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PRÉCIS ANALYTIQUE
DES TRAVAUX
L'ACADÉMIE ROYALE
DES SCIENCES, BELLES-LETTRES ET ARTS
DE ROUEN,
PENDANT L'ANNÉE 1831.
D:961-
DORE PRIRENT
PRÉCIS ANALYTIQUE
DES TRAVAUX
L'ACADÉMIE ROYALE
DES SCIENCES, BELLES-LETTRES ET ARTS
DE ROUEN,
PENDANT L'ANNÉE 1831.
ROUEN,
IMPRIME CHEZ NICÉTAS PERIAUX,
RUE DE LA VICOMTÉ, n° 55.
1851,
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*
PRÉCIS ANALYTIQUE
DES TRAVAUX
DE
L’ACADEMIE ROYALE
DES SCIENCES, BELLES-LETTRES ET ARTS
DE ROUEN,
PENDANT L'ANNÉE 1831.
DISCOURS D'OUVERTURE,
PRONONCÉ PAR M. BLANCHE, PRÉSIDENT.
MESSIEURS ,
Dans la littérature et la science , comme dans l’ordre
moral et politique , les révolutions sont diversement ac-
cueillies par les contemporains. C’est le sort de tonte
nouveauté de faire naître, chez les uns, la crainte et les
regrets, chez les autres, la confiance et l'espoir. De là
deux factions rivales, deux puissances intellectuelles qui
se disputent le monde et représentent la lutte éternelle
de deux idées, de deux intérêts dans l'humanité, la
conservation et le progrès.
(2)
Jamais cette lutte ne fut plus apparente que de nos
jours; les deux régimes littéraires, l'ancien et le nouveau,
sont aux prises et se font une guerre violente. Le libé-
ralisme a étendu son heureuse influence sur l’art et la
poésie, comme sur toutes choses. De jeunes indépendants,
nés avec le siècle, contemporains de ses merveilles,
s'isolent hardiment du passé qu'ils récusent tout en
l’admirant, s’insurgent contre l'autorité des modèles, et
traitent de routine envieuse et pédantesque ce que d’autres
appellent les règles du beau. Arrêtez! ont crié ceux qui
se sont constitués les gardiens du bon goût , vous perdez
l’art, vous en transgressez toutes les lois ! Et les novateurs
ont répondu par une foule de productions pleines de har
diesse et de pensée. Une merveilleuse sympathie les
accueille ; tout ce qui est jeune et plein de vie les entoure
et leur fait cortège; plus d’un vieillard même les admire
et les absout, et le temple qu'ils viennent d'élever se
remplit d'admirateurs. Vous le savez, Messieurs, la
jeune école est déjà constituée : elle a ses ramifications
diverses, ses talents secondaires, ses médiocrités pa-
rasites et ses obscurs imitateurs. C’est un nouveau monde
littéraire , avec ses chefs, ses puissants et ses masses !
Le succès n’est donc plus douteux ; le temps de la
résistance est passé. Pour moi, Messieurs, je ne veux
juger ici ni les ouvrages, ni les systèmes; le temps et
le bon sens général prononceront. Je ne me suis pro-
posé que de chercher avec vous si, dans le nouvel or-
dre de choses, il n’y a point encore, pour Part, quel-
ques éléments de prospérité et de vie; si la poésie,
surtout, eette haute et sublime expression de la vie
terrestre, cette forme divinisée de la pensée humaine,
ne peut trouver une place au milieu de nos institutions
sociales, de nos croyances et de notre sagesse moderne.
Si l'on a dit, Messieurs, que la littérature était
l'expression de la société , sur laquelle elle réagit ensuite,
(3)
cette vérité devra surtout s'appliquer à la poésie, qui, de
sa nature , est de toutes les émanations de l'ame la plus
instinctive et la plus spontanée, car elle ne vit que d’émo-
tions et de sentiment. « Ce que les philosophes ont pensé,
les poètes l'ont senti », disait un écrivain. Le poète parle
donc de la plénitude de son cœur ; sa science est lout
“entière dans son organisation morale , dans une sensibi-
lité profonde et énergique qui exclut l'analyse et la ré-
flexion. Ainsi l'avait conçu Platon dans sa brillante allé-
gorie : ainsi semble l'avoir décrit Virgile sous la forme
d'une sibylle aux accents prophétiques. Or, Messieurs,
si haut qu'il soit placé, le poète n’est pas tellement isolé
sur cette terre, qu'il puisse se soustraire au contact des
autres hommes et des idées contemporaines. Il est de son
siècle , il marche avec lui , s’il ne le devance ; c’est une
loi qui pèse également sur tous , et de laquelle résulte
pour lui une sorte de position morale dans les limites de
laquelle il pense et agit.
Quelle sera donc cette position du poète au dix-neu-
vième siècle ? ou, si l’on veut , quelle est la pensée do-
minante des hommes de nos jours, celle à laquelle se
rattachent nos actions , nos intérêts , nos passions ;, nos
vœux et nos espérances ? Celte pensée n’est rien moins
que la haute application des vérités morales à la poli-
tique. C’est le libéralisme chrétien, qui, après s'être
long temps débattu contre l'esclavage ancien et la barbarie
du moyen âge, fort de ses développements et de son im-
posant cortége de peuples, commence enfin l'édifice de la
société moderne. C’est la grande réforme sociale, qui
n'agit plus, comme autrefois, dans le silence et dans
l'ombre, mais qui marche pleine de force et de con-
fiance, parce qu’elle est devenue la pensée et la volonté
de tous. Cette grave préoccupation politique a donné
naissance à cet amour du positif et des vérités pratiques
à cette vie d’affaires et de combinaisons sociales qui, il
C4)
faut l'avouer , ne ressemblent guère aux tableaux et aux
traditions des âges héroïques.
Reste à savoir si la poésie est tout entière dans une
forme unique , si elle ne peut se passer des prouesses ou
des fictions homériques, si, enfin, l’héroïsme né de la
vérité et de la science lui offre moins d’inspirations que
l’héroïsme aveugle et brutal des premiers âges de l’'huma-
nité.
Messieurs, l'erreur la plus grave de ceux qui refusent
un avenir à la poésie est l'exclusion dans l’admiration
et dans l’idée qu'ils se forment de l’art; ils ’enferment
dans certaines limites, ils rétrécissent son domaine, parce
qu'ils prennent pour l’art lui-même ce qui n’est que son
objet passager. Mais, s’il est vrai, comme l’a dit un
grand philosophe de notre époque, « que le caractère
« de l’art consiste à réveiller dans nos ames certaines
« sympathies cachées, mais puissantes, avec la vérité,
« par l'entremise de la beauté, qui elle-même n'est
« qu'une forme de la vérité », qui peut fixer le terme
où s'arrêtera le travail de l'artiste? À qui a-t-il été donné
de calculer combien de nobles sympathies pourrait ré-
veiller tout-à-coup dans une ame d'homme la voix du
génie ?
De nouveaux besoins naissent à chaque progrès que
{ait la science; une croyance s’épuise et vieillit; une
autre lui succède ou vient la rajeunir, et le génie s’en
empare. C’est ainsi qu'à cette vieille civilisation latine,
implantée dans notre occident par la conquête romaine,
est venu se mêler l’esprit du nord, avec ses pensers rudes
et austères comme la nature des contrées scandinaves,
avec son instinct grave et méditatif, ses sombres et mys-
térieuses traditions et sa rêveuse mélancolie, Quel vaste
champ pour la poésie, que cette société septentrionale
qui, après avoir si long-temps vécu comme en dehors
de nous, commence à peine à se révéler et nous offre
(5)
tout-à-coup un monde ignoré avec des siècles de mer-
veilleux souvenirs. Que la science les recueille, que
l'imagination les pare de ses brillantes couleurs , et qu’un
barde inspiré réveille au milieu de nous les sons harmo-
nieux de la harpe du Nord!
Quant à cette philosophie chrétienne sur laquelle s’ap-
puie notre état social, et dont le caractère spiritualiste
et pratique fait le désespoir de quelques esprits chagrins,
n’a-t-elle pas aussi son côté poétique ? Dans le moyen
âge , de grands esprits, le Dante à leur tête , ont fait des
efforts inouis pour se dégager des liens de la civilisation
latine et chanter le christianisme. Les poèmes cheva-
leresques tendaient indirectement vers ce but; mais
l'œuvre est restée imparfaite. Qui peut dire qu'elle ne
s’achèvera point? qui peut mesurer le vol et la puissance
du génie qui l’entreprendra? Sous nos yeux, un grand
poète a déjà célébré, dans des vers qu’envierait Horace,
l’imposant tableau de l’émancipation des peuples. Il
n’est point allé chercher des inspirations sur les bords
de PEuripe ou dans les plaines de la Troade , mais sur
les champs de bataille où sont passés les héros de sa
patrie, et dans une ame que remplit l'amour de la
liberté. Pourquoi donc ne verrions-nous pas naître, de
nos croyances philosophiques, une poésie de vérité
qui répondrait à tous les besoins de notre ame, et, renon-
çant à ces traditions usées, à cet héroïsme fabuleux, à
ces images fantastiques que, dans le domaine de l'art,
la force même de l'habitude ne saurait plus défendre ,
célébrerait et la pensée de l’homme civilisé et ses innom-
brables résultats. Dès-lors, l’art s’agrandirait, car il
deviendrait, comme la science , le plus noble instrument
de l'amélioration morale et du perfectionnement des
sociétés.
Mais cette haute préoccupation politique n'est-elle
pas elle-même un obstacle aux paisibles travaux de l’art?
(6)
Au milieu des luttes violentes et des révolutions qu’elle
amène, des passions et des intérêts qu’elle arme les uns
contre les autres, que fera le poète? Ce qu’il fera, Mes-
sieurs, ce que fit le Dante, qui, soldat et théologien, au
milieu des disputes scientifiques et des guerres de parti,
trouva le temps d’être le plus grand poète du moyen âge;
ce que fit Milton le puritain, au sein même de la révo-
lution de Cromwel, et près du trône sanglant qu'éleva
ce politique entreprenant et dissimulé. Croit-on que le
génie poétique ait peur des grands événements et des
fortes commotions qu'ils font naître? Loin de là, Mes-
sieurs, il les cherche , il les revendique comme son bien,
car il y puise l'enthousiasme et la vie. Pour le poète,
la mort serait ce repos de l’humanité après lequel sou-
pire le vulgaire des esprits, cet âge d'or si précieux à la
paresse de certaines intelligences. Les époques d’action
et de mouvement, dans l’histoire des hommes, sont les
champs fertiles où s’enrichissent l’art et la poésie.
Quelle époque , en France, leur offrit jamais plus de
garanties et de sécurité que la nôtre? La pensée, libre
jusque dans ses écarts, n’est plus en butte aux caprices
de l'arbitraire, aux vengeances du pouvoir! L'artiste ne
vit plus des dons que lui jetait, avec une dédaigneuse
parcimonie, la main d’un courtisan ; ses œuvres s’adres-
sent à des concitoyens. Et, sous le règne d’un prince ami
des lois et de la liberté, placé par le libre choix du peuple
sur un trône où ce peuple saura le maintenir et le res-
pecter comme son ouvrage et sa conquête, les arts, dès
long-temps accoutumés à ses bienfaits, ne sauraient man-
quer de cette noble protection dont il couvre également
tout ce qui tend à la grandeur , à la prospérité, à l'illus-
tration de la patrie dont il s’honore d’être le premier
citoyen.
CT
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CLASSE
DES SCIENCES.
RAPPORT
Fair par M. DES-ALLEURS , Secrétaire perpetucl de la Classe
des Sciences (x).
Messieurs,
Je vais avoir, pour la première fois, l'honneur de vous
présenter le rapport général annuel sur les travaux de la
Classe des Sciences. Vous avez toujours entendu mes
devanciers avec faveur, puissiez-vous m'écouter avec
indulgence !
J’adopterai les divisions suivies avant moi, et je ran-
gerai les divers objets dont j'ai à vous entretenir sous les
titres suivants :
- 1° Physique, mathématiques et arts mécaniques ;
20 Chimie ;
3° Aits industriels , commerce ;
4° Histoire naturelle ;
5° Agriculture , sciences économiques ;
G° Medecine, chirurgie, physiologie.
J’entre en matière.
(1) Les alinéas marqués de ce signe * ont été supprimés à la lecture,
en séance publique,
(8)
a Section. — PnYsiQUuE, MATHÉMATIQUES ET Arts
MÉCANIQUES.
Vous avez déjà eu l’occasion, Messieurs, de rendre
justice aux consciencieuses recherches de M, Morin , in-
génieur, correspondant de l’Académie. Cet observateur
zélé, par l'établissement de sa correspondance météoro-
logique , a tâché de rendre profitables, en pratique, les
observations atmosphériques , en les coordonnant d'après
la science. MM. Cazalis et Léoy avaient donné de justes
éloges aux premiers efforts de l'honorable ingénieur ;
M. Girardin, non moins compétent que ses prédéces-
seurs, a rendu un nouvel hommage à la suite de ces
mêmes travaux que M. Morin vous a communiquée, et
fait ressortir avec habileté les points fondamentaux d’une
doctrine qu'un examen superficiel aurait pu ranger
dans la classe des idées purement spéculatives, tandis
qu’elle donne l'espoir de joindre bientôt la certitude à la
clarté.
* Si le système de M. Morin, qui consiste à prédire
les variations atmosphériques long-temps à l’avance,
sur un point donné de la terre, venait à être adopté, et
qu'il obtint le succès que l’auteur s’en promet, point de
doute que ce système n’eût promptement une grande
vogue , puisque les almanachs, qui, sans que je veuille
attenter par là à leur réputation, se trompent tous les
jours, sont encore recherchés avec avidité par le peuple,
et même par des classes plus élevées.
* Les spéculations de M. Morin ne sont point la suite
d’une idée fixe plus où moins enracinée dans une tête
d’ailleurs meublée de connaissances aussi solides que
nombreuses ; ses recherches sont fondées sur des bases
très réelles, et il met une grande persévérance à lier, avec
les observateurs de divers pays, sous le rapport météo-
(9)
rologique , une correspondance qui mérite à la fois l’es-
time et la reconnaissance des savants. Tout porte donc à
croire que ses efforts finiront par organiser une société
qui, s'occupant sans relâche de météorologie, d’après le
plan proposé, ne pourra manquer de rendre à la physi-
que d’importants services.
* M. Girardin a dit, en terminant son rapport , qu'il
se faisait un devoir de rendre justice au zèle et au talent
de l’auteur, mais surtout à son courage. « Qu'il persévère,
ajoute le rapporteur, qu'il s'attache surtout à présenter d'une
manière claire et précise les conséquences des faits observes ;
qu'il mette un peu plus de lucidité dans la discussion scienti-
Jique, et il ne tardera pas à faire de nombreux proselytes. »
= La seule chose qui manque peut-être à la capitale de
la France pour en faire la première ville du monde, est
une distribution d’eaux saines et abondantes, mises en
tous lieux et sans interruption à la disposition des habi-
tants ; par là Paris deviendra la plus salubre et la plus
commode des villes, comme elle en est la plus belle et
la plus riche en monuments de tous les genres.
Plusieurs fois on a parlé de la réalisation de ce projet &
qui sera le complément de travaux immenses déjà ter-
minés. L’attention publique se porte de nouveau, en
ce moment, sur l’accomplissement de cette entreprise.
M. Mallet, ancien ingénieur en chef à Rouen, corres-
pondant de l'Académie, vous a adressé une Notice sur
une distribution générale d’eau à domicile dans Paris.
M. Lévy, chargé de vous la faire connaître, a rendu
une éclatante justice au travail de notre confrère , à l'in-
térêt duquel son opportunité ajoute encore.
* ]la su faire sentir quel immense intérêt s'attachait
à une conception de cette nature, qui tenait, par tant
de points, à l'économie publique , à la salubrité générale
et à l'embellissement de la capitale, à laquelle, ainsi
2
(10)
que nous le disions tout-à-l'heure, il ne manque peut
ètre en ce moment que l'achèvement de ce projet pour
être enfin la première ville de l'Europe sous tous les rap-
ports. Or, il faut bien avouer que, de ce côté , les Anglais
nous ont devancés et bien dépassés. IL serait d'un faux
esprit national de ne pas vouloir leur emprunter ce qu'ils
ont de bon et de vraiment utile ; et nul ne peut nier qu'ils
n'aient, au moyen de canaux en fonte et de machines à
vapeur, en mettant à profit les lois physiques de l'hydrau-
lique , obtenu les effets et les avantages que les anciens
avaient également recherchés et obtenus, à grands frais,
au moyen de ces nombreux et immenses aqueducs dont
quelques-uns existent encore , et dont les autres excitent
chaque jour notre admiration dans leurs majestueuses
ruines.
* L'ouvrage de M. Mallet, chargé lui-même en ce
ruoment de l’inspection des eaux de Paris, a pour but
de faire valoir les meilleurs procédés usités , de présenter
les modifications exigées par l'expérience et la connais-
sance des localités, de manière à obtenir un succès com-
plet aux moindres frais possibles.
« Cet ouvrage, dit le rapporteur, ayant pour but de faire
sentir l'utilité de cette grande entreprise à tout le monde , c’est
pour tout le monde qu'il est écrit. L'auteur aurait pu se mon-
trer savant ; il a mieux aime étre clair et précis. Aussi il sera
lu par tous avec un vif intérêt, et, après l'avoir lu, il n’est
personne qui ne fasse des vœux bien sincères pour voir la
prompte exécution du projet qu'il a si heureusement conçu. »
= Vous avez entendu, avec une avide curiosité, les
détails que M. Brunel père vous donna, il y a deux ans,
de vive voix et par écrit, sur son beau travail sous-ma-
rin de la Tamise ; vous admirâtes, dans le récit animé
des terribles catastrophes survenues durant le cours de
son travail , le dévoùment, le courage et la présence d’es-
C0)
prit de son fils. Voici qu'aujourd'hui M. Brunel vous
adresse les vues d’un pont merveilleux conçu par ce même
fils, qui a été chargé de le construire après un concours
avec les ingénieurs les plus renommés de la Grande-
Bretagne. Ce pont, qui doit être élevé sur l'Avon, près
de Clifton, dans le Sommersetshire, à peu de dis-
‘tance de Bath et de Bristol, entre lesquels il procurera
une communication commode, sera dans le genre des
ponts dits de suspension. Fondé sur deux roches escar :
pées, il formera un plancher isolé de trente-six picds de
largeur et de sept cents pieds anglais de longueur, d’un
seul jet, et sera élevé, au-dessus du niveau des plus hautes
eaux, de deux cent trente pieds environ, de sorte que la
navigation avec les vaisseaux de haut bord sera libre et
facile sous ce pont audacieux.
M. Gossier, que M. Brunel père avait chargé de vous
présenter ces dessins, vous a donné des détails circons-
tanciés sur cette belle construction, qui doit nous inté-
resser d'autant plus que le jeune ingénieur est français,
élève de notre Ecole polytechnique et à peine âgé de
vingt-cinq ans (1). Aussi nous répèterons avec complai-
(1) Voici les détails techniques que M. Gossier a recueillis de M. Bru-
nel père, et qu'il nous a communiqués dans sa notice, Il faut se rappeler
que toutes ces mesures sont données en pieds anglais, lequel pied ne
représente que onze pouces et une ligne environ de notre pied de roi.
« La flèche de l'arc que doivent former les chaînes de suspension sera
de soixante-dix pieds. Quatre chaînes doivent supporter le pont, deux
de chaque côté. La section transversale des chaînes, quelqu'en soit le
nombre, présentera une surface de quatre cent quatre-vingts pouces car
rés; ainsi, la section transversale de chaque chaine, s’il y en a quatre,
sera de cent vingt pouces carrés.
& De plus, le pont étant à vide, chacun des quatre cent quatre-vingts
pouces carrés des chaînes ne supportera pas plus de deux tonneaux et
demi, dit M. Brunel ; d'où l’on peut conclure que le poids du pont seul
sur les deux arches de suspension, ne surpassera pas, mais approchera
beaucoup de douze cent vingt tonneaux, ou 2,440,000 livres. »
(C:2)
sance un mot que la joie du génie paternel, qui se voit
survivre dans un fils adoré, rend aussi touchant qu’il est
d'ailleurs remarquable : « Les mêmes vaisseaux, dit le vieil
ingénieur dans sa correspondance avec son digne ami,
des mêmes vaisseaux qui passeront sur la tête du père, pas-
seront sous les pieds du fils » ; et, dans la satisfaction qu'il
éprouve de cet heureux rapprochement, il ne peut s’em-
pècher de s’écrier : bien trouvé ! On sourit à la fois du bon
mot , et l’on s’attendrit sur le sentiment qui l’a dicté.
ome Section. — CHIMIE.
— M. Polydore Boullay, de Paris, fils de l’estimable
pharmacien de ce nom, a fait hommage à l'Académie
des thèses qu'il a soutenues à la Faculté des sciences de
Paris, pour obtenir le grade de docteur ès-sciences (1).
Ces deux thèses, qui ont pour titre, l'une, de l'Ut-
mine et de L Acide azulmique ; V'autre , Dissertation sur le vo-
TL —— ——————————————————————…———“—“îû————————————
(1) Le rapporteur a joint la note suivante à son travail. C’est un de-
voir pour nous de l’insérer ici.
« Notre impartialité nous a engagé à dire que, plusieurs années avant
les travaux de M. Boullay sur l'ulmine, un chimiste allemand, le
docteur Sprengel, professeur privé de chimie économique à Gœtiingue,
a fait paraître un mémoire fort intéressant sur l’Aurmnus végétal, qu'il a
considéré, à l'exemple de Dœbereiner, comme un acide capable de
saturer les bases, et auquel il a donné le nom d'acide humique, créé
par Dœbereiner. M. Sprengel a fait une étude assez approfondie de
cet acide humique, qui n’est autre chose que l’ulmine ou l'acide ul-
mique de M. Bonllay ; et il a décrit les propriétés générales des hu-
mates, et en particulier celles des humates neutres. Son mémoire à
été publié dans Ærchiv für die gesammte Naturlehre, tome vin,
v. 141. (OEkonomische Neuighkeïten und Verhandl;ann.1827,
nos 57, 59, 61, 67 et 68. — Voyez aussi 4€ section du Bulletin uni-
versel des sciences et de l’industrie; juillet 1830, p. 200.) Il est
grobable que M. Boullay n'avait aucune connaissance des travaux du
chimiste allemand, car il n'en fait aucune mention dans sa disserta-
lion. »
(132)
lume des atomes dans les combinaisons chimiques, traitent
des points de chimie transcendante, et ont trouvé dans
M. Girardin, rapporteur, un homme qui a pénétré fort
avant dans ces matières abstraites. Il s'est plu à rendre
justice à l’auteur, qui paraît devoir tenir avec la science
tous les engagements que son nom lui avait fait contrac-
ter lorsqu'il est entré dans cette glorieuse et pénible car-
rière.
= M. Girardin vous a vivement intéressés, dans une de
vos dernières séances, en vous soumettant les résultats
d'expériences qu'il a tentées pour confirmer d'abord celles
de M. Braconnot , de Nancy, et ensuite pour donner une
extension nouvelle aux avantages que promettent ces
mêmes expériences, qui ont pour but de conserver le lait
pendant très long-temps, ce qu’on n'avait pu faire jusqu’à
présent. Elles consistent à extraire , par des moyens par-
ticuliers, du résidu que laisse le lait après qu'on en a
retiré le petit-lait, soit un fromage soluble, soit une
crème très utile pour les usages domestiques, soit, enfin,
par l'addition du sucre, un sirop de lait très agréable.
Ce sirop de lait, qui peut se conserver d’une manière
illimitée, donne une boisson excellente et qui sera d’un
grand secours à nos marins. Ce même sirop rapproché
forme une sorte de frangipane ou confiture inaltérable,
qui, par une nouvelle concentration, peut permettre de
fabriquer des tablettes de lait très salubres.
M. Girardin a encore indiqué, d’après M. Braconnot,
le moyen de tirer du caseum soluble un liquide émulsif
qu'on peut utiliser, mais surtout une sorte de colle de
lait qui a la consistance de la colle de poisson, se con-
serve aussi bien, est à très bas prix , et peut la remplacer
dans tous ses usages pour les arts, Ce dernier résultat est
fort important !
Notre confrère nous a offert ensuite des échantillons
(4)
de choix, présentant une grande pureté , de belles cris-
tallisations , de produits immédiats végétaux encore
rares et peu connus, tels que l’alizarine, l'orcine , la sa-
licine , le piperin , l'asparagine , l'hespéridine , la plombagine ,
la caféine. U y a joint un magnifique échantillon de #ro-
mure de potassium, récemment vanté par M. Magendie
pour le traitement des scrofules.
—= Une Notice sur une cendre colorée très alcaline, par M.
Dubuc, a pour but de faire connaître les résultats obtenus
par l'analyse chimique d’une cendre qui s’agglomérait
dans le foyer sous forme de scories, et qui provenait de
la combustion de bois de hêtre excru sur un terrein
ocreux et graveleux , dans une propriété de M. le baron
Adam, notre confrère.
= Un mémoire de M. Dubuc , sur la falsification de la
garance au moyen de la terre ocreuse, mais surtout de
l'écorce connue dans le commerce sous le nom d’écurce
de pin, et sur les moyens de découvrir facilement ces so-
phistications si préjudiciables aux intérêts de nos fabri-
cants et de nos teinturiers , a mérité que vous en ordon-
nassiez l'impression en entier dans le précis de vos
travaux. Vous avez accordé le même honneur à la notice
précédente , ainsi qu'à celle de ML. Girardin, qui a pour
objet de déterminer la nature de l’alliage qui entre dans
la composition de la cloche dite d'argent placée dans
le beffroy de Rouen. M. Girardin a démontré, contre le
préjugé populaire, qu’il n’entre pas dans cette cloche,
non plus que dans les autres cloches anciennes, un atome
de métaux précieux, que ce n’est donc point à leur pré-
sence qu’elles doivent leur son clair et brillant.
Il à expliqué, d’une manière à la fois ingénieuse et
plaisante, par quelle supercherie les anciens fondeurs
s’appropriaient l’or et l’argent que la piété ou la vanité
(15)
faisaient prodiguer aux personnes invitées à la céié-
monie de la fonte des cloches, opération qui se faisait
jadis avec beaucoup d'appareil et de solemnité.
Il à également essayé une explication probable du
nom de cloche d'argent donné à ce grand corps sonore.
Un dessin de M. Deleau, architecte, fournit une
idéeexacte des proportions du Kouvel ou eloche d'argent,
dans ses diverses dimensions.
Ce travai de M. Girardin, qui doit exciter la curio-
sité de nos compatriotes, est le complément des ren-
seignements archéologiques que nous à communiqués
M. Ballin sur cette même cloche qui donne, depuis si
Jong-temps, dans nos murs, le signal de la retraite, des
réjouissances et des alarmes (1).
3me Section. — ARTS INDUSTRIELS, COMMERCE.
= Un rapport de M. Le Prevost, médecin, sur le
Bulletin industriel de l'arrondissement de S.-Étienne ,
a fourni à notre confrère l’occasion de remarques cri-
tiques judicieuses , appuyées de faits concluants et
contradictoires, sur la suppression des charroïs dans les
grandes exploitations, sur les brevets d'invention, qui
devraient être entièrement distincts, selon lui, de ceux
d'importation, si même l’on ne supprimait entièrement
ces derniers; et enfin, sur l'emploi du chlore liquide
ou gazeux dans les affections de la poitrine.
= M. Pimont, en vous rendant compte des travaux
(1) Voir, à la page 353 du Précis de 1830, l'analyse du travail de
M. Ballin, qui a mis hors de toute discussion la question de savoir si la
cloche dite d'argent est l'ancienne Rembol, comme quelques-uns le
pretendaient. Il a démontre évidemment que cette ancienne cloche n'existe
plus, et que celle qui est actuellement dans le beffroy se nomme Le Rou-
vel, nom qu’elle porte inscrit en toutes lettres sur son listel. Voici, au
(16)
de la Société académique de Nantes, après avoir signalé
plusieurs mémoires sur divers points de la science, no-
tamment sur la fabrication des chaux hydrauliques, vous
a exposé, à son tour, ses propres vues sur les brevets d’in-
vention, à propos d’un mémoire contenu dans ce même
recueil. Ses connaissances spéciales sur cette matière et
sa situation personnelle lui ont permis de jeter une
nouvelle lumière sur les causes qui exigent impérieuse-
ment la révision la plus prompte de cette législation,
qui se rattache d’une manière intime à la prospérité de
nos établissements industriels.
reste, cette inscription, telle que M. Ballin l’a découverte et nous l’a
communiquée :
INSCRIPTION, sur une plaque de cuivre, placée au-dessus de la
porte du bas de l'escalier du Beffroy de la Grosse-Horloge ,
à Rouen.
Œn Lan de lincarnarcion nre segnour. mil
LE 2 »
ec. nur, et neuf, fu comence cest. berfrop : ct
És ans ensuiuas iusques enlan mil. cer.
ZT x .… . =
aux €t ot. fu fait ct parfait. ou quel
Œemps noble home mess. quille de bellep
Gues rcheuallier chambellen du HKop nostre
Sie estoit cappitaine de ceste ville honorable
home pourueu et sage toljan de Latuille bail
lp et sie guillaume alorge. Toban mustel.
quille. de. gaugp. Richart. de sommerp. nicolas
Leroux. gaultier campion. conseilliers de La
Dicte ville. et pierres bjerme veseueur d'irelle.
INSCRIPTION sur la Cloche dite d'argent, dans le méme
Beffroy.
+ 1€ SU : NOMME : HOUUEL : ROGIER : LE
SERON : ME $5IS€ : SERE : IESGAN : DAMJENS :
ME IST +
C9
= M. Dubuc a essayé de réaliser l'espoir conçu par
notre illustre prédécesseur Dambourney , de remplacer
par des substances indigènes les matières tinctoriales
exotiques. Il a fait de nombreux essais, dont quelques-
uns ont été suivis du plus heureux succès, sur le Phito-
lacca decandra de Linné. Ces expériences intéressaient
trop le commerce en général, et l’industrie rouennaise
en particulier, pour que vous ne leur donnassiez pas
une utile publicité : elles seront imprimées en entier
dans vos actes (1).
= Un important mémoire de M. Lepasquier, sur la
navigation de la Seine entre le Hävre, Rouen et Paris,
mais notamment entre ces deux dernières villes, a fixé
votre attention d’une manière toute spéciale.
Il a pour but de tracer l’histoire des modifications
apportées et des améliorations introduites par la concur-
rence, la révision des tarifs de frais, etc., depuis dix
ans environ, dans les transports de marchandises par
eau entre le Hävre, Rouen et Paris.
Des tableaux détaillés, qui rassemblent sous un as-
pect synoptique les différents produits des entreprises
diverses, la nature des matières transportées, etc.,
rendent ce travail aussi clair qu'il est curieux : c’est
une des bases sur lesquelles doivent reposer les calculs
qui serviront à déterminer l’exécution d’un plan alterna-
üf de canalisation, de dragage , etc., qui tend à donner
au lit de la Seine, de Rouen jusques à Paris, un étiage
QG) M. Dubuc a joint depuis à son mémoire une note supplétive
dans laquelle il annonce qu'il vient de s’apercevoir que les feuilles du
phitolacca, auxquelles on pouvait faire contracter une rougeur artifi-
cielle au soleil et à la rosée, la contractaient de même à l'ombre et
dans l'obscurité. Il a annoncé qu'il poursuivait sans interruption ses
essais pour tirer de ces feuilles , ainsi que des fanes de pommes de terre
et du stramonium ordinaire, un bon tabac à priser.
3
(18)
fixe de deux mètres au moins, dans toutes les saisons,
Nous vous avions dit, Messieurs, que c'était une
archive précieuse à mettre le plus promptement possible
à la disposition de tous ceux qu'intéresse, d'une manière
directe , la navigation de la Seine, vous avez voté l'im-
pression du mémoire de M. Lepasquier et des tableaux
synoptiques qui en forment, à la fois, le résumé et le
complément.
fe Sectiun. — HISTOIRE NATURELLE.
= Il n’est pas, en Normandie , un fermier ni un pro-
priétaire qui n'ayent à déplorer les ravages d’un insecte
qui, depuis un certain nombre d'années, s’est fixé sur
plusieurs espèces de pommiers et les a infectés d’une
sorte de lèpre chancreuse incurable jusqu'à présent.
MM. Dubuc, A. Le Prevost et d’autres de nos con-
frères ont fait de nombreuses recherches pour trouver
le remède à cette peste qui désole nos vergers. M. Houtou
La Billardière vous a lu de nouvelles observations qui
tendent à démontrer les causes de l'action corrosive du
puceron, et à provoquer ainsi la découverte d'un agent
qui en opère sûrement et à peu de frais la destruction.
Vous avez décidé que cétte notice, d'un intérêt local si
pressant, serait imprimée en entier dans le recueil de
OT CT)
= M. À. Le Prévost a mis sous vos yeux un fragment de
pierre calcaire détaché de la côte Sainte - Catherine à
Rouen , dans lequel on a trouvé, incrustées et disposées
dans leur ordre naturel, deux des rangées supérieures
des osselets pétrifiés de la patte antérieure d'un #46
oo
(1) Voir, à la suite de ce rapport, le programme du prix proposé
pour la classe des sciences,
(19)
saure. Ce fragment curieux a élé envoyé à M. Passy,
auteur de l'ouvrage géologique que vous avez jugé digne
du prix extraordinaire mis au concours en 1829.
Je dois rappeler, à cette occasion, Messieurs, un fait
qui témoigne hautement de votre dévoñment à la science.
Vous deviez à M. Passy une riche collection d'échan-
tillons minéralogiques et géologiques qu'il avait jointe
à son ouvrage ; vous avez Cru que cette collection serait
utile à tons ceux qui s'occupent de la géologie, science
qui ne fait, pour ainsi dire, que de naïre, et cependant
à l'étude de laquelle un grand nombre de talents distin-
gués se sont voués récemment avec une ardeur qui
promet les plus heureux résultats: vous en avez donc
fait hommage à l'administration municipale, en expri-
mant le désir qu’elle fût placée dans le cabinet d'his-
toire naturelle de la ville, de manière à pouvoir toujours
y être consultée séparément. Elle a été acceptée , et
M. le maire vous en a témoigné sa reconnaissance dans
la lettre qu’il vous a adressée , en vous transmettant l’ex-
trait de la délibération prise en conseil le 4 mai der-
nier (1).
= Un botaniste que lon peut hardiment ranger parmi
les plus studieux, M. Desmazières, de Lille, votre cor-
respondant, a consacré depuis plusieurs années ses
connaissances et sa rare patience à des recherches mi-
croscopiques el autres sur les plantes cryptogames du
nord de la France; il vous a communiqué souvent les
fruits de ses travaux, et, cette année encore, vous avez
(1) D'après le vœu exprimé par l’Académie, la délibération porte:
que la collection sera renfermée dans une armoire distincte et sé-
parée, et que l'étiquetage des différentes pièces qui la forment sera
coordonné avec l'ouvrage de M. A. Passy, sur La Géologie de la Seine-
Inférieure, qui s'imprime en ce moment, de manière que l'on puisse,
en lisant l'ouvrage, trouver de suite les échantillons désignés.
(20 )
reçu une nouvelle fascicule qui contient un grand
nombre d'espèces décrites et classées par ce laborieux
botaniste. M. 4. Le Prevost, dans un rapport très remar-
quable, vous a fait juger l'importance des résultats dûs
aux efforts de notre correspondant ; il vous a laissé entre-
voir le terme prochain de l’entreprise commencée par
M. Desmazières , « qui, dans ce nouvel envoi, j'emprunte
ici les propres expressions de l'honorable rapporteur,
vous à offert beaucoup de faits nouveaux , beaucoup d'indica-
tions précieuses, pressés dans un petit nombre de pages. Vous
lui devez donc de doubles remerctments , et pour le fond de ses
Jjudicieuses Observations, et pour la forme à la fois concise
et claire sous laquelle il vous les a présentées, et qui leur
donne un nouveau prix. »
= M. 4. Le Prevost, sans cesse à la découverte de ce
qui peut intéresser la science dans ses diverses branches,
vous a présenté un fragment de bois cylindrique qui
laissait voir, enfermées au centre de ses couches ligneu-
ses, quatre empreintes symétriques, dont l'existence à
paru dépendre d’une cause extraordinaire, sur Pexpli-
cation de laquelle il a appelé les investigations de ses
confrères.
M. Dubreuil s’est occupé spécialement de la recherche
de cette cause, et vous a lu une note dans laquelle il
donne à ce problème une solution physiologique qui
a satisfait tous les esprits, et a paru si naturelle et si con-
cluante, que vous avez décidé que cette nolice serait
insérée en entier dans le Précis, avec la lithographie du
fragment de bois qui en a fourni l’occasion.
5e Section. — AGRICULTURE , SCIENCES ÉCONOMIQUES.
= L'agriculture est la base véritable de la prospérité
matérielle de La France, Ce fait, généralement senti avant
(21)
notre première révolution , a été combattu par les écono-
mistes, qui ont cherché dans les ressources industrielles
et dans la promulgation de théories erronées sur l'impor-
tance, la répartition, etc., des produits indigènes, des fon-
dements au bien-être général de la population, qui ont
bien vite fléchi quand on a essayé de l’élever sur eux. Les
gouvernements de la France ont alors reconnu que les
faits étaient plus forts que les raisonñements, et ils se
sont associés à l’élan des bons citoyens et des proprié-
taires ruraux que leurs connaissances et leur fortune met-
taient à même d'éclairer les nouveaux procédés, et d'en
aider l'application , par les subventions et les encourage-
ments nombreux qu'ils ont donnés à nos florissantes So-
ciétés d'agriculture. Nous possédons dans nos rangs beau-
coup de membres qui ont fait leurs preuves dans cette
science , la première de toutes, puisqu'elle est la plus di-
rectement utile, la plus directement nécessaire. De tout
temps l'Académie a entretenu de fréquentes relations
avec les sociétés et les hommes qui se sont le plus occupés
de l’agronomie et de ses dépendances; cette branche in-
téressante n'a pas été plus négligée cette année que les
précédentes, comme le prouvent les rapports successifs
que nous ont faits : M. Meaume, vétéran, qui, appelé à
d'honorables fonctions (1) loin de Rouen, a toujours
profité de ses divers séjours dans sa famille pour prendre
part à nos travaux, sur plusieurs numéros de la Société
d'Agriculture de Tarn-et-Garonne et sur un numéro d'un
des trimestres de 1830 de la Société centrale d'agriculture
de la Seine-lnférieure ; ME. Prevost , pépiniériste , sur ceux
de la Société de Caen (2); M. Leprevost , trésorier, sur
(1) Inspecteur de l'Académie d'Amiens.
(2) M. Prevost, dans son rapport sur le tome troisième du mé
moire de la Société d'agriculture et de commerce de Caen, a donné
des détails très étendus relatifs au rapport de M, Eudes Deslong-
(22)
ceux de la Société d'agriculture de Seine-ei-Oise , séant
à Versailles, dans lesquels il a saisi heureusement l’occa-
sion de rendre un juste hommage à la mémoire de M. le
marquis Delalonde , notre compatriote ; M. Pimont, sur
ceux de la Société de Saint-Quentin , dans lesquels des
considérations sur l'importance et les avantages du dessé-
chement des marais lui ont surtout paru dignes d’une at-
tenlion sérieuse, et ont mérité ses éloges ; M. Dubuc, sur
ceux de la Société d'Indre-et-Loire, sur ceux de la Société
de Chälons-sur-Marne , sur ceux, enfin, de la Société
royale et centrale d'agriculture de Paris , et sur l’ouvrage
de M. Gasparin , imprimé par ordre et aux frais de cette
Société,et ayant pour titre : Guide des propriétaires de do-
maines ruraux affermés. Ce dernier rapport de M. Dubuc
doit être distingué des rapports ordinaires ; l’auteur y
provoque ; avec un zèle dont personne ne peut douter,
l'établissement d’une ferme expérimentale en Norman-
die, à l'instar de celle de Rôville, et ilindique les objets
à vérifier ou à expérimenter dans cette exploitation. Nous
aurons soin de consigner dans notre rapport imprimé
huit propositions extraites du travail de M. Dubuc, qui
méritent de fixer l'attention des agronomes et de déter-
miner les essais des cultivateurs (x).
2220
champs, qui traite des divers ouvrages envoyés à la Société sur le
puceron lanigère, ainsi que sur le mémoire du docteur Frédéric Blot,
inséré en entier dans ce recueil ( Ÿ. tom. 3e de ces Mémoires, de La
page 295 à la page 357 ); mais les personnes qui auront parcouru
l'ouvrage, d’ailleurs intéressant , de ce naturaliste, se convaincront faci-
lement que la question proposée cette année par l’Académie est encore
très opportune et très importante, puisqu'elle est loin d’être résolue dans
les fragments cités ci-dessus.
QG) Voici textuellement la portion du rapport de M. Dubuc, que
nous indiquons ici :
« C’est dans un vaste faire-valoir que toutes les grandes questions
peuvent être résolues par l'expérience de plusieurs années, Il est donc
(23)
= Je dois également mentionner séparément un rap-
port très étendu de M. Duputel sur trois cahiers de la
Société centrale d’agriculture de la Seine -Inférieure ,
dans lequel le rapporteur se plaît à rendre justice aux
travaux nombreux el variés des membres de cette société,
et à donner des éloges personnels à nos confrères MM.
Dubuc, Gossier, Prevost, pépiniériste, et Leprevost,
vétérinaire. Le ton de conviction profonde et d’entière
bonne foi avec lequel ces éloges sont donnés, doit en
faire apprécier le véritable prix à ceux qui en sont
l'objet.
bien à désirer pour la Normandie, et dans l’intérèt général de la science
agronomique, de voir le domaine d'Harcourt converti en ferme expéri-
mentale par la Société centrale, qui seule, en France , possède assez de
capitaux pour réaliser une pareille entreprise. Ce vaste établissement est
digne d’elle, et si jamais il se formait, je crois que les principaux essais
devraient avoir lieu sur les sujets suivants :
« 19 Déterminer si la terre arable , terre à blé, peut être mise en rap
port perpétuel, sans nuire, malgré l'abondance des fumiers , à la récolte
des froments sous le double rapport de la quantité et de la qualité,
« 2° Rechercher pour quels motifs les Ganlois, et plus tard les Fran—
çais, adoptèrent l’assolement triennal et diennal avec jachères, pour la
culture des fromentacées.
« 3° Déterminer, par des expériences répétées, s’il est vrai que le fumier
frais l'emporte de beaucoup, par ses qualités, aux champs, sur le fumier
noir ou fermenté.
« 4° Fixer, autant que possible, l'effet des sels terreux déliquescents,
surtout de ceux à base de chaux, considérés comme stimulants végétatifs,
soit employés seuls , soit mêlés aux fumiers des étables,
« 5° La nourriture et l’engrais du bétail par les nouvelles méthodes font
encore un sujet de controverse parmi nos cultivateurs ; chacun s'appuie
d'arguments plus ou moins spécieux pour l’admettre ou pour le rejeter :
c’est donc encore par des essais comparés et multipliés qu'on trouvera la
solution de ces questions, et ils ne peuvent se faire d’une manière con—
cluante que dans une grande ferme expérimentale.
« 60 L'emploi des fourrages hachés et mélés ensemble, et celui des
graines concassées pour la nourriture des animaux de trait, compte de
nombreux partisans dans quelques parties de la France, et plus encore à
(24)
= Dans un rapport sur une brochure de M. Le Mar-
chand de la Faverie, relative aux abeilles, M. Gossier, qui
a été chargé par l’auteur de la garde et de la surveillance
des ruches qu'il possédait à Rouen, et qu'il observait
avec un intérêt presque passionné, a donné des détails
techniques sur la construction des alvéoles de ces indus-
trieux insectes ; il s’est même élevé, à cette occasion, à
des considérations supérieures sur le commerce des
cires et sur l'application, qu'il avait proposée il y a
déjà long-temps, de la forme de ces alvéoles aux poids et
mesures, comme étalon de celles de capacité. IL a
prouvé que ses propres réflexions et ses études sur ce
sujet le rendaient tout-à-fait digne de la marque de
À
l'étranger; mais en Normandie, soit raison, soit préjugé, on n’admet guère
ce mode d'alimentation ; cependant il parait démontré que quatre parties,
en poids, de plantes époudrées et hachées grossièrement ensemble, nour-
rissent autant les animaux de travail que Cinq parties de ces mêmes herbes
prises isolément et entières. On a encore remarqué que trois mesures
d'orge ou d’avoine concassées et humectées avant la pourvende, équiva—
laient, comme aliment , à Quatre mesures de ces mèmes graines données
aux chevaux sans aucun apprèt, Ce sont autant de faits à confirmer par
des expériences en grand.
« 7° Les racines sarclées, dites à fourrages, et les végétaux azotés,
turneps, betteraves, carottes, raphanus, etc., ete., font aussi partie des
nouveaux procédés d'alimentation pour l’engrais des bestiaux, soit à
V'étable , soit aux champs ; mais ces méthodes, que nous trouvons bonnes,
rencontrent de nombreux opposants; il est donc important de vériher,
comme beaucoup le prétendent, s’il faut préférer à ces substances, dont
quelques-unes sont débilitantes, les foins, les plantes trifoliacées, la
paille ordinaire , etc., comme valant mieux, notamment pour le cheval.
« 8° Déterminer encore s’il est vrai, comme l’affirment de bons fer-
“miers, que le pois gris (pisum arvensis), et la vesce sont moins grenus
el leur herbe moins nourrissante pour les animaux que ces végétaux ne
l'étaient avant l’emblavüre perpétuelle des terres arables. »
M. Dubuc ajoute qu'il ne fait qu’indiquer une très faible partie des
travaux à faire dans la ferme expérimentale, et qu’il estime qu'il faudrait
au moins une période de dix années pour rendre les résultats concluants.
(25)
confiance que lui avait donnée M. de la Faverie, en lui
transmettant l'héritage de ses ruches, et l'Académie en
lui renvoyant son ouvrage.
= Un second travail de M. Gossier, divisé en deux par-
ties, et intitulé: Pommes de terre, fiégime végétal, a suggéré
à l’auteur des remarques diététiques d’un haut intérêt.
I'asu, par des exemples puisés dans un recueil de faits
que ses voyages lui ont permis de rassembler en Jrlande,
prouver d’abord que le régime végétal, et notamment
celui dont la pomme de ierre forme la base, pouvait
offrir les mêmes ressources que le régime animal en
général , et procurait ensuite d’autres avantages spéciaux
dont M, Gossier vous a fait sentir vivement les consé-
quences morales.
* Voici une analyse rapide, mais exacte, du mémoire
de M. Gossier.
* 11 commence par établir que le préjugé qui ferait
regarder une population comme inférieure à une autre
parce qu’elle aurait une nourriture plus simple, exclu-
sivement végétale, et plus rapprochée de la nature que
celle dont on use dans nos climats, serait un préjugé
absurde, Le pain de froment , que nous regardons comme
le plus noble et le plus sain des aliments, n’est en usage
que dans la plus petite portion du monde, puisqu'il
n'est pas même général en Europe. M. Gossier pense
que l'alimentation végétale, et notamment celle par la
pomme de terre, est capable de donner à l'homme
toutes les forces physiques et toute l'aptitude morale
désirables. L'Irlande, où ce tubercule forme la base de
l'alimentation en général, lui fournit des preuves con-
cluantes à l’appui de son système. Il reconnait cepen-
dant que les ouvriers tirés de ce pays, et employés en
Angleterre à des ouvrages de force, ne peuvent y deve-
nir aptes que par l'emploi de la diète animale, même
4
(26)
poussée à l'excès. Mais M. Gossier croit que ce surcroît
de forces artificielles, amassées pour les dépenser au
profit des entrepreneurs, loin d’être favorable à les-
pèce, lui nuit, au contraire, en usant plus vite l’exis-
tence el la vitalité chez ces mêmes sujets. Les résu-
més statistiques établis sur cette classe d'individus,
fournissent , en effet, des arguinenis irrésistibles à l’ap-
pui de cetle opinion. M. Gossier s'élève aveg raison
conire l'abus de ces spéculations, fondées sur l’exagéra-
tion des forces productives de certains individus, spécu-
lations devenues trop fréquentes, et il combat ces mêmes
abus avec une supériorité de raison et une conviction
religieuse imposanies : cela lui fournit une heureuse
transition morale pour examiner un point sur lequel
ont beaucoup insisté les physiologistes , et qui, s’il était
accordé, semblerait devoir ruiner, de fond en comble,
le système de notre confrère.
* Les physiologistes ont dit qu'il résultait de la denti-
tion de l’homme et de la disposition de ses organes
digestifs, la preuve qu’il était exclusivement propre au
régime animal; mais M. Gossier réplique que ces mêmes
organes ne sont pas moins propres à la digestion des
aliments végétaux, ce qui détruit déjà, en partie, l’ar-
gument; d'un autre Côté, l'industrie de l'homme le met
à même de s'approprier toutes espèces de substances
pour sa nourriture, mème celles qui y paraissent le
moins propres. Or, ce même homme, dans l'échelle
des créatures, semble avoir été formé pour exercer une
sorte de suprématie sur toutes les autres: il a donc reçu
la faculté, suivant les positions diverses dans lesquelles
il se trouve, de pouvoir user également de la diète ani-
male et de la diète végétale; mais rien ne prouve, dès-lors,
que la première ait le droit de prétendre à une préférence
exclusive.
* Dans la seconde partie de son mémoire, M. Gossier
(27)
‘outient sa thèse par des arguments tirés de la nature mo
tale de Fhomme ; il cite donc, à l'appui de sa proposition,
l'impression involontaire que preduit la vue des ani-
maux lués, l'idée instinctive que le peuple conserve de
la profession de bourreau, Feffet involontaire que nous
produit l’idée du meurtre, la vue du sang et de la viande
morte, tandis qu'au contraire une impression doure
s'allache à la pensée du régime végétal, régime que les
poètes ont dit être celui de l’âge d’or. L'auteur, rentrant
dans la discussion technique de son sujet, fait encore
des rapprochements statistiques qui tendent à prouver
aussi que le régime végéial est celui qui permet, sur une
surface donnée , le développement de population le plus
grand qu'il soit possible d'atteindre. Un fait semble dé-
montrer encore combien l’homme est peu fait pour
manger la chair des animaux, c'est qu'il est obligé
de la dénaturer entièrement pour lapproprier à ses
vrganes. Cette manie d’aliérer par l'art ious les mets,
lui a même fait donner, par un spirituel écossais, comme
définition de Pespèce, le nom d'animal cuisinier.
* M. Gossier, après avoir résumé tous ses arguments,
dit qu'il sait bien qu'il ne faut pas prétendre à l’appli-
cation rigoureuse des théories dans la pratique,
mais qu'il faut quelquefois renouveler l'exposition de
celles-ci dans toute leur nudité, et cela dans l'intérêt
des économistes et des législateurs ; il termine enfin en
ces Lermes : « Convanquons-nous bien que plus l'homme «y
procherait de la simplicité dé la nature dans ses gouts, dus
sa manière de se vélir et de se nourrir, plus grand propor-
lionnellement serait, à coup sûr, le nombre de nos sem-
blables, qui pourraient être exempls de travaux pénibles,
vivre dans une honnête et tranquille aisance, enrichir leur
esprit, culliver la science et la pratique de la verln,. se
montrer égaux à lu grandeur de leur origine et dignes de
deurs hautes destinres, »
(38)
Ge Section. — MÉDECINE, CuiRURGIE, PHaysioOLOGIt;
= M. Hellis, au nom d'une commission composée en
outre de MIX, Vigné et Godefroy, vous à fait un rapport
très étendu sur un ouvrage manuscrit de M: de Parchappe,
docteur-meédecin , intitulé : Fragment d'une Histoire philo-
sophique de la Medecine.
Démontrer que la pratique du père de la médecine,
fondée sur l'observation, se coordonnait, dans son en-
semble, par une théorie basée sur deux principes féconds
en résultats, l’un qui est la théorie des humeurs et des
qualités élémentaires ; l’autre, la théorie de l’action de
la nature; tel semble être le but principal de l’auteur
dans ce fragment, où l’érudition est employée avec profit
et discernement. H suit Hippocraie sommairement dans
l'application immense et variée de ces principes aux lois
diverses de l'organisme. Ce coup-d'æil rapide, jeté avec
assurance sur une docirine si vaste, qui a reçu tant de
développements de son créateur et surtout de ses succes-
seurs, ne peut appartenir qu'à un homme versé dans la
science et doué d’un jugement et d’un esprit d'analyse
trop rares aujourd'hui.
NT. Hellis a fait ressortir, dans leurs détails, le but et
lä marche que je viens de signaler ici, el, après avoir
tracé un tableau aussi vrai que piquant de la situation de
l'art médical en ce moment, et du début dans la pratique
des jeunes docteurs formés à l’école hippocratique ou
d'observation, ou sortis de la nouvelle école, dite physto-
logique , il a rangé l’auteur parmi les sujets produits par la
première , et qui donnent les espérances les plus légitimes.
# Voici ce passage du rapport de M. Hellis
* Ils n’ont pas été rares, dans la dernière période qui
Vient de s'écouler, ces jeunes docteurs , encore tout pou:
freux dés bancs de l’école, qui parlaient en maîtres, et qui,
{ 29 )
s'érigeant en réformateurs, afiectaient un profond mépris
pour toute espèce d’antiquité qu'ils ne connaissaient pas ,
s’épargnant ainsi la peine de l’étudier et de l’approfondir.
Mieux servis par leur mémoire que par leur jugement,
on les reconnaissait aisément à l'assurance avec laquelle
ils débitaient les axiomes du maître qui les avait formés,
d’après lequel ils juraient, et qui seul leur suffisait à tout.
« IL était facile de prédire à ces praticiens si dédaï-
gneux du passé, si confiants au présent, ce qui les atten-
dait pour l'avenir : chacun de leurs pas dans la carrière
n'est que déception; chaque jour ils se voient égarer par
la lueur infidèle qui devait les guider, et trop tard, hélas!
ils comprendront, qu'en médecine surtout, l’âge mûr
ne réalise pas les utopies de la jeunesse.
« Mais, à côté de ces débutants si présomptueux et si
funestes à la société, il faut avouer qu'il s’en présente
aussi qui sont animés de sentiments tous différents ; qui,
doués d'un jugement sain, d’un esprit indépendant,
d'une grande aptitude pour le travail, sont curieux de
voir par eux-mêmes, et ne reculent point devant les
obstacles qu'il faut surmonter pour connaître et apprécier
les modèles laissés par l'antiquité, objets, tantôt d’un
culte si profond, tantôt de si amères dédains!
« Convaincus que l'édifice des sciences d'observation
ne peut s'élever que par la suite des temps, avant de
songer à en couronner le faîte ou à en ébranler les fon-
dements, ils sont jaloux d’en sonder les bases et d'éprou-
ver le sol sur lequel elles reposent, afin de juger ce que
chaque siècle y a ajouté de vraiment durable, et de ce
qui reste encore à faire pour le perfectionner. »
= M. Duhamel, ancien praticien de cette ville, vous a
fait hommage d’une Thèse sur la Pneumonie , qu'il a sou-
tenue récemment devant la Faculté de médecine de
Paris, pour obtenir le titre de docteur en médecine.
( 30)
M. le docteur Godefroy, qui vous en a rendu compte ;
dit, dans ses conclusions, que cette thèse « est l'ouvrage
d'un médecin distingué, nourri de la lecture des anciens, cl
qui, malgré une assez longue pratique de son art, a su se tc-
nir au niveau des découvertes que l’on y a faites. » W ajoute :
« J'aime à payer à l’auleur ce tribut d’eloges mérites, auxqrtels
l’obligeance et les conventions sociales n'ont aucune part. »
= M. Bonfis fils aîné, médecin à Nancy, et notre
correspondant, vous avait soumis, en 1829, un mémoire
dans lequel il proposait d’allier l'opération de la rhino-
plastie à celle de la staphyloraphie, dans des cas où la
perte de substance du voile de palais était trop considé-
rable pour que l’on püût réussir par le procédé ordinaire:
M. Vingtrinier, dans le rapport qu'il vous fit, au nom
d'une commission, sur ce mémoire, vous dit que l’idée
de M. Bonfils était à la fois ingéniense et hardie, mais
l'opération difficile et d'un succès douteux : vous enga-
geâtes, en conséquence, M. Bonfils à vous faire con-
naître le succès qu'il obtiendrait, s’il avait occasion de
pratiquer l'opération ; cette occasion s’est présentée, ct
vous avez reçu, cette année , un nouveau mémoire dans
lequel il vous expose les résultats de sa tentative. M.
Vingtrinier, auquel ce second travail a été renvoyé, à
prouvé que l'expérience avait confirmé les prévisions théo-
riques de l’auteur, qui donne à cette modification de là
staphyloraphie le ñom de staphylodémie, où staphyloexie ;
ou staphiloplatie (x).
Cette note, et le rapport auquel elle a donné lieu,
doivent être insérés en entier dans le Précis de 1831:
= Me voici arrivé, Messieurs, aux trois ouvrages les
(1) De deze, je bâtis, je construis; eo ,j'augmente, j'agran-
dis; ThaTos, large, ample,
(STE
plus importants de cette branche de vos travaux scienti-
fiques, et cependant je n’en ferai qu'une mention très
sommaire, puisque vous avez arrêté leur impression
dans votre Précis analytique, où ne manqueront pas de
venir les consulter tous ceux qui s'occupent de l’art de
guérir et de ses progrès.
‘Le premier de ces ouvrages , dont M. Hellis est l’au-
teur , est intitulé : Mémoire sur les malades militaires traités
à l’'Hôtel-Dieu de Rouen, en 1830.
Le second, résultat des observations de M. Le Prévost,
docteur-médecin , a pour titre : Notice sur une maladie
cruplive peu connue.
Le troisième enfin, dû à M. Vigne, est un Essai sur
l'ame.
Les deux premiers sont des ouvrages pratiques ; résu-
més d'observations nombreuses et auläentiques , ils
cherchent à ramener l’art de guérir à la véritable obser-
vation , à l'examen impartial des faits, et à en faire un
rapprochement qui prouve que les anciens et célèbres
praticiens , dont une jeunesse présomptueuse et aveuglée
essaye en vain de vouer les noms à la dérision et au
mépris, avaient observé avec fruit et avec vérité. Ce
témoignage , rendu par deux praticiens exercés à la mé-
decine bippocratique , fixera l'attention des vrais mé-
decins ; obtiendra leurs suffrages et méritera leur recon-
naissance.
Le dernier, application des vérités morales qui dé-
coulent de Pobservation des phénomènes invariables de
la plus haute, de la plus saine physiologie , est l'œuvre
d'un médecin qu’une pratique longue et assidue n'a jamais
détourné des méditations théoriques ; il sera une réponse
victorieuse à ceux qui ont prétendu que l'étude de ja
médecine conduisait au matérialisme ! Affont sanglant
fait à un art dans lequel les hommes qui ÿ on! vraiment
excellé, à commencer par Hippocrate , le premier de
(32)
tous (1), ont toujours professé la morale la plus pure
et les sentiments religieux les plus profonds, parce qu'ils
étaient les plus sincères !
= C’est maintenant l'instant de mentionner deux rap-
ports que leur étendue, que les détails curieux dans
lesquels sont entrés leurs auteurs rendent tout-à-fait re-
marquables, et que le défaut de spécialité des ouvrages
qui y ont donné lieu ne m'a pas permis de ranger dans les
divisions précédentes : je veux parler du rapport que M.
Dubuc vous a présenté sur le précis de l'Académie d'Or-
léans , mais surtout de celui que M. A. Le Prevost vous a
lu sur le recueil de l'Académie de Dijon. Les travaux tou-
jours intéressants, toujours remplis d’à-propos, de cette
Académie, l’une des plus anciennes, l’une des plus zélées
dont s’honore la province, ont trouvé dans le rapporteur
un homme capable de faire apprécier des œuvres si va-
riées ; leur mérite est devenu évident à vos yeux par les
fragments dont les rapporteurs vous ont donné lecture,
et qui ont obtenu vos suffrages unanimes.
* M. 4. Le Prevost, dans son rapport, n’a passé
sous silence aucun des nombreux objets contenus dans
le volumineux compte rendn de l'Académie de Dijon,
Profitant d’une circonstance que lui présentait natu-
rellement ce dont il avait à nous parler, ila exprimé,
avec une énergie de conviction qu'il a su nous faire par-
tager, le vœu que la province s’'émancipât, enfin, du
joug que les corps savants de Paris lui ont imposé.
= * Le temps vous a manqué pour entendre les
rapports que MM. Blanche , Delaquérière, Pimont, Du-
dreuil, Floquet, Vingtrinier , Destigny , Lévy, Morin, Le-
(1) F. l'ouvrage intitule : Du Génie d'Hippocrate et de son
influence sur l'art de guérir, pages 103, 152, 37, 64, etc.
(33)
prevost, vétérinaire, Girardin, Durouzeau, Pouchet, Ma-
gnier, Houtou La Billardiére et Th. Licquet , doivent vous
présenter sur les travaux de l’Académie de Besançon , sur
ceux des Sociétés de Limoges, du département de l'Eure,
de Tarn-et-Garonne, de Saint-Etienne, de Poitiers, de
Saint-Quentin, d'Orléans, de la Loire-Inférieure , d'En-
couragement pour l’industrie nationale , de Géographie ,
du département d’Indre-et-Loire, de Boulogne-sur-
Mer, etc:, etc.
— Plusieurs de ces mêmes membres sont chargés de
rapports spéciaux sur un prospectus d’une école théori-
que et pratique d’horlogerie établie depuis peu à Mâcon ;
sur des expériences faites avec la semence de moutarde
blanche, par MM. Henri fils et Garot : sur le Manuel de
l’horloger et sur celui du Fabricant d’étoffes imprimées et de
papiers peints , que nous devons à M. Lenormand ; sur le
Résumé d'ictiologie de M. Ajasson de Grandsagne ; sur
une thèse intitulée : Du tempérament de la femme, par M.
Navet , docteur en médecine à Rouen ; sur un mémoire
de M. Ch. Derosne , relatif à l'emploi du sang séché
comme engrais; enfin , sur deux ouvrages de M. Moreau
de Jonnès, membre de l’Institut, notre correspondant ;
ouvrages dont le premier , relatif au choléra-morbus pes-
tilentiel de Russie , rencontre dans les circonstances ac-
tuelles une cause naturelle de la plus pressante attention ;
le second, intitulé : Histoire physique des Antilles françaises,
est rendu plus curieux pour nous par Essai sur les Volcans,
de M. Girardin, inséré dans le Précis de l’année dernière.
Ces nombreux et importants matériaux , que nous pou-
vons compter parmi les richesses acquises en 1851,
garantissent l'intérêt de vos premières séances de 1832.
= Vous avez aussi déposé honorablement dans vos
archives plusieurs ouvrages et brochures périodiques,
notamment les numéros du Journal de l’Académie de
5
(34)
l'Industrie , fondé par M. César Moreau, votre correspon-
dant ; la Liste générale des médecins, chirurgiens ,
pharmaciens, etc., du département de la Seine-Inférieure,
que M. le Préfet vous a adressée : la sixième livraison du
premier volume des Annales de la Sucièté académique
de Nantes, les recherches de MM. Plisson et Henry
fils, sur les substances organiques azotées , diles neutres ;
la nouvelle édition de l'ouvrage sur le Traitement des
scrophules, par M. Chaponnier ; les programmes des
prix proposés par l'académie de Bordeaux, par la Société
industrielle de Mulhausen, etc., etc.
Jusques ici, Messieurs , je ne vous ai entretenus que
du tribut payé par des membres résidants ou correspon-
dants, ou par d’autres savants étrangers à la Compagnie ;
il me reste à mentionner deux objets qui appartiennent
à l’Académie tout entière, et font également honneur
à son amour pour la science et à ses efforts pour la ré-
pandre : je veux parler , Messieurs , du plan d’une statis-
tique générale du département de la Seine- Inférieure ; de
l'impression que vous avez votée et de la publication que
vous allez faire très incessamment de l’ouvrage sur la Géo-
logie de la Seine-Inférieure , par M. A. Passy, votre corres-
pondant, et aujourd'hui préfet du département de l'Eure.
— Une commission nombreuse s’est occupée pendant
plusieurs mois de poser les bases d’un traité complet
sur la statistique de la Seine-Inférieure ; elle a, dans des
conférences multipliées, arrêté ce plan, qui renferme
des détails immenses. M. Ballin, chargé de vous en pré-
senter le résultat, a remis sous vos yeux la lettre remar-
quable et la fin du discours d'installation de M. le comte
de Murat (x), alors votre président, qui provoquait ces
(1) Nous transerivons ici le passage du discours prononcé le #4 dé-
cembre 1829, et cité par M. Ballin :
(35)
recherches importantes que l'Académie méditait aussi
de son côté (1). El a exposé avec clarté les motifs qui
avaient déterminé la commission à proposer, non-seu-
« Tout se lie dans l’ordre social , et les arts de l'esprit ne sont sans
influence ni sur la paix publique, ni sur la prospérité des empires, car
lèur action sur les mœurs peut donner de sages et d’utiles impulsions,
surtout à une époque signalée par l'expansion des lumières, par cette
marche constamment et rapidement ascendante dont s'étonne l'esprit
humain, et qui a porté les sciences, les lettres et les arts au point
où nous les voyons aujourd'hui. Vous-mèmes, Messieurs, avez marché
avec distinction dans cette brillante carrière , et, guidés par un patrio—
tisme éclairé, vous vous êtes presqu'exclusivement occupés des spécia-
lités locales. Tout ce qui peut se rattacher à la gloire ou à l’intérét de
la terre est devenu l'objet de vos soins, de vos études ; et vous vous êtes
livrés , avec un égal empressement et avec un égal succès , aux recherches
scientifiques , littéraires, historiques, monumentales , agricoles et indus-
trielles. Cette belle Normandie, riche, féconde et célèbre à tant de
titres, méritait bien, en effet, une telle prédilection, et j'oserais at—
tendre encore une heureuse application du système que semble avoir
adopté l’Académie, si elle jugeait convenable de s'occuper , dans le dé-
partement de la Seine-Inférieure , d’une statistique élevéë et complète,
dont ceux de la Seine et des Bouches-du-Rhône ont offert les premiers
modèles. Un tel ouvrage serait d’un haut intérèt , et je serais heureux d'y
concourir par la-communication de tous les documents à ma dispo-
sion, »
QG) M. T. Licquet nous lut, en cffet, dans la séance du 22 janvier
1830, où La lettre de M. de Murat fut remise à l'Académie, un travail
qui lui était personnel , et qui avait pour but d'engager l'Académie à
prendre l'initiative et à s'occuper spontanément de ce plan. Voici un
fragment de ce mémoire, cité par le rapporteur :
« À quelle illustration prétendront désormais les Académies si elles
demeurent stationnaires, quand tout s’agite sous leurs yeux, si elles
restent en arrière du grand mouvement qu’elles ont imprimé ? Il ne tient
qu'à vous, Messieurs , d'échapper à cet état de dégénérescence qui me—
nace, je crois, toutes les sociétés savantes, et je viens vous en pro-
poser ou plutôt vous en rappeler les moyens.
« Plus d'une fois les chefs de notre administration départementale
ont émis le vœu que des hommes offrant la réunion des connaissances
nécessaires , se rapprochassent dans le but de composer une statistique
générale du pays. Vœu stérile jusqu'à ce moment , peut-être parce qu'il
(36 )
lement les grandes divisions de l'ouvrage, mais encore
les chapitres qui en sont le développement. Des tableaux
séparés vous ont offert chacune de ces grandes divisions
avec leurs subdivisions en titres et en chapitres (1). Vous
n'y eut point d'appel direct. Aujourd'hui, Messieurs, cet appel est
fait, et c'est à vous qu’il s'adresse.
& M. le président nous a dit, si je me rappelle bien ses expressions ,
qu’il favoriserait de tout son pouvoir la publication du grand travail
dont il s’agit. Emparons-nous , Messieurs, de cette déclaration posi—
tive; n’abandonnons pas à d’autres l’importante et honorable mission
qui nous est offerte; élevons à la gloire de l'Académie ce monument
d'utilité générale ; qu'il ne soit pas dit que le premier corps savant du
pays ait refusé son intervention dans l'accmplissement d’une idée géné-
reuse, libérale, dans la réalisation d'un bienfait immense et tout pa-
triotique.
« Confer au pinceau le soin de retracer l'image d’un grand homme,
dresser des statues au génie, il n'y a rien là, sans doute, que de juste et
de méritoire; mais, sans doute aussi, Messieurs , il n’y a rien là que
d’assez facile, et que tout le monde ne puisse entreprendre. Un senti-
ment d’adiniration légitime suffit à provoquer la pensée; un seul artiste
peut être chargé du travail; un peu d’or vient à bout du reste, Tel n’est
pas l’état des choses pour la création d'une statistique générale, Il faut
des géologues pour présenter le sol tel que l'a fait la nature, des hommes
versés dans les sciences exactes pour calculer les hauteurs et mesurer les
surfaces, des médecins pour faire connaître la constitution médicale du
climat , des historiens pour les faits et les mœurs, la géographie ancienne
et moderne, la chronulogie, dont les derniers écrivains sont parvenus à
faire un cahos; des antiquaires pour décrire les monuments, des artistes
pour les dessiner; des philologues pour remonter à la source du vieux
langage et le comparer au langage de nos jours; des jurisconsultes pour
expliquer la législation primitive du pays et en dévoiler l’origine; des
naturalistes pour explorer les trois règnes ; il faut, enfin, la réunion
de toutes les sciences, le tribut de tous les talents.
« Aussi, Messieurs, si vous adoptiez le principe de cette proposition,
je demanderais que personne de nous ne füt exempt de travail. Ce n'est
pas l’œuvre d’une commission que je provoque, c’est à la coopération
franche et complète de l'Académie tout entière que j'en appelle, et nos
confrères correspondants pourraient aussi faire partie des commissions
di erses. »
(1) Ces divisions forment déjà 14 livres, 45 titres et près de 140 chap.
} , P ( [
C3)
avez favorablement accueilli ce rapport, qui a fait naître
dans votre sein de nouvelles recherches sur le même
sujet. Plusieurs membres, embrassant le projet dans son
ensemble, vous ont communiqué d'importantes modi—
fications à y faire. Parmi ces membres, je dois surtout
citer M. Le Prevost, docteur-médecin , qui vous a prouvé
qu'il avait fait une étude approfondie de cette grave
matière. De nombreuses séances ont été presque exclusi-
vement consacrées à la discussion de ce plan: il est
adopté aujourd’hui. Ainsi donc, avant de vous séparer,
vous pourrez transmettre à l'administration départemen-
tale le travail qu’elle a demandé, qu’elle attend avec
impatience et avec confiance , ainsi que vous l’a témoigné
M. le préfet lui-même, dans une de vos séances. Il
pourra bientôt se convaincre, en le recevant, que vous
avez fait tout ce qui dépendait de vous pour bien vous
acquitter de votre mission,
= Enfin, Messieurs, grâce à votre zèle et à vos sacri-
fices (1), grâce au désintéressement de l’auteur, qui a
voulu s'associer à vous, en abandonnant, pour cet objet,
la plus grande part des 1500 francs qui étaient la valeur
du prix que vous lui aviez décerné ; grâce, enfin, à la
bienveillance du conseil général du département, qui a
payé aussi son tribut à cette entreprise scientifique ,
vous allez incessamment livrer au public l'ouvrage sur la
géologie de la Seine-Inférieure de M. A. Passy, couronné
en 1829. Cette publication, d'une exécution typogra-
phique remarquable, va hâter encore les progrès d’une
science qui marche déjà à pas de géant. Une belle carte
géologique du département , gravée par A. Tardieu, sur
(1) L'Académie à fait un emprunt à la caisse dite de cotisation, qui
est entretenue exclusivement par la contribution annuelle des membres,
pour pouvoir suffire à cette dépense considérable.
( 38 )
une grande échelle, de nombreuses hithographies repré-
sentant des coupes de terreins et les falaises du littoral
de la Seine-Inférieure, complèteront ce monument
nouveau des efforts constants de l'Académie pour faci-
liter l'étude des sciences à ses concitoyens, qui se diront
sans doute , eh cette circonstance , que si les événemens
politiques vous ont dépouillé de la propriété de tant
d'établissements d'utilité publique érigés à grands frais
et de vos propres deniers, ils n’ont pu vous ôter, du
moins, ce dévoûment à la science et cet empressement à
rechercher les moyens de la mettre à la portée de tous,
dont vous avez hérité de vos devanciers.
Telle est, Messieurs , l'analyse succincte, ou, pour
mieux dire, tel est le résumé rapide de ce que vous
doit la science cette année. Il m'a fallu résister souvent
au plaisir de m’étendre autant que je l'aurais désiré ;
mais J'ai été forcé de céder à la nécessité de ménager vos
instants et votre attention , et j'ai dû sacrifier plus d’une
fois le désir d’être tout-à-fait complet au besoin plus
impérieux encore d’être court.
En jetant les yeux sur ce que vous avez fait, dans un
de ces moments où les intérêts particuliers, mis en émoi
par les intérêts généraux, enlèvent à ceux qui cultivent
les sciences tant d'heures irréparables, vous avez lieu
d’être satisfaits. Un autre dira les encouragements glo-
rieux que vous avez donnés aux beaux arts; j'ai exposé
ceux que vous avez offerts aux sciences. Cet ensemble
d'efforts, ces travaux estimables qu’on peut nier malgré
leur évidence, déprécier malgré leur utilité, rabaisser
malgré leur but honorable, mais que l’on ne peut heu-
reusement détruire , vous auraient mérité, dans tous les
temps , le respect et la reconnaissance de vos concitoyens
et de tous les gens instruits, ils seront plus que suffisants
aujourd’hui pour vous les conserver !
(39)
PAM AAA AA
Prix PROPOSÉ pour 1832.
. L'Académie propose , pour sujet du Prix qui sera dé-
cerné dans la Séance publique de 1832, la question
suivante :
« Exposer l'Histoire naturelle du Puceron lanigère. »
« Les concurrents devront rechercher quelle est son
origine ; décrire ses habitudes , ses moyens de conserva-
tion et de reproduction; dire l’époque où les jeunes
pucerons naissent ou éclosent ; quelle est la durée de
leur vie. Les mâles sont-ils seuls pourvus d’ailes ? Est-il
constant que le puceron lanigère s'enfonce dans la terre
pendant l'hiver? Vit-il sur les racines de la même ma-
nière que sur les branches? À quelle cause peut-on at-
tribuer sa disparition subite de quelques arbres ? A-tl
des ennemis qui puissent le détruire ou le faire fuir des
contrées où il se trouve ? Comment se transporte-t-il
d’un pays dans un autre ? Le trouve-t-on sur d’autres
arbres ou arbustes que le pommier ? Combien , enfin,
y a-t-il d'années qu'il a commencé à se montrer en Nor-
mandie ? »
Le prix sera une médaille d'or de la valeur de 300
francs.
Chacun des auteurs mettra en tête de son ouvrage
une devise, qui sera répétée sur un billet cacheté dans
lequel il indiquera son nom et sa demeure. Le billet ne
sera ouvert que dans le cas où l’ouvrage aurait obtenu
le prix.
«
( 40 )
Les Académiciens résidants sont seuls exclus du
concours.
Les ouvrages des concurrents devront être adressés ,
francs de port, à M. pes ALLEURS fs, D.-M., Secrétaire
perpétuel de l’Académie pour la classe des Sciences , rue de
Ecureuil, n° 19, avant le 1t° juin 1832. Ce terme est
de rigueur.
(41)
RAA AAA AAA AA AAA AAA AAA MAN AAA AAA AU AA AE
MÉMOIRES
DONT L'ACADÉMIE A DÉLIBÉRÉ L'IMPRESSION EN
ENTIER DANS SES ACTES.
—> 2h DD GE de e—
NOTICE
SUR UNE CENDRILLE RICHE EN SALIN,
Provenant d'un hêtre (fagus sylvaticus) excru sur un sol
ocreux et graveleux ;
Lue à l'Académie, le 18 février 1831,
Par M. Dueuc.
Messieurs ,
C'est à l'honorable M. Adam , notre confrère , que je
dois aujourd’hui l’occasion d'offrir à l’Académie la notice
alkalimétrique suivante. En voici le sujet :
M. Adam s'étant aperçu que des cendres provenant
de son foyer s’aggloméraient, par leflet de la chaleur,
en formant une espèce de scorie brune violacée , m’in-
vita à en faire l'analyse. M. Adam m’assura qu'elles pro-
venaient d’un hêtre excru dans le Roumois , sur un sol
ocreux, rougeâtre et graveleux, circonstances qui contri-
buaient probablement pour quelque chose dans la pro-
duction de cette cendre , qui n'a aucun rapport physique
avec celle que donne le hêtre ordinaire.
6
(42)
J'en expose un échantillon à vos regards.
Cette singulière anomalie dans des cendres produites
par la combustion rapide d'un bois d'arbres congénères,
s’observe parfois par les fabricants de potasse ; mais les
causes en sont encore assez obscurés pour mériter l’atten-
tion des chimistes et de ceux qui s'occupent de la physio-
logie végétale , etc. Ces motifs m'ont déterminé à me ren-
dre à l'invitation de M. Adam. J’ai donc fait l'analyse
des cendrilles en question.
Je vais décrire succinctement les procédés que j'ai
cru devoir employer pour atteindre ce but, c’est-à-dire
pour constater la quantité de salin que recèle cette cen-
drille, la cause de son agglomération et celle de sa colo-
ration.
Quatre onces de ces cendres ont été lessivées avec une
suffisante quantité d’eau, pour les dessaler complètement.
La lessive fut ensuite évaporée jusqu’à siccité complète ,
et donna près de huit gros de salin un peu jaunâtre,
mais très détersif.
J'en expose aussi à vos regards.
Ce salin, examiné chimiquement, donna plus des
trois quarts de son poids de bonne potasse. Ces expé-
riences me firent voir aussi que la couleur jaunâtre de
ce même salin lui était communiquée par une faible
quantité de fer en état d'oxide, qu'il retient opiniâtre-
ment, J'ignore par quelle cause ce métal se trouve
aiosi allié à l’alcali; mais le fait est constant et mérite
d’être noté, surtout à l'égard de l'usage de cet alcali fer-
rugineux dans les buanderies , etc.
Ici, je crois devoir faire observer que certaines potasses
dun commerce sont parfois colorées par le manganèse ;
mais ce métal ne colore pas les tissus blancs, comme
cela peut avoir lieu avec un salin ferrugineux, surtout si
l’on emploie la lessive très-chaude.
J'ai aussi analysé la charrée où le résidu provenant
(43 )
de lexpérience précédente ; il pesait trois onces, étant
bien desséché. Ainsi la cendre, telle qu’elle sort de
l’âtre, donne le quart au moins (1) de son poids de
salin de bonne qualité , comme matière détersive ; mais,
ainsi que je viens de l’observer, cet alcali est légèrement
ferruyineux.
Analyse de la Charree.
L’acide sulfurique aqueux , un peu en excès, en dissout
avec effervescence tout le calcaire et le fer qu’elle con-
tient; pendant l’opération, il y a dégagement d’acide
carbonique et de gaz hydrogène sulfuré (acide hydrosul-
furique ).
J'ai séparé la chaux et le fer de cette dissolution par
les moyens connus, moyens assez nombreux, mais que
je crois inutile de rapporter ici pour ne pas donner trop
d’étendue à cette notice. J’ai aussi reconnu, dans cette
même dissolution, une faible quantité d’alumine , mais
point de magnésie.
Cette même charrée fut également soumise à l’action
de lPacide hydrochlorique étendu d’eau. Ce réactif en
sépara la chaux et l’oxide de fer, avec une forte effer-
vescence et dégagement d'acide carbonique et de gaz hy-
drogène très inflammable.
Des expériences faites avec soin sur les dissolutions
précédentes m'ont prouvé, par leurs résultats, que
cette charrée renfermait près de la moitié de son poids
de carbonate de chaux, et environ quatre décigrammes
(huit grains ) d’oxide de fer.
Le résidu , insoluble dans l'acide muriatique, n'était
1) Je dis au moins, parce que la charrée, malgré le soin qu'on prend
1 q , 5
pour la laver, retient toujours une faible portion d’alcali dans l’eau qui
s’y trouve interposée pendant son lavage.
(44)
qu'un mélange de sable siliceux et d'alumine. Je lui
enlevai cette dernière au moyen de l’acide sulfurique
aqueux, et l'en précipitai par l’'ammoniaque. Le poids
en était d'environ dix grains. La silice, ou mieux le
sable blanc siliceux, resté à nu et privé d'humidité par
une légère calcination, pesait près de quinze décigrammes
ou trente grains; et, comme j'avais opéré sur cent parties
en poids de cette charrée, il en résulte, très approximati-
vement, que cent grains de cette matière, privée de son
salin, sont composés , savoir :
De carbonate de chaux ... : . ... Bo grains.
Sable siliceux très blanc . . . . . ... 30
PUTNETEES LED . ue à ee tes ce LA
Fer c@iéocreux 2.2. 7 24/4, .
Point de magnésie.
Total... 100.
Chacune de ces matières se trouve dans un état de
ténuité extrême, circonstance qui explique pourquoi la
charrée ordinaire des buanderies est si fort recherchée
pour l'amendement de certains sols ; d’où il suit que les
quatre éléments du règne minéral, réunis, on ne sait
comment (j'en demande pardon aux chimistes et aux na-
turalistes }, avec le carbone, l'hydrogène , l’oxigène , et
parfois l’azote , forment le corps ligneux dont est pro-
venue la cendrille qui m'a été fournie par M, Adam.
Car, ici, il faut bien noter que l’alcali que donne cette
cendre n'existe pas tout formé dans les bois de hautes
futaies, mais qu'il est le résultat d’une combinaison
dont la cause est encore inconnue, et qui a lieu durant
la combustion du végétal (x).
(1) L’azote, jusqu’à ces derniers temps, ne jouait, disait-on, qu’un
rôle peu signifiant dans Ja végétation, et on ne le trouvait guère que dans
(45)
Il résulte encore de cette analyse que le hêtre excru sur
un sol ocreux, graveleux et bien orienté, est plus riche
en alcali que le même arbre cultivé dans des terreins ar-
gileux, glaiseux et humides; car la cendre provenant de
ce dernier bois contient un quart moins de salin que la
- première , l’une et l’autre prises à poids égal : circon-
stance à noter pour les fabricants de salin, de potasse,
et même pour les ménagères qui font usage des cendres
sortant de l’âtre pour faire la lessive.
Tout porte à croire également que la forte chaleur que
produit le bois de hêtre excru sur des sols ocreux, et la
coloration de la cendrille produite par sa combustion,
sont dues à la silice et à l’oxide de fer que cette espèce
de bois renferme naturellement.
En définitif, cette cendre ou cendrille , quoique riche
en salin, pourrait avoir quelque danger par son emploi
dans les buanderies, et tacher certains tissus fins, par
l’oxide de fer qu’elle recèle ; mais l’aleali qui en provient
peut servir dans une foule d'occasions où cet oxide est
sans influence , telle que la fabrication du savon mou,
celle du salpêtre , le lavage du gros linge, etc.
Messieurs, l'analyse de cette espèce de cendre et les
remarques qui en sont comme le corollaire, ne sont pas
dénuées, nous le croyons du moins, de quelqu'intérèt,
surtout pour ceux qui s'occupent de la physiologie végé-
tale, des plantations, de la fabrication de la potasse en
grand , etc. Je remercie donc M. Adam de m'avoir
procuré l’occasion d'offrir à l’Académie un travail sur
un sujet encore peu exploré, et dont l’ensemble peut
être utile aux arts, à l’industrie et dans les buanderies.
les plantes dites crucifères et dans la famille des nicotianes; mais des
recherches nouvelles font présumer qu’il en est autrement, et qu'il forme
la base des alcalis végétaux, des alcaloïdes, etc.
(46)
AAA OA AAA AAA AA AAA A AAA
NOTICE
AAA AA AAA AAA AAA AAA A AAA
SUR LA GARANCE ( AUBIA TINCTORUM, L.),
Avec des moyens simples d'en reconnaître la falsification ;
Lue à l'Académie, le 24 décembre 1830,
Par M. Dusuc.
MEssiEuRrs ,
Si l'ingrédient qui fait l’objet de cette notice s'em-
ployait entier, c’est-à-dire sans être moulu, dans les
ateliers de teinturerie, la falsification en deviendrait pres-
qu'impossible , vu que la garance en racine offre un
aspect physique particulier et un goût douceâtre sucré
que n’ont aucunes autres matières végétales teinturien-
nes: mais il en est autrement; la garance ou alisary se
vend dans le commerce à l’état pulvérulent et renfermée
en fortes masses dans des tonneaux où elle s’échauffe et
prend une couleur brunâtre, analogue à celle de l'écorce
qui sert à la sophistiquer. Cette écorce vient de Barbarie
par la voie de Marseille. On lui donne le nom de pin ou
de fausse garance, et l’on prétend qu'elle est produite par
un arbre de la famille des conifères, d’autres disent par
un chêne rouge non décrit par Michaux et encore inconnu
en France. J’expose de cette écorce à vos regards. On se
sert encore de l’ocre rouge ou de terres bolaires pour la
falsification de l’alisary.
Voici des moyens simples que nous avons toujours em-
ployés avec succès, dans notre longue pratique , pour dé-
couvrir la falsification de la garance moulue, ou alisary,
par les ingrédients que nous venons de citer (x).
(1) La garance en poudre est connue dans le commerce et par les
teinturiers sous le nom d’alisary ou Lisary,
C47)
Procedé pour y découvrir l’ocre el autres matières terreuses.
On met dans un grand verre conique environ deux
onces d’alisary soupçonné ; on y ajoute assez d’eau pour
bien délayer le tout ensemble; ensuite on agite fortement
le vase pendant une minute, puis on laisse déposer un
moment, et l’on décante le fluide et la racine qui le
surnage, On répète une seconde fois l'opération.
Si la garance moulue contient de locre ou de la
terre , ces matières , vu leur pesanteur spécifique et leur
insolubilité dans l’eau, se précipitent au fond du verre,
et, en les faisant sécher, on peut apprécier, à la balance,
dans quelles proportions elles se trouvent additionnées à
la matière tinctoriale.
Ainsi, au moyen d’un procédé presque mécanique,
le commerçant et le téinturier peuvent s'assurer de la
pureté de l’alisary, ou savoir s’il n’est pas mêlé de terre,
avant d’en faire la vente ou la mise en œuvre.
Procedés pour découvrir l'écorce dite de pin, ou fausse ga-
rance, dans l’alisary tinctorial.
D'abord, pour mieux comprendre l'effet des réactifs
chimiques sur l'écorce de pin, il faut savoir que la vraie
garance est une racine résineuse , et qu’elle ne contient
ni acide gallique ni tanin appréciables, tandis, au con-
traire, que l'écorce en question recèle abondamment ces
deux matières (1). C’est d’après ces notions que nous
avons dû employer l’acétate de fer et l’alcool, pour recon-
naître la fausse garance dans l’alisary.
Premier procédé.
On verse sur environ deux onces de garance moulue
ou d’alisary du commerce , deux verrées d’eau bouillante ;
(1) On peut faire une bonne encre à écrire avec l'écorce de pin, vu
qu'elle est riche en acide gallique et en tanin, bases de ce fluide; mais
(48)
on agite bien ce mélange à plusieurs reprises ; après vingt
ou trente minutes, on coule cette infusion à travers un
linge serré, et on la met dans deux verres. On ajoute
dans l’un environ un gros d’acétate de fer neutre, et
dans l’autre une cuillerée de solution aqueuse de belle
colle forte. Dans le premier cas, et si l’alisary est mêlé
de fausse garance , le liquide prendra sur le champ une
couleur noire d'encre ; dans le second , ce même fluide
deviendra lactescent, et en vingt-quatre heures on verra
au fond du vase un dépôt d’un blanc grisätre : c'est du
tannate de gélatine; tandis que ces effets n'auraient pas
lieu si l’alisary était pur.
Deuxième procédé par l'alcool.
1° On met quatre gros de garance pure à infuser dans
deux onces d’esprit de vin à trente-six degrés ; on agite
plusieurs fois le mélange ; k
2° On fait une autre teinture, en prenant également
quatre gros d’écorce de pin ou fausse garance et deux
onces d’alcool. En vingt-quatre heures, on retire de ces
deux ingrédients une belle teinture rouge.
Épreuves et résultats servant à constater la différence chimique
qui existe entre les deux ingrédients traités par l'alcool.
Si l’on mêle une cuillerée de la première teinture dans
une demi -verrée d’eau , sur le champ le mélange devien-
dra trouble et lactescent. Cet effet a lieu par la séparation
de la résine de garance. L’acétate de fer ou le vitriol
vert (x) ne trouble pas cette teinture. -
on la rend plus belle et plus noire que l’encre ordinaire en y ajoutant um
peu de noix de galle de Smyrne.
Gi) I y a plus de trente ans que je préfère l'acétate de fer au vitriol
vert (proto-sulfate de fer), comme réactif plus sûr que ce dernier pour dé-
couvrir les matières astringentes dans les teintures et infusions végétales.
(49)
Si on soumet la teinture de fausse garance aux mêmes
réactifs, on a des résultats tout différents : d'abord elle
n'est pas troublée par son mélange avec l’eau; les sels
ferrugineux la font virer au noir; enfin cet alcoolat diffère
encore du premier en ce qu'il est amer et styptique au
goût.
© Ainsi, en résumant les résultats des essais précédents,
on voit que l'esprit de vin, alcool, peut servir de réactif,
comme les sels ferrugineux, pour découvrir la présence
de l'écorce de pin dans l’alisary tinctorial, puisque la tein-
ture de cette écorce wire au noir en l’additionnant seule-
ment de quelques gouttes d’acétate de fer, effet qui n’a
pas lieu en faisant subir la même épreuve à la teinture
de l’alisary non frelaté de matières astringentes végétales.
On pourrait encore proposer d’autres moyens que
ceux que nous avons indiqués pour reconnaître la pureté
de la garance moulue, mais sans multiplier les réactifs.
Tout le monde peut atteindre ce but avec l’acétate de
fer, l'alcool, l’eau et le goût.
Je termine par dire particulièrement un mot sur
l'écorce exotique qui sert à sophistiquer la garance
moulue. î
Tout porte à croire que cette écorce épaisse, rouge
intérieurement, rugueuse à l’extérieur et d’un goût très
styptique, appartient à une espèce de chêne inconnu
dans l’Europe, et non à un arbre résineux de la famille
des pins ou sapins ; car on ne connaît aucune écorce des
conifères dont les propriétés soient astringentes et riches
en tanin et en acide gallique comme celle dite de Barba-
rie , dont on se sert pour falsifier la garance moulue.
Enfin j'ai cru, dans un temps où la garance est rare,
d’un prix très élevé, et par ce motif sujette à être falsi-
fiée, que cet ouvrage pratique pourrait être de quelqu'uti-
lité au commerce et à l'industrie. Ces motifs m'ont
déterminé à le présenter à l’Académie.
«3
AAA AAA AAA A AAA
AAA AAA AAA AA
NOTE
SUR LA COMPOSITION DE L’ALLIAGE QUI FORME
LA CLOCHE D'ARGENT ,
Renfermée dans le Beffroy de Rouen;
Lue à l'Académie, le 7 juillet 1331,
Par J. GirARDIN, Professeur de chimie, etc.
MESStEURS ,
Tout ce qui se rattache d’une manière plus ou moins
directe aux antiquités de notre ville, excite votre atten-
tion à un haut degré. Vous accueillerez donc, je pense,
avec quelque intérêt , la note que je vais avoir l'honneur
de vous lire sur la composition chimique du métal de
la cloche du Beffroy de Rouen.
Cette cloche, sur l'ancienneté de laquelle les historiens
n'ont que de vagues données, est connue sous le nom
vulgaire de cloche d'argent , et pas un bourgeois de notre
ville ne met en doute qu'elle ne renferme une grande
quantité d'argent , comme semble l'indiquer cette déno-
mination. Dans le mois d'avril 1830, M. le maire
m'invita à faire l'analyse du métal qui la compose, ce
fonctionnaire désirant savoir si le son particulier qu'elle
répand lorsqu'elle est mise en branle était une consé-
quence de sa constitution chimique. J'acceptai la propo-
sition de l'autorité municipale avec d'autant plus de
plaisir, que , depuis long-temps, je cherchais l’occasion
Frecis A nalge 4851, 72 194
?L17
77 ce e h
)
CC.
(51)
de m'assurer si, comme on le pense généralement , les
cloches anciennes renferment des métaux précieux,
métaux qui auraient été ajoutés par les fondeurs , dans
l'intention d'embellir leur son. M. Deleau, architecte
ordinaire de la ville, eut la complaisance de me conduire
au Beffroy de la Grosse-Horloge, et de mettre à ma
disposition plusieurs grammes du métal qu’il fit enlever
aux parois de ce grand corps sonore. Je fus accompagné .
dans cette visite au Beffroy, par nos honorables confrères
MM. Licquet, Auguste Le Prevost et Ballin. Ce dernier
académicien vous a rendu compte, dans la séance du 23
avril 1830 , des résultats de cette exploration archéo-
logique , qui lui a fourni l’occasion de relever, avec
exactitude , l'inscription du bas de l'escalier de ce Beffroy,
que les historiens de la ville de Rouen n’ont rapportée
qu'imparfaitement, et celle de la cloche d'argent qui
paraît n'avoir été citée par aucun d'eux.
D'après l'inscription qui se voit sur le listel de cette
cloche, il est bien évident aujourd’hui que celle-ci
n'est pas la même que la cloche nommée Rembol, dont
Charles vi gratifia deux de ses pannetiers, pour punir
les Rouennais d’une insurrection qui éclata en 1390.1l en
résulte que toutes les hypothèses qu’on a successivement
émises sur l’origine du nom de cloche d'argent, hypothèses
faites dans l'opinion que notre cloche actuelle est le
Rembol de cette époque, sont sans aucun fondement (1).
Quoi qu'il en soit, voici les dimensions de cette cloche,
Je dois ces renseignements, ainsi que la figure que j'ai
l'honneur de mettre sous vos yeux (p1. 1), à l’obligeance
de M. Deleau.
Elle a trois pieds trois pouces de hauteur à partir de
l'ouverture inférieure jusqu'à la naissance des anses qui
(1) Foir, au Rapport général, l'inscription de M. Ballin.
(5)
surmontent le cerveau où partie supérieure. Sa plus grande
largeur est de quatre pieds. Le cerveau a un diamètre
intérieur de deux pieds quatre pouces six lignes. Les pa-
rois, dont l'épaisseur est de trois pouces trois lignes à
l'ouverture intérieure , région où frappe le battant, n’ont
plus qu'un pouce une ligne au cerveau. Son battant a
deux pieds onze pouces de longueur ; il est en fer, et sus-
pendu à une forte lanière en cuir.
= La portion du métal qui a été enlevée à cette cloche
à l’aide de la lime , présente tous les caractères extérieurs
de la limaille de bronze. Sa composition chimique dif-
fère très peu de celle du métal des cloches modernes. En
eflet, à l’aide des procédés analytiques très simples et
babituellement usités dans de pareils cas, ce qui me
dispense d entrer dans aucun détail à cet égard, je n’ai
reconnu dans cet alliage. que du cuivre , de l’étain, dans
des proportions très rapprochées de celles du métal des
cloches actuelles, plus un peu de zinc et de fer. Voici, au
reste, les résultats numériques de mon analyse.
: Sur cent parties en poids, le métal de la cloche d'ar-
gent se compose de
:Goivre.# 27 cell
RAS LU SUILE-E
sous dtaims-nag 2 louud2l a6
” Zinc s ates4b us gi 1,80
Fer sde a is ue 1,20
4 100,
Les cloches françaises, modernes sont généralement
formées d'un alliage composé de
(ER TAPER 0 78
Étain 22
Parfois on y trouve des métaux étrangers , tels que fer,
zinc, plomb , etc., en quantités variables. Ces métaux
n'ont d'autre ‘objet reconnu que celui de diminuer le
(53)
prix de l’alliage, c'est-à-dire d'augmenter les bénéfices
des fondeurs,
On voit, par cette comparaison, qu'il n’y a pas une
très grande différence , sous le rapport de la nature chi-
mique, entre la cloche du Beffroy de Rouen et les cloches
modernes. Le fer et le zinc que j'ai trouvés dans la
première sont en si faible proportion, qu'on doit les
considérer comme accidentels à sa composition. Ils pro-
‘viennent, sans aucun doute, du cuivre dont le fondeur
a fait usage ; car le cuivre du commerce est rarement
exempt de ces deux métaux. On ne peut supposer que le
zinc ait été ajouté à dessein, puisque ce métal a été
indiqué pour la première fois par Paracelse, qui mourut
en 1541, et que la cloche du Beffroy paraît être bien
antérieure à cette époque. D'ailleurs, ce n’est guère que
depuis un siècle que le zinc est devenu très commun et
qu'on a commencé à l’employer dans les arts. D'un autre
côté, l’on sait que le cuivre gris, une des espèces miné-
ralogiques du cuivre les plus abondamment répandues ét
exploitées , est toujours accompagné de sulfure de zinc,
et que presque toutes les autres espèces de la même fa-
mille sont mélangées de sulfure de fer, notamment le
cuivre pyriteux , qui est une combinaison, à proportions
égales, de sülfure de cuivre et de sulfure de fer. Il n’est
donc pas étonnant que le cuivre du commerce renferme
ordinairement de petites quantités de ces deux métaux
étrangers, et que, par suite, on en trouve dans les objets
fabriqués avec le premier.
La cloche du Beffroy, d’après mon analyse , ne con-
tient donc pas un seul atome d'argent, et il est très
vraisemblable que les autres cloches coulées à cette épo-
que et antérieurement n'en renferment pas davantage.
Cependant , ilest bien constant que, lors de la fonte de
ces corps sonores , on introduisait une assez grande quan-
tité de ce métal précieux dans le bain, dans l'intention
(54)
de leur communiquer un son clair et pur, et cette
croyance , sur lutilité de l’argent dans cette circonstance ,
s’est perpétuée jusqu'à nos jours, car elle fait encore
partie de ces nombreux préjugés qui circulent dans tous
les rangs de la société.
Comment se fait-il donc que l'analyse chimique
ne nous démontre pas plus de traces d'argent dans les
cloches anciennes, où l’on en ajoutait, que dans les
cloches modernes où l’on n’en met pas? La cause de
cette singularité doit exciter vivement votre curiosité ,
Messieurs ; l'explication que je vais en donner , d’après
l'autorité d'un chimiste connu, va la satisfaire complète-
ment, tout en faisant naître votre admiration.pour l’a-
dresse merveilleuse des fondeurs de cette époque.
Vous connaissez tous, Messieurs, l’ancien usage de
bénir les cloches et de leur donner un parrain. Alors,
comme aujourd'hui, les personnes de haut rang ou dis-
tinguées par leur piété, recherchaient avec empressement
l'honneur de tenir les cloches sur les fonts baptismaux ;
mais, non contentes de cette distinction, elles voulaient
donner des marques de leur générosité ou de leur dévo-
tion, en offrant à la paroisse la quantité d'argent néces-
saire à embellir, comme on le croyait et comme le fai-
saient entendre les fondeurs , le son de la cloche. Toutes
les dames de l'endroit s’empressaient de s'associer à cette
œuvre de vanité plutôt que de vraie dévotion, en ajoutant
quelques pièces de leur argenterie, en sorte que souvent
une immense quantité d'argent travaillé était apportée
dans l'atelier où devait s’opérer la fonte de l’alliage. Les
donateurs et parrains étaient invités à plonger dans le four,
et de leurs propres mains, l'argent qu'ils consacraient
à cette opération ; néanmoins, malgré la publicité donnée
à la fonte des cloches, il ne s’y trouvait pas plus d’argent
après leur confection qu'il n’y en avait dans les métaux
employés par les fondeurs. Voici comment ces derniers,
(55)
tout aussi habiles que leurs successeurs, savaient proli-
ter d’une erreur qui les enrichissait.
Le trou ouvert sur le haut du fourneau, et destiné à
l'introduction de l'argent, était pratiqué directement au
dessus du foyer, et cette partie du fourneau , à réverbère,
comme le savent toutes les personnes qui ont visité les
ateliers dans lesquels on travaille les métaux, est séparée
de la sole du four sur laquelle les matières sont mises en
fusion. El résultait de la disposition de ce trou, qui ser-
vait aussi à l'introduction du combustible, que la tota-
lité de l’argent que l’on y projetait, au lieu d’être intro
duite dans le bain de bronze liquéfié, tombait directe-
ment dans le foyer, coulait et allait ensuite se rassembler
dans le fond du cendrier, d’où le fondeur s’empressait
de le retirer une fois la cérémonie terminée et l'atelier
désert.
Vous voyez, Messieurs, que les fondeurs anciens,
plus instruits et plus fins que leurs concitoyens, savaient
exploiter adroitement leur crédulité, et mettaient en pra-
tique ce vieil adage d'Horace, qui sera sans doute apphi-
cable à tous les temps :
Vulgus vult decipi, decipiatur !
Il west donc pas étonnant que les cloches anciennes
n'offrent pas plus d'argent dans leur composition que
celles fabriquées de nos jours. Leur timbre , quoi qu’on
en dise, n'est pas plus beau que celui de ces dernières,
et si quelqu'un avait quelques droits de se plaindre de
l'abolition d'une coutume aussi inutile que coûteuse, ce
ne serait assurément que les fondeurs de notre époque.
Pour en revenir à notre cloche d'argent, je ne crois
pas que la petite différence qu’elle présente , dans les rap-
ports du cuivre et de l’étain avec les autres cloches,
influe sur la nature du son clair et retentissant qu’elle
répand. Celui-ci doit tenir plus vraisemblablement à sa
forme et à l’état d'homogénéité de ses parties.
(56)
Le surnom de cloche d'argent donné au Rouvel renfermé
dans le Beffroy, a fait naître bien des suppositions plus
ou moins hasardées , et il embarrasse encore beaucoup
nos antiquaires. Notre estimable confrère M. Ballin dit,
dans sa notice que je vous ai rappelée en commençant ,
qu'on peut l’attribuer, soit au son argentin qu'il rend
lorsqu'on le met en volée, soit à quelque circonstance
analogue à celle qui a fait appeler tour de beurre l'une
des tours de la Cathédrale. Cette dernière hypothèse est
plus vraisemblable que la première; mais ne pourrait-on
pas trouver l’origine de cette dénomination dans ce qui a
pu se passer au moment de la fabrication de cette cloche ?
Un tocsin, destiné, comme le Rouvel, à servir dans toutes
les circonstances solennelles, a dû être fondu et coulé
avec une grande pompe. Les bourgeois les plus distingués
de la ville ont dù briguer l’honneur de contribuer à la
beauté de son timbre ; et si, lors de la fonte des cloches
ordinaires de paroisse, les parrains et les fidèles faisaient
don de grosses sommes d’argent, ilest permis de suppo-
ser, avec quelque apparence de raison, que les présents
offerts aux échevins de la ville pour embellir le son du
Rowvel, ont été magnifiques et considérables. Ne serait-ce
pas alors, à cause de cette grande quantité d’argent qu’on
supposait avoir entré dans la préparation de l’alliage,
tandis qu’il passait dans la cassette du fondeur, que le
nom de cloche d'argent aura été donné à ce grand corps
sonore ? Cette opinion ne me semble pas dénuée de toute
vraisemblance : cependant, Messieurs, je la soumets à
votre sagacité, et ne la soutiens qu'avec la défiance que
mon peu de lumières en fait d'archéologie doit m'ins-
pirer.
li
AAA AAA AA AAA AAA AAA AAA AA AAA AAA AAA AA RAA A AAA AAA
MÉMOIRE
SUR LE PHYTOLACCA DECANDRA, L.,
ou PHYTOLAQUE,
Communiqué à l’Académie les 25 mars et 15 avril 1831;
Par M. Dueuc.
AVERTISSEMENT.
MESSIEURS,
Deux fois, en 1827 (1) et en 1829 (2), j'exposai à vos regards des
feuilles et des baies du p#i/olacca decandra, À. , récoltées aux envi-
rons de Rouen. Je vous fis voir cette plante dans l’état d’accroissement
où je la juge le plus convenable aux essais variés queggen ai faits
comme ingrédient tinctorial. Je promis aussi de nur À l'Aca-
démie les résultats les plus remarquables de ces essais, plus une note
sur la culture de la phytolaque. Je viens aujourd’hui acquitter cette
double promesse. Ce travail est un peu long, mais je n'ai pu lui don-
ner moins détendue, vu les nombreux détails qu'il comporte. Je de -
mande votre indulgence ordinaire pour en entendre la lecture.
(@) 6 Juillet.
(2) 8 Août.
MÉMOIRE tent sur les feuilles que sur les Laies du Phylolacca
decandra, L., ou Phytolaque, considérées spécialement
sous leur rapport tinctorial et atramentaire (bonnes à faire
de l'encre); avec une Notice sur la cülture de cette plante
en France.
MEssiEURs ,
Il y a plus de cinquante ans , en suivant les cours que
M. Dambourney faisait au jardin des plantes de cette
ville , sur les propriétés tinctoriales d’un grand nombre
de nos végétaux indigènes, que je conçus le projet de
faire un travail sur les baies du phitolacca decandra, L. ;
et en effet, je m'en occupai dès l'époque où j'étais phar-
macien en chef à l’Hôtel-Dieu de Rouen; mais la tour-
mente révolutionnaire me força bientôt d'abandonner
des expériences et des «bservations qui exigent calme et
sécurité pour être bien faites. Ayant repris ce travail de-
puis quelques années, je vais aujourd’hui vous en com-
muniquer les principaux résultats.
Le beau végétal, dont les feuilles changent de couleur
trois fois l’année , qui fait le sujet de ce mémoire , porte
aussi le nom de plante de fard, parce que le suc rouge
carminé dë son fruit sert aux insulaires à se farder ; de s0-
lanum magnum , à cause du superbe aspect de cette plante,
qui fait souvent l’ornement de nos jardins, etc. ; enfin,
ce végétal , originaire de l'Amérique septentrionale , est
acclimaté depuis long-temps en Europe, où il prospere
dans presque tous les sols en bravant les hivers les plus
rigoureux de nos conirées. Il est rangé, par Linneus,
dans sa Décandrie décaginie. D'abord , j'avais borné mes
essais, dans cet ouvrage, en n'y traitant que des baies de
la phytolaque ; mais bientôt je m’aperçus que les feuilles
(59)
de cette plante, prises vertes ou rouges, fournissaient
aussi un bon ingrédient tinctorial. J'ai donc opéré sur
l’une et l’autre partie de ce végétal,
lei, et pour servir à l'intelligence de ce travail, je dois
faire observer que les feuilles de la phytolaque ont des
propriétés variées en raison de leur état d’accroissement.
Les feuilles vertes sont riches en tanin, tandis que ces
mêmes feuilles, rougies sur l'herbe à la rosée où natu-
rellement sur la te ne contiennent guère que de l’a-
cide gallique ; circonstance qui établit une différence très
notable entr'elles, considérées comme ingrédient tincto-
rial. Les expériences suivantes, par leurs résultats, vont
venir à l'appui de cetie assertion.
Avant de faire mes essais sur les baies de cette plante,
je consultai le bon ouvrage que M. Dambourney publia à
Rouen en 1786 (cet ouvrage fut imprimé aux frais du
gouvernement), sur les propriétés tinctoriales de ces fruits
et de bien d’autres en indigènes , et j'y lus avec une
sorte d'étonnement, qu'il n'avait Rone de ces baies, avec
la laine et les lainages, qu’une couleur fugitive ou pres-
que négative... Un tel jugement , porté par un aussi savant
expérimentateur que M. Dambourney , m'avait presque
fait abandonner le projet de faire de nouvelles recherches
sur ce fruit ; mais, en examinant la nature des essais de
notre conciloyen et ceux tentés postérieurement par M.
Braconot, à Nancy, et Kuhlmann, à Lille, sur les mêmes
baies , je vis que la matière était loin d’être épuisée.
J'ai donc fait de nouvelles recherches, non seulement sur
le fruit de la phytolaque , maïs encore sur les feuilles de
cetie plante, récoltées aux environs de Rouen, à diverses
époques de leur croissance. Les résultats que j'en ai
obtenus ne sont pas, je crois, dénués d'intérêt pour
l'art du teinturier; vous en jugerez par le travail que
voici :
Je traiterai d'abord des feuilles de cette plante ; en-
( 6o )
suite d’autres essais auront lieu sur ses baïes ; enfin , ce
mémoire sera terminé par une notice sur la culture du
phytolacca decandra , considéré dans son ensemble sous
divers rapports , et aussi comme une annexe intéressante
pour l'Agriculture française.
Par des motifs que j'exposerai ailleurs, j’ai dû opérer
sur des feuilles de phytolaque récoltées à trois époques de
l'année :
1° Vers la fin de juillet, où quand elles ont acquis leur
plus grand degré d’accroissement , et dont la couleur verte
est encore pure et sans nuance de rouge (x);
2° Sur les mêmes feuilles récoltées en septembre, ou
au moment où elles ont pris, sur la tige, une couleur
rouge verdâtre ;
3° Enfin, sur ces feuilles tout-à-fait rouges, cueillies
avec des baies du dix au quinze novembre, époque où
ces deux produits sont le plus riches en principes colo-
rants et teignants.
Voici maintenant la série d'expériences que j'ai faites
pour constater les propriétés teinturiennes et altramen-
taires de ces feuilles , employées fraîches.
Première Expérience.
On fit bouillir successivement dans un litre d’eau,
pendant quinze minutes, huit onces de chacune de ces
feuilles hachées menu; puis on laissa refroidir la décoc-
tion , et ensuite elle fut coulée avec expression.
a — — ——————————
(1) Ces mêmes feuilles, et celles cucillies en septembre, étant exposées
sur l'herbe ou rouies au grand air et à la rosée, y contractent, en quinze
ou vingt jours, une belle couleur rouge qui les rapproche beaucoup,
comme ingrédient tinetorial et atramentaire, des mèmes feuilles rougies
naturellement sur la plante , et dont la récolte avec les baies a lieu dans
l'arrière-saison.
(61)
La décoction des feuilles vertes porte le n° +,
Celle faite avec les feuilles rougeâtres, le n° 2,
La troisième, préparée avec les feuilles rouges, le n° 3.
Lemarques et observations fuites sur ces trois decoctions,
examinées d'abord physiquement , et ensuite au moyen de
divers réactifs chimiques.
. La décoction numéro 1 avait une forte couleur jaune
olivâtre ; elle était sensiblement amère et styptique au
goût, point d’odeur prononcée ; elle déclinait au noir
brun par son exposition au grand air.
Les décoctions numéros 2 et 3 avaient une belle cou-
leur rouge ponceau ; leur goût était plus amer et styp-
tique que celui de la précédente ; elles noircissaient for-
tement à l’air et à la lumière. Enfin, les trois décoctions
étaient sans effet appréciable sur les teintures aqueuses
de violette et de tournesol, et tout-à-fait inodores.
Ces épreuves, faites sur cette plante pendant trois
années de suite, et dans les mêmes circonstances, ont
toujours donné les mêmes résultats, ce qui prouve que
la phytolaque a des propriétés diverses en raison de son
état d’accroissement (x).
Effets des réactifs sur ces trois décoctions, prises chacune
séparément.
Le vitriol vert neutre, ou proto-sulfate de fer, et l’acétate
de ce métal, les altèrent et les noircissent plus ou moins;
(1) On est souvent, dans le commerce, en désaccord sur les qualités
variées et sur les propriétés de certains ingrédients tinctoriaux. Mais les
anomalies que nous signalons dans les feuilles de la phytolaque peuvent
servir à expliquer aux tribunaux la valeur de ces réclamations, et éclairer
les juges sur le fond de ces difficultés, qui résultent presque toujours de
l’état d’accroissement où ces végétaux sont cueillis avant d’en faire l'em-
ploi dans les ateliers.
(62)
ils font virer en noir brun la décoction numéro 1 et en
noir violacé la décoction numéro 2; mais ils colerent
plus fortement en noir le numéro 3, Ces couleurs pren-
nent de l'intensité à l'air.
La colle forte trouble plus fortement la décoction nu-
méro 1 que celle numéro 2, tandis que son effet est
presque nul sur la décoction numéro 3. Enfin, la
décoction des feuilles du phytolacca, rouies ou rougies
à l'air et à la rosée, n'est pas non plus sensiblement
troublée par la même solution aqueuse de colle forte,
quoique noircie fortement par les sels de fer.
Ces résultats prouvent chimiquement que les feuilles du
phytolacca varient dans les proportions de tanin et d'acide
gallique qu’elles recèlent en raison de leur état d’accrois-
sement et de leur coloration, soit sur la plante , soit étant
rouies par leur exposition à la rosée, circonstances essen-
tielles à noter, surtout à l'égard de leur emploi comme
ingrédient tinctorial et atramentaire. L’acétate de plomb
liquide et le sel de saturne du commerce précipitent et
décolorent ces décoctions. Le précipité produit dans la
décoction numéro 1 est d’un jaune clair, celui que donne
le numéro 2, jaune ravenelle ; mais la décoction nu-
méro 3 en donne un très volumineux d’un beau jaune
jonquille, et plus abondant, toutes choses égales, que
ceux obtenus des deux premières décoctions.
Enfin, le sel d’étain ( permuriate d’étain du commerce)
décolore également ces décoctions, en y occasionnant
des précipités volumineux de couleur jaune de ravenelle,
surtout dans celle numéro 3 (1). Ces précipités, et ceux
(1) La décoction de feuilles rouges donne un précipité brun foncé
avec l'alun, gris cendré avec le sulfate de zinc, jaune olivâtre avec le
sulfate de cuivre, et jaune avec le tartrite de potasse antimonié (émétique
des pharmacies ); mais je n'ai pas éprouvé ces mordants, excepté l’alun,
en teinture, Je les indique simplement ici comme objet de recherches, et
(63)
produits par es sels de plomb, adhèrent fortement aux
tissus, surtout à la laine el aux lainages. Les expériences
suivantes vont, par leurs résultats, conlirmer cette asser-
uon.
Deuxième Expérience.
Huit onces de feuilles vertes du phytolacca (ou quatre
onces de sèches), mais particulièrement les rouges,
bouillies dans un litre d’eau rendue alcaline par quatre
gros de carbonate de soude du commerce, donnent un
bain jaune foncé et parfois brunâtre, qui teint en brun
clair les fils de lin et de coton préalablement décreusés
et alunés par les méthodes connues.
La laine désuintée et alunée prend aussi, dans le
même bain, une belle couleur olivâtre, peu altérable à
l’eau de savon, et par l'exposition au grand air et à la
lumière. Les fils de lin et de coton doivent être teints par
une température de cinquante à soixante degrés. La laine
peut soutenir le bouillon pendant douze à quinze mi-
nues, sans que la couleur s’en dégrade ; mais, dans l’un
et l’autre cas, l'opération dure environ une heure.
Troisième Experience.
Si, dans une forte décoction de feuilles de phytolaque
prises veries et dans leur plus grand degré d’accroisse-
ment (quand la plante commence à fleurir), on met à
bouillir pendant vingt à trente minutes de la laine désuin-
tée, puis imprégnée de muriate d’élain comme mordant,
cette laine y prendra une belle couleur jaune mordoré
bon teint, et très agréable à la vue.
As LE L LT L
comme pouvant être utiles à ceux qui voudront faire l'emploi du pAyte-
dacca comme ingrédient tinctorial, etc.
(64)
Si, au lieu de feuilles vertes, on emploie à cette opéra
tion des feuilles rouges, la laine prendra alors une cou-
leur jaune nankin également solide.
On peut, dans ces opérations, se servir pour mordant
du sel de saturne du commerce ; il produit presque les
mêmes effets que le muriate d’étain sur la laine. Les
toiles de lin et de coton sont teintes en jaune ravenelle
par ce même procédé.
Quatrième Expérience.
Cette autre expérience a eu lieu avec les feuilles du
phytolacca rougies sur les tiges et ramassées avec les
baies dans l’arrière-saison. La décoction de ces feuilles
est très riche en acide gallique , et donne à la laine désuin-
tée et imbue d’acétate de fer ou d’un autre mordant
ferrugineux , une couleur d’un assez bon noir, surtout en
exposant cette laine, au sortir du bain, au grand air et à
la lumière.
Si à six onces de ces feuilles fraîches on ajoute seule-
ment une once de noix de galle ordinaire écrasée, on ob-
tient alors un bain qui teint du plus beau noir les lainages
avec les sels ferrugineux (1). Nous croyons que ce bain,
ainsi préparé, équivaut pour l'effet tinctorial à quatre
onces de noix de galle du commerce employées seules.
Ainsi, les feuilles rouges de la phytolaque, seules ou
mêlées d’un peu de noix de galle, peuvent remplacer,
dans les ateliers, les ingrédients astringents exotiques
qu’on y emploie pour la teinture noire, noir fauve, etc.
(x) J'ai toujours observé dans mes essais, faits en petitil est vrai,
que l’acétate de fer neutre, préparé avec le vinaigre incolore provenant
dn bois, donnait à la laine traitée avec la phytolaque ou avec d'autres
matières astringentes une couleur plus belle et plus noire que le
sulfate de fer ou vitriol vert employé pour mordant avec ces mêmes in-
grédients,
(65)
Ici se terminent nos essais et nos observations sur
les propriétés tinctoriales des feuilles du phytolacra de-
candra, el nous allons nous occuper de leur propriété
atramentaire. Cette autre application fera voir de plus
en plus combien on a négligé en France de tirer parti de
ce beau végétal.
Encre de phytolacca decandra, préparée avec Les feuilles
rouges de cette plante.
Prenez : feuilles sèches de phytolacca quatre onces, ou
huit onces de fraîches, c’est-à-dire cueillies en novembre;
bois d'inde moulu quatre gros ; vitriol vert non rouillé et
gomme arabique écrasée, de chaque une once et demie ;
eau pure de pluie, de rivière ou de mare, un litre.
Faites infuser à une douce chaleur (sans bouillir) dans
l'eau, et pendant vingt-quatre heures, les feuilles coupées
menu avec le bois d'inde ; ensuite on coule le mélange
avec expression. L'on y ajoute la gomme ; quand elle est
fondue , on y met le vitriol vert, puis on agite le tout
ensemble. Quand ces deux derniers ingrédients sont dis-
sous, l’encre est faite. On la décante deux heures après
pour l’usage. Cette encre, dont la quantité est d'environ
un litre, marque trois à quatre degrés au pèse-sels. Sa
couleur sur le papier est d’abord pâle , parfois jaunâtre ,
mais bientôt elle noircit à l’air, comme cela a lieu pour la
plupart des encres dont on fait usage dans les pensions,
dans les écoles. Si elle était trop épaisse , on y ajouterait
un peu d’eau.
Si l’on veut avoir une encre aussi belle et aussi noire
que l’encre dite de bureau, il suffit, pour obtenir ce ré-
sultat, d'ajouter aux deux ingrédients la phytolaque et
le bois d'inde , une once de noix de galle écrasée. Cette
encre, ainsi préparée, revient à moitié moins cher que
celle faite avec la noix de galle seule. Elle présente encore
dans son emploi un autre avantage précieux, celui de
9
(66 )
n'èlre pas tout-à-fait efacée ou détruite par la vapeur
du chlore , par les chlorures, par l'acide nitrique , ete. ;
car, après l’action de ces réactifs, il reste toujours sur le
papier des traces bien visibles des lignes qu'on y avait
écrites. On peut encore les rendre plus lisibles en chauf-
fant légèrement l'écriture altérée, ou en l’imbibant d’une
solution aqueuse de prussiate de potasse.
J'ai aussi éprouvé, par deux années d'expériences,
que cette dernière encre était moins altérable par son
exposition au grand air et à la lumière, que l'encre où
il n'entre pas de feuilles rouges de phytolacca.
Les résultats de ces essais prouvent donc que les feuilles
de la phytolaque peuvent être employées avec succès et
avec économie à faire de bonne encre à écrire, soit seules,
soit mêlées d’une faible quantité de bois de campèche et
de noix de galle.
Enfin, je termine ce chapitre par les observations
suivantes , concernant l’emploi des feuilles du phytolacca
decandra, considérées comme ingrédient tinctorial ou
atramentaire.
Les nombreux essais que j'ai faits sur les feuilles de ce
végétal m'ont définitivement prouvé que plus elles sont
rouges, plus elles sont riches en acide gallique et em-
preintes du principe jaune colorant qui doit les rendre
précieuses pour la préparation d’une encre presqu'in-
délébile (1). Je crois encore -que la couleur jaune et
(1) Jusqu’à ce jour, on ne connaît point d’encre à écrire tout-à-fait
indélébile, ou qui puisse résister à l’action combinée des nombreux réac-
tifs que la chimie possède, Mais l'encre faite avec les feuilles très rouges
du phytolacca et un peu de noix de galle, offre au moins l'avantage pré
cieux de n’être effacée qu'incomplétement par les moyens assez connus
des faussaires, et de laisser des traces jaunätres très visibles sur le papier.
Outre cet avantage, elle a encore celui de résister bien et plus long-temps
à l’action de l’air et de la lumière que l'encre ordinaire du commerce et
de bureau,
(67)
jaunâtre que certains tissus prennent dans le bain de
ces feuilles est spécialement due à ce même principe.
C'est à l'expérience des chimistes teinturiers que je m'en
rapporle pour vérifier ou infirmer la vérité de cette asser-
tion. J'ai déjà fait quelques expériences pour isoler ce
principe jaune des feuilles et du suc des baies du phyto-
lacca decandra ; mais sans succès prononcé.
Je vais maintenant traiter des propriétés colcrantes et
teinturiennes des baies de la phytolaque.
Observations et expériences sur les baies du phytolacca.
Tandis que je m'occupais à Rouen des propriétés
colorantes et teignantes du beau suc carminé que donnent
en abondance (souvent les trois quarts de leur poids }
les baies de la majestueuse plante qui orne souvent nos
jardins, M. Kuhlmann, savant chimiste à Lille, faisait
savoir à l'Académie de cette ville que ce suc n’a point
un effet aussi négatif en teinture que le pensait M. Dam-
bourney. En effet, M. Kuhlmann est parvenu à donner
à la soie, avec le suc de ces baies, des couleurs hortensia
et lilas foncé solides, en employant, pour fixer ces cou-
leurs, l’alun ordinaire et le permuriate d’étain comme
mordants (voir, à cet égard, le Recueil des travaux de l'A-
cadémie de Lille, année 1827 ); mais le lin, le coton
et même la laine furent, dit-il, rebelles à ses essais.
Je crois avoir mieux réussi que le chimiste de Lille,
en opérant sur les feuilles de la phytolaque ( expériences
deuxième , troisième et quatrième de ce mémoire }). Les
baies de cette plante m'ont aussi fourni de belles et
bonnes couleurs, soit en teinture , soit employées comme
objet de fard... Je vais successivement rendre compte
à l'Académie de mes expériences sur ces fruits, et en-
suite de leurs résultats.
Nota. M faut, dans ces essais, employer les baies très
(68 )
mûres, prises récentes, ou desséchées avec soin, c'est-à-
dire cueillies dans leur état de complète maturité, ou
au moment où elles se détachent de leur grappe; car
autrement ce fruit donnerait des résultats incertains
comme ingrédient teignant (x).
La dessication doit s’en opérer à une chaleur de trente-
six à quarante degrés centigrades et être très prompte,
car autrement les baies pourraient s’altérer par la moi-
sissure ou par la fermentation, et acquérir de nouvelles
propriétés : cela s'explique de soi-même.
Extraction du suc de phytolacca decandra pour teintures ,
pour les arts, etc.
On prend, par exemple , un kilogramme de ces baies
fraîches; on les écrase dans un vase de grès, de terre
ou de bois, puis on y mêle peu à peu vingt onces d’eau
à moitié chaude ; on couvre le vase, qu'il faut tenir en
lieu chaud pendant deux heures, ensuite on coule à
travers un linge serré, avec forte expression. Si l’on
opère sur des baies sèches, on met trois livres d’eau
chaude par kilogramme de ce fruit, et on laisse macé-
rer quatre heures avant de couler le mélange. Pen-
dant cette. macération, il s'opère un léger mouvement
fermentatif dans le suc, qui en facilite l'extraction et en
exalte la couleur, C’est dans cet état que nous le croyons
le plus convenable pour être employé en teinture et
dans les arts. Ce suc, ainsi préparé, est d’un beau rouge
carminé ; sa saveur est douceâtre, un peu amère, et il
n'a aucune action sur les teintures aqueuses de fleur de
(Gi) Ce west guère, en Normandie, que dans les premiers jours de
novembre que ce fruit est bon à cueillir pour l'usage teinturien, ou pour
en extraire un beau fard qui peut remplacer le carmin ordinaire.
(69)
violette et de tournesol; ainsi il ne contient pas d’acide
libre.
Le sulfate de fer neutre, vitriol vert, et l’acétate du
même métal, préparé avec le vinaigre de bois non co-
loré, font virer ce suc en noir brunâtre.
Le permuriate d’étain et le sel de saturne ordinaire
du commerce le décolorent presque complètement.
Le premier y occasionne un beau précipité couleur
jaune ravenelle ; le deuxième un précipité jaune jon-
quille (x).
Ces derniers essais et leurs résultats étaient utiles à
consigner dans ce travail, et ont servi avec succès pour
nous guider dans les expériences suivantes.
Première Expérience avec le sur.
Si l’on plonge du fil de lin ou de coton, ou de la toile,
préalablement décreusés, alunés et bien secs, dans ce
suc, l’un et l’autre, mais particulièrement le coton, y
prendront, au moyen d’une chaleur modérée ( cinquante
à soixante degrés ), et en moins de trente minutes, une
couleur orange peu altérable à l'air et résistant à l’eau
de savon. On peut augmenter l'intensité de la couleur
en ajoutant dans le bain quelques grains de muriate
d’étain, vers la fin de l'opération. Par une deuxième im-
mersion, on donne plus d'intensité à cette couleur. Le
coton y devient parfois violacé ; mais cette couleur décline
souvent en un beau jaune jonquille par son exposition
au soleil.
(1) J'ai aussi soumis ce même suc à l'effet des réactifs cités dans la
deuxième note qui dépend de la première expérience faite sur les feuilles
rouges de la phytolaque. Ils occasionnent tous des précipités abondants
de diverses nuances ; mais je ne les ai pas encore essayés en teinture,
(7o)
Deuxième Experience.
Si, au lieu de fil de lin ou de coton, on emploie avec ce
suc de la laine désuintée et imbue d’une solution aqueuse
de sel de saturne comme mordant , cette laine prendra,
au moyen de ce procédé ( première expérience ), une
couleur jaune curcuma bon teint ou peu altérable au
savon el au vinaigre.
En substituant au sel d'étain le sel de Saturne , dans
cet essai, la laine acquiert alors une belle couleur jaune
ravenelle , aussi bon teint ; si c’est l’acétate ou le sulfate
de fer, cette laine se teint en une bonne couleur bru-
nâtre, déclinant parfois au vert.
Nous le répétons ici, les fils de lin et de coton doivent
être teints à une chaleur de cinquante-cinq à soixante
degrés. La laine peut supporter le bouillon pendant douze
à quinze minutes, sans altération dans sa couleur. Les
laines et lainages teints avec le suc et les sels ferrugineux
ne sont pas non plus dégradés par une longue ébullition
avec ce même suc.
Toutes ces couleurs se foncent par leur exposition à
l'air et au soleil.
Troisième Expérience.
Laque ou matière colorante extraite de ce suc.
Prenez : suc de phytolacca préparé par le moyen ci-
dessus indiqué , une livre ; alun ordinaire, préalablement
fondu dans l’eau , quatre onces. Mêlez ces deux matières,
et agitez-les ensemble pendant quelques minutes. Enfin,
ajoutez-y une once d’ammoniaque ou alkali volatil. Agi-
tez encore; bientôt le suc se décolore et laisse déposer au
fond du vase un sédiment de couleur rouge foncé et parfois
rouge violet. Cette matière , étant desséchée au feu doux et
à l'ombre, peut servir, en peinture, dans les arts, à colorer
(729
ie papier. Le suc de phytolucca rend beaucoup de cette
espèce de laque... On peut employer, en place d'ammo-
aiaque, le carbonate de soude pour la précipiter ; mais
alors elle décline tout-à-fait au brun (x).
Quatrième Experience.
Rouge de fard.
Prenez : baies très mûres et entières quatre onces ;
alcool non coloré douze onces : versez l'esprit de vin sur
le fruit, bouchez le flacon et agitez plusieurs fois ; après
deux jours de macération la teinture est faite. Sa couleur
est un beau rouge carminé; elle se garde indéfiniment
sur le fruit , sans s’altérer ni se décolorer. On peut aussi
préparer ce rouge de fard avec l’eau-de-vie à vingt
degrés ; mais sa couleur est moins vive et elle se garde
moins bien que celle faite à l’alcool.
Ce beau rouge végétal colore très bien la peau et peut
remplacer économiquement le carmin du commerce , qui
contient souvent du cinnabre , et sans en voir les incon-
vénients. Cette même teinture colore aussi en beau rouge
le papier blanc non collé; et je suis convaincu qu'en va-
riant ces essais, on en peut tirer diverses nuances
utiles dans les arts industriels.
Cinquième et dernière Expérience,
Ayant pour but l'extraction de la carmine ou matière carminée des
baies du pAytolacca decandra.
La riche couleur de ces baies me fit présumer qu'elles
(1) Tout porte à croire, et par analogie, que le suc extrait des feuilles
rouges de la phytolaque donnerait aussi de la laque ou une matière colo-
rante par ce procédé; mais je n’eu ai pas fait l’essai.
«
(72)
pourraient bien, comme la cochenille, corcus cacti,
fournir le beau produit auquel MM. Pelletier et Caventou
ont donné le nom de curmine. J'ai donc tenté, en em-
ployant le procédé indiqué par ces deux chimistes , d’ex-
traire ce beau rouge des fruits en question bien desséchés.
A cet effet , j'ai commencé par les soumettre à l’action de
l’éther chaud. Ce réactif, sans toucher à la couleur rouge
des baies, en a dissout une matière jaunâtre poissante
aux doigts et donnant, par la combustion, une odeur
tranchée de matière animale. (On trouve également ce
même principe dans le coccus cacti.) Ensuite je soumis
ces baies, purgées de cette matière grasse, à l’eflet de
l'alcool à trente-deux degrés. Cet autre réactif en tira
une belle couleur écarlate , et tout porte à croire que cette
matière colorante est de la carmine où au moins un
principe très analogue ; mais nous n’avons pas encore pu
l’extraire isolée par le procédé indiqué par M. Pelletier.
Cet alcool, seul ou mieux réduit en consistance syru-
peuse par une évaporation lente, peut également servir
de rouge de fard, à colorer le papier, etc., etc.
Ainsi, il résulte de ces essais que les fruits de la phy-
tolaque renferment une matière grasse animalisée et un
principe rouge écarlate ou phytolacine. Ce principe est-il
analogue à la carmine ordinaire? C’est ce qui reste à
déterminer ; mais, dans tous les cas, pour le rendre utile
aux arts industriels, il faudrait pouvoir l'obtenir par un
procédé plus simple et plus économique que celui suivi
jusqu’à ce jour pour l'extraction de la carmine de la
cochenille (x).
(1) J'invite, dans l'intérêt de la science et des arts, les jeunes chi-
mistes à s'occuper de cet objet. J'ai de fortes raisons pour croire que ce
principe colorant est uni à la matière jaune que j'ai déjà signalée en
traitant des feuilles du pæytolacca; mais tout porte croire que ces deux
principes colorants pourront être obtenus isolément.
(73)
J'ai donné ailleurs une recette pour préparer une encre
presqu'indélébile avec les feuilles rouges du phytolacea,
Des expériences m'ont prouvé que le fruit de cette belle
plante, quoique moins riche en acide gallique que les
feuilles, était encore supérieur, employé sec, à ces der-
nières pour faire une encre du plus beau noir et moins
attaquable à l'air, à la lumière et par les agents chi-
miques, que toutes les encres connues jusqu'à ce jour,
qui ont pour base la noix de galle ou le bois d’inde. Il
suffit, pour obtenir cette bonne encre, de mêler à une
livre de noix de galle noire quatre onces de ces baies
sèches, de faire infuser ces deux ingrédients écrasés en-
semble, pendant vingt-quatre heures, dans quatre pintes
d’eau bien chaude, mais sans bouillir, et d’ajouter à
l’infusion coulée avec expression six onces de gomme
arabique blanche et six onces de vitriol vert non rouillé
( sulfate de fer }. On commence par faire fondre la
gomme, puis le proto-sulfate de fer, l’un et l’autre préa-
lablement écrasés; on remue bien le tout pendant quel-
ques minutes, et l'encre est faite.
Si, en place de vitriol vert, on emploie l’acétate de {er
dans cette opération (on n’en met que cinq onces), on ob-
tiendra encore une encre plus belle etmoins altérable aux
réactifs chimiques que celle noircie par le premier sel.
Cette encre est vraiment précieuse pour écrire les actes
d'une grande importance ; mais elle revient à un prix plus
élevé que l’encre ordinaire du commerce, dite encre de
bureau (x).
Ici, nous devons faire observer que les baies du phyta-
lacca, employées vertes ou desséchées, ne donnent pas
seules une bonne encre; il faut donc les mêler à d'autres
() Dans les fabriques en grand, l’acétate de fer neutre, bien soluble
dans l’eau et préparé avec le vinaigre de bois , reviendrait à peu près à 4 fr.
le kil., tandis que le vitriol vert vaut au plus 10 sous dans le commerce,
10
(74)
ingrédients astringents pour obtenir ce fluide d'un beau
noir et bien eoulant. Cette observation pourra aussi être
utile aux teinturiers, etc,
Ainsi, Messieurs, en examinant les résuliats des expé-
riences consignées dans les deux premières parties de ce
mémoire , plus les observations et les notes qui en font
souvent les corollaires, on voit :
9 Que les feuilles du pAytolacca decandra, employées
plutôt rouges que vertes, donnent aux tissus, avec les
sels ferrugineux et autres mordants terreux et métal-
liques, des couleurs jaunes, fauves, violacées, etc.
29 Que les baies de cette plante peuvent donner au fil
de lin, mais particulièrement au fil de coton et même à la
laine , des couleurs variées et solides , en raison des mor-
dants employés pour fixer ces couleurs, et produire en
outre un rouge de fard économique , qui peut remplacer
le carmin ordinaire sans en avoir les inconvénients (x).
3° Qu'on peut encore tirer un parti avantageux des
feuilles rouges de la phytolaque et de ses baies pour la
préparation d’une encre économique, ou pour en faire
une encre perfectionnée et presqu'indélébile , en asso-
ciant l’une et l'autre, suivant certaines circonstances ,
avec la noix de galle , le boïs d'inde ou autres ingrédients
astringents.
En définitif, cet ouvrage sur les propriétés tinctoriales
et colorantes des feuilles et des baies du phytolacca decan-
dra, est encore incomplet, je l'avoue; mais il donnera
occasion, par les nombreux détails qu'il comporte, aux
chimistes manufacturiers et aux teinturiers plus instruits
que moi, de faire de nouvelles recherches sur ce beau
végétal, que je regarde, avec le coriaria myrtifolia, étant l'un
QG) Nota. Un grand nombre d'échantillons en laine, coton, fil, toile de
liu, teints par les procédés indiqués dans cet ouvrage, ont été exposés aux
regards de l'Académie, et remis à Ja garde de son biblivthécaire,
C75)
et l'autre cultivés en France, comme pouvant suppléer,
dans nos ateliers de teinturerie, bon nombre d'ingrédients
exotiques qu'on y emploie et qu’on y emploiera proba-
blement encore long-temps, ne füt-ce que par la force
de l’habitude et souvent de préjugés ; mais, en dernier
résultat, ces deux végétaux finiront par devenir indigènes
chez nous comme la lavande , l'isatis que nos teinturiers
.n'employaient pas autrefois.
Je vais terminer ce travail en y traitant de la culture,
en France, du phytolacca decandra, considéré spécialement
comme ingrédient tinctorial et atramentaire ; J y ajoute-
rai une note supplétive contenant diverses remarques
et observations sur les propriétés générales et particu-
lières de ce végétal.
Culture cn grand du phytolocca decandra, L.; précédée
d'observations sur l'ouvrage de M. Dambourney ; etc.
Messieurs, jamais ouvrage ne parut plus utile ni plus
français que celui que publia, il y a près d’un demi-
siècle, feu M. Dambourney, membre de cette Acadé-
mie. Aussi fut-il imprimé aux frais du gouvernement.
Le savant Dambourney y traita des propriétés teintu-
riennes d'un grand nombre de végétaux, dont la plupart
croissent spontanément en France , sur toutes sortes de
sites, dans des terreins vagues et souvent les plus ingrats.
Tout faisait présager alors que les travaux de notre conci-
toyen seraient continués, étendus, et qu'on finirait par
recueillir ou récolter, au moins en grande partie, sur le
sol de la belle France , des ingrédients pour alimenter les
ateliers de teinture ; mais ilen a été autrement jusqu'à
ces derniers temps, car les teinturiers n'employent guères
que trois à quatre de ces ingrédients excrus en tout ou par-
tie dans nos contrées ; savoir : la garance , le brou de noix,
le pastel ou vouède et la vaude ; car nous n'y comprenons
(76)
par le chardon à bonnetier (dipsacus fullonum), qu'on ent-
ploie à lainer les draps, et non à les teindre. Néanmoins
M. Dambourney tira de belles et de bonnes couleurs de
dix à douze plantes herbacées ou ligneuses qui s'offrent
naturellement à nos regards. Dans ce nombre se trouvent,
en première ligne, le bouleau ordinaire (betula alba) , la
fumeterre, plante extrêmement vivace qui croît partout
avec ou sans culture, et dont on peut faire au moins
deux bonnes récoltes par an; le genet à balais, le peu-
plier d'Italie et ses nombreux congénères, le rhamnus
frangula où la bourgène, les rhus, le coriaria myrtifo-
lia, etc., tous végétaux qu'on peut récolter abondam-
ment dans nos contrées, sans nuire à la culture de la
plante la plus utile à l'homme, le blé, et qui peuvent,
selon M. Dambourney, remplacer en teinture les ma-
tières exotiques pour lesquelles la France est encore bé-
névolement tributaire de l'étranger.
Sans doûte que de hautes considérations d'économie
politique empêchèrent le gouvernement de faire donner
suite aux travaux de M. Dambourney et à ceux pour la
fabrication du sucre de betterave , dont la possibilité fut
constatée sous le ministère de M. le baron de Breteuil(x);
mais alors la France possédait d'immenses colonies dans
les deux Indes, avec lesquelles on devait conserver des
moyens d'échange... Maintenant, tout est bien changé,
et notre intérêt bien entendu, après la perte de ces colo-
nies, est que nous récoltions sur le sol français les ingré-
rt
() Comme nous l'avons déjà dit , l'ouvrage sur les produits tincto—
riaux obtenus d’un grand nombre de végétaux indigènes fut imprimé aux
frais du gouvernement en 1786. À peu près à la mème époque, M. de
Breteuil, ministre de Louis XVI, fit répéter en France les expériences
du chimiste de Berlin, Hachard, d'où il résulta qu’on pouvait obtenir
des betteraves blanches veinées de rouge nn sucre très analogue à celui
que donne l’arundo saccharifera.
CY7A
dients tinctoriaux qu'elles fournissaient jadis à la métro-
pole contre des farines, des meubles, de l’orfèvrerie , des
modes, etc., etc. C'est pour atteindre en partie ce but
que je propose le phytolacca decandra, cultivé en France
comme ingrédient tinctorial et atramentaire.
* Culture en grand du phitolacca decandra , L.
La culture de cette plante vivace , originaire, dit-on,
du nord de l'Amérique , est d'autant plus facile dans nos
contrées qu’elle y croît dans toutes sortes de terreins.
Elle peut donner annuellement deux bonnes récoltes de
ses feuilles «la première dans le mois de juillet , et l’autre
en novembre ; mais elle ne produit pas de fruit si la
plante est coupée en juillet. Plus l’année est chaude et
la plante bien orientée, plusles feuilles et les baies qu’elle
produit sont belles et propres à la teinture et dans les
arts (1).
On peut cultiver et multiplier la phytolaque de deux
manières, 1° en retirant ses racines de terre au mois de
mars pour en faire des plants; 2° en faisant des pépi-
nières au moyen du semis de sa graine , et en repiquant
les sujets qui en proviennent.
Dans le premier cas, on prend de ses racines (âgées de
trois à quatre ans autant que faire se peut); on les divise
en les coupants par section longitudinales, puis on les
replante en ligne dans un terrein meuble; la distance
entre chaque pied doit être d’au moins un mètre en tout
sens, car la phytolaque est très rameuse ; la racine ou ses
tronçons doivent être recouverts de l'épaisseur de deux
————— À
(1) A la seconde production des feuilles, la plante fleurit encore,
mais ses baies n'ont pas le temps de mûrir; cela se conçoit aisément.
Alors les fruits avortent , mais les feuilles deviennent belles et prennent
une couleur rouge de sang vers l’arrière-saison.
(78 )
pouces de terre, et l'époque la plus favorable en Nor-
mandie pour faire ces plantations est du dix au quinze
du mois de mars. La plante ne donne qu'une coupe de
feuilles la première année de sa plantation. Cinq à six
forts pieds de cette racine, convenablement divisés , suf-
fisent pour en garnir une perche de terre à vingt-deux
pieds de côté pour perche , et pour rapporter au-delà de
cent kilogrammes de feuilles , en en faisant deux coupes
par saison. Les racines durent six à huit ans en plein rap-
port; si elles deviennent trop multiples, ce qui arrive
souvent, alors on les éclaircit pour donner de Pair à la
plante et pour faciliter son accroissement.
Culture de la phytolaque par le semis de sa graine.
D'abord on établira une couche de terre ordinaire,
dans laquelle on mêle environ le quart de son volume
de vieux terreau , ou à défaut une corbeille ou deux de
croltin de cheval, puis, au commencement de mars,
on y plante, à trois pouces environ de distance l’une
de l’autre , de belle graine sèche de phytolucca decandra de
la dernière récolte. Chaque baie doit être recouverte
d'à peu près un pouce de terre. On peut également faire
une bonne pépinière de cette plante en sem'ant ses baïes
sur une terre arable bien amendée et meuble. Trente à
trente-six jours après le semis, la plante sort de terre,
et une graine donne souvent , comme celle de betterave,
plusieurs individus. Quand les jeunes tiges ont acquis deux
à trois pouces d'élévation au-dessus du sol, alors on en-
lève chaque pied avec précaution, on divise les multiples
et on les replante au piquet, en mettant trois pieds d’in-
tervalle en tout sens entre chaque pied.
Une perche de terre emblavée de cette graine peut four-
nir assez de plant pour en garnir un arpent; et, comme
nous l'avons déjà fait observer, tous les sols sont à peu
près bons à la culture de cette belle et utile plante.
(79)
Ainsi, deux moyens, la division des racines ou le
semis, tous deux faciles d'exécution, s’offrent aux agri-
culteurs pour la multiplication aux champs du phytolacea
decandra, sans autre soin qu'un sarclage et un binage
dans le printemps, car les grandes et nombreuses feuilles
qu'il produit finissent par étouffer les mauvaises herbes
qui environnent cette magnifique plante, avantages que
n'a pas la vaude et encore moins la garance , qui
exigent des sols choisis et de longues cultures pour leur
entière prospérité. Nous ajouterons que les tiges de la
phytolaque, sèches et brûlées , donnent une cendre telle-
ment riche en salin pour les buanderies ou pour en
faire de la potasse, qu'elle en contient souvent jusqu’à
près de la moitié de son poids. ( Braconot , etc. )
Ea définitif, la culture en grand du phytolacca decandra
et celle du coriaria myrtifolia, dont j'ai entretenu l'Acadé-
mie en 1829 (1), peuvent devenir en France une indus-
trie aussi utile que lucrative à ceux qui s’y livreront,
puisque toutes les parties de ces végétaux donnent des
produits avantageux à l’agronomie , aux arts, en teintu-
rerie , etc.
Ici, Messieurs, se termine mon long et laborieux
travail sur le phytolacca decandra; mais prêtez-moi encore
un moment d'attention pour entendre une note supplétive
que j'ai cru devoir y ajouter, ne fût-ce que comme objet
de renseignements.
QG) Voir, à cet égard, le Précis analytique des travaux de l'Aca-
démie de Rouen, imprimé en 182q,.
( 80 )
Note supplétive au travail précédent.
Les feuilles du phytolacca decandra, comme nous l’a-
vons fait observer, peuvent servir en teinture et pour
en faire de l'encre; mais il est certain que plus elles
sont rouges, mieux elles valent, employées comme ingré-
dient tinctorial, surtout à l'égard des couleurs fauves
noirâtres et avec les sels ferrugineux.
J'ignore à quelle cause on peut attribuer la coloration
tardive de ces feuilles , d'abord vertes, et encore pourquoi
elles perdent , en devenant rouges, en vieillissant ou par
leur exposition à la rosée , le tanin qu’elles contiennent
pendant les trois premiers mois de leur végétation, pour
se saturer en quelque sorte d'acide gallique ; mais cet ef-
fet, que je crois avoir signalé le premier, se reproduit
aussi sur diverses plantes, et spécialement sur les feuilles
du quercus nigra où chêne quercitron, les sumacs cultivés
en France , etc. ; et plus les feuilles de ces végétaux rou-
gissent par la vétusté, et plus elles sont riches en acide
gallique et pauvres en tanin. En général, ces feuilles se
conservent bien et ne sont jamais attaquées des vers;
toutes remarques qui ne sont pas sans intérêt pour les
cultivateurs , pour ceux qui emploieraient ces ingrédients
en teinturerie , etc.
On a dit, dans plusieurs ouvrages anciens et moder-
nes, que la phytolaque, un peu congenère des solanées,
pouvait servir d’aliment, et que ses jeunes pousses et
même ses larges feuilles vertes, arrangées comme les
épinards (spinacia oleracea) ; étaient un excellent mets...
Nous avons fait l'épreuve sur nous même de cette alimen-
tation, et, d’après ses effets sur l'estomac, qu’elle semble
paralyser, nous ne conseillerions jamais d’en faire usage
qu'avec la plus grande réserve.
(8: )
Messieurs, après avoir examiné chimiquement les
feuilles vertes de la phytolaque, j'ai reconnu aussi qu'elles
avaient beaucoup d'analogie de composition avec celles
du nicotiana tabacum , analysées précédemment par M.
Vauquelin. Enfin, d’autres expériences faites l’année der-
nière sur ces mêmes feuilles, me portent à croire qu’on
peut en obtenir d’aussi bon tabac à priser que celui pré-
paré en France avec les nicotianes qu’on y cultive. Je
continuerai mes essais à cet égard, et je rendrai proba-
blement compte à l’Académie des résultats que j’en aurai
obtenus, ainsi que de ceux que je me propose de faire de
nouveau sur les fruits du phytolacca decandra, pour en
isoler les deux principes colorants : le Jaune et le rouge.
Dureuc.
11
(82)
AAA AAA A AAA AA AAA AAA AA AAA RAA AAA APP AA
RÉFLEXIONS
SUR LA NAVIGATION DE LA SEINE,
Entre Paris et Rouen ;
Lues à l'Académie, le 15 juiliet 183,
Par M. LEPASQUIER.
RTESSIEURS,
La ville de Rouen était encore, il n’y a que peu
d'années, l’entrepôt de la presque totalité des marchan-
dises qui s’expédient par mer pour l’approvisionnement
de la capitale; arrivant directement en ce port, ou
transbordées au Havre sur allèges, elles remplissaient
alors les magasins de nos négociants et de nos commis-
sionnaires. Elles s’accaumulaient sur nos quais, où se
faisait remarquer une prodigieuse activité, et n'étaient
dirigées vers leur destination qu'après avoir procuré aux
spéculateurs des bénéfices, aux simples expéditeurs
intermédiaires des droits de commission, aux ouvriers
un salaire.
Le transport par eau de ces mêmes marchandises as-
surait encore aux mariniers de Rouen un fret avantageux
qui variait, dans les basses eaux, de 22 à 24 francs par
tonneau , et dans les eaux ordinaires, de 15 à 18 francs;
quelques picards venaient , à la verité, prendre part à ces
bénéfices ; mais, en définitive , la portion la plus consi-
dérable demeurait acquise à notre pays.
Cet état de choses n’est plus le même depuis neuf
à . : de s
TS SR SP PR PS TT
(83)
années environ : la lenteur avec laquelle marchaient les
bateaux de transport , les nombreux accidents qui les
retardaient encore dans le trajet, soit à cause de l'excès
de chargement, soit en raison des écueils si fréquents
que présente en été le lit de la Seine, soit par Pimpré-
voyance et le défaut de soin des conducteurs, excitaient
les plaintes les plus vives, comme les mieux fondées,
des négociants de Paris. De notre temps, l’activité est
l'ame du commerce et l’une des conditions essentielles
d’un heureux succès en affaires ; aussi souffrait-on impa-
tiemment, dans la capitale, d'être toujours incertain de
l'époque de l’arrivée des marchandises expédiées du port
de Rouen, et de ne les recevoir ordinairement que
vingt, vingt-cinq et quelquelois trente jours après leur
embarquement. Cet inconvénient devenait tellement
grave , que la voie du roulage, quoique beaucoup plus
coûteuse, commençait d'être préférée.
Ce fut dans ces circonstances que s’organisèrent suc-
cessivement diverses entreprises de bateaux à vapeur
pour le transport des marchandises entre le Havre et
Rouen. Ces bateaux, à qui un moteur puissant permet-
tait de franchir sans difficulté le passage de Quillebeuf, et
dont la marche régulière garantissait, en quelque sorte,
l'arrivée à heure fixe dans le port de Paris, obtinrent,
dèsles premiers temps de leur navigation, des chargements
considérables, etréalisèrent d'abondantes recettes. Toute-
fois, les entreprises auxquelles ils appartenaient n’ont
point prospéré, d’une part, à cause du peu d'ordre et
d'économie qui, selon toute apparence, fut apportée
dans leurs dépenses; d'autre part, parce que le poids
des machines à feu dont ces bateaux étaient armés
exigeant à lui seul un tirant d’eau assez considérable, il
leur était impossible de naviguer pendant près de trois
mois de l’année, où la hauteur de l’eau n'excède pas
quatre-vingt-huit centimètres à l'étiage de Vernon.
(84)
En 1826, une nouvelle association se forma dans le
même but d'exploiter le transport des marchandises par
eau entre le Havre et Paris; mais, instruits par l’expé-
rience, les entrepreneurs adoptèrent un système propre
à conserver à leurs bateaux les avantages d’une marche
rapide, en évitant l'inconvénient des basses eaux du
fleuve, Ainsi, ils les remorquent entre le Havre et Duclair
au moyen d’un bateau à vapeur ; amenés ensuite jusques
dans le port de Rouen, ces bateaux franchissent le pont
et se dirigent sur Paris, halés par des chevaux disposés, en
relais, de distance en distance. Ils doivent arriver à leur
destination cent onze heures après leur départ de Rouen.
Cependant, les bateaux à vapeur, précédemment mis
en navigation entre le Havre et Paris, et plus encore
le projet de la nouvelle entreprise que lon vient de si-
gnaler, avaient éveillé l'attention des principaux mariniers
de Rouen, qui sentirent que le transport des approvision-
nements de la capitale finirait par leur échapper com-
plètement , s'ils ne changeaient rien à leur ancien mode
de navigation. ls s’organisèrent donc en société ,
convinrent des dispositions nécessaires pour qu'un de
leurs bateaux , au moins, fût toujours en chargement au
port de Rouen, et pour que chaque bateau chargé fit
également, en cent onze heures , le trajet de Rouen à
Paris. On conçoit que, pour les mettre en mesure de
remplir cette dernière condition, si intéressante pour
le commerce , il fallait leur donner les moyens de
vaincre les obstacles qui nourraient ralentir leur marche
pendant le trajet; en conséquence, une décision mi-
nistérielle du 3 juin 1826 , accorda à cette compagnie
certains priviléges sur tous les autres bateaux naviguant
par les moyens ordinaires (1).
(1) Ces priviléges consistaient dans le droit de trématage et de prio-
rité de passage aux ponts et perluis.
(85)
A peine cette société fut-elle formée , que tousles autres
mariniers sentirent combien il était important pour leurs
intérêts de s'organiser de la même manière ; plusieurs
demandes furent , en conséquence , adressées au gouverne-
ment, à l’eflet d'obtenir de semblables priviléges, qui
furent accordés sans difficulté à trois autres compagnies.
Ainsi , la détermination prise par quelques mariniers
d'organiser un service accéléré de Rouen à Paris, eut
et devait avoir pour résultat de stimuler tous les autres
à suivre cet exemple. Il est seulement à regretter que
cette détermination n'ait point eu lieu quelques années
plutôt. Tout semble indiquer qu'en prévenant ainsi les
plaintes du commerce de Paris, ils n'auraient point
sugoéré l’idée de former des entreprises rivales qui en-
lèvent aujourd'hui à la place de Rouen une partie
des avantages dont elle jouissait auparavant, et qui
menacent de l’en priver tout-à-fait.
Le tableau suivant donnera une idée du développement
qu'a pris, depuis quelques années, la navigation , par
voie accélérée , entre le Havre, Rouen et Paris.
NAVIGATION DU HAVRE À ROUEN, A PARIS. NAVIGATION DE ROUEN A PARIS.
Nombre
de ses
bateaux.
Nombre
de ses
bateaux.
DÉNOMINATION
de chaque entreprise.
DÉNOMINATION
de chaque entreprise.
Bateaux accélérés en sapin, ateaux accélérés normands.
dits chalans . 20 (1)Bateaux id. Fleury . .: .
Bateaux à vapeur en fer et Bateaux id. de b. Seine.
chalans + 8 Bateaux id. de Seine-et-
»
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7e]
AOL 2.5.
(x) Ces bateaux sont pontés et du port de 220 tonneaux, ainsi que les chalans
de l’entreprise des Bateaux à vapeur ; quant à ceux-ci, leur tonnage varie de 120 k
130 tonneaux.
(2) Les bateaux de cette entreprise sont, en général, connus sous la dénomina-
tion de besognes ; ils diffèrent beaucoup entr'eux quant au tonnage; il eu est de
même de ceux des trois autres entreprises : ils portent communément 300, 850,
400 et jusqu'à 450 tonneaux.
Le nombre des bateaux qui font la navigation à longs jours est de 120 à 130.
( 86 )
Le premier effet de l'établissement de ces entreprises,
et de l’active concurrence qui s'ouvrit bientôt entr'elles,
fut de faire baisser considérablement les prix des trans-
ports. On a dit plus haut que ces prix étaient de 15 à
18 francs dans l’état des eaux ordinaires. Il sont descen-
dus au point de varier de 8 à ro francs.
Dans cet état de choses, la modicité des bénéfices dut
stimuler les chefs des différentes entreprises à rechercher
tous les moyens de diminuer leurs frais et d’applanir les
obstacles qui pouvaient entraver la célérité ou la facilité
de la marche de leurs bateaux. ut
C’est ainsi que l’on fut naturellement, conduit à exa-
miner quelles modifications il pouvait être convenable
d'apporter aux anciens réglements concernant la naviga-
tion de la Seine. RO PRE:
Il existe entre Rouen et Paris plusieurs ponts, plu-
sieurs pertuits qu’il est assez difficile de franchir, et dont
quelques-uns même présentent d’assez graves dangers.
En conséquence, le gouvernement avait préposé à cha-
cun de ces passages, depuis un temps pour ainsi dire
immémorial, des agents connus sous la dénomination de
maitres de pont où perluis, chargés de procurer aux con-
ducteurs de bateaux les chevaux et agrès nécessaires,
de diriger leur marche ,, de leur faire éviter les écueils
où viendrait échouer leur inexpérience. Ils remplissent, en
un mot, un office tout-à-fait analogue à celui des pilotes
à l'entrée des ports maritimes. Leurs fonctions et devoirs
sont determinés par les six premiers articles du chapi-
tre 4 de l’ordonnance de 1672. ;
Les bateaux qui naviguent de Rouen à Paris ont à
franchir seize passages de cette nature : les pertuis de
Mallot, de Poses, des Gourdaines et de la Morue, et les
ponts de Vernon, de Mantes, de Meulan, de Poissy, de
Maisons, du Pecq, de Chatou, de Besons, d’Asnières , de
Neuilly, de S.-Cloud et de Sèvres. À chacun de ces pas-
( 87 )
sages, les conducteurs de bateaux sont tenus de payer au
maître et à ses agents des rétributions qui s’élevaient, en
totalité, à la somme de 268 francs pour un bateau mon-
tant à Paris, ayant trente-trois mètres de long et du
port d'environ 200 tonneaux. Il est vrai qu'elles étaient
pour la plupart abusives, en ce sens que l’on n’obser-
vait plus le tarif émané autrefois du ministère de
l'intérieur , et qui avait eu pour objet d’en déterminer la
quotité ; mais les abus se trouvaient tellement enracinés
par la succession des temps, qu'il eût été impossible
aux mariniers d’invoquer ce tarif, qui, au surplus, était
devenu lui-même susceptible de révision.
Cette révision a eu lieu; elle résulte d’un arrêté du
Ministre de l’intérieur, en date du 5 mars 1831. En
conséquence , les bateaux qui, dans les circonstances
précédemment indiquées, payaient en rétribution aux
maîtres des ponts et pertuis une somme de 268 francs,
ne leur payent plus aujourd'hui que 139 francs Go cent.
Ce même réglement renferme, d’ailleurs, sur l’organi-
salion du service des maîtres de ponts et pertuis, sur la police
de la navigation de la Seine , sur la fixation du tirant d’eau des
bateaux, diverses dispositions essentiellement propres à
faire atteindre au but que doit se proposer l’administra-
tion publique.
Il ne reste plus, pour ainsi dire, qu'un vœu à former
dans l’intérêt de la navigation de la Seine, c’est l’exécu-
tion d’un projet qui aurait pour résultat de maintenir en
toute saison, dans le lit du fleuve, une hauteur d’eau
de deux mètres au moins. Ce projet a été étudié par un
des plus habiles ingénieurs dont s’honore aujourd’hui le
corps des Ponts et Chaussées, et il n’exigerait point, pour
être réalisé, au-delà d’une dépense de trente-six millions.
Il s’agit donc d'examiner si les droits de péage qui pour-
raient être perçus sur la Seine ainsi canalisée, s’élève-
raient à une somme représentative des intérêts de ce
( 88 )
capital et d’un fonds d'amortissement suflisant pour
l'éteindre dans un espace de temps déterminé.
Le gouvernement a seul les moyens d'obtenir, à cet
égard, des appréciations exactes, en faisant dresser un
état détaillé de toutes les marchandises auxquelles le lit
de la Seine sert annuellement de véhicule, non-seulement
entre Paris et Rouen, mais encore entre tous les points
intermédiaires, soit en montant, soit en descendant,
L'administration du département de la Seine-Inférieure
ne peut recueillir les éléments partiels de l’état dont il
s’agit qu’en ce qui concerne les marchandises qui sont
expédiées de Rouen sur la capitale ; elle n’a point négligé
ce soin , et le tableau ci-après indique , mois par mois,
quelle a été l'importance de ces expéditions pendant les
trois années qui ont précédé celle où nous venons d’en-
trer. On voit que ces expéditions ont suivi une progres-
sion toujours croissante , et qui est exprimée
Pour 1828, par le chiffre....... 136,028,o1g kil.
Pour 1829, par le chiffre. ...... 182,414,544
Pour 1830, par le chiffre....... 209,056,434
Un second tableau placé à la suite de celui dont on
vient de parler, indique, quinzaine par quinzaine, et
pour chaque nature de marchandises ; le prix des trans-
ports pendant les mêmes années.
( Voir les tableaux x et 2 ci-contre.)
TABLEAU No 7.
Précis Analyt., page 88.
= = zr RE D me nn AS Er nr __ :
BATEAUX ACCÉLÉRE BATEAUX ACCÉLÉRÉS BATEAUX ACCÉLÉRÉS BATEAUX ACCÉLÉRÉS BATEAUX ACCÉLÉRÉS BATEAUX ARTICULÉS À VAPEUR BATEAUX À VAPEUR BATEAUX
MOIS. Normanns. Freury Morer. BERTIN ET cie, HerFort Er cie. Hugert ET DELANNEAU. JorpAn ET cie, NAVIGUANT À LONGS JOURS.
RE Ca er
1825. 1829. 1830. 1828. 1829. 1850, 1828. 1829, 1830. 1828. 1829 1830. 1828 1829. 1830. 1828. 1829. 1830. 1828. 1829. 1820.
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kilog. kilog. kilog kilog kilog. kilog. kilog kilog. kilog kilog kilog. kilog. kilog. kilog. kilog. kilog. kilog, kilog. kilog. ;
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47
Novemmue. | 4,841,281 | 74373,000 | 5,9%5,000 À 2,325,511 | 3,;44,500 | 3,589,200 898,250 2,96/,750 À 1,265,/68 | 2,175,077 | 1,716,955 ï ” 835,250 " ” ” ” ” 48,26 | 3,60g,100 | 4,759,z03
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Décemne..| G,208,892 | 4,300,000 | 6,330,00p || 2,773,700 | 2,678,500 | 3,85,000 | 2,591,793 3,369,750 À 1,681,005 | 1,424,758| 31,727,463 ” ï 555,564 2 " 4715220 ” ” 144,600 | 1,697,725 | 3,307,865
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(1) La compagnie des Accélérés Normands, non plus que les autres compagnies, (3) La compagnie des Accélérés Herfort et comp® n’est formée que depuis le mois
> de novembre 1830. C'est ce qui explique les lacunes que présentent les colonnes 14,
perce que la Seine a èté glacée depuis le 23 décembre 1824 jusqu'au 20 février suivant.
n'a pu faire partir aucun bateau du port de Rouen pendant Île mois de janvier 182
15 et 16 du présent tableau.
(4) Les Bateaux articulés à vapeur de la compagnie Hubert et Delannrau
sont toujours chargés au Havre en destination pour Paris; mais tantôt ils se rendent
directement dans la capitale, tantôt leurs marchandises sont transbordées à Rouen sur
d'autres bateaux, selon que les entrepreneurs jugent cette manœuyre plus convenable
(2) Aucun des bateaux de la compagnie des Æccélér. olet ne s'est trouvé au
port de Rouen en février 182q. Il n'en a donc pu être mis en chargement pour la ca-
pitale. — La mème observation s'applique à cette compagnie en ce qui concerne le
mois de février 1830.
s. Dans le premier cas, les transports directs sont indiqués en correspon-
dance avec chacun des mois pendant lesquels ils ont eu lieu; dans le second, ils ont dù
être omis, parce qu'ils sont confondus avec ceux qu'ont effectués les autres compa=
gnies. Au surplus, cette compagnie a terminé ses opérations; sa liquidation s’est opérée
et ses bateaux ont passé eu d’autres mains.
(5) D'abord, les marchandises apportées du Havre à Rouen parles Bateaux à va
peur Jordan et comp, élaient irausbordées sur les Bateaux accélérés Normands,
en conséquence d'arrangements faits entre les deux entreprises. Ces arrangements ont
: re .
depuis été modifiés, et tous les bateaux vont directement à Paris ou s'arrètent à Rouen,
selon que la navigation de la Haute-Seine leur offre plus ou moins de facilités, en
raison de la hauteur des eaux à l'étiage régulateur du pont de Vernon. De là les La-
à £ é au.
cunes qui se font remarquer dans Jes colonnes :0, 21 et 22 du présent table
TABLEAU N° 2.
INDICA TION
ÉPICERIES. LIQUIDES.
ER
re ct 29
des
QUINZAINES
MOIS. 1828, 1829.
1829. 1830. 1828. 1829. 18230. 1828. 1829. 1830,
Rs mener | comen, | eoemeeemeees corse eme ae | CORRE COR LE C SERE | o nn |
ire Quinzaine ; nr 12 à 131 PE 148 12,13 et14f PL 1of 11 à 120 PA q£ 11 à ax Sof
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ire Quinzaine, ” 10 50 à 12 12 à 12 50 ” 12 12 à 12 50 ” 8 9 11 50 à 12 " Sà 9 11 à 11 5o
FÉVRIER. ......
29 idem... i id, 9 à 10 id, 15 à 16 10 it id. 15 à 16
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( 89 )
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NOTICE
SUR LE PUCERON LANIGÈRE;
Lue à l’Académie, dans la séance du 27 mar 183x,
Par M. Hourou LA BILLARDIÈRE.
Messieurs ,
Plusieurs fois notre honorable confrère M. Dubuc
nous a entretenu du puceron lanigère, qui devient de
plus en plus abondant dans nos contrées, et produit sur
les pommiers, sur lesquels il vit habituellement, des dé-
gâts tellement graves, qu'ils font craindre la perte d’un
grand nombre de ces arbres, ou au moins celle d’une
grande partie de leurs produits. M. Dubuc, dans ses re-
cherches sur cet insecte nuisible , ne s’est pas seulement
borné à présenter les dégâts q u’il produit sur les pommiers
et les moyens de le détruire, mais il l’a encore examiné
sous le rapport chimique, et a découvert dans cet in-
secte le mème principe colorant que celui qui existe
dans la cochenille. Après des travaux aussi complets que
ceux de M. Dubuc sur cet insecte , et insérés par extraits
dans les volumes de l'Académie de Rouen, il me reste
bien peu de chose à dire ; aussi ce que J'ai l'intention
de communiquer à la Compagnie est une observation
assez curieuse sur ces insectes,
Les pucerons lanigères vivent en société, attachés aux
branches des pommiers , et toujours en dessous, eb pré-
sentent , par leur réunion, des masses qui ressemblent
12
C90 )
à des tampons de coton formés par le duvet dont ces in-
sectes sont pourvus sur la partie postérieure du corps. Au
milieu de la partie cotonneuse de ces masses d'insectes,
on remarque, surtout le matin, une grande quantité de pe-
tites gouttelettes de liquide transparent et incolore , dont
les plus grosses tombent lorsqu'on remue les branches.
Ces gouttelettes , vues à la loupe , paraissent recouvertes
d’une membrane , et adhérentes à la partie postérieure de
l'abdomen de ces insectes. Le liquide qui sort de ces
espèces de vésicules jouit de propriétés alcalines à un
degré tellement marqué que, non-seulement le papier
de tournesol rougi par un acide, sur lequel on met de ce
liquide, devient d’un bleu très prononcé , mais encore
que certaines matières colorées sur lesquelles on le fait agir
éprouvent des effets qui dénotent la présence d’un alcali
concentré. Je citerai, par exemple , l'effet produit sur de
la toile teinte par le bleu de prusse , dont la couleur bleue
est détruite par ce liquide, couleur qui exige, pour éprou-
ver le mème effet décolorant, un alcali caustique à un
degré assez fort. Les insectes dépourvus des vésicules al-
calines, écrasés sur le papier rouge de tournesol, ne pro-
duisent pas les mêmes effets alcalins ; ils donnent seule-
ment une tache brune , mais paraissent, au contraire,
rougir le papier bleu de tournesol, indiquant par là des
propriélés acides.
Le puceron lanigère secrétant abondamment un liquide
très alcalin , et vivant sur les branches de pommier, en
introduisant sa trompe dans l'écorce, y introduit peut-
être en même temps une certaine quantité de matière
aälcaline qui détermine, sur ces parties de l'arbre, les
excroissances que l’on y remarque. Ce qui porte à penser
qu'il en est ainsi , c’est que le puceron du rosica , qui a la
même organisation et le même mode d’existence que
le puceron lanigère , sans avoir la faculté de secréter un
liquide alcalin comme ce dernier, ne détermine pas
(gr)
d’excroissance sur les branches des arbustes sur lesquels
il vit. On peut donc supposer avec vraisemblance que
les dégâts que le puceron lanigère occasionne sur les
pommiers sont dûs aux secrétions alcalines, qui sont
si abondantes, que ces insectes, par l'instinct que la
nature leur a donné, se placent toujours sous les bran-
ches pour que les vésicules dont j'ai parlé tombent par
terre ; autrement , la quantité de liquide que ces insectes
secrètent inonderait bientôt leur république , s’ils se pla-
çaient sur les branches.
Les dégâts que ces insectes font sur les pommiers me
font faire tous les jours des vœux pour que l’on découvre
un moyen efficace de les détruire. Loin de blâmer ceux
proposés par M. Dubuc, je les regarde comme bons
en eux-mêmes , mais d'une exécution longue et très diffi-
cile ; je pense que ce n’est pas par de tels moyens que
l’on pourra parvenir à détruire des myriades de ces insec-
tes qui ravagent les vergers de la Normandie, mais en
en cherchant d’analogues à ceux qui réussissent parfaite-
ment pour détruire certains insectes , tels que les cha-
rençons du blé: j’en citerai un exemple dont le résultat
ne peut être contesté, et que j'ai mis en pratique, avec le
plus grand succès , sur des masses assez considérables de
blé : il suffit, pour cela , de couvrir le tas de blé avec des
branches et des feuilles de sureau , et, dans l'hiver, d’'é-
craser les branches pour développer davantage l'odeur de
cet arbuste, qui fait fuir complètement ces insectes des-
tructeurs ; peut-être que l’odeur de quelques plantes ou
des fumigations produiraient des effets analogues sur le
puceron lanigère , et seraient d’une application beau-
coup plus facile que le moyen de détruire ces insectes
qui consiste à les écraser avec june brosse mouillée d’un
liquide corrosif, comme l'a proposé M. Dubuc.
(92)
AA AAA AAA AAA AAA AAA AAA AAA AAA AAA AAA AAA,
NOTICE
SUR QUELQUES ÉCHANTILLONS DE BOIS
Remis à l’Académie par M. Auc. LE PREVOST ;
Lue à la Séance du 15 juillet 1831,
Par M. DusreuL.
MESSIEURS ,
Notre confrère M. Aug. Le Prevost a remis à l'Aca-
démie , à la séance dernière , deux morceaux de bois sur
la coupe transversale desquels on remarque quatre petits
corps ligneux, en état de décomposition, disposés en
croix , et incrustés dans le tronc d’un jeune arbre (x).
M. le président m'ayant demandé mon opinion , tant
sur ces incrustations et leur {disposition symétrique,
que sur la forme tétragone que présente à ce point de
section le canal médullaire de cet arbre , je demandai
que ces échantillons me fussent remis, afin de les exa-
miner avec soin et de donner à l’Académie, sur ce
sujet, les explications qu'elle pourrait désirer. Je viens
m'acquitter de cette mission. La première idée qui me
vint, à l'inspection de ces échantillons, fut celle que
ce jeune arbre avait reçu quatre blessures sur les quatre
points affectés, à l’époque où il n'avait que la grosseur
correspondante aux points de ces incrustations ; mais,
sur l'observation de M. le président, qui me fit remar-
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(1) Planche 11.
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Zué de Nuëtur Toriaux. & Hour
(93)
quer qu’au point de la coupe le canal médullaire avait
pris une forme tétragone , tandis qu'à deux centimètres
plus bas il était parfaitement circulaire , je commençai
à reconnaître à ces taches une autre cause ; après avoir
dégusté l'écorce de cet arbre , que je trouvai très amère,
je soupçonnai que j'avais affaire au maronnier d'Inde,
M. Le Prevost m'ayant confirmé dans cette opinion , en
me disant que c'était sous ce nom que ces échantillons
lui avaient été remis , alors je m'expliquai le reste. J’au-
rais pu, sur l'instant, faire part à l'Académie de mes
observations ; mais, pour lui démontrer toutes les cir-
constances de ce fait, j'avais besoin de quelques échantil-
Jons que je ne pouvais me procurer qu'en différant de
quelques jours.
Les voici :
Dans les maronniers d'Inde , les rameaux sont opposés
en croix, C'est-à-dire que si deux rameaux sont dirigés
nord et sud, les deux superposés regardent l’est et l’ouest ;
mais, au point où se termine la pousse d’une année et
où commence celle de l’année suivante , ces rameaux sont
tellement rapprochés qu'ils forment presqu'une verticille ;
et si, pour favoriser le développement de la tige prin-
cipale , on racéourcit, à peu de distance du tronc, les
rameaux latéraux, sans laisser subsister un bourgeon
sur le chicot de ce rameau, pour y entretenir la vie, il
meurt , non-seulement jusque contre l'écorce , mais jus-
qu'à l'origine du bourgeon qui l’a produit.
C'est ce qui sera arrivé à l’arbre sur lequel on a pris
les échantillons qui font l’objet de cette notice ; les petits
rameaux latéraux auront été coupés au-dessous du der-
nier bourgeon, vers leur bosse, ou bien une autre cir-
constance en aura suspendu la végétation et la vie : ils
se seront desséchés, et ils auront été ensevelis dans le
tissu ligneux par l'accroissement latéral et successif du
tronc,
( 94 )
En exploitant cet arbre, on a fait un trait de scie un
peu au-dessus du point d'insertion de ces quatre rameaux,
qui les a coupés transversalement en même temps que
le tronc dans le tissu duquel ils sont incrustés.
Je mets sous les yeux de l'Académie un échantillon
du même arbre, qui présente à peu près les mêmes
circonstances , avec cette différence que, sur celui-ci,
iln'y a que deux rameaux d’incrustés, parce qu'il ne s’est
développé à ce point que deux bourgeons opposés comme
étant la partie moyenne d’une branche , et non pas quatre
rameaux disposés en croix comme dans celui qui a été
offert à l'Académie , et dans un autre plus jeune que je
mets sous ses yeux.
On remarque aussi sur l’un de ces échantillons, à
l'origine de ces rameaux incrustés, les rudiments de
deux bourgeons axillaires et superposés, destinés à rem-
placer ceux-ci en cas de soustraction ou altération. C’est
un caractère qui est commun au maronnier et à quelques
autres arbres.
Quant à la forme quadrangulaire que présente le canal
médullaire, au point de la coupe de cette tige, il est
reconnu que cet organe affecte différentes formes à l’o-
rigine des rameaux , suivant leur disposition sur les tiges.
Il est de forme ovoïde lorsque les rameaux sont opposés,
triangulaire lorsque les rameaux naissent trois à trois
autour de la tige, quadrangulaire enfin, lorsque quatre
rameaux disposés en croix naissent du même point.
Je pense que l’Académie aura entendu parfaitement
cette explication, et qu'elle lui suffira pour se rendre
compte du phénomène que présentent les échantillons
qui lui ont été offerts par notre confrère M. Aug.
Le Prevost , que les questions de physiologie végétale
intéressent toujours à un si haut degré.
(95)
AAA AAA AAA AAA AAA A AAA AAA AAA A AAA
MÉMOIRE
Adressé à l'Académie par M. BonFiis, Médecin à Nancy,
Sous le titre de
STAPHYLODÉNMIE,
ou Nouveau procédé opératoire pour faire la suture
du voile du palaïs.
Messieurs,
En novembre 1829, j'ai eu l'honneur de vous adresser
un mémoire sur une modification de la staphyloraphie ;
mais l'opération projetée qui y était décrite n'ayant pas
été mise à exécution sur la jeune personne dont il était
question, ni sur aucune autre, je n'ai pu vous trans-
mettre le résultat de l’expérience qu’en craignait de voir
en contradiction-avec ce que la théorie et le raisonne-
ment me permettaient d'espérer.
L'occasion de pratiquer la staphyloraphie selon la
méthode de M. Roux, et par le procédé que j’ai proposé
dans ce mémoire , ne se présentant que très rarement ,
j'ai dû profiter de la première circonstance pour tenter
quelque chose qui püt venir à l'appui de ce que je pro-
posais, et je viens ajouter à mon premier travail le ré
sultat d’une opération analogue à celle que j'ai décrite,
La femme Legai, âgée de 55 ans, qui vendait à boire
à Jarville, petit village à la porte de Nancy, et qui
demeure actuellement dans cette ville, faubourg Saint-
(96)
Pierre, n° 108, eut, en 1829, le voile du palais entièrement
détruit par un ulcère pour lequel elle fit un traitement
qui en arrêla les progrès, et elle guérit ; mais elle parlait
difficilement ; elle nasillait, et, lors de la déglutition, une
grande partie des aliments et des boissons remontait dans
les fosses nasales , et s'écoulait par leur ouverture anté-
rieure.
Cette femme en eut beaucoup de chagrin. Tout en
lui laissant espérer qu'après son entière guérison, et
avec le temps, elle éprouverait du mieux, je ne lui
cachai pas qu’elle ne parlerait jamais comme aupara-
vant.
Elle prit patience pendant environ trois mois, et
voyant qu’il n’y avait aucun changement en mieux, elle
vint me trouver et me demander si, au moyen de quel-
que opération, il ne serait pas possible d'empêcher les
aliments et les boissons de remonter par les narines, et
de la faire parler un peu moins mal. Je lui répondis que
je venais d’en imaginer une qui n'avait pas encore été
pratiquée sur le vivant, et que cette opération pourrait
peut-être améliorer son sort; je lui proposai donc de
la subir, et elle y consentit aussitôt.
Comme elle était peu à l'aise, et qu'elle ne pouvait
avoir chez elle les soins qu’allait exiger sa position, je
l'engageai à entrer à la Maison de secours de Nancy,
dont je suis médecin.
Le 26 août dernier (1830 }), je l’opérai en présence de
M. le docteur Morel, chirurgien aide-major au 5° régi-
ment d'infanterie légère, alors en garnison à Nancy,
actuellement à Metz; de M. Magnien et d’un de ses
collègues, tous deux sous-aides-chirurgiens à l'hôpital
militaire de Nancy, et de trois étudiants de notre école
secondaire de médecine, les autres étant en vacances.
L'appareil instrumental consistait en : 1° trois bistou-
ris; un droit boutonné, un droit aigu, et un autre aigu
(9293
et convexe ; lous trois étaient garnis d'une bandelette de
linge, qui ne laissait voir qu’un pouce de l'extrémité de
la lame; 2° le porte-aiguille et les aiguilles de M. Roux
pour la staphyloraphie ; 3° une paire de ciseaux ordi-
naires; 4° des fils simples de grosseur moyenne, pour
faire les points de suture ; 5° des petites pinces à dissé-
quer, terminées par de très petites airignes; 6° une
spatule à long manche pour abaisser la langue, et 7°
des pinces à pansement.
La malade fut placée en face du jour, assise sur une
chaise ordinaire. Un aïde lui tenait la tête par derrière,
un autre la base de la Jangue avec la spatule. Je saisis
successivement des deux rôtés, avec les petites pinces à
airignes , la membrane muqueuse cicatrisée que revêtait
le bord interne de chacun des piliers postérieurs du voile
du palais : j’allai, avec le bistouri boutonné , aviver ces
bords dans toute leur hauteur, et sur environ quatre
millimètres de largeur.
Je circonscrivis ensuite, par trois incisions, avec le
bistouri droit et aigu, le lambeau de la membrane pala-
tine qui devait remplacer le voile du palais. Les denx
premières partaient du sommet de chaque pilier du
voile, et venaient parallèlement lune à l'autre jusqu’à
la réunion du tiers postérieur de la voûte palatine avec
le tiers moyen. La troisième s’étendait au travers du
palais de l'extrémité antérieure de l’une des deux pre-
mières incisions, au même point que celle du côté op-
posé.
Dans cette dernière incision, les deux artères palatines
furent coupées, et la droite donna du sang par jet, pen-
dant environ cinq à six minutes que l'opération fut sus-
pendue.
Ensuite je séparai, tant avec les doigts qu'avec une
spatule, la membrane palatine de la voûte qu’elle tapisse,
et je laissai le périoste après l'os, Ce fut le moment le
2
19
(98 )
plus douloureux de l'opération, que la malade supporta
fort bien. Il s'écoula du sang en nappe, et en assez
grande quantité pour m'empêcher de faire sur-le champ
la suture. Je laissai donc encore reposer la malade ; je la
is gargariser avec de l’eau fraîche, pour arrêter l'hémor-
ragie; mais le sang ne cessa de couler qu'au bout de
quinze à vingt minutes. Alors je fis la suture avec les
instruments de M. le professeur Roux.
Lorsque je voulus commencer cette suture, le lambeau,
retracté légèrement sur lui-même, avait environ trois
centimètres de largeur sur quatre de longueur , et quatre
millimètres d'épaisseur. Je m'’aperçus qu'il se tenait
placé horizontalement et presqu'appliqué contre la sur-
face du palais, d'où il avait été détaché par arrachement,
Je reconnus que des fibres qui, dans l'arrachement ,
s'étaient laissé distendre sans se rompre, l'avaient ainsi
relevé par leur élasticité, et je les incisai avec le bistouri
convexe; mais, ayant porté mon instrument un peu trop
_avant, et la base du lambeau adhérente au bord posté-
rieur de la voûte palatine étant assez mince, j'y lis acci-
dentellement une boutonnitre transversale , comprenant
le se
tout le tiers moyen du lambeau; alors il cessa «
relever et de s'appliquer au palais. Mais cela me fit
craindre que, ne recevant plus autant de vaisseaux par
sa base, il ne vint à se sphacéler. Sa suture consista en
quatre points entrecoupés, deux de chaque côté. Elle
ne m'offrit que peu de difficultés; elles provinrent prin-
cipalement de ce qu'il est impossible de faire jouer,
avec une seule main, le porte-aiguille de M. Roux. Cela
serait cependant très utile; car, après avoir planté l’ai-
guille d’arrière en avant, dans le pilier du voile ou dans
le lambeau , il fallut en saisir la pointe avec des pinces
à pansement, pour éviter qu'en se détachant du lieu où
elle était plantée, elle tombât dans le pharinx ou la
trachée artère, Or, si l'opérateur tient les pinces et la
( 99 )
pointe de l'aiguille , il ne peut plus faire lui-même lâcher
prise au porle-aïguille ; il est alors obligé de confier l'un
ou l’autre instrument à un aide qui peut déplacer l’ai-
guille et causer ainsi des accidents. Pour parer à cet
inconvénient, j'ajouterai au manche de cet instrument
trois anneaux qui rendront son usage plus facile, ct
permettront à l'opérateur de s’en servir sans avoir besoin
des deux mains ou d’un aide pour le faire manœuvrer.
L'opération finie, I» malade fut mise dans son lit,
assise et penchée en avant. Je lui défendis expressément
de parler et d'avaler sa salive, qu’elle devait laisser
écouler de sa bouche dans un vase qu'elle tenait sur
ses genoux. Elle ne devait ni boire ni manger.
Je la revis le soir, elle avait un léger mouvement de
fièvre et salivait beaucoup ; elle avait exécuté strictement
tout ce qui avait été recommandé ; mais la ruitelle s'en-
dormit, et elle avala sa salive.
Pendant quatre jours, elle ne prit pour toute nourriture
que des lavements de bouillon. Le cinquième, elle ne
put résister à la faim, et, malgré mes recommandations,
elle but une semoule très liquide. Le sixième, elle fit
diète; mais il fallut lui donner des aliments le sep=
tième. L
Le second jour, la surface antérieure du lambeau était
couverte d'une escarre blanche qui me fit craindre le
sphacèle de la totalité du lambeau; ce que je redoutais
d'autant plus que, comme je l'ai dit, le tiers moyen de
sa base avait été détaché accidentellement du bord pos-
térieur de la voûte du palais par l'instrument tranchant.
Le troisième jour, celte surface n'avait pas encore
changé d'aspect; mais le quatrième, des bourgeons
charnus parurent, et le lambeau prit une couleur rouge
vif qui m'ôta toute espèce d'inquiétude sur la conser-
vation de sa vie.
Le sixième jour, j'ôtai les fils des points de suture,
Û ( 300 })
et je m'aperçus que les bords latéraux du lambeau n'é-
taient adhérents aux piliers du voile que dans les deux
tiers supérieurs, ce que J'attribuai aux mouvements de
déglutition que la malade avait faits pendant les nuits
pour avaler sa salive, et pour prendre la semoule liquide
le cinquième jour.
Le septième jour, la partie inférieure et libre du lam-
beau s’élait repliée en avant, par la tendance qu'elle
avait à s'appliquer à la voûte du palais, d’où elle avait
été détachée, et par le commencement de cicatrisation
de la surface antérieure et vive.
Le huitième jour, je permis à la malade de prendre
des aliments, et elle fit, par jour, quatre repas consis-
tant en semoule au bouillon ou en soupes grasses au
pain, et bien cuites. Il n’y eut presque point de fièvre
et très peu d’inflammation. La malade put sortir le g
septembre, quinze jours après l'opération.
Les parties réunies par la suture adhéraient fortement
les unes aux autres par une cicatrice imperceptible. La
partie inférieure du lambeau avait toujours continué à
se replier sur sa surface antérieure, où elle faisait saillie
et formait comme une espèce de luette ; mais la dégluti-
tion n'était nullement gênée , et les aliments étant con-
duits un peu plus avant dans le pharinx, il n’en remonte
que très rarement et qu’une très petite quantité dans les
narines. Sa voix est un peu plus naturelle, mais toujours
nasale. Enfin , la position de la malade est réellement
améliorée. Je ne me proposais pas autre chose : il eût été
déraisonnable de croire que ce voile du palais, ainsi
entièrement constitué par la membrane palatine, et tout-
à-fait dépourvu de muscles, exécuterait des mouvements
et remplirait ses fonctions dans toute leur intégrité,
Mais nous devons encore considérer cette opération
sous un autre point de vue; elle fait pressentir ce qui
résultera du perfectionnement de la staphyloraphie , que
(rors)
j'ai proposé dans le mémoire que j'ai eu l'avantage de
vous adresser.
En effet, j'avais avancé que, 1° lorsque la division du
voile du palais ne s'étendrait pas à la voûte palatine, et
que les lambeaux de ce voile seraient insuffisants ou trop
écartés , et qu'ils ne pourraient être parfaitement rappro-
chés par aucun procédé, de manière à reconstituer entiè-
rement cet organe à la partie supérieure, comme M. Roux
l’a vu plusieurs fois (1); 2° que, dans le cas où il ne
s'agirait que de remédier à la perforation accidentelle de
ce voile, avec perte de substance à sa partie supérieure ,
il serait possible , pour ces deux cas, de prendre dans la
membrane épaisse qui tapisse la partie postérieure de
la voûle palatine , un lambeau de grandeur et de forme
convenables pour obturer l'ouverture qui resterait du
voile du palais après la staphyloraphie.
Tout ce qui précède me semble répondre suffisam-
ment aux objections qu’on a pu faire contre l'opération
que je proposais. Cependant, je vais les discuter les unes
après les autres, et voici ce que j'écrivais, le 24 février
1830, à un praticien distingué de la capitale, à qui j'avais
communiqué mon premier mémoire.
« Je conviens qu’elle présente quelques difficultés de
plus que la staphyloraphie simple ; mais vous convien-
drez cependant aussi qu'il ne sera pas beaucoup plus
difficile de rapprocher, par une suture, ce lambeau
palatin des deux lambeaux staphylins, que de réunir
ces deux derniers entr’eux.
« D'ailleurs, cela deviendra beaucoup plus facile si,
quelques jours d'avance, on habitue le malade à se pré-
senter convenablement à l'opérateur et à se laisser exa-
miner et toucher le fond de la bouche. Au reste, si le
re —————_—_—
(1) Voyez Mémoire sur La Staphyloraphie, par Plilb,-Joseph Roux,
de Paris, 1825 , in-89 , pages 67, 71 et 56.
( 107 )
malade ou le chirurgien se trouvaient fatigués, malgré
toutes ces précautions et quelque repos, on ferait l’opé-
ration en deux temps, comme je l'indique dans le
mémoire à consulter dont il est question. Le premier
temps ou première opération, ai-je dit, consisterail à reunir
seulement tout ce qu'on pourrait des deux lambeaux du voile
du palais, et, après leur parfaite consolidation, on procéderait
seulement à la seconde partie de l'opération, dans laquelle on
Jormerail le lambeau obturateur et on ferait la suture.
« Si, dans la rhinoplastie , le lambeau ne tient au front
que par un isthme très étroit, isthme qui éprouve encore
une torsion, si ce lambeau , placé à l'extérieur, est par
là exposé à se refroidir facilement ; si, dans le déplace-
ment qu’il éprouve , puisque pris au front , il est abaissé
jusqu'à la place qu'occupait le nez, la circulation,
quoiqu'ayant une direction tout-à-fait opposée, conserve
encore assez d'activité pour entretenir la vie dans ce
lambeau et pour l'empêcher de se sphacéler, pourquoi
la portion de membrane palatine, qui viendrait com-
pléter le voile du palais, ne continuerait-elle pas à vivre,
et pourquoi serait-elle frappée de sphacèle , lorsqu'elle
adhère au bord postérieur de la voûte du palais par une
base très large, lorsqu'elle n’éprouve point de torsion
dans cette base, lorsque d’horizontale qu’elle était elle ne
devient que verticale , lorsqu'enfin elle reste placée dans
une cavité où la température fort élevée ( de 30 à 317
degrés } est favorable à l'entretien de la vie?
« Je ne doute nullement que le lambeau formé de la
membrane palatine, se réunisse par ses bords épais avec
les bords avivés des lambeaux du voile du palais. 11 pré-
sente les mêmes tissus, moins les muscles ; il est, comme
le voile du palais, abondamment pourvu de vaisseaux,
de nerfs et de tissu cellulaire, organes par lesquels les
réunions s’opèrent.
« Quant à la cicatrisation des surfaces à l’état de cruen-
GC 104:
tation, je ne vois pas ce qui pourrait l'empêcher, Ne
s'opère-t-elle pas à la face profonde où postérieure du
lambeau de la rhinoplastie? On sait aussi avec quelle
facilité et quelle promptitude les cicatrices ont lieu dans
la bouche.
« Ilest vrai que Le lambeau de la membrane palatine,
qui va faire partie intégrante du voile du palais, est
dépourvu de fibres musculaires; qu'il ne pourra, par
conséquent , participer activement aux mouvements de
cet organe, au centre duquel il sera inerte; mais il ne
génera aucunement ses mouvements, qui l’entraîneront
saus éprouver de résistance et le feront peut-être un
peu plisser, Il fournira aux fibres musculaires du voile
un point d'insertion et d'appui qui favorisera leur action ;
il remplira un espace vide que rien ne pouvait occuper,
par l'impossibilité où l’on est quelquefois de rapprocher
entièrement les deux portions du voile du palais divisé,
ou lorsqu'il n'y a que simple perforation ; il empêchera
la voix d'être nasale, et les aliments et les boissons de
passer dans les narines. »
Le procédé que je viens de proposer, et que j'ai exé-
cutf, ne peut plus être appelé staphyloraphie; car il
s’agit de refaire, en partie ou en totalité, le voile du
palais. On pourrait donc, pour distinguer ce procédé de
l'opération de M. Roux, l'appeler staphylodémie (d'euo,
je construis, je bâtis, j'édifie ), où staphyloexie ( as£io ,
augmenter, agrandir ), où enfin staphyloplatie (mAarTos,
large, ample ). H me semble que la première dénomina-
tion serait la plus convenable.
Mais, depuis, il m'est venu à l’idée qu'on pourrait
encore, par une opération analogue , obturer les perfo-
ralions anciennes et cicatrisées de la voûte osseuse et de
la membrane du palais, après qu'on aurait détruit la
cause interne, ordinairement syphilitique, qui les a pro-
duites. Alors le procédé pourrait être celui-ci : on avive-
(102)
rail, avec l'instrument tranchant à peu près les deux tiers
de la circonférence de l'ouverture , qui est ordinairement
ronde ou ovale ; on formerait ensuite, dans la membrane
palatine, et du côté non avivé de l’ouverture, un lam-
beau de forme et de grandeur telles, qu'après s'être
retracté , il pourrait encore occuper entièrement cette
ouverture, Si cette dernière était ovale, ce serait le long
de l’un de ses grands côtés qu’on formerait ce lambeau,
qui serait détaché de la voûte osseuse jusqu’à son bord
adhérent à un point de la circonférence du trou, en
ménageant le périoste, comme il a été dit dans le mé-
moire à consulter. Il serait ensuite renversé sur lPouver-
ture, et maintenu pendant quelques jours, soit par une
suture , soit par un obturateur ou plaque métallique fixé
aux dents, et qui serait enlevé lorsqu'on présumerait
parfaite l’adhésion du lambeau à la circonférence avivée
de l'ouverture.
AAA AAA AA AAA AAA
RAPPORT
Sur le Mémoire précédent ,
Par M. ViINGTRINER, Docteur-Médecin.
Messieurs,
L'opération que cherche à perfectionner le docteur
Bonfils est une des plus difficiles à exécuter, et elle est
peut-être aussi une des plus essentielles parmi celles que
l’on pratique pour remédier aux difformités. Ces deux rai-
sons expliquent pourquoi elle a pu devenir l’objet d’une
investigation nouvelle, après les travaux du professeur
Roux, de Paris, et du professeur Grèfe, de Berlin,
“
6 10h, 1
qui ne datent encore que de quelques années, 1816 et
1819, et que d’on croyait complets.
Appliquer l'opération du bec-de-lièvre aux. divisions
du voile du palais, est l’idée qui à été conçue par ces
deux chirurgiens célèbres, et qui a fait naître le procédé
opératoire qu’on appelle la staphyloraphie, ou suture du
voile du palais. Celle®qu'a conçue le docteur Bonfils
est de joindre à ce procédé, dans quelques cas où il ne
pourrait suffire, celui qui est usité pour faire la rhino-
plastie ou le nez artificiel; c’est-à-dire emprunter lun
lambeau d’une partie voisine pour fermer l'ouverture
trop considérable du voile du palais, que la suture ne
pourrait fermer. Il pense qu'on-poutrait appeler ce pro-
cédé staphylodémie , parceWiqu'il . s’agit d'ajouter autant
que de réunir. à ”*
J'ai l'honneur de rappeler à l'Académie, que, dans
la séance du 19 marstdernier& je lui ai rendu compte de
l'invention ingénieuse de M. Bonfils, qu'il proposait
alors pour être appliquée à un sujet dont il nous a fait
connaître le vice de conformation, qui était presque
l’absence complète du voile du palais, et qu'au nom de
la commission dont j'étais l'organe , j'ai dit que l’opé-
ration était suffisamment justifiée en théorie pour être
pratiquée.
Aujourd'hui, Messieurs, c’est sur l'application du pro-
cédé que nous avons à fixer votre attention, et d'avance
nous dirons que, si nous sommes heureux d’avoir à
féliciter l’opérateur , nous sommes satisfaits d'avoir porté
le jugement qui se trouve consigné dans le rapport pré-
cité. ‘ f
Ce n’est pas sur le sujet dont nous a précédemment
entretenus M. Bonfils dans son mémoire à consulter, que
l'opération a été tentée, c’est sur une autre femme,
chez laquelle le voile du palais avait été entièrement
détruit par un ulcère, et qui, par suite, éprouvait à la
14
{ 106 )
fois l'incommodité dégoûtante de Voirsrevenir les ali-
ments par le nez, plusieurs fois à chaque repas, et la
gène de parler en nasillant.
Voici quelle a été l'opération... ( Voir le Mémoire,
page 97 ).
Il s'agissait donc de refaire, de toutes pièces ou à peu
près , le voile du palais. On concbit que , quelque soit le
succès , avec toutes les chances les plus favorables, ce
voile nouveau, dépourvu de fibres musculaires et tou-
jours beaucoup plus étroit que le voile naturel, ne pour-
rait jamais remplir les mêmes fonctions dans toute leur
intégrité ; aussi l'amélioration obtenue n’a-t-elle pas été
la guérison complète de la difformité, comme dans les
cas moins difficiles où la staphyloraphie est pratiquée.
Quoiqu'il en soit, elle à été assez satisfaisante pour
justifier l'opérateur et mériter que l’Académie s’intéressât
à ses succès. Le
(rp)
L
AAA AAA AAA AAA ROSE EEE ER ERA NENPENETEEE VA AMAANAAA NAN ARS
de,
£ ) L
, * NOTICE
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SUR UNE MALADIE ÉRUPTIVE PEU CONNUE »
» ,« »., e
d Lue à l'Académie le 8 juillet 831,
S "
_
Par M. Le Prevosr, D.-M.
" MEssiEurs,
Depuis trois mois il existe dans Rouen et dans les
environs une maladie éruptive, qu'on prendrait. au
premier aperçu pour la rougeole, d’autant plus que
cette dernière maladie règne épidémiquement dans
notre ville depuis la fin de l'hiver et le commencement
du printemps; cependant en y portant la plus légère
attention on verra qu'il y a une différence entre les deux
exanthèmes. Celui qui fait le sujet de cette notice paraît
tout-à-coupssans aucuns signes précurseurs ; ce sont des
boutons rouges qui, dès le premier jour se montrent
au visage, au cou, à la poitrine, au dos, aux bras et
aux cuisses; le second jour on voit que ces boutons
sont plus nombreux ; on en aperçoit aussi aux jambes ;
ceux poussés de la veille sont d’un rouge plus vif; le
troisième jour beaucoup de boutons commencent à pâlir,
et le quatrième ou le cinquième au plus tard, ils dispa-
raissent tous sans qu'il y ait aucune desquammation de
l'épiderme chez le plus grand nombre des malades. Pen-
dant cette courte maladie le pouls est à peu près naturel,
excepté le second jour où il a un peu plus de fréquence
qu'à l'ordinaire. La plupart des malades ne perdent
LE 108 )
pas tout-à-fait l'appétit ;Je troisième jour tous désirent
ardemment des me le Sommeil est ‘peu troublé
pendant tout le cours e Iémaladie ; ; les boutons sont
un peu plus saillants êt plus tefdus quesceux de la
roügeole ; : mais les | a caractéristiques de cette
dernière maladie, tels que | la fièvre qui précède l'érup-
tion, Ja toux gutturale, les étethueñients enchiffrene-
ment, les saignements de pez, là rougeur et le gontie-
ment des yeux, les vomis$ements , éte: , manquent chez
la plupart dés malades. Cependant, sur le nombre de
vingt que j'ai eu lieu ébée$er $ tx ont eu des envies
de vomir, et un seul a eu un saignement dé nez peu
abondant. Sur ce’ nombre de vingt, il n’y'a eu que deux
garçons en bas à âge qui aient eu cette éruption ; parmi
les filles, il y en avait cinq qui étaient nubiles. La
plupart de ces demoiselles étaient dans des pensions, où
il paraît que la maladie s’est communiquée par conta-
gion, Plusieurs d’entre elles avaient eu la rougeole les
années précédentes; une l'avait eue dans le mois de
février dernier. J'en ai la certitude, parce que c’est moi
qui les ai traitées. J'ai vu cette éruption les années
précédentes sur quelques individus isolés’ et en petit
nombre. Îl y a sept ans que j’eus l'occasionsde l'observer
sur cinq individus, et deux d’entre eux avaient aussi eu
la rougeole. Du reste, cette «maladie s’est guérie avec
la plus grande facilité; quelques boissons délayantes et
légèrement diaphorétiques, une diète peu nourrissante
pendant deux ou trois jours ont suffi. J’ai fait garder le
lit à la plupart de ces malades, et à la fin j'ai purgé ceux
qui m'ont paru en avoir besoin. Pourrait-on croire que
c’est une espèce de rougeole? d’autant que cette maladie
a été très fréquente dans le printemps. Mais, comme
je l'ai déjà observé, les symptômes principaux manquent;
d’ailleurs , il y a beaucoup de médecins qui pensent
qu'on ne l’a jamais deux fois. Voilà trente-cinq ans
( 109 )
que j'exerce la médecine dans Rouen, et je puis attester
que je ne l’ai jamais vue survenir une seconde fois au
même individu. Cependant à quel genre d’éruption
peut-on rapporter celle qui fait le sujet de cette notice ?
La scarlatine est une maladie qui a été peu connue des
anciens médecins. Ce sont les Arabes qui les premiers
en ont fait mention en traitant de la rougeole ; encore
n'en donnent-ils que des notions imparfaites. Ce n’est
que dans le dix-septième siècle que Sennert et Forestus
l'ont fait connaître par leurs observations. C’est à tort
que quelques médecins ont prétendu que Coyter, médecin
allemand, qui a pratiqué la médecine pendant quelques
années dans le Poitou, était le premier qui en avait
parlé vers le milieu du seizième siècle. La maladie
décrite par Coyter était une fièvre pétéchiale, qui fit de
grands ravages à Poitiers, à la Rochelle, à Angoulême
et à Bordeaux en 1557; elle différait par ses principaux
symptômes , par sa durée et par sa gravité, de la fièvre
scarlatine. Je serais tenté de croire que la maladie, que
j'ai décrite dans ce mémoire est celle qui a été observée
par Sydenham, puisqu'en parlant de cette maladie il
dit que l’éruption ne dure que deux ou trois jours et
que la maladie est légère, neque vehementer admodm
ægrotant; mais il dit que ce sont des taches rouges qui
paraissent à la peau, macul& rubræ, et non pas des
boutons, papulæ, comme ceux qui caractérisent l’érup-
tion que j'ai décrite ; il parle aussi de desquammation de
l'épiderme. On sera étonné que Sydenham , qui était un
observateur si exact, et qui a pratiqué la médecine si
long-temps à Londres, ait décrit la scarlatine comme
une maladie très légère, et qu'il n'ait pas parlé du mal
de gorge qui en est le symptôme caractéristique , ni de
lPanasarque qui en est assez souvent la suite, comme
Sennert et Forestus l’ont observé dans le siècle où il
vivait. El faut en conclure que cette maladie n'était pas
( x10 )
aussi fréquente , ni accompagnée des mêmes symptômes
que de nos jours, et voilà sans doute la raison pour laquelle
Stoll a dit que la fièvre scarlatine n'était pas encore
assez connue, aondùm sat cognita. Cette maladie a com-
mencé à Rouen et dans les environs l'automne dernier,
a été très fréquente cet hiver, a continué ce printemps,
et continue encore en ce moment sur quelques sujets.
Elle s’est montrée très grave dans l’hiver et au commen-
cement du printemps. L'éruption était précédée, chez
tous les malades, de fièvre, de mal de gorge ; plusieurs
avaient du délire et des vomissements ; le troisième jour ,
quelquefois plutôt, on voyait paraître, d’abord au visage,
au cou et à la poitrine, des taches rouges très rapprochées
les unes des autres ; l’éruption continuait les jours sui-
vants sur les autres parties du corps, la fièvre devenait
plus intense, la déglutition plus difficile : il sortait de
la bouche et des narines une grande quantité de muco-
sités ; assez souvent le mal de gorge augmentait pendant
l’éruption, quelquefois il disparaissait. ‘Ce mal de gorge
a été plus grave et de plus longue durée chez les jeunes
gens que chez les enfants et les adultes ; assez souvent les
jeunes gens n’ont eu que le mal de gorge sans éruption,
ou elle ne s’est montrée qu'aux coudes et aux genoux
chez quelques-uns. Dans le commencement, la langue
était couverte d’un enduit blanchâtre; elle se nétoyait peu-
à-peu dans le cours de la maladie ; sur les côtés et dans le
milieu; sur son déclin, elle devenait d’un rouge très vif, et
le passage des boissons lui faisait éprouver des cuissons
et des picottements incommodes. En général, la maladie
ne s’est pas terminée avant huit jours, et a duré quelque-
fois jusqu'au quinzième; mais il y a eu chute de l'épi-
derme chez tous ceux qui ont eu l’éruption , tantôt sous
forme d'écailles surfuracées, tantôt par de larges lam-
beaux qui s’en détachaient ; quelques-uns même ont
perdu leurs ongles et leurs cheveux, Cette maladie n’a
( 09
été funeste qu'à un petit nombre d'individus, mais elle a
été grave et pénible chez un assez grand nombre. L'érup-
tion a présenté quelques variétés qu'il est essentiel de
noter. Chez le plus grand nombre on voyait des taches
rouges très rapprochées les unes des autres, comme je
l'ai déjà dit; chez quelques-uns la peau était d’un
rouge écarlate sur toute sa surface, avec gonflement et
démangeaisons incommodes ; chez d’autres on voyait
des plaques plus où moins rouges çà et là, et au milieu
de ces plaques on apercevait des boutons quelquefois
rougeâtres et le plus souvent blancs, ayant de la ressem-
blance avec les pustules miliaires. Cette variété dans les
éruptions m'a donné lieu de penser que l’éruption qui
fait le sujet de cette notice pourrait bien être une espèce
de scarlatine très bénigne plutôt qu’une rougeole ; d’au-
tant plus que chez une fille de vingt-quatre ans, qui a
eu cette éruption de boutons rouges sans toux et presque
sans fièvre , il y a eu un mal de gorge qui n’a duré que
irente-six heures. Le quatrième jour l’éruption avait
totalement disparu, et la maladie s’est terminée là;
mais l'épiderme est tombé en écailles. Un enfant, qui
demeure dans la même maison, a eu une éruption
semblable à celle de cette fille, mais sans mal de gorge ;
elle a disparu aussi le quatrième jour , et l’épiderme s’est
déiaché en écailles en plusieurs endroits, notamment
au cou et au menton. Ce sont les deux seuls sujets sur
lesquelsÿj'aie observé cette desquammation de l’épiderme
sur les vingt à qui j'ai donné des soins ; mais le mal de
gorge de la fille de vingt-quatre ans avec cette desquam-
mation chez elle et chez un enfant à qui elle a commu
niqué la maladie, c’est-à-dire une éruption de boutons
rouges lout-à-{ait pareils à ceux qu'elle avait eus, et la
ressembiance de ces boutons avec ceux des dix-huit autres
malades que j’aivus, m'ont déterminé à considérer cette
éruption comme une variété de la scarlatine. Cependant
(150.2
il me reste encore quelques doutes, car, dans le nombre
des filles qui ont eu cette aflection , il ÿ en a quatre que
j'ai précédemment traitées de la scarlatine avec fièvre ,
mal de gorge, difficulté d’avaler, expuition muqueuse
et desquammation de l’épiderme à la in de la maladie. Il
est encore douteux s'il en est de la scarlatine comme de
la variole et de la rougeole, qu’on n’a qu’une seule fois
dans le cours de la vie. Des observations ultérieures,
faites sans aucun esprit de système, pourront seules
décider cette question.
(land)
AA AAA AN AAA AAA AAA AA AAA AAA AA AAA AAA AAA PE AA A AN AAA A AAA
ESSAI SUR L’AME,
Lu à l'Académie, Le 15 juillet 1831,
Par M. Viexé, D.-M.
Messieurs,
Je désire , en vous faisant hommage de mes réflexions
sur l’ame, pouvoir acquitter une partie de ma dette en-
vers vous. |
Autant le sujet est grave, autant il m'est permis de
compter sur votre indulgence.
Première partie.
Les plus grands philosophes de l'antiquité se sont fait
de l’ame une idée bien étrange.
Ils ont pu se persuader que l'ame était une substance
aërienne, une chaleur innée, un composé de tous les
éléments, une qualité, une modification de la matière
vivante el organisée.
Que d'écrivains modernes ont encore été sectateurs
aveugles du matérialisme !
Mais, quelle que puisse être l'opinion des hommes à
l'égard de lame, elle sera ce qu'elle a toujours été,
toujours semblable à Dieu qui en est l'unique source ,
et rien ne saurait infirmer cette assertion, ne saurait
prouver le contraire.
15
(114)
Que signifient donc ces propositions : il ne peut exis-
ter d'êtres immatériels ; il y a dans toute la matière une
ame universelle de laquelle émanent toutes les ames
particulières ; l'ame ressemble au corps qu'elle habite,
elle en est la partie la plus déliée , ‘la plus mobile; la
pensée consiste dans le mouvement d’un certain nombre
d’atomes ; elle n’est pas un effet, un résultat de l’excita-
tion de la substance cérébrale, mais cette excitation elle-
même, et tant d’autres idées de ce genre qui mettent
l'ame au rang des corps, et Jui font subir les mêmes
lois, la même destinée ?
Naturellement conduite à se juger de toute autre ma-
nière , l’ame gémit de se voir confondue avec la matière
et menacée de sa propre ruine, elle qui doit nous sur-
vivre, et radieuse s’élancer vers les cieux.
Que servirait à l’homme scn organisation particulière,
s'il n’était pourvu d'une ame qui dût le guider et le faire
servir à ses plus nobles desseins?
Sans elle saurait-il qu'il existe ? surtout aurait-il de la
divinité l’idée qu'il doit en avoir ? Aurait-il à sa gloire
élevé les plus beaux monuments de tous les siècles? Pour
mieux l’adorer, les ferait-il retentir de cantiques, su-
blimes inspirations de son ame, et la preuve incontestable
qu'elle est toute céleste, que sans cesse elle aspire à s’é-
lever au-dessus de toutes les sphères , au-dessus de toutes
les régions; que l'univers entier ne saurait la contenir,
et que Pun de ses attributs est l’'immensité?
Cependant, on s’est encore appliqué sérieusement à
découvrir la place qu'elle était supposée devoir occuper
dans le corps humain, et la partie la plus exiguë du
cerveau en à d'abord été réputée le siége : mais, ayant
reconnu qu'elle manquait dans certains sujets, que
chez d’autres elle était squirrheuse ou putréfiée, sans
que la raison en eût été le plus légèrement altérée , on
l'a fait déchoir de cet honneur pour le décerner à toute
Cia )
autre partie de l’encéphale , à toute autre partie du corps,
car je n’en sais pas une qui n’en ait joui et n'en ait été
dépossédée par l'observation fille du temps et de la vérité.
Que peut-il y avoir de commun entre la matière et
l'intelligence ? et comment l’homme a-t-il pu s'égarer
au point de chercher à l’ame une demeure corporelle ?
Toujours attentive, l'ame nous fait apercevoir les”
dangers qui nous environnent, et nous les fait éviter ;
mais de quel endroit et par quel moyen s’opèrent cette
communication, ces eflets si précieux ? C’est le secret de
la divinité.
Vainement nous prendrions à tâche de le lui dérober.
Sachons plutôt nous humilier devant elle , et nous
tenir dans les bornes qu’elle nous a prescrites.
Sachons l’admirer dans toutes ses œuvres, la deviner
dans tous ses mystères, et dans l'impossibilité même où
elle nous a mis de les pénétrer.
Deuxième partie.
L'homme est composé d’un corps, d'un principe qui
le vivifie, d’une ame qui le gouverne et que lui seul,
entre tous les. êtres créés, a reçue de Dieu.
Ainsi, donner une ame aux animaux, aux végétaux,
aux minéraux eux-mêmes, pour désigner, dans les deux
premières classes, la cause de tous les actes de la vita-
lité, dans la troisième, la persistance des forces d’agréga-
tion et de combinaison, c’est évidemment profaner le
nom le plus sacré.
Sur cela donc apprenons à mieux nous expliquer, à
mieux nous entendre, et ne souffrons plus que de toutes
les substances la seule incorruptible partage une déno-
mination qui lui appartient exclusivement, et laisse
entre elle et la matière une distance égale à celle qui
sépare la vie et la mort.
(116)
Émanation divine, l'ame tend à se réunir au seul être
immuable, infini, souverain auteur de toutes choses;
elle voit, dans le grand œuvre de la création, à la place
de l'Univers-Dieu, le Dieu de l'Univers.
Cet Univers, que Dieu lui-même a livré sans réserve
à la dispute des hommes, est dit par quelques-uns avoir
existé de tout temps et devoir exister toujours, comme
si, dans sa nature , dans les lois auxquelles il obéit , dans
les changements et les altérations dont il est susceptible,
on ne découvrait autant de preuves qu'il a commenté,
qu'il finira , et qu'il est l'effet d’une cause supérieure à
tous les doutes que l’on puisse élever contre elle.
On a supposé que Dieu lui-même était l'ouvrage des
hommes, comme si, pour exister, il avait besoin qu'ils
le reconnussent; pour être adorable , qu'ils lui adres-
sassent leurs vœux et leur encens ; pour être tout puis-
sant, qu'ils s’humiliassent devant lui, et fissent l’aveu
de leur faiblesse.
On a dit encore que l’ame était produite par le soleil,
et que, dégagée de ses liens, elle irait l’habiter ; mais ,
si pur que soit l’astre du jour, peut-on le lui assigner
pour demeure, lui dont l'éclat doit se perdre dans la
nuit éternelle où lame verra plonger la nature entière ?
Ainsi, l'ame est indestructible, est immortelle, et toutes
les ruses du mensonge, toutes les subtilités de lerreur ,
toutes les conséquences tirées de l'influence que semblent
exercer sur elle les maladies du corps, disparaissent
comme d'épaisses ténèbres devant les lumières de la
raison.
L’ame perçoit, compare, juge, et détermine l’action
des organes soumis à son empire.
Sans elle, le corps serait une machine uniquement
susceptible de mouvements automatiques.
Et que l’instinct accordé à tous les animaux ne serve
pas de prétexte à l'homme pour les comparer à lui.
(ax)
Qu'il sache mieux se juger, mieux apprécier tous ses
moyens de faire briller de tout leur éclat les plus belles
qualités du cœur, et de porter au plus haut degré l’exer-
cice de toutes les vertus.
IL est évident que les facultés de lame ont été données
à l’homme pour le rendre heureux : l'imagination, pour
l'élever à la hauteur des choses les plus sublimes; l’at-
tention, pour l’y fixer d’une manière invariable ; la mé-
moire, pour ne jamais oublier un bienfait; la volonté,
pour saisir toutes les occasions de le reconnaître, par
conséquent d’honorer sans cesse la source de toute bonté,
de toute perfection.
Troisième partie.
La structure de notre corps nous pénètre d’étonnement,
nous saisit d’admiration ; mais serait-il raisonnable d’af-
firmer que le plus petit insecte fût, à cet égard, moins
surprenant, moins admirable? La ténuité de ses organes
me rend son existence encore plus incompréhensible ,
et lui seul, autant que toute la nature, me semble attester
la puissance infinie de son auteur.
Quoi qu'il en-soit, le corps humain doit paraître le
plus bel ouvrage de la divinité, puisque l'ame réfléchit
sur lui ses rayons célestes; et comment nier qu'elle soit
l’ornement et le guide de ce corps organisé pour accom-
plir toutes ses volontés?
Ainsi, par elle l’homme sait mesurer le temps pour le
mettre plus à profit ; observer la nature , étudier ses phé-
nomènes, ses combinaisons, ses mystères , la presser, la
saisir, en être le digne émule ; à son utilité particulière
employer tous les éléments, en éviter tous les dangers ;
attaquer les monts les plus élevés, les rochers les plus
durs, les renverser, les faire entièrement disparaître ;
dompter les animaux les plus fiers, les plus rebelles,
( x18 )
apprivoiser les plus féroces; au fond de leurs abimes
surprendre les habitants des mers; de l'oiseau qui le fuit
tromper la vitesse, et le précipiter du haut des nues ;
fixer des limites à l'océan et sur une frêle barque le par-
courir , le braver ; à toutes les contrées du globe imposer
ses lois; s'élever dans les airs et paraître maJestueusement
se frayer la voie de l’immortalité ; fouiller dans les en-
trailles de la terre , lui ravir ses trésors, leur donner ses
traits et presque leur donner la vie ; les convertir en palais
pour sa demeure, et, j'aime à le répéter, les convertir
en édifices encore plus magnifiques pour y déposer l’image
de son Dieu, pour y déposer son cœur.
L'ame est donc ce qui fait opérer à l’homme les plus
grands prodiges, ce qui le distingue d'avec tous les ani-
maux, ce qui l'élève au-dessus d'eux, au-dessus de
lui-même, et je ne puis mieux faire, en me résumant,
que de redire avec l'honorable auteur d'une réfutation
lumineuse des principes du matérialisme :
« L'ame est la cause, tant des phénomènes intellec-
tuels que des phénomènes matériels qui ont leur point
de départ dans notre volonté.
« Dieu, régulateur et des ames et des corps, est la
cause des phénomènes intellectuels où nous sommes in-
volontaires , et des phénomènes matériels qui s’accom-
plissent sans notre intervention.
« La matière n’est ni ne peut être cause de rien.
« Retranchez maintenant par la pensée, vous le pou-
vez, retranchez de ce monde ces deux principes d’aclion,
les seuls qu’il soit possible d’y concevoir ; retranchez-en
Dieu et lame : que reste-t-il?
« Des forces, pures abstractions qui ne relèvent d’au-
cun être quelconque; des mouvements sans moteur réel ;
des effets sans cause efliciente ; enfin l’enchaînement des
phénomènes roulant à perpétuité, et sans repos, dans un
cercle vicieux, »
( r19 )
Pourquoi donc nier ce qu'il y a de’plus vrai, de plus
incontestable ?
Si quelque chose dans l’homme participe de la na-
ture divine, disait Socrate à ses nombreux disciples,
c'est son ame. Il n’y a pas de doute que c’est elle qui le
conduit, qui le gouverne ; néanmoins on ne peut la voir.
Apprenez donc à ne pas douter des choses invisibles ;
apprenez à reconnaître leur puissance par leurs effets, et
à honorer la Divinité.
( 120 )
AAA A AA A AA AA AAA AAA RAA AA AAA A A AA AA AA AA AAA
RAPPORT
SUR LES MALADES (MILITAIRES )
Traités à l'Hétel-Dieu de Rouen en 1830,
; Lu à l’Académie, le ex juillet 1831,
Par M. Herus, Médecin en chef de l'hôpital civil et militaire.
Messieurs,
Indépendamment des malades civils, l'Hôtel-Dieu de
Rouen admet un grand nombre de militaires qui forment
une division long-temps confiée à un médecin particulier.
Le Pecq, en 1782, fut nommé médecin militaire ; il
en exerça les fonctions jusqu'au moment où les troubles
de la révolution le forcèrent à quitter notre ville. Plus
d’une fois, il fit part à l'Académie de Rouen des obser-
vations qu’il avait été à même de recueillir, et les anciens
mémoires de la Société en conservent encore plusieurs
fragments fort intéressants.
MM. Bénard et Delaroche furent successivement char-
gés de ce service jusqu’en 1810 (1), où les médecins mili-
taires près les hôpitaux civils furent supprimés, et leurs
fonctions réunies à celles des médecins et chirurgiens en
chef de chaque établissement. Depuis cette époque, les
militaires fiévreux sont confiés au médecin de l'Hôtel
Dieu, les blessés au chirurgien; les galeux et les véné-
(1) Antérieurement à cette époque, les militaires occupaient le local
d'Emnemont , converti en hôpital. C’est lorsque cette maison fut rendue
à sa première destination que les malades qu’elle renfermait furent trans—
portés à l'Hôtel-Dien.
Cast
riens sont traités à l'hospice général, formant toujours
une division propre sous la surveillance de l’intendance
militaire (x).
TE Te DS DITS EP EEE CT Ce EL
(1) Pour mieux faire comprendre ce qui doit suivre, il ne sera peut
être pas inutile de dire un mot sur le mode que j'ai adopté dans l'hôpital
your l'instruction des élèves et pour la tenue des observations. Jusqu'en
1828, pas un d'eux n'avait pénétré dans les salles de médecine. Le mé-
decin faisait sa visite avec le pharmacien. Aucune note n'était re-
cueïllie. Les pansements à faire étaient écrits sur le même cahier que les
médicaments et remis à la chirurgie, qui se chargeait de leur exécution :
usage bien vicieux et non moins préjudiciable aux élèves qu'aux malades.
De cette sorte, les intentions du médecin ne pouvaient jamais ètre com-
prises, et les élèves, instruments aveugles, exécutaient avec négligence
et dégoût des prescriptions dont ils ne comprenaient ni le besoin, ni le
motif,
Ma première pensée, lorsque je pris le service , fut d’appeler des élèves
à la médecine : jusqu'alors la chirurgie seule avait composé toute leur
instruction. S'ils puisaient quelques notions médicales dans les livres,
aucun n’était à même de les rectifier par la pratique. Le plus ancien
des internes et douze externes suffisamment instruits sont successive—
ment attachés au service médical. Les malades sont partagés en divi—
sions , à chacune desquelles appartiennent trois élèves, et les lits répartis
de sorte que chacun n'ait à suivre qu'une vingtaine de malades, sur les-4
quels il doit, chaque jour, donner les renseignements demandés, Un
cahier de visite est tenu successivement par le plus ancien de chaque di-
vision, Sur ce cahier sont portés, jour par jour, les symptômes caractéris—
tiques de la maladie, les médicaments administrés et l'effet obtenu, Cha-
que jour ces notes sont fidèlement déposées sur un volumineux registre.
On ne saurait croire avec quelle ponctualité s'exécute un trayail qui, au
premier abord, semble fort compliqué.
Outre cette clinique perpétuelle pour mes élèves, dix malades civils,
einq hommes et cinq femmes , choisis parmi ce qu'il y a de plus intéres—
sant , servent de matière aux leçons qui, pendant six mois, sont faites,
tant au lit du malade que dans l’amphithéâtre, pour tous les étudiants
de l’école.
A la sortie ou au décès de chaque malade, les notes qui le concernent
sont lues à haute voix en présence de tous, et ce n'est qu’à ce moment
que Je nom de sa maladie est prononcé et porté, ainsi que le résultat du
traitement , au registre d'observations dans une colonne laissée en blanc
à cet effet. Cette méthode offre le grand avantage de prévenir les erreurs
16
(“x22)
Long-temps la garde royale seule fut en garnison à
Rouen, privilége dont notre ville jouissait avec Paris et
Orléans. Depuis le mois d'août, elle a été remplacée
par divers régiments de ligne qui n’y ont séjourné que
pea de temps. Ce fut d’abord le 52°, ensuite le 31°, et
maintenant le 61°.
Outre ces militaires, les gendarmes , les marins et les
douaniers sont admis dans les mêmes salles. Leur petit
nombre ne méritant pas une mention particulière, il
n'en sera point question ici.
Le nombre des militaires admis en 1830 , pour la mé-
decine , fut de quatre cent trois, ainsi répartis :
Maladies chroniques.
entrés, morts.
Phthysies pulmonaires et pneumonies chro-
Diqués nn Ale catièure sanians damaibies
Pétifohties. : 2 27 100 de, tin dd 18 1e
CARRE VE Al nes se ren dresser.
Pustules syphilitiques. .........,,......
Hypertrophie du cœur........,..,...,...
de diagnostic, La maladie n’étant désignée que par la succession et l’en-
semble de ses signes propres, les élèves dont la curiosité est piquée s’exer-
cent à juger par eux-mèmes, et rarement ils attendent long-temps pour
se prononcer. Îl arrive souvent qu'une maladie présente, au début, une
apparence de gravité qu’elle ne conserve pas; une autre, légère dans le
principe, se complique d’un typhus, d’une scarlatine, d’une variole, et
si, comme il est d'usage, on se bornait au diagnostic du premier jour,
on s’exposerait à de fréquentes erreurs : c’est là ce que j’ai täché d'éviter.
Lorsque tous les malades sont sortis, ce qui demande quatre à cinq
mois, l’interne est chargé d’en faire un relevé général pour connaître la
nature des maladies régnantes et les succès obtenus, Ce sont quelques
réflexions sur un travail fait de cette manière pour les militaires, en
1850, que je Yais présenter ici.
{ 1239
Maladies aiguës.
entrés. morts.
Embarras gastrique et intestinal. ........ | “4 »
Me divorces sh eme ln aie efretete lee 15 »
NOTE ie ssl een selle ne eo elsiaieie G »
Anpineses.s.cners se rersessoneseoeeée 13 »
DALVATIOM. aura = die SU silos ce cd see 3 »
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Affections Catarrhales .:...:,../:.:.....1 |! 39 »
PÉRAMIBEn EL ET US SU 0 en 10 »
Broneintes Aigues. ve 00... 02000 23 »
HémaphAe re. 2400. MSN EL. 7 »”
Pleuro-pneumonies................... | 14 | »
: 379 | 6
D'autre part. ........ 24, | 8
TOTAL. css 407 114
Les maladies chroniques occupent la moindre place
dans le service militaire de l'Hôtel-Dieu ; il n’en est pas
comme du civil, où les grabataires et les incurables sont
une lèpre qui dévore et déborde sans cesse, malgré tous
les efforts de l'administration. Les eaux, les réformes et
les convalescences nous offrent des ressources qui nous
manquent ailleurs.
Sur seize phthysiques, sept périrent ; les autres fu-
rent réformés. Un, qui succomba à une péritonite chro-
(124)
nique , offrit une dégénération tuberculeuse du péritoine.
Un autre mourut d’une anasarque ; c'était un sergent
de l’ex-garde royale, malade depuis six mois des suites
d’une épidémie que la mauvaise qualité du pain rendit
meurtrière dans les casernes de la capitale. I n’offrit de
remarquable que le courage avec lequel il supporta ses
longues souffrances et la prodigieuse distention de son
ventre et de ses cuisses, qui fut telle qu'il ne me sou-
vient pas d’en avoir vu de plus forte. *
Les embarras de l’estomac et des intestins n’offrent
d'ordinaire rien à citer. Ces affections simples et béni-
gnes cèdent à la diète, aux délayants, souvent à de doux
évacuants; c'est ce qui arriva, sans exception, sur Cin-
quante qui en furent atteints. Un d’eux mérite cependant
une mention spéciale. De planton chez le général Tro-
briant, il s'était amusé au cabaret pour quelques verres
d’eau-de-vie , dont il avait peu l'habitude ; il se hâta pour
réparer le temps perdu. En entrant il chancelle, pâlit et
tombe sans connaissance, les yeux fixes, les mâchoires
serrées et tout le corps immobile. Appelé sur le champ,
divers révulsifs furent essayés vainement ; je le fis porter
à l'Hôtel-Dieu. Ce ne fut qu'après cinq heures de cet état
qu'un lavement purgatif ayant fait cesser tout spasme,
le tube intestinal et l'estomac reprirent leur action, et
qu'une évacuation copicuse, aidée par l’'émétique, le
rendit au sentiment ainsi qu'à la santé. Il fut plus de
quinze jours à se remettre de cette secousse. Il rentra
peu après pour une variole des plus confluentes, dont il
guérit, non sans avoir couru quelque danger.
Je tiendrai peu de compte des flux ; j'en reçus quinze
qui offrirent peu de gravité. Huit cédèrent aux délayants,
cinq à l’ipécacuanha ; un, plus rebelle, exigea l'emploi
de l’opium et du simarouba.
Les angines tonsillaires, au nombre de treize, se ter-
minèrent, dix par résolution, trois par abcès, du 7 au 9.
(@iro5n)
Huit furent évacuées au début et au déclin. Trois fois
seulement les sangsues furent appliquées aux angles des
mâchoires, et cela n’empêcha pas une d'elles de se ter-
miner par suppuration , tant nos moyens soni peu puis-
sants pour détourner la nature de la voie qu'elle s’est
choisie.
Plusieurs vinrent pour des salivations, souvent dues
au mercure; un d'eux, fort et vigoureux, mouillé par
un froid de dix degrés après s'être mis en sueur dans
un incendie qui eut lieu au mois de janvier, présenta
d’abord une irritation de la poitrine avec toux, sans
fièvre. Bientôt il rendit , sans effort, et comme par expui-
tion, sans gonflement de la bouche, une énorme quan-
tité de matière filante et glaireuse ; cela dura près de
trois mois, à la dose de deux à trois livres par jour.
La peau n'était point sèche, et le ventre se tint assez
libre, Je crus n'avoir rien de mieux à faire que de sou-
tenir le malade par un bon régime. I supporta parfai-
tement cette énorme déperdition, qui n’altéra presque
jamais sa gailé ni son appétit. I ne maigrit pas autant
qu'on aurait pu le croire. il est évident que le saisisse-
ment de la peau et la suppression de la transpiration
furent la cause déterminante de cette affection. Je noterai
cependant que, dix mois avant, il avait fait un traite-
ment par les frictions ; pour une syphilis que des taches
vénériennes attestaient encore. Le mercure, après un
aussi long temps, peut-il ainsi manifester son action ?
C'est une question que je ne déciderai point ; je me
borne à noter le fait.
Je me hâte d'arriver aux fièvres continues et inter-
mitltentes, qui furent aussi nombreuses que graves.
Leur nombre s'éleva à cent soixante-dix-neuf, cent dix
continues et soixante-neuf intermittentes. Les premières
se montrèrent avec une violence qui aurait pu faire croire
qu’elles dépendaient d’une cause épidémique ; un flux
( 126 }
séreux au début, avec douleur sourde , quelquefois même
élévation du ventre ; la langue molle, humide , rouge et
comme dépouillée ; tantôt épaisse, âpre et noircissant
facilement ; un abattement général; des symptômes bi-
lieux et des vomissements fréquents, joints à une singu-
lière tendance aux fluxions vers l’encéphale , tels furent
les signes observés. La torpeur, le délire, les convul-
sions survinrent aussi chez un grand nombre de ces
malades. Quinze seulement de ces fièvres parurent assez
légères pour être abandonnées à elles-mêmes; ce fut
avec succès : une moiteur générale, des évacuations fa-
ciles par bas, une éruption pustuleuse aux lèvres et aux
ailes du rez terminèrent la plupart. Soixante, qui of-
fraient plus de gravité, furent évacués au début et soumis
à des médications variées suivant le besoin. La guérison
survint, secondée par des sueurs générales, plus souvent
par la diarrhée, que plusieurs fois cependant il fallut
modérer, tant elle se prolongeait. Des épistaxis se mon-
trèrent fréquemment ; quelquefois ils soulagèrent, d’au-
tres fois ils parurent dangereux ou insignifiants; un seul
fut décidément critique. Sur ces soixante malades qui
guérirent , les sangsues furent appliquées trois fois der-
rière les oreilles et une fois à l’anus, Pas un ne fut saigné.
Cinq présentèrent , bien tranchés, des cas de fièvre ar-
dente dite bilieuse inflammatoire. Une d'elles ne se ter-
mina qu'après six épistaxis. Toutes ces fièvres dont il
vient d’être fait mention ne dépassèrent pas quinze jours.
Celles qui durèrent davantage s’accompagnèrent des
symptômes les plus alarmants, tels que délire, coma,
convulsions , vomissements opiniâtres, gangrènes, etc.
Elles furent aussi variées dans leur marche que dans
leur terminaison; les mêmes moyens ne furent pas
constamment efficaces. La tête parut la région le plus
souvent menacée. Ces fièvres furent au nombre de trente-
cinq : deux périrent qui avaient été saignés , l’un du pied,
(“2570
avant son entrée , l'autre du bras, à l'hôpital, Tous deux,
outre cela, avaient eu plusieurs hémorragies nasales.
Un troisième , arrivé exténué par de nombreuses sang
sues mises, à la caserne , sur le ventre , tomba dans un
affaissement dont rien ne put le tirer.
Un malade saigne du bras fut plus heureux ; il guérit ,
ainsi que deux auxquels des sangsues furent mises der-
rière les oreilles. Sur six malades saignés, soit par les
sangsues , soit par la lancette , trois périrent ; les vingt-
neuf autres furent évacués lorsqu'ils vinrent au début et
soumis à l'emploi des laxatifs doux, comme le tamarin,
la casse, la crême de tartre, la manne suivant le be-
soin. Les vésicatoires furent rarement avantageux ; le
quinquiva rendit de grands services.
Grand nombre de ces malades eurent des épistaxis
avec une issue différente, et non sans danger pour plu-
sieurs, moins par leur abondance que par l’activité que
les symptômes semblaient en recevoir lorsqu'ils ne s’a-
mendaient point immédiatement, ce qui faisait crain-
dre une issue funeste. Deux périrent ainsi, non soulagés
par des épistaxis répétés , un dans les convulsions, l'au-
tre épuisé par une énorme escarre qui ne fut point cri-
tique. Trois dans-le même cas guérirent, ayant eu au dé-
but des hémorragies répétées à des époques variables ;
chez deux la diarrhée avec moiteur fit bien espérer ;
l’autre, atteint d'un tœnia dont il rendit de longues por-
tions, guérit malgré une escarre gangréneuse de six
pouces de largeur, survenue au vingt-unième jour.
Ce n'est pas la première fois que je rencontre des
fièvres graves chez des individus ayant des tœænia, et
bien qu’alors les malades aient coura les plus grands
dangers, il ne me souvient pas en avoir vu périr au-
cun.
J'ai dit n'avoir observé qu'une hémorragie décidé-
ment critique ; le malade était arrivé au dix-neuvième
( 128
jour, au milieu des signes les plus menaçanis ; le délire et
la prostration ne cessaient point. Le vingtième, il eut une
légère hémorragie sans résultat prononcé ; mais, à l’acca-
blement croissant et à l’activité particulière du pouls,
j'en présageai une seconde. Je recommandai de la res-
pecter, quelle qu’elle fût, l'avertissement ne fut pas de
trop. Dans la nuit du 22 au 23, il en survint une ef-
frayante par son abondance et par les syncopes qui la
suivirent. La fièvre cessa de suite, la convalescence fut
prompte et complète.
Plusieurs fois j'ai remarqué, à une époque avancée de la
maladie , des vomissements bilieux précédés d’un trouble
général et suivis d’un calme complet. Ils étaient criti-
ques. Un assez grand nombre , tourmenté sans résultat,
se trouva bien , à cette époque de la maladie, de l’éméti-
que à doses réfractées.
Il serait difficile de dire si tel symptôme grave était déci-
dément funeste , car parmi ceux qui sucecombèrent et ceux
qui guérirent, on en observa souvent d’analogues. C’est
ainsi qu'un périt à la suite d’un gonflement œdémateux de
la face, malgré lequel son voisin guérit parfaitement.
Quelques malades, arrivés au dernier degré de prostra-
tion, durent leur salut au quinquina en décoction à haute
dose. Dans plusieurs cas, ce médicament me parut tel-
lement héroïque , que sans lui j’entrevoyais bien peu de
chances de guérison. On voyait sous son influence le
malade s’éveiller, la langue se nétoyer, le flux dimi-
nuer, le pouls et la chaleur renaître ; et si, par erreur
ou à dessein, on en suspendait l’usage , les élèves eux-
mêmes s’en apercevaient au premier aspect.
Ces fièvres m'ont surtout paru remarquables par leur
nombre et leur gravité (1). Elles se montrèrent surtout
(1) Les travaux des contemporains ne me paraissent pas avoir jelé sur
l’étiologie des fièvres le jour qu’on en devait espérer. Des mots nouveaux
( 129 )
dans la seconde période de l’année, où les malades
nous abondèrent d'une manière tout insolite. La cause
en était palpable ; à la garde royale, corps d'élite, succé-
daient des recrues, des régiments de ligne fort inéga-
lement composés. La réorganisation de l’armée sou-
mettait à des marches forcées une foule de soldats
restés jusqu'alors dans leurs foyers, et les circonstances
multipliaient, pour la garnison de Rouen, des corvées
au-dessus des forces de beaucoup de ceux qui la com-
posaient. Sur cent dix, il en périt six, et sur six aux-
quels on tira du sang, soit par les sangsues , soit par
la lancette, il en périt trois. Les autres furent pour
la plupart évacués au début et soumis à une médica-
tion variée suivant le besoin.
donnés pour désigner des maladies anciennes, des recherches peu con
cluantes d'anatomie pathologique, la réunion sous un même titre d’af-
fections en tout dissemblables , et une tendance générale à localiser des
altérations qui, par leur cause et leur mobilité, s’y refuseront toujours;
voilà où nous en sommes sur la nature et le siège de ces fièvres, Quant au
traitement, quel est l'observateur impartial qui oserait affirmer que, de-
puis les doctrines nouvelles, il soit plus rationnel, moins variable et surtout
plus heureux ? -
Lorsqu'il s'agit de former des élèves et de leur enseigner la vérité, on
conçoit que la tâche devient de plus en plus difficile; aussi jai renoncé à
toute dénomination propre pour les fièvres. Je les divise en continues et
intermittentes , division invariable ; et chacune de celles-ci est, suivant
ses symptômes, désignée sous le nom de grave ou bénigne. J’ai soin de
rappeler les dénominations anciennement usitées, sans lesquelles la lec—
ture des anciens auteurs deviendrait inintelligible, et je fais connaître en
mème temps leur synonymie, avec les expressions nouvelles. De cette ma—
nière, aucune idée préconçue ne vient influer ni sur la nature, ni sur le
traitement; l'esprit , libre de préjugés, observe avec plus d'indépendance,
et, lorsque mes élèves suivent une fièvre grave, ils la dénomment eux-
mêmes à leur gré; ils la qualifient indifféremment de fievre putride, adi-—
namique, entéro-mésentérique, dothin-entérite, gastro-entérite, parce
qu'ils savent que pour nous les mots ont peu de valeur en présence des
faits.
17
{ 1301)
L'ouverture des corps nous a présenté, chez un grand
nombre, mais non constamment, des éruptions, des
ulcérations ou désorganisalions plus ou moins avancées
dans les intestins , et notamment dans le cœcum et
l'iléon, des engorgements du mésentère , concurrem-
ment avec des désordres variés vers la poitrine ou
l'encéphale , dûs à des complications survenues dans
une période avancée de la maladie; l’estomac fut
constamment trouvé peu gravement altéré.
Les convalescences furent , en général , franches et ra-
pides ; la plupart de ceux qui sortirent de l'hôpital
reprirent leur service.
Aurais-je obtenu d’aussi heureux résultats en usant
moins sobrement de la saignée ? Je ne puis le penser :
l'exemple de mes devanciers, MM. Lepecq, Rouelle et
Roussel, m'a servi de guide sur ce point, et l'expérience
confirme chaque jour leur manière de voir.
Convaincu que, dans notre ville, les médications dé-
bilitantes conviennent moins qu'ailleurs, nous y regar-
dons en deux foïs pour verser le sang; nous sommes
mêmes en garde contre les sangsues : nous prescrivons
rigoureusement leur nombre et le temps pendant lequel
elles doivent couler. Pour la saignée de la veine, nous
exigeons qu'on se serve de vases d'étain de la capacité
de trois onces; on nous les représente le lendemain.
Nous tenons un compte sévère de la qualité du sang. IL
ne me souvient pas d'en avoir fait tirer au-delà de dix
onces, et jamais, je crois, je ne l’ai réitérée chez le
même individu.
Je pense que ces précautions, trop souvent négligées,
auront l’assentiment de tout praticien éclairé.
Je n’ai point fait mention de la tendance qu’avaient
beaucoup de fièvres continues à devenir intermittentes
vers leur déclin. Plusieurs furent décidément rémit-
tentes, ce qui tint à la constitution qui, depuis trois
( x3#)
ans, a rendu si fréquentes les fièvres d'accès, non-seu-
lement sur les rives de la Seine, qu'elles ont désolées
plus que jamais, mais encore dans notre ville, où elles
se montra ent si rarement. Les militaires même récem-
ment arrivés n’en furent point à l'abri. Nous en reçümes
soixante-neuf :
Sept irrégulières ;
.Onze quotidiennes ;
Quarante-trois tierces ;
Sept quartes ;
Une larvée.
Un tiers environ céda spontanément par le repos et
la diète, aidé de quelques évacuations par la peau, les
selles ou le nez. On remarqua surtout des épistaxis sur
les quotidiennes. Une seule fois les sangsues furent mises
à l'anus ; aucun d’eux ne fut autrement saigné.
Quarante-neuf furent évacuées, et vingt-neuf fois la
fièvre céda à cette seule médication. Les autres guérirent
par le sulfate de kinine seul ou associé à Popium. Deux
résistèrent : chez l’un, la fièvre était entretenue par une
tuméfaction énorme de la rate, contractée aux colonies ;
chez l’autre, par un mauvais état de la poitrine. Je les
fis tous deux réformer.
Le reste guérit , sans exception, avec une promptitude
et une sûreté à laquelle nous sommes habitués. Jamais
le quinquina ne fut donné en substance ; le sulfate de ki-
nine s’est toujours montré le plus doux comme le plus
efficace des remèdes. Depuis trois ans, les fièvres d'accès
se sont montrées aussi fréquentes qu’elles étaient rares
dans notre ville, et ce n’est pas exagérer que de porter à
trois cents le nombre des malades auxquels nous l’avons
administré, non-seulement sans regret, mais avec un
succès constant.
Les fièvres ne furent pas seules dignes d'attention; les
maladies de poitrine donnèrent lieu à des observations
(Ç adau)
aussi nombreuses qu'intéressantes. Nous allons les par-
courir, après avoir mentionné quelque cas d’affections
intercurrentes.
Un militaire, se promenant sur les petites eaux de
Martainville, introduisit sa main dans un buisson pour
prendre un nid ; il fut mordu par une vipère aux @oigts
index et médius ; le bras se gonfla, la main devint dou-
loureuse, et des symptômes nerveux se déclarèrent. Les
morsures furent cautérisées et le malade envoyé à l'Hà-
tel-Dieu, où quelques doses d’éther suffirent pour cal-
mer ces accidents qui n’offrirent rien de bien alarmaut.
Six varioles confluentes guérirent avec facilité. Nous
avons consigné ailleurs le mode de traitement que nous
avons adopté (1). Une septième survint chez un malheu-
reux qui languissait d’une pneumonie chronique. Une
fluxion nouvelle qu’elle détermina sur la poitrine, le fit
périr dans les convulsions avant la sortie complète de
l’éruption; c’est là ce qui m'a déterminé à le ranger parmi
les malades morts de pneumonies chroniques.
Un malade, convalescent d'une fièvre d’accès fort bé-
nigne , avait, depuis vingt jours, une blennorrhagie peu
douloureuse ; il n’obtint aucun soulagement, ni du co-
pahu, ni du poivre cubèbe administrés à haute dose. Je
note ici ce cas d’infidélité de la part de ces remèdes,
qui d'ordinaire réussissent si bien. Le malade était fa-
tigué des médicaments ; je l’envoyai à l’'Hospice général,
aux soins de notre confrère, qui, sans doute, aura été
plus heureux dans le traitement de cette affection bien
légère, ainsi que chacun sait, mais parfois aussi impor-
tune pour le médecin que pour le malade.
Parmi cinq rhumatismes, un fixé sur le nerf sciatique
fut envoyé aux eaux de Bagnoles, qu'il prit avec succès.
(1) Clinique médicale de l'Hôtel-Dieu de Rouen, en 1824,
( 1839
Un autre était atteint d’un rhumatisme aigu fort dou-
loureux. Déjà pris, il y a deux ans, il avait été traité
par les saignées répétées ; il avait long-temps souffert,
et il fut plus de trois mois sans pouvoir reprendre le ser-
vice. Nous suivimes une autre marche; néanmoins les
douleurs ne se calmèrent qu'après vingt-huit à trente
jours, par les sueurs et les narcotiques. Il reprit son ser-
vice; après avoir séjourné près de trois mois à l'hôpital.
Les affections catarrhales simples et les pleurodinies
offrent trop peu d'intérêt pour trouver place ici. Leur
nombre s’éleva à quarante-neuf, qui guérirent avec une
grande facilité.
Les instructeurs et les musiciens des régiments sont
souvent affectés d'hémoptisies : sept cédèrent facilement
au silence, à la diète, aux boissons adoucissantes. Je
juge bien rarement utile de recourir à une médication
plus active, puisque celle-là me réussit constamment.
I m'eût été bien facile de grossir la liste des pneumo-
nies aux dépens des bronchites aiguës, car des nuances
souvent bien légères séparent ces deux aflections. Habi-
tués à une certaine sévérité dans le diagnostic, nous atten-
dons, pour nous prononcer, que la masse des signes ne
nous laisse aucune équivoque. Une crépitation douteuse
est par nous comptée pour rien, et un côté du thorax mal
résonnant sous la percussion ne nous suffit pas, dans la
conviction où nous sommes qu’un poumon peut passa-
gèrement être engoué par des causes bien variées, étran-
gères à la pneumonie et sans aucun danger. Les bron-
chites aiguës furent au nombre de vingt-trois, qui se
terminèrent heureusement.
Les pleurésies et les pleuro-pneumonies, au nombre
de quatorze , ne furent pas traitées avec moins de succès.
Tous ceux qui en furent atteints présentèrent au début
les symptômes les plus aigus. Voici le traitement qui
leur fut administré :
(134)
Cinq seulement furent saignés, un après le septième
jour, pour une pneumonie grave, compliquée d'hyper-
trophie du cœur, qui causa sans doute les accidents mul-
tipliés qui retardèrent la guérison jusqu’au trentième
jour. Il ne put reprendre son service que le cinquan-
ième.
Un deuxième fut saigné sans beaucoup de soulage-
ment ; l'élève n’avait obtenu que quatre onces de sang ;
un seul émétique fut donné. La guérison fut complète le
douzième jour.
J'en fis saigner au troisième jour un qui offrait la ma-
ladie dans toute son acuité : la nature du sang me con-
vainquit que j'aurais pu mieux faire. Îl eut une rechute,
et guérit par des sueurs abondantes précédées d'épis-
taxis : il séjourna vingt-huit jours.
Une saignée du bras avait peu soulagé un malade
violemment pris. Un émétique opéra mieux ; quinze
sangsues enlevèrent un point douloureux qui résistait, et
dès-lors la maladie suivit une marche douce et prompte
vers la guérison, qui eut lieu le septième jour.
Chez un cinquième, J'eus recours aux sangsues pour
une pleuro-pneumonie des plus aiguës ; des symptômes
alarmants de prostration suivirent ; la maladie fut grave,
des sangsues furent réappliquées à l’anus, le malade
guérit le dixième et sortit le quinzième jour.
Les neuf autres ne furent point saignés ; l’émétique ,
donné au début, ne fut chez aucun répété dans le cours
de la maladie. Le point douloureux, l'oppression , la
fièvre diminuaient par cette seule médication. Des sueurs
survenaient, des crachats mousseux étaient rendus et
terminaient tout de la manière la plus douce et la plus
heureuse.
Chacun comprendra que les succès que nous avons
obtenus sur la totalité de nos malades furent singulière-
ment secondés par la position particulière où ils se trou-
(12359
vaient. C’est à des résultats de même nature qu'il les
faut comparer pour les bien juger. Il ne serait pas pos-
sible d'établir aucun parallèle entre la médecine faite sur
des hommes choisis de vingt à trente ans, et celle qui
opère sur des malades civils, hommes et femmes, épui-
sés par l’âge, le travail ou les infirmités.
La mortalité fut d’un sur vingi-neuf pour la masse.
Pendant le premier semestre, il en mourut quatre sur
cent cinquante - sept, ce qui fait un sur trente-neuf;
tandis que , dans le second , il en périt dix sur deux cent
quarante-six, où un sur vingt-cinq (1).
Le succès le plus frappant que nous ayons obtenu est
sans contredit celui des pneumonies , car sur quatorze
il n’en périt aucune. On peut, d’après les faits cités,
juger la méthode qui fut suivie , et combien je crus de-
voir être sobre de saignées dans une affection qui passe
pour la réclamer si impérieusement. L'âge et la force
des sujets, loin d’être ici une chance favorable , semblent
produire un effet tout contraire. Si nous agissons ainsi
sur des militaires dans la force de lâge , que doit- ce
être pour le civil? Aussi, bien rarement chez eux je fais
(1) La mortalité dans les hôpitaux varie suivant l'état physique et
moral de ceux qu’on y traite. Autre est une ville florissante et dont la
population est heureuse, et celle dont l’industrie souffre et ne permet
pas à une partie de ses habitants de pourvoir à ses premiers besoins. Le
manque de travail, la cherté du pain, plus encore que les maladies an-
nuelles, grossissent le nécrologe d’un hôpital civil.
Les variations sont bien autrement sensibles dans un hôpital militaire.
En temps de paix, la mortalité est généralement peu considérable ; mais
viennent des bruits de guerre, des recrues nombreuses , elle augmente ra-
pidement. Que la fatigue, les privations , la nostalgie s’en mèlent, il n’y
aura plus de rapprochement possible. Survienne enfin une maladie épidé-—
mique, comme la dysenterie, la fièvre jaune, le typhus, le choléra, au lieu
de perdre un malade sur trente , le médecin le plus expérimenté se trou-
vera heureux d'en sauver dix sur vingt.
(136)
ouvrir la veine , et cependant les pneumonies n'y man-
quent pas : de nombreux témoins peuvent affirmer les
succès qu’on obtient par une méthode bien différente.
Ce n'est pas d'aujourd'hui qu'il en est ainsi à l'Hôtel-
Dieu de Rouen; M. Laennec, qui a rendu de si
grands services à la science sur cette partie, convient,
d'après les observations que j'adressai à l’Académie
royale de médecine, en 1825, qu'à l'Hôtel-Dieu de
Rouen, il en périt un sur neuf, tandis qu'ailleurs la
mortalité est d'un sur six. J’ai quelques raisons de croire
que les relevés des dernières années sont encore plus
satisfaisants.
M. Laennec, dans son bel ouvrage sur l’ausculta-
tion (x), en avouant les avantages de notre méthode,
n'avait pas bien présents les faits sur lesquels il jugeait ;
il n'eût pas dit qu'elle était fatigante pour les malades.
Les élèves et les jeunes confrères qui fréquemment as-
sistent à nos visites, peuvent attester que s’il en est peu
d’aussi heureuses, il n’en est point de plus douce.
Si ces faits ne résultaient que de l'observation du
moment, on pourrait admettre l'existence d’une de ces
constitutions particulières qui donnent aux maladies
une physionomie propre et insolite. Je ne puis admettre
celte supposition. Depuis dix ans, je vois les mêmes
moyens suivis des mêmes résultats ; où Lepecq a-t-il
puisé les faits si beaux, si concluants de ces pneumonies
que la saignée exaspérait, et qui cédaient comme par
enchantement à de doux évacuants convenablement ad-
ministrés ?
Si nous remontons un peu plus haut, nous pourrons
nous convaincre qu'ailleurs qu’à Rouen ce mode de faire
a été suivi avec succès. A-t-on perdu le souvenir de ce
(1) LAENNEC, Auscultation médiate, 2e édition, tome 11,
(137)
doyen de Caen, qui eut à soutenir, en 1682, un procès
contre la faculté qu'il présidait, pour avoir osé guérir
des pneumonies par l’émétique et les purgatifs, moyens
alors solennellement condamnés.
Stoll, à Vienne, dut une grande partie de sa gloire à
l'emploi des moyens qui, quinze ans auparavant, réus-
sirent si bien à M. Le Pecq. Et, il y a près de deux cents
ans, Lazare Rivière, par ses écrits et sa pratique,
n’avait-il pas signalé les mêmes faits à la faculté de
Montpellier ?
Je sais que la médecine doit varier suivant les temps
et les lieux ; je ne pense pas que ce mode d'agir qui
réussit si bien ici, soit partout également bon, je n’ose-
rais même affirmer qu'il conviendra toujours; mais je
suis Convaincu que notre ville, par sa position, ses
vents, ses eaux, les mœurs de ses habitants, a un climat
propre, dont l'influence est tellement puissante, qu’elle
modifie en peu de temps la constitution de ceux qui y
viennent séjourner, et imprime aux maladies même
les plus aiguës en apparence, un caractère catarrhal et
bilieux qui peut bien offrir des nuances, mais qui règne
trop généralement pour qu'on n’y porte pas dans le trai-
tement une atténtion toute spéciale (1).
J'ai dit quelques mots sur plusieurs des moyens cura-
tifs dont je fais un fréquent usage. Je n’entrerai point dans
un détail qui serait ici fastidieux. La plupart des médica-
tions que j'emploie sont d'une extrême simplicité. Ce
n'est point dans l'asile du pauvre que lon doit sacrifier
(1) Romæ seribimus et in aere romano, quod ideo monemus, ne in-
sulsus aliquis, cujus nomen tacemus, si contraria in suà patrià aquilonari
experiatur, insulsè denuo irascatur in sequaces Hippocratis. Sancte fateor
ferè centiès hujus modi veritatem expertus sum Romæ in ægrotantibus ;
et sæpe cum magno animi mærore quando medicos in contrariam ire
sententiam observabam. ( Baglivi opera, t.1.)
18
( 138 )
au luxe ou au caprice de la mode; des besoins plus réels
sont là qui*réclament ce qu'ailleurs on peut accor-
der pour flatter le goût ou capter l'imagination. Nous
ignorons ces remèdes rares et compliqués dont l’action
ne saurait être expliquée par ceux mêmes qui les em-
ploient. Jamais nous n'avons attaché de prix au nom-
bre ni à l'élégance de nos formules; nous allons droit
au but. La matière médicale est bien riche pour celui qui
la sait employer. Le formulaire que j'ai tracé pour l'hô-
pital est tellement simple , que je crois qu'il serait pos-
sible de le graver sur une carte. Je n’y fais que de bien
rares additions, et si parfois je tente l’essai d'une subs-
tance nouvelle, c’est avec une réserve qu’on pourrait
ailleurs appeler de la timidité, mais qui, du moins, ne
m'expose à aucuns regrets. C’est surtout à l'Hôtel-Dicu
de Rouen qu'on ignore les expériments dangereux; la
vie de nos semblables m'a toujours été d’un trop haut
prix pour la compromettre dans la moindre tentative ha-
sardeuse. Depuis le sulfate de kinine, découverte dont
le premier je crois à Rouen avoir constaté l'efficacité,
bien peu de médicaments nouveaux m'ont paru dignes
d'être usuellement conservés. L'aconit, la thridace , la
salicine , les derniers dont j'ai fait l'emploi, m'ont paru
infidèles ou dangereux. Soumis au creuset de l'expérience,
ils n’ont pas mérité à mes yeux les éloges qu’on leur pro-
diguait.
Sans prétendre infirmer en rien le mérite ou l'exacti-
tude des observations de praticiens recommandables, je
n'ai point encore denné l’émétique à haute dose dans la
pneumonie, parce que je crois qu'on peut obtenir des suc-
cès par des voies plus douces et plus sûres. Jamais notre
budjet ne s’est enflé d’une profusion de sangsues, dont Pu-
tilité ne m'a point été assez démontrée pour en imposer
aux malades le tourment et le danger; mais nous nous
attachons surtout à pénétrer nos élèves des ressources in-
( #39 )
finies de la nature, sans chercher à les séduire par un vain
appareil de médicaments qui les exposerait plus tard à
de tristes déceptions.
Quel que soit le mode de traitement que nous adop-
tions, nous ne perdons jamais de vue qu'au-dessus de
tous nos moyens il existe une force médicatrice toujours
présente , toujours agissante, dont les efforts ne deman-
dent qu’à être secondés, que le médecin doit suivre et
connaître , que le plus habile est son plus digne inter-
prête, et qu'il ne doit jamais compter sur plus de succès
que lorsqu'il la laisse agir en toute liberté.
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CLASSE
DES BELLES-LETTRES ET ARTS.
RAPPORT
Fair par M. N. BicNoN, Secrétaire perpétuel.
Messieurs ,
Ce serait peut-être un tableau de quelque intérêt pour
le public que l'exposé des produits littéraires de la der-
nière moitié du 18° siècle, comparés à ceux qui signa-
lent le 19°, malgré les perturbations politiques de toute
espèce et l’entraînement des esprits vers les spéculations
lucratives de toutes les industries. Ce pourrait être, en
même temps, une solide réponse au dénigrement de ces
pessimistes de profession qui s'obstinent encore à nous
faire accroire que, depuis quarante ans, l'instruction de
la jeunesse a été sans résultat , offusqués sans doute par
l'éclat de la lumière dont l’âge viril actuel les en-
vironne.
Non, Messieurs, non, malgré le système rétrograde oc-
culte constamment suivi depuis le commencement du siè-
cle , surtout dans le personnel de la partie administrative,
l'instruction publique a porté son fruit par la seule force
des choses ; dans aucun temps, le professorat n’a compté
plus d'hommes d’un vrai talent ; et, si l’on excepte quel-
Cr#2)
ques vieilles pratiques routinières et celte prétendue phi-
Josophie scolastique qui, sous un nom pompeux, occupe
le temps le plus précieux de la jeunesse d’une métaphy-
sique abstruse, aux dépens de la théorie des idées et du
raisonnement, la seule métaphysique intelligible et profi-
table, jamais encore l'instruction publique en France
n'offrit ni autant d’élendue ni autant de variété dans ses
éléments, pour la composition d’un bon système appro-
prié aux besoins de la société actuelle, La preuve en est
sensible dans la jeunesse studieuse sortie nouvellement de
nos colléges , et qui prend soin de cultiver les semences
qu'on lui a confiées; oni, Messieurs, et (que l’on veuille
bien nous pardonner cette franchise, qui n’est que l’ex-
pression d'une ancienne et habituelle sympathie) pour
être quelquefois admirables par l'étendue de leurs con-
naissances, peut-être ne manquerait-il à nos jeunes gens
que d’avoir souvent un peu moins de ce ton dogmatique
et tranchant qui fait repousser la vérité même, et un peu
plus de ces aimables déférences qui donnent tant de
charme au savoir.
Mais, Messieurs, ce ne peut être ici que le pro-
gramme, en quelque sorte, d’une siatistique comparative
à faire, qui demanderait un autre temps et une autre
plume.
— L'ouverture des travaux de cette année s’est faite sous.
la direction de M. Houel; nommé subitement à la prési-
dence du tribunal civil de Louviers, il n’a eu que le temps
de faire à la compagnie un adieu verbal plein d’expres-
sions affectueuses qui ont encore augmenté les regrets
de son éloignement. M. Blanche, qui lui a succédé dans.
la même séance, s’est rendu l'organe de l’assemblée, en
adressant à M. Houel des remercîments sur la manière
distinguée dont il avait supplééle président durant pres-
que toute l’année dernière ; et il a saisi un motif de con-
(143)
solation pour toute la compagnie dans cet espoir que la
ville pourrait reconquérir un jour, pour sa magistrature,
un talent indigène qui laisse d’honorables souvenirs dans
notre barreau.
= L'Académie a reçu, cette année, pour orner sa bi-
bliothèque et l'éclairer elle-même dans ses travaux :
De M. le Préfet du département, vingt-quatre volumes
des Classiques latins, faisant suite à la collection des en-
vois précédents du même ouvrage ;
De M. le Maire de la ville, le catalogue de la Biblio-
thèque publique (partie des Belles-Lettres), par M. Théo-
dore Licquet, conservateur ;
De M. Tougard, avocat à la Cour royale, une Adresse
aux deux chambres législatives, sur la peine de mort, et
une pétition aux mêmes, sur le droit électoral;
De M. Sellon, membre du souverain conseil de
Genève, un programme de prix, sur les moyens d'assu-
rer la paix générale, et sur le vœu à exprimer au futur
congrès ;
De la Société d'enseignement mutuel à Rouen, le
procès-verbal de sa Séance publique, en 1830, et des
progrès dûs au zèle et aux sacrifices d’une administration
toute bienveillante ;
De la Société royale des Antiquaires de France, le Pré-
cis d'une notice sur ses travaux, par M. Sébastien Bottin ;
De la Société de géographie de France, les n°° 93 et
94 de son 15 volume ;
De M. Auguste Asselin, de Cherbourg, une Notice sur
la découverte des restes d’une habitation romaine dans
la mielle de cette ville, et sur quelques antiquités trouvées
entre Cherbourg et Valognes ;
De M. F. C.…, une Biographie d'Abbeville et de ses
ænvirons ;
De la Société des antiquaires du Nord, à Copenhague,
(144)
un rapport très détaillé fait au roi de Danemark, par
M. le chevalier d'Adamson, le 31 mai 1830, et qui cons-
tate l'existence, à cette époque, de 2,824 écoles d’ensei-
gaement mutuel dans ces petits états, où la méthode n’a
commencé à s'établir qu’en 1822 ; ce qui prouverait assez
‘peut-être que le bon sens et la lumière de l’esprit ne
sont pas en raison directe de la proximité du soleil.
= Organe d’une commission nommée pour les poésies
de M. Edmond du Petit-Bois, M. Duputel, dans un préli-
minaire , a jugé notre siècle bien propre à fournir des su-
jets de tragédies à la postérité, mais très peu poétique
pour l’âge présent. Il a entendu les cris des factions, le
retentissement ce la chute des empires, précurseur du
bouleversement de la vieille Europe! Aussi fait-on bien
peu de vers aujourd'hui, dit notre confrère; et, venant
ensuite à ceux de M. du Petit-Bois, qu'il soupçonne
être encore fort jeune , n'ayant point dans son style un
genre déterminé, la Mort de Landais, par la chaleur
d'expression et les vérités de sentiment, lui a paru digne
de plaire en tout temps et en tout pays; il a signalé des
beautés et des défauts dans la ballade et dans l’ode, quel-
quefois un peu tachetée de romantique.
Ici, Messieurs, nous devons faire une remarque essen-
tielle pour la statistique de l’Académie ; c’est que, depuis
plusieurs années, nous n’entendons plus que le nom de
ce phénomène littéraire, de cette école vaporeuse pré-
chée naguères parmi nous avec tant de chaleur, qui de-
vait envahir tous les genres, pour laquelle 7/ n’y avait pas
assez de presses, et qui paraît destinée à s’abîmer au milieu
des farces théâtrales ; à moins, toutefois, que , pour con-
server au système ce qu'il peut avoir d’applicable à l’état
actuel de la civilisation française, ses coryphées, guéris
d’un enthousiasme irréfléchi, ne rentrent dans les limites
de la raison et du vrai goût, si légèrement sacrifiés à
C145)
cette bizarre fantaisie, qui ferme peut-être la voie de
lPimmortalité à quelques-uns de leurs ouvrages.
= La Revue normande, ouvrage périodique annuel de
M. de Caumont, professeur à Caen, a pour but, suivant
M. 4. Le Prevost, d'affranchir les provinces du monopole
des réputations, que la capitale continue à s’arroger en
fait de sciences, de littérature et d’arts ; et le moyen choisi
par l’auteur pour l'émancipation des talents de toute
espèce, c’est d'offrir, dans sa revue, un centre de renom-
mée à tous les produits intellectuels des cinq départe-
ments formés de l’ancienne Normandie, et de les publier
par la voie de la presse, dans un recueil indépendant des
coteries parisiennes. L'analyse de notre confrère, pour
le recueil de cette année, est bien capable d’inspirer la
confiance , et la manière dont il s’est exprimé sur les ta-
lents et la personne du rédacteur, offre encore une nou-
velle garantie.
= Un Cours d'antiquités monumentales, professé gratui-
tement par le même M. de Caumont, et dans la même
ville, a corroboré, sur le rapport de M. Deville, l'opinion
avantageuse de M. Le Prevost. Ce cours, qui contient
cette année l'ère celtique avec son atlas, doit embrasser
la domination romaine etle moyen âge, pour se termi-
ner avec l'époque de la renaissance. Notre confrère à fait
sentir, en connaissance de cause, l’importance, en géné-
ral, d’une tâche aussi vaste et aussi remplie de difficultés;
combien, en particulier, il a fallu de sagacité pour percer
les épaisses ténèbres de cette première partie, et de cons-
cience, en même temps, pour se défendre de la manie
trop ordinaire des systèmes sur l'histoire monumentale
d’un peuple qui n’écrivait pas. Cependant les éloges n'ont
pas été sans restriction : notre confrère, qui lui-même a
procuré quelques renseignements à M. de Caumont, au-
19
(146)
rait désiré plus d’étendue dans la section touchant les
médailles.
= L'Examen de l'Essai historique, géographique et statisti-
que sur le royaume des Pays-Bas, par MM. Balbi et de
la Roquette, a offert à M. Ballin des résultats de recher-
ches nombreuses, sinon toujours exacts, du moins ap-
prochant aussi près que possible de la vérité; mais il
aurait désiré que la précipitation de ce travail de circons-
tance eût permis d'établir une ligne de démarcation fixe
entre le territoire des Belges et celui des Hollandais,
quoiqu'il paraisse difficile de réunir plus de documents
utiles dans un tableau d’aussi peu d’étendue ; et notre
confrère a saisi l’occasion d'offrir un tableau du même
genre, inventé et publié par lui-même à Paris, il y a plus
de trente ans, lorsqu'il n’était âgé que de treize. C’est le
Tableau des principes de la langue française, que Boiste,
son imprimeur, a mis en tête du dictionnaire de ce nom,
malgré deux condamnations judiciaires avec dépens et
indemnité envers le jeune auteur. Et voilà comme on fait
tous les jours, avec plus ou moins d'adresse, des gram-
maires et d’autres livres, etc.
MEMBRES CORRESPONDANYTS.
= La Compagnie a entendu avec tout l'intérêt des bons
souvenirs la lecture du discours prononcé par M. #ouel,
lors de son installation à la présidence du tribunal civil
de Louviers.
= L'Opinion de M. Boucher de Perthes sur le système
prohibitif des douanes, est un dialogue assez piquant dans
la forme , suivant M. Deville ; mais, quant au fonds, « j'en
« appelle, dit notre confrère, au jugement de tous les
« économistes, même des plus hardis: tous ont reculé de-
ee nie anne à
(147 )
« vant l'application des systèmes absolus ; et ce n'est ja-
« mais que par voie d'amélioration qu'ils ont procédé en
« pareille matière... »
= Le Banquet d'Esther, par M. Charles Malo, seraitun
succès, dit encore M. Deville, si l'on pouvait oublier le
sujet, les pensées et Les vers de Racine. Les artistes, con-
tinue-til, et les poètes qui, chezles Grecs, remportèrent
le prix pour avoir corrigé les ouvrages des autres,
s'étaient bien gardés de s'attaquer aux statues de Phidias
et aux tragédies de Sophocle.
= Les Chants armorirains de M. Boucher de Perthes,
sont un ouvrage composé d'odes et de récits ossianiques.
D’après le rapport de M. Magnier, la nature des sujets
de poésie étrangers à nos habitudes et à nos mœurs
offre de grandes difficultés à l'intelligence du texte. Mais
il a trouvé un puissant auxiliaire dans les notes, qu'il juge
très bien faites, et la partie pour nous la plus intéres-
sante de l'ouvrage. Il regrette que, renonçant à la lyre,
l’auteur n'ait pas adopté la forme des récits poétiques...
Cependant il a remarqué de beaux vers, imagination,
poésie de style, sentiments élevés, etc.; mais, pour les
récits ossianiques, M. le rapporteur avoue qu'il n'a ja-
mais pu se faire à ce ton forcé, à ce langage semi-barbare,
et il ne conçoit pas non plus comment un jeune homme
guéri par deux beaux yeux d’une antipathie innée pour
Pamour, peut se donner la mort au festin même de la
noce, sans être tenté d'attendre un peu plus tard.
= On doit encore à M. Boucher de Perthes un re-
cueil de romances, légendes et ballades, qui fournissent
une des preuves de la flexibilité d’un esprit cultivé dans
tous les genres de littérature.
= Dans un compte rendu de six opuscules religieux
(148 )
de M. l'abbé La Bouderie, M. l'abbé Gossier a reconnu le
talent d’un écrivain rempli de connaissances utiles, tou-
jours parfaitement en harmonie, dans les productions de
sa plume, avec les devoirs de son état, et heureux du
succès de ses ouvrages, si les utopies pouvaient rendre les
bommes parfaits. « Il est beau, dit M. Gossier, de voir la
« politique et la religion marcher ensemble en temps de
« calme, mais je ne suis pas surpris que quelques per-
« sonnes instruites et bien intentionnées aient pensé
« qu'aux approches de l'orage ce sont deux vaisseaux
« qui, pour éviter le choc, doivent se séparer, au risque
« d'être privés, au besoin, d’un secours mutuel. »
= Dans un rapport sur l’Apologie pour Henri VIT, roi
de la Grande-Bretagne, M. Lévy convient avec l’auteur,
M. Spencer Smith, que les mérites de Henri l'emportent
sur ses démérites ; mais l’apologiste lui paraît bien au-
dessous des autres historiens, sur la partie louable de ce
règne, et beaucoup trop indulgent à l'égard d’une insa-
tiable avarice et des crimes qu’elle a fait commettre.
M. Lévy n'admet pas que le monarque ait été taxé par
les bons historiens d’un caractère farouche et sangui-
paire, ni qu'il ait accordé à Perkins un seul des trois
pardons dont l’apologiste lui fait honneur ; il n’admet pas
non plus que les vices de Henri VIT aient été ceux de
son siècle; c'étaient les siens, dit M. Lévy, et ses vertus,
celles d’un siècle sortant de la barbarie. Quant aux droits
à la couronne, abstraction faite de la conquête, notre
confrère n’a vu nulle part qu’on ait reproché au monarque
breton de s'être appuyé de ceux de la maison d’York,
mais bien de n'avoir pas eu la bonne politique de se fon-
der sur son droit, joint à celui de son épouse.
= L'Académie a reçu de M. Berger de Xivrey:
1° Un prospectus, avec le 1° chapitre, en grec, d’une
(149 )
nouvelle édition, par N. D. Manos, de la Géographie de
Ptolémée d Alexandrie;
2° Les Pastorales de Longus, édition complète, dont la
conquête a coûté tant de peines et de traverses à l’infor-
tuné Paul-Louis Courrier, avec une édition latine du
même auteur, par M. Louis de Sinner ;
3° Quatre pièces de vers latins, grecs et allemands, à la
louange de ce dernier, par ses amis;
4° Le Prospectus d’une édition nouvelle, suivant Por-
dre alphabétique, du Trésor de la langue grecque, d'Henri
Estienne, publiée par MM. Hase, de Sinner et Fix;
5° Un travail manuscrit de M. Berger lui-même, sur
celte immense entreprise, et destiné à l'impression par
l'académie. (J’ide infrà.)
= Une méditation d’une philosophie religieuse sur les
Cimetières, par M. de Bonardi, rappelle l'homme à son
origine et à sa fin dernière, en distinguant dans son être
la partie matérielle, qui se dissout pour entrer dans la
composition d’autres corps, et la partie spirituelle, qui
émane de Dieu, se réunit à lui, et, comme la divinité
même, co-existe à la nature entière sans occuper un
point dans l’espace. De là l’auteur prend occasion de
nous appeler sur la tombe des personnes dont la mémoire
nous est chère, pour y recevoir leurs inspirations, et nous
élancer par la pensée hors d’une vie souvent misérable ,
vers l’éternelle durée du bonheur infini... Conseil assuré-
ment bien salutaire! mais, puisque les ames co-existe-
raient à toute la nature, sans aller dans le domaine de la
mort pour interroger les mânes, que de vertus de plus,
que de bassesses et d’atrocités de moins, si quelquefois
seulement l’orgueilleuse misère humaine songeait sérieu-
sement au bras de fer de l’inévitable nécessité qui nous
y pousse.
= Un ouvrage qui peut donner l’idée de quelque re-
(150)
mède à un grand mal que l’on cherche à guérir dans notre
état social en France, c’est l'Histoire des Colonies pénales
de l'Angleterre, dans l Australie, par M. Ernest de Blosse-
ville, conseiller de préfecture au département de Seine-
et-Oise. Cet ouvrage, mis au rapport de M. Duputel, à été
renvoyé à l’année prochaine.
Il en a été de même pour les recueils de la Société
de l'Eure et de celle de Nantes, dont plusieurs membres
sont chargés de rendre compte.
= Malgré l'usage de ne mentionner dans le précis an-
nuel que les ouvrages reçus durant la tenue des séances,
nous croyons devoir donner à M. Albert Montemont
acte de l’envoi d'une ode de circonstance , qui nous est
parvenue depuis l'ouverture des vacances, sous le titre de
la Nymphe de la Vistule aux Français , et portant la date
du 29 août 1831. C’est, dans la crise actuelle, une œuvre
de courage qui n’a pu être inspirée que par un louable
sentiment d'humanité.
NIEMBRES RÉSIDANTS.
= Un compte très détaillé rendu par M. Ba/lin sur le
bon ordre qu'il a su établir dans la bibliothèque et les
archives de la Compagnie, malgré l'exigence de ses fonc-
tions civiles, a mérité à l’auteur des témoignages de satis-
faction.
= M. Periaux père, auteur du Tableau bibliographique
de tous nos mémoires depuis 1744, persistant à faire le
service actif dans la vétérance, a reçu des remerciments
bien mérités pour l'offrande de 300 cartes contenant le
dépouillement du précis de 1830, faisant suite à son im-
mense travail.
= M. l'abbé Gossier a fait don d’un buste très ressem-
Ci51)
blant, exécuté par ses soins et à ses frais, de notre con-
frère M. Brunel, ingénieur du tunnel sous la Tamise.
L'Académie a reçu l’offrande comme un monument de
famille consacré par l'amitié à la mémoire du génie.
= M. Magnier, comme récipiendaire, est venu se
marquer une place distinguée dans nos rangs, par un
discours sur la cause du peu de popularité de notre
poésie.
= M. Paumier, au même titre, a signalé son entrée en
traitant des rapports entre la religion et les sciences, et
des services mutuels qu'elles se sont rendus.
(Ces deux discours sont imprimés à la suite.)
= L’Analyse critique et littéraire de l’Enéide, publiée en
deux volumes, par M. Magnier, a été l'objet d'un rapport
par M. Licquet. Ce rapport présente la manière d’expli-
quer les morceaux de détail, l'examen de l’ensemble du
poème, et desremarques sur l'intelligence du texte.
Sur la 1€ partie, M. Licquet félicite l’auteur d’avoir
fait une habile et heureuse application de la méthode du
savant Rollin, imitée, dit-il, par M. Jacotot, peut-être
avec trop de hardiesse, etc.
Sur les éléments et la conduite du poème, M.Magnier re-
marque un certain nombre de personnages éphémères, des
rôles mal soutenus, trop d'épisodes aux dépens de l’action,
et un héros qui palit au milieu de cette brillante marque-
terie de tableaux divers, dont chacun ne peut toutefois se
lire sans beaucoup de plaisir; mais, à la fin du poème,
M. Magnier pense que l'esprit est moins satisfait de l’en-
semble qu'après la lecture de lIliade ou de la Jérusalem
délivrée; et laraison, c’est que le but principal de
l'Enéide lui paraît être dans les idées du poète plutôt que
dans celles du héros, qui ne connaît sa mission que vers
le milieu de l'Epopée...... Néanmoins l’auteur reconnaît
C 254 7
ici, dans le but principal du poème, un objet d’un grand
intérêt pour les latins, mais seulement pour ceux de l’é-
poque et de la contrée. À
Quant à l'intelligence du texte, M. le rapporteur fait
observer en particulier deux corrections qu'il juge très
importantes; M. Magnier entend par le dona ferentes, de
Laocoon, des présents faits aux dieux ; et par le pauci
lœta arva tenemus du 6° livre, le petit nombre des ames
purifiées destinées à rentrer dans l’ame universelle. « Au
« reste, conclut M. Licquet, M. Magnier a voulu mon-
« trer que ces passages étaient mal entendus, et il me
« semble qu'il a parfaitement réussi. J'ai rappelé au
« commencement de ce rapport le vœu émis par M. Ma-
« gnier qu'une analyse raisonnée accompagne toujours
« l’explication des auteurs; j'en formerai un autre en
« terminant, c’est que tous les professeurs puissent s’ac-
« quitter de ce devoir avec le talent, la conscience et
« Pérudition de M. Magnier.
= Une question grammaticale, bien au-dessous du tra-
vail précédent par l'importance, mais qui s’en rap-
proche par le genre, c’est de savoir s’il est correct
d'écrire : les difficultés que j’ai eues à vaincre, autrement
le participe passif eu doit-il être variable ou non? Dans
une discussion verbale sur la valeur et les rapports des
mots français, comparés aux locutions analogues de plu-
sieurs langues mortes et vivantes , M. Bignon s’est déclaré
pour l’affirmative, comme applicationexacte et nécessaire
de la règle générale.
M. Lévy a attaqué cette décision, verbalement d’abord ;
ensuite il a composé un mémoire très étendu sur la ma-
tière, dans lequel il a cherché à réfuter son confrère et à
établir le système opposé. Cependant , au moyen d’une
distinction délicate dans le sens de la phrase, d’après la
grammaire de M. Boniface, il a conclu que le participe
{ 153%
peut être ‘variable ou non, suivant la qualité ou l’état du
sujet de la proposition.
MM. Gossier et Adam ont aussi, chacun dans un mé-
moire, fourni de grands développements sur la théorie
des participes français, et conclu en faveur de la variabi-
lité dans l’état de la question. Mais, malgré tout l'intérêt
que pourrait présenter l'analyse de la proposition qui
distingue le premier, et les remarques du second sur nos
verbes comparés à ceux des Anglais, c'est si peu de
chose pour certaines gens que l'orthographe d’une langue
universelle que toute la civilisation du monde se pique
d'apprendre à parler correctement! Et l’on nous saura
gré peut-être de supprimer des détails qui rappelleraient
des hommes instruits aux éléments d'une science que
chacun sait ou croit savoir. Ce n’est guère qu'au pre-
mier âge que l’orthopédie est applicable ; l’âge mûr a
pris et veut garder son pli: c’est toujours là que nous en
sommes.
= Toujours empressé d'enrichir le présent des con-
quêtes qu'il fait, pour notre histoire locale, dans les ar-
chives des siècles passés, M. Deville a lu un mémoire sur
l'étendue de la partie du territoire neustrien concédée
à Rollon par le traité de St.-Clair-sur-Epte, en 911.
D'abord, sur la garantie de Flodoard, l’auteur met la
Bretagne occupée par les Normands de la Loire hors de
la partie concédée aux Normands de la Seine ; il rejette
l'identité de limites entre la Normandie à l'époque du
traité, et la province qui en a été le résultat. Ne trouvant
point de traité écrit, et doutant même qu'il en ait jamais
existé un de cette nature, c'est à l’histoire contempo-
raine qu'il demande la solution du problème relatif à
l'étendue de la province moderne.
Ainsi, après avoir comparé et discuté les témoignages
de Flodoard et de Dudon de St.-Quentin, suivant, à
20
(154 )
lorient, le cours de la Bresle jusqu'à la ville d'Eu,
M. Deville trouve que , sur la rive droite de la Seine, la
Normandie de Rollon paraît avoir embrassé tout ce qui
appartenait, de ce côté, à la Haute-Normandie.
Passant ensuite sur la rive gauche du fleuve, d’après
l'autorité des chroniqueurs et des chartes, notre confrère
prend l'Eure pour sa ligne de démarcation, dont la ri-
vière d’Avre est le prolengement, à partir de son confluent
avec la première, embrassant ainsi Evreux et son terri-
toire dans la dépendance de Rollon. D'après d’autres au-
torités, tant anciennes que modernes, l’auteur est porté à
croire que la Normandie de Rollon, ainsi limitée à
l’orient , s'étendait , ici comme dans la première partie,
jusques à la mer, non compris d’abord les pays Bessin,
Avranchin et Cotentin, qui, avee le Maine et le terri-
toire de Caen , ne furent réunis qu'en 924 et en 933, par
des stipulations particulières. Ainsi se trouva complétée
la province de Normandie, telle qu’elle était de nos
jours.
— Lecture faite de ce mémoire, M. Théodore Licquet a
déclaré qu'un travail sur l’histoire de la Normandie, dont
il s'occupe, comprend le même sujet traité par M. De-
ville. La Compagnie a donné à M. Licquet, dans ses re-
gistres, acte de sa déclaration.
— M. Deville a joint à son mémoire une carte géogra-
phique, sur laquelle sont tracées les limites assignées à la
Normandie de Rollon.
= Dans des recherches curieuses sur l’ancien pont de
Rouen, M. Deville établit qu'il n’en existait pas en 885
; P
ni en 962. D'après une charte de Richard IE, il reconnaît
l'existence du premier pont en 1027, dans le voisinage de
Il ? 5
la rue Potart, probablement en bois, atteint du feu en
Cru)
1:35, consolidé par Geoffroy Plantagenet en 1145, et qui
fat remplacé, sous les auspices de Mathilde, épouse de ce
prince, par l’ancien pont de pierre, entre les années
2151 et 1167. C’est ce pont qui périt en 1564, et dont
les piles, tronquées avec tant d'efforts, semblent encore
en attendre un autre. (Ce mémoire est imprimé à la suite.)
Ainsi, Messieurs, d’après les documents authentiques
recueillis par notre laborieux confrère, tous les ponts de
Rouen, jusqu'au 19° siècle, ont été successivement dirigés
sur une ligne à peu près perpendiculaire au centre. Nous
serait-il permis de regretter qu'il ait fallu 800 ans pour
découvrir l'utilité d’une pointe d'’île, et pour imaginer la
position du nouveau pont à l'extrémité la moins commer-
çante de la ville?
= Une lettre de M. Deville à M. {lavoine, ingénieur de
la flèche actuellement en construction de notre cathé-
drale , sur l’ancienne flèche élevée par Robert Becquet,
offre des détails intéressants qu'il n’est permis de dédai-
gner qu'à l'ignorance superbe qui ne connaît pas le prix
de pareilles recherches pour les amateurs de notre histoire
locale. (Cette lettre se trouve imprimée à la suite.)
= Les bibliographes ne liront pas sans intérêt une no-
tice bibliographique de M. Duputel, sur une tragédie in-
titulée Tyr et Sidon, par Daniel Danchères, imprimée à
Paris en 1608, parodiée et augmentée par Jean de
Schelandre, etc. (Cette notice est également imprimée
à la suite.)
= On doit, en outre, à M. Duputel un petit souvenir
d’ancien fabuliste, dans un apologue fécond plus que ja-
mais, par le temps qui court, en applications de toute
espèce. Abstraction faite du mérite de la pièce, nous
avons dù regarder comme une bonne fortune, vu la pénu-
rie d'inspirations poétiques, d’être mis à portée de prou-
(1:56 )
ver que, du moins, on fait encore des vers dans cette
Académie, et d'interrompre la prescription d'un genre
agréable au milicu de tant d’affaires sérieuses :
ss cceee se GED ANMOTE LETL
Temperetrisu.... eee
LES DEUX LIVRES,
FABLE,
Sur les tablettes d’un libraire,
L'autre jour, un livre nouveau,
Fort médiocre au fond, mais d’un beau caractère,
Papier fin, grande marge et reliüre en veau,
Se trouvant à côté d’un excellent ouvrage
Dont l’habit, fait d’un ancien parchemin,
A tout le monde attestait l’âge,
D'an ton fier lui tint ce langage :
« Que fais-tu près de moi? Loin d'ici, vieux bouquin !
« En vérité, c’est bien ta place!
« N’est-elle pas chez l'épicier ?
« Ou, si l’on te garde par grâce,
À
Tu devrais te cacher du moins dans le grenier.
« Sous ton antique et sale couverture,
« Ne vas-tu pas t'imaginer
2
Qu'un amateur de toi se laissera tenter,
« Et surtout en voyant les filets, la dorure
« Dont on a pris soin de m’orner?....
« — Si le mérite est dans la reliûre,
« Sur moi, lui répond son voisin,
« Vous avez, j'en conviens, un puissant avantage,
« Mais, quand même il serait couvert en maroquin,
« Aux yeux des connaisseurs jamais un sot ouvrage
« N'en vaudra davantage ;
« Au lieu que, de celui qu'on appelle bouquin,
-
2
Ils offrent tous les jours une assez forte somme. »
(a5z )
Cette fable s'adresse à plus d’un parvenu
Qui paraît ignorer le proverbe connu :
Ce n’est pas l'habit qui fait l'homme.
Et je crois bien, sans contredit,
Que maint exalté romantique
Et maint imberbe politique
Pourraient également en faire leur profit.
= M. Hellis a jeté nn coup-d'œil d’amateur sur le ta-
bleau à l'honneur de Pierre Corneille, dont l’habile et
brillant pinceau de notre jeune compatriote , M. Court,
a décoré la salle de nos séances hebdomadaires; et il a
terminé par la proposition d'un témoignage de reconnais-
sance et de satisfaction envers un talent désintéressé qui
voit dans la gloire la plus belle récompense du génie.
L'Académie a senti toute la justesse de l'initiative, et a
arrêté que, dans la prochaine séance publique , il serait
décerné à M. Court une médaille d’or de la valeur de
600 francs, à l'effigie du Poussin.
Ainsi, Messieurs, si la littérature n’a pas répondu
cette année à votre appel, vous allez être bien dédommagés
par le grand intérêt que le génie des arts vient répandre
sur vos travaux.
Les lectures achevées, M. le Président a invité M. Court
à monter sur l’estrade ; et là, prenant affectueusement la
main du jeune artiste, en présence d’une assemblée nom-
breuse de ses concitoyens, qui le couvraient de leurs
regards avides de le connaître, M. Blanche lui a adressé
quelques phrases improvisées, mais empreintes du sen-
timent profond de la reconnaissance de la Compagnie et
du vif intérêt qu’elle attache, avec la ville entière , aux
progrès d’un si beau talent, toujours, malgré l'envie, su-
périeur à lui-même comme à sa croissante renommée.
(158 )
Cette courte allocution, pleine de chaleur et de verve,
terminée par la remise de la médaille, a été spontanément
suivie d’une décharge d’applaudissements extraordinaires
et de bravos répétés avec cet élan du cœur qui distingue
les vraies fêtes de famille. Macte animis, generose puer!.…..
AAA AAA AAA
PRIX PROPOSÉ POUR 1832.
L'Académie royale de Rouen propose, pour le con-
cours de 1832, le sujet suivant :
Quelle peut être l'influence de l'instruction des classes infe-
rieures sur le bonheur des nations et sur le perfectionnement
de l'espèce humaine.
Le prix sera une médaille d'or de la valeur de
300 francs.
Les auteurs mettront en tête de leur ouvrage une
devise, répétée sur un billet cacheté, dans lequel ils
feront connaître leur nom et leur demeure. Le billet
ne sera ouvert que dans le cas où l'ouvrage aurait
obtenu le prix.
Les Académiciens résidants sont seuls exclus du
concours.
Les ouvrages seront adressés, francs de port, à
M. N. BiGNON, Secrétaire perpétuel pour la classe des
Belles-Lettres et des Arts, rue Sénécaux, n° 55, avant
le x juin 1832, terme de rigueur.
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LE GRAND CORNEILLE
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MÉMOIRES
DONT L'ACADÉMIE À DÉLIBÉRÉ L'IMPRESSION EN
ENTIER DANS SES ACTES.
RÉFLEXIONS
SUR LE TABLEAU DEMANDÉ PAR L'ACADÉMIE A M. COURT,
Lues à l’Académie le Q août 1851,
Par M. Hezus, D.-M.
Messieurs ,
La gloire est la vie de l'artiste ; elle seule le dédom-
mage de ses peines et le soutient dans ses travaux. L’es-
poir d’un peu de renommée double ses forces, échauffe
son génie et lui fait enfanter des merveilies. Le jeune
compatriote à qui nous devons le plus bel ornement du
lieu de nos séances n’est point infidèle à cet adage. Il a
dignement répondu à votre appel, et vous avez pu vous
convaincre à loisir du charme et de l'éclat qu’il a su ré-
pandre sur une composition qui en paraissait si peu sus-
ceptible , lorsqu'on songe au lieu de la scène qui lui était
imposée, aux difficuliés qui naissaient, et de la forme
du costume et de la vérité obligée des personnages ; on
peut s'étonner que le peintre n'ait pas reculé devant tant
d'obstacles, et l’on est réduit à admirer avec quel bon-
heur il en a su triompher.
( x60 )
Les ouvrages de ce genre ne sont pas de ceux qui se
jugent au premier coup-d'œil ; il faut, pour les bien ap-
précier, se reporter aux temps et aux lieux, se rappeler
le caractère des personnages, s'identifier avec le peintre
dans ses études comme dans ses idées, sans quoi on
s’exposerail à critiquer ce qui est le plus digne d’éloges.
Jean-Jacques avoue avoir blâmé, comme inconvenante ,
une scène de Mahomet que plus tard il reconnut être
un chef-d'œuvre. Ceci, dit-il, doit nous rendre réservés
lorsqu'il s’agit de juger nos maîtres. Le Dominiquin,
persécuté par les partisans d’une école rivale , était telle-
ment écrasé que son nom était mis en oubli. Sa santé,
affaiblie par de continuels revers, ne lui permettait guère
de sortir de chez lui; on le croyait mort. Il eut la dou-
leur de voir ses plus beaux ouvrages devenir des objets
de mépris et de dérision. Son tableau de la Flagellation
était méconnu, sa Communion de Saint-Jérôme fut ar-
rachée de la place qu’elle occupait dans l’église San-Gi-
rolamo della Carità, et jetée dans un grenier, Les moines
de cette église, désirant avoir un nouveau tableau d’au-
tel, en chargèrent Poussin , et lui envoyèrent le tableau
du Dominiquin pour peindre dessus et lui éviter les frais
de la toile. Notre compatriote eut à peine regardé cette
œuvre du génie, que, frappé de ses rares beautés, il la
reporte dans l’église d’où elle avait été si indignement
arrachée , il en fait le sujet d’une leçon publique, et,
établissant un parallèle entre la Communion de Saint-
Jérôme, la Transfiguration de Raphaël et la Descente de
croix de Daniel Volterre, il fait ressortir tout ce qu'il y
avait d’admirable dans ces trois sublimes productions,
qu'il proclame les chefs-d'œuvre de l'Ecole romaine. Dès
ce moment, le Dominiquin fut rendu à la vie et à la
célébrité, et son nom prit la place qui lui appartenait
parmi les grands peintres de l'Italie,
Le tableau demandé par l'Académie à M, Court était
( 161 )
Corneille accueilli au théâtre par le grand Condé, après
une représentation de Cinna.
Le peintre a disposé son sujet de telle sorte que tout
s'explique à la première vue. Nous sommes au théâtre =
le parterre, l’amphithéâtre , les loges sont sous nos yeux.
Une image fidèle nous met à même de juger des dimen-
sions de la salle, de son architecture, de ses riches or-
nements. Ces objets, placés dans le lointain, se perdent
dans une teinte légèrement vaporeuse propre aux salles
de spectacle éclairées par un grand nombre de lumières
et garnies de spectateurs nombreux. Le premier plan
nous offre un côté de la scène: c’est là que se passe l’ac-
tion principale. Cette partie du tableau est fortement
éclairée par la rampe, par les candélabres qui décorent
les loges et par les foyers lumineux qu'il est d'usage de
placer sur les divers points de la scène, Suivant l'usage
du temps, Condé, ayant à ses côtés le prince de Conti,
assiste à la représentation sur le théâtre même, entouré
des notabilités de l’époque. Le prince vient d'apercevoir
le père de la tragédie française, arrivé tardivement et
cherchant sans doute une place du côté opposé ; il se
lève, va au-devant de lui, lui serre affectueusement la
main, et se dispose à l'embrasser, pour l’offrir ensuite aux
applaudissements d'un public encore tout ému de l'effet
d'une de ses plus sublimes productions.
Chacun peut juger avec quelle richesse de coloris ,
quelle vérité d'expression, quelle sévère observation des
convenances , ces divers objets sont rendus. On se de-
mande par quel artifice le peintre a pu, dans un espace
aussi retréci, réunir sans confusion tant de choses di-
verses et ajouter au motif principal des épisodes qui s'y
lient d'une manière tellement heureuse, qu'ils semblent
indispensables pour jeter du charme et de la variété sur
un sujet rebutant par sa froideur et sa monotonie, Là
où un talent médiocre n'eûùt vu que des obstacles, le
21
(162)
génie sait découvrir une source de beautés imprévues.
C'est le bloc informe dans les mains de Michel-Ange,
c'est le marbre s’animant sous les doigts de Canova.
L’ordonnance du tableau est telle, que l'esprit satisfait
n’en cherche point d’autre ; il semble que chacun eût
ainsi fait. Il en est de tout ce qui est simple et vrai
comme de ces vers de Racine, qui rendent si naturelle-
ment la pensée qu'on croirait ne pouvoir l’exprimer au-
trement.
On ne peut nier que le front de Corneille ne soit
d’une grand beauté; cet œil qui n’ose se lever, ces lèvres
sur lesquelles le contentement se trahit par un demi-
sourire, celte tenue un peu embarrassée plutôt qu'hum-
ble, me semblent ce qu'il y avait de plus convenable
quand on se reporte aux temps et aux événements du
jour.
La vieillesse du grand homme avait été affligée par des
revers qui l'avaient éloigné du lieu de ses triomphes, et,
dans cette ovation inattendue, il se trouvait en face et de
la gloire de Condé et de ce même public qui, par un
arrêt bien sévère, avait flétri les palmes que si long-
temps il s'était plu à lui décerner.
Le génie n’avait pas encore obtenu ses lettres de no-
blesse , et il y avait loin alors de l'humble poète au grand
seigneur qui le pensionnait et daignait l’admeitre à sa
table.
Peut-être pourrait-on désirer un peu moins de roideur
dans la pose du grand Condé et quelque chose de plus
gracieux dans sa physionomie. L'idée qu’on se fait d’un
grand homme le place en tout au-dessus du vulgaire. On
aime à retrouver dans les traits d’un héros l'empreinte
d’une belle ame, et je suis sûr qu’on eût aisément par-
donné au peintre s’il eût été moins scrupuleux. Je sais
que le vrai a toujours son prix. L'artiste a cru ne pas
pouvoir mentir à l’histoire, et si quelqu'un s’avisait de
(163)
Jai en faire un reproche sérieux, ne serait-il pas en droit
de demander à l'Académie par quelle fatalité, ne lui im-
posant que deux personnages à peindre, elle les avait
choisis d’une nature aussi rebelle ?
Un courtisan de Louis XIV trouverait le vainqueur
de Rocroy trop embelli, tandis que e’eût été rendre son
frère méconnaissable que de le représenter avec des for-
mes élégantes et une figure spirituelle.
Le peintre peut donner carrière à son imagination lors-
qu'il s’agit des Grecs et des Romains. Libre à lui d’em-
bellir Didon, Léonidas et Brutus; ils ne vivent, pour
nous , que dans leurs actions. Mais une pareille licence ne
saurait être accordée pour les hommes de notre pays,
dont les portraits sont vingt fois retracés sous nos yeux,
et qui, par les souvenirs de nos pères, sont presque des
contemporains. En agir autrement ne serait plus peindre
l'histoire, mais bien faire du roman.
Il était, dans l’exécution de ce tableau , une difficulté
dont il faut tenir compte , parce qu’elle était insurmon-
tables. Deux personnages vont au-devant lun de lautre ,
et sont prêts à s’embrasser ; ils doivent être vus à la fois
par le public qui assiste à la représentation, et par un
autre public pour lequel le tableau est fait. Il est impos-
sible, dans ce cas, d'éviter le profil, et deux profils en
regard au premier plan nuisent singulièrement à la grâce
et à l'expression. Corneille est un peu de trois quarts et
gagne à être vu de la sorte; Condé est absolument droit,
et ne pouvait être autrement. Ïl n’appartenait pas au
peintre de changer cette disposition, car elle entrait ri-
goureusement dans le programme.
Assez de figures nobles et gracieuses attestent le talent
du peintre dont le pinceau est libre. La figure de La Fon-
taine est pleine d'esprit et de vérité; le jeune page qu'il
interroge rappelle cette tête charmante qui inspire tant
d'intérêt dans le tableau de la Maternité du même
(164)
auteur ; et il me semble que l'image vivante du Poussin,
placée dans un tableau destiné à l'Académie, est une
attention délicate et une manière flatteuse de lui rappe-
ler une de ses plus belles illustrations.
Il est une partie du tableau qui n’a point essuyé de
critique et qui n'a trouvé que des admirateurs. C'est
cette loge charmante où se groupent si heureusement la
prude , la coquette et la bonne. Pourquoi cette compo-
sition a-t-elle de suite enlevé tous les suffrages? c'est
qu’elle est toute d'imagination; c’est que le peintre, libre
de son allure , a pu largement sacrifier aux grâces ; c’est
que cette scène ne lui était point imposée. Elle lui a,
certes, coûté bien moins d'efforts que celle qui se passe
plus bas et qui demande à être plus long-temps étudiée
pour être bien sentie.
Je ne m'étendrai point davantage sur le mérite d’une
composition qui, jusque dans ses moindres détails, at-
teste la main du maître. Mon but, en vous parlant de
l'ouvrage, est de rappeler aussi l’auteur à votre souvenir.
Absent de cette ville, il n’a pu jouir des éloges de cette
foule qui n'a cessé d’accourir pendant la trop courte
exposition de son tableau. L' n’a point encore triomphé :
sa modestie fortifiant ses doutes, peut-être craint-il ne
pas avoir atteint le but et mal saisi vos intentions. IL est
un jugement qu’il préfère à celui du public, qui se laisse
aisément entraîner et séduire : c’est celui des juges éclairés
et réfléchis ; c’est là surtout le suffrage qu'il ambitionne
et qu'il n’a point encore obtenu.
Je n'entre pas une fois dans la salle de nos séances,
que , frappé du bel effet de ce tableau, je ne reporte mes
idées sur les études qu'il a exigées, le temps qu'il a ré-
clamé; je pense ensuite au désir exprimé par l’Académie
de posséder un tableau de chevalet ou un portrait en
pied de Corneille. L'auteur me paraît avoir tellement
dépassé ce qu'on attendait de lui, qu'il n'existe plus
“ SD PT
=) Er re : ARR TOR 2 is De
( 165 )
aucune proportion entre ce qui était demandé et ce qui
a été offert. |
Les sentiments qui animent M. Court éloignent toute
idée d’une compensation possible; mais, Messieurs, il est
dans la mission de l'Académie d'encourager les arts, et si,
dans cette circonstance, elle doit s'avouer vaincue en gé-
nérosité, elle peut ne pas l'être en nobles procédés. IT lui
reste un moyen facile de rétablir la balance, en témoi-
gnant à l’auteur, d'une manière authentique et digne
d'elle , et l'estime qu’elle lui porte et la reconnaissance
qu'elle lui doit pour le beau tableau dont il l’a dotée.
C'est là, Messieurs, ce qui me détermine à proposer
qu'une médaille d’or soit publiquement décernée à
M. Court, comme témoignage de satisfaction.
( 166 }
AAA AAA AAA AAA A AAA AAA AAA A AAA AAA AAA AAA AAA AAA AAA ANA Sal
RECHERCHES
SUR L'ANCIEN PONT DE ROUEN,
Lues à la Séance du 10 décembre 1830,
Par M. A. Device.
Messieurs,
Malgré les recherches faites jusqu’à ce jour, il règne
encore beaucoup d’obscurité sur l’époque où il aurait
été établi un pont sur la Seine à Rouen pour la première
fois, sur l'âge que pouvait avoir notre ancien pont de
pierre, et sur le prince auquel on doit l’attribuer. Ces
questions ne sont pas sans intérêt pour l'histoire de cette
ville ; je me propose de les traiter.
Le savant annotateur du Roman de Rou dit, au sujet
du pont de Rouen: « Nous établirons ailleurs que ce
« pont, dont l’existence est constatée de la manière la
« plus authentique sous Richard IT, doit avoir été bâti
« avant l'invasion normande. » ( Roman de Rou, t, X°,
pag- 210.)
Notre confrère ayant depuis renoncé à lui accorder une
si haute antiquité, nous passerons de suile aux preuves
qui l’auront probablement engagé à modifier son opinion.
Un passage des Annales de Saint-Vast prouve qu’en
885 il n'existait point de pont à Rouen. En voici la
traduction :
« Année 885. Or donc au mois de juillet , le 8"e des ca-
« lendes d’août, les Normands entrèrent avec toutes leurs
« forces dans la ville de Rouen, Les Français les suivirent
(167 )
« jusqu’au même lieu; et, comme leur flotte n'était pas
« encore arrivée, ils passent la Seine avec les navires
« qu'ils avaient trouvés sur le fleuve (x) ».
Cette date est antérieure , il est vrai, à la prise de pos-
session de la Normandie par Rollon; mais, portons-nous
à la 19% année du règne de son petit-fils, de Richard Ier,
et nous verrons qu'à cette époque il n'existait point encore
de pont à Rouen. Thibaud /e Tricheur, comte de Chartres,
était venu attaquer cette ville par la rive gauche de la
Seine. N'ayant point de navires, il se trouva arrêté tout
court. Le duc Richard, qui en avait sur la rive oppo-
sée, traverse la rivière en face du quartier Saint-Sever,
marche à Thibaud et le met en fuite. Cet événement est
de 962, d’après Flodoard. Voici les paroles que Dudon
de Saint-Quentin, historien normand et contemporain,
met dans la bouche du duc Richard, à cette occasion:
« Quia altum Sequanæ pelagus nobis et illis obstaculum
« extat, navesque absunt illi, quibus transeat, nulla-
« tenüs nos bello lacessere temptat..… Nos verd quibus
« adsunt naves, ascitis principibus nostris ad illos trans-
« eamus. » (Scriptores normannicæ Historiæ , pag. 143. )
Je vais au-devant d’une objection qui pourrait m'être
faite. Robert Wace, dans son Roman de Rou, mentionne
un pont à Rouen, sous le même Richard [*, dès l’an-
née 946, lors du siège de cette ville par Othon et Louis
d'Outremer (2).
(1) Anno D ccc LxXxXV, mense itaque julio viti kal. augusti (Nor-
manni) Rotomagum civitatem ingressi cum omni exercitu ; Francique eos
usque in dictum locum insecuti sunt : et quia necdum corum naves ad-
venerant, cum navibus in Sequana repertis fluvium transeunt, (Recueil
des Historiens de France, t. viut, p. 84.)
(2) Vit par /i pont de Saine è venir à aler,
De verz Hermentreville è venir & passer.
( Vers 4112.)
Seingmors, dist li Roiz Otes, cil ki là dedenz sont
( :68 )
Mais qui ne sait que Robert Wace a suivi pas à pas,
dans sa chronique rimée , Dudon de St-Quentin et Guil-
laume de Jumiéges, abréviateur et copiste de ce dernier ?
Il n’a pas d’autres guides. Seulement, en sa qualité de
poète, il se permet de temps en temps quelques enjoli-
vements, comme il le fait ici en parlant d’un pont;
Dudon et Guillaume de Jumiéges, dont il répète les
termes pour le fond du récit, n’en parlent pas. Ce qui
prouve l'erreur, involontaire ou non, de Robert Wace,
c’est que, racontant plus loin, toujours d’après Dudon
son devancier, mais sans le dénaturer cette fois, l’attaque
de Thibaud Ze Tricheur, attaque postérieure de seize ans
à celle d’Othon et de Louis d'Outremer, il fait passer, au
même duc Richard, la rivière au même endroit, dans
des bateaux, faute de pont (1). Robert Wace aura peint,
la première fois, ce qu’il avait sous les yeux, sans s’inquié-
ter de la vérité historique, car il existait un pont à
Rouen de son temps; la seconde fois, il a suivi son guide
à la lettre.
Quoi qu'il en soit, au surplus, le témoignage de Robert
Wace, qui écrivait dans la seconde moitié du XII: siè-
cle (2), ne pourrait tenir contre celui de Dudon, histo-
Se desfendent de nos as semblanz ke il font;
Jà n’aront mal par nos ne destruit ne seront,
Se nos ne lor tollunz Saine de soz Li pont.
( Vers 4125.)
(1) Tot soef à sanz noise fist sa gent asemler,
Chalanz e eskéis kank’il en pout trover ;
Tote noit fit sez homs ultre Saine passer.
(Vers 47:8.)
(2) Si l’on en croyait l’auteur de la notice qui précède le Roman
de Rou, Robert Wace aurait terminé son poème en 1160. Il y a erreur
de dix années pour le moins : Wace dit, à la fin de la vie de Richard Ler :
Treiz reis Henris vi è cunui, LL
E cler lisans en lur tems fui,
(169 )
rien contémporain et témoin oculaire. Ainsi, il reste
constant qu’en 962, sous le duc Richard 1°, il n’y avait
point de pont à Rouen.
En 1002, Richard meurt (1); Richard II lui succède.
Ce duc, étant à Fécamp, lieu de sa résidence de prédi-
lection, fit, en 1025, un acte de donation en faveur de
l'abbaye de Jumièges (2). Il est question dans cet acte
du pont de Rouen; c’est la première fois que son exis-
tence nous est révélée. Le prince donne aux moines
de Jumiéges ses droits de pêche, depuis le Pont-de-lAr-
che jusqu’au pont de Rouen, et du pont de Rouen au
village d'Estaindrat.
« À ponte Archas usque ad pontem civitatis, et à ponte
« civitatis ad locum qui dicitur Stindrap (3). »
Des Engleiz furent Reis tos treis,
E tos treis furent Ducs è Reis.
(Vers 5324.)
Or Henri-le-Jeune, le troisième d’entr'eux, ne fut admis à la royauté,
par Henri II son père, qu’en 1170.
(1) Orderic Vital, Robert du Mont, et les autres historiens nor
mands, d’après Guillaume de Jumièges, placent la mort de Richard Ier
en 996. La chronique de Fécamp fait mourir ce prince en 998 ; Dudon
de Saint-Quentin en 1002. Le témoignage de Dudon, contemporain de
Richard Ier et son commensal, me paraît devoir l'emporter sur celui de
ces chroniqueurs. Un ancien fragment de l’histoire de France, inséré au
Recueil des Historiens de France, t. X, p. 213, donne également la
date de 1002. En général, la chronologie de nos premiers dues offre
beaucoup d'incertitude.
(2) Cet acte, dont on ne possède que des copies, porte la date de
1027; mais il donne en même temps l’Indiction et l'année relative du
règne du roi Robert ; or, l’une et l’autre concordent avec l’année 1025.
11 est constant, d’ailleurs, que Richard IT n'existait plus en 1027; il
était mort dès l’année précédente, au mois d'août,
(3) Ce village est cité dans la charte de Guillaume-le-Conquérant
pour l'abbaye de Saint-Georges-de-Bochenille. On ignore aujonrd’hui
sa véritable position, mais il devait être placé entre Rouen et Saint-
22
(170)
Ce pont avait-il était bâti par ce prince, ou par Ri-
chard 1% son prédécesseur, dans les quarante dernières
années de son règne? C’est ce qu'il est impossible de
dire. Des documents inattendus pourraient seuls per-
mettre de résoudre cette question.
Ce pont était-il en pierre ou en bois? Même incerti-
tude. Tout porte à croire, néanmoins, qu’il était en bois,
suivant l'usage assez général d'alors, et d’après les nom-
breux exemples qu’il nous serait facile de citer. Il ne fau-
drait pas, en effet, Messieurs, confondre cet ouvrage
d’un de nos premiers ducs avec l’ancien pont de pierre
qui a fait place au pont de bateaux actuel. Ce n’est qu'au
douzième siècle que ce pont de pierre fut élevé, comme
je le prouverai plus bas.
Notre premier pont se trouve mentionné, pour la se-
conde fois, dans la charte de fondation de l'abbaye de
Saint- Amand, donnée par Goscelin d'Arques, sous
Guillaume-le-Bâtard, en 1035 au plutôt par consé-
quent (1). On y lit : à
« In foro Rothomagi unam aream, deinde unym mo-
« lendinum in Ravelini villa, post hæc unum concedi-
< mus cellarium juxta pontem Sequanæ, positum in loco
« qui dicitur Poteria. » (2)
« .…. Nous concédons, en outre, un cellier placé auprès
« du pont de la Seine, dans le lieu dit la Poterie (3). »
Georges, sur le bord de la Seine. « Decimam de villa quæ vocatur Es—
« taindrat, quæ est super ripam Sequanæ. » (Essai historique et
descriptif sur l'abbaye de Saint-Georges, p. 60.)
(Gi) D. Pommeraie, qui rapporte cette charte dans son Histoire de
l'abbaye de Saint- Amand, \a place sous la date de 1030. C’est nne
erreur, puisque le donataire parle du duc Guillaume, qui ne succéda à
Robert son père que vers 1035 au plutôt. ;
(2) Cartulaire mss. de l’abbaye de Saint-Amand, aux archives du dé-
partement de la Seine-Inférieure.
(3) Ce lieu n’est autre aujourd'hni que la rue Potart.
C171)
IF faut franchir un siècle pour retrouver, dans nos
vieilles annales, le pont de Rouen. La chronique de cette
ville dit, sous la date de 5136: « cette année , le feu prit
« à partir de la tête du grand pont, etc. » (1)
Neuf ans après, en 1145, Geoffroy Plantagenet s’oc-
cupait à le solidifier : « pontem refecit firmissimum. » (2)
Il appartenait à sa femme Mathilde, fille de Henri E*,
mariée en premières noces à l’empereur Henri V, de
faire encore plus pour la ville de Rouen. Cette princesse
avait rapporté de grandes richesses d'Allemagne (3); elle
en possédait de plus grandes encore en Normandie. Elle
en consacra une partie à l’embellissement et à l'utilité
de Rouen, en y élevant un pont en pierre, celui-là même
dont, aux marées basses de l’année, chacun de nous a pu
voir les débris (4).
« Ad pontem lapideum super Sequanam a se inchoa-
<_tum multam summam pecuniæ dimisit. »
C'est ainsi que s'exprime un contemporain, historien
exact et qui fut nécessairement témoin oculaire, Robert
(1) Recueil des Historiens de France, t. XI, p. 785.
(2) Robert du Mont, apud Duchesne, p. 482.
(3) « Gäzas enim imperatorias, quas secum de Italià incomparabiles
« attulerat, » ( Le Continuateur de Guillaume de Jumiéges, l. vint,
C, XXVII. )
(4) Peut-être fut-elle mue, en cette circonstance, par le même sen
timent qui la porta, lors de plusieurs de ses maladies , à ouvrir ses trésors
aux pauvres et aux monastères, (Voy. le Rec. des Historiens de France,
t, 11, p. 305.) Car il faut bien se persuader que, dans ces temps recu
lés, on croyait aussi accomplir un devoir religieux, et s’aplanir la route
du ciel, en consacrant ses richesses à des travaux d'utilité publique. J’en
citerai un seul exemple, qui trouve ici parfaitement son application, Je
l'emprunte au cartulaire mss. de l’abbaye de Saint-Florent de Saumur :
« Sciatis quod burgenses et milites Salmuri, pro remedio animarum
« suarum, fecerunt pontem Salmuri ligneum super Ligerim. » (A
annum 1162.— Archives d'Angers, )
(172)
du Mont (1). Il ne fixe pas l’époque de ce grand travail.
Appliquons-nous à la rechercher.
Si nous admettons que ce soit l’ancien pont des ducs
Richard que Geoffroy Plantagenet ait consolidé en 1145,
ilest plus que probable que quelques années se seront
écoulées avant que Mathilde ait conçu, ou du moins ait
mis à exécution le projet d'élever un pont de pierre à
Rouen. Elle n'aurait pas renversé l'ouvrage de son mari
avant que la nécessité ne s’en fût fait sentir. Ce ne serait
donc tout au plus qu'après la mort de Geoffroy, arrivée
six ans plus tard, en 1151, qu’elle aurait jeté les fondations
du nouveau pont. Dans tous les cas, elle ne l'aurait pu
commencer au plutôt qu'en 1147, puisque ce ne fut qu’à
cette époque qu'elle quitta l'Angleterre pour venir se
fixer définitivement à Rouen et s’y reposer de ses longues
agitations politiques (2); mais il me paraît plus naturel,
sous tous les rapports, de pencher vers la première opi-
nion.
L'époque de la construction de notre ancien pont de
pierre se trouverait donc enfermée entre les années 1154
et 1167, l’impératrice Mathilde étant morte au mois de
septembre de cette dernière année. Ce pont avait donc
quatre siècles d'existence, lorsque , le 6 mars 1564 (3),
deux de ses arches s'écroulèrent subitement et en inter-
dirent définitivement l’usage.
Si l’on voulait que les travaux de consolidation entre-
pris par Geoffroy Plantagenet en 1145, dont nous avons
QG) Abbé du Mont-Saint-Michel en 1154, mort en 1186. Il fit pro-
fession en 1128.
(2) « Anno gratiæ MCXLVIT. ... Imperatrix jam anglicanæ discordiæ
tædio affecta....in Normanniam transfretavit ; malens sub tutela mariti
sui in pace quiescere, quam in Anglià tot molestias sustinere. » (Recueil
des Historiens de France, t, xW1 ,p. 123.)
(3) Miss. n0 494, supp., Bibl. royale.
C173)
parlé plus haut , s'appliquassent, non au pont des ducs
Richard, mais à celui-là même que Robert du Mont fait
élever en pierre par Mathilde, ce qui ferait remon-
ter par conséquent la construction de ce dernier à la pre-
mière moitié du XII siècle au lieu de la seconde, les
objections se presseraient en foule. En effet, Mathilde,
mariée à l’âge de onze ans à l’empereur Henri V, ne re-
vint d'Allemagne à la cour de son père , à Londres, qu’en
1126. Amenée, vers la fin de l’année suivante, sur le con-
tinent, pour épouser en secondes noces Geoffroy Plan-
tagenet, elle le suivit au Mans. De 1129 à 1135, époque
de la mort de son père Henri Er, elle ne fit que de courtes
apparitions à Rouen. A partir de 1135, jusqu'à l'entrée
de son mari dans cette ville par la force des armes en
1144, elle n'y mit pas le pied. Quand aurait-elle pu en-
treprendre et mener à fin, dans ce laps de temps, un ou-
vrage aussi considérable ? Comment supposer, d’ailleurs,
dans tous les cas, qu’en 1145 on eût été obligé de solidi-
fier un pont en pierre bâti à peine depuis quelques
années? Tout se réunit donc pour repousser cette suppo-
sition.
Ainsi, il résulte de ce qui précède, qu’en 962 il n’exis-
tait pas de pont à Rouen; qu’en 1025, il y en avait un;
que, de 1151 à 1567, Mathilde, fille de Henri If et
femme de Geoffroy Plantagenet, substitua à ce premier
pont, qui probablement était en bois, un pont en pierre,
celui dont on s'occupe en ce moment de détruire et d’ex-
traire les fondations.
(174)
AAA AAA AAA AA AAA AAA AAA AA AAA AA AA AAA
LETTRE
ADRESSÉE À M. ALAVOÏINE,
Architecte de la nouvelle Flèche en fonte de fer de la Cathédrale
de Rouen,
SUR LA FLÈCHE DE ROBERT BECQUET;
Lue à l'Académie, dans la séance du 29 avril 185,
Par M. A. DEvicce.
Moxsieur,
Si les artistes chargés de la construction de l’ancienne
fièche de la Cathédrale de Rouen, qui fut incendiée par
la foudre le 15 septembre 1822, avaient eu l’heureuse
idée d'écrire l’histoire du monument qu'ils avaient élevé,
nous ne serions pas réduits à des conjectures sur une
foule de détails qui se rattachent à l'érection de cette
flèche célèbre. Déjà notre savant confrère M. E.-H. Lan-
glois avait cherché à suppléer à leur silence, dans sa
Notice sur l’Incendie de la Cathédrale de Rouen, publiée en
1823. Aidé par les faibles indications éparses dans les
anciennes histoires de la ville de Rouen, mais guidé,
avant tout, par les souvenirs et l'étude approfondie du
monument principal, M. Langlois avait fait tout ce
qu'on pouvait attendre d’un artiste aussi versé dans l’é-
iude de nos vieux édifices religieux. Malheureusement,
on ne connaissait pas encore , à cette époque, les pièces
qui viennent d’être découvertes dans les archives du dé-
(175)
partement. Muni de ces précieux documents, M, Lan-
glois eût écrit une histoire complète.
Vous proposant, Monsieur, de décrire vous-même le
beau et hardi monument en fonte de fer qui va s’élan-
cer dans les airs à la place de la flèche consumée en
1822, et que vous aurez eu la gloire d'élever, j'ai pensé
qu'il pouvait entrer dans votre plan de faire précéder
votre travail de quelques réflexions sur l’ancienne pyra-
mide : c’est ainsi qu'on la nommait jadis. Vous m'avez
depuis assuré que tel était votre dessein. Je m’estimerai
heureux, Monsieur, de pouvoir vous fournir quelques
notes, qui n'auront d'autre mérite que d’avoir été pui-
sées à des sources originales et contemporaines. Il vous
sera facile de les coordonner et de suppléer à ce qu'elles
laisseraient encore d’obscur ou d'incomplet.
Je ne vous parlerai pas, Monsieur, du plan de la py-
ramide découvert depuis peu parmi les papiers du cha-
pitre de la Cathédrale ; je me suis empressé de vous le
faire connaître : plan d’autant plus précieux que c’est
tout ce qui nous reste aujourd'hui de la flèche de Robert
Becquet, et qu'il est incontestablement de la main de
cet habile homme. Vous rendriez, Monsieur, un véritable
service aux arts et à la gloire de votre devancier en le pro-
duisant dans votre ouvrage. Il deviendrait impérissable.
Les documents que m'ont fournis les archives du dé-
partement, et dans la découverte desquels j’ai été sou-
vent aidé par le zèle complaisant de M. Legendre,
un des conservateurs de ce précieux dépôt, peuvent se
diviser eu deux casses. Je rangerai dans la première
les nombreuses délibérations du chapitre de la Cathé-
drale, qui sont consignées dans les registres capitulaires.
Dans la seconde viennent se placer plusieurs pièces
détachées et les comptes du trésorier du cardinal d'Am-
boise , II du nom , archevêque de Rouen, lequel contri-
bua si puissamment à la restauration et à l’embellisse-
(176)
ment de son église métropolitaine. Je signalerai surtout
le compte de l’année 1544—1545 (1), comme étant du
plus haut intérêt; on y trouve le nom des principaux
ouvriers employés à la construction de la pyramide et
le détail de la dépense.
DÉLIBÉRATIONS DU CHAPITRE.
Le clocher qui décorait la tour centrale de l'Église ca-
thédrale de Rouen, avant celui qui fut élevé par Robert
Becquet, avait été incendié le 4 octobre 1514. Je trouve
dans les registres capitulaires le récit de cet événement ;
il mérite d’être conservé ; en voici la traduction (2) :
« Mercredi, quatre octobre.
« Incendie de la Tour.
« Ce même jour, mercredi, quatre octobre, fête de saint
« François, après la clôture du chapitre , entre neuf et
« dix heures du matin, Messieurs étant dans le chœur
« de l’église, comme on commençait la messe de ce
« jour, on aperçut à la tour qui est assise entre le chœur
« et la nef de ladite église, et qu’on nomme vulgaire-
« ment en français l'esguille, une très forte fumée. Aus-
« sitôt s’éleva une clameur dans l’église et par toute la
« ville que le feu était à la tour. Au même instant, la
« ville entière fut dans l'émotion. Le peuple d’accourir
« en foule à église , d'apporter de l’eau et de la monter.
« Mais il était impossible d'arrêter ainsi le feu. Que
(1) Tous ces comptes sont arrêtés de Saint-Michel en Saint-Michel.
(2) Les registres capitulaires de la Cathédrale ne commencèrent à
être écrits en français qu’en 1562. Jusqu’à cette époque, ils sont rédigés
en latin,
LÉ AD
dis-je! bientôt, à douleur! aux yeux de tous, toute la
tour, celle tour si somptueusement revêtue de plomb,
au bout d'une heure s’écroula. La croix qui était
placée à son sommet tomba tout enflammée sur le
toit du chœur, aussi couvert en plomb, le brisa, et,
pénétrant dans la charpente, l’enflamma de telle ma-
nière que l’on crut que toute la ville allait être la proie
du feu. Et se faisaient alors dans chaque monastère,
dans chaque église, dans chaque couvent, et par la
ville, des prières, des oraisons et des processions avec
les reliques, les châsses, les croix, et au milieu des
gémissements et des larmes. Aussitôt, par un effet de
la clémence divine , vers midi, le feu s’appaisa , après
que le chœur (x) eut été brûlé jusqu'à la maçonnerie.
Aucune des maisons situées autour de l’église ne fut
endommagée , bien que le plomb coulât par les gout-
tières comme eût fait la pluie et volât sur les toits avec
les flammèches, qui furent portées jusqu'au monas-
tère de Saint-Ouen de Rouen. Dans cet incendie,
quatre cloches qui étaient dans la tour furent consu-
mées et perdues. MM. les chanoines et les chapelains
portèrent révérencieusement les châsses, les reliquai-
res, les tables, les ornements et les autres choses pré-
cieuses de l’église jusqu’à église de Saint-Maclou et
dans les maisons et les lieux voisins, pour les sauver.
L'église fut complètement dépouillée et évacuée ; et
elle était tellement remplie d’eau qu’il eût été impos-
sible d'y célébrer l'office divin. Cet incendie fut cause
pour elle d’une perte inestimable. IL fut dù à la négli-
gence des plombiers qui étaient occupés à la répara-
tion de la tour. »
Le clocher avait été consumé le 4 octobre 1514 ; dès le
(1) Pour le toit du chœur.
t.
©
(178)
27 du même mois, des plans de reconstruction furent
présentés au chapitre, qui les renvoya à l'examen d’une
commission.
Dans le cours du mois de novembre, on s'occupa à
plusieurs reprises de savoir, sans rien décider toutefois ,
attendu la diversité des opinions, disent les actes capitu-
laires, si on élèverait le nouveau clocher en bois ou en
pierre.
Le 6 décembre de la même année, il fut arrêté que la
portion de la maçonnerie de la tour, qui avait été calci-
née par le feu, serait réparée ; qu'on monterait la nou-
velle bâtisse de cinq ou six pieds plus haut que l’an-
cienne , et que le réste de la flèche serait construit en
belle charpente, le mieux qu'il se pourrait faire, d’après les
modeles qui en seraient dressés.
Ce ne fut qu'au mois d'avril de l’année suivante (1515)
que le chapitre jeta les yeux sur Martin Desperroys,
maître charpentier de Rouen, homme très expérimenté
dans son art, disent les registres capitulaires, pour le
charger de la direction des travaux (+). I lui fut promis
soixante livres tournois par année de salaire,
Il n'était pas alors question de Robert Becquet. Je ne
vois son nom cité pour la première fois , dans les nom-
breux registres que j'ai consultés, qu'en 1526 (2). A la
mème époque ; Martin Desperroys, ou mieux Desper-
rois, était le charpentier en chef de la Cathédrale. Il
avait sous lui un autre maître charpentier nommé Jean
Dumouchel. Si l'on n’eût point laissé passer trente an-
nées avant de remplacer le grand clocher consumé en
(1) Il avait exécuté, un petit nombre d’années auparavant, tous les
grands travaux de charpente du magnifique château de Gaillon. J’en ai
trouvé la preuve dans les comptes de la maison d’Amboise,
(2) I s’agit d’une réparation qu'il est chargé de faire à une grange de
Sotteville, appartenant au cardinal d’ Amboise IL.
(179 )
1514, il est bien probable que nous ne connaîtrions
. même pas aujourd'hui le nom de Robert Becquet ; celui
de Martin Desperroys fût seul arrivé jusqu’à nous.
Un marché avait été passé avec un marchand de Pa-
ris, moyennant quatorze cents livres tournois, pour la
fourniture des bois nécessaires à la confection de la nou-
velle pyramide (1). La livraison éprouvant de longs re-
tards, il fut délibéré, le 10 novembre, si on ne la ferait
pas en pierre. La chose resta en suspens.
Les travaux de la maçonnerie avaient été confiés à
Rouland Le Roux, maître maçon de la Cathédrale (/atho-
mus ecclesiæ, à la lettre : tailleur de pierre de lPéglise).
Cet artiste, car, malgré la modestie de son titre, c’en
était un, au lieu de se borner à réparer la partie de la
tour endommagée par le feu, et de la surhausser de cinq
ou six pieds, ainsi que cela avait été décidé, conçut le
plan d'un nouvel étage en pierre, et le commença. Le
3 janvier 1516, cette bâtisse dépassait de neuf pieds la
maçonnerie primitive, Mandé le lendemain devant le
chapitre assemblé, Rouland Le Roux, interrogé pourquoi
il s'était écarté du plan qui lui avait été tracé, répondit
« que ce qu'il avait fait était pour l’embellissement et
« la plus grande beauté de l'édifice , et qu'il n'avait agi
« que sur l'avis de personnes expertes , et, entr'autres,
« de maitre Martin Desperroys ; qu'il jugeait même né-
« cessaire de continuer l'ouvrage de sept toises et demie
« en sus pour que la chose fût bien; qu'il pourrait, à
« la rigueur, se borner à quinze pieds, mais que cela
« produirait un moins bon effet, » Martin Desperroys
ayant été entendu, Rouland Le Roux fut engagé à dépo-
ser le plan de ce qu'il voulait faire. L'hiver interrompit
les travaux.
(1) Délibération du 23 mars 1515,
( 180 )
On voit qu'il s’agit ici du dernier étage en pierre de la
tour encore existant, que vous venez de réparer. Le ca-
ractère de son architecture ne permet pas le moindre
doute à cet égard. Ce document est intéressant , surtout
en ce quil fournit la preuve que le clocher qui avait
précédé la pyramide incendiée en 1822, partait d’un
étage plus bas que celle-ci (1), par conséquent de trente-
six pieds au-dessous. Si, comme on le dit, il s'élevait
dans les airs à une hauteur égale à celle qu’atteignit plus
tard la flèche de Robert Becquet, il devait nécessaire-
ment paraître plus élancé que celle-ci, et l’on ne sera
plus étonné qu’on l'ait vulgairement désigné sous le nom
de l’éguille.
L'année 1516 se passa à discuter de nouveau si le clo-
cher serait construit en pierre ou en bois. Quatre maîtres
maçons , de Chartres, de Beauvais, de Harfleur, de Ca-
rentan, auxquels on en adjoignit plusieurs de la ville,
furent appelés à Rouen pour donner leur avis. Tous se
déclarèrent pour la pierre, comme étant plus somptueuse (2).
Ils affirmèrent en même temps, d’après l'examen qu'ils
en avaient fait, que la base et les murs de la tour étaient
sains, solides et en état de porter une pyramide en pierre.
Nonobstant, par suite de l'opposition de quelques cha-
noines, rien ne fut encore arrêté.
Rouland Le Roux continuait à travailler à la tour. Il
dut, par précaution, ainsi que vous avez constaté que
QG) La tour, jusqu’à cette partie inclusivement, date du commence
ment du treizième siècle ; seulement , la décoration des huit grandes fe—
nêtres de l'étage immédiatement au-dessous de celui de Rouland Le Roux
est d’une époque postérieure, Je serais porté à croire qu’elles ont été
remaniées lors de l'agrandissement des fenêtres du chœur, qui eut lieu
en 1430.
(2) IL est bien probable que si, au lieu de maîtres maçons, on eût
appelé des maîtres charpentiers, le bois eût eu la préférence sur la pierre,
( 187)
cela avait eu lieu, disposer la maçonnerie pour recevoir
une flèche en pierre, le cas échéant ; car on n’était point
encore fixé sur le choix de la matière. Ce ne fut que sept
années après qu'on trancha définitivement la question.
Elle resta continuellement flottante dans ce long inter-
valle de temps.
Ce ne fut que dans les premiers mois de l’année 1517
que la maçonnerie du dernier étage actuel de la tour fut
achevée , et qu’on le couvrit d’une charpente provisoire
formant un beffroi. On y plaça quatre cloches, dues, à
ce qu'il paraît, à la libéralité de plusieurs particuliers, et
offertes l’année même de l'incendie (x).
Les choses restèrent en cet état durant vingt-cinq ans.
On s’occupait toujours du projet de reconstruction et de
la grande question de savoir si on emploierait la pierre
ou le bois ; ne füt-ce, comme l’insinue le procès-verbal
d’une des délibérations du chapitre, que pour tenir en
haleine le zèle et la piété des fidèles. Les dons , malgré les
indulgences promises, arrivaient lentement. L'exemple
du souverain n'était pas fait pour les appeler. Louis XII,
au premier bruit de l'événement, avait accordé une
somme de douze mille livres, payables en six années,
pour réparer les désastres causés par le funeste incendie
de 1514. Un paiement de 2,000 livres venait d’être ef-
fectué, lorsque la mort ravit ce bon prince à la France.
(1) L'une d’elles, donnée par l'amiral de Graville, le 6 novembre
1514 ,et qu'il nomma Louise, pesait six cent soixante livres. Elle fut
destinée à remplacer la cloche appelée Losquelle, (Registre capitu-
laire. )
M. Langlois (Notice sur l’Incendie de la Cathédrale de Rouen,
p. 48) a pu croire, d’après l'inscription d’une autre de ces cloches,
conçue en ces termes : L’an 1514 je fus faite pour servir à cette
église, que le beffroy avait été construit l’année de l'incendie. Les re—
gistres capitulaires détruisent cette opinion.
(182)
François {* s'engagea à remplir les engagements de son
prédécesseur. Il est certain qu'il en renouvela plusieurs
fois la promesse : les registres capitulaires en font foi ; il
l'est beaucoup moins qu'il l'ait accomplie. Peut-être en
fut-il empêché par les guerres qu'il eut à soutenir et par
les besoins sans cesse renaissants de l'Etat.
Le 1% mars 1521, le chapitre examinait un plan de
reconstruction en pierre présenté par Rouland Le Roux.
Deux ans après, il décidait, une fois pour toutes, que la
flèche serait faite en charpente, dans sa forme antique, et
sous la direction de Martin Desperroys. Restait à mettre
la main à l'œuvre ; mais les dépenses extraordinaires et
d'urgence dans lesquelles les désastres causés par l'incen-
die de 1514 avaient jeté le chapitre, avaient, si ce n'est
épuisé, du moins fort altéré ses ressources. On préféra re-
mettre cette entreprise à des temps meilleurs ; et achever
les travaux commencés. Ils étaient nombreux : une partie
de la décoration du grand portail (1), l'orgue (2), le tom-
beau du cardinal d' Amboise, la fontaine du parvis (3), la
balustrade en cuivre du chœur (4), le couronnement exté-
QG) C’est au talent de Jacques et de Rouland Le Roux, père et fils,
que l’on doit ce riche et élégant morceau d'architecture. Les sculptures
furent exécutées par des artistes de Rouen, dont je me propose de révé-
ler plus tard les noms.
(2) I fut exécuté de 1515 à.1518, par un nommé Ponthus Cancelin.
On fit marché à 300 livres pour le peindre et dorer. (Regist. capitul.)
Les gages de l’organiste étaient de 20 livres tournois par an.
(3) IL est inutile, je pense, de dire que ce n’est point de la fontaine
actuellement existante qu'il s’agit.
(4) Une partie de la magnifique clôture en cuivre du chœur fut exé—
cutée par Benoist Huart et Guillaume Boucher, fondeurs de Rouen, de
1524 à 1528. La dépense générale s’éleva à 5,256 livres tournois, et fut
supportée, à peu près par moitié, par le chapitre et par le cardinal
d'Amboise LL. (Registres mss. de la maison d'Amboise. }
( 183 )
rieur de la chapelle de la Vierge (1), la couverture de la
nef (2), etc., datent en effet de cette époque , et atteste-
raient au besoin les efforts et le zèle du clergé de l'église
métropolitaine.
J'arrive à l’année 1542. Ici commence à figurer Robert
Becquet; il va jouer le rôle principal. C’est l'époque de
l'érection de la flèche. Comment fut-il substitué, pour
cette entreprise, à Martin Desperroys? c’est ce que je
ne puis dire avec certitude , privé que je suis, pour cette
année-là, de mon guide ordinaire : le registre capitulaire
manque, Je présume toutefois que ce fut par suite de la
mort de Martin Desperroys : je ne trouve plus celui-ci à
partir du milieu de l’année 1526. Robert Becquet paraît
dans les travaux de la Cathédrale dès l'année 1529. Mar-
tin Desperroys, si vous admeitez ma conjecture , serait
décédé entre ces deux époques.
(1) Voici ce que je trouve dans les mêmes comptes, année 1540-1541,
relativement à la couverture de la chapelle de la Vierge :
« À Ligier Symont marchand de Rouen pour l'achat de 60 milliers de
DIM se dns aet asser en AIIAOoiNy res:
& À Nicollas Lehucher serrurier de Rouen, pour les croix et feraille
« mise à la craiste de la chapelle Nostre-Dame et ès lucarnes et aultres
« ‘ouvrages de lad: chapelle. ...,.....:.........n 97 iv. 8. 4.d.
« A Nicollas Quesnel ymaginier pour la façon de l’ymage Nostre-Dame
« pour mettre sur la craiste de la dicte chapelle selon le marché. 20 liv
( Cette statue existe encore en place. )
« À Nicollas Lefumyevre paintre et doreur sur le marché de dorures
« de la craiste de la d, chapelle Nostre-Dame des ymages lucarnes ar-
« moryes et aultres ouvrages par marché faict à lui au rabaïiz au prix
CAROL TRAME REMENT LE ACT snnssrsenenennnss …... 47o liv. »
(2) Robert Becquet y fut employé de 1539 à 1540. La nef avait été
couverte provisoirement en tuiles, peu de temps après l'incendie, Plus
tard un la revetit de plomb, afin de mettre cette partie de l'édifice en
harmonie avec la toiture du chœur.
Il est dit au registre capitulaire, sous la date du 15 janvier 1540, que
la tuile de la couverture du chœur sera vendue au plus offrant, et qu’elle
sera remplacée par du plomb.
(184)
PIÈCES DÉTACHÉES ET COMPTES DU TRÉSORIER DU CARDINAL
D'AMBOISE I.
On ignorait jusqu'à ce jour que Robert Becquet eût
eu un frère, maître charpentier comme lui. Les deux
frères, qui prennent le titre de maistres de charpenterie à
Rouen (x), passèrent avec le chapitre, le 3 mars 1539,
un marché pour refaire le comble du chœur de la Cathé-
drale , afin de le mettre à l'unisson de celui de la nef. Ils
traitèrent moyennant 375 livres tournois. J'ai trouvé la
pièce originale portant les signatures de Robert et Laurens
Becquet.
Je vous ai remis précédemment la éopie d'une se-
conde pièce fort intéressante , dont malheureusement les
premiers feuillets et la date manquent. C’est une espèce
de factum de Fobert Becquet, dans lequel il répond, ar-
ticle par article, à une série d'observations faites contre
le plan de sa flèche par plusieurs maîtres maçons qui
avaient été chargés, sans doute , par le chapitre , de l’exa-
miner et de donner leur avis. Cette pièce doit être du
commencement de l’année 15/42.
Bien qu’il demeure constant, par ce factum et par la
tradition, que la pyramide incendiée le 15 septembre
1822 ait été conçue et exécutée par Robert Becquet (2),
(1) Dans une autre pièce, Robert Becquet s'intitule : charpentier
du Roy à Rouen, et de sa grande église Nostre-Dame du dit lieu.
On sait bien peu de chose sur Robert Becquet. Rouen, et Darnétal au-
près de cette ville, se disputent l'honneur de lui avoir donné le jour ; bien
que tout porte à croire que Rouen soît sa patrie. On ignore l’année de sa
naissance. Je vois par les registres capitulaires de la Cathédrale qu’il mou-
rut en 1554, à Rouen, dans une maison située auprès de l’abbaye de
Saint-Amand , qu'il tenait à bail viager ; qu’il laissa une veuve, et un fils
qui portait le om de Guillaume.
(2) En général, Robert Becquet est cité seul, dans les registres ca
pitulaies, lorsqu'il s’agit de le flèche; ce qui doit achever de prouver
( 185 )
il n'est pas juste de ravir à un autre maître charpentier de
Rouen, nommé Toussains Dubuc, son associé dans cette
entreprise, la part qu’il y prit. C’est la première fois que
ce nom est révélé aux amis des arts ; je me fais un devoir
religieux de le consigner ici.
Avant d'exécuter la pyramide, on en fit faire un mo-
dèle en petit par un menuisier. Je lis dans le compte du
trésorier du cardinal d'Amboise IT, année 1541-1542 (x):
« À Martin Guillebert menuisier pour les matieres et
« façon du modelle de la dite tour par lui faict selon le
« marché et ordonnance des députez..... 67 10°. »
Enfin, le 19 juin 1542, on commença le travail de la
charpente. Elle se trouva prête à être posée à la fin du
mois de septembre. Cette étonnante célérité contraste
singulièrement avec les trente années écoulées à délibérer
sur le projet de reconstruction. Voici ce que porte le
compte du trésorier :
« Aux maistres charpentiers, scieurs d’aitz et aultres
« personnes qui ont besongné pour faire la d. tour de-
« puys le lundy dix neufvieme jour de juin jusques au
« samedy dernier jour de septembre le tout aujourd huy
« mil cinq cens quarante et deux il y a quinze sep-
PU dE Ce OO OC een 1 OC AC TO
L'année 1543 se passa à descendre le beffroi et à pré-
parer la tour à recevoir la pyramide.
Je crois vous avoir donné copie d’un rapport de Ro-
bert Becquet , sous la date du 30 décembre 1542, relatif
à cet objet. Il entre dans d’assez grands détails.
que, s'il fut aidé dans l'exécution du monument, la conception lui en
appartient,
(1) Le cardinal d’'Amboise s'étant offert généreusement, à défaut du
chapitre, pour élever la flèche à ses dépens, il n’est pas étonnant que ce
soient les comptes de son trésorier, et non les registres capitulaires, qui
m'aient fourni ces nouveaux détails et ceux qui vont suivre.
24
(1:86)
L'année 1544 fut employée utilement ; elle vit dresser
et s’élancer enfin dans les airs la flèche si long-temps at-
tendue.
Vous êtes impatient, Monsieur, de connaître les détails
et la dépense de cette opération. Ouvrez avec moi le
compte du trésorier du cardinal d'Amboise pour l'année
1544—31545 : il ne vous laissera presque rien à désirer.
Vous y verrez que Robert Becquet et Toussains Dubuc,
les deux maistres charpentiers de la tour, comme s’exprime
le compte, reçurent pour leur travail, suivant marché
fait, deux cents écus d’or soleil, qui valaient 450 livres
tournois de ce temps (x); que Jacques Hallé et Nicolas
Dumonstier exécutèrent la couverture en plomb de la
flèche, et qu'ils furent payés à raison de trois deniers par
livre de matière employée ; que le plomb fut acheté au
prix de trois livres dix sous les cent livres (2); que la
flèche fut peinte en entier, et quelques-unes de ses par-
ties dorées. Pierre Hellot, Jehan Gaugain, Georges Le-
pilier, Nicollas Fumyevre et Louys Debray, cités comme
peintres de Rouen, furent chargés de cet ouvrage.
Je pourrais pousser plus loin cette analyse; mais je
croirais affaiblir l’intérêt que présente ce compte en me
bornant à vous en présenter un simple aperçu : il mérite,
ce me semble, d’être transcrit en entier.
1544— 1545.
Aultre mise à cause de l'édifice e bastiment de la tour et
clocher de l’église de Rouen.
« À Pierre Hellot et Jehan Gau-
gain pour leur payer d’avoir doré le
(x) L’écu d’or au soleil, en 1544, valait 45 sous tournois. 71 éeus 1/6
pesaient un marc d’or.
(2) Le prix du plomb est aujourd’hui d'environ 35 francs les cent livres.
(187 )
coq mys sur la d. tour (x) les troys
pommes et toute la croix, et l’es-
taige prochaine de au dessoubz de
la d. croix la cornice et première
platte forme d'icelle croix dix escus
soleil selon le marché faict avec
eulx par M. de Brennetot M. Jac-
ques Lecueur (2) et le comptable
du dt. par leurs quittances....,... sxm. X.
« Au dit Jehan Gaugain pour la
peyne d’avoir doré le second es-
taige de au dessoubz de la d. croix
contenant unze piedz de la cornisse
de dessoulx et pour avoir mis les
couleurs des ditz doreures seulle-
ment sans comprendre l'or cent
solz t selon le marché sur ce faict
par les d® S' de Brennetot et le
comptable ez la quittance du d.
Gaugain pour ce. .....s.s.ssese. G
« À Jehan Venot batteur d’or
soixante douze livres pour ung mil-
solz
lier et ung cent de feuilles d’or fin
double et deux papiers deux cens
d’autre feuille d’or simple et six pa-
piers de fin or lesquelles feuilles et
papiers d’or ont esté livrés par le
dit Venot à M. Louys Le Maistre
(a) Il est question, dans les actes capitulaires, sous la date du 14 oc-
tobre 1544, du choix à faire, pour dorer le coq, entre l'or mat et l'or à
feu. On se décida pour l'or à feu.
La croix fut déposée et replacée aux frais du cardinal d'Amboiïse, au
mois de mai 1550, comme ayant été mal adaptée, ( Regist. capitul. )
(2) Chanoines de la Cathédrale,
( 188 )
comys à prendre garde sur les com-
paignons et ouvriers du d. basti-
ment par les quittances du dit Ve-
DORE eee nes. 000 UOTE
« Pour achapt de millier cinq cens
et demy de lattes achaptez et livrez
au d', M. Louys, pour latter la cus-
pide (1) de pyramide de la d. tour
selon les achaptz et quittances sur
ce portez la somme de dix huit li-
vres dix solz pour ce...........:
« À Jacques Halléet Nicolas Du-
monstier sons consors plombiers la
somme de quattre cens soixante
huyt livres dix huyt solz neuf denier
Pour avoir employé le nombre de
trente sept milliers cinq cens quinze
livres de plomb neuf à la couverture
de la piramide de la tour et pour le
deché du dt plomb au prix de douze
livres dix solz pour millier qui est
troys deniers pour livre selon le
marché faict avecques eux de ce
compte et estai qu'ils en ont baïillé
à la certification du dt M. Louys
Lemaistre et pour le denier adieu
du dt marché faict avecques eulx de
la d. plomberye deux testons pour
CB) ee pre sie se aieiete ete TE CU
:
LXXII.
1 s
XVIII. X:
ce 1 s
LA VEXX. IX,
DE ES US
() La pointe ; toute la partie qui s'élevait au-dessus des colonnades.
(2) La différence que l’on remarque entre la somme en chiffres et
celle énoncée en toutes lettres provient de ce qu’on a ajouté à cette
première la valeur des deux testons, qui sont mentionnés dans le corps
de l’article.
(189 )
« À... Le Prevost bourgeoys mar-
chand demourant à Rouen la somme
de treize cens quaranie deux livres
quinze solz troys deniers pour ven-
due et délivrance de trente ung mil
cinq cent ving deux livres de plomb
au prix de trente cinq livres pour le
millier ainsy qu’il appert par quattre
quitiances signez tant de luy que de
ses facteurs et serviteurs pour ce icy.
« À Nicollas Dumonstier plom-
bier la somme de trente deux livres
dix solz & sur et tant moinys et en dé-
duction de quarante livres tournois
pour ung marché faict avecques luy
pour faire les establis de toute la d.
cuspide de piramide de la tour pour
servir aux plombiers et paintres se-
lon le d. marché et deux de ses quit-
lances pour Ceessssssssesesesre.
« À Georges Lepillier et Nicol-
las Fumiebvre paintres suivant le
marché par transport de Louys De-
bray aussi paintre de Rouen pour
avoir doré cinq (x) georges de la d.
pyramide d’icelle tour les cornices
et contours diceulx estaiges ensem-
ble les escussons des armoryes de
Mons"... especes et aultres choses à
dorer es ditz cinq estaiges la somme
de deux cens trente huyt livres tour-
nois suyvant le marché faict avec-
ques le dt, Debray ainsy par luy
ce
XI. XLIT.
XXXIT.
XV.
5
IR
CH) uSre,
d
( 190 )
transporté au fils Le Pillier de Fu-
mievre et par les quittances diceulx ?
POUT Ceessssesssrss.essseseuses II. XXXVHI.
« À Guillaume Helouyn mar-
chand cloustier de Rouen pour le
clou qui a esté nécessaire et requis à
couvrir la dicte piramide de la tour
qui a été receu par Maistre Louys
Lemaistre la somme de soixante
deux livres deux solz troys deniers
tournoys selon les parties du d.
cloustier et certiffication du d. Le-
maistre et la quittance du d' clous- 2 ain ee
ter pouriCe... 1." re-.-0e LXAT- 1 ITNIIT.
« À Thomas Delahoulle charpen-
tier juré de la ville de Rouen pour
une visitation par lui faicte en la d.
tour pour savoir si les fortiffications
qui y avoient esté faictes de nou-
veau estoient deuement faictes ou
non et pour en avoir faict son rap-
POIL sui eue see oies eiele AU ENTER: X.
« À maistre Toussayns Dubuc
l’un des maistres charpentiers de la
d. tour (1) dix livres tournoys pour
reste de parpaye de deux cents escus
soleil (2) de tout le guindage et
montaige du boys de la d. tour se-
(1) I est inutile de dire que l’autre était Robert Becquet. Ce dernier,
comme il appert aux registres capitulaires, avait une pension de cent
sous sur la fabrique à raison de son office de maître charpentier de la Ca-
thédrale. Le 22 octobre 1548 , il réclamait les arrérages de trois années
qui lui étaient dùs.
(2) L’écu d’or au soleil valait alors 45 sols tournois. 14 livres tournois
£ ormaient le marc d'argent,
( 191 )
ion le marché que l'on avait faict
avecques luy monstré aux comptes
précédens par sa quittance... .....
«A Jehan de Blacquetotferonnier
de blancœuvre demourant à Rouen
la somme de soixante une livre dix
neuf solz, neuf deniers tournoys
pour toute la feraille par luy four-
nie et livrée tant pour parfaire et
paragrer la piramide de la d. tour
el pour faire les liaysons d’icelle
que aussy pour toute l’autre fe-
raille qu'il a convenu faire pour la
fortiffication de la d. tour et beffroi
d’icelle comme appert par ses par-
ties et quittances et par certiffica-
tion du d', S' Lemaistre pour ce
A PÉNO DOUANES CU e5 ss
« Pour le reste du boys nécessaire
pour peragrer de parfaire la d,
pyramide d’icelle tour voyturaige
brouetaige et siage du d, boys pour
faire la montée de la d. tour et le
beffroy et pour faire les fortiffica-
tions qu'il a convenu faire pour
obvyer à l'inconvénient des ventz
la somme de deux cens quarante
huyt livres ung solz deux deniers
tournoys comme appert par la d.
certification du dt. Lemaistre et
les quittances des marchands de
boys brouctiers et scieurs d’aitz
pOUT Ce. eue» Re be de de eee
« Aux maistres charpentiers et
aultres ouvriers et compaignons du
cc
Y1, XLVIII,
J.
C1g2)
dict meslier scieurs d’aitz, manou-
vriers et aultres personnes qui ont
besongné par journées et sepmaiu-
nes durant l'an de ce présent compte
payé au dernier jour d’icelles sep-
mainnes suyvant le papier de mais-
tre Louys Lemaistre commis à
faire le registre et papier des jour-
nées et sepmainnes que ont beson-
gné et défailly les dits ouvriers et
par mandement de Mons'. exhibé
aux comptes précédents et les quit-
tances de maistre Jehan Lemercyer
greffrier à ce commys pour faire les
parties et registres diceulx paye-
menz pour toutes les d‘ sepmain-
nes la somme de mil troys livres
deux solz cinq deniers ainsy qu'il
appert par les papiers nottes et re-
gistres du d' Lemaistre de Le Mer- ne bts
cier monstrez et exhibez pour ce... M. HI. Ov. vi.
: 4 m ce xx [l s d
$Somma hujus capituli.. XII. V. HIT. VIN. IN. VI.
Pour trouver le compte général de la dépense de
la flèche, il faudrait, à ces trois mille cinq cent qua-
tre-vingt- dix-huit livres quatre sous sept deniers,
CYeosssossesseseseeseenesesesses 3,598! 45 qd
ajouter :
1° Pour l'achat des bois de charpente
fait par le chapitre.................. 1,400 » »
2° Aux ouvriers charpentiers pour
l'assemblage de la charpente......... 417 x «x
3° A Robert Becquet et Toussaint
Dubuc un premier paiement......... 44o » »
A reporter... 5,855! 5° 84
(193)
Reports... 58551 bs gi
&° Le petit modèle en bois de la
He lac Su COUR E 67 10 »
5° Premier paiement à Dumonstier,
plombier, pour l’échafaud de la tête de
AMI GHE ER NES MOTEUR PT 10 »
>
Ce qui donnerait une somme de.... 5,g3o! 5° 84
Il resterait à l’'augmenter du prix du plomb employé à
l'achèvement de la couverture et du montant de la main-
d'œuvre, car la flèche ne fut complètement couverte
que quelques années après, bien que l’opinion générale
soit qu’elle ait été entièrement terminée en 1544. Un
passage d’une lettre du cardinal d’Amboise IT imprimée
dans plusieurs recueils pouvait faire soupçonner cette
vérité; mais on ne s’y était pas arrêté. Dans cette lettre,
datée du 29 avril 1544, le cardinal dit, en propres termes :
« Pour ce qu'il reste encore à couvrir de plomb la dite
« tour et y faire encore plusieurs autres ouvrages et be-
« songnes pour la magnificence et enrichissement d’i-
« celle ; et aussi que pour le présent il est très difficile de
« pouvoir fournir entre autres matereaux recouvrer et
« faire venir d'Angleterre le plomb requis et nécessaire
« à couvrir la dite tour, pour raison des guerres de pré-
« sent étants entre le Roy, notre souverain seigneur, et le
« Roy d'Angleterre, etc. »
Or, cette guerre, allumée en 1543, ne fut terminée
qu'en 1550.
J'ai découvert dans nos archives une pièce qui vient
à lPappui de la lettre du cardinal d’Amboise. C'est un
procès-verbal de l'examen fait par Robert Becquet et
Toussaint Dubuc, et signé par eux, de la plomberie
de la flèche, sous la date du 16 mai 1547. On y lit :
« Nous trouvons que le plinte du pied destalle servant
« d'empatement sur la première plate forme sur la mas-
25
(194 )
« sonerye est deubment plombé à six pieds de hauteur
« et le reste du dict pied destalle est imparfait et doibt
« estre parfait jouxte le pourtrait, et pour la segonde
« haulteur où sont les premiers colonnes il n’est com-
« mencé à plomber reste qu’il est tarase , la troisiesme et
« quatriesme haulteur ne sont encommencées à faire
« comme dict est tant les colonnes que le double corps
« de la dite tour. la cinquiesme haulteur est plombée
« reste l'arriere corps de force, »
Et plus loin :
« L’estimation du plomb qui convient avoir pour la
« perfection de la tour nous ne pourrions estymer si
nous n'’aviont fait ung essay d’une toize de plomb
« pour veoir ce que pourrait peser. »
Les comptes des cardinaux d’Amboise manquant dans
nos archives à partir de l’année 1545, il ne m'est pas
possible de fixer la date précise de l'achèvement de la
couverture (1), et de compléter le compte général de la
dépense.
Je ne doute pas, cependant, Monsieur, quant à ce der-
nier point, qu’aidé par l'extrait du procès-verbal de Ro-
bert Becquet et de Toussaint Dubuc, et en prenant pour
base les frais et les évaluations du compte que je viens de
transcrire en entier, vous ne pussiez Calculer presque
rigoureusement combien il fut employé de plomb pour
les parties non achevées, et trouver le chiffre de la dé-
(1) Un acte capitulaire du 6 décembre 1550, où il est question des
établis qui ont servi au plombier de la flèche, fournirait, au besoin, la
preuve que le plombage n’a été terminé au plutôt qu'en cette même an—
née 1950. |
Je vois, dans les mêmes registres, sous la date du 25 juillet 1545, que
le chapitre avait député un de ses membres vers le cardinal d’'Amboise,
à Gaillon, pour le supglier de faire achever la couverture de la flèche,
afin de prévenir la détérioration de la charpente. Il remit à s’en occuper
plus tard,
C195)
pense. De celte manière, nous aurions le compte total
de la flèche de Robert Becquet. Je ne pense pas, en
partant des données ci-dessus indiquées, qu'il s’élevât
beaucoup au-delà de sept mille livres du temps, les-
quelles représenteraient (1) environ trente-six mille francs
de notre monnaie , en admettant que le marc d’or, sous
le rapport du poids, soit le même en 1542 et en 1829.
Tels sont, Monsieur, les détails que j'ai recueillis sur
la pyramide de Robert Becquet, et que je m’empresse
de vous communiquer. S'ils peuvent vous être de quel-
que utilité, j'aurai atteint en grande partie le but que je
me suis proposé en m'occupant à les réunir.
J'ai l'honneur d’être, Monsieur, etc.,
A. DEVILLE.
(r) La livre d’or vaut, dans ce moment, 1,680 fr. En 1545, 165 liv.
7 5. 6 d. tournois équivalaient au marc d’or, d’après Le Blanc.
(196 )
PAPA AA AAA AAA A AAA AAA AAA AAA AAA AA RAA AA AE AA
SUR LA CAUSE
DU PEU DE POPULARITÉ DE NOTRE POÉSIE.
Discours de Réception de M. MAGNIER,
Lu en la séance du 11 février 1831.
MESSIEURS,
En m'admettant parmi vous, vous avez eu égard aux
fonctions que je remplis, aux connaissances qu’elles sup-
posent, et peut-être à une œuvre de critique qui n’est
elle-même que le résultat de mes occupations quoti-
diennes. Vous n’aviez pas d’autres raisons de m’adjoin-
dre à vos travaux. C’est à moi maintenant de vous épar-
gner les regrets qui ne suivent que trop souvent un vote
de confiance. Permettez-moi donc de vous faire hom-
mage de quelques idées qui, sans être neuves pour
sous, prouveront du moins mon intention de prendre
part aux questions littéraires qui doivent quelquefois
s’agiter dans vos réunions, J’ai cru ne pouvoir mieux
vous témoigner ma reconnaissance qu'en cherchant à
justifier, par le sujet même de ce discours, l'opinion
bienveillante que vos suffrages ont exprimée.
Un fait incontestable, et qu'il suffit d’énoncer pour
qu'il soit à l’instant même avoué et reconnu, c’est que
chez nous la poésie n’est pas populaire. Et, par-là, je
n’entends pas seulement que les poètes ne sont point
(197 )
lus par cette partie de la nation, qui, désignée sous le
nom commun de peuple, en représente la classe la moins
éclairée, et souvent même la classe tout-à-fait ignorante ;
je parle de ceux qui lisent, de ceux qui se font de la lec-
ture un moyen d’amusement autant que d'instruction,
des esprits éclairés pour qui les jouissances du goût et
les plaisirs de l'imagination sont un des charmes de la
vie. Combien en est-il parmi eux, et, pour cela, je puis
en appeler à cette assemblée , où je me vois environné de
tant d'instruction et de lumières, combien en est-il parmi
vous, Messieurs, qui , cherchant le délassement de leurs
travaux ou le moyen de passer sans ennui les moments
qui pèsent, trouvent dans les vers, plutôt que dans la
prose, le sujet de leurs lectures favorites? Et cependant le
but de la poésie est surtout de plaire. Si le poète a re-
noncé à la liberté du langage ordinaire pour s’astreindre
au joug du vers, c’est dans l'espoir de charmer votre
oreille ; si, laissant là les routes communes et les champs
du vulgaire, il vous transporte avec lui dans un autre
univers, c’est pour y faire goûter à votre ame des plai-
sirs inconnus ailleurs. D'où vient donc que la plupart de
ceux qui lisent préfèrent la prose à la poésie? Ce n’est
pas une question sans importance , Messieurs, un de ces
lieux communs sur lesquels on fait rouler un moment
des paroles oiseuses. Parmi les divers sujets que j'aurais
pu choisir, celui-ci m'a paru digne de votre atttention,
et, sans me flatter de l’approfondir, les difficultés mêmes
qu'il présente, et que vous saurez apprécier, me seront
du moins un sûr garant de votre indulgence.
Personne ne niera que la poésie antique n'ait été plus
populaire que la nôtre. L'esprit des hommes aurait-il
changé? 'Serions-nous moins sensibles aux charmes de
l'harmonie, moins disposés à nous plaire aux jeux de
l'imagination? Non, sans doute. Comme si la nature et
notre cœur, et l'univers, et Dieu lui-même, ne pouvaient,
(198 )
tels qu'ils sont, suffire à notre ame , l'homme se plaît à
en former une foule de combinaisons imaginaires, qui
deviennent pour lui autant de créations nouvelles , et la
source des impressions les plus fortes et les plus variées.
C’est aujourd'hui, comme autrefois, un des besoins de
l'humanité; et c’est encore à la poésie qu’il appartient
d'y pourvoir. Notre nature est donc toujours la même :
les circonstances seules ont changé. L’antiquité avait des
moyens de poésie que nous n'avons pas : elle avait une
histoire poétique, elle avait surtout un merveilleux qui
n'existe plus, et que rien n’a remplacé. Développons
cette idée; nous y trouverons plus de vérités qu’elle ne
semble en promettre, et peut-être même une réponse à
la question que nous avons posée.
Des siècles d’ignorance et de barbarie aux siècles de
science et de civilisation, il y a une époque de transition
où l'esprit humain, sorti de son premier état de faiblesse,
a besoin de croître encore pour arriver à toute sa force et
sa grandeur. Les hommes ne sont alors que de grands
enfants. C’est l'époque de la crédulité. Sans parler des
terreurs ou des surprises religieuses qui, dans ces temps,
ont animé et rempli les cieux et la terre d’êtres fantas-
tiques et d'événements merveilleux, combien de faits,
que d'histoires extraordinaires n’ont pas dû résulter du
penchant naturel de l’homme à entendre ou redire les
actions de ses pères! Il suffit de considérer un seul et le
mieux connu de ces faits antiques, pour juger des chan-
gements que, par eux-mêmes et le cours naturel des
choses , ils ont subis dans les souvenirs et l’imagination
des peuples.
La Grèce entière, soulevée de son sol par la haine na-
tionale, qui devait se rallumer tant de fois entre l'Eu-
rope et l'Asie, a pesé de toutes ses forces et de toutes ses
passions sur un peuple rival, qu’elle renverse après dix
années de constance et d’héroïsme, Les âges suivants ont
(199 )
long-temps retenti de ce long et vaste ébranlement. Pour
la génération même qui en fut témoin , il se joignait à la
réalité bien des merveilles. Les pères en ont fait le récit
à leurs fils, et, de générations en générations, deux siècles
à peine écoulés, il existe, sur la guerre de Troye , une
foule de traditions presque toutes merveilleuses; on ne
connaît plus autrement la guerre de Froye ; et, quand on
veut plaire aux Grecs, c'est de la guerre de Troye et de
ses héros qu'il faut leur parler. Homère paraît! il ras-
semble toutes ces traditions ; sans avoir besoin de les em-
bellir autrement que des couleurs de son divin langage,
et de l’ordre sublime qui les fait paraître dans toute leur
grandeur et leur clarté, ses chants deviennent pour ses
contemporains le récit véritable de la guerre de Troye
et de ses conséquences , telles qu’on les connaît, telles
qu'on les croit, telles qu’il les croit lui-même. Comme
son siècle, il a la foi dans les faits et les merveilles qu'il
raconte et qu’il n’a pas créés. 11 n’a fait que de l'histoire,
la seule qu’on püt faire et croire alors.
Ainsi, en remontant à l'origine de l'épopée homé-
rique, nous trouvons que, dans ses fictions, et jusque
dans ses merveilles les plus extraordinaires et les plus
bizarres, elle n'offre que des faits généralement admis, et
dont le charme réside dans la foi du poète qu’elle inspire
et du peuple qu’elle enchante. Il en fut de même à l'ori-
gine de toute poésie : il n’y en a point qui n'ait eu pour
fondement les croyances populaires ; et, quelque absurdes
qu'elles puissent nous paraître aujourd'hui, c’est par ces
croyances sérieuses alors et presque toutes religieuses ,
que les poètes ont régné dans lés premiers âges et sur la
postérité.
En effet, il est si difficile d’abuser les hommes sur ce
qu'ils savent ou sur ce qu'ils ont vu, qu'à moins de les
trouver imbus des idées ou des faits merveilleux dont
vous prétendez les charmer, vos contes pourront bien les
( 200 })
amuser un moment, mais ils ne resteront pour eux que
des contes. L’imagination et la raison sont presque tou-
jours en guerre ; on ne peut souvent satisfaire l’une qu'aux
dépens de l’autre. Si vous vous abandonnez à l'imagina-
tion, vous pourrez bien éprouver la joie, le transport
d'une ivresse momentauée; mais bientôt un sentiment
secret viendra troubler vos jouissances : craignez, si vous
sortez de la vérité, que la raison ne se révolte, et qu’en
reprenant ses droits elle ne détruise vos plaisirs. Mais
supposez aussi que , tout entiers à la raison, sans autres
inspirations que celles du bon sens, vous suiviez pas à
pas ce guide froid et vulgaire, vous courrez risque de
tomber bientôt dans un sommeil mortel. Le seul moyen
d’un plaisir sûr et constant, que rien ne trouble et n'af-
faiblisse, c'est de satisfaire à la fois l'imagination et la
raison. Or, vous avez beau faire, l'imagination ne se
contiendra pas dans les bornes du monde réel; penchant
que j’appellerais un travers de notre nature, si je n’y
voyais le besoin, le pressentiment d’un monde où tout
doit changer, s’embellir et s’agrandir pour l’ame délivrée
de sa dépouille terrestre. Mais comment la raison se
pliera-t-elle au joug de l'imagination? Comment servira
t-elle ses caprices? Comment la suivra-t-elle dans son
univers de mensonge ? L’antiquité a résolu le problème,
Messieurs ; les fictions et les merveilles sont nées d’elles-
mêmes. N'ayant été d’abord que les résultats successifs
de la crédulité de quelques générations, maïs ensuite
consacrées par le génie plein de foi dans un langage har-
monieux et sublime, elles se sont fixées et maintenues,
comme l'histoire et la vérité, dans la mémoire et l’ima-
gination des âges suivants. C’est ainsi que le monde de
la poésie merveilleuse se trouva créé pour les anciens ;
non pas un monde fantastique où l'imagination du poète
se jouait, suivant ses caprices, au milieu des prodiges
qu’il inventait lui-même , mais un monde réel , où , forcé
( 2071 })
de se conformer aux traditions antiques, il trouvait en
elles des merveilles toutes faites, qui, pour ses contem-
porains, avaient les charmes de la vérité joints à ceux de
l'invention poétique.
Malgré toutes les différences qui devaient résulter de la
religion et du mélange bizarre et burlesque des débris de
la civilisation romaine avec la barbarie du Nord, le
moyen âge est l’époque homérique des temps modernes.
Les héros et les demi-dieux semblèrent renaître avec les
souvenirs du siècle de Charlemagne , et la guerre de Troye
se renouvela plus vaste et plus sublime dans l’ébranle-
ment religieux de l'Europe contre l'Asie et Mahomet.
À travers deux ou trois siècles de ténèbres, l’histoire de
Charlemagne, dont les traditions se retraçaient sans cesse
à l'imagination, n’offrait plus qu'un ensemble de fictions,
où se retrouvent l'esprit même et les idées chevaleres-
ques du temps qui les a créées. Et si nos regards s’arré-
tent sur les croisades seules , quelles merveilles n'avaient
pas dû naître, à une époque ainsi disposée , de l’éloigne-
ment des contrées où ces guerres saintes précipitaient les
peuples , et de l'enthousiasme religieux, si fécond en pro-
diges réels ou imaginaires ? Parcourez les souvenirs du
moyen âge; le miracle y est chose commune, l’inter-
vention divine et l’action des démons toute naturelle,
les prédictions aussi fréquentes, aussi sûres que les ora-
cles de Calchas ou des sibylles. Il semble même que
ce qu'il y a d’extraordinaire dans une action soit pour
les esprits une raison d’y croire. N'est-ce point là cette
époque de foi et de crédulité qui créa le merveilleux
antique , l’âge d’or de l’imagination, la source unique
de cette poésie, la seule vraie, qui, dans ses fictions
même, est encore la vérité? Les grandes actions, les
figures héroïques, les faits gigantesques s’oflraient en
foule ; il ne leur a manqué qu'un Homère, c’est-à-dire
l'historien des siècles de crédulité et d’inventions popu-
26
({ 202 )
laires. Si, au milieu de toutes ces créations merveil-
leuses , résultant de l’état des esprits et des croyances de
l’époque, dans cette abondance prodigieuse des légendes
et des contes religieux ou chevaleresques, il se fût trouvé,
pour les mettre en œuvre et en consacrer à jamais la vé-
rité, un génie crédule et puissant, qui, en les élevant
par son langage à la hauteur de sa pensée, leur eût
donné l’empire homérique sur l'imagination moderne,
peut-on se figurer sans enthousiasme et sans regrets la
vasle carrière où nos poètes auraient marché, non plus
suivis de quelques adeptes, mais environnés de cette
foule innombrable qui, dans leurs chants et leurs ta-
bleaux , croirait s'entendre et se voir elle-même chanter
et peindre ?
Le Dante devait être l'Homère du moyen âge; mais
il ne traita point le véritable sujet de l'épopée moderne.
Deux siècles plus tard, l’Arioste et le Tasse s’'emparèrent
de Charlemagne et des croisades : d’après leur succès,
on peut juger de l’empire qu'aux temps mêmes de la
crédulité les fictions du moyen âge pouvaient prendre
sur le monde, Mais, heureux de trouver encore assez de
souvenirs et de traditions populaires pour que leurs fic-
tions ne fussent pas étrangères ou contraires aux idées et
au goût de leur temps, ils ne trouvèrent plus cette cré-
dulité, qui, par les chants de la poésie, grave ses inven-
tions et se consacre elle-même dans l'esprit des hommes.
L'époque avait été manquée ; il était trop tard alors, à
plus forte raison depuis ; et ce devait être le résultat iné-
vitable de la renaissance des lettres.
Lorsque nos pères sortirent des ténèbres où le monde
était plongé, ce fut à la lueur d’un flambeau, qui, long-
temps à peine entrevu dans la nuit des siècles, reprit
peu à peu sa lumière , pour en inonder l'Europe entière.
Dès-lors ils marchèrent à grands pas dans la carrière de
civilisation, où peut-être nous entrerions à peine , si la
PE
(203)
littérature ancienne, en leur révélant avec ses chefs-
d'œuvre le goût et le génie qui les avaient inspirés, ne
les eût tout-à-coup élevés à la hauteur des Grecs et des
Romains. Mais aussi qu'en arriva-t-il? Les yeux pres-
que uniquement fixés sur cette lumière, ceux dont la
voix et les écrits devaient diriger les peuples, portèrent
les esprits du mème côté. Les Romains envahirent en-
‘core une fois le monde ; les écrivains anciens devinrent
les nôtres ; leur poésie, toute créée, parut la seule et vé-
ritable poésie ; on ne connut plus d’autres fictions que
celles de la crédulité grecque ou romaine. IL en résulta
de nouveaux chefs-d’œuvre ; et qui de nous n’oppose avec
orgueil aux plus beaux siècles de la Grèce et de Rome
le siècle de Louis XIV et ses productions merveilleuses ?
Mais en même temps nous en conviendrons, cette
poésie n'était plus celle du peuple. Pour se plaire à ses
fictions , il fallait , par de longues études, s’être dépouillé
de la rouille populaire ; les femmes, à qui les mœurs
chevaleresques avaient donné tant de part aux jouissances
de la vie moderne, devaient rester en dehors de cette
poésie régénérée des Grecs et des Latins ; enfin, la na-
tion presque entière n’entendait plus la voix de ses
poètes. |
Mais, dans cet envahissement de la poésie antique,
que devenaient les traditions populaires des âges précé-
dents? Elles n'avaient plus, dès-lors, ce qui les aurait
consolidées et maintenues dans lesprit des peuples, le
concours , la croyance égale et la consécration nécessaire
de ceux qui dominent par le génie ou par le pouvoir.
Comment auraient-elles pu résister à l’action du temps?
Si du moins, comme les traditions homériques, elles
s'étaient trouvées mêlées à la religion, elles auraient par-
ticipé de son empire et de sa durée; mais le christia-
nisme ne pouvait, sans s’ébranler lui-même, imposer
d’autres merveilles à la croyance des hommes que celles
(204 )
de sa fondation. Il fallait donc que le peuple, en restant
étranger à la poésie antique , perdit aussi les traditions
du moyen âge : il ne les connaît pas plus que celles du
temps d'Homère. D'un autre côté, au-dessus et loin du
peuple, ceux qui s’en étaient séparés pour vivre dans
l’ancien monde , n’y vivant qu'en imagination, n'avaient
pas cette foi solide sans laquelle la fiction n’a plus tous
ses charmes. La science elle-même se fatigua bientôt de
formes et d’idées qui ne lui retraçaient rien de ce qu’elle
voyait ou croyait.
Ainsi, Messieurs, grands ou petits, savants ou igno-
rants, nous n'avons plus de merveilleux : antique ou mo-
derne , il a perdu son empire, et, dans l’état actuel des
nations, rien n’annonce qu'il puisse jamais se rétablir.
Fenteriez-vous, par exemple, de nous offrir un nou-
veau genre de fictions? Soyez sûr que vous errerez seul
dans ce nonvel univers , que votre imagination peut rêver
ou créer au gré de ses caprices ou de son délire. Quelle
que soit la puissance du génie, Homère et ses succes-
seurs ne produiraient pas aujourd'hui sur l'humanité ce
qui, de leur temps, n'avait été que l’œuvre des siècles
et des peuples eux-mêmes. Tenterez-vous, comme quel-
ques-uns de nos poètes, de nous rendre les fictions du
moyen âge? Mais nous venons de montrer que, depuis
long-temps déjà, le fil des générations s’est rompu pour
elles; et, pour croire aux merveilles, il faut les avoir
reçues avec la vie ; il faut que nos pères les aient, pour
ainsi dire , fait passer en nous avec leur sang.
Et qu'avons-nous besoin, me dira-t-on, de toutes
vos créations bizarres, bonnes seulement pour amuser
les enfants et les peuples enfants ? Toutes ces inventions
des temps antiques, toutes ces merveilles dont vous nous
faites la poésie , ne sont pas la poésie telle que nous l’en-
tendons aujourd'hui. C’est vrai, Messieurs, et c'est une
des raisons pour lesquelles notre poésie n’est pas et ne
Re
( 2095 )
peut pas être populaire. Bien des siècles après les temps
héroïques et l’époque d'Homère ; dans toute la splendeur
de la civilisation grecque ou romaine, lorsque la lyre de
Pindare ou d'Horace faisait entendre à l'oreille des
hommes plus instruits des accents plus savants et plus
variés, lorsque la voix des personnages évoqués par So-
phocle et Euripide faisait frémir et pleurer Athènes ,
lorsque Virgile, en chantant la fondation de l'empire
romain , révélait les sublimes destinées de la ville éter-
nelle, la poésie ne communiquait avec les hommes
que par ces faits de tradition auxquels l’antique cré-
dulité, les chants des premiers poètes, la religion même,
et les idées de l'enfance, assuraient la foi des peuples. Le
grand avantage de la fiction, quand elle est admise,
quand elle est dans l'esprit de la nation, c’est d'être à
la portée de tout le monde. File parle également à toutes
les imaginations , et c'est par là que la poésie ancienne
était celle du peuple : elle avait, pour tous les yeux, des
images réelles et vivantes, une foule d'actions, de ca-
ractères , de personnages ; qui lui permettaient de pré-
senter , sous des traits et des formes connus, et en quel-
que sorte corporels, les idées, les sentiments et les
passions pour lesquels nous n'avons souvent qu'une
expression, qui, dans sa généralité philosophique ou
sentimentale, échappe à la plupart des esprits , et surtout
à l'imagination populaire, accoutumée à ne saisir et ne
comprendre que les faits et les réalités.
On conçoit, Messieurs, comment notre poésie, ré-
duite à n'employer qu'un merveilleux auquel personne
ne croit, ou forcée de s’en passer , a perdu son plus fort
moyen d'action et d'empire. Heureux ceux qui croient !
Dans la poésie, comme dans la religion, de quelles jouis-
sances l’incrédulité ne prive-t-elle pas les ames sèches et
froides qui n’admettent que les réalités de notre monde
et de la vie présente ! Mais le mal est irréparable; il
( 206 )
faut s'y résigner, Messieurs. Voyons cependant s'il ne
resterait pas quelque moyen de satisfaire encore aux be-
soins de la poésie, ou plutôt des esprits qui devraient y
trouver leur charme.
De tous les faits et des raisonnements qui nous ont
conduit à notre conclusion fatale sur le merveilleux an-
tique ou moderne , nous sommes en droit de conclure
d’autres vérités. Le poète ne trouvera croyance et sym-
pathie dans la raison, le cœur et l'imagination de ses
contemporains , qu'en leur présentant ce qu'ils savent ,
ce qu'ils sont disposés à croire et sentir. Il n’y a de poésie
populaire que celle qui rend au peuple ce qu'il a prêté,
celle qui, prise dans l'esprit du temps et dans la na-
tion même, n’est en réalité que l’image et l'expression
fidèle de ses idées et de ses sentiments, embellis et non
changés par l’art et le pinceau du poète. Vous donc
qui, dans les transports de votre imagination , voyez un
peuple entier séduit et entraîné par vos chants, dé-
trompez-vous : le peuple reste immobile à sa place, et
il y restera si vous n'allez le chercher. Présentez-lui ses
idées , parlez-lui sa langue , qu'il croie enfin s'entendre
lui-même , si vous voulez qu'il trouve du charme à
vous entendre. Au lieu de le façonner à vos travaux,
et de chercher à lui faire partager des inspirations et
des pensées qui ne sont pas dans sa nature et dans
ses dispositions présentes , conformez-vous à ses goûts ,
servez-le suivant ses idées et ses désirs : alors vous se-
rez pour lui dans le vrai; alors, seulement alors vous
dominerez son ame. En voici la preuve.
Nous ne sommes plus dans ces heureux temps où la
religion , maîtresse de tousles cœurs, ne connaissait
presque point d'enfants ingrats ou rebelles. Cependant,
il reste encore bien des ames embrâsées de feu divin ;
et, comme il arrive dans les temps d'opposition, com-
bien se sont affermis dans leurs sentiments par les
(207)
combats mêmes qu'ils soutiennent pour les conserver !
Bien plus, chez la plupart, il n'y a qu'indifférence ,
et non pas rebellion ouverte où abandon complet :
ils ne croient pas en apparence, mais sans raison de
ne pas croire ; et soyez sûrs qu'au fond de leurs cœurs il
reste, à leur insu , bien des idées d'enfance qu'on ne
secoue pas à son gré, et qui, doucement réveillées, ont
encore le charme de la vérité. Et, quand il n’y aurait
que ces ames toujours ouvertes aux douces impressions,
qui, dans leur besoin d'appui , sentent mieux le plaisir
de croire au protecteur du faible , au consolateur de l’af-
figé, la religion n’aurait-elle pas encore pour elle la
plus belle moitié de la nation, celle qui s'émeut le plus
vivement aux beautés de l'imagination, et dont le goût
naturel aura toujours tant d’empire sur le nôtre?
Les idées les plus fécondes sont en même temps les
plus simples ; mais elles ne viennent qu'au génie. Cha-
teaubriand eut celle-ci, Messieurs : il vit que le senti-
ment religieux est encore le plus généralement répandu
parmi nous, Peinte ou mise en action dans ses ouvrages,
la religion est devenue lame de son style et la base
de ses succès. C’est par là que , trouvant son point d’ap-
pui dans la nation, il a commencé la révolution lit-
téraire de notre siècle. La poésie s’est emparée de
cette idée. Comme Chateaubriand , Lamartine voyant
dans le peuple même linstrument aussi bien que le
but de ses chants, a touché la même corde , et vous
savez les sons qu'elle a rendus sous ses doigts, non plus
des sons solitaires, mais entendus de plus de monde
que ceux des autres poètes. La poésie religieuse est donc
celle qui trouve encore le plus de sympathie et d'ac-
cord avec ses chants, celle dont les accents résonnent
le mieux au fond des cœurs; et n’en soyez pas surpris :
par conviction, habitude ou souvenir, nous sommes
presque tous disposés à l'entendre.
( 208 )
Cependant, il ne suffit pas d'offrir au peuple ses pro-
pres pensées et des sentiments à lui: il faut encore qu'il
les saisisse et les admette sans peine. Dans la poésie, l’idée
du travail exclut celle du plaisir. Le tort de la plupart de
nos jeunes poètes, et trop souvent de Lamartine lui-
mème, est d'exiger une contention d'esprit qui ne suf-
fit pas toujours pour les suivre dans le monde intérieur
où ils se complaisent:leur poésie de sentiment et de con-
templation reste inaccessible à la raison commune, Mais
ce que tout le monde comprend sans peine, et presque
toujours avec plaisir, c’est une action, ce sont les choses
que l'imagination saisit, pour ainsi dire, par les yeux. Il
a bien senti cette vérité celui qui, dans sa prose , a été
sans contredit le plus grand poète de notre siècle, Non
content de trouver dans la religion des idées neuves qui
semblaient appartenir à tout le monde, il a vu que le seul
moyen de parler à toutesles imaginations, c'était de mettre
en action sa pensée religieuse. Il s’est trompé sans doute,
quand il a voulu créer un merveilleux qui n’était pas
dans la nation; et son exemple prouve assez que la grande
difficulté, c’est d’avoir un genre d’action qui, permettant
toutes les beautés et toutes les hardiesses du langage poé-
tique, soit, comme l'antique merveilleux , à la portée de
tous les esprits et conforme à toutes les croyances. Où
trouverons-nous donc ce genre d’action qui convienne à
notre siècle? En terminant, permettez-moi d'exposer
sur ce point ma pensée et mes espérances.
Le goût naturel à l’homme qui, dans les siècles d’igno-
rance, se fait des souvenirs de ses pères la source des plai-
sirs de son imagination, renaît parmi nous plus sévère,
mais encore susceptible de charmes. Déjà même, sur les
pas d’un homme de génie, le roman, si habile à connaître
et saisir les moyens de plaire, est sorti de la vie présente
et a pris pour domaine le passé. Mais la poésie laisserait-
elle usurper ses droits ? elle qui, dès sa naissance et chez
( 209 )
tous les peuples, s’est fait des traditions antiques son
moyen de gloire et d’empire, croirait-elle qu'aujourd'hui
le passé reste pour nous sans grandeur et sans illusion ?
Les faits et les personnages, à mesure que le temps nous
en éloigne, semblent grandir et prendre une figure plus
imposante; ce qui ne fut que vulgaire, ce qui ne serait
maintenant qu'une action commune et bientôt oubliée,
revêt, dans le lointain des âges, une importance moins
imaginaire que réelle. Ce nouveau genre de merveilleux,
le merveilleux historique, n'attend peut-être que son
poète. Qu'un homme de génie se rencontre qui nous
rende le passé tout vivant, qui, exhumant, pour ainsi dire
les personnages fameux des diverses générations et les
générations elles-mêmes, les fasse apparaître devant nous
avec leurs vertus, leurs passions, leurs crimes, et un lan-
gage qui imprime à ces figures antiques leur caractère
et leur sceau de vie ; les hommes des temps anciens, et
ces temps eux-mêmes, comme autant de figures coulées
en bronze, resteront pour la postérité les types éternels
des idées, des caractères et des passions qui, aux diver-
ses époques, ont animé le monde. Combien ces créations
du génie devront encore ajouter au goût de l’histoire si
facile à satisfaire, et que de toutes parts l'instruction tend
à répandre ! Ne voyez-vous pas, dès-lors, l’histoire et la
poésie se prêter un secours mutuel , l’une donnant à l’'au-
tre son action et sa vérité, l’autre secondant de toute sa
puissance l’empressement des esprits à se reporter dans
les temps antérieurs ? Si, de cette manière, et comme il
est permis de l’espérer, un jour vient où chaque fran-
çais ne trouve , dans la manifestation poétique du passé,
que des vérités populaires et des souvenirs presque fami-
liers , la poésie n’aura-t-elle pas reconquis, dans toute sa
grandeur, cet empire qu'aujourd'hui, loin du peuple,
elle se plaint d'exercer sur un petit nombre d'ames pri-
vilégiées et seules dociles à ses lois ?
( 210 )
Eañfin, Messieurs, dans l’état actuel des esprits, il n est
personne qui ne s’altende à quelque changement. On
sent de toutes parts le besoin de replacer la poésie sur
d’autres bases ou dans une autre voie; et de là ce mal-
aise, cetle agitation, ce mouvement de réaction, qui, de-
puis quinze ans surtout, menacent de bouleverser notre
monde littéraire. Il en sera comme de ces révolutions
qui, dans le cours inévitable des choses, et aux épaques
marquées par la providence, remuent quelquelois les
peuples pour les renverser à jamais ou pour leur don-
ner une vie plus forte et pleine de destinées nouvelles.
Espérons que celle-ci ne sera point fatale. Les époques
de décadence littéraire n’ont jamais éié que des époques
de décadence dans la nature et la dignité des nations.
Après Alexandre, la Grèce devient esclave , et son génie
perd , avec la liberté, son essor et sa grandeur. Sous les
iyrans qui l’abrutissaient ;; Rome pouvait-elle conserver
les sentiments qui inspirent les grandes pensées et font
les grands hommes ? L'Italie même, dans les temps mo-
dernes, n’a joui de son génie et de sa gloire que dans
les luttes de ses villes rivales et parmi les combais de ses
citoyens divisés pour la cause de la liberté ; quaud elle
a fléchi sous la verge étrangère, son génie s'est tù, Et
nous, dont le génie a devancé les temps qui devaient
l'inspirer , nous à qui les progrès de notre siècle assu-
rent cette liberté qui donne à l’homme ioute sa force et
sa puissance, nous qui, loin de ramper sous ce joug
étranger qui ravale les nations, serions prêts à renouve-
ler les prodiges dont le souvenir fait encore trembler le
monde, ce serait à cette époque de gloire, de puissance
et de liberté que nous tomberions dans cet état de fai-
blesse et d’an‘antissement qui n'appartient qu'aux peu-
ples dégradés! Laissez marcher la nature humaine ; le
génie est de tous les temps ; il ne lui a souvent manqué
qu'un siècle inspirateur : avec les sentiments qui seuls
(arr )
dé ormais doivent animer nos cœurs et honorer la
France, des hommes se présenteront, n’en doutez pas,
qui sauront se faire entendre , et rendre populaires le vrai
beau et la belle nature.
M. Blanche , président, a répondu :
« Monsieur, lorsque l'Académie vous a ouvert ses
rangs, chacun de ses membres avait pu apprécier l’éléva-
üon de votre esprit et l'indépendance de vos sentiments.
La dissertation que nous venons d'entendre aurait achevé
la conviction, si, à cet égard, il fût resté quelque chose
à faire. »
M, Blanche ne suivra pas l’orateur, at-il dit, dans les
développements pleins d'intérêt qui servent à la preuve et
à l’ornement du discours , etc. ; mais il a adopté comme
vérité incontestable l'impossibilité d'admettre chez nous
les machines poétiques de l'antiquité, repoussées par la
raison et les croyances de notre époque. Il à embrassé
avec plaisir l’heureux espoir de voir l’histoire concourir
à la résurrection d’une poésie populaire. Quant à la coïn-
cidence des décadences littéraires avec celles des peuples,
admise par M. Magaier, M. Blanche l’a confirmée par
un passage analogue de madame de Staël, qui, parlant
d'Homère , paraît fixer l’origine du poème à des temps
renommés par la simplicité des mœurs, quoiqu’elie
ajoute que « ce n’est ni la vertu ni la dépravation qui
font le sort de la poésie » ; mais, suivant elle ; la poésie
doit toujours beaucoup à la nouveauté de la nature et à
l'enfance de la civilisation, etc.
PRE AA AA AAA AAA AAA AAA AAA AAA AAA AAA AAA AA AA A
NOTICE BIBLIOGRAPHIQUE
SUR LA TRAGÉDIE DE TFR ET SIDON,
Lue à l'Académie, le 3 juin 1831,
Par M. Dururer.
/
Messieurs ,
La bienveillance avec laquelle vous avez reçu quelques
notices bibliographiques que je vous ai précédemment
soumises, et dont vous m'avez donné une preuve bien sen-
sible en les insérant dans le Précis de vos travaux pour
les années 1827 et 1828, m'enhardit à vous en présenter
une nouvelle aujourd’hui, dans l'espoir que vous ne lui
ferez pas un accueil moins favorable.
Cette notice aura pour objet deux pièces de théâtre de-
venues assez rares pour que peu de bibliographes aient eu
l'occasion de les voir, ce qui a pu induire ceux qui en
ont parlé dans lès erreurs que je me propose de vous
indiquer.
La première des pièces dont il s’agit, imprimée à Pa-
ris, in-12, chez Jean Micard, en 1608, a pour titre : 7yr
et Sidon, tragédie, ou les funestes amours de Belcar et de Me-
liane, avec autres meslanges poétiques, par Daniel d'Anchères,
gentilhomme verdunoïs ; et la seconde, intitulée (1) : Tyr et
(1) Le seul exemplaire de cette pièce que j'aie pu me procurer étant
sans frontispice, j'en rapporte ici le titre d’après MM. de Beauchamps
et de La Valière, ce qui fait que je n’en garantis pas l'exactitude.
(Re
Sidon, tragi-coméedie en deux journées, dont l'une représente
les funestes succès des amours de Léonte et de Philoline, et la
seconde les empéchements et l'heureux succès de Belcar et de
Meliane; chacune en cinq actes et en vers, avec une préface
el un avis de l’imprimeur au lecteur, a été imprimée in-8° à
Paris, chez Robert Estienne , en 1628, sous le nom de
Jean de Schelandre.
-Cetie seconde pièce , qui a d’autres rapports que ceux
du titre et du sujet avec la première , puisque l’on y re-
trouve tous les personnages , toutes les siluations, les
scènes, les vers même de celle-ci, n’en est-elle qu’une
seconde édition avec quelques variantes, la suppression
des chœurs, l'addition d'une première partie, et un dé-
guisement du nom de l’auteur ? Ou Jean de Schelandre ne
serait-il qu'un plagiaire effronté qui se serait approprié,
avec aussi peu de scrupule que de réserve, l'ouvrage de
Daniel d'Anchères, dont il n'aurait pas même pris soin
de changer ou de modifier le titre? C'est ce que j'aurai
bientôt à examiner, Messieurs; mais permettez qu'au-
paravant je vous signale ici quelques erreurs échappées
aux deux seuls bibliographes qui aient, à ma connais-
sance , parlé, avec quelques détails, des deux pièces en
question, erreurs d'autant plus essentielles à relever,
selon moi, que l'autorité du nom de leurs auteurs leur
donne plus de poids.
Dans ses Recherches sur les Thédtres de France, tome 2,
page 14, M. de Beauchamps indique la tragédie de Tyr
et Sidon de Daniel d'Anchères comme étant en prose et
en vers, avec l'argument et l'abrége des personnages en sonnet,
et se trouvant dans les mélanges poétiques de l’auteur ,
intitulés, d’après lui, Amours d'Anne, etc. Eh bien! Mes-
sieurs, pas une de ces assertions qui ne soit erronée. En
eflet, loin d’être en prose et en vers, la tragédie de Daniel
d'Anchères est toute en vers alexandrins, sauf les chœurs,
qui sont d'une autre mesure; l'argument est en prose, et
(214)
l'abrégé des personnages seul est en vers; c'est à dire que,
sous le nom de chaque personnage, se trouve un vers, em
forme de sentence , indiquant l’esprit ou la moralité de
son rôle. Enfin, ainsi que vous avez pu en juger par le
titre, que j'ai rapporté textuellement, Tyr et Sidon ne fait
point partie des mélanges poétiques de l’auteur, et ces
mélanges placés à la suite de la tragédie, ne sont pas,
comme l'annonce à tort M. de Beauchamps, intitulés
Amours d'Anne, mais portent, au haut des pages, différents
titres tels que procez de Hollande, meslanges, gayetez, et les
stances, sonnets, quatrains, etc., consacrés à célébrer les
amours d'Anne, n’en occupent qu'à peu près un tiers.
M. de La Valière , dans sa Bibliothèque du Theâtre
français , tome x°", page 408, partage les principales
erreurs de M. de Beauchamps, en répétant, d’après lui
peut-être, que l'argument et l'abrègé des personnages sont
en sonnels, et que la tragédie est en prose et en vers; ce
qui est d'autant plus étonnant que l'analyse qu'il en
donne peut faire présumer qu'il a dà la lire en entier.
Mais, quelque remarquables que soient ces erreurs, on
peut ent signaler une bien plus grave, également commune
à MM. de Beauchamps et de La Valière. Elle consiste en
ce que ces deux savants bibliographes ont, l’un et l’autre,
indiqué la même tragédie sous deux dates différentes, pré-
senté comme une autre pièce une réimpression avec va-
riantes et additions, et, confondant, si je puism’exprimer
ainsi, le masque et le visage, consacré deux articles à un
même individu, tantôt sous son nom propre, et tantôt
pseudonyme.
En effet, pour peu qu’on lise avec quelque attention
les deux tragédies, ou tragi-comédies, de Tyr et Sidon, il
est facile de reconnaître que celle publiée en 1628 est,
ainsi que je l'ai déjà observé, identiquement la même,
sauf quelques variantes et l’addition d’une première par-
tie, que celle qui avait paru vingtans auparavant.
(215)
Quant à identité de l’auteur, elle ne ressort pas moins
de quelques détails dans lesquels lui-même ou son édi-
teur sont entrés sur sa personne, que de la transparence
du voile dont il a cru devoir s’envelopper, et à travers
lequel on ne cesse de le voir, comme j'espère vous en
convaincre bientôt,
On trouve, en tête de l'édition de 1608, une épître
dédicatoire au sérénissime Jacques, E* du nom, roi de
la Grande-Bretagne, dans laquelle l’auteur promet à ce
monarque que, « si il lui fait l'honneur d’avoir pour
« agréables les prémices qu'il lui offre, s'étant fortifié la
« voix sous ses favorables auspices, il fera retentir au
« Parnasse françois le divin sujet de ses louanges ».
Cette épître dédicatoire est suivie de plusieurs pièces de
vers adressées , tant à Jacques 1°", q'à la reine son épouse
et au prince de ##/alles ou de Galles, leur fils, etc., qui
prouvent que Daniel d'Anchères était particulièrement
attaché au service de Jacques Er.
Dans la réimpression de 1628, l'éditeur, désigné par
les initiales F. O. P., apprend, dans sa préface au lec-
teur, que l’auteur avait, « à l’âge de vingt-cinq ans, com-
« posé trois livres d’une Stuartide admirée de ce docte
« roi de la Grande-Bretagne, qui à fait asseoir auprès de
« lui les Muses dans son propre throsne ». Ce qui fait
voir que l’auteur de Tyr et Sidon avait réalisé, dans lin-
tervalle de 1608 à 1628, la promesse qu’il avait faite, à
cette première époque, à Jacques I", de faire retentir au
Pärnasse françois le divin sujet de ses louanges, et que, par
conséquent , le prétendu Jean de Schelandre se char-
geant d’acquitter les dettes contractées par Daniel d’An-
chères , ne doit former avec lui qu’un seul et même in-
dividu.
Mais ce qui achève, selon moi, la démonstration et
doit dissiper tous les doutes qui pourraient encore rester
à cet égard, c'est que l’un des noms est absolument l’a-
{216 )
nagramme exacte de l'autre, et que, par la simple trans-
position des lettres qui entrent dans les mots Daniel de
Anchères, on composera, sans y faire aucune addition ni
retranchement, ceux de Jeun de Schelandre.
Je devrais maintenant examiner lequel de ces deux
noms est réel, et lequel supposé. Mais je crois que ,
d'après ce que je vous ai déjà exposé, Messieurs, votre
opinion ne peut être incertaine à ce sujet. Je n'ajou-
terai donc qu’un mot. Il me semble évident que l’auteur
réel de la tragédie de Tyr et Sidon ne peut être que
Daniel d’'Anchères. En effet , c’est Daniel d'Anchères qui a
signé l’épître dédicatoire à Jacques I**; c’est à lui que
Hodey et Paul-Antoine d’Agent ont adressé des vers
apologétiques, placés, selon l’usage du temps , au-de-
vant de sa tragédie , au nombre de ce qu’on appelait
alors les approbations du Parnasse ; ce qui n'eût pas eu
lieu s’il neût été qu’un personnage imaginaire, un
être de raison. D'ailleurs, il ne pouvait avoir aucun
motif de déguiser son nom , en publiant , pour la pre-
mière fois, sa tragédie en 1608, au lieu qu'il n’en
était pas de même lorsqu'il la fit réimprimer vingt ans
après, avec l’addition d’une première partie pleine de
détails si obscènes , de vers si grossiers, qu’il n'était
vraiment pas possible à un honnête homme de les
avouer ni de les publier sans le secours d'un mas-
que qui pût dérober à tous les yeux combien il en de-
vait rougir.
Car , Messieurs, ne nous y trompons pas, malgré les
éloges que l’on reproduit chaque jour de la pureté des
mœurs de nos bons aïeux, qui pouvaïent être très chas-
tes, mais dont le langage , à coup sùr, ne l'était guère,
un grand nombre d'ouvrages en tout genre des qua-
torzième , quinzième , seizième et commencement du
dix-septième siècle, sont là pour attester , au besoin,
la nécessité de la recommandation que le législateur de
(. au
notre Parnasse a cru devoir faire aux poètes de son temps,
lorsqu'il a dit, dans son Art poétique :
... Le lecteur français veut être respecté;
Du moindre sens impur la liberté l’outrage
Si la pudeur des mots n’en adoucit l’image.
Mais il paraît qu’à l’époque où écrivait Daniel d'An-
chères , on n’y regardait pas de si près. Aussi, a-t-il eu
soin, sur la demande de son imprimeur, comme ce-
lui-ci nous l’apprend dans un avertissement qui précède
la tragédie de Tyr et Sidon , édition de 1628 , d'indiquer
les retranchements des passages et des vers les plus indé-
cents, qu'il y aurait à faire pour la représenter , ainsi qu’il
paraît que c'était la mode alors, sur les théâtres particu-
liers. « Cette pièce ayant, dit-il, été composée pro-
« prement à l’usage d’un théâtre public, où les acteurs
« sont privilégies de dire plusieurs choses qui seraient
« trouvées ou frop hardies où mal séantes aux personnes
« plus retenues que les comédiens ordinaires. »
Permettez, Messieurs, qu'avant de terminer ces re-
marques, je vous en soumette une que je n'y crois
pas tout-à-fait étrangère , et qui'me semble pouvoir ,
sous plus d’un rapport, être offerte aux méditations du
philosophe moraliste.
Il paraît, d’après le passage que je viens de vous
rapporter de l’avertissement de limprimeur de la tra-
gédie de Tyr et Sidon, en 1628, et les observations
qu'il a fait naître à M. de Beauchamps ( Recherches sur
les Théâtres de France , tome 2, page 61), que le goût
des représentations domestiques était aussi général en
France, au commencement du dix-septième siècle , que
nous lavons vu depuis à la fin du dix-huitième, et
que, pour me servir de ses expressions ,; à chacune
de ces deux époques « les honnêtes gens ne se fai-
« saient point un scrupule de se rassembler pour jouer,
28
(218 )
« entre eux, des pièces de théâtre. » Mais , et c'est
le point sur lequel j’appellerai plus particulièrement
votre attention , il existe une différence bien remarqua-
ble entre la première et la seconde époque, dans le
choix des pièces destinées à ces représentations.
Au commencement du dix-septième siècle , les acteurs
de profession avaient seuls, comme vous venez de le
voir, le privilége de dire plusieurs choses, ou #rop har-
dies, ou mal séantes; et les pièces qu'ils ne rougissaient
pas d'offrir au public ne pouvaient se reproduire sur
les théâtres particuliers qu'après qu'on en avait retran-
ché ce qui aurait trop ouvertement blessé la décence. À
la fin du dix-huitième siècle, au contraire , la scène pu-
blique , épurée , s’est montrée plus retenue, plus réser-
vée, tandis qu’on n'hésitait pas à représenter, dans les
petits appartements des grands seigneurs, les châteaux
des traitants, et sur les théâtres bourgeois, ces pièces à
équivoques grossières , ces parades indécentes, ces vau-
devilles graveleux , auxquels les Fagan , les Moncrif, les
Piron, Collé, Laujon, etc., ont dû une célébrité dont
notre siècle , plus positif, a déja fait justice.
D'où peut provenir; Messieurs, cette différence ? In-
dique-t-elle une amélioration dans nos mœurs? est-elle
un effet des progrès de la civilisation? Il n’entre pas dans
le plan que je me suis proposé de résoudre ces questions ;
mais je n’en ai pas moins cru devoir vous les soumettre ,
persuadé qu’elles sont de nature à fixer votre attention.
C219)
RAA VAN AA AA AAA AAA A AAA AAA AAA AAA AAA PPS
DISCOURS DE RÉCEPTION
LE
M. L.-D. PAumiER, Pasleur;
Lu à l’Académie, séance du 11 mars 183r.
Messieurs,
En venant, pour la première fois, occuper ici la place
à laquelle vous avez daigné m'appeler par vos hono-
rables suffrages , si, d’un côté, j’éprouve le besoin de
vous remercier de cette marque distinguée de votre
bienveillance ; de lautre, je désire vous donner une
juste idée, et me bien pénétrer moi-même, de l’étendue
de la reconnaissance que cette bienveillance m'inspire.
Si je ne considérais que l’Aonneur attaché au titre d’a-
cadémicien, je pourrais craindre de prendre pour de
la gratitude ce qui ne serait peut-être en moi qu'un
mouvement d'amour - propre flatté ; et encore serais-
je forcé de me dire tout bas que ce titre n’est véri-
tablement un honneur que pour l’homme qui le reçoit,
non comme une faveur où un témoignage de tolérance,
mais comme une récompense qu'il a su mériter par ses
travaux scientifiques ou littéraires.
Si je ne pensais qu'aux obligations que je contracte
en entrant dans cette savante Compagnie, j'aurais lieu
de redouter aussi une augmentation de travail et même
une tâche au-dessus de mes forces, puisque déjà les
fonctions de mon ministère absorbent presque tous mes
instants. J'ajouterai même que je me ferais un
( 220 )
scrupule de dérober aux membres de mon église des
heures que je leur dois toutes, si c'était pour ne venir
les passer à vos séances que comme à un délassement
agréable , ou pour oublier des devoirs plus importants
et plus sérieux en goûtant ici le charme de vos entre-
tiens. On connaît la réponse de cet homme auquel
un savant prélat (1), pour étudier sans distraction, avait
plusieurs fois refusé de donner audience : « Eh ! pour-
« quoi donc, dit avec humeur et malice le visiteur
« éconduit, pourquoi le Roi ne nous a-t-il pas envoyé
« un évêque qui ait fait ses! études? » Messieurs, je
regarderais une pareille plainte comme un grave repro-
che, si mes relations futures avec l'Académie don-
naient jamais occasion au plus humble de mes parois-
siens de la proférer contre moi avec quelque justice.
Mais plus j'y réfléchis, plus je suis convaincu qu’il n'y
a rien d'incompatible entre les fonctions du pasteur
et les occupations ou plutôt les jouissances de l’acadé-
micien. W me sera facile , Messieurs , de vous faire par-
lager ma conviction à cet égard : c’est dans ce but que je
vais vous soumettre quelques considérations , nécessaire-
ment très-incomplètes, sur les rapports qui me paraissent
exister entre la Religion et les Sciences, et sur les services
qu'elles se sont mutuellement rendus.
Premiere partie.
Plus d'une fois on a prétendu que la religion était l'en
P q 5
nemie des sciences humaines. Plus d'une fois on a dit
qu'elle redoutait l'examen et des recherches approfon-
dies , et que les hommes religieux étaient naturellement
partisans de l’ignorance et de l’obscurantisme. Rien n’est
22 get
(1) Huet, évèque d’Avranches.
RÉ 7,
(ax )
moins fondé pourtant que ces assertions hasardées, que
lon répète encore si souvent de nos jours. Non, cette
Révélation divine descendue du ciel pour éclairer les fils
d'Adam sur leur origine , leurs devoirs, leurs immortel
les destinées, ne favorise point l’'indolence de l'esprit ,
et n’a point la funeste propriété d'éteindre le flambeau
de la raison, qui est aussi un don de la Divinité.
Disons mieux : loin de rétrécir l'intelligence , et par là
de nuire au savoir, elle l’étend , au contraire , et lui four-
nit des lumières nouvelles. En prescrivant à l’homme
l’activité, la tempérance , l'amour de l’ordre , le perfec-
hionnement moral de cette ame qui constitue la partie
essentielle de son être, l’emploi de tous les moyens
qu'il peut avoir de contribuer à la gloire de son Créateur
et au bonheur de ses semblables, elle tend à laffranchir
des passions basses qui l’abrutissent ; et dès-là même
elle le dispose à rechercher tout ce qui estutile, tout ce
qui est noble et véritablement digne de son admiration.
Et ne suffit-il pas, Messieurs, de rappeler les grands
noms des Pascal, des Newton , des Leibuitz, et de tant d’au-
tres savants du premier ordre qui se distinguèrent tou-
jours par leur attachement au Christianisme , pour dé-
montrer, par les plus beaux exemples , combien la reli-
gion élève l'esprit ? Or, plus l'esprit est élevé, plus il est
propre à former de vastes plans et à poursuivre de
sublimes découvertes. C’est donc par la religion, autant ,
et plus encore ,; que par tout autre moyen, que les bi-
mites des sciences ont été reculées. L’ame , fatiguée de
l'incertitude et des fréquentes contradictions des sys-
tèmes humains, a pu enfin se reposer dans la contem-
plation ravissante d’une cause unique qui explique tout.
Aux yeux de limpie, la nature n'était qu'un assemblage
fortuit, échappé des mains du hasard ; aux yeux du sa-
vant chrétien, elle s’anime et s’embellit encore, en lui
apparaissant comme une émanation de la suprême intel-
(222)
ligence et de l'infinie bonté; et le sentiment le plus pur
vient se mêler, chez lui, au calcul de la science, sans lui
rien Ôter de sa justesse, sans jamais compromettre ses
succès et ses triomphes (1).
Je n'ignore pas, Messieurs, qu'en interprétant mal,
et en appliquant, hors de propos , à d’autres temps et à
d’autres mœurs telle maxime ou telle action attribuée à
Moïse ou aux patriarches, quelques personnes ont par-
fois voulu justifier, par la Bible, leur fanatique intolé-
rance ou leurs pratiques supertitieuses. Je sais encore
qu'au nom de Josué on défendit jadis, dans Rome,
à la terre de tourner, et que Galilée fut condamné à la
prison par sept cardinaux inquisiteurs, pour avoir sou-
tenu que le système de Copernic ne contredisait point
PEcriture Sainte. Mais, que prouvent de tels exemples,
sinon que l’on confond trop souvent deux choses qu'il
faudrait toujours soigneusement distinguer ; savoir : l’au-
torité des livres saints et l’autorité des interprétations
et des explications des hommes ? Dès-lors, tout ce qui
porte atteinte à la seconde semble ébranler la première,
et aussitôt on s’en alarme. Confusion pleine d’erreurs ,
dont il serait aussi absurde qu’injuste de rendre le Chris-
tianisme responsable, et sur laquelle on ne peut trop
gémir (2).
Mais, s’il est vrai que la religion n’est point contraire
aux sciences ; si elle leur est favorable par les disposi-
tions qu’elle produit chez ceux qui les cultivent , on peut
affirmer , de plus, qu’elle même est la science par ex-
cellence , à laquelle la plupart des autres se rattachent,
ou viennent puiser comme à une source commune.
Ici, Messieurs, quelle immense carrière s’ouvrirait à
(1) Mélanges de Religion, etc., tom. 2.
(2) Relig. et Christ., Are année,
{ 223)
notre méditation, si le temps me permettait de la par-
courir avec vous !
S'agit-il, parexemple, de la saine philosophie, de celle qui
est vraiment digne de ce beau nom, et que chérissent
tous les amis de la sagesse ? La religion la seconde puis-
samment dans ses recherches sur Dieu , sur l'ame , sur
toutes les existences, toutes les généralités , toutes ces
innombrables chaînes d’agents et d’eflets, qui font de
l'univers un seul tout et nous conduisent à une pre-
mière cause.
S'agit-il des sciences physiques, qui, non contentes
d'étudier les œuvres matérielles de la création , d’en ob-
server les phénomènes, d'en examiner les rapporls et les
ressemblances, doivent aussi les ramener sous certaines
lois et sous certains principes ? Jamais ceux qui s’en oc-
cupent ne sont meilleurs observateurs et ne se rendent
plus utiles, jamais ils n’appellent sur leurs travaux un
intérêt plus vif et plus durable, que quand ils nous en
parlent avec un cœur religieusement ému.
S'agit-il de la chronologie ? C’est dans les écrits de
Moïse qu'elle a trouvé ses premières dates certaines ; et,
sans ce guide divinement inspiré, elle se serait égarée ,
peut-être ,; avec les Chaldéens, les Egyptiens et les Chi-
nois, dans ce nombre incalculable de siècles inventés, dont,
comme on l’a si bien dit, Ze temps n’est point le père.
S'agit-il de l'histoire ? Comment, sans le secours de
la Bible, eût-elle pu découvrir la vérité dans les bril-
lantes fictions de la Mythologie , et à travers les profon-
des ténèbres qui enveloppent les temps fabuleux ?
S'agit-il de la jurisprudence et de l'amélioration des
mœurs ? Que l’on parcoure tous les traités publiés par
les écrivains anciens et modernes, sur ces sujets si im
portants et si intimement liés au bonheur et à la pros-
périté des peuples ; et qu’on nous dise si l’on pourrait
trouver ailleurs que dans l'Evangile les meilleurs
(224)
principes de législation , la plus forte sanction des lois,
et les sublimes préceptes d’une morale tonjours appro-
priée à la nature et à la destination de l’homme? « Chose
« admirable , » s'écrie à cette occasion l’illustre Montes-
quieu , « la religion chrétienne, qui ne semble avoir
« d'objet que la félicité de l'autre vie , fait encore notre
« bonheur dans celle-ci; et nous lui devons , dans le
« gouvernement , un certain droit politique , et dans la
« guerre un certain droit des gens, que la nature hu-
« maine ne saurait assez reconnaître. » ( Esprit des Lois,
liv. 24 , art. 3).
S'agit-il enfin, Messieurs, de la civilisation, sans la-
quelle il n’y a point de sciences? rappelez-vous ce qu'é-
taient , sous le paganisme, les habitants des Gaules et
des Les Britanniques. Voyez nos ancêtres immolant de
malheureux captifs sur les autels des faux dieux, et se
faisant remarquer par leur paresse et leur inaptitude aux
arts de la vie civile ; tellement qu’au rapport de Tacite,
« l’inertia Gallorum » (1) était passée en proverbe. Voyez
aussi ces Bretons, dont Cicéron, dans ses lettres à Atti-
cus (2), disait qu’on ne devait pas s’attendre à trouver
parmi eux des esclaves bien propres au service, parce
qu'ils étaient un peuple grossier et sans aucune espèce
de culture ; au point que, quand Agricola les eut subju-
gués , ses soldats durent leur montrer à se construire des
maisons et des temples : « Hortari privatim, adjuvare pu-
« blicè, ut templa, fora, domus extruerent ; laudando promp-
« Los, et castigando segnes (3). » Après avoir contemplé
cet humiliant tableau , pensez à ces Français et à ces An-
glais de nos jours, descendants de ces mêmes peuples, et
(1) Germania, 28,
(2) Lib. 1v, epist. 16.
() Vita Agricole, S 21.
( 225 )
parvenus à un tel degré d’activité, d'instruction, de goût
et d'industrie, qu'aucune nation ne les surpasse. Et re-
connaissez là les fruits de ce christianisme, qui a porté
constamment avec lui, partout où il a pénétré, les arts,
les sciences et les mœurs.
Et ne croyez pas, Messieurs, que ce que l'Evangile a
fait pour retirer l'Europe de l'ignorance et de la barba-
rie, il y a douze ou quinze siècles, il ne puisse plus le
faire aujourd'hui, comme le prétendent ces hardis fai-
seurs de systèmes, qui vont en tous lieux répéter « que
« le christianisme a fait son temps et rempli sa mis-
« sion; qu'il est tombé pour ne plus renaître, parce
« qu'on ne ressuscite point le passé ». Laissons les élé-
gants disciples de l’infortuné Saint-Simon s’applaudir de
leur triomphe idéal, en redisant à satiété ces phrases
lugubres autant que mensonoères. Tandis qu’ils nous
montrent ainsi l’auguste religion du Fils de Dieu comme
« mourant de vieillesse, de décrépitade et d'impuis-
« sance », le christianisme poursuit glorieusement sa
carrière , et n’en continue pas moins, SOUS nos yeux, son
œuvre régénératrice. Les habitants du Groënland le reçoi-
vent par milliers; les Hottentots, les Cafres, les Béchua-
nas, et d'autres.tribus africaines , tellement sauvages que
naguère encore un publiciste fameux les représentait
comme « incapables d'être apprivuisées », se soumettent
aussi, en grand nombre, à ses salutaires influences, et
bâtissent des villes, des hôpitaux et des écoles, sous la
direction des pasteurs européens qui les instruisent, Les
Indous, abandonnant peu à peu le culte avilissant de
Brama, commencent à renoncer à la barbare coutume de
brûler leurs veuves, et à préférer les grandes et conso-
lantes vérités de la Bible aux fables ridicules de leur
védam. Parmi les peuplades indiennes encore éparses
sur l'immense lisière des Etats-Unis d'Amérique, les
Chactas et les Chiroquois , en devenant chrétiens, ont fait
29
( 226 )
de tels progrès dans la civilisation, que l’un de ces der
niers publie un journal fort remarquable, qui compte
parmi ses correspondants et ses abonnés le célèbre voya-
geur baron de Humboldt. Surtout, Messieurs, c’est
dans les îles de la mer du Sud que le christianisme à
récemment obtenu le triomphe le plus rapide et le plus
complet. « En moins de dix années, dit l’un des rédac-
« teurs de la Revue encyclopédique (1), la Polynésie a
« changé de face; et l’on trouve des églises chrétiennes ,
« de sages lois, un gouvernement régulier, des arts, de
» l'industrie, des écoles florissantes, auxquelles les seules
« îles Sandwich envoient quarante-cinq mille enfants, là
«où naguère il n’y avait que le despotisme , un culte san-
«_glant, des sauvages malheureux et des passions brutales.
« Quelques missionnaires anglais et américains, avec la
« Bible, ont fait là ce que les anciens attribuaient à tous
« leurs dieux réunis! » Ajoutons à ces résultats, attestés
par les rapports authentiques d’un de nos officiers de
marine les plus distingués (2), et d’autres documents
non moins irrécusables (3), les secours que procurent
à la géographie ces missionnaires voyageurs ; ajoutons-y
encore Les progrès immenses qu'ont fait faire à la philo-
logie tous les traducteurs de la Bible , qui, depuis trente
ans, a élé imprimée en plus de cent quarante-cinq langues
ou idiômes divers , pour être répandue par millions d'exem-
plaires chez tous les peuples du monde ;.... et deman-
(1) Numéro d'octobre 1830.
(2) M. Duperré, devenu depuis amiral et pair de France.
(3) Voyez, entr'autres ,un discours de M. Hyde de Neuville, alors
ministre de la marine, (Moniteur du 2 janvier 1830); le Journal des
Missions évangéliq., de Paris: et les Rapports annuels des Sociétés
missionnaires de Londres, de Paris, de Bäle, etc. — Voyez aussi 4
visit Lo the South Seas, during the years 1829 and 1830, by C.S,
Stewart, 2 vol , New-York, 1331. ’
(3272)
dons-nous , Messieurs , si, indépendamment du point de
vue religieux et chrétien, il n’y a pas là de quoi exciter
l'admiration et la vive sympathie de tous les amis des
sciences et de l'humanité ?
Seconde partie.
Il me reste à prouver, Messieurs, que les sciences ren-
dent à la religion de précieux et importants services , en re-
tour de tous ceux que nous venons de voir qu’elles en
reçoivent. Si je parviens à établir cette seconde partie de
ma thèse; si je démontre, par des faits incontestables,
qu'à cet égard encore on voit régner entre la religion et
les sciences la plus parfaite harmonie, ne sera-ce pas,
pour la révélation divine, un nouveau titre pour captiver
les hommages et la confiance des mortels?
En entrant dans le développement de cette seconde
idée, je ne dois pas dissimuler une objection qu'on ne
manquera pas de me faire ; c’est qu’on a vu des hommes
distingués par leur savoir se constituer les ennemis dé-
clarés de la religion, et n’employer leurs talents qu'à la
décrier et à la combattre. Je conviendrai sans difficulté
de ce fait, quelque affligeant qu'il puisse être, comme
je convenais tout-à-l’heure que quelques personnes,
aussi pieuses que peu éclairées, regardent mal à propos
les sciences d’un œil défiant et jaloux. Mais l’un de ces
exemples prouve-t-il donc plus que l’autre? Qui ne com-
prend que plusieurs causes peuvent concourir à faire
d’un savant un incrédule ? Tantôt, ce sont les passions
du cœur qui aveuglent l'esprit ou lui suggèrent la manie
des systèmes et la folls présomption de vouloir tout
expliquer; tantôt, c’est une excessive préoccupation,
une attention trop exclusivement portée sur un seul
objet, qui inspire , pour tous les autres objets dont on
ue s'est point occupé, de l’indiflérence et du dédain:
( 228 )
d’autres fois, c’est l'impossibilité où est l’homme d'ap-
profondir en même temps toutes les sciences , de sorte
que, tout en méritant le titre de savant , à certains égards,
il n’en mérite pas moins, sous d’autres rapports, le re-
proche d'ignorance et même de témérité, quand il entre-
prend de juger de ce qu’ilne connaît pas.
Qu'il me serait aisé d'appliquer ces simples remar-
ques à plusieurs des coryphées de la philosophie légère
et anti-religieuse du dernier siècle ! On les regarda long-
temps comme les suprêmes arbitres du savoir et du
goût , et leurs noms seuls faisaient autorité ; au lieu que,
dans notre siècle, beaucoup plus positif, on apprécie
leur mérite réel à sa juste valeur, en matière de recher-
ches consciencieuses et de solide érudition. Ah ! si, à la
place de l'ignorance relative et de la frivolité qui les ca-
ractérisèrent trop souvent, au jugement même de ceux
qui furent long-temps leurs plus zélés admirateurs (1),
ils avaient eu un savoir véritable avec de la circons-
pection et de limpartialité ; si, surtout , ils eussent été
attentifs à ne rien admettre que sur des preuves cer-
taines, et à ne pas rejeter une vérité de fait, par cela
seul qu'ils la trouvaient inexplicable , eUX aussi, n'en
doutons pas , auraient confirmé , par leur exemple , cette
assertion d’un grand homme qui, le premier , ramena
les séiences à l'expérience et à la nature, c’est que « si
(Gi) Benjamin Constant, qui, comme il nous l’apprend lui-même dans
sa lettre à M. Hochet (voyez Chateaubriand, Etudes historiques,
préface, pag. 155), « se vit forcé de reculer dans les idées religieuses,
« en approfondissant les faits, en en recueillant de toutes parts, et en
« se heurtant contre les difficultés sans nombre qu'ils opposent à lin-
« crédulité», Benjamin Constant n’a pas craint de dire: « pour s’égayer
« avec Voltaire aux dépens d'Ezéchiel et de la Genèse, il faut réunir
« deux choses qui rendent cette gaité assez triste, /a plus profonde
« ignorance et la frivolité la plus déplorable! »
(De la Religion, etc., t, 2, pag. 210.)
( 229 )
« un peu de philosophie conduit à l'incrédulité, beau-
« coup de philosophie ramène à la religion (1). »
En eflet, Messieurs, que fait l'astronome, quand, à
l’aide de ses instruments perlectionnés et de ses laborieux
calculs, il perce, pour ainsi dire, la profondeur des
cieux ; quand il découvre dans l'univers une grandeur
dont l'imagination est écrasée ; quand il reconnaît, avec
une sorte d'épouvante, que cet univers lui-même n’est
qu'un des univers sans nombre semés dans l’espace à
d’effroyables distances ? IL fournit à la religion la plus
magnifique idée de la puissance et de la majesté du
Créateur.
Que fait l’anatomiste, quand il expose l’ordre si régu-
lier qui règne dans tous nos organes, les rapports déli-
cats qui les lient, les soins si ingénieux qui en éloignent
la destruction ? Il nous peint, avec une force irrésistible,
la prévoyance et la suprême sagesse de celui à qui nous
devons tout ce que nous sommes.
Que fait le naturaliste, quand il enregistre cette mul-
titude d'êtres organisés dont la terre est peuplée partout ;
quand il nous montre le plus petit espace occupé par la
vie, sous mille formes diverses , et à chacune de ces for-
mes répondant des moyens de conservation et de plaisir?
Il étale à nos yeux, avec un charme inexprimable, tous
les trésors de la bonté divine (2).
Maintenant donc, si, parmi ces hommes appelés
par état ou par goût à étudier et à décrire les merveilles
de la création, il s’en trouvait qui fussent matérialistes
ou athées, aurait-on droit d'en conclure que les cieux et
(1) « Leves gustus in philosophià moyere fortassè ad atheismum, sed
« pleniores haustus ad relisionem reducere. »
(Bacon, De augment. scientiar., hb, 1.)
(2) Voy. Mélanges de relig.,t.2, et Bonnet, Contemplat, de la
nature.
( 230 )
la terre n’ont plus de langage, et ne racontent plus la gloire
de leur auteur (1)? Cela prouverait, tout au plus, qu'ilest
des sourds qui ne veulent pas entendre.
Mais, outre ces idées générales, qui s'appliquent à la
religion naturelle aussi bien qu'à toute autre, que de ser-
vices les sciences n’ont-elles pas rendus, en particulier,
à la religion révélée ! Forcé de me restreindre, je regrette
vivement de ne pouvoir indiquer que quelques-uns des
résultats frappants qui s'offrent ici en foule.
On sait que l'infortuné Bailly (2) s'était donné beau-
coup de peine pour justifier la chronologie reculée des
Indiens, en soutenant l'exactitude et l'authenticité de
leurs tables astronomiques. Ce système acquit en France ,
et dans toute l'Europe , une grande célébrité. Il y a qua-
rante ans , le savant professeur Playfair Venseignait pu-
bliquement devant la Société royale d'Edimbourg , et
la fameuse Revue de cette ville lui prêtait activement
l'appui de toute son influence. Déjà lincrédulité triom-
phait, et il semblait que la chronologie mosaïque ne se
relèverait plus du discrédit où elle était tombée. Frivole
et passager triomphe , Messieurs ! Bientôt les Bentley ,
les Laplace, les Delambre , refirent les calculs de Bailly,
et prouvèrent qu'il s'était trompé. En sorte qu'il fut
reconnu que ces mêmes tables indiennes, que les Bra-
mines voulaient faire remonter à vingt millions d'années,
avaient été fabriquées , après coup, il y avait à peine huit
siècles (3) !
Malgré cette défaite, on revint bientôt à la charge,
(Gi) Ps. 19, v. 1er. ( Le dix-huitième dans la vulgate. )
(2) L'un des savants français victimes de la terreur révolutionnaire
en 1793.
(3) Voyez Ure’s New system of Geology; Laplace, Système du
monde; Delambre, Hist. de l'Astronomie; Cuvier, Révolutions du
globe, cte,, etc.
{ 231)
et ce fut principalement à l’occasion du fameux Zodiaque
de Denderah , apporté d'Egypte à Paris. On se rappelle
tout le parti que Dupuis et ses disciples espéraient en
ürer, pour appuyer leurs rêveries sur l’origine des cultes,
et sur une prétendue civilisation égyptienne , bien anté-
rieure à Moïse et même au déluge. Leur hypothèse oc-
cupa vivement un grand nombre d’esprits : « Dans les
« journaux , dans les salons , il n’était bruit que du Zo-
« diaque. Avez-vous vu le Zodiaque ? que pensez-vous
« du Zodiaque ? étaient des questions auxquelles on ne
« pouvait hésiter de répondre, sous peine de déchoir
« du rang d'homme ou de femme du bon ton, puisque
« la mode, cette souveraine capricieuse , si puissante
« surtout en France, daignait faire à un monument de
« cette antiquité l'honneur de l’admettre un instant
« dans son variable empire (1). » Dans le monde savant
se trouvèrent des hommes supérieurs qui refñrent aussi
les calculs de Dupuis et de ses partisans, et en prouvè-
rent l’inexactitude (2). Des archéologues et des artistes,
profondément versés dans l’étude comparative des mo-
numents anciens, s’accordèrent généralement à donner
pour âge au Zodiaque l'époque de la domination ro-
maine en Egypte (3). Mais, quoique lhypothèse qui lui
attribuait une antiquité de plus de soixante siècles me-
naçât ruine , on osait encore la soutenir, parfois même
avec avantage. Tout-à-coup elle s'est évanouie comme
un songe trompeur ! Sur le front des temples ruinés, de
(1) Greppo, Essai sur le Syst. hiéroglyphig. de M, Champol-
lion, pag. 259.
(2) Biot, Visconti, l'abbé Testa, etc., Journal des Savants,
1823 ot 1824.
(3) MM. Huyot et Gau, Letronne, Recherches pour servir à
l'histoire de l'Egypte; le mème, Observations sur l'objet des re-
résentations zodiacales. Paris, 1824.
) LL
(492 7
l’un desquels le Zodiaque, objet de tant de discus-
sions, avait été extrait, et au milieu des peintures
mystérieuses dont ces temples étaient ornés, lesquelles
devaient , disait-on, renufermer les premières connais-
sances du monde encore enfant, MM. Letronne et
Champollion ont lu, l’un en grec, l’autre en hiérogly-
phes, qu'il a enfin rendus intelligibles (1), les titres et
les noms de Ptolémée, de Cléopâtre et des empereurs
romains qui les avaient fait construire vers le commen-
cement de l'ère chrétienne. Jamais démonstration de la
vérité de la Bible , et de l'inutilité des efforts de ceux
qui l’attaquent , fut-elle plus piquante et plus complète
à la fois (2)?
Et que n’aurais-je pas encore à dire, Messieurs, de
tant d’autres précieux renseignements du même genre
qu'ont déjà recueillis les deux frères Champollion, pour
lesquels, au moyen de l'admirable découverte de l'alpha-
bet hiéroglyphique , les monuments d'architecture et
les papyrus de l'Egypte n’ont plus de secrets ! On ne
dira plus des pyramides :
« Vingt siècles descendus dans l’éternelle nuit
& YŸ sont sans mouvement , sans lumière et sans bruit, »
Ces muets séculaires viennent de reprendre la parole
dans leur désert (3). Et quoi de plus providentiel que
ces voix imposantes qui, après un silence de trois mille
six cents ans, semblent sortir des vastes tombeaux des
Pharaons et du milieu des enveloppes des momies, tout
exprès pour rendre hommage à la religion révélée, en
confirmant les récits de la Genèse et de l’Exode! Tout
oo
(1) Précis du Système hiéroglyphiq. des anciens Egyptiens.
(2) Cellerier fils, Origine authentig. de l'ancien Testament,
pag: 103.
(3) Chateaubriand, Etud. historiq., préface, p. 159.
( 233)
récemment, MM. Champollion le jeune et Lenormant
ont parcouru l'Egypte du nord au midi, et leurs infa-
tigables explorations ne leur ont fait rien découvrir qui
remontât au-delà de l’époque d'Abraham. Pour les
temps antérieurs , ils n’ont trouvé, dans les monuments
comme dans Manéthon , que des débris et des fables.
Au contraire, tous les documents qu'ils ont rapportés,
ou qu'ils avaient déjà explorés en Europe avant leur
départ, ont démontré les récits de Moïse, ou éclaire
des passages regardés jusqu'ici comme obscurs et sujets
à contestation. Aujourd'hui, Messieurs, Voltaire ne
demanderait plus comment et sur quoi le législateur des
Hébreux a pu écrire le Pentateuque, puisqu'on à la
preuve que de son temps on écrivait sur le papyrus. Il
ne demanderait plus comment le sacrificateur Hilkija
put retrouver, dans le temple de Jérusalem, après un
intervalle d'environ mille ans , l'autographe de la loi di-
vine, puisque des papyrus et des contrats de l’époque des
Pharaons subsistent et sont lisibles encore. Il ne deman-
derait plus comment Moïse a pu faire exécuter , dans le
désert, tant d'objets d'art pour le tabernacle et pour
les vases et les vêtements sacrés, puisqu’alors tous les
arts florissaient en Égypte, où Moïse en avait acquis la
connaissance (1). I ne demanderait plus si Esdras n’a
pas forgé les livres saints dont il forma le recueil ; car, si
ces livres étaient l’ouvrage de l’imposture, comment
aurait-on pu falsifier l’histoire écrite et monumentale
d'Egypte, pour la faire coïncider avec eux dans une foule
Gi) M. Eus. Salverte, sans trop s'inquiéter s’il contredisait Voltaire,
qui contestait au fils adoptif de la fille de Pharaon jusqu'à l’art d'écrire,
représente Moïse, dans un ouvrage récent, comme un génie supérieur
qui connaissait l’usage de la poudre à canon, etc. ! Que de contra-
dictions semblables ne trouve-t-on pas dans les livres des adversaires du
christianisme !
(254 )
de circonstances et de dates essentielles ? Mais je ne fi-
nirais pas si je voulais épuiser ce riche sujet, dont le
développement remplirait des volumes (1). Il est plus
que temps de laisser reposer votre attention, et je n’a-
joute plus que quelques remarques tirées de la géologie.
Cette belle science, Messieurs, est encore toute nou-
velle ; elle est, pour ainsi dire, née d'hier, et déjà elle
aussi a payé son noble tribut à la religion, contre la-
quelle on dirigea trop souvent ses laborieuses, mais en-
core imparfaites recherches.
On n’a pas oublié, en effet, qu'après avoir épuisé
vainement leur arsenal d'arguments métaphysiques, les
incrédules ont eu recours à des attaques d'un nouveau
genre. Frappés de l'obscurité et de la contradiction qu'ils
observaient dans les divers systèmes par lesquels on
chercha long-temps à expliquer l’origine et la compo-
sition de notre globe , plusieurs tournèrent de ce côté l’ac-
tivité de leur esprit. Ils explortrent les rivages des fleuves
et des mers, les couches des montagnes, les entrailles
de la terre ; et, semblables aux géants de la Mythologie,
ils crurent avoir puisé, dans leur mère commune, des
forces suffisantes pour combattre le Tout-Puissant et sa
parole de vérité (2). La plupart des écrivains sceptiques
du siècle passé furent séduits par les objections de ces
gologues de leur temps. Plntôt que de croire au déluge,
le patriarche de Ferney aima mieux admettre que des
coquillages et des poissons pétrifés , trouvés à de grandes
(1) Voyez cette matière traitée dans l'excellent Essai sur le Sys-
tème hiéroglyphiq., etc, de M. Greppo (déjà cité), et une Lettre
sur ce mème Système considéré dans ses rapports avec l’Ecriture
sainte, par M. A. Coquerel, pasteur. Paris, chez Dondey-Dupré,
(2) @....,.,......:e.e Cùm tetigere parentem,
« Jam defecta vigent, revocato robore, membra, »
(Lucan, lib. 1v, v, 600.)
("235")
distances de la mer, avaient été portés là par des voya-
geurs. Un chanoine, nommé Récupéro, qui a écrit l'his-
toire du mont Etna, s’imagina, d’après quelques données
évidemment fautives, qu'il fallait deux mille ans à une
couche de lave pour devenir propre à la végétation. Et
comme , dans une cavité près de Jaci, on découvrit des
marques certaines de sept couches distinctes superpo-
sées, dont les surfaces sont parallèles , et la plupart cou-
vertes, en apparence, d'un lit de terre végétale, on en
conclut que la première couche avait dù couler il y avait
au moins quatorze mille ans. Effrayé, sans doute, d’une
telle conclusion, l’évêque de Récupéro lui recommanda,
dit-on, très sérieusement de bien penser à ne pas faire
sa montagne plus ancienne que Moïse n'avait fait le
monde (1). Aujourd'hui qu'un voyageur géologue (2) a
démontré, sur les lieux mêmes, que la conjecture du
bon chanoine était sans aucun fondement, personne ne
partage plus , grâces aux progrès de la science, les alar-
mes de son évêque. Ne sait-on pas, d’ailleurs, qu'Her-
culanum est aussi recouvert de sept couches de lave du
Vésuve , qui ont entr'elles des veines de 4on tearrin, et
qu'il n’y a pourtant que dix-sept cent cinquante ans que
la plus profonde de ces couches a englouti cette malheu-
reuse ville ?
Ilest, en particulier, Messieurs, un point de critique
sacrée qui se rattache à l’idée que je développe, et sur
lequel les théologiens ont long-temps disputé, malgré les
nombreux commentaires destinés à l’éclaircir (3) : je
veux parler du vrai sens qu’on doit donner aux premiers
CREER LEE CR be 0
(Gi) Bridone’s Sicilian tour.
(2) Le Dr Daubeny, Edinburgh philosophical Journal, vol. C4 4
pag. 266; et Christian Observer, march 1830.
(3) On peut en lire l'interminable liste dans la Bibliothèqg. sâtrée, de
Calmet.
( 236 )
versets de la Genèse. Après n’y avoir vu qu'une création
unique , on en vint à conjecturer, d’après la signification
de quelques mots hébreux , qu'il fallait faire une distinc-
tion entre la création primitive de l'univers et la confor-
mation progressive de notre globe (x). Les travaux, quoi-
que très imparfaits, des premiers géologues rendaient
déjà cette distinetion nécessaire. Mais les six jours de
cetle création, racontée en détail par Moïse, présen-
taient encore bien des difficultés insolubles. Il en résul-
tait des doutes qui semblaient porter atteinte à l’autorité
divine de la Bible; et les personnes pieuses qui, sans
renoncer à la science du salut, cultivent en même temps
les sciences humaines et font profession de croire que
les vérités révélées ne sauraient être en contradiction
avec celles que les sens nous manifestent ou que la rai-
son nous démontre, voyaient avec douleur les détrac-
teurs des livres saints puiser dans le plus ancien de tous
les principales armes dont ils se servaient pour les atta-
quer. Tout-à-coup les études géologiques ont pris un
nouvel essor. L’antiquité matérielle du globe a été im-
mensément élendue. Les anciennes théories , qui souvent
s’entre-détruisaient et se neutralisaient l’une par l’autre,
ont cédé à des chservations incontestables, et les adver-
saires de l’ancien Testament ont cru voir la vérité de la
Genèse abîmée sans retour avec la vieille science. Ce-
pendant, qu'est-il arrivé? La science nouvelle, perfec-
tionnée avec la plus louable émulation par une multitude
de savants français et étrangers , et telle qu’elle est sortie
principalement des mains de notre célèbre et infatigable
compatriote, M, le baron Cuvier (2), paraît avoir anéanti
(1) Dissertation sur la vrai Système du monde, etc., par D. En-
contre, ministre. Montpellier, 1807.
(2) Voyez ses Recherches sur les ossemens fossiles, et surtout
le Disc. préliminaire, sur les Révolutions du globe.
( 237 )
sans retour, il est vrai, l'explication vulgaire et littérale
des six jours (1), maïs, au lieu de convaincre la Genèse
de mensonge, elle nous en a donné un commentaire
aussi admirable qu'imprévu, plus propre que toutes les
dissertations critiques à lentourer de confiance et de
respect. Elle nous a découvert, avant la naissance de
l'homme et la dernière organisation du globe, de longues
périodes où le Dieu de la nature revêtait successive-
ment son ouvrage de formes diverses et progressives ;
préparant ainsi lentement l'empire de l’homme intelli-
gent et moral. Avant celui-ci, le globe est occupé d'a-
bord par le chaos des ondes, puis par des végétaux
monstrueux, puis par des reptiles gigantesques ou étran-
ges, puis par des mammifères énormes et pourtant ana-
logues aux nôtres. Ce ne sont pas là, Messieurs, de
simples conjectures, des hypothèses brillantes, mais
plus ou moins hasardées ; ce sont des faits qu’il est im-
possible de nier. Lorsqu'en effet, guidé par la géologie,
on examine attentivement l'enveloppe solide de notre
terre, on se convainc qu'après les couches de granit,
qui annoncent qu'à l’époque de leur formation nul être
organisé n'avait encore paru , se retrouvent les végétaux,
par fragments ou par empreintes. (Gen. 1, v. 11.) En
s’élevant aux couches supérieures, les coquillages et les
débris de poissons se découvrent (ib., v. 20 et21}, et
successivement les restes des grands reptiles et les os
des quadrupèdes (ib., v.24 et 25); en démontrant ainsi
(1) Le mot hébreu 16m, Jour, signile aussi une époque, unstemps
indéterminé. (Genèse, ch. 2, v. 4; Exode 20, v. 123 Daniel 2, v. 44,
etc.) Au reste, on retrouve, chez quelques anciens peuples, l'idée de ces
époques plus ou moins longues employées dans la création. Les Ztrusques
supposaient des époques de mille ans chacune. (//ist. univers., in-
trod, , pag. 52.) Les Perses admettaient six espaces de temps, équiva-
lant en tout à une année, ( Hyde, Relig. veter, Pers., pag, 166. )
( 238 }
l'accord parfait des Jours ou époques mentionnés par
l'historien sacré , avec les grandes époques de la nature.
Au milieu de ce vaste cimetière, triste amas de ruines
d'un monde primitif, l’homme cherche avec un vif in-
térêt , et même avec inquiétude , mais en vain, les restes
de son semblable ; il interroge sans succès les annales
des siècles; elles Ini répondent que l'homme, créé le
dernier (ib., v. 26 et 27), n’a point été enveloppé dans
ces épouvantables catastrophes, car alors Dieu ne lui
avait point encore donné la vie (1).
« Ainsi donc , » s'écrie à ce sujet un savant et pieux
professeur étranger (2), dont j'ai emprunté plus d’une
fois, dans ce discours, les idées et même les expres-
sions, « ainsi cette mystérieuse histoire de la création,
« ensevelie dans les abimes du passé ; ce secret infini
«_ que nul œil n’a pu voir, nulle oreille entendre , par
« conséquent nulle tradition conserver; ce secret qui,
« après avoir été enfoui pendant des milliers d'années
« dans les entrailles de la terre, n’en a été retiré que
« de nos jours, avec les ossemens des mastodontes et
« des megalosaurus ; ce secret, Moïse le possédait, et
« il l’écrivit dans son livre... Où l’avait-il trouvé? Qui
« avait dirigé sa plume? On a cherché de pauvres so-
« lutions à cet admirable problème ; et, quoi qu’on
« fasse , la science de Moïse, instruit dans toute la sagesse
« des Égyptiens (3) , ne peut assez bien expliquer de tels
« hiéroglyphes. Les prêtres de l'Egypte n'avaient sûre-
« ment pas dépassé notre dix-neuvième siècle dans
« l'étude de la géologie; et il n’est pas vraisemblable
« que M. Champollion retrouve jamais, dans leurs
(Gi) Voyez Relig. et Christ., numéro d'octobre 1830, et une Thëse
physico-théologique, de M. B.-D.-E, Frossard. Montauban, 1824.
@) M. Cellerier fils, de Genève.
(3) Act, des Apôt., c, 7, v, 21.
( 239 )
; à + : ‘
« papyrus, l'ouvrage de M. Cuvier, ni rien qui y soit
«
« analogue. Non, il n’y a qu’une intervention divine qui
« puisse expliquer ce mystère ; et Moïse ne l’a connu
« que parce qu’il l’avait appris de Dieu mème qui
« l'inspirait (1). »
De tout ce qui vient d'être dit, Messieurs , découle
cette conséquence bien réjouissante pour l’homme
instruit et ami sincère du christianisme, c'est qu'on
voudrait vainement nous faire craindre de nouvelles
découvertes scientifiques. Pourquoi les redouterions-nous
comme dangereuses pour la foi? Le Dieu de la nature
n'est-il pas en même temps le Dieu de la religion? Et
ne sommes-nous pas sûrs d'avance que le plus parfait
accord régnera toujours entre ses différents ouvrages?
Sans doute, il est permis à la foi d’être quelquefois
timorée ; maïs elle ne doit jamais être ombrageuse ,
comme l’orgueil qui s'attache aux vaines théories des
hommes. 11 n’y a que le mensonge qui gagne à s’envi-
ronner de ténèbres : or, la religion ne veut que la vé-
rité , et la vérité est aussi le but des sciences. Bien loin
donc d’être jaloux des découvertes des vrais savants,
nous les appellerons de tous nos vœux ; l'expérience nous
ayant appris qu'elles confirmeront constamment nos li-
vres saints, et pourront , tout au plus , nous faire aperce-
voir un sens nouveau dans des passages obscurs que ,
jusqu'ici peut-être , nous avions mal compris. Si quelque
difficulté, quelque contradiction apparente vient parfois
nous embarrasser , prenons patience. Laissons au temps
le soin de dérouler ses mystères. Une génération passe et
L'autre vient (>); mais le genre humain subsiste. Le divin
(1) Relig. et Christ., ubi supra.
(a) Ecclés,, c. 1, v. 4.
( 240 )
Rédempteur qui a dit dans l'évangile : Je suis la lumière
du monde (x), vit et règne éternellement; sans aucun
doute il tiendra sa promesse , et l'obscurité qui reste en-
core sera tôt ou tard dissipée.
Mais, outre cette conséquence, que, comme pasteur,
j'ai dû indiquer la première, en est une autre que je m’ap-
pliquerai comme académicien. Puisque tant de rapports
intimes unissent la religion aux sciences, et les sciences à
la religion, que de motifs n’ai-je pas pour vous remer-
cier, Messieurs, à cause de mon admission dans cette
honorable Compagnie , où presque toutes ces sciences
sont cultivées et encouragées ! Il en est quelques-unes
que j'ai à peine effleurées : il en est beaucoup plus qui
me sont étrangères. Mais, en venant à vos séances, en
assistant ici à la lecture de vos mémoires , de vos rapports,
et à vos lumineux entretiens, je pourrai, du moins,
connaître les principaux résultats des recherches qui se
font ailleurs, et nourrir mon esprit des fruits de vos
savantes veilles. Je trouverai parmi vous des natura-
listes et des chimistes distingués , des antiquaires que
la capitale s'honorerait de posséder, et qui déjà ont ré-
pandu un si grand jour sur les nombreux monuments
que tant d'étrangers viennent admirer dans notre belle
province : j'y trouverai des littérateurs et des poètes, à
l’école desquels j'apprendrai à mieux sentir les beautés
de nos meilleurs auteurs, et à mieux mettre à profit les
richesses de l’histoire : jy trouverai des magistrats aussi
éclairés qu’intègres, des hommes qui se dévouent à
soulager les maux de l'humanité souffrante, des amis
des lumières , des arts et de l’industrie : j'y trouverai,
surtout ( qu’il me soit permis de m'en féliciter d’une
façon toute particulière ) , un ecclésiastique vénérable et
(1) Saint-Jean, c. 8, v. 12.
a — mm
C24r)
justement estimé (1), qui prouve par son savoir et sa
piété tolérante , mieux que je n'ai pu le faire par ce
discours, combien la religion et les sciences ont entre
elles d'harmonie! Oui, je trouverai tout cela parmi
vous, Messieurs; et c’est avec une sincère gratitude
que j'anticipe sur les avantages aussi réels que variés que
j'espère en retirer. Puissé-je , de mon côté, ne pas rester
tout-à-fait spectateur oisif de vos travaux persévérants ,
qui ont toujours ce double but de favoriser les progrès
des sciences, des lettres et des arts, et d’être utiles à
vos concitoyens !
À ce discours, approprié, par la gravité du style,
à la grandeur du sujet et au caractère de l’orateur ,
M. Blanche, président, a répondu :
« Vous avez, Monsieur, proclamé d’imposantes vé-
rités ! Oui, sans doute , la religion rend l'ame accessible
aux plus nobles conceptions; les esprits justes et sans
préventions ne sauraient aujourd'hui le contester. Les
erreurs de quelques hommes, les préjugés d’un plus
grand nombre ,.ne prouvent rien contre elle ; ils ne té-
moignent que de la faiblesse de l'humanité. Si ce fut
au nom de la religion que Galilée souffrit la persécu-
tion, ce fut aussi pour l’une de ses plus intimes émana-
tions, la vérité, qu’il supporta ses maux avec résignation
et patience; et la vérité, Messieurs, vaut bien qu'on
fasse quelque chose pour elle! Galilée n’en était pas
moins religieux, pour avoir soutenu l’existence des deux
QG) M. l'abbé Gossier, chanoine honoraire, qui vint , avec la plus cor-
diale bienveillance, annoncer le premier à M. Paumier sa nomination, et
qui, le jour de sa réception, voulut encore être son introducteur au sein
de l'Académie.
31
(242)
révolutions de la terre autour du soleil et sur elle-
même ; mais il était plus éclairé que les sept cardinaux
inquisiteurs qui le condamnèrent.
« Nous nous plaisons à reconnaître avec vous , Mon-
sieur , cette double vérité que la religion, en révélant à
l’homme le sentiment de sa dignité, la conscience de
sa noble origine , fait naître en lui le besoin de pénétrer
les mystères que lui dévoile l’étude des sciences hu-
maines , et que ses lumières, en s’agrandissant, rendent
en même temps sa foi plus vive et plus sincère. Quel
naturaliste osera proclamer, en effet, s’il est de bonne
foi, que tant de merveilles dans la structure ‘des êtres
qui peuplent l’univers ne sont que l'œuvre d’un hasard
qu'on ne saurait comprendre? Et comment ne pas
reconnaître la main d’une intelligence supérieure et
divine, dans l’arrangement admirable de nos tissus et
dans les étonnants rapports que présente l’organisation
des êtres vivants avec leurs habitudes, leurs mœurs
et la nature du sol qui les porte et les nourrit ? IL est
encore , pour la religion , d’autres titres à nos respects,
à nos hommages! ce sont les vertus qu’elle inspire.
Vous n’en avez point parlé, Monsieur , comme si vous
aviez craint de nous entretenir de vous-même ! Ras-
surez-vous : je saurai m'imposer un silence qui plaît à
votre modestie; et d'ailleurs, l’homme de bien met
peu de prix à la louange ; il lui suffit de lavoir mé-
ritée. »
AAA AAA A AAA AAA AAA AAA AAA AAA AAA AAA AAA AAA AAA AE à
MÉMOIRE
Adressé à l'Académie par M. BERGER DE XIVREF,
Sur la nouvelle édition du
TRÉSOR DE LA LANGUE GRECQUE
DE HENRI ESTIENNE,
Que publie en ce moment M. Firmin Didot.
Messieurs,
M. Ambroise-Firmin Didot, imprimeur du Roi ei
de llustitut, publie, dans l’ordre alphabétique, une
édition du grand ouvrage intitulé : Thesaurus Linguæ
græcæ, qui fut imprimé à Paris par Henri Estienne, son
auteur, en 1572.
Je vous donnerai d’abord, Messieurs , plusieurs dé-
tails sur la composition de ce livre et la personne de son
auteur, ensuite sur la nouvelle édition qui s'exécute en
ce moment, et sur les personnes qui concourent à ce
iravail, beaucoup plus considérable qu'il ne paraît au
premier abord. Enfin, je vous présenterai les titres par-
ticuliers d’un des principaux collaborateurs de cette en-
treprise, M. Louis de Sinner, qui regarderait son ad-
mission parmi vous comme un des plus honorables
encouragements.
Depuis long-temps, faire un dictionnaire, c'est publier
le meilleur des dictionnaires précédents, en rectifiant
( 244)
quelques définitions, choisissant de meilleurs exemples,
et ajoutant un certain nombre de mots. Cette opération,
souvent repétée, donnant chaque fois un résultat supé-
rieur au résultat précédent, a fini par nous procurer des
dictionnaires à peu près complets sur toutes les langues
les plus répandues. Mais le plus ancien de ces ouvrages,
celui qui forme le premier anneau de cette chaîne de
perfectionnements successifs, quelque incomplet qu'il
fût, supposait plus de travail et de recherches de la part
de son auteur qu'aucun des suivants. La langue grecque
et la langue latine ont eu cela de particulier que, pour
chacune d'elles, ce premier travail a produit un chef-
d'œuvre accompli, tel que, malgré cette succession des
travaux lexicographiques dont nous venons de parler, il
est encore à faire dans la plupart des autres langues. Deux
hommes que la France doit compter avec orgueil parmi
ses plus grandes illustrations, Robert Estienne et Henri
son fils, sont les auteurs de ces étonnants ouvrages.
Celni de Robert Estienne est le Thesaurus Lingucæ latin® ,
en deux volumes grand in-folio, imprimé à Paris en
1543, et contenant quinze cent cinquante pages d’im-
pression à deux colonnes. Voici ce que dit de ce travail
M. Firmin Didot père, chef actuel de cette famille dis-
tinguée , où le mérite typographique et littéraire semble
aussi se transmettre comme un héritage :
« Il engagea plusieurs personnes à se charger de la
« composition de ce dictionnaire : il offrit même de
« fortes récompenses pour un pareil travail; mais ce fut
« en vain; on n'avait pas alors le secours des index qui
« facilitent les recherches. Il fallait, pour retrouver les
« passages des auteurs, les chercher dans sa mémoire ,
« et user, comme il en fit l’expérience, les livres à force
« de les feuilleter. Enfin, sentant la nécessité urgente
« d’un tel ouvrage pour l'éducation publique, il prit le
« parti de l’exécuter lui-même, et donna aux savants le
(245 )
« Trésor de la Langue latine, dont il fit un abrégé pour,
« les jeunes gens. Il augmenta et améliora par la suite
« cet important dictionnaire. Mais il pensa succom-
« ber à,ce, pénible travail, qu'il avait accompli en deux
« ans, S'en occupant nuit et jour , et négligeant, comme
« ille dit, jusqu'au soin de son corps, lui qui, lorsqu'il
« était libre enfin de ses longs travaux , plein d'élégance
«, dans ses mœurs, tenait, avec une épouse aussi ins-
« truite qu'aimable , sa maison, non pas sans doute
« avec luxe, mais dans l’aisance la plus honorable. En
« réfléchissant sur un tel ouvrage, exécuté dans un si
« court espace de temps, on est tenté de ne pas trouver
« exagérée l'expression de son fils, laborieux auteur du
« Trésor de la Langue grecque , lorsque, étonné de tout
« ce qu'a fait son père, il dit, dans des vers énergiques
« et ingénieux, que le travail, qui dompte les autres
« hommes, s'est vu lui-même dompté par Robert
« Estienne (x). »
: J’ajouterai à cet intéressant passage de M, Didot, que
l exactitude parfaite de toutes les citations est jointe, dans
ce livre, à une correction typographique bien rare au-
jourd'hui, remarquable surtout dans un dictionnaire ,
genre d'impression plus difficile qu'un autre. Ce mérite
appartient encore à Robert Estienne, comme imprimeur,
et augmente la masse, déjà si accablante, du travail qu’il
s'imposa pendant ces deux années.
Il n'entre pas dans notre plan de passer en revue tous
les autres travaux de Robert Estienne, comme imprimeur
et comme savant, sur les littératures latine, grecque et
hébraïque. « IL établit chez lui, dit encore M. Didot (2),
(1) Observations littéraires et typographiques sur Robert et
Henri Estienne, insérées à la suite des Poésies et Traduction en vers
de Firmin Didot, — Paris, 1826, in-12, pages 194, 195.
(2) Mème lieu.
( 246 )
« une réunion de savants de diverses nations, qu'il ac-
« cueillait avec autant de grâce que de générosité. Plu-
« sieurs étaient correcteurs d'épreuves dans son impri-
« merie. Pour avoir un langage commun, ils se servaient
« de la langue latine, qui devint tellement familière
« chez Robert Estienne, que les domestiques même la
« parlèrent. C’est dans cette maison que l'épouse de
« Robert Estienne lui donna un fils, Henri Estienne,
« qui devait être, comme son père , l'honneur éternel de
« la typographie. »
Ce que nous venons de rapporter sur Robert Estienne,
pour le latin, peut s'appliquer pour le grec à ce fils qui,
élevé avec les plus grands soins par un tel père, fut un
véritable prodige. Nous prendrons la liberté de rappeler
ce que nous disions nous-mêmes sur les travaux de ce
grand homme, dans un essai (1) que vous avez ac-
cueilli favorablement, Messieurs, grâce à l'extrême bien-
veillance du rapport de votre savant confrère M. Lic-
quet , rapport qui eut pour nous le résultat honorable
en vertu duquel nous correspondons aujourd’hui avec
votre Société,
« Il semble, disions-nous, avoir surpassé les forces
ordinaires de l’homme , à considérer comment , dans le
cours d'une vie sans cesse agitée, se mêlant d’affaires po-
litiques et religieuses, dirigeant son imprimerie dont il
corrigeait lui-même toutes les épreuves grecques, com-
ment il a pu mettre fin à ce travail immense du Thesau-
rus , et publier plus de cinquante autres ouvrages latins,
sans compter des notes sur plus de trente auteurs grecs
ou latins, et des traductions latines de plus de douze au-
teurs grecs.
(Gi) Recherches sur les sources antiques de la Littérature fran-
gaise.— Paris, Crapelet, 1829, in-80, partie J, page 114.
(247)
« Mais l'étounement que causent d'aussi vastes tra
vaux est à son comble , lorsqu'on voit ce même homme
traduire en français des livres de tous les principaux
auteurs grecs, et composer plus de vingt ouvrages dans
notre langue, qu’il passait pour parler et écrire aussi
bien qu'homme de son temps. »
Le grandiose qui s'attache à une aussi étonnante ca-
pacité, a frappé même des littérateurs voués exclusi-
vement aux lettres modernes. Dans un recueil périodi-
que , destiné à l’amusement des gens du monde, et ha-
bitué à préconiser les nouveautés littéraires les plus
bizarres , je trouve sur Henri Estienne ce jugement aussi
juste qu'élégamment exprimé :
« Figurez-vous un enfant élevé dans une maison où
« les fondeurs de caractères , les correcteurs d'épreuves
« étaient des savants qui, tout en travaillant, passaient
« leur vie à discuter sur des passages hébraïques et des
« étymologies grecques; bercé par la fille de Joseph
« Badius , professeur et imprimeur ( car ces deux qua-
« lités ne s’excluaient pas), aux sons des purs vers d'Ho-
« race qu'elle lui chantait pour l’endormir ; plus fa-
« milier, dès l’âge de huit ans, avec l’idiôme et les
« mœurs des vieux romains qu'avec le langage et les
« usages gaulois du quartier Saint-Jacques; et qui,
« jouant avec ses camarades, représentait la Médée
« d’'Euripide , et faisait retentir le clos de Sainte-Géne-
» viève de chœurs grecs et de scholies latines. A quinze
« ans, on le confie aux soins de Pierre Danès, élève lui-
« même de l'illustre Budé, de Jean Lascaris, et qui
« passait pour le premier helléniste de son temps. Voyez
« ensuite ce jeune homme, qui compose en latin, en grec
« et en hébreu, avec autant de facilité que dans sa langue
« maternelle, parcourir à cheval l'Italie pour rechercher
« des éditions rares, et s'amusant, pour se distraire
« sur sa selle , à traduire de mémoire des poètes latins
(248 )
« en vers grecs, et des poètes grecs en vers latins. En-
« trez dans toutes les universités ; pénétrez dans les ga-
« leries du Vatican, parcourez les longues salles des bi-
« bliothèques de Leipsig, de Halle, d'Oxford , de Cam-
« bridge, de Florence, de Milan ; ayez la patience de
« vous faire présenter ces nombreuses éditions des pères,
« des poètes classiques , des historiens ; chargées de la
« devise de Henri Estienne : et ensuite essayez de pro-
« noncer , sans une sorte d’effroi, ce grand nom auquel
« se rattachent tant de science et de travaux gigan-
« tesques (1). »
Les preuves de ces assertions se trouvent dans le
grand ouvrage de Maittaire, S/ephanorum Historia. M. Fir-
min Didot, dans la notice que nous avons déjà citée ,
explique , en imprimeur très-instruit, toutes les difficul-
tés typographiques surmontées par Henri Estienne dans
la belle édition des Poetæ grœci principes, à laquelle
nous ne connaissons rien de supérieur. Laissons le en-
core parler : « Dans un caractère déjà savamment hérissé
« de jeux de plume et d'innombrables ligatures, et pen-
« dant tout le cours de l'impression de tant d'auteurs grecs
« différents, dont même quelques-uns étaient publiés pour
« la première fois, il introduisit plusieurs signes particu-
« liers, quatre surtout qu'il avait inventés pour distin-
« guer, 1° les noms propres ; 2° les pays; 3° les mon-
« tagnes ; 4° les rivières : s’entourant ainsi de chances
« d'erreurs , soit pour la littérature, soit pour la topo-
< graphie. Mais , quand il s'agissait de l'utilité des lec-
« teurs, n’épargnant aucuns frais, se jouant des plus
« grandes difficultés typographiques, qu’il sut vaincre par
« des opérations singulièrement rapides, ce qui appor-
a
QG) Article intitulé : Le Trésor de Henri Estienne, par A. Loëve-
Weimar, et inséré dans la Revue de Paris.
(249)
« tait encore de nouvelles chances d’erreur , et cherchant
«ces difficultés avec autant de zèle que nous en mettons
« à les fuir (1). »
On voit que, dans les ouvrages composés par Henri
Estienne , et imprimés chez lui, tout, absolument tout,
était de lui, jusqu'aux poinçons destinés à la fonderie
des caractères, lesquels étaient gravés d’après des let-
tres figurées de sa main; car son écriture, dont il reste
de nombreux échantillons à la Bibliothèque du Roi et
ailleurs, était aussi belle que celle du fameux calli-
graphe crétois Ange Vergèce, que François Ier avait
fait venir en France, et dont l'écriture avait servi de
modèle aux premiers poinçons gravés par ordre de ce
prince. J’ai eu occasion d’en faire moi-même la com-
paraison.
« Son Trésor de la Longue grecque, dit encore M. Loève
Weimar (2), œuvre plus qu'humaine , prope incredibile
monumentum ; ainsi que l’écrivait à Joseph Scaliger le
savant Casanbon, gendre de Henri Estienne, devait rem-
plir sa vie tout entière. Le père de Henri Estienne lui
en avait recommandé l'exécution en mourant , et celui-
ci obéit avec Joie, car c'était le rêve de sa jeunesse et
de son âge mèr, et il s'était disposé à l’accomplir, dans
ses vieux jours , par des travaux dont on ne pourrait se
former une idée qu'en joignant le savoir du philologve
à la science du typographe le plus expert. Un mot suf-
fira : le Trésor de Henri Estienne consuma son riche
patrimoine et sa vaste intelligence ; il mourut insensé
et réduit à l’aumône (3) !
« Son dévoüment à la science fut bien entier, car il
(1) Pages 218, 219.
(2) Dans l'article déjà cité.
(3) I mourut à l'hôpital de Lyon, dans sa soixante-dixième année.
32
( 250 )
n'avait pas entrepris ce travail sans en connaître les dé-
sastreux résultats , ainsi que le témoignent ces vers tou
chants qu'il adresse à son lecteur :
At Thesaurus me hic de divité reddit egenum;
Et facit ut juvenem ruga senilis aret ;
Sed mihi opum levis est, levis est jactura juventæ,
Judicio haud levis est si labor iste tuo.
« Ce Trésor, de riche m'a rendu indigent, il a fait de
« moi un vieillard avant l'âge; mais la perte de mes
« biens, la perte de ma jeunesse me sera légère, si ce
« travail est de quelque poids dans ton estime. »
« Véritables typographes , auprès desquels nous ne
« sommes rien! » s’écrie M. Firmin Didot, qui cite ces
vers dans son recueil de poésies. Et il ajoute : « Puissé-je,
« avant de mourir, voir une nouvelle édition du Trésor
« de la Langue grecque, publiée et imprimée par les soins
« de mon fils Ambroise-Firmin Didot! Oui, je vou-
« drais voir mon fils apporter à la publication du Trésor
« de la Langue grecque le soin religieux que Henri
« Estienne voulait donner à la nouvelle édition qu'il
« préparait de l'ouvrage de son père, le Trésor de la
« Langue latine. »
« Cette joie d'honnête homme et d'ami sincère de la
science, M. Firmin Didot est à la veille de la goù-
ter (1). »
Ici je vais entrer dans quelques détails sur la ma-
nière dont a commencé à s'accomplir le vœu de notre
célèbre imprimeur. Lorsqu'il l'émettait en 1826, une
réimpression de cet ouvrage était publiée à Londres par
le libraire Valpy, et allait être terminée; et, telle fut
l'estime que le monde savant fit d’une telle publication,
(1) Dans ces citations de M. Loève Weimar, j'ai supprimé quelques
endroits inexacts, où inutiles pour mon objet.
( 257 )
que cette nouvelle édition , dont le prix était de douze
cents francs par exemplaire, obtint, dès son appari-
tion, mille quatre-vingt six souscripteurs. Après un tel
nombre de souscriptions, qui semblait devoir faire face
à peu près à toutes les demandes, quels ont été iles mo-
tifs de M. Firmin Didot en engageant M. son fils à
employer son temps, sa science et sa fortune , à une
aussi vaste entreprise ? car il est évident que , père de
famille et administrateur éclairé autant que littérateur
instruit, il a dû voir, dans cette entreprise si honorable,
sinon des chances de gain, au moins l'espoir de rentrer
daus les frais énormes qu’elle entraîne. Une phrase de
M. Didot, que M. Loève Weimar, dans sa citation,
a supprimée à dessein, comme trop spéciale pour un
article destiné uniquement aux gens du monde, va vous
faire apercevoir ces motifs. M. Didot y exprime le désir
de voir son fils, « non seulement remettre à leurs places
« les divers suppléments, mais donner à l'ouvrage un
« ordre plus facile , que Henri Estienne, sans y songer,
« indique lui-même dans cette longue et savante lettre
« sur l’état de sa typographie ; ordre qui, en conservant
« au dictionnaire tout l'avantage qu’il a reçu de l’auteur,
« par une distribution ingénieuse mais un peu difficile ,
« quelquefois sujette à contestation , et qu'il se repentit
« plusieurs fois d'avoir suivie, épargnerait beaucoup de
« temps pour les recherches. » (x)
Quelques explications seront peut-être nécessaires ici
pour ceux d’entre vous, Messieurs, qui, sans être au
courant de cette matière, s’intéresseraient cependant à
une entreprise qui ne peut être que très-honorable pour
notre pays, et voudraient, par conséquent, comprendre
bien en quoi elle consiste. Je vais vous donner ces ex-
(1) Page 221,
( 252 )
plications, d'autant plus volontiers qu'elles me fournis-
sent l’occasion de vous démontrer d'une manière encore
plus palpable cette capacité extraordinaire de notre
grand Henri Estienne , et toute la perfection qui a été
donnée à son œuvre par les soins de M. Ambroise-
Firmin Didot, puissamment secondé par MM. Hase,
de Sinner et Fix, avec lesquels je m'honore d'être en
relations assez intimes. ,
Henri Estienne portait, dans les sujets qu'il traitait,
ce coup-d'œil perçant et original d’un génie supérieur
qui sait s'approprier un sujet par un point de vue neuf
et saillant, sa création à lui. C’est ainsi qu'il vit, dans
cette langue grecque si prodigieusement riche, et dont
il réunit plus de cent mille mots (1), un nombre assez
restreint de formes primitives ou racines , souches com-
munes d’un nombre égal de familles, méthode aussi in-
génieuse que commode pour la mémoire de Pétudiant.
U employa ainsi, pour l'étude du grec, ce système de
classification qui, plus tard, appliqué d’une manière
plus heureuse et plus complète à une science qui s'y
prêtait davantage, devait faire la gloire du suédois
Linnée, porter l’ordre et la elarté dans toutes les
branches des sciences naturelles, et s'étendre presqu'à
tout. Car ces classifications, ingénieuses fictions de l’es-
prit philosophique, se sont appliquées, de nos jours, aux
sciences les plus différentes.
Henri Estienne réduisit donc à environ trois mille fa-
milles tous les mots de son vaste dictionnaire. Les peines
et les recherches que lui causa un pareil travail furent
peut-être , pour un esprit comme le sien, l'attrait prin-
cipal qui contribua à le soutenir dans cette tâche dont
(1) Le Dictionnaire de l'Académie française en compte à peine qua-
rante mille,
= mt PE ES me tot tél
("253")
vous appréciez à présent l'étendue. Maïs, quoiqu'il y ait
entre les mots de la langue grecque des rapports étymo-
logiques plus marqués que dans d'autres langues, que
dans la nôtre par exemple, cependant, pour compléter
un tel système d'étymologie, on ne peut se dissimuler
qu'il fallait souvent hasarder des explications dont les
plus ingénieuses sont quelquefois les moins fondées.
C'est ce qu'a prouvé, dans ces derniers temps, l'étude
des langues antérieures à la grecque : l’on y a retrouvé les
véritables racines de plusieurs mots auxquels Henri Es-
tienne avait donné à tort pour racines d’autres mots
grecs. Néanmoins, cette méthode a quelque chose de
bien ordonné qui séduit. Elle a introduit, dans l'Univer-
sité de France, un usage qui y subsiste encore , celui de
faire apprendre les racines grecques et de les faire con-
sidérer comme la base de la langue : usage qui, au dire
de plusieurs savants hellénistes, est peut-être l’une des
causes de notre infériorité dans cette partie.
Vous voyez, Messieurs, que notre admiration pour
Henri Estienne ne nous aveugle point sur ce qu’il peut
y avoir de défectueux dans son œuvre. Mais ce même
respect pour la vérité doit nous faire ajouter qu'il était
impossible de neutraliser avec plus de talent les inconvé-
nients d’un pareil plan. Et, d’ailleurs, des efforts qu'il
fit pour lexécuter jaillirent presque à chaque mot de
petites dissertations nourries de la plus saine érudition,
et que les gens de l’art considèrent comme des morceaux
achevés.
A ce défaut de vérité que nous venons de signaler dans
le plan du Thesaurus, nous ajouterons qu'il est réellement
moins commode pour l'usage qu'un dictionnaire disposé
tout bonnement dans cet ordre où le hasard assigne aux
mots leur place, d’après le rang que tient leur première
lettre dans l’alphabet, au lieu de cette classification éty-
mologique qui plaît à l'intelligence , en rapprochant les
(254)
mots par les idées. Henri Estienne apporta à cet incon-
vénient le seul remède possible, qui était de faire suivre
le premier dictionnaire d’un autre qui contint tous les
mêmes mots dans l’ordre alphabétique, avec l’indica-
tion de la page et de la partie de la page où le mot
était expliqué. De cette manière, il faut presque tou-
jours chercher deux fois.
Cette table, ou index, que j'ai appelée second diction-
naire, forme la seconde partie du cinquième volume,
intitulée : Appendix libellorum ad Thesaurum grœcæ Linguæ
pertinentium, et qui comprend d’abord les traités suivants,
en grec :
10 Des dialectes grecs, par Jean le Grammairien;
2° Un autre traité sur le même sujet, par Grégoire
de Corinihe.
Deux extraits de Plutarque , dont :
3° L’un sur l'usage qu'a fait Homère des différen's
dialectes ;
4 L'autre sur l'emploi des figures dans le même
poète.
5° Un traité des figures de mots, par le grammairien
Tryphon ;
6° Une liste des mots qui ont un accent différent se-
lon la différence de leur signification, par Philoponus ;
7° Un traité d'Ammonius sur ce qu’on appellerait au-
jourd’hui les synonymes ;
8° Une liste hiérarchique des titres des magistrats
grecs, par Orbicius;
9° Une longue table des verbes irréguliers, par Henri
Estienne ;
10° Un traité des chiffres ; par Hérodien ;
119 Un traité des poids et mesures des Grecs, par
Galenus, auquel sont joints deux autres traités sur la
même matière, l’un par Cléopâtre, l’autre par Diosco-
ride, avec la traduction latine par Henri Estienne ;
( 255 )
12° Un traité latin d'Henri Estienne sur le même
sujet.
- Vient ensuite l'index alphabétique, qui comprend
1,723 colonnes (1).
Le véritable dictionnaire comprend quatre volumes,
formant en tout 6,273 colonnes. Au commencement du
premier volume sont les pièces suivantes :
‘1° Deux épigraphes, l’une grecque, l’autre latine , et
les extraits de trois priviléges, dont deux accordés par
Pempereur Maximilien 11 pour toute l'étendue de lem-
pire, et un par Charles IX pour la France ;
29 La dédicace à Maximilien II, empereur; Char-
les IX, roi de France; Elisabeth, reine d'Angleterre;
Frédéric, comte palatin du Rhin; Auguste, duc de
Saxe ; Jean George, marquis de Brandebourg; et aux
plus illustres Académies des états de ces souverains ;
3° Le catalogue des auteurs cités;
4° La préface de Henri Estienne.
Puis trois éloges de la littérature grecque, dont :
5° Le premier, par Scipion Cartéromaque ;
6° Le second, par Marc-Antoine Antimaque ;
7° Le troisième, par Conrad Herbasch.
Viennent ensuite, dans un sixième volume , deux glos-
saires où recueils de mots plus rares que les grammai-
riens nous ont appris être d’origine étrangère ; car c'est
là le sens que les critiques anciens donnent au mot
yhwsca (glossa). L'un de ces glossaires est latin-grec,
l'autre grec-latin. De plus, des extraits de plusieurs an-
(1) Il y a deux colonnes à chaque page. En comparant la contenance
de ces colonnes avec celle des pages d’un in-8° ordinaire d'aujourd'hui,
j'ai trouvé qu’une colonne représente deux pages in-8°, Ensuite, ayant
fait l'addition des colonnes de tout l'ouvrage, j'ai calculé qu'il faudrait,
pour en représenter le contenu, trente-six volumes in-80 de cinq cents
pages chacun.
( 256 )
ciens lexiques grecs et un traité du dialecie attique par
Henri Estienne. Ce traité comprend à lui seul cent qua-
rante-six pages (sans division par colonnes). La pre-
mière partie, où sont les glossaires, est de six cent
soixante-six colonnes.
Tel est l'ouvrage que Henri Estienne imprima en
1572, sans autre secours antérieur que les Commen-
taires de la Langue grecque de Budé. Ce savant parisien
avait jeté pêle-méle , dans un volume in-folio , au fur
et à mesure de ses lectures , d'excellentes observations
sur les véritables acceptions de beaucoup d'expressions
grecques. Henri Estienne en fit passer la substance dans
son Thesaurus, en rendant toujours un éclatant hommage
à Budé. Mais, comme son désir insatiable d'instruction
lui faisait faire tous les jours de nouvelles lectures, il
plaça à la fin des deux premiers volumes des adjicienda ,
et, de plus, introduisit dans l'index alphabétique un as-
sez grand nombre de mots qu'il avait découverts depuis
l'impression du dictionnaire.
Le Trésor de Henri Estienne fut, comme on le pense
bien, la source médiate ou immédiate des nombreux
dictionnaires grecs qui ont paru depuis , soit en latin,
soit dans les langues modernes. Seulement , on peut af-
firmer que les meilleurs y recoururent toujours direc-
tement et sans intermédiaire. Mais il n‘y avait pas eu de
nouvelle édition de l’ouvrage même , jusqu'en 1815, où
le libraire Valpy, à Londres, en commença la réim-
pression dont j'ai eu l'honnenr de vous parler , et qu'il
termina en 1829. Je qualifie cette opération de ré-
impression, parce que, malgré les nombreuses addi-
tions de mots que, de toute l'Europe , les savants en-
voyaient aux éditeurs anglais (1), ils ne donnèrent pas
à l’œuvre d’Estienne ce degré de perfection qui doit
———————
(1) M, Boissonade en envoya, pour sa part, environ douze mille.
a
C 257)
caractériser une édition nouvelle. Au contraire , ils y ont
introduit un grand désordre par le peu de soin qu’ils ont
mis dans la répartition des richesses qui leur arrivaient
de tous côtés. Ainsi, comme dans les nouveaux aperçus
sur la signification de mots déjà connus , qu’envoyaient
beaucoup de savants, il devait se trouver tout naturel-
lement et assez fréquemment les mêmes exemples , les
miêmes citations , les personnes chargées de mettre en
œuvre ces matériaux, conservant trop religieusement
dans son intégrité l'envoi de chacun , ont souvent répété
jusqu'à trois et quatre fois absolument la même chose.
De plus, parmi ces mots que Henri Estienne ajouta,
après son travail principal, dans l'index alphabétique,
les uns sont reportés à leur place dans le dictionnaire ;
les autres restent dans cet index. Les addenda sont im-
primés à part, les glossaires de même : en sorte que ce
que fit Henri Estienne jusqu’au dernier moment, par
les seuls moyens qui lui restaient pour donner à son
édition toute la perfection qui dépendait de lui, est de-
venu , dans l'édition anglaise, une source d’imperfection
par la négligence des éditeurs. Aussi ai-je entendu dire
à un savant du premier ordre, qui la examinée at-
tentivement , que cette édition est un véritable chaos.
Les Anglais nous ont donc laissé l'honneur de donner
la dernière main à ce beau monument national. « Ce-
« pendant, » disent les éditeurs français dans leur
grand prospectus, « bien que le plan de notre édition
« soit totalement différent, nous ne nous serions point
« permis d'établir une concurrence qui eût pu porter
« préjudice au courageux éditeur d’une telle entreprise,
« s'il ne nous avait, auparavant , assuré lui-même que
« son édition était épuisée. Nous aurions craint de
« nous attirer les reproches qu'a mérités Scapula (+). »
nt 2 cé pop Re
(1) Ce domestique do Henri Estienne, qui se nommait L'Epaule,
2
v)
( 258 )
S'étant mis à l'abri de tout reproche par la délica-
tesse de ce procédé, M. Ambroise-Firmin Didot s’est
occupé d’obéir au désir de son père, en évitant non-
seulement les fautes des éditeurs anglais, mais aussi
en remédiant aux inconvénients qu'une expérience de
deux siècles et demi avait fait reconnaître dans l'édition
primitive : c'est-à-dire en adoptant l’ordre alphabéti-
que, et en fondant dans le corps du texte tous les sup-
pléments d’'Estienne , et toutes les éditions postérieures ,
soit consignées dans les dictionnaires subséquents , soit
envoyées en dernier lieu par les savants de nos jours
aux éditeurs anglais ou à M. Didot lui-même, « Ce-
« pendant (dit encore le grand prospectus, au sujet de
« l'ordre étymologique ), afin de ne rien laisser à perdre,
« même sur ce point, du travail de Henri Estienne ,
« travail prodigieux qui lui causa tant de peine, ainsi
« qu'il le dit lui-même (1), et de ne faire que ce qui
« semble nécessaire, nous ajouterons à la fin de notre
« nouvelle édition la table étymologique des mots,
« selon l’ordre présenté par Henri Estienne, et suivi
« par les éditeurs anglais. Nous osons même promettre
« que les savants trouveront plus de recherches éty-
« mologiques dans notre édition que dans celle des
« Anglais. »
Voilà les principaux perfectionnements de la nouvelle
édition française , qui se recommande encore par beau-
coup d’autres perfectionnements particuliers, dont le
détail se trouve exposé avec une grande lucidité dans le
fut une des principales causes de la ruine de son maître , par l'abrégé
qu'il ft du Thesaurus. Cet abrégé, paraissant en même temps, coûtant
beaucoup moins cher, et suffisant au commun des lecteurs, paralysa, pour
ainsi dire, la vente de l'ouvrage d’Estienne, et détruisit de si légitimes
espérances,
QG) Epistolæ ad Lectorem, p. XXH sqq-
(259)
prospectus in-folio joint, avec d’autres pièces, au
présent mémoire. Ajoutons qu’au lieu de 1200 francs,
prix de l'édition anglaise, la nôtre ne coûtera que 336
francs.
Maintenant , quel moyen M. Didot a-t-il employé
pour exécuter une si vaste entreprise ?
Dès la fin de l’année 1828 , il parla de son projet à
deux jeunes savants de Berne, MM. Louis de Sinner et
Théobald Fix. Celui-ci, élève du célèbre professeur Go-
defroi Hermann , sans avoir encore rien publié , a acquis
sur la littérature grecque , et particulièrement sur la mé-
trique , une érudition à laquelle les savants qui le con-
naissent se plaisent à rendre hommage. Quant au premier,
il était déjà connu du monde savant par trois ouvrages,
D'abord , une Oratio festa (1), ou discours d’apparat sur
l'importance de l'étude de l'écriture sainte, morceau qui
s'était fait remarquer entre tant d’estimables productions
dues à cet usage de la savante Allemagne , de faire tour-
ner au profit des études fortes et profondes toutes les
solemnités littéraires. L'année suivante, en 1824, il avait
joint à ce premier titre une édition critique de Bondel-
monti, auteur florentin du commencement du quinzième
siècle, qui écrivit en latin une description fort exacte
des îles de l’Archipel(2). Cette publication, faite à Paris,
et qui reçut un nouvel éclat du nom de M. Hase, sous
les auspices duquel elle parut, montra dans M. Sin-
ner, maloré sa jeunesse (il avait alors vingt-trois ans),
(1) De ambitu, utilitate et necessitate studii Exegeseos sacræ
Oratio festa die XIL aprilis recitata, auctore Lud, de Sinner.
Bernæ , 1823 , in-60.
(2) Christoph. Bondelmontii Florentini librum insularum Ar-
chipelagi e codicibus regiis nunc primum totum edidit, præfa-
tione et annotatione instruxit Gabr, Rud. Ludov. de Sinner,
Helveto-Bernas. Leipsiæ, 1824, in-50.
( 260 )
une excellente latinité et une érudition solide, jointe
à un e-prit plein de lucidité, entendant parfaitement
le plan d'un ouvrage. Il passa ensuite quatre ans en
Russie, où son érudition obtint les plus augustes suf-
frages (1). À son retour à Paris, en 1828 , il y re-
trouva M. Fix, son compatriote et son camarades et,
comme ils cherchaïient une manière d'employer utile-
ment leurs connaissances pour eux et pour le public,
ils trouvèrent M. Didot plein du désir d'assurer à notre
pays un titre que les Anglais avaient été sur le point de
nous ravir.
Dans l'intervalle de cette première proposition et de
l’arrangement définitif, M. de Sinner entra en relations
plus intimes avec M Didot, par la publication du texte
complet des Pastorales de Longus. Ce délicieux roman,
connu des gens du monde par la belle traduction
d’Amyot, nous était parvenu dans des manuscrits in-
complets. Le fragment qui le complétait fut retrouvé,
en 1809, dans une bibliothèque de Florence, par ce
Paul-Louis Courier au nom duquel se rattache l’idée
de tant de mérites différents ; qui mania la satyre litté-
raire avec tant de bon sens, d'esprit et de malice ;
qui porta dans l'étude des anciens l’érudition la plus
solide et les aperçus les plus lumineux, et qui écrivit
le français avec une telle perfection, que la postérité
(déjà commencée pour lui par sa fin tragique) doit
le placer à côté des Pascal, des Fénélon, des Voltaire,
des Buffon, des Rousseau, ces maîtres de la prose
française.
La découverte de ce fragment de Longus donna lieu,
dans le temps, à une polémique assez animée qui in-
(G) L'impératrice-mère lui ft remettre une tabatière de prix , en té-
moignage de sa satisfaction pour les soins qu’il ayait donnés à l’instruc-
tion de plusieurs jeunes gentilshommes russes,
Re
(261)
téressa tout le monde savant. Mais comme Courier, par
l'extrême roideur de son caractère, semblait aller au-
devant des persécutions et des tracasseries, son édition
du Daphnis et Chloé (la seule complète), tirée , x Rome,
à cinquante - deux exemplaires seuiement , et aujour-
d'hui presqu'aussi rare qu'un manuscrit , fut encore en-
travée par la police impériale, qu'avait offusquée la trop
libre allure du savant canonnier à cheval (1), frondeur
républicain comme il y en avait alors bien peu.
M. de Sinner publia donc, chez M. Didot , en 1829,
d’après cette édition de Courier , un texte arrêté du Lon-
gus (2), accompagné d'une préface et de notes , où tout
ce qui est relatif à cet auteur et aux travaux de Courier
sur Longus, fut traité ex professo. A m'en a remis un
exemplaire, dont il m'a chargé de faire hommage à
l'Académie , et que j'ai l'honneur de lui adresser.
M. Didot, dans ses rapports journaliers avec M. de
Sinner , ayant müri le plan de sa grande entreprise ,
désira qu’elle obtint , aux yeux de l'Europe savante, la
garantie d’un nom respecté de tous. Il proposa donc à
M. Hase de prendre la direction de tout l'ouvrage.
Mais M. Hase voulut auparavant que le plan en fût sou-
mis à l’Académie des inscriptions et belles-leitres, qui,
l'ayant fait examiner par une commission spéciale , lap-
prouva le 29 mai 1829.
Tout se trouvant ainsi fixé, M. Didot ne négligea
plus rien, ni soins, ni dépenses, pour assurer à cette
publication toute la perfection dont une œuvre humaine
(1) Il était chef d'escadron d'artillerie; mais il a pris le titre de
canonnier à cheval en tète de ses pamphlets.
(2) Longi Pastoralia e codd. mss. duobus Italicis primum græce
integra edidit P. L. Courier. Exemplar romanum emendatius et
auctius typis recudendum curavit G. R. Lud, de Sinner. Paris,
1829, in-50,
( 262 )
est susceptible. x° Un prospectus français, accompagné
d'un appendix latin pour la partie prosodique, con-
tenant seize pages in-folio à deux colonnes ( donnant
échantillon du papier, du format et de la disposition
de l’ouvrage même }, fut suivi : 2° du même prospectus
tout latin, en quarante-huit pages in-8°; 3° d’un extrait
français contenant seize pages in-8° ; et 4° d’un addita-
mentum latin de huit pages, également in-8°. J'ai l’hon-
neur d'adresser à l’Académie ces différents prospectus ,
où sont consignées toutes les améliorations apportées
dans l'édition nouvelle ; les soins des savants éditeurs
pour faire passer chez eux , mais avec ordre , toutes les
richesses de l'édition anglaise, et les nombreux tri-
buts envoyés encore depuis par des savants français et
étrangers. Je citerai seulement encore ici un passage du
prospectus in-folio, pour vous donner , Messieurs , un
exemple des difficultés qui caractérisent cette entre-
prise. |
« Si les Anglais avaient pu ou voulu vérifier les ci-
« tations que leur communiquèrent les savants , ils au-
« raient mérité la reconnaissance des lecteurs. Malheu-
« reusement, sous ce rapport, tout nous reste encore à
« faire; cependant nous espérons pouvoir, presque en
« totalité, réussir dans le long et fastidieux travail dont,
« au premier abord, les difficultés nous avaient paru in-
« surmontables, puisqu'il fallait tâcher de se procurer
« tant de livres qui, depuis long-temps, avaient disparu
« du commerce , et particulièrement divers ouvrages de
« critique , imprimés pour la plupart à un petit nombre
« d'exemplaires, dans les pays étrangers, et en outre la
« série complète des éditions qui , dans les suppléments
« fournis aux éditeurs anglais par les divers savants, sont
« citées sans aucune exacte indication, et suivant la bi-
« bliothèque qui se trouvait à la portée de chacun
« d'eux.
Ut 564)
« Pour arriver à ce but, les nouveaux éditeurs ayant
réuni à la bibliothèque d M. Didot celle de M. de
« Sinner, ont fait venir d'Angleterre et d'Allemagne tous
« les ouvrages dont ils ont reconnu l'indispensable néces-
« sité; et, ne pouvant obtenir de toutes les bibliothèques
« ne de Paris la permission de garder trop long
« temps certains ouvrages , ou rares , Ou trop souvent de-
« mandés, ils ont fait reporter la pagination sur les marges
« de celles qu’ils possédaient. De cette manière, ils sont
« parvenus, pour quelques auteurs, à réunir en un petit
« nombre d'éditions la plupart de celles qui leur man-
« quent. »
La riche collection de livres, résultat de tous ces soins,
a été rassemblée dans un petit appartement loué dans le
voisinage de M. Didot, et décoré du nom de Stephanium.
Deux exemplaires de l'édition anglaise , du prix de 1200
francs chacun, y sont découpés ; Pour transporter tous
A
les mots de l’ordre étymologique à l’ordre alphabétique.
Il en a fallu deux, parce que les feuillets d’un livre
ainsi découpé ne peuvent servir que d’un côté. Il faut
donc un exemplaire pour le recto et un pour le verso. Un
homme, qui n'est pas étranger à la connaissance des
deux langues élassiques , est continuellement occupé à
coller attentivement ces bandes, plus ou moins divisées
selon le nombre des intercallations manuscrites faites par
les éditeurs et leurs collaborateurs correspondants. Ces
grandes feuilles, ainsi préparées par les soins de MM. de
Sinner et Fix, sont remises à M. Hase, qui les rapporte,
au moment de l'impression, toutes chargées d’additions
et de corrections dont il est inutile de qualifier le mé-
rite. M. Didot, à qui un séjour de deux ans dans la
Grèce a rendu la langue grecque familière, et que l'é-
ducation la plus soignée, dirigée par le célèbre docteur
Coray, à initié aux secrets de l’érudition, corrige lui-
mème toutes les épreuves, qui passent aussi par les mains
(264 )
de MM. Fxet de Sinner. Les dépenses déjà faites dès
le début suflira cnt seule. pour conduire à fin une très
grande entreprise or inaire de librairie.
Les relations d'un riche libraire avec les gens de let-
tres qu'il emploie , unt été souvent, pour ces derniers ;
l’occasion de justes plaintes. C’est que souvent les li=
braires les plus riches, tout en devant leur fortune au
commerce des productions de l'esprit , conservent une
grossièreté et acquièrent une impertinence provenant
du défaut d'instruction et des habitudes purement mer-
cantiles. M. Didot ne peut avoir rien de commun avec
ces gens-là. Le mème zèle pour la science fait dispa-
raître l'inégalité de fortune ; et il est l'ami des savants
dont il peut être le collaborateur.
Le Stephanium, dont M. de Sinner fait les honneurs ,
sert de point de réunion à une petite académie de sept
ou huit hommes studieux, assez étrangers aux plaisirs
et aux occupations favorites de la brillante capitale au
milieu de laquelle ils demeurent. On vient consulter
quelque édition rare, apporter quelque mot qu'on a
trouvé pour la première fois dans une lecture de la veille;
on s’informe, par la même occasion, où en est lim-
pression du Thesaurus; on se donne réciproquement des
nouvelles des principales productions philologiques : tout
cela se fait gaiement et sans pédanterie; et, dans ces
occupations qui paraîtraient bien insipides aux person-
nes qui y seraient étrangères , nous trouvons la satisfac-
tion que tout le monde éprouve à parler de ce qui l’oc-
cupe avec des gens qui s’occupent de la même chose ; à
acquérir de nouvelles connaissances sur la partie que l’on
a plus spécialement cultivée. On se réunit le soir, au
moins une fois par semaine ; on dîne souvent ensemble.
Une petite circonstance littéraire devient l’occasion d’un
dîner un peu plus soigné. Quand l’Académie de Tubin-
gue envoya le bonnet de-docteur à M. de Sinner , le 30
des
er lee da
(_265,)
juin dernier, il nous réunit dans un repas aussi bien
servi que cordialement offert ; et trois des convives,
MM. Walz, Hauthal et Anders, célébrèrent lè nouveau
docteur en vers grecs, latins et allemands. Communi-
qués en secret à M. Didot (qui était aussi des nôtres },
au moment de nous mettre à table , ces vers furent im-
primés pendant le dîner, et nous furent distribués au
dessert. J'en joins un exemplaire aux autres pièces que
j'ai l'honneur d'adresser à l'Académie.
TABLEAU
DE
L'ACADÉMIE ROYALE
DES SCIENCES , BELLES-LETTRES ET ARTS
DE ROUEN,
POUR L'ANNÉE 18311832.
SIGNES POUR LES DÉCORATIONS.
% Ordre royal de la Légion d'honneur.
O. signifie Offcier.
C — Commandeur.
G. — Grand-Officier.
G.C. — Grand'Croëz.
TABLEAU
DE L’ACADÉMIE ROYALE DES SCIENCES
BELLES-LETTRES ET ARTS DE ROUEN,
POUR L'ANNÉE 1831—1932.
OFFICIERS EN EXERCICE
M. Lepasquier (Auguste) X, Président.
M. Hezus, J’ice-Président.
M. Des Arceurs, Secrétaire perpétuel pour la Classe des Sciences.
M. Bicnox (N.), Secrélaire perpétuel pour la Classe des Belles-
Lettres et des Arts.
M. Bazuix (A.-G.), Bibliothécaire-Archiviste.
M. Lepreyost , vétérinaire, Trésorier.
_ ACADÉMICIENS VÉTÉRANS , ML. se
1803. Le Comte Beuexor ( G. C. :K), ancien D du 1806,
département de la Seine-Inférieure, à Paris, rue de
la Michodière, n° 8.
1562. D'Onxax (Jean-François-Gabriel) , doyen des Acade- 1807.
miciens , membre de l’Académie de Lyon, de celles
des Arcades de Rome et des Georgilles de Florence,
à St-Martin-de-Boscherville.
1811, Le Baron AsseziN DE ViuxequiEr ( O. #), premier 1819.
Président de la Cour royale, membre de la Chambre
des Députés, rue de la Seille, n° 10.
180%. Vrraurs ( O. :K), ancien Secrétaire perpétuel de 1822.
l'Académie pour la classe des sciences; Docteur ès
sciences de l'Université; Professeur émérite des
sciences physiques au Collége royal de Rouen; an-
1916.
1824.
1830.
(270)
cien professeur de chimie appliquée aux arts ;
membre de plusieurs Académies et Sociétés sa—
vantes, Curé de Saint-Eustache, à Paris.
5. Brière X , Conseiller à la Cour de cassation ,
à Paris, re de Bondy , n° 62.
. Le Baron Lezurrer DE LA Marrez ( O. #),
ancien Maire de Rouen, à Hautot.
Descamps ( Jean-Baptiste), Conservateur du Musée
de Rouen, membre de l’Académie des Arcades de
Rome, re Beauvoisine, n° 31.
3. Pavre (Benjamin), Manufact., Trésorier honoraire
J > ; ’
faubourg S.-Hilaire, n° 75.
Rigarp (Prosper) ##, ancien Maire de Rouen,
rue de la Vicomté, n° 34.
Perraux (Pierre), ancien Imprimeur du Roi, mem-
bre de l'Académie de Caen, et des Sociétés d'agri-
calture et de commerce de Rouen et de Caen, Zoz/.
Leauvoisine, n° 54.
MeaumE (Jean-Jacques-Grégoire ), ancien Professeur
de Mathématiques spéciales au Collége de Rouen,
Doct. ès-Sciences, Oflic. de l'Université, Inspecteur
de l’Académie , à Amiens.
Levieux, Commissaire du Roi près la Monnaie de
Rouen , à /’Hôtel des Monnaies.
ACADÉMICIENS HONORAIRES , MM.
1822:
1823.
1824.
1827.
1828.
1830.
1835,
S. À. S. Mgr le Cardinal Prince DE CRoY, Archevèque de
Rouen, etc., au Palais archiépiscopal.
Le Licutenant- Général Barun Teste (O.XK), Commandant
la 14e division militaire.
Le Baron Duronr-Derrorte (O0. :K), Préfet de la Seine-
Inférieure , ex l'hôtel de la Préfecture.
Barger (Henri) #, Maire de Rouen, Zouler. Cauchoise,
no 54,
jé ur, ct
Y803.
1804
1808.
1809.
1813.
1815.
#317.
(271)
ACADEMICIENS RÉSIDANTS, MM.
Viaxé ( Jean-Baptiste), D.-M., correspondant de la So-
cicté de médecine de Paris, 7ve de la S'eille, n° /.
LerTeczier, Inspecteur de l’Académie universitaire, rue de
S'otteville, n° 5, faubourg S.-S ever.
Gopgrroyx, D.-M., rue des Champs-Maillets, no 11.
Brexox ( N.), Docteur ès-lettres, Professeur émérite de
rhétorique au Collége royal de Rouen et à la faculté des
lettres, offic. de l'Université de France, rve Sénécaur,
n° 55,
Dusuc l’ainé, Chimiste , ancien Pharmacien à Rouen, membre
de l’intendance sanitaire du département de la Seine-[nfé-
rieure, de la Société centrale d'agriculture du même dépar-
tement , correspondant de l’Académie royale de médecine de
Paris, etc., etc., rue Percière, n° 20.
Durvurez ( Pierre), rue du Duc de Chartres, n° 12.
Le Prevost (Auguste), Membre honoraire de la Société des
antiquaires de Londres; Membre des Sociétés des anti
quaires de France , d'Ecosse et de Normandie; de la Com-
mission des antiquités de Ja Seine-Inférieure ; de la Société
géologique de France; de la Société linnéenne de Nor-
mandie ;. Correspondant de la Société royale et centrale
d'agriculture; des Sociétés d'agriculture de Rouen, Evreux
et Caen; de la Société d’émulation d’Abbeville, 74e de
Buffon, n° 21.
Licquer ( Théodore), Membre des Sociétés des antiquaires
d’'Ecosse et de Normandie; de la Commission des antiquités
du département de Ja Seine-Inféricure; Conservateur de la
Bibliothèque publique de Rouen, à /’ÆHütel-de-V'ille.
Fraugerr, Docteur-Médecin, Chirurgien en chef de l'Hô-
tel-Dieu , rze de Lecat, ne 5.
Lerrevosr , Vétérinaire, rze S.-Laurent, n° 3.
Le Baron Anam #, Président du Tribunal de première
iuslance , place S,-Ouen, n° 23,
1817.
/
1818.
1819.
1820.
1822.
1824.
(272)
Du Rouzelu X, chevalier de l’ordre de l’Eperon d’or de
Rome, Conseiller à la Cour royale, place S'aint-Elor ,
no 6.
Le Prevosr , Docteur-Médecin', rve Malpalu , mo 12.
Braxcae , Médecin en chef de l’'Hospice général, rze Bour-
gerue, vis-à-vis l'Hospice général.
Tarz K, Procureur général, rze Dinanderie, n° 15.
Dessriexx , Horloger, place de la Cathédrale.
Hezurs fils, D.-M., Médecin en chef de l'Hôtel-Dieu, pZace
de la Madeleine.
Le Marquis DE MARTAINVIZLE X, ancien Maire de Rouen,
rue du Moulinet, n° 1x.
DezaquéRiÈREe (E.), Négociant, ve du Fardéau, n° 24.
Lévy, Professeur de mathématiques ‘et de mécanique ; Mem-
bre des Académies de Dijon, Bordeaux et Metz, des So—
ciétés académiques de Strasbourg, Nantes et Lille; Chef
d'institution, ze S'airt-Parfrice, n°36.
Leprasquier (Auguste) 2%, Secrétaire général de la Pré-
fecture du département de la Seine-Inférieure , à Z’Adlel de
Za Préfecture.
Des Arreurs , D-M., Médecin adjoint de l'Hôtel-Dieu,
membre du Jury médical, Secrétaire du Comité central de
vaccine , etc. , 7ve de L >Écureuil, n° 19.
L’'Abbé Gosster , Chanoine honoraire à la Cathédrale , ze du
Nord, n° 1.
Marzcer-DugourcAx, Architecte en chef de la Ville, gzar
de la Romaine , n° 72.
Prévosr, Pépiniériste, au Bois-Guillatme, ( son adresse à
Rouen, rte du Champ-des-Oiseaux , n° 65 ).
Durreuz, Directeur du Jardin des plantes, 44 Jardin des
‘ plantes, à Rouen.
LanGcors (E.-H.), Peintre, Professeur de dessin à l'École
municipale, rze Beauvoisine, enclave Sainte-Marie.
Reiser XK , Receveur général des finances , gear d’Harcourt.
Hourou-LaBrzLARDIÈRE , ancien Professeur de chhnie appli-
quée aux arts, apenue du Mont-Riboudet.
1825
1825.
1827.
1828.
1829.
1830.
( 273 }
Paru (A.-G.), Secrétaire des Commissions des antiquités
et des archives du département de la Seine-Unférieure; Chef
de la 1re division à la Préfecture , rze de Crosne, n°0 14.
Donmesxiz (Pierre), rue de la Chaïne , no ox.
Mori , Pharmacien ; correspondant de l’Académie royale
de médecine, de la Société de, chimie médicale de Paris ,
de la Société linnéenne et des Sciences physiques et chi-
miques de la même ville; de la Société académique de
Nantes, et de plusieurs autres Sociétés savantes, re Bou
vreuil, n° 27.
Device (Achille), membre des Sociétés des antiquaires
d'Écosse et de Normandie, des Commissions des antiquilés
et des archives du département de la Seine-fnférieure,
et de la Société d’émulation de Rouen; Receveur des
contributions directes, rze de Fontenelle, no 2 bis.
Vixérmnier, D.-M., Chirurgien en chef des Prisons, 7ze
de la Prison, n° 33.
Pimoxr (Prosper), Négociant, rve Herbière, n° 38.
Fcoquer (A) fils, Greflier en chef à la Cour royale de Rouen.
GirarniN (3), Professeur de chimie industrielle ; collabo-
rateur du Bulletin des sciences naturelles et de géologie, de
la Revue normande; membre résidant de l’Académie royale
des sciences, de la Société libre d’émulation de Rouen;
membre de l’intendance sanitaire de Rouen, du conseil central
de salubrité du département; correspondant de la Société
d'histoire naturelle de Paris, de la Société géologique de
France, de l’Académie royale des sciences de Bordeaux;
de la Société linnéenne de Normandie , industrielle de Mul-
hausen, de pharmacie de Paris, polymatiqie du Morbihan,
hygiénique et industrielle de Paris; des Sociétés d'agriculture
et des sciences de Lille, de Clermont-Ferrand, de Seine-et-
Oise, etc., re de la Glacière, près le boulev. Beauvoïsine.
Poucuer, D.-M., Professeur de botanique, rze Beauvoï-
sine, n° 200.
Fôvrie, Médecin en chef de l’Asile des aliénés, rze de S'o-
crale , n° 12,
35
(274)
1851. Mar, Docteur ès-lettres, officier de l'Université, Pro=
fesseur de rhétorique au Collége royal, éoulevard Bou-
vreuil, n° 6.
Paumrer (L.-D.), Pasteur, Président du Consistoire de
Rouen, rampe Bouvreuil, n° 16 bis,
ACADÉMICIENS CORRESPONDANTS , MM.
1803.
1804.
1805.
.… Le Colonel Vicomte TousTain DE RICHEBOURG , à St-Martin-
du-Manoir, près Montivilliers.
. Levavasseur le jeune, Officier d'artillerie.
. Le Baron DesceneTTes (C. #), Médecin, membre de l’Aca-
démie royale de médecine , à Paris, gzai Vollaire, n° x.
versité, n° Gt.
Le Chevalier Tessrer 2X , membre de l’Académie des sciences
de l’Institut, de la Société centrale d'Agriculture , Inspec-
teur général des Bergeries royales , à Paris, ve des
Petits-Augustins , n° 26.
GuEnsexT X, Professeur agrégé à la Faculté de médecine,
à Paris, rue Gaïllon, n° 12.
Lnosre , à Sartilly, près Avranches, départt de la Manche.
Le Comte CHapTaz (G. 2), Pair de France , membre
de l’Institut, à Paris, ve de Grenelle-S1-Germain, n° 88.
Morzevauzr (C. L.), membre de l'Institut, à Issy, près
Paris.
L'Abbé pe La Rue, membre de l’Académie de Caen, cor-
respondant de l’Institut, à Caen.
Le Baron Cuvier (G. O. X), Conseiller d'Etat, membre
de l'Institut, à Paris, au Jardin du or.
Deccaxn (J.-V), D. M., Professeur d'histoire naturelle,
à Rennes.
Le Baron DEMADIÈRES ( Pierre-Prosper) X, à Paris, ve
Notre-Dame-des-Victoires , 5° 4o.
Boucxer , correspondant de l’Institut, Académie des sciences,
Directeur des Douanes, à Abbeville.
D
. Monnet , ancien Inspecteur des Mines, à Paris, rue de l'Uni-
1806,
1808.
1809.
3810.
x8ur.
(275)
Le Baron DE GErAxno (C. K), membre de l'Institut, à
Paris, 2mpasse Férou, n° 7.
Deragouisse , Homme de lettres, à Paris.
Boïecnreu, Avocat, à Paris, Palars des Païrs.
SERAIN, ancien Officier de santé, à Canon, près Crois-
sanville. ( Calvados.)
Lai ( Pierre-Aimé), Conseiller de Préfecture, Secrétaire
de la Société royale d'Agriculture et de Commerce, etc.,
à Caen.
Derancy K , à Paris, re Duphot, n° v4.
Fraxcœur 2, Professeur à la Faculté des sciences, à
Paris , rve du Cherche-Midi, no 25.
Henvanpez, Professeur à l'Ecole. dé anédecine de la Ma-
rine , etc., à Toulon.
Lamoureux (Justin), à Bruxelles. : ‘
Rosnayx DE VILLERS , à Amiens. *
Dusuissox (J.), D.-M., membre de plusieurs Académies et
Sociétés médicales, à Paris, re Hautevrlle | n° 10, faubourg
Poissonnière.
Durois-Maisonneuve, Homme de: lettress à Paris, rue du
. Pot-de-Fer-Süint-Sulpice ; n° 14. : in à
Dexis ( Jean-Pierre Auguste ), D-M:Xà Argentan, dépar-
tement de l'Orne.
Le Baron DE Bonarnr-DumrsniL, aneien Officier de ca-
rabiniers, au Mesnil-Lieubray, canton d’Argucil, arron-
dissement de Neufchätel.
Deranue , Pharmacien, secrétaire de la Société d'agricul-
ture, médecine et arts, à Evreux. ‘
Le Comte Dônatien De Sesmatsons (C. Xt) » Pair de France,
à Paris, rue de Vaugirard , m°°54.
Saissy , Docteur-Médecin, à, Lyon.
Barme, secrétaire de la Société de médecine ; à Lyon.
Leroux des Trois-PrerRes , Propriétaire, aux Trois-Pierres
près St- Romain-de-Colbosc. :
L'Abbe Leprtoz , ancien Recteur de l’Académie universitaire
de Rouen, à Paris.
1811.
1812.
1813.
1814.
1815.
1816.
1817.
(276)
De LaAPpoRTE-LALANNE 2, ancien Recteur de l’Académie
universitaire de Rouen, à Paris, av Carrousel.
Le SauvacEe, D.-M., à Caen.
LarIsse, D-M., à Paris, rue de Menars, n° 9.
Hercort ( A.) 2, à Paris, rue d’Astorg , n° x3.
BouzLax #, Pharmacien, à Paris, rue des L'ossés-Wont-
martre , n° 17.
BriQuer (B.-A.), ancien Professeur de Belles-Lettres, à
Niort (Deux-Sèvres ).
LAMANDÉ (Mandé-Corneille) #, Inspecteur divisionnaire
des Ponts et Chaussées, à Paris, rze du Hegard , n° x.
Gous fils (E.), Statuaire, à Paris, au Palais des Arts.
FLAUGERGUES, Astronome , correspondant de l'Institut , à
Viviers ( Ardèche ).
TaRBÉ prs Saërons (Sébastien-André) #, ancien Chef de
division au Ministère du commerce, à Paris , rue du Grand-
Chantier, n° 12.
Pécueux (B.), Peiatre, à Paris, rue S-Florentin, n° 14.
Massox DE Sarxr-Amanp #, ancien Préfet du département
de l'Eure, à Paris, zue de Bellechasse, n° 15.
Le Maréchal Comte Jourpax (G. C. #), Pair de France,
rue de Bourbon, n° 52.
PERCELAT, ancien Recteur de l’Académie universitaire de
Rouen, Inspecteur de l'Académie de Metz.
Fagre (Jean-Antoine) , correspondant de l’Académie des
sciences de l’Institut et de diverses Académies, Ingénieur
en chef des Ponts et Chaussées, à Brignoles (Var).
Box (O. %#), Médecin en chef des Hospices, à Bourges.
Lorseceur DesconGcHames (Jean-Louis-Auguste) #, D.-M.,
Membre honoraire de l’Académie royale de médecine, etc.,
à Pais, rue de Jouy, n° 8.
Durrocuer (Réné-Joachim-Henri), D.-M., correspondant
de l’Institut, Membre de l'Académie royale de médecine,
etc., à Chareau, près Château-Renault (Indre-et-Loire ).
Pain, maitre des conférences à l'Ecole normale, à Paris,
rue Casselle, n° 15.
“
pas ii tnt dr de
(277)
1817. MÉRAT (François-Victor) #£, D.-M., membre de l’Aca-
démie royale de médecine, etc., à Paris, rve des S'aints-
Pères , n° 15 6.
Hurrrez p’Argovaz, correspondant de plusieurs Sociétés
savantes nationales et étrangères, Vétérinaire, à Montreuil
sur-Mer ( Pas-de-Calais). ;
Moreau DE JonnÈs (A.) #, Oflicier supérieur au Corps
royal d'Etat-Major, membre du Conseil supérieur de santé,
chargé au Ministère du commerce des travaux statistiques,
correspondant de l'Académie des sciences de l'Institut,
Chef de bataillon, à Paris, place Vendôme, n° 8.
1818. DE Gournayx, Avocat et Docteur-ès-lettres, à Caen (Cal-
vados), re Gemare, n° 18.
Parru, Ingénieur en chef des Ponts et Chaussées , à Caen.
Borra, ancien Recteur de l'Académie de Rouen, Homme
de lettres, à Paris, place S.-S'ulpice, n° 8.
Le Comte pe Kercanou (O0. %), Pair de France, à
Paris, rue du Pelit-Vaugirard, n° 5.
Le Chevalier Aurssax De Cuazer ( O. X ), Homme de
lettres, à Paris, rue de Clichy, n° 48.
Le Marquis De Monrauzr #, à Nointot, près Bolbec; (à
Rouen, rue d'Écosse, n° 10.)
Le Marquis Eunes DE MiRvilLe, à Gommerville, près St-
Romain.
1819. BoucHarLaT, membre de la Société philotechnique, à Paris,
rue de Savoie, n° 9, près da quai de la Vallée.
Le Baron Mazourr ( C. #), ancien Préfet de la Seine-
Inférieure, Maitre des comptes, à Paris, rue Godot,
n° 5.
Dspauzts (Alexis-Joseph), Graveur de médailles, à Paris,
rue Furstenberg, n° 8 ter.
1820. Garon, Receveur principal des Douanes, membre de plu-
sieurs Sociélés savantes, à Abbeville (Somme).
1821. Benruren (P.) X#, Ingénieur en chef des Mines, Profes-
seur de chimie à l'Ecole royale des Mines, membre de
l'Institut, à Paris, rve d'Ænfer, n° 54.
182r.
1522.
x824.
182),
(278)
L'Abbé JAMET (Pierre-François), Prètre, Supérieur de la
Maison du Bon-Sauveur, Instituteur des sourds-muets, À
Caen (Calvados ).
Cuauery X, Inspecteur général honoraire des Ponts et Chaus-
sées, à Oyré, près la Flèche (Sarthe).
L'Abbé LABOUDERIE (Jean), Vicaire général d'Avignon, à
Paris, cloître Notre-Dame , n° 20.
Lemonnter ( Hippolste), Secrétaire-Bibliothécaire de l’Aca-
démie royale de France, à Rome.
Moréox (de) #, Ingénieur, à Paris, re Godot, n° 2.
TuarÉBauT DE BERNEAUD , Secrétaire perpétuel de la Société
linnéenne, à Paris, rve de Verneuil, n° 51.
BeuGxoT (Arthur), Avocat, à Paris, rue du faubourg S.-
Honoré, n° 119.
Desrouer , D.-M., à Paris, rve Ste-Marguerite, n° 3/.
SorcicorFre ( Louis Henri-Joseph) %, Directeur des
Douanes , à S.-Malo (Ille-et-Vilaine ).
Estanceztx, Membre de la Chambre des Dépntés, à Eu.
FoxTanreR ( Pierre), Humme de lettres, Officier de l'Uni-
versité, à St-Flour (Cantal).
Marzer 2, Inspecteur divisionnaire des Ponts et Chaus-
sées, à Paris, ze du Regard, n° 14.
Jourpan #, D.-M., à Paris, rze de Bourgogne, n° 4.
Moxrazcox, D.-M., à Lyon.
Bourçrois (Ches) %#, Peintre en portraits, à Paris, rve de
l'Oratoire-du-Roule, n° 50.
Janvier (Antide), Horloger ordinaire du Roi, à Paris, Pa-
dais de l'Institut.
DELAQUESNERIE, correspondant des Sociétés d'émulation et
d'agriculture de Rouen, de la Société centrale d’agriculture
de Paris, etc, à St-André-sur-Cailly.
Descuamps, Bibliothécaire-Archiviste des Conseils de guerre ,
à Paris, re du Cherche-Midi, n° 39.
SaLGues, D.-M., à Dijon (Côte-d'Or).
Le Baron BourrexGer (O. #), ancien Procureur général
à la Cour royale de Rouen.
1825.
1820.
1827.
C279 )
Prec X , Juge de paix, au Havre.
D’ANGLEMONT ( Edouard), à Paris, rue de Savoie , n° 214,
DesmaresT, Professeur à l'Ecole royale vétérinaire d’Alfort,
correspondant de l'Institut, à Paris, rue S.—Jacques,
n° 161.
Bexoisr, Lieutenant au corps royal d'État-Major, Chef d'es-
cadron, à Paris, rue S'aint-Dominique, n° 23.
Juzra-FonTENELLE, D.-M., Chimiste, à Paris, rue de
l'École-de-Médecine, n° 12.
Civiae #, D.-M., à Paris, ve Godot-de-Mauroy, n° 30.
FERET ainé, Antiquaire, à Dieppe.
Paye #, Manufacturier, à Paris, rue des Jeüneurs , n° 4.
Le Comte BLANCHARD DE LA Musse, ancien Conseiller au
Parlement de Bretagne, Homme de lettres, à Montfort-
sur-Meu (Ille-et-Villaine ).
Moreau (César) , Fondateur de la Société française de
statistique universelle et de l’Académie de l'industrie, etc.,
à Paris, place Vendôme , n° 24.
Moxrémont (Albert), Homme de lettres, à Paris, rue du
Four-S.-Germain, n° 13.
LapEvÈzE, D.-M., à Bordeaux.
Savix, D.-M., à Montmorillon (Vienne).
LevormaxD , Professeur de technologie, à Paris, ve Percée-
S.—-André, n° 11.
Boïecoreu 2, membre de l'Institut, à Paris, éou/evart
Montmartre, n° 10.
Bençasse X, Procureur général, à Montpellier (Hérault ).
Germaix (Thomas-Guillanme-Benjamin), correspondant de
la Société des pharmaciens de Paris et de la Société royale
de médecine, Pharmacien, à Fécamp.
Huco (Victor), Homme de lettres, à Paris, rue Jean-
Goujon, n° 9.
DE Bzossevicce (Ernest), Conseiller de préfecture, à Ver-
sailles ( Seine-et-Oise ).
De BLossevizce (Jules), à Paris, rue de Hichelieu.
DssmaziÈnes (Jean-Baptiste-Heuri-Joseph), Naturaliste, à
1828.
1829.
( 280 })
Lambersart, près Lille: chez M. Maqnet, propriétaire , ruà
de l'Hôpital-Militaire, n° 110, à Lille (Nord).
Maro (Charles), Homme de lettres, à Paris, ve Dauphine,
no 335.
Le Baron C. A. pe Vaxssay (C. X), ancien Préfet de la
Seine-Inférieure , à la Barre, près Saint-Calais (Sarthe ).
Cour, Peintre, à Paris, rve des Beaux-Arts, n° à.
Virex (J-3.), Docteur-Médecin, à Paris, rve Soufflot,
n° 1.
Boxrics (Joseph-Francois) fils aîné, Docteur-Médecin, Pro-
fesseur à l'Ecole secondaire de médecine de Nancy, membre
de plusieurs Sociétés savantes, à Nancy (Meurthe ).
Marccer-Lacosre ( Pierre-Laurent), Professeur à la Faculté
des lettres de Caen.
Laurar», Membre de l’Académie, à Marseille (Bonches-du-
Rhône).
Dupras, Homme de lettres, à Paris.
SPENCER Smirx (Jean), membre de l'Université d'Oxford,
de la Société royale de Londres, de la Société des Anti-
quaires de Londres, de la Société pour l’encouragement des
arts, etc., de Londres, et de plusieurs Sociétés savantes,
à Caen, 7ve des Chänoïnes.
Le Baron pe MorTEMART-Borsse 2, Membre de la Société
royale et centrale d'agriculture, ete , à Paris, rve Jean-
Goujon, n° 9.
Morix ( Pierre -Etienne }, Ingénieur des Ponts et Chaussées,
à St-Brieux ( Côtes-du-Nord ).
CoTTEREAU (Pierre-Louis), D.-M., Professeur agrégé de
la Faculté de médecine de Paris, médecin du Bureau de
charité du 5e arrondissement et du 2e dispensaire de la So-
ciété philantropique, à Paris, rve du Petit-Carreau, n° 19.
Fée, Chimiste, Pharmacien en chef de l'hôpital militaire ,
à Lille (Nord).
Portez , D.-M., à Evreux (Eure ).
GurninGuer (Ulric) , Homme de lettres, à Paris ; (à Rouen,
rue de Fontenelle, no 35).
+ AE
1829.
2830.
1831.
( 28r )
Cazaus , Professeur de physique au Collége royal de Bour-
bon, à Paris, rue des Grands-Auguslins, n° 22.
ScHwiLGué , Ingénieur des Ponts et Chaussées , au Havre.
ALAVOINE (Jean-Antoine) #, Architecte, chargé des tra
vaux de la flèche de la Cathédrale de Rouen , à Paris, rve
Neuve-des-Bons-Enfants, n° 25.
Péerx, Homme de lettres, à Metz (Moselle ).
BerGer DE XIVREY (Jules), Homme de lettres , à Paris, 7ve
du Guay-Trouir, près le Luxembourg, n° 3.
Le chevalier CHaponnter ,D.-M. , à Paris, rve de Cléry, n° 16.
Passx (A.), Préfet de l'Eure, à Evreux.
Soxer-VViieMET (Hubert-Felix), Botaniste, membre de
plusieurs Sociétés savantes, Bibliothécaire de la ville, à
Nancy (Meurthe ).
LecoQ (H.), Professeur d'histoire naturelle de la ville, à
Clermont-Ferrand (Puy-de-Dôme ).
RrrauD, Naturaliste, membre de plusieurs Sociétés savantes,
à Paris, rve de la Rochefoucault, no 5.
Banré De JALLAIS, ancien Admioïstrateur, Homme de lettres,
à Chartres, pavé de Bonneval (Maine-et-Loire ).
Housc (Juste), membre de plusieurs Sociétés savantes, Pré-
sident du Tribunal civil, à Louviers (Eure ).
Le Comte ne Murar (C. K), ancien Préfet de la Seine-
Inférieure, à Euval, près Vayre (Puy-de-Dôme), ou à
Paris, rve S'aint-Honoré , n° 345.
Le Comte DE Rivaup LA RAFFINIÈRE (G O. 2K), Lieute-
nant-Général, à la Raflinière, près Civray (Vienne); (à
Rouen, 7e Porte-aux-Rats, n° 13, chez Mme de Bra-
quemont ).
Lerrcceuz DES GuERROTS, chevr de l’Eperon d'or de Rome,
aux Guerrots, commune d'Heugleville-sur-Scie, par Bel-
lemare, arrond. de Dieppe.
Le Terrier 2, Inspecteur divisionnaire des Ponts et Chaus-
sées , à Paris, quai d'Orsay, n° x.
BoucHer DE PerTnes , Présideut de la Société royale d'Ab-
beville ( Sorame ).
36
( 282 )
CORRESPONDANTS ÉTRANGERS, MM.
1803. Demorr, Directeur de la Chambre des finances , et corres-
pondant du Conseil des mines de Paris, à Salzbourg.
Le Comte DEBrAY , Ministre et Ambassadeur de S. M. le
Roi de Bavière , à Vienne.
Gerrroy , Professeur d'anatomie à l'Université de Glascow.
ExcGgcsrorr , Docteur en philosophie , Professeur adjoint
d'Histoire à l'Université de Copenhague.
John SinccAR, Président du Bureau d'agriculture , à
Edimbourg.
1812. Vocez , Professeur de chimie à l’Académie de Munich,
1816. Campgetz, Professeur de poésie à l'Institution royale de
Londres.
1817. Le Chevalier DE KikckworF, Médecin militaire, à Anvers.
1818. Dawson Turner , Botaniste, à Londres.
Le R. Th. Froënazc Diepin , Antiquaire , à Londres.
1821. VÈNE XK, Capitaine de génie, au Sénégal.
1823. CHAUMETTE DES Fossés, Consul général de France , à Lima.
1825. Le Comte ViINCENZO DE ABBATE, Antiquaire , à Alba.
1827. Deruc, Professeur de Géologie, à Genève.
1828. Brunez 2XK, Ingénieur, correspondant de l’Institut, Membre
de la Société royale de Londres, à Londres.
1830. Le Chevalier RAFN (Gratien), Professeur, Secrélaire de la
Société royale des antiquaires du Nord, à Copenhague, re
du Prince-Royal, n° 40.
SOCIÉTÉS CORRESPONDANTES,
Classées selon l'ordre alphabétique du nom des Villes où
elles sont établies.
Abbeville. Société royale d'Emulation (Somme ).
Air. Société académique (Bouches-du-Rhône ).
Amiens. Académie des Sciences (Somme ).
( 283 )
Besançon. Académie des Sciences , Belles-Lettres et Arts (Doubs ).
—— Société d'Agriculture et des Arts du département du Doubs.
Bordeaux. Académie royale des Sciences, Belles-Lettres et Arts (Gi-
ronde ).
— Société royale de médecine.
Boulogne-sur-Mer. Société d'Agriculture, du Commerce et des Arts
(Pas-de-Calais).
Caen. Académie royale des Sciences, Arts et Belles-Lettres (Cal-
vados ).
— Société royale d'Agriculture et de Commerce.
—— Société des Antiquaires de la Normandie.
Cambrai. Société d'Emulation (Nord ).
Chälons-sur-Marne. Société d'Agriculture, Commerce, Sciences et
Arts du département de la Marne.
Chäteauroux. Société d'Agriculture du département de l'Indre.
Cherbourg. Société d'Agriculture , Sciences et Arts (Manche ).
Dieppe. Société archéologique.
Dijon. Académie des Sciences, Arts et Belles - Lettres (Côte-
d'Or).
Douai. Société royale et centrale d'Agriculture , Sciences et Arts du
département du Nord.
Draguignan. Société d'Agriculture et de Commerce du département
du Var.
Evreux. Société d'Agriculture, Sciences, Arts et Belles-Lettres du
département de l'Eure.
Lille. Société royale et centrale d'Agriculture, Sciences et Arts du
département du Nord.
Limoges. Société royale d'Agriculture, des Sciences et des Arts
(Haute-Vienne).
Lons-le-S aulnier. Société d'Émulation du Jura.
Lyon. Académie royale des Sciences, Belles-Lettres et Arts (Rhène).
— Société de Médecine.
Marseille. Académie des Sciences , etc. ( Bouches-du-Rhône ).
Metz. Académie royale des Lettres, Sciences et Arts et d'Agricul-
ture ( Moselle ).
Montauban. Société des Sciences, Agriculture et Belles-Lettres du
département du Tarn-et-Garonne.
( 284 )
Mulhausen. Société industrielle.
Nancy. Société royale des Sciences, Lettres et Arts (Meurthe ).
Wantes. Société académique des Sciences et des Arts du départe-
ment de la Loire-Inférieure.
Nimes. Académie royale du Gard.
Niort. Athénée; Société libre des Sciences et des Arts du dépar-
tement des Deux-Sèvres.
Orléans. Société royale des Sciences, Belles-Lettres et Arts (Loiret).
Paris. Athénée royal, rue de Valois, n° 2.
— Institut de France , au Paluis des Quatre-Nations. Acadé-
mie des Sciences et Académie Française
— Société d'Economie domestique et industrielle, rve Ta-
ranne, n° 12.
— Société de Géographie, passage Dauphine.
— Société de la Morale chrétienne, rve T'aranne, n° 12.
— Société de Pharmacie, ve de l’Arbalète, n° 13.
— Société des Sciences physiques.
— Société Linnéenne, rue de Verneuil, n° 51, faubourg St-
Germain.
— Société médicale d'Emulation, à /a Faculté de Médecine
— Société royale et centrale d'Agriculture, à /’Hôlel-de-Ville.
— Société d’'Horticulture, re T'aranne, n° x2.
— Société d'Encouragement pour l'Industrie nationale, 72e du
Bac, n° 42.
Poitiers. Société académique d'Agriculture , Belles-Lettres, Sciences
et Arts ( Vienne).
Le Puy. Société d'Agriculture , Sciences, Arts et Commerce ( Haute-
Loire ).
Rennes. Académie des Sciences, etc. (Ille-et-Vilaine ).
fiouer. Société centrale d'Agriculture du département de la Seine-
Inférieure®
— Société libre d'Emulation pour le progrès des Sciences,
Lettres et Arts.
—— Société libre pour concourir au progrès du Commerce et de
l'Industrie.
— Société de Médecine,
( 285 )
— Société des Pharmaciens.
—— Société pour l’encouragement de lInstruction élémentaire
par l’enseignement mutuel, dans le département de la
Seine-Inférieure.
Saint-Etienne (Loire). Société d'Agriculture, Sciences, Arts et
Commerce.
Saint-Quentin. Société des Sciences, Arts, Belles-Lettres et
Agriculture (Aisne ).
S/rasbourg. Société des Sciences, Agriculture et Arts du départe-
ment du Bas-Rhin.
Toulouse. Académie des Jeux floraux (Haute-Garonne ).
Tours. Société d'Agriculture, Sciences, Arts et Belles-Lettres du
département d’Indre-et-Loire.
Versailles. Société centrale d'Agriculture et des Arts du départe-
ment de Seine-et- Gise.
SOCIÉTÉS ETRANGERES.
Anvers. Société des Sciences, Lettres et Arts.
Liége. Société libre d'Emulation et d'Encouragement pour les Sciences
et les Arts.
Londres. Société des Antiquaires de Londres.
( 287 )
TABLE MÉTHODIQUE,
COMPRENANT ,
OUTRE LES MATIÈRES CONTENUES DANS LE PRÉSENT
VOLUME,
La mention de tous les ouvrages reçus par l'Aca-
démie, ou dont les rapports ont été faits pen-
dant l'annee académique 1830—1831x.
Discours d'ouverture de la Séance publique, par A. le doc-
teur Blanche , président , pag. x
CLASSE DES SCIENCES.
RAPPORT fait par M. des Alleurs, D,-M., secrétaire per-
peéluel , 7
are Section. — PHYSIQUE, MATHÉMATIQUES ET ARTS
MÉCANIQUES.
Correspondance météorologique (4° memoire | déjà mentionné
dans le volume précédent), par M. Morin, ingénieur des
ponts et chaussées. — Rapporteur, M. Girardin, 8
Notice sur une distribution genérale d'eau à domicile dans
Paris, par M. Mallet, inspecteur des ponts et chaussées.
— À. M. Lévy, \ 9
Pont de suspension qui doit étre élevé sur l'Avon, près de
( 288 )
Clifion, en Angleterre, d'après les plans de M. Brunel
fils, 11
2° Sections — CHINE.
Thèses de M. Polydore Boullay , de Paris , intitulées, l’une
de l'Ulmine et de l’Acide azulmique , l’autre Dissertation
sur le volume des Atomes dans les combinaisous chimiques
(mentionnées dans Le Précis précédent ). — R. M. Gi-
rardin , 13
Expériences sur les moyens de conserver le lait sous diverses
formes et pour divers usages, faites par M. Girardin,
d'après celles de M. Braconnot , de Nancy, 1b.
Cristallisations , produits de végétaux rares et peu connus ,
présentées par M. Girardin , 14
Notice sur une cendre colorée très alcaline, par M. Dubuc, ib.
Tmprimée en entier p. 4x1.
Mémoire sur la falsification de la garance, par M. Dubuc , b.
Imprimé en entier p. 46.
Note sur la composition de l’alliage qui forme la cloche d’ar-
gent renfermée dans le Beffroy de Rouen, par M. J.
Girardin , ib.
Imprimée en entier p. 50.
3e Section. — ARTS INDUSTRIELS , COMMERCE.
Réflexions de M. Le Prevost, D. M., sur les charrois dans
les grandes exploitations , les brevets d'invention , et l'em-
ploi du chlore liquide ou gazeux dans les affections de la
poitrine , 15
Réflexions de M. Pimont sur la fabrication des chaux hy-
drauliques et sur les brevets d'invention , 16
Mémoire sur les proprièlés tinctoriales et autres du Phyto-
lacca decandra de Linné, par M. Dubuc, 17
Imprimé en entier p. 57.
(289)
Mémoire sur la navigation de la Seine entre le Havre , Rouen
et Paris, par M. Lepasquier , 17
Imprimé en entier p. 82.
4° Section. — HISTOIRE NATURELLE.
Notice sur le puceron lanigère, par M. Houtou-Labitlar-
. dière (VW. note 2, p. 21. ), 18
Tmprimée en entier p. 89.
Fragment de pierre calcaire détaché de la côte Saïnte-Cathe-
rine, et contenant les osselets pétrifiés de la patte d’un
ichtyosaure présenté par M. A. Le Prevost , 1b.
Dépôt au cabinet d'histoire naturelle de Rouen des échan-
tillons minéralogiques et géologiques de M. Passy , 19
CV. 8e section, STATISTIQUE, p. 291.)
Recherches sur les plantes cryptogames du nord de la France ,
par M. Desmazières , de Lille (x), ib.
Note sur un fragment de branche d'arbre , dont le centre pré-
sente quatre empreintes symétriques , par M. Dubreuil , 20
Imprimée en entier p. 92.
5° Section. — AGRICULTURE , SCIENCES ÉCONOMIQUES.
Divers rapports de MM. Meaume , Prevost ( pépinieriste ),
Leprevost ( vétérinaire ) et Pimont , sur des ouvrages d’agri-
culture , 21
Rapport sur l'ouvrage de M. Gasparin , intitulé : Guide des
propriétaires de domaines ruraux affermés, par M.
Dubuc, et vues de ce dernier sur l'établissement d'une
ferme expérimentale en Normandie , 22
(1) Monographie du genre næmaspora des auteurs modernes, et
du genre libertella, etc. ; Observations microscopiques sur le blanc
du rôsier, etc.; Observations cryplogamiques et zoologiques, etc.
— 1831.
37
( 290 )
Rapport de M. Duputel Sur trois ‘cahiers de la Societé
centrale d'agriculture de la Seine-Inférieure , 23
Mémoire sur les abeilles, par M. Lemarchand de la Faverie.
— R. M. l'abbé Gossier , 24
Remarques diététiques sur la pomme de terre et le régime vé-
gétal , par M. l'abbé Gossier , 25
Ge Section. — MÉDECINE , CHIRURGIE ,; PHYSIOLOGIE.
Fragment d’une histoire philosophique de la médecine ; par
M. de Parchappe, D. M. — R MM. Hellis, Vigné et
Godefroy , 28
Essai sur la pneumonie aiguë , thèse par M. Duhamel , D.-M.
— R. M. Godefroy , 29
Compte rendu par M. Bonfits fils aîné, D.-M., à Nancy ,
d’une opération de staphyloraphie modifiée { V.. le vol. de
1830, p.29.) — R. M. Vingtrinier , 30
Le Mémoire de M. Bonfils est imprimé en entier, p. 95, éf
Le Rapport de M. Vingtrinier se trouve à la suite, p. 104.
Mémoire sur les malades militaires traités à l'Hôtel-Dieu de
Rouen , en 1830 , par M. Hellis, 35
Imprimé en entier p. 120.
Notice sur une maladie éruptive peu connue, par M. Le
Prevost, 1b.
Imprimée en entier p. 107.
Essai sur l’ame , par M. 'igné, ib.
Imprimé en entier, p. 113.
7° Section. — MÉLANGES.
Rapport de M. Dubuc sur le Précis de l Académie d'Or-
léans, et de M. A. Le Prevost sur le Recueil de l'Aca-
démie de Dijon , 32
Indication des sujets de divers rapports ajournés à l’année
prochaine : Prospectus d'une école théorique et pratique
d’horlogerie à Mâcon; Expériences faites avec la semence
€ 294 )
de moutarde blanche, par MI. Henri fils et Garvt ;
Manuel de l'horloger et Manuel du fabricant d'étoffes im-
primées et de papiers peints, par M. Lenormand ; Résumé
d'ichtyologie , par M. Ajasson de Grandsagagne ; Du tem-
pérament de la femme ; thèse par M. Navet ; Mémoire
sur l'emploi du sang sèché comme engrais, par M. Ch.
Derosne ; Mémoire sur le choléra-morbus pestilentiel de
Russie, et Histoire physique des Antilles françaises , par
M. Moreau de Jonnès , 33
Journal de l’Académie de l'industrie, fondé par M. César
Moreau , ib.
Liste générale des médecins, chirurgiens , etc. , du départe-
ment de la Seine-Inferieure , 34
Recherches sur les substances organiques azotées dites neu-
tres, par MM. Plisson et Henri fils , ib.
Traitement des scrophules , nouvelle édition ; par M. Cha-
ponnier, 1b.
8° Section. — STATISTIQUE.
Plan d'une statistique générale du departement de la Seine-
Inférieure, présenté à M. le préfet (x) par l’Académie royale
de Rouen , 34.
(V. Ze volume précédent, p. 35.)
Géologie de la Seine-Inférieure , par M. A. Passy. Ouvrage
que l’Académie a couronné en 1829, et dont elle a or-
donné l'impression , qui touche à sa fin (2), 19, 34, 37
Prospectus de la Société française de statistique universelle ; et
prospectus de divers ouvrages statistiques , par M. César
Moreau.
Plan manuscrit de statistiqne, par M. Isidore Simard.
(1) I l'a été en effet, peu de jours après la Séance publique.
(2) Un beau volume in-4o, avec atlas et carte. Se trouve, à Rouen,
chez Nicétas Periaux, éditeur; à Paris, chez Lance, libraire, rue
Croix-des-Petits-Champs, n° 50,
(292 )
PRIX PROPOSÉS POUR 1832.
Pour la classe des sciences , 39
Pour la classe des lettres , 158
MÉMOIRES DONT L'ACADÉMIE À DÉLIBÉRÉ L'IMPRESSION
EN ENTIER DANS SES ACTES. ( V.p, 297).
Notice sur une cendrille riche en salin , par M. Dubuc ( V.
P. 14. ); 41
Notice sur la garance , par M. Dubuc (F.p. 14.), 46
Note sur la composition de l’alliuge qui forme la cloche d’ar-
gent , par M. J. Girardin (V. p. 14.), 5o
Mémoire sur le phytolacca decandra , par M. Dubuc (F.
P-17); 57
Réflexions sur la navigation de la Seine, entre Paris et Rouen,
par M. Lepasquier ( V.p. 17.), 82
Notice sur le puceron lanigère, par M. Houtou-Labillar-
dière ( V. p.18 et21, note 2.), 89
Notice sur quelques échantillons de bois, par M. Dubreuil
CMP pr20:)6 92
Mémoire adressé à l'Académie , par M. Bonfils, médecin à
Nancy , sous le titre de Staphylodémie, etc. ( 7.
P-50°); 95
Rapport sur ce mémoire , 104
Notice sur une maladie éruptive peu connue, par M. Le
Prevost , D.-M. (V.p.31.), 107
Essai sur l'ame , par M. Vigne, D.-M.(V.p. 31.), 113
Rapport sur les malades militaires , traités à l’'Hétel-Dieu de
Rouen , en 1830 , par M. Hellis (V. p. 31.), 120
( 293 )
CLASSE DES BELLES-LETTRS ET ARTS.
Rapport fait par M. N, Bignon , secrétaire perpétuel, v41
1e Section. — GRAMMAIRE.
. Tableau des principes de la grammuire française, par M. 4.6.
Ballin , 1°% et 2° édit. ( La °°° édit. a paru en 1798, sous
de titre de Resumé general, etc., imprimé sur une seule
Jeuille de grand-raisin. ), 146
Trésor de la langue grecque d'Henri Estienne ; prospectus
d'une nouvelle édition publiée par MM. Hase , de Sinner
et Fix , 149
Mémoire sur cette entreprise, par M. Berger de Xivrey. —
R. M. Floquet, 1b.
Imprimé en entier p. 243.
Dissertations sur le participe eu, suivi d'un anfinitif, par
MM. l'abbé Gossier et le baron Adam , 152
2® Section. — FLOQUENCE.
Discours prononcé par M. Juste Houel, lors de son ins-
tallation , comme président du tribunal civil de Louviers ,
le 27 novembre 1830 , 149
Discours sur les rapports entre la religion et les sciences , par
M. L. D. Paumier, pasteur, 197
Imprimé en entier p.219
Réflexions sur le tableau demande par l Académie à M. Court,
par M. Hellis, (médaille décernée à cet artiste. ) 157
Imprimées en entier, p. 159.
3° Section. = POËsIE.
Le Génie, le Combat des Trente, l'Épée et le Cavalier, la
Mort de Landaiïs et la Mort de Gilles de Bretagne , par
C 294 )
M. Edmond du Petit Bois. — R. MM. Duputel ( rappor-
teur), Adam et Vingtrinier , 144
Le banquet d'Esther, fragment de poème , par M. Chartes.
Malo. — R. M. Deville , 147
Chants armoricains ou souvenirs de Basse - Bretagne ; par
M. Boucher de Perthes. — R. M. Magnier , 1b.
Romances , ballades et légendes , par le méme. — R. MM.
Deville (rapporteur), Licquet et l'abbé Gossier , ib.
La Nymphe de la Vistule aux Français, dithyrambe ,
par M. Albert Montémont , 150
Longi Pastoralia, edition complète, publiée par MM. P.
L. Courier et Louis de Sinner, (V.p. 260.) 149
Quatre pièces de vers latins , grecs et allemands à la louange
de M. Louis de Sinner , 1b.
Les deux Livres , fable, par M. Duputel, 155
4° Section. — CRITIQUE LITTÉRAIRE.
Analyse critique et littéraire de ’Enéïde, par M. L. Magnier.
— R. M. Licquet , 151
Classiques latins ( 24 vol.), publiés par M. N. E. Lemaire,
Discours sur la cause du peu de popularité de notre poesie ,
par M. Magnier , 1b.
Imprimé en entier p. 198.
5° Section. — LÉGISLATION.
Pétition présentée aux Chambres , relativement à l'application
de la peine de mort , par M. Tougard.
Rapport sur la demande de la reconnaissance légale de la
Société libre d’émulation de Rouen | par M. Tougard.
Opinion de M. Cristophe (x) , vigneron , sur les prohibitions
et la liberté du commerce, par M. Boucher de Perthes. —
{1) L'auteur écrit ainsi,
( 295 )
R. MM. Deville (rapporteur), Licquet et l'abbé Gos-
sier , 146
Vœux adresses au futur congrès, et avis préliminaire , etc. ,
par M. J.-J. de Sellon. — R. M. Delaquerière , 143
6° Section. — HIsroirE.
‘ Apologie pour Henri VIII , roi d’ Angleterre , par M. Spencer
Smitt. = R. M. Lévy, 148
Histoire des colonies pénales de l’ Angleterre dans l’Austra-
lie, par M. Ernest de Blosseville. — R. M. Duputel,
150
Essai historique , géographique et statistique sur le royaume
des Pays-Bas, par MM. Balbi et de la Roquette. — R.
M. Ballin, 146
Mémoire sur la portion de territoire concédée à Rollon par
le traité de Saint-Clair-sur-Epte , par M. Deville, 353
Déclaration de M. Th. Licquet à ce sujet , 154
Recherches sur l'ancien pont de Rouen , par M. Deville, 154
Imprimées en entier p. 166.
Lettre à M. Alavoine, sur l’ancienne flèche de la cathédrale
de Rouen, par M. Deville, 155
Imprimée en enfier, p. 174.
7° Section. — ARCHÉOLOGIE,
Cours d'’antiquités monumentales ; €. x, 1°® partie. —
Ëre celtique , par M. de Caumont. — R. M. Deville, 145
Notice sur la découverte des restes d'une habitation romaine
dans la Mielle de Cherbourg, par M. Auguste Asselin. —
R. M. Delaquérière.
Recherches sur le cuir doré , anciennement appele or basané ,
par M. Delaquérière.
Mélanges d’archeologie , etc., prospectus, par M. Séë.
Bottin.
( 296 )
8° Section. — GÉOGRAPHIE.
Géographie de Ptolémée d'Alexandrie, par N. D. Manos ,
nouvelle édition , prospectus , 149
9° Section. — BIOGRAPHIE,
Biographie d'Abbeville et de ses environs, par M. F. C.
Louandre. — R. M. Licquet.
10° Section. — BIBLIOGRAPHIE.
Catalogue de la bibliothèque de la ville de Rouen , 1. 1°;
Belles-Lettres , par M. Théod. Licquet.
Catalogue des livres doubles de la bibliothèque de la ville de
Lyon.
Paquet de cartes pour servir de catalogue au Précis analy-
tique des travaux de l'Académie, vol. de 1830 , par M.
Periaux , père, 150
Notice bibliographique sur la tragédie de Tyr et Sidon, de
Daniel Danchères , par M. Duputel , 155
sa Section. — MÉLANGES.
Examen de la doctrine des écritures touchant la personne
de Jésus-Christ, etc., par M. De Luc.
Discours prononcé au mariage de M. le vicomte Portalis. —
Article Schisme , extrait de l'Encyclopédie moderne. —
Lettre à M. le curé de... — Gloria in excelsis Deo.
— De la béatification et de la canonisation.— Préface...
Six Opuscules , par M. l'abbé Labouderie. — R. M. l'abbé
Gossier , 147
Méditation sur les cimetières, par M. le baron de Bonardi, 49
Rapport de M. Ballin sur les archives , 150
Buste en plâtre de M. Brunel, donné par M, l'abbé Gos-
sier , 1b,
(297 )
MÉMOIRES DONT L'ACADÉMIE A DÉLIBÉRÉ L'IMPRESSION
EN ENTIER DANS SES ACTES (V. p, 292).
Réflexions sur le tableau demandé par l’Académie à M. Court,
par M. Hellis (V. p.157), 159
Recherches sur l'ancien pont de Rouen, par M. Deville
(CF. p.154), 166
Lettre adressée à M. Alavoine , architecte de la nouvelle flèche
en fonte de fer de la cathédrale de Rouen , sur la flèche de
Robert Becquet, par M. À. Deville (V. p. 155), 174
Sur la cause du peu de popularité de notre poésie ; discours de
réception de M. Magnier (V. p.151), 196
Réponse de M. le Président , 211
Notice bibliographique sur la tragédie de Tyr et Sidon, par
M. Duputel (V. p. 155), 212
Sur les rapports entre la religion et les sciences, et Les services
mutuels qu elles se sont rendus; discours de réceplion de
M. L.-D. Paumier , pasteur (V.p. 153), 219
Réponse de M. le Président, 241
Memoire adrèssé à l’Academie sur la nouvelle édition du
Trésor de la Langue grecque de Henri Estienne, que
publie en ce moment M. Firmin Didot; par M. Berger de
Xivrey (V. p. 149), 243
Tableau de l’Académie royale des sciences, belles-lettres
et arts de Rouen , pour l’année 1831—1832, 267
38
( 298 )
OUVRAGES
ENVOYÉS PAR DES SOCIÉTÉS SAVANTES,
ET OUVRAGES PÉRIODIQUES,
Classés suivant l'ordre ulphabétique du nom de la Ville où
ils sont publies.
Besançon. Académie des sciences , belles- lettres et arts,
Séance publique de 1830. — R. M. Blanche. — Plusieurs
anciens cahiers pour compléter, en partie, la collection de
l'Académie. — La Société d'agriculture et arts du départe-
ment du Doubs a aussi fait un semblable envor.
Bordeaux. Académie des sciences, belles-lettres et arts,
Programme.
Boulogne-sur-Mer. Société d'agriculture. Procès-verbal de
la Séance publique de 1830. — R. M. Licquet.
Caen. Revue normande , publiée sous la direction de M. de
Caumont ; 1° vol., 1'° et 2° partie, 1830 et 1831. — R.
M. Auguste Le Prevost, 145
— Société royale d'agriculture et de commerce. Plusieurs
volumes et brochures pour compléter la collection de
l'Academie.
(299 )
Châlons - sur - Marne. Société d'agriculture , commerce,
sciences et arts du département de la Marne. Programme.
— Séance publique de 1830. — R. M, Dubuc.
Douai. Societé royale et centrale d'agriculture, sciences et
arts du département du Nord. Deux anciens cahiers pour
completer la collection de L Académie.
Draguignan. Societé d'agriculture et du commerce du dépar-
‘ tement du Var. Bulletin n° 34, 12° année , 1831.
Evreux. Societé d'agriculture , sciences , arts et helles-lettres
du département de l'Eure. Recueil n° 4, 1830; n% 5
et 6, 1831. — R. MM. Floquet et Houtou-Labillardière.
— Plusieurs volumes d'anciennes publications qui man-
quaient aux archives de l Académie.
Lille. Societé royale et centrale d'agriculture , sciences et arts
du département du Nord. Mémoires de 1829 et 1830. —
R. M. Girardin.
Limoges. Société royale d'agriculture , sciences et arts. Bulle-
tins n® 3 et 4, t. 9. — R. M. Delaguérière.
Montauban. Société des sciences , agriculture et belles-lettres
du departement de Tarn-et-Garonne. Recueil agronomique,
ni graoanles à +: sr Son zx 23, 446,
1.12, 1831. — R. MM. Pimont, Leprevost ( trésorier )
et Deville. « ”
Mulhausen. Societé industrielle. Programme des prix propo-
sés. — Prospectus de la statistique générale du département
du Haut-Rhin.
Nantes. Société académique. Annales, 4°, 5° et G° livr. di
1 vol. — R. MM. Girardin et Duputel.
Orléans. Société royale des sciences, belles-lettres et arts.
Annales , t. xx, n° x et 2 ( avec 5 lithographies), 1830.
— À. MM. Dubuc et Floquet.
Paris. Société d'encouragement pour l'industrie nationale.
Trois cahiers de programmes des prix proposés le 29 de-
cembre 1830. — R. M. Lévy.
— Sociélé royale et centrale d'agriculture. Mémoires de l'an-
( 300 )
née 1828,t.1et2. — R. M. Dubuc. — Rapport sur le
concours ouvert pour le percement des puits forés, fait
à la même Societé par M. le vicomte de Thury. — R.
M. Dubuc.
— Société de géographie. Bulletins n° 93 à 97 dut. 15,
1831. — À. MM. Lévy, Du KRouzeau et Magnier.
— Académie de l'industrie agricole , manufacturière et com-
merciale, fondée par M. César Moreau. Circulaire et jour-
nal, n° 1 à 8.
Poitiers. Societé d'agriculture , belles- lettres , sciences et
arts. Bulletins n°% 29 et 30 de la x'° partie; 5 et 6
de la 2°, 1830. — R. M. Dubreuil.
Rouen. Société centrale d'agriculture du département de la
Seine-Inférieure. Cahiers 37, 38 et 39, 1830. — R.
MM. Duputel et Meaume. — Plusieurs anciens cahiers
pour compléter la collection de l’Académie.
— Societé libre d’émulation. Séance publique du 6 juin 1830.
— À. M. Foville. — Plusieurs anciens cahiers pour com-
pléter la collection de l Académie.
— Société pour l’encouragement de l'instruction élémentaire
par l’enseignement mutuel, dans le département de la
Seine-Inférieure. Distribution des prix , le 24 août 1830.
Saint-Etienne (Loire). Société d’agriculture, sciences ,
arts et commerce. Bulletin industriel, t. 8, 6°, 7°, 8e
etvgt Lw., 183054 9, 2°. et3% Go. x03r. — R.
MM. Pimont et Auguste Le Prevost.
Saint-Quentin. Société des sciences, arts, belles-lettres et
agriculture. Séances publiques des 21 décembre 1826, 3 jan-
vier 1828 et 16 juillet 1829.— R. M. Pimont. — Plu-
sieurs anciens cahiers pour complcter la collection de l’Aca-
demie.
Tours. Societé d'agriculture , de sciences, d'arts et de belles-
lettres du département d’'Indre-et-Loire. Annales d’agri-
culture, t.10,n%4et5, 1830;t.11,n% 1,2, 3,4 et
5, 1831, — R. MM. Dubuc et Leprevost (trésorier ),
me or am
re
( 301 )
Versailles. Société d'agriculture et des arts de Seine-et-
Oise. Mémoires, 30° et 31° année. — R. M. Leprevost
(trésorier). — Plusieurs anciens cahiers pour compléter
la collection de l’Académie.
PAys ÉTRANGERS.
Copenhague. Société des antiquaires du Nord. Extrait de
‘ son règlement.
Fix DE LA TABLE.
Omission dans la Liste des Sociétés correspondantes.
Le Mans. Société royale d'Agriculture, Sciences et Arts,
AVIS AU RELIEUR.
ee
Les Planches doivent être placées dans l'ordre suivant :
Cloche du Beffroi de Rouen, ...........er regard de la page 51
Troncons de Marronnier, etc.,........... sootbtée roses. 0
Tableau de M: Court, .............. PC CNADE ere X00
P. 33, ligne 17,
35, 14;
753 110
106, Gi
109, dernière,
159, à partir de la ligne 14, &l faut Lire : I] a dignement répondu
à votre appel, et vous avez pu vous convaincre à loisir du charme et
de l'éclat qu'il a su répandre sur une composition qui en paraissait si
peu susceptible. Lorsqu'on songe au lieu de la scène qui lui était
imposée , aux difficultés qui naissaient, et de la forme du costume et
ERRAT A.
au lieu de ictiologie, Lisez : ichtyologie:
après terre, aj. : natale.
au Lieu de la lavande, Lisez : la vaude.
au lieu de quelque soit, lisez : quel que soit.
au lieu de où il vivait, Lisez : où ils vivaient,
de la vérité obligée des personnages, on fieut s'étonner, etc.
REP F k * L
: « en!
, : : «“ ' Ê Fake
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