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Full text of "Prédiction tirée d'un vieux manuscrit sur La nouvelle Héloïse"

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(i(6^ol . 


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PREDICTION 

TIRÉE 

D'UN  VIEUX  MANUSCRIT 

SUR 

LA  NOUVELLE  HELOÏSE^ 
ROMAN 

3^E  J^  /,  ROU  S  S  EAVi 


PRÉDICTION 

TIRÉE 
V'i/N    VIEUX   MANUSCRIT. 


E 


N  ce  temps  iî  paroîrra  en  France  un 
homme  extraordinaire  ,  venu  des  bords 
d'un  Lac  ;  &  il  criera  au  Peuple,  Je  fuis 
poffcdé  du  Démon  de  renthouiîafme  j  j'ai-, 
reçu  du  Ciel  le  don  de  Tinconféquence  j 
je  fuis  Philofophe  ,  &:  Profelteur  du  para-, 
doxc. 

Et  la  multitude  courra  fur  fes  pas  j  & 
plusieurs  croiront  en  lui  ; 

Et  il  leur  dira  :  Vous  êtes  tous  des  (ck.^ 
Icrats  &  des  fripons ,  vos  femmes  font 
toutes  àts  femmes  perdues  ,  &  je  viens 
vivre  parmi  vous.  Et  il  abufera  de  la 
douceur  naturelle  de  ce  Peuple  pour  lui 
dire  &ts,  injures  ab  fur  des. 

Et  il  ajoutera  ,  tous  les   fiommes  fo«t 
vertueux  dans  le  pays  où  je  fuis  né,  &  je, 
n*îiabiterai  jamais  le  pays  ou  je  fuis  né- 
"  Et  il  foutiendraque  les  Sciences  &  les 

A  ij 


4 

les  Arts  corrompent  nécefTàirement  lel 
mœurs  -,  ôc  il  écrira  fur  toutes  fortes  de 
Sciences  &  d'Arts. 

Et  il  foutieiidra  que  le  Théâtre  eft  une 
fource  de  proftitation  &  de  corruption i 
&.  il  fera  des  Opéras  Se  des  Comédies. 

Et  il  écrira  qu'il  n'y  a  de  vertu  que 
chez  les  Sauvages  ,  quoiqu'il  n'ait  Jamais 
été  parmi  eux ,  &  qu'il  foit  bien  digne 
d'y  être. 

Et  il  confeiliera  aux  hommes  d'aller 
tous  nus  ;  &  il  portera  des  habits  galon-; 
nés ,  quand  on  lui  en  donnera. 

Et  il  dira  que  tous  les  Grands  font  des 
valets  méprifables  ;  &  il  fréquentera  les 
Grands ,  (îtôt  qu'ils  auront  la  curiofité  de 
le  voir  ,  comme  un  Animal  rare  venu  des 
pays  lointains. 

Et  il  s'occupera  à  copier  de  la  Mufique 
Françoife  •-,  6c  il  dira  qu'il  n'y  a  point  de 
Mufique  Françoife. 

Et  il  dira  auffi  qu'il  eft  impoflîble  d'a- 
voir des  mœurs  ,  &  de  lire  des  Romans  ; 
&  il  fera  un  Roman  -,  &  dans  fon  Roman, 
on  verra  le  vice  en  aéVion  &  la  vertu  en 
paroles ,  &  fes  perfonnages  feront  forcer 
nés  d'Amour  ^  de  Philofophie. 
'  Et  il  voudra  faire  entendre  à  tout  l'U- 
nivers qu'il  a  été  un  homme  à  bonnes 
fortunes ,  ôc  qu'il  fait  écrire  des  J-ettres 


5 
d'Amour  ,  ^  qu'il  en  a  reçu  ;  Se  cepen- 
dant on  connoîtra   évidemment   qu'il  a 
compofé  lui-même  les  Lettres  qu'il  a  re- 
çues. 

Et  dans  fort  Roman  on  apsprendra  Yâtt 
de  fubotner  philofophiquement  une  jeune 
fille. 

£t  l'Écolîere  perdra  toute  honte  &  tou- 
te pudeur  ;  &  elle  fera  avec  fon  Makrei 
des  fottifes  &  des  maximes. 

Et  elle  lui  donnera  la  prerriicré  un 
baifer  fur  la  bouche  ,  &  elle  l'invitera  à 
venir  coucher  avec  elle  ,  &  il  y  couche- 
ra -,  &  elle  deviendra  groHe  de  métaphy- 
fique  ;  &  Tes  billets  doux  feront  des  Ho- 
mélies philofophiques. 

Et  le  Philofophe  lui  apprendra  que 
les  parcns  n'ont  aucune  autorité  fur  leurs 
filles ,  quant  au  choix  d'un  Epoux  -,  &  il 
ies  peindra  comme  des  barbares  &  des 
dénaturés. 

Et  il  refufera  de  recevoir  des  honoraires 
du  Père  ,  par  la  délicatelTe  naturelle  à 
tout  homme  qui  craint  la  peine  afflidive  ; 
ôc  il  recevra  de  l'argent  de  la  fille  ,  maif 
en  cachette,  Ôc  il  prouvera  que  c'eft très- 
bien  fait. 

Et  il  s'enivrera  avec  un  Seigneur  An- 
glois  ,  qui  l'infultera  ,  &  il  propofera  au 
Seigneur  Anglois  de  fe  battre  avec  lui  > 

A  iij 


&■  fa  Maîtreiïe  qui  aura  perdu  Thonneur 
de  Ton  fexe  ,  décidera  de  celui  des  hom- 
mes ;&  elle  apprendra  au  Maître,  qui  lui 
a  tout  appris ,  qu'il  ne  doit  point  fe  battre. 

Et  il  recevra  une  penfion  du  Mylord, 
&  il  ira  à  Paris ,  &:  il  n'y  fréquentera  point 
les  gens  fenfés  &  honnêtes ,  &  il  n'y  verra 
que  des  filles  &  des  Petits-Maîtres  j  &  il 
croira  avoir  vu  Paris. 

Et  il  écrira  à  fa  MaîtrefTe  que  les  fem- 
mes font  des  Grenadiers ,  &  qu'elles  vont 
toutes  nues  ,  fc  qu'elles  ne  refufenr  riert 
à  tous  les  hommes  qu'elles  rencontrent. 

Et  lorfque  ces  mêmes  femmes  le  rece- 
vront à  la  Campagne  ,  &  auront  com- 
mencé à  fourire  à  fa  vanité,  il  trouve- 
ra en  elle  des  prodiges  de  vertu  &:  de 
rai  Ton. 

Et  les  Petits-Maîtres  le  mèneront  chez 
des  filles  de  mauvaife  vie,  &  il  s'y  eni- 
vrera comme  un  Sotj  &  il  couchera  avec 
ces  filles  ;  &:  il  écrira  {çiw  aventure  à  fa 
Maîtrefle  ;  &:  elle  le  remerciera. 

Et  il  recevra  le  portrait  de  fa  Maî- 
trefTe ,  &  Ton  imagination  s'allumera  à 
la  vue  de  ce  portrait  ;  &:  fa  MaîtreflTe  lui 
fera  des  le^"ons  obfccnes  de  chafteté  fo- 
liraire. 

Et  cette  fille  (\  amoureufe  ,  époufera  le 
premier  homme  qui  viendra  du  bout  da 


7 
fnonde  ;  &  cette  fille  fi  habiîe ,  n'imaginera 
aucun  expédient  pour  empêcher  ce  mâ- 
fiage  ;  &  elle  paiîèra  hardiment  des  hx3.t 
d'un  Amant  ,  dans  ceux  d'un  épou3c 

Et  le  Marî  faura  avant  de  l'cpoufef, 
•qu^elle  éfl:  amoureufe  &  aimée  à  la  fLireut 
d'un  autre  homme  ;  &  il  fera  volontaire- 
ment leur  malheur,  &  il  fera  pourtant  un' 
honnête  homme ,  &  cet  honnête  hommç 
fera  pourtant  un  Athée. 

Et  au(îî-tôt  après  le  mariage  ,1a  femme 
fe  trouvera  très-heuieufe  ;  &  elle  écrira  à 
fon  Amant,  que  fi  elle  étoitencore  libre > 
elle  épouferoit  Ton  Mari  plutôt  que  loi. 
Et  le  Philoiophe  voudra  /ê  tuer. 
Et  il  fera  une  longue  Diflertation  ,  pour 
prouver  qu'on  doit  toujours  fetuer  lorf- 
qu'oa  a  perdu  fa  Maître He  ;  &  fon  atnî 
lui  prouvera  que  la  chofe  n'en  vaut  pas 
la  peine  j  &c  le  Philofophe  ne  fe   tuera; 
pas. 

Et  il  ira  faire  le  tour  du  monde,  poYir 

.     donner  aux  enfans  de  fa  MaurelTe  le  tems 

de  croître  ,  &  pour  revenir  enfuite  erre 

leur  Précepteur  ,   &  leur  apprendre  4a 

vertu  tomme  à  leur  Mère. 

Et  il  n'aura  rien  vu  dans  le  tour  d«* 
ïnoa^de. 

Bi  îi  reviendra  en  Eutôpe. 
Et  cependant  le  Mari  de  fié  MajctcfTô  i- 

à  ii] 


qui  fait  toute  leur  inurif^ue ,  fera  venir  le 
bel   Ami  dans  fa  maifon. 

Ec  la  femme  vercueufe  fautera  à  fon  cou 
à  fon  arrivée-,  &  le  Mari  fera  charmé  ;  de 
ils  s'embrafleront  chaque  jour  cous  les 
trois  ',  &c  le  Mari  leur  fera  de  jolies  plai- 
fanteries  fur  leur  aventure,  &  il  les  croira 
devenus  riKonnables  ;  Se  ils  s'aimeront 
toujours  avec  rranrport ,  &  ils  prendront 
pîaifir  à  fe  rappeîler  leur  tendreffe  &  leurs 
voluptés ,  &  ils  fe  ferreront  la  main  ,  ôc 
ils  pleureront. 

Et  le  btl  Ami  étant  dans  un  Bateau  feul 
avec  fa  Maicreoe  ,  voudra  la  jetter  dans 
l'eau  ,  &  fe  précipiter  avec  elle. 

Et  ils  appelicroiu  tout  cela  de  la  Philo 
fophie  &  de  la  vertu. 

Et  à  force  de  parler  Philofophie  8c 
Vertu  ,  on  ne  comprendra  plus  ce  que  c'eft 
Vertu  &  Philofophie. 

Et  la  Vertu  ,  félon  leurs  maximes,  ne 
cor.fiftera  plus  dans  la  cramte  Ôc  la 
fuite  du  danger  ;  elle  confiflera  dans  le 
plaifir  de  s'y  expofer  fans  ce(fe  ;  &  la 
Philofophie  ne  fera  plus  que  Tart  de  ren- 
dre le  vice  intéreffant. 

Et  la  Maîtreffe  du  Philofophe  aura 
quelques  arbres  &  un  ruiffeau  dans  fon 
jardin  ,  &  appellera  cela  ,  fon  Etyfée  ;  Ôc 
perfonne  ne  pourra  comprendre  ce  que 
c'eft  que  cet  Elyféu 


5 

Et  elle  donnera  tous  les  jours  à  man- 
ger à  des  moineaux  ,  dans  Ton  jardin;  & 
elle  veillera  fur  Tes  domeftiques  mâles  6c 
femelles ,  pour  qu'ils  ne  fa0ènc  pas  les 
mêmes  fottifes  qu'elle. 

Et  elle  jouera  au  milieu  de  fes  Ven- 
dangeurs ,  &:  même  elle  en  fera  refpec- 
tée  j  &  elle  teillera  du  ehanvre  avec  eux, 
ayant  Ton  Amant  à  Tes  côtes. 

Et  le  Philoiophe  voudra  teiller  du 
chanvre,  le  lendemain  ,  le  furlendemaiii 
&  toute  fa  vie. 

Et  les  Vendangeurs  chanteront  des 
Chanfons  5  &  le  Philofophe  fera  enchanté 
de  leur  mélodie,  encore  que  ce  ne  foie 
pas  de  la  Mufîqùe  Italienne. 

Et  elle  élèvera  Tes  enfans  avec  grand 
foin  ,  prenant  [garde  qu'ils  ne  parlent  ja- 
mais en  compagnie,  &  que  perfonne  ne 
leur  apprenne  qu'il  y  a  un  Dieu. 

Et  elle  fera  gourmande  -,  mais  elle  ne 
mangera  des  pois  &  jdes  fèves  que  rare- 
ment &  dans  le  Sallon  d'/\polion',  &  le 
tout  par  mortification  philofophique. 

Et  elle  feia  pédante  dans  tout  ce  qu'elle 
fera  &  dira  ;  &  toutes  les  femmes  feront 
méprifables  auprès  d'elle. 

Et  le  bel  ami  ira  pêcher  dans  un  Lac 
avec  fa  MaîtrefTe ,  ^  il  prendra  des  poif- 
fons  ,  &  il  les  rejettera    dans  Teau  ,  fans 


fÔ 

s'errtarrafTer  fi  les  gens  ont  de  quoi  dî- 
ner -,  &  il  craindra  de  nuire  aux  animaux  > 
êc  il  mangera  de  tous. 

Et  iî  aimera  le  vin  ,  &  il  en  boira  ;  & 
<]uand  il  en  aura  bu  avec  excès ,  il  regar- 
dera la  gorge  des  Valafanes  avec  concu- 
pifcence  ;  &  il  prendra  querelle  avec  Ton 
meilleur  Ami  ;  &  il  dira  des  ordures  grof- 
iîères  à  fa  célefte  &  fainre  MaîcrefTe  ,  & 
il  fera  pis  encore  avec  des  filles  de  joie. 

Et  il  aimera  toujours  le  vin  ,  Se  il  en 
€n  boira  toujours^  &  il  fouriendra  qu'il  n'y 
a  que  les  yvrognes  qui  foient  faonnêres 
^ens  ,  &  que  les  gens  fobres  font  des 
fourbes. 

Et  lorfqué  fa  Maîtrelîe  lui  aura  promis 
tin  rendez-vous ,  &  qu'au  lieu  de  ce  ren- 
dez-vous, elle  lui  propofera  de  faire  une 
acflion  d'humanité  &  de  charité ,  il  dira; 
t\nil  dcteflc  la  vertu ,  Se  il  entrera  en 
fureur. 

Et  il  deviendra  amoureux  de  FAmiede 
fa  Maîrr^fTe  ,  étant  à  côté  de  fa  Maîtreflè. 

Et  l'amie  de  fa  Maîtreffe  deviendra 
^moureufe  de  lui. 

Et  il  lui  appliquera  un  baifer  ardent  fur 
la  maiti  ,  &  cependant  il  aimera  toujours 
fa  Maîtreffe  ,  comme  un  furieux  ;  &  il 
i' écriera  toujours  ,  ô  fainte  Vertu  t 

Et  fa  M^hrclTe  mourfa.- 


Et  avant  que  de  mourir  ,  elle  prêchera 
encore  fuivant  fa  coutume;  &  elie  parlera 
toujours  ,  juiqu'à  ce  que  les  forces  lui 
manquent  ;  &  elle  fe  parera  comme  une 
Coquette  j  ôc  elle  mourra  comme  une 
fainte. 

Et  elle  écrira  cependant  à  Ton  bel  Ami, 
qu'elle  finit  comme  elle  a  commencé , 
c'eft  à  dire  qu'elle  i'aime  avec  autant  de 
paflîon  que  jamais. 
Et  le  Mari  enverra  cette  lettre  à  l'Amant. 
Et  on  ne  faura  jamais  ce  que  l'Amant 
eft  devenu. 

Et  on  ne  Te  foucira  guéres  de  le  favoir. 
Er  tout  le. Livre  fera  moral  ,  utile  ôc 
honnête  ,  puifqu'il  prouvera  que  les  filles 
font  en  droit  de  difpofer  de  leur  cœur  ,  de 
leur  main  8^  de  leurs  faveurs  ,  fans  con- 
fulter  leurs  patens ,  &  fans  aucun  égard 
à  l'inégalité  des  conditions. 

Et  que  pourvu  qu'elles  parlent  toujours 
de  vertu  ,  il  eft  inutile  de  la  pratiquer. 

Et  qu'une  jeune  fille  peut  d'abord  cou- 
cher avec  un  homme ,  &  qu'elle  doit  en- 
fuite  en  cpoufer  un  autre. 

Et  qu'en  fe  livrant  au  vice  ,  il  fufïît 
d'avoir  de  temps  en  temps  des  remords 
pour  être  vertueux. 

Et  qu'un  Mari  doit  recevoir  l'Amant 
de  fa  Femme  dans  la  maifon. 


Il 

Et  que  la  femme  doit  l'embraiîer  fans 
ceMe  ,  Se  fe  prêter  de  bonne  grâce  aux 
plaifanteries  du  Mari ,  &  aux  égaremens 
de  l'Amant. 

Et  elle  dira ,  que  l'amour  efl:  inutile  & 
déplacé  entre  deux  Epoux,&  elle  le  prou- 
vera ou  croira  le  prouver. 

Et  le  Livre  fera  écrit  d'un  ftyle  cny- 
pliatîque  pour  en  impofer  aux  perfonnes 
îîmples. 

Et  l'Auteut  entafîcra  les  phrafes ,  & 
croira  entaffer  les  raifonnemens. 

Et  il  entaffera  les  exagérations  j  6c  il 
ne  fêta  jamais  d'exceptions. 

Et  il  voudra  paroîrre  nerveux  ,  êc  il  ne 
fera  qu'outré  *,  ôc  il  aura  grand  foin  de 
conclure  toujours  du  particulier  au  gé- 
néral. 

Bt  ii  ne  connoîtra  jamais  ,  ni  la  (impli- 
cite ,  ni  la  juftede  ,  ni  le  naturel;  &  fou 
efprit  fera  des  tours  de  force ,  jufques 
dans  les  chofes  les  plus  puériles;  &c  le  Sar- 
cafnie  lui  tiendra  toujours  lieu  de  raifon. 

Et  tour  le  talent  de  l'Auteur  fera  de 
donner  des  entorfes  à  la  Vertu,  &  lecroc- 
en- jambe  au  bon  Sens  *,  &  il  contemplera 
toujours  de  fon  imagination  ,  &  fes  yeux 
ne  verront  jamais  la  Nature. 

Et  femblable  aux  Empiriques ,  qui  font 
exprès  des  blelTures ,  pour  montrer  l'ex- 


celîence  de  leur  Baume  ,  il  empoifonnera 
les  âmes  pour  avoir  la  gloire  de  les  guérir  , 
&  le  poifoii  agira  violemment  fur  refprit 
&  fur  le  cœur-,  Se  rantidoce  n'opérera  que 
fur  refpric  ,  &  le  poifon  triomphera. 

Et  il  fe  vantera  d'avoir  ouvert  un  préci- 
pice i  &:  il  fe  croira  exempt  de  tout  repro- 
che ,  en  difant ,  tant  pis  pour  les  jeunes 
filles  qui  y  tomberont ,  je  les  ai  averties 
dans  ma  Préface  \  &  les  jeunes  filles  ne 
iifent  jamais  les  Préfaces. 

Et  après  que  dans  Ton  Roman  il  aura 
dégradé  tour-à-tour  les  Mœurs  par  la  Phi- 
!orophie,&  laPhilofophie  par  les  Mœurs,' 
il  dira  qu'il  faut  des  Romans  à  un  Peuple 
corrompu. 

Et  il  dira  fans  doute  aufli ,  qu'il  faut  des 
Fripons  chez  un  Peuple  corrompiu 

Et  on  le  lai(fera  tirer  la  conféquence. 

Et  il  dira  encore ,  pour  fe  juftifier  d'avoif 
fait  un  Livre  où  refpire  le  vice ,  qu'il  vit 
dans  un  fiécle  où  il  nefl:  pas  poffible 
d'être  bon. 

Et  pours'excufer,  il  calomniera  l'Uni- 
vers entier. 

Et  il  menacera  de  fon  mépris  tous  ceux 
qui  n'eftimeront  pas  fon  Livre. 

Et  les  gens  vertueux  considéreront  fa 
folie  d'un  œil  de  pitié. 

Et  on  ne  l'appellera  plus  le  Ptilofophe," 


/4  , 

âc   il  fera  nommé  le  plus  éloquent  des 

Sophiftes. 

Et  on  admirera  comment  avec  une  Ame 
pure  &  honnête  ,  il  a  pu  faire  un  Livre  qui 
ne  i'eft  pas. 

Et  ceux  qui  croyoient  en  lui ,  n*y  croi- 
ront plus» 


F   I   N. 


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