficile d'en fixer aujourd'hui,
avec précision , l'objet et l'étendue; toutefois, il est certain qu'elle s'étendait
principalement dans les diocèses que nous désignons. Voyez Cenni, ubi
suprà, tom. i, Prœf. n. 33, etc.; tom. h, pag. 195, etc.
262 SOUVERAINETÉ TEMPORELLE DU PAPE.
renr de Constantinople dans le duché de Rome et dans Y exar-
chat (\), ni sur l'autorité respective du Pape et du roi de
France dans ces provinces, depuis que l'empereur d'Orient
y eut perdu ses anciens droits, ni sur les véritables fondements
de l'autorité que le Pape y exerça depuis cette époque.
5i. Ce qui rend surtout difficile la solution de ces questions,
Do\ï,ksne"t selon la judicieuse remarque d'un historien moderne, « c'est
difficultés. <( qUe je pOUVOjr (jes empereurs ( en Italie) ne s'éteignit pas tout
« d'un coup, par une révolution soudaine, mais déclina peu à
« peu, par des degrés presque insensibles ; c'était un mourant,
« dont le dernier moment est équivoque, et qui respire encore
« lorsque des héritiers avides le croient déjà mort (2). » Par une
conséquence naturelle de cet affaiblissement successif de l'em-
pire en Italie , l'autorité des papes y prenait chaque jour de tels
accroissements, qu'il est difficile de dire précisément à quelle
époque elle devint tout à l'ait indépendante, et prit le carac-
tère d'une souveraineté proprement dite.
52. La suite des faits que nous avons exposés dans le chapitre
dis^Jsi?"6 précédent, suffit, à ce qu'il nous semble, pour éclaircir toutes
ces difficultés. Pour les examiner avec ordre, nous partagerons
ce chapitre en deux articles. Nous examinerons, en premier
lieu, à quelle époque on doit placer l'origine de la souverai-
neté temporelle du saint-siége, soit dans le duché de Rome, soit
dans l'exarchat (3); 2° quels sont les fondements et les titres
primitifs de cette souveraineté.
(1) Sous le nom d'Exarchat, nous désignons dans ce chapitre, non-seule-
ment Y Exarchat proprement dit, mais encore la Pentapole, qui en étatt
une dépendance à lepoque où l'autorité des exarques fut remplacée en
Italie par celle des souverains pontifes. Voyez à ce sujet la note 1 de la
page 205.
(2)Lebeau, Histoire du Bas -Empire, tome xiv, liv. lxvi, n. 52,
page 167.
(3) Nous ne parlons pas ici de quelques autres provinces, données par
Charlemagne au saint-siége , hors de V exarchat et du duché de Rome, et
qu'il rendit seulement tributaires du Pape , en s'y réservant à lui-même la
souveraineté. Ceci regarde en participer le duché de Spolette, et la partie de
la Toscane que ies auteurs de cette époque appellent Toscane royale. On
voit, par les diplômes déjà cités de Louis le Débonnaire et d'Othon Ier, que
les successeurs de Charlemagne conservèrent assez longtemps, à son exem-
ple, la souveraineté de ces provinces, sauf le tribut annuel qu'elles devaient
payer au saint-siége» (Cenni, Mohumenta, tom. ii, pag. 129 et 130.) Il serait
PREMIÈRE PARTIE. — CHAPITRE II. 263
ARTICLE PREMIER.
A quelle époque doit-on placer l'origine de la souveraineté temporelle du
saint-siége ?
Le sentiment commun des auteurs étrangers, principalement 53.
,.,. Sentiment
des Italiens, qui paraissent avoir étudie plus soigneusement commun des
cette question , place l'origine de la souveraineté temporelle du étranger!.
saint-siége sous le pontiûcat de Grégoire II, à l'époque où plu-
sieurs villes et provinces d'Italie, abandonnées de l'empereur
d'Orient , et fatiguées des vexations qu'il exerçait depuis long-
temps contre elles, se choisirent, sous le titre de Ducs , des
chefs indépendants de l'empereur , et se mirent sous la protec-
tion du saint-siége, pour combattre de concert leurs ennemis
communs (i). Toutefois, les défenseurs de ce sentiment pen-
sent communément , qu'avant la donation de Pépin , les sou-
verains pontifes , en exerçant l'autorité qui leur était librement
déférée par le vœu des peuples , ne prétendaient pas renoncer
définitivement à la domination de l'empereur, mais exercer
une autorité purement provisoire , jusqu'à ce que les circon-
stances permissent à celui-ci de rentrer dans l'exercice de ses
droits.
Ce sentiment, que nous ne voyons contredit par aucun auteur t 54.
État de la
difficile d'assigner aujourd'hui la véritable raison de cette restriction, mise à
l'autorité du Pape dans ces provinces, particulièrement dans le duché de
Spolette, qui s'était librement donné au saint-siége avant la destruction du
royaume des Lombards, comme on l'a vu plus haut (chap. 1, pag. 253.) On
voit seulement, par les mêmes diplômes, qu'il y avait eu, sur ce sujet, une
convention particulière entre Charlemagne et Adrien 1er. (Cenni, Monumenta,
tome 11, pag. 130 et 160.)
(1) Nicolas Alamanni, De Lateranensibus Parietinis Dissert. Roitiœ,
1755, in-4°, pages 71, 95, 107, et alibi passim. Cet ouvrage, publié pour la
première fois à Rome en 1625, in-4°, se trouve aussi dans le tome vin du
Recueil de Grœvins, Thésaurus Antiqintatuni et Historiarum Italiœ.
Lugd. Batav., 1725, 45 vol. in-fol. — Cenni, Monumenta Dominationis
Pontijiciœ, tom. i, pag. 12, etc. — Orsi, Delta origine del Dominio, etc.,
cap. 1-8. — Le sentiment commun des auteurs italiens, sur ce point, est suivi
par quelques auteurs français. Voyez, entre autres, Thomassin, Ancienne et
nouvelle Discipline, tom. m, liv. î, chap. 27, n. 8 ; chap. 29, n. 1, etc.
De Maistre, Du Pape, liv. n, chap. 6, pag. 249-257. — Receveur, Hist. de
l'Église, tom. IV, pag. 83-91 , 208, 241, 285.
264 SOUVERAINETÉ TEMPORELLE DU PAPE.
question: trois de poids, et que nous trouvons même confirmé par le langage
senti ni p il t s
principaux à d'un grand nombre de ceux qui ne le soutiennent pas formel-
lement (1), laisse entièrement subsister la principale question
que nous devons examiner dans cet article, savoir : A quelle
époque les souverains pontifes commencèrent-ils à exercer dé-
finitivement, dans le duché de Rome et dans l'exarchat, une
souveraineté proprement dite, exempte de toute dépendance,
soit à l'égard de l'empereur d'Orient, soit à l'égard du roi de
France ?
Les divers sentiments, sur cette matière, peuvent se rappor-
ter à trois principaux, qui ont été modifiés eux-mêmes de plu-
sieurs manières (2).
(1) Voyez les auteurs cités plus haut, pag. 194, note 1 ; pag. 196, noie 1 ;
pag. 229, note 1.
(2) Orsi, dans le huitième chapitre de son ouvrage déjà cité {Délia origine
del Dominio, etc.), expose et discute avec soin ces divers sentiments. Plu-
sieurs historiens modernes, et quelques-uns même des plus célèbres, s'ex-
priment là-dessus avec tant de légèreté, qu'ils ne paraissent pas avoir sérieu-
sement examiné la question qui donne lieu à une si grande diversité de sen-
timents, ni même avoir une opinion bien arrêtée sur cette question. Parmi
ces auteurs, nous remarquerons en particulier l'historien anglais Gibbon, si
connu par son Histoire de la Décadence de l'Empire romain , dont on a
tant vanté l'érudition et la critique. Dans le chapitre 49 de cet ouvrage, où il
expose assez au long l'histoire de la grande révolution opérée en Italie au
vme siècle, il avance d'abord, comme un fait incontestable, que, « jusqu'au
« couronnement de Charlemagne, l'administration de Rome et de l'Italie fut
«toujours au nom des successeurs de Constantin » {Édition de 1828,
tom. ix, pag. 297); ce qui ne l'empêche pas de soutenir un peu plus bas, avec le
même ton d'assurance, que « les chefs d'une nation puissante (Pépin et Char-
« lemagne) eussent dédaigné des titres ser viles et des fonctions subordon-
« nées ; que, depuis la révolte de l'Italie (sous Grégoire II), le règne des em-
«pereurs grecs était suspendu; et que, durant la vacance de l'empire, les
« princes français obtinrent du Pape et de la république une mission plus
« glorieuse (c'est-à-dire, comme l'auteur lui-même l'explique, la souverai-
« neté de Rome). Les ambassadeurs romains, ajoute-t-il, présentèrent aux
« patrices de Rome (Pépin et Charlemagne), les clefs de l'église de Saint-
« pierre, pour gage et pour symbole de souveraineté Durant les
« vingt-six années qui s'écoulèrent entre la conquête de la Lombardie et le
« couronnement de Charlemagne , en qualité d'empereur, il gouverna en
«■ maître la ville de Rome, qu'il avait délivrée par ses armes. » (Ibid.,
pag. 312-314.) Il serait assurément bien difficile de concilier ces dernières as-
sertions avec la première ; car il est assez clair que si Y administration de
Rome et de l'Italie se faisait au nom des successeurs de Constantin, les
princes français n'avaient point la souveraineté de Rome, mais un titre et
des fonctions subordonnés à ceux de l'empereur.
L'auteur ne paraît pas avoir des idées plus exactes sur la question relative
PREMIÈRE PARTIE. — CHAPITRE II. 265
Le premier sentiment est celui des auteurs qui regardent la 55.
juridiction de l'empereur de Constantinople , comme entière- ment .
ment anéantie dans le duchéde Rome et dans l'exarchat, depuis anse™vdeerai'
la donation'de Pépin , en 754. C'est le sentiment d'Alamanni, ■'JgJJJ*
d'Orsi, de Cenni. du P. Pagi, du P. Alexandre, et de quelques nmU^f
' O > j x j- Rome et dans
autres écrivains français (1). Toutefois, ces auteurs ne s'accor- i'exa.Cbat
V V ' .en 754.
dent pas également sur l'autorité respective du Pape et du roi
de France, dans les provinces dont il s'agit, depuis la donation
de Pépin. La plupart des auteurs italiens, suivis sur ce point
par le P. Pagi , pensent que le Pape seul avait la souveraineté
proprement dite de ces provinces, et que le roi de France, en
vertu de son titre depatrice des Romains , n'y pouvait exer-
à la souveraineté de Rome, depuis l'élévation de Charlemagne à l'empire. Il
avoue d'abord que cette question lui paraît enveloppée d'épaisses ténèbres ;
et il adopte seulement , comme plus probable, l'opinion qui attribue cette
souveraineté à l'empereur d'Occident. (Ibid., pag. 333, note 1.) Oubliant en-
suite le ton douteux et réservé avec lequel il s'est exprimé sur cette question,
il avance, comme un fait constant, que « cette souveraineté des empereurs
« fut détruite par les artifices des papes et la violence du peuple ; et que les
« successeurs de Charlemagne, contents'des titres A' Empereur et d' Auguste,
« négligèrent de maintenir cette juridiction. » {lbid., pag. 369.) Comment
Gibbon peut-il avancer, avec tant de confiance, que la souveraineté des
empereurs fut détruite par les artifices des papes et par la violence du
peuple, tandis qu'il est fort douteux, de son aveu, que les empereurs aient
jamais eu cette souveraineté?
On remarque dans l'auteur le même embarras, lorsqu'il s'agit d'expliquer
l'origine et le fondement de l'autorité des empereurs dans Rome. Tl suppose
tout à la fois, et que « Charlemagne y régnait par droit de conquête, » et que
« les Romains , libres de se choisir un maître, accordèrent d'une manière ir-
« révocable aux empereurs français et saxons le pouvoir délégué d'abord au
« patrice. » (Ibid., pag. 368. Voy. aussi le chap. 69, tom. xm, pag. 139.) Si
Charlemagne régnait à Borne par droit de conquête, comment les Romains
étaient-ils libres de se choisir un maître ?
Il y aurait bien d'autres contradictions à relever, sur ce point, dans l'ouvrage
de Gibbon. Celles que nous venons d'indiquer suffisent 'pour montrer avec,
quelle défiance on doit lire, dans cet ouvrage , tout ce qui regarde la lutte
trop fameuse des papes et des empereurs, au moyen âge. Une foule d'auteurs
modernes s'expriment là-dessus avec la même légèreté, et souvent avec les
mêmes contradictions. Nous indiquerons, dans les notes suivantes, quelques-
uns de ces auteurs. (Voyez ci-après la note 3 de la page 267.)
(1) Alamanni, De Lateranensibus Parietinis, cap. 11. — Orsi, Delta
origine delDominio, etc., cap. 8. — Cenni, Monumenta Dominationis Pon-
tificiœ, tom. 1, pag. 12, 67, 68, et alibi passim. — Pagi, Critica in Annales
Baronii, anno 755, n. 6 ; anno 796 , n. 11 , etc. — Natal. Alex. Dissert. 25
in Hist. Eccles. sœculi iv, art. 1, prop. 5 et 6 — Thomassin, Ancienne et
nouvelle Discipline, tom. m, liv. 1, chap. 27, n. 8; chap. 29, n. 1, etc.
266 SOUVERAINETÉ TEMPORELLE DU PAPE.
cer aucune autorité qu'avec l'agrément du Pape, et de concert
avec lui. Le P. Alexandre, au contraire, prétend que la souve-
naineté de ces provinces appartenait en commun au Pape et
au roi de France, qui l'exercèrent de concert jusqu'en 876; et
qu'à cette époque, Charles le Chauve y renonça, pour en lais-
ser au Pape seul la pleine et entière jouissance (1).
^6- Le second sentiment est celui des auteurs qui attribuent à
Deuxième sert-
timem .■ P empereur de Constantinople la souveraineté du duché de
Cette souve- . i^ii i'i j e ■>
raineté Rome et de l exarchat, jusqu a la fin du vin siècle. Les
jusquàteiaUfin défenseurs de ce sentiment prétendent que Pépin et Charlema-
da
VIII
siècle, gue, aussi bien que le Pape Etienne II et ses successeurs, jusqu'à
l'an 796, n'ont eu d'autre pouvoir en Italie, que celui dont
jouissaient auparavant les patrices ou exarques, qui gouver-
naient cette province au nom de l'empereur (2). M. de Marca et
le P. Lecointe , qui sont les principaux défenseurs de cette opi-
nion , ne s'accordent pas entre eux sur l'autorité respective du
Pape et du roi de France, dans Rome et dans l'exarchat, depuis
l'an 796. Selon M. de Marca, la souveraineté de ces provinces
passa alors des mains de l'empereur de Constantinople en celles
du Pape et du roi de France , qui l'exercèrent en commun jus-
qu'au temps de Charles le Chauve. Selon le P. Lecointe, la sou-
veraineté de ces provinces, depuis l'an 796, appartint exclusi-
vement au roi de France, qui en laissa seulement au Pape Y ad-
ministration, ou le domaine utile, jusqu'en 824, époque à
laquelle Louis le Débonnaire céda entièrement ses droits au
Pape (3).
57 Le troisième sentiment est celui des auteurs qui soutiennent
Tr°dm7nt sm'^ue l'emPereur de Constantinople perdit d'abord, en 754,
^cettesouye- ia souveraineté de l'exarchat, et conserva celle du duché de
rainete
(1) Cette opinion du P. Alexandre paraît être au fond celle du P. Daniel,
Hist. de France (tom. u, année 796, pag. 95), et du P. Griffet, dans ses Ob-
servations sur cette Histoire (tome m, pag. 253, etc).
(2) De Marca, De Concordiâ, lib. m, cap. 11, n. 9, etc. — Lecointe, An-
nales Ecoles., anno 796, n. 1 12 ; anno 800, n. 31.
(3) Bossuet, dans la Défense de la Déclaration (liv. n, chap. 19 et 38),
paraît adopter, avec quelques modifications , l'opinion du P. Lecointe. Il
suppose que l'empereur de Constantinople ne perdit qu'en 800 la souverai-
neté de Rome et de l'exarchat. Il est fort douteux que Bossuet ait examiné
de près cette question, et discuté avec soin les différentes opinions , sur cette
matière.
PREMIÈRE PARTIE. — CHAPITRE II. 267
Rome, au moins jusqu'à la destruction du royaume des anéantie d'a-
Lombards, en 774, et même , selon quelques-uns, jusqu'à ve™rc\i™,Sea
l'élévation desCharlemagne à l'empire d'Occident, en 800. el plfj'tard
Selon les défenseurs de ce sentiment, la souveraineté de l'em- ,da.ns ]*
' duclie de
pereur de Constantinople, à mesure qu'elle s'éteignit dans Rome.-»
ces provinces, passa entre les mains du roi de France,
qui en laissa au Pape Y administration , ou le domaine utile ,
et s'en réserva le haut domaine, ou la souveraineté , d'abord
sous le titre de patrice, puis sous le titre d 'empereur , au
moins jusqu'au temps de Charles le Chauve, et même beaucoup
plus tard, selon quelques-uns. Ce sentiment, soutenu d'abord
par Melchior Goldast et par François Junius, au commence-
ment du xviie siècle, a été renouvelé par M. Leblanc, dans sa
Dissertation sur quelques monnaies de Charlemayne et de ses
successeurs (1) . Cette Dissertation , qui suppose beaucoup de
recherches et d'érudition, paraît avoir entraîné dans le senti-
ment de M. Leblanc la plupart des auteurs français qui ont
écrit depuis, sur ce sujet; et nous n'en connaissons aucun qui
ait essayé de le combattre (2). Il a été renouvelé, de nos jours,
par de célèbres auteurs , avec diverses modifications , dont le
détail serait trop long, et assez peu utile (3).
(1) Voyez ci-dessus la note 1 de la page 258.
(2) Parmi les défenseurs de ce sentiment, nous remarquerons en particu-
lier, Fleury, Hist. Ecclés., tom. ix, liv. xliii, n. 31 ; tome x, liv. lxv, n. 21.
— Lebeau, Hist. du Bas-Empire, tom. xm, liv. lxiv, n. 32. — Annales du
moyen âge, tome vu, liv. xxiv, pag. 74; liv. xxv, pag. 246; tom. vin,
liv. xxvm, pag. 175. — De la Bruère, Hist. de Charlemagne , tom. i,
pag 121, etc. — Gaillard, Hist. de Charlemagne, tom. n, pag. 23, etc. —
Maimbourg, Hist. de la Décadence de l'empire de Charlemagne, pag. 8,
11, 16, etc. — Ferrand, Esprit de l'Histoire, tom. u, lettre 28, pag. 220, etc.
— Lenglet Dufresnoy, Méthode pour étudier l'Histoire, tom. xm de l'édi-
tion in-12, page 230. — Lelong, Bibliothèque historique de la France,
tom. n, liv. m, chap. 5, art. 10, § 1. — Muratori, Annales d' Italie , an 800.
(3) Voyez en particulier Sismondi, Hist. des Républiques Italiennes,
tom. i, pag. 19, 20, 132, 135 , etc. — Savigny, Hist. du Droit Romain,
tom. i, pag. 234-238. — Guizot, Hist. générale de la Civilisation en
France, tome n, 27e leçon, pag. 316-319. Il faut appliquer à ces auteurs ce
que nous avons dit plus haut de Gibbon (pag. 264, note 2). Ils traitent fort lé-
gèrement cette question , et supposent comme incontestables des assertions
qu'une étude sérieuse de l'histoire ne permet pas. ce semble, d'avancer avec
tant de confiance. M. Guizot, par exemple, décide, sans balancer, que le sys-
tème qui attribue au Pape le seul domaine utile des provinces dont il est ici
question, et le système qui leur en attribue la souveraineté politique , sont
268 SOUVERAINETÉ TEMPORELLE DU PAPE.
58. La diversité même des sentiments que nous veiions d'ex-
importance p0ser^ montre assez i'imp0rtance et les difficultés de la ques-
question tion qu'jj s>a„it jcj <je résoudre ; on en comprendra encore
j>resente : la * o *•
soiuiion mieux l'importance , si l'on se rappelle que la souveraineté de
réduite à cinq ■*■ i ...
propositions. Rome était un des principaux sujets des contestations si vives
qui s'élevèrent, au moyen âge, entre les papes et les empe-
reurs, principalement depuis Frédéric Barberousse , qui sou-
tint avec tant de hauteur et de violence ses prétentions à cet
égard (1).
Au milieu de toutes ces controverses, le premier sentiment,
tel que l'expliquent communément les auteurs italiens , nous
paraît être le plus conforme à l'histoire. Nous croyons même
pouvoir avancer avec confiance , que la plupart des auteurs
modernes qui ont embrassé un autre sentiment , y ont été en-
traînés, sans le vouloir, par des préjugés nationaux, bien plus
que par l'examen attentif des faits et des monuments propres à
éclaircir cette matière (2). Pour mettre dans tout son jour le
également insoutenables, « et reposent sur un complet oubli de l'état des
« esprits, au temps dont il s'agit; parce qu'on ne se faisait point alors, en ma-
« tière de souveraineté , de pouvoirs, de droits, des idées aussi nettes, aussi
« précises que celles que nous nous en formons aujourd'hui. » (Guizot, ubï
suprà, pag. 317 et 318.) Cette assertion étonnera sans doute bien des lec-
teurs. Il résulte en effet, assez clairement, de l'histoire de cette époque,
qu'alors, comme aujourd'hui , on distinguait très-bien les droits d'un souve-
rain sur ses propres États, d'avec ceux qu'il exerçait sur des États simple-
ment tributaires , et la souveraineté absolue d'avec une simple suzerai-
neté. Les mots employés pour désigner ces divers droits ont pu varier ; mais
le fond des notions était toujours le même. C'est ce qui résulte en particulier
de plusieurs faits que nous avons rapportés dans le cours de cet ouvrage.
{Introd., pag. 126, et ci-dessus, pag. 262, note 3.) Mais tous les doutes qu'on
pourrait élever à cet égard sont pleinement dissipés, à ce qu'il nous semble,
par M. Guizot lui-même, dans ses Essais sur V Histoire de France {qua-
trième et cinquième Essais), où il explique la nature et le caractère du ré-
gime féodal.
(1) Sur les prétentions de Frédéric Barberousse, voyez Fleury, Hist. Ec-
clés., tome xv, liv. lxx, n. 23 et 26. — Maimbourg, Hist. de la Décadence
de l'empire, pag. 454, etc., 465, etc. Plusieurs écrivains célèbres ont remar-
qué , avant nous, que ces prétentions étaient un des principaux sujets de
contestation entre les papes et les empereurs. Nous avons déjà cité , à ce
sujet, le témoignage de Voltaire dans la Préface de cet ouvrage. Voyez aussi
Michaud, Hist. des Croisades, tom. iv, pag. 467, etc. — De Maistre , Du
Pape, tom. i, liv. n, chap. 7, art. 3 (pag. 298, etc.).
(2) On conçoit que les préjugés nationaux engageaient naturellement les
auteurs allemands à soutenir, sur ce point, les prétentions des empereurs.
Plusieurs auteurs français ont été entraînés dans ce sentiment , par de sem-
Première
ition
souve-
PREMIERE PARTIE. — CHAPITRE Iï. 269
sentiment que nous croyons devoir adopter , nous le réduirons
à un petit nombre de propositions , qui semblent être des consé-
quences naturelles des faits que nous avons exposés dans le
chapitre précédant.
1° L 'origine de la souveraineté temporelle du saint-siège ne
peut être placée avant le pontificat de Grégoire H.
Il est certain, en effet, qu'avant cette époque, les souverains p*%.
pontifes n'ont jamais exercé en Italie aucun pouvoir temporel en jjw*
leur propre nom, et d'une manière indépendante de Tempe- raineté
reur de Constantinople. Il est vrai que, depuis le ive siècle, et M^nég»11.
surtout depuis l'établissement de la monarchie des Lombards, neT deîàpas
en 572, ils avaient souvent une très-grande part au gouver- deGré§oirelL
nement temporel de l'Italie; mais ils ne faisaient rien qu'au
nom de l'empereur, comme ses officiers et ses représentants,
dans l'unique but de maintenir son autorité, et de retenir dans
son obéissance les peuples disposés à la révolte (1).
11°. Le pontificat de Grégoire II doit être considéré comme
la véritable époque du commencement de la souveraineté
temporelle du saint-siége , dans le duché de Rome et dans
V exarchat (2).
On a vu en effet, dans le chapitre précédent (3), que sous 6o.
Deuxième
blables préjugés, depuis les démêlés de Philippe le Bel avec Boniface VIII, et
de Louis XIV avec Innocent XI. Il est inutile d'ajouter que le même senti-
ment a dû être embrassé avec chaleur, par les écrivains hérétiques, schis-
matiques ou impies, que leurs opinions portaient naturellement à blâmer et
à décrier les papes. Le sentiment commun des auteurs italiens que nous sui-
vons sur ce point, est également suivi par quelques auteurs français, que
nous avons indiqués plus haut, pag. 263, note 1.
(1) Voyez les n0s 7, 13, etc., du chap. précédent.
(2) C'est le sentiment des auteurs que nous avons cités plus haut p. 263,
note 1. Voyez principalement Orsi et Cenni. Il y a cependant ici une diffé-
rence remarquable entre le sentiment d'Orsi et celui de Cenni. Le premier
croit que la souveraineté du saint-siége était déjà établie dans l'exarchat,
aussi bien que dans le duché de Rome, avant l'expédition de Pépin en Ita-
lie, en 754. (Orsi , Del Dominio, cap. 1-5. ) Le second pense que la souve-
raineté du saint-siége , avant cette expédition , n'était établie que dans le
duché de Rome, que la souveraineté de l'exarchat appartenait encore à
l'empereur, et que le Pape n'en fut investi qu'en 754, par la donation de
Pépin. ( Cenni , Monumenta Domin. Poniif.ft. î , pag. 15 , 16 , 76 , 293 ,
294 et 296. ) La suite des faits que nous avons exposés dans le chapitre pré-
cédent nous paraît établir assez clairement le sentiment d'Orsi.
(3) Voyez plus haut, nos 20, 21, 32, 34, etc.
proposition :
Le pontificat
de Gré-
goire II est
l'époque
véritable de
son
commence-
ment.
270 SOUVERAINETÉ TEMPORELLE DU PAPE.
Grégoire II plusieurs villes et provinces d'Italie, abandonnées
de l'empereur, et fatiguées des vexations qu'il exerçait depuis
longtemps contre elles, se choisirent, sous le titre de Ducs,
des chefs indépendants de l'empereur, afin de pourvoir à leur li-
berté et à celle du Pape, qu'elles regardaient avec raison comme
leur principal refuge, dans l'état d'abandon où elles se trou-
vaient. Depuis cette époque, on vit constamment les papes, sans
prendre le titre et les insignes de la souveraineté , en exercer
tous les droits, par rapport aux villes et provinces d'Italie qui
s'étaient placées sous la protection du saint-siége , c'est-à-dire
principalement, dans le duché de Rome et dans l'exarchat (1).
Ils continuaient, à la vérité, d'honorer l'empereur, autant qu'il
était en eux et que les circonstances le leur permettaient ; ils
s'efforçaient même de conserver son autorité en Italie ; et tout
porte à croire que, dans les commencements, ils ne préten-
daient pas renoncer à sa domination d'une manière définitive
et irrévocable (2). Mais, tout en lui conservant ces marques
d'honneur et de respect, ils exerçaient réellement, dans le
duché de Rome et dans l'exarchat, tous les droits de la souve-
raineté , non plus au nom de l'empereur, mais comme chefs et
représentants de la république romaine, qui, dans l'état d'a-
bandon où elle se trouvait, leur avait confié ses intérêts tempo-
rels. En vertu de ce libre choix des peuples, le Pape considérait
le duché de Rome et l'exarchat comme ses propres États ; il re-
gardait les habitants de ces provinces comme son peuple et ses
sujets, les revendiquait, à ce titre, auprès des Lombards, appe-
lait le roi de France à leur secours, et lui donnait, de concert
avec eux , les titres de consul ou de patrice, pour l'exciter plus
efficacement à prendre leur défense.
(1) Je dis principalement ; car nous avons déjà remarqué que ces pro-
vinces ne fuient probablement pas les seules qui se mirent sous la pro-
tection du saint-siége, depuis le pontificat de Grégoire II. On peut conjectu-
rer la même chose , avec beaucoup de vraisemblance , de quelques autres
villes et provinces d'Italie , qui furent depuis données au saint - siège par
Charlemagne. Voyez plus haut, n° 46. — Thomassin, Ancienne et nouvel.
Discipline, t. m , liv. i , chap. 29, n. 8 et suiv.
(2) Tel est au fond, le sentiment d'Orsi ( ubi suprà , cap. 4) , et de Cenni
( ubi suprà , t. i, pag. 14 , etc. , n. 21 , 24, 58 ). L'abbé Pey, sans se pro-
noncer nettement là-dessus, paraît incliner à cette opinion. {De l'autor.
des deux Puissances, 1. 1, pag. 110.)
Troisième
proposition :
PREMIÈRE PARTIE. — CHAPITRE IL 271
111°. Avant la donation de Pépin, en 754, quelque étendu
que fût le pouvoir temporel des souverains pontifes dans le
duché de Rome et dans l'exarchat, il ne paraît pas qu'ils
aient prétendu renoncer, dyune manière définitive et irrévo-
cable, à la domination de l'empereur de Conslantinople (1).
Ce n'est pas qu'ils ne fussent dès lors autorisés , par le vœu 6,
légitime et par le libre choix de ces provinces, à s'en regarder
comme les véritables souverains (2); mais, quelque bien fondée la d^tfon de
qu'eût été cette prétention, il ne paraît pas qu'elle soit entrée pePin> .
r 7 r r n. cette souverai-
dans l'esprit des souverains pontifes, avant la donation de Pe- ;***
_ • , n'était que
pin; du moins, tout porte à croire qu'ils ne prétendaient pas provisoire.
s'attribuer, d'une manière définitive et irrévocable , la souve-
raineté des provinces dont il s'agit , mais y exercer seulement
une autorité provisoire , jusqu'à ce que les circonstances per-
missent cà l'empereur de rentrer dans l'exercice de ses anciens
droits. C'est ce qui paraît clairement résulter de la conduite des
papes Grégoire HT , Zacharie et Etienne II, à l'époque dont nous
parlons. La requête adressée aux empereurs, par l'Italie, sous le
pontificat de Grégoire III , pour le rétablissement des saintes
images; les soins du pape Zacharie pour maintenir contre les
Lombards l'autorité de l'exarque, et par conséquent celle de
l'empereur, dont il n'était que le représentant; les instances réi-
térées du pape Etienne II pour obtenir des secours de l'empereur,
avant d'appeler le roi de France en Italie ; tous ces faits, et plu-
sieurs autres dont l'histoire du temps fait mention , supposent as-
sez clairement que les papes ne prétendaient pas alors s'attribuer
définitivement la souveraine autorité dans le duché de Rome et
dans l'exarchat, et qu'ils travaillaient au contraire, de tout
leur pouvoir, à y maintenir celle de l'empereur.
(1) Voyez la note 2 de la page précédente.
(2) Voyez plus haut, n° 42, etc., pag. 247 et suiv.
272 SOUVERAINETÉ TEMPORELLE DU PAPE.
6*:> IV°. Depuis la donation de Pépin, en 754, jusqu'à l'élévation
proposition : de Charlemagne à l'empire, le Pape seul avait la souverai-
ia<foS>«<fe neté proprement dite, soit dans V exarchat, soit dans le
cettTïouve- duché de Rome.
rainelé
fut défunte j a premi£re partie de cette assertion , relative à la souverain
ceue proposi- neté de Vexarchat, est facile à établir, par la nature et les cir-
li*euuw*' constances de la donation de Pépin , et par la conduite même
ment à lexai- jes papGs à l'égard des habitants de l'exarchat , depuis cette
paria^/on donation. On a vu en effet que, depuis le pontificat de Gré-
efe Pépin. • » « » t« • • •
goire II , c est-a-dire , vingt-cinq ans environ avant la donation
de Pépin, toute la force et l'autorité du gouvernement de l'exar-
chat était entre les mains du Pape, considéré comme chef et re-
présentant de la république romaine; en sorte que, sans avoir
le titre et les insignes de la souveraineté , il en exerçait tous les
droits (i). Or, on ne voit pas que la donation de Pépin ait rien
changé, sur ce point, à la situation du Pape, sinon pour conso-
lider son autorité, et la rendre définitivement indépendante,
à l'égard de l'empereur de Constantinople. Il est certain en effet
que Pépin , en donnant au saint-siége les villes et territoires
de l'exarchat, a pu et voulu dépouiller définitivement l'empereur
de la souveraineté de cette province, pour la céder au saint-siége,
saus s'y réserver aucun droit. Qu'il ait pu dépouiller définitive-
ment l'empereur de cette souveraineté, c'est une conséquence na-
turelle de sa conquête (2) ; l'empereur ne pouvait raisonnable-
ment exiger que Pépin rendît une conquête si importante, à un
maître évidemment incapable de la défendre, et qui, depuis si
longtemps, se montrait bien plutôt l'ennemi déclaré que le
maître des provinces dont il s'agit. Que le roi de France ait
réellement voulu dépouiller l'empereur de cette souveraineté ,
c'est ce qui résulte clairement du refus absolu que fit Pépin de
reconnaître les prétentions de l'empereur, à ce sujet (3). Enfin, il
est également certain qu'en donnant au saint-siége les provinces
dont il s'agit, Pépin n'a prétendu s'y réserver aucun droit de
souveraineté. La supposition de cette réserve est également in-
(1) Voyez ci-dessus la 2e assertion, pag. 269, etc.
(2) Voyez plus haut, n. 41, pag. 246, etc.
(3)Jftid.
64.
Confirmation
de celte
PREMIÈRE PARTIE. — CHAPITRE II. 273
conciliable avec le langage des anciens auteurs et avec la con-
duite de Pépin ; car les anciens auteurs parlent de la donation
faite au saint-siége par ce monarque, comme d'une restitution
des provinces que les Lombards lui avaient injustement enle-
vées (l); et Pépin, pressé par les ambassadeurs de Constantinople
de restituer l'exarchat à l'empereur, déclara avec serment qu'il
n'avait entrepris son expédition en Italie par aucune considéra-
tion humaine , mais uniquement pour l'amour de saint Pierre,
et pour l'expiation de ses péchés. Assurément, ce n'est pas là le
langage d'un prince qui prétend conserver un droit de souve-
raineté sur des provinces conquises. On ne voit pas d'ailleurs
que Charlemagne ait eu là-dessus d'autres dispositions que
celles de Pépin ; car sa nouvelle donation n'avait pour but que
de confirmer et d'étendre la première ; et les historiens du temps,
soit français soit étrangers , parlent de ces deux donations,
comme de véritables restitutions faites à l'Église romaine (2).
Enfin , la conduite des papes depuis la donation de Pépin
vient encore à l'appui de notre sentiment. Il est certain en effet
que, depuis cette époque, les papes exercèrent tous les actes de preuve, par ia
la souveraineté dans l'exarchat, sans aucun témoignage de dé- Pap\*. e
pendance à l'égard de l'empereur de Constantinople ; et que ,
bien loin de se regarder comme ses sujets, ils combattirent ou-
vertement ses prétentions sur l'exarchat, comme celles d'un
ennemi déclaré (3). Or, cette conduite des papes suffirait seule
pour établir ce que nous avançons. En effet, outre qu'elle était
manifestement autorisée par le vœu légitime des peuples, on doit
remarquer que les pontifes dont nous parlons étaient des hommes
également recommandables par leurs lumières et leurs vertus.
Tous les anciens historiens, et la plupart des modernes, même
parmi ceux qui sont plus portés à blâmer la conduite politique
des papes de cette époque, ont rendu hommage à leur pru-
dence, à leurs vertus et à leur éminente sainteté. Lebeau lui-
môme, dans Y Histoire du Bas-Empire , où il représente Gré-
goire II ï et ses successeurs comme coupables de félonie envers
(l) Voyez plus haut, n. 40, pag. 245.
(î)Ibid., n. 46, pag. 254.
(3) Ibid.y n. 42 et suiv., pag. 247, etc.
18
274 SOUVERAINETÉ TEMPORELLE DU PAPE.
les empereurs de Constantinople (l), fait ensuite le plus bel éloge
des mêmes pontifes, sous le rapport de la prudence et de la
vertu. « Malheureusement pour les empereurs de Constantinople,
« dit-il, la vertu la plus éminente , jointe à la prudence la plus
« éclairée, siégait alors sur la chaire de saint Pierre. On vit, pen-
« dant quatre-vingts ans de suite, sept papes, aussi respectables
« pour la sainteté de leur vie, que redoutables à leurs souverains
« par la profondeur de leur politique. Quel contraste de la sagesse
« de Grégoire III, de Zacharie, d'Etienne II, et surtout d'Adrien Ier,
« génie ferme et étendu , vraiment digne du siècle de Charle-
« magne, avec la légèreté , les emportements de Léon l'Isaurien
« et de Constantin Copronyme (2) ! » On remarque avec éton-,
nement les mêmes aveux, dans la plupart des auteurs qui jugent
d'ailleurs avec plus de sévérité les papes du vine siècle (3). Qu'il
nous suffise de citer ici le témoignage de M. Sismondi , que per-
sonne ne soupçonnera de partialité en faveur de ces pontifes :
« Plus les Romains, dit-il, se voyaient négligés par les empereurs,
« plus ils s'attachaient aux papes, qui , pendant cette période,
« étaient eux-mêmes, presque tous, Romains de naissance, et que
« leurs vertus ont fait admettre , pour la plupart, dans le cata-
« logue des saints. La défense de Rome était considérée comme
« une guerre religieuse, parce que les Lombards étaient, les uns
« Ariens, les autres attachés encore au paganisme; les papes,
« pour protéger les églises et les couvents contre la profanation
« des Barbares, employaient les richesses ecclésiastiques dont ils
« disposaient, et les aumônes qu'ils obtenaient de la charité des
« fidèles occidentaux ; en sorte que le pouvoir croissant de ces
« pontifes sur la ville de Rome, était fondé sur les titres les plus
« respectables , des vertus et des bienfaits (4) . »
65. La seconde partie de notre assertion , qui regarde la souve-
Prouves
deia raineté du Pape dans le duché de Rome , depuis la donation de
(i) Lebeau , Hist. du Bas -Empire, t. xm, liv. lxih, n. 63; liv. lxiv,
n. 1 ; t. xiv, liv. lxvi, n. 19 et alibi passim.
(2) Ibid. , liv. lxvi, n. 5t.
(3) Annales du moyen âge, t. vu, liv. xxiv , pag. 67. — Daunou, Essai
historique , 1. 1 , pag. 29 et 30.
(4) Sismondi, Hist. des Rép. ïtal.,\. 1, chap. 3, pag. 122. L'auteur re-
produit, pour le fond, ces réflexions dans son Hist. des Français, t. n,
pag. 184-186.
PREMIÈRE PARTIE. — CHAPITRE II. 275
Pépin, semble, au premier abord, plus difficile à établir que la quatrième P,o-
première, parce que le duché de Rome ne faisait point partie des p£Tra^wt
territoires donnés à l'Église romaine par le roi de France ; mais, £ ^mè!
indépendamment de cette donation, la conduite des papes de-
puis cette époque, et celle des monarques français envers le saint-
siége, suffisent pour établir ce que nous avançons. Il est certain
en effet que, depuis la donation de Pépin jusqu'à l'élévation de
Charlemagne à l'empire, les papes exercèrent constamment tous
les droits de la souveraineté dans le duché de Rome, aussi bien
que dans l'exarchat, sans aucun témoignage de dépendance à
l'égard de l'empereur de Constantinople ni des monarques fran-
çais (1). Bien plus, ceux-ci reconnaissaient ouvertement la souve-
raineté du Pape dans le duché de Rome, soit en recevant de lui
Je titre àepatrices des Roinains, qui ne pouvait émaner que du
légitime souverain de Rome ; soit en reconnaissant la souverain été
du Pape dans les provinces de l'exarchat, que les Lombards lui
avaient enlevées (2). Qui ne voit, en effet, que le roi de France ne
pouvait reconnaître cette dernière souveraineté, sans recon-
naître également celle que le Pape exerçait dans le duché de
Rome, l'une et l'autre étant évidemment fondées sur le même
titre, c'est-à-dire, sur le libre choix et sur le vœu légitime
des habitants de ces provinces , abandonnées de leurs anciens
maîtres?
A quel titre d'ailleurs le roi de France eût-il pu s'attribuer
la souveraineté de Rome? Serait-ce par droit de conquête ? Il
ne pouvait avoir ce droit que dans les provinces conquises sur
les Lombards ; or, il est certain que ceux-ci n'ont jamais été
maîtres de Rome (3). Serait-ce comme patrice des Romains ?
Il est certain que ce titre ne donnait par lui-même aucune
(1) Voyez plus haut, chap. 1 , n. 42, p. 247, etc.
(2) Voyez plus haut, chap. 1 , n. 46, p. 254.
(3) Bossuet (Defens. Declar. lib. il, cap. 38, 1er alinéa), Fleury
(Hist. Ecclés., t. x, liv. xlv, n. 21 ) , et quelques autres auteurs, suppo-
sent que Charlemagne était souverain de Rome par droit de conquête. Nous
ne voyons rien dans l'histoire, qui puisse appuyer cette supposition. Aussi
la plupart des historiens supposent , au contraire , comme une chose con-
stante, que le roi de France ne fut jamais souverain de Rome, avant l'éléva-
tion de Charlemagne à l'empire. Lebeau , Hist. du Bas-Empire, t. xm,
liv. lxiv, n. 32. Voyez aussi les observations que nous avons faites sur ce
sujet, à la fin du chapitre précédent, ci-dessus, n. 48, texte et notes.
18.
276 SOUVERAINETÉ TEMPORELLE Ï)Ù PAPE.
souveraineté. Depuis le règne de Constantin jusqu'à la chute de
l'empire d'Occident , ce titre, lorsqu'il n'était pas purement ho-
norifique, ne donnait qu'un pouvoir subordonné à l'autorité du
souverain légitime. Le patrice d'Italie, comme ceux de Sicile et
d'Afrique, n'avait d'autre pouvoir, que celui de gouverner sa pro-
vince au nom de l'empereur, et comme son représentant (1).
Aussi est-il généralement reconnu que le titre de patrice des Ro-
mains, accordé à Pépin par le Pape Etienne II , ne lui donna
aucune souveraineté, avant son expédition en Italie. Nous ne
connaissons pas un seul auteur qui fasse remonter la souveraineté
du roi de France dans le duché de Rome ou dans l'exarchat, jus-
qu'à l'époque où il reçut du Pape le titre de patrice des Ro-
mains. Tous les auteurs qui lui attribuent quelque souveraineté
en Italie, la supposent postérieure à ce titre, et attribuent par
conséquent à cette souveraineté une autre origine (2).
66. Concluons, en passant, de ces observations, que le titre de
France,6 patrice des Romains, quelque honorable qu'il fût pour Pépin et
7e?mRomZue, Charlemagne, ne leur donnait par lui-même aucune souverai-
iioin'tT'sou- ne^ proprement dite dans Rome et dans l'exarchat, mais
verRmneë de um(Iuement Ie droit et l'obligation de protéger le saint-siége
contre ses ennemis, et de régler, de concert avec le Pape, tout
ce qui regardait l'ordre et la tranquillité publique, dans ses États.
Cette conséquence, qui résulte naturellement des faits que
nous venons d'exposer , est d'ailleurs établie par le langage or-
dinaire des anciens auteurs, qui ont parlé du patriciat de Pépin
et de Charlemagne. Les souverains pontifes, le sénat et le
peuple romain, le roi de France lui-même, bien loin d'attacher
à ce titre la souveraineté de Rome, n'y attachaient d'autre idée
que celle de protecteur et de défenseur de l'Église romaine (3).
Les papes Paul Ier et Adrien Ier, qui s'attribuent la souveraineté
de Rome et de l'exarchat , donnent indistinctement au roi de
France, tantôt le titre de patrice des Romains, tantôt seulement
celui de tuteur, de défenseur, ou de libérateur de V Église ro-
(1) Voyez plus haut , chap. 1 , pag. 238 , note 2.
(2) Voyez les auteurs cités plus haut, pag. 267, note 2.
(3) Voyez principalement, sur ce point, Alamanni , De Lateranensibus
Parietinis, cap. 1 1 .— Pagi, Critica, anno 740, n. 8; anno 796, n. 3, etc. —
Orsi, Del Dominio, etc., cap. 8 , pag. 126, etc. — Cenni , Monum. Domin.
Ponlif., t. i , pag. 294-296. — De Maistie, Du Pape , liv. u , ch. 6 , p. 257.
*
PREMIÈRE PARTIE. — CHAPITRE II. 277
maine et de son peuple particulier (1). Le sénat et le peuple ro-
main emploient également ces expressions les unes pour les au-
tres, dans uncAettre à Pépin, sous le pontificat de Paul Ier (2).
Charlemagne lui-même n'attachait pas d'autre idée à son pa-
triciat; il est à remarquer en effet que, dans ses lettres et ses
actes publics, il prend indistinctement le titre de patrice des
Romains et celui de défenseur de V Église , tantôt réunissant
ces deux titres, tantôt omettant celui de patrice et prenant
seulement celui de défenseur; et toujours mettant ces titres
après celui de roi de France et des Lombards (3). Est-il
croyable qu'il eût constamment employé ce langage, s'il eût re-
gardé la souveraineté de Rome comme attachée à son titre de
patrice des Romains?
La lettre qu'il écrivit, en 796 , au pape Léon HT, pour le fé-
liciter de son exaltation au pontificat, et pour le prier de con-
firmer son titre de patrice des Romains , vient parfaitement à
l'appui de ces observations. « Nous vous envoyons, lui dit-il,
« Angilbert, notre secrétaire à qui nous avons donné nos
« instructions,.... afin que vous régliez ensemble tout ce que vous
« croirez nécessaire à l'exaltation de la sainte Église, au maintien
« de votre dignité, et à l'affermissement de notre patriciat.
» Car, de même que f ai contracté alliance avec votre bienheu-
« veux prédécesseur , je désire la contracter d'une manière aussi
« inviolable avec Votre Béatitude ; afin qu'avec la grâce de
« Dieu, et par les prières des saints, la bénédiction apostolique de
« Votre Sainteté m'accompagne partout , et qu'avec l'aide de
« Dieu, je puisse toujours défendre avec zèle le saint-siége de
« l'Église romaine (4). » 11 est difficile assurément de concilier
(1) Cod. Carol. Ep. 13, 17, 18, 30, 83, 93. (Cenni, Monumenta, 1. 1,
pag. 136, 150, 153, 189, 460, 500; et alibi passim.)
(2) Cod. Carol. Ep. 15 (aliàs 36). (Cenni, ibid., pag. 142, 144.)
(3) Caroli Magni Epist. ad Offam regem; ad Fastradam reginam;
ad Angilbertum ; ad Leonem III, etc., etc. (Baluzii Capitularia ,
1. 1, pag. 194, 255, 271, 272. — Labbe, Concil. t. vu, pag. 1128, etc.)
Ejusdem Capitularia annorum 769, 789, etc. (Baluz. ibid. , t. i,
pag. 190, 210.)
(4) «Ad dilectionis pacificam unitatem, Angilbertum, manualem nostrse
« familiaritatis , Vestree direximus Sanctitati , illique omnia injunxi-
« mus , quœ vel nobis voluntaria, vel vobis necessaria esse videbantur; ut
« ex collatione mutuâ conferatis quidquid ad exaltationem sanctae Dei Eccle-
278 SOUVERAINETÉ TEMPORELLE DU PAPE.
cette lettre avec le sentiment des auteurs modernes qui attri-
buent au roi de France , comme patrice des Romains , la sou-
veraineté de Rome, à l'époque dont il s'agit. Charlemague, bien
loin de s'attribuer cette souveraineté , reconnaît clairement le
Pape pour le véritable souverain de Rome, soit en s'adressant à
lui pour être confirmé dans la dignité de patrice des Romains,
soit en déclarant expressément que l'unique motif de cette de-
mande, est de contracter avec lui une alliance , en vertu de
laquelle il puisse défendre efficacement le saint-siége contre ses
. G7- . ennemis.
La souverai-
neté du Pour expliquer plus à fond la nature et l'étendue de la souve-
Pape, aussi , /
absolue dans rainete temporelle du saint-siege, à l'époque dont nous parlons,
de RomVque nous ne devons pas omettre ici une observation importante.
l'exaTchat. Quelques auteurs modernes prétendent que cette souveraineté
était moins absolue dans le duché de Rome que dans X exarchat;
qu'elle était restreinte, dans le duché de Rome, par l'autorité du
sénat et du peuple romain ; mais que cette restriction n'existait
pas dans les autres provinces soumises à la domination du saint-
siége. La raison de cette différence, selon ces auteurs, venait de
l'origine de la souveraineté du saint-siége, dans ces différentes
provinces. Dans le duché de Rome, elle était uniquement fon-
dée sur le libre choix du sénat et du peuple romain , qui , en se
soumettant à l'autorité du Pape, n'avaient pas renoncé à l'exer-
cice des droits dont ils avaient constamment joui sous les empe-
reurs; dans V exarchat, la souveraineté du saint-siége n'était pas
seulement fondée sur le libre choix des peuples, mais encore sur
la libéralité du roi de France, qui, après avoir conquis ces pro-
vinces sur les Lombards , les avait cédées au saint-siége absolu-
ment et sans restriction (l).
« sise, vel ad stabilitatem honoris vestri , vel patriciatûs nostri firmita-
« tem neeessarium intelligeretis. Sicut enim cum prœdecessore Vestrœ
« sanctœ Paternitatis pactuminii, sic cum Beatitudine Vestrâ ejusdem
« fidei et caritatis inviolabile fœdus statuere desidero; quatenus apostolicae
« Sanctitatis Vestra? , divinâ donante gratiâ, sanctorum advocata precibus
« me ubique apostolica benedictio consequatur, et saiictissima Romanœ Ec-
« clesiae sedes , Deo donante , nostra semper devotione defendatur. »
Caroli Magni Epist. ia ad Leonem III. ( Labbe, Conciliorum t. vu,
pag. 1128. — Baluzii Capitularia , t. i, pag. 271.) — Fleury, Hist.
Eccl. , t. x, liv. xlv, n. 5.
(l) Cenni, Monum. Domin. Pontif., t. n, pag. 108.
PREMIÈRE PARTIE. — CHAPITRE II. 279
Nous ne voyons rien, dans l'histoire, qui autorise cette explica-
tion ; nous y trouvons, au contraire, des raisons de croire que la
souveraineté dtf saint-siége n'était pas moins absolue dans le
duché de Rome que dans l'exarchat. Dans l'une et l'autre de
ces provinces, elle était également fondée sur le libre choix
des peuples, qui, dans l'état d'abandon où ils se trouvaient,
avaient mis tous leurs intérêts entre les mains du Pape, et lui
avaient confié l'autorité que l'empereur de Constantinople exer-
çait auparavant sur eux , par le moyen de ses officiers. Pépin
et Charlemagne avaient eux-mêmes reconnu la légitimité de ce
titre, en restituant au saint-siége les villes et territoires de
l'exarchat que les Lombards lui avaient enlevés (1).
Dira-t-on que le sénat et le peuple romain, en se soumettant à 68.
l'autorité du Pape, n'avaient pas renoncé à l'exercice des droits e ^"upie
dont ils avaient constamment joui sous les empereurs (2)? Cette a™i™tTucû»e
difficulté suppose que le sénat et le peuple romain avaient part'
conservé jusqu'alors leurs anciens droits, dans le gouvernement
de l'État. Il est certain au contraire, et généralement reconnu,
qu'ils en étaient dépouillés depuis longtemps, par suite des ac-
croissements successifs du pouvoir impérial (3). Depuis le règne
de Constantin surtout, le sénat de Rome n'était plus qu'un
corps municipal, environné sans doute de la considération at-
tachée à son caractère , mais sans aucune juridiction hors des
murs de la ville , et sans aucune participation au gouvernement
de l'État (4). Ses droits municipaux subsistaient, il est vrai, à l'é-
(1) Voyez ci-dessus , pag. 273 et 275.
(2) Cenni , ubi suprà.
(3) Mœliler , Manuel d'Hist. du moyen âge, chap. 1 , § 3. — Naudet,
Des Changements opérés dans l'administration de l'empire sous Dio-
ctétien et Constantin , t. r, pag. 289, etc. ; t. h, chap. 7. — Muratori,
Chorogr. medii œvi , § 20. (Rerum. Ital. Script., t. x.)
(4) On sait que, sous les empereurs romains, la plupart des villes d'Italie
formaient des communes ou républiques, qui avaient une espèce de régime
ou de gouvernement municipal , sous le haut domaine ou la haute admi-
nistration de l'empereur. Ces communes ou républiques avaient un sénat
et des magistrats particuliers à leur choix, des assemblées et des lois parti-
culières , qui avaient pour objet l'ordre et les intérêts particuliers de la cité.
(Godefroy, Cod. Theodos. lib. xn, Praeamb. in tit. 1 ; Comment, in Ut. 2,
n. l,tom. îv, pag. 289, etc. — Muratori, Antiquit. Ital. medii œvi, Dissert.
18, t. i, p. 981. —Naudet, ubi suprà, 1. 1, pag. 49, etc.; t. n, pag. 101, etc.
— Mœlher, ubi suprà , pag. 49. — Guizot, Essais sur l'Hist. de France;
280 SOUVERAINETÉ TEMPORELLE DtJ PAPE.
poque où l'Italie secoua le joug de l'empereur de Constanti-
nople; et il y a tout lieu de croire que le régime municipal sub-
sista encore longtemps, depuis cette époque, à Rome aussi bien
que dans plusieurs autres villes de l'Italie (i ) ; mais ce régime ,
qui n'existait pas moins dans les principales villes de l'exarchat
que dans le duché de Rome , n'avait pour objet que l'ordre et
les intérêts particuliers de la cité , et ne diminuait en rien les
droits du souverain pour le gouvernement de l'État.
V°. Depuis V élévation de Charlemagne à l'empire , le Pape
continua de posséder seul la souveraineté proprement dite
dans le duché de Rome [et à plus forte raison dans l'exar-
chat) (2), tant sous les empereurs carlovingiens que sous les
empereurs allemands.
_. 69-, En effet, si l'on examine attentivement la suite des faits rela-
CinqnXeme '
I,rjPo°ï'Te ^S au P0llV0^r temporel du Pape depuis l'élévation de Charle-
conserve in magne à l'empire . on verra que ce grand événement ne donna
souveraineté x x °
de Rome aucune atteinte à la souveraineté que le Pape exerçait aupara-
et de l 'exor*
chat, vant dans le duché de Rome et dans l'exarchat ; on le verra con-
ept'io» deVa tinuer, depuis cette époque , à exercer dans ces provinces tous
Cà rempîfe"6 *es droits de la souveraineté, sans aucune dépendance, soit à
l'égard de l'empereur d'Orient, soit à l'égard du nouvel empe-
reur d'Occident.
L'indépendance du Pape à l'égard de l'empereur d'Orient,
depuis l'élévation de Charlemagne à l'empire, est généralement
admise par les historiens ; et nous ne croyons pas qu'on puisse
raisonnablement la contester. On a déjà vu que, longtemps avant
l'élévation de Charlemagne à l'empire , l'empereur de Constan-
tinople avait été dépouillé de ses droits sur le duché de Rome et
sur l'exarchat, par le vœu légitime des peuples de ces provinces;
1er Essai.) Cet ordre de choses continua de subsister sous les empereurs
chrétiens ; et l'on en trouve encore des vestiges sous les rois goths et même
sous la domination des Lombards et des Francs. (Muratori, ubi suprà,
pag. 982, 1007, etc.)
(1) Muratori, Antiquit. Ital. medii œvi; Dissert. 18 et 45. t. i et m.
(2) Je dis, à plus forte raison dans l'exarchat ; parce que, indépen-
damment des raisons qui établissent également la souveraineté du Pape dans
le duché de Rome et dans l'exarchat, le saint-siége avait des droits particu-
liers à la souveraineté dans cette dernière province , en vertu des donations
de Pépin et de Charlemagne. Voyez ci-dessus, n. 63, pag. 272, etc.
PREMIÈRE PARTIE. — CHAPITRE II. 281
et que le Pape, qui n'avait d'abord accepté le gouvernement de
ces provinces que d'une manière provisoire, avait été définiti-
vement affranchi de toute dépendance, à l'égard de l'empereur,
depuis la donation de Pépin, en 754 (1).
11 est plus difficile de décider si la souveraineté du Pape dans
Rome fut également indépendante de l'empereur d'Occident
depuis l'établissement du nouvel empire. Toutefois, le senti-
ment qui soutient cette indépendance paraît clairement établi
par l'histoire, tant sous le règne de Charlemagne, que sous les
successeurs de ce grand prince (2).
1° L'indépendance du Pape à l'égard de Charlemagne , 7°-
depuis son élévation à l'empire , semble clairement établie par dance du pape
le testament que ce prince fit, en 806, dans la diète de Thion- decharie-
ville, pour le partage de ses États entre ses enfants (3). L'empe- ma*"e pST""
reur y déclare d'abord, qu'il fait cet acte afin de prévenir tout ^J^ÎSÎÏ
sujet de contestation entre ses trois fils, en partageant entre en 8o(i-
eux tout le corps de son royaume. « Nous faisons savoir,
« dit-il , que nous souhaitons laisser nos trois fils , s'il plaît à
« Dieu, héritiers de notre royaume et de notre empire. Ne vou-
« lant point cependant leur transmettre confusément et sans
«règle la possession de ce royaume, comme un sujet de con-
troverse, mais en diviser tout le corps en trois parties, et
(1) Voy. plus haut, nos 60 et 65, pag. 270 et 275. Concluons, en passant, de
ces observations, que, à parler exactement, l'empire d'Occident ne fut point
transféré des Grecs aux Français , par l'élévation de Charlemagne à
l'empire, comme le supposent Baronius, Bellarmin et plusieurs autres.
Longtemps avant cette époque , l'empire d'Occident était détruit , puisque
l'empereur avait perdu tous ses droits dans le duché de Rome et dans l'exar-
chat. L'empire ne fut donc pas proprement transféré, mais renouvelé ,
dans la personne de Charlemagne. Aussi, est-ce l'expression employée dans
plusieurs médailles de Charlemagne, dont l'inscription porte ces mots :
Renovalio Imperii. Voyez, à ce sujet , D. Bouquet, Recueil des Historiens
de France, t. v, pag. 23 , 53, etc. — Cenni, Monumenta Domin. Pontif.,
t. ii, pag. 17, etc.
(2) Cenni, Monumenta Dominationis Pontificiœ, t. n, Dissert. 1 : De
Leonis III Epistolis, n. 2, 19, etc. — Orsi, Délia origine del Dominio, etc.,
cap. 9 et 10.
(3) Baluze, Capitular. t. i, p. 437. Cet acte est traduit en entier dans les
Annales du moyen âge, t. vin, liv. xxix, p. 267. Fleury fait aussi mention
de cet acte dans son Hist. Ecclés. (t. x, liv. xlv, n. 34). Voyez, à ce sujet,
les observations de Marchetti, Critique de Fleury, t. h, n. 95.— Orsi, Délia
origine del Dominio, cap. 9, p. 154, etc.
282 SOUVERAINETÉ TEMPORELLE DU PAPE.
« assigner à chacun celle qu'il doit régir et protéger (1). » Après
ce préambule, l'empereur assigue à chacun de ses trois fils une
portion de ses États, dont il fait une description fort détaillée,
et dans lesquels il n'oublie pas de faire entrer les provinces
d'Italie qui formaient alors le royaume de Lombardie (2). Mais
il est à remarquer que, dans cette division de tout le corps de
son royaume , il omet entièrement le duché de Rome et l'exar-
chat. Il se contente d'ordonner à ses enfants « de prendre tous
« ensemble le soin et la défense de l'Église romaine , ainsi qu'il
« a été pratiqué par Charles Martel , son aïeul , par son père
« Pépin, d'heureuse mémoire, et par lui-même (3). » Pouvait-il
supposer plus clairement que le duché de Rome et l'exarchat ne
faisaient point partie du corps de son royaume ? S'ils en eussent
fait partie, les aurait-il omis dans l'énumération et le partage
de ses États? En les omettant, n'eût-il pas laissé à ses enfants le
plus grand sujet de contestation, dans l'acte même qu'il desti-
nait à prévenir tout sujet de contestation entre eux?
71 On peut citer, à l'appui de ce raisonnement, plusieurs lettres
Lettres de , l ' rr -, .
Léon m, à i'a P- écrites par le Pape Léon III à Charlemagne, depuis son eleva-
cette preuve, tion à l'empire , et qui supposent clairement que le titre ft em-
pereur, conféré au roi de France, n'avait porté aucune atteinte
à la souveraineté du Pape, dans le duché de Rome et dans l'exar-
chat (4). Le Pape, dans ces lettres, donne indistinctement à
Charlemagne le titre ^empereur, et celui de défenseur de
V Église; et il emploie tellement ces deux titres l'un pour l'au-
tre, qu'il n'attache pas à celui $ empereur d'autre idée que
celle de défenseur de V Église , auparavant attachée au titre de
(1) « Non ut confuse atque inordinatè, aut sub totius regni dominatione ,
« jurgii controversiam eis relinquamus ; sed trinâ partitione totum regni
« corpus dividendes , quam qnisquis illorum tueri vel regere debeat portio-
« neni distribuere et designare volumus. » Baluze, ubi suprà, p. 439.
(2) Cet acte fournit des notions très-importantes, pour déterminer l'éten-
due et les limites de l'empire de Charlemagne. On peut voir, sur ce
sujet, le Mémoire de D. Lieble, que nous avons indiqué plus haut, pag. 260,
note 3.
(3) « Super omnia aufem jubemus atque prœcipimus, ut ipsi très fratres
« curam et defensionem Ecclesiœ sancti Pétri simul suscipiant, sicut quon-
« dam ab avo nostro Carolo, et beatae mémorise genitore nostroPippino rege,
« et à nobis postea suscepta est. » Baluze, ubi suprà, n. 15, p. 443.
(4) Cenni, ubi suprà, n. 2.
PREMIÈRE PARTIE. — CHAPITRE H. 283
patrice des Romains (l). D'autres lettres du même Pape sup-
poseut qu'il exerçait alors dans le duché de Rome et dans l'exar-
chat, sans aucune contradiction de la part de l'empereur, tous
les actes de la souveraineté , instituant librement les ducs ou ,
gouverneurs des villes , prenant des mesures pour détendre les
côtes contre les Sarrasins, etc. (2).
Un autre monument de cette époque suppose même l'autorité 7**
de l'empereur subordonnée à celle du Pape, dans le duché de preuve confir-
Rome. On trouve dans le Bullaire, sous la date de l'année 805, lacte émane"
un acte émané à la fois de Léon III et de Charlemagne , pour ^Su^ïpe""
assurer la possession de quelques biens-fonds au monastère de et d° „*mpe"
Saint- Anastase des Trois-Fontaines, situé aux environs de Rome.
Il est à remarquer que le Pape est nommé avant l'empereur,
soit dans le titre de ce diplôme, soit dans sa date, qui marque
les années du pontificat de Léon avant celles de Charlemagne ,
soit dans les signatures, dont celle du Pape occupe le premier
rang (3). Peut-on raisonnablement supposer qu'un acte de cette
nature, dont l'objet direct est d'assurer les droits temporels d'un
établissement important, eût été ainsi rédigé, si le Pape n'eût
exercé dans Rome qu'une autorité subordonnée à celle de l'em-
pereur? Cette rédaction ne suppose-t-elle pas, an contraire, que
l'autorité de l'empereur, dans Rome, était subordonnée à celle
du Pape?
(1) Leonis III Epistol. ad Carol. imperat. 2, 4 et 5. (Cenni, ubi su-
pra, p. 51, 59 et 62. )
(2) Ibid., Epist. 4, 5 et 8, p. 60, 63, 74.
(3) Il suffit à notre but de citer le titre, le préambule et la conclusion de ce
diplôme :
« In nomine Domini Dei salvatoris nostri Christi.
« Léo episcopus , servus servorum Dei , et Carolus Magnificus et praesens
« rex, hâc die, nullo prohibente nec contradicente, sed propriâ nostrâ volun-
« tate, concedimus, tradimus, etc.. Actum est hoc traditum anno Dominicse
« Incarnationis octingentesimo quinto, indictione décima tertiâ, et Domini
« Leonis summi papse tertii anno decimo, Caroli imperatoris anno quinto.
« Ego Léo, episcopus Romanae Ecclesiae subscripsi.
« Ego Carolus rex, impeiator augustus subscripsi. »
On peut voir le texte entier de cet acte dans le t. 1 (p. 161) du Bullarium
magnum Romanum. Romœ , 1739-1750, 28 vol. in-f'ol. Ce même acte est
rapporté en entier dans la dissertation italienne de Santelli, intitulée : Oltra-
gio fatto a Leone ed a Carlomagno, in un quadro ed una stampa espri-
menti Vadorazione dei Pontefice alV imper adore. Roma , 1815, in-4°
(p. 19).
Débonnaire,
284 SOUVERAINETÉ TEMPORELLE DU PAPE.
73. 2° L'indépendance du Pape à l'égard des successeurs de
da^«!uiTape Charlemagne , tant sous les empereurs carlovingiens que sous
tLl Sccel *es empereurs allemands , n'est pas moins clairement établie par
seursdechar- l'histoire, il suffit, pour s'en convaincre, de lire attentivement
prouvée par > les diplômes de Louis le Débonnaire, d'Othon Ier et de Henri II,
hluùh qui confirment les donations faites au saint-siége par Pépin et
Charlemagne.
Le premier de ces diplômes, donné en 817 par Louis le
Débonnaire, suppose clairement que le duché de Rome et
l'exarchat appartiennent depuis longtemps au saint-siége;
l'empereur y déclare expressément , qu'il ne prétend s'y réser-
ver aucune autorité, à lui ou à ses successeurs , sinon dans le
cas où le Pape aurait recours à sa protection. « Moi, Louis,
« empereur auguste, dit-il (l), j'abandonne par cet acte de con-
» firmation, à vous, bienheureux Pierre, prince des apôtres, à
« votre vicaire le seigneur Pascal , souverain pontife et Pape
«universel, et à ses successeurs , pour toujours, comme vos
«prédécesseurs Vont tenu jusqu'à ce jour sous leur puissance
« et juridiction (2) , la ville de Rome avec son duché et ses dé-
(i) « Ego Ludovicus, imperator augustus, statuo et concedo per hoc pa-
rt ctum confirmationis nostrae, tibi beato Petro, principi apostolorum, et per
« te vicariotuo Domino Paschali, summo pontifie), et universali papœ, et suc-
« cessoribus ejus in perpetuum, sicut à prœdecessoribus vestris usque
« nunc in vestrâ potestate et dilione tenuistis et disposuistis , civitatem
« Romanam cum ducatu suo et suburbanis atque viculis omnibus, etc
« Nullamque in eis nobis partem, aut potestatem disponendi, vel judicandi,
« subtrahendive aut minorandi vindicamus, nisi quando ab illo qui eo tem-
« pore hujus sanctse Ecclesiae regimen tenuerit, rogati fuerimus. » Privile-
gium Ludov. imperat. Apud Cenni, ubi suprà, t. ri, p. 125, etc. Fleury
parle de cet acte dans son Hist. Ecclés. (ibid. , liv. xlvi , n. 26 ), mais fort
brièvement, et même d'une manière très-peu exacte, comme on va le voir.
VHist. de l'Église de M. Receveur peut lui servir de correctif sur ce point,
comme sur plusieurs autres. (T. iv, p. 209.)
(2) Au lieu de ces mots, sicut à prœdecessoribus vestris, qu'on lit dans
tous les manuscrits, le Décret de Gralien , suivi par quelques critiques mo-
dernes, porte : sicut à prœdecessoribus nostris. Mais, indépendamment de
l'autorité des manuscrits, cette dernière leçon est manifestement contraire
au témoignage de l'histoire. Il est certain , en effet ,• que le duché de Rome ,
dont il est fait mention immédiatement après les paroles dont il s'agit, n'a
pas été donné au saint-siége par Pépin et Charlemagne, qui n'y ont jamais
eu aucun droit de souveraineté. Louis le Débonnaire n'a donc pas pu dire
que ses prédécesseurs ravalent tenu sous leur juridiction. Il est certain
au contraire , et Louis le Débonnaire a pu dire avec vérité , que ce duché
était sous la juridiction des pontifes prédécesseurs de Pascal, puis-
PREMIÈRE PARTIE. — CHAPITRE II. 285
« pendances. » Suit rénumération des villes et territoires d'Ita-
lie, alors appartenant au saint-siége; après quoi l'empereur
continue ainsi : « Et nous ne prétendons nous attribuer aucun
« droit ou pouvoir de gouverner ou de juger dans lesdites villes
« et territoires , d'en rien soustraire ou diminuer, si ce n'est
« lorsque nous en serons prié par celui qui possédera en ce
« temps le gouvernement de la sainte Église romaine. » ■
Après un témoignage si formel, on est étonné de voir Fleurv 74.
r D ° ' J Méprise de
et quelques autres historiens modernes, citer ce diplôme à l'ap- Ffcury et de
pui du sentiment qui suppose que Pépin et Charlemagne don- nm?"»-
nèrent seulement au Pape le domaine utile des provinces dont ^l/iômT.
il est ici question, en s'y réservant le haut domaine ou la sou-
veraineté, pour eux et leurs successeurs (1). Mais pour peu
qu'on examine la suite du texte, on verra que ces au-
teurs n'en ont pas saisi le véritable sens. Louis le Débon-
naire, après avoir confirmé, dans le passage qu'on vient de
lire , les donations faites au saint-siége par Pépin et Charle-
magne, lui confirme aussi quelques pensions et autres revenus
sur les duchés de Toscane et de Spolette , avec cette clause
remarquable : sauf notre domination sur ces duchés , et leur
sujétion envers nous (2), Il ne faut qu'un peu d'attention pour
voir que cette clause tombe uniquement sur les duchés de
Toscane et de Spolette , et nullement sur les États du saint-
qu'ils en avaient eu la souveraineté depuis l'année 754, et même plus
anciennement , comme nous l'avons montré. Voyez , à ce sujet, Cenni, Mo-
numenta Domin. Pontif., 1. 1. Prœf., n. 26; t. 11, Dissert. lâ, n. 12, etc.,
et note 3 de la page 125.
(1) Fleury, ubi suprà. — Leblanc , Dissert, sur quelques monnaies de
Charlemagne, chap. v, p. 30. — D. Ceillier, Hist. des Auteurs ecclés.,
t. xviii, p. 618.
(2) « simili modo, perhoc nostrae confirmationis decretum, firmamus
« censum et pensiones, seu cacteras donationes quse aimuatim in palatium régis
« Langobardorum inferri solebant, sive de Tusciâ Langobardorum , sive de
« ducatu Spoletino ; sicut in suprascriptis donationibus continetur, et
« inter sanclœ memoriœ Adrianum Papam et dominum ac genilorem
« nostrum Carolum imperatorem convenu, quando idem Pontifex eidem
« de suprascriptis ducatibus id est, Tuscano et Spoletino, suae auctoritatis
« praeceptum confirmavit ; eo scilicet modo , ut annis singulis praedictus
« census Ecclesiœ beati Pétri apostoli persolvatur; salvâ super eosdem du-
« caius nostrd in omnibus dominatione , et illorum ad nostram partem
« subjectione. » Privileg. Ludov., apud Cenni, ubi suprà, p. 129 et 130.
Voyez plus liaut (page 262, note 3), quelques observations sur ce passage du
diplôme de Louis le Débonnaire.
75.
286 SOUVERAINETÉ TEMPORELLE DU PAPE.
siège, dont l'empereur a fait plus haut l'énumération. Mais les
auteurs que nous combattons ne paraissent pas avoir lu atten-
tivement le diplôme dont il s'agit ; car ils citent la clause rela-
tive aux duchés de Toscane et de Spolette, comme si elle re-
gardait tous les États du saint -siège, tandis qu'ils passent
entièrement sous silence les autres paroles du diplôme qui éta-
blissent clairement notre sentiment.
Nous ne dissimulerons pas que d'habiles critiques ont élevé
Autt/eniicité des doutes sur l'authenticité de ce diplôme (i). Toutefois, nous
de cet acte. ,,. n . ,
croyons pouvoir lmvoquer avec confiance , soit parce que son
authenticité nous paraît généralement, admise et solidement
défendue par le plus grand nombre des savants, soit parce
qu'elle est formellement reconnue par plusieurs de ceux dont
elle renverse les sentiments sur la question qui nous occupe (2).
76- , Au reste , quelque décisive que soit cette pièce en faveur de
La preuve tirée
(1) L'authenticité de ce diplôme est principalement contestée par le P.
Pagi et par Muratori. (Pagi, Critica in Annales Baronii, anno 817, n. 7.
— . Muratori , Annales medli œvi,t. m , p. 29. — Idem, Piena esposizione
del diritti imperiali, cap. 4 , p. 42, etc.) Elle est solidement défendue par
Gretser, Defensioin Goldastum, p. 204. — Idem, Apologia Baronii, cap. 8,
p. 340. — Cenni, Monumenta Dominationis Pontiftciœ,t. i, Prœf. § 3 ;
t. n, p. 83, etc. Voyez aussi la Dissertation du même auteur sur le Diplôme
de Louis le Débonnaire, à la suite de l'ouvrage d'Orsi, Délia origine del
Dominio , etc. — Marini , Nuovo Esame delV autenticita de diplomi di
Ludovico Pio, Ottone I, e Arrigo If, etc. Roma, 1822, in-8°. A l'appui de son
sentiment, ce dernier auteur (pages 10 et 11) cite plusieurs autres écrivains
de sa nation qui paraissent avoir solidement traité cette matière.
La principale raison alléguée contre l'authenticité du diplôme de Louis le
Débonnaire, se tire du droit qu'il attribue au saint-siége sur la Sicile, qui ap-
partenait alors aux empereurs grecs, et sur laquelle l'empereur d'Occident
n'avait aucundroit. Pour résoudre celte difficulté, les défenseurs du diplômeob-
serventque le saint-siége, déjà dépouillé injustement, par les empereurs grecs,
àespatiï?noines considérables qu'il possédait en Sicile et en Calabre (voyez plus
haut, chap. 1, n. 31), était encore exposé, depuis plusieurs années, à perdre
toute espérance de les recouvrer, par suite des incursions des Sarrasins, qui
menaçaient d'envahir ces provinces. Dans ces conjonctures, il était sans
doute permis au roi de France de soutenir tout à la fois les droits du saint-
siége contre l'injuste spoliation des empereurs de Constantinople et contre
les attaques également injustes des Sarrasins, en lui assurant la possession
de la Sicile. Il y a tout lieu de croire que Charlemagne prit en effet ce
moyen d'assurer les droits du saint-siége, puisque Louis le Débonnaire sup-
pose clairement les droits du Pape sur la Sicile. Voyez, à ce sujet, Cenni,
Monumenta, t. u, Dissert. 1, n. 3; Dissert. 2, n. 20, note 14 de la p. 128,
et alibi passim.
(2) Voyez les auteurs cités dans la note 1 de la page précédente.
PREMIÈRE PARTIE. — CHAPITRE II. 287
notre sentiment , elle n'est pas nécessaire pour l'établir. Il est de ce
certain, en effet, qu'on retrouve le même langage et les mêmes confinnf/ par
dispositions dans le diplôme donné par l'empereur Othon Ier, d'oth^uï** et
en 962, etdans>eeluide Henri II, en 1020, dont l'authenticité deHenrilL
est généralement reconnue (l). On retrouve dans chacun de ces
diplômes les expressions employées dans celui de Louis le Débon-
naire, pour conûrmer au saint-siége la juridiction exercée
jusqu'alors par les souverains pontifes dans le duché de Rome,
et dans les autres provinces qui formaient alors l'État de
l'Église (2).
Indépendamment même de ces diplômes, la subordination L>in7d7éeu.
de l'empereur à l'égard du Pape, dans le gouvernement de ces dance du pape
x ^ * ^ à l'égard
provinces, est clairement établie par le serment de fidélité que des empereurs,
• i a v n prouvée
les Romains avaient coutume de prêter a 1 empereur, sous les par ie serment
successeurs de Charlemagne, au moins depuis l'élection du ^ in ho-
Pape SergiusII, en 844 (3). Il est certain, en effet, que ce ser- ^^
(1) On peut voir le texte de ces diplômes, dans l'ouvrage déjà cité de
Cenni, t. n, p. 157, 187, etc. Le même auteur examine avec soin le sens
et l'autorité de ces diplômes, ibid. ; 1. 1, Prsef. § 3 et 4 ; t. n, p. 134, etc.
(2) Cenni, ubi suprà,ï. n, p. 157 et 187. Il est à remarquer : 1° quela leçon
sicut à prœdecessoribus vestris , contestée par quelques critiques, dans le
diplôme de Louis le Débonnaire, ne l'est aucunement dans les diplômes d'O-
thon Ier et de Henri II; 2° que dans ces deux derniers diplômes, comme
dans le premier, la clause : sauf noire domination sur ces duchés, et leur
sujétion envers nous , tombe uniquement sur les duchés de Toscane et de
Spolette. Fleury et plusieurs autres écrivains fiançais , faute d'avoir lu at-
tentivement les pièces originales , supposent que cette clause regarde indis-
tinctement tous les États du saint-siége; d'où ils concluent, contre le té-
moignage de l'histoire, et contre le texte même des diplômes, que le Pape
avait uniquement le domaine utile de ces États, et que l'empereur en était
le véritable souverain. Voyez Fleury, Hist. Ecclés. , t. xn, liv. lvi, n. I ;
liv. lviii, n. 46.— Berault-Bercastel, Hist. de VÉgl., t. v, liv. xxix, p. 208.
(3) Cenni, Monumenta Domin. Pontif., t. n, Dissert. la, n. 25, etc —
Fleury et quelques autres écrivains modernes supposent qu'un semblable
serment fut prêté par les Romains à Lothaire Ier, en 824 (Fleury, Hist. Eccl,
t. x, liv. xlvi, n. 53. — Hist. de VÉgl. Gall., t. v, année 824, pag. 322.
— Receveur, Hist. de VÉgl., t. iv, pag. 241) ; mais ce fait n'est appuyé
que sur le témoignage d'un auteur anonyme, qui a continué Y Histoire des
Lombards de Paul Diacre; témoignage qui paraît fort suspect aux meilleurs
critiques. (Voyez, à ce sujet, Cenni, ibid., Dissert. 2, n. 35 et 45 ; Dissert.
4, n. 21 , etc. ) Au reste , il est à remarquer que la formule de ce serment,
comme de ceux qui furent prêtés dans la suite par les Romains à l'empe-
reur, renferme la clause : sauf la foi que f ai promise au seigneur Pape,
ce qui suppose clairement l'autorité de l'empereur subordonnée à celle du
Pape, dans le gouvernement de Rome. (On peut voir la formule entière de
288 SOtJVEBAINETÈ TEMPORELLE DtJ PAPE.
ment n'était prêté que sous le bon plaisir du Pape, et sauf la
fidélité que les Romains lui devaient. C'est ce que prouve en
particulier la conduite du Pape SergiusII envers le prince Louis,
fils de Lothaire Ier, en 844(1). Celui-ci ayant envoyé son fils
en Italie, à l'occasion de quelques sujets de plainte qu'il avait
contre les Romains, qui n'avaient pas attendu son consente-
ment pour consacrer le nouveau pontife, le prince ne fut admis
par le Pape dans l'église de Saint-Pierre, qu'après avoir assuré,
en présence de tout le peuple , qu'il venait avec des intentions
droites y pour le bien de l'État et de l'Église (2). Quelques
jours après, « les Français ayant demandé que tous les seigneurs
«de Rome prêtassent le serment de fidélité au prince Louis, le
« sage pontife n'eut garde de le permettre ; mais il répondit avec
« une noble fermeté : Si vous voulez seulement qu'ils prêtent ce
« serment à l'empereur Lothaire, j'y consens et je le permets;
« quant au prince Louis son fils , ni moi, ni les seigneurs de
«Rome n'y consentent (3). »
La subordination de l'empereur à l'égard du Pape dans le
gouvernement de Rome, se manifeste également dans la for-
ce serment, dans l'ouvrage déjà cité de Cenni , pag. 113 ; et dans le t. i des
Capïtulaires de Baluze, pag. 647. ) Il est certain d'ailleurs que l'empereur
Lothaire ne fit alors aucun acte d'autorité dans Rome, qu'avec le consente-
ment et sous le bon plaisir du Pape. (Baronius, Annal., t. ix , anno 824,
n. 1 1 , etc. — Hist. de l'Égl. Gall., ubi suprà. )
(1) Anastase, Vita Sergii II. (Labbe, Concil. t. vu, pag. 1793, etc.)
— Fleury, Hist. Ecclés. , t. x , liv. xlviii , n. 16. — Hist. de VÉgl. Gall. ,
t. v, année 844, pag. 500. — Daniel, Hist. de France, t. n, année 844,
pag. 346.
(2) «. Tune almificus prœsul claudi faciens omnes januas beati Pétri, . . ,
« sancto Spiritu admonente, régi sic dixit : Sipurâ mente et sincerd vo-
« luntate, etpro salute reipublicœ ac lotius orbis, hujusque Ecclesiœ ,
« hue advenisti, has ingredere januas, med jussione; sin aliter, nec
« per me , nec per meam concessionem, istœ Ubi portœ aperientur. Sta-
« tim rex illi respondens dixit ; Quod nullo maligno animo, aut aliqud
« pravitate, vel malo ingenio advenisset. Tune, eodem prsesule praeci-
« piente, appositis manibus , prsedictas januas patefecerunt. » Anastase,
ubi suprà , pag. 1794.
(3) « His igitur peractis , ( Franci ) à praedicto postulaverunt pontifice ,
« ut omnes primates Romani fidelitatem ipsi Ludovico régi per sacramen-
« tum promitterent. Quod prudentissimuspontifex fieri nequaquam conces-
« sit , sed sic orsus est illis : Quia, si vultis, domino Lothario magno
<c imperatori hoc sacramentum utfaciant, solummodo consentio atque
« permitto; nam Ludovico ejus filio ut hoc peragalur, nec ego, nec omnis
« Romanorum nobilitas permittit. » Anastase, ibid., pag. 1795.
PREMIÈRE PARTIE. — CHAPITRE II. 289
mule du serment de fidélité prêté par les Romains à l'empereur
Arnoul, en 896 (1). Cette formule était ainsi conçue : « Je jure,
« par les saints mystères, que, sauf mon honneur, ma loi, et la
«fidélité que je dois à mon seigneur le pape Formose, je suis
« et serai fidèle, tous les jours de ma vie, à l'empereur Arnoul,
« et je ne contracterai alliance contre lui, avec qui que ce soit (2).»
On a de la peine à comprendre comment un si grand nombre
d'auteurs modernes ont cru pouvoir établir la souveraineté des
empereurs dans Rome, par ces formules de serment, qui éta-
blissent, d'une manière si positive, l'indépendance du Pape à
l'égard de l'empereur, dans le gouvernement de Rome (3). La
suite de nos recherches nous donnera lieu de montrer que,
pendant tout le cours du moyen âge, les empereurs eux-mêmes,
à l'époque de leur couronnement, prêtèrent au Pape un ser-
ment de fidélité, qui ne supposait pas seulement l'indépendance
du saint-siége à leur égard, mais qui supposait clairement une
dépendance particulière de l'empereur à l'égard du Pape (4).
Mais, s'il en est ainsi, dira-t-on, quel fut donc l'effet du 78.
couronnement de Chaiiemagne par le pape Léon III, et du titre **$"«£?
à' empereur qui lui fut donné dans cette occasion solennelle (5)? Aon^Z^x
Je réponds que le Pape voulait s'assurer de plus en plus la puis- lemasne
santé protection de Charlemagne, en lui conférant un titre sin- L«on "'•
gulièrement honorable, à cette époque, dans l'opinion de tous
les peuples. Quelque glorieux, en effet, que fût le titre de pa-
trice des Romains, que le roi de France avait porté jusque-là,
(l)Cenni, Monumenta, t. h, Dissert. la, n. 25 et 26. — Pagi, Cri-
tica in Baronii Annales , anno 896, n. 3. — Fleury, Hist. Ecclés., t. xi,
liv. liv, n. 25. — D. Ceiliier, Hist. des Auteurs ecclés., t. xix, pag. 460.
(2)«Juroper haec omnia Dei mysteria, quôd, salvo honore, et lege
« nieâ, atque fidelitate Domini Formosi Papœ , fidelis sum et ero, om-
« nibus diebus vitae meœ, Arnolpho imperatori, et nunquam me ad illiusin.
« fidelitatem cum aliquo homine sociabo.» Luitprand, Hist., lib. i, chap. 8.
(Recueil de Duchesne , t. m. — Mmatori, Script. Rer. Ital., t. n.)
(3) Voyez, entre autres, Fleury, Hist. Ecclés., t. x, liv. xlvi, n. 21 et 53;
liv. xlviii, n. 16.
(4) Seconde partie de ces Recherches , chap. 2, art. 4.
(5) Les divers sentiments des auteurs modernes, sur ce point, sont expo-
sés et discutés dans la lre Dissert, du P. Alexandre sur VHist. Ecclésiast.
du ixe siècle. Voyez aussi les Remarques du P. Roncaglia et du P. Mansi sur
cette Dissert. — Pièces justifie, (à la fin de ce volume ), n. 6, § 3. — Et
ci-dessus, note 1 de la pag. 281
19
290 SOUVERAINETÉ TEMPORELLE DU PAPE.
celui d'empereur l'était bien davantage. Sans ajouter aucun
nouveau domaine à ceux que Charlemagne possédait aupara-
vant , le titre d'empereur lui donnait le premier rang entre tous
les princes de l'Occident ; il communiquait un caractère auguste
à la royauté même ; il faisait en quelque sorte briller, sur le front
de Charlemagne , toute la gloire et tous les souvenirs de Rome.
Cette explication, qui peut sembler extraordinaire au premier
abord , est une conséquence naturelle des principes que nous
avons établis, et des faits qui leur servent de fondement. On a
vu, en effet, que le couronnement de Charlemagne, par le
pape Léon III, et le titre d' empereur ([m fut alors donné à ce
grand prince, n'eut pas proprement pour effet de dépouiller
l'empereur de Constantinople de la souveraineté de Rome et
de l'exarchat, puisqu'il en était déjà réellement dépouillé long
temps auparavant, c'est-à-dire, au moins depuis la donation
de Pépin, en 754 (l). Il résulte également de nos principes, que
le couronnement de Charlemagne, en 800, n'eut pas pour effet
de donner au roi de France la souveraineté de Rome et de
l'exarchat, puisque le Pape continua, depuis ce temps, d'y
exercer seul tous les droits de la souveraineté , comme il avait
fait constamment depuis la donation de Pépin (2). D'après
cela, quel autre effet put avoir le couronnement de Charle-
magne, en 800, que de l'attacher de plus en plus à la protection
et à la défense du saint-siége , par un titre plus honorable que
celui de patrice des Romains, qu'il avait porté jusque-là?
Au reste, on doit remarquer que cette explication du titre
d'empereur, donné à Charlemagne par le pape Léon III, n'est
pas particulière aux défenseurs du sentiment que nous avons
embrassé, sur la nature et l'étendue de l'autorité du Pape, dans
Rome , depuis l'élévation de Charlemagne à l'empire. Plusieurs
même des auteurs qui n'adoptent pas ce sentiment, pensent que
Charlemagne, avant son élévation à l'empire, possédait déjà la
souveraineté de Rome, soit en commun avec le Pape, soit ex-
clusivement au Pape (3). Une conséquence nécessaire de cette
(1) Ci-dessus, n. 62, etc., pag. 272, etc.
(2) Ibid., n. 69, etc.
(3) Telle est manifestement l'opinion de M. de Marca, du P. Alexandre,
de Fleury, et de plusieurs autres que nous avons cités plus haut, p. 266, etc.
eur
PREMIÈRE PARTIE. — CHAPITRE II. 291
opinion, comme de la nôtre, est que le titre $ empereur, con-
féré par le pape Léon III à Charlemagne, ne lui donna aucune
souveraineté dans^Rome, mais seulement un caractère et un
titre plus augustes , pour exercer l'autorité qu'il possédait déjà
auparavant, comme patrice des Romains.
Pour mettre dans un plus grand jour la vérité de notre senti-
ment, il ne sera pas inutile d'examiner ici, en peu de mots, les
principales raisons qu'on allègue en faveur des autres senti-
ments qui partagent, sur ce point, les auteurs modernes.
Ii Ceux qui attribuent à l'empereur de Constantinople la 79.
souveraineté de Rome et de l'exarchat, jusqu'à la fin du *™™>lerat
vine siècle, se fondent : i° sur ce que les papes de cette époque ^cTnSu
dataient encore assez souvent leurs actes publics , des années de ™>pie>
L ' souverainele
l'empereur (l ) ; 2° sur ce qu'ils lui donnaient encore, dans leurs <io
; i i. i • -. • , x n Rome etde
lettres et leurs actes publics, le titre de seigneur (2);. 3 sur ce l'exarchat
que le pape Adrien Ier, voulant sauver la vie à un chef de fac- JUS<in vnîe n
tion, pour lui laisser le temps de faire pénitence , écrivit à l'em- s,ecle'
pereur, pour le prier de recevoir ce malheureux en Grèce (3J ;
4° enfin, sur une mosaïque, qu'on voit aujourd'hui dans le
palais de Latran, et qui représente le Sauveur donnant d'une
main les clefs à saint Pierre, et de l'autre, un étendard à un
prince nommé Constantin, qui paraît être Constantin V; d'où
il semble résulter que , sous le règne de ce prince, c'est-à-dire,
(1) Bossuet etFleury, entre autres, regardent ce fait comme une preuve
décisive de leur sentiment. Fleury, Hist. EccL, tom. ix, liv. xliii, n. 31. —
Bossuet, Defensio Declar., lib. n, cap. 19 , pag. 482. Outre les lettres des
papes, citées à ce sujet par Fleury, Bossuet cite un privilège accordé par le
pape Etienne II à Fulrad, abbé de Saint-Denis, et daté de la trente-hui-
tième année du règne de Constantin Copronyme. (Labbe, Concil. tom. vi,
pag. 1647.) Le P. Longueval, dans Y Hist. de l'Égl. Gall. (tome iv, année
757), répand quelques nuages sur l'authenticité de ce privilège. Mais ses rai-
sons paraissent bien faibles , contre l'autorité des manuscrits qui ont engagé
la plupart des critiques à soutenir l'authenticité de cette pièce. Voyez Manil-
lon, Annales Ordinis Benedictini, tom. m, parte 2, pag. 336. — Fleury,
Hist. EccL, t. ix, liv. xliii, n. 28. — Félibien, 'Histoire de l'Abbaye de
Saint-Denys, année 757. — Gallia Christiana, tom. vu, pag. 345. D. Ceil-
lier, Hist. des Auteurs ecclés., to'm. xvm, pag. 189.
(2) Privileg. Fulradi, ubi sttprà. — Adriani I Epistola ad Constante
num et Irenem. (Labbe, Concil. tom. vu, pag. 99.) — Bossuet, Defens.
Declar., lib. n, cap. 19.)
(3) Anastase, Vita Adriani I. (Labbe, Concil. tom. vi, pag. 1730.)—.
Fleury, Hist. Ecclés., tom. ix, liv. xnv, n. 2.
19.
Faiblesse de
ces raisons
292 SOUVERAINETÉ TEMPORELLE DTI PAPE.
vers la fin du vme siècle, le Pape reconnaissait encore la sou-
veraineté de l'empereur de Constantinople (l).
80. Ces raisons, il faut l'avouer, sont loin d'être décisives; nous
croyons même qu'elles paraîtront bien faibles, si on les examine
de près (2). Car, 1° il est constant, par d'autres exemples, qu'on
a souvent daté les actes publics des années d'un prince, sans
reconnaître pour cela son droit de souveraineté. C'est ainsi
que, sous la première race de nos rois, plusieurs conciles tenus
chez les Francs, les Bourguignons et les Visigoths, sont datés
des années des consuls, dont ces peuples ne reconnaissaient
point l'autorité (3). Un autre concile, tenu à Rome, en 743,
sous le pape Zacharie , est daté de la seconde année de l'empe-
reur Artabaze , et de la trente-deuxième de Luitprand , roi des
Lombards (4). Conclura- t-on de là que les Romains se reconnais-
saient alors également sujets de l'empereur de Constantinople
et du roi des Lombards, tandis qu'il est constant par l'histoire
que Luitprand n'a jamais exercé aucune autorité dans Rome?
Un privilège accordé, en 761, par le pape Paul Ier, à l'abbé
d'un monastère de Home , peut donner lieu à un semblable rai-
sonnement; car il est daté tout à la fois des années de l'empe-
reur de Constantinople, et de celles de Pépin , roi de France (5).
Il résulte clairement de ces exemples , que les formules dont il
s'agit n'indiquent par elles-mêmes aucune sujétion ni dépen-
dance à l'égard des princes, et qu'on les emploie uniquement
pour fixer l'année dans laquelle un acte a été dressé.
2° Le titre de seigneur, donné aux empereurs de Constanti-
nople, depuis l'année 754, ne fournit pas une preuve plus so-
lide de leur souveraineté dans le duché de Rome et dans l'exar-
chat. Il est certain, en effet, que les papes -Grégoire II et
(1) Ciampini, Vetera Monimenta, parte 2, cap. 21. — Muratori, Annali
Ôtltalia, tom. iv, année 798, pag. 371. — Lebeau , Hist. du Bas-Empire,
tom. xiv, liv. lxvi, n. 52. — Hallam, L'Europe au moyen âge, tom. 1,
pag. 16, note 2.
(2) Pagi, Critica in Annales Baronii, anno 796, n. 14. — Orsi, Del Do-
minio, etc., cap 8, pag. 121-123.
(3) Concil. Galliœ ; passim in Inscriptionibus. Voyez, entre autres, les
titres des conciles d'Agde en 506; d'Orléans, en 511 ; d'Épone, en 517, etc.
(Labbe, Concil. tom. îv.)
(4) Labbe, Conciliorum tom. vi, pag. 1546.
(5) Ibid., pag. 1694.
PREMIÈRE PARTIE. — CHAPITRE II. 293
Grégoire III, écrivant à Charles Martel, simple maire dupa-
lais, lui ont donné le même titre (1); prétendra-t-on en con-
clure que ces ponjtifes reconnaissaient Charles Martel pour leur
souverain?
3° Le pape Adrien Ier a pu prier l'empereur de recevoir en
Grèce un malheureux exilé , sans reconnaître la souveraineté
de ce prince sur Rome et sur l'exarchat. Demander à un prince
un acte de compassion , et reconnaître sa souveraineté , sont
évidemment deux choses très- différentes.
4° L'argument tiré de la mosaïque du palais de Latran , sup-
pose que l'empereur Constantin, représenté dans ce tableau,
est Constantin V ; mais cette explication est trop douteuse et
trop contestée , pour qu'on puisse nous l'opposer avec confiance.
Plusieurs savants pensent que ce tableau représente le Sauveur,
donnant d'une main les clefs à saint Silvestre, et de l'autre,
un étendard au grand Constantin. Cette explication , adoptée
par Alamanni et le P. Pagi, est pour le moins aussi vraisem-
blable que la première , et n'est combattue par aucun argument
positif (2).
II. Les auteurs qui attribuent au roi de France la souverai- 8i.
, , -r , T 7/»7 e • * i Raisons d'at-
nete de Rome et de V exarchat , avant la fin du vin siècle , tribuer
soit exclusivement au Pape , soit en commun avec lui , se fon- cetlreainetr"
dent principalement sur les raisons suivantes : 1° sur le serment F™ncreolt ^l^
de fidélité que les Romains prêtaient à Charlemagne, avant son Jf[.fijAjl
élévation à l'empire (3) ; 2° sur l'envoi que le pape Léon III ,
lors de son avènement au pontificat, fit à Charlemagne de l'é-
tendard de Rome (4); 3° sur la conduite de Charlemagne, en
799, dans le jugement des conspirateurs qui avaient attenté à la
vie du même pontife (5). Le roi de France, dit-on, exerça, en
cette occasion, les fonctions de juge entre le Pape et ses sujets ;
(1) Gregorii II Epistola 2 ad Carolum Martellum. — Gregorii III
Epistola 5 et 6 adeumdem. (Labbe, ibid., pag. 1439, 1472, etc.) — Cod.
Carol. Epist. 1 et 2. (Cenni, Monumenla Domin. Pontif., tom. i,
pag. 19, etc.)
(2) Pagi, ubi suprà, anno 796, n. 7, etc — Alamanni, De Lateranensibus
Parietinis, cap. 9.
(3) Eginhard, Annales, anno 796. (Recueil de Duchesne, tom. h, pag. 248.;
— Fleury, Hist. Ecclés., tom. x, liv. xlv, n. 5. j
(4) Ibid. jj
(5) Fleury, ibid., n. 20 et_21.
Faiblesse de
ces raisons
294 SOUVERAINETÉ TEMPORELLE DU PAPE.
fonctions qui ne pouvaient appartenir qu'au souverain de
Rome. 4° A l'appui de ces raisons, on cite encore quelques
expressions de Paul Diacre, auteur du vme siècle, qui sem-
blent supposer que Charlemagne, avant son élévation à l'em-
pire, avait déjà la souveraineté de Rome. Cet auteur, dans
Y Histoire des évéques de Metz, dit que Charlemagne, ayant
détruit le royaume des Lombards, soumit la ville de Rome à
sa domination (1). Le même auteur, dans la dédicace du livre
de Pompeius Festus , adressée à Charlemagne avant son élé-
vation à l'empire, lui dit : « Vous trouverez, dans ce livre, les
« noms des rues , des portes , et des tribus de votre ville de
«Rome (2).» On trouve de semblables expressions dans les
Annales de Moissac, et dans quelques autres de la même épo-
que (3).
8a. Il est aisé, à ce qu'il nous semble, de montrer la faiblesse
de toutes ces raisons. l°Le serment de fidélité que les Ro-
mains prêtaient à Charlemagne, avant son élévation à l'empire,
prouve sans doute qu'ils reconnaissaient dans ce monarque
une grande autorité sur eux ; mais l'autorité qu'ils reconnais-
saient en lui, était-elle précisément la so uvera ine té de Rome
et de V exarchat? C'est ce qu'on ne peut soutenir, après les rai-
sons positives qui établissent la vérité de notre sentiment. Il ré-
sulte, en effet, de ces preuves, que Charlemagne, avant son
élévation à l'empire, n'avait d'autre pouvoir, dans le duché de
Rome et dans l'exarchat, que celui de patrice des Romains;
pouvoir qui se bornait à protéger et défendre le saint-siége
contre ses ennemis, et à régler, de concert avec le Pape, tout
ce qui regardait l'ordre et la tranquillité publique dans ses
États (4). Le serment de fidélité que les Romains prêtaient alors
à Charlemagne était relatif à ce pouvoir attaché au titre de
patrice des Romains; mais ce serment était subordonné à celui
que les Romains prêtaient au Pape , comme à leur véritable sou-
(1) « Romuleam civitatem suis addidit sceptris. » Paul Diacre , Hist.
Episc. Metens. (Biblioth. Patrum, tom. xm, pag. 331 , lre col.)
(2) «Civitatis vestrae Romuleae. » Annales Ordinis S. JBened. tom. n,
Append. n. 36, pag. 717, édition de 1704.
(3) Annales de Moissac, année 800. (Recueil de D. Bouquet, tom. v, pag, 79>
lre col.) Nous avons cité plus haut ce passage, chap. 1, pag. 258, note 2.
(4) Voyez plus haut, n. 66, pag. 276, etc.
PREMIÈRE PARTIE. — CHAPITRE II. 295
verain, et qu'ils continuèrent de lui prêter, même depuis l'élé-
vation de Charlemagne à l'empire. Il est certain, en effet, que
même avant cette époque les Romains prêtaient tout à la fois
serment de fidélité au Pape et au roi de France. C'est ce qui
résulte clairement, comme l'observe M. de Marca, d'une lettre
du sénat et du peuple romain à Pépin, sous le pontificat de
Paul Ier, dans laquelle ils se reconnaissent tout à la fois sujets
du Pape et du roi de France (1). Le pape Paul 1er suppose la
même chose dans une lettre à Pépin, où il se plaint des mau-
vais traitements que le roi des Lombards a fait subir au duc de
Spolette et à ses officiers, qui ont également prêté serment de
fidélité au Pape et au roi de France (2). Ce langage suppose ,
à la vérité , que les sujets du Pape étaient aussi , en un certain
sens, sujets du roi de France; mais non en ce sens que la sou-
veraineté de Rome et de l'exarchat appartînt également à l'un
et à l'autre, puisqu'il résulte clairement de nos preuves que le
Pape seul avait alors la souveraineté proprement dite dans ces
provinces, et que l'autorité du roi de France y était subor-
donnée à celle du Pape (3).
(1) Cod. Carol. Epist. 15 (aliàs 36.)(Cenni, Monumenta Domin. Pon-
tif., tom. i, pag. 143.) Nous avons cité ailleurs les expressions de cette
lettre, par lesquelles le sénat et le peuple romain se reconnaissent sujets du
souverain pontife Paul, leur seigneur. (Ci-dessus, n. 43.) Ils emploient de
semblables expressions dans la même lettre, pour se reconnaître sujets du
roi de France; et ils lui témoignent en ces termes avec quelle joie ils ont
reçu la recommandation qu'il leur a faite, de demeurer fidèles aie Pape :
« O quanta divinâ aspiratione interna viscerum nostroium praecordia in
« nobis, vestris fidelibus , redundant! » On sait que le mot fidelis , dans le
style de ce temps, désigne un sujet ou vassal, attaché à son seigneur par un
serment ou une promesse de fidélité. ( Voyez Ducange , Lexicon infimœ
Latin. , verbo, Fidelis.)
(2) « Comprehensum Albinum ducem Spoletinum cum ejus satrapibus, qui
« in fide beati Pétri et vestrâ sacramentum prœbuerunt , infixis in
« eis pessimis vulneribus, in vinculis detinet. » Cod. Carol. Epist. 18
(aliàs 15), pag. 154.
(3) M. de Marca, et quelques autres écrivains modernes, croient pouvoir
conclure des deux lettres que nous venons de citer, que le Pape et le roi
de France exerçaient alors en commun l'autorité de patrices ou à? exarques
dans le duché de Rome et dans l'exarchat. (De Marca, De Concordiâ,
lib. m, cap. 11, n. 6.) Voyez ci-dessus (n. 56) l'exposition de ce sentiment.
Il, paraît, en effet, par une lettre d'Adrien Ier à Charlemagne, que le Pape
et le roi de France prenaient également le titre de patrice, et en exerçaient
l'autorité de concert pour le gouvernement et la défense du peuple romain.
(Cod. Carol. Epist. 97, aliàs 95 ; apud Cenni, Monumenta, tom. i, pag. 521.
296 SOUVERAINETÉ TEMPORELLE DU PAPE.
2° La seconde raison qu'on nous oppose n'est pas plus solide
que la première. Pour qu'elle fût concluante, il faudrait montrer
que l'envoi de l'étendard de Rome était un signe de la souve-
raineté de Charlemagne sur les Romains; or, c'est ce qui n'est
pas prouvé; on sait, au contraire, qu'à l'époque dont il s'agit,
les Romains avaient coutume de rendre cet honneur aux exar-
ques ou patrices, qui n'avaient certainement pas la souverai-
neté proprement dite des provinces dont l'administration leur
était confiée. C'est ce que nous apprend Anastase le Bibliothé-
caire, dans la Vie d'Adrien Ier, à l'occasion des honneurs que
ce pontife fit rendre à Charlemagne, en 774. Le Pape, dit cet
auteur, envoya au-devant de ce prince les magistrats de Rome ,
suivis d'un nombreux corps de troupes, sous la conduite de
leurs officiers, avec les étendards et les croix, comme on
avait coutume de faire à la réception d'un exarque ou d'un
patrice (1).
3° La troisième raison paraîtra bien faible, si l'on fait at-
— Labbe, Concil. tom. vi, pag. 1773.) Mais il ne faut pas 'oublier que le
Pape, outre le titre de patrice, avait, dans le duché de Rome et dans l'exar-
chat, un droit de souveraineté, fondé sur le vœu légitime des peuples de ces
provinces, qui, abandonnées de leurs anciens maîtres, l'avaient librement
choisi pour leur chef; droit que Pépin et Charlemagne reconnaissaient eux-
mêmes, comme nous l'avons montré, nos 63 et 65.
Ces observations fournissent l'explication naturelle d'un passage de la
lettre d'Adrien Ier, qui suppose que le patriciat avait été accordé au Pape
par le roi de France (à Pippino concessus) ; d'où quelques auteurs mo-
dernes ont conclu que le Pape tenait son patriciat de Pépin, comme Pépin le
tenait du Pape et des seigneurs de Rome. (Voyez Noël. Alex., Dissert- 25
in Hist. Eccles. sœculi iv; prop. 6, iniiio. — De Marca, De Concordiâ,
lib. m, cap. 2, n. 6.) La suite de l'histoire montre qu'il ne faut pas prendre
ici à la rigueur le mot concessus, et qu'il faut l'entendre dans le même
sens que la donation de Pépin , c'est-à-dire , dans le sens d'une resti-
tution ou d'une confirmation des droits déjà acquis par le saint-siége,
et usurpés par les Lombards. En effet, il est certain que Pépin n'avait
pas plus de droit sur le patriciat de Rome et de l'exarchat, que sur les
provinces dont il lit restitution au saint-siége. Il est également certain
que le Pape n'avait pas moins d'autorité dans Rome et dans l'exarchat
avant l'expédition de Pépin, que depuis cette expédition. Il est vrai seu-
lement qu'il était gêné dans l'exercice de son autorité , par la tyrannie des
Lombards, dont il ne fut pleinement délivré que par la protection du roi de
France.
(1) « obviam illi ejus Sanctitas dirigens venerandas cruces, id est signa,
« sicut mos est ad exarchum aut patricium suscipiendum , eum cum in-
« genti honore suscipi fecit. » Anastase, Vitâ Adriani. (Labbe, Concil.
tom. vi, pag. 1736. — Fleury, Hist. Ecclés., tom. ix, liv. xuv, u. 5.) iJJM
PREMIÈRE PARTIE. — CHAPITRE II. 297
tention que Charlemagne pouvait exercer la fonction de juge,
comme il fit en 799, entre le Pape et ses sujets, sans être sou-
verain de Rome; il avait droit d'exercer cette fonction, soit
comme patrice des Romains , soit pour répondre au désir du
Pape, qui avait lui-même imploré sa protection contre les
conspirateurs.
4° Les expressions de Paul Diacre ne supposent pas nécessai-
rement que Charlemagne fût devenu souverain de Rome, de-
puis la destruction du royaume des Lombards; il est aisé de les
expliquer, en les rapportant à la dignité depatrice , qui donnait
à ce prince la défense et la protection de Rome, et le droit
d'y régler, de concert avec le Pape, tout ce qui regardait l'ordre
et la tranquillité publique. Sous ce rapport, la ville de Rome,
aussi bien que toutes les provinces alors soumises au saint-siége,
pouvait être considérée, en un certain sens, comme faisant
partie des États de Charlemagne; et les Romains pouvaient
être considérés comme ses sujets, quoiqu'il n'eût pas sur eux
une souveraineté proprement dite , supérieure ou égale à celle
du Pape. On sait, en effet, que, dans les auteurs du moyen
âge, le titre de sujets ne se donne pas seulement aux sujets
d'un roi ou d'un empereur, mais encore à ceux d'un duc , d'un
baron, et de plusieurs autres seigneurs subordonnés au souve-
rain proprement dit (l).
III. Il nous reste à examiner les fondements de Y opinion qui 83.
attribue à Charlemagne la souveraineté de Rome, depuis ^bne/
son élévation à V empire. * a fahsoliv"S-e
Les défenseurs de ce sentiment se fondent, 1° sur Y adoration neté^^e'
ou l'hommage extérieur que le pape Léon III , à la tète des sei- s.on f1?;
° ± x l ' vation a l em-
gneurs de Rome, rendit à Charlemagne, dans la cérémonie de Piie-
Première rai-
son couronnement, et par lequel il sembla le reconnaître pour *>«, tirée
> , . f, ,. « -, de L'adoration
son souverain : apontifice, more antiquorum prmcipum, ado- <ie ce prince,
ratus est, disent les Annales des Francs , communément at- LéoTui.
tribuées à Éginhard (2).
(1) Ducange, Glossarium injimœ Latinitatis , verbis , Regnum, Subdi-
tus. — Pagi, Critica in Annales Baronii, anno 796, n. 6. — Dissert, sur le
sens du mot Regnum j dans YHist. de VAcad. des incript., tom. 1er, in-4°,
page 162.
(2) Nous avons cité plus haut ce texte d'Eginhard. (Chap. i, pag. 257,
598 SOUVERAINETÉ TEMPORELLE DU PAPE.
Peut-être pourrait-on contester la vérité de ce fait, dont il
n'existe aucune trace dans les auteurs contemporains , étrangers
à la France, et qui racontent plus en détail la cérémonie du
couronnement de Charlemagne (1). Quelques savants ont pensé
que le silence de ces auteurs , sur un fait de cette importance ,
fournissait un préjugé légitime contre sa vérité, et que ce si-
lence n'était pas suffisamment balancé par le témoignage des
Annales des Francs, attribuées à Éginhard, et dont l'authen-
ticité a paru douteuse à de célèbres critiques (2).
Mais, en supposant même la vérité du fait, nous ne voyons
pas qu'on puisse en tirer aucun argument en faveur de la sou-
veraineté de Charlemagne dans Rome. Il est vrai que Fleury et
quelques autres écrivains modernes , expliquant le passage en
question des Annales des Francs , supposent que le Pape se
prosterna devant l'empereur, le reconnaissant ainsi pour
son souverain . Mais il suffit de lire attentivement et sans pré-
jugé le passage cité des Annales des Francs, pour voir combien
cette explication est arbitraire et peu fondée.
D'abord, ce passage ne suppose pas nécessairement que le
Pape se soit alors prosterné devant l'empereur. Cette supposi-
tion ne peut être justifiée, ni par le sens propre du mot adora-
tion, ni par V ancien usage dont parlent ici les Annales des
Francs. On sait, en effet, que, dans le style des anciens au-
teurs, et particulièrement dans celui des écrivains du moyen
âge, le mot adoration exprime souvent un simple témoignage
de respect , rendu à une personne distinguée par son caractère
ou son mérite, par exemple, en lui baisant les mains, la sa-
luant, formant des vœux pour elle, etc. (3). Tel paraît être le
sens de ces expressions, employées par quelques anciens auteurs,
et qu'on rencontre aussi quelquefois dans le Code Théodosien et
le Code Justinien : Adorare purpuram principis; adorare sere-
note 1.) On ne lira pas sans intérêt, sur ce point d'histoire, la Dissertation
italienne de Santelli, que nous avons citée plus haut. (Pag. 283, note 3.)
(1) Les principaux de ces auteurs sont, Anastase le Bibliothécaire et Paul
Diacre. ( Santelli, ubi suprà, pag. 22, etc.)
(2) Le P. Alexandre , le P. Lecointe , et plusieurs autres savants , contes-
tent l'authenticité de ces Annales. (Santelli , ubi suprà , pag. 30, etc.)
(3) Voyez les Dictionnaires de Robert Estienne, de Calepin, de Facciolati,
de Ducange et autres, au mot Adorare. — Diction, de Moreri, et Diction*
Theol. de Bergier, au mot Adoration.
PREMIÈRE PARTIE. — CHAPITRE II. 299
nitatem principis; adorare diuturnitatem imperii, etc. (1).
V ancien usage, rappelé par les Annales des Francs dans
le passage qui nous occupe , ne suppose pas qu'on doive en-
tendre dans un autre sens , Y adoration rendue à Charlemagne
par le pape Léon III. En effet, il est tout à fait invraisemblable
que ces Annales fassent allusion à l'ancien usage de quelques
princes orientaux, qui, voulant se faire adorer comme des dieux,
se faisaient rendre par leurs sujets l'hommage de la génuflexion
et du prosternement. Il est bien plus naturel de croire que l'au-
teur des Annales, qui était français, fait uniquement allusion
à quelque ancien usage observé à l'égard des rois francs. Or, il
ne paraît pas que la génuflexion ou le prosternement aient
jamais été en usage, par rapport à ces derniers ; non-seulement
on n'en trouve dans l'histoire aucun exemple , mais on sait po-
sitivement que ces princes, aussi bien que leurs sujets, regar-
daient comme une chose tout à fait étrange , et indigne d'un
peuple libre, la conduite superbe et dédaigneuse des monarques
orientaux à l'égard des peuples soumis à leur autorité (2).
On dira peut-être que l'auteur des Annales fait sans doute al-
lusion à Y ancien usage des empereurs romains , qui se faisaient
rendre, en certains cas, l'hommage de la génuflexion ou du
prosternement. Mais , outre que cette allusion est peu vraisem-
blable, dans un auteur français, on doit remarquer que l'usage
de la génuflexion ou du prosternement ne s'est pas constam-
ment observé sous les empereurs romains (3) ; Caligula et quel-
ques autres qui l'ont exigé, s'étaient par là rendus très-odieux ;
et la plupart même des empereurs païens l'ont constamment re-
fusé. «A Dieu ne plaise, disait l'empereur Maximin Ier, qu'on
« m'adore en se prosternant devant moi (4). »
(1) Santelli, ubi suprà, pag. 36, 54.
(2) D. Ruinart, Prœf. ad Opéra S. Greg. Turon. n. 15. — Santelli, ubi
suprà% pag. 39, etc.
(3) Santelli, ubi suprà, pag. 49, etc. Voyez aussi Godefroy, Comment,
in Cod. Théodos. lib. vi , tit. 8 et 13 ; lib. vin , tit 7. (Tora. n , pag. 79 ,
94,571.)
(4) « Primus omnium (Diocletianus), post Caligulam Domitianumque,
« Dominum palàm sedici passus, et adorari se, appellarique uti Deum. Quîs
« rébus, quantum ingenium est, compertum habeo, humillimos quosque,
« maxime ubi alta accesserunt, superbiâ atque ambitione immodicos esse. »
Aurelius Victor, Hist. Rom. de Cœsar., cap. 39.
300 SOUVERAINETÉ TEMPORELLE DU TAPE.
Concluons de ces observations, que le passage en question des
Annales des Francs, pris dans le sens propre et naturel, se
réduit à dire que « le Pape fit à l'empereur une profonde révé-
«rence, selon l'ancien usage observé à l'égard des princes. »
C'est ainsi que ce passage est expliqué par le P. Montfaucon,
Muratori, le P. Daniel, et plusieurs autres (1).
Enfin, en supposant môme que le Pape se soit alors prosterné
devant l'empereur, en signe de respect pour sa nouvelle di-
gnité, il resterait à prouver qu'il voulait, par ce témoignage de
respect, reconnaître V empereur pour son souverain : or, cette
dernière supposition est encore plus gratuite et plus invraisem-
blable que la première ; car elle est en opposition manifeste avec
les monuments que nous avons cités à l'appui du sentiment qui
attribue au Pape seul la souveraineté de Rome, depuis l'éléva-
tion de Charlemagne à l'empire.
Au reste , il est à remarquer que la manière dont nous expli-
quons Y adoration rendue à Charlemagne par le pape Léon III,
n'est pas particulière au sentiment que nous avons cru devoir
embrasser; elle est également admise par les auteurs qui re-
gardent la souveraineté de Rome comme ayant été possédée en
Ammien Marcellin, rapportant le même fait, explique plus clairement le rit
du prosternement ou de là génuflexion, substitué par Dioclétien à la simple
salutation autrefois en usage: «Diocletianus, omnium primus, exleroritu et
« regio more instituit adorari, cùm semper antea ad similitudinem judicum,
« salutatos principes legerimus. » Ammien Marcellin, Histor. lib. xv,
cap. 5.
« Ipse (Alexander Severus), dit Lampride, adorari se vetuit, cùm jam cœ-
« pisset Heliogabalus adorari , regum more Persarum. » Lampride , Vita
Alex. Severi, cap. 18. (Hist. Aug. Script. Lugd. Batav., 1671, in-8°, tom. i,
pag. 908.)
Jules Capitolin, dans la Vie des deux Maximin, nous apprend que Maxi-
min 1er, quelque odieux qu'il fût d'ailleurs au peuple romain, par suite de
son avarice et de ses cruautés, ne souffrait pas qu'on se prosternât devant
lui. Son fils, qu'il avait associé à l'empire , n'imita pas cet exemple, et se
rendit par là très-odieux : «In salutationibus superbissimus erat (Maxi-
« minus junior), dit Capitolin; et manum porrigebat, genua sibi osculari pa-
«'tiebatur, et nonnunquam etiam pedes ; quod nunquam passus est senior
« Maximinus, qui dicebat : Diiprohibeant ut quisquam ingenuorum pc-
« dibus meis osculum Jigat ! » Jules Capitolin, Vita Maximini J unions t
cap. 2. (iMi,tom. n, p. 66.)
(1) Montfaucon, Monuments de la Monarchie française, tome i. — Mu-
ratori, Annales d'Italie, année 800. — Santelli, ubï supra, pag. 39, etc. _
Daniel, Hist. de France, tom. », an 800.
PREMIÈRE PARTIE.— CHAPITRE IL 30 1
commun par le Pape et l'empereur, sous Charlemagne et ses
successeurs. Dans cette supposition , le Pape et l'empereur ayant
une égale autopité dans Rome, il est tout à fait incroyable que
l'un des deux se soit prosterné devant Vautre , et l'ait ainsi
reconnu pour son souverain.
On oppose, en second lieu,, à notre sentiment, une difficulté H-
-i , ,. • > i m o • 11 Deuxième rai-
beaucoup plus spécieuse, tirée du Testament lait par Charle- ««, tirée
magne, en 811, pour le partage de ses trésors. L'empereur, utes(£,nent
dans cet acte, partage tousses biens meubles en trois lots, et cha^nei^ne »
joint ensemble les deux premiers , dont il fait vingt et une por-
tions, pour vingt et une métropoles de son royaume, à la tète
desquelles il nomme Rome et Ravenne. Tl regardait donc ces
deux villes comme faisant partie de son royaume (1).
Cette difficulté serait véritablement insoluble, s'il fallait
prendre ici le mot royaume dans le sens propre et rigoureux ,
pour les États d'un souverain proprement dit. Mais il est
certain que , dans les auteurs du moyen âge , le mot regnum
se prend assez souvent dans un sens plus large, pour les États
soumis à une autorité plus ou moins restreinte , et subor-
donnée à V autorité souveraine. C'est ainsi que, dans la Loi des
Bavarois , rédigée au ve siècle par Thierry, roi d'Austrasie , et
corrigée au vne siècle par Dagobert Ier, le mot regnum désigne
les États d'un duc (2).
(1) « Omnem supellectilem atque substantiam suam , tam in auro quàm
« in argento, gemmisque et ornatu regio, primo quidem trinâ divisione
« partitns est; deinde, easdem partes subdividendo, de duabus partibus 21
« partes f'ecit; ut quia in regno illius metropolitanœ civitates 21 esse
«noscuntitr, unaquaeque iliarum partium ad unamquamque metropolim,
« per manus haeredum et amicorum suorum , eleemosynae nomine, perve-
« niât Nomina verô metropoliticarum eivitatum, ad quas eadem
« eleemosyna vel largitio data est, haec sunt : Roma, Ravenna, Mediola-
« num, etc. » Ëginhard, Vitâ Carol. Magni. (Baluze, Capitularia , t. i,
pag. 487. — Labbe, Concil. tom. vu, pag. 1202, etc.) — FJeury, Hist. Ec-
oles., tom. x, liv. xlv, n. 50. — Hist. de l'Église Gallicane, tom. v, Iiv. xm,
année 811.
Marchetti reproche à Fleury d'avoir, à sa fantaisie, qualifié les villes de
Rome et de Ravenne de métropoles du royaume de Charles. (Marchetti
Critique de Fleury, tom. n, n. 95.) La critique de Marchetti est ici en dé-
faut ; on voit, par la manière dont il s'explique sur ce sujet, qu'il n'a fait at*
tention qu'au testament de 806, dont nous avons parlé plus haut (n. 70),
et non à celui de 81 1, dont il est ici question.
(2) « Si quis filius ducistam superbus vel stultus fuerit, ut patrem suum
« dehonestare voluerit per consilium malignorum, vel per fortiam (i. e. per
302 SOUVERAINETÉ TEMPORELLE DU PAPE.
Cela posé, l'acte de 811 ne présente aucune difficulté contre
notre sentiment. La comparaison attentive de cet acte avec
celui de 806, et les autres que nous avons cités (1), montre
que le mot regnwn doit s'entendre ici dans le sens large et im-
propre, pour celui d'États. En effet, il résulte clairement de
ces derniers actes, que Charlemagne ne regardait pas Rome et
Ravenne comme faisant partie du corps de son royaume , c'est-
à-dire, des États dont il pouvait disposer comme souverain
proprement dit; qu'il n'a jamais prétendu s'y réserver aucune
autorité, sinon dans le cas où le Pape aurait recours à sa
protection. Si donc il place Rome et Ravenne parmi les mé-
tropoles de son royaume, dans l'acte de 811 , ce ne peut être
que dans un sens large et impropre, eu égard à l'autorité que
lui donnait son titre d'empereur, pour la protection et la dé-
fense des États du saint-siége; autorité en vertu de laquelle il
ne pouvait en disposer à son gré , ni les gouverner comme sou-
verain proprement dit , mais seulement y faire, à la prière du
Pape, et de concert avec lui, tous les actes nécessaires à la tran-
quillité de ces provinces.
85. On nous oppose, en troisième lieu, les actes d'autorité que
r7on!Tesrai Charlemagne et ses successeurs ont exercés dans Rome , y admi-
arité exer-°" nistrant la justice, y tenant des plaids, y publiant des règle-
ces dansRome ments p0ur je gouvernement temporel, jugeant les différends
charlemagne qUi s' élevaient entre le Pape et ses sujets, exigeant des Romains
successeurs, un serment de fidélité , etc. (2).
De pareils actes supposent sans doute que Charlemagne et ses
successeurs avaient une grande autorité dans Rome , et qu'ils y
exerçaient des droits fort étendus. Mais ces droits étaient-ils
précisément ceux de la souveraineté , d'une souveraineté in-
« vint), et regnum ejus au/erre ab eo; sciât se ille fîlius contra legem
« fecisse, et de hœreditate patris sui se esse dejectum. » Lex Bajuvariorum,
tit. 2, cap. 10, n. 1. (Baluze, Capitular. tom. î, pag. 104. — Canciani,
Barbarorum Leges antiquœ, tom. n, pag. 365.) Sur le sens du mot reg-
num, dans les auteurs du moyen âge, voyez ci-dessus, pag. 297, texte et
note 1.
(1) Voyez plus haut, n. 70, etc.
(2) Fleury, Hist. Ecclés., tom. x, liv. xlv, n. 20 et 21 ; liv. xlvi, n. 53;
liv. xlyiii, n. 16. — Daniel, Histoire de France, tom. h, années 824 et 844
(pag. 215, 346, et alibi passim). — Berault-Bercastel, Histoire de l'Église,
tom. îv, liv, xxiv et xx\tpassim<
PREMIÈRE PARTIE. — CHAPITRE II. 303
dépendante et supérieure à celle du Pape? L'examen attentif
de l'histoire ne permet pas d'admettre cette supposition ; car,
l° on ne peut l'admettre sans contredire les monuments que
nous avons cités^l) , particulièrement Y acte départage fait par
Charlemagne en 806; les diplômes de Louis le Débonnaire,
d'Othon 1er, et de Henri II , qui confirment les donations faites
au saint-siége par Pépin et Charlemagne; enfin, la formule du
serment de fidélité prêté par les Romains aux empereurs carlo-
vingiens. Tous ces actes supposent clairement, comme nous
l'avons montré , que la souveraineté du Pape dans Rome et dans
l'exarchat, même depuis l'élévation de Charlemagne à l'empire,
était une souveraineté proprement dite, également indépen-
dante à l'égard de l'empereur de Constantinople et à l'égard du
roi de France. 2° Les actes d'autorité qu'on nous oppose étaient
exercés par le roi de France, avant son élévation à l'empire, en
vertu du seul titre de patrice des Romains, qui ne lui donnait
pas la souveraineté proprement dite dans les États du saint-
siége, mais seulement le droit de régler, de concert avec le
Pape , tout ce qui regardait l'ordre et la tranquillité publique
dans ses États. C'est en vertu de ce titre que Charlemagne, à
la demande du pape Léon III , récemment élevé à la dignité
pontificale (en 795), envoya à Rome un des principaux sei-
gneurs de sa cour, pour recevoir le serment de fidélité des
Romains (2). C'est en vertu du même titre, que ce prince, tou-
jours à la demande du pontife, se rendit à Rome, en 800,
pour rétablir l'ordre troublé par les conspirateurs qui avaient
osé attentera la vie du Pape (3). 3° Enfin, les circonstances
mêmes des faits qu'on nous oppose, montrent que Charle-
magne, depuis son élévation à l'empire, aussi bien que les
empereurs de sa race qui lui succédèrent , ne prétendirent
point exercer dans Rome une autorité indépendante de celle
du Pape. Charlemagne, en jugeant les conspirateurs qui avaient
attenté à la vie de Léon III, ne fit que continuer les pro-
(1) Ci-dessus, n. 70, etc.
(2) Voyez les auteurs cités plus haut, pag. 256, note 1 ; particulièrement
Fleury, Hist. Ecclés., tom. x, liv. xlv, n. 5.
(3)Fleury, ibid., n. 10, etc. — Hist. de V Église Gallicane, tom, y,
année 800,
30 4 SOUVERAINETE TEMPORELLE DU PAPE.
cédures qu'il avait déjà commencées auparavant comme pa-
trice des Romains, et à la prière du pontife (1). L'exemple
de Lothaire Ier, en 824, est particulièrement remarquable
sur ce point (2). L'empereur Louis le Débonnaire, ayant ap-
pris la nouvelle de l'élection du pape Eugène II, et des trou-
bles dont elle avait été l'occasion, «prit la résolution d'en-
« voyer son fils Lothaire en Italie, pour faire, avec le
« nouveau pontife et avec le peuple romain , les règlements
« convenables aux conjonctures présentes (3). » Lotbaire fut
reçu par le Pape avec tous les honneurs dus^à sa dignité, et
fit aussitôt, sous le bon plaisir du pontife, de sages ordon-
nances, pour réparer les désordres passés, et pour en prévenir le
retour (4). Ce fut le sujet d'une Constitution qu'il publia à
Rome même, pendant le séjour qu'il fit dans cette ville. Un des
(1) ibid.
(2) Fginhard, Annales, anno 824. (Recueil de Duchesne, tom. n; et
tom. vi du Recueil de D. Bouquet.) — Baronius, Annales, tom. ix, anno 824,
n. 31, etc. — Hist. de V Église Gallicane, tom. v, année 824, pag. 320, etc.
Fleury, ubi suprà, liv. xlvi, n. 52, etc.
(3) «Cujus rei nuntium cùm Quirinus subdiaconus ad imperatorem delu-
« lisset, ipse Lotharium filium suum, imperii socium, Romam mittere
« decrevit, ut vice sua functus ea quse rerum nécessitas tlagitare videbatur,
« ciim novo pontifice populoque JRomano statueret atque firmaret. »
Éginhard, ubi suprà. (Recueil de D. Bouquet, tom. vi, pag. 185.) —
Baronius {ubi suprà) cite ce texte, non comme étant d'Éginhard, mais
comme tiré de la Vie de Louis le Débonnaire , composée par l'auteur ano-
nyme, connu sous le nom à' Astronome. Il paraît que c'est une erreur. Le
p. Pagi, D. Bouquet, et la plupart des critiques, attribuent ce texte à
Éginhard. Cette discussion , au reste , a peu d'importance, relativement à
l'objet de nos recherches. Les annalistes de ce siècle et des suivants se co-
pient souvent les uns les autres; et le texte même que nous citons, a été litté-
ralement reproduit par l'auteur des Annales de saint Bertin, selon la re-
marque de D. Bouquet. (Ibid.)
(4) «statum populi Romani, jamdudum quorumdam perversitatepraesulum
« depravatum, memorati ponlificis benevolâ assensione corrrexit, etc. »
(Ibid.) Les expressions que nous avons soulignées dans cette note et dans la
précédente, sont dignes de remarque. Il est difficile de comprendre comment
Fleury, qui rapporte lui-même ces expressions, a pu dire, avec tant d'assu-
rance, que « la souveraineté de l'empereur sur Rome paraît clairement dans
« la constitution de Lothaire, aussi bien que dans le serment qu'il fit prêter
« aux Romains. » (Au sujet de ce serment, voyez les observations que nous
avons faites ci-dessus, pag. 287, note 3.)
Le P. Daniel parle sur ce sujet avec la même légèreté. (Hist. de France,
tom. n, année 824, pag. 215.) Sur ce point, comme sur bien d'autres, Yffis*
toire de l'Église Gallicane peut beaucoup servir à corriger ces deux
auteurs.
PREMIÈRE PARTIE. — CHAPITRE II. 305
principaux objets de cette Constitution , est de maintenir l'au-
torité du Pape dans le gouvernement de ses États et dans
toutes les parties de son administration (l). Il est à remarquer
gue, dans tous les articles de cette même Constitution qui re-
gardent l'autorité du Pape et celle de l'empereur pour le gou-
vernement de Rome, le Pape est constamment nommé avant
l'empereur, comme ayant l'autorité principale (2). Il est même
statué expressément, par le quatrième article, que le Pape doit
tout régler en premier ressort, par lui-même ou par ses offi-
ciers; et que l'empereur n'interviendra dans les actes du
gouvernement pontifical , qu'à la demande du souverain pon-
tife, pour l'aider à corriger les abus qu'il ne pourrait corriger
par lui-même (3).
Enfin, on oppose encore à notre sentiment les monnaies 86.
frappées dans Rome, sous Charlemagne et ses successeurs, et so^Tes"1'
sur lesquelles on lit, d'un côté, le nom de l'empereur, et de h^^ iedsans
l'autre, le nom du Pape ou la figure de saint Pierre. M. Leblanc Ro™e> .
1 *■ © sous Charle-
surtout, dans sa Dissertation sur quelques Monnaies de Char- masne
et ses succès*
lemagne et de ses successeurs , regarde ces monnaies comme seurs.
la plus forte preuve de la souveraineté des empereurs dans
Rome (4).
Nous sommes étonné de la confiance avec laquelle M. Le-
blanc et quelques autres écrivains font valoir cet argument , à
l'appui de leur opinion. Pour le soutenir, il faut nécessaire-
ment supposer, qu'à l'époque où furent frappées les monnaies
dont il s'agit , le droit de battre monnaie était uniquement exercé
par les souverains , exclusivement à tous les seigneurs particu-
liers. Mais , bien loin que ce point soit clairement établi , il est
certain, au contraire, et M. Leblanc lui-même reconnaît, dans
son Traité des Monnaies de France, qu'à cette époque, un
(1) On peut voir le texte de cette constitution dans la collection des Con-
ciles du P. Labbe, tom. vir, pag. 1550.
(2) Lotharii Constit., art. 1, 4, 5, etc. (Ibicl, pag. 1550 et 1551.)
(3) « Decernimusitaque, utprzmwmomnesclamoresquinegligentiâducum
« aut judicum fuerint, ad notitiam Domini Apostolici referantur; ut statim
« aut ipse per suos nuntios eosdem emendare faciat, aut nobis notificet, ut
« legatione à nobis directâ emendentur. » (Ibid., art. 4, pag. 1551.)
(4) Voyez les pages 23, 40, etc., de cette Dissertation, à la suite du
Traité des Monnaies du même auteur. Amsterdam, 1692, in-4°.
20
306 SOUVERAINETÉ TEMPORELLE DU PAPE.
grand nombre de seigneurs particuliers jouissaient du droit de
battre monnaie (l). Sous la première race de nos rois, ce droit
fut d'abord accordé à quelques célèbres églises, et à de grandes
abbayes; sous la seconde race , et au commencement de la troi-
sième, le même privilège fut accordé, non-seulement à des
églises et à des abbayes, mais à un grand nombre de seigneurs
laïques (2).
Cet usage n'existait pas seulement en France ; on en trouve
aussi des exemples dans plusieurs autres États, particulière-
ment en Italie, aux vnie et ixe siècles, et même plus ancien-
nement. Les villes de Pavie, de Milan, de Lucques, de Tré-
vise, et quelques autres, jouissaient déjà de ce droit sous les
rois goths et lombards, et le conservèrent encore longtemps
sous les empereurs français, et même sous les allemands (3).
Après cela , comment peut-on , avec tant soit peu de vraisem-
blance, invoquer les monnaies frappées dans Rome, au nom
de Charlemagne et de ses successeurs, en preuve de leur souve-
raineté dans cette ville ? Dans un temps où plusieurs seigneurs
particuliers jouissaient du droit de battre monnaie , est-il éton-
nant que les empereurs , sans être souverains de Rome , y aient
exerce ce droit, avec l'agrément du Pape? Bien pins, ne peut -on
pas supposer , avec beaucoup de vraisemblance , que les mon-
naies dont il s'agit ont été frappées par l'ordre même du Pape,
qui y a fait représenter tout à la fois la figure de l'empereur
et celle du pontife , soit pour honorer l'empereur , soit pour
exprimer le concert de la puissance impériale et de la puis-
sance pontificale , dans le gouvernement de Rome ?
(1) Leblanc, Traité des Monnaies de France. Paris 1690, in-4°, pag. 73,
143, etc. — Daniel, Histoire de France; édition du P. Griffet, tom. ni ,
pag. 248. — Ducange, Glossarium , verbo Moneta. Remarquez surtout les
§§ Moneta regia et Moneta baronum. — Tobiesen-Duby, Traité des Mon-
naies des Barons. Paris 1790, 2 vol. in-4°. Voyez principalement la Préface
de cet ouvrage , où l'auteur expose l'origine et les progrès de l'usage dont
nous parlons.
(2) Tobiesen-Duby, dans son ouvrage déjà cité (tom.'i, pag. 79), donne une
très-longue liste des prélats et barons de France qui ont joui de ce droit.
On trouve , dans cette liste , plus de cent évêchés , chapitres ou abbayes.
(3) Tobiesen-Duby, ubi supra, pag. 33. — Muratori, Antiquit. Ital.
medii œvi; Dissert. 27, De Moneta, seu jure cudendi nummos; pag. 547,
581, etc.
PREMIÈRE PARTIE. — CHAPITRE II. 807
Ces raisons nous semblent tellement décisives contre la difû-
cultédont il s'agit, que, bien loin de la regarder comme une des
plus fortes preuves de la souveraineté des empereurs dans
Rome, nous ne croyons pas qu'elle puisse être alléguée, avec tant
soit peu de confiance , par un homme instruit des faits que nous
venons de rappeler. Nous sommes donc très-porté à croire que
M. Leblanc, à l'époque où il écrivait la Dissertation dans la-
quelle il expose cette difficulté , ne connaissait pas encore ces
faits , ou du moins n'en avait que des idées vagues et incom-
plètes. Il est à remarquer, en effet, que cette Dissertation,
publiée pour la première fois en 1689, ne fut pas reproduite par
Fauteur dans le Traité des Monnaies qu'il publia l'année sui-
vante , et dans lequel il reconnaît expressément les faits dont
nous venons de parler. Il y a tout lieu de croire qu'il se propo-
sait de revoir sa Dissertation, d'après ses nouvelles recherches;
mais il ne paraît pas qu'il ait exécuté ce projet. L'édition donnée
en 1692, à Amsterdam, dans laquelle on trouve la Disserta-
tion à la suite du Traité des Monnaies , paraît avoir été publiée
sans la participation de l'auteur, qui mourut peu de temps
après (en 1698), sans avoir donné aucune autre édition de son
ouvrage.
ARTICLE IL
Quels sont les fondements et les titres primitifs de la souveraineté
temporelle du saint-siége.
Pour fixer avec plus de précision et de clarté l'état de la s7.
question que nous devons examiner dans ce second article, f„aels£ona
nous rappellerons d'abord ici deux principes généralement re- v^v** t™-
L L *'.'.*:.'." damentaux
connus, et qui doivent servir de base à toute cette discussion, en cette
_j • i- . , -, -, matière.
Nous supposons, en premier lieu, comme un point de droit
incontestable, que les ministres sacrés ne sont point, à raison
de leur caractère, incapables d'acquérir et de posséder des
biens temporels ; et que le pouvoir spirituel dont ils sont inves-
tis n'est pas incompatible, par sa nature, avec le pouvoir
temporel. Ce principe universellement admis, dans tous les
temps et tous les pays du monde , avant la venue de Jésus-
Christ, n'a pas été moins généralement reconnu depuis cette
20.
308 SOUVERAINETÉ TEMPORELLE DU PAPE.
époque, même dans les premiers et les plus beaux siècles de
l'Église; c'est ce qui résulte clairement des détails que nous
avons donnés dans Y Introduction de cet ouvrage, sur les hon-
neurs et les prérogatives temporelles accordées à la religion et à
ses ministres chez les peuples anciens , particulièrement sous les
premiers empereurs chrétiens. Aussi, le principe que nous rap-
pelons ici n'a-t-il été contesté que par un petit nombre d'héré-
tiques ou de philosophes impies, visiblement entraînés par la
passion et par l'esprit de parti, dans leurs déclamations contre
les richesses et le pouvoir temporel du clergé (l).
Nous supposons , en second lieu , comme un point de fait
également incontestable, que la souveraineté temporelle du
saint-siége n'a pas eu pour fondement et pour titre primitif la
donation de Constantin, comme on l'a cru assez généralement
depuis le xe siècle jusqu'au xve. Ce point de fait, universelle-
ment admis par les critiques modernes , est d'ailleurs suffisam-
(1) Parmi les hérétiques qui refusent à l'Église et à ses ministres le droit
d'acquérir et de posséder des biens temporels, on remarque surtout Arnaud
de Bresse, au xue siècle ; les Vaudois, au xiue ; Marsile de Padoue, au xive ;
et Wielef, au xve. Calvin et les premiers réformateurs, adoucissant un peu
la doctrine de ces anciens hérétiques, se réduisent à soutenir l'incompatibi-
lité du pouvoir temporel avec le spirituel, dans la personne des ministres
sacrés, au moins sous la loi nouvelle. (Calvin, Instit. lib. iv, cap. 11,
n. 8, etc.)
Le cardinal Bellarmin, dans ses Controverses contre les Protestants, ex-
pose et réfute solidement ces divers systèmes. {De Rom. Pontif. lib. v,
cap. 1, 9 et 10. — De Membris EccL lib. i, cap. 26 et 27.) On peut con-
sulter là-dessus, pour un plus ample développement, la Dissert, sur la
Grand, temp. de V Église, dans le tom. i du Recueil de pièces d'Hist. et de
Littér. (par l'abbé Granet et le P. Desmolets. Paris, 1731 , 4 vol. in-12),
et l'ouvrage de M. Carrière, Prœlect. de Jure et Just., tom. i, n. 94,
pag. 132, etc.
Les vrais principes sur cette matière ont été combattus, dans ces derniers
temps, par un certain nombre de philosophes impies et de faux politiques,
dont les erreurs ont causé les plus fâcheux éclats en plusieurs États , par-
ticulièrement en France, à l'époque de la révolution de 1789. V Encyclopé .
die, qui avait pris hautement la défense de ces erreurs (article Fondation)
fournit aux révolutionnaires français la plupart des sophismes qu'ils déve-
loppèrent , sur ce sujet , à Y Assemblée constituante , et qui amenèrent la
spoliation du clergé. L'ouvrage déjà cité de M. Carrière, donne un résumé
solide de cette discussion, et indique fort en détail les principaux auteurs à
consulter. On peut y ajouter l'abbé Pey, De V autorité des deux Puissances,
tom. îv, pag. 166, etc. La suite de nos Recherches nous donnera lieu d'ex-
poser un peu plus au long les vrais principes sur ce sujet. (2e partie, chap.
m, art. 2, § 3).
p. ■
88.
Divers senti-
a examiner.
PREMIÈRE PARTIE. — CHAPITRE II. 309
ment établi par la suite des faits que nous avons exposés dans
le chapitre précédenl , sur l'origine et les progrès de la souve-
raineté temporell^du saint-siége (l). Il résulte clairement de cet
exposé, que Constantin et ses successeurs, quelque généreux
qu'ils se soient montrés envers le saint-siége , ne lui ont donné
aucune souveraineté proprement dite, avant le vme siècle, et
que ceux mêmes des souverains pontifes qui ont pris plus de part
aux affaires publiques, avant cette époque, ne l'ont fait que
sous le bon plaisir de l'empereur, et de concert avec lui, comme
ses officiers et ses représentants en Italie.
Ces principes étant supposés, il s'agit d'examiner quels sont
les fondements et les titres primitifs de la souveraineté tempo- s ments
relie dont le saint-siége a été investi au vme siècle, et dont il a
joui constamment depuis cette époque. Les auteurs modernes ne
sont guère moins partagés entre eux sur cette question, que sur
l'époque précise à laquelle on doit placer l'origine d^ la souve-
raineté dont il s'agit.
1° Ceux qui croient cette souveraineté antérieure à la do-
nation de Pépin, lui donnent pour fondement le voeu légi-
time des peuples d'Italie, qui, se voyant abandonnés de leurs
anciens maîtres , confièrent librement au saint-siége leurs inté-
rêts temporels (2). Quelques défenseurs de ce sentiment ajou-
tent que cette conduite des peuples d'Italie était encore auto-
risée par le droit divin, qui permet aux sujets de secouer le
joug d'un prince hérétique, au moins après une sentence de
l'Église ou du Pape, qui le déclare déchu du trône (3).
2° Les auteurs qui croient la souveraineté temporelle du
saint-siége postérieure à la donation de Pépin, regardent com-
munément cette souveraineté comme un pur effet de la libéra-
lité de Pépin et de Charlemagne , qui voulurent bien faire hom-
mage au saint-siége d'une partie des provinces qu'ils avaient
justement conquises sur les Lombards. Ce sentiment est com-
(1) Ci-dessus, chap. 1, n. 6, etc. Voyez aussi le n. 5 des Pièces justif. à
la fin de ce volume.
(2) Voyez les auteurs cités plus haut, pag. 263, note 1.
(3) Bellarmin, De Rom. Pontif. lib. v, cap. 8. ( Operum, tom. i.)~
Baronii Annales, tom. rx, anno 730, n. 4 et 5. — Orsi, Délia origine, etc.,
cap. 5. — Mamachi, Origines et Antiquitates Christianœ, lom. îv, lib. iv,
cap. 2, § 4.
310 SOUVERAINETÉ TEMPORELLE DU PAPE.
munément soutenu ou supposé par les auteurs français (i).
3° Quelques écrivains modernes, sans contester absolument
la légitimité des donations de Pépin et de Charlemagne , ac-
cusent le pape Grégoire II et ses successeurs, d'avoir habile-
ment profité des circonstances dans lesquelles ils se trouvaient,
pour secouer peu à peu le joug de l'empereur de Constanti-
nople, et d'avoir ainsi préparé les voies à leur souveraineté
temporelle, par les intrigues d'une politique ambitieuse et toute
profane. On conçoit que cette opinion , si peu respectueuse en-
vers le saint-siége, particulièrement envers plusieurs papes
d'une éminente vertu, et honorés même par l'Église d'un culte
public, ait pu être soutenue par des écrivains hérétiques ou
impies, dont plusieurs ont été jusqu'à cet excès que nous avons
signalé, de supposer le pouvoir temporel incompatible" avec le
spirituel , dans la personne des ministres sacrés , au moins sous
la loi nouvelle (2). Mais on voit avec étonnement cette même
opinion embrassée par un certain nombre d'auteurs catholi-
ques , sincèrement attachés à la religion , mais qui ne se sont
pas tenus assez en garde contre des préjugés répandus et accré-
dités dans le monde, par des ennemis déclarés de l'Église et du
saint-siége (3).
(1) DeMarca,De Concordiâ, lib. m, cap. 11, n. 5, etc. — Nat. Alex. Dissert.
25 m Hist- Ecoles, sœculi iv, prop. 5. — Bossuet, Hlst. Univ., lre partie,
année755. — Lebesni,Hist. du Bas-Empire, tom. xni,pag. 292 et 449.— Velly,
Hist. de France, tom. 1, pag. 363. — Bernardi , De l'Origine et des Pro-
grès, etc., liv. 11, chap. 6, pag. 147. — Magnin, La Papauté considérée dans
son origine, etc., f e partie, chap. 10.
(2) Nous avons déjà remarqué (ci-dessus, p. 308, note 1) que cette opinion,
si visiblement exagérée, était communément admise par les premiers réforma*
teurs. Les protestants modernes paraissent, en général, bien éloignés de cet
excès; toutefois, ils continuent généralement à regarder l'ambition et les intri-
gues des papes du vme siècle, comme la source et le principe de leur souverai-
neté temporelle. Voyez, entre autres, Basnage, Hist. de l Église, tom 1, pag.
260, etc.; 1. 11, p. 1347, 1598, etc. — Mosheim, Instit. Hist. Eccl. sœculi vin,
part. 2, cap. 2, § 6, etc.; cap. 3, § 11, etc. — Gibbon, Hist. de la Décad.
de VEmp. rom., tom. ix, chap. 49, pag. 284, etc. (Édition de 1828.) — Hal-
lam, L'Europe au moyen âge, tom. 1, pag. 11. — Sismondi, Hist. des Ré-
publiques Italiennes, tom. 1, chap. 3, pag. 123-133. — Hist. des Français,
tom. 11, pag. 146, etc., 186, etc. — Hegewisch , Hist. de Charlemagne,
pag. 56, etc.
(3) Vertot, Origine de la Grandeur de la cour de Rome, pag. 10 et 11 .
— Lebeau, Hist. du Bas-Empire, tom. xin, liv. lxiii, n. 54 et 64; liv lxiv,
n. 1; tom. xiv, liv. lxvi, n. 19. — Velly, Hist. de France, tom. I, pag.
PREMIÈRE PARTIE, — CHAPITRE II. 311
4° Enfin quelques écrivains modernes, par suite de sem-
blables préjugés, vont jusqu'à contester la légitimité des dona-
tions faites au saint- siège par Pépin et Charlemagne. S'il en
faut croire les défenseurs de ce sentiment, ces deux monarques,
en donnant au saint-siége les provinces qu'ils avaient conquises
sur les Lombards , disposèrent de ce qui ne leur appartenait pas,
ne pouvant, sans injustice, dépouiller l'empereur de Constanti-
nople de cette partie de ses domaines (l). Toutefois, les défen-
seurs de cette opinion ne font pas difficulté de reconnaître que
la souveraineté temporelle du saint-siége, quelque défectueuse
qu'elle ait pu être dans le principe, est depuis longtemps éta-
blie sur un titre de prescription incontestable , et reconnue de
tous les princes chrétiens (2).
La suite des faits que nous avons exposés, montre ce qu'il 89- .
•1 • -ri / 1 1 • i ^a question
faut penser de ces divers sentiments. Il resuite clairement de résolue
cet exposé, que la souveraineté temporelle du saint-siége ne déjà exposés,
doit son origine, ni à l'ambition des papes du vme siècle, ni l,Jâ£jîï0?
au pouvoir qu'ils croyaient avoir de disposer du temporel des à 1rs°ï-0^opo"
princes , pour le plus grand bien de la religion ; mais qu'elle a
été fondée, dès son origine, sur les titres les plus légitimes,
c'est-à-dire, sur le vœu légitime des peuples d'Italie, solennel-
lement reconnu et confirmé par les donations de Pépin et de
Charlemagne. Ces conséquences vont être mises dans un nou-
veau jour, par le développement des trois assertions suivantes,
auxquelles on peut réduire notre sentiment.
336, etc.; 361, 396, et alibi passim. — Annales du moyen âge, tom. v,
liv. xvin, pag. 244, et alibi passim. — De Peyronnet, Hist. des Francs ,
tom. h, liv. xii, chap. 8.
(i) Cette opinion singulière a été soutenue, au commencement du dernier
siècle, par Muratori, dans plusieurs écrits publiés pour la défense des pré-
tentions de l'empire sur les villes de Comachio, de Parme et de Plaisance. Il
a été solidement réfuté par Fontanini, dans plusieurs écrits publiés sur le
même sujet. On trouve, dans le Dictionnaire de Moreri (articles Muratori et
Fontanini), la liste des ouvrages publiés, de part et d'autre, dans le cours de
cette controverse. Depuis cette époque, Muratori a reproduit son opinion sur
l'origine de la souveraineté temporelle du saint-siége, dans ses Annales d'I-
talie. Elle est suivie par Sismondi , ubi suprà ( note 2 de la page pré-
cédente).
: (2) Muratori, conclusion des Annales d'Italie, citée par Orsi, Del Domi-
nio, etc. Prefazione, pag. xm, note 6.
droit divin,
312 SOUVERAINETÉ TEMPORELLE DU PAPE.
9<». 1°. La souveraineté temporelle du saint-siège ne doit point
Première pro- **»'•'. 7 ' » •
position. son origine a l opinion tneologique qui attribue à V Eglise
La souverai- • » •/•
neté ou au souverain pontije , le droit de disposer du temporel
teEtrsiégedU DES PRINCES , POUR LE PLUS GRAND BIEN DE LA RELIGION.
ne doit poiut
son origine
à l'opinion
théologique si Ton examine attentivement l'origine et les progrès de la
souveraineté temporelle du saint-siége , on verra que les papes
n'ont jamais prétendu se l'attribuer ou l'exercer en vertu du
principe ou de l'opinion théologique dont il est ici question ,
mais uniquement comme chefs et représentants des peuples d'I-
talie, qui, dans l'état d'abandon où ils se trouvaient réduits,
avaient librement confié au saint-siége leurs intérêts temporels.
C'est ce qui résulte clairement des faits que nous avons exposés
dans le chapitre précédent, et surtout de la conduite des souve-
rains pontifes, depuis le pontificat de Grégoire II. Lorsque Gré-
goire III, son successeur immédiat, pour obtenir la protection de
Charles Martel, lui offrit le titre de consul, il ne le fit qu'au nom
du peuple romain , et en vertu d'un décret des seigneurs de
Rome (t). Les papes Zacharie et Etienne II, en sollicitant auprès
des Lombards la restitution de plusieurs villes et territoires de
l'exarchat et du duché de Rome , agissaient expressément au
nom de la république romaine, qui leur avait confié ses inté-
rêts (2). Enfin, le pape Léon III, en conférant à Charlemagne le
titre d'empereur, agissait de concert avec le peuple romain et
les seigneurs de Rome, qui manifestèrent hautement leur inten-
tion à cet égard (3). Tous les anciens monuments nous montrent
les papes du vme siècle agissant uniquement en vertu des
titres que nous venons d'énoncer ; et nous pouvons défier nos
adversaires de citer un seul de ces monuments , qui suppose ,
dans les souverains pontifes, l'intention de disposer du temporel
des princes, pour le plus grand bien de la religion.
Mais, indépendamment de ces faits si décisifs, il suffirait, pour
établir notre proposition, d'examiner quels étaient alors les
(1) Voyez plus haut , chap. 1 , n. 32.
(2) Ibid.y n. 34.
(3)'/M<f., n. 4%
PREMIÈRE PARTIE. — CHAPITRE II. 313
principes reconnus et professés par le saint-siége, sur l'autorité
respective des deux puissances. 11 est constant qu'à l'époque où
s'établit la souveraineté temporelle du saint-siége, le principe de
la distinction et de l'indépendance réciproque des deux puissances
était ouvertement professé par les souverains pontifes , comme il
l'avait toujours été auparavant. On a vu plus haut la doctrine
de l'antiquité, sur cette matière, exposée avec autant de précision
que de clarté, par les papes Gélase, Symmaque et saint Grégoire
le Grand (1). On a vu le pape Grégoire II s'exprimer, sur ce
sujet, d'une manière également forte et précise, dans ses lettres
à l'empereur Léon l'isaurien , vers l'an 726 , c'est-à-dire , à l'é-
poque même où s'établit la souveraineté temporelle du saint-
siége (2). Avec quelle apparence de raison pourrait-on, après
cela , attribuer l'établissement de cette souveraineté à l'opinion
théologique qui attribue, de droit divin , à l'Église et au Pape
le pouvoir de disposer du temporel des princes, pour le plus
grand bien de la religion ?
11°. La souveraineté temporelle du saint-siége ne doit point
son origine à l'ambition ou aux intrigues politiques des
papes du vme siècle.
91-
Le sentiment qui attribue à ces pontifes une conduite si peu
digne de leur caractère, est en opposition manifeste avec l'his- Deupxôs™on.r°'
toire, qui les représente, au contraire, comme des modèles de *
désintéressement, dans les circonstances les plus délicates, et
les plus propres à exciter, dans le commun des hommes , les
Elle ne doit
>oint son ori-
gine
à l'ambition
ou aux
intrigues des
idées de fortune et d'ambition. On a vu en effet que, depuis le papes du
pontificat de Grégoire II, toute la force et l'autorité du gouver-
nement, soit dans l'exarchat, soit dans le duché de Rome,
étaient entre les mains du Pape, considéré comme chef et repré-
sentant de la république romaine, qui lui avait librement
confié ses intérêts temporels ; en sorte que, sans avoir le titre et
les insignes de la souveraineté, il était au fond le véritable sou-
verain de ces provinces. On a vu aussi que le vœu des peuples
d'Italie, qui avaient donné un si grand pouvoir au Pape, était
(1) Voyez plus haut, n. 9, 10, 14, 15, etc.
(2) Ibid. , n. 28.
314 SOUVERAINETE TEMPORELLE DU PAPE.
fondé tout à la fois sur le droit naturel, qui autorise un peuple
abandonné de ses anciens maîtres à se choisir un chef capable
de le défendre , et sur les services inappréciables que les papes
avaient rendus à l'Italie pendant plus de deux siècles. Dans
ces conjonctures si favorables à leur domination, les papes,
loin de la rechercher ou de l'accepter avec empressement, ne
négligent rien pour l'éviter , et pour maintenir en Italie les
droits de l'empereur : ils n'usent de leur autorité que à'mie ma-
nière provisoire, et par la seule nécessité des circonstances (l) ;
enfin, ils ne l'acceptent définitivement qu'à la dernière extré-
mité, c'est-à-dire, lorsque l'impossibilité où se trouvait l'empe-
reur de venir au secours de l'Italie, les oblige d'appeler le roi
de France, pour mettre un terme aux vexations des Lombards.
Trouve- t-on, dans cette conduite des papes , le moindre sujet
au reproche d'ambition, que leur adressent si légèrement quel-
ques auteurs modernes? Ou plutôt, trouve-t-on dans l'histoire
un exemple de désintéressement qu'on puisse comparer à celui
du pape Grégoire II et de ses successeurs?
Aussi, est-il à remarquer que la plupart des auteurs qui ont
attaqué , sur ce point, la mémoire de ces pontifes, sont tombés
dans la plus étrange contradiction. Qu'y a-t-il, en effet, de plus
visiblement contradictoire, que d'attribuer un système soutenu
d'ambition et d'intrigue, à une longue suite de pontifes, qu'on
ne peut s'empêcher d'ailleurs de regarder comme des modèles
de vertu et de sainteté? Or, telle est la contradiction dans la-
quelle tombent nécessairement tous ceux qui représentent l'am-
bition et les intrigues des papes du vme siècle, comme la source
et le principe de leur souveraineté temporelle. D'un côté, ils at-
tribuent à ces pontifes un système suivi d'ambition et d'intri-
gue , qui avait pour but d'établir leur souveraineté temporelle ,
aux dépens de celle des empereurs de Constantinople ; d'un au-
tre côté, ils ne peuvent s'empêcher de rendre hommage à la
vertu , et même à l'éminente sainteté de ces pontifes. On a pu
s'en convaincre, par les aveux remarquables de plusieurs écri-
vains non suspects, que nous avons cités plus haut (2). De bonne
foi, des qualités si opposées ne sont-elles pas visiblement incon-
(1) Voyez les détails que nous avons donnés à ce sujet, n. 61, page 271.
(2) Voyez les témoignages de Lebeau et de Sismondl que nous avons cités
PREMIÈRE PARTIE — CHAPITRE II. 31 5
ciliables? Si la conduite des pontifes dont nous parlons eût été
fondée sur les calculs d'une politique ambitieuse , au lieu de
leur attribuer une éminente sainteté , ne faudrait-il pas recon-
naître en eux utfe ambition démesurée, un esprit de révolte et de
dissimulation , tout à fait indigne du haut rang qu'ils occu-
paient, et du caractère sacré dont ils étaient revêtus?
Les difficultés qu'on pourrait tirer ici contre nous, de la con- s*.
-,..-. _ , ^ , _T, -, Difficultés
duite des papes Grégoire II et Grégoire III envers les empereurs contre cette
de Constantinople, sont pleinement résolues , à ce qu'il nous tSÏJ'iTré-
semble, par les détails que nous avons donnés, sur ce sujet, du JJ°n*eZa.
dans le chapitre précédent (1). Mais il ne sera pas inutile d'exa- lchaHe aux
x x v ' L Français.
miner, en peu de mots , les reproches faits au pape Zacharie , à
l'occasion de sa réponse à la consultation de Pépin et des
seigneurs français, sur la déposition de Çhildéric III.
Nos anciens annalistes rapportent que Pépin, de concert
avec les seigneurs français, envoya consulter, en 752, le pape
Zacharie , sur la question de savoir s'il n'était pas plus à propos
de donner le titre de roi à celui qui en avait toute la puissance,
que de le donner à un prince qui n'en avait que le nom sans en
avoir l'autorité. Le Pape répondit qu'il paraissait plus conve-
nable de donner le nom de roi à celui qui en avait l'autorité.
En conséquence de cette réponse, Çhildéric fut rasé et renfermé
dans un monastère ; et Pépin fut élevé sur le trône, par les
seigneurs français (2).
plus haut (n. 64, pag. 273, etc.) ; voyez aussi les auteurs cités dans la note 3
de la pag. 310.— Gibbon lui même, qui accuse ouvertement le pape Grégoire H
et ses successeurs d'avoir préparé les voies à la souveraineté temporelle
du saint-siége, par esprit d'ambition et de révolte contre les empereurs de
Constantinople (Hist. de laDécad. de l'Empire, t. ix, ch. 49, p. 284, etc.),
s'exprime ensuite avec tant de modération sur la conduite des mêmes pon-
tifes (pag. 297, 300 , 316 , etc. ), qu'on l'a quelquefois cité avec confiance,
comme leur apologiste sur ce point. (De Joux, Lettres sur l'Italie, t. 1,
lettre 20, pag. 260.) Nous croyons cependant qu'on l'eût cité avec moins
de confiance, si l'on eût remarqué les contradictions dans lesquelles il est
tombé , comme bien d'autres , sur ce sujet.
(1) Ci-dessus, n. 29, etc.
(2) Voyez les Annales d'Êginhard, le Continuateur de Frédégaire,
les Annales de Metz , et les autres anciens annalistes cités par Bossuet,
Defens. DecL, lib. 11, cap. 34 et 35. On trouve une plus longue suite de
témoignages, sur ce sujet, dans l'ouvrage de Serarius, Rerum Mogunti-
nensium libri quinque; Moguntiœ, 1604, in-4°; notes 38-44 sut le liv. 111.
(L'édition de cet ouvrage donnée par Christian Joamms, FrancofurU, 1722,
310 SOUVERAINETÉ TEMPORELLE DU PAPE.
Cette décision a donné lieu à quelques auteurs modernes
d'attribuer au pape Zacharie, aussi bien qu'à son prédécesseur,
les vues ambitieuses d'une politique tout humaine. S'il en faut
croire ces auteurs, «Zacharie, successeur de Grégoire, mais
« plus politique, sans renoncer ouvertement à la soumission
« qu'il devait à l'empire , en avança la ruine en Italie. En se
« prêtant avec complaisance au désir qu'avaient les Français,
« d'élever sur le trône une nouvelle race de monarques , il les
« mit dans les intérêts des papes , et ménagea leur secours à ses
« successeurs, pour se soustraire à la domination des empereurs
« de Constantinople (l). »
. . 9.3. ' Rien de plus gratuit que les reproches adressés au pape Za-
Injustice des .
reproches faits cbarie, à l'occasion de la décision dont il s'agit. Soit qu'on exa-
ponttfe : sa mine cette décision en elle-même, soit que l'on considère le
çoDsSér'éV en caractère du pontife qui l'a rendue, et l'idée que l'histoire nous
eiie-meme. ^oime je sa vertu , il est aisé de voir combien les reproches
qu'on lui fait sont mal fondés (2).
D'abord, si l'on examine sa décision en elle-même, on con-
viendra que nous n'en connaissons pas assez les circonstances
pour la bien apprécier. En effet , sans prétendre ici justiûer Pé-
pin de tout reproche d'ambition, est-il bien certain qu'on doive
le regarder comme usurpateur de la couronne de France? Pour
répondre à cette question , si étroitement liée avec celles qu'on
peut faire sur la décision de Zacharie, il faudrait connaître
beaucoup mieux que nous ne connaissons aujourd'hui, la consti-
tution et le droit public de la monarchie française, sous les rois
mérovingiens. La couronne était-elle, à cette époque, héréditaire
ou élective? Jusqu'à quel point l'autorité royale était-elle res-
treinte par les droits de l'assemblée générale de la nation?
in-fol., renferme quelques additions importantes. )— Voyez aussi Ellies Du-
pin, Traité de la Puissance ecclés., pag. 245, etc.— Fleury, Hist. Ecclés.,t.
ix, liv. xliii, n. 1. — Annales du moyen âge, t. vi, liv. xxm , pag. 539. —
Daniel, Hist. de France, année 750. — Hist. de VÉgl. Gall., année 752.
(1) Lebeau, Hist. du Bas-Empire , t. xm, liv. lxiv, n. 1 , pag. 395. —
Annales du moyen âge, t. vi, liv. xxm, pag. 536, etc. — Hegewisch,
Hist. de Charlemagne , pag. 56 , etc. — De Peyronnet , Hist des Francs,
1. 11, liv. xii, chap. 8.
(2) Voyez , parmi les Pièces justificat. , à la fin de ce volume, la note 7 ,
sur l'authenticité de la décision attribuée au pape Zacharie, et sur
l'usurpation communément reprochée à Pépin.
PREMIÈRE PARTIE. — CHAPITRE II. 317
Cette assemblée n'avait-elle pas , ou du moins , ne croyait-elle
pas avoir le droit de priver du trône un prince et une famille
inutiles à la nation, et incapables de la gouverner? Ce droit,
quelque dangereux qu'il fût en lui-même , n'était-il pas alors
généralement reconnu parles Français? L'opinion générale ne
suffisait-elle pas pour l'établir, surtout dans un temps où les
Français n'avaient pas encore de constitution écrite ? Supposé
même que ce droit parût alors douteux, peut-on blâmer les
seigneurs français d'avoir incliné pour le parti qui semblait le
plus favorable au bien de l'État, et d'avoir demandé au pape Za-
charie une décision conforme à leur sentiment? Enfin, peut-on
blâmer ce pontife d'avoir résolu le doute qu'on lui soumettait,
de la manière la plus conforme au vœu des seigneurs et à la
tranquillité de la nation? Ou plutôt, n'est-ce pas ainsi qu'une
question si délicate devait se résoudre dans ces circonstances?
Pour peu qu'on examine de près ces questions , la décision du
pape Zacharie ne semblera pas si étonnante ; et, loin de la blâ-
mer, peut-être la regardera-t-on comme une nouvelle preuve
de cette rare prudence, dont la vie de ce'pontife offre d'ailleurs
des témoignages incontestables (1).
Les reproches qu'on lui a faits, à ce sujet, sont d'autant plus
déplacés, qu'ils sont manifestement en opposition avec l'idée que
l'histoire nous donne de son caractère et de ses vertus. En effet,
avec quelle apparence de raison peut-on faire de pareils reproches
à un pontife que l'histoire nous montre d'ailleurs si respectueux
envers l'empereur, si zélé pour les intérêts de l'empire en Italie,
et si recommandablepar les vertus dignes du haut rang qu'il oc-
cupait? Tous les historiens conviennent que Zacharie , dans un
temps où il n'avait rien à craindre ou à espérer de l'empereur,
employa son crédit et son autorité pour lui conserver l'exar-
chat de Ravenne, dont les Lombards s'était emparés (2). Une con-
duite si désintéressée est - elle compatible avec les vues ambi-
tieuses et l'esprit d'intrigue qu'on attribue à ce pontife? Les
historiens s'accordent également à le représenter comme un
(1) Voyez, à l'appui de ces observations, Bossuet, ubisuprà, cap. 34
et 35.— Thomassin, Ancienne et nouv. Discipline, t. m , liv. 1, chap. 29,
n. 11.— Receveur, Hist. de l'Égl., t. iv,pag. 80, note.— De Saint Victor,
Tableau de Paris, 1. 1, pag. 66, 69, etc.
(2) Voyez ci-dessus, chap. 1, n. 34.
9/1.
Son caractère
et ses
vertus.
318 SOUVERAINETÉ TEMPORELLE DU PAPE.
homme de la plus éminente vertu. Les auteurs mêmes qui le
jugent avec tant de sévérité , à l'occasiou de sa réponse à la
consultation de Pépin et des seigneurs français, rendent té-
moignage, partout ailleurs, non-seulement à sa rare prudence,
mais encore à la sainteté de sa vie (1). Peut-on raisonnablement
supposer qu'un pontife de ce caractère ait pu s'oublier, dans sa
réponse aux Français, jusqu'à sacrifier la vérité aux calculs
d'une politique ambitieuse?
95. Au reste, quelque sentiment qu'on adopte sur la conduite de
n?!taitCpo°int Zacharie en cette occasion , il est important de remarquer que
dJjïtrïdîciion sa réponse, telle que l'histoire nous l'a conservée, n'était pas
m 'orei proprement un acte de juridiction temporelle, que le pontife
prétendît exercer sur le royaume de France , mais un simple
avis doctrinal, sur un cas de conscience que les Français
avaient librement porté à son tribunal. Tel est manifestement
le sens naturel de tous les anciens annalistes qui ont parlé de ce
fait (2). On ne peut d'ailleurs l'expliquer autrement, sans attri-
buer au pape Zacharie une doctrine diamétralement opposée à
celle de ses prédécesseurs, et particulièrement à celle que le pape
Grégoire II professait ouvertement , quelques années aupara-
vant , sur la distinction et l'indépendance réciproque des deux
puissances (3).
111°. La souveraineté temporelle du saint-siège a été fondée ,
dès son origine, sur les titres les plus légitimes,
g6 II résulte en effet de toute cette discussion , que la souverai-
r7"0«S/ro" neté temporelle du saint-siége a été fondée, dès son origine, sur
La souverai- \q vœu légitime des peuples d'Italie , solennellement reconnu
temporelle et confirmé par les donations de Pépin et de Charlemagne (4).
u Sfo"dilege Ce dernier titre seul suffirait sans doute pour établir la souve-
smiesePiustres raineté du saint-siége , rien n'étant plus légitime que les côn-
îegit.mes. qU£tes ^e pepin et de Charlemagne en Italie; conquêtes entre-
(1) Lebeau, Hist. du Bas-Empire , t. xiv, liv. lxvi, n. 51 , pag. 164. —
Annales du moyen âge , ubi suprà.
(2) Voyez leurs témoignages cités et expliqués par Bossuet, Defens.
Declar. , lib. n , cap. 34 et 35.
(3) Voyez les développements que nous avons donnés sur ce sujet, ci-des-
sus, pag. 313.
(4) Voyez plus haut, les n. 33, 41, 63; p. 232, 247, 272, etc.
PREMIÈRE PARTIE. — CHAPITRE II. 319
prises à la demande d'un peuple injustement opprimé par ses
ennemis, et abandonné de ses anciens maîtres. Mais indépen-
damment de ce titre, et avant l'expédition de Pépin en Italie, le
saint-siége y possédait déjà une véritable souveraineté , fondée
sur le vœu légitime des peuples , qui , dans l'extrémité où ils
étaient réduits , avaient librement confié au Pape tous leurs in-
térêts temporels; d'où l'on doit conclure que Pépin et Charle-
magne ne furent pas, à proprement parler, les fondateurs, mais
seulement les protecteurs et les soutiens de la souveraineté tem-
porelle du saint-siége ; et que le résultat de leurs expéditions en
Italie, ne fut pas précisément d'y établir cette souveraineté,
mais de la protéger,{de la consolider, et de la rendre définitive-
ment indépendante des empereurs de Constantinople.
On peut confirmer ce raisonnement, par les propres aveux
des auteurs modernes qui se montrent , sur ce point , moins fa-
vorables au saint-siége. Malgré tous leurs préjugés , ils ne peu-
vent s'empêcher de regarder le concours des circonstances dont
nous venons de parler, comme la principale cause de la grande
révolution qui établit la souveraineté temporelle du saint-siége,
sur les ruines de la puissance impériale en Italie. « Une autre
« cause, dit un de ces auteurs, amenait et justifiait même la
« révolution qui allait s'opérer en Italie contre les empereurs
« grecs ; c'était l'abandon presque absolu dans lequel ils lais-
« saient , depuis deux siècles , les provinces qu'ils possédaient
« dans cette contrée. Ils n'entretenaient aucune garnison dans
«Rome; et cette ville, continuellement menacée par les Lom-
« bards, invoqua plus d'une fois en vain, par l'organe de ses
« dues ou de ses pontifes, les soins de l'exarque, et la puissance
« de l'empereur Délaissés par leurs maîtres , les Romains
« durent s'attacher à leurs pontifes , alors presque tous Ro-
« mains, alors aussi presque tous recommandables. Pères et dé-
« fenseurs du peuple, médiateurs entre les grands , chefs de la
«religion et de l'empire, les papes réunissaient les divers
« moyens de crédit et d'influence que donnent les richesses , les
« bienfaits, les vertus, et le sacerdoce suprême (l). »
(1) Daunou, Essai histor., t. i, pag. 29 et 30. Voyez aussi les auteurs
cités plus haut, n. 64, texte et notes; et pag. 310, note 3.
320 SOUVERAINETÉ TEMPOBELLE DU PAPE.
Concluons de ces témoignages, et de tous les faits exposés dans
cette première partie , que la souveraineté temporelle du saint-
siége a été fondée, dès son origine , sur les titres les plus justes
et les plus honorables , c'est-à-dire , sur le vœu légitime des
peuples abandonnés de leurs anciens maîtres ; sur la juste con-
quête des Français, que l'Italie, par l'organe des papes, avait
appelés à son secours ; et sur les services inappréciables que lui
avaient rendus, pendant plus de deux siècles, et dans les circon-
stances les plus difficiles , la prudence et la générosité d'une
longue suite de pontifes. L'histoire offre certainement bien peu
d'exemples, et peut-être n'en offre-t-elle aucun autre, d'une
souveraineté dont l'origine soit aussi légitime et aussi respec-
table; et quoique le saint-siége n'ait aujourd'hui aucun besoin
de justifier sa souveraineté temporelle, suffisamment établie par
une si longue prescription, il est bien glorieux pour lui, de pou-
voir produire , en faveur de cette souveraineté , des titres si ho-
norables, et que nul autre gouvernement au monde ne peut in-
voquer.
97. Ajoutons que cette souveraineté, si légitime dans son prin-
Lmênt de86 cipe, est en même temps, aux yeux de tous les esprits solides et
ceUense°t"verai" réûéchis, un des effets les plus marqués de la providence de Dieu
effet marqué slir son Église , et de cette sagesse infinie qui fait tourner à
de la *-' * ^ *
providence de l'exécution de ses desseins toutes les révolutions humaines. De-
sur rÉgiise. puis la chute de l'empire romain, qui a divisé la chrétienté en
un si grand nombre d'États indépendants les uns des autres ,
il était de la plus haute importance, pour le bon gouvernement
de l'Église, que son chef ne fût sujet d'aucun monarque particu-
lier. Un Pape, citoyen de Londres ou de Paris, ne serait pas
également respecté des deux nations, et serait souvent gêné
dans les actes de son administration. Voltaire lui-même observe
avec raison, que « les papes d'Avignon étaient trop dépendants
« des volontés des rois de France , et ne jouissaient pas de la li-
« berté nécessaire au bon emploi de leur autorité (1). » Les pa-
triarches de Constantinople , jouets continuels des empereurs
ariens, monothélites , iconoclastes et musulmans, sont l'image
de ce que seraient devenus les papes , ou de ce qu'ils auraient
(l) Voltaire , Annales de V Empire, 1. 1 , p. 397 .
PREMIÈRE PARTIE. — CHAPITRE II. 321
pu devenir dans la suite des siècles, s'ils n'eussent joui d'une
souveraineté indépendante. « Tant que l'empire romain a sub-
« sisté, dit Fleury , il renfermait dans sa vaste étendue presque
« toute la chrétien^ ; mais depuis que l'Europe est divisée entre
« plusieurs princes indépendant les uns des autres , si le Pape
« eût été sujet de l'un d'eux , il eût été à craindre que les autres
« n'eussent peine à le reconnaître pour père commun, et que les
« schismes n'eussent été fréquents. On peut donc croire que c'est
« par un effet particulier de la Providence, que le Pape s'est
« trouvé indépendant, et maître d'un État assez puissant pour
« n'être pas aisément opprimé par les autres souverains , afin
« qu'il fût plus libre dans l'exercice de sa puissance spirituelle,
« et qu'il pût contenir plus facilement tous les autres évêques
« dans leurs devoirs. C'était la pensée d'un grand évêque de
« notre temps (l). »
Ce grand évêque, dont Fleury invoque l'autorité, à l'appui 98.
de ces réflexions, est sans doute l'évêque de Meaux, qui les pré- bÔ^i
sente en effet avec confiance en plusieurs endroits de ses ou- sul ce v°mi'
vrages, et particulièrement dans son Discours sur l'unité de
l'Église , prononcé à l'ouverture de la célèbre assemblée de
1682. « Dieu, dit-il, qui voulait que cette Église, la mère com-
te mime de tous les royaumes , dans la suite ne fût dépendante
« d'aucun royaume dans le temporel, et que le siège où tous les
« fidèles devaient garder l'unité, à la fin fût mis au-dessus des
« partialités que les divers intérêts et les jalousies d'État pour-
« raient causer , jeta les fondements de ce grand dessein par
« Pépin et par Charlemagne (2). C'est par une heureuse suite de
« leur libéralité, que l'Église , indépendante dans son chef de
« toutes les puissances temporelles, se voit en état d'exercer plus
« librement, pour le bien commun, et sous la commune protec-
« tion des rois chrétiens , cette puissance céleste de régir les
« âmes ; et que , tenant en main la balance droite, au milieu de
« tant d'empires souvent ennemis, elle entretient l'unité dans
(1) Fleury, Hist. Ecclés., t. xvi, 4 e Discours, n. 10.
(2) On a vu plus haut que Pépin et Charlemagne n'étaient pas proprement
les fondateurs de la souveraineté temporelle du saint-siége; mais qu'ils
avaient seulement reconnu et consolidé cette souveraineté, déjà établie de-
puis le pontiticat de Grégoire II. (Voyez ci-dessus, chap. i, pag. 239, 245,
254, etc. ; chap. u, pag. 269, etc.)
21
99-
Aveux remar-
quables
322 SOUVERAINETÉ TEMPORELLE DÛ PAPE.
« tout le corps, tantôt par d'inflexibles décrets, et tantôt par de
« sages tempéraments ( 1). »
11 est curieux de voir ces réflexions de Bossnet confirmées par
les aveux de plusieurs écrivains protestants, que la seule
d ^'lant"8 f°rce &e la vérité peut avoir amenés à partager, sur ce point,
le sentiment d'un prélat qu'ils regardent , avec raison ,
comme un de leurs plus redoutables adversaires (2). Parmi
plusieurs témoignages remarquables en ce genre, il nous suf-
fira de citer celui d'un célèbre ministre de nos jours, que la
modération de ses jugements et la franchise de ses aveux , sur
plusieurs points de controverse, ont rendu justement recom-
mandable, aux yeux mêmes des catholiques. M. Hurter, dans
Y Histoire d'Innocent III, ne fait pas difficulté de reconnaître
l'importance d'un domaine indépendant de toute influence
étrangère , pour assurer le libre exercice des devoirs attachés
au souverain pontificat. « La sûreté du pays, dit-il, et de la ville
« d'où le souverain pontife doit veiller an maintien et à la con-
« servation de l'Église dans toutes les autres contrées, est une des
« conditions essentielles pour remplir les devoirs d'une position si
« élevée. Comment, en effet, le Pape pourrait-il planer sur tant
« de relations diverses, donner conseil et assistance, prendre des
« décisions dans les affaires innombrables de toutes les églises ,
« veiller à l'extension du royaume de Dieu, repousser les attaques
« contre la foi, parler librement aux rois et aux peuples, s'il ne
« trouvait le repos dans sa propre maison ; si les complots des
« méchants le forçaient à concentrer sur ses propres États le re-
« gard qui devait embrasser le monde, à combattre pour le soin
« de son propre salut et de sa liberté, ou à chercher en fugitif
« protection et asile chez l'étranger? Innocent connaissait par
« expérience les dangers d'une semblable situation » (3). Faute
(1) Œuvres de Bossuety t. xv, pag. 529. On retrouve cette observation
dans un passage de la Défense de la Déclaration ( lib. i , sect. 1, cap. 16),
que nous aurons bientôt occasion de citer. Voyez aussi, à l'appui de ces ré-
flexions, quelques autres témoignages, cités par Feller, Catéch. Philos.
(t. ni, n. 511) ; Muzzarelli, Dissertation sur le Domaine temporel du
Pape ( pag. 33-42 ).
(2) On trouve, dans Y Esprit de Leibniz, (éd. in-12, t. n, pag. 9, etc.)
plusieurs passages remarquables sur ce point. Voyez aussi un passage de
Hume , cité par FtUer , ubï supra.
(3) Hurter, Hist, d'Innocent III, t. n, pag. 216.
PREMIERE PARTIE. — CHAPITRE II, 323
de cette indépendance , ajoute ailleurs M. Hurter , « le Pape
« pourrait facilement , et tel avait été le projet du dernier em-
« pereur (Henri VI) (1), être réduit à devenir un simple patriar-
« che de la cour impériale , et la chrétienté entière être livrée
« aux caprices de ce souverain , comme l'Église d'Orient l'était
« aux caprices de l'empereur de Constantinople (2). »
Une expérience récente a mis dans un nouveau iour la vérité „ "?•
de ces réflexions. Personne n'ignore combien l'Eglise eut à souf- , p«*nte,
frir pendant les dernières années du règne de Napoléon, par ces ^IIU*.
suite de l'usurpation qu'il avait faite des États romains , et de sagesTemon-
la dure captivité à laquelle il avait réduit le chef de l'Église. On de ÏÏ!7Ltj
ne peut penser sans frémir aux funestes conséquences qu'eussent à '^"j.'6"
entraînées ces mesures tyranniques, si la Providence n'eût bien- Naroli'o«.
tôt après renversé la puissance de Napoléon. C'est ce que
M. l'abbé Émery, interrogé là-dessus par l'empereur lui-même,
eut le courage de lui représenter, avec autant de force que de
mesure, dans une séance de la commission formée en 1 8 1 1 , pour
délibérer sur les affaires de l'Église. Nous tirons encore ces dé-
tails de Y Histoire de Pie VJI, par M. Artaud de Montor, qui
nous a déjà fourni de si précieux détails sur le caractère et la
conduite de M. Émery dans ces conjonctures difficiles (3).
L'empereur, après avoir déclamé, dans la commission,
contre la puissance spirituelle du Pape, se rabattit, d'a-
près les sages observations de M. Émery, à contester sa puis-
sance temporelle. « Je ne vous conteste pas, dit-il, la puissance
« spirituelle du Pape, puisqu'il l'a reçue de Jésus- Christ; mais
(1) M. Hurter lui-même explique un peu plus haut (pag. 73) ce qu'il dit ici
du projet du dernier empereur.
(2) Ibid., t. 1, pag. 93. Nous saisissons avec empressement cette occasion de
nous associer aux justes éloges que plusieurs écrivains catholiques ont don-
nés à M. Hurter, non-seulement pour l'étendue des recherches et de l'éru-
dition , mais, ce qui est beaucoup plus précieux encore, pour le caractère
de droiture et de franchise qui brille , en quelque sorte , à chaque page de
son Histoire d'Innocent III. Nous remarquerons seulement, en passant, que
l'auteur, n'ayant pu se dépouiller entièrement des préjugés dans lesquels il a
été nourri , a laissé échapper ça et là, dans le cours de son ouvrage, quel-
ques assertions mal sonnantes pour des oreilles catholiques. Sa rare bonne
foi l'obligera sans doute quelque jour à modifier ces assertions. (Voyez à ce
sujet la Bibliogr. Cathol., 3e année, pag. 295. — L'Université cathol.,
t. xvi, pag. 370, etc. )
(3) Ci-dessus, chap. 1, pag. 255, note 1,
ai.
324 SOUVERAINETÉ TEMPORELLE DU PAPE.
« Jésus-Christ ne lui a pas donné la puissance temporelle; c'est
« Charlcmagne qui la lui a donnée; et moi, successeur de
« Charlemagne , je veux la lui ôter, parce qu'il ne sait pas en
« user, et qu'elle l'empêche d'exercer ses fonctions spirituelles.
« M. Émery, que pensez- vous de cela? Sire, répondit
« M. Émery, Votre Majestéhonore le grand Bossuet, et se plaît à le
« citer souvent. Je ne puis avoir là-dessus d'autre sentiment que
« celui de Bossuet, dans sa Défense de la Déclaration du Clergé,
« où il soutient expressément, que l'indépendance et la pleine li-
« berté du chef de l'Église sont nécessaires pour le libre exercice
« de la suprématie spirituelle, dans l'ordre actuel de la multi-
« plicité des royaumes et des empires. Je citerai textuellement le
« passage, que j'ai très-présent à la mémoire. Sire, Bossuet parle
« ainsi : Nous savons que les pontifes romains et l'ordre sa-
« cerdotal tiennent de la concession des princes , et possèdent
« très 'légitimement des biens, des droits, des principautés
« (imperia), comme en possèdent les autres hommes. Nous sa-
« vons que ces possessions, en tant que dédiées à Dieu, doivent
« être sacrées, et qu'on ne peut, sans commettre un sacrilège,
« les envahir, les ravir, et les donner à des séculiers. On a
« accordé au siège apostolique la souveraineté de la ville de
« Rome , et d'autres possessions , afin qu'il pût exercer avec
«plus de liberté sa puissance dans tout l'univers. Nous enfé-
« licitons non-seulement le siège apostolique, mais encore l'É-
« glise universelle ; et nous souhaitons de toute l'ardeur de nos
« vœux que cette principauté sacrée demeure saine et sauve,
« en toutes manières. (1) Napoléon, après avoir écouté avec
« patience, prit doucement la parole, comme il avait coutume de
« faire lorsqu'il était hautement contredit, et parla ainsi : Je ne
« récuse pas l'autorité de Bossuet ; tout cela était vrai de son
« temps, où l'Europe reconnaissant plusieurs maîtres, il n'était
« pas convenable que le Pape fût assujetti à un souverain
« particulier. Mais quel inconvénient y a-t-il que le Pape me
« soit assujetti à moi, maintenant que l'Europe ne connaît d'autre
« maître que moi seul? M. Émery fut un peu embarrassé, parce
« qu'il ne voulait pas faire une réponse qui blessât l'orgueil in-
, (l) Bossuet, Defens. Déclar., lib, i, sect, 1, cap. 16, pag. 273.
PREMIÈRE TARTIE. — CHAPITRE II. " 325
* dividuel. Il se contenta de dire, qu'il pouvait se faire que les
« inconvénients prévus par Bossuet n'eussent pas lieu sous le
« règne de Napoléon, et sous celui de son successeur; puis il
« ajouta •. Mais, Sire/, vous connaissez aussi bien que moi l'his-
« toire des révolutions : ce qui existe maintenant peut ne pas
« exister toujours; à leur tour les inconvénients prévus par
« Bossuet pourraient reparaître. 11 ne faut donc pas changer un
« ordre si sagement établi (l). »
(J) Artaud , Hist. de Pie VII, 2e édition, tom. h, chap. 22 , pag. 20G.
326 DEUXIÈME PARTIE. — POUVOIR DU PAfE
DEUXIÈME PARTIE.
POUVOIR DU PAPE SUR LES SOUVERAINS, AU MOYEN AGE.
i. Indépendamment de l'autorité suprême que le Pape exer-
!aeedeceerae çait dans ses propres États, il en exerça, depuis le xe siècle,
pouvoir, une ]jeauc0Up pius extraordinaire, à l'égard des autres souve-
rains. Depuis cette époque, tous les États catholiques de l'Eu-
rope formèrent, pendant plusieurs siècles, une espèce de répu-
blique, dont le Pape était regardé comme le chef. En cette
qualité, il prononçait, soit dans les conciles, soit hors des
conciles, comme arbitre ou juge suprême, dans les débats qui
s'élevaient entre les princes et leurs sujets, ou entre les princes
eux-mêmes; il citait les souverains à son tribunal; et, non con-
tent d'infliger aux princes scandaleux des peines spirituelles , il
privait de leur dignité ceux qui persévéraient opiniâtrement dans
leurs désordres. C'est ainsi que l'empereur d'Allemagne, Henri IV,
fut solennellement déposé par Grégoire VII, en 1076; Frédé-
ric Ier, par Alexandre III, en 1160 ; l'empereur Othon IV, et
Jean sans Terre, roi d'Angleterre, par Innocent III, en 1211 ;
Frédéric II, par Innocent IV, en 1245. Les conciles même gé-
néraux , loin de réclamer contre ces actes d'autorité , en suppo-
sèrent quelquefois la légitimité, et s'attribuèrent eux-mêmes
un semblable droit. C'est ce qu'on vit en particulier dans le
premier concile de Lyon , où le pape Innocent IV prononça
contre l'empereur Frédéric II une sentence de déposition , sans
aucune réclamation de la part des Pères, et même avec leur
approbation expresse , comme on le verra bientôt (1). C'est ce
qu'on vit encore dans le troisième et le quatrième conciles de
Latran, dans les conciles de Constance et de Bâle, qui déclarè-
(1) Ci-après, chap. n, n. 149
SUll LES SOUVERAINS. 327
rent les hérétiques privés de toutes leurs dignités même tem-
porelles, et délièrent, en ce cas, les sujets du serment de fidé-
lité qui les attachait à leur souverain.
La difficulté d'expliquer un pouvoir si prodigieux a donné Divel.sa' systs.
lieu, dans ces derniers temps, aux systèmes les plus opposés, l.,"xeslf°ù1err
soit parmi les écrivains catholiques, soit parmi les hérétiques.
Tous ces systèmes peuvent se rapporter à deux classes, dont la
première renferme les systèmes théologiques, dans lesquels on
examine principalement la difficulté sous le rapport théologi-
que, c'est-à-dire, d'après les principes de la révélation ou du
droit divin; la seconde classe renferme les systèmes histori-
ques, dans lesquels on examine principalement la difficulté
sous le rapport historique, c'est-à-dire, d'après le droit positif
humain, d'après les principes de législation alors en vigueur,
et d'après quelques autres considérations tirées de l'état et des
besoins de la société au moyen âge.
1° Systèmes théologiques. Depuis la renaissance des lettres, ^A^
jusqu'au commencement du dernier siècle , la difficulté dont il tUot^f^ -
s'agit n'était guère examinée que sous le rapport théologique; varia*,
la plupart même des auteurs qui l'examinaient sous ce point de
vue, ne paraissaient pas soupçonner qu'on pût l'examiner
sous un autre rapport. Toutefois, cette manière de l'envisager
donna lieu à des systèmes tellement opposés, que les uns ten-
dent à justifier complètement la conduite des papes et des con-
ciles du moyen âge envers les souverains, tandis que les autres
la condamnent absolument, et d'autres se bornent à l'excuser,
eu égard aux circonstances et aux opinions alors dominantes.
La conduite des papes et des conciles, sur ce point, est com- 4.
plétement justifiée par les principes mêmes de la révélation et du droîu^m.
du droit divin , s'il en faut croire les défenseurs de l'opinion
théologique qui attribue à l'Église et au souverain pontife,
d'après l'institution divine , un pouvoir de juridiction au
moins indirecte sur les choses temporelles (1). Selon les défen-
(1) On peut voir l'exposition de ce système dans les ouvrages suivants :
Bellaimin , De summo Pontifice, lib. v, cap. 1 et 6. — Pereira de Castro,
De manu Regiâ. Prœlud. I. Lugd. Batav. 1673, in-fol. Olyssipone, 1625,
1688 et 1742.— Roncaglia, Animadverstones in Hist. Eccles. Nat. Alexan-
dri; à la suite de la 2e Dissert, du P. Alex, sur VHist. Eccl. du xie siè-
cle.— Bianchi, Délia Potesta e délia politia délia Chiesa, tom. 1? lib. 1,
328 DEUXIÈME PARTIE. — POUVOIR DU PAPE
seurs de ce sentiment, l'objet direct et immédiat de la puis-
sance ecclésiastique est de gouverner les fidèles dans l'ordre
du salut, ce qui renferme naturellement le pouvoir de faire
tous les règlements nécessaires à leur bien spirituel ; mais ce
pouvoir entraîne indirectement, et par voie de conséquence,
celui de régler môme les choses temporelles, pour le plus grand
bien de la religion; en sorte que la puissance temporelle, quoi-
que distincte, par sa nature, de la spirituelle, lui est néan-
moins subordonnée, comme un inférieur à l'égard de son supé-
rieur, qui a droit déjuger, d'examiner et d'annuler ses actes,
et même de la destituer, toutes les fois qu'elle le juge nécessaire
pour le plus grand bien delà religion. En conséquence de ces
principes , la puissance ecclésiastique ne se mêle aucunement des
choses temporelles , tant que le prince établi pour les régler
ne fait rien de contraire au bien de la religion ; mais dans ce
dernier cas, la puissance ecclésiastique peut et doit réprimer
la puissance temporelle, par tous les moyens nécessaires au plus
grand bien de la religion, jusqu'à déposer le souverain, et en
établir un autre à sa place (f). Ce système a été longtemps sou-
tenu, avec des modifications plus ou moins importantes, par
un grand nombre de théologiens, principalement hors de
France (2); mais la suite de nos Recherches nous donnera lieu
§ 8, n. 1. — Perez Valiente , Apparatus Juris publici Hispanici ', Matriti,
1751, 2 vol. in-4° ; 1. 1, cap. 14 et 15. — Mamachi, Origines et Antiquila-
tes Chris fiance, t. îv, cap. 2, § 4. On sait avec quel éclat les opinions ultra-
montaines , sur ce point, ont été renouvelées , de nos jours , par un trop cé-
lèbre écrivain. Voyez en particulier les deux ouvrages intitulés : De la Re-
ligion considérée dans ses rapports avec l'ordre politique. Paris, 1826 ,
in-8°. — Des progrès de la révolution , et de la guerre contre V Église.
Paris, 1829, in-8°. Voyez aussi, dans Y Histoire littéraire de Fénelon (4e
partie, n. 74), l'exposition du système de cet auteur, sur le pouvoir temporel
de l'Église et du souverain pontife.
(1) Remarquez que le système du pouvoir indirect, tel que nous venons de
l'exposer, est principalement soutenu par le cardinal Bellarmin (ubi supra).
Les auteurs mêmes qui ont depuis modifié ce système, ont pris pour base la
doctrine du savant cardinal , qu'ils reproduisent presque dans toutes ses
parties ; en sorte que les modifications apportées à son système se rédui-
sent, dans le fond, à bien peu de chose. Voyez, au n. 8 des Pièces justifie.
à la fin de ce volume, de plus amples développements, sur l'origine, les
progrès et les vicissitudes de ce système.
(2) Avant le xvie siècle, ce système n'était guère moins accrédité en
France que dans les pays étrangers. Voyez à ce sujet, Charlas , Tract, de
Itibert, Eçcl. GalL lib. vii, cap. 8 et 9. -^-Bianchi, Delta Potesta e délia
ce système.
SUR LES SOUVERAINS. 329
de montrer qu'il n'a jamais été autorisé par aucune définition
de l'Église ou du saint-siége (l). Quelques écrivains récents ont
même cru pouvoir avancer avec confiance, qu'il était aujour-
d'hui généralement abandonné, môme par les théologiens étran-
gers (2).
L'exposition que nous avons faite, dans la première partie q^ &
de cet ouvrage, des [divers sentiments des auteurs modernes, générale <ies
sur les fondements et les titres primitifs Jde la souveraineté tem- ' pour $
porelle du saint-siége, fait assez connaître l'opposition générale
des écrivains protestants pour le système que nous venons d'expo-
ser (3). On a vu que les premiers réformateurs, à l'exemple de Cal-
vin, poussaient généralement cette opposition jusqu'à prétendre
que le pouvoir temporel est incompatible avec le spirituel, au
moins sous la loi nouvelle; d'où ils concluaient : 1° que la
conduite des papes et des conciles, au moyen âge, envers les
souverains, ne peut être excusée d'une erreur grossière , et
même d'une usurpation criminelle sur les droits des souve-
rains; 2° que la sainteté et Y infaillibilité attribuées à l'Église
romaine par les théologiens catholiques , étaient également
compromises par cette conduite (4).
Les Protestants modernes paraissent, en général, fort éloignés
de l'exagération des anciens, qui allaient jusqu'à soutenir l'in-
compatibilité du pouvoir temporel avec le spirituel , dans les
politia délia Chiesa, 1. 1, lib. i, § 10-14. — Mamachi, Origines et Ânti-
quit. Christ., t. iv, p. 254, note 1. Remarquez cependant que ces auteurs
attribuent l'opinion théologique du pouvoir indirect à plusieurs anciens
théologiens, qui peuvent aisément s'expliquer dans le sens du pouvoir pu-
rement directif.
(1) Voyez plus bas, ch. 3, art. 1, dernier n°.
(2) Frayssinous, Les vrais Principes de l'Église Gallicane, 2e édition ,
p. 62. — De la Luzerne, Sur la Déclar. de rassemblée de 1682. Paris,
1821, in-8°, p. 7. — Lettre de monseigneur l'évoque de Chartres à un de
ses diocésains, du 30 mars 1826, p. 57, 69, etc. — Milner, Excellence de
la Rel. cath., t. n, p. 579, etc. — L'Ami de la Rel., t. xvnr, p. 198 ; lx,
p. 35, 81; t. xcv, p. 434.
A l'appui du sentiment de ces auteurs, voyez le n. 8 des Pièces justifie.
à la fin de ce volume.
(3) Voyez ci-dessus, lre partie, chap. 2, art. 2, p. 308 et 310, texte et
notes.
(4) Calvin, Instit. lib. iv, cap. 2, n. 8, etc. — Le card. Bellarmin (De
Rom. Pontif., lib. v, cap. 1 ) indique, à ce sujet, quelques autres ouvra-
ges des premiers réformateurs.
380 DEUXIÈME PARTIE. — POUVOIR DU PAPE
ministres de la loi nouvelle. Toutefois, un grand nombre d'en-
tre eux ne font pas difficulté de reproduire , avec plus ou moins
de violence et d'amertume, les déclamations des premiers ré-
formateurs contre les papes et les conciles, particulièrement
les accusations à! erreur et d'usurpation criminelle contre les
droits de la puissance temporelle (1),
6- . Le système des auteurs qui croient pouvoir justifier la con-
plus duite des Papes et des conciles envers les souverains au moyen
ibphisîeurs âge, par Y opinion théologique du pouvoir indirect, n'a pas
caiboh^es. é lé combattu seulement par des écrivains protestants, mais en-
core par un grand nombre de théologiens catholiques , qui re-
gardent cette opinion comme une erreur contraire à la doctrine
(1) Voyez, entre autres, Basnage, Hist. de V Église, t. u, liv. xxvn, ch. 7.
— Mosheim, Hist. Eccl. sœc. n, part. 2, cap. 2, § 9; sœc. xm, part. 2,
cap. 2, § 11 ; cap. 5, § 2, etc. ; et alibi passim.—Edlhm, L'Europe aie
moyen âge, t. m , chap. 7.
M. Guizot s'exprime, il faut l'avouer, avec plus de modération que
ces auteurs ; toutefois , il est aisé de voir qu'il a puisé dans les prin-
cipes et les préjugés de la réforme , son système sur le pouvoir tem-
porel de l'Église et du Pape au moyen âge. (Guizot, Hist. gén. de la
Civilis. en Europe ■', 3e édition. Paris, 1840, in-8°.) Selon lui, quelque
salutaire qu'ait été, depuis le ve siècle , l'influence de l'Église sur la société
européenne, elle tendait dès lors à s'emparer du pouvoir temporel, et à
dominer exclusivement. (Ibid., p. 59.) Pour se défendre contre la violence
et le despotisme des princes, elle proclama sa propre indépendance; et par
le développement naturel de l'ambition, elle tenta d'établir, non-seulement
l'indépendance, mais la domination du pouvoir spirituel sur le temporel.
(Pages 156-161. ) Grégoire VII est le véritable auteur de cette réforme, pré-
parée de loin dans les siècles précédents (page 192); mais l'exécution de
son plan rencontra, dès le principe, de grands obstacles, que l'Église ne réus-
sit pas à écarter. Grégoire VII lui-même, par sa conduite peu mesurée, com-
promit peut-être plus qu'il n'avança la cause qu'il voulait servir; et ses ten-
tatives échouèrent, vers la lin du xme siècle , par suite de la réaction des
peuples et des souverains contre la domination de l'Église. (Pag. 289-297.)
L'auteur atténue cependant, sur ce point, les torts de l'Église, à raison de
l'état déplorable de la société, qui, depuis le Ve siècle jusqu'au xue, rendait
absolument nécessaire l'intervention du pouvoir spirituel entre les princes
et les peuples, pour maintenir la liberté de ceux-ci contre le despotisme des
premiers. (Page 159.)
Il est aisé de voir que tout ce système repose sur trois assertions princi-
pales, savoir : 1° que l'indépendance de l'Église à l'égard des princes, même
• dans l'ordre spirituel, n'était pas reconnue dans l'Église avant le ve siècle;
2° que, depuis cette époque, l'Église, non contente de soutenir sa propre in-
dépendance, s'est attribué la domination sur le pouvoir temporel ; 3° que Gré-
goire VII est le principal auteur de ce plan de réforme , qui tend à soumet-
tre le pouvoir temporel au spirituel. La suite de nos Recherches nous don-
nera lieu de montrer la fausseté de ces assertions. Voyez principalement le
chap. m de cette seconde partie.
SUR LES SOUVERAINS, 331
de l'antiquité, sur la distinction et l'indépendance réciproque
des deux puissances (l). Selon les défenseurs de ce système, la
puissance spirituelle et la puissance temporelle sont également
souveraines dans leur ressort, et indépendantes l'une de l'autre,
d'après l'institution divine. La puissance spirituelle, quoique
plus excellente par sa nature et son objet , n'a pas le droit de
régler les objets qui sont du ressort de la puissance temporelle ;
elle peut bien diriger celle ci par des avis et des exhortations,
mais non par des ordres et des décrets, en matière temporelle.
On voit assez que , dans ce système , la conduite des papes et
des conciles du moyen âge envers les souverains ne peut être
excusée d'erreur, et par conséquent d'une usurpation, au
moins matérielle , sur les droits des souverains. Toutefois, les
théologiens dont nous parlons sont bien éloignés d'admettre,
comme des conséquences légitimes de leurs principes, les odieu-
ses déclamations des ennemis de l'Église, sur ce sujet; ils
observent, au contraire, que l'erreur qui a servi de base à la
conduite des papes et des conciles du moyen âge envers les
souverains, n'a jamais été autorisée par aucune définition ou
décret de foi, et qu'elle est toujours demeurée dans la classe
des simples opinions , abandonnées à la liberté des Écoles (2) ;
ils ajoutent que cette erreur était la plus innocente et la plus
excusable qui fût jamais; qu'elle s'était insensiblement accré-
ditée, par suite de la décadence des études, au point d'être par-
tagée par les hommes les plus pieux et les plus éclairés (3) ;
(1) Ce système est communément soutenu , principalement depuis deux
siècles, parles auteurs français. Le plus célèbre de ces auteurs, sans contredit,
est Bossuet, Def. Declar. (Œuvr. t. xxxi et suiv., éd. de Vers.) C'est d'après
lui que Mamachi expose assez longuement le système des auteurs français.
(Mamachi, ubi suprà, p. 158,etc.)Voy. aussi Dupïn, Ti*aité de laPuiss. Eccl.
et Temp. Paris, 1707, in-8°. Cet ouvrage est recommandé par De Héricourt,
comme un des plus solides sur cette matière. (De Héricourt, Lois Ecclés. de
France. Paris, 1771, in-fol., p. 220.) L'abbé Dinouart adonné, en 1768, une
nouvelle édition de l'ouvrage de Dupin, 3 vol. in-8°. — Nat. Alexand., Dissert.
2 in Hist. Eccl. sœculi xi, artic. 9 et 10. Nous croyons que Bossuet a
puisé dans ce dernier auteur la plus grande partie des faits et des observa-
tions recueillis, sur ce sujet, dans la Défense de la Déclaration.
(2) Bossuet s'attache particulièrement à établir ce point , dans l'examen
des principaux faits allégués par les théologiens ultramontains, à l'appui de
leur opinion. Remarquez en particulier les éclaircissements qu'il donne sur
ce sujet, dans sa Défense de la Déclar., liv. m, chap. 1 et 5.
(3) Bossuet, Defens. Declar., lib. i, sect. 2, cap. 24, p. 348. ; lib. m,
cap.^21, p. 662.
332 DEUXIÈME PARTIE. — POUVOIR DU PAPE
enfin, que l'illusion était alors d'autant plus facile et plus excu-
sable, que la situation et l'intérêt de la société avaient insensi-
blement amené , et rendaient en quelque sorte nécessaire l'in-
tervention de la puissance ecclésiastique dans les affaires
temporelles, et la grande influence qu'elle y exerçait, avec le
consentement exprès ou tacite des princes (1). Il faut avouer
cependant que tous les écrivains catholiques ne s'expriment pas
là-dessus avec autant de mesure , et que plusieurs ont adopté,
avec beaucoup trop de légèreté , les odieuses déclamations des
ennemis de l'Église sur ce point (2).
„ 7. 11° Sijstèmes historiques. Jusqu'à la fin du xvne siècle,
2 Systèmes ,. f
historiques, comme nous lavons déjà remarque, on ne vit guère sur ce
occStôs sujet, que des systèmes théologiques , soutenus, de part et
ava"ièciïy111 d'autre, avec beaucoup d'ardeur , quelquefois même avec une
extrême vivacité. Ce n'est pas que la difficulté qui avait donné
lieu à ces divers systèmes, ne fût examinée par quelques auteurs
sous le rapport historique , indépendamment des principes de
la révélation ou du droit divin; mais ceux mêmes qui l'exami-
naient sous ce point de vue, ne le faisaient, pour ainsi dire,
qu'en passant, et d'une manière purement accessoire, dans
l'unique but d'appuyer et de confirmer la solution plus complète,
qu'ils croyaient trouver dans les seuls principes de la théolo-
gie. C'est ce qu'on remarque en particulier dans plusieurs écrits
publiés, au xvie siècle, par les catholiques anglais et français ,
contre les droits d'Elisabeth à la couronne d'Angleterre, et
contre ceux du roi de Navarre (depuis Henri IV) à la couronne
de France (3). Les auteurs de ces écrits invoquent principale-
ment contre les deux prétendants, le droit divin, soit dans le
sens où l'expliquent les défenseurs de l'opinion théologique du
(1) Ce dernier point est reconnu, comme on le verra bientôt ( ci-après ,
chap. 4, art. 2 ), même par des auteurs français, qui blâment d'ailleurs avec
beaucoup d'amertume et de vivacité, les maximes et la conduite des papes
et des conciles du moyen âge envers les souverains. Voyez , entre autres;
Bossuet, ibid., liv. iv, cap. 5. — Ferrand, V Esprit de l'Histoire, 1. 11, let-
tre 47, p. 494.
(2) Nous avons indiqué quelques-uns de ces auteurs dans la Préface de
cet ouvrage.
(3) Nous renvoyons au n. 9 des Pièces justificatives , à la fin de ce vo-
lume , quelques détails sur les principaux ouvrages relatifs à ces deux con-
troverses.
SUR LES SOUVERAINS. 333
pouvoir indirect, soit dans le sens où l'expliquent les auteurs
qui attribuent à la société le droit naturel de destituer, en
certains cas, les souverains ; mais ils invoquent aussi, à l'ap-
pui de leur sentiment, le droit humain positif, c'est-à-dire,
l'ancienne jurisprudence des États catholiques de l'Europe, par-
ticulièrement celle de la France et de l'Angleterre, qui exclut
du trône les princes hérétiques.
La plupart des théologiens qui ont examiné, avant le xvme
siècle, la difficulté dont nous parlons, paraissent avoir ignoré
ce dernier moyen de solution, qu'ils passent entièrement sous
silence; et plusieurs même de ceux qui l'ont connu paraissent
y avoir attaché peu d'importance. Telle était en particulier la
disposition de Bossuet, comme la suite de nos Recherches nous
donnera lieu de l'observer. Il est à remarquer, en effet, que dans
la Défense de la Déclaration, où il expose brièvement cette ma-
nière d'expliquer la conduite des souverains pontifes, surtout
à l'égard des empereurs d'Allemagne, il se borne à indiquer
cette explication ; et, sans l'approuver ni la rejeter, il en ren-
voie l'examen aux jurisconsultes, et à ceux pour qui cette dis-
cussion peut avoir quelque intérêt (t).
Mais la difficulté dont il s'agit, après avoir été presque uni-
quement examinée, pendant si longtemps, sous le rapport théo-
logique, fut enfin examinée de plus près, sous le rapport his-
torique, pendant le cours du dernier siècle. Plusieurs écrivains
célèbres, non-seulement parmi les catholiques, mais encore
parmi les protestants, entreprirent d'expliquer et de justifier la
conduite des papes et des conciles du moyen âge envers les
souverains, par des considérations purement historiques, ti-
rées soit de la législation alors en vigueur, soit de l'état et
des besoins de la société à cette époque. Ce nouveau point de
vue donna lieu à divers systèmes, qui semblent obtenir de
jour en jour plus de crédit, à mesure qu'on se livre avec plus
d'ardeur et d'impartialité aux études historiques. Nous expose-
rons seulement ici les plus remarquables de ces systèmes.
Celui de Fénelon est, sans contredit, un des plus dignes s.
d'attention, soit par le nom de son auteur, soit par la solidité ScFéS.de
(1) Defens. Declar., lib. i, sect. 1, cap. 16, p. 273; lib. m, cap. 24
p. 682. Voyez ci-après, cliap. 3, art. 2, § 2.
334 DEUXIÈME PARTIE. — POUVOIR DU PAPE
de ses principes , comme nous le montrerons dans la suite de cet
ouvrage, soit enfin parce que l'illustre prélat paraît être le premier,
parmi les écrivains catholiques, qui ait exposé, avec un certain
développement, le sentiment qui explique par le droit public du
moyen âge la conduite des papes et des conciles qui ont autrefois
déposé des princes temporels (l). Nous avouerons même que le
ton ferme et assuré avec lequel il s'exprime à ce sujet, est la vé-
ritable origine des recherches que nous avons entreprises, depuis
quelques années, pour l'éclaircissement d'un point si impor-
tant.
9. Dans le chapitre 39e de sa Dissertation sur V autorité du
explique souverain Pontife, il examine ex professo , en vertu de quel
déposition droit l'autorité ecclésiastique a déposé autrefois les prin-
chiidéric, ms temporels; et voici de quelle manière il croit pouvoir
celIe deel Louis résoudre cette question délicate. Il remarque d'abord que
Débonnaire *a rép0Ilse du PaPe Zacharie aux Français , sur la déposition de
Childéric, en 752, et la déposition de Louis le Débonnaire par
les évêques de France, en 833, ne sont pas proprement des actes
de juridiction , exercés par l'autorité ecclésiastique, sur le tem-
porel des princes. La réponse du pape Zacharie était un simple
avis sur un cas de conscience, que les Français avaient porté
librement à son tribunal (2) ; et les évêques de France qui pro-
noncèrent la déchéance de Louis le Débonnaire , ne le firent
point en vertu de l'autorité ecclésiastique, mais en qualité de
premiers seigneurs du royaume , et de concert avec les autres
seigneurs, qui composaient les états généraux de la nation (3).
Après ces observations importantes , Fénelon continue ainsi :
10.
Maximes
(1) Nous verrons ailleurs que les idées de Fénelon, sur ce point, paraissent
être , au fond , les mêmes que Leibniz avait exposées, quelques années au-
paravant , dans plusieurs de ses ouvrages. (Voyez ci-après , chap. 2, art. 1,
n. 124.) Nous ignorons jusqu'à quel point le sentiment de Leibniz a pu
influer sur celui de Fénelon ; mais nous croyons que l'archevêque de Cambrai
a présenté le sien d'une manière beaucoup plus nette et plus précise. Quoi
qu'il en soit, rien n'est plus digne d'attention, que l'accord de ces deux
grands hommes, sur une question aussi importante, malgré la différence de
leurs principes religieux.
(2) Remarquez que cette explication de Fénelon est adoptée par Bossuet
et par nos meilleurs historiens. Voyez ci-dessus, le chap. 2 de la première
partie, n. 95. Voyez aussi le chap. 3 de la seconde partie, n. 172.
(3) Fénelon paraît supposer, en cet endroit , que Louis le Débonnaire fut
déposé par le concile de Compiègne, en 833. Nous verrons ailleurs que ce
StTR LES SOUVERAINS. 335
« Depuis ce dernier événement (1) , on vit peu à peu s'imprimer et
usages du
«profondément, dans l'esprit des peuples catholiques, cette moyen âge,
sur la
des
princes.
a opinion, que la puissance suprême ne pouvait être confiée déposition
« qu'à un prince orthodoxe, et qu'une des conditions apposées
« au contrat taci^ment passé entre les peuples et le prince, était
« que les peuples obéiraient fidèlement au prince, pourvu que
« celui-ci fût lui-même soumis à la religion catholique (2). Cette
« condition étant supposée, on pensait généralement que le
« lien du serment qui attachait la nation à son prince était
« rompu , aussitôt que celui-ci, au mépris de la condition dont
«il s'agit, se révoltait ouvertement contre la religion catho-
« lique. // était alors d'usage (3) que les excommuniés fussent
« privés de toute société avec les fidèles, et ne pussent commu-
concile approuva seulement la déposition de l'empereur, déjà décrétée aupa-
ravant par l'assemblée des seigneurs de l'armée rebelle de Lothaire. (Ci-
après, chap. 1, art. 3,n. 67.)
(1) « Sensim catholicarum gentium hœc fuit sententia, animis alte
« impressa, scilicet, supremam potestatem çommitti non posse nisi principi
« catholico, eamque esse legem sive conditionem tacito contractai appositam
a populos inter et principem , ut populi principi fidèles parèrent; modo prin-
ce ceps ipse catholicae reli gioni obsequeretur. Quâ lege positâ , passim pu-
«■ tabant omnes solutum esse vinculum sacramenti fidelitatis a totâ gente
« praestitum , simul atque princeps, eâ lege violatâ, catholicae religioni con-
« tumaci animo resisteret. » Fénelon, Disserl. de auctoritate summi Pon-
tifias, cap. 39, p. 382.
(2) Fénelon suppose ici que l'autorité du prince peut être restreinte par
la loi fondamentale de l'État, au moyen de certaines conditions, mises à
l'élection du souverain., et dont l'infraction l'expose à être déposé par l'as-
semblée générale delà nation. Cette doctrine est en effet admise par les plus
célèbres et les plus sages publicistes, et par Bossuet lui-même. Voyez plus
bas, chap. 1, art. 1, n. 25.
(3) « Tum verô morts erat, ut excommunicati piorum omnium societate
« privarentur, et solâ ope ad victum necessarià frui possent : unde nihil est
« mirum si gentes catholicae religioni quàm maxime addictse , principis ex-
« communicati jugum excuterent. Eâ enim lege sese principi subditas fore
« pollicitae erant, ut princeps ipse catholicae religioni pariter subditus esset.
« Princeps verô qui, ob haeresim, vel ob facinorosam et impiam regni admi-
« nistrationem , ab Ecclesia excommunicatur , jam non censetur pius ille
« princeps, cui tota gens sese committere voluerat : unde solutum sacramenti
«vinculum arbitrabantur. Praeterea canonico jure sancitum fuit, ut ii
« censerentur haeretici, aut saltem haereticae pravitatis valde suspecti , qui ,
« excommunicati ab Ecclesia, intra certum tempus absolutionem excom-
« municationis débita submissione non consequerentur. Ita principes qui
« in excommunicationis vinculo contumaces jam obstordescebant , ut impii
« Ecclesiee catholicae contemptores, atque adeo haeretici habebantur. Hos
« autem , tanquam a contractu secum inito déficientes , exauctorabat gens
« sua. Porro hoc erat hujus morts temperamentum, quod ea depositio non
336 DEUXIÈME PAUTIE. — POUVOIR DU PAPE
« niquer avec eux, que pour les besoins indispensables de la vie.
« Il n'est donc pas étonnant que les peuples , alors si attachés à
«la religion catholique, secouassent le joug d'un prince ex-
ce communié. En effet, ils avaient promis de lui obéir, à condition
« qu'il serait lui-même soumis à la religion catholique; or, le prin-
« ce qui était excommunié par l'Église pour cause d'hérésie, ou
« pour les crimes et les impiétés dont ils'était rendu coupabledans
« le gouvernement de son royaume, n'était plus considéré comme
« ce prince religieux auquel toute la nation avait voulu se soumet-
« tre; on pensait donc que le lien du serment qui attache les su-
« jets à leur souverain , était rompu en ce cas. De plus, le droit
« canonique avait décidé que les excommuniés qui n'obtiendraient
« pas l'absolution en se soumettant à l'Église dans un certain es-
« pace de temps, seraient censés hérétiques, ou du moins très-sus-
« pects d'hérésie. Ainsi, les princes qui croupissaient avec obstina-
« tionsousle lien de l'excommunication, étaient regardés comme
« coupables d'un mépris sacrilège envers l'Église, et par conséquent
« d'hérésie; et le peuple, les regardant comme coupables de Fin-
« fraction du contrat qu'ils avaient passé avec lui, secouait leur au-
« torité. Toutefois cet usage était modifié, en ce quela déposi tion du
« prince ne pouvait être effectuée qu'après avoir consulté l'Église...
„. « Cette discipline, qui a été longtemps en vigueur, ne peut
****#! Afrec' « donner lieu de révoquer en doute aucun point de la doctrine
rÉgiise et du « (je l'Église; car il s'agit uniquement d'une maxime qui avait
sur \<*soii\e- a alo?*s prévalu chez toutes les nations catholiques, savoir,
« que l'autorité séculière n'était confiée au prince que sous la
« condition expresse de protéger et d'observer en toutes choses
« la religion catholique. Ainsi, Y Église ne destituait point et
« n instituait point les princes temporels ; mais étant consultée
« par les peuples, elle répondait seulement ce qui regardait la
« fieret, nisi consulta prias Ecclesiâ.... In eâ autem disciplina, quac mul-
« tum viguit, milla est Ecclesiee doctrina quœ in dnbium Vocari possit : sed
« solnmmodo agitur ôeplacito , quod apud omnes catholicas g entes inva-
« luit, nimirum,ut saecularis auctoritas non committeretur principi, nisi eâ
« certissimâ lege, ut ipse priuceps catholicae religioni per omnia tuendee et
« observandae incumberet. Itaque Ecclesiâ neque destituebat neque insti-
« iuebat laïcos principes ; sed tan tu m consulentibus gentibus responde-
« bat, quid , ratione contractûs et sacramenti , conscientiam attineret. Hœc
« non juridica et civilis, sed directiva tantùm et ordinativa potestast
« quam approbat Geisonius. » Fénelon, ubi supra.
rains.
SDR LES SOUVERAINS. 337
« conscience, à raison du contrat et du serment. Elle n'exerçait
« pas un pouvoir civil et juridique , mais le pouvoir purement
« direct if et ordinatif approuvé par Gerson Ce pouvoir
« consiste uniquement en ce que le Pape , en tant que prince des
« pasteurs, en tant que principal directeur et docteur de
«l'Église, dans les grandes questions de morale, est obligé
« d'instruire le peuple qui le consulte sur l'observation du ser-
« ment de fidélité. Du reste, les pontifes n'ont aucune raison
« de prétendre commander aux princes, à moins qu'ils n'aient
« acquis ce droit par un titre spécial , ou par une possession
« 'particulière , sur quelque prince feudataire du saint-siége ;
« car c'est à tous les apôtres, et par conséquent à Pierre, que Jésus-
« Christ a dit : Les rois des nations exercent leur empire sur
« elles,- pour vous , n'en usez pas ainsi (1). »
Conformément à ces principes, Fénelon enseigne, dans les
Plans de gouvernement, rédigés en 1711 pour le duc de Bour-
gogne, que le Pape n'a aucun pouvoir direct sur le temporel
des princes, mais seulement un pouvoir indirect, dans le sens
qu'il vient d'expliquer, c'est-à-dire, un pouvoir purement di-
rectif, qui se réduit à décider sur le serment, par voie de
consultation, et qui ne suppose , en aucune manière, le pouvoir
proprement dit de déposer les souverains (2).
Ainsi, dans le sentiment de Fénelon, la conduite des souve-
rains pontifes qui ont autrefois déposé des princes temporels, Ldes°nadpues
s'explique naturellement par les maximes alors généralement envcr!>les«>«
(1) « Hsec autem potestas, quam Gersonins directivam et ordinativam
« nuncupat , in eo tantùm consistit , qnod Papa, utpote princeps pastorum ,
« utpote praecipuus , in majorihus moralis disciplina causis, Ecclesiœ dire-
« ctor et doctor, de servando fidelitatis sacramento populum consulentem
<c edocere teneatur. De csetero, nihil est quod pontifices regibus imperare
« velint, nisi ex speciali titulo, aut possessione aliquâ peculiari, id sibi
a juris, in aliquem regem feudatarium sedis apostolicœ, adeptifuerint,
« Namque apostolis omnibus , ac proinde Petro dictum est : Reges gentium
« dominantur eorum; vos autem non sic. » Fénelon, ubi suprà, cap. 27,
p. 334.
(2) Voici les propres expressions de Fénelon dans ce passage , où sa pen-
sée est plutôt indiquée que développée : « Puissance (de Rome) sur le tern-
ie porel : — directe, absurde et pernicieuse; — indirecte, évidente, quoique
« faillible, quand elle est réduite à décider sur le serment par consultation ;
« mais déposition n'en suit nullement. » Voyez, dans Y Histoire littéraire
de Fénelon (4e partie, n. 60, note), quelques observations importantes,
pour établir l'authenticité de ce passage.
22
ii.
La conduite
338 DEUXIÈME PARTIE. — POUVOIR DU PAPE
au moyen àge, admises parmi les peuples catholiques de l'Europe , et qui don-
ptt^drlit naient, en certains cas, à l'Église le pouvoir au moins indi-
de cette%o- reci d'instituer et de destituer les souverains. Ce pouvoir ,
iue- selon l'archevêque de Cambrai, n'était pas un pouvoir de ju-
ridiction temporelle, fondé sur le droit divin; mais c'était
tout ensemble un pouvoir directif d'institution divine, et un
pouvoir de juridiction temporelle, d'institution purement hu-
maine. En effet, le Pape et l'Église, ayant, d'après l'institution
divine, l'obligation et par conséquent le pouvoir d'éclairer
et de diriger la conscience des princes et des peuples , en tout
ce qui regarde le salut , ont , par cela même , le pouvoir de
décider les questions relatives aux obligations de conscience,
qui résultent du serment de fidélité (l). Mais indépendamment
de ce pouvoir directif, d'institution divine , ils avaient , au
moyen âge, un pouvoir de juridiction temporelle, d'institution
purement humaine , fondé sur Y usage et les maximes de droit
public alors généralement admises. En déposant un souverain
opiniâtre dans l'hérésie ou l'excommunication, ils n'agissaient
pas seulement comme docteurs et directeurs des fidèles, dans
l'ordre du salut ; ils agissaient en même temps comme juges
établis et reconnus par Yusage et le droit public alors en vi-
gueur, pour examiner et juger la cause des souverains qui en
couraient la déchéance, par l'infraction du contrat qu'ils avaient
passé avec leur peuple. Telle est au fond la pensée de Fénelon,
quoiqu'il ne l'exprime peut-être pas avec la même précision
que nous le faisons.
Il est aisé de voir que, dans ce sentiment , la sentence de dé-
position prononcée par le Pape ou le concile, au moyen âge,
contre un souverain hérétique ou excommunié, était fondée
tout à la fois sur le droit divin et sur le droit humain. Elle
était fondée sur le droit divin, non-seulement en tant qu'elle dé-
clarait le prince hérétique ou excommunié , mais encore en tant
qu'elle éclairait et dirigeait la conscience des princes et des
(1) Il est à remarquer que le pouvoir directif du Pape, ainsi expliqué, est
admis sans difficulté , même par des théologiens très-opposés au sentiment
qui attribue, de droit divin, à l'Église et au souverain pontife une jurU
diction au moins indirecte sur les choses temporelles. (Voyez ci-après,
Chap. 3, n. 172.)
SUR LES SOUVERAINS. 339
peuples, relativement aux obligations qui résultaient du ser-
ment de fidélité. Elle était en même temps fondée sur le droit
humain, non-seulement en tant qu'elle déclarait le prince déchu
de ses droits, par suite de la condition mise à son élection , mais
encore en vertu du pouvoir que Yusage et le droit public don-
naient alors au Pâ'pe et au concile, pour juger la cause des sou-
verains qui encouraient la déchéance. En prononçant cette sen-
tence, le Pape et le concile ne déposaient pas proprement le
souverain, et ne s'attribuaient pas, de droit divin , le pouvoir
de le déposer; mais ils déclaraient seulement et ils décidaient
que, d'après la condition mise à son élection par Yusage et la
jurisprudence du temps, il était déchu de sa dignité. Leur sen-
tence peut être comparée à celle d'un juge ordinaire, qui pro-
nonce la nullité d'un acte invalidé par les lois, mais dont la
nullité n'existe pas de plein droit, et n'a d'effet qu'après avoir
été prononcée par le juge (1).
La suite de cet ouvrage nous donnera lieu de citer . à l'appui l3-
. . 7 rr Le sentiment
de ce sentiment, plusieurs savants auteurs, même protestants, ,d«
qui l'ont adopté plus ou moins ouvertement, depuis un siècle, modifié'
quoique avec diverses modifications (2). Nous remarquerons
seulement ici que , parmi les auteurs qui l'ont admis, quel-
(1) Remarquez que, dans ce sentiment, le Pape et le concile, qui déliaient
les sujets du serment de fidélité prêté au souverain, ne donnaient pas une
dispense proprement dite de ce serment, mais une simple interprétation
ou déclaration de sa nullité. En effet, le serment de fidélité étant unique-
ment relatif au contrat passé entre le prince et ses sujets, n'avait de force
que pour appuyer ce contrat , et uniquement dans l'hypothèse de la validité
de ce contrat. Par le seul fait de la rupture du contrat, le serment devenait
sans objet ; et la même sentence qui déclarait le contrat nul , renfermait, par
une conséquence naturelle , une déclaration de la nullité du serment, sans qu'il
fût nécessaire d'en dispenser, dans le sens propre et rigoureux de ce mot. Si
donc le Pape et les conciles emploient quelquefois, en ce cas, les termes de
dispense , d'absolution, et d'autres semblables, c'est dans un sens large et
impropre, comme Fénelon l'explique à l'occasion de la sentence de déposi-
tion prononcée par le pape Innocent IV contre Frédéric II, dans le concile
de Lyon, en 1245. (Fénelon , ubi suprà , cap. 39, p. 387. Voyez ce passage
ci-après, cliap. 3 , art. 1, n. 213. ) Au reste, si l'on insiste pour voir ici une
dispense proprement dite , nous ne disputerons pas sur les mots ; nous re-
marquerons seulement qu'il est souvent difficile de distinguer, en cette
matière , une dispense proprement dite d'avec une simple interprétation.
Il faut avouer du moins que la différence communément assignée entre ces
deux choses n'est pas toujours facile à saisir.
(2) Voyez plus bas, chap. 3, art. 2, § 4.
22.
par celui du
comte
de Maislre.
340 DEUXIÈME riRTIE. — POUVOIR DU PAPE
ques-uns ont cru pouvoir le concilier avec le système du droit di-
vin, que nous avons exposé plus haut, et que Fénelon rejette ex-
pressément (1). Déjà nous avons remarqué que le droit divin et
le droit positif humain étaient également invoqués, au xvie siè-
cle, parles catholiques anglais et français, contre les droits d'Eli-
sabeth à la couronne d'Angleterre, et contre ceux du roi de Na-
varre (depuis Henri IV) à la couronne de France (2). Tel paraît
être aussi le sentiment adopté, de nos jours, par le comte de
Maistre , dans son ouvrage intitulé : Du Pape. Selon lui , il
ne répugne pas que la souveraineté, quoique divine dans son
principe, soit contrôlée par l'autorité spirituelle, établie de
Dieu pour le gouvernement de l'Église, et que cette autorité
ait le droit, en certains cas, de révoquer le serment fait aux
princes par les sujets. Telle était au fond l'idée du moyen âge,
selon le comte de Maistre. « Ces idées , dit-il , flottaient dans la
« tête de nos aïeux , qui n'étaient point en état de se rendre
(1) Il semble difficile , au premier abord, de concilier ces deux sentiments
dans un même système; car, si l'on suppose que l'Église a, de droit divin,
le pouvoir de déposer les souverains, pour le plus grand bien de la religion,
que pourrait ajouter à ce pouvoir le droit positif humain? Toute disposi-
tion des lois humaines, sur ce point, ne serait qu'une répétition inutile de la
loi divine : ce serait donc une loi inutile et sans effet, et par conséquent ra-
dicalement nulle. Toutefois, cette difficulté est plus spécieuse que solide.
Rien n'empêche en effet qu'un point de droit divin soit inséré dans le droit
positif humain , pour en mieux assurer l'observation, en ajoutant la sanc-
tion de la puissance temporelle à celle de la volonté divine, et pour contenir
par la crainte des peines temporelles ceux que la seule crainte de Dieu ne
contiendrait pas suffisamment. C'est parce motif que tous les princes chré-
tiens, depuis Constantin , ont confirmé par leurs édits plusieurs lois divines,
comme nous l'avons montré ailleurs. (Introd., art. 2, § 2.) Par suite de cette
confirmation , plusieurs dispositions de droit public ou privé appartiennent
tout à la fois au droit divin et au droit humain : au droit divin , par leur
origine primitive; et au droit humain, par la confirmation que les princes
en ont faite. C'est ainsi que, dans un pays où la religion catholique est re-
connue loi de l'État, à l'exclusion de toute autre, la profession extérieure de
cette religion est fondée tout à la fois sur le droit divin et sur le droit hu-
main; en sorte que celui qui en professerait extérieurement une autre, se
rendrait tout à la fois coupable de désobéissance envers Dieu et envers le
prince , et serait tout à la fois passible des peines spirituelles et des peines
temporelles.
(2) Voyez ci-dessus, n. 7, pag. 232. —Il est à remarquer que Leibniz, qui
admet au fond le sentiment de Fénelon , sur le sujet qui nous occupe , n'ose
condamner absolument l'opinion théologique du pouvoir indirect, dans le
sens où l'explique le cardinal Bellarmin. Voyez ci-après un passage remar-
quable de Leibniz sur cette matière. (Chap. 2, n. 167.)
SDR LES SOUVERAINS. 341
«raison de cette théorie, et de lui donner une forme systé-
« matique ; ils laissèrent seulement entrer dans leur esprit
« l'idée vague , que la souveraineté temporelle pouvait être
« contrôlée par ce haut pouvoir spirituel qui avait le
«droit, dans certains cas , de révoquer le serment des su-
rjets (t).v
Mais indépendamment de cette théorie, qu'il ne prétend J^ (
pas adopter absolument, le comte de Maistre croit pouvoir comte de
1 • - _ Maistre établit
expliquer et justifier pleinement la conduite des papes et des ie droit public
conciles du moyen âge envers les souverains, par le droit
public de cette époque. Quels qu'aient pu être l'origine et le fon-
dement de ce droit, sa réalité est clairement établie, selon
l'auteur, par le seul fait de l'usage et de la persuasion univer-
selle du moyen âge, ou de la longue et paisible possession des
papes et des conciles. Ce droit public est tel, selon lui, « qu'il
« n'en a jamais existé de plus général et de plus incontestable-
« ment reconnu (2).... Il faut partir, dit-il, d'un principe général
« et incontestable, savoir, que tout gouvernement est bon, lors-
« qu'il est établi et qu'il subsiste depuis longtemps sans con-
« testation.... Toutes les formes possibles de gouvernement se
« sont présentées dans le monde; et toutes sont légitimes, dès
«qu'elles sont établies, sans que jamais il soit permis de rai-
« sonner d'après des hypothèses entièrement séparées des faits.
« Or, s'il est un fait incontestable, attesté par tous les monu-
« ments de l'histoire, c'est que les papes, dans le moyen âge,
« et bien avant encore dans les derniers siècles, ont exercé une
« grande puissance sur les souverains temporels ; qu'ils les ont
«jugés, excommuniés dans quelques grandes occasions, et que
« souvent même ils ont déclaré les sujets de ces princes, déliés
« envers eux du serment de fidélité.... L'autorité des papes fut
« la puissance choisie et constituée, dans le moyen âge, pour
« faire équilibre à la souveraineté temporelle, et la rendre sup-
« portable aux hommes.... Il n'y avait là certainement rien de
«contraire à la nature des choses, qui n'exclut aucune forme
« d'association politique. Si cette puissance n'est pas établie , je
(1) De Maistre, Du Pape, liv. n, chap. 3 et 10, pag. 227, 333-335.
(2) Ibid.y pag. 235.
342 DEUXIÈME PARTIE. — POUVOIR DU PAPE
« ne dis pas qu'on doive l'établir ou la rétablir : c'est de quoi je
« n'ai cessé de protester solennellement; je dis seulement, en
« me reportant aux temps anciens, que si elle est établie, elle
« sera légitime comme toute autre, aucune puissance n'ayant
« d'autre fondement que la possession.... L'autorité des papes
« sur les rois n'était contestée que par celui qu'elle frappait. Il
« n'y eut donc jamais d'autorité pins légitime, comme jamais
« il n'y en eut de moins contestée.... Qu'y a-t-il donc de sûr
«parmi les hommes, si la coutume, non contredite surtout,
« n'est pas la mère de la légitimité? Le plus grand de tous les
«sophismes, c'est celui de transporter un système moderne
« dans les temps passés, et déjuger sur cette règle les choses et
« les hommes de ces époques plus ou moins reculées. Avec ce
«principe, on bouleverserait l'univers; car il n'y a pas d'in-
« stitution établie qu'on ne pût renverser par le môme moyen ,
« en la jugeant sur une théorie abstraite. Dès que les peuples et
« les rois étaient d'accord sur l'autorité des papes, tous les rai-
« sonnements modernes tombent.... J'ai beaucoup entendu de-
« mander dans ma vie de quel droit les papes déposaient les
« empereurs; il est aisé de répondre : Du droit sur lequel repose
« toute autorité légitime, possession d'un côté, assentiment de
« l'autre (1). »
«5. Au reste, quoique l'auteur ne croie pas nécessaire de re-
aior" mfse, chercher l'origine de ce droit, pour justifier les papes et les
hi'éieCntioUndes conciles qui en ont usé, il fait assez entendre que ce droit était
fondé sur la condition mise à l'élection des souverains, par les
électeurs, qui, d'après la uature élective des gouvernements du
moyen âge, avaient incontestablement le droit de restreindre
ainsi l'autorité des souverains. Sous ce rapport, le sentiment du
comte de Maistre se rapproche beaucoup de celui de Fénelon.
«Je ne terminerai point ce chapitre, dit-il, sans faire une ob-
« servation, sur laquelle il me semble qu'on n'a point assez in-
« sisté : c'est que les plus grands actes d'autorité qu'on puisse
« citer, de la part des papes agissant sur le pouvoir temporel,
«attaquaient toujours une souveraineté élective, c'est-à-dire,
« une demi-souveraineté, à laquelle on avait sans doute le droit
(1) De Maistre, ibid., chap. 9, etc., p. 318, 320, 321, 325, 337, 344, 378.
souverains.
SUR LES SOUVERAINS. 343
« de demander compte, et que même on pouvait déposer, s'il
« lui arrivait de malverser à un certain point. Voltaire a fort
« bien remarqué que V élection suppose nécessairement un
« contrat entre le roi et la nation (l) ; en sorte que le roi électif
« peut toujours être pris à partie et être jugé : il manque tou-
jours de ce caractère sacré qui est l'ouvrage du temps; car
« l'homme ne respecte réellement rien de ce qu'il a fait lui-
« même : il se rend justice en méprisant ses œuvres, jusqu'à ce
« que Dieu les ait sanctionnées par le temps. La souveraineté
« étant donc, en général, fort mal comprise et fort mal assurée
« dans le moyen âge , la souveraineté élective en particulier
« n'avait guère d'autre consistance, que celle que lui donnaient
« les qualités personnelles du souverain : qu'on ne s'étonne donc
«point qu'elle ait été si souvent attaquée, transportée ou ren-
« versée (2). »
On voit, par cet exposé, en quoi le sentiment du comte de p '*:
1 . ^n quoi le sen-
Maistre s'accorde avec celui de l'archevêque de Cambrai, et en timent
• «t it£>« ™ i j i ■• da comte de
quoi il en dittere. lous deux s accordent à expliquer le pouvoir Maistre diffère
de l'Église sur les souverains, au moyen âge, par les maximes de Fénlfôn.
de droit public alors généralement admises; mais cette expli-
cation, dans le sentiment du comte de Maistre, n'exclut pas
celle qui se tire du droit divin. De plus, les deux sentiments
diffèrent dans la manière dont ils établissent le droit public
dont il s'agit. Fénelon lui donne pour unique fondement (hors
des fiefs et des autres souverainetés que l'Église a pu acqué-
rir par un titre spécial) le contrat tacitement passé entre le
prince et les sujets , et en vertu duquel le souverain encourait
la perte de ses droits, par sa rébellion envers l'Église. Le comte
de Maistre, indépendamment de ce premier fondement, qu'il
reconnaît avec l'archevêque de Cambrai, croit pouvoir établir
le droit public dont il s'agit, par le seul fait de la persuasion
universelle du moyen âge , ou de la longue et paisible pos-
session des papes et des conciles. Il suit delà que le système
du comte de Maistre , indépendamment des difficultés qui peu-
vent lui être communes avec celui des théologiens ultramon-
tains, et avec celui de Fénelon , est encore exposé aux difficultés
(1) Voltaire, Essai sur les Mœurs, toi». m, chap. 121.
(2) De Maistre, ubi suprà, pag. 327.
344 DEUXIÈME PARTIE. — POUVOIR DU PAPE
qu'on peut faire contre l'argument de prescription, que le
comte de Maistre regarde comme le principal fondemeHt de
son système. Nous sommes très-porté à croire que la plupart des
lecteurs seront effrayés d'un si grand appareil de difficultés, et
y trouveront, en quelque sorte, un préjugé légitime contre le
système du comte de Maistre (l).
a '7- Enfin, quelques auteurs modernes, sans examiner précisé-
Sentiment * x x ' L
. ^ ment l'origine et les fondements du pouvoir exercé sur les sou-
Micbaud: .
ia conduite des verains, par les papes et les conciles du moyen âge, ont cru ce
enveïsïïsou. pouvoir suffisamment justifié par la nécessité des temps et des
au mTyen^ge, conjonctures, c'est-à-dire , par la situation déplorable où se
justifiée trouvait alors la société en Europe : situation qui rendait ab-
pa" Jet neecs™ *- ■*■
site des sôlument nécessaire cette espèce de dictature dont les papes et
conjonctures. *■ *• *
les conciles étaient investis , pour remédier aux désordres pu-
blics. Michaud, dans Y Histoire des Croisades, se montre
favorable à cette explication, et l'oppose avec confiance aux
écrivains modernes, qui ont blâmé avec tant de légèreté la con-
duite des papes du moyen âge. « Dans les derniers temps, dit-il,
« les publi cistes ont beaucoup parlé de la puissance des chefs de
« l'Église; mais ils l'ont plutôt jugée d'après des systèmes que
« d'après des faits , et d'après l'esprit de notre siècle , que d'après
« l'esprit du moyen âge. On a beaucoup vanté le génie des sou-
« verains pontifes; on l'a vanté surtout dans le dessein de faire
« ressortir davantage leur ambition. Mais si les papes avaient
« eu le génie et l'ambition qu'on leur suppose, on doit croire
« qu'ils se seraient d'abord occupés d'agrandir leurs États, et
« d'accroître leur autorité comme souverains ; cependant ils n'y
« ont point réussi, ou ne l'ont point tenté.... N'est-il pas plus
« naturel de penser que les souverains pontifes, dans ce qu'ils
(1) M. Henrion, dans l'édition qu'il a donnée de V Histoire de V Église de
Berault-Bercastel, paraît adopter au fond le système du comte de Maistre ;
car il explique et justifie la conduite des papes du moyen âge envers les sou-
verains, tantôt par la jurisprudence ou le droit public de cette époque ,
tantôt par le système Ihéologique du droit divin , tantôt par ces deux
moyens réunis. Toutefois, il se prononce, en quelques endroits, en faveur de
la seconde explication, beaucoup plus fortement que ne fait le comte de
Maistre. On peut voir, en particulier, à l'appui de ces observations, les cor-
rections faites par M. Henrion au texte de Berault-Bercastel, dans les pas-
sages relatifs à Grégoire VII, Innocent III, Innocent IV, Jean XXII, etc.
(Tom. îv, pag. 405 et 406; tom. v, pag. 94, 206, 239, 263, 329, 503, 517, etc. ;
tom. vu, p. 231, 428, et alibi passim. )
SUR LES SOUVERAINS. 345
« firent de grand, suivirent l'esprit de la chrétienté? Dans le
« moyen âge, qui fut l'époque de leur puissance, ils furent
« bien plus dirigés par cet esprit, qu'ils ne le dirigèrent eux-
« mêmes.... Leur souveraine puissance vint de leur position,
« et non de leur volonté.,,. Sans vouloir justifier leur domina-
it tion , on peut dire qu'ils furent amenés à s'emparer du pouvoir
« suprême par les circonstances où se trouvait l'Europe, dans
« les xie et xne siècles. La société européenne, sans lois, plon-
« gée dans l'ignorance et l'anarchie, s'était jetée entre les bras
« des papes, et croyait se mettre sous la protection du ciel.
« Comme les peuples n'avaient d'autre idée de la civilisation ,
« que celle qu'ils recevaient de la religion chrétienne, les sou-
« verains pontifes se trouvèrent naturellement les arbitres su-
« prêmes des nations. Au milieu des ténèbres que la lumière de
« l'Évangile tendait sans cesse à dissiper, leur autorité dut être
« la première établie , et la première reconnue. La puissance
« temporelle avait besoin de leur sanction; les peuples et les
« rois imploraient leur appui, consultaient leurs lumières;
« ils se crurent autorisés à exercer une dictature universelle.
« Cette dictature s'exerça souvent au profit de la morale pu-
« blique et de l'ordre social ; souvent elle protégea le faible
« contre le fort; elle arrêta l'exécution de projets criminels; elle
« rétablit la paix entre les États ; elle sauva la société naissante ,
« des excès de r ambition , de la licence et de la barbarie (l). »
(1) Michaud, Hist des Croisades, 4e édition, t. iv, pag. 97 ; t. vi,pag. 230-
234. Ces judicieuses réflexions peuvent servir à corriger plusieurs endroits
du même ouvrage, où l'auteur adopte beaucoup trop légèrement les juge-
ments sévères des écrivains modernes contre Grégoire VII, Urbain II, In-
nocent III, Innocent IV, et plusieurs autres papes du moyen âge. Après les
avoir ouvertement justifiés des reproches à' ambition et ai" usurpation, dans les
passages que nous venons de citer, il reproduit ailleurs les mêmes reproches,
sans essayer de les concilier avec ce qu'il avait dit auparavant pour les ré-
futer. Nous remarquerons, en particulier, les passages suivants : sur Gré-
goire VII, tom. i, pag. 86 et 87 ; tom. iv, 162-164; tom. vi, 260. — Sur le
pape Urbain IT, tom. i, 101 et 102. — Sur Innocent III, tom. m, 399, 400,
405.— Sur Grégoire IX, tom. iv, 18, 73, 488, etc.— Sur Innocent IV, tom. iv,
91, 145, 152-154, 157, 161-163, 184, 185, 198, 452-455, 470, et alibi pas-
sim. En comparant ces divers passages avec ceux que nous avons rappor-
tés, on ne peut s'empêcher de croire que l'auteur n'avait pas des idées bien
arrêtées, sur le pouvoir des papes au moyen âge. Nous croyons aussi pouvoir
attribuer ses variations, en cette matière, à la crainte excessive qu'il avait de
s'exposer, par ses opinions modérées, aux contradictions de certains esprits
346 DEUXIEME PARTIE. — POUVOIR DU PAPE
18. Depuis la publication de l'ouvrage que nous venons de citer,
écrivai'nTpro- plusieurs écrivains catholiques ont pleinement adopté le senti-
favoràbîes à ment et les explications si modérées de Michaud , et ils en ont
ce sentiment, faft ]a Dase je ieurs jugements sur la conduite des papes et des
Témoignage j <-< j. m.
de voigt. conciles envers les souverains, au moyen âge (1). Mais rienn'est
plus remarquable, sur ce point, que le langage de deux écri-
vains protestants, qu'une étude profonde et impartiale des mo-
numents relatifs à l'histoire de Grégoire VII et d'Innocent III,
ont conduits à juger ces deux illustres pontifes avec une mo-
dération que bien des auteurs catholiques n'ont pas toujours
observée, en cette matière : « Il est impossible, dit M. Voigt, dans
« Y Histoire de Grégoire VII , de porter sur ce pontife un ju-
« gement qui réunisse tous les suffrages. Sa grande idée , et il
«n'en avait qu'une seule, était Y indépendance de l'Église.
« C'est autour de ce point que venaient se grouper, comme
« autant de rayons lumineux, toutes ses pensées, tous ses écrits
« et toutes ses actions. C'est dans cette idée qu'il puisait son ac-
« tivité prodigieuse : cette idée est comme l'abrégé de sa vie, et
« l'âme de toutes ses opérations. Le pouvoir politique tend na-
« turellement à être un ; ainsi Grégoire voulut procurer à l'Église
« une parfaite unité, en l'élevant au-dessus de tout autre pou-
« voir. . . Arriver à ce point , le consolider, le faire dominer dans
exagérés. Telle est du moins la raison qu'il nous a donnée lui-même, de la
suppression de la seconde partie du Mémoire sur la lutte des deux Puis-
sances au moyen âge, placé à la tête des Éclaircissements du tom. iv de
son Histoire (pag. 461 ). L'auteur , en terminant ce Mémoire, en annonçait
un second (pag. 517), qui devait être inséré dans le volume suivant, et qu'il
renvoya depuis au tom. vi , où on ne le trouve point. (Voyez le tom. v,
pag. 537.)
Dans la même conversation, où Michaud nous fit l'aveu dont nous venons
de parier (ce qui eut lieu peu de temps après la publication de la 4e édition de
son Histoire), il entendit avec intérêt l'exposition que nous lui fîmes du
sentiment de Fénelon; sans l'adopter ouvertement, il jugea que cette explica-
tion méritait un sérieux examen, et nous engagea fortement à continuer nos
recherches sur ce point. Il parut même persuadé que l'autorité des papes, au
moyen âge, était un droit provisoire nécessité par les circonstances, c'est-
à-dire, par l'état d'anarchie où se trouvait lasociété ; il compara la conduite des
papes de cette époque, à celle d'un simple particulier qui, dans un temps de
désordre et d'anarchie, saisirait d'une main ferme les rênes du gouvernement,
pour sauver sa patrie.
(1) Voyez, en particulier, Lefranc, Hist. du moyen âge, liv. rv, chap. 6,
Si-
SUR LES SOUVERAINS. 347
« tous les siècles et dans tous les pays ; tel était le but constant
« des efforts de Grégoire , et , selon son intime conviction , le
« devoir de sa charge. . . En supposant qu'il ait eu , comme Tan-
ce cienne Rome, l'idée de dominer sur tous les peuples, oserait-
« on blâmer les moyens qu'il a employés , surtout quand on
« considère qu'ils étaient dans V intérêt des peuples?... Pour
« bien juger ses actes, il faut considérer son but et ses inten-
« tions , il faut examiner ce qui était nécessaire de son temps.
« Sans doute une généreuse indignation s'empare de l'Allemand,
« quand il voit son empereur (Henri IV) humilié à Canosse ; ou
« du Français , quand il entend les sévères leçons données à son
«roi (Philippe Ier) (1). Mais l'historien, qui embrasse les évé-
nements sous un point de vue général, s'élève au-dessus de
« l'horizon étroit de l'Allemand ou du Français, et trouve fort
«juste ce qui a été fait, quoique les autres le blâment... Les
« ennemis mêmes de Grégoire sont obligés de convenir que
« Vidée dominante de ce pontife 9 l'indépendance de l'Église,
« était indispensable pour le bien de la religion et pour la
a réforme delà société; et que, pour cet effet, il fallait rompre
« tous les liens qui jusqu'alors avaient enchaîné l'Église à
« l'État, au grand détriment de la religion... Il est difficile de
« donner au génie de Grégoire VII des éloges exagérés ; car il a
« jeté partout les fondements d'une gloire solide; et chacun doit
« vouloir qu'on rende justice à qui elle est due. Qu'on ne jette
« donc point la pierre à celui qui est innocent; qu'on respecte
« et qu'on honore un homme qui a travaillé pour son siècle,
« selon des vues si grandes et si généreuses (2). »
(1) Voyez plus bas, chap. 2, art. 1, n. 97 et 108.
(2) Voigt, Hist. de Grégoire VII, tom. n; Conclusion , pag. 605, etc.
Nous appliquerons ici, en passant, à l'ouvrage de M. Voigt, ce que nous avons
dit ailleurs de Y Histoire d'Innocent III par M. Hurter. (Ci-dessus, lre par-
tie, pag. 323, note 2. ) Le panégyrique d'un pontife tel que Grégoire VII,
dans la bouche d'un écrivain protestant, est sans doute un rare exemple de
franchise, et des résultats que peuvent avoir des études consciencieuses, pour
dissiper, dans un esprit droit, les préjugés les plus enracinés. Toutefois, il
était bien difficile que M. Voigt , attaché comme il l'est encore aux princi-
pes fondamentaux de la réforme , ne laissât échapper bien des assertions
contraires à la doctrine catholique. Sous ce rapport, son ouvrage, quelque
utile qu'il soit d'ailleurs pour dissiper des préventions fâcheuses, laisse beau-
coup à désirer. Pour composer un pareil ouvrage, pour bien apprécier les
principes et la conduite de Grégoire VII, la science ne suffit pas, si elle n'est
348 DEUXIÈME PARTIE. — POUVOIR DU PAI>E
i9. On retrouve les mêmes idées, pour le fond, dans Y Histoire
^admis?"1 d'Innocent III, par M. Hurter, ouvrage non moins remar-
au Hunrtér.par quable que celui de M. Voigt, tant sous le rapport de l'érudi-
tion, que sous le rapport de la modération et de l'impartialité
dans les jugements. D'après les recherches les plus étendues et
les plus consciencieuses, sur le caractère et les principaux actes
d'Innocent III, M. Hurter professe une admiration sincère
pour les hautes idées que ce pontife s'était formées des pouvoirs
attachés à son caractère, non-seulement dans l'ordre spirituel,
mais encore dans l'ordre temporel ; il rend hommage à la pro-
fondeur de ses vues, aussi bien qu'à la droiture de ses inten-
tions; il reconnaît enfin la conformité des idées d'Innocent III
avec celles de son siècle, et les grands avantages que la société
a retirés du système politique, qui attribuait alors au Pape un
si grand pouvoir sur les souverains (1). « Un pouvoir basé sur
«la morale la plus pure, dit M. Hurter, sur la reconnaissance
« d'une influence divine dans les affaires humaines , ne pouvait-
« il pas être appelé bienfaisant, quand il empêchait ou conciliait
« les différends des rois et des couronnes? Lorsque Innocent
« prenait le titre de représentant du conciliateur suprême des
« hommes , ce n'était point chez lui un vain mot ; car, pendant
« toute sa vie, il s'efforça d'être à la hauteur de cette mission.
« Si une paix universelle n'était pas un rêve, elle ne pourrait se
« réaliser qu'autant qu'une autorité spirituelle généralement re-
« connue, s'établissant médiatrice entre les rois et les peuples,
« ferait marcher toutes les forces de la chrétienté contre celui
« qui , abusant de sa puissance , refuserait de se soumettre à ses
«jugements, et troublerait la tranquillité générale (2). C'est
« ainsi que l'autorité d'Innocent rétablit la paix entre les rois
dirigée par une croyance pure, et par une adhésion sincère à la doctrine ca-
tholique. Voyez, à ce sujet, le compte rendu de l'ouvrage de M. Voigt, dans
\âBibliogr. Cathol., 2e année, pag. 431, etc.
(1) A l'appui de ces assertions, remarquez, en particulier, les passages
suivants de Y Histoire d'Innocent III, tom. 1, pag. 220, 221, 430, 431 ;
tom. 11, pag. 445, etc.; 731, 732, 786, etc.; 798, etc.; 801, 846, etc.
(2) M. Hurter n'est pas le premier, ni le seul auteur, qui ait établi sur cette
base la pensée d'une paix universelle. Il indique, à l'appui de ce sentiment,
le prieur Gerhoho de Raitenpuch , cité par Schmid , Hist. d'Allemagne,
tom. iv. Nous verrons ailleurs que cette idée avait été émise longtemps au-
paravant par Leibniz. (Ci-après, chap. 2, art. 1, n. 124.)
SUR LES SOUVERAINS. 349
« de Castille et de Portugal , menacés par les Maures
« S'agit-il maintenant déporter un jugement sur ce pontife?
« Tous les historiens, tant anciens que modernes, qui ont su
« apprécier la vie d'un homme par la profondeur de ses vues,
« par la difficulté des problèmes sociaux qu'il a résolus, par la
« hauteur à laquelle il s'est élevé , en se faisant comme le point
« central vers lequel il a su faire converger tous les rayons de
« son siècle; tous ceux-là sont d'accord que, pendant plusieurs
« siècles avant et après Innocent , le siège de saint Pierre n'a eu
« aucun pontife qui ait jeté un plus vif éclat, par l'étendue de
« ses connaissances , par la pureté de ses mœurs , et par les ser-
« vices éminents qu'il a rendus à l'Église : de sorte qu'il a été
« appelé, non-seulement le plus puissant, mais encore le plus
« sage de tous les papes, qui, depuis Grégoire VU, avaient
« illustré le trône pontifical
« Si des écrivains, postérieurs à son époque,
« ont accueilli les calomnies débitées sur ce pape, par quelques
« contemporains qui avaient été froissés dans leurs intérêts, et
« blessés dans leur rivalité, il faut attribuer cette erreur histo-
« rique , plutôt à des passions intéressées qu'à une sérieuse in-
« vestigation des actes, et surtout des intentions d'Innocent,
« qu'il avait eu soin cependant de révéler et d'expliquer lui-
« même avec la plus grande loyauté. D'autres écrivains, qui
« ont su s'affranchir des préjugés de leur siècle, et qui ont
« mieux compris ce grand pape , ainsi que sa position difficile ,
« en ont porté un jugement tout à fait différent ; le mensonge
« et l'exagération qui ont pour source la haine des partis, n'au-
« raient jamais dû passer pour vérité historique. Pourra-t-on
« soutenir, sans blesser l'histoire, qu'Innocent n'a été qu'un
« ambitieux? Pour résoudre cette question historique, nous
« n'avons qu'une seule chose à faire ; c'est d'examiner sérieu-
« sèment si ce pape , dans l'exercice de sa puissance , dans sa
« manière de diriger [les affaires du monde, dans sa persévé-
« rance à influer sur elles en sa qualité d'arbitre suprême,
« n'a eu en vue que l'éclat qui devait en rejaillir sur sa per-
ce sonne , ou bien plutôt la réalisation grave et simple de la haute
« idée qu'il avait conçue des devoirs du souverain pontificat;
« si c'est enfin lui qui s'est créé sa position. Les faits que nous
20.
350 DEUXIÈME PARTIE. — POUVOIR DU PAPE
« avons exposés , les convictions dont Innocent était pénétré ,
« et qu'il a manifestées dans plusieurs circonstances décisives,
« sans se préoccuper, ce me semble, du jugement de la posté-
« rite, répondent suffisamment de son désintéressement (1). »
La diversité même des sentiments que nous venons d'exposer,
PlaSectndette montre assez l'importance et les difficultés du sujet que nous
fadfe»Mta! avons à traiter, dans cette seconde partie. Pour y procéder avec
réduite ordre, nous la diviserons en quatre chapitres, dont le dévelop-
a quatre pro- ' »
positions, pement nous donnera lieu d'éclaircir toutes les difficultés que
présente cette matière. Nous ferons connaître, dans le premier,
les principales circonstances qui ont amené ou favorisé l'établis-
sement du pouvoir extraordinaire que les papes et les conciles
ont exercé sur les souverains, au moyen âge. Nous examine-
rons, dans le second, quelle était la persuasion générale des
princes et des peuples sur la réalité de ce pouvoir. Nous
montrerons, dans le troisième, quels étaient les véritables fon-
dements de ce pouvoir. Enfin, nous verrons , dans le quatrième,
quels en ont été les résultats pour le bien de la société. Le déve-
loppement de ces différents points mettra dans le plus grand
jour la vérité des quatre propositions suivantes, auxquelles on
peut réduire toute la discussion présente , et qui renferment la
justification complète des papes et des conciles, sur le sujet de
nos Recherches. 1° Le pouvoir des papes et des conciles sur les
souverains, au moyen âge, quelque extraordinaire qu'il nous pa-
raisse aujourd'hui, fut naturellement amené, et en quelque sorte
(1) Hurter, Histoire d'Innocent III, tom. n, pag. 801, 846, etc. Nous re-
marquerons en passant, que MM.Voigtet Hurter ne sont pas les seuls écrivains
protestants de nos jours, qui se soient exprimés avec tant de modération, sur
le caractère et la conduite de Grégoire VII et de ses successeurs. On
trouve plusieurs autres témoignages également remarquables, en ce genre,
dans le n. 2 des Annales des Sciences rel. publiées à Rome par l'abbé de
Luca (oct. 1835). Cet article a été reproduit en partie, dans Y Ami de la Re-
ligion (tome lxxxviii, pag. 18, 55, etc.; tom. xci, pag. 257, etc.), et traduit
en entier dans le tom. xvi des Démonstrations évangéliques, publiées par
l'abbé Migne. ( Paris 1843, in-4°, pag. 577, etc. ) Cet article a pour auteur
M. Wiseman, alors recteur du collège anglais à Rome, aujourd'hui évê-
que in partibus de Mellipotamos, et coadjuteur du district du Milieu,
en Angleterre. Nous indiquerons encore , à ce sujet, le compte rendu de
YHist.de Grég. VII de M. Voigt, dans la Biblioth. univ. de Genève,
n. 25 et 26. (Janvier et février 1838.) Ces deux articles sont de M***, mi-
nistre protestant, professeur de belles-lettres à l'Acad. de Genève, et biblio-
thécaire de cette ville.
SUR LES SOUVERAINS. 351
nécessité , par la situation et les besoins de la société, à cette épo-
que; 2° les papes et les conciles, en s'attribuant et en exerçant
ce pouvoir, ont suivi des principes alors autorisés par la persua-
sion universelle ; 3° la persuasion universelle qui leur attri-
buait ce pouvoir , n'était point fondée sur une erreur ou une
usurpation de leur part, mais sur le droit public alors en vi-
gueur ; 4° enfin, les maximes du moyen âge qui leur attribuaient
ce pouvoir, n'ont pas eu , à beaucoup près, tous les inconvé-
nients qu'on a quelquefois supposés, dans ces derniers temps ;
et les inconvénients mêmes qu'elles ont pu avoir, ont été
bien compensés par les grands avantages que la société a retirés
du pouvoir extraordinaire dont les papes et les conciles ont
été si longtemps investis (l). Le développement de ces quatre
(1) Quelques lecteurs seront peut-être surpris, au premier abord, de l'or-
dre que nous suivons dans cette seconde partie, et regretteront de ne pas
voir les faits qui s'y rattachent, exposés selonjl'ordre chronologique, comme
dans la première partie. Cette observation nous ayant été faite par quelques
personnes auxquelles nous avons soumis notre travail, nous avons plusieurs
fois essayé de modifier notre plan d'après cette idée ; mais l'exécution nous a
paru difficile, et peut-être impossible. Dans la première partie, l'ordre chrono-
logique était facile à observer, parce que nous n'avions au fond qu'une seule
question à examiner ; savoir, l'origine et les progrès de la souveraineté tempo-
relle du saint-siége,, Danslaseconde, nous avons à examiner plusieurs questions
très-différentes, et par rapport à plusieurs États. Il s'agit d'examiner, 1° Les
circonstances qui ont préparé les voies au pouvoir temporel du Pape sur
les souverains, circonstances qui, par leur nombre et leur variété, demandent
à être exposées séparément ; 2° L'exercice de ce pouvoir en divers États, et
dans des circonstances très-différentes; tantôt à l'égard des princes feuda-
taires du saint-siége ; tantôt à l'égard de l'empereur, qui, sans être proprement
feudataire du saint-siége, était dans une dépendance particulière à l'égard du
Pape; tantôt à l'égard des autres souverains; 3° Les fondements de ce pou-
voir, soit à l'égard de l'empereur, soit à l'égard des autres souverains ; fonde-
ments qui ne peuvent être exposés, sans un examen attentif de la constitu-
tion des divers États, et de l'hypothèse qui explique la conduite du Pape
envers les souverains, par l'opinion théologique du pouvoir indirect. L'exa-
men de tant de questions différentes n'est guère conciliable avec l'ordre
chronologique ; du moins nous avons inutilement cherché le moyen de faire
cette conciliation. Tl nous semble d'ailleurs que l'ordre chronologique est
ici compensé très-avantageusement par l'ordre logique des quatre proposi-
tions auxquelles nous réduisons cette seconde partie, ordre qui a l'avantage in-
contestable de procéder du plus clair au moins clair, en exposant d'abord les
faits les plus faciles à établir et les plus généralement reconnus , pour en dé-
duire, par voie de conséquence, le droit public, qui est l'objet principal de
nos Recherches. De plus, la première et la seconde propositions préparent si
naturellement les voies à la troisième , que les deux premières étant une fois
établies, le lecteur est naturellement disposé à embrasser le sentiment que
352 DEUXIÈME PARTIE. — POUVOIR DU PAPE
propositions offrira une nouvelle exposition du sentiment de
Fénelon, dont nous avons déjà présenté l'analyse , et que nous
croyons préférable à tous les autres, sur le sujet qui nous occupe.
CHAPITRE PREMIER.
Des principales circonstances qui ont amené ou favorisé le
pouvoir extraordinaire des papes et des conciles sur les
souverains, au moyen âge.
2t. « Pour juger nos ancêtres avec impartialité, selon la remar-
ju^r'a'^im- « que d'un historien judicieux, nous ne devons pas mesurer
partialité (( j actions à nos mœurs et à nos idées actuelles : il faut nous
nos ancêtres '
ei leurs inien- « reporter au siècle où ils vivaient, et réfléchir sur leurs insti-
tions. x
« tutions politiques, leurs principes de législation et leur gou-
« vernement (1). » On peut assurer avec confiance, que l'oubli
de ce principe est une des causes les plus ordinaires des faux
jugements qu'on rencontre dans une foule d'auteurs modernes,
sur les principaux événements et sur les plus célèbres person-
nages de l'histoire, soit ancienne, soit moderne. De là, en par-
ticulier, les jugements divers qu'on a portés, dans ces derniers
temps, sur la conduite des papes et des conciles envers les sou-
verains, au moyen âge. On eût évité, sur ce point comme sur
bien d'autres, une multitude d'erreurs et de déclamations
odieuses, si l'on eût mieux connu les institutions politiques
du moyen âge, et l'état de la société à cette époque.
Il suffit, pour s'en convaincre, d'examiner de près l'origine
Le "ûvoir du pouvoir extraordinaire que les papes et les conciles exer-
des „ çaient alors sur les souverains , c'est-à-dire , les circonstances
papes et des z ' - '
condies, qui ont insensiblement amené ce pouvoir, qui en ont favorisé
sur les souve- ,,,... . . ., , , .
rains 1 établissement , et qui ont contribue a le maintenir, pen-
au moyen âge,
examiné
nous adoptons dans la troisième. Le développement de notre plan, et surtout
du chapitre troisième de cette seconde partie, mettra dans tout leur jour
l'importance et la justesse de ces observations.
(1) Lingard, Histoire d'Anglet., tom. ni, pag. 48.
SDR LES SOUVERAINS. — CHAPITRE I. 353
dant plusieurs siècles. Le résultat de cet examen sera de con- d'apis cette
vaincre tout lecteur impartial, que ce pouvoir, si contraire rts'6'
aux préjuges et aux mœurs de notre siècle , fut naturellement
amené , et maintenu pendant la plus grande partie du moyen
âge, par la situation et les besoins de la société, et par la consti-
tution même des principaux États de l'Europe catholique. Dans
un temps où toutes les monarchies étaient électives, et où le
clergé y occupait le premier rang, il devait nécessairement
arriver avec le temps , que la principale condition mise à l'élec-
tion du souverain, fût de professer la religion catholique, et
de la protéger contre tous ses ennemis. Cette condition une fois
établie , le souverain ne pouvait la violer, sans encourir la perte
de ses droits ; il devenait naturellement justiciable du Pape et
du concile , seuls juges compétents de ces sortes de délits; il
était même de son intérêt que ce jugement fût réservé au tribu-
nal de l'Église , beaucoup plus éclairé et plus désintéressé que
celui des seigneurs laïques. Quelque singulier que nous paraisse
aujourd'hui cet ordre de choses , l'intérêt général de la société
le réclamait hautement , dans un temps où le clergé se trouvait
naturellement placé à la tête de la société, par le triple ascendant
de son caractère , de ses lumières et de ses vertus. Enfin , cet
ordre de choses dut s'établir d'autant plus facilement , qu'il
était, au fond, le résultat et l'application naturelle de la juris-
prudence alors en vigueur dans tous les États catholiques de
l'Europe , sur les effets temporels de l'hérésie , de la pénitence
publique, et de l'excommunication.
Ce concours de circonstances, qui explique d'une manière
si naturelle l'origine du pouvoir des papes et des conciles,
par rapport aux souverains catholiques de l'Europe en général,
l'explique à plus forte raison par rapport à ceux qui s'étaient
librement déclarés feudataires du saint-siège , et par rapport
aux empereurs d'Occident, qui, dès l'origine du nouvel empire,
avaient été, à l'égard des papes, dans une dépendance par-
ticulière.
Telles sont les principales circonstances dont la réunion
explique naturellement l'origine du pouvoir dont il s'agit. Pour
les mettre dans tout leur jour, nous allons entrer, sur chacune
d'elles, dans un plus grand développement.
23
Uves.
354 DEUXIÈME PARTIE. — POUVOIR DU PAPE
ARTICLE PREMIER.
Nature des gouvernements du moyen âge.
*3- Pour peu qu'on examine de près la nature du gouverne-
La plupart r x j. o
des nient de l'Europe au moyen âge, surtout pendant les premiers
mak>TéiêcS-' siècles de cette période, on ne sera pas surpris de la grande
influence que le clergé obtint pendant longtemps dans les
affaires publiques, particulièrement dans l'élection et la dépo-
sition des souverains.
l° La plupart des monarchies établies en Europe, sur les
débris de l'empire romain, depuis le ive siècle,, étaient élec-
tives, du moins en ce sens que le souverain pouvait être
choisi indifféremment, entre tous les princes de la famille
régnante. La couronne n'était donc, à proprement parler,
ni purement élective , ni purement héréditaire , mais hérédi-
taire et élective tout ensemble : héréditaire , en ce sens que
le souverain devait être choisi parmi les princes delà maison ré-
gnante ; élective, en ce sens que le choix de la nation pouvait
tomber indifféremment sur tous les princes du sang royal. Tous
les enfants du roi défunt avaient un droit égal à succéder au
trône, qu'ils partageaient quelquefois entre eux, comme une
succession particulière, avec l'agrément exprès ou tacite des
seigneurs de l'État ; mais ce droit était subordonné à l'appro-
bation de ces derniers , qui pouvaient s'opposer au partage du
royaume , et choisir le nouveau roi parmi tous les parents du
défunt, à l'exclusion même de ses enfants. La naissance donnait
bien à ceux-ci une espérance, et, pour ainsi dire, un com-
mencement de droit , mais non un droit complet et incontes-
table ; on pouvait bien les regarder comme successeurs natu-
rels et probables du roi défunt, mais non comme successeurs
nécessaires , puisqu'ils pouvaient être exclus par les seigneurs
auxquels appartenait l'élection. Tel était l'ordre de la succession
au trône, dans la monarchie des Visigoths en Espagne (l) ; dans
(1) Hallam, L'Europe au wioyenâge, tom. i, pag. 384, 411, et alibi pas-
sim. _ Ferreras, Hist. d'Espagne, tom. n, p. 414. — Perez Valiente, Ap-
paratus Juris publia Hispanici; Matriti, 1751, 2 vol. in-4°; tom. h, cap. 6,
7 et 21.
SUR LES SOUVERAINS. — CHAPITRE I. 355
celle des Anglo-Saxons de la Grande-Bretagne (i)j dans celle
des Français, sous la seconde race de nos rois, selon le senti-
ment commun des historiens (2), et même sous la première,
selon le sentiment de plusieurs savants auteurs (3). Telle était
surtout la nature du nouvel empire d'Occident, où cette forme
de gouvernement s'est conservée beaucoup plus longtemps que
dans les autres États de l'Europe (4).
Nous croyons inutile d'insister sur ce premier point, gêné- 24.
! . 1 , n ' L l '. > Sentiment de
ralement reconnu par les auteurs modernes qui ont traite, avec m. Guizot
plus de soin , l'histoire des différents États dont nous venons sur ce point*
de parler. Il suffira de citer, à l'appui de notre exposé, le
sentiment de M. Guizot, dans ses Essais sur l'histoire de
France y où il résume, en peu de mots, les recherches des
plus célèbres auteurs modernes sur ce point. Il regarde comme
un fait incontestable « le mélange d'élection et d'hérédité qui
« se rencontre, quant à la royauté, dans le premier âge des
« monarchies modernes. De là, dit-il, ce fait presque univer-
« sel, que l'élection n'avait guère lieu qu'entre les membres
« d'une seule famille, investie du privilège de donner au peuple
« ses rois (5). »
Non content de donner ce principe comme un point de
droit, commun à toutes les nations germaniques, M. Guizot
l'établit spécialement par rapport au royaume des Francs.
(1) Hallam, ubi suprà, tom. 11, pag. 70, 113, et alibi passim. — Lingard,
Hist. d'Angleterre, tom. 1, pag. 99, 225, 521, 542, etc. — Alban Butler,
Vies des Pères; note sur la Vie de saint Edouard le Confesseur ; 13 oc-
tobre, tom. ix, pag. 473, etc.
(2) Daniel, Hist. de France, tom. 1 ; Préface historique, art. 3.
(3) Vertot, Dissertation sur la succession à la couronne de France; dans
les Mémoires de l'Académie des inscriptions, tom. vi de l'édition in-12, et
tom. iv de l'édition m-\°. L'opinion de cet auteur est suivie par Velly, Mon-
tesquieu, Hallam, de Saint-Victor, Gaillard, de Chateaubriand, Mœller, Gui-
zot. Remarquez, en particulier, l'ouvrage de ce dernier auteur, Essais sur
l'Hist. de France, 4e Essai, chap. 3, pag. 218. Voyez aussi quelques éclair-
cissements, sur ce point, au n. 7 des Pièces justificatives, à la fin de ce
volume.
(4) Lenglet-Dufresnoy, Méthode pour étudier l'Histoire, 4e partie,
chap. 5, art. 1. (Tom. vi de l'édition in-12.) — Pfeffel, Abrégé de l'Histoire
d'Allemagne, passim. Voyez, dans les tables de cet ouvrage, les articles
Élection , Électeurs , etc. — Hallam , L'Europe au moyen âge , tom. iv,
p. 11, 19, 33, etc.
(5) Guizot, Essais sur l'Histoire de France, 4e Essai, chap. 3, p. 219.
23,
356 DEUXIÈME PARTIE. — POUVOIR DU PAPE
« Autant qu'on peut en juger, dit-il, en l'absence de monu-
« ments anciens et originaux, le principe de V élection domi-
« naît chez les premiers Francs Cependant les plus an-
ciens textes qui parlent de l'élection des rois francs, disent
« en même temps qu'elle plaça sur le trône une famille déjà
« distinguée par le privilège de porter seule une longue cheve-
« hire, ce qui valut dès lors à ces rois le surnom de cheve-
«lus(i) Après l'établissement territorial, et lorsque Clo-
« vis eut rallié sous sa domination presque toutes les tribus
« franques, l'hérédité du trône ne tarda pas à prévaloir. C'était
« le résultat nécessaire de la prépondérance que possédait en fait
« la .famille royale, et aussi de l'indépendance où vivaient, à
« l'égard du roi , la plupart des chefs importants. Les uns ne
« pouvaient contester sa supériorité , les autres s'en inquiétaient
« peu. Il est ridfcule de rechercher, clans un tel état de mœurs,
« un principe clairement reconnu et fermement établi ; il est
« inutile d'y vouloir trouver des institutions publiques savam-
« ment combinées et constamment détendues. Les Francs ne
« songeaient pas plus à disposer solennellement du trône à cha-
« que vacance , qu'ils n'auraient souffert que leurs rois se pré-
« tendissent propriétaires de la nation et du pouvoir. Les choses
« se passaient d'une façon à la fois moins régulière et plus sim-
« pie. La royauté n'était ni élective, ni affranchie des chances
« du désordre et des conditions de la liberté. A la mort du roi,
« ses fils héritaient de son titre comme de ses domaines; c'était
« la pensée commune , qu'ils avaient droit à l'un comme aux
« autres ; seulement, pour que le pouvoir suivît le titre, ils se
« sentaient d'ordinaire dans la nécessité de faire reconnaître leur
«droit dans quelque assemblée, plus ou moins nombreuse,
« des chefs et du peuple qu'ils devaient commander. Ainsi, le
« principe de l'hérédité subsistait, mais sous l'obligation de se
« faire souvent avouer ; les Francs ne se donnaient point un roi
« nouveau, mais ils acceptaient assez communément le succes-
« seur naturel du roi mort. Ni l'idée de la légitimité ni celle
« de l'élection n'avaient plus de consistance et de portée. Le
« trône appartenait héréditairement à une famille ; mais les
(1) Guizot, Essais sur VHist. de France; 4e Essai, chap. 3, p. 220.
SUR LES SOUVERAINS. — CHAPITRE I. 357
« Francs s'appartenaient à eux-mêmes; et, sauf les cas où in-
« ter venait la violence, ces deux droits se rendaient réciproque»
« ment hommage, en se proclamant l'un l'autre quand le besoin
« s'en faisait sentir (l ) C'est là le double fait qu'il est impos-
« sible de méconnaître dans les historiens du temps qui ont été
« allégués, pour prouver, tantôt l'hérédité, tan tôt l'élection popu-
« laire des rois francs (2) L'atteinte que l'élection de Pépin
«avait portée au principe de l'hérédité (3), n'empêcha point
« qu'il ne prévalût de nouveau et sans contestation , au profit
« des Carlo vin giens. Pépin avait fait jurer aux Francs qu'ils
« n'éliraient jamais de rois issus du sang d'un autre homme.
« 11 exigea ce serment , bien plutôt pour mettre ses descendants
« à l'abri des prétentions de la famille détrônée, que pour res-
« treindre l'exercice d'un droit public, auquel personne ne son-
« geait. L'élection des rois ne fut pas plus réelle sous la seconde
« race que sous la première. Les textes où il en est question ,
« indiquent seulement, comme sous les Mérovingiens, la recon-
« naissance des droits héréditaires, une sorte d'acceptation na-
« tionale du successeur légitime. Cette acceptation avait lieu ,
« tantôt à la mort du roi , tantôt de son vivant et sur sa propre
« demande ; c'était le travail du principe de l'hérédité, s'établis-
« sant dans une société désordonnée et de mœurs violentes,
« non une élection véritable. Seulement, comme la révolu-
« tion qui porta les Carlovingiens au trône avait , par sa
«nature même, rendu aux institutions et aux libertés ger-
« maines une vigueur nouvelle et momentanée, l'adhésion des
« peuples au droit des fils du prince était plus régulièrement
« réclamée , plus formellement exprimée , et portait davan-
« tage, du moins dans les termes, l'apparence d'un choix na-
« tional (4). »
2° Dans toutes les nouvelles monarchies, l'autorité du souve- *5 . .
' Lautorite
(1) Guizot, Essais sur l'Histoire de France, te Essai, chap. 3, p. 221.
(2) Ibid. , p. 222, note 1.
(3) M. Guizot suppose ici que Pépin n'appartenait point à la famille royale
des Mérovingiens. Nous avons remarqué ailleurs que cette supposition n'est
pas sans difficulté. Voyez len. 7 des Pièces justificatives , à la fin de ce
volume.
(4) Ibid. y p. 223. On peut voir , dans l'ouvrage de M. Guizot , les princi-
paux témoignages des anciens auteurs à l'appui de son sentiment.
358 DEUXIÈME PARTIE. — POUVOIR DU PAPE
do souverain rain était modérée par l'assemblée générale delà nation (l).
modérée toutes jes grancies affaires étaient réglées dans cette assemblée,
1«énérnaieée dont ^es pouvoirs étaient fort étendus , et n'ont peut-être jamais
nation ^ déterminés avec précision , ce qui n'était pas une des moin-
dres causes des troubles et des désordres qui agitaient si souvent
la société à cette époque. « Ici, dit encore M. Guizot, on cher-
« cherait vainement quelque principe, quelques règles des pré-
« rogatives et des limites, je ne dis pas respectées, mais recon-
« nues. Le trône passait, sans contestation, du père au fils;
« mais la puissance réelle et actuelle du possesseur était matière
« de fait , non de droit. Ce n'est point à dire qu'elle fût abso-
« lue ; j'entends seulement qu'elle était variable et déréglée:
« aujourd'hui immense, demain nulle; souveraine ici , ignorée
« ailleurs, presque toujours et à peu près partout en guerre avec
« ceux sur qui elle devait s'exercer ; forte ou faible , selon que
« la guerre tournait contre elle ou en sa faveur (2). »
Mais quelque difficile et même impossible qu'il soit, aujour-
d'hui surtout, de fixer les limites des pouvoirs attribués à cette
assemblée générale, par la constitution de l'État, il est du moins
certain que, d'après la nature même du gouvernement électif,
elle pouvait mettre des conditions à l'élection du souverain,
le rendre responsable de ses actes devant elle, et même le dé-
poser en certains cas, pour l'infraction des conditions apposées
à son élection (3). En effet, il est généralement reconnu que,
dans les gouvernements électifs, l'autorité du souverain peut
être ainsi restreinte, par l'assemblée générale de la nation. Voici
comment s'exprime, à ce sujet, un auteur judicieux, parlant
des conditions imposées aux rois goths en Espagne, au vne siè-
cle. « Il faut raisonner d'une manière bien différente par rap-
« port aux roijaumes électifs et par rapport aux royaumes hé-
« réditaires. Dans ceux-ci , on n'a pas droit d'imposer d'autres
(1) Voyez les auteurs cités dans les notes précédentes. (Ci-dessus , p. 354
et 355).
(2) Guizot, nbi suprà, p. 226.
(3) Il ne sera pas inutile de remarquer, que la monarchie mixte, telle
que nous l'expliquons ici, ne suppose pas nécessairement le principe de la
souveraineté du peuple ; elle suppose seulement une loi fondamentale de
l'État, en vertu de laquelle le pouvoir du monarque est plus ou moins res-
treint. (Pey, De V autorité des deux Puissances, t. i, 2e partie, chap. 4.)
SUR LES SOUVERAINS. — CHAPITRE I. 359
« lois aux souverains , que celles qui ont été portées lorsque la
« monarchie s'est formée. Mais quand on a droit d'élire un roi,
« on est en droit de lui proposer les conditions auxquelles on
« veut l'élire , surtout quand elles se proposent dans l'assemblée
« générale de tous les ordres du royaume, et au nom de tout le
« peuple (1). » Un célèbre publiciste du dernier siècle établit les
mêmes principes, à l'occasion de la Capitulation impériale,
signée par Charles-Quint, à l'époque de son élection, en 1519 (2).
«L'empereur, dit-il, s'oblige par serment à l'observation de
« tous les articles de ce contrat. Par leur inobservation , il dé-
« lie ses sujets du serment réciproque : il perd tous les droits
« qu'il a sur, l'empire , puisque V empire ne lui a été confié,
« qu'à condition qu'il observera ces articles. Ils ne sont pas
« toujours les mêmes; ils changent selon les temps et les be~
« soins : on y ajoute ou on y retranche , ainsi qu'on le juge
« nécessaire pour la sûreté de l'empire; en cela bien différents
« des serments que les rois , même successifs et héréditaires ,
« ont coutume de faire lorsqu'ils sont sacrés ou couronnés.
« Les articles de ces serments, une fois proposés par les hom-
« mes , lorsqu'ils se sont donnés à une famille , demeurent
« toujours les mêmes, et ne sont plus de leur connaissance ;
« Dieu seul en est le juge. Ceux des princes électifs , traités
« que la république change , réforme , interprète , resserre ou
« étend selon sa volonté , sont toujours soumis à son juge-
« ment. Le chef qu'elle a choisi est toujours responsable, de-
« vant elle, de leur observation ; et elle a toujours le droit, ou
« de l'obliger à les observer, ou de le déclarer déchu, s'il ne
« les observe pas (3). »
(1) Note du P. Charenton, jésuite, sur Y Histoire d'Espagne de Mariana;
1. 1, liv. i, n. 32.
(2) Nous parlerons ailleurs plus en détail de cette Capitulation. (Ci-après,
chap. m, art 2, § 4, n. 288.)
(3) Lettres, Mémoires et Actes concernant la guerre présente (la
guerre de la succession d'Espagne) ; Basic, 1703 et 1704, t. ni, p, 146. Ces
lettres anonymes, qui forment 8 vol. in-12, ont pour auteur Jean de la
Chapelle, secrétaire des commandements du prince de Conti, et mort à Pa-
ris, en 1723. A l'appui des observations de cet auteur, sur la nature du
gouvernement électif, on peut consulter Bossuet, Défense de VHist. des
variations, n. 5 et 13. (Œuvres de Bossuet, t. xxi.) — Pey, De V Auto-
rité des deux Puissances, t. i, p. 271. — Lenglet-Dufresnoy, Méthode pour
étudier VHistoiret 4e partie, chap. 5, art. 1 . (T. vi de l'édition in-12, p. 333.)
360 DEUXIÈME PARTIE. — POUVOIR DU PAPE
26. 3° Dans toutes les monarchies du moyen âge , la religion
tr°deian,°n était regardée comme la base et le soutien nécessaire de la so-
dTmTwiM- c*été- Ofl était généralement persuadé que le premier devoir du
^metit , prince, et de tous ceux qui participent à son autorité , est de
monarchies, respecter et de faire respecter la religion ; en sorte que le souve-
rain ou le magistrat qui transgressent ce devoir essentiel , se
montrent, par cela seul, indignes de leur titre, et méritent
d'en être dépouillés. Ces principes sont clairement énoncés dans
la législation des divers États dont nous parlons, et particuliè-
rement dans la législation française. Voici ce qu'on lit, à ce
sujet, dans la seconde addition aux Capitulaires , d'après plu-
sieurs conciles ou assemblées mixtes, tenus en France au ixe
siècle. « Le roi est ainsi nommé, pour exprimer la rectitude de
« conduite qui doit le distinguer ; car s'il se conduit avec piété,
« avec justice et avec bonté, c'est avec raison qu'il porte le
«nom de roi; s'il manque de ces qualités, ce n'est plus un
«roi, mais un tyran Le principal devoir du roi est de
« gouverner et de conduire le peuple de Dieu avec justice, et
« de s'appliquer à le maintenir dans la paix et la concorde. Il
« doit , avant toutes choses , être le défenseur des Églises et
« des serviteurs de Dieu, des veuves, des orphelins, des pau-
« vres et de tous les indigents (1). »
Ces principes ne sont pas moins clairement énoncés dans la
législation d'Espagne, d'Angleterre et d'Allemagne, à cette épo-
que (2); nous verrons môme bientôt, que, pour en maintenir
l'observation, il fut établi successivement, dans ces divers États,
(1) « Rex , a rectè agendo vocatur. Si enim piè et juste et misericordi-
« ter agit, meritô Rex appellatur ; si his caruerit, non rex, sed tyrannus
« est Regale namque ministerium specialiter est populum Dei guber-
« nare et regere cum œquitate et justitiâ, et ut pacem et concordiam habeant
« studere. Ipse enim débet primo defensor esse Ecclesiarum etservorum Dei,
« viduanim, orphanorum , ceteroriimque pauperum, necnon et omnium
k indigentium. » Capitular. additio 2, n. 24 et 25. (Baluze, Capitulât \
t. i, p. 1146 , etc.) Ces passages, tirés du 6e Concile de Paris, tenu en 829 ,
et du 2e Concile d'Aix-la-Chapelle, tenu en 836, se retrouvent aussi,
avec quelques modifications, dans un Concile de Mayence , tenu en 888 ;
et dans Hincmar, Opusc. de Divortio Lotharii. (Oper. t. j, p. 693, etc.)
(2) Lex Visigothorum , lib. xn , tit. 2, n. 2. (Canciani, Barbarorum
Loges, t. iv, p. 185.) — Leges Angliœ. (lbid. , p. 311, 337, etc. ) — Juris
Alamannicï seu Suevici prœfamen , n. 21-24. (Senckenberg, Corpus Juris
Germanici, t. n, p. 6, etc. )
ces.
SUR LES SOUVERAINS. — CHAPITRE I. 361
que le souverain ne serait élu que sous la condition expresse
ou tacite, de professer la religion catholique, et de la défendre
de tout son pouvoir, contre les attaques de l'hérésie et de
l'impiété (l).
4° L'étroite union des deux puissances était regardée , dans *i>
■ Union des
toutes les monarchies du moyen âge , comme une conséquence <ieux puissan-
naturelle de ces principes, et comme essentielle au bien géné-
ral de la société. Il serait aisé de citer , à l'appui de cette asser-
tion, une foule de témoignages, indépendamment de ceux que
nous venons de rapporter. Plusieurs capitulaires de Charle-
magne renferment, à ce sujet, des dispositions remarquables.
« Nous voulons , dit un de ces capitulaires , publié en 805 ,
«dans la diète de Thionville, que tons nos sujets, depuis
«le plus petit jusqu'au plus grand, soient soumis aux mi-
« nistres sacrés, comme à Dieu même, dont ils tiennent la place
« dans l'Église; car nous ne pouvons aucunement compter sur
« la fidélité de ceux qui se montrent infidèles à Dieu et à ses
« prêtres, ni être assurés de trouver obéissants envers nous et
« nos officiers, ceux qui n'obéissent pas aux ministres sacrés,
« dans les causes de Dieu et les intérêts de l'Église
« Nous ordonnons, en conséquence, que tous leur obéissent,
« en tout ce qui regarde l'exercice de leur ministère , et la puni-
« tion des méchants. Quant à ceux qui se montreront, à cet
« égard, négligents ou désobéissants, fussent-ils nos propres
« enfants , qu'ils sachent qu'ils ne peuvent conserver aucun
« emploi dans notre empire ou dans notre palais , ni avoir au-
« cun commerce avec nous ou nos sujets, mais qu'ils doivent
« au contraire être châtiés sévèrement, publiquement
« notés d'infamie, dépouillés de leurs propriétés, et envoyés en
« exil (2). »
(1) Ci-après, chap. 2, art. 1 et 4; chap. 3, art. 2.
(2) « Volumus atque prœcipimus, ut omnes suis sacerdotibus, tam majo-
« ris ordinis quàm et inferioris, a minimo usque ad maximum, ut summo
« Deo, cujus vice, in Ecclesiâ, legatione funguntur, obedientes existant.
« Nam nullo pacto agnoscere possumus qualiter nobis fidèles existere pos-
« sunt, qui Deo infidèles, et suis sacerdotibus apparuerint ; aut qualiter no-
« bis obedientes nostrisque mînistris ac legatis obtempérantes erunt , qui
« illis, in Dei causis et Ecclesiarum utilitatibus , non obtempérant
« Jubemus (ergo) ut omnes eis, pro viribus, ad eorum peragenda ministe»
362 DEUXIÈME PARTIE. — POUVOIR DU PAPE
On remarque de semblables dispositions , dans un discours
du roi d'Angleterre Edgar, à saint Dunstan , archevêque de
Cantorbéry , et à quelques évêques de sa province (en 969),
pour les exciter à la réforme des abus qui défiguraient alors la
face de l'Église d'Angleterre. « Il est temps, dit le roi, de s'éle-
« ver contre les transgresseurs de la loi de Dieu ; j'ai en main
« le glaive de Constantin , et vous celui de Pierre ; donnons-
« nous la main , et joignons le glaive au glaive, pour chasser
« les lépreux du camp , et purger le sanctuaire du Seigneur....
«Jamais la puissance royale ne vous manquera, pour
« chasser de l'Église les pécheurs scandaleux , et y introduire
« les justes(i).
Le discours de l'empereur Henri II au pape Benoît VIII, dans
un concile tenu à Pavie, vers l'an 1022 , n'est pas moins remar-
quable. Le Pape ayant prié l'empereur de vouloir bien confir-
mer les décrets de ce concile, Henri lui répondit en ces termes :
« Je ne puis rien vous refuser, très-saint Père, puisque je vous
« dois tout en Jésus-Christ Tout ce que votre autorité pa-
« ternelle a réglé dans le concile, pour la réforme de l'Église,
«je le loue, je le confirme et je l'approuve comme votre fils;
« je veux que tout cela soit observé à jamais, reçu dans
« le droit public, et solennellement inséré parmi les lois (2). »
aria, et ad malos et peccatores atque négligentes homines distringendos ,
« summopere obedientes existant. Qui autem in his, quod absit, negli-
« gentes eisque inobedientes fuerint inventi , sciant se nec in nostro im-
« perio honores retinere , licet etiam filii nostri fuerint, nec in palatio lo-
« cum, neque nobiscuni aut cum nostris societatem aut communionem ul-
« lam habere, sed magis sub magnâ districtione et ariditate pœnas luere...;
« sed etiam infâmes atque reprobi manifesté apparentes notabuntur, eorum-
« que domus publicabunfur, et ipsi exiliabuntur. » Capitulum imperalo-
ris, apud Theodonis Villamfaimo 805). (Baluze, Capitular. 1. 1, p. 437.)
Capitular. lib. vu,n. 390. (Ibid., p. 1109.)
(1) « Tempus est insurgendi contra eos qui dissiparunt legem Dei. Ego
« Constantini, vos Pétri gladium habetis in manibus; jungamus dexteras :
« gladium gladio copulemus, ut ejiciantur extra castra leprosi, ut purgetur
« sanctuarium Domini Non deerit tibi potestas regia, ut et epi-
« scopali censura, et regiâ auctoritate, turpiter viventes de Ecclesiis ejician-
« tur , et ordinatè viventes introducantur. » Oratio Edgari Régis ad Dun-
stanum. (Labbe, Concil. t. ix, p. 697.) — Fleury, Hist. Ecclés., t. xii,
liv. lvi, n. 30.
(2) « Nihil tibi, sanctissime papa, possum negare, cui per Deum omnia
« debeo Omnia quidem, quœ pro Ecclesiae necessariâ reparatione ,
« synodaliter instituit et reformavit Paternitas tua, ut filius laudo, confîrmo,
SUR LES SOUVERAINS. — CHAPITRE I. 363
Ces principes, qui avaient généralement servi de base à la ag.
législation des empereurs chrétiens, depuis la conversion de ^"lo""10"
Constantin, furent encore plus constamment la règle des gou- pl°^^6
vernements du moyen âge , et y reçurent une application beau- '^^7/
coup plus fréquente. En vertu de ces principes, on avait vu les chrétiens.
empereurs chrétiens protéger ouvertement l'exercice public de
la religion, accorder à ses ministres de nombreuses préroga-
tives, et une juridiction très-étendue dans l'ordre temporel,
confirmer par leurs édits les lois divines et ecclésiastiques, et
décerner des peines sévères contre les attentats de l'hérésie et
de l'impiété (1). Mais les prérogatives du clergé, et son in-
fluence dans toutes les parties du gouvernement civil, furent
portées encore plus loin, par la générosité des souverains, dans
les nouvelles monarchies élevées, depuis le ive siècle, sur les
ruines de l'empire romain. Le clergé y fut généralement re-
gardé comme le premier corps de l'État, et appelé, en cette
qualité, non-seulement au conseil des rois, mais à toutes les
assemblées politiques, même aux assemblées générales de la
nation, où se faisait l'élection des souverains, et où se trai-
taient les plus grandes affaires. Cette prééminence du clergé
n'était pas particulière à quelques États , comme paraissent le
croire quelques auteurs modernes, qui semblent la restreindre
à la France et à l'Espagne; mais elle était commune à toutes les
nouvelles monarchies, formées en Europe depuis le ive siècle.
C'est ce qui résulte évidemment d'une foule de monuments par-
venus jusqu'à nous, et particulièrement d'un grand nombre de
conciles ou assemblées mixtes, tenus depuis cette époque dans
tous les États catholiques de l'Europe, et où les deux puis-
sances réunies réglaient de concert tout ce qui pouvait intéres-
ser le bien de la religion et de l'État (2).
« et approbo; et in aeternura mansura, et inter publica jura semper reci-
« pienda, et humanis legibus solemniter inscribenda , coram Deo et
(( Ecclesiâ ità corrobora m us. » Henrici Augusti Responsio ad Bened. VIII.
(Labbe, ibid., p. 831.) — FJeury, ibid., liv. lvih, n. 47. Ce témoignage,
aussi bien que le précédent , a paru si remarquable à Bossuet , qu'il les cite
textuellement dans son Discours sur l'Unité de l'Église , à la fin de la
première partie.
(1) Voyez les détails que nous avons donnés , snr ce sujet , dans l'Intro-
duction de cet ouvrage, art. 2, § 2.
(2) M. Sismondi, à la suite de quelques écrivains modernes, regarde comme
29-
Influence du
elei
cette union.
364 DEUXIÈME PARTIE. —POUVOIR DU PAPE
5° Sous un tel gouvernement, il était inévitable que le clergé
prît une part très-active à toutes les affaires publiques, et qu'il
dans ies°affai. y exerçât une très-grande influence, par l'ascendant naturel de
publiques, ses lumières et de ses vertus, joint à son caractère politique et
aideU,t religieux. On doit même reconnaître, avec Fleury et les meil-
leurs historiens, qu'en se rendant aux assemblées politiques,
où se traitaient ces sortes d'affaires, il ne faisait que satisfaire à
son devoir, et qu'il ne pouvait se dispenser d'y prendre part ,
étant convoqué, à cet effet, avec les autres seigneurs (l).
Des esprits légers ou prévenus ont pu blâmer cet ordre de
choses; mais un esprit droit et impartial ne peut manquer d'en
reconnaître la légitimité, puisqu'il était fondé sur la constitu-
tion même dé l'État , et que le clergé n'y exerçait aucune in-
fluence que de concert avec les autres seigneurs , dans les as-
semblées mixtes dont nous venons de parler (2). Tel était, en
une innovation de Pépin, l'appel des prélats aux assemblées politiques, qui
augmenta si fort l'influence du clergé, sous les rois carlovingiens. (Sis-
mondi, Hist. des Français, t. n, 2e partie , chap. 1, p. 175. — Hïst. des
Rép. Ital.y t. ier, chap. 3, p. 139, etc.) C'est une erreur. Pépin, en appelant
les prélats aux assemblées politiques, ne fit que suivre l'usage déjà établi
depuis longtemps en France , et dans tous les États catholiques de l'Europe.
Pour ce qui regarde la France en particulier , ce point d'histoire a été so-
lidement traité par l'abbé Bullet , dans sa Dissertation sur l'état des évê-
ques en France , sous la première race de nos rois. Cette Dissertation
fait partie du recueil intitulé : Dissertations sur la Mythologie française,
et sur plusieurs points curieux de V Histoire de France , par l'abbé Bul-
let. Paris, 1771, in-12. Le P. Berthier a traité le même sujet plus briève-
ment, mais avec beaucoup de solidité, dans le 3e article de son Discours
sur les Assemblées de l'Église Gallicane, à la tête du t. xvn de Y Hist. de
l'Église Gallicane. Pour ce qui regarde les autres États, voyez Thomassin,
Ancienne et nouvelle Discipline, t. n, liv. m , chap. 44, 46 et suiv. —
Fleury, Hist. Ecclés., t. xm, 3e Discours, n. 9 et 10. — Mœurs des Chré-
tiens, n. 58. — Lingard, Hist. d'Angleterre, t. i, chap. 7. — Mariana et
Ferreras, Hist. d'Espagne, vie et vue siècle. — Perez Valiente, Appar. Juris
publ. Hispan.y t. m, passim. — Pfeffel, Abrégé de l'Histoire d'Allemagne
(articles Évêques, Clergé, etc., dans les Tables).
(1) Fleury, ubi suprà, 3e Discours, n. 9.
(2) Fleury , ibid. Il est étonnant que l'auteur, dans ce même Discours où
il reconnaît expressément la nature des assemblées mixtes dont nous par-
lons, et l'obligation qu'avaient les évêques d'y prendre part, aussi bien que
les seigneurs laïques, blâme hautement le mélange du spirituel et du tem-
porel dans ces assemblées , et reproche ouvertement aux évêques de s'y
être mêlés de régler le temporel et de juger les rois. (Ibid.,n. 9 et 10.)
Les évêques étant légitimement convoqués à ces assemblées, avec les autres
seigneurs , et ne pouvant se dispenser d'y prendre part, de l'aveu de
Fleury, est-il étonnant qu'ils y aient réglé, de concert avec les autres sei-
L'influence
mêmes
circonstances.
SUR LES SOUVERAINS. — CHAPITRE I. 365
effet, le caractère des nombreux conciles tenus à Tolède au
vne siècle, et particulièrement du quatrième, tenu en 633, où
il fut statué, qu'après la mort du roi, son successeur serait élu
dans l'assemblée des évêques et des seigneurs (l). Tel était le
concile tenu, en 787, à Calcuth, en Angleterre, et dont le
douzième canon déclare, que les rois, pour être légitimes,
doivent être choisis par les évêques et les seigneurs (2). Tels
étaient aussi plusieurs conciles tenus en France, sous la se-
conde race de nos rois, et où les évêques disposèrent quelque-
fois de la couronne avec une autorité absolue (3).
Cette grande influence du clergé dans les affaires politiques 3o.
des divers États de l'Europe, devait naturellement augmenter, L,"du
du moins en bien des occasions, celle que le souverain pontife ™tureii?deS
y exerçait déjà, soit par l'autorité que lui donnait, aux yeux des
princes et des peuples, son caractère sacré, soit en vertu du pou-
voir temporel dont il était revêtu , depuis que l'Italie avait se-
coué le joug de l'empire d'Orient. Le caractère de souverains
que les papes avaient acquis par suite de cette grande révo-
gneurs , tout ce qui concernait le gouvernement temporel ; et même qu'ils
y aient , en certains cas , jugé les rois , alors responsables de leurs actes de-
vant l'assemblée générale de la nation, d'après la nature du gouvernement
électif ?
On doit corriger, d'après ces observations, non-seulement un grand
nombre de passages des Discours et de X Histoire Ecclésiastique de Fleury,
mais encore une foule d'auteurs modernes, qui, faute d'avoir assez remarqué
le double caractère, ecclésiastique et politique, de plusieurs conciles du
moyen âge, ont blâmé beaucoup trop légèrement la conduite des évêques
dans ces conciles. Le P. Longueval lui-même, le P. Daniel, et plusieurs autres
écrivains d'ailleurs très-estimables , ne sont pas exempts de reproches , sur
ce point.
(1) « Defuncto in pace principe, primates totius gentis, cum sacerdo-
« tibus , successorem regni , concilio communi , constituant. » Concil.
Tolct. iv, can. 75. (Labbe, Concil. t. v, p. 1724.) — Fleury, Hist. Ecclés.,
t. vin, liv. xxxvii, n. 50.
(2) « in ordinatione regum , nullus permittat pravorum prœvalere as-
« sensum ; sed légitimé reges a sacerdotibus et senioribuspopuli eligantur. »
Concilium Calchutense, can. 12. (Labbe, t. vi, p. 1867.) — Fleury, ibid.,
t. ix, liv. xliv, n. 41.
(3) Nous remarquerons en particulier les conciles d'Aix-la-Chapelle en
842, et de Savonnières en 859, dont nous parlerons ailleurs plus en détail
(chap. 2, art. 2, n. 131); celui de Mante ou Mantelle, près Vienne en
Dauphiné, où Boson fut élu roi de Provence', en 879; celui de Forcheinï,
où Louis, fils d'Arnoul, fut élu roi de Germanie, en 900. Voyez, sur ces deux
derniers conciles, Fleury, Hist. Ecclés. , t. xi, liv. lui, n. 10; liv. liv, n.
31. — Hist. de V Église Gallicane, t. vi, p. 334.
366 DEUXIÈME PARTIE. — POUVOIR DU PAPE
lution , leurs droits particuliers sur le nouvel empire d'Occi-
dent (1), les intérêts de la religion, qu'ils devaient procurer en
tous lieux , l'autorité que leur donnait le titre auguste de chefs
de l'Église , pour veiller au maintien de la loi et des mœurs
dans tous les États chrétiens, pour ménager la paix entre
les princes, pour prévenir et corriger les désordres pu-
blics, les autorisaient naturellement, souvent même les obli-
geaient, à intervenir dans le gouvernement des États, et à
prendre une part très-active aux plus grandes affaires, non-
seulement parleurs avis et leurs exhortations, mais encore
par de justes réclamations et par de fortes remontrances, lors-
qu'il s'agissait de maintenir les droits que leur donnait, aussi
bien qu'à tous les autres souverains, leur caractère de princes
temporels.
Un des plus célèbres orateurs qui aient honoré la tribune po-
litique en Angleterre, à la fin du dernier siècle, a parfaitement
exprimé cette position des papes, à l'égard des autres souverains.
« Comme prince temporel, dit Bnrke, dans un de ses discours
« parlementaires, le Pape est l'égal de tous les autres ; mais si l'on
« ajoute à ce titre celui de chef suprême du christianisme, il n'a
« plus d'égal (2). » Il est aisé de voir que cette réflexion deBurke,
sur la situation des papes , môme dans ces derniers temps , s'ap-
plique à plus forte raison à leur situation pendant les siècles du
moyen âge, surtout depuis que le clergé eut été appelé, dans
tous les États chrétiens de l'Europe, à exercer une si grande
influence dans toutes les parties du gouvernement temporel. Il
était en effet bien naturel que les princes et les peuples, qui ac-
cordaient une si grande confiance au clergé, l'accordassent, à
plus forte raison , à celui qu'ils vénéraient comme le premier de
tous les évoques, et comme le centre de la catholicité. 11 était
même impossible que le clergé, qui avait tant de part aux af-
faires publiques et au gouvernement des États , ne fût , en bien
des occasions, l'organe et l'instrument de celui qu'il regardait
comme son chef et son oracle, en tout ce qui concerne le
(1) On verra plus bas l'origine de ces droits ; ci-après, chap. 3, art. 2 ,
§2.
(2) Nous empruntons cette citation à M. De Joux, Lettres sur l'Italie ,
t. i, lettre 13e, p. 176.
SUR LES SOUVERAINS. — CHAPITRE I. 367
bien de la religion, si étroitement lié avec celui de l'État.
Faute d'avoir bien compris cette position des papes, une ».
»,-,,,.. . , Erreurs de
loule d écrivains modernes attribuent à leur ambition, à des plusieurs écri-
prétentions excessives, et à une politique toute mondaine, des modernes,
démarches qui s'expliquent naturellement par les circonstances sur ce point'
que nous venons d'exposer. C'est par ce concours de circon-
stances, qu'il faut expliquer en particulier la conduite des papes
Grégoire IV, Nicolas Ier et Adrien II , si ouvertement blâmée
par un grand nombre d'historiens, d'ailleurs estimables, mais
qui ne se sont pas assez pénétrés des motifs qui obligeaient le
souverain pontile à intervenir dans les démêlés entre les princes
français, sous les règnes de Louis le Débonnaire et de Charles
le Chauve (1). La suite de nos Recherches nous donnera lieu de
montrer que les motifs qui autorisaient, et souvent même né-
cessitaient cette intervention du Pape dans le gouvernement
des États, et dans les affaires publiques de l'Europe, devinrent
de plus en plus puissants et multipliés dans la suite du moyen
âge, principalement à l'époque des croisades (2).
ARTICLE IL
État de la société au moyen âge : ressources que lui offraient la religion et
le clergé.
L'intérêt général de la société, au moyen âge, surtout pen- 32#
dant les premiers siècles de cette période, devait naturellement Tablea.u de ,a
l l > société ,
amener cette grande influence du clergé dans les affaires tem- au m°yea ase-
porelles. Il suffit, pour s'en convaincre, de considérer, d'un
côté, l'état déplorable de la société, à cette époque, et de l'au-
tre , les ressources immenses que lui offraient la religion et le
clergé, contre tous les maux qui la désolaient.
Qu'on se rappelle, en effet, quel était le caractère des peu-
(1) Ces observations peuvent servir à corriger, sur plusieurs points , un
grand nombre d'auteurs modernes. Nous indiquerons seulement ici quel-
ques-uns des plus célèbres. Fleury, Hist. Ecclés., t. xi, liv. li et lu, pas-
sim;t. xiu, 3e Discours, n. 10, etc. — Daniel, Hist, de France, t. n, p.
426, 468, 475, et alibi passim. — Hist . de l'Église Gallic, t. v et vi ,
passim.
(2) Ci-après, art. 2, n. 51, etc.
$68 DEUXIÈME PARTIE. — POUVOIR DU PAPE
pies barbares, qui se partagèrent, depuis le ive siècle, les débris
de l'empire romain en Occident (l). Entièrement étrangers aux
sciences, aux arts et à la civilisation, ils ne connaissaient,
pour ainsi dire, d'autre occupation que la chasse et la guerre,
d'autre loi que la violence, d'antre gloire que celle des con-
quêtes; et bien loin de sentir les inconvénients et le désordre
de cet état sauvage, ils professaient un souverain mépris pour
un genre de vie pins policé. La religion chrétienne, qu'ils em-
brassèrent tous successivement, adoucit, il est vrai, peu à peu
leur férocité ; mais ce précieux résultat de leur conversion fut
lent et insensible; la plupart d'entre eux conservèrent long-
temps leurs anciennes mœurs, c'est-à-dire, leur caractère léger,
violent et emporté, leur goût passionné pour la chasse et la
guerre, leur profond mépris pour les sciences et les arts, mais
surtout cet esprit d'insubordination et d'indépendance, qui
semblait être le trait le plus ineffaçable de leur caractère.
33. L'influence naturelle des mœurs du peuple dominant sur
Jcnorn ncc et
barbarie celles des peuples conquis, ne pouvait manquer d'amener, parmi
e ceite ePo- ceg derniers , la décadence des lumières et de la civilisation.
Aussi l'ignorance et la barbarie sont-elles généralement regar-
dées comme les caractères distinctifs de l'état de la société , au
moyen âge ; et quoique ce double caractère ne s'applique pas
également à toutes les parties de cette période , quoiqu'il ait été
souvent exagéré par la passion et la malignité , on ne peut dis-
convenir que , sous le rapport des lumières et de la civilisa-
tion y le moyen âge , comparé aux temps qui l'ont précédé et
suivi, ne présente un spectacle vraiment triste et affligeant.
Nous n'entreprendrons pas d'en retracer ici tous les traits ; il
suffit de remarquer, avec tous les historiens, que l'état de
la société, quelque déplorable qu'il fût alors, sous le rapport
des sciences et des arts , l'était encore davanlage sous le l'ap-
port de la civilisation et des mœurs. Sous ce dernier rapport,
l'histoire du moyen âge, surtout pendant les premiers siècles
de sa durée , est un spectacle continuel de désordres et de cala-
mités. Si l'on excepte certains intervalles de repos et de tran-
quillité, dus à l'influence de quelques souverains plus fermes et
(1) Fleury, Mœurs des Chrétiens, n. 57. — Hist. Ecclés., t. xm, 3e
Discours.
SUR LES SOUVERAINS. — CHAPITRE I. 369
plus habiles que les autres, partout on voit la société sans po-
lice, le gouvernement sans force, les lois sans autorité, la cor-
ruption des mœurs à son comble. Le glorieux règne de Char-
lemagne semblait destiné à mettre un terme à ces désordres ;
mais les espérances qu'on put alors concevoir, furent bientôt
anéanties par la faiblesse de ses successeurs , par les abus du
système féodal, et par les nouvelles irruptions des Barbares,
dans toutes les parties de l'Europe. Ce malheureux concours de
circonstances replongea la société dans la barbarie d'où elle
commençait à sortir, et acheva d'y détruire les faibles restes de
la civilisation romaine.
Aussi rien n'est plus affligeant que le tableau des désordres 34.
auxquels la société fut en proie , pendant les trois siècles qui sui- iHLJS ,e
virent le règne de Charlemagne. Voici les principaux traits de cVégouTYii.
ce tableau, d'après un auteur contemporain de Grégoire VIT :
« Le monde, dit saint Pierre Damien, se précipite violemment
« dans l'abîme de tous les vices; et plus il approche de sa fin,
« plus il voit grossir la masse énorme de ses crimes. La disci-
« pline ecclésiastique est presque universellement négligée. Les
« prêtres ne reçoivent plus le respect qui leur est dû ; les saints
« canons sont foulés aux pieds -, et l'ardeur qu'on devrait avoir
« pour le service de Dieu , est uniquement employée à la pour-
« suite des biens de la terre. L'ordre légitime des mariages est
« confondu ; et, à la honte du nom chrétien, on y vit à la ma-
« nière des Juifs. En effet, où ne voit-on pas régner la rapine et
«le larcin? Qui a honte du parjure, de l'impudicité, dusacri-
« lége, et des plus horribles forfaits? 11 y a déjà longtemps que
« nous avons renoncé à toute vertu, et que les désordres de
« toute espèce nous inondent de toutes parts (1).... Un mauvais
(1) « Totusmundus, promis in malum, perlubrica vitiorum, in prœceps
« ruit; et quanto fini suo jamjam vicinus appropinquat , tanto graviorum
« super se quotidie criminum moles exaggerat. Ecclesiastici siquidem genii
« ubique pêne disciplina negligitur ; débita sacerdotibus reverentia non prse-
« betur; canonicae sanctionis instituta calcantur; et soli terrenae (cupiditati)
« inbianter explendee digna Deo cura servïtur. In fœderandis porro conju-
« giis legitimus ordo confunditur : et, 0 nefas! ab eis in veritate judaïcè vi-
te vitur, qui, superficie tenus, ebristiano vocabulo palliantur. Enimvero ubi
« rapinae desunt ? ubi furta caventur ? Qui pei juria ? qui lenocinia ? qui sa-
« crilegia metuunt? qui denique perpetrare quaelibet atrocissima crimina
« perhorrescunt ? Jamdudum plané virtutum studiis repudium dedimus,
24
370 DEUXIÈME PARTIE. — POUVOIR DU PAPE
« esprit précipite avec fureur le genre humain dans un abîme
« de forfaits, et répand de tous côtés les haines et la jalousie,
« sources de divisions. Les guerres, les armées, les irruptions
« d'ennemis, se multiplient à un tel point, que l'épée fait périr
« un plus grand nombre d'hommes , que les maladies et les in-
« firmités attachées à la condition humaine. Le monde entier est
« comme une mer agitée par la tempête ; les dissensions et les
«discordes, semblables à des flots irrités, agitent tous les
« cœurs. L'affreux homicide pénètre partout, et semble par-
« courir tous les pays du monde, pour les réduire à une affreuse
« stérilité (1). »
35 Les princes et les seigneurs, au témoignage du même auteur,
ces désordres ail \[Gn de réprimer et de combattre ces désordres , les fomen-
souvent , . , ,, , ,
fomeiaés par taient par leurs exemples. Partout on les voyait s élever et s e-
exempies tendre , aux dépens de leurs voisins plus faibles qu'eux, dégrader
des princes, j^ fljg,^ par jes exces fe tout genre, et accabler leurs peu-
ples par toutes sortes de vexations. « Les Églises , dit encore
« saint Pierre Damien (2) , sont en proie à de si affreuses cala-
« omniumque perversitatum pestes , velut impetu facto , feraliter emerse-
« runt. » S. Pétri Damiani Epist. lib. n; Epist. 1, ad S. R. E. Cardinales;
initio.
(1) « Malignus plané spiritus humanum genus nunc solito vehementiùs
« per omnia vitiorum abrupta praecipitat, truculentiùs tamen odiorum, ac
« simultatum omnes livore perturbât. Tôt enim quotidie bella desseviunt,
« armatae acies proruunt, hostiles impetus inhorrescunt , ut de militari-
« bus quidem viris plures gladius videatur absumere , quàm in grabatulis
« quiescentes, corporeae conditionis aegritudo fmire, ut propemodum ma-
« ris more geratur hic mundus... Discordiae procellis cuncta hominum
« corda vexantur , et tamquam spumosis fluctibus illiduntur. Instabilis enim
« hoiuicida omnia scrutatur, omnia mundi velut unius agri loca perlustrat,
« ne quid infœcundum a lividi fomitis satione praetereat. > Id., Epist.
lib. iv ; Epist. 9, ad Oldericum episcopum Firmanum, p. 51, col. 2.
(2) « Tarn immanis pressurae calamitas incumbit Ecclesiis, ut tamquam
« Babylonicee legionis acies circumfusa, et Hierusalem cum civibus suis vi-
« deatur obsessa. Sœculares ecclesiastica jura corradunt , salaria subtra-
« hunt , possessiones invadunt , et sic stipendia pauperum , velut hostium
« se reportare manubias, gloriantur. Ipsi quoque saeculares nihilominus in-
« ter se proprii juris bona diripiunt , alter alteri supergredientes impin-
« gunt; et quia soli esse nequeunt, mutuâ se pervasione collidunt.
« Mox arundineas rusticorum segetes aggrediuntur exurere, et fel atrocis-
« simi livoris , quod suis utique nequeunt inimicis invomere, imbellibus
« non erubescunt rusticis propinare Fortis ac ingenuus quisque bel-
« lator vitat inermem, impetit adversùm se tela vibrantem, isti verô
« adversùs inermes arma corripiunt , et dum fluant hostes, vapulant inno-
SUR LES SOUVERAINS. — CHAPITRE 1. 371
mités, qu'elles sont comme cernées par les armées de Baby-
lone, et qu'elles ressemblent à Jérusalem assiégée avec tous
ses habitants. Les séculiers s'emparent des droits de l'Église,
saisissent ses revenus, envahissent ses possessions, et se parent
de la substance des pauvres, comme des dépouilles de leurs
ennemis. Ils se pillent en môme temps les uns les autres, se
jettent l'un sur l'autre; et comme s'ils voulaient demeurer
seuls maîtres du monde, font tous leurs efforts pour se sup-
planter mutuellement. Puis ils vont incendier les chaumières
des pauvres villageois, et verser sur ces malheureux la bile
qu'ils n'ont pu décharger sur leurs ennemis.... Un brave et
honorable guerrier n'attaque pas un homme désarmé; il se
contente de repousser celui qui l'attaque;... mais ceux-ci
prennent les armes contre des hommes sans défense, et frap-
« pent les innocents, des coups dont ils ne peuvent accabler leurs
«ennemis.... Aussi le monde entier n'est plus, de nos jours,
qu'un théâtre d'intempérance , d'avarice et de libertinage ; et
comme autrefois il était soumis à trois Césars (l), de même le
« genre humain courbe aujourd'hui sa tête sous ces trois vices,
« et obéit servilement aux lois de ces tyrans. »
Les rois les plus puissants étaient souvent aussi les plus
scandaleux. Philippe Ier, roi de France, faisait un honteux trafic
des évêchés et des abbayes, encourageait par son exemple le pil-
lage et la débauche , et poussa la violence jusqu'à faire dépouil-
ler des marchands étrangers qui étaient venus à une foire de
son royaume (2). Que n'aurions-nous pas à dire de l'empereur
« centes Totus itaque mundus, hoc tempore, niliil est aliud nisi gula,
« avaritia atque libido ; et sicut olim trifariam divisas est orbis, ut tribus
« simnl principibus suhjaceret , ita nunc genus humanum , heu proh dolor !
« his tribus vitiis servilia colla substernit, eorumque quasi totidem tyranno-
« rum legibus obtempérante!' obedit. » Id., lib. i, Epist. 15, ad Alexan-
drum II Romanum pontificem; passim, p. 12, etc. Tous ces passages des
lettres de S. Pierre Damien , et quelques autres également remarquables,
ont été recueillis par Voigt, Hïst. de Grégoire VII, liv. h, p. 57, etc. Il
serait aisé de les confirmer par une foule de témoignages, tirés des lettres
de Grégoire VII, et des autres monuments contemporains , selon la remar-
que du même historien; ibid., p. 88. Voyez en particulier, Greg. VII Epist,
lib. n; Epist. 49. — Fleury, Hist. Ecclés.t t. xm, liv. 62, n. 54.— D. Ceillier,
Histoire des Auteurs ecclés., t. xx , p. 663 , etc.
(1) L'auteur fait ici allusion au temps où l'empire romain était partagé
entre plusieurs Césars.
(2) Gregorii VII Epist. lib. i, 35; n, 5, 18. — Fleury, Histoire Ecclés.,
24.
372 DEUXIÈME PARTIE. — POUVOIR DU PAPE
d'Allemagne, Henri IV, que tous les historiens s'accordent à
représenter comme un des princes les plus cruels et les plus
corrompus dont il soit fait mention dans les annales de l'his-
toire, et que saint Anselme, archevêque de Cantorbéry , auteur
contemporain , ne fait pas difficulté de représenter comme un
digne successeur de Néron et de Julien l'Apostat (l)?
36. Toutefois , ce serait bien mal connaître l'état de la société en
pouerTapereii. Europe, au moyen âge, que de regarder l'oubli et le mépris
toujours" 'sub- général de la religion comme des conséquences nécessaires de
RumiHeu a, l'ignorance et de la barbarie que nous venons de signaler (2).
fcs désordres, jj est certain , au contraire , que le déclin des lumières et de la
civilisation, à cette époque, laissait généralement subsister,
dans l'esprit des peuples, un profond respect pour la religion
et ses ministres. Au milieu des épaisses ténèbres dont la société
était enveloppée, la foi était toujours entière, et même vive. On
ne s'avisait pas de douter des vérités qu'elle enseigne : on avait
généralement horreur de l'hérésie et de l'impiété; et le respect
des peuples pour la religion se manifestait , dans tous les États
chrétiens de l'Europe, par les honneurs et les prérogatives ac-
cordés à ses ministres. Il était sans doute inévitable que , dans
ces temps de désordre , le clergé , comme le reste de la société ,
fût quelquefois l'objet des violences et des injustices que l'anar-
chie entraîne toujours après elle; mais ces violences n'avaient
pas ordinairement pour principe le mépris de la religion et de
t. xm , liv. lxii , n. 6 et 16. — Histoire de l'Église Gallicane, t. vu , an-
nées 1073 et 1074, p. 504-508. Nous donnerons plus bas (chap. 2, art. 1,
n. 108, etc.) quelques autres détails sur le caractère et la conduite de Phi-
lippe Ier. Après cela, on est étonné de voir des auteurs, d'ailleurs estimables,
blâmer ouvertement la conduite de Grégoire VII envers ce prince, et atténuer,
dans cette vue, des désordres qu'ils ne peuvent s'empêcher de reconnaître.
Voyez Y Hist. de V Église Gallicane, ubisuprà, p. 509. — Daniel, Hist.
de France , t. m, année 1073, p. 377 et 453.
(1) « Scienti breviter loquor, écrivait saint Anselme à l'évêque deNeu-
« bourg; si certus essem prudentiam vestram non la vere successori Juin
a Cœsaris , et Neronis , et Juliani Apostatœ , contra successorem et vica-
« rium Pétri apostoli ; libentissimè vos ut amicissimum et reverendum epi-
« scopum salutarem. » S. Anselmus, De Azymo et Fermentât o ; prœf.
{Operum, p. 135.) Voyez aussi Noël Alexandre, 2e Dissert, sur VHist. Eccl.
du xie siècle, art. 1. — Fleury, Hist. Ecclés., t. xm, liv. lxi, n. 31. —
Voigt, Hist. de GrégoireVH, p. 69, 110, 133, etc.— De Maistre, Du Pape,
liv. n, chap. 12, p. 358, note 1.
(2) Fleury, Mœurs des Chrétiens, n. 52, 61, etc.
SDR LES SOUVERAINS. — CHAPITRE I. 373
ses ministres •. elles étaient presque toujours l'effet de quelque
passion ardente, que les coupables eux-mêmes se reprochaient,
et condamnaient hautement, après ces moments d'agitation et
d'effervescence.
Le clergé méritait en effet la considération générale dont il 37.
i • Le clergé
jouissait, par les lumières et les vertus dont il conservait, pour toujours db-
ainsi dire, la tradition , et qui brillaient dans un grand nombre par «^lu-
de ses membres. Malgré les abus et le relâchement qui s'y étaient el s™»™sUl,f
introduits, aussi bien que dans tous les autres états, ses habi- dai'"r,,^ul,no.
tudes et ses occupations journalières le préservaient, beaucoup «M^res.
plus que le reste de la société , de l'ignorance et de la barbarie
universelle (1). Le peu de science et de lumières qui se conser-
vait alors en Europe, était concentré dans les églises et les
monastères : on ne connaissait presque pas d'autres écoles que
celles-là; et les institutions monastiques surtout rendaient, sous
ce rapport, des services inappréciables à la société (2). En
même temps qu'elles étaient comme le centre des lumières et
de la civilisation, elles offraient au monde de touchants exem-
ples de vertu , et une des plus fortes barrières contre la cor-
ruption universelle. Nulle part on ne voyait de si nombreux
exemples de toutes les vertus chrétiennes, et particulièrement
de cet esprit de charité qui , dès le principe , avait distingué
l'état monastique. Ces exemples frappants et multipliés le fai-
saient généralement regarder comme un état de perfection et
de sainteté. Aussi était-il ordinaire, dans les monarchies du
moyen âge , comme sous la domination romaine , de tirer des
religieux de leurs monastères, pour les élever au sacerdoce ou à
l'épiscopat ; on voyait un grand nombre de clercs unir les fonc-
(1) Fleury, Hist. Ecclés.,i. xiii, 3e Discours, n. 21 et 22. — Ryan,
Bienfaits de la Religion chrétienne , chap. 3. — Lingard , Antiquités de
l'Église Anglo-saxonne; passim. Voyez surtout le chap. 4. — De Saint-
Victor, Tableau de Paris, t. i, p. 194, etc. — DeMontalembert, Hist. de
sainte Elisabeth de Hongrie, Introd., p. 70, etc. — Voigt, Hist. de Gré-
goire VII, 1. 1, p. 204, etc.
(2) Outre les auteurs cités dans la note précédente , voyez Rergier, Dict.
Théol., art. Moines. — Mabillon, Prœf. in 3um sœc. Bened., § 4; Prœf. in
4u,n sœc, là part., § 8. — Thomassin, Ancienne et nouvelle Discipline, t. i,
liv. m , passim. — • De Héricourt , Abrégé du même ouvrage, 2e partie,
chap. 6, n. 3.
374 DEUXIÈME PARTIE. — POUVOIR DU PAPE
tions ecclésiastiques aux exercices de la vie religieuse (i). Les
fidèles de tout âge et de toute condition , qui avaient un désir
ardent de la perfection, ne connaissaient pas de plus sûr moyen
d'y arriver, que d'entrer dans un monastère. On y voyait de
jeunes enfants que leurs parents y offraient, pour les soustraire
de bonne heure aux périls du monde (2); des vieillards, qui
cherchaient à finir saintement leur vie; des personnes mariées,
qui, d'un commun consentement, renonçaient au monde pour
(1) Thomassin, Ancienne et nouvelle Discipline y t. 1 , liv. m, chap. 4,
13, etc. — De Héricourt, Abrégé du même ouvrage, lre partie, chap. 22.
(2) L'ancien usage d'offrir les enfants à Dieu, dans l'état ecclésiastique ou
dans l'état religieux, sans attendre leur consentement, a été jugé très-
diversement par les auteurs anciens et par les modernes. La plupart des
anciens y voyaient un usage louable , et très-conforme à la piété ; ils y
voyaient, selon la remarque d'un écrivain récent, « une sorte de rançon que
« les hommes du siècle payaient à Dieu pour leurs péchés , comme un vase
« d'élection qu'ils choisissaient eux-mêmes dans leur famille, pour la sancti-
« fier. » (Nettement , Vie de Suger, p. 6. ) La plupart des modernes y voient
un abus tout à fait blâmable , et contraire à la liberté que les parents doi-
vent laisser à leurs enfants pour le choix d'un état , et surtout de certains
états qui imposent des obligations plus pénibles à la nature. ( Nettement r
ïbid. — Nisard , Histoire de la reine Blanche , p. 83. ) Nous sommes loin
de vouloir justifier, en ce genre, des abus manifestes, qui ont été trop sou-
vent une occasion de relâchements et de scandales, dans l'état ecclésiastique
et dans l'état religieux. Mais ne pourrait-on pas distinguer ici, comme en
toute autre matière, l'usage en lui-même, d'avec l'abus dont il a été quel-
quefois l'occasion ou le prétexte ? Sans doute c'est un abus manifeste et tout
à fait blâmable, que de gêner la liberté des enfants, relativement aux graves
obligations de l'état ecclésiastique et de l'état religieux ; aussi cet abus a-t-il
été constamment désapprouvé par l'Église, comme on le voit en particulier
par le vingt-troisième canon du concile de Mayence, tenu en 813, qui défend
expressément de donner, à qui que ce soit, la tonsure ecclésiastique ou mo-
nastique avant l'âge convenable, et sans qu'il y consente librement. (Labbe,
Concil. t. vu, p. 1248.) Mais, à considérer la chose en elle-même, il est
certainement permis à des parents de consacrer à Dieu leurs enfants en l>as
âge, en leur conservant la liberté de révoquer ou de ratifier cette offrande,
lorsqu'ils seront en état de faire un choix raisonnable. C'est avec cette ré-
serve, que l'offrande des enfants avait lieu autrefois, dans les églises et dans
les monastères. D'après les règles ecclésiastiques et monastiques , cette pre-
mière offrande n'était pas considérée comme un engagement irrévocable,
mais comme une espèce de noviciat, qui n'était pas toujours suivi de la pro-
fession. C'était un moyen sûr et facile de procurer aux enfants une bonne
éducation, et de les préserver, au moins pour un temps, des dangers et de la
contagion du monde. (Pour le développement de ces observations, voyez
Mabillon , Prœfat. in 3um sœc. Bened. § 1, n. 17, etc. ; Prœf. in 4um sœc.
part. 2, cap. 7, 11. 199 ; Prœf. in 6um sœc. part. 2, § 11. — Mège, Comment,
sur la Règle de saint Benoît, chap. 1, p. 50-52. — Fleury, Hist. Ecclés.,
t. xiii, liv. Lxiii, n. 58.)
monastiques;
SUR LES SOUVERAINS. — CHAPITRE I. 375
se consacrer, dans la solitude, à une vie plus parfaite; des
princes et des princesses du plus haut rang, dont les uns ve-
naient y chercher le bienfait précieux d'une éducation digne
de leur naissance (i ) , et les autres, désabusés des illusions du
monde, renonçaient volontairement aux biens et aux dignités
du siècle, pour chercher dans la retraite un bonheur plus so-
lide; quelquefois aussi des pécheurs scandaleux, qui, touchés
de repentir, allaient pratiquer, dans la solitude, une péni-
tence qu'ils n'eussent pas eu le courage ni peut-être la liberté
de pratiquer au milieu du monde.
Ce touchant spectacle, offert au monde par les premiers or- s ta3t8,; édi.
dres religieux qui s'établirent en Orient et en Occident , à la , fian.1 .
w * . t des princi-
suite des persécutions, se renouvela très-souvent dans la suite pau* ordres
du moyen âge, même dans les temps et dans les pays où la face
de la religion était en général plus défigurée. Tel fut en parti-
culier le spectacle offert, au ixe siècle, par la fondation du
monastère d'Aniane en France ; au xe siècle , par la fondation
des ordres de Cluni en France , et des Camaldules en Italie ; au
xie siècle, par la fondatiou de l'ordre des Chartreux; au
xne siècle, par la fondation des monastères de Cîteaux et de
Clairvaux ; au xine siècle , par la fondation des ordres de saint
Dominique et de saint François. Chacun de ces établissements
était comme un nouveau foyer de lumières et de vertus , dont
l'influence se faisait sentir dans toutes les parties de la société,
et maintenait, au milieu de l'ignorance et du désordre uni-
versel, l'ancienne tradition de la doctrine et des mœurs; en
sorte que les fondateurs de ces différents ordres , saint Benoît ,
(1) Le P. Mabillon, dans les Actes de l'ordre de saint Benoît , cite plu-
sieurs princes du sang royal de France, qui ont reçu leur première éducation
dans les monastères de cet ordre, à différentes époques de notre histoire. Il
nomme, entre autres, Lothaire, fils de Charles le Chauve, élevé dans le mo-
nastère de Saint-Germain d'Auxerre ; Thierry III , dans celui de Chelles ;
Louis VI et plusieurs autres, dans le monastère de Saint-Denis, aussi bien
que Pépin le Bref, tige de la seconde race de nos rois, et Robert, second
roi de la troisième. (Mabillon, Prœf. in 3um sœc. Bened. § 4 , n. 40.) Ce
fut pendant son séjour au monastère de Saint-Denis, que Louis VI (dit le
Gros ) connut pour la première fois l'abbé Suger, alors simple moine de celte
abbaye, mais qu'il ne tarda pas à distinguer entre tous les autres, et pour
qui il conçut dès lors cette haute estime, dont Suger se montra si digne, par-
les services éminents qu'il rendit, dans la suite, à son prince et à toute la
France. (Nettement, Vie de Suger, p. 11 et 12.)
376 DEUXIÈME PARTIE. — POUVOIR DU PAPE
saint Odon, saint Romuald, saint Bruno, saint Bernard , saint
Dominique , saint François d'Assise, et tant d'autres instituteurs
ou réformateurs d'ordres monastiques, indépendamment des
vertus personnelles qui leur ont fait décerner par l'Église un
culte public, mériteraient à jamais les hommages et l'admi-
ration universelle, par l'heureuse influence qu'ils ont exercée
sur la société tout entière, tant sous le rapport des lumières
et de la civilisation , que sous le rapport de la vertu et des
mœurs.
39. Il résulte évidemment de tous ces faits, selon la remarque
Les desordres ^ Fjeiiry lui-même (1), d'ailleurs si porté à exagérer les abus
moSduVei!f' et les désordres qui défiguraient la face de l'Église au moyen
eSÎ'uteursar c^e (2)> ^ue *es socles roême les plus obscurs et les plus mal-
modernes, heureux ne l'ont pas été autant qu'on le suppose communément;
que, malgré les progrès du vice et de l'ignorance , ils n'ont été
dépourvus ni de science ni de vertu ; enfin , que le clergé et les
ordres religieux étaient alors, comme dans tous les temps,
aussi distingués entre tous les ordres de l'État , par les lumières
et les vertus, que par la sainteté de leur caractère.
4°- Telle est l'idée que nous donnent généralement du clergé de
Cefaitimpor- , x ° -i i,i • •
tant, cette époque, les monuments les plus authentiques de 1 histoire,
., connu pai jes pXus sages écrivains des derniers siècles (3) , souvent même
nonaUsuspects, les moins suspects de partialité en faveur du clergé, et les plus
opposés d'ailleurs à son pouvoir temporel. Voici comment s'ex-
plique, à ce sujet, un écrivain de nos jours, que ses préjugés bien
connus contre l'Église catholique, et surtout contre l'état reli-
gieux, rendent moins suspect que tout autre, dans les témoi-
gnages qui lui échappent quelquefois en leur faveur : « Les
4«. « évoques, dit-il, acquirent et conservèrent une grande partie
Aveux remar- -1 , . i i i
quabies « de leur ascendant , par une influence tres-respectable , la su-
e ce'sujet.8"1 « périorité des lumières. Étant seuls versés dans l'art d'écrire, ils
« furent chargés de la correspondance politique , et de la rédac-
(1) Fleury, Hist. E celés. , t. xiu, 3e Discours, n. 25. —Mœurs des
Chrétiens, n. 61.
(2) Nous avons signalé ailleurs quelques-unes de ces exagérations. (Ci-des-
sus, pag. 364, note 2.) La suite de ces Recherches nous donnera lieu d'en
signaler encore d'autres. Ci-après, n. 57, notes: Table alphab. des ma-
tières, art. Fleury.
(3) Voyez les auteurs cités dans la note 1 de la page 379.
SUR LES SOUVERAINS. — CHAPITRE I. 377
« tion des lois. Connaissant seuls les éléments de quelques scien-
« ces, l'éducation des familles royales leur fut dévolue, comme
« une de leurs attributions nécessaires. A la chute de Rome,
« leur influence sur les Barbares fit disparaître les aspérités de
« la conquête, et préserva en partie les habitants des provinces,
« des suites funestes de cette effrayante révolution. Si la Grèce
« captive soumit Rome qui l'avait conquise, Rome à son tour,
«tombée dans la servitude, imposa le joug de sa supériorité
« morale aux farouches conquérants du Nord. Ce fut surtout
« par les efforts des évoques , que la religion, le langage, et
« même une partie des lois de l'ancienne capitale du monde, fu-
« rent transplantés dans les cours de Paris et de Tolède , que
« l'imitation rendit un peu moins barbares (1)
« Si l'on demande comment quelques étincelles de la littéra- Ser4v2ices
« ture ancienne purent se conserver pendant ce Ions; hiver , rendus à la
L x ~ ' société,
« nous ne pouvons attribuer ce bienfait qu'à l'établissement du p^ i« ordre»
-i.,.. _ ,. . 1 • , • t monastiques,
«christianisme. La religion seule jeta, pour ainsi dire, un selon
« pont à travers le chaos , et lia entre elles les deux époques de cet auleur'
«la civilisation ancienne et moderne Pendant tout le
« cours du moyen âge , on ne trouvait guère d'hommes de
« quelque mérite que dans les chapitres ou dans les couvents.
« Les monastères, assujettis à une discipline sévère, avaient au
« moins l'avantage d'offrir des moyens d'étude plus nombreux
« que ceux que possédait le clergé séculier, et d'éloigner des séduc-
« tions mondaines. Mais le plus grand service qu'ils rendirent
« aux lettres, fut comme dépôts sûrs de livres. C'est grâce à
« eux , qu'ont été conservés tous nos manuscrits ; et il aurait été
« difficile qu'ils nous parvinssent autrement ; du moins il y eut
« des intervalles pendant lesquels je ne vois pas qu'il ait existé
« de bibliothèques royales ni particulières (2) Une salu-
« taire influence, exercée par l'esprit d'une religion plus pure,
« se déployait quelquefois au milieu des corruptions de la su-
ce perstition. 11 y avait, dans les principes qui avaient présidé à
«l'institution des ordres monastiques, et dans les règles au
« moins qui devaient les régir, un caractère de douceur, de
«charité, de désintéressement, qui ne pouvait entièrement
(1) Hallam, V Europe aumoijen âge, t. ni, p. 313.
(2) Ibid., t. iv, p. 115 et 116.
378 DEUXIÈME PARTIE, — POUVOIR DU PAPE
«s'effacer Le soulagement de l'indigence surtout fut une
« vertu, dans la pratique de laquelle les moines se montrèrent,
« en général , pénétrés des véritables sentiments de leur profes-
« sion Les anciens temps n'offrent pas, si je ne me trompe,
« un seul exemple de ces institutions publiques répandues dans
« toutes les contrées de l'Europe, et destinées au soulagement
« des souffrances humaines (l). Les vertus des moines prenaient
« un caractère encore plus noble , lorsqu'ils se constituaient les
« défenseurs des opprimés. C'était une loi établie et fondée sur une
« superstition très-ancienne , que l'enceinte d'une église était un
« asile pour les accusés (2).... Combien ce droit dut accroître le
« respect des hommes pour les institutions religieuses! avec quel
« plaisir les victimes des guerres intestines devaient détourner
« les yeux du château baronial , la terreur et le fléau du voisi-
« nage, pour reporter leurs regards vers ces murs vénérables, où
« le tumulte des armes ne venait jamais interrompre les chants
« de la religion, ni troubler le service des saints autels! La pro-
« tection d'un sanctuaire n'était jamais refusée. Un fils de
« Chilperic, roi de France, s'étant réfugié dans celui de Tours,
« son père menaça de ravager toutes les terres de l'Église, si on
« ne lui livrait le fugitif. L'historien Grégoire, évêque de cette
« ville, répondit au nom de son clergé, que des chrétiens ne
« pouvaient se rendre coupables d'un acte inouï chez les
« païens. Le roi tint sa parole, et ne ménagea point les pro-
« priétés de l'Église ; mais il n'osa pas violer ses privilèges (3). »
43. Le langage de M. Guizot, sur ce point, n'est pas moins remar-
ia. Guizot. quable. Non content de reconnaître l'heureuse influence de
In clergé ™ l'Église chrétienne sur la société, sous les premiers empereurs
9UPsïtion,h" chrétiens (4) , il montre que cette influence n'a pas été moins
européenne, avantageuse , dans les nouvelles monarchies qui se sont élevées
en Occident, sur les ruines de l'empire romain, depuis le
(1) Voyez, à l'appui de cette observation, les détails que nous avons don-
nés dans Y Introduction de cet ouvrage (n. 81, etc.), et les auteurs que nous
avons cités en note.
(2) Voyez Bergier, Dict. Théol., article Asiles.
(3) Hallam, ubi suprà, p. 132-134. Voyez, sur les circonstances de ce
fait, Grégoire de Tours, Hist. de France, lib. v. — Daniel, Hist. de
France; et le P. Longueval, Hist. de V Église Gallicane, année 576.
(4) Voyez Y Introduction de cet ouvrage , n. 33.
SUR LES SOUVERAINS. — CHAPITRE I. 379
Ve siècle ; et il ne fait pas difficulté de représenter cette salutaire
influence, comme une des principales causes de la civilisation
européenne, du ve au xe siècle. «L'Église, dit-il (1), était une
«société régulièrement constituée, ayant ses principes, ses
« règles, sa discipline, et qui éprouvait un ardent besoin d'é-
« tendre son influence, de conquérir ses conquérants. Parmi les
« chrétiens de cette époque , dans le clergé chrétien , il y avait
« des hommes qui avaient pensé à tout , à toutes les questions
« morales et politiques; qui avaient sur toutes choses des opi-
« nions arrêtées, des sentiments énergiques, et un vif désir de les
« propager, de les faire régner. Jamais société n'a fait, pour agir
« autour d'elle, et s'assimiler le monde extérieur, de tels efforts
«que l'Église chrétienne, du ve au xe siècle Elle a, en
« quelque sorte, attaqué la barbarie par tous les bouts, pour la
« civiliser en la dominant En Espagne, c'est l'Église elle-
« même qui essaye de recommencer la 'civilisation. Au lieu
« des anciennes assemblées germaines, l'assemblée qui prévaut
« en Espagne, c'est le concile de Tolède; et dans le concile,
« quoique les laïques considérables s'y rendent, ce sont les évê-
« ques qui dominent. Ouvrez la loi des Visigoths; ce n'est pas
« une loi barbare ; évidemment celle-ci est rédigée par les phi-
« losophes du temps, par le clergé, Elle abonde en idées géné-
« raies , en théories , et en théories pleinement étrangères aux
« mœurs barbares En un mot, la loi visigothe tout entière
«porte un caractère savant, systématique, social. On y sent
« l'ouvrage de ce même clergé qui prévalait dans les conciles de
« Tolède , et influait si puissamment sur le gouvernement du
« pays. »
Un peu plus bas , l'auteur résume en ces termes ce qu'il a dé-
veloppé plus au long dans ses leçons précédentes, sur l'influence
salutaire de l'Église chrétienne dans la société européenne, de-
puis le ve siècle. « Il suffit d'un premier regard, dit-il (2), pour
« reconnaître,, entre l'état de l'Église au ve siècle, et celui des au-
« très éléments delà civilisation européenne, une différence im-
« mense. J'ai indiqué, comme éléments fondamentaux de notre
« civilisation, le régime municipal, le régime féodal, la royauté et
(1) Guizot, Hist. gén. de la Civilisation en Europe, 3e leçon, p. 86-90.
(2) Ibid., 5e leçon, p. 132
380 DEUXIÈME PARTIE. — POUVOIR DU PAPE
« l'Église. Le régime municipal, au ve siècle, n'était pins qu'un
« débris de l'empire romain, une ombre sans vie et sans forme
« arrêtée. Le régime féodal ne sortait pas encore du chaos. La
« royauté n'existait que de nom. Tous les éléments civils de la
« société moderne étaient dans la décadence ou dans l'enfance.
«L'Église seule était à la fois jeune et constituée; seule elle
« avait acquis une forme définitive, et conservait toute la vigueur
« du premier âge ; seule , elle possédait à la fois le mouvement
« et l'ordre, l'énergie et la règle, c'est-à-dire, les deux grands
« moyens d'influence. N'est-ce pas, je vous le demande, par la
« vie morale, par le mouvement intérieur, d'une part, et par
« l'ordre, par la discipline, de l'autre, que les institutions s'em-
« parent des sociétés? L'Église avait remué d'ailleurs toutes les
« grandes questions qui intéressent l'homme ; elle s'était in-
« quiétée de tous les problèmes de sa nature , de toutes les
« chances de sa destinée. Aussi son influence sur la civilisation
« moderne a-t-elle été très-grande, plus grande peut-être que
« ne l'ont faite même ses plus ardents adversaires, ou ses plus
« zélés défenseurs. Occupés de la servir ou de la combattre, ils
« ne l'ont considérée que sous un point de vue polémique, et
« n'ont su , je crois , ni la juger avec équité , ni la mesurer dans
« toute son étendue. »
44- Dans la suite du même ouvrage, l'auteur explique plus
c"taheau" en détail l'action salutaire de l'Église pour l'amélioration
delPom-se' sociale. « L'Église, dit-il, agissait surtout d'une manière très-
1,amelior,ation « efficace , pour l'amélioration de l'état social (l). Nul doute
sociale. > x \ •
« qu'elle ne luttât obstinément contre les grands vices de
«l'état social, par exemple, contre l'esclavage..... On ne
« peut douter qu'elle n'employât son influence à le restreindre.
« Il y en a une preuve irrécusable : la plupart des formules d'af-
« franchissement , à diverses époques , se fondent sur un motif
« religieux ; c'est au nom des idées religieuses , des espérances
« de l'avenir, de l'égalité religieuse des hommes, que l'affran-
« chissement est presque toujours prononcé. L'Église travaillait
« également à la suppression d'une foule de pratiques barbares ,
« à l'amélioration de la législation criminelle et civile. Vous
(1) Guizot, ibid., 6e leçon, p. 172-178.
SUR LES SOUVERAINS. — CHAPITRE I. 381
savez à quel point, malgré quelques principes de liberté,
cette législation était alors absurde et funeste ; vous savez que
de folles épreuves, le combat judiciaire, le simple serment
de quelques hommes, étaient considérés comme les seuls
moyens d'arriver à la découverte de la vérité. L'Église s'effor-
çait d'y substituer des moyens plus rationnels et plus légitimes.
J'ai déjà parlé de la différence qu'on remarque entre les lois
des Visigoths , issues en grande partie des conciles de Tolède ,
et les autres lois barbares. Il est impossible de les comparer ,
sans être frappé de l'immense supériorité des idées de l'Église,
en matière de législation, de justice, dans tout ce qui inté-
resse la recherche de la vérité , et la destinée des hommes.
Sans doute la plupart de ces idées étaient empruntées à la
législation romaine ; mais si l'Église ne les avait pas gardées
et défendues, si elle n'avait pas travaillé à les propager,
elles auraient péri.
« Il y a, Messieurs, dans les institutions de l'Église, un fait en
général trop peu remarqué : c'est son système pénitentiaire. . . .
Si vous étudiez la nature des peines de l'Église, des péniten-
ces publiques, qui étaient son principal mode de châtiment,
vous verrez qu'elles ont surtout pour objet d'exciter dans l'âme
du coupable, le repentir , et dans celle des assistants, la ter-
reur morale de l'exemple
« Enfin, elle essayait également, par toutes sortes de voies,
de réprimer, dans la société, le recours à la violence, les guerres
continuelles. Il n'y a personne qui ne sache ce que c'était que
la trêve de Dieu, et une foule de mesures du même genre,
par lesquelles l'Église luttait contre l'empire de la force , et
s'appliquait à introduire dans la société, plus d'ordre, plus de
douceur. Les faits sont ici tellement connus, que je puis me
dispenser d'entrer dans aucun détail. »
La conséquence que l'auteur tire de ces développements ,
n'est pas moins honorable au clergé que rigoureusement établie
par l'histoire : « Tels sont, Messieurs, les points principaux que
« j'ai à mettre sous vos yeux, quant aux rapports de l'Église avec
« les peuples (1) Il nous reste à tirer de ce que nous savons,
(1) Guizot, ibid., p. 178-180.
382
DEUXIÈME PARTIE. — POUVOIR DU PAPE
45;
Aveux de
Voltaire :
Utilité des
ordres
monastiques.
« par voie d'induction et de conjecture , son influence générale
« sur la civilisation européenne. C'est là, si je ne me trompe,
« un travail à peu près fait , ou du moins fort avancé ; le simple
« énoncé des faits , des principes dominants dans l'Église , ré-
« vêle et explique son influence. Les résultats ont en quelque
«sorte passé déjà sous vos yeux avec les causes A tout
a prendre, cette influence a été salutaire : non-seulement
« elle a entretenu , fécondé le mouvement intellectuel en Eu-
« rope; mais le système de doctrines et de préceptes, au nom
« desquels elle imprimait le mouvement , était très- supérieur
« à tout ce que le monde ancien avait jamais connu. Il y avait
« à la fois mouvement et progrès. »
A ces aveux si remarquables, nous ajouterons ceux de Vol-
taire lui-même, qui, malgré sa haine si connue contre la
religion et ses institutions, reconnaît, dans plusieurs doses
ouvrages , l'absurdité des satires qu'il a lancées contre le clergé
en général , et contre les religieux en particulier, et que tant
d'autres écrivains ont répétées après lui. «Ce fut longtemps,
« dit-il ( l ) , une consolation pour le genre humain , qu'il y
« eût des asiles ouverts à tous ceux qui voulaient fuir les op-
« pressions du gouvernement goth et vandale. Presque tout ce
« qui n'était pas seigneur de château, était esclave ; on échappait,
« dans la douceur des cloîtres , à la tyrannie et à la guerre. Le
« peu de connaissances qui restait chez les Barbares, fut perpétué
« dans les cloîtres. Les Bénédictins transcrivirent quelques livres;
« peu à peu, il sortit des monastères des inventions utiles.
« D'ailleurs ces religieux cultivaient la terre, chantaient les
« louanges de Dieu , vivaient sobrement, étaient hospitaliers;
« et leurs exemples pouvaient servir à mitiger la férocité de ces
« temps de barbarie On ne peut nier qu'il n'y ait eu, dans
« le cloître, de grandes vertus. Il n'est guère encore de monas-
« tères, qui ne renferment des âmes admirables qui font honneur
« à la nature humaine. Trop d'écrivains se sont plu à recher-
« cher les désordres et les vices dont furent souillés quelquefois
« ces asiles de la piété. Il est certain que la vie séculière a tou-
« jours été plus vicieuse , que les grands crimes n'ont pas été
(1) Voltaire , Essai sur les Mœurs et l'Esprit des nations, chap. 139.
(Œuvres complètes , in-8°, t. xvm, p. 235, etc.)
SUR LES SOUVERAINS. — CHAPITRE I. 383
« commis dans les monastères ; mais ils ont été plus remarqués
« par leur contraste avec la règle; nul état n'a toujours été
« pur Les Chartreux,, malgré leurs richesses, sont consacrés
« sans relâchement au jeûne, au silence, à la prière, à la soli-
« tude; tranquilles sur la terre, au milieu de tant d'agitations,
« dont le bruit vient à peine jusqu'à eux , et ne connaissant les
« souverains que par les prières où leurs noms sont insérés. »
Le même écrivain, parlant de quelques auteurs modernes 46.
qui ont trop déclamé contre les religieux en général •. « Il fallait '"'mluonï a"
« avouer , dit-il (l) , que les Bénédictins ont donné beaucoup de deM^™
« bons ouvrages, que les Jésuites ont rendu de grands services sur ce Point*
« aux lettres; il fallait bénir les frères de la Charité, et ceux de
« la Rédemption des Captifs. Le premier devoir est d'être juste...
« Il faut convenir (2) , malgré tout ce que l'on a dit contre leurs
« abus, qu'il y a toujours eu parmi eux des hommes éminents
« en science et en vertu ; que s'ils ont fait de grands maux ? ils
« ont rendu de grands services ; et qu'en général on doit les plain-
« dre encore plus que les condamner Les instituts consacrés
« au soulagement des pauvres (3) et au service des malades ont
« été moins brillants, et ne sont pas les moins respectables.
« Peut-être n'est-il rien de plus grand sur la terre, que le sacri-
« fice que fait un sexe délicat, de la beauté, de la jeunesse,
« souvent de la haute naissance, pour soulager, dans les hôpi-
« taux , ces ramas de toutes les misères humaines , dont la vue
« est si humiliante pour l'orgueil , et si révoltante pour notre
« délicatesse. Les peuples séparés de la communion romaine,
« n'ont imité qu'imparfaitement une charité si généreuse Il
« est une autre congrégation plus héroïque; car ce nom convient
« aux Trinitaires de la Rédemption des Captifs. Ces religieux se
« consacrent, depuis cinq siècles, à briser les chaînes des chrétiens
« chez les Maures : ils emploient à payer les rançons des esclaves,
« leurs revenus et les aumônes qu'ils recueillent, et qu'ils por-
« tent eux-mêmes en Afrique. On ne peut se plaindre de tels
« instituts. »
(1) Dict. Philos., article Apocalypse. (Œuvres complètes , t. xxxvn,
p. 409.)
(2) Voltaire, ibid., article Biens d'Église. (T. xxxvm, p. 297.)
(3) Essai sur les Mœurs, ubi suprà, p. 249.
384 DEUXIÈME PARTIE. — POUVOIR DU PAPE
On conviendra, sans doute, que de pareils aveux suffi-
raient pour établir les faits importants que nous avons rap-
pelés, dans le cours de cet article, sur les ressources im-
menses que la religion et le clergé olfraient à la société,
au milieu des désordres du moyen âge. Des aveux si peu
suspects ne sauraient être balancés par les invectives et les
déclamations d'un si grand nombre d'auteurs contre les
moines et le clergé de cette époque; déclamations d'autant
plus injustes, qu'elles sont fondées, pour la plupart, ou sur
de malignes conjectures, ou sur des abus particuliers, dont
les plus belles institutions ne peuvent être entièrement
exemptes.
47- . Il résulte évidemment de ces détails, que Yintérét général de
Première . • , / A / i • i i»« n
conséquence la société , au moyen âge, réclamait hautement 1 influence du
prudents: clergé dans l'ordre temporel. Il était en effet bien naturel que
duêkTgMans *es Pouces et les peuples s'empressassent de confier leurs intérêts,
tem °ltl\ au ^ ce^u* ^e tous *es or<fres de l'État , qui , par ses lumières et ses
moyen âge. vertus, se montrait le plus digne de leur confiance, et dont
l'autorité était alors la principale ressource de la société, et le
plus ferme appui de l'ordre public. Les souverains surtout avaient
un puissant intérêt à étendre le pouvoir et l'influence du clergé.
Cet ordre, si respecté des peuples , était, par sa doctrine et par
ses exemples, le plus ferme soutien du trône, alors si fréquem-
ment ébranlé, par l'insubordination et les révoltes des seigneurs
laïques. L'enseignement de l'Église sur l'obéissance due aux
princes de la terre , imprimait, en quelque sorte, sur le front
des rois, un caractère sacré, qui les rendait, plus vénérables à
leurs sujets. Dans les principes du christianisme , les princes
sont les images de Dieu sur la terre , et les dépositaires de son
autorité. Il est aisé de comprendre combien cette doctrine , con-
stamment enseignée par l'Église, devait paraître importante, aux
yeux de la politique, dans un temps de désordre et d'anarchie ,
et parmi des peuples barbares, qui ne connaissaient, pour ainsi
dire, d'autre frein que celui de la religion. Les ecclésiastiques
prêchaient d'autant plus efficacement cette doctrine, qu'ils la
soutenaient généralement par leurs exemples. C'était parmi eux
que les souverains trouvaient leurs sujets les plus fidèles et les plus
dévoués. L'influence du clergé, selon la remarque d'un écrivain
SUR LES SOUVERAINS. — CHAPITRE I. 385
récent (l) , servait l'autorité royale sans la mettre en danger ; et
si quelquefois il se mêla parmi les rebelles , c'est qu'il fut forcé
momentanément à servir d'instrument aux passions de ceux
qu'il était destiné à combattre. Mais ses erreurs n'étaient pas
durables, comme on le voit par l'histoire de Louis le Dé-
bonnaire; les évoques qui avaient favorisé la révolte de ses
enfants furent presque aussitôt punis par leurs propres con-
frères (2).
Charlemagne et ses successeurs étaient si convaincus de cette 43.
heureuse influence du clergé, pour appuyer et maintenir leur
Origine
les seigneuries
conséquence t
autorité, qu'une des principales combinaisons de leur politi- dï
que , fut de multiplier les seigneuries ecclésiastiques , dans ecclésiastique*.
les parties de l'empire les plus difficiles à contenir (3). « Char-
« lemagne et ses premiers successeurs , dit Montesquieu, crai-
« gnirent que ceux qu'ils placeraient dans des lieux éloignés
« ne fussent portés à la révolte; ils crurent qu'ils trouveraient
« plus de docilité dans les ecclésiastiques; ainsi ils érigèrent en
«Allemagne un grand nombre d'évêchés, et y joignirent de
« grands fiefs C'étaient des pièces qu'ils mettaient en avant
« contre les Saxons. Ce qu'ils ne pouvaient attendre de l'indo-
« lence ou des négligences d'un leude , ils crurent qu'ils devaient
« l'attendre du zèle et de l'attention agissante d'un évêque ;
« outre qu'un tel vassal , bien loin de se servir contre eux des
« peuples assujettis, aurait au contraire besoin d'eux pour se
(1) Bernardi, De l'Origine et des Progrès de la Législation française ;
liv. 1, chap. ll,pag. 74.
(2) Fleury, Hist. Ecclésiast. , tome x, liv. xLvir,n. 47. — Daniel, Hist. de
France , tora. 11, année 835 — Histoire de l'Église Gallicane, tom. v,
année 833.
(3) « Carolus Magnus, pro contundendâ gentium illarum (Germanias) fe-
« rociâ, omnes pêne terras Ecclesiis contulerat ; consiliosissimè perpendens
« nolle sacri ordinis homines, tamTacilè quàm laïcos, fidelitatem Domini re-
« jicere ; praeterea si laïci rebellarent, illos posset excommunicationis aucto-
« ritate, et potentiae severitate compescere. » Guillaume de Malmesbury, De
Gestis Anglorum, lib. v. (Apud Henr. Savillium, Anglicarum rerum Scrip-
tores. Londini, 1596, in-fol. pag. 166. ) Voyez, à l'appui de ce témoignage,
Thomassin, Ancienne et nouvelle Discipline, tom. m, liv. 1, chap. 28 et 30.
— Mémoires de l'Académie des inscriptions, tom. h, in-4°, pag. 711
(tom. m, in-12, pag. 442). — Maimbourg, Hist. de la Décadence de l'Em-
pire de Charlemagne, liv. ni, p. 1 et suiv. — Gaillard, Hist. de Charle-
magne, tom. 11, pag. 124. — Hallam, L'Europe aumoyen âge, 1. 1, pag.. 191
et 192. — Nettement, Vie de Suger, pag. il, 32, 37, 46, et alil?ipassim.
25
Troisième
conséquence
386 DEUXIÈME PARTIE. — POUVOIR DU PAPE
« soutenir contre les peuples (1). » Telle est la véritable ori-
gine, ou du moins une des principales causes de l'établissement
des seigneuries ecclésiastiques , qui ont tant contribué à aug-
menter les richesses et le pouvoir temporel du clergé , dans tous
les États chrétiens de l'Europe, au moyen âge. Telle est en par-
ticulier l'origine des grands fiefs ecclésiastiques de l'empire
germanique , qui ont subsisté jusqu'à ces derniers temps, avec
tous les droits et les prérogatives que leur assurait l'ancienne
constitution de l'État (2).
Les mêmes circonstances qui nécessitaient alors l'influence
du clergé dans le gouvernement temporel des États, nécessi-
Linflucnce talent également celle du souverain pontife. Au milieu des dés-
pape dans or(jres de tout genre qui défiguraient la société , les princes
le gouverne- o x o 7 l
ment voyaient tout à la fois, dans le saint-siége, le centre de la
religion, des lumières et de la civilisation; bien plus, ils y
voyaient la plus puissante protection qu'ils pussent invoquer
contre l'usurpation de leurs voisins, et contre la rébellion de
leurs vassaux. L'autorité du Pape étant alors la seule univer-
sellement reconnue, et la plus respectée, même par les hommes
les plus violents et les plus barbares , est-il étonnant que les sou-
verains s'empressassent de prendre le saint-siége pour arbitre de
leurs différends, pour médiateur et garant de leurs traités,
quelquefois même de lui faire hommage de leurs États , pour
s'assurer davantage la protection dont ils avaient besoin? Com-
bien ne durent-ils pas être confirmés dans ces dispositions , par
la fermeté du saint-siége à soutenir les droits des souverains
qui avaient recours à son autorité tutélaire! Aussitôt qu'un usur-
pateur voulait s'emparer des États d'un prince feudataire du
Pape (3), il était intimidé, et souvent arrêté, par les remontran-
ces et les menaces du pontife , qui lui disait, comme Grégoire VII
à Vézelin, chef d'un parti de révoltés contre le roi deDalmatie :
(1) Montesquieu, Esprit des Lois, liv. xxxi, chap. 19.
(2) Voyez, sur l'ancienne constitution de l'empire germanique, Lenglet-Du-
fresnoy, Méthode pour étudier VHist., torn. vi de l'édition in-12, chap. 5,
art. 4. — Diction, de Moreri, articles Allemagne et Bulle d'or.
(3) Dans le style du moyen âge, on appelle feudataire ou vassal, un sei-
gneur subordonné à un autre, nommé suzerain, dont il tient son Jief ou. son
domaine. Le droit du seirjneur suzerain sur son vassal, se nomme droit de
suzeraineté.
5o.
StJR LES SOUVERAINS. — CHAPITRE I. 387
« Nous sommes bien étonné, qu'ayant promis depuis long-
« temps d'être fidèle à saint Pierre et à nous , vous vouliez
« maintenant vous élever contre celui que l'autorité apostolique a
« établi roi en Dalmatiefl). C'est pourquoi nous vous défendons,
« de la part de saint Pierre, de prendre les armes contre ce roi,
« parce que l'entreprise que vous feriez contre lui serait contre
« le saiut-siége lui-même. Si vous avez quelque sujet de plainte,
« vous devez nous demander justice, et attendre notre juge-
« ment; autrement, sachez que nous tirerons contre vous le
« glaive de saint Pierre, pour punir votre audace, et la témérité
« de tous ceux qui vous favoriseront dans cette entreprise (2). »
Tel a été constamment le langage et la conduite des papes du
moyen âge contre l'usurpation; ils employaient leur ascendant JÊÇ^,
et leurs armes spirituelles, pour la défense de ceux qui s'étaient Dro,tfe ,
*■ -i su zci (im v il cm
mis sous leur protection, comme les princes temporels emplovaient saiutsiése.
.„ 1 _ l l f * sur plusieurs
la lorce des armes pour défendre leurs vassaux. C'est ce qui . in-
expliqué la conduite d'un si grand nombre de souverains , qui,
depuis le xe siècle, se rendirent volontairement feudataires du
(1) Démétrius ou Zuitemir, roi de Dalmatie, s'était librement reconnu feu-
dataire du saint-siége, en 1076. (Annales de Baronius, année 1076, n. 65 et
66.) Les fréquentes révolutions de la Dalmatie, à cette époque, nous portent à
croire que cette démarche fut inspirée à Démétrius, comme elle le fut depuis
à plusieurs autres souverains, par le désir de pourvoir à la tranquillité de ses
États. Il paraît que le roi de Dalmatie avait été jusque-là vassal de Tempe*
reur de Constantinople. Mais la faiblesse ou la lâcheté des empereurs, ne
permettant plus à Démétrius d'espérer d'eux le secours et la protection dont
il avait besoin, l'engagèrent à secouer le joug de l'empire, pour se mettre
sous 4a protection du saint-siége. Voyez Ducange, Illyricum vêtus et no-
vum, seu Hist. Dalmatiœ, etc. Posonii, 1746, in-fol. — Georges Pray,
Annales reg. Hungar. Vindobonœ, 1764, in-fol., tom. i, pag. 76.
(2) « Scias nos de prudentiâ tuâ multum mirari, ut qui te esse dudum
« beato Petro et nobis fidelem promiseris, contra eum quem in Dalmatiâ re-
« gem auctoritas apostolica constituit , tu modo coneris insurgere. Quapro-
« pter nobilitatem tuam monemus , et ex parte beati Pétri prœcipimus , ut
« adversùs jam dictum regem deinceps arma capere non prsesumas ; sciens
« quod qnidquid in illum ausus fueris, procul dubio te in apostolicam sedem
« facturum. Si verô adversùs ipsum aliquid te forte dicishabere, a nobis ju-
« dicium debes expetere, et expectare justitiam, polius quàm contra eum, ad
« injuriam sedis apostolicae, manus tuas armare. Quod si te tuae temeritatis
« non pœnitueiit,sed contra mandatum nostrum contumaciter ire tenta veris,
« scias indubitanter, quia gladium beati Pefriin audaciâim tuam evaginabi-
« mus , et eodem pertinaciam tuam , et omnium qui tibi ih eâ re fàverint,
«nisi resipiscas, mulctabimus. » Gregorii VII Epist. \ib. 7, Epist.4. ( 2ta«
ronii Annales, anno 1079, n. 29. )
25.
$88 DEUXIÈME TARTIE. — POUVOIR DU PAPE
saint-siège. Cette démarche, qui nous paraît aujourd'hui si
extraordinaire, n'était pas seulement, de leur part, un acte de
religion, inspiré par un profond respect pour l'Église et le
saint-siége; c'était encore une démarche politique, fondée sur
Pintérêt temporel des princes et de leurs sujets (1). Il est facile
aujourd'hui à des écrivains superficiels ou passionnés, d'attri-
buer à l'ambition des papes le pouvoir vraiment prodigieux
que leur attira ce concours de circonstances ; mais , outre que
cet état de choses était tout à fait indépendant de leur volonté,
n'est-ce pas une injustice manifeste, d'attribuer à leur ambition
un pouvoir qui leur était librement déféré par les souverains ,
autant par des motifs d'intérêt que par des motifs de religion?
Et les papes , bien loin de mériter les reproches qu'on leur a
faits depuis, sur ce sujet, n'eussent-ils pas été bien plus répré-
hensibles , de refuser une autorité alors si nécessaire au bien
de la société et à la tranquillité des États?
L'intervention du Pape dans les affaires publiques de l'Eu-
L'infiuence du rope , déjà si fréquente pendant les premiers siècles du moyen
piusfre^enie âge, par suite des circonstances dont nous venons de parler, et
étendPùe,s à de plusieurs autres que nous avons indiquées dans l'article pré-
VàcPro?^def:S cèdent, le devint encore davantage à l'époque des croisades,
parce qu'elle était alors plus nécessaire que jamais, pour la con-
duite et le succès de ces expéditions, si importantes à l'intérêt
commun de la chrétienté en Europe (2). Les souverains eux-
(1) Voyez, à l'appui de ces réflexions, Bossuet, Defensio Declar., lib. 1,
sect. 1, cap. 14. — Lingard, Hist. d'Angleterre, tom. m, chap. l,»pag.
45.50. — Affre, Essai historique sur la Suprématie temporelle du Pape
et de V Église, chap. 18, pag. 309, etc. — De Montalembert , Histoire de
sainte Elisabeth de Hongrie, Introd., pag. xxvj, etc. — Jager, Introd. à
Y Hist. de Grégoire VII, pag. xxj-xxiij.
(2) Une foule d'auteurs modernes, surtout depuis deux siècles, n'ont vu
dans les croisades, que des guerres inspirées par un zèle de religion mal en-
tendu. Il serait difficile de faire, en moins de mots, une apologie plus com-
plète de ces expéditions, que ne l'a fait l'abbé de Gambacérès, dans le Pc-
négyrique de saint Louis, prononcé en 1768 : « Transporter au delà des
« mers des vassaux rebelles et factieux, et par là rendre le calme à l'État;
« tourner contre les Barbares la fureur de ces lions indomptés qui déchi-
k raient la patrie, et, par là, laisser reposer les peuples; occuper leurs
« armes contre un ennemi éloigné , afin qu'ils ne les tournassent pas
« contre leurs rois , et par là affermir le trône, et par les guerres étrangères
jx étouffer les intestines : En voilà la politique. Combattre un peuple fé*
SUE LES SOUVERAINS. — CHAPITRE I. 389
mêmes le comprirent, et s'accordèrent bientôt à regarder le sou-
verain pontife comme l'âme et le principal mobile de ces grandes
entreprises. « Personne n'ignore, dit Bossuet, qu'à cette époque,
« les princes chrétiens étaient bien aises de voir le souverain
« pontife à la tête de toutes les affaires concernant les guerres
« saintes, afin que tout y fût conduit avec plus de concert et de
« respect pour la religion. Souvent même les rois et les princes
« qui s'enrôlaient dans la guerre sainte , plaçaient leurs per-
« sonnes et leurs biens sous la protection des souverains pon-
« tifes. Il nous suffit de rappeler en peu de mots ces faits con-
« stants et notoires. Ce n'était pas seulement dans les guerres
« saintes, mais encore dans toutes les autres, que les souverains,
« par leurs traités de paix , se soumettaient à l'autorité du saint-
« siège, pour les confirmer et pour en assurer l'exécution, et
« appelaient ainsi la religion à leur secours; d'où il arrivait que
« les affaires politiques les plus importantes se traitaient à Rome,
«en présence du souverain pontife. A cette occasion, la puis-
« sance spirituelle s'emparait de plusieurs droits des souverains;
« et les princes chrétiens, quoiqu'ils s'en aperçussent, n'y té-
«moignaient pas toujours de répugnance;.... souvent même ils
« roce, qui avait pour article de foi d'exterminer les chrétiens; qui avait
«porté ses ravages en Espagne, en Portugal, en Allemagne, et jusque
« dans la France ; qui préparait des fers à toute la chrétienté, si la religion
« n'eût réuni les princes chrétiens contre ces rapides conquérants, et,
«par les croisades, délivré l'Asie et rassuré l'Europe : En voilà la justi-
« ce. Osons donc une fois braver le préjugé, et nous représenter ces guerres
« saintes, aussi heureuses qu'elles auraient pu l'être ! L'Asie ne serait point la
« proie des Barbares ; la loi de l'Évangile aurait fait des mœurs et des hom-
« mes, là où la loi d'un imposteur n'a produit que des mœurs honteuses
« pour l'humanité; l'Europe, l'Asie, l'Afrique, ne seraient pour ainsi dire
« qu'un peuple et une religion; la mer serait sans pirates, le commerce sans
« obstacles, le nom de chrétien sans ennemis ; des millions de malheureux,
« nos frères et nos compatriotes, ne gémiraient point, à la honte des nations,
« sous les fers des infidèles ; et en voyant le monde affranchi de la tyrannie
« ottomane, au lieu de dire : « Quelle folie que les croisades ! » on s'écrierait :
« Quel malheur pour l'humanité , que les croisades n'aient pas réussi : » En
« voilà l'apologie. »
On peut voir, à l'appui de ce jugement, les ouvrages suivants : Bergier,
Dict. Théol., article Croisades. — Feller, Diction, histor., article Pierre
l'Ermite. — De Maistre, Du Pape, liv. m, chap. 7. — De Choiseul d'Ail-
lecourt, De V Influence des Croisades, pag. 9, etc. — D'Exauvillez, Hist. de
Godefroy de Bouillon, Introcl., pag. 29, etc. — Frayssinous, Panégyrique
de saint Louis, 2e partie. (Discoxirs inédits, pag. 433, etc.)
390 Deuxième partie. — pouvoir du pape
«l'approuvaient par leur consentement, leur permission ou
«leur silence (l). »
s2. L'histoire de cette époque renferme une multitude de faits, à
remarq^bïes l'appui de ces assertions (2). Pendant toute la durée des croi-
influence, sades , et surtout pendant les premières, souvent on vit les sou-
verains et leurs armées se placer sous la dépendance presque
absolue du Pape. A la voix du chef de l'Église, on voyait, de
tous côtés, s'assembler, s'armer, se mettre en marche, des
troupes innombrables de croisés. Le souverain pontife, de con-
cert et à la prière même des princes chrétiens, veillait au
prompt et fidèle accomplissement de leurs vœux, examinait et
jugeait les causes de dispenses, ordonnait des impositions et des
taxes pour les frais de la guerre sainte, dirigeait par lui-même
ou par ses légats la marche des armées, et les négociations des
princes chrétiens avec les infidèles. Les croisés reconnaissaient
si hautement leur dépendance à l'égard du Pape, d'après la
nature même de leur pieuse entreprise, qu'ils le pressaient
quelquefois de venir en personne se mettre à leur tête (3), et
(1) « Neminem, credo, latet ( ecclesiasticam potestatem multa sibi vindi-
« casse civilia, principum concessione ant consensione), sacrorum bellorum,
« quae cruciatas vocant,tempore, siveillœ in Saracenos recuperandœ Palae-
« stinœ gratiâ, sive in haereticos susceptee essent. Placebat enim chiïstianis
« regibus, in illis sacris bellis, prseesse omnibus pontihciam potestatem, ut
«et cunjunctioribus animis, et majori religionis reverentiâ rem gérèrent.
« Saepe etiàm reges ac principes, bellum sacrum inituri, se suaque omnia
« pontificibus tuenda commendabant. Haec obvia et nota tantùm referimus.
« Neque duntaxat in sacris, sed etiam in omnibus bellis, pacto de pace fœ-
« dere, hujus firmandi et exequendi gratià, sedi apostolicae se ultro submit-
« tebant ; aliisque multis modis se religionis nomine ac reverentiâ tutaban-
« tur ; quibus ïieret ut saecularia negotia maxima, Roma? potissimùm coram
« pontiiice tractarentur. Per eam intérim occasionem, spiritualis potestas
« multa regum jura invadebat ; cùmque id perspicerent boni ac pii princi-
« pes, non semper repugnabant sed (in bis omnibus) diligentissimè secer-
« nenda quœ aChristo concessa sint (Ecclesiae), ab iisqu;e regum auctoritate,
« consensu,permissu, conniventiâ,silenlio denique, gesseritaut babuerit.»
Bossuet, Defensio Declar., lib. iv, cap. 5.
(2) Fleury, Ilisl. Ecoles. , tom. xvm, 6e Discours, n. 7 et 8 — De Cboi-
seul d'Aillecourt, De l'Influence des Croisades, pag. 83 et 84. — Micliaud,
HisL des Croisades, tom. vi, liv. 22, ch. 7, et alibi passim.
(3) Voyez la lettre des croisés au pape Urbain il, après la prise d'Antio-
cbe, en 1098. Cette lettre nous a été conservée par Foucher de Cbartres,
Gesta Peregrin. Francor. (Tom. î du Recueil deBongars; Gesta Dei per
Francos. Hanoviae, 1611, 2 vol. in-fol. Tom. îv du Recueil des Hist. de
France, de Duchesne.) On trouve un extrait de cette lettre, dans l'ouvrage
SUR LES SOUVERAINS. — CHAPITRE î. 39 i
qu'on vit, en effet , dans un moment où la chrétienté était plus
fortement menacée par ses ennemis, un pontife sexagénaire
prendre cette résolution extraordinaire, que la mort seule l'em*
pécha d'exécuter (1).
Nous excéderions de beaucoup les bornes qui nous sont pres-
crites, si nous voulions rassembler ici les preuves sans nombre
que l'histoire des croisades offre, pour ainsi dire, à chaque
page, de l'influence extraordinaire que les papes exerçaient
alors dans le gouvernement des États, et dans les affaires géné-
rales de l'Europe, par la nécessité même des circonstances, et
avec le consentement exprès ou tacite des souverains. Qu'il
nous suffise de rappeler en particulier le concile de Clermont,
tenu en 1095 sous le pape Urbain II, et dans lequel fut résolue
la première croisade; le premier concile général de Latran,
tenu en 1123; et plusieurs autres conciles généraux ou parti-
culiers, dont les décrets en matière temporelle, et spécialement
pour ce qui regarde les guerres saintes, furent approuvés par
les souverains qui assistaient à ces conciles, soit en personne,
soit par leurs ambassadeurs. Qu'on se rappelle encore les détails
relatifs à la régence de l'abbé Suger, en France, pendant l'ab-
sence de Louis le Jeune; l'histoire de l'attaque et de la prise de
Constantinople par les croisés en 1204, et les principaux événe-
ments qui s'y rattachent (2). Tous ces événements, et tant d'au-
tres que nous ne pouvons même indiquer ici bièvement , four-
nissent des preuves manifestes à l'appui de ce que nous venons
de dire, sur les raisons qui autorisaient alors, et souvent même
nécessitaient l'intervention du Pape dans les affaires générales
de l'Europe. Us fournissent aussi l'explication naturelle d'un
déjà cité de Choiseul d'Aillecourt , De V Influence des Croisades, pag. 84
et 281 ; et dans Y Hist. Ecclés. de Fleury, tom. xur, liv. lxiv, n. 58.
(1) Sur cette résolution extraordinaire de Pie II, voyez Michaud, Hist. des
Croisades , tom. v, liv. xx, année 1463 , pag. 376, etc. — De Choiseul
d'Aillecourt, ubi suprà, pag. 281, — Fleury, Hist. Eccl., t. xxm, liv. cxn,
n. 98, etc.
(2) Pour le détail de ces événements , voyez principalement les ouvrages
de Fleury, du P. Daniel et du P. Longneval; Y Hist. des Croisades , du
P. Maimbourg ; celle de Michaud, etc.— Pour ce qui regarde en particulier les
détails relatifs à la régence de l'abbé Suger, voyez Nettement, Vie de Suger,
pag. 184-187, 268-278, 318, etc. — Sur l'attaque et la prise de Constantino-
ple par les croisés, en 1203 et 1204, voyez Hurter, Histoire d'Innocent lit,
tom. i, liv. vu et vin.
392 DEUXIÈME PARTIE. — POUVOIR DU PAPE
grand nombre de faits, qui, pour n'avoir pas été envisagés sous
leur véritable point de vue, ont été si diversement jugés par les
auteurs modernes, et si malignement interprétés par les ennemis
de l'Église et du saint-siége (1).
«. . . Toutes les observations que nous venons de faire, dans le
Nécessite .
de rinflumce cours de cet article, pour expliquer l'intervention si fréquente
dergé dans des papes et des conciles dans les affaires politiques de l'Eu-
JTOPord. rope, au moyen âge, ont frappé, même dans ces derniers
*" reconnue3*' temps, un grand nombre d'écrivains, d'ailleurs peu favorables
parifnrSau* ** l'extension prodigieuse que prit alors le pouvoir temporel du
«on aspects. ciergé. Malgré leurs préjugés bien connus, en cette matière,
ces auteurs ne font pas difficulté de reconnaître, que l'influence
du clergé dans le gouvernement temporel, à cette époque , était
nécessitée par la situation déplorable de la société; que les
princes et les peuples étaient également intéressés à reconnaître
et à maintenir cette influence; et que celle du saint-siége en
particulier était une espèce de dictature , nécessaire pour dé-
fendre la société contre l'anarchie universelle , qui la menaçait
d'une ruine totale. Déjà nous avons cité, à l'appui de ces asser-
tions, plusieurs témoignages remarquables (2). En voici quelques
autres, qui ne semblent pas moins dignes d'attention.
. 54- Bossuet, dans la Défense de la Déclaration, explique, en
Témoignage ' J n
de ces termes, l'origine et les progrès de la puissance temporelle
de l'Église et du saint-siége, depuis la conversion de Constantin
jusqu'à l'élévation de Cbarlemagne à l'empire d'Occident,
a Tout le monde sait, dit-il, quel était, dès les premiers siècles
«de l'Église, le -pouvoir judiciaire des évêques. Sans entrer
« dans le détail de toutes les lois des princes, qui prouvent ce
« que j'avance, on n'a qu'à lire ce qui est dit dans le Code Jus-
« tinien, sous ce titre : De l'Audience des évêques (3) ; et l'on
" (1) Ces observations peuvent beaucoup servir à expliquer" la conduite
d'Innocent III envers les rois de France et d'Angleterre (en 1199) ; celle de
Grégoire IX et de ses successeurs envers Frédéric II (1239-1245); celle de
Boniface VIII envers Philippe le Bel (1296 et 1302), etc. Aussi, plusieurs au-
teurs l'ont-ils justifiée , du moins sur plusieurs points, d'après ces observa-
tions, comme nous aurons bientôt occasion de le montrer. (Ci-après, chap. 3,
art. 1).
» (2) Voyez ci-dessus (pag. 346, etc.) les témoignages de Voigt, de Hurter, et
de plusieurs autres écrivains protestants.
(3) Cod. Justiniani lib. 1, tit. 4.
Bossuet
SUR LES SOUVERAINS. — CHAPITRE I. 393
« verra combien les évoques étaient déjà puissants à une époque
«où ils n'avaient encore aucun emploi civil (1). Les secours
« même temporels qu'ils donnaient à leurs peuples, avec une
« charité vraiment paternelle, les faisaient regarder, non-seule-
« ment comme les ornements, mais encore comme les défenseurs
« et les soutiens de l'État. Dans cette persuasion , les rois et les
« peuples conçurent pour eux tant d'estime et de vénération ,
« qu'ils les considérèrent comme le premier corps et comme les
« principaux seigneurs de VÉtat. Plusieurs même devinrent ,
«avec le temps, seigneurs et princes temporels de leurs villes.
« Cette puissance, ajoutée à leur caractère sacré, et fondée sur
«la dignité même de ce caractère, est très-différente de celle
« qu'ils possèdent en vertu de leur première institution. Distin-
« guons donc, dans la puissance ecclésiastique, ce qui vient de
« son institution, d'avec ce qu'on y a surajouté dans la suite;
« ce qui est primordial, d'avec ce qui est purement secondaire ;
« ce qui tient à l'essence, d'avec ce qui est purement accidentel.
« Plus les papes étaient élevés en dignité, soit comme successeurs
« de saint Pierre, et en cette qualité ne voyant personne au-des-
« sus d'eux , soit comme évèques de la capitale du monde ; plus
« ils furent environnés de cette puissance accessoire et secon-
« daire. Le saint-siége commença donc à exercer une grande
«influence, non-seulement dans les affaires ecclésiastiques , qui
« sont naturellement de son ressort, mais encore dans les affaires
« civiles; principalement depuis que les empereurs, voyant leur
« puissance anéantie en Occident, n'y purent soutenir leur di-
« gnité, que par la fidélité et le respect que les papes conservaient
« pour eux (2). »
(1) Il n'est pas exact de dire qu'à l'époque dont il s'agit, c'est-à-dire sous
l'empire de Justinien, les évêques n'avaient encore aucun emploi civil; il
est certain, au contraire, que, môme avant cette époque, les évêques exer-
çaient déjà, par la concession des empereurs, plusieurs emplois civils très-
importants. Voyez les détails que nous avons donnés, sur ce sujet, dans Y In-
troduction de cet ouvrage, art. 2, § 5 et 6.
(2) « Quid enim episcopi, primis Ecclesiae temporibus, in judiciis potuerint,
« neminem latet, probatque titulus de Episcopali audientiâ, in Codice, ut hic
« alia principum constituta omittamus. Tanta poterant, cùm needum aliquid
« publici muneris attigissent. Cùm autem commissas grèges , paternâ cari-
« tate, etiam in negotiis secularibus adjuvai ent, ipsique reipublicae, non tan-
te tùm ornamento, verùm etiam tutelee ac firmamento essent, eos tanta re<?
S94 DEUXIÈME PARTIE. — POUVOIR DU PAPE
55, Un jurisconsulte de nos jours , qui a fait une étude particu-
Témoignage jière ^e la juriSpriujence du moyen âge, adopte pleinement
Bernardi. cette explication de Bossuet, et s'en sert même pour expliquer
l'accroissement prodigieux du pouvoir temporel du clergé, dans
tous les États catholiques de l'Europe, depuis le règne de
Charlemagne : « Les souverains eux-mêmes, dit M. Bernardi (l),
« trouvaient leurs avantages (dans la grande autorité du clergé).
« Les grands de l'État étaient d'une indocilité extrême ; ils se
« pliaient avec peine aux lois de l'obéissance.... Pour affermir
«leur trône, et se garantir des insultes auxquelles ils étaient
«continuellement exposés, les rois furent forcés de se jeter
« dans les bras des ecclésiastiques , parmi lesquels ils trou-
« vèrent des sujets plus éclairés et plus soumis. Leurs lumières
« étaient d'ailleurs utiles dans toutes les parties de l'administra-
« tion, où il fut nécessaire de les employer De toutes ces
« circonstances, vinrent le crédit dont le clergé jouit, dès les
« premiers instants de la fondation des monarchies de l'Eu-
« rope , l'inspection qu'on lui donna sur les juges civils, l'auto-
« rite qu'il exerça dans les différentes parties de l'administration
« publique, dont les véritables règles n'étaient connues que de
«lui; de là encore l'usage fréquent des peines canoniques,
« qui pouvaient seules en imposer a des hommes qui bravaient
« toutes les autres. »
Aveux de M. Hurter, dans Y Histoire d'Innocent III, ne se borne pas
Vwrtor- à expliquer et à justifier, par de semblables considérations,
« gum ac civhim caritas et reverentia prosecula est , utjam reipublicœ
«.pars maxima, interque optimates primi haberentur ; multi etiam,
a lapsu tempoiïs, suarum urbium principatum ditionemqueobtinerent; quae
« sacro conjuncta ordini, et ejus dignitate tamquam fundamento nixa, longé
« tamen absunt ab iis quae primée institutionis esse constat. Distinguanius
« itaque, quae institutionis sint, quae sint accessionis ; quae primaria, quae
« secundaria ; quae innata, quae annexa sint. Ponlifices Romani, quo al-
« tiore loco erant, Pétri nomine ac majestate primum, quae post Cliristum
« erat maxima, tum dominée urbis splendore commendati, baec annexa et
« secundaria longé eminentiùs obtinebant. Cœpit ergo Romana sedes, non
« modo in ecclesiasticis, quod et ipsi innatum, sed etiam in civilibus majes-
«tatem babere negotiis; eo maxime tempore, quo imperatores, solutâ in
« Occidente imperii vi, Romanorum pontilicum fide atque observantiâ sin-
« gulari, suam dignitatem in bis parti bus sustentabant. » Bossuet, Defensio
Declar., lib. n, cap. 36.
(1) Bernardi, De l'Origine et des Progrès de la Législation française.
Paris, 1816, in-8°, liv. i, chap. 11, p. 71-75.
SUR LES SOUVERAINS. — CHAPITRE U 395
comme on l'a vu plus haut(t), l'intervention si fréquente du
saint-siége dans les affaires politiques de l'Europe, au moyen
âge; mais il reconnaît en particulier l'importance et les avan-
tages de cette intervention à l'époque des croisades. « On ne
«saurait trop apprécier, dit-il, les services que la papauté a
« rendus, en réunissant les forces de l'Occident contre ce torrent
« de hordes barbares, qui menaçaient d'envahir l'Europe. Qui
« sait si les croisades n'ont pas préservé cette partie du monde
« d'une irruption aussi désastreuse que le furent celles de 710
«et de 1683? Et si, de 1529, nous jetons les yeux en arrière
« de quatre siècles , ne devons-nous pas présumer que c'est à
« ceux qui dirigèrent les forces de l'Europe vers le pays de l'is-
«lamisme, que l'Europe doit d'avoir échappé aux invasions
« des sectaires de Mahomet (2) ? »
Nous ne multiplierons pas davantage les citations sur ce su- , .57- . .
L l ° Plusieurs ecri-
jet. Nous remarquerons seulement la conséquence naturelle qui vains
résulte des témoignages et des faits que nous avons recueillis "VâScT"
dans cet article, contre les reproches d'ambition et d'usurpa- mèmesTsûr
tion, qu'un si grand nombre d'écrivains modernes adressent au ce po,n1,
clergé du moyen âge, et principalement aux souverains pon-
tifes, à l'occasion du pouvoir extraordinaire, dont l'usage et la
coutume de leur siècle les avaient investis (3). Avec quelle ap-
parence de raison peut- on donner une origine si peu honorable
à ce pouvoir, exercé, dès le principe, par un si grand nombre
de pontifes distingués par l'éminence de leurs vertus ; à ce pou-
voir que les princes et les peuples avaient librement déféré au
clergé, et dont il fit le plus souvent un usage si louable, et si
utile au bien général de la société?
ARTICLE III.
Jurisprudence du moyen âge, sur les effets temporels de la pénitence
publique et de l'excommunication , par rapport aux simples particu-
liers.
L'étroite union des deux puissances, dans tous les États chré -
58.
tiens de l'Europe, au moyen âge ; la prééminence dont le clergé 0risine de
(1) Ci-dessus, n. 19, pag. 348.
(2) Hurter, Histoire d'Innocent III, tom. h, pag. 518.
(3) Voyez la note 1 de la pag. 345.
deuce.
396 DEUXIÈME PARTIE. — POUVOIR DU PAPE
jarîspru- y jouissait entre tous les ordres de l'État, le profond respect des
peuples pour la religion, alors généralement regardée comme la
base et le soutien nécessaire du gouvernement ; toutes ces cir-
constances réunies devaient naturellement amener l'usage de
confirmer les lois divines et ecclésiastiques par l'autorité des
princes, et par la sanction des peines temporelles. Cet usage,
déjà établi sous les empereurs chrétiens, depuis la conversion de
Constantin (l), devait paraître d'autant plus naturel dans les
autres États, que l'union des deux puissances y était beaucoup
plus étroite, et que la grossièreté des peuples y rendait beaucoup
plus nécessaire l'emploi des peines temporelles, pour le main-
tien de l'ordre public.
Telle est la véritable origine des peines temporelles décernées
parla législation de tous les États chrétiens, au moyen âge, con-
tre l'arme, Y apostasie, le blasphème, et plusieurs autres délits
contraires à la religion (2).
L'exposition que nous avons faite, dans Y Introduction de cet
ouvrage, des principales dispositions du droit romain contre
l'hérésie, fait suffisamment connaître, à cet égard, la législa-
tion du moyen âge , entièrement empruntée au droit romain.
Pour ne pas répéter inutilement ce que nous avons déjà dit
sur ce sujet, nous parlerons seulement, dans ce troisième ar-
ticle, des effets temporels attachés, par la législation du moyen
âge, à la pénitence publique et à Y excommunication. Nous
considérerons principalement ces effets par rapport aux simples
particuliers, réservant au chapitre suivant ce qui regarde les
mêmes effets par rapport aux souverains.
(1) Voyez les détails que nous avons donnés sur ce sujet, dans Y Introduc-
tion de cet ouvrage, art. 2, § 2, p. 46, etc.
(2) Pour ce qui concerne la législation française sur ce point, voyez
principalement l'Analyse des Capitulâmes , dans l'Histoire des Auteurs
sacrés et ecclésiast., par D. Ceillier, t. xviu, p. 380. Cette analyse est ré-
pandue dans les tomes ix et x de Y Histoire Ecclésiastique de Fleury ; dans
les tomes iv et v de YHistoirede V Église Gallicane; dans les Annales du
moyen âge, t. v, liv. xvn, p. 69; t. vin, liv. xxvu, p. 47 ; liv. xxx, passim.
— Pour la législation anglaise, voyez Lingard, Antiquités de l'Église An-
glo-saxonne , chap. 5, p. 193, etc. — Hist. d'Angleterre, t. i, chap. 2,
p. 128. —Leges Ethelberti, Inœ, etc. (Wilkins, Concilia Britanniœ, 1. 1.)
— Alban Butler, Vies des Pères, 28 octobre, note sur Alfred le Grand. —
Pour la législation d'Espagne et des autres pays, voyez, dans l'ouvrage
de D. Ceillier, Yanalyse des conciles ou assemblées mixtes , tenus dans
ces divers États, depuis le vie siècle. ( T. xvn, xxu et xxm. )
SUR LES SOUVERAINS. — CHAPITRE I. 397
§ Ier. Effets temporels de la pénitence publique (1).
L'origine et les progrès de cet usage sont d'autant plus dignes 6'9-
-., .k ,. ... 7 . ,7 .. , . ,. . ,. Ancienne dis.
d attention, qu il parait avoir amené insensiblement la discipline cip'.ne
du moyen âge, sur les effets temporels de l'excommunication. e ^\T '
Dès le temps des persécutions, l'Église obligeait à diverses pra- Pënj,t1eîn™ pu
tiques de pénitence extérieure et publique , les pécheurs coupa-
bles de certains crimes énormes, tels que l'apostasie, le meurtre
et la fornication (2). Il existe, à la vérité, de grandes contestations
entre les savants, sur l'origine et les variations de cette ancienne
discipline, et principalement sur la nature des délits que les lois
de l'Église soumettaient à la pénitence publique. Quelques au-
teurs ont pensé que tous les péchés mortels, même secrets, y
avaient été autrefois assujettis; d'autres ont cru que les fautes
secrètes n'y avaient jamais été soumises, et que, parmi les fau-
tes même publiques, l'Église ne punissait ainsi que certains pé-
chés considérables. Mais quoi qu'il en soit de ces discussions, tout
à fait étrangères à notre objet, il est certain, et généralement
reconnu, que plusieurs péchés considérables ont été, dès le temps
des persécutions, assujettis à la pénitence publique, soit en
Orient soit en Occident ; que cette discipline a été généralement
observée avec plus ou moins de rigueur, jusqu'au vme siècle,
dans l'Église d'Occident, où elle est peu à peu tombée en désué-
tude, depuis le vme siècle jusqu'au xne; enfin, que, pendant la
durée de cette ancienne discipline, et principalement depuis le
ive siècle jusqu'au vine, les exercices de la pénitence publique
(1) Ce point d'histoire, généralement peu connu, a été soigneusement
traité par le P. Morin, dans son ouvrage intitulé : Commentarius histori-
ens, de disciplina in administraiione sacramenli Pœnitentiœ olim obser-
vatâ, (Parisiis, 1651, in-fol.) lib. v, cap. 18-25; lib. vu, cap. 4-7. On
trouve une longue analyse de cet ouvrage, dans la Bibliothèque des Auteurs
ecclés. du xvne siècle, par Dupin, 2e partie, p. 254, etc.
(2) On peut consulter, sur ce point de discipline, le P. Morin, ubi suprà.
— Sirmond, Histoire de la Pénitence publique. — Nat. Alexander, Dis-
sert. 6 et seqq. in Hist. Eccles. seculi tertii. — Bingham, Origines sive
Antiquitates eccles. , t. vin, lib. xvm. — Billuart, Digressio historica , ad
calcem tractatûs de Pœnitentiâ. — Flemy, Hist. Ecclés., t. 11, liv. vi,
n. 20 ; t. m, liv. x, n. 5. — Mœurs des Chrétiens, 11. 25 et 26. — Marchetti,
Critique de Fleury, lre partie, § 6. — Muzzarelli, Remarques sur l'His-
toire Ecclés. de Fleury, §8, 9, 10. — Alban Butler, Fêtes mobiles, 5e
traité, chap. 8.
398 DEUXIÈME PARTIE. — POUVOIR DU PAPE
n'étaient pas seulement pratiqués par des pécheurs publics et
scandaleux, mais encore par un certain nombre de pieux fidèles,
qui s'y assujettissaient librement, soit pour l'expiation de quel-
ques fautes secrètes, soit par un pur motif de dévotion et de
ferveur.
Depuis le ive siècle, la discipline fut beaucoup plus sévère,
sur ce point, en Occident qu'en Orient. Indépendamment des
exercices pénibles et humiliants, qui avaient toujours fait le fond
de la pénitence publique, l'usage de l'Église latine y attacha,
depuis cette époque, plusieurs effets temporels, qui n'y ont ja-
mais été attachés dans l'Église grecque , et sur lesquels l'usage
de l'Église latine elle-même a beaucoup varié, selon les temps
et les lieux. Nous exposerons ici, en peu de mots, les principales
vicissitudes de cette discipline.
60. l° Depuis le ive siècle jusqu'au vme, il était généralement
ereistd!;npo défendu aux pénitents publics, en Occident, de contracter ma-
'publique^ riage, d'user de celui qu'ils avaient contracté auparavant, et
' même d'exercer aucun emploi séculier, dangereux pour le salut,
comme la milice, lajudicature et plusieurs autres (l). Cette
discipline, il est vrai, n'était pas observée avec la même
rigueur, dans tous les lieux ; quelques Églises particulières ne la
regardaient pas comme obligatoire, mais comme une pratique
de conseil et de perfection (2) ; d'autres ne l'admettaient qu'avec
des restrictions plus ou moins importantes (3). Toutefois, il pa-
raît certain que, depuis le ve siècle jusqu'au vme, elle fut géné-
ralement regardée comme obligatoire en Occident, particulière-
(1) Morin, De Pœnitentiâ, lib.v, cap. 18-23. — Duguet, Conférences
Ecclés.,t. 1, 30e Dissert., p. 511.
(2) A l'appui de cette assertion, le P. Morin cite le sermon 58 de Tem-
pore, attribué à saint Augustin* Il paraît que ce sermon est de S. Césaire
d'Arles ; c'est le 258e des Sermons réunis dans Y Appendice du tome v des
Œuvres de saint Augustin, édition des Bénédictins.
(3) Il paraît que cette discipline n'était admise en Angleterre, qu'avec bien
des restrictions. On en trouve cependant quelques vestiges, dans les statuts
dressés, vers l'an 680, par Théodore, archevêque de Cântorbéry, et dans
ceux d'Egbert , archevêque d'York, vers l'an 750. Ces deux prélats adoptè-
rent, sur la pénitence publique et sur plusieurs autres points, la discipline
mitigée de l'Eglise grecque. Voyez, dans le tome vi de la collection des Con-
cilesàu P. Labbe (p. 1616 et 1877), les statuts de Théodore, n. 51, 53, et
alibi passim; et ceux d'Egbert, sur la Pénitence , ri. 3. — Voyez aussi
Lingard, Antiquités de l'Église Anglo-saxonne, chap. 6, p. 246, etc.
du ive
au vme siècle
StîR LES SOUVERAINS. —CHAPITRE I. $99
ment en France et en Espagne. D'après la discipline alors en
vigueur, les effets temporels dont nous venons de parler étaient
attachés à la pénitence publique, soit qu'on fût obligé de la
faire pour quelque crime public, soit qu'on la fît librement, pour
quelque crime secret, ou môme par pure dévotion. Bien plus,
ces effets temporels avaient lieu, non-seulement pendant la du-
rée de la pénitence publique, mais encore après qu'elle était
terminée, et pendant tout le reste de la vie de celui qui s'y était
assujetti ; en sorte que la pénitence publique était alors considé-
rée comme un engagement perpétuel à une vie de retraite et de
perfection. L'histoire détaillée de toutes les variations de la
discipline, sur ce point , nous entraînerait beaucoup trop loin ,
et serait peu utile à notre but. Nous nous bornerons à rapporter
les principaux témoignages qui établissent la réalité de cette dis-
cipline, principalement en France et en Espagne , depuis le ive
siècle jusqu'au vme.
Un des plus remarquables est celui de saint Léon , dans sa
lettre à Rustique de Narbonne, vers l'an 450. Ce prélat avait
consulté le Pape, sur la conduite à observer envers ceux qui, Témoignage
après avoir achevé le temps de la pénitence publique, se per- rema5*uabIe
mettaient de plaider, de faire le négoce, de rentrer dans la sa,nt Lëo,\
*■ * ° ' sur ce point.
milice, ou de contracter mariage. Le Pape regarde toutes ces
choses comme contraires à l'usage ordinaire, mais non comme
absolument interdites, si ce n'est le retour à la milice, à cause
des dangers qui en sont inséparables- « // est tout à fait con-
« traire, dit-il, aux règles ecclésiastiques, de rentrer dans la
« milice du siècle, après avoir été mis en pénitence. Celui qui
« rentre ainsi dans la milice du monde, s'engage dans les pièges
« du démon (1). » Il est à remarquer, l° que saint Léon ne
parle pas seulement ici des pénitents qui parcourent actuelle-
ment les exercices de la pénitence publique, mais encore de
ceux qui ont achevé de les parcourir; 2° que la discipline
(1) « Contrarium est omnino ecclesiasticis regulis, post pœnitentiae acco-
te nem, redire ad militiam secularem ; cùm apostolus dicat, Nemo militans
« Deo implicet se ncgotiis secularibus. Unde non est liber à laqueis dia-
« boli, qui se militià mundanâ voluerit implicare. » S. Leonis Epistola 2,
ad Rusticum;inqiiis. 10 ,11, 12, 13. — Fleury, Histoire Ecclésiastique ,
t. vi, liv. xxvi, n. 53.— 'On peut voir, dans l'ouvrage déjà cité du P. Morin,
(ubisuprà, cap. 24), l'explication détaillée de ce passage de saint Léon,
400 DEUXIÈME PARTIE. — POUVOIR DU TAPE
alors en vigueur, sur les effets temporels de la pénitence pu-
blique , était antérieure au pontificat de saint Léon , puisqu'il
la regarde comme fondée sur des règles ecclésiastiques plus
anciennes. C'est donc bien à tort que Flcury suppose, en plu-
sieurs endroits de son Histoire, que les effets dont nous parlons
avaient lieu, seulement pendant le cours de la pénitence pu-
blique (l). Au reste, quel qu'ait été l'usage primitif, sur ce
point , on va voir que , depuis saint Léon , la discipline devint
beaucoup plus sévère, et que les effets temporels de la pénitence
publique avaient lieu, même après qu'on avait achevé d'en par-
courir les exercices.
Le second^concile d'Arles, tenu en 452, défend, sous peine
6a d'excommunication, aux époux qui ont été mis en pénitence,
canons <je contracter un nouveau mariage , après la mort de l'un des
de divers o / a
condics, sur deux. \\ défend aussi d'imposer la pénitence aux époux, sans
le même -i 1» i t • i 1
«"jet. leur consentement mutuel, à cause de 1 obligation de la conti-
nence, qui était alors attachée à la pénitence publique. Enfin, il
menace d'excommunication, ceux qui, après avoir embrassé
la pénitence, reprennent ïliabit séculier , c'est-à-dire, la vie
et la milice du siècle, selon l'interprétation commune des criti-
ques (2).
(() Fleury, Hist. Ecclés., t. x, liv. xlvii, n. 40. A l'appui de son opi-
nion, Fleury cite le 12e canon du concile de Nicée, et le 5e article de la
lettre de saint Sirice à Himérius , évêque de Tarragone , en Espagne ; mais
il paraît que Fleury n'a pas saisi le véritable sens de ces deiix témoignages.
Voyez, sur le 12e canon du concile de Nicée, le P. Morin, De Pœnit., lib. v,
cap. 19, n. 8 et 9. — D. Ceillier, Hist. des Auteurs ecclés., t. iv, p. 598, etc.
Sur la lettre de Sirice à Himérius, voyez D. Constant, Eplstolœ Roman.
Pontijicum, p. 628, texte et note. — D. Ceillier, ibid. , t. vm , p. 165.
(2) « Pœnitens quaecumque, defuncto viro , alii nubere praesumpserit, vel
«suspecta vel interdictâ familiaritate cum extraneo vixerit, cum eodem
« ab Ecclesiae liminibus arceatur. Hoc etiam de viro in pœnitentiâ posito
« placuit observai!. » Concil. Arelat. u, can. 21.
« pœnitentiâ conjugatis non nisi ex consensu danda. » Can. 22.
« Hi, qui post sanctam religionis professionem, apostatant, et ad sœculum
« redeunt , et postmodum pœnitentiâ? remédia non requirunt , sine pœni-
« tentiâ communionem penitus non accipiant. Quos etiam jubemus ad cleri-
« catûs officium non admitti; et quicumque ille, postpœnitentiam, babitum
« seecularem non praesumat. Quôd si praesumpserit , ab Ecclesiâ alienus hâ-
te beatur. » Can. 25. (Labbe, Conciliorum t. iv, p. 1013.) — Fleury, Hist.
Ecclés., t. vi, liv. xxvm, n. 48. — Histoire de l'Eglise Gallic, t. uf liv. iv;
p. 74.
SUR LES SOUVERAINS. — CHAHTRE I. 401
Le troisième concile d'Orléans, en 538, défend de donner la
pénitence aux jeunes gens, aussi bien que de la donner aux époux,
sans leur consentement mutuel , à moins qu'ils ne soient d'un
âge mûr. Le motif de ce canon est le même que celui du second
concile d'Arles , que nous venons de citer. Un autre canon du
troisième concile d'Orléans excommunie ceux qui, après avoir
reçu la pénitence, reprennent l'habit et la milice du siècle (1).
Le premier concile de Barcelone, en 540, entre, à ce sujet, dans
un détail remarquable. Il ordonne aux pénitents publics, de se
couper les cheveux, de s'habiller modestement, et d'employer le
temps en jeûnes et en prières ; il leur défend d'assister aux fes-
tins, et de vaquer aux affaires du siècle-, enfln, il leur ordonne
de garder la retraite, et de mener une vie simple et frugale (2).
En conséquence de ces anciens règlements, le second concile
de Barcelone, tenu en 599, excommunie ceux qui contractent
mariage, après avoir fait vœu de virginité, ou demandé la
pénitence de leur propre mouvement (3). Le quatrième concile de
Tolède, en 633, excommunie, comme apostats, les pénitents qui
reprennent Vhabit et Véiat laïques; aussi bien que les vierges
et les veuves qui , après s'être consacrées à Dieu , quittent leur
saint habit, et osent contracter mariage (4). Ce canon fut con-
(i) « Ut ne quis benedictionem pœnitentise juvenibus personis credere
«preesumat; certè conjugatis, nisi ex consensu partium, et setate jàm
« plenâ, eam dare non audeat. » Concil. Aurel. m, can. 24.
« Si quis, pœnitentiœ benedictione susceptâ, ad ssecularem liabitum mi-
« litiamque reverti prsesumpserit , viatieo concesso , usque ad exiturn ex-
« communicatione plectatur. » Ibid., can. 25 (Concil. t. v, p. 302.) Hist.
de l'Église Gallic, t.ii , liv. vi, p. 443.
(2) « Ut pœnitentes epulis non intersint , nec negotiis operam dent in
« datis et acceptis; sed tantùm in suis domibus vitam frugalem agere de-
« béant.» Concilium Barcinonense î, can. 7 et 8. (Labbe, ibid., p. 379.)
— Ferreras, Hist. d'Espagne, t. n, année 540. Nous ne trouvons aucune
mention de ce concile dans Y Hist. Ecclés. de Fleury.
(3)«Si qua virgo, propriâ voluntate, abjectâ laïcali veste, devotarum more
«induta, castitatem servare promiserit; vel si qui bominum utriusqne
« sexûs, pœnitentiae benedictionem expetendo a sacerdote perceperint, et
« ad terrena connubia sponte transierint; aut violenter abstractae feminse a
« pudicitise violatore se sequeslrare noluerint ; utrique ab Ecclesiarum limi-
te nibus expulsi, ita ab hominum catholicorum communione sint separati,
« ut nulla prorsus eis vel colloquii consolatio sit relicta. » Concil. Barcin. n,
« can. 4. (Labbe, ibid., p. 1606.) — Fleury, Hist. ficelés., t. vm, liv. xxxvi,
n. 12. — Ferreras, ibid., année 599.
(4) k Quicumque ex saecularibus, accipientes pœnitentiam, totonderunt se,
26
402 DEUXIÈME PARTIE. — POUVOIR DU PAPE
firme, pour ce qui concerne les pénitents . par le sixième con-
cile de Tolède, en 638 (1).
63. On voit que ces conciles ne distinguent point la pénitence re-
^aWgit?11* çue librement et par dévotion, d'avec celle qui est imposée par
atpéniéience Ia l'Église, en punition des péchés; mais qu'ils attribuent généra-
pubiique, ment à ja pénitence publique les effets dont il s'agit. Cette
même faite par i î -i o
Pure décision se trouve môme dans plusieurs conciles , qui supposent
dévotion. , . r
clairement lusage de donner la pénitence publique aux fidèles
qui la demandent par pure dévotion (2). Outre les conciles déjà
cités, le douzième concile de Tolède, en 681, déclare sujets
aux effets de la pénitence publique ceux mêmes qui l'ont reçue
en maladie, par pure dévotion, et à la prière de leurs amis,
selon la pratique alors assez commune (3).
Peu de temps avant ce concile, le roi Ervige, successeur de
Vamba, entreprit de lui appliquer ce principe, contre toutes
les règles de l'équité (4). Entraîné par l'ambition de régner, il
lit prendre à celui-ci une potion malfaisante , dans le dessein de
se délivrer de lui, ou du moins de le réduire à un état de maladie,
« et rursus praevaricantes laïci effecti sunt, comprehensi ab episcopo suo ,
« ad pœnitentiam , ex quâ recesserunt , revocentur. Quèd si aliqui per pœ-
« nitentiam irrevocabiles sunt, nec admoniti revertentur, verè ut apostatae,
« coram Ecclesiâ , auathematis sententiâcondemneutur. Non aliter et hi qui
« detonsi a parentibus fuerint, aut sponte suâ , amissis parentibus , seipsos
« religioni devoverunt, et postea babitum saecularem sumpserunt; etiidem
« a sacerdote comprehensi, adcultum religionis, actâpriùs pœnitentiâ, revo-
«■ centur. Quôd si reverti non possunt, verè ut apostatae, anatbematis sen-
« téntiae subjiciantur. Quae forma servabitur etiam in viduis virginibusque
« sacris, ac pœnitentibus l'œminis, quae sanctimonialem babitum induernnt,
« et postea, aut vestem mutaverunt, aut ad nuptias transierunt. » Concil.
Tolet. iv, can. 55. (Labbe, ibid., p. 1718.) — Fleury, ibid., liv. xxxvii, n. 49.
(i) Concil. Tolet. vi, can. 7, p. 1744. — Fleury, ïbid., liv. xxxvm, n. 14.
(2) Remarquez en particulier les canons déjà cités du 1er concile de Bar-
celone, du 4e et du 6e de Tolède.
(3) « Sicut baptismum, quod, nescientibus parvulis, sine ullâ contentione,
«in fide tantùm proximorum accipitnr; ita et pœnitenliae doniim, quod
« nescientibus illabitur, absque ullâ repugnantiâ inviolabiliter hi, qui illud
« exceperint , observabunt. » Concil. Tolet. xu, can. 2. (Concil. t. vi,
p. 1226.) — Fleury, Hist. Ecclés. , t. ix, liv. xl, n. 29.
Les fidèles avaient alors assez souvent la dévotion de prendre , en mala-
die, l'habit de pénitent ; comme ils ont eu depuis la dévotion de prendre , en
pareille circonstance, l'habit religieux.
(4) Julien de Tolède, Hist Vambœ. (Tom. i du Recueil des Hist. de
France, par Duchesne, p. 821 , etc.) — Mariana, Hist. d'Espagne, liv. vi,
années 680 et 681.
SUR LES SOUVERAINS. — CHAPITRE I. 403
qui déterminerait l'archevêque de Tolède à lui donner , avec
les derniers sacrements, l'habit de pénitent, selon l'usage du
temps ; ce qui le rendrait incapable de toutes les fonctions ci-
viles, quand même il reviendrait en santé. La chose fut exé-
cutée selon le désir d'Ervige. L'archevêque de Tolède, croyant
le roi sur le point de mourir , lui administra les derniers sa-
crements, et le revêtit de l'habit de pénitent ; en même temps,
les émissaires secrets qu'Ervige entretenait auprès du malade, lui
suggérèrent de désigner Ervige pour son successeur, ce qu'il
fit en signant un papier qu'on lui présenta. Le lendemain, Vamba,
revenu à lui-même, et tout à fait hors de danger, fut très-
surpris d'apprendre ce qui s'était passé. Toutefois, regardant
cet événement comme l'effet d'une providence particulière
pour son salut, il ratifia tout ce qu'il avait fait pendant sa
maladie, et se retira dans un monastère , où il consacra le reste
de sa vie au service de Dieu. On voit assez, par ces détails,
que l'application faite à Vamba, par Ervige, son successeur,
du principe général relativement aux effets de la pénitence pu-
blique, était une injustice manifeste; et que l'abdication du
roi, en de pareilles circonstances, eût été nulle, s'il ne l'eût
ratifiée librement, après avoir recouvré la santé. Mais les in-
trigues d'Ervige, en cette occasion, supposent clairement le
principe, alors généralement reconnu en Occident, et particu-
lièrement dans le royaume des Goths, qui regardait les péni-
tents publics comme incapables de tous les emplois civils (l).
(1) Fleury et quelques autres écrivains modernes supposent que l'applica-
tion de ce principe fut faite à Vamba parle 12e concile de Tolède, qui donna
ainsi le premier exemple d'un souverain déposé sous prétexte de pénitence.
(Fleury, Hist. Ecclés., t. ix,liv. xL,n. 29; t. xm, 3e Discours, n. 10. —
Annales du moyen âge, t. v, liv. xix, p. 498. — Bianchi, Délia Potesta
délia Chiesa, t. i, lib. ni , § 2 , n. 5. — Mamachi, Origines et Antiquit.
Christ. , t. iv, p. 187.) Cette supposition n'est pas exacte. Le 12e concile de
Tolède n'applique nulle part à Vamba le principe dont il s'agit ; il se borne à
ratifier l'élection d'Ervige, son successeur, d'après les pièces présentées au
concile, desquelles il résultait que Vamba avait reçu l'habit de religion, et
avait désigné Ervige pour son successeur. (Concil. Tolet. xn, can. 1; apud
Labbe, Conc. t. vi, p. 1225.) Ce décret du concile ne dépose donc pas
Vamba ; il suppose uniquement que ce prince s'est librement demis de sa
dignité, comme il l'avait l'ait, selon le témoignage des historiens, après
avoir recouvré la santé. (Voyez à ce sujet le P. Alexandre, Dissert. 4 in
Hist. Eccles. sœculi vu.)
26.
404 DEUXIÈME PARTIE. — POUVOIR DU PAPE
Le treizième concile de Tolède, en 683 , met dans un nou-
veau jour ce point de discipline , par sa conduite envers Gau-
dence, évêque de Valérie, qui avait reçu, par dévotion, la
pénitence publique, dans une maladie grave. Ce prélat consulta
le concile, pour savoir s'il pouvait reprendre ses fonctions,
après avoir reçu la pénitence. Le concile décida qu'il le pou-
vait, parce que la pénitence publique, étant un état de perfec-
tion , n'est pas incompatible avec les fonctions sacrées , mais
seulement avec les emplois profanes et séculiers (l).
6*- Il résulte clairement de tous ces faits, l°que la pénitence
Cet usage ' * r
autorisé par publique , même faite librement et par pure dévotion , était
deux puis- généralement considérée en Occident , depuis le ive siècle ,
dansée comme un engagement religieux et perpétuel à une vie de re-
royGoths des traite et de perfection, à la pratique de la continence, à la fuite
des divertissements profanes, et de tous les emplois séculiers;
2° que cette discipline , d'abord établie par la seule autorité de
l'Église, fut depuis reconnue et confirmée par la puissance tem-
porelle, dans le royaume des Goths, depuis le vie siècle. En
effet, les conciles d'Espagne que nous venons de citer, depuis
le ive de Tolède, en 633, étaient, comme nous l'avons déjà
remarqué (2), des assemblées mixtes, où les deux puissances réu-
nies réglaient de concert les affaires de l'Église et celles de l'État.
Nous n'oserions assurer que la discipline dont nous parlons,
ait été dès lors confirmée, ailleurs qu'en Espagne, par l'autorité
de la puissance temporelle ; mais nous verrons bientôt l'usage
de l'Espagne, sur ce point, également autorisé en France, et
dans tous les pays soumis à la domination de Charlemagne.
11° Depuis le vne siècle jusqu'au xne, l'usage de la péni-
65. tence publique, même pour les crimes publics, étant peu à
Décadence de ,»-,,, -, , ,. » v ,
îapéni- peu tombe en désuétude, on publia de nouveaux règlements,
te"Cque,u qui avaient pour but de la maintenir en certains cas, et d'y
duvsïècie.XI,e substituer, en d'autres, des peines équivalentes (3). Il fut donc
statué, dans un grand nombre de conciles et de capitulaires:
(1) « Pœnitens abstinere à peccatis parité r et negotiorum tumullibus dé-
fi bet, non ab iis quae sancta videntur, et snmma se abstrahere, quœ opéran-
te tem plus expiant, quàm commaculando deturpant. » Çoncil. Tolet. xm ,
can. 10. (Concil. t. m.) — Fleury, ibid., liv. xl, n. 3o.
(2) Voyez plus liant, n. 28 et 29, pag. 363, etc.
(3) Morin, De Pœnit. lib. v, cap. 22: lib. vu, cap. 4, 5, 6.
SUR LES SOUVERAINS. — CHAPITRE I. 405
1° que les effets temporels, attachés depuis longtemps a la péni-
tence publique, seraient désormais attachés à certains crimes
énormes, tels que l'adultère, l'inceste, le rapt, le parricide,
le meurtre d'un évèque, d'un prêtre ou d'un diacre, soit que
le coupable fît une pénitence publique de ces crimes , soit qu'il
se contentât d'une pénitence secrète (l) ; 2° que , dans certains
cas, où ces crimes auraient une plus grande publicité, on obli-
gerait les coupables , par l'excommunication , à subir la péni-
tence publique, selon l'ancien usage ; que s'ils refusaient de s'y
soumettre, ils y seraient contraints par l'autorité de la puissance
temporelle; 3° enfin, que si les ducs et les comtes refusaient, en
ce cas, leur concours, ils seraient eux-mêmes frappés d'excom-
munication, et de peines temporelles, qui pourraient aller jusqu'à
la perte de leur dignité (2).
On voit par ces détails , 1° que, malgré la décadence de l'an* 0 S6-
r , i Ses effets tem-
cienne discipline sur la pénitence publique, ses effets tem- poreis,
..... . P o-vi maintenus en
porels étaient encore en vigueur au vm et au ixe siècle, France
(1) «De incestuosis et parricidis, ut canonicè coerceantur; sicut de illo
« judicatum est qui materteree suae filiam stnpravit, ut conjugium ultra non
« répétât, et militiae cingulum derelinquat , et aut monasterium petat, aut
«si loris remanere voluerit, tempora pœnitentise secundùm canoues p!e-
« niter exsolvat. » Capitular. lib. yi, n. 71.
«si quissacerdotem, vellevitam aut monachum interfecerit, vel debilitave-
« rit, juxta statuta;priorum capitulorum, quae legi Salicae sunt addita, compo-
te nat; et insuper bannum nostrum, idest, sexaginta solidos, nobis persolvat,
« et arma relinquat, atque in monasterio, diebus vitae suae, sub arduâ pœni-
« tentiâ, Deo serviat, nusquam postmodum seculo vel secularibus militatu-
« rus, neque uxori copulaturus. » Ibid., n. 98. Le P. Morin (lib. v, cap. 22) a
recueilli , sur ce point , un grand nombre de témoignages, tirés des Conciles
et des Capitulaires du vme et du ixe siècle.
(2) Si quis, in his supradictis sanctorum canonum nostrique decreti san-
« ctionibus (pœnitentiam publicam spectantibus) , episcopis inobediens et
« contumax extiterit; primùm canonicâ sententiâ (i. e. excommunicatio-
« nis) feriatur; deinde in nostro regno benefîcium non babeat, et alodis ejus
« in bannum mittatur (i. e. prœdia et possessiones ejus in fisci potestatem
« reponantur ) ; et si annum et diem in nostro banno permanserit , ad
a fiscum nostrum redigatur; et captus in exilium religetur; et ibi tamdiù
« custodiatur et constringatur, donec coactus Deo et sanctae Ecclesiae satis-
« faciat quod priùs satisl'acere noluerat. » Capitulare Tribur. anni 822, n. 6.
(Tom. 1 du Recueil de Baluze, p. 629.)
a Quicumque, propriâ uxore'derelictâ, vel sine culpâ interfectâ, aliam duxe-
« rit ; armis depositis:, publicam agat pœnitentiam; et si contumax fuerit,
« comprehendatur a comité, et ferro vinciatur, et in custodiam mittatur,
« donec res ad nostram notitiam deducatur. » Capitular. lib. v, n. 300.
( lbid.., p. 885.) Voyez aussi lib. vu, n. 258, 432, 433, et alibi passim.
406 DEUXIÈME PARTIE. — POUVOIR DU PAPE
et ailleurs, ^ans jes pavs SOumis à la domination de Charlemagne, c'est-à-
par 1 autorité
^s dire, principalement en France, en Allemagne et en Lombar-
deux puissan- * . , . , .
ces. die; 2 que dans tous ces pays, aussi bien qu en Espagne, les
effets temporels de la pénitence publique étaient formellement
reconnus et confirmés par la puissance temporelle , puisqu'ils
étaient ordonnés dans les capitulaires , publiés par l'autorité
des deux puissances, et appartenant également à la législation
e7. ecclésiastique et à la législation civile.
cei'te'époque, L'histoire de la déposition de Louis le Débonnaire, en 833 ,
pa™arhStoira suffirait seule pour faire connaître la discipline alors en vi-
iouiSc,îe d<< Sueur dans l'empire français (1). Lothaire, son fils aîné, ouver-
bonoaire. tement révolté] contre lui, l'ayant fait déposer tumultuaire-
menf , dans une assemblée des principaux seigneurs de l'armée
rebelle, voulut se faire reconnaître, d'une manière plus authen-
tique, dans une assemblée générale de la nation. Il indiqua
donc, pour le premier jour d'octobre 833, une diète à Com-
piègne, où se rendirent un grand nombre d'évêques, d'abbés
et de seigneurs qui lui étaient dévoués. Plusieurs d'entre eux,
ayant à leur tête Ebbon , archevêque de Reims, lui suggérè-
rent de faire juridiquement le procès à Louis , comme coupa-
ble de plusieurs crimes contre les intérêts de l'Église et de
l'État ; après quoi, on le condamnerait à la pénitence publique
pour le reste de sa vie, et on lui appliquerait les canons qui
défendaient aux pénitents de porter les armes, et de se mêler
des affaires publiques. L'expédient fut agréé; Louis fut accusé
devant les évoques, et jugé coupable des crimes qu'on lui
imputait ; il les reconnut lui-même par une confession publique,
et demanda comme une grâce la pénitence canonique, qu'on lui
accorda aussitôt, en lui faisant quitter son épée, et le revêtant
de l'habit de pénitent; après quoi, on le conduisit en cérémonie
dans une petite cellule du monastère de Saint-Médard de Sois-
sons, pour y vivre en pénitence le reste de ses jours (2).
(1) Voyez, sur ce fait extraordinaire, Fleury, le P. Daniel, le P. Longueval,
année 833. — Noël Alexandre , Dissert. 2 in Hist. Eccl. sajc. rx. — Bossuet,
Defens. Declar. , lib. 11, cap. 21. — Bianchi, Délia Polesta délia Chiesa,
1. 1, lib. m, § 3. — Mamachi, Origin. et Antiquit. Christ., t. iv, p. 189.
(2) Quelque répréhensible que fût, en cette occasion, la conduite des
évêques envers Louis le Débonnaire , on doit remarquer que, à proprement
parler, ils ne déposèrent pas ce prince ; ils approuvèrent seulem ent sa dépo-
SUR LES SOUVERAINS. — CHAPITRE I. 407
La pénitence publique imposée à Louis en cette occasion, et
l'application qu'on fit alors à ce prince, des canons qui inter-
disaient aux pénitents de porter les armes et de se mêler des
affaires publiques, étaient sans doute des injustices manifestes,
inspirées aux évoques par l'esprit de rébellion que Lothaire
leur avait communiqué. Toutefois, il est à remarquer que les
auteurs contemporains qui blâment plus ouvertement la dépo-
sition de Louis, ne contestent pas l'existence des canons qui in-
terdisaient aux pénitents publics l'exercice des emplois sécu-
liers ; ils supposent même ces canons en vigueur; ils blâment
seulement l'application qu'on en fit à Louis, pour des crimes
dont il n'avait pas été convaincu , et pour lesquels il avait déjà
fait une pénitence volontaire, dans le concile d'Attigny (l).
Ce fut néanmoins vers ce temps que les mêmes canons dont 68.
il s'agit commencèrent à tomber en désuétude. Une lettre de , c*tusase '
^j toiriDe peu a
Nicolas Ier à Rodolphe, archevêque de Bourges, vers l'an 866, j™. «j,
offre, à ce que nous croyons, le premier exemple de l'adoucis- dePuis '
i n • »'•■»• i n-A- i« m i <wi le ixe siècle.
sèment de lancienne discipline de 1 Eglise latine, sur les effets
temporels de la pénitence publique. « Les pénitents qui retour -
« nent au service des armes, dit le Pape, agissent contre tes
« règles; mais puisque vous témoignez que cette défense en
« pousse quelques-uns au désespoir, et d'autres à se réfugier
« chez les païens, nous vous laissons la liberté défaire, à cet égard,
« ce qui vous paraîtra plus convenable, suivant les circon-
« stances particulières (2). » De semblables motifs engagèrent le
sition , déjà décrétée par l'assemblée des principaux seigneurs de l'armée
rebelle de Lothaire. C'est ce qui résulte clairement du récit uniforme des
historiens contemporains, selon la remarque des auteurs que nous avons
cités dans la note précédente. (Voyez surtout le P. Alexandre, ubi suprà.)
C'est à quoi n'ont pas fait assez d'attention plusieurs écrivains modernes,
qui attribuent au concile de Compiègne la déposition de Louis le Débon-
naire, (hianchi et Mamachi, ubi suprà.)
(1) Voyez en particulier la Chronique d'Éginhard, et l'auteur anonyme
de la Vie de Louis le Débonnaire , année 833. Ces deux ouvrages se trou-
vent dans le tome vi du Recueil des Historiens de France, par D. Bouquet.
Les passages que nous indiquons sont cités par le P. Alexandre et par Bian-
chi, ubi suprà.
(2) « De bis verô qui pro criminibus pœnitentiam gerunt, et ad cingulum
« militiœ levertuntur, constat eos contra sacras régulas agere. Verùm,
« quia crimina non sequalia sunt, perbibesque aiios horum, propter nimiam
« hebetudinem , in desperationem adisse , alios ob hoc ad paganos fugisse ,
408 DEUXIÈME PARTIE. — POUVOIR LU PAPE
même pape, dans une autre occasion, à relâcher quelque chose
de l'ancienne discipline, en faveur d'un certain Weimar, qui
avait tué ses trois fils. Le Pape, en l'obligeant à la pénitence pu-
blique, lui défend déporter les armes, le reste de sa vie, ex-
cepté contre les païens (1). Un concile tenu à Reims, en 924,
poussa beaucoup plus loin la condescendance , en dispensant
des pratiques de la pénitence publique , ceux qui seraient
actuellement occupés au service militaire (2). Grégoire VII
s'efforça de maintenir, sur ce point, l'ancienne discipline, avec
les adoucissements que Nicolas Ier y avait apportés (3); mais
ses efforts n'empêchèrent pas que la pénitence publique et ses
effets temporels ne tombassent de plus en plus en désuétude,
en conséquence de l'usage qui s'introduisit, vers ce temps, de la
compenser par d'autres oeuvres satisfactoires , telles que les au-
mônes, les flagellations, et les pèlerinages (4).
69. La simple exposition de ces vicissitudes de l'ancienne disci-
nïtir'S pline , sur les effets temporels de la pénitence publique , suffit,
«. tibi hoc committimus decernendum, nimirum qui loca et tempus regionis
« illius, modumque culpae, necnon et pœnitentiam, etgemitus hominum ad
« confessionem venientium, pr.-rsens positus inspicere vales. » Nicolai I
Epistola 19 (aliàs 39), ad Rodolphum, n. 4. (Labbe, Conciliorum t. vm,
p. 505.) — Fleury , Hist. Ecclés., t. xi, liv. 51, n. 8.
(1) « Usque ad diem mortis suœ perseveret in jam dicta pœnitentiâ,
« atque arma, nisi contra paganos, non ferai. » Nicolai I Epist. 17
(aliàs 5), ad Rivoladrum Episcopum. (Labbe, ibid., p. 503.)
(2) « Similiter (pœnitentiam agant) omni sextâ f'eriâ per totum an-
« num , nisi redemerint, aut festivitas celebris ipsâ die accident, vel eum
« infirmitate sive militiâ detentum esse contigerit. » Concilium Remense,
anni924. (Labbe, Concil. t. ix, p. 581.) — Fleury, Hist. Ecclés., t. xr,
liv. liv, n. 57.
(3) « Quicunque miles , vel negofiator , vel alicui officio deditus quod
« sine peccato exerceri non possit, si culpis gravioribus irretitus ad pœni-
« tentiam venerit , vel qui bonaalteriùs injuste detinet, vel qui odium in
a corde gerit , et recognoscat se veram pœnitentiam non posse peiagere ,
«per quam ad aeternam vitam valeat pervenire, nisi arma deponat, iilte-
« riusque non ferat, nisi consilio religiosorum episcopotum pro defendendâ
« justitiû ; vel negotinm derelinquat, vel ofticium deserat, et odium ex corde
a dimittat, bonaque quœ injuste abstulit restituât. » Concilium Rom. anni
1078, canone 5 (aliàs 6). (Labbe, Concil. t. x,p. 373.) Voyez, pour
l'explication de ce canon, Chrétien Loup, Décréta et Canones, t. v,
p. 151, etc.
(4)Morin,De Pœnit. lib. vu, cap. 7 et seqq. — Fleury, Mœurs des
Chrétiens, n. 63. Plusieurs assertions de Fleury, sur cette matière, doivent
être corrigées d'après les ouvrages de Marchetti et de Muzzarelli, que nous
avons indiqués plus haut, p. 397, note 2.
SUR LES SOUVERAINS. — CHAPITRE I. 409
à ce qu'il nous semble, pour distinguer, en cette matière, ce r011dé
qui appartient au droit divin et à Y institution de r Église, "^j£ B| « "
d'avec ce qui vient de la libre volonté et de la pure concession J^JJ?*
des princes. On ne peut douter que l'Église ne possède, de ^»-
droit divin } et par l'institution même de Jésus-Christ, le pou-
voir d'infliger aux pécheurs des pénitences proportionnées à la
grièveté de leurs fautes. Ce pouvoir a toujours été regardé dans
l'Église comme une conséquence naturelle et immédiate de
celui qu'elle a reçu de lier et de délier les pécheurs (l) ; d'où il
suit qu'il y a pour ceux-ci une obligation de conscience, d'ac-
complir les oeuvres satisfactoires que l'Église juge à propos de
leur imposer, pour l'expiation de leurs péchés. D'après ce prin-
cipe, il y avait certainement une obligation de conscience,
pour les pénitents publics, dans l'Église d'Occident , depuis le
ive siècle , d'éviter certains actes et certains emplois civils , que
l'Église jugeait à propos de leur interdire, comme peu confor-
mes h l'esprit de la pénitence publique. Mais, quelque rigou-
reuse que fût cette obligation de conscience , elle n'entraînait
par elle-même , la perte d'aucun droit civil, avant que cette
obligation eût été confirmée par l'autorité des princes. Comment,
en effet , pourrait-on regarder comme fondé sur le droit divin
un effet aussi variable que celui dont nous parlons ; un effet
qui n'a jamais eu lieu dans l'Église d'Orient, qui n'a pas eu
lieu dans l'Église latine elle-même pendant les cinq ou six pre-
miers siècles, et qui, dans le temps même où il a été admis, a
subi tant de variations et de modifications, selon les temps et
les lieux? Comment supposer que l'autorité de l'Église, sans le
concours de la puissance temporelle, ait attaché à la pénitence
publique la perte des droits civils, dès le ve ou le vie siècle,
tandis qu'à cette époque, et même longtemps après, l'Église
reconnaissait hautement, par l'organe des conciles, des saints
docteurs, et des souverains pontifes eux-mêmes, la distinc-
tion et l'indépendance réciproque des deux puissances ; et
les représentait comme également souveraines , en tout ce qui
est de leur compétence, comme tellement indépendantes l'une
de l'autre, que la puissance ecclésiastique n'a pas plus le droit
(1) Matt. xvi, 19; et xvin, 18. Voyez, sur ce point, le P. Morin, De
Pœnit. lib. i, cap. 3, etc.
l'excoinmuni
cation ,
dès l'origine
du
410 DEUXIÈME PARTIE. — POUVOIR DU PAPE
de régler les objets de l'ordre temporel, que la puissance tem-
porelle n'a le droit de régler les objets spirituels (1)?
Concluons de ces observations que la pénitence publique
n'entraînait, par elle-même, la perte d'aucun droit civil,
avant que la discipline de l'Église, sur les effets temporels de
la pénitence publique, eût été confirmée par la puissance
temporelle; ce qui ne paraît pas avoir eu lieu avant le vne
siècle (2).
§ II. Effets temporels de V excommunication (3).
70. L'usage d' attacher à l'excommunication certains effets tem-
ere]stedT° porels, remonte à l'origine même du christianisme ; toute la dif-
férence entre la discipline des premiers siècles et celle du moyen
âge , sur ce point , consiste en ce que la première était beaucoup
christianisme. moins rigoureuse , et fondée sur la seule autorité de l'Église et
de son divin fondateur ; tandis que la seconde était établie par
l'autorité et le concours des deux puissances. Nous rapporterons
ici, en peu de mots, l'origine et les progrès de cette discipline,
. (1) On a vu plus haut les preuves qui établissent le fait de cette ancienne
tradition. (lre partie, chap. I, n. 9, 10, 15, 28. ) Elle sera de plus en plus
établie dans le 3e chapitre de cette seconde partie, art. 1.
(2) On voit, par ces observations, ce qu'il faut penser du raisonnement
de quelques théologiens ultramontains , qui ont cru pouvoir établir la ju-
ridiction au moins indirecte de V Église sur les choses temporelles , par
le pouvoir que Jésus-Christ lui a donné d'établir la pénitence publique. Ce
raisonnement est employé par Mamachi , Origines et Antiquitales Chri-
stianœ , t. iv, p. 188. — Bianchi, Délia Polizia e délia Podesta délia
Chiesa, 1. 1, lib. ni, § 2 , p. 453, etc. — Rohrbacher, Des Rapports natu-
rels entre les deux Puissances, t. 1, chap. 13, p. 180.
(3) L'excommunication est une peine spirituelle, infligée par un supé-
rieur ecclésiastique, ou par l'Église elle-même, et qui prive, en tout ou
en partie , le fidèle des biens spirituels propres aux membres de l'Église,
tels que la participation des sacrements , les prières publiques , etc. Dans
toute société, le souverain , et les magistrats qui exercent en son nom la
justice, peuvent infliger des peines aux sujets coupables , les priver des
biens qu'elle procure à ses enfants dociles , et même les exclure de son sein
pour de graves délits. Ces notions de simple bon sens suffiraient pour éta-
blir le pouvoir qu'a l'Église de rejeter de son sein les pécheurs opiniâtres.
Pour de plus amples développements sur cette matière , on peut consulter,
outre les théologiens et les canonistes, Pey, De l'Autorité des deux Puis-
sances, t. m, 3e partie, chap. 5, § 2, p. 471. — Bergier, Dictionnaire Théo-
logique , article Excommunication.
SUR LES SOUVERAINS. — CHAPITRE I. 411
si longtemps en vigueur dans tous les États catholiques de
l'Europe, au moyeu âge (1).
Dès l'origine du christianisme , d'après l'institution môme de
Jésus-Christ et des apôtres , l'effet propre de l'excommunication
était de priver un fidèle, non-seulement des biens spirituels
propres aux membres de l'Église , mais encore de certains
actes du commerce civil , qui dépendent de la libre volonté des
particuliers, et dont ils peuvent s'abstenir sans blesser aucun
droit : tels sont plusieurs témoignages ordinaires d'amitié ou de
civilité, comme manger ensemble, converser familièrement,
se saluer mutuellement, etc (2). On trouve de nombreux témoi-
gnages de cette ancienne discipline, dans les auteurs ecclésiasti-
ques des premiers siècles , qui la regardaient comme également
importante pour préserver les fidèles de la contagion du mau-
vais exemple, et pour exciter les pécheurs à la pénitence, par
une salutaire confusion (3).
(i) Nous ne connaissons aucun auteur qui ait traité historiquement cette
matière, avec un certain développement. On peut consulter là-dessus Vari-
Espen, Tractatus historico-canonicus de Censuris Ecclesiasticis , cap. 7,
§ 2 et 3. (Operum t. n.) — Dupin, Traité historique des Excommunica-
tions, Ve partie, § 16; 2e partie, § 3. Cependant la hardiesse et la témérité
de ces auteurs , sur plusieurs points relatifs au dogme et à la discipline de
l'Église, demandent qu'on lise leurs ouvrages avec précaution. Le Traité
de Van-Espen parut, pour la première fois, en 1728, c'est-à-dire, l'année
même où l'auteur fut suspendu de ses fonctions académiques , par le rec-
teur de l'Académie de Louvain, pour son attachement opiniâtre au parti de
l'appel. Le second tome du Traité de Dupin fut supprimé , en 1743, par un
arrêt du conseil d'État , à cause des pièces qu'il renfermait en faveur du
même parti. (Voyez le Dictionnaire de Moreri, articles Van-Espen et
Dupin.)
(2) « Quod sinon audierit eos, die Ecclesiae; si autem Ecclesiam non
« audierit, sit tibi sicut ethnicus et publicanus. » Math, xvm, 17.
« Nunc autem scripsi vobis non commisceri, si is qui frater nominatur, est
« fornicator, aut avarus, aut idolis serviens , aut maledicus, aut ebriosus,
« aut rapax; cum ejusmodi nec cibum sumere. » / Cor. v, 11.
« Quod si quis non obedit verbo nostro per epistolam, hune notate, et ne
« ■feommisceamini cum illo, ut confundafur. » // Thessal. m, 14.
« Si quis venit ad vos, et hanc doctrinam non affert, nolite recipere eum
« indomum,nec ave ei dixeritis; qui enim dicit illi ave, communicat
« operibus ejus malignis. » II Joan. 10, 11. Voyez, sur le passage de saint
Matthieu, Maldonat, Menochius, etc. ; sur les autres passages, Estius, Mau-
duit, etc.
(3) Fleury, Mœurs des Chrétiens, n. 24. — Bingham, Origines et Anti-
quitates Eccles. , t. vu, lib. xvi, cap. 2, § 11, etc. — Duguet, Conférences
Ecclésiastiques, 33e Dissert., § 2. — Bossuet, Def. Declar., lib. i, sect. 2,
cap. xxu, etc.
412 DEUXIÈME PARTIE. — POUVOIR DU PAPE
7i. Depuis ie vne siècle jusqu'au xne, l'usage de la pénitence pu-
^"eTmes65 blique étant peu à peu tombé en désuétude, et les désordres se
ecdfvi»reî!rs multipliant de jour en jour , par suite de l'état d'anarchie auquel
da'sVf!éS-uile ^a société était en proie, il était naturel que les deux puissances
quentes, et cherchassent à suppléer à la pénitence publique, par quelque
temporels si autre châtiment qui pût en imposer à des hommes barbares et
indisciplinés. La religion étant presque la seule autorité qu'ils
respectassent, on ne trouva pas de moyen plus efficace, pour les
comprimer, que l'usage des censures ecclésiastiques , et parti-
culièrement de Y excommunication. Les souverains eux-mêmes,
selon la remarque d'un ancien auteur, ne voyaient pas de
meilleur moyen pour contenir dans le devoir leurs vassaux
rebelles (1) ; et l'étroite union qui régnait entre les deux puis-
sances, les engagea naturellement à attacher à cette peine spi-
rituelle des effets temporels semblables à ceux qui étaient depuis
longtemps attachés à la pénitence publique.
Telle est, au jugement de Bossuet, la véritable origine des
effets temporels attachés à l'excommunication , dans la suite
du moyen âge. « Suivant les témoignages de l'Évangile et des
« apôtres, dit-il, un excommunié est banni de la société humaine,
« en tant que cette société conserve les bonnes mœurs; mais il
« conserve tous les droits que lui donne la loi civile, à moins que
« la loi elle-même ne l'ait réglé autrement. Si dans la suite les
« excommuniés ont été regardés comme infâmes, intestables,
« et inhabiles à certaines fonctions delà vie civile, jusqu'à ce
« qu'ils fussent rentrés dans le devoir , cela est venu de ce que
(1) Voyez le témoignage de Guillaume de Malmesbury, que nous avons
cité plus haut, art. 2, p. 335, note 3. — De Saint -Victor, Tableau hist. et
pittoresque de Paris, t. i, p. 336-344.
A l'appui de ces témoignages, et de tout ce que nous venons de dire sur
l'efficacité de l'excommunication, à cette époque, pour prévenir et pour ré-
primer les désordres, on pourrait citer une foule d'exemples remarquables.
L'histoire de France en particulier en offre un très-grand nombre. Nous re-
marquerons , entre autres, celui du roi Robert, excommunié en 998 , pour
son mariage incestueux avec Berthe; celui de Philippe 1er, excommunié
en 1094, pour son mariage illégitime avec Bertrade; celui de Philippe II,
excommunié en 119S, pour son mariage adultère avec Agnès de Méranie.
On pourrait citer un bien plus grand nombre d'exemples semblables, relatifs
à des seigneurs, et à des particuliers d'une condition moins relevée. Voyez,
à ce sujet, Y Hist. de V Église Gallicane, t. vi, années 913, 948, 964 (p.
446, 514, 549); et alibi passim.
SUR LES SOUVERAINS. — CHAPITRE I. 413
« les princes ont conformé leurs lois, autant qu'il leur a été
« possible , à la règle des' bonnes mœurs et à la discipline
« évangélique , et non de ce que l'excommunication prive par
« elle-même de quelque droit ou de quelque bien temporel (1). »
Le premier exemple que l'histoire nous offre de cette priva- 72.
vation des droits civils , attachée à l'excommunication , se remarquable,
trouve dans une constitution de Childebert II , publiée en 595. poi^Ten
Ce prince y défend à tous ses sujets, même aux seigneurs fran- ^««stSê!*
çais qu'il nomme chevelus (2), de contracter des mariages inces-
tueux. Il ordonne que ceux qui refuseront d'obéir en cela aux
évèques, et qui se feront excommunier pour ce sujet, soient
chassés de son palais, et dépouillés de leurs biens, en faveur
de leurs héritiers légitimes (3).
Depuis cette constitution de Childebert, à mesure que l'an-
cienne discipline de la pénitence publique s'affaiblissait, on vit
paraître, en France et ailleurs, un grand nombre de semblables
ordonnances, publiées par l'autorité des deux puissances, pour
(1) « Ergo excommunicatus, evangelicâ atque apostolicâ auctoritate ,
« humanae societatis exsors est, quatenus humana societas ad bonos mores
« spectat; manentque intégra quse civili lege continentur, nisi aliter lex
« ipsa caverit. Quod autem postea, inter christianos , exeommunicati , nisi
« resipiscant, sint infâmes, intestabiles, ad quidam vitae civilis officia inha-
« biles ; id ex eo ortum est, quod christiani principes, quoad fieri potest ,
« leges suas ad bonos mores atque evangelicam disciplinant aptent,
« non quod excommunicatio per se ullo temporali jure bonoque privet. »
Bossuet, Def. Declar., lib. 1, sect. 2, cap. 22, p. 345.
(2) On sait que, sous la première race de nos rois , la longue chevelure
était une marque distinctive des princes de la maison royale. Voyez, à ce
sujet, YHist. de France du P. Daniel, édition du P. Griffet, t. 1, p. 73 et
112 ; t. 11, lre partie, p. 135, etc. — D. Bouquet, Recueil des Historiens de
France , t. m, Préface, p. j-iv.
(3) a Convenit una cum leudis nostris (id est cum vassalis nobilioribus
« sive oplimalibus) ut nullus de crinosis incestum usum sibi societ con-
te jugio, hoc est, nec fratris sui uxorem , nec uxoris suue sororem , nec uxo-
« rem patrui sui, autparentis consanguinei. Si quis uxorem patris acceperit,
« mortis periculum incurrat. De prœteritis verô conjunctionibus, quae inces-
« tœ esse videntur, per praedicationem episcoporum jussimus emendari. Qui
« verô episcopum suum noluerit audire, et excommunicatus fuerit, peren-
« nem condemnationem apud Deum sustineat ; et insuper de palatio nostro
« sit omnino extraneus , et omnes facilitâtes suas parent ibus legitimis
« amittat , qui noluit sacerdotis sui medicamenta sustinere. » Childe-
berti Constitution n. 2. (Baluze, Capitularia , 1. 1, p. 17.) — Fleury, Hist.
Ecclésiastique , t. vin, liv. xxxv, 11. 45. — Hist. de l'Église Gall., t. m,
liv. vin, p. 313.
414 DEUXIÈME PARTIE. — POUVOIR DU PAPE
étendre de pi us en plus les effets temporels de l'excommunication.
Une des plus remarquables est celle du concile de Verneuil,
assemblé en 755, par ordre de Pépin le Bref, et dont les décrets
furent confirmés par son autorité. Le neuvième canon de ce
concile, qui fut depuis inséré dans les Capitulaires , défend
aux excommuniés d'entrer dans l'église, et de manger avec
aucun chrétien; il condamne de plus à l'exil celui qui refuse
de se soumettre à cette défense (1). Un autre capitulaire prive
les excommuniés de leurs bénéfices et de leurs biens pro-
pres, et les condamne même à l'exil, s'ils refusent obstiné-
ment de satisfaire à l'Église dans l'année (2). Un autre enfin
les prive du droit d'accuser et de se défendre en justice, et con-
damne à l'exil celui qui témoigne faire peu de cas de l'excom-
muûication (s).
i3\ On trouve dans la législation des autres États de l'Europe ,
Le même w , ■■ l
usage s'établit vers le même temps , particulièrement dans celle d'Angleterre ,
insensible- iiiiit
ment un grand nombre de semblables dispositions , qui ne permettent
anSÉtatT les pas de douter que les effets temporels de l'excommunication
de l'Europe. n>ajeut fa£ introduits , dès le principe, non-seulement sans au-
(1) « Si quis presbyter ab episcopo degradatus fueiit, etipse per contemp-
« tum postea aliquid de suo officio , sine commeatu (id est, sine licentiâ)
« facere praesumpserit, et postea ab episcopo suo correptus et excommuui-
« catus fuerit; qui cum ipso communicaverit scienter, sciât se esse excom-
« municatum. Similiter quicumque clericus aut laïcus, vel l'œmina incestum
« commiserit, et ab episcopo suo correptus seeinendare noluerit, et ab epi-
« scopo suo excommunicatus fueiit, si quis cum ipso communicaverit scien-
ce ter, sciât se excommunicatum esse. Et ut sciatis qualis sit modus istius
« excommunicationis , in Ecclesiam non débet iutrare, nec cum ullo ebris-
« tiano cibum vel potum sumere, necejus mimera quisquam débet accipere,
« vel osculum porrigere débet, nec in oratione se jungere, nec salutare, an-
ce tequam ab episcopo suo fueiit reconciliatus. Quod si aliquis se réclama-
it verit quod injuste sit excommunicatus, licentiam babeat ad metropoli-
« tanum episcopum venire, et ibidem secundùm canonicam institutionem
« dijudicetur; intérim suam excommunicationem custodiat. Quod si aliquis
«. ista omnia contempserit, et episcopus emendare minime potuerit, régis
a judicio, exilio condemnetur. •» Concilium Vernens. can. 9. (Baluze,
« ibid., p. 172 et 836.) — Hist. de V Église Gallicane, t. iv, p. 398.
(2) Voyez le Capitulaire de Tribur, que nous avons cité dans l'article
précédent (p. 405, note 2. )
(3) « Omnium anathematum vox, in accusatione, vel testimonio, aut bu-
» mano judicio, penitus non audiatur; nec bi accusare quemquam permit-
« tantur ; sed si quis anathematis pœnam parvi duxerit , aut in insulam re-
« ligetur, aut exilio deputetur, ne possit Ecclesiam Dei ejusque famulos per-
ce turbare. » Capitularium lib. vu, cap. 21 5. (Baluze, 1. 1, p. 1071.)
SUR LES SOUVERAINS. — CHAPITRE I. 415
cune réclamation de la part des princes, mais avec leur con-
cours et leur approbation expresse. Une constitution d'Éthelrède,
roi d'Angleterre, publiée en 1008, «défend aux excommuniés
« non absous de demeurer dans le voisinage du roi (et par con-
« séquent de remplir auprès de lui aucun office) avant d'avoir
« satisfait à Dieu et à l'Église (1). » Une loi, publiée quelques
années après, par le roi Canut, « condamne à la perte de la vie
« et de tous ses biens, celui qui aura donné refuge à un homme
« excommunié ou proscrit civilement (2). »
Le concours des souverains, dans l'établissement de cette dis- „ ?4-
Concours
cipline, est formellement reconnu par plusieurs écrivains mo- des
i m- 'm'i v i * , , -, souverains,
dernes, d ailleurs tres-opposes aux maximes et a la pratique du dans
1 ctfiblissc-
moyen âge, sur ce point. « Charlemagne, dit à ce sujet le conti- ment
« nuateur de Velly, loin de redouter la puissance des évêques , de ^Sat $cl"
« croyait qu'il était de son intérêt de l'augmenter, afin qu'elle
« servît de contre-poids à celle des seigneurs , qui , nourris dans
« l'exercice des armes, et ayant à leur disposition les principales
« forces du royaume, commençaient à méconnaître le joug de
«l'autorité. Il fit donc adopter , non-seulement dans les écoles
« qu'il fondait, mais dans les tribunaux ecclésiastiques dont il
« étendait la juridiction, et jusque dans les parlements ou as-
« semblées générales , qui étaient le tribunal suprême de la
«nation, de nouvelles maximes, aussi favorables à l'Église
n qu'elles étaient contraires aux droits des souverains (3). Ces
« germes ne tardèrent pas à se développer Les rois ou em-
« pereurs ayant communiqué une portion du pouvoir civil et
« politique aux évêques , et ayant intérêt que les sentences ecclé-
« siastiques ne demeurassent pas sans exécution , avaient donné
« à l'excommunication une tout autre étendue (qu'elle n'a-
(1) « Si aliquis excommunicatus absque pace sit (i. e. absque veniâ seu
« absolutions delictorum) , non commoretur in régis vicinià alicubi , ante-
« qnam divinam compensationem diligenter fecerit. » JEthelredi régis
Constitution (Canciani, Barbarorum Leges antiquœ, tom. iv, p. 291,
col. 2.)
(2) « Si quis excommunicatum vel exlegem (i. e. qui bénéficia legis ,
« proinde juribus civilibus privatur) habuerit et custodierit, luat vitam et
« omnem suani possessionem. » Leges Canutiregis. (Ibid., pag. 309, n. 64.)
(3) Il est étonnant que l'auteur de ce passage représente comme contraires
aux droits des souverains, des maximes autorisées, de son aveu, par. les
souverains eux-mêmes, qui croyaient avoir le plus grand intérêt à les au-
toriser.
416 DEUXIÈME PARTIE. — POUVOIR DU PAPE
« vait eue dans les premiers siècles de l'Église). Un excom-
« munie , s'il n'avait la docile attention de se faire absoudre
« avant un certain temps, perdait tout droit de citoyen; il était
((proscrit et banni de la société , etc. (1). »
La sévérité fut insensiblement portée à un tel point , avant le
75 pontificat de Grégoire VII, qu'il était défendu, même aux
Te'ue" ' serviteurs et aux proches parents d'un excommunié, de corn-
et Gré- muniquer avec lui , excepté pour les besoins indispensables de la
goire vu. yje j2j . rï'où Ton concluait que l'excommunication le rendait
incapable de tout emploi civil , le dépouillait de toute dignité ,
même temporelle, et déliait ses sujets de toute obligation d'o-
béissance et de fidélité envers lui, jusqu'à ce qu'il eût satisfait à
l'Église en se faisant absoudre. Telle était encore la sévérité de la
discipline sous le pontificat de Grégoire VII , qui ne fit là-dessus
autre chose, que de confirmer les statuts de ses prédécesseurs,
comme il le déclare lui-même , dans le troisième canon du qua-
trième concile de Rome. « Conformément aux ordonnances de
« nos prédécesseurs, dit-il, nous délions de leurs serments, en
> «vertu de l'autorité apostolique (3) , tous ceux qui sont liés
« envers les excommuniés , par quelque engagement ou même
« par serment; et nous défendons absolument d'observer ces
« engagements (4). » On doit cependant remarquer, que la sen-
(1) Garnier, Hist. de France, tom. xxi, pag. 201 et 208. On peut voir, à
l'appui de ce témoignage, Bernardi, De l'Origine et des Progrès de la Lé-
gislation française, liv. 1, cliap. 2; liv. îv, chap. 6, pag. 71, 275, etc. —
Gaillard, Histoire de Charlemagne, tom. 11, pag. 124. — Bossuet, Defensio
Declar., lib. 1, sect. 2, cap. 22, versus finem.
(2) Voyez, à ce sujet, les plaintes de S. Abbon, abbé de Fleury-sur-Loire,
dans son Apologie adressée aux rois Hugues et Robert, vers la fin du xe siè-
cle. (Pag. 401, à la suite du Codex Canonum, publié par Pithou. Paris, 1687,
in-fol.) — Fleury, Hist. Ecclés., tom. xii, liv. lvii, n. 44.
(3) Les effets temporels de l'excommunication étant alors autorisés par la
puissance temporelle, comme on vient de le voir, ces paroles de Gré-
goire VII : En vertu de l'autorité apostolique, doivent naturellement s'ex-
pliquer dans le sens du pouvoir directif, tel que l'explique Fénelon. (Voyez
ci-dessus, n. 10, 11, 12, pag. 334, etc. ; et ci-après, chap. 3, n. 170.) Nous exa-
minerons ailleurs de plus près la doctrine de Grégoire VII sur ce point. (Ci-
après, chap. 2 et 3 de cette seconde partie.)
(4) <( Sanctorum praedecessorum nostrorum statuta tenentes, eos qui ex-
« communicatis lidelitate aut sacramento constricti sunt, apostolicâ aucto-
« ritate, a sacramento absolvimus, et ne sibi fidelilatem observent, omnibus
« modis prohibemus. » Synodus Rom. iv, sub Greg. VII, cap. 3. (Labbe,
Concil. tom. x, pag. 370.)
SUR LES SOUVERAINS. — CmriTRE I. 417
tence d'excommunication ne privait un excommunié de ses
droits civils , que lorsqu'il persévérait opiniâtrement dans l'ex-
communication, pendant un certain temps déterminé par la loi
ou la coutume de chaque pays. Cette restriction, clairement éta-
blie par l'usage constant du moyen âge, est expressément ajou-
tée au texte de Grégoire VIT, dans le Décret de Gratien (l).
Nous verrons bientôt quelle était à cet égard la législation des
principaux États de l'Europe.
Les graves inconvénients qui résultaient souvent, dans le 76.
1 -, . -,, ....... . Cette rigneur
commerce de la vie, d une discipline si rigoureuse, engagèrent tempérée
bientôt les souverains pontifes à la mitiger, sur plusieurs Gré^rè vu.
points. Grégoire VII permit d'abord aux femmes, aux en-
fants et aux domestiques de l'excommunié, de communiquer
avec lui. Il étendit même cette permission à tous ceux dont la
présence n'était pas propre à l'entretenir dans ses mauvaises
dispositions (2). Ce décret, qui n'était d'abord que provisoire,
fut depuis renouvelé par les successeurs de Grégoire VII ; et il a
été inséré dans le Corps du Droit (3). Enfin, le pape Martin V,
non content d'approuver cet adoucissement , l'étendit encore
dans le concile de Constance, en déclarant qu'on ne serait désor-
mais obligé d'éviter que les excommuniés publiquement et \
(1) A la suite du texte de Grégoire VII , que nous venons de citer, Gratien
ajoute ces mots : quoadusque ipsi in satisfactionem ventant. Gratiani
Dccretum, parte 2, caus. 15, quaest. 6, can. 4 et 5. — Décrétai, lib. v,
tit 37, cap. Gravem, 13.
(2) « Qnoniam mulfos, peccatis nostiis exigentibus, pro causa excommu-
« nicationis perire quotidie cernimus, partim ignoranliâ, partim etiam nimiâ
« simplicitate, partim timoré, partim eliam necessitate ; devicti misericor-
« dià, anathematis sententiam ad tempus, prout possumus, opportune tem-
« peramus. Apostolicâ namque auctoritate, auathematis vinculo hos subtra-
« himus, videlicet : uxores, liberos , servos, ancillas, seu mancipia , neenon
«. rusticos et servientes, et omnes alios qui non adeo curiales sunt (i. e. adeo
« in officiis curïœ versantur) , uteorumconsiliosceieraperpetrenttir; etillos
« qui ignoranter excommunicatis communicant, seu illos qui communicant
« cum eis qui communicant excommunicatis. Quicnmque autem aut orator
« (i. e. qui orationis et pietalis causa peregrinatur) , sive peregrinus
« aut viator, in terram excommunicatorum devenerit, ubî non possit emere,
« ycI non habet unde emal ab excommunicatis , accipiendi licentiam damas.
« Et si quis excommunicatis pro sustentatione, non superbiœ, sed bumanitatis
« causa, aliquid dare voluerit, fieii non probibemus. « Synodus Romanaiv,
sub Grcg. VU, cap. 4. (Labbe, Conciliorum tom. x, pag. 371.)
(3) Gratiani Decretum, parte 2, caus. 11, quœst. 3, can. 103.
27
418 DEUXIÈME PARTIE. — POUVOIR DU PAPE
nommément dénoncés; et telle est encore aujourd'hui la disci-
pline de l'Église (l).
77. Ces divers adoucissements laissèrent néanmoins subsister,
La privation pen(jant toute \a suite du moyen âge, le principe général qui
t0UM^ité' privait de toute dignité, même temporelle, les excommuniés
temporelle, 0piniâtres. Telle était la persuasion générale des hommes
attachée *■ ,
à l'excommu- pieux et éclairés sous le pontincat de Grégoire VII , et même
plus anciennement, de l'aveu des auteurs les moins favorables
à cette discipline (2).
78. , H est certain que cet ancien usage continua, pendant plu-
e pHne sieurs siècles, à faire partie du droit commun de tous les États
'""S""1 catholiques de l'Europe. Il était autorisé en particulier, de la
^communTe manière la plus expresse , dans plusieurs articles du Droit Ger-
i)rou"'"Trma- w?«^<7^? rédigé au xine siècle, d'après les anciennes coutu-
nique. mes de l'Empire (3). Voici ce qu'on lit, sur ce sujet, dans le
Droit de Souabe : « Si quelqu'un est excommunié par le juge
« ecclésiastique , et demeure en cet état pendant six semaines
« et un jour, il peut être proscrit (4) par le juge séculier. De
« même, si quelqu'un est proscrit par le juge séculier, il peut
« être excommunié par le juge ecclésiastique. S'il a été excom-
« munie avant d'être proscrit, on doit l'absoudre del'excom-
« munication (s'il en est digne) avant de lever la proscription ;
« et de même, s'il a été proscrit avant d'être excommunié, on
(1) Van-Espen, Tract, hist. can. de Censur., cap. 7, § 5. (Oper. tom. 11.)
— Suarez, De Censur., disp. 15.
(2) Bossuet, Defensio Declar., lib. 1, sect. 2, cap. 24; lib. m, cap. 4,
pag. 348 et 587. Nous citerons un peu plus bas ces passages de Bossuet. (Ci-
après, chap. 2, art. 1, n. 118). — Fleury, Hist. Eccl., tom. xni, 3e Dis-
cours, n. 18; tom. xvn, 5e Discours, n. 13, vers la fin. — Pfeffel, Abrégé
chronologique de V Histoire d'Allemagne, année 1106. (Édition in-4°,tom. 1,
pag. 228.)
(3) Voici le titre du Droit de Souabe : «■ Hic incipit liber Juris provin-
ce cialis Cœsarei, statutus et ordinatus a Romanis imperatoribus et electori-
« bus , continens omnes communes articulos Juris , quidve agendum aut
« omitteudum sif, . . . communis pacis causa, a sacro imperio statutum, et ab
« antiquo tempore , serio confirmation. » Prœfamen Juris Alaman-
nici, sive Suevici. (Senckenberg, Corpus Juris Germanici, tom. ir,
pag. 1.)
(4) On voit, par le contexte, que la proscription dont il est ici question,
consiste dans la privation des droits civils. C'est ce qui résulte surtout de la
comparaison du chapitre 3 avec le chapitre 127, selon la remarque de Senc-
kenberg,
SUR LES SOUVERAINS. — CHAPITRE I. 419
« doit lever la proscription avant de l'absoudre de l'excom-
« munication. Ni l'un ni l'autre des deux juges ne doit l'absou-
« dre (de l'excommunication ou de la proscription), avant qu'il
« ait satisfait pour la faute qui l'avait fait excommunier ou pro-
« scrire (l) Si un homme proscrit ou excommunié cite quel-
« qu'un en justice, personne n'est tenu de répondre à leur
« citation ; mais si on les cite , ils sont tenus de répondre. La
« raison est qu'ils sont privés, dans les jugements, soit ecclésias-
« tiques , soit séculiers , du droit commun à tous les chrétiens.
« Si un homme est seulement proscrit ou excommunié , il est
« censé frappé tout à la fois des deux sortes de peines (2). »
La législation de l'Angleterre et de la France , depuis le xe siè- . 79- .
00 x Lois anglaises.
cle, était au fond la môme, sur ce point, quoique avec de
légères modifications (3). D'après les lois anglaises, un excom-
munié qui ne se mettait pas en devoir d'obtenir l'absolution
dans l'espace de quarante jours, était dénoncé par l'évèque aux
officiers royaux, qui le faisaient mettre en prison, jusqu'à ce
qu'il eût satisfait à l'Église, en se faisant absoudre; et s'il persé-
vérait opiniâtrement dans V excommunication pendant une
année entière, il était noté d'infamie (4). Si le coupable était
(1) «Si quis a judicio ecclesiastico fuit excommunicatus , et in illo statu
« manet per sex septimanas et unum diem , tune jure potest proscribi a
«judicio saeculari. Similiter, si quis a judicio saeculari proscribitur, jure a
« judicio ecclesiastico excommunicatur. Et si priùs fuerat excommunicatus
« quàm proscriptus , priùs etiam ab excommunicatione absolvi débet (prae-
« stitis praestandis) ; et vicissim , si priùs fuit proscriptus quàm excommuni-
« catus, débet etiam priùs liberari a proscriptione. Neuter horum judicum
« débet illum absolvere (ab excommunicatione vel proscriptione), priusquam
« ratione prioris culpae (propter quam primùm fuit excommunicatus vel
« proscriptus) satisfecerit. » Juris Alamanrdci cap. 3. (Senckenberg , Cor-
pus Juris Germanici , lom. 11.)
(2) « Proscriptis aut excommunicatis , si aliquem convenire conantur,
« nemo tenetur respondere; si autem ipsi ab aiiis conveniuntur, obstricti
« sunt ut respondeant. Hoc inde est quod, in judicio ecclesiastico et saecu-
« lari, exclusi sunt a jure quod christianis ordinarie competit. Si quis est vel
a solummodo proscriptus , vel solummodo excommunicatus , tum censetur
« quasi et proscriptus et excommunicatus esset. » Juris Alamannici cap.
127. Voyez aussi les chap. 1 et 2.
(3) Voyez Ducange, Glossarium mediœ et injimœ Latinitatis, verbo Ex-
communicatio . — Idem, Observations sur l'Histoire de saint Louis, par
Joinville, pag. 40. — D. Brial, Recueil des Hist. de France, tom. xiv, Pré-
face, sect. 1, § 10.
(4) Voici comment s'expriment, à ce sujet, les compagnons d'exil de S. Tho-
mas de Cantorbéry, dans une lettre écrite au cardinal Albert, en 1170 : « In
27.
420 DEUXIÈME PARTIE. — POUVOIR DU PAPE
un baron ou un autre seigneur, ses sujets étaient déliés de
leur serment de fidélité envers lui, et ses fiefs pouvaient être
saisis par le seigneur suzerain , jusqu'à ce qu'il eût satisfait à
l'Église (1).
80. Il serait aisé de montrer, par un grand nombre de faits, que
ancien usage ^ prance n'avait pas alors, sur ce point, d'autre usage que le
F'fo.CmeC,°n" reste de l'Europe catholique (2). Mais il suffit, pour s'en con-
sur hceceP^nt ' vaincre, de parcourir les écrits du bienheureux ïves de Char-
des autres ires la lumière et l'oracle de l'Église de France , et même de
l'Jtats.
tout l'Occident, au xne siècle. Dans son Décret ou recueil de
canons, il suppose clairement la discipline alors universelle, sur
les effets temporels de l'excommunication , et particulièrement
l'usage constant qui privait les excommuniés du droit d'accuser
et de se défendre en justice (3). Mais il expose cette discipline
avec beaucoup plus de développement dans une de ses lettres,
adressée à Laurent, moine de La Charité, et qui paraît avoir
été écrite dans le temps de l'excommunication lancée par le
pape Urbain II contre Philippe Ier, à l'occasion de son mariage
scandaleux avec Bertrade. L'évêque de Chartres, consulté par
Laurent sur la conduite à tenir envers les excommuniés, lui
rappelle les règles établies ou renouvelées, sur ce sujet , par Gré-
goire VII : il cite et explique , à cette occasion , les canons du
concile de Rome que nous avons rapportés plus haut (4); et
après avoir rappelé la défense faite aux excommuniés, d'accuser
et de se défendre en justice , il ajoute que les lois divines et
« eo maxime, apud nostrates, justitia viget ecclesiastica, quôd qui per an-
« num excommunicationem sustinent, notari soient inf'amiâ. » S. Thom.
Cantuariens. Epistol. lib. 5, Epist. 22. Cette lettre est la 258e dans le Recueil
des Hist. de France de D. Bouquet, tom. xvi, pag. 419.
(1) Voyez les conciles et autres actes de la législation anglaise cités par
Ducange, ubi suprà; voyez en particulier le concile de Lambeth, en 1261,
cap. De Excommunicalis capiendis; et celui de Londres, en 1342, cap. 13.
(Labbe, Concil. tom. xi, pag. 808 et 1897.) — Fleury, Histoire Ec-
oles., tom xvin, Ht. lxxxv, n. ô; tom. xx, liv. xcv, n. 13. — Prynn,
Antiquœ Constilutiones regnl Angliœ. Londini, 1672, in -fol. pag. 358
et 410.
(2) Voyez les auteurs cités dans la note 3 (le la page précédente.
(3) « Definimus eum rite ad accusationem non admitti, qui postea quàm ex-
a communicatus fuerit, in ipsà adliuc excommunicatioue constitutus, sive
« cleiicus, sive laïcus, àecusare Voluerit. » Ivonis Décret, lib. xiv, cap. 69.
Voyez aussi les chap. 95-97.
(4) Yoyez plus baut, pag. 416 et 417.
SUR LES SOUVERAINS. — CHAPITRE I. 421
humaines Vont ainsi établi, pour obliger les excommuniés à
rentrer en eux-mêmes y et à se repentir de leurs péchés (1).
Nous aurons bientôt occasion de citer plusieurs autres lettres
du même prélat, écrites au sujet du mariage scandaleux de
Philippe Ier, et qui supposent les effets temporels de l'excommu-
nication alors admis en France , môme par rapport aux sou-
verains.
Une ordonnance publiée par saint Louis, en 1228, établit &t.
d'une manière également décisive la législation alors suivie en CeM<^,s,a
France, sur cette matière. On y trouve des dispositions tout à en\'su™r
' <i l sous le regn
fait semblables à celles que nous venons de remarquer dans la de
. , . , , saint Louis.
législation anglaise (2). Cette ordonnance enjoint aux juges sécu-
liers, « d'employer les peines temporelles contre les excommuniés
« qui persévèrent opinâtrément dans l'anathème pendant une
« année, afin de ramener à l'Eglise , par la crainte des châti-
« ments, ceux que la crainte de Dieu ne touche pas. Nous or-
« donnons en conséquence à nos baillis, ajoutele roi, de saisir,
« au bout d'un an , tous les biens meubles et immeubles des
« excommuniés, et de ne les leur restituer qu'après qu'ils au-
« ront été absous, et qu'ils auront satisfait à l'Église ; et dans ce
« cas môme, lesdits biens ne seront restitués, qu'après avoir ob-
« tenu de nous un ordre spécial (3). » On retrouve ces disposi-
(!) « Divinae leges pariter et humanee réfutant et vitant eorum (excom-
« municatorum) testimonia et judicia; non quod non aliquando vera testifi-
« centur, et justa décernant; sed ut, tali repulsâ confutati, ab errore suo
« désistant. » Ivonis Epist. 180. (Operum, part. 2 , pag. 78, col. 2.) Cette
lettre d'ives de Chartres ne se trouve pas dans le Recueil déjà cité de D. Bou-
quet, qui renferme seulement un choix de lettres du prélat.
(2) Cette ordonnance de saint Louis se trouve dans le tom. xi de la coîlec-
lion des Conciles du P. Labbe, pag. 424. On peut voir, à ce sujet, Y Histoire
de V Église Gallicane, tom. xi, pag. 569-572. — Daniel, Bist. de France,
loin. îv, pag. 308 et 576. — Ducange, ubi suprà.
(3) «Statuimus, ut excommunicati vitentnr , secunditm canonicas
« sanctiones ; et si aliqui per annum contumaciter in excommunica-
« tione perstiterint , extunc temporaliter compellantur redire ad ecclesiasti-
« cam unitatem; ut quos a malo non retrahit tiinor Dei, saltem pœna
« temporalis cornpellat Unde praecipimus quod halivi nostri omnia bona ta-
ct lium exeommunicatorum mobilia et immobiîiapost annum capiant, nec eis
« aliquo modo restituant, donec praedicti absoluti fuerint, et Ecclesise satisfe-
« cerint; nec tune etiam, nisi de nostro speciali mandato. » Statuta Ludo-
vici régis, pro libertate Ecclesiœ , n. 7 et 8. ( Labbe ,\Concil. tom. xi,
pag. 424.)
422 DEUXIÈME PARTIE. — POUVOIR DU PAPE
tions dans plusieurs conciles de France, tenus vers le même
temps, particulièrement dans ceux de Cognac, en 1262 (i), et de
Cologne, en 1266 (2). On les remarque également dans le recueil
de lois publié, vers le même temps, sous le titre ft Établissements
de saint Louis (3) , et qui, s'il n'est pas l'ouvrage de ce prince,
exprime du moins la législation en vigueur de son temps (4).
82 Quelque rigoureuse que nous semble aujourd'hui cetle an-
circonstances cjenne législation , elle s'établit d'autant plus facilement, qu'elle
favorables ° L * M
à rétablisse- était au fond un adoucissement de l'ancienne discipline, sur les
de cette disci- effets temporels de la pénitence publique. Il est certain en effet
p,ne* que celle-ci, indépendamment des pratiques pénibles et humi-
liantes qu'elle imposait , donnait lieu aux effets temporels dont
nous parlons , même lorsqu'on la faisait librement et par pure
dévotion; et ces effets subsistaient, même après le temps de la
pénitence (5). D'après la nouvelle discipline, au contraire, outre
que le coupable n'était pas ordinairement obligé aux pratiques
pénibles et humiliantes de la pénitence publique, l'excommuni-
cation n'était prononcée qu'en punition de certains délits consi-
dérables ; et ses effets cessaient, aussitôt que le coupable se mon-
trait digne d'absolution.
(1) Concilium Copriniacense (de Cognac), n. 3. (Labbe, ibid., pag. 821.)
(2) Concilium Coloniense, cap. 38. (Labbe, ibid., pag. 854.)
(3) Établissements de saint Louis, liv. i, chap. 121. Ce chapitre est
cité par Ducange, dans son Glossaire, ubisuprà. Le texte entier des Établis-
sements se trouve à la suite de l'Histoire de saint Louis, par Joinville, édi-
tion de Ducange.
(4) Daniel, Histoire de France, tom. iv, pag. 596. — Montesquieu, Esprit
des Lois, liv. xxvm, chap. 37, etc. — Bernardi, De l'Origine et des Progrès
de la Législation française, liv. v, chap. 4, pag. 329.
(5) Voyez, à l'appui de ces assertions , l'ouvrage du P. Morin que nous
avons cité plus haut, pag. 397, note 1.
SUR LES SOUVERAINS. 423
CHAPITRE IL
Persuasion générale des princes et des peuples, sur la réalité
du pouvoir que les papes et les conciles du moyen âge se
sont attribué à l'égard des souverains.
Quelle qu'ait été l'origine du pouvoir extraordinaire que les 83.
papes et les conciles ont exercé à l'égard des souverains, au sSlT**
moyen âge, il est de fait que, depuis le xe siècle au moins, et JS^uh
même beaucoup plus anciennement dans quelques États, il s'é- inco,itestable-
tablit insensiblement, dans l'Europe catholique, une persua-
sion universelle , qui subordonnait la puissance temporelle à la
puissance spirituelle , en ce sens que le souverain pouvait être
jugé, et môme déposé, en certains cas, par l'autorité du Pape
ou du concile. On peut se partager sur l'origine et les fonde-
ments de cette persuasion, diversement expliqués parles au-
teurs modernes, comme on l'a vu plus haut(l); mais il est peu
de faits aussi clairement établis par l'histoire, que celui de
cette persuasion universelle.
Pour en exposer les preuves avec ordre, nous la considérerons 8*-
r *■ Preuves
successivement par rapport aux souverains catholiques de l'Eu- de ce fait.
rope en général, par rapport à la France et aux États feuda- cLpitre.
taires du saint-siége, enfin par rapport à l'empire d'Occident.
Le développement de ces divers points mettra dans tout son
jour la vérité de ce fait important, que les papes et les conciles
qui se sont attribué le pouvoir déjuger et de déposer des princes
temporels, et Grégoire VII lui-même, qui le premier a fait
usage de ce pouvoir (2) , n'ont fait que suivre des principes
alors universellement admis, et reconnus même par les souve-
rains qui avaient le plus d'intérêt à les contester.
(1) Ci-dessus, pag. 327, n. 2, etc.
(2) Nous supposons ici , comme on le fait communément, que la sentence
de déposition portée par Grégoire VII , contre l'empereur d'Allemagne
Henri IV, est le premier exemple en ce genre. Cette supposition cependant
n'est pas sans difficulté. Il paraît certain que l'empereur Arnoul fut couronné
empereur, en 896, par le pape Formose, qui le substitua à Lambert, cou-
424 DEUXIÈME PARTIE. — POUVOIR DU PAPE
ARTICLE PREMIER.
Preuves de cette persuasion , par rapport aux souverains catholiques de
l'Europe en général.
85- . Un des points les mieux établis par l'histoire de l'Europe, au
La déposition - . - - .' - . ,
encourue moyen âge, cest que, depuis le x siècle au moins, on a ge-
par les princes ,. -j. > • i • • j i •
hérétiques, néraîement applique aux souverains la jurisprudence, depuis
d'a«iastonper" longtemps en vigueur par rapport aux simples particuliers, sur
générale. jes effets temporels de l'hérésie et de l'excommunication.
Pour ce qui regarde, en premier lieu, les effets temporels
de l'hérésie , il est certain que , d'après l'usage et la persuasion
universelle, les souverains, aussi bien que les seigneurs parti-
culiers, encouraient, par l'hérésie, la perte de leur dignité, et
pouvaient être déposés par une sentence du Pape ou du concile.
On peut s'en convaincre par le propre témoiguage de l'empe-
reur Henri IV, à une époque où il était moins disposé que ja-
mais à favoriser les prétentions du Pape, et plus intéressé à les
contester. Immédiatement après le concile de Worms, en 1076,
dans lequel Henri avait fait déposer le pontife , il lui écrivit
une lettre conçue dans les termes les plus insultants, pour lui
notifier cette décision. Toutefois, dans cette lettre si violente,
il ne lui conteste pas absolument le pouvoir de déposer les sou-
verains; il soutient seulement que, « suivant la tradition des
« Pères, un souverain ne peut être déposé, pour quelque crime
« que ce soit, si ce n'est qu'il abandonne la foi (î). » C'était re-
ronné par le même pape, quatre ans auparavant. Mais nous ne connaissons
pas assez les circonstances de ce fait , pour en conclure avec assurance, que
la persuasion générale des princes et des peuples attribuait dès lors au Pape
le pouvoir de déposer l'empereur. Dans le cas où cette persuasion eût déjà
existé, il est difficile de croire que Grégoire Vil ne l'eût pas invoquée, à l'ap-
pui de sa conduite envers l'empereur d'Allemagne. Nous parlerons ailleurs
plus en détail de l'élection de Lambert et d'Arnonl. Sur\la date précise de ces
élections, voyez principalement le P. Pagi, Critic. in Annales Baron., anno
892, n. 2 ; 894, n. 3; 895, n. 4; 896, n. 3; 898, n. 7.— L'Art de vérifier les Da-
tes ; Chronolog. Hist. des Emp. d' Occident.] — Cenni, Monumenta, tom. n,
pag. 28 et 242.
(1) «Me quoque,... qnem sanctorum patrum traditio soli Deo judican-
« dum docuit, nec pro aliquo crimine, nisi à fide (quod absit) exorbitave-
« rim, deponendum asseruit, me, inquam , a Deo constitutum inlio-
«noras. » (Christian. Urstitius, Germaniœ Historici illustres , tom. i,
SUR LES SOUVERAINS. — CHAPITRE II. 425
connaître assez clairement, selon la remarque de Fleury, que,
d'après un usage déjà très-ancien, un souverain qui aban-
donnait la foi pouvait être justement déposé.
Environ deux siècles plus tard, nous trouvons un témoi- Cette8£rsua>
gnage également remarquable de cette persuasion, dans une f*°n
lettre des seigneurs français au pape Grégoire IX, à l'occasion Fronce, sou*
de la déposition de Frédéric II, empereur d'Allemagne. Ce saint Louis
prince ayant été excommunié et déposé par le Pape, en 1239,
celui-ci écrivit à saint Louis une lettre, par laquelle il lui faisait
part de cet événement, et lui offrait l'empire pour le comte
Robert son frère (i). Le roi et les seigneurs français se mon-
trèrent, il est vrai, fort opposés à la conduite du Pape contre
Frédéric. Toutefois, ils ne contestèrent pas à l'Église le droit
de déposer l'empereur, en certains cas, particulièrement pour
le crime d'hérésie. «Si l'empereur, disaient-ils, avait mérité
«d'être déposé, il ne devait l'être que dans un concile, » né-
cessaire, selon eux, pour procéder plus sûrement, dans une ma-
tière aussi grave. Ils ajoutaient « que l'empereur leur semblait
«innocent, tant sous le rapport de sa conduite séculière, que
« sous le rapport de la foi catholique; qu'au reste, on lui en-
verrait des ambassadeurs, pour examiner soigneusement ses
« sentiments sur la foi catholique; et que, s'il était reconnu
«coupable sur ce point, on lui ferait la guerre à outrance,
« comme on la ferait , en pareil cas , à tout autre, et au Pape
« lui-même (2). » Il est à remarquer que le ton d'ailleurs peu
mesuré de cette lettre, et les termes offensants qu'on y emploie
pag. 394.) — Baronii, Annales, tom. xi, anno 1080, n. 24. — Flenry,
Hist. Ecclés., tom. xm, liv. lxii, n. 28. — Voigt, Histoire de Grégoire VU,
liv. vin, pag. 377.
(1) Matthieu Paris, Hist. Angl., anno 1239. — Bossuet, Defensio Declar.,
liv. iv, cap. 6 et 9. — Fleury, Hist. Ecclés., tom. xvn, liv. lxxxi, n. 36, etc.
— Hist. de l'Église Gallicane, tom. xi, année 1239. — Daniel, Hist. de
France, tom. iv, année 1239.
(2) « si Fridericus ab apice imperiali, meritis exigentibus, deponendus
« esset, non nisi per générale concilium cassandus judicaretur Insontem
« sibi videriadhuc Fridericum , neque quid sinistri in eo visum, vel in fide-
« litate saeculari, vel in fide catholicâ; missuros ad Imperatorem , qui quo-
« modo de fide catholicâ sentiat diligenter inquirant : tum ipsani, imàetiam
« ipsum Papam, si ma!e de Deo senserit, usque ad internecionem per-
« secuturos. » Matth. Paris, ubï suprà (cité par Bossuet, ibid. , cap. 6,
pag. 26).
426 DEUXIÈME PARTIE. — POUVOIR DU PAPE
contre le Pape, font soupçonner à quelques auteurs qu'elle lui
fut adressée, sans la participation du roi, par les seigneurs
français, alors très-animés contre le Pape et les évèques(l).
Mais quoi qu'il en soit de cette conjecture, la lettre dont il s'a-
git n'est pas moins propre à faire connaître les principes alors
généralement admis, sur les droits de la puissance spirituelle ,
relativement à la déposition des princes, et particulièrement
de l'empereur, pour cause d'hérésie. Il fallait, en effet, que ces
principes fussent alors généralement regardés comme incontes-
tables, puisqu'ils étaient formellement reconnus par les auteurs
de cette lettre, d'ailleurs pleine des expressions les plus offen-
santes contre le Pape.
g?. On peut citer encore , en preuve de cette persuasion générale ,
Sé°érzlxet plusieurs conciles, tant généraux que particuliers, dont les dé-
pnvticuiiers, crets sur ce^e matière, ont été publiés en présence et avec le
a l appui ' > l ±
de cette per- consentement exprès ou tacite des souverains. Mais rien n'est
suasion. ' , ,
plus remarquable, en ce genre, que les décrets du troisième et
du quatrième concile ,'œcuménique de Latran, si diversement
expliqués par plusieurs auteurs, qui n'ont pas fait assez d'atten-
tion au concours des deux puissances dans ces grandes as-
semblées (2).
^ Le premier de ces conciles, tenu en 1179, renouvelle contre
Décrits du ,
troisième ton- les Albigeois et plusieurs autres hérétiques de cette époque, les
génlrai de principales dispositions du droit romain, alors en vigueur
dans tous les États chrétiens de l'Europe (3). Dans le préambule
de son décret, le concile distingue soigneusement les peines
spirituelles que l'Église décerne contre les hérétiques, par sa
propre autorité, d'avec les peines temporelles qu'elle décerne
du consentement et avec le secours des princes chrétiens.
Voici les propres expressions de ce concile (4) : « Quoique FÉ-
(1) Voyez Daniel et Berthier, ubi suprà.
(2) Voyez, sur ces différentes explications, Tournely, De Ecclesia, tom. n,
pag. 447. — Bossnet, Defensio Declar., lib. iv, cap. I~et2. — Mamachi,
Origines et Antiquitates Christianœ, tom. iv, pag. 245, note 2.
(3) Nous avons exposé plus haut ces dispositions, dans YIntrod. de cet
ouvrage, art. 2, § 2, n. 61, etc.
(4) « Sicut ait beatus Léo, licèt ecclesiastica disciplina, sacerdolali con-
« tenta judicio, cruentas non efficiat ultiones, calholicorum tamenprinci-
« pum constitutionibus adjuvatur, ut sœpe quaerant hommes salutare re-
Latran.
SUR LES SOUVERAINS. — CHAPITRE II. 427
« glise, comme dit saint Léon (1) , contente de prononcer des
«peines spirituelles , par la bouche de ses ministres, ne fasse
«point d'exécutions sanglantes, elle est pourtant aidée par
« les lois des princes chrétiens , afin que la crainte du châti-
« ment corporel engage les coupables à recourir au remède spi-
rituel. » Après avoir établi ce principe, le concile décerne
contre les hérétiques des peines spirituelles et temporelles.
D'abord il les anathématise, eux et leurs fauteurs, les sépare
de la communion des fidèles, défend d'offrir pour eux le saint
sacrifice, et de leur donner la sépulture chrétienne. Puis, fai-
sant usage du secours que l'Église reçoit des princes chré-
tiens, il décerne, contre les hérétiques, des peines temporelles ,
en ces termes : « Que tous ceux qui s'étaient engagés envers eux
« par quelque convention, se regardent comme déliés de toute
« obligation de fidélité, d'hommage et d'obéissance, tandis
« qu'ils persévéreront dans l'hérésie. De plus, nous enjoignons
« à tous les fidèles, pour la rémission de leurs péchés, de s'op-
« poser courageusement aux ravages des hérétiques , et de dé-
« fendre par les armes le peuple chrétien contre eux. Nous or-
« donnons aussi que leurs biens soient confisqués , et qu'il
« soit permis aux princes de les réduire en servitude (2). » Le
concours des deux puissances, pour la publication de ce décret,
outre qu'il est clairement supposé par le texte même que nous
venons de citer, est d'ailleurs attesté par un auteur contempo-
rain, qui, après avoir rapporté les canons dont il s'agit, ajoute
que «ces décrets ayant été publiés, furent reçus par tout le
« clergé et le peuple présentez). » Il est certain, comme Bos-
« médium, dum corporale super se metuunt evenire supplicium. » Concil.
Later. m, can. 27. (Labbe, Concil. tom. x, pag. 1522.)
(1) Le concile emploie ici les propres expressions de saint Léon, dans sa
Lettre à Turibius, évêque d'Espagne, au sujet des Priscillianistes qui infes-
taient alors ce royaume. S. Leonis Epist. 15 (aliàs 93), n. 1. — Fleury, Hist.
Ecclés., t. vi, liv. xxvn, n. 10.
(2) « Relaxatos autem se noverint a debito Jidelitatis et hominii, ac
« totius obsequii, donec in tantâ iniquitate permanserint , quicumque illis
« aliquo pacto tenentur annexi. Ipsis autem, cunctisque fidelibus, in remis-
« sionem peccatorum injungimus, ut tantis cladibus se viriliter opponant, et
« contra eos armis populum christianum tueantur, confîscenturque eorum
« bona, et liberum sit principibus hujusmodi hommes subjicere servituti. »
Concil. Lateran. m;ubi saprà, pag. 1523.
(3) « His itaque decretis promulgatis, et ab universo clero ac populo
428
DEUXIEME PARTIE. — POUVOIR DU PAPE
suet le remarquée ce sujet, que, dans le style des conciles et de
tous les auteurs ecclésiastiques, le mot peuple est ici employé
par opposition au clergé , pour désigner tous les laïques pré-
sents au concile, même les princes et les seigneurs (1).
s9. Ce décret du troisième concile de Latran fut renouvelé , au
<Dua'riLdeU commencement du siècle suivant, par le quatrième concile de
concile gêné- jjatran , tenu en 1215. Après avoir anathémafcisé, généralement
rai °
de Latran. et sans exception , toutes les hérésies contraires à la foi catho-
lique, le concile continue en ces termes : « Nous ordonnons (2)
« circumstante receptis, etc. » Roger de Hoveden, Ann. Anglican, lib. 11.
(Scriptores Angliœ, tom. 1. — Labbe , Concil. tom. x , pag. 1525.)
(1) « Populi autem nomine, ecclesiastico more sty loque, laïci omnes in-
« telligebantur, ipsique adeo principes, et eorum legati. •» Bossuet, Defensio
Declar., lib. iv, cap. 1, pag. 6. On peut voir encore, à l'appui de ces obser-
vations, Fleury, Hist. Eccl., tom. xv, liv. lxxiii, n. 22. — D. Ceillier, Hist.
des Auteurs ecclésiastiq., tom. xxi, pag. 721. — Pey, De l'Autorité des deux
Pîiissances, tom. 1, pag. 112. — Thomassin, Traité des Édits, tom. 11, chap.9.
— Bernardi, De l'Origine et des Progrès de la Législation française ,
liv. v, chap. 3, p. 316.
(2) « Damnati verô, saecularibus potestatibus prœsentibus, aut eorum ba-
livis, relinquantur animadversione débita puniendi, clericis priùs a suis or-
dinibus degradatis; ita quod bona bujusmodi damnatorum, si laïci fuerint,
contiscentur; si verô clerici, applicenturecclesiis a quibus stipendia perce-
perunt. Qui autem inventi fuerint solà suspicione notabiles, nisi juxta con-
siderationes suspicionis , qualitatemque personae , propriam innocentiam
congrue purgatione monstraverint, anatbematis gladio feriantur, et usque
ad satisfactionem condignam, ab omnibus evitentur; ita quod si per annum
in excommunicatione perstiterint , extunc velut haeretiei condemnentur.
Moneantur autem et inducantur, et si necesse fuerit, percensuram eccle-
siasticam compellantur saeculares potestates, quibuscumque fungantur of-
ficiis, ut sicut reputari cupiunt et haberi fidèles, itapro defensione fidei
prsestent publiée juramentum, quod de terris suœ juridictioni subjectis,
universos haereticos ab Ecclesiâ denotatos, bonâ fide, pro viribus extermi-
nare studebnnt Si verô dominus temporalis, requisilus et monitus ab
Ecclesiâ, terram suam purgare neglexerit ab bac haereticâ fœditate, per
metropolitanum et caeteros comprovinciales episcopos excommunicationis
vinculo innodetur; et si satisfacere contempserit infra annum , significetur
hoc summo pontifici, ut extunc ipse vassallos ab ejus fidelilate denuntiet
absolutos, et terram exponat catholicis occupandam, qui eam, extermi-
nalis bœreticis, sineullâ contradiclione possideant, et in fidei puritate con-
servent; salvo jure domini principalis, dummodo super hoc ipse nullum
prœstet obstaculum , nec aliquod impedimentum opponat ; eâdem niliilo-
minus lege servatâ circa eos qui non habent dominos principales
Credentes verô prseterea, receptores, defensores et fautores hsereticorum,
excommunicationi decernimus subjacere; lirmiter statuentes, ut postquam
quis talium fuerit excommunicatione notatus , si satisfacere contempserit
infra annum, extunc ipso jure sit factus infamis, nec ad publica officia seu
SUR LES SOUVERAINS. — CHAPITRE II. 429
« quo les hérétiques, après avoir été condamnés, soient livrés
« aux puissances séculières, ou à leurs baillis, pour être punis
« comme ils le méritent, en observant néanmoins de dégrader
« les clercs, avant de les livrer au bras séculier ; que les biens des
«laïques ainsi condamnés soient confisqués, et ceux des clercs
« appliqués aux églises dont ils ont reçu les rétributions; que
« l'on frappe aussi d'anathème ceux qui seront suspects d'hé-
«résie, à moins qu'ils ne se justifient d'une manière conve-
« nable, suivant la nature du soupçon, et la qualité de la per-
« sonne; que tous les fidèles évitent de communiquer avec eux,
« jusqu'à ce qu'ils aient satisfait à l'Église; et qu'ils soient enfin
« condamnés comme hérétiques, s'ils persistent dans l'excom-
« munication pendant un an. On avertira encore, et on obligera
«môme, s'il est nécessaire, par les censures ecclésiastiques,
«toutes les puissances séculières,.... de s'engager, par un ser-
« ment public, à chasser de leurs terres les hérétiques notés par
«l'Église.... Si un seigneur temporel, averti et requis par FÉ-
« glise, néglige de purger sa terre de la contagion de l'hérésie,
« il sera d'abord excommunié par le métropolitain et ses com-
« provinciaux ; et, s'il ne satisfait dans l'année, on en avertira
« le Pape, afin qu'il déclare les vassaux de ce seigneur déliés de
« leur serment de fidélité, et qu'il abandonne sa terre à des ca-
«tholiques, pour la posséder paisiblement, après en avoir
« chassé les hérétiques, et pour y maintenir la pureté de la foi ;
« sauf le droit du seigneur suzerain, pourvu que lui-même ne
« mette aucun obstacle ou empêchement à l'exécution de ce dé-
« cret; et cependant on suivra la même règle à l'égard de ceux
«qui n'ont point de seigneur suzerain.... Nous ordonnons, en
« outre , que les protecteurs et les fauteurs des hérétiques soient
«excommuniés; et que, s'ils ne satisfont dans l'année, ils
« consilia, nec ad eligendos aliquos ad hujusmodi, nec ad testimonium ad-
« niiltatur. Sit etiani intestabilis, ut nectestandi liberam habeat faeultatem,
« nec ad haereditatis successionem accédât. Nullus prseterea ipsi, super quo-
« cumque negotio, sed ipse aliis respondere cogatur. Quod si forte judex ex-
ce titeiit, ejus sententia nullam obtîneat firmitatem, nec causa? aliqua? ad ejus
« audientiam perferantur. Si fuerit advocatus, ejus patrocinium nullatenus
« admiltatur. Si tabellio, ejus instrumenta confecta per ipsum nullius penitus
« sint momenti, sed cum auctore damnato damnentur. » Goncilittm Laie»
ranense iv, can. 3. (Labbe, Concil. tom.xi, part. 1, p. 147, etc.) — Fleury,
Hist. Ecclés., t. xvr, liv. lxxvii, n. 47.
430 DEUXIÈME PARTIE. — POUVOIR DU PAPE
«soient, de plein droit, regardés comme infâmes, inhabiles
«aux offices et conseils publics,.... intestables, c'est-à-dire,
« incapables de tester et de recueillir une succession ; que per-
« sonne ne soit obligé de leur répondre en justice, sur quelque
« affaire que ce soit , bien qu'ils soient obligés de répondre aux
« autres. Si un homme ainsi condamné est juge, ses sentences
« n'auront aucune force; s'il est avocat, il ne sera point admis
« à plaider; s'il est tabellion (ou notaire), les actes par lui dres-
« ses n'auront aucune valeur. »
9o. Il semble, au premier abord, que le concile, en publiant de
ConTux des pareils décrets, entreprenait sur les droits de la puissance tem-
puidaa"sCes' porelle. Mais, outre que le concours des princes, nécessaire
ia publication p0ur \à validité de ces décrets, avait été clairement expliqué
ces décrets. dans le troisième concile de Latran , tenu peu de temps aupara-
vant, il est certain que ces décrets ne furent publiés que de
concert avec les princes chrétiens, qui avaient tous été convo-
qués à ce concile, et qui y assistèrent en effet par leurs ambas-
sadeurs. C'est ainsi que Bossuet, Fleury, et la plupart des histo-
riens et des canonistes, particulièrement en France, expliquent
les décrets dont il s'agit, et plusieurs autres du même genre,
qu'on rencontre dans les conciles généraux du moyen âge (1).
La réunion des deux puissances, dans ces conciles, a même en-
gagé plusieurs savants auteurs à les considérer comme des diètes
générales, ou des états généraux de l'Europe, qui avaient
tout à la fois le caractère d'assemblées ecclésiastiques et d'as-
semblées politiques (2). En effet, tous les princes catholiques de
l'Europe y étant convoqués, aussi bien que les évêques, et y
assistant par eux-mêmes ou par leurs ambassadeurs, les décrets
qu'on y publiait sur les objets temporels, émanaient tout à la
fois de l'autorité de l'Église et des princes, et devenaient ainsi
obligatoires pour tous les peuples catholiques de l'Europe.
(1) Fleury, ubï suprà. — Bossuet, Defensio Declar., lib. iv, cap. 1-5. —
D. Ceillier, Histoire des Auteurs ecclésiastiques , tom. xxi, pag. 721;
tom. xxiii, pag. 560. — Milner, Excellence de la Religion catholique, let-
tre 49. Voyez aussi les ouvrages de l'abbé Pey, du P. Thomassin et de Ber-
nard!, cités dans la note 1 de la pag. 428.
(2) Thomassin, Traité des Édits, tom. h, chap. 9, pag. 87 . — Idem, An-
cienne et nouvelle Discipline, tom. h, liv. m, chap. 45-57, passim. — Ber-
nardi, ubi suprà, pag. 316,
SUR LES SOUVERAINS. — CHAPITRE II. 431
Mais , indépendamment de ce concours des deux puissances 91.
dans le troisième et le quatrième concile de Latran, le consen- Condeceastlou
tement que les princes chrétiens donnaient aux décrets que nous dorXlnsn^rcèsS
venons de citer, est clairement prouvé par un grand nombre de .des
' x i «j princes,
lois émanées, vers le même temps, de la puissance temporelle , et Par divers
, conct/cs ou
et par plusieurs conciles ou assemblées mixtes y tenues en di- assemblées
vers Etats. Nous remarquerons en particulier une constitution
publiée par Frédéric II, empereur d'Allemagne, en 1220, le
jour même où il reçut la couronne impériale, de la main du pape
Honorius III. L'empereur confirme expressément, par cette
constitution , les décrets du troisième et du quatrième concile
de Latran que nous avons rapportés, et qui sont textuellement
insérés dans cette ordonnance (l). Quelques années après, saint
Louis, à peine monté sur le trône, en publia une semblable,
pour assurer l'exécution des mêmes décrets, dans les provinces
du midi de la France, où l'hérésie des Albigeois, et la protec-
tion que le comte de Toulouse leur avait longtemps accordée,
rendaient cette exécution plus difficile (2). Ce fut par de sem-
blables motifs, que le saint roi demanda depuis au pape Alexan-
dre IV, et obtint de lui l'établissement du tribunal de l'inquisi-
tion en France (3).
(1) Constitutio Friderici //(dans le Corpus Juris Romani, à la suite
du' Livre des Fiefs). — Fleury, Hist. Ecclésiast., tome xvi, liv. lxxviii,
n. 40.
(2) Constitutio Ludovici IX. (Labbe, Concil. tom. xi, prima parte,
pag. 423.) — Histoire de V Église Gallicane, tom. xi, liv. xxxi ,
pag. 31. — Daniel, Histoire de France, édition du P. Griffet, tom. iv,
pag. 575.
(3) Fleury, Histoire Ecclésiastique, tom. xvn, liv. lxxxiv, n. 15. On
doit expliquer ou modifier, d'après cet exposé, l'assertion de plusieurs cano-
nistes français du dernier siècle, qui assurent que les peines temporelles ,
prononcées par les papes contre les hérétiques, ne sont point d'usage en
France. (DeHéricourt, Lois Ecclésiast. de France, tom. i, pag. 149, lrecol.)
Il est certain que, sous le règne de saint Louis, et même longtemps après, la
France n'avait point, à cet égard, d'autre usage que celui de tous les États
catholiques de l'Europe. Il est vrai que, par suite des progrès de la réforme
en France, les principales dispositions du droit commun, sur ce point, y
tombèrent peu à peu en désuétude ; mais on sait que la plupart de ces dispo-
sitions furent remises en vigueur par la révocation de VÉdit de Nantes, en
1685. Voyez de Héricourt, ïbid., pag. 378, etc. — D'Avrigny, Mémoires
pour servir à V Histoire Ecclésiastique du xvne siècle, tom. m, année
1685. — Histoire de Bossuet, par le cardinal de Bausset , tom. îv, liv. xi,
ri. 15.
432 DEUXIÈME PARTIE, — POUVOIR DU TAPE
Parmi les conciles ou assemblées mixtes qui ont publié,
vers le même temps, de semblables décrets, nous remarquerons
en particulier le concile de Tours, en 1163, composé d'une
multitude d'évéques et de seigneurs des royaumes de France et
d'Angleterre (l); celui de Vérone, en H 84, auquel assistèrent
un grand nombre d'évcques et de seigneurs d'Allemagne , de
Lombardie, et de quelques autres États (2); et celui de Tou-
louse, en 1229, où l'on renouvela les règlements publiés, peu
de temps auparavant, par saint Louis contre les hérétiques (3).
Tous ces témoignages sont assurément bien suffisants pour
établir l'usage et la persuasion universelle de l'Europe, au
moyen âge, sur les eiïets temporels de l'hérésie, par rapport
aux princes. Mais ce point si important sera de plus en plus éta-
bli, dans la suite de ce chapitre (4), par les propres aveux des
souverains les plus jaloux de leur autorité, et les plus inté-
ressés à contester l'usage dont nous parlons.
92- Les effets temporels de V excommunication , par rap-
Persuasion . , . . , , .
générale, sur port aux souverains , n étaient pas moins généralement recon-
effeis Tempo- nus ; et l'histoire nous montre les princes eux-mêmes parta-
deiwlnimu. géant, à cet égard, la persuasion universelle. L'histoire de
pîrCîapQârt l'empereur d'Allemagne , Henri IV, suffirait seule pour établir
ce que nous avançons. Nous croyons devoir l'exposer ici avec un
certain développement, soit parce qu'elle nous offre le premier
exemple d'un souverain déposé par suite de l'excommuni-
cation (5), soit parce que les détails de cette histoire sont très-
propres à éclaircir l'objet principal de nos Recherches (6).
(1) Concil. Turon. (Labbe, Concil. tom. x, pag. 1411.) — Fleury, Hist.
Ecclés., tom. xv, liv. lxx, n. 63.
(2) Concil. Veron. (Labbe, ibid., pag. 1737 et 1740.) — Fleury, ibid.,
liv. Lxxm, n. 54.
(3) Concil. Tolos. anni 1229. (Labbe, Concil. tom. xi, prima parte,
pag. 426, etc.) — Fleury, ibid., tom. xvr, liv. lxxix, n. 57. — Hist. de l'É-
glise Gallicane, tom. xi, liv. xxxi, pag. 35, etc. — Pour de plus amples
détails, sur ce point, on peut consulter les auteurs que nous avons cités
dans Y Introduction de cet ouvrage , pag. 94, note 2.
(4) Ci-après, art. 4.
(5) Voyez ci-dessus la note 2 de la page 423.
(6) Pour le développement des faits que nous allons rapporter, voyez
principalement les Annales de Baronius (année 1073 elsuiv.), et la 2e
Dissert, du P. Alexandre sur VHist. Eccl. du xie siècle. Ces deux auteurs
citent longuement les principaux témoignages des auteurs contemporains ,
aux
princes.
SUR LES SOUVERAINS. — CHAPITRE II. 433
Les historiens s'accordent à représenter l'empereur Henri IV 93.
. , Cette persua-
comrae un des plus méchants princes qui aient régne sur 1 Aile- sion
magne. La débauche, la tyrannie, l'avarice, la simonie, fai- Twltoiw*
saient tout à la fois de ce prince le fléau de l'État et de la de^tnwTr
religion (1); et ses vexations continuelles aliénèrent à un tel Caract«re et
° x ' 7 , excès
point les seigneurs de ses Etats, qu'ils songèrent plus d'une de ce prince,
fois à le déposer, dans une assemblée [générale de la nation.
Dès l'an 1067 , longtemps avant le pontificat de Grégoire VII,
ils en avaient conçu le dessein, qu'ils renouvelèrent souvent
depuis, et dont l'exécution ne fut arrêtée que par les intrigues, les
promesses, ou l'amendement passager de Henri (2). Déjà le pape
Alexandre II, dans le désir de remédier aux maux de l'Église
et de l'État, avait cité ce prince à Rome (en 1073) pour rendre
compte de sa conduite, et pour se justifier en particulier sur
l'article de la simonie, une des principales sources des trou-
bles et des scandales qui affligeaient alors l'Église d'Allemagne;
mais la mort du pontife, arrivée peu de temps après cette ci-
tation, la rendit inutile, ou du moins calma bientôt les inquié-
tudes de l'empereur (3). Grégoire VII, successeur d'Alexandre II,
ne fut pas plus lot monté sur le saint-siége, qu'il songea sérieu-
sement à prendre des moyens efficaces pour faire cesser le
scandale; mais pour peu qu'on observe attentivement sa con-
duite, on verra combien il était naturellement éloigné des
moyens de rigueur, surtout à l'égard de Henri. 11 était impos-
sible , en effet , de pousser plus loin qu'il ne fit les témoignages
de bienveillance, de douceur et de compassion, envers un prince
si opiniâtre dans ses désordres (4). Ce ne fut qu'après avoir
épuisé inutilement, par lui-même et par ses légats, tous les
moyens de douceur, qu'il en vint, pour ainsi dire malgré lui,
sur les faits dont nous parlons. Voyez aussi Y Hist. de Grégoire VII , par
Voigt; 2e édition. Paris, 1842, in-8°. — Fleury, Hist. Eccl., t. xm,
liv. lxii, etc. — Receveur, Hist. de l'Église, tora. v, liv. xxvu. Nous avons
déjà fait remarquer ailleurs (Préface), que ce dernier ouvrage peut servir
de correctif à Y Histoire Ecclésiastique de Fleury, et à un grand nombre
d'autres, particulièrement sur les détails concernant l'histoire de Gré-
goire VII.
(1) Voyez les auteurs cités plus haut, p. 372, note 1.
(2) Voigt, ibid., p. 111.
(3) Ibid., p. 158, etc.
(4) Voigt, ibid., p. 187, etc., 364, etc.— Noël Alex., 2ibi suprà, art. 2 et 3.
28
434 DEUXIÈME PARTIE. — POUVOIR DU PAPE
aux menaces et à la rigueur ; encore ne le fit-il qu'à la prière
des seigneurs saxons , qui, poussés à bout par les vexations de
l'empereur, et ne croyant plus pouvoir compter sur ses pro-
messes tant de fois violées, s'adressèrent au saint-siége, comme
à leur unique refuge, et au seul tribunal capable de mettre des
bornes au despotisme et à tous les crimes de Henri. Après avoir
exposé au Pape la triste situation de l'Église et de l'État en Alle-
magne, ils lui représentent « qu'il ne convient pas de souffrir sur
« le trône un si méchant prince, vu surtout que Rome ne lui a pas
« encore donné la dignité royale (t) ; qu'il est à propos de rendre
«à Rome son droit d'établir les rois; qu'il appartient au Pape
« et à la ville de Rome, de concert avec les princes (allemands),
« de choisir un homme digne , par sa conduite et sa prudence,
« d'un rang si élevé (2). » Ils ajoutaient, pour appuyer leur de-
mande, que l'empire était un fief de la ville éternelle, et qu'il
appartenait par conséquent au Pape , comme chef et organe du
peuple romain, de venir au secours de l'empire, dans l'extré-
mité où il se trouvait (3). On doit remarquer que les seigneurs
saxons, en provoquant la sévérité du Pape contre Henri, agis-
(1) D'après l'usage et le droit public de l'Allemagne, le choix que les sei-
gneurs allemands faisaient du roi de Germanie, ne lui conférait pas propre-
ment la dignité impériale; il ne devait prendre le titre d 'empereur qu'a-
près avoir été reconnu et couronné par le Pape. (Voyez ci-après, art. 4; et
chap. 3, art. 2, § 2. ) Cette dernière formalité n'eut jamais lieu par rapport à
Henri, puisqu'il ne fut jamais couronné par un pape légitime, mais seule-
ment par l'antipape Guibert. Il n'était donc pas proprement empereur, mais
seulement roi de Germanie, et empereur élu. C'est en ce sens que les
seigneurs saxons disent , que Rome ne lui a pas encore donné la dignité
royale.
(2) « Non decere (Henricum IV) tam fîagitiosum, plus notum crimine
« quàm nomine, regnare ; maxime cùm sibi regiam dignitatem Roma non
« contulerit; oportere Romœ suumjus in constituendis regibus reddi ;
« providerent Apostolicus et Roma , ex consilio principum, cujus vita et sa-
it pientia tanto honori congrueret. » Apologia Henrici IV; apud Urstitium,
Germaniœ Historici illustres; Francofurti, ie70, in-folio, p. 382 (cité
par Voigt , ubi supra, lib. vin, p. 364 ; et par Bossuet, Def. Declar., lib. i,
cap. 12 ; lib. iv, cap. 9, p. 33).
(3) « Proponunt deinde imperium beneficium esse urbis œternae. » Aven-
tin, Henrici IV Vita, anno 1076 (cité par Voigt, ibid.). Le mot benefi-
cium, dans les auteurs du moyen âge, est souvent synonyme défendus.
(Voyez Ducange, Glossarium mediœ et infimœ Latin., verbo Beneficium.)
C'est ainsi que Voigt et son traducteur l'entendent en cet endroit. Toute-
fois, nous verrons ailleurs que l'empire n'était pas un fief du saint-siége,
dans le sens propre et rigoureux. (Ci-après , art. 4, n. 142.)
SUR LES SOUVERAINS. — CHAPITRE II. 435
saient de concert avec le plus grand nombre des seigneurs alle-
mands , dont le mécontentement s'était depuis longtemps mani-
festé , et se manifestait encore toutes les fois qu'il n'était pas
comprimé par la puissance de Henri , ou par les promesses si-
mulées qui ne coûtaient rien à ce prince, toujours prêt à les
violer aussitôt qu'il pouvait le faire impunément (1).
L'opiniâtreté qu'il montrait dans ses désordres, et le soulève- 94.
ment général qui s'augmentait de jour en jour contre lui, ne II d'exc™m-aoé
permettaient plus au Pape de se borner à des exhortations et à ^"1°^°".
des avis paternels : il adressa donc à Henri les plus fortes remon- .sa réP°»se
t A insultante à
trances , pour l'obliger à mettre fin à ses excès , et surtout à cette menace.
rendre la liberté aux évêques qu'il tenait captifs, et à leur restituer
leurs églises et leurs biens injustement usurpés; enfin, il le lit
menacer d'excommunication par ses légats , s'il ne satisfaisait
promptement à l'Église (2). Henri, blessé jusqu'au vif par cette
menace, chassa honteusement les légats, et convoqua un con-
cile à Worms , où il fit dresser contre Grégoire un acte d'accu-
sation, rempli des calomnies les plus infâmes, par suite des-
quelles il fut déclaré déchu du pontificat (3). Henri lui-même
notifia cette décision au Pape, dans une lettre insultante, et d'un
style aussi peu digne de la majesté royale, qu'indigne d'un
chrétien. Ce que nous devons surtout y remarquer, c'est la
crainte que le prince y témoigne des suites que l'excommuni-
cation pouvait avoir, relativement à sa dignité royale. Quoique
Grégoire , en le menaçant d'excommunication, n'eût pas dit un
seul mot de la déposition , Henri suppose clairement que , dans
le sentiment du Pape et de bien d'autres personnes , l'excom-
munication pouvait entraîner ce terrible effet, du moins après
un certain laps de temps ; car il accuse Grégoire de l'avoir at-
taqué personnellement , et d'avoir voulu lui enlever son
royaume. «Tu m'as déshonoré, lui dit-il, moi qui tiens ma
« puissance de Dieu lui-même; moi qui, suivant la tradition des
« Pères, n'ai d'autre juge que Dieu, et ne puis être déposé pour
« aucun crime, si ce n'est que j'abandonne la foi (4). » Henri
(1) Voigt, ubi suprà, p. 111, 117, 121, 123, 133, etc.; J47, etc.; 192, etc.;
200, etc., etc.
(2) Voigt, ubi suprà, p. 364, etc. — Noël Alex., ubi suprà, art. 3.
(3) Voigt, ubi suprà , p. 369, etc. — Noël Alex., ibid.
(4) Voyez ci-dessus la note 4 de la page 424.
28.
436 DEUXIÈME PARTIE. — POUVOIR DU PAPE
paraît nier ici absolument qu'un souverain pût alors être déposé
pour une autre cause que celle de l'hérésie. Cette assertion ,
prise à la rigueur, contredit formellement la persuasion géné-
rale de cette époque sur les suites de l'excommunication par
rapport aux souverains ; persuasion qu'il ne tarda pas lui-même
à reconnaître, par l'organe de ses députés , dans les négociations
relatives à son absolution. Il est donc vraisemblable, qu'il ne
prenait pas à la rigueur l'assertion que nous venons de citer ; et
que, selon l'usage des anciens auteurs ecclésiastiques, il prenait le
mot d'hérésie dans un sens large, non-seulement pour Y hérésie
proprement dite, mais encore pour certains crimes qui rendent
un pécheur suspect d'hérésie. Tel était en particulier le crime
de simonie, qui était un des principaux griefs de Grégoire
contre Henri (l).
95. Les derniers excès de ce prince, dans le concile de Worms, ne
11 emuîiïé0m pouvaient demeurer impunis. Au moment où le Pape en reçut
et fe Pape :P" *a ûouvelle , il venait de convoquer un concile, dans lequel il
légitimité de prononça contre Henri une sentence d'excommunication et de
semence, déposition (2). Toutefois la suite de l'histoire montre que la sen-
tence, en tant qu'elle regardait la déposition de Henri, n'était
pas définitive, et ne devait avoir son entier effet, que dans le
cas où le prince demeurerait opiniâtrement dans l'excommuni-
cation pendant un an, sans se mettre en devoir de satisfaire à
l'Église (3). On va voir que la sentence était ainsi entendue
par les partisans de Henri , comme par ceux de Grégoire.
La légitimité de cette sentence était reconnue par les hom-
mes les plus éclairés et les plus pieux de cette époque , tels que
saint Anselme de Lucques, Gébehard, évêque de Salzbourg,
Domnison, chapelain de la comtesse Mathilde, Paul Bernried,
Lambert de Schafnabourg, etc. (-1). Mais les partisans de Henri,
(!) Voyez, à ce sujet, Launoi, De Simonia; observ. 3, 4, 5, 11. (Oper.
tom. 11, part. 2.) Fleury, Hist. Ecclés., tom. xui,liv. lxiii, n. 52.
(2) Voigt, vtii supra, p. 375, etc. —Noël Alex., ibid., art. 4.
(3) Le P. Alexandre établit solidement ce point, par le témoignage des
auteurs contemporains et par les lettres mêmes de Grégoire VII. (Ibid.,
art. 4.) Il faut corriger, d'après cette observation , l'assertion contraire de
Voigt (p. 378, note 3).
(4) Voyez leurs témoignages cités par le P. Alexandre (ibid., art. 4 ), et
par le P. Labbe. {Concil. t. x, p. 357, etc.)
SUR LES SOUVERAINS. — CHAPITRE II. 437
comme on devait s'y attendre, la blâmaient hautement, comme
un acte inspiré à Grégoire par un sentiment de vengeance
personnelle, plutôt que par le zèle de la justice. Ce fut pour
réfuter cette calomnie , que le Pape écrivit aux seigneurs alle-
mands une lettre, dans laquelle il expose, avec un langage plein
de dignité , les motifs de la sentence portée contre Henri. On
voit par cette lettre , que Grégoire , en publiant cette sentence,
ne prétendait pas se fonder uniquement sur le pouvoir divin
de lier et de délier , mais tout à la fois sur les lois divines et
humaines y « selon lesquelles Henri méritait, non-seulement
« d'être excommunié, mais d'être privé de la diguité royale (1). »
Ces lettres du Pape , jointes aux peines spirituelles dont il 96.
menaçait les partisans du schisme , et à la mort subite dont fu- ^esUcéue de
rent frappés, en ce même temps, plusieurs partisans de Henri, sentence-
diminuèrent beaucoup le nombre de ces derniers (2). Plusieurs
même de ceux qui lui avaient été d'abord le plus attachés , con-
çurent des inquiétudes sur leur conduite, et commencèrent à
respecter la sentence du Pape, « considérant surtout que, d'après
« les lois de l'empire, un excommunié qui ne se fait pas absou-
« dre dans l'année, doit être privé de toutes ses dignités (3). »
Le petit nombre de ceux qui demeuraient attachés à l'empereur,
se retranchaient à soutenir que sa cause n'avait pas été suffi -
(1) « Propter quae (scelera) Henricum excommunicari non solùm usque
« ad dignam satisfactionem, sed ab omni honore regni, absque spe recupe-
« rationis, debere destitui, divinarum et humanarum legum testatur
« auctoritas. » Paul Bernried1, De Rébus gestis Greg. VII , cap. 78. (Mu-
ratori, Rerum liai. Script, t. ni, part. 1, p. 337. lre col. D.) — Voigt, ubi
suprà, p. 384. — Noël Alexandre, ubisuprà, art. 4. — Fleury, Hist. Eccl.,
t. xiii, liv. lxii, n. 33.
(2) Voigt, ibid.y p. 385, etc.
(3) « Dubitare cœperunt an excommunicationem ipsam contemnere, an
« reverenter observare deberent; maxime cùm in eorum lege contineatur,
« ut si quis, infra annum et diem , excommunicationis vinculo non fuerit
« absolutus, omni careat dignitatis honore. » Nicolas Roselli, cardinal d'Ara-
gon, Vita Gregorii VII. (Muratori, Rerum Italie. Script, t. m; part. 1,
p. 307, note 14.) — Voigt , ubi suprà, p. 390. — Le cardinal d'Aragon écri-
vait sous le pape Innocent VI, vers l'an 1360 ; son témoignage, sur le point
qui nous occupe , est confirmé, comme on va le voir, par ceux de Lambert et
de Bernried , contemporains de Grégoire VII. Il peut d'ailleurs servir à prou-
ver que, dans la suite du moyen âge , comme au temps de Grégoire VII, on
ne regardait pas le pouvoir du Pape sur les souverains , dans l'ordre tem-
porel, comme uniquement fondé sur le droit divin.
438 DEUXIÈME PARTIE. — POUVOIR DU PAPE
samment examinée , ou qu'un souverain ne peut être excommu-
nié (1). Grégoire VII avait suffisamment réfuté le premier pré-
texte dans sa lettre aux seigneurs allemands; il examine le
second dans une lettre à Herman , évêque de Metz , qui l'avait
consulté sur cette question; et il montre, d'après l'Écriture et
la tradition, que la puissance de lier et de délier , ayant été
donnée aux apôtres généralement et sans distinction de person-
nes, comprend les princes comme les autres (2).
(i) Voigt, ibid. , p. 389 et 390.
(2) « Eis autem qui dicunt regem non oportere excommunicari, licèt pro
« magnâ fatuitate nec etiam eis respondere debeamus , tamen ne impatien-
« ter illorum insipientiam prseterire videamur, ad sanctorum patrum dicta
« vel facta illos mittimus, ut eos ad sanam doctrinam revocemus Sed
« forte hoc volunt prasdicti viri intelligere, qnôd quando Deus Ecclesiam
«■ suam ter beato Petro commisit, dicens, Pasce oves measf reges exceperit.
« Cur non attendunt , vel potiùs erubescendo confitentur , quia ubi Deus
« beato Petro principaliter dédit potestatem ligandi et solvendi in cœlo
« et in terra , nullum excepit, nihil ab ejus potestate subtraxit ? » Greg. Vil
Epistol. lib. iv, Epist. 2. (Labbe, ConciL tom. x , p. 149 et 150.) — D. Ceil-
lier, Hist. des Auteurs eccl. , t. xx, p. 633.— Fleury, ubi suprà, n. 32.
— Voigt, ubi suprà, p. 391 , etc. — Noël Alex., ubi suprà], art. 4, dernier
alinéa.
Bossuet , dans la Défense de la Déclaration , suppose avec le P. Alexan-
dre, que les partisans de Henri ne contestaient pas précisément qu'un
souverain pût être excommunié , mais seulement qu'il pût être frappé
d'une excommunication qui entraînât la perte de ses droits temporels.
(Nat. Alexand., ubi suprà, art. 10, n. 6. — Rossuet, Defens. Decl.,
ïib. i, sect. 1, cap. 7 ; sect. 2, cap. 30.) Cette supposition est contraire au
texte de Grégoire VII, qui déclare lui-même, au commencement de la lettre
dont nous parlons , qu'il va répondre à ceux qui prétendent qu'un roi ne
doit pas être excommunié. Ce qui paraît avoir induit le P. Alexandre et Bos-
suet après lui, dans l'erreur sur ce point , c'est qu'ils ont confondu la pre-
mière lettre de Grégoire VII à Herman , écrite en 1076 ( lib. îv, Ep. 2), avec
la seconde, écrite en 1080 (lib. vu, Ep. 21j). Dans la première, écrite avant
que l'empereur eût été définitivement déposé, Grégoire se propose uni-
quement d'examiner la difficulté de ceux qui prétendaient qu'un roi ne
doit pas être excommunié; dans la seconde, écrite après la sentence défi-
nitive de déposition , Grégoire examine de plus la difficulté de ceux qui
prétendaient que le Pape ne pouvait délier les sujets de leur serment de
fidélité. « Quod autem postulasti, te quasi nostris scriptis juvari ac praemu-
« niri contra illorum insaniam, qui nefando ore garriunt, auctoritatem san-
« ctae sedis non potuisse regem Henricum excommunicare , nec quem-
« quam à sacramento fidelitatis ejus absolvere; non adeo necessarium
« nobis videtur , cùm hujus rei tam multa ac certissima documenta in sa-
« crarum Scripturarum paginis reperiantur.» (Epist. lib. vin, Ep. 21, pag.
267.) Faute d'avoir distingué ces deux lettres, le P. Alexandre est tombé
sur ce point dans une contradiction remarquable ; tantôt il suppose avec nous
SUR LES SOUVERAINS. — CHAPITRE II. 439
La fermeté du Pape à soutenir la sentence portée contre Henri, 97,
ne l'empêchait pas de se montrer disposé à l'absoudre , dans L s™^ur
le cas où il reviendrait à de meilleurs sentiments. Les Saxons el uobtient son
1 . ... absolution:
profitant des circonstances, pour renouveler leur ancienne ligue ses nouveaux
contre l'empereur, s'adressèrent de nouveau au saint-siége,
pour demander conseil sur le parti qu'ils devaient prendre (t).
Grégoire profita de cette occasion , pour manifester ses disposi-
tions pacifiques à l'égard de Henri. Il engagea les seigneurs
allemands à user de douceur envers lui, afin de lui donner lieu
de s'amender ; il les priait en même temps de ne songer à
une nouvelle élection , que dans le cas où ce prince refuserait
absolument de satisfaire à l'Église (2). Les seigneurs, qui por-
taient impatiemment , depuis si longtemps, le joug de l'empe-
reur , se réunirent alors à Tribur , pour délibérer sur ce qu'ils
avaient à faire, et songèrent à déposer Henri, pour lui donner
un successeur (3). L'empereur, effrayé de ces dispositions,
entra en négociation avec les seigneurs , et leur promit, de la
manière la plus solennelle , de réparer au plus tôt ses injustices
passées ; mais tout ce qu'il put obtenir d'eux , ce fut qu'ils sus-
pendissent leurs délibérations, jusqu'à ce qu'il se fut rendu à
Rome , pour soumettre sa cause à la décision du Pape ; encore
ajoutèrent-ils , que si , par sa faute , il ri était pas absous de
V excommunication dans l'espace d'un an, il serait définiti-
vement déchu du trône, sans aucune espérance de recou-
vrer sa dignité, que les lois de V empire ne lui permettent
que plusieurs des partisans de Henri soutenaient qu'un roi ne peut être ex-
communié (art. 4, dernier alinéa); tantôt il suppose que personne ne sou-
tenait alors cette erreur ( art. 10, n. 6 ).
(1) Voigt, ibid., p. 397, etc.
(2) « Quia nos contra eum non movit, Deo teste, saecularis superbia, nec
« vana mundi cupiditas , sed sanctss sedis et univcrsalis Ecclesiae solliciludo
« et disciplina; monemus vos in Domino Jesu et rogamus, sicut carissimos
« fratres, ut eum bénigne , si ex toto corde ad Deum conversus fuertt ,
« suscipiatiSy et circa eum , non tantùm justitiam quae illum regnare pro-
« hibet, sed misericordiam quaa multa delet scelera, ostendatis Quod
« si ex corde non fuerit ad Deum conversus , talis ad regni gubernatio-
« nem, Deo favente, inveniatur, qui ea quœ videntur christianse rcligioni,
« et totius imperii saluti necessaria, secretâ ac indnbitabili promissione ob-
« servaturum promittat. » Greg. VII Epist. lib. iv, Epist. 3. (Labbe, Concil.
ubi suprà, p. 151 et 152.) — Voigt, ibid., p. 405.
(3) Voigt, ibid., p. 407, etc.
440 DEUXIÈME PARTIE. — POUVOIR DU PAPE
pas de conserver, après être demeuré excommunié pendant une
année entière (l). >
Quelque humiliantes que fussent ces conditions , Henri s'es-
tima heureux de les obtenir, et songea sérieusement à se
réconcilier avec le Pape, « persuadé, disent les auteurs con-
« temporains , que tout son salut consistait à recevoir Vab-
« solution avant le jour anniversaire de son excommuni-
* cation, et que s'il n'était absous avant ce
«jour, il perdrait définitivement son royaume, sans espé-
« rance de le recouvrer (2) , » il se rendit promptement en
Italie, pour négocier auprès du Pape l'affaire de son absolution.
Arrivé à Canosse, où était alors le pontife, il lui envoya des
députés chargés de lui annoncer qu'il était prêt à lui donner
toutes les satisfactions qu'il souhaiterait. Ces députés de-
vaient aussi représenter au Pape, « que le jour anniversaire de
« l'excommunication approchait , et que si elle n'était point
« levée avant ce jour , le prince, d'après les lois de l'empire,
(1) « Quôd si ante diem anniyersarium excommunicationis suœ, suo prae-
« sertim vitio, excommunicatione non absolvatur, absque retractatione in
« perpetuum causa ceciderit, nec legibus deinceps regnum repetere pos-
ée sit, qnod legibus ultra administrais, , annuam passus excommuni-
« cationem, non possit. » Lambert de Scbafnabourg, Chronicon , anno
1076. (Tom. i du Recueil de Pistorius, Rerum German. Scrip. Ratisbonœ,
1726, 3 vol. in-fol. ) Le passage dont il s'agit est cité par le P. Alexandre,
ubi suprà, art. 5. — Baronii Annales , anno 1076 , n. 57. — Voigt, ibid.,
p. 413. — Fleury, Hist. Ecclés., t. xm , liv. lxii, n. 36.
(2) « Rex certo sciens omnem suam in eo verti salutem , si ante anni-
« versarium diem excommunicatione absolveretur , optimum factu
« sibi judicavit, ut Romano pontifici in Italiam occurreret Hiems erat
« asperrima ; sed dies anuiversarius , qno rex in excommunicationem
« devenerat, è vicino imminens, nullas accelerandi itineris moras patieba-
« tur; quia nisi ante eam diem anathemate absolveretur , decretum no-
te verat communi principum sententiâ, ut et causa in perpetuum cecidisset,
« et regnum sine ullo deinceps remedio amisisset. » Lambert de Scbaf-
nabourg, ubi suprà. {Baronii Annales, anno 1076, n. 60; anno 1077 ',
n. 1.) Ce texte est également cité par Voigt, ubi suprà, pages 419 et
422. Mais la première partie est attribuée mal à propos à Paul Rernried.
Voici le texte de ce dernier, parfaitement conforme, pour le fond, à celui de
Lambert : « Ipse verô (Henricus) ejusque complices, communionem utcum-
« que festinaverant recipere , qn\a,J2ixta legem Teutonicorum , se prsediis
« et beneficiis privandos esse non dubitabant , si sub excommunicatione
« integrum annum permanerent ; cujus adbuc unus mensis surperfuit,
« dum ad reconciliationem redirent. » Paul Rernried , De Rébus gestis
Greg. VII, cap. 85. ( Muratori , ubi suprà, p. 339, 2e col.) Voyez aussi
Fleury, ubi suprà, n, 37.
SUR LES SOUVERAINS. — CHAPITRE II. 441
«serait jugé indigne de la royauté (1).» Grégoire, touché
de ses promesses, lui accorda l'absolution, à condition qu'il
promît avec serment , de soumettre sa cause à l'assemblée gé-
nérale des seigneurs allemands et au jugement du Pape, qui,
après un sérieux examen des accusations portées contre lui , dé-
cideraient de concert, s'il convenait de lui conserver sa di-
gnité (2). Malheureusement, dans cette occasion comme en
plusieurs autres , Henri ne cherchait qu'à gagner du temps, et
à calmer l'orage, par des promesses apparentes. A peine sorti
de Canosse, où il avait reçu l'absolution, il oublia tous ses
engagements, et provoqua, par de nouveaux excès, la sévérité
des seigneurs allemands, qui, sans la participation de Grégoire,
et malgré ses efforts pour les apaiser , déposèrent Henri ( en
1077 ) dans la diète de Forcheim, et lui substituèrent Rodol-
phe de Souabe (3). Ce fut seulement après cette élection , que
Henri fut de nouveau excommunié, et définitivement déposé
en 1080 par le Pape, dont la sentence ne fut réellement qu'une
confirmation du jugement déjà prononcé par les seigneurs alle-
mands, dans la diète de Forcheim (4).
Il résulte clairement de cet exposé, qu'à l'époque des fâcheu- „ s8-
*■ ' ■* *- * Conséquence
ses discussions dont nous venons de parler, on était générale- «ic tous
-./ ,* "■ % , » . •» ,, . . . ces fails, rela-
ment persuade que, d après les lots de l empire , un prince qui tivemmi
persévérait opiniâtrement dans l'excommunication pendant une a yESSl1011
année entière, sans se mettre en devoir de satisfaire à l'Église, dont il sag!t'
était déchu de sa dignité, et pouvait être déposé. Il est vrai que
l'empereur Henri IV paraît supposer le contraire, dans la lettre
insultante qu'il écrivit à Grégoire VII, au commencement de cette
contestation (5); mais cette lettre, visiblement inspirée par la
passion, qui ne connaît pas de mesure, ne saurait prévaloir sur le
témoignage des auteurs contemporains que nous avons cités (6) ,
(1) « Ut si ante hanc diem excommunicatione non absolvatur, deinceps ,
ajuxta Palatinas leges, indignus regio honore habeatur. » Lambert de
Schafnabonrg , Historia Imperatorum. (Script. Reriim Germanie, ubi
suprà.) — V oigt, ibid., p. 426. — Fleury, ibid. , n. 39.
(2) Voigt, ibid., p. 429, etc.
(3) Voigt, ibid., p. 436, etc. —Noël Alex., ubi suprà\ art. 6 et 7.
(4) Voigt, ibid., p. 523, etc — Noël. Alex., ubi suprà, art. 8.
(5) Ci-dessus, p. 435.
(6) Ci-dessus , n. 97.
442 DEUXIÈME PARTIE. — POUVOIR DU PAPE
des seigneurs allemands assemblés à Tribur, et des députés
mêmes de Henri, qui, pour presser le Pape de lui accorder l'ab-
solution, insistaient fortement sur les anciennes lois de V em-
pire, « d'après lesquelles il serait jugé indigne de la royauté,
« s'il n'était absous avant le jour anniversaire de son excommu-
« nication (l). »
99- 11 n'entre pas dans notre plan d'examiner en détail toutes les
"difficiles es difficultés qu'on peut opposera notre sentiment, relativement
co"deeceu/ait au fait de cette persuasion universelle, sur les effets temporels
persuasion, fe i'excommunication (2). Outre que cet examen nous condui-
rait beaucoup trop loin, nous croyons avoir prévenu, par notre
exposé, la plupart des difficultés dont il s'agit. 11 était impossi-
ble, en effet, qu'une sentence aussi terrible que celle de Gré-
goire VII, prononcée contre un prince du caractère de l'empe-
reur Henri IV, n'éprouvât de vives contradictions, principalement
de la part de ses partisans, de ceux qui avaient à redouter sa
puissance, ou qui espéraient de lui quelque faveur. Il était donc
inévitable que, malgré la sentence du Pape, un certain nombre
de personnes, intéressées à soutenir la cause de Henri, ou
éblouies par les sopbismes de ses défenseurs, continuassent à le
reconnaître, et à traiter avec lui comme avec un prince légitime,
surtout avant la sentence définitive qui le déposa, en 1080.
Mais on conçoit aussi que toutes ces oppositions n'affaiblissent
aucunement l'autorité des témoignages positifs que nous avons
cités, pour établir le fait de la persuasion générale qui existait
alors, sur les effets temporels de l'excommunication, d'après les
lois de l'empire.
Quelque suffisante que soit cette observation , pour résoudre
la plupart des difficultés qu'on peut nous opposer, nous croyons
devoir examiner de plus près celles qui sont de nature à faire
plus d'impression sur un certain nombre de lecteurs. Elles se
tirent principalement de la conduite des partisans de Henri , qui
méprisèrent la sentence du Pape, et de l'étonnement causé dans
le monde par cette sentence.
(1) Ci-dessus, n. 97.
(2) Ces difficultés sont exposées par Noël. Alex., ubï suprà, art. 10; et
par Bossuet, ubï suprà, lib. m, cap. 6, etc. — Elles sont examinées en dé-
tail par Bianchi, Délia Potesta délia Chiesa, t. i, lib. h; et plus briève-
ment par Mamachi, Origines et Antiquit, Christ., t. iv, p. 249.
SUR LES SOUVERAINS. — CHAPITRE II. 443
La première difficulté, tirée de la conduite des partisans de
IOO.
La sentence
Henri, est bien faible, sous quelque rapport qu'on l'envisage. Car, d"ïaepnè
l° le parti de ce prince se composait principalement des seigneurs méi,r{^e Par
qui participaient à ses violences et à ses brigandages, ou d'évê- ^'"j!^"? de
ques et d'autres ecclésiastiques simoniaques et concubinaires,
manifestement intéressés .à contredire la sentence du Pape, qui
les menaçait eux-mêmes d'excommunication et de privation de
leurs dignités ou de leurs bénéfices. 2° Les partisans de Henri
contestaient, à la vérité, la validité de la sentence portée contre
lui par le Pape, sous prétexte qu'elle avait été rendue sans un exa-
men suffisant, qu'elle n'était pas revêtue des formes requises;
quelques-uns même, sous prétexte qu'un souverain ne peut être
excommunié (1). Mais on ne voit pas qu'ils contestassent précisé-
ment les suites attachées à l'excommunication, par les lois de
l'empire. On voit même ces suites reconnues par les députés
chargés de négocier auprès du Pape l'absolution de l'empereur.
3° Plusieurs de ceux qui avaient d'abord soutenu la cause de ce
prince, l'abandonnèrent bientôt, « considérant surtout que,
« d'après les lois de l'empire , un excommunié qui ne se fait
« pas absoudre dans l'année, doit être privé de toutes ses digni-
« tés (2). » 4° Enfin, quand il serait vrai que ce terrible effet
de l'excommunication eût été contesté par quelques partisans
de Henri, il demeure constant qu'il était généralement admis
par les hommes pieux et éclairés. Ce fait, qui résulte clairement
de notre exposé, est reconnu par les auteurs modernes les moins
suspects de partialité en faveur de Grégoire. « Ce raisonnement
« (tiré de l'obligation de fuir les excommuniés), dit Bossuet,
« avait tellement frappé les hommes pieux et éclairés, au temps
« de Grégoire VII , qu'ils renoncèrent à l'obéissance de l'empe-
« reur Henri IV, excommunié par ce pontife... On avait coutume
« alors d'insister fortement sur la loi qui défend le commerce
« avec les excommuniés ;. . . et c'était la principale raison appor-
« tée par ceux qui renonçaient à l'obéissance de l'empereur (3). »
(i) Voigt, p. 389, etc.
(2) Ci-dessus, p. 437.
(3) « Hoc illud argumentum est, quo uno, Gregorii VII temporibus, viros
« bonos doctosque permotos fuisse videbimus , ut ab Henrici IV régis ex-
« communicati obedientiâ recédèrent Solebant autem , his tempori-
« bus, vehementissimè urgere, quod excommunicatos vitaredebeamus;....
IOI.
Étonnement
causé
444 DEUXIÈME PAKTIE. —POUVOIR DU PAPE
Peut-être nous opposera-t-on avec plus de confiance l'étonne-
ment causé dans le monde par la'sentence de Grégoire VIT con-
tins immonde tre j'empereur. « La nouveauté de cette sentence, dit Bossuet (l)
cette semence. « causa un étonnement universel, au témoignage d'Othon, évê-
« que de Frisinguc, écrivain distingué du xue siècle,... et pané-
« gyriste de Grégoire Vil. Voici comment il s'exprime, au sujet
« de la déposition de Henri : L'empire fut d'autant plus indigné
« de cette nouveauté, que jamais il n'avait vu, avant cette
« époque, une pareille sentence , publiée contre un empereur
« romain (2). Dans un autre endroit, il témoigne en ces termes
« l'étonnement que lui causait cette nouveauté : J'ai beau lire
« et relire les histoires des rois et des empereurs romains, je
« ne trouve nulle part qu'aucun d'eux, avant Henri IV, ait
« eâque se ratione maxime tuebantur , qui regem respuebant. » Bossuet,
Def. Declar.y lib. i, sec. 2, cap. 24, p. 348; lib. m, cap. 4, p. 587, et alibi
passim. A l'appui de ce témoignage de Bossuet, nous citerons un peu plus
bas ceux de Fleury, Pfeffel, etc. (Ci-après, n. 119, etc. )
(1) « Ad rei novitatem obstupuere omnes. Testis Otho , episcopus Frisin-
« gensis, duodecimi saeculi auctor nobilis, doctrine, virtutibus ac génère
« clarus; ad haec historiens candidissimus, et Gregorii VII laudator exi-
« mius; sedi verô apostolicœ sic addictus, ut Romanos pontifices, prope-
« modùm impeccables faceret. Isenim de Henrïco deposito haec scribit : Cu-
« jus rei novitatem eo vehementiiis indignatione motum suscepit impe-
« rium, quonumquam, ante hœc tempora, hujusmodi sententiam in
« principem Romanorum promulgatam noverat. Quin ipse etiam Otho,
« quantum eâ novitate moveretur , his verbis testatur : Lego et relego Rô-
ti manorum regum, et imperatorum gesta; et nusquam invenio quem-
« quam ante hune (Henricum IV) à Romano pontijice eœcommunicatum,
«■ vel regno privatum. » Bossuet, Def. Declar., lib. i, sect. 1, cap. 7 ; lib. m,
cap. 3. — Noël Alexandre , ubi supra, art. 9 et 10. — Fleury, Hist. EccL,
t. xnr, 3e Discours, n. 18; liv. lxii, n. 32. Le P. Alexandre (ibid., art. 10,
n. 7) cite en preuve de l'étonnement causé dans le monde chrétien par la
sentence du Pape , le témoignage de Grégoire VII lui-même, dans une lettre
adressée aux Allemands , où il dit , que « tous les Latins ( c'est-à-dire , les
« Italiens), à peu d'exceptions près, prennent le parti de Henri, et accusent
« le Pape d'une excessive dureté envers l'empereur. » ( Gregorii Epistol.
lib. vu, Ep. 3.) Le P. Alexandre n'a pas fait attention que cette lettre,
écrite en 1079, ne regarde pas la sentence du Pape contre l'empereur, mais
1 la difficulté que faisait le Pape d'approuver l'élection de Rodolphe. Cette
élection, comme nous l'avons remarqué (ci-dessus, p. 441 ), avait été faite
sans la participation de Grégoire, qui ne regardait pas Henri comme défini-
tivement déposé , et qui n'avait pas perdu toute espérance d'obtenir de
lui les satisfactions convenables. (Voigt, Histoire de Grégoire VII ,
p. 507, etc.)
(2) Othon deFrisingue, Chronicon. lib. vi, cap. 35, etc. (Tom. i du
Recueil d'Urstitius , Germaniœ Historici illustres. Francofurti, 1670,
2 vol. in-fol. )
SUR LES SOUVERAINS. — CHAPITRE II. 445
« été excommunié, ou privé de son royaume par le Pape ( l ). »>
Les auteurs qui proposent cette difficulté tombent, à ce qu'il
nous semble, dans une contradiction singulière. D'un côté, ils
avouent que Grégoire VII, en s'attribuant un si grand pouvoir
sur les souverains, ne faisait que suivre des maximes générale-
ment reconnues de son temps, même par les hommes pieux et
éclairés (2). D'un autre côté, ils prétendent qu'en s'attribuant
ce pouvoir, il étonna le monde entier, par l'étrange nouveauté
de ses principes (3). Il semble difficile de concilier deux asser-
tions si différentes.
Mais pour examiner en elle-même la difficulté qu'on nous op-
pose, comment peut-on apporter en preuve de l'étonnement causé
par la sentence de Grégoire VII contre l'empereur, Othon de
Frisingue, qui écrivait un siècle plus tard? Pour savoir l'impres-
sion que produisit cette sentence, à qui faut-il s'en rapporter?
aux auteurs contemporains, qui assurent qu'elle était conforme
aux anciennes lois de V empire, ou aux écrivains plus récents,
qui la représentent comme une étrange nouveauté ?
Peut-être cependant pourrait-on concilier ces auteurs entre eux,
en observant que cette sentence, quoique fondée sur les ancien-
nes lois de l'empire, était, à certains égards, une véritable nou-
veauté. C'était la première fois qu'on appliquait le principe con-
sacré par ces anciennes lois ; et l'application avait quelque chose
d'étonnant, et même d'effrayant, étant faite à un si grand prince.
Si le monde avait été justement étonné de voir saint Ambroise
excommunier Théodose , et ce prince humblement soumis à la
sentence du pontife, il devait l'être bien davantage, envoyant,
pour la première fois, un empereur déposé, en vertu des lois
de l'empire , qui attachaient à l'excommunication ce terrible
effet.
La suite de l'histoire nous montre ce même effet de l'excom- I02.
munication, également reconnu dans les autres États catholiques EffertesutXpo"
de l'Europe. L'empereur Frédéric Ier (Barberousse) ayant été rexco,.nmui,i-
excommunié et déposé par le pape Alexandre III , en punition par rapport
aux
(1) Idem, De Gestis Frider. 1, lib. i, cap. 1. (Tom. i du Recueil d'Ur-
stitius. )
(2) Ci-dessus, p. 443.
(3) Voyez les auteurs cités dans la note 1 de la page précédente.
446
DEUXIÈME PARTIE —POUVOIR DU PAPE
princes , de ^a protection publique qu'il accordait à l'antipape Victor (l ),
reconnus en Jean fe Sarisberv, auteur contemporain, et l'un des écrivains
xne siècle, les plus distingués de cette époque, suppose comme un prin-
cipe universellement reconnu, que la déposition de l'empe-
reur est une suite de l'excommunication dont le Pape l'a
frappé ; et il souhaite que le souverain pontife emploie le même
moyen, pour obliger le roi d'Angleterre à se désister de ses in-
justes prétentions, contre les libertés de l'Église d'Angleterre.
«J'espère dans le Seigneur, écrivait-il, en 1167, à Guillaume,
« sous-prieur d'un monastère de la province de Kent (2) , que la
« ville de Jéricho (c'est-à-dire le roijaume du démon et des per-
« sécuteurs de l'Église) ne tardera pas à tomber, au bruit des
(1) Cette sentence d'excommunication et de déposition fut prononcée
d'abord en 1160, dans le concile d'Anagni, et renouvelée en 1167 , dans un
concile de Latran. C'est par erreur que Bossuet la recule jusqu'à l'an 1 168.
Voyez, à ce sujet, les Annales de Baronius, année 11 68, n. 32. — Fleury ,
Hist. Ecclés., t. xv, liv. lxx, n. 43. — Bianchi, Délia Potesta délia Chie-
sa, t. h, lib. v, § 14, n. 2.
(2) « Spes est in Domino, ut,vociferantibus tubis sacerdotalibus, in proxi-
mo corruat et Hiericho , et regnum proprio sanguine acquisitum obtineat
triumphator Jésus, et in pace possideat quod sui juris est, sponsus et
custos Ecclesiae Christus. Cùm enim Romanus pontifex per patientiam
Teutonicum tyrannum diutius expectasset , ut vel sic provocaretur ad
pœnitentiam, et schismaticus , abutens patientiâ ejus, peccata peccatis ad-
deret jugiter, ut error in amentiam verteretur ; vicarius Pétri, a Domino
constilutus super génies et super régna, Italos et omnes qui ei , ex
causa imperii et regni, religione jurisjurandi tenebantur adstricti , a fide-
litate ejus absolvit ; et Italiam fere totam a facie furentis et praesentis ,
tantà felicitate et celeritate, excussit , ut in eâ nihil habere videatur nisi
tortores quos évitât interdum , et angustiarum, quas evitare non potest,
juge supplicium; abstulit ei etiam regiam dignitatem, ipsumque anathe-
mate condemnavit , donec fructus pœnitentiae condignos operetur...
Et quidem illa sententia effectum sortita est ; et hanc, de privilegio Pétri
latam, videtur ipse Dominus confirmasse. Hoc enim Itali audito, ab eo
discedentes , reaedificaverunt Mediolanum , schismaticos expulerunt, ca-
tbolicos reduxerunt episcopos, et apostolicae sedi unanimiter adbaeserunt.
Sed quld nota recenseo? Hoc ubique locorum fama, quasi praeconâ voce,
concélébrât; nec aliquibus dubium puto, nisi forte lateat illos, qui soli,
tempestate hâc, exulant domi suae. Quia ergo ab Oriente jam radius se-
renitatis illuxit per Christum , et incolumitas Ecclesiae in capite repara-
tur, superest spes fidei certissima , quod unguentum a capite in aposto-
licam barbam exuberans descendet in caput et oram Ecclesiae Anglica-
nae. » Jean de Sarisb., Epistola 210, ad Wilhelmum, subpriorem
Cantiœ. (Biblioth. Patrum t. xxui — Inter Epistolas S. Thomœ Can-
tuar.y lib. n, epist. 89. — Baronii Annales , t. xii, anno 1668, n. 63. — -
Rerum Gallic. Script, t. xvi. Joan. Sarisb. Epist. 57.)
SUR LES SOUVERAINS. — CHAPITRE II. 447
« trompettes sacerdotales ; que Jésus , triomphant de ses enne-
« mis, va obtenir le royaume qu'il a acheté par son sang; et que
«le Christ, époux et gardien de l'Église, va enfin posséder en
« paix ce qui lui appartient. En effet, le souverain pontife ayant
« longtemps attendu avec patience le tyran d'Allemagne (Fré~
« déric Ier) , pour l'amener à pénitence, et le prince schismatique
« ayant abusé de sa patience pour multiplier ses crimes, et por-
« ter ses excès jusqu'à la fureur; le vicaire de saint Pierre,
« établi de Dieu sur les nations et sur les royaumes (1) , a dé-
« lié de leurs engagements envers lui, les Italiens, et tous ceux
« qui, à raison de sa dignité impériale et royale, lui étaient atta-
« chés par la religion du serment. La sentence du Pape a si heu-
rt reusement et si promptement délivré l'Italie presque entière
« de la fureur du tyran , que celui-ci n'y paraît voir à présent
« que des ennemis dont il évite la rencontre, et des châtiments
«auxquels il ne peut se soustraire. Cette sentence l'a dépouillé
«de sa dignité royale, et frappé lui-même d'anathème,
«jusqu'à ce qu'il fasse de dignes fruits de pénitence.... Le Sei-
« gneur semble avoir confirmé cette sentence portée en vertu
« du privilège de saint Pierre; car, les Italiens l'ayant apprise,
« ont abandonné l'empereur, rétabli la ville de Milan (2), chassé
«les évoques schismatiques, rappelé les catholiques, et unani-
« mement adhéré au saint-siége. Mais pourquoi rappeler des
«choses si connues? La renommée les publie en tous lieux;
« et personne ne peut les révoquer en doute , sinon ceux qui se
«condamneraient à une solitude continuelle, dans le fond de
« leurs maisons. Maintenant donc que la puissance de Jésus-
« Christ a fait succéder en Orient le calme à l'orage , et rendu à
«l'Église son intégrité, dans la personne de son chef, espérons
«avec une ferme confiance, que le parfum qui découle de la
« tête sur la barbe du pontife (3), s'étendra sur le chef et sur
« les membres de l'Église d'Angleterre, » c'est-à-dire, sur le pri-
mat et le clergé de cette Église , alors persécutés par le roi.
Il est à remarquer que l' évoque de Chartres, dans ce passage,
(i)Jcrem. 1, 10.
(2) Cette Tille, ruinée par Frédéric en 1162, fut rebâtie par les Milanais
en 1166. (Fleury, Hist. Ecclés., tom. xv, liv. lxx, n. 56; liv. lxxi, n. 40.
(3) Psalm. cxxxh.
448 DEUXIÈME PARTIE. — POUVOIR DU PAPE
n'examine pas précisément en vertu de quel droit la déposition
de l'empereur suit de l'excommunication; il suppose seulement,
comme un fait notoire , que le Pape a déposé l'empereur, par
le moyen de l'excommunication , et que cet effet de l'excom-
munication est généralement reconnu- Il ajoute, à la vérité,
que la sentence du Pape contre l'empereur a été portée en vertu
du pouvoir des clefs, ou du privilège de saint Pierre. On peut
dire en effet qu'elle était fondée sur ce pouvoir, quant à son
objet direct et immédiat , qui était l'excommunication, comme
nous l'avons expliqué ailleurs (t) ; mais cette supposition laisse
entièrement subsister la question de savoir en vertu de quel
droit la déposition suit l'excommunication. Jean de Sarisbery
n'examine point ici cette question, sur laquelle il s'explique
assez ouvertement dans un autre ouvrage (2).
to3. Les dernières paroles de sa lettre, que nous venons de citer,
îîenrTn e montrent qu'elle fut écrite à l'époque des funestes démêlés de
saintTLnas Henri II, roi d'Angleterre, avec saint Thomas de Cantorbéry,
„ ,deK, sur la juridiction et les immunités ecclésiastiques. Nous rap-
Cantorbery. J n £
pellerons ici, en peu de mots, l'occasion et le sujet de cette
discussion, qui fournit une nouvelle preuve de la persuasion
alors établie en Angleterre, sur les effets temporels de l'excom-
munication, par rapport aux souverains (3).
A peine élevé sur le siège de Cantorbéry, Thomas ne tarda
pas à perdre, comme il l'avait prévu, les bonnes grâces du roi ,
qui l'avait jusque-là comblé de ses faveurs. Il serait difficile de
dire quelle fut précisément la cause de ce changement : les uns
l'attribuent au mécontentement que ressentit le roi de la dé-
mission faite par l'archevêque, de la charge de chancelier; les
autres, à la restitution qu'il exigea, des terres de son siège in-
(1) Ci-dessus, n. 12, pag. 138.
(2) Jean de Sarisbery, Polycraticus, lib. iv, cap. 1, 2, 3. Dans cet ouvrage,
l'évêque de Chartres soutient l'opinion qui attribue à l'Église et au Pape un
pouvoir direct sur les choses temporelles. C'est le premier auteur, à notre
connaissance , qui ait soutenu cette opinion ; nous verrons ailleurs qu'il eut
peu de partisans, avant le xur3 siècle. (Voyez len. 8 des Pièces justifie, à la
fin de ce volume.)
(3) On peut voir plus en détail l'histoire de cette discussion , dans YHist.
d'Angleterre, par Lingard, tom. h, pag. 333, etc. — Alban Butler, Vies
des Pères , etc. 29 décembre. -— Noël Alexandre , Dissert. 10 inJUist. Eccl.
sœculi xir.
SUR LES SOUVERAINS. — CHAPITRE II, 449
justement aliénées; d'autres, à ses efforts pour réformer le
clergé de la cour, ou à son opposition au rétablissement d'une
taxe odieuse, imposée au clergé, sans égard à ses anciennes im-
munités. Mais ce qui détermina une rupture ouverte entre le
roi et l'archevêque, ce fut une discussion relative à la juridic-
tion ecclésiastique. Thomas se plaignait hautement des en-
treprises fréquentes des juges laïques, qui citaient à leurs tribu-
naux les personnes ecclésiastiques , au mépris des immunités
dont le clergé jouissait, de temps immémorial , en Angleterre,
comme dans les autres États chrétiens, et dont le roi lui-même
avait juré le maintien dans la cérémonie de son couronnement.
Henri, blessé de ces réclamations, mit tout en œuvre pour
obliger l'archevêque à s'en désister. Thomas ne croyant pas
qu'il loi fût permis en conscience de sacrifier les droits de
l'Église, persista à les soutenir, malgré les instances du roi. De
là ces funestes brouilleries, qui attirèrent au prélat de si longues
persécutions, et qui aboutirent enfin à son martyre, le 29 dé-
cembre 1170.
Le lecteur verra sans doute ici avec plaisir le jugement de Io4.
Bossuet sur cette célèbre discussion : «Henri II, roi d'Angle- Ju|ementde
o Bossuet
« terre , dit-il , se déclare l'ennemi de l'Eglise ; il l'attaque au sur celle dis-
• • t i • t cussion.
« spirituel et au temporel, en ce qu elle tient de Dieu, et en ce
« qu'elle tient des hommes; il usurpe ouvertement sa puissance;
« il met la main dans son trésor, qui enferme la subsistance
« des pauvres ; il flétrit l'honneur de ses ministres par l'abro-
« gation de leurs privilèges , et opprime leur liberté par des lois
« qui lui sont contraires. Prince téméraire et mal avisé! que ne
« peut-il découvrir de loin les renversements étranges que fera
« un jour- dans son État, le mépris de l'autorité ecclésiastique, et
« les excès inouïs où les peuples seront emportés, quand ils au-
« ront secoué ce joug nécessaire (l) ! »
L'histoire de ces tristes démêlés fournit une preuve re- ï05.
marquable de la persuasion qui existait alors en Angleterre, LaJonStUiT°n
comme dans les autres États catholiques de l'Europe , sur les sas^'^ie
(1) Panégyrique de saint Thomas de Cantorbéry, 1er point. (Œuvres de
Bossuet, tom. xvr, pag. 586.) Ce passage n'est pas le seul où Bossuet se pro-
nonce si expressément sur cette affaire. On peut voir le jugement qu'il en
porte, dans un magnifique éloge du saint archevêque , à la lin du liv. vu de
l'Histoire des Variations. (Tom. xix des Œuvres.)
29
discussion.
450 DEUXIÈME PARTIE. — POUVOIR DU PAPE
effets temporels de l'excommunication , par rapport aux souve-
rains. Henri II persistant opiniâtrement dans ses injustes pré-
tentions, le Pape lui écrivit, en 1169, des lettres très-pressantes,
pour l'obliger à se réconcilier avec l'archevêque de Cantorbéry.
Le roi protesta d'abord avec serment , en présence des légats
du Pape, qu'il n'en ferait rien, et menaça même de se porter à
de nouveaux excès. Un des légats lui répondit aussitôt avec dou-
ceur : « Seigneur, ne faites point de menaces : nous ne les crai-
« gnons point, parce que nous sommes d'une cour qui a cou-
« tume de commander aux empereurs et aux rois. » Alors le roi
s'étant radouci, parut disposé à se réconcilier avec l'arche-
vêque, et prit à témoin plusieurs barons et ecclésiastiques de sa
chapelle, pour montrer les avances qu'il avait déjà faites dans
cette vue(l). La réponse du légat renfermait évidemment une
menace d'excommunication et de déposition, semblables à celles
dont le Pape avait frappé l'empereur, quelques années aupara-
vant ; et il résulte clairement de ce récit, que le roi d'Angleterre,
loin de contester, à cet égard , le pouvoir du Pape , fut intimidé
par les menaces du légat, et se mit en devoir de satisfaire le
souverain pontife , pour prévenir les suites fâcheuses que sa ré-
sistance aurait pu entraîner (2).
(1) « Aliquantulum ante occasum solis, exiitrex multum iratus, conque-
ce rens graviter de domino Papa, quod numquam in aliquo audierit eum ; et
« cum quâdam contumaciâ dixit rex : Per oculos Dei, ego faciamaliud. Et
« Gratianus gratiosè respondit : Domine , noli minari : nos enim nullas
« minas timemus; quia de tali curiâ sumus, quœ consuevit imperare im-
« peratoribus et regibus. Tune convocati sunt omnes barones et monachi
« albi, qui praesentes erant, et omnes fere de capeJlâ; et dominus rex roga-
« vit ut tempore opportuno testificarentur pro eo, quanta et qualia obtu-
«lerat, restitutionem scilicet archiepiscopatûs et pacis. » S. Thomœ Can-
tuar. Epist. lib. m, Epist. 61. — Fleury, Hist. Ecclés., t. xv, liv. lxxii,
n. 7.
« Quelques personnes, dit à ce sujet M. Hurter, regardent comme inso-
«. lentes les paroles que le cardinal Gratien adressa (en cette occasion) au roi
« d'Angleterre; nous les considérons comme dictées par le sentiment pro-
ie fond que ce prélat avait des obligations de la papauté. » Hurter, Hist.
d'Innocent III, t. n, liv. xx, p. 800.
(2) Le P. Daniel {Hist. de France, t. m, p. 601 et 61 3) suppose que ce
fut aussi la crainte de l'excommunication et de la déposition dont le roi
d'Angleterre se voyait menacé, qui l'engagea, vers le même temps, à asso-
cier son fils à la couronne , afin d'assurer à ce jeune prince le gouvernement
du royaume, dans le cas où son père serait déposé. Il y a tout lieu de croire
que tel fut en effet le motif de Henri eut faisant couronner son fils, en 1 170;
SUR LES SOUVERAINS. — CHAPITRE II. 451
L'histoire d'Angleterre fournit encore, vers le même temps, I06.
un témoignage remarquable de la persuasion générale des LaSufsToenrr
princes et des peuples, à cette époque, sur les effets de l'ex- 1^JJJJJ/ÎJ
communication, par rapport aux souverains. Richard Ier, roi R«chardi«.
d'Angleterre, ayant été réduit en captivité, au retour de la
Terre-Sainte, par l'empereur d'Allemagne, Henri VI, en 1192,
la reine Éléonore, sa mère, écrivit plusieurs fois au pape Cé-
lestinlll, pour obtenir, par son intervention, la délivrance de
son fils (l). Parmi les considérations pressantes dont elle appuie
sa demande, elle représente au pontife, que, pour obtenir la
délivrance de Richard, il lui suffit de faire usage de l'autorité
que Dieu lui a donnée sur tous les royaumes et sur toutes les
puissances de la terre, par le moyen de l'excommunication.
«Quelle excuse, lui dit-elle, pourrait pallier votre négligence,
« puisqu'il est connu de tout le monde, que vous avez le pouvoir
« de délivrer mon fils , si vous en aviez la volonté? Dieu nfa-t-il
« pas donné à saint Pierre , et à vous en sa personne , la puis-
«.sance de gouverner tous les royaumes? Il n'y a ni roi, ni
«empereur, ni duc , qui soit exempt du joug de votre juri-
« diction. Où est donc le zèle de Phinéès? Qu'il paraisse que ce
« n'est pas en vain que l'on vous a mis en main , à vous et à vos
«coévêques, des glaives à deux tranchants (2).... Vous me
mais, quelque bien fondée que soit cette conjecture, elle ne paraît pas assez
clairement établie par l'ancien auteur que cite à ce sujet le P. Daniel. (Hist.
Quadrip. lib. h, cap. 31. Cet ouvrage se trouve à la têle des Lettres de
saint Thomas de Cantorbéry, publiées par Chr. Lupus.) Il est à remarquer
que le docteur Lingard ne dit rien non plus de ce motif, que le P. Daniel
croit pouvoir donner à la démarche de Henri. {Histoire d'Angleterre, t. h,
chap. 5, p. 376, etc.)
(1) Pétri Blesensis Epistolœ 144, 145, 146. (Operum\). 227, etc.) —
Rymer, Fœdera, Conventiones, etc., 1. 1, p. 72-78. — D. Ceillier, Histoire
des Auteurs ecclésiastiques , t. xxm, p. 220. — Fleury, Hist. Ecclés., t.
xv, liv. lxxiv, n. 41. — Michaud, Histoire des Croisades , t. h, p. 553. —
Bibliothèque des Croisades, 2e partie, p. 862.
(2) «Quee enim excusatio possit vestram desidiam et incuriam palliare,
« cùm omnibus liqueat quod liberandi filium meum habelis potestatem, et
« subtrahitis voluntatem? Nonne Petro aposlolo , et in eovobis , a Deo
« omne regnum , omnisque potestas regenda committitur?... Non rex ,
« non imper ator aut dux ajugo vestrœ jurisdicdonis eximitur. Ubi est
« ergo zelus Phinees?.... Appareat quod non in vanum dati suni vobis et
a coepiscopis vestris gladii ancipites in manibus vestris » Pétri Blesen-
sis Epist. 145. (Oper. p. 228, col. 2.)
Ces paroles font allusion à V allégorie des deux glaives, souvent em-
29,
452 DEUXIÈME PARTIE. — POUVOIR DU PAPE
« direz que cette puissance vous a été donnée sur les âmes , et
« non sur les corps. Je le veux ; mais il nous suffit que vous
« ayez la puissance de lier les âmes de ceux qui tiennent mon
« fils en prison , pour qu'il vous soit facile de le délivrer ; faites
« seulement que la crainte de Dieu chasse en vous la crainte des
« hommes. Rendez-moi mon fils, ô homme de Dieu ; si toutefois
« vous êtes l'homme de Dieu, et non pas un homme de sang (l). »
Ces paroles supposent évidemment que, d'après la persua-
sion alors universelle, le Pape pouvait, au moyen des peines
spirituelles, gouverner les royaumes, et contenir les souverains
dans le devoir. Ce langage de la reine d'Angleterre est d'autant
plus digae d'attention, que, pour écrire au Pape les lettres que
nous venons de citer, elle employa la plume de Pierre de Blois ,
un des hommes les plus distingués de cette époque, par son
savoir et sa vertu, et alors attaché à la reine en qualité de
secrétaire.
I07, La persuasion générale dont nous parlons, n'était pas moins
ceuceUperleia- établie en France que dans les autres États, sous la seconde race
sionen fe nos r0[s et au commencement de la troisième. Lothaire le
France , sous 7
îa deuxième jeune , roi de Lorraine, fils de l'empereur Lothaire Ier, et petit-
de nos rois, fils de Louis le Débonnaire , ayant répudié Teutberge, son
épouse légitime, et pris en sa place une concubine nommée Val-
drade , le pape Nicolas 1er, un des plus savants et des plus sages
pontifes qui aient occupé le saint siège, menaça d'abord de
l'excommunier, s'il ne renonçait à son mariage adultère (2).
Bientôt après (en 866), il excommunia Valdrade, et fit assez
entendre que, s'il n'infligeait pas encore la même peine à Lo-
thaire, c'était uniquement par ménagement pour ce prince,
qu'il espérait amener, par cette modération, à une conduite
ployée par les écrivains de cette époque, pour exprimer la réunion de la
puissance spirituelle et de la temporelle entre les mains du Pape.
(1) « Sed dicetis liane potestatem vobis in animabus , non in corporibus
« fuisse commissam. Esto; certe sufficit nobis si eorum ligaveritis animas,
« qui filium m eu m ligatum in carcere tenent. Filium meum solvere, vobis
« in expedito est , dummodo humanum timorem Dei timor evacuet.
« Redde igitur mihi filium meum, vir Dei; si tamen vir Dei es, et non po-
rt tiùs vir sanguinum. » Pétri Blesensis Epist. 146. ( Operum p. 230 ,
col. 2.)
(2) Voyez, pour les détails de ce fait, Baronius, Annales, anno 866,
n. 24, etc. — Fleury, Hist. Ecclés., t. xi, liv. l, n. 43. — Hist. de V Église
G ail., t. vi, années 866 et 867.
SUR LES SOUVERAINS. — CHAPITRE II. 453
plus chrétienne. Lothaire effrayé écrivit au Pape une lettre
très-soumise , dans laquelle il promettait de satisfaire à l'Église,
et conjurait le Pape « de n'élever au-dessus de lui, et de rièta-
«blir sur ses Étals aucun de ses égaux (c'est-à-dire, de ses
« proches parents) ; de peur de donner lieu à ceux-ci de former
« contre lui des entreprises qu'il ne pourrait supporter, et qui
« causeraient entre eux de scandaleuses divisions (l). »
Ce langage de Lothaire suppose assez clairement qu'il recon-
naissait, dans le Pape, le pouvoir de le dépouiller de ses États,
par le moyen de l'excommunication. Quelques auteurs, il est
vrai, à la suite de Fleury, supposent que l'excommunication de
Lothaire n'eût été qu'un prétexte employé par ses oncles, pour
lui ôter la couronne (2); mais cette supposition est bien diffi-
cile à concilier avec la lettre de Lothaire, qui conjure le Pape,
en termes si soumis, de n élever au-dessus de lui , et de n'éta-
blir sur ses États aucun de ses égaux.
Mais quel qu'ait été, à cet égard, l'usage de la France, sous *°8.
la seconde race de nos rois, il est solidement établi, pour le cette persua-
commencement de la troisième , par la conduite des papes Gré- 8o«s ia dk».
goire VII et Urbain II envers Philippe ïer, et par le témoignage pSppTï«
de plusieurs écrivains , même français, au sujet du mariage d.e^Jjini.
scandaleux de ce prince avec Bertrade. calio"
x par
Les lettres de Grégoire VII, aussi bien que les autres mo- Grégoire vu.
numents de l'histoire contemporaine, nous représentent Phi-
lippe 1er comme un des princes les plus scandaleux de cette
époque, par le dérèglement de ses mœurs, et par le honteux
trafic qu'il faisait des évêchés et des abbayes (3). Grégoire VII,
(1) « Quamobrem cernuo lumine vestram affatim deposcimus Paternita-
« tem, ut dum nos vobis missisque vestris, ut ita dicamus, majoribus seu
« minoribus, per omnia, super omnes coœquales nostros obedire volumus,
« non aliquem nostri, Deo miserante, consimilem super nos extollere, aut
« terrée praeponere, vestree libeat Paternitati; ne forte ipsi talem contra nos
« moliri velint causam , quam tolerare non valentes , pro regio munimine ,
« inter nos aliquod scandalum evenire possit. » Lotharïi Epislola ad Ni-
colaum I. (Baronii Annales, anno866, n. 41.)
(2) Fleury, ubi suprà.
(3) Ivonis Carnot. Epistolœ 35, 66, etc. Remarquez les notes de Juretsur
ces lettres. — Guibert, abbé de Nogent, confirme les reproches qu'on a faits
à Philippe Ier sur l'article de la simonie , en le caractérisant par ces mots si
expressifs : Hominem in Dei rébus venalissimum. (Guib. Monodiarum,
sive de Vita sua, lib. m, cap. 2. (Rec. des Hist. de France, tom. xii,
454 DEUXIÈME PARTIE. — POUVOIR DU PAPE
si zélé pour la réforme de l'Église et des mœurs publiques ,
l'ayant inutilement sollicité de changer de conduite , crut enfin
devoir le menacer d'excommunication et de déposition , s'il per-
sistait dans ses désordres. Voici en quels termes il en écrivit à
l'évêque de Châlons, en le chargeant d'avertir le roi : « Faites
« savoir à ce prince, que nous ne souffrirons pas plus longtemps
« ses entreprises contre l'Église ; car, ou il renoncera au trafic
«honteux de la simonie, ou les Français, frappés d'un ana-
« thème général, rejuseront désormais de lui obéir, s'ils n'ai-
« ment mieux renoncer au christianisme (1). » Grégoire VII ré-
pète ces menaces dans une lettre adressée, vers le même temps ,
aux évêques de France, qu'il accusait de fomenter parleur
faiblesse, et par un lâche silence, les désordres du roi. Il leur
enjoint en conséquence de s'assembler, afin de concerter entre
eux les moyens de l'obliger à rétablir dans ses États la justice et
les bonnes mœurs; ajoutant que, «s'il persiste dans ses dérégle-
« ments, il emploiera, avec l'aide de Dieu, tous les moyens de
« lui ôter la possession de son royaume (2). » Les moyens dont
parle ici le Pape sont expliqués dans sa lettre à Guillaume,
comte de Poitiers, qu'il invite à se joindre aux évêques et aux
seigneurs de France, pour obliger le roi à se corriger, et à
cesser enfin les violences qui le rendaient également odieux aux
Français et aux étrangers. « S'il persiste dans ses dérèglements,
« continue le Pape , nous le séparerons de la communion de
«l'Église, daus le prochain concile de Rome, lui et tous ceux
p. 241.) — Fleury, Hist. Ecclés. , t. xm, liv. lxii , n. 6, 16 et 20. — Hist.
de VÉgl. Gall., t. vu, année 1073, p. 504, etc. — D. Ceillier, Hist des Au-
teurs ecclés. , t. xx, p. 618 et 626.
(1) « ïndubitanter noverit nos banc Ecclesise ruinam nequaquam diutiùs
« toleraturôs, et ex auctoritate beatorum apostolorum Pétri et Pauli, duram
« inobedientiœ contumaciam canonicâ austeritate coercituros. Nam, aut
« rex ipse, repudiato turpi simoniacae hœresis mercimonio , idoneas ad sa-
« crum regimen personas promoveii permittet; aut Franci pro certo, nisi
« fidem christianam abjicere maluerint (simoniacam hœresim amplectendo
« vel fovendo) , generalis anatliematis mucrone percussi, illi ulterius ob-
« temperare recusabunt. » Gregorii VII Epistol. lib. i, Epist. 35. (Labbe,
Conciliorum t. x, p. 34.) Cette lettre, aussi bien que celle que nous indi-
quons dans la note suivante, a été citée par Bossuet, Defens. Declar.,
lib. i, sect. l,cap. 7.
(2) «Quod si nec hujusmodi districtione voluerit resipiscere, nulli clam
«aut dubium esse volumus, quin modis omnibus regnum Franciœ de
« ejus occupatione , adjuvante Deo, tentemus eripere. » Gregorii VII
Epist. lib. n, Epist. 5, p. 74.
SUR LES SOUVERAINS. — CHAPITRE II. 455
« qui lui rendront honneur et obéissance (l). » Ce langage sup-
pose clairement que les effets temporels de l'excommunication ,
par rapport aux souverains , n'étaient pas moins reconnus en
France que dans les autres États de l'Europe. Comment croire,
en effet, que Grégoire VII, à qui ses adversaires eux-mêmes ne
peuvent refuser beaucoup de lumières , de pénétration , et de
talents pour le gouvernement, eût employé avec tant de con-
fiance un pareil langage, dans des lettres adressées aux évèques
et aux seigneurs de France , si les effets temporels de l'excom-
munication n'eussent été admis dans ce royaume , comme dans
tons les autres?
Le pape Urbain II , dont tous les historiens s'accordent à io9
Ce prince est
exconimit-
pape
Urbain II.
louer la prudence et les lumières, était, à cet égard, dans la
môme persuasion que Grégoire VII. C'est ce qui résulte claire- n,ePaJeIe
ment de la conduite qu'il tint envers Philippe Ier, en 1095, dans
le concile de Clermont, un des plus nombreux qui aient été
tenus en France, et auquel assistèrent une multitude d'évèques
et de seigneurs, de toutes les provinces du monde chrétien (2).
Le roi ayant été excommunié, l'année précédente, par le légat
du Pape, dans le concile d'Autun, pour son mariage illégitime
avec Bertrade, avait obtenu du' souverain pontife, dans le con-
cile de Plaisance, un délai pour plaider sa cause; mais, comme
il n'avait donné, depuis ce temps, aucune espérance de conver-
sion, le Pape confirma, dans le concile de Clermont, la sen-
tence d'excommunication déjà portée contre lui , et décerna la
môme peine « contre ceux qui le reconnaîtraient pour roi ou
« seigneur, et qui lui obéiraient , ou même lui parleraient , sinon
«pour le faire rentrer en lui-même (3). « Ce sont les propres
(1) « Si in perversitate studiorum suorum perduraverit1, et secundùm du-
« ritiam et impœnitens eor suum iram Dei et sancti Pétri sibi thesaurizave-
« rit , nos , Deo auxiliânte , et nequitiâ sua promerente, in Romanà synodo,
« a corpore et communione sanctae Ecclesiae ipsum et quicumque sibi re-
« galem honorem vel obedientiam exhibuerit , sine dubio sequestrabi-
« mus. » Gregorii VII Epist. lib. n, Epist. 18, p. 84.
(2) Hist. de l'Église Gallicane , t. vin , liv. xxn , p. 50, 51, 76, etc. —
Fleury, Hist. Ecclés. , t. xm, liv. lxiv, n. 21, 22, 29, 37, etc.
(3) «in eo concilio (Claromontano), excommunieavit dominus Papa regem
« Philippum Francorum , et omnes qui eum vel regem , vel dominum suum
« vocaverint, et ei obedierint, et ei locuti fuerint, nisi quod peitineret ad
« eum corrigendum. » Guill. Malmesb. De Gestis Anglorum, lib. iv, cap. 2.
(Recueil des Historiens de France, t. xv, p. 6 ; et Préface, p. 5.) Ce pas-
456 DEUXIÈME PARTIE. — POUVOIR DU PAPE
expressions de Guillaume de Malmesbury, auteur contemporain,
dont le récit est expressément confirmé par la Chronique de
Gui, chanoine de Chàlons- sur -Marne, écrite vers la fin du
xiie siècle, et par celle d'Albéric , moine des Tr ois-Fontaines,
qui écrivait au xme siècle (l). Il est vrai que Bossuet et quelques
autres écrivains modernes contestent la vérité de ce fait , sous
prétexte que Guillaume de Malmesbury, le plus ancien auteur
qui en parle , était un étranger, peu au fait de ce qui se passait
en France , et qu'il semble réfuté par le silence des auteurs fran-
çais du même temps (2). Mais il semble difficile de contester
l'autorité de Guillaume de Malmesbury, sur un événement si
important , arrivé dans un concile si célèbre , et dans un temps
où les relations entre la France et l'Angleterre étaient si fré-
quentes. Il est encore plus difficile de supposer que deux auteurs
français, Gui et Albéric, eussent rapporté le fait avec tant de
confiance, au xne et au xme siècle, si la tradition ne s'en était
conservée en France. Au reste, il est à remarquer que Bossuet,
et la plupart des auteurs modernes qui ont contesté ce fait,
ignoraient absolument les témoignages de Gui et d'Albéric, sur
cette matière,
no. Mais ce qui résulte du moins évidemmment du témoignage
l.e de ces deux auteurs, c'est qu'ils regardaient les effets temporels
seioaiw au- de l'excommunication , par rapport aux souverains, comme un
sage de Guillaume de Malmesbury est cité par Bossuet , Defens. Declar.,
lib. m, cap. 11, p. 621.
(1) «■ lbi (in concilio Claromontano) dominus Apostolicus excommunica-
« vit Guibertum Ravennatem, qui se Papam appellabat, et Henricum impe-
« ratorem Romanorum , qui eum manu tenebat , Philippum quoque regem
« Francorum , ejus concubinam , comitis Andegavorum uxorem , et omnes
« qui eum regem vel dominum vocarent , vel obedirent, quousque veniret
«. ad emendationem , ut aller ab altero discedat. » Alberici , monachi Trium
Fontium, Chron.; anno 1095. (Leibniz, Accessiones historicœ ad Scrip-
toiles rerum German. Hanoverœ, 1700, in-4°, t. h, p. 144.) Sibérie lui-
même, dans le passage que nous venons de citer, rapporte le fait dont
il s'agit, d'après Gui, ebantre de l'église de Saint-Étienne de Châlons, mort
en 1203 , et auteur d'une Chronique qui renferme un abrégé d'histoire uni-
verselle, depuis le commencement du monde, jusqu'au temps où l'auteur
écrivait. La préface de l'ouvrage de Leibniz renferme de plus amples détails
sur la Chronique d'Albéric , et sur les anciens auteurs d'après lesquels il a
écrit. Voyez aussi YHist. littéraire de la France, t. xvi, p. 132, et alibi
passim.
(2) Bossuet, ubi suprà. — Recueil des Hist. de France , t. xv, ubi su-
prà; t. xvi, Préface, p. lxx.
Effets de cette
excoinmuni
SUR LES SOUVERAINS. — CHANTRE ÏI. 457
point de droit, aussi bien reconnu en France que dans les , teurs
» , P du temps.
autres Etats de l'Europe , au xn siècle. Assurément il est bien
plus naturel de s'en rapporter, sur un fait de cette importance,
à des auteurs si anciens et si voisins du règne de Philippe Ier,
qu'à des auteurs modernes, qui n'opposent au témoignage des
anciens, aucun témoignage positif , mais de simples raisonne-
ments , dont la solidité est loin d'être à l'abri de toute con-
testation.
En supposant même que le témoignage de ces auteurs pût m.
laisser quelques doutes"sur ce point, ils seraient pleinement dis- Ces cf^s rc
sipés par le témoignage d'Ives de Chartres, un des prélats pcLIrtTesde
français les plus distingués par ses lumières et sa piété, sous le
règne de Philippe Ier (1). Déjà nous avons cité une lettre de ce
prélat , qui suppose clairement les effets temporels de l'excom-
munication reconnus en France, comme dans les autres États
de l'Europe, à l'époque dont nous parlons (2). Mais, indépen-
damment de cette lettre , le prélat en écrivit plusieurs autres , à
l'occasion du mariage scandaleux de Philippe, dans lesquelles
il suppose que les effets temporels de l'excommunication n'é-
taient pas alors moins reconnus en France, par rapport aux sou-
verains, que par rapport aux simples particuliers. En effet, ce
prince étant menacé d'excommunication (en 1092) pour le ma-
riage dont il s'agit, l'évêque de Chartres lui écrivit, à diverses
reprises , pour le faire rentrer en lui-même ; et parmi les motifs
d'amendement qu'il lui donne , il lui représente surtout le péril
extrême auquel il expose sa couronne et le royaume entier,
et la perte qu'il doit craindre de son royaume temporel,
aussi bien que du royaume éternel, s'il persiste opiniâtrement
dans son péché (3). Le pape Urbain II ayant adressé, vers le
même temps, une lettre circulaire à tous les archevêques et évê-
(l)Fleury, Hist. Ecclês., t. xm, liv. lxiv, n. 6 — Daniel, Hist. de
France, t. m, année 1092, etc — Hist. de V Église Gall., t. vin, ibid.
(2) Voyez plus haut, cliap. 1, art. 3, n. 80, etc.
(3) « Nec ista ( quœ contra illegitimas régis nuptias Ivo objiciebat )
« contra fidelitatem vestram, sed pro summà hdelitate dicere me arbitror;
« cùm hoc et animas vestrae magnum credam fore detrimentum, et coronœ
« regni vestri summum periculum Caveat ergo sublimitas vestra ne in
« horum incidatis exemplum , et ita cum diminutione terreni , regnum
« amittatis œternum.» Ivonis Carnot. Epist. 15. (Duchesne, Historiœ
Francorum Scriptores , t. iv.) Voyez aussi la lettre 13. Ces lettres sont les
5e et 7e, dans le Recueil des Hist. de France, de D. Bouquet, t. xv.
458 DEUXIÈME PARTIE. — POUVOIR DU PAPE
ques de France, pour les autoriser à contraindre le roi, par les
voies canoniques, à se séparer de Bertrade, l'évêque de Char-
tres obtint, par son ascendant sur l'esprit des évoques, que
cette lettre demeurât quelque temps secrète, afin d'empêcher,
autant qu'il était en lui, le soulèvement du royaume contre
le roi (1). Enfin ce prince, après plusieurs alternatives d'amen-
dement et de rechutes, d'excommunications et d'ahsolutions ,
ayant été de nouveau excommunié en 1 100, dans le concile de
Poitiers , par les légats du pape Pascal IT , l'évêque de Chartres
engagea ce pontife à user de condescendance envers le roi,
pour délivrer le royaume du danger auquel il était exposé,
par Vanathème de ce prince (2). Il est impossible, à ce qu'il
nous semble, de ne pas reconnaître, dans ces différentes lettres,
une allusion aux effets temporels que l'excommunication en-
traînait alors après elle, d'après l'usage et la persuasion géné-
rale ,de la France, comme des autres États catholiques de
l'Europe.
i.2. Quelques auteurs, il est vrai, ont prétendu que l'évêque de
diffieuiUes Chartres, en parlant ainsi, ne faisait pas allusion à ces effets
temporels, mais au prétexte que plusieurs seigneurs mécontents
du roi pouvaient prendre de son excommunication, pour soule-
ver le royaume contre lui (3). Mais rien de plus invraisemblable
que cette explication ; car 1° l'évêque de Chartres suppose que
le roi est exposé, par son excommunication, à voir soulever
contre lui, non un certain nombre de seigneurs, mais le
royaume entier-, ce qui n'eût pas été à craindre, dans le cas où
l'excommunication du roi n'eût été qu'un prétexte de révolte,
pour un certain nombre de seigneurs ; 2° en admettant même
que le danger ne fût venu que d'un certain nombre de sei-
gneurs , les lettres du prélat supposent du moins, que la révolte
(1) « Hse quidem litteree jam publicatoe essent; sed pro amore ejus, feci
« eas adhuc detineri, quia nolo regnum ejus, quantum ex me est, adversùs
« eum aliquâ ratione commoveri. » Ivonis Epist. 23 (aliàs 14) ad Wi-
donem dapiferum.
(2) a Nostrœ suggestionis summa est, ut imbecillitati hominis amodo,
« quantum cum salute ejus potestis, condescendatis , et terram quœ ejus
<(■ anathemate periclitatur ab hoc periculo eruatis. » Ivonis Epist. 144
(aliàs 89), ad Paschalem papam II.
(3) Blondel, De formula, Régnante Christo. Amstelodami, 1646, in-4°,
sect. 2, § 15. — Mist. de l'Église Gall., t. vin, p. 43.
contre ce té-
moigna i*e.
SUR LES SOUVERAINS. — CHAPITRE II. 459
de ces seigneurs eût été puissamment secondée par l'opinion
publique sur les effets temporels de l'excommunication ; autre-
ment, il est tout à fait incroyable que leurs intrigues, pour dé-
trôner le roi , eussent été aussi à craindre que le supposent les
lettres que nous venons de citer. Au reste, le sens que nous
attachons à ces lettres, est confirmé par l'idée que les historiens
nous donnent généralement de la disposition des esprits en
France, à l'époque dont nous parlons. Le roi, malgré les pro-
messes réitérées qu'il avait faites de renvoyer Bertrade , l'ayant
reprise en 1098, et ayant été excommunié, pour cette raison,
dans le concile de Poitiers , crut devoir, dans une conjoncture si
critique, associer à la couronne son fils Louis, âgé seulement
de dix-neuf ou vingt ans. Le motif de cette association , selon le
sentiment commun des historiens , fut que l'excommunication
du roi était un prétexte plausible, aux plus puissants vas-
saux, de se révolter (1). Un pareil motif suppose clairement
que la révolte des vassaux , dans ces conjonctures ', eût été puis-
samment secondée par la persuasion générale , qui attachait à
l'excommunication la perte de toute dignité , même temporelle.
Il y a tout lieu de croire que cette persuasion existait encore „3.
en France, comme dans les autres États de l'Europe, longtemps Ven™™uce
après le règne de Philippe 1er; car nous verrons bientôt que dJ^u Su
les plus célèbres écrivains du xne et du xme siècle , dans ce dfPuis ,
le règne de
royaume comme ailleurs , continuaient de soutenir, comme un Philippe ier.
principe généralement admis , la subordination de la puissance
temporelle envers la spirituelle,, en ce sens, que les souverains
pouvaient être jugés et même déposés, en certains cas, par
l'autorité de l'Église ou du saint-siége (2). Il paraît même que
la crainte de ces terribles effets de l'excommunication, fut le
principal motif qui empêcha Philippe-Auguste de soutenir aussi
ouvertement qu'il l'eût souhaité , les prétentions de Louis son
fils au trône d'Angleterre, contre celles de Jean sans Terre,
abandonné par le plus grand nombre de ses barons (3).
(1) Daniel, Hist. de France, ubi suprà, p. 398 et 613. — Velly, Hist.
de France, t. 11, p. 425. — Biographie universelle ,art. Philippe Ier.
(2) Voyez plus bas, chap. 3, art. 1, n. 194, etc.
(3) Lingard, Hist. d'Angleterre, t. m, années 1215 et 1216. — Hist. de
VÉgl. Gall., t. x. — Hist. d'Innocent III, par Huiter, t. 1, p. 747,
760, etc. — Daniel, Hist. de France, t. iv, année 1216.
Difficulté
contre cette
460 DEUXIÈME PARTIE. — POUVOIR DU PAPE
n4. Peut-être opposera-ton à notre sentiment, sur la persuasion
générale dont il s'agit, la conduite de plusieurs souverains,
uSde'ia côn. <FH;* malgré la sentence d'excommunication dont ils avaient
, d,iit,e été frappés , continuaient de gouverner leurs États , et d'v être
de quelques J. i > *-> » «i
souverains, reconnus comme souverains légitimes. S'il faut en croire Fleury,
Bossuet et quelques autres écrivains, Philippe Ier, roi de
France, Frédéric Ier, empereur d'Allemagne, et plusieurs au-
tres souverains, quoique excommuniés, ne perdirent rien de
leur autorité, et ne furent point regardés comme déchus de
leurs droits (1).
cettedffficuité Les Dornes "PU nous sout prescrites ne nous permettent pas
résolue d'examiner en détail tous les faits qu'on invoque à l'appui
par quelques *
observations de cette difficulté (2); nous nous contenterons d'y opposer quel-
ques observations générales qui suffisent pour la résoudre, et
qui renversent en particulier la difficulté tirée des exemples de
Philippe Ier et de Frédéric Ier.
Observons d'abord que , d'après l'usage dont nous parlons ,
la sentence d'excommunication n'entraînait point par elle-
même la perte des droits civils ; elle n'avait cet effet qu'au bout
d'un certain temps , qui était beaucoup plus long par rapport
aux souverains, que par rapport aux simples particuliers. C'est
ce que Bossuet lui-même reconnaît expressément , en disant que
les papes distinguaient très-bien Y excommunication de la dépo-
sition , et les séparaient souvent l'une de l'autre (3). Il n'est
donc pas étonnant qu'un prince excommunié continuât souvent
de gouverner ses États, et d'y être reconnu pour légitime
souverain.
Observons, en second lieu, qu'indépendamment de ce délai,
accordé aux excommuniés par l'usage ordinaire, avant d'en-
courir la perte de leurs droits temporels , ils obtenaient quel-
(1) Fleury, Hist. Ecclés., t. xm,liv. lxiv, n. 21 et 29; t. xv,liv. lxx,
n. 43; liv. lxxih, n. 6. —Bossuet, Defens. Declar., lib. m, cap. 10, 19, 20.
(2) Pour l'éclaircissement de ces faits , on peut consulter Bianchi , Délia
Potesta e délia Politia délia Chiesa. Roma, 1745, 5 vol. in-4°. Voyez
principalement le t. n.
(3) « Anno 1163, dit Bossuet, in concilio Turonensi excommunicationem
«rénovât (Alexander III), nullâ hàctenus deposilionis mentione; hanc
« enim ab excommunicatione Romani pontifices separabant. » Bossuet ,
Defens. Declar., lib. m, cap. 19, p. 654. Voyez aussi le chap. 10 du même
livre, dernier alinéa.
SUR LES SOUVERAINS. — CHAPITRE II. 461
quefois un délai plus considérable, soit par des appels, soit par
des promesses de soumission, soit par des négociations qu'ils
prolongeaient adroitement, pour éluder une sentence définitive.
C'est ainsi que Philippe Ier, excommunié dans le concile d'Au-
tun en 1094, obtint un sursis, l'année suivante, au concile
de Plaisance , et ne fut définitivement excommunié que dans le
concile de Clermont, tenu vers la fin de l'année 1095 (l).
Observons, en troisième lieu, que le Pape, auquel il appar-
tenait, d'après l'usage et la persuasion universelle, de pro-
noncer la sentence de déposition contre les souverains qui per-
sévéraient opiniâtrement dans l'excommunication, différait
souvent de la prononcer , soit par ménagement pour les princes,
soit par l'espérance de leur amendement , soit dans la crainte
des funestes effets qui pouvaient résulter de la sentence. Ce fut ce
dernier motif, selon Bossnet, qui empêcha les papes Grégoire VII
et Urbain II de prononcer contre Philippe Ier une sentence de
déposition (2). Cette conjecture de l'évêque de Meaux est sans
doute sujette à contestation, dans le cas particulier dont il parle ;
mais elle peut servir à expliquer d'autres faits du même genre.
Observons enfin , que les souverains , comme les particuliers,
ont pu quelquefois s'attribuer, malgré les censures de l'Église,
les droits spirituels ou temporels dont ils étaient réellement dé-
pouillés (3). De tout temps, on a vu des coupables faire peu de
cas de la sentence qui les condamnait, et affecter même de la
mépriser. Les souverains surtout ne manquent pas ordinaire-
ment de moyens pour soutenir leurs prétentions en pareils cas,
et pour intéresser à leur cause une partie de leurs sujets, souvent
même des princes étrangers. Mais il est évident qu'on ne doit
pas alors juger du droit par les faits , qui peuvent être dignes
de blâme-, on doit au contraire juger des faits par le droit \
surtout quand celui-ci est d'ailleurs établi par la persuasion
générale des princes et des peuples, et par les propres aveux
des souverains, dans un temps où ils n'étaient pas intéressés à
le contester.
(1) Voyez Fleuiy et Bossuet, ubi suprà.
(2) « Neque bis (depositionis minis) Franci auscultabant, dit Bossnet ; et
« ab iis adversùs Francos Romani pontifices temperabant. » Bossuet, Def.
Declar., lib. m, cap. 10.
(3) Voyez les auteurs cités plus haut, p. 421, note 2.
462 DEUXIÈME PARTIE. — POUVOIR DU PAPE
„6. Quoique ces observations générales soient bien suffisantes
rexSnpîede pour résoudre la difficulté qu'on nous oppose, nous y ajoute-
phiiippeier. rons qUeiques observations particulières, relativement aux
exemples de Philippe Ier et de Frédéric Ier.
Pour parler d'abord du roi de France, cest bien à tort qu'on a
prétendu que la sentence d'excommunication prononcée contre
lui, à l'occasion de son mariage avec Bertrade, ne lui avait rien
fait perdre de son autorité royale (l). 11 est certain au con-
traire que , « pendant tout le temps qu'il fut excommunié , il ne
« porta jamais le diadème, ni la pourpre, et ne tint aucune
« cour solennelle, à la manière des rois (2). » Ce sont les propres
expressions d'Orderic Vital, auteur contemporain. Il résulte
évidemment de ce témoignage, que, d'après un usage reconnu
en France, l'excommunication privait alors le souverain de cer-
tains droits et de certains honneurs temporels , même avant
que sa déposition eût été prononcée (3).
Il est vrai que Philippe , dans le temps même où il était
privé de ces honneurs , et depuis la sentence prononcée contre
lui par le pape Urbain II , dans le concile de Clermont, continua
de gouverner ses États, et d'y être regardé comme souverain lé-
gitime. Mais on doit remarquer aussi que ce prince, effrayé de
cette sentence , parut se repentir de son crime , et se mit en
devoir de satisfaire le Pape , dont il obtint en effet l'absolution ,
au concile de Nîmes, en 1096 (4). Les négociations qui eurent
lieu, à ce sujet, durent naturellement suspendre l'effet de la
sentence. Ajoutons que, le texte de cette sentence n'étant pas
(1) Bossuet et Fleury, ubi suprà.
(2) « Tempo re Urbani et Paschalis, Romanorum pontificum, fere quinde-
« cim annis interdictus fuit (Philippus). Quo tempore, numquam diadema
« portavit, nec purpuram induit, neque solemnitatem aliquam regio more
« celebravit. » Orderic Vital, Hist. Eccles. lib. vin, anno 1092. — Recueil
des Hist. de France, t. xu, p. 050; t. xiv, Préface, § 10, n. 40. — Hist.
de V Église Gallicane, t. vin, p. 50.
(3) On voit quelque chose de semblable, dans la pénitence imposée au roi
d'Angleterre, Edgar, vers Tan 967, par S. Dunstan, archevêque de Cantor-
béry , et dans les conditions de l'absolution accordée à l'empereur Henri IV
par Grégoire VII, en 1076. Voyez, sur ce dernier point, Voigt, Hist. de
Grég. VII, p. 428 et 430.— Fleury, Hist. Ecclés., t. xm, liv. lxii, n. 39 et
40. — Sur l'Histoire d'Edgar, roi d'Angleterre, voyez Labbe, Concil. tom. ix,
p. 702. — Lingard, Antiquités de V Église Anglo-Saxonne , chap. 12,
p. 489. — Fleury, ibid., t. xu, liv. lvi, n. 28.
(4) Voyez Fleury et Bossuet, ubi suprà.
SUR LES SOUVERAINS. — CHAPITRE II. 463
parvenu jusqu'à nous, il serait difficile de dire si la déposition de
Philippe y était prononcée d'une manière absolue et définitive,
ou seulement eu termes conditionnels, c'est-à-dire, supposé qu'il
refusât de satisfaire à l'Église dans un temps déterminé.
L'exemple de Frédéric Barberousse ne fournit pas une diffi- "7- v
Réponse a
culte plus sérieuse, contre la persuasion universelle dont nous l'exemple de
parlons. 11 est vrai que ce prince, malgré la sentence de dépo- Barberouïse.
sition prononcée contre lui par le pape Alexandre III ^ continua
d'être réputé et nommé empereur par un grand nombre de ses
sujets, surtout en Allemagne, et en Italie même, par les parti-
sans du schisme qu'il soutenait ; mais il est certain qu'il était
réellement déchu de sa dignité, aux yeux des autres nations, et
des fidèles catholiques. C'est ce qui résulte clairement de plu-
sieurs lettres de Jean de Sarisbery, particulièrement de celle
que nous avons déjà citée (l), qu'il écrivit à Guillaume, sous-
prieur de l'abbaye de Cantorbéry , à l'occasion des démêlés du
roi d'Angleterre avec saint Thomas de Cantorbéry. L'auteur
de cette lettre suppose , comme des choses notoires et générale-
ment reconnues : 1 ° que le Pape a réellement déposé l'empereur,
par le moyen de l'excommunication; 2° que cette sentence a
détaché de Frédéric, et soulevé contre lui la plus grande partie
de ses États en Italie. Tout ce que dit, à ce sujet, Jean de Sa-
risbery, est confirmé par les Actes d' 'Alexandre III , publiés
en partie , d'après les Archives du Vatican , par le cardinal
Baronius, et plus complètement, au milieu du dernier siècle,
par Muratori, dans son Recueil des Historiens d' Italie (2). Il
résulte de ces Actes : l°que Frédéric était regardé , en Orient
aussi bien qu'en Occident, comme déchu de l'empire, depuis
la sentence de déposition prononcée contre lui par le pape
Alexandre III ; et que dans cette persuasion , l'empereur Manuel
supplia le Pape de lui rendre la couronne, dont Frédéric avait
été justement privé (3); 2° que Frédéric, après de longues et
(1) Voyez plus haut, n. 102. Voyez aussi les lettres 150, 178 , 182, 211,
233, 270 du môme auteur.
(2) Baronius, Annal, tom. xn, anno 1170, n. 54, etc. ; anno 1176, n. 15;
anno 1177, n. 13, et alibi passim. — Muralori, Rerum Italicarum Sciïp-
lores, tom. m, pag. 459, etc.
(3) « Unde (Emmanuel Magnus, Constantinopolitanus imperator) rogat et
« postulat quatenus , praedictae Ecclesiœ adversario imperii Romani coronâ
464 DEUXIÈME PARTIE. — POUVOIR DU PAPE
inutiles tentatives , pour ramener à son obéissance les peuples
d'Italie, fut enfin obligé de s'humilier devant le Pape, et de
lui demander sérieusement l'absolution, qu'il obtint en effet
en 1177 (l).
« privato, eam sibi, prout ratio et justitia exigit, restituais. » Baronii An-
nales, anno 1170, n. 54. — Muratori, ubisuprà, p. 460, col. 2.
(l) « Fridericus verè, cùm in cunctis actionibus suis eventus semper
« sinistros îiaberet,. . . pacem Romanae Ecclesiœ , quam prœ caeteris rébus
« affectare se publiée assevebat, per se ipsum requirere sluduit Quam-
« vis autem causa ejus , ab eo tempore quo cœpit Ecclesiam Dei persequi ,
« semper, ultore Domino, in deterius haberetur, et nulla eum adversitas at-
« que diflicultas laboris a suo incepto retraberet ; modo tamenita vehemen-
« ter a supremo judice percussus et bumiliatus est, quod ad pacem Eccle-
« sise, quam hactenus in duplicitate qusesiverat, inclinari humiliter videretur,
« et eam 4 per majores personas imperii , a domino Alexandro papa et ejus
« fratribus, suppliciter postularet. » Baronius, ubi suprà, anno 1176, n. 15.
— Muratori, ubi suprà, pag. 465, col. 2; et 467, col. 2. — Fleury, Hist.
Ecclés., tom. xv, liv. lxxiii, n. 1, etc.
Quelques auteurs modernes ont ajouté à l'histoire de cette réconciliation,
des circonstances fabuleuses, parmi lesquelles on remarque surtout la con-
duite pleine de hauteur qu'ils attribuent au pape Alexandre III envers l'em-
pereur. S'il en faut croire ces auteurs, Frédéric s'étant prosterné publique-
ment aux pieds du Pape, pour lui promettre obéissance, le pontife lui mit
le pied sur le cou, en prononçant ces paroles du psaume: Vous mar-
cherez sur l 'aspic et sur le basilic, et vous foulerez aux pieds le lion
et le dragon. (Ps. xc.) Frédéric, choqué de cette insulte, répondit avec
vivacité: Ce n'est pas à vous que j'obéis, mais à Pierre; sur quoi le
Pape répliqua : Non à Pierre, mais à moi. Cette anecdote ridicule est suf-
fisamment démentie par le silence des auteurs contemporains , tels que
Matthieu Paris, Guillaume de Tyr, Roger de Hoveden , et Romuald, arche-
vêque de Salerne, qui a écrit avec plus de détail que les autres l'histoire de la
réconciliation de Frédéric avec le Pape. (Voyez la Chronique de Romuald ,
dans le tom. vu du Recueil de Muratori, Rer. Ital. Script.) Cette anecdote
est d'ailleurs en opposition manifeste avec le caractère de douceur et de
bonté, dont le pape Alexandre III a donné des preuves indubitables. Aussi est-
elle regardée comme une fable par le plus grand nombre des critiques , et
même par ceux que leurs préjugés bien connus contre le saint-siége enga-
geaient naturellement à accueillir les faits propres à confirmer ces préjugés.
Elle est formellement rejetée par le cardinal Baronius {Annal, anno
1177, n. 85, etc.); Dupin (Histoire Ecclésiastique, xne siècle, 2e partie,
pag. 426), et le P. Alexandre (Hist. Ecclésiast. sœculi xn, cap. 2, art. 9).
Bossuet n'en fait aucune mention dans la Défense de la Déclaration (ubi
suprà), où il rapporte assez au long l'histoire des différends de Frédéric
avec le pape Alexandre III. Fleury n'en parle pas davantage dans son Hist.
Eccl. [ubi suprà). Enfin, elle est également omise par Daunou, dans son
Essai sur la Puissance temporelle des Papes, où il a recueilli avec tant
de soin tout ce qui lui a paru propre à exciter et entretenir la haine contre
le saint-siége. (Voyez, à ce sujet, Alban Butler, Vies des Saints, dernière
note sur la Vie de saint Galdin, archevêque de Milan, 18 avril, tom. m,
SUR LES SOUVERAINS. — CHAPITRE II. 465
On peut juger, d'après ces témoignages, avec combien peu
de fondement Fleury et d'autres écrivains ont avancé, que Fré-
déric, après la sentence de déposition prononcée contre lui
par le pape Alexandre III , était constamment reconnu pour
empereur 3 et que ses sujets catholiques, même ecclésiastiques,
ne lui obéissaient pas moins qu'auparavant (l).
A l'appui de tous les faits que nous venons de rapporter, nous ,l8- .
, * * La persuasion
remarquerons encore, que la persuasion générale des princes et générale
des peuples, au moyen âge, sur les effets temporels de l'hérésie Teèonmfe * '
et de l'excommunication, par rapport aux souverains, est exprès- par Bos5uet*
sèment reconnue par les auteurs modernes, même les moins fa-
vorables à cet ancien usage. Bossuet, en particulier, comme on
l'a vu plus haut, avoue que, dès le temps de Grégoire VII, la per-
suasion générale des hommes pieux et éclairés attachait à l'ex-
communication la perte de toute dignité, même temporelle (2).
Ailleurs, le même prélat ne fait pas difficulté de reconnaître que,
dans ces anciens temps , l'Église a souvent agi d'après ce prin-
cipe, du consentement et par la concession des princes eux-
mêmes. C'est ainsi qu'il explique en particulier la peine de dé-
position , et les autres peines temporelles , décernées contre les
princes hérétiques, dans le troisième et le quatrième concile de
Latran : « Toutes ces dépositions, dit-il, ne se faisaient point en
« vertu du pouvoir des clefs, mais par la concession des princes,
« sans laquelle de pareils décrets eussent été nuls (3)... Si donc
page 401.) On peut conjecturer, avec assez de vraisemblance, que cette anec-
dote n'est qu'une application maligne ou ingénieuse , faite au pape Alexan-
dre III, de la conduite de Justinien II envers Léonce et Tibère Absimare,
usurpateurs de l'empire, qu'il fil étendre par terre devant son siège, et
foula lui-même aux pieds dans l'Hippodrome, pendant que le peuple criait
à haute voix : Tu as marché sur l'aspic et sur le basilic , et tu as foulé
aux pieds le lion et le dragon. (Fleury, Hist. E celés. , tom. ix, liv. xli,
n. 11. — Lebeau, Hist. du Bas-Empire, tom. xni,liv. lxii, n. 33.) Cette oc-
casion n'est pas la seule, où Justinien ait fait preuve de ce caractère cruel et
vindicatif, qui le rendit si odieux à ses sujets.
(1) Fleury, Hist. Ecoles., tom. xv, liv. lxxiii, n. 60. — Bossuet, De/ensio
Declar., lib. m, cap. 19.
(').) Voyez ce témoignage de Bossuet, ci-dessus, n. 100, pag. 444.
(3) « Ergo hœc demonstravimus ; . .. . quae a sacris conciliisœcumenicis,
« circa temporalia, décréta sint, numquam auctoritate clavium facta esse;
«numquam adscriptum eâ auctoritate fieri; imô explicatum fieri, mutuatâ
« a regibus potestate ; neque umquam ea décréta, nisi consensu principum,
v. valuisse. » {De/ensio Declar. , lib. iv, cap. 17, n. 13, tom. xxxu,pag. 71.)
30
466 DEUXIÈME PARTIE. — POUVOIR DU PAPE
« plusieurs princes reconnaissaient alors ; qu'ils pouvaient être
« déposés par l'Église (pour les crimes d'hérésie et d'apostasie),
« ce n'est pas qu'ils reconnussent dans les évoques aucun pou-
« voir de régler les choses temporelles ; mais ces princes pous-
« saient la haine de l'hérésie, jusqu'à se soumettre volontiers aux
« peines les plus rigoureuses, s'ils étaient assez malheureux pour
« s'en laisser infecter (l). »
,i9. L'abbé Fleury, étroitement lié avec Bossuet, n'est pas moins
Fi^ryTsur le connu quelui, pour son opposition aux maximes nltramontaines,
même sujet. et p0ur ja sévérité avec laquelle il blâme , dans plusieurs de ses
ouvrages, la conduite des contiles et des souverains pontifes qui
ont autrefois déposé des princes temporels. Toutefois, dans les
endroits mêmes où il s'exprime sur ce sujet avec plus de rigueur,
il reconnaît expressément, que les maximes sur lesquelles se
fondaient les papes et les conciles qui exerçaient de si grands
actes d'autorité , étaient alors généralement reconnues par les
souverains eux-mêmes. « Depuis que les évêques, dit-il, se vi-
ce rent seigneurs , et admis en part du gouvernement des États ,
«ils crurent avoir comme évêques, ce qu'ils ri avaient que
« comme seigneurs; ils prétendirent juger les rois, non-seule-
« ment dans le tribuual de la pénitence, mais dans les conciles ;
« et les rois, peu instruits de leurs droits , rien disconvenaient
« pas (2)... Cette opinion, que les évêques pouvaient déposer les
« rois, fit un tel progrès (pendant le vme et le ixe siècle), que
« les rois eux-mêmes en convenaient , comme il paraît par la
« requête de Charles le Chauve, présentée au concile de Savo-
« nières, en 859, contre Venilon, archevêque de Sens (3). » On
C'est principalement dans ce quatrième livre, que Bossuet discute et expli-
que les décrets dont nous parlons ici. On peut consulter aussi là-dessus l'ou-
vrage intitulé : Essai historique et critique sur la suprématie temporelle
du Pape et de l'Église, par M. l'abbé At'fre, vicaire général du diocèse d'A-
miens. (Paris, 1829, in-8°.) L'auteur adopte pleinement cette explication de
Bossuet, et la confirme par de nouvelles observations. Voyez, en particulier,
les chapitres 16, 17, 18, etc.
(1) « Quod ergo quidam forte principes se propter eas causas (hseresis at-
« que apostasiae) deponi posse concesserint , id non oritur ex ullà potestate
« quam in pontificibus agnoscant ad ordinanda temporalia; sed quod haere-
« si m detestati, omnia in se ultro permittant , si eà se peste infici sinant. »
Defensio Declar., lib. iv, cap. 18. , pag. 73.
(2) Fleury, Hist. Ecclés., tom. xiiï, 3e Discours, n. 10.
(3) Ibid., tom. xix, 7e Discours, n. 5.
SUR LES SOUVERAINS. — CHAPITRE II. 467
voit que, de l'aven de Fleury, les évoques avaient alors, sinon
comme évêques , du moins comme seigneurs, le pouvoir de
déposer les rois, et que ceux-ci n'en disconvenaient pas.
Fleury suppose, il est vrai, qu'en cela les souverains étaient peu
instruits de leurs droits ; niais il semble étonnant que Fleury
attribue ainsi à tous les souverains, pendant plusieurs siècles,
une si grande ignorance de leurs droits ; et nous verrons bien-
tôt combien ce reproche est peu fondé (l).
Le môme auteur convient qu'au temps de Grégoire VII, les
maximes qui attachaient à l'excommunication la perte des
droits civils , étaient universellement reconnues ; tellement que
les défenseurs du roi Henri se retranchaient à dire qu'un
souverain ne pouvait être excommunié ; assertion tout à fait
insoutenable, comme Fleury le reconnaît au même endroit.
« Plus de deux cents ans avant Grégoire Vil, dit-il , les papes
« avaient commencé à régler par autorité les droits des cou-
« ronnes (2). Grégoire VII suivit ces nouvelles maximes , et les
« poussa encore plus loin (3) , prétendant ouvertement que ,
« comme pape , il était en droit de déposer les souverains rebel-
« les à l'Église. Il fonda cette prétention principalement sur
« l'excom-munication. On doit éviter les excommuniés, n'avoir
« aucun commerce avec eux, ne pas leur parler, ne pas même
« leur dire bonjour, suivant l'apôtre saint Jean. Donc un prince
« excommunié doit être abandonné de tout le monde ; il n'est
« plus permis de lui obéir, de recevoir ses ordres, de l'appro-
« cher; il est exclu de toute société avec les chrétiens... Il faut
« avouer qu'on était alors tellement prévenu de ces maximes,
« que les défenseurs du roi Henri se retranchaient à dire
« qu'un souverain ne pouvait être excommunié ; mais il était
(1) Ci-après, chap. 3, art. 2.
(2) Fleury fait principalement allusion ici, à ce qu'il a dit précédemment
(n° 10 du même Discours) de la conduite du pape Adrien II envers Charles
le Chauve, qui s'était emparé du royaume de Lothaire, au détriment de
l'empereur Louis II, fils de Lothaire. Nous avons indiqué ailleurs les raisons
qui expliquent la conduite du Pape, en cette occasion. Voyez plus haut,
chap. 1, art. 1, n. 30 et 31.
(3) La suite de cet ouvrage montrera clairement, que Grégoire VII ne
poussa pas plus loin que ses prédécesseurs, les maximes dont il s'agit ; il
se contenta d'en faire une application plus rigoureuse, parcejqu'il y fut obligé
à raison des circonstances. . i
30.
Liii£ard.
468 DEUXIÈME PARTIE. — POUVOIR DU PAPE
« facile à Grégoire VII de montrer que la puissance de lier et
« de délier a été donnée aux apôtres généralement , sans ex-
« ception de personnes , et comprend les princes comme les
« autres (1). »
120. Le docteur Lingard adopte au fond la même opinion, dans
e" doctear " son Histoire d'Angleterre, où il croit pouvoir expliquer la con-
duite des papes du moyen âge, à l'égard des souverains, par les
principes alors généralement admis, sur la subordination de la
puissance temporelle envers la spirituelle; principes qui étaient,
selon lui, le résultat de la combinaison des idées religieuses avec
la jurisprudence féodale. «Le lecteur, dit-il, a vu qu'Innocent III
« appuyait ses prétentions temporelles, sur le droit qu'il avait de
« prononcer, quand il s'agissait du péché, et de l'obligation qui
« résulte du serment (2). Cette doctrine, quelque contraire qu'elle
« pût être à l'indépendance des souverains, fut souvent admise
«par les souverains eux-mêmes. Ainsi, quand Richard Ier fut
« réduit en captivité par l'empereur (d'Allemagne, Henri VI, en
« 1192), sa mère Éléonore sollicita, à plusieurs reprises, le pon-
« tife de procurer la liberté de son fils , en faisant usage de
« V autorité qu [il possédait sur tous les princes temporels (3).
« C'est ainsi que Jean sans Terre lui-même invoqua l'appui de la
« même autorité, pour recouvrer la Normandie envahie par le roi
« de France (Philippe Auguste). Il est vrai que, dans les commen-
« céments, les papes se contentaient de faire usage des censures
« spirituelles; mais à une époque où toutes les notions de justice
« étaient formées sur le modèle de la jurisprudence féodale, il
«fut bientôt reçu, que les princes, parleur désobéissance, de-
« venaient traîtres à Dieu; que comme traîtres ils encouraient
« la privation des royaumes et des fiefs qu'ils tenaient de
« Dieu; et qu'il appartenait au pontife, vicaire de Jésus- Christ
« sur la terre, de prononcer contre eux une sentence de dépo-
« sition. Par ce moyen, le serviteur des serviteurs de Dieu de-
« vint le souverain des souverains, et s'attribua le droit de les
(l)Fleury, Hist. Ecclés., tom. xui, 3e Discours, n. 18.
(2) L'auteur fait ici allusion à une Décrétale d'Innocent III, dont nous
parlerons plus bas, chap. 3, art. 1, n. 208, etc.
(3) On a vu plus haut (n. 106, pag. 451, etc.) quelques détails sur ce fait
important.
121.
SUR LES SOUVERAINS. — CHAPITRE II. 469
« juger à son tribunal, et de transférer leurs couronnes quand il
« le jugeait convenable (l). »
Michaud, dans Y Histoire des Croisades, regarde comme un
fait incontestable, que les maximes sur lesquelles Grégoire Vïï JE**,
et ses successeurs se fondaient , étaient généralement reconnues
longtemps avant ce pontife, non-seulement par les simples par-
ticuliers, mais par les souverains eux-mêmes, quelque in-
térêt qu'ils eussent à les contester. « Il faut avouer, dit-il , que
« les prétentions des papes, à cet égard, furent favorisées par
« les opinions contemporaines. On se plaignait quelquefois d'être
« jugé injustement au tribunal des chefs de l'Église ; mais on
« ne leur contestait guère le droit de juger les puissances de
« la chrétienté; et les peuples recevaient presque toujours leurs
« jugements sans murmure (2).... Tout le monde sait que l'au-
« torité des successeurs de saint Pierre avait déjà fait d'immen-
« ses progrès avant les croisades : la tête des plus puissants mo-
« narques s'était déjà courbée devant les foudres du Vatican; et
« déjà la chrétienté; semblait avoir adopté cette maxime de
« Grégoire VII, que le Pape , en qualité de vicaire de Jésus-
« Christ, devait être supérieur à toute puissance humaine (3).»
On trouve de semblables aveux ,. dans un des écrivains de nos Ia2.
jours qui ont le plus sévèrement blâmé la conduite des papes SFe^7nnd.de
du moyen âge envers les souverains. « Malheureusement, dit
« cet auteur, presque tous les souverains, par un aveuglement
«inconcevable, travaillaient eux-mêmes à accréditer, dans
« V opinion 'publique , une arme qui n'avait et ne pouvait avoir
« de force que par cette opinion. Quand elle attaquait un de
(1) Lingard, Hist. d'Angleterre, tom. m, année 1213 , page 40, note. —
Au lieu de ces mots : s'attribua le droit, la traduction de M. le chevalier de
Roujoux , que nous avions suivie dans la première édition de cet ouvrage ,
porte, s'arrogea le droit. Nous corrigeons cette traduction, d'après les ob-
servations du docteur Lingard lui-même, à qui nous avons envoyé un exem-
plaire de notre première édition , et qui nous a fait remarquer, que le mot
anglais dont il s'est servi', io assume, a un sens beaucoup plus doux que le
mot to arrogate; le premier ne supposant ni blâme ni approbation, mais
seulement que le Pape commença à exercer le droit dont il est ici
question.
(2) Michaud, Hist. des Croisades, 4e édition, tom. iv, pag. 163. il est à
remarquer que les jugements dont il s'agit, n'étaient jamais contestés par ceux
qui n'avaient aucun intérêt à les contester.
(3) Ibicl, tom. vi, pag. 225.
Lfibm'z
470 DEUXIÈME PARTIE. — POUVOIR DU PAPE
« leurs rivaux et de leurs ennemis, non-seulement ils l'approu-
« vaient, mais ils provoquaient quelquefois l'excommunication ;
« et en se chargeant eux-mêmes d'exécuter la sentence qui dé-
« pouillait un souverain de ses États, ils soumettaient les leurs
« à cette juridiction usurpée (1). »
i?3j II serait aisé de multiplier les témoignages des auteurs catho-
Aveux reniai'- <■• • . • 1 .
cibles liques, sur ce sujet ; mais ce que nous devons surtout remarquer,
ll [,ièliantsp,° c'est que Ie ^it de cette persuasion générale est également re-
connu par des écrivains protestants, qui ne font pas difficulté
de s'en servir, pour expliquer le pouvoir extraordinaire que les
papesse sont attribué, pendant le moyen âge, sur le temporel
des princes.
,24. Tel est en particulier le sentiment du célèbre Leibniz, dont
l'autorité n'est pas moins grande en histoire et en jurisprudence,
que dans les sciences mathématiques et philosophiques. Ce grand
homme reconnaît expressément, dans plusieurs de ses ouvrages,
la réalité et même les avantages des maximes du moyen âge, qui
donnaient au souverain pontife une si grande autorité sur les
princes, dans l'ordre temporel; et sans approuver indistinctement
toutes les prétentions des papes en ce genre, il reconnaît du moins
que leur autorité avait alors une très -grande étendue, d'après
l'usage et les maximes reconnues des souverains eux-mêmes.
« Tl faut convenir, dit-il (2) , que la vigilance des papes pour
«l'observation des canons, et pour le maintien de la discipline
«ecclésiastique, a produit de temps en temps de très-bons ef-
«fets; et qu'en agissant à temps et à contre-temps auprès des
« rois, soit par la voie des remontrances que l'autorité de leur
« charge les mettait en droit de faire , soit par la crainte des
« censures ecclésiastiques , ils arrêtaient beaucoup de désordres.
«Rien n'était plus commun que de voir les rois, dans leurs
« traités, se soumettre à la censure et à la correction des papes,
(1) Ferrand, i?spn£ de VHist. ,tom. 11, lettre 41e, pag. 413. C'est par erreur
que ce texte a été attribué à Bolyngbroke, dans la première édition de ces
Recherches (n. 31, pag. 62). Il ne faut pas confondre Y Esprit de l'His-
toire, ou Lettres politiques et morales, par M. Ferrand (4 vol. in-8°),
avec les Lettres sur V Histoire, par le vicomte Bolyngbroke (1752, 2 vol.
in-8°).
(2) Leibniz, Dissert. \,de Actorum publicorum usu. (Oper. t. iv, p. 299.)
Cette dissertation est la Préface du Codex diplomaticus Juris gentiwn,
publié pour la première fois à Hanovre, 1693, in-fol.
SUR LES SOUVERAINS. — CHAPITRE II. 471
ccomme dans le traité de Bretigny en 1360, et dans le traité
« d'Étaples en 1492. »
Mais c'est principalement dans son traité De Jure suprema-
tus, que Leibniz expose ses principes, sur cette matière. « Il est
«constant, dit-il, que plusieurs princes sont feudataires ou
«vassaux de l'empire romain, ou du moins de l'Église ro-
umaine; qu'une partie des rois et des ducs ont été créés par
«l'empereur on par le Pape; et que les autres ne sont pas sa-
« crés rois , sans faire en même temps hommage à Jésus-Christ ,
«à l'Église duquel ils promettent fidélité, lorsqu'ils reçoivent
« l'onction par la main de l'évêque ; et c'est ainsi que se vérifie
« cette formule : Christus régnât , vincit, imperat (l) , puisque
« toutes les histoires témoignent que la plupart des peuples de
«l'Occident se sont soumise l'Église avec autant d'empresse-
« ment que de piété. Je n'examine point si toutes ces choses sont
« de droit divin. Ce qu'il y a de constant , c'est qu'elles ont été
«faites avec un consentement unanime , qu'elles ont très-bien
« pu se faire, et qu'elles ne sont point opposées au bien de la
« chrétienté ; car souvent le salut des âmes et le bien public sont
«l'objet du même soin... (2). Il est arrivé, dit-il un peu plus
« bas, par la connexion étroite qu'ont entre elles les choses sa-
« crées et les profanes, qu'o^ a cru que le Pape avait reçu
« quelque autorité sur les rois eux-mêmes. » C'est ce que Leib-
niz, explique en cet endroit en faisant une longue énumération
des souverains, qui, selon lui, ont été autrefois feudataires de
l'Église romaine. « Je ne cherche point actuellement, ajoute-
« t-il , par quel droit ces choses se sont faites, mais quelle a été,
« dans les siècles précédents, Y opinion des hommes (3). » Il va
(1) Ces paroles, qui étaient souvent le cri de guerre des soldats chrétiens
pendant les croisades , forment la légende du revers de toutes les monnaies
d'or frappées en France, depuis Louis VI ou Louis VII jusqu'à Louis XVI.
Voyez Michaud , Hist. des Croisades, tom. h, pag. 38. — Paucton, Métro-
logie, cliap. 13, pag. 685.
(2) Tract, de Jure suprematus, part. 3. (Oper. tom. iv, pag. 330.)
(3) De Jure suprematus, ubisuprà, pag. 401. Leibniz adopte les mêmes
principes dans l'ouvrage intitulé iStjstema Theologicum, où il s'exprime
ainsi : « Etsi chiistiani principes non minus Ecclesiae obedientiam debeant
« quàm minimus quisque fnlelium ; tamen, nisi ipso jure regni aliter pro-
« visum actumque esse constet , ecelesiastica potestas eô extendenda non
« est, ut snbditos in veros dominos armet. » Expos, de la Doctrine de
Leibniz, cit. ; Paris, 1819, in-8° ; pag. 306.
472 DEUXIÈBE PARTIE. — POUVOIR DU PAPE
encore plus loin dans une lettre à M. Grimaret, où il regrette
cet ancien usage, dont le rétablissement, selou lui, nous ra-
mènerait le siècle d'or. «Je serais d'avis, dit-il, d'établir à
«Rome môme un tribunal (pour juger les différends entre les
« princes) , et d'en faire le Pape président; comme en effet il fai-
« sait autrefois figure de juge entre les princes chrétiens. Mais il
« faudrait en môme temps que les ecclésiastiques reprissent leur
« ancienne autorité , et qu'un interdit et une excommunication
«lissent trembler des rois et des royaumes, comme du temps
«de Nicolas 1er ou de Grégoire Vil. Voilà des projets qui réus-
« siront aussi aisément que celui de M. l'abbé de Saint-Pierre (1).
« Mais puisqu'il est permis de faire des romans, pourquoi trou-
« verons-nous mauvaise la fiction qui nous ramènerait le siècle
«d'or (2)^ »
,,5. Un auteur protestant, plus récent que Leibniz, et qui blâme
rfeffei. ^'ailleurs ouvertement la conduite des papes du moyen âge en-
vers les souverains , convient cependant que les maximes par
lesquelles Grégoire VII justifiait sa conduite envers l'empereur
d'Allemagne, c'est-à-dire, les maximes qui attachaient à l'ex-
communication la perte des droits civils, et de toute dignité,
même temporelle, étaient généralement reconnues, même des
docteurs, longtemps avant le pontificat de Grégoire VII; d'où
il conclut avec raison , que ce pontife ne pouvait agir autre-
ment qu'il ne fit, et que toutes ses démarches étaient une suite
nécessaire des principes alors universellement admis (3).
i26. Enfin, la persuasion universelle des peuples du moyen âge,
voltaire.6 sur ce point -, est également reconnue par un des ennemis les
plus déclarés, non-seulement de la papauté, mais encore de
toute religion. « Il paraît, dit Voltaire, dans son Essai sur les
«mœurs, que des princes qui avaient le droit d'élire l'empe-
(1) L'abbé de Saint-Pierre venait de publier son Projet pour rendre la
paix perpétuelle en Europe. (1713 et 1716, 3 vol. in-12.) Il proposait, dans
cet ouvrage, l'établissement d'une diète européenne , pour juger les diffé-
rends qui pourraient s'élever entre les princes.
(2) Deuxième lettre à M. Grimaret. ( Œuvres de Leibniz tom. v,
pag. 65.) Voyez, à l'appui de cette idée de Leibniz, le témoignage de M. Hur-
ter, et de quelques autres écrivains protestants, que nous avons cités plus
haut, n. 19, texte et notes.
(3) pfeffel, Nouvel Abrégé d'histoire d'Allemagne, année 1106 ; édition
in-4°, tom. i, pag. 228 et 229.
SUR LES SOUVERAINS.— CHAPITRE II. 473
«reur, avaient aussi le droit de le déposer; mais vouloir faire
«présider le Pape à ce jugement, c'était le reconnaître pour
«juge naturel de l'empereur et de l'empire (l).... Tout prince,
«ajoute-t-il dans la suite du même ouvrage, tout prince qui
« voulait usurper ou recouvrer un domaine, s'adressait au Pape,
« comme à son maître.... Aucun nouveau prince n'osait se dire
« souverain , et ne pouvait être reconnu des autres princes, sans
« la permission du Pape; et le fondement de tonte l'histoire du
« moyen âge, est toujours que les papes se croient seigneurs su-
«zerains de tous les États, sans en excepter aucun (2).» Les
malignes exagérations de Voltaire, en cet endroit , n'empêchent
pas qu'il ne reconnaisse formellement la persuasion universelle
des princes et des peuples, qui attribuaient alors au Pape un
si grand pouvoir temporel sur tous les États de l'Europe, et
particulièrement sur l'empire.
ARTICLE II.
Preuves particulières de cette persuasion , par rapport à la France.
Indépendamment des faits qui établissent la persuasion gêné- I4J3J'Mg-
raie des princes et des peuples catholiques de l'Europe, au rejealsqa"°tbl*
moyen âge, sur les effets temporels de Thérésie et de l'excom- Grégoire, sur
munication, par rapport aux souverains, l'histoire de France
en particulier fournit des preuves évidentes de la persuasion qui
subordonnait, en certains cas, dans ce royaume, le pouvoir du
souverain à l'autorité du Pape ou du concile. On peut même
avancer avec confiance, que le royaume des Francs est, de tous
les États de l'Europe, celui qui nous offre les plus anciens ves-
tiges de cette persuasion.
Saint Grégoire le Grand, vers la fin du vie siècle, accordant
certains privilèges aux monastères et à l'hôpital d'Autun , déclare
déchus de leurs dignités tous les laïques, même les rois et autres
seigneurs, qui oseraient violer ces privilèges (3). « Si quelqu'un,
(1) Voltaire, Essai sur les Mœurs, tom. h, chap. 46.
(2) Ibid., tom. m, chap. 64.
(3) S. Greg. Epist. lib. xm, Epist. 8,9 et 10. (Operum tom. il) —
Fleury, Histoire Ecclés., tom. vin, liv. xxxvi, n. 43. — Hist. de V Église
474 DEUXIÈME PARTIE. — POUVOIR DU PAPE
« dit-il, roi, évêque, juge, ou autre personne séculière, ayant
«connaissance de cette constitution, ose y donner atteinte,
« qu'il soit privé du pouvoir et de l'honneur attachés à sa
« dignité, et qu'il s'attende à répondre de son crime au juge-
«ment de Dieu(l). »
i»i. La difficulté de concilier ce langage avec la doctrine de l'an-
A" deceClte tiquité, et avec les principes de saint Grégoire lui-même, sur la
tcnoiguage. distinction et l'indépendance mutuelle des deux puissances, a
fait soupçonner à plusieurs critiques modernes, que cette clause
avait été ajoutée à ses lettres par un faussaire (2). Mais cette
opinion est clairement réfutée par l'autorité des manuscrits,
même les plus anciens, et par plusieurs autres témoignages au-
thentiques, selon la remarque des savants éditeurs des Œuvres
de saint Grégoire (3). Aussi, un judicieux critique du dernier
siècle ne craint pas de dire, que les privilèges dont il s'agit, tels
qu'ils sont rapportés dans les lettres de saint Grégoire, doivent
paraître incontestables à toute personne non prévenue (4).
En supposant l'authenticité de la clause dont il s'agit, quel-
ques auteurs ont cru lever la difficulté qu'elle présente, en sou-
pvoposées par tenant que cette clause n'était pas proprement un décret ou
les critiques. 7
une menace de déposition contre les infracteurs , mais une
formule purement imprécatoire , pour les menacer de la ven-
geance divine, même en ce monde (5). Mais cette explication
paraît tout à fait contraire au texte de saint Grégoire, dont les
paroles, prises dans leur sens naturel, n'expriment pas une for-
mule purement imprécatoire y mais une déclaration absolue :
Gallicane, tom. m, année 602, pag. 356. — Bossuet, Defensio Declar.,
lib. ii, cap. 9.
(1) « Si quis regwm , sacerdotum , judicum , personarumque saecularium ,
« hanc constitutioiris nostrse paginam agnoscens, contra eam venire tenta-
« verit, potestatis , honorisque sui dignitate careat , reumque se divino
« judicio existere de perpetratâ iniquitate cognoscat. » S. Greg., ubi sUprà,
Epist. 8, 9 et 10.
(2) Cette opinion est adoptée par le P. Maimbourg, Hist. du pontificat de
saint Grégoire, pag, 290. — Lebeau, Hist. du Bas - Empire , tom, xi,
liv. xlix, n. 50.
(3) Voyez la note b des éditeurs, sur la 8e lettre déjà citée.
(4) D. Ceillier, Hist. des Auteurs ecclés., tom. xvn, pag. 317.
(5.) D. Ceillier, Hist. des Auteurs ecclés., ubi suprà. — Mabillon, De re
Diplom., lib. n, cap. 9. — Bossuet, Defensio Declar., lib. n, cap. 9.— Noël
Alexandre, 2e Dissert, sur l'Histoire Ecclés. du xie siècle, art. 10,
5e alinéa.
"9-
Diverses ex
plications ,
SUR LES SOUVERAINS. — CHAPITRE II. 475
Qu'il s'attende, dit le Pape, à répondre de son crime au ju-
gement de Dieu.
Pour lever entièrement la difficulté , les éditeurs des Œuvres
de saint Grégoire observent, d'après ses lettres mêmes, que les
privilèges dont il s'agit jurent accordés à la demande de la
reine Brunehaut , et que tout y fut réglé conformément à ses
désirs. « On ne peut douter, disent-ils (l) , que saint Grégoire,
« s'il eût suivi sa propre inclination et sa douceur naturelle, ne
« se fût abstenu d'une clause si sévère ; mais il ne pouvait la re-
« fuser à la reine, qui voulait intimider, par ce moyen, les vio-
«lateurs de l'acte dont il s'agit. C'est ainsi que les Pères du
«quatrième concile d'Orléans (en 541), à la demande du roi
«Childebert, défendent à toute sorte de personnes, de quel-
« ques condition et dignité quelles soient, de toucher aux biens
« de l'hôpital de Lyon, sous peine d'être frappées d'anathème
« irrévocable , comme meurtriers des pauvres (2). »
On sera frappé de la justesse de ces réflexions , pour peu qu'on
lise attentivement les lettres que saint Grégoire écrivit à la reine
Brunehaut, et à Théodoric, son petit- fils, en leur adressant les
privilèges dont nous parlons. « Afin de participer, en quelque
« manière, à vos bonnes œuvres, leur dit-il, nous avons accordé
« auxdits lieux les privilèges, tels que vous les désiriez, pour
« le repos et la sûreté des habitants ; et nous n'avons pas voulu
«différer d'un seul instant, à satisfaire les louables désirs de
« Votre Excellence (3). »
Il résulte clairement de ces observations , que , dès le temps i3o.
de saint Grégoire, les princes français consentaient à se laisser levée, pr
déposer, en certains cas , par l'autorité du Pape. Une pareille Xemih\%T
concession peut sans doute paraître aujourd'hui extraordinaire; *riD™ï f
mais il est certain, et reconnu même des auteurs les plus oppo- décreui
7 . Grès
ses aux maximes du moyen âge sur ce point, que l'histoire de
cette période offre bien d'autres exemples de semblables con-
(1) Note b sur la lettre huitième.
(2) Concil. Aurelian. armi 541, can. 15.
(3) «Quâ de re, ut et nos bonis vestris in aliquo participes haberemur,
« privilégia locis ipsis, pro quiète et munitione illic degentium, slcut vo-
« ïuistis, indulsimus , nec Excellentiœ Vestrœ amplectenda nobis de~
«. siderïa , vel ad modicum differre pertulimus. » S. Greg. Epist. lib. xm,
« p. 6 et 7.
aïs au
le saint
oire.
476 DEUXIÈME PARTIE. — POUVOIR DU PAPE
cessions. On a vu plus haut(l), que Bossuet, Fleury, et la plu-
part des canonistes, surtout en France, expliquent ainsi la peine
de déposition , et les autres peines temporelles décernées contre
les princes hérétiques, dans le troisième et le quatrième con-
cile de Latran. La suite de ces Recherches nous donnera lieu
de citer plusieurs autres exemples de semblables concessions,
particulièrement en France, sous la seconde race de nos rois.
Peut-être pourrait-on ajouter, que le consentement de la reine
Brunehaut et des princes français à la clause dont il s'agit, était
alors très- conforme aux coutumes du royaume, aussi bien qu'à
l'ancienne législation des peuples germaniques, qui déclarait
déchus de leurs dignités, les ducs ou les seigneurs violateurs
des décrets du roi (2). Il est vrai que cette disposition , telle
qu'on la voit aujourd'hui dans les anciennes lois des Francs, ne
regarde, par elle-même, que les seigneurs inférieurs au roi;
mais il y a tout lieu de croire , que le roi lui-même était alors
justiciable de l'assemblée générale de la nation, et encourait,
en cette qualité, la peine de déposition, par la violation des lois
et coutumes de l'État. Il est du moins certain que cet usage était
en vigueur sous la seconde race de nos rois, et que l'histoire
n'en marque point l'origine : il est même naturel de le croire
aussi ancien que la monarchie, dans le sentiment aujourd'hui
généralement admis , selon lequel la couronne de France, sous
la première race de nos rois, comme sous la seconde, n'était
pas purement héréditaire , mais élective parmi les princes de
la famille royale (3).
l3l. Mais quel qu'ait été , sur ce point , l'usage de la France , sous
UJ5ÏÏ3?M ^a Première race de nos rois, il est certain que, sous les suc-
ment regardé cesseurs de Charlemaene , le monarque était généralement re-
comme ° ' * °
justiciable du gardé comme justiciable du concile, qui pouvait déposer, au
concile, . x
sousiadeuxiè- nom de Dieu, un prince indigne du trône, comme le monarque
(1) Voyez plus haut, n. 90, 119, etc.
(2) « Si quis autem dux de provinciâ illâ, quem rex ordinaverit, tam au-
« dax aut contumax , aut levitate stimulatus, seu protervus et elatus , vel
« superbus atque rebellis fuerit, qui decretum régis contempserit, donatu
« dignatis ipsius ducati careat. •» Lex Bajuvariorum , tit. 2, n. 9. (Ba-
luze, Capitulariumï. 1, p. 104.)— Daniel, Hist. de France, 1. 11, année 643,
p. 109. — Cette loi, rédigée au ve siècle par Thierri, roi d'Austrasie, fut
plusieurs fois renouvelée par les rois Francs de la première race.
(3) Ci-dessus, chap. 1, art. 1, n. 23-25.
SUR LES SOUVERAINS. — CHAPITRE II. 477
peut déposer un magistrat indigne de son emploi (l). L'histoire
nous montre les princes eux-mêmes prenant alors cette opinion
pour base de leur conduite (2). C'est ce qu'on vit en particulier,
pendant les funestes divisions qui s'élevèrent entre les enfants
de Louis le Débonnaire, à l'occasion du partage de ses États (3).
Un des principaux moyens que chacun d'eux employa contre
son rival, fut de le faire déposer dans un concile. C'est ainsi
que Lothaire fut déposé, en 842, par le concile d'Aix-la-Cha-
pelle, assemblé contre lui par ses deux frères, Charles le
Chauve, roi de France, et Louis, roi de Bavière. Les évêques
de ce concile, après avoir prononcé contre Lothaire une sen-
tence de déposition , déclarèrent aux princes ses frères, qu'ils ne
leur permettraient point de se mettre en possession de ses États,
à moins qu'ils ne promissent de se conduire, dans leur gouver-
nement, selon la loi et les ordres de Dieu. Nous le "promettons ,
répondirent les deux rois; alors le président de l'assemblée leur
dit au nom de tous les prélats : « Recevez le royaume, par l'au-
(1) M. l'abbé Jager, dans son Introduction à l'histoire de Grégoire VII
(p. 28), croit cet usage fondé sur un Capitulaire de Charlemagne, dont nous
avons parlé dans le chapitre précédent (p. 361), qui soumet tous les sujets de
son empire, même ses propres fils, au jugement des évêques, en tout ce qui
concerne les causes de Dieu et les intérêts des Églises. Nous ne voyons
rien, dans ce Capitulaire , qui autorise à le regarder comme le fondement
de l'usage dont ii s'agit; car: 1° ce Capitulaire ne soumet les sujets de
l'empire au jugement des évêques, que dans les matières spirituelles et
ecclésiastiques , tandis que, sous les successeurs de Charlemagne, le roi
était regardé comme justiciable du concile, en [matière même temporelle.
2° Ce Capitulaire prive de leur dignité les sujets et les enfants mêmes du roi
qui refusent d'obéir aux évêques ; mais il n'étend pas celte disposition au roi
lui-même; du moins on ne voit rien dans ce Capitulaire , qui autorise cette
extension. Nous croyons donc qu'il faut chercher un autre fondement à cet
usage, soit qu'il n'ait été introduit que depuis Charlemagne, soit qu'il re-
monte à une époque plus ancienne , comme on peut le conclure, avec beau-
coup de vraisemblance, des réflexions que nous venons de faire sur quelques
lettres de saint Grégoire.
(2) Fleury, Hist. Ecclés., t. xm, 3e Discours, n. 10; t. xix, 7e Discours,
n. 5. — Hist. de VÉgl. Gallic, t. xvn, Discours prélim., p. xlvi. — Da-
niel, Hist. de France , t. n, p. 335, 388 , 393, etc. , édition du P. Grif/et.
— Velly et Garnier, Hist. de France, t. n, p. 60 et 81 ; t. xxi, p. 189. —
Moreau, Discours sur l'Histoire de France, 1. 1, p. 22-30. — Bossuet, De-
fens. Declar. , lib. h, cap. 43. — Montesquieu, Esprit des Lois, liv. xxxi,
chap. 23, dernière page.
(3) Nithard, De Dissensionibus fdiorum Ludovici PU, lib. iv. (Labbe,
Concilior. t. vu, p. 1782.) — Fleury, Hist. Ecclés. , t. x, liv. xlviii, n. 11 j
liv. xux, n. 46. — Daniel, ubi suprà, p. 335.
me race
de nos rois.
478 DEUXIÈME PARTIE. — POUVOIR DU PAPE
« torité de Dieu , et gouvernez-le selon sa divine volonté ; nous
«vous en avertissons, nous vous y exhortons, nous vous le
« commandons (J). »
Quelques années après , Charles le Chauve ayant été déposé
parles intrigues de Venilon, archevêque de Sens, dans le con-
cile d'Attigny (en 857), ne trouva pas de moyen plus efficace,
pour soutenir ses droits, que de présenter au concile de Savon-
nières (en 859) une requête contre la sentence qui l'avait dé-
pouillé de ses États. Mais, dans cet acte même, où il se plaint
hautement de l'injustice de la sentence portée contre lui par
Venilon, il reconnaît expressément la compétence du tribunal.
« Personne, dit-il, n'a pu m'ôter ma consécration, et me ren-
te verser du trône, au moins sans l'avis et le jugement des évê-
« ques, par le ministère desquels j'ai été consacré roi, qui sont
« appelés les trônes de Dieu, sur lesquels Dieu est assis , et par
«lesquels il prononce ses jugements. J'ai toujours été disposé,
« et je le suis encore, à me soumettre à leurs corrections pater-
« nelles, et aux châtiments qu'ils voudraient m'imposer (2). »
i32. Frappé de ces exemples, et du langage uniforme de nos an-
e sLa!t'es ciens auteurs (3), un des écrivains modernes qui ont le mieux
^nos'phS^ étudié, et traité avec plus de développement, l'histoire des pre-
(1) « Verumtamen haudquaqnam illis hanc licentiam dedere (regcndi
« regni), donec palam illos percontati sunt, utrum illud per vestigia fratris
« ejecti, an secundùm Dei voluntatem regere voluissent. Respondentibus au-
« tera, in quantum nosse ac posse Deus illis concederet, secundùm suam vo-
ce luntatem , se et suos gubernare et regere veile , aiunt : Et auctoritate di-
« vinâ, ut illud suscipiatis , et secundùm Dei voluntatem illud regatis ,
« monemus, hortamur atque prœcipimus. » Nithard, ubi suprà.
(2) « A. qua consecratione , vel regni sublimitate , supplantari vel projici à
a nullo debueram, saltem sine audientiâ et judicio episcoporum, quorum
« ministerio in regem sum consecratus, et qui throni Dei sunt dicti, in
« quibus Deus sedet, et per quos sua decernit judicia ; quorum paternis
« correptionibus et castigatoriis judiciis me subdere fui paratus , et in prse-
« senti sum subditus. » Libellus proclamationis domini Caroli adversùs
Venilonem, n. 3. (Labbe, Conciliorum t. vin, p. 679.) — Daniel, ubi
suprà, p. 393. — Bossuet, ubi suprà.
(3) On peut remarquer encore , sur ce sujet , la lettre adressée à Charles
le Simple, en 899, par Foulques de Reims, pour détourner ce prince de faire
alliance avec les Normands. Le prélat parle, dans cette lettre, avec un ton
d'autorité, et même de liberté, qu'on ne peut raisonnablement expliquer,
qu'en supposant le prince alors justiciable du concile. Voyez Baronius,
Annales, tom. x , anno 898 , n. 1 et 1. — Fleury, Hist. Ecclés. , tom. xi,
liv. liv, n. 26. — Bossuet, Defens. Declar. , lib. u, cap. 25. — Histoire de
l'Égl. Gall.f tom. vi, p. 399.
SUR LES SOUVERAINS. — CHAPITRE II. 479
miers temps de la monarchie française, résume en ces termes les célèbres huto.
1 * ' riens.
principes généralement admis sur cette matière , sous la se-
conde race de nos rois , et même au commencement de la troi-
sième : «Sous la seconde race, dit-il, les grands, les laïques
«et les ecclésiastiques partent du même principe ; ils sup-
posent la même vérité, mais ils en abusent. Le roi, disent les
«évèques, n'a d'autre supérieur que Dieu: il est le magistrat
«dépositaire du pouvoir de l'Éternel, qui seul a droit de lui
«demander compte de ses actions; mais ce juge souverain des
« rois nous a établis ses vicaires et ses représentants ; nous com-
« posons sa cour, comme les magistrats qui environnent le trône
« forment la cour du monarque : nous avons droit de juger ce-
«lui-ci, au nom et par l'autorité de Dieu même ; et comme il
«destitue ses officiers, sur le procès qu'il fait instruire contre
« eux , Dieu dépose également le prince contre lequel nous avons
«prononcé, dans le concile, la sentence qui le déclare indigne
«du trône (i). »
Il est vrai que cet auteur, et quelques autres, tout en recon- „ l33- .,
* ' x 1 ' Comment ils
naissant le fait de la persuasion générale, qui regardait alors le essayent
1 ° J ^ d en éluder les
roi comme justiciable du concile, la représentent comme une conséquen-
erreur, introduite et propagée par la politique de Pépin et de
ses successeurs , qui, en l'accréditant, se proposaient de rendre
leur autorité plus respectable aux yeux des peuples (2). Mais en
admettant même cette supposition, qu'en pourrait-on conclure
contre le fait de la persuasion générale, qui est, en ce moment,
l'unique objet de nos recherches? Il ne s'agit point ici d'exa-
miner l'origine et les fondements de cette persuasion; nous
réservons cet examen au chapitre suivant; il nous suffit, en ce
moment, de montrer que les papes et les conciles du moyen
âge , qui se sont attribué un si grand pouvoir sur les souverains,
n'ont l'ait que suivre des principes alors généralement admis, et
reconnus par les souverains eux-mêmes.
Toutefois, pour éclaircir, en passant, le fait de cette persua-
(1) Moreau,«/)i suprà, p. 22-20.
(2) Mot-eau , ibid. — Fletiry, Hist. Ecclés. , t. x, liv. xlix, n. 46; t. xm,
3e Discours , n. 10 ; t. xix , 7e Discours, n. 5. — Daniel , Hist. de France,
t. n, p. 335, 388, 393. — Garnier, Hist. de France, t. xxi, p. 189, etc. —
Berthier, Hist. de l'Égl. Gall., tom. xvii, Discours prétim., p. xlv, etc. —
SismonçU, Hist. des Français, t. 11, p. 172, etc.
ces.
480 DEUXIÈME PARTIE. — POUVOIR DU PAPE
sion générale, par rapport à la France en particulier, il ne sera
pas inutile d'examiner ici de plus près l'assertion des auteurs qui
regardent cette persuasion comme une erreur, introduite et
propagée en France par la politique de Pépin et de ses suc-
cesseurs. Il ne faut qu'un peu de réflexion pour voir combien
cette assertion est gratuite et invraisemblable.
i34. On suppose, en premier lieu, que la persuasion générale
a PdontSI°n qui regardait alors le roi comme justiciable du concile, était
11 s agpa" etait une erreur. Mais où serait ici Y erreur? Serait-ce dans l'opinion
u,,eerrcur* ■ théologique qui attribue à l'Église une juridiction au moins
indirecte sur les choses temporelles? Nos meilleurs auteurs
conviennent, et nous montrerons bientôt avec eux, que cette
opinion était à peine connue en France , sous les premiers rcis
de la seconde race, et que le principe de la distinction et de
l'indépendance réciproque des deux puissances était encore uni-
versellement reconnu et professé à cette époque (1). Fera-t-on
consister Y erreur dans la fausse politique, qui mettait la cou-
ronne à la disposition des évêques? Sans doute cette politique
eût pu être fausse en d'autres circonstances; mais l'était-elle
dans les circonstances où se trouvait alors la société? Dans un
temps où les seigneurs laïques étaient, pour la plupart, si am-
bitieux et si remuants ; où le clergé formait le premier corps
de l'État, et occupait, en cette qualité, le premier rang dans
toutes les assemblées politiques; où il était, de tous les corps
de l'État , le plus éclairé, le plus respecté, le plus Adèle au roi;
n'était-il pas naturel que les souverains s'efforçassent d'accroître
son autorité, pour servir de contre-poids à celle des seigneurs
laïques, et cherchassent, dans son influence, le plus ferme
appui qu'ils pussent donner à leur trône? L'erreur des souve-
rains, sur ce point, est si peu évidente, que plusieurs même
des auteurs qui attribuent à l'ignorance du moyen âge la per-
suasion générale dont nous parlons , conviennent que cette per-
suasion a été très-avantageuse à la société (2). Pour ce qui re-
garde la France en particulier, il est à remarquer que la plupart
des écrivains qui blâment si hautement le grand pouvoir des
évêques, sous la seconde race de nos rois, ne peuvent s'empê-
(1) Ci-après, chap. m, art. 1.
(2) Ci-après, chap. îv, art. 2,
î35.
ses succes-
seurs.
SUR LES SOUVERAINS. — CHAPITRE II. 481
cher de convenir des heureux effets qu'il a produits. Le P. Ber-
thier, entre autres, après avoir représenté ce pouvoir comme
fondé sur une erreur et une prétention insoutenable du clergé,
ne fait pas difficulté de reconnaître, avec l'abbé Dubos, « que
« la grande puissance des ecclésiastiques, fut ce qui conserva
« la monarchie , sous les derniers rois de la seconde race. Tandis
* que les seigneurs laïques, ajoute-t-il, usurpaient le domaine
« delà couronne, les évêques et les abbés, qui voulaient, après
« tout, maintenir la constitution de l'État, s'opposèrent, en
« plusieurs endroits, à ces usurpations, et prirent toujours soin
« de faire reconnaître un maître et un souverain ; ce qui , peu à
« peu, rétablit l'ordre, et fit que les rois de la troisième race re-
« couvrèrent , avec le temps , les provinces , les villes et droits
« dont leurs prédécesseurs avaient été dépouillés (l ). »
On suppose, en second lieu, que l'opinion générale, qui .
rendait alors le roi justiciable du concile, a été introduite et Pas é{é
introduite par
propagée en France par la politique de Pépin et de ses suc- ia politique
de Pcpiii
cesseurs. Mais rien n'est plus gratuit que cette supposition , et et de
nous ne croyons pas qu'on puisse l'établir par un seul fait, ou
par un seul témoignage positif. On n'en trouve aucune trace
dans l'histoire de Pépin et de Charlemagne ; et, à consulter
les monuments de l'histoire, il serait difficile de décider si la
persuasion générale dont il s'agit fut introduite avant la mort
de Charlemagne, ou depuis le règne de ce grand prince; si
elle fut introduite par la seule autorité du monarque , ou par
l'autorité de quelque assemblée générale, comme on l'avait vu
précédemment en Espagne (2). Aussi les auteurs que nous com-
battons sont-ils très-peu d'accord entre eux, lorsqu'il s'agit
d'assigner la véritable origine de cette persuasion. Les uns la
supposent introduite par Pépin et Charlemagne (3) ; les autres
par Charles le Chauve (4) ; d'autres, sous Louis le Débonnaire,
(1) Berthier, Hist. de V Église Gall, t. xvn, Discours prélim., p. xlvj. —
Dubos, Hist. critique de la Monarchie française , t. m, p. 384 —Voyez,
à l'appui de ces observations, ce qui a été dit plus haut, chap. 1, art. 2.
(2) Il est certain que , dès le vne siècle , le roi d'Espagne était justiciable
du concile. Voyez ci-dessus, chap. 1, art. 1, n. 29 ; et ci-après , chap. m,
art. 2, n. 247.
(3) Moreau , ubi suprà.
(4) Montesquieu, Esprit des Lois, liv. xxxi, chap. 23, dernier alinéa.
31
482 DEUXIÈME PARTIE. — POUVOIR DU PAPE
par les évêques eux-mêmes, dont les prétentions furent depuis
favorisées par la conduite des souverains (i) : mais nous ne
voyons aucune preuve, à l'appui de ces différentes suppositions.
Prétendre, comme font quelques-uns, que Pépin, en répandant
cette nouvelle opinion , croyait répare?' le vice de son titre , et
couvrir la tache de son usurpation (2) , c'est établir une suppo-
sition gratuite en elle-même, par une autre supposition très-
sujette à difficulté. L'usurpation de Pépin n'est pas un fait telle-
ment incontestable, qu'on ne puisse la révoquer en doute; des
auteurs très-habiles ont même combattu l'hypothèse de cette
usurpation, par des raisons qui ne sont nullement à mépriser (3).
ARTICLE III.
Preuves particulières de cette persuasion , par rapport aux souverains
feudataires du saint-siège (4).
.36. La persuasion générale des princes et des peuples attribuait
au souverain pontife un pouvoir beaucoup plus étendu , sur les
Droits de suze-
raineté
'' ' a souverains feudataires du saint -siège. Il était généralement
Pape Sur ÛUUTUam^ j^^iw,^ ww „^v.vv uvvyv. « ««" fby
pj£s" recounu <Iue ^e PaPe avaiï Ie droit, non-seulement de les
juger et de les déposer en certains cas, mais encore de dispo-
poser de leurs États en faveur d'un autre prince ; et les sou-
verains eux-mêmes entretenaient cette persuasion par leur
conduite. L'histoire du moyen âge offre un grand nombre
de faits à l'appui de cette assertion ; nous rappellerons seu-
lement ici quelques-uns des plus remarquables.
\37- Le pape Innocent III ayant prononcé, en 1211, une sen-
' teire? tence de déposition contre Jean sans Terre, roi d'Angleterre,
et donné son royaume à Philippe Auguste, roi de France,
celui-ci ne fit pas difficulté d'accepter cette donation , et se dis-
posa aussitôt à soutenir, par la force des armes, les droits
qu'il tenait uniquement de la concession du Pape (5).
i38- Les droits du saint-siége sur la Sicile ne furent pas moins
Sur la Sicile. ° A
(1) Daniel, ubi suprà, p. 335, 354, 393, et alibi passim.
(2) Moreau, ubi suprà, p. 23. — Garnier, Hist. de France , tom. xxi,
p. 189.
(3) Voyez le n. 7 des Pièces justificatives, à la fin de ce volume.
(4) Voyez, dans le chapitre précédent, la note 3 de la page 386.
(5) Fleury, Hist. Ecclés., t. xvi, liv. lxxvif, n. 5 et 23. — Daniel, Hist.
de France, t. ni, année 1211 Velly, Hist. de France, t. m, p. 468.
SUR LES SOUVERAINS. — CHAPITRE II. 483
solennellement reconnus en France, sous le règne de saint
Louis (i). Le Pape ayant donné le royaume de Sicile à Char-
les d'Anjou, frère du saint roi, celui-ci, pour diverses raisons
politiques, et peut-être aussi par délicatesse de conscience,
parut d'abord craindre de donner les mains à cette élection ;
cependant il y consentit enfin, en 1265, et autorisa même la le-
vée d'un décime sur le clergé , pour aider le comte d'Anjou à
se mettre en possession du trône de Sicile.
Quelques années après (en 1282), Philippe le Hardi se montra i39.
beaucoup plus facile à condescendre à de pareilles offres (2). Le eme°'
pape Martin IV ayant excommunié Pierre ÏII , roi d'Aragon , d Aras°u*
usurpateur de la Sicile, le priva, non-seulement de ce dernier
royaume, mais encore de l' Aragon, qu'il donna à Philippe le
Hardi, pour un de ses fils. Aussitôt le roi de France, non con-
tent d'accepter cette donation, se mit à la tête d'une armée, pour
faire valoir ses droits.
Enfin, il est constant que, sous Philippe le Bel, celui de tous t4o.
nos rois qui a soutenu avec plus d'éclat l'indépendance de la cou- s"b|fqr„epa"
ronne de France, on ne contestait point, dans ce royaume, les <fc Venise, etc.
droits du saint-siége sur plusieurs autres États catholiques, et
particulièrement sur l'empire (3). Les sentiments de Philippe le
Bel, à cet égard, étaient si bien connus, que, dans le temps
même où il poursuivait avec plus de chaleur la mémoire de Bo-
niface VIII (en 1311), le pape Clément V ne s'adressait pas à lui
avec moins de confiance qu'aux autres souverains catholiques,
pour lui demander son secours contre le doge et la république de
Venise, dépouillés, par le saint-siége, de leurs droits temporels,
en punition de leur félonie (4).
(1) Daniel, Hist. de France, t. iv, aunées 1264 et 1265. Ce fait important
est reconnu par Velly, Michaud, et plusieurs autres écrivains d'ailleurs très-
peu favorables aux prétentions du Pape sur la Sicile. Voyez Velly, Hist. de
France, t. v, p. 328. — Michaud, Hist. des Crois. , t. v, p. 42.
(2) Fleury, Hist. Ecclés. , t. xvin , liv. lxxxviii, n. (0 et 19. — Daniel,
Hist. de France, tom. iv, année 1283. — Velly, Hist. de France, torn. vi,
p. 386, etc.
(3) Daniel, Hist. de France, t. v, année 1303. — Velly, Hist. de France,
t. vu , p. 207, etc. — Hist. de l'Église Gallic. , t. xn , année 1302, p. 325 ,
334, etc. — Bossuet, Def. Declar., lib. m, cap. 24; lib. iv, cap. 9, vers la
lin.
(4) Fleury, Hist. Ecclés., t. xix, liv. xci, n. 33. — Raynaldi Annales ,
anno 1309,n. 7 et 8.
31.
484 DEUXIÈME PARTIE. —POUVOIR DU PAPE
ARTICLE IV.
Preuves particulières de cette persuasion , par rapport à l'empire
d'Occident.
141. Indépendamment du pouvoir attribué au saint-siége sur tous
opinicm gêné- ^ souyerains catholiques de l'Europe, au moyen âge , la per-
sur ïandctpen suasion générale des princes et des peuples attribuait au souve-
particuiière rajn p0ntife des droits particuliers sur l'empire d'Occident , au
rempire, à ré- moins depuis le xe siècle (l). On regardait alors comme une
gpape.u chose constante, que l'empire était, du moins à certains égards,
un fief du saint-siége; que l'empereur était l'homme du Pape;
que les électeurs tenaient du saint-siége le pouvoir de choisir
l 'empereur; et que celui-ci pouvait , en certains cas, être dé-
posé par le Pape,
142. Pour mettre dans tout son jour la persuasion du moyen âge,
Eni*empiiSeens à cet égard , et pour éviter toute exagération dans une matière
ët"ommerdé si importante, nous remarquerons d'abord que les anciens au-
fiefdu saint- ^ems qUj ont parlé de l'empire comme d'un fief du saint-siége,
ne paraissent pas avoir tous entendu ces expressions dans
le même sens. Plusieurs paraissent les entendre dans le sens
d'un fief proprement dit , c'est-à-dire d'un domaine que le
propriétaire ou feudataire tenait de la cession ou de l'in-
vestiture d'un seigneur suzerain. Mais ce n'est pas ainsi que
les papes et les empereurs entendaient la dépendance de l'em-
pire à l'égard du saint-siége. Dans leur sentiment , l'empereur
ne tenait pas proprement du Pape le domaine ou le territoire
de l'empire, mais seulement le titre d'empereur. Son do-
maine, comme celui des autres souverains, lui venait de la libre
disposition des peuples qui l'avaient choisi, de la constitution
de l'État , ou de ses justes conquêtes. Tout le droit du saint-siége
sur l'empire se réduisait donc, à choisir l'empereur par lui-
même ou par les princes électeurs, à lui conférer son titre, et à
juger des cas où il devait être déposé. Il suffirait, pour établir
cette explication , de remarquer la différence qui existait entre
(1) Je dis, au moins depuis le xe siècle ; parce que l'origine de ces droits
remonte , à vrai dire , jusqu'au temps de Charlemagne. C'est ce qui résulte
clairement de plusieurs documents que nous aurons occasion de citer, soit
dans le cours de ce quatrième article, soit dans le chapitre suivant (art. 2.)
SUR LES SOUVERAINS.— CHAPITRE II. 485
le serment de fidélité prêté au Pape par les empereurs, et
celui que lui prêtaient les princes feudataires du saint-siége.
Le serment de ces derniers supposait clairement qu'ils tenaient
leurs domaines, de la cession ou de l'investiture du Pape ;
tandis que le serment des empereurs supposait seulement l'obli-
gation de protéger et de défendre les intérêts du saint-siége
contre ses ennemis ( 1 ) .
On doit corriger ou expliquer, d'après ces observations, les
auteurs du moyen âge qui ont parlé de l'empire comme d'un fief
du saint-siége. Quelques-uns, il est vrai, faute de notions
exactes sur ce point, ont pu entendre ces expressions, dans le
sens A\m fief proprement dit; mais la plupart ne prétendaient
exprimer par ces mots, que la dépendance particulière de
V empire à regard du saint-siége ; dans le sens où nous venons
de l'expliquer. Dans ce temps, où l'on n'avait presque pas de
notion de gouvernement et de jurisprudence, qui ne fût dérivée
du sij sterne féodal , on donnait souvent le nom de fief h toute
espèce d'autorité subordonnée à une autre (2).
Ces explications étant supposées , il est aisé de montrer que
la dépendance de l'empire à l'égard du saint-siége , au moins
dans le sens où nous venons de l'expliquer, était universelle-
ment reconnue, au moins depuis le xe siècle (3).
Les princes saxons , de concert avec plusieurs autres seigneurs *&-
*■ *■ ^ La dcpen-
allemands, au milieu de leurs démêlés avec l'empereur Henri IV, ?™<*
s'adressent au Pape comme à leur unique refuge , comme à e vl™£T a
celui qui possède la principale autorité, pour rétablir l'ordre du connue re~
H; (l)'Nous citerons un peu plus bas les propres termes de ce serment (ci-
après, n. 156, etc.). On verra , dans le chapitre suivant (art. 2 , n. 253), le
texte du serment de fidélité prêté au Pape par Robert Guiscard, fondateur
du royaume de Naples, en 1059.
(2) Ducange, Glossar. infimœ Latin, verbo, Feudus — Hallam , L'Eu-
rope au moyen âge , t. i , p. 225 , etc. — Lingard , Antiquités de V Église
Anglo-Saxonne , p. 203. — Idem, Histoire d'Angleterre, tom. ni, p. 40,
152, etc.
(3) On trouve plusieurs faits remarquables, sur ce sujet, recueillis dans
les ouvrages suivants: Noël Alexandre, Dissert. 2 in Hist. Eccl. sœculi xi,
art. 9, versus finem. — Chrét. Loup, Décréta et Canones , tom. îv,
p. 457, etc. — Bossuet , Defens. Declar. , lib. iv, cap. 9. — Jager, Intro-
duction à V Histoire de Grégoire VII, p. 26 , etc Montagne , Appendix
de Conciliis, p. 287, ad calcem Prœlect. theol. de Opère sex dierum,
Parisiis, 1743, in-12. — De Maistre, Du Pape, liv. ii, chap. 10, p. 335, etc.
486 DEUXIÈME PARTIE. — POUVOIR DU PAPE
par les sei- dans l'empire, troublé par les excès et le despotisme de Henri.
allemands , Non contents de supplier le Pape de consoler, par lui-même
Gré«3ra vu. ou Par ses ^9a^s > leur malheureuse nation (1) , ils lui représen-
tent que « V empire est un fief de la ville éternelle;.... qu'il ne
« convient pas de souffrir sur le trône un si méchant prince;....
« qu'il est à propos de rendre à Rome son droit d'établir les
« rois; qu'il appartient au Pape et à la ville de Rome, de con-
« cert avec les princes, de choisir un homme digne, par sa con-
« duite et sa prudence, d'un rang si élevé (2). » Ce langage des
princes allemands suppose évidemment, selon la remarque de
Bossuet, la persuasion générale qui attribuait au Pape un droit
particulier pour le choix de l'empereur, et même le droit de le
déposer, pour l'infraction des conditions apposées à son élec-
tion (3). Aussi est-il également certain par l'histoire, que les
partisans de l'empereur, et l'empereur lui-même, ne contes-
taient point ces principes, mais se bornaient à faire au Pape
des représentations pour l'adoucir, et pour lui faire différer
l'exécution de ses projets contre Henri (4).
i44. Plusieurs écrivains postérieurs à ces funestes démêlés, four-
nissent de nouvelles preuves de cette persuasion générale.
Paul Bernried, qui écrivit la vie de Grégoire VII, quelques
années après la mort de ce pontife , a soin de remarquer que
ses défenseurs justifiaient sa conduite à l'égard de Henri, non-
seulement par le droit alors attribué au Pape de déposer
les rois, en certains cas, et de délier leurs sujets du serment
de fidélité , mais encore par le crime dont Henri s'était rendu
coupable, en violant les conditions mises à son élection, et la
promesse faite à ses électeurs de les gouverner avec justice (5).
(1) « Quibus ut, vel per se, vel per nuntium, genti penè perditae consola-
« tor adesset , suppliciter oraverunt. » Bruno, De bello Saxonico. (Scrip-
fores rerum Germanie., 1. 1, p. 133.) — Voigt, Hist. de Grégoire VII,
liv. îx, p. 405.
(2) Nous avons cité plus haut (art. 1, n. 93, p. 434 ) le texte même des
anciens auteurs sur ce sujet.
(3) « Quse profectô ostendunt, his jam temporibus, in Romano pontifice
« fuisse notatum peculiare aliquod jus ad constituendum eu m regem, qui
« postea imperator futur us esset , atque ad eum postea deponendum.»
Bossuet, Defens. Declar., lib. iv, cap. 9.
(4) Voigt, ibid. , liv. vm, etc. — Fleury, Hist. Ecclés . , t.'xm , liv. lxit,
n. 29, 36, etc.
(5) « Nemo Romanorum Pontificem reges a regno deponere posse de-
Divers témoi
> Pliages,
à l'a|>|>iii de
cette
persuasion.
de Tilbur
SUR LES SOUVERAINS. — CHAPITRE II. 487
Godeiïoy de Viterbe, historien du xue siècle, met ces paroles à
la bouche des papes parlant aux empereurs : « Nous vous avons
« donné l'empire, et vous nous avez donné peu de chose; sa-
« chez que, si vous possédez la dignité d'empereur, c'est par
« notre autorité (1). »
Arnould, évêque de Lisieux, parle ainsi de l'empereur, dans
un discours prononcé au concile de Tours, en 1 163 : « Frédéric
« a encore une raison particulière de reconnaître la seigneurie
« de l'Église romaine; et il ne peut la méconnaître sans une in-
« gratitude manifeste ; car il est certain, d'après les anciennes
« histoires, que ses prédécesseurs n'ont d'autre titre à l'em-
« pire , que la grâce de la sainte Église romaine (2). »
Les mêmes principes sont formellement adoptés, et développés ms.
plus au long , au commencement du siècle suivant , par Gervais GwîÏÏs
de Tilbury , seigneur anglais très-distingué, et non moins en
faveur auprès de l'empereur Othon IV, qu'auprès du roi d'An-
gleterre Henri III. Dans le temps même des démêlés de l'empe-
reur avec le pape Innocent 111, c'est-à-dire, vers l'an 1211,
Gervais composa, sous le titre de Récréations impériales (3),
«.negabit, quicumque décréta sanctissimi papae Gregorii non prosciïbenda
« judicabit Praeterea liberi liomines Henrïcum eo pacto sibi propo-
« suerunt in regem , ut electorès suos juste judicare et regali providentiâ
« gubernare satageret; quod pactum ille postea praevaricari et contemnere
«non cessavit Ergo, et absque sedis apostolicae judicio, principes
« eum pro rege meritô refutare possent, ciim pactum adimplere contem-
« pserit, quod Us pro electione sud promiserat , quo non adimpleto , nec
« rex essepoterat. » Paul Bernried, De Rébus gestis Greg. VII, cap. 97.
(Muratori, Scriptores rerum Italicarum, t. m, part. 1, p. 342.) —
Hallam, V Europe au moyen dge, t. m, p. 366, note. Remarquez que les
conditions dont parle ici Bernried étaient mises à l'élection de l'empereur,
non-seulement par les princes électeurs, mais encore parle Pape, au nom
duquel ils faisaient l'élection, comme on le verra bientôt. (Ci-après, ch. m ,
art. 2, § 2.)
(1) Imperium dedimus, tu pauca dédisse videris :
Imperio noslro , Cœsar Romanus haberis.
Gothof. Viterb. Chrqn. Ilist. Paschalis Papœ II; (apud Pistorium, Illust.
Script. German. t. n) cité par Bossuet, ubi suprà.
(2) « Praeterea specialem causam babet (Fridericus), quà sanctam Roma-
« nam Ecclesiam dominam recognoscere débet : alioquin manifestissimè po-
« terit reus ingratitudinis apparere. Si enim ad veteres recurramus histo-
« rias, certum erit prœdecessores ejus, imperium non de aliojure, quant
« de sold sanctœ Romance Ecclesiœ gratiâ , percepisse. » (Labbe, Concil.
tom. x, pag. 1415.)
(3) Gervasius Tilberiensis , Otia Imperialia. (Leibniz, Scriptores re-
488 DEUXIÈME PARTIE. — POUVOIR DU PAPE
un ouvrage adressé à l'empereur lui-même, et dans lequel il
suppose, comme un point de droit public universellement
reconnu, les droits particuliers du saint-siége sur l'empire:
« Considérez, grand prince, dit-il (l), que le pape Innocent II
rum Brunswic, tom. i, pag. 881, etc.) Il est vraisemblable que le titre, et
même l'idée de cet ouvrage, furent suggérés à l'auteur par celui qu'un de ses
compatriotes, Jean de Sarisbery, avait publié, quelques années auparavant,
sous le titre de Polycratique, ou Des Amusements de la Cour (Polycra-
ticus, sive de Nugis Curialium). Ces deux ouvrages sont, à la vérité, très-
différents l'un de l'autre , pour le fond et pour les objets dont ils traitent. Le
Polycratique est un ouvrage philosophique et moral, sur les devoirs des
grands; les Récréations impériales sont un recueil de fragments, sur l'his-
toire, la géographie, la physique et l'histoire naturelle. Mais le but de ces
deux ouvrages est d'offrir aux gens de cour, sous une forme agréable et va-
riée , des instructions utiles pour leur conduite particulière, et pour le bon
gouvernement des États. Il est à remarquer que ces deux ouvrages, composés
à peu de distance l'un de l'autre, pour l'instruction des princes et des sei-
gneurs de la cour, par deux auteurs aussi distingués par leurs emplois que
par leurs talents, supposent également la persuasion générale du moyen âge,
qui subordonnait la puissance temporelle envers la spirituelle, en ce sens que
le souverain peut être déposé, du moins en certains cas, par l'autorité [de
l'Église ou du Pape. (Polycraticus, lib. iv, cap. 1, 2, 3. — Otia Imperialia,
initio, necnon decisione n, cap. 19 : voyez la note suiv.) Toutefois, l'origine
de cette subordination est expliquée très-différemment par ces deux auteurs.
Jean de Sarisbery la croit fondée sur le droit divin, dans le sens où l'ont ex-
pliqué depuis les défenseurs de l'opinion théologique du pouvoir direct.
(Voyez le développement de cette opinion au n. 8 des Pièces justificatives,
à la fin de ce volume.) Gervais de Tilbury établit, dans le préambule de son
ouvrage, des principes directement contraires à cette opinion; il suppose les
deux puissances immédiatement établies de Dieu, et distinguées l'une de
l'autre, par leurs objets et leurs fonctions. (Script. Brunsw. ibid., pag. 881-
883) ; et il regarde la donation de Constantin , comme le véritable fonde-
ment du pouvoir extraordinaire que le Pape exerçait alors sur les souverains.
(Ibid., pag. 882 et 944.) Nous parlerons ailleurs plus en détail de l'ouvrage
de Jean de Sarisbery. (Pièces justificatives , ubi suprà.) Leibniz, dans la
Préface du recueil déjà cité ( § 63), donne quelques détails intéressants sur
Gervais de Tilbury, et sur les Récréations impériales.
(1) « Considéra , princeps sacratissime, quod ab Innocentio papa II sanc-
« tissimo proavus tuus accepit Imperium, quod longo tempore intermissum,
« et post electionem confirmationemque primam relapsum, peraeque sanctis-
« simus tibi reddidit Innocentius. Utinam innocens Innocentio exhibearis, et
« sinceritatem tuam, quam praesumo in te esse, operibus pise devotionis pro-
« bes tuo consecratori ! Nihil enim est quo juste illum offendas, nec quod
« tanto merito dignum rependas. Si credis in aliquo illum minuere velle jus
« imperii , cédas in modico ei qui totum in te contulit imperium
« Dator effici potes de donatario, si partem ei cesseris ejus quod, per
« ipsum, totum accepisti. Profecto imperium tuum non est, sed Christi:
« non tuum, sed Pétri : non a te tibi obvenit , sed a vicario Christi, et
« successore Pétri Nihil amittis quod tuum est, si dimittis Petro
« quod suum est Beneficio Papae, non suo, Roma, tempore Caroli, no-
SUR LES SOUVERAINS. — CHAPITRE II. 489
« a donné à votre bisaïeul ce même empire que vous tenez du
« pape Innocent III. Plaise à Dieu que votre conduite soit
« innocente envers lui (l), et que vous prouviez à votre con-
« sécrateur la droiture de vos intentions , par les œuvres
«d'une piété sincère! Car vous n'avez aucun sujet de Fof-
« fenser; et jamais vous ne reconnaîtrez diguement les grâces
« que vous avez reçues de lui. Si vous croyez qu'il veuille
« diminuer en quelque chose les droits de l'empire, cédez
« quelque chose à celui de qui vous tenez tout cet empire...,
« de simple donataire que vous étiez, vous pouvez devenir do-
« nateur, en cédant au Pape une partie du droit que vous
« avez reçu de lui. Assurément V empire n'est pas à vous, mais
« à Jésus- Christ; il n'est pas à vous, mais à saint Pierre;
9 il ne vous est pas venu de votre droit propre , mais par la
« volonté du vicaire de Jésus- Christ, et du successeur de saint
« Pierre... Vous ne perdez rien de ce qui vous appartient , en
« cédant à saint Pierre ce qui est véritablement à lui.... C'est
« par la faveur du Pape, et non par sa propre autorité, que Rome
« arepris au temps de Charlemagne le titre de l'empire ; c'est par
« la faveur du Pape, que l'empire a été d'abord conféré au roi des
« Français, et qu'il est aujourd'hui accordé, non au roi des
« Français, mais au roi des Teutons; l'empire n'appartient pas
« à celui que choisissent les Teutons , mais à celui à qui le
« Pape a jugé à propos de le céder. »
Vers le milieu du siècle suivant, on trouve les mêmes prin- 146.
-, , ! , ■% -, . Ti-iw Sentiment de
cipes développes dans plusieurs ouvrages , par Lupold ou Lu- mdoiphe,
dolphe de Bébenberg, évoque deBamberg, et jurisconsulte de Bamberff.
très-distingué, à cette époque (2). Dans son ouvrage Sur le zèle
des princes allemands pour le bien de la religion , il compte,
parmi les preuves de ce zèle , les témoignages de respect et de
« men recepit imperii ; bénéficie» Papse, Francornm régi confertur imperium ;
« bénéficie* Papae, régi nnne Teutonum, et non Francorum , debetur impe-
« rium ; nec cedit imperium cui Teutonia , sed cui cedendum decrevit
« Papa.» Gervasii Tilberiensis Otia Irnperialia, decisione h, cap. 19.
(Leibniz, ubi suprà, p. 944.)
(1 ) Il y a ici clans le texte de Gervais un jeu de mots difficile à rendre dans
notre langue : Utinam innocens Innocentio eœhibearis !
(2) On trouve une notice sur cet auteur, dans le Recueil de Ludewig, Scrip~
tores rerum Germanie, tom. i, pag. 205. Voyez aussi Cave, Historia lit-
teraria sœculi xiv, anno 1340; et le Dictionnaire de Moreri.
490 DEUXIÈME PARTIE. — POUVOIR DU PAPE
dévouement que les empereurs ont souvent donnés à l'Église
romaine. A cette occasion , il rappelle et suppose comme des
faits constants : « que, depuis l'élévation de Charlemagne à l'em-
« pire, tous les empereurs ont reçu de l'Église romaine l'onction
« et la couronne impériale ;... que depuis l'empereur Othon Ier,
« tous les empereurs ont prêté serment de fidélité à cette Église,
« à l'époque de leur couronnement ; que les seigneurs alle-
« mands, auxquels appartient le droit de choisir l'empereur,
« ont reçu ce droit de l'Église romaine; qu'ils reconnaissent
« dans le Pape le droit d'examiner l'empereur élu;.... et qu'ils
« sont dans l'usage de lui envoyer le décret d'élection pour le
« soumettre à son approbation (l). » Déjà le même auteur avait
établi plus au long ces principes , dans son livre Sur les droits
du roijaume et de l 'empire Germaniques , auquel il renvoie
pour de plus amples développements (2), et dans lequel il établit
de plus , que, d'après le droit et la coutume ,V empereur peut
être déposé par le Pape, pour certains crimes énormes et
notoires , et principalement pour le crime d'hérésie (3).
i47. Les mêmes principes étaient alors généralement reconnus
peîsû"Tion, en France, comme on le voit par l'histoire des funestes démêlés
longtemps^. de philippe Ie Bel avec Boniface viïl , à la fin du xme siècle.
Fiance. Quelque peu disposés que fussent alors les Français à favoriser
les prétentions du pontife, ils avouaient que le Pape pouvait, en
(1) « Sic patet quod Germani principes, quoad unctiones et coronationes
«impériales ab Ecclesiâ Romanâ percipiendas, se ipsi Ecclesiae submit-
« tere primitus inceperunt ;... item, a tempore Othonis primi,. .. omnes
« reges Romanorum , usque ad praesens tempus, Ecclesiœ Romance prœ-
« stare juramentum, sub forma consimili, consueverunt ; item
« principes Germanise , ad quos pertinet jus et potestas eligendi re-
« gem Romanorum, recognoverunt Innocentio Papae III, quod jus
« et auctoritas examinandi personam electam in regem Romanorum,
« ad imperium postmodum promovendam , pertineat ad Ecclesiam Ro-
« manam; item principes Germaniae, post electionem régis per eos
« factam, summispontificibus decretum bujusmodielectionis transmit-
« tere consueverunt. » LupoldusRebenburgius , De Zelo principum Germ.
cap. 7 ; Argentinae, 1508 et 1609, in-4°. Cet ouvrage se trouve dans le xxvie
tome de la Bibliothèque des Pères.
(2) De Juribus regni et imperii , cap. 8 et seqq. ; Rasilese, 1566 , in-8° ;
Argentinae, 1609.
(3) « Quodam jure speciali se habet (Papa) intromittere de destitutione seu
« depositione imperatoris , scilicet , ratione enormis et notorii (delicti), de
« quo imperator incorrigibilis reperitur, ut suprà dictum est in capite de-
ce cimo,in prima oppositione. » iW.,cap. 12, versus médium,^. 151 et 152.
partagée par
les
souverains.
SUR LES SOUVERAINS. — CHAPITRE II. 491
certains cas, déposer l'empereur, comme feudataire du saint-
siège. Voici comment s'exprimait, à ce sujet, nn célèbre docteur
de Paris , dévoué à Philippe le Bel : « On objecte que le Pape
« dépose l'empereur; je réponds que le Pape qui faitl'empe-
» reur, et qui en reçoit foi et hommage , peut aussi le dépo-
« ser (l). » Un autre écrivain du même temps, non moins zélé
pour la défense de Philippe le Bel , explique en ces termes la
déposition de Frédéric II, que les partisans de Boniface VIII
alléguaient, pour justiOer sa conduite envers le roi de France :
« Quant à ce qu'on objecte de l'empereur Frédéric, déposé par
« Innocent IV , j'avoue que cela est véritable ; je conviens que
« le Pape est seigneur temporel de l'empereur , qui non-
« seulement est élevé à l'empire par voie d'élection, mais qui
« est confirmé parle Pape, et reçoit de lui la couronne ; mais il
« n'en est pas ainsi du roi de France (2). »
La persuasion générale, sur ce point, n'était pas seulement as.
répandue parmi les simples particuliers, mais elle était partagée si<m
par les souverains eux-mêmes. Le pape Innocent III ayant ex- v fes
communié et déposé, en 1210, l'empereur Othon IV , Philippe-
Auguste , de concert avec le souverain pontife , agit si fortement
auprès des princes d'Allemagne , qu'il leur persuada d'élire un
autre empereur, qui fut Frédéric II, roi de Sicile (3). Le même
Frédéric ayant été depuis excommunié et déposé par le pape
Grégoire IX, en 1239, le roi et les seigneurs français, quel-
(1) « Quod dicitur , quod Papa deponit imperatorem ; respondeo : Verum
« est; (Papa deponit) illum quem ipse posuit, quia ab ipso accepitfeudum. »
Joannes Parisiensis, De Potestate regiâ et papati, cap. 16. (Apud Goldas-
tum, Monarchia S. Rom. imperii, t. n, pag. 130; necnon apud Richerium,
Vindiciœ Doctorum majorum scholœ Parisiensis. Colonise, 1683 , in-4°;
lib. n, pag. 107.)
(2) « Quod autem dicitur de Friderico, quem deposuit Innocentius IV ; dico
« quod verum est ; et de illo imperatore concedo quod Papa est ejus domî-
a nus tempoî'alis, quoniam ille imperator fit per electionem, et a Papa con-
« firmationem recipit et coronam ; sed nihil hoi um est in rege Francise. »
Auctoranonymus, Quœst. de Potestate Papœ. (Apud Richerium, ubi suprà,
pag. 188.) Le témoignage de cet auteur, et celui de Jean de Paris, sont cités
par Bossuet,De/. Declar., lib. îv, cap. 9, pag. 37 et 38. L'ouvrage ano-
nyme, De Potestate Papœ, se trouve aussi à la lin de YHist. du différend
entre Boniface VIII et Philippe le Bel. Paris, 1655, in-fol.; le texte cité se
lit pag. 678.
(3) Bossuet, Abrégé de VHist. de France, année 1206. —Daniel, Hist. de
France, tom. m, année 1210, pag. 551. — Fleury, Hist. Ecclés., tom. xvi,
liv. lxxvh, n. 4 et 12.
établie
par le premier
concile
sréiiéral de
492 DEUXIÈME PARTIE. — POUVOIR DU PAPE
que éloignés qu'ils fussent d'approuver, en cette occasion , la
conduite du Pape envers l'empereur, ne contestaient pas à
l'Église le droit de déposer celui-ci , en certains cas , particuliè-
rement pour le crime d'hérésie. Nous avons rapporté ailleurs
les propres expressions de la lettre écrite, sur ce sujet, au Pape
par le roi et les seigneurs français (l).
149. L'histoire du premier concile général de Lyon, convoqué
persuaes"on par le pape Innocent TV , en 1245 , pour juger la cause de Fré-
déric II , suffirait pour établir la persuasion générale qui exis-
tait , à cette époque, dans tous les États catholiques de l'Europe,
Ly°n- relativement au pouvoir du Pape et du concile sur l'empereur (2).
La cause de Frédéric fut examinée et discutée dans ce concile ,
en présence des ambassadeurs des princes, et de ceux même de
l'empereur, sans que personne songeât à contester la compé-
tence du tribunal. Les réclamations de quelques ambassadeurs
avaient uniquement pour but d'adoucir l'esprit du Pape, et de
l'engager à différer la sentence jusqu'à de nouvelles informa-
tions. Le Pape accorda en effet le délai demandé par les am-
bassadeurs ; après quoi, jugeant la cause suffisamment instruite,
il prononça contre Frédéric une sentence de déposition, le
17 juillet 1245.
Il résulte évidemment de cet exposé , que le pouvoir du Pape
et du concile sur l'empereur était alors généralement reconnu
par les souverains eux-mêmes. Comment supposer, en effet,
qu'un pape aussi éclairé qu'Innocent IV , et un concile général
composé d'un si grand nombre de prélats, eussent pu avoir la
pensée de délibérer sur la déposition de l'empereur, en présence
des ambassadeurs des princes, et de ceux même de Frédéric,
si l'usage et la persuasion universelle ne leur eussent attribué ce
droit? Comment croire que ce droit, s'il eût été sujet à contes-
tation , n'eût pas été contesté dans le concile par les ambassa-
deurs des princes , et surtout par ceux de l'empereur? N'est-il
pas évident que, dans aucun temps, un tribunal quelconque,
n'a pu exercer aussi librement le droit déjuger un souverain,
sans avoir , au défaut de la force matérielle , un droit univer-
sellement reconnu ?
(1) Voyez ci-dessus, n. 86.
(2) Voyez les auteurs cités dans la note 1 de la page 425 ; année 1245.
SUR LES SOUVERAINS. — CHAPITRE II. 493
Croira-t-on éluder la force de ce raison nnement , en disant
que, d'après le titre même de la sentence prononcée par le
pape Innocent IV contre l'empereur Frédéric II , elle fut rendue
en présence du saint concile , mais non avec son approba-
tion (l)? Rien de plus faible que cette difficulté; car 1° bien
que les actes du concile ne fassent pas une mention expresse de
l'approbation donnée par les évêques à la sentence du Pape,
cette approbation est suffisamment manifestée par les circon-
stances, c'est-à-dire, parle silence des prélats, convoqués pré-
cisément pour examiner avec le Pape la cause de Frédéric, et
présents à tous les détails de cette discussion , aussi bien qu'à la
fulmination de la sentence. Qui ne sait, en effet, que les mem-
bres d'un tribunal sont toujours censés adhérer à la sentence
prononcée en leur présence par le président, à moins qu'ils ne
manifestent expressément leur opposition ? 2° L'adhésion des
évêques à la sentence du Pape , dans le concile de Lyon , est
positivement exprimée par plusieurs auteurs contemporains.
Matthieu Paris, entre autres, parlant de cette sentence, dit
que «le Pape et les évêques, portant des cierges allumés, lan-
« cèrent contre l'empereur cette sentence foudroyante, qui cou-
« vrit de confusion ses ambassadeurs (2). » Un autre historien du
temps, Nicolas de Curbio, confesseur d'Innocent IV, et témoin
oculaire des faits qu'il raconte, ajoute que « la sentence de dépo-
rt sition prononcée par le Pape contre Frédéric fut approuvée
« par tous les évêques présents au concile, comme chacun peut
« s'en convaincre par leurs souscriptions, et par leurs sceaux
« attachés à cette sentence (3). »
(1) Cette réponse est plus ou moins ouvertement supposée ou insinuée par
plusieurs auteurs modernes. (Voyez, entre autres, Bossuet, Defens. Declar.,
lib. iv, cap. 8. — Fleury, Hist. Ecclés., tom. xvii , liv. lxxxh, n. 29.)
Elle est solidement réfutée par le P. Roncag'ia, Animadvers. in hist. Eccl,
Nat. Alex., à la suite de la 2e Dissert, du P. Alexandre, sur Y Hist. Eccl.
du xie siècle. (§3, vers la fin.)
(2) k Dominus igitur Papa, et prœlati assistentes concilio, candelisac-
« censis,in dictum imperatorem Fridericum, quijamjam imperator non est
« nominandus, terribiliter, recedentibus et confusis ejus procuratoribus, ful-
« gurarunt.» Matt. Paris, Hist. Anglic, anno 1245. (Labbe, Concil. tom. xi,
1 part. pag. 665.)
(3) « Sententiam depositionis saepe fati Friderici protulitsummus pontifex
« in majori Ecclesiâ Lugdunensi, in pleno concilio, anno Domini 1244, 15 ca-
« lendas augusti , pontificatûs sui anno tertio ; quce fuit ab universis
494 DEUXIÈME PARTIE. — POUVOIR DU PAPE
l5o. La conduite et les propres aveux des empereurs } siinté-
CctteSiPoenS"a" lusses à maintenir leur indépendance , suffiraient pour établir
panagée par ies <jroits particuliers du saint-siége sur l'empire d'Occident. Il
les empe~ ■*■
rems eux-j est certain, en effet , que, depuis l'origine de cet empire , aucun
mêmes.
des successeurs de Charlemagne n'a pris le titre et les insignes
de la dignité impériale, qu'après avoir été reconnu et couronné
par le Pape, et lui avoir prêté un serment de fidélité , qui ex-
primait une dépendance particulière de l'empereur à l'égard du
saint-siége (1).
*5«- L'usage où étaient les empereurs carlovingiens, de ne prendre
.Preuves oc
cetie le titre et les insignes de la dignité impériale, qu'après avoir
souTïerempé- été reconnus et couronnés par le Pape, est clairement exprimé
cariovmgiens. par l'empereur Louis II, dans une lettre qu'il écrivit, en 871,
à l'empereur Basile, qui lui contestait le titre $ empereur des
Romains. Parmi les raisons que Louis II emploie, pour se jus-
tifier sur ce point , il insiste sur cette circonstance particulière
aux empereurs de la race de Charlemagne, que « nul d'entre eux
« n'a porté ce glorieux titre, qu'après avoir reçu, pour cet effet,
« l'onction sainte de la main du souverain pontife (2). »
Ce témoignage si formel nous donne l'explication naturelle de
la conduite de Charlemagne et de Louis le Débonnaire, qui ne
paraissent pas avoir attendu le consentement du Pape, pour as-
socier leurs fils à l'empire (3). Le langage de Louis II, dans sa
lettre à l'empereur Basile, suppose clairement que ces associa-
tions n'étaient qu'une simple désignation, et non une nomina-
tion définitive du futur empereur, et que celui-ci ne possédait
« Ecclesiarum prœlatis , in eodem concilio residentibus , approbata ;
« sicut liquere potest omnibus, tam prœsentibus quàm futuris, per sub-
« scriptiones ipsorum, et eorumdem sigilla, pendentia in eâdem. » Nicolaus
de Curbio, Vita Innocenta IV, n. 19. (Muratori, Scrïplores rerum liai.
tom. m, parte 1, pag. 592. — Roncaglia, ubi suprà.)
(1) Cenni, Monumenta, etc. tom. n, Dissert. 1, n. 21-24, 40-52; Dis-
sert. 6, n. 13, etc.
(2) « Francoru m principes, primo reges, deinde verà imper ator es dicli
« sunt ii duntaxat qui à Romano Pontifice ad hoc oleo sancto perfusi
«sunt. » Ludovici II Epist. ad Basil. (Baronii Annales, anno 871,
n. 59.) — Cenni, ubi suprà, n. 19 et 22. — Daniel, Hist. de France, tom u,
année 871, pag. 482.
(3) Fleury, Hist. Ecclés., tom. x,liv. xuvi, n. 7 et 27.— Hist. de l'Église
Gallicane, tom. v, années 813 et 817, pag. 201 et 252. Pour l'explication de
ces faits, voyez Cenni, ubi suprà, n. 23 et 24.
SUR LES SOUVERAINS. — CHAPITRE II. 495
irrévocablement son titre , qu'après avoir été couronné par le
Pape.
Cette explication est confirmée par le langage même de Lo-
thaire Ier, qui , après avoir été associé à l'empire par son père
Louis le Débonnaire, se rendit à Rome, par ordre de celui-ci,
pour recevoir du pape Pascal 1er l'onction impériale. Lothaire,
dans la lettre qu'il écrivit à son père , pour lui annoncer la nou-
velle de cette consécration, s'exprime ainsi : « J'ai reçu, du sou-
« verain pontife, devant l'autel et devant le corps de saint Pierre,
« prince des apôtres , avec votre consentement et conformément
« à vos désirs, la bénédiction , l'honneur et le titre oVempe-
« reur, aussi bien que le diadème, et l'épée pour la défense de
« l'Église (1). » Comment Lothaire eût-il pu dire qu'il avait reçu
du souverain pontife le titre d'empereur, si l'acte de son asso-
ciation à l'empire lui eût conféré ce titre , d'une manière défi-
nitive et irrévocable?
La nécessité de la consécration pontificale , pour conférer la
dignité impériale, était si généralement reconnue, sons les em-
pereurs carlovingiens, que tous les prétendants à l'empire s'a-
dressaient au Pape , pour obtenir cette faveur, et que , dans le
cas où leurs droits étaient litigieux , ils faisaient tous leurs ef-
forts pour obtenir les suffrages du souverain pontife , et recevoir
de lui la couronne impériale, persuadés que c'était l'unique
moyen de faire reconnaître leur titre par les autres souverains (2).
L'exemple de Charles le Chauve est surtout remarquable sur ce
point ; et il est impossible de suivre les détails de son élection à
l'empire, sans y trouver une preuve décisive de l'usage dont
nous parlons (3).
La permanence de cet usage , sous les empereurs allemands , PreJJi de
(1) « Coram sacro altari , et coram sacro corpore B. Pétri , principis apo-
« stolorum , à summo Pontifice , vestro ex consensu et voluntate , bene-
« dictionent, honorent et nomen suscepi imperialis officii; insuper dia-
« dema capitis , et gladium a<l defensionem Ecclesiœ. » Lothar. I Epist. ad
Ludov. Pium. (Mabillon, Acta ordinis S. Bened. sœculi iv, pag. 513.) —
Cenni , ubi suprà, n. 24.
(2) Cenni, ubi suprà, n. 22, etc. — L'Art de vérifier les Dates; Chro-
nol. hist. des Empereurs d'Occident, pag. 432, etc.
(3) La suite de nos Recherches nous donnera lieu d'exposer en détail les
circonstances de cette élection. Voyez plus bas, cliap. 111, art. 2, n. 260, etc.
Voyez aussi Fleury, Hist. Ecclés., tom. xi, livre lu, n. 23 et 30 — Hist. de
l'Église Gallicane, tom. vi? liv. xvn, pag. 274 et 292.
496 DEUXIÈME PARTIE. — POUVOIR DU PAPE
celte n'est pas moins incontestable (l). Muratori, dans ses Annales
persuasion, d>italie% avance avec confiance, d'après l'examen d'une multi-
sous les enipe* > *
reurs
allemands.
tude de Chartres et de diplômes, qu'on n'y trouve jamais le
titre ft empereur donué au roi de Germanie, avant la cérémonie
de sou couronnement faite par le Pape (2). Mais on trouve sur-
tout une preuve remarquable de cet ancien usage , dans l'his-
toire des contestations qui s'élevaient assez souvent entre les
électeurs , ou entre les divers prétendants à l'empire. Le Pape
était généralement regardé comme le juge naturel de ces con-
testations ; en sorte que celui qu'il avait reconnu pour empereur,
ne tardait pas à l'être par les seigneurs allemands, et par tous
les souverains de Y Europe.
,i33. C'est ce qu'on vit en particulier sous Grégoire VII, à l'occa-
de Rodolphe, sion de l'élection de Rodolphe, faite dans l'assemblée de For-
ea I077' cheim, en 1077, par les seigneurs allemands mécontents de
Henri. Le Pape ayant assemblé un concile à Rome, en 1079,
pour juger les prétentions des deux rivaux, ceux-ci jurèrent,
par la bouche de leurs ambassadeurs, de s'en tenir à la décision
du Pape, qui confirma, l'année suivante, l'élection de Ro-
dolphe (3).
. ,54- Les droits du Pape, en cette matière, ne furent pas moins
Election r ■■ \ .
doihon iv, solennellement reconnus, en 1201, al occasion de 1 élection de
Cil i ?o I
l'empereur OthonlV(4). L'Allemagne était alors divisée entre
trois prétendants à l'empire, savoir : Frédéric, roi de Sicile;
Philippe, duc de Souabe; et Othon , duc de Saxe. Le Pape, sol-
licité tout à la fois par les prétendants , par les seigneurs de leur
parti, et par les rois de France et d'Angleterre, se déclara pour
(I) Cenni, ubi suprà, n. 43, etc.
(2) Muratori, Annales d'Italie, années 1433, 1493, 1519, etc.; et alibi
passim. Parmi les chartes et diplômes dont il est ici question, remarquez en
particulier les actes concernant l'élection de Henri Vil, en 1309. Ces actes
sont rapportés par Leibniz, Codex Juris Gentium (tom. n, pag. 252); et
par Baluze, Vitœ Paparum Aven. (Tom. n, pag. 265, etc.) — On peut
voir l'analyse de ces actes dans Fleury, Hist. Ecoles. , tom. xix, liv. xch,
n. 31 et 35.
(3) Concil. Rom. anni 1079. (Labbe, Concil. t. x, p. 879.) —Fleury,
Hist.Eccl., t. xiii, liv. lxii, n. 42, 43,60; liv. lxiii , n. 1. — D. Ceillier,
Hist. des Auteurs Ecclés., t. xx,p. 639. — Voigt, Hist. de Grég. VII,
liv. x, p. 448, 507, 525, etc.
(4) Fleury, Hist. Ecclés., t. xvi, liv. lxxv, n. 3, 32, 37 , 38, etc.—
Daniel, Hist. de France, t. îv, année 1299, p. 197.
SDR LES SOUVERAINS. — CHAPITRE II. 497
Othon , qui fut en effet reconnu , quelque temps après , par les
seigneurs allemands, et par tous les princes de l'Europe. Cette
importante affaire est le sujet d'un grand nombre de lettres du
pape Innocent III, qu'on a réunies dans l'édition générale de
ses lettres, sous le titre de Registre d'Innocent III sur les af-
faires de l'empire (l). Parmi ces lettres si importantes pour
l'histoire, on doit surtout remarquer celles du 1er mars 1201;
au roi Othon et aux seigneurs allemands, et une autre écrite,
vers le même temps, au duc de Carinthie. La première, adressée
au roi Othon , est ainsi terminée : « Par l'autorité du Dieu tout-
« puissant , qui nous a été donnée en la personne de saint Pierre,
« nous vous recevons pour roi, et nous ordonnons qu'à l'avenir
« on vous rende, en cette qualité, respect et obéissance; et après
« les préliminaires accoutumés , nous vous donnerons solennel-
lement la couronne impériale (2). » Dans la lettre adressée aux
seigneurs allemands, après avoir exposé les raisons qui l'ont
engagé à se prononcer en faveur d'Othon, le Pape enjoint aux
seigneurs de lui rendre le respect et l'obéissance, en qualité de
roi des Romains et d'empereur élu, promettant de mettre en
sûreté leur réputation et leur conscience, touchant les serments
qu'ils pourraient avoir faits auparavant (3). La lettre au duc de
Carinthie est d'autant plus digne d'attention, qu'elle a été de-
puis insérée dans le Corps du Droit, parmi les Décrétai es de
(1) Baluze, Epistol. Innocenta III tom. i,ad calcem. — Fleury, ubi
suprà, n. 32, 37 et 38. — D. Ceillier, Hist. des Auteurs ecclés., t. xxm ,
p. 442.
(2) « Auctoritate Dei omnipotentis , nobis in beato Petro collatâ , te in re»
« gem recipimus, et regalem tibi praecipimus de caetero reverentiam et obe-
« dientiam exbiberi ; praemissisque omnibus quee de jure sunt et consuetu-
« dine praemittenda , regiam magnificentiam ad suscipiendam Romani im-
« perii coronam vocabimus, et eam tibi, dante Domino , bumilitatis nostrae
« manibus, solemniter conferemus. » Baluze, ubi suprà, Epist. 32, p. 702,
col. 2.
(3) « Monemus igitur universitatem vestram, et exhortamur in Domino,
« et in remissionem vobis injungimus peccatorum, quatenus ei (Otlioni)
« de cœtero, sicut régi vestro, in Romanorum imperatorem electo, reveren*
« ter et bumiliter deferatis , regalem ei honorificentiam et obedientiam im-
« pendentes Super primis etiam juramentis, illud auctoritate aposto-
« licâ statuemus, quod ad purgandam et famam et conscientiam redundabit. »
Baluze, ubi suprà, Epist. 33, p. 704 et 705. Voyez aussi la lettre 29e,
où le Pape expose les raisons qu'on peut alléguer pour et contre les trois
prétendants.
32
498 DEUXIÈME PARTIE. — POUVOIR DU PAPE
Grégoire IX. Le Pape y déclare que les princes électeurs ont
reçu du saint-siége le droit d'élire l'empereur, et qu'en leur
donnant ce droit, il n'a pas renoncé à celui de rejeter l'élu , s'il
est indigne de l'empire. « Nous reconnaissons , dit-il, le pou-
« voir de choisir pour roi (des Romains) celui qui doit être en-
« suite élevé à l'empire, dans les princes auxquels ce pouvoir
« appartient de droit et par l'ancienne coutume ; vu surtout que
« ce droit leur est venu du saint-siége, qui a transféré l'empire
« romain, des Grecs aux Germains, en la personne de Charle-
« magne. Mais les -princes doivent aussi reconnaître, et ils
« reconnaissent en effet, que le droit d'examiner la personne
« de celui qui est élu pour roi (des Romains) , et qui doit être
«ensuite élevé à l'empire, nous appartient, à nous qui le sa-
« crons et le couronnons (1). » Tout ce que dit ici le Pape était
en effet admis, non-seulement par l'empereur OthonlV, mais
encore par les seigneurs allemands , et par les autres souverains
de l'Europe, qui reconnurent bientôt après Othon pour empe-
reur, par suite de l'élection du Pape (2).
i55. L'histoire de l'Allemagne offre plusieurs autres exemples de
d%lthoatloîv l'intervention du Pape dans l'élection des empereurs , non-seu-
etede2Loôis lement à l'occasion des contestations qui s'élevaient entre les
denBi346r.e électeurs et les prétendants à l'empire, mais encore à l'occasion
des sentences de déposition prononcées par le souverain pontife
contre quelques empereurs. C'est ainsi, comme nous l'avons
déjà remarqué, que Frédéric II fut élu empereur par le pape
(1) « Unde Mis prineipibus jus et potestatem eligendi regem , in impera-
«. torem postmodum promovendum , recognoscimus , ut debemus , ad quos
a de jure ac antiquâ consuetudine noscitur pertinere ; praesertim cùm ad eos
« jus et potestas hujusmodi ab apostolicâ sede pervenerit, quse Romanum
« imperium , in personam magnifici Caroli, a Grœcis transtulit in Germanos.
« Sed et principes recognoscere debent, et utique recognoscunt , quod
« jus et auctoritas examinandi personam eleclam in regem, et promovendam
« in imperium, ad nos spectat , qui eam inungimus , consecramus et corona-
« mus. » Baluze, ubi suprà, Epist. 62, p. 715. Voyez aussi, dans le Corps
du Droit canon, la décrétale Venerabilem , parmi les Décrétâtes de Gré'
goire IX, lib. î, tit. 6, cap. 34. — Fleury, ubi suprà, n. 38.
(2) C'est par erreur que Bossuet (Def. Declar., lib. vi, cap. 9, versus mé-
dium), et après lui M. l'abbé Jager (Introduction à VHist. de Grégoire
VII , p. 80), supposent que la décrétale Venerabilem fut donnée par le
pape Innocent III en faveur de Frédéric II. Le contenu de cette pièce, et des
autres qui y sont relatives , montre qu'elles furent données en faveur d'O-
thon IV.
SUR LES SOUVERAINS. — CHAPITRE II. 499
Innocent III , et reconnu pour tel par tous les souverains de
l'Europe, après la déposition d'Othon IV (1). Un siècle plus
tard, l'empereur Louis de Bavière, excommunié et déposé par
le pape Jean XXII, envoya, à diverses reprises, des ambassadeurs
à Avignon, pour solliciter son absolution. Mais toutes ses dé-
marches n'aboutirent qu'à le faire excommunier de nouveau
par le pape Clément VI, qui, de concert avec le roi de France,
fit nommer, en 1346, Charles de Moravie, à la place de Louis
de Bavière. Il est à remarquer que, dans le cours de ses négo-
ciations avec Benoît XII , successeur immédiat de Jean XXII ,
Louis reconnaissait expressément le droit du Pape , en consen-
tant à être excommunié et même déposé par lui , s'il ne satis-
faisait à l'Église, dans le temps marqué (2).
Mais ce qui n'est pas moins remarquable, à ce sujet, et ce qui ,56.
suffirait pour établir la dépendance particulière des empereurs *SSm
à l'égard du saint-siége, dans les temps anciens, c'est que, d'à- prê ""JJ'1 e
près un usage constant , de quelque manière que l'élection de empereurs.
l'empereur eût été faite, il ne pouvait prendre le titre et les
insignes de la dignité impériale qu'après avoir prêté au Pape un
serment de fidélité, qui exprimait, sinon une dépendance féo-
dale, comme le supposent plusieurs auteurs, du moins un dé-
vouement particulier aux intérêts du saint-siége. On peut s'en
convaincre, par les termes dans lesquels ce serment était conçu,
et par la manière dont les historiens en parlent (3).
(1) Voyez plus haut, n. 148.
(2) « Item damus dictis procuratoribus nostris plenam potestatem, pro prae-
« dictis (sponsionibus) adimplendis et observandis, pœnas infrà scriptas, vice
« et nomine nostro, et pro nobis recipiendi, et ad eas nos obligandi et astrin- -
« gendi; videlicet, quod si, super praemissis, vel aliquo praemissorum, mo-
« lestaverimus seu molestari fecerimus Romanam Ecclesiam, liberum
« sit Romano pontifici, prout sibi expedire videbitur (prœmissis tainen ju-
« ridicis monitionibus), ad alias pœnas procedere contra nos, privando
« etiam nos, si sibi videbitur, imperiali, regiâ , et quâlibet aliâ dignitate,
« absque aliâ vocatione et juris solemnitate. » Ludov. Bavari ad summum
pontif. Bened. XII supplices litterœ. (Baynaldi Annales, auno 1336,
n. 21.) Voyez, pour le détail de ces négociations de Louis de Bavière avec
le saint-siége, Raynaldi, Annales, anno 1336, etc. — Maimbourg, Hist. de
la Décadence de V empire, liv. vi, année 1334 , etc. — Fleury, Hist. EccL,
tom. xix etxx; liv. xciv, et xcv, passim. — Bossuet, Defensio Declar.,
lib. m, cap. 26.
(3) Cenni, Monumenta Domin. Pontif. t. n, Dissert. 1, n. 39-48. Cet
auteur suppose, avec quelques autres , que Charlemagne lui-même, dans la
cérémonie de son couronnement, prêta serment de fidélité au Pape. {Ibid.9
32.
500 DEUXIÈME PARTIE, — POUVOIR DU PAPE
i57. Le plus ancien monument qui en fasse mention, est le Sacra-
de cersërment mentaire de saint Grégoire , en usage à Rome et en France au
xx« siècle IXe siècle, et publié, en 1748, par Muratori, d'après deux co-
pies qui se conservaient alors à Rome, dans la bibliothèque Otto-
bonienne, et dans celle du Vatican (1). Il est marqué, dans ce
Sacramentaire , que le roi élu pour empereur, étant entré dans
l'église pour la cérémonie de son couronnement , prête le ser-
ment suivant, en mettant la main sur l'Évangile : « Moi, N, roi
«des Romains, par la grâce de Dieu futur empereur, promets
«et jure, devant Dieu et saint Pierre, d'être désormais protec-
« teur et défenseur du souverain pontife et de la sainte Église
«romaine, dans toutes ses nécessités et ses besoins, gardant et
« conservant ses possessions, ses honneurs et ses droits , autant
« que je le saurai et le pourrai, avec le secours de Dieu, en pure
« et bonne foi. Qu'ainsi Dieu m'aide, et ces saints Évangiles (2). »
n. 45.) Nous exposerons ailleurs les raisons qui ne nous permettent pas
d'admettre cette supposition. (Voyez le n. 6 des Pièces justifie, à la fin de
ce volume. )
(1) Sacramentar. Gregor. De Coron. Imper. (Muratori, Liturgia Rom.
vêtus; Venetiis, 1748, 2 vol. in-fol.)
Muratori établit solidement, à ce qu'il nous semble , l'ancienneté de ces
exemplaires , par des raisons tirées , non-seulement de la forme des caractè-
res, mais encore du fond des choses. Car, 1° dans l'énumération qu'on y
trouve des fêtes alors en usage, il n'est fait aucune mention de celle de
tous les Saints, qu'on sait avoir été établie par le pape Grégoire IV, sous
le règne de Louis le Débonnaire ; ni des Rogations , établies à Rome par le
pape Léon III; ni de quelques autres fêtes plus récentes; ce qui suppose
que ces exemplaires ont été copiés avant l'établissement de ces fêtes , par
conséquent avant la mort de Grégoire IV en 844 , et même avant celle de
Léon III en 816 ; 2° un de ces exemplaires (celui de la Bibliothèque Ottobo-
nienne) est terminé par divers catalogues de personnes , soit vivantes , soit
défuntes, pour lesquelles on devait prier au saint sacrifice delà messe. Le
premier catalogue de personnes vivantes est celui des chanoines de Paris, à
la tête desquels est nommé l'évêque Erchenrade , qu'on sait être mort vers
l'an 857. (Gallia Christiana, tom. vu, pag. 33.) Cet exemplaire du Sacra-
mentaire était donc en usage, dans l'Église de Paris, vers le milieu du
ixe siècle. (Muratori, ubi suprà, tom. i; Dissert, de rébus Liturgicis, cap. 6,
pag. 72-77.)
(2) « Ego N. rex Romanorum, annuente Domino, futurus imperator, pro-
« mitto, spondeo, polliceor atque juro, coram Deo, et beato Petro, me de cae-
« tero protectorem et defensorem fore summi pontificis, et sanctse Romanac
«Ecclesiae, in omnibus necessitatibus et utilitatibus suis; custodiendo et
« conservando possessiones , honores, et jura ejus, quantum divino fultus
« adjutorio (fuero), secundùm scire et posse meum, rectâ et purâ fide. Sic me
« Deus adjuvet, et heec sancta Dei Evangelia, » Muratori, ubi supràf tom. h,
pag. 455
SUR LES SOUVERAINS. — CHAPITRE II. 501
On retrouve ce serment, à peu près dans les mêmes termes,
dans plusieurs autres Sacramentaires et Ordres Romains, d'une
date plus récente (l). Mais, indépendamment du témoignage des
livres liturgiques, l'usage de ce serment, pendant toute la suite
du moyen âge , est attesté par un grand nombre d'autres mo-
numents historiques. Nous rapporterons seulement ici quelques-
uns des plus remarquables.
Le pape Jean XII ayant appelé en Italie, en 960, le roi de tss.
Germanie , Othon Ier, pour la délivrer de la tyrannie de Béren- pa/
ger, lui offrit la couronne impériale, en reconnaissance de ses è^o. "
services (2). Mais pour mieux assurer l'exécution de ses pro-
messes, il recommanda à ses légats, de lui faire prêter, avant
son entrée en Italie , le serment suivant , en présence de la vraie
croix et des saintes reliques : « Moi Othon , roi de Germanie ,
« promets avec serment au seigneur Jean, souverain pontife, au
« nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit, par ce bois sacré de
« la croix et par les saintes reliques ici présentes, que si je
« viens à Rome , avec la permission de Dieu , j'exalterai de tout
« mon pouvoir la sainte Église romaine , et vous qui êtes son
« chef ; et que jamais je ne contribuerai , par ma volonté , mon
« conseil , mon consentement ou mes exhortations , à vous nuire
« dans votre vie, vos membres, et votre honneur ; que je ne ferai
« dans Rome, sans votre conseil, aucun règlement et aucune
« ordonnance, sur les choses qui regardent votre personne ou le
« peuple romain ; que je vous rendrai toutes les terres de saint
«Pierre, qui tomberont en mon pouvoir; enfin, que j'obli-
« gérai celui à qui je donnerai le royaume d'Italie, à promettre
« avec serment de vous aider , de tout son pouvoir , à défendre
« le territoire de saint Pierre. Qu'ainsi Dieu me soit en aide, et
« ces saints évangiles (3). » Cette formule a depuis été insérée
(1) Ordo Romanus ad benedicendum Imper at. apnd Hittorpium, De Di-
vinis Officiis, pag. 153. —Idem, apud Mabillon, Musœum Italie, toni. h,
pag. 216. Voyez quelques autres éditions de Y Ordre Romain, et du Sacra-
mentaire de saint Grégoire, indiquées par Mabillon, ibid., Commentarius
prœvius, § 1 ; et par Muratori, ubi suprà, tom. î , Dissert, de rébus LU
turg-, cap. 6.
(2) Baronii Annales, tom. x, anno 960, n. 1. — Fleury, Hist. Ecclés.,
tom. xii, liv. lyi, n. 1.
(3) « Tibi domino Joanni papa?, ego rex 01 ho, promittere et jurare facio,
« per Patrem , et Filium , et Spiritum sanctum, et per lignum hoc vivificae
502 DEUXIÈME PARTIE. — POUVOIR DU PAPE
dans le Corps du Droit, et suivie quelquefois, en de pareilles
circonstances, par les successeurs d'Othon, comme nous le
verrons bientôt.
l5g Un auteur contemporain de l'empereur Henri II rapporte,
serment en ces termes, le serment de fidélité prêté par ce prince au
de 1 empereur * • 1
Fiem-i h, pape Benoît VIII , en 1014 : « Henri étant arrivé à l'église de
en 1014. r r °
« saint Pierre, où le Pape l'attendait avec le clergé; le Pape,
« avant de l'introduire , lui demanda s'il voulait être fidèle pro-
« tecteur et défenseur de l'Église , et sincèrement fidèle en tout,
«à lui et à] ses successeurs. Le roi le promit; après quoi, le
« Pape lui donna l'onction et la couronne royale, ainsi qu'à la
« reine son épouse (1). »
1G0. H est à remarquer que l'empereur Henri H prêtait ce serment,
serment environ soixante ans avant le pontificat de Grégoire VII, et à
GrïgoTre pvn. l'exemple de l'empereur Othon 1er, qui en avait prêté un sem-
blable,, plus de cinquante ans auparavant. Grégoire VIT ne
faisait donc que se conformer à un usage beaucoup plus ancien
que lui, en exigeant de l'empereur élu un pareil serment. Voici
le texte de celui qu'il exigea de Henri IV, et de Rodolphe :
« Dès aujourd'hui et dans la suite, je serai sincèrement fidèle au
« bienheureux apôtre saint Pierre , et à son vicaire le pape Gré-
« goire, et j'observerai fidèlement, comme un chrétien doit le
« faire , tout ce que le Pape m'ordonnera, au nom de l'obéis-
« crucis et per lias reliquias sanctorum , quod si , permittente Domino , Ro-
te mam venero, sanctam Roraanam Ecclesiam, et te rectorem ipsius exaltabo,
« secundùm posse meiim ; et numquam vitam, aut membra, et ipsum bono-
<c rem quem habes, meâ voluntate, aut meo consilio, aut meo consensu, aut
« meâ exhortatione perdes; et in Romanâ urbe nullum placitum aut ordina-
« tionem faciam , de omnibus quae ad te aut ad Romanos pertinent, sine tuo
« consilio ; et quidquid ad nostram potestatem de terra sancti Pétri pervene-
« rit, tibi reddam ; et cuicumque regnum Italicum commisero, jurare faciam
« illum ut adjutor tuî sit, ad defendendam terrain sancti Pétri , secundùm
« suum posse. Sic me Deus adjuvet, et bcec sancta Dei Evangelia. » Raro-
nius, ibid., n. 5. — Corpus Juris canonici; Decreti parte prima, dist. 63,
cap. 33, Tibi Domino.
(ty« Henricus. . . . cum dilectâ suimet conjuge Cunegunde, ad ecclesiam
« sancti Pétri, Papa expectante, venit ; et antequam introduceretur,ab eodem
« interrogatus, si fidelis vellet Romanae patronus esse et defensor Ecclesise,
« sibi autem suisque successoribus per omnia fidelis : devotâ professione
« respondit; et tune ab eodem inunctionem et coronam, cum contectali (id
« est conjuge) suâ, suscepit. » Ditmar, Çhronic. lib. vu. (Leibniz, Scriptor es
rerum Brunswic. tom. 1, pag. 400. — Raronii Annales, tom. xi, anno 1014,
n. 1 — Fleury, Hist. Ecclés., tom. xn, liv. lviii, n. 38.)
Adrien IV.
SUR LES SOUVERAINS. — CHAPITRE II. 503
« sauce qae je lui dois Je procurerai de tout mon pouvoir,
« avec l'aide de Jésus-Christ, l'honneur et les intérêts de Dieu
« et de saint Pierre ; et la première fois que je me trouverai en
« présence du Pape , je me reconnaîtrai son défenseur et celui
« de saint Pierre (1). »
Les termes de ce serment ont pu varier avec le temps ; mais 161.
z . 1 ai Discussion à
il est certain que, pendant toute la suite du moyen âge, les em- ce sujet,
pereurs ont continué de le prêter, à l'époque de leur couronne- e"r[ce iiï£
ment. Radevic, auteur du xne siècle, nous apprend qu'on voyait,
de son temps , dans le palais de Latran , un tableau représentant
le couronnement de l'empereur Lothaire II (en 1133), avec
cette inscription en vers latins : « Le roi s'arrête à la porte , où
« il jure de conserver à Rome ses privilèges; il se reconnaît
« ensuite Y homme du Pape, et reçoit de lui la couronne (2). »
Il est vrai que l'empereur Frédéric Ier, étant venu à Rome ,
en 1155, se montra fort choqué de cette peinture et de cette in-
scription, qui semblaient représenter l'empire comme un fief
du saint-siège, et sollicita fortement le pape Adrien IV de les
faire effacer. Il ne se montra pas moins choqué , peu de temps
après, de quelques expressions du même pontife, dans les-
quelles il croyait retrouver la même prétention (3). Le Pape se
(1) « Ab hâc horâ et deinceps , fidelis ero , per rectam fidem, beato Petro
« apostolo, ejusque vicario papse Gregorio, qui nunc in carne vivit; et quod-
« cumque mihi ipse Papa prseceperit, sub his videlicet verbis : Per veram
« obedientiam, fideliter, sicut oportet christianum, observabo ; .... et Deo
« sanctoque Petro, adjuvante Christo, dignum honorent et utilitatemimpen-
« dam; et eo die, quando illum primitus videro, fideliter per manus meas
« miles sancti Pétri et illius efficiar. » On trouve le texte de cette formule
parmi les Lettres de Grégoire VII, liv. ix, lettre 3. (Labbe, ConciL tom. x,
pag. 279.)
(2) « Rex venit ante fores, jurans priùs urbis honores
« Post Homo fit Papœ, sumit quo dante coronam. »
Radevicus, De Gestis Friderici I, lib. i, cap. 10. (Apud Urstitium, Ger-
maniœ Historici illustres, pag. 400; necnon apud Muratori, Rerum
Italie. ScriptoreSj tom. vi.) — Fleur y, Hist. Ecclés., tom. xiv, liv. lxviii,
n. 22.
(3) Il suffit de lire attentivement, et sans préjugé, la lettre du pape
Adrien IV, qui donna lieu à ces plaintes de Frédéric, pour voir combien elles
étaient mal fondées. Le Pape, pour engager ce prince à réprimer plus effica-
cement l'impiété dans ses États , lui rappelait, en ces termes , les bienfaits
qu'ils avait reçus du saint-siége : « Vous devez vous rappeler l'accueil favo-
« rable que la sainte Église romaine vous fit l'année dernière , et avec quelle
« joie elle vous conféra la couronne impériale. Ce n'est pas que nous nous
504 DEUXIÈME PARTIE. — POUVOIR DU PAPE
montra fort étonné de l'interprétation qu'on donnait à ses ex-
pressions ; et pour apaiser l'empereur, il déclara qu'il n'avait
jamais regardé l'empire comme étant proprement un fief du
saint-siége; qu'il avait seulement prétendu qu'en conférant à
l'empereur la couronne impériale, il lui avait réellement ac'
cordé un bienfait (l). L'empereur parut satisfait de cette expli-
cation ; mais le Pape, en s'exprimant ainsi, croyait si peu
renoncer à ses droits sur l'empire, qu'il écrivit peu de temps
après, au même empereur, des lettres dans lesquelles, après lui
avoir rappelé le serment de fidélité qu'il avait prêté à saint
Pierre et au Pape, il menace de le déposer, s'il ne renon-
çait à certaines prétentions sur les biens ecclésiastiques de Lom-
bardie : «Revenez, lui dit-il, revenez de votre égarement:
« suivez mon conseil ; car je crains qu'après avoir obtenu de
« nous l'onction et la couronne impériale, vous ne perdiez ce
« qui vous a été accordé , en usurpant ce qui ne vous appar-
at repentions d'avoir en tout rempli vos désirs ; au contraire, nous nous ré-
«. jouirions d'avoir pu vous accorder encore, s'il était possible, de plus grands
« bienfaits, en considération des biens que vous pouvez procurer à l'Église et
« à nous. Sed etsi majora bénéficia excellentia tua de manu nostrâ susce-
« pisset, si fieri posset , non immérité gauderemus. » (Adriani IV
Epist. 2, ad Frider. Imper. — Labbe, Concil. tom. x, pag. 1145.) Il
fallait assurément avoir bien envie de chicaner sur les mots , pour supposer
que le Pape prenait ici le mot bénéficia dans le sens de fiefs : c'était une
vraie querelle d'Allemand. On voit avec étonnement cette chicane de Frédéric
renouvelée par plusieurs écrivains modernes, particulièrement par Sismondi,
Hist. des Républ. Ital., chap. 9. On peut consulter, au sujet de ces discus-
sions, Fleury, Hist. Ecclés., tom. xv, liv. lxx, n. 23, 25 et 30. — D. Ceil-
lier, Hist. des Auteurs ecclés., tom. xxm , pag. 350, etc. — Bossuet, Def.
Declar., lib. ni, cap. 18; lib. îv, cap. 9. — Bianchi, Delta Potestà délia
Chiesa, tom. n, lib. v, § 13.
(1) « Occasione cujusdam verbi, quod est, beneficium, tuus animus (sicut
« dicitur) est commolus : quod utique, nedum tanti viri, sed nec cujuslibet
« minoris animum meritô commovisset. Licèt enim hoc nomen, quod est,
« beneficium , apud quosdam in aliâ significatione quàm ex impositione ha-
« beat, assumatur ; tune tamen in eâ significatione accipiendum fuerat, quam
« nos ipsi posuimus, et quam ex institutione suâ noscitur retinere. Hoc enim
« nomen ex bono et facto, est editum, et dicitur beneficium apud nos, non
«.feudum, sed bonum factum. In quâ significatione, in universo sacrœ
<c Scripturae corpore, invenitur; ubi ex beneficio Dei, non tamquam ex
«.feudo, sed velut ex benedictione et bono facto ipsius, gubernari dicimur
« et nutriri. Et tua qnidem Magnificentia liquidé recognoscit , quod nos ita
« bene et honorificè imperialis dignitatis insigne tuo capiti imposuimus, ut
« bonum factum valeat omnibus judicari. « Adriani IV Epist. 4. (Labbe,
ubi supràf^âg. 1147.)
SUR LES SOUVERAINS. — CHAPITRE II. 505
« tient pas (t). » Frédéric irrité répondit à cette lettre en termes
extrêmement durs , et qui lui auraient probablement attiré une
sentence de déposition, si Eberard, évèque de Bamberg, prélat
distingué par sa doctrine et ses vertus , ne se fût heureusement
entremis entre le Pape et l'empereur pour les réconcilier. Mais
il résulte évidemment de cette discussion •* 1° que l'empereur
Frédéric Ier, aussi bien que ses prédécesseurs , avait prêté au
Pape serment de fidélité, à l'époque de son couronnement ;
2° que, dans le sentiment de l'empereur et du Pape, ce serment
n'exprimait pas proprement une dépendance féodale de l'em-
pereur à l'égard du saint-siége , mais seulement un dévouement
particulier aux intérêts de l'Église romaine ; 3° que le pape
Adrien IV, quoiqu'il ne regardât pas proprement l'empire
comme un fief du saint-siége, croyait, aussi bien que ses pré-
décesseurs , avoir , par l'usage et le droit public de son temps,
le pouvoir de déposer l'empereur, en certains cas.
Quoi qu'il en soit de cette discussion entre le pape Adrien IV *6a.
et Frédéric 1er, il est certain que les empereurs continuèrent tï^T"
depuis, pendant plusieurs siècles, de prêter serment de fidélité ^Tveml'e-
au Pape, à l'époque de leur couronnement. On les vit bien quel- Hen"v„ et
quefois élever des contestations sur le sens et les conséquences I? PaPe
de ce serment ; mais ils ne faisaient aucune difficulté de le prêter,
et se montraient même très-empressés de le faire, pour obtenir
le consentement du Pape à leur élection. L'histoire de l'empereur
Henri Vil offre, à ce sujet, un exemple remarquable (2). Le pape
Clément V, voulant procurer la paix, ou du moins une trêve,
entre ce prince et le roi de Naples, en 1312, prétendit les y
obliger, en vertu du serment de fidélité qu'ils avaient tous
deux prêté au saiut-siége. L'empereur refusa absolument d'ac-
céder aux désirs du Pape , soutenant qu'il n'était obligé à
personne par serment de fidélité. Le Pape, justement sur-
pris de cette prétention, la condamna par une bulle , publiée
l'année suivante, et insérée depuis dans le Corps du Droit (S).
(1) «Resipisce ergo, resipisce, tibi consulimus. Quia cùm a nobis consecra-
« tionem et coronam merueris, dum inconcessa captas, ne concessa perdas,
« nobilitati tuas timemus. » Adriani IV Epist. 6. (Lahbe, ibid., pag. 1149.)
(2) Fleury, Hist. Ecclés., tom. xix, liv. xcr, n. 48 ; liv. xcii, n. 1 et 8. —
Corpus Juris can.; Clementinarum, lib. 11, tit. 9, De Jurejurando.
(3) Voici comment le Pape s'exprime dans cette bulle : « Inter cœtera, pu-
506 DEUXIÈME PARTIE. — POUVOIR DU PAPE
Il rappelle, dans cette bulle, que Henri, à l'exemple de ses
prédécesseurs, lui a prêté serment de fidélité, soit avant son
couronnement, soit à l'époque même de son couronnement ;
qu'avant son entrée en Italie (en 1311 ) il avait d'abord prêté
ce serment, suivant la formule marquée dans le Décret de
Gratien, et que nous avons rapportée plus haut (1); et qu'à
l'époque de son couronnement (en 1312) il l'avait renouvelé
suivant la formule du Pontifical romain, conçue en ces ter-
mes : « Moi Henri , roi des Romains , et par la permission de
«Dieu, futur empereur (2), promets et jure, devant Dieu et
« saint Pierre, d'être dorénavant protecteur et défenseur du
« souverain pontife et de la sainte Église romaine, dans toutes
« ses nécessités et ses intérêts , gardant et conservant ses posses-
« sions, ses privilèges et ses droits, autant que Dieu me per-
« mettra de le faire , selon mes connaissances et mon pouvoir ,
« en pure et bonne foi. Qu'ainsi Dieu me soit en aide, et ces
« saints Évangiles. » Il y a sans doute lieu de s'étonner, que
l'empereur ne voulût pas reconnaître ici un véritable serment
« blicè, praesente multitudine hominum copiosâ, (Henricus) respondit, se non
« fore cuiquam ad juramentum fidelltatis adstrictum, et quod numquam
« fecerit juramentum, propter quod foret ad juramentum fidelitatis alicui
« obligatus; et quod ipse nesciebat, quod antecessores sui Romani imperato-
« res umquam juramentum hujusmodi praestitissent, simulans se immemorem
« juramentorum, quoe nobis ante coronationem suam praestiterat , et post
« coronationem etiam innovarat. Nos itaque attendcntes quod hujusmodi re-
« sponsio, si sub dissimulatione pertranseat , vel silentio pallietur, posset in
« magnum et evidens prsejudicium Romanae Eeclesiae redundare, dignum ad-
« modum et opportunum fore prospeximus, ut de juramentis hujusmodi
« constitutioni praesenti aliqua breviter annectamus. » Corpus Juris cano-
nici; ubi suprà, pag. 118 et 119.
(1) Voyez plus haut, n. 158.
(2) « Ego Henricus, Romanorum rex, annuente Domino , futurus impe-
«rator, promitto, spondeo et polliceor, atque juro coram Deo et beato
« Petro, me de caetero protectorem, procuratorem et defensorem fore summi
« pontificis, et hujus sanctae Romanae Eeclesiae, in omnibus necessitatibus et
« utilitatibus suis, custodiendo et conservando possessiones, honores et jura
« ejus, quantum divino sufl'ultus adjutorio fuero, secundùm scire et posse
« meum, recta et purâ fide. Sic me Deus adjuvet, et haec sancta Dei Evange -
« lia.» Corpus Juris , ubi suprà, p. 120. Dans cette formule de serment,
Henri ne prend que le titre de futur empereur, parce que, d'après l'usage
et la constitution de l'empire , il ne pouvait prendre le titre d'empereur,
qu'après avoir reçu du saint-siége l'onction et la couronne impériale. Nous
rapporterons ailleurs le texte du Droit de Souabe sur ce sujet. (Chap. 3,
art. 2,§2,n. 269.)
SUR LES SOUVERAINS. — CHAPITRE II. 507
de fidélité , et que plusieurs écrivains modernes aient cru pou-
voir élever des doutes sur ce point. Mais, tout le monde con-
vient, dit Bossuet, que ce serment marquait au moins une
grande soumission (l).
Enfin, ce qu'il y a ici de plus remarquable, et ce qui n'est ■«•
pas moins clairement établi par l'histoire , c'est que les empe- des empereurs
ta i -i Henri IV
reurs, non contents de prêter au Pape le serment dont nous et
venons de parler, en recevant de lui l'onction et la couronne resUTiè '
impériale, lui reconnaissaient aussi le droit de les déposer, du *""£ pïpï*11
moins en certains cas. Déjà on a pu s'en convaincre par les lest£S(r-
propres aveux de l'empereur Henri IV à une époque où il était
moins disposé que jamais à favoriser les prétentions du Pape,
et plus intéressé à les contester (2). Environ deux siècles après
la déposition de ce prince, Frédéric II, excommunié et déposé
par le pape Grégoire IX, en 1239, ne contesta point à celui-ci
le droit de prononcer une pareille sentence, droit qu'il avait
formellement reconnu longtemps auparavant (3); mais il se
plaignit seulement de l'injustice prétendue de cette sentence,
et il en appela au futur concile, au jugement duquel il ne
faisait pas difficulté de se soumettre d'avance (4). C'était là
sans doute reconnaître assez clairement la compétence du
concile; mais Frédéric la reconnut dans la suite, d'une ma-
nière plus éclatante; car le Pape ayant convoqué à Lyon
un concile général, en 1245, pour terminer cette affaire,
l'empereur, qui ne voulait pas y paraître en personne, y en-
voya des procureurs chargés de sa défense, entre autres
Thaddée de Suesse, légiste très habile, qui s'acquitta de sa
mission avec une ardeur et une vivacité souvent excessives.
Mais quel que fût le zèle des députés de Frédéric pour la défense
de leur maître, ils reconnurent constamment la compétence du
Pape et du concile pour juger sa cause. Thaddée seul, dans la
(1) « Hue accedit, quod jampridem Romanis pontificibus ab imperatori-
« bus id prsestitum fuerat juramentum, quod fidelitatis fuisse Romani pon-
« tifices postea declaraverunt : summi certè obsequii fuisse nemo dijfite-
« tur. » Bossuet, Defens. Declar., lib. îv, cap. 9, versus médium.
(2) Ci-dessus, n. 85, 97 et 98.
(3) Greg. IX Epistol. 2, ad Stephanum Cantuar. archiep. (Labbe,
Conc. t. xi, p. 313.) — Fleury, Hist. Ecclés., t. xvi, liv, lxxix, n. 37.
L (4) Fleury, Hist. Ecclés., t. xvn, liv. lxxxi, n. 9, 20, etc., 4G.— Michaud,
Hist. des Crois., t. iv, p. 512.
508 DEUXIÈME PARTIE. — POUVOIR DU PAPE
dernière session , voyant le Pape sur le point de prononcer la
sentence , déclara que si l'on procédait contre l'empereur , il en
appelait au Pape et au futur concile général. Une pareille dé-
claration était sans doute également injurieuse pour le souve-
rain pontife et pour le concile alors assemblés ; mais elle renfer-
mait au fond un nouvel aveu de la compétence du Pape et du
concile général, pour juger l'empereur. Aussi le Pape n'eut
aucun égard à un appel si manifestement illusoire, et prononça
enfin contre Frédéric la sentence de déposition , en présence et
avec l'approbation du concile (l).
164. Il est vrai que Frédéric, après avoir si longtemps reconnu la
de Frédéric ii compétence de ce tribunal, changea bien de langage, à la nou-
queiqiL velle de sa condamnation ; car il adressa aussitôt au roi d'An-
autrpointU' ce gleterre , et à plusieurs autres souverains , une lettre dans la-
quelle il contestait au Pape le droit de juger les princes en
matière temporelle (2). Mais il est évident que Frédéric, en s'ex-
primant ainsi, était en contradiction avec lui-même, et avec
tous les souverains de l'Europe , qui avaient expressément re-
connu , dans le concile de Lyon , la compétence du Pape sur le
point en question (3). Il est donc naturel d'attribuer cette varia-
tion de Frédéric , à l'agitation extrême que lui causa la sentence
d'Innocent IV, et qui lui fit prendre successivement le parti de
la soumission et celui de la résistance , selon les divers senti-
ments dont il était agité (4).
Cette dernière observation peut servir de réponse à la diffi-
culté qu'on pourrait tirer de la conduite de quelques empe-
reurs, qui, dans certains moments de vivacité, contestaient
plus ou moins ouvertement les droits du Pape sur l'empire.
La suite des faits que nous avons exposés montre que les empe-
reurs ne pouvaient contester ces droits, sans contredire tout à
la fois leurs propres aveux , et les principes universellement re-
connus à cette époque. Aussi un célèbre écrivain protestant du
dernier siècle, après avoir montré que la conduite de Gré-
Ci) Voyez plus haut, n. 149.
(2) Fleury, ibid., lib. lxxxii, n. 30 et 31. — Michaud, ibid.f p. 514.
(3) Voyez plus haut, n. 149.
(4) Michaud, ibid., p. 187. — Velly, Hist. de France, t. iv, p. 328. —
Hist. de l'Église Gallicane, t. xi, liv. xxxii, année 1245, p. 279.
SUR LES SOUVERAINS. — CHAPITRE 11. 509
goire VII envers l'empereur Henri IV, était une conséquence né-
cessaire des principes alors généralement admis , sur les effets
temporels de l'excommunication par rapport aux souverains ,
ajoute qu'elle était favorisée par la persuasion où l'on était,
que l'empire était un fief du saint-siége ; persuasion que les
empereurs eux-mêmes favorisaient , par la délicatesse singu-
lière qu'ils avaient de ne prendre le nom d'empereur , qu'a-
près avoir été sacrés et couronnés une seconde fois par les
souverains pontifes (l). Il y a sans doute lieu de s'étonner, que
l'auteur attribue à une délicatesse singulière des empereurs,
cette conduite qui leur était rigoureusement prescrite par l'u-
sage et la constitution de l'empire , comme on le verra bien-
tôt (2) ; mais les aveux de cet auteur n'en sont pas moins im-
portants, pour établir la persuasion générale des empereurs
eux-mêmes, à cette époque , sur leur dépendance particulière
à l'égard du saint-siége.
Il résulte clairement des faits exposés daus le cours de ce cha- D l65*
l Première con*
pitre, 1° que la persuasion universelle du moyen âge, qui attri- *&"**.
buait à l'Église et au souverain pontife un si grand pouvoir sur cadran ••
i • -, •. t. r « -i ' ^ i .... La persuasion
les souverains, n avait pas ete introduite par Grégoire VII, dont
comme le supposent ou l'insinuent un si grand nombre d'au- ' paf'été a
teurs modernes (3). On a vu en effet que, dans les principaux ,ntr"rlru,le
États de l'Europe, et spécialement en Allemagne, cette persua- Grég°ire V,I«
sion était fondée sur des maximes bien antérieures à Gré-
goire VII (4). Il est vrai que ce pontife et ses successeurs ont fait
une application plus rigoureuse de ces maximes, qu'on ne l'avait
fait avant eux ; mais il demeure constant que, longtemps avant
Grégoire VII , les maximes qu'il invoquait à l'appui de sa con-
(1) Pfeffel, Nouvel Abrégé de V histoire d'Allemagne, année 1106; édi-
tion in-4°, t. i, p. 228 et 229.
(2) Voyez plus bas, chap. 3, art. 2, § 2, n. 267, etc.
(3) Sismondi, Hist. des Répub. Ital., 1. 1, chap. 3, p. 180, etc. — Mi-
chaud, Hist. des Croisades, 4e édition, t. i, p. 87; t. iv, p. 162, elc; t. vi,
p. 260. — Voigt, Hist. de Grég. VII, 2e édition, p. 17 1, etc., 605, etc.
Voyez aussi le résumé que nous avons donné plus haut (p. 330, note l ) du
système de M. Guizot sur cette matière.
(4) Remarquez en particulier les n. 97, 127, etc. (Ci-dessus, pag. 439, etc. ;
473, etc.) La suite de cet ouvrage fournira de nouvelles preuves de ce fai
important. Voyez plus bas, chap. 3, art. 2.
510 DEUXIÈME PARTIE. — POUVOIR DU PAPE
duite envers les souverains, étaient admises dans les principaux
États de l'Europe, et surtout en Allemagne (1).
166. 2° Il résulte également de toute la suite des faits exposés daus
Deusé!imce°n" ce chapitre, que le pouvoir exercé sur les souverains par les
Les papes et et ies COncîles du moyen âge, ne peut être considéré
les conciles if r j i " • i/ •
du moyen âge comme une usurpation criminelle de la puissance ecclesias-
""êtreid tique, sur les droits des souverains. 11 est certain, en effet, que
ïs™l?iodn7rl les papes et les conciles qui ont exercé ce pouvoir, n'ont fait
mmeiie. suiVre et appliquer des maximes alors universellement ad-
mises, non -seulement par le peuple crédule et ignorant, mais
par les hommes les plus éclairés et les plus vertueux, et par les
souverains eux-mêmes, si intéressés à contester ces maximes (2).
En faut-il davantage , pour justifier pleinement les papes et les
conciles, du reproche d'usurpation, aux yeux d'un esprit im-
partial? Un pareil reproche ne serait-il pas aussi mal fondé, que
celui qu'on se permettrait à l'égard d'un juge, qui prend pour
base de ses arrêts les principes de jurisprudence universelle-
ment reconnus de son temps? Est-ce la faute du juge , si la ju-
risprudence qu'il trouve établie est imparfaite? Bien plus,
n'est-il pas de son devoir de la suivre dans ses décisions, tant
qu'elle n'est pas réformée par l'autorité compétente?
l6 Dira-t-on que les papes et les conciles du moyen âge ne pou-
Troisième con- vaient sans une erreur grossière , s'attribuer un pouvoir si
séquence * ■*■
on ne peut les prodigieux, à l'égard des souverains? Nous verrons bientôt que
accuser non * . -, ..
plus la conduite des papes et des conciles ne suppose aucune erreur/
gœssZrT Mais, en supposant même qu'ils se soient trompés, il est évi-
dent que jamais il n'y eut d'erreur aussi excusable et aussi
innocente que la leur. Quelle erreur, en effet, pourra jamais
paraître excusable, sinon celle qui est universellement adoptée,
pendant plusieurs siècles, par les princes et les peuples, par les
personnages les plus éclairés et les plus vertueux, et même par
les plus intéressés à contester les principes généralement admis?
Si l'erreur dont il s'agit était aussi grossière qu'on le suppose,
comment croire qu'elle eût été si universellement admise par
(1) Voyez, à l'appui de cette observation, celles que nous avons faites
plus haut, n. 101, pag. 444, etc.
(2) Remarquez, à ce sujet, les aveux de Bossuet, Fleury, Pfeffel , etc.,
n. 118, etc., pag. 465, etc.
SUR LES SOUVERAINS. — CHAPITRE II. 511
les souverains eux-mêmes , pendant plusieurs siècles? Qu'on exa-
gère, tant qu'on voudra, l'ignorance du moyen âge; il répu-
gnera toujours de supposer que tous les souverains, pendant
plusieurs siècles, aient assez oublié leurs intérêts, pour recon-
naître un principe subversif de leurs droits et de leur autorité ;
qu'ils ne l'aient pas seulement reconnu en spéculation, mais
qu'ils en aient formellement approuvé l'application, en bien des
cas, quoiqu'il leur fût si aisé de voir qu'on pouvait également
le leur appliquer, en d'autres circonstances. Au reste, l'erreur
du moyen âge, sur ce sujet, en la supposant réelle, ne sem-
blera pas si grossière, si l'on fait attention qu'elle a été ad-
mise de bonne foi, jusque dans ces derniers temps, par de
très-grands hommes, et même par des écrivains peu favo-
rables d'ailleurs à l'autorité des papes et des conciles. Le pas-
sage suivant de Leibniz suffirait pour établir ce que nous
avançons: «Le Pape, dit ce grand philosophe, a-t-il le
«pouvoir de déposer les rois, et d'absoudre leurs sujets du
« serment de fidélité? C'est un point qu'on a souvent mis en
« question ; et les arguments de Bellarmin , qui , de la suppo-
rt sition que les papes ont la juridiction sur le spirituel, infère
« qu'ils ont une juridiction au moins indirecte sur le temporel,
« n'ont pas paru méprisables à Hobbes même. Effectivement,
« il est certain que celui qui a reçu une pleine puissance de Dieu,
« pour procurer le salut des âmes, a le pouvoir de réprimer la
«tyrannie et l'ambition des grands, qui font périr un si grand
«nombre d'âmes (i).» La suite de nos Recherches nous don-
nera lieu de citer plusieurs autres témoignages également déci-
sifs, pour justifier la persuasion du moyen âge sur ce point (2).
(1) Leibniz De Jure suprematûs. (Oper. t. iv, parte 3, p. 401.) —L'Es-
prit de Leibnitz, édition in-12, t. n, p. 22.
(2) Voyez principalement l'article 2 du chapitre suivant.
512 DEUXIÈME PARTIE. — POUVOIR DU PAPE
CHAPITRE III.
Fondements du pouvoir exercé par les papes et les conciles
sur les souverains , au moyen âge.
»68. Avant le xne siècle , il ne paraît pas qu'on se soit beaucoup
peu ' occupé de rechercher les fondements du pouvoir extraordinaire
«"nTîTxiV que les papes et les conciles s'attribuaient sur les souverains,
s.ecie. Qfl SUpp0sait généralement la légitimité de ce pouvoir : il n'é-
tait guère contesté que par des ennemis déclarés de l'Église et
du saint- siège, et par un petit nombre de particuliers, inté-
ressés à soutenir la cause des souverains qui encouraient, par
leurs désordres, les anathèmes de l'Église. Ceux mêmes qui le
contestaient , ne niaient pas que l'excommunication n'entraînât
la perte de tous les droits civils ; et ils se retranchaient à sou-
tenir que les souverains ne peuvent être excommuniés (l).
Vers le milieu du xne siècle, quelques écrivains s'occupèrent
Deux opinions de rechercher les fondements du pouvoir dont il s'agit; et faute
pi"surPcees ' de réflexions sur ses véritables fondements, ils adoptèrent , sur
poiBsièca"" ce point , des opinions singulières , qui ne pouvaient manquer
d'occasionner, avec le temps, de vives contestations. Jean de
Sarisbery , dans un ouvrage composé vers la fin du xne siècle ,
donne pour fondement à ce pouvoir, le droit divin, dans le
sens où l'ont expliqué depuis les défenseurs de l'opinion théo-
logique, qui attribue à l'Église et au souverain pontife une
juridiction directe sur les choses temporelles (2). Gervais de
Tilbury, qui écrivait au commencement du siècle suivant, re-
garde la donation de Constantin comme le véritable fonde-
ment du même pouvoir (3). Ces deux opinions paraissent avoir
(1) Voyez les auteurs cités plus haut, n. 96.
(2) Voyez le développement de cette opinion, au n. 8 des Pièces justificat.
à la fin de ce volume.
(3) Voyez, dans le chapitre précédent, la note 3 de la page 487. Gervais de
Tilbury n'est pas le premier qui ait embrassé cette opinion. Quelques auteurs
plus anciens l'avaient supposée, en invoquant la donation de Constantin,
pour établir contre les Grecs la juridiction spirituelle et temporelle du saint.
SUR LES SOUVERAINS. — CHANTRE III. 513
partagé, pendant assez longtemps, les écrivains du moyen âge.
Depuis la renaissance des lettres, la dernière opinion ayant été
universellement abandonnée, les auteurs modernes ont proposé
différentes explications, que nous avons exposées plus haut (l) ,
et dont l'examen fait le sujet de ce troisième chapitre.
Pour éclaircir cette matière, il est essentiel de distinguer ici , _ ,?°' .
° ' Distinction
avec Fénelon, le pouvoir de juridiction temporelle d'avec le du pouvoir de
.... . p. juridiction
pouvoir directij (2). Le premier renferme, par sa nature, le et au pouvoir
droit de régler les objets de l'ordre temporel, en tout ce qui
n'est pas déterminé par le droit divin, naturel ou positif. Le
pouvoir direct if ', en cette matière, renferme seulement le droit
d'éclairer et de diriger, par des décisions doctrinales ou par de
sages avis , la conscience des princes et des peuples, en leur
manifestant les obligations que leur impose le droit divin, na-
turel ou positif, et particulièrement celles qui résultent du
serment de fidélité. Eu vertu de ce pouvoir, l'Église et le sou-
verain pontife ne peuvent faire aucun règlement, aucune or-
donnance sur les choses temporelles; ils ne peuvent donner ou
ôter aux souverains leurs droits et leur autorité; ils peuvent
seulement faire connaître aux princes et aux peuples, leurs
obligatious de conscience en matière temporelle, comme en
toute autre matière. L'histoire ecclésiastique nous offre des
exemples remarquables de cepouvoirdirectif, dans la conduite
de saint Grégoire le Grand, sollicitant de l'empereur Maurice
la révocation dune loi contraire aux intérêts de la religion (3);
et dans celle de saint Ambroise, sollicitant de Théodose une
loi pour suspendre les exécutions de mort et les confiscations
de biens, pendant trente jours après la sentence rendue (4).
Cette distinction étant supposée, il faut remarquer, que la r7i.
question si fort agitée entre les théologiens , dans ces derniers ^SwS»'
siège. Voyez les passages d'Énce, évêque de Paris, du pape Léon IX et de
saint Pierre Damien, que nous avons indiqués au n. 5 des Pièces justificat.,
à la lin de ce volume.
(1) Nos 2-20 de cette seconde partie.
(2) Voyez l'exposition du système de Fénelon, ci-dessus, n. 8-13.
(3) Fleury, Hist. Ecclés.,t. vin, liv. x\xv, n. 31 .— Bossnet, Def. Declar. t
lib. u, cap. 8. — Sarieti Gregorii Yita recens adomata, lin. n, cap. 10,
in. 1-4. (Operum tom. iv.)
(4) Fleury, Hist. Ecclés.f tom. îv, liv. xix, n. 21— Bossuet, Def. Declar. 9
lib. n, cap. 5.
33
514 DEUXIÈME PARTIE. — POUVOIR DU PAPE
regarde uni- temps , ne regarde aucunement le pouvoir directifde l'Église
\eqpo™?rde et du souverain pontife, en matière temporelle ; ni leur pouvoir
inunt°\ne de juridiction temporelle , dans les ûefs et les autres souverai-
sxJ°\f droit net^s qu'ils peuvent avoir acquis par un titre spécial ; mais
divin. uniquement le pouvoir de juridiction directe ou indirecte sur
les choses temporelles, en tant que fondé sur le droit divin.
Les théologiens même les plus opposés au sentiment qui attribue
ce dernier pouvoir à l'Église et au souverain pontife, ne contes-
tent pas les deux autres. Bossuet lui-même, en plusieurs en-
droits de la Défense de la Déclaration , bien loin de contester
à l'Église et au Pape ces deux sortes de pouvoir , les favorise
ouvertement. Il reconnaît d'abord sans difficulté la juridiction
temporelle de l'Église et du souverain pontife, dans les fiefs et
les autres souverainetés temporelles qu'ils ont pu acquérir par
un titre spécial (i). Quant au pouvoir directif , sans le recon-
naître d'une manière aussi expresse, il en parle avec une mo-
dération remarquable, et parait même disposé à l'admettre.
C'est ce qu'on voit en particulier dans le second livre de la
Défense , où il examine fort au long ce qu'il faut penser de la
réponse du pape Zacharie aux Français , sur la déposition de
Childeric.
s«ntïmentde «Quand nous lisions, dit-il (2), que Pépin fut substitué à
(1) Nous citerons un peu plus bas plusieurs passages remarquables de la
Défense de la Déclaration, sur ce point. (Ci-après, art. 2, n. 281.)
(2) « Cùm audiiuus auctoritate Zacharise Pipinum Childerico fuisse substi-
« tutum, uisi intelligamus consilio id, non imperio factum, omnino nimii,
« adeoque vain sumus Summa est : deposuisse (Zachariam), id est, dépo-
te nendum consensisse, suasisse, consuluisse, fdque volentibus : jam consi-
.« lium a Papa, ut a vivo sapiente ac pâtre spirituali, exquisilum. At si
« pro imperio aliquid decrevisset, numqu<xm permissuros fuisse barones regni
« Francise Neque tamen negamus justœ decisionis loco fuisse profectum
« a tantâ sede, ex ipsâ totius gentis consultatione, responsum ; sed aliud est
« datum ambigentibus , gravissimâ etiam auctoritate, consilium; aliud pro-
« latum, de rébus civilibus ordinandis, pro potestate decretum Non id
« factum est ut pontifex regnum adimeret aul daret , sed ut declararet
« adimendum vel dandum ab iis quibus id juris competere judicasset Sed
« si vel maxime adversariis concedimus, Francos jurejurando a Zachariâ ex-
« solutos, nihil boc ad propositum. Esto enim Franci, tamquam ad eau-
« telam, ut aiunt, et propter ipsam jurisjurandi reverentiam, a Zachariâ pe-
« tierint ut declararet illud esse irritum, eâque religione rite exsolutos
« Francos ; quid hoc ad qusestionem nostram? an id propterea extorque-
« bunt, ut pontifex principem pleno imperii jure gaudentem dejicere, aut
« populos nihil taie cogitantes jurejurando solvere possit? Nihil est absur-
SUR LES SOUVERAINS. — CHAPITRE III. 515
« Childeric par l'autorité de Zacharie , ce serait un excès maui- Bossuet
« feste, et une prétention sans fondement, de soutenir que cette sur ,e p°u™ir
« substitution ne se lit point par un simple conseil, mais par
« un ordre du souverain pontife Zacharie déposa Childeric,
« c'est-à-dire , consentit à sa déposition , l'insinua, la conseilla
« aux Français, qui la souhaitaient. Ils avaient demandé con-
« seil au Pape , comme à un homme sage et à leur père
« spirituel. Mais s'il eût prétendu faire un décret sur cette
« matière, jamais les barons du royaume de France ne l'eussent
« permis Toutefois, nous ne nions pas qu'on n'ait regardé
« comme une juste décision la réponse du saint-siége , consulté
« par la nation française. Mais autre chose est, un conseil donné
« par une autorité très-grave, en réponse à une consultation;
«autre chose, un décret dressé pour statuer sur des objets
«civils, en vertu d'un pouvoir naturel La réponse du
« Pape n'avait pas pour objet, d'ôter ou de donner la puissance
« royale, mais de déclarer qu'elle devait être ôtée ou donnée,
« par ceux auxquels le souverain pontife reconnaissait ce
« droit Enfin, quand nous accorderions à nos adversaires,
« que les Français ont été déliés de leur serment par le pape
« Zacharie, cela ne fait rien à la question (agitée entre les théo-
« logiens français et étrangers). Supposons en effet, que les
« Français..., pour plus grande sûreté, et par respect pour leur
« serment , aient prié le Pape de déclarer ce serment nul , et
« les Français absous de ce lien; qu'est-ce que cela fait à
« notre question? Nos adversaires prétendront-ils, pour cela, que
« le souverain pontife puisse déposer un prince jouissant de
« tous ses droits , ou absoudre de leur serment les peuples qui
« ne songent même pas à s'en dégager? Rien ne serait plus
« absurde que cette prétention. » On peut voir, dans l'ouvrage
même de Bossuet, le développement de ce passage, qui, sans
admettre expressément le pouvoir directif, l'autorise au fond,
en termes équivalents (l).
« dius. » Defens. Declar., part. 1, lib. H, cap. 33, 34, 35. {Œuvres,
tom. xxxi , pag. 521, 528, 530.)
(1) A l'appui des réflexions de Bossuet sur la déposition de Childeric, on
peut consulter ies auteurs que nous avons cités plus haut. (lre partie, chap. 2,
n. 92.) Sur l'authenticité de la décision du pape Zacharie, dont il est ici ques-
tion, voyez le n. 7 des Pièces justificatives , à la tin de ce volume.
33.
516 DEUXIÈME PARTIE. — POUVOIR DU PAPE
Ce passage, au reste, n'est pas le seul où Bossoet explique, par
le moyen du pouvoir directif, l'influence du Pape et des évêques
dans les affaires temporelles du moyen âge (1). Parmi un grand
nombre d'autres, nous citerons en particulier les réflexions de
l'illustre prélat, sur la requête présentée par Charles le Chauve
au concile de Savonières, en 859, et dans laquelle ce prince
reconnaît expressément qu'il peut être déposé du trône par le
jugement des évêques (2). « Ces paroles, dit Bossuet, ne font
« rien à notre question , puisque Charles le Chauve ne se soumet
« aux évêques, qu'en les considérant comme interprètes de Dieu.
« Car nous n'examinons point en ce moment , si les rois peu-
« vent descendre du trône par V autorité des évêques considérés
« comme interprètes de la volonté divine , ce qui toutefois ne
« paraît guère convenable (3) ; mais nous examinons si les évêques
« ont le droit de détrôner les rois par voie de jugement (4). »
Après ces observations préliminaires, il s'agit en ce moment
d'examiner, d'après le témoignage de l'histoire, quel a été le
véritable fondement du pouvoir exercé par les papes et les con-
ciles sur les souverains , au moyen âge.
,73. On doit reconnaître , en premier lieu, que ce pouvoir n'a
L °Pdon°nne qm pas eu pour fondement , l'opinion si longtemps accréditée sur
po,mentde" l'authenticité de la prétendue donation de Constantin. 11 est
(1) Remarquez, en particulier, Defens. Declar., lib. î, sect. 2, cap. 33-35 ;
lib. in, cap. 16, et alibi passim.
(2) Labbe, Concil. tom. vm, pag. 672. — Baronii Annales, tom. x,
anno 859.
(3) Il est à remarquer qu'au jugement de Bossuet , le pouvoir attribué aux
évêques sur les souverains, par la persuasion générale des Français, à cette
époque, ne parait guère convenable. Il est certain, en effet, que les incon-
vénients d'un si grand pouvoir, attribué aux évêques et aux seigneurs d'une
nation particulière, engagèrent dans la suite les Français, aussi bien que les
autres nations catholiques de l'Europe, à réserver au Pape ou au concile gé-
néral, le jugement des souverains qui encouraient la déposition. (Voyez ci-
après, art. 2, § 1, n. 246.)
(4) « Nihil, inquam, ad rem, quôd Carolus Calvus episcopis, tamquam
« Deiinterpretibus, sesubmittit;non enim quaerimus utrum reges, arbitrio
« episcoporum, tamquam divini numinis interpretum, abdicare possint,
« quodtamen vix aut ne vix quidem expedit; sed utrum episcopi, judicio
« dato, reges soîio deturbare possint. » Bossuet, Defens. Declar., lib. n,
cap. xLiu, 3e alinéa.
A l'appui du pouvoir directif dont nous parlons ici , on peut voir encore
Fleury, Hist. Ecclés., tom. xiv, liv. lxix, n. 60. — Pey, De V Autorité des
deux Puissances, tom. î, pag. 317 ; tom. il, pag. 401 et 402.
SUR LES SOUVERAINS. — CHAPITRE III. 517
certain, en effet, que le pouvoir du Pape et du concile sur les au pouvoir
souverains était déjà universellement reconnu sous Grégoire VIT, papes eSur ies
c'est-à-dire, à une époque où l'authenticité de la donation de fcSSTi
Constantin n'était pas , à beaucoup près , généralement admise. ÇjJJJJJJjJ ■
Quelques auteurs, il est vrai, la citaient avec confiance; mais abandonnée.
un grand nombre d'autres la regardaient comme une pièce
d'une autorité douteuse. On n'en trouve aucune mention dans
plusieurs écrivains du xe et du xie siècle, qui ne pouvaient
l'ignorer, ni la passer sons silence, supposé que son autorité
leur eût paru bien établie. Luitprand, évoque de Crémone,
n'en dit rien, dans un discours adressé, en 968, à l'empereur
grec Nicéphore, où il fait une longue énumération des libéra-
lités de Constantin envers l'Église romaine (t). L'empereur
Henri II n'en parle pas davantage dans son diplôme , donné
en 1020, pour confirmer les donations faites au saint-siège
par Pépin, Charlemagne, Louis le Débonnaire , Othon Ier
et Othon II (2). La donation de Constantin est également
omise dans le Décret, ou recueil de canons, composé au com-
mencement du xie siècle, par Burchard, évêque de Worms.
Enfin, Grégoire Vil lui-même, si soigneux de recueillir toutes
les raisons et les autorités propres à établir le pouvoir temporel
du saint-siége, n'a jamais invoqué la donation de Constantin, à
l'appui des droits qu'il croyait avoir sur les souverains (3). Aussi,
l'opinion qui regarde cette pièce apocryphe, comme le fondement
du pouvoir que les papes et les conciles du moyen âge se sont
attribué sur les souverains , est-elle généralement abandonnée
par les auteurs modernes.
La plupart d'entre eux regardent ce pouvoir comme unique- I74.
ment fondé, dans le principe, sur le système théologique du ^3,^°"
droit divin, c'est-à dire sur le système qui attribue à l'Église fondement à
\ w ce pouvoir
et au souverain pontife une juridiction au moins indirecte sur ie système
11 « » *». 7» n t ihéolojjicine
les choses temporelles, d après l institution divine. Ce tonde- du
(1) Annales de Baronius, année 968, n. 27. — Fleury, Hist. Eccl.,
tom.xii, liv. lvi, n. 20.
(2) Cenni, Monumenta Dominationis Pontif., tom. n, pag. 187. —
Baronii Annales, anno 1014. — Fleury, Hist. Ecclés., tom. in-, liv. lviii,
n. 46.
(3) On peut voir de plus amples développements sur ce point, dans le n. 5
des Pièces justifie, à la fin de ce volume.
qui
518 DEUXIÈME PARTIE. — POUVOIR DU PAPE
droit dmn, ment, légitime selon les uns, et tout à fait inadmissible selon
aiJ0lpiusUI a les antres, fournit aux premiers le moyen de justifier la con-
duite des papes et des conciles du moyen âge envers les souve-
rains ; tandis qu'il paraît aux seconds un motif suffisant de la
blâmer, ou tout au plus un moyen de l'excuser, eu égard aux
circonstances et aux idées alors dominantes.
Cette opinion commune des auteurs modernes, paraît être la
principale source des difficultés qui se présentent , au premier
abord, contre le sentiment qui explique la conduite des papes
et des conciles du moyen âge envers les souverains , par les
maximes de jurisprudence ou de droit public alors en vi-
gueur; et nous avons tout lieu de croire, que cette dernière
explication serait facilement admise aujourd'hui par tous les
hommes instruits, s'il était une fois prouvé, que l'opinion théo-
logique du droit divin n'a pas servi de fondement à la con-
duite des papes et des conciles.
La discussion Cest ce qui nous engage à réduire toute la discussion, dans
réduifeTdeux ce troisième chapitre, aux deux propositions suivantes : 1° Le
propositions, pouvoir exercé par les papes et les conciles sur les souverains ,
au moyen âge , n'a pas eu pour fondement l'opinion théologique
du droit divin. 2° Le véritable fondement de ce pouvoir, est le
droit public alors en vigueur. Le développement de la première
proposition préparera, pour ainsi dire, les voies à la seconde,
et préviendra la plupart des difficultés qu'on pourrait opposer à
notre sentiment.
ARTICLE PREMIER.
Examen historique du système qui donne pour fondement au pouvoir exercé
par les papes et les conciles sur les souverains, au moyen âge, l'opinion
théologique du droit divin.
,76. Notre intention, comme nous l'avons remarqué dès le com-
°ïe systèm/6 mencement de cet ouvrage , n'est pas d'y renouveler les discus-
sions théologiques , sur le droit divin , relativement à la distinc-
tion et à l'indépendanceuéciproque des deux puissances ; mais
uniquement d'examiner, d'après le témoignage de l'histoire,
quel a été le véritable fondement du pouvoir exercé par les
papes et les conciles sur les souverains, au moyen âge. L'unique
avec l'his
toire.
SUR LES SOUVERAINS. — CHAPITRE III. 519
objet de ce premier article est donc d'examiner, s'il est vrai que
les papes et les conciles, qui se sont attribué autrefois un si grand
pouvoir sur les souverains, se soient principalement ou même
uniquement fondés sur l'opinion théologique du droit divin,
c'est-à-dire , sur l'opinion qui attribue à l'Église et au souverain
pontife une juridiction au moins indirecte sur les choses tem-
porelles , d'après l'institution divine.
L'examen attentif de l'histoire ne permet pas d'admettre ce
sentiment, et fournit même des preuves solides du contraire. Il
est impossible, en effet, de donner pour fondement au pouvoir
dont il s'agit, une opinion qui n'existait pas encore, ou du
moins qui avait à peine quelques partisans , à l'époque où ce
pouvoir était déjà universellement reconnu ; une opinion qui
n'a commencé à se répandre qu'assez longtemps après, et dont
la vérité n'a jamais été enseignée ni supposée , par les conciles
ou les souverains pontifes, dans leurs décrets. Or, nous croyons
pouvoir montrer par l'histoire, que l'opinion théologique du
droit divin n'existait pas encore, ou du moins avait à peine
quelques partisans , à l'époque où le pouvoir du Pape et du
concile sur les souverains était déjà universellement reconnu.
Bien plus, nous croyons être en état de montrer, que cette opi-
nion n'a commencé à se répandre que depuis cette époque , et
même assez longtemps après; et qu'elle n'a jamais été ensei-
gnée ni supposée par les conciles, ou par les souverains pon-
tifes , même dans ceux de leurs décrets où ils ont paru porter
plus loin leur autorité sur les choses temporelles.
Ces assertions surprendront sans doute, au premier abord,
un certain nombre de lecteurs accoutumés à regarder les asser-
tions contraires comme des vérités indubitables, et généralement
admises. Mais si l'on examine de près et avec impartialité les
monuments de l'histoire, on verra que le sentiment des au-
teurs que nous combattons est loin d'être clairement établi ;
qu'ils l'ébranlent souvent eux-mêmes par leurs aveux ; enfin ,
que ce sentiment est combattu par des arguments très-plau-
sibles, et même convaincants pour quiconque les examine
sans prévention. Pour mettre ces arguments dans tout leur
jour, nous rechercherons d'abord , dans un premier paragra-
phe, l'origine de l'opinion théologique dont il s'agit; nous exa-
520 DEUXIÈME PARTIE. — POUVOIR DU PAPE
minerons ensuite les principaux actes et décrets des papes et des
conciles , qu'on peut opposer à notre sentiment.
§ Ier. Recherches historiques , sur l'origine de l 'opinion théo-
logique du DROIT DIVIN.
uo^inion QuelIe <Iue soit l'origine précise de cette opinion, nous
théorique croyons pouvoir avancer avec confiance, l° qu'elle n'existait
du. droit divin, -. .
à peine pas encore, ou au moins qu'elle avait à peine quelques partisans,
GiTgoTrevn, à l'époque où le pouvoir du Pape et du concile sur les souverains
etemi,8neaprèsg." était déJà universellement reconnu; 2° que cette opinion n'a
commencé à se répandre que depuis cette époque, et même
assez longtemps après (l).
I. Pour établir le premier point, il suffit de remarquer que
la persuasion générale, qui attribuait au Pape et au concile un
si grand pouvoir sur les souverains, était déjà établie sous le
pontificat de Grégoire VIT, et même plus anciennement dans
quelques États, comme on l'a vu dans le chapitre précédent;
tandis qu'on trouve à peine, avant cette époque, quelques in-
dices de l'opinion qui attribue à l'Église et au souverain pontife
une juridiction au moins indirecte sur les choses tempo-
relies y d'après l'institution divine. Bien loin que cette der-
(1) Nous remarquerons, en passant, que la vérité historique de ces asser-
tions laisse entièrement subsister, pour le fond, la controverse relative à
l'opinion dont il s'agit. Il est certain, en effet, que la nouveauté d'une opinion
théologique n'est pas , par elle-même , une raison suffisante de rejeter cette
opinion comme fausse ; le dogme catholique seul est immuable, invariable,
et aussi ancien que l'Église , parce qu'il est essentiellement fondé sur la ré-
vélation divine; mais les systèmes et les opinions théologiques sont quel-
quefois de pures inventions de l'esprit humain , fondés sur des conjectures
ou des probabilités, sujets par conséquent à la variation, à l'incertitude et
à l'erreur. Aussi , voit-on ces systèmes adoptés en certain temps et en cer-
tains pays, tandis qu'ils sont rejetés en d'autres , et laissés par l'Église à la
liberté des écoles. De là vient que les meilleurs théologiens ne font aucune
difficulté de proposer, pour l'éclaircissement des dogmes catholiques, des ex-
plications nouvelles , et des sysîèmes inconnus à l'antiquité. Tout le monde
convient que la nouveauté de ces explications n'est pas un motif suffisant
pour les rejeter, pourvu qu'elles ne soient pas d'ailleurs en opposition avec
le dogme catholique. On peut voir, à l'appui de ces rétlexions, les Instruct.
Past. de M. de P?*essy, évêque de Boulogne, sur raccord de la foi et de
la raison , dans les myst. de la Rel. Remarquez , en particulier, tom. h ,
pag. 365. .
SUR LES SOUVERAINS. — CHAPITRE III. 521
nière opinion fût alors établie, il est certain que, depuis l'ori-
gine de l'Église jusqu'au xne siècle , le principe de la distinction
et de l'indépendance réciproque des deux puissances, était gé-
néralement reconnu et expressément enseigné par les souverains
pontifes eux-mêmes (l).
Déjà nous avons rapporté les témoignages des souverains j78-
. rr ° ° .La doctrine
pontiies Gelase, Symmaque, et saint Grégoire le Grand, qui de
expriment avec tant de précision et de clarté la doctrine de "u?ïl
l'antiquité, sur cette matière (2). Le sixième concile de Paris £*!•!«
n'adopte pas moins clairement la môme doctrine. « Nous sa- Pp's0sca,"^e'
«vous, dit-il (3), par la tradition des Pères, que le corps en- àaaltiai:
« tier de la sainte Église est soumis à deux autorités excellentes, '"•
« savoir, l'autorité sacerdotale, et l'autorité royale. Gélase, vé-
nérable évoque de l'Église romaine, écrivant sur ce sujet à
« l'empereur Anastase , s'exprime ainsi : Ce monde , auguste
>< empereur , est gouverné par deux puissances , celle des
« pontifes et celle des rois; entre lesquelles celle des pontifes
« est d'autant plus grande , qu'ils doivent rendre compte à
«Dieu, dans son jugement , pour les rois eux-mêmes (4).
(1) Ce fait est généralement reconnu par les auteurs français. Bossuet , en
particulier, ne fait pas difficulté d'expliquer les plus célèbres auteurs des
douze premiers siècles, dans le sens modéré du pouvoir directif, ou dans
un autre sens tout à fait étranger à l'opinion théologique du droit divin.
{Defens.Declar.y lib. il, lib. in; cap. 13-18.) Grégoire VIT, selon lui, en s'at-
tribuant un si grand pouvoir sur les souverains , s'écarta également de la
doctrine de l'antiquité et du sentiment commun de ses contemporains.
(Ibid., lib. i, sect. 1, cap. 7 et 8; lib. m, cap. 3 )
(2) Voyez le chap. 1 de la première partie, n. 9, 10, 15.
(3) « Principaliter itaque totius sanctse Dei Ecclesiae corpus in duas eximias
« personas , in sacerdotalem videlicet et regalem , sicut a sanctis Patribus
« traditum accepimus, divisum esse novimus. De quâ re Gelasius, Romanse
« sedis vcnerabilis episcopus, ad Anastasium imperatorem ita scribit : Duo
« sunt quippe, inquit, imperator auguste, quibus principaliter mun-
« dus hic regitur, auctorilas sacrata pontijicîim, et regalis potestas ; in
« quibus tan ta gravius pondus est sacerdotum quanta eliam pro ipsis
« regibus hominum, in divine reddituri sxint examine rationem. Fulgen-
« tins quoque, in libro De veritate Prœdestinationis et Gratta, ita scribit :
« Quantum per tin et , inquit, ad hujus temporis vitamf in Ecclesiâ
« nemo poniifice potior ; et in sœculo christiano , ïmperatore nemo
« celsior invenitur. » Concil. Paris, vi, lib. i, cap. 3. (Labbe, Concil.
tom. vu, pag. 1599.) — C apitularium , lib. v, cap. 319. (Baluzii, Ca-
pitularia, tom. i, pag. 890.) — Fleury, Hist. Ecclés., tom. x, liv. xlvii,
n. 24.)
(4) S. Gelasii Papa? Epistola ad Anastas. Aug. (Labbe, Concil. tom. îv,
522 DEUXIÈME PARTIE. —POUVOIR DU PAPE
« Saint Fulgence , dans son traité Sur la vérité de la Prédesti-
« nation et de la Grâce, s'exprime ainsi : // n'y a point ici-bas,
« dans l'Église , de dignité supérieure à celle du pontife ; ni
« dans le siècle aucune dignité supérieure à celle de l'empe*
« reur (l). » Il est à remarquer que ce canon du sixième concile de
Paris a été depuis inséré dans les Capitulaires, qui ont fait, pen-
dant si longtemps , le fond de la législation en France , en Italie,
et en Allemagne (2) ; d'où il suit que la doctrine de l'antiquité,
sur la distinction et l'indépendance réciproque des deux puis-
sances, était reconnue et professée, dans ces divers États, au
ixe siècle, et même longtemps après. Il est également certain
que ces principes, sur la distinction des deux puissances, n'étaient
pas une vaine spéculation , mais une règle généralement suivie
dans la pratique. En effet, Hincmar de Reims, qui écrivait au
ixe siècle, nous apprend que, dans les assemblées mixtes,
alors si fréquentes, les évoques, d'après l'ancien usage de la
nation française, traitaient séparément les affaires de la reli-
pag. 1182.) — Fleury, Hist. Ecclés., tom. vu, liv. xxx, n. 31. — Bossuet,
Defens. Declar., lib. i, sect. 2, cap. 33, etc. — Pey, De V Autorité des deux
Puissances, tom. m, pag. 582-584.
Au lieu de ces paroles de Gelase : Duo quippe sunt, imperator auguste,
quibus principaliter rnundus hic regitur ; on lit dans les Capitulaires, et
dans quelques exemplaires du Concile de Paris : Duœ sunt quippe impé-
ratrices augustœ, quibus principaliter rnundus hic regitur. Baluze, dans
une note sur ce passage des Capitulaires, croit pouvoir attribuer ce chan-
gement à la fraude d'un faussaire, qui voulait élever le pouvoir de l'Église
au-dessus du pouvoir temporel. (Baluze, ibict., tom. n, pag. 1213.) Cette con-
jecture nous semble tout à fait gratuite. Nous ne voyons pas en quoi la leçon
des Capitulaires est plus favorable au pouvoir de l'Église, que la leçon com-
mune du texte de Gélase. La conjecture de Baluze semble d'autant moins
fondée, que la distinction des deux puissances est clairement supposée dans
plusieurs endroits des Capitulaires. Voyez entre autres un Capitulante de
l'an 800, (Baluze, tom. î, pag. 330) Capitular. lib. vu, cap. 390. — Ca-
pitulai*, addilio secunda, cap. 28, versus Jinem , et alibi passim. (Ibid.,
pag. 1109, 1152, etc.) Au reste, il est bon de remarquer que le canon du
sixième concile de Paris, inséré depuis dans les Capitulaires, ne rapporte
qu/en partie le texte du pape Gélase, dont la suite développe et inculque de
plus en plus le principe de la distinction et de l'indépendance des deux
puissances, comme Bossuet le prouve solidement dans la Défense de la
Déclaration {ubi supra).
(1) S. Fulg. Rusp. De verit. Prœdest. lib. n, cap. 22.
(2) Ba\une,[Capitularia Reg. Franc. Prœf. n. 35, etc. — Bernardi ,
De V Origine et des Progrès de la Législation française , liv. n ,
chap. 1.
SUR LES SOUVERAINS. — CHAPITRE III. 523
gion , et se réunissaient aux seigneurs laïques pour traiter des
affaires temporelles (1).
Le pape Grégoire II s'exprime, sur ce sujet, d'une manière CeU*l90'clrine
également forte et précise , dans ses lettres à l'empereur Léon PJ?^88^
l'Isaurien , que nous avons déjà citées ; car il y reconnaît exprès- *»éffe
sèment, qu'il n'a pas plus le droit de s'ingérer dans le gou- ixe siècles.
vemement temporel, que V empereur dans le gouvernement
ecclésiastique (2). On retrouve les mêmes principes, et presque
les mêmes expressions, dans une lettre du pape Nicolas Ier à
l'empereur Michel, en 865 , et dans celle du Pape Etienne V à
l'empereur Basile, en 885 (3). Nous croyons inutile de rappor-
ter le texte de ces deux lettres, qui reproduit, presque dans les
mêmes termes, ceux que nous avons déjà cités.
La même doctrine est clairement énoncée ou supposée dans t8°;
La même
plusieurs conciles ou assemblées mixtes tenus en Angleterre, doctrine
aux vu6 et vme siècles. Le concile de Bécancelde, assemblé en h&JL*
694, pour confirmer les immunités des églises et des monas- en Aneglleterre
tères, défend aux laïques, et aux rois eux-mêmes , d'intervenir, en EsPa&ne-
en aucune manière, dans l'élection des abbés et des abbesses,
et veut qu'on laisse entièrement à l'évêque la direction et la
surveillance de ce choix : « Car, ajoute-t-il , comme il appartient
« au roi d'établir des princes , des gouverneurs et des ducs sé-
« culiers ; de même il appartient à l'évêque de gouverner les
«églises, de choisir et d'établir des abbés, des abbesses, des
« prêtres et des diacres (4). » Le concile de Calcuth, tenu un siè-
cle plus tard (en 782), n'est pas moins formel: «De même,
(1) « Cùm separati a caeteris essent (optimates , tam clerici quam laïci), in
« eorum manebat potestate, quando simul, vel quando separatim résidèrent,
« prout eos tractandae causse qualitas docebat, sive de spiritualibus, sive de
« saecnlaribus, seu etiam commixtis. » Hincmar, Epistola 14 (aliàs 13), ad
proceres regni, cap. 35. — Thomassin, Ancienne et nouvelle Discipline,
tom. ii, liv. m, chap. 47, n. 1 ; chap. 51, n. 12.— De Marca, De Concordiez,
lib. vi, cap. 25, n. 4.
(2) Voyez la première partie de ces Recherches, chap. 1, n. 28, pag. 227.
(3)Labbe, Concil. tom. vin, pag. 324, B; tom. ix,pag. 366. — Fleury,
Hist. Ecclés., tom. xi, liv. l, n. 41, vers la fin ; liv. lui , n. 49.
(4) « Régis saccnlaris est, principes, praefectos, seu duces saeculares sta-
« tuere. Metropolitani episcopi est, ecclesias Dei regere, gubernare, atque ab-
« bâtes, abbatissas, presbyteros, diaconos eligere, statuere et sanctificare, lir-
« mare et amovere. » Concilium Becanceldense. (Labbe , Concil. tom. vi,
pag. 1357.) — Fleury, Hist. Ecclés., tom. ix, liv. xli, n. 4.
524 DEUXIÈME PARTIE. — POUVOIR DU PAPE
« dit-il , que la dignité des rois est élevée au-dessns de toutes les
« autres ( dans l'ordre temporel ) , de même celle des évoques est
««élevée au-dessus de toutes les autres, en ce qui regarde le
« culte de Dieu (1). »
Les nombreux conciles tenus en Espagne vers le même
temps, particulièrement ceux de Tolède, qui étaient, pour la
plupart, des états généraux de la nation, supposent évidem-
ment les mêmes principes ; car on y voit les évèques régler
seuls tout ce qui concerne le gouvernement ecclésiastique;
tandis qu'ils ne règlent les objets temporels, que de concert
avec les seigneurs laïques, du consentement et même à la prière
du roi (2).
181. Nous ne connaissons aucun écrivain de quelque autorité, qui
egé.»Vraie'ne ait contredit ces principes, avant le pontificat de Grégoire VII.
mentsrous""ue H Y a même tout lieu de croire qu'ils étaient encore générale-
Grégoire vu. meut reconnus au temps de ce pontife : c'est ce qui résulte assez
: Je clairement de la doctrine de saint Pierre Damien, contemporain
saint Pierre . , ,
Damien. et ami de Grégoire VII , et l'un des prélats les plus distingués de
cette époque, par ses lumières et sa sainteté (3). Dans la conclu-
sion de sa Dispute synodale contre l'antipape Cadaloùs(4),
(1) « sicut reges omnibus dignitatibus prsesunt, ita et episcopi, in hisquœ
« ad Deum attinent. » Concilium Calchutense , can. il. (Labbe, ibid.,
pag. 1866.) Voyez, à l'appui de ces principes, Lingard, Antiquités de l'Église
Anglo-Saxonne, chap. 5, pag. 224, note 2.
(2) « Instituenduin credimus ut, trium dierum spatiis percurrentejejunio,
« de mysterio sanctae Trinitatis, aliisque spiritualibus , sive pro moribus sa-
« cerdotum corrigendis , nullo seecularium assistente, inter eos (sacerdotes
«sive episcopos) habeatiir collatio. » Concil. Tolet. xvn, cap. 1. —
Tbomassin, Ancienne et nouvelle Discipline, tom. h, liv. m, chap. 47 ; et 50,
n. 10. — Perez Valiente, Apparalus Juris publici Hispanici, tom. n,
cap. 6, n. 31.
(3) La doctrine de saint Pierre Damien , sur ce sujet, est examinée avec
soin par Bossuet, Defensio. Declar. , lib. n, cap. 28 et 29.
(4) Cadaloiis , évêque de Parme, fut élu Pape, en 1061, sous le nom d'Ho-
norius II , par la faction de l'empereur Henri IV. Il fit différentes tentatives
pour s'emparer de Rome; mais toutes furent inutiles, L'affaire des deux
papes fut discutée dans un concile tenu à Mantoue (en 1064 ou 1067); on
y reconnut Alexandre II, pour pape légitime ; et par suite de cette décision,
Cadaloiis fut abandonné par les évêques du parti de Henri. Bientôt après,
Cadaloiis mourut misérablement sans avoir voulu renoncer au titre de pape.
{Annales de Baronius, t. xi, an. 1061 et suiv.) — Fleury, Hist. Eccl.
t. xni, liv. lx, n. 47, etc. ; liv. lxi, n. 11. L'ouvrage de saint Pierre Damien
dont il est ici question, fut composé à l'occasion d'un concile convoqué à
Osbor en Saxe, par saint Annon, archevêque de Cologne, qui rendit en
SUR LES SOUVERAINS. — CHAHTRE III. 525
adressant tout à la fois la parole aux représentants de l'empe-
reur et à ceux du Pape, il les exhorte, en ces termes, à conspirer
tous ensemble,, pour l'union du sacerdoce et de l'empire. « Main-
« tenant donc , dit-il, ô vous, illustres officiers de la cour im-
« périale, et vous, augustes ministres du saint-siege , travaillons
« tous ensemble à procurer l'union du sacerdoce et de l'empire;
« afin que le genre humain, gouverné par ces deux souveraines
«puissances, qui président, l'une au spirituel et l'autre au
« temporel, ne soit plus divisé en plusieurs partis,
« comme il vient de l'être par Cadaloùs. Puisque Jésus-Christ,
« seul médiateur entre Dieu et les hommes , a établi , par sa
« divine sagesse , une sainte société entre les deux puissances, la
« sacerdotale et la royale , il faut que les dépositaires de l'une et
« de l'autre soient si étroitement unis, par le lien d'une mutuelle
« charité , qu'on retrouve l'empereur dans la personne du pon-
« tife romain , et le pontife romain dans la personne de l'empe-
« reur ; sans préjudice toutefois des prérogatives qui ne peuvent
« appartenir qu'au souverain pontife. Il faut que le Pape, quand
« il en sera besoin, réprime les criminels par la loi du prince;
« et que le prince, de concert avec les évoques, fasse exécuter
« tout ce que les saints canons ont ordonné pour le salut des âmes;
« que le Pape , comme père , ait la prééminence due à ce titre
« auguste; et que le prince, comme fils unique et tendrement
« aimé, repose dans son sein (1). » Ainsi, dans le sentiment de
cette occasion , comme dans plusieurs autres , des services importants à
l'Église. Il est probable que l'ouvrage de saint Pierre Damien fut lu dans
ce concile. Le P. Labbe l'a inséré dans le t. ix de sa collection des Con-
ciles.
(1) « Amodo igitur, dilectissimi , illinc regalis aulae consiliarii, bine sedis
« apostolicae comministri; utraque pais in hoc uno studio conspire m us labo-
« rantes, ut summum sacerdotium, et romanum simul confœderetur im-
« perium; quatenus humanum genus, quod per nos duos apices in utraque
« substantiâ regitur, nullis (quod absit) partibus, quod per Cadaloùm nu-
« per factum est, rescindatur ; . . ..... et quatenus, ab uno mediatore Dei
«et hominum, haec duo, regnum scilicet et sacerdotium, divino sunt
« conflata mysterio ; ita sublimes istae du;x; personae tantâ sibimet unitate
« jungantur, ut quodam mutnœ caritatis glutino, et rex in Romano pon-
te tifice, et Romanus pontifex inveniatur in rege; salvo scilicet suo privile-
« gio papae, quod nemo prteter eum usurpare permittitur. Caeterùm et ipse
« delinquentes , cùm causa dictaverit, forensi lege coerceat ; et rex cum
« suis episcopis, super animarum statu, prolatà sacrorum canonum auctori-
«tate, décernât ; ille, tanquam parens, paterno semper jure preeemirïeat :
182.
526 DEUXIÈME PARTIE. — POUVOIR DU PAPE
saint Pierre Damien , le genre humain est gouverné par deux
puissances qui président également aux choses humaines,
l'une pour le spirituel, et Vautre pour le temporel: toutes deux
sont souveraines, chacune dans son ressort; elles doivent s'unir
étroitement, comme étant alliées et amies, mais non comme
assujetties l'une à l'autre, dans les matières de leur compétence.
S'il est permis au prince de faire des ordonnances qui tendent
au salut des âmes, ce n'est qu'en faisant exécuter les saints
canons , de concert avec les évoques ; de même , si le Pape
réprime les criminels par des peines temporelles , ce n'est qu'en
se servant de la loi du prince , et non en vertu de la puissance
attachée à son caractère sacré. D'où l'auteur conclut, que le
Pape , comme père , doit avoir seulement la prééminence due
à ce titre auguste ; prééminence qui ne suppose aucunement
le droit de régler les choses temporelles, puisque, dans les prin-
cipes du même auteur , Dieu a réservé ce droit à la puissance
temporelle.
Nous n'ignorons pas que plusieurs écrivains modernes , soit
IntindSusre" qu'ils n'aient pas lait assez d'attention aux témoignages que
de l'opinion nous venons de citer , soit que ces témoignages ne leur aient
«in', pas semblé décisifs, ont cru voir, à l'époque même dont nous
avant ' venons de parler ( c'est-à-dire , depuis le vne jusqu'au xe siè-
Gregoue . cje ^ ^es iÛCiiCes de l'opinion théologique du droit divin. On a
cité, en preuves de cette supposition , 1° le mélange du spirituel
et du temporel, si ordinaire, à cette époque, dans les actes de
la législation ecclésiastique et civile (1); 2° les entreprises réci-
proques des deux puissances : on allègue en particulier, à l'ap-
pui de ce reproche , l'influence des rois et des seigneurs français
dans les élections ecclésiastiques, sous la première race de nos
rois (2) ; la déposition' de Vamba , roi d'Espagne , dans le xne
concile de Tolède, en 681 ; et celle de Louis le Débonnaire, dans
« iste, velut uuicus ac singularis filius, in amoris illius amplexibus requies-
« cat. » Saint Pierre Damien, Opuscul. 4. (Oper. t. m, p. 30.) — Voyez
aussi Epistol. lib. vu; Epistol. 3. (Oper. t. i. )— Fleury, Hist. Ecclés.,
t. xiii, liv. lx, n. 49.
(1) Fleury, Hist. EccL, t. xm, 3e Discours, n. 9 et 10 ; t. xix, 7e Dis-
cours , n. 5. — Annales du moyen âge, t. îv, 225; t. v, 462-464.
(2) Fleury, Hist. EccL, t. xm; 3e Discours, n. 10.— Thomassin, An-
cienne et nouvelle Discipline, t. n, liv. m, chap. 11, etc. — DeHéricourt,
Abrégé du même ouvrage, 2e partie, chap. 21.
Examen des
faits
législation.
SUR LES SOUVERAINS. — CHAPITRE III. 527
le concile de Compiègne, en 833(1); 3° la réponse'du pape Zacha-
rie aux Français, sur la déposition de Childeric 111 ; 4° la dignité
de consul offerte à Charles Martel par le pape Grégoire III ; celle
de patrice conférée à Pépin par Etienne II ; et celle $ empe-
reur donnée à Charlemagne par Léon III (2) ; 5° enfin , le droit
attribué aux évoques, en France, dès le ixe siècle, de juger
et môme de déposer les rois, au nom et par l'autorité de
Dieu (3).
Mais nous ne voyons rien, dans tous ces faits, qui suppose l'opi- l83#
nion théologique du droit divin. Pour ce qui regarde, en premier
lieu, le mélange du spirituel et du temporel dans les actes ;H*gué$.
i i i t • i • i i • ■ -, i • * Mélange
de la législation ecclésiastique et civile; il est vrai que ce mé- du
lange était très-ordinaire , à l'époque dont nous parlons , comme sptèmporei , u
il a continué de l'être pendant toute la suite du moyen âge. dans(^e,saacte8
Plusieurs capitulaires de nos rois , et une multitude de con-
ciles tenus dans ces temps anciens , ont également pour objet le
gouvernement de l'Église et celui de l'État, le maintien de l'ordre
civil et celui de la discipline ecclésiastique (4). Mais ce mélange,
singulier au premier abord, n'a plus rien d'étonnant, et se con-
cilie facilement avec le principe de la distinction et de l'indépen-
dance réciproque des deux puissances , lorsqu'on fait attention
que les décrets dont il s'agit étaient le résultat du concours et de
l'étroite union des deux puissances; qu'ils étaient autorisés par
leur consentement exprès ou tacite, et ordinairement publiés dans
ces assemblées mixtes, alors si fréquentes, qui avaient le double
caractère de conciles et d'assemblées politiques , et où les deux
puissances réunies réglaient de concert tout ce qui regardait le
bien de l'Église et celui de l'État (5). Quelque indépendantes que
les deux puissances soient naturellement l'une de l'autre, on
(1) Voyez, pour le développement de ces faits, les auteurs cités plus
haut, chap. 1, p. 403, note 1 ; pag. 406, note 2.
(2) Le card. Bellarmin et plusieurs autres défenseurs do l'opinion théolo-
gique du droit divin , citent ces faits à l'appui de leur sentiment.
(3) Voyez les auteurs cités dans le chapitre précédent, p. 479, note 2.
(4) Voyez l'analyse des Capitulaires, dans YHist. des Auteurs ecclés.,
par D. Ceillier, tom. xvm, p. 380, etc. — On trouve dans les tomes xix et
suivants, du même ouvrage, l'analyse des Conciles du moyen âge. Ces ana-
lyses sont répandues dans les tomes ix, x, et suivants, de YHist. Ecclés. de
Fleury ; et dans les tomes iv, v, et suivants , de YHist. de l'Église Galli-
cane.
(5) Voyez plus haut , chap. 1, art. 1, n. 28, etc.
528 DEUXIÈME PARTIE. — POUVOIR DU PAPE
conçoit qu'elles peuvent s'unir pour leur intérêt commun, se
protéger mutuellement comme deux puissances amies, et se
faire l'une à l'autre des concessions , en vertu desquelles cha-
cune des deux puissances pourra faire des règlements qui ne
seraient pas naturellement de sa compétence. C'est d'après ces
principes, que les auteurs même les plus attachés à la doctrine
de l'indépendance réciproque des deux puissances , expliquent
le mélange si fréquent du spirituel et du temporel , dans les actes
de la législation ecclésiastique et civile, sous les empereurs
chrétiens (1). Mais il est aisé de voir que cette explication doit
s'appliquer, à plus forte raison, aux actes de la législation
des États chrétiens de l'Europe , au moyen âge, où l'union des
deux puissances était beaucoup plus étroite qu'elle n'avait ja-
mais été sous les empereurs chrétiens. C'est ce que Fleury lui-
même n'a pu s'empêcher de reconnaître, en plusieurs endroits
de son Histoire Ecclésiastique : « Depuis l'établissement de la
«domination des Barbares en Occident, dit-il, les seigneuries
« temporelles devinrent aux évêques une grande source de dis-
« tractions. Les seigneurs avaient beaucoup de part aux affaires
« d'État, qui se traitaient, ou daus des assemblées générales,
« ou dans les conseils particuliers des princes; et les évêques,
« comme lettrés , y étaient plus utiles que les autres sei-
« gneurs Ces assemblées étaient essentiellement parle-
« ments , et conciles par occasion, pour profiter de la ren-
« contre de tant d'évêques ensemble. Le principal objet était
« donc le temporel, ou les affaires d'Etat; et les évêques ne
« pouvaient se dispenser d'y prendre part, étant convoqués,
«pour cet effet, comme les autres seigneurs. De là vint ce
« mélange du spirituel et du temporel , si pernicieux à la re-
« ligion (2) Les derniers conciles d'Espagne , sous les
« Goths , dit ailleurs le même écrivain , et tous ceux de France
«sous la seconde race, étaient des assemblées mixtes, où
« assistaient les grands de l'État : ainsi il ne faut pas s'étonner,'
« si les laïques semblent y ordonner sur le spirituel , et les
(1) Voyez, à ce sujet , les auteurs indiqués ci-dessus dans VIntrod., p. 66,
note 5.
(2) Fleury, Histoire Ecoles., t. xin, 3e Discours, n. 9. Voyez aussi
t. xix, 7e Discours , n, 4,
SUR LES SOUVERAINS. — CHAPITRE III. 529
« ecclésiastiques sur le temporel; mais ce mélange a produit,
« dans la suite, de mauvais effets (1).» Il ne s'agit point ici
d'examiner quels ont été les résultats de ce mélange; nous
croyons avoir montré ailleurs, qu'il n'a pas été aussi pernicieux
que Fleury le suppose (2). Il suffit, en ce moment, de remarquer
que, de son aveu, les évêques ne pouvaient alors se dispen-
ser de prendre part aux assemblées politiques , dans lesquelles
se traitaient les grandes affaires de l'État ; que leur présence y
était plus utile que celle des autres seigneurs ; et que le mé-
lange du spirituel et du temporel, dans leurs décrets, s'expli-
que naturellement par le concours des deux puissances.
2° Leurs entreprises réciproques ne prouvent pas davantage o 184.
l'ignorance des vrais principes, sur leurs limites respectives. On "réJ^uêT
a vu, de tout temps, de semblables entreprises, même dans les deux f*issaa.
siècles les plus éclairés , et où les vrais principes sur la distinc- ces-
tion et l'indépendance réciproque des deux puissances étaient
mieux connus. On a vu les premiers empereurs chrétiens pu-
blier, malgré les réclamations de l'Église, des règlements sur
les matières ecclésiastiques, et même sur la doctrine, pour fa-
voriser les hérésies (3). On a vu dans le dernier siècle, et on voit
encore de nos jours, des souverains et des magistrats, s'attribuer
le droit de régler ce qu'il y a de plus spirituel dans la religion.
Les innovations de Joseph II en Allemagne , les prétentions des
parlements et la Constitution civile du clergé en France, of-
frent, en ce genre, des exemples assez remarquables. Tout ce
qu'on peut conclure de ces abus, c'est que, de tout temps, on
a vu des souverains, comme desimpies particuliers, oublier
dans la pratique les principes les mieux établis ; souvent même
contredire, par leur conduite, les principes qu'ils avaient eux-
mêmes ouvertement professés, avant de lever l'étendard de la
révolte contre l'Église.
Pour ce qui regarde en particulier la déposition de Vamba ,
roi d'Espagne, et celle de Louis le Débonnaire en France, c'est
(1 ) Fleury, Nouveaux Opuscules , p. 193.
(2) Voyez ci-dessus, chap. 1, art. 2 ; et ci-après, chap. 4.
(3) Rien n'est plus célèbre, dans l'histoire de l'Église, que les troubles oc-
casionnés par les édits de Constance en faveur des Ariens , par YHénotique
de Zenon en faveur des Eutychiens, YEcthèse d'Héraclius, et le Type de Con-
stant en laveur des Monothélites, etc.
34
530 DEUXIÈME PARTIE. — POUVOIR DU PAPE
bien à tort qu'on les cite, comme des entreprises de la puissance
ecclésiastique sur la puissance temporelle. Car 1° nous avons
montré ailleurs, que Vamba ne fut point déposé par le douzième
concile de Tolède, mais se démit librement de sa dignité ; et que la
déposition de Louis le Débonnaire ne fut pas proprement dé-
crétée par le concile de Compiègne, qui se contenta d'approu-
ver la déposition déjà opérée par Lothaire, dans l'assemblée des
principaux seigneurs de son armée ( 1 ) . 2° Le douzième concile de
Tolède auquel on attribue la déposition de Vamba, et celui de
Compiègne, auquel on attribue la déposition de Louis le Débon-
naire, n'étaient pas des assemblées purement ecclésiastiques ,
mais des assemblées mixtes , qui avaient le double caractère
de parlement et de concile, et dans lesquelles les évêques, en
qualité de seigneurs temporels, pouvaient régler les affaires de
l'État, de concert avec les autres seigneurs (2). En supposant
donc que la conduite des évoques, dans ces assemblées, ait été
répréhensible, on ne peut les accuser d'avoir usurpé le pouvoir
de régler les affaires temporelles, mais il faut dire seulement
qu'ils ont abusé d'une autorité dont ils étaient réellement in-
vestis par la constitution de l'État.
i85. 3° La réponse du pape Zacharie aux Français, sur la dé-
pipT1" position de Childeric III, ne suppose pas davantage l'opinion
ZaFrançaisTx théologique du droit divin. Il résulte clairement du récit des
surtio.we0S' anciens auteurs , selon la remarque de Bossuet et de Fé-
chiideric m. nelon (3), que le pape Zacharie, en donnant cette réponse,
ne prétendait pas exercer un acte de juridiction temporelle
sur le royaume de France , mais donner un simple avis doctri-
nal , sur un cas de conscience que les Français avaient libre-
ment porté à son tribunal (4). Tel est manifestement le sens de
tous les anciens annalistes qui ont parlé de ce fait ; on ne peut
d'ailleurs l'expliquer autrement, sans attribuer au pape Zacha-
rie une doctrine diamétralement opposée à celle que le pape
Grégoire II, à l'exemple de ses prédécesseurs, professait ouver-
(1) Ci-dessus, chap. i, p. 403 et 406.
(2) Ci-dessus, chap. 1, art. 1, n. 28, etc.
(3) Nous avons rapporté plus haut leurs témoignages, n. 9 et 172.
(4) Voyez les détails que nous avons donnés à ce sujet dans la lre partie
chap. 2, n. 93.
i86.
SUR LES SOUVERAINS. — CHAPITRE III. 531
tement, quelques années auparavant, sur la distinction et
l'indépendance réciproque des deux puissances (1).
4° On ne serait pas mieux fondé à prétendre, que les souve-
rains pontifes Grégoire III, Etienne II et Léon III, en donnant 4° Les tiu-es
■ <~> > (ie cousui t
aux monarques français les titres de consul, de patrice des <fc /»«//*«> et
—. ,, , , , d'empereur,
Romains et a empereur , aient prétendu agir en vertu a un donnés aux
pouvoir de juridiction au moins indirecte sur les choses France paries
temporelles , attaché, de droit divin , à leur caractère sacré. Il duvi^-sLie.
est certain, au contraire, que ces pontifes, en conférant aux prin-
ces français les titres dont il est ici question, n'ont jamais allégué
ce pouvoir, mais uniquement celui qu'ils exerçaient, de concert
avec les seigneurs de Rome, au nom et comme représentants
du peuple romain, qui leur avait librement confié ses intérêts
temporels (2).
5° Enfin, le droit attribué aux évoques français, au ixe siècle, ï8_
de juger et même de destituer le roi, au nom et par l'auto- 5° Le "! re*
rite de Dieu, est facile à concilier avec le principe de la dis- comn»e joui-
tinction et de 1 indépendance réciproque des deux puissances , <fe coneiu en
alors généralement reconnu en France , comme dans les autres au ™àùb.
États de l'Europe. Pour concilier ces deux choses, il suffit de
remarquer que les évêques, considérés comme ministres de
Dieu, et comme exerçant un pouvoir purement directij, ju-
gent au nom et par V autorité de Dieu , qui les a établis pour
éclairer et diriger les peuples dans l'ordre du salut. Rien n'em-
pêche d'expliquer en ce sens le langage des anciens auteurs
qu'on nous oppose ; et Bossuet lui-même ne fait pas difficulté
d'admettre cette explication (3). Elle semblera encore plus natu-
relle, si l'on se rappelle quelle était, à cette époque, la consti-
tution de la monarchie française (4). D'après cette constitution ,
le clergé, comme premier corps de l'État, avait le droit de pren-
dre une part très-active à toutes les affaires publiques, même
dans les assemblées générales de la nation , où se faisait l'élec-
tion du souverain, et où Ton pouvait mettre à son élection des
(1) Voyez ci -dessus, p. 523.
2) Voyez les détails que nous avons donnés sur ce point, dans la lre par-
tie de cet ouvrage, chàp. 1, n. 19, etc. ; cliap. 2, n. 90.
(3) Bossuet, Defens. Declar., lib. h, cap. 43, cité ci-dessus, n. 172, p. 516.
(4) Voyez ci-dessus, chap. 1, art. 1.
34.
532 DEUXIÈME PARTIE. — POUVOIR DU PAPE
conditions , dont l'infraction l'exposait à la perte de ses droits.
Il est aisé de comprendre que, sous un pareil gouvernement,
malgré la distinction et l'indépendance réciproque des deux
puissances, le jugement des évêques qui jugent et destituent un
souverain dans l'assemblée générale de la nation , peut être con-
sidéré comme le jugement de Dieu. Cette manière de parler est
une conséquence naturelle des principes de la religion, qui nous
apprennent que tout pouvoir vient de Dieu, et que l'autorité,
en quelque main qu'elle soit, tire toute sa force de la sanction
divine. C'est en vertu de ce principe, qu'un ancien roi de Juda,
établissant des juges dans les principales villes de sa domina-
tion, leur donnait cette admirable instruction : «Prenez bien
« garde à ce que vous ferez dans l'exercice de votre emploi;
« car ce n'est pas la justice des hommes que vous exercez, mais
« celle de Dieu lui-même (1). » Si l'on peut parler ainsi des ma-
gistrats séculiers en général, à plus forte raison pouvait-on
dire la même chose des évêques , dans un temps où ils étaient
investis d'un si grand pouvoir temporel , reconnu par les sou-
verains eux-mêmes, et fondé sur le profond respect des princes
et des peuples pour leur caractère sacré.
188 Concluons de ces explications , et de tons les témoignages que
Conséquence . * .
de ces nous avons cites pour établir notre première proposition , que
e*P louons. j»0p£njon théologique du droit divin n'existait pas encore, ou
du moins qu'elle avait à peine quelques partisans, avant le
pontificat de Grégoire VII ; que, par conséquent, elle n'a pu être
le fondement de la persuasion générale qui attribuait dès lors
au Pape et au concile un si grand pouvoir sur les souverains.
Bien loin que ce pouvoir ait eu pour fondement l'opinion théo-
logique dont il s'agit, peut-être pourrait-on soutenir, avec
beaucoup de vraisemblance, que cette opinion ne s'est insensi-
blement répandue depuis, que par suite de l'établissement de
ce pouvoir , dont quelques auteurs ont cru trouver le fondement
dans le droit divin , comme on a cru y trouver le fondement
de quelques autres privilèges et immunités , accordés à l'Église
par la libéralité des princes (2).
(1) « Videte quid faciatis ; non enim hominis exercetis judicium , sed
« Dei. » (IT Paralip. xix, 6. )
(2) Plusieurs théologiens ont regardé comme fondés sur le droit divin ,
naturel ou positif, le précepte de la dime, les immunités tant réelles que
DUO
SUR LES SOUVERAINS. —CHAPITRE III. 533
11° Mais quoi qu'il en soit de cette conjecture, nous croyons ,89.
pouvoir avancer avec confiance, que l'opinion qui attribue à t,t'Xgique
l'Église et au souverain pou tife une j uridiction au moins indi- . .d" .
° 1 «/ droit divin ,
recte sur les choses temporelles , d'après l 'institution divine , &p««nee©ni
non-seulement était à peine connue au temps de Grégoire VII , *ue sièdc
mais qu'elle n'a commencé à se répandre, ou du moins à
compter un certain nombre de partisans, que longtemps après
ce pontife. Il est vrai que, dans le cours du siècle suivant, on
vit peu à peu s'introduire cette opinion, qui a fait, dans la
suite , de si grands progrès (1) ; mais nous ne voyons pas qu'elle
ait eu d'abord un grand nombre de partisans. Les plus célèbres
auteurs du xne siècle la contredisent formellement, et ne
disent rien qui ne puisse facilement s'expliquer dans le sens du
pouvoir directif, d'institution divine, joint au pouvoir de juri-
diction temporelle, d'institution humaine, au sens où nous
l'avons expliqué plus haut avec Fénelon (2). Ils soutiennent, à
la vérité, ou ils supposent, comme on l'avait toujours fait avant
eux, que la puissance temporelle est subordonnée à la spiri-
tuelle , môme de droit divin , en ce sens que la seconde est
plus excellente que la première, et chargée d'éclairer et de
diriger la conscience des princes et des peuples , en matière
temporelle , aussi bien qu'en toute autre matière (3) ; mais la
plupart d'entre eux ne supposent aucunement, que cette subor-
dination soit fondée sur le droit divin , en ce sens que l'Église
et le souverain pontife aient une juridiction directe ou indirecte
sur les choses temporelles , hors des fiefs et des autres souve-
rainetés temporelles qu'ils peuvent avoir acquis par un titre
spécial. Nous avouerons sans peine que , parmi ces anciens au-
personnelles des clercs, et d'autres usages semblables, qui paraissent bien
plutôt fondés sur le droit positif humain. Voyez , à ce sujet, Bellarmin,
Controv. de Clericis; cap. 25, 28, 29. (Operum, tom. h.) Voyez aussi,
dans l' Introduction , les n. 93 et 107 ; ci-dessus, pag. 153 et 172.
(1) Jean de Sarisbery, évêque de Chartres au xue siècle, est, à notre con-
naissance , le premier auteur qui ait soutenu cette opinion ; mais il ne paraît
pas avoir eu , dans le principe, beaucoup de partisans. Voyez au n. 8 des
Pièces justificatives , à la fin de ce volume , quelques détails sur l'origine et
les progrès de cette opinion.
(2) Ci-dessus, n. 12, 170.
(3) Voyez les paroles des papes Gélase, Grégoire II, Nicolas Ier, Etienne V,
que nous avons citées plus haut,n. 9, etc. de la première partie, et 179
de la seconde; pag. 200, et 523.
534 DEUXIÈME PARTIE. — POUVOIR DU PAPE
teurs, quelques-uns ne s'expriment pas avec toute l'exactitude
et la précision qui seraient à souhaiter, dans une matière si
importante. Outre que cette précision de langage ne se trouve
guère dans les auteurs de cette époque, du moins avant la
naissance de la théologie scolastique , ils s'appliquaient d'autant
moins à mesurer leurs expressions, qu'il n'existait alors aucune
controverse, sur le fondement du pouvoir que le Pape et les con-
ciles s'attribuaient à l'égard des souverains. Ce pouvoir étant
alors généralement reconnu, à peine se trouvait-il quelques
personnes qui songeassent à en rechercher les fondements, et à
distinguer, dans ce pouvoir, ce qui venait du droit divin,
d'avec ce qui venait du droit humain. Mais en supposant
même qu'un certain nombre de personnes n'eussent, à cet égard,
que des idées confuses et inexactes , nous croyons pouvoir éta-
blir que les hommes les plus éclairés , et les souverains pontifes
en particulier, n'attribuaient point alors à l'Église et au Pape
une juridiction au moins indirecte sur les choses temporelles ,
d'après l'institution divine.
Les bornes qui nous sont prescrites ne nous permettent pas
d'entrer ici dans l'examen détaillé de tous les écrivains dont
nous parlons ; il suffit à notre but d'exposer la doctrine de Gré-
goire VII lui-même, et celle des plus célèbres auteurs du siècle
suivant (1).
,90# 1° Grégoire VII , le premier à qui plusieurs auteurs modernes
LJrégo?resvile attribuent l'opinion théologique du droit divin (2), ne dit
ne suppose rien qu'on ne puisse entendre dans le sens modéré que nous
cette opinion, venons d'expliquer. Les auteurs qui lui attribuent la première
opinion, se fondent principalement sur les sentences d'excommu-
(1) Il est à remarquer que Bossuet , et la plupart des auteurs français , ad-
mettent sans difficulté les explications modérées que nous donnons au lan-
gage des plus célèbres écrivains du xie et du xne siècle. ( Defens. Declar. ,
lib. h, cap. 28 et 29; lib. m, cap. 13-18.) Grégoire Vil est le seul auteur de
cette époque, dont il explique les écrits dans le sens du pouvoir direct ou
indirect , fondé sur l'institution divine. Mamachi , Bianchi , et plusieurs
défenseurs de cette dernière opinion , s'efforcent inutilement, à ce que nous
croyons, d'attirer à leur sentiment les auteurs que nous expliquons dans le
sens du pouvoir directif. (Mamachi, Origines et Antiquit. Christ., tom. iv,
p. 171, 251, etc.)
(2) C'est le sentiment commun des auteurs français. Voyez, entre autres,
Noël Alexandre, Dissert. 2a in Hist. Eccles. sseouli xi, art. 9. — Bossuet,
Defens. Declar., lib. i, sect. 1, cap. 7.
SUR LES SOUVERAINS. — CHAPITRE III. 535
nication et de déposition qu'il prononça contre l'empereur
Henri IV , d'abord en 1076 , puis en 1080 ; et sur ses lettres à
Herman , évêque de Metz , en réponse aux questions que ce
prélat lui avait adressées à l'occasion de cette sentence (l). Mais
si l'on examine attentivement et sans préjugé ces différentes
pièces, on n'y trouvera aucune expression qui ne puisse et
même qui ne doive s'expliquer dans le sens modéré dont nous
venons de parler.
Dans les deux sentences prononcées contre l'empereur, le Pape, i?*-
se fondant sur le pouvoir divin de lier et de délier, excom- xp<ies 'c
munie ce prince, et « délie tous les chrétiens du serment de fidélité cux sJ?le*c"
« qu'ils pourraient lui avoir fait, ou lui faire à l'avenir (2).» Ces potSéwSîJw
(1) Nous ne parlons pas ici des vingt-sept maximes ou sentences intitulées,
Dictatas Papœ, et attribuées à Grégoire VII par quelques auteurs moder-
nes. (Labbe, Concil. tom. x , pag. 110 et 111 — Baronii Annales, anno
1076 ,11. 31. ) Outre que ces maximes sont généralement regardées comme
apocryphes, elles ne renferment rien, sur le sujet qui nous occupe, qu'on ne
puisse facilement expliquer d'après les observations que nous allons faire
sur les écrits authentiques de Grégoire VII. On peut consulter, au sujet de
ces maximes, Fleury, Hist. Eccl. , tom. xiu, liv. lxiii , n. il. — Bossuet,
Defens. Declar., lib. m, cap. 5. — Christ. Lupus, Canones et Décréta,
tom. îv, pag. 338, etc. — Noël Alexandre , Dissert. 3 in Hist. Eccl. sœ-
culi xi. — D. Ceillier, Hist. des Aut. eccl., tom. xx, pag. 659. — Voigt,
Hist. de Grég. Vif, liv. vin, année 1076, pag. 380.
Nous ne parlons pas non plus ici des reproches qu'on a faits à Gré-
goire VU et ses successeurs , à l'occasion des droits de suzeraineté qu'ils
s'attribuaient sur plusieurs États. Il est évident qu'on ne peut leur attri-
buer, sous ce prétexte, l'opinion théologique du droit divin. Jamais Gré-
goire VII et ses successeurs n'ont prétendu que ces droits fussent fondés sur
l'institution divine. Grégoire VII en particulier ne leur a jamais donné d'autre
fondement, qu'une ancienne coutume, ou des titres qui se conservaient,
de son temps, dans les archives de l'Église romaine. On trouvera de plus am-
ples détails, sur ce dernier point, dans l'article suivant.
(2) Voici les termes de la première sentence , prononcée en 1076 : « Béate
«Petre, apostolorum princeps; credo quùd mihi, tua gratià, est
«poleslas à Deo data ligandi alque solvendi in cœlo et in terra. Hàc ita-
« que liducià fretus, pro Ecclesiae tuœ honore et delensione, ex parte oinni-
« potentis Dei Pains, et Filii, et Spiritùs saneti, per tuam potestatem et aucto-
« ritatem, Henrico régi, lilio Henrici iinperatoris, qui contra tuam Ecclesiam
« inaudita superbià insurrexit, totius regni Teutonicorum et Italiai guberna-
« cuia contradico (i. e. adtmo); et oiunes c/irtslianos à vtnculo j uramentL
« quod sibifecere veljacient, absolvo; et ut nullus ei .sicut régi serviat, in-
« teruico. » (Labbe, Concil. tom. x, pag. 3o j.)
Dans la seconde sentence, prononcée en 1080, le Pape rappelle d'abord eu
détail les principaux excès de Henri; après quoi il continue en ces ternies :
« Quapropter, eonhdens de judicio et misericordià Dei, ejusque piissimae 111a-
« trissempervirginis Mariae, fultus vestrâ auctoritate (auctoritate scilicet
536 DEUXIÈME PARTIE. — POUVOIR DU PAPE
l'empereur paroles , il faut l'avouer, semblent, au premier abord, supposer
Henri IV
que Grégoire VII regarde le pouvoir divin de lier et de délier,
comme Tunique fondement de celui qu'il s'attribue de déposer
l'empereur (l). Mais en examinant la chose de plus près, on
verra que son langage est susceptible d'un tout autre sens, et
qu'il a très-bien pu invoquer , en cette occasion , le pouvoir
divin de lier et de délier , sans le regarder comme l'unique
fondement de celui qu'il s'attribuait de déposer l'empereur.
II suffit , pour le prouver , de rappeler ce fait incontestable ,
qui résulte évidemment de tous les monuments de cette époque ,
savoir : que dès le temps de Grégoire VII, et même longtemps
auparavant, l'empereur, qui persévérait opiniâtrement dans
l'excommunication pendant une année entière, sans se mettre
en devoir de satisfaire à l'Église, était déchu de sa dignité,
d'après les lois de V empire (2). Dans un temps où les lois
mêmes de l'empire attachaient à l'excommunication ce ter-
rible effet , on conçoit que la sentence du Pape qui excommu-
« beatorum Pétri et Pauli, quos Gregorius hic alloquitur), sœpe nomina-
« tum Henricum, quem regem dicunt, omnesque fautores ejus, excommuni-
« cationisubjicio, et anathematis vinculis alligo; et iterum regnum Teuto-
« nicorum et Italiae, ex parte Dei omnipotentis et vestrâ, interdicens ei
« omnem potestatem et dignitatem illi regiam tollo ; et ut nullus christia-
« norum ei sicut régi obediat, interdico; omnesque qui ei juraverunt vel
« jurabunt de regni dominatione, à juramenti promissione absolvo. » (Ibid.,
pag. 384.) — Voyez aussi Fleury, Hist. Ecclés., tom. xm, liv. lxii, n. 29 j
]iv. lxiii, n. i. — Voigt, Histoire de Grégoire VII, pag. 378, 525, etc.
On remarque une légère différence entre la première sentence, prononcée
en 1076 , et la seconde, prononcée en 1080. Dans la première, la déposition
est énoncée avant l'excommunication; dans la seconde, au contraire, l'ex-
communication est énoncée avant la déposition. La dernière formule est sans
doute plus exacte , puisque Grégoire ne prétendait déposer l'empereur que
par le moyen et par suite de l'excommunication; mais le défaut d'exactitude
de la première formule est d'autant moins important , que Grégoire , en la
prononçant , ne prétendait pas déposer Henri d'une manière définitive , mais
seulement le menacer de déposition, dans le cas où il refuserait opiniâtrement
de s'amender. (Voyez ci-dessus, ebap. h, n. 95, etc.)
(1) C'est ce que supposent, en effet, tous les auteurs modernes qui attri-
buent à Grégoire VII des prétentions excessives , en matière temporelle.
Voyez, en particulier, Bossuet, Defens. Dectar., lib. i, sect. 1 , cap. 7;
lib. m , cap. 3, etc. — Fleury, Hist. Ecclés., tom. xm, 3e Discours, n. 18.
(2) Les détails que nous avons donnés dans le chapitre précédent
(n. 95, etc.), d'après les auteurs contemporains, sur les démêlés de Gré-
goire VII avec l'empereur Henri IV, établissent clairement ce fait important,
généralement reconnu par les auteurs modernes.
SUR LES SOUVERAINS. — CHAPITRE III. 537
niait et déposait l'empereur , était fondée tout à la fois sur le
droit divin et sur le droit humain. Elle était fondée sur le
droit divin, non-seulement en tant qu'elle frappait le prince
d'excommunication, mais encore en tant qu'elle éclairait la
conscience de ses sujets sur l'étendue et les bornes de leurs
obligations, en vertu du serment de fidélité qu'ils lui avaient
prêté. Elle était fondée aussi sur le droit humain, en tant
qu'elle déclarait le prince déchu de ses droits, en punition de sa
persévérance opiniâtre dans l'excommunication. Pour prononcer
cette déchéance, le Pape n'avait aucun besoin de s'attribuer un
pouvoir de juridiction directe ou indirecte sur les choses tem-
porelles , d'après l'institution divine ; il lui suffisait d'avoir , à
cet égard, le pouvoir directif, dans le sens où nous l'avons
expliqué au commencement de ce chapitre.
On conçoit également , d'après cela , pourquoi la sentence du
Pape ne faisait mention que du droit divin ou du pouvoir de
lier et de délier, donné par Jésus-Christ à l'Église et au succes-
seur de saint Pierre ; tandis qu'elle ne disait rien des anciennes
lois de l'empire , sur lesquelles la sentence était fondée , en tant
qu'elle déposait l'empereur. C'était en effet sur le droit divin
qu'était fondée la sentence, considérée dans son objet principal,
direct et immédiat; puisque la déposition ne s'opérait que par
le moyen de l'excommunication, dont elle était une conséquence
naturelle, à' après les lois de l'empire. Dans les tribunaux ecclé-
siastiques, aussi bien que dans les tribunaux civils, le juge ne
se croit pas toujours obligé d'exposer en détail les motifs de son
arrêt ; il se borne le plus souvent à exprimer les principaux : la
suppression des autres s'explique naturellement, lorsqu'ils sont
assez connus par l'usage et la persuasion universelle , comme
l'étaient, à l'époque dont nous parlons, les lois de l'empire, qui
déclaraient déchu de ses droits l'empereur persévérant opiniâ-
trement dans l'excommunication pendant un an. Au reste, ce
que Grégoire VII n'explique pas dans la sentence même, il l'ex-
plique, ou du moins l'insinue assez clairement, dans la lettre
qu'il écrivit aux seigneurs allemands pour leur en exposer les
motifs. «Touché d'une vive douleur, dit-il, nous avons écrit
« de nouveau à Henri pour l'exhorter à se reconnaître; et nous
«lui avons envoyé trois hommes pieux, du nombre de ses
538 DEUXIEME PARTIE. — POUVOIR DU PAPE
« sujets , pour l'avertir en secret , de faire pénitence de tant de
« crimes, pour lesquels il méritait, non-seulement d'être excom-
« munie, mais d'être privé de la dignité royale, selon les lois
« divines et humaines ( i). » Il résulte clairement de ces paroles,
que Grégoire VII , eu déposant l'empereur ne prétendait pas se
fonder uniquement sur le droit divin , mais tout à la fois sur
les lois divines et humaines , comme nous l'avons expliqué.
Explication Ses lettres à Herman, évèque de Metz, ne présentent pas
lettre?! Her- une difficulté plus sérieuse (2). Quelques partisans de Henri,
m™, p0ur éluder la sentence prononcée contre lui par le Pape,
éveque de L x x l
Metz. allaient jusqu'à prétendre qu'un souverain ne peut être excom-
munié (3). L'évêque de Metz, embarrassé de leurs difficultés,
les proposa à Grégoire VII , qui n'eut pas de peine, dit Fleury,
« à montrer que la puissance de lier et de délier a été donnée
« aux apôtres généralement , sans exception de personne , et
« comprend les princes comme les autres (4). » Tel est propre-
ment le sujet des lettres de Grégoire VII à Herman, et particu-
lièrement de la première (5). Pour résoudre la question qui fait le
(1) « Quâdere, gravi dolore percussi, misimusad eum très religiosos
« viros, suos utique fidèles, per quos eum secretô monuimus, ut pœniten.
« tiam ageret de sceleribus suis, quae quidem horrenda dictu sunt , pluribus
« autem nota , et in multis partibus divulgata : propter quae eum excom-
« municari, non solùm usque ad dignam satisfactionem, sed ab omni bonore
« regni, absque spe récupérations, debere destitui, divinarum, et humana-
« rum legum testatur auctoritas. » Paul Bernrièd, Vitâ Greg. VII. In-
golstadii, 1610, in-4° , cap. 78. (Muratori, Rer. Ital. Script, tom. m,
la parte, pag. 337.) Voyez aussi les auteurs cités plus haut, pag. 437, note 1.
(2) Grégoire VII, Epistolœ ad Herimannum episcopum Metensem;
Epistol. lib. iv, Epist. 2; lib. vin, Epist. 21. (Labbe, Concil. tom. x,
pag. 149 et 267.)— Fleury, Hist. Ecclés., tom. xm, liv. lxii, n. 32. — Voigt,
Hist. de Grég. VII, liv. vin, pag. 390, etc. — D. Ceillier, Hist. des Aut.
ecclés., tom. xx, pag. 633, etc.
(3) Voyez la noie 2 de la pag. 438.
(4) Fleuiy,w&i suprà, 3e Discours, n. 18.
(5) Nous avons déjà fait remarquer (ci-dessus , p. '438 , note 2) que dans sa
première lettre à Herman, Grégoire VII se propose uniquement d'examiner la
difficulté de ceux qui prétendaient qu'un roi ne doit pas être excommunié.
Dans la seconde, outre ce premier point, qui est toujours son objet prin-
cipal, Grégoire examine de plus la difficulté de ceux qui prétendaient que le
Pape ne pouvait délier les sujets de leur serment de fidélité. D'après ce dou-
ble but de la seconde lettre, on ne doit pas exiger que tous les raisonne-
ments de Grégoire VII s'appliquent également aux deux points; il suffit que
chacune de ses preuves s'applique à l'un des deux , selon la judicieuse re-
marque du P. Alexandre. (Ubi suprà, art. 10, 2e alinéa.) Faute d'avoir fait
cette observation, Fleury et quelques autres écrivains reprochent assez dure-
SUR LES SOUVERAINS. — CHAPITRE III. 539
principal sujet de ces lettres, il cite d'abord l'exemple de Théo-
dose et de quelques autres souverains excommuniés; après quoi,
il montre la supériorité de la puissance spirituelle sur la tem-
porelle, d'après l'institution même de Jésus-Christ. Il prouve
cette supériorité, non-seulement par les paroles du Sauveur qui
donnent à saint Pierre et à ses successeurs le pouvoir de lier et
de délier; mais encore par la doctrine constante de la tradition,
qui oblige tous les fidèles, et les princes eux-mêmes, à respecter
l'autorité du successeur de saint Pierre. Grégoire VII rappelle,
à cette occasion , dans sa seconde lettre à Herman, la doctrine et
les propres expressions du pape Gélase , qui supposent si claire-
ment deux puissances distinctes, et toutes deux souveraines
dans leur ressort (1). On ne voit rien , dans tout cela , qui ne se
rapporte directement au but de Grégoire VII ; car l'objet prin-
cipal qu'il se propose dans les deux lettres dont il s'agit, et sur-
tout dans la première , est d'établir le pouvoir qu'il s'attribue
d'excommunier les souverains ; pouvoir qui lui était contesté
par quelques partisans de Henri , à cause des terribles effets que
l'excommunication entraînait alors, d'après la persuasion uni-
verselle, et surtout d'après les lois de l'empire. On voit aussi
que , dans ces lettres , Grégoire VII , loin de nier le principe
de la distinction et de l'indépendance réciproque des deux puis-
sances , le reconnaît expressément avec le pape Gélase , dont il
cite et adopte les propres expressions. Il soutient seulement que
la puissance temporelle peut être jugée par la spirituelle , et
que les souverains, comme les simples particuliers , peuvent être
excommuniés , en punition de certains crimes. Ce langage sup-
pose , à la vérité , le pouvoir directif de l'Église et du Pape, en
matière temporelle; il suppose même les effets temporels que la
persuasion universelle , et particulièrement le droit public de
l'empire, attachaient alors à l'excommunication ; mais tout cela
ne suppose aucunenement, que l'Église ou le Pape aient, de droit
ment à Grégoire Vil de faire, dans ses lettres à Herman, des raisonnements
peu concluant, pour établir le pouvoir qu'il s'attribuait de déposer les sou-
verains. Tous ces reproches tombent d'eux-mêmes, lorsqu'on se lait une
juste idée de la question principale que Grégoire VII examine dans ces lettres.
Voyez, à ce sujet, une note de M. Jager, dans ÏHist. de Grégoire VU,
liv. vui, pag. 392.
(1) Voyez plus haut, n. 178, pag. 521.
le sentiment
commun
des auteurs
contempo-
rains.
540 DEUXIÈME PARTIE. — POUVOIR DU PAPE
divin , le pouvoir de déposer les souverains , puisque le Pape ,
dans la lettre même où il s'attribue sur eux un si grand pouvoir,
suppose clairement, avec le pape Gélase, le principe de la dis-
tinction et de l'indépendance réciproque des deux puissances
d'après l'institution divine.
I9x3'iica Quelque nouvelle et extraordinaire que puisse paraître l'ex-
tions plication que nous donnons ici au langage de Grégoire VII,
par elle est manifestement confirmée par le sentiment des plus célè-
bres docteurs de son temps. ]En effet, en supposant même que
son langage eût quelque cbose d'obscur ou d'équivoque, il
serait naturel de l'expliquer par le sentiment commun de ses
contemporains; et il faudrait les plus fortes preuves, pour lui
attribuer , en matière si importante , une opinion singulière et
à peine connue de son temps. Or, nous avons montré que l'opi-
nion théologique qui attribue à l'Église et au souverain pon-
tife une juridiction directe ou indirecte sur les choses tempo-
relles, d'après l'institution divine, était à peine connue avant
le pontificat de Grégoire VII ; et nous allons montrer tout à
l'heure qu'elle ne commença que longtemps après lui , à compter
un certain nombre de partisans. Il est d'ailleurs certain que ce
pontife ne prétendait pas s'écarter de la doctrine généralement
admise de son temps, ni s'attribuer un nouveau droit sur les
souverains, mais seulement user de celui que lui donnait l'opi-
nion générale de ses contemporains. Les auteurs mêmes qui
blâment plus ouvertement sa conduite, conviennent expressé-
ment de ce fait, et avouent que les maximes sur lesquelles il
fondait son pouvoir à l'égard des souverains , étaient conformes
à la persuasion générale des hommes pieux et éclairés (1).
C'est donc sans aucun fondement, et même contre toute vrai-
semblance, qu'on lui attribuerait l'opinion théologique du
pouvoir direct ou indirect.
194. 2° La doctrine du B. Ives de Chartres ne paraît pas diffé-
Doctrine du j. i
b. ives rente de celle que nous attribuons à Grégoire VII , et peut
de Chartres. . _ ^ . , ,. , , . ,, . ,
même beaucoup servir a expliquer les véritables sentiments de
ce pontife, auxquels l'évèque de Chartres se montre très-atta-
ché (2). En effet, on a vu plus haut que l'évèque de Chartres,
(1) Voyez plus liant, chap. 2, n. 100, 101 et 118, pag. 443, 445 et 465.
(2) Bossuet, Defens. Declar., lib. îv, cap. 14.
SUR LES SOUVERAINS. — CHAPITRE III. 541
dans plusieurs de ses écrits, particulièrement dans sa lettre à
Laurent, moine de La Charité, supposait clairement la disci-
pline en vigueur sous Grégoire VII, relativement aux effets
temporels de l'excommunication, même par rapport aux sou-
verains (1) ; mais il suppose en même temps et enseigne expres-
sément, que cette discipline n'est pas fondée sur le seul droit
divin, mais sur les lois divines et humaines tout ensemble (2) :
ce qui s'accorde parfaitement avec l'explication que nous venons
de donner au langage de Grégoire VII.
La doctrine du prélat, dans la cinquième partie de son Dé-
cret, ou recueil de canons, s'explique naturellement dans le
même sens. L'évêque de Chartres y établit la supériorité du
pouvoir spirituel sur le temporel, par un long fragment de la
seconde lettre de Grégoire Vil à Herman, que nous venons de
citer, et dans laquelle on retrouve le témoignage et les propres
expressions du pape Gélase, sur la distinction et l'indépendance
réciproque des deux puissances ; ce qui ne permet pas de douter
que l'évêque de Chartres n'ait admis , sur ce point, les principes
de l'antiquité (3).
Ces observations peuvent servir à expliquer une lettre du
même prélat au roi d'Angleterre Henri Ier, dans laquelle plu-
sieurs écrivains modernes ont cru voir l'opinion théologique
du droit divin (4). Le prélat , exhortant le roi d'Angleterre
à protéger la religion et les églises de son royaume, lui rap-
pelle les principes, de tout temps reconnus, sur l'union qui
doit régner entre le sacerdoce et l'empire , et sur la subordi-
nation de la puissance temporelle envers la spirituelle. « Les
«choses humaines, dit-il, ne pouvant être bien administrées
« que par l'union du sacerdoce et de l'empire , je conjure Votre
« Excellence de laisser une entière liberté à ceux qui annoncent
« dans son royaume la parole de Dieu , et de ne jamais oublier
« que le royaume de la terre est soumis à celui du ciel , que Dieu
« a confié à l'Église ; car de même que le corps doit être soumis
(1) Voyez plus haut, chap. 1 , n. 80, pag. 420; chap. 2, n. 111,
pag. 457, etc.
(2) Ibid., chap. 1, pag. 420.
(3) Ivonis Decretum, parte 5, cap. 378.
(4) Mamachi, Origines etAntiquit. Christianœ, t. iv, pag. 251.
542 DEUXIÈME PARTIE. — POUVOIR DU PAPE
«à l'esprit, de même le pouvoir terrestre doit être soumis à
«l'Église (l). » Le prélat se borne ici, comme dans plusieurs
autres de ses lettres (2) , à établir le principe de l'union des
deux puissances, et la subordination de la puissance tempo-
relle envers la spirituelle, dans le sens du pouvoir purement
directif; mais il ne dit pas un seul mot qui suppose la juridic-
tion directe ou indirecte de V Église sur les choses tempo-
relles , d'après l'institution divine.
I95. 3° La doctrine de Gratien paraît exactement la même; et
^Graïra?6 son Décret, ou recueil de canons , malgré les défauts qu'on peut
y reprendre sous d'autres rapports, semble facile à justifier, sur
le sujet qui nous occupe. Il est certain, en effet, qu'on trouve,
en plusieurs endroits de ce recueil , le principe de la distinction
et de l'indépendance réciproque des deux puissances , énoncé
de la manière la plus formelle, et expliqué par les témoignages
de l'antiquité les plus décisifs. Nous remarquerons en particulier
ceux du pape Gélase(3), de saint Isidore de Séville(4), et du
pape Nicolas Ier (5), que Bossuet lui-même cite avec confiance,
parmi les témoignages de la tradition les plus précis , en cette
matière (6).
Ce qui a surtout donné lieu d'attribuer à Gratien d'autres
sentiments, c'est l'insertion qu'il a faite, dans la seconde partie
de son Décret , d'un fragment de la lettre déjà citée de Gré-
goire VII à Herman, où il est dit que le pape Zacharie a substi-
tué Pépin à Childéric , roi de France, et délié les Français
de leur serment de fidélité envers ce dernier. A la tête de ce
fragment, Gratien a mis ce titre, qui montre clairement le but
qu'il se propose : « L'autorité pontificale délie quelquefois les
(1) « Celsitudinem vestram obsecrando monemus, quatenus in regno vo-
« bis commisso verbum Dei currere permittatis, et regnum terrenutn cœ-
« lesti regno, quod Ecclesiœ commissum est, subdilum esse debere semper
« cogitetis. Sicut errim sensus animalis subditus débet esse rationi, ita po-
rt testas lerrena subdita esse débet ecclesiastico regimini. » Ives de Char-
tres, Epist. 106. (Édit. de Juret. )
(2) Idem, Epistolœ 214 et 239.
(3) Graliani Decretum, prima parte, Dist. 96, cap. 10.
(4) Ibid., 2a parte, causa 23, quœst. 5, cap. 20.
(5) Ibid., U parte, Dist. 10, cap. 8; Dist. 96, cap. 6.
(6) Bossuet, Defensio Declar. , lib. i, sect 2, cap. 33, etc.; 36 , et alibi
passim.
SUR LES SOUVERAINS. — CHAPITRE III. 543
« sujets du serment de fidélité , en déposant les princes de leur
« dignité (l). »
On a tout lieu d'être surpris , que les auteurs mêmes qui re-
prochent si fortement ce langage à Gratien , ne fassent aucune
difficulté de l'excuser dans lves de Chartres. Il est à remarquer,
en effet, que le passage en question de la lettre de Grégoire VII
à Herman, est inséré textuellement dans le Décret d'ives de
Chartres, comme dans celui de Gratien (2). La seule différence
qu'on remarque ici entre les deux recueils, consiste dans les
titres mis à la tête du fragment dont il s'agit. Au lieu du titre
qu'on lit dans le Décret de Gratien, lves de Chartres adopte
celui-ci : « Aucune dignité séculière, pas même celle de l'empe-
« reur, ne peut égaler celle des évêques ; » mais lves de Chartres,
comme Gratien, cite à l'appui de son titre, le pouvoir exercé,
en certains cas , par l'Église et par le Pape , de délier les sujets
du serment de fidélité.
Enfin, ce qui lève entièrement la difficulté qu'on a tirée de
ce passage, contre la doctrine de Gratien, c'est que les expres-
sions qu'il emploie ici, après lves de Chartres et Grégoire VIT,
ont été employées, avec d'autres également fortes, par un grand
nombre d'auteurs plus anciens, dont le langage a paru suscep-
tible d'un très-bon sens, à ceux mêmes qui le reprochent si for-
tement à Gratien. Nous avons cité plus haut (3) les paroles re-
marquables de Bossuet , qui ont pour but de justifier le langage
des anciens auteurs suivis par Grégoire VII, lves de Chartres,
et Gratien, relativement à la décision du pape Zacharie.
Il résulte clairement de ces explications, que Bossuet, tout
en refusant au Pape le pouvoir de délier les sujets du serment
de fidélité, par un acte de juridiction 'proprement dit, ne pré-
(1) « A fidelitatis etiam juramento Romanus pontifex nonnullos absolvit,
« cùm aliquos à sua dignitate deponit. » Ibid. , causa 15, quœst. 6, cap.
3. — C'est principalement sur ce passage que Bossuet et plusieurs autres
théologiens français se fondent pour attribuer à Gratien l'opinion théolo-
gique du droit divin. Defensio Declar., lib. m, cap. 14 et 15. — De Hé-
ricourt, Analyse du Décret de Gratien ( page 40), à la tête des Lois
Ecclésiastiques de France. Paris, 1771, in-fol.
(2) Ivonis Decretum, part. 5, cap. 378.
(3) Ci-dessus, n. 172, p. 514 — L'explication donnée par Bossuet à ces
anciens auteurs, est généralement adoptée parles auteurs français. Voyez,
entre autres , Dupin, Traité de la puissance ficelés., 1 Prop.y p. 245, etc.
544 DEUXIÈME PARTIE. — POUVOIR DU PAPE
tend pas lui contester le pouvoir de le faire , par une décision
doctrinale , ou par un acte de simple pouvoir directif; ce qui
suffit évidemment pour justifier le langage de Gratien, aussi
bien que celui des anciens auteurs , que Bossuet croit pouvoir
expliquer dans ce sens.
I96, 4o uUorUes je Saint-Victor, un des écrivains les plus distin-
Doctrine de ° ' x
Hugues gués du même siècle , par la solidité de son esprit et par la va-
tor. nete de ses connaissances, s explique, à ce sujet, de la manière
la plus précise. Nous croyons devoir examiner ici de près ses vé-
ritables sentiments, parce qu'on les a quelquefois dénaturés,
pour n'avoir pas assez considéré la suite et la liaison de son
discours (1). Voici comment il explique, dans son Traité des
Sacrements de la loi nouvelle, la distinction et la compétence
des deux puissances : «L'une, dit-il, se nomme temporelle, et
«l'autre, spirituelle; toutes deux se subdivisent en différents
« ordres et différents degrés ; mais , de part et d'autre , chaque
« degré dépend d'un chef, dont il dérive comme de sa source,
« et auquel il se rapporte comme à son principe. Le prince est
« la source de la puissance temporelle, et le Pape, de la spiri-
tuelle. Tout ce qui est temporel, tout ce qui concerne la vie
« civile, est du ressort de la puissance royale; tout ce qui est
« spirituel, et tout ce qui concerne la vie spirituelle, est du ressort
« de la puissance du souverain pontife (2). » On voit ici bien clai-
rement deux puissances distinctes, toutes deux souveraines dans
leur ressort, et distinguées l'une de l'autre, tant par les fonc-
tions qui leur sont propres, que par le chef dont elles dépendent.
Il est vrai que l'auteur, après avoir établi ces principes, voulant
montrer la supériorité de la puissance spirituelle sur la tempo -
(1) Mamachi, et quelques autres défenseurs de l'opinion théologique du
droit divin, ne paraissent pas avoir saisi le véritable sens de cet auteur. {Ori-
gines et Antiquit., t. iv, p. 171 et 252.) Bossuet l'examine de plus près, et
le présente sous son vrai point de vue. (Defensio Declar., lib. m, cap. 17.)
(2) « Illa potestas dicitur ssecularis, ista spiritualis nominatur. In utrâ-
« que potestate diversi sunt gradus, et ordines potestatum , sub uno tamen
« utrinque capite distributi , et velut ab uno principio deducti , et ad unum
« relati. Terrena potestas caput habetregem, spiritualis potestas summum
« pontificem. Ad potestatem régis pertinent quae terrena sunt, etadterrenam
« vitam iacta omnia ; ad potestatem summi pontificis pertinent quae sunt
« spiritualia , et vitae spirituali attributa universa. «Hugues de Saint- Vic-
tor, De Sacram. lib. h, parte 2, cap. 4. (Operum, t. m, p. 607.)
SUR LES SOUVERAINS. — CQAPITBE III. 545
relie, enseigne qu'il appartient à la première d'établir la se-
conde, et de la juger, si elle se conduit mal. « Autant que la vie
« spirituelle est, dit-il, au-dessus delà temporelle, et l'âme au-
« dessus du corps, autant la puissance spirituelle l'emporte sur la
« temporelle, en excellence et en dignité; car c'est à la puissance
« spirituelle qu'il appartient d'établir la temporelle , et de la
«juger, si elle se conduit mal. La puissance spirituelle, au con-
traire, a été, dans le principe, établie de Dieu, qui seul la
«juge, si elle vient à s'égarer, selon qu'il est écrit: L'homme
« spirituel juge de tout , et n'est jugé par personne (l). » Quel-
ques écrivains modernes ont cru pouvoir inférer de ce texte, que
l'auteur adoptait au fond l'opinion théologique du droit divin;
mais la suite de son discours ne paraît pas autoriser cette consé-
quence. « Que la puissance spirituelle, dit-il, quant à son institu-
« tion divine, soit antérieure à la puissance temporelle, et plus
« excellente en dignité, c'est ce que montre clairement l'histoire
« du peuple de Dieu dans l'Ancien Testament; car on y voit que
« Dieu établit d'abord le sacerdoce , et que les pontifes établirent
« ensuite la puissance royale, par ordre de Dieu. C'est pourquoi,
'< dans l'Église chrétienne, ce sont aussi les pontifes qui consa-
« crent les rois, qui sanctifient leur puissance par la bénédic-
« tion , et la dirigent par de sages conseils. Si donc, comme
« le dit l'Apôtre,... celui qui bénit est plus grand que celui qui
« est béni , il s'ensuit évidemment, que la puissance temporelle
« est inférieure à la spirituelle, de qui elle reçoit la bénédic-
« tion [2). » On voit maintenant en quel sens l'auteur a dit
(1) « Quantô autem vita spiritualis dignior est qnàm terrena, et spiritus
« quàm corpus; tantô spiritualis potestas, terrenam sive saecularem potesta-
« tem honore ac dignitate prœcedit. INam spiritualis potestas terrenam po-
« testatem, et instituera habet, ut sit, et judicare, si boua non fuerit ; ipsa
« veto à Deo primùm instituta est ; et cùm deviat , à solo Deo judicari po-
« test, sicut est scriptuin : Spiritualis homo dijudicat omnia , et ipse a
« nemine judicatur. (1 Cor. n, 15.) » Hugues tle Saint-Victor, ibid.
(2) « Quod autem spiritualis potestas, quantum ad divinam institutionem
« spectat , et prior sit tempore, et major dignitate , in illo antiquo ^eteris
a instrument! populo manifesté declaratur, ubi primùm à Deo sacerdotium
a institutnm est, postea verô per sacerdotium , jubente Deo, regalis potes-
« tas ordinata. Unde in Ecclesiâ adhuc saeerdotalis dignitas potestatem re-
« galem consecrat , et sanctificans per benedictionem , et tbrmans per insti-
« tutionem. Si ergo, ut dicit apostolus, qui benedic'U major est, et mînor
« qui benedicitur (Hebr. vu , 7 ) ; constat absque omni dubitatione, quôd
35
546 DEUXIÈME PARTIE. — POUVOIR DU PAPE
plus haut, qu'il appartient à la puissance spirituelle d'établir
la temporelle. En s'exprimant ainsi, il fait allusion à l'histoire
deSaûl, établi roi par Samuel, qui avait reçu de Dieu, pour
cela, une mission expresse et extraordinaire; mais il ne prétend
pas exprimer la puissance ordinaire du sacerdoce , dont il a si
clairement restreint les fonctions aux objets de l'ordre spirituel.
Il est si éloigné d'attribuer au sacerdoce la puissance ordinaire
d'établir les souverains temporels, qu'examinant, un peu plus
bas, comment l'Église possède des biens temporels, il enseigne
expressément , que la supériorité de la puissance spirituelle sur
la temporelle n'autorise pas la première à envahir les droits de
la seconde: «La puissance spirituelle, dit-il, n'occupe pas le
«premier rang, pour faire tort à la temporelle, et envahir ses
« droits; comme aussi la puissance temporelle se rend coupable,
«toutes les fois qu'elle usurpe ce qui appartient à la spiri-
«tuelle (l). » Examinant ensuite, en combien de manières la
justice peut être administrée par la puissance séculière , il
explique ainsi une de ces manières : « La justice ou le droit se
«déterminent d'après la nature de la cause; c'est-à-dire, que
« les choses temporelles doivent être jugées par la puissance tem-
« porelle, et les choses ecclésiastiques ou spirituelles par la puis-
« sance spirituelle La puissance temporelle a pour chef le roi
« ou l'empereur, qui la communiquent aux puissances subor-
« données des ducs , des comtes , des gouverneurs, et des autres
« magistrats ; tous ces derniers tiennent leur autorité de la puis-
« sance souveraine qui les a élevés au-dessus de ses autres
«sujets (2). »
Concluons de ces explications, que, dans le sentiment de
« terrena potestas, quse a spiritualibenedictionem accipit, jure inferior exi-
« slimetur. » Hugues de Saint-Victor, ubi suprà.
(1) « Spiritualis siquidcm potestas non ideo pmesidet, utterrense, in suo
« jure, prœjudicium faciat : sicut ipsa potestas terrena, quod spirituali de-
« betur, numquam sine culpâ usurpât. » Hugues de S. Victor, ibid., cap. 7,
pag. 068.
(2) «Secundiim causam justitia determinatur, ut videlicet negotia saecu-
« laria à potestate terrena , spiritualia verô et ecclesiastica à spirituali po-
« testate examinentur. Ssecularis autem potestas caput habet regem sive
« imperatorem , ab illo per subjectas potestates, et duces, et comités, et
« prœfectos, et magistratus alios descendens; qui tamen omnes à prima po-
« testate auctoritatem sumunt, ineo quod subjectis praelati existant. » Ibid.,
cap. 8.
SUR LES SOUVERAINS. — CHAPITRE III. 547
Hugues de Saint-Victor, tout le pouvoir de l'Église sur les rois,
dans l'Église chrétienne , d'après l'institution divine , se réduit
à sanctifier leur puissance par sa bénédiction, et à la diriger
par de sages conseils : ce qui ne suppose aucunement \e pou-
voir de juridiction direct ou indirect sur les choses tempo-
relles.
5° Saint Bernard, la lumière de l'Église de France et même DocSe d«
de l'Église universelle, à cette époque, n'avait pas d'autres saiEnB^êir '
sentiments (1). C'est ainsi du moins que nous croyons pouvoir 8e"?jj£°!£"a
expliquer, avec Bossuet et Fénelon, quelques endroits de ses des <*'«*&*'
écrits, qui peuvent, au premier abord, sembler favorables à
l'opinion théologique du droit divin , et dont quelques parti-
sans de cette opinion ont prétendu tirer avantage (2). Nous
voulons parler surtout de deux passages, dans lesquels saint
Bernard, sons l'allégorie des deux glaives qui se trouvaient
entre les mains des apôtres, au temps delà passion du Sauveur,
voit un emblème des deux puissances accordées à l'Église. Le
premier de ces passages se trouve dans le quatrième livre De la
Considération , où le saint docteur presse le pape Eugène III de
travailler à la réforme du peuple romain, non avec le glaive
matériel, mais avec le glaive spirituel de la parole. Il examine,
à cette occasion, si le glaive matériel appartient à l'Église, et
en quel sens on peut dire qu'il lui appartient : « Attaquez les Ro-
«mains rebelles, dit-il, avec la parole, et non avec le fer.
« Pourquoi voudriez-vous encore employer le glaive (matériel),
« qu'il vous a été ordonné de remettre dans le fourreau? Toute-
ce fois, celui qui nierait que ce glaive soit à vous, ne ferait pas
«assez attention aux paroles de Jésus-Christ, qui ordonnent à
« saint Pierre de remettre son épée dans le fourreau. Ce glaive
« est donc véritablement à vous, pour être tiré, à votre sollici-
tation, quoique par une main différente de la vôtre. Si ce
«glaive ne vous appartenait en aucune manière, lorsque les
«apôtres dirent à Jésus-Christ: Voici deux épées, il n'aurait
(1) Bossuet, Defensio Declar., lib. m, cap. 15 et 16. —Fénelon, De Au-
ctoritate summi Pontificis , cap. 27, 40 et 42, pag. 335, 388 et 397. —
Fleury, Hist. Ecclés., toiu. xiv, liv. lxix , n. 14 et 60. — Pey, De l'Auto-
rite des deux Puissances, tom. 1, pag. 124.
(2) Bianchi, Délia Potesta e délia Politia délia Chiesa, tom. 11, lib. v,
§ 12. — Mamachi, Origines etAntiquit. Christ., tom. iv, pag. 251.
35.
548 DEUXIÈME PARTIE. — POUVOIR DU PAPE
«pas répondu, C'est assez; mais il aurait dit, C'est trop. Les
«deux glaives appartiennent donc à l'Église, le spirituel' et le
«matériel; c'est ta l'Eglise elle-même à tirer le spirituel, par la
«main du pontife; le matériel doit être tiré pour la défense de
«l'Église, par la main du soldat, mais à la sollicitation du pon-
«tife, et d'après l'ordre du prince. Au reste, nous avons traité
« cette matière dans un autre endroit (1). » Ces dernières paroles
font allusion à une lettre du saint docteur au pape Eugène,
dans laquelle il dit absolument la même chose, sur les deux
glaives ; ce qui prouve qu'il se propose le même but dans ces
deux passages. Voyons donc dans quel dessein , et à quelle oc-
casion il parle des deux glaives, dans cette lettre au pape Eu-
gène. Tl y entretient le pontife, comme dans ses livres De la
Considération (2), d'une grande défaite de l'année des croisés ,
en Palestine; et après avoir détaillé ce triste événement, il con-
tinue ainsi : « Il faut maintenant tirer les deux glaives, à l'occa-
« sion du renouvellement de la passion de Jésus-Christ, et dans
«les lieux mêmes où elle se renouvelle. Or, n'est-ce pas à vous
« qu'il appartient de les tirer? Car ces deux glaives sont à Pierre,
« pour être tirés toutes les fois qu'il en est besoin, l'un à sa sol-
«licitation, et l'autre de sa main.... Je pense, ajoute le saint
« docteur, qu'il est temps , et qu'il est nécessaire de les tirer tous
«deux, pour la défense de l'Église d'Orient (3). » Ces paroles
montrent clairement en quel sens le saint docteur assure que
(1) «. Aggredere eos (Romanos contumaces) , sed verbo, non ferro. Quid
« tu denuo usurpare gladium tentes, quem semel jussus es ponere in vagi-
« nam ? Quem tamen qui tuum negat, non satis mihi videtur attendere verbum
« Domini, dicentis sic : Couverte gladium tuum in vaginam. Tuus ergo
« et ipse, tuo forsitan nutu , etsi non tuà manu evaginandus. Alioquin si
« nnllo modo ad te pertineret et is, dicentibus apostolis : Ecce gladii duo
« hic, non respondisset Dominus, Salis est ; sed, Nimis est. Uterque ergo
« Ecclesiae, et spiritualis scilicel gladius, et materialis; sed is quidem pio
« Ecclesià, ille verô et abEcclesiâ exerendus; ille sacerdotis, is militis manu,
« sed sanè ad nutum sacerdotis , et jussum imperatoris ; et de hoc aliàs (egi-
« mus . » Saint Bernard, De Consider. lib. îv, cap. 3. (Operum, t. i, p. 438.)
(2) lbid., lib. n.
(3) « Exerendus nunc uterque gladius in passione Domini, Cbristo denuo
«patiente, ubi et altéra vice passus est. Per quem autem, nisi per vos?
« Pétri ulerque est : alter suo nutu , alîer sua manu, quoties necesse est,
« evaginandus Tempus et opus esse existimo ainbos educi , in de-
« fensionem Orientalis Ecclesiae.» Saint Bernard, jiïpist. 256 , ad Euge-
nium pontif. (lbid., pag. 257.)
SUR LES SOUVERAINS. — CHAPITRE III. 549
le glaive matériel appartient à l'Église; c'est uniquement en
ce sens, que le prince doit quelquefois l'employer, sous la direc-
tion et d'après les avis du pontife, comme il arriva dans les
croisades. La pensée de saint Bernard est donc que le souverain
pontife peut et doit, en certains cas, solliciter les princes à la
guerre, par ses avis et ses exhortations , mais que le prince
seul peut donner des ordres sur ce point; d'où il suit que, dans
le sentiment du saint docteur, l'épée matérielle, qui appartient
proprement au prince . appartient aussi, en un sens, au pontife,
parce qu'un prince religieux prendra volontiers les armes, à la
sollicitation du pontife, pour soutenir la cause de Dieu et de ■
l'Église (1). Tout cela suppose clairement sans doute le pouvoir
directif de l'Eglise, en matière temporelle, mais non le pou-
voir de juridiction , que le saint docteur attribue uniquement
au prince, en lui réservant le droit de donner des ordres , en
cette matière.
Ceci nous fournit l'explication naturelle d'un autre passage t 8
de saint Bernard, qu'on pourrait nous opposer avec quelque E» ^:Jbsens
apparence de raison, quoique la plupart des défenseurs du pou- au i>a,,e ie
voir indirect l'aient passé sous silence (2). Le saint docteur serSe**"
ayant appris le choix que les cardinaux venaient de faire du 'ojaj"lses ct
pape Eugène III, autrefois son disciple à Clairvaux, leur en eminrcs-
témoigne sa surprise, en ces termes : « Que le Seigneur vous le
«pardonne! qu'avez-vous l'ait? Vous avez tiré du tombeau un
«homme enseveli; et rejeté dans le tumulte des affaires, celui
« qui ne cherchait qu'à les éviter.... N'y avait-il donc personne
«parmi vous, dont la sagesse et l'expérience fussent plus pro-
« portionnées à une si haute dignité? Ne semble-t-il pas ridi-
« cule de choisir un petit homme , couvert de haillons, pour le
«charger de présider les princes, de commander aux évoques,
« de disposer des royaumes et des empires (3)? » Ces paroles ne
(l)Fleury adopte sans difficulté cette explication du texte de saint Ber-
nard, Hist. Ecclés. , ubi suprù, n. 60, 2e alinéa.
(2) S. Bernard , Epistola 237, ad Cardinales. Bianchi {ubi suprà, n. 3)
est, à notre connaissance, le premier qui ait essayé de tirer avantage de
celte lettre, pour établir le pouvoir indirect. L'abbé Leroy, prévoyant la
difficulté qu'on en pourrait tirer, s'est appliqué à la résoudre, dans une note
sur le ebap. 15 du troisième livre de la Défense de la Déclaration. (Voyez
l'édition de 1745, et les éditions postérieures.)
(3) « Parcat vobis Deus j quid fecislis ? sepullum hotninem revocastis ad
550 DEUXIEME PARTIE. — POUVOIR DU PAPE
peuvent offrir aucune difficulté, après les principes exposés plus
au long, par le saint docteur, dans les autres passages que nous
avons cités. En effet, le souverain pontife , qui peut, en un sens,
disposer du glaive matériel, par ses avis et ses exhortations,
peut, dans le môme sens, disposer des roijaumes et des em-
pires, en faisant connaître aux princes et aux peuples les obli-
gations qui résultent de leurs serments et de leurs engagements
réciproques. Saint Bernard a pu s'exprimer ainsi avec d'autant
plus de raison, que la législation de l'empire et de plusieurs
autres États, attachait alors à l'excommunication la peine de
déposition. Celte législation une fois établie, il s'ensuivait na-
turellement que le Pape pouvait, en certains cas, disposer des
royaumes et des empires, par le moyen de l'excommunication,
comme nous l'avons expliqué plus haut, à l'occasion de la sen-
tence de Grégoire VII contre l'empereur Henri IV (1).
199- 6° On peut expliquer, au moyen des mêmes principes, le
Tiivers sens de
vaiiégone langage d'un grand nombre d'auteurs du même temps, qui ont
des ,«* giai-. empj0y£ ^ comme saint Bernard, l'allégorie des deux glaives,
danieursau Pour exprimer la réunion des deux puissances dans les mains
de cette épo- jg j'Église et du souverain pontife. Quelques-uns, il est vrai,
ont poussé cette allégorie, jusqu'à dire que les deux puissances
ont été données directement à l'Église, qui, ne pouvant em-
ployer par elle-même le glaive matériel, doit le donner au
prince, pour s'en servir conformément à l'ordre de Dieu, et qui
peut le lui ôter, s'il en use contre cet ordre (2). Mais la plupart
des auteurs qui ont employé l'allégorie des deux glaives, peuvent
très-bien s'expliquer dans le sens du pouvoir purement directif
de l'Église, en matière temporelle.
« homines; fugitantem curas etturbas curis denuô implicuistis , et immis-
« cuistis turbis Sic non erat inter vos sapiens et exercitatus,
« cui potiùs ista cunvenirent? Ridiculum profectô videtur pannosum homun-
« cionem assumi, ad prsesidendum principibus, ad imperandum episcopis,
« ad régna et imperia disponenda. » Saint Bernard, Epist. 237, ubisuprà.
— Fleury, Hist. Ecclés., tom. xiv, liv. lxix, n. 8. — Hist. de l'Égl. GalL,
tom. ix, pag. 119.
(1) Voyez plus haut, n. 191.
(2) Jean de Sarisbery, évêque de Chartres au xne siècle, paraît être le pre-
mier auteur qui ait soutenu cette opinion. Voyez ci-dessus la note 1 de la
page 533.
SUR LES SOUVERAINS. —CHAPITRE III. 551
Tel est en particulier le sens de Geoffroy de Vendôme, con- 200.
temporain d'ives de Chartres, et généralement regardé comme EneHeeIssten*
le premier qui ait employé l'allégorie des deux glaives, pour ■qJJJjjJJJ Jaer
marquer la distinction des deux puissances (l). Voici les propres Vendôme,
expressions de cet auteur, dans son Quatrième opuscule, sur
les investitures :« Jésus- Christ a voulu, dit-il, que le glaive
« spirituel et le glaive matériel fussent employés pour la dé-
« fense de l'Église. Si l'un des deux émousse l'autre, c'est contre
« son intention : c'est là ce qui éloigne tout à la fois la justice de
« l'État et la paix de l'Église : de là viennent les scandales et les
«schismes, d'où résulte également la perte des âmes et des
« corps; et tandis que le sacerdoce et l'empire se font la guerre,
« ils sont tous deux exposés aux plus grands périls (2). » L'auteur,
comme on voit, se borne à établir ici les principes universelle-
ment admis, sur l'union des deux puissances, et sur la néces-
sité d'employer la puissance même temporelle au bien de la
religion. Il est vrai que , dans la suite du même opuscule , re-
présentant les maux qui résultent de la division du sacerdoce et
de l'empire, il compte parmi ces maux la déposition des souve-
rains excommuniés par l'Église : « Le roi , dit-il , est privé tout
«à la fois de la communion ecclésiastique, et de sa dignité
« royale (3). » Mais ces dernières paroles ne supposent pas né-
cessairement l'opinion théologique du pouvoir direct ou indi-
rect; elles supposent uniquement, ce que nous savons d'ail-
(1) Bossuet suppose que saint Bernard est le premier qui ait employé, en
cette matière, l'allégorie des deux glaives. (Defens. Declar., lib. i, sect. 2,
cap. 37, pag. 392) L'abbé Leroy a relevé avant nous cette légère méprise.
(Note sur le chap. 16 du liv. m) Fleury avait déjà remarqué, longtemps au-
paravant, que cette allégorie se trouvait, pour la première l'ois, dans les écrits
de Geoffroy de Vendôme. (Fleury, Hist.Ecclés., tom.xiv,pag. 301 ;tom.xvn,
pag. 41.)
(2) « Voluit bonus Dominus et magister noster Christus, spiritualem gla-
« dium et materialem esse in defensione Ecclesije. Quôd si alter ab altero
« retunditur, hoc fit contra illius voluntatem. Hàc occasione , de regno jus-
te titia tollitur, et pax de Ecclesiâ; scandala suscitantur et schismata ; et fît
« animarum perditio simul et corporum. Et dum reguum et sacerdotium
« unum ab altero impugnatur, periclitatur utrumque. » Geoffroy de Ven-
dôme, Opuscul. iv. [Biblioth. Patrum, tom. xxi, pag. 61, 2e col., H.) —
Fleury, ubi supra.
(3) « Rex sacrosanctâ communione pariter et regià dignitate privatur. »
Geoffroy de Vendôme, ubi suprà*
552 DEUXIÈME PARTIE. — POUVOIR DU PAPE
leurs, que l'usage et la persuasion universelle attachaient alors,
en certains cas, à l'excommunication la peine de déposition.
20I. Vers le même temps, on trouve aussi l'allégorie des deux
glaives employée par Hildebert, évêque du Mans, dans une lettre
évé^u^du écrite du fond de la prison où il était injustement retenu par le
Mans, comte du Perche. Le but de cette lettre, adressée à Serlon, évê-
et la plupart '
.des que de Séez, est de l'engager à frapper d'anathème le comte du
En quel sens
P
Hildebert,
anciens au-
teurs. Perche, pour l'obliger à rendre la liberté à l'évêque du Mans.
«Vous savez, dit ce prélat, qu'il y avait deux glaives entre les
« mains des apôtres, au moment de la dernière cène.... Ce n'était
« pas sans raison ; car ces deux glaives se trouvent encore aujour-
« d'hui parmi les membres du corps de Jésus-Christ , le roi et le
« prêtre étant tous deux membres de ce divin chef. Vous savez
« quel est le glaive du roi, et quel est celui du prêtre. Le glaive du
« roi, ce sont les peines infligées par la cour du prince : le glaive
« du prêtre, ce sont les peines infligées par les lois ecclésiastiques.
« Si le glaive du roi venait me délivrer, je n'appellerais pas à
« mon secours le glaive du prêtre (l). » Ce passage ne renferme
rien qui ne se concilie parfaitement avec la distinction et l'indé-
pendance réciproque des deux puissances : Hildebert se borne
à établir qu'il y a deux glaives, ou deux puissances distinctes,
que l'une et l'autre appartiennent aux membres de l'Église , et
que le glaive du prince doit, en certains cas, venir au secours
de l'Église; mais il ne dit pas un seul mot, qui donne lieu de
supposer qu'il lût imbu de l'opinion théologique du droit divin,
ou qu'il inclinât seulement à cette opinion.
Il serait aisé de montrer que la plupart des auteurs qui ont
employé, en cette matière, l'allégorie des deux glaives, l'ont
entendue dans le sens modéré que nous venons d'expliquer. Tel
est en particulier le sens de cette allégorie dans les actes émanés
(1) « Duos in cœna (nosti) fuisse glarîios ; Apte profectô
« inventus esl ulerque apud discipulos Clnïsti, quia adlmc uterque ostendi-
« tur in membris corpoiis Christi. Membrum enim Christi, rex : membrum
« Christi, sacerdos. Scienti Ioquor ; nosti gladium régis, nosti gladium sacer-
« dotis. Gladius régis, censura curios ; gladius sacerdolis, ecclesiastica3 rigor
« disciplina?. Hos Evangelistam figurasse legisti, dicentem : Domine , ecce
« gladii duo hic. Si esset qui in gladio regni liberaiet me, non peteretur duci
« gladius sacerdotii propter me. » Hildeberti Epist. 40, ad Herlonem, Sa-
giensem Episc. {Biblioth. PP. tom. xxi, pag. 136.) — Hildeberti Opéra;
Epistol. lib. ii, Epist. 18.
202.
Cet examen ,
quoique
très-ulile à
notre bat, ne
SUR LES SOUVERAINS. — CHAPITRE III. 553
de l'autorité du saint-siége, et dont nous parlerons bientôt (l).
Mais les exemples que nous venons de citer suffisent pour mon-
trer avec combien peu de fondement, Fleury et d'autres écri-
vains modernes blâment absolument et sans aucune exception
l'usage de cette allégorie, dans tous les auteurs du moyen
âge (2). Fleury devait , ce semble , être d'autant plus réservé sur
ce point, qu'en plusieurs endroits de son Histoire , il n'ose con-
damner l'usage que saint Bernard a fait de cette allégorie, et
adopte même assez ouvertement l'explication modérée que nous
avons donnée, avec Bossuet, au texte du saint docteur (3).
§ 2. Examen des principaux actes et décrets des conciles et
des souverains pontifes , qu'on allègue en faveur de l'opi-
nion théologique du droit divin.
Ce qui achève de renverser le système qui représente l'opi-
nion théologique du droit divin comme le fondement du pou-
voir exercé par les papes et les conciles sur les souverains, au
moyen âee, c'est que cette opinion n'a jamais été enseignée ni luiest. ,
J O ' J l ° ° pas essentiel.
supposée, bien moins encore définie comme un article de foi,
par les conciles, ou par les souverains pontifes. Déjà nous avons
montré que le langage de Grégoire VII peut et doit même s'en-
tendre dans un tout autre sens. Nous croyons pouvoir expliquer
de même celui des conciles et des souverains pontifes postérieurs
à Grégoire Vil, même de ceux qui ont paru porter plus loin leur
autorité sur les choses temporelles.
Mais avant d'entrer dans les développements nécessaires pour
établir ce dernier point , nous devons remarquer qu'il n'est pas
absolument nécessaire à notre but, et que notre sentiment serait
suffisamment établi par les observations précédentes, quand
même nous ne pourrions justifier absolument le langage de tous
les conciles et de tous les souverains pontifes postérieurs à Gré-
goire Vil. En effet, quand on admettrait que plusieurs de ces
derniers ont insinué ou supposé, dans leurs décrets, l'opinion
(1) Voyez , un peu plus bas, l'examen de la doctrine d'Innocent III et de
Boni (ace VIII, sur cette matière.
(2) Fleury, Hist. Ecclés., tom. xvn, 5e Discours, n. 12.
(3) Ibid., tom. xiv, liv. lxix, n. 14 et 60.
554 DEUXIÈME PARTIE. — POUVOIR DU PAPE
théologique du droit divin , il n'en serait pas moins vrai que
cette opinion était inconnue dans l'Église , ou du moins y avait
à peine quelques partisans, sous le pontificat de Grégoire VIT;
que cette opinion n'a commencé qu'assez longtemps après à se
répandre , ou du moins à compter un certain nombre de parti-
sans; enfin, que Grégoire VII en particulier ne l'a jamais ensei-
gnée ou supposée : d'où il suit évidemment que le pouvoir extra-
ordinaire que le saint-siége s'est attribué, depuis cette époque, sur
les souverains, n'a pas eu pour fondement l'opinion théologique
du droit divin. En supposant donc que les papes ou les con-
ciles postérieurs à Grégoire VII, aient quelquefois insinué ou
supposé cette opinion, tout ce qu'on en pourrait, conclure, c'est
qu'ils ont quelquefois partagé l'opinion de leur siècle, sur l'ori-
gine et les fondements du pouvoir extraordinaire dont ils étaient
investis; et que, pour justifier un pouvoir d'ailleurs bien établi
et universellement reconnu, ils ont mis en avant quelques prin-
cipes sujets à contestation. Toutefois, nous croyons pouvoir
avancer avec confiance, que les conciles et les souverains pon-
tifes postérieurs à Grégoire VII, n'ont pas plus enseigné ou sup-
posé que lui, dans leurs décrets et dans leurs actes solennels,
l'opinion théologique du droit divin; et que leur langage,
comme le sien, doit s'expliquer dans un autre sens (l). L'examen
détaillé de tous les témoignages et de tous les faits qu'on peut
opposer à notre sentiment, nous conduirait sans doute beau-
coup trop loin ; il suffit à notre but, d'examiner ceux qu'on peut
nous opposer avec plus de vraisemblance, et dont l'explication
nous donnera lieu d'exposer les principes de solution nécessaires
pour l'intelligence des autres.
»o3. 1° Plusieurs écrivains modernes ont prétendu que le pape
Tendu/"" Adrien IV, non content de s'attribuer le droit de juger les sou-
(1) Quelque impression que nous eût faite, dès le principe, l'autorité de
Fénelon, qui explique dans le sens du pouvoir directif, tous les décrets des
papes et des conciles , sur le sujet qui nous occupe, cette explication nous
avait paru d'abord trop sujette à difficulté pour l'adopter absolument. (Voyez
la première édition de nos Recherches, pag. 303.) Mais un examen plus at-
tentif nous a insensiblement amené à reconnaître la légitimité de cette expli-
cation. Nous croyons même qu'on peut l'appliquer à plusieurs anciens théo-
logiens , auxquels on a trop facilement attribué l'opinion théologique du
droit divin. Voyez , à ce sujet, le n. 8 des Pièces justijicat. à la fin de ce
volume.
SUR LES SOUVERAINS. — CHAPITRE III. 555
verains, s'était môme attribué celui de disposer des États en deririande,
maître absolu, pour le plus grand bien de la religion (t). ^Angleterre,
Ce fut eu conséquence de ce droit prétendu , s'il en faut croire P" lv
ces auteurs, que ce pontife donna l'Irlande au roi d'Angleterre,
Henri II, en 1156, «pour la soumettre aux lois du christia-
« nisme; à la charge néanmoins du denier de saint Pierre, qui
« serait payé, tous les ans, par chaque maison (2). »
Mais si l'on examine attentivement la lettre du pape Adrien IV,
sur laquelle on se fonde pour lui attribuer une prétention si
extraordinaire, on verra qu'elle ne dit rien de semblable (3).
Le Pape, il est vrai, suppose dans cette lettre, comme une
chose certaine, et reconnue par le roi d' Angleterre lui-même,
« que l'Irlande, et toutes les îles éclairées de la lumière de l'Évan-
« gile, sont soumises à la juridiction de saint Pierre et de l'Église
«romaine : Ad jus beali Pétri et sacrosanclœ Romanœ Eccle-
«siœ pertinere. » Mais de quelle juridiction parle ici le Pape?
Est-ce de la juridiction spirituelle , ou de la juridiction tem-
porelle ? Il est certain qu'il parle uniquement de la première :
il su lût, pour s'en convaincre, de lire attentivement la suite de
la lettre. Immédiatement après les paroles que nous venons de
citer, il est dit, que le roi d'Angleterre ayant formé le dessein
d'assujettir V Irlande, et d'y maintenir les droits des églises,
le Pape loue et approuve son pieux dessein , pour le bien de la
religion et pour le salut des âmes; sauf les droits des églises, et
le denier de saint Pierre , que les habitants avaient coutume
de payer au saint-siége (4). On ne voit pas, en tout cela, un
(1) Bossuet, Defensio Declar., lib. 1, cap. 2 ; lib. m, cap. 18 , pag. 209 et
653. — Fleury, Hist. Ecclés. , t. xv, liv. lxx, n. 16.
(2) Epist. Adrianï IV ad Henricum II'. (Labbe, Concil. tom. x,
pag. 1143.)
(3) Bianchi , Délia potestae délia Politia délia Chiesa, tom. 11, liv. v,
§ 14, n. 10. Nous ferons remarquer, en passant, que M. Augustin Thierry, qui
cite textuellement la lettre dont il s'agit, change tellement l'ordre des phra-
ses, qu'il dénature le contexte et la pensée d'Adrien IV. Avec de pareils bou-
leversements, il est aisé de faire dire à un auteur tout le contraire de ce qu'il
dit. Voyez Augustin Thierry, Histoire de la Conquête d' Angleterre par
les Normands, tom. ni, année 1156.
(4) « Signijicasti nobis, fili in Christo carissime, te Hiberniœ insnlam, ad
« subdendum illum populum legibus, et vitiorum plantaria inde extirpanda,
« velle intraret et de singulis domibus annuam unius denarii beato Petro
« velle solvere pensionem, et jura ecclesiarum illius terrae illibata et intégra
556 DEUXIÈME PARTIE. — POUVOIR DU PAPE
seul mot, qui suppose ou autorise le droit prodigieux, de dis-
poser en maître absolu de l'Irlande et de toutes les îles éclai-
rées de la lumière de l'Évangile. L'unique droit que le Pape
s'attribue sur l'Irlande, est relatif au denier de saint Pierre,
que les Irlandais avaient coutume de payer annuellement à
l'Église romaine, avant la conquête de cette île par le roi d'An-
gleterre.
204. 20 Le troisième et le quatrième concile de Latran, tenus
Décrets des a
3e et 4e con- en 1 1 79 et 1 2 1 5, décernent, contre les Albigeois et plusieurs
ci les
de Latran, en autres hérétiques de cette époque, des peines temporelles,
tet^pordSs , parmi lesquelles on remarque même la perte des droits civils
amor,seS par et ^ dignités temporelles, pour les seigneurs hérétiques ou
Pri.,ces. fauteurs d'hérésie (1).
Mais la difficulté qu'on peut tirer de ces décrets, est pleine-
ment résolue par les explications que nous en avons données,
dans le chapitre précédent. Il résulte, en effet, de ces explica-
tions, que ces deux conciles ne prétendaient pas décerner les
peines temporelles, de leur propre autorité, mais du consente-
ment et avec le secours des princes chrétiens, qui assistaient à
ces conciles, ou en personne, ou par leurs ambassadeurs. Ajou-
tons qu'à l'époque où furent tenus ces conciles, les peines tempo-
relles qu'ils décernent contre l'hérésie, étaient déjà établies par
un usage universel, et appliquées aux souverains eux-mêmes,
par la constitution ou le droit public de leurs États (2); en
sorte que les conciles dont nous parlons, ne firent que confirmer,
par leur autorité, un point de droit déjà établi et reconnu de-
puis longtemps dans l'Europe catholique.
« conservare... Nos itaque pium et laudabile desiderium tuum cum favore
« congruo prosequentes , et petitioni tuse benignum impendentes assensum,
« gratum et acceptum babemus ut, pro dilatandis Ecclesiae terminis, pro vi-
te tioi'iim restringendo decursu , pro corrigendis moribus , et virtutibus infe-
« rendis, pro chrislianœ religionis augmenta, insulam illam ingrediaris, et
« quod ad honorem Dei et salutem illius terra? spectaverit, exequaiis; et
« illius terrae populus honorificè te recipiat, et sicut Dominum veneretur;
«jure nimirum ecebsiastico illibato et integro permanente, et salvâ beato
« Petto et sacrosanctae Romame Ecclesiae, de singulis domibus, annuâ unius
« denatii pensione. Si ergo quod concepisti animo, effectu duxeris corn-
« plendum , stude gentem illam bonis moribus inibrmare , etc. » Adriani ,
Epist. 1, ad Henric. II, ubi suprà.
(1) Nous avons cité ailleurs le texte de ces conciles, chap. 2 , n. 88, etc.
(2) On verra, dans l'article suivant, la preuve de ce fait.
SUR LES SOUVERAINS. — CHAPITRE III. 557
3° Plusieurs lettres d'Innocent TU, dont quelques-unes ont 205.
//•/11 , i ' !• Doctrine d'In-
ete insérées dans le Corps du Droit canonique , ont donne lieu nocem m.
de lui attribuer l'opinion théologique du droit divin; mais Sen3n soutient
nous croyons avec M. de xMarca, et avec Bossuet lui-même, Jâ£'d^pôw
que ces lettres sont susceptibles d'un tout autre sens, et que le .J,0^ 8ar
pape Innocent III ne dit rien, sur cette matière, qui ne se le temporel.
concilie parfaitement avec le principe de la distinction et de
l'indépendance réciproque des deux puissances (l).
La première lettre dont nous avons à parler , contient un dis-
cours prononcé par le Pape, en plein consistoire, en présence
des ambassadeurs de Philippe de Souabe, alors prétendant à
l'empire, qui les avait envoyés à Rome, pour soutenir ses pré-
tentions contre celles d'Othon, duc de Saxe (2). Le Pape, pour
disposer les esprits à recevoir sa décision avec respect, montre,
par plusieurs passages de l'Écriture , la prééminence du sacer-
doce sur la royauté , et de la puissance spirituelle sur la puis-
sance temporelle. « Le pouvoir des princes, dit-il, s'exerce sur
«la terre, celui des prêtres dans le ciel; ceux-là ne gouver-
nent que les corps, ceux-ci les âmes. Ainsi le sacerdoce est
« autant au-dessus de la royauté, que l'àme est au-dessus du
« corps Le pouvoir de chaque prince est renfermé dans sa
« province , et celui de chaque roi dans son royaume ; mais
« Pierre les surpasse tous , par la plénitude et l'étendue de sa
« puissance , parce qu'il est le vicaire de celui à qui appartient
« l'univers et tout ce quHl renferme, la terre et tous ses ha-
« bitants (3). »
(J) Ni M. de Marca, ni Bossuet, ne patient de la première des trois lettres
dont il s'agit ; nous l'aurions entièrement passée sous silence, si elle n'eût été
citée par Fleury avec tant de confiance, comme favorisant l'opinion théo-
logique du droit divin. M. de Marca n'hésite pas à justifier la seconde,
quoiqu'il ne croie pas pouvoir justifier entièrement la troisième. Bossuet
n'examine que celte dernière, qui offre, à la vérité, plus de difficulté que les
antres ; et il incline manifestement à l'expliquer dans un sens conforme à la
doctrine de l'antiquité, sur la distinction et l'indépendance réciproque des
deux puissances.
(2) Responsio domini Papœ , facta nunliis Philippi in consislorio.
(Tom. 1 du Recueil de Baluze, Epistol. Innoc. ///, pag. 547 et 692.) Voyez
ci-dessus (chap. 2, n. 154, p. 496, etc.) quelques détails sur cette affaire.
Voyez aussi Hurter, Histoire d'Innocent III, tom. 1, pag. 286.
(3) « Principibus dalur potestas in terris, sacerdotibus autem potestas tri-
« buitur et in cœlis ; illis solummodo super corpora , istis etiam super ani-
558 DEUXIEME PARTIE POUVOIR DU TAPE
Nous avons de la peine à comprendre , comment Fleury et
quelques autres historiens ont pu citer ces paroles avec tant
de confiance, comme confondant les deux puissances, et
attribuant au sacerdoce la puissance temporelle; tandis que le
Pape distingue si clairement les deux puissances, en disant
que le pouvoir des princes s'exerce sur la terre et à V égard
des corps, et que celui des prêtres s'exerce dans le ciel et à
V égard des âmes. Il est vrai que le Pape ajoute que Pierre
surpasse tous les princes et les rois par la plénitude et l'é-
tendue de sa puissance; mais il est évident, par le contexte,
qu'il considère uniquement iciY étendue de la juridiction spi-
rituelle de Pierre, qui s'étend à toutes les parties du monde.
Fleury n'a pu donner un autre sens aux paroles d'Innocent III,
qu'en y joignant une glose tout -à fait contraire au sens na-
turel du texte (1). Cette glose est d'autant plus déplacée, que
le Pape lui-même, à la fin de son discours, pour établir
ses droits relativement à l'élection de l'empereur, ne se fonde
aucunement sur le droit divin, mais uniquement sur l'origine
de l'empire, et sur l'usage constant où il est, de donner à l'em-
pereur élu la couronne impériale. « 11 y a longtemps, dit-il,
« qu'on aurait dû recourir au saint-siége , à qui appartient prin-
« cipalement et finalement, comme on sait, la connaissance de
« cette affaire ; principalement , parce que c'est lui qui a trans-
« féré l'empire d'Orient en Occident; finalement, parce que
« mas. Unde quantô dignior est anima corpore, tantô dignius est sacerdo-
« tium quàm sit regnum Singuli (principes), singulas ha-
« bent provincias, et singuli reges, singula régna ; sed Petrus, sicut plenitu-
« dine, sic et latitudine , pneeminet universis ; quia vicarius est ejus, cujus
« est terra et plenitudo ejus, orbis terrarum et universi qui habitant in
« eâ. » Baluze, ubi suprà, pag. 548, lre col.
(1) Fleury, Hist Ecclés., tom. xvi, liv. lxxv, n. 32.
Berault-Bercastel, dans son Histoire de V Église (liv. xxxvm , édition de
Toulouse, 1809, tom. vi,pag. 409), reproduit pour le fond, quoique sous une
forme un peu différente, cette glose de Fleury. M. Henrion, dans la nouvelle
édition de l'ouvrage de Berault-Bercastel , supprime ces gloses , et explique
le langage d'Innocent III, par la jurisprudence du temps, d'après laquelle il
se donne pour juge compétent et suprême, dans les questions politiques
du premier ordre. (Édition de Paris, 1841, tom. v, pag. 208.) Nous recon-
naissons volontiers la réalité de cette ancienne jurisprudence; mais il nous
semble tout à fait inutile d'y recourir, pour expliquer le langage d'Inno-
cent III, dans le passage dont il est ici question.
grands lumi-
naires.
SUR LES SOUVERAINS. — CHAPITRE III. 559
« c'est lai qui donne la couronne impériale (t). » Ajoutons que
le discours d'Innocent III , s'il avait quelque chose d'obscur ou
d'équivoque , devrait naturellement s'expliquer par la doctrine
qu'il professait expressément, vers le même temps, dans une
lettre au comte de Montpellier, où il reconnaît et marque net-
tement la distinction des deux puissances , de l'aveu même
de Fleury. « Nous ne voulons pas , dit le Pape dans cette
« lettre (2), préjudicier au droit d'autrui, ni usurper une puis-
« sance qui ne nous appartient pas ; car nous n'ignorons pas
« cette parole de Jésus-Christ, dans l'Évangile : Rendez à César
« ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu (3). C'est pour-
« quoi étant prié de partager un héritage entre deux frères, il
« leur fit cette réponse : Qui m'a établi juge sur vous (4) ? »
La seconde lettre d'Innocent III que nous avons à examiner, 206.
fut écrite par ce pontife, la première année de son pontificat, "ilmpide"
à l'empereur Alexis Comnène, pour l'exhorter à procurer lalallX"ed"'
réunion des Grecs à l'Église romaine, et la délivrance de la terre
sainte (5). L'empereur, après avoir manifesté d'abord des dis-
positions favorables, se repentit bientôt de ses promesses; et
dans une lettre où il s'efforçait de les éluder, il allait jusqu'à
prétendre que Y empire était au-dessus du sacerdoce. Le Pape,
dans sa réponse, réfute fort au long ce paradoxe, évidemment
contraire à la doctrine constante de la tradition ; et il conclut
cette discussion en ces termes : « Vous deviez savoir d'ailleurs ,
(1) « Verùm ad apostolicam sedem jampridem fuerat recurrendum, ad
« quam negotium istud principaliter et finaliter dignoscitur pertinere;
«principaliter, quia ipsa transtulit imperium ab Oriente in Occidentem;
«finaliter, quia ipsa concedit coronam imperii. » Baluze, ubï suprà,
pag. 549, lrecol.
(2) « Non quèd alieno jnri praejudicare velimus, vel potestatem nobis in-
« debitam usurpare ; cùm non ignoremus Cliristum in Evangelio respon-
« disse: Reddite quœ sunt Cœsaris Cœsari, et quœ sunt Dei Deo. Propter
« quod , postulatus ut haercditatem diwderet inter duos, Quis, inquit, con-
« stituit mejudicem super vos P » Baluze, Epistol. Innocent III, tom. 1,
pag. 676, lve col. — Fleury, Hist. Ecclés., tom. xvi, liv. lxxv, n. 42.
(3) Matt. xxii, 21.
(4) Luc. xii , 14.
(5) Gesta Innocenta III, n. 62 et 63. (Baluze, Epistol. Innoc. III,
tom. 1, pag. 28, etc.) — Fleury, Hist. Ecclés., tom xvi,.4e Discours, n. 7,
liv. lxxv, n. 14; tom. xvu, 5e Discours, n. 12.— -D. Ceillier, Hist. des
Auteurs ecclés., tom. xxm, pag. 432. — DeMarca, De Concordiâ, lib. 11,
cap. l,n. 8.
560 DEUXIEME PARTIE. — POUVOIR DU PAPE
que Dieu a fait deux grands luminaires dans le ciel, l'un plus
grand pour présider au jour, l'autre moins grand pour pré-
c sider à la nuit. Le ciel figure ici Y Église; le jour désigne les
choses spirituelles , et la nuit les choses corporelles. Dieu a
< donc mis dans le ciel, c'est-à-dire dans l'Église, deux grands
luminaires, c'est-à-dire deux grandes dignités, qui sont
l'autorité pontificale et, la puissance royale ; mais celle qui
préside au jour, c'est-à-dire aux choses spirituelles, est plus
grande que celle qui préside aux choses corporelles ; et autant
il y a de différence entre le soleil et la lune, autant il y en a
entre les pontifes et les rois (l). » L'unique but de cette allé-
gorie, comme le montre clairement la suite du texte, est de
montrer la supériorité de la puissance spirituelle sur la tem-
porelle; cette supériorité est telle, selon le pape Innocent 111 ,
que la puissance temporelle emprunte son éclat de la spirituelle,
comme la lune emprunte le sien du soleil ; parce que les princes
reçoivent des évêques les règles nécessaires pour bien vivre et
bien gouverner. On reconnaît ici la doctrine enseignée long-
temps auparavant par le pape Gélase et par toute l'antiquité,
sur la supériorité de la puissance spirituelle à l'égard de la
puissance temporelle ; mais prétendre inférer de là, comme font
quelques auteurs modernes, que, dans le sentiment d'Inno-
cent III , le prince tient son autorité de l'Église , qui peut la lui
(1) « Preeterea nosse debueras quôd fecii Dens duo magna luminaria
« infirmamentocœli, luminare majuset luminare minus; luminare majus
« utprœesset diei, et luminare minus ut prœesset noctï; utrumque ma-
« gniim, sed alterum majus; quia nomine cœli praesignatur Ecclesta, juxta
« quod Veritas ait : Simile est regnum cœlorum homini patrifamilias ,
« qui summo mane conduxit operarios in vineam suam. Per diem, verô
« spiritualis (potestas) accipitur; et per noetem, carnalis, secundùm pro-
« pheticum te^timonium : Dies diei éructât verbum, et nox nocti indicat
«.scientiam. Ad firmamentuin igitur cœli, hoc est, universalis Eeclesiae,
« fecit Deus duo magna luminaria, id est, duas magnas instituit diguitates,
« quœ sunt pontificalis auctoritas, et regalis potestas; sed illa quœ praeest
« diebus, id est, spiritualibus, major est; quae verô carnalibus, minor est ;
a ut quanta est inter solem et lunam, tanta inter pontilices et reges diffe-
k rentia cognofcatur. » Décrétai, lib. i, tit. 33, cap. 6. (Baluze, ubi su-
prà , n. 63, 2e col.) Le pape Innocent 111 emploie encore cette allégorie
dans quelques autres lettres. Voyez, entre autres, Epis t. lib. i, Ep. 401 ;
lib. n, Ep. 296. Dans cette dernière lettre, il n'emploie l'allégorie des deux
glaives , que pour exprimer l'union qui doit régner entre les deux puis-
sances.
SUR LES SOUVERAINS. — CHAPITRE III. 561
ôter, s'il en abuse (l), c'est évidemment étendre la comparaison
au delà des bornes que le Pape lui donne, d'après le but et la
liaison de son discours. Pour autoriser une pareille extension ,
il faudrait montrer que l'allégorie employée par le Pape, était
alors poussée jusque-là par l'usage ordinaire; mais bien loin
qu'on puisse établir ce dernier point , il est certain qu'un auteur
contemporain d'Innocent III, Berengose, abbé de Saint-Maxi-
miu de Trêves , explique cette même allégorie, de manière à
prévenir les conséquences fâcheuses qu'on en pourrait tirer con-
tre l'autorité des princes ; car dans le passage même où il repré-
sente les deux puissances comme figurées par les deux grands
luminaires, il les suppose toutes deux souveraines dans leur
ressort ; et il va jusqu'à dire, « qu'il n'est pas contraire aux prin-
« cipes de la foi catholique, ni à ceux de la doctrine chrétienne,
« que, pour l'honneur de l'empire et du sacerdoce, le roi obéisse
« au pontife, et le pontife au roi (2). »
Une autre lettre d'Innocent III, présente, au premier abord , 2(,7
plus de difficulté, mais paraît au fond réduire le pouvoir du H ^Jf1 af '
Pape, en matière temporelle, au simple pouvoir directif. Voici, tlela p«**« cn-
en peu de mots, l'occasion et le sujet de cette lettre (3). Jean Auguste
sans Terre, roi d'Angleterre et duc de Normandie, avait assas- e IPK/"*
sine à Rouen (en 1202), et jeté dans la Seine, son neveu Artus,
comte de Bretagne, qui lui disputait le trône d'Angleterre. A la
nouvelle de ce crime, Philippe- Auguste, roi de France, proche
parent du défunt, et seigneur suzerain du duc de Normandie,
aussi bien que du comte de Bretagne , fit citer Jean , comme
(1) C'est ainsi que Fleury entend le texte d'Innocent III; et, partant de
cette explication, il attribue au pontife un raisonnement absurde. Il suffit,
pour justifier ici le Pape, de remarquer que l'explication de Fleury est tout à
fait arbitraire : il ne l'eût sans doute pas proposée avec tant de confiance, s'il
eût connu, ou lu avec plus d'attention, le passage de M. de Marca , que nous
venons de citer, et dont nous suivons ici l'interprétation. (Voyez les auteurs
cités dans la note 5 de la page 559.)
(2) « Sciendum est quôd nec catholicœ fidei, nec christianœ contrarium
« est legi, si, ad honorem regni et sacerdotii, rex pontifici, et pontifex
« obediat régi.» Berengose, De Mysterio ligni Dominï. (Biblioth. Patrum,
torn. xu, pag. 374, 2a col. H.) Ce texte est cité par M. de Marca, De Concor-
diâ, ubi suprà.
(3) Raynaldi Annales, anno 1202, n. 25; anno 1203, n. 54, etc Spon-
dani Annales, anno 1202, n. 7 et 8. — Fleury, Hist. Ecclés. , tom. xvi,
liv. lxxv, n. 57, etc. — D. Ceillier, Hist. des Auteurs ecclés., tom. xxi,
p. 731. — Lingard, Hist. d'Angleterre, tom. ni, pag. 12, etc. — Hurter,
36
562 DEUXIÈME TARTIt. —POUVOIR DU TAPE
son vassal, pour se justifier là-dessus, en présence des pairs
français. Jean ayant refusé de comparaître, la cour des pairs le
déclara coupable de félonie et de «trahison, et le condamna en
conséquence à perdre tous les fiefs qu'il possédait en France ,
comme vassal du roi. En exécution de cet arrêt, Philippe entra
aussitôt en Aquitaine, puis en Normandie, où il fit la conquête
de plusieurs villes et forteresses dépendantes du roi d?Angle-
terre. Innocent III, affligé de cette querelle, dont il prévoyait
les suites fâcheuses, principalement par rapport au succès delà
croisade qui occupait alors toute l'Europe, interposa son autorité
pour apaiser les deux rois, et leur fit signifier, par ses légats,
de suspendre les hostilités , pour assembler les évêques et les
seigneurs du royaume, et soumettre à un nouvel examen la
conduite du roi d'Angleterre.
.2o8- Une pareille injonction, faite par le Pape à deux souverains,
cette conduite, nous paraît aujourd'hui bien extraordinaire ; mais elle n'avait
Comment . , . . .»#/."•«
îe pape lui- rien d étonnant a cette époque, ou le souverain pontite était
se jusTiL. investi, par la confiance de tous les princes chrétiens, d'une si
grande autorité pour la direction des croisades, dont la religion
était l'âme, et dont le Pape était le principal mobile (1). Quoi
qu'il en soit, le roi d'Angleterre, qui trouvait son intérêt dans
la suspension des hostilités , se montra disposé à entrer dans les
vues du Pape; Philippe, au contraire, y témoigna la plus
grande opposition, jusqu'à déclarer aux légats, qu'il n'était pas
tenu de rendre compte au Pape de ce qui regardait ses vassaux ,
et que les différends survenus entre les rois ne le regardaient
pas. Le Pape, informé de cette réponse, écrivit au roi et aux
évêques de France « qu'il ne prétendait troubler ou diminuer,
« en aucune manière, la juridiction du roi, ni s'attribuer, en
« aucun cas, le droit de juger sur un fief dont le jugement
« appartient au roi, à moins d'avoir acquis ce droit par un pri-
« vilége spécial, ou par une coutume contraire ; mais qu'il pré-
« tendait seulement décider sur le péché, parce qu'il pouvait et
« devait exercer , à cet égard , son autorité sur tous les fidèles
Hist. d'Innocent UT, tom. I, année 1203, pag. 595, etc. ; 696, etc. — Hist.
de VÉgl. Gall., tom. x, année 1203, pag. 250, etc.
(1) Voyez ci-dessus, chap. 1, n. 51, pag. 388.
SUil LES SOUVERAINS. — CHAPITRE III. 563
« sans exception (i). » On voit que le Pape ne s'attribue point ici
un pouvoir de juridiction sur les choses temporelles , mais
uniquement le pouvoir de décider sur le péché , ou le droit de
diriger la conscience des princes en matière temporelle, comme
en toute autre matière ; ce qui suppose uniquement le pouvoir
directif, au sens où nous l'avons expliqué au commencement
de ce chapitre (2).
Il est vrai que plusieurs auteurs modernes ont cru voir , dans 209.
ii » * 1 / ii Injustice des
les paroles d Innocent Iïl , la prétention de s immiscer dans le reproches
gouvernement de tous les royaumes, sous prétexte des péchés qu frits"' a
que les princes y peuvent commettre (3). Ce reproche serait surcesuJeU
fondé, s'il était vrai que le pape Innocent III se fût attribué un
pouvoir de juridiction directe ou indirecte sur les choses tem-
porelles; mais il suffit de lire attentivement la lettre dont il est
ici question, pour voir que le Pape s'y attribue uniquement le
pouvoir directif en matière temporelle, pouvoir dont il est sans
doute possible d'abuser, mais essentiellement distingué du pou-
voir de juridiction , que le Pape ne s'attribue en aucune manière.
Ce qui a surtout donné lieu de lui attribuer des prétentions
excessives, c'est que , non content de donner des avis paternels
aux rois de France et d'Angleterre, dans l'occasion dont il s'agit,
il leur avait enjoint formellement de suspendre leurs hostilités,
pour soumettre à un nouvel examen la conduite du roi d'Angle-
terre. Mais quand il serait vrai qu'Innocent III se fût laissé
d'abord entraîner au delà des bornes , par le désir de procurer
la paix entre les deux souverains , qu'en pourrait-on conclure
(l)«Non enim intendimus judicare de feudo , cujus ad ipsum [regem
« Galliœ) spectat judicium, nisi forte juri communi, per spéciale privile-
« gium vel contrariam consuetudinem , aliquid sit detractum; sed decer-
« nere de peccato, cujus ad nos pertinet sine dubitatione censura, quam in
« quemlibet exercere possumus et debemus. » Décrétai. \ib. 11, tit. 1 , De
Judiciis , cap. 13.
(2) Bossuet incline manifestement à cette explication, dans la Défense de
la Déclar. , liv. m, cliap. 22. Sisniondi lui-même, après avoir blâmé hau-
tement l'intervention du Pape entre les deux rois, dans l'occasion dont il
s'agit, ne fait aucune difficulté d'approuver la lettre d'Innocent III que nous
venons de citer, et d'y voir une réparation suffisante de ce que ses premières
démarches pouvaient avoir eu d'excessif. Sismondi, Hist. des Français,
tom. vi, pag. 225 et 226.
(3) Fleury, ubi suprà, n. 60, vers la fin.— Lingard, ubi suprà, pag. 18 et
40. — De Marca, De Concordiâ, lib. 11, cap. 3, n. 6, etc. ; lib. iv, cap. 14.
36.
664 DEUXIÈME PARTIE. — POUVOIR DU PAPE
contre sa doctrine, qui réduit manifestement le pouvoir du
Pape, en matière temporelle, au simple pouvoir directif? Tout
au plus pourrait-on le taxer d'imprudence et de précipitation
dans sa conduite. Toutefois, nous sommes bien éloigné de croire
qu'on puisse faire ce reproche à un pontife aussi recommanda-
ble qu'Innocent III , par ses vertus, ses lumières et sa prudence.
Nous sommes persuadé, au contraire, qu'il est pleinement justi-
fié , sur ce point , par les circonstances dans lesquelles il se trou-
vait, et que nous avons déjà fait remarquer en plusieurs endroits
de cet ouvrage (l). C'est un fait notoire et généralement reconnu,
qu'à l'époque des croisades, les Papes étaient souvent choisis,
par les souverains eux-mêmes , pour garants de leurs traités , et
pour arbitres de leurs différends; et que, pour ce qui regardait
en particulier les guerres saintes, les princes étaient bien aises de
voir les souverains pontifes à la tête de ces expéditions , afin que
tout y fût conduit avec plus de concert, et de respect pour la
religion. Un tel concours de circonstances autorisait naturelle-
ment le saint-siége à intervenir dans une multitude d'affaires
temporelles, avec le consentement au moins tacite des souve-
rains. Est-il donc étonnant qu'en de pareilles conjonctures,
Innocent III ait cru pouvoir prendre le ton de l'autorité , pour
mettre fin à de funestes divisions, qui avaient déjà causé, et ne
pouvaient manquer de causer encore de si grands maux à
l'Église et à l'État?
210. °
sages remon. c'est ce que le Pape lui-même fait assez entendre à Philippe,
.iu pape à dans la lettre qu'il lui écrivit, pour se plaindre de la résistance de
Philippe-Au- • • ! . . /. , . „ . -,
gûste. ce prince aux avis que le souverain pontife lui avait fait donner
par ses légats. « Nous avons député près de vous, lui dit-il,
« l'abbé Casamario , avec des propositions de paix, dans l'espé-
« rance que ce différend se terminerait comme celui que vous
« avez eu avec Richard (2). Mais combien nous avons été étonné
« de votre déclaration, qui a pour objet de restreindre la juri-
« diction du saint-siége, juridiction qui a été établie, en matière
«spirituelle, pari' Homme-Dieu, d'une manière si claire et si
(1) Ci-dessus, chap. 1, art. 2, n. 51, etc.
(2) Innocent III, avait été, quelques années auparavant, médiateur
delà paix entre Philippe-Auguste et Richard, roi d'Angleterre, prédéces-
seur de Jean sans Terre. Voyez Fleury, Hist. EccL, t. xvi, liv. lxxv, n. Il .
— Daniel, Hist. de France, tom. iv, pag. 107, etc.
SUR LES SOUVERAINS. — CHAPITRE III. 565
« étendue, qu'il est impossible de l'augmenter, puisque la plé-
« nitude n'admet pas d'accroissement. Vous auriez dû vous rap-
« peler d'ailleurs que le saiut-siége vous a donné des conseils,
« comme à vos prédécesseurs , pour le plus grand bien ; que les
« chances de la guerre sont douteuses ; que nous ne deman-
« dons rien d'indigne, rien d'injuste. Nous serions un merce-
« naire et non un bon pasteur, si nous regardions avec indiffé-
« rence les églises détruites, les serviteurs du Seigneur troublés
« dans leurs fonctions , les temples ravagés , les vierges consa-
« crées au Très-Haut déshonorées, et forcées à rentrer dans le
« monde auquel elles avaient renoncé. L'Évangile ordonne de
« nous entendre avec notre frère, d'écouter les témoins, ou de
« s'en rapporter à la décision de l'Église. Le roi d'Angleterre,
« votre frère dans la foi , se plaint que vous péchez contre lui ;
« il vous a averti; il a pris pour témoins de sa volonté à réta-
« blir la paix, un grand nombre de seigneurs; et voyant ses
« démarches inutiles, il s'est plaint à l'Église. Celle-ci a voulu
«employer l'amour d'un père, et non la sévérité d'un juge;
« elle vous a exhorté à conclure la paix, ou du moins une trêve.
«Maintenant, si vous refusiez d'écouter l'Église , ne devrait-on
« pas vous regarder comme un païen et un publicain ? Ou bien
« devons-nous garder le silence? Non certainement: nous vous
«avertissons encore une fois; écoutez notre conseil, qui part
« d'un cœur droit. Nous avons chargé l'archevêque de Bourges
« et l'abbé Casamario , de juger , non des droits de suzerain
« (cet examen vous appartient), mais de prononcer sur le pé-
« ché , dont la punition est de notre ressort. Si la plainte du
«roi Jean était fondée, nous serions obligé d'employer les
« moyens de discipline ecclésiastique, pour vous faire renoncer
« à la guerre. Si la douceur maternelle était méconnue, nousau-
« rions recours à la sévérité paternelle. Advienne ce qui pourra,
« nous craignons Dieu plus que les hommes ; nous nous sou-
« mettons à toutes les persécutions pour la justice ; nous ne
« voulons échapper à aucune calamité aux dépens de la vérité ;
« et nous ferons exécuter par l'abbé, ce que notre devoir et notre
« charge nous imposent (l). »
(1) Innocent III, Epist. lib. vi, Ep. 163. — Hurler, Hist. cl' Innocent II I ,
toni. i, pag. 598.
566 DEUXIÈME PARTIE. — POUVOIR DU PAPE
211
La conduite
Un pareil langage, dans les circonstances où se trouvait le
d'innôcem iïr, Pape, explique suffisamment sa conduite, et le justifie pleine-
occaïion , jus- ment aux yeux d'un esprit impartial. Aussi a-t-ilété justifié; sur
ar m. Huner. ce point, de nos jours même, par un auteur protestant , que ses
profondes recherches, sur la vie et le siècle de ce pontife , ont
mis plus à portée que personne de bien apprécier sa conduite.
« Le langage qu'il tient aux deux rois, dit Hurter (1)/ est la
« ferme expression du sentiment de ses devoirs. La question de
« savoir, s'il appartient au Pape de s'immiscer ainsi dans les
« affaires des rois , trouve sa solution dans l'idée que chacun
« se fait de la forme et des bornes de l'influence d'un empire
« divin embrassant tout sur la terre. Qui niera que, si l'on pou-
« vait reconnaître une influence purement morale, dans les af-
« f aires des États, la cause des peuples serait mieux servie que
« par des conférences, des congrès, des échanges de notes di-
« plomatiques , qui , le plus souvent , servent d'arène à la sou-
« plesse d'un esprit fin , qui croit pouvoir se passer de tout
« élément moral? Innocent parle ici comme un homme qui plane
« au-dessus des partis, et qui fait valoir à chacun les raisons
« qui puissent lui faire plus clairement comprendre l'avan-
« tage et la nécessité de la paix Il tenait, avant tout, au
« maintien de la paix entre deux monarques , dont la puissance
« pouvait contribuer d'une manière efficace à la délivrance de
« la terre sainte. Dans ses deux lettres, il fait ressortir la néces-
« site de cette paix, son devoir d'arrêter l'effusion du sang ; et
« s'il donne à Philippe les plus grands torts ; si , pour ce rao-
« tif, il s'adresse à lui avec plus de sévérité, il ne dissimule
« cependant pas à Jean, qu'il soutiendra les droits de son adver-
« saire, en temps et heu. Étranger à l'esprit de parti , et ne rece-
« vant l'impulsion que d'après le jour sous lequel lui apparais-
sent les choses, il plane au-dessus de la haine des rois, ne
« s'occupant qu'à la calmer, et qu'à l'éloigner de ceux dont elle
« pouvait causer la ruine. »
2i2. 4° La sentence de déposition prononcée, en 1245, contre
empereur6 l'empereur Frédéric II, par le pape Innocent IV, dans le pre-
"dansîe ' niier concile général de Lyon, s'explique naturellement, comme
(l) Hurter, Hist. d'Innocent III, tom. 1, pag. 600, etc.
SUR LES SOUVERAINS..— CHAPITRE III. 567
celle de Grégoire VII , au moyen du pouvoir àirecïif de l'Église premier cQn.
et du Pape, en matière temporelle (1). Dans la senlence contre CdeLynon.al
Frédéric, après une longue énumératiou de ses crimes , le Pape
conclut en ces termes : « Pour tous ces excès , et pour un grand
« nombre d'autres non moins horribles ; après en avoir soigneu-
« sèment délibéré avec nos frères, et avec le saint concile ; en
« vertu du pouvoir de lier et de délier que Jésus-Christ nous a
«donné dans la personne de saint Pierre, tout indigne que
« nous sommes ; nous déclarons et dénonçons le susdit empe-
reur, qui s'est rendu si indigne de l'empire, de tout hon-
« neur et de toute dignité; nous le déclarons, dis-je, et
« le dénonçons, au nom de Dieu, lié pour ses péchés, rejeté et
« privé de tout honneur et de toute dignité ; et l'en privons
« néanmoins par cette sentence ; absolvant pour toujours de
« leurs serments tous ceux qui lui ont juré fidélité, etc. (2). »
Tout ce que nous avons dit plus haut (3) pour expliquer la Ia JjJ^/
sentence de Grégoire VII contre l'empereur Henri IV, s'applique In*jJJJJJftv
évidemment à celle d'Innocent IV contre Frédéric II. Le pou- t contre
1, . I'em|)f rcur,
voir divin de lier et de délier, que le Pape invoque à 1 appui de expliquée
sa sentence, est uniquement relatif au pouvoir d'excommunier ^lT^\n.
les pécheurs obstinés, et au pouvoir directif , dans le sens où qne^!J[J2 de
nous l'avons expliqué au commencement de ce chapitre. La Grégoire vu.
déposition, prononcée dans la même sentence, n'était qu'une
conséquence de l'excommunication, d'après la persuasion alors
universelle, fondée sur les anciennes lois de V empire: c'était
une simple interprétation du serment de fidélité, donnée en
(1) Fleury, Hist.Ecclés. , tom. xvii , liv. lxxxii, n. 29. — Voyez aussi les
auteurs ci 1 es plus haut, chap. 2, pag. 425, note 1 .
(2) « Nositaque, super prœmissis et compluribus aliis ejus nefandis ex-
« eessibus, cum fratribus nosttïs et sacro coneilio deliberatione praehabità
« diligenti, cùm Jesu Christi \ices immeriti teneamus in terris, nobisque
« in beati Pétri apostoli personà sit dictum : Quodcumque ligaveris super
« terram, etc., memoratum principe»), qui sese imperio et regnis, omnique
« honore ac dignitate reddidittam indignum, quique, propter suas impieta-
« tey, a Deo ne regnet vel imperet est abjectus, suis ligatum peccatis, et
<c abjectum, omnique honore et dignitate privatum à Domino ostendimus,
« denuntiainus, ac nihilominus sententiando privamus ; omnes qui ei jura-
« mento fidelitatis tenentur adscripti, à juramento hujusinodi perpétué
« absolventes. » Concil. Lugd.I. Sententia contra Fridericum in con-
cilio lata. (Labbe, Concil. tom. xi, parte ta, pag. 045.)
(3) Voyez plus haut, n. 191, pag. 535, etc.
568 DEUXIEME PARTIE. — POUVOIR DU PAPE
vertu du pouvoir directif dont nous venons de parler.
C'est ainsi que l'archevêque de Cambrai explique cette sen-
tence , dans sa Dissertation sur V Autorité du souverain Pon-
tije. « Les ultramontains répondront , dit-il (1), que le souve-
« rain pontife a bien pu dire : Nous privons, par cette sentence,
« l'empereur Frédéric de tout honneur et de toute dignité;
« parce que les souverains pontifes soutiennent, que le nouvel
« empire romain des Francs et des Germains a été établi par
« leur seule autorité, et qu'il est, par cela même, un fief du
« saint-siége (2). Ces paroles d'Innocent IV : Nous privons par
« cette sentence, signifient : Nous délions tous ceux qui lui
« sont soumis par le serment de fidélité. C'est exactement
« comme s'il disait : Nous le déclarons indigne, par ses crimes
« et son impiété, de commander à des peuples catholiques :
« nous déclarons que le contrat ouvertement violé par l'empe-
« reur ne lie plus désormais les peuples de l'empire, parce que
« ces peuples ne prétendent lui obéir, que sous les conditions sti-
« pulées. En prononçant cette sentence, Innocent IV exerce le
« pouvoir que Jésus-Christ lui a donné par ces paroles : Tout
« ce que vous lierez sur la terre sera lié dans le ciel; il exerce,
« dis-je, ce pouvoir en déclarant Frédéric lié par ses péchés,
« et les peuples déliés de leur serment de fidélité. »
2i4. On demandera peut-être pourquoi le pape Innocent IV ne
PolneUfaitelIe fait aucune mention des lois de l'empire, sur lesquelles était
(1) « Transalpini dicturi sunt pontificem ita pronuntia visse, sententiando
« privamus , eo quod pontifices contendant Francum et Germanicnm re-
« cens hoc Romanum imperium, solâ pontificiâ auctoritate fuisse institu-
« tum , atque adeo hoc imperium essefeudum Romance sedis. Innocentais
« ait , sententiando privamus , in hoc scilicet , quod absolvimus omnes
« qui ei juramento fidelitatis tenentur adstricti. Idem est prorsus ac si
« diceret : Declaramns eum, ob facinora et impietatem, indignum esse qui
« gentibus calholicis praesit : declaramus contractum ab imperatore palam
a violatum , jam populos imperii non adstringere ; quandoquidem populi ,
« non nisi pactis conditionibus, subesse et parère volunt. In hoc, Innocen-
te tius exercet potestatem à Christo datam : Quodcumque ligaveris super
« terram, etc.; videlicet, ut Fridericum ligatum peccatis, et populos jura-
« mento fidelitatis solutos declaret. » Fénelon , Dissert, de Auctorit..
summi Pontifiais, cap. 39, p. 387.
(2) On a vu plus haut, que l'empire n'était pas un fief du saint-siége,
le sens propre et rigoureux, mais dans un sens plus large, qui exprimait
seulement une dépendance particulière de V empire à l'égard du saint-
siége. Voyez plus haut, chap. 2, n. 142, pag. 484, etc.
SUR LES SOUVERAINS. — CHAPITRE III. 569
fondée sa sentence contre l'empereur? Nous croyons avoir pré- pas mention
venu cette difficulté , en examinant la sentence de Grégoire VII w **"#'«*.
contre l'empereur Henri IV. Nous avons fait remarquer que la pire-
sentence du Pape ne déposant le souverain que par le moyen
de l'excommunication , cette dernière peine était Y objet prin-
cipal, direct et immédiat delà sentence, et par conséquent
celui qu'il importait surtout de motiver , comme étant le fonde-
ment de la déposition qui en résultait alors , en certains cas ,
d'après la constitution de l'empire. Nous avons ajouté que, dans
les tribunaux ecclésiastiques, aussi bien que dans les tribunaux
civils, le juge ne se croit pas toujours obligé d'exposer en détail
les motifs de son arrêt, et se borne le plus souvent à exprimer les
principaux. Les auteurs français eux-mêmes ne font aucune dif-
ficulté d'appliquer ce principe à la sentence d'Innocent IV con-
tre Frédéric ; car ils reconnaissent qu'elle était fondée , en
grande partie, sur la dépendance particulière de l'empire à
l'égard du saint-siége , à cette époque , bien que le Pape n'en
fasse pas une mention expresse (1).
5° Parmi les actes émanés de l'autorité du saint-siége sur le 2l5.
sujet qui nous occupe , le plus célèbre, sans contredit, et celui ExJ™,°" J* la
qui présente au premier abord plus de difficulté, est la bulle Bonifacevm,
■* x L * Unamsanctam.
de Boniface VIII, Unam sanctam, publiée par ce pontife, au
mois de novembre 1302, à l'occasion des vifs démêlés qu'il
avait alors avec Philippe le Bel (2). On a prétendu que, dans
cette constitution, Boniface VIII portait le pouvoir du saint-
siége plus loin que n'avait fait aucun de ses prédécesseurs,
depuis Grégoire VII , et s'attribuait ouvertement le droit de
disposer, en monarque universel, de tous les royaumes du
monde (3). Mais il s'en faut beaucoup que cette explication de
la bulle Unam sanctam, soit à l'abri de toute contestation ;
(1) Bossuet, Befensio Declar . , lib. iv, cap. 9. — Fleury, ubi suprà,
n. 29, vers la fin.
(2) Hist. du Différend entre Boniface VIII et Philippe le Bel, année
1302. — Raynaldiet Sponde, Annales, anno 1302. — Fleury, Hist.Ecclés.,
tom. xix, liv. xc, n. 18 Hist. de l'Église Gallic.f tom. xir, année 1302,
pag. 342 , etc. — Daniel, Hist. de France, tom. v, année 1302, pag. 75.
— Bossuet , Befensio Beclar. , lib. m , cap. 23, etc. — Fénelon , Be Aucto-
ritate summi Pontif., cap. 27. —De Marca, Be Concordid, lib. îv,
cap. 16.
(3) Bossuet, Fleury, De Marca, ubi suprà.
570 DEUXIÈME PARTIE — POUVOIR DU PAPE
Fénelon n'hésite pas à l'expliquer dans le sens du pouvoir
directif(i) ; et nous croyons avec lui, que tel est en effet le sens
naturel de cette Bulle , aux yeux d'un lecteur non prévenu.
Voici le passage qui fait tout le sujet de la difficulté : « L'Évaugile
« nous apprend qu'il y a dans l'Église . et que l'Église a en son
« pouvoir, deux glaives, le spirituel et le temporel.... L'un et
« l'autre est au pouvoir de l'Église ; ' mais le premier doit être
« tiré par l'Église , et par la main du pontife; le second , pour
« l'Église, par la main des rois et des soldats, et à la solli-
« citation du pontife. Le glaive temporel doit être soumis au
« spirituel, c'est-à-dire, le pouvoir temporel au spirituel, selon
« cette parole de l'Apôtre : Il n'y a pas de pouvoir qui ne
« vienne de Dieu ; et tout pouvoir qui vient de Dieu est bien
« ordonné par lui (2) : or, les deux puissances ne seraient pas
« bien ordonnées , si le glaive temporel n'était soumis au spiri-
tuel, comme l'inférieur au supérieur Il faut reconnaître
« que la puissance spirituelle surpasse autant la temporelle en
« dignité, que les choses spirituelles en général l'emportent sur
« les temporelles C'est ce que prouve clairement l'origine
« même de la puissance temporelle ;... car, selon le témoignage
« de la vérité, il appartient à la puissance spirituelle d'établir
« la temporelle, et de la juger, si elle s'égare; c'est ainsi que se
« vérifie , par rapport à l'Église et à la puissance ecclésiastique ,
« cet oracle de Jérémie : Je vous établis aujourd'hui sur les
« nations et les royaumes (3). Si donc la puissance temporelle
« s'égare , elle sera jugée par la spirituelle; si la spirituelle d'un
« rang inférieur, fait des fautes, elle sera jugée par une puis-
« sance spirituelle d'un ordre supérieur ; mais si la souveraine
« puissance spirituelle fait des fautes, elle peut être jugée par
«Dieu seul, et non par aucun homme, selon cette parole de
« l'Apôtre : L'homme spirituel juge tout , et n'est jugé par
«personne (4). Cette souveraine puissance spirituelle a été
« donnée à saint Pierre, par ces paroles : Tout ce que vous
« lierez , etc. (5) ; celui donc qui résiste à cette puissance
(1) Fénelon, ubi suprà.
(2) Rom. xin, 1.
(3) Jerem. î, 10.
(4) I Cor. h, 15.
(5) Matth. xvi, 19.
SUR LES SOUVERAINS. — CHAPITRE III. 571
«ainsi ordonnée de Dieu, résiste à l'ordre de Dieu (1). »
Tout ce qu'il y a de plus fort dans ce passage, se réduit à 216.
dire , que Y Eglise a en son pouvoir les deux glaives , ou les expressions
deux puissances ; que le glaive temporel est soumis et subor- cette buiie,
donné au spirituel, comme l'inférieur au supérieur ; que le s3™rSrd,
pouvoir du prince doit être exercé à la sollicitation du pon- Hu*eàs de
tife; enfin, qu'il appartient à la puissance spirituellë\d 'établir saim-victor.
la temporelle , et de la juger, si elle s'égare. Mais quelque
fortes que soient ces expressions , elles n'offriront aucune diffi-
culté, si on les compare avec celles de saint Bernard et de
Hugues de Saint-Victor, que nous avons expliquées précédem-
ment, et que la bulle de Boniface VIII reproduit ici presque
mot pour mot. En effet, le saint docteur enseigne expressément,
en plusieurs de ses écrits, que « les deux glaives appartiennent;
« à l'Église, pour être tirés , toutes les fois qu'il en est besoin ,
« l'un par la main du pontife, et l'autre à sa sollicitation ; » ce
que Bossuet et Fleury lui-môme ne font pas difficulté d'expli-
(1) « In Ecclesiâ ejusque potestate duos esse gladios, spiritualem videlicet
« et temporalem, Evangelicis dictis instruimur Uterque est in potestate
« Ecclesiâ?, spiritualis scilicet gladius et materialis ; sed is quidem pro Eccle-
« siâ, ille verô ab Ecclesiâ exerendus ; ille sacerdotis, is manu regum et mi-
«litum, sed ad nutum et patientiam sacerdotis. Oportet autem gladium
«esse subgladio, et temporalem aiictoritatem spirituali subjici potestati ;
« nam cùm dicat apostolus : Non estpotestas nisi àDeo; quœ autem sunt,
« à Deo ordinata sunt; non autem ordinata essent, nisi gladius esset sub
« gladio, et tamquam inïerior reduceretur per alium in suprema Spiri-
« tualem autem , et dignitate, et nobilitate, terrenam quamlibet prœcellere
« potestatem , oportet tantô clariùs nos fateii , quantô spiritualia temporalia
« antecellunt. Quod etiam ex decimarum datione, et benedictione, et sancti-
« ficatione, ex ipsius potestatis acceptione, ex ipsarum rerum gubernatione,
« claris oculis intuemur. Nain veritate testante, spiritualis poteslas terrenam
« potestatem instituere habet, et judicare , si bona non fuerit : sic de Eccle-
« siâ et ecclesiasticâ potestate verilîcatur vaticinium Jeremiœ : Ecce consti-
« tui te hodie super gentes et régna, etc. Et go si deviat terrena potestas,
«judicabitur à potestate spirituali; sed si deviat spiritualis minor, à suo
« superiori : si verô suprema , à solo Deo, non ab domine poterit judicari,
«testante apostolo : Spiritualis homo judicat omnia, ipse autem à ne-
« mine judicatur . Est autem haee auctoritas (etsi data sit bomini, et exer-
ce ceatur per bominem) non bumana, sed potiùs divina, ore divino Petro
« data, sibique, suisque successoribus , in ipso quem confessus fuit , petrâ
« firinata : dicente Domino ipsi Petro : Quodcumque ligaveris , etc. Qui-
« cumque igitur huic potestati, à Deo sic ordiuatœ resistit, Dei ordina-
« tioni resistit. » Extravag. Commun, lib. 1 ; De Majoritate et Obed. ,
cap. 1. — Hist. du Différend, etc. ; Preuves, pag. 54, etc.
572 DEUXIÈME PARTIE. — POUVOIR DU PAPE
quer dans le sens du pouvoir directif, en vertu duquel l'Église
et le Pape peuvent et doivent même, en certains cas, solliciter
les princes à la guerre, par leurs avis et leurs exhortations (l).
Ces autres expressions de Boniface VIII, qu'il appartient à
la puissance spirituelle d'établir la temporelle, et de la
juger, si elle s'égare, sont empruntées à Hugues de Saint-Victor,
qui ne prétend pas exprimer, par ces paroles, la puissance ordi-
naire du sacerdoce, mais le pouvoir extraordinaire que Samuel
avait reçu de Dieu pour établir la royauté chez les Hébreux (2).
C'est le sens que Bossuet lui-même donne aux paroles de Hu-
gues de Saint-Victor, et la Glose aux paroles de Boniface VIII ;
en sorte que la pensée de ce pontife , comme celle de Hugues
de Saint-Victor, se réduit à prouver la supériorité de la puis-
sance spirituelle sur la temporelle , par la mission et le pouvoir
que la première a reçu autrefois d'établir la seconde. Cette
explication, qui résulte de la liaison même du discours , dans le
texte de Hugues de Saint-Victor, n'en résulte pas moins dans le
texte de Boniface VIII; car il se propose uniquement, dans la
phrase que nous expliquons, de montrer la supériorité delà
puissance spirituelle sur la temporelle, par l'origine même de
cette dernière, d'après le témoignage de la vérité, c'est-à-
dire, d'après l'histoire sainte, à laquelle ces paroles font une
allusion manifeste. Ajoutons avec Fénelon , et avec Bossuet lui-
même, que l'Église, en vertu du simple pouvoir directif, peut,
en un certain sens, établir Juger et destituer la puissance tem-
porelle , non en lui conférant ou lui ôtant la juridiction civile
et temporelle , mais en faisant connaître aux électeurs , comme
une bonne mère, ceux qu'ils doivent choisir pour souverains ,
et destituer ou confirmer dans ce haut rang, comme fit autre-
fois le pape Zacharie à. l'égard des seigneurs français (3).
217. Après ces observations, fondées sur le texte même qui fait le
mnrqHabilT sllJet de la difficulté , s'il pouvait rester quelques doutes sur le
ceti/buiie. véritable sens de la bulle de Boniface VIII, ils seraient pleine-
ment dissipés, à ce qu'il nous semble, par la conclusion même
(1) Voyez plus haut, n. 197.
(2) Ibicl, n. 196.
(3) Fénelon, ubi supra, n. 213. Voyez les autres passages de Fénelon
et de Bossuet que nous avons cités plus haut, n. 10 et I72,pag.335, 514, etc.
SUR LES SOUVERAINS. — CHAPITRE III. 573
de cette bulle. 11 est certain, en effet, que, dans cette conclu-
sion, le Pape se borne à décider ce dogme catholique, de tout
temps reconnu dans l'Église, que toute créature humaine est
soumise au Pape (l). Or, est-il croyable que Boniface VIII se
fut borné à tirer cette conclusion , des principes exposés dans sa
bulle, s'il eût prétendu y établir la juridiction au moins indirecte
de r Eglise et du Pape sur les choses temporelles ? Ne devait-il
pas naturellement conclure de ces principes , que la puissance
séculière était soumise à sa juridiction , même dans l'ordre
temporel? Cette conséquence suivait si naturellement des prin-
cipes qu'on lui attribue , que les auteurs qui entendent ainsi la
bulle de Boniface VIII , s'étonnent de voir des principes si hardis
aboutir à une conséquence si modérée (2).
Enfin , en supposant môme qu'il y ait quelque chose d'obscur ai8#
ou d'équivoque dans cette bulle, il serait naturel de l'expliquer nf0x£.,ri^de,,
par le langage du Pape , dans le concile même où fut arrêtée la , d<?crct>
x <-'<-' -«. donnée par
publication de cet acte. Pour répondre au reproche que les Boniface vm
Français lui faisaient, dans ce concile/d'avoir prétendu que le
roi de France devait reconnaître qu'il tenait son temporel
du Pape , Boniface s'expliqua en ces termes : « Il y a qua-
« rante ans que nous sommes initié à la science du droit ; et
« nous savons qu'il y a deux puissances ordonnées de Dieu. Corn-
et ment donc croire qu'une pareille folie a pu nous entrer dans
« l'esprit? Nous protestons donc que nous n'avons eu l'intention
« d'usurper, en aucune manière, la juridiction du roi; mais le
« roi ne peut nier, non plus qu'aucun fidèle, qu'il ne nous soit
« soumis, à raison du péché (3). » On reconnaît ici la doctrine
d'Innocent III, qui se réduit, comme on on l'a vu plus haut,
(1) Les auteurs mêmes qui jugent le plus sévèrement Boniface VIII, convien-
nent que la conclusion de sa bulle se borne à décider ce dogme catholique.
Voyez, entre autres, Bossuet, Defensio Declar., lib. m, cap. 24. — Fleury,
ubi suprà.
(2) De Marca, Bossuet et Fleury, ubi suprà.
(3) « Quadraginta anni sunt quôd nos sumusexperti in jure ; et sciraus quôd
« duae sunt potestates ordinatœ à Deo. Quis ergo débet credere vel potest ,
« quôd tanta i'atuitas, tanta insipientia sit vel fuerit in capite nostro? Dici-
« mus quôd in nullo volumus usurpare juiïsdictionem régis ; non potest
« negare rex, seu quicumque alter fidelis, quin sit nobis subjectus , ratione
a peccati. » Histoire du Différend; Preuves, page 77, vers la fin. — Hist.
de l'Église Gallicane, tom.xu, année 1302, pag. 340. — Daniel, Hist. de
France, tom. v, aimée 1302, pag. 75.
574 DEUXIÈME PARTIE. — POUVOIR DÛ PAPE
à soutenir la subordination de la puissance temporelle envers la
spirituelle, dans le sens du pouvoir directif. Bossuet lui-même
favorise manifestement cette explication des paroles d'Inno-
cent III , dont celles de Boniface VIII ne sont que la répéti-
tion (1).
2 19. Concluons de cette discussion , que Boniface VIII n'avait pas,
neafadv°oHsTau. sur ce point , d'autres sentiments que ses prédécesseurs ; que la
uTTthne bulle Unam sanctam en particulier ne favorise aucunement
théologique i'0pinion théologique du droit divin; enfin, que si Boni-
droit divin, face VIII a laissé échapper, dans la vivacité de quelque con-
versation , comme le bruit en courut dans le temps , des expres-
sions favorables à cette opinion, il les a clairement désavouées
depuis, par une explication authentique de ses véritables senti-
ments. Il est vrai que Philippe le Bel se montra extrêmement
choqué de la doctrine de Boniface VIII , particulièrement de
celle qu'il avait exprimée dans la bulle Unam sanctam; et
persuadé que cette bulle était contraire à l'indépendance des
souverains, il mit tout en œuvre pour en obtenir la révocation.
Mais il est également certain que, malgré toutes ses instances,
il n'y put jamais réussir; tout ce qu'il put obtenir, ce fut une
déclaration du pape Clément V, conçue en ces termes : « Nous
« voulons et entendons, que la bulle ou décrétale Unam sanctam
« de notre prédécesseur le pape Boniface VIII , d'heureuse mé-
« moire, ne porte aucun préjudice au roi et au royaume de
« France ; et que ledit roi , aussi bien que son royaume et ses
p sujets, ne soient pas plus sujets à l'Église romaine, qu'ils ne
« l'étaient auparavant ; mais que toutes choses soient censées
« être au même état qu'elles étaient avant ladite bulle , tant
« à l'égard de l'Église, que du roi, de son royaume et de ses
« sujets (2). »
(1) Voyezplus haut, n. 208, pag. 562. M. de Marca croit voir ici une diffé-
rence entre la doctrine d'Innocent III et celle de Boniface VIII. (De fioncor-
dia, ubi suprà, n. 5.) Selon lui, le pape Innocent III, en statuant sur la
guerre déclarée par le roi de France au roi d'Angleterre , ne s'attribue pas,
comme Boniface VIII, le droit de juger la conduite du roi de France, dans le
gouvernement de l'État. Il ne faut cependant qu'un peu de réflexion pour
voir que la conduite d'un roi qui déclare la guerre à un autre, est un
des actes les plus importants, relativement au gouvernement de VÉtat.
(2) « Nos régi et regno ( Francorum ) , per definitionem ac declarationem
« bonse mémorise Bonifacii papee VIII, praedecessoris nostri, quae incipit
SUR LES SOUVERAINS. — CHAPITRE III. 575
On voit assez que cette déclaration ne renferme rien de con- 220.
traire à la bulle Unam sanctam, entendue dans le sens modéré PouTé°té
où nous l'avons expliquée. Il est donc permis de penser que, si d'abo^een,en'
elle fut d'abord entendue dans un sens si différent., il n'en faut daf"svourabTens
pas chercher d'autre cause, que les circonstances fâcheuses dans à ce syslèmc«
lesquelles cette bulle fut publiée, et qui la firent examiner en
France avec les plus sinistres préventions. Rien n'est si com-
mun, en de pareilles conjonctures, que d'envenimer, par de
malignes interprétations, les paroles les plus indifférentes. C'est
ce qu'on vit alors en France , au témoignage des plus graves
historiens (1), et même de plusieurs écrivains modernes, que
leurs préjugés bien connus contre le saint-siége, et la sévérité
avec laquelle ils jugent d'ailleurs le pape Boniface VIII, n'ont
pas empêchés de reconnaître, que les préventions contre ce pon-
tife étaient alors poussées en France jusqu'à l'excès. Tel est en
particulier le sentiment de Sismondi, qui, tout en attribuant à
Boniface VIII un caractère et des procédés pleins de hauteur,
dans la suite de ses démêlés avec Philippe le Bel , accuse ouver-
tement ce prince d'avoir encouru, par ses excès, les justes re-
proches du pontife; et d'avoir entraîné, par son ascendant, le
clergé de son royaume dans des démarches contraires à la li-
berté de l'Église. «C'est alors, dit-il, que, pour la première
«fois, la nation et le clergé s'ébranlèrent, pour défendre les
« libertés de l'Église Gallicane. Avides de servitudes, ilsappe-
«lèrent liberté, le droit de sacrifier jusqu'à leur conscience aux
« caprices de leurs maîtres, et de repousser la protection qu'un
«chef étranger et indépendant leur offrait contre la tyrannie. \
« Au nom de ces libertés de l'Église, on refusa au Pape le droit
« de prendre connaissance des taxes arbitraires que le roi levait
« sur son clergé, de l'emprisonnement arbitraire de l'évêque de
« Pamiers, de la saisie arbitraire des revenus ecclésiastiques de
« Unam sanctam, millum volumus vel intendimus prœjiidicinm generari ;
« nec quôd per illam rex, regnum , et regnicolae praelibati, ampliùs Ecclesiae
« sint subjecti Romanae, quàm antea existebant ; sed omnia intelligantur in
« eodem esse statu, quo erant ante definitionem prœfatam, tam quantum ad
« Ecclesiam, quam etiàm ad regem, regnum, et regnicolassuperiùs nomina-
« tos. » Extravag. Comm. lib. v, tit. De Privilcg., cap. 2, Meruit.—Hist.
du Différend; Preuves, pag. 288.— Fénelon, ublsuprà, pag. 333 — Bossuet,
ubisuprà,cà\). 24, vers la fin— Fleury, Hist. Ecclés., tom. xix,liv.xci,n.2.
(1 ) Voyez, en particulier, Raynaldi et Sponde, ubl suprà.
221.
Uccrets du
saint • siéee
576 DEUXIÈME PARTIE. — POUVOIR DU PAPE
« Reims , de Chartres , de Laon et de Poitiers ; on refusa au
« Pape le droit de diriger la conscience du roi, de lui faire des
«remontrances sur l'administration de son royaume, et de le
« punir par les censures ou l'excommunication, lorsqu'il violait
« ses serments (l). Sans doute la cour de Rome avait manifesté
« une ambition usurpatrice , et les rois devaient se mettre en
« garde contre sa toute-puissance; mais il aurait été trop heureux
« pour les peuples, que des souverains despotiques reconnussent
«encore au-dessus d'eux un pouvoir venu du ciel, qui les ar-
« rêtait dans la route du crime (2). »
6° Plus d'un siècle après ces funestes démêlés , on voit les
souverains pontifes Nicolas V, Calixte III , Sixte IV, Innocent VIII
païïàgVdes et Alexandre VI > partager entre les rois d'Espagne et de Portu-
pay8 gai plusieurs îles et provinces d'Afrique et d'Amérique , nouvel-
découverts, lement découvertes ; d'où plusieurs écrivains modernes ont pris
occasion d'attribuer à ces pontifes , la prétention de disposer des
États en maîtres absolus, pour le bien de la religion (3).
Mais si l'on examine de près la conduite et les décrets des
souverains pontifes dont il est ici question, on verra combien
cette accusation est peu fondée (4). Il est certain, en effet, que
(1) Lettres du clergé de France au Pape, en 1302. (Raynaldi Annales,
anno 1302, §11 et 12.)
(2) Sismondi, Histoire des Républiques Ital., tom. iv, chap. 24, pag.
143, etc. — L'auteur confirme ces observations dans son Histoire des Fran-
çais, où il expose plus en détail l'histoire des démêlés de BoniÇace VIII et de
Philippe le Bel. (Tom. îx, chap. 20, années 1301 et 1302.) Il est à remarquer
que nos plus graves historiens, malgré tous les égards et les ménagements
qu'ils ont coutume d'observer envers Philippe le Bel, dans l'histoire de ce
différend, adoptent plus ou moins ouvertement le jugement de Sismondi, et
conviennent que Philippe le Bel méritait, à bien des égards , les reproches
sévères que lui adressait Boniface VIII. Voyez, en particulier, Kossuzi, Abrégé
de l'Histoire de France, article Philippe le Bel, vers la fin-. — Histoire de
l'Église Gallicane , tom. xn, années 1297, 1302, etc. Remarquez, en par-
ticulier, la pag. 574. — Daniel, Hist. de France, tom. v, pag. 124, et alibi
passim. — Pey, De l'Autorité des deux Puissances, tom. i, pag. 165. —
L'Ami de la Religion, tom cvi, pag. 243. — L'Université catholique,
tom. x, pag. 233. On lira aussi avec intérêt , sur l'histoire de Boniface VIII,
la Dissertation lue par M. Wiseman, dans une séance de l'Académie de la
Rel. Cathol., à Rome, le 4 juin 1840. Cette dissertation se trouve dans le t. xvi
âesDémonst. ÉvangéL, publiées par l'abbé Migne; Paris 1843. (p. 591, etc.)
(3) Bossuet, Defens. Declar., lib.i, cap. 2; lib. m, cap. 18, pag. 209 et
653. — Fleury, Hist. Ecclés., tom. xxiv, liv. cxvn, n. 41.
(4) Voyez principalement, sur cette matière, Raynaldi, Annal. Eccles.,
anno 1484, n. 82 ; anno 1493, n. 18, etc. ; anno 1494, n. 31, etc. — Bianchi,
SUR LES SOUVERAINS. — CHAPITRE III. 577
leurs décrets n'avaient pas pour objet d'autoriser les rois d'Es-
pagne et de Portugal à conquérir les pays nouvellement décou-
verts, mais uniquement de terminer, comme arbitres librement
choisis et reconnus par les parties intéressées, les différends éle-
vés entre elles, sur ce sujet; et d'exciter en même temps les
deux monarques à procurer la lumière de l'Évangile aux peuples
barbares du Nouveau Monde. C'est ainsi que les décrets dont il
s'agit sont généralement expliqués par les historiens , par ceux
d'Espagne et de Portugal en particulier (l), et même par des
écrivains protestants, accoutumés à juger très-sévèrement la
conduite des papes (2). On ne voit rien dans les décrets dont
ubi supra, lib. vr, § 9. — Bellarmin, De Rom. Pontif. lib. v, cap. 2, vers la
fin. — Mamachi, Origines et Antiquitates Christianœ, tom. iv, pag. 176.
(1) Voyez, en particulier, V Histoire d'Espagne de Mariana, et celle de
Ferreras, années 1492 et 1493. — Hist. de Portugal, par Lequien de la Neu-
ville, ibid. —Hist. gén. de Portugal, par De laClède, année 1493; édition
de Paris, 1828, tom. iv, pag. 487.
(2) Grotius incline manifestement à cette explication, dans plusieurs en-
droits de son traité De Mari libero , publié pour la première fois vers l'an
1609, pour soutenir les droits que réclamaient alors les Hollandais, de navi-
guer dans certaines îles voisines des Indes orientales; droit qui leur était
contesté, sous divers prétextes, par les Espagnols et les Portugais. (On peut
voir quelques détails intéressants sur cette controverse , dans la Biographie
universelle, articles Selden et Grotius.) Examinant en particulier le prétexte
que les Espagnols et les Portugais pouvaient tirer du décret d'Alexandre VI,
Grotius y répond en ces termes : « Si Pontificis Alexandri sexti divisione
« utentur (Lusitani), ante omnia illud attendendum est, volueritne pontifex
« contentiones tantùm Lusitanorum-et Castellanorumdirimere;gwodpo£m£
« sanè, lit lectus inter illos arbiler, sicut et ipsi reges jam antè inter se, eâ
« de re, fœdera quaedam pepigerant ; et hoc si ita est, eùm res inter alios
« acta sit, ad caeteras gentes non pertinebit; an verè propè singulos mundi
« trientes duobus populis donare (cap. 3) Cùm denique jus suum all-
ée ferre alicui Papa minime possit, quae erit istius facti (scilicet, donationis
«pontijiciœ) defensio, si tôt populos immerentes, indemnatos, innoxios, ab
« eo jure quod ad ipsos non minus quàm ad Hispanos pertinebat, uno verbo
« voluit excludere? Autigitur dicendum est, nullam esse vim ejusmodi pro-
« nuntiationis; aut, quod non minus credibile est, eum pontificis animum
«t fuisse, ut Castellanorum et Lusitanorum inter se certamini intercessum
« voluerit, aliorum autem juri nihil diminutum(cap. 6). » Cet ouvrage de
Grotius, un des plus remarquables qui aient paru dans cette mémorable con-
troverse, a été plusieurs fois réimprimé, particulièrement en 1618, in- 12, et
1633, in-32. (Lugd. Batav., Elzevir.) Il a été joint, en 1680, à l'édition
donnée par Gronovius, du traité de Grotius, De Jure Belli et Pacis (Hagœ-
Comitis, in-8°); on le retrouve, depuis cette époque, dans plusieurs autres
éditions du même traité.
Maltebrun , dans Y Histoire de la Géographie , qui sert d'introduction à
son Précis de la Géographie universelle (édition in-8° de 1831, tom. i,
37
578 DEUXIÈME PARTIE. — POUVOIR DU PAPE
nous parlons qui contredise cette explication; elle est même
clairement établie par la bulle d'Alexandre VI ( Inter cœtera) ,
qu'on nous oppose ici avec plus de confiance, et dont voici
l'analyse exacte.
m. Après avoir donné de grands éloges au roi d'Espagne, pour
MbuSe e a le zèle qu'il témoignait à procurer la lumière de l'Évangile aux
d'Alexandre peup]es barbares du Nouveau Monde, le Pape engage le mo-
inur cœtera. narqUe à poursuivre avec ardeur cette sainte entreprise ; et pour
l'y exciter plus puissamment, il déclare que, «de son propre
« mouvement, par sa pure libéralité, de sa science certaine, et
«par la plénitude de sa puissance apostolique, il donne au roi
« de Castille et de Léon, et à ses successeurs, à perpétuité, le
« domaine et la juridiction des îles et de la terre ferme déjà dé-
« couvertes , et qu'il pourra encore découvrir » dans certaines
limites que le Pape détermine (l).
pag. 619) se prononce encore plus ouvertement, pour l'explication donnée par
Grotius au décret d'Alexandre VI. « L'Espagne et le Portugal, dit-il, jaloux de
« leurs découvertes mutuelles, demandèrent au Pontife romain une sen-
« tence, qui partageât entre eux le monde, en assignant à l'ambition de
« chacun son hémisphère à part. » L'auteur avait sans doute oublié cette
explication, lorsqu'il avance dans un autre endroit du même ouvrage, que
« le Pape essaya d'abord de concilier les deux parties, en traçant d'autorité
« la fameuse ligne de démarcation , à cent lieues à l'ouest des îles du Cap-
« Vert. (Ibid., tom xi, pag. 648.)
(I) « Et ut tanti negolii provinciam, apostolicse gratiae largitate donati, li-
« beriùs et audaciùs assumatis; motu proprio, non ad veslram vel alterius
« pro vobis super hoc nobis oblaîas petitionis instantiam, sed de nostrà merâ
« liberahtate, et ex certâ scientià, ac de apostolicœ potestatis plenitudine ;
«omnes insulas et terras firmas, inventas et inveniendas, détectas et dete-
« gendas versus occidentem et meridiem, fabricando et construendo unam
« lineam à polo arclico, scilicet septentrione, ad polum antarcticum, scilicet
« meridiem; sive terrœ firmae, et insulse inventae et inveniendas sint versus
« Indiam, aut versus aliam quamcuiuque partern ; qua; lineadistet à quàlibet
« insularum, quae vulgariter nuncupantur, de los Azores y Cabo-Vierde (des
« Açores et du Cap- Vert) , centum leucis versus occidenlem et meridiem ;
« ita quod omnes insulae et terne firmae repertae et reperiendae , détecta? et
« detegendae, a prœfatà lineâ versus occidentem et meridiem , per alium re-
« gem aut principem christianum non fuerint actualiter possessae usque ad
« diem JNativitatis Domini nostri Jesu Christi proximè praeteritum, à quo in-
« cipit annus presens, millesitnus quadragentesimus nonagesimus tertius,
« quando fuernnt per nuntioset capitaneos vestros inventae aliquas praedicta-
«* rum insularum ; auctoritate omnipotentis Dei , nobis in beato Petro
« concesso, ac vicariatûs Jesu Christi, quâ fungimur in terris; cum
« omnibus illarum dominiis, civitatibus , castris, locis et villis, juribusque et
« jurisdictionibus ac pertiuentiis universis, vobis haeredibusque et succès-
SUR LES SOUVERAINS. — CHAPITRE III. 579
On peut considérer cette décision scus deux rapports : quant
au fond, c'est-à-dire, en tant qu'elle détermine les droits res-
pectifs des rois d'Espagne et de Portugal , sur les pays dont il
s'agit; et quant à la forme, c'est-à-dire, quant aux expressions
dans lesquelles cette décision est conçue, et dont le sens peut
offrir, au premier abord, quelque chose d'excessif. Si l'on con-
sidère cette décision sous le premier rapport, il est aisé de com-
prendre que le Pape, une fois choisi, par les deux monarques,
pour arbitre de leurs différends, a pu la rendre, sans disposer
en maître absolu des pays qu'il assigne à chacun d'eux. L'oc-
casion, les circonstances, et le but de son décret, adressé, non
à toute l'Église ni à tous les princes, mais au seul roi d'Es-
pagne, montrent clairement, qu'il ne prétendait pas agir, en
cela, comme maître absolu des pays dont il s'agit, mais uni-
quement comme arbitre choisi par les parties, pour terminer
leurs différends, et pour fixer leurs droits respectifs; en sorte
que sa décision ne préjudiciait aucunement aux droits des autres
souverains, sur lesquels il n'était pas consulté, et qu'il n'exa-
mine même pas dans son décret.
La forme de cette décision, c'est-àdire, les termes dans
lesquels elle est conçue, sont également faciles à expliquer, dans
la même supposition. Le choix que les deux monarques avaient
fait du pape Alexandre VI, pour arbitre de leurs ditférends,
étant principalement fondé sur le respect dont ils faisaient tous
deux profession pour le caractère sacré du souverain pontife,
celui-ci était autorisé, par cela même, à donner sa décision, non-
seulement comme rendue avec une pleine liberté, et une entière
connaissance de la cause qui lui avait été soumise, mais aussi
« soribus vestris (Castellae et Legionis regibus) in perpetuum, tenore prœsen-
« tium, donamus, concedimus et assignamus; vosque et hœredes, ac succès-
« sores praefatos, illarum dominos, cum plenâ, libéra et omnimodâ potestate,
« aucloritate et jurisdictione, facimus , constituimus et deputamus; decer-
«< nentes niiiilominus, per bujusmodidonationem, concessionemetassignatio-
« iiem nostram , nulli christiano principi, qui actualiter praelatas in^ulas et
« terras firmas possèdent usque ad dictum diein Nativitalis Domini nostri
« Jesu christi, jus quaesitum, sublatum intelligi posse, aut auferri debere. »
Alex. VI Constit. 2. {Bullar. Rom. tom. i, pag. 454.) Cette bulle d'A-
lexandre vi a été insérée dans le 7e livre des Décrétâtes, lib. i, tit. 9, De
Jnsulis novi Orbis (à la suite des Extravagantes Communes, dans plu-
sieurs éditions du Corpus Juris Canonici). — Voyez aussi Raynaldi, ubi
suprà, anno 1493, n. 19, etc.
37.
580 DEUXIEME PARTIE. — POUVOIR DU PAPE
comme rendue en vertu de la puissance apostolique , qui avait
engagé les deux monarques à lui déférer le jugement d'une
cause si importante. Ajoutons que le Pape, en donnant cette
décision , était si éloigné de s'attribuer le domaine absolu des
pays en question, qu'il déclare expressément, et à plusieurs
reprises, dans la suite de sa bulle, ne vouloir porter aucun pré-
judice aux princes chrétiens, qui auraient pris possession de ces
îles et territoires avant le jour de Noël de l'année précédente,
1492 ; par où il fait assez entendre , que l'unique but de son dé-
cret, est de prévenir ou de terminer les différends qui ont pu
ou qui pourraient encore s'élever, sur ce sujet , entre les rois
d'Espagne et de Portugal, qui l'avaient librement choisi pour
arbitre, et nullement de s'établir juge entre eux et d'autres
souverains, qui n'avaient ni demandé ni accepté sa médiation.
«3. Ces observations suffisent assurément pour montrer que les
Injustice des j , .. . . ,
reproches décrets du saint-siege, en cette matière, ne supposent aucune-
a,tSsiegeS,ant me°t , dans les souverains pontifes , la prétention de disposer
aVdTceTn des Étais en maîtres absolus, pour le bien de la religion.
Ces décrets fournissent seulement une nouvelle preuve de la sa-
lutaire influence de l'autorité pontificale, au moyen âge, pour
le maintien de la paix entre les princes chrétiens. « C'était sans
«doute un spectacle magnifique, dit à ce sujet le comte de
« Maistre , que celui de deux nations , consentant à soumettre
« leurs dissensions actuelles , et même leurs dissensions possi-
bles, au jugement désintéressé du père commun de tous les fi-
a dèles, et à mettre pour toujours l'arbitrage le plus imposant à
« la place des guerres interminables. C'était un grand bonheur
« pour l'humanité, que la puissance pontificale eût encore assez
« de force pour obtenir ce grand consentement. Ce noble arbi-
trage était si digne d'un véritable successeur de saint Pierre,
« que la bulle Inter cœtera devrait appartenir à un autre pon-
« tife(l). »
aa4. 7° Plusieurs décrets des conciles généraux de Constance et
Dc7necUetes de Bâle décernent des peines temporelles contre les hérétiques,
deCe°t"dence les schismatiques , les fauteurs de l'hérésie ou du schisme, jus-
BMetièrema" ^ua les priver, en certains cas, de leurs biens et de leurs di-
(1) De Maistre, Du Pape, tom. i, liv. h, chap. 14.
sortes de
décrets.
SUR LES SOUVERAINS. — CHAPITRE III. 581
gnités y même impériale et royale (1). Ces peines sont décer- temporelle,
nées, non-seulement contre tous ceux qui mettraient obstacle paîuîe"*priii.
aux opérations des conciles dont il s'agit, pour l'extirpation du ces-
schisme qui affligeait alors l'Église (2) ; mais encore contre les
partisans et les fauteurs des schismes à venir (3) , contre les par-
tisans et les fauteurs des erreurs de Wiclef et de Jean Hus (4).
(1) On peut consulter, au sujet de ces décrets, Bossuet, Defensio Declar.,
lib. iv, cap. 10 — Tournely, De Ecclesiâ, tom. u, pag. 459, etc. — De la
Hogue, De Ecclesiâ, pag. 275, etc. — Pey, De V Autorité des deux Puis-
sances, tom. i, pag. 106, 117, etc. — Bianchi, Délia Potesta e délia Politia
délia Chiesa, tom. i, lib. i, § 12 et 19.
(2) « Sacrosancta synodus exhortatur invictissimum principem Dominum
« Sigismundum, Romanorum et Hungariae regem, quatenùs placeat patentes
« litteras sub suae majestatis sigillis dare, et omnibus principibus, vassallis et
« subditis sacri imperii, et praesertim civibus et incolis civitatis Constantien-
« sis, praecipere et mandare , quôd manutenebunt et défendent praedictum
« concilium,.. . quamdiu duraverit; et quicumque. .. (decretum istud) non
« observaverit, cujuscumque dignitatis, status aut conditionis existât. . . eo
« ipso sententiam imperialis banni incurrat, perpétué sit infamis, nec ei
« umquam porta? dignitatis pateant, nec ad aliquodofhciumpublicum admit-
« tatur; quinimmè omnibus (eudis, ac aliis bonis quae à Romano tenet im-
« perio, sit ipso jure privatus. » Concil. Constant, sess. 14 et 17. (Labbe,
Concil. tom. xn, pag. 115 et 161.) — Concil. Basil, sess. 9. (Ibid.,
pag. 501.)
(3) « Ut autem metus, seu impressionis molestia, in electione Papae, eô
« formidolosiùs evitetur, quo toli cbristianitati lamentabiliùs eorum incussio
« perpetratur; ultra praedicta duximus specialiter statuendum, quôd si quis
« hujusmodi metum vel impressionem aut violenliam electoribus ipsis, aut
« alicui ipsorum , in electione Papae intulerit seu fecerit , aut fieri procura-
« verit, aut factum ratum habuerit, aut in hoc consilium dederit vel favo-
« rem;... cujuscumque status, gradûsaut praeeminentiae fuerit, etiamsi impe-
« riali, regali, pontificali, velaliâquâvisecclesiasticâautsœculari praefulgeat
« dignitate, illas pœnas ipso facto incurrat, quae in constitutione felicis re-
« cordationis Bonifacii papae octavi, quae incipit, Felicis, continentur, illis-
« que effectualiter puniatur. » Concil. Constant, sess. 39. (pag. 240, etc.)
La constitution de Boniface VIII, à laquelle le concile de Constance fait
ici allusion, se trouve dans le Texte des Décrétâtes (lib. v, lit. 9, De Pœnis,
cap. 5.) Elle déclare infâmes, et déchus de tous leurs droits, et honneurs
même temporels, tous ceux qui useraient injustement de violence contre
un cardinal. On peut voir un extrait et une explication de ce décret, dans
l'ouvrage de Bossuet, Defensio Declar., lib. iv, cap. 20.
(4) « Volumus insuper, ac statu im us et decernimus,. . . ut contra omnes
« et singulos utriusque sexûs, hujusmodi errores tenentes, approbanles, ac
« fautores et receptatores eorum, cujuscumque dignitatis, status vel condi-
« tionis existant, auctoritate nostrâ inquirere studeant (episcopi et inquisi-
« tores haereticae pravitatis) ; et eos quos hujusmodi haeresis et erroris labe
« respersos repererint, etiam per excommunicationis pœnam, suspensionis,
« interdicti, necnon privationis dignitatum, personatuum, et officiorum,
« aliorumque beneficiorum ecclesiasticorum , ac feudorum , quae à quibus-
582 DEUXIÈME PARTIE. — - POUVOIR DU PAPE
Ces décrets ne peuvent offrir aucune difficulté , après les ob-
servations que nous avons faites , sur ceux du troisième et du
quatrième concile de Latran (l). Dans les décrets de Constance
et de Bâle, comme dans ceux de Latran, les évêques ne s'attri-
buent pas le pouvoir de décerner les peines temporelles, de leur
propre autorité; ils ne le font qu'avec le consentement exprès
ou tacite des princes chrétiens , qui assistaient à ces conciles,
en personne ou par leurs ambassadeurs. Les conciles de Con-
stance et de Bàle pouvaient d autant plus facilement présumer le
consentement des princes chrétiens, pour les décrets dont il
s'agit, qu'ils se bornaient à confirmer et à renouveler les peines
temporelles, attachées depuis longtemps à l'hérésie et à l'excom-
munication, par l'usage et la législation universelle de l'Europe
catholique. Aussi ne voyons-nous, de la part des princes, au-
cune réclamation contre les décrets de Constance et de Bâle, en
matière temporelle, soit pendant la tenue de ces conciles, soit
depuis leur conclusion.
225. 8° Un décret du concile de Trente, dans sa vingt-cinquième
Semblable dé- . ., , _ „ _ ° _ JJ
cret session, décerne des peines temporelles contre les duellistes et
u Trente! e leurs fauteurs (2). Voici les termes de ce décret : « L'empereur,
« les rois , les ducs , les princes , les marquis , les comtes , et tous
«les seigneurs temporels qui permettront le duel sur leurs
«terres, sont, par ce seul fait, excommuniés, et privés de la
«juridiction et du domaine de la ville, château ou lieu, dans
« lequel ou auprès duquel ils auront permis le duel , s'ils tien-
« nent ces lieux de l'Église ; et si ce sont des fiefs, ils appar-
tiendront dès ce moment aux seigneurs directs Quanta
«ceux qui se seront bal tus, aussi bien que leurs parrains, ils
«encourront à la fois l'excommunication, la confiscation de
« tous leurs biens, et l'infamie perpétuelle (3). »
« cumque Ecclesiis, monasteriis, ac aliis locis ecclesiasticis obtinent, ac etiam
« bonorum, et dignitatum saecularium, ac gradunm scientiarum quarumcum-
« que facultatum, et per alias pœnas, sententias et censuras ecclesiasticas,
« ac vias et modos, quos ad hoc expedire viderint.. . corrigant et puniant. »
Concil. Const. sess. 45 ; Bulla Martini V contra errores Wiclcfi et Joan.
Eus. (pag. 270, etc.)
(1) Ci-dessus, chap. 2, ri. 87, etc. pag. 426, etc.
(2) Bossuet, Defensio Declar., lib. iv, cap. 11. Voyez aussi les auteurs
cités dans la note 1 de la page précédente.
(3) « Imperator, reges, duces, principes, marchiones, comités, et alio quo-
SUR LES SOUVERAINS. — CHAPITRE IH. 583
Pour prévenir toutes les difficultés auxquelles ce décret peut
donner lieu, il suffit de remarquer, 1° qu'il ne prive pas les
princes fauteurs du duel, de tous leurs domaines et de toute
leur juridiction temporelle, mais seulement du domaine et de la
juridiction qu'ils tiennent de l'Église. Ce décret ne suppose
donc pas que l'Église ait, de droit divin, aucune juridiction
directe ou indirecte sur le temporel des princes, mais seule-
ment qu'elle a pu acquérir, avec le temps, des domaines et une
juridiction temporelle; ce qu'on ne peut raisonnablement con-
tester. Il faut remarquer, en second lieu, que les peines tem-
porelles portées indistinctement, par ce décret, contre tous les
duellistes et leurs parrains, ne sont décernées que dans la sup-
position du consentement donné à ce décret par les souverains.
On sait , en effet , que ce décret , quoique reconnu dans plusieurs
États catholiques, ne l'a pas été en France et dans quelques
autres États, et que le saint-siége n'a jamais gêné, sur ce point,
la liberté de nos rois. Cette conduite du saint-siége montre clai-
rement, que l'Église ne prétend point envahir les droits des sou-
verains, ni faire des lois, en matière temporelle, sans leur
consentement.
9° Quelques années avant l'ouverture du concile de Trente, 226
éclata le schisme déplorable qui sépara de l'Église catholique le du ^écrej,sw
royaume d'Angleterre. Ce funeste événement donna lieu à conl,e *
*" les rois d' An-
plllSieUrS décrets du samt-siege, qui ont été, pour les théolo- gieterre,
311 xvi^ sicclfl
giens catholiques, soit en Angleterre, soit au dehors de ce Principe gé»é.
royaume, l'occasion de plusieurs controverses très-animées, reXapi!càtion
sur l'autorité respective des deux puissances. Toutes ces con- ces £ecreUi
troverses eussent été bien abrégées, et peut-être terminées dès
le principe, si l'on eût distingué plus soigneusement les pouvoirs
que le saint-siége s'attribue, dans ses décrets, en vertu de
l'institution divine , et qu'on ne peut contester sans blesser la
« cumqne nomine domini temporales, qui locum ad monomachiam in terris
« suis inter christianos concesserint, eo ipso sint excommunicati, ac jurisdic-
« tione et dominio civitatis, castri aut loci, in quo vel apud quem du; Hum
« permiserint fieri, quod ab Ecclesiâobtinent, privati intelligantiir .; et, si
« feudalia sunt, directis dominis statim acquirantur. Qui verô .pugnaui com-
« miserint, et qui eorum patrini vocantur, excommunicationis, ac omnium
« bonorum proscriptionis, ac perpétua? infamiae pœnam incurrant. » Concil.
Trid. sess. 25 ; De Reform. cap. 19. (Concil. tom. xiv, pag. 916.)
584 DEUXIÈME PARTIE. — POUVOIR DU PAPE
foi catholique , d'avec ceux qu'il possédait autrefois en vertu
d'un droit public librement établi par les hommes, et alors
généralement reconnu. Cette distinction suffit, à ce qu'il nous
semble, pour éclaircir la plupart des difficultés auxquelles ces
décrets ont donné lieu. Le lecteur en jugera, d'après les obser-
vations que nous allons présenter, sur les plus remarquables de
ces décrets (1).
. „ «7- Le souverain pontife Clément VII , après avoir inutilement
Bulle d excoin- f L x
munication employé les exhortations les plus paternelles et les plus fortes
déposition, instances, auprès du roi d'Angleterre Henri VIII, pour l'obliger
parTeCpeape à quitter Anne deBoulen, son épouse adultère, et à reprendre
PHUJn1"^"I,re Catherine, son épouse légitime, l'avait enfin excommunié, en
1534. Bien loin de se soumettre à la sentence du Pape, le roi leva
ouvertement l'étendard du schisme, en renonçant à l'obéis-
sance du saint-siége , et se déclarant lui-même chef suprême de
la religion, dans ses États. Paul III, successeur de Clément Vil,
désespérant de la conversion de ce prince , résolut de prendre
contre lui des mesures plus sévères, et prépara une bulle, dans
laquelle il ne se bornait pas à renouveler l'excommunication
déjà lancée par Clément VII, mais il obligeait le roi d'Angle-
terre, sous peine d'excommunication et de déposition, à se
présenter à Rome, en personne ou par procureur, dans l'espace
de trois mois, pour soumettre sa cause au jugement du saint-
siége. Le Pape ajoutait, dans cette bulle, que si le roi ne se
rendait pas à cette injonction, dans le terme prescrit, il encour-
rait , par ce seul fait, l'excommunication et la perte de ses États,
tous ses sujets seraient déliés de leurs serments de fidélité, tous
les princes libres des traités et des engagements contractés avec
lui, autorisés à lui déclarer la guerre et à s'emparer de ses
États (2). Cette bulle, datée du 30 août 1535, ne fut cependant
(1) On peut consulter, à ce sujet, Bossuet, Defensio Declar., lib. iv,
cap. 23. — Rianchi, Délia Potesta e délia Politia délia Chiesa, tom. h,
lib. vi, § 10, n. 2-5. — Affre, Essai historique sur la Suprématie tempo-
relle du Pape, chap. 25.
(2) « Quôd siHenricus rex etalii prsedicti (ejus complices et fautores) ,intra
« dictos terminos eis prœfixos non comparuerint, et prœdictam excommuni-
« cationis sententiam per tresdies, postlapsum dictorum terminorum, animo
« (quodabsit)sustinuerintindurato; censuras ipsasaggravamus et successive
« reaggravamus, Henricumque regem privationis regni et dominiorum, ettam
SUR LES SOUVERAINS. — CHAPITRE III. 585
publiée qu'au mois de décembre 1538, le Pape ayant jugé à
propos d'en suspendre l'exécution, à la demande de quelques
souverains, qui espéraient encore amener le roi d'Angleterre à
de meilleurs sentiments. Mais les nouveaux excès de ce prince
convainquirent enfin le Pape, que le temps était venu d'em-
ployer contre lui les derniers remèdes; et il fut encouragé dans
cette résolution par le suffrage de plusieurs souverains , entre
autres de l'empereur et du roi de France, qui lui promirent
d'appuyer sa sentence contre le roi d'Angleterre.
Il ne s'agit point ici d'examiner l'opportunité de ce décret, 228.
sur laquelle des écrivains peu favorables au saint- siège n'ont ^ôpposl"6
pas manqué d'élever des doutes, répétés depuis par quelques a^0unj""ent
auteurs mieux intentionnés. Il s'agit uniquement de savoir si le tWoiogiqM
du
souverain pontife s'attribue réellement, dans ce décret, le ciroitdm,u
pouvoir direct ou indirect de déposer les souverains et de dis-
poser de leurs États, en vertu de l'institution divine. Or, on
ne voit rien, dans la bulle de Paul III, qui puisse autoriser cette
supposition. Le Pape, il est vrai, y invoque le pouvoir divin de
lier et de délier, comme le fondementde sa sentence, considérée
dans son objet direct et immédiat , qui est l'excommunication
du roi d'Angleterre ; mais il ne dit pas que la déposition de
ce prince soit, de droit divin, la conséquence de l'ex-
communication ; il suppose uniquement que , dans les con-
« eum quàm alios prœdictos, omnesetsingulas pœnas prœdictasincurrisse, de-
« cernimus et declaramus (n°7);... IpsiusqueHenrici régis vassallos et subdi-
« tos à juramento fidelitatis, et omni erga regem et alios prsedictos subjectione
« absolvimus, ac penitus liberamus (n° 10) Praeterea, omnes et singulos
« christianos et principes , per viscera misericordiae Dei nostri (cujus causa
« agi ui r) hortamur et in Domino requirimus, ne Henrico régi, ejusquc coni-
« plicibuset fautoribus, etiam sub praetextu conf'œderationum aut obligatio-
<(. num quarumcumque, etiam juramento roboratarum , à quibus eos absol-
« vimus, consilium, auxilium vel favorem quomodociimque praestent
« (n° 15) (Eosdem) simiiiter hortamur et requirimus, quatenus contra
« Henricum regem, ejusque complices et fautores, dum in erroribus praedic-
« tis permanserint, armis insurgant ; eosque et eorum singulos persequantur,
« ac ad unitatem Ecclesiœ , et obedientiam sanctae sedis redire cogant et
« compellant; eorumque bona mobilia et immobilia, etiam extra ter-
« ritorium dicti Henrici régis ubilibet consistenlia , capiant ( n° 16).»
Pauli III Constit. 7. {Bullar. Rom., Luxemburgi, 1742, tom. i, pag. 707.)
Voyez, au sujet de ce décret, les Annales de Sponde, année 1535, n. 15;
année 1538, n. 14. — Lingard, Hïst. d'Angleterre, tom. vi, pag. 332, etc.;
422, etc.
586 DEUXIÈME PARTIE. — POUVOIR DU PAPE
jonctures où l'on se trouvait, la déposition en résultait
naturellement ; ce qui était en effet généralement reconnu, à
cette époque , et regardé comme un point de droit public, dans
tous les États catholiques de l'Europe, et spécialement dans le
royaume d'Angleterre (1). Outre les raisons qui établissaient
alors ce point de droit public, par rapport à tous les États ca-
tholiques de l'Europe , il était particulièrement fondé, par rap-
port au royaume d'Angleterre, sur le droit de suzeraineté que
plusieurs de ses rois avaient librement conféré au saint-siége
sur eux et leurs États, et qui avait été solennellement reconnu,
en plusieurs occasions , par les princes étrangers (2). Ce point
de droit public une fois supposé, la déposition du roi d'Angle-
terre était une conséquence naturelle de sa rébellion envers
l'Église, et de sa persévérance opiniâtre dans l'hérésie et l'ex-
communication -.pour prononcer cette déchéance, le Pape n'avait
aucun besoin d'invoquer ou de supposer l'opinion théologique
du pouvoir direct ou indirect ; il lui suffisait de déclarer le
prince déchu de sa dignité royale, en punition de ses crimes.
C'est ainsi que le pape Paul III lui-même explique sa bulle,
dans les lettres qu'il écrivit à l'empereur Charles V et au roi de
France, pour leur en donner avis (3). Il dit expressément, dans
la première de ces lettres , que « le roi d'Angleterre s'est privé
« lui-même , par ses crimes, de son royaume et de sa dignité
« royale; en sorte qu'il ne reste plus qu'à déclarer, contre lui,
« le fait de cette privation; et quoique cette déclaration,
«ajoute le Pape, ne soit pas nécessaire, vu la notoriété du
«fait, nous nous proposons d'y procéder, de concert avec les
« cardinaux de la sainte Église romaine (4). » Le Pape répète la
(1) On a vu, dans le chapitre précédent , les preuves de cette ancienne
persuasion. On verra, dans l'article suivant, qu'elle était réellement fondée
sur le droit public de tous les États catholiques de l'Europe, au moyen âge.
(2) Nous avons déjà parlé de ce droit de suzeraineté dans le chapitre pré-
cédent (art. 3, pag. 482, etc.) ; on trouvera de nouveaux éclaircissements sur
ce point dans l'article suivant.
(3) Ces Lettres sont citées par Raynaldi, Annales, anno 1535, n. 11 et 13;
et par Bianchi, ubisuprà, n. 2.
(4) « Ex quibus, et aliis qua? hoctoto triennio accumulavit, scelerihus, ut
« ejus dedecora breviter recenseamus, hsereticus, schismaticus, adulterno-
« torius, homicida, sacrilegus, rebellis, lœsor majestatis, multorumque alio-
« rumque criminum reus effectus est , ac se ipse Mo regno, et regiâ di-
SUR LES SOUVERAINS. — CHAPITRE III. 587
môme chose, et presque dans les mêmes termes, dans sa lettre
au roi de France; et lui fait de plus remarquer, que la décla-
ration dont il s'agit est fondée tout à la fois sur les lois divines
et humaines (1) : ce qui montre combien le Pape était éloigné
de regarder le droit divin, comme l'unique fondement de la sen-
tence prononcée contre le roi d'Angleterre.
\ o° La bulle de Pie V contre Elisabeth est facile à expliquer, «s-
, r ^ ' La bulle de
d'après les mêmes principes (2). Le Pape voyant la reine d'An- Pfcv
gleterre obstinée dans le schisme, au point de persécuter ou- <onbHh,'sa
vertement les catholiques de ses États, de mépriser, à ce sujet, a^pISTs
les avis et les remontrances des princes étrangers, et de refuser mécipe,pnn"
même d'admettre dans ses États les ambassadeurs du saint-
siége, résolut de procéder contre elle, comme avait fait Paul III,
son prédécesseur, contre Henri VIII, fondateur du schisme. Il
fut confirmé dans cette résolution, par les instances du roi d'Es-
pagne, et d'un grand nombre de catholiques anglais, qui
croyaient cette mesure nécessaire au maintien de la religion
en Angleterre. Il publia donc contre la reine, une bulle
datée du 25 février 1570, dans laquelle, après avoir fait
l'énumération de ses crimes et de ses impiétés, il la déclarait hé-
rétique,en vertu de la puissance apostolique; et de plus privée
de ses prétendus droits à la couronne iï Angleterre ; il délivre
« gnitate privavit; ita ut sola declaratio privationis adversùs eum
« super sit ; quse tamen, ob notorietatem prœmissorum , necessaria non
« esset; ad quant, unà cum venerabilibns fratribus nostris S. R. E. cardinali-
« buSjOmninô procedere intendimus. » Epist. Pauli III ad Carolum Vt
imper at. (Raynaldi et Bianchi, ubi suprà.)
(1) « Nos, maximo quidem cum dolore animi nostri, sed tamen extremâ
« necessitate compulsi , ad ea remédia, cum venerabilibns fratribus nostris
« S. R. E. cardinalibus, idipsum nobis unanimiter suadentibus, venire decre-
« vimus, quœjus commune tam divinum, quàm humanum nobis injun-
« git; ut scilicet eumdem Henricum, qui priùs per rebellionem, per haresim,
« et schisma, aliaque enormissima crimina, novissimè autem per indignam
« csedemS. R. E. cardinalis, et lot aliorum clericorum et religiosorum, regno
« se , ac regiâ dignitate privavit , privatam declaremus. » Epist.
Pauli III ad Franciscum I, Francorum regem. (Raynaldi et Bianchi, ubi
suprà.)
(2) Voyez les auteurs cités plus haut, pag. 584, note 1. Voyez aussi Mama-
chi, Origines, etc., tom. iv, pag. 256, note 4. Ce dernier auteur, aussi bien
que Bianchi, s'étonne que Bossuet, dans le troisième livre de la Défense de
la Déclaration (chap. 27 et 28), ait entièrement passé sous silence la bulle
de Pie V contre Elisabeth. Ils n'ont pas fait attention que Bossuet en parle
dans le livre suivant (chap. 23).
*
588 DEUXIÈME PARTIE. — POUVOIR DU PAPE
en même temps tousses sujets, et pour toujours, du serment de
fidélité qu'ils pouvaient lui avoir prêté (1) . Le langage du Pape,
dans cette bulle , ne peut offrir aucune difficulté, après les obser-
vations que nous venons de faire, sur la bulle de Paul III con-
tre Henri VIII. Le pape Pie V déclare d'abord, en vertu de sa
puissance apostolique, que la reine Elisabeth est hérétique ; ce
qu'il avait incontestablement le droit de déclarer, comme
chef de l'Église. Tirant ensuite les conséquences de ce fait, il
déclare en outre, que la reine est privée de ses droits à la cou-
ronne d'Angleterre , et ses sujets déliés de leur serment de fi-
délité envers elle ; c'était là , en effet , la conséquence de l'hé-
résie, d'après la persuasion alors universelle, non-seulement
des catholiques anglais, mais de tous les peuples catholiques de
l'Europe , qui regardaient cette conséquence comme un point
de leur droit public (2). Le Pape pouvait assurément, et devait
même supposer la permanence de ce droit, qui n'avait jamais
été réformé par une autorité compétente, et dont la perma-
nence était généralement reconnue, à cette époque, non- seule-
ment par les catholiques anglais, mais par tous ceux des
autres États, et par les princes étrangers qui soutenaient, au-
près de la reine, la cause des catholiques anglais (3).
23o. ii° Mais de tous les décrets du saint-siége, concernant le
Serments de <-> *
suprématie schisme d'Angleterre , aucun ne donna lieu à des discussions
et
d'aiiégeance, plus longues et plus animées, que les brefs de Paul V contre le
deSecâ?hoii- serment d'allégeance ou de fidélité, exigé par le roi Jacques Ier,
(1) « IlliiJS itaque auctoritate suffulti, qui nos in hoc supremae justitiae
« throno, licèt tanto oneri impares, voluit collocare; deapostolicae potestatis
« plenitudine; declaramus praedictam Elisabeth haereticam, et haereticorum
« fautricem,eiqueadh;erentesinpia3dictis,anathematisseritentiamincurrisse,
« esseque à Christi corporis unilate praecisos; quin etiàm ipsam praetenso
« regni praedieti jure, neenon omni et quoeumque dominio, dignitate, privi-
« legioque privatam; et item proceres, subditos et populos dicti regni, ac
«■ caeteros omnes qui illi quomodôcumque juraverunt, à juramento hujns-
« modi , ac omni prorsus domina, fidelitatis, et obsequii debito, perpetuô
« absolutos, prout nos illos, praesentium auctoritate, absolvimus ;etprivamus
« eamdem Elisabeth praetenso jure regni , aliisque omnibus supradictis. »
PU V Constit. 101, n. 3, 4, 5. (JBullar. Rom. tom. h, pag.324.) — . Sponde,
Annales, anno 1570, n. 3 et 4. — Lingard, Hist. d'Angleterre, tom. vin,
pag. 73, etc.; 597, etc.
(2) Voyez la note 1 de la page 586.
(3) On trouvera de nouvelles preuves de ce fait, dans l'article suivant. Voyez
aussi les auteurs cités, n. 9 des Pièces justificat. à la fin de ce volume.
SUR LES SOUVERAINS. — CHAPITRE III. 589
en 1 606 (î). Depuis l'origine du schisme , le gouvernement avait ques
constamment exigé, d'un certain nombre d'ecclésiastiques etan§^o't"lte
de laïques , le serment de suprématie , par lequel on reconnais-
sait « que la souveraine autorité, tant dans les choses spirituel-
« les ou ecclésiastiques, que dans les temporelles, appartenait
« au roi seul ; et que nul homme, soit prince, soit prélat, n'avait
« aucun degré de juridiction et d'autorité ecclésiastique ou spi-
« rituelle, dans toute l'étendue du royaume d'Angleterre (2). »
Jacques 1er, après la découverte de la conspiration des pou-
dres, jugea nécessaire de prendre de nouvelles mesures contre
un certain nombre de catholiques, qui regardaient son auto-
rité , même temporelle , comme subordonnée à celle du Pape.
Il fit donc adopter, par les deux chambres, une nouvelle formule
de serment, que tout individu soupçonné de catholicité serait
obligé de prêter, sur la demande des autorités locales. Voici les
propres termes de ce serment (3) •. « Je reconnais sincèrement,
« et déclare en ma conscience, devant Dieu et devant les
(l)Dupin, dans la quatrième partie de son Hist. Ecclésiastique du
xviie siècle (pag. 622), donne la liste des principaux ouvrages publiés de
part et d'autre, sur cette controverse. Il faut y ajouter Suarez, Defensio Ficlei
Catholicœ adversùs Anglic. sectœ errores. Colonise, 1614, in-ibl. — Di-
vers actes de la Faculté de théologie de Paris, répandus dans le Recueil inti-
tulé : Censures et Conclusions de la Faculté de théologie de Paris, tou-
chant la Souveraineté des Rois. Paris, 1720, in-4°. Voyez surtout pag.
186, etc.; 393, etc.
On peut voir, dans les ouvrages suivants, le résumé de cette discussion.
Bossuet, Defensio Declar., lib. îv, cap. 23. — Bianchi, Délia Potesta délia
Chiesa, tom. n, liv. vi, § 11, n. 5, etc. — Sponde, Annales, anno 1606,
n. 4. — Lingard , Hist. d'Angleterre, tom. ix, pag. 111-121. — Dupin ,
Histoire Ecclésiastique du xvue siècle, lre partie, pag. 370, etc. — D'A-
vrigny, Mémoires pour servir à VHist. Ecclés. du xvir3 siècle, tom. î,
22 sept. 1606 ; 26 nov. 1610; 2 juin 1614. — Vie du cardinal Bellarmin,
par le P. Frizon, pag. 322, etc. — Hist. Societatis Jesu, part. 5, tom. n,
lib. xiu, n. 62, 147, etc. — L'abbé Goujet, Hist. du Pontificat de Paul V,
tom. i, pag. 287, etc. Nous ferons remarquer, en passant, que ce dernier ou-
vrage doit être lu avec réserve, sur le point qui nous occupe, aussi bien que
sur plusieurs autres, à cause des préjugés bien connus de l'auteur, contre le
Pape et les Jésuites.
(2) Lingard, Hist. d'Angleterre, tom. vu, pag. 403, 481, 483 et 562. On
peut voir la formule entière de ce serment, dans les ouvrages suivants : Sua-
rez, Defensio Fidei , lib. vi, Proœmium. ~ Bellarmin, Responsio ad Apo-
logiam pro Juramento fidelitatis; Prœambul. (Operum tom. vu,
pag. 640.)
(3) Nous citons textuellement la formule de ce serment, en supprimant
seulement quelques expressions moins importantes. On peut voir la formule
590 DEUXIÈME PARTIE. — POUVOIR DU PAPE
« hommes, que notre souverain maître , le roi Jacques , est
« légitime roi de ce royaume et de tous les autres États qui
« en dépendent; que le Pape, ni par lui-même, ni par l'auto-
« rite de l'Église romaine ou du siège romain, ni de quelque
« autre manière que ce soit, n'a le pouvoir de déposer le roi,
« de disposer de son royaume ou de ses autres domaines, d'au-
« toriser aucun prince étranger à l'attaquer ou à troubler sa
« personne ou ses États, de décharger ses sujets de leur fidélité
« ou obéissance ; que nonobstant toute déclaration ou
« sentence d'excommunication ou de déposition , faite ou ac-
« cordée par le Pape ou par ses successeurs, ou par quelque
« autorité que ce soit, contre le roi ou ses successeurs, non
« obstant toute absolution d'obéissance donnée à ses sujets,
« je garderai une véritable foi et allégeance à Sa Majesté et
« à ses successeurs Je jure, en outre, que j'abhorre de tout
« mon cœur, comme impie et hérétique , cette doctrine et pro-
« position , que les princes excommuniés ou privés de leurs
« États par le Pape, peuvent être déposés ou tués par leurs su-
« jets , ou par quelque autre personne que ce soit. Je crois aussi,
« et suis persuadé en ma conscience, que ni le Pape, ni aucune au-
« tre personne, n'a le pou voir de m'absoudrede ce serment entier,
« on d'aucune de ses parties. Je reconnais que ce serment m'est
« légitimement demandé, par une juste et pleine autorité, et je
« renonce à toute dispense contraire; etc. »
,3r. La légitimité de ce serment devint aussitôt un grand sujet de
BrefronfreUlv contestation entre les catholiques anglais; les uns le condam-
le sJerm/annlcfal' nèrent , comme renouvelant, sous des termes équivoques, le
serment de suprématie ; les autres soutinrent qu'on pouvait
prêter sans scrupule le nouveau serment , persuadés qu'il n'ex-
primait que la promesse d'une obéissance politique ou pure-
ment civile, dont il n'est pas permis à un sujet de se dispenser,
envers son légitime souverain. Le pape Paul V, instruit de ces
entière, dans YHist. d'Angleterre de Rapin Thoyras, tom. tiu, liv. xviir,
année 1606. — Bellarmin, ubi suprà, pag. 641. — Suarez, ubisuprà. —
Gretser, Commentarius exegeticus in Apologiam pro Juramento fidelita-
tis, cap. vi. (Operum tom. vu, pag. 47.) — Dupin, Hist. Ecclésiast. du
xx ii* siècle, lre partie, pag. 371. — Censures et Conclusions de la Fa-
culté de théologie de Paris, pag. 394. — L'abbé Goujet, ubi suprà,
pag. 290.
*
SUR LES SOUVERAINS. — CHAPITRE III. 591
contestations, adressa aux catholiques anglais un bref daté du
22 septembre 1606, qui condamnait le serment d'allégeance,
comme illégitime, et contenant plusieurs choses manifeste-
ment contraires à la foi et au salut (l). Mais cette décision ne
réunit pas les esprits ; les partisans du nouveau serment répan-
dirent le bruit, que le bref était supposé, ou qu'il avait été donné
sur un faux exposé ; qu'en tout cas , il n'était pas obligatoire,
et n'exprimait que l'avis particulier du souverain pontife.
Paul V, averti de ces nouvelles difficultés, adressa aux catho-
liques anglais un second bref, daté du 22 septembre 1607, par
lequel il confirmait le premier, et « obligeait les catholiques an-
« glais à l'observer exactement, en rejetant toute interprétation
« propre à les détourner de cette obéissance (2). »
Il n'entre pas dans notre plan de rapporter ici les suites de a32.
cette décision , qui devint un nouveau sujet de discussion entre Kvorilênit"
les théologiens catholiques, soit en Angleterre, soit sur le con- [S,^.
tinent, et qui fut plusieurs fois confirmée par le saint-siége, pen- an5jjJ3 ■
dant le cours du xvne siècle (3). Il suffit à notre objet de mon-
(1) Rapin Thoyras (ubi supra), par une singulière méprise, attribue ce
bief à Urbain VIII, qui ne devint pape qu'environ vingt-huit ans après. Il
donne à ce même bref la date du 31 octobre, au lieu du 22 septembre. On
peut voir le texte entier de ce bref dans les ouvrages suivants : Suarez , ubi
suprà, pag. 79. — Bellarmin, Responsio ad Apologiam Juramenti. (Ope-
rum, tom. vu, pag. 641.) — D'Argentré, Collectio Judiciorum , tom. m,
pag. 172.
(2) On trouve ce second bref, dans les mêmes auteurs que le pré-
cédent.
(3) Une courte notice sur le Serment d'allégeance, qu'on lit dans le
Recueil déjà cité des Censures et Conclusions de la Faculté de théologie
de Paris (pag. 393), nous apprend que ce serment fut de nouveau condamné
par le pape Innocent X, en 1648. Mais cette nouvelle décision ne termina pas
la controverse. Plusieurs catholiques anglais ayant consulté, à ce sujet, la Fa-
culté de théologie de Paris, en 1680, soixante docteurs signèrent une Réponse
à cette Consultation, par laquelle ils déclarèrent que les catholiques d'An-
gleterre pouvaient, en sûreté de conscience, et sans préjudice de la foi, faire
le serment en question. (Censures et Conclusions de la Faculté, etc.
ibid.) Bossuet assure que cette Réponse fut mise à Y Index à Rome, en
1683. (Bossuet, ubi suprà, cap. 23, initio.) Toutefois, nous n'avons pu
jusqu'ici la trouver dans aucune édition de Y Index, ni dans les divers Ap-
pendices de l'édition de 1681 que nous avons pu consulter. Peut-être se
trouvait-elle dans quelqu'un des Appendices publiés de 1681 à 1704, qui ont
échappé à nos recherches. Dans cette supposition, nous serions porté à croire
que cet article aura été rayé de Y Index, depuis la conclusion des affaires de
1682, pour ne pas donner lieu à de nouvelles contestations, sur ces matières
délicates. Quoi qu'il en soit de cette conjecture, il est à remarquer que Bos*
592 DEUXIÈME PARTIE. — POUVOIR DU PAPE
trer qu'on ne serait nullement fondé à invoquer les brefs de
Paul V, en faveur de l 'opinion théologique du pouvoir direct
ou indirect. En effet, Tunique but de ces brefs est de condam-
ner le serment d'allégeance , comme renfermant plusieurs
choses contraires à la foi et au salut; or, il est aisé de voir que
ce serment, indépendamment de toutes les controverses théolo-
giques sur le pouvoir direct ou indirect , renfermait plusieurs
choses contraires à la foi et au salut.
233. Car, 1° il est évidemment contraire à la foi et au salut, d'at-
vaiiïgZTcl , tribuer la souveraine autorité spirituelle sur une église parti-
C0Iind!renb-le ' culière, à un autre qu'au souverain pontife, vicaire de Jésus-
dammentde christ et successeur de saint Pierre. Or, il est certain que les
cette 7 *
opinion: catlioliques anglais, en prêtant le serment d'allégeance , attri-
i° comme re- , * - ° . A . . , .
nouveiant buaient la souveraine autorité spirituelle sur 1 Eglise d Angle-
sermeJ <te m- terre , non au souverain pontife, mais au roi d'Angleterre
premane. ]ui_même . car jis déclaraient devant Dieu , par ce serment ,
qu'ils reconnaissaient le roi Jacques pour leur souverain maître :
expressions qui , dans ce serment, ne désignaient pas seulement
la souveraine autorité dans l'ordre civil et temporel , mais en-
core dans l'ordre spirituel et ecclésiastique. Il est vrai que les
mots de souverain maître, n'ont pas essentiellement et par
eux-mêmes , cette dernière signification ; mais ils l'avaient in-
contestablement dans l'intention du roi d'Angleterre, clairement
manifestée , non-seulement par l'usage et la conduite journalière
de ce prince et du gouvernement anglais, à cette époque, mais
encore par plusieurs autres clauses du serment d'allégeance ,
qui attribuaient au roi le pouvoir de régler , en matière de foi,
la croyance des fidèles, par une juste et pleine autorité^ comme
on va le voir dans la suite de cette discussion (l).
234. 2° Il est manifestement contraire à la foi et au salut, depré-
. commo »o. yeDjr je jugement de l'Église, en condamnant comme impie et
tant
suet lui-même, malgré toutes les décisions du saint-siége contre le serment
d'allégeance, parait fort indécis sur la légitimité de ce serment : d'un côté, il
parle avec respect de ces décisions ; d'un autre côté, il paraît vouloir excu-
ser celle des docteurs de Paris. Ce chapitre de la Défense de la Déclaration
est vraisemblablement un de ceux qu'il eût modifiés davantage, s'il eût pu
mettre la dernière main à son travail.
(1) Pour le développement de ce raisonnement, voyez Suarez, ubi supra,
cap. 2, n. 2 et 3. — • Gretser, ubi suprà, cap. 6, pag. 49 et 50.
Comme ren-
versant
SUR LES SOUVERAINS. — CHAPITRE III. 593
comme hérétique, une opinion qu'elle n'a pas jugé à propos de s hérésie nm
condamner, une opinion soutenue, de bonne foi', par un grand ^1™*!™-
nombre de pieux et savants personnages; or, il est également ,ar riftiise.
certain que les catholiques anglais se rendaient coupables de
cet excès, en faisant le serment d'allégeance , dans lequel
on condamne, comme impie et comme hérétique, la doctrine
qui soutient que la puissance ecclésiastique peut , en certains
cas, déposer les souverains , particulièrement pour crime d'hé-
résie. Sans doute, il était permis aux Anglais, comme à tous
les catholiques , de regarder cette opinion comme douteuse et
même fausse ; mais la condamner comme impie et comme hé-
rétique, sans attendre le jugement de V Église, c'est ce qui pa-
raissait outré et téméraire , selon la remarque de Bossnet (1).
3° Il est également contraire à la foi et au salut , de recon- n \n.
naître, dans un prince temporel, le pouvoir de décider sur des
questions de foi, ou de régler, en cette matière, la croyance **£&££*
des fidèles : attribuer une pareille autorité à un souverain tem- Jésus-Chris,«
(1) « Et quidem ah eâ sententiâ abhorrerez prospectis meliùs rébus, utï
« nos Franci facimus, erat licitum ac bonum; damnare ut hœreticum,
« absque Ecclesiœ auclorïtate, nimium et iemerarium videbalur. »
Bossuet, ubi suprà , pag. 100. — Suarez, ubi suprà, cap. 4.
Il paraît que les docteurs de la Faculté de Paris, qui justifiaient, sur ce
point, le serment d'allégeance, se fondaient principalement sur la décision
du concile de Constance, qui condamne comme hérétique la proposition
suivante : « Tout tyran peut être mis à mort par son vassal ou sujet, nonob-
« stant tout serment ou confédération quelconque, et sans attendre la sen-
« tence ou l'ordre d'aucun juge. » (Labbe, Concil. toni. xn, pag. 144. —
Fleury, Hist. Ecclés., tom. xxi, liv. cm, n. 108. — Hist. de l'Égl. Gall.,
tom. xvi, pag. 14.) Il y a cependant une grande différence entre cette pro-
position et celle que le serment d'allégeance condamne comme hérétique.
La première autorise tout vassal ou sujet à mettre à mort un tyran , sans
attendre la sentence ou l'ordre d'aucun juge; c'est-à-dire, qu'elle auto-
rise le premier venu à tuer un tyran, d'autorité privée. La seconde se
borne à dire, qu'un prince excommunié, ou privé de ses États par le
Pape , peut être déposé ou tué par ses sujets ; mais elle n'ajoute pas qu'ils
peuvent agir, en cela , d'autorité privée : d'où il suit que la proposition peut
très-bien se restreindre au cas où les sujets y seraient autorisés par une décision
émanée de l'autorité compétente, comme serait, par exemple, celle du suc-
cesseur légitime du prince déposé. On peut, à la vérité, sans blesser la foi, con-
tester la proposition même ainsi expliquée ; mais on ne peut la confondre avec
celle que le concile de Constance a condamnée comme hérétique. (Voyez
Suarez, ubi suprà, cap. 4 , n. 20.) Il semble même que les catholiques an-
glais pouvaient absolument la soutenir, à l'époque où fut établi le serment
d'allégeance ; puisqu'ils pouvaient encore supposer la permanence de l'ancien
droit public de l'Angleterre, qui excluait du trône les princes hérétiques.
38
236.
594 DECXIÈME PARTIE. — POUVOIR DU PAI'E
porel, c'est évidemment renverser la règle de foi établie par
Jésus-Christ , et qui consiste dans l'enseignement du corps des
pasteurs , unis au souverain pontife leur chef. Or, les catholi-
ques anglais, en faisant le serment d'allégeance, se rendaient
évidemment coupables de ce renversement , puisqu'ils recon-
naissaient, en termes exprès, que ce serment , où l'on statuait
sur des questions de foi, leur était demandé légitimement, par
une juste et pleine autorité. Sous ce rapport, il était assez clair
que le serment d'allégeance ne différait point au fond du
serment de suprématie, puisque, dans l'un comme dans l'autre,
on attribuait au souverain une juste et pleine autorité, en ma-
tière de foi (1).
L'opinion nous ne faisons qu'indiquer ces raisons , qui furent dévelop-
théolngique x ' x L
«in. pées dans le temps, avec beaucoup de force, par de savants
droit divin »,,,. ... , .. , _ .-,
toujours théologiens, principalement par le cardinal Bellarmin et par
1,b,eterrtnge Suarez , dans leurs ouvrages sur cette controverse. Il est vrai
TUS. que ces auteurs faisaient aussi valoir, contre le serment d'allé-
geance, plusieurs arguments tirés de l'opinion théologique du
pouvoir indirect, alors généralement admise ; mais il est certain
que le pape Paul V et ses successeurs , en condamnant le ser-
ment d'allégeance, n'ont jamais prétendu obliger les catholi-
ques anglais à soutenir l'opinion théologique du pouvoir direct
ou indirect ; que le saint-siége n'a jamais inquiété ceux d'entre
eux qui révoquaient en doute cette opinion ; enfin, qu'il a tou-
jours laissé, sur ce point, aux catholiques anglais, la môme
liberté dont jouissent tous les catholiques, par rapport aux opi-
nions théologiques sur lesquelles l'Église n'a pas encore jugé à
propos de s'expliquer (2).
BuiJde Nous ne terminerons pas cette discussion sans parler, en
Sixt5evror're peu de mots, de la bulle publiée par Sixte V, en 1585, contre
(Henîi^ivTet *e r°l ^e Navarre ( depuis Henri IV ) , et le prince de Condé , son
proche parent, chefs du parti calviniste en France (3). Le pon-
(1) Suarez, ubi suprà, cap. 5, n. 6.
(2) Voyez ci-après les nos 240 et 241 de ce premier article; et le n° 8 des
Pièces justificatives, à la fin de ce volume.
(3) Bossuet, Defens. Declar., lib. ni, cap. 28. — Bianchi, Delta Potesta
e delta PoHtia delta Chiesa, tom. n , lib. vi, § 10, n. 5 , etc. — Mamachi,
Origines et Antiquit. Christ., tom. iv, pag. 257, note. Pour le développe-
ment des faits, voyez Davila, Hist. des Guerres civiles de France, tom. n,
SUIt LES SOUVERAINS. — CHAPITRE III. 595
tife, résolu de protéger la Ligue formée depuis plusieurs années, i„ princc
pour exclure du trône ces princes hérétiques , publia contre de Co,,de•
eux, au mois de septembre 1585, une bulle par laquelle il les dé-
clarait déchus de tous leurs droits et honneurs temporels. Après
un préambule , dans lequel il relève, en termes magnifiques, les
prérogatives du saint-siége, il rappelle les variations des deux
princes , qui, élevés d'abord dans le calvinisme, l'avaient abjuré
sous Charles IX, et l'avaient de nouveau professé publiquement,
jusqu'à prendre les armes pour le soutenir. « En conséquence
« de ces faits publics et notoires, ajoute le Pape,.... nous pro-
« nonçons et déclarons, en vertu de la pleine puissance que
« nous avons reçue du roi des rois , au nom du Dieu tout-puis-
« sant, et des bienheureux apôtres saint Pierre et saint Paul;
« que Henri, jadis roi de Navarre, et Henri, prince de Condé,
« sont hérétiques, relaps, chefs et fauteurs des hérétiques , cou-
«pables de lèse-majesté divine, et ennemis de la foi catho-
dique; qu'ils ont encouru, en conséquence, les censures
« et les peines décernées par les saints canons , et par les lois
« tant générales que particulières, contre les hérétiques relaps
« et impénitents ; qu'ils sont privés, de plein droit , le premier
« du royaume de Navarre et de Béarn, et tous deux, de leurs
« principautés, domaines et dignités;.... qu'ils sont inhabiles et
« incapables de les retenir, ou d'en obtenir désormais de sem-
« blables, spécialement dans le royaume de France, où ils
« ont commis tant d'excès ; que tous leurs vassaux et sujets
« sont absous pour toujours envers eux, de leurs serments de
«fidélité, etc. (1). »
année 1585, etc. — Sponde, Annales, anno 1585, etc. — Daniel, ffist. de
France, etc.
(I) « Quae omnia cùm manifesta , pu Mica et notoria sint; nos in ple-
« nitudine potestatis, quam ipse Re\ regum et Dominus dominantium licèt
« nobis indignis tribuit, constituti; auctoritate Dei omnipotent is, ac beato-
« rum Pétri et Pauli apostolorum ejns, et nostrâ; pronuntiamus et de-
ce claramus, Heniïcum quondam regem , et Henricum Condensem supradi-
«ctos, fuisse et esse haereticos, in haeresim relapsos et impœni tentes,
« baereticorum quoque duces, fautores et defensores inanifestos, publicos et
« notorios, sicque laesœ majestatis divinae reos, et orthodoxae fnlei clnïstianae
« hostes; ac proinde eos damnabiliter incurrisse in sententias, censu-
« ras et pœnas saciïs canonibus et constitutionibusapostolicis, legibusque
« generalibus et paiticularibus contentas, ac haereticis relapsis et impœni-
« tentibus débitas; et specialiter eos fuisse et esse ipso jure privatos,
« Henricum quondam regem videlicet , prsetenso Navarraî regno necnon
38.
596 DEUXIEME PARTIE. — POUVOIR DU PAPE
238. 11 est aisé d'appliquer à cette bulle les observations que nous
^l'îjij'ï"" avons faites à l'occasion de celles du pape Paul III contre
près ics iTeûri vill , et du pape Pie V contre la reine Elisabeth. V objet
mêmes prin- » *■ L "
ciPcs direct et principal que Sixte V se propose daus sa bulle contre
que celles de _. V ,. _ <* . i ' . t ^ i , i . -,
Paul m et de le roi de Navarre et le prince de Conde, est de prononcer et de
déclarer, en vertu de sa puissance apostolique , que ces deux
princes sont hérétiques, relaps, et fauteurs de l'hérésie, 11
tire ensuite la conséquence de cette déclaration, savoir : que
ces deux princes sont privés de tous leurs droits et honneurs
temporels. Telle était en effet, à cette époque, la conséquence
de l'hérésie, d'après la persuasion universelle des catholiques
français et de tous les peuples catholiques de l'Europe, qui re-
gardaient cette conséquence comme un point de droit public,
fondé sur un usage immémorial (l). La permanence de cet
ancien droit ne pouvait alors paraître douteuse, puisqu'il n'a-
vait jamais été changé ou réformé par l'autorité compétente, et
qu'il était hautement invoqué par les chefs de la Ligue, dans un
« BearnijaltermïïverôHenricum^ondens^principatu)'; etutrumqueeorum-
«que posteros, omnibus et quibuscumque aliis principatibus, dominiis,
« neenon dignitatibus, honoribus, muneribus, ac officiis etiam regiis;
« eosdemque propterea seillis reddidisse indignos ; ac fuisse et esse inhabiles
« et incapaces ad illa retinenda, et alia hujusmodi in posterum obtinenda;....
« specialiter in regno Franciae , in quo tôt atrocia et nefaria crimina patrâ-
« runt; quin etiam proceres, feudatarios, vassallos, subditos et popu-
« los, ac caeteros omnes qui illis quomodocumque juraverunt, à jura-
« mento hujusmodi perpétué absolutos esse, etc. » Bulla Sixti V, adversùs
Henricum, regem Navarrœ.
Celte bulle, publiée à Rome en 1585 (in-8°), est omise dans le Bul-
laire romain, et dans la plupart des recueils historiques, publiés en
France , sur les affaires de la Ligue , depuis la réconciliation de Henri IV
avec l'Eglise romaine. Les Mémoires de la Ligue (tom. i de l'édition
in-8°, pag. 236) ne renferment que la traduction française, d'après l'édi-
tion qui en avait été donnée en 1585 (in-8°), sous la rubrique de Co-
logne. On trouve le texte latin imprimé, d'après l'exemplaire de Rome, à
la suite de l'ouvrage publié , contre cette bulle , par le célèbre jurisconsulte
Hotman, sous ce titre : Brutum fulmen papœ Sixti V, adversùs Henricum
seren. regem Navarrœ, et illustr. Henricum Borbonium, principem
Condœum. (ln-8°, 234 pag. sans date d'année.) Il existe une seconde édition
de cet ouvrage, publiée en 1603, in-12, avec diverses pièces latines. L'ou-
vrage entier a paru en français sous ce titre : Protestation et Défense pour
le roi de Navarre1, contre l'injuste et tyrannique bulle de Sixte V, 1587,
in-8°. Le texte latin de la bulle se trouve aussi dans le recueil suivant :
Scripta utrhisque partis; Francofurti , 1586 , in-8°. — Goldast, Monar*
chia S. Rom. imperii; Francofurti, 1614, in-fol., toni. m, pag. 124.
(1) Voyez la note 1 de la page 586.
SUR LES SOUVERAINS. — CHAPITRE III. 597
manifeste appuyé par l'adhésion de presque tous les princes de
l'Europe, et de la France presque entière. Aussi la bulle du Pape,
publiée à la demande des chefs de la Ligue, fut-elle répandue
dans le royaume , par leurs soins , avec l'autorisation au moins
tacite du roi Henri III, qui occupait alors le trône de France (I).
Peut-être nous opposera-t-on , que l'opinion théologique du 239.
_ # titille CXlillCfl-
pouvoir direct ou indirect étant alors généralement admise par tion
les théologiens, principalement en Italie, il y a tout lieu de dépendante
croire, que les souverains pontifes Paul III , Pie V et Sixte V, niond^pTp»,
se fondaient sur cette opinion, pour exercer un si grand pouvoir doct^mpam.
sur les souverains. culiers-
Il est sans doute naturel de penser, que les papes dont il
s'agit, partageaient là-dessus, comme docteurs particuliers ,
l'opinion alors généralement admise par les théologiens (2),
Mais quelle que fût, à cet égard, leur opinion particulière, il
est tout à fait invraisemblable qu'ils aient regardé cette opinion
comme le principal , et surtout comme l'unique fondement de
leurs décrets, tandis qu'ils avaient un motif beaucoup moins
sujet à contestation , dans les lois fondamentales de la France
et de l'Angleterre, invoquées avec confiance par les catholiques
de ces deux royaumes. Dans la supposition de ces lois fonda-
mentales , les souverains pontifes n'avaient aucun besoin,
pour prononcer la déchéance des princes dont il s'agit , de
recourir à l'opinion théologique du pouvoir direct ou indirect;
il leur suffisait de prononcer et de déclarer , en vertu de leur
pouvoir directif, que ces princes avaient encouru la déchéance
prononcée contre eux par la loi fondamentale de leurs États.
En s'appuyant sur ce pouvoir directif, les souverains pontifes
partaient d'un principe reconnu, sans contestation, par tous les
théologiens, même par les défenseurs de l'opinion théolo-
gique du pouvoir direct ou indirect; tandis que cette dernière
opinion, quoique très-accréditée à cette époque, était un grand
sujet de contestation parmi les théologiens, les uns admettant
(1) Voyez, à l'appui de ces assertions, les auteurs cités plus haut, pag. 594,
note 3. Tous ces faits seront de plus en plus éclaircis dans l'article suivant,
où nous établirons la réalité de l'ancien droit jniblic sur lequel se fon-
daient les partisans de la Ligue.
(2) L'opinion du pape Sixte V en particulier ne paraît pas douteuse. Voyez
le n. 8 des Pièces justificatives, à la fin de ce volume.
598 DEUXIEME PARTIE. — POUVOIR DU PAPE
le pouvoir direct , les autres le pouvoir seulement indirect ,
d'autres enfin le simple pouvoir directif, très-différent des deux
24o. premiers (t).
Cc°e"c«amen.e Nous croyons inutile de pousser plus loin l'examen des dé-
décreiCdens crets publiés par les papes et les conciles , sur le sujet qui nous
papes ni des 0CCllpe. Les détails dans lesquels nous venons d'entrer, sont
conciles, r m.
n'autorise plus que suffisants pour nous autoriser à dire, que l'opinion
système théo- théologique du pouvoir direct ou indirect n'a jamais été sup-
cHoi^Xin! posée , ni par les papes , ni par les conciles , dans leurs décrets ;
et que, dans le temps môme où cette opinion était plus ré-
pandue, elle est toujours demeurée dans la classe des opinions
scolastiques , sur lesquelles l'Église et le saint-siége n'ont pas
jugé à propos de prononcer. Nous pourrions aller plus loin, et
montrer que, dans ces derniers temps , le saint-siége , bien loin
d'adopter ou d'autoriser cette opinion, s'est plusieurs fois ex-
pliqué de manière à faire entendre qu'il ne prétend aucune-
ment l'approuver, ni la prendre pour base de sa conduite
envers les souverains (2). Mais les bornes qui nous sont pres-
crites, nous obligent à supprimer ces développements, tout à
fait étrangers à l'objet principal de nos Recherches.
a° jamais ce Nous ferons seulement remarquer, en terminant cet article,
n'aTtféîisé que si l'on ne peut sans injustice reprocher aux papes et aux
conciles du moyen âge, d'avoir autorisé, par leurs décrets, l'opi-
nion théologique du pouvoir direct ou indirect, il serait encore
plus injuste de prétendre, qu'ils ont érigé cette opinion en
dogme de foi. Nous pouvons avec confiance défier les ennemis
de l'Église , d'établir cette prétention par aucun témoignage
authentique; et les détails dans lesquels nous sommes entré sur
les principaux décrets des papes et des conciles, en cette matière,
montrent clairement la fausseté de cette supposition. La dépo-
sition de l'empereur Henri IV , et celle de Frédéric II , qui sont
les actes les plus remarquables en ce genre, sont des faits
humains , et non des décrets de foi. Les motifs allégués par les
souverains pontifes , à l'appui de leurs sentences , sont des rai-
(1) On peut voir l'exposition de ces divers sentiments, au n. 8 des Pièces
justificatives, à la fin de ce volume.
(2) Voyez quelques détails importants, sur ce point, dans le même numéro
des Pièces justificatives.
en
dogme de foi
**
SUR LES SOUVERAINS. — CHAPITRE III. 599
sonnements plus ou moins sujets à contestation, et que les
papes eux-mêmes n'ont jamais donnés comme des dogmes de
foi (l). La constitution de Boniface VIII, Unam sanctam , qui
semble porter plus loin qu'aucune autre le pouvoir du saint-siége,
en matière temporelle , se borne à décider un point qui n'est
contesté par aucun catholique, savoir : que tous les hommes
doivent être soumis au souverain pontife, de nécessité de salut;
mais elle ne définit point, qu'on doive lui être soumis, même
sur les matières temporelles (2). Aussi est-il généralement re-
connu, même par les théologiens ultramontains , que le senti-
ment qui attribue à l'Église et au souverain pontife une juridic-
tion au moins indirecte sur les choses temporelles , n'a jamais
été regardé dans l'Église comme un dogme de foi , et qu'il a
toujours été permis de disputer là-dessus, comme sur une
simple opinion, abandonnée à la liberté des écoles (8).
ARTICLE II.
Véritable fondement du pouvoir dont il s'agit : le droit public du
moyen âge.
Pour l'intelligence et le développement de l'explication que 242.
. . . , . , , , , Notions du
nous donnons ici du pouvoir exerce par les papes et les con- droit pubiu et
ciles sur les souverains, au moyen âge , il ne sera pas inutile de
rappeler d'abord, en peu de mots, la véritable notion du
droit public , et le sens que nous attachons à ce mot. Nous
(1) Les théologiens enseignent communément, que les raisons employées,
même dans les conciles œcuméniques , pour établir un dogme de foi catho-
lique, 11'apparliennent pas toujours à la loi, parce que les conciles ne les
proposent pas toujours comme telles. Voyez De la Hogue , De Ecclesid,
pag. 219. — S. Pont. Greg. XVI, Il Trionfo délia S. Sede et délia Chiesa,
cap. 24. — Carrière, De Malrimonio, tom. 1, n. 582. — Celte matière est
expliquée plus à fond, dans l'ouvrage de Montagne, De Censuris seu Notis
theologicis, art. 1, ad calcem Prœlect. theol. de Opère sex dierum.
(2) « Porro subesse Romano pontilici omnein humanam creaturam decla-
« ramus, dicimus, definimus, et pronuntiamus omnino esse de necessitate
a salutis. » Voyez le texte de Boniface VIII, cité par Bossuet, ubi suprà,
pag. 679.
(3) Voyez , à l'appui de ces observations , XHist. littéraire de Fénelon ,
4e partie, art. 2, § 1. — Bossuet, Defensio Dectar., lib. 1, sect. 1, cap. il ;
lib. 111, cap. i, 5, et alibi passhn , pag. 43, 46, 248, 571, 589, etc. — Ma-
machi, Origines et Antiquitates Ecclesiast. tom. iv, pag. 244. — Pey, De
V Autorité des deux Puissances, tom. 1, pag. 114, etc. — Fleury, llist.
Ecclés. , tom. xix, liv. xc, n. 18.
du droit
privé.
600 DEUXIÈME PARTIE. — POUVOIR DU PAPE
ne pouvons mieux l'expliquer, qu'en résumant, avec le célèbre
Domat, la doctrine commune des jurisconsultes sur ce point.
« Pour ce qui regarde , dit-il , la partie de l'ordre de la société,
« qui est bornée aux personnes unies dans un État , sous un
« même gouvernement; les matières qui naissent de cet ordre
« sont de deux sortes , qu'il est nécessaire de distinguer. La
« première, est de celles qui se rapportent à l'ordre général de
« l'État : comme celles qui regardent le gouvernement, l'auto-
« rite des puissances, l'obéissance qui leur est due, etc. La
« seconde sorte , est de celles qui regardent ce qui se passe entre
« les particuliers , leurs divers engagements, soit par conven-
« tion ou sans convention.... La première sorte de matières, se
« rapportant à l'ordre général d'un État, est l'objet du droit
« public; et la seconde, ne regardant que ce qui se passe entre
« les particuliers, est l'objet de cette autre partie du droit qui
« est appelée, par cette raison, droit 'privé. Pour les lois de ces
« deux espèces , il y en a de deux sortes , dont on a l'usage
« dans toutes les nations du monde. L'une est de celles qui sont
« de droit naturel; et l'autre est des lois propres à chaque
« nation , telles que sont les coutumes qu'un long usage a au-
« torisées, et les lois que ceux qui gouvernent peuvent éta-
«blir(l). » Ainsi, dans le sentiment de Domat, comme de tous
les jurisconsultes, le droit public d'une société quelconque, est
celui qui a pour objet l'ordre général de cette société , particu-
lièrement son gouvernement, l'autorité du prince, l'obéissance
qui lui est due, etc. Le droit privé regarde uniquement les
rapports des particuliers entre eux, et leurs mutuelles obli-
gations.
243. L'un et l'antre est fondé en partie sur le droit naturel, et en
etiCtre" partie sur le droit humain positif, qui se connaît non-seule-
se seâT'5 meDt Par les 1°™ écrites , mais encore par les coutumes qu'un
long usage a autorisées. C'est ce que l'auteur explique ail-
Ci) Domat, Droit public; Préface, pag. 15 et 16. On peut voir, à l'appui
de ces notions , le Traité des Lois de Suarez, non moins estimé des juris-
consultes que des théologiens, et généralement regardé comme «le plus
« clair, le plus complet et le plus profond qui ait été écrit sur cette matière. »
( Christian, de Bacon, Discours prélim. , pag. lxiv. ) Voyez aussi les Con-
férences d'Angers , Traité des Lois. — Zallinger , Institut. Juris nat.
Jib. 111, cap. 4, n. 211.
SUR LES SOUVERAINS. — CHAPITRE III. 601
leurs, en ces termes : « Les lois ou règles, dit-il, sont de deux
« sortes : l'une, de celles qui sont du droit naturel, et l'autre,
« de celles qui sont du droit positif, qu'on appelle autrement
« des lois humaines et arbitraires , parce que les hommes les
« ont établies Les lois arbitraires sont de deux sortes :
« l'une, de celles qui, daus leur origine , ont été établies, écrites
« et publiées par ceux qui en avaient l'autorité , comme sont
« en France les ordonnances des rois ; et l'autre , de celles dont
« il ne parait point d'origine et de premier établissement, mais
« qui se trouvent reçues par l'approbation universelle et l'usage
« immémorial qu'en a fait le peuple ; et ce sont ces lois ou règles
« qu'on appelle Coutumes. Les coutumes tirent leur autorité du
«consentement universel du peuple qui les a reçues, lorsque
« c'est le peuple qui a l'autorité , comme dans les républiques.
« Mais , dans les États sujets à un souverain , les coutumes ne
« s'établissent ou ne s'affermissent en force de lois que de son
« autorité. Ainsi , en France , les rois ont fait arrêter et rédiger
« par écrit, et ont confirmé en lois, toutes les coutumes, con-
« servant aux provinces les lois qu'elles tiennent , ou de l'ancieu
«consentement des peuples qui les habitaient, ou des princes
« qui y gouvernaient (l). » Le môme auteur conclut, un peu
plus bas, de ces principes, que «si les difficultés qui peuvent
« arriver dans l'interprétation d'une loi ou d'une coutume se
« trouvent expliquées par un ancien usage, qui en ait fixé le
« sens, et qui se trouve confirmé par une suite perpétuelle de
«jugements uniformes, il faut s'en tenir au sens déclaré par
« l'usage , qui est le meilleur interprète des lois (2). »
Ces notions étant supposées , il est aisé de montrer que le
pouvoir du Pape et du concile sur les souverains, au moyen ^ pouvoir
âg3, était la conséquence naturelle d'un point de droit public , et du concile
purement humain et arbitraire, qui faisait alors partie delà souverains.
constitution ou de la loi fondamentale de tous les États catho- moyea" lfWi
liques de l'Europe, comme nous l'avons expliqué plus haut, en sur ,Jj°f",d,*,
exposant le système deFénelon sur ce sujet (3). Nous voulons ** '
parler de la condition alors mise à l'élection des souverains , par
(1) Domat, Lois Civiles, Livre prélim., tit. 1, sect. 1, n. 2, 3, 4, 10, 11.
(2) Ibicl., sect. 2, n. 19.
(3) Ci-dessus, n. 10, etc., pag. 335, etc.
244-
602 DEUXIÈME PARTIE. — POUVOIR DU PAPE
la constitution même de leurs États ; condition en vertu de la-
quelle un souverain notoirement hérétique ou rebelle envers
l'Église, encourait la peine de déposition. Ce point de droit
public est clairement établi, soit par la constitution alors com-
mune à tous les États catholiques de V Europe , soit par la
constitution particulière de certains États (l).
§ 1er. Preuves tirées de la constitution commune à tous les
États catholiques de l'Europe , au moyen âge.
5 Pour connaître quelle était, sur ce point, la constitution eom-
Deux faits im- mune à tous les États catholiques de l'Europe, au moyen âge,
à re- il suffit de rapprocher ces deux faits , que nous avons établis
"ce^Vt. dans les chapitres précédents.
i° Que, dans toutes les monarchies du moyen âge, du moins
pendant les premiers siècles de cette période, l'autorité du
souverain était modérée par rassemblée générale delà nation,
qui, d'après la nature du gouvernement électif, pouvait mettre
des conditions à l'élection du souverain, le rendre respon-
sable de ses actes, et même le déposer, en certains cas, pour
l'infraction des conditions mises à son élection (2).
(1) On a vu plus haut, que le comte de Maistre croyait le droit public
dont nous parlons, suffisamment établi par le seul fait de V usage et de la
persuasion universelle du moyen âge. (Ci-dessus, n. 14, etc.) Nous avons
nous-même incliné d'abord à cette opinion; (voyez la première édition de
cet ouvrage , pag. 64, n. 33) mais de nouvelles réflexions nous portent à
croire que ce fait, considéré isolément , c'est-à-dire indépendamment des
circonstances qui l'ont accompagné, ne fournit pas une preuve complète du
droit publie dont il est ici question. Il est bien vrai que, généralement par-
lant, le seul fait de V usage et de la persuasion universelle suffit pour
établir un point de droit public , par rapport aux souverains, parce qu'il
résulte de ce seul fait une sorte de prescription , qui supplée, en cas de be-
soin, au vice de la première possession. (Grotius, De Jure belli , lib. n,
cap. 4. — Puffendorf, De Jure nat. et gent. lib. iv, cap. 12, § 8; lib. vu,
cap. 7, § 4 ; cap. 8, § 9) Mais quand il s'agit d'établir un point de droit pu-
blic, en faveur de l'Eglise ou du saint-siége, il ne suffit pas, pour les justifier
aux yeux de leurs ennemis, d'invoquer cet argument de prescription, qui
laisserait subsister l'hypothèse ou le soupçon dune erreur, ou d une usur-
pation primitive ; il faut montrer de plus que, dès le principe, l'Église a
possédé légitimement. Or, il est évident que ce dernier point ne peut se prou-
ver complètement, par le seul fait d'une longue et paisible possession ,
indépendamment des circonstances qui l'ont accompagnée.
(2) Ci-dessus, chap. 1 , n. 25.
1
SUR LES SOUVERAINS. — CHAPITRE III. 603
2° Que , depuis le xe siècle au moins , il fut généralement
reconnu , que les souverains ne recevaient l'autorité suprême
que sous la condition expresse de leur soumission à l'Église et
à la foi catholique ; en sorte qu'ils encouraient , par l'hérésie et
l'excommunication, la peine de la déposition (1). Cette condi-
dition, mise à l'élection des souverains, était notoire, d'après
un usage et une persuasion universelle, manifestement fondés
sur le droit public alors en vigueur. Le fait de cet usage et de
cette persuasion universelle ne peut être révoqué en doute,
après les preuves que nous en avons données dans le chapitre
précédent. Quant au fondement de cet usage et de cette persua-
sion, on ne peut, avec tant soit peu de vraisemblance, en
assigner un autre que le droit public alors en vigueur. On
ne peut, en effet, contester ce point de droit public , sans
supposer que l'usage et la persuasion universelle dont il s'agit,
étaient fondés sur une erreur, sinon criminelle, comme le sup-
posent quelquefois les ennemis de l'Église, du moins matérielle
et inuocente , comme le soutiennent ou l'insinuent des auteurs
plus modérés. Mais la fausseté de cette supposition est prouvée
par la simple exposition des faits que nous avons rapportés
dans le chapitre précédent. Car, l° en supposant même que la
conduite des papes et des conciles envers les souverains, au
moyen âge, ait été fondée sur une erreur, nous avons montré
que jamais erreur ne fut aussi excusable et aussi innocente (2).
2° Les auteurs qui supposent la conduite des papes et des conciles
envers les souverains, fondée sur une erreur au moins innocente
et matérielle, lui donnent pour fondement, ou l'opinion com-
mune du moyen âge sur l'authenticité de la prétendue donation
de Constantin, ou l'opinion théologique qui attribue à l'Église
une juridiction au moins indirecte sur les choses temporelles;
suppositions dont nous avons également montré la fausseté (3).
Le point de droit public dont nous parlons étant une fois
établi, il est aisé de voir que la conséquence naturelle delà 246.
condition mise à l'élection des souverains, était de donner au Co^steuqruJ,"cses
Pape et au concile un très-grand pouvoir sur eux, et même, . de
ces
elalive-
uient à la
(l)Chap. 2, art. 1.
(2) Voyez la conclusion du chapitre précédent, ci-dessus, n. 165, etc.
(3) Ci-dessus, n. 173, 176, etc.
604 DEUXIÈME PARTIE. — POUVOIR DU PAPE
question pré- en certains cas, le pouvoir de les déposer. Eu effet, le Pape et
le concile étant les juges naturels de toutes les questions relatives
à la foi , aux mœurs , et à la discipline ecclésiastique , c'était
à eux qu'il appartenait de déclarer, et de faire connaître aux
peuples, les souverains qui étaient tombés dans le cas de l'hé-
résie ou de l'excommunication ; et ils ne pouvaient faire cette
déclaration, sans signaler ces princes comme déchus de leurs
droits, d'après l'usage et la constitution même de leurs États.
Pour prononcer cette déchéance, le Pape et le concile n'a-
vaient besoin que du pouvoir directif , dans le sens où nous
l'avons expliqué au commencement de ce chapitre (1); pouvoir
généralement reconnu, même de nos jours ; mais qui l'était sur-
tout dans ces anciens temps , où le Pape et le concile étaient
universellement regardés comme le tribunal suprême, où devait
se juger la cause des souverains qui encouraient la peine de dé-
position. Nous ferons seulement remarquer que, dans le principe,
l'usage et la constitution des États ne réservaient point à l'Église
ou au Pape ce jugement, qui pouvait être prononcé par l'as-
semblée générale de la nation (2). Mais il est certain que , depuis
le xe siècle au moins (3) , ce jugement fut réservé au Pape ou au
concile général, par un usage universel, dans l'intérêt même
des souverains et de la société tout entière. Il importait, en
effet, au bien delà société, que le jugement d'une cause si
importante ne fût pas laissé au peuple, toujours facile à égarer,
ni à des seigneurs particuliers , souvent ambitieux et intrigants.
Les souverains eux-mêmes durent naturellement désirer que ce
jugement fût réservé au tribunal du Pape ou du concile général,
beaucoup plus éclairé, plus libre et plus désintéressé que celui
(1) Ci-dessus, n. 170, pag. 513.
(2) On verra, dans le paragraphe suivant, que, dès le vne siècle, le droit
public du royaume des Goths excluait du trône les princes hérétiques. Mais
on ne voit pas que le jugement d'un prince hérétique ait été dès lors, ni même
longtemps après, réservé au Pape ou au concile général.
(3) Il est à remarquer que les évoques du concile de Troyes, tenu en 867,
écrivant au pape Nicolas Ier, reprochent aux enfants de Louis le Débonnaire,
d'avoir privé leur père de l'empire , sans l'avis et le consentement du
pape Grégoire. (Labbe, Concil. tom. vm,pag. 871.) Ces paroles suppo-
sent assez clairement, que la cause d'un souverain qui encourait la dépo-
sition, était dès lors considérée, en France, comme une cause majeure,
dont le jugement était réservé au saint-siége.
SUR LES SOUVERAINS. — CHAPITRE III. f>05
du peuple et des seigneurs. Il fut donc insensiblement établi,
que le jugement des souverains qui encourraient la peine de dé-
position , pour cause de rébellion contre l'Église, serait réservé
au saint-siége ou au concile général. Au moyen de ce tempéra-
ment, les princes vicieux demeuraient à couvert contre les
révoltes dont leurs désordres eussent pu devenir le prétexte; et
cependant ils étaient puissamment excités à s'amender, par la
crainte de la terrible sentence que le Pape et le concile pouvaient
prononcer contre eux.
§ 2. Preuves tirées de la constitution particulière de
certains États.
Indépendamment des raisons tirées de la constitution corn- 2^.
mune à tous les États catholiques de V Europe , au moyen Sy^ï'îéîec.
âge, le droit public dont nous parlons est clairement établi des J:°nd.Es_
par la constitution particulière de plusieurs Étals, à cette Pa$ne»
1 x x au vne siècle,
époque. Le développement de cette preuve nous donnera lieu
de remarquer que ce droit public ne s'établit pas simultané-
ment dans tous les États catholiques de l'Europe, mais qu'il
s'établit successivement dans ces divers États, depuis le ve siècle
jusqu'au xe.
I. Constitution d'Espagne. Dès le vne siècle, on trouve des
restrictions importantes, mises au pouvoir du roi des Visigoths
d'Espagne, dans une assemblée générale de la nation (1). Les
cvèques et les seigneurs auxquels appartenait l'élection du roi ,
d'après la constitution de l'État, décidèrent d'un commun ac-
cord, dans le sixième concile de Tolède (tenu en 638), a qu'à
« l'avenir, aucun roi ne monterait sur le trône , avant d'avoir
«promis avec serment, entre autres conditions , celle de ne
« point souffrir d'hérétiques dans ses États (2). » On voit, par le
texte et les circonstances de ce décret , et de quelques autres
semblables qu'on remarque dans les conciles tenus à Tolède vers
(1) Fleury, Hist. Ecclés., tom. vm, liv. xxxvni, n. 14. — Mariana, Hist.
d'Espagne, liv. i, n. 32. — Ferreras, Hist. d'Espagne, tom. n, pag. 312.
— Perez Validité, Apparatus Juris publia IJispanici , tom. H, cap. 6,
n. 38-40; cap. 7, D. 17.
(2) Nous avons cité ailleurs ce texte du concile de Tolède. {Mrod., p. 93,
note 4.)
60G DEUXIÈME PARTIE. — POUVOIR DU TAPE
le même temps, que le principal motif de cette disposition était
d'assurer la tranquillité de l'État, en y maintenant l'unité de
religion. Mais quel qu'ait été le motif de ces décrets, il résulte
clairement de celui que nous venons de citer, que , d'après la
constitution du royaume des Visigoths , le souverain ne devait
être élu, que sous la condition expresse de maintenir dans
ses États l'unité de la foi catholique; en sorte qu'un prince no-
toirement hérétique, ou fauteur des hérétiques, encourait la
perte de ses droits, comme infracteur d'une condition expresse
de son élection, et pouvait, en conséquence, être déposé par
l'assemblée générale de la nation, c'est-à-dire, par les conciles,
ou assemblées mixtes, dans lesquels se traitaient les grandes
affaires de la nation, et où les évêques avaient la principale au-
torité.
248. Cette condition et quelques autres, imposées aux rois goths,
Légiticetté de dans les conciles de cette époque, n'ont rien d'étonnant, si l'on
conditions. se rappelle ce que nous avons dit plus haut, sur la nature de la
monarchie des Goths d'Espagne, qui était élective, et sur l'au-
torité des États généraux, dans cette espèce de gouvernement (1).
«Il ne faut pas s'étonner, dit à ce sujet un auteur judicieux,
« que l'on imposât, dans les conciles, des lois et des conditions
«nouvelles aux rois goths.... Dans ces conciles, tous les grands
« du royaume s'y trouvaient : c'était comme une espèce d'États.
« Il est vrai que les évêques seuls y réglaient les affaires ecclé-
«siastiques; mais, quand il était question des affaires civiles,
« les seigneurs y avaient leurs voix et leurs suffrages, aussi bien
« que les prélats (2) . »
24g Au reste, il est à remarquer que la plupart des conditions
de^anden imposées au souverain , dans les conciles dont nous venons de
nbiic'* en Pai>ler> particulièrement celles de professer la religion catho-
Espagne, lique, et de maintenir parmi ses sujets l'unité de religion, ont
dans la suite 1
du . ete constamment en usage dans la monarchie espagnole, pen-
moyenage. ^j. toute ja SUjte <ju m0yen age (3). Tous les rois , dans la cé-
(1) Ci-dessus, chap. 1, art. I, n. 25.
(2) Note du P. Charenton, Jésuite , sur YHist. d'Espagne, par Mariana,
liv. i, n. 32.
(3) Perez Valiente, Apparatus Juris publici Hispanici , tom, h, cap. 7,
n. 18.
SDR LES SOUVERAINS. — CHAPITRE III. G07
rémonie de leur inauguration , faisaient serment d'observer ces
conditions. Ce n'est guère que depuis le xive siècle, que l'usage
de ce serment est peu à peu tombé en désuétude, vraisembla-
blement, dit un célèbre jurisconsulte espagnol, parce qu'il n'é-
tait plus nécessaire pour assurer l'attachement des princes et des
sujets à l'Église catholique (1).
II. Constitution anglaise. L'histoire d'Angleterre, depuis 25o.
I p roi vf*npl!p
le xe siècle, fournit une preuve remarquable des progrès de cet ' envers
ancien droit public , en vertu duquel un prince rebelle envers TÉgnsneV,erS
Dieu ou envers l'Église, encourait la perte de ses droits. Le ^e^Vol"
quatorzième article des Lois de saint Edouard, publiées par d'*p^» une
Guillaume le Conquérant et ses successeurs, décide formelle- ^ saint
i • f v un i« i i .• Edouard.
ment, que le roi qui reluse a 1 Eglise le respect et la protection
qu'il lui doit, perd le litre de roi. Voici le texte de cet article :
« Le roi (2) , qui tient ici-bas la place du roi suprême, est établi
(1) Perez Valiente, ibid.
(2) « Rex autem, qui vicarius summi régis est, ad hoc est constituais, ut
« regnum terrenum, et populum Domini, et super omnia sanctam veneretur
« Ecclesiam ejus, et regat, et ab injuriosisdefendat, et maleticos ab eâ evellat
« et destruat, et penitus disperdat. Quod nisifecerit, nec nomen régis in eo
« constabil; verùm, testante papa Joanne, nomen régis perdit. » Leges
Eduardi régis, art. 17 (aliàs 15) ; apud Wilkins, Leges Anglo-Saxonicœ ;
Londini , 1721, in-fol. Cette édition , beaucoup plus complète que toutes les
autres, a été fidèlement reproduite dans le Recueil de Canciani, Barba-
rorum Leges antiquœ ; Venetiis, 1781-1792, 5 vol. in-fol. (Tom. îv,
pag. 337.)
On est étonné de ne pas retrouver la dernière phrase du texte que nous
venons de citer, dans l'édition des Lois de saint Edouard, qui fait partie
du Recueil de Houard, Traites sur les Coutumes Anglo-Xormandcs; Paris,
1776, 4 vol. in-4°. (Voyez le tom. i de ce Recueil, pag. 167.) Cette suppres-
sion est d'autant plus étonnante, que l'éditeur n'en donne aucune raison;
qu'il suit d'ailleurs exactement le texte de wilkins, comme il l'annonce lui-
même dans sa Préface (pag. 7); enfin, que le passage dont il s'agit, se trouve
dans toutes les éditions que nous avons pu consulter des Lois de saint
Edouard. (Voyez en particulier, Spelman, Concilia, Décréta, Leges, Cou-
stituliones orbïs Britannici ; Londini, 1639, in-fol., pag. 622. —Wilkins,
Concilia Magnœ Britanniœ; Londini, 1737, tom. i, pag. 312. — Har-
douiu, Concïl tom. vi, pag. 988. — Labbe , Concil. tom. ix , pag. 1023.)
Il est difficile d'attribuer à une pure distraction de l'éditeur la suppression
d'un passage si important, dans le Recueil de Houard. Peut-être celte sup-
pression fut-elle exigée, dans le temps, par les censeurs ; peut-être aussi eut-
elle pour cause, l'embarras que l'édileur éprouvait, pour concilier cet article
des Lois de saint Edouard, avec les vrais principes sur l'indépendance
réciproque des deux puissances. Son embarras, sur ce point, devait être
d'autant plus grand, qu'il se montre fort attaché, dans cet ouvrage, aux
G08 DEUXIEME PARTIE POUVOIR DU PArE
« pour gouverner le royaume terrestre et le peuple du Seigneur,
« et surtout pour honorer la sainte Église , pour la défendre
«contre ses ennemis, pour arracher de son sein, détruire et
« perdre entièrement les malfaiteurs. S'il ne le fait, il ne rem-
« plitpasson titre de roi; mais, comme V atteste le pape Jean,
«il perd ce titre auguste (l). » Dans la suite de cet article, après
une exposition détaillée des principaux devoirs du roi envers
ses sujets et envers l'Église, il est statué que «le roi, en sa
«propre personne, mettant la main sur les saints Évangiles,
« devant les saintes reliques, en présence de l'assemblée géné-
« raie du royaume , des prêtres et du clergé , fera serment d'ob-
« server toutes ces choses, avant d'être couronné par les arche-
« vêques et évêques du royaume (2). »
Il résulte clairement de cet article des Lois de saint Edouard ,
que , d'après la constitution ou la loi fondamentale du royaume
principes alors si répandus parmi les jurisconsultes , généralement portés à
étendre l'autorité du prince, aux dépens de celle de l'Église. (Voyez, en par-
ticulier, tom. i, pag. 49, 58, etc.) Mais quelle que soit la véritable cause de
la suppression du passage en question, on conviendra qu'elle est bien difficile
à excuser.
(1) Les éditeurs des différentes collections que nous venons de citer ne
disent pas quel est le pape Jean, dont l'article cité des Lois Anglaises invoque
ici l'autorité. Le texte de cet article suppose que ce pape est celui que Pépin et
les seigneurs français consultèrent, au sujet de la déposition deChilderic,
en 752 ; mais cette supposition renferme un grossier anachronisme ; car aucun
Pape contemporain de Pépin, n'* porté le nom de Jean ; et l'on sait que la con-
sultation relative à la déposition de Childeric, fut adressée au pape Zacbarie.
Il y a tout lieu de croire que le pape Jean , dont il est question dans l'article
cité des Lois Anglaises, est Jean VIII, à qui le Décret de Gratien attribue un
règlement assez semblable à celui dont il est ici question. (Decretum Gra-
ttant, parte 2, causa 23, quœst. 5, cap. 26, Administratores.) Il y a cepen-
dant une grande différence entre cet article du Décret de Gratien, et celui
des Lois Anglaises. Le premier frappe seulement d'excommunication les
princes temporels, qui, après trois monitions de l'évêque, refusent de remplir
leurs devoirs envers l'Église et envers les pauvres, et de réprimer les malfai-
teurs. Les Lois Anglaises vont plus loin , et ôtent , en ce cas, au souverain
son titre de roi. Cette différence si remarquable paraît être une conséquence
de l'usage introduit depuis le pape Jean VIIT, et reconnu des souverains
eux-mêmes depuis le xe siècle, sur les effets temporels de V excommuni-
cation, comme on l'a vu plus baut. (Chap. 2, art. 1; chap. 3, art. 2,
SI.)
P (2) « Ista verô débet omnia rex in propriâ personâ , inspectis et tactis sa-
« crosanctis Evangeliis, et super sacras et sanctas reliquias, coram regno et
« sacerdotio et clero , jurare , antequam ab archiepiscopis et episcopis regni
« coronetur » Leges Eduardi régis, ubi suprà.
SUR LES SOUVERAINS. — CHAPITRE IIL 609
d'Angleterre, dont le roi jurait l'observation avant de recevoir
la couronne, un prince rebelle envers Dieu et envers l'Église
pouvait être déposé.
Pour comprendre la force de ce témoignage, il ne sera pas ^sr.
., ,, . . . _ , t,./% • / ■ Authenticité
inutile a examiner ici, en peu de mots, les dilficultes quon de
pourrait opposer, soit à son authenticité, soit à l'interprétation SOne véruabie
que nous lui donnons. sens*
Sur le premier point, les critiques pensent communément, que
les lois attribuées à saint Edouard, dans les différentes collec-
tions des anciennes Lois Anglaises , ne sont pas proprement de
lui , mais qu'elles ont été publiées sous son nom par Guillaume
le Conquérant et ses successeurs , peu de temps après la conquête
de l'Angleterre par les Normands. On peut donc regarder les
Lois de saint Edouard, comme des monuments de la législation
en vigueur sous les premiers rois anglo-normands. L'authen-
ticité de ces Lois est généralement reconnue, en ce sens, par
les meilleurs critiques, et fondée sur le témoignage uniforme
des manuscrits (1).
Quelques lecteurs seront peut-être tentés de croire , que l'ar-
ticle cité de ces lois doit être expliqué dans un sens très-différent
de celui que nous lui donnons, et qu'il ne signifie pas nécessai-
rement , que le roi dont il s'agit perd ses droits au trône, mais
seulement qu'il mérite de les perdre, et qu'il est indigne de
porter le nom de roi. Cette explication paraît inconciliable avec
le sens naturel du texte; car il ne dit pas seulement que le roi
dont il s'agit, est indigne de son titre et qu'il ne le remplit
pas , mais , qu'il le perd en effet : ce qui indique assez claire-
ment la perte de la dignité royale et des droits qui y sont atta-
chés. D'ailleurs, si le texte avait quelque chose d'ambigu, il
serait naturel de l'expliquer d'après l'usage et le droit public de
l'Europe catholique, à cette époque (2).
III. Constitution particulière de plusieurs États, considérés a5j.
comme fiefs du saint-siége. Le pouvoir attribué au Pape et au Plusv,eruiSns°u*
concile sur les souverains, au moyen âge, par les principes de Z5^^6"!
(1) Wilkins, Concilia Magnœ Britanniœ, tom. i, pag. 310. — Canciani,
Barbarorum Leges, tom. îv, pag. 224.
(2) Voyez, à l'appui de ces observations, YHist. de l'Égl. de M. l'abbé
Receveur, tom. v, pag. 127.
39
610 DEUXIEME PARTIE. — POUVOIR DU PAPE
saim-siege , droit public alors communs à tous les États catholiques de l'Eu-
deSèexe l'Ope, était beaucoup plus étendu à l'égard de plusieurs souve-
rains qui avaient librement conféré au saint-siége un droit de
suzeraineté sur leurs États (l). Rien n'est mieux établi par l'his-
toire, que ces actes solennels, par lesquels des souverains,
d'ailleurs indépendants du saint-siége dans l'ordre temporel, se
déclaraient librement ses feudat aires , en lui faisant hommage
de leurs États. Il ne s'agit point ici d'examiner quels ont pu être
les motifs de ces actes de dépendance, qui nous semblent au-
jourd'hui si extraordinaires; on a vu plus haut que, dans les
circonstances où se trouvait alors la société, ils étaient fondés,
non-seulement sur des motifs de religion, mais encore sur des
motifs évidents d'intérêt public (2). Mais quelle qu'ait pu être la
force de ces motifs, il nous sufût, pour le moment, d'établir le
fait de cette dépendance, que la plupart des princes catholiques
de l'Europe s'imposèrent librement à l'égard du saint-siége, de-
puis le xe siècle.
2b3 Le premier exemple qu'on en trouve dans l'histoire, est celui
Sei?déîuéde ^e RoDert Guiscard , fondateur du royaume de Naples en 1 059 (3).
prêté au p^po, Voici la formule du serment de fidélité qu'il prêta au Pape, en
par Robert ,,.,,. • i i J«. ■ •
Guiscard, en recevant de lui lmvestiture de ses Etats, et que Baronius rap-
porte dans ses Annales, d'après les archives du Vatican, où on
la conservait encore de son temps. « Moi Robert (4) , parla grâce
(1) Voyez la note 3 de la pag. 386.
(2) Ci-dessus, n. 50, pag. 387.
(3) Léo Ostiensis, Chronic. Cassin. lib. m, cap. 12, etc. — Baronii An-
nales, tom. xi, anno 1039 , n. 67, etc. — Fleury, ffist. Ecclés., tom. xm,
liv. lx, n. 39. — Voigt, Hist. de Grégoire VII, liv. i et xii, p. 19 , etc. ;
549, etc.
(4) « Ego Robertus, Bel gratta et sancti Pétri, dux Apuliœ, et Cala-
« briœ, et utrâque subveniente, futurus Siciliae ; ab hâc horâ et deinceps
« ero fidelis sanctœ Romanae Ecclesiae, et tibi domino meo Nicolao papae.
« In consilio vel in facto, unde vitam aut membrum perdas, àut captus
« sis malâ captione, non ero. Consilium quod mihi credideris, et con-
a tradices ne illud manifestera, non manifestabo ad tuum damnum, me
« sciente. Sa nctae Romanae Ecclesiae ubique adjutor ero, ad tenendum et ad
« acquirendum regalia sancti Pétri, ejusque possessiones , pro meo posse,
« contra omnes hommes ; et adjuvabo te, ut securè et honorificè teneas pa-
k patum Romanum, terramque sancti Pétri , et principatum : nec invadere,
« nec acquirere quaeram , nec etiàm depraedari praesumam , absque tuâ tuo-
k rumque successorum , qui ad honorera sancti Pétri intraverint, certâ li-
« centiâ, praeter illam, quam tu mihi concèdes, vel tui concessuri suntsuc*
« cessores. Pensionem de terra sancti Pétri, quam ego teneo aut tenebo,
%
io59.
SUR LES SOUVERAINS. — CHAPITRE III. 611
« de Dieu et de saint Pierre, duc de Pouille et de Calabre, et,
« par la même protection, bientôt duc de Sicile; je serai fidèle,
« dès aujourd'hui et dans la suite, à la sainte Église romaine, et
« à vous, mon seigneur, pape Nicolas. Je n'aurai part à aucun
« conseil ni action contre votre vie, vos membres, ou votre li-
« berté. Je ne manifesterai point sciemment, à votre dommage,
« les desseins que vous m'aurez confiés, et que vous me dé fen-
«drez de manifester. J'aiderai en tous lieux, et de tout mon
«pouvoir, la sainte Église romaine, envers et contre tous, à
« conserver et acquérir les biens et les domaines de saint Pierre ;
« je vous aiderai à conserver avec honneur et sûreté la papauté
«romaine, le territoire et la principauté de saint Pierre; je ne
« chercherai point à envahir, acquérir, ou enlever, sans votre
« permission et celle de vos successeurs dans la dignité de saint
« Pierre, d'autres possessions que celles qui me seront accordées
«par vous ou par vos successeurs. Je m'efforcerai, de bonne
«foi, de payer annuellement à l'Église romaine la redevance
« qui a été statuée, sur la terre de saint Pierre que je possède
« maintenant , ou que je posséderai dans la suite. Je remettrai
« entre vos mains toutes les églises de mes domaines, avec leurs
« dépendances, et je les maintiendrai dans la fidélité à la sainte
« Église romaine. Si vous ou vos successeurs mourez avant moi,
«j'aiderai à choisir un Pape et un digne successeur de saint
« Pierre , selon les avis qui me seront donnés par les meilleurs
«cardinaux, clercs et laïques romains. J'observerai de bonne
«foi, envers l'Église romaine et envers vous, toutes les choses
« susdites ; et je garderai la même fidélité à vos successeurs dans
« la dignité de saint Pierre, qui me confirmeront l'investiture
« que vous m'avez accordée. »
« sicut statutum est, rectâ fide studebo ut illam annualiter Romana habeat
« Ecclesia. Omnes quoque Ecclesias, quœ in meâ persistunt dominatione,
« cum earum possessionibus, dimittam in tua potestate; et defensor ero
« illarum ad fidelitatem sanctae Romanae Ecclesise. Et si tu , vel tui suc-
« cessores, ante me ex hâc vità migraveritis, secundùm quod monitus fuero
« à melioribus cardinalibus, clericis Romanis et laïcis, adjuvabo ut Papa eli-
« gatur, et ordinetur ad honorem sancti Pétri. Hsec omnia suprascripta
« observabo sanctae Romanae Ecclesise et tibi, cum rectâ fide, et hanc fide-
« lilatem observabo tuis snccessoribus , ad honorem sancti Pétri ordi-
« natis, qui mihi iirmaverint investituram à te mihi concessam. Sic me
« Deus adjuvet, et hsec sancta Evangelia. » Baronii Annales, ubi suprà,
n. 70.
39.
612 DEUXIÈME PARTIE. — POUVOIR DtJ PAPE
aS4. Plusieurs lettres de Grégoire VII supposent qu'avant son pou-
^Teraineté" tificat, le saint-siége avait acquis un pareil droit de suzeraineté
dusaint siège, , d'autres États; car en soutenant ses droits sur l'Espagne, la
soit avant ' JT o >
a? depvîi Hongrie et quelques autres royaumes, il se fonde principale-
ment sur une ancienne coutume, reconnue des souverains
eux-mêmes (l). Il est vrai que l'origine de cette coutume, et les
titres des différentes concessions invoquées par Grégoire VII, ne
nous ont pas été conservés; mais ils pouvaient exister encore,
ou du moins être connus avec assurance , au temps de ce pon-
tife : la manière même dont il s'exprime ne permet pas de douter
qu'ils ne le fussent ; et il est tout à fait incroyable qu'il les eût
invoqués avec tant de confiance, s'ils n'eussent été regardés
alors comme incontestables (2).
Depuis le pontificat de Grégoire VII, plusieurs autres souve-
rains firent hommage de leurs États au saint-siége. Nous remar-
querons en particulier Godefroy de Bouillon , roi de Jérusalem ,
en 1099 (3); Roger, fondateur du royaume de Sicile, en 1130,
et Charles Ier, roi de Sicile, en 1276 (4); Pierre II, roi d'Aragon,
en 1204(5); enfin, les rois d'Angleterre, Henri II, en 1172;
(1) « Non latere vos credimus , regnum Hispaniœ, ab antiquo, proprii
« juris sancti Pétri fuisse , et adhuc (jlicet diu à paganis sit occupatum)
« lege tamen justitiae non evacuatâ , nulli mortalium , sed soli aposta-
te licae sedï, ex aequo pertinere. » Gregorii VII Epist. lib. i, Epist. 7.
« Nam, sicut à majoribus patriœ tuœ cognoscere potes, regnum Hun-
« gariœ sanclœ Romance Ecclesiœ proprium est, à rege Stephano olim
« beato Petro, cum omni jure et potestate sua, oblatum et devotè traditum. »
Idem, lib. n, Epist. 13, etc. Voyez quelques autres lettres du même Pape,
citées par Bossuet, Defensio Declar., lib. i, sect. 1, cap. 12, 13 et 14. —
Fleury, Hist. Ecclés., tom. xm, liv. lxxiii, n. 11. — D. Ceillier, Histoire
des Aut. ecctésiast., tom. xx, pag. 662. — Voigt, Hist. de Grégoire VII,
liv. v, pag. 184 ; liv. x, pag. 442.
(2) On doit corriger, d'après ces observations, un grand nombre d'auteurs
modernes, qui reprochent irès-du renient à Grégoire VII et à ses successeurs
leurs prétentions sur l'Espagne, la Hongrie et plusieurs autres États. Voyez,
à l'appui de nos observations, les notes de M. l'abbé Jager sur Y Histoire
de Grégoire VII, ubi suprà.
(3) Fleury, Hist. Ecclés., tom. xm, liv. lxiv, n. 67; liv. Lxv,n. 2. —
Michaud, Hist. des Croisades, tom. n, pag. 10.
(4) Fleury, Hist. Ecclés., tom. xm et xviii, liv. lviii , n. 3 et 57 ;
liv. lxxxv, n 35; liv. lxxxvii, n. 2. — Daniel, Hist. de France, tom. iv,
année 1264.
(5) Fleury, Hist. Ecclés., tom. xvi, liv. lxxvi, n. 10.
SUR LES SOUVERAINS. — CHAPITRE III. 613
Jean sans Terre, en 1213 ; et Henri III, en 12 16 (1). Tous ces
Etats, et quelques autres dont nous ne parlons point ici, étaient
alors universellement regardés comme des fiefs de l'Église ro-
maine; et les souverains eux-mêmes le reconnaissaient haute-
ment par leur conduite, comme on l'a vu dans le chapitre
précédent (2).
Un des principaux effets de cette dépendance féodale, était Collsî5u*ences
de donner au Pape, sur les souverains qui s'y étaient soumis , remarqua-
des droits particuliers, et beaucoup plus étendus que ceux dont droits,
il jouissait à l'égard des autres souverains; ce n'était plus un
simple pouvoir directif, mais un vrai pouvoir de juridiction
temporelle, et même une véritable souveraineté, fondée sur la
constitution même des États, et sur de légitimes conventions.
D'après les principes du gouvernement féodal, la révolte du
feudataire contre son suzerain , faisait encourir au premier la
perte de ses droits, qui étaient alors dévolus au seigneur suze-
rain. En vertu de ces principes, le Pape avait manifestement le
droit de prononcer la déchéance d'un prince feudataire du
saint-siége, qui, par sa persévérance opiniâtre dans l'hérésie ou
dans l'excommunication, se rendait notoirement coupable de
félonie envers son seigneur suzerain.
On doit cependant remarquer que, dans le temps même où *m.
la plupart des souverains de l'Europe se reconnaissaient feuda- France eiquei.
taires du saint-siége , le roi et les seigneurs français tenaient à amreTïonve-
honneur de conserver la couronne de France exempte de toute exembiî'de
dépendance féodale: et cette indépendance était hautement re- - lo,'te
1 J ' a dépendance
connue par le saint-siége lui-même (3). Les sentiments des Fran- feodaie.
(1) Lingard , Histoire d'Angleterre, tom. 11 , année 1 176, pag. 427, note ;
tom. m, pag. 43 et 107.
(2) Ci-dessus, n. 136, etc.
(3) Le pape Innocent III, en particulier, reconnaît expressément cette in-
dépendance féodale du roi de France, dans la Décrétale, Per Venerabilem,
adressée vers l'an 1201 à Guillaume, comte de Montpellier, et depuis insérée
dans le Corps du Droit canonique. Le Pape établit clairement , dans cette
lettre, cette différence essentielle entre le roi de France et le comte de Mont-
pellier, que le premier ne reconnaît point de supérieur dans l'ordre tem-
porel, tandis que le second, comme vassal du Pape, lui est également sou-
mis pour le spirituel et pour le temporel. « Cùm rex ipse (Philippus Fran-
« corum rex) in spiritualibus nobis subjaceat, tu nobis et in spiritualibus et
« in temporalibus essubjectus, cùm partem terrœ ab Ecclesià Magalouensi
« possideas, quam ipsa per sedem apostolicam temporaliter recognoscit
614 DEUXIÈME PARTIE. — POUVOIR DU PAPE
çais, à cet égard, se manifestèrent avec beaucoup d'éclat, à
l'époque de l'élévation de Hugues Capet au trône de France. Le
principal motif qu'il fit valoir, pour attacher à son parti les sei-
gneurs du royaume, fut la lâcheté du duc de Lorraine, son
compétiteur, qui n'avait pas eu honte de se reconnaître vassal
de l'empereur (i). Plusieurs événements postérieurs montrèrent
combien ces sentiments étaient profondément enracinés dans le
cœur des Français. C'est ce qu'on vit en particulier sous le
règne de Philippe Auguste, à l'occasion de la déposition du roi
d'Angleterre, Jean sans Terre, en 1213 (2); et sous le règne de
Philippe le Bel, à l'occasion de ses démêlés avec Boniface VIII,
en 1302 (3). Cette disposition n'était pas particulière à la France :
on a vu plus haut qu'elle lui était commune avec l'empire
d'Allemagne (4); mais elle n'empêchait pas que, dans ces deux
États, comme dans tous les autres, on ne reconnût d'autres
principes, qui subordonnaient, en certains cas, la puissance
temporelle à la spirituelle (5).
lm drohs du ^ • Les droits du Pape sur le nouvel empire d Occident ,
Saint-siége sans ^re proprement de la nature des droits de suzeraineté ,
sur 1 empire *■ *
d'Occident étaient néanmoins fort étendus, par une suite naturelle de sa
« Insuper cum rexipse superiorem in temporalibus minime recognoscat,
« sine juris alterius laesione in eo se jurisdictioni nostrse subjicere potnit et
« subjecit, in quo forsitan videretur aliquibus, quod per se ipsnm, non tam-
« quam pater cum filiis, sed tamquam princeps cum subditis, potuerit dispen-
« saie. » (Baluze, Epistol. Innocenta III, tom. i, pag. 675, 2e col. — Cor-
pus Juris Canon. Décrétai, lib. iv, tit. 17, cap. 13. Sur l'occasion et le
sujet de cette Décrétale , voyez Fieury, Hist. Ecclés., tom. xvi, liv. lxxv,
n. 42. — D. Ceillier, Hist. des Auteurs ecclés. , t xxm, pag. 441. — De
Marca, De Concordiâ, lib. n, cap. 3) Cette lettre d'Innocent III est d'autant
plus digne d'attention, que le pontife, selon la remarque de Fieury lui-
même, y reconnaît et y marque nettement la distinction des deux puis-
sances. (Voyez ci-dessus, n. 205, pag. 552.)
(1) Daniel, Histoire de France, tom. m, année 987, pag. 265. — Velly,
Histoire de France, tom. h, pag. 262. — Histoire de l'Église GalL,
tom. vif, pag. 2.
(2) Fieury, Hist. Ecclés. , tom. xvi, liv. lxxvii, n. 60 Daniel, Histoire
de France, tom. iv, année 1216, pag. 236.
(3) Voyez, à ce sujet, Daniel, Hist. de France, tom. v, année 1303. —
Velly, Hist. de France,tom. vu, pag. 207, etc. — Hist. de l'Église GalL,
tom. xii, année 1302, pag. 325, 334, etc. — Bossuet, Defens. Declar., lib. m,
cap. 24; lib. iv, cap. 9, versus finem.
(4) Ci-dessus, chap. 2, art. 4, n. 142 et 161.
(5) Md.,àvt. 1,2 et 4.
SCR LES SOUVERAINS. — CHAPITRE III. 615
constitution primitive , et des circonstances qui avaient accom- établis par ie*
pagné son établissement. Il suffit, pour s'en convaincre, de se
rappeler la grande part qu'eut le Pape à l'élection de Charle-
mague, et qu'il continua naturellement d'avoir à l'élection de
ses successeurs, dans la suite du moyen âge. Nous rappellerons
ici, en peu de mots, quelques faits propres à éclaircir ce point
d'histoire, si étroitement lié avec l'objet de nos Recherches.
Premier fait. Il est certain que Charlemagne ne dut son titre Pren^'fait .
d'empereur qu'à l'élection du Pape, considéré comme chef et charlemagne
représentant du peuple romain, qui lui avait confié ses intérêts, son titre dw
On ne voit pas, eu enet, que Charlemagne ait pu acquérir qu'à l'éiecUon
le titre d'empereur, autrement que par V élection du Pape, ou uPape*
par droit de conquête sur la capitale de l'Italie, et sur les pro-
vinces qui reconnaissaient alors la souveraineté du saint-siége.
Nous ne croyons pas qu'on puisse expliquer , ou qu'on ait jamais
essayé d'expliquer autrement l'origine de ce titre. Or, la der-
nière supposition est évidemment contraire à l'histoire. Car,
1° Charlemagne ne pouvait avoir droit de conquête que sur
les provinces qu'il avait enlevées aux Lombards ; or, il est cer-
tain que ceux-ci ne furent jamais en possession de Rome, où
Charlemagne fut reconnu et proclamé empereur (1).
2° 11 est également certain que Pépin et Charlemagne, en
cédant au saint-siége les villes et territoires du duché de Rome
et de l'exarchat, conquis sur les Lombards, ne prétendirent s'y
réserver aucun droit, à titre de conquête; leur intention for-
melle fut toujours d'abandonner ces provinces au saint-siége ,
et de reconnaître le Pape seul pour leur souverain légitime.
Nous n'ignorons pas que ce dernier point est contesté par plu-
sieurs auteurs modernes ; mais nous le croyons suffisamment
établi parle témoignage des auteurs contemporains, particuliè-
rement d'Éginhard et d'Anastase le Bibliothécaire, qui repré-
sentent constamment la cession faite au saint-siége, des provinces
dont il s'agit, non comme une pure donation, mais comme
une restitution des provinces que les Lombards lui avaient in-
justement enlevées (2).
(1) Voyez, dans la première partie de ces Recherches, la note 3 de la
pag. 275.
(2) Voyez, à l'appui de ces assertions , la première partie de ces Recher-
li on.
616 DEUXIÈME PARTIE. — POUVOIR DU PAPE
3° Tous les monuments de l'histoire nous montrent le cou-
ronnement de Charlemagne, en 800, comme la véritable épo-
que de son élévation à l'empire. Aucun historien ne lui donne
le titre d'empereur avant cette époque ; ce prince lui-même ne
le prit jamais auparavant ; et c'est de là qu'il date constam-
ment les années de son empire, dans tous ses actes posté-
rieurs (l). Comment prétendre, après cela, que Charlemagne
dut son titre d'empereur à la conquête de Rome et de l'Italie?
Ce grand prince ne vint point à Rome, en 800, pour en faire
la conquête ; il y vint uniquement à la prière du souverain
pontife, pour juger, en qualité de patrice des Romains, ou de
défenseur du saint-siège , les séditieux qui avaient osé attenter
à la vie du pape Léon lli (2).
259. Second fait. Il est certain que le Pape, en donnant à Char-
Deuxiemejait : x. L ■
Le Pape ne lemagne le titre d'empereur, ne prétendit pas renoncer, pour
renonça point »_ , j .-»,», . '-.
alors, 1 avenir, a son droit d élection.
poarà Sm.emr' Non-seulement on ne voit rien, dans l'histoire, qui suppose
droiitim.ëlec cette renonciation ; mais on y trouve des preuves solides du
contraire. Une des principales se tire du testament fait par Char-
lemagne dans la diète de Thionville, en 806, pour le partage
de ses États entre ses enfants. Cet acte, que nous avons déjà cité,
pour montrer que Charlemagne, depuis son élévation à l'em-
pire, n'avait aucune souveraineté dans Rome, prouve égale-
ment que ce grand prince ne croyait pas avoir le droit de
disposer de son titre d'empereur , ou de le transmettre à ses
enfants (3). Il est certain en effet que, dans cet acte, destiné à
prévenir tout sujet de contestation entre ses trois fils, en parta-
geant entre eux tout le corps de son royaume (4), Charlema-
gne omet entièrement le duché de Rome et l'exarchat ; il ne
ches, n. 40 , 46 , 63 et suiv. Remarquez , en particulier , les passages d'A-
nastase et d'Éginhard , que nous avons cités en note, dans ces divers
endroits.
(1) Voyez, dans la première partie de ces Recherches, la note 1 de la
page 258.
(2) Voyez Fleury, Daniel, Lebeau, et tous les historiens, soit anciens, soit
modernes, à l'article du couronnement de Charlemagne, en 800.
(3) Voyez la première partie de ces Recherches, chap. 2, n. 70,
pag. 281, etc.
(4) Voyez ci-dessus la note 1 de la pag. 282.
SUR LES SOUVERAINS. — CHAPITRE III. 617
donne à aucun de ses enfants le titre d'empereur ; il se con-
tente de leur ordonner, de prendre tous ensemble le soin et
la défense de l'Eglise romaine, ainsi qu'il a été pratiqué par
Charles Martel son aïeul, par son père Pépin d'heureuse mé-
moire, et par lui-même (l). Pouvait-il supposer plus clairement,
que le duché de Rome et l'exarchat ne faisaient point partie du
corps de son royaume, et qu'il ne lui appartenait pas de dis-
poser de son titre d'empereur? S'il eût pu disposer de ces pro-
vinces et de ce titre, les aurait-il omis dans un acte si important,
et précisément destiné à prévenir tout sujet de contestation en-
tre ses enfants? Par une semblable omission, bien loin d'at-
teindre son but, qui était de prévenir toute contestation entre
ses trois fils, ne leur eût-il pas laissé le plus grand sujet de
contestation, en négligeant de disposer du plus auguste de ses
titres, et de la partie de ses États à laquelle ce titre semblait par-
ticulièrement attaché?
On sentira encore mieux la force de cet argument, si l'on re-
marque l'embarras qu'il a causé aux auteurs qui refusent au
Pape le droit d'élection dont nous parlons, et leurs efforts inu-
tiles, pour résoudre la difficulté tirée de l'acte solennel que nous
venons de citer. Fleury, et le P. Daniel après lui, prétendent
que l'empereur, dans l'acte dont il s'agit, ne parle ni de l'em-
pire, ni du duché de Rome qui y était attaché , parce qu'il
s'en réservait la disposition (2) ; supposition évidemment con-
traire au but que Charlemagne se proposait dans cet acte, comme
nous l'avons déjà fait remarquer. De la Bruère, dans l'His-
toire de Charlemagne, convient qu'il est malaisé de rendre
raison du silence de Charles , en cette occasion (3) ; et il met
en avant, pour l'expliquer, les conjectures les plus invraisem-
blables, savoir : que les enfants de Charlemagne, pour étouffer
entre eux toute semence de haine, étaient convenus de renon-
cer au titre d'empereur, ou qu'ils prétendaient le porter tous
les trois. L'auteur lui-même reconnaît l'invraisemblance de ces
conjectures, et avoue qu'en les hasardant, « il prétend seule-
(1) Ibid. note 3.
(2) Fleury, ubi suprà. — Daniel, Hist. de France , tom. u, année 806,
pag. 145.
(3) De la Bruère, Hist. de Charlemagne, tom. n, p. 170.
618 DEUXIÈME PARTIE. — POUVOIR DU PAPE
« ment indiquer et non résoudre une difficulté , à laquelle les
« historiens n'ont pas fait assez d'attention (l). »
260. Troisième fait. Le Pape a conservé longtemps après l'élé-
nTcon'eiavé vation de Charlemagne à l'empire le droit d'élire l'empereur
ce di'oit 11 r\ • 1 .
longtemps d Occident.
chademagne L'histoire nous montre, en effet, les papes exerçant constam-
ment ce droit, sans aucune réclamation, non-seulement sous
les empereurs carlovingiens , mais encore sous les premiers
empereurs allemands.
1° Sous les empereurs carlovingiens, c'est-à-dire, depuis l'é-
lévation de Charlemagne à l'empire, jusqu'à la translation de
l'empire aux Allemands , en 962 , le Pape exerçait par lui-même
ce droit, qui fut dévolu, dans la suite, aux électeurs de l'em-
pire (2). Pendant toute la durée de cette première époque, on le
voit choisir l'empereur, tantôt dans la famille de Charlemagne,
tantôt hors de cette famille, selon qu'il le juge plus convenable
pour le bien de l'Église. On le voit même quelquefois laisser
l'empire vacant, soit à cause de l'embarras que présentait le
choix de l'empereur , soit par suite des obstacles que mettaient
à ce choix les seigneurs de Rome, qui abusaient de leur pouvoir,
pour entraver l'exercice de l'autorité souveraine des papes (3).
{i)Ibid., pag. 171.
(2) Cenni , Monumenta Domin. Pontif. , tom. 11, Dissert. 1 , n. 31 , 35
et 36; Dissert. 6, n. 2. — Pour le développement des faits indiqués par cet
auteur, voyez dans Y Art de vérifier les Dates, la Chronologie historique des
Empereurs d'Occident, édition in-fol. de 1770, pag. 432. — Receveur, Hist.
de l'Église, tom. îv, pag. 429 et 430. — Bossuet, Defens. Declar. , lib. 11,
cap. 40.
(3) On a vu plus haut que, dans les premiers temps qui suivirent rétablis-
sement de la souveraineté temporelle du saint-siége, le sénat et le peuple ro-
main n'avaient aucune part au gouvernement; le sénat lui-même n'était plus
qu'un corps municipal, semblable à celui qui existait dans plusieurs autres
villes d'Italie, et dont la juridiction, uniquement relative aux intérêts de la cité,
ne diminuait en rien les droits du souverain, pour le gouvernement de l'État.
(Ci-dessus, lre partie, cliap. 2, n. 68, pag. 279.) On vit cependant, à différentes
époques, les seigneurs de Rome s'attribuer des droits plus étendus, et en-
traver, par leurs prétentions , l'exercice de l'autorité souveraine des papes.
Telle fut la source des désordres qui troublèrent l'Italie pendant la première
moitié du xe siècle, et qui se renouvelèrent encore au milieu du xne siècle,
sous le pontificat d'Innocent II. Mais ces crises passagères, dont les gouverne-
ments les plus légitimes et les mieux affermis ne sont pas toujours exempts,
ne portèrent aucune atteinte aux droits du saint-siége, qui ne tarda pas à re-
couvrer son autorité , soit par ses propres forces , soit avec le secours de
carlovin-
giens.
SUR LES SOUVERAINS. — CHAPITRE III. 619
L'histoire des empereurs carlovingiens offre un grand nom- *&*.
i_ '*«'•."« *« .-. • 11 i Exercice de ce
nre de iaits a 1 appui de ces assertions; nous rappellerons seule- droit,
ment ici quelques-uns des plus remarquables. Mn\J3rjTpe"
Trois ans seulement après la mort de Charles le Gros, sixième
empereur de la famille de Charlemagne, le pape Etienne V
lui donna pour successeur dans la dignité impériale, non
son neveu Arnoul , qui lui avait succédé comme roi de Ger-
manie , mais Gui , duc de Spolette, qui ne descendait de Charle-
magne que par les femmes, et dont le saint-siége espérait
plus de secours que d'Arnoul (i). Par un semblable motif, le
pape Formose permit , quelques années après , à Gui d'associer
à l'empire son fils Lambert, qui lai succéda en 894 (2). Mais
les espérances que le saint-siége avait fondées sur la famille de
Gui ne s'étant pas réalisées , le pape Formose , du vivant même
de Lambert, conféra la dignité impériale à Arnoul, et la fit
ainsi rentrer, pour quelque temps, dans la famille de Charle-
magne (3).
Cette élection d'Arnoul est d'autant plus remarquable,
qu'elle paraît être le premier exemple d'un empereur substitué,
par l'autorité du Pape , à un autre encore vivant. Il est cer-
tain en effet que, dans cette occasion, les Romains prêtèrent
à Arnoul un serment de fidélité , par lequel ils renonçaient
pour l'avenir à l'obéissance de Lambert, couronné empereur
par le Pape , quelques années auparavant (4). EnOn , après la
mort de Bérenger, le dernier des empereurs carlovingiens, les
factions qui agitaient la ville de Rome empêchèrent le Pape
de pourvoir à l'empire , qui demeura vacant depuis l'an 924
l'empereur, ou de quelque autre prince étranger. (Voyez Cenni, ubi suprà ,
tom. 11, Dissert. 1, n. 36-39. — Fleury, Hist. Ecclés., tome xiv, liv. lxix,
11. 1 et 6. — Baronius, Annales, anno 1144 et 1152.)
(1) Fleury, Hist. Ecclés. , tom. xi, liv. liv, n. 18.
(2) Fleury, ibid. — Pagi, Crilica in Baronii Annales, anno 892, 11. 2 ;
anno 894, n. 3.
(3) Pagi, ibid., anno 895, n. 4 ; anno 896, n. 3.
(4) Nous avons rapporté ailleurs, en partie , la formule de ce serment.
(lre partie, chap. 2, n. 77, pag. 289.) On peut voir la formule entière dans
l'ouvrage de Cenni, Monumenta, etc. (tom. n, Dissert. 1, n. 25), et dans la
Critique du P. Pagi (année 896, n. 3). Voyez aussi les observations que nous
avons faites ailleurs sur la déposition de Lambert. (2e partie, chap. 2, pag. 423,
note 2.)
2Ô2.
Ce droit alors
620 DEUXIÈME PARTIE. — POUVOIR DU PAPE
jusqu'en 962, époque de sa translation aux Allemands (l).
Avant cette translation, le droit du Pape, relativement à l'é-
lection de l'empereur, loin d'être contesté, était généralement
générale, reconnu, même par les souverains. L'histoire de Charles le
meut reconnu, '■ x
»»ême chauve en particulier fournit des preuves décisives de ce lait (2) .
par les souve- . . .
raias. Le pape Adrien II avait promis a ce prince de le reconnaître
pour empereur, dans le cas où il survivrait à Louis II, alors
revêtu de cette dignité. « Nous vous promettons , lui avait-
« il dit, et nous vous déclarons, *en vous recommandant
«le plus profond secret, et sauf la fidélité que nous devons
« à notre empereur, que si vous lui survivez, ainsi que nous,
« nous ne demanderons et ne reconnaîtrons jamais d'autre em-
« pereur que vous, quand on nous offrirait des monceaux
« d'or (3). » Louis II étant mort deux ans après, les prétentions
de Charles le Chauve furent combattues par Louis , son frère
aîné, roi de Germanie. Charles ne trouva pas de meilleur moyen
pour soutenir son droit, que de se rendre promptement à Rome,
afin d'obtenir la confirmation du pape Jean VIII, qui occupait
alors le saiut-siége. Le roi de Germanie ne négligea rien pour
empêcher l'exécution de ce dessein ; mais tous ses efforts furent
inutiles: Charles fut couronné empereur par le Pape, le jour
de Noël de l'année 875, et reconnu l'année suivante, dans une
assemblée générale des seigneurs de Lombardie , dont le décret
fut confirmé, la même année, par le concile national de Pont-
yon (4). Il est à remarquer que ces deux assemblées, dans l'acte
solennel qu'elles dressèrent pour ratifier l'élection de Charles,
motivent cet acte sur le choix que le Pape avait fait de ce prince,
pour l'élever à la dignité impériale. Voici les propres expres-
(1) Flenry, ubi suprà, n. 25.
(2) Fleuty, Hist. Ecclés., tom. xi, liv. lu, n. 23 et 30. — Hist. de VÉ-
glise Gallicane, tom. vi , liv. xvii, pag. 274 et 292. — Receveur, Hist. de
l'Église , ubi suprà.
(3) « Integra fide, et sincerâ mente, devotâque voluntate, ut sermo sit se-
« cretior, et litterae clandestine, nullique nisi fidelissimis publicandœ, vobis
« confitemur devovendo, et notescimus afhrmando, salvâ fidelitate impera-
« toris nostri, quia si superstes ei fuerit vestra nobilitas, vitâ nobis comité, si
« dederit nobis quislibet multorum modiorumauri cumulum, numquam ac-
« quiescemus, exposcemus, aut sponte suscipiemus alium in regnum et im-
« perium Romanum, nisi teipsum. » Adriani II Epist. 34, ad Carolum
Calvum. (Labbe, Concil. tom. vin, pag. 938.)
(4) Labbe, Concil. tom. ix, pag. 283, etc.
SUR LES SOUVERAINS. —CHAPITRE III. 621
sions de l'acte dressé par les seigneurs de Lombardie : « Puis-
« que la bonté divine, par l'intervention des saints apôtres
« Pierre et Paul , et par leur vicaire le seigneur Jean , souverain
«pontife, pape universel, et notre père spirituel, vous a déjà
« élevé à l'empire, selon le jugement du Saint-Esprit, pour l'uti-
« lité de la sainte Église et de nous tous ; nous vous choisis-
« sons unanimement pour le protecteur, le seigneur et le dé-
« tenseur de nous tous (l). » L'année suivante, 877, le pape
Jean VIII lui-même conûrma cette élection, dans un concile tenu
à Rome pour cet effet. Après un grand éloge de Charles le
Chauve, le Pape croit pouvoir attribuer son élection à une
inspiration divine, et déclare néanmoins qu'il l'a faite avec
le concours du clergé, du sénat et du peuple romain. <« Sachant,
« dit-il, que notre prédécesseur Nicolas 1er avait déjà été éclairé
« là-dessus par une inspiration céleste, nous avons choisi avec
« raison le prince Charles ; nous avons approuvé son élection, de
« concert avec nos frères et coévêques, avec les autres ministres
« de la sainte Église romaine, le vénérable sénat, tout le peuple
««romain et ses magistrats; et nous l'avons élevé solennelle-
« ment, selon l'ancienne coutume, à la dignité impériale (2). »
Il est à remarquer que le Pape, en s'attribuant le droit de
choisir l'empereur, ne prétendait pas le faire en vertu du seul
(1) « Quia divina pietas vos, beatorum principum apostolorum Pétri etPauli
« interventione, per vicarium ipsorum, dominum videlicet Joannem, sum-
« muni pontificem et universalem papam , spiritualemque patrem vestrum,
« ad profectum sanctae Dei Ecclesiœ nostrâque omnium, invitavit, et ad
«impériale culmen, sancti Spiritûs judicio , provexit; nos unanimiter
« vos protectorem, dominum , ac defensorem omnium nostrûm eligimus. »
Ibhl.
(2) « Et quia pridem apostolicae mémorise decessori nostro,!'papae Nico-
« lao, idipsum jam inspiratione cœlesti revelatum fuisse comperimus; elegi-
« mus hune mérité, et approbavimus, unà cum annisu et voto omnium fra-
« trumet coepiscoporum nostrorum, atqne aliorum sanctœ Romanœ Ecclesiae
« ministrorum, amplique senatûs, totiusque Romani populi, gentisque to-
« gatre; etsecundùm priscam consuetudinem solemniter ad iinperii Romani
« sceptra proveximus, et Augustali nomine decoravimus. » Labbe, Concil.
ibid., p. 296.
Les éloges que le Pape donne ici à Charles le Chauve ne s'accordent guère
avec ce que disent Fleury et plusieurs autres, d'après les Annales de Fulde,
que ce prince , pour assurer son élection , corrompit le sénat à force de pré-
sents. Mais on doit remarquer que les Annales de Fulde sont très-suspectes
sur ce point, ayant été écrites sous la domination du roi de Germanie, en-
nemi déclaré de Charles , comme on vient de le voir.
622 DEUXIÈME PARTIE. — POUVOIR DU PAPE
caractère de chef de l'Église, mais de concert avec les seigneurs
et le peuple romain, dont il était depuis longtemps le chef et le
représentant, pour l'élection de l'empereur, aussi hien que pour
tout ce qui regardait le gouvernement temporel de Rome et de
l'exarchat.
263. Quelques auteurs modernes nous opposent ici l'exemple de
commentée charlemagne , de Louis le Débonnaire, et de Lothaire Ier, qui
aveVkT'con. ne paraissent pas avoir attendu le consentement du Pape pour
duiie des associer leurs fils à l'empire; ce qui suppose que ces princes ne
empereurs qui * . r x l •* x
ont associé reconnaissaient pas, dans le Pape, le droit d'élection que nous
leurs fils à ,
l'empire, lui attribuons (1).
Il est vrai que les historiens ne font aucune mention du con-
sentement du Pape à la conduite de ces princes; mais le silence
des historiens ne saurait affaiblir les preuves positives , qui éta-
blissent la nécessité de ce consentement. En effet, il résulte
clairement des faits que nous venons d'exposer, que Charle-
magne n'a dû son titre & empereur qu'à l'élection du Pape;
qu'en donnant ce titre à Charlemagne, le Pape ne prétendit pas
renoncer, pour l'avenir, à son droit d'élection; que Charle-
magne ne croyait pas pouvoir disposer de son titre ft empereur,
même de concert avec les seigneurs de ses États; enfin que,
longtemps encore après Charlemagne, ses successeurs recon-
naissaient, dans le Pape, le droit de choisir l'empereur. En
faut-il davantage pour démontrer la permanence de ce droit,
sous les empereurs carlovingiens? Cette permanence étant une
fois établie par des preuves si décisives, ne s'ensuit-il pas natu-
rellement, que la conduite de Charlemagne, de Louis le Débon-
naire, et de Lothaire Ier, associant leurs fils à l'empire, ne peut
s'expliquer que par le consentement exprès ou tacite du Pape ?
Ce consentement est d'autant plus naturel à présumer, qu'à
l'époque de ces associations, les princes dont il s'agit vivaient
(t) Cette difficulté est proposée par Bossuet, Velly, et quelques autres
écrivains modernes , qui ne paraissent pas avoir fait assez d'attention à la
suite des faits qui établissent notre sentiment. ( Bossuet , De/. Declar.,
lib. ii, cap. 39. — Velly, Hist. de France, t. h, p. 113. ) Velly surtout pa-
raît les avoir complètement ignorés; s'il les eût connus, il n'eût sans doute
pas avancé avec tant de confiance, que l'élévation de Charles le Chauve à
la dignité impériale, est la véritable époque de V autorité que les pon-
tifes Romains se sont ensuite attribuée dans l'élection des empereurs 9
et que cette prétention était jusque-là sans exemple.
SUR LES SOUVERAINS. — CHAPITRE III. 623
dans une parfaite intelligence avec le Pape. On sait que cette
bonne intelligence ne fut jamais troublée sous le règne de Char-
lemagne ; et pour ce qui regarde en particulier Louis le Débon-
naire et Lolhaire Ier, il est certain que, bien loin de prétendre
associer leurs fils à l'empire, sans le concours du Pape, ils en-
voyèrent ces jeunes princes à Rome, peu de temps après cette
association, pour y recevoir la couronne et l'onction impériale
de la main du souverain pontife, dont ils regardaient eux-
mêmes le concours comme une condition essentielle de cette
promotion (l).
2° La translation de V empire aux Allemands, en 962, par L.**4i
l'autorité du pape Jean XII, montre qu'à cette époque , le droit transféré des
du Pape, pour l'élection des empereurs, subsistait encore, aux aii«.
quoiqu'il fût contrarié, dans son exercice, par les seigneurs de Sorû/d»
Rome, qui avaient usurpé l'autorité souveraine dans cette Pape*
ville (2). Déjà le pape Agapet II , prédécesseur de Jean XII , pour
mettre fin à ce désordre , avait appelé à son secours Othon Ier,
roi de Germanie, qui, malgré quelques succès en Italie, n'avait
pu pénétrer jusqu'à Rome; mais ce prince, appelé de nouveau
en Italie par Jean XII, la délivra enûn de la tyrannie de Bé-
rengerll, et s'avança jusqu'à Rome, où le Pape lui donna la
couronne impériale, le 2 février 962 (3). C'est ainsi que l'empire
d'Occident passa des Français aux Allemands, qui l'ont toujours
possédé depuis. L'histoire de cette translation montre que l'élé-
vation dOthon 1er à la dignité impériale, aussi bien que celle
deCharlemagne, s'opéra par l'autorité du Pape, agissant comme
souverain de Rome et de l'exarchat. Il est certain, en effet, que
le roi de Germanie, Othon 1er, bien loin de se regarder comme
souverain de Rome, en vertu de ses conquêtes en Italie, ne fut
reçu à Rome par le pape Jean XII, qu'après avoir promis avec
serment d'y reconnaître, et d'y maintenir de tout son pouvoir,
la souveraineté du Pape (4).
(1) Voyez, à l'appui de ces faits, les détails que nous avons donnés dans le
chapitre précédent, art. 4, n. 150, etc.
(2) Voyez la note 3 ci-dessus, p. 618.
(3) Cenni, Monumenta, t. n; Dissert. 1, n. 38-41; Dissert. 6, n. 3.
— -Fleury, Hist. Eccl., t. xii, liv. lvi, n. 1. —Receveur, Hist. de VÉglisef
tom. v, p. 7, etc. — Bossuet, Defens. Declar., lib. n, cap. 40 et 41.
(4) Voyez plus haut, chap. 2, n. 158, pag. 501.
624 DEUXIÈME PARTIE. — POUVOIR DU PAPE
a65. Depuis l'élévation d'Othon Ier à la dignité impériale, on ne
!nfl peanpe du voit pas que le Pape ait continué de choisir par lui-même l'em-
dansl'^ection pereur d'Occident. L'histoire nous montre au contraire l'élec-
l'empereur, fjon je ce prince dévolue, depuis la fin du xe siècle, à la diète
depuis cette L ' *■ *
époque, germanique, et plus tard (vers le milieu du xm siècle), aux
princes électeurs, qui ont conservé jusqu'à nos jours ce droit
d'élection (l). Toutefois il est certain que le Pape, sans choisir
l'empereur par lui-même, continua d'avoir une très-grande
part à ce choix. Radulphe Glaber, moine de Cluny, qui écrivait
au milieu du xie siècle, parle de cet usage comme d'un fait uni-
versellement reconnu. «Il paraît très-raisonnable, dit-il, et
« très-bien établi pour le maintien de la paix, qu'aucun prince
« ne prenne le titre à' empereur, sinon celui que le Pape aura
« choisi pour son mérite, et à qui il aura donné la marque de
« cette dignité (2). »
Non-seulement le Pape conservait alors une très-grande part
à l'élection de l'empereur ; mais tout porte à croire que le nou-
veau mode d'élection introduit depuis le xe siècle, ne s'est établi
qu'avec l'autorisation du saint-siége. Telle était la persuasion
(1) Nous n'entrons point ici dans l'examen de la question si obscure de
l'origine des électeurs de l'empire. Cet examen , qui nous conduirait beau-
coup trop loin, n'est pas nécessaire à l'éclaircissement de l'objet principal de
nos Recherches. Nous ferons seulement remarquer, en passant , que les dé-
tails contenus dans ce chapitre , sur l'origine du nouvel empire d'Occident,
peuvent beaucoup servir à l'éclaircissement de cette question , et à corriger
plusieurs auteurs modernes qui s'en sont occupés. Voyez principalement ,
sur ce sujet, Cenni, Monumenta, t. h; Dissert. 6, n. 1, 3-15. Voyez
aussi la lre Dissert., n. 44, etc. — Leibniz, Dissert, i, De actorum public,
usu, n. 18 et 19 ; Dissert. 2, n. 25 et 26. Ces Dissertations , qui serven
de Préfaces aux tomes i et n du Code Diplomatique du même auteur,
ont été reproduites dans le tome îv de ses Œuvres, 3e partie, p. 287, etc. —
Bossuet, Defens. Declar. , lib. n, cap. 40 et 41. — Baronius, Annal. Eccles.,
t. x, anno 996, n. 38-71. — Pagi, Critica in Annales Baronii, t. iv, anno
996, n. 10, 17 ; anno 1024, n. 5 et 6.
(2) « lllud nimirum condecens ac perhonestum videtur, atque ad pacis
«. tutelam optimum decretum , scilicet : ut ne quisquam audacter imperii
« Romani sceptrum prseposterus gestare princeps appetat, seu imperator
« dici aut esse valeat, nisi quem papa sedis Romanee, morum probitate dele-
« geritaptum reipublicse, eique commiserit insigne impériale. » Rad. Gla-
ber, Hist. lib. i, versus finem. {Recueil des Hist. de France, par Du-
chesne, tom. iv.) —Baronius, Annales, t. xi, anno 1013, n. 5. — Fleury,
Hist. Eccl., tom. xn, lib. lviii, n. 38. — D. Ceillier, Hist. des Auteurs
ecclés., t. xx, p. 240.
SUR LES SOUVEKÀINS CHAPITRE III. 625
générale du moyen âge, comme on l'a vu plus haut(l); et le
pape Innocent III , dans une lettre adressée aux princes alle-
mands, au commencement du xme siècle, suppose cette origine
des électeurs, comme un fait constant, et reconnu des électeurs
eux-mêmes (2). Cette supposition est d'ailleurs confirmée par
l'usage constamment observé pendant toute la suite du moyen
âge, que le roi de Germanie, élu par les princes allemands, ne
prît, en vertu de cette élection , que le titre de roi des Romains ,
et non celui à! empereur, jusqu'à ce qu'il eût été reconnu et
couronné à Rome par le Pape (3).
La conséquence naturelle de tous ces faits, est que le Pape, en 266.
donnant à Charlemagne le titre à? empereur, n'avait pas pré- ,0'deqceence
tendu renoncer, pour l'avenir, à son droit d'élection ; qu'il a inodieiodn'dec"
conservé longtemps l'exercice de ce droit; et qu'en cessant de
l'exercer par lui-même, il a toujours continué d'avoir une très-
grande part à l'élection. Or, il est aisé de voir, que cette in-
fluence du Pape dans l'élection de l'empereur, lui donnait na-
turellement le droit d'imposer certaines conditions à l'empereur
élu , et par conséquent de le déposer, dans le cas où il les vio-
lerait (4). Toutefois, nous ne prétendons pas conclure de là,
que l'empire fût proprement, dans son origine, un fief du
saint-siège. Il est certain, en effet, que le pape Léon III, en
donnant à Charlemagne la couronne impériale, ne lui donna
aucun nouveau territoire : il lui conféra seulement un titre ho-
norable , pour récompenser et exciter de plus en plus son zèle à
protéger et à défendre les intérêts du saint-siége. Telle a été con-
stamment l'unique vue des successeurs de Léon III, en conférant
la couronne impériale aux successeurs de Charlemagne. Léser-
ai) Voyez plus haut, chap. 11, art. 4, p. 484, etc. Voyez aussi Maim bourg,
Hist. de la Décadence de V Empire, p. 110, etc.
(2) Innoc. III, Epistol. ad Bertholdum Zaringiœ ducem , initio sœ-
culi xiu. (Baluze, Epistol. Innoc. III, 1. 1, p. 715.) Nous avons cité le texte
de cette lettre dans le chapitre précédent, n. 154 , pag. 497.
(3) Voyez plus haut, chap. 11, art. 4, n. 150, etc. C'est par une suite de cet
ancien usage, que dans ces derniers temps, et de nos jours même, depuis
que les empereurs d'Allemagne ont cessé d'aller se faire sacrer et couronner
à Rome , le Pape ne leur donne pas absolument le titre d' 'empereur, mais
seulement celui ^empereur élu. C'est ce qu'on remarque en particulier,
dans deux brefs de Pie VI, aux empereurs Léopold H et François IL (Collect.
des Brefs de Pie VI; Paris, 1798; pag. 557 et 561.)
(4) Voyez plus haut, chap. 1, art. 1, n. 25.
40
626 DEUXIEME PARTIE. — POUVOIR DU PAPE
ment de fidélité qu'ils ont exigé d'eux, à cette occasion, ne suppose
aucunement que les empereurs tinssent leurs domaines du saint-
siége; il suppose seulement l'obligation de le défendre contre ses
ennemis ; et les papes, en s'atlribuant, comme ils faisaient, le droit
de choisir l'empereur, et même de le déposer en certains cas, ne
se regardaient pas proprement comme seigneurs suzerains de
ses domaines, mais seulement comme juges de sa conduite et de
ses droits, d'après l'usage et la constitution de l'empire.
267. Quatrième fait. Les plus anciens monuments du Droit ger-
Onatrième , , 1 .
/ait: manique établissent ou supposent clairement la dépendance
es pap? " particulière de l'empereur à l'égard du Pape, et les droits du
sm établis™' souverain pontife , relativement à l'élection de l'empereur, et
]YM Drou™ m&me à sa déposition en certains cas.
germanique. \\ suffit, pour s'en convaincre, de parcourir le Droit de
Saxe et le Droit de Souabe, compilés au xme siècle, d'après les
anciennes coutumes de Vempire{\), et longtemps en vigueur
en Allemagne depuis cette époque. Les plus savants juriscon-
sultes allemands du dernier siècle, et même de nos jours, re-
gardent comme certain, que ces deux codes ont été d'une grande
autorité en Allemagne , dans les jugements, depuis le xme siècle
jusqu'au xvie, comme renfermant les lois et les coutumes du
temps (2). Ils ajoutent que ce sont moins deux codes différents,
que deux rédactions d'un même code , l'une faite par un Saxon,
et l'autre par un habitant de la Souabe. Nous rapporterons
seulement ici, sur le sujet qui nous occupe, les principaux ar-
ticles du Droit de Souabe , parce qu'il entre dans un plus grand
développement que celui de Saxe.
268. 11 est expressément statué, dans le préambule de ce code,
subord.nanon que i>empereur^ aussi bien que tous les autres princes et magis-
puiss0rdieem trats séculiers, doit employer son pouvoir à faire rendre au Pape
enveïu !" spi l'obéissance qui lui est due. Voici les propres expressions de ce
selon ce Droit, préambule (3) : « L'épée du jugement ecclésiastique a été donnée
(1) Voyez le préambule du Droit de Souabe, que nous avons cité plus
haut, chap. i, art. 3, pag. 418, note 3.
(*>) Senckenberg , dans sa Préface du Droit de Souabe (§ 20), dit que ce
point n'est plus contesté aujourd'hui. C'est aussi le sentiment d'Eichorn,
dans son Histoire de V Empire et du Droit germanique, 3e édit., tom. n,
pag. 276, etc.
(3) « Ensis ecclesiasticus Papae ipsi est concessus, ut debito tempore ju-
« dieet, sedens super equum candidum ; et imperator débet Papee stapiam
SUR LES SOUVERAINS. — CHAPITRE III. 627
« au Pape, afin qu'il prononce ses jugements, au temps conve-
« nable, assis sur un cheval blanc (en signe de sa prééminence).
« L'empereur doit alors tenir l'étrier au Pape , afin que la selle
« ne bouge pas (l). Cela signifie que si quelqu'un résiste au Pape,
« et que celui-ci ne puisse le contraindre à l'obéissance par le
«jugement ecclésiastique, l'empereur, ainsi que les autres
« princes et juges séculiers , doivent l'y contraindre par la
« proscription (civile). »
«tenere, ne ephippium loco moveatur. Hoc ipso indicatur quod omnem
« eum quicumque Papse resistit, quemque ipse judicio ecclesiastico cogère
« non valet ad obediendum, debeat imperator, et alii sœculares principes
« et judices , cogère per proscriptionem. » Juris Alamannici seu Suevici
prcefamen, n. 21-24. (Senckenbet g , ubisuprà, pag. 6, etc.)
On remarque ici une différence importante entre le texte du Droit de
Souabe et celui du Droit de Saxe. Voici ce qu'on lit dans le premier : « Dieu,
« qui est le prince de la paix , a laissé , en montant au ciel , deux épées sur la
« terre, pour la défense de la chrétienté. Il les a confiées toutes deux à saint
« Pierre f l'une pour le jugement temporel , l'autre pour le jugement ecclé-
« siastique..... Le Pape donne à l'empereur l'épée du jugement séculier;
« l'épée du jugement ecclésiastique a été donnée au Pape, etc.» Le Droit de
Saxe est conçu en termes bien différents : « Dieu, dit-fl, a laissé deux épées
« sur la terre pour protéger la chrétienté: au Pape, l'épée spirituelle; à
a l'empereur, Vépée temporelle. Il est aussi permis au Pape de monter, au
« temps déterminé, sur un cheval blanc ; et l'empereur doit lui tenir l'étrier,
« afin que la selle ne bouge pas : cela signifie que , etc. » (Specul. Saxon.
lib. i , art. 1.) Ce dernier texte suppose clairement deux puissances distinc-
tes, et immédiatement établies de Dieu. Le Droit de Souabe, au contraire,
paraît les confondre, en supposant que Jésus-Christ les ait données toutes deux
immédiatement à saint Pierre, chargé de transmettre la puissance tempo-
relle aux princes séculiers. Nous avons déjà remarqué que cette opinion
n'avait commencé à paraître que depuis le xne siècle. (Ci-dessus, n. 189,
pag. 533, texte et notes.) Mais la diversité même des textes que nous venons
de citer, montre, 1° que cette opinion n'était pas universellement admise
au xme siècle ; 2° que ceux mêmes qui ne l'admettaient pas , ne laissaient
pas de reconnaître la subordination de la puissance temporelle envers la
spirituelle, et le pouvoir qu'avait le Pape de déposer l'empereur, en cer-
tains cas : nous ne voyons en effet, sur ces deux points, aucune différence
entre le Droit de Saxe et le Droit de Souabe.
(1) L'usage où étaient autrefois les empereurs, de remplir auprès du Pape
la fonction à'écuyer, particulièrement à l'époque de leur couronnement,
était bien antérieur à la rédaction du Droit de Souabe et du Droit Saxon.
Environ un siècle auparavant (en 1155) , l'empereur Frédéric 1er {Barbe-
rousse), ayant fait difficulté de se conformer à cet usage, qu'il ne croyait
pas suffisamment établi, ne balança plus à le faire, lorsqu'on lui eut montré
que cet usage était fondé sur d'anciens monuments, et sur le témoignage
de plusieurs seigneurs, qui avaient assisté (en 1133) à l'entrevue de l'em-
pereur Lothaire II et du pape Innocent II. (Muratori, Antiquit. Italicœ
medii œvi, tom. i, dissert. 4 — Fleury, Hist. E ce lés., tom. xv, liv. lxx, n. 5.)
40.
628 DEUXIEME PARTIE. — POUVOIR DU PAPE
269. Plusieurs articles du même code entrent, sur ce sujet, dans
deTÏlT 11U détail remarquable. Voici les principales dispositions rela-
sur réieelion tives ^ l'élection de l'empereur : « Le choix du roi [des Romains)
l'empereur. « appar lient aux Germains.... // reçoit le pouvoir et le nom
« de roi, lorsqu'il est consacré (couronné) , et placé sur le trône
« à Aix-la-Chapelle , du consentement de ceux qui l'ont choisi ;
« mais quand le Pape l'a consacré (et couronné) , alors il reçoit
« la pleine puissance de V empire, et le nom d'empereur (\)....
« Les princes (électeurs) ne doivent pas élever à la dignité royale,
«un homme difforme, lépreux, excommunié, proscrit, ou
« hérétique. S'ils choisissent un roi qui ait quelqu'un de ces
« défauts, les autres princes (de l'empire) ont droit de le rejeter,
« dans le lieu où s'assemble la cour impériale, pourvu que le
« prince élu soit convaincu, comme cela doit être, d'un seul de
« ces défauts (2) . »
a7o. Le chapitre 29e détermine les cas où l'empereur peut être
excommunié. «Le Pape seul peut bannir (c'est-à-dire excom-
Fôîii'em^ ' «munier) l'empereur; cependant il ne le peut que pour ces
leur peut eue (( lrojs causes . ['une s[ l'empereur doutait de la foi catholique ;
excommunie ,
par îe Pape. « l'autre, s'il quittait son épouse légitime ; la troisième , s'il dé-
« truisait les églises (ou d'autres lieux saints). Le Pape a ce droit
Cet usage paraît même remonter beaucoup plus haut; car il en est fait
une mention expresse dans plusieurs exemplaires du Sacramentaire de saint
Grégoire, en usage à Rome et en France au ixe siècle. (Sacram. Greg. De
Coronatione imper, in Liturgia Rom. vet. à Muratori édita, Venetiis, 1748,
2 vol. in-fol. , tom. n, pag. 464.) Nous avons indiqué ailleurs (pga. 499,
note 3), les principales raisons qui établissent l'antiquité de ces exemplaires
du Sacramentaire de saint Grégoire. Mais, quoi qu'il en soit de ce point
de critique, il est certain que les empereurs , en donnant au souverain pon-
tife le témoignage de respect dont il est ici question , imitaient l'exemple de
Pépin le Bref, qui s'était fait un honneur de remplir la fonction d'écuyer
auprès du pape Etienne II, en 754. (Anastas. Bibliothec. Vita Stephanill.
— Fleury, Hist. Ecclés. , tom. ix, liv. xliii, n. 11.)
(1) «Germani ç\\g\miregem {Romanorum) Quandoipse consecratur
« (et coronatur), et collocatur in solio Aquisgranensi, ex eorum voluntate qui
« ipsum elegere, tune accipit potestatem et nomen Régis. Quando autem
«. Papa eum consecravit {coronavitque) , tune plenariam habet imperii
« potestatem, et nomen Imperatoris.» Juris Alamannici cap. 18, n. 1, 2, 3.
(2) « Membris capti, item leprosi, et qui sunt vel excommunicati , vel
«.proscripti et hœretici, non debent eligi ( in regem Romanorum) à princi-
a pibus (electoribus). Quod si autem eligunt talem aliquem, reliqui principes
«eum jure rejiciunt in illo loco, quo curia imperialis est convocata, si
« electus de unico horum defectuum est convictus, uti juris est.» Juris
Alamannici cap. 22, n. 8 et 9.
Trois cas dé
terminés
SUR LES SOUVERAINS. — CHAPITRE III. 629
« sur l'empereur, après son couronnement. Si , avant cette cé-
rémonie, l'empereur se conduit d'une manière répréhensible
« envers un évêque ou quelque autre personne , la plainte doit
« être portée d'abord au comte palatin du Rhin (l) , qui la por-
tera lui-même à son archevêque; alors celui-ci peut bannir
« (ou excommunier) le roi (2). »
Pour bien comprendre le sens et les conséquences de cet ar- Cons7quenCes
ticle, il faut remarquer, en premier lieu , que le Droit de Souabe de cc,,e
distingue, en plusieurs endroits, deux sortes de bans, savoir: ^
>i»i «après les an-
le ban ecclésiastique ou l'excommunication , qui prive le ddcle ciennçs
des biens spirituels, et le ban séculier ou la proscription , qui Pire.
entraîne la perte des droits civils (3). Le ban dont il est question
dans le chapitre 29e, étant prononcé par un évêque ou par le
Pape lui-même, est proprement le ban ecclésiastique ou r ex-
communication. Mais il faut remarquer, en second lieu, que,
d'après le droit alors en vigueur dans tous les États catholiques
de l'Europe, et spécialement en Allemagne, l'excommunication
entraînait régulièrement, au bout d'un certain temps, la pro-
scription civile; comme celle-ci entraînait régulièrement, au
bout d'un certain temps, l'excommunication. Nous avons rap-
porté plus haut les principales dispositions du Droit de Souabe
sur ce point (4). Nous avons fait remarquer, à cette occasion, que
l'intervalle de temps nécessaire pour donner à l'excommunica-
tion ses effets temporels , n'était pas le même pour les princes et
pour les particuliers. D'après le Droit de Souabe, cet intervalle
de temps était, pour ceux-ci, de six semaines ; mais, d'après les
anciennes coutumes de l'empire, ce temps était, pour l'empe-
(1) D'après le chap. 21 du Droit de Souabe, le comte Palatin du Rhin
était le juge ordinaire de V empereur .
(2) « Imperatorem in bannum declarare nemo potest , nisi Papa. Hoc ta-
« men ) non facere débet , nisi oh très causas. Una est si imperator de fidei
« orthodoxia dubitaret. Altéra est si ab uxore diverteret. Tertia est si Eccle-
« sias ( aut alia loca pia) destrueret. Hoc juris obtinet circa imperatorem ,
« quando coronatus est. At si antea (quàm coronatus est) contra episcopum
« aliquem aut alium , aliquid ( querelâ dignum ) agit , tuni primo loco que-
« rela illa ad comitem Palatiuum débet deferri, qui inde archiepiscopo
« suo rem defert ; qui ( arebiepiscopus ) potest ipsum in bannum declarare. »
Juris Alamannici seu Suevici, cap. 29.
(3) /fad.,cap. 1, 2 et 127.
(4) Juris Alam. cap. 1 et 3. Voyez plus baut, ebap. 1, art. 3, n. 78,
pag. 418, etc.
630 DEUXIEME PARTIE. — POUVOIR DU PAPE
reur, d'une année entière. Telle était déjà la loi ou la coutume,
longtemps avant la rédaction du Droit de Souabe , au témoi-
gnage des auteurs contemporains de Grégoire VII (l). Le lan-
gage de ces auteurs, confirmé par les propres aveux des empe-
reurs , nous autorise à dire , avec un célèbre critique du
xvne siècle, que la peine de la déposition, pour un empereur
qui persévérait une année entière dans l'excommunication, était
fondée sur une ancienne loi de l'empire, quoique nous ne
puissions en assigner l'origine précise (2).
27.2. Le chapitre 35 1 dix Droit de Souabe y qui traite des héré-
déposiiion tiques, renferme les dispositions suivantes (3) -. «Tout prince
priesmêm£ar «laïque qui ne punit point les hérétiques, mais les défend et les
^'prî^ces6 'es «protège, doit être excommunié par le juge ecclésiastique; et
hérétiques. « s>ji ne s> amende point dans l'année , l'évêque qui l'avait ex-
ce communié doit le dénoncer au Pape, et exposer en même temps
« à celui-ci, pendant combien de temps le coupable est demeuré
« dans l'excommunication lancée contre lui , en punition de son
«crime. Après cela, le Pape doit priver le prince de son
« emploi et de tous ses honneurs. C'est ainsi qu'il faut juger les
«grands, aussi bien que les pauvres. Aussi lisons-nous que le
«pape Innocent III a déposé de l'empire l'empereur Othon IV
« pour d'autres crimes. C'est avec raison que les pontifes agissent
« ainsi ; car Dieu dit à Jérémie : Je vous ai établi pour juger
« tous les hommes et tous les royaumes. »
(1) Voyez les auteurs cités plus haut, ch. 2, n. 96 et 97.
(2) « Istà lege ( depositione scilicet imperatoris excommunicati ) , licet
« proprium ejus fontem nequeam producere, vivebat olim Romanum (id
« est, Romano-Germanum) imperium : ideoque Romani pontifices, ante-
« quara ad augusti principis procédèrent exauctorationem , excommunica-
«tionem praemittebant. » Christ. Lupus, Décréta et Canones, tom. iv,
Scholia in Gregorii VII Dictatus, can. 12, pag. 457.
(3) « Quicumque principum laïcorum haereticos non punit, sed ipsos de-
« fendit et fovet, hune judicium ecclesiasticum débet excommunicare ; et si
« intra integrum annum non resipiscit, episcopus qui ipsum excommunica-
« verat, Papœ denuntiare débet ipsius crimen, et simul exponere per quan-
« tum temporis ille, ob crimen suum , sit in statu excommunicatorum. Hoc
« facto, Papa débet illumprivare munere principis, et omnibus hono-
« ribus suis. Ita judicandum est , tam de magnatibus quàm de pauperibus.
« Nos etiam legimus quod papa Innocentius deposuerit imperatorera Otho-
« nem ab imperio, ob alia crimina. Id pontifices jure faciunt : Deus enim
« dixit Jeremiae s Ego tejudicem constitui omni homini et omni regno. »
Juris Alamannici seu Suevici cap. 351.
SUR LES SOUVERAINS. — CHAPITRE III. 631
Il résulte clairement de ces divers passages de l'ancien Droit a73.
germanique , que la sentence du Pape qui déposait l'empereur, °nXqce"ce
ne le privait pas seulement du titre d'empereur, mais de tous d,si,os,t,ons-
ses emplois, et de tous ses honneurs, et par conséquent du
titre et des droits de roi de Germanie; en sorte que les élec-
teurs étaient autorisés, par cette sentence, à élire un autre roi,
qui devait ensuite s'adresser au Pape, pour obtenir le titre d'em-
pereur avec la couronne impériale. Ces dispositions du Droit
germanique, au moyen âge, étonneront sans doute aujour-
d'hui bien des lecteurs ; et il est à regretter que la plupart des
auteurs modernes, qui ont écrit sur l'histoire de cette époque,
aient ignoré cette ancienne jurisprudence, qui répand un si
grand jour sur l'histoire des fâcheux démêlés qui ont si long-
temps divisé le sacerdoce et l'empire.
§ 3. Examen des principales difficultés qu'on peut opposer
à notre sentiment,
La simple exposition de nos preuves renferme, à ce qu'il 274.
nous semble, la solution des difficultés qu'on pourrait opposer '"2w.
à notre sentiment, et qu'on nous a en effet opposées dans quel- Pv"nVd? dl"
ques écrits périodiques , où l'on a rendu compte de la première j^f^ *]j
édition de cet ouvrage ( 1 ) . 1>ai; !f.s »>aPes •
° v ' i 1 appui
La principale, et celle qui paraît, au premier abord, plus spé- de »««« sen-
cieuse, se tire du langage ordinaire des souverains pontifes, de déposition.
qui, dans les sentences de déposition qu'ils prononcent contre
les princes, se fondent sur le pouvoir divin de lier et de délier,
sans faire aucune mention du droit public dont nous parlons;
ce qui paraît supposer qu'ils regardent le droit divin comme
l'unique fondement du pouvoir qu'ils s'attribuent de déposer les
souverains.
Les observations que nous avons faites sur la sentence de
Grégoire VII contre l'empereur Henri IV, et sur la sentence
d'Innocent IV contre Frédéric II, résolvent pleinement cette
difficulté (2). Il résulte en effet de ces observations: t° que
(\)' Journal des Débats, 29 septembre 1839.— Revue ecclésiastique,
janvier 1840. — Le Semeur, 8 sept. 1841.
(2) Voyez ci-dessus, n. 191 et 213, pag, 535 et 567.
632 DEUXIÈME PARTIE. — POUVOIR DU PAPE
Grégoire VII, le premier qui ait prononcé une sentence de
déposition contre un souverain, ne prétendait pas se fonder
uniquement sur le droit divin, mais sur les lois divines et hu-
maines tout ensemble (1); 2° que dans le sentiment de Gré-
goire VII et de ses successeurs, comme de tons leurs contem-
porains, la déposition d'un prince excommunié n'était pas une
conséquence nécessaire de l'excommunication, et ne résultait
pas du seul pouvoir divin de lier et de délier, mais d'une dis-
position particulière des lois humaines, et principalement des
anciennes lois de V empire, qui déclaraient déchu du trône le
prince opiniâtre dans l'excommunication pendant une année
entière.
Ces faits importants une fois établis, il est aisé de comprendre
que les souverains pontifes ont très-bien pu invoquer, à l'appui
de leurs sentences d'excommuuication et de déposition contre
des princes, le pouvoir divin de lier et de délier, quoiqu'ils ne
le regardassent pas comme l'unique fondement du pouvoir qu'ils
s'attribuaient de déposer les princes. On conçoit, en effet, que,
dans un temps où le droit public attachait à l'excommunication
et à l'hérésie la peine de déposition, la sentence de déposition
prononcée par le Pape contre un prince hérétique ou excommu-
nié , était fondée tout à la fois sur le droit divin et sur le droit
humain. Elle était fondée sur le droit divin , non-seulement en
tant qu'elle déclarait le prince hérétique ou excommunié ; mais
encore en tant qu'elle éclairait la conscience de ses sujets, sur
l'étendue et les bornes de leurs obligations , en vertu du serment
de fidélité qu'ils lui avaient prêté. Elle était fondée aussi sur le
droit humain, en tant qu'elle déclarait le prince déchu de ses
droits , en punition de sa persévérance opiniâtre dans l'hérésie
ou dans l'excommunication. On conçoit également pourquoi la
sentence du Pape ne faisait mention que du pouvoir divin de
lier et de délier; c'était en effet sur le droit divin qu'était
fondée la sentence, considérée dans son objet principal , direct
et immédiat; puisque la déposition ne s'opérait que par le
moyen de l'excommunication, dont elle était, en certains cas,
(1) Voyez la lettre de Grégoire Vil aux seigneurs allemands , que nous
avons citée plus haut, n. 191, pag. 538.
SDR LES SOUVERAINS. — CHAPITRE III. 633
une conséquence naturelle, d'après le droit public alors en
vigueur.
Une autre difficulté, qu'on a présentée avec beaucoup de 175.
confiance, dans les écrits périodiques déjà cités, se tire de l'op- "jXi.-
position prétendue entre l'esprit de l'Évangile et le prodigieux vrÂlndul°^n.
pouvoir que les maximes du moyen âge attribuaient à l'Église tre jeps,,rit
et au Pape, en matière temporelle. Une coutume et des maximes l'Évangiieet
L L f le pouvoir
contraires à l'esprit et aux maximes de l'Évangile ne peuvent iemPor«i
-, » . , du Pape, au
jamais avoir force de loi, ni par conséquent former un point de moyeu âge.
droit public. Or on a prétendu que la coutume et les maximes
du moyen âge, qui attribuaient au Pape et au concile un si grand
pouvoir sur les souverains, étaient contraires à l'esprit et aux
maximes de l'Évangile. «S'il y a un contraste extraordinaire,
«dit-on, n'est-ce pas celui de cette Église, qui, prêchant un
« Évangile de pauvreté et de simplicité, n'en étalait pas moins
« tout le faste de la richesse et de la puissance (t ) ? » Bien plus,
on a prétendu que la coutume et les maximes dont il s'agit,
étaient « incompatibles avec les devoirs et les obligations reli-
« gieuses imposées aux évêques,.... et surtout avec les carac-
« tères et les devoirs de la papauté;.... enfin, que l'alliance de
«l'autorité coactive et de l'autorité spirituelle répugnait à la
«nature du christianisme, et qu'elle était contraire à son
« esprit (2) . »
Réponse. Nous avons de la peine à comprendre que cette 2?6
difficulté ait pu être sérieusement opposée à notre sentiment, J^1^™^
du moins par des écrivains catholiques (3) ; et nous sommes . Pa* ,
4 * * ' incompatible ,
très-persuadé que ceux qui l'ont proposée avec tant de con- par
, . , . sa nature, avec
fiance, iront pas aperçu les conséquences évidemment insoute- ie spirituel,
nables, qui suivraient des principes sur lesquels repose cette
difficulté.
En effet, l'incompatibilité prétendue du pouvoir temporel
avec le spirituel, dans la personne des ministres sacrés, ne
(1) Journal des Débats , ubi suprà, p. 4, 2e col.
(2) Revue Ecclés. , ubi suprà, p. 228-230.
(3) Nous avons déjà fait remarquer que cette difficulté avait été proposée
par Calvin et par quelques autres hérétiques plus anciens, contre le pouvoir
temporel du clergé en général, et contre la souveraineté temporelle du saint-
siége en particulier. Voyez la première partie de cet ouvrage, chap. il, art 2,
p. 308, note 1. —Voyez aussi la seconde partie, n. 5, pag. 329, etc.
634 DEUXIÈME PARTIE. — POUVOIR DU PAPE
pourrait être fondée que sur la nature même du saint minis-
tère, ou sur une libre institution de Dieu; mais il ne faut qu'un
peu de réflexion, pour voir clairement la fausseté de ces deux
suppositions (1). Prétendre, en premier lieu, que le ministère
sacré est, par sa nature , incompatible avec le pouvoir tempo-
rel; c'est contredire ouvertement les livres saints, qui nous
montrent le pouvoir temporel réuni au spirituel , dans les plus
saints personnages de l'ancienne loi. Melchisédech, Abraham,
Isaac, Jacob, Moïse, et plusieurs autres saints personnages ,
étaient tout à la fois rois et pontifes, princes et prophètes.
Moïse, comme prêtre, offre à Dieu de l'encens et des victimes,
consacre l'autel et le tabernacle, et confère à son frère Aaron la
dignité sacerdotale (2); comme prince et gouverneur temporel,
il donne des lois au peuple de Dieu, administre la justice,
exerce le droit de vie et de mort , et tous les autres droits atta-
chés à la souveraineté temporelle (3 j. Le grand prêtre Héli joi-
gnit, pendant quarante ans, au caractère de pontife, celui de
juge d'Israël (4). Judas Machabée, Jonathas, Simon, et leurs
successeurs, jusqu'à Hérode, étaient tout à la fois pontifes et
chefs politiques du peuple juif (5). Bien plus, cette union de
l'autorité spirituelle et temporelle, dans la personne du grand
prêtre des Juifs, était constante et habituelle , d'après l'institu-
tion de Dieu lui-même. Il est certain, en effet, que le grand
prêtre avait un pouvoir très-étendu pour l'administration de la
justice, et que la plupart des procès étaient jugés, en dernier
ressort, à son tribunal (6). Il résulte évidemment de ces exem-
ples, que le pouvoir temporel n'est pas essentiellement, et par sa
nature , incompatible avec le caractère et la perfection des mi-
nistres sacrés.
cette7iLm. Dira-t-on que cette incompatibilité, quoiqu'elle ne soit pas
(1) Rellarmin, De Rom. Pontif. lib. v, cap. 9 et 10. — Recueil de Piè-
ces d'Hist. et de Litt. (par l'abbé Granet et le P. Desmolets ), 1. 1; Dissert,
sur la grandeur temp. de l'Église. — Carrière, Prœl. De Just. et Jure,
t. 1, n. 94, p. 132, etc.
(2) Exod. xl, Levit. vin.
(3) Exod. xviii et xxxi.
(4) I Reg. i et iv.
(5) I et II Machab. — Joseph, Hist. des Juifs, liv. xii, etc.
(6) Deutéron. xvn.
SUR LES SOUVERAINS. — CHAPITRE III. 035
fondée sur la nature des choses, a été établie dans la loi nou- MtibOM
vclle, par la libre volonté de son divin auteur? Celte seconde éfiSuf*
supposition n'est pas moins insoutenable que la première. Car, JJjJiï '°Lr
1° en quel endroit de l'Évangile a-t-on vu, que Jésus-Christ ait ****&&
interdit a J Église et h ses ministres, de posséder des richesses,
et (l'exercer un pouvoir temporel'' Sans doute il ne leur a pas
donné lui-même ces richesses et ce pouvoir: il a déclaré à ses
apôtres que son royaume n'était pas de ce monde; et il n'a
laissé à son Église d'autre juridiction que celle qui a pour but
de gouverner les hommes dans Tordre du salut éternel. Mais
où a-t-on vu qu'il ait défendu a ses ministres, d'acquérir ou de
possède/ des richesses et un pouvoir temporel , en vertu de titres
d'ailleurs légitimes par eux-mêmes , et reconnus pour tels dans
la société? Où a-t-on vu qu'il les ait rendus incapables d'accepter
les richesses et l'autorité qu'on pourrait leur offrir, et qui pour-
raient leur être conférées par la libre disposition des princes et
des peuples? De pareilles suppositions sont trop visiblement
gratuites, pour qu'un homme instruit puisse les soutenir sé-
rieusement.
"/' S il pouvait y avoir quelque doute à cet égard, il serait ?:8
naturel de Téelaircir par la croyance et la pratique constante pr»***—
de J'Kglise, depuis son origine. Or, la plus légère connaissanee de n^ii*",*»™*
1 histoire suffit pour savoir que l'Église a toujours cru ses mi- po'
nistres capables d'acquérir et de posséder des richesses et -une
juridiction temporelle. Qui ne sait, en effet, que, depuis la con-
version de Constantin, les richesses et la juridiction temporelle
de J J dise se sont accrues , de jour en jour, par la faveur et les
libéralités de ce grand prince, de ses plus illustres successeurs,
et de presque tous les princes chrétiens? Qui ne sait que les plus
saints pontifes, depuis Constantin, saint Léon entre autres,
saint Grégoire le Grand, saint Jean l'Aumônier, et une foule
d'autres, ont possédé, comme évoques , ou comme chefs de l'É-
glise, de très-grandes richesses, une juridiction temporelle très-
étendue, souvent même des seigneuries considérables, et de véri-
tables souverainetés temporelles, dont plusieurs existent encore?
Qui ne sait enfin que l'Église, bien loin de blâmer ces richesses,
cette juridiction, ces seigneuries et ces souverainetés tempo-
relles, les a souvent maintenues par ses décrets, contre les inva-
636 DEUXIÈME PARTIE. — POUVOIR DU PAPE
sions de la puissance temporelle, jusqu'à frapper d'anathème,
dans plusieurs conciles , la doctrine des hérétiques qui ont osé
attaquer, à cet égard , le droit des ministres sacrés, et les laïques
même constitués en dignité, qui dépouilleraient injustement
l'Église de ses biens^ de sa juridiction et de ses droits tempo-
rels (1)? En faut-il davantage pour établir, aux yeux d'un vrai
chrétien, et surtout aux yeux d'un catholique, la compatibilité
du ministère sacré avec les richesses, la juridiction et même la
souveraineté temporelle?
a79- 3° La raison seule suffit pour justifier, sur ce point, la croyance
e eCtPccttêqu et la pratique de l'Église. En effet, les adversaires que nous
croyance jus- comkattons ici , ne contestent pas les grands avantages que la
par îa raison. soc[^ a retirés du pouvoir temporel que la coutume et les
maximes du moyen âge attribuaient à l'Église et au souverain
pontife. On convient même généralement, que ce pouvoir a eu,
politiquement parlant, plus d'avantages que d'inconvénients (2).
« S'il n'est question, dit un de nos adversaires, de juger l'É-
« glise que comme une institution politique, et les papes que
« comme souverains , ou même que comme chefs d'une religion
« excellente, mais humaine; je reconnaîtrai de bon cœur que
« la grande puissance de l'Église et des papes , au moyen âge, a
«été, politiquement parlant, plutôt un bien qu'un mal. J'ai
« peine à croire, je le confesse, qu'un peu d'orgueil et d'arabi-
« tion n'ait pas poussé le zèle de ces fiers pontifes ; j'avoue ce-
« pendant que, parmi les princes qu'ils déposèrent, beaucoup
« l'avaient mérité par leurs crimes (3). Je sais que le clergé
« ayant les lumières, il était naturel qu'il eût le pouvoir. J'ad-
« mire cet ascendant de la foi, qui soumettait à un faible prêtre
« les rois et les peuples. La monarchie des papes est le miracle
« de la puissance morale. »I1 est difficile de comprendre comment,
après de pareils aveux, on a pu représenter le pouvoir temporel
(1) Concilium Constantiense, anno 1415, sess. 8. (Labbe, Concil. t. xn,
p. 46.) — Concilium Trid., sess. 22 ; cap. 1 1 de Reform. Voyez aussi les au-
teurs cités plus haut, p. 634, note 1.
(2) Revue Ecclés., ubi supra, p. 228. — Journal des Débats, ubi supra,
p. 4, 2e col. — Le Semeur, ubi suprà, p. 284, lre col.
(3) L'auteur de ces réflexions semble croire qu'il y a eu beaucoup de
princes déposés par les papes. Nous verrons un peu plus bas ce qu'il faut
penser de cette supposition. (Ci-après, chap. 4, art. 1, § 2.)
SUR LES SOUVERAINS. — CHAPITRE III. 637
de l'Église et du Pape, au moyen âge, comme contraire à l'es-
prit de l'Évangile. Qu'y a-t-il, en effet, de plus conforme à cet
esprit , que l'exercice d'un pouvoir si utile au bien de la société ,
dans les circonstances où elle se trouvait? Ce pouvoir sans doute
a pu avoir des inconvénients, comme toutes les institutions hu-
maines (l); mais s'il a eu , comme on le reconnaît , plus d'avan-
tages que d'inconvénients, il a donc été véritablement utile ;
l'Église et le Pape ont donc rendu un véritable service à la so-
ciété, en l'exerçant; et bien loin qu'on puisse les blâmer de
l'avoir accepté, le zèle qu'ils devaient avoir pour le bien de la
société demandait qu'ils l'acceptassent.
Quoique ces réflexions soient bien suffisantes pour détruire la *8°-
.,.,.„ , , , Conséquences
ditnculte quon nous oppose, nous remarquerons encore, que intimis-
tes principes sur lesquels repose cette difficulté , conduisent né- s' esnion °F
cessairement à des conséquences qu'un vrai catholique ne sau- contra,re-
rait admettre. Il résulterait en effet de ces principes, non-seule-
ment que le saint-siége n'a pu légitimement exercer le pouvoir
extraordinaire que les maximes du moyen âge lui attribuaient
sur les princes catholiques, mais encore qu'il n'a pu légitime-
ment acquérir la souveraineté temporelle dont nous le voyons
investi depuis le vme siècle ; bien plus, que les richesses et le
pouvoir temporel dont le clergé a joui dans tous les États catho-
liques, depuis la conversion de Constantin, sont contraires à
l'esprit et aux maximes de l'Évangile. Nous ne croyons pas
qu'on puisse admettre ces conséquences, sans renouveler la
doctrine de Wiclef, solennellement condamnée par le concile
de Constance, en 1415 (2).
(1) On verra, dans le chapitre suivant, que les inconvénients du pouvoir
dont nous parlons , ont été visiblement exagérés par une foule d'auteurs
modernes.
(2) Parmi les erreurs de Wiclef, condamnées dans la huitième session du
concile de Constance , on remarque les propositions suivantes :
10. Contra Scripturam sacram est, quod viri ecclesiastici habeant
possessiones.
32. Ditare clerum, est contra regulam Christi.
33. Silvester papa, et Constantinus imper ator errârunt, Ecclesiam
dotando.
36. Papa, cum omnibus clericis suis possessionem habentibus, sunt
hœretici, eo qabd possessiones habent ; et consentientes eis , omnes vi-
delicet domini sœculares, et cœieri laïci.
39. Jmperator et domini sœculares sunt seducti à diabolo, ut Eccle>
de Bossuet.
638 DEUXIÈME PÀKT1E. — POUVOIR DU PAPE
§ 4. Confirmation de notre sentiment, par de graves auto-
rités, et par la constitution de plusieurs États modernes.
«•*
?.8i. Après avoir établi notre sentiment par le témoignage de l'his-
^vequabîè"ar" toire , il ne sera pas inutile de le confirmer par quelques auto-
rités remarquables, et par la constitution même de plusieurs
États modernes.
I. Parmi les auteurs favorables à notre sentiment, nous
croyons pouvoir citer avec confiance le grand évêque de Meaux.
Il est certain en effet que , sans adopter notre explication dans
toute son étendue, Bossuet la favorise manifestement, en plu-
sieurs endroits de sa Défense de la Déclaration de 1682, c'est-à-
dire, dans celui même de ses ouvrages, où il s'élève plus forte-
ment contre la conduite de Grégoire VII , et des autres pontifes
qui se sont attribué le pouvoir de déposer les souverains. Déjà
nous avons eu occasion de voir combien il se montre favo-
rable au pouvoir directifàe l'Église et du Pape, en cette ma-
tière (l). Mais il va beaucoup plus loin dans quelques endroits
du même ouvrage, où il ne fait pas difficulté de reconnaître le
consentement que les princes ont donné autrefois aux décrets des
conciles , qui déclarent les hérétiques déchus de leurs dignités
et de tous leurs droits temporels (2). Il reconnaît également les
droits de suzeraineté que le saint-siége a possédés autrefois sur
plusieurs États de l'Europe ; et il n'est pas éloigné de penser que
le Pape avait, sur l'empire d'Allemagne, un droit égal, ou même
supérieur à celui-là. « Nous savons assez, dit-il (3), que les sou-
siam dotarent bonis temporalibus. Labbe, Concil. tom. xn,p. 46, etc.
— Fleury, Hist. Ecclés.\ tom. xxi, liv. 103, n. 28.
(1) Voyez ci-dessus, n. 172, pag. 514, etc.
(2) Ci-dessus, chap. 2, n. 118, pag. 465, etc.
(3) « Nos enim satis scimus, Romanis pontificibus et sacerdotali ordini,
« regum concessione , ac légitima possessione , bona quœsita, jura , im-
« perla ita haberi ac possideri , uti quœ inter hommes optimojure ha-
« bentur ac possidentur Ac si contendant Romanis pontificibus ,
« quale in utrâque Siciliâ aut in Sardiniâ, aliisque forte regnis, taie
« sibi , aut majus etiam , aut aliquatenus simile, usu, consuetudine,
« possessione légitima, inlmperio Romano-Germanico ordinando, quœ-
« situm esse jus ; illud Germani et quorum interest omnes, et juris civilis
« interprètes quœrant, et décidant utcumque libuerit : nihil hoec ad nos per-
ce tinent, neque ullam, eâ de re, qusestionem movet clerus Gallicanus; id
« enim tantùm déclarât, reges et principes in temporalibus nulli eccle-
SUR LES SOUVERAINS. — CHAPITRE III. 639
« verains pontifes et tout l'ordre ecclésiastique tiennent de la
« concession des princes, et d'une longue possession, des biens,
« des droits et des souverainetés aussi légitimement acquis que
« les propriétés les plus inviolables parmi les hommes.... Bien
« plus , si l'on soutient que les souverains pontifes ont acquis
« sur l'Empire Romain-germanique, par l'usage, la coutume,
« ou une possession légitime , un droit égal , ou même supé-
« rieur, ou semblable en quelque manière à celui qu'ils avaient
« acquis sur les Deux-Siciles , la Sardaigne, et peut-être encore
« sur d'autres royaumes; nous laissons l'examen et la décision
« de ce point aux Allemands et à tous ceux qu'il intéresse, et
« aux interprètes du droit civil. Quant à nous, cette question
« nous est tout à fait étrangère, et le clergé de France ne la tou-
« che aucunement : car il se borne à déclarer que les rois et
« les princes ne sont soumis à aucune puissance ecclésiastique
« dans l'ordre temporel, par l'ordre de Dieu ; qu'ils ne peu-
« vent être déposés ni directement ni indirectement en vertu
« du pouvoir des clefs de l'Église; enfin, que leurs sujets ne
« peuvent être déliés, en vertu de ce pouvoir , de la foi, de
«l'obéissance, et du serment de fidélité qui les attachent
« à leur prince. »
Dans la suite du même ouvrage, Bossuet explique, d'après
les mêmes principes, les droits que le saint-siége s'attribuait sur
l'empire d'Allemagne, sur l'Angleterre, et sur plusieurs autres
États. Voici comment il s'exprime, sur ce sujet, à l'occasion
des démêlés de Philippe le Bel avec Boniface VIII (1) : « Tandis
« que l'Allemagne, l'Angleterre et d'autres pays s'étaient soumis
« au Pape pour le temporel, les Français croyaient que la di-
« siasticœ potes tati , Dei ordinatione , subjici, neque auctoritate cla*
« vium Ecclesiœ directèvel indirecte deponi, aut illorum subditos àfide
« atque obedientiâ, ac prœstito Jidelitatis sacramento solvi posse. « Def.
Decl., lib. i, sect. J, cap. 16, p. 272, 273.
(1) « Hue accedit quod , cùm Germani, Angli aliique, in temporalibus
« colla subdidissent , Franci existimabant super alia régna hujusce regni
« dignitatem ac libertatem, à regibus ac majoribus suis, fuisse def'ensam:
« quippe qui, christianissimi pariterque fortissimi, in spiritualibus quidem
« Romano pontifici maxime omnium paruerant , in temporalibus verô mi-
« nimè omnium huic potestati se obnoxios fecerant. » {Def. Declar., part.
1, lib. ni, cap. 24, p. 682. ) Voyez, dans le même ouvrage, le neuvième
chapitre du livre iv. On a vu plus haut (n. 256, pag. 613) les raisons qui
ont tait dire à Bossuet que la France avait conservé son indépendance.
640 DEUXIEME PARTIE, — POUVOIR DU PAPE
« gnité et la liberté du royaume de France avaient été mainte-
« nues par nos rois , au-dessus de celles des autres royaumes.
«Également chrétiens et puissants, les rois de France étaient
« plus soumis que personne au souverain pontife dans les choses
« spirituelles; mais à l'égard du temporel, ils ne s'étaient aucu-
« nemeut soumis à son autorité. »
On doit conclure de ces divers passages , que Bossuet n'est
correctifs né- pas , dans le fond, si éloigné qu'on pourrait le croire, du senti-
ceSà iâe ment qui explique, par le droit public du moyen âge, la con-
DpêSaïatioZ duite des souverains pontifes qui ont autrefois déposé des prin-
daSveux"s ces temporels. Il ne s'agit pas ici d'examiner comment Bossuet
a pu concilier, avec des opinions si modérées , la sévérité avec
laquelle il blâme, dans le cours du même ouvrage, la conduite
des souverains pontifes dont nous parlons (ï). 11 sufût à notre
but, d'avoir montré combien l'évêque de Meaux , malgré son
opposition si connue aux principes ultramontains, se montre fa-
vorable aux explications les plus propres à justifier, pour le fond,
la conduite de ces pontifes. Nous ferons remarquer seulement
que la sévérité avec laquelle il s'exprime, sur ce sujet, en plu-
sieurs endroits du môme ouvrage, tient vraisemblablement aux
circonstances fâcheuses dans lesquelles cet ouvrage fut composé,
et qui durent naturellement communiquer à son style, du
moins dans le premier travail de la rédaction, une certaine
empreinte d'amertume et de vivacité. Bossuet lui-même paraît
l'avoir senti ; on sait en effet que , pendant les dernières années
de sa vie, il s'appliqua avec ardeur, et à diverses reprises, à
revoir cet ouvrage , dans le dessein d'en adoucir la forme , et
d'en faire disparaître tout ce qui pouvait blesser les égards et
les ménagements dus au saint-siége. Il est également certain
que, malgré les corrections et les adoucissements qu'il avait cru
devoir faire à son premier travail, il ne jugea pas à propos de
le publier; il désirait même qu'il ne vît pas le jour, dans la
crainte que cette publication ne réveillât de fâcheuses contesta-
tions, et ne lui attirât à lui-même les anathèmes du saint-
siége (2).
(1) Bossuet, Defens. Declar., lib. ï, sect. 1, cap. 7 ; lib. m, cap. 2, 9, 10,
et alibi passim.
(2) Hist. de Bossuet, t. n, liv. vi; Pièces justifie, n. 1, pages 393, 394,
SUR LES SOUVERAINS. — CHAPITRE III. 641
Mais quelque favorable que soit l'évoque de Meaux, au senti- Senli^nt de
ment qui explique et justifie par le droit public du moyen âge «'ancienne
la conduite des papes et des conciles de cette époque à l'égard ' vain.
des souverains, il est certain que ce sentiment a été adopté
beaucoup plus ouvertement pendant le dernier siècle, et de
nos jours encore, par de savants auteurs. Déjà nous avons cité,
à l'appui de cette explication, l'autorité de Fénelon et celle du
comte de Maistre (1). Nous pouvons ajouter à ces graves auto-
rités, celle de l'ancienne Faculté de théologie de Louvain, dont
le sentiment , sur la question présente, nous est connu parle
témoignage de M. Van-Gils, un de ses membres les plus dis-
tingués. Dans sa Lettre sur les sentiments de l'ancienne Faculté
de théologie de Louvain, par rapport à la Déclaration gal-
licane de 1682 (2) , M. Van-Gils atteste que le sentiment de Fé-
neion sur le droit public du mot/en âge, relativement à
la déposition des souverains , était généralement adopté par
les docteurs de la Faculté de Louvain, à l'époque de sa
destruction, en 1788. « Je déclare, dit-il, que de mon temps
« (et j'ai passé une bonne partie de ma vie à Louvain), je n'ai
« jamais entendu traiter, dans les actes publics, soit des leçons,
« soit des disputes en théologie , l'objet de la première proposi-
« tion de la Déclaration de 1 682. On ne le regardait pas comme
« un objet de la science proprement théologique, mais plutôt
« comme faisant partie du droit public; et en conversation,
« quand on parlait en particulier , on souleuait ordinairement
«l'opinion deF'énelon, connue seulement ici depuis l'édition
« complète de ses OEuvres (3). Cette opinion dit, que, depuis la
« conversion universelle de toute l'Europe dans l'union catho-
dique..., les constitutions ou les lois constitutives de tous ces
418, 419, etc. — Nouveaux Opuscules de Fleury, 2e édition, p. 295, etc.
Note de V éditeur.
(1) ci-dessus, n. 8, etc., p. 333, etc.
(2) Cette lettre, adressée en 1826 par M. Van-Gils, alors président du sé-
minaire de Bois-le-Duc, à un ecclésiastique de Paris, a été imprimée à Lou-
vain, en 1835 (14 pages in-8°), sur une copie communiquée a l'éditeur
par M. Van-Gils lui-même; celui-ci était mort, l'année précédente, au sémi-
naire de BoL-le-Duc On trouve une courte notice sur cet estimable ecclé-
siastique , dans Y Ami de la Religion, t. lxxx, p. 489.
(3) L'auteur parle ici de la Dissertation sur l'Autorité du souverain
Pontife, publiée pour la première fois en 1820, dans le tom. u des Œuvres
de Fénelom
41
642 DEUXIÈME PARTIE. — POUVOIR DU PAPE
«peuples, si profondément attachés à la religion catholique,
« étaient, pour ainsi dire, enracinées dans la loi catholique et
« dans ses lois, comme le seul fondement de la fidélité du sou-
« verain et des sujets ; que, constitutionnellement, le souverain
« ou le pouvoir législatif, et les lois mêmes, devaient être ca-
« tholiques ; en sorte que le législateur, en cessant d'être catho-
« lique, et membre reconnu de l'Église catholique , cessait d'être
« souverain légitime, et les lois contraires aux lois catholiques
« cessaient d'être lois. Et à qui le droit de déclarer la catholicité
« de tel souverain et de telles lois , sinon au chef suprême de
« l'Église? Même il en parait suivre, que tout citoyen ou sujet ,
« en cessant d'être catholique, cessait d'être citoyen, et se con-
« stituait jélon ou rebelle à la loi fondamentale , et se soumettait
« aux peines de félonie (l).... Il est vrai peut-être que ces lois ne
« se trouvaient pas écrites dans les Codes nationaux (quin'exis-
« taient pas même en bien des pays ) (2) ; mais elles n'en étaient
«pas moins gravées, comme beaucoup d'autres, dans tous les
« cœurs, tant des souverains eux-mêmes que de leurs sujets (3). »
(1) Cette conjecture de l'auteur est très-conforme à la vérité. Il est cer-
tain que, d'après la jurisprudence de tous les États catholiques au moyen
âge, les hérétiques notoires étaient privés des droits civils. On a vu plus
haut, que cette jurisprudence était alors commune à tons les États catholi-
ques de l'Europe , et qu elle avait même sa source dans le Droit romain.
(Ci-dessus, Introd. h. 67, pag. 91, etc. )
(2) On a vu plus haut que ces lois se trouvaient écrites dans les Codes
nationaux de l'Espagne, de l' Angleterre et de l'Empire germanique. (Ci-
dessus, § 2, pag. 605. )
(3) Lettre de M. Van-Gils, pag. 6 et 7. Le sentiment que l'auteur attri-
bue ici aux docteurs de Louvain semble, au premier abord , bien différent
de celui qu'on trouve exprimé dans une Réponse de la Faculté de théolo-
gie de cette ville, aux demandes que M. Pitt lui avait adressées, en 1788, sur
l'indépendance de la couronne d'Angleterre à l'égard du saint-siége. (On peut
voir cette Réponse dans les Mémoires sur les catholiques anglais , par But-
ler; Londres, 1816, in-lol. Elle a été reproduite parmi les Pièces justifica-
tives des ouvrages suivants : Lettre de monseigneur l'évêque de Chartres
à un de ses diocésains. Paris, 1826 , in-8°. — Antidote contre les Aphoris-
mes de M. de Lamennais, par M. Boyer ; Paris, 1826, in-8°. — Affre, Es-
sai hist. sur la suprém. temp. du Pape; Amiens, 1829, in-8°. ) Mais on
doit remarquer d'abord, que cette Réponse n'est pas de l'ancienne et vérita-
ble Faculté de Louvain; elle est de quelques professeurs du séminaire gé-
néral , qui fut alors établi dans cette ville par Joseph II, et qui s'attribua,
contre toute espèce de droit, le titre et les prérogatives de l'ancienne Fa-
culté. En effet, cette Réponse est datée du 18 novembre 1788 : or, il est
certain qu'à cette époque, la véritable Faculté de Louvain ne„pouvait ré-
pondre aux questions de M. Pitt, la plupart de ses membres ayant été
ce tle
explication.
SUR LES SOUVERAINS. — CHAPITRE III. 643
Plusieurs écrivains catholiques ont ouvertement adopté ou 284.
favorisé ce sentiment, dans ces derniers temps; nous croyons généïakTi
môme pouvoir avancer avec confiance, qu'il existe aujourd'hui, àTiXa»»
parmi les hommes instruits, une disposition générale à embras-
ser cette explication , et à réhabiliter ainsi la mémoire des papes
et des conciles du moyen âge, trop longtemps attaqués, sur ce
point, par de si odieuses déclamations. Il suffirait peut-être, pour
établir ce que nous avançons, de rappeler ici les détails que
nous avons donnés, dans la Préface de cet ouvrage, sur
l'accueil favorable que sa première édition a obtenu en France
et hors de France. Mais pour mettre notre assertion dans un
plus grand jour, nous rassemblerons ici quelques témoignages,
choisis parmi un grand nombre d'autres, que les bornes de
cet ouvrage ne nous permettent pas de rapporter , et qu'il nous
suffira d'indiquer en note.
Un des plus remarquables, sans contredit, est celui du sa-
vant professeur de Munich, Mœhler, si connu par ses ouvrages
de controverse. « Il est vrai , dit-il, que l'autorité des papes ne
« comprend que les choses spirituelles. Si, dans le moyen âge,
« ils dépassèrent cette limite, la raison en est dans toute cette
«époque. Outre leurs droits essentiels, ils acquirent encore ,
« par la force des circonstances, des droits accessoires, et sujets
« à beaucoup de modifications; en sorte que cette partie de leur
« autorité semble varier avec les temps (1). » C'est d'après ce prin-
cipe, que la conduite des papes et des conciles du moyen âge
envers les souverains, est expliquée dans la nouvelle Histoire
de V Église, publiée par M. l'abbé Receveur, professeur dethéo-
baunis ou disperses l'année précédente, en punition de leur attachement à
la doctrine catholique, et de leur opposition aux nouveautés de Joseph II.
(Voyez la Lettre de M. Van-Gils , p. 5. — Mémoires pour servir à VHist.
Ecclés. du xvuie siècle, tom. ni, pag. 125, 161, etc. — Synopsis Monu-
merttorum Ecclesiœ Mechiin. loin, in, pag. 1099.) D'ailleurs la Réponse
adressée à M. Pitt est signée De Manière, doyen; or, il est certain que cet ec-
clésiastique n'était pas doy^n de l'ancienne et véritable Faculté de Louvain,
mais un des membres de la nouvelle Faculté établie par Joseph II, et dont
l'enseignement fut signalé , en 1788 , comme dangereux et inexact , par le
cardinal de Frankenberg , archevêque de Matines. Au reste, si l'on examine
attentivement la Réponse dont nous parlons, on verra qu'elle ne considère
point la question de l'indépendance de la couronne d'Angleterre, d'après le
droit pubtic du moyen âge , mais d'après le droit divin, et d'après le droit
public du xvme siècle.
(1) Mœhler, La Symbolique, tom. n, liv. i, chap. 5, § 43, pag. 86.
4i.
644 DEUXIÈME PARTIE. — POUVOIR DU PAPE
iogie morale, en Sorbonne, et dans nn grand nombre d'autres
ouvrages plus ou moins célèbres, parles talents et la réputation
de leurs auteurs (l).
285. Mais ce que uons devons surtout remarquer, c'est que plu-
JfejSA sieurs écrivains protestants, malgré les fâcheux préjugés dont ils
,ion' sont imbus contre le saint-siége et contre l'Église catholique , ne
même parmi ^ J
»« font pas difficulté d'expliquer, d'après le même principe, le
protestants : . .. -i i
témoignages pouvoir extraordinaire que les papes et les conciles du moyen
etd'Eichoni. âge se sont attribué, à l'égard des souverains. Tel parait être
le sentiment de Leibniz, en divers endroits de ses ouvrages
que nous avons déjà cités (2). Un écrivain récent, également at-
taché à la religion protestante, et justement célèbre par ses
recherches sur l'histoire de l'empire et du droit germanique,
s'exprime, à ce sujet, d'une manière encore plus formelle et
plus favorable au saint-siége. Frédéric Eichorn, fils du célèbre
commentateur de la Bible, et professeur d'histoire à l'Université
deGottingue, a publié, en 1821, la troisième édition de son His-
toire de l'Empire et du Droit germanique , où il résume, en ces
termes, le système du droit public de l' Europe , au moyen âge:
« La chrétienté, qui, d'après la destination divine de l'Église, em-
« brasse tous les peuples de la terre, forme un tout, dont le bien-
« être est confié à la garde du pouvoir que Dieu lui-même a
« commis à certaines personnes. Le pouvoir est de deux sortes,
« spirituel et temporel. L'un et Vautre est confié au Pape, en
(1) Receveur, Hist. de l'Égl., tom. v, pag. 127, 141, 161, 198, 203,409,
591, etc. Nous avons remarque ailleurs (ci-dessus, pag. 344, note 1) que
M. Henrion, dans la nouvelle édition de VHist. de l Église de Berault-Bercas-
tel, adopte au fond cette explication , mais sans exclure absolument le sys-
tème théologique du droit divin, qu'il favorise assez ouvertement eu plusieurs
endroits de cet ouvrage. L'explication adoptée par M. Receveur l'avait été
longtemps auparavant par Feller, Diction. Historique, art. Grégoire VII
et IX, Martin IV, Frédéric Ie1 et II, etc. — Catéchisme Philos., n. 510,
avant-dernière note.— Milner, Excellence de la Rel. calhol., tom. n, pag. 580.
— Mœhler, Manuel d'hist. du moyen âge, chap. 8, § 2, pag. 418. Voyez le
compte rendu de ce dernier ouvrage dans Y Ami de la Religion, tom. xcvii,
pag. 2S9. Remarquez en particulier la pige 292, où le rédacteur indique
plusieurs correctifs nécessaires au passage que nous venons de citer. — De
Montalembert, Hist. de sainte Elisabeth, Introduction, pag. 21, 2G, etc.
— De Falloux, Hist. de S. Pie V, Préface, pag. 8, etc. — De Chateau-
briand, Études historiques, préface, pag. 1 17. — Artaud de Montor, Consid.
Histor., p. 75, 227, etc. — Journal des .Savants, ann. 1841, p. 469, etc.
(2) Voyez ci-dessus, chap. 2, n. 124, pag. 470, etc.
SUR LES SOUVERAINS. — CHAPITRE III. 645
« sa qualité de vicaire de Jésus-Christ et de chef visible de la
«chrétienté (l); c'est de lui, et par conséquent dans sa dé-
« pendance et sous sa surveillance, que l'empereur, en qualité
« de chef visible de la chrétienté, pour les affaires du siècle, et
« que tous les princes en général , tiennent le pouvoir tempo-
« rel (2). Les deux pouvoirs doivent se prêter un mutuel ap-
«< pui (3). Tout pouvoir vient donc de Dieu , vu que l'État est
« d'institution divine ; mais le pouvoir spirituel n'appartient
«qu'au Pape, qui en communique une partie aux évêques,
«comme à ses aides (adjutores), pour l'exercer sous lui
« V Église et l'État ne forment qu'une seule société chré-
«tienne, quoique extérieurement ils paraissent être deux so-
« ciétés séparées, et puissent, en cette qualité, régler leurs rap-
« ports réciproques, par des contrats. Pour l'exercice du pouvoir
« tant spirituel que temporel , il est nécessaire qu'il soit en partie
« confié (inféodé ) à d'autres, dont la soumission envers celui
« dont ils tiennent leurs droits, est exprimée par la promesse
« expresse d'une fidélité particulière (4). » A l'appui de cet ex-
posé, l'auteur cite plusieurs passages de l'ancien Droit Germa-
nique que nous venons d'indiquer en note, et que nous avons
rapportés ailleurs plus au long (5).
(1) A l'appui de cette assertion, Eichorn cite en note les passages du
Droit de Saxe et du Droit de Souabe que nous avons rapportés ci-dessus
(n. 267, etc.) Il ajoute que le droit public du temps était ainsi entendu,
non-seulement par la cour pontificale, mais encore par l'opinion universelle ;
et que le sentiment de la cour pontiticale, sur ce point, est développé par
Gervais de Tilbury , seigneur de la cour d'Othon IV, dans les Prolégomènes
de son ouvrage intitulé : Otia Imperialia. Nous avons exposé ailleurs le
sentiment de ce dernier auteur ( ci-dessus , chap. n, n. 145).
(2) Ici Eichorn observe en note, que « le pouvoir des princes est une
« émanation de celui de l'empereur. » Cette opinion de plusieurs juriscon-
sultes allemands est loin d'être incontestable.
(3) A l'appui de cette assertion , Eichorn cite en note les dispositions
du Droit de Souabe sur les effets temporels de l'excommunication que
nous avons rapportées ailleurs. (Ci-dessus, chap. 1, n. 78. )
(4) Eichorn , Hist. de V Empire et du Droit Germanique , 3e édition,
tom. n, p. 376. Ce passage remarquable a été cité textuellement par M. Wi-
seman, dans le n. 2 des Annales des Sciences Religieuses, que nous avons
cité plus haut (chap. 1, p. 350, note 1 ). On en trouve aussi le résumé dans
le Manuel d'Hist. du moyen âge, par Mœhler, pag. 418.
(5) Depuis la première édition de notre ouvrage, nous avons appris que
M. Eichorn avait publié , en 1835, une quatrième édition de son Histoire,
dans laquelle il modifie beaucoup le passage que nous venons de citer,
646 DEUXIÈME PARTIE. — POUVOIR DU PAPE
Nous n'oserions assurer que ce système du droit public , tel
que l'expose le savant auteur, dans le passage que nous venons
de citer, ait été aussi généralement admis qu'il le suppose, soit
au temps de Grégoire VIT, soit à une époque plus récente. Il est
certain que, sous Grégoire VII, le roi d'Angleterre ne recon-
naissait pas encore, comme il fit depuis (sous Henri II et ses
successeurs), la suzeraineté du saint-siége (l). Il paraît égale-
ment certain que cette suzeraineté, dans le temps même où elle
était reconnue par un grand nombre de souverains de l'Europe,
n'était pas reconnue par le roi de France , et que la dépendance
de l'empire à l'égard du Pape n'était pas proprement une dé-
pendance féodale (2).
a86- a Mais, quoi qu'il en soit des exceptions auxquelles ce droit pu-
Importance de L A ,
ces aveux, blic a pu être sujet, il faut convenir que le langage des écri-
vains protestants que nous venons de citer, est une des plus
fortes leçons qu'on puisse donner à un grand nombre d'écri-
vains catholiques, qui ne traitent presque jamais les questions
délicates dont nous parlons, sans y mêler les traits les plus inju-
rieux au saint-siége et à l'Église elle-même. C'est la remarque du
judicieux éditeur des Pensées de Leibniz, dans une note sur
les passages de cet auteur que nous avons cités plus haut. « Le
«fondement, dit-il, que Leibniz assigne à l'autorité que les
« papes ont préteudue sur le temporel des rois, est plus impo-
et ne se prononce pas, à beaucoup près, aussi fortement, en faveur du droit
public dont il est ici question. Le ton d'hésitation et même d'embarras, avec
lequel il s'exprime là-dessus dans sa quatrième édition , nous a fait balancer
d'abord à conserver la citation de la troisième ; toutefois , en examinant la
chose de plus près , nous avons cru devoir conserver ceite citation, parce
qu'elle n'exprime pas seulement l'opinion que M. Eichorn a longtemps
suivie, mais encore le sentiment de plusieurs savants, même protestants,
qui ont accueilli avec les plus grands éloges la troisième édition de son His-
toire. Nous sommes persuadé d'ailleurs, que les lecteurs instruits , qui exa-
mineront de près les passages du Droit de Saxe et du Droit de Sonabe ci-
tés par M. Eichorn , à l'appui du texte de sa troisième édition, trouveront,
dans ce dernier texte, la véritable et iidèle exposition de l'ancien Droit Ger-
manique.
(1) Baronii Annales, anno 1079, n. 25. — - Lingard, Hist. d'Angleterre,
tom. ii, pag. 120.
(2) Voyez plus haut, chap. 2, n. 142 ; chap. 3, n. 256. Peut-être l'auteur,
en admettant le principe général, le croit il sujet à quelques exceptions.
C'est ainsi du moins que l'entend M. Wiseman (ubi suprà); car il re-
marque qu'au temps de Grégoire VII, le roi d'Angleterre ne reconnaissait
pas la suzeraineté du saint-siége.
SUR LES SOUVERAINS. — CHAPITRE III. 647
« sant et plus coloré que celui que les ultramontains lui don-
« nent. Le respect avec lequel ce grand homme, tout protestant
« qu'il était, a toujours parlé des évoques de Home, et le soin
« qu'il a pris de les disculper, sont une leçon à quelques catho-
« liques, qui s'appliquent au contraire à charger ce qu'il y a eu
« d'odieux dans la conduite ou les entreprises des papes , et qui
« oublient, en s'expliquant sur cette matière, toutes les règles
« de cette décence et de cette modération dont on ne doit ja-
» mais s'écarter, môme lorsqu'on défend la vérité la plus im-
« portante (t). »
II. Nous étonnerons sans doute bien des lecteurs, en ajoutant 2s7.
que notre sentiment sur le droit public du moyen âge, relati- Led™Tnm.t/c
vement à la déposition des souverains , est confirmé par la Parlo^umaiu-
constitution même de plusieurs États modernes. Toutefois, il Par la cons,i-
est certain que , depuis la fln du xve siècle , époque à laquelle d« pleurs
on place communément la fin du moyen âge (2), on trouve modernes.
dans la constitution , ou la loi jondamen taie des principaux
États de l'Europe , et même de plusieurs États protestants, des
vestiges manifestes de l'ancien droit public dont nous parlons.
Les détails que nous allons présenter sur cette matière, en même
temps qu'ils serviront à confirmer notre sentiment, feront
connaître quelle a été la durée de cet ancien droit , et l'épo-
que de sa décadence.
Pour parler dabord des États catholiques , il est certain qu'au 288.
xvie siècle, l'empereur d'Allemagne était encore é\nsous la con- Preuve^ <Je ce
dition expresse, de défendre la république chrétienne et le sou- relativement
verain pontife 3 et d'être son protecteur. Tel est le premier d'Allemagne
article delà Capitulation impériale , signée par Charles-Quint,
à l'époque de son élection, en 1519 (3), et dont l'abbé Lenglet-
Dufresnoy expose en ces termes le but et l'occasion : « La juste
« appréhension, dit-il (4), qu'eurent les électeurs de se voir as-
(1) Pensées de Leibniz sur la Religion et la Morale ( recueillies par
M. Émery, supérieur général de la compagnie de Saint-Sulpice ). Paris, 1803,
2 vol. in-8° , t. ii, p. 400.
(2) Voyez à ce sujet la Préface de cet ouvrage, p. j, note. 1 .
(3) Le texte de cette Capitulation se trouve dans le Corps Diplom.
universel de Jean Dumont, t. iv, lre partie, p. 298, etc.
(4) Méthode pour étudier V Histoire, par Lenglet-Duiresnoy, 4e partie,
chap. 5, art. 1 ( t. vi de l'édition in-12, p. 333). Voyez aussi le Dictionnaire
de Moreri, article Capitulation. —Annales Raynaldi, anno 1519, n. 27.
648 DEUXIÈME PARTIE. — POUVOIR DU PAPE
<' servis avec les autres princes et États de l'empire , après avoir
« une fois remis à un seigneur puissant les rênes de l'empire,
« leur fit penser à donner des bornes à l'autorité de celui qu'ils
« choisiraient pour être leur chef, lis renouvelèrent donc l'an-
« cien usage des Capitulations , qu'on fait descendre de la fa-
« meuse convention de Coblentz, de l'an 860, par laquelle Louis
« le Germanique promit de ne rien décerner, dans les matières
« importantes qui regardaient ses États ecclésiastiques et sécu-
« liers, sans leur conseil et leur consentement. Ils dressèrent
« donc ces conventions si connues sous le nom de Capitulations
« impériales. C'est, comme l'a fort exactement marqué l'ingé-
« nieux et solide auteur des Lettres Suisses (I), c'est un traité
«composé de plusieurs articles, une espèce de contrat que les
« électeurs font avec celui qu'ils veulent mettre sur le trône
« impérial. // s'oblige par serment à l'observation de tous les
«articles de ce contrat. Par leur inobservation, il délie ses
« sujets du serment réciproque : il perd tous les droits qu'il a
« sur l'empire, puisque l'empire ne lui a été confié, qu'à condi-
« tion qu'il observera ces articles (2).... C'est particulièrement
«à l'élection de Charles-Quint, que le renouvellement de ces
« Capitulations s'est établi sous la forme d'un contrat écrit.
« Ce prince était déjà très-redoutable par la couronne d'Espa-
« gne qu'il avait sur la tète. C'est ce qui fit que Frédéric, élec-
« teur de Saxe, ayant refusé l'empire, ne proposa Charles-Quint,
« qu'à condition qu'on bornerait son pouvoir par une Capitu-
« lation qui pût mettre en sûreté la liberté de la nation; et ce
« louable usage s'est heureusement perpétué à l'élection de cha-
« que empereur. Voici quelles sont à peu près les conditions du
« contrat : 1° de défendre la république chrétienne et le sou-
« verain pontife, et d'être son protecteur; 2° de rendre la jus-
« tice et de donner la paix, etc., etc. »
(1) Il s'agit ici des lettres anonymes publiées, en 1703 et 1704, par Jean
de la Chapelle, sous ce titre : Lettres, Mémoires et Actes concernant la
guerre présente (la guerre de la succession d'Espagne); Bâle, 1703 et
1704, huit vol. in-12. Le passage cité par Lenglet-Dufresnoy, et que nous
avons souligné, est tiré de la seizième lettre , t. m, p. 146, etc. Voyez aussi
la treizième lettre, ibid., p. 34.
(2) La suite de ce passage des Lettres Suisses, dont nous indiquons la
suppression par des points , a été citée plus haut, chap. 1, art. 1, n. 25.
SUR LES SOUVERAINS. — CHAPITRE III. 649
Au milieu des terribles agitations causées en Angleterre par le _ a89-
° cm. Royaume
schisme d'Henri VIII, au xvie siècle, les catholiques anglais d'Angleterre,
iuvoquaient avec confiance, contre la reine Elisabeth, Y an-
cienne jurisprudence des États catholiques de l'Europe, et
spécialement celle de l'Angleterre, qui excluait du trône les
princes hérétiques. Ce motif est présenté avec beaucoup de force,
dans plusieurs ouvrages, publiés à cette époque par des catho-
liques anglais, et dont la publication produisit une grande sen-
sation, en Angleterre etsnr le continent (1 ). Il est vrai que ces au-
teurs combattent aussi les droits d'Elisabeth , par des arguments
tirés de l'opinion théologique, alors si accréditée, qui attribue
à l'Église et au souverain pontife une juridiction au moins
indirecte sur les choses temporelles , en vertu de V institution
divine. Mais en lisant attentivement leurs ouvrages, il est aisé
de voir qu'ils ne prétendent pas se fonder uniquement sur cette
opinion, et qu'ils invoquent tout à la fois, contre Elisabeth, les
lois divines et humaines , particulièrement les anciennes lois
de V Angleterre, qui excluent du trône les hérétiques, et la
condition expresse de catholicisme , mise à V élection de tous
les souverains catholiques de l'Europe, depuis le \f siècle.
Il faut avouer aussi que tous les catholiques anglais ne s'accor-
daient pas à reconnaître la force de ces raisons ; mais elle n'était
guère contestée que par de mauvais catholiques, attachés au
parti de la reine par des motifs de crainte ou d'intérêt person-
nel. La plupart de ceux qui demeuraient fidèles à la religion de
leurs pères, regardaient Elisabeth comme déchue de tous ses
droits à la couronne d'Angleterre, d'après la loi fondamentale
du royaume; et ils étaient soutenus dans leur persuasion, par le
souverain pontife, et par plusieurs autres souverains de l'Eu-
rope. On sait, en effet, que la bulle de Pie V, qui déclarait nuls
tous les droits d'Elisabeth au trône d'Angleterre, fut publiée,
non-seulement à la demande d'un grand nombre de catholiques
anglais, mais encore à l'instigation du roi d'Espagne; et on ne
voit pas que les autres souverains aient regardé cette bulle ,
comme une atteinte portée à la majesté royale, dans la personne
(1) Voyez les ouvrages de Allen et de Doleman , indiqués ci-après , n. 9
des Pièces justificatives , à la fin de ce volume, pag. 752.
650 DEUXIÈME PARTIE. — POUVOIR DU PAPE
d'Elisabeth (t). Ce qu'il y a surtout ici de remarquable, c'est
que la reine Elisabeth, et la reine Marie Stuart, qui prétendaient
également à la couronne d'Angleterre, attachaient une égale
importance à soutenir leurs droits par le suffrage du Pape (2).
Elisabeth, quoiqu'elle affectât de ridiculiser la seutence pontifi-
cale, qui déclarait la nullité de ses droits, y trouvait une source
d'inquiétudes. Aussi ne négligea t-elle rien pour obtenir la ré-
vocation de cette sentence, jusqu'à employer, pour cet effet,
l'entremise de l'empereur Maximilien II. « Le Pape (Pie V) , dit
« le docteur Lingard, répondit à la requête de ce prince, en de-
« mandant si Elisabeth regardait la sentence comme valable ou
« non. Dans le premier cas, pourquoi ne cherchait-elle pas à se
«réconcilier avec le saint-siége? Dans le second, pourquoi dé-
« sirait-elle qu'on la révoquât (3)? » Pour ce qui regarde la reine
Marie Stuart, il est certain que, sur le point de mourir, elle
écrivit au pape Sixte V, en date du 23 novembre 1586, une
lettre dans laquelle, après lui avoir témoigné son attachement
à la foi catholique, elle remet tous ses droits à la disposition
du Pape et du roi d'Espagne. Dans cette lettre si remarquable,
dit le même historien que nous venons de citer, « elle recom-
« mande au pontife la conversion de son fils à la religion catho-
dique; et, à cet effet, elle le prie d'employer la coopération
« du roi d'Espagne (Philippe II) , le seul prince qui l'ait réelle-
« ment secourue pendant sa captivité. Si Jacques continue à ne
« vouloir pas se convertir, elle met tous ses droits à la cou-
« ronne d'Angleterre à la disposition du Pape et de ce mo-
« narque. Mais s'il vient à se convertir...., elle souhaite, comme
« la dernière satisfaction qu'elle puisse désirer sur la terre , qu'il
« épouse l'infante d'Espagne (4). »
29o. Vers le même temps, l'histoire d'Espagne fournit un exemple
ssSret remarquable, du maintien de l'ancienne jurisprudence de ce
royaume, qui excluait du trône les princes hérétiques. Le roi
(1) Sponde, Annales; anno 1569, n. 8 et 9. — Bzovius, anno 1569, n. 30 ;
anuo 1570, n. i3, etc. — Bianchi, Délia Potesla e délia Politia delta Câie-
sa, tom. 11, lib. vi, § 10, n. 4. — Lingard, Hist. d' Angleterre , tom. vin,
pag. 73, etc.
(2) Lingard, ibid.t pag. 77, 609, etc.
(3) lbid.t pag. 78.
(4) Ibid., pag. 609, etc.
SUR LES SOUVERAINS. — CHAPITRE III. 651
Philippe II faisant cession de la Belgique, en 1598, à sa fille
Isabelle, et à son futur mari, Albert d'Autriche, entre autres
conditions de cette cession , y mit celle qui suit : « Item,, à con-
«dition, et autrement non (pour être icelle la principale, et
« de plus grande obligation sur toutes les autres) , que tous les
« enfants et descendants desdits mariants, imitant la piété et re-
« ligion qui luit en eux, devront vivre et mourir en notre sainte
«foi catholique, comme la tient et enseigne la sainte Église ro-
«maine; et avant de prendre possession desdits Pays-Bas, en
« auront à prêter le serment, en la forme qui se trouve couchée
« après cet article. Et au cas (ce que Dieu ne veuille) qu'aucun
«desdits descendants se dévoyât de notre sainte foi, et tombât
« en quelque hérésie, après que notre saint Père le Pape l'aurait
« déclaré pour tel, soit privé de l'administration, possession et
«propriété desdites provinces, et que les sujets et vassaux d'i-
« celles ne lui obéissent plus; ains qu'ils admettent et reçoivent
«le plus proche catholique, suivant en degré, qui, au cas du
« trépas de tel fourvoyé de la foi, lui devrait succéder; et sera
« tel hérétique réputé comme si réellement il fût décédé de mort
«naturelle (l).» Cette disposition si remarquable était con-
forme à l'ancienne Constitution d'Espagne, qui s'est conservée
jusqu'à nos jours dans ce royaume, et que la Constitution de
1808 renouvelle en ces termes : « La religion catholique , apos-
« tolique et romaine est en Espagne, et dans toutes les posses-
« sions espagnoles, la religion du roi et de la nation; aucune
« autre n'est permise (2). »
La Constitution sicilienne, qui s'est maintenue jusque dans
ces derniers temps, est encore plus expresse sur ce point. Le
titre 111 de cette constitution est conçu en ces termes : « Le roi
«doit professer la religion catholique; s'il professe un autre
a culte , il est, par là même, déchu du trône de Sicile (3). »
(1) Cet acte se trouve dans le Corps universel Diplomatique de Jean
Dumont, sous la date du 6 mai 1508 (t. v, l'e partie, p. 574). — Voyez, au
sujet de cet .cte, Spondani Annales, anno 1598 , n. 15. — Synopsis Monu-
mentorum Ecclesiœ Mechl in. tom. in, pag. 1041.
(2) Dul'au et Guadet, Collection des Constitutions , tom. v, pag. 65
et 86.
(3) Ibid.y tom. iv, pag. 464.
652 DEUXIÈME PARTIE. — POUVOIR DU PAPE
a9i. Telle était aussi l'ancienne constitution du royaume de Po-
logne, où elle était encore en vigueur dans le dernier siècle.
Frédéric-Auguste Ier, qui monta sur le trône de Pologne en
1697, n'avait pu être élu, qu'en renonçant au luthéranisme.
«Il avait même eu peine, dit un historien récent, malgré ce
«changement, à l'emporter sur son compétiteur, le prince de
« Conti, à qui sa réputation, et les insinuations de l'abbé de Po-
« lignac , ambassadeur de France à Varsovie , avaient formé un
«parti puissant. Auguste avait eu recours à d'excessives libéra-
« lités, et même aux armes, pour faire prévaloir ses intérêts dans
« la diète. Il s'était appuyé du nonce du Pape, qui avait certifié
« la vérité de sa conversion (l ). »
L'ancien droit public de la Pologne, sur ce point, fut ex-
pressément renouvelé, en 1768, par la diète polonaise, en ces
termes :« Aucun prince ne pourra aspirer au trône, s'il n'est
«catholique; ni aucune princesse être couronnée reine, si elle
« ne professe la religion romaine ; ceux qui changeront de reli-
«gion, seront punis du bannissement (2). » Il est à remarquer
que cet article fait partie d'un traité, adopté par la diète polo-
naise, sous l'influence de l'impératrice Catherine II, et dans
lequel on accorda aux protestants des droits que l'ancienne ju-
risprudence du royaume de Pologne avait constamment refusés
aux hérétiques (3).
292- Personne n'ignore les troubles occasionnés en France , à la fin
Royaume Je , p „ y . .. v .. , . .. .
France: but du xvi siècle , par le danger ou 1 on était de voir monter sur le
èa h Ligue, trône un prince hérétique. Il n'entre pas dans notre plan de
HenTm. rapporter ici l'origine et les progrès de la Ligue formée, à cette
époque, pour éloigner du trône le roi de Navarre (depuis
Henri IV), qui professait la religion protestante. Il suffit de rap-
peler, que le principal motif de cette association , celui qui fut
constamment placé à la tète de tous les autres, par les partisans
de la Ligue, était l'ancien usage, et la loi fondamentale du
royaume , qui obligeaient le souverain à professer la religion
(1) Mémoires pour servir à V Histoire Ecclés. du xvme siècle, tom. i, In-
troduction, pag. clx. — Lenglet-Dufresnoy, Méthode pour étudier l'His-
toire, tom. vin, pag. 346.
(2) Dufau, Collection des Constitutions, tom. iv, pag. 34 et 35.
(3) Mémoires pour servir à V Histoire Ecclésiastique du xvine siècle ,
tom. il, année 1767, 13 octobre.
SUR LES SOUVERAINS. — CHAPITRE III. 653
catholique, et le danger évident auquel serait exposée cette re-
ligion , sous un prince hérétique.
Nous pourrions citer, à l'appui de ce fait, une foule d'écrits 293.
et de mémoires publiés, dans le temps, par les plus célèbres li- Zl%L. e
gueurs (1). Mais il suffit de rappeler ici le Manifeste, publié, en
1585, par le cardinal de Bourbon, de concert avec plusieurs
princes du sang, cardinaux, prélats et autres personnages dis-
tingués, dans tous les ordres de l'État (2). Les auteurs de ce
Manifeste donnent pour premier motif de leur association, le
danger de voir monter sur le trône un prince hérétique , et
la condition de catholicisme, mise au serment de fidélité que les .
Français prêtent à leur roi ; condition si rigoureuse, que ceux-ci
ne prêtent leur serment, qu'en vertu de celui que fait le roi
lui-même, de conserver la religion catholique, apostolique
et romaine. «On sent, est-il dit dans ce Manifeste , qu'il ne
« pourrait arriver de plus grand malheur, que de voir monter
« sur le trône un prince hérétique , attendu que les peuples ne
« sont point obligés de reconnaître ni de souffrir l'autorité d'un
«souverain qui a abandonné la foi chrétienne et catholique,
« puisque le premier serment que font les rois, est de conserver
« la religion catholique, apostolique et romaine, et que c'est en
« vertu de ce serment que leurs sujets leur prêtent celui de fi-
« délité. » On sait que ce Manifeste , publié d'abord au nom d'un
certain nombre de princes et de seigneurs des plus distingués
du royaume, fut depuis appuyé de presque tous les princes de
(1) Voyez, en particulier, les ouvrages de Guillaume Rose, évêque de Sen-
lis; de Jean Boucher, curé de Saint-Benoît ; et de Louis d'Orléans, avocat au
parlement de Paris, que nous indiquons dans le n. 9 des Pièces justifica-
tives , à la fin de ce volume. On peut consulter aussi, à l'appui de ce
fait , un grand nombre d'autre écrits , dans les Mémoires de la Ligue, pu-
bliés à cette époque, par Simon Goulart, sous le nom de Samuel du Lys
(Genève, 1G02, 6 vol. in-8°), et reproduits avec des notes historiques et
critiques, par l'abbé Goujet (Paris, 1758, 6 vol. in-4°), sous la rubrique
d'Amsterdam.
(2) Ce Manifeste parut au mois de mars 1585, sous ce titre : Déclaration
des causes qui ont mû le cardinal de Bourbon, et les pairs, seigneurs,
villes et communautés catholiques de ce royaume , de s'opposer à ceux
qui veulent subvertir la religion de l'État; Reims, 1585, in-8°. Cette Dé-
claration se trouve aussi dans les ouvrages suivants : tom. 1 des Mémoires
de la Ligue, déjà cités dans la note précédente. — Histoire des Guerres
civiles de France, par Davila; Paris, 1757, tom. 11, pag. 139,
654 DEUXIÈME PARTIE. — POUVOIR DU PAPE
l'Europe, le Pape à leur tête, et obtint successivement l'adhé-
sion de la France presque entière (i).
Résumas de Un des principaux résultats de cet acte, soutenu par tous les
cet acte, efforts de la Ligue , fut V Édit d'union , publié par le roi Henri III,
au mois de juillet 1588, et déclaré à jamais loi fondamentale
du royaume , dans les étais généraux de Blois , au mois d'oc-
tobre suivant. Les premiers articles de cet édit portent : 1° que
le roi fera serment d'employer jusqu'à sa propre vie, pour ex-
terminer l'hérésie dans son royaume, et de ne faire jamais ni
paix ni trêve avec les hérétiques, ni aucun édit en leur faveur.
2° Que tous ses sujets, de quelque qualité qu'ils soient, feront
le même serment. 3° Que le roi ne favorisera et n'avancera
aucun hérétique, et que tous ses sujets jureront de ne recevoir
pour roi, après son décès, aucun prince hérétique, ni fauteur
d'hérétiques. 4° Que les charges, soit militaires, soit de fi-
nance, soit de judicature, ne seront données qu'à des catho-
liques (2).
'295. Conformément à ces dispositions , le roi de Navarre ( Henri IV )
de He^riTv : ne fut reconnu roi de France, après la mort de Henri III
Na^es1, et sa ( en 1589), qu'après s'être engagé avec serment, à maintenir la
religion catholique dans le royaume, et à exécuter l'offre qu'il
avait déjà faite plusieurs fois, de s'en rapporter, sur l'article de
la religion, à un concile général ou national, qui serait assem-
blé, s'il était possible, dans six mois (3). Sa conversion, qui
eut lieu quelque temps après (en 1593), termina ces longues
discussions, aussi bien que les troubles dont elles avaient été l'oc-
casion ou le prétexte ; toutefois , elle ne l'empêcha pas de faire
aux protestants des concessions importantes, qu'il eût été bien
(1) Voyez les Annales de Sponde, année 1585 et suiv. — Davila, Hist. des
Guerres civiles, tom. h, année 1585, etc. — Anquetil, Esprit de la Ligue,
année 1585, etc. — Daniel, Hïst. de France, tom. xi, pag. 184, etc. — De
Pérétixe, Hist. de Henri IV, tom. i, pag. 72 et 142. — Ferrand, Esprit de
l'Histoire, tom. ni, lettres 68 et 69 — De Saint-Victor, Tableau historique
et pittoresque de Paris, tom. in, lre partie, pag. 323. — Clansel de Cous-
set gués, Du Sacre des Rois de France, chai). 26> Pag- 350, etc.
(2) Collection des Procès-Verbaux des Assemblées génér : du Clergé
de France, tom. i, pag. 47 2, etc. — Davila, ubi supra, pag. 357 et 37 1.
— Daniel, ubi suprà, pag. 318 et 338. — Anquetil, Esprit de ta Ligue,
tom. iii, pag. 32 et 39.
(3) Outre les auteurs déjà cités, voyez De Thou, Hist. Univ., liv. xcvn.—
Clausel de Coussergues, ubi suprà, chap. 27.
revocation.
SUR LES SOUVERAINS. — CHAPITRE III. 655
difficile de ne pas leur faire, dans les circonstances où l'on se
trouvait. Toi fut l'objet du célèbre Édit de Nantes , du mois
d'avril 1598, qui accordait aux protestants l'exercice public de
leur religion, dans certains lieux déterminés par l'édit; le droit
d'aspirer à toutes les charges, des chambres mi parties dans
quelques parlements, et beaucoup d'autres privilèges; à condi-
tion néanmoins , qu'ils renonceraient de bonne foi à toutes les
pratiques, ligues et intelligences avec les ennemis de l'État (l).
Toutes ces concessions, extorquées au monarque par les instances
d'un parti qu'il importait de ménager, tendaient manifestement
à entretenir dans le royaume, sur l'article de la religion, des
divisions dont on n'avait que trop éprouvé les funestes effets
sous les règnes précédents; aussi furent-elles successivement res-
treintes, sous Louis XIII et Louis XIV, à mesure que les cir-
constances le permirent; enfin, elles furent entièrement annu-
lées, en 1685, par Y Édit de révocation , qui remettait les choses
sur le pied où elles étaient avant Y Édit de Nantes (2). En vertu
de cette révocation, la religion catholique redevint, comme
autrefois, la religion de l'État; et l'exercice de toute autre
religion fut interdit dans le royaume (3). Telle était encore,
pendant le dernier siècle, la Constitution de la France , jus-
qu'au moment où Louis XVI crut devoir renouveler, en faveur
des protestants (en 1787 et 1789), la plupart des dispositions
de Y Édit de Nantes (4).
L'histoire même des principaux États protestants de l'Eu- 2g6
rope , depuis l'origine de la Réforme, offre, à ce sujet , plusieurs y"*"*? d*
(1) On peut voir le texte de cet Édit, à la fin du tom. i de Y Histoire de
V Édit de Nantes (par Élie Benoît, ministre à Delft); Delft, 1693-1696, 5 vol.
in-4°. Pour de plus amples détails sur cet édit, voyez Daniel, Histoire de
France, tom. xu, année 1 598. — Essai historique sur l'Influence de la
Religion pendant le xvue siècle, tom. î, pag. 44 et 101 .
(2) Le texte de Y Édit de révocation se trouve dans le tom. v de l'ouvrage
déjà cité du ministre Benoît. Voyez, au sujet de cet édit, D'Avrigny, Mé-
moires Chronologiques, tom. ni, juillet, 1685. — Histoire de Bossuet, par
le cardinal de Bausset , tom. iv, liv. xi, n. 15, etc. — Essai historique
sur l'Influence de la Religion pendant le xvue siècle, tom. h, pag. 235,
270, etc.
(3) Du fan et Guadet, Collection des Constitutions, tom. ï, pag. 79.
(4) Mémoires pour servir à l'Histoire Ecclés. pendant le xvme siècle,
tom. m, 24 nov. 1787. —Les Dernières années de Louis XVI, par M. Hue,
pag. 504-506.
656 DEUXIEME PARTIE. — POUVOIR DU PAPE
droit public faits remarquables. Il est certain, en effet, que le motif du
du . maintien de la religion dominante, qui, dans tous les États ca-
moyen âge, o » \ »
da.IIS tholiques de l'Europe, a l'ait autrefois exclure du trône les béré-
plusipurs J x
États proies- tiques, en a fait depuis exclure les catholiques, dans plusieurs
particulière- États protestants. Un bill du parlement d'Angleterre, sous
Angleterre. Guillaume III , en 1688, fixe, à perpétuité, la couronne dans
la famille de ce prince , et à son défaut , dans celle de la prin-
cesse de Danemark (Anne), à l'exclusion de Jacques II et de
sa famille. Le même acte exclut, à perpétuité, du trône les ca-
tholiques, ou époux de catholiques (1). Un bill postérieur,
adopté en 1701, confirme ces dispositions, et admet au trône
la princesse Sophie de Hanovre, petite-fille de Jacques Ier, au
défaut de la princesse de Danemark (2). Ce fut en vertu de
ces statuts , que la princesse de Danemark , Anne , fut procla-
mée reine, en 1702, et que Georges de Hanovre fut reconnu
roi, en 1714, au préjudice de Jacques III. Ces anciens statuts
ont été renouvelés de nos jours (en 1805) dans une séance du
parlement, où il fut expressément décidé, que si un roi d'An-
gleterre embrassait la religion catholique , Userait, par le
fait même , privé de la couronne (3).
297. Le même usage s'est établi en Suède, depuis que le protes-
S"è wégef °r tantisme y est devenu la religion dominante. Ce fut en vertu
de ce principe, que Charles IX détrôna, en 1604, son neveu
Sigismond III , et se fit mettre la couronne sur la tête (4). Ce
principe fut solennellement renouvelé, en 1720, par les États
du royaume, à l'occasion du couronnement de la reine Ulrique
Éléonore , et de son époux Frédéric de Hesse-Cassel : celui-ci ne
fut associé au trône, que sous la condition expresse qu'il s'en-
gagerait à embrasser la religion luthérienne, seule dominante
dans le royaume, promettrait de la maintenir, et de faire exé-
(1) Dufau, Collection des Constitutions, tom. i, pag. 387, etc.
(2) Ibid., pag. 396, etc. Voyez aussi Mémoires pour servir à l'Histoire
Ecclésiastique du xv rme siècle, tom. i, Introduction, \)&g. clxxxiv, pag.
5, etc ; 135, etc. — Diction, de Moréri, article Angleterre, pag. 59, lre
col. — Lenglet-Dufresnoy, ubi suprà, pag. 158.
(3) Parliamentary Debales , tom. îv ; London , 1805 , in-8°, page 677,
Cité par le comte de Maistre, Du Pape, tom. h, Conclusion, pag. 251.
(4) Diction, de Moréri, articles Suède et Sigismond III. — Lenglet-Du-
fresnoy, ubi suprà, pag. 260.
SUR LES SOUVERAINS. — CHAPITRE III. 657
cuter les lois qui la concernent (l) ; tel est encore aujourd'hui
le droit public de la Suède, d'après la constitution dressée,
en 1809, par les États de ce royaume , et publiée, la même
année, par le roi Charles XIII. Il y est dit expressément que
« le roi doit faire profession , ainsi que tous les fonctionnaires
« publics, de la religion évangélique (luthérienne) (2). » Tel est
aussi le droit public de la Norwége , d'après la constitution
de 1814 (3).
Mais ce qui distingue surtout le droit public des États protes- 298.
tants, d'avec celui des États catholiques du moyen âge, c'est emrJ^Xoit
que ce dernier avait pour fondement l'attachement sincère des ^"ces^taV
peuples à la religion de leurs pères, et le désir de la maintenir et^lui
contre toutes les innovations du schisme et de l'hérésie ; tandis m°yen âee-
(1) Diction, de Moréri, articles Ulrique Éléonore, et Frédéric de Hesse-
Cassel. — Lenglet-Dufresnoy, ubi suprà, pag. 220 et 237.
(2) Dufau, Collection des Cons limitions, tom. m, pag. 306. Conformé-
ment à cet article de la Constitution suédoise, le général Bernadotte, maré-
chal de l'empire français, et prince de Ponte-Corvo, ayant été choisi, en 1810,
par les Étals de Suède, et adopté par le roi Charles XIII , pour héritier pré-
somptif de la couronne suédoise, n'obtint cette faveur, qu'en abjurant la reli-
gion catholique, pour professer le luthéranisme. (Voyez, au sujet de cette
révolution , la biographie universelle , articles Charles XIII et Gus-
tave IV, rois de Suède, tom. l\ et lxvi. — Maltebrun, Précis de la Géog.
univers., tom îv, pag. 383; édition de 1832.) Cette apostasie, qui lui fit peu
d'honneur, même dans l'esprit des hommes peu religieux, fut surtout haute-
ment blâmée par Napoléon. Ce fut à cette occasion que l'empereur eut, avec
madame de Montesquiou, alors gouvernante du roi de Rome, un curieux en-
tretien, qu'elle a depuis raconté elle-même à plusieurs personnes, et particu-
lièrement à M. l'abbé Dassance, qui le rapporte, en ces termes, dans Y Ami
de la Religion (tom. cx\i, pag. 515) : « Voilà Bernadotte roi, dit Napoléon;
« quelle gloire pour lui ! — Oui, sire; mais il y a un vilain revers de médaille ;
« pour un trône, il a abdiqué la foi de ses pères. — Oui, c'est très-vilain; et
« moi, qu'on croit si ambitieux, je n'aurais jamais quitté ma religion pour
« toutes les couronnes de la terre. » Un pareil langage a sans doute quelque
chose d'étonnant, dans la bouche de Napoléon , qui, peu d'années aupara-
vant, avait paru disposé à professer le mahométisme , pour établir sa puis-
sance en Egypte. Mais tout porte à croire que l'ambition qui le dominait, lui
fit alors dissimuler la loi qu'il conservait intérieurement. Plusieurs circon-
stances de sa vie publique et privée, et surtout les détails qu'on nous a
conservés sur sa fin chrétienne , semblent prouver qu'il n'oublia jamais en-
tièrement les principes de la religion catholique, dans lesquels il avait été
élevé. (Voyez, à ce sujet, Y Ami de la Religion, ibid.—Supplém. de la Bio-
graphie universelle, article Napoléon. Cet article, qui a pour auteur
M. Michaud jeune, a été publié séparément, sous ce titre : Vie publique et
privée de Napoléon; Paris, 1844, in-8°.)
(3) Dufau, ubi suprà, pag. 322.
42
658 DEUXIEME PARTIE. — POUVOIR DU PAPE
que le droit public des États protestants est principalement
fondé sur la haine de l'Église catholique, et sur un attachement
purement politique à la religion établie. Ces dispositions se sont
manifestées surtout en Suède et en Angleterre, dans plusieurs
occasions remarquables. Avant le règne de Charles XI, roi de
Suède, la religion luthérienne était la seule dont l'exercice
public fût permis dans ce royaume. Ce prince publia, en 1687,
une déclaration par laquelle , « il défendait à ses sujets, sous
« des peines très-sévères, tout exercice public ou particulier de
«la religion catholique et du calvinisme, voulant même que
« leurs enfants fussent élevés selon la doctrine de la confession
« d'Augsbourg. Il révoqua, quelque temps après, cet acte, en
« faveur des calvinistes ; mais il le confirma à l'égard des catho-
« liques, dont il voulut absolument bannir la créance de ses
« États, par des motifs de jalousie et d'intérêt (l). »
Dans la séance du parlement d'Angleterre, du 23 mars 1701,
la princesse Sophie, petite-fille de Jacques 1er, fut déclarée la
première dans la succession à la couronne d'Angleterre, après la
mort du roi Guillaume, delà princesse de Danemark (Anne)
et de leurs enfants; or, cette princesse Sophie n'était point de la
communion anglicane; mais elle professait le luthéranisme,
aussi bien que son fils , Georges de tërunswick-Hanovre. On
supposa que l'un et l'autre ne feraient aucune difficulté de
s'unir à l'Église établie , dans le cas où ils monteraient sur le
trône d'Angleterre (2).
Cette manière politique de traiter la religion peut bien trou-
ver grâce aux yeux delà prétendue philosophie, qui regarde
toutes les religions avec une égale indifférence; mais elle ne
saurait obtenir l'approbation d'un chrétien sincère; et il est
bien étonnant, que des écrivains qui pardonnent si aisément
cette politique profane aux gouvernements modernes, se per-
mettent si souvent les plus odieuses déclamations contre la po-
litique éminemment religieuse du moyen âge : comme si le
maintien de la véritable religion était moins important pour
le bien de la société, que celui d'une religion nouvelle, unique-
(1) Lenglet-Dufresnoy, ibid., pag. 237.
(2; Moréiï, article Angle/erre, pag. 59 et 60. — Mémoires pour servir à
l'Histoire Eccl. du xviii6 siècle, tom. i, pag. 5.
SUR LES SOUVERAINS. — CHAPITRE IV. 659
ment fondée sur l'esprit de révolte et d'insubordination, qui
fait le caractère distinctif de toutes les sectes étrangères à la vé-
ritable Église.
CHAPITRE IV.
Résultats du pouvoir exercé par les papes et les conciles sur
les souverains y au moyen âge.
On a beaucoup parlé, dans ces derniers temps, des inconvé- 299.
nienls de cette prodigieuse autorité que les maximes du moyen ° ietdeetpan
âge attribuaient à l'Église et au souverain pontife , dans l'ordre ce chaP,tre-
temporel. On a prétendu que ces maximes avaient été une
source féconde de désordres; qu'elles avaient favorisé l'ambi-
tion et les prétentions excessives des papes, affaibli parmi les
peuples le respect dû aux souverains, et occasionné entre
les deux puissances cette lutte violente et opiniâtre, dont les
suites ont été si funestes au bien de la religion et au repos
des États (t).
Nous sommes bien éloigné de prétendre , que les maximes
dont il s'agit n'aient eu aucun inconvénient. Tel est , ici-bas, le
sort des meilleures institutions, qu'elles deviennent l'occasion ou
le prétexte de bien des abus. Mais nous croyons pouvoir avancer
avec confiance : l° que ceux dont il est ici question , ont été vi-
siblement exagérés, par un grand nombre d'auteurs modernes;
2°qu'ilsont été bien compensés, par les avantages que la religion
et la société ont retirés du pouvoir extraordinaire, dont les
papes et les conciles ont été si longtemps investis. Le dévelop-
pement de ces deux propositions mettra leur vérité dans tout
son jour (2).
(1) UFfist. Ecclés. de Fleury a beaucoup contribué à répandre ces pré-
jugés, surtout parmi les magistrats, qui invoquent souvent son autorité sur
ce point. Voyez, Fleury, Hist. Ecclés., tom. xiu, 3e Discours, n. 9, 10 et 18;
tom. xvn, 5e Discours, n. 12; tom. xi\, 7e Discours, u. 5, et alibi passim. —
De Héricourt, Lois Ecclés. de France, 4 e partie; édit. de 1771, pag. 185, etc.
— Ferrand, Esprit de V histoire,'' lettres 35, 41 , 42, etc. — Annales du
moyen âge, tom. îv, pag. 225; tom. v, pag. 402-464, et alibi passim.
(2) Pour le développaient de ces deux points, voyez principalement l'ou-
vrage du comte de Maistre, Du Pape, 2e et 3e parties.
42,
660
DEUXIEME PARTIE. — POUVOIR DU PAPE
ARTICLE Ier.
Inconvénients prétendus de ce pouvoir.
3oo. L'ambition et les prétentions excessives des papes, l'avilisse-
TwHLSL""a ment de la souveraineté dans l'esprit des peuples, les guerres
inCu'Jnniu",s produites par le choc des deux puissances : tels sont les fâcheux
attribue, résultats qu'on a attribués, dans ces derniers temps, aux
maximes du moyen âge, sur la subordination de la puissance
temporelle envers la spirituelle. Mais il est aisé de montrer que
ces inconvénients ont été prodigieusement exagérés par un grand
nombre d'auteurs modernes.
§1
er
De l'ambition et des prétentions excessives qu'on a
reprochées aux papes du moyen âge.
3ot.
Injustice
de
ce reproche.
Modération
des papes,
considérés
comme
souverains.
Pour répondre aux reproches qu'on a faits, sur ce point, aux
papes du moyen âge, il su fût de rappeler un fait extrêmement
remarquable, et trop peu remarqué jusqu'ici : cestque, depuis
l'établissement de leur souveraineté temporelle jusqu'à nos
jours, c'est-à-dire, pendant une durée de plus de mille ans, jamais
ils n'ont fait servir à l'agrandissement de leurs États , le grand
pouvoir dont ils était investis, soit comme simples souverains,
soit comme arbitres des princes , et comme seigneurs suzerains
de plusieurs États de l'Europe (l).
1° Considérés d'abord comme simples souverains, les papes
offrent un exemple remarquable, et peut-être unique, de modé-
ration, dans l'exercice de la souveraineté (2). Depuis plus de mille
ans qu'ils la possèdent, on ne voit point en eux cette tendance
naturelle à s'agrandir, qui forme, en quelque sorte, le caractère
distinctif de toute souveraineté. Qu'on suive attentivement leur
histoire : on ne trouvera, dans aucune dynastie, plus de respect
pour le territoire d'autrui, et moins d'envie d'augmenter le sien.
Jamais les souverains pontifes n'ont essayé de profiter des con-
jonctures favorables, pour étendre leurs États. Jamais ils n'ont
(1) De Maistre, DiiPape,\iY. h, chap. 6, pag. 241-244. — Michaud, Hist
des Croisades , tom. vi, pag. 231.
(2) De Maistre, ubi suprà, chap. 6, pag. 243, etc.
SUR LES SOUVERAINS. — CHAPITRE IV. 061
possédé, ils ne possèdent encore aujourd'hui, que ce qui leur
a été librement donné, dans l'origine, par la piété des princes
et des peuples (1). Jules II est peut-être le seul pape qui ait
acquis un territoire , par les règles ordinaires du droit public ,
en vertu d'un traité qui terminait une guerre (2). C'est ainsi
qu'il se ût céder, par la république de Venise, le duché de
Parme , qu'il croyait usurpé sur le saint-siége par cette répu-
blique. Maiscette acquisition , quoique facile à justifier, semblait
peu convenable au caractère pontifical : elle échappa bientôt au
saint-siége. «A lui seul, dit le comte de Maistre, est réservé
« l'honneur de ne posséder aujourd'hui, que ce qu'il possédait
« il y a dix siècles. On ne trouve ici, ni traités, ni combats, ni
« intrigues, ni usurpations; en remontant, on arrive toujours
« à une donation. Pépin, Charlemagne, Louis, Lothaire,
« Henri, Othon, la comtesse Mathilde, formèrent cet État tem-
« porel des papes, si précieux pour le christianisme. Mais la
« force des choses Favait commencé \ et cette opération cachée
« est un des spectacles les plus curieux de l'histoire (3). »
2° Considérés comme arbitres des princes, et comme seigneurs 3o3
suzerains de plusieurs États de l'Europe, les papes offrent un
exemple de modération encore plus étonnant. S'ils eussent été
dominés , comme on Ta souvent prétendu , par des vues ambi- p-w«j, et
seigneurs suze*
tieuses, il était naturel qu'ils profitassent, pour leur propre agran- »*«».
dissement, de ce pouvoir prodigieux que leur attribuaient les
maximes du temps. Cependant jamais ils ne l'ont fait : jamais ils
n'ont essayé de retenir pour eux une partie des États dont
ils disposaient comme seigneurs suzerains, et dont ils dépouil-
laient les princes, en punition de leurs désordres ou de leur
félonie. Jamais ils n'ont disposé des fiefs du saint-siége , qu'en
(1) On lit dans Y Esprit de l'Histoire, par M. Ferrand (tom. h, lettre 40,
pag. 406 ) , que « les papes ont quelquefois profité de leur puissance tempo-
ce relie, pour augmenter leurs propriétés. » C'est là, selon la remarque de
M. de Maistre, une assertion gratuite , et entièrement destituée de preuves.
« J'attends, dit-il , qu'on m'explique quand et comment les papes ont em-
« ployé leur puissance spirituelle, ou leurs moyens politiques, pour étendre
« leurs États aux dépens d'un propriétaire légitime. » De Maistre, ubi suprà,
pag. 242.
(2) Raynaldi Annales, anno 1509. — Hist. de la ligue de Cambrai,
par l'abbé Dubos. — Daniel, Hist. de France, année 1508. — - De Maistre,
ubi suprà, chap. 6, pag. 243, 244, 259-266.
(3) De Maistre, ibid.t pag. 245.
Leur modéra-
tion, comme
arbitres
des
662 DEUXIÈME PARITE POUVOIR DU TAPE
faveur des princes étrangers, et de la manière qu'ils croyaient
la plus convenable au bien de la religion, et à la tranquillité des
États. C'est ainsi que Grégoire VII et Innocent III , usèrent des
droits de suzeraineté que le saint-siége s'attribuait sur l'Es-
pagne : ils donnèrent au premier occupant les parties de ce
royaume qu'il pourrait conquérir sur les Sarrasins, ennemis
déclarés du nom chrétien (i). C'est ainsi que Clément IV et ses
successeurs, en disposant du royaume des Deux-Siciles, qui
était regardé comme un fief du saint-siége, imposèrent aux
princes qu'ils en gratifièrent , les conditions les plus propres à
maintenir tout à la fois la liberté du saint-siége et celle de
l'Italie (2). Il est vrai que les papes, en disposant de ces États
comme seigneurs suzerains , exigeaient, selon l'usage du temps,
certains hommages et certaines redevances, en reconnaissance
de leur droit, et de la libéralité dont ils avaient usé envers
leurs feudataires; mais il est toujours vrai que, dans le temps
même de leur plus grande influence, ils n'ont jamais cherché
ni saisi l'occasion d'augmenter leurs États, comme il était si aisé,
et même si naturel de le faire.
304. Toute leur ambition, ou plutôt leur politique, se bornait càmain-
'etdel l tenir laliberté de Romeetde l'Italie, contre tesempereurs d'Alle-
îeur poiu.que. magûeî qUj renouvelaient souvent, à cet égard, les plus injustes
prétentions (3). « Il me paraît sensible, dit Voltairelui-même, que
« le vrai fond de la querelle (entre les papes et les empereurs)
« était que les papes et les Romains ne voulaient point d'empe-
« reur à Rome (4), « c'est-à-dire, ajoute le comte de Maistre,
qu'ils ne voulaient point de maîtres chez eux (5). « Il paraît
« évident, continue Voltaire, que le grand dessein de Frédéric II
« était d'établir en Italie le trône des nouveaux césars ; et il est
« bien sûr au moins qu'il voulait régner sur l'Italie , sans
« bornes et sans partage. C'est le nœud secret de toutes les
(1) Voigt, Hist. de GrégoireVII, liv. v, pag. 184, etc., 273.— Innocen-
ta III Epistol. lib. 15, Epistol. 24. (Baluze, tom. h, pag. 609. — Baro-
nii, Annales, tom. xn, anno 1179, n. 17.)— Hist. d'Innocent III, par Hur-
ter, tom. n, années 1211, 1212, etc.
(2) Voyez les auteurs cités plus haut, pag. 483, note 1.
(3) De Maistre, Du Pape, liv. n, cliap. 7, art. 3.;
(4) Voltaire, Essai sur VHist. gén., tom. i, chap. 46.
(5) De Maistre, ubi suprà, pag. 298.
SUR LES SOUVERAINS. — CHAPITRE IV. 663
« querelles qu'il eut avec les papes; il employa tour à tour la
« souplesse et la violence; et le saint-siége le combattit avec les
« mêmes armes. Les Guelfes, ces partisans de la papauté, et
« encore plus de la liberté, balancèrent toujours le pouvoir
« des Gibelins, partisans de l'empire. Les divisions entre Fré-
« déric et le saint-siége n'eurent jamais la religion pour
« objet ( I ). »
Concluons de ces précieux aveux , que les papes , en travail- 3o5.
, , t . . . , ... , ' , Combien elle
lant de tout leur pouvoir, à maintenir la liberté de Rome et de était
l'Italie, non-seulement ne méritaient aucun reproche, mais ne nreprot a
faisaient que remplir leur devoir, soit comme souverains tem-
porels, soit comme chefs de l'Église. Qui ne sait, en effet, que
le premier devoir d'un souverain temporel , est de maintenir
son indépendance contre les prétentions injustes des puissances
étrangères? « Le plus grand malheur, pour l'homme politique
« (à plus forte raison pour le chef d'un État quelconque), dit le
« comte de Maistre, c'est d'obéir à une puissance étrangère :
« aucune humiliation, aucun tourment de cœur ne peut être
« comparé à celui-là (2). » Qu'on juge, d'après ces principes, la
conduite des papes du moyen âge. « Il n'y a point de Pape,
« c'est encore l'aveu exprès d'un censeur sévère xlu saint-siége,
« il n'y a point de Pape qui ne doive craindre, en Italie, l'agran-
« dissement des empereurs. Les anciennes prétentions... seront
« bonnes, le jour où on les fera valoir avec avantage (3). Donc ,
« reprend le comte de Maistre, il n'y a point de Pape qui ne
« dût s'y opposer. Où est la charte qui avait donné l'Italie aux
« empereurs allemands? Où a-t-on pris que le Pape ne doive
« point agir comme prince temporel ; qu'il doive être purement
« passif, se laisser battre , dépouiller, etc? Jamais on ne prou-
« vera cela (4). »
En faut-il davantage, non-seulement pour justifier la con- 3o6.
i'.. -i -, A i • Combien elle
duite des papes du moyen âge envers les empereurs, mais en- est
core pour mettre ces courageux pontifes au rang des souverains
les plus justement chers au pays qu'ils ont gouverné? «Tous
(1) Voltaire, Essai sur l'Eut, gén., tom. il, eliap. 52, p. 98.
(2) De Maistre, ubi supra, p. 307.
(3) Ferrand, Esprit de V Histoire, tom. m, lettre 62, p. 230.
(4) De Maistre, ubi suprà , p. 305.
digne d'elo-
ges.
664 DEUXIÈME PA11T1E. — POUVOIR ])U PAPE
« les peuples, dit à ce sujet le comte de Maistre, sont convenus
«de placer au premier rang des grands hommes, ces fortunés
«citoyens qui eurent l'honneur d'arracher leur pays au joug
« étranger. Héros, s'ils ont réussi , ou martyrs, s'ils ont échoué,
« leurs noms traverseront les siècles. La stupidité moderne vou-
« drait seulement excepter les papes de cette apothéose univer-
« selle, et les priver de l'immortelle gloire qui leur est due,
«comme princes temporels, pour avoir travaillé sans relâche à
« l'affranchissement de leur patrie (1). »
Si nous considérons les papes comme chefs de V Église, leur
application à maintenir la liberté de Rome et de l'Italie est en-
core plus facile à justifier. Qui ne voit, en effet, combien le main-
tien de cette liberté est important , et même essentiel au bien
de la religion? Les auteurs les plus opposés aux maximes du
moyen âge, sur le pouvoir temporel de l'Église et du Pape, con-
viennent généralement, que la souveraineté temporelle du saint-
siège était convenable et même nécessaire au bon gouverne-
ment de l'Église (2). Or, il est évident que les mêmes raisons qui
avaient rendu nécessaire, dans le principe, la souveraineté
temporelle du saint-siége , demandaient aussi qu'elle fût main-
tenue, principalement au milieu des désordres et de l'anarchie
du moyen âge. Il est également évident que le maintien de cette
souveraineté, si essentielle au bien de la religion, était incom-
patible avec l'asservissement de Rome et de l'Italie, et qu'elle
eût été réduite à un vain nom, sous le joug des empereurs
d'Allemagne, ou de tout autre souverain. On peut en juger par
les désordres qui affligèrent l'Église au xe siècle, et qui eurent
évidemment pour cause principale la domination des empereurs
en Italie. « Dans ces temps malheureux , dit Voltaire , la papauté
« était à l'encan , ainsi que presque tous les évêchés : si cette au-
« torité des empereurs avait duré, les papes n'eussent été que
« leurs chapelains, et l'Italie eût été esclave (3). »
. . 3°7- A ces observations si décisives, qu'oppose- t-on? Des asser-
Vaines decla- *■
(1) De Maistre, ibïd., p. 308.
(2) Voyez les témoignages <le Bossuet, Fleury, etc., que nous avons cités
ailleurs sur ce sujet. (Ci-dessus, lre partie, n. 97, etc.) On peut y ajouter
celui de Ferrand, Esprit de l'Histoire, tom. n, lettre 28, p. 221, note.
(3) Voltaire, Essai sur l'flist. gén., tom. i, chap. 38, pag. 529-531.
SUa LES SOUVERAINS. — CHAPITRE IV. 665
lions en l'air, uniquement fondées sur quelques faits mal in- mations,
terprétés par les préjugés on la malignité. ce sujet.
« Le délire de la toute-puissance temporelle des papes, dit un
« célèbre magistrat de nos jours, inonda l'Europe de sang et de
« fanatisme ( pendant quatre ou cinq siècles) (1 ). » Nous verrons
plus bas, à qui l'on doit attribuer les guerres et les calamités oc-
casionnées, au moyen âge, par la lutté des deux puissances; et
si l'on ne doit pas plutôt les imputer à la conduite scandaleuse
des princes, qu'à la juste sévérité des pontifes. Mais, pour nous
renfermer ici dans la question qui fait le sujet de ce paragraphe,
où a-t-on vu que les papes aient jamais prétendu la toute-
puissance temporelle, et poussé cette prétention jusqu'au dé-
lire ? Jamais les souverains pontifes n'ont prétendu avoir d'autre
propriété ni d'autre souveraineté , que celle de leurs États:
jamais ils n'ont prétendu accroître leurs domaines temporels au
préjudice des princes étrangers, ni gêner ceux-ci dans l'exercice
légitime de leur souveraineté; en un mot, jamais ils n'ont pré-
tendu autre chose, que le droit de juger les souverains, d'après
les maximes de droit public alors universellement admises.
C'était là sans doute un pouvoir très-étendu; mais enfin ce
n'était pas la toute -puissance temporelle, poussée jusqu'au
délire; c'était uniquement le pouvoir de juger selon les luis
existantes; c'était plutôt, à vrai dire, un pouvoir spirituel
qu'un pouvoir temporel, puisqu'il se réduisait à frapper d'ex-
communication les princes coupables de certains crimes no-
toires et scandaleux, et à faire l'application des principes de
droit public alors en vigueur, sur les effets temporels de l'ex-
communication. Que l'exercice de ce pouvoir ait eu, en certains
cas, de fâcheuses conséquences, que l'application en ait été
quelquefois difficile et même dangereuse, on ne peut le nier;
mais combien de principes inconteslables sont sujets, dans la
pratique , aux mêmes inconvénients , surtout en matière de droit
public , sans qu'on puisse , sous ce prétexte , en contester la
légitimité !
(1) Ferrand, dans Y Esprit de V Histoire, fait durer les funestes divisions
du sacerdoce et de l'empire , tantôt quatre ou cinq siècles , tantôt près de
quatre siècles. (T. n, lettre 28, pas. 221 et 222, note; lettre 41, p. 413, etc.)
Voyez la réfutation de ces assertions, dans l'ouvrage déjà cité du comte de
Maislre, ibid., cliap. 8, pag. 310-315.
666
DEUXIEME PARTIE. — POUVOIR DU PAPE
§ 2. Sur l'avilissement prétendu de la souveraineté, dans
l'esprit des peuples.
3o8. La plupart des auteurs qui ne voient, dans l'autorité prodi-
P,^ndtssf §ieilse des papes du moyen âge, que le résultat de leur ambi-
sur. tion et de leurs prétentions excessives, y voient aussi, par une
conséquence naturelle, l'avilissement de la souveraineté, dans
l'esprit des peuples. On croirait, à les entendre, que le Pape
était alors le monarque universel , devant qui tous les autres
disparaissaient, ou du moins n'existaient plus que par tolé-
rance, et ne possédaient plus qu'une autorité précaire, dont ils
pouvaient, à chaque instant, être dépouillés par une sentence
du Pape. Aussi les auteurs dont nous parlons ne peuvent-ils
rappeler, sans un vif sentiment de compassion , et presque d'in-
dignation, r humiliation des souverains anathématisés par
le saint-siége, et la bassesse avec laquelle ils subissaient le joug
qui leur était imposé (!)-. 1
Pour détruire ces préjugés si injurieux au saint-siége, il suffit
d'examiner de près la théorie politique du moyen âge sur l'au-
torité des princes, et l'application que les papes en ont faite,
dans leur conduite à l'égard des souverains (2).
I. D'après les principes alors généralement admis, l'autorité
des princes vient de Dieu lui-même , qui la leur confie , pour
Vemployer au bien de la religion. Ils n'ont d'autre supérieur
que Dieu, qui seul peut leur demander compte de leurs ac-
tions, par l'organe du Pape et des évéqnes, ses ministres et
ses représentants. Il n'appartient donc pas au peuple de ju-
ger, bien moins encore de destituer le souverain; mais celui-
ci, par sa désobéissance envers Dieu et envers l'Eglise, en-
court la privation de ses droits; et il appartient au Pape,
vicaire de Jésus- Christ sur la terre , ou au concile général
représentant l'Église universelle, de prononcer contre lui
une sentence de déposition (3).
3o9.
La théorie
politique
du
moyen âge,
comparée
avec
les théories
modernes.
(1) Voyez les auteurs cités plus haut, pag. 659, note 1, principalement
Hallam, pag. 345, etc., 367, etc.
(2) De Maistte, Du Pape, liv. n, chap. 2-6, et chap. 11.
(3) Voyez plus haut, n. 26, 120, 131, 244, 285, etc. — De Maistre, ubi
suprà, chap. 3.
SUR LES SOUVERAINS. — CHAPITRE IV. 667
Si l'on compare de bonne foi cette théorie avec toutes celles
qui ont jamais été imnginées en cette matière, peut-être con-
viendra-t-on qu'il serait difficile d'en trouver une qui fût tout
à la fois aussi propre à maintenir l'autorité des princes, et à la
restreindre, autant qu'il est poshible, dans de justes bornes.
C'est là, comme on sait, le grand problème de la politique,
dont la solution a tant exercé les législateurs et les philosophes
anciens et modernes : Comment prévenir le despotisme du sou-
verain, en lui conservant l'autorité dont il a besoin pour
bien gouverner? ou, en d'autres termes : Comment restreindre
le pouvoir souverain dans de justes bornes, sans le détruire?
Pour résoudre ce grand problème, on a eu recours, surtout
dans ces derniers temps, à des Constitutions ou Lois fonda-
mentales, qui déterminent les droits respectifs du souverain et
des principaux ordres de l'État. Mais il est aisé de voir l'inutilité
de ce moyen , pour atteindre le but qu'on se propose. « On a bien-
« tôt dit, selon la judicieuse remarque du comte de Maistre, II
«faut des lois fondamentales ; Il faut une constitution. Mais qui
«les établira, ces lois fondamentales , et qui les fera exécuter?
«Le corps ou l'individu qui en aurait la force, serait souve-
« rain , puisqu'il serait plus fort que le souverain ; de sorte que,
« par l'acte même de l'établissement, il le détrônerait. Si la loi
« constitutionnelle est une concession du souverain, la question
« recommence. Qui empêchera un de ses successeurs delà vio-
« 1er? Il faut que le droit de résistance soit attribué à un corps
« ou à un individu; autrement, il ne peut être exercé que par
« la révolte, remède terrible, pire que tons les maux. D'ailleurs,
« on ne voit pas que les nombreuses tentatives, faites pour res-
« treindre le pouvoir souverain, aient jamais réussi d'une raa-
« nière propre à donner l'envie de les imiter (i). »
Frappés de l'insuffisance des Constitutions ou Lois fonda- 3IQ.
mentales, pour prévenir les abus de la souveraineté indivi- sysXè™e de
duelle, certains politiques ont imaginé le système de la souve-
raineté du peuple. Ils ont prétendu que tout pouvoir émane
essentiellement du peuple; que le prince qui exerce l'autorité
suprême, n'est au fond que le mandataire du peuple ; quecelui-
(1) De Maistre, ibid., p. 216.
souveraineté
du peuple.
668 DEUXIEME PARTIE. — POUVOIR DU PAPE
ci peut toujours demander au souverain, compte de ses actes,
lui résister ouvertement, et même le destituer, dans le cas d'une
tyrannie manifeste. Tel est au fond le système de Jurieu et de
plusieurs autres écrivains protestants, dont les principes, sur
ce point, ont élé hautement proclamés par la philosophie mo-
derne. « De quelque manière que le prince soit revêtu de son
autorité, dit un célèbre partisan de ce système, il la tient
toujours uniquement du peuple ; et le peuple ne dépend jamais
d'aucun homme mortel , qu'en vertu de son propre consen-
tement (l) Du peuple dépendent le bien-être, la sécurité,
et la permanence de tout gouvernement légal. Dans le peuple
doit résider nécessairement l'essence de tout pouvoir; et tous
ceux dont les connaissances ou la capacité ont engagé le peu-
ple à leur accorder une confiance quelquefois sage et quelque-
fois imprudente, sont responsables envers lui, de l'usage qu'ils
ont fait du pouvoir qui leur a été confié pour un temps (2). »
Conséquemment à ces principes, un partisan de ces nouvelles
théories appelle le système catholique de la non-résistance , une
doctrine détestable. Il avance que l'homme, lorsqu'il s'agit de
résister à la souveraineté, doit se déterminer par les sentiments
intérieurs d'un certain instinct moral, dont il a la conscience
en lui-même, et qu'on a tort de confondre avec la chaleur du
sang et des esprits vitaux (3). Il reproche à son fameux com-
patriote, le docteur Barkeley,. d'avoir méconnu cette puissance
intérieure , et d'avoir cru que Vhomme , en sa qualité d'être
raisonnable , doit se laisser diriger par les préceptes d'une
sage et impartiale raison (4).
3„. Il est aisé de voir que ce système , sous prétexte de prévenir
les abus de la souveraineté, la détruit absolument , et ouvre la
porte à tous les désordres de l'anarchie. « J'admire fort ces belles
« maximes, dit le comte de Maistre; mais elles ont le défaut de
(1) Noodt, Sur le Pouvoir des souverains, dans le Recueil de Discours
sur divers sujets, traduits ou composés par Barbey rac, tom. i, p. 41.
(2) Opinion du chevalier William Jones, dans le recueil intitulé: Mémoirs
of the lifeofsirWilliam Jones London, 1806, in-4°, pag. 200. Nous citons
cet ouvrage, comme le précédent, d'après le comte de Maistre, ubi suprà ,
p. 239.
(3) Beattie , On Truth , 2 part., chap. 12 , p. 408.— Cité par le comte de
Maistre, ibid.,\>. 219.
(4) Ibid.
Graves incon
vénients
de
ce système
SUR LES SOUVERAINS. — CHAPITRE IV. 669
« ne fournir aucune lumière à l'esprit pour se décider dans les
« occasions difficiles , où les théories sont absolument inutiles.
« Lorsqu'on a décidé ( je l'accorde par supposition ) qu'on a
« droit de résistera la puissance souveraine, et de la faire ren-
« trer dans ses limites, on n'a rien fait encore, puisqu'il reste à
« savoir, quand on peut exercer ce droit, et quels hommes ont
« celai de l'exercer. Les plus ardents fauteurs du droit de résis-
« tance conviennent (et qui pourrait en douter?) qu'il ne sau-
« rait être justifié que par la tyrannie. Mais qu'est-ce que la
« tyrannie? Un seul acte, s'il est atroce, peut-il porter ce nom?
« S'il en faut plus d'un, combien en faut-il , et de quel genre?
« Quel pouvoir , dans l'État, a droit de décider que le cas de ré-
« sistance est arrivé? Si le tribunal préexiste, il était donc déjà
« portion de la souveraineté ; et en agissant sur l'autre portion,
« il l'anéantit; s'il ne préexiste pas, par quelle autorité ce tri-
« bunal sera-t-il établi? Peut-on d'ailleurs exercer un droit,
« même juste , même incontestable, sans mettre dans la balance
«les inconvénients qui peuvent en résulter? L'histoire n'a
« qu'un cri pour nous apprendre que les révolutions commen-
« cées par les hommes les plus sages, sont toujours terminées
« par les fous ; que les auteurs en sont toujours les victimes; et
« que les efforts des peuples, pour créer ou accroître leur liberté,
« finissent presque toujours par leur donner des fers. On ne voit
« qu'abîmes de tous côtés. Mais, dira-t-on, voulez-vous donc dé-
« museler le tigre, et vous réduire à l'obéissance passive?
« Je n'ai jamais dit que le pouvoir absolu n'entraîne de grands
« inconvénients, sous quelque forme qu'il existe dans le monde.
« Je le reconnais au contraire expressément, et ne pense nulle-
« ment à les atténuer ; je dis seulement qu'on se trouve placé
« entre deux abîmes (l). »
(1) De Maistre, ibid. , p. 219-221. On peut consulter, sur ce sujet, pour
de plus amples développements, Bossuet , Cinquième Avertissement,
n. 31, etc. , 55 , etc. — Pey, De V Autorité des deux Puissances , tom. 1,
2e partie, chap. 4.— Duvoisin, Défense de l'Ordre social, chap. 4. — Boyer,
Défense de V Ordre social, tom. h.
Nous ne parlons pas ici d'une autre théorie de gouvernement , qui concen-
tre tous les pouvoirs spirituels et temporels dans les mains du prince ,
en l'établissant chef de l'État , sous le double rapport religieux et poli-
tique. Cette théorie, qui sert de base à la Constitution, en Russie, en
Angleterre, et dans plusieurs États protestants, est fondée elle-même,
670 DEUXIÈME PARTIE. — POUVOIR DU PAPE
3i2. On doit conclure de ces observations, que les théories imagi-
théories nées, dans ces derniers temps, pour résoudre le grand problème
^Luïs!' de la politique, sont, ou inutiles au but qu'on se propose,
pidnes ou pleines de dangers dans la pratique. Qu'on juge, d'après
de dangers. ceia f sj ja théorie d a moyen âge est aussi absurde qu'on l'a
quelquefois prétendu, ou plutôt, s'il est possible d'en imaginer
une plus propre à résoudre le grand problème dont il s'agit, et
à réprimer, autant qu'il est possible, les abus de la souverai-
neté, sans affaiblir le respect qui lui est dû. D'un côté, cette
théorie imprime , en quelque sorte , sur le front des souverains,
un caractère sacré, en établissant comme un principe incontes-
table, qu'ils tiennent leur autorité de Dieu, dont ils sont les ima-
ges et les représentants sur la terre. D'un autre côté, elle rend
les souverains responsables de leur conduite, au tribunal le plus
auguste et le plus respectable qui existe sur la terre, au tribunal de
l'Église ou du Pape, établi par l'autorité de Dieu lui-même, à qui
les princes, comme le reste des hommes, doivent compte de leurs
actions. En conséquence de ces principes, elle oblige les peuples
à regarder la personne du souverain comme inviolable, et à
rendre constamment aux princes, même les plus odieux et les
plus criminels, l'obéissance et le respect dus à leur caractère sa-
cré, jusqu'à ce qu'ils aient été jugés et destitués par l'autorité
suprême de l'Église ou du Pape.
selon ses principaux défenseurs, sur le système de la souveraineté du
peuple, c'èst-à-dire, sur le système qui fait émaner du peuple tous les pou-
voirs existants dans la société. ( Voyez , à ce sujet , l'ouvrage de l'abbé Pey,
De C Autorité des deux Puissances, tom. n, p. 2, etc.) Il est aisé devoirque
cette théorie est sujette à tous les inconvénients que nous venons de signaler
dans les autres: elle a surtout celui de favoriser, plus qu'aucune autre, le des-
potisme du prince et l'oppression du peuple. M. Burter l'apprécie très-bien, en
peu de mots, dans une Note sur la conclusion de Y Histoire d'Innocent III,
où il réfute les reproches fails à ce pontife par l'auteur anonyme iVm\e
brochure intitulée : Origine, progrès et limites de la puissance des Papes.
{Paris , 1821, in-8°.) « Le pontificat d'Innocent III, dit cet auteur (p. 96),
« mérite d'être étudié par les princes et par les hommes d'État, pour appren-
« die combien il est dangereux d'unir le pouvoir civil aux fonctions reli-
« gieuses, et comment les chefs de la religion, qui sont des hommes, sont
« tentés d'étendre ces pouvoirs et de les dénaturer, pour peu (pie les cir-
« constances favorisent leur ambition. » La réponse de M. Hurter, à cette
observation, est aussi courte que péremptoire : « Nous demanderons à l'au-
« teur de cette brochure, dit-il, s'il n'est pas dangereux d'unir les fonctions
« ecclésiastiques aux fonctions civiles , et si les rois sont des anges. ■»
{Hist. d'Innocent III, tom. n, p. 8*7, note 3.)
SUR LES SOUVERAINS. — CHAPITRE IV. 671
Ne serait-il pas permis dépenser, que, de toutes les théories 3i3.
imaginées pour mettre des bornes à la puissance souveraine, LmoyenTge,u
celle-ci n'est pas seulement la plus raisonnable, mais encore la bea,j^uP
moins sujette à inconvénient? On a vu plus haut que Leibniz raisonnable,
ne balançait pas à le croire, et qu'il regrettait, sur ce point, l'u-
sage et la pratique du moyen âge(l). Bossuet, sans adopter, à
cet égard, toutes les idées de Leibniz, les confirme, du moins
en partie, dans la Défense de V Histoire des variations, où il
ne l'ait pas difficulté de dire, que, « s'il fallait comparer les deux
« sentiments, celui qui soumet le temporel des souverains au
« Pape, et celui qui le soumet au peuple, ce dernier parti, où
« la fureur, le caprice, l'ignorance et l'emportement dominent
« le plus, serait le plus à craindre (2). »
Le comte de Maistre adopte pleinement cet avis, et le déve-
loppe d'une manière pleine de force et d'intérêt. « Cessons de
« divaguer, dit-il, et prenons enfin notre parti de bonne foi ,
« sur la grande question de l'obéissance passive, ou de la non-ré-
« sistance. Veut-on poser en principe, que, pour aucune raison
« imaginable , il n'est permis de résister à l'autorité ; qu'il faut
« remercier Dieu des bons princes, et souffrir patiemment les
« mauvais, en attendant que le grand réparateur des torts, le
« temps, en fasse justice; qu'il y a toujours plus de danger à
«résister qu'à souffrir, etc.? J'y consens, et je suis prêt à le
« signer pour l'avenir. Mais s'il fallait absolument en venir à
« poser des bornes légales à la puissance souveraine, j'opine-
« rais de tout mon cœur, pour que les intérêts de l'humanité
« fussent confiés au souverain pontife La puissance
« pontificale est, par essence, la moins sujette aux caprices de
« la politique. Celui qui l'exerce est toujours vieux, célibataire
« et prêtre, ce qui exclut les quatre-vingt-dix-neuf centièmes
« des erreurs et des passions qui troublent les États. Enfin,
« comme il est éloigné , que sa puissance est d'une autre nature
« que celle des souverains temporels, et qu'il ne demande ja-
(1) Voyez ci-dessns, chap. 2, n. 124, p. 470, etc.
(2) Bossuet , Défense de V Histoire des variations , n. 55. (Tom. xxi des
Œuvres, p. 008.) On trouve uu beau développement de ces réflexions, dans
le Panégyrique de saint Louis, par M. Frayssinous (Discours inédits,
pag. 499) ; et dans l'ouvrage du même auteur, Les vrais Principes de l'É-
glise Gall. (2e éditiont pag. 68.)
672
DEUXIEME PARTIE. — POUVOIR DU PAPE
3.4.
[ Elle ne con-
vient pas
à tons
les temps ,
ni
à tous
les Ktais
de
la société.
« mais rien pour lui , on pourrait croire assez légitimement, que
« si tous les inconvénients ne sont pas levés, ce qui est impos-
« sible , il en resterait du moins aussi peu qu'il est permis de
« l'espérer, la nature humaine étant donnée; ce qui est pour
« tout homme sensé le point de perfection. Il paraît donc que,
«pour retenir les souverainetés dans leurs bornes légitimes,
« c'est-à-dire, pour empêcher de violer les lois fondamentales de
« l'État, dont la religion est la première , l'intervention , plus ou
« moins puissante , plus ou moins active de la suprématie spiri-
tuelle, serait un moyen pour le moins aussi plausible que tout
« autre. On pourrait aller plus loin, et soutenir, avec une égale as-
« surance, que ce moyen serait encore le plus agréable, ou le moins
« choquant pour les souverains. Si le prince est libre d'accepter
«ou de refuser des entraves, certainement il n'en acceptera
« point ; car, ni le pouvoir, ni la liberté n'ont jamais su dire :
« C'est assez. Mais à supposer que la souveraineté se vît irrémis-
« siblement forcée à recevoir un frein, et qu'il ne s'agit plus que
« de le choisir, je ne serais point étonné qu'elle préférât le Pape
« à un sénat colégislatif, à une assemblée nationale, etc.; car
« les souverains pontifes demandent peu aux princes, et les énor-
« mités seules attireraient leur animadversion (1). »
Quelque justes et bien fondées que nous semblent ces .obser-
vations, nous sommes bien éloigné d'en conclure, que la théorie
politique du moyen âge soit également applicable à tous les
temps et à tous les États de la société. Nous sommes persuadé
au contraire, que cette théorie, utile à une époque de foi et de
simplicité , où la religion est généralement respectée des princes
et des peuples, serait inutile et impraticable, à une époque où la
religion a généralement perdu son ascendant sur la plus grande
partie de la société. Mais il résulte du moins des observations pré-
cédentes, que cette théorie, qui paraît aujourd'hui si étrange, eu
égard à nos préjugés et à nos mœurs, n'est pas aussi déraisonnable
en elle-même qu'on l'a quelquefois supposé ; et que, vu l'état de
(1) De Maistre, Du Pape, liv. 11, chap. 4. La crainte de multiplier les ci-
tations, nous oblige de renvoyer le lecteur à l'ouvrage même, pour les au-
tres développements que le comte de Maistre donne à ces importantes ré-
flexions. Voyez en particulier, liv. 11, chap. 5 et 1 1 ; liv. m, chap. 4, p. 115-
118, et alibi passim
SUR LES SOUVERAINS. — CHAPITRE IV. 673
la société au moyen âge , elle était moins sujette à inconvénients
que les théories modernes les plus vantées.
II. Après avoir examiné la théorie politique du moyen âge 3.5.
en elle-même, si l'on considère l'application que les papes en P1' l^om
ont faite, on verra de plus en plus, combien les inconvénients ^fjj^
de cette théorie ont été exagérés par une foule d'auteurs mo-
dernes. On croirait, à les entendre, que les papes n'étaient oc-
cupés qu'à juger et destituer des souverains , et souvent sons les
plus légers prétextes (1). L'histoire prouve, au contraire, que la
sévérité des papes ne s'est exercée que contre un petit nombre
de princes , et toujours dans l'intérêt manifeste de la religion et
de la société. « En réfléchissant sur cet objet, dit le comte de
« Maistre, nous sommes sujets à une grande illusion. Trompés
« par les criailleries philosophiques, nous croyons que les papes
« passaient leur temps a déposer les rois ; et parce que ces laits
« se touchent dans les brochures in-douze que nous lisons, nous
« croyons qu'ils se sont touchés de même dans la durée. Com-
« bien compte-t-on de souverains héréditaires , effectivement
« déposés par les papes? Tout se réduisait à des menaces et à des
«transactions. Quant aux princes électifs, c'étaient des créa-
« tures humaines, qu'on pouvait bien défaire, puisqu'on les avait
« faites; et cependant, tout se réduit encore à deux ou trois
«princes forcenés, qui, pour le bonheur du genre humain,
« trouvèrent un frein (faible même et très-insuffisant) dans la
« puissance spirituelle des papes. Au reste, tout se passait à
« l'ordinaire dans le monde politique. Chaque roi était tran-
« quille chez lui , de la part de l'Église ; les papes ne pensaient
« point à se mêler de leur administration ; et jusqu'à ce qu'il
« leur prit fantaisie de dépouiller le sacerdoce , de renvoyer
« leurs femmes , ou d'en avoir deux à la fois , ils n'avaient
« rien à craindre de ce côté A-t-on observé, dit ailleurs
« le même écrivain , que le choc des deux puissances , qu'on
« nomme si mal à propos la guerre de Y empire et du sacerdoce,
« n'a jamais franchi les bornes de l'Italie et de l'Allemagne, du
« moins quant à ses grands effets, je veux dire, le renversement
« et le changement des souverainetés? Plusieurs princes, sans
(1) Voyez les auteurs cités plus haut, pag. 659, note 1.
43
674 DEUXIÈME PARTIE. — POUVOIR DU PAPE
«doute, furent excommuniés jadis; mais quels étaient, en
«effet, les résultats de ces grands jugements? Le souverain
« entendait raison , ou avait l'air de l'entendre : il s'abstenait,
« pour le moment, d'une guerre criminelle ; il renvoyait sa maî-
« tresse, pour la forme ; quelquefois cependant la femme repre-
« nait ses droits. Des puissances amies, des personnages impor-
« tants et modérés s'interposaient; et le Pape, à son tour,
« s'il avait été ou trop sévère ou trop hâtif, prêtait l'oreille
« aux remontrances de la sagesse. Où sont les rois de France,
« d'Espagne, d'Angleterre, de Suède, de Danemark, déposés
« ejficacement par les papes? Tout se réduit à des menaces et
« à des traités ; et il serait aisé de citer des exemples , où les
« souverains pontifes furent les dupes de leur condescendance.
« La véritable lutte eut toujours lieu en Italie et en Allemagne.
«Pourquoi? Parce que les circonstances politiques firent tout ,
« et que la religion n'y entrait pour rien (l). »
3,6. On sera de plus en plus frappé de la justesse de ces réflexions,
cautère gj ym examme je pres le caractère et la conduite des souve-
prino2sdë" rams contre lesquels le saint- siège a fait usage du pouvoir ex-
traordinaire, que lui attribuaient les maximes du moyen âge.
C'étaient des princes coupables des excès les plus notoires, et
les plus funestes au bien de la religion et des États ; c'étaient
des princes concubinaires, simoniaques, parjures, fauteurs du
schisme ou de l'hérésie, oppresseurs des peuples, et persévérant
opiniâtrement dans leurs désordres, malgré les avis et les re-
montrances réitérées du souverain pontife. Tel est le caractère que
tous les historiens s'accordent à tracer de l'empereur Henri IV,
déposé par Grégoire Vil ; de l'empereur Frédéric II, déposé par
Innocent IV; et de la plupart des autres souverains qui ont été
l'objet dépareilles sentences.
3r7. Qu'on se rappelle , en particulier , le caractère de l'empereur
<ardeC'e Henri IV, tel que l'ont dépeint, d'après les auteurs du temps,
iwiTv.r les écrivains modernes les moins suspects de partialité envers
le saint-siége. « Le roi d'Allemagne, dit Fleury, était déjà, à
«l'âge de dix-huit ans, un des plus méchants de tous les
«hommes. Il avait deux ou trois concubines à la fois; et de
(1) De Maistre, du Pape, liv. h, chap. 2, 5 et 11, pag. 218, 238-240, 353.
]'
SDR LES SOUVERAINS. — CHAPITRE IV. 675
«plus, quand il entendait parler de la beauté de quelque fille
« ou de quelque jeune femme , si on ne pouvait la séduire , il se
« la faisait amener par violence. Quelquefois il allait lui-même
« les chercher la nuit; et il exposa sa vie en de telles occasions. ..
« Ces crimes l'engagèrent à plusieurs homicides, pour se défaire
« des maris dont les femmes lui plaisaient. Il devint cruel , même
«à ses plus confidents. Les complices de ses crimes lui deve-
naient suspects; et il suffisait, pour les perdre, qu'ils témoi-
« gnassent, d'une parole ou d'un geste, désapprouver ses des-
« seins.. . . Il donnait les évêchés à ceux qui lui donnaient le plus
« d'argent, ou qui savaient le mieux flatter ses vices; et, après
« avoir ainsi vendu un évêché, si un autre lui en donnait plus,
« ou louait plus ses crimes, il faisait déposer le premier comme
«simoniaque, et ordonner l'autre à sa place; d'où il arrivait
« que plusieurs villes avaient deux évêques à la fois, tous deux
« indignes (1). » Faut-il s'étonner que de pareils excès aient en-
flammé le zèle de Grégoire VII , et qu'il se soit armé d'une juste
sévérité contre Henri, après avoir inutilement épuisé tous les
moyens de douceur pour le ramener de ses désordres? Et, bien
loin de mériter les reproches injurieux qu'on lui a souvent pro-
digués à cette occasion, n'est-il pas évident, qu'en procédant
comme il fit contre l'empereur, il ne fit que remplir un devoir
de conscience?
C'est ainsi qu'il se justifie lui-même, dans plusieurs de ses 3l8.
lettres, et particulièrement dans celle qu'il écrivit à l'arche-
vêque de Mayence, qui lui avait représenté les dangers auxquels se>siitie,
il s'exposait par une trop grande sévérité : « Vous m'apporlez « point.
« dans vos lettres , lui dit-il , bien des raisons qui peuvent pa-
« raître de quelque valeur au jugement des hommes, et qui ne
« me sembleraient pas à mépriser, si elles pouvaient m'excuser
« au jugemeut de Dieu.... Mais si nous considérons combien les
«jugements de Dieu sont différents de ceux des hommes, nous
« ne trouvons presque rien qui puisse nous excuser de négliger
« le salut des âmes, sous prétexte des dangers qui nous mena-
« cent.... Carie mercenaire diffère du pasteur en ce que le pre-
« mier, aux approches du loup, craint plus pour lui-même que
(1) Fleury, Hist. Ecclés., t. xm, liv. lxi, n. 31. — Voyez aussi les au-
teurs cités plus haut, pag. 372, note 1.
43.
Comment
Grégoire VII
676
DEUXIÈME PARTIE. — POUVOIR DU PAPE
3ig.
Les succes-
seurs de
Grégoire VII
également
faciles
à justifier.
« pour ses brebis, et s'embarrassant peu de la dispersion et du
« massacre de son troupeau, l'abandonne et s'eufuit; tandis que
« le pasteur qui aime ses brebis, ne les abandonne pas à Fap-
« proche du danger, et ne balance pas à exposer sa vie pour
« elles. ... Si nous gardons le silence en voyant pécher nos frères,
« et si, les voyant errer, nous ne tâchons de les ramener, par
« nos avis, dans le bon chemin, ne péchons-nous pas nous-mê-
«mes, et n'imitons-nous pas leurs égarements? Ne sommes-nous
« pas coupables des fautes que nous négligeons de corriger (1)? »
Les détails que nous donnerons dans le paragraphe suivant,
sur la conduite des successeurs de Grégoire VII, qui ont imité sa
fermeté à l'égard des souverains , montreront également l'in-
justice des reproches qu'on leur a faits à ce sujet. Nous remar-
querons seulementici, qu'au jugement d'un célèbre jurisconsulte
protestant du dernier siècle, on peut les justifier tous par de
semblables motifs. « On peut assurer à bon droit, dit Sencken-
« berg, qu'il n'y a pas, dans l'histoire, un seul exemple d'un
« Pape qui ait procédé contre les souverains qui, se contenant
« dans leurs droits, ne songeaient point à les outre passer (2). »
Peut-on blâmer les papes d'avoir attaqué avec vigueur de sem-
blables désordres, et d'avoir fait usage, pour cela, du pouvoir
que leur attribuaient les maximes et le droit public de leur
siècle? Ne doit-on pas plutôt admirer leur courage et leur fer-
meté inébranlables, dans cette lutte qu'ils ont si longtemps sou-
tenue, pour l'intérêt de la religion et de la société?
(1) Greg. VII Epis toi lib. m , Epist. 4.
(2) « Jure aflirmari poterit, ne exemplum quidem esse, in omni rerum
« memoriâ, ubi pontifex processerit ad versus eos qui , juribus suis intenti,
« ultra limites vagari in animumnon induxerunt suum. » Senckenberg, Me-
« thodus Jurisprud. additione 4, de Libert. Ecclesiœ German., § 3. —
Voyez, à l'appui de ces réflexions, De Montalembert, Hist. de sainte Elisa-
beth de Hongrie , Introd. , p. xxxvj , etc. Voyez aussi les détails que nous
avons donnés ailleurs, sur la conduite de Philippe Ier, roi de France, de Fré-
déric Barberousse, empereur d'Allemagne , et de quelques autres souve-
rains. Ci-dessus, chap. 1, n. 35; cliap. 2, n. 108, etc. Nous reviendrons
sur ce sujet, dans le paragraphe suivant.
sur
ce sujet.
SUR LES SOUVERAINS. —CHAPITRE IV. 677
5 3. Sur les prétendues guerres produites par le choc des
deux puissances (1).
Tout ce qu'on peut dire de plus odieux contre le pouvoir tem- 320.
porel des papes du moyen âge, et contre l'usage qu'ils en ont ^KîSJj^-
fait, se trouve réuni dans ces deux lignes, sorties de la plume
d'un magistrat français, entraîne, sans le vouloir, par les pré-
jugés dominants de la magistrature dans le dernier siècle :
« Le délire de la toute-puissance temporelle des papes inonda
« l'Europe de sang et de fanatisme ( pendant quatre ou cinq
«siècles) (2). »
Nous avons montré plus haut que les papes n'ont jamais pré-
tendu la toute-puissance temporelle (3), et que celle qu'ils ont
exercée n'était pas en eux l'effet du délire , mais l'application
du droit public alors en vigueur, et le résultat d'une théorie
politique , beaucoup plus sage et plus avantageuse à la société,
que toutes les théories modernes (4). Il nous reste à examiner,
s'il est vrai que le pouvoir temporel des papes, au moyen âge ,
ait inondé l'Europe de sang et de fanatisme , pendant près
de quatre siècles.
Nous conviendrons sans peine que ce pouvoir, quelque légi-
time et avantageux qu'il fût en lui-même , a pu donner lieu à
de fâcheuses discussions entre les deux puissances. Les plus utiles
institutions, les plus sages lois, les droits les mieux établis,
peuvent occasionner, et occasionnent en effet tous les jours, de
semblables inconvénients, par une suite inévitable des passions
et de la malice des hommes. Pour ce qui regarde en particulier
le pouvoir temporel des papes, au moyen âge, il était inévitable
qu'il troublât quelquefois la paix et l'harmonie des deux puis-
sances. 11 eût été bien étonnant, que les souverains excommu-
niés et déposés par le Pape, ne cherchassent point à soutenir
leurs droits ou leurs prétentions. La résistance d'un criminel au
jugement qui le flétrit, s'explique naturellement par les motifs
(1) De Maistre, Du Pape, liv. h, chap. 12.
(2) Ferrand, Esprit de l'Histoire, tom. h, lettres 28 et 41 , p. 221, 222
et 413.
(3) Ci-dessus , § 1er.
(4) Ibid., § 2.
32T.
Véritables
causes
de la lutte
des
deux puis-
sances.
678 DEUXIÈME PARTIE. — POUVOIR DU PAPE
d'intérêt qui le conduisent, et ne prouve rien contre la sagesse
des lois, ou contre la prudence du juge qui les applique.
Mais si le pouvoir temporel du Pape, au moyen âge, a pu
occasionner de fâcheuses discussions entre les deux puissances,
peut-on dire avec vérité , ou avec tant soit peu de vraisemblance,
qu'il a inondé l'Europe de sang , pendant quatre ou cinq
siècles? Rien de plus visiblement exagéré que cette assertion;
la lecture attentive de l'histoire montre clairement, que les pré-
tendues guerres occasionnées par le choc des deux puissances,
n'ont eu ni la cause, ni la durée, ni Y universalité qu'on leur
attribue.
1° On suppose que les guerres dont il s'agit, ont eu pour cause
le pouvoir temporel du Pape, et l'usage qu'il en a fait contre les
empereurs. Il est certain, au contraire, que la plupart de ces
guerres ont eu des causes tout à fait différentes. Tantôt c'étaient
les prétentions excessives des empereurs; tantôt leurs désordres
notoires; tantôt leur obstination à soutenir un antipape; tantôt
les dissensions politiques entre les princes, et particulièrement
entre les électeurs de l'empire. Les bornes qui nous sont pres-
crites ne nous permettent pas de rappeler en détail tous les
événements dont il est ici question; il nous suffira de rappeler
quelques-uns des plus remarquables , principalement ceux qui
se rapportent aux règnes des empereurs Henri IV et Frédéric II,
dans lesquels on a cru trouver plus de fondement à la difficulté
que nous examinons en ce moment (1).
Si l'on remonte à l'origine des troubles de l'empire, sous
l'empereur Henri IV, on verra que la première cause de ces
troubles fut la conduite inouïe et sacrilège de ce prince, qui,
Grégoire vu. malgré les avertissements réitérés de Grégoire VIL, persistait
opiniâtrement dans les désordres les plus scandaleux , et foulait
ouvertement aux pieds les droits de l'humanité, comme ceux de
l'Église (2). Bien loin de se rendre aux avis et aux exhortations
du pontife, Henri multiplie chaque jour ses excès, et porte sans
(1) De Maistre, ubi suprà, chap. 12 et 13. — Maimbonrg, Hist. de la
décadence de l'Empire de Charlemagne.
(2)Fleury, Hist. Ecclés., tom. xm , liv. lxii, n. 11, 25, 28. — Voigt,
Hist. de Grégoire VII, liv. vu et vin. Voyez aussi Y Introduction de cette
Histoire , par M. Jager , pag. xxhi , etc. — Maimbourg , ubi suprà , année
1075, etc.
322.
Excès de
Henri IV;
modération
de
SUR LES SOUVERAINS. — CHANTRE IV. 679
cesse de nouvelles attaques à la religion et aux mœurs; il s'é-
tablit, dans ses États, arbitre souverain des dignités ec-
clésiastiques, les conférant, selon ses caprices et ses intérêts,
aux sujets les plus indignes. Menacé d'excommunication, en
punition de tant d'excès, il méprise les censures de l'Église; et
oubliant toute mesure, il adresse au pontife les lettres les plus
insultantes ; il ose môme le faire déposer dans un conciliabule
assemblé à Worms(l). Alors enfin Grégoire VII, usant du pou-
voir que lui donnait le droit public de son temps, sur les sou-
verains rebelles à l'Église, et particulièrement sur le roi de
Germanie, publie, contre ce prince incorrigible, une sentence
d'excommunication et de déposition, et déclare en conséquence
ses sujets déliés à son égard du serment de fidélité. Toutefois,
il ne donne pas d'abord cette sentence comme définitive ; car,
dans une lettre écrite sur ce sujet aux seigneurs allemands, il
se contente de les exhorter à élire un autre empereur, supposé
que Henri persiste dans ses mauvaises dispositions (2). L'opi-
niâtreté de ce prince, et les sujets de mécontentement qu'il
donnait depuis longtemps aux seigneurs allemands, engagèrent
en effet ceux-ci à faire choix de Rodolphe, duc de Souabe, dont
l'élection fut le signal de la guerre entre les deux prétendants.
Quelle fut donc, en cette occasion, la véritable cause delà 3*3.
guerre? Il serait aussi injuste de l'attribuer à Grégoire VII , que niable mum'
de rendre un juge responsable des excès auxquels se porte un iagUme.
criminel justement condamné. Ce fut évidemment le prince
qui provoqua la sévérité du Pape : celui-ci n'employa d'abord
contre Henri que les armes spirituelles; ce ne fut qu'à l'extrémité
qu'il en vint à la peine de déposition ; encore ne le fit-il que
par manière de simple menace, et en se montrant disposé à
révoquer la sentence, dans le cas où Henri s'amenderait. Bien
plus, il laissait le jugement de ses dispositions aux électeurs,
qui, d'après la constitution de l'empire, pouvaient juger l'em-
pereur, conjointement avec le Pape. « Nul doute, dit à ce sujet
« le comte de Maistre, sur la vérité de cette proposition (c'est-
« à- dire, sur le droit qu'avaient les électeurs de déposer l'empe-
(1) Voigt, ubi suprà, pag. 364, etc.
(2) Fleur y, ibid., n. 33. —Voigt, ibid., liv. ix, pag. 406.
680 DEUXIEME PARTIE. — POUVOIR DU TAPE
o reur). Il ne faut point confondre les électeurs modernes, purs
« titulaires sans autorité, nommant, pour la forme, un prince
« héréditaire dans le fait; il ne faut point, dis-je, les confondre
« avec les électeurs primitifs , véritables électeurs , dans toute
« la force du terme, qui avaient incontestablement le droit de
« demander à leur créature compte de sa conduite politique!...
d Le Pape, au reste, dans tout ce qu'on vient de voir, ne trou-
if blait point le droit public de l'empire : il ordonnait aux élec-
« teurs de délibérer et d'élire ; il leur ordonnait de prendre les
« mesures convenables, pour étouffer tous les différends. C'est
« tout ce qu'il devait faire. On a bientôt prononcé les mots faire
« et défaire les empereurs; mais rien n'est moins exact; car le
« prince excommunié était bien le maître de se réconcilier (l). »
La suite de l'histoire nous montre les démêlés des papes avec
Excès non jes empereurs , et les guerres qui en furent la suite, occasion-
moins visibles L m "
des nés, dans le principe, par les prétentions injustes, et souvent
empereurs « . ,. -, T , . . ,
déposés de- schismatiques , des empereurs. L origine de ces guerres, sous
Pu.sHenniv. p^éric Barberousse, fut l'obstination de ce prince à protéger
un antipape (2); sous Othon IV, l'usurpation qu'il fit des terres
du Pape, et de celles du roi de Sicile, allié et vassal du saint-
siége (3) ; sous Frédéric II, le parjure et l'impiété de ce prince,
qui, après s'être engagé par serment, et sous peine d'excom-
munication , à porter ses armes en Palestine, au lieu de remplir
ses engagements, ne pensait qu'à grossir son trésor, aux dépens
mêmes de l'Église, pour opprimer la Lombardie (4). « On a ac-
« cusé Grégoire IX, dit le comte de Maistre (5) , de s'être laissé
«emporter par la colère, et d'avoir mis trop de précipitation
« dans sa conduite envers Frédéric. Muratori a dit d'une ma-
«nière; à Rome, on a dit d'une autre ; cette discussion, qui
(t) De Maistre, Du Pape, liv. h, chap. 12, pag. 357. Remarquez aussi,
dans le même ouvrage la note 2 de la page 372, et la note 1 de la page 376.
(2) Fleury, Hist. Ecclés., tom. xv, liv. lxx, n. 39, etc. — Pfeffel, Abrégé
de l'Hist. d'Allemagne, année 1162. — Maimbourg, ubi suprà, année
1159.
(3) Fleury , ibid., tom. xvi, liv. lxxvi, n. 51; liv. lxxvii, n. 4. — Pfeffel,
ibid., année 1210. — Maimbourg, ubi suprà, année 1209, etc.
(4) Fleury, ibid. , tom. xvi , liv. lxxviii, n. 41, 58, etc.; liv. lxxix,
n. 37, etc. — Michaud, Hist. des Croisades, tom. îv, pag. 2, etc. — Mi-
chelet, Hist. de France, tom. n, pag. 555, etc.
(5) De Maistre , ibid. , pag. 366.
SUR LES SOUVERAINS. — CHAPITRE IV. 681
« exigeait beaucoup de temps et de peine, est étrangère à un
« ouvrage où il ne s'agit pas du tout de savoir, si les papes n'ont
« jamais eu des torts. Supposons, si l'on veut, que Grégoire IX
« se soit montré trop inflexible; que dirons-nous d'Innocent IV,
« qui avait été l'ami de Frédéric avant d'occuper le saint-siége,
« et qui n'oublia rien pour rétablir la paix? Il ne fut pas plus
« heureux que Grégoire ; et il finit par déposer solennellement
« l'empereur, dans le concile général de Lyon, en 1245, » pour
les crimes de parjure, de sacrilège, d'hérésie et de félonie, ju-
ridiquement prouvés et reconnus dans le même concile (1).
Ce fut à l'occasion des démêlés de Frédéric II avec les papes origine5 pure-
Grégoire IX et Innocent IV, que se formèrent en Italie les ^fqlue
fameux partis des Guelfes et des Gibelins, qui causèrent tant des factions
r "* ' * des Guelfes
de troubles et de désordres dans ce pays , pendant près de deux et
siècles, les uns (les Gibelins) soutenant avec ardeur la cause
des empereurs, et les autres (les Guelfes) celle des papes (2).
Mais la religion n'entrait pour rien dans leurs différends , dont
l'unique et véritable cause était dans les sentiments de haine,
de jalousie et d'ambition, qui divisaient alors toutes les villes
d'Italie. « Il ne faut pas croire , dit à ce sujet le P. Maimbourg ,
« que ces deux factions, dont l'une était pour les papes, et l'autre
« pour les empereurs , se fissent la guerre pour la religion. Les
« uns et les autres faisaient profession d'être catholiques; ce
« n'était que la haine et l'ambition qui les armaient les uns
« contre les autres, pour s'entre-détruire , et pour établir leur
« puissance dans les provinces dont ils auraient chassé leurs
« ennemis. Il y avait seulement cette différence entre eux, que
« les Gibelins reconnaissaient les empereurs pour leurs souve-
« rains, et tenaient de l'empire ce qu'ils occupaient : au con-
traire, les Guelfes s'étant détachés de l'empire, qu'ils ne
« voulaient pas reconnaître, se tenaient toujours du côté des
« papes, contre les empereurs (3). « On a vu plus haut, que Vol-
(1) Voyez, pour le développement de ces faits, les auteurs cités plus
haut, chap. 2, n. 149, p. 492, etc.
(2) Sur l'origine et l'histoire des Guelfes et des Gibelins , voyez Maim-
bourg, ubi suprà, pag. 434, 494, 511, 546, etc. — Piefïel, Abrégé de VHïst.
d'Allemagne, années 1 139 et 1310. — De Maistre, ibid., chap. 7, pag. 304.
(3) Maimbourg, ubi suprà, p. 546. — PfefTel, ibid.., année 1310.— De
Maistre, ibid., p. 373-375.
682
DEUXIEME PARTIE. ^— POUVOIR DU PAPE
3z6.
La guerre n'é-
tait pas
proprement
entre
les deux
puissances ,
mais entre
l'Allemagne et
l'Italie.
327.
Exagérations
sur la
durée de cette
guerre :
sa prétendue
universalité.
taire lui-même n'avait pu s'empêcher de reconnaître la justesse
de ces réflexions (1).
Nous ne pousserons pas plus loin l'examen des faits qu'on
nous oppose : nous en avous dit assez pour montrer à un lec-
teur judicieux la vérité de ces observations du comte de Maistre:
Il est faux qu'il y ait eu (dans ces temps malheureux) une
guerre proprement dite entre V empire et le sacerdoce. On ne
cesse de le répéter, pour rendre le sacerdoce responsable de
tout le sang versé pendant cette grande lutte ; mais, clans le
vrai, ce fut une guerre entre l'Allemagne et l'Italie, entre
l'usurpation et la liberté , entre le maître qui apporte des
chaînes et l'esclave qui les repousse ; guerre dans laquelle les
papes firent leur devoir de princes italiens et de politiques
sages, en prenant parti pour l'Italie, puisqu'ils ne pouvaient ni
favoriser les empereurs sans se déshonorer , ni essayer même
la neutralité sans se perdre Userait bien difficile, pour ne
pas dire impossible, d'assigner, dans l'histoire de ces temps
malheureux , une seule guerre directement et exclusivement
produite par une excommunication. Ce mal venait le plus
souvent s'ajouter à un autre, lorsque, au milieu d'une guerre
allumée déjà par la politique, les papes se croyaient, par quel-
ques raisons, obligés de sévir. L'époque de Henri IV et celle de
Frédéric II, sont les deux où l'on pourrait dire avec plus de
fondement, que l'excommunication enfanta la guerre; et
cependant encore, que de circonstances atténuantes, tirées
ou de l'inévitable force des circonstances, ou des plus insup-
portables provocations, ou de l'indispensable nécessité de
défendre l'Église, ou des précautions dont les papes s'en-
vironnaient pour diminuer le mal (2). »
2° Aux exagérations manifestes que nous venons de signaler,
il faut ajouter celles qui regardent la durée et Yuniversalité des
prétendues guerres occasionnées par le choc des deux puis-
sances. Il est certain, comme on vient de le voir, que ces
guerres, bien loin de s'étendre à l'Europe entière, étaient
presque toujours concentrées en Allemagne et en Italie. Il est
également certain que le commencement des grandes divisions
(1) Voyez plus haut, n. 304.
(2) De Maistre, ibid., p. 303 et 375.
SUR LES SOUVERAINS. — CHAPITRE IV. 683
entre le sacerdoce et l'empire ne peut être placé plus haut que
l'année 1076, époque de l'excommunication de l'empereur
Henri IV, et que la fin de ces divisions ne peut être fixée plus tard
que l'époque de la bulle d'or, publiée par l'empereur Charles IV,
en 1356 (l) ; ce qui réduit la durée de ces funestes divisions à
moins de trois siècles , au lieu de quatre ou cinq qu'on leur a
quelquefois donnés (2). « Qu'on retranche d'ailleurs de cette
« période, les temps où les papes et les empereurs vécurent en
«bonne intelligence; ceux où les querelles demeurèrent de
« simples querelles; ceux où l'empire se trouvait dépourvu de
« chefs , dans les interrègnes qui ne furent ni courts ni rares
« pendant cette époque; ceux où les excommunications n'eurent
« aucune suite politique ; ceux où le schisme de l'empire n'ayant
« pris son origine que dans la volonté des électeurs , sans
« aucune participation de la puissance spirituelle, les guerres
« lui demeuraient parfaitement étrangères; ceux enfin où n'ayant
« pu se dispenser de résister , les papes ne répondaient plus de
« rien , nulle puissance ne devant répondre des suites coupables
« d'un acte légitime ; et l'on verra à quoi se réduisent ces
« quatre siècles de sang et de fanatisme ( imperturbablement
« cités à la charge des souverains pontifes (3). »
ARTICLE II.
Avantages réels de ce pouvoir.
L'examen que nous venons de faire des prétendus inconvé- 328.
nients de ce pouvoir, montre suffisamment à un lecteur attentif e«'dn?ts T*
les grands avantages que la religion et la société en ont reti- iroi**™cl'
rés. Toutefois, il ne sera pas inutile de les résumer ici en peu
de mots, pour faciliter au lecteur la comparaison de ces grands
avantages, avec les prétendus inconvénients qu'on leur a sou-
vent opposés. Il suffit, en effet, de jeter un coup d'oeil sur l'his-
toire du moyen âge, pour se convaincre que le pouvoir du Pape
et des conciles sur les souverains, était alors le principal moyen
(1) Voyez, au sujet de cette bulle, Maimbourg, ubi suprà, année 1 356. —
Pfeffel, ibid.— Lenglet-Dufïesnoy , Méthode pour étudier l'Histoire , édi-
tion in-12, tom. vi, nag. 329. —Diction, de Moréri, article Bulle d'or.
(2) Voyez la note 1 de la page 665.
(3) De Maistre, ubi suprà, pages 376 et 377.
684 DEUXIÈME PARTIE. — POUVOIR DU PÀFE
employé par la Providence, pour le maintien de la religion,
des mœurs , et de la tranquillité publique.
§ Ier. Avantages de ce 'pouvoir pour le maintien de la
RELIGION.
329. Ce premier avantage se manifeste surtout dans la querelle des
Notions fon- . » •_» n . *i i •
damentaies investitures , qui a fourni aux papes et aux conciles le pnn-
sur les
investitures.
cipal motif de leur sévérité à l'égard des souverains.
Pour l'intelligence de ce premier point , il est nécessaire de
donner ici quelques notions sur Yinvestiture en général, et
principalement sur les investitures ecclésiastiques (1).
V investiture en général, dans le style des auteurs du moyen
âge, est la tradition ou la mise en possession d'un fief ou d'un
bien-fonds , donné par un seigneur suzerain à son vassal.
Cette tradition se faisait communément par quelque action sym-
bolique , qui exprimait la cession faite du fief ou du bien-fonds
au nouveau propriétaire; par exemple, par la présentation
d'une pierre, d'une branche d'arbre, d'un morceau de gazon,
ou de tout autre objet dont l'usage avait été introduit par le
caprice des coutumes locales.
Depuis que les princes eurent doté les évcchés et les abbayes,
en leur assignant des fiefs ou des biens-fonds, ils réclamèrent
naturellement le droit d'investir les prélats du temporel de leurs
évêchés ou de leurs abbayes, comme ils avaient coutume d'en
investir auparavant les seigneurs laïques. Les fiefs ecclésiasti-
ques suivirent, à cet égard, la loi des fiefs séculiers; en sorte
que les évoques et les abbés , comme les autres seigneurs tem-
porels, ne pouvaient entrer en possession de leurs fiefs, qu'a-
près avoir reçu Yinvestiture du prince. Cette investiture se fai-
sait, pour les prélats, par la tradition de l'anneau et de la
crosse, emblèmes naturels de la juridiction épiscopale. Pour
cet effet, aussitôt qu'une église ou une abbaye devenait va-
cante, l'anneau et la crosse étaient portés au prince par une dé-
putation du chapitre ou de la communauté ; et le prince les
remettait à celui qu'il avait choisi , avec une lettre qui ordon-
(1) Ducange, Glossarium mediœ et infimes Latinit. verbo Investitura.
SUR LES SOUVERAINS. — CHAPITRE IV. 685
riait aux officiers laïques de le maintenir dans la possession des
terres appartenant à l'église ou à l'abbaye.
Cette cérémonie, en elle-même, n'avait rien que de légitime, 330.
en bornant son effet à la collation du temporel attaché aux di- "qiêreiJ a
gnités ecclésiastiques ; mais elle pouvait donner lieu à un grand im>^^BFeSi
abus, qui ne tarda pas, en effet, à s'introduire en Allemagne.
L'anneau et la crosse étant des symboles naturels de l'autorité
spirituelle, les princes abusèrent du droit d'investiture, pour
s'arroger celui de conférer la juridiction spirituelle : ils préten-
dirent disposer en maîtres souverains, des évêchés et des ab-
bayes, comme des dignités séculières, et les distribuer à prix
d'argent, au grand détriment des droits et de la discipline de
l'Église. Telle fut l'origine de la querelle des investitures.
L'Église les avait tolérées, tant qu'elles n'avaient pas gêné la
liberté des élections; mais elle réclama hautement, d'abord par
l'organe des souverains pontifes, ensuite par l'organe même des
conciles œcuméniques, depuis qu'on les eut fait servir de pré-
texte à une usurpation manifeste des droits qu'elle a reçus de
Jésus-Christ, pour le libre choix de ses ministres (1).
Pour éclaircir davantage cette matière, il faut encore distin- La cérémonie
guer ici la cérémonie de Y investiture, d'avec celles de Yhom- viwesutun,
mage et du serment de fidélité (2). V investiture était, comme ^32!
on l'a vu , la tradition ou la mise en possession d'un fief, donné de l'^™^»
par le seigneur à son vassal. V hommage , qui précédait or- «/«•*«/
dinairement Y investiture , était une profession extérieure de la
soumission et du dévouement du vassal envers son seigneur.
Pour faire cette profession, le vassal, à genoux, tête nue, les
mains placées dans celles de son seigneur, promettait de le ser-
vir loyalement et fidèlement, en considération du fief qu'il
(1) Voyez YIntrod. de M. Jager, à VHistoire de Grégoire VII, p. vi, etc.
— Pey, De l'Autorité des deux Puissances, tom. 111, p. 136. — Montagne,
Appendix de Concil.; ad calcem Prœlect. Theol. de Opère sex die-
rumy pag. 279, etc. — De la Hogue, De Ecclesid, pag. 455. — Noël Alexan-
dre, Dissert. 4 in Hist. Eccles. sœculorum xi et xn. La lecture de ces
auteurs peut servir de correctif à un grand nombre d'autres, qui ont traité
cette matière avec autant de légèreté que d'inexactitude. M. Nettement, dans
la Vie de Suger, d'ailleurs aussi exacte qu'intéressante, ne s'est pas tenu assez
en garde contre les fausses idées de ces derniers. !(p. 25, 47, etc. Voyez le
compte rendu de cet ouvrage dans Y Ami de la Religion, t cxiv, p. 513, etc.),
(2) Ducange, Glossar. inf. Latin., verbis Hominium et Juramenlum.
686 DEUXIÈME PARTIE. — POUVOIR DU PAPE
tenait de lui. M hommage était ordinairement suivi du serment
de fidélité; mais cette dernière cérémonie n'était pas nécessai-
rement personnelle, comme celle de Y hommage: celui-ci était
fait par le vassal en personne, tandis que \e serment de fidé-
lité pouvait être fait par procureur,
obje^de la Ces notions étant supposées , il est important de remarquer
contestation que |a controverse relative aux investitures ecclésiastiques, était
sur les ' •* '
investitures; tout à fait différente de celle qui regardait Y hommage et le
importance , . .
de serment de fidélité. 11 y eut, à la vente, depuis le pontificat
^ equeaion. ^ Grégoire VII , des contestations assez vives, entre les deux
puissances, sur ces deux dernières cérémonies, aussi bien que
sur la première ; mais le principal sujet de contestation fut tou-
jours sur les investitures , constamment blâmées, même parles
papes et les conciles, qui croyaient devoir tolérer, par une sage
condescendance, la cérémonie de Y hommage et celle du ser-
ment de fidélité (l).
On voit, d'après cela, quelle était l'importance de la ques-
tion des investitures, si longtemps agitée entre les deux puis-
sances, avec une chaleur que nous avons aujourd'hui tant de
peine à comprendre. L'objet de cette question n'était pas une
cérémonie indifférente, comme le supposent, à la suite de
Voltaire , des écrivains légers et superficiels (2). 11 faudrait
ignorer complètement l'histoire de cette controverse, pour en
avoir une pareille idée (3). Il résulte, au contraire, de tous les
détails de cette histoire, que jamais aucune controverse ne fut
d'un plus grand intérêt, dans l'ordre de la religion. « Les empe-
« reurs, dit Bossuet, abusaient de l'usage des investitures pour
«vendre les évêchés, et réduire l'Église de Jésus-Christ à une
« éternelle servitude (4). » Il ne s'agissait donc ici de rien moins,
(1) Natal. Alex., Hist. Eccl. sœc. xi et xii, cap. 7, art. 5, n. 6. Remar-
quez les notes du P. Alex, et du P. Mansi, à la suite de ce chapitre.
(2) Vollaire, Essai sur VHist. Qén.,\Q\\\. i, chap. 46.
(3) Les plus vives contestations, sur cette matière, eurent lieu entre l'em-
pereur Henri V, et les papes Pascal II et Callixte II. On peut en voir le récit
dans les Histoires de Fleury, Bérault-Bercasteî, Maimbourg, etc. Remarquez
en particulier l'accord définitif qui fut conclu, en 1122, entre l'empereur
Henri V et le pape Callixte II, et qui termina toutes les contestations. Le
texte seul de cet accord suffirait pour montrer tout à la fois l'objet et l'im-
portance de cette discussion. On peut voir ce texte dans la Collection des
Conciles du P. Labbe, tom. x, pag. 901.
(4) Bossuet, Defens. Declar.t Ub. m, cap. 12, inilio.
SUR LES SOUVERAINS. — CHAPITRE IV. 687
que de la liberté essentielle à l'Église dans son gouvernement,
et particulièrement dans le choix de ses ministres; il s'agissait
de la religion tout entière, dont le sort dépend principalement
de ce choix ; d'où il suit que les papes, en sauvant les droits de
l'Église, dans la querelle des investitures , ont sauvé la reli-
gion elle-même, comme ils l'eussent infailliblement perdue,
en fléchissant sur un point si essentiel. « Certes, dit à ce sujet le
« comte de Maistre, ce n'était pas une vaine querelle que celle
« des investitures. Le pouvoir temporel menaçait ouvertement
« d'éteindre la suprématie ecclésiastique. L'esprit féodal qui do-
« minait alors, allait faire de l'Église, en Allemagne et en Ita-
« lie, un grand fief relevant de l'empereur Ce prince
« vendait publiquement les bénéfices ecclésiastiques ; les prêtres
« portaient les armes; un concubinage scandaleux souillait
« l'ordre sacerdotal ; il ne fallait plus qu'une mauvaise tête,, pour
« anéantir le sacerdoce , en proposant le mariage des prêtres
« comme un remède à de plus grands maux. Le saint-siége seul
« put s'opposer au torrent, et mettre au moins l'Église en état
« d'atteindre, sans une subversion totale, la réforme qui devait
«s'opérer dans les siècles suivants Les papes ne dispu-
« taient point aux empereurs Y investiture par le sceptre; mais
« seulement l'investiture par la crosse et l'anneau. Ce n'était
« rien, dira-t-on. Au contraire, c'était tout; et comment se se-
« rait-on si fort échauffé de part et d'autre , si la question n'avait
« pas été importante? Les papes ne disputaient pas même sur
« les élections, comme Maimbourg le prouve par l'exemple de
« Suger (1). Ils consentaient de plus à X investiture par le scep-
« tre; c'est-à-dire, qu'ils ne s'opposaient point à ce que les
« prélats, considérés comme vassaux, reçussent de leur seigneur
« suzerain , par X investiture féodale , ce mère et mixte em-
« pire (2) (pour parler le langage féodal), véritable essence du
« fief , qui suppose, de la part du seigneur féodal, une partici-
«pationà la souveraineté, payée envers le seigneur suzerain
« qui en est la source , par la dépendance politique et la loi mi-
(1) Maimbourg, Hist. de la Décad. de V Empire, année 1121.
(2) Merum et mixtum impcrium. Ces mots désignent communément,
dans le langage féodal, la juridiction seigneuriale complète, en tant
qu'elle renferme la justice haute et basse, civile et criminelle. Voyez
Ducange, Glossarium infimœ Latin*, verbo Imperium.
688 DEUXIÈME PARTIE. — POUVOIR DU PAPE
« litaire. Mais ils ne voulaient point d'investiture par la crosse
«et par l'anneau; de peur que le souverain temporel, en se
« servant de ces deux signes religieux, pour la cérémonie de l'in-
« vestiture, n'eût l'air de conférer lui-même le titre et lajuri-
« diction spirituels , en changeant ainsi le bénéfice en fiej; et
« sur ce point , l'empereur se vit , à la fin , obligé de céder (l).
« En un mot, c'en était fait de l'Église, humainement
« parlant; elle n'avait plus de forme, plus de police, et bientôt
« plus de nom, sans l'intervention extraordinaire des papes, qui
« se substituèrent à des autorités égarées ou corrompues , et
« gouvernèrent d'une manière plus immédiate pour rétablir
«l'ordre (2). »
333. Tel est le jugement porté de la controverse des investitures,
Ctlncë,nïe- non-seulement par des écrivains catholiques, mais par desau-
counue par teurs protestants , que de profondes études ont conduits à juger
des écrivains * ' * * o o
protestants, les papes du moyen âge avec une modération qu'on re-
grette de ne pas trouver dans certains auteurs catholiques.
Déjà nous avons cité là-dessus le témoignage de Voigt, dans
Y Histoire de Grégoire 17/(8'). Celui de Hurter, dans Y His-
toire d'Innocent III , n'est pas moins remarquable. « Cest dans
« les premières luttes des papes, dit-il , pour conserver leur in-
« pendance, dans tout ce qui concerne le gouvernement de
«l'Église, que le christianisme trouva un préservatif contre
<- l'asservissement de la puissance temporelle , et le moyen de
« n'être pas réduit à devenir simple constitution de l'État,
« comme la religion chez les païens (4). »
§ 2. Avantages de ce pouvoir , pour le maintien des mœurs.
334. Ce n'était pas seulement en maintenant l'indépendance de
Ce pouvoir ,, • ,. , ,. -11 • , n
principale. FEglise contre les usurpations de la puissance temporelle, que
empk^fpour le pouvoir temporel des papes rendait les plus grands services
ia rilicèncnee,des à la religion ; c'était encore en travaillant au maintien des
princes. mœurs publiques , et surtout à la sainteté du mariage, si sou-
(1) Maimbourg , ubi supra.
(2) De Maistre, Du Pape, liv. h, chap. 7, p. 285-297, passim.
(3) Voigt, ffist. de Grég. VII, liv. iv, v, p. 133, etc. 177, etc. Con-
clusion , p. 605, etc.
(4) Hurter, Hist. d'Innocent III, tom. i, p. 123.
SUR LES SOUVERAINS. — CHAPITRE IV. 689
vent et si ouvertement violées par l'incontinence des souve-
rains (l). Un grand adversaire des papes, qui ne laisse échapper
aucune occasion de se plaindre du prétendu scandale des excom-
munications, fait observer que c'étaient toujours des mariages
faits ou rompus , qui ajoutaient ce nouveau scandale au pre-
mier (2). Il est certain , en effet , que les souverains pontifes em-
ployèrent principalement l'excommunication et ses terribles ef-
fets, pour réprimer la licence des princes. Onconnaît, à cet égard,
la juste sévérité du saint-siége contre Lothairele Jeune, roi de
Lorraine, contre les rois de France Robert, Philippe Ier, Phi-
lippe II, et plusieurs autres souverains. Or, il ne faut qu'un peu
de réflexion pour comprendre les services importants que les
papes ont rendus à la religion et à la société, par leur inflexible
fermeté, sur ce point. «Jamais, dit le comte de Maistre, les
«papes et l'Église, en général, ne rendirent de service plus
« signalé au monde, que celui de réprimer chez les princes, par
« l'autorité des censures ecclésiastiques, les accès d'une passion
« terrible , même chez les hommes doux , mais qui n'a plus
« de nom chez les hommes violents , et qui se jouera
« constamment des plus saintes lois du mariage, partout où
« elle sera à l'aise. L'amour , lorsqu'il n'est pas apprivoisé , jus-
« qu'à un certain point, par une extrême civilisation, est un ani-
« mal féroce, capable des plus horribles excès. Si l'on ne veut
« pas qu'il dévore tout , il faut qu'il soit enchaîné ; et il ne
« peut l'être que par la terreur. Mais que fera-t-on craindre à
« celui qui ne craint rien sur la terre? La sainteté des mariages,
« base sacrée du bonheur public, est surtout de la plus haute
«importance dans les familles royales, où les désordres d'un
«certain genre ont des suites incalculables, dont on est bien
« éloigné de se douter. Si, dans la jeunesse des nations sep-
« tentrionales , les papes n'avaient pas eu le moyen d'épouvan-
« ter les passions souveraines , les princes , de caprices en capri-
(1) De Maistre, Du Pape, liv. n, chap. 7, art. 1.
(2) Ferrand, L'Esprit de l'Histoire, tom. n, lettre 47 , pag. 485.
Le comte de Maistre fait observer avec raison , que M. Ferrand pssocie,
en cet endroit, les idées les plus incohérentes. Selon lui , « un adultère pu-
« blic est un scandale ; et l'acte destiné à le réprimer est un scandale
« aussi. Jamais deux choses plus différentes ne portèrent le même nom. »
(De Maistre , ubi suprà, art. i , pag. 270. )
44
690 DEUXIÈME PARTIE. — POUVOIR DU PAPE
« ces et d'abus en abus , auraient fini par établir en loi le
« divorce, et peut-être la polygamie ; et ce désordre se répétant,
« comme il arrive toujours, jusque dans les dernières classes
« de la société, aucun œil ne saurait plus apercevoir les bornes
« où se serait arrêté un tel débordement (1). »
335. A l'appui de ces réflexions, nous citerons celles de Hurter ,
m Hurier, !ur dans V Histoire d'Innocent III: « La légèreté avec laquelle tant
ce pomt. a ^ gran(js Seigueurs contractaient mariage, doit nous faire
« apprécier une autorité, qui, si elle ne pouvait empêcher le liber-
« tinage de briser un lien sacré, savait du moins, quand des
« plaintes lui arrivaient , accorder une protection énergique aux
« victimes, et rappeler aux princes qu'ils devaient le bon exemple
« à leurs sujets (2). » C'est d'après ce principe, que le même auteur
justifie la fermeté d'Innocent III à soutenir les lois sacrées du
mariage, contre l'incontinence de Philippe-Auguste. Les réflexions
de Hurter, sur ce sujet, sont d'autant plus dignes d'attention,
qu'elles sont également applicables à tous les papes qui ont
déployé, en de semblables occasions, la même fermeté. « Il ne
« s'agissait ici, dit-il, ni de possessions, ni de droits contestés
« du saint-siége, mais bien de cette grande question : Le sou-
« verain est-il soumis aux lois du christianisme, qui doivent
« régler les relations humaines? Nous disons d'abord, que si ces
« lois étaient appliquées, à cette époque, d'une autre manière,
« et peut-être plus sévèrement que de nos jours, on ne peut en
« faire un prétexte pour blâmer la conduite du Pape dans cette
« circonstance. Ici le Pape se trouvait vis-à-vis , non du prince,
« mais du chrétien. Il ne le combattait point comme prince tem-
'<. porel, mais comme premier gardien des préceptes que Dieu
« avait donnés aux hommes. Il s'agissait de décider ce qui l'em-
« porterait, ou la volonté du prince, ou la force regardée (alors
«du moins) comme constituant l'unité chrétienne; ou bien si,
«devant celle-ci, la puissance temporelle devait s'abaisser et
« disparaître? La conduite d'Innocent , dans l'affaire du divorce,
« prouve qu'il n'a été guidé que par la juste application de ses
«devoirs et de ceux des princes, et qu'animé d'un zèle tout
« apostolique , il ne se laissa influencer par aucune considération
(1) De Maistre, ubi suprà, pag. 270.
(2) Hurter, Hist. d'Innocent III, tom. ir, pag. 802.
SUR LES SOUVERAINS. — CHAPITRE IV. 691
« humaine. Il ne voulut jamais sacrifier l'importance morale
«de sa dignité, pour se procurer un puissant appui dans les
«troubles d'Italie, ou un allié dans les dissensions de l'Alle-
« magne, et pour obtenir du roi, par son silence et sa condes-
« cendance , des secours pour les croisades. Il ne craignit pas
« d'augmenter par sa fermeté le nombre de ses ennemis , et celui
« des affaires difficiles pour lesaint-siége. En faisant moins, ou
« en agissant avec plus d'indulgence, il eût fait violence à son
« être moral , et se fût préparé les chagrins les plus amers que
« puisse éprouver un homme pénétré d'une conviction profonde,
« et agissant contradictoirementàscs principes. Le blâmer dans
« cette circonstance, serait dangereux dans tous les temps,
« parce que ce serait détruire les limites entre la puissance et le
«devoir, et affranchir Thomme de toute obligation morale.
« Que de malheurs eussent été épargnés à la France et à l'Eu-
« rope , si , sous le règne de Louis "XV , un Innocent eût été assis
« sur le trône pontifical! Il était de son devoir d'être le pasteur
« des rois, et par là le sauveur des peuples (1). »
§ 3. Avantages de ce pouvoir , pour le maintien de la
tranquillité publique.
Ce dernier résultat est suffisamment établi par les développe- 336.
ments que nous avons donnés, dans l'article précédent, sur Cesreconnufs
les avantages du pouvoir dont nous parlons, pour concilier, pïJjfi0™"
autant qu'il est possible, l'autorité des souverains avec la liberté suspsts;
* r » avenx de Vol-
des peuples, et prévenir tout à la fois les désordres de l'anarchie tai™-
et ceux du despotisme. Nous ajouterons seulement ici que ce
précieux résultat, qui suffirait seul pour justifier la théorie
politique du moyen âge , est généralement reconnu de nos jours,
par les auteurs même les moins suspects de partialité en faveur
de l'Église et du saint-siége. «L'intérêt du genre humain, dit
« Voltaire, demande un frein qui retienne les souverains et qui
« mette à couvert la vie des peuples : ce frein de la religion au-
« rait pu être, par une convention universelle, dans les mains
(1) Hurter, Hist. d'Innocent III, tom. 1, année 1198 , pag. 199. Voyez
aussi, dans Y Introduction du même ouvrage (pag. xxxv), les réflexions de
M. Dutheil sur ce sujet.
44,
692 DEUXIEME PARTIE. — POUVOIR DU PAPE
« des papes. Ces premiers pontifes, en ne se mêlant des querelles
« temporelles que pour les apaiser, en avertissant les rois et les
« peuples de leurs devoirs, en reprenant leurs crimes, en réser-
« vant les excommunications pour les grands attentats, auraient
« toujours été regardés comme des images de Dieu sur la
« terre (1) » « Je ne crois pas, dit le comte de Maistre, que
«jamais on ait mieux raisonné en faveur des papes Ce frein
« si nécessaire aux peuples, se trouva, et ne pouvait se trouver
« que dans l'autorité des papes Il s'y trouva, non par une
« convention expresse des peuples, qui est impossible , mais par
« une convention tacite et universelle, avouée par les princes
« comme par les sujets, et qui a produit des avantages incal-
« culables (2). »
337 Ces grands avantages sont expressément reconnus par un des
m. Fen-and. écrivains de nos jours, qui ont censuré avec le plus d'amertume
la conduite des papes du moyen âge à l'égard des souverains.
« Dans le temps des croisades, dit M. Ferrand, leur puissance
« était grande; et dans ce temps, leurs anathèmes, leurs inter-
« dits étaient respectés, étaient redoutés. Celui qui aurait été
«peut-être, par inclination, disposé à troubler les États d'un
« souverain occupé dans une croisade, savait qu'il s'exposait
« à une excommunication qui pouvait lui faire perdre les siens.
« Cette idée d'ailleurs était généralement répandue et adoptée;
« et il n'aurait pas trouvé de coopérateurs , parmi ceux mêmes
« qui, dans un autre temps, auraient secondé ses projets (3). »
338. Un auteur protestant du dernier siècle s'exprime encore plus
ve"cXurs fortement, sur ce point, dans un ouvrage qui lui a mérité un
fi^AnSuoii'. rang distingué parmi les historiens et les publicistes : « Dans le
«moyen âge, dit M. Ancillon, où il n'y avait point d'ordre
« social, la papauté seule sauva peut-être l'Europe d'une entière
« barbarie. Elle créa des rapports entre les nations les plus éloi-
« gnées ; elle fut un centre commun , un point de ralliement
« pour les États isolés Ce fut un tribunal suprême, élevé au
« milieu de l'anarchie universelle, et dont les arrêts furent
« quelquefois aussi respectables que respectés : elle prévint et
(1) Voltaire, Essai sur VHïst. gén., tom. n, chap. 60.
(2) De Maistre, Du Pape, liv. h, chap. 9, pag. 323.
(3) Ferrand, Esprit de VHist., tom. n, lettre 47, pag. 494. a
SIM LES SOUVERAINS. — CHAPITRE IV. 693
« arrêta le despotisme des empereurs, remplaça le défaut d'équi-
« libre, et diminua les inconvénients du régime Féodal (1).
« Le pouvoir papal , dit un écrivain plus récent, de la môme 339.
« communion, en disposant des couronnes , empêchait le despo-
« tisme de devenir atroce ; aussi , dans ces temps de ténèbres , ne
« voyons-nous aucun exemple de tyrannie comparable à celle de
« Domitien à Rome. Un Tibère était impossible ; Rome l'eût
« écrasé. Les grands despotismes arrivent, quand les rois se per-
« suadent qu'il n'y a rien au-dessus d'eux; c'est alors que l'ivresse
« d'un pouvoir illimité enfante les plus atroces forfaits (2). »
Ces avantages incontestables du pouvoir temporel des papes, Les ?,i°onvé-
au moyen âge, nous autorisent sans" doute à conclure, que, poli- nienls .
tiquement parlant, les inconvénients qui ont pu résulter de ce dont >'. s'asu »
pouvoir ont été bien compensés par ses avantages, et qu'il a compensés
été, par conséquent, beaucoup plus utile que nuisible à la société, avantages.
M. Raoul Rochette, un des membres les plus distingués de
Y Académie des inscriptions et belles-lettres, a été conduit aussi
bien que nous à cette conclusion , par une étude sérieuse et
impartiale de l'histoire du moyen âge. Le ton de sagesse et de
modération avec lequel il s'exprime sur ce sujet , devrait sans
doute inspirer la même réserve à tant d'écrivains de nos jours,
qui, avec beaucoup moins de connaissances et d'érudition, se
permettent des jugements si hardis et si tranchants sur la con-
duite des papes et des conciles du moyen âge. « C'est un fait ,
« dit-il, qui résultera de mes recherches, et que je crois pouvoir
« proclamer d'avance hautement, que, pendant la longue durée
« du moyen âge, l'influence des papes fut généralement plus
«utile que funeste à l'Europe, et que, tout pesé dans .une
« exacte balance , la société dut plus de vertus et de bienfaits
«à la puissance pontificale, qu'elle n'en reçut de vices et de
« malheurs. Mais afin de rendre cette proposition vraisemblable,
(1) Ancillon, Tableau des Révolutions du système politique de l'Eu-
rope, tom. i, Introduction, pag. 133 et 157.
(2) Coquerel, Essai sur l'Histoire du Christianisme, pag. 75. Pour ne pas
multiplier inutilement les citations, comme il serait si aisé de le faire, nous
nous bornerons à indiquer, sur ce sujet, un article remarquable du Quaterly
Review , l'un des recueils protestants les plus considérables et les plus in-
fluents de l'Angleterre ; cet article est cité en partie, dans la Vie de la Reine
Blanche, par M. Nisard, pag. 276.
694 DEUXIÈME PARTIE. — POUVOIR DU PAPE
« même aux esprits les plus prévenus Je me hâte d'ajouter qu'il
« fallait un état de civilisation , ou si l'on veut de barbarie ,
« précisément semblable à celui du moyen âge , pour que l'au-
« torité des papes obtînt des résultats aussi favorables (l). »
341. Nous ne pousserons pas plus loin le détail des services im-
erdùseà L6" menses que le pouvoir temporel de l'Église et du Pape a rendus
S0CiepaPPe" les à la religion et à la société, pendant tonte la suite du moyen
âge (2). Les développements que nous avons donnés sont plus
que suffisants, pour mettre un lecteur judicieux et impartial en
état de former son opinion sur ce point, et pour lui faire
sentir la justesse de ces réflexions, par lesquelles le comte de
Maistre termine la troisième partie de l'intéressant ouvrage
qui nous a fourni une grande partie de nos développements.
« Les fautes des papes, infiniment exagérées, ou mal représen-
te tées, et qui ont tourné, en général, au profit des hommes,
« ne sont d'ailleurs que l'alliage humain , inséparable de toute
« mixtion temporelle ; et quand on a tout bien examiné et pesé
« dans les balances de la plus froide et de la plus impartiale phi-
« losophie, il reste démontré, que les papes furent les institu-
« teurs , les tuteurs, les sauveurs, et les véritables génies con-
« stituants de V Europe (3) Il ne s'agît pas, au reste, de
« savoir si les papes ont été des hommes, et s'ils ne se sont ja-
(1) Raoul Rochette, Discours sur les heureux effets de la Puissance
pontificale, au moyen âge; Paris, 1818, in-8°, pag. 10. Remarquez aussi les
pag. 15 , 28-80. Voyez le compte rendu de ce Discours, dans l'Ami de la Re-
ligion, tom. xv, pag. 273.
(2) Il serait aisé de multiplier bien davantage les citations sur cette ma-
tière. Indépendamment de celles qu'on a déjà vues dans le cours de cet ou-
vrage (n. 17, 49, 124, etc.), nous indiquerons encore les auteurs suivants :
Entretiens sur la Réunion des différentes Communions chrétiennes , par
le baron de Starck, pag. 296, etc. — Feller, Catéchisme Philos., n. 510. —
Pluquet, Diction, des Hérésies, Discours prélim. xie etxir3 siècles, pag.
232, 241, etc. — Rernardi, De l'Origine et des Progrès de la Législation
française, iiv. v, chap. 3. — Frayssinous, Les vrais Principes de l'Église
Gallicane, 2e édition, pag. 64, etc. — Jondot, Tableau historique des Na-
tions, tom. m, pag. 396, etc. — De Saint- Victor, Tableau htstor. et pit-
toresque de Paris, édition in-8°, tom. 11, pag. 593-597. — Chateaubriand,
Génie du Christianisme , 4e partie, chap. H. — Jager, Introd. à V Hist.
de Grégoire VIT, pig. xxxvm, etc. — Lefranc, Hist. du Moyen âge, Iiv. iv,
chap. 6, § 1, vers la fin. — De Montalembert, Hist. de sainte Elisabeth de
Hongrie, Introduction, pag. xix-xxxv. — De Falloux, Vie du Pape S. Pie V,
Préface.
(3) De Maistre, Du Pape, Iiv. m, Conclusion, pag. 154, etc.
SUR LES SOUVERAINS. — CHAPITRE IV. 695
« mais trompés ; mais s'il y a eu, compensation faite, sur le
« trône qu'ils ont occupé, plus de sagesse, plus de science et
« plus de vertu, que sur tout autre; or, sur ce point, le doute
« même n'est pas permis (1). »
CONCLUSION
ET RÉSUMÉ DÉ LA SECONDE PARTIE.
On voit maintenant ce qu'il faut penser des déclamations si 342.
ordinaires parmi les auteurs modernes , contre les papes et les déclamations
conciles, à l'occasion du pouvoir qu'ils se sont autrefois at- lescoaneret
tribué sur les princes, dans l'ordre temporel. La plupart de ces '«conciles
déclamations supposent, ou que les papes et les conciles n'avaient moyen âge.
alors aucun droit de juger les souverains en matière temporelle;
ou que ce droit n'avait pas eu, dans le principe, un fondement
légitime ; ou que l'exercice de ce droit a été funeste à la société.
Tl est certain , au contraire, et solidement prouvé par l'histoire,
que le droit de juger les souverains, en matière temporelle,
était alors conféré au Pape et à l'Église , par des maximes de
droit public universellement reconnues; que ce droit avait eu,
dès le principe, les fondements les plus légitimes; enfin que
l'exercice de ce droit, malgré les inconvénients qui ont pu
quelquefois en résulter , a été généralement avantageux à la
société.
Il ne s'agit pas ici d'examiner les causes qui ont insensible-
ment ébranlé, affaibli, et même entièrement anéanti cette pro-
digieuse autorité, dont l'Église et son chef visible ont été si
longtemps investis ; à plus forte raison ne s'agit-il point d'ap-
pliquer à l'état présent de la société, cette ancienne jurispru-
dence, tombée depuis longtemps en désuétude, et repoussée au-
jourd'hui plus que jamais, par l'esprit du siècle. Il s'agit
uniquement de savoir, ce qu'il faut penser de la sévérité avec
laquelle on a si souvent jugé, dans ces derniers temps, la con-
duite des papes et des conciles du moyen âge à l'égard des
souverains , et s'il est possible de l'expliquer , et même de la
(2) De Maistre, ibid. liv. 11, chap. 9, pag. 332.
696 DEUXIÈME PARTIE. — POUVOIR DU PAPE
justifier, par les maximes de droit public alors en vigueur.
Il résulte clairement de nos Recherches , que cette explication,
adoptée avant nous par de savants auteurs , est solidement éta-
blie par l'histoire; en sorte qu'on doit la regarder comme ap-
puyée tout à la fois sur de solides raisons, et sur de graves au-
torités. Sans doute, quelque bien fondée qu'elle soit, elle ne
peut autoriser le sentiment des théologiens qui ont cru pouvoir
expliquer et justifier , par le seul droit divin , la conduite des
papes et des conciles qui ont autrefois déposé des princes tem-
porels; mais on doit reconnaître aussi que notre explication,
quand même elle ne serait fondée que sur des raisons plausibles
et vraisemblables , à plus forte raison en la supposant fondée
sur de solides raisons, fournil une réponse péremptoire à une
foule de déclamations odieuses , et mille fois répétées, contre les
papes et les conciles du moyen âge.
343. Les développements que nous avons présentés, sur cette ma-
Pourquoi ces . , , . ,
déclamations tiere, peuvent également servir à expliquer, comment des decla-
si fadiement mations si injustes et si mal fondées ont pu être si facilement
pa/dT^cri. adoptées, non-seulement par des ennemis déclarés de l'Église et
.va]ins du saint-siége , mais encore par un certain nombre d'écrivains
catholiques. .
religieux, et sincèrement attachés à l'Église catholique et au
saint-siége. Le pouvoir exercé par les papes et les conciles sur
les souverains , au moyen âge , quoique généralement regardé
comme légitime par les contemporains, ne pouvait manquer
d'être blâmé , avec plus ou moins d'amertume , par un petit
nombre de personnes intéressées à soutenir la cause des princes
qui avaient encouru les anathèmes de l'Église. Ces réclamations,
d'abord peu nombreuses, et presque étouffées par l'opinion gé-
nérale, furent depuis reproduites, à diverses époques, par des
hommes passionnés, qui avaient un intérêt manifeste à combat-
tre le saint-siége , et à flétrir la mémoire de ses plus illustres
pontifes. Delà les déclamations violentes d'une foule d'écrivains
protestants et incrédules , contre les papes et les conciles du
moyen âge ; déclamations répétées, avec plus ou moins de légè-
reté, par des catholiques peu instruits, quelquefois même par
des écrivains recommandables, à certaines époques où les meil-
leurs esprits sont entraînés, sans le vouloir, par le mouvement
de leur siècle, ou par de funestes préjugés. C'est ce qu'on vit
SUR LES SOUVERAINS. — CHAPITRE IV. 697
particulièrement en France, pendant les contestations si longues
et si animées, qui s'élevèrent, à la fin du xme siècle, entre Boni-
face VIII et Philippe le Bel, et à la finduxvne, entre Louis XIV et
Innocent XI. Les auteurs même les plus favorables à la France,
conviennent que le gouvernement était alors extrêmement
aigri contre la cour de Rome ; que plusieurs prélats d'un grand
crédit partageaient cette fâcheuse disposition ; et que l'autorité
de ces prélats, jointe à l'ascendant du roi et de ses ministres,
répandait de tous côtés, contre le saint-siége, un esprit d'oppo-
sition, et même d'exaspération, dont les personnes sages et pré-
voyantes ne pouvaient s'empêcher de craindre les suites (l). On
remarque des traces sensibles de ce mouvement général et de
cette dangereuse impulsion, dans les écrits mêmes de plusieurs
auteurs aussi distingués par la solidité de leur esprit que par leur
attachement à l'Église et au saint-siége. Nous citerons, en parti-
culier, la Défense de la Déclaration de 1682, par Bossuet,
les Discours et Y Histoire Ecclésiastique de Fleury (2). On sait
avec quelle sévérité les papes du moyen cage, principalement
Grégoire VII et ses successeurs, sont jugés par ces écrivains cé-
lèbres, dont l'autorité en a depuis entraîné tant d'autres; mais
les circonstances mêmes dans lesquelles ils ont composé leurs
ouvrages, nous avertissent assez, qu'en suivant des guides d'ail-
leurs si estimables et si éclairés, on doit se tenir en garde contre
l'influence fâcheuse que ces circonstances ont du naturellement
avoir sur leurs jugements et sur leurs opiuions.
(i) Voyez les observations que nous avons faites plus haut (n. 220), sur les
démêlés de Boniface VIII et de Philippe le Bel. Pour ce qui regarde les
contestations relatives à X affaire de la régale, sous le règne de Louis XIV,
voyez X Histoire de Bossuet, tom. n, liv. vi, n. 6, pag. 124, etc. — Nou-
veaux Opuscules de Fleury, 2e édition, pag. 208, etc. — L'Ami de la Re-
ligion, tom. xxvi, pag. 33, etc. — D'Avriguy, Mémoires chronol. et dogm.,
tom. m, années 1681 et 1682.
(2) Histoire de Bossuet, Pièces justificatives du liv. vi, n. 1. Remar-
quez, en particulier, les pag. 393 , 394, 418, 419, etc. Remarquez aussi les
passages suivants de la Défense de la Déclaration, lib. i, sect. 1, cap. 7;
lib. m, cap. '2, 9, 10, et alibi passim. — Sur les Discours et l'Histoire Ec-
clésiastique de Fleury, voyez Y Ami de la Religion, tom xxn, pag. 241,
353 , etc. — Marchetti , Critique de l'Histoire Ecclésiastique de Fleury,
2 vol. in-8°. — Muzzarelli, Remarques sur l'Histoire Ecclésiastique de
Fleury.
PIÈCES JUSTIFICATIVES.
I. — Page 56.
Sur la conduite de Constantin , et des empereurs sesjils, à ,
regard de l'idolâtrie.
Jl y a , sur ce point , deux faits également attestés par les auteurs
contemporains, et qui semblent, au premier abord, difficiles à con-
cilier. D'un côté , Eusèbe , et après lui les plus anciens auteurs ecclé-
siastiques , disent expressément que Constantin fit fermer les temples
des faux dieux , et défendit à tous ses sujets de leur offrir des sacri-
fices (1). D'un autre côté, Libanius ne dit pas moins clairement, que,
(r) Eusèbe, Vita Const. lib. n, cap. 45; lib. iv, cap. 23 et 25. — Théodoret,
Hist. Eccl. lib. v, cap. 21 Sozoraène, Hist. lib. 111 , cap. 17. — Orose, Hist.
lib. vu, cap. 28. (Tome vi de la Bibliothèque des Pères, p. 442.)
M de la Bastie, dans son quatrième Mémoire sur le Pontificat des empereurs
romains , explique dans un tout autre sens le premier passage d'Eusèbe que nous ve-
nons de citer. 11 pense que la loi dont parle Eusèbe, en cet endroit, ne défendait pas
absolument l'exercice de l'idolâtrie, mais seulement ce qu'il y avait de plus abo-
minable dans le culte des idoles. ( Mém. de V Acad. des inscript. t tome xxu de
l'édition in-12 , page 378, etc. ; tome xv de l'édition in-40) M. Beugnot a suivi cette
interprétation , dans son Histoire de la Destruction du Paganisme en Occident.
(Tome 1, page 100.) En supposant la vérité de cette explication, le passage dont il
s'agit serait une simple allusion aux deux lois publiées par Constantin, en 3 19, contre
la divination secrète , comme on l'a vu plus haut. {Tntrod. , n. 3g. ) Mais cette expli-
cation, tout à t'ait inconnue avant M. de la Bastie, est généralement rejetée par les criti-
ques; (Voyez les principales éditions d'Eusèbe, particulièrement celle d'Heinichen, Li-
psiœ, i83o, in-8°, page 1 15;) etilneparaîtpasque le texte d'Eusèbe en soit susceptible.
Voici les paroles de cet auteur : « Dans la suite, on publia deux lois en même temps;
« la première défendait les abominations de V idolâtrie (rà pvucrapà ttjç etôwXoXa-
« xpetaç), qui s'exerçaient auparavant, soit à la ville, soit à la campagne. » Selon
M. de la Bastie et M. Beugnot, ces paroles d'Eusèbe, rà jxucrapà rPjç EtôcoXoXaTpeiaç,
ne doivent pas s'entendre dans un sens absolu, de X1 abominable idolâtrie mais dans
un sens plus restreint, de ce qu'il j avait de plus abominable dans le culte des
idoles : ce qui désigne seulement les pratiques de la divination secrète. Nous ne
croyons pas que cette explication puisse être admise par un helléniste exercé. Nous
pensons que, d'après les règles de la syntaxe généralement reconnues, la tournure em-
ployée par Eusèbe doit s'expliquer dans le sens absolu {l'abominable idolâtrie) ; et
que si Eusèbe eût voulu restreindre la défense aux actes les plus abominables de
l'idolâtrie, il n'eût pas dit : Ta [uxiapà xrfi eïôcoXoXaTçeîaç, mais xà (j.uaaptoT£pa ou
{xuaapcoxaxa ttjç eïôwXoXaTpeia;. C'est le sentiment d'un très-habile helléniste, que
nous avons consulté sur ce passage; sentiment tout à fait conforme aux principes
établis sur ce point dans la Grammaire grecque de Mathiae. (Paris, i83 1-1842. 4 vol.
700 PIÈCES JUSTIFICATIVES.
pendant toute la durée du règne de Constantin , les païens conservè-
rent l'usage de leurs temples , et le libre exercice de leur culte (l).
La difficulté de concilier ces différentes assertions a beaucoup
exercé les critiques modernes. Les uns ont tllenent soutenu le
récit d'Eusèbe, qu'ils ont accusé de fausseté l'assertion de Liba-
nius (2). Les autres , préférant le récit de Libanius , ont abandonné
celui d'Eusèbe et des anciens auteurs ecclésiastiques qui l'ont suivi (3).
D'autres ont cru pouvoir concilier tous ces auteurs , soit en adou-
cissant le sens des expressions d'Eusèbe (4) , soit en supposant que
les lois prohibitives de Constantin contre l'idolâtrie en général n'ont
pas été publiées indistinctement dans toutes les parties de l'empire, ou
du moins qu'elles n'ont pas été rigoureusement exécutées en certains
endroits, et surtout à Rome, où il eût été plus difficile d'en presser
l'exécution (5).
Ce dernier sentiment nous paraît être le plus propre à lever la
difficulté dont il s'agit. Pour le mettre dans tout son jour, nous
croyons pouvoir établir les trois assertions suivantes , qui renfer-
ment, à ce qu'il nous semble, l'éclaircissement de toutes les diffi-
cultés qu'on peut proposer sur cette matière.
I. Il est certain que l'exercice public de l'idolâtrie a été toléré
par Constantin , soit en Orient , soit en Occident , longtemps après
sa conversion. Ce premier point, généralement reconnu , est d'ail-
leurs clairement établi, 1° par le témoignage unanime des auteurs,
soit chrétiens, soit païens, contemporains de Constantin (6); 2° par
le texte des lois publiées, en3i9, contre la divination secrète (7);
3° par plusieurs inscriptions de cette époque , qui supposent des
temples, des statues, et des autels érigés en l'honneur des faux
dieux, depuis la conversion de Constantin (8).
in-8°. Voyez le tome ir, § 320 et 44^.) A.u reste, le passage d'Eusèbe , dont il est ici
question, n'est pas le seul qui attribue à Constantin une prohibition générale de l'ido-
lâtrie ; nous en avons cité deux autres , dont le sens n'est pas contesté,
(x) Voyez ci-dessus, Introd. p. 56, note 3.
(2) Godei'roy, Comment, in Cod. Theodos. lib. xvi, til. 10, n. 3.
(3) Quatrième Mémoire de M. de la Bastie, p. 378, etc. — Beugnot, Hist. de la
Destruction du Paganisme en Occident, tom. 1, p. 98, ior, etc.
(4) H. de Valois, Notes sur les divers passages d'Eusèbe que nous avons cités.
(5) Tillemont, Hist. des Empereurs, tom. iv, p. 2o3. — Lebeau, Hist. du Bas-
Empire, tom. 1, liv. iv, n. 9.
(6) Eusèbe, Vita Const. lib. ir, cap. 56. — Idem, Oratio ad cœlum SS. cap. 11.
Voyez aussi les témoignages de Libanius que nous avons cités dans V Introd., p. 56,
note 3.
(7) Cod. Thêodos. lib. ix, tit. 16, n. 1 et 2. On a vu ailleurs le texte de ces lois
(ci-dessus, p. 55, notes 1 et 2).
(8) Beugnot, ubi supra, p. 106, etc.
PIÈCES JUSTIFICATIVES. 701
il. Quoiqu'il en soit de la question de savoir si Constantin a ja-
mais publié une loi, pour défendre à tous ses sujets l'exercice de li-
dolâlrie, il est de Tait que cet exercice a continué, du moins en cer-
taines parties de l'empire, et surtout à Rome, pendant toute la
durée du règne de ce prince. Le témoignage de Libanius(l) ne
permet pas de douter de ce fait, d'ailleurs confirmé par le témoi-
gnage unanimedesauteurs ecclésiastiques, qui regardent l'empereur
Constance comme le premier qui ait fait enlever du sénat X autel de
la Victoire (2).
HT. Il y a tout lieu de croire que Constantin a publié, dans les
derniers temps de sa vie , une loi pour défendre à tous ses sujets
l'exercice de l'idolâtrie.
Cette dernière assertion , la seule qui puisse offrir quelque diffi-
culté, paraît établie par des témoignages positifs, auxquels nous ne
croyons pas qu'on puisse opposer rien de solide. 1° Le langage
d'Eusèbe, sur ce point, est si clair, qu'il ne paraît susceptible d'au-
cun adoucissement. Il dit et répète, en plusieurs endroits de la fie
de Constantin, que ce prince défendit à tous ses sujets, dans
toutes les parties de l'empire romain, d'entrer dans les temples
des faux dieux , de leur élever des statues, et de leur offrir des
sacrifices (3). Les plus anciens auteurs ecclésiastiques ont aussi parlé
de cette prohibition générale, comme d'un fait incontestable (4); et
on ne voit pas que ce fait soit contredit, par aucun témoignage po-
sitif. Le langage de Libanius prouve bien que, malgré cette prohi-
bition générale, l'exercice du paganisme continua d'être toléré, du
moins en certaines parties de l'empire; mais celte tolérance n'est
pas incompatible avec le fait de la prohibition générale; car on peut
très-bien supposer, que la loi qui renfermait cette prohibition, ne
fut publiée que dans certaines parties de l'empire , où l'exécution
offrait moins de difficultés. Il est certain, d'ailleurs, qu'on trouve
dans la législation romaine, à cette époque, plusieurs autres lois qu'on
pouvait regarder comme de simples témoignages des sentiments qui
animaient le chef de l'État ; l'exécution de ces lois étant abandonnée
à la prudence ou à la bonne volonté des autorités locales (5). Pour ce
(i) Voyez ci-dessus la note 3 de tapage 56.
(2) Voyez ci-dessus, p. 67.
(3) Eusèbe, Vita Const. lib. iv, cap. 23 et 25.
(4) Voyez les ouvrages de Théodoret, d'Orose et de Sozoraène, que nous avons
cités plus haut (p. 699, note 1).
(5) Voyez Beugnot, ubi supra, p. i38 et 142. M. Beugnot cite, à l'appui de cette
assertion, les lois publiées par Constantin et Constance contre la divination. Ces lois,
en effet, étaient si mal exécutées, qu'il fallut souvent les renouveler. On peut citer
encore les édits de persécution, publiés par les empereurs païens contre le ebristia-
702 PIÈCES JUSTIFICATIVES.
qui regarde en particulier les lois publiées par les premiers empe-
reurs chrétiens contre l'idolâtrie, il est certain que la prudence ne
permettait pas toujours d'en presser rigoureusement l'exécution,
surtout à Rome, où l'ancien culte avait encore, dans le sénat et dans
plusieurs familles distinguées, un certain nombre de partisans qu'il
importait de ménager (1). C'est ce qu'on vit même sous le règne de
Théodose le Grand, qui publia des lois si sévères, pour interdire à
tous ses sujets l'entrée des temples, l'immolation des victimes, et
tous les actes du culte païen. Il est certain , et généralement re-
connu , que , malgré cette prohibition expresse, l'exercice de l'ido-
lâtrie fut encore toléré à Rome pendant quelque temps (2).
2° Quoique le témoignage d'Eusèbe et des anciens auteurs ecclé-
siastiques semble bien suffisant pour établir le fait en question,
nous croyons qu'on peut le confirmer par le texte de la loi publiée,
en 341, par l'empereur Constance, et que nous avons citée plus
baut(3). L'empereur s'autorise de l'exemple de Constantin, pour
défen ire absolument toute superstition , et toute espèce de sacri-
fice. S'il y avait dans son langage quelque chose d'obscur ou d'équi-
voque, il serait suffisamment éclairci par une loi publiée peu de
temps après par Constant , pour empêcher de démolir les temples
situés hors des murs de Rome. L'empereur suppose clairement dans
cette loi, que toutes les superstitions païennes sont interdites (4).
nisme. Quelque sévères que fussent ces édits, ils n'étaient pas exécutés avec la même
rigueur dans toutes les parties de l'Empire; quelquefois même ils tombaient presque
généralement eu désuétude, en sorte qu'il fallait de nouveaux édits pour renouveler
la persécution. « C'est par ces renouvellements de violence, selon la remarque de
« Bossuet, que les historiens ecclésiastiques comptent dix persécutions, sous dix em-
« pereurs. » Bossuet, ffist. Univ., ire partie ; an de J. C. 95. (OEuvres de Bossuet,
tom. xxxv, p. 102. )
(i) Beugnot, ubi supra, pag. 97, i5l, 411» e^c-
(2) Voyez ci-dessus, pag. 63, etc.
(3) Ci-dessus, pag. 57, note 1.
(4) Ibid. 11 est à remarquer que les empereurs chrétiens, même les plus zélés pour
la religion chrétienne, ne jugeaient pas toujours convenable de démolir les temples du
paganisme; souvent ils croyaient devoir les conserver, soit pour les consacrer au
culte du vrai Dieu, soit pour servir d'ornement aux villes, soit pour d'autres motifs
d'intérêt public. (Voyez, à ce sujet, le Commentaire de Godefroy sur le Code Théo-
dosien , tom. 1, p. xxiij , lib. xv, tit. 1, n. 36; lib. xvi , tit. 10, n. 3 et 25.) Les
saints Docteurs eux-mêmes pensaient que, lorsque ces édifices n'étaient plus pour le
peuple une occasion d'idolâtrie, il ne fallait pas les détruire, mais les purifier et les
consacrer au culledu vrai Dieu. (S. Gieg. Naz. Epigram. 226. — S. Augustin, Epist. 4.7,
ad Publicolam) Oper. tom. 11. — S. Greg. Magn. Epistol, lib. 11, Ep. 76, alias 7 r.
Oper. tom. 11. ) On peut voir, dans ÏHist. de la Destruction du Pagan. en Occi-
dent, par Beugnot (tom. 1, p. 25g; 11, x34, etc.), une assez longue liste des temples
ou oratoires qu'on voyait à Rome , sous Yalentinieu 1er et Honorius. Mais l'auteur
PIÈCES JUSTIFICATIVES. 703
Quelques ailleurs modernes prétendent que ces deux lois ne con-
damnent pas indistinctement toutes les cérémonies païennes, mais
uniquement celles de la divination secrète, désignées par le mot
superstition , qui se prend toujours en mauvaise part, c'est-à-dire,
pour des pratiques ou des cérémonies non autorisées (1). Mais cette
explication , imaginée par quelques auteurs modernes , qui en avaient
absolument besoin pour défendre leur système (2) , paraît évidem-
ment contraire au sens propre et naturel du mot superstition, dans
la loi dont il s'agit. Il est certain, en effet, que, dans le langage
des empereurs chrétiens, comme dans celui de tous les auteurs ec-
clésiastiques, le mot superstition désigne indistinctement toutes les
cérémonies païennes. Parmi tant de citations que nous pourrions
faire à l'appui de cette assertion , il nous suffira d'indiquer la pre-
mière loi de Constantin contre la divination secrète; l'empereur y
dit expressément, que ceux qui veulent suivre leur superstition ,
peuvent le faire en public (3). Il est évident que, dans ce pas-
sage, le mot superstition ne désigne pas seulement les cérémonies
de la divination secrète, mais toutes les cérémonies païennes en
général.
On peut juger, d'après ces observations, avec combien peu de
fondement M. Beugnot, dans son Histoire de la destruction du Pa-
ganisme en Occident (4), reproche si durement à Eusèbe et à tous
les anciens auteurs ecclésiastiques, d'avoir attribué à Constantin
une prohibition générale de l'idolâtrie. Il était sans doute permis à
M. Beugnot de proposer ses difficultés sur ce point, comme avaient
fait avant lui quelques critiques; mais lui convenait-il de prendre un
ton si décisif et si tranchant, sur une question qui leur a paru jus-
qu'à présent, et qui leur paraît encore aujourd'hui si douteuse (5)?
Il eût évité cet excès , et bien d'autres éearls qu'on lui a justement
reprochés, s'il n'eût pris pour base de son travail un principe égale-
ment contraire à la saine critique, et à l'exemple des plus sages his-
avance bien gratuitement, que, sous Valentinien 1er, la majeure partie des édifices
païens de Rome étaient encore employés aux cérémonies de l'ancien culte. (T. i,
pag. 268.)
(1) Quatrième Mémoire de M. de la Bastie, p. 383. — Beugnot, ubi supra, p, 100,
i38„ i3g.
(2) M. de la Bastie est le premier, à notre connaissance, qui ait mis en avant cette
explication.
(3) Cod. Theodos. lib. ix, tit. 16, n. 1. Nous avons cité ailleurs le texte de cette
loi (ci-dessus, pag. 55, note 1 ).
(4) Beugnot, ubi supra, pag. 98, io5, 107, etc.
(5) Heinichen, Notes sur Eusèbe, Fit, Constant, lib. il, cap. 45. Lipsiœ, i83o,
in-8°, pag. n5.
704 PIECES JUSTIFICATIVES.
toriens, savoir : que pour bien écrire l'histoire de la chute du pa-
ganisme, il faut se délier des auteurs chrétiens, et s'attacher
principalement aux écrits de leurs adversaires ; et cela , sous pré-
texte qu'on trouve dans les premiers trop de préventions , de
préjugés y et de haines (1) : comme si les auteurs païens n'étaient
pas bien plus justement suspects, à cet égard, que les chrétiens,
aux yeux d'un esprit droit et impartial (2). («Pour réfuter cette
«étrange assertion, dit un critique judicieux , il n'est pas nécessaire
« d'établir un long parallèle entre les historiens des deux religions.
« Lisez le plus grave , et en apparence le plus impartial des hislo-
« riens païens ; et voyez s'il existe , dans les récits d'Eusèbe, de
« Socrate, de Sozoniène, une seule prévention contre le paganisme,
« comparable à celle qu'exprime Tacite contre les chrétiens. Il croit
«aux bruits populaires, aux calomnies les plus absurdes, jugées
« telles par M. Beugnol lui-même, et par tout homme de bon sens.
«Les historiens chrétiens ont-ils reproché au paganisme, et parti-
« culièrement à ses mystères , une seule turpitude, dont l'existence
« ne soit prouvée par les monuments dune origine païenne? Nous
«nous en rapportons là-dessus à M. Beugnot lui-même, et aux
«poètes, aux orateurs, aux historiens de l'antiquité. Où sont donc
« les préventions dont il parle? Où sont les haines qu'il reproche
« aux chrétiens? M. iieugnot croit qu'à l'époque de la lutte du
« paganisme , il était permis de lui vouer quelque chose de plus que
« de l'inimitié. Hé bien, cette inimitié, comme le prouve l'histoire,
« les chrétiens ne se la sont jamais permise , du moins contre les
« individus ; et ils ont poussé aussi loin que possible la tolérance
« pour les erreurs, dans le temps même où ils défendaient des vé-
« rites si propres à enflammer leur zèle. Pourquoi supposer que de
« tels hommes ont été des historiens passionnés? Pourquoi supposer
« au contraire que ceux qui appartiennent à un culte, dont les sec-
«tateurs furent, pendant trois siècles, si atroces contre les chré-
« tiens, et depuis encore si obstinés (dans leurs erreurs), sont des
« organes de la vérité, plus fidèles et plus dignes de confiance? Nous
«ne pouvons en vérité, avec la meilleure volonté du monde, con-
« cilier, sur ce point, les assertions de l'auteur entre elles , ni avec
« des faits qu'il n'essaye pas de contester (3). »
(i) Beugnot, ubi supra, pag. 4>
(2) Voyez le compte-rendu de l'ouvrage de M. Beugnot, en i835, dans l'Ami
delà Religion (tom. i.xxxvii , pag. 257, 3o5, 385, 465 et 5g3); et en i836,
dans les Annales de Philos, chrét. (tom. xn, pag. 7, etc.). Le jugement porté, dans
ces deux recueils, sur l'ouvrage de M. Beugnot, a été confirmé depuis par un décret
de la congrégation de Y Index, du 4 juillet 1837.
(3) L'Ami de la Rel., ibid,, pag. 258 et 260.
PIÈCES JUSTIFICATIVES. 705
IL— Page 107, etc.
Sur la valeur des offrandes faites , par Constantin , aux princi-
pales églises de Rome et des environs.
La difficulté d'établir sur des bases parfaitement exactes les éva-
luations dont il s'agit, et le partage qui existe, sur ce point, entre les
savants, nous obligent à nous contenter ici, à leur exemple, d'éva-
luations et de calculs approximatifs. Toutefois, la lecture et la com-
paraison attentive des auteurs qui ont traité avant nous cette ma-
tière , nous ont donné lieu de corriger, sur quelques points , les
bases adoptées par Fieury et plusieurs autres qui l'ont suivi, et
d'arriver, sinon à l'évaluation exacte et rigoureuse des sommes en
question , du moins à une évaluation beaucoup plus vraisemblable
et mieux fondée (1).
Nous supposons, avec les auteurs qui ont le plus approfondi cette
matière : 1° que , sous Constantin et ses successeurs, la livre ro-
maine se divisait en 12 onces ; 2° que ces 12 onces n'étaient pas tout
à fait égales à celles de notre poids de marc , et valaient tout au
plus 11 de ces dernières (2); 3° qu'on taillait alors dans la livre d'or
72 sous ou besants d'or ; 4° que d'après les renseignements pris à
l'hôtel des monnaies de Paris, au mois d'août 1833, le prix actuel
du kilogramme d'or (in, est de 3434 fr. 44 cent.; et celui du kilo-
gramme d'argent fin, de 218 fr. 88 cent.; ce qui porte le prix actuel
du marc d'or à 840 fr. 60 cent. , et le prix du marc d'argent à
53 fr. 57 cent. (3); 5° que, d'après ces principes, Te sou d'or, sous
(î) Les principaux auteurs à consulter, sur cette matière, sont : Ducange, Glossarium
infimœ Latinit , verbis Libra, UnciaiSolidus, etc Leblanc, Traité hist des Mon-
naies de France ; Paris, 1690, iu-40 — Paucton, Métrologie; Paris, 1780, in-40. —
Letronne , Considér. génér. sur l'évaluation des Monnaies grecques et romaines;
Paris, 1817, in-40. — Idem, Eclaircissements hist. faisant suite aux OEuvres de Roi-
lin ; Paris, 1825 , in-8°, pag. 1 , etc. — Naudet , Des changements opérés dans
l'administration de l'Empire, tom. H, pag. 3i9, etc.
Dans le détail de nos évaluations, nous suivons généralement les calculs de Paucton ,
dont l'ouvrage est beaucoup plus complet que les autres, et renferme des documents
relatifs à tous les temps et à tous les pays. Pour ce qui regarde en particulier l'évalua-
tion des monnaies grecques et romaines, ses calculs diffèrent peu de ceux de M. Le-
tronne.
(2) Selon Paucton, les 12 onces romaines valaient 10 onces 23/24 de notre poids
de marc ; selon M. Letronne, elles ne valaient que 10 onces 3/4; selon Leblanc,
10 onces 2/3. Pour faciliter le calcul, sans entrer dans une discussic-n épineuse et peu
utile, nous supposons simplement que les 12 onces romaines valaient environ n de
nos onces. Tous nos calculs sont fondés sur cette supposition.
(3) Nous prenons pour base de nos évaluations, le prix de l'or et de l'argent fins,
soit qu'il s'agisse d'évaluer d'anciennes monnaies, ou d'autres objets d'art, en or et en
argent. Toutefois, il est certain que le métal employé pour la fabrication des monnaies,
45
706 PIÈCES JUSTIFICATIVES.
Constantin et ses successeurs, valait environ 16 fr. cle notre mon-
naie actuelle.
Telles sont les bases du calcul d'après lequel nous avons évalué
les différentes sommes dont parle Anastase, dans le f!exte que nous
expliquons. En effectuant le calcul d'après ces principes, on trou-
vera, 1° que les seuls ornements d'or et d'argent offerts par Con-
stantin à l'église et au baptistère de Latran, formaient environ
942 marcs d'or, et 17,796 marcs d'argent; 2° que tous ces orne-
ments réunis reviennent à plus de 1,700,000 francs de notre mon-
naie, sans les façons; 3° que les biens-fonds donnés à la même ba-
silique lui procuraient un revenu annuel d'environ 233,664 francs;
4° enfin , que les biens-fonds donnés aux autres églises de Rome ,
leur rapportaient annuellement environ 262,016 francs.
En comparant ce calcul avec celui de Fleury, on trouve entre l'un
et l'autre une différence considérable (1). D'après le calcul de cet
auteur, il faudrait diminuer environ d'un quart, la valeur des orne-
ments d'or et d'argent donnés à l'église et au baptistère de Latrar; ;
et il faudrait diminuer de moitié, la valeur du revenu annuel assigné
en biens- fonds à cette église , et à toutes les autres dont nous venons
de parler.
Cette différence entre les évaluations de Fleury et les nôtres, a
tout à la fois pour principes, l'opposition qui se trouve entre les dif-
férentes éditions du texte d' Anastase, et les bases fautives d'après les-
quelles Fleury paraît avoir fait ses calculs. Nous avons déjà fait re-
marquer qu'il avait suivi l'édition d' Anastase donnée par le Pf Labbe,
qui diffère, sur plusieurs points, des éditions plus correctes de
Bianchini et de Muratori. De plus, Fleury a pris pour bases de son
calcul, des suppositions que nous ne pouvons admettre, soit parce
qu'elles n'étaient pas exactes dans le temps même où il écrivait,
soit parce que le prix de l'or et de l'argent est aujourd'hui très-
différent de ce qu'il était à cette époque.
et à plus forte raison celui qu'on emploie pour la confection des divers objets d'art,
n'a pas toujours le même degré de finesse, et contient toujours plus ou moins d'alliage.
Mais l'impossibilité de déterminer la quantité de l'alliage, dans les métaux employés à
diverses époques, soit pour la fabrication des monnaies, soit pour la confection des
objets d'art, nous oblige à faire abstraction de cette circonstance, et à prendre le prix ac-
tuel de l'or fin, pour base de tous nos calculs. Cette abstraction a peu d'importance, dans
l'évaluation des anciennes monnaies, qui étaient à peu près au même titre que celles
des temps modernes. Elle a sans doute plus d'importance, dans l'évaluation des objets
d'art, où la quantité de l'alliage est tout à la fois plus considérable et plus variable;
mais l'erreur de nos calculs, dans ce dernier cas, relativement à l'évaluation de l'or et
de l'argent , est à peu près compensée par le prix des façons, que nous négligerons
absolument.
(i) Fleury, Mœurs des Israël., n. 5o. — Hist. Ecclés., tom. m, liv. xi, n. 36.
PIÈCES JUSTIFICATIVES. 707
En effet, Fleury suppose, 1° que la livre romaine valait 12 onces
de notre poids de marc; 2° que le marc d'or fin valait eu France,
à la lin du xvne siècle, 450 livres tournois; et le marc d'argent
30 livres; 3° enfin, que le sou d'or, sous Constantin et ses succes-
seurs, valait 8 liv. 5 sous de notre monnaie. A l'appui de ces sup-
positions, Fleury indique l'ouvrage déjà cité de Leblanc. Toutefois,
il est à remarquer que Fleury ne suit même pas exactement les
principes de cet auteur ; nous ignorons si c'est à dessein ou par
distraction qu'il s'en écarte en plusieurs points. Leblanc suppose,
1° que les 12 onces de la livre romaine n'étaient pas égales à celles
de notre poids de marc, et n'en valaient guère que 10 onces
deux tiers (1); 2° que le marc d'or fin valait, en 1689, 447 livres,
7 sous, 2 deniers tournois; et le marc d'argent lin, 29 livres,
7 sous (2); 3° que le sou d'or, sous Constantin et ses successeurs,
valait 8 livres, 7 sous, 10 deniers tournois (3). Suivant ces dernières
évaluations, il faudrait diminuer un peu la valeur des différentes
sommes adoptées par Fleury, dans l'explication du texte d'Anastase.
Il résulte de cet exposé, qu'une des principales causes de la diffé-
rence qui se trouve entre les évaluations de Fleury et les nôtres , ce
sont les variations que le prix de l'or et de l'argent a subies, depuis
la fin du xvne siècle. Plusieurs auteurs ont expliqué les causes de
ces variations si fréquentes, en France comme ailleurs, aux diffé-
rentes époques de notre histoire , et si importantes à remarquer,
pour concilier ou expliquer les auteurs qui ont essayé, à diverses
époques, d'évaluer les anciennes monnaies, en les comparant avec
les nouvelles. On peut consulter, sur cette matière, le Traité his-
torique des Monnaies de France, par Leblanc (Paris, 1690, in-4°).
On trouve, à la fin de cet ouvrage, un tableau détaillé des varia-
tions dont il s'agit, depuis l'an 1113 jusqu'en 1689. Ce tableau est
continué jusqu'en 1726, à la fin de l'ouvrage de Abot de Bazinghen,
Traité des Monnaies (Paris, 1764, 2 vol. in-4°). Pour les temps
postérieurs , on peut consulter la Métrologie de Paucton (pages 333,
717, 939), et le Dictionnaire des arbitrages y par Corbaux(2 vol.
in-4°, tome i , page 47 , etc.). 11 résulte des renseignements puisés
dans ces divers ouvrages, que le marc d'or fin valait, en 1689,
447 livres, 7 sous, 2 deniers tournois ; en 1692, 450 livres; en 1720,
600 livres; en 1726, 740 livres; en 1780, 793 livres, 10 sous; en
1802, 828 livres, 12 sous. Le marc d'argent fin valait, en 1689,
«
(i) Leblanc, Traité des Monnaies, pag. 3.
(2) Voyez le tableau qui termine l'ouvrage déjà cité de Leblanc.
(3) Leblanc, ibid., pag. 6.
45.
708 PIÈCES JUSTIFICATIVES.
29 livres, 7 sous; en 1706, 36 livres; en 1709, 40 livres; en 1720,
60 livres; en 1726, 51 livres, 3 sous; en 1780, 54 livres, 17 sous;
en 1802, 53 livres, 9 sous.
III. — Page 123.
Sur les 8,000 livres d'or trouvées, par saint Jean V Aumônier,
dans le trésor de son église.
Ce fait est consigné dans le testament de saint Jean l'Aumônier,
rapporté dans sa Vie écrite par Léonce , auteur contemporain , et
par Siméon Métaphraste , qui écrivait environ trois siècles plus
tard (1). Le texte de Léonce porte, que le saint patriarche remercie
Dieu, de ce qu'au moment de sa mort, il ne lui reste plus que le
tiers d'un sou aVor [unus tremissis) ; tandis qu'à son avènement au
siège patriarcal , il avait trouvé , dans le trésor de son église , environ
quatre-vingts centenaires d'or {circiter octoginta centenaria
auri). Au lieu de ces dernières paroles , le texte de Métaphraste
porte : circiter octo millia librarum auri ; ce qui suppose claire-
ment que le centenaire d'or, dont parle Léonce , signiQe cent livres
d'or. Baronius , dans ses Annales , a suivi cette interprétation (2).
11 paraît en effet que ces mots, centenarium auri (xevxyjvapiov xpudou),
dans les auteurs grecs et latins du moyen âge, signifient constam-
ment cent livres pesant d'or (3).
En prenant pour bases, l'estimation de la livre romaine adoptée
par Paucton, et le prix actuel du marc d'or (4) , les 8,000 livres d'or
dont il est ici question équivalent à peu près à 1 1 ,000 marcs d'or,
c'est-à-dire, à 9,246,600 francs de notre monnaie; somme vraiment
énorme , et qui paraît avoir donné lieu à quelques auteurs mo-
dernes de soupçonner une faute dans le texte de Léonce , ou dans
l'interprétation que lui donne Métaphraste. Toutefois , quelque éton-
nante que soit la somme dont parlent ces deux historiens, elle ne
paraîtra pas incroyable , si l'on se rappelle les détails que Thistoire
profane nous a conservés , sur les richesses prodigieuses de plusieurs
anciens temples , consacrés à de célèbres divinités. Le trésor du
temple d'Apollon , à Delphes , malgré les différents pillages qu'il
avait soufferts avant le règne de Philippe, roi de Macédoine, possé-
(i) Bollandus, Mens. Januar. tom. n, pag. 5i5 et 52g. ]
(2) Baronius, Annales, anno 620, n. 8.
(3) Ducange, Glossarium injitnœ Grœcitatis, verbo Kevr^vapiov. — Gl^ssarium
injlmœ Latin., verbo Centenarium. — Jac. Godefroy, Comment, in Cod. Theodos.
lib. xvi, tit. 23, n. 2.
(4) Voyez ci-dessus le n° H des Pièces justificatives, pag. 705.
P1KCES JUSTIFICATIVES. 709
dait encore , à l'époque de la guerre sacrée , entreprise par ce prince
contre les Phocéens (environ 350 ans avant Jésus-Christ) une quan-
tité d'or équivalente à plus de 58 millions de notre monnaie (1). Les
seuls ornements d'or du temple de Jupiter Capitolin , à Rome , sous
Domitien, valaient, au témoignage de Plutarque, plus de 12,000 ta-
lents, c'est-à-dire, plus de 60 millions de notre monnaie (2). Le
trésor du temple' de Bélus, à Babylone, n'était guère moins consi-
dérable, au témoignage d'Hérodote et de Diodore de Sicile (3). La
haute idée que les anciens auteurs nous donnent de la magnificence
de plusieurs autres temples célèbres de la Grèce, de l'Asie, et des
principales villes de l'Italie , nous autorise à penser qu'ils possé-
daient aussi des richesses comparables à celles des fameux temples
dont nous venons de parler (4). Toutes ces richesses étaient bien
surpassées par celles du temple de Jérusalem (5). Une vigne d'or,
qui en ornait les colonnes et les murs intérieurs , et qui fut enlevée
par Pompée, 60 ans avant Jésus-Christ, valait à elle seule dix mille
talents, c'est-à-dire, environ 6,000,000 de notre monnaie. Les trésors
enlevés clans le temple , quelques années après , par Crassus , surpas-
saient la valeur de 10,000 talenls, c'est-à-dire, environ 60,000,000.
Malgré ces pertes et plusieurs autres , le temple possédait encore , à
l'époque de sa destruction, une si grande quantité d'or, que, par
(i) Voyez ci-dessus, pag. io de l' Introduction.
(2) Plutarque, Vie de Publicola (pag. io5 de l'édition in-fol. des OEuvres de
Plutarque ; Paris, 1624). Le P. Brotier, dans ses Notes sur Tacite (Hist., lib. îv,
cap. 53), évalue ces 12,000 talents, à 65, 362, 5oo livres tournois. Il faut porter cette
somme à 72 millions, si l'on adopte le calcul de Paucton, qui donne au talent attique
la valeur de 6,000 dragmes ou 6,000 livres tournois. ( Paucton, Métrologie, pag. 3i8,
366et758.)
(3) Hérodote, Hisi. lib. ï, cap. 181. — Diod. de Sicile, Hist., lib. îr, n. g. Selon
ces auteurs, les richesses du temple de Bélus valaient 6, 3oo talents babyloniens. En
supposaut, avec Paucton, que le talent babylonien valait 7,5oo dragmes attiques, ou
7,5oo livres tournois, les 6,3oo talents babyloniens valaient 47>25o, 000 francs de
notre monnaie. (Paucton, Métrologie, pag. 320 et 35g.)
Rollin, dans son Hist. Ane. (tom. ir, liv. m, ch. r, § 2), porte cette valeur à la
somme exorbitante de 225,5oo,ooo livres tournois ; le P. Brotier, dans ses Notes sur
Tacite (édition in-4°, tom. iv, pag. 5i7), à 400,000,000; M. Letronne, dans ses
Notes sur le passage déjà cité de Rollin , à 662,000,000. Il serait trop long, et assez
peu utile, d'examiner en détail les bases de ces divers calculs, dont les résultats, selon
la remarque de M. Letronne, sont tout à fait incroyables. M. Raoul Rochette, dans son
Cours d'Archéologie de i835, adopte la somme de 64,000,000 (Annales de Philos,
chrét., tom. xr, p. i44)-
(4) Le P. Brotier a recueilli, sur ce point, des documents curieux, dans ses Notes
sur Tacite. (Édition in-40, tom. iv, pag. 476, 5r4, etc.) Mais quelqus-unes de ces
évaluations ont besoin d'être vérifiées , particulièrement celles qui regardent les ri-
chesses du temple de Bélus.
(5) Brotier, Notes sur Tacite, tom. iv de l'édition in-40, Pag' 549, ^55, etc.
710 PIÈCES JUSTIFICATIVES.
suite du pillage qui en fut fait par les Romains , le prix de l'or et
des denrées diminua de moitié clans toute la Syrie (1). E<t-il
étonnant , après cela , que la première église patriarcale de l'O-
rient ait possédé , au vue siècle , une quantité d'or six fois moins
considérable que celle du temple de Delphes, et sept ou huit fois
moins que celle du temple de Jupiter Capitolin? Cette supposition
pourrait paraître invraisemblable , si le récit de Léonce et de Mé-
\ taphraste nous obligeait de croire, que la somme dont il est ici ques-
tion consistât uniquement en espèces ; mais on peut très-bien sup-
poser qu'elle consistait principalement en vases sacrés, ustensiles,
et autres objets précieux , qui se conservaient ordinairement dans
le trésor des églises. Les autres détails que l'histoire de cette époque
nous a conservés sur les richesses des églises de Rome et d'Alexan-
drie, viennent à l'appui de ces réflexions (2). La grande autorité
dont jouissaient alors ces deux Églises, l'étendue de leur juridiction,
les revenus considérables qu'elles possédaient depuis plusieurs siècles,
leurs aumônes prodigieuses, tout concourt à éloigner le soupçon d'er-
reur ou d'exagération, dans les textes de Léonce et deMétaphraste.
Ces considérations acquièrent un nouveau poids, lorsqu'on exa-
mine de près les conjectures des savants qui ont essayé de corriger
le texte des anciens auteurs , sur le point dont il s'agit. Fleury,
D. Ceillier, Berault- Bercastel, et quelques autres, au lieu de
8,000 livres d'or, supposent qu'il n'est ici question que de 4,000 li-
vres (3) ; mais ils n'apportent aucune raison de cette réduction ; et
nous ne voyons pas sur quoi elle peut être fondée ; car elle contre-
dit manifestement le texte des deux auteurs qu'il s'agit d'expli-
quer. Alban Butler suppose qu'il ne s'agit pas ici de 8,000 livres
d'or, mais de 8,000 pièces d'or (4). Cette supposition paraît aussi
arbitraire et aussi peu fondée que la précédente. Il est vrai que ,
plusieurs siècles avant saint Jean l'Aumônier, c'est-à-dire , sous le
règne d'Héliogabale , il existait, dans l'empire romain, une monnaie
d'or, nommée centenarius aureus, équivalente à cent sous d'or (5).
Mais l'historien Lampride , qui parle de cette monnaie , dit expres-
(i) Joseph, De Bello Jud. lib. v, cap. 5; lib. vr, cap. i3.
(2) Voyez les détails que nous avons donnés, sur ce sujet, dans VIntrod. de cet
ouvrage (art. 2, § 3, pag. 106, etc.). On trouve de semblables détails, dans les Fies
des Papes postérieurs à saint Silvestre.
(3) Fleury, Hisl. Eccl.y torn. vin, liv. xxxvri , n, ï2. — D. Ceillier, Hist. des
Auteurs eccl., tora. xvn, pag. 608. — Berault-Bercastel, Hist. de l'Egl-, tora. nr,
liv. xxi.
(4) Alban Butler, Vie des Pères, etc., 3o janvier, pag. 541.
(5) Lampride, Pita Alex. Sev. cap. 3g. (Tom. Ier du recueil intitulé : Hist. Au~
gustœ Script, Lugd. Batav. 1661, in-8°.)
PIÈCES JUSTIFICATIVES. 711
sèment qu'elle fut détruite par Alexandre Sévère , et que ce prince
défendit absolument d'en faire usage à l'avenir. En effet, depuis le
règne de ce prince, on ne !rouve plus dan; l'histoire aucune men-
tion de cette ancienne monnaie; et les savants s'accordent à recon-
naître que, dans les auteurs grecs et latins du moyen âge, le cente-
naire d'or signifie toujours cent livres pesant d'or, comme l'a en-
tendu Métaphraste, dans l'explication du texte de Léonce (1).
Peut-être quelques lecteurs seront tentés de réduire la valeur des
8,000 livres d'or dont il est ici question, en supposant que, dans
les textes de Léonce et de Métaphraste , il ne s'agit pas de la livre
romaine, composée de 12 onces, niais de la livre égyptienne, qui
ne contenait que 8 onces romaines, c'est-à-dire, environ 7 onces
un tiers de notre poids de marc. 11 paraît en effet que telle était,
(ians les premiers temps de l'empire romain , la différence entre la
livre romaine et la livre égyptienne (2). Mais il ne paraît pas que
cette différence ait eu lieu depuis le règne de Constantin ; du moins
nous ne connaissons aucun au'eur qui l'ait supposé, ou qui ait eu
recours à cette supposition pour résoudre la difficulté qui nous oc-
cupe. Les savants supposent même communément que la livre-poids
dont il est question dans les auteurs grecs et latins du moyen âge ,
est toujours la livre romaine. Tel est aussi le sentiment d'un savant
académicien que nous avons consulté sur la difficulté présente.
IV.— Page 127.
Sur la valeur des trois talents et demi d'or de revenu annuel,
enlevés à l'Église romaine par Léon l'Isaurien.
Pour déterminer la valeur des trois talents et demi d'or dont
parle ici Théophane , il faut remarquer :
1° Que dans le style des auteurs grecs du moyen âge , le mot
talent se prend tantôt pour cent livres d'or (3); tantôt pour une
livre d'or, comme Ducange le remarque dans une note sur VA-
lexiade d'Anne Gomnène (pag.400); tantôt pour une pièce d'or
nommée sou, solide ou besant (4). On peut voir, à l'appui de ces
différentes significations, l'article to&ocvtov, dans le Lexicon inftmœ
Grœcitatis de Ducange, et la Dissertation du même auteur, sur les
(i) Voyez les notes de Casaubon, Sauraaise, etc. sur le passage de Lampride que
nous venons d'indiquer.
(?.) Pauctoo, Métrologie, pag. 276 et 3o3.
(3) Théophane, Chronngr. anno 9 Niceph. , pag. 4i4-
(4) Iùid., anno 1 Michael. Curopal.
712 PIÈCES JUSTIFICATIVES.
monnaies du moyen âge (n° 81), à la suite de son Glossaire de
la basse Latinité.
2° On a vu plus haut (1) que la livre d'or , sous Constantin et ses
successeurs, se divisait en 12 onces, qui en valaient à peu près
11 de notre poids de marc. Nous avons fait remarquer au même
endroit, qu'on taillait alors , dans la livre d'or , 72 sous ou besants
d'or. La livre d'or valait donc environ 1 155fr. 80 c. de notre monnaie;
et le sou d'or environ 16 fr. ; en supposant , comme nous avons fait
au même endroit, que le marc d'or fin vaut aujourd'hui 840 fr. 60 c.
3° Il est tout à fait invraisemb!e, que Théophane , dans le passage
dont il s'agit , ait pris le mot talent pour une livre d'or , et bien
moins encore, pour un sou d'or. Comment croire en effet, que les
patrimoines de l'Eglise romaine, en Sicile et en Calabre, déjà si con-
sidérables au temps de saint Grégoire le Grand, n'aient rapporté au
saint-siége , un siècle plus tard , que trois livres et demi d'or , c'est-
à-dire environ 4045 fr. ? Aussi nous ne connaissons aucun auteur
qui ait ainsi entendu le mot talent , dans le passage de Théophane
que nous expliquons.
4° Il y a donc tout lieu de croire, que Théophane prend ici le mot
talent pour cent livres d'or , et que les trois talents et demi d'or
dont il parle, valaient 350 livres d'or , c'est-à-dire environ 404,530 fr.
de notre monnaie.
Ce calcul nous paraît confirmé par celui du P. Zaccaria , dans sa
dissertation déjà citée , sur les anciens patrimoines de l'Eglise
romaine (2). Selon cet auteur, les trois talents et demi d'or dont
parle Théophane, valaient, en 1781, 35,000 pièces d'or ou
sequins romains, c'est-à-dire, environ 386,000 fr. , en supposant
avec Paucton, que le sequin valait alors 11 fr. et 4 c. (3).
Il est à remarquer que Fleury réduit la valeur de ces trois talents
et demi d'or, à 224,000 livres tournois; et Lebeau à 20,200 livres
seulement (4). On a vu plus haut , qu'au temps où écrivait Fleury,
(r) Pièces justifie, n. II, pag. 705.
(2)Zaocaria, De rébus adHist. elAnliquit.Eccl. pertinentibus , tom.ir, Dissert. 10,
cap. 2, n. 9.
Zaccaria ne fait que suivre, sur ce point, le sentiment adopté, longtemps avant lui,
par de savants auteurs. Voyez, entre autres, Nie. Alaraanni, De Parietinis Lateranen.
sibus, cap. i5 (pag. 112 de Y édition de Ro?ne, 1756, in-40). — Bianchini, Vitœ
roman. PonliJ'., tom. ir, pag. 3or. — Cenni, Monumenta Domin. Pontif., tom. 1,
pag. i3 ; tom. ir, pag. 10. Voyez aussi une note de ce dernier auteur sur le chap. 2
de l'ouvrage d'Orsi, Délia Origine del dominio e délia sovranita dey romani Pon-
tefici [édition de Rome, 1788, in-8°, pag. 19).
(3) Paucton, Métrologie, pag. 865.
(4) Fleury, Hist. Eccl. , tom. ix , liv. xlii , n. 17. — Lebeau, Hist. du Bas-
Empire, tom. xm, liv. lxiii, n. 59.
PIÈCES JUSTIFICATIVES. 713
le marc d'or avait «ne valeur moitié moins forte qu'il n'a aujour-
d'hui (1). Pour ce qui est du calcul de Lebeau, nous ne voyons pas
sur quoi il peut être fondé; il est vraisemblable, qu'au lieu de 20,000
livres , il faut lire, dans son texte, 200.000 livres , ce qui revient à
peu près au calcul de Fleury.
V.— Page 197.
Sur la Donation de Constantin à l'Église romaine (2).
La donation de Constantin , telle qu'on la voit aujourd'hui dans
les principales collections des conciles , est un acte solennel , par
lequel ce prince donne pour toujours au saint-siége, la ville de
Rome, avec l'Italie et toutes les provinces de l'empire en Occident.
Le texte latin de cet acte est tiré du recueil des Fausses Décrétâtes,
communément attribué à Isidore Mercator, et publié au ixe siècle ,
peu après la mort de Charlemagne , selon l'opinion la plus com-
mune (3). Les fragments grecs du même acte, joints au texte latin,
dans la collection des conciles , sont tires du Commentaire sur le
Nomocanon de Photius , composé vers la fin du xne siècle, par
Théodore Balsamon , patriarche d' Antioche (4).
(i) Pièces justifie. f no II, pag. 705.
(2) On peut voir cet acte dans la Collection des Conciles, du P. Labbe , tom. r,
pag. i53o, etc. Pour l'examen critique de cette pièce, voyez Noël Alexandre, Dis-
sert. 25, in Hist. Eccl. sœculi ir. — De Marca, De Concordid sacerdoiii et imp.%
lib. ni, cap. 12. — Baronii Annales, anno 824, n. 18, etc.; anno 1191, n. 52, etc.
— Morin, Hist. de V Origine et des Progrès de la puissance tetnp. des Papes, in-fol.
— D. Ceillier, Hist. des Auteurs ecclésiastiques , torn. iv, pag. 177; vin, i45, etc.
— Cenni, Monumenta Dominationis Pontijiciœ, tom. 1, pag. 3o4-3o7, — Zaccaria,
De Rébus ad Hist. Eccl. pertinentibus, tom. 11, dissert. 10, cap. 2, n. 4 et 5. —
Tillemont, Hist. des Empereurs, tom. iv, pag. 142. — Fleury, Hist, Eccl., tom. xvr
4e Discours, n. 9. — Recueil de Pièces d'histoire et de littérature (par l'abbé
Granet et le P. Desraolets), tom. n, p. 137, etc. — Billuart, De Jure et Justifia j
Digressio historien, ad calcem Dissertationis .
(3) L'édition la plus complète du recueil des Fausses Décrétâtes, se trouve dans
le tom. 1 de la Collection des Conciles de Merlin (Paris, l524, 2 vol. in-fol.). Ce
recueil a été reproduit, avec quelques différences, dans le tome 1 de la Collection des
Conciles de Gabbe (Cologne, i55i, 3 vol. in-fol.). La Donation de Constantin
fait également partie de ces deux éditions. Nous ignorons pourquoi on l'a supprimée,
dans l'édition des Fausses Décrétâtes, publiée depuis sous ce titre : Epistolarum
Décrétai, quœ a>etustissimis rom. Pontif. tribuuntur, examen, adversus Isido^
rum Mercatorem ; Genevœ, i635, in~4°. On peut consulter, pour ces détails biblio-
graphiques, la Bibliothèque choisie de livres de Droit (n. 1664 et 1715), à la suite
des Lettres sur la profession d'avocat, par Camus, 2 vol. in-8°.
(4) Théod. Balsamon, Scholium in Photii Nomocanonem, tit. 7, cap. 1. (Ju-
stell. Biblioth. Juris Can. njeteris, tom. n, pag. 929.)
714 PIÈCES JUSTIFICATIVES.
Depuis l'insertion de cet acte dans le recueil des Fausses Décré-
tâtes , on le trouve cité par un grand nombre d'auteurs , qui ne
supposent même pas qu'il y ait aucun doute raisonnable sur son
authenticité. Les premiers qui en fassent mention , sont deux auteurs
français , savoir , Énée , évêque de Paris, dans un Traité contre tes
Grecs, composé vers Tan 867 (1); et Hincmar de Reims , dans une
Lettre aux seigneurs français, écrite vers l'an 882 (2). Ces deux au-
teurs, quoiqu'ils ne citent pas textuellement l'acte dont il s'agit, en
supposent clairement l'existence; et le premier ajoute qu'on en con-
serve des exemplaires dans les bibliothèques de plusieurs églises de
France. Le pape Léon IX en cite de longs fragments, dans sa Lettre
à Michel Cerulaire, patriarche de Constantinople, en 1054, pour
établir, contre les Grecs, la juridiction spirituelle et temporelle du
saint-siége (3). Saint Pierre Damien en rapporte aussi quelques
fragments, dans sa Discussion synodale, composée vers Tan 1062 (4).
On en trouve de plus long extraits, dans le recueil de canons com-
posé , vers le même temps , par saint Anselme de Lucques , aussi
bien que dans les Décrets d'Yves de Chartres et de Gratien , publiés
dans le cours du siècle suivant (5).
Il y a cependant lieu de croire que , dans le temps même où ces
auteurs citaient avec tant de confiance la donation de Constantin,
son autorité n'était pas universellement reconnue; car on n'en
trouve aucune mention dans plusieurs écrivains du xe et duxie siècle,
qui ne pouvaient l'ignorer , ni la passer sous silence , supposé que
son autorité leur eut paru solidement établie (6) . Grégoire VII lui-
même n'en dit rien, dans plusieurs de ses lettres, où il rassemble avec
soin toutes les raisons et les autorités propres à établir le pouvoir
extraordinaire qu'il s'attribuait sur les souverains.
Ces notions historiques étant supposées , il se présente trois ques-
(i) Énée, Tract, adv. Grœcos; qusest. 6, n. 209 (tom. vu du Spicilege de cl' 'A-
chery, édition in-40; tora. 1 de l'édit. in-fol.). — Le passage que nous indiquons est
cité en partie dans VHist. de l'Egl. Gallicane, tom. vi, année 867, p. 200. — Voyez
aussi Fleury, Hist. Eccl., tom. xi, liv. li, n. 14.
(2) Hincmar, Epistola 14 ad Proceres regni, de Institutione Carlomanni Régis,
n. i3.(Operum, tom. 11. ) Ce fragment est cité par le P. Alexandre, ubi supra, art. 2.
(3) Leonis IX Epistola ad Michaelem patriarcham C. P., n. i3. (Labbe,
Concil. tom. ix, p. 954, etc.). — Fleury, Hist. Eccl.y tom. xni, liv. lx, n. 2.
(4) S. Pétri Damiani Opéra, tom. m, opuscul. 4, pag. 23. (Labbe, Concil. t. ix,
pag. ii56.) — Fleury, Hist. Eccl., tom. xm, liv. lx, n. 49.
(5) Yves de Chartres, Decretum, parte 5, cap. 49 Gratien, Corpus Juris,
distinct. 96.
(6) Voyez les détails que nous avons donnés sur ce sujet, dans la seconde partie de
cet ouvrage, chap. 3, n. 173, pag. Si'j.
PIÈCES JUSTIFICATIVES. 715
tionsprincipales à examiner sur cet acte singulier : 1° Est-il authenti-
que? 2° A quelle époque et par qui a-t-il été fabriqué? 3° Comment
a-t-il pu obtenir , pendant plusieurs siècles , un si grand crédit ?
Nous allons examiner succinctement chacune de ces questions.
PREMIÈRE QUESTION.
La Donation de Constantin est-elle authentique ?
L'insertion de cet acte dans les Décrets d'Yves de Chartres et de
Gratien , ne pouvait manquer de lui donner d'abord un grand crédit.
Aussi Je voyons-nous généralement admis comme authentique, de-
puis cette époque, jusqu'à la renaissance des lettres , au xve siècle.
Mais vers le milieu de ce siècle, plusieurs savants auteurs en recon-
nurent la supposition , et la prouvèrent par des raisons qui firent
bientôt prévaloir leur sentiment (1). Depuis ce temps, la pré-
tendue donation de Constantin fut généralement regardée comme
apocryphe. Sa fausseté est établie, en effet, de la manière la plus déci- «
sive , non-seulement par le témoignage de V histoire , mais encore
par le silence de tous les auteurs antérieurs au vme siècle , et par
plusieurs marques intrinsèques de supposition. Nous avons exposé
ailleurs, assez au long, le premier de ces arguments (2) ; il suffira
d'exposer ici les deux autres en peu de mots.
I. Le silence de tous les auteurs antérieurs au vme siècle , suf-
firait pour démontrer la fausseté de l'acte dont il s'agit. On ne peut
citer, en effet , aucun témoignage positif cle l'existence de cet acte ,
avant le vme siècle. Il n'en est fait, avant ce temps, aucune mention,
dans les auteurs mêmes qui devaient le mieux connaître , et que
l'objet de leurs ouvrages obligeait naturellement à en parler, s'ils
l'eussent connu. L'historien Eusèbe , contemporain de Constantin,
et si attentif à recueillir tous les témoignages du respect et de
la générosité de ce grand prince envers l'Église , ne dit pas un
seul mot de cette prétendue donation. On n'en trouve aucune men-
tion, dans les recueils de canons , composés avant les Fausses Décré-
tâtes , et dans lesquels cependant on remarque des détails beaucoup
moins importants, sur le pouvoir et les prérogatives du clergé, dans
(i) Les principaux auteurs qui combattirent, à cette époque, l'ancienne opinion,
sont : Laurent Valla, chanoine de Saint-Jean de Lalran ; ./Eneas Sylvius, qui devint
pape sous le nom de Pie II; Jérôme Paul, chanoine de Barcelone, et camérier d'A-
lexandre VI ; et le cardinal de Cusa. On peut voir l'indication détaillée de leurs ou-
vrages, dans la Dissertation déjà citée du P. Alexandre, art. 2.
(a) Voyez la première partie de nos Recherches, chap. x, n. 7, etc.
716 Pièces justificatives.
l'ordre temporel (1). Bien plus , la prétendue donation de Constan-
tin est omise par plusieurs auteurs du vnie et du ixe siècle , qui ne
pouvaient en ignorer l'existence , et qui n'eussent pas manqué de la
citer, s'ils l'eussent crue authentique. Anastase le Bibliothécaire n'en
dit rien dans la Vie de saint Silvestre, empruntée à un auteur beau-
coup plus ancien, et dans laquelle on trouve un détail minutieux des
libéralités de Constantin envers l'Église romaine (2). On remarque
le même silence, dans les lettres écrites , vers l'an 865 , à l'empe-
reur Michel, par le pape Nicolas Ier, et dans lesquelles ce pontife
réunit à dessein tout ce qui peut relever, aux yeux des Grecs, la
dignité du saint-siége (3).
II. En examinant de près l'acte dont il s'agit, on y trouve plu-
sieurs marques intrinsèques de supposition. Nous indiquerons seu-
lement ici quelques-unes des principales :
1° La date de cet acte est fausse; il est daté du troisième des calendes
d'avril, Constantin étant consiUpour la quatrième fois avec Gai-
licanus; or, on sait par l'histoire, que Constantin, consul pour la qua-
trième fois (en 315), eut pour collègue Licinius, et non Gallicanus (4).
2° L'auteur de cet acte compte cinq églises patriarcales , entre
autres, celle de Jérusalem, qui n'obtint cette dignité qu'après la mort
de Constantin; et celle de Constantinople , qui n'existait pas encore
lors de la date de cet acte , c'est à-dire sous le quatrième consulat de
Constantin, en 315 (5).
3° A la tête de cet acte, on donne à Constantin les titres de Fide-
lis, Tranquillus , Beneficus, Alamannicus , Gothicus, et plusieurs
autres , qu'il n'a jamais pris dans ses actes authentiques. Il ne se
qualifie, dans ces derniers, que à' Auguste, quelquefois de Vain-
queur, et de très-grand Auguste. On lui donne, à la lin du même
acte, le titre de Clarissime, qui ne se donnait point aux empe-
reurs ni aux princes de l'empire, mais aux sénateurs, aux consu-
(i ) On trouve la plupart de ces anciens recueils, dans l'ouvrage de Justel, Biblioth.
Juris Canon, vet., tora. i.
(2) On peut voir une partie de ce détail dans Flcury, Mœurs des Chrél., n. 5o. —
Hist. Eccl., tora. m, liv. xr, n. 36.
(3) Epistol. ISicolai papœ ad Michael , imperat. (Labbe, Concil. t. vin ,
pag. 2q3 , 326, etc.) On peut voir l'analyse de ces lettres, dans Fleury, Hist.
Eccl. , tom. xi, liv. 1. , n. 41. — D. Ceillier, Hist. des Auteurs eccl. , tora. xix ,
pag. 166, etc.
(4) Voyez la Chronologie des Consuls, dans V Art de vérifier les dates, dans le
Dictionnaire de Morëri (article Consuls), dans le Dictionnaire historique de
F elle r, etc.
(5) Sur l'origine des patriarcats d'Orient , voyez ci-dessus la note 3 de la
page 182.
PIÈCES JUSTIFICATIVES. 71 1
laires, aux gouverneurs de provinces, et à quelques autres digni-
taires inférieurs (1).
4° On donne au pape Silveslre, dans le même acte, les titres de
Père des pères , et de Pape universel, tout à fait inusités à celte
époque.
5° Enfin , il est parlé, dans cet acte, du baptême de Constantin ;
or, ce prince n'était pas encore baptisé en 315, même dans le senti-
ment des auteurs qui pensent qu'il a été baptisé à Rome. On peut
voir , dans les auteurs qui ont examiné cette pièce plus en détail ,
beaucoup d'autres marques intrinsèques de sa fausseté (2).
SECONDE QUESTION.
A quelle époque , et par qui la Donation de Constantin a-t-elle
été fabriquée f
Quelque bien établie que soit la fausseté de cet acte , il serait
difficile de déterminer, avec précision , l'époque de sa fabrication.
M. de Marca, Muratori , et quelques autres savants, pensent qu'il a
été composé au viue siècle, avant le règne de Charlemagne. Muratori
regarde même comme assez vraisemblable, qu'il a pu engager Pépin
et Charlemagne à se montrer si généreux envers le saint-siége(3). Le
P. Alexandre, D.Ceillier, le P. Zaccaria, et plusieurs autres, croient
plus probable , que cet acte a été fabriqué au ixe siècle , soit par
l'auteur des Fausses Décrétâtes, soit par quelque auteur contem-
porain (4). Baronius, Binius et quelques autres , croient cette pièce
beaucoup plus récente : ils pensent qu'elle a été fabriquée, depuis le
xe siècle, par quelque auteur grec, en haine de l'Église romaine (5) .
Sans prélendre déterminer l'auteur de cet acte , ni l'époque pré-
cise de sa fabrication , nous croyons pouvoir établir , avec beaucoup
de vraisemblance, les trois assertions suivantes, qui paraissent
admises par le plus grand nombre des savants.
(i) Voyez, dans le Commentaire de Godefroy sur le Code Théodosien, les divers
passages indiqués dans la Table générale des matières, au mot Clarissimi,
(2) Voyez principalement la Dissertation du P. Alexandre, art. 1, prop. 1.
(3) De Marca, De Concordià sacerd. et imp., lib. 111 , cap. 12, n. 3 et 5. —
— Muratori, Piena Esposizione dei Diritti imperiali sopra la citta di Comachio,
pag. 26. Muratori est cité et suivi, sur ce point, par Daunou. (Essai hist. sur la
puissance temporelle des Papes, tom. il, p. 3g.) Le P. Thomassin (Ancienne et
nouvelle Discipline, tom. in, liv. r, chap. 29, n. 9), et le P. Longueval, Hist. de
l'Égl. Gallicane, année 754, tom. iv, p. 376), paraissent incliner à celte opinion.
(4) Noël Alexandre, Disserta ubi supra, art. 3. — D. Ceillier et Zaccaria, ubi
supra.
(5) Baronii Annales , anno 324, n. 18 ; etc. — Notes de Binius sur la Donation
de Constantin, dans la collection des Conciles du P. Labbe, tom. 1, p. i539«
718 PIÈCES JUSTIFICATIVES.
I. L'opinion qui suppose Vacte dont il s'agit postérieur au
schisme des Grecs , est justement abandonnée de tous les critiques
modernes (1).
1° Cette opinion est clairement démentie par l'histoire, et par le
fond même de l'acte que nous examinons. D'abord , il est certain
que cet acte existait avant le schisme des Grecs, puisqu'on le trouve
cilé par plusieurs écrivains du ixe siècle , et qu'il fait même partie
de la collection des Fausses Décrétâtes, publiées certainement avant
le milieu de ce siècle (2).
2° Les défenseurs de l'opinion que nous combattons supposent
mal à propos que cet acte est contraire à la primauté du saint-siége;
elle y est au contraire expressément reconnue , comme établie par
Jésus-Christ lui-même, et comme le principal motif des libéralités de
Constantin envers l'Église romaine (3).
3° Il est tout à fait invraisemblable que les Grecs , si envenimés
contre l'Église romaine depuis le schisme de Photius , aient fabriqué
un acte si favorable au saint-siége , et qui lui attribue de si grandes
prérogatives , dans l'ordre spirituel et dans l'ordre temporel.
II. L'opinion qui suppose l'acte dont il s'agit , composé avant
le ixe siècle , est tout à fait gratuite et même invraisemblable (4).
Pour établir cette seconde assertion , il suffit de montrer la fai-
blesse des preuves alléguées par les défenseurs de l'opinion contraire.
Leur principal argument se tire dune lettre écrite à Chat lemagne,
vers l'an 777 , par le pape Adrien Ier , et dans laquelle on prétend
que ce pontife fait allusion à la donation de Constantin. Pour exciter
le roi de France à protéger le saint-siége contre les Lombards, en les
obligeant à restituer à l'Église romaine les villes et territoires qu'ils
lui avaient enlevés, le Pape rappelle au roi l'exemple de Constantin,
qui , « sous le pontificat de saint Silveslre , a tant exalté l'Église
« romaine , et l'a rendue si puissante en Italie (5). »
(i) Voyez principalement, sur ce point, De Marca, ubi supra ; et la Dissertation
du P. Alexandre, art. 3.
(2) Voyez les auteurs cités plus haut, pag. 714.
(3) « Justum quippe est, dit l'empereur dans cet acte, ut ibi lex sancta caput teneat
« principatùs, ubi sancta ru?n leguminstitutor, Salvatomoster^ beatum Petrum apo-
« stolatûs obtinere prœcepit calhedram... Ubi principatùs sacerdotum, et christianse
« religionis caput, ab Imperalore cœlesti constitutum est , justum non est ut illic
« imperator terrenus habeal potestatem. » Labbe, Concil, tom. 1, p. i535, A; et
i538, C.
(4) Voyez les auteurs cités dans la note 4 de la page précédente; voyez aussi
Cenni, Monumenta Dominationis Pontijiciœ, tom. 1, pag. 3o4, etc.
(5) « Sicut teraporibus B. Silvestri, romani pontificis, à sanctse recordationis piis-
« simo Coustantino magno imperatorc, per ejus largitatem, sancta Dei calholica et
« apostolica, romana ecclesia elevata atque exaltata est, et potestatem in his Hesperiae
PIÈCES JUSTIFICATIVES. 719
Il suffit , à ce qu'il nous semble, de lire attentivement ce pas-
sage , pour voir qu'il ne suppose aucunement la donation de Con-
stantin, telle qu'on la trouve dans le recueil des Fausses Décrétâtes,
et dans les recueils postérieurs. Le Pape se borne à rappeler dans
sa lettre , <;ue Constantin a donné à l'Église romaine un grand pou-
voir en Italie. On sait , en effet par l'histoire, que Constantin, si
généreux envers tous les évêques, le fut surtout envers le saint-siége,
et lui donna de nombreux patrimoines (1). La vérité de ce fait ,
généralement reconnu des historiens , est bien suffisante pour expli-
quer le pouvoir dont parle le pape Adrien Ier ; et c'est bien gratuite-
ment qu'on verrait, dans ce pouvoir, une allusion à la donation exor-
bitante qui a paru depuis dans le recueil des Fausses Décrétâtes.
On peut même aller plus loin , et montrer que cette allusion , si
gratuite en elle-même, est tout à fait invraisemblable, et contraire
au texte de la lettre qu'on nous oppose. En effet , Constantin déclare
expressément , dans l'acte de sa prétendue donation, «qu'il donne
« pour toujours au pape Silvestre et à ses successeurs , non-seule-
« ment le palais de Latran , mais encore la ville de Rome , avec
« toutes les villes et provinces d'Italie , et des régions occciden-
« taies (2). » Si le pape Adrien Ier, en écrivant la lettre dont il s'agit,
regardait comme authentique cette donation exorbitante, et y faisait
même allusion , comment a-t-il pu supposer clairement , dans la
même lettre , que tes propriétés du saint-siége, en Italie, lui avaient
été données successivement, par Constantin et ses successeurs, dont
les actes de donation se conservaient alors dans les archives du
palais de Latran (3) ? Pour attribuer au pape Adrien Iei une con-
te partibus largiri dignatus est ; ita et in his vcslris felicissimis temporibus atque nos-
« Iris, sancta Dei ecclesia, id est, B. Pétri apostoli, germinet atque exultet, et ampliùs
« atque ampliùs exaltata permaneat. m Cocl. Carol. Epist. 59 (aliàs49). (Cenni, Mo-
numenta, tom. 1, pag. 3o5 et 352 . Labbe, Concil. tom. vi, p. 1763.)
(1) Voyez les détails que nous avons donnes, sur ce sujet, dajjs YIntrod. de cet ou-
vrage, art. 2, n. 73, etc.
(2) « Pro quibus (beneficiis a Deo acceptis ) , dedimus ipsis sanctis apostolis ac
« dominis meis Petro et Paulo , ac per ipsos beato Silvcstro, patri nostro, summoque
« poutificc, et universali urbis Roraae papae, omnibusque ejus successoribus summis
« pontificibus, qui ad mundi usque consummationcm in cathedra beati Pelri sedebunt,
« atque imprœsentiarum tradimus; primùm quidem impériale palatium nostrum
« Lateranense, quod praeter omnia quse in orbe terrarum sunt palatia in primis ho-
« noratur atque excellit.. . Quin et Romana um urbem, totamque Italiam, et occi-
« dentalium vegionum provincias, loca, civitates, saepejam dicto Silvestro, univer-
« sali papas, tradentes ac cedentes, hujus et successorum ipsius summorum pontificum
« auctoritatc ac sententià, divino nostro hoc pragmatico deercto, admiuistrari diffiui-
« mus, juri sanctse roraanorum Ecclesiœ subjicienda, et in co permansura exhibemus. »
Donatio Constant. (Labbe, Concil. tom 1, p. i53o, etc.)
(3) A. la suite des paroles que nous avons citées plus haut (note 5 de la p. précéd.),
120 PIÈCES JUSTIFICATIVES.
tradiction si étrange, il faudrait un témoignage formel , qui ne se
trouve certainement pas dans le passage de sa lettre qu'on nous
oppose.
Parmi les défenseurs de l'opinion que nous combattons , quel-
ques-uns se fondent encore, sur ce que Pépin lui-même paraît
supposer la prétendue donation de Constantin, en réclamant auprès
des Lombards , comme une restitution due à l'Église romaine , les
villes et territoires qu'il donna depuis au saint-siége (1). Mais il est
certain que Pépin a pu réclamer ces provinces , comme une restitu-
tion due à l'Église romaine , sans supposer la donation de Con-
stantin. Indépendamment de cette donation , le Pape pouvait alors
être considéré comme souverain légitime de ces provinces , qui s'é-
taient librement soumises à son autorité , dans l'état d'abandon où
elles se trouvaient. C'est ce que nous avons montré ailleurs, en
exposant la suite des faits relatifs à l'origine de la souveraineté tem-
porelle du saint-siége (2).
III. Il y a tout lieu de croire, que l'acte dont il s* agit ^ a été fa-
briqué au ixe siècle (3).
Cette troisième assertion paraît être une conséquence naturelle
des précédentes. En effet, il paraît certain, d'un côté, qu'on ne
trouve dans l'histoire aucune mention de cet acte avant le ixe siècle;
et de l'autre, il est constant que cet acte se trouve dans le recueil des
Fausses Décrétâtes, composé , selon le sentiment le plus commun ,
au ixe siècle , quelques années après la mort de Charlemagne.
Pour ce qui regarde l'auteur de cet acte , et les motifs de sa
fraude, nous ne hasarderons là-dessus aucune conjecture; il nous
suffira d'indiquer, en peu de mots, celles de quelques savants. Les
uns attribuent cette pièce à l'auteur des Fausses Décrétâtes (4) ; les
autres pensent que celui-ci l'a empruntée à quelque auteur contem-
porain (5). Le motif du faussaire était, selon quelques auteurs, de
le pape Adrien 1er continue ainsi : « Sed et cuncta alia, quae per diverses imperatotes,
« patricios etiam , et alios Deum timentesf pro eorura anima? mercede , et vcnià déli-
ce etorum, in partibus Tuscise, Spoleto, seu Benevento, atque Corsicâ, simul et Sabinensi
« patrimonio, bealo Petro apostolo, sanctseque Dei et apostolicœ romanae Ecclesise
« concessa sunt, et per nef'andam gentem Longobardorum, per annorum spalia, abstra-
« cta atque ablata sunt, vestris temporibus restituantur ; unde et plures donationes
« in sacro nostro scrinio Lateranensi reconditas habemus , etc. » Adriani I
Epist, 5g. (Cenni, ubi supra, pag. 3o5 et 353.)
(i) Muratori, ubi supra. — Hist. de l'Egl. Gallicane, ubi supra.
(2) Voyez la ire partie de nos Recherches, n. 34, 4o, etc.
(3) Voyez les ouvrages déjà cités du P. Alexandre, de D. Ceillicr, de Ceuni et du
P. Zaccaria.
(4) C'est l'opinion de D. Ceillier et de Cenni.
(5) C'est la conjecture du P. Zaccaria.
riÈCES JUSTIFICATIVES. 731
combattre, par l'autorité imposante de Constantin, les prétentions
des empereurs grées sur l'Italie, et sur les autres provinces d'Occident
qui avaient secoué leur joug (1). M. de Marca suppose même que
l'auteur de cette fraude l'a mise en œuvre , de concert avec le Pape
et le roi de France.
On conçoit combien il est aisé de multiplier les conjectures sur un
point si obscur ; mais on voit aussi combien toutes ces conjectures
sont arbitraires. La dernière en particulier nous semble tout à fait in-
vraisemblable. Quelle apparence, en effet, que nos rois aient favorisé
la supposition d'une pièce, qui, donnant au Pape toutes les provinces
de l'empire en Occident, rendait toutes ces provinces, et la France
elle-même, tributaires et même feudataires du saint-siège? Quelle
apparence que le Pape et le roi de France aient favorisé la supposi-
tion d'un acte si extraordinaire , pour combattre les prétentions des
'Grecs , d ailleurs si faciles à renverser (2)? Quelle apparence enfin,
qu'une pareille fraude ait été employée par des princes tels que
Pépin et Cbarlemagne, et par les papes contemporains, que l'histoire
nous représente comme des hommes aussi recommandables par Im-
minence de leurs vertus , que par la sainteté de leur caractère?
Ces observations sont plus que suffisantes pour montrer l'invrai-
semblance des conjectures dont nous venons de parler, et par consé-
quent l'injustice de plusieurs écrivains modernes , qui ont fait de ces
conjectures la base de leurs jugements sur la conduite des papes du
vnic et du ixe siècle , tantôt représentant la prétendue donation de
Constantin comme le premier fondement de la puissance temporelle
du saint-siége (3) , tantôt accusant ouvertement les papes d'avoir
été eux mêmes les auteurs ou les fauteurs de cette fraude (4). De
pareilles assertions sont d'autant plus téméraires, que, selon le senti-
ment le plus commun parmi les savants , la prétendue donation de
Constantin a été fabriquée postérieurement au règne de Cbarle-
magne , et par conséquent depuis rétablissement de la souveraineté
temporelle du saint-siége.
(i) C'est la conjecture de M. de Marca, et du P. Zaccaria.
(2) Voyez la première partie de ces Recherches, chap. 2, art. î.
(3) Bcrtiardi, De l'origine et des progrès de la Législation française, liv. II
chap. 7. — Daunou, Essai historique, tom. r, p. 14; tom. ir, p. 67.
(4) De Héricourt, Lois Ecclésiastiques de France f 4e partie; édit. de 177I1
p, x8o, note. — Bernardi,ui/ supra.
40
722 PIÈCES JUSTIFICATIVES.
TROISIÈME QUESTION.
D'où vient que la Donation de Constantin a joui, pendant plu-
sieurs siècles , d'mi si grand crédit?
Cet acte étant manifestement apocryphe , il y a sans doute lieu
de s'étonner qu'il ait pu obtenir , pendant plusieurs siècles , un si
grand crédit. Toutefois, l'étonnement diminue, lorsqu'on se rappelle
le grand pouvoir temporel dont jouissait le, saint-siége, à l'époque de
la publication de cet acte, et pendant les siècles suivants. Le Pape
exerçait alors un pouvoir temporel très-étendu , non-seulement en
Italie, mais dans la plupart des États catholiques de l'Europe, par
l'ascendant que lui donnait, aux yeux des princes et des peuples, sa
souveraineté temporelle, jointe au caractère sacré dont il était revêtu.
Ce pouvoir s'accrut insensiblement, depuis le ixe siècle, au point que le
pape était généralement regardé comme le juge suprême de tous les
souverains catholiques , dont plusieurs même se reconnaissaient
feudataires du saint-siège. Il est aisé de comprendre qu'en de pa-
reilles conjonctures, et dans un temps où la critique était si peu
cultivée , la prétendue donation de Constantin dut naturellement
obtenir un grand crédit. Le souvenir des libéralités de ce grand
prince envers l'Église, et la haute idée qu'on avait généralement
de ses libéralités, firent aisément supposer, que tout le pouvoir
temporel du saint-siége avait pour principe l'acte dont nous par-
lons (1).
Au reste, nous remarquerons ici en passant, qu'on a beaucoup
exagéré, dans ces derniers temps, les résultats de l'erreur du moyen
âge , sur ce point. Fleury et plusieurs autres écrivains modernes
supposent que cette erreur était l'unique fondement de la donation
faite de l'île de Corse à l'Église de Pise, par le pape Urbain II, en
1092 (2); aussi bien que de la donation de l'Irlande au roi d'Angle-
terre, Henri II, parle pape Adrien IV, en 1156(3); enfin, de la
donation des îles Canaries , au prince Louis d'Espagne , par le pape
Clément VI, en 1344 (4). Mais il s'en faut beaucoup que ces suppo-
sitions soient à l'abri de toute contestation. Nous avons remarqué
ailleurs, que l'île de Corse faisait partie des États donnés, ou plutôt
restitués au saint-siège par Charlemagne (5) ; et Grégoire VII
(i) Voyez, à l'appui de ces réflexions, Thomassin, Ane, et nouv. Discipline de
l'Egl.y tom. i, liv. ij chap. 5, n. 14.
(2) Fleury, Hist. Eccl., tom. xiii, liv. ï,xiv, n. 8.
(3) Ibid.} tom. xv, liv. lxx, n. 16.
(4) Ibid.y tom. xx, liv. xcv, n. 24.
(5) Ci-dessus, ire partie, n. 46,
PIÈCES JUSTIFICATIVES. 723
suppose, comme un fait notoire , que le saint-siége avait conservé,
jusqu'à son pontificat, ses anciens droits sur cette île (1). Nous avons
montré aussi que le pape Adrien IV n'avait pas prétendu disposer
de l'Irlande en faveur du roi d'Angleterre (2). Quant à la donation
des îles Canaries au prince Louis d Espagne, ce n'était pas une do-
nation proprement dite, mais une décision arbitrale, par laquelle le
Pape lui-même déclare qu'il ne prétend nuire aux droits antérieurs de
qui que ce soit (3). Cette décision doit s'expliquer dans le même sens
que celle du pape Alexandre VI, relative à certaines îles et pro-
vinces d'Afrique et d'Amérique nouvellement découvertes (4).
VI. —Page 257.
Sur quelques circonstances du sacre de Charlemagne, en SOO.
L'histoire du sacre de Charlemagne , en 800 , offre quelques dif-
ficultés que nous croyons devoir examiner ici en peu de mots.
I. La première a pour objet, X onction royale donnée, en cette
occasion, à l'un des fils de Charlemagne y au rapport d'Anastase.
La plupart des auteurs modernes supposent, que ce fut Pépin, roi
d'Italie, et non Charles , fils aîné de Charlemagne , qui reçut alors
l'onction royale des mains du Pape. Mais le sentiment que nous sui-
vons , paraît solidement établi par M. de Bréquigny, dans ses
Recherches historiques sur la vie de Charles , fils aîné de Char-
lemagne (5). Le savant académicien s'appuie principalement sur
une lettre d'Alcuin, adressée au jeune roi Charles, et commen-
çant ainsi : « J'ai appris que le Pape, du consentement du très-ex-
« cellent seigneur David (6), vous avait conféré le titre de roi , en
« vous mettant sur la tête la couronne qui désigne cette dignité. Je
« me réjouis fort de l'honneur que vous procurent, non-seulement
« ce titre, mais le pouvoir qui y est attaché (7). »
Ce passage si formel , sert à expliquer ou à corriger les expres-
sions de quelques anciens auteurs, qui semblent supposer que le
Pape donna l'onction royale à Pépin, dans l'occasion dont il s'agit.
(i) Greg. VII Epistol. lib. v, Ep. 4.
(2) Ci-dessus, 2e partie, chap. 3, n. 2o3.
(3) Raynaldi Annales, anno i344> h. 3g, etc.
(4) Ci-dessus, 2e partie, chap. 3, n. 221, etc.
(5) Mémoires de l'Académie des inscriptions, édition in-40, lom. xxxrx
pag. 617, etc.
(6) On sait que le nom de David était un surnom donné à Charlemagne par Al-
cuiu, qui ne l'appelle jamais autrement dans ses lettres.
(7) Alcuini Opéra {lom. il, édition de Ralisbonne, 1777).
46,
724 PIECES JUSTIFICATIVES.
Cette supposition , outre qu'elle est détruite par le passage d' Mcuin
que nous venons de citer, est d'ailleurs invraisemblable en elle-
même ; car il est certain que Charlemagne avait déjà fait sacrer ,
par le pape Adrien Ier, en 781 , Pépin, roi d'Italie, et Louis, roi
d'Aquitaine (1); tandis que Cbarles, son fils aîné, n'avait pas,
avant 800 , le titre de roi , que plusieurs anciens auteurs lui donnent
depuis cette époque.
On demandera peut-être par quel motif Charlemagne différa si
longtemps à le lui donner , même après l'avoir conféré à ses deux
autres fils. M. de Bréquigny conjecture avec beaucoup de vrai-
semblance , que Charlemagne , avant son élévation à l'empire , ne
trouvait pas convenable de communiquer à son fils aîné un titre égal
au sien , dans la partie de ses États qu'il lui destinait après sa mort ,
et dont il s'était réservé l'administration immédiate. Cette raison de
convenance tomba d'elle-même , aussitôt que Charlemagne eut reçu
le titre ft empereur , séuprieur à celui de roi : il ne craignit plus
alors de faire gouverner sous lui, par un roi, les États qu'il gouver-
nait lui-même comme empereur.
II. La seconde difficulté regarde le serment fait par Charle-
magne , selon quelques auteurs , dans la cérémonie de son cou-
ronnement, en 800. Sigonius, auteur du xvie siècle, et après lui
quelques auteurs modernes , supposent que ce prince prêta, dans
cette circonstance , au pape Léon III, le serment de fidélité que les
empereurs prêtèrent dans la suite, en pareille occasion, et qu'on lit
en ces termes dans un ancien Ordre Romain : « Moi N. empereur,
« promet^, au nom de» Jésus-Christ , devant Dieu et saint Pierre, de
« protéger et défendre tous les intérêts de l'Église romaine, autant que
« je saurai et pourrai le faire, avec le secours de Dieu (2). » Fleury , le
P. Daniel, le P. Longueval, et la plupart des auteurs modernes, ne font
aucune mention de ce fait, qui ne paraît pas suffisamment attesté ,
et qui semble même peu vraisemblable. Il est difficile, en effet, de sup-
poser qu'Éginhard, Anastasele Bibliothécaire, et les autres historiens
du temps, qui rapportent avec plus de détails l'histoire du couronne-
ment de Charlemagne , aient omis une circonstance si importante ;
(ï) Voyez Y Histoire Ecclésiastique de Fleury, V Histoire de l'Eglise Gall. } les
Annales du moyen âge, et tous les autres historiens de cette époque, sous la date
de 781.
(2) Ordo Romanus ad benedicendum imperatorem ; apud Hittorpiura, De di-
vinis Officiis } édition in-fol. de 1624* pag- l^- (Bibliolh. Patrum , tora.xrn.) —
Sigonius, Hist. de regno Italiœ, lib. iv, anno 8or. (Operurn, tom. 11.) — Baronii
Annales , anno 800, n. 7. — Cenni, Monumenta Domin. Pontif. , tom. 11, Dis-
sert. 1, n. 45. — Lebeau , Histofle du Bas-Empire , t. xiv, liv. lxvi, n. 53. —
Uegewisch, Histoire de Charlemagne, pag. 345.
PIÈCES JUSTIFICATIVES. 725
et l'ancien Ordre Romain, cité par Sigonius, à l'appui de ce fait,
ne paraît pas avoir assez d'autorité pour l'établir. Cet Ordre Ro-
main , publié pour la première fois en 1561 , par Georges Cassan-
dre , et depuis par Hittorpius ( Paris , 1569 , in-fol. ) , quoique d'une
très-haute antiquité dans plusieurs de ses parties , a élé augmenté,
avec le temps, de plusieurs pièces beaucoup plus récentes ; en sorte
qu'il est difficile, au jugement des plus habiles critiques, de détermi-
ner l'antiquité de certaines parties, sans recourir à d'autres témoigna-
ges (I). Le Sacramentaire de saint Grégoire, en usage à Rome et
en France au ixe siècle , et que nous avons cité ailleurs (2), montre
bien que le serment de fidélité au Pape a été fait , par quelques em-
pereurs , dans le cours du ixe siècle , mais non qu'il a été fait par
Charlemagne lui-même.
]II. Une dernière difficulté regarde le titre d'empereur donné à
Charlemagne par le pape Léon III. Le récit uniforme des anciens
auteurs, généralement suivis sur ce point par les modernes, ne
permet pas de douter que le Pape en donnant ce titre à Charle-
magne, dans la cérémonie de son couronnement, n'ait prétendu lui
conférer un titre honorable, qu'il n'avait pas auparavant. Charle-
magne lui-même n'en doutait pas, puisqu'il prit constamment,
depuis celte époque , le titre d'empereur dans ses actes publics , où
il ne prenait auparavant que ceux de roi de France , ou de patrice
des Romains.
Cependant un auteur, justement célèbre par ses recherches sur
l'histoire de France, avance avec confiance, « que la dignité impé-
« riale a été attachée à la couronne de France , depuis Clovis ; que
« les rois de la première, seconde et troisième races, ont pris le titre
« ft empereurs ; et que ce titre leur a été donné par leurs sujets et
« par les étrangers. » Tel est le sujet d'une dissertation insérée,
par François Decamps, dans le Mercure du mois d'août 1720
(page 50, etc. ). En parcourant cette dissertation singulière, il nous
a paru qu'elle reposait principalement sur l'équivoque des mots
empereur, consul, et de quelques autres titres d'honneur , aux-
quels on a autrefois attaché différents sens. Le nom d'empereur
était primitivement commun , chez les Romains , à tous les généraux
d'armée ( du mot latin imper ar e , qui signifie commander.) Dans
la suite, il devint un titre d'honneur, que les soldats ou le sénat
donnaient à un général qui s'était signalé par quelque grand exploit.
Plus tard, vers la fin de la république, César fut appelé de ce
(i) Mabillon, Musœum Italicum, tora. n ; PrœJ., pag. g.
(2) Ci-dessus, 2e partie, chap. 2, n. 07.
726 PIÈCES JUSTIFICATIVES.
nom par le peuple romain , pour marquer le pouvoir extraordinaire
qu'il avait dans l'Etat, et qui réunissait tous les pouvoirs attachés
jusqu'alors aux différentes magistratures de la république. C'est
en ce dernier sens qu'Auguste et ses successeurs ont été nommés
empereurs. A l'exemple des Romains , les autres peuples ont
donné ce titre, dans un sens plus ou moins large, à leurs sou-
verains ; d'où il est arrivé que les anciens auteurs , comme les
modernes, ont quelquefois pris l'un pour l'autre, les mots de roi et
d'empereur , d'empire et de royaume , et d'autres expressions
semblables (1). On conçoit, d'après cela, que les rois de France
aient pu être nommés empereurs , et leur royaume être nommé
empire, dans un sens large, avant le couronnement de Charlema-
gne, sans qu'on puisse dire proprement, que la dignité impériale
était attachée à leur couronne , dans le même sens qu'elle le fut de-
puis le couronnement de Gharlemagne , en 800.
Pour ce qui regarde le titre de consul, donné à Clovis par l'empe-
reur Anastase , il est certain que ce titre n'était pas inséparable de
celui d'empereur, comme le suppose Fauteur de la dissertation déjà
citée de François Decamps. Nous avons montré ailleurs (2), que,
sous les empereurs, c'était un simple titre d'honneur, qu'ils don-
naient quelquefois à des personnages distingués.
Il demeure donc prouvé que le titre d'empereur, donné à Char-
lernagne par le pape Léon III , était un titre d'honneur, semblable
à celui des anciens empereurs d'Occident. Ce nouveau titre rendait
Gharlemagne plus respectable aux yeux des autres souverains , et
surtout aux yeux des Romains ; ii lui donnait même une autorité
particulière , dans le gouvernement de Rome et de l'exarchat. On a
vu ailleurs quelle était la nature et l'étendue de cette autorité (3).
VII. — Page 316.
Sur l'élévation de Pépin au trône de France, et sur l'usurpation
communément reprochée à ce prince.
Il se présente ici deux questions principales à examiner : 1° la
décision attribuée au pape Zacharie, sur l'élévation dePepin au trône
de France, est-elle authentique? 2° Que penser du reproche d'usur-
pation fait à ce prince par un si grand nombre d'ailleurs modernes?
(i) Voyez les articles Empereur et Imperator dans les ouvrages suivants : Robert
Estienne , Thésaurus linguœ Latinœ ; Ducange, Glossarium mediœ et injimœ La-
tinit, ; Facciolati , Lexicon ; Moreri , Diction. Hist. Voyez aussi Crevier, Hist,
Rom., tora. xcv, pag. 335.
(2) Ci-dessus, pag. 232, note 1.
(3) Ci-dessus, irc partie, chap. 2? art; 1.
PIÊCTSS JUSTIFICATfréfc ?2T
PREMIÈRE QUESTION,
V authenticité de la décision du pape Zacharie a été fort con-
testée , à la fin du xvne siècle , par les PP. Lecointe et Noël Alexan-
dre (1). Cette décision, selon eux, n'est rapportée que dans des
chroniques sans autorité , et dont les plus anciennes ont été suppo-
sées ou altérées par des faussaires , dévoués à la dynastie carlovin-
gienne.
Cette opinion, combattue, dès son origine, par les PP. Pagi et
Mabillon, a trouvé peu de partisans (2). Un écrivain récent l'a re-
nouvelée , dans une dissertation qui a pour titre : Pépin le Bref et
le pape Zacharie , ou preuve de la fidélité des Français à leurs
rois légitimes , lors du passage de la première à la seconde dy-
nastie 3 par M. Aimé Guillon. (Paris, 1817, in-8o. ) Mais il ne pa-
rait pas que cette dissertation ait fait beaucoup d'impression sur les
savants (3) ; du moins nous ne connaissons aucun écrivain distingué,
qui ait adopté, de nos jours, l'opinion soutenue par l'auteur de cette
dissertation. Nous trouvons même , depuis la publication de cet
opuscule, l'authenticité du fait eu question, clairement supposée par
les auteurs qui ont traité avec plus de soin et de développement l'his-
toire du moyen âge, et celle de France en particulier (4).
(i) Lecointe, Annales ccclesiastici Franconim , tora. y, ann. 752. — Noël
Alex. , Hist. Eccles., Dissert, 2 in sœculum octavum. — Tournely (De Ecclesid,
tom. 11, pag. 402, etc.) incline au sentiment de ces auteurs, sans l'adopter cependant
ouvertement.
(2) Pagi, Critica in Annales Bar onii , ann. "j5t et 752 Mabillon, Annales
Benedictini, tom. 11, lib. xxri, n. 43 et 55. On peut voir, à l'appui du sentiment de
ces auteurs, une dissertation particulière, dans le tome 1 du Recueil de piècéè
d'histoire et de littérat. (par l'abbé Granet et le P. Desmolets) ; Paris, 173 1/4 vol.
in-12. — Mamachi Anliquitates Christ. y tom. iv, pag. 224, etc. — Notes des PP.
Roncaglia et Mansi, à la suite de la Dissert, déjà citée du P. Alexandre.
(3) Nous avons appris, par une voie très-sûre, que l'auteur de la Dissertation, dans
un temps où il aspirait au fauteuil académique, avait offert cet opuscule, comme \\n
titre de recommandation, à l'un des membres de Y Institut les plus influents. L'Acadé-
mie, après avoir lu cette dissertation, loin d'y trouver un titre de recommandation
pour l'auteur, la regarda comme un titre d'exclusion. Il paraît que le principal motif
de ce jugement, était la critique outrée , minutieuse et passionnée, dont l'auteur fait
preuve dans cet écrit, aussi bien que dans quelques autres. Voyez en parti-
culier le compte rendu de son Histoire de l'Eglise pendant le xvine siècle , dans
Y Ami de la Rel. , t. xxxvi, pag. 385; t. xxxvri, p. 81, 321, 4X$J t. xxxviii,
p. 49, 209, 4i3. — OEuvr. de Fénelon ; Notice bihliogr.y tom xx , pag. lv, etc.
L'abbé Guillon est mort au mois de février 1842, âgé de quatre-vingt-quatre ans.
(4) Voyez en particulier Micbaud, Hist. des Croisades f tom. îv, pag. 462. ■ — Sis-
mondi, Hist. des Français , tom. 11, pag. iG5. — Idem , Hist. des Républ. Ital.
tom. I, chap. 3, pag. i32. — Annales du, moyen dge, tom. vi, liv. 23, année 75i .
*— Chateaubriand, Etudes Historiques, tora; ni; Analyse raisonnée de l'ffist. d$
728 PIÈCES JUSTIFICATIVES.
Nous croyons avec ces auteurs, et avec le plus grand nombre des
critiques modernes , que ce fait est appuyé sur une tradition histo-
rique du plus grand poids , et dont l'autorité ne peut être contestée
que par une critique outrée. En effet, il serait difficile de trouver,
dans Thistuire de cette époque , un fait appuyé sur une tradition
aussi ancienne et aussi universelle. Pour ne parler ici que des té-
moignages les plus anciens , on trouve ce fait rapporté par le conti-
nuateur de Frédégaire, contemporain de Pépin (1); par l'auteur
anonyme d'une note jointe, en 767, au livre de saint Grégoire de
Tours De Gloria Confessorum (2) ; par Éginhard ou l'auteur des
Annales qui portent son nom (3) ; et par une multitude d'annalistes
postérieurs (4J. On ne peut ouvrir les différentes collections des
Historiens de France, sans y rencontrer une foule de témoignages, à
l'appui de cette tradition. Ces témoignages remontent jusqu'au temps
de Gharlemagne et de Pépin , et forment une tradition non inter-
rompue, depuis le milieu du vine siècle jusqu'à la fin du xviie, où
quelques écrivains ont commencé à la combattre. Comment peut-on
raisonnablement contester l'autorité d'une tradition si ancienne et
si universelle, sur un fait de cette importance ? Peut-on la contester,
sans ébranler la certitude des faits les plus généralement admis , à
cette époque de notre histoire? „
Qu'oppose-t-on d'ailleurs à cette tradition si imposante? On con-
teste l'authenticité de quelques-uns des anciens témoignages que
nous venons de citer. Mais au fond , l'examen détaillé de ces témoi-
gnages n'est pas nécessaire pour établir notre sentiment. En effet,
outre que l'authenticité de ces témoignages est reconnue par le plus
France, 2e race, pag. i. — De Peyronnet, Hist. des Francs , tora. il, liv. xn ,
chap. 8. — M. Receveur, dans son Hist. de l'Église (tora. iv, pag. 80 , note), ne
rejette pas absolument le fait dont il s'agit; il se borne à le présenter comme dou-
teux. Les raisons qu'il expose, à l'appui de son opinion, nous semblent bien affaiblies,
par les observations générales que nous allons présenter à l'appui du sentiment
commun.
(1) Fredegarii continuât™, anno 752. Cette continuation se trouve à la suite de
VHist. des Francs, par saint Grégoire de Tours, édition de D. Ruinart.
(2) Opéra S. Greg. Turonensis , ad calcera libri De Gloria Confessorum. Le
manuscrit de cet ouvrage, dans lequel se trouve la note dont nous parlons, se con-
servait autrefois dans l'abbaye de Saint-Denis. Il fut communiqué aux PP. Hensche-
nius et Papebroch, éditeurs des Acta Sanctorum , qui l'insérèrent dans le 2e volume
du mois de mars. Le P. Mabillon l'a aussi inséré dans son grand ouvrage : De Re di~
plomaticâ , pag. 384.
(3) Eginhard, Annales, anno 750.
(4) On peut voir le recueil de ces témoignages, dans les ouvrages de Serarius,
Dupin et Bossuet, que nous avons cités plus haut (tre partie, chap. 2, p. 3i5, note 1).
On en trouve un beaucoupfplus grand nombre, dans les Recueils des Historiens de
France de Duchesne et de D. Bouquet.
PIÈCES JUSTIFICATIVES. . 729
grand nombre des critiques , même depuis l'origine de celte discus-
sion, il faut remarquer, 1° que la tradition dont il s'agit , de l'aveu
même de la plupart de ceux qui en contestent l'autorité , remonte
au moins jusqu'au temps de Charlemagne (1) : 2<> que cette tradition
si ancienne n'est combattue par aucun témoignage positif, depuis
son origine jusqu'à la fin du xviie siècle : 3° que les auteurs auxquels
on attribue d'avoir supposé ce fait , pour flatler les successeurs de
Pépin, n'avaient aucun intérêt à l'inventer; puisqu'ils pouvaient
citer avec confiance, en faveur de ce prince et de sa dynastie, un
autre fait du même genre , et absolument incontestable , savoir , le
sacre de Pépin par le pape Élienne II.
Ces raisons suffisent, à ce qu'il nous semble, pour justifier l'as-
sertion d'un célèbre historien de nos jours, qui , parlant de la déci-
sion dont il s'agit, la regarde comme un fait historique des mieux
attestés. « Aucun point d'histoire, dit le docteur Ringard, n'est
« peut-être mieux attesté , que la part que le pontife (Zacharie), et
« son légat (saint Boniface) eurent dans cette affaire (2) »
SECONDE QUESTION.
Pour ce qui regarde V usurpation communément attribuée à
Pépin , il s'en faut baucoup qu'elle soit incontestable ; et sans préten-
dre établir directement le contraire, par des preuves positives , nous
croyons du moins pouvoir avancer, que l'hypothèse de cette usur-
pation est tout à la fois invraisemblable en elle-même , et destituée
de preuves solides.
Avant d'exposer les raisons qui nous semblent propres à établir ces
deux points , nous ne dissimulerons pas que nous avons longtemps
balancé à combattre , sur ce sujet , l'opinion commune des auteurs
modernes. Le nombre et l'autorité de ceux qui la soutiennent, nous
semblaient former un préjugé légitime et presque décisif en sa faveur.
Il nous paraissait peu vraisemblable que cette opinion , si elle n'eût
été solidement établie , eût pu obtenir les suffrages d'un si grand
nombre d'auteurs judicieux ; et malgré les difficultés qu'elle nous
présentait, nous aimions à supposer, qu'un examen plus approfondi
nous obligerait à l'admettre, au moins comme fondée sur de très-
fortes présomptions. C'est dans cttte disposition que nous l'avons
examinée; et cet examen, loin de la rendre plausible à nos yeux,
(i) M. Guillon seul place l'origine de cette tradition au commencement du Xe siè-
cle, parce qu'il nie l'authenticité de tous les témoignages plus anciens: sa critique,
sur ce point, paraît manifestement outrée.
(2) Lingard, Antiquités de l'Eglise Anglo-Saxonne, chap. i3, pag, 544* j
730 PIÈGES JUSTIFICATIVE?.
nous y a fait trouver de nouvelles et déplus grandes difficultés. Nous
les exposerons ici avec d'autant plus de confiance, que de savants
auteurs en ont été frappés avant nous, et lès ont déjà proposées dans
des ouvrages peu connus , auxquels nous ne croyons pas qu'on ait
rien opposé de solide, ni même qu'on ait essayé de répondre avec
quelque développement (1).
I. L'usurpation communément reprochée à Pépin est invf assem-
blable en elle-même; elle paraît inconciliable avec l'idée que tous
les historiens nous donnent de ce grand prince, avec le caractère
des principaux personnages qui concoururent à son élévation, enfin
avec la soumission que les seigneurs français lui témoignèrent con-
stamment, pendant tout !e cours de son règne.
1° En effet, les historiens mêmes qui attribuent à Pépin le crime
de l'usurpation , ne peuvent s'empêcher de reconnaître en lui l'as-
semblage des vertus et des qualités qui font un excellent prince.
« Ce fut , dit le P. Longueval, un prince en qui tout fut grand , ex-
ce cepté la taille, qui le fit surnommer le Bref. Né sujet, ii se montra,
« par ses grandes qualités, si digne du trône, où il trouva le moyen
« de s'élever au préjudice des héritiers légitimes , que son ambition
« n'excita pas même la jalousie des grands. Il sut, en effet , si bien
« allier , dans la suite , les vertus chrétiennes et civiles avec les ver-
« tus militaires , qu'il fut toujours l'amour de ses peuples, le défen-
« seur de la foi, et la terreur des ennemis de l'État et de l'Église.
« Fils et petit-fils de héros , il eut encore le bonheur singulier d'être
« père d'un héros, qui surpassa la gloire de tant d'illustres ancêtres.
« On ne peut rien ajouter aux glorieux titres que les papes lui ont
« donnés , de nouveau Moïse , de libérateur de l'Église, de roi
« très- chrétien , du plus grand des rois , sinon qu'il les mérita,
«à quelques faiblesses près (2). » L'opinion de nos meilleurs his-
toriens s'accorde parfaitement, sur ce point, avec celle du P. Lon-
(i) L'opinion qui suppose Pépin usurpateur de la couronne de France, a été com-
battue, avec beaucoup de force, par Serarius , dans son ouvrage intitulé : Rerum
Mogunûiriensium libri quinque ; Moguntiœ , 1604, in«4° ; Francofurti , 1722,
in-fol. Voyez surtout la note 40 sur le troisième livre de cet ouvrage. Alban Butler,
ou son traducteur, dans une note sur la a>ie de saint Boni/ace y indique cet ou-
vrage de Serarius , comme ayant fort bien éclairci ce qui concerne l'élection de
Pépin. ( Fies des Pères, etc., tom. v, 5e jour de juin.) A l'appui de l'opinion de Se-
rarius , on peut consulter encore les ouvrages suivants : Notice généalogique et
historique sur la maison de France. Paris, 1816, in- 12. — Gaillard, Hist. de
Charlemagney tom. 1, pag. 194, 258, etc. — Clausel de Coussergues, Du Sacre des
rois de France, chap. 4. — De Saint-Victor, Tableau historique et pitt. de Paris,
tom. 1, pag. 69, etc Mœller, Manuel d'histoire du moyen âge , chap. vu, § 1 ,
vers la fin.
(2) Hist. de l'Église Gallicane, tom. i.v, année 768, pag. 452»
PIÈCES JUSTIFICATIVES. fff
guevâl (1). Mais, de bonne foi, un pareil caractère peut-il être
celui d'un usurpateur, d'un homme capable, comme on le sup-
pose, de faire jouer tous les ressorts de la religion et de la plus
adroite politique , pour couvrir, aux yeux des peuples, le vice de
ton usurpation? Peut-on, sans une contradiction manifeste, attri-
buer à un même homme la plus haute vertu et les plus odieuses
manœuvres de l'ambition? Nous croyons qu'on sera de plus eii plus
frappé de cette contradiction, à mesure qu'on examinera de plus près
toute la suite de l'histoire de Pépin, dans les auteurs mêmes qui le
supposent coupable d'usurpation.
20 Le caractère des principaux personnages qui concoururent à
son élévation , semble également inconciliable avec l'hypothèse de
son usurpation En effet , les défenseurs de cette hypothèse font in-
tervenir dans cette affaire les personnages les plus respectables : le
pape Zacharie, que tous les historiens représentent comme un pon-
tife d'une éminente vertu; Fulrade, abbé de S«int-Denis, un des
plus grands dignitaires ecclésiastiques de France ; saint Burehard ,
évêque de Wurtzbourg , disciple de saint Boniface ; saint Boniface
lui-même, apôtre de l'Allemagne, qui, d'après la décision de Zacha-
rie , donna l'onction royale à Pépin. Or, comment supposer que
tant de personnes distinguées par leurs vertus et leur caractère, se
soient entendues pour favoriser l'usurpation de Pépin ; Fuirade et
saint Burchard , en plaidant auprès du saint-siége la cause de l'usur-
pateur ; Zacharie en sanctionnant l'usurpation par son jugement; et
saint Boniface en y mettant le sceau de la religion par la cérémonie
du sacre? Il faut avouer que de pareilles suppositions sont coutrai-
res à toutes les vraisemblances (2).
3° Enfin , ce qui nous montre de plus en plus l'invraisemblance
du reproche d'usurpation fait à Pépin, c'est le respect et la soumis-
sion que les seigneurs et le peuple français lui témoignèrent con-
stamment , pendant tout le cours de son règne. En effet, les auteurs
mêmes qui le supposent coupable d'usurpation, sont obligés de re-
connaître, que sa conduite ri 'excita pas même la jalousie des
grands, et qu'on ne vit dans tout son règne ni soulèvement ni
faction contre son autorité (3). Or, est-il croyable que Pépin eût
(1) Fleury et Bérault-Bercastel, dans leurs Histoires de l'Église; le P. Daniel,
dans son Histoire de France ; et avec eux la plupart des historiens, soit français,
soit étrangers, font les mêmes éloges de Pépin.
(2) 11 faut corriger, d'après ces observations, quelques endroits de Y Histoire de
Charlemagne par La Bruère, où l'auteur attribue à saint Boniface une conduite peu
digne d'un saint, et surtout d'un apôtre. (Tom. i, pag. 24, etc., 32.)
(3) Voyez le P. Longueval, Hist. de l'Egl. Gall., ubi supra. — Daniel, Hist. dé
732 PIÈCES JUSTIFICATIVES.
obtenu si promptement et si constamment le respect et la soumis-
sion dt s seigneurs et du peuple français , s'il eût été coupable d'u-
surpation ? Une pareille révolution peut-elle s'opérer aussi tranquil-
lement? Et si jamais elle a dû exciter des soulèvements et des
factions , n'est-ce pas surtout à l'époque dont nous parlons , et où
l'on sait que les seigneurs étaient généralement si remuants et si
difficiles à contenir ?
II. L'usurpation de Pépin , si peu vraisemblable en elle-même, est
d'ailleurs destituée de preuves solides. Toutes celles qu'on apporte
se tirent , ou de l'ancienne constitution de la monarchie française ,
ou du témoignage de quelques anciens auteurs, ou de quelques cir-
constances de la conduite de Pépin et des seigneurs français. Mas
il est aisé de montrer la faiblesse de ces différentes preuves.
lo Si l'on examine l'hypothèse de l'usurpation de Pépin, d'après
l'ancienne constitution de la monarchie française, elle paraîtra tout à
fait gratuite. En effet, pour établir cette hypothèse, il faudrait mon-
trer que, d'après la constitution alors en vigueur, les seigneurs fran-
çais n'ont eu le droit, ni de déposer Childeric III, ni d'élire Pépin à
sa place. Or, il s'en faut beaucoup que ces deux points soient claire-
ment prouvés. Pour ce qui regarde, en premier lieu, la déposition de
Childeric, il est certain que, selon l'opinion la plus commune parmi
les auteurs modernes, la couronne de France était élective, au
moins dans la famille régnante , sous la première et la seconde race
de nos rois (l) ; et que l'autorité royale était alors en France, comme
France , tom. n, règne de Pépin, pag. 267. — - Velly, Hist. de France , tom. 1 ,
pag. 378.
iM. Guillon , dans sa Dissertation déjà citée (pag. 91, etc.), suppose, avec
les auteurs de VHist, de Languedoc ( D. Vaissette et D. Devic ) , que la révolte de
Gaifre, duc d'Aquitaine, qui donna tant d'exercice à Pépin, avait pour motif l'opposi-
tion du duc à l'usurpation de ce prince. Mais il s'en faut beaucoup que ce point
soit à i'abri de toute contestation. Il est certain, au contraire, selon la remarque de
LaBruère, que tous les anciens historiens parlent de Gaifre, comme d'un vassal rebelle,
et justement dépossédé par Pépin. (La Bruère, Hist. de Charlemagne, tom. 1, p. 54.)
Au reste, la révolte particulière du duc d'Aquitaine n'empêche pas la vérité du fait
avancé par les auteurs que nous avons cités, sur le respect et la soumission générale
des seigneurs français à l'égard de Pépin : l'opposition d'un seul ne peut eontre-ba-
lancer la soumission de tous les autres.
(1) L'abbé de Vertot adopte et prouve ce sentiment, dans une Dissertation qui se
trouve parmi les Mèm. de l'Acad. des inscrip. ( T. vi de l'édition in-X2, et t. iv de
l'édition in-4°«) L'opinion de Vertot paraît communément admise par les auteurs qui
ont écrit depuis, sur cette matière. Voyez, entre autres, De Saint-Victor, Tableau
hist, et pitt. de Paris , tom. 1, pag. 62-71. — Hallam, L'Europe au moyen âge ,
tom. 1, pag. 175, 180,284.— Velly, Hist. de France, tom. 1, pag. 7.5. — Gaillard,
Hist. de Charlemagne , tom. 1, pag. i5i, 167, 184, 189, 258, et alibi passim. —
Notice généalog. et Hist. sur la maison de France , §3. — Clausel, Du Sacre des
rois de France, chap. iv; et § 3 des observations placées à la suite de l'ouvrage. —
PIECES JUSTIFICATIVES. 733
dans tous les royaumes électifs , très-limitée par l'assembk'e géné-
rale de la nation ; en sorte qu'il serait très-difficile , peut-être même
impossible, de déterminer aujourd'hui, avec précision, les droits de
cette assemblée (1). Par une suite nécessaire de l'obscurité dont cette
dernière question est enveloppée, il est impossible aujourd'hui de sa-
voir, quelles étaient alors les conditions mises à l'élection du souverain
par l'assemblée générale de la nation, et dans quels cas cette assem-
blée avait ou croyait avoir le droit de déposer le souverain, pour en
choisir un autre. Toutefois, on peut avancer avec confiance, qu'à
l'époque de i'élévation de Pépin, les Français étaient généralement
persuadés, qu'un prince inutile à la nation ne pouvait conserver le
titre de roi, et que le prince qui portait alors ce titre était devenu
complètement inutile. Tous nos anciens annalistes supposent plus
ou moins clairement cette persuasion générale, et représentent V inu-
tilité o\x Yincapacité de ChildericIH, comme la véritable cause de
sa déposition (2). Il est vrai que cette opinion ne paraissait pas éta-
blie assez clairement, pour dissiper tous les scrupules sur le serment
de fidélité fait à Childeric ; mais elle paraissait assez bien fondée ,
pour engager les seigneurs français à désirer, et à demander au Pape
une décision qui prit les rassurer pleinement sur ce point. Ces obser-
vations suffisent, à ce qu'il nous semble, pour montrer que la con-
duite des seigneurs français envers Childeric lit , n'est p.is, au
fond, si étrange qu'elle le paraît au premier abord. Aussi a-t-elle
été justifiée, même d ms ces de niers temps , par des auteurs
aussi versés dans la connaissance de notre histoire, que fermement
attachés aux principes conservateurs de la société et du gouverne-
ment. Tel est, en particulier, le sentiment de Bossuet (3). Selon lui,
l'autorité excessive que le corps de la nation avait donnée aux mai-
res du palais P depuis le règne de Dagobert 1er, affaiblit à un tel
point la puissance royale, qu'insensiblement elle fut léduite à un
vain titre , tt que, dans la redite, la puissance souveraine se trouva
tout entière entre les mains des maires. « On en fit des officiers
« ordinaires et perpétuels , à qui on donna un pouvoir absolu de
Chateaubriand, Etudes historiques, Préface, pag. cxvi de la ire édition, et g3 de
la 2e. — Voyez aussi , dans le troisième tome de ce dernier ouvrage , Y Analyse rai'
sonnée de l'Histoire de France , ire race, pag. 5, 7, etc.; ste race, pag. 1,
— Mœller, Manuel d'Hist. du moyen âge, chap. îv, § 6.
(1) Annales du Moyen âge, tom. nr, liv. 11, premières pages.
(2) Voyez les témoignages de nos anciens annalistes , cités par Bossuet et par
les auteurs que nous avons indiqués dans la première partie de ces Recherches t
pag. 3i5, note 1.
(3) Bossuet, Defens. Declar. , lib. it , cap. 34- Voyez aussi les auteurs cités plus
haut, à l'appui du sentiment de Bossuet (pag. 317, note 1).
734 PIÈCES JUSTIFICATIVES.
« décider toutes les affaires , et de commander les armées. Les rois
« ne se réservèrent pis même le droit de nommer cet officier : les
« grands du royaume le choisissaient ; et dès qu'il était en place, il
« décidait de tout sans consulter le roi(l). » Les seigneurs français,
frappés enfin d'un si grand défaut dans la constitution de l'État, et
des inconvénients qui devaient naturellement résulter, avec le
temps , d'un pareil état de choses, n'y trouvèrent pas d'autre re-
mède, que d'ôter le titre de roi à celui qui le portait inutilement,
et de le donner à celui qui possédait déjà , du consentement de la
nation , la puissance royale. Il semble, en effet, que c'était là l'uni-
que moyen de remédier à l'inconvénient qu'avait insensiblement
amené le vice de la constitution , et de prévenir les désordres de
l'anarchie, qui ne pouvaient manquer tôt ou tard d'en résulter. Il
était assez évident que le royaume ne pouvait longtemps subsister
sous deux chefs différents, qui paraissaient devoir également s'attri-
buer l'autorité souveraine , en se fondant sur des titres également
plausibles (2).
En second lieu , supposé que les seigneurs français aient eu le
droit de déposer Childeric, l'élection qu'ils firent ensuite de Pépin ,
(i) Bossuet, ibid., pag. 523.
(2) La conduite des seigneurs français serait encore plus facile à justifier, s'il était
vrai, comme le prétendent quelques auteurs, que Childeric, touché du désir de se
donner entièrement à Dieu, abdiqua de son plein gvé, avec le consentement des
seigneurs. (Jean de Paris, Tract, de Potestate regid et papali, cap. 14 et i5 : apud
Richerium , Vindiciœ doctrinœ majorant scholœ Paris., lib. n, pag. 104 et 108. )
Par cette abdication volontaire, les Français rentraient naturellement dans le droit
de choisir un autre roi. Mais cette manière de justifier l'élection de Peuin est difficile
à soutenir : i° parce que l'abdication de Childeric ne parait pas suffisamment établie.
Le récit uniforme des anciens annalistes, suivi en ce point par le plus grand nombre
des historiens modernes, suppose que Childeric fut relégué dans un monastère par
l'autorité de Pépin et des seigneurs , et non par son libre choix. 20 En supposant
même que Childeric eût abdiqué, il était bien difficile que son abdication parût vo-
lontaire, dans les circonstances où il la fit. Au reste, il est à remarquer que celte ma-
nière de justifier l'élection de Pépin , serait encore plus sujette à difficulté , dans le
sentiment des auteurs qui supposent la couronne de France purement héréditaire,
sous la première race de nos rois. En effet, la Chronique de Fontenelle , suivie sur
ce point par le plus grand nombre des historiens, nous apprend que Childeric III
laissa un fils, qui vécut et mourut dans ce monastère, (Hist. de l'Église Gall., t. iv,
année 752, pag. 354. — Daniel, Hist. de France, année 75o.) Il paraît d'ailleurs,
qu'indépendamment de ce fils de Childeric III, il exista encore, longtemps après
l'élection de Pépin, d'autres princes du sang royal des Mérovingiens. Plusieurs ducs
de Gascogne, issus de cette famille, donnèrent beaucoup d'exercice à Pépin, à Char-
lemagne et à Louis le Débonnaire. (D. Vaissette, Hist. du Languedoc, t. 1, p. 4*3.
L'Art de vérifier les dates ; Chronologie hist. des rois de Toulouse et des ducs
de Gascogne. — Annales du moyen âge , tom. vin, liv. xxix , pag. 33 r. —
Frantin, Louis le Pieux et son siècle, tom. 1, années 816 et 819, pag. 38, io3, etc.
— De La Bruère, Hist. de Charlemagne, tom. 1, pag, 53, note. )
PIÈCES JUSTIFICATIVES. ¥35
ne saurait être démontrée contraire à la constitution alors en vi-
gueur. En effet, nous avons déjà fait remarquer que, selon l'opinion
la plus commune et la plus probable , la couronne de France était
alors élective, au moins dans la famille régnante (1) ; or, d'habiles
critiques ont pensé que Pépin était du sang royal des Mérovin-
giens (2). De nos jours même, cette opinion a paru plausible à quel-
ques savants, parmi lesquels on remarque surtout D. de Bévy, an-
cien Bénédictin , et historiographe de France (3). Voici comment ces
auteurs établissent la filiation des princes français, depuis Mérovée
jusqu'à Pépin et Hugues Capet: Sigebert, roi des Ripuaires, frère
de Childericlcr; Clodéric, tué par Clovis ; Mundéric, roi en Au-
vergne; Bodégesile, roi en Austrasie; S. Arnould; Ansigise, maire
du palais de Sigebert; Pépin d'Héristal. Ce Pépin eut deux fils,
Charles-Martel, tige des Carlovingiens , et Childebrand, lige des
Capétiens, issus de deux femmes différentes de Pépin, mais qui
furent toutes deux successivement légitimes (4). Childebrand, mort
en 753, eut pour descendants Nivelon, Théodebert, Robert le Fort ,
Robert Ier, roi de France, Hugues le Grand, et Hugues Capet. Plu-
sieurs savants, il faut l'avouer, regardent ce système comme sujet à
de grandes difficultés ; mais ceux mêmes qui ne l'admettent pas , ne
croient pas qu'on puisse le réfuter par des preuves décisives (5).
2° L'usurpation de Pépin ne semble pas mieux établie par le té-
moignage des anciens auteurs. La plupart d'entre eux supposent que
(t) Voyez la note i de la page 732, ci-dessus.
(2) TJn des principaux défenseurs de cette opinion est l'abbé Fr. Docarops, auteur
de plusieurs dissertations curieuses , sur l'histoire de France, dont on peut voir la
liste dans le tome v de la Biblioth. hist. de la France , par le P. Lelong. ( Table
des auteurs , art. Decamps. ) Voyez en particulier sa Dissertation sur la noblesse
de la race royale des Français ; dans le Mercure de France , juillet , 1720. L'au-
teur de cette Dissertation regarde comme certaine l'origine commune des trois races
de nos rois (pag. i3) , et il établit la même chose, avec plus de développement, dans
une dissertation manuscrite, citée parle P. Lelong (ubi supra).
(3) Unique origine des rois de France, par M. J. C. de Bévy; Paris, 1814,
32 pages in-8°. — Notice généal. et hist. sur la maison de France, § 1 et 2. —
Voyez le compte rendu de ce dernier ouvrage dans Y Ami de la Religion et du roi,
tom. vnr, pag. 273.
(4) Plusieurs écrivains modernes ont révoqué en doute la légitimité du mariage de
Pépin d'Héristal avec Alpaïde, mère de Charles-Martel. Mais la légitimité de ce ma-
riage est soutenue, avec beaucoup de vraisemblance, par de graves auteurs. Outre
ceux que nous avons cités dans la note précédente, voyez dans les Mémoires de
l'Acad. de Bruxelles (loin, m, pag. 3i8-32o), un Mémoire de M. Dewez, pour
servir h l'histoire d' Alpaïde.
(5) Telle paraît être l'opinion du P. Daniel, dans l'Histoire de Hugues-Capet; et du
P. Griffet, dans ses observations sur cette histoire. (Hist, de France, t, m, p. 2647
295, etc.)
736 PIÈCES JUSTIFICATIVES.
l'élévation de ce prince au trône de France fut opérée par le consen-
tement des seigneurs français, joint à la décision du pape Zacharie,
qu'ils crurent devoir consulter à ce sujet (1). Bien loin de blâmer
celte décision, ils donnent généralement les plus grands éloges à
Pépin et à Zacharie ; ils ne disent pas un seul mot qui puisse faire
soupçonner Pépin d'usurpation ; et ils ne supposent même pas qu'on
lui ait jamais reproché ce crime. Théophane seul, parmi les auteurs
anciens , prétend que Pépin reçut du pape Etienne II Y absolution
du parjure, ou de la félonie dont il s'était rendu coupable envers
son légitime souverain (2). Mais le seul témoignage de cet auteur,
généralement peu instruit des faits relatifs à l'histoire de France,
ne peut con're-balancer le témoignage de tant d'autres, beaucoup
plus à portée que lui, de connaître la vérité, sur le point dont il s'a-
git (3). Aussi a t-il été généralement abandonné, sur ce point, jus-
qu'au xvie siècle. Calvin, lllyricus, et quelques autres disciples de
la Réforme, sont les premiers qui aient osé flétrir, à ce sujet, la mé-
(i) Serarius, ubi supra, noies 40 et 43.
(a) « Pippinus primus extitit, qui, regio non oriundus sanguine, imperiura in gen-
« tem illara (Francorura) obtinuit; ipse Slephanus eum a perjurio in regem admisso
« absolvit. » Theophanis Chronographia , anno 8 Leonis, pag. 337 et 338. Ce
passage de Théophane se trouve aussi dans Y Histoire Ecclésiastique d'Anastase le
Bibliothécaire, et dans la continuation de V Histoire mélangée de Paul Diacre. Mais
ces deux ouvrages ne sont, pour l'époque dont il s'agit, qu'une simple traduction de
Théophane; et on ne saurait prouver que les traducteurs aient adopté , sur le point
qui nous occupe , l'opinion de leur auteur. Quelques écrivains modernes ont cru pou-
voir citer aussi, à l'appui du témoignage de Théophane, celui d'Anastase le Bibliothé-
caire , dans la Vie d 'Etienne II ; mais il est certain qu'on ne peut se prévaloir de
ce dernier témoignage; et, pour peu qu'on l'examine attentivement, on verra que le
sens en est très-différent de celui de Théophane. Après avoir rapporté le sacre
de Pépin, et la guérison miraculeuse du Pape, à la suite d'une maladie dont il avait
été attaqué, pendant son séjour à Saint-Denis, Anaslase ajoute ce qui suit: « Pippinus
« verô rex, cum admonitione, gratià et orationc ipsius venerabilis pontificis absolutusf
« in loco qui Carisiacus appellatur pergens, etc. » (Labbe, Concil. t. vr, p. 1624, E.)
Il ne faut qu'un peu d'attention , pour voir qu'il ne peut être ici question de l'absolu-
tion donnée à Pépin du crime de félonie. En effet, Anastase parle ici d'un fait posté-
rieur à la cérémonie du sacre de Pépin et de ses enfants, qu'il a rapporté plus haut ;
or, il est tout à fait incroyable que le Pape, s'il eût jugé nécessaire d'absoudre
Pepiu du crime de félonie, ne lui eût donné celle absolution qu'après le sacre. Aussi
le passage d'Anastase est-il entendu dans un sens bien différent par Baronius et la
plupart des critiques. (Baronii Annales, tom. ix, anno 754, n. 6.) Ils enten-
dent ici le mot absolveret dans le sens de dimittere, que lui donnent très-souvent les
écrivains du moyen âge , et Anastase lui-même, dans plusieurs autres passages des
Vies des Papes, particulièrement dans un passage de la Vie du pape Etienne II.
(Ducange, Glossarium injimœ Latinitatis, verbo Absolvere, — Anaslase, Vita Ste-
phani II, ubi supra, pag. 1623, E.)
(3) Voyez, dans la première partie de nos Recherches (chap. 1, n. 27), les ob«
servatioos que nous avons faites sur l'autorité de Théophane, en cette matière,
PIÈCES JUSTIFICATIVES. 737
moire de Pépin et de Charlemagne , dont ils parlent avec un sou-
verain mépris , ne pouvant leur pardonner de s'être montrés si gé-
néreux envers le saint-siége. Ce langage n'a rien d'étonnant dans la
bouche des nouveaux réformateurs; mais ce qui est vraiment éton-
nant, c'est qu'une opinion si suspecte par sa nouveauté, et parle
caractère de ses premiers défenseurs, ait pu trouver un si grand
nombre de partisans parmi les auteurs catholiques (1).
3° Enfin , les circonstances particulières de la conduite de Pépin
et des seigneurs français, qu'on invoque à l'appui de l'usurpation
de ce prince, ne fournissent pas un argument plus solide. On ob-
jecte, en premier lieu, la violence dont il paraît avoir usé envers
Childeric, en le faisant raser et enfermer dans un monastère, pour
le reste de ses jours. Sans doute , si l'élection de Pépin é ait illégi-
time, sa conduite envers Childeric serait inexcusable : ce serait un
véritable attentat contre la majesté royale. Mais si l'élection de Pépin
était légitime, comme il est permis de le croire, sa conduite envers
le roi déposé est un trait de prudence ; c'était une mesure nécessitée
par les circonstances, pour le repos de la France, et pour prévenir
les troubles que les mécontents ne manquent jamais d'exciter, en de
pareilles occasions.
Mais , dira t-on , si les. .seigneurs avaient le droit ele déposer Chil-
deric, et de lui substituer Pépin, pourquoi consulter le pape Za-
charie, à ce sujet? N'ont-ils pas trahi, par celte conduite, les justes
reproches de leur conscience?
Cette conduite des seigneurs français montre sans doute qu'ils
trouvaient de la difficulté dans la question sur laquelle ils consul-
taient le Pape. Mais leur embarras sur une question si grave n'a
rien d'étonnant , dans la supposition même du droit qu'ils avaient
de !a résoudre. Le cas de conscience dont il s'agissait était nouveau,
singulier, d'une très-grande importance , et par conséquent ele na-
ture à demander de grandes lumières et un mûr examen. L'em-
barras qu'on éprouve pour résoudre une question de cette nature,
ne suppose pas qu'on veuille la décider contre les lumières de sa
conscience; il peut très-bien provenir de la difficulté qu'on éprouve
à prendre parti sur une question délicate. Ajoutons que, dans le cas
dont il s'agit, la bonne foi des seigneurs français est d'autant moins
suspecte, qu'avant de procéder à la déposition de Childeric, ils
voulurent avoir la déci ion du tribunal le plus respectable qu'ils
pussent interroger, et d'un pontife à l'a vertu duquel tous les histo-
riens rendent hommage.
(i) Voyez, à l'appui de ces observations, celles que nous avons faites ci-dessus,
pag, 3 io, texte et notes,
47
7§8 PIÈCES JUSTIFICATIVES.
On objecte enfin, que Pépin lui-même, malgré la décision de Za-
charie, continua de regarder son autorité comme douteuse, puis-
qu'il voulut être de nouveau sacré par Etienne II , en 754 , après
la mort de ChildericIII.
Cette difficulté ne semble pas plus solide que les précédentes. Car,
en supposant même , avec la plupart des historiens , que Pépin eût
déjà été sacré par saint Boniface, il n'est pas étonnant qu'il ait sou-
haité de l'être de nouveau par le Pape , pour rendre son autorité plus
vénérable aux yeux des Français , et pour confirmer, par un acte
solennel, après la mort de Childeric,la décision déjà donnée par
Zach irie, du vivant de ce prince. Il n'est pas sans exemple, qu'un roi
légitime ait été sacré plusieurs fois : l'Ecriture sainte en offre des
exemples célèbres, dans la personne de Saiil et de David ; et notre his-
toire rapporte la même chose de Charlemagne et de ses enfants (1).
Nous répétons volontiers, en terminant cette discussion , que nous
ne prétendons pas donner ici des preuves directes et positives de la
légitimité de Pépin; nous croyons seulement pouvoir conclure de
nos preuves, que l'hypothèse de son usurpation n'est pas, à beaucoup
près , aussi incontestable que le supposent communément les auteurs
modernes ; et qu'un historien grave ne doit pas la supposer sans
preuve, comme un point de fait à l'abri de toute discussion.
VIII. — Pages 328, 448, 512 et 53S.
Origine , progrès, et vicissitudes de l'opinion qui attribue à
l'Église et au souverain pontife un pouvoir de juridiction
direct ou indirect sur les choses temporelles , en vertu de
linstitution divine.
Nous croyons avoir montré clairement , dans la seconde partie de
cet ouvrage , 1° que l'opinion qui attribue à l'Eglise et au souverain
pontife un pouvoir de juridiction direct ou indirect sur les choses
temporelles y d'après l'institution divine , n'existait pas encore ,
ou du moins avait à peine quelques partisans , avant le pontificat de
Grégoire VII ; 2° qu'elle n'a commencé à se répandre qu'assez
longtemps après; 3° enfin , qu'elle n'a jamais été enseignée ni sup-
posée par les conciles ou par les souverains pontifes, même dans
ceux de leurs décrets où ils ont paru porter plus loin leur autorité
sur les choses temporelles (2) .
(i) Clausel, Du Sacre des rois de France, 2 e édition; Paris, 1825, in-8°, chap. 4
et 5.
(a) Pour le développement de ees trois points, voyez le chap. 3 de Jâ 2e partie ;
PIÈCES JUSTIFICATIVES. 739
Le développement de ces trois points suffit au but principal de
notre ouvrage , qui est de montrer que le pouvoir exercé par les
papes et les conciles sur les souverains, au moyen âge, n'a pas eu
pour fondement l'opinion théologique du droit divin, mais le droit
public alors en vigueur dans l'Europe catholique.
Toutefois, pour éclaircir de plus en plus cette matière, il ne sera
pas inutile d'exposer ici, en peu de mots, l'origine, les progrès, et
les vicissitudes du sentiment qui attribue à l'Eglise et au souverain
pontife une juridiction directe ou indirecte sur les choses tem-
porelles, en vertu de l institution divine.
Parmi les défenseurs de ce sentiment , les uns attribuent à l'Eglise
et au souverain pontife un pouvoir de juridiction directe, et les
autres un pouvoir de juridiction seulement indirecte, sur les
choses temporelles (1).
I. Les défenseurs de la première opinion soutiennent; que l'Eglise
et le souverain ponlife ont reçu immédiatement de Dieu un plein
pouvoir de gouverner le monde, tant pour le spirituel que pour le
temporel ; de telle sorte néanmoins , qu'ils doivent exercer par eux-
mêmes le pouvoir spirituel , et confier aux princes séculiers le pou-
voir temporel; d'où il suit, dans le sentiment de ces auteurs, que
le prince temporel n'est que le ministre de l'Église, dont il reçoit
immédiatement son pouvoir, et que l'Église, qui le lui a confié
pour en user conformément à l'ordre de Dieu , peut le lui ôter,
s'il en use contre cet ordre.
Nous ne connaissons aucun écrivain de quelque réputation, qui
ait enseigné ou supposé cette opinion avant le xue siècle; mais
nous croyons qu'on peut en placer l'origine à cette époque. Le pre-
mier qui l'ait soutenue , à notre connaissance , est Jean de Sarisbery,
d'abord chancelier de l'archevêque de Cantorbéry, et depuis évêque
de Chartres, auteur de l'ouvrage intitulé : Polycraticus , sive
de nugis curialium (Polycratique , ou des amusements de la
cour) (2). Cet ouvrage , adressé , en 1 159, à Thomas Becket , alors
art. i. Nous avons fait remarquer, au même endroit (pag. 5io, note i), que la vérité
historique de ces trois points, laisse entièrement subsister la controverse relative à l'o-
pinion dont il s'agit.
(i) Voyez les auteurs cités plus haut, p. 327, note 1, principalement le cardinal
Bellarmin.
(2) Cet ouvrage, plusieurs fois imprimé séparément, a été reproduit dans le
tom. xxni de la Bibliothèque des Pères, publiée à Lyon, en 1677. On en trouve
l'analyse dans Fleury, Hist. Eccl., tom. xv, liv. lxx, n. 35. — D. Ceillicr, Hist. des
Auteurs eccl,} tom. xxrn, p. 272. — Hist. Litt. de la France, tom.xiv, p. 98, etc.
,— Hist. de l'Egl. Gall., tom. x, p. 46, etc. Voyez aussi quelques notions sur cet
puvrage, ci-dessus, pag. 487, note 3,
47.
740 PIÈCES JUSTIFICATIVES.
chancelier d'Angleterre, et depuis archevêque de Cantorbéry, est
divisé en huit livres, qui, sous une forme agréable et très- variée,
offrent un recueil précieux d'instructions philosophiques et morales
sur les devoirs des grands. Dans le quatrième livre, l'auteur expose
et soutient ouvertement l'opinion théologique du pouvoir direct,
dans le sens où nous venons de l'expliquer (1).
(i) « Est ergo, ut eum plerique definiunt, princeps potestas publica, et in terris quae-
« dam divinœ majestatis imago... Omnis enim potestas à Domino Deo est, et cum illo
« fuit semper, et est ante aevum. Quod igitur princeps potest, ita à Deo est, ut po-
« testas à Domino non recédât; sed câ utitur per suppositam manum, in omnibus
c< doctrinam faciens clementiae, aut justitise suse. Qui ergo resistit potestati, Deiordi-
v nationi résistif, pênes quem est auctoritas conferendi eam, et cùm vult, auferendi
et et minuendi cara... Hune ergo gladium de manu Ecclesiœ accipit princeps , cùm
« ipsa tameu gladium sanguinis omnino non habeat. Habet tamen et istum ; sed eo
« utitur per principis manum } cui coercendorum corporum contulit potestatem, spiri-
« tualiura sibiin pontificibus auetorilate reservatâ. Est ergo princeps sacerdotii qui-
« dern minister, et qui sacrorum officiorum illam partem exercet, qua? sacerdotii
« manibus videtur indigna... Profeetô, ut Doctoris gentium testimonio utar, major est
« gui benedicit, quant qui benedicitur; et pênes quem est conferendae dignitutis
« auctoritas, eum cui dignitas ipsa confertur, honoris privilegio antecedit. Porrô de
« ratione juris, ejus est nolle, cujus estvelle; et ejus est auferre, qui de jure conferre
« potest. Nonne Samuel in Saulem, ex causa inobedienliae , depositionis sententiam
« tulit, et ei, in regni apieem, humilem filium Isaï subrogavit ? » Polycraticus,
lib. iv, cap. i et 3. ( Biblioth. Palrum., tom. xxm, p. 294, etc. )
Plusieurs écrivains modernes ont aussi attribue à Jean de Sarisbery la doctrine
du tyrannicide, qui permet à tout particulier d'ôter, de son autorité privée, la vie
aux tyrans. (Voyez les auteurs cités dans la note précédente.) L'auteur de V Histoire
Littéraire de la France, en particulier, reproche très-durement celte doctrine à Jean
de Sarisbery ; mais nous ne croyons pas que ce reproche soit fondé. L'évêque de Char-
tres dit, à la vérité, qu'il est permis de tuer un tyran public, c'est-à-dire, celui qui
usurpe manifestement la puissance suprême; mais il suppose clairement qu'on ne peut
le tuer qu'au nom de la puissance publique. « Aliter cum amico, dit-il, aliter viven-
« dum est cum tyranno. Amico utique adulari non licet; sed aures tyranni mulccre
« licitum est. Ei namque licet adulari, quem licet occidere; porrô tyrannum occidere,
« non modo licitum est, sed aequum et justum ; qui enim gladium accipit , gladio
« dignus est interire. Sed accipere intelligitur, qui eum propriâ temeritate usurpât,
« non quiutcndi eo, à Domino accipit potestatem. Utique qui à Deo potestatem ac-
te cipit, legibus servit, et justiliae et juris famulus est. Qui verô eam usurpât, jura
« deprimit, et voluntati suse leges submittit. In eum ergo merilô armantur jura, qui
« leges exarmat; et publica potestas ssevit in eum, qui evacuare nititur publicam
« manum. » Ibid., lib. m, cap. i5.
Cette explication lève toutes les difficultés que peuvent offrir, au premier abord,
plusieurs passages qu'on lit sur le même sujet, dans la suite de l'ouvrage (lib. vrn ,
cap. 18 et seq.), et particulièrement dans le chap. 20 du vine livre, où on lit ces
paroles :« Auctoritatedivinœ pagina?, licitum et gloriosum est, publicos tyrannos occL
« dere; si tamen fidelitate non sit tyranno obnoxius inlerfector, aut honestatem non
« amittat... Hoc tamen cavendum docent historiœ (sacrse), ne quis illins moliatur inter-
« itum, cui fidei aut sacramenti rcligione tenetur astrictus. . . Sed nec veneni, licet
« videam ab infidelibus aliquando usurpatum, ullo umquam jure indultam lego
*< licentiam. Non quôd tyrannos de medio tollendos non esse credam j sed sine reli->
PIÈCES JUSTIFICATIVES. 741
Il ne paraît pas que celte opinion ait eu d'abord un grand nombre
de partisans , du moins parmi les écrivains du xue et du xnic siècle.
Les plus célèbres auteurs de cette époque n'attribuent à l'Église , en
matière temporelle, que le pouvoir directif, c'est-à-dire, le pou-
voir d'éclairer et de diriger la conscience des fidèles, relativement
aux obligations qui résultent de leur serment de fidélité envers
les souverains (1) ; quelques-uns seulement ajoutent à ce pouvoir
directif un pouvoir de juridiction temporelle sur les princes ca-
tholiques de l'Occident, en vertu de la donation de Constantin (2) .
Toutefois , il est certain que l'opinion de Jean Sarisbery, à peine
remarquée de son temps, acquit dans la suite un certain nombre de
partisans. Saint Thomas de Cantorbéry, très-etroitement lié avec
l'auteur, qui lui avait même dédié l'ouvrage dont nous venons de
parler, paraît adopter son opinion, sur le pouvoir temporel de
l'Église (3). Le rédacteur du Droit de Souabe, au xme siècle, en-
« gionis, honestatisque dispendio. » Il est à remarquer que, dans ce dernier passage,
comme dans celui que nous avons cité auparavant, l'auteur n'autorise les particuliers
à tuer un tyran, que dans le cas ou la loi. le permet. Car s'il défend l'usage du poison
à l'égard d'un tyran , c'est uniquement par la raison , que ce moyen n'est permis par
aucune loi.
(i) Pour l'explication des plus célèbres auteurs du xne et du XIII* siècle, sur ce
point, voyez le chap. 3 de cette seconde partie, art. r, n. igo, etc.
(2) Cette opinion est suivie par Gervais de Tilbury, qui paraît l'avoir puisée dans
quelques auteurs plus anciens. Voyez plus baut, chap. 2, art. 4> P- 4^7» note 3;
chap. 3, p. 5 12, texte et note.
(3) « Ecclesia Dei in duobus constat ordinibus, clero et populo. In clero sunt
« apostoli, apostolici viri, episcopi, et caeteri doctores Ecclesiae, quibus commissa est
« cura et regniun ipsius Ecclesiae; qui tractare habent negotia ecclesiastica, ut lotum
« reducatur ad salutem animarum. Unde etPetro dictum est, et in Petro aliis Ecclesiae
« Dei rectorihu's, non regibus, non principibus : Tu es Pelrus, et super hanc petram
« œdijicabo Ecclesiam meam , et portas inferi non prœvalebunt adversiis eatn. In
« populo sunt reges, principes, duces, comités, et alise potestates, qui saecularia ha-
« bent tractare negotia , ut totum redueant ad pacem et unitalem Ecclesiae. Et quia
« certum est, reges potestatem suant accipere ab Ecclesid , non ipsam ab illis ,
« sed a Christo y ut salvâ pace vestrâ loquar, non habetis episcopis praecipere, ab-
« solvere aliquetn, vel excommunicare, traheré clericos ad saecularia examina, judi-
« care de Ecclcsiis vel decimis, interdieere episcopis ne tractent causas de transgres-
« sione fidei vel juramenti, et mulla in hune modum, quae scripta sunt inter Cousue-
« tudines westras, quas dicitis avitas. » S. Thomas Cantuar, Epist, lib. 1, Epist. 64,
ad regem IJenr. II. (Édition in-40, de Bruxelles, tom. 1, pag. 94. )
«Ad sacerdotes suos voluit Deus quae Ecclesiae suae sunt disponenda pertinere,
« non ad polestates saeculi; quas, si fidèles sint , Ecclesiae suae sacerdolibus voluit
« esse subjectas. Non vobis igilur vindicelis jus alienum , et ministerium quod alteri
« deputatura est; neque contra cum contendatis, à quo omnia sunt constituta; nec
« contra illius bénéficia pugnare videamini , à quo vestrara consecuti estis potesta-
« tem. » Ibid., Epist. 65, ad eumdem, pag. 99. Remarquez aussi la lettre 108e, adres-
sée à Gilbert, évêque de Londres. (Ibid., pag. 169.) — D. Ceillier, Hist. des Au-
teurs eccl., tom. xxiii, pag. 262.
742
PIECES JUSTIFICATIVES.
seigne beaucoup plus clairement la même opinion (1). Le cardinal
Bellarmin l'attribue encore à quelques écrivains plus îécents, par-
ticulièrement au cardinal d'Ostie, Henri de Suze. Ce dernier au-
teur va jusqu'à prélendre , que «depuis la venue de Jésus-Christ,
« tout le domaine des princes infidèles a été transféré à l'Église, et
« réside dans le souverain pontife, comme vicaire de Jésus-Christ,
«le roi des rois; d'où il conclut que le Pape peut donner, de sa
« propre autorité , les royaumes des princes infidèles , à celui des fi-
« dèles qu'il juge à propos de choisir (2). »
On s'étonne aujourd'hui qu'une opinion si dangereuse , et si con-
traire aux droits des souverains , ait à peine excité , dans le prin-
cipe, quelques réclamations , soit de la part des docteurs , soit de la
part des princes eux-mêmes, si intéressés à la combai Ire (3). Mais
l'étonnement diminue, lorsqu'on fait attention que cette opinion
n'eut, pendant assez longtemps, qu'un très-petit nombre de parti-
sans, et qu'à l'époque où elle parut, le pouvoir de l'Église et du
Pape sur les souverains était depuis longtemps reconnu, et fondé
sur la constitution ou le droit public des principaux États de l'Eu-
rope catholique. Eu de pareilles conjonctures, on conçoit que l'opi-
nion théologique du pouvoir direct était une pure spéculation , aussi
indifférente pour la pratique que celle qui expliquait le pouvoir
temporel du Pape par la prétendue donation de Constantin. Mais ,
(i) Voyez le chap. 3 de cette 2 e partie, art. 2, pag. 626, note 3.
(2) « Credimus tamen, imô scimus', quo-d Papa est generalis vicarius Jesu Christî
« salvatoris, et ideo potestatem habet, non solura super christianos, sed et super
« omnes infidèles, eùm Christus plenariam receperit potestatem.
« Quando autem Papa illis qui vadunt ad defendendara , et recuperan-
« dam terrain sanctam, dat indulgentias, et infidelibus terram possidentibus bellum
« indicil; licite f'acit Papa, et justam causam habet; cùm illa (terra) consecrata sit
« nativitate , conversatione et morte Jesu Christi , et in quâ (terra) non colitur Chris-
« tus sed Machometus. Unde et quamvis infidèles ipsara possideant , juste tamen
« exinde expelluntur, ut incolatur à Christianis, et ad ipsorum dominium revocetur ;
« nam et praedicatione apostolorum, et justo bello victa fuit, et acquisita ab impera-
« tore romano, post mortem Christi ; et ideo Papa, ratione imperii romani quod obtinct,
« potest et débet ipsarn ad suam jurisdictionem revocare; quia injuste ab illis qui de
« jure hoc non poterant facere, noscilur spoliatus; et hœc ratio sufficit in omnibus
« aliis terris, in quibus nonnumquam imperatores romani jurisdictionem habuerunt:
« Mihi tamen videtur, quôd in adventu Christi, omnis honor, et omnes prin-
ce cipatus, et omne dominium et jurisdictio de jure et ex causa justâ, et per illum qui
« supremam manum habet , nec errare potest , omni infideli subtracta fuerit, et ad
« fidèles translata. » Hostiensis, Ccmmentaria in libros Décret., lib. m , tit. 34-
De Voio et voti Redemptione , cap. 8, n. 26 et 27. ( Édition de Venise, i58i ,
tom. ni, pag. 128, verso.) — Mamachi 'ubi supra, pag. 175, note), cite ce passage
comme tiré de la Somme du même auteur, sur les Décrétales : c'est une méprise.
(3) L'auteur de V Histoire de l'Église Gallicane en particulier, témoigne, à ce
sujet, un grand étonnement. ( Ubi supra , page 48.)
PIÈCES JUSTIFICATIVES. 740
depuis que les souverains , après avoir si longtemps reconnu et fa-
vorisé le pouvoir temporel du clergé , eurent manifesté assez ou-
vertement le dessein de le restreindre , ce qui arriva surtout depuis
le xnie siècle, dans les principaux États de l'Europe (1 ) , l'opinion
qui attribuait à l'Église et au souverain pontife une juridiction
directe sur les choses temporelles , en vertu de l'institution di-
vine, acquit une nouvelle importance , et dut naturellement occa-
sionner de vives discussions. De là les efforts des plus célèbres
théologiens , depuis cette époque , pour modifier ou corriger ce qu'il
y avait d'excessif dans l'opinion théologique du pouvoir direct ; et
telle paraît être la véritable origine de l'opinion du pouvoir in-
direct , dont nous avons maintenant à parler.
II. Dans ce dernier sentiment, l'Eglise et le souverain pontife
n'ont reçu directement et immédiatement de Dieu aucun pouvoir
sur les choses temporelles, mais uniquement sur les spirituelles.
Toutefois, le pouvoir qu'ils ont de régler le spirituel, renferme indi-
rectement, et par voie de conséquence, le pouvoir de régler même
les choses temporelles, lorsque le plus grand bien de la religion
l'exige. En vertu de ce pouvoir indirect, le souverain pontife, en
tant que vicaire de Jésus-Christ , ne peut ordinairement , c'est-à-
dire , comme juge ordinaire , ni déposer les princes , ni faire aucun
règlement sur les choses temporelles ; mais il le peut , en certains
cas extraordinaires , lorsque cela est nécessaire pour le salut des
âmes, dont il est immédiatement chargé (2).
Le cardinal Bellarmin, qu'on peut regarder, sinon comme l'auteur
de cette explication , du moins comme son principal défenseur (3) ,
(i) L'histoire des principaux États de l'Europe, depuis le xme siècle, offre des
preuves sensibles de la tendance générale des gouvernements modernes, à res-
treindre le pouvoir temporel du clergé. C'est ce qu'on remarque particulièrement
en Angleterre, sous le règne de Henri II; en France, sous le règne de saint Louis,
et plus sensiblement encore sous Philippe le Bel , et sous Philippe de Valois. A me-
sure qu'on avance dans les temps modernes, cette tendance devient de jour en jour
plus forte, et donne lieu à de plus vives discussions entre les deux puissances; en sorte
que la paix ne semble désormais pouvoir subsister entre elles, que par la distinction
exacte de leurs droits respectifs.
(2) Voyez le développement que nous avons donné de cette opinion, dans la se-
conde partie de cet ouvrage, n° 4 (ci-dessus, page 327).
(3) Le cardinal Bellarmin paraît être le véritable auteur de cette opinion , qui a
prévalu depuis sur celle du pouvoir direct , généralement admise avant lui par les
théologiens scolastiques. (Voyez Tournely, De Ecclesid, tom. ir, page 320. — De
la Hogue, De Ecclesid, page 246 Feller, Dict, Hist., article Bellarmin. ) L'opi-
nion du savant cardinal parut même, dans le principe , si singulière à plusieurs théo-
logiens , et particulièrement au pape Sixte V, que ce pontife, malgré son estime pour
l'auteur, crut devoir mettre à Vlndex l'ouvrage où elle était soutenue. La nouvelle
édition de Vlndex , dans laquelle cet ouvrage était proscrit } était sur le point de
744 PIÈCES JUSTIFICATIVES.
cite, à l'appui de son opinion, un assez grand nombre d'auteurs plus
anciens, tels que Hugues de Saint-Victor, saint Bernard, Alexandre
de Aies, saint Bonaventure , saint Thomas d'Aquin, etc. (1). Mais
il s'en faut beaucoup que ces auteurs soient aussi favorables à l'opi-
nion du pouvoir indirect, qu'ils le paraissent au premier abord ,
et que le cardinal Bellarmin le suppose. Les uns se bornent à sou-
tenir le pouvoir directif de l'Eglise et du Pape , au sens où nous
l'avons expliqué avec Fénelon ; tel est, en particulier le sens de
Hugues de Saint- Victor et de saint Bernard (2) , auxquels on peut
ajouter Alexandre de Aies, saint Bonaventure, Jean de Paris,
Gerson, etc. (3). Les autres soutiennent assez clairement l'opinion
du pouvoir direct, et ne peuvent que très-difiïcilement être ex-
pliqués dans un autre sens; tel paraîi être le sentiment de saint
Thomas d'Aquin, d'Augustin Trionfe, d'Alvare Pelage, etc. (4).
Il est vrai que ces auteurs , pour adoucir ce qu'il y a d'excessif
dans l'opinion du pouvoir direct , semblent quelquefois le réduire
au pouvoir indirect , mais ils posent tous en principe, que le Pape
a reçu immédiatement de Dieu le pouvoir temporel aussi bien que
le pouvoir spirituel , ce qui est au fond l'opinion du pouvoir di-
rect (5). Aussi la difficulté de concilier les différentes explications
de ces auteurs, a-t-elle donné lieu au cardinal Bellarmin lui-même,
paraître, à l'époque de la mort du pape Sixte V; mais son successeur, Urbain VII,
ue jugea pas à propos de flétrir un ouvrage d'ailleurs si utile, et un auteur qui
avait rendu (Je si grands services à la religion ; il fit donc rayer de Y Index l'ouvrage
du cardinal. Vovez à ce sujet Sacchini, Hist. societatis Jesu t parte quinta ,
tora. I, pag. 499. — Vita Roherti Bellarmini , auct. Fuligato , lib. ir, cap. 7,
pag. 7 et 8. — Fie du card. Bellarmin } par le P. Frizon, liv. 11, page 116.
— D'Avrigny, Mém. pour servir a V Hist. ecclés. du xvne siècle. Mov. 161 o.
(r) Les témoignages de ces auteurs sont rapportés plus au long par le P. Ronca-
glia , Animadversiones in Nat. Alex. Dissert. 1 ad Hist. Eccl. sœculi xi , § 4-
(2) Voyez le chap. nr de cette seconde partie, n. 196, etc.
(3) Voyez les ouvrages de ces auteurs, cités par Bellarmin, ubi supra, cap. 1 et 5.
Alexandre de Aies adopte expressément , sur ce point, la doctrine de Hugues de
Saint-Victor, dont il cite les propres expressions. (Alex. Alensis, Sumrna Theol. ,
tertia parte, quaestio 4o,membro 5. — Fleury, Hist. Ecoles., tora.xvn, liv. lxxxit,
n° i5.) La doctrine de S. Bonaventure s'explique naturellement dans le sens du
pouvoir purement directif. ( S. Bonav., De Hierarcliid eccles. lib. 1 , cap. ultimo ,
in fine; lib. 11, cap. 1 , in fine.)
Il faut en dire autant de Jean de Paris, célèbre Dominicain, qui prit la défense
de Philippe le Bel contre Boniface VIII , dans son traité De Potestate Regid et
Papali. (Voy. les passages de cet auteur, cités par Mamachi , ubi supra, pag. i55,
173 et i83, texte et notes.) Gerson est explique dans le même sens par Fénelon,
( De Auct. summi Pontife cap. 27; OEuvres de Fénelon, tom. 11.)
(4) Voyez les ouvrages de ces auteurs, cités par Bellarmin, ubi supra, cap. 1 et 5.
(5) Remarquez en particulier la doctrine de S. Thomas, dans son Commentaire
sur le livre des Sentences, où il enseigne expressément que , d'après l'institu-
tion de Dieu lui-même, qui est le Roi des Rois, le Pape possède le plus hau
PIÈCES JUSTIFICATIVES. 745
d'en citer quelques-uns , tantôt comme défenseurs du pouvoir di-
rect, tantôt seulement comme défenseurs du pouvoir indirect (1).
Quoi qu'il en soit de l'opinion de ces anciens auteurs, il est certain
que l'explication du cardinal Bellarmin a été généralement adoptée
depuis, par les théologiens ultramontains (2). Cependant, les diffi-
cultés qu'on leur a opposées, en ont engagé plusieurs à modifier
encore leur opinion d'une manière qui semble restreindre, dans des
bornes beaucoup plus étroites, le pouvoir de l'Église et du Pape,
en matière temporelle, en réduisant ce pouvoir à la simple décision
oVun cas de conscience, relativement aux effets du serment de fi-
délité qui attache les sujets à leur souverain. Selon cette dernière
explication , il n'appartient pas proprement à l'Église ni au Pape de
déposer un souverain, ou de délier ses sujets du serment de fi-
délité; mais ils peuvent au moins déclarer ou décider les cas où
il est déchu du trône, à raison de quelque délit contraire à la reli-
gion, et où ses sujets sont , en conséquence , déliés du serment de
fidélité qu'ils lui avaient fait. Les défenseurs de ce sentiment font
observer, que le serment de fidélité n'est pas indissoluble de sa na-
ture ; qu'il peut exister des cas où il doit être dissous ou déclaré
tel; et qu'en le supposant même indissoluble, il peut se présenter
des cas où il s'élève des doutes légitimes sur sa validité, et où il
soit nécessaire d'avoir une décision propre à tranquilliser les con-
sciences. Us ajoutent qu'il appartient à l'Église et au souverain
pontife, à raison de leur autorité spirituelle, de décider ces cas de
conscience , c'est-à-dire, de dissoudre le serment de fidélité , ou du
degré de l'une et de l'autre puissance , savoir , de la puissance spirituelle et de
la puissance temporelle. « Potestati spirituali etiam ssecularis potestas conjungitur
« in Papa, qui utriusque potestatis apicem tenet , scilicet spiritualis et ssecularis ;
a et hoc, illo disponeute qui est sacerdos et rex in œternum, Rex regum et Domi-
a nus dominantiurn. » S. Thomas, Comment, in secundum lib. Sentent. Dist. 44»
quaest. 2, art. 3, in fine. Le P. Alexandre (Dissert, l'in Uist. Eccl. sœculi xi, artt.
io, n° 12), fait, à ce qu'il nous semble, d'inutiles efforts, pour expliquer ce passage
dans un autre sens.
(1) Bellarmin, ubi supra , cap. 1 et 5. Dans le chap. Ier, l'auteur attribue for-
mellement l'opinion du pouvoir direct, à Augustin Trionfc et à Alvare Pelage ;
tandis que dans le chapitre 5e, il réduit la doctrine de ces auteurs, au sens du
pouvoir indirect. Il est aisé de remarquer, que le savant cardinal éprouvait le
même embarras, par rapporta la doctrine de S.Thomas d'Aquin, et de plusieurs
autres anciens théologiens.
(2) Voyez les auteurs cités dans la seconde partie de nos Recherches , page 327,
note 1. Remarquez cependant que l'abbé de la Mcnnais , dans les ouvrages que
nous avons cités en cet endroit, ne se borne p.is à soutenir l'opinion théologique
du pouvoir indirect , mais qu'il renouvelle expressément celle du pouvoir direct.
Voyez les passages de cet auteur, que nous avons rapportés dans XHist. litt. de Fé-
nelon, ive partie, n° 74,
746 PIÈCES JUSTIFICATIVES.
moins de le déclarer dissous, et d'en prononcer la nullité. C'est à
quoi se réduit , seion eux , le pouvoir indirect, soutenu par Bellar-
min et plusieurs autres théologiens (1).
Il faut avouer que cette explication se rapproche beaucoup de
celle de Fénelon , qui réduit le pouvoir de l'Église et du Pape , en
matière temporelle, au simple pouvoir directif{2). Toutefois, le dé-
veloppement donné à ces deux opinions par leurs principaux dé-
fenseurs , ne permet pas de les confondre. Car 1° la plupart des dé-
fenseurs de la première ne paraissent nullement disposés à abandonner
le sentiment du cardinal Bellarmin et des auteurs qui l'ont suivi :
non-seulement ils le citent avec confiance, comme le principal
défenseur des vrais principes sur cette matière ; mais dans le
développement de leur opinion, ils attribuent clairement à l'Église
et au souverain pontife, un véritable pouvoir de juridiction sur les
choses temporelles ; en sorte qu'ils renouvellent au fond le senti-
ment qu'ils paraissent, en certains moments, vouloir abandon-
ner (3). 2o Les défenseurs de la première opinion supposent com-
munément que , chez un peuple catholique , la profession et le
maintien du catholicisme sont, de droit naturel y une condition
essentielle de l'élection du souverain, et du serment de fidélité
que lui font ses sujets ; d'où ils concluent que la déposition d'un
prince hérétique ou fauteur d'hérésie, à plus forte raison celle d'un
prince infidèle, est de droit naturel, et que l'Église ou le sou-
verain pontife peuvent alors déclarer ses sujets déliés du serment de
fidélité. En conséquence de ces principes, ils soutiennent, avecsaint
Thomas et avec le cardinal Bellarmin (4) , que l'Église et le Pape
eussent pu déclarer les empereurs païens, et Julien en particulier,
déchus de l'empire , et leurs sujets déliés de toute obligation envers
(i) C'est en ce sens, que le cardinal Duperron soutient l'opinion du pouvoir
indirect, dans la célèbre harangue prononcée à la chambre du tiers état, pendant
les Etals généraux de 1614. (OEuvres du card. Duperron, p. 5Q3, etc.) Voyez, au
sujet de cette harangue, la Collection des procès-verbaux des assemblées du
Clergé, tomeir, page 173, etc. — D'Avrigny, Mémoires pour l'Hist.Eccl. du
XVIIe siècle , tome 1, 27 oct. 1614.
Pour le développement de l'opinion soutenue par le card. Duperron, on peut con-
sulter aussi les ouvrages de Roncaglia , de Bianchi et de Mamachi , que nous avons
cités plus haut, page 327, note 1. — Lettres sur les quatre Articles de 1682 (par
le card. Lilta), lettre 9e Muzzarelli , Il buon uso délia Logica. Opuscul. 21,
Greg. VII, parte seconda, pag. 48, etc. de la traduction française. — Rohrba-
cher, Des rapports directs entre les deux Puissances. Paris, i838; 2 vol. in-8°.
(2) Voyez l'exposition de cette dernière explication, 2e part., n. 8, etc.
(3) Voyez les auteurs cités dans la note 1 de cette page. Remarquez en parti-
culier Mamachi, pages 181, 1 85, 202, etc.
(4) S. Thomas, 2. 2. qusest. 12, art. 2, ad priraum. — Bellarmin , ubi supra ,
cap. vu, tertia ratio.
PIÈCES JUSTIFICATIVES. 747
enx , si la prudence eût alors permis de donner cette décision ; ils
expliquent de même la conduite des souverains pontifes Grégoire III,
Etienne II et Léon III, dépouillant de plusieurs provinces d'Italie et
de l'empire d'Occident les empereurs de Constantinople , devenus
hérétiques ou fauteurs d'hérésies (1). Fénelon et les défenseurs du
pouvoir directif, son! très-éloignés d'admettre ces conséquences, et
les principes d'où elles découlent. Ils regardent la condition de ca-
tholicisme, mise à l'élection des souverains, au moyen âge, non
comme un point de droit naturel, mais comme un point de droit po-
sitif-humain, alors établi par la constitution des États catholiques de
l'Europe. Tel est évidemment le sentiment de Fénelon, dans sa Disser-
tation sur V Autorité du souverain Pontife (2). Sa doctrine est déplus
en plus expliquée dans X Essai sur le gouvernement civil, composé
par le chevalier de Ramsay, d'après les principes de l'archevêque de
Cambrai. Rien n'est plus souvent et plus fortement inculqué, dans
cet ouvrage, que la nécessité d'obéir aux plus méchants princes, et de
respecter même en eux l'autorité de Dieu. L'auteur va jusqu'à trai-
ter de faux dévots ceux qui osent faire de îa religion un prétexte de
révolte. « Onne prétend pas, dit-il (3) Justifier la conduite inhumaine
« et barbare des souverains qui foulent le peuple , en levant des im-
« pois exorbitants.... Je soutiens seulement que, si Ton ne peut
« pas arrêter leurs excès par des voies légitimes , et compatibles
« avec Tordre et la subordination , il faut les souffrir avec patience.. .
« Rien n'est plus affreux que la tyrannie , quand on n'envisage
« que les tyrans ; mais cette difformité disparait , quand on regarde
« la suprême Providence , qui se sert de leurs désordres passagers
« pour accomplir son ordre éternel. Ce serait donc se révolter
« contre Dieu même, que de se révolter contre les puissances
« qu'il a établies, quand même elles abusent de leur autorité.
« Cette réflexion nous mène naturellement à considérer si la reli-
« gion peut être un prétexte de révolte. Les faux dévots de toutes
« les religions et de toutes les sectes crient tous , d'une voix com-
« mune : Religio sancta , summum jus. Cette opinion vient d'une
« fausse idée de la religion. » Dans un autre endroit, l'auteur s'atta-
che à prouver que, dans le cas même où le prince ordonne quel-
(i) Bianchi, Délia Potesta e délia Politia délia Chiesa , tora. r, lib. 3, § 8.
— Maraachi, Origines et Antiquit. Christ., tom. iv, page 202. — ■■ Muzzarelli ,
Grég. Fil, page 61, etc Rohrbacher, Des rapports entre les deux Puissances,
tom. i, chap. 11, 12, 17, 19, 21, etc.
(2) Voyez l'exposition que nous avons faite plus haut du sentiment de Fénelon
(11e partie, n° 8, etc.)
(3) Essai sur le Gouv. civil , chap. x, page 3^6.
748 PIÈCES JUSTIFICATIVES.
que chose contre la loi divine ou la loi naturelle , jamais on ne peut
lui opposer une résistance active, en se révoltant contre lui;
mais on doit se borner à la résistance passive , qui consiste sim-
plement à ne pas faire ce qu'il ordonne. « Tels sont, dit-il (l) , les
« sentiments de tous les grands hommes de l'ancienne et de la
« nouvelle loi; telle a été la doctrine des prophètes ei des apôres ;
« telle fut enfin la conduite de tous les héros du christianisme,
« dans les premiers siècles. Durant sept cents ans après Jésus-
« Christ, on ne voit tas un seul exemple de révolte contre les
« empereurs, sous prétexte de religion. »
On voit assez, par ces explications, la différence essentielle qui
existe entre le pouvoir directif admis par Fénelon, et le pouvoir
indirect, au sens où les théologiens ultramontains l'ont expliqué
dans ces derniers temps (2). Toutefois, nous sommes très-porté à
croire, que plusieurs d'entre eux eussent volontiers admis l'opinion
de Fénelon, s'ils l'eussent connue (3) ; qu'il existe aujourd'hui, parmi
les Ihéologiens étrangers, une tendance particulière à l'embrasser (4) ;
enfin, que les défenseurs du pouvoir direct ou indirect, n'ont été
entraînés dans cette opinion, que par la difficulté d'expliquer ou de
justifier autrement la conduite des papes du moyen âge envers les
souverains (5). Si nos conjectures, à cet égard, sont bien fondées ,
ne pourrait-on pas en conclure, avec assez de vraisemblance, que
l'opinion de Fénelon, à mesure qu'elle se répandra , fera de plus en
plus tomber dans l'oubli, l'ancienne opinion du pouvoir direct ou
indirect ?
La conduite et le langage même du saint-siége dans ces derniers
temps, semblent venir à l'appui de ces conjectures. Plusieurs pièces
(i) Ibid. , chap. 18, page 464.
(2) Tout ceci peut servir à expliquer ce que nous avons dit sur le même sujet
dans VHist. litt. de Fénelon, ive partie, n° 79, etc.
(3) Le card. Litta en particulier, dans sa lettre déjà citée, semble peu éloigné
de cette opinion.
(4) L'accueil fait à la première édition de nos Recherches , dans les pays étran-
gers, et à Rome même, aussi bien qu'en France, paraît autoriser cette con-
jecture.
(5) Le cardinal Bellarmin en particulier, nous paraît avoir été entraîné dans l'opi-
nion du pouvoir indirect, par le désir de justifier les papes et le clergé du moyen
âge, contre les attaques des protestants et des hérétiques plus anciens, qui allaient
jusqu'à prétendre que le souverain pontife n'avait, de droit divin , aucune autorité
sur les princes séculiers, et que le Pape, aussi bien que les évèques, n'avaient pu
légitimement acquérir aucun domaine temporel. En soutenant l'opinion du pouvoir
indirect, le savant cardinal crut tenir le juste milieu entre les excès de l'hérésie, et
l'opinion du pouvoir direct , qu'il regardait comme visiblement exagérée. Voyez Bel-
larmin, ubi supra, cap. 1.
PIECES JUSTIFICATIVES. 749
officielles, d'une authenticité incontestable, montrent clairement
combien le saint-siége est aujourd'hui éloigné de soutenir l'opinion
théologique dont nous parlons. Bic n plus, il y professe ouvertement,
sur la distinction des deux puissances, et sur l'indépendance des
princes, dans Tordre temporel, des principes très-difficiles à concilier
avec l'opinion théulogique du pouvoir direct ou indirect. On peut
voir en particulier, à l'appui de cette assertion, plusieurs Brefs
de Pie VI, relatifs à la révolution française (1) ; la Lettre du car-
dinal Anlonelli, préfet de la Propagande , aux archevêques d'Ir-
lande, en date du 23 juin 179 1 (2) ; la Lettre encyclique de N. S. P. le
pape Grégoire XVI à tous les patriarches, primats, archevêques
et évéques, du 15 août 1832 (3) ; Y Exposition du droit et du fait en
réponse à la Déclaration du gouvernement prussien , du 31 dé-
cembre 1838 (4); enfin, Y Allocution de N. S. P. le pape Gré-
goire XVI , prononcée dans le consistoire secret du 8 juillet
1839 (5). Il suffit, à ce qu'il nous semble, de lire attentivement ces
différentes pièces , pour être convaincu que le saint-siége, bien loin
de favoriser aujourd'hui Y opinion théologique du pouvoir direct ou
indirect , saisit volontiers les occasions qui se présentent, de mon-
trer le peu d'importance qu'il attache à celte opinion, et de professer
hautement les principes qui la combattent, ou du m ins qui se con-
cilient plu^ difficilement avec elle. Aussi, plusieurs éerivains judi-
cieux ont-ils cru pouvoir conclure des divers documents que nous
venons de citer, que l'opinion théologique dont nous parlons, e^t au-
jourd nui surarmée, même au delà des monts {6).
11 est vrai qu'un écrivain de nos jours n'a pas craint de reprocher
à la cour de Rome , et particulièrement à Fie VII, leur attachement
à ce système, jusqu'à le prendre pour base des instructions secrètes,
données pendant 1804 et 1805 au prélat Delà Genga (depuis
Léon XII ), qui fut alors envoyé, en qualité de nonce extraordinaire,
auprès de la diète de Ralisbonne, pour ménager un accommodement
entre le saint-siége et la cour d'Autriche (7).
(i) Brefs de Pie VI ; édition de Paris, 1798, in-8°, tome 1, pages 121, i3r,
271, etc.
(2) Cette lettre est rapportée dans l'Ami de la Religion, tome xvm, p. 108, etc.
(3) Ibid., lorae lxxiii , pages 209, 241, etc.
(4) Ibid., tome ci, page 193, etc.
(5) Ibid., tome en, page i^5, etc.
(6) Voyez les auteurs cités plus haut, page 329, note 2. Voyez aussi les Pièces
justificatives de l'ouvrage de M. l'abbé Àfïrc, Essai hist. sur la Suprématie tempo-
relle de l'Eglise et du Pape , page 5o4, etc.
(7) Daunou, Essai hist. sur la Puiss. temp. des Papes , édit. de 18 18, t. n, p
3i8-32i, Ce reproche a été, depuis, répété avec confiance sur la seule autorité de
750 PIÈCES JUSTIFICATIVES.
Mais, outre que le témoignage de cet auteur est naturellement
suspect, à raison de la haine violente et passionnée qu'il manifeste
contre le saint-siége, dans toute la suite de son ouvrage (1), on doit
remarquer qu'il ne cite aucune pièce ni aucun témoignage digne de
foi, à l'appui du reproche dont il s'agit. Il ne fait connaître ni l'au-
teur des documents qu'il cite, ni en quel lieu on peut les voir, et en
vérifier l'authenticité. Aussi a-t-elle été révoquée en doute par des
écrivains judicieux, et spécialement par M. Picot, qui s'en est plu-
sieurs fois expliqué dans VAmi de la Religion (2). Tous ces doutes
sont confirmés par un bref du 31 août 1806 , adressé au cardinal
Caprara , et dans lequel le Pape désavoue expressément « certaines
<• lettres que l'empereur (Napoléon) disait lui avoir été transmises
« de Vienne , et dans lesquelles on parlait avec peu de respect de Sa
« Majesté. Nous vous répétons, ajoute le saint Père, ce que nous
(i vous avons fait écrire par notre secrétaire d'État, la première fois
« que nous entendîmes parler de cela , c'est-à-dire, que la chose est
« absolument fausse : nous le disons avec franchise, et sans peur
« d'être démenti. Sa Majesté ayant les originaux entre ses mains ,
« elle peut nous confondre quand elle le voudra. Que quelque indi-
ce vidu, de quelque condition qu'il soit, ait écrit des choses si impru-
« dentés ; si fausses et si répréhensibles ; nous l'ignorons et ne pouvons
« en être responsables. Ce que nous assurons hardiment, c'est que
« ces lettres ne sont pas de nous , ni de notre ministère : ce serait
Daunou, par quelques écrivains, que leurs préjugés bien connus contre le saint-siége
portaient naturellement à accueillir et à publier les anecdotes propres à diminuer son
autorité. (Voyez V Ami de la Religion, t. xvnr, p. 200.) Grégoire, Tabaraud, Silvy,
et d'autres écrivains du même parti , se sont emparés précipitamment d'un si beau
texte de déclamations. Ou le retrouve aussi dans un ouvrage anonyme, publié en
182 r, sous ce titre : Origine, progrès et limites delà Puissance des Papes (in-8°,
page 229). Cet ouvrage, comme celui de Daunou, porte le cachet d'une haine
violente contre le saint-siége ; et les rapports qui existent entre ces deux ouvrages,
donnent lieu de soupçonner qu'ils sont sortis de la même plume. Quoi qu'il en soit de
cette conjecture, les déclamations de Daunou, sur ce sujet, ont trouvé récem-
ment un écho dans le consistoire protestant de l'église wallonne à Leewarden en
Hollande. (Voyez à ce sujet V Ami de la Religion, tome ex, pag. 25i, 298 et 426.)
Sur l'occasion et les détails de la mission du card. Délia Genga, auprès de la
diète de Ratisbonne, en 1804, voyez les Mém. pour servir a VHist. eccl. du
xvine siècle, par M. Picot, tome m, page 441, etc. — Henrion, Hist. de l'Église,
tome xii, pages 296 et 3i5. — Artaud, Hist. de Pie ni, tome Ier, chap. 3i;
tome n, chap. 5, page 53, édit. in-8° Hist. de Léon XIIy tome 1, chap. 1,
page 8, etc. — V Ami de la Religion, tome v, page 254, etc«
(1) Voyez le compte -rendu de cet ouvrage, dans VAmi de la Religion,
tome xxviir, pages 1, 193, 369. Voyez aussi la Notice sur l'auteur, tome cv,
page 602; et tome ex, page 33.
(2) L'Ami de la Religion , tome§ xvni, page 196; xix, p. 357 J XXI t P» IJ6,
PIÈCES JUSTIFICATIVES. j&i
« Tunique reproche qu'on pourrait nous faire, si cela était (1). »
Quoique ces observations soient plus que suffisantes, pour montrer
le peu de confiance que méritent les pièces clandestines dont nous
venons de parler, nous pouvons citer encore, à l'appui de ces observa-
tions, le témoignage de M. Artaud de Monlor, plus à portée que
personne d'apprécier la valeur de ces pièces (2). Il ne balance pas à
les regarder comme indignes de toute confiance, et comme fabri-
quées, ou du moins falsifiées , par des particuliers sans autorité. Il
ajoute que le caractère bien connu du pape Pie Vil , du cardinal
Consalvi, du prélat Délia Genga , et de tous les agents du gouver-
nement pontifical à cette époque , ne permet pas de leur attribuer les
instructions secrètes citées par M. Daunou. Ces prétendues in-
structions , supposé qu'elles n'aient pas été fabriquées par un
ennemi du saint-siége, sont vraisemblablement l'ouvrage de quel-
que personnage exalté, qui pouvait être en correspondance avec
le prélat Délia Genga , et dont les opinions ou les prétentions ne
peuvent être mises sur le compte du Pape, ou des principaux
agents de son gouvernement. M. Artaud , qui a vu les choses de
près , assure qu'il y avait alors à Rome un parti assez nombreux de
ces hommes exaltés comme il s'en trouve toujours dans les temps de
crise, et qui ne sont pas un petit embarras pour les gouvernements.
Indignés des prétentions ambitieuses de Buonaparte , et des vexa-
tions qu'il commençait à exercer contre le saint-siége , ces hommes
ardents auraient voulu que le pape Pie VII employât, contre le nou-
veau persécuteur de l'Église, des mesures semblables à celles que les
papes Grégoire VII, Innocent IV, et quelques autres pontifes ,
avaient employées autrefois contre des princes coupables de pareils
excès. On conçoit que le prélat Délia Genga pouvait être en corres-
pondance avec quelques particuliers de ce caractère , quoiqu'il ne
partageât aucunement leurs opinions exagérées.
(r) L'Ami de la Religion , tome xxr , page 116.
(■2) M. Artaud de Monrol fut envoyé à Rome, par le gouvernement français,
comme secrétaire de légation, d'abord en 1801, à l'époque des négociations relati-
ves au Concordat, puis en 1804, après la mort de M. Gandolphe , qui, depuis
quelques mois seulement, avait succédé à M. de Chateaubriand, dans cette place. On
peut voir dans X Histoire de Pie Fil (tome 1, chap. 3i; tome ir, chap. 5), et dans
celle de Léon XII (tome 1, chap. 1), les détails donnés par M. Artaud, sur
l'étal déplorable des églises d'Allemagne, au commencement du xixe siècle, et sur la
mission extraordinaire donnée par Pie VII au prélat Délia Genga (depuis Léon XII),
pour ménager un accommodement, à ce sujet , avec la cour d'Autriche.
752 PIECES JUSTIFICATIVES.
IX. Pag. 332 , 588, 649, 653.
Ouvrages à consulter, sur les controverses relatives aux droits
d'Elisabeth à la couronne d* Angleterre , et du roi de Navarre,
{depuis Henri IF) à la couronne de France.
I. Sur la première de ces controverses , voyez principalement les
ouvrages suivants :
Allen , Ad Persecutores Anglos pro catholicis vera, sincera et
modesta Responsio ; 1584, i«-8°,cap. 4 et 5, pages 112, 143, etc.,
de rédition latine. — Idem, Exhortatio ad nobiles etpopulum An-
glise; 1588. — Doieman, Conférence sur la succession prochaine
de la couronne d Angleterre ; 1593 , in-8° ; 2e partie , chap. 7,
page 116. On peut voir, au sujet de ces ouvrages, Lingard, IJist.
d'Angleterre, tout, vm, p. 384, 462 et 611 .
II. Sur la controverse relative aux droits du roi de Navarre
(Henri IV) a la couronne de France, voyez les ouvrages suivants :
De justa Reipublicx christianœ in Reges impios et hœreticos
auctoritate. Parisiis, 1590, in-8° , cap. 2, 7 et 8. La première édi-
tion de cet ouvrage est anonyme ; la deuxième , publiée sous la ru-
brique d'Anvers, 1592, porte le nom de Guillaume Rose , évéque de
Seuils, à qui l'ouvrage est communément attribué. — Jean Boucher,
De justa Henrici III abdicatione e Francorum regno. Parisiis,
1589, i?i-8°, Lugduni, 1591, in-8°; lib. I, cap. 22, lib. II, cap. 15, etc.
— Réponse des vrais catholiques français, à V avertissement des
catholiques anglais, pour l'exclusion du roi de Navarre, de la
couronne de France (par Louis d'Orléans , avocat au parlement de
Paris). 1588, i?i-S° ; IVe partie , page 147, etc. , 528 , etc.
Ces ouvrages, dont nous avons exposé ailleurs l'occasion et le
sujet (ci-dessus, chap. 3, nos 289 et 292), sont les plus impor-
tants qui aient paru , dans le temps, contre les droits d'Elisabeth
à la couronne d'Angleterre, et contre ceux du roi de Navarre (depuis
Henri IV), à la couronne de France. Tous invoquent également,
contre les souverains dont il s'agit, l'ancienne jurisprudence des
États catholiques de l'Europe, particulièrement celle de la France et
de l'Angleterre, qui exclut du trône les hérétiques. Il y a du reste
une grande différence de principes, entre ces ouvrages. Indépendam-
ment du droit positif-humain , les auteurs anglais invoquent aussi
contre Elisabeth le droit divin, mais seulement clans le sens des théo-
logiens qui attribuent à l'Église et au souverain pontife unej uridiefiofa
indirecte sur les choses temporelles. Les auteurs français, princi-
palement Guillaume Rose et Jean Boucher, vont beauroup plus loin,
PIÈCES JUSTIFICATIVES. 753
et ajoutent à cette opinion théologique, les principes les plus dange-
reux, sur le droit prétendu que la société possède essentiellement ,
de destituer et de mettre à mort les tyrans. On est étonné de voir
la confiance et la hardiesse avec laquelle ces deux auteurs, et surtout
le second , soutiennent une si funeste doctrine, et les conséquences
qu'ils en tirent, pour autoriser même les simples particuliers, à tuer
un prince notoirement hérétique ou excommunié. Anquetil , dans
Y Esprit de la Ligue (tom. I, page xxx), signale sans doute ces
défauts si graves ; toutefois , il nous paraît faire un éloge exagéré
de l'ouvrage de Rose , en le représentant, dans le genre polémique,
comme l'ouvrage d'un homme de génie. Il eût dû au moins ajou-
ter, d'un génie turbulent et révolutionnaire, toujours blâmable aux
yeux d'un homme sage , mais peu digne surtout d'un évêque ,
obligé par état à combattre et à modérer les passions violentes qui
tendent au bouleversement de la société. Au reste, quelque dange-
reux que soient les principes soutenus, à cette époque, par cet auteur
et par plusieurs autres écrivains catholiques, l'étonnement qu'ils
inspirent diminue, lorsqu'on se souvient que les protestants, contre
lesquels ces auteurs dirigeaient principalement leurs ouvrages , ad-
mettaient , sur cette matière, des principes encore plus dangereux,
en abandonnant au peuple le jugement des cas de destitution , qui ,
dans le sentiment des auteurs catholiques, est réservé à l'Eglise et
au souverain pontife. Guillaume Rose {ubisuprà, cap. 10) n'ou-
blie pas de faire remarquer celte différence essentielle entre ses prin-
cipes et ceux de ses adversaires, La doctrine des protestants, sur
cette matière, est exposée et discutée avec soin par Bossuet. Voyez
le Cinquième Avertissement aux Protestants , et la Défense de
V Histoire des variations. (OEuvres de Bossuet , tome xxi.)
PIN.
48
TABLE DES MATIERES.
Nota. 1° Les chijjres romains , qu'on reneontre quelquefois dans cette Table ,
indiquent les pages de la Préface; les chiffres arabes se rapportent au corps de
l'ouvrage.
2° Les passages auxquels on renvoie, ne sont pas toujours dans le corps de
l'ouvrage ; ils sont quelquefois dans les Notes.
3° Quelques articles de cette Table étant un peu longs, nous les avons partagés
en plusieurs numéros ou alinéa , selon la diversité des matières, pour faciliter les
recherches. (Voyez, entre autres, les articles Église, Empereur, Pape, Purs-
SANCES.)
4° Pour ne pas répéter inutilement les détails de la Table des chapitres, placée
au commencement de ce volume , nous y renvoyons quelquefois dans la Table al-
phabétique. (Voyez, en particulier, l'article Pape.) Le lecteur suppléera facilement
de lui-même à cette indication, dans un grand nombre d'autres articles.
ABLAVE, gouverneur d'Afrique. (Voyez Constantin.)
ADORATION rendue à Charlemagne , dans la cérémonie de son couronne-
ment, par le pape Léon III, 256, 257. — Le Pape ne reconnut point alors
la souveraineté de Charlemagne dans Rome, 297, etc.
ADRIEN 1er, pape, se regarde comme souverain de Rome et de l'Exarchat, 250.
— 11 implore le secours de Charlemagne contre l'empereur de Constanti-
nople, ibid. — Il implore la même protection contre les Lombards, 252.
— Les habitants de Spolette et de Riéti se donnent au saint-siége, sous son
pontificat, 253. — Il réclame auprès de l'empereur de Constanlinonle les
patrimoines du saint-siége, situés en Grèce et en Orient, 255. — Il n'a
pas cité, comme authentique, la Donation de Constantin , 718, etc.
ADRIEN II , pape. Sa conduite politique trop facilement blâmée par quel-
ques auteurs modernes, 367, 467, note. — Il promet l'empire à Charles
le Chauve, 467, 495, 620.
ADRIEN IV, pape. Ses démêlés avec l'empereur Frédéric 1er, sur la dépen-
dance de l'Empire à l'égard du saint-siége, 503, etc. — Est-il vrai qu'il ait
prétendu donner l'Irlande au roi d'Angleterre Henri II ? 554, etc.
ATGNAN (saint) , évêque d'Orléans , sauve sa ville épiscopale, par sa média-
tion auprès d'Attila , 42.
ALARIC II, roi des Visigoths, publie dans ses États un Abrégé des lois ro-
maines, 92. — Cet abrégé se répand en Occident sous le nom de Loi
Romaine et de Code Théodosien, ibid. — On y retrouve toutes les disposi-
tions du droit romain contre les hérétiques , ibid.
ALBIGEOIS. Lois publiées contre ces hérétiques par le me et le ive concile de
Latran, 426, etc.— Confirmation de ces lois, par l'autorité de Frédéric II
et de saint Louis, 431.
ALEXANDRE III, pape, excommunie et dépose l'empereur Frédéric Barbe-
rousse, 445, etc. ; 463, etc. (Voyez Frédéric Barberousse, et Jean de
Sarisbéry.)
ALEXANDRE VI, pape. Examen de sa bulle, Inter cœtera, qui partage
entre les rois d'Espagne et de Portugal quelques pays nouvellement déeoii»
48.
756 TABLE DES MATIERES.
verts, 578, etc. — Cette bulle ne suppose pas l'opinion théologique du
pouvoir direct de l'Église sur les choses temporelles, 579 Injustice des
reproches faits au saint-siége à l'occasion de ce décret et de quelques
autres semblables, 579 et 580. — Ce décret expliqué et justifié par Gro-
tius, 577, note. — Mallebrun peu d'accord avec lui-même, dans l'explica-
tion de ce décret, ibid.
ALEXANDRE ( le P. Noël ) , docteur de Sorbonne. Sa méprise au sujet des
lettres de Grégoire VII à Herman , sur l'excommunication du roi de Ger-
manie (Henri IV), 438, note. — Autre méprise, relativement à une lettre
de Grégoire VII, concernant l'élection de Rodolphe, 444, note.
ALEXANDRIE (Église d'). Libéralités de Constantin envers cette Église, 105.
— Ses richesses et ses revenus, au vne siècle, 123, etc. (Voyez Jean l'au-
monier.) — Pouvoir temporel du patriarche d'Alexandrie, depuis le ive
siècle, 182, etc. (Voyez Patriarches.)
ALLÉGORIE des deux glaives. (Voyez Glaives.)
ALLEMAGNE (empire d' ). (Voyez Droit germanique, Empire.)
AMRROISE (saint) est choisi par l'impératrice Justine, pour négocier auprès
du tyran Maxime les intérêts de l'Empire, 41. — Il combat la requête de
Symmaque, pour le rétablissement de Y autel de la Victoire, 60, 61. —
Il avance comme un fait notoire, qu'alors la majorité du sénat était
chrétienne, 60, note. — Erreur de M. Bengnot sur ce point, ibid. — S. Am-
broise blâme la conduite de Valentinien 1er à l'égard du clergé, 116, note.
— Sa doctrine sur l'obligation de payer les impôts , exigés même sur les
terres de l'Église, 151, 152. — Injuste reproche de cupidité, fait au saint
docteur, par M. Beugnot, 139, note.
AMMIEN MARCELLIN, auteur païen du ive siècle, accuse à tort le souve-
rain pontife, de luxe et de mondanité, 139, 140.
ANASTASE, empereur, est menacé de perdre l'empire , par suite de la pro-
tection qu'il accordait aux Eutychiens , 187, 189, etc.; 203.
ANASTASE le Bibliothécaire. Diverses éditions de ses Vies des Papes, 105,
note. — Détails que l'auteur y donne sur les libéralités de Constantin en-
vers l'Église romaine, 105-110. — Autorité de son récit à cet égard, 1 10,
texte et note. — Récit qu'il fait de la révolution arrivée en Italie sous Gré-
goire II, 215, etc. — Ce récit d'accord avec celui de Paul Diacre, 221.
(Voyez Grégoire II.)
ANCILLON, auteur protestant, reconnaît les grands avantages que la société
a retirés du pouvoir temporel des Papes, au moyen âge, 692.
ANGLETERRE (royaume d'). Sa monarchie élective sous les rois Anglo-
Saxons, 355. — Sa législation, au moyen âge, sur les effets temporels de
l'excommunication, 414, 415, 419, etc. — Ces effets de l'excommunication,
reconnus en Angleterre, même par rapport aux souverains, 446, etc. (Voyez
Henri II.) — Loi de S. Edouard, qui déclare privé de son titre de roi, le
monarque rebelle envers Dieu et envers l'Église , 607. — Authenticité de
cette loi ; son véritable sens, 609. — Permanence de cet ancien droit , à
l'époque du schisme de l'Angleterre, 586, etc.; 649, etc.; 752. — Vestiges
de cet ancien droit, dans la constitution moderne de l'Angleterre, 656, 658.
— Le royaume d'Angleterre, longtemps regardé au moyen âge comme un
fief du saint-siége, 482. — Explication des décrets du saint-siége contre
Henri VIII et contre Elisabeth , 583, etc. (Voyez Paul 111, et Pie V.)
ANGLO-SAXONS. (Voyez Angleterre.)
ANSELME (saint), archevêque de Cantorbéry. Portrait qu'il fait du roi de
Germanie (Henri IV), 372.
TABLE DES MATIÈRES. T57
APOSTATS. Disposition du droit romain contre eux, 91. — Ces dispositions
insérées, pour le fond, dans la législation de tous les États chrétiens de
l'Europe, au moyen âge, 396.
ARAGON (le royaume d'), autrefois regardé comme fief du saint-siége, 483.
— Le pape Martin IV donne ce royaume à Philippe le Hardi, ibid.
ARAGON (Nicolas-Roselli , cardinal d'). Voyez Roselli.
ARIENS. Protégés par Constantin, Constance et quelques autres empereurs ,'
95 et 96.
AR1STOTE. Ses principes sur l'union de la Religion et de l'État, 3, 4.
ARLES (second concile d'). Ses dispositions sur les effets temporels de la pé-
nitence publique, 400.
ARNOBE montre aux païens la vérité de la religion chrétienne, par le seul
fait de son établissement, 48.
ARNOUL, empereur, est couronné par le pape Formose en 896, 423, note ;
619. — Les Romains lui prêtent serment de fidélité, 289, 619.
ARNOUL, évêque de Lisieux au xue siècle, suppose, comme un point de
droit public universellement reconnu, les droits particuliers du Pape sur
l'Empire, 487.
ARTAUD DE MONTOR (M. le chevalier), secrétaire de légation à Rome, sous
Pie Vil, 751, note. — Détails intéressants, dans son Histoire de Pie VII,
sur quelques entretiens de l'abbé Émery avec l'empereur Napoléon, 255,
323 et 324. — il regarde comme fausses les prétendues^ Instructions
secrètes adressées par le pape Pie VII à son nonce de Vienne , en
1805, etc., 751.
ASILE. En quoi consiste le droit d'asile, 155. — Origine de ce droit, 155, etc.
— Il est maintenu par les empereurs chrétiens avec de sages restrictions ,
156. — Zèle du clergé pour le maintien de ce droit , 157, etc. — Avantages
de ce droit, renfermé dans de justes bornes , 160, etc. — Sage conduite de
l'Église à cet égard, 162.
ASSEMBLÉES MIXTES. (Voyez Conciles.)
ASTOLPHE, roi des Lombards , assiège Rome sons le pontificat d'Etienne II,
236. (Voyez Etienne II.) — Pépin l'obligea lever le siège, et à restituer à
l'Église romaine les villes et territoires qu'il lui avait enlevés, 239. — As-
tolphe assiège Rome pour la seconde fois, 240. — Pépin l'oblige à lever le
siège , et lui impose des conditions plus rigoureuses, 243. — Astolphe est
obligé de ratifier la Donation de Pépin à l'Église romaine , ibid. (Voyez
Donation de Pépin.)
ATHÉNIENS. Leur respect pour la religion ,11, etc. (Voyez Religion.)
AUGUSTE , empereur, renouvelle les anciennes lois romaines contre .les
cultes étrangers, 25. (Voyez Mécène.)
AUGUSTIN (saint) institue, en Occident, des communautés purement
ecclésiastiques , 39. — Propagation et résultats de cette institution, 39,
40. — Ses principes sur la libéralité des fidèles envers l'Église, 120-123. —
Sur la modération que la justice humaine doit apporter dans le châtiment
des criminels, 158, 173. — Sur le droit qu'a le peuple, en certains cas,
de se soumettre à un nouveau souverain, 233. (Voyez Publicistes.)
AUTEL DE LA VICTOIRE, enlevé du sénat, par ordre de Constance, 57,
58. — Rétabli par Julien, 59. — Enlevé de nouveau par Gratien , ibid. —
Requête de Symmaque pour le rétablissement de cet autel , 57, 58, 59, etc.
— Cette requête est combattue par S. Ambroise , 60, 61 . — Les empereurs
Gratien etValentinien II n'ont aucun égard à cette requête, ibid. — Leur
fermeté, sur ce point, est imitée par Théodose, 64.
758 TABLE DES MATIÈRES.
BALE (concile de). Ses décrets en matière temporelle autorisés par le con-
sentement des princes , 580, etc.
BARCELONE (conciles de). Dispositions du Ier concile de Barcelone (en 540)
sur les effets temporels de la pénitence publique , 401 . Dispositions du
IIe concile (en 599) sur le même sujet, ibid.
BARONIUS , cardinal . Assertion inexacte de cet auteur sur l'état des immu-
nités ecclésiastiques sous les empereurs chrétiens, 152, 153. — Cette as-
sertion durement relevée per Bingbam , ibid., note.
BASILIQUE CONSTANTINIENNE. Son origine, 106, note. — Ornements dont
elle fut enrichie par Constantin, 106, etc.
BÉCANCELDE (concile de) en Angleterre, en 694. Sa doctrine sur la distinc-
tion des deux puissances, 523.
BELLARMIN, cardinal, exagère la sévérité du droit romain contre les hé-
rétiques, 75, note. — Son sentiment sur l'origine des immunités ecclé-
siastiques, 154. — Il paraît être l'auteur, ou du moins le principal dé-
fenseur de l'opinion théologique du pouvoir indirect de l'Eglise sur les
choses temporelles, 328, note; 743, lk%, texte et notes. (Voyez Puis-
sances.) — Son traité De Romano Pontifice , mis à l'Index par le pape
Sixte V, en est retiré par le pape Urbain VII, 743 , note.
BÉLUS. Richesses de son temple à Babylone, 709.
BËNÉVENT (duché de). Les habitants de ce duché manifestent l'intention de
se mettre sous la protection du roi de France , par l'entremise du pape
Etienne II, 254 , note. — Comment Charlemagne a pu disposer de ce du-
ché, avant d'en avoir fait la conquête, 253.
BERNADOTTE, d'abord maréchal de France, puis roi de Suède. (Voyez
Suède.)
BERNARD (saint). Sa doctrine sur le pouvoir de l'Église dans l'ordre tem-
porel, 547, elc. — Bossuet et Fleury l'expliquent dans le sens modéré du
pouvoir directif, 571 et 572. — En quel sens il emploie V allégorie des
deux glaives, 547 — Bossuet suppose à tort que S. Bernard est le premier
qui l'ait employée, 551 , note. — En quel sens il attribue au Pape le droit
de disposer des royaumes et des empires, 549, etc.
BERNARDI, académicien. Comment il explique l'origine et les progrès du
pouvoir temporel du clergé, au moyen âge, 394.
BERNE IED ( Paul ) , auteur contemporain de Grégoire VII, suppose, comme
un point de droit public universellement reconnu , le droit qu'avait alors
le Pape, de déposer les souverains , en certains cas, 486. — Il suppose
également que l'empereur qui persévérait opiniâtrement dans l'excommu-
nication , pendant une année entière, encourait la peine de déposition,
440, note.
BERTHIER (le P.), Jésuite. Son sentiment sur les grands avantages du pou-
voir temporel du clergé, en France, sous la seconde et la troisième race
de nos rois, 481.
BESANT d'or. (Voyez Monnaies.)
BEUGNOT (M.), auteur de Y Histoire de la destruction dupaganisme en Oc-
cident. — Esprit de son ouvrage, 703, 704. — Assertions hasardées de l'au-
teur sur le souverain pontificat des empereurs chrétiens, 23, note.
(Voyez Empereurs romains, Souverain pontife.)— Injustice des reproches
qu'il fait à Eusèbe, à l'occasion d'une loi de Constantin contre l'idolâtrie,
703. —Ses erreurs sur l'état du christianisme dans l'empire, sous Constantin
et ses successeurs , 49 et 60 , notes. — Il assure , bien à tort , qu'à l'époque
de la requête de Symmaque, la majorité du sénat était encore païenne,
TABLE DES MATIÈRES. 760
60, note. (Voyez Ambroise.) — Injuste reproche de cupidité qu'il fait au
clergé du ive siècle, et particulièrement à saint Ambroise, 139, note.
BIENS ECCLÉSIASTIQUES. Leur origine , dans l'usage , et les maximes de
l'antiquité sur l'union de la Religion et de l'État, 2,6, 8 , etc. ; 29, 30. —
Erreur de ceux qui refusent à l'Église et à ses ministres le droit d'acquérir
et de posséder des biens temporels , 308, note.— Principes et pratique de l'É-
glise primitive sur ce sujet, 98, etc. — Richesses de quelques Églises pen-
dant les persécutions , 101 . — Richesses de l'Église romaine en particulier,
102. — L'administration des biens ecclésiastiques, alors abandonnée aux
évêques , 35. — Accroissement des biens ecclésiastiques , depuis la conver-
sion de Constantin , 103, etc. — Libéralités de ce prince envers l'Église
romaine , ibid. — Sources de ces libéralités dans les immenses revenus de
l'empire, 111-114.— Autres sources de richesses pour l'Église : restitu-
tions; libéralités des fidèles encouragées par les lois, 114, etc. — Dîmes,
prémices, donations entre vifs et par testament, 118, etc. — La libéralité
des fidèles excitée par les exhortation des saints docteurs, 119, 120, etc.
— Ils blâment cependant les donations excessives ou indiscrètes, 122. —
Richesses des Églises patriarcales, depuis le ive siècle, 123. — Richesses
de l'Église romaine en particulier, 124. — Ses patrimoines, 125, etc. —
Précieux résultats des richesses du clergé, pour le bien de la société, 128-
134, 137, etc.— Libéralités immenses de l'Église romaine, 134, etc. —
Injustice des invectives contre le clergé sur ce sujet, 138-142.
B1NGHAM , auteur anglais de l'ouvrage intitulé : Origines et antiquitates
ecclesiasticœ . — Il attaque sans raison le récit d'Anastase , sur les libéra-
lités de Constantin envers l'Église romairfe ,110, note. — Il traite avec soin
la matière des immunités ecclésiastiques sous les empereurs chrétiens ,
144 , note. — Il relève durement une erreur de Baronius sur cette matière,
153, note.
BLASPHÈME. Origine des peines temporelles qui lui étaient infligées par la
législation de tous les États chrétiens, au moyen âge, 396.
BONIFACE VIII , pape. Examen de la bulle de ce Pape, TJnam sanctam,
569, etc. — Les plus fortes expressions de cette bulle sont empruntées à
saint Bernard et à Hugues de Saint-Victor, 571 , etc. (Voyez ces deux
articles.) — Conclusion remarquable de cette bulle, 572, 599. — Expli-
cation modérée de ce décret, donnée par Boniface V1I1 lui-même, 573. —
Sa doctrine ne favorise aucunement le système théologique du droit divin
sur le pouvoir temporel de l'Église, 574. — Pourquoi elle a été d'abord
expliquée dans un sens favorable à ce système, 574-576, texte et notes;
697 Sa bulle n'a pas été révoquée par le pape Clément V, 574.
BOSSUET. Ses principes sur l'union de la Religion et de l'État, 19, note. —
Il admire la puissance divine dans l'établissement et la conservation de la
religion chrétienne, 50,95-97. — Il admire la Providence divine dans
l'établissement de la souveraineté temporelle du saint-siége, 321. — Il
justifie la révolution arrivée en Italie , sous Grégoire II et ses successeurs,
233 et 234. (Voyez Grégoire II et Publicistes.) — Il ne paraît pas avoir exa-
miné avec soin les questions relatives à l'origine de la souveraineté tem
porelle du saint-siége, 266, note. — Il suppose sans preuve que Charle-
magne était souverain de Rome, par droit de conquête, 275, note — Il
est regardé avec raison comme le principal défenseur des maximes galli-
canes, 331 , note. — Il regarde le système de la souveraineté du peuple,
soutenu par les protestants , comme plus dangereux que celui des ultra-
montains, 671.
760 TABLE DES MATIÈRES.
D'où vient la sévérité avec laquelle il blâme quelquefois la conduite des
souverains pontifes, dans sa Défense de la Déclaration , 640, 697. —Il
admet au fond \e, pouvoir directifde l'Église et du Pape en matière tem-
porelle, 514, etc. — Il ne rejette pas le sentiment qui explique la conduite
des Papes envers les souverains, au moyen âge, par le droit public alors
en vigueur, 333. — Il reconnaît expressément les droits de suzeraineté
du saint-siége sur plusieurs États, 639. — Il ne nie pas que le Pape n'ait
1 eu quelque droit semblable sur l'empire romain-germanique, ibid. — Il
reconnaît la persuasion générale du moyen âge , sur les effets temporels de
l'excommunication par rapport aux souverains , 465. — Il paraît cependant
peu d'accord avec lui-même sur ce point, 445. — Il ne paraît pas avoir
saisi le véritable sens des lettres de Grégoire VII à Herman, sur l'excom-
munication du roi de Germanie (Henri IV) , 438, note. — Il suppose à tort
que plusieurs souverains excommuniés et déposés par le Pape n'ont rien
perdu de leur autorité, 460 et 465. — il reconnaît le concours des souve-
rains, dans l'établissement des effets temporels de l'excommunication au
i moyen âge ,412. — Il explique , d'après ce principe , les peines temporelles
décernées contre les hérétiques par le IIIe et le IVe concile de Latran ,
. 430, 465, 476. — Il regarde comme un fait incontestable le consentement
que donnaient les souverains à la grande influence du Pape dans les af-
faires politiques de l'Europe à l'époque des Croisades, 389.
Comment il explique l'origine et les progrès du pouvoir temporel du
clergé au moyen âge , 392 , etc. — Jugement qu'il porte sur les démêlés du
roi d'Angleterre , Henri II , avec S. Thomas de Cantorbéry, 449. — Il sup-
pose à tort que saint Bernard a employé le premier X allégorie des deux
glaives, 551, note. (Voyez Glaives.) — Son langage embarrassé sur la lé-
gitimité du serment d'allégeance , 591, note. (Voyez Serment d'al-
légeance. )
BOURSE ( Follis). Divers sens de ce mot sous Constantin et ses successeurs ,
10b, note.
BRUNEHAUT, reine de France. Privilèges accordés par S. Grégoire le Grand
aux monastères et à l'hôpital d'Autun sur la demande de cette reine et de
' Théodoric son petit-fils, 473, etc. (Voyez S. Grégoire le Grand.)
BULLES des Papes. (Voyez Alexandre VI, Boniface VIII , Paul III , Pie V,
Sixte V.)
BURKE (Edmond), auteur anglais du dernier siècle, a bien compris et ex-
primé la position du Pape à l'égard des autres souverains, 366.
CALCUTH (concile de) en Angleterre , en 787, était une assemblée mixte ,
365 — Ses dispositions sur l'élection du roi, ibid. — Sa doctrine sur la
distinction des deux puissances , 523, etc.
CALVIN. Ses principes et ceux des premiers réformateurs sur l'incompati-
bilité du pouvoir temporel avec le spirituel, dans la personne des ministres
sacrés, 308 et 633, notes. (Voyez Protestants.)
CAPITULAIRES des rois francs. — Ils étaient publiés par l'autorité des deux
puissances, 360, etc. ; 406, 522. — Ils proclament les principes du pape
Gélase et de toute l'antiquité sur la distinction et l'indépendance réci-
proque des deux puissances , 200, 521, etc. , texte et notes. — Étroite
union qu'ils établissent entre la Religion et l'État , 360, etc. ; 477, note.
— Leurs dispositions sur les effets temporels de la pénitence publique,
404, etc. — Leurs dispositions sur les effets temporels de l'excommuni-
cation, 414.
CAPITULATION IMPÉRIALE. Ce qu'on entend par ces mots, 359, 647, etc.
TABLE DES MATIÈRES. 761
.— Effets de ses sortes de 'conventions, ibid. ; 648. (Voyez Conditions, et
Charles V.)
CAPTIFS. Heureuse influence du christianisme sur le sort des captifs , 132.
CENTENAIRE D'OR. (Voyez Monnaies et Poids.)
CÉRÉMONIES ÉGYPTIENNES et JUDAÏQUES, proscrites sous Auguste et
Tibère, 25', 26. (Voyez Religion.)
CÉSAR (Jules) , en qualité de souverain pontife , reforme le calendrier, 21 .
CHARLEMAGNE. Le pape Adrien Ier implore son secours contre les Lom-
bards, 252. — Charlemagne se rend au désir du Pape, ibid. — Il détruit lo
royaume des Lombards, ibid. — Il confirme et augmente la donation de
Pépin, ibid. (Voyez Donation de Charlemagne.) — Le pape Léon III
implore sa protection contre les conspirateurs, 256. — Il reçoit du pape
Léon III la couronne impériale, 256 , etc. (Voyez Léon III ) — Dissimula-
tion attribuée en cette occasion à Charlemagne, par quelques auteurs mo-
dernes, 257, note. — Éclaircissements sur quelques circonstances de son
sacre, 723. — Étendue et limites de son empire, 260, note. — Ses titres
de Patrice et à' Empereur ne lui donnaient pas la souveraineté de Rome,
276, etc.; 280, etc.; 297, etc. (Voyez Patrice, Empereur.) — Il n'était
pas souverain de Rome par droit de conquête, 275, 615, 616. — Il ne dut
son titre (Y Empereur qu'à l'élection du Pape, 615, etc — Son testament
dressé, en 806, dans la diète de Thionville, 281, 616, etc. —Conséquences
de cet acte relativement à la souveraineté de Rome , à cette époque, ibid.
— Autres conséquences de cet acte relativement au droit qu'avait le Pape
de choisir l'empereur d'Occident, 616, etc. — Autre testament de Charle-
magne en 811, 301, etc. — Cet acte ne suppose pas la souveraineté de
Charlemagne dans Rome , ibid. Monnaies frappées à Rome sous son
règne, 258,305, etc. — Elles ne supposent pas qu'il fût souverain dans
cette ville, 305, etc. — Sa politique et celle de ses successeurs dans l'éta-
blissement des seigneuries ecclésiastiques , 385. — Il associe à l'empire
son fils, Louis le Débonnaire , avec le consentement du Pape, 494, 622. —
Ses Capitulaires. (Voyez ce mot.)
CHARLES D'ANJOU, frère de S. Louis, accepte le royaume de Sicile qui lui
était offert par le Pape , 483.
CHARLES LE CHAUVE, empereur. Le pape Adrien II lui promet l'em-
pire, 467, 495, 620.— Il est couronné empereur par le pape Jean VIII,
et reconnu par les seigneurs de Lombardie, 495, 620, etc. — Sa requête
au concile de Savonières en 859, 466, 478, 516.
CHARLES LE SIMPLE, roi de France. Lettre que lui écrit Foulques de Reims,
pour le détourner de faire alliance avec les Normands, 478, note.
CHARLES MARTEL est appelé au secours de l'Italie par Grégoire III, 230.
(Voyez Grégoire III.)
CHARLES V (empereur). Capitulation impériale que les électeurs lui font
signer, à l'époque de son élection, 359, 647, etc. (Voyez Capitulation ,
Conditions.)
CHEVELURE. L'usage des Lombards, sur ce point, différent de celui des Ro-
mains et des Grecs, 253 et 254, note. — Espèce de tonsure en usage
chez les Francs et les Lombards, comme signe d'alliance et d'adoption, ibid.
— La longue chevelure, marque distinctive des princes de la maison
royale, chez les Francs, 413, texte et note.
CH1LDEBERT II, roi de France. Constitution de ce prince, qui attache à
l'excommunication la perte des droits civils, 413.
CHILDÉR1C III, est déposé et renfermé dans un monastère, 215. (Voyez
762 TABLE DES MATIÈRES.
Pépin le Bref et Zacharie. ) — Est-il vrai qu'il ait abdiqué de son plein
gré? 734, note.
CHRISTIANISME. (Voyez Religion chrétienne.)
CICÉRON. Ses principes sur l'union de la Religion et de l'État, 5. — Ses
doutes sur l'immortalité de l'âme, 19.
CLÉMENT V, pape. Ses démêlés avec l'empereur Henri VII, sur la dépen-
dance de l'Empire à l'égard du Pape, 505, etc. — Il n'a pas révoqué la
bulle de Boniface VIII, Unam sanctam, 574.
CLÉMENT VI, pape, confirme la sentence d'excommunication et de dé-
position, portée par Jean XXII, contre Louis de Bavière, 499.
CLÉMENT VII, pape, excommunie le roi d'Angleterre Henri VIII, 584.
CLERGÉ". Ses vertus éminentes! pendant les persécutions, 31, etc. — Com-
bien il était respecté des fidèles, et même des païens , 38. — Permanence
de ses vertus depuis la conversion de Constantin, 38, etc. — Aveux re-
marquables de Julien , sur ce point, 40.
Biens et richesses du clergé sous les empereurs chrétiens, 98, etc.
( Voy. Biens Ecclés. ) — Le pouvoir temporel du clergé n'est pas incom-
patible avec le caractère et les fonctions des ministres sacrés, 307 et
308, texte et notes. — Origine de ce pouvoir, dans l'usage et les maximes
de l'antiquité, sur l'union de la Religion et de l'État, 29, 30, 191. (Voyez
Religion. ) — Nouveaux motifs de ce pouvoir, dans les services rendus à
l'État par le clergé , soit avant, soit depuis la conversion de Constantin ,
30, 42, elc, 191, 392. — Ses immunités, et s& juridiction , dans l'or-
dre temporel , sous les empereurs chrétiens, 166, etc. (Voyez Immunités,
Juridiction. ) — Son influence dans l'administration civile, 176, etc. —
Attributions des évêques en général , ibid. — Ces attributions beaucoup
plus étendues en Occident, sous la monarchie des Lombards , 180, etc.
— Ils sont chargés, depuis ce temps, de la défense des villes, 181. — Attri-
butions des patriarches , depuis le ive siècle, 181 , etc.
Influence du clergé dans les affaires publiques, d'après la nature même
des gouvernements du moyen âge, 360, etc. — Cette influence réclamée
alors par l'intérêt général de la société, 373, etc.; 384, 392, etc. ; 480, etc.
— Tendance des gouvernements modernes à restreindre le pouvoir et
l'influence du clergé, vu, 743, texte et note.
CODE CAROLIN. Objet de ce recueil; ses principales éditions , 231, note.
CODE JUST1NIEN. ( Voyez Droit romain. )
CODE THÉODOSIEN. (Voyez Alaric II, et Droit romain.)
COMMUNAUTÉS ECCLÉSIASTIQUES. Leur origine, en Orient et en Occi-
dent, 38. — Leur propagation, en France et en Espagne, depuis le ive
siècle, 39. (Voyez saint Augustin et saint Eusère de Verceil. )
COMMUNES ou RÉPUBLIQUES au moyen âge, 279, note.
COMP1ÈGNE ( concile de ), en 833. La cause de Louis le Débonnaire y est
examinée, 406. — Ce concile n'a pas proprement déposé l'empereur, ibid.,
texte et note.
CONCILES. Principes pour l'explication de leurs décrets en matière tempo-
relle, sous les empereurs chrétiens , 171 — Plusieurs conciles du moyen
âge étaient des assemblées mixtes, ecclésiastiques et civiles tout en-
semble , 360, 363, 364, 522, etc. ; 527, texte et notes. — Ils n'ont jamais
enseigné ni supposé l'opinion théologique du droit divin , sur le pou-
voir temporel de l'Église, 519, etc. (Voyez Église, Puissances. ) — Les
quatre premiers conciles généraux , confirmés par l'autorité des empe-
reurs , 65. — Ces quatre conciles placés, par Justinien, parmi les lois de
TABLE DES MATLEBES. 76$
l'empire, ibid. — Conciles de Latran, de Tolède, de Lyon , de Bâle,
de Constance, etc. (Voyez ces derniers mots ).
CONDITIONS mises à l'élection des souverains , dans les monarchies élec-
tives, 335 , note ; 342. — Légitimité de ces conditions , ibid. ; 358 , etc.;
606. — Effets de ces conditions, ibid. — Conditions mises à l'élection
des rois d'Espagne, au vne siècle, 93, 605, etc. (Voyez Serment de ca-
tholicisme.) — Conditions mises à l'élection du roi en France, sous la pre-
mière race, 733. — Conditions mises à l'élection de l'empereur d'Occi-
dent, 486, 647, etc. — Condition de catholicisme mise à l'élection des
souverains au moyen âge, 335, etc.; 342, 360, 603, etc.; 649, 747.
— Cette condition encore imposée à l'empereur , au xvie siècle, 647 , etc.
— Conséquence de ces conditions, relativement à la déposition des sou-
verains, 190, 603, etc.
CONSTANCE (concile de). Ses décrets en matière temporelle, autorisés
par le consentement des princes, 580, etc. — Il condamne la doctrine du
tyrannicide, 593, note. (Voyez Tyrannicioe. )
CONSTANCE et CONSTANT, fils de Constantin, imitent sa conduite modérée,
à l'égard des païens, 56. — Ils interdisent tout exercice de l'idolâtrie,
57, 702 L'empereur Constance fait enlever du sénat Vautel de la Vic-
toire, 57. — Ses lois contre les Juifs, 81. — Il protège l'arianisme, 95.
CONSTANTIN le Grand. Il divise les provinces de l'empire en quatre pré-
fectures, 44, note. — Il restreint les attributions des préfets duprétoire,
ibid. — Sincérité de sa conversion au christianisme, 49. — Ses premiers
édits en faveur de la religion chrétienne, 51. — Son application à décré-
diter l'idolâtrie, 53. — Ses édits contre la divination secrète, 55 — Sa
conduite modérée à l'égard des païens, 56. — Il publie , vers la fin de sa
vie, une loi qui ordonne de fermer tous les temples, et de cesser tout
exercice de l'idolâtrie, 56, 57, 701, etc. — Il tolère cependant l'exercice pu-
blic de l'idolâtrie, pendant toute la durée de son règne, 55, 56, 700, 701.
Il confirme le concile de Nicée, 65. — En quel sens il se disait Yévêque
du dehors, 73. — Il est séduit par les Ariens vers la lin de sa vie, 95. —
Il applique à la religion chrétienne et à ses ministres , les honneurs et les
prérogatives dont jouissait autrefois la religion païenne, 29, 30, 115,
texte et note. — Sa lettre à Ablave, gouverneur d'Afrique, sur les raisons
qui l'obligent à protéger la religion chrétienne, 68. — Sa lettre à Anulin ,
sur le môme sujet, 143. — Ses lois en faveur de la religion chrétienne,
51, etc. ; 66, 102, 115. — Ses lois contre les Juifs, 80. — Il accorde à leurs
chefs certaines immunités, 82. — Ses lois contre les hérétiques , 83, 84.
Libéralités de ce prince envers les églises, 103, etc.— Ses libéralités envers
l'Église romaine en particulier, 105, 705, etc. — Sources de ces libéralités ,
111, etc. — Ses lois en faveur des affranchissements, 133. — Ses principes
sur l'importance des immunités ecclésiastiques , 165, etc. — Étendue de
la juridiction ecclésiastique, sous son règne, 166, etc. — Loi adressée à
Ablave sur ce sujet, 167. — Cette loi est-elle authentique? ibid. — Sa do-
nation prétendue à l'Église romaine. (Voyez Donation nE Constantin.)
CONSTANTIN Copronijme vit en bonne intelligence avec le pape Zacharie,
234, etc. — Il donne de nouveaux patrimoines à l'Église romaine, 235.
CONSTANTINOPLE. Constantin en bannit absolument l'exercice de l'idolâ-
trie , 54. — Ses nombreux hôpitaux , sous les empereurs chrétiens, 132.
— Ses immunités particulières, 150.
CONSTITUTION des gouvernements du moyen âge. (Voyez Gouverne-
ment.)
764 TABLE DES MATIÈRES.
CONSUL , CONSULAT. En quoi consistait cette dignité dans le Bas-Empire,
232, note — Sens de ce titre , donné à Clovis par l'empereur Anastase,
726. — Nature du consulat offert à Charles Martel par le pape Gré-
goire III, 232, note.
CONTINENCE des clercs. Discipline de l'Église primitive sur ce point ,
34, 35.
CONTRIBUTIONS. ( Voyez Immunités. )
COQUEREL, auteur protestant, reconnaît les grands avantages que la so-
ciété a retirés du pouvoir temporel des Papes , au moyen âge, 693.
CORSE (île de). Comment Charlemagne a pu disposer de cette île avant
d'en être le maître, 2
CROISADES. Leur apologie, 388 et 389, note. — Elles augmentent l'in-
fluence du Pape dans les affaires politiques de l'Europe , 388, etc. ; 564.
— Services rendus à l'Europe par les Papes à l'époque des croisades,
388,395,566,692.
CULTE. ( Voyez Religion. )
CYRILLE (saint) , patriarche d'Alexandrie. Son pouvoir temporel ,182. —
Usage qu'il fait de ce pouvoir contre les hérétiques et contre les Juifs,
183, etc. ( Voy. Paraiiolains. )
DALMAT1E (royaume de). Fief du saint-siége sous Grégoire VII, 387
Origine de cette dépendance féodale, ibid. , note.
DANIEL (le P.), Jésuite, adopte quelquefois trop légèrement les jugements
sévères de quelques auteurs modernes, contre la conduite des Papes du
moyen âge, vu, 367, note. — Sa méprise , relativement à la conduite de
Lothaire Ier à Rome, en 82 4, 304, note.
DAUNOU, auteur de f Essai historique sur la puissance temporelle des
Papes. — Esprit de cet ouvrage , 750 , texte et notes — Aveux remar-
quables de l'auteur , sur l'origine de la souveraineté temporelle du saint-
siége, 319. — Il est peu d'accord avec lui-même, dans ses jugements sur
les Papes du vnie siècle, 274. — Ses malignes imputations contre le saint-
siége , et particulièrement contre le pape Pie VII, 749, etc.
DECAMPS (François), auteur de plusieurs Dissertations curieuses sur l'his-
toire de France, 735, note. — Son opinion singulière sur le titre d'em-
pereur donné à Charlemagne par le pape Léon III, 725. — Il admet l'o-
rigine commune des trois races de nos rois, 735, note.
DÉCRÉTALES. Époque présumée de la publication des fausses Décrétales,
713, 717, 720. — Leurs principales éditions , 713, note.
DÉFENSEUR. Différents sens de ce mot dans les auteurs ecclésiastiques ,
152, 177, notes; 276, etc. ( Voy. Patrice. )
DE GÉRANDO. Ses erreurs concernant l'origine des hôpitaux, et l'influence
de la religion chrétienne dans leur établissement , 129, note.
DÉLITS contre la religion, sévèrement punis, de tout temps, chez les
peuples anciens , 4,6,9, 12 , etc. ; 24 , etc. — Raisons de cette sévérité ,
1, 2,67-69. — Cette sévérité approuvée par les plus célèbres publicistes
anciens et modernes, 4, 25, 69, 70, 71 — Peines temporelles, décernées
par les empereurs chrétiens, contre les transgresseurs des lois de l'Église,
67. — Motifs de ces édits, 67-71, 87, 90— Modération à observer dans
l'application des lois pénales en cette matière, 74-76, 157, etc. — La sévé-
rité du droit romain, sur ce point, non approuvée par l'Église, 77. — Rai-
sons de cette sévérité, 77, 78. —Elle était bien adoucie dans la pratique,
78, 79. — Peines temporelles infligées par les tribunaux ecclésiastiques,
TABLE DES MATIÈRES. 765
sous les empereurs chrétiens, 173. — La sanction des peines temporelles,
ajoutée aux lois divines et ecclésiastiques , dans les anciens gouverne-
ments, était une conséquence naturelle de l'union des deux puissances,
46, etc.; 67, etc.; 395, etc. (Voyez Excommunication , Hérésie , Puis-
sances, Religion. )
DELPHI S. Richesses prodigieuses de son temple ,9, 10, 708, 709.
DE MAISTRE ( le comte ). Ses principes sur l'usage de la puissance tempo-
relle en matière de religion, 70, 71, 78. — Sur l'ancien usage de brûler
les hérétiques, ibid. — Comment l'auteur explique la conduite des souve-
rains pontifes qui ont autrefois déposé des princes temporels , 339, etc.
— En quoi son sentiment diffère de celui de Fénelon , 343. ( Voyez Droit
public, Fénelon. ) — Difficultés que présentent quelques-unes de ses preu-
ves, 344 et 602, note. — Il explique et justifie les principes et la conduite
des Papes, au moyen âge, dans leurs démêlés avec les empereurs d'Al-
lemagne, 662 , etc. ; 680, etc. — Il préfère la théorie politique du moyen
âge à toutes les théories modernes, 667, etc. — Il justifie l'application
que les Papes en ont faite , 673, 679, 689, etc. —Comment il explique les
décrets du saint-siége , qui partagent entre les rois d'Espagne et de Por-
tugal, des pays nouvellement découverts, 580.
DENIER ROxMAIN. ( Voyez Monnaies. )
DÉPOSITION DES PRINCES. (Voyez Conditions, Excommunication, Hé-
résie , Serment. )
DIACONIE. Divers sens de ce mot, dans les auteurs ecclésiastiques, 136, 174,
note. .
DICTATUS PAP£. Ces maximes sont-elles de Grégoire VII? 535, note. —
Leur explication , ibid.
DIDIER, roi des Lombards, se ligue avec l'empereur de Constantinople
contre le pape Paul Ie1', 248. — Charlemagne l'oblige à quitter sa cou-
ronne, et à se retirer dans un monastère , 252.
DIMES, OFFRANDES et PRÉMICES. Leur origine dans l'usage et les
maximes de l'antiquité, môme païenne, 7,8, 12, 100. — Leur établis-
sement dans l'Église primitive, 100, 118, etc. — En quel sens elles sont
de droit naturel , et en quel sens de droit positif, 101 , note.
D10SCORE, patriarche d'Alexandrie. Son pouvoir temporel; usage qu'il en
fait, 185, etc.
DIPLOMES de Louis le Débonnaire, d'OraoN 1er, et de Henri II, en faveur
de l'Église romaine. (Voyez Henri II, Louis, Othon. )
DISPENSE DU SERMENT ( Voyez Serment. )
DIVINATION SECRÈTE, défendue par les lois de Romulus, 14. — Cette dé-
fense renouvelée par Constantin et ses successeurs, 55, etc.
DOGME. Différence entre un dogme catholique et une pure opinion , 331,
520, etc. — La nouveauté d'une opinion ne suffit pas pour la rejeter, ibid.
— Application de ces principes à la controverse relative au pouvoir de
l'Église et du Pape sur les choses temporelles , ibid., 553, 593 , 598, etc.
— Les raisons apportées à l'appui d'un dogme, n'appartiennent pas tou-
jours à la foi , 599, note.
DOMAT. Ses principes sur l'usage de la puissance temporelle en matière de
religion ,69 Notions qu'il donne du droit public et du droit privé,
600, etc.
DONATION. — I. Donation de Constantin. Anciens auteurs qui l'ont
citée, 197, 713, etc.— Sa fausseté, 198, 715, etc.— A quelle époque,
et par qui elle a été fabriquée, 717, etc. — D'où vient qu'elle a joui,
766 TABLE DES MATIÈRES.
pendant plusieurs siècles, d'un si grand crédit, 722. — Les résultats de
l'erreur du moyen âge, sur ce point, exagérés par plusieurs auteurs
modernes , ibid. — Cette donation est , selon quelques anciens au-
teurs , le premier fondement de la puissance temporelle du saint-siége ,
512 et 741, texte et notes. — Fausseté de cette opinion, 308, 517, 718-
721. — Conjectures malignes et invraisemblables de quelques auteurs mo-
dernes, sur l'origine de cet acte, 721.
II. Donation de Pépin à l'Église romaine, 237, etc. ; 243, etc. — Authenticité
de cet acte, 244, note. — Cette donation est ratifiée par Astolplie, roi des
Lombards, 243, etc., texte et note. — Cette donation était au fond une
véritable restitution , 240, 245, 615. — Objet de cette donation : villes
et territoires qu'elle renfermait, 245. — Réclamations inutiles de l'em-
pereur contre cet acte, 246. — Résultat de cette donation, relativement
à la souveraineté temporelle du saint-siége, 247, 272, etc. — Elle est con-
firmée et augmentée par Charlemagne , 252. —Légitimité des donations
de Pépin et de Charlemagne, 311, 318.
III. Donation de Charlemagne à l'Eglise romaine, 252. — Son authen-
ticité, 253, 254. — Elle confirme et augmente la donation de pépin, 252.
— Comment Charlemagne a pu faire entrer dans cette donation, des
villes et territoires dont il n'était pas encore maître, 253.— Cette dona-
tion, comme celle de Pépin, était au fond une véritable restitution, 254,
615. — Possessions du saint-siége avant les donations de Pépin et de Char-
lemagne , 255, note. ( Voyez Patrimoines. )
IV. Donation de la comtesse M althilde au saint-siége, 261.
DRAGME. (Voyez Monnaies. )
DROIT D'ASILE. (Voyez Asile. )
DROIT DE SAXE. ( Voyez Droit germanique. )
DROIT DE SOUARE. (Voyez Droit germanique. )
DROIT GERMANIQUE, rédigé au xme siècle , d'après les anciennes Cou-
tumes de V Empire, 418, note; 626. — Deux rédactions différentes de ce
droit, 626. — Différence entre les deux rédactions relativement , au pou-
voir de l'Église et du Pape sur le temporel, 627, note; 741, etc.— Subor-
dination de la puissance temporelle envers la spirituelle, dans l'un et
l'autre texte de ce droit, 626, etc. ; 645. — Dispositions de ce droit , re-
lativement aux effets temporels de l'hérésie et de l'excommunication ,
418, etc. ; 437-442. — Ses dispositions, relativement à l'élection de l'em-
pereur, 628. — Trois cas déterminés par ce droit, où l'Empereur peut
être excommunié par le Pape, ibid. — Conséquences de cette excom-
munication, d'après les anciennes lois de l'empire, 629. — La peine de dé-
position prononcée par les mêmes lois, contre les princes hérétiques , 630.
DROIT PUBLIC. Ce qu'on entend par droit public et par droit privé ,
599, 600 Comment l'un et l'autre se connaissent, 600, etc. — Expo-
sition du sentiment qui explique, par le droit public du moyen âge, la
conduite des Papes qui ont autrefois déposé des souverains, 335, etc.
Preuves de ce sentiment , 518, 601 , etc. ( Voyez Conditions , Serment. )
Il peut absolument se concilier avec le système théologique du droit divin,
340, note. — Examen des principales difficultés qu'on peut opposer à ce
sentiment , 631, etc. — Pourquoi les Papes invoquent , à l'appui de leurs
sentences de déposition, le pouvoir divin de lier et de délier, 338, 535,
567, 631, etc. — Pourquoi ils ne font aucune mention du droit public, dans
ces mêmes sentences, 631. — Ce droit public est-il en opposition avec
l'esprit de l'Évangile? 633, etc. —Disposition générale, de nos jours, à re-
TABLE DES MATIÈRES. 767
connaître ce droit public , xi , etc. , texte et notes; 643 , etc. —Le droit
public du moyen âge, sur ce point, maintenu par la constitution de
plusieurs États modernes , 647, etc. — Vestiges de cet ancien droit , dans
la constitution de plusieurs États protestants, 656, etc. — Différence
entre le droit moderne de ces États et celui du moyen âge , 657, etc.
Conséquences de ce droit public , contre les déclamations d'une foule
d'auteurs modernes sur la conduite des papes et des conciles du moyen
âge , 695. — Pourquoi ces déclamations ont été si facilement répétées par
des écrivains catholiques, 496.
DROIT ROMAIN. Dispositions remarquables de l'ancien droit romain, sur
la religion, avant l'établissement du christianisme, 13-26. — Ses princi-
pales dispositions en faveur de la religion chrétienne, depuis la conversion
de Constantin , 51 , etc. ( Voyez Constantin , Constance et leurs succes-
seurs. ) — Dispositions sévères de ce droit contre les délits de l'impiété.
(Voyez Délits.) — Lois contre les Juifs , 80-83. (Voyez Juifs. ) — Lois
contre les hérétiques et les apostats, 82-91. —Le droit romain , suivi ,
sur ce point, dans tous les États chrétiens , au moyen âge , 91-95. — Ses
principales dispositions relativement aux. immunités et à la juridiction
ecclésiastiques, 144, etc. ; 166, etc. — Attributions du clergé dans l'ad-
ministration civile, d'après ce droit, 45, 176, etc. ( Voyez Immunités, Ju-
ridiction. )
DUBOS (l'abbé). Son sentiment sur les grands avantages du pouvoir tem-
porel du clergé, en France, sous la seconde et la troisième race de nos
rois, 481.
DUCHÉ DE ROME. (Voyez Rome.)
DUPIN (Ellies), docteur de Sorbonne. Son Traité historique des ex-
communications, 411, note. — Hardiesse et témérité de cet auteur, ibid.
DUPUY, auteur du Traité de la juridiction criminelle. — Aveux remar-
quables de cet auteur sur l'origine dn pouvoir temporel du clergé, 43.
ÉDIT DE NANTES. Henri IV, par cet édit, accorde aux protestants l'exer-
cice public de leur religion, 655. Il est révoqué par Louis XIV, et remis en
vigueur par Louis XVI , 655.
EDOUARD (saint), roi d'Angleterre. Loi de ce prince, qui déclare privé de
son titre de roi, le monarque rebelle envers Dieu et envers l'Église,
607, etc. — Authenticité de cette loi; son véritable sens , 609. — Alté-
ration du texte de celte loi dans l'édition de Houard , 607 , note.
ÉGLISE. Merveille de sa conservation, 95-97. — Nature et esprit de son gou-
vernement, 33, 34, 37. — Il n'était pas démocratique dans les premiers
temps ; erreurs de Mosheim et de M . Guizot sur ce point, 33, note. — L'Église
seule peut régler les objets de l'ordre spirituel , 72*74. — Les princes ne
peuvent rien statuer sur ces objets, sinon pour appuyer les lois de l'É-
glise , 66, note ; 73. ( Voyez Puissances. ) — Lois de l'Église, confirmées
par les édits des empereurs chrétiens , 64, etc. — Soumission de l'Église
aux lois même les moins favorables à ses immunités, 150, etc. — Elle
n'a pas approuvé certaines dispositions sévères du droit romain contre
les hérétiques, 77.
Pouvoir directif de l'Église et du Pape sur les choses temporelles ,
336, etc. ; 513, etc. ; 533, etc. — En quoi il diffère du pouvoir de juri-
diction, admis par les défenseurs de l'opinion théologique du droit di-
vin) ibid., 338, 746. — Le pouvoir directif est admis sans difficulté,
même par les théologiens opposés à l'opinion du droit divin, 338 , note;
514, etc. — Les conciles et les Papes n'ont jamais enseigné ou supposé,
768 TABLE DES MATIÈRES.
dans leurs décrets , l'opinion théologique du droit divin, 519, etc.;
553, etc. ; 5S8, etc. (Voyez Puissances. )
ÉGLISE ROMAINE. Ses richesses pendant les persécutions, 102. — Libéra-
lités de Constantin envers cette Église, 105, etc. — Accroissement des ri-
chesses de l'Église romaine, sous les empereurs chrétiens, 124.— Ses pa-
trimoines, 125, etc. — Ses immenses libéralités, 134, etc.; 195. (Voyez
Patrimoines , Pape. )
ÉGYPTIENS. Leur respect pour la religion, 7. (Voyez Religion. )
E1CHORN (Frédéric), professeur d'histoire à l'université de Gottingue. Il
explique la conduite des Papes envers les souverains, au moyen âge , par le
droit public alors en vigueur, 644, etc. — Ses variations sur ce point,
645 et 646, note.
ÉLECTEURS DE L'EMPIRE. Leur origine, 624, texte et note. — Leur in-
stitution n'empêche pas le Pape de conserver une grande part à l'élection
de l'empereur, pendant toute la suite du moyen âge, 624, etc. (Voyez Em-
pire , Pape. )
ÉLECTIONS. Comment se faisait celle des évêques pendant les premiers
siècles de l'Église, 33. — Erreurs de Mosheim et de M. Guizot sur ce point,
ibid., note. — Comment se faisait l'élection des clercs , 33. — Influence
du patriarche de Constantinople dans l'élection de l'empereur depuis le
ve siècle, 187, etc. — Serment exigé de l'empereur élu , ibid.
ÉLÉONORE, reine d'Angleterre, écrit au pape Célestin III, pour obtenir la
délivrance de son fils Richard Ier, 451 , 468. — Importance de cette lettre,
pour établir la persuasion alors établie en Angleterre, sur les effets tem-
porels de l'excommunication, par rapport aux souverains, ibid.
ELISABETH, reine d'Angleterre, est excommuniée et déposée par le pape
Pie V, 587, etc. (Voyez Pie V.) — Ses efforts pour obtenir la révocation de
cette sentence, 650. — Les catholiques anglais invoquent , à l'appui de
cette sentence , l'ancienne jurisprudence de ce royaume, qui excluait du
trône les princes hérétiques, 649, 752. — Ouvrages à consulter sur la con-
troverse relative aux droits d'Elisabeth à la couronne d'Angleterre, 752.
ÉMERY (l'abbé), supérieur-général de la compagnie de Sainl-Sulpice, combat
les prétentions de Napoléon sur les États du saint-siége , 255, note. — Il
lui fait sentir l'importance de la souveraineté temporelle du saint-siége ,
323-324.— Il admire la modération avec laquelle Leibniz juge la con-
duite des Papes au moyen âge, à regard des souverains, 646.
EMPEREURS.— I. Empereurs romains. — Auguste et ses successeurs joignent
le titre de souverain pontife à la dignité impériale, 22. — Constantin et
ses successeurs, jusqu'à Gratien, conservent ce titre, sans en exercer les
fonctions, 22-23. — Conduite modérée des premiers empereurs chrétiens à
l'égard des païens, 56, etc. — Ils confirment , par leurs édits , les lois de
l'Église, 64, etc. — Plusieurs d'entre eux protègent les hérétiques , 95. —
Ils appliquent à la religion chrétienne et à ses ministres les honneurs et
prérogatives autrefois accordés à la religion païenne , 29-30 ,115, texte
et note. — Accroissements qu'ils donnent au pouvoir temporel des Papes,
depuis le ive siècle. (Voyez Pape.) — Influence du patriarche de Constan-
tinople dans l'élection de l'empereur, depuis le ve siècle, 187, etc. —
Serment exigé de l'empereur élu , ibid- — Conduite imprudente des em-
pereurs de Constantinople à l'égard de l'Italie et du saint-siége , au
Yine siècle, 212. — Résultats de cette conduite: révolution en Italie
sous Grégoire II, 213, etc. — Divers sentiments sur l'époque à laquelle
l'autorité de l'empereur fut anéantie à Rome et dans l'Exarchat , 261 ,
TABLE DES MATIERES. 769
263 , etc. — D'où vient l'obscurité de cette question, 262. — L'autorité
de l'empereur définitivement anéantie dans le duché de Rome et dans
l'Exarchat , depuis la Donation de Pépin, 271-272, etc. ; 291 , etc. ( Voyez
Pape.) — Réclamations et efforts inutiles de l'empereur de Constantinople
contre cette donation, 246 , 248. ( Voyez Donation de Pépin. )
II. Empereuhs d'Occident. Sens et importance du titre tf empereur ,
donné à Charlemagne par le pape Léon III, 282, 289, 725, etc. — En quel
sens les rois de France, et quelques autres princes, ont porté ce titre
avant Charlemagne, ibid. — Ce titre ne donnait point à Charlemagne, ni à
ses successeurs, la souveraineté de Rome, 280, etc. ; 297, etc. — Préten-
tions des empereurs sur l'Italie, 662. — Condition imposée aux empe-
pereurs dans leur élection , 486, 647, etc. ( Voyez Conditions.) — D'après
l'usage et le droit public de l'empire, l'empereur élu ne prenait ce titre
qu'après avoir été couronné par le Pape, 434, note; 496,506, note;
624, etc. — Ancien usage des empereurs, de remplir auprès du Pape les
fonctions d'ccuyer, 627, texte et note.
EMPIRE ROMAIN. Sa déplorable situation sous les premiers empereurs
chrétiens, 31, 68. — Puissantes ressources que lui offrait la religion chré-
tienne , ibid. — Elle le soutient contre les ennemis du dehors, 41, etc.
— Ses immenses revenus, avant le règne de Constantin, 111, etc
Étrange abus qu'en faisaient plusieurs empereurs païens, ibid. — Louable
usage qu'en fit Constantin, ibid.
Sftuation déplorable de l'empire, en Occident, depuis le ive siècle, 194,
203. — Cette situation s'aggrave de plus en plus, depuis l'établissement de
la monarchie des Lombards, 204, etc.— V empire d'Occident est renouvelé
par le pape Léon 111, dans la personne de Charlemagne, en 800 ; 256, etc.
— Par ce renouvellement , l'empire ne fut pas proprement transféré des
Grecs aux Français , 281 , note.
Le nouvel empire d'Occident, électif dès le principe, et jusqu'à nos
jours, 355, 615, etc. — Conditions mises à l'élection de l'empereur, 486.
(Voyez Conditions.) — Droits du Pape relativement à cette élection, 434.
(Voyez Pape.) — L'empire est transféré des Français aux Allemands par
l'autorité du Pape , 623 , etc. — Persuasion générale, au moyen âge, sur
la dépendance particulière de l'empire à l'égard du Pape, 484, etc.
Cette persuasion partagée par les souverains , et par les empereurs eux-
mêmes , 491, etc. ; 494, etc. ; 507, etc. — Variations de quelques empe-
reurs à ce sujet , 508-509. — Cette persuasion n'a pas été introduite par
Grégoire VII, 509 — Fondements de cette persuasion, 614, etc. — En quel
sens l'empire était autrefois regardé comme un fief du saint-siége, 434,
484, etc. ; 625, etc. — Discussion à ce sujet, entre Frédéric Ier et Adrien IV,
503, etc. (Voyez Droit germanique, Électeurs.)
ERVIGE. (Voyez Vamba.)
ESCLAVAGE. Heureuse influence du christianisme sur le sort des esclaves ,
129, 132-134. — Nombreux exemples d'affranchissements, depuis la con-
version de Constantin, 133-134.
ESPAGNE (royaume d'). Sa monarchie élective sous les rois goths, 354.—
Sagesse de ses lois, 379. — Leurs dispositions sévères contre l'hérésie,
93-94. — Condition de catholicisme, mise à l'élection du roi, 93,
605, etc. — Cette condition maintenue en Espagne jusqu'à nos jours,
650, etc. (Voyez Philippe II.) — Les rois d'Espagne et de Portugal choi-
sissent le Pape pour arbitre de leurs différends sur des pays nouvellement
découverts, 576, etc. (Voyez Alexandre VI.)
49
770 TABLE DES MATIÈRES.
ÉTAT. Son étroite union avec la Religion. (Voyez Religion , Gouvernement.)
ETIENNE II, pape, implore la protection de Pépin contre les Lombards,
236, etc. (Voyez Pépin le Bref.) — Il donne à Pépin et à ses enfants le
titre de Patrices des Romains , 238. (Voyez Patrice. ) — il réclame une
seconde fois le secours de Pépin contre les Lombards, 240, etc.— Lettres
pressantes qu'il lui écrit à ce sujet : injuste critique de ces lettres par
quelques auteurs modernes, ibid— Etienne II se regarde comme souve-
rain de Rome depuis la donation de Pépin , 247, etc. (Voyez Donation.)
— Sa conduite ne suppose pas l'opinion théologique du droit divin, sur
le pouvoir de l'Église dans l'ordre temporel, 312, 531.
ETIENNE V, pape. Ses principes sur la distinction et l'indépendance ré-
ciproque des deux puissances, 523. — Il donne l'empire à Gui , duc de
Spolette,6l9.
EUPHÉMIUS, patriarche de Constantinopleau ve siècle, exige de l'empereur
Anastase le serment de conserver la foi catholique, 187, etc. (Voyez Ser-
ment. )
EUSÈBE ( l'historien ) attribue à Constantin une loi qui ordonnait de fer-
mer tons les temples, et défendait absolument l'exercice de l'idolâtrie, 56,
699. — Difficulté de le concilier sur ce point avec Libanius, ibid. , texte
et notes. — Moyens de concilier ces deux auteurs, 700, etc. — Injustice
des reproches faits à Eusèbe, sur ce point, par M. Beugnot , 703.
EUSÈBE DE VERCEIL ( saint) introduit en Occident l'usage de joindre aux
observances de la vie cléricale celles de la vie monastique, 38, 39, texte
et notes.
EUTYCHIENS. Protégés par Justinien et quelques autres empereurs, 95, 96.
ÉVÊQUES. Origine de leurs prérogatives et de leur pouvoir temporel, sous
les empereurs chrétiens. (Voyez Clergé, Religion.) — Comment ils étaient
choisis pendant les premiers siècles, 33. — Leurs vertus éminentes, 32, etc.
— Leur gouvernement paternel, 33, etc. — Leur esprit de pauvreté, 35, etc.
Leur dévouement au service de l'Église, 36. — Souvent tirés de l'état
monastique, depuis la conversion de Constantin, 38. — Plusieurs con-
servent, dans l'épiscopat, l'usage et les pratiques de la vie commune, 38.
— Leur influence souvent utile aux villes et aux provinces attaquées par les
Barbares, 42. — D'abord simples arbitres des différends pendant les per-
sécutions, 163. — Raisons de maintenir cet arbitrage sous les empereurs
chrétiens, 163, etc Étendue de leur juridiction, en matière temporelle,
sous Constantin et ses successeurs, 147, 162, etc. (Voyez Juridiction ec-
clésiastique.)— Ils deviennent alors de véritables juges, 167, 168. — Sur-
croît d'embarras occasionné aux évêques par cette juridiction, 174, etc.
— Leur influence dans l'administration civile, 176, etc; 393, note. — En
quel sens le prince est nommé Yévêque du dehors , 73. ( Voyez Puis-
sances. )
EXARCHAT , EXARQUE. Divers sens de ces deux mots dans les anciens
auteurs, 205, note; 262, note. — Exarques ecclésiastiques, 205, note. —
Exarques civils , ibid. — Établissement de l'exarchat de Ravenne, ibid.
Sa position géographique et son étendue , ibid. — Provinces soumises à
la juridiction de l'exarque de Ravenne, ibid. — Son autorité dans ces pro-
vinces, ibid. — Extinction de l'exarchat de Ravenne, 205 et 236.
EXCOMMUNICATION. En quoi elle consiste, 410, note. — Un souverain
peut être excommunié comme un simple particulier, 438, 467, 468. — Ef-
fets temporels de l'excommunication, dès l'origine du christianisme,
410, etc. — Extension de ces effets, depuis le vie siècle, 335, 413, etc. —
TABLE DES MATIÈRES. 771
Concours des souverains dans l'établissement de cette discipline , 394 ,
412, 415, etc. — Circonstances favorables à l'établissement de celte dis-
cipline, 422. — Cette discipline reconnue, en Fiance comme ailleurs, par
les hommes pieux et éclairés, 418, 420, 443, etc. — Pourquoi les excom-
munications devinrent si fréquentes', et leurs effets temporels si étendus ,
dans la suite du moyen âge, 394, 412.— Rigueur de la discipline sur ce point
avant Grégoire VII, 410.— Cette rigueur tempérée par ce pontife, 417.
La privation de toute dignité, même temporelle, attachée k l'excom-
munication, par l'usage et la persuasion universelle, dans tous les États
chrétiens de l'Europe, pendant toute la suite du moyen âge, 418, etc.;
432, etc. — Cet effet de l'excommunication , reconnu en France comme
ailleurs, sous la seconde race de nos rois, et au commencement de la
troisième, 452, etc. — Dispositions du droit germanique sur ce point,
628, etc. — Aveux remarquables de plusieurs auteurs modernes, sur le fait
de cette persuasion générale, 465, etc. (Voyez Bossuet , Fleury,Lin-
gard, etc.) — Examen de quelques difficultés sur ce point, tirées de la
conduite de plusieurs souverains, 460, etc. (Voyez Frédéric II, Henri IV,
roi de Germanie, etc.)
FACULTÉ DE LOUVAIN. Distinction de l'ancienne d'avec la nouvelle, 642,
note. — L'ancienne adoptait le sentiment de Fénelon , sur le droit public
du moyen âge, relativement à la déposition des souverains, 641 , etc. —
La nouvelle ne dit rien de contraire à ce sentiment, dans sa réponse aux
demandes de Pitt, en 1788, 642, note.
FÉNELON. Ses principes sur l'indépendance de l'Église à l'égard des princes,
en matière spirituelle , 73. — Comment il explique la conduite des sou-
verains Pontifes qui ont autrefois déposé des princes temporels, 333 , etc.
— Comment il explique en particulier la sentence d'Innocent IV contre
Frédéric II, 568. —En quoi ce sentiment diffère de celui du comte De
Maistre, 339, etc. (Voyez De Maistre, Droit publia.) — Différence entre
le sentiment de Fénelon , sur cette matière, et le système théologique du
droit divin , 338, 746, etc.
FERRAND, auteur de Y Esprit de l'histoire. — Esprit de cet ouvrage, ix,
texte et note; 689, 692.— -Il est souvent entraîné par l'autorité de Fleury,
243 et 659, note. — Il reconnaît la persuasion générale du moyen âge sur
les effets temporels de l'excommunication , par rapport aux souverains,
469. — Il reconnaît les grands avantages du pouvoir temporel des Papes à
l'époque des croisades, 692. — Prétentions excessives qu'il attribue aux
Papes du moyen âge, 661 , note; 665, etc. — Il est peu d'accord avec lui-
même, dans les reproches qu'il fait à ces pontifes, 689, — Ses exagé-
rations sur la durée de la lutte des deux puissances au moyen âge, 665,
note ; 682 , etc.
FIEFS DU SAINT-SIÈGE. (Voyez Suzeraineté.)
FLEURY (l'abbé). Observation générale sur l'esprit de son Histoire Ecclé-
siastique, xxij. — D'où vient la sévérité de ses jugements sur la con-
duite et la doctrine des Papes au moyen âge, 697. — Influence de ses
jugements sur une foule d'auteurs modernes. 242,213, 659, notes.— Exa-
men de l'évaluation qu'il fait des offrandes de Constantin à lËglise ro-
maine et à quelques autres, 705, etc. — Évaluation des 8,000 livres d'or,
trouvées par saint Jean l'Aumônier, dans le trésor de son église, 710.
Il reconnaît qu'on a beaucoup trop exagéré lesabns et les désordres du
moyen âge, 376.— Il est peu d'accord avec lui-même, dans ses jugements
49,
772 TABLE DES MATIÈRES.
sur l'influence politique du clergé au moyen âge, 364, 467, texte et notes.
Il reconnaît l'étroite union des deux puissances, dans les gouvernements
du moyen âge, 528. — Il attribue, à tort, la déposition de Vamba au xue con-
cile de Tolède, 403, noie. — Comment il explique les peines temporelles
décernées contre les hérétiques , par le iue et le ive concile de Latran,
430, 476. — C'est à tort qu'il blâme absolument l'usage que les auteurs du
moyen âge ont fait de Y allégorie des deux glaives, 553. (Voyez Glaives.)
Explication et glose arbitraires des paroles d'Innocent III sur l'autorité
respective des deux puissances, 558 et 561 , texte et notes.
Son erreur sur les effets temporels de la pénitence publique au ve siècle,
400, texte et note. — Il reconnaît la persuasion générale du moyen âge,
sur les effets temporels de l'excommunication , par rapport aux souve-
rains , 466 , etc. — Il regarde comme un point de doctrine incontestable,
qu'un souverain peut être excommunié , aussi bien qu'un simple particu-
lier, 467, 468. — Il paraît cependant peu d'accord avec lui-même sur ce
point , 445. — Il supposée tort, que plusieurs souverains excommuniés
et déposés par le Pape n'ont rien perdu de leur autorité, 460 et 465. —
Les raisonnements de Grégoire Vil, dans ses lettres à Herman , évêque de
Metz sont-ils aussi peu concluants qu'il le suppose^? 538-539 , note.
Il admire la Providence divine dans l'établissement de la souveraineté
temporelle du saint-siége, 321. — Il exagère les résultats de l'erreur du
moyen âge, sur l'authenticité de la donation de Constantin, 722. — Il
critique mal à propos une lettre du pape Etienne II à Pépin le Bref, 242.
H blâme à tort la conduite et le langage du pape Paul 1er , à l'égard de
l'empereur de Constantinople , 249 , noie Il suppose sans preuve que
Charlemagne était souverain de Rome, par droit de conquête, 275, note.
Sa méprise relativement au diplôme de Louis le Débonnaire en fa-
veur du saint-siége, 285. — Autre méprise, relativement à la conduite de
Lothaire 1er à Rome, en 824 ; 304, note.
FOI. Elle doit être libre; et sa profession ne doit jamais être extorquée par
la violence, 74, 75. (Voyez Dogme.)
FOLLIS. (Voyez Bourse.)
FORMOSE, pape. Il permet à l'empereur Gui, d'associer à l'empire Lam-
bert son fils, 619. — Il substitue Arnoul à Lambert, du vivant même
de ce dernier, 423, note; 619.
FOULQUES de Reims. Lettre qu'il écrit à Charles le Simple, pour le dé-
tourner de faire alliance avec les Normands, 478 , note.
FRANCE (royaume de). — Origine commune des trois races de nos rois,
selon plusieurs critiques, 735, texte et note. — Ancienne constitution
du royaume, 732, etc. *- La monarchie élective , sous la première et la
seconde race de nos rois , 355 , etc. ; 476, 732, etc. — L'autorité du roi ,
modérée par celle de l'assemblée générale , ibid. — Condition mise à
l'élection du roi , sous la première race , 733. (Voyez Maiius. )
Persuasion générale dans ce royaume , depuis le vie siècle , sur la sub-
ordination du pouvoir temporel envers le spirituel , 473, etc. — Le mo-
narque généralement regardé comme justiciable du concile, sous la se-
conde race de nos rois, 476, etc. ; 531 , etc. — Cette persuasion n'était
point une erreur, accréditée par la politique de Pépin et de ses succes-
seurs 479 , etc. — - Elle ne suppose pas non plus l'opinion théologique
du droit divin, sur le pouvoir de l'Eglise dans l'ordre temporel , 531 ,
etc __ L'usage de la France , au moyen âge, conforme à celui des autres
Etats de l'Europe, relativement aux effets temporels de l'hérésie et de
TABLE DES MATIÈRES. 773
l'excommunication , 420, etc.; 431 et 432, texte et notes. — Persuasion
générale , en France comme ailleurs , sur la déposition des princes héré-
tiques ou excommuniés, 425, etc. —Permanence de cette ancienne per-
suasion, à l'époque de la Ligue, 596, 652, 752. — Les droits de suzerai-
neté du Pape sur plusieurs États, et ses droits particuliers sur l'empire ,
reconnus en France , sous Philippe le Bel , 483, 490. — Le roi de Fiance
exempt de toute dépendance féodale, 613, etc.
FRANTIN , auteur des Annales du moyen âge. Observations générales
sur l'esprit de cet ouvrage, xxij. — L'auteur adopte trop légèrement
les jugements sévères de plusieurs auteurs modernes, sur la conduite
des Papes du viue siècle, à l'égard des empereurs de Constantinople ,
310.— Il semble peu d'accord avec lui-même, dans le jugement qu'il
porle sur la conduite du pape Grégoire II et de ses successeurs, 224, note;
274, note.
FRÉDÉRIC Ier ( barberousse ), empereur, remplit la fonction d'écuyer au-
près du pape Adrien IV, 627 , note. — Ses démêlés avec le même Pape,
sur la dépendance de l'empereur à l'égard du saint-siége, 503, etc. — Ses
prétentions à la souveraineté de Rome et de l'Italie, 268, texte et note;
662, etc. — Il est excommunié et déposé par le pape Alexandre III, 445,
etc. — Légitimité de cette sentence , ibid., 4G0 , 463 , 680. — Il demande
et obtient son absolution, 464.— Anecdote fabuleuse sur l'histoire de cette
réconciliation, ibid, note.
FRÉDÉRIC IT, empereur, il est élu, en 1210, parle pape Innocent III, après
la déposition d'Othon IV , 491, 498, etc. — Il confirme les décrets publiés
contre les hérétiques, par le 111e et le ive concile de Latran , 431. (Voyez
Latran.) —Ses excès, 680 et 681. — Ses prétentions sur l'Italie, 662 ,
etc. — Il est déposé en 1239, par le pape Grégoire IX ,491, 507 , etc. —
Lettre de saint Louis et des seigneurs français au Pape , à l'occasion de
cette déposition, 425. — L'empereur est déposé par le pape Innocent IV,
dans le Ier concile général de Lyon , 492, etc. — Il reconnaît le droit du
Pape, à cet égard, 507. — Ses variations sur ce point, 508.
GARNIER , continuateur de Velly. ( Voyez Vllly. )
GÉLASE (saint) , pape. Sa doctrine sur la distinction et l'indépendance des
deux puissances , 199, etc. ; 52 t. — Cette doctrine également contraire
au système du pouvoir direct , et à celui du pouvoir indirect de l'Église
sur les choses temporelles , 201 , texte et note.
GERMAIN D'AUXERRE (saint). (Voyez saint Loup be Troyes.)
GERVAIS DE TILBURY , seigneur anglais de la cour d'Othon IV. Ses Ré-
créations impériales, 487 et 488 , note. — Il suppose', comme un point
ôeldroit public universellement reconnu , les droits particuliers du saint-
siége sur l'empire, 487, etc. — il regarde la donation de Constantin
comme le titre primitif de ces droits, 488, 512 et 741, texte et notes.
(Voyez Donation de Constantin.)
GIBBON , historien anglais. Injustes reproches qu'il fait à saint Grégoire
le Grand, 206, note. — Ses contradictions, relativement à la conduite des
Papes du vme siècle envers les empereurs de Constantinople, 315, note.
— Autres contradictions, au sujet d'une lettre du pape Etienne II à Pépin
le Bref, 242, note. — Ses idées peu exactes sur l'origine de la souverai-
neté temporelle du saint-siége , et sur la souveraineté de Rome depuis
l'élévation de Charlemagne à l'empire , 264 et 265 , note.
GIBELINS. (Voyez Guelfe». )
774 TABLE DES MATIÈRES.
GLAIVES (allégorie des deux). Divers sens de cette allégorie, dans les au-
teurs qui l'ont employée, 451 , 550. —En quel sens elle est employée
par Geoffroy de Vendôme , 551. — par Hildebert , évêque du Mans ,
55!?. — par saint Bernard, 547. — par le pape Innocent III,
560, note. — C'est à tort que plusieurs'écrivains modernes blâment absolu-
ment l'usage que les auteurs du moyen âge ont fait de cette allégorie , 553.
GODEFROY DE VITERBE, auteur du xue siècle, suppose comme un point
de droit public universellement reconnu , les droits particuliers du Pape
sur l'empire, 487.
GOTHS. Leur accommodement avec l'empereur Jules Népos, par l'entremise
des évêques, 42. (Voyez Espagne.)
GOUVERNEMENT. Son étroite union avec la religion, chez tous les peuples
anciens. (Voyez Religion.) — Nature des gouvernements du moyen âge,
354, etc.; 602 — La plupart des monarchies alors électives, ibid. —
L'autorité du roi , modérée par celle de l'assemblée générale, 358 , etc.
— Autorité de cette assemblée , ibid. — Elle pouvait mettre des condi-
tions à l'élection du souverain, ibid. (Voyez Conditions, Serment.) —
Étroite union des deux puissances dans tous les États chrétiens de l'Eu-
rope , au moyen âge , 360 , etc. — Influence du clergé dans les affaires
publiques par suite de cette union , 364 , texte et note. — Il était généra-
lement regardé comme le premier corps de l'État, 363. — Influence du
Pape par suite des mêmes circonstances, 365 — Les lois divines et ecclé-
siastiques sanctionnées de peines temporelles, par suite des mêmes cir-
constances, 395, etc. — La théorie politique du moyen âge comparée
avec les théories modernes , 666, etc.; 670 , etc. — Application que les
Papes en ont faite , 673 , etc. — Tendance des gouvernements modernes
à restreindre le pouvoir temporel du clergé, 743, texte et note.
GRATIEN, empereur, refuse, le titre et la robe de souverain pontife, 22.
— Il dépouille les temples de leurs biens, 24. — Il fait enlever du sénat
Yautelde la Victoire, 59. — Il n'a point d'égard aux réclamations des
sénateurs païens sur ce point, 60 , 61. — Il tolère cependant l'exercice de
l'idolâtrie, 61, 62.
GRATIEN , canoniste de xne siècle. Son Décret ne renferme rien qui ne se
concilie avec le principe de la distinction et de l'indépendance réciproque
des deux puissances , 542 , etc.
GRECS ANCIENS. Leur respect pour la religion , 8, etc. (Voyez Religion.)
GRÉGOIRE LE GRAND (saint). Son caractère , 206 , texte et note. — Nom-
breux patrimoines de l'Église romaine, sous son pontificat, 126. —
Saint usage qu'il en faisait, 135-137. — Son zèle pour l'affranchissement
des esclaves, 134. — Ses principes sur la soumission due à la puissance
temporelle , 209 , etc. — Sa doctrine sur l'obligation de payer les impôts
exigés même sur les terres de l'Église ,152, 153. — Clause remarquable
des privilèges qu'il accorde aux monastères et à l'hôpital d'Autun, 473, etc.
— Authenticité de cette clause , 474. — Diverses explications qu'en don-
nent les critiques , ibid. — La difficulté levée par le consentement des
princes français à cette clause, 475. — Son pouvoir temporel , 206 , etc.
— ■ Embarras et difficultés de sa position : sa prudence , 208 , etc.
GRÉGOIRE II , pape. Révolution en Italie sous son pontificat ; ses vérita-
bles causes , 2i4, etc. — Opposition entre les auteurs latins et les grecs,
sur ce point, 220 , 222. — Cette opposition facile à expliquer , 222. —
Importance d'examinerTautorité des historiens grecs à ce sujet, 221. —
L'autorité de ces derniers n'est pas ici d'un grand poids, 224. — Leur
TABLE DES MATIÈRES. 775
récit en opposition avec le caractère et les principes de Grégoire II, 225 ,
etc. — Principes de ce pontife, sur la soumission due à la puissance tem-
porelle, ibid., et 523. — Sa conduite envers l'empereur de Gonstantinople,
approuvée par les auteurs modernes les moins suspects , 228. — Son
pontificat, véritable époque du commencement de la souveraineté tem-
porelle du saint-siége, 269, etc.
GRÉGOIRE 111 , pape, imite la conduite prudente et modérée de Grégoire II,
envers les empereurs de Constantinople , 229. — Il appelle Charles Mar-
tel au secours de l'Italie , et lui offre le titre de consul , 230, 232, noie.
— Cette démarche facile à justifier, d'après les circonstances, 232.
— Elle ne suppose pas l'opinion théologique du droit divin, sur le pou-
voir de l'Église dans l'ordre temporel, 312 , 531.
GRÉGOIRE IV, pape. Sa conduite politique, trop légèrement blâmée par un
grand nombre d'auteurs modernes , 367 , 604 , note.
GRÉGOIRE VII , pape. Désordres de la société au temps de ce pontife , 369 ,
etc. — Ses efforts pour le maintien de la pénitence publique et de ses
effets temporels, 408. — Il adoucit la ligueur de la discipline établie
avant lui, sur les effets temporels de l'excommunication , 416, etc. — Sa
conduite à l'égard de Henri IV, roi de Germanie, 433, etc. (Voyez Hen-
ri iv.) — Cette conduite facile à justifier, 675, 678, etc. — Ses lettres
à Herman , évoque de Metz, à l'occasion de l'excommunication de Henri,1,
438. Serment de fidélité qu'il exige de Henri IV et de Rodolphe , 502.
— Il menace d'excommunication le roi de France , Philippe 1er , 453, etc.
— Ses remontrances à Vezelin , chef d'un parti de révoltés contre le roi
de Dalmatie, 386 , etc.
Il n'a fait que suivre , dans sa conduite à l'égard des princes, les maxi-
mes déjà reconnues avant lui , 467, note ; 486, 509. — Il ne prétendait
pas fonder uniquement sur le droit divin , le pouvoir qu'il s'attribuait
sur les souverains, 437j, 536 , 612. — Son langage ne suppose même pas
l'opinion théologique du droit divin, 534, etc. — Pourquoi les deux
sentences de déposition prononcées contre Henri ne font aucune mention
des lois de l'wnpïre , 537. — Les maximes intitulées Dictatus Papœ ,
sont-elles de Grégoire Vil? 535, note. —Quel en est le sens, ibid. —
Grégoire VII n'a pas admis la donation de Constantin, 517, 714. — In-
justice des reproches qu'on lui a faits, à l'occasion des droits de suzerai-
neté qu'il s'attribuait sur plusieurs États, 531 , note; 612.
GRÉGOIRE IX , pape , excommunie et dépose l'empereur Frédéric II , 491 ,
507, etc. (Voyez Frédéric IL)
GROT1US. Ses principes sur l'usage de la puissance temporelle en matière
de religion , 69 Sur le droit qu'a le peuple, en certains cas, de se
choisir un nouveau souverain, 233. (Voyez Publicistes.) — Comment il
explique la bulle d'Alexandre VI , Jnter cœtera, 577, note. (Voyez
Alexandre VI.)
GUELFES et GIBELINS. Origine purement politique de ces factions, 663,
681, etc. — La religion n'entrait pour rien dans leurs différends , ibid.
GUERRES SACRÉES chez les Grecs. Quelle en fut l'occasion, 9. (Voyez
Delphes. )
GUI, duc de Spolette , est élevé à l'empire par le pape Etienne V , 619. —
Il associe à l'empire son fils Lambert, ibid.
GUILLAUME de Malmesbury , auteur anglais du xive siècle. Témoignage
remarquable de cet auteur, sur la politique de Charlemagne , dans l'éta-
blissement des seigneuries ecclésiastiques , 385, note.
776 TABLE DES MATIÈRES.
GUILLON (Aimé) , auteur d'une dissertation , dans laquelle il essaye de
prouver l'usurpation de Pépin, 727. — Critique outrée de cet auteur,
ibid., note; 729, note.
GU1SCARD (Robert), fondateur du royaume de Naples. (Voyez Robert)
GUI ZOT , écrivain protestant, auteur de divers ouvrages historiques. —
Ses erreurs sur le mode d'élection des évêques, pendant les premiers
«iècles , 33, note. — Ses aveux remarquables sur l'origine du pouvoir tem-
porel du clergé, 45. — Aveux également remarquables sur l'influence
salutaire de l'Église et du clergé dans la civilisation européenne , 378 , etc.
— Son opinion singulière sur la nature de la souveraineté temporelle du
saint-siége, depuis les donations de Pépin et de Charlemagne, 267 ,
note. — Son système sur l'origine du pouvoir temporel de l'Église et du
Pape, au moyen âge, 330, note. — Il regarde comme un fait incontes-
table , le mélange d'élection et d'hérédité dans le premier âge des mo-
narchies modernes, particulièrement chez les Francs, 355, etc.
HALLAM , auteur anglais de l'ouvrage intitulé : L'Europe au moyen âge.
— Esprit de cet ouvrage, xxiij, 1 16, note ; 138 , etc. — Ses invectives in-
justes contre le clergé du ive siècle, 116 , 138 — Injustes reproches qu'il
fait à saint Grégoire le Grand , 206, note. — Ses aveux remarquables sur
les lumières et les vertus du clergé , au moyen âge, particulièrement dans
les monastères, 376 , etc.
HÉBREUX. (Voyez Movse.)
HENRI II , empereur, prête serment de fidélité au Pape , 502. — Son di-
plôme en faveur de l'Église romaine, 287. (Voyez Louis le Débonnaire. )
HENRI IV, roi de Germanie. Caractère de ce prince ; désordres de sa con-
duite, 372, 433, 674, etc.; 678, etc. — Il n'était pas proprement em-
pereur, 434, note; 496, 506, 624, etc. — Il est menacé d'excommunica-
tion par Grégoire Vil ; sa réponse insultante à cette menace , 435. — Il est
excommunié et déposé par le Pape , 436 , etc. — Cette première sentence
de déposition n'était pas définitive, ibid. — Elle n'était pas uniquement
fondée sur le droit divin, 437. — Elle ne suppose même pas] l'opinion
théologique du droit divin, 535, etc. — Henri sollicite et obtient son abso-
lution, 439, etc. — Ses nouveaux excès, 441. —Il est excommunié derechef
et définitivement déposé, ibid. — Ses partisans méprisent cette sentence ,
442, etc. «— Étonnement qu'elle cause dans le monde , 444. — Aveu re-
marquable des seigneurs allemands, sur le pouvoir du Pape en cette ma-
tière, 434, 486. — Aveu remarquable de Henri, sur la déposition d'un
prince hérétique, 424, 435 , etc. ; 507. (Voyez Droit germanique.)
HENRI V, empereur. Ses contestations avec les papes Pascal II et Callixte II
au sujet des investitures, 686 , note. ( Voyez Investitures. )
HENRI Vil, empereur. Ses discussions avec le pape Clément V, sur la dépen-
dance de l'empereur à l'égard du Pape , 505, etc.
HENRI IV, roi de France. — Ligue formée sous Henri III pour [exclure du
trône le roi de Navarre ( Henri IV) , 653, etc. (Voyez Ligue.) — Henri IV
excommunié et déposé par le pape Sixte V, 594, etc. (Voyez Sixte V.) —
Les catholiques invoquent contre Henri IV l'ancienne jurisprudence du
royaume, qui excluait du trône les princes hérétiques , 652, etc. ; 752. —
Ouvrages à consulter, sur la controverse relative aux droits du roi de Na-
varre ( depuis Henri IV ) à la couronne de France , 752 et 753. — La con-
version de Henri IV met fin à cette controverse, 654. — Il publie YÉdit de
gantes, qui accorde aux protestants l'exercice public de leur religion,i&td.
TABLE DES MATIÈRES. 777
HENRI II, roi d'Angleterre. — Est-il vrai que le pape Adrien IV ait préten-
du lui donner l'Irlande? 554, etc. — Ses démêlés avec saint Thomas de
Cantorbéry , 448 , etc. — Jean de Sarisbéry souhaite que le Pape use, en
cette occasion , de la même rigueur envers le roi d'Angleterre , qu'envers
l'empereur Frédéric Ier, 446 , etc. - La persuasion alors existante en An-
gleterre, sur les effets temporels de l'excommunication par rapport aux
souverains, est établie par cette discussion , ibid. — Jugement de Bos-
suet sur cette affaire, 449. — Henri II associe son fils au trône, 450, note.
HENRI VIII, roi d'Angleterre, est excommunié et déposé par le pape
Paul m, 584, etc. (Voyez Paul III.)
HENRION ( le baron ) adopte au fond le système du comte de Maistre , sur
le pouvoir temporel de l'Église et du Pape , au moyen âge, 344, 558 et
644, note.
HÉRÉSIE. Importance de la réprimer dès sa naissance, 76. — Principes sur
la nécessité de la réprimer, même par des peines temporelles. (Voyez Dé-
lits, Religion.) — Constitutions impériales contre les hérétiques, 83, etc. ;
93, etc. — Les hérétiques incapables de tout emploi et de tout droit
civil, d'après ces constitutions, 87, etc. ; 90 , 188. — Motifs de ces cons-
titutions , 69, 79, 87, 90. — Le droit romain, suivi sur ce point dans tous
les États chrétiens de l'Europe, au moyen âge, 91-95, 396, 542. — Er-
reur de quelques écrivains modernes à ce sujet, 91. — Décrets des me et
ive conciles de Latran sur ce point , 94 , 426 , etc. — Les peines tempo-
relles décernées par les Papes contre les hérétiques , autrefois d'usage en
France comme ailleurs , 431 , note.
Principes sur la déposition des princes hérétiques, 189, etc. — Diffé-
rence essentielle entre la constitution de l'empire romain et celle des au-
tres monarchies du moyen âge sur ce point, 190. — Persuasion générale,
au moyen âge, sur la déposition des princes hérétiques, 424 , etc. —
Cette persuasion établie en France comme ailleurs, 425, etc. — Disposi-
tions du droit germanique , sur ce point, 630, etc.
HERMAN , évêque de Metz Lettres que lui écrit Grégoire VII , à l'occasion
de l'excommunication de Henri IV, roi de Germanie, 438, 538, etc. —
Méprise de Bossuet et du P. Alexandre, au sujet de ces lettres, 438,
note. — Elles ne supposent pas l'opinion théoîogique du droit divin, 538,
etc. — Les raisonnements de Grégoire VII, dans ses lettres, sont-ils
aussi peu concluants que le suppose Fleury? 538 et 539, note.
HINCMAR de Reims. Idée qu'il donne des conciles ou assemblées mixtes ,
alors si fréquentes, 522. (Voyez Conciles. )
HONORIUS , empereur. Ses lois en faveur de la religion chrétienne, 53. —
Ses lois contre les hérétiques, 79, 87, etc. — Son règne paraît être l'épo-
que d'un accroissement considérable dans le pouvoir temporel du Pape ,
183, 198, etc.
HOPITAUX. Ils doivent leur origine à la charité chrétienne, 130, etc. —
Erreurs de M. de Gérando sur ce point, 129, note. — Progrès de ces
établissements , depuis le ive siècle, 131 , etc. ; 136. — Erreur de quel-
ques écrivains, qui en rapportent l'origine à l'époque des croisades ,
132, note.
HUGUES DE SAINT-VICTOR. Sa doctrine sur la distinction et la compé-
tence des deux puissances, 544, etc. — Il n'attribue point à l'Église,
d'après l'institution divine, un pouvoir de juridiction directe ou indi-
recte sur les choses temporelles f 545, etc. — Bossuet l'explique dans un
tout autre sens, 572.
778 TABLE DES MATIÈRES.
HURTER, auteur de l' Histoire d 'Innocent III. Esprit de cet ouvrage, xxij ,
et 323, notes. — Sentiments de cet auteur sur l'importance de la souverai-
neté temporelle du saint-siége, 322. — Il explique et justifie la conduite
d'Innocent III à l'égard des souverains, 348, 566 , 670, note; 690. — il
reconnaît les grands services rendus à la société, par les Papes, à l'époque
des croisades , 395 , 690.
IDOLATRIE. Le triomphe du christianisme sur elle était assuré avant la
conversion de Constantin,. 46-51. — Erreurs de. M. Beugnot sur ce point,
49, note. — Application de Constantin à décréditer l'idolâtrie, 53. —
Il interdit absolument la divination secrète, 55. — Il tolère cependant
l'exercice public de l'idolâtrie, 55, 56, 700, 701. —Sa prudence est imi-
tée, en ce point, par ses successeurs*, 56 , etc.
IMMUNITÉS du clergé. ,Leur origine dans l'usage et les maximes de l'anti-
quité, 6, 8, 12, 20, etc.; 29, 30, 142, etc. — Leurs motifs, 143, 164,
etc. — Immunités personnelles du clergé, sous les empereurs chrétiens,
144, etc. — Immunités réelles , 148, etc. (Voyez Asile.) — Les immu-
nités ecclésiastiques, restreintes par Constantin au clergé catholique, 84.
— Cette matière traitée avec soin par Bingham , 144 , note. — Variations
des immunités ecclésiastiques, sous les empereurs chrétiens, 144, etc. ;
153. — Immunités particulières de quelques Églises, 149, etc. — Sou-
mission de l'Église aux lois môme les moins favorables , en cette matière,
150 , etc. — La question théologique de l'origine des immunités ecclésias-
tiques, éclaircie par les faits, 154, etc.; 172, note. — Discussions en
Angleterre sur ce point, au xne siècle, 448. (Voyez Heniu II.)
IMPOTS. (Voyez Immunités)
INNOCENT ITI, pape, reconnaît et marque nettement la distinction des
deux puissances , 559. — Il ne s'est Jpas attribué un pouvoir de juridic-
tion directe ou indirecte sur les choses temporelles , 557 , etc. — Il ne
s'attribue, en matière temporelle, que le pouvoir'jdirectif ', au sens où
l'explique Fénelon , 561 , etc. — En quel sens il soutient la prééminence
du pouvoir spirituel sur le temporel, 557, etc. — En quel sens il emploie
Y allégorie des deux grands luminaires , 559, etc. — En quel sens il em-
ploie Yallégorie des' deux glaives, 560, note. — Il négocie la paix entre
Philippe-Auguste et Richard, roi d'Angleterre, 564, noie. — Il s'établit arbi-
tre (en 1202) entre Philippe- Auguste et Jean sans Terre, à l'occasion de
l'assassinat d'Artus, comte de Bretagne, 561. — Raisons de cette conduite,
562. — Injustes reproches qu'on lui a faits sur ce sujet, 563, etc. — Sa con-
duite justifiée par M. Hurter, 566. — Il reconnaît expressément l'indépen-
dance féodale du roi de France, à l'égard du saint-siége, 613, texte et note.
— Il dépose Jean sans Terre, et donne son royaume à Philippe-Auguste,
482. — Il choisit (en 1201) l'empereur Othon IV, 496 , etc. — Il soutient
cette élection contre les autres prétendants à l'empire, ibid. — Il dépose
ce prince (en 1210), et lui donne pour successeur Frédéric II, 491,498,
etc. — Il suppose, comme un fait constant, que les princes électeurs
tiennent du Pape le droit de choisir l'empereur, 498 et 625.
INNOCENT IV, pape, dépose l'empereur Frédéric II, dans le ier concile gé-
néral de Lyon , 492 , etc. — La sentence de déposition est approuvée par
le concile , 493. — Cette sentence ne suppose pas l'opinion théologique
du droit divin , 567 , etc. — Pourquoi elle ne fait pas mention des lois
de V empire , 569.
INQUISITION [établie contre les hérétiques [par Constantin , 84. — Elle est
TABLE DES MATIÈRES. 779
renouvelée par Théodose le Grand , 86. —Elle est établie en France', par
le pape Alexandre IV, à la demande de saint Louis, 431. — Principes
fondamentaux, sur la recherche et la punition des hérétiques. (Voyez Dé-
lits, Religion. )
INVESTITURES. Notion de Yinvestiture en général, et des investitures
ecclésiastiques en particulier , 684. — La cérémonie de Yinvestiture ,
différente de celles de l'hommage et du serment de fidélité, 685. — Ori-
gine de la querelle des investitures , ibid. — Son objet et son importance,
686, etc.
ITALIE. Puissantes ressources que lui offrent, dans la décadence de l'empire
romain , la sagesse et la vertu des Papes, 195 , 204 , etc. ; 211 , etc. —
Révolution en Italie, sous Grégoire II; ses véritables causes, 214, etc.
( Voyez Grégoire II. ) — Progrès de cette révolution , sous Grégoire III ,
231 , etc. — Cette révolution facile à justifier, eu égard aux circonstances,
232 , etc. — Régime municipal des principales villes d'Italie , à cette
époque , et longtemps après, 279, note.
IVES DE CHARTRES (le bienheureux ). Sa doctrine sur les effets temporels
de l'excommunication, 420, 540, etc. —Il regarde ces effets comme
fondés tout à la fois sur les lois divines et humaines , ibid. — Applica-
tion qu'il fait de cette doctrine aux souverains, 421 , 457, etc. — Il ne
soutient pas l'opinion'théologique du droit divin, sur le pouvoir de l'Église
dans l'ordre temporel ,541.
JACQUES DE NtSIBE (saint) sauve sa ville épiscopale , attaquée par les
Perses, 41. — Sa sollicitude paternelle pour le bien de son troupeau,
176.
JEAN VII , pape. Les Lombards lui restituent le pays des Alpes Cottiennes,
127.
JEAN XII , pape, transfère l'empire des Français aux Allemands, en 962 ,
623. (Voyez Othon 1er.)
JEAN XXII , pape , dépose l'empereur Louis de Bavière, 499. (Voyez Louis
de Bavilre.)
JEAN CHRYSOSTOME (saint). Ses principes sur l'usage de la puissance
temporelle , en matière de religion , 7«4 , 75. — Sa réponse aux invectives
de quelques laïques , contre le luxe et la mondanité du clergé, 140-142.
JEAN DE SARISBERY , évêque de Chartres au xuc siècle ; objet de son ou-
vrage , intitulé Polycratique , 488 , note. — Il soutient l'opinion théolo-
gique du pouvoir direct de l'Église sur les choses temporelles, 448, 488,
512 , 533 , 739 , etc. — Son opinion a peu de partisans parmi les écrivains
des xue et xiue siècles, 533 , etc. ; 741 , etc. — Il ne paraît pas avoir en-
seigné la doctrine du tyrannicide , 740 , note. — Il approuve hautement
la sentence d'excommunication et de déposition, lancée par le pape Alexan-
dre IH , contre Frédéric Barberousse , 446 , etc. — Il souhaite que le
Pape use de la même rigueur contre le roi d'Angleterre , Henri II , ibid.
— Son langage suppose clairement la persuasion générale qui existait, à
cette époque, sur les effets temporels de l'excommunication par rapport
aux souverains, ibid. et 463.
JEAN L'AUMONIER (saint). Ses immenses libéralités , 123, 124. — Éva-
luation des 8,000 livres d'or qu'il trouva dans le trésor de son église, à
son avènement au siège patriarcal, 123, 708, etc. — Son pouvoir tem-
porel, 186.
JEAN SANS TERRE , roi d'Angleterre, -* Ses démêlés avec Philippe-Au-
780 TABLE DES MATIÈRES.
guste (en 1202), à l'occasion de l'assassinat d'Artus, comte de Bretagne,
561 , etc. (Voyez Innocent III.) — Il est déposé (en 1211) par le pape
Innocent III, qui donne son royaume à Philippe-Auguste, 459 , 468, 482.
JÉRÔME (saint). Ses principes sur l'usage de la puissance temporelle, en
matière de religion, 76.
JÉRUSALEM. Richesses de son temple, depuis Pompée jusqu'à la ruine de
cette ville, 709 ,710. — Richesses et revenus de l'Église de Jérusalem , à
la fin du ive siècle, 123.
JOVIEN ( l'empereur). Sa conduite modérée à l'égard des païens, 58.
JUIFS. Lois publiées contre eux par Tibère , 26. — Dispositions du droit
romain à leur égard, 80-83. -—Sévérité de ces dispositions, 80, 81. —
Raisons de cette sévérité, 82. — Les Juifs mêmes l'avaient provoquée,
ibid. — Le zèle indiscret de quelques chrétiens contre les Juifs, réprimé
par les empereurs, 83. — Les Juifs sont chassés d'Alexandrie par saint
Cyrille, 184.
JULES NEPOS, empereur, négocie un accommodement avec les Goths par
l'entremise des évêques, 42.
JULES II, pape. Ses démêlés avec la république de Venise , 661. (Voyez
Venise.)
JULIEN , empereur , propose pour modèle aux prêtres du paganisme les
vertus éminenles du clergé chrétien, 40. — Il admire en particulier la
charité des chrétiens envers les pauvres ,130. — Il essaye en vain de l'i-
miter, par l'établissement des hôpitaux, 131.
JUPITER CAPITOLIN. Richesses de son temple sous Domitien, 709.
JURIDICTION ECCLÉSIASTIQUE. Son origine dans l'usage et les maximes
de l'antiquité, 3 , 5 , 6,8, 11, 21 , 29 , 30. — État de la juridiction ec-
clésiastique, en matière temporelle, sous les empereurs chrétiens, 147,
162, etc. — Cette juridiction plus ou moins restreinte sous les succes-
seurs de Constantin', 168. — Cette juridiction beaucoup plus étendue à
l'égard des clercs, 169. — Dispositions du Code Justinien sur ce point, 170.
— Juridiction de l'Église et du Pape sur les choses temporelles. (Voyez
Église, Pape, Puissances.)
JUR1EU. Système de la souveraineteVlu peuple soutenu par cet auteur, 668.
— Graves inconvénients de ce système, 668 , etc. (Voyez Peuple.)
JUSTINE, impératrice, choisit saint Ambroise pour négocier, auprès du
tyran Maxime , les intérêts de l'empire ,41.
JUSTINIEN 1er, empereur, place les quatre premiers conciles généraux par-
mi les lois de l'empire, 65. — Ses principes sur la distinction et l'indé-
pendance réciproque des deux puissances ,72. — Ses lois en faveur de la
religion chrétienne, 65 et 66. — Ses lois contre les hérétiques , 89 , etc.
— Ses lois en faveur des hôpitaux , 132. — Étendue qu'il donne au pou-
voir temporel des évêques , 178. — Pouvoir extraordinaire qu'il donne au
patriarche d'Alexandrie , 186.
LAMBERT, empereur, succède, en 894 , à Gui son père, 619. — Il est
remplacé, de son vivant , par Arnoul , 423 , note ; 619. (Voyez Arnoul.)
LAMBERT DE SCHAFNABOURG , auteur contemporain de Grégoire VII,
suppose , comme un point de droit public universellement reconnu, que
l'empereur qui persévère opiniâtrement dans l'excommunication, pen-
dant une année entière, encourt la peine de déposition, 440 et 441, notes.
LATRAN (palais de) donné par Constantin au pape Miltiade, 106, note. -~
TABLE DES MATIERES. 781
Mosaïque de ce palais , diversement expliquée par les critiques, 9.91 et
293.
LATRAN (conciles de). — Le ine et le ive, considérés par plusieurs auteurs
comme des diètes générales, ou des états généraux de l'Europe, 430.
— Principes établis dans le uie concile , sur la distinction et la compé-
tence des deux puissances, 426. — Peines temporelles décernées contre
les hérétiques dans le me et le ive, 94, 426 , etc. — Concours des deux
puissances dans la publication de ces décrets, 426, 430, 556. — Confirma-
tion de ces décrets par les ordonnances des princes, 431, etc.
LEBEAU , auteur de Y Histoire du Bas-Empire. — Observations générales
sur l'esprit de cet ouvrage, xxij. — Il loue hautement la conduite de
Grégoire II envers Léon l'Isaurien, 228. (Voyez Grégoire II.) — il est
peu d'accord avec lui-même, dans les reproches qu'il fait aux successeurs
de Grégoire II, 274, 310, 314. — Injustes reproches qu'il fait au pape
Zacharie, à l'occasion de sa réponse à la consultation des Fiançais, sur la
déposition de Childéric 111 , 31C.
LEBLANC , auteur du Traité des Monnaies de France. — Il attribue aux
rois de France le haut domaine , ou la souveraineté des États du saint-
siége, depuis la donation de Pépin, 267. — Grand nombre d'auteurs
entraînés par son autorité dans la même opinion, ibid — Réfutation de
cette opinion , 272 , etc. — Examen de l'argument tiré des monnaies
frappées à Rome sous Charlemagne et ses successeurs, 305 , etc.
LÉGISLATEURS ANCIENS. Leur sentiment unanime, sur l'étroite union de
la Religion et de l'État, 3, 68. (Voyez Moyse , Romulus.)
LÉGISLATION. (Voyez Droit romain, Lois.) — Législation mosaïque.
(Voyez Moyse.)
LEIBNIZ. Ses principes sur la réalité et les avantages des maximes du
moyen âge, qui donnaient au Pape une si grande autorité sur les souve-
rains , 470, etc. — Conformité de ces principes avec ceux de Fénelon ,
334, note. — Il n'ose condamner absolument l'opinion théologique du
pouvoir indirect, dans le sens où l'explique le cardinal Bellarmin , 340,
note; 511. — Importance de ces aveux, 646.
LÉON LE GRAND (saint) sauve deux fois la ville de Rome, par sa média-
tion auprès des rois barbares , Attila et Genséric, 42, 203. — Ses princi-
pes sur l'usage de la puissance temporelle, en matière de leligion, 76. —
Sa doctrine sur les effets temporels de la pénitence publique, 399. —
Sa doctrine sur la distinction et la compétence des deux puissances, 426.
LÉON III, pape, implore la protection de Charlemagne contre les conspi-
rateurs, 256. — Il donne à ce prince la couronne impériale, ibid. — Cette
conduite du Pape, facile à justifier, eu égard aux circonstances, 258. —
Elle ne suppose aucunement que le pape Léon III se soit attribué , de
droit divin, un pouvoir de juridiction au moins indirecte sur les cho-
ses temporelles, 259, note; 312, 531. — Il rend à Charlemagne, dans la
cérémonie de son couronnement, l'hommage extérieur AeY adoration, 256.
(Voyez Adoration.) — Ses lettres à Charlemagne , depuis cette époque,
supposent l'indépendance de la souveraineté temporelle du saint-siége , à
l'égard de l'empereur, 282. — La même indépendance est établie par un
diplôme, émané tout à la fois du Pape et de l'empereur, 283.
LÉON L'ISAURIEN , empereur, soulève contre lui l'Italie par sa conduite
imprudente, 214-220. — Lettres que Grégoire II lui écrit à cette occa-
sion, 225, etc. (Voyez Grégoire IL ) — Nouveaux excès de Léon, sous
Grégoire III, 230. (Voyez Grégoire III.) — Il saisit les patrimoines d«
I
782 TABLE DES MATIÈRES.
l'Église romaine, en Sicile et en Calabre, 127, 230 — Valeur de ces patri-
moines, 127, 711, etc.
LIBANIUS reconnaît la conduite modérée de Constantin à l'égard des païens,
56, note; 700, 701.
LIBERTÉS DE L'ÉGLISE GALLICANE. — Bossuet généralement regardé
comme le principal défenseur des maximes qui leur servent de fonde-
ment, 331. — Abus qu'on fil en France de ces libertés, sous Philippe le
Bel, au jugement de Sismondi et de nos plus graves historiens, 575.
LIGUE en France sous Henri III. Motifs et but de cette association, 652. —
Manifeste de la Ligue, 653. — Résultats de cet acte, 654. — Dangereux
principes soutenus à cette époque par de célèbres ligueurs, 753. (Voyez
Henri IV, roi de France. )
LIVRE ROMAINE. (Voyez Poids et mesures.)
LINGARD , historien anglais. — Sages principes de cet auteur sur le moyen
de bien juger nos ancêtres et leurs institutions, 352. — Il regarde la ré-
ponse du pape Zacharie aux Français, sur l'élévation de Pépin, comme
un fait historique des mieux attestés, 729. — Comment il explique la
conduite des Papes du moyen âge à l'égard des souverains, 468. — Il re-
connaît le fait de la persuasion générale du moyen âge , sur les effets
temporels de l'excommunication, par rapport aux souverains, 468.
LOIS DES XII TABLES. Ce qu'elles renferment de remarquable sur la reli-
gion , 16.
LOIS DES VISIGOTHS. Leur sagesse , 379. — Leurs dispositions sévères
contre les hérétiques , 94. (Voyez Espagne.)
LOMBARDS. — L'établissement de leur monarchie en Italie, au vie siècle,
favorise le pouvoir temporel des Papes , 204, etc. — Leurs attaques réi-
térées contre l'Italie et contre le saint-siége, 204, etc.; 215, etc.; 230, etc.;
236, etc. —Ils restituent au pape Jean VII les patrimoines qu'ils avaient
enlevés à l'Église romaine, 127. — Us restituent au pape Zacharie plu-
sieurs villes et territoires de l'Exarchat, 234, 235. (Voyez Astolphe, Di-
dier.)— Leur monarchie est détruite par Charlemagne, 251, 252.
LOTHAIRE Ier, empereur. Envoyé à Rome, en 824, par son père (Louis le
Débonnaire) , il n'y fait aucun acte d'autorité, que sous le bon plaisir
du Pape, 287 et 288, note; 304, etc. — Méprise de Fleury et de quelques
autres écrivains modernes à ce sujet, 304, note. — Sa révolte contre
l'empereur son père, 406 Il associe à l'empire son fils Louis, avec le
consentement du Pape, 622. — Il envoie son fils à Rome, en 844, 288.
(Voyez Louis IL )
LOTHAIRE LE JEUNE, roi de Lorraine, fils de l'empereur Lothaire Ier, est
menacé d'excommunication par le pape Nicolas Ier, à l'occasion de son
mariage adultère avec Valdrade, 452.
LOUIS LE DÉBONNAIRE, empereur. Son diplôme pour confirmer le*
donations de Pépin et de Charlemagne à l'Église romaine , 284. — Au-
thenticité de cet acte, 286, texte et note. — Conséquence de ce diplôme,
relativement à la souveraineté de Rome , à cette époque , 284 Méprise
de Fleury et de quelques autres à ce sujet, 285. — Louis le Débonnaire
associe à l'empire son fils Lothaire Ier, avec le consentement du Pape ,
495 et 622. — Il l'envoie à Rome, en 824, pour recevoir du Pape l'onction
impériale, 304. — Sa pénitence publique et sa déposition , 334, 406. —
Il n'a pas été proprement déposé par le concile de Compiègne, 334, note;
406, texte et note; 530.
LOUIS II , empereur, fils de Lothaire Ier, est envoyé en Italie par son père ,
TABLE DES MATIÈRES. 783
288. — Assurance qu'il donne au Pape, de ses droites intentions, avant
d'être admis dans l'église de Saint-Pierre , ibid. — Sa lettre à l'empereur
Basile, qui lui contestait le titre d'empereur des Romains, 494.
LOUIS DE BAVIÈRE, empereur, est déposé par le pape Jean XXII, 499. —
Il reconnaît expressément le droit du Pape à cet égard, ibid.
LOUIS IX (saint) , roi de Fiance. Législation en vigueur sous son règne ,
relativement aux effets temporels de l'hérésie et de l'excommunication,
421, 425, 43t. — Il obtient du pape Alexandre IV l'établissement de l'in-
quisition en France, 431. — Il autorise son frère, Charles d'Anjou, à
accepter le royaume de Sicile qui lui était offert par le Pape , 483.
LOUP (saint) , évêque de Troyes, sauve sa ville épiscopale par sa médiation
auprès d'Attila, 42. — Saint Loup de Troyes et saint Germain d'Auxerre
sauvent la Grande-Bretagne de l'invasion des Saxons et des Pietés , ibid.
LUDOLPHE ou LUPOLD , évêque de Bamberg, au xuie siècle, suppose
comme un point de droit public universellement reconnu, les droits
particuliers du Pape sur l'empire, 489 et 490.
LYON (ier concile général de). Quelle part il a eue à la déposition de l'em-
pereur Frédéric II, 492, etc. (Voyez Innocent IV.)
MACHIAVEL. Ses principes sur l'union de la Religion et de l'État , 19, note.
MAIRES DU PALAIS. Leur excessive autorité sous la première race de nos
rois , 733. — Résultats de ce désordre , 734.
MALTEBRUN, géographe célèbre, peu d'accord avec lui-même, dans l'ex-
plication de la bulle d'Alexandre VI, Inter cœtera , 577 et 57 8, note.
(Voyez Alexandre VI.)
MARC1EN, empereur, confirme le concile de Calcédoine, 65. — Ses lois
contre les hérétiques, 75, note; 88, etc. — Ses lois concernant les dona-
tions faites à l'Église, aux clercs et aux moines, 117. — Il confirme les
pieuses libéralités de l'impératrice Pulchérie, son épouse, 120.
MARIE STUART, reine d'Ecosse, invoque le suffrage du Pape à l'appui de
ses droits, 650. — Elle remet ses droits à la disposition du Pape et du roi
d'Espagne, ibid.
MARTIN IV, pape , donne le royaume d'Aragon à Philippe le Hardi , pour
un de ses fils, 483.
MARTIN V, pape, adoucit la discipline du moyen âge, relativement aux
effets de l'excommunication, 417.
MATHILDE (la comtesse) donne ses États au saint-siége, 261.
MAURICE, empereur. Remontrances que saint Grégoire lui adresse, à l'oc-
casion d'une loi sur la milice, 209.
MÉCÈNE. Sages avis qu'il donne à Auguste sur la nécessité de punir les
délits contre la religion , 25. (Voyez Auguste.)
MÉDIMNE ATTIQUE. (Voyez Poids.)
MESURES ANCIENNES. (Voyez Poids, Monnaies.)
MICHAUD, auteur de Y Histoire des Croisades. — Observations générales
sur l'esprit de cet ouvrage, xxij , 345, note. — Comment l'auteur ex-
plique la conduite des souverains pontifes, qui ont autrefois déposé
des princes temporels, 344, etc. — L'auteur n'a pas, sur ce point, des
idées bien arrêtées , 345, note. — Il adopte beaucoup trop légèrement les
jugements sévères de plusieurs écrivains modernes , contre Grégoire VII
et quelques autres pontifes, ibid. — Il reconnaît la persuasion générale
du moyen âge, sur les effets temporels de l'excommunication , par rap-
port aux souverains , 469.
784 TABLE DES MATIÈRES.
MOEHLER , professeur de théologie à Munich. — Comment il explique la
conduite des Papes à l'égard des souverains, au moyen âge, 643.
MOINES. (Voyez Monastères.)
MONARCHIES DU MOYEN AGE. (Voyez Gouvernement.)
MONASTÈRES. Les évêques souvent tirés des monastères, depuis la conver-
sion de Constantin , 38. — Lumières et vertus qui brillaient dans les mo-
nastères au moyen âge, 373, etc. — Aveux remarquables de plusieurs
auteurs non suspects sur ce point , 376, etc. — Sur l'ancien usage d'offrir
les enfants à Dieu, dans le clergé et dans les monastères, 374, note.—
Plusieurs princes du sang royal de France, éievés dans les monastères,
375, note.
MONNAIES. Comparaison des anciennes avec les modernes; auteurs à
consulter sur ce point, 705, note. — Valeur du denier ou de la dragme,
sous l'empire, 104 et tl2, ??oife.s. — Valeur du sesterce, 112. — Valeur
du sou ou besant d'or, 705. — Valeur du centenaire d'or, 710, 71 1.
Monnaies frappées à Rome sous Charlemagne, 258, 305, etc. — Elles ne
supposent pas qu'il fût souverain dans cette ville, 305 , etc. — Le droit
de battre monnaie, exercé, au moyen âge, par un grand nombre d'égli-
ses, d'abbayes, et de seigneurs particuliers, 306.
MONTESQUIEU. Ses principes sur l'union de la Religion et de l'État , 19,
note. — Sur l'usage delà puissance temporelle en matière de religion,
69,70. — Sur le droit d'asile, 161. — Sur l'origine des seigneuries ec-
clésiastiques, 385.
MOREAU, historiographe de France. Il regarde comme un fait incontes-
table, que le monarque était généralement regardé comme justiciable
du concile, sous la seconde race de nos rois, 479. — Il regarde à tort
cette persuasion comme une erreur introduite par la politique de Pépin,
ibid.
MOSHEIM. Ses erreurs sur le gouvernement de l'Église et sur l'élection des
évêques dans les premiers siècles, 33, note.
MOYEN AGE. Ce qu'on entend communément par ces mots, v. — Tableau
de la société au moyen âge, 367, etc. — Ignorance et barbarie de cette
époque, 368. — Désordres de la société au temps de Grégoire VII, 369. —
Ces désordres souvent fomentés par l'exemple des princes, 370. — Le res-
pect pour la religion toujours subsistant au milieu de ces désordres, 372.
— Le clergé toujours distingué par ses lumières et ses vertus, surtout
dans les monastères, 373, etc. — Les désordres de cette époque, souvent
exagérés par les auteurs modernes, 376, etc. — Action salutaire de l'Égli-
se pour l'amélioration sociale, 377, etc. — Théorie politique du moyen
âge , 666, etc. (Voyez Gouvernement.)
MOYSE. Étroite union qu'il établit entre la Religion et l'État, 6.
MURATORI. Ses idées peu exactes sur l'origine et la nature de la souve-
raineté temporelle du saint-siége, 267 et 311, notes. — Son opinion sin-
gulière sur la légitimité des donations de Pépin et de Charlemagne au
saint-siége, 311, note. — Il justifie cependant la souveraineté temporelle
du saint-siége , par un titre de prescription incontestable, 311.
NAPLES (royaume de). (Voyez Rorekt Guiscard.)
NAPOLÉON, empereur. Ses prétentions sur les États du saint-siége, com-
battues par M. Emery, 255, note; 323, etc. (Voyez Emery.) — Il blâme
hautement l'apostasie deBernadotte, 657, note. (Voyez Suède.)
NICOLAS 1er , pape. Sa conduite politique trop facilement blâmée par un
grand nombre d'auteurs modernes, 367. — Adoucissements qu'il apporte
TABLE DES MATIÈRES. 785
aux effets temporels de la pénitence publique, 407, etc. — Il menace
d'excommunication Lothaire le Jeune, roi de Lorraine, à l'occasion de
son mariage adultère avec "Valdrade, 452. — Ses principes sur la distinc-
tion et l'indépendance réciproque des deux puissances, 523.
NUMA. (Voyez Romulus.)
OFFRANDES. (Voyez Dîmes, Biens ecclésiastiques.)
ONCE ROMAINE. (Voyez Poids.)
OPINION THÉOLOGIQUE. (Voyez Dogme.)
ORDRE ROMAIN, publié par Hiltorpius, en 1561 : son antiquité, 724 et
725 Quelques autres éditions de ce recueil, 501, texte et note.
ORLÉANS (la ville d') sauvée par la médiation de saint Aignan, son évoque,
42. — Dispositions du me concile d'Orléans (en 538) sur les effets tempo-
rels de la pénitence publique, 401.
OSTIE (Henri de Suze, cardinal d') , souvent désigné sous le nom d'Ostiensis.
(Voyez Suze.)
OTHON Ie', empereur, est élevé à l'empire par le pape Jean XII, 623. — Il
prête serment de fidélité a ce pontife; formule de ce serment, 501, 623.
— Son diplôme en faveur de l'Église romaine, 287. (Voyez Louis le
DÉBONNAIRE.)
OTHON IV, empereur, est élu, en 1201, par le pape Innocent III, 496, etc.—
Il est déposé en 1210 parle même pontife, 491, 498, etc. — Motifs de cette
sentence, 680. — Sentiment de Gervais de Tilbury sur cette déposition ,
487, etc. (Voyez Gervais.)
OTHON, évêque de Frisingue. Ëtonnement que lui cause la sentence de
Grégoire VII contre le roi de Germanie (Henri IV) , 444, etc.
PAPE. Sa primauté reconnue et confirmée par les constitutions impériales , 65,
texte et notes. — Son pouvoir temporel, peu différent de celui des autres
évêques, avant la fin du ive siècle, 197. — Accroissement de son pouvoir
sous Honorius, 183, 198. — Cet accroissement autorisé par l'empereur,
199, etc. — Motifs de la générosité des empereurs envers le saint-siége ,
203, etc. — Ces motifs acquièrent une nouvelle force, depuis l'établisse-
ment de la monarchie des Lombards , .204, etc.
Circonstances qui ont préparé de loin la souveraineté temporelle du
saint-siége, 193, etc. — Accroissement du pouvoir temporel des Papes au
vme siècle, par suite de l'imprudence des empereurs, 212, etc. — Révo-
lution en Italie, sous Grégoire II, 214, etc. — Résultats de cette révolu-
tion relativement à la souveraineté temporelle du saint-siége, 214, etc.;
243, etc. ; 269, etc Cette souveraineté n'était que provisoire, avant la
donation de Pépin, 270, 271. — Elle devient définitive, par suite de
cette donation, 247, etc.; 272, etc. ->- Elle est étendue et consolidée par
Charlemagne, 251. — Ses accroissements sous les successeurs de Char-
lemagne , 260.
Questions à éclaircir sur la nature et l'étendue de l'autorité temporelle
des Papes , depuis le ve siècle, 261 . — D'où vient l'obscurité de ces ques-
tions, 262. — Divers sentiments sur l'époque à laquelle on doit placer
l'origine de la souveraineté temporelle du saint-siége, 263, etc. — Nature
et étendue de cette souveraineté, dans le duché de Rome et dans l'Exar-
chat, depuis le pontificat de Grégoire II, 269, etc. — Cette souveraineté
était également indépendante de l'empereur de Constantinople et du roi
de France, soit avant, soit depuis l'élévation de Charlemagne à l'empire,
50
786 TABLE DES MATIÈRES.
272, etc.; 615. — Elle était également indépendante, à l'égard des succes-
seurs de Charlemagne , 284, etc.
Fondements et titres primitifs de cette souveraineté, 307, etc. — Di-
vers sentiments sur ce point, 309, etc. — Cette souveraineté ne doit
point son origine à l'opinion théologique du droit divin, sur le pouvoir
de l'Église et du Pape dans l'ordre temporel, 312, elc — Elle ne doit
pas son origine à l'ambition ni aux intrigues des Papes du vme siècle ,
310, 313, etc. — Elle a été fondée, dès le principe, sur les titres les plus
légitimes, 318, etc.; 392. —L'établissement de cette souveraineté, effet
marqué de la providence de Dieu sur l'Église, 320, 664. — Sentiments de
Bossuet et de Fleury sur ce point, 321, 392. — Aveux remarquables
d'écrivains protestants sur le même sujet, 322. — Expérience récente à
l'appui de ces observations, 323.
Avec quelle modération les Papes ont généralement exercé leur souve-
raineté , 660. — Ambition et prétentions excessives qu'on leur a repro-
chées; injustice de ce reproche, 660, etc. — Objet et but de leur poli-
tique, 662. — Combien elle est digne d'éloges, 663, etc Vaines décla-
mations de quelques auteurs modernes sur ce point, 665.
Pouvoir du Pape sur les souverains au moyen âge , 326, etc., — Idée gé-
nérale de ce pouvoir, ibid. — Divers systèmes pour l'expliquer, 327, etc.;
512, 517, etc. — Sijslèmes théologiques , ibid. — Systèmes historiques,
332, etc. — Les maximes du moyen âge sur ce point n'ont pas été intro-
duites par Grégoire VII, 434, 467, note; 486, 509. — Les Papes et les
conciles ne peuvent être ici accusés d'une usurpation criminelle , ni
d'une erreur grossière , 510, etc. — Toute la discussion sur ce sujet ré-
duite à quatre points principaux , 350. — 1° Circonstances qui ont amené
ou favorisé ce pouvoir, 352, etc. (impartie, chap. Ier.) — 2° Persuasion
générale des princes et des peuples sur la réalité de ce pouvoir, 423, etc.
(Ibid., chap. II.) — 3° Fondements de ce pouvoir, 518, etc.; 599, etc.
(Ibid., chap. III.) — 4° Ses résultats pour le bien de la religion et de la
société, 659, etc. (Ibid., chap. IV.)
Droits de suzeraineté du saint-siége sur plusieurs États. (Voyez Su-
zeraineté.)— Ses droits particuliers sur l'empire d'Occident, 614, etc.
(Voyez Empire.) — Charlemagne ne dut son titre d'empereur qu'à l'élec-
tion du Pape , 615, etc. — Le Pape ne renonça point alors, pour l'avenir,
à son droit d'élection ,616, etc. — Il a conservé ce droit longtemps après
Charlemagne, 618, etc. — Comment ce droit se concilie avec la conduite
des empereurs qui ont associé leurs fils à l'empire, 622. — Ce droit est
établi par l'ancienne jurisprudence de l'empire, 626, etc. (Voyez Droit
germanique.) — Conséquences de ce droit d'élection, 625, etc.
Influence du Pape dans les affaires politiques des divers États de l'Eu-
rope au moyen âge, 365, etc. — Raisons de cette influence , ibid. — Er-
reurs de plusieurs écrivains modernes sur ce point, 367. — Cette in-
fluence était réclamée alors par l'intérêt général de la société, 386, etc.;
395, 684, etc. — Accroissement de cette influence à l'époque des croisades,
388, etc.; 395. — Le Pape choisi par les rois d'Espagne et de Portugal pour
arbitre de leurs différends sur les pays nouvellement découverts,
576, etc. (Voyez Alexandre VI.)
PARABOLAINS d'Alexandrie. But de leur institution, 184 Saint Cyrille
les emploie à soutenir son pouvoir temporel , ibid. — Discussions à ce
sujet entre le patriarche et le gouverneur d'Alexandrie, ibid.
TABLE DES MATIÈRES. 787
PARIS (vie concile de). Sa doctrine sur la distinction" et l'indépendance ré-
ciproque des deux puissances, 521.
PATRIARCATS, PATRIARCHES. Origine des patriarcats, 182, note.—
Attributions des patriarches, dans l'ordre temporel, depuis le rve siècle,
181, etc. —Usage que saint Cyrille fait de son pouvoir temporel, 183, etc.
— Usage qu'en fait Dioscore , 185. — Pouvoir extraordinaire donné par
Justinien au patriarche d'Alexandrie, 186. — Pouvoir temporel de saint
Jean l'Aumônier, ibid.—* Influence du patriarche de Constantinople dans
l'élection de l'empereur, depuis le ve siècle, 187, etc. — Serment exigé de
l'empereur élu, ibid. — Les patriarches, depuis Justinien, chargés de la
publication des constitutions impériales sur des matières ecclésiastiques,
quelquefois même sur des matières civiles, 180.
PATRICE, PATRICIAT. En quoi consistait cette dignité dans le Bas-Empire,
238, note. — Deux sortes de patrices, ibid. — Nature du patriciat de
Pépin et de Charlemagne, 239, note. — Ce patriciat ne leur donnait point
la souveraineté de Rome, ibid., 259, note; 276, etc.; 293, etc.; 616.
(Voyez Pépin, Charlemagne.) — Le titre de patrice alors commun au
Pape et au roi de Fiance, 295 et 296, note — En quel sens on peut dire
que ce titre avait été accordé au Pape par le roi de France , 296, note.
PATRIMOINES DE L'ÉGLISE. Ce qu'on entendait autrefois par ces mots,
195, note. — Patrimoines de l'Église romaine, 125, etc Saint usage
qu'elle en faisait, 134, 195. — Quelques-uns de ces patrimoines étaient
de véritables seigneuries, 125. — Origine de ceux de Sicile et de Calabre ,
128, texte et note. — Leur valeur, 127. — Ils sont saisis par Léon l'isau-
rien , ibid. — Patrimoines enlevés , puis restitués par les Lombards, ibid
— Nouveaux patrimoines donnés à l'Église romaine par l'empereur Con-
stantin Copronyme, 235. — Patrimoines réclamés auprès de l'empereur
de Constantinople par le pape Adrien 1er, 255.
PAUL Ier, pape , successeur d'Etienne II , se regarde comme souverain de
Rome et de l'Exarchat, 248.
PAUL III, pape. Sa bulle d'excommunication et de déposition contre Hen-
ri VIII, 584, etc. — Cette bulle ne suppose pas l'opinion théologique du
droit divin, sur le pouvoir de l'Église en matière temporelle, 585, etc.
— Ses lettres à l'empereur et au roi de France, pour leur donner avis de
cette bulle, 586.
PAUL V, pape. Ses brefs contre le serment d'allégeance, 590, etc. (Voyez
Serment.) — Ces brefs ne supposent pas l'opinion théologique du droit
divin, sur le pouvoir de l'Église en matière temporelle, 591, etc. —
Raisons de condamner le serment d'allégeance , indépendamment de
cette opinion , 592, etc.
PAUL , diacre d'Aquilée , au vme siècle. Récit qu'il fait de la révolution
arrivée en Italie, sous Grégoire II, 215. — Ce récit d'accord avec celui
d'Anastase le Bibliothécaire, 221. (Voyez Grégoire II.)
PEINES. (Voyez Délits.)
PÉNITENCE PUBLIQUE. Ancienne discipline de l'Église sur ce point, 397.
— Effets temporels de la pénitence publique, en Occident , depuis le ive siè-
cle, 398, etc. — Ces effets attachés à la pénitence publique, même faite
par pure dévotion , 402, etc. — Cet usage autorisé par les deux puis-
sances dans le royaume des Goths,404. — Décadence de la pénitence
publique, du vne au xne siècle, ibid. — Ses effets temporels maintenus
en France et ailleurs par l'autorité des deux puissances, 405, etc. -• Cet
usage tombe peu à peu en désuétude, depuis le ixe siècle, 407. — Ce
50.
788 TABLE DES MATIÈRES.
usage n'était fondé , ni sur le droit divin , ni sur la seule autorité de
l'Église, 409 et 410, texte et notes.
PENTAPOLE. Sa position géographique et son étendue , sous la monarchie
♦ des Lombards , 205, note.
PEPIN LE BREF, roi de France. Était-il du sang royal des Mérovingiens ?
735. — Consultation adressée par ce prince et par les seigneurs français
au pape Zacharie, sur la déposition de Childéric III ,315, 727, etc. (Voyez
Zacharie.) — Examen du reproche d'usurpation, fait à Pépin par un grand
nombre d'auteurs modernes, 316, etc.; 729, etc. — Caractère de ce
prince, 730. — Caractère des principaux personnages qui concoururent
à son élévation , 731. — Respectc et soumission que lui témoignèrent con-
stamment les seigneurs et le peuple français , ibid. — L'hypothèse de son
usurpation est invraisemblable, 730, etc. — Elle est destituée de preuves
solides, 482,732, etc. (Voyez France.) — Calvin et les premiers réfor-
mateurs ont flétri les premiers sa mémoire , en lui attribuant le crime
d'usurpation, 736 — Est-il vrai qu'il ait reçu du pape Etienne II l'abso-
lution de ce crime ? 736, texte et note . — Sa conduite envers Childéric III
est-elle excusable? 737. — Il est sacré de nouveau par le pape Etienne II ,
738.
Le pape Etienne II implore sa protection contre les Lombards, 236, etc.
— Pépin répond aux désirs du Pape; sa première expédition en Italie,
237. — Sa première donation à l'Église romaine, 237, etc. — Il reçoit du
pape Etienne II le titre de patrice, 238. (Voyez Patrice.) — Il réclame
auprès des Lombards, comme une restitution due à l'Église romaine, les
villes et territoires de l'Exarchat dont ils s'étaient emparés, 239, etc.;
245, 720. — Sa seconde expédition en Italie; il confirme sa première do-
nation à l'Église romaine, 243, etc — En quel sens la donation de
Pépin était une restitution, 245, etc.; 720.— Il n'a pas admis comme
authentique la donation de Constantin, 720. — Il remplit la fonction
à'écuijer auprès du pape Etienne II, 628, note. — Il ne s'est jamais attri-
bué la souveraineté dans l'Exarchat, ni dans le duché de Rome, 272, etc.;
293, etc.
L'influence du clergé dans les affaires politiques, en France, ne fut
point une innovation de Pépin, 364 et 365, note. — Erreur de Sismondi
sur ce point , ibid.
PEUPLE (souveraineté du). Exposition de ce système, 667. — Ses graves
inconvénients, 668, 753. -—Il est plus dangereux que le système théo-
logique qui attribue au Pape , de droit divin , un pouvoir de juridiction
directe ou indirecte sur les souverains, 671. — li n'est pas le principe
fondamental de la monarchie mixte, 358, note. — Il sert de base à la
constitution présente de la Russie et de plusieurs autres États, 669 et
670, note.
PFEFFEL, auteur protestant. Il reconnaît la persuasion générale du moyen
âge, sur les effets temporels de l'excommunication, par rapport aux sou-
verains, 472. — Il reconnaît également cette persuasion, sur la dépendance
particulière de l'empire à l'égard du Pape, 509. — Il est peu d'accord
avec lui-même en cette matière, ibid.
PHILIPPE 1er, roi de France. Désordres de sa conduite, 371, 372, 453, texte
et notes, —Il est menacé d'excommunication par Grégoire VII, 453, etc.
— Il est excommunié et déposé par Urbain II dans le concile deClermont,
455, etc. — Ce fait est contesté mal à propos, par Bossuet et quelques
antres écrivains modernes, 456.'— L'usage et la persuasion générale du
TABLÉ DES MATIÈRES. 789
moyen âge, sur les effets de l'excommunication, par rapport aux souve-
rains, sont établis par les circonstances de ce fait, 456, etc.; 460, etc.
(Voyez Ives de Chartres.)
PHILIPPE II (Auguste) , roi de France— Ses démêlés avec Jean sans Terre,
(en 1202), à l'occasion de l'assassinat d'Artus, comte de Bretagne , 561, etc.
(Voyez Innocent III.) — Il accepte (en 1211) le royaume d'Angleterre,
pour un de ses fils, après la déposition de Jean sans Terre, 459 et 482.
PHILIPPE III (le Hardi) , roi de France , accepte le royaume d'Aragon qui
lui était offert par le Pape, pour un de ses fils, 483.
PHILIPPE IV (le Bel), roi de France. Démêlés de ce prince avec Boni-
face VIII, 569, etc. (Voyez Boniface VIII.) — Fâcheuses préventions qui
existaient alors en France contre le Pape, 574, etc.; 697 — Jugement de
Sismondi sur cette affaire, ibid. — Les droits de suzeraineté du Pape
sur plusieurs États et ses droits particuliers sur l'empire, alors reconnus
en France , 483, 490, etc.
PHILIPPE II, roi d'Espagne, cède la Belgique à sa fille Isabelle et à son
futur mari , Albert d'Autriche , 651 . — Conditions remarquables de cette
cession, ibid. (Voyez Espagne.)
PHILOSOPHES. Sentiment des plus célèbres philosophes, anciens et mo-
dernes, sur l'étroite union de la Religion et de l'État, 3, 19, note. (Voyez
Publicistes.)
PIE V, pape. Sa bulle d'excommunication et de déposition contre Elisabeth,
reine d'Angleterre, 587, etc.; 649, etc. — Cette bulle ne suppose pas l'o-
pinion théologique du droit divin, sur le pouvoir de l'Église en matière
temporelle, ibid. (Voyez Elisabeth.)
PIE VII, pape. Instructions secrètes , faussement attribuées à ce pontife,
en faveur de l'opinion théologique du pouvoir indirect de l'Église sur les
choses temporelles, 749, etc. —Témoignage de M. le chevalier Artaud de
Montor, sur la fausseté de ces pièces, 751.
PIERRE DAMIEN (saint), cardinal, contemporain et ami de Grégoire VII.
Tableau qu'il fait des désordres de la société à cette époque, 369, etc. —
Sa doctrine sur la distinction et l'indépendance réciproque des deux
puissances, 524, etc.
PIERRE DE BLOIS écrit au pape Célestin III , au nom de la reine d'Angle-
terre, Éléonore, 451. (Voyez Éléonore.)
PIERRE III , roi d'Aragon , est privé de son royaume par le pape Martin IV,
483.
PLATON. Ses principes sur l'union de la Religion et de l'État, 3, 4.
POIDS ET MESURES. Leurs types conservés autrefois dans les temples,
comme des choses sacrées et inviolables, 179. — Justinien charge les
évêques de veiller à leur conservation , ibid.
Poids et mesures des anciens , comparés avec les modernes ; auteurs à
consulter sur ce point, 705, note. — Valeur delà livre romaine, 63 et
87, notes; 705, etc. — Valeur de Yonce, 705. — Valeur du talent at-
tique, 10, texte et note. — Divers sens du mot talent, dans les auteurs
du moyen âge, 711, etc. — Valeur du médimne attique, 107, note
Valeur du centenaire d'or, 711.
POLOGNE (royaume de). Condition de catholicisme, imposée aux souve-
rains par la constitution de ce royaume, 652.
PONTIFES. (Voyez Prêtres , Souverain pontife.)
PORTUGAL. Les rois de Portugal et d'Espagne choisissent le saint-siége pour
790 TABLE DES MATIÈRES.
arbitre de leurs différends sur les pays nouvellement découverts, 576, etc.
(Voyez Alexandre VI.)
POUVOIR DE L'ÉGLISE ET DU PAPE, sur les choses temporelles. (Voyez
Église, Pape, Puissances.)
POUVOIR TEMPOREL DU CLERGÉ. (Voyez Clergé.)
PRÉFECTURE, PRÉFET DU PRÉTOIRE. Ses attributions avant Constantin,
44, note. — Elles sont restreintes par ce prince, ibid. — Il divise tout
l'empire en quatre préfectures, ibid.
PRÉMICES. (Voyez Dîme.)
PRÊTRES. Honneurs et prérogatives dont ils jouissaient chez les peuples an-
ciens, 2, etc. — Privilèges des prêtres païens , maintenus sous Constantin
et ses successeurs, 23. — Honneurs et privilèges des prêtres païens, ap-
pliqués aux ministres de la religion chrétienne, sous les empereurs chré-
tiens, 29, 30, etc. (Voyez Clergé, Religion.)
PRIMAUTÉ DU SAINT-SIÈGE. (Voyez Pape.)
PRINCES. (Voyez Puissances.)
PROFESSION DE FOI. (Voyez Dogme, Foi.)
PROTESTANTS. Principes de Calvin et des premiers réformateurs, sur l'in-
compatibilité du pouvoir temporel avec le spirituel, dans la personne des
ministres sacrés, 308, note; 633, note. — Réfutation de ces princi-
pes, 633 , etc. — Déclamations des premiers réformateurs contre l'Église
et le saint-siége, par suite de ces principes, 310, 329. — Leurs déclama-
tions contre Pépin et Charlemagne, par suite des mêmes principes, 736.
— Ces déclamations trop facilement répétées par un certain nombre d'au-
teurs catholiques, 310. — Les protestants modernes généralement éloignés
de l'exagération des anciens sur ce sujet, ibid. , note; 329 et 330, 350,
texte et notes, (Voyez Eichorn, Hurter, Leibniz, Voigt, etc.) — Auteurs
protestants modernes, qui expliquent la conduite des Papes envers les
souverains, au moyen âge, par le droit public alors en vigueur, 644, etc.
— importance de ces aveux, 646.
PRUDENCE, poëte chrétien du ive siècle, suppose, comme un fait notoire,
qu'à l'époque de la requête deSymmaque, la majorité du sénat était
encore païenne, 60, note. — Erreur de M. Beugnot sur ce point, ibid.
PUBL1CISTES. Sentiment des plus célèbres publicistes anciens et modernes,
sur l'étroite union de la Religion et de l'État, 3, 19, note; 69, etc. —
Leurs principes sur le droit qu'a le peuple, en certains cas , de se choisir
un nouveau souverain, 233. (Voyez Aristote, Bossuet, Cicéron, Grotius,
Machiavel, Montesquieu, Platon, Puffendorf.)
PUFFENDORF. Ses principes sur le droit qu'a le peuple, en certains cas,
de se choisir un nouveau souverain, 233. (Voyez Publicistes.)
PUISSANCES. Distinction et indépendance réciproque des deux puissances ,
72-74, 331. — Doctrine de l'antiquité sur ce point, 199, 202, 209, 312,
521. — Cette doctrine souvent reconnue par les empereurs chrétiens, 72.
— En quel sens Constantin se disait Vévêque du dehors , 73. — La dis-
tinction et l'indépendance réciproque des deux puissances, proclamée dans
les Capitulaires , 521. — Cette doctrine généralement reconnue sous
Grégoire VII, 524, etc. — La même doctrine exprimée dans le me concile
général de Latran, 426.— Cette doctrine enseignée par le pape Innocent III,
559. — Les entreprises réciproques des deux puissances ne prouvent pas
l'ignorance des vrais principes sur leurs limites respectives, 529 , etc. —
En quel sens le pouvoir spirituel est supérieur au temporel, 201 , 533,
557, etc.
TABLE DES MATIÈRES. 791
Ces deux pouvoirs ne sont pas incompatibles par leur nature, 307, 308,
633, etc. — Nécessité de leur union, 67, etc.; 528. (Voyez Gouverne-
ment, Religion.) — Le mélange du spirituel et du temporel, dans les actes
de la législation , tant ecclésiastique que civile , suite naturelle de cette
union, 66, note; 171, etc. ; 527, etc. — Les lois divines et ecclésiastiques
sanctionnées de peines temporelles , par suite de cette union, 67, etc.;
395, etc. — Principes sur l'usage de la puissance temporelle en matière
de religion. (Voyez Délits ^Gouvernement.)
Origine , progrès et vicissitudes de l'opinion théologique qui attribue à
l'Église et au Pape, de droit divin, un pouvoir de juridiction direct ou
indirect sur les choses temporelles, 327, etc.; 520, etc.; 738, etc. —
Cette opinion était à peine connue avant Grégoire VII, 519, etc. — Elle n'a
commencé à se répandre qu'assez longtemps après, 533 , etc. — Elle n'a
jamais été autorisée par aucune définition ou décret de foi, 331, 553,
598, etc. (Voyez Dogme.) — Opinion du pouvoir direct, 739, etc. — D'où
vient qu'elle a excité, dans le principe, si peu de réclamations, 742. — Opi-
nion du pouvoir indirect, 327, etc. ; 743 , etc. — Modifications apportées
par quelques auteurs à cette dernière opinion, 745. — En quoi elle diffère de
celle de Fénelon, 746 , etc. — Opposition des protestants pour le système
théologique <lu droit divin, 329. — Opposition plus modérée de plusieurs
écrivains catholiques, 330, etc. — Déclin de l'opinion théologique du
droit divin , 748, etc. — Le saint-siége y attache peu d'importance, 329 ,
597, 748 , etc. — Observations sur quelques arguments allégués en fa-
veur de cette opinion, 201, 221 , etc. ; 534, etc. ; 553, etc. (Voyez Église.)
Lutte des deux puissances au moyen âge; son véritable objet, xvj ,
662, etc. ; 682. — Erreurs manifestes de quelques auteurs sur la cause de
cette lutte, 678 , etc. — Sur sa durée, 665 , note; 682, etc. — Sur Vuni*
versalité des guerres qui en furent la suite, 682.
PULCHÉRIE, impératrice. Ses libéralités envers les pauvres et les égli-
ses, 120.
RAOUL ROCHE'iTE , membre de l'Académie des Inscriptions. — Sagesse et
modération de ses jugements , dans son Discours sur les heureux effets
de la puissance pontificale , au moyen âge, 693.
RAVENNE, capitale de l'exarchat de ce nom. (Voyez Exarchat.) — En quel
sens Ravenne est comptée parmi les métropoles du royaume de Charle-
magne, dans son testament dressé en 811, 301, etc. — Méprise de Mar-
chettisur ce point, 301, note.
RECEVEUR (M. l'abbé), professeur de théologie morale en Sorbonne. Sa
nouvelle Histoire de l'Eglise peut servir de correctif à une foule d'ou-
vrages modernes sur le même sujet, ix et 433, notes-.— - -L'auteur explique,
par le droit public du moyen âge, la conduite des Papes et des conciles
à l'égard des souverains, 643, etc.
REIMS (concile de). Adoucissements apportés aux effets temporels de la
pénitence publique, par un concile tenu à Reims en 924, 408.
RELIGIEUX. (Voyez Monastères.)
RELIGION. — I. Religion en général. — Elle a été regardée, de tout temps,
comme la base de l'ordre public, 1, etc. ; 67, etc. — Honneurs accordés
à la religion et à ses ministres, chez tous les peuples anciens, 2 , etc. —
Chez les Hébreux , 6. — Chez les Égyptiens ,7— Chez les Grecs en géné-
ral, 8 — Chez les Athéniens, 11. — Chez les anciens Romains, 13-23. —
792 TABLE DES MATIÈRES.
Permanence de ces honneurs, dans la décadence delà république et sous
les empereurs païens, 17-23.
Religions étrangères, prohibées chez les peuples anciens, 4, 5, 12, 13, 14,
24-26. — Application de cette loi aux cérémonies égyptiennes et judaï-
ques sous Auguste et Tibère, 25, 26. Cette prohibition sert de prétexte
aux païens pour persécuter les chrétiens, 26-29.
II. Étroite union de la religion et de l'État. — Principes de tous les
anciens gouvernements sur ce point, 67-69. — Ces principes reconnus
par les plus célèbres publicistes anciens et modernes, 4, 25, 69-71. —
L'application de ces principes souvent difficile, 71. — Règles à suivre en
cette matière, 72-76. — Étroite union de la religion et du gouvernement
sous les empereurs]chrétiens, 29, 30, 45, etc. ; 64,[etc— Cette union encore
plus étroite dans les gouvernements du moyen âge, 360 , etc. ; 528. — Les
lois divines et ecclésiastiques sanctionnées de peines temporelles par suite
de cette union, 46, etc.; 67, etc. ; 396, etc. (Voyez Délits, Gouverne-
ment, Puissances.)
III. Religion chrétienne. — Merveille de son établissement, 46-49- —
Son état et ses progrès dans l'empire avant Constantin , ibid. — Le triom-
phe du christianisme sur l'idolâtrie était assuré avant la conversion de
Constantin, 50. — Erreurs de M. Beugnot sur ce point, 49, note. — Insuf-
fisance de la protection des princes pour soutenir la religion, 95. — Mer-
veille de sa conservation, depuis la conversion de Constantin, 95-97. —
Origine des faveurs qui lui ont été accordées par Constantin et ses succes-
seurs, 30, etc. — Puissantes ressources qu'elle offrait à l'empire sous
les premiers empereurs chrétiens, 31 , etc. — Elle soutient l'empire contre
les ennemis du dehors, 41, etc. — Elle est généralement respectée au
milieu des désordres du moyen âge, 372. — Puissantes ressources qu'elle
offrait à la société contre ces désordres, 373 , etc.
RÉPUBLIQUE ROMAINE. (Voyez Rome, Sénat.)
RÉPUBLIQUES ou Communes au moyen âge, 279, note.
RICHARD Ier, roi d'Angleterre. (Voyez Éléonore.)
RICHESSES DU CLERGÉ. (Voyez Biens ecclésastiques.)
ROBERT GU1SCARD, fondateur du royaume de Naples, en 1059, feudataii e
du saint-siége, 610, etc. — Texte du serment féodal qu'il prête au
Pape, ibid. %
RODOLPHE, duc de Souabe, est élu empereur, en 1077, après la déposition
du roi de Germanie (Henri IV), 496.
ROMAINS. Respect des anciens Romains pour la religion , 13, etc. (Voyez
Religion. ) — Contradiction entre leurs principes et leur conduite , sur ce
point, dans la décadence de la république, 17-20.
ROME, et plusieurs autres villes de l'empire, sauvées par l'influence des évo-
ques sur les ennemis de l'empire, 42. — Étendue et limites du duché de
Rome, sous la monarchie des Lombards, 205, note. — En quel sens les villes
et provinces d'Italie soumises au saint-siége, depuis le pontificat de Gré-
goire Il , sont appelées république romaine , 235, note. — Contestations
sur la souveraineté de Rome et de l'Exarchat, depuis le pontificat de Gré-
goire II, 263, etc. (Voyez Charlemagne, Pape, Patrice, Pépin.) — En quel
sens Rome est comptée parmi les métropoles du royaume de Charlema-
gne , dans son testament dressé en 81 1 , 301, etc. — Méprise de Marchetti
sur ce point, 301, note. — Régime municipal de Rome et de plusieurs
autres villes d'Italie , à cette époque et longtemps après , 279 , note.
ROMULUS. Ses lois et celles de Numa en faveur de la religion, 3, 13, etc. —
TABLE DES MATIÈRES. 793
Elles paraissent empruntées aux Grecs et à d'autres peuples orientaux, 16.
— Elles interdisent les sacrifices et les cérémonies nocturnes, 14.
ROSELLI (Nicolas), cardinal d'Aragon, auteur du xive siècle, suppose,
comme un point de droit public universellement reconnu , que l'empe-
reur qui persévère opiniâtrement dans l'excommunication pendant une
année entière, encourt la peine de déposition , 437, note.
SACRAMENTAIRE DE SAINT GRÉGOIRE. Exemplaires de cet ouvrage en
usage en France au ixe siècle, 500, 725. — Leur ancienneté, 500 et 628 ,
notes.
SACRIFICES NOCTURNES. (Voyez Divination secrète.)
SACRILÈGE. Dispositions du droit romain sur ce point, 91.
SAINT-SIEGE. (Voyez Pape.)
SARISBERY (Jean de). (Voyez Jean.)
SAVONNIÈRES (concile de). (Voyez Charles le Chauve.)
SEIGNEURIES ECCLÉSIASTIQUES. Seigneuries de l'Église romaine, sous le
pontificat de saint Grégoire et depuis, 126, etc. — Origine des Seigneuries
ecclésiastiques dans tous les États chrétiens de l'Europe au moyen âge ,
385.
SÉNAT ET PEUPLE ROMAIN. Us se regardent comme sujets du Pape de-
puis la donation de Pépin, 249. — Us n'avaient aucune part à la souve-
raineté de Rome depuis cette époque, 279, 618, etc. — Le sénat n'était
plus alors qu'un corps municipal, semblable à celui qui existait dans
plusieurs villes d'Italie, ibid., texte et notes.
SENCKENBERG, auteur protestant et célèbre jurisconsulte du dernier siècle,
regarde comme un point à l'abri de toute contestation l'autorité des deux
compilations du droit germanique, composées au xuie siècle, 626, texte
et notes.— Aveu remarquable de cet auteur, sur l'application que les Papes
du moyen âge ont faite aux souverains, des principes de droit public
alors généralement reconnus, 676.
SERG1US IT , pape. Le prince Louis, fils de Lothaire 1er, est envoyé à Rome ,
par son père, sous le pontificat de Sergius II , 288. — Assurance que ce
pontife exige du jeune prince , avant de l'admettre dans l'Église de Saint-
Pierre, ibid. — Il ne permet pas aux Romains de lui prêter serment de
fidélité, ibid.
SERMENT. En quel sens l'Église et le Pape peuvent en dispenser, 338 et 339,
texte et notes ; 745. — La sentence du Pape, qui a quelquefois dispensé
les sujets de leur serment de fidélité, était fondée tout à la fois sur le droit
divin et sur le droit humain, 338 et 339, texte et note. — Cette sen-
tence était-elle un acte de juridiction? ibid.
Serment de catholicisme, exigé des magistrats par Justinien, 90. — Sem-
blable serment prêté par les empereurs romains, depuis la fin du ve siècle,
187. — semblable serment, exigé des rois goths en Espagne, 93 — Consé-
quences de ce serment, relativement à la déposition d'un prince hérétique,
189, etc.
Serment de fidélité, prêté par les Romains au roi de France, comme
patrice des Romains, 293, etc. ; 303 —Ce serment ne prouve pas que le
roi de France eût la souveraineté dans Rome , 294 , 303. — Avant l'éléva-
tion de Charlemagne à l'empire , les Romains prêtaient également ser-
ment de fidélité au Pape et au roi de France, 295.
Serment de fidélité , prêté par les Romains aux empereurs carlovin-
794 TABLE DES MATIÈRES.
giens , 287, etc. ; 619. — Conséquences de ce serment , relativement à la
souveraineté de Rome à cette époque , ibid.
Serment de fidélité, prêté au Pape par les empereurs Ce serment
ne paraît pas avoir été prêté par Charlemagne dans la cérémonie de son
couronnement, 499, note ; 724. — Ce serment a été prêté dès le ixe siècle,
et pendant les siècles suivants, par les successeurs de Charlemagne,
499, etc. ; 725. — Ancienne formule de ce serment, 724. — Ses différentes
formules depuis leixe siècle, 500, etc — Formule dressée par Grégoire VII,
502. — Formule en usage auxie siècle, d'après le Pontifical romain, 506.
— Sens et conséquences de ce serment, 499, etc. ; 507. — Différence entre
le serment de fidélité prêté au Pape par les empereurs, et celui que lui
prêtaient les princes feudataires du saint-siége, 485, 500, 610, etc.
Serment de suprématie exigé des catholiques anglais, depuis le schisme
de Henri VIII , 589. — Serment d'allégeance exigé par le roi Jacques Ier
et ses successeurs, 589, etc. — Ce serment est condamné par Paul V, 590.
(Voyez Paul V. ) — Cette décision est confirmée par le pape Innocent X ,
591, note. — Soixante docteurs de Sorbonne donnent une autre décision,
qui est mise à Y Index, ibid. , et 593, note. — Embarras de Bossuet sur
cette question ,591, note. — Ouvrages à consulter sur cette controverse ,
589, note.
SESTERCES. (Voyez xMonnaies.)
SICILE. Origine des droits du saint-siége sur la Sicile, 230, 286, texte et
notes. — La Sicile autrefois regardée comme un fief du saint-siége, 482. —
Le Pape donne ce royaume à Charles d'Anjou , frère de saint Louis, 483.
— Condition de catholicisme imposée , de nos jours , au roi par la con-
stitution sicilienne, 651.
SISMONDI , historien protestant. Esprit de ses ouvrages historiques,
xxiij. — Il est peu d'accord avec lui-même dans ses jugements sur les
Papes du vme siècle, 274 et 314. — Il regarde mal à propos, comme une
innovation de Pépin, l'influence politique du clergé en France, 364, note.
— Son opinion sur l'intervention du pape Innocent III entre Philippe-
Auguste et Jean sans Terre, à l'occasion de l'assassinat d'Artus, comte de
Bretagne , 563 , note. — Jugement qu'il porte sur les démêlés de Philippe
le Bel avec Boniface VIII, 575. — Ce jugement adopté plus ou moins ou-
vertement par nos plus graves historiens, 576, note.
SIXTE V, pape, paraît admettre, comme docteur particulier, l'opinion
théologique du pouvoir direct de l'Église sur les choses temporelles, 597
et 743, note. — Il met à l'Index l'ouvrage de Bellarmin, De Romano Pon-
tifice, 743 , note. — Cet article de X Index est supprimé par le pape Ur-
bain VII, ibid. — Bulle de Sixte V contre le roi de Navarre (Henri IV) et le
prince de Condé , 594 , etc. — Cette bulle ne suppose pas l'opinion théolo-
gique du droit divin , sur le pouvoir de l'Église en matière temporelle ,
596, etc.
SOCIÉTÉ. La religion base nécessaire de la société, 1, etc. (Voyez Religion.)
V_ État de la société dans l'empire, sous les premiers empereurs chrétiens,
30 , etc. (Voyez Empire.) — État de la société au moyen âge, 367. (Voyez
Moyen âge.)
SOU. (Voyez Monnaies. )
SOUVERAIN PONTIFE. Honneurs et prérogatives dont il jouissait chez les
anciens Hébreux , 7. — Ses prérogatives chez les anciens Romains, 21 —
L'empereur Auguste et ses successeurs joignent ce titre à la dignité impé-
TABLE DES MATIÈRES. 795
riale , 22. — Les empereurs chrétiens conservent ce titre jusqu'à Gratien ,
sans en exercer les fonctions, 22, 23. (Voyez Pape.)
SOUVERAINETÉ. — Souveraineté du peuple. (Voyez Peuple.) — Souve-
raineté de Rome. Importance de cette question dans l'histoire du moyen
âge, xvj, 268. (Voyez Empereur, Pape, Patrice.) — Souveraineté tempo-
relle du saint-siége. ( Voyez Pape. )
SOUVERAINS. (Voyez Puissances.)
SPOLETTE (duché de). Les habitants de ce duché manifestent l'intention de
se mettre sous la protection du roi de France par l'entremise du pape
Etienne II , 254 , note. — Ils se donnent au saint-siége sous le pontificat
d'Adrien 1er, 253 , note. — A quel titre Charlemagne et ses successeurs
conservent la souveraineté de ce duché, 262, note; 287.
STUART. (Voyez Marie Stuart.)
SUÈDE (royaume de). Vestiges du droit public du moyen âge, relativement à
la déposition des souverains, dans la constitution moderne de ce royaume,
656, 658. — Apostasie du maréchal Bernadotte, conformément à cet ar-
ticle de la constitution suédoise, 657, note.
SUZE (Henri de), cardinal d'Ostie, soutient l'opinion théologique du pouvoir
direct de l'Église sur les choses temporelles, 742.
SUZERAIN (seigneur); SUZERAINETÉ (droit de). —Ce qu'on entend par
ces mots , 386 , note. — Droits de suzeraineté du saint-siége sur plusieurs
États, au moyen âge, 386, etc.; 482, etc. ; 609, etc. — Origine de ces
droits, 386, etc. ; 535, note. — Conséquences de ces droits, d'après l'usage
et la persuasion universelle du moyen âge, 482, etc. ; 610, etc. (Voyez An-
gleterre , Sicile , Venise , etc. ) — Avec quelle modération les Papes ont
usé de ces droits , 661 , etc. — En quel sens l'empire était fief du saint-
siége, 434, 484 , etc. ; 568, notes. — Discussion , à ce sujet, entre Frédé-
ric Ier et Adrien IV, 503, etc. — Le roi de France, et quelques autres sou-
verains, exempts de toute dépendance féodale, 613, etc.; 646.
SYMMAQUE, pape. Sa conduite envers l'empereur Anastase, protecteur des
Eutychiens, 190. — Sa doctrine sur la distinction et l'indépendance réci-
proque des deux puissances, 202.
SYMMAQUE, sénateur romain au ive siècle. Sa Requête aux empereurs Gra-
tien et Valentinien II pour le rétablissement de Y autel de la Victoire,
57, note; 59-61. — Celte Requête est combattue par saint Ambroise, 60,
61 .—Les empereurs n'y ont aucun égard, 61 .—• Syrnmaque exilé de Rome,
par Théodose, en punition de son obstination, ibid.
TABLES. (Voyez Lois des XII Tables.)
TALENT. (Voyez Poids.)
TEMPLES. Richesses prodigieuses de plusieurs anciens temples , 708 , etc.
(Voyez Bélus, Delphes, Jérusalem, Jupiter Capitolin.) — Les temples du
paganisme souvent conservés par les empereurs chrétiens, 57, 702, texte
et notes. — Sentiment des saints docteurs sur ce point, 702, note.
TERTULL1EN. Progrès étonnants du christianisme, de son temps, 47. — Ses
remontrances aux empereurs païens, sur l'injustice des édits de persécu-
tion publiés contre les chrétiens, 26-29.
THÉMIST1US , philosophe païen , loue hautement la conduite modérée de
Jovien , à l'égard des païens, 58.
THÉODOSE le Grand tolère d'abord l'exercice de l'idolâtrie, 61, 62. — Il
donne les derniers coups au paganisme dans l'empire, 24, 62 , etc. — Il
presse moins vivement à Rome l'exécution de ses édits, 64 , 702. — Il les
796 TABLE DES MATIÈRES.
« fait exécuter, même à Rome, à la fin de sa vie, 64. — 11 confirme le ier
concile général de Constantinople,65. —Ses lois contre les hérétiques, 75,
note ; 84, etc. — Sa modération dans l'application de ces lois, 79. — Ses
lois contre les Juifs, 81. — Ses lois concernant les donations faites à l'É-
glise et aux clercs, 117. — Il confirme le droit d'asile, 157.
THÉODOSE LE JEUNE confirme le concile général d'Ëphèse, 65. — Ses lois
en faveur de la religion chrétienne, 65. — Ses lois contre les Juifs, 81, 82.
— Ses lois contre les hérétiques , 87, etc. — Ses lois contre les apostats,
91. — Ses lois concernant les biens ecclésiastiques, 118.
THÉOPHANE , auteur grec du vme siècle. Récit qu'il fait de la révolution
arrivée en Italie sous Grégoire II, 220. — Ce récit suivi par les auteurs
grecs plus récents, ibid. — Opposition de ce récit avec celui des Latins,
ibid. (Voyez Grégoire II. ) — Faible autorité des historiens grecs sur ce
point , 224 — Absolution du crime d'usurpation , donnée à Pépin , selon
Théophane, par le pape Etienne II, 736.
THÉOPHILE, patriarche d'Alexandrie. Son pouvoir temporel, 182, note;
183.
THOMAS D'AQUIN (saint) paraît adopter l'opinion théologique An pouvoir
direct de l'Église sur les choses temporelles, 744 et 745, notes.
THOMAS DE CANTORRÉRY (saint) paraît adopter l'opinion théologique du
pouvoir direct de l'Église sur les choses temporelles, 741. — Ses démêlés
avec Henri II, roi d'Angleterre, 448, etc. (Voyez Henri II.)
TBOMASSIN (le P.) exagère le pouvoir temporel des évêques et des patriar-
ches sous Constantin , 176 et 182 , notes.
TIRÈRE, empereur, renouvelle les anciennes lois romaines contre les cultes
étrangers, 26.
TILLEMONT (le Nain de) obscurcit les vrais principes sur l'usage de la puis-
sance temporelle en matière de religion, 24 et 71, notes. — Il établit soli-
dement l'authenticité de la loi de Constantin à Ablave, sur la juridiction
ecclésiastique, 167, note. (Voyez Constantin.)
TOLÈDE ( conciles de ) aux vne et vme siècles. — Ces conciles étaient des
assemblées mixtes, 365, 524. — Leurs dispositions sur les effets tempo-
rels de la pénitence publique], 401-404. — Dispositions du vie concile
contre les hérétiques, 93. — Dispositions du vue concile, sur l'élection du
roi , 365. — La déposition de Vamba , roi des Visigoths , ne doit pas être
attribuée au xne concile de Tolède, 403, note; 530.
TONSURE des Lombards et des Francs. (Voyez Chevelure.)
TOSCANE. Charlemagne et ses successeurs conservent assez longtemps la
souveraineté de la Toscane royale , sauf le tribut annuel que cette pro-
vince devait au saint-siége, 262 et 287, notes.
TRENTE (concile de). Son décret contre les duellistes et leurs fauteurs, ne
suppose pas l'opinion théologique du droit divin sur le pouvoir de l'Église
en matière temporelle, 582 et 583.
TROYES. Cette ville sauvée par la médiation de saint Loup, son évêque, 42.
TYRANNICIDE (doctrine du). Il ne paraît pas que Jean de Sarisbéry l'ait
soutenue, 740, note. — Cette doctrine est condamnée par le concile de
Constance, 593, note. — Différence entre cette doctrine et celle que le
serment d'allégeance condamnait comme hérétique , ibid. (Voyez Ser-
ment d'allégeance. ) — Principes dangereux soutenus , en cette matière ,
par de célèbres ligueurs, 752 et 753. — Principes encore plus dangereux ,
soutenus, sur cette matière , par les auteurs protestants, 753,
TABLE DES MATIÈRES. 797
UNION DES DEUX PUISSANCES. (Voyez Gouvernement , Puissances, Re-
ligion. )
URBAIN II , pape , excommunie et dépose le roi de France , Philippe Ier,
dans le concile de Clermont, 455, etc. (Voyez Philippe 1er.)
URBAIN VII , pape , raye de Y Index l'ouvrage du cardinal Bellarmin , De
Romano Pontifice, 743, note.
VALDRADE. ( Voyez Lothaire le Jeune.)
VALENTINIEN 1er, empereur, conserve et augmente les privilèges des prêtres
païens, 23, 24, 71, note. — Il laisse subsister X autel de la Victoire, ré-
tabli par Julien, 59. — Ses lois en faveur de la religion chrétienne, 66. —
Il restreint les immunités et les privilèges du clergé, 82 , 116 , 138. — Il
loue hautement la soumission des évêques à ce sujet, 151.
VALENTINIEN II , empereur, refuse aux sénateurs païens le rétablissement
de Y autel de la Victoire, 61. — Il tolère cependant l'exercice de l'idolâ-
trie, 61, 62. — Ses lois contre les hérétiques, 75 , note. — Ses lois contre
les Juifs , 81. — Il révoque les immunités accordées aux Juifs par Cons-
tantin, 82.
VALENTINIEN III , empereur. Ses lois en faveur de la religion chrétienne,
65. — Ses lois contre les apostats, 91.
VAMBA, roi des Visigoths, est dépouillé du trône par les intrigues d'Ervige,
son successeur, 402 , etc. ( Voyez Tolède.)
VAN-ESPEN, docteur de Louvain et canonisle célèbre. Son Traité des Cen-
sures ecclésiastiques, 411, note. — Hardiesse et témérité de cet auteur,
ibid.
VAN-G1LS, docteur de Louvain. Sa Lettre sur les sentiments de V an-
cienne Faculté de Louvain , par rapport à la Déclaration gallicane,
641, etc. (Voyez Faculté de Louvain.)
VELLY, auteur de Y Histoire de France, continuée par Garnier. — Esprit
de cet ouvrage, xxij. — Assertion inexacte de Velly sur les droits du
Pape, relativement à l'élection de l'empereur, 622, note. — Velly peu
d'accord avec lui-même, dans ses jugements sur la conduite des Papes du
vme siècle , à l'égard des empereurs de Constantinople, 310. — Comment
le continuateur de Velly (Garnier) explique l'origine et les progrès du
pouvoir temporel du clergé au moyen âge, 415.
VENISE (la république de), autrefois regardée comme \m fief du saint-siége,
483. — Démêlés du pape Jules II avec cette république, 661.
VERTOT, auteur de plusieurs ouvrages historiques. — Esprit de son ou-
vrage intitulé : Origine de la Grandeur de la cour de Home, xxij, 196.
— Il adopte trop légèrement les jugements sévères de certains auteurs
modernes, sur la conduite des Papes du vme siècle, à l'égard des empe-
reurs de Constantinople, 310. — 11 est peu d'accord avec lui-même, dans
les divers jugements qu'il porte de ces pontifes, ibid. — Il combat solide-
ment les auteurs qui supposent la couronne de France héréditaire avant
le règne de Pépin, 732, note.
VICTOIRE. ( voyez Autel de la Victoire.)
VISIGOTHS (Voyez Espagne, Lois des Visigoths.)
VOIGT, écrivain protestant, auteur de Y Histoire de Grégoire VII. — Es-
prit de cet ouvrage, 347, note. — - Comment l'auteur explique la conduite
de Grégoire VII envers le roi de Germanie (Henri IV) , 346, etc.
VOLTAIRE. — Aveux remarquables de cet auteur, sur l'importance de la
souveraineté temporelle du saint-siége , 320 , 664. — Sur les avantages du
798 TABLE DES MATIÈRES.
pouvoir temporel 'des Papes au moyen âge , 691. — Sur l'utilité des or-
dres monastiques , 382 , etc. — Sur le véritable objet de la lutte dés deux
puissances au moyen âge, xvj, 662. — Il reconnaît la persuasion générale
du moyen âge, sur les effets temporels de l'excommunication, par rap-
port aux souverains, 472.
WICLEF. Ses principes sur la propriété des biens ecclésiastiques, condamnés
par le concile de Constance , 637, etc.
YVES DE CHARTRES. (Voyez Ives. )
ZACHARIE, pape. Son caractère et ses vertus, 317. — Sa bonne intelligence
avec l'empereur de Constantinople, 234 , etc. — Ce prince lui donne de
nouveaux patrimoines en Italie, 235. — Les Lombards lui restituent
plusieurs villes et territoires de l'Exarchat, 234, 235. — Sa réponse aux
seigneurs français, sur l'élévation de Pépin au trône, 315. — Authenticité
de cette réponse ,727, etc. — Injustice des reproches fails à ce pontife , a
l'occasion de cette réponse, 316 , etc. — Cette réponse n'était point un
acte de juridiction sur le temporel , 318 , 334 , 515 , 530. — Elle ne sup-
pose pas l'opinion théologique du droit divin , sur le pouvoir de l'Église
en matière temporelle, 312.
ZOSIME, historien païen. Ce qu'il pense de la conduite de Théodose, à l'é-
gard de l'idolâtrie, 64.
FIN DE LA TABLE DES MATIERES.
ADDITIONS ET CORRECTIONS.
Pag. 263, note lrc, dernière ligne, ajoutez : tome v, 435, 444, 449.
268, note lre, dernière ligne, ajoutez: Receveur, Hist. de l'Église,
tomcv, p. 435, 444, 449.
352, marge, n° 21 , au lieu du mot intentions , lisez : institutions.
376, note 3e, au lieu de 379, lisez : 373.
388 , note tre, ajoutez : Receveur, Hist. de V Église, tome v, p. 409.
412, note lre, ligne 2e, au lieu de 335, lisez : 385.
443, dans le texte deBossuet, cite au bas de cette page , au lieu de ces
mots , à l'obéissance de l'Empereur, lisez : à l'obéissance du
Roi de Germanie. Cette correction est une conséquence natu-
relle de l'observation que nous avons faite dans les notes des
pages 434 et 506 , sur le titre d: Empereur , donné au Roi de
Germanie seulement après qu'il avait été couronné par le Pape.
477, note 2e, ajoutez : Receveur, Hist. de l'Église, tome iv, p. 402,
436,467.
559, note 2e, ajoutez : cette lettre d'Innocent III a été depuis insérée
dans le Corps du Droit. C'est la décrétale Per venerabilem ,
dont nous parlons plus bas , pag. 613 et 614.
580 , note lre. Ce serait peut-être ici le lieu de remarquer, en passant ,
que les désordres du pape Alexandre VI ont été prodigieusement
exagérés, par des écrivains passionnés et très-suspects. Voyez,
à ce sujet, Y Hist. de Léon X, par M. Audin, tome i, et Introd.
L'Ami de la Rel., tome cxxn, p. 292.
614 , notes , ligne 12e, au lieu de 552 , lisez ; 559.
625, note 2e, ligne 3e, au lieu de 497 , lisez : 498.
661 , note 2e, ajoutez : Audin, Hist. de Léon X, tome i , Introd., et
L'Ami de la Rel., tome cxxn, page 305 , etc.
743, note lie, ajoutez: On se confirmera de plus en plus dans cette
pensée, en lisant attentivement l'important ouvrage publié ré-
cemment par le vénérable archevêque de Cologne (Clem. Aug.
de Vischering), De la Paix entre l'Église et les États. Paris ,
1844, in-8°. — Voyez aussi les pièces indiquées ci-dessus,
pag. 749.
BRIGHAM YOUNG UNIVERSITY
3 1197 21083 9277
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